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JOHN M. KELLY LIBDARY

Donated by The Redemptorists of the Toronto Province

from the Library Collection of Holy Redeemer College, Windsor

University of St. Michael*s College, Toronto

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LES

EXERCICES SPIRITUELS

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Saint Ignace de Loyola

LES

EXERCICES SPIRITUELS

DE

Saint Ignace de Loyola

COMMENTAIRE ET MEDITATIONS

PAR

Le R. P. MESCHLER, S. J.

ASSISTAM DE GERMAME

uits par P. GOE^B5^^^

5228kB A LA MISSI0X SAIST~J0T (PB0V, TOBONTIHAE

uvelle edition francaise

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PARIS ! LA CHAPELLE-MONTLIGEON Orne

MISSiON SAINT-JOSEPH Imprimerie-Librairie

i!4, rue Lafayette DE MONTLIGEON

1913

HOLY REDEEMER Llffe^Y, WINDSOR

CUM APPROBATIONE SUPERIORUM

IMPRIMATUR

Parisiis, die 23 Decerhbris 1912.

H. Odelin, V. g.

CET OUVRAGE

n'a ete imprime qu'a titre de manuscrit.

COMMENTAIRE DES EXERCICES

DE

Saint Ignace de Loyola

Digitized by the Internet Archive

in 2011 with funding from

University of Toronto

http://www.archive.org/details/lesexercicesspirOOigna

COMMENTAIRE

DES

EXERCICES SPIRITLELS

DE SAINT IGNACE DE LOYOLA

NATURE ET DIVISION DU LIVRE DES EXERCICES

1. Par sa nature et sa porlee, le pelil livre des Exercices n*est pas seuleraent un guicle pour le temps de la retraite : il offre a lous les Chretiens un conrs coraplet et pratique de vie spirituelle ; il est en raeme temps pour nous, Gompagnons de Jesus, un livre de doclrine et un directoire, renfermant, sous une forme breve et precise, les regles de VAscetism? de notre Ordre (1).

Ce livre traile en effetde beaucoup d'Exercices spirituels, tels que la medilation, la priere vocale, qui appartiennent non seulement au temps de la retraite, mais a la vie entiere. G'est donc en meconnaitre rimportance pratique que de s'en servir temporaireraent pour le negliger ensuite. Les retrailes d'ailleurs n'ont que ce but special de nous exercer ou de nous renouveler dans les actes de la vie spirituelle.

(1) « Exerciliorum libellum quidam di.vit novitiatum esse toti geueri bumano pronositum. » Scarez, <le Relufwne S. J., 1. 9, c. .')., § 2. « Opus hoc ex Instituto non est aj tradendam doetrinam theologicam... Continet magis practicam quam speculativam doctrinam, traditam per mo- dum artis magis quam scientire, ideoque in eo magis practica utilitas spec- tatur quam speculativa. » 1. c, c. 5. § 4. « Mens fuit B. Ignatii brevis- sime comprehendere omnia qiue ad spiritualem instructionem et interiorem anima? salutem conducere possunt. » 1. c, c. 0, j; 4. « Nihil ad spiri- tualem instructionem desideratur, quantum per brevem methodum tradi potest. > § 4. in line. Nihil quod in consultationem ordinariam venire potest, omisit. » I. c, c 7., § 1.

COMMESTAiriK DKS EXERCICES

2. On divise regulierement le livre des Exercices en trois parties : les annotalions ; la serie des medilations, qui elles-memes sont parlagees en qualre seraaines ; des preceples, regles et industries pour la vie spiriluejle ; parmi ces derniers moyens, les uns onl une application generale, les autres sont donnes pour des siluations ou des circonstances parliculieres. ,

Dans un appendice, on trouvera une autre seclion, conlenant une suile methodique de sujels de meditalion.

ANNOTATIONS

INTRODUCTION AUX QUATRE SEMAINES DES EXERCICES

LES ANNOTATIONS

TITRE

1. Les Annotations ne sonl qifune inlroduction aux Exercices.

Gelle inlrodticlion contienl d'abord la definition des Exercices (Annot. 1 ; secondement des avis et des moyens pour en assurer le succes. Ces avis s'adressenl non moins a celui qui donne des Exercices qu'a celui qtii les fail (Annot. 2, 20). Le titre 1'exprime bien neltement : Ad capiendam oliquam intel- ligentiam ul juvel se tam is qui... II faut remarquer 1'expression juvel so. Tous deux, le directeur et le relrailant, ne fonl pas beaucoup plus qif « aider » : « Dieu seul donue raccroissement » (I Cor., 3, 6), le succes. Celte expression montre aussi la necessile de l'aclion personnelle. Dans ces remarques prelimi- naires, le maitre et le disciple recoivent dejii, comme en passant, •des conseils, et entendent des maximes, des principes tres utiles pour diriger la vie spiriluelle.

2. II faut avoir grand soin de ne pas confondre les anno- tations avec les additions. Celles-ci donnenl des avis tres imporlants, mais principalemenl au sujet de la medilation et de l'examen particulier. Ne confondons pas non plus les addilions avec les notes, notie, qui sonl des remarques de diflerente nalure, donnees seulement suivanl roccurrence.

Premiere A nnolativn .

Elle donne la definilion des Exercices dapres leur nature, et d'apres leur but (Gf. R. P. Roothaan, not. 5).

1. Par leur nature et leur objel, les Exercices de saint Ignace sont avant tonl des Exercices spiriluels. En elTel, puis-

COMMENTAIRE DES EXERCICES

2. On divise regulieremenl le livre des Exercices en trois parties : les annotations ; la serie des medilations, qui elles-memes sont parlagees en quatre semaines ; des preceples, regles et induslries pour la vie spiriluejle ; parmi ces derniers moyens, les uns ont une application generale, les autres sont donnes pour des situations ou des circonstances parliculieres. .

Dans un appendice, on trouvera une autre section, conlenant une suite methodique de sujets de meditalion.

ANNOTATIONS

LNTRODUCTION AUX QUATRE SEMAINES DES EXERCICES

LES ANNOTATIONS

TITRE

1. Les Annotations ne sonl qu'une inlrodtiction aux Exereices.

Getle inlrodticlion contienl d'abord la definition des Exercices (Annot. 1) ; secondement des avis el des raoyens pour en assurer le succes. Ces avis s'adressent non moins u celni qui donne des Exercices qu'a celni qni les fait (Annoi. 2, 20). Le titre l'exprime bien nellement : Ad capiendam oliquam intel- ligentiam ul juvel se tam is qui... II faut remarquer 1'expression juvel se. Tous deu.x, le direcleur el le relrailant, ne fonl pas beaucotip pltisqu' « aider » : « Dien senl donne l'accroissement » (I Cor., 3, C), le succes. Celle expression montre anssi la necessile de 1'aclion personnelle. Dans ces remarques prelimi- naires, le mailre et le disciple recoivenl deja, comme en passant, des conseils, et entendent des maximes, des principes tres utiles pour diriger la vie spiriluelle.

2. II faut avoir grand soin de ne pas confondre les anno- tations avec les additioos. Celles-ci donnent des avis tres importants, mais principalement au snjet de la meditalion et de 1'examen particulier. Ne confondons pas non plus les addilions avec les notes, notx, qui sonl des remarqnes de differenle nalure, donnees seulement suivanl roccurrence.

Premiere A nnolaiion .

Elle donne la definilion des Exercices dapres leur nature, et d'apres leur but (Cf. R. P. Roothaan, not. 5).

1. Par leur nalure et leur objel, les Exercices de sainl Ignace sont avanl tout des Exercices spirittiels. En elfel, puis-

10 COMMENTAIRE DES EXERCICES

qu'ils ont pour but de conduire 1'homnie a sa fin surnaturelle, ad salulem animiv. au salut de son dme, il faut qu'ils develop- pent sans doute Paclivile naturelle de Tesprit, mais surtout son activite et sa vie spirituelles. La vie naturelle, vegelative, sensi- tive, inlellecluelle, a ses acles propres : courir, faire de la gymnastique, lire, eludier, etc. Lhomme, en s'y livrant, se rend capable d'atleindre sa fin naturelle. La vie surnaturelle a de meme ses operations propres : elles ne consislent evidemment qu'a connailre Dieu, a 1'aimer, a rimiter, suivant les exemples du Sauveur. On y parvient par la meditation el la pra- lique des veriles du salut. Cesl donc avec raison que saint Ignace donne la notion des Exercices en enumerant quelques- unes de ces operalions spiriluelles : mediter, prier vocalement, examiner sa conscience... elc. II ne les enumere pas loutes ; par exemple, il ne parle ni de Telection, ni de beaucoup d'autres qui se trouvent cependant dans le livre des Exercices. D'apres cela, le nom d'Exercice spiriluel conviendrail a toul moyen, mis en oeuvre par 1'aclivite personnelle, pour alleindre notre fin surna- turelle, qui est la vision beatifique. Saint Ignace insisle de nouveau sur Taclivite individuelle : « est operalio » ; on doit se rendre aclif, ne pas simplemeut se laisser faire. Cest pourquoi les Exercices spirituels sont dans le sens propre du mot « de TAscelisme ». Dans ce qui vientd'£lre dit se trouvedeja une premiere et solide raison de tenir en haute estime les Exercices et de s^appliquer a les bien faire : ils se rapporlent a Dieu et a nolre salut eternel, par suile a un ordre de choses plus eleve que tout ce que nous pouvons imaginer et executer dans 1'ordre naturel, quelle que soit son importance ou sa necessile. Dans TAscetisme se trouve la force pour rexecution de tout le reste. 2. Gomme il s'agit de nous faire arriver a notre fin sur- natnrelle, saint Ignace se propose dans les Exercices beaucoup moins la speculation que la pralique. II indique un triple bul pralique : le bul le plus prochain des Exercices est de faire disparaitre tout dereglement dans nos passions ; le but inter- mediaire est de chercher a connaitre la volonte de Dieu, pour pouvoir regler nolre vie en consequence ; enfin le but final est, par ce double moyen, d'operer notre salut.

A>N0TATI0NS 11

Le but le plus prochain est donc la morlification (rabnegation, la victoire sur soi-meme), qui ne consiste en rien moins qifa reprimer et a corriger les penchants deregles. Mais qu^esl-ce qui est deregle ? Tout ce qui ne rapproche pas du but, ou bien passe a cote, ou bien va dans le sens oppose ou du moins met en danger de prendre une direclion contraire. Par consequent, €e qui est inutile. depocirvu dinleution, dangereux ou entache de peche : en un mot, tout ce que nous ne pouvons juslifier par la raison ou la foi, toul cela esl deregle, et par suite appelle la morlification. Et pourquoi la mortificalion doit-elle elre le but le plus prochain des Exercices? Parce quelle est pour nous la chose la plus necessaire ; nous sommes dans 1'etat de nature dechue et remplis d'inclinalious desordonnees, qui lot ou lard nous conduisent au peche. De plus. elle esl le moyen le plus sur et le plus prompl pour nous laire atleindre nolre fin eloignee et derniere : savoir. 1'union elernelle avec Dieu. Sans Tapplicalion et redbrl serieux pour eloigner de nous tout dereglement, omnes inordinatas a/fecliones, le resle n'est que pure illusion : « Vous ne profilez, vous ne progressez. dit rimilalion de Jesus-Ghrisl, qu'aulant que vous vous faitesviolencea vous-memes »(1.25, M). II faut bien le remarquer, la morlificalion n'est pas le but final, raais le but prochain, et par suile un simple moyen.

Le but inlermediaire est de connailre la volonte de Dieu, cle regler et d'ordonner cKapres elle toule notre vie. Cest en cela que consiste la vraie, ressentielle union avec Dieu el la veri- lable perfeclion : elre ce que Dieu veut. Or Dieu ne nous mani- feste pas seulement sa volonle par les commandemenls qifil nous donne, mais aussi par les devoirs de nolre elat et par des inspiralions parliculieres. Connailre la volonle de Dieu sous chacun de ces rapports et cherchera y conformer sa vie, pr;epa- rare, esl la tache des Exercices et de toutes les praliques de la vie spirituelle. S^eflforcer cfobeir complelement a Dieu en loute choses est la vraie spirilualile, celle que Dieu veul de nous. Cesl la spirilualile pralique, parce cpielle repond a la vie pra- tiqne el nous met en elat de devenir reellemenl ce que nous devons elre ; c'esl la spiritualile solicle, la volonle de Dieu, qui nous fait efieclivemenl marcher en avanl dans la voie ; c'est la

14

COMMENTAIRE PES EXERCICES

qu'on peut appeler la grdce des Exercices, elqui se raanifestent avec tant de force et d'eclat. Dieu de son cote ne raanque pas de volonle pour communiquer ses graces, suppose que nous retran- eliions les obstacles, el e^est precisement ce que font les Exer- cices dans une si large mesure. Dans celte efficacile nous trouvons un troisieme et puissant molif destimer les Exercices et d'y mettre notre confiance (Dir., c. 2, § 3, et not. i, R. P. Roo- thaan, alin. 1).

4. Les Exercices formenl donc un systeme, un ensemble intimement uni, logiquement encliainedeveritessalutaires, d'en- seignements et de moyens pratiques. conlenant tout ce qui eclaire 1'a.me, la purifie, la forlifie, la forrae et la rend capable cle- monter jusqirau degre de perfection clirelienne auquel Tap- pellent les desseius de Dieu.

Les annolalions qui suivent (2-20) exposent des moyens et des avis, tant pour le retraitant que pour celui qui le dirige.

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Deitxieme Annotalion.

Elle renferme d'abord un avis au directeur des Exercices, puis un conseil qui interesse serieusement celui qui les fait, enfin une regle de liaute importance pour le dirigerdans 1'Exer- cice de la priere.

1. Le direcleur doit oxpliquer clairement au relraitant en quoi consiste la meditation, modvm meditandi, applicandi facultaies, ensuite lui proposer lesujet, divise en points, relies logiquement. Le preraier avis rendra la meditation facile, le second la rendra fructueuse. Le directeur exposera le sujet, d'abord fidelemenl, c'est-a-dire conformement a la verite, sans invention personnelle, sans exageration ; brievenient et claire- ment, cum breci et summaria declaratione, sans s^elendre en considerations, en applications et en alTections, afin que le relrailant soit oblige de raediler etd'agir parlui-raerae. Ledirec- teur ne doit que presenter le modele et la matiere preniiere : la taclie du retrailanl est de la mettre en oeuvre. Pour user d^une comparaison, c'est au directeur de fixer solidement le clou, au retraitant de le faire penelrer plus avant.

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ANXOTATIONS

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Saint Ignace nous clonne ici un avis sur la maniere de pre- parer nous-rnemes nos points de medilalion (Cf. hebd. 4. nota 3). La preparalion n'est pas une addition, maiselle estune oondilion neeessaire pour pouvoir mediter, et a cause de cela elle est d'une tres grande imporlance. Combien d'oraisons dont \e resultat est oul, faute de cette preparation ? Cependant la sainte Ecriture nous le dit : « Avant la priere prepare ton ame, et ne sois pas corame un bomme qui tenleDieu » (Eccl. 18,2.3). Remarquons toulefois que la preparalion des poinls ne doit pas etre elle-meme une raeditalion.

2. Ainsi le directeur inslruil le relrailanl, pour le rendre capable de raediter lui-ra^me. et non pour lui faire la medita- tion. Pourquoi faut-il que le retrailant medite lui-meme? Dabord parce qifen medilant il prendra goul a cet Exercice, avanlage mappreciable dans la vie spiriluelle. En second lieu, parce que les verites que nous trouvons par nous-memes nous saisissent davantage : ce sont coramedes fruils de nolre propre jardiu ; elles ont a nos yeux plus de prix et segravent plusavan en notre esprit. Enfin on aime a reprendre ce travail, a s'y hasarder dereclief, a faire des decouverles, comme la premiere fois : voyez le pelit oiseau qui va en quele de sa nourriture au dehors ; il prefere ce qu'il a enfin trouve lui-meme aux delica- tesses que vous lui serviriez dans une cage. Gelte remarque, il faut rinculquer h tous ceux auxquels nous donnons les Exer- cices. Quiconque esl capable de mediler, doit mediler. II fatit dans ce but liasarder quelque chose, en se confiant a lagracede Dieu P. Kooihaax. Not. 7. ad3um).

Suivant saint Ignace, deux moyens nous aident a Irouver ce que nous cherchons dans la medilation. Le premier est 1'activile personnelle. Le Saint le decrit de main de maitre en deux mols. II dil qu'il faut sumere fundamentum, prendre une base, s'atta- cher au fond de la verite historique : c'est le travail de la memoire, faculle qtii est comme la main saisissant et retenanl un objel. Knsuile il faut discurrere, ratiecirmri, quod magis declarare et spnliri facit historiam : c'est le travail de 1'intel- ligence s'unissant a la volonle, et le resultat dn travail de ces deux faculles. En cela consiste tout l'art de la priere mentaleou

14 COMMENTAIRE DES EXERCICES

qu'on peut appeler Ia grdce des Exercices, elqui se manifeslent avec tant de force et d'eclat. Dieu de son cote ue raanque pas de volonle pour comrauniquer ses graces, suppose que nousretran- chions les obstacles, et c^est precisemenl ce que fonl les Exer- cices dans une si large mesure. Dans celte efficacile nous trouvons un troisieme et puissant raotif destimer les Exercices el d'y mettre nolre confiance (Dir., c. 2, § 3, et not. 4, R. P. Roo- thaan, alin. 1).

4. Les Exercices formenl donc un systeme, un ensemble intimeraent uni, logiquemeiHenchainedeveritessalutaires^en- seigneraents et de moyens pratiques. contenant toul ce qui eclaire Tame, la purifie, la forlifie, la forme et la rend capable de- roonter jnsqifau degre de perfection clirelienne auquel Tap- pellenl les desseins de Dieu.

Les annolalions qui suivent (2-20J) exposent des moyens et des avis, tant pour le relraitant que pour celui qui le dirige.

Deuxieme Annotalion.

Elle renferrae d'ahord un avis au directeur des Exercices, puis un conseil qui interesse serieusement celui qui les fait, enfin une regle de haute importance pour le dirigerdans 1'Exer- cice de la priere.

1. Le directeur doil expliquer clairement au relrailant en quoi consiste la meditalion, modum meditandi, applicandi facultates, ensuile lui proposer le sujel, divise en points, relies logiquemenl. Le premier avis rendra la meditation facile, le second la rendra fruclueuse. Le directeur exposera le sujet, d'abord fidelemenl, c'est-a-dire conformement a la verite, sans invention personnelle, sans exageralion ; brievement et claire- raent, cum brevi et summaria declaratione, sans s^elendre en considerations, en applicalions et en atfeclions, afin que le retraitanl soit oblige de raediler et d'agir parlui-meme. Ledirec- leur ne doil que presenter le modele et la matiere premiere : la tache du retraitant esl de la mettre en oauvre. Pour user d'une comparaison, c'est au direcleur de fixer solidemenl le clou, au retraitant de le faire penelrer plus avant.

A.NNOTATIONS tS

Saint Ignace nous clonne ici un avis sur la maniere de pre- parer nous-memes nos points de medilalion (Gf. hebcl. 4. nota 3). La preparalion n'esl pas une addition, maiselle estune condilion necessaire pour pouvoir mediter, el a cause de cela elle esl d'une tres grande importance. Combien d'oraisons dont le resullat est nul, faule de cette preparation ? Gependant la sainte Ecriture nous le dit : « Avant la priere prepare ton ame, et nesois pascomme un homrae qui tenteDieu » (Eccl. 18, 2. 3). Remarquons toulefois que la preparalion des points ne doit pas etre elle-meme une meditalion.

2. Ainsi le directeur inslruit le relrailant, pour le rendre capable de mediter lui-m£nie. et non pour lui faire la medila- tion. Pourquoi faut-il que le retrailanl medile lui-meme? D'abord parce qu'en medilanl il prendra goiil a cel Exercice, avanlage mappreciable dans la vie spiriluelle. En second lieu, parce que les verites que nous trouvons par nous-memes nous saisissenl davanlage : ce sont comme des fruits de nolre propre jardin ; elles ont a nos yeux plus de prix et segravent plus avan en nolre espril. Eiifin on aime a reprendre ce travail, a s'y hasarder derechef, a faire des decouverles, corame la premiere fois : voyez le petil oiseau qui va en quele de sa nourrilure au deliors ; il prefere ce qu'il a enfin trouve lui-meme aux delica- tesses que vous lui serviriez dans une cage. Gelte remarque, il faut rinculquer a tous ceux auxquels nous donnons les Exer- cices. Quiconque est capable de mediler, doit mediler. II faut dans ce but liasarder quelque chose, en se confianl a lagracede Dieu fP. Roothaan, Not. 7. ad ;]um).

Suivant saint Ignace, deux moyens nous aident a trouver ce que nous cherchons dans la medilation. Le premier est 1'aclivile personnelle. Le Saint le decrit de main de maitre en deux mots. II dil qifil faut sumere fundamenlum, prendre une base, s'atta- cher au fond de la verite historique : c'est le travail de la raemoire, faculte qui est comme la main saisissant et retenant un objet. Ensuite il faut discurrere. raliocinari, quod magis declarare et sentiri facit historium ■. : c'est le travail de l'intel- ligence s'unissant a la volonle, et le resultat du travail de ces deux faculles. En cela consiste tout l'art de la priere menlaleou

16 COUMENTAIRE DES EXERCICES

inedilation. Deuxiemement, nons avons encore un secours dans la grace de Dieu, qni doil conslammenl et loiijours faire la meilleure parlie de ce que nous faisons nous-memes. Les deux elements dont nous venons de parler sonl marques par ces paroles de saint Ignace : inlcllectus divina yratia illustra- tus, termes designant ces lumieres ou graces speciales qui eclai- rent et remplissent tellementl'ame, qu'aucune industrie de notre part, per propriam ratiocinationem, ne saurait les produire.

Celte lumiere divine, nous la demandonsdans les preludes et pendant la meditalion elle-meme. Que si elle ne se monlre pas, nous pouvons dire a Dieu : « Seigneur, il y a dans ce mystere des beautes qu'il me faut decouvrir; faites-moi la grace de me les montrer. »

3. A cette occasion, saint Ignace enonce un principe fort important dans la meditation : Ce n'esl pas l'abondance des pensees qui nourrit 1'ame et la rassasie, mais le gout interieur qui penetre le coeur. Larichesse des pensees, belleset fngenieu- ses, etouffe lesprit, le dissipe, le met hors du sujet, et ne sert qu'a nourrir la curiosile. Un seul mot bien compris occupe par- fois non seulement une medilalion enliere, mais des journees entieres, et procure la consolalion et le fruit que l'on cherche : les jours glorieux, ou l'on fesloie et nage dans l'aboiidance, ne sont pas souvent les jours heureux et tranquilles. Get avis est d'une grande ulilite, pour nous faire parvenir peu a peu jusqifa la conlemplation. II ne faut donc pas nous mettre a la poursuite de pensees nombreuses, belles el neuves, mais nous aiTeter a quelques idees et nous altacher a y trouver du goul et de la saveur. Cest ce sentiment, ce gout interieur que nous pro- cure le don de Sagesse [Dir., c. 8, i; I, 2).

Troisieme Annolation.

Elle s'adresse au retraitant et lui donne deux avis : d'abord elle lui rappelle brievementen quoi consiste lout le travail de la meditation ; ensuile elle parle de la conduile exterieure qu'il doil tenir pendant lecours de cel Exercice.

1. Mediter c'esl simplement exercer rintelligence et la

ANNOTATIONS 1"

volonte sur un sujet. La tachedela meditationconsiste a sonder -eta penetrerla verile par lintelligence, afin de nous procurer la luraiere, de nous faire reconnaitre les principes (Cf. R. P. Roo- thaan, Explan. fond., alin. I) par lesquels lavolonte se decide, s'affermit el persevere. La volonle devientagissante, quand elle se tourne et se raeut vers le bien que nous avons reconnu, quand elle le desire, veut 1'acquerir el.le demander a Dieu dans la priere. Tout bon desir, toute bonne resolution ressemble a une plante delieate que le jardinier vient de nieltre en lerre : pour prendre racine, il faut qifaussilol le jardinier 1'arrose et la tienne dans la fraiclieur. L'eau esl la grace, la demande est le iravail de Tarrosage. La priere est donc un exercice de la volonte; cesl le plus noble exercice de laplus noble faculle.

2. Quand nous faisons les actes de la priere propreraenl dite, saint Ignace nous reconimande instararaent uh respecl exterieur parliculier. II en donne deux raisons : Dans la priere nous parlons a Dien, landis que dans le travail de la reflexion nous ne conversons qu'avec nous-niemes : ilconvienl donc de prendre devant Dieu une altitude plus reverentielle. Faire le conlraire serait manquer a la bienseance et au respect ; nous les praliquons envers les lioraraes, bien plus devons-nous les praliquer envers Dieu. La bienseance n'esl. autre chose que la convenance et Taccord de nolre conduite exterieure avec notre condilion et la condition de la personne avec laquelle nous trailons. L^attilude respectueuse soutient notre attention et notre ferveur; nonchalante ou coinraode, elle favorise rinaction et le sommeil. Dieu recompense cette humilite par ses pre- venances et ses consolations. II se conduil comme nous le fai- sons : recevons-nous un visiteur qui nous manque d'egards, nous Teconduisons, tandis que nous trailons avec bonte celui qui se monlre modeste et discret. Telle est la conduite de Dieu -envers nous : Huntilia respicit, alla a longe cognoscit (Ps. 112, 6). Souvent nous recevons d'une raaniere inatlendue soil une impulsion secrete a la priere, soit une consolalion interieure. Metlons-nous de la negligence dans les dispositions exterieures a la priere, alors la consolalion nousquille. Souvent la moindre iraperfeclion suffit pour l'eloigner. II suit de la qu'ilfaul toujour

2

18 COMMENTAIRE DES t:XCRCICES

veiller a garder une atlilude convenable. Gelle regle a son appli- cation speciale dans la recilalion du saint Office, dans lequel souvent des lecons ou des recits allernenl avec des paroles qui s'adressent a Dieu : enfin elle convienl. a tous les leinps.

Quatrieme Annotation.

Elle porle sur Irois points et regarde egalemenl le direcleur et le retrailanl.

1. La qualrieme annotalion donne la division des Exer- cices en qualre semaines ou parties, donl chacune embrasse 1'espace d'environ sept ou huit jours. Gette division repond assez bien, relalivemenl au but pratique des Exercices, aux trois degres de la vie spiriluelle : savoir. ala voie purgative,a la voie illuminalive et a la voie unilive, via /uin/atica, via illumina- liva, via uniliva (Yoir lre Annot. 2). Les Exercices forment un systeme de pratiques spiriluelles, contenant loul ce qui est necessaire pour purifier, eclairer, forlifier et perfeclionner l'ame. Voici donc la marclie reguliere, le plan logique des Exer- cices : Destinee et fin derniere de riiomme ; ensuile eloignement de cetle fin par le peche (1) ; puis relour a cette meme fin par la penitence et ramendement de nolre vie en imitanl le Sauveur : son exemple nous montre ce que nous avons a faire ici-bas el ce qui en relour nous attend dans leternite.

fl est clair que la premiere semaine repond a la voie purga- tive. La deuxiemeesl justement appelee « voieilluminative » : d'abord, parce que 1'exemple de Nolre-Seigneur nous offre une abondance de lumiere, de connaissance pralique sur la nature et 1'exercice des verlus, mais plus parliculierement encore, parce que le but de cette semaine esl de connaitre la voie que Dieu veut nous faire suivre, electio, et les meilleurs moyens pour la

(1) Saint Ignace ne fait pas ici une menlion expresse du Fomlenienl, ou de la derniere fm dfe riiomme ; il dit seulement : « de peccalis » : maas le |ii'che, cn tant qu'eloignement d" la fin. suppose la fin elle-meme. Si cette mention est omise, peut-etre est-ce parce <pie le Fondement n'est pas pre- sente, comme l'est le peche, sous la formc methodimie de la medilatiom BxerGiiium. mais seulement comme un sujel de consideration.

ANXOTATIONS 11*

parcourir. La Iroisieme semaine nous eonfirme solidement dans la resolulion prise, en presence de la Passion dii Clirist. La quatrieme semaine est dirigee vers la meme fin, avec cetle difference qu'elle doit 11011« affermir par Fespoir de la recom- pense, dont Nolre-Seigneur nous donne le gage dans sa vie glo- rifiee. Le fruit de celle semaine etant ramour et la joie spiri- tuelle, elle repond a la voieunitive.

2. Saint Ignace dit que, pour fixer la duree de cbaque semaine, il ne faut pas proceder legerement, mais lenir comple dn bul poursuivi dans chacune d'elles. II faut verifier si ce but a ete reellemenl alleint, el, sans cela, ne pas aller plas loin : agir ainsi s'appelte travailler serieusement et solidemenl. Retenir le relrailanl dans la voie purgative, quand il l'a deja convenable- menl pareourue, serail meme lui porler prejudice. On doit donc faire altenlion au besoin de chaoun Cf. 11. P. Roothaax, N. 9, alin. 2). Sainl Ignace est l'ennemi de la routine ; il repete fre- quemment : quaerendo res et fructus. II suit la meme conduile dans la redaction des constitutions de la Compagnie, quand il ne fixe aucune duree de temps pour la probalion. La meme regle s'applique a chaqiie medilation en particulier : on ne doit pas aller plus loin jusqu'a ce qu'on ait retire le fruit que l'on clierchail, specialement quand il s'agil de sujets importants, comme leFondement, les medilations sur le peche, le Regne, les deux Etendards, les trois Degres d'bumilite, etc... ; a quoi serviraient les Exercices, si nous omettions des poinls d'une si haute imporlance? Cest pour la meme raison que le Saint veut que nous fassions si souvent des repetitions des principales rneditations. Si plusieurs personnes font en commun les Exer- cices, il faut considerer les dispositions du plus grand nombre. Dans ce cas, chacun, suivanl le besoin, pourrail en particulier faire des repelilions, 011 revenir sur le sujet pendant les temps libres. II y a un grand avanlage a faire seul les Exercices : car alors nous pouvons nous arreter quand nous voulons et aussi longtemps que nous voulons.

3. Saint Ignace donne aussi les raisons du peu de fruil qu'011 retire immediatement des meditations. II en eniimere Irois : la premiere est la lenleur d'intelligence, lardiares : c'esl plus 011

20 COMMENTAIRE DES EXERCICES

raoins le cas des debutants dans la vie spiriluelle ; pour eux les objets sont ou encore inconnus ou bien completement nouveaux; il s'agit pour eux d'une veritable etude ; de la grande lenteur -dans le travail de l'intelligence, appliquee a la medilation, et il ne peut en elre autrement. La deuxieme raison est un man- que de zele, d'application el d*exactitude a observer les regles qu'on leur donne (surtout les additions) et 1'absence d'aclivile personnelle. La troisieme est Taction du mauvais esprit qui veut, a tout prix, empGcher le fruit d'arriver a maturile, en sus- citant les distractions, les tentalions, 1'ennui, le degout, le decou- ragement et toutes sortes d'inquieludes. Quand le succes n'esl pas tel que nous ratlendions, il faut examiner si la cause ne vienl pas de ces trois raisons. II esl bon aussi d'y revenir dans le cou- rant de 1'annee, lorsque nous sentons que nous ne profitons pas assez de la priere, ou lorsque notre meditalion ne reussit plus.

Cinr/uieme Atniotalion.

Elle marque au relrailant la disposition de coeur quil doit apporter en enlrant dans les Exercices, et donne ensuite les molifs qui rendent necessaire cette disposilion.

1. Sainl Ignace demande d'abord le courage. Le retraitant qui aborde les Exercices ne doit rien refuser u Dieu, ne rien se reserver, ne pas craindre les difflcultes qu'il pourra rencontrer, ni les sacrifices que Dieu pourra lui demander. II faut qu'il se presenle comme une page blanchedevant la divine Majesle, afm quelle y ecrive ce qui sera son plaisir : Totum velle, et liberta- tem... ut lam desequamde omnibus qiue habet disponat. Sans celle disposilion, on manque le fruit des Exercices ; il vaudrait mieux ne pas les entreprendre ou les remeltre a un autre temps. Sacbons dire courageusement, resolumenl avec saint Paul : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » (Act., 9. 6). Saint Ignace demande plus qif tin courage ordinaire ; il veut de la gene- rosite, de l'empressement, de la spontaneite. Cf. Prmmb. ad consid. stalus : « invesligalere et petere »). Ainsi,des le debut, nous devons elre decides a lirer des Exercices un profit seiieux, et avoir la volonte de monter a un nouveau degre dans la vie

ANN0TATI0NS 21

spii iluelle : cest en quoi consiste ponr chacun de nous le fruil des Exercices. Que Ton coupe un tronc darbre paralleiement a sa base, on verra ses accroissements annuels marques par le nombre de couches, rangees autour deson centre. Ainsi dans-la vie spirituelle, chaque retraite annuelle devrail apporler un nou- veau degre a notre perfection, en sorte que nous puissions dire : « Gette annee j'ai triomphe de tel defaut, cette autre annee j'ai acquis lelle verlu. » Mais tant cle retrailes sans resultals sensi- bles pourraient faire croire que nous avons chaque fois rempli une simple formalite.

Quelques-uns se demandent, des leur entree dans les Exerci- ces, vers quel but precis ils dirigeronl leurs efTorts ? Voici la reponse : Avez-vous un defaut bien caracterise, une inclination deregleebien definie? en ce cas, vous ne devez pas passeroutre. Mais en general, la disposilion de generosile dont nous avons parle suffit ; car on peut, en commencant une retraite, ne pas savoir ce que Dieu exigera dans la suite ; mais si nousmet- lons de la generosile et de rempressement a nous approcher de lui, il nous fera certainement connailre sa volonte.

2. Chaque expression nous fournit un molif pour nous met- tre dans cette disposition : II sagit denolre « Seigneur et Crea- leur ». A ce litre, Dieu peut tout exiger. II connait ce que nous pouvons faire, il ne nous demandera pas plus. II nous regarde avec faveur ; le sacrifice quil nous demande est pour notre plus grand bien ; en retour, il veul se donner lui-m^me ii nous. Nous ne serons pas seuls, sa grace sera avec nous. II sagit de la « Majesle divine » : les serviteurs ne portent-ils pas leur zele jusqua satisfaire les capricesde leurs maitres terreslres? et moi je ne servirais pas Dieu suivantsa tris sainie volonte, laquelle apres tout n'a pour but que de faire de moi un Saint Dir.. c. 2. £ 1, 4, 5) ! Cet acte de complet abandon, il faut le faire au com- mencement des Exercices, le renouveler durant Ieur cours. et nous maintenir dans cette habituelle disposilion.

De la 6e a la 18e annotation, saint Ignace donne Ie moyen de triompher des principaux obstacles au succes des Exercices : les tentalions, la negligence, les dislractions, la satiele. la fer- veur indiscrele. enfin tout attachement deregle.

COMMENTAir.E DES EXERCICES

Sixieme A nnotaliort.

Elle s'adresse au direcleur et au relraitant. Cest un mauvais sigoe, quand celui qui lail les Exereices neprouve aucune motiou inlerieure.

1. Par cette uiotion inlerieure. il faul entendre non seule- nient laclion du bon espril, les lumieres, les consolations, niais aussi les operalions conlraires, comme le degout, la tristesse, l*abattement, les tentalions, la secheresse. Dans ce dernier cas, il ne laut pas s'attrisler ni perdre courage, car ces sympl6mes ne sont pas encore alarmants. Iln'en est pas dememe, siaucune motion n'existe ni dans un sens ni dans raulre.

2. Pourquoidevrait-on alors s'alarmer ? Parceque ce seiait an sjgne que nous nefaisons pasnotre devoir. Sinousy mettons du zele, Dieu d'ordinaire nous encourage par la consolation, ou le demon agit a 1'oppose : il doit donc se produire un effet dan^- notre ame. Si nous n'en eprouvions aucun, il faudrait l'attribuer a notre tiedeur.

3. Que faire dans ce cas? Le direcleur doit s'enquerir avec soin, mvllum, de la maniere dont nous faisons les Exercices : snil y a cliez nous des efforls, de rexactitude. un bon emploi du temps et des methodes, 1'observation des additions. Saint Ignace suppose que le retraitant visile le direcleur ou est visite par lui, qu'il y a un commerce reciproque entre l'un et 1'autre, ouverlure de cceur d'une part, enseignement spirituel de 1'au- tre.

Se laisser ainsi conduire est un acte d'liumilite, un exercice de vertu chretienne, qui nous merite des gracesparliculieres (Gf. R. P. Roothaax, nola 1, alin. 3). Cet avis de saint Ignace est a suivre pendanl notre vie entiere. N'eprouver dans Tame aucun mouvement, c'est un mauvais indice ; il faut alors aller trouver le Pere spiriluel. Ce commerce avec le directeur est un des plus puissants moyens pour entretenir la ferveur (Cf. Suinm, Reg. 41). Nous voyons encore ici quelle importance saintlgnace attache aux additions Dir.. c. 7 .

ANN0TATI0NS 23

Sepli&me <'t huitieme Annotations.

Elles indiqaent au direcleur la conduite ii tenir, qnand le relraitanl esl dans la desolation.

1. II doit eviler la Ivoideur, la durete aveccelni quil dirige, II serait trop penible a celui-ci de se voir abandonne par Dieu el par les bommes. Son elat deviendrait pire, et quelle en serail la consequence? Un pere nagil pas ainsi, ni surlout une mere. Une mere se fait au moins montrer le doigt malade par son enfant, et pour le consoler elle souffle dessus. Dieu se conduil de meme : il neleinl pas la meche encore fumante et ne brise pas le roseau plie. Le directeurdoilpenser a ce qu*il eprouverait lui-meme en pareil cas. Tout ceux qui dirigenl les ames ont a profiter de cel avis.

"2. Nous avons dit ce que le direcleur doit eviter ; disons ce qu'il doil faire. II faut qu il se monlre bon, compalissanl, aimable ; il faut quil ranime 1'energie du relraitanl, en dissipanl les nuages, reclifianl les erreui^s, lesexageralions, suggerantdes molifs pour reprendre courage, lui decouvrant les tromperies de rennemi pour le mellre en garde contre ses pieges. En effet, !e mauvais esprit ne peut que tromper ; il esl bien, comme le dil sainl Ignace, rennemi de la nalure bumaine el ne peut souffrir <Je nous voir avancer dans la bonne voie. S"il ne parvient pas a nous faire insidieusement lomber danslepiege, il secontenle de nous ravir, a toutle moins de troubler la joie que nous eprou- vons au service de Dieu. Voila ce qu'il faul dire au relraitanl. et ensuite proposons-lui les moyens de recouvrer la consolalion. II doit s'y disposer lui-meme. Ges moyens sont indiques dans les regles sur le discernemenl des esprils (>Dir.., c. 5, §2; c. 6). G"esl une nouvelle recommandationde mettreen ceuvre lini- liative et 1'aclivite personnelles.

Neucirme et dixieme Annolations.

Elles sadressent au direcleur des Exercices el mentionnenl les r^gles du discernement des esprits quil doit appliquer sui- vant les divers elatsd'ames du retrailanl. On v voil la dilTerence

24 COMMENTAIRE DES EXERCICES

enlre les regles deslinees a la premiere semaine et celles reser- vees pour la deuxieme. Les premieres conviennent mieux ii la voie purgative. quand Tesprit du mal se monlre a deconvert et veul nous entraver dans le cliemin du service de Dieu par des- pieges grossiers. De leur nature, ies regles de la premiere semaine sont plus faciles a saisir. Gelles de la deuxieme sont plus subti- les, et plutot accommodees au temps oii rennemi veul nous nuire sous pretexle de bien. En tous cas, le direcleur doil toujours se regler sur la disposilion du relrailant Cf. R. P. Roothwn,. nol. 17 .

Onzieme Annotation.

Elle retrarde le relrailanl el traite du recueillement interieur, II doit le garder de telle sorle qiTil evile de s'arreter a aucune pensee inutile, merae relative aux clioses spirituelles qui ont le plns d'altrail pour lui.

1. Ne pas penser aux medilations futures, car il n'y a pas avantage, mais perte de temps et curiosile. Lattention de lesprit, 1'energie de la volonle, seraient amoindries pour ce que nous avons a faire dans le momenl present. Ge serait perdre le certain pour 1'incertain, laisser la proie pour lombre. Enfin le resultat de ces pensees inutiles serail peul-etre 1'ennui et la lentation (Cf. Not. la, diei l;e, bebd. 2K).

2. S'attacher a 1'objet present comme s'il n'y avait rien a esperer apres, c'esl assurer le resullat (Dir., c. 3, ^ 2, 3, 4, 5). L'avertissement concerne le reste de la vie.

Le musicien, revant sur la musique de 1'avenir, ne saurait devenir 1'artiste de son lemps.

Douzieme et treizieme Annololions.

Elles sonl pour le relraitanl. Elles l'arment conlre le degoiM dans la medilation, conlre la facilite a ecourler le temps prescrit pour l'oraison. Trois poinls sonl a remarquer :

1. Saint Ignace fixe pour chaque medilation la duree d'une benre. II prefere qu'on allonge ce temps plutot qu'on ne le

A.NN0TATI0NS 25

raccourcisse. Pourquoi tin temps delermine? Pour ne pascourir risque d'abreger, par inconslance ou par degoiil, les momenls cousacres a 1'oraisoii : ce temps ne doil pas varier suivant la disposilion de rinstant presenl. Fajre autrement enlrainerail loin dans cette mauvaise voie. Generalemenl, tout doit etre ordonne, et c'esl beaucoup faire que de s'en lenir a lordre prescril. Pourquoi la duree dheure ? Parce qu'un mystere peut a peine dans cel espace etre bien approfondi dans toutes ses parties, si l'on suit la melhode indiquee. De la notre pratique d'une heure quolidienne d'oraison ; et c'est pourquoi nous devrions eviler, aulant que possible. de parlager cetle heure ; car alors la meditation ne suivrait pas son cours normal, et son resullat d'ordinaire ne serait pas serieux.

L2. II ne faul pas nous elonner, s'il nous esl penible de mediter une beure enliere et si nous sommes tentes d'abreger ce lemps. II est ulile de faire cetle remarque, pour ne pas perdre courage, quand le degout se presente, et ne pas nous enorgueillir, quand nous n'eprouvons aucun ennui. Pournotre pauvre nalure il est difficile de perseverer si longlemps dans la priere, et c'est un pur effet de la consolation d'en haut, si lheure nous parait courte. Dans la desolation elle nous semble interminable ; sainte Therese elle-meme en avail fail 1'experience : « Souvenl, dit-elle. je secouais mon sablier pour faire avancer 1'heure. » Si nous savons que cet ennui est un effet purement naturel. nous ne nous inquielons pas. La pensee que nous avons rempli 1'heure enliere en depit des difficultes est pour nous une consolation : c'est ce que veut saint Ignace. Nous avons la un moyen nalurel sans doute, mais il nous rend forts contre l'ennemi, qui veut a lout prix nous delourner de la priere. Le demon sait que par elle nous evilons ses pieges ; il cherche donc a relrancher de cet Exercice, imilant les Juifs qui rognent les pieces d'or ; sous la lime il ne tombe qu'un peu de poussiere, mais c'esl de la pous- siere d'or. Tenons compte de cetle lecon dans la vie pratique ; pour nulle cause, grande ou petile, ne retranchons rien sur le temps de 1'oraison, n'ometlons pas nos prieres d'usage, et s'il nous semble qu'en priant nous offensons Dieu plulol que nous 1'honorons, croyons fermement que c'esl une illusion. Si nous

^ti CQMMENTAIRE DES EXERCICES

prions mal, eorrigeons-nous, et ne nous permeltons pas de renoncer a la priere ou de labreger.

3. Saint Ignace conseille un moyen infaillible, quand nous sommes snjets a cette tentalion : c'esl non seulement de ne pas abreger, mais d'ajouter quelque chose au temps prescril. C'est la taclique de notre Saint, et il le dil expressemenl : Is qui >\rercetur, ad agendum contra desolalionem et ad (enlaliones vincendas, debel semper durare aliquanlulum ultra horam ompletam. \e pas se contenter de resisler a rennemi, mais lui courirsuset le terrasser; nepas attendre 1'attaque, mais prendre roffensive et transporler le combal sur le lerrain de Fadversaire, voili le moyen de devenir un heros dans la vie spiriluelle. A'ilrement nous sommes poui- Tesprit malin un objet de risee. Par Fagression, mais setiiemenl par elle, nous lui devenons redoutables et abaltons tout son courage. Gette laclique guerriere revient souvent dans les Exercices (Gf. de Regno Ghrisli : agere contra : Reg. 8 ad temp. victum. Nota ad Medil. de Binariis).

Ouatorzieme Annolation.

Elle fait deux recnmmandalions au directeur des Exercices.

1. II doit eludier le caractere et la disposition du retrailant, et pour cela s^entrelenir avec lui et se faire rendre compte de ce qui se passe dans son inlerieur. LTavertissement est imporlant pour les directeurs dVtmes, notamment dans la formation des Nolres.

2. Le direcleur doit prevenir le retraitant de ne pas faire de voeu inconsidere pendanl le temps de la consolalion. Le voeu et Telat religieux sont louables, en general ; mais, en parlieulier et pour cliaque individu, il faut bien e.xaminer s^ils conviennent au caractere, subjeclum, et ii lelat de la personne. Les carac- teres mobiles ou trop faciles a decider doivent surlout, dit saint Ii^nace, etre mis en garde contre des voeux irrellechis.

3. Sainf Ignace dit aussi en quel cas un voeu doil elre estime irreflechi : Quand on ne considere pas si, passe le lemps dela consolation, Tobjel de ce voeu avec loutes sesconsequences

ANNoTATIONS 27

sera une aide ou bien un empechemenl pour le salul. De la dis- posilion oii l'on elail an moment cle la consolalion, on ne peul rien conclure pour le temps qni suivra : cai' alors il peut arriver cpie Ie voeu cpfon aura fait devienne une source d'inquielude el un verilable obstacle au progres. La meme remarque s*applique, proporlion gardee, aux resolulions premalurees, exagerees ou impraticahles. II faut prendre des resolulions, c'esl cerlain ; quels fruils nous donnerail rautomne, si le prinlemps ne nons donnait abondance de fleurs ? Presque aucun ; car le vent en fait tomber le plus grand nombre, el beaucoup perissent avanl la maturile. Les resolutions sonl donc bonnes et necessaires, mais il faut quelles soienl toujours raisonnables, precises el praliques, c'esl-a-dire executables Dh\, c. .">, § 2, 5, 6. c. 8. § 3 .

Quinz>emc Annotation

Elle regarde exclusivement le directeur.

L II lui est recommande de ne pas influencer le retrailant au sujet des vceux et de la vocation. II cloil se mainlenir neutre, comme l'aiguille d'une balance, ne penchant ni d'un cole ni de 1'aulre. Cetle recommandalion convient surtout au temps des Kxercices. En dehors de ce temps, on peutparler plus libremenl, mais toiijours en gardant pour principe de ne vouloir delerminer personne a prononcer des voeux ou a s'engager dans un etal de vie slable.

-2. Pourquoi celle reserve speciale pendanl les Exercices ? Par respect pour la divine Majeste. Dieu a deja pris sa crealure par la main, pour la former suivant sa sainle volonte ; il esl '■onvenahle alors que 1'homme se tienne respectueusement a 1'ecart. Agir d'une autre maniere serait non seulement un niancpie d'egards, mais aussi une imprudence. Dieu seul, et non pas 1'liomme, dil justement saint Ignace, est le Grealeur et le Seigneur ; il donne la vocalion et les graces, et connail infinimenl mieux que personne les circonslances clans lesquelles il peul s'ouvrir a sa crealure et la disposer au genre de vie clans lequel elle doit le servir. En clehors clu lemps des Exercices, quand le relraitant n'est plus aussi immedialement sous Taclion de

'~>8 COMMEINTAIRE DF.S EXERCICES

Dieu et quil esl pliis abandonne a lui-meme, on penl et on doii lui preter une plus forte assistance. Si le retrailant demande lui-meme aide el conseil pendant les Exercices, on pent egalement el on doil le conseiller, mais toujours avec la reserve ci-dessus indiquee. Celle annolalion conlienl un avis importanl pour les directeurs spiriluels : ils ne doivent pas chercher a dominer ceux qifils dirigent, s'interposer comme de force entre Dieu et sa crealure et vouloir agir par eux-memes stir les cceurs. Ils n'onl, dit saint Ignace, qu'une chose a faire, mainlenir les ames dans la disposilion au devouement envers Dieu, vl anhna devola sit et maneat, aviser a ce qifelle ne s'ecarle ni a droite nia gauche ; pour le reste, les laisser marcher. Un bon directeur eslcomme 1'airqui nous environne : 1'air entoure 1'homme, mais il ne le charge ni ne rincommode.

Seizicme A nnolalion.

Elle regarde le relraitanl. Sainl Ignace signale ici un aulre ecueil contre lequel peut echouer et se perdre le bien recueilli par les Exercices : c'esl une inclination dereglee vers quelque objet.

1. Elle peut relre de trois manieres : 1'objel peul deplaire a Dieu et nuire a nous-memes, c'est-a-dire qu'il est enlache de peche ; ou bien le desordre peut elre dans le mobile qui nous determine ; ou enfin le defaut est dans la maniere dont nous poursuivons cel objet.

2. Dans ce triple cas, il faut par la priere et d'autres bonnes ceuvres, telles que les penilences, obtenir de Dieu qifil corrige par sa grace ce dereglement, qifil veuille meme bien nous inspirer une delermination contraire ou detruire en nous celte inclination. En un mot, nous ne devons avoir de repos qifa 1'instant ou le bon plaisir el le service de Dieu seronl le seul mobile de notre volonle. Ici encore nous voyons la touche du mailre qui a ecrit la 13e annolation et les applicalions praliques du Fondement.

3. Pourquoi faut-il agir ainsi? Afin delre certains a ifen pas douter que nous suivons 1'acliou el 1'operation divine. hors

ANNOTATIONS 29

de laquelle nolre determinalion pourrail elre inspiree par les- . prit maiin ou la nalure corrompue. Ici la cerlilude est plus que jamais necessaire. Le manque dindifterence est le plus grand ennemi de Dieu aussi bien que le nolre; il concentre en lui- meme toules les forces de ramour-propre et de 1'esprit du mal Dir., c. L2. § :i .

Dix-septieme A nnotalion.

Sainl Ignace rappelle au direcleur de la relraile la regle clu juste milieu.

D'une parl. i! doit savoir ce qui sepasse dans 1'ame du relrai- tant, pour elre en mesure de regler le cours des meditations et des instruclions : mais il suffit que cetle connaissance soit gene- rale. D'autre part, il ne doit pas chercher sans necessite a pene- trer ses secretes pensees, beaucoup moins asintroduire dans sa conscience. Cetle ingerence est du ressort de la confession ; il ne doil pas provoquer ces conlidences sur les peclies el 1'elatde la conscience. Getle discretion sMmpose dans les rapports avec ceux auxquels on veut elre ulile; la confiance se donne et se recoil, mais elle ne se commande pas (Dir., c. 2. sj 6 et 7).

Dix-huitidme, dix-neuviime et vinglieme Anholations.

Elles marquenl au directeur a quelles personnes il doil don- ner les Exercices, et la manierede les leur donner. Sainl Ignace veut qu'on lienne comple de 1'age, de la complexion lempera- menl et sante , de la trempe de volonle, du caraclere, et du degre d'intelligence deceux qui veulent faireles Exercices.

Dapres ces conditions, il divise les relrailants en qualre <dasses :

La premiere comprend ceux aiixquels manquent l'iiitelligence et laporlee desprilnecessaires pouralleindre un degre superieur dans la vie spirituelle ; qui de plus nauraient pas la volonte de faire mieux que regler leurconscienceel leur vie dans les choses essenlielles. A ces personnes on ne donnera que rinslruclion sur le double examen, la «onfession et la communion, el les

30 C0MMENTAIRE DES EXERCICES

Irois manieres deprier, sans aller plus loin. Remarqnons ici le grand cas que fait sainl Ignace de ces trois moyens de la vie spirituelle. Aussi manquons-nous a nolre devoir, si nous ne les enseignons pas a lout le monde. Qifon remarque aussi combien saint Ignace insisle sur la reception frequente et reguliere des Sacrements.

La deuxieme classe secompose de ceux dontla porlee cFespril ne fait pas concevoir de grandes esperances, mais qui sont capa- bles de mediler. On leur donne la premiere semaine avec les inslruclions de la. classe precedente. A celle ealegorie appar- tiennenl generalemenl ceux qui ont reeu de feducation.

La troisieme classe comprend ceux qui promellent beaucoup, mais qui, relenus par leurs devoirs d'etal, ne peuvenl comple- lemenl se metlre en retraite. Ils font la medilalion le malin el le soir ; le reste de la journee, ils sont obliges de vaquer a leurs occupalions. On peul faire parcourir a ces personnes toute la serie des Exercices.

A la quatrieme classe enfin a]>parliennent ceux qui, outreune volonte bien decidee, qui desideranl quantum possibite profi- cere, apporlent une intelligence capable de comprendre lout ce qui esl du ressort de la vie spirituelle, et peuvent quiller leur deineure, inlerrompre leurs habiludes, leurs relalions, leurs occu- palions, et s'adonner tout le jour aux Exercices. Pour ceux-la, saint lgnace tienl parliculierement a la retraile complele et a la separation absolue : Eo plus pro/iciei quo magis se segregaverit ab omnibus. II signale trois avantages qui en resultent : Le premier, c'estque nous avons un grand merile devant Dieu, eo nous separant de lout par amour de son service : ut serviat et laudet. Le deuxieme, c'est que nous sommes davanlage mailres de nos faculles naturelles, quand nous ne pensons et ne voulons qifune seule cbose.Le troisiemeest que nous trouvons Dieu plus suremenl. Zachee nous sert d^xemple : ii a pris la peine de quitter sa maison, de faire quelques pas en dehors de la ville et de monler sur un arbre pour voir le Sauveur, quelle magnifique recompense ifa-l-il pas recue !

Nous avons clil ce que sonl les aunolalions; voici main- tenant comme elles se presenlenl dans leur ordre logique :

Tlllir. DES EXEB£IGES 31

Le direcleur des Exercices apprend : la nalure des Exer- cices (Annol. 1) ; la maniere de les donner, c'est-a-dire « comment el a quelles personnes ».

Le « comment » comprend deux points : « ni trop, ni trop peu » ; ces deux poinls sonl resumes dans les annolations 2., 6, 7, 8,9, 10, 14, 15, 16, 17. « A quelles personnes »? La reponse est dans les annotalions 18, 19, 20. Le Directoire, la consultation des bons direcleurs el 1'experience nous oUViront. de plus amples secours.

Outre la justeidee des Exereiees Annot. 1), il faut exiger du lulraitant qualre condilious : la separation et le recueiilemenl exterieur et interieur (Annol. 11, 20) : c'est la condilion sine (jua non... ; 1'aclivile personnelle, l'exaclilude a observer les addilions et la reparlilion du temps Annol. 2, i, tj, 11 ; la generosile (Annot. 5, 13, 1(5 ; FouveFlure et la docilile Annot. 6, 7, 8, 9. 10, 17. Dir.. c. 2 .

On peut faire des annotalions un sujet d'instruction pour rouverluie des Exercicus, ou encore une medilalion prepara- loire, en exposant, par exemple, le bul des Exercices, les moyens et les molifs pour les bien faire.

TITRE DES EXERGIGES

II donne d'abord la definilion des Exercices d'apres leur bul : ensuite, sous forme de parenlhese, il fail une remarque prelitni- naire.

1. Saint Ignace inlitule son livre : <• i:\ercices spiritlei.s. afin que Vliomme apprenne d se vaincre el ordonne sa vie, sans xe laisser dominer par aucune iuclinalion dereglee. » Sainl Ignace revient ici a la premiere annotation el definilavecclarte et precision la nature des Exercices : le bul prochain, dil-il, esl d'apprendre a se vaincre soi-meme pour parvenir a un etal de vie bien regle. Or cel etat consiste dans une lelle possession de soi-meme que, dans toule sa conduile, dans loules ses demarches. on ne se laisse point determiner par des inclinations dereglees, mais uniquemenl par la raison, la conscience et la foi. En effet,

•32 COMMENTAIRE DES EXERCICES

le bon ordre exige que riiomme tienneses inclinations soumises a la raison, et la raison soumise a Dieu ! Ainsi nous voyons avec evidence en quoi consiste essenliellement la vicloire sur nous-memes. Elle n'a pas pour bul de supprimer ni d'allerer ce qu'il y a de bon dans nolre nalure ; mais elle nous donne rempire sur le mal el le desordre, el par la nous fait mener une vie telle que le demande notre dignile d'hommes et de Chretiens. Nous voyons de plus comment cet empire sur nous-memes doit elre le but immediat de tous les Exercices spirituels et en -general de tout 1'Ascelisme, qu'il s'agisse de notre propre con- duile ou de celle des aulres (1). A cette seule condilion nous terons une oeuvre d'un merite reel et solide. Commenl les Exer- cices l';operent-ils, nous 1'avons vu dans la premiere annotation. 2. La remarque preliminaire, Prxambulum, averlit tout bon Chrelien qu'il doit etre dispose a interpreter pluloten bien qifen mal loute proposilion emisepar le prochain. Si on ne peut ie faire en prenanlle sens litteral, il faut s'informerdu sens que Fauteur donne a ses expressions ; si ce sens conlient quelque chose d'errone, on doit soi-meme, en toute charile, chercher ci inslruire son frere ; si l'on ne reussil pas, il faut employer d'au- tres moyens convenables pourredresser son esprit et le delivrer de toule erreur. On sedemandera pourquoi meltre celte pre- face aux Exercices? La cause en est probablement dans les per- seculions, suscilees contre le livre desainl Ignace, dansles pre- juges, les interpretations fausses, les accusalions d'heresie dont il fut 1'objet a son apparilion. Le Saint leur oppose simplement celte regle de prudence, de charile etde justice. Les expressions ul magis se juvel fonl croire que lelle etail son intention : il est cerlain que 1'absence de prevention est deja un moyen utile et meme necessaire pour entreprendre les Exercices sous la con- duile d'nn directeur. Abstraction faile de cette remarque, celte pelile preface contienl une regle importante et generale, propre a faire eviler bien des d6saccords. Souvent la simple demande « Qu"entendez-vous parces paroles ? » donnelieu a une explica- lion qui reconcilie les espiils.

(1) Cf. cc que dil saintc Therps», dans sa vie eerite par elle-meme, de la maniere dont lc I*. Alvarez la dirigeait (cliap. 24 et 26).

PREMIERE SEMAINE

f. Le but de la premiere semaine esl, avanl tout, la consi- ■deration serieuse et 1'intelligence du but supreme, de la fin der- niere de notre vie, pour nous faire reconnaitre nolre eloigne- uient de ce lerme, el la necessile d'y revenir par la penitence et ramendement.

2. Cette semaine se divise en deux seclions : La premrere •est toute posilive, et consiste a faire considerer la fin derniere ■et a en graver fortemenl la pensee dans nolre esprit. La seconde est en parlie negative, en parlie posilive : elle delruit le peche par la penitence, et elle ramene ainsi riiomme vers sa fin [Dir.,

€. 11).

Bul et Fin.

1. Significalion et imporlance du Fondement : Le but etla fin de notre vie sont appeles par saint Ignace Principium ei Fundamenium. Cesexpressions renfermenttoule la signification el montrent toule rimportance du sujel. En theorie comme en pratique, c^eslla premiere, la plusserieuse verite, le poiniculmi- nant et immuahle dans la vie spiriluelle.

Le bul, la fin, sont appeles « Principiu?n, le principe », la verite dominante dans la sciencedu salut. Toul derive de cetle verile, toul s'y ramene, lout esl decideparelle. Les exigences les plus hautes de la vie spiriluelle el de lasainlele meme n'en sonl <pie des consequences logiques, se deduisanl de cette verile que nous sommes les crealures de Dieu. Aussi, a chaque question importanle qui se presente, c'est i\ ce Principe que saint Ignace •revienl invariablemenl Cf. dc ftegno Chrisli ; de duobus Vexil- ■lis ; de Binariis, prelude 3 ; de Iribus Classibus ; reg. de Elec- lione, et meme ii la lin du Fondement) ; parlout le molif deler- «linant esl « la louange el le service de Dieu ». Cesl mi Principe^ comme les premiers principes des coiinaissances : il

3

34 COMMENTAIRE DES EXERCICES

est evident par lui-meme, et pour tout homme raisonnable il n'a pas besoin d'elre demontre; toul au plus pourrait-on 1'expliquer par les conlraires, ex obsurdis... Cest pourquoi saint Ignace n'en fait pas un sujet de medilalion, mais de simple consideration, Exercice de l'intelligence qui tient le milieu entre la meditation et 1'examen de conscience. Le regard de l'intelligence se repose sur une verile evidente, el l'esprit alors est eclaire et penetre d'une lumiere qui presente celle verile, sous uneformepratique, a la volonte. A celte clarte nous considerons nolre vie et la vie du monde. II o-est pas besoin ici d'applicalions en delails (P. Roothaan, Expl. fundamenti, alin. 2). Rien n'empeche tou- tefois de faire de cet Exercice le sujet d'une meditation ordinaire. On peut meme le conseiller aux relrailants qui ont besoin d'etre inslruits a fond, et dans les Missions il ne faut pas l'omellre. Cest un Principe : par consequenl il doil elre grave profonde- ment dans notre espritet n'etre jamais oublie.

Le but, la fin, sont aussi appeles « Fundamentum, le Fonde- ment », a cause de leur lien avec la vie pralique. Cest la verile la plus necessaire, 1'unique base, large et solide, sur laquelle doit s'edifier notre vie : ses intentions, ses resolulions, ses actions, 1'exercice des vertus et des bonnes oeuvres. Ge qui est bati sur ce fondement reste pour 1'eternite ; le reste esl sujet a la ruine.

2. Developpement et encbainement des idees dans le Fon- dement : II conlient la fin de riiomme et la fin des crealures ; la fin des creatures est a la fin de l'homrae ce que le moyen est a la tin.

A. Saint Ignace deduil la fin de l'homme de sa nature et sa nature simplement de son origine ou deson principe. Homo creatus est ; voioi donc iorigine de l'homme : Dieu ; etyoilace qu'est 1'homme selon sa nature : it esl cree, il est creature de Dieu;cVoi\ il resulte que sa fin est de se regarder et de se comporler toujoms comme creature de Dieu. La fin de 1'homme esl double, prochaine et derniere : nous sommescrees pour servir Dieu d'abord, et ensuite par ce moyen pour sauver notre ame. « Greatures de Dieu originellement et essenlielle- ment », nous dependons de Dieu et nous lui appartenons abso-

BIT ET FIN" 35

lument ; nous devons donc vivre corame des « creatures de Dieu » dans 1'ordre moral comme dans 1'ordre physique : Dieu, qui est la Loi de nolre vie physique, doit donc etre aussi la Regle de notre conduite morale. Or ce que nous devons a Dieu se resume en trois mots : laudare, revereri, servire : triple relation de 1'homrae avec Dieu qui forme ce que nous appelons « la Religion ». En louant Dieu, nous le reconnais- sons comme le Bien supreme et infini, et aussi comme notre Greateur. Le respecl coraprend le culte interieur et exterieur de la Divinite : cette veneration suit iramediatement la reconnais- sance de ce que nous sommes par rapport a Dieu. Le servicede Dieu est la soumission de notre volonle a sa volonte, manifestee soit par le Decalogue et les devoirs d'etat, soit par les evene- menls resultant de la permission divine. Tel est Tensemble de nos devoirs envers Dieu ; y manque-t-il une seule partie, ce n'est plus la Religion.

La fin derniere est appelee : le salut de 1'arae. Le salut de 1'ame consisle a alteindre la felicite pour laquelle Dieu nous a crees ; mais cette felicite est surnaturelle, c'est le ciel. Pour- quoi saint Ignace ne parle-t-il pas de la glorification de Dieu, fin derniere de tous les etrescrees? C'estqu'elleresultedeces deux choses, du service de Dieu el de la beatitude de l'homme. L'homme, atteignant ce double but, glorifie Dieu comrae Dieu veut elre glorifie.

B. Dans le developpemenl de la fin des creatures, nous avons a considerer : leur origine, leur fm et la maniere dont elles ralteignent, les regles deleur usage, et lesconditions de leur bon usage...

Les creatures ne peuvenl 6tre regardees que comme de purs moyens et on ne peul les employer qu'a ce litre : il faulles choi- sir ou les laisser suivanf qu'elles servenl ou non a nous avancer vers le but, tantum quantum : telles sont les regles de leur usage.

Leur bon usage n'est pas possible sans deux condilions : rindifference a lenr egard ; la resolution de choisir celles qui conduisenl le raieux a nolre fin.

o. L'indilTerence elle-meme peul etre essenttelie 011 acci-

36 C0MMENTA"IRE DES EXERCICES

dentelle, indifference de volonle ou indifference d'inclinalion. L'indifference essentielle est Ia disposition constante de la volonte, faisanl que, dans 1'usage des creatures, nous ne nous determinons point par Tattrait ou 1'aversion, merne dans le cas ou nous serions inclines effeclivement versoucontre ; raais nous restons neulres, sans pencher d'un cote ni d'un autre ; nous suspendons notre choix, jusqtfa ce que nous ayons alteinl ce parfait equilibre de la volonle (1). Tel est bien le sens des paroles de saint Ignace : ut non velimus, ex parte nostra, in quantum permissum est arbifrio nostro, facrre nos indiffr- rentes, elc. Celte indifference doit donc resulter d'un acle de nolre volonte libre. En second lieu, ce sens est confirme par les passages paralleles ou il esl question de 1'indifference : 1'annot. 16e ; le deuxieme Degre d'humilile, ou l'indifference est etroitemenl unie a rabstenlion du peche veniel, abstention qui n'esl possible que par rindifference : enfin les regles de 1'eleclion (2m Punct. 1' modi).

L'indiiTerence accidentelle ne consisle pas a eprouver ou non les effets de la sensibilite, rinclination ou la repugnance, maisa en moderer le dereglement, de tellesorle qifelles nenous soient point un obslacle dans le choix el 1'usage des moyens. La sensi- bilite n'est pas en notre pouvoir comme la volonte ; ilsuffitdonc de parvenir a ne pas tenir comple des impressions, a ne pas faire de difference dans Tappi-eciation des crealures comme moyens. Si nous sommes serieux, nous le pouvons el le devons. Les motifs ne nous manquent pas ; Tessentiel est dans lesefforts genereux el dans la volonle d'en faire.

II imporle de distinguer enlre rindifference de la voloute et celle de la sensibilile ; autrement nous pourrions, sous pretexte d'indilference, nous proposer un degre de perfection qui nous

«

1) Saint.Ignace corapare ailleurs la disposition de la volonte a laiguille d'une balance, ne se mouvant ni a droite ni a gauclie : voila rindiHerence de la volonte (Prim. mod. elect. 2U punctum). Le R. I'. Roothaan explique la nalure de rindifierence (explan. himlam. iv. Concl. pract. alin. 2) par la reponse que ferait tout homme raisonnable ;'i cette question : « Qu'aimez-vous le mieux, une vie courlc ou une vie longuc ? » II repon- drait : « Je ne sais pas, 1'une comme 1'autre t;lant capable de nuire ou de servir a mon salut ; je ne cboisis donc pas. »

BUT ET FIN 3i

epouvanle el nous reduirait presque au desespoir. Celle dont nous parlons est a la portee de tout horame de bonne volonte.

b. II n"importe pas moins de remplir la seconde condition, pour faire bon usage des crealures, suivant ces paroles de saint Ignace : Vnice desiderando et eligendo ea qusp magis condu- Gunl ad finem (1).

En effet. cette determination esl la seule nianieredepratiquer le tantum quantum, etabli precedemment comme regle invaria- ble pour le bon usage des crealures. Gelte condition -n'a donc rien de nouveau ; elle est seulement presentee ici comrae un moyen et une raison tres positifs, et ses consequences influe- ronl puissamment sur toule la suite des Exercices. Quand nous meltons les creatures en presence de notre fin, que nous jugeons de leur aptitude plus ou moins grande pour nous lafaire altein- dre, alors nous ne pouvons rester indifferenls a leur endroil : il faut les choisir ou les laisser, les vouloir plus ou moins, suivant qu'elles nous sont des moyens plus 011 moins bons. Aussi est-il dit a 1'occasion du deuxieme Degre dhumilite : « S'il y a en cela egal honneur de Dieu. » Quand, par 1'indiflerence, nous considerons les crealures eu elles-memes, sans relation avec leur fin. nous ne choisissons pas den faire usage en vue de ce qu'elles ont d'attrayaut ou de repoussant : nous nous lenons neulres et passifs ; mais, apres, nous arrelons notre choix a celles qui sont des moyens meilleurs, et meme les meilleurs pour notre fin. Gest ainsi que la verile du Fondement nous conduit a sa derniere conclusion.

El cette conclusion posilive, il fatit necessairement y arriver et s'y elablir toul d'abord ou bien interrompre les Exercices ; ear sans cela on n'en tirerail aucun fruit agreable a la Majeste divine. II faut donc travailler serieusement et sans prendre de repos jusqua se fixer dans celte resolution. Au resle il ne faut pas se fatiguer a voir avec une parfaite evidence quels sont en particulier les meilleurs moyens : il suftit de savoir qu'ils sont ceux qui nous conduisent plus surement, plus rapidement et

'1) II e^t regrettablc i|ue la version vulgate ait omis les mots unice, magis. Par contre, son tour de phrase esl plus expressif.

38 COMMENTAIRE DES EXERCICES

plus parfaitemenl au but, et d'avoir la volonte generale tle les employer. Plus tard, ces meilleurs moyens se reveleront eux- memes bien clairement, quand nous mediterons le Regne, les deux Etendards, les trois Classes, et surloul les tiois Degres dliumilite. Trop de recherche serait inulile et nuisible ; la reso- lution generale suffit ; mais, quand il s'agit d^une fin si sublime et dont robtenlion depend entierement de la grace de Dieu et de nos propres efforts, on concoit qu'elle est absolument indis- pensable. Nous reviendrons a cette conclusion dans les medi- tations des trois Classes et des trois Degres dhumilite.

Ce dernier point du Fondement forme, on peut le dire, la base sur laquelle repose le reste des Exercices ; les Meditations les plus imporlantes qui vont suivre ne seront qifun develop- pemenl de la verite, renfermee dans cedernier point : tout y est contenu comme en germe. De cet endroil fon voit se derouler le plan parfaitement logique du livre de saint Ignace. Celte medila- tion est « le Principe et le Fondement » de tous les Exercices : toutes les series compleles des demandes de Dieu a Fhomme et des reponses genereuses de fhomme a Dieu sout renfermees dans le cadre de la medilation fondamentale ; les Exercices sui- vants ne feronl que fournir de nouveaux motifs pour delerminer et pour confirmer encore davantage nos genereuses reponses, nos iheilleures resolutions : « ea qiice magis conducunt ad finem. •»

Ainsi la medilalion fondamenlale est un enchainement de veriles donl on ne peut assez admirer la simplicile, la force, la gramleur el la majeste. Cest le plus parfail abrege de la philo- sophie nalurelle et de la philosophie chretienne. Elle donne la reponse la plus complele sur la science de fhomme el du monde ; elle revele le mystere de la creation, lharmonie de toutes choses dans le plan divin. Cest ce plan que relrace saint Paul en liois mots : Omnia veslra sunt, vos autem Christi, Christus autem Dei.

EXAMEN DE CONSCIENCE 39

EXAMEN DE CONSCIENCE

1. L'examen de conscience est nn Exercice essenliel de la vie spirituelle : il a pour but de nousfaire decouvriret redresser ce qui est defectueux dans notre conduite.

2. Son imporlance se reconnait a la place qifil occupe ici : a savoir, au debut de la premiere semaine et apres le Fonde- ment ; de plus, a 1'insistanceavec laquelle saint Ignacelerecom- mande a tous sans exceplion (18e el 19e Annot.). Le Saint exige qifil soit pratique avec le plus grand soin i Yoir plus loin ce qu'il dit de Texamen parliculier et des additions). Lui-meme s'y est applique avec une extreme diligence pendant toute sa vie. Le but, ad purgandum... >i confilendum..., fait voir qif il est un moyen principal de pratiquer la penitence, de se purifier du peche, de dompter ses passions : il esta la vie spiri- tuelle ce que le plumeau est aux meubles, le cordeau aux par- terres d'un jardin, le controle el le bilan aux livres de compte : enfin c'esl le moderaleur de lous les Exercices spiriluels. L'examen de conscience est une priere en aclion, qui, sauf l'ac- cusation et l'absolution, renferme tous les actes essentiels au Sacrement de penitence. Les regles de notre Inslilut insis- tent sur son importance et son efficacite (P. 3. c. i, §11, etP. 4. c. iv, § 3, 4). Enfin 1'experience demonlre que la pratique defectueuse de lexamen est la cause de notre peu de progres dans la vertu (Dir., c. 13).

Saint Ignace distingue deux sortes dexamens : 1'examen par- ticulier et 1'examen general.

EXAMEN PARTrCDLIER.

1. Ce qui vient d'6tre dit sur l'importance de 1'examen de conscience s'applique specialement a 1'exameii particuliei'. Ajoutons que ce dernier Exercice est propre a la Compagnie, que saint Ignace en est l'auleur, qifil en a trace la methode el propage 1'usage.

2. Cet examen consiste essenliellement en ce qu'il se laii

40 COMMENTAIRE DES EXERCICES

sur- une matiere uniqiie, qui est soit un defaul particulie.r qu*il faul vaincre, soit une verlu delermineeqtfil faut acquerir. Ainsi nous pouvons faire 1'examen parliculier dans un sens negatil ou dans un sens posilif sur un seul et meme objet, suivant que nous nous y proposerons ou de relrancher des fautes ou de pro- duire des acles de verlu, relatifs a cetobjet. Cettedislinction est ulile dans la pralique ; elle nous permet de varier le mode d'examen, quand le temps a refroidi notre zele, et de faire cet Exercice avec plus de gout et d'allrait. En general, nous notons plus volontiers les actes de vertu que les fautes, et le fruit est aussi grand, sinon meme plusgiand. Ilest clair qtfon ne peut avancer dans une vertu sansdiminuer les fautes contraires, tandis qtfen s'appliquant seulement a retrancher celles-ci, on ne travaille que d'une maniere negalive, et ainsi, par ce seul moyen, on n"arrive jainais a une vertu parfaite ni a un degre eleve de perfeclion. II faut conseiller la maniere posilive, quand on if a plus que rare- ment des fautes a marquer, ou que 1'occasion de commeltre ces faules se presente peu souvent ; caralors ratlention et le zele se ralentissent, et 1'Exercice de rexamen particulier ne se fail plus d'Uoe facon se-rieuse.

Le pelitlivre des Exercices donneavec granddelail la maniere de le faire dans trois temps determines; il ajoute les addilions dont Fusage fera obtenir le fruit desire.

3. Mais 1'examen parliculier a aussi ses difficulles. Lapre- mim-e est dans le choix du sujet, c'est-a-dire du defaut ou de la vertu sur lesquels nous aurons h fairel'examen. Pour les defauts a corriger, le R. P. Roothaan (N° 1) marque les degres que nous devons suivre : d'abord, peccata, les peches volontaires, soit graves, soit legers, sciemment commis, contre la protesta- tion de la conscience; ensuite, offen^iones, qui ne sont pas completement deliberees : imprudences dans les discours, les regards, les aclions ; enfin, negligentise, les imperfeclions dans la pralique des vertus : defaut d'intention pure, ou d'intenlion actuelle... Le premier sujetde 1'examen parliculier doit donc etre le peche volontaire. Toute ame qui s'adonne a la vie spiri- luelle 1'evitera ; c'est le premier pas dans la voie de la perfec- tion. II faut faire ici la dislinclion enlre les fautes exterieures

EXAHEN PARTICULIER 4fc

et les fautes inlerieures. Les premieres nuisenl au procbain ou a 4a communaute ; elles doivenl etre tout dabortl 1'objet de Pexaraen parliculier; ensuite viendront les defauls interieurs. quand meme ils auraient plus de gravite. Mais ce serail un abus^ de s'occuper longlemps desdefauts exterieurs ; avec de la bonne volonle. quelques jours doivent suffire : ainsi disparailront promptemenl les fautes contre le silence, rexaclitude. etc. Parmi les defauls interieurs, 1'objel le plus serieux de 1'examen est le defaut dominant, puisque c'est le plus enracine, et qu'il penetre en quelque sorle lout Telre et toutes les actions : c'est donc lui qui presenle 1'obstacle le plus difficile a vaincre. Une fois enleve. il laisse regner dans 1'ame 1'ordre el la tranquillite. Mais comment reconnailre le defaut dominant? En observant les- faules que nous declarons dans la confession. et celles que noiis commellons plus souvent : ce serameme, quelquefois, en faisant reflexion snr nos bonnes qualiles, car elles-meiues ont ordinai- rement leur revers : la douceur est souvent accompagnee de fai- blesse. de paresse el de timidite; la force. de durele, d'orgueil et d^obstination. L'n autre moyen de reconnaitre le defautdomi- nant, c'est d'observer quelles choses nous faisons avec predi- lection. quelles autres nous surprennent, nous troublent, nous surexcilent, ou meme servent a effacerl'impression denos desa- gremenls. Entin nous avons la ressource de recourir oux conseils du Pere spirituel ou de ceux qui vivent avec nous. Si lecboix d'une matiere d'examen doil porler sur une vertu speciale, que ce soit une verlu pralique, c'est-a-dire necessaire soit a causede nolre besoin personnel, soit pour remplir les devoirs de nolre elal, et capable de faire de nous des bommes utiles; que ce soit nussi une verlu solide. essentielle a la vie interieure, que les flifficultes ne pourront ebranler. que le temps ne pourra affai- blir ; enfin une vertu parfaile, nous elevant a un baut degre de perfeclion. nous rapprocbant de Dieu et faisant de nous un ins- trument docile entre ses mains. En un mot, que 1'examen parti- culier ait un objet serieux, eleve, donnant un vrai caraclere a notre vie spiriluelle. Gomme dernier avis, disons qifil faut toujours diriger 1'examen parliculier du ctMe oii le dangeractuel est le plus pressant : le soldat, dans un engagement. pare le

42 C0MMENTAIRE DES EXERCICES

coup dans la direction ou il se voit menace. Cest la conduite qu'il nous faut tenir dans le combat spiriluel.

Une autre difficultede l'examen particulier resulte de la duree des efforts et de la diligence, necessaires au succes. Si l'on suit la methode de saint Ignace, cet exaraen nous tiendra en haleine la journee entiere, et il n'en peut etre autrement. Le matin, il faut s'armer de resolution ; au milieu et a la fin de la journee, il faut examiner comrae on a tenu sa resolution et renouveler le ferrae propos. Pendant tout le jour, il faut, aussildt qu'on a failli, reparer sa faute, et, pour ne pas y manquer, se rappeler sa resolution, en repetant les actes de l'examen particulier, du bon propos, de la deraande, etc...; sans ces precautions, on oublie tout et l'on retombe a la premiere occasion. Nous 1'avons fait remarquer, il est moins utile de diriger nolre examen sur une faute a eviter seulement uneou quelques fois dans la journee, que de s'exercer a des actes positifs, s'etendant a la journee entiere et tenant toujours nolre esprit en eveil : sans cela 1'exa- raen a peu d'elficacite pour nous avancer dans la vie spirituelle. Deux fois le jour, il faut marquer nos victoires ou nos defaites sur notre feuille d'examen particulier : cette precaution n'est pas tant pour verifier exactemenl leur nombre que pour ne pas per- dre de vue 1'examen particulier, el pour nous en graver forte- ment 1'objet dans Pesprit : la negligence dans 1'observation de ce point engcndre peu a peu 1'oubli, le laisser-aller. Quelle excuse pourrions-nous apporler ? Sommes-nous deja des Saints? Saint Ignace, la veille merae de sa mort, avail nole son exaraen particulier, et le soin qu'il recommande de comparer jour avec jour, semaine avec semaine, mois avec mois, nous dil assez sa pensee a ce sujet. Serait-ce la liberte, la grandeur d'esprit? Non ; la pluparl du temps, c'est la paresse, la tiedeur, le man- que d'energie et de perseverance ; on redoute la peine, on se sent humilie. Ne plus marquer est ordinairement un signe de defaillance dans la vie spirituelle, et le demon de la tiedeur repose avec plaisir sur le pelit livrel auquel nous ne touchons plus. Apres 1'examen et 1'acte de contrilion, on s'impose une legere penilence : ce qui nous aide a nous corriger et nous met en garde pour 1'avenir.

EXAME.N GENERAL 13

4. Get exameo particulier, fidelement fait, est cTuoe mer- veilleuse efficacite. Eo voici les raisoos : II divise leseooemis et cooceotre loutes oos forces sur uo poiot delermioe. II atlaque par la racioe les vices et les dereglemeots. II est eo actioo le jour eotier et emploie toutes les energies de 1'ame. Daos ces cooditioos le succes est iofaillible. « II o'y a que les ames parfaites, dit uo de oos meilleurs mailres de la vie spirituelle, qui pourraieot se passer de faire 1'exameo sur uo poiot particulier, parce qu'habituees a veiller avec uo soio egal sur toute leur cooduite, elles foot pour aiosi dire uo examen parliculier sur toutes leurs actioos. » « Mais, pourrait-oo objecter, comment se fait-il que, pratiquaol cetexameo, je com- mets plus de fautes qu'auparavant cootre 1'objet meme de cet exameo ? Je repoods qiTen realite vous ne faites pas plus de fautes ; seulemeot vous les reniarquez davaolage. » « Mais, tandis que je travaille d'un cote, toot est en desordre de 1'aulre? Rassurez-vous; tandis que vous travaillez serieusemeol d'uo c6te pour la gloire de Dieu, Dieu est couteot, el il arrivera entin que le vieil homme sera altaque, ebraole, terrasse par 1'exameo particulier, et il fmira par se reodre. » « Mais il arrivera uo jour ou je me relacherai daos cet exauieo ? Ge n'est pas une rai- soo pour 1'abaodoooer, mais au contraire pour vous y remettre toujours avec plus de ferveur. » Ne nous elonooos pas de oos defaillances et de oos iocooslances. II oous faut uoe eoergie presque surhumaioe pour faire longtemps avec zele 1'exaoieo particulier, preuve evideote de soo importaoce et de sa oeces- site. Du reste, le compte ordioaire de cooscieoce peul et doit ici oous preler secours ; uo des poiots principaux de cette ouver- ture est de s'expliquer sur lexameo particolier : si on le fait, sur quoi, avec quel piofit, si l'on marque fidelemeot surle livret. De cette maniere, le compte de conscieoce devieot le regulateur de la vie spirituelle.

Fxamen general.

i. LTexamen general diflere de rexameo particulier en oe qu'il oe se fait pas seulemeot sur uo poiot, mais sur loutes les

44 COMMENTAIRE DES EXERCICES

aclions de la demi-journee on de la journeeentiere. Saint Ignace nous en propose d'abord le but, puis 1'objet, enfin la maniere de le faire avec fruit.

2. Oulre la purificalion du coeur el la preparalion a la confession, indiquees comme bul procbain, adpurgandum... et confitendum, cet Exercice a 1'avanlage important de nous renou- veler dans le recueillement. Nous y faisons ce que le voyageur fait de temps en temps : nous jetons un regard en arriere et en avant sur la route pour nous orienter, en nous demandant ou nous en sommes et en nous rappelant oii nous allons.

3. Cest ce que l'on fait dans 1'examen general, qui con- lient deux parlies : la premiere regarde le passe, la seconde, 1'avenir; le tout comprend cinq poinls. Pour le passe, c'esl 1'action de graces. la recherche des fautes commises et le repen- tir. Pour Tavenir, c'est le ferme propos etla demande du secours divin. Aussi la premiere partie esl plutot negalive, etlaseconde, posilive.

A. L'aclion de graces doil elre faite de toul notre coeur : nous recevons tant de faveurs de Dieu que nous devrions elre toujours proslernes pour le remercier ; au moins faisons-le deux fois par jour; rendons-lui graces non seulemenl pour nous, mais pour tous les hommes, specialement pour ceux qui ne lui rendent jamais ce devoir.

La recherche des fautes ne doit pas prendre beaucoup de temps. Quand on s'est acquilte de 1'examen parliculier, on passe a 1'examen general des pensees, des paroles, des actions pendant la partie du jour qui vient de s'ecouler. Nous pourrions avec ulilite ajouler au livret, consacre a 1'examen particulier, une courle liste de nos fautes habituelles, et alors la parcourir. En tout cas, celte recherche doit prendre peu de temps. II faut en consacrerdavanlage au repenlir etaux actes positifs de l'examen. Pour essuyer un meuble, on ne perd pas son temps a saisir lous les grains de poussiere ; d'un seul coup on enleve le tout a la fois : c'esl ce que nous faisons par un vrai repenlir et un ferme propos. II faut s'appliquer a produire en soi le parfail repenlir (quelle valeur n'a pas un acle de contrition parfaile!), se renou- veler dans la haine et l'horreur de tout ce qui deplait a Dieu, en se proposant les plus puissants motifs de contrition.

EXAMEN GENERAL 45

La consequence infaillible de cet Exercice. renouvele deux 4'ois par jour, esl de nous inspirer la haine du peche et de notis eloigner de plus en plus de la rechuledansles fautes volonlaires. Le bul esl de niellre et de maintenir nolre conscience dans un etat exempt de peche, dans un jusle milieu entre 1'anxiete el la dissipation.

B. La seconde partie, qui esl posilive, consiste avant tout <lans le bon propos. La resolulion doil elre ferme, energique, s'elendanl aussi a rexamen parliculier. I! faut prendre les dispo- sitions pour prevenir les occasions oii 1'on a coutume de faiblir.

Si le temps de notre examen n'est pas encore ecoule, renou- velons notre intention pour le reste du jour et offrons tout a Dieu. Cesl ordonner sa journee, quede se poser alors ces ques- lions : qu'ai-je maintenant a faire? pour qui et comment le Jaire ?

Nous lerminons pas la priere ; nous la faisons pour nous- uiemes et pour tous les hommes, pour les agonisants, pour ceux <jui sont en danger corporel ou spirituel, pour Theureux sucees <le totites les bonnes oeuvres. A chaque heure el partout il y a en jeu des interets d^ou dependent 1'honneur de Dieu et le salul des ames. Recommandons tout a Dieu : 7'e ergo quaesumus, famulis iuis subveni.

Cette seconde parlie de rexamen est aussi importante que la premiere. II esl cerlain que si nous ne retironspas de cet Exer- -cice le fruit convenable, c'est que nous donnons trop de temps a la premiere partie, en vaquanl a une recherche trop ininti- ■lieuse des fautes et en nous conlenlant d'un acte de contrilion -courl et superficiel. II s'agil non seulemenl de detruire, mais ^iussi d'edifier, non seulement de payer des deltes, mais aussi <le faire du protil et de prendre force pour lavenir. Getravail de «ature positive nous empechera de loraber dans lennui el la langueur. Pour remedier a la tiedeur, on peut formuler de bou- clie et lenlemenl les differents acles : ce qui ue causera pas de tfaligue, 1'Exercice ne devant pas durer longlemps.

4. Dans la melhode qui sert a Texamen des pensees, des paroles el des aclions, nous trouvons plusieurs inslruclions fort «ililes pour la vie spirituelle.

a. Pour 1'examen des pensees, sainl Ignace fait d'abord

4G COMMENTAIRE DES EXERCICES

remarquer que nos pensees peuvent venir de trois sources : de nous, de lesprit raauvais ou du bon esprit. Gette reraarque iinporte beaucoup pour la connaissauce de nous-memes et pour notre tranquillite. Quelques personnes attribuent tout a elles- raemes, d^autres a une action etrangere, au bon ou au mauvais espril. II faut faire attention a celte triple origine et distinguer 1'ufle de Tautre. Nous evilerons ainsi de tomber dans la crainte et le decouragemenl, comrae si tout ce qui se passe en nousT etait nolre propre ouvrage. D'aulre part, nous serons sur nos gardes, sachant que nous avons affaire non seulement a nous- raemes, mais aussi a Tesprit malin.

Saint Ignace montre corament Ton peulou bien tirer du merite des mauvaises pensees qui surviennenl, ou bien pecher alors legereraent ou pecher graveraent.

La resislance a une mauvaise pensee ne consiste pas en ce que cetle pensee se retire completement, en ce qu'elle soit et demeure vaincue, ut vicla manpat, mais en ce que nous resis- lions, neradmettantpasvolonlairement, et faisant des actescon- traires aussi souvent qifelle se represente : Ton ecarte de mrme les raouches iraportunes, jusqifa ce qu'elles disparaissent. De cette maniere nous augmentons notre merite. Ainsi considerees, les tentations sont de vrais moyens de progres, menages par Dieu, des occasions de lui monlrer notre fidelite et d^acquerir des raeriles ; en realite, combien d'actes meritoires nous n'au- rions pas a nolre compte, si nous n'y avionspas ete amenespar les tentations ! Voila la vraie maniere d'envisager ces epreuves. S'il y a une malice grave dans la pensee,le peche ne sera que veniel, quand il y a eu manque de complete connaissance ou de libre volonte. Aussi longtemps que ma consciencene me montre pas lapensee ou ledesircomme raauvais, dont jedois nVeloigner comme d^une fautc, je ne peche pas : il faut donc, pour 6tre responsable, preter Toreille a la voi.K de la conscience. Quand saint Ignace dil : « On peche veniellement si, la pensee grave- ment mauvaise s'offrant a 1'espril, on s'y arr6le un peu, ou on y prend un leger plaisir », il ne faut pas rentendre d'un consente- ment pleinement delihere, mais d'une plus ou moins grande negligence ci repousser celle pensee.

K\AMEN GENERAL

47

Cest ainsi qu'il faut expliquer cepassage des Exercices qui a ete si souvent attaque (Voir Scarez, de Relig. S. J. 1. 9, c. 5, n. 13). La tentation passee, si nous ne voyons pas clairement que nous avons gravement peche, il ne faut pas nous tounnen- ter 1'esprit, mais passer outre, abandonnant lout a la misericorde divine. II ne sert a rien de reflechir plus longtemps. Dans le domaine de la morale, rien ne peut se mesurer avec 1'exactitude malhematique, nous ne pouvons avoir la meme cerlitude que dans les choses de foi. Dieu ne veul pasque nous ayons la pleine lumiere, afin que nous restions dans 1'huroihte et mettious notre confiance en lui.

Le peche d'aetion. dit saint Ignace, est plus grave que le peche de pensee ou de desir, k cause de differenles circonstan- ces : la duree du peche eslplus longue, l'intensite de lavolonte, plus grancle, enfin il en resulte souvent un dommage pour le pro- chain ou la personne qui a ete complice.

b. Dans lexamen sur les paroles, nolre bienheureux Pere fait la distinction tres pratique de trois sortes de paroles coupa- bles : le jurement, les paroles inuliles etla calomnie ou la medi- sance. Quand il s'agit dun serment licite, les personnes imparfaites feront mieux de jurer par Dieu que par les creatu- res ; car, en jurant par celles-ci, elles sont pltis en danger de perdre le respect dit a Diett. Ati conlraire, les personnes parfai- tes peuvent plus facilement oblenir de jurer par les creatures, parce qifelles sont les seules habituees a voir Diett present dans les creatures par son essence et sa puissance. Pour les paro- les inutiles. saint Ignace fait remarquer qu'elles sonl telles plu- t6t par rintention de celui qui les profeie que par elles-memes. Toute parole doit elre utile oti a nous-m^mes ou a Dieu ou au prochain, dtine utilite malerielle ou spirituelle. Dans deux cas seulement, il est permis de parler des peches du prochain : premieremenl, quand la faule est publique ou dommageable pour le prochain ; secondement, qttand on espere qn'en la devoilanl on contribueia a l'amendement du coupable. Hors de la, il y a peche grave ou leger, ou bien une simple imperfection, selon que la chose revelee esl un peche morlel ou veniel (causant an dommage serieux ou non), ott bien un simple defaut.

48 COMMENTAIRE DKS EXERCICES

c. Pour les actions, on doit s'examiner sur les eommande- menls deDieu, ceuxde 1'Egliseetdes Superieursecclesiastiques. II faut bien recommanderdes^examiner sur les commandemenls de Dieu : d'abord, parce qu'ils conliennent tous nos devoirs ; ensuite, parce que leur ordredetermine nous aide a faireTaccu- sation sacramenlelle de nos faules sans rien oublier : enfin, parce qu'ainsi ces commandements et ce qu'ils renferment-se graventplus profondement dans notre espiit : nous apprenons ii mieux connaitre ce qui fait Fessence du peche, en lanl qu'il est une transgression des preceptes divins. Nous voyons se reveler ici 1'esprit foncierement calholique de notre bienbeureux Pere : il ne craint pas d'affirmer, a la face des novateurs, que ce n'est pas un pecbe sans importance d'elre cause de la moindre viola- lion des prescriplions de TEglise ou decoinmetlre soi-meme une semblable Iransgression.

Ccmfession genirale et Communion.

I. Saint Ignace complele mainlenant rinstruclion destinee a purifier parfaitement le cceur eta regler letat de laconscience ; pour cela il prescril la confession el hi communion 1 ... En -eflet, la Penitence et 1'Eucbaristie operent en nous la complete destruclion du pecbe : d'une maniere negalive, par 1'enlevement de la coulpe, la remission lolale ou parlielle) de la peine lem- porelle, ralfaiblissementde la concupiscence, par 1'effet des gra- ces speciales et eflicaces, allacbees a Ia reception des Sacre- ments; d'une maniere positive. en nous garantissant du pecbe pour l'avenir, puisque par leur moyen la vie de la gntce est restauree, augmentee, affermie en nous. Ce dernier iruit est special a la communion, comme le dit sainl Ignace : Cujus (Sacri) receplio non solum juvat ne labalur in peccatumj sed ctiam ul conservet se in augmenio graliiv ; el suivanl les paro- les de 1'office du Saint-Sacrement : Ut Re.demptionis tuse fruc- tum in nobis jugiter senliamus.

(1) GP. Inslr. II) pro confess. § 4. S. Rcg. Sac. 2t;. Annot. 18. Rcg. adsentiendum... 2.

MEDITATIONS SLR LE PECHE 49

2. L/examen parliculier et lexamen general, dil notre bienheureux Pere, sont cles preludes et une preparation a la con- fession et a la communion, ad purgandum et con/ilendum ; mais, tous ensemble, ces Exercices sont les moyens les plus efficaces pour reformer, conserver, augmenler la vie spiriluelle soit en nous, soit dans les aufres. Ge sont les armes de notre Ascetisme. Fidele a la direction de saint Ignace, la Gompagnie a piis specialemcnt a cceur leur usage et leur propagation, et par la quel bien n'a-t-elle pas opere dans la direclion des ames, pour la correclion des mceurs clireliennes, dans !es paroisses, les villes et des contrees entieres? Avoir remis en honneur la frequenlation des Sacremenls esl un des titres les plus glorieux de saint Ignace et de son Ordre. A nous d'imiler ce zele, dans nolre interel et celui du prochain. Cesl ce que nous ordonnent oos constitutions (1).

Mrditations sur le peche.

1. Avec ces medilalions souvre la seconde partie de la premiere semaine.

On est en presence de la conlre-partie du Fondement, c'est- a-dire du peche, qui esl la negation ou leloignement du Principe fondamenlal. Le peche nous detourne reellement, parce qu'il est essentiellement une complele devialion de nolre fin : des lors riiomme ne peut plus ratleindre, si Dieu ne lui donne les moyens de se remetlre sur la voie. Celle voie n^est autre que la penilence el lajuslilication. Celteeeuvre de laparfaileconversion, saint Ignace la fail faire par riiomme lui-meme dans les medi- lations sur le triple peche, les peches personnels et 1'enfer, el par elles il ramenea la conclusion linale. Cesmedilations forment un tout, compose de trois degres, dont aucun ne doit manquer, si la conversion est complete voir R. P. Roothaax, n. 26). La juslilicalion se fail comme il suil :

2. Tout dabord riiomme doil renier sa propre estiine et

!) cr. Summ. ... 6. Comm. 1. :;. vi. Beg. Sacerd. 8. etc. Regi <:onc. 10. Ree. Miss. 11.

50 COMMENTAIRE DES EXERCICES

soii orgueil, s'humilier, se considerer avec honle comnie digne de damnalion ; sans cela pas de conversion serieuse. Comme le commencemenl dn peche est Torgueil, le commencement de la conversion doit elre rhumilile, la confusion ; ainsi 1'appni que rhomme mellait en lui-meme elant delruil, le sol lui manque. Cetle honte suil la premiere medilalion ; elle en esl le but spe- cial : Pudor et confusio sui ipsius. Ui magis erubescam. et confundar (ler poinl). Le bul est donc la honte, et non pas la crainte du chaliment. Tout converge pour creer cetle disposi- lion. Des le premier prelude, les expressions anima in corpore corruptibili lanquam in carcere inclusa, in exilio, inter bruta animalia, nous rappellent vivemenl notre degradalion et en quelque sorle la perle de notre dignile dliomme. Cette lecon nous est repetee dans le deuxieme prelude, nous faisant consi- derer : Quam multi damnati sint ob unicum peccatum, el quam sxpe ego meruerim damnari ob tam multa. Celte pen- see esl poursuivie dans les trois points de la medilation : le peche nous est montre dans des exemples vivanls et lerribles, pour nous convaincre de rindignile monstrueuse, de la folie, dtt malheur d'un seul peche. Le peche est juge au tribunal de Dieu, de rhistoire et de la raison, comme une chose souverainement honleuse el degradanle : voila le miroir ou il faut nous conlem- pler, la lumiere ou il fatil voir clairement rabime de inalice cree en nous-memes et le visage irrite de la Majesle divine, surloul lorsque uous sommes charges non pas d'un seul peche morlel, mais de peches mortels sans nombre; dans un seul il y a une telle profondeur de malice ! L^njuslice, la mechancete et la bassesse du peche sont energiquement mises en relief dans les expressions des trois points : Creati (angeli) in gratiar nolentes se adjuvare ope libertatis ad exhibendam reverentiam et obedientiam suo Creatori ac Domino, devenienles in super- hiam, conversi ex gratia in maliiiam ; positi (primi pareu- tes) in paradiso, prohibiti ne comederent, comedentes et ila peccantes ; in memoriam trahendo gravitatem ac maliliinn peccaii (cujuspiam) contra Creaiorem ac Dominum,... pec- cando et agendo contra Bonilatem infinitam. La folie et le malheur du peche sonl depeints en termes non moins energi-

MEDITATIONS SUR LF. FECHE 51

ques : De ccelo in wfiernum pnecipitati; veslili tunicis pel- liceis, ex paradiso exjmlsi. sim justitia originaM.. ; totam vitam in multis laboribus el mulla (diuturna) pa?nitenti'i ... ; ijuanta corruplio genm humanum invaserit, tammultis homi- nibus ad infernum cuniibus; ivit ad infernum... juste condemuatus in seternum, elc...

Gelui qni par sa malice et sa folie s'esl precipite dans un mal- lieur d'ailleurs si bien merile, n'a en verile aucun droil de tirer vanite de lui-meme ; la pensee qu'on vil ici-bas expose a une si deplorable chute est assez liumiliante. Mais la lionte est por- lee a son comble dans le colloque, quand nous voyons que, mcme en depil de nolre malice, nous sommes encoreTobjel d'un amour, d'une misericorde si grande dela parl de Dieu ! Cliaque espression doil etre pesee... Quiconque fail serieusement cette medilation, se regardera comme un criminel juge, comme un evade de prison ; et il ne peul en elre autrement : ce ne serail pas se rendre a Dieu a discrelion. Ce qui vienl adoucir 1'amer- tume de ce senlimeiit, c'est 1'humble confiance qifexcitenl en nous les paroles du colloque, et avec raison ; car c'esl toujours par laconfiance qull faut finir.

3. La seconde parlie de ce proces entre la malice liumaine et la justice divine se trouve dans la meditalion sur les peches personnels, de peecalis propriis. La honte du peche ne nous a ete presenlee dans la precedente meditalion qu'objectivemenl, en dehors de nous. Ici au contraire on deroule en delail el on conteraple la chaine de ses propre peches, pour arriver par cetle meditation a concevoir « une grande douleur ». En nesurae, lel (jsl ici le but, indique cVailleurs dans le second prelude : la dou- leur de ses peches personnels. Pour ralteindre, saint Ignace demande que nous fassions une revue de tous nos pecb.es, pour les considerer ensuite en eux-memes, c'esl-a-dire dans leur ualure et leur gravite. Dans le premier point, il nous fail jeter un coup d\vil general surlespeches de loute nolie vie depuis la jeunesse. Dans le sccond, nous avons a les peser, a les juger cfabord par la raison el le sentiment naturel qui repoussent tout ee qui est bas et degradant, quand meme il ne seiail pas defendu ; ensuite par le neanl de celui qui otfense Dieu, neant

COMMENTAIRE DES EXERCK.ES

rendu plus sensible par la comparaison avec tous les hommes, lous les anges, avec Dieu nieme, el par ralfreuse misere de notre ame et de notre corps; enfin nous devons juger nos peches, en considerant la grandeur et la majeste de celui qui est oflense. A la vue de la bonte et de la misericorde divine, la douleur devient un amer repentir. Ge plan est sisimple, si bien fonde sur la nature de IVime, que le resullat ne peut manquer d^etre assure et durable, si la meditation a ete faite serieusement. Pour que ce resultat influe surle resle de nolreexistence, il ne fautpas seulenient eonsiderer notre vie dans le monde, mais aussi le dereglement de notre vie religieuse. LeR. P. Roolliaan donnea ce sujet d'excellenls avisdans les notes 15. 16 et 34 (Gf. Dir. c. 10. § 4).

4. Le troisieme Exercice et le qualrieme sont des repeti- tions des deux meditations precedentes. Pourquoi sainl Ignace assigne-t-il ici et frequemment dans la suite ces repetitions ? Les aiinolations 2e et 4e en donnent Texplication. II nefaul rien faire d'une maniere superficielle, mais s'arreler sur un sujet jusqif a ce qiron en ait relire le fruit qu'on se propose. II arrive souvent que, dans la premiere meditalion d'une verite ou d'un mystere, le travailde rinlelligence absorbelaplus grande parlie dutemps, la volonle ayant ete trop peu exercee; d'autres fois, le cceur aura ete aussitut touche, mais le sentiment n'est pas appuye sur les molifs les plus solides. C'est pour y remedier que se font les repetitions des principaux sujets. La curiosile et 1'impalience peuvent n'etre pas satisfailes, mais 1'avantage est grand pour nous. Gommenl faut-il faire les repetitions? Saint Ignace indi- que deux manieres. On peut reprendre la meditation, et, sans rien changer aux points ni a 1'ordonnance, s'arreler davantage la oii on a trouve la consolation, ou bien aux endroits ou 1'on n'a rien trouve [Exercitium iertium), insistant sur un point ou sur 1'autie, ou s^allachant au principal fruil de la meditation. Enfm on peut simplemenl se remetlre le tout sous les yeux, a peu pres comme on fera dans l'application des sens aux myste- res de la deuxieme semaine. Le but eslde nous graver plus pro- fondement les verites dans Tesprit. Mais de plus la repetilion servira a nous faire decouvrir de nouveaux apercus, propres

MEDITATIONS SUR LE PECHE 53

a perfectionner rintelligence et la volonle (Voy. Gontempl. 3-1 hebd. 2"; nota 2a hebdom. 4ffi). La repetilion peut encore consister a reprendre avec tout le serieux possible le memesujet. corame s'il n'avait pas ele encore raedile (Dir. 15, § 2. /3).

Saint Ignace introduit un element nouveau dans les repeli- tions, en ordonnant de faire le triple colloque. Pourquoi cela? Avant tout, parce qu'il s'agit ici d'une chose tres importante ; dans toutes les circonstances graves, notre bienheureux Pere prescril loujours un triple colloque : parexemple, dans la medi- tation de deux Etendards, des trois Glasses, des trois Degres d'humilite. De plus, il veut nous donner ce conseil excellenl de tacher peu a peu d'employer plus de temps a nous entrelenir directement avec Dieu, en prolongeant les colloques (Gf. Nol. post Contempl. 1, hebd. 3). La raeditalion, oii nous exercons rintelligenceet la meraoire, n'a en effel d'autre but que de dis- poser la volonte ii prier avec ferveur, la priere elant le moyen le plus efficace pour perfeclionner la volonte. Pour nous apprendre ii prier plus longlemps, le Saint nous fait considerer qui nous devons prier et pourquoi. II recommande tine suite de prieres a la Mere cle Dieu, au divin Sauveur et au Pere celeste. G'est uu bel acte dhumilite, qui repond parfailement ii la disposition produite par les raeditalions precedentes. Pour assurer le succes de demandes iraportantes, n'est-il pas juste de se pourvoir de protecleurs? Les colloques sont dans Tespril catholique ; ils repondenl a 1'idee chretienne d'une meditalion directe et indi- recte. Pour le but actuel, les personnes invoquees sonttr^sbien choisies : la Mere de misericorde, Refuge des pecheurs, le Sauveur, grand Avocat des pecheurs, et le Pere celeste, Pere des raisericordes el Dieu de loute consolation. Nous deman- dons une triple grace, la connaissance sensible, ut senliam, et la detestalion, d'abord de nos peches, puis du desordre de nos actions. enfin de la malignite et de la vanile dti mond«. Ges trois graces produisent toutes les qualites d'une parfaile conver- sion : elles changent l'homme lout enlier, dans son intelligence, sa volonte, sa sensibilite ; elles enlevenl toule la corruplion et le peche lui-ineme ; elles ecartent ce qui, sans etre precisement le peche, eu est 1'occasionet n'est pas ordonne a notre derniere

5i G©MMBNTAIRE DES ESEfiGIQHS

Fin, c'est-a-dire le dereglement de notre vie el de nos aclions ; enfin elles triomphent du monde qui, netanl que vanite, est indigne de nous, et, n'elant que malice, est une source perpe- tuelle de peche. Ainsi, le peche une fois aneanli avec ses suites et ses causes par la grace du triple colloque, il est juste de dire que la conversion est parfaite.

5. II ne manque plus qu'une chose pour revenir complete- menl a Uieu, c'est la ferme resolution de ne plus commettre le peche : elle sera produite par la meditalion sur Venfer. Le bul en esl marque dans le second preiude : Ne in peccatum deve- niam (Gf. nota 26. P. Roothaan). « Sentir vivement » ce que sont les peines de 1'enfer, c'est un moyen d'alteindre le but de cetle meditation. Pourquoi esl-elle proposee sous la forme d'une applicalion des sens? Cest que saint Ignace aime que TEvercice qui vient a la fin de la journee soit moins fatigant. De plus il decril 1'enfer, comme il est en realite suivant la sainte Eerilure, un lieu de supplices elernels pour les elres inlelligents et sensibles, qui, morls en etat de peche, sont prives de la vue de Dieu et punis par des chalimenls en rapporl avec leur nature el avec la malice du peche. II ne parle que de la peine du sens, mais celle-ci est dejii assez terrible pour nous rendre tout a fail malheureux, et si 1'image en est si effrayanle, que sera la realite? Au point de vue pratique, il est tres ulile dedonner la meditation de Tenfer telle qu'elle esl dans le livre. Rien n'empeche cependanl, soit dans les repetilions, soil meme la premiere fois, d'y introduire les raisons philosophiques et theologiques de Texistence de l'enfer. La meme chose s'appli- queaux meditalions precedentes; on peut en intercaler quelques- unes sur la nature et les suites du peche, pour developper et consolider les fruits acquis. L'ignorance des choses spirituelles ou l'on vit aujourd'hui rend souvent celle mesure necessaire. Saint Ignace y autorise, quand il dit dans le troisieme point cle la premiere medilalion : Trahendo in memoriam gravitatem ed, maliliam peccali conlra suum Creatorem ac Dominum... quo- modo in peccando et agendo contra Bonitaleminfinitam, jusle fuerit condemnatus in eeternum. II faut remarquer le collo- que, qui nous dispose parfailement a la contrition et au ferme propos, en nous representant si vivement la misericorde divine

MEDITATIONS SIR LE PECHE

a notre egard. Nous voyons comment Dieu s'emploie serieuse- ment et s'etudie, pour ainsi dire, a nous preserver du malheur epouvantable de 1'enfer.

6. Ainsi les trois medilations de Iriplici peccato, de prccatis propriis, et de inferno formeot im tout elroilement enchaine et concluant, qui constitue laseconde partie de la pre- miere semaine. Elles doivenl etre donnees toujours et comple- lement, avanltoute autre, el meme aux persomies avancees dans la vie spirituelle; car elles aussi en recueilleront un fruit tres precieux. Gestrois Exercices posent le fondemenl de lhumilite : nous y constalons ce que nous sommesdans 1'ordrede la nature et de la grace, ce que notis avons fait et merite, et quelles gra- ves raisons nous avons de nous defier de nous-memes. Sans cel humble senliment, impossible d"avoir cette haine de soi qui assure la perseverance dans la penitence (Cf. P. Roothaan, nota 34 dans les additions). Ces meditations ravivent en outre la reconnaissance et laniour envers Dieu, le devouement empresse a son service. Sous l'impression de ces verites, toul sacrifice est facile, rien de trop grand ni de trop penible; nous allons plus loin, nous nous enflammons damour pour les iimes. Le souve- nir de nos peches nous presse de faire reparation a Dieu, en les gagnant a sa cause et en les preservanl du plus grand des mal- heurs. Ainsi ces meditations sonl pour nous la source des plus riches benediclions (P. Roothaax, not. 2iS .

Immediatemenl apres, nous pouvons, suivant la note de la vulgale et la coutume de saint Ignace, mediter ou faire mediter sur d'aulres sujels, comme la mort, les deux jugemenls, le pur- gatoire, le peche veniel, la penitence, la conversion... Le but en est indique dans le triple colloque, cile plus haut, par la demande des trois graces que nous sollicilons. On les deman- dera toutes ou bien telle ou telle d'entre elles, suivanl la nature du sujet. En tout cas, ces medilations jetlent un grand jour sur le nombre et la gravite de nos peches, sur le dereglement de nolre vie el sur la vanite du monde ( Dir. l.'j, § 4. c. 17). Saint Ignace prescrit ordinairement cinq meditations par jour. une a minuil, deux avant midi, les autres dans rapres-diner ; mais pour fixer le nombre, il faut avoir egard a 1'age, <i la santf '■I aulres circonstances oii setrouve le relraitanl.

COMMENTAIRE UES EXERCICES

METHODE 1'OL'R MEDITER

(d'apres Vexercice du triple peche)

Les trois medilations qui precedent contieniient la theorie de loraison mentale. Notre bienheureux Pere donne. dans la pre- miere, une instruclion pratique sur la maniere de mediter les verilesde la foi. Impossible de dire mieux, d'une maniere plus saisissante et plus substantielle (1). Getle instruction comprend d'abord Tessence de la meditation, ensuile tous ses elemenls.

1. L'essence de la medilalicc est indiquee dans le titre meme : Est mcditatio per tres polentias animie ; chaque puis- sance de lVtme, prise en particulier, y a son eniploi. Celui qui medite, applique serieusement a un sujet donne les trois puis- sances de Tame : la memoire, rinlelligence et la volonle. Ici. pas de paroles a dire, pas de formules de priere ; aulrement ce serait TExercice de la priere vocale. Les paroles sont rempla- cees par des idees et des reflexions interieures. Dans sa jusle acception, la medilation est une reflexion serieuse, profonde. sur les verites de la foi, pour y conformer notre vie, perfeclion- ner nolre volonte. Relirez ce bul, ce ne serail plus qu'une etude de Iheologie. De cette definition resulle Tapplicalion speciale de chaque faculte de Tame. Pour emouvoir la volonte, lesverilesde la foi doivent elre presentees a rinlelligence par la memoire : la fonclion de cetle derniere faculle esl de presenler a Tintelli- gence le fait hislorique ou la verite abstraile ; si la memoire quille son objet, en presente un autre a rinlelligence,noustom- bons dans la dislraction. L*intelligence cherche a se convaincre de la verile proposee, a en decouvrir la substance, la beaule, la profondeur, Televatioii, lulilite, pour se Tapproprier par des conclusions et des applications pratiques. Alors la volonte, mue par la force de la verile, produit des affeclions, des repugnances,

(t) Scriptores ascctici <■ omncs potius exhbrtando quam instrucndo pro- cedunt, et ideo fusius scribunt de laudibus et atTectibus meditationis ; pecu- liarem autem methodum orandi non ita distincte tradunt. B. Ignatius bievissimis regulis ac verliis mirabilem hanc instructionem comprehendit, quam non tam ex libris quam ex unctione Spiritus Sancti et exmagna expc- rientia et usu hausisse videtur » (Sdarez, de Religione S. J. 1. 9, c. 6, n. 2)

METHODE POl'R MEDITER 57

des joies, des desirs ; elle cherche a se derober au njal ou a s'eraparei" du bien par les raoyens que lui a montres 1'inlelli- gence ; ces moyens sont, de nolre part, des resolutions, et. de la part de Dieu, des griices que nous obtenons par la priere, et la pricre est toujours a notre disposition. On peut comparer la suite de ces operations a ce qui se fait dans lexamen d'un tableau : la memoire est comme la main qni presenle Timage ; la consideration de robjetcorrespond au travail de l'inlelligence, etle plaisir ou le deplaisir eprouve correspond a 1'exercice d< la volonle. II est vrai que dans la priere vocale il y aaussi 1'exer- cice des trois faculles, sans cela il n'y aurait pas de" priere humaine. mais il se fait comme en passant : ce n'est que le coup d'oeil rapide sur le tableau ; loraison menlale est une con- sideration faile a loisir, avecatlention, pour etudiera fond lobjel represente. Dans la medilation 1'ame esl engagee tout entiere ; aussi relire-l-elle de son travail unprolitdurable. Elleyapprend a perseverer longtemps dans la priere. el presque sans le remar- quer. Pour avancer rapidemenl dans la vie spirituelle, il faut se rendre maitre dans cet art. II y a dilferenles especes d'orai- son mentale. Saint Ignace nientionne une d'eiles par lesparoles est meditatio. G'est la rnedilation dans le sens reslreinl du mol. c'est-a-dire la reflexion raisonnee et sentie sur les verile^ abstraites de la foi. par opposition a la consideralion, qui a ele employee dans le Fondement, et a la conlemplalion. qui sera

appliquee dans les semaines suivantes.

2. Ensuite sainl Ignace menlionne les differenles parlies

d^une meditalion : la priere preparaloire, les preludes. puis la

medilalion elle-merae, el enfin les colloques. La priere preparatoire, qui ne varie pas, est la siraple

deraande que loules nos pensees el actions, pendant la raedila-

lion, soient dirigees uniquement vers le service de Dieu, en

sorte quil soit glorifie par le fruit que nous en relirerons. Les preludes ont pour but, non plus, commedans la troisieme

addition, dappliquer les facultes de l'ame d'une maniere gene-

rale au sujet de la medilation, mais de renvisager de plus pres.

Ge travail est enlrepris d'abord par la memoireel l'imagination.

Ou se rappelle brieveraent les fails, oo se represenle lasceneoii

58 COMMENTAIRE DES EXEBGIGES

ils se passent ; s'il sagit cTinifi verite abstraite, on la revet de quelque image sensible : 1'oiseaw qui voltige, fmilpar choisirune branche ou il se pose ; ainsi limagination, si elle s'egare, revient se fixer sur 1'objet qui lui a ete presente. Quant a la volonte, elle est appliquee par ia demande du fruit qu'on desire. Recon- naissons alors, d'apres la deuxieme annotation, qu'il nous faul 1'aide de Dieu pour faire une bonne priere, el stimulons notre volonte, en pensant que la bonne priere reclame nolre concours personnel el nos bons desirs. Le succes de roraison exige lezele qui enfante lui-meme la perseveranee ; c'esl pour celaque, dans les preludes, est si souvent repetee 1'expression : id quod volo. Mais s'arreter trop aux preludes serail perdre le temps et occasionner les dislraclions ; le musicien ne satlarde pas a accorder son instrumenl, il joue apres lavoir essaye quelques instanls : les preludes ne sont que 1'accord des puissances de 1'ame. Le travail proprement dit de la medilalion, qui se fail par ces puissances, esl nellemenl decrit : trahere{appilicare) memo- rinm super peccatum angelorum, et super idem intelleclum, discurrendo, deinde volunlalem, volendo illud totum intelli- gere et memorari, ut magis eruOescam. Dans la suile, saint Ignace ajoute de courls avis pour exercer ces faculles par la consideralion des circonslances : Quis, quid, ubi, quilms auxi- liis, cur, quomodo, quando. Et ainsi les lieux communs de l'in- venlion el de lamplification olfrent un champ ferlile a rinlelli- gence. Mais loujours la principale verlu de la medilalion esl dans la volonte : Volendo iltud inlelligere... Ut magis erubes- cam. On doitse dire ft chaque meditation : il y a la un Iresor ; il faut donc le chercher. Ghaque myslere est commele rocherde Moise, ou est cachee une source de lumieres et de graces. II ne faut que frapper avec vigueur et redoubler les coups : Movendo magis affectus... utendo voluntate... concludere actibus volun- lalis.

Saint Ignace avertit que, dans les colloques, il faut parler comme un ami a son ami, un serviteur a son mailre, un crimi- nel a son juge ; qu'on peut y demander une grace, s'accuser, communiquer ses besoins. Gomplelanl ces avis dans le colloque de 1'Incarnalion, il dil qu'il faut considerer et peser par la

LES ADDITIONS 59

reflexion ce qu*on veut et doit dire aux Personnes divines, cest- a-dire ce qiii, dans le sujet present, convient tant a leur egard (|u'au n6lre. Concluons de la quel soin nous devons mellre u faire les colloques. La nature et l'objet des colloques sont indi- ques dans la nole de la pi'emiere conlemplalion de la troisieme semaine : Petere et raliocinari juxta subjectam materiam, en lenant comple aussi de la disposition personnelle : Prout ten- latus aut consolatus (Cf. aussi le colloque dans la premiere maniere de prier). Vn aulre moyen excellent est d'exposer a Dieu, dans une espece de discours, la maliere meme dela medi- lation, les pensees, les resolutions et les aflections. Ainsi fai- sait le P. Martin de Cochem, medilant la vie et la passion du Sauveur. Cette maniere est conforme al'ideeexprimee par sainl [gnace dans la contemplalion de llncarnalion.

On peut, suivanl 1'avis souvent i^epete de nolre bienheureux Pere, faire plusieui-s colloques, priant successivement differents Saints. Pour les faire, il n'esl pas necessaire d'attendre jusqua la fin de roraison ; on peut en placer parlout ou le coeur nous y porle : par exemple, au milieu ou a la fin d'un des points, ou quand nous venons de prendre une resolution serieuse. Cest ce qui donne a la medilalion sa vie, et lui allire la benediction de Dieu. 11 faut alors savoir se faire violence : car 1'energie est plus necessaire pour prier que pour reflechir. Mais il faut ter- miner la meditalion par le colloque, sous peine de iven relirer aucun fruil. La priere esl le dernier acte, et le plus important, de rinlelligence et de la volonle ; donc relarder le colloque jus- qu'c\ ce que le temps fasse defaut, ce serait comme un peintre qui, voulant representer uu Sainl, commencerait par dessiner les membres inferieurs d'une maniere dispropoitionnee el manquerait ainsi d'espace pour peindre la lete ' Dir. c. 15, § o et 6).

Les Additions.

1. Nous avons dejfii dit que les addilions sont des conseils. ayant la plupart pour but dassurer le succes de la medilalion ^'lle-m^me : ad melius facienda Exercitia, el ad melius inve-

60 COMMEVfAIRE DES EXERCICES

niendum id quod desiderai qui exerCelur. Ellesne sont donc •pas absoltiment necessaires ; sans elles, a la rigueur, la medita- lion peut se faire, mais commenl? On se plaint si souvent cpfelle ne reussit pas, ou reussit difficilement ! Les addilions donnent les moyens pour la rendre facile et fruclueuse; on peul donc dire qu'a 1'observalion des addilions en est atlache le succes. Pour ce succes il faut trois clioses : la griice de Dieti, le bon desir el le travail personnel ; or ce travail esl principalement dans 1'observalion des additions. Elles preparent notre ame a recueillir le fruit desire, la seule chose que nous puissions faire generalement dans la vie spiriluelle : Prieparare et disponere. Telle est rimportance des addilions que sainl Ignace prescritde prendre pour sujet de 1'examen parliculier leur exacle observa- tion pendanl les quatre semaines des Exercices (Not. 4. de la 10e addition, Annol. 6 et not. diei 5:e hebd. 2ie). Getexamenest le premier et le principal point de la recolleclion. Dans 1'ordre naturel, nous remarquons que des procedes, indifferenls en apparence, -ou des soins de peu dMmporlance en eux-memes. ont de tres serieux resullats : le developpement d'une planle depend de ce qui semble un rien.

Si nous gardons fidelemenl les addilions, Dieu ne peut man- quer de benir nos efforts. Yoyez comme on se prepare a parler devanl les hommes ; quand il s^agit de conferer avec Dieu lui- meme, pouvons-nous avec trop de soin preparer notre cceur (Dir. c. 15, § 19)? Cesl par les addilions que nous remplissons ce devoir. Elles disenl ce qtfil faut observer avanl et apres la meditation.

2. Le soir, avant de m'endormir, je me rappellerai a quelle beure je me leverai, et pour quoi faire, c^est-a-direpour prier et mediter, et je repasserai rapidement les points de la medilation.

Par exemple, je me dirai : « Que veux-lu faire apres toiv lever ? D'abord remercier Dieu, renouveler ta bonne inlen- tion, puis determiner quel sera lon examen parliculier, ensuite jjenser a la medilalion, enfin a la Messe el a la sainte Commu- nion. o De cetle facon, loules ces pensees se presenleront it notre esprit au moment du reveil : elles forment comme les dif- ferentes parlies de la parure de nolre ame ; elle doit les avoir

LES ADDITIONS 61

pivtes le malin et s'en orner, avant de se presenler a Dieu. Mais celte repetilion des poinls suppose que nous lesavonsdeja prepares.

Getle preparation n'est pas en elle-merne une addilion ; elle est une condilion necessaire pour la meditalion, et reclame plus de soin encore que Fobservation des addilions : aborder sans elle la medilation serail tenler Dieu et perdre le temps a cher- cher son sujel. Metne pendant la qualrieme semaine, oii saint Ignace laisse plns de liberle, il veut qu'on prevoieetqu'oo divise les poinls ,not. 3 hebd. 4;e). Nous voyons, dans la deuxieme annolation, qu'en nous preparanl il faut, anlant que possible, delerminer le fruil a recueillir : ainsi, quand bien raeme nous oublierions quelque chose des poinls, nous ne sorlirions pas de 1'oraison les mains vides.

3. Le malin, des le lever, occupons-nous des pensees pre- parees la veille, el snrlout de la meditation, nous rappelant brievement les poinls et le fruit a retirer ; mellons en raeme temps notre ame dans la disposilion que reclame la medilation du jour. Pour cela, il faul prendre interet au sujet, recomman- der 1'oraison a Dieu, lui demander de nous decouvrir la beaule renfermee dans le myslere. On peul aussi se servir de la priere vocale, mais toujours dans le sens qui nous dispose ii mediler le mystere present. Cest ce que fait faire saint Ignace dans la medilation du peche. Sans etre essenlielle, la disposilion dame qui convienl au myslere esl Ires uiile, ad melias inveniendum. Ce nest pas le beau temps qui fail la joie du jour de Paques, mais ce nest pas le temps de glace ou de neige qui nous y dispose le mieux. LEglise nous donne 1'exemple : elle fait preceder roffice d'un invilatoire et la messe d'un inlroil, qui nous donnent en (pielque sorle la nole de la fete et nous disposenl a la celebrer.

4. II faut se recueillir iraraedialeraenl avanl lamedilalion : <- Je dois me rappelerou je vais et devant qui je vais parai- lie » Xot. 5. 2* hebd.). L^esprit doit se reposer avanl de prier lre Man. de prier) ; c'est pourquoi, assis, deboul ou en marchant, je considererai, quelques inslanls, ou je vais et a quelle fin. Ici raeme saint Ignace nous prescril « de nous raetlre devant notre prie-Dieu, de penser que Dieu nous voit et

62 COMMENTAIRE DES EXERCICES

de faire un acle de reverence ». Celle addilion esl recom- mandee avant toute priere longue ou courte ; plus la priere est courte, plus 1'observation de cette addition est necessaire pour recueillir du fruit el eviter les distractions. Comme, avant de lianchir un fosse, on prend un elan, ainsi il faut que lYune prenne son elan pour s'elever a la conversation avec Dieu.

Cette recolleclion demande peu de temps. Habiluons-nous avant toute priere, si courte qu'elle soit, comme VAngelus, le Benedicite, a nous dire : « Que veux-tu faire en ce momenl ? Prier; donc prie comme il faut. » Cela suffit. Dans les prieres plus longues, le saint Office, le chapelet, il est bon d'in- terrompre un instant a certains endroits, pour renouveler ce recueillemenl qui ecartera les distractions : voila un moyen efficace de relirer du fruit des prieres vocales.

5. Pendant la medilation, notre bienheureux Pere recom- mande de s'arreter a 1'endroit qui nous convient, sans passer oulre, tant que nous trouvons de quoi nous enlretenir. Quant ii l'attilude a prendre en medilant, elle est indifferente, pourvu qu'elle soit respectueuse. On peut s'agenouiller, s'asseoir, se tenir debout. II n'est pas parle de la marche (Cf. 2US modus nrandi). Tout doil nous aider a atteindre la fin, id quod volo. Ici, notre fin n'est pas de chercher nos aises ; ce que nous vou- lons, c'est mediler, prier, recueillir tel ou tel fruit de nolre medilalion : choisissons la posture qui nous y aidera le plus. II n'est pas sage de prendre et degarder une posture qui favorise la distraclion. En general, mieux vaut etre debout qu'assis, ti genoux que debout. La troisieme annolation dit qifil faul se lenir avec plus de respect pendant les colloques ; cel avis est a suivre pendant toute priere. Saint Ignace recommande de faire des pauses dans le cours de la medilation. II faut douce- ment arreler notre esprit sur une pensee, ne pas passer a une autre, tant que nous trouvons de quoi nous occuper ; autrement nous risquons de ne rien trouver nulle part. Ce que nous n'avons pu mediler une premiere fois ifesl pas pour cela perdu ; il y a les repetilions, les temps libres, qui nous permeltront d'y reve- nir. Imilons les abeilles : elles bulinent sur la meme fleur jus- qifa ce qu'elles en aient recueilli tont le suc. Ainsi ne font pas

LES ADDITIONS 63

la curiosite, 1'in'eflexion, la legerele : Non multa, sed muttum fCf. Annot. 2). D'aulre parl, il faut eviter la paresse ouunecer- laine lenacile qui feraient resler la ou il n'y a plus rien a pren- dre.

6. Apres la meditation vienl la reflexion ou recollectiou, qui a quatre parlies : Examiner comment nous nous sommes acquiltes de la medilation, commenl nous avons observe les additions, employe 1'inlelligence et la volonle. Rendre grfices a Dieu du succes de 1'oraison, ou, dans le cas contraire, nous repentir et prendre la resolution de mieux faire. Cliercherles causes du succes ou de rinsucces ; ainsi nous apprendrons 1'art de mediler, et nons acquerrons riiabilude de le faire serieuse- ment, avec fruit ; autrement, les memes defauls perseveranl toujours, nous ne saurions plus 1'exercer : si l'on ne repare pas la dechirure d'un velement, elle s'agrandit toujonrs. Quand on apprend un art. apres ehaque coup d'essai on ver.ifie ce qui a manque ou ce qui a fail reussir ; uinsi on devienl mailre dans son art. Enfin recueillir le fruil de la meditalion en nous demandant : « Quel profil ai-je fait ? Quel est le fruil de mon oraison, quelle lumiere, quel mouvement interieur, quelle bonne resolution prise? » Alors nous ecrivons le resultat acquis el les principaux rnotifs a 1'appui. Les lumieres recues sonl des graces, elles merilenl donc d'etre notees ; ainsi elles se gravent mieux dans la memoire ; quand nous les relisons, elles produisent de nouveau leur effel. Dieu, voyant que nnus apprecions ses dons, se montre plus liberal. On ne donne pas une seconde aumone au pauvre qui a dedaigne la premiere. Dieu fail de me^me, et c'est pourquoi sans doute nous recevons si peu de lumieres. Cesser absolument de prendre ces notes peut rlre considere comme un symptome de tiedeur ' hir. c. 3, § 5 . La recollec- liou est une addilion qu'il imporle d'observer ; on doit la faire chaque jour, soit au commencemenl de la messe, si on nlest pas pretre, soil pendaul le dejeuner, soit en lout aulre moment.

7. Les additions 0, 7, 8, 9. regardentle reste du jour. Elles recommaiident de s'enlretenir de pensees et de se maintenir dans une disposition conforme a la medilalion, eloignant celles qui lui sont elrangeres : Tenere anle rne velle me dolere. Dans

•64 COMMENTAIRE DES EXEBCICES

ce bul, il faul eviler cle rire, lenir les yeux modeslemenl bais- ses, diminuer ou augmenter la lumiere de sonappartemenl, sui- vanl que le jour oti Pobscurite nous sonl plus favorables. Toul cela convient merveilleusement a la premiere semaine. Les gens du siecle Pobservenl, quand ils sonl dans le deuil : pour- quoi ne le ferions-nous pas dans nolre deuil spiriluel? On voil que les addilions renfermenl lout ce qui dispose Pame a la priere : la journee entiere est prise par la medilation, parlapre- paration eloignee el la preparation prochaine qu'elle demande. Nous remarquons combien de precaulions sont prisespour assu- rer le succes de la priere ; nous pouvons les comparer ii celles du chimisle ou du pbotographe pour faire leursoperations. Quoi deplus juste? Quand on traite avec Dieu, ne faut-il pas Ie faire comme le merile Sa Majeste? Indicabo tibi, o homo, quid sit bonum, el quid Dominus requirat a te : ... sollicitum ambulare cum Deo tuo (Mich., 6, 8). « Celui qui veul prier, et cependant ue veut penser ii la priere que quand il va la commencer, dil le 15. P. Lelevre, n'allend pas moins qu'un miracle, s'il s'imagine qu'il priera comme il faut (1). »

La dixieme Addition.

1. Cest un traile court el subslantiel sur la penitence. II a sa place ici, comme convenant specialemenl a la premiere semaine. La penitence est un excellent moyen pour purificr Tame : elle exerce une grande influence sur la meditation et la priere. Aussi peut-on la regarder comme une preparalion a la medilalion.

2. Saint Ignace nous donne, dans ce traite, d'abord la notion de la penitence, puis il parle de son exercice, et enfin des molifs de la pratiquer.

3. La penilence est la verlu par laquelle nous detruisons enlierement le peche en nous et satisfaisons i\ Dieu pour nos offenses. Le peche a deux effels : Pun qui est inlerieur, nous detourne de Dieu ; Paulre qui esl exterieur, nous tourne vers la

(1; Memoriale, 1542, mensc Junio.

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■creature ; la penilence doil donc Gorrigei' ces deux eflets, con- sequemmenl il laut qu'elle soil interieure et exlerieure. La penitence inlerieure consisle dans les acles de repenlir et de bon propos ; la penilence exterieure doil infliger la douleur a aios sens pourles punir de 1'abus quils onl fait des crealures.La premn-re est la principale et 1'ame de la penilence, puisque c'est dans nolre volonle que reside le peche : sans elle la penilence exlerieure iraaucune valeur. La seconde est un 1'ruil de la pre- miere, qui elle-meme n'est pas serieuse, si ellenedelerminepas a embrasser la penilence exlerieure : A quoi serl 1'arbre qui ne •donne pas de fruit? Par conlre, il faul dire que la penitence exterieure peut servir de slimulanl a la penitence interieure, comme nous le monlrerons plus loin.

4. L'Exercicede la penilence embrasse lous les actes soit interieurs soil exterieurs qui delruisenl en nous le peche. On pralique la penilence inlerieure dans la medilation surle peche, dans lexamen et surtout dans la confession de ses faules, qui •esl la penilence dobligation. La penilence exlerieure consisle <lans lout acle penible ii la sensualile, el accompli pour la repa- ration du peche. Saint Ignace indique specialement trois sorle.s de penilences exlerieures : les jeunes, les veilles et les chali- inenls corporels, comme les discipbnes, les cilices, ele... Pour loutes, il elablil des piincipes genereux : Premierement, dit-il. la penilence consisle dans le retranchement du eonvenable ; toul retrancliement du superflu nest que lemperance. Ainsi le jeiine ecclesiaslique ne consisle pas seulemenl a se moderer dans la nourrilure, mais a s'abstenir de la nourriture qui serail conve- nable. Deuxiemement : la penilence, en lanlqu'expiation, esl d'aulant meilleure quelle esl plus grande. Troisiemeinenl, la penilence ne doil pas nuire a la sante ; elle n'esl pas une fin, mais un moyen, qui ne doil pas empecher uu plus grand bien Gf. Reg. Summ. 48). Klle n'esl pas la plus excellente desverlus morales. Cesl pourquoi sainl Ignace dil, en parlant des flagel- lalions, qu'il esl plus ulile de les regler en sorle qu'elles n'occa- sionnenl pas des blessures, du moins dommageables a la sante, mais quelles causenl seulemenl de la douleur. Faire couler le sang ii^esl pas loujours douloureux, et parfois fournilun alimenl.

66 COMMENTAIRE DES KXERCICES

a la vanite ou a la presomption. De toutes les penitences, la plus dure est le retranchement de sommeil ; c'est aussi cellequi peut le plus nuire a la sanle. Pour cela, saint Ignace ne veut pas (prordinairement on retranche d'un sommeil modere, mais que, si l'on dort trop longtemps, on se borne ala jusle mesure. G'est une application de la 13e annolation. Le support de la chaleur, du froid, de la fatigue, etc. est egalemenl mis au rangdes peni- tences exlerieures.

Gomment pratiquer ces ausleriles? Avant tout avec pru- dence, en sorte qifelles procurenl notre avancement sans nuire a notre sante. G*est pourquoi il ne faut pas conlinuer longtemps la meme penilence, mais en changer : nous devons tantot faire peni- tence, tanlot nous en abstenir, pratiquer lanlbl celle-ci, tantol celle-la. Pour quelle raison ? D'abord pour eviler le serieux dommage de la sanle. Ge qui 1'allere, ce n'est pas un seul acle, par exemple un seul jeune, apres lequel on reprend son regime ordinaire : cest la continuation non inlerrompue des memes penitences (1). Deuxiemement, on evite par la uneruse de la nature corrompue qui veul faire quelque chose, mais sans avoir a se contraindre : ainsi tel supportera bien une discipline, mais il refusera de rien retrancher de sa nourriture ou de sa boisson; pour tel autre, ce sera le contraire. En variantnotre maniere de faire penitence, nous dejouerons cette ruse. Troisiememenl, nous arriverons a decouvrir ce qui nous fait progresser davan- tage, et ce que Dieu desire de nous : quand nousrauronstrouve, nous ne changerons plus et ferons desormais ce que nous avons reconnu elre le plus profitable. G'est donc avec prudence et discretion qu'il faut se livrer a la penilence exterieure. Ajoutons qu'il ne faut pas la pratiquer publiquement, car rien n'impose tant aux hommes que les auslerites. II y a danger conslant pour riiumilite; aussi nous voyons le Sauveur recommander a celui qui jeune de parfumer sa tete et de se laver le visage (Matth., 6, 17).

5. La premiere remarque de saint Ignace renferme trois

(1 Saiut Ignacc veul qu'on suive cette direction, quand il s'agit de deter- niiner le aombre des niedi alions. Dans ce but, il recommande de varier de lemps en temps (A'o/. & diei i hebd^).

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raisons pour praliquer la penitence exterieure. La premiere raison est de soumeltre les sens a Tesprit, pour leur faire accomplir les obligations de notre etat. Les sens s'appesantissent, (piand on accorde au corps tout ce qu'il reclame et qifon eloigne de lui tout ce qui lui donne de la peine ; ainsi nous trouvons un obstacle dans les sens qui sont failspour nous aider : un cheval qui est bien nourri et ne travaille pas devient recalcilrant. La penitence rend le corps docile et traitable, il ne tenle plus de s'insurger contre Tespril. Pour apprivoiser un oiseau, on le fait jeuner, on Ihabitue a venir becqueler le grain dans la main. Quand, Torgueil de la chair etant brise, le corps obeit, il n'est plus besoin de lant de rigueur : on cesse de frapper un cheval qui marche bien (I). Le corps, grace a la penitence, perd sa pesan- teur et sa paresse pour se porter allegremenla ce qui est du ser- vice de Dieu : il devient souple, perseverantpourseconder notre volonte, quelles que soient ses exigences. Nous le constatous dans les Saints qui, en depit de leurs jeunes et de leurs veilles, accomplissaient des travaux inouis. La penilence est ainsi un acte de force spiriluelle qui nous rend maitres el victorieu\ de nous-memes ; elle fait le plus grancl honneur a riiomme.

La seconde raison pour embrasser la penitence exterieure, c'est d'obtenirde Dieu ceriaines graces : une veritable conlriliou, des lumieres dans Toraison, la solution de difficulles, le secours et la delivrance dans les tentations el la desolation, le relour de la consolalion... Les penilences exlerieures sont un puissant moyen d'oblenir les faveurs divines. Remarquons ces paroles dans la preface quadragesimale : Qui, corporali jejunio, vitia compri- mis, mentem elevas, virlutem largiris et pnemia. Pendant le Gareme, desaintes et consolantes pensees passent freqiiemment comme des eclairs dans notre ame; Dieu recompense ainsi le renoncement a la consolation des sens par des douceurs spiri- tuelles, deslumieres etde bons mouvements daiisl'oraison. Rien n'eloigiie aulant la consolation spiriluelle que le laisser-aller a la satisfaction des sens. 11 esl donc tres ulile de faire, dans la

(1) Cf. la lettre de saint fgnacc a saint Francois de Borgia Vie de saint Ujnace par !<■ P. (Ienkli.i, p., cbap. n). Reg. Summ. i. 48.

68 COMMENTAIRE DES EXERC.ICES

premiere seraaine, quelques penitences, pour obtenir la grace d'un sincere repenlir de nosfaules. II faut encore en faire aprc-s les Exercices, specialement dans nos doutes, nos peines soit inlerieures soit exlerieures. Oulre les avantages deja ciles, les penilences piocurent a 1'anie l'humilile, la calme reflexion, la possession de soi, la force, la conslance et la serenite. Sans des penitences convenables, il esl diflicile de devenir un homme vraimenl spirituel. G'esl ordinairement par paresse, faiblesse d'esprit, sensualite, qu'on neglige de les pratiquer. La penilence conduit donc a la vraie sagesse, a la paix el a la joie (Gf. Rej. 6 ad disc. spir. Yx hebd*).

La troisieme raison est la necessile de salisfaire a Dieu pour les peches passes el la peine temporelle qui leur est due. De celle maniere la penitence est la reponse de Tespril a la revolle de la chair ; elle est aussi un verilable acte de juslice : elle reta- blit 1'ordre. 11 esl facile de comprendre que les exercices de la penilence nous sont constammenl necessaires : nous pechons tous les jours ; nous sommes comme la frele nacelle qui chaque jour fail eau et chaque jour a besoin d'elre videe. Aussi quelle folie de differer jusqu'au moment de reternite racquiltement d'une dette si grave ! Alors la satisfaclion sera si rigoureuse et si longue ; mainlenant elle est si facile, si avanlageuse, si meri- toire ! Nous devrions donc nous habiluer a faire chaque jour quelque penilence. Cest meme unecoutume des sainles ames de salisfaire a Dieu, par des penilences volontaires, pour les peches des aulres.

On peul ajouler, comme dernier motif, 1'exemple des Saints el de lous les Chreliens vraiment serieux. Quel est le saint qui n'a pasfaitpenitence, autant qu'il pouvaille faire? Les Saints meme les plus aimables, comme saint Francois de Sales, a quelle vie auslere ne se sont-ils pas condamnes ! L'obeissance seule ou la consideration d'un plus grand bien pouvaient y mellre des bornes.

L'eslime el la pratique de la penitence exlerieure sont une marque de respritcatholique, si l'on remarque 1'horreur queles novateuis lemoignent conlre la penitence. Gelte eslime de la moiliticalion des sens est comme l'instincl d'un penilenl loyal :

RESUME DE LA PREMIERE SEMAINE 69

il a peche el il veut reparersa faute en affligeant son corps ; c'est la premiere pensee qui s'offre a son esprit. La penitence est comme Ya b c de la \ ie spirituelle.

L'usage de la penitence doit etre constant : les motifs pour la faire subsistent toujours.Lesordres religieux composent TEglise penitente, comme 1'Eglise catbolique forme ie monde penitent.

Resume de la premiere semaine.

Telle est la premiere semaine : Elle nous monlre comme bul la bealilude elernelle, el le chemin direct pour y arriver, c'est- a-dire le servicede Dieu et le bon usagedes creatures, employees comme moyens d'alleindre notrefin. Si riiommes'esteloigne du but, un second chemin, le seul qui lui reste, lui est ouvert, celui de la penitence, qui consisle dans le retour sur lui-meme, le repenlir, le bon propos, le bon usage de la confession, de la com- rnunion, du double examen et de la morlificalion. Nous avons ainsi une sorle darsenal, fonrnissant des armes pour detruire en nous lepeche. Le regne du peche consiste avanl tout en ce que les theologiens appellenl la coulpe, ensuile dans la peine due au peche, enfin dans les mauvaises habiludes et les passions dere- giees : les mauvaises habiludes sont les suites, et les passions sont la cause et 1'occasion permanentes du peche. Tout esl Iraile a fond dans les Exercices.

Le resullat immediat de cetle semaine est donc de nous remet- tre sur la route de nolre fin par la lulte contre le peche et contre les passions dereglees ; sans la volonte de combaltreles passions, la resolution d'eviter le peche est inefficace et de nulle valeur.

La premiere semaine peut se resumer brievemenl comme il suil : « Quiconque a la volonte de parvenir a sa fin (au ciel) doit servir Dieu : qui veut servir Dieu doit eviter le peche ; qui veut eviter le peche. doil combattre ses mauvaises passions. »

DEUXIEME SEMAINE

i . Disons cTabord le sens et 1'idee de la deuxieme semaine : la premiere a eu pour resullat final la prise d1armes el le combat contre les passions dereglees, pour eviter le peche el atleindre nolre fin, qui est le salut elernel. Gelte ceuvre de la premiere semaine, la deuxieme Faccepte, et elle en reprend latrame pour la developper, en nous apprenant comment, dans notre nalure dechue, nous pouvons arriver a notre but. Jamais nous n'eus- sions reussi a nous defaire du peche ni a surmonter nospassions sans rintervenlion du divin Sauveur. Saint Paul leproclame en ces termes : Deo autem gratias, qui dedit nobis victoriam per Dominum nostrum Jesum Christum (1 Cor., 15. &7). Nulle crea- ture n'elait capabled'eleindre ladette (coulpe el peiue) du peche, si Dieu reclamail une complete satisfaction, et nulle puissance humaine nepouvail nous faire surmonter nospassions. Lfhisloire tles cpialre mille ans qui ont precede la venue de Jesus-fUirist, en rencl lemoignage. Jesus vint, tenanl clans une main la rancon et dans 1'autre le glaive : la rancon pour acquhter notre cletle, le glaive pour se meltre a notre lete dans le combat livre aux passions. II nous donne Texemple, afin cpie nous comballions comme lui; nous serons cfailleurs aides de sa grace toule-pnis- sante. Ce n'esl plus seulemenl le lexte laconique d'une loi qui proclame : Non concupisces..., el ne fail que nous clire la roule a prendre; c'est un homme,etplus qu'un homme, cestun Homine- Dieu. II se met a nolre tele, combat avecnous et nous enseigne praliquement le combat le plus glorieux. Son exemple est prati- que, puisque, hors le peche, il est en tout semblable «i nous, et combat revetude nos faiblesses; sonexemple est glorieux, car il a vaincu l'ennemi et nous rencl nous-memes viclorieux et invin- cibles par sa grace. Nous n'avons qu'ci nous lenir a son cCle et ci suivre son exemple. Le peche n'avail pas seulemenl vaincu 1'homme individuellement clans un combat singulier ; il avail recluit

DEUXIEME SEMAIXK 71

tout ici-bassous son pouvoir et avait cree 1'empire du monde et <ies tenebres. Cest pourquoi le Sauveur veut nous mener au combat et a la victoire, non pas seuls, mais en compagnie de beaucoup d'aulres, apparlenanl au Royaume de Dieu qu'il est venu etablir. Telle est 1'idee de la deuxieme semaine [Dir., •c. 18).

2. On voit renchainement de la deuxieme semaine avec la premiere. Le bul reste le meme, mais les moyens sont autres, uouveaux, distincls et plus persuasifs: c'est la consequence de l'enlree du peche dans le mondeetde 1'inlervention d'un Libera- leur. La route k suivre apparail bien plus claireraent : dans la premiere semaine, c'etail la reforme de rhomme d'apres 1'idee de Dieu ; aujourdhui, c'est la reforme de riiomme d'apres rHomme-Dieu, du second Adara : II esl la Voie, la Verile et la Vie (Joan., 14. 6). II est notre but prochain. Les moyens que la premiere semaine nous proposait d'une maniere confuse se des- sinent dans le plusgrand jour ; en meme lemps, Texemple salu- taire de rilomme-Dieu agil si puissamment sur notre volonte que nous finissons par embrasser ces moyens avec joie. Gest une semainedelumiere; elle repond a la voie illuminative : Ego sum lux mundi; qui sequitur me, non ambulat in tenebris

(JOAN.,8.12).

3. Le moyen d'alteindre cette tin, la reforme de rhorame sur le modele du Sauveur, c'est la connaissance pratique de l'Homme-Dieu, deson interieur, desa conduile, desesvertus, de ses maximes, de ses idees, de ses intentions, en un mot de toute sa manierede penser et d'agir. Afin de meltrecetteconnaissance en praliqiiepaiTiinilation,il faulexciterraraourpour saPersonne divine. Par consequent, connailre, aimer et suivre le Sauveur, c'est la taclie de la deuxieme semaine : c'est bien \h rimilation de Jesus-Ghrist ! Ge qui nous aide a parvenir a celte imilalion est 1'etude el la contemplation de l'Homrae-Dieu, ensuite, la priere, et une priere perseverante : avant lout au Pere Elernel pour quil nous fasse connailre son Fils et nous allire k lui (Joan., 6. 4A\ ; ensuite la prierea i'Esprit-Saint, quigloritie le Fils ici-bas et lui rend temoignage (Joain., 16, 14. 15. 26); la prierea la Mere de Dieu, qui l'a connu si intimeinent et nous commu-

COMMENTAIRE DES EXERCICES

uique si volontiers cetle connaissance ; enfin la priere a saint1 Ignace et a tous les amis dn Sauveur. Apres la priere viendra 1'execution de tout ce que nous avons appris dans la meditation, et ainsi nous aurons atleint le but que nous poursuivions.

La Meditation di Regne du Christ.

1. Getle medilalion a une tres grande imporlance,comme servant dintroduclion aux contemplations sur la vie du Sauveur et de fondement pour les trois semaines qui suivent. Elle doif en eflet, comme lindique letitre, nous aiderh contempler avec fruit la vie de Jesus-Ghrist. Gelte aide, ce secours, nous le Irou- vons specialement dans la delerminalion et la disposition con- venable oii elle nous amene de suivre parfailement et genereu- sement le Sauveur. G'est pour celle raison que nous disons a Dieu dans le prelude : « Que je ne sois pas sourd a volre appel, mais prompt a faire volre tres sainte volonle. » Enfin ce but de la deuxieme semaine est clairement marque dans la priere tinale. Nous devons donc nous instruire de tout ce qui toucbe a rimitation de Notre-Seigneur et nous y parfaitementdisposer. Or trois cboses sont requises pour celte imilation : la pre- miere consiste a connaitre el a aimer la Personne que nous de- vons imiter ; la seconde, a connailre la cause qu'elle represente et a laquelle nous devons nous consacrer avec complaisance ; la troisieme enfin, a connailre et a apprecier le degre de genero- site avec lequel nous nous devoueronsa celte cause. Quand nous serons eclaires sur ces trois objets el gagnes a la Personne el a la cause du Sauveur, nous pourrons nous regarder comme prets ;i aborder la vie de Jesus-Christ avec la confiance d'en retirer de dignes fruils. Ainsicomprise, celle meditation est fondamen- tale {Dir., 18, § 4).

2. Le plan de la meditalion correspond bien au but qu'on se propose. La premiere partie consiste dans la parabole d'un roi terreslre, invitanl ses sujets a le suivre dans une expedilion. Dans la seconde partie, celte paraboleest appliquee au Sauveur. Dans riuie et Taulre, nous reconnaissons les trois conditions

MEDITATION Dl REGNE DU CHRIST 73"-

deja citees, el qne suppose la resolntion de faire parlie de la campagne.

Dans la parabole. cest un roi terreslre, reunissant toutes les qualiles capables dinspirer a tous Testime, 1'amoiir el renlhou- siasme : il commande ainsi le respecl, et la esl le molif delermi- nant pour nne pareille entreprise. Que ne peut-on accomplir avecun lel chef? Dans la proclamation, le roi explique son- projel. II dita quoi doivent etre resolus ceux qui veulent le sui- vre. II nous donne une idee de sa cause. La reponse des sujels nous fail presumer ce que nous pouvons et devons faire, en considerant quelle eslime meritent une telle personne et une lelle cause, et combien elles sont dignes de notre entier devoue- inenl et de 1'emploi de toules nos forces a lenr service. Celte premiere parlie dispose a une resolntion heroiqne par des motifs si raisonnables, si eleves. dont nous allons voir la confirmation dans 1'histoire elle-meme.

Mais la seconde partie est rendue plus effieace encore par I'application de la parabole au divin Sauvenr. Alors, tont ce qni avail piovoque notre enlhousiasme dans la personne d'un roi imaginaire se presenle a nous comme une realite, et une realite depassant lont ce que nous pouvons imaginer ou desirer. En effet, il n'e\isle aucun prince comme celui quiest represente dans la premiere parlie ; mais Xotre-Seignenr est vraiment ce prince dans la plus parfaile realite. Ici, nous pouvons laisser libre carriere a l'imaginalion et dire : c'est cela et bien plus encore, Quantum potes tanlum aude, quia major omni laude, nec laud>ire suf/kis. II est extremement imporlant de se faire de la Personne de rHomme-Dieu 1'idee la plus magnifique.

Le Sauveur esquisse son entreprise et monlre en quoiconsiste son imilalion. Dans ce bul, il nous faut penetrer dans la vie de Jesus-Ghrist, considerer la fin desa venue, c'est-a-direcomment il esl venu sur la terre fonder, pour la gloire de Dieu et le salut des hommes, le grand Royaume divin qui n'est autre que 1'Eglise ; nons verrons ensuile comment il veut que nous 1'aidions a etablir ce Royaume. Sa volonte est que nous Telablissions dabord en nous-memes, ses disciples, par robservalion de ses enseignemenls. la fideliie a son exemple. la gnerre contre le

74 COMMENTAIRE DES EXERCICES

peche et les passions, puis dans les coeurs de tous les hommes.

Par consequent, voici en quoi consisle 1'imitation de INolre- Seigneur : comhatlre en soi le peche et les passions dereglees, pour devenir un instrument du Regne de Jesus-Christ dans le coeur des aulres. Dans ce sens, rimilation du Sauveur est vrai- menl une expedilion guerriere, pleine de comhats : tel est le caraclere de la vie de Jesus et de celle de tous sessujets. Les peines de 1'expedition sont adoucies par la consideralion de sa necessile, l'assurance de la vicloire, la sublimite du plan ; car ce plan est le meme dont Notre-Seigneuret TEglise et toutesles grandes ames poursuivent la realisalion, en accomplissant de grandes choses pour la gloire de Dieu et le salut des hommes.

Ge serait retrecir le plan et augmenter la difficulte de la resolution que de faire envisager limitation du Ghrist au seul pointde vue de rabnegation et de la morlification, sans en mon- trer aussi le hut magnifique, le Royaume de Jesus-Ghrisl en nous el dans le monde, suivanl les paroles du texte : « G'estma volonte de soumetlre tout runivers. » Nous demandons Taccom- plissemenl « de cette volonte » dans le second prelude. Ge Royaume, soumis a Jesus-Christ, est realise dans TEglise. Le renoncement et le sacrilice, la priere et le travail, les vertus et les honnes oeuvres, tout cela suivanl Texemple de Jesus-Christ, sont les moyens d'etendre ce Hoyaume en nous et dans le pro- chain. Si lalache est laborieuse, la pensee dune fin si siiblime (lelennine une honne volonte prete a lout. Failesabstraction de la vie apostolique, el cetle meditation ne pourrait etre le fonde- ment des trois semaines qui suivenl. La disposilion a repondre ;i 1'appel du Sattveur, voila le fondement qu'il s'agit de poser aujourdhui.

Enfin sonne pour nous lheure oii il faut nous decider et pren- dre une resolution. Quelle place, quel grade voulons-nous avoir dans celle Iroupe mililanle? II y a des degres dans rarmee du Ghrist, commedans les milices profanes : le premier estTobser- valion des commandements ; le deuxieme consiste a suivre les conseils ; le troisieme, a erahrasser et a mener la vie apostoli- que Dans chacune de ces trois categories, il y a des postes reserves au zele et a la generosite, qu'il s'agisse de sacrifices

MEDITATION DU F.EGNE DC CHRIST 75

personnels a faire ou qu'il s'agisse d*allaquer le mal en nous et dans les aulres; c'est le sens des paroles : Agere conlra pro- priam sensualilatem et contra arnorem carnalem et munda- num. En termes pressants, saint Ignace nous exhorle a mediter tout cet ensemble, pour qne nous prenions une deter- minalion digne de nous, et digned'un tel Roi. La place quenous avous, nous, hommes de la Compagnie de Jesus, dans cette armee du Ghrisl, il n'esl pas difficile de la marquer. Par notre vocation, nous sommes entierement devoues a la Personne, aux desseins, a 1'ceuvre de Notre-Seigneur Jesiis-Christ. Le but de nolre Ordre est la defense et la propagation de la foi catholique, le service de 1'Eglise militanle ; c'est pourquoi le Regne du Christ et son accroissement doivent elre le mobile de toute notre vie.

La conclusion est une priere, dans laquelle sont exprimes les sentimenls du plus parfait devouement a Ia cause du Sau- veur. Cest un resume des pensees precedenles et de toute la medilalion, un lemoignage d'amour a la Personne de Nolre-Sei- gneur : Domine rerum omnium... infinitn bonilas .. majestas sanctissima... in conspeclu Matris tme et omnium Sanctorum d Snnctarum curise ccelestis (Qnelle respectable railice !) ; ensuile c'estune resolulion ferme, inebranlable, volo, dendero, dehberata voluntas...; enfin c'est la generosile. imitari te in ferendis omnibus injuriiset omni vituperio... i>i omni panper- tale aciuoli et spiriluali... La aussi commencent a se dessiner, mais seulemenl d'une maniere condilionnelle, les moyens que l'on adoptera : Dummodo sil majus servitium, major laus lun... si volueril me eligere (1) (Dir., c. 19, ,i; 2).

3. Tels sont les trois points de chaque parlie du Regne qu'il faut mediler successivement et serieusement examiner. Saint Ignace place encoi^e mainlenant une repelilion : c'esl pour

(l Remarquez comment saiut Ignaee proeede d'une maniere conforme a la aature, cVst-a-dire avec douceur et avec force. Auparavant, « dans le Principe et le Fondement », il ne designe pas les moyens qui sont les ineil- Jeurs; ici, au contraire, ils sont indiques, mais seulement d'nne manierc1 conditionnelle : lanie ne peut encore porter davantage. Chaque fois qu'ai- dos parla priere et par Tamour nous sommes devenus plus forts pour sui- vre lexemple du Sauveur. saint lftnace nous fail toujours faire im pas en avant.

70 COMMENTAIRE DES EXERCICES

nous averlir de ne pas aller plus loin, si nous if avons pas encore acqnis la disposition qui est le but de celte meditation. A celie seule condilion, nous pouvons aborder les contemplations de la deuxieme semaine.

4. Notre bienheureux Pere dil ici : « II esl tres utile dore- navant de lire de temps en lemps quelque chose de 1'Evangile. de rimitation, de la Vie des Saints. » Ges expressions, « de temps en temps, quelque chose », posenl des limiles; sinon, il y aurait distraction. Ce peu fait du bien, inlroduit la variete, echaufTe le zele, olTre des conseils praliques pour tenir nos pro- messes et nos resolulions, et nous fait voir, comme dans un mi- roir, la vie de Jesus-Christ dans celle des Saints. Ils sont les imilateurs vrais et passionnes du Sauveur, ils sonl ses heros ; nous sentons aussilot quelles sonl nos obligations en pareille compagnie ; en eflfet, que lfopera pas cette leclure dans saint Ignace lui-meme ?

5. Les conlemplations suivantes, sur les mysleres de la vie de Nolre-Seigneur, nesontquedes developpemenls el desappli- eations cles Irois poinls cle la seconde parlie cle la meditalion preparaloire. Tanlot un de ces points, tantot 1'autre est mis en relief, el loujours on peut voir comment ils se Irouvent effecli- vemenl compris dans tous les mysteres : dans chaque myslere le Seigneur ajoute une pierre nouvelle pour !a couslrnction de son Edifice spiriluel ; parlout le Sauveur donne fexemple cle la lutte heroique contre les passions et montre a son disciple a quoiil doit se resoudre ; parlout se revelent la sublimite de sa Personne et de son caraclere, la superiorile cle son inlelligence. la grandeur el l'amabilite de son Gceur. Reproduire en nous, clans le delail et dans Tensemble, le portrait de Jesus, est le tra- vail des medilalions de 1'annee entiere. En nous proposant ce lype admirable, saint Ignace ne veut-il pas nous averlir qu'en meclilant les mysteres de TEvangile, c'est sur lui qu'il faul fixer nos regards, n'etudiant ladoclrine. les verlus el les miracles de Jesus qirinseparablement unis a sa Persoune adorable ; alors tout devienl interessanl, vivanl et pratique. D'ou proviennent la secheresse el rinsuffisance de cerlains livres de medilalion, sinon de ce qifou ne tienlpas compte de cet avis?

MEDITATION SLT, fe'lNCABNATION 77

6. 11 faul loujours douner, et autant que possible sous la aierae forme, celle medilalion qui est le fondement des trois semaines suivantes, renfermanl tous les motifs d'aiiner 1'aimable Sauveur. Gela n'empeche pourlant pas, quand on donne cet Exercice a des retrailanls, d'avoir egard aux circonstances de 1'elat, de l'age, el de le rendre accessible aux differenles intelli- gences ; on peul, par exemple, proposer le Sauveur aux prelres comme le modele du prelre, aux hommes fails comme le mo- dele de l'homme, aux enfanls comme le modele de 1'enfanl, etc.

Meditation sur l'Incarnation.

1. Getle meditalion est, a propreinenl parler, la premiere -de la deuxieme semaine.

2. Elle esl appelee contemplalion, parce que c'esl une me- ditalion surdes objets sensibles, comme les lieux, les person- nes, les paroles, les aclions. Au moyen des sens et des objels qui les frappenl, 1'esprit trouve un poinl de deparl pour le tra- vail de la rellexion. Celte sorle d'oraison mentale, moins appli- <|uanle pour lespril que la medilation propremenl dile, a recu le nom de conlemplation. 11 ne s'agit que d'ouvrir les yeux, de regarder atlenlivement ce qui se passe ; c'esl pourquoi la me- moire el l'imagination y sont plus occupees que dans les medi- lalions sur les veriles abstraites.

Aussi l'on voit lout d'ahord ce qui caracltrise la contenij)la- lion : un prelude, appelant le secours de la memoire, pour resumer brievement le myslere. Dans le second prelude, 1'ima- ginalion esquisse la scene ou il se passe. Le Iroisieme prelude consiste toujours a demander la grace de connailre, d'aimer el desuivre le Sauveur : inlima cognitio, une connaissance de ce <[ui esl le plus inlime, du Goeur, de 1'espril, des pensees, des maximes el des inclinalions de iNolre-Seigneur, suivanl ce que dil TApotre : Sentite in vobis quod et in Christo J^su (Phil,, ■2. 5).G'est aussi uneconnaissance vive, saisissanle, alfectueuse, <qui penetre le Cfjenr.

Dans celle meditation el la suivanle. on Irouve une melhode

,8 COMMENTAIRE DES EXERCICES

pour la distribution des points : les personnes, les paroles et les aclions. Cest une maniere tres simple, et souvent la meilleure, de parcourir les mysteres. II n'est pourtant pas necessaire de sastreiodre toujours a cette division ; nous pouvons aussi prendre les differenles scenes ou faits d'un mystere et considerer dans cliacun les personnes, les paroles el les actions. Cest de cette maniere que saint Ignace lui-meme expose les differents mys- teres (Cf. My&teria Vitse Christi Domini. Dir., c. 19. $ 4, 5, 6). Enfin on peut encore de temps en temps etudier les mysteres d'une maniere ralionnelle, en en consideranl la tin, les moyens, les causes et les effets ; c'est bien le cas, lorsque le mystere tend evidemment a un resultat principal, qu*on peul appeler le bul et rintention de Notre-Seigneur dans ce myslere. Hors de la, nous nous arreterions trop facilement a des details secondaires qui, sans etre inutiles, nous feraient perdre de vue la subslance el le but principal du myslere. Ce fruit une fois recueilli, nous pou- vons, dans les repelilions, beneficier encore de ce qui reste el en tirer du profil. Notre bienbeureux Pere insiste pour qu'apres les divisions de cbaque point nous recueillions un fruil spiriluel el pratique de ce qui vient d'etre medite, et nous en fassions des applicalions personnelles : Deinde reflectere... reflpdendo in me ipsum... ut fructnm spiritualem capiam. Eu elfet, si nous meditons, c'est dans le but d'ordonner notre vie d'apres les lecons que nous donne le mystere, et pour bonorer en nous le Dieu, Sauveur du monde, qui nous manifeste cette inlention dans ce mystere. Le fruit a recueiilir de loutes ces meditations peut elre oti general ou particulier. Ge dernier sera la resolution de praliquer telle ou telle vertu, d'eviter tel ou lel defaut, selon que le comporle le mystere el que le reclame notre besoin personnel. Le fruit general sera l'interet que nous prendrons a la Personne du Sauveur, le bonheur de nous rejouir avec lui, de 1'aimer, de nous tenir toujours pres de lui, de le contempler, de rentretenir. Sans doute nous devons faire plus; nous avons des necessites parliculieres el pressantes auxquelles il faut pourvoir. Pourlant nousdevons apprecierce fruil general, parce quil nous fait passer en quelque sorte du milieu de ce mondedans les bras du Sauvetir; el ainsi nous pouvons dresser notretente aupresde

MEDITVTION SL'R l'I.\CAR.\ATI0.\ 79

la sienne. Pour des raisons speciales, par exemple, si c'est le jour d'une feMe, ce fruit est suffisant : il repond bien a la circon- stance; il reste assez de jours dans 1'annee pour nous occuper de nos resolntions et de nos interels personnels. Quant a 1'averlissemenl du colloque, qui nous prescrit de reflechir sur ce que nous devons dire aux Personnes divines, a la Mere de Dieu et au Verbe < recemment incarne », nous 1'avons deja donne dans rinstructiun sur le colloque en general. II faut remarquer toutefois. a propos de ces paroles, recens incarnatum, la maniere dont saint Ignace desire que nous nous metlions en presence du mystere : comme s'il s'accomplissait sous nos yeux ; alors notre inlelligenee et notre volonte vivement saisies produisent les memes actes que si le mystere avait lieu actuellement.

3. Dans Tesquisse des points de cette contemplation, on est frappe des lermes pleins de vie, de force et de verite dont se sert saint Ignace pour peindre la misere, la decrepilude le malheur et 1'etat affreux de la race humaine : c'est une vraie descenle en enfer parmi une immense multitude de damnes. Voila ce que devient riiomme, separe de Dieu, el une reponse peremploire a la question de savoir ce que peut faire rhomme sans Jesus-Christ. Mais de ce fond si sombre se detachent, comme les bienfaisants rayons de Taurore, les images de Teter- nelle inisericorde, de la Trinite tres sainte, de la charile de Dieu le Fils, s'offirant comme liedempteur, enfiti la scene ravissante de Nazaretb. Comme elle apparail encore admirable la Personne du Sauveur, grace a son union hyposlatique d'une part, grace de Tautie a son union avec notre nalure dechue. Par un amour pur et lihre, Jesus-Christ emhrasse comme etat de vie la plus profonde misere. II fail ainsi l'eleclion du genre de vie trace par TApolre en cestermes : fngrediens mundum, dixit : Hostiamet obla- tionem noluisli... tunc dixi : ecce venio (Hebr., 10, 5), etc. Exinanivit semeti/>suni, formaiu servi accipiens (Pliil., 2, 7). Proposilo sihi t/audio, suslinuit cmcem, confuswne contempta [Hejrr., 12, 2). Les Anges et avaul tout la Tres Sainle Viergc Marie sonl les aides et les inslrumenls de cette grande u'ii\ re. Parlanl de la Sainte Vierge, saint Ignace nous dit de considerer coinment elle s'humilie et rend des actions de graces a la divine Majesle.

£0 commi-ntaire des exergices

Meditation sun la Nativite.

1. Ici, sainl Ignace developpe, avec beaucoup de clarle el d'esprit pralique, chacun des preludes el des poinls de la medi- lalion : c'est pour monlrer comment nous pouvons nous servir <les sens, de la memoire el de limaginalion, pour elendre le travail de rintelligence a loules les circonstances du myslere (temps, lieu, personnes), et par la agir plus efficacemenl sur la volonle. Bien des parlicularites peuvenl faire Tobjel de nos eonsiderations : la compagnie de la Sainle Vierge, le chemin, la grotte de la Nativite... elc, des delails meme qui ne sont que vraisemblables, ut pie meditari licet, mais qui conlribuenl a completer la scene, tout en excilant nolre inleret. Nolre Bien- heureux Pere semble ne pouvoir assez nous faire prendre a cceur loules ces parlicularites du mystere, quand il dit avec tant d^insislance dans le deuxieme point : Aitendere, advertere et conlemplari ea... Ainsi, le lableau vivant du myslere est mis sous nos yeux, et saint Ignace nous dil comment nous pouvons avoir une part aclive dans le myslere el y jouer un personnage veritable : Faciendo me paupercnlum et servnlum indignum, spectando illos el serviendo illis in suis necessilalibus ac si prxsens adessem cam omni possibili obsequio ac reverentia. Cesl une sorte crapplicalion des sens.

2. Dans ie troisieme poinl, sainl Ignace, parlant du Sau- veur, n'est pas moins saisissanl : considerer comment le Sei- gneur esl ne dans la plus extreme pauvrete, iu summa pauper- late, et post lot labores, posl famem, post silim, post sestum et frigus, post injurias et contumelias, ul morialur in cruce. et omnia hsec propter me. Cesl loule la perspeclive de sa vie, depuis son berceau dans 1'etable jusqu'a la croix sur le Calvaire ; c'esl le programme de sa vie et un plan d'uue harmonie admi- rable depuis le commencement jusqu'a la fin.

Ces paroles roayquenl le but parliculier de celle conlemphition. La Nalivile, c'est Tenlree visible, la premiere apparilion de Jesus dans la societe humaine, c'est un moment solennel ; car tout dans la Personne qui se presenle a nous a un sens voulu, d'une immense portee, par les decrels elernels de Dieu. Or quel

i.'ai>plication di:s sexs 81

e-st le signe dislinctif de son apparition ? La plus extreme pau- vrete, unie a la plus profonde humilite, robscurite el Tabandon : Et hoc vobis signum : Invenietis infantem positum in prxsc- pio (Llc, 2, 12); et sui cum non receperunt (Joa.nn., 1, 11). Nous aurons la meme pensee en voyant Marie et.Ioseph : ils onl la parl de la pauvrete que Jesus ne peut pas accepter lui-meme : soumission, fatigues du voyage, liumiliations, soucis de la nour- riture et de 1'habilalion, etc... elc. ; lout se reunit pour faire un lableau caraclerislique de Tapparition du Sauveur, lableau conforme a la proclamalion qu'il nous a faite dans lamedilalion du Regne.

La tvoisieme medilation 'cst une repetilion clu /er et du 2e Exercicc dc ce jour.

Eapplication des sens.

1. Le soir de ce premier jour, sainl Ignace nous propose un Exercice nouveau : c'est rapplication des sens. II consiste a parcourir dans les mysteres toutes les circonslances qui, tom- bant sous les sens, la vue, 1'oui'e, lodoral, le goiil et le toucher, sont accessibles a notre espril au moyen de rimaginalion, cidere in parliculari circurnstantias, afin qifa 1'aide de ces impressions nous recueillions un fruit convenable. On voit dans le menu delail les lieux, les personnes, leur exterieur el leurs aclions ; on entend ce qif elles disent ou peuvent dire ; on res- pire le parfum, on goule la douceur de leurs vertus ; on touche, par exemple, le sol dur el froid de la grotte ou Marie et Joseph etaient a genoux. el on le baise en esprit. Mais le respecl el 1'humilile ne nous permeltent pas de loucher les personnes (Cf. punct. 1 contempl. 2* : cum omni possibili obsequio et reverentia (1). Le bul est de recueillir de toul du fruit spiri- tuel. Nous avons donc ici une nouvelle methode d^oraison men- tale [Dir. cap. 20).

(1) Cf. R. P. Roothaax, nota 31, et dans le livre : Annolaliones et Inslrucliones spir., 011 il fait celto remarque (p. Ii7 : « Odoratus, gusins et tactus sanctis animalius reservetitur ; his ego indignus 1 >•

82 COMMENTAIRE DES K\ERCICES

2. G'esl, d'abord el avanl tout, sa facilite qui recoramande ce genre de medilalion : quoi de plus aiseque de voir, d'enten- dre, de laisser Iravailler les sens? L'intelligence 11'agit qifaleur suite et quand 1'occasion s'en presenle. Sainl Ignace dil seule- ment : voir, entendre, elc, viderc, audire, etc; et 11011 plus, comme precedemmenl, attendere, adverlere, contemplari T spectare, considerare, etc... II tradtiit ainsi celle pensee que nous ont suggeree les Exercices precedenls : comnie il devait etre facile a Marie, a Joseph, aux bergers, de mediter sur ces mysleres ! lls n'avaienl qifa jeler les yeux sur le Sauveur pour recueillir les fruits de 1'oraison ! Gliacun de nous, suivant la graee de Dieu, peut facilement jouir du meme avantage. Pour cela, saint Ignace place 1'application des sens a la fin de la jour- nee, quand 1'espril faligue senl le besoin de se detendre ; c'est comme une promenade qtfon lui propose, au travers des mys- leres deja contemples, un lableau vivant auquel nous concou- rons nous-memes en donnanlelen recevanl. Gomme la vivacile" de rimagination ifest pas la meme en tous, il nous esl conseille de nous rappeler ce que nous aurions dit, pense, senli en pre- sence des objels el dans les circonstances du mysl(sre, nous demandant si le Sauveur eut parle, pense, agi de merae. Ge con- traste seul suffit souvent pour amener le fruil que nous cber- chons et sans lequel cel Exercice ne serait qifun vain amuse- ment de 1'espril. L'avantage que nous en retirons, estcomme un bouquet cueilli dans notre jardin. Quoi de plus facile ! Pensons a ce qui se passe dans la vie ordinaire en pareilles circou- stances. Plusieurs, il est vrai, trouvent diflicile de se repr6sen- ter vivement 1'image des personnes, des lieux, des aclions ; mais pour cela, la vivacile de l'imagination rfest nullement requise ; conduisons-nous ici comme nous le faisons en pre- sence des faits ordinaires de la vie de cbaque jour ; osons etre simples, et si nous trouvons que nolre oraison a ele trop facile, c'est un signe que nous lavons bien faite.

En second lieu, cel Exercice ne rend pas moins de service a rintelligence qtfa la volonte et a rimaginalion. Les sens etant saisis de prime abord, rinlelligence s'eveille, secoue la faligue de la journee et se senl disposee a l'action. Ainsi, dansune soi-

i/application des se.ns 83

ree de famille, quelqinin cocumence-t-il un recit interessanl, tous ceux qui elaient assoupis se reveillent pour preter atlen- lion. Grace a ce mode de contemplation, nous penetrons plus avant dans le myslere que par la meditalion proprement dile. Ainsi cetle simpte queslioc : « Pourquoi le Sauveur a-t-il fail ceci de celle maniere et non pas autrement ? n nous transporte jmmedialenienl au centre du mystere, et clans 1'interieur du GcEiir divin. De meme la volonte se dilate par ramour et la joie, sentiinenls qifexcitent sans peine l'imagination et les sens. Si, pendant une predication, nos larmes commencent a couler, c'esl que notre sensibilite vient d'6tre excitee par quelque trait saisissant. Quel progres dans la cliarile nous aurail fait faire un seul quart d'lieure passe devaol la crecbe ! //( amore, oculi sunt duces. Dans cette oraisou si si mple que dedaigneraienl les esprils orgueilleux, la voloote se forlifie par 1'exercice de l'hu- milile et de la simplicile ; s'y affeelionner davanlage est doue la marque d'un verilable progres. Quant i\ l'imaginalion, dans les premiers temps qtii suivent la separation d'avec le monde, elle est distraile, frivole, prele aux saillies extravagantes, mais rapplication des sens la recueille, la purifie, la rapprorlie de Dieu ; elle grave en elle les images divinement altrayantes du Sauveur, de sa tres sainle Mere, et ainsi cette faculte, d'obstacle qu'elle elail a la facile meditation des choses saintes, devient pour elle un puissant auxiliaire. Tels sont les avantages indi- ques par le mot prodest, mis par saint Ignace en tete de cet Exercice.

En troisieme lieu, celte maniere de mediter est fort recom- mandee par les Saints el les maitres de la vie spirituelle : « Voulez-vous profiter de la meditalioo, representez-vous les paroles et les actions du Sauveur aussi vivement que si vous en etiez les lemoins, et suivez volre cocur sans conlrainte. » C'est ainsi que debutent saint Bonavenlure el Lndolpbe de Saxe dans leur introduction aux medilations sur le mystere de la vie du Ghrisl (specialement dans les n. 10, 11. 12, 13 de Ludolphe). G'est d'apres ce principe sans doule que, dans l'exposilion des faits de la bible, on introduit les costurnes, la mise en scene el les habitudes de la vie moderne, comme nous le voyons deja dans

COMME.XTAIRE DES EXERCICES

Farl du moyen age. « Jai souvenl decril le lieu du myslere, dit Ludolphe, loco citato, parce qu'il esl ulile de connailre non seulement le myslere, mais aussi le thealre ou il s'est passe. » « L'efficacite, la devotion, la consolation, cherchees dans cet Exercice, consislenl a regarder le Sauveur, a le contempler, a voir comment il parle, il dort, il veille » (Ludolph., loco cil., S. Bonav., Medit., 18). « Ne faites pas peu d'elat de ces hum- bles choses ; car elles excitenl la devotion, augmentent la cha- rile, enflammentle zele, emeuvent la compassion, produisent la purete, la simplicile, le goiil de 1'humilile et de la pauvrete, enlretiennenl 1'inlimite et engendrent la conformile. Nous ne pouvons conslammenl atteindre le suhlime, mais ce qui pour le monde est folie el faiblesse, esl sagesse et force aux yeux de Dieu... Celte maniere de contempler aneanti! 1'orgueil, affaiblit la concupiscence, confond la curiosite » (S. Bo.wv., Med., 12). Si nous avons tant de molifs pour nous rendre familiere l'ap- plication des sens, ce n'est pas a dire qifelle doive etrepreferee a la contemplation, ni regardee comme suffisante et pouvanl remplacer les autres methodes. Sainl Ignace la propose seule- ment le soir, pour faire la repelilion de phisienrs mysteres. Le mieux est de 1'unir a la conlemplation ou a la medilation. Cest ainsi qifelle nous procureplus d'avantages. Elle Irouve sa place principalement dans les evenements hisloriques. Ce qui est cer- tain, c'esl que plus nous suivons les principes qui font la base de 1'application des sens, plus nous pienons 1'habilude de contem- pler avec detail, interel, complaisance et repos de lVtme, la Per- sonne et les actions du Sauveur, plus aussi nous sommes porles a la meditation par le desir de le connaitre plus inlimement, plus enfin nolre oraison devient facile, profilable et parfaite.

yotes pour la deuxihne semaine.

\. Cinq notes de saint Ignace sur la deuxieme semaine donnent la conduile a garder quant au nombre et au temps des medilations. II recommande aussi quelques addilions et en modi- fie d'autres suivant le besoin. Enfin il veut que toutes les addi-

Fl ITi: E\ EGYPTE 80

tions soient observees loujours avec « un grancl soin » Nota 4a ad. addit. 10).

2. Dans les notes 1 el i. comme dans la ile annotalion et la 6e addition, il recommande d'entretenir, des nolre lever et pendant toute la journee, des pensees conformes aux mysleres du jour : <■ II faut souvent se rappeler les mysteres de la vie du Sauveur, depuis rincarnalion jusqifau mystere medile actuelle- ment, demandant la grace de servir et de suivre toujours mieux Nolre-Seigneur. » Cest le moyen de recevoir de frequentes et precieuses lumieres avec une force et une impulsion nouvelles vers le bien.

3. Quant a la penilence (addil. 7 et 10), saint Ignace nous demande de la pratiquer suivant le caraclere clu myslere dujour el le secours qu'elle peut nous procurer.

4. Meme pour le nombre et le temps cles medilations, il recommande de varier quelquefois, en lenant compte des forces du retrailanl et de 1'iililile cle cescbangemenls pourfavoriser ses progres (Not. 3 et nol. ad 2um diem).

o. La cinquieme nole explique la troisieme addilion deja cilee plus baut.

Flite e.n Egypte.

Saint Ignace nous fail consiclerer la fuite en Egypte comme un exil : Fugam ul in exilium : fuga ejusdem exulantis in Fgyptum. Ce n'est donc pas avant toul le modele crobeissance a nos superieurs c[ui nous est propose, mais celui de la resigna- tion a la volonle de Dieu dans les epreuves cle la vie. Ladivision en points (dans les Mysleres de la vie de Nolre-Seigneur) repond a cetle maniere d'envisager le fail evangelique. Lepremierpoinl dit la cause cle cetle epreuve : c^esl la violente passion d'Herode et la volonte de Dieu, signifiee par TAnge. Les autres points font considerer la conduile de laSainteFamillependanl lesejour en Egypte jusqu'au nouveau message cle 1'Ange. ordonnanl le relour. Nous voyons ici la premiere renconlre de Jesus avec Tautorite publique de ces temps-la.

8tf COMMEINTAIP.E DES EXERCICES

Jests-Ciirist AU TEMPLE, A L*AGE DE DOl'ZE ANS.

1. Dans le preambule de 1'election, saint Ignace nousaver- tit que cette medilalion nous prepare au moment decisif de la deuxieme semaine ; elle esl donc d'une majeure imporlanceet il faul d'abord en connailre clairement le bnt. II est precise dans ces paroles du preambule : « Apres que leSauveur, pendantson sejour a Nazarelh, nous a donne le modele de 1'obeissance, de riiumilile et du travail, en un mot, de la vie chrelienne, qui se resume dans Tobservalion des commandements, il nous propose ici 1'exemple de la perfeclion evangelique; il se devoue enliere- ment, uniquemenl (pure), au service de son Pere celeste, en abandonnant sa parente terrestre. » Le but de cette meditalion est donc la perfeclion evangelique. Mais en quoi consisle celte perfection ? Sans doute particulieremenl dans la pratique des conseils, surtout si on les embrasse avec rintention de con- sacrer loute sa liberte el ses forces a la vie apostolique(Cf. Marc, 10, 29) : c'est la perfection evangelique dans son sens le plus eleve, et nous verrons que c'est dans le present mystere que le Sauveur nous en propose le modele. Et pourtant, cen'est pas celle pensee qui, d'apres saint Ignace, doit predominer dans cette medilation. Bien des personnes sont deja engagees dans un elal immuable, et le saint Patriarche ne pretend pas diriger exclusivement nolre choix vers 1'etat religieux ou sacerdolal ; mais seulement nous faire atleindre a la perfeclion propre a nolre elal : ut pcrveniamus ad perfectioaem in quocumque stalu. II faul donc prendre ici la perfeclion evangelique dans un sens gen&ral (qui n'exclut pas son degre le plus sublime) : c'est d'un cole rinvitation de Dieu amonterplushaut, soiten embras- sant la vie religieuse, soit en poursuivant la perfection dans notre propre etal ; de 1'autre, c'est la volonle prompte a suivre 1'appel de Dieu. Cesl la lout le dessein de saint Ignace. Celle medilalion est fort a propos placee au moment decisif des Exer- cices, moment auquel il faut prendre la resolulion de nous ele- ver plus haul ou dalleindre a la perfection.

JESUS-CHRIST AU TEMPLE A l\\GE DE DOUZE AiNS 87

2. II suil de la que eette meditation olfre trois points prin- dpaux a nos reflexions :

Le premier c'est 1'appel fait par le Pere celeste. A quoiinvite- t-il le Sauveur? D'abord a remplir dans Jerusalem les devoirsde sa Religion, comme tous les autres enfants dlsrael qui avaient acheve leur douzieme annee ; ensuile, d'iine maniere toute par- ticuliere, a quitter ses parents, non pas seulement pour sejour- ner dans le temple en vue de prier et de s'enlretenir familiere- ment avec Dieu, mais encore pour s'y produire publiquement, pour atlirer sur lui-meme raltenlion avec plus d'efficacile que n'eut fait sa priere dans le desert ou dans une grotte pres de Jerusalem. Dans l'intenlion divine, c'etait la premiere manifes- talion personnelle. Les precedentes s'etaient faites par rinter- mediaire de sainte Elisabetb, des Bergers, des Rois, de saint Simeon, dAnne la propbetesse. Impossible de refuser au present mystere un caractere que les circonstances rendent aposto- lique : le temoignage que Jesus se rend a lui-meme, son appa- rition publique, la manifeslalion d'une merveilleuse sagesse, sa reponse myslerieuse a la Sainte Vierge : Ne faut-il pas que je m'occupe drs choses du service de mon Pere? Cetappeldivin s'adresse au Sauveur dans des circonstances sipeu attendues, si penibles, qu'elles imposent tant a lui qu'aux siens le plus parfait renoncement en toutes choses. Dieu faisaitentendreases parents que Jesus dependait d'une aulorile superieure a la leur; il les preparail a sa vocation future et a une separationplus complete.

Pour cequi nous regarde, nous devons comprendre queDieu a plus de droits sur nos personnes que nos parents, qu'il a tous les droits et peut les faire valoir quand el comment il lui plait.

Tout cela est renferme dans le present myslere et sMmpose a nos reflexions. Ainsi se presenle anous, sous toules les formes, la vocation divine, nous appelanl a la perfeclion soil dans notre etat, soit dans la vie apostolique, soit dans la vie conlemplative, soit enfin dans toules les conditionsde Texistence.

Dans le deuxieme point, nous voyons comment le Sauveur obeit, c'est-a-dire en loutes choses, tres exactement, tres parfai- tement, dans les circonstances les plus penibles, dans la pau- ^vrete, le complet denuement, et malgre la grande desolation de

88 COMMENTAIRE DES EXERCICES

ses parenls. Dans le court espace de ces trois jours, il mene la meme vie qu'il menera plus lard pendant sa predication publique, se rendant un solennel temoignage a lui-meme, prati(|iiant la pauvrete, le detachement de la chair et du sang. En un mot, ce mystere est un parfait prelude de sa vie publique, consideree sous tous ses aspecls (but, lieu, maniere, moyens).

Enfin le troisieme poinl nous fait examiner ce que Dien demande de nous dans des circonslances delerminees, et pour- quoi nous devons genereusement suivre son appel. Pour y repon- dre, il faut le delachemenl. Devanl le frappant exemple que- nous en donne Notre-Seigueur, tous les obstacles, loutes les difficulles doivent disparailre : les esperances de la jeunesser laffeclion au pays, a la chair el au sang, les larmes de nos pro- ches ; tout esl prevu, toutes les objections sont refulees. Ge- mystere nous deroule la perspective pleine et entiere de notre vocation apostolique, avec sa fin, ses condilions et tous ses moyeas.

Dans la conduite de Marie et de Joseph les parenls peuvent reconnailre leur devoir. Ils peuvent s'enquerir de la vocation de leurs enfanls : Fili, quid fecislinobis sic? mais ils doivent se soumeltre avec patience et resignation a Tappel de Dieu une fois reconnu et cooperer a raccomplissement de ses desseins.

Introduction a la consideration des differents etats de vie..

1. Uelection est 1'objet le plus important des Exercices, qu'il sagisse du choix d'un elat de vie, ou de la reforme dans un elat deja embrasse. Gomme elle est le fruit, le resullal des Exercices, elle en est aussi le but. La premiere annolation le dit dans les lermes les plus ciairs : Ges Exercices ont pour fin de nous faire chercher et trouver la volonte de Dieu dans la deler- mination et le reglement de nolre vie, et doperer ainsi notre salut. Tout doil donc elre mis en ceuvre pour faire une parfaite cleclion. Sainl Ignace s'est tres serieusemenloccupe des moyens de nous y faire reussir.

2. Apres nous avoir propose 1'exemple de Jesus au lemple

DE DEUX ETENDARDS 89"

comme modele deleclion, il veut que oous considerions d-abord si nous sommes appeles a la perfeclion et a quel degre de per- tection ; puis, celte question resolue, commenl nous reglerons notre vie. Pour bien faire cette election, saint Ignace propose trois meditations, qui doivent nous preparer graduellement et nous meltre dans une disposition conforme a celte fin : Et ideo pro inductione hujus rei. Ges trois medilalions sont celles de deux Etendards, de trois Glasses dhommes et des trois Degres dliumilite. Saint Ignace entend que cetle derniere doit etre comprise dans le nombre ; ii le dil expressement dans la troi- sieme note pour le douzieme jour : Avant d*aborder Teleclion raeme et pour etre dispose a bien recevoir la doctrinedu Christ, il est tres bon, « dun giand secours », de retlechir sur les trois Degres suivants. Ges trois meditalions forment une veritable Irilogie, ayant pour fruit de disposer et de delerminer riiomme a faire une parfaile eleclion, de menie que, dans la premiere semaine, une aulre trilogie a graduellement accompli dans rhomme la parfaite conversion. Nous devions faire remarquer cetle ordonnance pliilosopbico-psychologique.

3. Saint Ignace indique egalemenl ce que nous avons h laire pour creer en nous celte disposilion convenable : « En conlinuant a mediler la vie de Nolre-Seigneur, ondoil examiner et prier pour savoir dans quel elal la divine Majeste veut que nous la servions. » Prier el chercher, cest la, suivant ie conseil de la quatrieme annotation. monlrer une volonte promple el genereuse. Saint Ignace y pourvoit dans les trois meditalions suivantes, ou il enseigne a prier avec plus dlnstance par le Iriple Golloque. Quant au sens de ces meditalions, il esl explique dans le chapitre 29 du Direcloire.

De delx Etendards.

1 . Quel esl le sens et quel est le but de celle meditation ? Cest le premier pas a faire pour assurer une bonne eleclion ; il estindique en ces termes par saint Ignace : ridere inlcntionem Christi Domini. e/ inimici nalurx humanx; c'esl-a-dire con-

90 COMMENTAIRE DES EXERCICES

naitre rintention, la tendance, les principes, 1'esprit, le pro- granime du Sauveur ; etcomme, pourfaireune eleclion parfaite, il faut avant tout connaitre les vraies maximes de la perfectiou chretienne, aussi faul-il connaitre les maximes opposees du monde, pour les repousser, quand il s'agira de faire relection. Or les premieres sonl excellemment dans les principes, les ten- dances et Tesprit du Sauveur, et les secondes dans les principes du mauvais esprit (I). Tel est donc le sens de cette expression, intenlio. Ainsi le comprend leR. P. Roolhaan dans la note45. II dit : Quse media, quse documenta sequi debemus, ou encore Spirilum Chrxsti, quem in hoc Exercitio docemur cognovisse et hausisse omnibus utilissimum esl. (Vid. R. P. Roothaan, not. 46, 51). Plus tard, sainl Ignace appelle celle « intention » « laveritable vie, la sainle doclrinede Jesus-Ghrist ». Qu'011 ne s'y trompe pas, il ne s'agil donc pas ici dechercher aconnai- tre si c'est « rintention », la volonte de Jesus-Christ de nous appeler a la vie apostolique, ou de presenter TExercice de deux Elendards comme une invitation a celle vie ; car les Exercices sonlaussi pour ceux qui l'ont dejft embrassee, et de plus saint Ignace dil que ces medilations onl pour but de faire parvenir a la perfection « dans n'importe quel elat ». Cestpourquoi, meme dans la suite, il ne menlionne pas expressemenl les conseils evangeliques (pauvrete, obeissance, chastete), mais il touche seulemenl aux points de la perfection chretienneen general, ala pauvrete el a riiumilite. II est vrai que cette medilation excile incidemment le zele des ames, mais ce n'en est pas le fruit pro- pre et prochain.

Beaucoup moins faut-il comprendre sous cette expression, intentio Chrisli, l'intention qu'a Notie-Seigneur de nous atla- cher a lui plulot qu'A 1'esprit du mal : ce serait uneinjure au Sauveur et une deliberalion criminelle. La premiere semaine nous adeja fait prendre position. Ici d'ailleurs 1'esprit malin ne

(t^ « Inripil (S. Ignatius) tractarede modiis qaibus liomo paulatim disponi debet ad... electionem faciendam illius status in quo melius et saluti suae et Deo famulctur » (Suakez, de Religione, S. J. L. .ri. c. 15. n. 18.) « Ista Iria, divitise, honores, superbia, maxime perturbare solent rectam clectio- uem » (N. 10).

DE DEDX ETENDARDS 91

se presenle pas a nous aveccles propositions de peche ; ilnenous offre que des objets en soi indifferents* 11 ne s'agit pas du drapeau du Chrelien, ruaisdel'Elendarddela gardepersonnelle du Clirisl, du balaillon d'elile qui porte ses livrees. Le mot « Elendard » est pris dans un sens plus restreint, comme linsigne, le symbole d'un espritel de principesparticuliers, et dans leraeme sens que nous prenons les expressions drapeau du lih&ralisme , drapeau de la revolvtion, comme equivalentes & celles de « principes, de maximes du liberalisme, de la revolulion ».

La fin de cetle medilalion est donc en resume : une con- naissance claire des principes du Sauveur ou de la perfeclion evangelique, et, en opposilion a celle-ci, la connaissance des maximesde Satan ou du monde; la volonle, la resolution de fuir ces dernieres maximes et de suivre les premieres dans l'at- faire de ma vocalion ou de mon eleclion. Ilya par consequenl deux buts a atteindre. Sainllgnacele ditdans lesecond prelude: « demander la connaissance des pieges de Satan, mais aussi de la vraie vie, et ensuite la grace d'eviter les embuches de Satan elde suivre le Seigneur ». II repele la memechose dans le collo- que (Gf. R. P. Roothaan, not. 51). Notre liiche est d'arriver & ces deux resultats, et pour cela il servira de diriger notre medi- lalion la premiere fois vers l'un de ces buts, el la seconde lois vers 1'autre, afin de former ainsi l'intelligence et la volonte. Cest pourquoisainllgnace prescrit de fairele raeme Exercice jusqua quatre fois dans le memejour.

2. Pour atleindre au premier but, nous pouvons disposer les differents points de telle sorteque, considerantles personnes, les paroles et les actions des deux esprils opposes, nous develop- pions d'un cote les principes dc Notre-Seigneur, de 1'aulre, ceux de Salan. Dans les repetitions qui doivent suivre, nous nous demonlrerons combien cette connaissance est necessaire, par cette raison incontestable que tout le monde et nous nous som- mes sous l'influence perpetuelle de ces deux espi ils. Nous atteindrons au second but, en cherchant a gagner la volonle par des raotifs tires des personnes, des desseins et des raoyens d'ac- tion des deux chefs, alin de rejeter les principes de l?un et d'em- brasserles principes de 1'anlre.

92 COMMEXTAIRE DES EXERCICES

Pour parvenir a la connaissance tantdesiree, 1'elude.attenlive des deux chefs et de leur maniere d'agir nous revelera non seu- lement lefond de leuresprit : d'unepart, l'amour de la pauvrete, de 1'humilialion et riiumilite, et de 1'autre, l'amour des riches- ses, des bonneurs et 1'orgueil ; mais encore elle nous donnera une idee plus exacte de ce double esprit. Par l;i, nous verifie- rons que tout ce qui favorise la sensualile, enlrelient le faste efc la fausse grandeur, tout ce qui est deloyal, dissimule ou ignoble, appartient h 1'esprit de Satan et du monde ; qu'au contraire tout ce qui esl simple, modeste et sincere, apparlienl a 1'esprit de Jesus-Ghrisl (Vid. R. P. Roothaan, not. 56).

Presque cbacun des mots ou des traits caracleristiques des deux camps opposes fournit un motif puissanl pour emouvoir la volonte Le caractere des personnes, d'un cote : Summus et verus Dux, Deus noster, speciosus el amabilis, in loco humili; du cote oppose : Caput inimicorum, malum caput, figura hor- renda atrjue lerribili..., in cathedra iynis et fumi... Leurs inlentions : Ad summam pauperlalcm..., humiUtalem, ad reli- quas virtutes..., pour fairede nous des amis et des apotres, ami- cos et apostolus... Vera vila, sana doctrina... Ad vanum honorem et ad magnam supprbiam, et ad reliqua omnia vitia. La maniere d'agir des deux chefs : eligit, mittit, commendat ut velint adjuvare adducendo...; spargit, tentat, injiciendo retia et catenas, fraudes... Remarquons que 1'amour de 1'humiliation et de la pauvrete une fois acquis, nous n'avons plu& dautres efforlsa faire pour acquerir l'humilite : celle vertu est le melange de l'amour derhumiliation etde la pauvrete, comme le violel est le melange des couleurs rouge et bleue. L'amonr de riiumilialion est ce qu'il y a de plus parfait dans riiumilite.

Dans cbaque medilalion, il faut employer !e triple colloque pour oblenir la grace, marquee dans le deuxieme prelude : nous- soustraire aux ruses de 1'esprit du mal, et nous faire recevoir sous 1'Elendard a la triple devise du Sauveur. Les personnes nuxquelles s'adresse notre priere sont tres bien choisies : c'est la Mere de Dieu, qui s'est constammeut tenue pres de 1'Elendard de Jesus pendanl sa vie et sa sainle Passion ; ensuile Notre-Sei- gneur liii-nreme, dont 1'esprit inlerieur est bien cel amour de la

DE DEl X ETENDARDS 93

pauvrete et de rhumilialion ; enfin lePere Elernel, qui, d'apres saint Jean (6, 44. 45), atlire lout a son Fils, et sans lequel per- sonne ne vient a son Fils; le Pere qui, dans 1'apparilion bien connue, associe saint Ignace a son divin Fils. C'est pourquoi 1'Ordre fonde par saint Ignace porle justement le nom de Gompagnie de Jesus, c'esl-a-dire regiment de la garde du Sau- veur, conduil el anime par son espril. G'est notre devoir de prier de tout coeur et beaucoup pour oblenir eelle grande grace d'£tre vraimenl de la Gompagnie de Jesus, el d'elre reellement associes a Notre-Seigneur Jesus-Clirist.

3. Si mainlenanl nous jelons un regard en arriere sur la partie deja parcourue depuis le commencement des Exercices, nous en admirerons la marclie progressive et 1'enchainement logique. Nousreconnailronsaussi combien imporlanle esl. liiidif- ference meme dans les choses de soi indiflerenles, mais dont 1'esprit du mal sail faire des moyens de nuire aux hommes. La lutte des passions est exposee en delail, les pieges de 1'ennemi sont mis a decouvert. Presentement lout apparait avec plus de clarte que dans la medilation du Regne : la Personne du chef, dont Tespril nous est revele; sa taclique pour conquerir le monde et elablirdans les cosurs nn Royaume, foude sur ramour de la pauvrete elde rinimilialion : voila 1'espritet les plus excel- lents sacrifices de raposlolat. Si nous comparons les collo- ques des deux meditalions, nous remarquons un grand progres dans ratlachemenl a la cause du Sauveur : dans celui du Regne, on s^oflre pour les humiliations, si lelle est la volonte divine : dans celui des deux Elendards, on demande d'elre recu sous le drapeau de Jesus-Ghrist, utego recipiar sub vexillum, ellon ne poseque cetle condition : « si nous pouvonssupporterleshumi- liations sans que Dieu soil olfense ». Enfin nous voyons com- ment, ici el dans toutle reste, la raison et le dernier mot de celle doctrine se trouvent dansla verite fondamentale : le service de Dieu.

94 COMMEXTAIRE DES EXERCICES

De trois Classes d'hommes.

1. Getle meditation fail faire le second pas dans la prepa- ralion d^une parfaite election. Lapreeedente nous a donne Tidee claire de la perfection chretienne et la volonte de faire une elec- tion conforrae a cetle idee. Desormais, pour proceder siirement et ne pas remettre tout en question, il faut verifier si cette volonte est bien serieuse et digne de confiance. Gomment le constater ? En metlant cette volonle en presence des moyens a employer et en voyantsi elleesl capable de les embrasser : nous aurons ainsi la juste mesure de notre bonne volonle. Tel est le but de la presente meditation. Saint Ignace le dit dans lelilre meme dela meditation : ut amplectamur optimum. II ne dit pas : ut velimusamplecli, mais ut amplectamur optimum. La meme idee est expliquee dans les deux preludes : Quod gratius est divinve bonitati...; quod magis sit ad laudem divinx Majesta- tis el salutem animse. Nous la retrouvons encore dans le nolan- dum qui suil la meditalion et dans la note 64 du R. P. Roothaan : Est medilationis hujus scopus ul voluntatis repugnanlia (par consequent, ce qui est imparfait el defectueux dans la volonte, ce qui esl en opposition ou en contradiction avec les meilleurs moyens) vincaiur, et homo sibi caveal ab illusione qua forte solo quodam desiderio satis se fecisse exislimet » (Vid. not. 67. Dir. c. 29, § 3 etseq.).

2. Pour sonder notre volonle et Tameliorer, saint Ignace nous met en presence de trois Glasses d^hommes, qui desirent suivre fidelement Tappel a la perfection, ut in pace inveniant Dominum, et qui se trouvent embarrasses par raUaehement a une somme d'argent. Cet argent est honnetement acquis, mais raffeclion qu'ils ressentent leur est une entrave pour suivre 1'ap- pel de Dieu. Uexemple est parfaitement choisi. II y a la en effet un obstacle au premier degre de la perfection, qui est Tamour de la pauvrete, obstacle qui eloigne ordinairement les hommes de la vie parfaile, comme on le voit dans le jeune homme riche de TEvangile (Mathi., 19, 22^. De plus, Tobstacle disparait devant la bonne volonte, landis quesi ronprend re\empled'un malade,

DE TROIS CLASSES D^HOMMES 95

il ne suffit pas de sa volonte pour meltre en fuite sa maladie : tenons-nous en au\ paroles de saint Ignace. C'est en voyant les etats de volonte de ces trois Glasses d'hommes que nous con- naitrons la disposition de la n6tre.

Le prelude a pour but de faire naitre une resolution grande et genereuse. Je dois me considerer coram Deo et omnibus Sanc- tis, « en presence de Dieu et de tous les Sainls » : ceux-ci se sont signales par leur generosite ; ut cognoscamet desiderem, eligam quod magis sit ad gloriam divinx majestalis et sa/utem animae.

Les classes se distinguentrunedefautre par des dispositions differenles de volonle. La premiere voudrait briser Taltaclie qui Tentrave, mais a la condition qu'il ne lui en coiilat rien. Elle ne veul rien faire, n'employer aucun moyen, par suite ne mon- tre aucune resolution, mais un simple desir. La deusieme veut ecarler robslacle, mais non porter le coup decisif, ni faire precisement ce qui conduit au but, ni embrasser ies meilleurs moyens. Elle veut rompre 1'atlaclie, mais sans sacrifier 1'objet : Vult manere cum re, ita ut Deus veniat eo quo ipse vult (saint Ignace). A cette Glasse apparliennent ceux qui ne veulent employer que des moyens insuffisants, tlieoriques, nullement praliques, in affectu. La Iroisieme veut, quoi qu'il en coute, rompre 1'obstacle par n'importe qnels moyens, meme les plus ardus, meme en sacrifiant 1'objel, in e/fecfu (Vid. R. P. Roo- thaan, 67). En comparant ces differentes dispositions de volonte, leretraitant sondera la sienne et se connaitra lui-raeme.

Pour soulever, forlilier la volonte el lui faire embrasser ce qui est plus parfait (3e Glasse), il faul considererles motifsbons ou mauvais, raisonnables ou deraisonnables, qui dirigent ces trois Glasses d'bommes.

G'est le moment de revenir u la determination prise des la premiere semaine, dans la conclusion du Fondement : savoir, celle d'employer les moyens les plus propres a nous faire alteindre notre fin. Dans la raeditalion des trois Glasses, par exeraple dans les preludeset dansletroisiemepoint, sainl Ignace emploie des expressions qui rappellent ces derniers mots du Fondemenl : Quie magis conducunt ad finem... G'est assez

06 COMMENTAIRE DES E\ERCICES

indiquer linlime liaison des deux medilalion.s : l'une nest que lapplication pratique de lautre.

Les raoyens qu'il faut prendre nous sont suggeres par les obstacles ineines que nous rencontrons. Saint Ignace ne raen- tionne ici quune difficulte et le raeilleur raoyen d'en triompher... Si c'est rainour-propre qui nous arrete, il nous faut acquerir riiumilite, et le moyen d'acquerir Phumilite, cest d'aimer et de rechercher rhumilialion.

Le colloque esl le meme que dans la meditation de deux Elendai"ds.

3. La note qui suil cette medilation a une grande impor- tance : « Si nous avons de la repugnance pour quelque chose, si nous ne somraes pas indifferents, il faut dans le colloque prier Dieu de nous choisir precisement pour cetle chose, pourvu toutefois qu1elle soit pour 1'honueur de sa divine Majesle. » « Cetle maniere d'agir, ajoule saint Ignace, nous aide beaucoup a Iriompher de rinclination dereglee. » Nous faisons du moins de notre cote ce que nous pouvons, et nous avancons en toute surete. II arrive souvent que ce que nous redoutons est preci- sement ce que Dieu demande de nous. II y a la une applica- lion pratique des annolations 5 et 15.

Des tp.o.s Degres d'humilite.

1. Sainl Ignace veut (3e nole du l^e jourj qiravanl de commencer releclion nous fassions une consideralion serieuse et repetee sur les trois Degres dliumilile. Cest le troisieme pas a faire pour assurer une bonne election. Mais quel sera le fruit special de celle consideration ? Dans la meditalion des deux Elendards nous avons eu 1'idee et appris les raoyens de la vie parfaite, et nous avons resolu ensuited'en faire laregle de notre election. Dans celle des trois Glasses, nous avons eprouve notre volonte pour savoir si elle se deciderait a einployer les meilleurs moyens, et nous avons cherche a l"y delerminer. Nous 1'avons amenee a cette delerminalion, moyennant la grace de Dieu. Que manque-l-il maintenant? Une disposilion qui nous

DES TROIS DEGRES D HIUILITE

fasse passer a raccomplissement genereux el nieme joyeux de tout ce que Dieu vouclra de nous. Quand il en est ainsi, l'ame ■est parfailement disposee pour faire l'eleelion. La meditalion des trois Degres d'humilile doil nous elablir dans cet elat. Saint Ignace lindique par ces paroles : Ut afficiatur ad veram doctrinam Christi, « pour que 1'ame soil affeclionnee a la vraie doctrine dn Ghiisl. quelle en eprouve de la joie, qu'elle s'y enthousiasme » 1). Et le R. P. Roothaan nole 7.'{ : Provo- camur ad gcnerosam Christi seauelam (doclrinam in rebus arduis magno affectu ampleclendam. Plus les moyens a pren- dre seronl penihles, et plus la generosile esl necessaire a la volonle. Cest Ihumilite qui la metlra en nous, 1'humilite, c'esl- a-dire la suboidinalion k Dieu en toules chnses par la conside- ration, d^une parl, de son infinie graudeur, de lanlie, de nolre pelitesse, abslraclion faile de lous nos inteiets temporels. Rien de pluspropre a rendre lhomme allegre, dispose a tout, quoi' qu'il arrive ; rien n'est dillicile aux humbles : car de meme que i'orgueil esl ramour de soi pousse jusqifau mepris de Dieu, de meme lhumilite est 1'amour de Dieu pousse jusqu'au mepris de soi. Mais esl-ce eirectivemenl Ihumilile que saint Ignace a en vue dans cetle consideialion ? Sans nul doute. « L'essence de Ihumilite, dit saint Thomas, consiste a se soumetlre, a sabaisser (2. 2. q. 101. a. 1, ad 5). Lhumilite modere ledesir de s'elever oulre mesure au-dessus de ce qu'on est en realile a. 1, ad 3; a. ± . Xous y arrivons d'abord par la consideralion de nolre propre imperleclion, que nous reconnaissons parfaite- ment el a cause de laquelle nous nous abaissons tout a fait rai- sonnablemenl (a. 1, ad. 1) ; ensuile par la consideralion de la grandeur de Dieu » a. 2, ad 3 ; a. 3). Saint Thomas ajoule : « LMiumilile esl donc propremenl la soumission a Dieu ela lout autre a cause de Dieu » (a. 1, ad 5).

Cest bien la riiuniilile lelle que 1'enlend saiut Ignace et qui <?onduira droilau succes. Aussi lout homme qui afail serieuse-

(1) Rcmarquer daiis launolaliou 16 les expressions : » debet aflici », alTeetum impellere; » alTectarse », magno alTectu iestimare et ainare. Saint Ignace se sert des memes termes dans la 3" parlie clu i" point de la meditation du tiefrne : « Qui majris aflici volenl ».

98 COMMEJNTAIRE DES EXERCICES

inenl les medilalions sur le peche (l,e semaine) agree-t-il sponlanemeni tonsles sacrifices en verlu d»v cette disposilion a riinmilite, fruil necessaire de ces Exercices. Avec bien plus de facilite encore le fera-t-il aujoiirdlmi q u ' i 1 a devanl les yeux 1'exemple dn Sanvenr et ramonr qui ratlache a sa divine Per- sonne.

2. Dans celle humilile saint Ignace distingue Irois Degres (1). Ce n'esl pas d'apres le molil' qiTil fail celle distinc- tion, le motif elant riiumilile elle-meme pour tous les Degivs ; ce n'est pas non plus d'apres 1'objet, qui peul etre nmltiple dans cliacun des Degres. II la fonde sur 1'etendue et la perfection avec lesquelles on peut mepriser les interels temporels, en les subordonnant a Dieu pour suivre Jesus-Christ. Ainsi est par- faitement remplic l'inlenlion de saint Ignace, qui veut nous amener a une parfaite eleetion. II chercln' ;'i mettre nolrevolonte dans la disposition la phis parfailc. <■[ j| le fail en nous propo- sanl trois Degres de perfeclion.

a.) Premier Degre. Par mepris pour nous-memes, el par eslimc cle Dieu el par amour pour lui, nous sommes prets a per- dre tous les biens et a soufTrir loules les peines de ce monde plulot que de Iransgresser en malieiv gravc le commandement de Dieu. L'essence et la perfection de ce Degreeslcelte disposi- lion habiluelle de la volonte, ?'/; habitu, qui nous fait refuser, in ariu, sans drliht-ration, loute chose contraire a un preceple grave ; car la deliberalion redechie serail deja un peche. Cesl le drgiv inferieur de riiumilite, et saint Ignace fait observer qiril est absolumenl indispensablepour le salul.

b.) Le deuxiemeDegreconsisle dans riiabiludede TindilTe- rence et a ne faire pratiquemenl aticune distinction enlre les

(1) Suabk.z, <le Religione S. J., L. 9, c. 5, n. 24, 2.'l : « Rccte poluit distinguere sanclus Ignatius tres graclus humilitatis ex trihus modis eonlriu- nendi seqjsum el suam voluntatem et temporalia conimoda, seilicet \rl quantum necesse est ad servanda rigorosa prsecepta vcl ad vitandas venia- lesculpas, vel quantum conferl ad majorem Ghristi imitationem. Distinx.it S. Ignatius gradus humililalis quoad interioicm alTectum. proul polosl cssc magis vel minus perfectus ; quia eam distinctioncni soluin pr.cmittcbal ad elcctioncm facieudam, qiije maximc pendct ah effectu magis vel minus svih- jecto Deo ef abstracto a rebus tem))oralihus. »

DES TR0IS DEGFSES D^HrMILITE 99

choses temporelles. comme rhonneur el le mepris, la richesse et ia pauvrete.... tant qttil y a egalile de gloire pour Dieu dans 1'usage ou l'al>stention de ces creatures. Ainsi la complete indif- ierence de volonte constitue ce deuxieme Degre, le motit elant loujours 1'estiiiD' de la grandeur de Dieu et le mepris de nolre propre neant. Cette indilTerence est en eftet la verilable humilite, c'est-a-dire la moderalion de 1'eslime quil faut avoir de nous- memes : faire tanl de cas de ses interels lemporels et uue si grande difterence entre ceci etcela est un verilable egoisme (1). A ce deuxieme Degre dhiimilite saint Ignace joint la fuite du peche veniel. ou parce que celte fuite fait partie essentielle de ce Degre, ou parce qu^elle en est simplement un effet, une consequence : car 1'exemplion du peche veniel n'est possibte qu'a celui qui est elabli dans rindifterence.

c.) Le troisieme Degre ne sarrete pas a lindifterence en presencede la pauvrete, de la richesse, de rhonneur,du mepris: mais. suppose la gloire egale pour Dieu. il choisit elTeclivement ce que le Sauveur a pris en partage : voila ce qui fail son essence. II prend les devants non seulemeut par raison d'humilite, mais plus encore par molif d amourpour Xolre-Seigneur. A la vue de notre Dieu qui a choisi le mepris, la pauvrete et la souffrance. nous rougissons d'elre inieux traites que lui.

Dans le deuxieme et le troisieme Degies, il y a cetle condilion « pourvu qu'il yail egalile dhonneur pour Dieu ». Cetle condi- lion est absolumenl necessaiiv poor le deuxiemeDegre, puisque c'est a celle seule condilion que nous pouvons etre indi(l'er»-nls. Dans le troisieme, elle n'est ordinairement qu'une pure hypo- these, parce que generalement le plus grand honneur de Dieti est du cole de ce qtte le Sauveur a choisi lui-meme. Cependant

L) L'indffference, rectamee par le Do^re dhumilitt*. n'est pa? es«eti- tiellenient distiueli' de celle ou conduit le Foiu/ement. Avec 1'indiffereaec de la meditation fonclamenlale, l'usage des creatures est [dus ou rm.in> imparfait. plus ou moius entache ou susceptible de peche : tandis que rindiftereno' du deuxieme Degre d'humilite eu exclut toul pechc' et toute imperfection : dans le Fondement, nous nous abstenons de 1'usage des creatures pour ne pas agir contre la raison el la conscience ; dans le deuxieme Degre d'humilite, nous lc faisons par le plus pur i t lc plu~ noble detacbement de uous-memes.

100 C0.MME.NTAIRE DF.S EXERCICES

sainl Ignace devait mellre celte condilion, atlendu que, d'apres le Fondemcnt, nous devons faire dependre loule nolre conduite du plus grand service et de la plus grande gloire de Dieu. D'ail- leurs, il peut se presenter cerlains cas ou riionneur de Dieu defende qu'on recherclie effeclivement le mepris ou la pauvrele ; alors meine le eceur gardera rafleclion pour ce que le Sauveur a choisi.

En resume, dans le premier Degre de riiumilile, 1'homme, considerant lagrandeur deDieuet son propreneanl, esl habituel- lement resolu a toul sacrifier plulol que de commetlre le peche mortel. Dans le deuxieme, il esl dans la meme disposition relalivement au peche veniel, et, sauf riionneur de Dieu qui reclamerait autre chose, il est indiflerent a toules choses, il n^etendra pas meme la mainversun objel plulot que versTaulre. Enfin il monte au troisieme Degre, lorsque, suppose que la gloire de Dieu n'exige pas le conlraire, il n'est pas simplement indifferenl aux creatures, mais il veul el il choisit celles que le Sauveur a choisies, par la seule raison quil les a choisies. II y a la une Iriple soumission a Tegard deDieu : la premiere a sa volonte, nousimposanl une obligation grave ; la deuxieme a sa volonle, nous imposant une obligalion en maliere legere ; la troisieme a 1'exemple dci Christ, lequel exemple, pour un cceur humble et aimanl, n'est pas moins qifun commandement. Les deux premiers Degres imposent une conduite negative ou d'abs- tention, le Iroisieme, une conduile posilive ou daclion.

Les molifs pour porter la volonle a ces trois Degres sonl tires de Tessence, de la nature meme de chacun de ces Degres et de la relation quils onl avec rhumilite, c^est-a-dire avec les senli- ments, inspires necessairement par la double consideration el de la grandeur de Dieu, du Sauveur et de la bassesse de notre neanl. Dans le Iroisieme Degre, au molif de lhumilite se joinl essentiellement celui de ramour : Ad hnitandum magis Chris- tum, ulque ci magis aclusimilis fiam, volo et eligo magis pau- perlatem, elc. ; et plus loin : Quo magis eum imitelur, ac melius ei serviat. Ghoisir une chose pour ce seul molif que Nolre-Sei- gneur l'a choisie, c'est lendre a 1'union laplus inlimeavec lui el, pourainsi dire, nous Iransplanler enlui. Comme lesvertus theo-

DKS TfiOIS DECRES d'hL"MIL[TE 101

logales s'onl lcs plusexcelienles. parceqne leur raolif esl Dieu lui- meme el qu'elles nous unissent immedialement ii lui, de meme rien ne nous unil pTns parfaitemenl a rHomme-Dieu que ramour de sa Personne ; par cel amour, nous ne faisons plus qu'un avec lui : Vivo ego, jam non ego, vivit veroinme ChHstus Galat.}

n. m).

Mais si 1'amour esl le premier molif, le second est 1'huniilite, puisqifil s'agit ici des Degres de perfeclion dans l'humilite. L'amour sans riiumilite n'a plus ce qui est son fondement. Gar 1'amour de Dieu n'acquiert de solidile que par le sacrifice de ramour-propre deregle, et specialement par 1'amour des humilia- lions, qui est la plus penible iramolation dans la vie spirituelle. Tanl qifelle n'esl pasfaite, il n'y a pas de parfait service de Dieu ; 1'amour-propre en milleoccasions remellra en question cegrand objel. LMiumilite, qui esl la base inebranlable de loute la vie spi- riluelle, sert de fondemenl a l'edifice de loutesles verlus, en lanl quelle dompte lorgueil et rend l'liomrae parfailement soumis a Dieu (S. Thomas, Summ. 2. 2. q. 161. a. 5, ad. 2). Cest la pensee de saint Ignace : Ut magis ci serviat. Ce n'esl que par l'amour de l'Inimilialion que nous devenons enlre les mains de Dieu un instrument donl il peut se servir a son gre. Rougir d'elre mieux traile que le Sauveur est la formule du Iroisieme Degre d'liumilile. Dans les acles de la vie journaliere, toute election, faite d'apres celle formule, esl la mise en pralique de ce troi- sieme Degre.

3. Arrivesla, nous soranies parvenus au sommetdes Exer- cices. Tout ce qui suit n'a d'autre but que de nous confirmer dans celle disposition parfaite de la volonte. Les Exercices ne vont pas plus loin, puisque le troisieme Degre d'liiimilite esl le point le plus eleve de la sainlete, la folie divine du Cbristianisme qui caraclerise les plus grands Saints, limitalion la plus par- faile de Jesus-Christ, 1'espril essenliel de laGorapagnie de Jesus, raccomplissenient de nos regles lleel 12e. Le troisieme Degrt§ esl un resume de tous les Exercices. Du haul de ce sommet tou- tes les choses apparaissenl claires et precises : le vrai service de Dieu et notre propre salut, le plus noble usage des creatures, le chemin surpour eviter le peche, la victoire la plus brillanle sur

102 commentaire des EXERCICES

nos passions, le balaillon le plus vaillanl au service duGhrisl, et, pouren revenir a nolre siijet, le moyen iofaHiible pour assu- rer une bonne eleclion.

\. Les trois Degres dMiumilite fortnent le sujet non dune meditation ardroaire, mais aVwne consideration pour laquelle saint Ignace ne fixe aucun espace de temps. II veul qifon y retle- chisse pendant la journee. Nous pouvons cependant en faire une medilatioo, a laquelle nous joindrons les colloques el les repeli- lions. Les colloques seront alors comme ceux des trois Glasses, et nous prierons Dieu avecferveur de nous choisir pourpraliquer le troisieme Degre dhumilite.

5. Nous avons ainsi trois medilations qui nous preparenl graduellemenl a une parfaile eleclion : dans ia premiere, celle des deux Elendards. ikmis reconnaissons les elemenls de la per- feclion chrelienne el nous delerminonsnolre volonle a faire une eleclion cpii leur soil conforme. Dans la deuxieme, nous prepa- rons celte volonle a prendre les meilleursmoyens, quelque peni- bles qifils soient. Dans la Iroisieme enfm, nous nous disposons a enlreprendre, sans Irop de peine el avec promplilude el gene- rosite, meme les choses les plus dilficiles. Rien donc nemanque ptus a la prepai'ation pour Peieclion ; nous pouvons la faire apres la conlemplalion qui suil : Jesus-Ghrisl se separe de sa sainle Mere.

Jesus-Christ qlttte sa sainte Mere.

Saint Ignace (2P note du 12e jour) veut que celle medilalion precede immediatement le Iravail de 1'eleclion. Le myslere de Jesus dans le temple lTefait qtrun prelude de celui qui nous occupe apresenl. G'est ici que Nolre-Seigneur enlre verilable- menldans savocation de la vie publique pour neplusen sorlir. Le sujet est donc de la plus haute imporlance ; c'esl pourquoi sainl Ignace veut qu'on y consacrenn jour entier.

Les colloques se ferom comme il est inclique dans la medila- tion des trois Classes, en tenant comple de la note qui la ter- mine.

iiij.LES dl l'electiok 103

RtGI-i.S DB l/hLFX.TION.

1. La conlemplalion precedenle ayant prepare l'eleetion, on aborde l'eleclion elle-nnmie. Sainl Ignace donne a ce sujet une instruelion praliqueen trois points : Leprincipe qui doit diriger el decider 1'eleclion ; 1'objel sur lequel peul tomber l'eleclion ; la maniere donl on peul decouvrir la volonte de Dieu relalivement a cel objet. Sur rimporlance de 1'eleclion, voir le Directoirr, c. 22. Sur les disposilions cle ceux qu'on peul admellre a 1'eleclion : l)ir., c. 23.

■1. Le priueipe qui doil nons tlii iger depuis le commence- ment jusqifa la conclusion de 1'eleclion, c'est la maximeduFon- dement : >< ma premiere fin, mon uuiqiie devoiresl le service de Dieu el le salul de mon ame ». Jedois en loul et avanltoulavoir celle verile devant mes yeux sans jamais la perdre de vue. Je >uis ici pourservir Dieu el me sauver: loul le resle n'esl el ne doil etre qu'un moyen pour alleindre ce but. Unefoisbien pene- tre decetle verile, je puis examiner si ce parti ou cel aulre sera pour moi un moyen d'alleindre mafin. II serail donc absurdede commencer par dire a priori : .le choisis ceci ou cela, ceslune cliose resolue ; et ensuile de voir comment on pourrait accom- moder la fin a 1'objet choisi. Ce serait 1'ordre renverse, vouloir obliger Dieu de venir a nous, au lieu d'aller nous-memes h lui.

3. Lobjel de 1'elecUoe ne peul elre d'abord qifune chose ou indillerenle de sa nalure, ou bonne suivant la doctriiie et la pratique de 1'Eglise; jamais une chose illicile ne peul elre un ■objel d'eleclion. II laut en oulre voir jusqifa quel point 1'objet esl ou neslplus a nolre libre disposilion. Par exemple, si, apres uneeleclion dirigee par une alTeclion dereglee, jemesuis engage dans un elat de vie immuable, il ne me reste autre chose a laire qu'a me repenlir el a reparer le defaut inlrinseque demon eleclion, en menant dans cet etal une vie chretienne. Ce nest pas lii une vocalion divine, puisque celle-ci exclul loule incli- nalion desordonnee. En dernier lieu, 1'objet est-il encore a nolre disposition et son eleclion a-t-elle ete laile siiivanl lefi regles, alors il n'y a rien a changer. mais seulemenl a s'aller-

104 COMMENTAIRE DES EXEBCICES

niir et a se perfeelionner dans Telat actuel. Si au conlraire Telection a ele dereglee sous quelque rapporl, c'esl raainlenanl qu'il faudrait en corriger les defauls, pouren recueillir des fruits precieux et agreables a Dieu.

4. !1 y a Irois manieres d'acquerir la cerlilude que nous suivons la volonle de Dieu relalivemenl . a un objel, 011 de discer- ner suremenl celui sur lequel devra se porlernotre election. La premiere. quand Dieu parle si clairement qu'il est impossible de douler de sa volonle. Cesl la voie extraordinaire; Dieu I'a employee dans la vocation des Apolres et de quelques Saints. Nous ne pouvons y prelendre sans lemerite. Dans la deuxieme manie-re, ce sont les consolations, les lumieres frequentes, ou meme les desolalions qui nous servent de guide. II faul veiller avec attenlion sur ces mouvemenls de 1'ame, qui servenl, beau- coup a nous eclairer. Enfin, dans latroisieme maniere, on ne se serl quede la reflexion,guidee parla seule raison, qui, dansle temps ou elle n'est pas sous 1'action des dilTerents esprils, mais en pleine possession d^elle-meme, se met Iranquillemenl en pre- sence de la fin, se demande si lel objet sera un moyen de l'y conduire et fait son clioix cTapres la reponse (Dir., c. 26-34).

Faisons observer que sainl Ignace nous recommande ici pour la seconde fois detenir compte, dansl'eleclion, des sentiments et de la pratique de 1'Eglise.

Yoici donc la marche a suivre dans la troisieme maniere : Se demander de quoi il s'agil et se metlre en presence de Tobjet de l'election. Se representer sa fin derniere el se rendre indifferent a tout le reste, en sorte que la seule conside- ration de notre fin decide exclusivement nolre choix. Nolre incli- nation nalurelle doit se lenir immobile, commeraiguilleau repos dans une balance. Demander a Dieu la grace dlncliner notre volonte dans la direction de son bon plaisir. --4° Exa- miner a 1'aide de nolre raison jusqu'a quel point le choix ou 1'abandon de 1'objet propose peut nous elre utile pour notre fin, la gloire de Dieu et notre salut eiernel. Voir de quel c6le la raison penche le plus sans avoir egard k la sensualite. Une fois l'election faite, l'offrir a Dieu dans une priere fer- venle el le conjurer de la confirmer pour sa gloire.

ELKC.TION POUR LA REFORME 105-

D'aulres considerations peuvenl servir, comme de pierre de louche, soif pour verifier une bonne eleclion, soit pour aider a bien la faire : « L/inclinalion que je ressens vienl-elle ou non uniqueraent de Dieu? Que conseillerais-je a une personne inconnue a laquelle je m'interesse vivement, si elle me deraan- daitce qu'elle doil fairepour lagloire deDieu? Que voudrais- je moi-memie avoir fait, si j'elais actuellement surmonlilde raort, ou a rheuredu jugement? Qifai-je a faire maintenant pour gouter alors la joie et la securite? » Voir les modes d'elec- lion : Dir., c. £4. Recommander la lecture des chapilres 24 a 34 du Direcloire : ilsformentla parlie la plus excellente de ce livre. On nepeut eludier ces regles de 1'election sans admirer 1'esprit de solide sainlele qui les anime. A elles seules, elles prouvent quel grand maitre de la vie spiriluelle nous possedons dans nolre bienheureux Pere.

Election polr la reforme.

1. Gelui qni esl deja engage dans un elat el qui ne peut ou ne veut ou ne doit pas en changer, sen tiendra a une election de reforme, suivant la raarche precedemment indiquee. Qu'il se represente donc sa fin derniere, el safm prochaine, c'est-a-dire lcs devoirs de son eraploi ou de sa condition, et qu'il voie quels moyens il doit choisir pour alteindre cette double fin ; puis, apres avoir considere la maniere lant exlerieure quinterieure dont ildispose sa maison el sa vie, qu'il reflechisse sur les mesu- res a prendre pour regler l'une et 1'antre.

A cote de ce principe de la fm derniere saint Ignace en pose un aulre de la plus haute importance pour assurer une bonne election el mener une vie spirituelle parfaite : « Nous ne pro- gressons, dit-il, qifaulant, tantum quantum, que nous nous depouillons de notre propre volonte, qui esl regoisrae el 1'atnour- propre. » Dans une autre occasion, dans les regles a suivre pour la dislribulion des aumones, il etablit un autre principe : « Pour ce qui regarde notre personne dans notre maniere de vivre, nous progressons d'autant plus el d'aulant plus surement

106 COAJMENTAIfiE DES EXERCICES

que nous nous rapprochons davanlage de Xotre-Seigneur, nolre inodele et notre regle vivanle. » Les chapitres 9 el 10 du Direc- loire trailent des differents elats donl le but doil etre pris en cousiderationdans Feleclion. Quanla 1'electionpourlareforrae qu'onl a faire ceux de la Gompagnie, voir le Directoire, c. 10.

§7.

2. Pourcelui qui a serieusement fait les trois medilalions qui inlroduisenl a l'election et qui arrive a 1'eleclion pour la reforme de sa vie, il esl a propos qu'il se pose cette question : N'est-ce pas une chose necessaire a tous d'adopter pour pro- gramme celui que le Sauveur propose lui-meme dans le troi- sieme Degre d'humilile et dans la meditation des deux Elen- dards? el, parlant en general, ne sommes-nous pas tous obliges de diriger notre election dans le sens de la pauvrete et de riiumiliation? 1! faudra repondre « oui », en ajoulant que, sans doute, c'eslune chose difficile, mais qu'il est impossible de s'y refuser : puisque ce programme n'esl airtre que 1'esprit de Jesus-Chrisl, oppose a 1'esprit du monde, et qu'il renferme les Irails principaux de la perfection chretienne pour chaque etat. II est si amplemenl delaille que nous y trouvons loules nos diffi- cultesavec les industries pour les mettre a neanl. Cesdifliculles, en effel, ne peuvent venir que de l'amour-propre deregle qui, par suite de notre nature a la fois corporelle et spiriluelle, ne tend qua la satisfaction de la vanite el de la sensualile : par conse- quenl, lamour de la pauvrete el de rimmiliation, inspire par Tamourdu Sauveur, est le moyen unique et universel de triom- pher de ramoiir-propre et de surmonler tous les obstacles. Assuremenl une vie pauvre el obscure, une vie de mortification et de renoncement, est desagreable a la nature; mais. apres lout, personne, dans les limiles de son e-at et de sa condition, ne peut se sousiraire a cetle exigence du Chrislianisme.Cest doncle troi- sieme Degre dMmmilite qui doit faire notre programme, si nous voulons que notre vie ressemble a la vie du Sauveur, opposee a la vie du monde, des sens el de 1'orgueil. Peut-elre ne fai- sons-nous pas dans la vie spiriluelle les progres que nous pour- lions et devrions faire, precisement parce que nous pratiquons trop peu le renoncement volonlaire a nous-memes. Enfm,

EIECTIQN POUR LA REFORME 107

ramour de la pauvrete el de riuimilialion, en daulres lermes, ramour de la croix est un point si imponant qu'ii ne peut etre neglige par quiconcpie aspire a un eerlain degre de spirilualite : c'est comme un theoreme fondamental dans la vie spirituelle ; nous ne pouvons rien choisir de meilleur ni de plus parfait.

Cependant il peul arriver qu'a raison de nolre principale difficulte nolre election puisse el meme doive avoir un autre objetque la pauvrele et lhumiliation ; ainsi nous pouvons avoir besoin de douceur, de force, etc..., el dans ce cas nous devons choisir les moyens propres a les acquerir. Mais alors meme nous pouvons et devons faire nolre election dans 1'esprit du troisieme Degre d'humilile : c'est-a-dire vouloir praliquer ces verlus par amour et respecl pour le Sauveur, par le meme molif et de la meme maniere qu'il les a praliquees lui-meme. La lutle conlre ce defaul, les elTorts pour racquisilion de celle verlu seroiit nolre croix et notre morlilication. et le fruil relire de la meditation sur le troisieme Degre nous servira d'argument a fortiuri : c< Eh bien, nous dirons-nous alors cliacun en parli- culier. tu devrais etre dans celte disposilion ; cesl niie raison pour lutter aujourdhui plus serieusement conlre lobstacle, la difficulle qui 1'arrete. »

3. Les regles pour 1'eleclion sonl d'une Ires grande impor- lance el doivenl nous elre familieres, quand il s"agil non seule- ment dTine eleclion pour la reforme de la vie, mais de toute alYaire serieuse ou il faut prendre une decision. Cest ce que dit notre bienheureux Pere dans le premier poinl du premier mode d'eleclion, et c'est ce que font loujours les liommes vraimenl spirituels. Xous en avons un exemple dans nos premiers Peres, choisissant saint Ignace pour General. II n'est pas necessaire de suivre toujours la marche complete de la procedure, exposee plus haul ; il sulfil de se servirde qiielques-unes des pensees les plus graves. Nous devons egalement inslruire ceux que nous formons a la vie spiriluelle sur la maniere dappliquer ces regles, qu il soit queslion pour eux de faire le choix d'un etat devie ou de prendre une decision dans une affaire importante (Vid. Reg. Summ., 4, 6). En suivant cetle methode, noiispouvons espe- rer que notre eleclion produira des fruils agreables h la divine

108 COMMEXTAIRE DES EXERCICES

Majesle. Ces regles fonl voir combien le bul, la fln de riiomme, est pour Ignace le Principe premier et le plus eleve et la Base de loul, Principium et Fundamentum, pour employer ses propres expressions.

Ges memes regles trouveront leur application pratique quand il Iraitera de la distribution des aumones.

AUTRES MEDITATIOXS POUR LA DEUXIEME SEMAINE.

1. Sainl Ignace veut que, pendant le Iravail de l'eleclion, on continue a mediter la suite des mysteres du Sauveur (Voir : preambulum ad considerandos status). C'est pour cela qu'il assigne diiferenles medilations, devant remplir au moins douze jours; el. dans la premiere note du douzieme jour, il renvoie, pour les contemplalions qu'on pourrait ajouler, aux points don- nes a la fln du livre des Exercices sur les Mysteres de la vie de Nolre-Seigneur.

2. Getle premiere nole du douzieme jour averlit encore que chacun peut, suivanl sa devolion et 1'ulilite qu'il en retire, soit diminuer, soit augmenter le nombre des meditations de la deuxieme semaine. Saint Ignace dit que nous pouvons ajouter dautres mysteres, suivant la maniere dont ils sont exposes sous la forme de points a la tin du livre. II n'a voulu donner qu^une introduction, dare introductionem et modum, pour aider plus tard a mediter mieux et avec plus de details ; mais celte sim- ple introduclion est precieuse, si I'on considere le beau choix qu^il a fait parmi les mysleres de la vie publique de Notre-Sei- gneur, que saint Thomas divise en lecons de doctrine, exemples de verlus el miracles. Nous avons, dans le livre des Exercices, quelque chose du loul, et ce qu'il y a de plus efficace. Toutefois chacun reste libre de choisir d^autres mysteres ou de changer 1'ordre des poinls dans ceux qui se trouvent dans les Exercices. En donnanl un plan et des divisions de mysteres, saint Ignace veut nous habiluer a faire nos medilations d'apres ce modele et selon une melhode delerminee.Maiscetle remarque ne concerne que les mysteres ; quanl aux meailalions qui preparent relection, elles forment un tout complet qu1il ne faul jamais modifier.

TROISIEME SEMAINE

1. Le but de la troisieme semaine est de nous eonfirmer clans Telection que nous avons faite; et poury ariiver, elle nous propose les moyens les plus efficaces. Quelle confirmalion de tout ce que nous avons medile jusqu'ici dans ce que fait le Sauveur au temps de sa Passion, et quelle puissante eloquenee dans la resolulion de meriler sa gioire par les combats el les souf- frances ! Quels moyeus excellents il nous propose; comme il precbe le troisieme Degre d'humilite, faisant appel ;i nolre amouret a nolre generosile ! Quelle grandeurel quelle noblesse de caracteredans le clioix qu'il fail de sa Passion, dans sa force d'ame, dans son amour pour chacun de nous? Pour s'eleve'r au troisieme Degre diiiunilile, il suffisait aux Saints de mediter la Passion du Sauveur. .\otre-Seigneur n'a-1-il pas dit lui-meme que de sa croix il attirerait loul a lui ? (Joann., 12, t32) ; (Dir. c. 35, § i).

De plus, la Passion de Jesus-Chrisl jelle une grande lumiere sur la premiere semaine el nous confirme dans les resolulions que nous y avons prises. Elle nous montre dans un jour nouveau ce qu'est le peche el ce que sont les passions qui conduisent au peche : la mort d'un Dieu, voila le trisle couronnement de leurs efforts ! L'histoire des soulTrances el de la mort du Sauveur est un grand drame dont les passions humaines sont les acleurs. Rien ne nous donne une lerrible idee de la gravile du peche comme celle consideralion qu'il fallait la morl d'un Dieu pour Texpier. Concevons donc des senlimenls d'amour et de recon- naissance pour Nolre-Seigneur ; mais ce qui esl encore plus necessaire, augmentons en nous la haine du peche el la resolu- tion d'extirper nos mauvaises passions. Cest bien dans ce sens que le Sauveur parla, sur le chemin du Calvaire, aux femmes de Jerusalem qui pleuraient sur lui : « Pleurez sur vous el sur vos enfants! Si le bois vert esl ainsi traile, commenl le sera le bois sec? » (Luc, 23, 31).

110 COMMENTAIRE DES EXERCICES

Enfin, quelle idee sublime nousdonne latroisieme semaine de la grande affaire du salut des ames et du service de Dieu, qui etaient dignes de tels travaux et de ce prix infini !

2. Pour atleindre le but de la Iroisieme semaine, il faut se representer vivement laPassiim de Jesus-Christ, s'attrister avec lui et compatir a ses souffrances. Saint Ignace nous apprend a le faire dans !es deux premieres meditalions. Dans le troisfewre prelude, il fait demander avec instance ce sentiment de compas- sion ; les expressions sont pleines d'energie : Pelere dolorem, afflictionem, confusionem, quod ob pcccata mea Dominus eat ad passionem ; petere do/orem cum Christo do/oiihus pleno, confractionem cum Christo confracto, lacrgmas et pccnam inlernam de lanta pcena quam Chrislus passus est pro me. II faut nous efforcer, pendanl lout le cours des medila- tions de celte semaine, d'exciler en nous les memes senlimenls, magno nisu conando, laborando (excitando me) ad dolendum, tristandum et plangendum, afin de roncevoir de la trislesse, de la compassion et de la douleur.

Dans la consideration des personaes, des paroles el de& actions, saint Ignace veut que 1'on fasse trois reflexions : Pre- mierement, « snr ce que le Ghrist souffre el veut souffrir dans son humanile ». Jesus-Christ avail une nalure commelanotre ; ce qui nous fait souffrir. le faisait souffrir egalement et meme davantage, parce que rorganisme de son corps etait plus delicat et par consequent plus sensible. Ii faut nous representer, aussi vivement que possible, combien il sentait la douleur. Peul-etre avons-nous beaucoup souffert nous-memes, alors il faul nousen ressouvenir, pour mieux comprendre ce qui se passait dans la sainle humanile de Jesus. « El ce qifil veut souffrir », ajoute saint Ignace. Cest par son propre choix que le Sauveur veut souffrir. Quelle maliere aux plus profondes refiexions que cette liberte de se soumellre a la Passion, ce choix qifil en fait, el la maniere dont, en consequence de celle resolution, lui-meme compose le programme de sa Passion cle toutes les tribulations qui peuvenl fondre sur une nalured'homme ! Deuxiemement, il faut considerer « commenl la Divinile se cache ", se retire, pour ainsi parler, de la nature humaine, suspendant la prolec-

TROISIEME SKMAINK 11 1

lion toute speciale donl elle couvrail I'humanile tres sainte de Jesus, sacratissima, el la privant des elfels de la joie celeste que lui procurait la vision bealifique. La Divinite, qui lui resle toujours unie, ne fait plus que lasoutenir, la fortifier, afin qifelle puisse souffrir beaucoup et longtemps, tam crudelissime. sui- vant le capriee de ses ennemis et de ses bourreaux. Jesus lui- meme surla croix s'est plaint de cette desolation, de cet aban- don : Deus, Deus meus, ut quid dereliquisti me? (Matt., 27, 46). Troisiememertl, « considerer commenl il souffre totil. cela pour moi, a cause de mes peches, comme cMliment merite par moi, et ce que je dois faire pour lui en relour ». Saint Ignace venl que, pour relirer un plus grand fruit, nous prenions place toujours parmi les personnages du myslere, que nous medilions comme si toul se passait sous nosyeux, et « pour moi en parti- culier ». Ce n'est d'ailleurs que la pure verite (Voir le troisieme prrlude des deux premiires m&ditations). Ces reflexionsserieu- sement failes ne peuvent manquer de produire en nos ames les effels les plus salulaires.

3. Pour le nombre des medilalions et ie temps a y consa- crer, il faul s^en tenir aux noles de la deuxieme semaine. La 2e et la 6e addilions sonl ainsi modifiees : au lever et pendant le jour, je me rappellerai la Passion du Sauveur et nfentretien- drai de pensees qui me disposent a la tristesse, a la conlrilion, a la compassion, en presence de niomme-Dieii souffranl.

Ici encore, sainl Ignace permel d^augmenter ou de diminiier le nombre des meclitations Vid. 1'alinea 3 de la noledn 7ejour). Mais il demande specialement qu'apres avoir fini toule Lhistoi ie de la Passion, on la repasse pendant deux jours, en la parla- geant en deux, et qu'ensuite on consacre un troisieme jour a la conlempler en enlier. Nous pouvons aussi abreger cetle metbode, comme rindique notre bienbeureux Pere. Nous relirons de la une plus profonde impression. Celle medilalion parlielle etcelte revue tolale de la Passion seraient une nouvelle maniere de considerer les mysteres; nous pouvons lui donner laformed'une repelilion ou dune applicalion des sens. .\ous pouvons encore considerer ces diflerenles medilalions sous un seul aspect ou les parcourir dans le bul de produire en nous un senlimenl ou

112 COMMENTAIRE PES EXERCICES

[iD Iruit determine. L'objelde 1'exaraen particulier continuera dVlre snr robservalion des addilions.

Regi.es de la temp&rance.

1. Ponrquoi saint Ignace a-l-il place ces regles a cet endroit des Exercices ? La conleinplalion de la derniere Gene serable en etre roccasion, du raoins la cinquieme regle parait y faire allusion. D'ailleurs une sage moderation dans laiiourriture et la boisson est necessaire a celui qui veut poursuivre la car- riere des Exercices, d'abord pour en relirerun fruilconvenable, ensuile pour conserver les forces suffisantes. La lemperance el le vice conlraire exercent une influence inconlestable sur la vie spiriluelle, parliculierement sur la priere (1) ; el d'autre part la medilalion de la Passion nous excile au jeiine et a la penilence. Pendant la quatrieme semaine des Exercices,notre bienbeureux Pere nous conseillera de ne pas faire de penitences ; il nous recominandera seulemenl de garder la lemperance et d^observer les jours d'abslinence el de jeune prescrils par rEglise(A'o/a>i£/« 4:' bebd1). II etail ulile d'avoir une direclion en celte maliere. De plus ces regles renferraenl un assez baut degre de per- fection, qifon ne peut exiger de ceux qui suivent seulement la premiere semaine. L^horarae doil etre eleve peu a peu ; el Fexemple de Nolre-Seigneur souffranl esl pour cela d'un puis- sanl secours. Enfin sainl Ignace a peut-elre dilfere celle ins- truclion jusqu'a cclle beure pour offrir conslaminent au ielrai- tant quelque cbose de nouveau (Dir. , c. 35, £ 12. 13).

2. Les regles qui peuvent etre donnees sur cetle matiere se ramenenl aux liois poinls qui sonl traites par saint Ignace : la qualite, la quantile de la nourriture, el la maniere de la prendre.

3. Parlanl de laqualite dans les rrgles 1, 2, 3, il dil qifil y a nioins a s'abstenir et a se inellre en garde dans Fusage du

(1) " A<l usum nicntalis orationis, ut continuari possit, hacc nioderatin ui victu imprimis necessaria est » (Suarlz, De Ilelit/. 8. J. L. 9. c. 6. n. 6^.

REGLES HE LA TEMPERANCE 113

pain : parce que de'ce cole nolre gout el 1'espril du raal nous portent moins au dereglement. On doit se morlifier davantage dans liisage des mets delicals, el plus encore dans la boisson, surloul s'il s'agil de liqueurs spiritueuses. En reglegenerale, il faul plulot s'en lenir & ce qui est commun el ordinaire elfaire peu ou point usage de ce qui est exquis.

Incidemment, cette regle nous apprend quen celie matiere ce qui conduil au dereglement esl aussi bien notre appelil que Tespritdu mal ; lous deux onl ete iacause du premier peche.La necessite de surveiller Ie penchant pour la boisson n'a pas besoin de demonslralion, les consequences de 1'abus elanl beau- coup plus giaves que cell.es de 1'abus de la nourrilure : le seul soupcon d'un pareil penchanl ferait grand lorl a un apotre. II en esl de meme de la gourmandise; elle degrade riiomme meme dans sa dignile humaine. D'ailleurs quel serait le fruil. de nos predications, si nous pouvions meriler un tel reproche? Cesl a nous que s'appliquerail celle parole d'un homme du monde : « Jedesespere, quand je vous enlends precher, mais je reprends courage, quand je vous vois a table. » Telle est donc la regle generale : rien ou tres peu en fait de mets delicals, a peu pres comme on use de desserl ou d'une medecine.

4. Les regles ie et 8e Iraitent de la quanlile. 11 sagitavanl tout de connaltre et de prendre le juste milieu. Ce jusic milieu est la quantite de nourriture qui nous rend capables de vaquer colivenablement a nos occupalions d'un repas a 1'autre, sans etre incommodes par un exces ou un defaut de nourritufe, de lelle sorte que le repas suivanl nousretrouve avecTappetit. Lanalure elle-meme nous dicte cette regle : dans un etat regulierde sanle. Dieu a lellemenl ordonne les fonclions vegetatives du corps que Tesprit n'en esl pas incommode. Mais comment decouvrir ce juste milieu? Ou bien Dieu nousle montre parquelqueslumieres interieures, ou bien nous avons a le trouver nous-memes, en e.ssayanl quelle qnanlile de nourrilure nous rend capables d'al- leindre le but que nous avons en vue. Mais ue croyons pasquil faille loujours diminuer de plus en plus; rien n'est pius nuisible a la sanle, surtoul quand les forces ne sonl pas encore develop- pees. Faisons donc un ou deux essais, et si notis croyons avoir

COMMENTAIRE DES EXEFSCIC.ES

dotive la justc mesurc, arretons-nous y sans scrupule. En gene- ral, il faut plulol lendre a accroilre qu'a diminucr les forces. Une aulrc manierc de trouver ce juslc milieu est de determiner par-devers soi, apres le dincr ou apies le souper, ou dans tout autre inomenl ou lon n'eprouve ni faim ni tenlalion, la quantile de nourrilure qu'on prendra le procliain repas et d'observer cette pratique chaquc jour ; alors il m faul pas la depasser, et si le demon veul nous persuader le conlraire, nous devrons prendre au-dessous de ce que nous avions fixe ( Vid. Annot. 12 et 13).

Mais ne sera-t-il jamais permis d'aller au-dela ct dc s^ecarler decemilieu? Non seulement nous le pouvons, mais nous le devons, afin que dans telle circonslance ou nous avons hesoin dc prendre plus de nourriture, nous puissions lc faire en loute Hberte. Jamais il nc faul surcliargcr rcslomac, mais la lempe- rance autorise du plus ou du moins, de memc que le negoce pcrmet differcnts prix pour les marcliandises : on ne peut pas depasser le prix exlreme, mais il y a diirerenls degres enlrc lc plus el le moins eleve.

5. Dans les reglcs 5, 0, 7, sainl Ignacc donnc la maniere de se conduire a table. Ces regles rcgardenl la conduitc inte- rieure et exterieure. Avanttoul, il imporle d'elever Tesprit au- dessus des mets ; car il n'est pas neccssaire que Tespril s'appli- que a la nourrilure : cette occupalion serail indigne de lui ; il doit elever ses pensees plus liaut, pendant que scs servileurs Iravaillenl. Agir aulrement serail donner lieu a des tenlalionset ouvrir 1'ame a la sensualite. Mais comment occuper Tespril? En pensant au Sauveur, a la maniere donl il mangeail, buvait, regardait et parlait : nous avons ainsi le modele d'une conduite noble et convenable, rnajorem metlwdum sumere. Cest pour cela, sais doule, qifon Irouve souvent dans les anciens monas- teres le tableau de la derniere Cene. Assurement Nolre-Seigneur. assis a lable, etait aussi edifiant que quand il elait en pricre : telle esl la lecon que nous devons apprendre. Nouspouvons pen- ser egalement a la vie des Sainls ou a tout aulre sujel ayanl de rulilile.

Pour la conduile exlerieure, il faul s'appliqner a la modeslie, au calme el a la bienseance.

QUATRIEME SEMAINE

1. But de cetle semaine. La quatrieme semaine expli- que el confirme le dernier point de la meditation du Regne : la victoire suil la batailie. Elle esl cerlaine et magnifique ; nous y parlicipons suivant la part que nous aurons prise au combat. En d'aulres termes, le but special de celle semaine esl de nous contirmer dans notre eleclion par la vue de la reeompense, qui nous est monlree d'une maniere vive et saisissanle dans la Per- sonne de Jesus-Ghrist. En lui nous voyons la gloire qui doil beatifier nolre ame et notre corps ; pour nous en donner Tidee, Jesus reste encore quaranle jours sur la lerre, apparaissant dans son corps glorifie. La deuxieme et la troisieme semaines nous onl monlre la voie ; la qualrieme nous fail voir le lerme {Dir., c. 3G, § 1 . La verile du Fondement est ainsi eclairee dun jour plus lumineux.

L'esprit de celle senaaine, ou. si lon veut, sa fin procliaine et son fruit special, est la joie et famour. Mais quel esl le motif de celle joie? Avant toutcVsl le triompbe etlajoie du Sauveur; il le merite bien a cause de lui-meme. Ensuite ilfaut nous rejouir a cause de nous. Noos devons en eflfel participer a ceKe joie de Jesus ; cest notre joi»*, la joie de tous ceux qui Font suivi el qui maintt-iiaiit sont consoles el recompensespar lui. II est vrai que ce motif n"esl pas le plus eleve, maisil est pratique. II y aurades heures dans la vie oii rien ne nous louchera plus que la reponse ;'i cetlf queslion : « Combien cela durera-l-il donc? et a qui en reviendra lavantage » ? On reprend haleine, on se remet en route, et lacroix nous devient meme ainiable. La sainte Ecri- Ijire elle-meme ne neglige paslemolifde 1'esperance chreiienne. el le Sauveur ea faii souvent usage, par exemple, dans son dis- cours dadieu : Yeniam ad vos... modicum et videbilis me... ui domo Patris mei mansiones mullse sunl... gecudium vestrum ncrno lollrt a vnlns Joa.nn., ii.^2, 18; 16. 10, -lzl . Pbwr.Notre"

|1G COMMENTAIRE DES EXERCICES

Seigneur lui-meme, le combat n'a dure que trente-lrois ans, et sa grande Passion, seulement un petil nombre d'heures. Du resle le temps n'y fail rien, puisqu'il nefaut qu'un pas pour arri- ver a la charile parfaite. Ici encore, le caraclere du Sauveur apparail dans sa grandeur el sa magnificence. Quel Mailre nous avons lebonheur de servir! II est bon au-dela de toule mesure, et ilest immorlel, ettoutes ses recompenses le sont aussi. Celte cousideration nous inlroduil deja en plein dans la parfaile clia- rile.

Remarquons aussi la douceur et Ia benignite que monlre le Sauveur aux siens apres sa Resurrection; comme il agil sans cesse pour nous; comment, dans son corps glorifie, il deploie une aclivile incessante, energique, toute divine, pour mener a son achevenrent l'edifice spiriluel de son Royaume, qui est la sainle Eglise.

2. Les inslruclions de saint Ignace nous aidenl puissam- ment a nous rejouir « de la gloire et de la joie » du Sauveur ressuscile. Dans le troisieme prelude, nous avons a demander la grace de nous rejouir « grandement », intense. Gest en elfet une grace qui favorise beaucoup nolre progres, en nous donnant facilite, courage el force dans le service de Dieu. Dieu seul peut la donner. II arrive souvent que dans la quatrieme semaine on se sent peu dispose a cette joie : la faligue el une certaine satiete, la pensee que nous aurons a garder lidelemenl nos resolulions, enfin les tentations de Tesprit malin peuvent nous abatlre el empecher celle dilatation du coeur. INous devons donc prier el nous exciler h la joie, aussi bien que nous nous efforcions pen- danl la troisieme semaine de concevoir de la trislesse el de la douleur.

Deux autres pensees, dil saint Ignace, doivent nous elre pre- sentes pendant la medilalion. D'abord, il faut considerer com- menl la Divinile, qui se cachait pendant la Passion, se manifeste maintenant dans le visage, les paroles, la bonte, la liberalite, 1'amabilite du Sauveurpar des effels « vrais, sainls, et merveil- leux » : Miraculose per veros el scuiclissimos effectus... in sanclissima Resurrectione. Les effets sont « merveilleux >», parce que la vie oii il vienl d'entrer esl une vie glorifiee, el les

QUA.TRIEME SEMAINE II"

miracles naissent, pour ainsi dire, sous ses pas, comme les fleurs au soleil du prinlemps; mais ilssonl surloul « vrais, sainls et sanclifianls », parce qu'ils confirmenl la verite de sa Resur- rectiou glorieuse el nous procurent des graces de foi, despe- rance et de cliarile. Eu second lieu, il faut considerer com- ment Nolre-Seigneur remplit l'office de Gonsolaleur. II en fait un office. et il 1'exerce envers tous et cle toules sorles cle manie- res, en faveur de 1'inlelligence, du coeur el des sens : il le fait comme un ami el un pere, paisihlement, tendremenl, cordiale- menl. corame on peut le voir en delail dans les diverses appari- lions.

Le^ notes concernanl celle seinaine perraettenl une cerlaine detenleel relaehede 1'espril : elles demandenl moins de peine et de Iravail. Le nombre des conlemplalions est reduit a qualre ; dans les repelilions, nous devons nous arreler de preference sur les endroils ou nous avons trouve de la consolalion. Les points doivent cependant etre loujours prepares, ce qui suppose la division du myslere en plusieurs parlies.

Une nole modifie ainsi la deuxieme addilion : En se levant, il faut se disposer a la joie el a 1'allegresse : Volendo afficl et exhilarescere de tanto gaudio et Iseiilia Christi. Goramenl doit- on le faire ? En sexeilanl a ces senlimenls, en chassant la trislesse el eu se donnant du courage. Pourcpioi? Parce que le Sauveur est desormais dans la joie. Ce serait mal a un enfant de se refuser a. la rejouissance le jour de la fele de ses parenls. Le Seigneur veut aussi que nous nous rejouissions ; il repete souvent : Pax vobis; nolite limere. II ya aussi un change- ment a la sixieme addilion : nous ne devons admellre que les pensces qui procurenl de la joie spiriluelle. Le ciel seul doit appaiaitre a nosyeux : il faut nnus creer en esprit comme un Eclen pascal, un paradis de delices, au sein duquel se tient le second Adam, le Sauveur ressuscile. Le souvenir du passe ne doil nous rappeler nos peches que comme pardonnes, el par consequent doil ouvrir en nous comme une source de joie et de reconnais- sancc. Quanl a la vue de lalumiere, du soleil, du feu, des (leurs, choisissons ce qui nous semble contribuer a nous dilater dans le Seigneur. II faut reflechir et ne pas choisir au hasard; car

118 COMMENTAIRE DF.S EXERCICES

souvent le demon nons tend des pieges pendanl la qiiatrieme semaine : comme jadis il s'esl furtivemenl introduit dans le paradis terreslre, de meme aujourd'hui il vienl dans le jardin de la Resurrection, cherchant a en detruire les joies par les memes moyens qifaulrefois, rinconsideration el la sensualile. G'est ici le moment de praliquer la doctrine du Fondemenl sur 1'usage des crealures par 1'exercice de la prudence et de la circonspec- lion. Quant a la 10e addilion, au lieu d'acles de penitence, observons seulemenl la lemperance, a moins que le lemps pre- sent ne ramene quelque jeune prescril par 1'Eglise.

Meditation pour obtenir l'amoir de Dieu.

1. Avec un grand a-propos sainl Ignace couronne les Exercices par une medilation quia pour but de nous faire parve- niraramour de Dieu. L'amour esl en effet le premier comman- demenl, la loi divine la plus elevee, la verlu la plus excellente et le service le plus sublime de la divine Majesle. Cesl par l'amourque Dieu devient reellement maitre de nolre cceur.

Celte medilalion se relie tres inlimement a tout Tensemble des Exercices. L'amour a ete la demande et le fruit de la deuxieme, de la troisieme et de la qualrieme semaines, 1'esprit qui devait nous animer dans 1'imilation de Notre-Seigneur. L'amour esl donc le resume complet de tout ce que se proposent les Exerci- ces, el le but special de la qualrieme semaine. II ne s'agil pas seulement ici de 1'amour effectif, prouve par nos aclionset 1'imi- tation du Ghrist, mais ausside 1'amour affechf. II esldonc jusle de clore les Exercices, parliculierement la qualrieme semaine, par une instruction speciale pour exciler meme laflection de 1'amour divin en nous : c'esl comme le sceaud'ordes Exercices. Mais pourquoi est-ce seulement mainlenanl que saint Ignace vient 1'apposer el non pas plus 161, par exemple, dans la medi- talion fondamentale ? Sans doute, l'amour de Dieu repose sur les verites du Fondement : il doit etre la consequence necessaire de notre nature d'etres crees par Dieu, el appartenant a Dieu. Mais il elait preferable de ne point parler expressement de

MEDITATION POLR OBTKNIR l'aMOI R I)E DIEU 119

l'amour, jtisqua ce que nous eussions appris a nous defaire du peche, a dominer nos mauvaises passions. a purilier ainsi notre cceur pour le rendre capable du veritable amour ; el alors le cceur y est bien mieux dispose en finissanl les Exercices qifen les commeneant. Cellederniere medilation compleie le mys- lere de la descente de rEspril-Saint, qui eslle frtiil el le couron- nemenl glorieux de la vie de Jesus. Lame doit sortir de la retraite, comme l'Eglise esl sorlie du cenacle, pleine du Saint- Esprit, remplie de 1'amour de Dieu.

2. Laconlemplation ad amorem... se divise clairement en deux parties : Dans la premiire, saint Ignace se sert de deux principes pour nous faire connailre la nature du verilable amour : il consisle moins dans les paroles et les seniimenls que dans 1'aclion, et laclion consisle dans la conimunication muluelle des biens. Nolre bienheureux Pere a donc en vue 1'amour damilie, qui consiste a se connailre et a s'aimer reciproque- ment. La seconde partie renferme les motifs de lamour de Dieu :

Premierement : Dieu esl nolre plus grand bienfaiteur; car il remplit a notreegard les condilions du veritable amour : il nous communique reellement de tous ses biens, il veut nous en com- muniquer encore davantage, et sans nul doute nous en com- muniquera infiniment plus.

Deuxiememenl : Dieu esl pres de nous, il demeure en nous plus specialement que dans tous les autres etres : car il habite en nous dune maniere surnalurelle. Or cest le lemoignaged'une grande affeclion de Dieu pour nousde se lenir si proche de nous, de nous communiquer non seulemenl ce qui lui apparlienl, mais encore de se donner lui-meme h nous, de telle sorle que, en dehors du ciel el du Sacrement de Taulel, iln'est nulleparlaussi present quen nous-memes. Sans parler de riionneur et de la grandepreuve d'affection que nous donne rhabitalion de Dieu en nous, nous jouissons d'un grand avantage pour repondre a cel ainour ; nous n'avons pas besoin daller loin pour le cher- cher : il est pres de nous, en nous, et nous sommes en lui. Quelle reunion des p!us puissants motifs pour laimer !

Troisiemement : Dieu est sans cesse agissant pour nous,

120 COMMENTAIRE OTS EKERCICES

aulour i\r nous et en nous. Jetons un regard sur les differen- tes spheres de cetle activite, se deployanl dans le regne de la nature inanimee, dans les planles, les animaux, ensuile dans la sociele liumaine, dans la famille, 1'Etal, l'Eglise, et meme dans le ciel ; partoul il s'emploie aclivemenl pour nous. Voyons, dans cliacune de cesspheres, d'innombrables crealures qiie Dieu conserve et faitagir pour nous; el en loul voyons Dieu qui nous aimeel qui, par cel amour loujours en aclion, remue,pour ainsi dire. le ciel et la lerre pour conquerir nolrecamr ! Dans un elre raisonnable, dans riiumanile du Chrisl, il agit pour nous jusqifa souffrir et jusqtfa mourir!

Qualriemement : Dieu est la bonle et la beaute absolues. II faut nous elforcer de concevoir une baute idee de Dieu, eu nous represeulanl toul ce que la creation entiere renferrae de beaule, de bonle, de grandeur, el en tachant, par voie dinduclion, de nous elever a 1'idee de la bonte el de la beaule increees. Consi- derons, suivant Tavis de sainl Ignace, comment tout ce qui est bon et beau vienl de Dieu, comme les rayons emanenl du soleil, comme l'eau sort de la sottrce. Parcourons le monde maleriel, le monde raisonnable des Anges et des bommes, la societe de TEglise, le ciel : queis degres ascendants de sagesse, de puis- sance, de bonte, de beaule el de saintele ! Mais qiresl-ceencore que toul cela, compare au chef-d'ceuvre qui a fail la Mere de Dieu? et cependanl qu'est-ce que Marie elle meme, comparee a rHomme-Dieu, et enfin tous les dons de Dieu reunis ensemble, compares a Dieu lui-meme? Nous nous perdons dans 1'idee de celle grandeur infinie. Et si mainlenant ctt Elre infiniment grand nous connaissait, s'il nous aimail ; si meme il desirail nolre amotir ? et si, par noire amour, nous pouvions ajouler a sa gloire? si, en retour de ce faible amotir, il voulait se communl- quer a nous pendant toule 1'eternite, ne sprions-nous pas obli- ges delaimer el pourrions-nous jamais l'aimer assez?

En comparant enlre eux les quatre poinls de laconlemplation, nous remarquerons une progression dans la maniere dont Dieu se rapprocbe toujotirs davantage de nous, se revelanl loujours plus aimable et agissanl toujours plus puissamment sur notre coeur. Les trois premiers points presentent, comme motif de

MlfolTATION POUR OBTEMR l'AMOUR DK DIEt 121

ramour de Dieu, sa bonle pour nous, el le qualrieme. sa bonte absolue en elle-meme. Le Suscipe qui renferme le sacrifice complet de nous-meine a Dieu, et, pour ainsi dire, nolre lesta- menl, forme une conclusion logique, en parfaite harmonie avec les quatre considerations qui ramenent.

Cetle conlemplalion est vraiment un digne couronnement des Exercices, leur resume complel, la reponse parfaile a lous les mysteres et a loules les demandes des qualre semaines ; c'est le |)lus beau plan de la vie chretienne : le meltre en oeuvre sera realiser tout ce que nos intentions el nos efforls peuvent accom- plir de plus grand ici-bas ( Voir Dir., c. 36, -1 .

3. La contemplalion de 1'Ascension et la conlemplalion nd amorem oOlinendum lerminenl la serie des medilalions dans- le livre des Exercices. Saint Ignace ne veul-il pas nous faire entendre par la que tout est renferme dans la vie de Nolre Sei- gneur, et que pour conserver el perfectionner nolre vie spiri- tuelle dapres un parfait modele, il nous suffit de connailre, d'aimer et d'imiter Jesus-Ghrisl? L^Evangile ne nous enseigne pas autre chose, en nous proposant la vie de Nolre-Seigneur ; et les Apotres navaient pas d'autre connaissance que celle de Jesus, el de Jesus crucifie f I Cor., 2, 2).

Nous avons donc elfectivement loul dans la vie de Jesus- Ghrist : « Le Ghrist est le Fondemenl el il n'y en a pas d'autre que lui (I Cor., 3, 11). [I est pour nous la sagesse en Dieu, la justice, la saintele el la redemplion l Cor., i, 30). 11 est la \oie, la verite el la vie (Joann., 14, 6) ». G'esl pourquoi. dit 1'Irai- talion, nolre plus sublime occupation doit etre de mediter la vie de Jesus (i, 1).

Get enseignemenl s'applique particulierement a la Compagnie de Jesus, donl la vocation speciale est de reproduire en elle- meme, tant exterieurement qirinterieureinent, la vie de Jesus, de sauver et de sanclifier les hommes, en faisant mieux connai- tre Tesprit de Nolre-Seigneur. Aussi nVt-elle d^autresarmoiries que le nom de Jesus, accompagne de la devise : ad conviven- dum, et rommoriendum et conregnandum cum Christo(U Tim.T ii, 11, 12).

122 COMMENTAIRE DES EXERCICES

TROIS MANIERES DE PRIER

Saint Ignace ajoute aux Exercices plusieurs manieres de prier ; il en est plusieurs fois question dans les demieres annolations. Ou peul ies appeler des raanienes de mediter, car elles devien- nent facilement une meditation. Ainsi il est dil a propos de la deuxieme maniere : Fit conlemplando... consistat in conside- rando, et dans la troisieme : ad quamlibel respirationem oran- dum menlaliler... atlendatur ad significationeni... Ces diffe- rentes methodes sonl comrae des preparations et des essaispour faire avec succes la lnedilalion ; elles sont si simples dailleurs quetout le monde peut s'en servir avec grand profil. Cest pour- quoi saint Ignace nous recommande den repandre autour de nous la connaissance et 1'usage. II nous indique ici trois diffe- renles manieres de prier (Oir., 37. 1).

Premiere maniere de prier.

1. <)n prend les commandements de Dieu, ou les peches <'apitaux,oulessens interieursel exterieurs. A peu pres laduree de trois Pater et Ave, nous examinons sur cliaque coramande- ment ce qu'il ordonne et ce qu'il defend ; puis nous voyons en quoi nous y avons manque, nous nous repentons el nous formons le propos de nous amender. Xous faisons la merae chose sur les peches capilaux, et, pour mieux les reconuaitre, nous nous representons les verlus opposees : car nous ne connais- sons bien le vice que par ses contraires. Pour les sens, on exaraine pour quelle fm ils onl ete donnes, et comment on en a use ou abuse.

Getle maniere de prier consiste donc dans une courle consi- deration ou un exanien de conscience plus delaille. Sainl Ignace dit qu'elle esl plutol une preparalion a la priere qu'une priere raeme, qu'elle est une facon de purilier le coeur el dele disposer a prier (Dir., c. 37. § 2, 6).

2. Yoici les addilions qui conviennenl a cemode depriere : Le recueillemenl prealable suivanl la deuxieine annolation ou

TROIS MAXIERES DE PRIER 123

la cinquieme note du premier jour de la cleuxieme semaine. 2°Lapriere preparatoire dans laquelle nous demandons trois graces : la parfaite eonnaissance des commandements, ladecou- verte de nos faules, enfin la grace de nous corriger. Apres chaque commandemenl, il sera bien de reciler un Pater a la meme intenlion. Le tout se terminera par un colloque. Si nous navons pas coutume de pecher conlre un commandement, il n^esl pas necessaire que rexamen prenne le lemps de trois Paier. Si Fon veut, dans fusage des sens, prendre pour modele le Sauveur ou sa Sainte Mere, on se recommandera a eux dans_ 1'oraison preparatoire et dans les colloques.

3. On peut developper celle maniere de prier de telle sorte qu'elle ressemble a une medilalion : par exemple, on conside- rera limportance, rulilile, la .saintete de chaque commandement, la difficulle de sa pratique, les benedictions ou les chaliments reserves a ceux qui 1'observent ou le violenl. Pour les sens, nous reilechirons pour quel bul ils nous sonl donnes, quels biens Dieu nous accorde par leur usage, comment ils nous servent a honorer Dieu ou a rolfenser, comment Notre-Seigneur s'en est servi, elc... Nous pouvons aussi appliquer celte maniere de prier aux devoirs de nolre elat, aux regles de notre Ordre, con- siderant leur imporlance, les obligalions quils imposent, les avantages qui resullenl de leur Sdele observalion el les suites fatales de leur transgression, lexemple des Sainls, etc... I>ir., 37. § -2, li .

4. Getle maniere de prier a plusieurs avantages : lu On peut y perseverer longtemps sans faligue ni degout ni distraction. Gette melhode est d^une pratique facile, qui peut se varier a linlini. Elle sert a purilier le cceur des peches conlre nos devoirs d'etat, en nous les rappelant, en nous faisant connaitre leur malice, en nous penetrant de la crainte de Dieu, en creant en nous une plus grande delicatesse de conscience. Saint Francois-Xavier la recommandail instamment aux personnesdu monde qu'il voulait faire avancer dans la voie purgalisne Dir., 37. § 7).

12i COMMEXTAIRE DES EXERCICES

Deuxieme maniere de prier.

1. Apres avoir pris une formule determinee de priere, on s^altache a chaque parole ou a chaque idee, aussi longtemps qu'on y trouve aliment, edification et consolation... On s'arrete au sens et a la porlee des mots, en faisant des comparaisons, des applieations praliques, et en produisant des actes de vertu ou de bon propos. Ainsi, dans le Pater, nous considererons que Dieu est effectivemenl et se monlre notre Pere, nous donnant l'elre, nons conservant el pourvoyanl a lous nos besoins; puis nous reflechirons sur les obligations que nous impose la qualite de fils ; le respect, Tobeissance el ramour. INous ferons de meme pour VAve Maria, le Credo, etc. (Dir., 37. § 9, 10).

2. Les addilions qui s'appliquent a celle maniere de prier sont : La priere preparatoire el la priere finale, que l'on doil adresser a la personne qui nous occupe. La posture a tenir : elle est libre ; on se tiendra assis ou a genou.x, suivant qu'il parailra plus ulile pour le grand fruit. Nous pouvons tenir les yeux fermes ou bien ouverls, mais non les laisser regarder cii etla. L'emploi d'une heure entiere : il n'est guere facile de parcourir en moins de temps une longue formule de priere sui- vant cetle deuxieme methode. L^atlenlion a ne pas passer d'un mot a un aulre, lant que nous trouverons matiere areflexion et aux affections dans le premier (Vid. Annol. 2, et addit. 4). ^— Ce que nous n'aurons pu mediler ainsi pendant 1'lieure sera vecite a la fin. Dans Texercice suivant, nous reprendrons leresle de la formule a 1'endroit oii nous nous etions arreles. Apres le Paler, nous prendrons YAve Maria, el successivement d'autres prieres vocales, el ainsi nous acquerrons la pralique facile de cetle maniere cle prier.

3. Avanlages de celle methode : Elle est facile et sert a nous occuper un long espace de temps. Pourcelle raison, ilsera bon de la conseiller auxseculiers et aux commencanls, en l'ap- pliquant, par exemple, aux prieres de la Messe ou a d'aulres prieres, lorsque l'office divin est prolonge. De simples fideles arrivent souvent par cette melhode a faire une meditation solide

TBOIS MANIERES DE PRIER 125

et de longue duree. Sainle Elisabeth employait de celle maniere deux heures pour le seul Paier. Ce genre de priere con- vient particulieremenl aux lemps de fatigue, de dislraclions, de voyage ; car les formulesde priere forment par elles-memes une sorle de canevas sur lequel rinlelligence et rimaginationpeuvent exercer facilement leur travail ; ou encore le texle des prieres est comme un filel qui reprime les saillies de rimaginalion et diminue les dislraclions si elle nelesemp£checomplelement. Cetle melhode fait decouvrir la slruclure, renchainement logique el la beaute des formules usuelles de priere ; etainsiTon fait une provision de bonnes et solides pensees qui se repre- sentenl a nous, quand nous ne faisons plusque lesreciter ; c'est donc un excellent moyen pour eviler les dislractions dans la priere vocale ordinaire. Celle deuxinme melhode peul aussi s^appliquer aux paroles du Sauveur..., qui se Irouvent dans la meditalion des mysteres...

Troisieme maniire de pfier.

1. Elle n'est qifun simple abi-ege de la precedenle : on ne s^rrete passur les mols aussi longlemps quon y Irouve du pro- fit, mais on les prononce a la suile les uns des aulres avec une lenleur rylhmique, faisant reflexion sur chacun pendant le lemps de chaque respiralion. Ainsi nous pensons ou a sa significalion, ou i\ la personne a laquelle il s'adresse, ou a nous-meme : a notre silualion, a nos hesoins, a nolre relalion avec celle per- sonne (Dir., c. 'il . § 12).

2. Gelle lioisieme methode sert beaucoup a fixer nolre atlention dans la priere vocale : le chapelel, le Breviaire, etc. Penser exclusivement au sens des mols finil par faliguer Tesprit; nous gagnons en atlenlion el en ferveur, si nous varions les induslries.

3. On peut, dans le couranl des longues prieres, appliquer celle melhode a cerlaines parlies de ces piieres : dans le Bre- viaire par exemple, aux Gloria Pairi, aux Pater, aux Ave...

\. Ces trois manieres nous donnent une direction ulile dans la pralique de la priere en general. Remarquons ce conseil

126 COMME.NTAIRE DES EXERCfCES

de tenir les yeux ou bien fermes, ou arreles sur un poinl ; en effel les distractions viennent surtout du defaut de vigilance sur nos regards, particulir-rement dans les eglises pendant loffice clivin. Non moins utiles sont les differentes industries suggerees pour soutenir notre allenlion pendanl la recilation des prieres vocales.

En resume, la premiere manicre de prier est une sorte de consideration, la deuxieme, une pri«*t e medilee, et la troisieme, une priere allenlive. Toutes les trois s^allaclienl a tine formule ou a un texte determine, comme h un modeleou patron propose, qui facilite 1'Exercice de la priere et preserve des distraclions. Les seculiers ont la un vrai tresor ; c'esl a nous de le decou- vrir a tous sans exceplion (Mr., c. 37. £ 11 .

Combien de melhodes de priere, surtout mentttle, rtffus enseigne saint Ignace?

1. Nous pouvons en compter sept differentes : La consi- deralion « perintellectum » (dans le Fondement, les trois Degres iriiumilile, elc); "2° la medilalion propremenl dite i parexemple. sur le Iriple peche); la conlemplalion (dans les myslrres); rapplication des sens ; enfin les trois manieres de prier. Quel merveilleux Iresor ii exploiler pour TExercice de la pricre ! L'en- ntii el la seclieresse viennenl souvent de ce que nous nepensons pas & varier nos melhodes, suivanl la disposition presente et les circonstances.

2. En general, il esl bon de changer quelquefois, ou au moins de tacher d'unir la priere vocale a Toraison mentale. Rien n'esl plus propre a secouer la torpeur el la somnolence que de formuler de botiche les sentimenls ducceur. ]Jarcontre, la priere vocale prend vie el force, lorsqtf on y m£le de courtes conside- rations ; ainsi, qtiand on se prepare a la communion ou pendant Toffice religieux. A la contemplalion nous pouvons ajouler tous les genres de prinre, surtout Tapplication des sens. La medila- lion devient par la comme une mosaique vivante, ou s'enchasse toul ce qifil y a de plus precietix dans la science de la priere.

3. Mais sainl Ignace nous apprend-il aussi 1'Exercice de la

DISCERNEMKNT DES ESPRITS 127

haule conlemplation, celle 011, sans le Iravail des faculles de nolre ame, mais, par un secours special de Dieu, notre espril reeoit rinlelligence dune verile que nolre volonle embrasse doucemenl et sans effort? Gomme tel, in termino, ce genre d'oraison ne peul elre enseigne par des moyens humains : Dieu seul peut nous Tapprendre. Ge serait folie meme de tenter d'y arriver par notre Iravail personnel. Nous ne pouvons que nousy disposer en eearlant lesobstacles : c'est ce que fait saint Ignace dans tont le conrs des Exercices. Avanttoul, ilpurifie le coeur du peche, delivre de la lyrannie des passions, nous apprend le bon usage des creatures, nous propose ensuile Jesus-Ghrisl, comme la voie qui nous conduit et nous unit a Dieu. II nous enseigne une methode a la fois excellente et facile depriermen- talement au moyen de la medilalion proprement dile ; et parles addilions il fail servir a celte methode de priere toutes les facul- tes de notre ame et cle nolre corps. Puis il nous fait monterplus haut par la conlemplation el l'application des sens. Dans la qua- trieme semaine, les mysleres et l'instruction formelle (en quatre poinls) « ad obiinendum amorcm divinie Majesiatis » qui les suil, nous introduisenl dans les demeures de 1'amour divin. Enfin les annolalions 2 et 11, la 49 addition, etc... nous offrent un secours puissant pour atleindre nolre but, en nous aver- tissant de nous atlacher a une seule pensee, avec calme et recueillement. Telle est la voie droite et sure pour arriver a la contemplation, si Dieu veut nous faire cette grace. II n'y en a pas d'aulre que la marche perseverante dans la voie ordinaire de la priere et de la vie spirituelle (Dir., c. 39 > ; (Si arez, de Helhj. S. J. L. 9. c. C>, n. 9, 10, 11).

Regles pour le discernement des esprits.

1. D'apres sainl Paul et saint Jean (I Cor., 12, 10, et 1 Joann., 4, 1 j, le discernement des esprits est un don gratuit de la grace divine, accorde avant loul pour l'utilile du prochain. II consisle en ce que, par la lumiere del'Espril-Saint, nous decou- vrons les pensees secreles des autres (saint Thomas, 1. 2. q. nr,

128 COMMENTAIRE DES EXERCICES

ad 4"'), ou bien nous dislinguons sil faut allribuer au bon ou au mauvais espril lelle pensee, lelle inspiration (Suarez, de gratia, Prol. i, 6), Le discernement des esprits a pour objet soit les propheties, soit Torigine divine des lumieres recues (l Cor., 14. 24, 25, 37); il fait en lout cas juger lequel des deux esprits, du bon ou du mauvais, exerce son action sur lame. Ce jugement est toujours difficile a porter, si l'on ne se serlquedes lumieres naturelles. II n'esl certain el infaillible que par un don du Saint-Espril. Ce don est necessaire pour juger des revelalions particulieres, des apparitions, des doctrines, des devolions nou- velles, parliculierement quand on esl pousse a faire des clioses extraordinaires ou a changer sa vie spiriluelle souspretexte d'un plus grand bien." Si le jugement en question ne s'appuie pas tant sur 1'inspiralion du Saint-Esprit que sur les regles dela prudence chretienne, donnees par les mailresde la vie spiriluelle, il n'esl plus que le fruil d'une science acquise, et dans ce cas ne s'ap- pelle et iVesl qu'improprement el dans un sens large un acte de discernemenl des esprils. Or c'esl a titre de science acquise que saint Ignace nous oflre quelque chose du riclie Iresor de son experience dans la vie spiriluelle, donl il a parcouru lous les degres. Aussi toul ce qifil enseigne sur cette matiere esl comme lhistoire de son interieur.

2. Le but de ces regles, le seul tilre 1'indique avec precision, est d'observer dabord, puis de discerner les differents mouve- ments de l'ame. Observer, c'esl-a-dire porler son allenlion sur ce qui peut etre Toperalion de l'un ou de 1'aulre espril. Deja, dans 1'examen de conscience, saint Ignace a fail remarquer qu'il y a en nous trois especes de pensees, les unes venant de nous- memes, les autres du bon ou du mauvais espril ; il y revienl dans la medilation de deux Elendards. II faut donc apprendre a. connailre et a distinguer ces differenles actions, qui sont ci la vie spirituelle ce que sonl au navigaleur la nature el la direction des venls. Le progres ou la decadence, le salul ou la ruine en depeudenl. Sainl Ignace dit « de quelque maniere », montrant par la qu'il parle d'une science acquise el non du don graluil, venant de Dieu seul, et seul infaillible.

DISCERNEMENT DES ESPRITS 129

Regles da discemement des esprits pour la premiere Semaine.

1. Les regles de la premiere semaine sont plus generales que celles de la deuxieme ; en oulre, elles sont plus appropriees a la voie purgative, et au temps ou 1'ennemi se raontre a decou- vert, presentanl des pieges plus grossiers, des tentalions con- duisant a un raal plus manifeste (Vid. Annol. 9, 10).

2. Ces regles peuvenl se ranger sous trois categories : Les regles I el 2 Irailent de la difference des operations des deux esprils dans les individus, suivant leurs dispositions el leurs ^'tats dames ; les regles 3-12 parlent de la consolation el de la deso- lation : enlin celles qui suivent (12, 13, 14) decrivent parliculie- rement quelques artifices de Tesprit malin.

Regles 1 el 2. En ceux qui ont la conscience detre en elat de peche morlel ou sont disposes a le commeltre, la joie el le plai- sir allaches aux satisfaclions des sens el la tentation de s'y. adonner viennent du mauvais espril : il veul en effet les relenir et les confirmer dans le mal. Au conlraire, 1'inquietude et les remords de conscience doivenl etre allribues au bon espril.

En ceux qui progressent dans la voie du bien, les deux esprits suivent une marche directement opposee : 1'esprit malin leur inspire la tristesse, 1'inquielude, leur suscite des obstacles, leur presentant des raisons apparenles ; le bon Ange leur offre paix, consolalion, lumiere, larmes de componction, en un mot, tout ce qui les encourage, les fortifie et les fait progresser dans la voie du bien.

II suffit donc de sassurer moralement de Telat d'une ame po.ur distinguer aussilot d'ou vient 1'inspiration. Gelui qui est sur moralement d'avoir Tame en bon etat doit tenir pour certain que loul ce qui esl encourageant vient du bon esprit, tout ce qui esl decourageanl, du mauvais, et que toutes les raisons ppur ceder au decouragemenl sont pure deception et mensonges.

Ges regles peuvenl-elles s'appliquera Tetat de liedeur? II nen esl pas fait mention. Le R. P. Roothaan (nota 2) ne le decide pas non plus.

Regles 3 a 12. Elles traitent de la consolation el de la deso- lalion. Les regles 3 et 4 en donnenl la definition ; ies regles

9

130 COMMENTAIRE DES EXERCICES

."> a 9 donnenl la eonduite a tenir pendant la desolation ; celle qu'il faut suivre dans la consolation est indiquee par les regles 11 et 12.

Saint Ignace pose trois conditions qui doiventaccompagner la consolation, venant du bon esprit : Son objet el sa source ne doivent 6tre rien d'exterieur et de sensuel, ruais quelque cliose d'interieur et de surnaturel : Motio interior, Ixtitia interna ; par exemple, Dieu, Notre-Seigneur, sa Passion, la contrilion de nos peches, 1'amour de Dieu. D£s que la cause ou 1'objet de la joie est quelque chose de sensuel, nous ne sommes pas en presence d'une consolation spirituelle. Ne rencontre-t-on pas des hommes pleins de sentiments de tendresse et de piele, quand le vin les a mis en gaiete? Cetle joie doit nous porter aux choses elevees, ad res cailesles. . . amorem . . . propriam salutem. Par consequent, le but, comme le point de deparl, doit etre de 1'ordre spirituel ; aussitot donc que cette joie nous incline vers la sensualite, il y a lieu a la defiance. Cest d'une maniere direcle, directe ordinatis, et non par des voies detournees que ce mouvement doit nous porter vers quelqne bien spirituel. Disons donc en resume que la consolation spintuelle est toujours une lumiere surnaturelle, presentee a rintelligence, ayanl pour etTel la paix, 1'elevalion de la voloute vers Dieu, au-dessus de tout ce qui esl terrestre, autrement dit, toute augmentation de foi, d'esperance, de charite, accompagnee de joie. Elle peut avoir diflerents degres : tantot c'est la consolalion ordinaire, ou cette paix qui nous fait vaquer sans empechement au service de Dieu dans nos affaires interieures et exterieures, reddendo illam quietam, paci/icando in /Jomino; tantdt c'est la consolation extraordinaire, quand nous sommes touches jusqifaux larmes, etc. : on pourrail appelerla premiere la consolation des jours ouvrables, el la seconde, la consolation du dimanche et des jours de fetes.

La desolation est exactement le contraire de la consolation : Klle consiste dans un obscurcissement de notre intelligence, faisanl que nous ne sentons plus ni force ni attrait pour les choses spirituelles ; de la resultent la paresse de la volonte, 1'attrail aux choses sensibles, le reveil des passions basses, un

DISCERNEMENT DES ESPRITS 131

abandon apparenl de la grace, une inquielude que nous ne savons a quoi atlribuer, la defiance, le deeouragement, avec toutes les variations de cette tempete spiriluelle.

Ainsi, coinme la consolation ade grands avantages pour notre progres, la desolalion a de grands dangers, el, loin de nous raontrer indilTerenls a ces deux etals, nous devons agir alors avec grande circonspeclion. Cesl pourquoi saint Ignace donne des regles (de 5 a 9) pour la conduile a tenir au temps de la desolation :

Premierement, il ne faut jamais, pendanl ia desolation, rien changer des resolutions prises dans le temps qui l'a preeedee : parce que, dans le moment acluel, c'est le mauvais esprit qui agil en nous et qifainsi ce serait prendre conseil de notre ennemi, cujus consiliis non possumus invenire viam ad recte quid agendum; donc pas de changemenl, niais conslance et fer- mete a maintenir nos resolulions. Les diffieulles ne sauraienl elre une raison pour les changer : la vertu qui ne lienl pas devant les obstacles nesl pas digne de ce nom.

Deuxiememenl, si Ton iail un changement, qu'il soit pour tendre a quelque chose de plus parfait ; car il faut fortifier nos resolulions el faire toul Foppose deceque conseille la desolalion : intense se mutare, insistendo magis, extendendo nos...G'est les- prit d'heroisme et la taclique de saint Ignace : prendre 1'olTen- sive nous fera Iriomplier de la desolation Yid. annot. 13). En quoi consiste ce changement en mieux ? A prier davanlage. a prolonger la medilation, a nous recueillir plus souvenl. a multiplier les visites au Saint-Sacrement : Tristatur alicjais ? oret (Jac, 5. 13). II faut aussi nousexaminer plus frequemment, nous surveiller de plus pres, puisque, rennemi nous pressant davanlage, nous sommes plus exposes au danger ; c'est donc le raoment de poser des sentinelles avancees. Enfin l'on peut ajouler ime penitence convenable ; ainsi la vie el Tenergie croi- tront en nous, tandis que l'ennemi, nous voyaut faire provision de force et de courage, en sera d'aulant plus afTaibli. La moindre chose, faile dans ce sens, est souvent d'une grande utilite et triomphe de la desolation. Dans la vie spirituelle, la desolalion est une lempele, ou meme un calme plal. presage ou menace

132 COMMENTAIRE DF.S EXERCIGES

de 1'orage ; n'en faire aueun cas esl une preuve dignorance. La vraie consolalion est une grace, nous faisant goiiter les choses divines, el donl nous pouvons tirer profit pour nous et pour les aulres

Troisiemeinent, il ne faul pas oublier que la desolation nous est envoyee comnie une epreuve, et que les graees sensibles nous sont relirees, afin que nous combattions avec moins desecours. ITepreuve coute, tnais, en depit de la difficulte, nous faisons du progres. II y a differenles sortes de graces efficaces : quelques- unes sont accompagnees de la consolation sensible, qui nous empeclie desentir les difficulles ; d'autres ne sont que la force sans la douceur : si avec elles nous triomphons, cela doit nous suffire. Dapres ce qui a ete dit, fexpression de saint Ignace, ut potenliis naturalibus resistat, doit s"enlendredespuissances naturelles, soutenues pai- la grace, qui dans la desolalion ne se revele pas dune raaniere sensible, liccl aperte illud (auxilium)

non sentiat gratiam intensam... Dans ce cas, il nous sem-

ble que nous sorames reduits a nos seules forces naturelles. De meme gratia quse svfficit adsalutem iTest pas une grace pure- menl suffisante, puisqiTalors nous faisons reelleraenl nolre salut par son assistance.

Quatrieraement, nous devons nous armer de palience ; c"est la veritable taclique du Cbretien : In patienlia nesira posside- bitis animas vestras (Luc, 21, 19). Quand notis sommes dans les tenebres de la desolation, il faut aussilol en cliercher la cause. Ne la Irouvons-nous pas en nous-meuies, il ne nous reste qu'a supporler Tepreuve, comine nous le ferions de lout mal pliysique. Le mol laboret dit assez qu'il faul de la peine et des efforts pour acquerir la patience. Ecoulons la-dessus les conseils de saint Ignace : « Pensons dabord que la clesolation passera bienldt. » En eflet, ces disposilions de notre interieur subissenl des varialions, comrae le teraps. Gelte pensee, quoique iTapporlanl qiTune consolation nalurelle, emousse les arraes de l'ennemi el nous preserve de rirapatience. Ensuite eniployons contre la desolalion les raoyens posilifs, donnes dans la regle sixierae et celle qui la suit. La persislance de cet etat dVune ne doit pas (Mre un etat de notre inaction : Adhibendo diligentias,

DISCERNEMENT DES ESPBITS 133

dit saint Ignace. Ilfaut attaquerladesolation, coinme le mauvais esprit atlaque en nous la consolation (Reg. 1 de Discr. Spir. pro 2a Hebd. . L'exemple de Nolre-Seigneur au Jardin des Olives est le modele de notre conduile.

Cinqiiiemement, chercher les causes de la desolation. Saint Ignace en indique Irois principales : la premiere esl la tiedeur et la nonchalance volonlaire dansla vie spirituelle. L'ex- pression Exercitia spiritualia ne comprend pas seulemenl la priere, mais tous les Exercices qui nous disposenl a notre fin surnaturelle : les oeuvresde penitence, rexamen parliculier, etc. Dieu agit avec nous comme un pere qui fait sentir son mecon- tentemenl a son fils, pour le rendre attentif ii sa faute ; c'est pour notre bien, autrement nous continuerions dans notre mauvaise voie. II faut donc examiner d'abord comment nous faisons nos Exercices spirituels.

La deuxieme raison pour laquelle Dieu permet la desolation est sa volonte de nous eprouver el de voir jusquou doiis pou- vons aller sans le secours desgraces etdes consolationsextraor- dinaires. Ce n'est pas que Dieu ait besoin d'acquerir cette con- naissance : il agit dans nolre intenH ; il sait bien ce dont nous sommes capables, mais nous avons besoin decette epreuve pour apprendre a nous connaitre.

La troisieme raison pour laquelle Dieu nous met aux prises avec la desolation est de « nous persuader veritablement et de nous convaincre intimement » qu'il ne depend ni de nous ni de nos efforls cPavoir la consolation et de la conserver ; loutce que nous pouvons faire, c'est de nous y disposer, d'en eloigner les obstacles. La veritable cause non seulement de la consolalion extraordinaire, mais de celle qui est ordinaire, se trouve en Dieu seul : Co?teras partes spiritualis consolationis... ulla alia, consolatio... A plus forte raison ne croyons pas que nouspuis- sions par nos propres efforts atteindre aux degres superieurs de la vie contemplalive. Dieu agit ainsi pour que nous restions dans rinimilile : facilement, aussitotque nousavons fait quelque chose et que la consolalion se presente, nous nousenaltribuons la cause et nous nous mettons, suivant Texpression de saint Ignace, « dans le nid d'autrui ». Alois Dieu nous en deloge ;

134 COMMENTAIRE DES EXERCICES

car toute complaisance personnelle lui deplail. Cest pour cela sans doute qu'a certains jours de grande fete, meme apres une fervente preparalion, nous n'eprouvons ni consolation ni eleva- tion de l'ame. Beaucoup moins faut-il nous imaginer que nous sommes maitres de faire durer la consolation par les moyens exterieurs : les images, les livres, les prieres, etc. Get etat ne dure pas, ne doit pas durer, et cela pour notre plus grand bien.

Les regles 10 et 11 regardent le lemps de la consolation : On doit penser que la consolation passera et que la desolation surviendia ; Ton doil donc s'y preparer, en prenant d^avance les moyens de s'y bien comporter. Reflechir que la consolalion passe vile est une pensee pleine de verite ; la meme reflexion s'applique a la desolation : cette consideralion nous fait du hien et empeche rallachement a laconsolation. Gommenousavons toujours une vue plus claire dans la consolalion, il faut graver dans notre cceur les verites qu'elle nous presente et s'adresser a soi-meme cet avis : « Reliens bien cela, pourte servirdans telle ou telle occasion. » Ensuite, Dieu etant plus pres de nous pendant la consolalion et notre priere elant plus fervente, c'est le momenl favorable de nous assurer des graces speciales pour le lemps de la desolalion, imilantle patriarche Joseph qui reser- vail les fruits de la recolle pour letempsdela prochainedisetle.

Une regle essentielle a suivre pendant laconsolalion est de se maintenir dans 1'humilite tant interieure qu'exterieuie, refle- chissant que la consolalion n'a rien pour nous cle meritoire, puisqifelle est une pure aumone de la liberalite divine. En lirer vanite, ce serait imiter celui qui s'enorgueillirait de cheveux ou de dents empruntes. Retlechissons aussi que la desolation est proche et combien alors nous manquons de courage. En outre, la pralique exterieure de rhumilite est alors plus necessaire ; car, dansla consolation, nous sommes portes a dedaignerle pro- chain, a nous repandre en paroles, a faire part des faveurs que nous avons recues, au risque de les perdre, comme le fail la poule qui perd son oeuf a rinslanl ou elle annonce qu'elle vient de 1'avoir.

Regles 12, 13, 14. Elles font reconnailre quelques arlitices de 1'espril malin. 11 se comporte comme une femme, qui resle

DISCERNEMENT DES ESPRITS 135

faible tant qtie 1'homme monlre dti eonrage, et qui eclate en fureur s'il vient a monlrer de la crainte. Elle ne se conlenle pas alors de le voir prendre la fuite ; elle s'elance a sa pour- suite : ferocia feminse est valde magna, et prorsus sine men- sura. Ainsi le demon n'a de puissanl que la volonte de nous nuire ; il nesl reellement forl contre nous que s*il nous voit laches el crainlifs : alors, dit saint Ignace, il est veritablement terrible, non est bestia tam efferala super lerram,... cum mali- tia adeo magaa. Nous n'avons rien a craiudre tanl que nous sommes intrepides dans Ia resislance ; or lintrepidite consiste a faire tout le contrairede ce qu'il nous suggere. Le courage ne consisle pas a nous exposer inconsiderement aux tentations, mais a reagir contre elles (Reg. Summ. 14). Groire qu'il y a un moment oii la lentation devient insurmonlable, c'est donner dans le piege lendu par Satan. Puisons alors notre force en Dieu par la priere : celui qui se tient ferme a la main de Dieu ne peut perir. Le decouragement est la pire des choses, en meme temps que la plus facile ; car alors on s'est dispense de faire aucun effort.

Lennemi fait encore comme un seducteur qui veut avant toul que ses proposilions restent secretes, sachant que si ellesetaient coniiues, son bul serait manque. Le secreletanl laforce de l'es- pril malin, il veut nous determiner a tout cachei- et a ne rien dire. Ainsi, par des tentations incessantes, il nous conduira a 1'abime ; du moinsil en a 1'esperance fondee, lant que nous gar- derons le silence. Le remede est dans 1'ouverture et la volonte de ne pas se conduire seul. Nous avons un renfort dans celui auquel nous ouvrons notre coeur : on voit raieux a deux ; celui qui sait son raaitre a ses cotes, quand il defend une these, a moins peur de son adversaire. Dieu benit cetle defiance de soi- meme ; cesl la voie sure el facile par laquelle il veut nous con- duire. Quoi d'ailleurs de plus simple que celte ouverture de cceur ! Quel malade refuserait de consulter le medecin, si cette seule demarche devait le guerir de son mal ? Gombien de fois, dans les maladies spirituelles, il arrive qu'il suftit de se diriger vers lachambre de son directeur pour en 6tre delivre? Refuser de faire ce leger effort accuserait uneinertie impardonnable.

136 COMMENTAIRE DES EXERCICES

Mais a qui faut-il nous ouvrir ? Saint Ignace tlit : Bono confessa-

rio, personse spirituali, quse cognoscit fraudes Dans les

maladies du corps ne choisit-on pas un medecin siir et instruit? Nos confesseurs ou rlirecteurs de conscience nous sont speciale- rnent designes par Dieu pour ce rainistere ; il faut en tout cas ifavoir recours qif a des personnes vraiment spirituelleset expe- rimentees (Reg. Sumra. 14).

Enfm, rennemi de nos aines se comporle corameun chefd'ar- mee, qui veut s'eraparer d'une place et la mettre au pillage. II examine les points faibles de Tenceinte et donne 1'assaut de ce cote. De meme le demon observe notrecote leplus faible ; il voit quel est en nonsledeficit dans les vertus theologales ou morales, quels sont nos defauts de caractere, etc, et c'esl de ce cote qu'il dirige ses attaques. II faul donc corriger en nousce qifil y a de defectueuxet nous rendre iuvincibles par rexamen particulier, la priere, la vigilance et la victoire snr nous-ni^mes.

Regles du discernernent des esprits pour la deuxieme Semaine.

Les reglesdela premieresemainesontgenerales el nousarment contreles difficultes evidentes et palpables. Celles de la deuxieme se rapportentplutota des plienoinenes particuliers, produilsdans notre aine par des influences qui peuvent nous arriver du dehors. A ce point de vue, elles sont perceptibles el bien deterniinees, raais, d'autre part, elles sont subtiles et deniandent de la pene- tration et de 1'experience ; c'est pourquoi saint Ignace dit : cum majori discretione spirituum. Elles nous donnent les signes auxquels on reconnait la cause de ces mouvements de Tame.

Regle 1. Observons attentivement la nature, le caractere de la molion eprouvee, pour verifier si elle nous procure une vraie joie spirituelle ou bien la tristesse ou rabattemenl. La vraie joie vient toujours du bon Ange, la trislesse, du raauvais ; on suppose ici rapplicalion des reglesde la premiere seraaine con- cernant ce sujet. Le deraon qui ne peut supporter en nous la joie spirituelle, qif il sait nous etre tres utile, veut 1'aneantir a tout prix en nous rendant la vie aniere et le service de

DISCERNEMENT DES ESPRITS \'4l

Dieu rebutant. llinvente donc toutes sortes de raisons pour trou- bler notre joie : « Gominent, nousdira-t-il, supposer un lel genre de vie, tu n'arriveras a rien avec lout ton travail ;... tu as abuse de lant de graces, etc, etc. » Purs mensonges, et s'il s'y trouve un grain de verite, la conclusion en estfausse.

Regle 2. Observons aussi ces mouvements de joie des leur naissance. Ou bien ils sont soudains, nayanlpour cause aucune consideration precedente : dans ce cas Dieu seul en est 1'auteuV, puisquelui seul, elanl Mailre souverain, peut aller et venir lihre- ment dans notre ame et renflammer subitement de son amour. Ainsi le Sauvetir apparaissait totit a coup, le soir de Paques, a ses disciples, les portes fermees.

Regles 3 et4. Ou bien il y a eu preparation de notre part, et dans ce cas il y a doute sur ce qui a cause le mouvement de notre ame. II faul alors bien en examiner le but et la fin ; car le bon Ange conduit du bien au mieux ; et le mauvais du bien au mal. Le zele pour le bien peut lui-meme, par rintervention du demon, nous pousser a ce qui esl defectueux : ainsi, 1'inclinatioii a la penitence exterieure peutnous porter a la desobeissance ou a la ruinede la sante ; 1'amourde la priere peul faire negliger le bien des ames ; le zelc des ames, engendrer la distraction exces- sive, l'allache aux creatures, la sensualite ; et 1'humilile indis- crete, produire le manque dinitiative. Mais ce n'est pas imme- diatement que le mauvaisdessein se revele : le demon seplie ait caraclere, a la verlu de predilection, aux pensees et aux inclina- tions de riiomme ; il se transforme en Ange de lumiere, ou se met a notre place, entre par notre portepour sortirparlasienne: nous avons un moyen de le decouvrir.

Regles 5 et 6. II faut alors examiner la suite et 1'enchaine- ment de nos pensees. Si toute la serie ne nons revele que des choses louables, ou meme un progres du bien au mietix, bonum ex inte.gra causa, nous avons un signede 1'action du bon Ange: si au contraire nous verifions que du bien nous allons au moins bien, ou au mal, nous sommes en presencedelaction du demon. Ge moindre bien a des varietes : lantbt ce sont des distractions, des inulilites, qui n'ont. ni but ni fin; tantot un aflaiblissement oti une dispersion de forces, qui nous empeche de remplir nos

1,*{,S COMMENTAIRE DES EXERGICES

devoirs d'elat ; a ces pieges sonl exposes ceux qui ont la preoc- cupatiou de voir partoul une action divine exlraordinaire, ou de renouveler perpetuellement leur inlention, ou de se mortifier sans cesse. Parfoisceseral'inquietude, qui esl loujours un signe de la presence du mauvais espril ou de lamour-propre. Pour acquerir de 1'experience dans ces manceuvres de 1'esprit malin, il sert beaucoup de faire cetle revue minutieuse, quand nous 1'avous pris en (lagrant delit, de demeler et de voir comment insensibleuienl il a ourdi la trame de ses intrigues. Getle revue Loutefois nesl pas a conseiller a tous, aux scrupuleux en parti- cnlier; il ne faul pas non plus la faire sur toute espece de sujet, par exemple sur le Ge commandement. Ge conseil doit elre plu- 161 suivi, quand ii s'agil d^objels qui occasionnenl moins facile- menl des tentations.

Regle 7. Quand nous avons reconnu la fraude de 1'ennemi aux signes indiques, il laut renoncer k son origine. Dans les bonnes ames, le bon esprit enlre comme cliez lui, doucement, sans fracas ; le mauvais y penetre au contraire brusquement, comme une grosse goutle de pluie tombant avec bruil sur la pierre. Cest tout Topposequi se passe dans les ames enmauvais etat. La raison est que Tesprit contraire se heurle a uue resis- tance et doil, pour ainsi dire, s^ouvrirTenlree par force : le mai- tre de la maison n'a pas besoin de frapper pour entrer chez lui.

Regle 8. Pour ne pas se tromper sur les consolalions qui portent lescaracteresdu bon espril, ilfaut, sielles durent, pren- dre garde qu'il ne s'y mele quelque chose du mauvais esprit. II ne faut donc pas admellre sans reserve. comme inspiralions de Dieu, les consolalions qui perseverent pendant un temps pro- longe. Les autres regles doivent en ce cas etre appliquees comme conlre-epreuve : les fruils se gatent avec d^aulanl plus de facilite qu'il y a plus longtemps qu'ils sont delaches de Tarbre.

REGLES SUR LES SCRUPULES 130

REGLES SUR LES SCKLPULES.

1. Notion et division des regles suv les scrupules. Apres les regles sur le discerneraent des esprits, sainl Ignace

place fort a propos celles concernant les scrupules, qui sont en realile des operations du raauvais espril el oul une grande influence sur la vie spirituelle.

II dislingue deux especes de scrupules. Les uns onl quelque mpport avec le peclie, les aulres avec les bonnes oeuvres. Les regles 1 a 6 parlenl des preraiers, la regle 6e des seconds. Les regles 1 et 2 definissent les scrupules; la regle 3e dit ce que nous devons penser des scrupules ; les regles 4 el 5 montrent comment rennerai nous atlaque par les scrupules et comment iioiis pouvons dejouer sesarlifices.

2. Delinition du scrupule. Ge nest pas un scrupule que de slraaginer, par un jugeraent libre, maiserrone, ex proprio judi- cio el libertate, qu'une chose est un peche, quand elle ne Test pas : par exemple, quand on croit avoij- peche en marchant par megarde sur deux brins de paille qui se trouvent disposes en croix; c'est simpleraent une erreur. Le scrupule proprement dit est uii doule au sujet d'un peche, doule qui nous vient du dehors (1), et est accompagne de trouble et d'inquietude (2).

II n'y a donc dans le scrupule rien de bon ; il n^est pas Toeuvre de Dieu, raais celle de Tesprit de tenebres. Sainl Ignace le dil dans le titre : Scrupulos et suasiones inimiei... tenlalio quam inimieus infert.

3. Quel jugement faul-il porter sur les scrupules? Le meme que sur loutpiegedu demon, loulecroix et toule epreuve, pernnVe par la Providence divine : ils nous serviront ou nous nuiront suivant 1'usage que nous en ferons. En tous cas, Dieu ne

(1 Saint Ignace 1'explique clairement dans le 4 : Inimicus c>ui> non possit efficere ut cadat anima in aliquid quod speciem peccati habet, procurat efficere ul ipsa judicet esse peccatum ubi peccatum non est. Voir aussi Examen conscienti.se generale, 1" et 2e alineas.

(2) Saint Antonin delinit le scrupule : « Vacillatio qusedam consurgens cum formidine e.r aliquibus conjecturis dehilibus et incei'tis ».

140 COMMENTAIRE DES EXERCICES

les permel, cotnme loutes autres choses, que pour nolre avanlage. Ils produisent reellement de bons eflets, exercenl a la vigilance, augmenlent la haine du peche, perfectionnenl la prudence, gue- rissent de 1'orgueil, expient les peines dues aux peches pardon- nes. Les scrupules sont une croix, et la eroix purifie; mais ils peuvent aussi nous porler dommage.

i. Comment le demou reussil-il a nous nuire? En clier- chant a nous pousser aux extremes. II s'eflbree de rendre les consciences grossieres encore plus grossieres, el les consciences delicates encore plus delicales, jusqu'ace que noussoyons pous- ses a bout. II elargit la fenle du navire jusqua ce qifil sombre, ou bien il en detruit la quille aforcede ramincir toiijours davan- tage.

5. Commenl agir conlre le scrupule? Faire tout le con- traire de ce qu'il nous suggere, en veillant toutefois a ne pas tomber dans les extremes. II faut nous elablir et nous fixer dans le juste milieu et arriver pel.it a petita nous faire une conscience bien reglee. Nous y arrivons, en nous lenant egalement eloignes de Tanxiete et de 1'inconsideralion.

Telle est toute lapensee de saint Ignace sur les scrupules rela- tifs aupeche. II n'a en vue que les scrupules peu violentset pas- sagers.

Mais il y a d'aulres scrupules plus dangereux, dont il est a propos de parler ; ils sont le partage de ceux qui onl une inclina- tion constaute a s'y livrer et une habitude deraisonnable de s'y arreter : ce sont tanlot des peches deja confesses, tantol des pechesqueTon craint de commettre, tant6t des inquietudes sur notrc maniere de prier, tantdt des sujets purement chimeriques, notamment ceux qui regardenl la predestinalion. Les signes qui les font reconnaitre sont : la manie devouloir arriver a la certitude et a Tevidence en tout, le penchant aux recherches roinutieuses sur le passe, a recommencer toujourslesconfessions ou a exagerer ses accusations ; puis certains principes : « Je ne suis pas scrupuleux ; c'est que mon confesseur ne me comprend pas; il n'est pas un saint : s'il 1'etait, il prendrait la chose plus au serieux »; enfin des gestes exterieurs ridicules. Les cau- ses de ces scrupules sont, abstraction faite de la permission

REGLES Sl:K LES SCRUPULES 141

divine, le malin esprit, le naturel du scrupuleux, 1'absence de jugement pratique, 1'opraiatrete (les scrupuleux pourraient s'ap- peler les hereliques dans le domaine de la raorale), Ie terape- rament melancolique, concentre, defianl et timide. Le scrupule bannil le sentiraent filial enversDieu, il etouffe la vraie devotion, il fait de Dien nn creancier inexorable. Les inotifspour com- batlre vailiamment les scrupules sont pressants pour nos inleiels. Surtout des scrupules perinanents il y a aucun profita lirer : ils ne viennenl pas d'une bonne source, ils n*ont aucune valeur ni intellecluelle ni morale, ils sont cause d'une souffrance penible et extremement humiliante. Le scrupuleux d'babitude est une croix pour lui-meme, pour le procbain et pour son confesseur. II ne serl pas Dieu comme il faul ; il peul a peine faire quelque progres dans un tel etat, ou se Iraine peniblement comme celui qui portedes pelils cailloux, sarttpulus, dans sa chaussure. Son jugement confond les limiles eotre la tentation et le peche, entre le conseil et le preceple : son intelligence s'obscurcit, il risque d'6tre conduit dans une maison d'alienes. Tout cela ne se passe pas sans qu'il y ait offense de Dieu. La raanie des scrupules a pour cause rentelement et la desobeissance ; souvent on crainl Tapparence du peche plus que le peche lui-meme : on repousse les mouches et on finit par avaler des charaeaux. A la longue viennent le relachement el le degout ; plus de devolion, plus de joie spirituelle. On epuise ses forces i\ combattre contre des ennemis imaginaiies, on n'en a plus contre les veritables enne- rais ; enfin onjetle tout . par-dessus bord, et lederaon a leraporte la vicloire qu'il desirait. Quels seront les remedes? Les scru- puleux doivenl choisir des sujets de medilation el des forraules de priere qui les encouragent et elevent leur eajur; prendre rhabilude de s'attacher aux opinions les moins severes; s'effor- cer constamment d'arriver a la confiance, a la piete filialeenvers Dieu ; obeir aveuglement, ue pas consulter plusieurs personnes, surtoul des personnes scrupuleuses ; agir en toute simplicite, comrneceux dont la conduite estedifianle ; et s'occuper serieu- semenl des devoirs de leur etat. Les scrupuleux, euegarda leur faiblesse, jouissent de certains privileges que les autres n'ont pas : ils peuvent, par exemple, suivre, sans nulle crainle, la

142 COMMENTAIRE DKS EXERCICES

direction de fobeissance. merae dans les cas ou ils s'iinagine- raienl pecher. II faut en elTet .qifils se regardent comrae incapables de discerrter el de jnger, el qif ils se disent a eux-memes : « Tu ne coraprends pas cela; fais seulement ce que d^autres, plus intelligents et bien intentionnes, te conseillent ou fordonnent. » llsdoivent de plus croire qu'ils lf ont pas peche graveraent, s'ils ne peuvenl le jurer : on suppose toutefois ici qifils ont fhorreur liabituelle du peche mortel el qifils fevilent ordinairemenl. Enfin, qifils ifexaminent pastant leur conscience : car ils ne peuvenl faireun examen si exact ou si approfondi. Le direc- teurdesscrupuleux doit les Irailer avec douceur, mais aussi avec fermete, ne leur donner aucune raison de ses decisions, ce qui ne ferait qtfaiigmenter le nial ; ses decisionsdoiventetre courtes et precises. Tanl que le scruptiletix est obeissant, que le direc- teur se monlre affable ; une fois que le scrupuleux a recu une decision sur iiii poinl, qifil se garde de la relracler ; qifil lui apprenne a mepriser ses scrupules. Celte conduite plaira au scrupuleux, s'il veut serieusemenl elre gueri (Voir le P. Fabeb : Progrrs dans la vie spiriiuelle, c. 17).

C>. II y a encore les scrupules surlesceuvresde bien. Voici ce qifil faut observer a ce sujet : d'abord. bien conslater qifil y a vraiment scrupule, c'est-a-dire insinualion de fesprit du raal. Aussi longteraps qifon reconnail la presence du trouble et de 1'inquielude, il ne faul pas agir, parce qifalors on if est pas sous 1'action de Dieu. Mais il nelaul pas confondre finquietude avec une simple repiignance de la nature devanl iiii sai rifice quicoiite. Linquielude est une espece de tiraillemenl en sens divers que nous subissons plutot que nous ne voulons ; par exemple : faut- il faire ceci, faul-il ne pas le faire? La reponse est tantot affir- raalive, tantol negalive, ce qui est une occasion de trouble dans la priere. De plus, fesprit malin se reconnait a fobjet de la suggestion : si elle tend a nous eloigner denolre devoirou nous pousse a une chosecontraire ala pratique de fEglise, ou incora- patibleavec nosdevoirs d'etat, c^esl la marque dti mauvais esprit ; il faut rejeler finspiralion. Dans le cas contraire, agissons sans inquietude ou demandons conseil.

REGLES D"0RTH0D0XIE 143

Regles et prlncipes pour penser et agir suivant lesprit de l'Eglise catholiqle.

1. Dans ces regles, saint Ignace indique la maniere de penser suiyant les principes de 1'Eglise : il esquisse la vraie vie chrelienne ; il trace et il monlre le verilable esprit catholique, qrii, helas! est bien affaibli dans nombre de Gatholiques de notre temps.

2. II veut que cet esprit se fasse reconnaltre par les traits les plus caraeterisliques de la vie ehretienne : par la foi et 1'obeissance a TEglise 1, 9, 13) ; par la pratique de ses rites sacres, la frequentalion de ses Sacremenls 2), la participation a ses eeremonies (3, 8t, la conformite a sa discipline (7), a ses sentiments a legard des Ordres religieux i, 5) et de l'autorile civile (10) ; par l'affection a sa methode d'enseignement 11 , a ses opinions sur la predestination, la foi, les bonnes oeuvres, la gr&ce, et 1'utiliie de la crainte de Dieu H. 18 .

Dans ces quelques regles, saint Ignace allaque el poursuit toutes les erreurs tant publiques que secreles conlre le veritable esprit de 1'Eglise, lous ses detracteurs publics et secrets, qui. dans ces derniers temps, se sont eleves contre elle : Luther, Calvin et Jansenius... En peu delignes, il retrace loute Phistoire moderne de 1'Eglise, mettant au grand jour les moyens donl elle s'est servie pour accomplir dans son sein la verilable reforme, apres que lant de pays s'etaient malheureusement precipites dans une reforme mensongere.

3. Connaitre ces regles el en posseder la science pratique est de la plus haule imporlance, tant pour nous, Religieux et Apolres, qui devons posseder el propager leur esprit, que pour les autres Ghreliens, qui onl le devoir d*y conformer leur cou- duite.

4. Soumission prompte et filiale aux decisions de 1'Eglise dans les malieres de foi el de discipline [2, 9, 13). Sainl Ignace traite ici deux questions. Dabord, il explique en quoi consisle cette soumission : e'esl ii renoncer a toul jugement propre, a tout esprit particulier, deposito ornni privato judicio, dans les choses de foi el de discipline, ut veritatem assequamur... lau-

144 C.OMMENTAIKE l>ES KXtfhCICES

dare prsecepta. -Par la est renverse le principe du protestan- tisme, el 1'autorite de 1'Eglise, reconnue. Olte promptilude de soutnission doit aller si loin qne nous soyous loujours a priori avec TEglise, renoncant a loute T)pinion personnelle, quelque bien fbndee quVlle nuus paraisse : Animum paratum et promp- tum gerendo ad quaerendax mtiones ad defendendum, nulla- tenus ud impugnandum... nlbum quod ego video ; el cela, du lond du cceur, nous efforcant loujours de Irouver des raisons pour juslifier 1'opinion de 1'Eglise, avec le devouement aveugle de renfant euvers sa mere. Sans nul doule, celle soumissioii ue peut etre aveugle relalivement au\ molils qui determinen! notre obeissance a TEglise (Gf. 13) ; car nous savous que, conduite par le Sainl-Esprit, elle est infaillible, tandis que, meme avec le meilleur jiigement et la ineilleuie volonte du monde, nous pou- vons nous Iromper. Tl y a dans le motif de nolre foi une assu- rance que ne possedenl aucune science acquise, aucune convic- tion humaine. Du reste, Texemple du blanc et du noir n'est donne que comme comparaison. Ensuite, sainl Ignace apporle de soljdes raisons pour cel attachemenl a 1'Eglise, et il les expose en lermes energiques : Sponsa Christi, donc le Saint- Esprit ni iNolre-Seigneur ne rabandonnenl pas. Snncta Mater noslra, donc elle dirige surement sesfils : tous, depuis les eve- ques jusqu'a 1'en-fanl, lui obeissent... ; serail-elle une bonne el sainte mere, si elle menlait ; Hierarchica Ecclesia : nolre Eglise n'est pas comme le proleslanlisme, qui ne se compose que diudividualiles iVayant pas plus de droits les unes que les aulres^ nayant ni mission ni consecration divines ; cest une bierarchie multiple, puissante el inerveilleuse, elablie par Dieu, remontanl jusqu'au Chrisl, et qui, par son unite, son infaillibi- lile el sa perpetuile, commande la soumission dans la foi et Tobeissance.

>. La receplion des Sacremenls esl un signe cerlain des s'enliinenls chretiens, el comme un Iherniometre indiquanl le degre de nolre foi : Confessio sacerdoti. Sainl Ignace assi- gne comme lermes : au moins une fois l'an, inieux encore cha- que mois, mieux encore chaque semaine, quand les circonslan- ces le permeltent.

REGLES l)'ORTHODO\IE 145

«. Le service divin (3, 8) aTEglise. Gette regle enlre dans le detail : elle mentionne longas orationes, auditionem missx frequentem, psalmos, horascanonicas, ornne officium divinum, omnem orationem. Lusage trequent de la priere publique est assuremenl clans 1'espril de TEglise : les Saints et les bons Chretiens nous en donnent l'exemple. Gependant 1'Eglise se montre circonspecte dans le reglemeul du culte public, et per- sonne ne peul le Irouver onereux. On ne peul lui allribuer les irregularites introduites dans certains lieux, el il ne 1'aut pas blamer devant les autres les abus de ce genre. Gertaines per- sonnes trouvent les offices troplongs, tandis que le peuple aime souvent les longues ceremonies.

7. Dans les regles 4 et 8, saint Ignace parle des usages et des instilutions qui entreliennent la vie de 1'Eglise et dont le respectest un signe de 1'esprit catholique. Ainsi les voeux, 1'elat religieux, le culte des Saints et des reliques, les pelerinages, les indulgences, les jours d'abstinence et de jeune, surtout les pratiques de penitence exlerieureet uon pas seulemenl de peni- tence interieure. Le Gatholique estime et revere toutes ces choses, comme un herilage precieux de son Eglise, comme des fruits de FEsprit-Saint et de TEvangile, conserves par elle; le protestantisme au contraire en fait table rase. Pour nous, c'est un devoir d'estimer et de recommander ces institulions et ces pratiques.

8. Dans la I0e regle, saint Ignace pose un principe emi- nemment orthodoxe : Soumission non seulement de fail et de sentiment, mais aussi de parole pour tout ce qui emane de Tau- lorite. Toujours nous devons nous ranger de son cote, respecter et defendre ses ordres, et ne pas les improuver publiquement, tant qu'ils ne contiennenl rien qued'honnete. II n'est pas neces- saire que ces ordres soienl loujours les plus sages. Le blame qu'on se permettrait affaiblirait le respect du a 1'autorile, et ne feraitque nuire. Executer un ordre moins sage est moins nuisi- ble que d'en discuter la sagesse la oii le lieu est mal choisi. Si nous sommes en rnesure dobvier a un inconvenient, adressons- nous a l'autorite elle-meme ou a ceux qui peuvenl y remedier. Si l'on eiitagiainsi, laprelenduereforme n'aurait pas eteaccom-

10

146 COMMENTAIRE DES EXERCICES

plie, sous pretexte de relrancher les abus du sein de FEglise. 9. La regle lle esl un averlissemenl sur les methodes d'enseignement employees par TEglise. II nesuffit pasd'approu- ver la methode positive, ayant pour bul non de demontrer les doctrines de la foi, mais de les appliquer a la pratique de la vie chretienne ; il faul encore approuver la melhode scolastique, employee par les plus recenls Docleurs de 1'Eglise, pour definir, prouver et expliquer par un rigoureux raisonnement les choses de la foi el de la morale. LTEglise approuve et emploie la methode scolastique, et 1'Esprit-Saint, qui n'abandonne pas 1'Eglise, lui fournit toujours, suivant les besoins des temps, lcs moyens opportuns pour sa vie et son developpement. Ces moyens de progres consistent en ce que les nouveaux mailres de la science sacree n'ont plus seulement a leur disposition la Sainle Ecri- ture et les livres des saints Peres, mais aussi les decisions des Gonciles, les nouveaux decrels et 1'experience de TEglise. La methode scolastique au reste est merveilleusemenl efficace pour devoiler el refuter les erreurs. Anssi les ennemis de 1'Eglise nourrissenl-ils contre elle une haine instinclive : les autodidac- les, les phraseologistes nebuleux et les prelendus erudils n'y peuvenl resister. Getle regle lle a eu recemmenl encore sa solennelle approbalion dans rEncycliqne ou le Pape Leon XIII proclame saint Thomas patron de la philosophie calholique el confirme 1'aulorite de la methode scolastique.

10. Dans la douzieme regle, saint Ignace met en garde contre 1'indiscretion en paroles, lorsqu'on etablil des comparai- sons entre les vivanls et les Saints : il y a imprudence, dit-il, a louer ainsi les personnes avant leur morl, manque de respect envers les Saints el discours sans utilite.

11. Saint lgnace, dans les regles 14 a IX. nous premunit contre les principes calvinisles, lutheriens et jansenisles sur la predeslinalion, la foi et la grace. II conseille de peu parler de ces matieres, a cause du danger d'erreur et de scandale. De meme, il nous delourne de parler de la foi et de la grace d'une maniere qui pourrait alfaiblir le zele des bonnes oeuvres et la cooperation de la liberte humaine. Nous devons avoir la foi, mais une foi vivante par la charite, jides charitate formata; il

WAl.YSE ABREGEE DES EXERCICES 147

faul noiis confier en Dieu, mais agir de notre cote comme si le succes dependait denous. II est certain qnepersonne ne devient saint sansy etre predestine, mais il ne Test pas moins que per- sonne n'est predestine sans avoir 1'obligalion de cooperer a son saiut suivant son ponvoir.

12. La regle dix-huitieme nous recommande la crainte de Dien, non celle qu'on appelle servilement servile. serviliter ser- cilis, mais celle qui fortifie la volonte contre le peche et qni est aceompagnee d'nn commencement de charite. Sans donle, la crainte filiale est meilleure, comme toujonrs unie a la charite ; mais, si on ne peut s'y elever, il faul au moins profiter des avan- tages de la crainte servile : elle aide puissamment a sortir du peche et conduit a la charite. La Justice est aussi un attrihut de Dieu, el notre crainte sert a le servir et a le glorifier.

V

Awi.VSE ABKI-OEK DC PETIT LIVRE DES EXERCICES, DISPOSEE POUR CX PLAN d'i\stri CTIONS.

Le livre des Exercices est un cours pratique de toute la vie spirituelle.

La viespirituelle comprend une fin avec les moyens d'arriver a cetle fin.

I. La fin de la vie spirituelle, qu'il faut avoir toujours devant les yeux, esl exposee dans la premiere annotalion.

II. Les moyens de la vie spirituelle sont ou generaux ou par- ticnliers : Les moyens generaux sont la priere et la vicloire sur soi-meme. Les moyens particuliers sont mentionnes dans les instructions donnees sur les <Mats speciaux de la vie spiriluelle.

A. MOYENS GENERALX I. Pi iere .

Le livre des Exercices nous enseigne le hut de la priere et les differentes manieres de prier.

a) But de la priere : Cesl la devolion 011 la piele. dont la nalure esl expliquee dans la delinilion des Exercices spirituels

148 COMMEXTAIRE DES EXERCICKS

^lre annol.) el tlans le tilre du livre des Exercices : « Exercitia spiriluaiia ut homo se vincat... » (Voir les regles du Somm. 21,22).

b) Manieres de prier : La priere ordinaire se distingue de la priere sublinie. Dans la priere ordinaire sont comprises la priere vocale et la priere ou oraison mentale. La matiere et la forme de la priere vocale nous sont donnees dans la troisieme maniere de prier et dans les additions aux trois manieres.

§ 1. Priere ou oraison mentale : 1. Son essence : annot. 2, 3. Exercitia 1 et 2 hedb86 la' , qui instruisenlsur les diffe- rentes parties de la medilation.

2. Les especes : Voir le chapitre qui suit les trois manie- res de prier.

3. Les moyens : Les addilions. Temps et duree de la meditation : annot. 12, 13. Matiere de la meditation : les verites de la foi, indiquees pour les qualre semaines et contenues dans TEvangile.

§ 2. Priere sublime : Voir le chapitre cite il y a un instant.

II. Victoire sur soi-m&me.

a) Gombien il importe dans la vie spirituelle de se vaincre soi-meme : annot. 1. ; titre des Exercices. Gelle victoire est le but le plus prochain de la vie spirituelle.

b) Son essence, sa fin : Ordinare vitam, quin se delerminet ob ullam affectionem inordinatam... ; donc ne point se livrer a une fougue aveugle, ni vouloir detruire la nature, mais la purifier, faider, la perfectionner ; ni pretendre extirper les pas- sions, mais les diriger et les ennoblir (Vid. add. 10 : citra uocunientum).

c) Division : Inlerieure et exterieure : add. 10.

d) Pratique : Molifs : ils sont exposes dans chacune des quatre semaines.

Principes : Prendre 1'offensive, annot. 13 ; Reg. de Victu 8 ; Reg. 6 de discret. spirit. hebd. 1 ; de ftegno Christi : Agere contra ; 3US Gradus humililatis.

ANALYSE ABREGEE DES EXERCICES 1 i9

Methode pour la victoire interieure sur soi-meme : L'examen particulier, fait deux fois par jour avec 1'examen general.

Methode pour la victoire exlerieure sur soi-meme : Add. 10, Rea\ de Victu.

B. _ MOYENS PARTIGULIERS

1. Regles de 1'election.

2. Regles pour le discernement des esprils; consolation el desolation.

3. Regles sur les scrupules.

4. Regles pour penser el agir en vrai Catholique.

Telle est rexplication du livre des Exercices : il forme un traite complel de la vie spirituelle ; il renferme tout nolre Asce- tisme. Notre esprit, notre fin et nos moyens sont dans ce petit livre : il est le moule dans lequel a ete formee la Gompagnie de Jesus. Les Exercices sonl 1'ecole de guerre cLoii sonl sortis les grands Apotres de notre Ordre, pour aller de FOrient a 1'Occidenl, du Midi au Septentrion, arracher ii Tenfer lanl de nations et de royaumes et les donner au Christ el a TEglise. Avant meme 1'exislence de nos Constitnlions, cest a celle ecole que s'etaient instruits et prepares les membres de la Gompagnie : quoique repandus par loute la terre, ils combattaient comme un seul homme, dans le m^me esprit, avec les memes moyens et le meme succes. Dieu a daigne se servir des Exercices pour aider a la glorieuse reforme, operee dans 1'Eglise, apres la triste delection d'une partie de 1'Europe.

C'esl donc pour nous un devoir de remercier la clivine Bonle de nous avoir donne, en ces derniers lemps, dans la personne du T. R. P. Roothaan un maitre et un interprete incomparable des Exercices, qui a puissamment contribue idevelopper parmi nous 1'inlelligence du livre de sainl Ignace. Rien ne repondra

150 COMMENTAIRE DES EXKRCICES

mieux a notre vocation que nolre applicatidn a toujonrs mieux le compreiidre, et a nous rendre capables dedistribuer liberaie- ment au monde les tresors que nous aurons ainsi amasses pour la gloire de Nolre-Seigneur Jesus-Christ, a qui soient honneur et benedictiou dans tous les siecles des siecles !

Haec meditare, in his esto... insta in illis : hoc enim fctciens, et te ipsum salvum facies, et eos qui le audiunt » (I Tim., 4, 15., elc).

LES MEDITATIONS DES EXERCICES

f)K

Saint Ignace de Loyola

REMARQUES PRfiLIMINAIRES

Pour rintelligence et 1'utilite pratiques de la seconde partie de ce livre, les remarques suivantes peuvent etre d'un cerlain seconrs.

A. La regle fondamentale, observee tlans la redaction de ces meditalions, a ele constamment de nous en tenir atix ins- tructions de saint Ignace dans le livre de ses Exercices et de ne nous en ecarter jamais : nos meditations doivent etre absolu- menl des Exercices de saint Ignace,'et elles ne doivent elre que cela.

B. Dans la premiere semaine se Ironvenl des meditalions, comme celles de la fin prochaine et de la fln derniere de riiomme, de lenfer et de la mort, qui ont ete esquissees de differenles manieres, afin de pouvoir les utiliser selon ladiversite des retrai- tants (postulants, novices, tertiaires). Ces meditations fonda- mentales sont suivies d'autres medilations, qui peuvent servir ou bien de developpements a certains poinls des meditations precedentes, oubien d'applications particulieres a diversessitua- tions de vie, ou bien enlin comme de piecesde rechange, si Ton veut un peu de vari^te. Cest ainsi qu'il y a des applications de la fin prochaine et de la fln derniere cle 1'homme, faites a ditl«^- rents etats. Les paroles du troisieme point de la medilalion sur le triple peche (quomodo in peccando et agendo contra honita- teminfinitam juste fuerit condamnalus in xternum), par les- quelles sainl Ignace nousfait connattre plus intimement 1'essence du p6che grave, no.us fournissent l'occasion de developper les meditalions sur la nalure, 1'essence, et les effels du peche, sur le peche morlel du Chretien, du Religieux et du Pretre, sur les acheminements au peche mortel. De meme, la medilalion de 1'enl'er esl appliquee aux Prelres ou aux Religieux, el nous y avons ajoute encore plusieurs autres meditalions supplemen-

],Vl REMARQUES PREUMINAIRES

laires. Les meditalions sur la crainte de Dieu, le service du monde et le service de Dieu, la penilence, la vicloire sur soi- meme, 1'humilite, renferment d'imporlantes verites sur la vie spirituelle, qui peuvent et doivent elre etablies solideraent dans la premiere semaine. Eu eflel, la crainte el 1'amour de Dieu, la liaine de soi-meme el le mepris du monde, unis a Ihumilite el a la morlification, sont les vrais fondeinenls de la vie spiriluelle (Cf. Les acbeminements au peche morlel).

Ginq ou si\ jours de premiere semaine sont suffisaiils, si on ne veut pas y ajouter loule sorle de sujels etrangers a celte semaine. On consacrera avec plus davanlage les jours qui res- tentaux medilations de la seconde semaine.

G. La seconde seinaine nest la plus imporlanle que parce <pie nous y devons, tout en contemplant la vie du Sauveur, deter- miner 1'ideal de notre vocation et elaborer le programme de nolre eleclion. Les deux dernieres seraaines neferonl que con- firmer ce que noiis aurons alors clioisi. Quant au parlage des points de la medilation, il iTest. pas toujours exactement le raeme que dans le livre des Exercices. Nous eraployons, sans doule, loute la matiere que sainl Ignace nous y olfre, et souvent encore davantage, mais pas loujours dans le merae ordre et la meme suite d'idees. Lui-ineme, d'aiHeurs, nous en donne la liberte, qu'il sagisse du nombre des mysteres a mediler ou dela maniere de Irailer les sujelsde meditation. II remarque, en effet, dans le Fsolandum 1 de la seconde seraaine : Hoc esl iantiim dare iniroducHonem quamdam et modum ad postea melius et magis complete contevlplandum ; el, plus loin, dans un aulre endroit : Pro maxiina parte invenient tria puncta ad meditan- ilum et contemplandum in illis majori cum facilitatp. II ne s'agit donc pas, en general, dans la division des points d^apres lidee de sainl Ignace, d'arriver a un resiiltat delermine, mais, avanl loul, de rendre la meditation plus facile. Goraparez, par exemple, dans le livre meme des /ixercices, le developpe- nienl des poinls de la medilalion snr llncai nation el sur la Nali- vite, la note 10 du P. Roothaan, el voyez aussi le C&mmentaire des hxercices, p. t08, c2.

Dans la preraiere medilalioii sur un myste-re, le liul principal

REMARQUES PREUMIX AIRES - 153

de ce myslere nuus frappe ordinairemenl el devienl lobjel de nos reflexions ; pnis. dans les repeiilions, nous en considerons, d'une maniere speciale, les circonslances accessoires, ou bien encore un poinl de la perfeclion aposlolique qui ressorl de ce mystere. Cest ainsi que peu a peu nous prenons connaissance de tout le programme de la vie aposlolique

Lapplicalion des sens nous serl surloul pom les medilations surlaviede Nolre Seigneur, qui sont empruntees soit a saint Bonaventure, snit aCalherine Emmericli, soit a Marie dAgreda laCilede Dieu ; nous ulilisons de ineine, dans cet Exefcice, differenles descriplions de la Terresainle. La maliere que nous oftrons est assez ahondanle : acbacun de prendre ce quilui con- vienl el d'y appliquer la raelliode (applicatio sensum de sainl Ignace.

Les medilalions pour 1'eleclion, ii savoir, celles de deux Etendards et detiois Glasses d hommes, ne sonlpas intercalees immedialemenl apres la medilalion deJesus au lemple ii l'age de douzeans, mais elles sont reunies a laconsideration destrois Degres d'liuinilite, a la fin de la seconde semaine. La raison en esl que nous avons deja emhrasse un etal de vie el, a cause de cela, nous ne sommes pas obliges de considerer. dans chaque niyslcre, si Dieu nous appelle a un elat determine. II sagit pour nous surlout d'avoir, dans la medilation de la vie publique de Notre-Seigneur, un lableau dVnsemble de nolre vocation el de sesexigences 011 de faire une eleclion de reforme dans nolre etat et, apres, de nous exciler a accepter et a remplir les poinls de ce programme divin. Dans ce bul, nous pouvons dabord mediler loule la vie publique de Jesus, et, ensuile, en vue de Teleclion, aborder les trois medilations qui nous y preparenl immedialement el sonl appelees « les meditationsde Pelection ». Le spectacle de toule la vie du Sauveur ne fera que rendre plus forle limpression produite sur nous par la meditation « de deux Etendards ». Neanmoins nous pouvons aussi suivre poncluglle- ment 1'ordonnance du livre des Exercices. La medilation de dnobus Vexillis, a l'entreedela vie publique du Sauveur, donne alors le signal ou 1'avertissement qu'il ne nous faudra jamais perdre de vue en medilant les mysteres en particulier.

156 REMARQUCS PRELIMLNAIKES

La seconde semaine reclame bien quatorze jours.

D. La troisieme et la qnatrieme semaines, si nous en con- siderons la porlee et le but. ne fontque confirmer nolre eleelion, d'un cote. par 1'exemple de Jesus souffrant dans sa Passion et, de Faulre, par la recompense qui nous est presentee dans les clartes de sa vie glorieuse.

Chaciin des jours de ces deux semaines, nous ne presentons au retrailant que trois mysteres, suivis, le soir, dune applica- lion des sens snr ces memes mysteres. Sainl Ignace nous laisse encore ici cette liberte dans le choix et le nombre desmysteres. Gomparons seulement avec les passages suivanls du livre des Exerciees : ?" Hebd., Nolandum 3, .Xota ad 3 diem; 3a Hebd., Notandum ad 7 diem; /" Hebd., Nota '2. Voici les raisons de cette Irinite de mysteres : d'ordinaire, les retrai- tanls sont dej;'i plns ou moins fatigues apres les deux premieres semaines des Exercices. Malgre cela, ils pensent devoir faire eneore des efforls serieux, en vue de Televation et de rimpor- lance de la troisieme semaine. L'objel meme des meditations de cette semaine est, a cause de sonuniformile, moins attrayanl et lelravail de Toraison plus penibleqne pendant les semaines pre- cedentes, et il peut en resiilter la saliete. Afin d'obvier a cet inconvenienl, nous nons contenlons de Irois mysteres pour chaque jour : la matiere de la medilalion y gagne ainsi en va- riete, sans perdre de son efficacite.

Quatre ou cinq jourssuffisent ponr atteindre pleinemenl le but de la troisieme semaine, qniest de confirmer nolre election.Les sujets de meditalion de la troisieme semaine sonl aussi telle- ment partages el ordonnes qu'ils touchent, lun apres Tautre, les points les plus imporlanls de relection et que, pour ainsi dire, ils les rivent el les attachent solidement entre eux. On peul de meme consacrer quatre ou cinq jours a la ((ualrieme semaine des Exercices.

CONSIDERATIONS

POUR SERVIR DINTRODUCTION A DIVERSES RETRAITES

a) INTRODl CTION A UNE RETRAITE DE POSTULANTS

Les Exercices spirituels nous fonl avancer vers la fin ou le terme heureux de notre vie. Ge progres est tres iruporlaul : il est en verile pour nous le passage dun uouveau Rubicon, dans le but non de porler la terreur et la mort, mais de Irouver la paix et la felicite.

I. Nature des Exercices.

Saint Ignace dil que les Exercices spirituels ont pour but de faire disparaitre le desordre de nos passions et de nous decou- vrir la volonte de Dien, afin de pouvoir regler notre vie en vue du salut de notre ame. Gest ainsi que les Exercices nous presentent une triple finpratique a atteindre :

A. Premierement, les Exercices de saint Ignace sont des Exercices de la vie spirituelle. Nous avons, en effet, une triple vie : la vie corporelle, la vie intellectuelle et la vie spirituelle ou surnaturelle. Ghacune de ces vies a ses exercices qui nous ren- dent propres et dispos a atteindre la fin que Dieu assigne a cha- cune. La vie spirituelle a donc, elle aussi, sesExercices particu- liers, dont le bul est la vue et la possession de Dieu au ciel et, sur la terre, la connaissance, 1'amour el le service de sa Ma- jeste, et tout ce qui favorise nos interets celestes, comme la priere vocale et la priere mentale, etc... Employer tous ces moyens ou utiliser toutes ces ressources de la vie spirituelle et nous rendre habiles a nous en servir, c'est alteindre le but pro- chain et immediat des Exercices ; c'est, de plus, aooutir a un

158 C0NSIDERAT10NS POLR l'iNTROD. \ DIVERSES RETRAITES

resullat d'une extreme importance ponr les nouveaux soldats de la milice spirituelle.

B. /Muxiemement, les Exerciees doivent nous mettre en eliit de corriger les desordres de nos passions et d'eloignerainsi les obstacles a notre salut. Nous n'alleindrons bien ce but, dans les Exercices, qifaulanl que, dabord, nous y liquiderons entie- rement les comptes de nolre vie passee par le moyen d'une bonne confession generale. Celle-ci nous est prescrite par 1'Inslitut de la Compagnie de Jesus et, dans la circonstance d'ailleurs, elle s'impose d'elle-meme : ne desinfecte-t-on pas, avanl tout, les voyageurs qui arrivent d'unpays ou regne la pesle?

G. Troisiemement, les Exercices doivenl. nous montrer la volonte de Dieu, alin qifelle serve de regle a loule nolre vie clans 1'inleret du salut de notre ame. Nous obtenons ce resultat, en examinanl de nouveau nolreeleclion a lalumiere des verites eler- nelles, et en laterminant et scellant dune maniere definilive par la resolution de vivre el de mourir dans la Compagnie de Jesus : ce qui est la derniere fin de ces Exercices.

Les Exercices spirituels sont, par consequent, la conclusion et le couronnement de la candidalure ou du postulat, dont le lnit general n'est autre que de nous apprendre a connailre mieux notre vocation et a nous y consolider. Les trois buls plus pro- cliains des Exercices servent, de la facon indiquee, a nous faire atteindre ce butgeneral dont nous venons de parler.

II. Moyens d'atteindre ce bul.

A. La retraite interieure el exlerieure, par consequent la modestie des yeux, le silence, la repression de l'imagination. Nous ne devons nous occuper presenlement que du sujet des meditations, ne pas faire de leclures spiriluelles ni penser a des choses qui ne s'y rapporlent pas ; mais nous devons nous pene- trer des verites que nous meditons acluellement. Disons a nous- meme : « Dieu et moi, nous sommes seuls dans le monde. »

B. L'observalion du reglement de la journee, specialement des additions, sur lesquelles nous devons faire mainlenant 1'exa- men particulier (On explique ici le reglement). Ge reglemeut

i.vn.om ction a r_\E retraite de postulants L59

esl le regime que nous avons a suivre : nous devons 1'observer coinme le malade suit les prescriptions du medecin.

G. L'activite et rinitiative personnelles. Nous voulons faire des Exercices : nous ne devons donc pas nous contenter d'etre spectateurs, mais il nous faut agir nous-memes, autant que pos- sible, surtout dans la meditation. Nous devons reflechir serieu- sement aux verites qui nous sont presentees et faire des appli- cations pratiques a nous-memes, metlre alors en activite notre intelligence et notre volonte, meme quand nous sommes dans la desolation. Cela ne veut pas dire qu'il nous faille faire des efforls penibles ou surhumains : il y a un milieu a tenir entre la negli- gence el la conlenlion, el ce milieu est la volonte bonne el serieuse de retirer le fruit convenable de ce que nous faisons ; c'est pourquoi nous devons avoir de l'inilialive et agir par nous- memes dans les Exercices.

D. Generosite : prenons la ferme resolution de faire des progres dans les Exercices, au prealable de ne rien refuser a Dieu, bien au contraire, d'accomplir lout ce qu'il demande de nous. II faut nous presenter a Dieu comme une page blanche el immaculee, afin qu'il y ecrive toul ce qu'il veut. Nous devrions pouvoir dire a la fin des Exercices : « J'ai fait tout ce que Dieu me demandait ! » Ce serait la preuve que nous aurions fait con- venablement les Exercices.

III. Motifs.

A. Le passe peut avoir ete pour nous bon ou mauvais. A-t-il ete bon, remercions-en Dieu et continuons a bien faire. Une jeunesse pure esl un riche capilal, un excellentfondement : edifions sur cette base, placons bien ce capilal. Nolre passe n'a-t-il pas ele bon, nous avons mainlenanl le temps et 1'occa- sion de loul reparer. Dieu nous donne le livre de conipte ; le livre de notre vie esl enlre nos mains : corrigeons-enet rayons-y ce que nous voulons. Ce que nous effaconsa 1'heure presenle est efface a lout jamais. Quel bonheur pour nous de pouvoir com- mencer une vie nouvelle, de pouvoir jouir, pour ainsi dire, dun second prinlemps !

160 considerations poub l'lntrou. a diverses retbaites

B. r Uavenir. Que nous reserve-l-il ? Une mort pro- chaine? Des difficulles? Qui ie sail? Nous devons etre pr£ts a toul. II est certain que nous embrassons une vocation sublime el difficile, et qui exige un fondement solide, fait avant lout de crainle de Dieu, de mepris du monde, de purete de coeur. Eta- blissons cette base ; nous en avons un pressant besoin.

G. Le presenl. Les Exercices sont comme la garde de nolre drapeau : faisons-les comme saintlgnace ; ce sonllespre- miers pas dans la vie spirituelle. Efforcons-nous d'en rapporter la joie el 1'lionneur.

b) introductiox a la grande retraite

Enlin, noiis sommes arrives a une lieure a la fois desiree et redoutee. La crainte, en ce moment, est toul a fait dansTordre : elle prouve que uous comprenons rimportance de 1'lieure oii nous sommes. Quand un jeune soldal se trouvepour la premiere fois devant une redoute, il eprouve de la frayeur : les grands Exercices sont pour nous comme une redoute, et il est d'une exlreme importance de les faire le mieux possible ; ainsi nous prendrons, en realite, position pour toute notre vie. Geslpour- quoi il est necessaire de nous donner du courage.

I. Bnl des grands Exercices.

A. Le but de loules les retraites est, a propremenl parler, toujours le meme : il consisle pour nous, avant tout, a nous exercer el a nous renouveler dans les pratiques de la \ie spiri- luelle ; ensuite, a rechercher la volontede Dieupour regler notre vie en vue du salul de notre ame; enfin, a lever etaeloigner les obstacles a ce but, en faisant disparaitre le dereglement dans nos passions.

B. Dans notre relraite de postulants, nous avons deja tra- vaille a atteindre ce triple but; mais nous n'y avons pas tendu et reussi aussi parfaitement que nous le ferons dans la grande retraite. En eflet, nous n'avons fait alors que 1'Exercice neces-

[NTRODUCTION A LA GP.ANDE RETRAITE 161

saire et indispensable de la vie spirituelle : nous avons cherche la volonte de Dieu el nous lavons accomplie en sanctionnant notre election ou notre clioix de vie, et nous avons, de quelque facon, seeoue lejoug de nos mauvaises passions par le moyen de notre confession generale.

G. Le bul de la grande retrailea une porlee beaucoup plus grande encore. 11 ne s'agit plus seulement de nous exercer pour assurer nolre vie spiriluelle, mais il s'agil, en consequence de la duree et de l'elendue des grands Exercices, de nous penelrer veritablement de Dieu et de vivre en Dieu, de nous transformer enlierement en lui, afin de nous identifier ainsi avec notrevoca- tion. II nous faut mainlenanl bien comprendre ce qui fait en verite de nous des Jesuiles, c'esl-ii-dire 1'espril de la Gompagnie de Jestis. Le jeune soldal doit non seulemenl faire des exercices exlerieurs, mais encore acquerir tesprit de corps. Or, 1'esprit de la Compagnie de Jesus se truuve dans la personne el dans la vie du divin Sativeur : lel esl le moule des Exercices. Apres une courte repetition de la premiere semaine, nous contemplons loule la vie du Sauveur. La connaissance de Jesus, son amour ft son imitation, voila la grande et unique affaire pour nous ! G'est le bul special des Exercices, que nous ne devons jamais perdre de vue el vers lequel il nous fanl lendre sans cesse.

II. Moijens.

A el li. Voir la medilalion precedente. Employons et uti- lisous raisonnablemenl, serieusement el avec zele, tous les moyens que sainl Ignace nous presente : il prescrit, d'une maniere parliculiere, 1'observalion fidele des additions.

G. Generosile. dans Ie cas ou Dieu demande de nous des sacrifices. Si le sacrilice est petit, nous ne pouvons le refuser; sil est grand, nous devons 1'accepler et le faire. Desledebut des Exercices, il nous faudrait vouloir et nous proposer quelque cliose d'eleve et aller a Dieu avec celte intention ; alorsle resul- tat de nolre relraite serait considerable. II s'agit pour nous d'oblenir des graces grandes et importantes, qui nous elevent a un liaul degre de perfection dans la vie spiriluelle et qui nous y

ll

162 CONSIDERATIONS POUR I/INTROD. A DIVERSES RETRAITES

eleveront en effet pendant leslonguesannees denotre probation. II est certain qu'a la fin des Exercices il y aura des sacrifices- que Dieu reclamera de nous. Si nous agissons avec cette gene- rosite, nous prendrons vraiment la forleresse d'assaut.

D. Nous pouvons de plus taire quelques promesses particu- lieres au Sauveur et a sa Mere, s'ils nous accordenl la grace de hien faire notre retraite ; nous imiterons de cette sorte Jacob qui disait en prononcant son voeu : .Si fuerit Deus mecum et custodierit me in via per quamego ambulo..., erit mihi Domi- nus w Deum, et lapis iste, quem erexi in titulum, rocabitur domus Dei, cunctorumque, quie dederis mihi, decimas offeram tibi (Gen., 28, 20-22). Nous devons egalement beaucoup et bien prier les uns pour les autres el nous unir d'esprit et de cceur a lous ceux qui font la retraite avec nous.

III. Motifs.

A. Le premier motif que nous avons de faire avec zele les Ejercices est la beaute et la sublimite de leur objet, de leur but procbain. Cet objet ivest autre que le Sauveur, sa vie, sa connaissance el son amour. Que pensail saint Paul de celtecon- naissance de Jesus ? Pendant ses voyages et le cours de son existence, le grand Apolre avait eu 1'occasion d^admirer toutes les grandeurs el les magnificences dici-bas. II vit Rome, la capitale du monde el le centre de la puissance materielle ; il vil Atbenes, le siege de la sagesse el de l'art bumains ; il vit Jeru- salem, le lieu des revelalions de l'Ancien Testament : et qu'etait-ce pour lui que tout cela, compare a la sublime con- naissance de Jesus, Fils de Dieu ? Detrimentum et stercora (PhiL, 3, 8). Cest mainlenant que nous pouvons dire avec lui en toute verite : Induimini Dominum Jesum Christum. (Rom., 13, 14). Nox prxcessit, dies autem appropinquavit ,*- abjiciamus ergo opera tenebrarum et induamur arma lucis (Rom., 13, 12). Cesl maintenant qu'apparait au-dessus de nous la splendide Etoile du matin Apoc, 22, 16), et que se leve Sur nos tetes le Soleil delavieeternelle : Hsecestautem vita xterna

INTRODLCTION A LA GRANDE RETRAITE l<i3

ut cognoscant le, solum Deum verum, et quem misisti Jesum Christum (Joan., 17, 3). Dans un mois, nous pourrons aussi nous ecrier dans la joie de notre coeur : Qaem scripsil Moyses in lege et prophetse, invenimus Jesum (Joan., 1, 45). Nous aurons trouve un tresor (Eccli., <i, 14), lequel non seulement jious dedommagera du ninnde que nous avons sacrifie. mais encore suffira pour enrichir el rendre heureux le monde enlier. Quel bonheur de pouvoir ainsi apprendrea connaitrele Sauveur, et corabien peu dhommes onl cet avantage ! II est bien vrai de dire : Beati oculi qui vident quse vos videtis ; dico enim vobis quod mutti prophetse et reges voluerunt videre quse vos videtis, et non viderWnt, et audire qux auditis, et non audiemnt (Luc, 10, 23. ~2't). Voila le prgcieux privilege de la Compagnie de Jesus, et il sullit certes pour nous metlre aux Exercices ayec lotile lardeur de nos desirs et de nolre zele.

B. Le deuxieme motif que nous avons cfagir avec cette ardeur est la grande i m portatice- des Exercices de saint Ignace pour alleindre le bul de notre noviciat et de tonle nolre vie reli' gieuse. La grahde retraiteest une epreuve, un Exercice, destine a nous faire connailre notre vocation et a apprendie les devoirs de notre elal. Les grands Exercices sonl une lormalioii Ires imporlanle, preciseinent parce quelle est indispensable et inle- rienre : Dieu inenie nous prend par la raain el travaille en nous ; bien plus, ils sont la formalion ou lepreuve la plus imporlanle de toules, parce qtuls sont le type primilil' de notre Compagnie el de notre Inslitiil. Tont ITnstilul, avec sa lin, seb moyenset ses resullats, se Irouve, au moins en principe. dans les Exercices, et esl sorti des Exercices coinme d'un moule. Dans les preraiers lemps de la Coinpagnie, avanl l'impression de ses Regles et de ses Gonstitulions, les Exercices lenaient lieu detout, et,avec les Exercices, tous nos anciens Peres, en Occident et en Orient, dans les raaisous regulieres coinme dans les maisonsdispersees, parmi les lideles et parmi les inlideles, comballaient comme un seul hoinme, dans le m6me espril, avec les inemes armes el avec les nieraes sncces. Si noiis-inemes, par consequent, nous voulons elre des verilables Jesuites^, l'occasion est aujourd'biii belle el favorable : laissons-nous saisir et entieiemenl penelrer

16i CONSIDERATIONS POUR l/lNTROD. A DIVERSES RETRAITES

par 1'esprit des Exercices, qui est le propre esprit de la Goinpa- gnie de Jesus.

G. Nous trouvoiis un Iroisieme motif, pour bien faire cette retraite, dans les avanlages qu'elleprocurera a chacun de nons. II y a, a n'en pas douter, dans les Exercices, une force et une efficacite capables d'operer en chaque Ghretien des changemenls exlraordinaires et tres utiles. N'y a-t-il pas dans les Exercices, qui vont etre presentes a nolre esprit dans un oi'dre logique admirable, la verlu et l'efficacite de la foi el de ses mysteres, cette force surnaturelle qui aautrefois retire le monde de labime du paganisme et de 1'enfer? N'y a-t-il pas encore dans les Exercices la vertu de la grace, d'une grace speciale, qu'on peut appeler la grace des Exercices, qui s'est deja manifestee si magni- (iquement dans la sainlete d'une foule innombrable d'hommes et peut toujours operer la reforme de 1'Eglise toul entiere ? Les Exercices composenl un ensemble admirable de tous les grands moyens qu'emploie 1'Eglise catholique el qui ont asse/ de puis- sance pour dompter notre mauvaise nature et faire de nous des Saints. Ils sonl une conversation intime et familiere avec le Sauveur. laquelle dure un mois enlier. La Samaritaine et Nico- deme n'ont eu quun simple entrelien avec lui ; saint Jean el saint Andre ont passe une seule soiree dans sa compagnie, el que sont-ils devenus aussitol? Ues Saints et des Apotres. On peut bien dire qu'il n'y a qu'un Sainl et un Apotrequi veritable- ment reponde a une telle grace el merile une lelle faveur. Aussi l'occasion est belle pour nous, si nous voulons devenir des Saints. Comment notre Compagnie a-l-elle produit tant de Sainls el d'Apotres, qui ont ete de grands conqueranls dTimes et ont parcotiru l'Orient et 1'Occidenl, renversant les anliques empires du paganisme el gagnant des millions d'ames au Ghrist et a 1'Eglise? Par le moyen des Exercices, par leur formation a la grande ecole de guerre des Exercices. Que faut-il encore aujourd'liui pour devenir un Saint? II faut des principes eleves et du courage, et ce sont precisemenl les deux avanlages que nous offren! les Exercices : en elfel, ils nous fonl connaitre et aimer Jesus. Nous devons au nioins y poser le fondement de la saintete; el si nous voulons poser ce fondemenl, il nous faut

INTI10DICTI0N A LA GRANDE RETRAITE 1(»5

le faire solide, grancl el large : nous allons passer dix, quinze, seize annees de probation et d^epreuves, el le fondemenl des Exercices doil tout porter. Que deviendrons-nous donc ? Je parle avec franchise, elje dis assez clairement ce que les Exer- cices peuvent faire de chactin de nous. Si, par consequent. toul pour nous depend des Exercices, comment devons-nous les faire?

« J"ai la bonne volonte de bien faire ma relraile, dira peul-elre quelquun dentre nous, mais comment mediter quatie fois par jour, quand j'y medite difficilemenl ufie seule fois? Je crains de ne pas retirer des meditalions le fruit convenable. » Vous n'avez a penser d'avance qua une seule meditation, et non pas a qualre. La premiere semaine a marche regulierement, pourquoi les autres n'iraient-elles pas ainsi ? II est meme beau- coup plus facile de passer les trois dernieres semaines, parce qifalors nous avons plus d'habilude de la medilalion et que la maliere ou le sujet en est plus riche, plus varie, plus intelligible et plus attrayanl. Ayons donc enfin confiance dans la grace de la vocalion !

« Mais la retraite dure si longtemps ! » Et il en doit elre ainsi, parce qu'elle est une cure, une curespiriluelle. D'ail- leurs les jours de la retraite ne sont pas plus longs que les autres jours. Faites les Exercices serieusement. et si vous nY-les attentifs qu'au presenl, le passe et Tavenir ne vous inquie- teront guere ; loulefois, dans lecas ou, malgre tout, la longueur de la retraite vous peserait, alors il ne vous resterait plus qifa olfrir ce sacrifice a Dieu. « Mais si je suis fatigue? » Nous ne nous fatiguerons j)as, si nous nous comportons raisonnable- ment dans les Exercices. (jardons-uous de 1'obstination et de 1'isolement ; ne nous meltons pas en presenee de Dieu el ne nous recueillons pas avec Irop de contention ; gardons-nous encore de vouloir toujours posseder la consolalion sensible, de vouloir ne nous appuyer sur personne et de laire ce que nous faisons et ce qui se passe en nous. Enfni. il est naturel que nous eprouvions un peu de fatigue : les Exercices nesonl-ils pas une mameuvre spiritnelle et une sorte de mise en elat de siege? Pensons que nous faisons maintenanl notre purgaloire.

166 CONSIDERATIONS POUfi l/fMROD. A DIVERSES RETRAITES

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Si nous observons ce que nous venons de dire, nous recueillerons, sans nul doute, des Exercices un fruit abondant avec la paix et la joie, et nous en ressentirons les salulaires effets pendant toute notre vie. Pour arriver a cet heureux resul- tat, nous n'avons besoin que de courage, de generosite et de confiance ! La grace et la bonne volonte, Dieu et raoi, voila les deux seuls facteurs necessaires pour reussir. La grace est lou- jours a notre disposilion, et, nous pouvons le dire, la bonne volonle ne nous raanque pas non plus. Tout ira bien et toul tloit aussi aller bien ! II ne s'agit pas pour nous d'une petite alfaire r -les grands Exercices n'onl lieu que deux fois pendant notre existence ; confiance donc ! II nous faut maintenanl une grande force et un grand courage. II ya longtemps deja, un groupe de jeunes hommes se reunirenl, a Paris, pour faire les Exerci- ces spirituels sous la conduite d'un Maitre. Qui aurait pense que les Anges gardiens de 1'Europe, de TAsie, de 1'Afrique et de rAmerique etaient en ce moment agenouilles, leurs mains supplianles levees vers Dieu et les paroles de la reconnaissance sur leurs levres? Gette troupe de jeunes hommes se coraposait de saint Ignace et de ses premiers compagnons, qui se prepa- raient, a Montmarlre, a la fele de la fondalion de la Gompagnie de Jesus. Quel a ete le resultat de cette preparation?... Qui sait s'il n'y a pas aussi parmi nous quelqifun que Dieu marque aujourd'hui du signe sacre de 1'onction des Apolres? En lout cas, nous travaillons non pas seulement pour nous, mais encore pour des mondes entiers : cette pensee doit nous accompagner tout le teinps que dureronl Ies Exercices.

C) FXTROD. A LA RETIUITE DE HUIT JOURS : FIN 1)1 NOVIC.IAT

I. But.

A. But general. Les Exercices que nous allons faire sont, si nous en considerons Yobjet, des pratiques de la vie spirituelle, par consequent un nouvel emploi des moyensou des methodes propres a cette vie, comme la priere mentale et la

[NTROD. \ I.A RETRAITE OE IILTT JOl RS >IN DL NOVIGIAT Jti"

priere vocale, etc...; ils sont mi remaniement de nos armes spiritnelles, pour ainsi dire, unerepelition d'exercices guerriers, ii laquelle la reservede notre Compagnieest aujourd'hui convo- <juee. Les manceuvres sonl parfois necessaires : lout s'oublie avec le lemps. et meme la pratique, Tusage se perd, quand il n'a pas ete snivi regulierement. Cest pourquoi nous devons etudiei de nouveau la theorie el la pratique de nos Evercices. Si nous nous mettons au point de vue du bul des Exercices, leur fm esl la reforme de notre vie d'apres la volonte, la pensee et 1'image de Dien, type de loute beaute et de tonte magnificence, d'apres le Ghrist, d'apres IHomme-Dieu. En lui il nous faut considerer et nous-memes et notre vocation. Reproduire en soi les traits de ce modele divin est le devoir de tout homme; mais, helas! cette reproduction est souvenl defiguree el alteree par le dereglement de nos passions, la longueur du combat, 1'exces du travail et de la faligue. Apres une campagne, les soldats n'ont plus, d'ordinaire, ni la meme tenue ni la meme regularite.

B. But particulier. Le but particulier de celle retraite ^st la preparation aux etudes. Xous avons la une nouvelle etape de notre carriere religieuse; et il est justeque nons la commen- cions en priant plus longtemps et avec une ferveur extraordi- naire : ce sera le moyen de rendre gloire a Dieu, d'attirer sur nous les benedictions du ciel, et enfin d'imiter le Sauveur. Nous devons desormais menerune doublevie, Tune interieure. 1'autre exterieure, et nous devons acquerir une double science, la science huinaine el la science des Sainls. Nous avons, pour cela, deux choses a faire : la premiere est de ne pas nous nuire de quelque facon et de ne pas retrograder ; il nous faut, par consequenl, etudier et etudier volontiers et etudier assidiiment, parce que telle est la volonte de Dieu. La surveillance des Superieurs, parfois aussi la curiosite, la vanite et 1'ennui nous aidenl ii etudier, mais non toujours et en toute circonslance. Nous ■devons nous encourager a 1'etude par des motifs surnaturels, au moyen de la vie surnaturelle : Pietas ad omnia ulilis est (I Tim., 4, 8) : sans la vie interieure, nos efforls et notre application ne dureront pas et nous n'avons auctin merite. La seconde chose que nous avons a faire, pendant les etudes.

168 considerations pour l'introd. a diverses retraites

est d'avancer, de progresser dans la vie spiriluelle. Or, les Exer- cicesspirituels sont les moyens a employer avanl tous les aulres pour realiser ce progres; ensuite les eludes, nous servenl alors elles-memes de secours. Pendant nos etudes nous avons parfois desdifficultes a vaincre ; lesetudes aussi sont belles, elevees, con- duisent a Dieu, et de plus elles sonl deja un service excellent que nous rendons a sa Majeste- Nous exciter a atteindre ce doul)le hut esl la fin speciale des Exercices que nous commen- cons. Si nous alteignons cette lin, nousavons lieu d'elrecontenls; on nous fail grace du reste.

II. Moyens.

A. Negalifs. La retraile, le recueillemenl. Dieu et moi, nous sommes desormais seuls ici-bas, dans le monde.

B. Positifs. Bien mediler, quand meme le sujet offert ne serait pas nouveau. Chaque mystereest comme le rocher de Moise : frappons-y ferme, et plusieurs fois, s'il le faut, et avec eonfiance ! Generosite. Ne rien craindre, ne rien refuser, meme payer de notre personne, aller au-devant de Dieu, c^est assurement vouloir quelque chose de grand. Le defaul de gene- rosite est souvenl la cause du peu de resultat de nos Exercices. On ne veut rien, on ne sepropose rien, el Ton sort dela retraite comme on y etait entre. II faut que les Exercices soient dans notre vie spirituelle ce que sont les couches qu'on apercoil dans un arbre scie en Iravers : on peul ainsi compler les annees d'existence de cet arbre et constater ses accroissements succes- sifs. II est donc juste d'appliquer aux Exercices ces paroles : Inlra lotus, mane solus, exi alius.

III. Motifs.

A. Les Exercices sont une grande grace, qu'on les consi- dere soit dans la nature soit dans leur objet. Helas! cornme nous travaillons souvent pour autrui, pour le lemps, pour les hommes ! Gomme les choses exterieures nous occupenl ! On peul bien dire de la retraile : .S?' scires donum Dei iJoan., 4, 10).

IMROD. A LA RETRAITE DE HUIT JOI RS (FI5S DL NOVICIATj 169

Maintenant nous travaillons pour nous, pour l'eternile, pour notre ame, pour Dieu. Les Exerciees sonl une veritable piscine de Bethsaida, dans laquelle nous laissons nos raaladies spiriluel- les et nous nous rajeunissons. Les Exercices sont le type pri- mordial, le modele parfail de nolre vocation ; nous devons de temps en temps, pour ainsi dire nous remetlre sur le metier et nous faire reprendre la forme. Pendanl les Exercices, nous sommes comme dans notre patrie spirituelle ; notre arae y prend un conge et une sorte de cure, en respirant Tair pur du pays natal. Sachons en bien proliter! Relirons-nous de nouveau coraple- tement en Dieu par la priere et une conversalion assidue avec lui ! G'est le moment ou Jesus passe : ne manquons poinl 1'occa- sion de recevoir sa divine benediction ; quelle ne fut pas la magnifique recompense de Zachee pour etre alle simplement a la renconlre du Sauveur!

B. Lepasse. Avons-nous alleint le bul? Gombien de veiius avons-nous acquises? Le fondement de nolre edifice spirituei esl-il solide? Examinons-le. Y a-t-il du delicit . dans nos comptes ? Reparons-le. Savons-nous encore prier et nous vain- cre nous-memes? Ne plus savoir prier ni se vaincre est pire que de ne plus savoir manger. Reapprenons donc a prier et a nous vaincre. Hora est jam nos de somno surgere (Rom., JM, 11 . llova undecima <>st (Matth., 20, 6).

G. L'avenir. Une annee est longue et peut menager bien des surprises : elle peut nous apporter des merites comme des demeriles, des joies comme des epreuves. II y a, genera- lemenl parlanl, des dangers dans les etudes : !a science entle, favorise la vanile el expose a differents ecueils, soit qifon reus- sisse dans ses etudes soit qu'on n'y reussisse pas. II y a encore les dangers particuliers de la premiere annee des etudes, la nou- veaute, la liberte, 1'inexperience, et il y aenfin les dangers des annees suivautes. II en ^st souvent des eludiants comrae des soldats : la premiere et la seconde annee cela va encore, mais la troisieme estcelle du reloura la maison paternelle ! La raison salfianchit peu apeu, smioul pendant Tetude de la pliilosophie : sii y a pour les Ndtres des annees quelque peu extravagantes, ce soni assureraenl les annees de philosophie.

170 CONSIDEE \TI0NS POIIi l.'lNTROD. A DIVKRSES RETRAITES

Par consequent, prenons garde a nous ! Preparons-nousa ces epreuves ! Une annee est longue a parcourir : c'est un voyage renipli de dangers. Le moment est arrive ponr nous de faire des provisions en vue de 1'avenir : agissonsinaintenant, non comme les vierges folles, mais connne les vierges sages.

d) INTROD. A I NE DE NOS RETRAITES QUELCONQl ES

I. Nous devons faire les Exercices spirituels.

Et cela pour deux raisons :

La premiere est extrinsequeet consiste dans les prescriptions de notre Inslitut : tous les Religieux de la Gompagnie de Jesus doivent. chaque annee, faire une retraitede huita dixjourscon- secutifs. II n'y a pas moins de quatre Congregalions generales qui formulent expressement la meme ordonnance et qui recom- mandenl instainmenl aux Superieurs de veiller a l'observation de cette regle ; ils doivent eux-memes, par leurs paroles et leur exemple, contrihuer a cette observation, el il n'y a que le Pro- vincialseul qui puisse exempter ses inferieurs de cette obligation. .Ecoutons plutot : Omnes quotannis vacenl spiritualibus exerci- liis per oclo vel decem dies continuos ; alque ut id efficaciter et omnino liai , statutus est iste annuus spirilualium exercilio- rium usus et omnibus summopore a Congregatione commenda- lur, prsecipue vero Superioribus ; ut non modo ceteros suo exemplo excitent, sed tempus quoque singulis [commodum ad ci cum fructu peragenda, omnibus difficultatibus superalis, attribuant [Congr., 6, d. 29, £ 2). Detur opera ut aunua exercilia spiritualia... priescripta exacte ab omnibus fianl, omni omnino excusalione et occupatione seposita ac superala; ita utnequc negotiis neque confessionibuseo tempore detinean- tur,servata eliam in illis proportione methodoque, quibus inte- graexercitia /ieri consueverunt, pnesertim quaod recessum ab omnibus [Congr., 7, d. 25, § 24). Commendandum Palri nostro, ut quomodo judicaverit in Domino expedire, per Pro- vinciales urgeat executionem eorum, quss de spiritualibus exer-

IMTR0D. A UXE DE i\OS RETRAITES QUELCONQUES 171

ciliis quotannis per ocliduum obeundis constituia sunt. Ne Superiores locales ab iis obeundis immunilatem dare possint, et soli Provinciales rationes audiant, quibu"s aliquis videatur excusandus (Congr., 8, d. 38, 5; 1, 2). Ne muneri suo Supe- riores salisfecisse se arbitrentur, nisi sedulo curenl, ut per ea media, quse habet Societas satis copiose priescripta, studium oraiionis rerumque spiritualiwn maxime vigeat in singulis domibus ; ac spirilualia prxsertim exercitia accurale et frur- iuose quotannisab unoquoque peragantur [Congr., 18, d. 22, S 1). De tous ces decrels il ressort assez clairement quelle iniportance rinslilut de la Compagnie altaclie a robservation de notre regle de la retraile annuelle.

La seconde raison ponr laquelle nous devons faire les E\er- cices, est tiree de nous-memes, du besoin que nous avons de nous renouveler de temps en temps dans la vie interieure. Kl ce besoin peut de nouveau etre general et parliculier :

A. Quel est celui d'entrenous qui ne sentpas, en general, le besoin de renouveler de lemps a aulre les exercices de sa vie spirituelle? Xous sommes, en effel, des etres finis : nous epui- *on> nos forces et nous nous fatiguons par la continuile du travail. On n'a encore decouvert le mouvement perpetuel et constant ni dans Tordre naturel ni dans 1'ordre surnalurel : tous, tant que nous sommes, nous sommes faits pour nous renouveler sans cesse. Et ceci est surtoul vrai quand il sagit du Jesuite. Dans le butspecial denotre vocation, le point difficile u atteindre esl d'agir sur les ames humaines, delre en conlact immediat avec elles, de les aider a se sauver, sans pourtant nous faire aucun tort a nous-memes. Xous sommes donc particulieremenl destines a la vie active. Mais qu'il peul nous arriver souvenl, dans la presse et 1'ardeurdes travauxde cellevie, de perdre plus ou raoins de vue la fin surnaturelle qu'ils reclamenl, el, dans lemploi des raoyens, surtout exterieurs, de voir dirainuer, ou ineme disparailre en notre espril la force et la purete des prin- cipes sumalurels qui devraient seuls nous guider : ce qui, sans doute, est au moins un commencement de desordre ? Avec quelle facilite nous pouvons negliger 1'oeuvre de notre sanclification personnelle, |>arce qu'elle nous demande de la peine et de la

l~~> CONSIDERATIONS POHR l/lNTROD. A DIVERSES RETRAITES

victoire sur nous-memes, ou encore n'y plus travailler comme nous le pourrionsou nous le devrions ! Qiril est aise a une cer- laine tiedeur de se glisser meme dans nos meilleures actions. surtout dans quelques-uns des Exercices de la vie spiriluelle ! Dans cet etat, les passions anciennes el innees peuvent se reveil- ler, se fortifier el nous conduire a la negligence de nos devoirs et au peclie ; c'est ainsi que, peu a peu, une tiiple difformite enlaidit nolre ame : la tache de nos peclies, le desordre de nos passions et la marque des chatimenls que nous avons merites. Malgre cela, nous ne sentons en nous ni le courage ni la force d'effacer ces tracesignominieuses. Alors arrive le temps de la retraite. Le monde se lail autour de nous, le bruit du dehors et lagilation des affaires exterieures cessent ; nous nous rappro- clions, pour ainsi dire, de reternite : dans un coramerce ininter- rompu et exclusif avec Dieu, nous voyons tiotre fin surnaturelle de nouveau se dessiner dans le plus grand jour, a la plus vive lumiere; les voies et les raoyens pour ralteindrenous apparais- sent clairement dans uri ordre merveilleux ; nos differenles pertes de Tannee sont reparees par la penitence ; nous avons la con- naissance de ce que Dieu veut de nous ; nous reapprenons a prier et a nous vaincre ; nous nous remettons sur pied, on peul le dire, el nous nous renouvelons ; 1'aureole de la saintele brille encore une fois autour de nous ; en un mol, notre vie spirituelle est completement revenue et beaucoup amelioree. Personne mieux que les Saints ne sentail le besoin de cette renovation, et celui qui ne le sent pas, monlre bien qifelle lui est absolument necessaire.

B. II peut arriver aussi que nous ayonsun besoin particu- lier des Exercices spirituels k cause des circonstances speciales ou nous nous trouvons : par exemple, si Dieu nous demande des sacrilices personnels, entre autrescelui d^aller aux missions; si nous avons des difficultes dans la vie spii ituelle, des tentations extraordinaires ; si nous courons des dangers; si nous sommes aux prises avec 1'adversite ; si enfin nous entrons dans un nou- vel emploi ou dans une nouvelle charge (Gf. la prescription faite aux Superieurs a leur entree en charge : Ordinat. c. 1, §6). Nous-memes nous ne croyons pas pouvoir donner de meilleur

INTR0I). A.UNE DE N/S RETRAITES (HEI.CONQUES l~.'i

conseil a ceux qui sonl preoccupes de leur vocation que de leur recomraander les Exercices spirituels, afin d'y trouver lumiere et force aupres de Dieu. Nous savons d'ailleurs, par l'Evangile. que le Sauveur avail coutume de se preparer, par des prieres extraordinaires, aux epoques et aux evenements principaux de sa vie, par exemple a sa predication publique (Matth., 4, 1), a 1'eleclion des Apolres (Luc, 6, 12), a la confession de saint Pierre (Luc, 9, 12 , a la Transliguralion (Luo., 9, 28, 29 ), el a la Passion (Matth., 26, 36). Xous coraplons les annees denotre vie spirituelle par les relrailes que nous avons faites; et, au conimencement de chaque nouvelle annee, nous avons assez de motifs pour nous livreralors a des Exercices de piete particuliers, tanl pour retremper nos ames aupres de Uieu el lui rendre les hommages qui lui sont dus que pour nous rendre dignes de 1'abondance de ses benediclions. Cest ainsi que de toute part nous pressent le besoin et la necessite denous servir du secours efficace des Exercices spiriluels.

II. Nous vonluns faire les Exercices spiriiuels.

Abstraction faile de la double necessile, exlerieure el inte- rieure, que nous avons de les faire, les Exercices renferment en eux-raeraes tant d'avantages, ils sonl si beaux et si excellenls que chacun de nous peul el doit desirer el vouloir s'y livrer, et cela pour les molifs suivants :

Premierement, il ne peul nous elre que tres avantageux et Ires protilable de pouvoir, une fois en passant, vivre quelques jours pour nous seuls : nous nous donnons lanl de peine el nous travaillons lant pour les autres tout le reste de 1'annee! II nous arrive souvent la raeme chose quaux Apotres, dont il esl ♦'cril qifils etaient lellement occupes et voyaient lanl de monde qifils n'avaienl pas raeme le temps de manger (Marc, 6, 31). Le Sauveur leur procura du soulagement en les faisant venir avec lui dans un lieu isole el agreable, afin de gouter ensemble les douceurs du repos. La retraite est egalemenl pour nous un repos ; acceptons avec joie ce conge ces vacances : cerles, nous avons des devoirs a remplir envt-rs nous. aussi bien envers nos

17 { CONSIDERATIQNS PQUR l'i.NTROD. A DIVEftSES RETRAITES

aines qVenvers nos corps, el nous viyons non seuleraenlde Ira- vail, raais encore de repos. Profitons donc bien de cette villegia- ture spirituelle- qui nous esl accordee ; nous 1'avons merilee* Qui sibi nequam est, cui alii bonus erit ? [Eccli., 14, 5).

Deuxiemement, les Exercices sont une conversalion ininler- roinpue avec Dieu. Nous sommes, pendant la retraite, effective- ment pres de Dieu, autanl qu'on peut Felre sur la terre ; nous touchons a notre derriiere fin, a TEtre de qui nous venons el a qui nous retournons. Peut-il y avoir pour nous quelque chose de raeilleur, de plus avantageux et de plus nieritoire? Nous devons une bonne fois, dans ce commerce divin, prendre les pensees, les affections et les sentiments de Dieu. Dieu sera notre occupation incessante pendanl 1'eternite ; il faudrait meme quil le ful des maintenanl ; mais, helas ! cela n'est pas possible. Par consequent, profitons des courts instants que nous avons pour rester avec Dieu el sentir que nous ne sommes nulle part plus chez nous qu'en lui : nulle part, en elfet, nous n'avons raeilleur accueil el nous ne sommes si bien. Gelui qui ne se trouve pas bien avec Dieu, celui-la inonlre qu'il est gravement malade au poinl de vue spirituel : il est possede de lesprit du monde et il a la manie de recliercher sans cesse les distractions ; il ne con- nait pas sa veritable patrie. Quid mihi est in ccelo et... quid volui super terrarn?... Deus cordis mei et pars mea, Den* in setefnum (Ps. 72, 25. 2(5).

La conversation intime avec Dieu dans la priere nous procure tous les avantages de la vie celesle : en Dieu est la purete, Dieu rend meme la purete perdue ; en Dieu est la lumiere et la con- naissance ; en Dieu nous trouvons la paix, la joie el ladouceur; en Dieu, enfin, nous avons la force, le zele et la benediction pour toutes nos oeuvres. Que voulons-nous de plus?

Troisiemement, les Exercices sont une grande grace pour nous et pour les aulres :

A. Les decrets des Gongregations generales cites pius. haut sont tous ensemble du nombre de ces prescriplions dont le but est de conserver, d'augmenter et de fortitier la vie spiri- tuelle dans la Gompagnie de Jesus. Cetait rintime conviclion des Peres de ces Gongregations que, pour atleindre le but que

INTROD." A INE DB NOS RETRAITES QtflELCONQUES 175

nous venons d'indiquer, la Compagnie navail pas recu de Dieu de meilleurs moyens que les Exercices (Cf. le preambule du Directoire). Llnstitut lui-meme designe, comme fruits des Exer- cices, devotio, « la devotion » (p. 3, c. 1, § 20), la crainle de Dieu, l'amour ponr Dieu et le progres dans la verlu (Ibid., decl. R.). Nous trouvons dans les Exercices lout ce dont nous avons besoin. Et, dans le fail, il n'y a, en deliors des Exercices, aucune occupation el aucun temps ou nous soyons davantage dans Fessence et dans 1'esprit propre de notre vocation. Les Exercices ne formenl-ils pas la marche spiriluelle ascendanle que saint Tgnace lui-meme a suivie pendant son existence ici- has? N'y Irouvons-nous pas tout ce qui nous est necessaire, soit pour ameliorer et fortifier notre vie spiriluelle, soit pour nous encourager et nous consoler dans les epreuves quelle peul nous olTrir. Le bref de Paul III 1548) pour rapprobation des Exer- cices contient a leur stijel, dans un slyle concis, quelques passa- ges qui sonl remarquables ; les voici : Cum dilectus filius fgna- tius de Loyola... qusedam documenla sive exercitia spiritualia, ex sacris Scripturis et vitse spivitualis experimentis eticiiu, composuerit et in ordinem, ad pie fovendos fidelium animos aptissimum, redegerit, illaque Christi fidelibus ad spirilualem consofationem ei profectum magnopere utilia et salubria non solum fama ex plurimis locis allata pnedictns Eranciscus dux (Gandire) didicerit, sed etiam experimento manifesto, cum Barcinone, tum Valentiae, tum Gandise id compertum habue- ril :... Nos, qui documenta et exercilia hujus modi... pietate et sanctitate plena. et ad sedificationem et spirilualem profec- tum fidelium valde utilia el salubria esse et fore comperimus... approbamus, collaudamus. Assurement, lexpose des vraies raisons de leflicacile des Exercices se trouve dans les paroles memes de saint Ignace, dans la 20e annolation, ou il enumere les principaux avantages de la relraite absolue pendanl le lemps des Exercices : Ex qua secessione sequuntur tres prxcipuse utilitates inter alias multax : Prima est, quod segregando se quis a multis amicis ac notis, itemque a mnltis negotns non bene ordinatis, ut servial Deo, Domino noslro, eumque laudet, non parum meretur coram sua divina Majestate. Srcunda,

176 CONSID&RATIONS POliR* L'lNTROD. A DIVERSES RETRAITES

(jiiod ita segregalus .non habens intellectutn divisum circa multa, sed ponens ornnem curam in una re sola, scilicet in serviendo Creatori suo el in profectu animse proprise, liberius ulilitr naluralibus suis potentiis, ad quaerendum diligenter id quod tanlopere desiderat. Tertia, quod, quanto magis anitna nostra reperit se solam et segregalam, tanto se reddit aptiorem ad appropinquandum Creaiori ac Dbmino suoeum- que altingendum ; et quanto mttgis ita eum attingit, eo magis se disponit ad suscipiendas gratias et dona a sua divina ei summa Bonitale. Donc, Dieu el riiomme se renconlrent, dans les Exercices, avec leur volonte et leur aclivite feconde : quel magnifique resullal peut et doil en etre la consequence !

B. De la il snil que le lriiit de nos retrailes profite aussi a nolre procliain. Nous y devenons, enlre les mains de Dieu, des inslrumenls de salul pour les aulres el nous nous remplissons de la grace, sans laquelle rien ne se fail et avec laquelle lout s'opere en ce monde. De plus, par la pratique des Exercices, nous y gagnons en experience, en habilete el en perfection, el nous nous rendons capables d'en inslruire inieux le procliain : saint Ignace touclie lui-meme ce point dans la partie I\v clia- pilre 8, i; 5) de ses Constitulions (Gf. Hegle 7 des Prelres .

Nous avons, ainsi, assez de molifs pour desirer et pour recliercher les Exercices spiriluels, abstraclion faile du besoin interieur et exterieur que nous en avons. Ils sont une tres grande grace. Le temps de la relraile est celui oii le Seigneur passe reellement pres de nous avec 1'abondance de ses dons : piolilons de cetle occasion unique, comme en onl prolile les aveugles de Gapharnaiim el de .lericho (Mattii., 9, -27 ; Marc, 10, 17-52), la Ghananeenne (Mattii., 15, °2u2-28i et les lepreux donl parle saint Lic (Luc, 17. 12. i:i .

III. Nous pouvons faire les exercices.

Grace a Dieu, nous atilres, noii8»pouvons nous mettre au\ Exevcices spiriluels non seulement avec joie, mais encore avec rassurance d'en relirer tout le frttil desirable.

D'abord, les movens de les faire, el de les bien laire, ne nons

[NTROD. \ ONE DE \"OS P.ETP.MTES QUELCONQUES 177

nianqiienl pas en dehors de nous, soit du cdte de Dieu soit du edte des Exercices eux-memes (Voir : Inlroduclion a la grande retraite : III, Motifs) : les K.rercices sont une reunion de tous les moyens puissants dont se sert 1'Eglise ou la Religion du Ghrisl ponr atteindre sa fin. II ne nous est pas permis non plus de douter de lavolonle miserieordieuse de Dieu et de sa bien- veillauce a notre egard : nous avons deja un gage du secours special de Dieu en ce que nous faisons les Exercices d'apres sa volonte et 1'ordre de 1'obeissance ; nos Regles nous prescrivenl les Exercices, et les moyens ordonnes, les remedes prescrits, sont toujours les meilleurs.

Ensuite, quant aux moyens personnels h employer, saint Ignace rfen demande pas trop, mais il en veut assez : a savoir, la retraite, 1'activite individuelle et la generosite (Gf. Introduc- tion a une retraite de poslulants : II. Moyens d'alleindre ce but .

Le resultat le meilleur et le plus beau que nous puissions obtenir de nolre retraite serail, sans doute, un haut degre de saintele ou au moins la resolution d'y tendre serieusement. Mais Dieu n'e\ige pas de lous la meme perfection : il a des vues particulieres snr chaque ame, et c'est pourquoi il fait suivre a chacune des voies dilferentes ; il a aussi pour la distribution de ses graces des temps que lui seul delermine. Ge que tous, sans exception, nous pouvons et devons gagner afaireles E.rercices, c^est de nous mettre de nouveau en bon etal pour Tannee qui vient, afin de o'y pas reculer, mais d'y gagner dans la vie spiri- tuelle. Or, ce progres ne consiste pas a faire de plus grandes et de nouvelles entreprises, mais a diminuer le nombre de nos fautes, a resisler a nos mauvaises passions, a faire avec zele et constance le bien propre de notre vocation, et a profiter des occasionsquolidiennes de praliquer la vertu et d'augraenter nos merites, en un mot, a devenir de fervenls Jesuites. Si nousattei- gnons ce but, nousaurons fail une excellente retraite.

Ajoutons. encore ici, quelques avis speciaux, dontla negli- gence coraproraet tres souvent lavenir ou le fruit de nos retraites, et dont 1'observation en assure les plus heureuxresullats :

II nous faut beaucoup prier, pendant les F.rprnces, ne pas

12

178 CONSIDERATIONS POUII lYmHOD. A DIVERSES RETRAITES

nous imagioer que tout, dansla relraile, se reduit a reflechir sur des verites el h prendre des resolutions : la grace nous arrive principalement par la priere : Incrementum dal Deus (I Cor.^ 3, 7.)

Nos resolutions ne doivent etre ni Irop nombreuses ni gene- rales : determinons et precisons bien, par rapport aux defauts. particnliers dont nous voulons nous corriger, ou aux vertus spe- riales que nous voulons pratiquer, ce que nous voulons laire dans. telle ou telle circonstance.

II faut, pendant la retraite, nous garder des petites infide- lites a 1'observation du regleraent, a la modestie, au recueille- ment,etc..., et y travailler, en medilantlesverites, non paspour les autres, raais pour nous en particulier. A ce sujet, la 7e Con- gregation (d. 25, § 4) fait cette utile remarque : Servala etiam proportione methodoque, quibus integra exercitia fieri con- sueverunt, prsesertim quoad recessum ab omnibus. Le venere P. Roothaan parle aussi dans le merae sens dans son livre Des Annotations et des Inslructions spirituelles , et il le fait avec des expressions qui temoignenl loute sa sollicitude et monlrent bien son ardent desir de nous voir suivre les conseils qifil nous. donne.

Des le comraencenient des Exercices, nous devons avoir la volonte d'en retirer un profit considerable.

Apres la retraite, nous examinerons, a des temps delermines, comment nous soraraes fideles a nos resolutions, et nous en ren- drons compte a notre Pere spirituel en debors de la confession.

Celui d'entre nous qui aura considere et pese tout ce que nous venons de dire en prendra, sans nul doute, occasion de desirer vivement faire les Exercices et il entreraen retraiteavec joie et confiance. Nous avons un parfail modele de Retraitant dans la Personne du divin Sauveur « qui s'eloigne du Jourdainr renipli de TEsprit-Saint, et est conduit par le raeme Esprit dans. le desert » (Luc, 4, 1) : il s'y rend pour se preparer a sa vie publique par la priere, la penitence etla lutte contre le demon. Jesus va au desert tout plein de la joie de 1'Esprit de Dieu, el c^est, parce qu'il prevoit la grandeur du bien qui en resultera pour son Royauine, « qu'il resle quarante jours et quaranle nuits.

INTBOD. A UNK DE NOS RETRAITES QUELCONQUES 1"9

dans cet affreux sejour, ou il est tente par le demon : il se trouve la au railieudes betes sauvages, raais les Anges viennent pour le servir» (Marc, 1, 13). Approprions-nous donc les sentiraents du Sauveur dans ce myslere, et estiraons-nous heureux de pou- voir ainsi, pendant nolre retraite, vivre avec lui et comine lui en esprit et raeme, de quelque facon. en realite.

PREMIERE SEMATNE

LE FONDEMENT

Portee, Importance et Division du Fondement. Cl'. Commentaire des E.rercices, p. 33 et :>i.

A. FIX DE LHOMAIE

a) F I N P R 0 C II A I N E I) i: L ' H 0 M M E (Gf. Commenlaire de.s Exercices, p. 34, 2.)

Homo creatus e.s( ut laudel Deum, Dominum nostrum, ei reverentiatn exhibeat eique serviat.

Sainl Ignace semble decouvrir ou voir la fin de rhomrae dans sanatnre, el sa nalure dans son origine : de son origine ou de son principe, en elfet, letre recoit tout ce quil est, toutce qifil a et toul ce qu'il doil etre : nature, facultes et fin.

I. Origine de Vhomme.

Qu'est-ce que riiomme originellement ? II est cree, il est uiie creature. II est de la plus grande importance de bien com- prendrece que veut dire « etre une crealure ».

Qu'est-ce donc o e4re une creature »? « Etre une creature ou 6tre cree » esl avaul tout ifetre pas de soi, mais etre d'un autre. P)sl-ce vrai par rapporl a moi ? Suis-je convaincu que je ue me suis pas douoe a moi-meme 1'existence ? « Etre cree o

182 PREMIERE SEMAINE

signifie de plus non seulement ne pas etre de soi, mais aussi n'elre rien de soi en general. Gela resulte de ce qui precede : carcelui qui napas en lui-m6me la raison deson existence n'a pas davan- tage en lui la raison d'etre plus ou moins, d^etre ceci ou cela, ni meme d'etre generalement. « Etre cree » signifie doncavoir tout d'un autre, enfin avoir tout de Dieu et par le moyen de la creation. II doil en effet y avoir, en dehors des choses creees, un Etre qui est 1'origine ou le principe de tous les aulres elres ; autrement, il faudrait admettre ou bien le systeme des causes a rinfini, ou bien celui des etres sans cause, ou bien enfin celui de 1'etre a la fois cause el effet... Or, la maniere donl cel Etre supreme donne a tous les aulres Texistence ne peut etre que la creation. Toutes les differentes hypotheses des materialisles el des pantheistes sont insensees el pleines de conlradiclions. Si donc 1'homme est cree, il n'a rien de lui-meme, mais il a toul de Dieu : 1'existence et 1'etre, le corps el 1'ame, 1'origine el la conservation de son etre et de ses faculles. Voila ce que nous dit la raison et ce que confirme la foi : « Je crois en Dieu, le Pere lout-puissant, Createur du ciel et de la terre... » Les premieres pages de la sainte Ecriture rendenl temoignage de notre crea- tion de rien par Dieu... (Gf. sainl Luc, 3, 38).

Que comprend par consequent en soi « cetle nature d'etre cree », cette condition « delre creature »? Elle comprend deux choses : Premierement, la complete el parfaite dependance tle Dieu. La creaturen'a rien de soi, est entieremenldependante de Dieu dans son existence, dans sa conservation et dans son bonheur. La creature est donc par elle-nieme une toute petite chose et une grande aumone de Dieu.Ellea beau developper ses qualites, s'elever d'une perfection a une autre, etendre loujours davantage la sphere de son aclivite et de sa puissance, elle lfen est pas moins el elle reste « crealure » ; alors elle est meme cPautant plus « creature » et plus dependante de Dieu. Telle est notre condition « d'etres crees ». Nous vivons en Dieu, nous lirons constammenl de nouveau de Dieu et nous puisons en Dieu notre existence el nolre lorce, et sans lui nous ne sommes rien : In ipso nwvemur el sumus (Acl., 17, 28; Ps. 138, par- ticulierement v. 5, elc...). II n'y a donc pour moi aucun

LE FONDEMENT '. FIN PROGHAINE DE I.'liOMME 183

etre qui me soit aussrproche, aussi imporlant etaussi necessaire que Dien. Deuxiemement, dire d'un etre qu'il est « cree », c'est dire qu*il appartienl a Dieu absolument. Quand Dieu cree, il ne cree pas parce qu'il change ou qifil est dans le besoin ; mais il eree par pure bonle, pour se eommimiquer : de meme t|u*une lumiere allume uneautre lumiere, ainsi Dieu cree seule- ment pour communiquer sa propre bonte. Or, il y a en Dieu une double bonle, lune absolue, increee, et 1'autre relative ou crea- Irice. II ne peut pas communiquer la premiere, mais bien Ja seconde. el il la communique en creant, el en creanl a sonimage^t ;i sa ressemblance : voilace que sonl les creatures. Elles ne sonl essentiellemeni que des pensees, des idees de Dieu, passees a la realite, et desexemplaires vivants de la bonte creatrice de Dieu. Elles sonl au moment oii Dieu le veut : et.elles sont, dans leur existence, dans leur etre et dans leurs oeuvres, la perpetuelle represenlation et comme le rayonnement de sa bonle et de sa beaute. Oui, si on le comprend bien. on peul -direque les crealures sont des rayons. parlant du Soleil, qui est Dieu : de meme que les rayons ne se separent jamais du soleil, de meme les creatures ne se separent jamaisde Dieu. Elles sonl par Dieu, avec Dieu et en Dieu. Aucunelre ne reste dansle sein oii il prend son origioe autant que la creature dans l<- sein de son -Greateur : la Creature esl en Dieu dans son passe. dans son pre- senl el dans son avenir : la creature est en Dieu, en tant qu'il en esl Parchetype (la cause exemplaire ; elle est en Dieu, en tanl qu'il est la cause de son existence Ha cause efficiente) ; elle est en Dieu, en tanl quil esl sa fin <'la caust- finale). Tel est le myslere que renterme la crealure : d'uncole, la pauvrete, la faiblesse, lafragilite : etde lautre. la grandeur, 1'elevation, le divin. Vraimenl a nous sommes la race de Dieu » (Act., 17, 28 ; el nous sommes avec lui dans les rapporls les plus inlimes etles plus suivis ( Ps. 138).

184 PREMIERE SEMAINE

II. Fin de Ihomme.

De la iialure de l'hoinine il est facile de conclure en general a sa fin, a sa destinee. Si riiomme est veritablement creature de Dieu, il doit se regarder et se conduire vis-a-vis deDieu comme crealure : Dieu, qui est la loi de son exislence physique, doit Gtre aussi la regle de sa vie morale, et, par consequent, il agira toujours dans la dependance de Dieu dans 1'ordre moral comme dans Tordre physique; il ne peul et il ne doit se soustraire janiais ni a la dependance ni au domaine de Dieu. Son premier devoir et son devoir complet esl dereconnaitre Dieu comme son Greateur et de se reconnaitre comme sa cr.eature, de se conduire comme telle.

Saint Ignace indique, en parliculier el d'une maniere prali- que, quelle doiletre notre conduite envers Dieu, et il le fait en quelques mots : « Louer Dieu, le respecler el le servir. » Tout esl dit par la. « Louer », c'est reeonnaitre les qualiles et les prerogalives d'un autre. Gelle reconnaissance de Dieu se fait par 1'adoration, e'est-a-dire en confessant que Dieu est 1'Etre supreme, la Bonle infinie, la source premiere de tous nos biens, et que nous nous devons et que nous nous donnons et devouons enlierement a lui. « Respecler Dieu », c'est faire passer dans la pratiqtie de notre vie la reconnaissance de Dieu, comme notre Maitre et Seigneur ; et comment? En rendant a Dieu le culle interieur el le culle exterieur qui lui sontdus, etlels qu'ils sont prescrits dans les trois premiers commandemenls du Decalogue. Enlin » servir Dieu », c'est soumetlre et assujeltir pratique- ment toute nolre volonle a lavolonle deDieu manifestee, a l'exe- cuter de quelque facon qu'il le veuille. Or,cette volonle de Dieu nous esl intimee par la loi naturelle, la loi posilive, les comman- demenls de 1'Eglise, les devoirs d'etal, la Providence de Dieu direcle ou permissive, dansle cours et les circonslances de notre vie ; ainsi, la pauvrete et la richesse, 1'honneur et le mepris, la prosperite et 1'adversite, la sanle et la maladie, la vie el la mort sont des manifestations de celle volonle divine. En toul cela, nous devons nous soumettre k Dieu humblement et filialement,

LE FONDEMENT : FIN PROCHAINE DK l'HOMME 185

etaceomplir la volonle loute sage, toule puissante, toute sainle el toute bonne de Dieu : Dominus esl ; quod bonum est in oculis suis, faciat (I Reg., 3, 18). Ego sevvus tuus el filius ancilUe tux (Ps. 115., llti .

( tui, quoi que nous puissions offrir a la divine Majesle en fait de devouement, plein damour et de generosile, en fait de louange el de services excellenls, soit dans rol)servalion des commandements, soit dans le renouvellement des meilleures intentions, soit meme dans la fidelite aux conseils evangeliques, soit enfin en nous elevant jusquaux sommets de la charite, nous n'empecherons pas que tout ne soil compris dans « la louange el le service de Dieu », que tout ne soit renferme dans les limites de la fin de rhomme. Telleest notredeslineealous sans exceplion. Xous ne sommes pas crees, a vrai dire, pour fairececi ou cela, quand meme il s'agirait dune chose tres belle et tres noble ; mais nous sommes crees pour >< louer, respecler et servir Dieu » en toul et partout. Yoilaceque, en resume, tous nous avons a faire, el le reste il faul ne nous en seivir que comme d'un moyen pour atteindre cette fin. LThomme doil en effet avoir une fin derniere; or, la nature de la lin derniere exige que toule aulre chose ne s'y rapporte que comme moyen ; nous devons donc ainsi aimer Dieu de tout nolre cceur et aimer lout le reste a cause de Dieu.

III. I\ecessite de cette /in.

Nous avons siirlout quatre molifs de poursuivre le mieux possible robtenlion de nolre lin.

Le premier molif estqne ce bul estjusteet raisonnable. Toule grandeur el toute souverainele trouvent des adorateurs, et Dieu seul ifen aurait pas. Dieu donl la puissance et la majesle sont si grandes, certes plus grandes que nimporte quelles autres, Dieu qui nous touche de si pres et qui est pour nous d'une valeur et dune dignile inlinies ! Ou encore n'esl-il pas juste que la plus haute majeste, la plus grande bonte et la plus sublime beaute soienl reconnues el louees, quand nous ne refusons pas nos hommages a une bonle et <i une beaute creees? \'est-il pas juste

J8t> PREMIERE SEMAINE

de penser a Dieu, qui pense constamraent a nous ? X'est-il pas jusle que nous consacrions sans cesse, danslareconnaissance et 1'amour, nolre vie el nos forces a Dieu, en qui nous les puisons sans cesse? IVest-il pas jusle que nos pensees soient loujours a Dieu, puisque, nous et tout notre etre, noussomraesloujours en lni ? N'est-il pas juste que nous soyons hahiluellemenl par le coeur en lui, puisqu'il esl lui-merae nolre deraeure la plus ancienne et la plus parliculiere ? Oii elions-nous de toute eler- nite el oii serons-nous dans les siecles fulurs, si ce n'est en Dieu ? Oii somraes-nous donc plus chez nous qifen lui? Nous ne pou- vons nulle part etre plus et raieux dans nolre domicile et dans nolre pays d'origine qifen hahilanl par nos pensees, nos inten- tions et nos aspirations, dans le coeur de Dieu. Si nous pensions toujours a Dieu, si nous etions toujours occupes de sa louange et de son service, nous ne ferions que notre devoir. Dieu merite hien cela et encore infmiraent davanlage.

Le second motif est celui du devoir. C/esl une siraple regle de justice qifon peut reclamer ce dont on abandonne 1'usage, mais dont on conserve la propriete. Dieu nous a fail lahandon de tout, il a mistouta nolre disposition, maistoul lui apparlient ; il peut donc aussi loul nous redemander, et il le fail et illedoit. Gomme il ify a pas d'effet sans cause, ainsi il ify apasdecause efficienle sans une intention, sans un but : Dieu, dans ses ceuvres exlerieures, a en vue, a pour fm son honneur, sa louange et sa gloire, et il nous ordonue, par sescoinraandemenlset par la voix de notre conscience, de le servir. Ce if est pas qif il ail besoin de notre service, mais, c'esl parce que cVsl son droit et son bieu inalienahles : Dominum Deum tuum adovabis et illi soli servies (Luc, 4, 8). Ce service de Dieu est par consequent le devoir avec lequel nous venons au monde : le devoirqui resulle imrae- diatement de nolre crealion el qui ne peut jamaiscesser ; il if est pas seulement le devoir d'etat, le devoir de Temploi, mais celui de nolre <Mre el de notre nature, le fondemenl de tous lesautres devoirs, el aussi le fondement et la source de tout le bien et de toute la prosperile de findividu el de la sociele : Portio mea, Domine! custodire legem luam (Ps. 118,57). Hseredilate acqui- sivi testimonia tua (Ps. 118, 111). Nous devons nous acquitter de ce devoir soit dans le temps. soil dans reternite.

LK FONDEMENT : FIX J»ROCHAINE DE l/lIOMMt- 187

Le troisieme motif est notre propre avantage. Si nous nous regardons toujours comme des creatures de Dieu et si toujours nous le servons comme telles, en premier lieu, la verite regnera en nous ; autreinenl ce seraient le mensonge et un desordre «xlraordinaire ; en second lieu, nous jouirons de la paix, parce que nous serons bien avec Dieu, qui poursuit sans cesse son droit et le fait valoir dans nolre conscience ; alors, en troisieme Jieu, riionneur sera notre partage, tout autre service ne nous apporlanl que le deshoooeur : en eflet, qui servons-nous, qui croyons-oous, qui et quoi louons-nous, quand ce ifest pas Dieu ? On peut ajouler enfin que nous ferons ainsi du progres dans la vie spiriluelle : car ce but de notre existence, « le service de Dieu », peut et doit etre Tobjet de toutes nos poursuites et de tous nos elforls parlout et dans toutes circonstances, clans le bonheur et le malheur, dans les jours de sante et dans les jours ■de maladie. Liolelligence de cette verite « que nous sommesdes creatufes » nous fonde, nous elablit dans 1'humilite, rend notre priere et nos rapports avec Dieu faciles et naturels. nousfamilia- rise avec lui, et prepare les voies a la plus haute saintete et k la plus sublime perfection : 1'uneel 1'aulre trouvent toute la place qifil leur faul sur celte base, sur ce fondement. Le plus grand Saint est rhomme qui a tire toutes les coosequeuces de cette verite et qui y a conforme sa vie. La, tous, hommes, Anges, Homme-Dieu, nous nous tenons sur le meme plan, pour ainsi •dire sur le meme terrain. Jesus n'est venu que pour enseigner commenl nous devons nous comporter, comme creatures, vis-a- vis de Dieu. Le service de Dieu est dooc en nous lasourcede la verite, de la sagesse, de la richesse, de la grandeur, du bonheur «t de la sainlete. Tout ce qui esl en dehors deceservice ne nous procure ni la veritable grandeur, ni le verilable bonheur, et est jperdu pour nous dans celte vie et dans l'autre,

Le quatrieme motif esl le fait, triste a constater, de voircom- bien celte verite est meconnue dans le monde. Quel esl lesprit du monde, sinon la licence, Tegoisme et la separation de Dieu '! Qu'est-ce qu'est Dieu, ici-bas, dans la polilique, dans les sciences, dans la litterature, dans les arts et meme dans la Religion? Ou bien on fait un silence de mort autour de Dieu, ou bien, si on Jui fait cet honneur, on ne le nomme que comme un objet de

188 PREMlfeRE SEMAINE

sentimentalite religieuse, et non pas conime le Mailre qui peut donner des commandeinents ; ou encoreon ose sefaire soi-meme dieu ! « Etre creature » esl seulement une ideepourla metaphy- sique. Cest toujours le premier peche sous une forme toujours nouvelle. Cesl a cause de cela que le monde est si rempli de crimes, de malheurs et de degradation ! Devantce spectacle, qui ne serait pas einu, et pousse a remettre Dieu en honneur dans le monde, el a relever son autel dans les coeurs des hommes, en faisanl connaitre et en faisant regner cette premiere verile parla parole et par Texemple?

Telle est par conseqiient la tin premiere et prochaine de rhomme : il est creature de Dieu et il doil se considerer et se faire reconnailre comme erealure de Dieu : il doit louer Dieu, le respecter et le servir. « Etre crealure de Dieu » et « vivre comme creature de Dieu », voila la condition, la nalure, l'es- sence, la lache de l*homme, son devoir necessaire, mais aussi lacile el sublime ; c'est son histoire, sa grandeur, son honneur et sa felicite : « Craindre Dieu et ohserver sescommandements, voila tout rhomme » (l£ccl., 1:2, 13). Le conlraire est men- songe, peche, malheur et ignominie. II importe donc avant tout de comprendre peu a peu cette verile fondaraentale, d'en faire la hase uuique et inehranlahle, le pivotdetoutenotrevie, de nos elections, de nos decisions, de nos intentions, el de diriger tous nos efforts vers ce hul. Plus nous le ferons, plus nous nous ^leverons dans la perfection et dans la saintele. La vie interieure la plus parfaite, la vie en Dieu, la realisation en nous de cel ideal : etre un horame de Dieu, un homme selon le coeur de Dieu, esl le magnifique couronnement de ces elforls. Domine, non esl exaltatum cov meum, neque elati sunl oculi mei. 0 Domine, si non humiliter smtiebam, sed exaltavi animam meam! (Ps. 130.) Ut jumentum faclus sum apud te et ego semper tecum... Tenuisti manum dexteram meam...' Mihi adluerere Deo bonum est... Quid mihi in ccel.o ela tequidvolui super terram? Deus cordis mei et pars mea Deus in aeternwm {Ps. 72, 23, etc. .).

Pater nosfer...

LE FONDEMENT : FIN DERNIERE DE L'hOMME 189

b Fl\ DERNIERE DE l'H0MME

Homo creatus esl ut... hsec agendo Ueo serviendo) salvet animam suam.

La fin prochaine de 1'hoinme est le service de Dieu. LMioinme est donc tout d'abord cree par Dieu et pour Dieti ; mais on peut dire dans un certain sens que 1'homme esl aussi cree pour lui- meme : car il a encore une fm derniere a atteindre, qui esl le salnt de son ame.

I. Que faut-il comprendre par le salut de V&me? (Gf. Commentaire des Exercices, p. 35.

Par le salut de notre iime nous devons comprendre lobtention de la felicite, pour laquelle chacun de nous est cree : /Eterni- latis vita in Deo salus intelligitur (S. Hilar., in Ps. 68 . Lliomme arrive-t-il a cette felicite, il sauve son ame.

Nous avons ici trois pensees a considerer :

Premierement, Hiomme est-il verilablement destine a la bea- titude ? Oui. et nous en avons deux preuves. La premiere esl prise dim instinct interieur et proibnd que tous nous avons ou de nolre propre conscience. II y a dans riiomme, dans sa nature raisonnable, un desir ardent d'etre parlaitement heureux tou- jours, sous tout rapport et sans fin. Gomme ce desir nous esl ii tous inne et invincible, il a dii etre mis par Dieu dans nolre coeur, et par consequent une realite doit y repondre. Nous avons ici la disposition morale la plus intime de rhomme el un trail magnifique de sa ressemhlance avec Dieu. La seconde preuve est que Dieu repond en eflet a ce besoin de notre etre..., mani- iestant ainsi avant tout sa Sagesse, qui nousatlire, suivant nolre nature, a la fin derniere de notre existence. a Dieu lui-meme, et revelant ensuite sa Bonte, qui ne cree les elres que pour les ren- dre heureux el parlicipants de sa propre felicite. Nous sommes donc vraiment nes et faits tout entiers pour le bonheur elernel.

Deuxiimement, oii trouvons-nous ce bonheur ? Ce n'est pas

190 PREMIERE SEMAINE

cerles en dehors de Dieu, ou dans les crealures : a cause de leurs- limites, de leur instabilite, de leur inconstance, de leur fragilile, elles ne peuvenl contenter le desir qifa rhomme d'une felicile eternelle el universelle. Seul, un bien infini, seules, une verite et une beaute infinies en sont capables : par consequenl, Dieu seul. Et en realite Dieu, par un exces de sa bienveillance et de sa liberalite, veut etre Tobjet de notre bealitude ; il comble nos v«t'iix bien au-dela de tous nos besoins et de toutes nos espe- rances, s'unissanl a nous surnaturellement, ici-bas par la foi,. la charite et la grace, et la-haut par la vision beatifique. Le ciel estdonc le bonheur pour lequel nous sommes crees : il esl la fin, le but que Dieu, dans sa bonte et son amour, a voulu nous fixer.

Troisiemement, quelle est la grandeur de celte felicite ? Que le ciel soil grand el magnifique, cela resulte, en premierlieu, de ce qu'il est le bien qui doit satisfaire tous nos clesirs, et de ce qifil est le dernier but vers lequel convergenl tous les efforts de rhomme et de Dieu meme, le lerme ou 1'un et 1'autre trouvent leur repos. Gombien grand est donc ce bien qui contente Dieu et 1'homme et leur procure une felicite surabondante ! II est le resume et la reunion de tous les biens. En second lieu, nous pouvons juger de la magnificence du ciel par ce que la foi et TEcriture nous en enseignenl. Sans aucun doute, le lieu et la compagnie n'y laissent rien a desirer ; si Dieu a deja donnr et cetle terre tant de beautes et tant d'agrements, s'il fait des ici- bas eprouver a un homme tanl de joie dans la societe d'un autre homme, que sera-ce donc la-haut?... Et, roccupation du paradis, en quoi consistera-t-elle? Avant tout, nous connailrons Dieu, non pas comme sur la terre, par oui-dire, par ses ouvra- ges et par la foi, mais nous le connaitrons d'une maniere imme- diate. De meme que Dieu nous donne la faculte de le connaitre par ses osuvres et qifil y ajoute la lumiere de la foi pour le con- naitre sumaturellement, de meme il nous pretera au ciel, dans el par la lumiere de gloire, un nouveau secours, elevera el for- tifiera notre intelligence, afin que nous puissions le voir, comme il se voit lui-meme, face a face : Videbimus eum sicuti est (I Joann., 3, 2). Tunc facie ad faciem... sicut et cognitus suin

LE FONDEMENT : FIN DERNIERE DE l'H0M.MK 191

(I Cor,, 13, 12). In lumine luo videbimus lumen Ps. 34, 10 . Quelle joie nous procurent, meme en ce inonde, la decouverte d'une verile, la vue d'une belle contree, d'une oeuvre d'arl, d'une figure ravissanle ! Quel sera donc nolre bonheur quand nous conlemplerons et admirerons en lace la verite eternelle, la beaute parfaite! Ce sera notre premiere occupation. La seconde sera d'aimer. Dieu etendra les limiles et multipliera les forces de nolre volonte, comme il forliliera notre intelligence, afin que nous soyons capables de recevoir l'immensite de son amour; il nous fera enlrer dans le lorrent et Tocean infini de son amour et de sa felicite, pour que nous puissions 1'aimer comme il s'aime lui-m£me. Enfin, la troisieme occupation des elus sera d'elre beureux. Tout ce qui peul conlenler un coeur, repos, paix, puissance, honneur et joie, sera leur partage sans mesure. Le ciel est « la maison du Pere de famille » (Jean, 14, 2); le ciel esl « la paix el le repos parfaits » (Apoc; li, 4. -2:\ ; le ciel est le « festin des noces » (Apoc, 14, 7), et aussi « un Royaume immense, magnifique » (Apoc, ^1,7; 2-2, 5). Nous regnerons donc el nous serons heureux et spirituellement et corporellement. Quelles beautes verront alors nos yeux ! Quelles harmonies entendront nos oreilles! Dans quelle mer, dans quel torrenl de douceurs et de delices s'eiiivrera notre coeur ! Et tout cela dans loule 1'eternite, sans fin el avec la conscience certaine, 1'intime convictionde la permanence et de 1'eternitede ce bonheur ! Quesl-cedoncquiin homme transllgure etglorifie? Cest un etre magnilique. puissant, lieureux, admirable, presque divin.

II. Conclusions.

Mais esl-ce vrai? Oui ; car la foi nous 1'enseigne : Credo vitam seternam. Hsec verba fidelissima suut et vera (Apoc, 22. 6). Bien plus, la magnificence esl, au ciel, encore plus grande que nous ne pouvons rimaginer : Oculus non vidit, auris non audivit, in cor hominis non ascndit, qu<e prseparavit Deus iis qui diligunt eum (I Cor., 2, 9).

Quelles conclusions pratiques devons-nous maintenant tirer? La premiere conclusion est de remercier Dieu de loul notre

192 PREMIERE SEMAINE

coeur. Xous voyons comme il nous veul du bien, puisquil nous a crees pour une fin si helle, ponr un lel bonheur. Cesl avec sa sagesse, sa bonte et son amonr que Dieu a trace le plan de cette felicite. Nous devons etre elernellement heureux par lui et comme lui. Ici se revele avec evidence le dessein de Dieu sur sa creature, et apparaissent la grandeur et la magnificence de lout ce qui est cree et appartienl a Dieu. Une creature glorifiee n"esl-elle pas ainsi une sorle de parhelie, une image vivante de la Divinile ?

La deuxieme consequence de cette verite est de nous rejouir de lout notre cceur. Gelui qui croit au ciel n'a pas sur la terre un instant de tristesse, au moins volonlaire : apres dix, vingl, cinquante ans, le beau ciel sera mon berilage, el je serai un des elres les plus beureux, les plus honores et les plus puissants du monde, et pour toujours; or qui, dans cette persuasion, ne se rejouirait pas el ne considererait pas toul Iravail el toute souf- france comme un veritable gain? Qui habet hunc spem, sancti- ficat seipsum (I Jea.n, 3, 3; Rom., 12, 12). Tout, autour de nous, peul nous faire defaul et nous echapper ; cetle esperance nous resle, et elle suflil.

Troisiememenf, nous devons ramasser toules nos forces et chercber a emporter le ciel a tout prix. Cest pourquoi faisons- nous une obligation de ne jamais oublier le ciel, raerae d'y penser souvent et sans cesse. Le ciel est la plus belle et la plus imporlante chose a laquelle nous puissions nous employer et dont nous puissions nous occuper. La pensee du ciel nous deli- vrera peu a peu de toul ce qu'il peut y avoir en nous de com- mun et de bas, principalement dans le caractere. De plus, nous ne devons jamais nous exposer a perdre le ciel : par conse- quent, n^ayons pas merae 1'idee de mettre le ciel en parallele avec la terre ou avec quelque creature perissable ; les biens terreslres, ni par leur nature, ni par leur nombre, ni par leur duree, ne peuvent etre compares au ciel. II ne nous est jamais permis de le mettre en jeu, en nous exposant au pecbe grave ou en le commettanl ; nous ne savons pas alors ce que nous faisons. Au conlraire, il nous faut lout employer, travail, priere, sacrifice, souffrance et vie meme, pour posseder le ciel. Que ne

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fait pas le monde, et quels efforts ne se clonne-t-il pas, et pour- quoi?... Que ifont pas fait les Saints pour le ciel? Ils se sont separes de tout, ils se sont devoues a tout, ils ont rais avec joie leur tete sur le billot et ils se sont jeles avec allegresse dans des buchers ardents ! Dans quel bul? Pour avoir le ciel. Le ciel est iin bien grand, magnifique, infini, qui remplace tous les aulres biens. Et le ciel est cerlain : Dieu nous 1'assure, si nous sorames fideles a son service, et il se fa.it lui-meme garant de sa pro- messe. Le ciel est facile a obtenir : on n'a besoin que davoir de la foi, de rintelligence et du coeur : on n'a qu'ii le vouloir serieu- seraent. Post Alpes, Ilalia : apres les Alpes, 1'Italie, disait Annibal a ses Garthaginois. Gelui qui est sur la route du pays de l'or qui s'appelle le ciel, iraite Gortez et brule d'un cceur leger lous ses vaisseaux, c'est-a-dire sacrifie loul pour s'en eraparer. Enfin, une demiere et raagnifique conclusion, c'est de desirer elde demander le ciel non seuleraent pour nous, raais aussi pour beaucoup d'autres homtnes, et de contribuer a le leur faire oble- nir : c'est bien la conquerir des royaiimes pour les partager avec cVautres.

Oui, cette fin derniere, le ciel, est une verite tres cerlaine el tres exacte, nullement douteuse, ou exageree, dont nous devons flous laisser penetrer. Voici les raotifs de ce devoir :

Premi&rementf nous vivons ainsi, nous travaillons a la clarte d'une grande et belle lumiere, avec un but bien determine et bien visible, et nous savons ou nous allons : car nous voyons claireraent notre fin. Sans doute, la derniere fin de loute oeuvre exterieure de Dieu est son honneur et sa gloire; mais ce qifil y a ici de beau et de touchant, c'est que Dieu place sa propre glo- rification dans nolre propre salut et dans notre propre beatitude. Si nous meritons le ciel et si nous y arrivons, Dieu est glorifie et il a atteint le but qu'il s'etait propose. Dieu nulle part nest glorifie comrae il Test au ciel par ses Saints. Deuxiemement , nous devons nous penetrer de celte verite, alin de travailler ici- bas de tout notre pouvoir et de toutes nos forces. Le ressort le plus intime et le plus profond de nos etres est lamour de nous- raemes, le principe de la personnelle conservation et du bonheur

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individuel. Eh bien ! tout est dans cette verite. Notre vie n^est que la preparation a notre glorieuse eternite : nous seuls avons le profit de tout ce que nous faisons et de tout ce que nous souf- frons ; ainsi, toutes nos aclions s'accordent avec notre interet propre. Apres cela, a qui donc la vie, le travail et le sacrifice pourront-ils etre a charge? Troisiemement enfm, nous devons comprendre a fond cette verite, pour continuer nos efforts cou- rageusement et joyeusement. La vie, avec ses realites et ses- expedients, offre souvent des petitesses et des desagrements qui nous serrent le coeur ; il faut que nous ayons quelque chose qui nous ranime, nous console, nous attire el nous enfiamme : et c'est ce que fait le ciel, cette tin si belle, ce but si eleve ! Le ciel rend toul facile : n'est-ce pas la pensee du ciel qui a fait les Saints- sicourageux, si avides de sacrificeset invincibles?... Ils person- nifiaient, on peut le dire, cette verite ; elle etait le principe de leur grandeur et de leur vertu : Credo vitam seternam. Elle a fait d'eux ce qu'ils sonl. En echange de la souffrance de la terre, un jour et bientot, le bonheur du ciel : telle est la joyeuse perspec- tive de la vie pour les Ghretiens qui sont encore sur les rivages de cette triste terre !

B. FIN DES CREATURES

Reliqua, super faciem terrse sita, creata sunt propter homi- nem et ut eumjuvent in prosecutione finis, ob quem crealus. €st. Unde sequitur homini tantum ulendum illis esse quan- tum ipsum juvent ad finem suum, et tantum debere eum expe~ dire se ab illis quantum ipsum ad eum finem impediunl. Quapropter necesse esl facere nos indifferentes erga res crea- tas omnes, quantum perrnissum est libertati nostri liberi arbitrii et non est ei prohibitum : adeo ut non velimus ex parte nostra magis sanitatem quaminfirmitatem, divitiasquam paupertatem, oitam longam quam brevem, et consequenter in

LE FONBEMENT : FIN DES AUTRES CREATURES 195

' creteris omnibus, unice desiderando et eligendo ea qiue magis nobis conducunt ad finem, ob quem creati sumus. ' (Cf. Commentaire des Exercices, p. 35, B a 39.) Par creatures nous devons comprendre tout ce qui est en dehors de Dieu et de lMioinme (de chacim de nous en particu- lier), par ronsequent tout ce qui environne Phomme ici-bas, dans 1'ordre de la nature et dans celui de la grace, dans le monde visible et dans le monde invisible, dans sa vie privee et dans sa vie sociale ; tout ce dont rhomme se sert pour conser- veret developper sa vie corporelle, inlellectuelle et surnaturelle, pour exercer son activite dans la famille, TElat et TEglise ; lout ce qui a de 1'importance pour lui et de rinfluence sur lui : par exemple, les evenemenls et les circonstances de la vie, la sante, la richesse, rhoiineur, la soulfrance et la mort. Si les creatures sont au-dessus de riiomine, comme les Anges, elles s'appellent des aides; si elles sont au-dessous, elles s*appellent des moyens.

I. Origine des crealures.

Gomme rhomme lui-meme, tout ce qui rentoure esl crealure de Dieu : en d'autres termes, est tire du neant, conserve et rnaintenu par Dieu ; et par suite toutes les creatures, qui ne sont pas rhomme, sont avec Dieu dans les memes rapports de depen- dance et d'appartenance que 1'homme : elles sont le bien propre et inalienable de Dieu.

II en resulte uneconsequencetresimporlante et fondamentale, louchant la maniere dont nous devons envisager et traiter les creatures : ellesne sont pas notre propriete absolue. Nous avons bien des droits de propriete individuelle vis-a-vis des hommes, mais non vis-a-vis de Dieu. II est et il reste le Maitre et le Pro- prietaire absolu, sans restriction, et il ne peut pas renoncer a son droit souverain sur les creatures. Nous ne jouissons donc de celles-ci que par une espece de bail emphyteotique(remphyteose est un bail a longues annees), nous n"en sommes que les usu- fruitiers, nous ne devons les considerer que comme un bien prete et n'en user que comme tel ; or, c'est tout a fait different d'avoir quelque chose en propre ou de n'en user qu'a titre de

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pret. Daiis ce dernier cas, je ne puis en faire ce que je veux ; mais il faut, en usant de la cbose, me conformer a lavolontedu possesseur, a qui j'en dois toujours compte et raison : telle est la position de 1'homme en face de Dieu dans la question des creatures.

II. Fin des creatures.

II s'agit donc maintenant de connailre la volonte de Dieu sur les creatures et la fin qifil leur a assignee.

Pourquoi Dieu a-t-il cree les crealures et a quelle fin ?

Dieu a tire les crealures du neanl d'abord pour rhomme. Dieu a abandunne ici-bas toule la crealion visible a Thomme; il lui a fait cet abandon dans deux circonstances : une premiere fois au moment de sa propre creation (Gen., 1, 26. 28) et une seconde fois apres le deluge (Gen., 9, 1. 2. 3; Ps., 8, 7. 8). Cesl donc pour rbomme avant lout qifeut lieulacreation dumonde visible. La raison en est que le plus bas est fait pour le plus haut et que rinferieur doil servir le superieur.

Mais Dieu n'a pas livre sans reserve a Thomme les creatures, pour qu'il puisse en disposer a son gre, mais il les lui a donnees sous la condition dene sen servir que comme de moyens pour arriver a sa fin. Les crealures ne peuvent etre la frn de rhomme ; car rhomme ne peut avoir qu'une fin derniere qui est Dieu iMarc, 12, 29. 33). Les crealures sont donc pour riiomme de purs moyens. Gela resulte encore du but de Dieu danslacrea- tion des etres. En effet, Dieu, dans toutes ses ceuvres exlerieu- res (ad extra), doit avoir pour fin derniere et pour but son honneur et sa gloire. Or, Dieu atteint cette fin directement ou indirectement : direciement, par les creatures douees de raison, en les creant pour son service immediat, afin qifellesleconnais- sent, qifelles le louent, et qu'elles le servent ; indirectement, par les creatures privees de raison, en imposanl a 1'homme le devoir de ne s'en servir que comme de raoyens pour arriver a sa fin, qui est le service de Dieu et le salut de son ame. Par cette seconde voie les creatures procurent aussi la gloire de Dieu el sonl en realite un bien sacre, un bien voue au culte, au ser-

LE FONDEMENT | FIN DES AUTRES CREATI/RES 197

vice de laDivinite. Telle est, a vrai dire, la fin propre des crea- tures ; elles doivent etre pour 1'homme des moyens d'a!teindre sa fin.

Une question se poseici : Commenl les creatures peuvent- elles servir de moyens a 1'homme pour atteindre sa fin? De trois manieres :

La premiere maniere consiste dans Vusage rt Vemploi simple el raxsonnable des creatures : dans ce cas, riiomme se serl des creatures el les utilise pour entretenir et developper sa vie cor- porelle, pour perfectionner sa vie intellectuelle ou surnaturelle et pour remplir ses devoirs d'etat. Tout homme tient de Dieu meme le droit a cet usage des creatures. Celles-ci sont, pour ainsi parler, la dolation et la liste civile de l'homme, du roi de la creation, et, en les employant, riiomme se montre un vrai Mailre, un vrai Roi du monde visible.

La seconde maniere pour l'homme de faire servir les crea- tures a sa fin esl la contemplation : alors il examine a fond les creatures, il les considere sous leur cdte spiriluel el plus eleve, et dans leurs rapports avec Dieu ; alors il voit Dieu dans les creatures et par elles il se fait iine idee plus grande et plus par- faite de Dieu, et se rend ainsi apte a le mieux servir : telle est lutilite veritable que les creatures procurent a l'homme. Consi- derees dans leur ensemble ou en particulier, les creatures sonl, essentielleraent, des creations, des communications, des imila- tions, des revelations de Dieu, des idees de Dieu, revetues d'uii corps, lesquelles represenlent a nosyeux emerveilleset publient, chacune a sa facon, 1'existence. la nature et les proprietes de Dieu. Tout le monde visible est un symbolisme, un enseigne- ment de Dieu, une sorte de tableau vivanl ou de grand livre d'images de la Divinite, qui est dresse devant l'homme et dont les traits, les coups de pinceau, sont saisissants etgigantesques. Voila le service que les creatures peuvent rendre a 1'horame et que l'homme doit en accepter. Dieu lui en a fait une obliga- tion. Certainement. c'elait un des devoirs du preraier horaine dans le Paradis terrestre ; aussi etudiait-il la creation visible (Gen., 2, 19. 20). Plus tard, saint Paul reprochera aux paiens de ne pas reconnaitre 1'existence et la magnificence de Dieu par

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le moyen des oeuvres de la crealion (fiom., 1, 18-22). Ge eote des etres crees est le seeret' de la nature, et le decouvrir et rexpliquer est le plus grand honneur pour Dieu et pour 1'honime. Qui ne comprend pas ce mystere, ne sait de la crea- tion. quand meme il croirait en savoir beaucoup, pas plusqinin paien qui considere une eglise chretienne : il voit bien de l'or, des couleurs el des symboles, mais il n'a aucune idee des mys- teres profonds qu'ils signifient. Cet usage des creatures etail tres familier anx Saints. Gombien il pourrait nous etre utile aussi a nous-memes pour avancer dans le service et l'amour de Dieu ! Nous nous montrerions alors et nous serions les Prophe- les, les Yoyanls de la creation el les grands Ghantres du Bene- dicile de la creation.

La troisieme maniere de nous servir des crealures, comme mo'yens d'atleindre notre fm, c'est le sacrifice : c'est, paramour pour Dieu et pour son service, de ne pas nous servir des crea- tures, de ne pas y loucber el de les olfrir en holocauste a Dieu. Dieu avait deja, dans le Paradis terrestre, ordonne cette absten- tion, au moins lorsqiril defendit ii Adam et a Eve de toucher au fruit de larbre de la science du bien et du mal ; el cette absten- tion ou ce sacrifice nous est encore plus necessaire a nous dans 1'elat de nature decbue. II ne serl a rien d'objecter que Dieu a donne les creatures pour s'en servir. Le droit a la jouissance n'implique pas seulement le simple usage, mais aussi Tabsten- tion, et celle-ci nous est, dans notre elat, d'une absolue neces- site. Malheur a nous, si nous voyons tout, si nous ecoutons toul, si nous jouissons de tout, si nous voulons ne nous refuser rien ! Nous agissons alors comme des enfants qui portent tout ;i leur boucbe, et qui se coupent oti se brulent. Cet usage n'est pas le plus agreable ni meme le plus parfait, mais il estde toute necessite ; autrement il nous arrivera ce que dit 1'Apolre : Incidunt in lentalionem et in laqueum diaboli et desidcria mutia inutilia et nociva, qux mergunt hominem in interitum et perditionem (I Tim., 6. 9). Grace a cette troisieme maniere de se servir des creatures, riiomme devient le Prelre delacrea- tion.

LE FONDEMENT '. FIN DES AUTRES CREATURES 199

III. Usage des creatures.

De la fin des creatures on conclut a 1'usage legilime qui doit en etre fait.

Ilfaut suivre deux regles dans cet usage :

La premiere regle est pour 1'intelligence et consiste dans la eonviction forte et inebranlable que toutes les creatures sont pour nous seulemenl des moyens, et rien de plus. Gette convic- tion intime nous est d'autanl plus importante et necessaire que tout ici-bas veut nous cbarmer el nous prendre. Des qu'il se presente a nos regards un etre qui parait plus sage, plus puis- sant et plus beau que nous, nous voulons lui olfrir nolre cceur et en faire la divinite de laquelle nous attendons notre bonbeur. Aussi devons-nous etre ancres profondement dans cette convic- tion, afin de nous preserver et de nous eloigner de ces mirages trompeurs.

La seconde regle, consequence de la premiere, est pour notre volonte, et consiste en ce que nous ne nous servions des crea- tures qu'autant quelles sont des moyens ou des aides pour -atteindre notre fin, et en ce que nous ne nous en abstenions qifautant qu'elles nous en ecartent : Tantum quantum, comme dit saint Ignace.

Une triple necessite nous oblige a observer cetle deuxieme regle. D'abord, avant tout, une necessite logique : en elfet, on ne doit juger et se servir d'une chose quelconque que dapres sa nature et la fin que Dieu lui a assignee : or la fin de toute creatnre est de nous servir de moyen ; donc nous ne devons 1'employer que comme moyen. La majeure et la mineure etant incontestables, il faut donc admettre la conclusion, si l'on veut etre logique. La deuxieme necessileestune necessite morale. Dans l'observaliondecette regle se trouvent la sagesse de la vie, la liberte, la raison, 1'ordre et le bonheur; le contraire est le desordre, la deraison et le peche ; oui, le pecbe : 1'ancien paga- nisme et le nouveau ne sont qu'un bouleversement de cet ordre. La troisieme necessite est une necessite physique. Si nous «envisageons les creatures ainsi, nous n'y trouverons jamais que

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ce que Dieu y a mis et ee quelles-memes peuvent nous offrir. Or, Dieu ne leur a donne et elles ne peuvent nous donner que ce qu'elles sonl, a savoir des moyens pour nous. Ne leur deman- dons pas davantage; autrement, nousles violenterions, nous nous tromperions nous-memes, et nous ferions du torl a nouselaelles. Tels sont 1'origine, la fin et 1'usage des creatures. II s'agit de verites et de principes d'une extreme imporlance pour nous: n'employons-nous pas les creatures et ne les employons-nous pas sans cesse... ; deplus, ne nousservons-nous pas tres souvent de creatures precieuses ; n'avons-nous pas a notre disposition les graces, les Sacrements, le Sangde Jesus-Chrisl?... Observer ces regles, c'est 1'ordre, la raison, riiarmonie, le bonlieur et le progres ; detruire ces lois, c'est le peche, l'effraction dans le royaume et la maison de Dieu, la rapine et le vol dans sa pro- priete, et un attentat a son honneur et a sa gloire. Quand nous abusons ainsi des creatures, Dieu n'atteint jamais le but parti- culier qu'il s'est propose en les tirant du neant. Et de combien decreatures ne nous servons-nous pas pendant cinq, dix, vittgt, cinquante annees, pendant toute notre vie d'homme ! Galculons- en le nombre une bonne fois ! Quel comple a rendre et quelle responsabilite !... A moins que nous ne nousimaginions queDieu ne nous en demanderapas compte ? Est-ce que Dieu seul doit travailler pour rien ? Gomme nous bondissons d'indignation et de colere, nous, quand, en recompense de nos travaux et de notre peine, on ne nous donne rien, el encore une fois rien ! Et Dieu seul travaillerait pour rien et tellement pour rien qu'il n'exerce- rait, pour ainsi dire, son activite creatrice que pour nous fournir des materiaux de peche ! II est donc d'une tresgrande impor- tance de comprendre bien a fond ces regles, d'en faire la base de notre vie pratique et de les avoir toujours devant les yeux, quand nous nous servons de creatures.

IV. Conditions pour observer tes r&gtes de Uusage des creatures.

Deux conditions sont necessaires pour suivre les regles de- 1'usage des creatures :

LE FONDEMENT '. F(N DKS AUTRES CREATURES 201

A. La premiere condition esl 1'indifference. Par l'indiffe- rence il faut entendre une certaine egalite de disposition a 1'egard des creatures.

On distingue nne double indifferenee : l'indifference essen- tielle, necessaire, et Tindifference accidentelle ; la premiere est Tindifference de volonte, el la seconde l'indifference de sentiment ou & inclination .

a)L'indifference de volonte consiste dans une disposition de volonte telle que nous ne choisissions jamais une creature, que nous ne nous en servions ou abstenions jamais (en d'autres ter- mes, que nous ne fassions jamais 1'election de quelque cbose que ce soit) par le seul motif de son agrement ou de son desa- grement naturel. Tant qu'elle ne se presente a nous que sous l'un ou 1'autre de ces aspects, nous ne nous permetlons pas de la prendre ou de la laisser. Gette sorte d'indifference est donc d'une nalure puremenl negalive : elle n'est autre qu'une abslen- tion d'acte de volonte ou de choix. Gelte indifference peut tres bien exister avec la repugnance et l'opposilion tres vive de la sensibilile, comme cela est arrive au Sauveur dans la grotte de Gethsemani.

Voici les motifs que nous avons d'embrasser cette premiere indifference :

Le premier est la beaute et Texcellence d'une semblable dis- position de la volonte : avoir cette disposition est, au seul point de vue de la vie pratique, se trouver deja dans un degre eleve de perfection, de sagesse et de prudence. Le xecond molif est sa necessite ; le contraire est deraisonnable, el p.ar consequent un desordre el un peche. Les creatures ne nous sont donnees que comme moyens pour alleindre notre fin, el, dans leur usage, nous ne devons nous laisser determiner par aucune autre consi- deration. Prendre un moyen ou faire quelque chose dans la vie pratique, sans considerer la portee de notre action, esl folie et sotlise. L'n troisieme motif esl la necessite parliculiere que notre vocation nous fait de 1'indifference. En effel, la nalure meme de notre etat rend necessaireun grand nombre de moyens dont l'applicatiou depend presque entieremenl des Superieurs. Aussi cette indifference est-elle requise meme des 1'enlree au

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Noviciat et esl-elle demandee aux candidats, au moins en ce qui regarde le lieu et le genre d'occnpation. Elle est necessaire ensuite pour elre heureux dans la Gompagnie : sans cettedispo- sition, on y vit dans de perpeluelles craintes et on ne s'y sent pas chez soi. Elle est enfin necessaire pour perseverer dans notre vocation : la porle par laquelle on rentre dans le monde est dordinaire un manque dindifferenee. Celte indifference, etant une disposilion de notre volonte, depend donc de nous, el nous pouvons et nous devons nous faire indifferents, comme le dit saint Ignace.

b) La seconde indifference est celle du senliment. La sensibi- lile ne depencl pas de nous ; cest pourquoi 1'indifference de sen- liinenl ou d'inclination consiste essentiellemenl a nous efforcer de dominer et de moderer peu a peu notre sensibilite, de sorte qu'elle ne soit pas la cause de Irop de perils et de difficulles pour la volonte. Tachons que le sentiment obeisse en nous comme un animal bien dresse qui se calme el obeil, des qifon lappelle.

Les molifs pour arrivera cetle derniere indillerence sonl lous pris des prejudices que nous causeraient la negligencea lacque- rir et, a plus forle raison, son absence en nous. D'abord et avant toul, nous sommes, a cause des extravagances et de la preponderance de 1'imagination el de la sensibilite, sans cesse exposes au danger de juger mal des choses. La sensibilite nous met, pour ainsi dire, devanl les yeux un verre trouble et dansla main une fausse balance, el elle fait de nous parfois de veritables visionnaires. De la resultent tant de prejuges, de preventions, d'impossibilites et de frayeurs imaginaires, qui nous porlent a tant de saillies ridicules et inconcevables, produisant en nous a peu pres les effets de 1'exces du vin dans les ivrognes. De plus, la volonle perd par la faciiemerrt sa vigueur, son res- sorl, sa sponlaneite. L'imagination s'attache alors, comme x\n poids Ires lourd, a chacune de nos resolutions et de nos enlreprises genereuses, afin de pouvoir les empecher. Ainsi on n'arrive a rien, el l'homme, I'ap6lre, reste la immobile, offrant plus d'un trait de ressemblance avec le malheureux oiseau a qui on a coupe les ailes, faisant en loul cas, aux yeux de tout

LE FONDEMENT I FIN DES AITRES CREATCRES 203

le monde, une pauvre et triste figure ! Enfin, la preponderance du sentiraent nous conduil tot ou tard au moins au peche veniel ; ■et c'estpourquoi saint Ignace, dans la suite, unit lexemption du peche veniel a 1'indiflerence (Deuxieme Degre d'humilite).

Mais y a-t-il de vrais raoyens de regler et de dorainer la sensibilite?Oui, et ils sont au nombre de deux. Le premier n'est autre que 1'intinie persuasion qu'il n'est pas, dans la realite, de si grande diflerence entre toutes les choses teraporelles, qu'elles soient agreables ou non, eflrayanles ou attrayantes, raais que la difference se trouve surtout dans notre idee et dans notre ima- gination. Donc accordons que l'imagination est pour les trois quarts dans nos aflaires ! En effet, Teternite seule est epou- vantable ou desirable, parce quelle seule nous rend veritable- ment heureux ou malheureux ; notre imagination fait la grosse part de tout le reste. Xous ne devons jamais, surtout dans 1'epreuve, 1'oublier, et ainsi nous emoussons les pointes des epines ou des difficultes. Le second moyen est d'en venir a 1'experience, a la pratique. Nous figurons-nous quun travail dont on nous charge nous est nuisible, faisons-le bien vite ; sommes-nous tellement attaches a une creature quelconquequ'il nous semble impossible de vivre sans elle, separons-nous en aussitot. Nous verrons que nous nous en trouverons bien, et aussi que 1'iraagination joue un grand role dans toutes les choses d'ici-bas. Gorabien de fois peut-etre ne l'avons-nous pas deja experimente nous-meraes dans les evenements de cha- que jour, dans la joie et la souffrance, dans la crainte et 1'espe- rance ! Par ce moyen on se desliabitue de tout, on devient un homme et on prend courage ; sinon, ce seront des alertes conti- nuelles sur nolre route : Leo in vid .' Prov., 26, 13.) Gestpour- quoi les anciens maitres de la vie spirituelle donnaient a leurs disciples comme premiere maxime : Corrigere plwntasiam; et il nous faut 1'adopter nous aussi, en faire la regle de notre con- duile, et 1'observer le raieux possible, nous persuadant que nous pouvons faire dans ce sens souvent plus que nous ne pen- sons.

B. La seconde condition requise pour suivre les regles du bon usage des creatures est contenue dans ces dernieres paroles

204 PREMIERE SEMAINE

de la meditation tbndamentale : « Uniquement desirer et clioisir ce qui nous conduit mieux au bul » ; c'est-a-dire que nous devons nous decider a prendre les meilleurs moyens. II faut savoir, avant lout, ici ce qu'on enlend par les meilleurs moyens en general, sans descendre dans les details : cesont toutd'abord les moyens qui nous menent au terme plus surement et avec moins de danger ; puis, les moyensqui le lbnt avec plus de rapi- dite ; et enfin, les moyens avec lesquels nous atteignons le but plus parfaitement et, par suite, avec de meilleurs resultats.

Quelles sontles raisonsque nous avons de prendre cette deci- sion, celte resolution ? Premierement, parceque c'est de celte maniere que nous agissons dans la vie ordinaire de chaque jour : nous employons des moyens simples, faciles, pratiques, rapides et surs ; et nous avons raison. Or, cetle conduile n'est- elle pas encore plus necessaire el plus importante dans la vie spi- rituelle ? Deuxiemement, notre fin elle-meme 1'exigede nous. D'abord, son absolue necessite. Tout le reste n'est que condi- tionnellemenl necessaire, et l'on peut s'en passeretle manquer; mais le royaume des cieux, il nous faut absolument 1'emporter ; or, si on le doit, on le peut aussi. De plus, la grandeur et la ma- gnificence de notre lin, laquelle repare et compense tout ce que nous avons depense sur la terre de forces,de travail, toutes nos- peines et tous nos sacrifices. Entin, nous avons entre les mains lous les moyensd'atteindrece but, etde 1'atteindre le mieuxpos- sible. Nous pouvons, en effet, y reussir, avec la grace de Dieu, autant que nous le voulons ; or, nous le faisons precisement par 1'usage et 1'application des meilleurs moyens. La troisieme raison esl prise de nous-memes. Si nous agissons ainsi, alors nous sommes des hommes de principes, des hommes graves et forts, qui remportent un succes facile et magnifique ; car nous sommes des hommes de raison etde foi, de vrais chevaliers sans peur et sans reproche. Je ne veux pas autre chose que devenir parfait, saint et bienheureux, et par le chemin le meilleur et le plus court. Cest celte resolution qui a fait les Saints ; elle fut le secret de leur force et de leur succes. Que ne feraient pas dans le monde dix mille hommes de ce caraclere et de cette trempe? Le service de Dieu et le salut de nos fimes ne trouveraient-ils

LE FONDEMENT '. FIN DES ALTP.IS CREATURES 203

pas en eux leur meilleure garanlie et leur plus ferme appui? Cetle seconde condition, qui est toule positive, cette volonte d'employer les meilleurs moyens, est aussi importante et aussi necessaire qne 1'indifference. A cette seule condilion, nous obser- verons la regle du lanlum... quantum de 1'usage des creatures, «t nous tirerons des creatures tout le profit quelles nons offrent, en tant que moyens ; a cette seule condition, notre volonte d homme sera en correspondance parfaite et digne avec lafinde Dieu, qui esl aussi la notre. Par la seulement, le Fondement peut «tre le Fondement ou la Base de toute la suite des Exerckes; meme 1'affaire de 1'election, qui est la chose capitale des Exer- cices, trouve ici sa meilleure preparation. Les dernieres paroles de la medilation fondamentale contiennent ainsi en germe tout le developpement des semaines suivantes : leur point de depart et de jonction est ici ; elles sonl tout 1'arsenal du Jesuite. Xous devons donc les prendre au serieux et a cceur, si nous voulons retirer un fruit considerable des Exercices. Gelui qui est dans cette disposition de generosile, aura peut-etre ia pensee qu'il se trouve en presence d'un nouveau Rubicon, et il aura raison ; ilest devant une frontiere dont le passage le conduit de la vie ordinaire a la vie parfaite. Quelquefois nous nous creons des difficultes en voulant ici demeler et determiner en detail les meilleurs moyens a prendre. II ne sagit pas de cela maintenant : les moyens particuliers se montreront dans la suite avec plus de facilite. Nous ne sommes quu 1'lieure 011 il nous faut prendre la resolution generale d'employer les meilleurs moyens, de les decouvrir, de les bien motiver dans notre esprit et de les tenir en surete pour la suite : c'est comme la poudre de guerre que nous devons mettre soigneusement a 1'abri : pour Je reste et pour 1'avenir. contions-nous en la grace de Dieu.

206 PREMIERE SEMAINE

MEDITATIONS SUPPLEMENTAIRES SUR LE PRINCIPE ET LE FONDEMENT

(Developppments et A pplieations.)

a) LA FIN PROCHAINE DE L HOMME OU LE SERVICE DE DIEU, FONDE SUR LE DOMAINE SOUVERAIN DE DIEU (1)

Homo creatus est ut Deo Domino aostro serviat.

(Saint Ignacb.)

I. Souverain domaine de Dieu.

A. Source et fondement du souverain domaine de Dieti. Le fondement du souverain domaine de Dieu sur nous se trouve dansTessence de notre etre,dans notre existence etdans notre origine : essentiellement et originelleraent, nous sommes crees, c'est-a-dire que nous ne somraes pas de nous, raais que nous sommes d'un autre, et enfin de Dieu par le moyen de la creation. « Greer » est un acte positif au plus haut degre, un acte exclusivement divin, qui produit de rien un etre, qui donne- tout a cet etre, soutient et opere tout en lui : son essence, son existence, ses puissances, sa conservation, ses actions, son- bonheur et sa felicite. « Greer » est l'ac!e le plus sublirae de Dieu, operant en dehors de lui (ad exlra), et « etre cree » implique la plus grande dependance vis-a-vis de Dieu et 1'apparlenance a Dieu la plus absolue. Tel est le fondement du souveraindomaine de Dieu sur nous. Ge domaine, Dieu ne le perd jamais ; m6rae il s'etend et il s'affermit toujours davantage avec notre vie et avec nos oeuvres. « Notre Seigneur, notre Maitre, est Dieu »

(1) Meditation speciale pour les camlidafs ou postulants.

MEDIT. SCPPLEM. : PIN PROCHAINE DE l'H0MME -J07

(Deui., i, 39i : il nouscree, il nous conserve, il nous possede, il est tout en nous, comme en toutes choses.

B. Qualites du souverain domaine de Dieu. La souverai- nelede Dieu est d'abord unique elsuperieure a louteslesautres. En effel, il n'y a qu'un Dieu ; par consequent, il n'y a aussi qu'un seul Maitre ou Proprietaire danstoule la force du terme. Ce Maitre est Dieu ; lous les autres mailres sont au-dessous de lui, et ils ne sont nos mailres que parlui. La souverainetede Dieu est ensuite absolue elsans limites, comme Tetre de Dieu lui-meme. Elle embrasse lout, le visible et Tinvisible, le corps et l'ame, la vie, les pensees et toutes les relations, ie temps et 1'etemite. Personne ne peut s'y soustraire ici-bas et la-haut. Enfin la souverainele de Dieu est bienfaisante et rend les etres heureux. De meme que Dieu ne cree pas par besoin, mais pour faire le bonheur de ses creatures, de meme il n'exerce son sou- verain pouvoir que pour nous conduire a la felicile. Plus cette souverainete s'etend et se foitifie, plus la creature devient par- faite, puissante et heureuse : nous pouvons le constater dans 1'homme, dans le Chretien, dans le pretre, dans le Saint.

C. Exercice el usage du pouvoir souverain de Dieu. Dieu eserce son pouvoir souverain sur nous d'une double maniere : Premierement, en agissant en Seigneur et Maitre absolu (dominium proprietatis), sans avoir egard a nolre liberte, pour tout ce qui concerne notre vie physique et mate- rielle et ses relations : il decide de notre existence ici-bas et de notre mort, de notre sante etde nos maladies, de nos talents, de nos richesses et notre pauvrete. II est le Mailre, et notre sort est entre ses mains (Ps. 30, 1(5). Deuxiemement, Dieu exerce sur nous une autorite morale, en tenant compte de notre liberte, par la manifestation et l'intimation de sa volonte idominium jurisdictionis). Gette volonte divine est double : la premiere et principale est la volonte de Dieu imperative ou, si l'on veut, « de commandement », qui nous impose des preceptes ou des obligations : la loi naturelle, les lois positives et les devoirs d'elat sont des ordres de celte volonte, que notre conscience prescrit a chacun de nous. La seconde volonte de Dieu est sa volonte " de bon plaisir », que Dieu ne nous revele pas aussi expresse-

208 PREMIERE SEMAINE

raent et a laquelle il ne nous oblige pas absolumenl : a nous de la decouvrir, souvenl a Ibrce de reflexions, et de raccomplir avec une grande generosile.

Tel est le domaine el le pouvoir supreme de Dieu, considere dans son origine, ses proprieles et son exercice, physique ou moral : sous tous ces rapports nous y trouvons une veritable souverainete divine.

II. Service de fkomme vis-a-vis du souverain domaine de Dieu.

A. Le devoir de riiomme envers la souverainete de Dieu consiste a la reconnaitre, a riionorer, a s'y soumettre et a se laisser conduire par elle de toule maniere. II doit observer les coraraanderaenls divins, remplir les devoirs de son elat, corame des manifeslations de la volonte de Dieu, et, en toute humilile el avec amour filial, recevoir de la main de Dieu le bien et le mal, les choses agreables etles choses desagreables, selon lesdecrets ou lespermissions de sa tres sainte volonte. L/homme n'est meme pas absolument libredans lechoixdes objets qui s'offrent a lui : il a Tobligation morale de consulter sa raison el sa con- science pour decouvrir ce queDieu veut qu'il choisisse; ainsien est-il dans la queslion de la vocalion, attendu surtout que celle- ci decide de la vie entiere. Sans doute Dieu a ici des droits, et riiomme a le devoir de les reconnaitre et d'embrasser 1'etal que Dieu lui destine. II est vrai que, pour 1'ordinaire, il n'y a pas d'obligation grave a suivre ce qui ne parait 6tre que la volonle probable deDieu. Mais ce serait une sottise etune folie d'entrer en intrus dans un emploi ou un etat de vie... Qui pourrait dire que l'on se sauvera dans cet etat ? Etcelle terrible question du salut, comme un nuage sombre, serait loujours posee sur la vie de 1'homme qui naurait pas consulle Dieu et qui ne lui aurait pas obei dans le choix de sa carriere. En tout cas, il serail res- ponsable de toutes les consequences de sa decision, du moins aussi longtemps qu'il resterait libre de choisir.

B. Nombreux sont les motifsquenousavonsd'elre toujours et en touteschoses soumisainsi a la volonte de Dieu. D'abord

medit. slpplem. : fin prochaine de l'homme 209

•et avant tout, sa souverainete est la plus juste, la plus legitime et la plus sainte. Toute autorite et toute superiorite viennent de Dieu, corame d'ailleurs toute obligation d'obeir a 1'autorite. Le devoir de la soumission a Dieu n'est autre que celui de toute notre vie, et c'est aussi la fin pour laquelle nous sommes crees. En seconcl lieu, la souverainete divine est la plus desinte- ressee, si on la considere du cote de Dieu; et, prise de notre cote, elle est la plus avantageuse pour nous : nos merites, notre honneur, nolre bien-elretemporeletnotre eternelle recompense nont qua y gagner. Dieu exerce son autorite sur nous dans le seul but de nous rendre heureux par lui et en lui. Le titre de « serviteur de Dieu » nous rapporte plus de gloire et d'avantages quetous les trones de la terre. Troisiemement, celte souve- raine autorite de Dieu est la plus clemente, la plus bienveillante et la plus paternelle desautorites. « G"est avec une grande reve- rence quevousnousgouvernez,Seigneur» (Sag., 12, 18), corame si nous etions vos egaux ou de meme naissance, de merae con- dition que vous. Aussi Dieu respecte notre liberte, il agit avec reserve dans ses rapports avec nous, il laisse un vaste champ ouvert a notre generosite et a notre araour, et il nous donne 1'occasion de vivre pour lui plaire. Enfin, cette autorite est la premiere pour nous et celle qui juge et decide en dernier ressort...

Le souverain domaine de Dieu nous touche de pres, il est sur nous, et il s'etend a toules nos journees et a chacun de nos pas. Dieu est le Maitre de notre vie, et nous n'echappons pas a sa puissance au milieu meme de 1'exercice de notre liberte. Quoi qu'il arrive dans notre exislence, nous devons compter avec -cette souverainete et nous arranger, nous accorder avec elle.

b) LA FIN PROCHAINE DE L'HOMME, EXPLIQLEE PAR LA N0TI0X DE LA CREATIOX

I. Elements de la crealion.

« Greer» est « produire quelque chose de rien ». Cette nolion renferme trois elements : le Greateur, 1'acte de la creation, et la creature.

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210 PREMIERE SEMAINE

A. Le createnr est Dieu, et Dieu seul... : Dieu, 1'Etre eler- nel, necessaire, infini, libre et independant, se suffisant a lui- meine et heureuxdans sa vie divine, dans laconnaissance inlime et la conscience parfaite de sa bonle absolue et aussi de sa bonte relative ou creatrice, laquelle se communique etfeclivemenl au dehors (ad extra) par le moyen de la creation.

B. Dans ce dernier casintervient donc 1'acte createur, qu'il iaut considerer sous son cole materiel el sous son cote formeL L'acle maleriel de la crealion consiste en ce que rien de ce qui esl produit n'a ele et exisle auparavanl, en ce que lout, par con- sequent, dans lacreation, est faitde rien. Gette idee ne repugne poinl. On doit en dernier lieu admellre un acte createur pour lout ce qui subsiste et qui a un terme, une fin. II y a un elre, le pre- mier dans le rang des etresquise succedent Tun a Tautre et dispa- raissent ensuite; or, cepremier elre ne peutetre Dieu; c'est donc un elre dilferent deDieu, c'est-a-direun ^tre fini ou limite. Mais il ne peul avoir de lui-meme celte limite, cette fin : car un etre n'a pas de lui-meme dV'tre plus ou moinsetre ; avoir de soi son propre etre serait etre infini ; donc il Ta d'un aulre, et enlin de Dieu. L'etre contingent ou fmi vient toujours de 1'Etre absolu.. Si Dieu ne peul donner 1'etre et 1'existence, sa puissance ne depasse pas celle de la maliere, etelleest finie et dependante; if pourrait au plus faire qifune chose liit de cette lacon-ci ou de cette facon-la, mais non quelle fut d'une maniere generale. La connaissance divine, de plus, comme son pouvoir, s'etend a Texistence de tous les etres. II en resulteque 1'acte de la crea- lion esl un acte toul afait divin, sans nul intermediaire. II exige loute la puissance divine et renferme les actes suivanls et suc- cessifs de la conservation desetres.

Considere sous un cote formel, 1'acte createur nous montre le but pour lequel il est produit. Dieu ne cree pas par besoin de changement, ou par dependance, ou par necessite. L'objet et le motif de son action sont lui-meme, sa propre bonle. Ge n'est pas pour recevoir, c'est pour donner que Dieu cree, et ainsi les creatures sont des images de sa bonte communicable. Donc la joie qu'il trouve danssescreatures, en lant qu'elles represenlenf sa bonte, et enfin lajoiequ'ila desa bonte creatrice, renferment le motifdivin de 1'actede lacreation.

MEDIT. SUPPLEM. : FIN PROCHAfNE DL l'HOMME "211

C. La creature est, par consequenl, consideree sous son double cotematerieletformel, le resultatetreffet de la puissance et de la bonte creatrices de Dieu : parce que, du cole raateriel, c'est Dieu qui la fait etre, subsister et vivre, et parce que, du cote formel, elle represente dans son existence et ses proprietes 1'etre et les proprietes de Dieu. Qu'est-ce donc qu'etrecree sinon absoluraent dependre de Dieu et appartenir corapleteraent a Dieu ? En tout ce qu'est la creature, avec tout ce quelle a et signifie, elle est 1'oeuvre, 1'image, la pensee, le vestige et la resserablance de Dieu. Elle repose dans le sein de Dieu et Dieu 1'embrasse et raimecorame sa propriete, son ouvrage, etdeplus il s'aime lui-menae en elle. Ainsi la creatureestfaiblesse, depen- dance et iieant en meme tenips qifelle est elevation, grandeuret beaule divines.

II. Application de ces verites.

A. Nous pouvons faire une application pratique de ces verites en nous inlerrogeant chacun de cette inaniere : Es-tu bien reelleraent unecreature de Dieu? Etqifen resulte-t-il, si ce ifest que je suis de Dieu, sans qu'il ait besoin de raoi, que j'ai ete cree tout a fail libreraenl corame une image et une ressem- blance de sa bonte, et que je dois le reconnaitre non seulement en theorie, mais encore en pratique, c'est-a-direpar raa soumis- sion absolue ;i Dieu et en faisant servir lout ce que fai a son lionneur ou a sa gloire. En voici les motifs :

B. Premierement, c'est le devoir. Lfordre et la raison demandent que je regle mes sentiments et ma vie d'apres ma nature ; or, nalurellemenl, je suis creature et cree a 1'imagede Dieu. Ueuxiemement, l'lionneur 1'exige. Le secret de la gloire et de 1'elevation de la crealure consisle en ce qu'elle est une revelation de la magnificence divine dans sa nature d'«Mre cree ; et la gloire deriiommeatteint son plus baul degre, si cetle reve- lation a lieu dans ses senlinienls et ses actions. Troisieme- ment, il en resulte le bonbeur dela creature, qui participe ainsi <raulanl plus au don de Dien.

212 PREMIERE SEMAINE

c) la fin derniere et supreme de la creature est l'honneur de dieu

I. Uhonneur ou la glorification de Dieu cst effectivement le but ou la fin de toute creature.

11 y en a une double raison :

A. C'esl, en premier lieu, la consequence de la nature et de la lin prochaine des creatures. Par elles-memes les creatures ne sont que des oeuvres de Dieu, des revelalions de son existence et de ses attribuls divins, des images desa bonte. Gomme telles donc elles louent Dieti, de meme que le chef-doeuvre revele le genie de Tartiste et rend de lui un lemoignage honorable. On ne peul voir les creatures, ni les connaitre chacune a fond el dans leur essence, sans concevoir une haute idee deDieu, sans 1'admirer, Flionorer et Taimer : Cveli enarrant gloriam Dei [Ps., 18, 1). Cest ce que les theologiens appellenl gloria objectiva Dei. De plus, parce que les creatures ne sont par elles-memes que des ceuvres et des manitestalions divines, Dieu a dii, a cause de cela, leur prescrire avant tout la fin de se monlrer effectivement des oeuvres de Dieu, de lui faire honneur, comme au principe de toule leur magnificence, de le louer el de le servir chacune suivant sa nalure : les crealures privees de raison, en montrant leurs qualites ou en se servant de leur instincl, el les creatures raisonnables, en Fadorant, lui rendant hommage et en le servant : c'est gloria subjectiva Dei.

B. Que rhonneur de Dieu soil le bul de toute creature, cela resulte,er? second lieu, des inlentions memes duCreateur. Dieu, en operant exterieuremenl (ad exlra), doit avoir un but final. Ge but ne pouvait pas, enlout cas, etre la creature elle-meme, ni le propre bien de celle-ci. La creature et le bien de la creature sont en dehors de Dieu el inferieurs a lui, et Dieu ne peut ainsi soublier jusqua se metlre a la derniere place. Quand nous fai- sons, nous autres, un travail, i^avons-nous pas toujours un but autre el plus eleve que 1'oeuvre meme que nous produisons ?

Le but final de Dieu devait par consequent etre un objet qui atteint Dieu lui-meme, un bien divin.

MEDIT. SUPPLEM. : FIN DERNIERE DE LA CREATURE 213

Or, ce bien divin ne pouvait etre que son honneur et sa gloire exterieurs, c'est-a-dire aussi bien la manifestation de sa bonle, qu'il revele precisement dans Tacte de la ereation, que la recon- naissance qu'il trouve dans ses creatures et qu'il exige d'elles en retour de cette bonte. Ge bien est en verite divin, et Dieu peul et doit aussi le cliercher, 1'exiger et y pretendre a son avantage, parce que c'est son bien, parce que rhonneur lui en revient, parce que cet honneur est un bien plus eleve que celui de la creature el parce que Dieu ne cherche pas cet honneur par besoin. On ne peut y voir plus de trace d'ambition que dans la conduite d'un pere et d'un prince qui veulent etre reconnus comme tels par leurs inferieurs.

Mais meme cet honneur, qui esl un bien divin, n'estpas, dans le sens le plus complel, la fin derniere de Dieu, faisant acte de Createur; en effet, il y a toujours la un bien purement exterieur qui est et reste toujours cree et fini. Or, Dieu ne peut, en fin de compte, avoir pour but dernier qu'un objet qui se trouve en lui : a savoir, lui-meme ou la complaisance dans sa bonte, non seule- ment absolue, mais encore communicable et crealrice. Donc la complaisance que trouve Dieu clans sa bonte, surtout dans sa bonte qui tend a se comniuniquer aux autres et a les rendre par la participants de la felicite divine, est le but final, le poinl fixe vers lequel se dirigent les efforts de toules les creatures, et aussi le terme de 1'activite creatrice de Dieu. Cestdans ce sensqu'est vraie la parole de 1'Ecriture : Universo propter semetipsum ope- ratus est Dominus (Prov., 16, 4). Ainsi 1'intention et 1'action de Dieu vont de Dieu aux creatures, ensuite ne s'arretent point a celles-ci, mais reviennent a Dieu et se terminent heureuse- ment a lui. II ne peut pour cela etre jamais frustre de ses fins ou de ses desseins eternels. En tout cas, 1'honneur el la glorifi- cation de Dieu n'en sont pas moins la fin derniere des crealures.

II. Raisons que nous avons d'atteindre ce but de Dieu.

A. Premierement, ce n'est que justice. N'est-il pas juste que le bien de Dieu passe avant le bien de toute creature, si grand et si important qu'il soit? Nous ne devons pas 1'oublier,

21 \ PREMIEP.E SEMAIXE

quil s'agisse de nolre propre sanctification ou de celle du pro- chaiu.

B. La seconde raisou est 1'elevation ou la sublimite de ce but. Cette elevation se trouve dabord dans 1'ame et est avant tout spirituelle. Plus un acte et rinteulion qui le dirige regar- dent ou alteignent Dieu directement et inlimement, plus ils sont sublimes el plus ils ont de prix ; c'est pourquoi les vertus theo- logales occupent le plus haut degre dans fechelle des vertus. Par 1'intention de glorifier Dieu, nous nous approprions les vues de Dieu, nous entrons dans ses idees les plus intimes et dans le sanctuaire de son esprit : nous agissons, comme Dieu, divine- ment. Cest la Tacte le plus sublime de ramour, par lequel Dieu se recherche el s'embrasse lui-meme dans toutessesceuvres. L'elevation et fexcellence du motif que nous avons d'atteindre la fin de la glorificalion de Dieu apparail aussi exterieurement el consiste en ce que, suivant 1'exemple de Dieu, regle supreme des actions, toute creature, terrestre et celeste, se propose, el d'un commun accord, ce but de 1'honneur et de la gloire de Dieu. La crealion entiere forme ainsi un concert immense, dans lequel toutes les crealures, grandes et petites, chacune a sa ma- niere, le sachant ou ne le sachant pas, executent le grand motet : Magnus Dominus et laudabilis nimis... (Ps. 47, 2). Le Sauveur nous apprend parliculierement par son exemple ce chant divin : car il ne connaissait pas d'autre fin a atteindre ici-bas, et il ful. par sa Personne, sa doctrine, sa vie, sa passion et sa mort, rinstrument de la gloire de Dieu.

C. Un troisieme motif special pour nous de procurer la gloire de Dieu est 1'esprit et la volonte de la Compagnie de Jesus. Cette devise de la plus grande gloire de Dieu n'est pas seule- ment une devise d'occasion, une regle facultative et un titre addi- tionnel, honorable pour notre Ordre : la plus grande gloire de Dieu cherchee et voulue pour elle-raeme, voila la derniere limile que puisse avoir le double but de la sanctification personnelle et de la sanctification du prochain. Elle determine tout : fin, moyens et emploi des moyens. Cest pourquoi ce principe fon- damental ne doit pas etre seulement 1'exergue des armoiries qui decorent nos demeures et nos eglises ; il doit etre surtout le regu-

MEDIT. SIPPLEM. '. FL\ DERNIERE DE LA CREATURE 215

lateur supreme de nos pensees, de nos inlenlions, denosactions et de toute notre vie.

D. La derniere raison que nous avons de procurer la plus grande gloire de Dieu, est celle-ci : Dieu s'eraploiera lui-meme a nous glorifier dans la raesure et avec le zele que nous chereherons a le glorifier. Nolre plus grand interet esl donc de nous ouhlier nous-memes pour ne penser qu'a la plus grande gloire de Dieu.

III. Ecercices pratiques pour procurer la plus grande gloire de Dieu

A. Avant tout, nous devons, comme saint Ignace, diriger •dans ce sens toutes les actions de notre existence. Gette devise : Ad majorem Dei gloviam, doit etre la devise de notre vie en general.

13. La tbrniule destinee a renouveler nolre bonne intention doit etre conforme a la disposition de Dieu operant en dehors de lui, de Dieu creant, et, par consequent, conservant et atfei- missant nos propres facultes ou nos propres forces ; or, cette disposition est la complaisance de Dieu dans sa puissance et sa honte de Createur : In unione illius divinae intentionis . . . ; unis- «ons-nous donc d'intention avec Dieu et cooperons nous-raeraes & ses desseins de tout notre pouvoir.

G. Entre plusieurs honnes oeuvres choisissons celle qui, •dans les circonstances presentes, contribue a honorer davantage Dieu.

D. Enfin, il laut nous unir en esprit a tout ce qui, dans l'Eglise, au ciel et sur la terre, se fait a la plus grande gloire de Dieu, et surtout a iintention divine du Sauveur. Que de grandes dioses n'a pas operees le zele dans le royaume du Ghrist ! Gomrae un seul horarae peut rendre de gloire el dhonneur a Dieu ! Un Vincent de Paul, un Ignaee de Loyola... en sont la preuve eclatante.

216 PREMIERE SEMAINE

4) AITRE MEDITATION SUR LE SALUT DE l'aME (1)

1. Que faut-il comprendre par le salut de 1'cime? Voir precedemment : pages 189, 190 et 191.

II. Quels efforts devons-nous faire pour sauver notre &me?~

A. D^abord travaillons-y serieusement, puisqu'il s'agit d'une chose importante... Nous ne devons donc pas oublier le ciel, ni oser le compareraaucune chose de la terre, ni 1'exposer en commettant un peche grave. Au contraire, il nous faut au moins employer les moyens necessaires pour le conquerir, et garder les commandements, qui sont le chemin du ciel ; il nous faut en un mot servir Dieu.

B. Nous ne devons craindre ni les sacrifices, ni la peine^ ni meme la perte de la vie, pour sauver notre ame; oui, si l'of- frande de notre vie est demandee pour le ciel, faisons-en le sacri- fice : Contenditc intrare per angustam portam (Luc, 13, 24). Qui amat animam suayn perdet eam (Joan., 12, 25)... Le ciel vaul bien tout cela et encore davantage. Que ne fait-on pas, dans le monde, dans le but d'acquerir des biens de peu d'importance? Comme lardeur des hommes pour la reussite de leurs affaires temporelles doit nous couvrir de confusion, nous, Ghretiens des- tines au ciel ! Que de travail ne sMmposent-ils pas et que de peine ne se donnent-ils pas pour atteindre le but qulls se proposent!

C. Nous devons travailler a notre salut avec courage, joie et une ferme esperance. NMmitons pas la conduite des Israelites en presence de la Terre promise (Num., 13, 33). Bien mieux* remercions Dieu et rejouissons-nous au milieu de tous nos tra- vaux. II ne s'agit, dans 1'affaire du salut, que de nous, de nos seuls avantages : apres quelques annees, je suis du nombre des ^tres les plus heureux et les plus puissants ! Qui croit au ciel n'a pas un instant de tristesse ici-bas.

(1) Appropriee a uue retraite de postulants.

MEDIT. SIPPLEM. : SALUT DE LAMK 217

III. Pourquoi devons-nous travailler ainsi a notre salul ?

A. Le ciel nous esl necessaire : c'est notre derniere fin, el il n'y en a qu'une ; doncle ciel nous estabsoluraent indispensable, tandis que nous pouvons considerer tout le reste seulement corame d'une necessite conditionnelle ou hypothetique. Nous avons la l'unique necessaire, pour lequel existent toutes les autres choses et sans lequel celles-ci ne servent de rien ; compre- nons-le et ne 1'oublions jamais.

B. Le ciel est grand et magnitique : c'est un bien infini. II est glorieu.x pour Dieu el pour nous, le but de toutes les

ceuvres de Dieu et de rhorame. Tous les besoins, loutes les aptitudes, tous les desirs y sont satisfails : « L*oeil n'a pas vu... » (I Cor., 2, 9.)

C. Le ciel existe assurement. Dieu 1'aprotnisen recompense du service que nous lui rendons, et il est dailleurs facile d'y arriver : nous n'avons besoin pour cela que de foi, d'esperance (I Joan., 3. 3, Rom., 12, 12), d'amour pour Dieu et pour nous- memes, et d'un peu d'esprit et de cceur. Le ciel remunere tout. Cesl le ciel qui a rendu les Saints si courageux.

e) AUTRES DEVELOPPEMENTS DE LA FIN PROCHAINE EX TANT QUE PREPA- RATION A LA FIN DERNIERF. DE L'HOMME CONSIDERE DANS DIFFERF.NTS ETATS.

I. Necessite de cette preparaiion.

A. Dieu veut que riiomme coopere a l'obtention de son bonheur eternel. La sagesse, la justice et la bonte divines le demandent; la sagesse de Dieu d'abord, parce qu'il conduit tou- tes les creatures a leur fin en se conformant a leur nature ; sa justice ensuite, afin de pouvoir donner a 1'homme en recompense le ciel ; enfin sa bonte, l'homrae contribuant, de son cote aussi, a acquerir la gloire eternelle.

B. L'homrae lui-merae veut et doit se montrer et se rendre dignede sa felicite.

218 PREMIERE SEMAINE

G. Ge fut dailleurs toujours et partout le plan, le dessein tle Dieu que lous les etres libres se preparassent ii leur felicite ou a leur fin derniere : les Anges, le premier homme et toutes les creatures raisonnables devaient ou doivent le realiser ; il faut que toutes aient un temps de probation et d'epreuve : Filiisan- ctorum sumus et vitam illam expeclamus, quam Deus daturus cst his qui fidem suam nunquam mutant ab eo (Tob., 2, 18). Habetis fructum vestrum in sanctiftcationem, finem vero vitam seternam(Rom., 6, 22;.

II. Manieres de se preparer.

A. En general, la preparalion a la bealitude eternelle con- siste dans raccomplissement d'oeuvres morales, qui repondent, premierement, a la demande ou a 1'exigence de Dieu, a son attri- bul cle Maitre absolu et de Greateur ; deuxiememeni, a la nature de riiomme, a ses facultes inlerieures et exterieures; el, troisie- mement enfin, a la nature du but et du caractere de la vie future. Gelte preparalion consiste donc dans la connaissance, 1'amour et le service de Dieu, ou, comme dit saint Ignace, dans la louange, le respect et le service de la divine Majeste.

B. En parliculier, la preparation a la felicite eternelle doit se faire suivant les exigences de chaque etat; et ainsi se mani- festent les qualites speciales et distinctives de chaque preparation diverse :

l'homme

A. Quel est le devoir de riiomme ici-bas? II doit, en premier lieu, representer Dieu par sa nature humaine, laquelle est, comme la nature divine, douee d'inlelligence, de volonte libre et dlmmortalile : Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram (Gen., 1, 26). II doit, en second lieu, representer Dieu par sa souverainete : ut prsesit (loc. cit., 26), dominamini (loc. cit., 28), en conduisant les creatures a leur fin par fusage raisonnable et legitime qu'il en fera ; c'est pour- quoi Dieu lui a donne des sens, afm d'etre maitre de la creation materielle. L'homme doit, en troisieme lieu, represenler Dieu

MED. SUPP. : FIN PP.0CHAINE DANS DIFFERENTS ETATS 219

parsa saintete, par sa conformite a la loi de Dieu, regle de son intelligence el de sa volonte. En dernier lieu, il doitrepresenler Dieu parla participation a la felicite divine : aussi Dieu l'a-l-il ■cree iramortel et iait pour ce bonheur eternel.

B. Pourquoi faut-il que 1'homme remplisse ce devoir? Dabord sa haute dignite le reclame : c'est une consequence de ses privileges et dela raagnificence dont il a plu a Dieu de len- tourer : Ideo homo ad imaginem Dei condiius est, ut imitator esset sui creatoris, ethaecest naturalis nostri generis dignitas, si in nobis quasi in guodam speculo divinse benignitatis forma resplendet (Saint Leon). Ensuite la reconnaissance envers Dieu et lafidelite a son Souverain Maitre et Bienfaiteur imposent cette obligation a riiomme. Enfin, si 1'homme refusail de s'y soumeltre, il en resullerail des suites facheuses et pourriiomme et pour les creatures qui lui sont subordonnees : le peche de nos premiers parents le montre clairement. D"ailleurs le bonheur <le riiomme ne depend-il pas de sa fidelite a servir Dieu ? Donc rhomme doit mener ici-bas une vie raisonnable et ver- tueuse, et ainsi se rendre apte aatteindre sa derniere fin.

LE CHP.ETIEN

A. Ce qui est demande au Ghretien. Le Ghrelien doit cTabord accomplir tous les devoirs de l'homme, et ensuite faire tout ce qu'exige son elevation a 1'ordre surnaturel. G'est au Ghretien qu'apparlient essentiellement la vie surnaturelle. Or, le but de cette vieest le ciel ; les moyenspour atteindrecebut sont la grace sanctifiante, les vertus infuses et les dons de 1'Esprit- Saint : les bonnes ceuvres prouvent lexistence de la vie de la grace en nous. Labeaute de cette vie surnaturelle consisle ence que rhomme nest plus serviteur et sujet, mais enfantel herilier -de Dieu. Le Ghretien doit, par consequent, mener une vie sur- naturelle. penser, agir surnaturellement et avanl tout s'attacher a Dieu par un amour filial.

B. Moiifs : Le pivmier motif qu'a le Ghretien de remplir ses devoirs, esl labondance etla richesse des moyens qu'il a a sa disposition pour honorer Dieu, lui plaire et le servir : lui seul

220 PREMtERE SEMAINE

peut l'adorer enesprit el en verite. Le second motif se trouve dans la joie et 1'honneur quun tel service procnre aDieu. Dieu est bien pour 1'horame un objet de tendresse a nul autre pareil. Nous avons enfin un troisieme raotif dans la felicile incom- parable et surnaturelle dont le service de Dieu a ete la prepara- tion, et qui est pour nous la recornpense, proportionnee a nos bonnes actions, et pour le Sauveur, principe et sourcede cette vie surnaturelle, la glorification juste et meritee.

LE RELIGIELX

A. L'etat religieux a ceci de caracteristique, c'est que rhomrae y est consacre a Dieu tres specialement, d'abord, d'une raaniere negative, par la separation de tout ce qui est vain et l'eloignement des dangers du monde, ensuite, d'une maniere positwe, par les vceux, qui font du Religieux la propriete parti- culiere de Dieu et un etre voue entierement au service de la divine Majeste.

B. Au point de vue des devoirs a remplir, le Religieux est le tenant et le representant de la perfection chretienne, attendu qu'il s'oblige a y tendre en gardant non seulement les comman- dements, mais aussi Ies conseils evangeliques dans le sens de sa regle. Nous avons la Tusage le plus noble et le plus magnanime de la liberte de rhomme au service de Dieu, la transformation la plus complete de son coeur, le combat le plusdecisifcontre la chair, Teffort le plus genereux pour l'acquisition de la vertu et de la saintete, et le service le plus excellent de Dieu ici-bas.

C. Le bien dont le Religieux se rend capable par son etat, fst incomparable, qu'on le considere de son cote ou du cote du prochain. L'etat religieux 1'eloigne lui-meme de perils sans nombre pour son salut, lui donne l'occasion de grands merites et 1'assurance du salut de son ame (Matth., 19, 29), s'il perse- vere, et enfin lui procure des maintenant lajoie, la paix, lacon- solation, etla-haut une place des plus honorables (toc. cit., 28). Quant au prochain, il trouve dans un ordre de Religieux un foyer de luraieres et une source de biens qui lui arrivent, soit indirec- temenl, parleurs bons exemples, leurs prieres etleurssacrifices,

MED. SUPPL. : FIX PROCHAI.XE DA!NS DIFFEREXTS ETATS 221

soit directement, par leurs travaux incessants pourla defense et la propagation de lafoi. Qu'il est arrive souvent que lesreforma- teurs des peuplesou les converlisseurs d'ames sont sortis du fond des cloitres ! Le Religieux doit donc menerune vienon seule- ment raisonnableet surnaturelle, maisencore parfaite, serendant ainsi propre a produire des fruits merveilleux dans le Royaume du Ghrist.

LF. PRETRF.

A. Fonction elcliarge. Le Pretre est le delenteur ou le possesseur legitime des droits et des privileges magnifiques de rHomme-Uieu. Gomme ce dernier. il estenvoye de Dieu aupres des hommes etdeshommes aupres de Dieu, le mediateur entre Dieu el les hommes, en quelque sorte le charge d'alfaires de

. Dieu aupres des hommes et des hommes aupres de Dieu; il est encore 1'instrument de choix des oeuvres de l'Homme-Dieu, en tantque Prophete, Roi etPretre: entin il est lechefdans l'£glise

et personnifie en quelque sorte 1'Eglise elle-meme : Dieu faittout par l'Honime-Dieu el rilomme-Dieu fait tout par le Pretre.

B. Autorile et pouvoirs. Le Prelreest sanctifie pour sa fonction par une consecration interieure, spirituelle. Voici les <Iroits de sa charge : Pouvoir d'enseigner, pouvoir legislatif, et pouvoir sur les choses saintes. L'exercice de ces pouvoirs, les vertus et la saintete apnsloliques. le travail et la souffrance sont la vie du Pretre comme celle de l'Homme-Dieu.

C. Les resultals sont pour le Pretre exactement ce qu'ils furent pour rHomme-Dieu : d'un cote, pour le Pretre lui-meme, la couronne dimmortalite au ciel, 1'estime et la reconnaissance de tous les bons, la haine et lacrainte de tous les mechants et de 1'enfer ; et de 1'aulre, pour le monde. des etfets merveilleux et bienfaisants, d'abord en faveur des individus, dont le Pretre sanctifie toute Texisteiice, etensuite dans l'interet des familleset desEtats, qu'il instruit des verites divines et du culte du vrai Dieu et sur lesquels il repand ainsi rabondance des benediclions temporelles et eternelles. L'histoire du monde et de 1'Eglise est Ihistoire de la hierarchie calholique. La piiissance de Dieu sur

222 PREMIERE SEMAINE

la lerre est, pour ainsi dire, concenlree dans les 200.000 Pretres deTEglise catholique. Gomme un Pretre saint et zele peut con- tribuer a la gloire de Dieu et au salut des hommes !

LE JESUITE

A. Beaule et sublimite de notre etat. La vocalion a la Gompagnie de Jesus est belle el sublime, premiirement, parce que la Gompagnieesl un Ordre sacerdotal, jouissanl des privi- leges magnifiques du sacerdoce ; deuxiemement, parce qifelle se propose la fin speciale el si elevee de procurer la plus grande gloire de Dieu ; troisiemement, parce qifellepoursuit egalement le salut des hummes comme son but propre ; quatriemementr parce qifelle est vouee d'une maniere loute parliculiere a la personne du Pape et au servicede TEglisc; cinquiemement enfinr parce qu'elle s^identifie, pour ainsi dire, avec le Sauveur Jesus; faisant du grand but de sa vie le sien et le poursuivant par les. memes moyens que lui.

B. Les motifs pour nous de repondrea cette vocation sonl, avant loul, la grande et magnifique histoire de notre Ordre r ensuite, 1'estime des bons, la haine des mechants et 1'attente de tous ; puis encore, la reconnaissance envers le Saint-Siege et 1'Eglise ; et enfin, le desir de voir le Sauveur partout glorifie.

MEDITATIONS SUR LE PECHE

(Cf. Commenlaire des Exercices, p. 49, \.)

a ; L E T R I P L E P E C H E (Cf. Commentuire des Exercices, p. 49, 2 a 51, 3.)

NOTA. Les Preludes sout pris du livre des Exercices «le saint Ignace» et ainsi toujours dans les autres medilations.

I. Le peche des Anges.

A. Que sonl les Anges avant leur chute? Leur nature etleur fin.

Les Anges sont les preraices et comme les premiers astres du matin de la creation ; esprits purs, etres raerveilleux, ornes de tous les dons de la nature et de la grace, doues d'une raa- gnifique intelligence, d'une volonte puissante, ils sont radieux dans la splendeur de leur etat de justice originelle. Ils forment deshierarchies a l'infini de sagesse, de puissance el de beaute, et ils sont tous destines a la vision intuitive de Dieu, quand ils auront subi leur epreuve. Leur epreuve meme est facile : ils doivent, comme nous aussi. user de leur liberte pour louer Dieu, le respecter et le servir ; peut-etre que 1'objet de celte epreuve est la reconnaissance de rHomme-Dieu futuret un acte desoumissionii son egard.

B. Qu'est-ce que deviennent les Anges? Leur punition.

Ils disparaissent toul a coup du seuil de la demeure celesle, et pouraller ou ? En enfer. Ces etres libres, spirituels et puis- sants, sont enchaines a un lieu raateriel, a un lieu de bannrsse-

224 HREMIERE SEMAINE

ment, de tristesse, de terreur, et a un enfer de feu ! Telle est leur punition exterieure. La punition interieure consiste dans la privation de leurs dons surnalurels et dans la degrada- tion de leur etre. Tout a l'heure les favoris de Dieu et dans 1'eclat de leur grace premiere el sancliliante, maintenant ils sont des demons de malice et de perversion. Leur haute inlelli- gence est desormais tout obscurcie et inaccessible a toute idee surnalurelle ; elle ne sert qo'a les tourmenler par le souvenir de leur bonheur perdu el de Tenliere inutilile des privileges dont ils onlfollement abuse, des qu'ils en ont joui. Leur volonte est obstinee dans le mal, dans la haine de Dieu, d'eux-memes et de lout. Leur puissance est brisee et limitee de tous cotes : une seule goutle d'eau benite suffit pour les metlre tous en fuite a 1'instant. Ils sonl relegues dans le coin le plus obscur et le plus humiliant de la creation. Tous ensemble ils offrent une image, un spectacle epouvantable de misere el d'infortune sans nom, en meme temps quMls sonl un objel dlhorreur pour Dieu el pour loutes les creatures.

G. Commenl les Anges tombent-ils?

Leur peche.

Aveugles par Teclal de leur grandeur et de leur beaute, ils abusent de leur liberle vis-a-vis de Dieu, soil qu-ils veuillent pretendre a la puissance divine, soit qifils seftorcent d'atleindre leur fin surnaturelle avec les seules forces de leur nature, soit enfin qu'ils refusent de reconnaitre riiomme-Dieu comme leur Chef et leur Maitre : voila leur peche. Ce peche est enorme en lui-peme et par sa nature, a cause de rintelligence supe- rieure des Anges. a cause de la puissance de leur volonle, et a ^ause de l'injustice el de ringratitude qulilfi commettent alors ; ajoutons enfin que ce peche est peul-etre leur premiere action, le premier usage qtuls font de leur volonte et de leur vie. Ce peche est insense, parce que son accomplissement n'a aucun bon resultat el ne dure qu'un inslant fugitif, tandis que sa puni- lion eslfatale el eternellement irremissible.

Represenlons-nous ici, en premier lieu, ceque Dieu voitdans le peche des Anges : il voit un abime d'iniquite, de folie et de malice ; en second lieu, ce que les Anges eoupables eux-

TRIPLE PEC.UE 225

inemes voienl dans L.eur peche, immediatement apres 1'avoir commis, et ce qu*ils y verront toujours : un abime de meclian- •eete, de sottise el d'infortune ; en troisieme lieu, que pou- vons-nous et que devons-nous voir nous aussi dans ce peche, si ce ifestencore un abime de perversiou, de folie et de malheur? Un seul peche renferme tant de mal qifil a fait dun Ange un tlemon, un monstre de malignite el de folie, et une ruine inouie. Ln seul peche creuse l'enfer. ce soinmaire de tous les maux et de toutes les infortunes! Et il nous faut bien remar- quer que tous les peches mortels, comme tels, qifils soient de •Thomme ou qifils soienl de 1'Ange, onl la meme nature, sont essentiellement les memes. Qu'est-ce donc que Dieu a vu en moi, sijamaisjai en sur la conscience non pas seulemenl un unique peche mortel. mais un grand nombre de peches mor- tels? N'ai-je pas raison d'avoir « de la honte et de la coiilu- sion » de cette acciimulation enorme, de cette reunion mons- Irneuse de inaux, de sottises et de malheurs?

II. Le peche de nos premiers parenls'.

A. Amour de Dieu pour Adam et Eve.

Leur heureux etat.

Adam et Eve sont, eux aussi. les bien-aimes de Dieu, ses enfanls de predileclion et les rois de la creation visible.

Dieu leur a prodigue les dons de la nature et de la grace et corporellemenl et spirituellement, les faisant semblables a lui- meme par la saintele, l'immortalite, 1'empire sur les autres creatures et le bonheur.

Quelle splendide couril a composee pour eux dans le Para- dis terrestre ! Tout les choie, tout les serl. Dieu daigne les admettre dans sa familiarile et ;i ses entreliens. Cest un bel empire, ou regnent la puissance, Ihonneur et la joie, et pour- tant il ifest que le gage d'un aulre royaume infiniment plus beau et elernel, dans lequel ils seront transportes, sans mourir, dans une extase damour. VoiLa un plan magnifique, paternel et <livin !

H. Ghatiment de nos premiers parents.

15

226 PREMIERE SEMAINE

Leur punition est premierement severe. Dieu linflige a leur nature, en la depouillant de tous se.s dons surnaturels et des privileges qui y sonl allaches. De la perte que fonl Adam et Eve de la grace sanctifiante, il resulte wne triste decadence pour toute la race humaine. La concupiscence, la morl, etc..., l'e\- pulsion du Paradis et 1'entree dans une vie pleine de travaux, de peines et de soullrances, sonl les consequences de leur peche. La penilence de neuf cents ans de nos premiers parenls ne peul les relablir dans leur elal primitif. Deuxiemement, leur punition est universelle. Elle atteint tous leurs descen- dants. Helas ! combien la concupiscence, cette triste plaie du peche d-Adam, elend et muitiplie ses ravages et ses ruines l Les torrents de sang et de larmes d'Adam et de ses enfants se sont eleves a une hauleur prodigieuse, pour former une mer immense dinforlunes et de maledictions ; le crane du premier homme et celui de la premiere femme pourraienl servir de pre- miere assise a une pyramide enorme de cranes humains, dont le sommet toucherail le ciel ! Troisiememenl, la punition d^Adam et d'Eve est, pour un nombre incalculable d'hommes, toujours invariable et permanenle, pour totis ceux qui, ;i la verile par leur faute, mais toujours par suitedu peched'origine> se precipitenl u leur perte. C. Cause du chatiment.

La cause de ce chatiment est encore le peche, celui de nos premiers parents. Ge peche est d'abord inexcusable ;i causc de la facilite du commandemenl de Dieu et de Telat de juslice originelle d'Adam et d'Eve. II esl ensuite detestable ;i cause de ringratilude envers Dieu. II est enfin humiliant a cause de la legerete avec laquelle il est commis, el donl la conse- quence esl de jeter toute la race humaine dans un abime de maux sans nom. On devait regarder comme impossible et incroyable la perpelration d'un tel crime. « Quelle honte, quelle confusion », si nnus nous sentions nous-memes, seulemenl pour la plus petile partie, responsables des suites alfreuses dun pareil peche ! Ici encore le peche se presente k nos yeux comine un gouffre horrible dindignite, de folie el de malheur. Et que serail-ce, si nous avions commis non pas un seul peche grave» mais des peches morlels nombreux !

TRIPLE PECHE 227

III. Le peche d'un damne quelconque.

Suivant saint Ignace, je dois me represenler ou bien un damne, tombe en enfer a cause d'un seul peche de sa vie, donc apres avoir commis son premier et uiiique peclie grave, ou encore plusieurs reprouves, qui ont ete condamnes a la peine de 1'enfer pour moins de peches mortels que je n'en ai commis moi-meme.

Considerons allentivement el pesons avant lout cet « unique peche parliculier d'un damne ». Cest un peche grave, certain, bien conditionne, commis avec pleine connaissance, entieres volonte et liberte : sous ce rapporl, remarquons-le, il n'y a pas de difference essenlielle de folie, d'insubordination, d'injustice, el d'ingratitude envers Dieu enlre ce peche, le peche des Anges et celui de nos premiers parents. Inlerrogeons le damne : Quelle joie el quel plaisir vous a procures raccomplissement de cetle aclion mauvaise, de ce peche ? Quel avantage en avez-vous retire? Depuis quand en portez-vous deja la peine? Combien de temps la porlerez-vous encore ? Que pensez-vous mainlenant du peche? Pouvez-vous vous plaindre d'etre victime d'une injus- tice? Non, un peche mortel merite ce chatiment et un beau- coup plus grand encore. Ici de nouveau le peche nous apparait comme un abime effrayaht de perversite, de folie et de malheur.

Cest donc la pure verite : partout, au ciel et sur la terre, un seul et unique peche grave resume, pour ainsi dire, en lui-meme toul inal, toule folie el toute inforlune. Les faits parlent assez haul, et Dieu juge selon le droit et la justice. S'il en estainsi, commenl Dieu m'a-1-il supporte et me supporte-t-il encore? N'a- t-il pas vu en moi cette abomination du peche, et aussi souvent que je Pai commis? Ai-je encore raison de me croire quelque chose? Ne dois-je pas au contraire avoir « la honte et la confu- sion » la plus profonde de moi-m£me? Quel bien se trouve en moi? Pourquoi suis-je encore sur la terre? A qui en suis-je redevable, si ce n'esl a mon Seigneur et Sauveur, que mes pe- ches ont attache a la croix et ont conduil « de la vie elernelle a la morl lemporelle » ? Considere-le sur celle croix ! Ce spectacle n'est-il pas une revelation nouvelle el beaucoup plus saisissanle que totite aulre de lout ce qu'il y a d'horribIe, de honleux

228 PREMIEKE SEMAINE

el d'execrable dans le peche et en moi-meme? Gar jusquMci je n'ai rien fail pour lui que de 1'oiTenser, etactuelleinent encore je ne fais rien de convenable pour son service. Je veux au moins avoir la plus grande honte de ma personne, et par riiumilite etabliren moi le fondementd'une solide conversion.

Plus tard, nous aurons encore 1'occasion de repondre ii cette question : « Que dois-je faire pour le Christ, qui a tant faitpour moi? » (Dans la meditation duRegne : Quid respondcre debeant boni subdili ; dans la troisieme semaine, au sixieme point de chaque meditation : Et quid ego debeo facere et paii pro Christo ; enfm dans la meditation sur l'amour de Dieu : Quid ego agere debeam.) Alors chacun de nous se souviendra de son indignite et de la misericorde de Dieu a son egard.

b) LES PECHES PERSONNELS (Cf. Commentaire des Exercites, p. 51, 3.)

I. Leur nombre.

Rappelons-nous brievemenl la fin, le bul de notre vie : louer, respecter e! servir Dieu et par ce moyen sauver notre ame. Puis jetons, chacun de nous en particulier, un coup d'oeil sur toute notre existence, pour voir si, oui ou non, nous avons travaille a atteindre celle tin. Le but de cette meditation n'est pas de faire un examen de notre conscience, preparatoire a la confession, mais de recevoir une impression plus profonde du souvenir de nos propres faules et de concevoir une vive douleur de nos peches personnels.

Pour cela, parcourons les differentes epoques de nolre vie : lenfance, 1'adolescence, elc...

Le lemps de notre jeunesse a ete consacre et sanctifie par la participation aux plus grands mysleres de 1'amour de Dieu, par le Bapteme, la premiere Confession, la premiereCommunion, la Confirmation ; et quels fruits avons-nous recueillis de chacune de ces parties de notre existence? Peut-etre que plus nous avons eu d'age, d'intelligence et de bienfaits de Dieu, plus aussi

PECHES PEP.SONXELS 229

nous nous sommes rendus coupables de peches et doffenses euvers la divine Majeste.

Parcourons les lieux et les habitations ou chacun de nous s'est trouve : maison paternelle, ecole, eglise... : que nous disent- ils maintenant?

Kappelons-nous les personnes avec lesquelles nous avons vecu... : parents, freres et soeurs, serviteurs, compagnons de jeunesse, maitreset instituteurs : a ce souvenir notre conscience ne nous reproche-t-elle rien ?

Parcourons nos devoirs d'etat... : prieres, travail, obeissauce ; faisons aussi la revue des creatures que Dieu a misesa notre dis- posilion : temps, argent, habits, nourriture, talent, imagination, corps et ame, graces, Sacremenls.

Interrogeons-nous alors : Quel commandement n'ai-je pas transgresse? Quel peche n"ai-je pas commis? De quelle grace et de quel bienfait n'ai-je pas abuse? Qirai-je fait de bien ? Ai-je pendant une annee. pendant un mois, pendant un jour, servi Dieu convenablement, comme je le pouvais ei je le devais? Ma vie n'est-elle pas un grand desordre, un enorme peche ? Hxc- r.ine reddis Deo, popule stulte et insipiens ? (Deut., 32, 6.)

Comprekenderunt me inic/uitates mese multiplicatse sunt

super capillos capitis mei (Ps. 39, 13 .

11 est bon aussi de nous rappeler les faules de nolre vie reli- gieuse. A notre entree en religion, les peches de notre vie dans le monde nous etaient pardonnes; or, cette remissiondespeches passes, le bienfait de notre vocation, raccroissement de nos annees et le developpement de notre raison auraient du nous rendre plus purs, plus humbles, plus reconnaissants enver* Dieu et plus devoues a son service. Ecoutons ce que nous dit notre conscience de 1'annee qui vient de s'ecouler, au sujet de nos peches volontaires et de nos negligences dans le service de Dieu. Oii en sommes-nous de nos devoirs envers Dieu : prieres et observation des voeux : de nos devoirs envers nous-memes : laisser-aller a 1'amouF de nos aises, a la curiosite, a la paresse, a la sensualite, a 1'intemperance et a la vanile ; de nos devoirs envers nos superieurs : obeissance. fidelite a 1'emploi ; de nos devoirs envers le prochain : charile, pdification, zele des ames !

230 PREMIERE SEMAINE

Et, pour loul clire en un raot, ou en somines-nous du Iravail de la perfeclion, de la pratique des vertus solides, de 1'acquisition des meriles pour l'eternite, de notre formation religieuse? Avons-nous rejoui veritablement Dieu en le servanl avec zele el generosile ?

II. Leur gravile.

Trois eonsiderations nous monlrent la gravite de nos peches personnels :

A. La premiere est la laideur du peche et son opposilion avec la raison de rhomme, meme abstraction faite de la defense de Dieu. Notrs sentons bien que la laideur du peche repugne a ce qu'il y a de meilleur dans nolre nalure, dont il esl la contra- diction, el nous en rougissons, surloul quand il s'agil de cer- tains peches, comme ringratitude, 1'indilTerence a 1'egard de Dieu ou des parents, rintemperance, l'impurete et lapropension au mensonge. Nous pouvons faire une consideration sem- blable sur les fautes de notre vie religieuse. Nous decouvrirons alors beaucoup de faiblesses, d'irregularites, d'inutilites, de vides, de degouts, de paresse, de lachetes et de pusillaniraile dans raccomplissement de nos devoirs envers Dieu. Et que signifie cette vie, quand on se rappelle tout ce qifexigent de nous et la noblesse de notre nature raisonnable et la sublimile de notre vocation? N'y a-t-il pas tla une contradiclion manifeste avec la raison, la foi et notre propre caractere? Le R. P. Roo- thaan le dit en termes formels : Qvin etiom peccala levia el imperfectiones per se vanitatis el stulliliiv et absurdilalis plena

^repcrienlur, anima rationali et immorlali prorsus indigna, etiamsi neque lex statuta essel nec poena.

B. La gravite de nos peches apparait en consideranl, deuxiemement , quel est celui qui olfense Dieu, c'est-a-dire le pecheur, en voyant bien qui nous sommes, nous qui avons la hardiesse d'agir ainsi a 1'egard de Dieu et de ses comraande- inenls? Sorames-nous donc des personnages d'une qualite si exceplionnelle et des etres si puissants pour oser prendre de lelles libertes? Qui sommes-nous, si l'on nous compare a d'autres hommes? Montrons ici toute notre grandeur el tous les

PEC.HES PBRSONNELS 231

privileges que nous croyons posseder, el tiieme exagerons-les

aulant que nous le pourrons : Avons-nous de la beaute el des

avantages corporels ? El d'autres n'en ont-ils pas? Sommes-nous

riclies et consideres? El d'autres ne le sont-ilspas? Avons-nous

du lalent, de la reputation et de la vertu ? El d'autres n'en ont-

ils pas? Qoe sommes-nous donc sur la terre? Sommes nous tres

connus et bien loin ? Xe trouvons-nous pas nos mailres dans un

cercle tres restreint dhommes? Parlout les autres nous depas-

sent de la lete el nous eclipsent. Que sommes-nous mainte-

nanl en comparaison de tous les bommes et de tous les Anges ?

Quelle mesure prendre et comment calculer de pareils nombres?

Comme nolre pelit globe et tout ce qui est lerreslre disparais-

senl devanl ces immensiles ! Que sommes-nous enfin en face

de Dieu ? < >ii demeurons-nous? Qui sommes-nous? Un petit

grain de sable sur le bord de la mer : oii le cliercber? Une

feuille dans la forel vierge : oii la trouver? Nous pouvons quit-

ter ce monde sans que personne s'en apercoive. <)r, dans ces

conditions, nous convient-il d ctre si orgueilleux et siarrogants?

Que sommes-nous, consideres absolument et en nous-memes ?

Au point de vue du corps : la faiblesse, la bassesse, l'ignominie

meme ; nous sommes un cloaque vivant. Mais au point de vue

de Tespril? Que de longues annees nous sommes restes sur les

bancs de 1'ecole. et quelle cbose savons-nous enlierement?

Rayons une fois de nos livres et retranchons de nos productions

litleraires tout ce que nous avons appris des autres et tout ce

que nous leur avons emprunle : que restera-l-il de nous?

Qu'esl-ce que notre memoire, ce fil si delie, duqiiel dependent

litnle nolre grandeur et toute nolre gloire? Qu'esl-ce que notre

volonte ? On le voit bien dans les plus petites difficulles. Que

sont notre verlu et notre saintete? Lbisloire n"en parle pas.

Que sommes-nous donc ? Quavons-nous? Et combien ce que

nous avons est deflgure el altere par mille fautes et par mille

defauts de toule espece! Ne sommes-nous pas vraiment

assis. comme Job, sur un fumier, et nous nous croyons des

rois ! II nous sierait beaucoup mieux d'elre bumbles. modestes

et soumis vis-a-vis des aulres bommes, a combien plus forle

raison vis-ii-vis de Dieu !

232 PREMIERE SEMAINE

G. La troisieme consideration qui nous fail connailre la gravite et Tindignite denospeches, est la consideralion deDieu lui-ra6me, de l'Offense, oppose a 1'oft'enseur ou a chacun de nous. Qu'est Dieu ? L'Etre eternel, necessaire, absolu, el nous. ne sorames que des etres conlingents et quasi d'occasion. Dieu est la Souverainele, la Majesle el la Puissance infinies ; enlre ses doigls toute la creation n'est pas plus qu'un epi de ble sur sa tige : s'il le broie et le jetle, quelle perte subit-il ? Pour nous, nous somraes Tirapuissance, la faiblesse el le neanl. Dieu est la Sagesse infinie, et nous sommes finis et bornes r nous ne voyons pas a deux pas devant nous. Dieu est la Purete, la Justice, la Saintete, et nous sommes la perversite- meme, et, malgre cela, nousvoulons que la volonle de Dieu et ses lois cedent devant notre volonle et devant nos desirs. Dieu est la Beaule et rAmabilite, et, nous, nous sommes laids. corame le peche. Dieuestla Bonte et TAraour infmis.Ne fut- il pas toujours bien dispose i\ notre endroit? Ne nous a-t-il pas tout donne ? Ne veut-il pas nous rendre heureux et se donner lui-meme a nous ? Et qifavons-nous fait de notre cote ? Avons-nous jamais reflechi sur ce qifestDieu et sur ce que nous sommes ? Lui avons-nous teraoigne nolre reconnaissance par nolre amour et notre fidelite ? Helas ! peut-elre n'avons-nous ete energiques, decides, courageux, infatigables et ingenieux quepour foffenser el pour lui montrer notre ingratilude! Voila. quelle etail loute notre etude et quels furent tous nos exploils : oflenser, outragerun Dieu si bon et si aimable ! Comment nous comportons-i*ous avec les hommes en qui nous avons confiance, que nous estimons, de qui nous attendons quelque chose ? Et comment avons-nous traite Dieu ? Qui avons-nous moins craint que lui ? Qui avons-nous plus mal servi quelui? Avec qui avons-nous ete plus opiniatres, plus indelicats, plus ingrats et plus infideles ? Est-ce la le service que nous lui devions ? Qu'avons-nous merite pour cette conduite ? El que Dieu nous a-l-il fait apres cela ? II n'a pas pris en consideration notre ingra- titude ; il ne nous a pas punis, nenousapas retire ses bienfaits; au.contraire, il a repondu a notre ingralitude en nous donnant des marques toujours plus grandesde son amour et de sa gene-

PECHES PERSONXELS 233

rosite, en nous accordant meme la grace ineslimable de nolre vocalion.

HI. Conclu.sions ou Fruits.

A. Apres tout ce que nous venons de voir et de considerer sur nos peches personnels, nous devons, premieremenl , en avoir une douleur profonde et un repentir sincere, et deplus ei> faire un aveu et une confession tres humbles : Peccavimus, impie egimus, inique gessimus (Bar., 2, 12). Peccavimus} inique fecimus, injuste egimus (II. Par., 6, 37). Ego sum, qui peccavi, ego inique egi (II Reg., 2i, 17). Pater, peccavi in ccelum et coram le (Lic, 15, 21).

B- Deuxiememenl, nous devons elre etonnesde la miseri- corde de Dieu envers nous et lui en temoigner notre gratitude. Gette bonte el cette misericorde de Dieu, apres une telle vie de peches, meritent bien notre admiration et notre reconnaissance : elles offrent a nos regards un spectacle tout a fait nouveau et inoui. Moi-meme, en effet, qu'ai-je merite? Les Anges onl vu ma vie, ils en ont ete les temoins perspicaces, et ils nVont supporte, ils m'ont aide, ils ont ete contraints de regarder en face un demon, de le porter entre leurs mains et de le servir. Qui les a empeches de fairejustice de ma conduite, et qui les a charges de me defendre? Les Saints me voyaient eux aussi, et pourquoi n'ont-ils pas ramasse des pierres pour les lancer contre moi ? Les creatures irraisonnables gemissaient sous la violence qu'elles etaient forcees de subir, toutes les fois que jabusais d'elles. Gomment se seraient-elles comportees, si elles avaient ete douees dMntelligence et de liberte? N^auraient-elles pas cherche a m'echapper, a se venger de moi ; lVauraienl-elles pas creuse un nouvel enfer pour punir mes peches si nombreux et si grands? Ma damnation eternelle n'aurait-elle pas ete entie- rement juste ? Pourquoi cela n'a-t-il pas eu lieu ? A qui en suis- je redevable, si ce n'est au Dieu de toute misericorde et de toute longanimite, qui m'a laisse la viejusqu'a ce jour, pourque jecomprenneenfm tout ce que j'ai fait ? Remercie donc le coeur paternel et si foncierement bon de Dieu, et tous baisons sa main

234 PREMIERE SEMAINE

misericordieuse, laquelle ne nous a pas punis, mais combles de bienfails !

C. Le troisieme fruit de celle medilation esl la confiance : la misericorde infinie de Dieu en est digne assurement. Malgre tous nos mefaits, nous avonsencore du creditaupres de Dieu et de sa misericorde. En voici les trois raisons, Iresbien expri- mees d'ailleurs dans le psaume J02. Dabord Dieu esl nolre Createur el notre Pere (v. 13) : quand meme un enfant aurail offense, d'une maniere indigne, ses parents, s'il revient a eux avec le repentirel lareconnaissance de sa faule. la voixdu sang se fail toujours entendre; il obtiendra son pardon, parce qifil esl toujours 1'enfanl. Ensuite, Dieu connail la faiblesse et la fra- gilile de notre nature (v. 14-16) : il sait que nous ne pouvons rien de nous-memes el que nous sommesinclines naturellement au pecbe et au neant. Enlin, Dieu ifignore pas qued^autres nous tendent des pieges ou cberchent a nous seduire. II y a un plus puissant au-dessus de nous, qui nous trompe el qui nous vio- lente, nous pauvres enfanls en tutelle (v. 6). Ici la creature se monlre en pleine lumiere, telle qifelle est, c'esl-a-dire pure fragilite et faiblesse deplorable, Dieu le sait el beaucoup mieux que nous. Dieu esl compalissant, non seulement parce qu'il est bon, mais aussi parce qu'il esl sage, et qu'il reconnait toute nolre pauvrete. Apres lout, nous pouvons et nous devons nous rejouira bon droit de nolre complete dependance d'un Dieu si infini et si misericordieux. Notre condition de crealure et loule notre fragilile sont un sublime eloge de sa Souverainete et de ses perfections divines : au milieu du cbangement et de la caducite des millions de crealures, lui seul est le Yrai el 1'Existant, l'Im- peccable et l'Immuable, le Compatissant et le Misericordieux (v. 8). Qifen tout lieu soit louee et glorifiee sa domination uni- verselle el souveraine, meme au plus profond de 1'abime de la misere de nos peches et aussi longtemps que nous ne sommes pas rejetes du sein de sa misericorde(v. 22)!

D. Le quatricme fruil que nousdevons recueillir ici est le ferme propos de ne pluscommettre de peche volontaire, avec le secours de la grace de Dieu. Cette grace est a la portee de nos mains, et elle est assez puissante pour reparer toules nos ruines,

REPETITION : TRIPLE PECHE ET PECHES PERSONNELS 235

nous remettre de nos faiblesses el renouveler nolre jeunesse <nmme celle de 1'aigle (Ps. 102, 3-5).

Cl REPETITION DES DELX MEDITATIONS PRECEDENTES (Gf. Commentaire des Exercices, p. 52, 4.)

I. Du triple peche.

A. Le peche des Anges. Nous pouvons nous rendre compte de la malice elde la folie du peche des Angesen exami- nant, premieremeni, leurjugement ou leurproces. Representons- nous en espritles Angesapres leur chute et informons-nous des raisons qui peuvent etre alleguees pour leur faire oblenir grace. Avant tout, leur nombre parle en leur faveur : ils forment un monde entier ; d'ailleufs, il suffit de punir les auteurs et les chefs de la revolte. De plus, leur excellence, leurs perfections <lemandent qu'on les epargne : avec chacun d'eux tombera une •couronne et un trone s^ecroulera. Les circonstances de leur peche plaident aussi pour eux : sans doute, leur faute est enorme, et en raison de la superiorite de leur intelligence et a cause de la puissance de leur volonte, mais c'est la premiere fois qu'ils pechenl, el ils n'ont jamais vu le visage courrouce •de Dieu. Enfin, on peut invoquer ce dernier motif : les Anges, une fois gracies. seronl, apres leur conversion, tout <levoues au service et a la gloire de Dieu, tandis que, s'ils sonl reprouves, leur haine leur fera enlreprendre et accomplii' tout contre Dieu et son image : ce que nous voyons se realiser tous les jours... Or Dieu n'admet aucune de ces raisons, iVaccepte aucune de ces excuses... : Quel crime est donc le leur !

Deuxiemement, nous pouvons jugerde la malice du peche des Anges par la sentence que Dieu porte contre eux. Aucune con- sideration n'est capable d'apaiser Dieu : Tous sont condamnes a 1'enfer, et a 1'enfer elernel ! Quel est celui qui juge ainsi ? Le Dieu trois fois saint, le Dieu de toute justice el de toute bonte. Que voit-il donc dans le peche ? Un abime horrible de malice et de mechancete, que tous les avantages d'un pardon ou lous les inconvenients d'une damnation ne peuvenl combler. Qu'est-ce

236 PREMIERE SEMAINE

qui pousse Dieu a agir ainsi ? La deplaisance, rhorreur et la haine du peehe, qui 1'eraportent sur la corapassion qifil a de lous. les malheurs des daranes. Le raal de la creature ne peut non plus eHre compare avec le mal d^uneoflense de Dieu. Par conse- quent, pour avoir une idee de la malice du peche, nous devons le considerer de loute la hauteur du point de vue de Dieu et entrer dans ses idees el ses jugements. Lui seul connait sa subliraite, sa majeste et son amabilile, et la diflerence inhnie qii'jil y a enlre le bien de la creature et celui du Createur. II inflige aux Anges cette punition, afin de reveler clairement a tout rnnivers son jugement vrai, sonjugement unique, sonjuge- menl divin sur le peche ; son but est que nous prenions nous- memes son jugementpour regle de nos propres jugemenls.

B. On peut aussi faire les considerations suivantes sur le peche de nos premiers parents :

Premierement, voir commenl Dieu, apres lesavoir crees avec lant de raagnificence, les place dans le Paradis terrestre, met lout a leur service, et leur promet encore beaucoup plus pour Tavenir ; et il fait ces belles promesses non seulement a eux, raais encore a toute leur posterite, a la seule condition qifils observent eux, les premiers de leur race, le precepte facile qu'il leur impose.

Deuxiemement , considerer comme ils pechent : avec preci- pitation, a la derobee, par convoitise et avec legerete, comrae des enfants gourmands, eux les chefs de toute la race humaine, les maitres et seigneurs de la creation visible et les favoris de Dieu ! Quelle honte n'y a-t-il donc pas dans ce peche !

Troisiemement, examiner comment Dieu entre en jugement avec eux; comment Adam el Eve se cachent de honte et se lordent de douleur a cause de leur ingratitude et du malheur iramense qu'ils viennent d'altirer sur eux et sur tous leurs des- cendants.

G. Les questions suivantes aidenl encore a juger le peche du damne ; on peut les lui adresser a lui-meme : « Ton peche Ta-t-il procure beaucoup de plaisir ? Qu'en penses-tu mainte- nant ? Etait-ce la peine de 1'exposer a payer si cher le plaisir d^un seul peche ? Peux-tu accuser Dieu dinjustice ? »

MEDITATIOX SOB L'ENF£R 'SM

II. Sur les peches personnels.

Les pensees, suggereesici. eclairent d'une nouvelle lumiere le nombre et la malice de nos propres peches :

A. Que de fois, des nolre jennesse, s'est montre le lond corrompu de notre nature et avons-nons eprouve la force de nos mauvaises passions! Gomme le mal, au lieu de diminuer, a augmente en nous avec la raison et les annees !

B. L'homme a une revelalion de la malice du peche dans la honte et le remords qu'il ressent d'abord, aussitot qifil a commis sa mauvaise aclion ; ensuite, quand il doit confesser et avouer son peche ou qif il craint de le voir decouvert par les hoinmes. De la nous ponvons conclure ce que Dieu a vu le pre- mier dans le peche el ce qif il y voit encore.

G. Gombien il esl revoltant d'avoir sous les yeux un homme inulile, un homme de rien qui fait limportant, qui eleve tres baut ses pretentions et qui se comporte avec arrogance ! Ce if est pas la lexemple que nous donnent les Anges : plus ils sont «leves et puissants, pltis ils sont humbles el soumis a Dieu.

'/, MLDITATIOX SIR L'BNF£R (Cf. Cammeniaire des Exercices, p. S4, 5.

I. Souffrances de VEnfer.

A. Ge que les yeux voient en enfer. Avant tout, on voit du feuet des tlammes : commeil est effrayant de regarder une ville en feu, une foret el une montagne en flammes, de voirluul un monde habile devenir un brasier ! Ici ce ne sont que colonnes de flammes, tourbillons de feu : spectacle horrible, epouvantable el rendu encore plus effroyable a cause de la nature et de la viva- cile toute mysterieuse de ce feu etde ces flammes. Ces brasiers sonl allumes et attises par la colere de Dieu ; ils lourmenlenl suivant qifon l'a merite et ils terrifient en meme temps par les lueurs affreuses qifils projeltent.

Les veux voient aussi les ames des clamnes, ces viclimes de la

238 PREMIERE SEMAINE

juslice divine ; ils les voienl dans toute leur laideur, leur repro- bation, leur desespoir, leur trouble, leur horreur. Ils les voienl, sur ce cliamp immense de carnage et de mort, en nombreinfini ensevelies dans leurs corps, comme dans des cages de feu. Un autre supplice pour les yeux est la presence des mauvais esprits, donl la ferocite, Tinsolence et la malfaisance passent tout ce qiron peut imaginer.

B. Les oreilles entendent des lamenlalions sur la perle d'un grand bien, sur la realite d'une grande infortune ; et l'on sait quelle est celle perle el quelle est cette inlorlune des damnes ! Ges plainles viennent de toule une mullitude d'etres qui ont tout perdu et qui se sonl perdus eux-memes. Ce sont encore des cris, des clameurs, des soupirs, des gemissements et comme des rugissements, causes par 1'exces des douleurs. Tout ce que nous pouvons entendre ou concevoir ici-bas traffligeanl pour le sens de l'oui"e esl, pour ainsi dire, mulliplie en enfer par le nombre incalculable des reprouves qui se lamenlent, et augmente, d'une maniere exlraordinaire, par les hurlements resullanl de l'liorreur et de la duree de leurs supplices !

Des cris de delresse s'echappent des levres de multitudes diiommes qui sont au desespoir el dans la plus extreme neces- sile. Ges cris sont si puissanls qifils pourraient ebranler et renverser les porles de 1'enfer, mais toul ce bruil se perd, et personneau deliors ne lentend. Enfin, l'air retentit des blas- phemes, des malediclions, des imprecalions des damnes contre le Cbrisl el ses Sainls et contre toul. El en cela se montrent principalement la fureur insensee, la mechancete et la haine diaboliques, dont le coeur el 1'espril des damnes sont remplis. Mais personne ne daigne faire altention a eux, personne ne les crainl. Ils sonl le rebut de lacrealion.

G. L'odorat esl afllige par des choses qui provoquenl le degoiil, ainsi que la sainle Ecriture le dil (Is., 34, 3; Apoc, 14, 11).

Que sera-ce alors de notredelicalesse, et comment pourrons- nous supporier de pareilles epreuves ? II y aura encore le lour- ment de 1'odeur du soufre, celui de Tangoisse de la sulTocation, mais sans etre etoufle.

MEDITATION SLR L'ENFER ~2'A9

D. Ce que l'on goute en enfer. Lesdamneseprouvent avant tout un faim infinie de la justice, faim qui est excitee et entre- tenue par leur desir nalurel du bonheur et par la violence de leurs passions. Les reprouves sont dans une tristesse, un abandon,un enniii indicibles ; et enlin ils goiitent et seutent les amertunies du regret, des remords de leur conscience et de la perle de Dieu. Peccalor videbil et irascetur, dentibus suis fre- met et labescet Ps. 111, 10).

E. Le supplice du Loucher esl le feu, par consequent une douleur penetrante, brulante et cuisante. L'n seul membre, un doigl, tourmente par le feu, peut rendre malheureux riiomme tout enlier. Les damnes sont ensevelis dans le feu : le feu les environne comme un linceul et les penetre a la maniere d'un corrosif ; il les lorture et les brule, sans les consumer, et cela sans fin, pendant toute 1'eternite ! Donc le reprouve est mallieu- reux, complelement mallieureux, absolument perdu et pour lou- jours. Ne faudrait-il pas mieux nelre pas ne que de mener une pareille existence. que de prolonger une telle morl ?

II. Conclusipns.

A. La premiere conclusion a laquelle nous ameue saint Ignace esl la reconnaissance. II n'y a pas de plus grand mallieur que celui d'etre damne et par suile il nest pas de plus grand bonheur que celui d'etre preserve de ladamnation. Ce bonheur, nous en sommes redevables au Sauveur, qtii esl le cenlre de toute la creation et de tout salut, qui est le Mailre de nos jours et le Juge des vivants et des morls. Eu dehors de lui tout va a la ruine; mais parlui tout est sauve. Pour mieuK nous faire recon- naitre comment nous devons au Sauveur la preservation de l'en- fer, saint Ignace met sous nos yeux la foule des damnes, quil divise en trois classes : ceux qui ont vecu avant, pendant et apres Jesus-Christ ; ensuite il fait enlrer dans chacune de ces trois classes lous les reprouves, soit quils naient pas cru en Jesus-Christ, soit qu'ayant cru ils n^aienl pas vecu d'apres leur croyance. II nous faut considerer ici commenl le Seigneur n'a pas permis. par sa ^race et par son aimable Providence, que

240 PREMIERE SEMAINE

nous appartenions a 1'une de ces classes el n'a pas voulu nous enlever la vie ; il nous faut reconnaitre sa bonte el sa longani- mite envers nous,dans tout le cours de notre exislence, surtout apres lant de raarques dingratitude et tant de peches de notre part !

B. Get araour misericordieux de Uieu a notre egard est de nouveau pour nous un motif touchanl de nous repentir encore une fois, de toul coeur, de tous nos peches.

C. Mais la conclusion parliculiere et speciale decette medi- talion doit etre le ferme propos de ne plus faire aucun peche grave : c'est d'ailleurs le but que poursuit saint Ignace en nous faisant considerer et le malheur epouvantable de la chute en «nfer et la misericorde de Dieu envers nous.

MEDITATIONS SUPPLEMEXTAIRES SUR LE PECHE ET L'ENFER (Cf. Commbntaire des Exercices, p. 55, »i.

a) NATDRE ET EKFETS DU PECHE MORTEL EN GENERAL

I. Walure du pechc mortel ou le peche mortel en iatil

quacle.

Le peche grave esl la transgression volontaire d'un precepte grave, par amour pour un bien cree, transgression qui nous fail raanquer notre fin eternelle, si nous niourons dans relat du peche niortel. Trois eleraentsconstiluent donc 1'essence -de ce peche.

A. Premierement, le peche raortel est une transgression du comraandement de Dieu : par consequent, il repugne non seulement a nolre nalure et a notre raison, mais encore il con- Iredil de fait Dieu, il est la violation de son commanderaent.

mi:d. suppl. : nature et effets du peche mortel

Or, corame transgression clu precepte divin, le peche est, ifabord, en opposition avec la sagesse de Dieu, Legislateur. Dieu doit donner a chaque etre une fin et la direction pour 1'alteindre ; la direction est son coramandement. Sans les com- mandements, lhomme ne peut vivre ni seul ni en societe avec les aulres : les commandements sont les bases du bien el du bonheur perseverants de 1'huraanite. Dans la vie civile, une infraction grave a certaines de ces lois nous couterait la tete. Dou il suit que le peche est un manque d'intelligence, un non- sens.

De plus, le peche, corame transgression de la loi de Dieu,est en opposition avec la supreme auiorite de Dieu. Dieu est notre Maitre et peul nous donner des ordres auxquels nous sommes obliges d'obeir. Mais l'homme pecheur agil contre ces ordres pour suivre ses passions. Nous nousindignons quand nos subor- donnes resistenl a nolre autorite legilime; pourquoi Dieu ne le ferait-il pas? Le peehe est donc une desobeissance el une revolte.

Knfin, le peche, comme transgression du precepte divin, esl une opposition insolente et tneprisante a \&justice vengeresse de Dieu. Toute loi doit avoir une sanction ; la loi divine a la sienne, et une lerrible. Xous la connaissons et, nialgre cela, nous violons celle loi el nous portons, pour ainsi dire, un clefi a la justice cle Dieu : c'est, de notre parl, mepriser celle jus- iice, nepas lui rendre l'honneur qu'elle merile. Et qui soraraes- nous donc pour oser le faire? des elres pauvres et fragiles, qui tremblons a la seule vue d'un homme irrite ! Le peche n'est-il pas, d'apres cela, une insolence revollanle?

B. Deuxiemement, le peche grave est un araour desor- donne d'un bien cree. On ne peut coraprendre le peche, quel <\i\"\\ soit, sans un tel amour. Get araour est desordonne, parce quil est defendu par Dieu. Comme telle, celte alfeclion pour la creature est, en premier lieu, une erreur de 1'esprit pratique, nne sorte de demence, atlendu que l'homme se laisse lellemenl prendre par la creature jusqua penser qifelle lui est absolu- ment necessaire et qu'il ne peut ni etre ni vivre heureux sans •elle.La consequence montre combien grand est son aveugleraenl.

242 PREMIERE SEMAINE

En second lieu, cette altache dereglee a la crealure est une faiblesse indigne de nolre volonte, une dependance servile. tin avilissement el une prostilution de nous-memes. Nous devons mettre a notre niveau ou au-dessous de nous, jamais au-dessus, toutes les creatures qui nous sont egales ou inferieures.

En troisieme lieu, cet amour pour la creature est une ingra- tilude envers Dieu, qui nous donne les creatures seulemenl pour le servir et non pour nous en servir contre lui. Nous lui montrons raeme la une' multiple ingratitude : nous oublions le bien qu'il nous a fait ; nous lui rendons le mal pour le bien ; nous abusons du bien de Dieu pour offenser Dieu ; nous en abusons enfin dans 1'esperance qu'il ne nous punira pas.Si nous savions devoir etre punis aussitot, nous ne pecherions pas.

G. Troisiemement, le peche mortel nous detourne com- pletement de notre derniere fin : cest ce qu'il y a de pire dans ce peche. Dieu defend la jouissance d'un bien temporel sous peine d'exclusion eternelle du ciel. L'homme sail quil n'esl pas. le maitre de ses jours ni de la grace, sans laquelle il lui est im- possible de se convertir ou de rester 1'ami de Dieu ; or, malgre- cela, il se tourne vers la creature, il etend la main pour prendre le fruit defendu. En cela, il y a un double desordre :

Premierement, nous avons lii une action conlraire i\ la druite raison et a la saine morale. Qu'est-ce pour nous faire une oeuvre morale, si ce nest agir de facon a atteindre notre fin derniere? Maintenanl cette fin est absolument necessaire a l'homme ; sans elle, il serait le plus miserable et le plus malheureux des etres. Or, le pecheur se detourne de cette fin, il y renonce et se met dans un etat ou il ne peut plus de lui-raeme latleindre. Ainsi^ il annihile, autant que possible, le but de son existence, se rend incapable d'y arriver, il se condamne a 1'enfer ; n'est-ce pas la commettre un veritable suicide spirituel et exercer une cruaute inouie envers lui-meme ?

Deuxiemement, en se detournant volontairement de Dieu, sa fin derniere, l'homrae fait de Dieu, le souverain bien, 1'objet de son profond niepris. Dans tout peche raortel, il y a un choix fait entre un bien cree et Dieu ou la possession de Dieu. L'horame le sait, renonce, selon son pouvoir, a Dieu et au ciel

MED. SUPPL. : NATURE ET EFFETS Dl PECIIE MORTEL 243

pour loujours et prehd a la place un bien cree. Vesl-ce pas, en verite, une injustice criante et un mepris souverain de la Ma- jeste divine et du Bien infini ? Et quels sonl les biens que l'on prefere a Dieu? Si loubli el le mepris des autres nous causent tant de peine, jugeons de lindignile de nolre conduile a 1'egard de Dieu que nous offensons? II y a, de plus, dans cette pre- ference que nous avons pour la creature, une haine implicite contre Dieu ; car lhomme, en pechant, prive, au moins par sa volonte, Dieu de son titre divin de Fin derniere de toutes les creatures : c'est une altaque ii ce qu'il y a de plus inlime en Dieu, cest de 1'inirnitie contre lui. Quelle meehancete et quelle malice se trouvent par consequent dans un peche morlel ! Heu- reusement, les hommes ne le comprennent qu'imparfaitement, el cette ignorance diminue leur responsabilite et par suite leur mechancete, mais ne change pas la nalure ou le caractere par- ticulier de celle-ci.

II. Effets du peche mortel. Le peche mortelen lant qu'etat.

L'etat du peche morlel a surtout qualre elfets funestes : A. Le premier ellet est la laideur et le desordre moral. Plus un etre a ete eleve et noble, plus sa corruption el sa per- version sont horribles : on le constate facilement en comparant entre eux des etres de perfeclion differente qui se desagregent ou se corrompent, comme la pierre, le bois, la plante, lanimal et 1'homme. Or, ceci est vrai a plus forte raison quand il s'agit de 1'auie : le peche fail en elle la lache la plus deshonorante et la plus alfreuse qui puisse exister.

B. Le second elfet esl la preponderance et la tyiannie des passions. Quel triste spectacle que celui de cet homme, si noble, dont le peche a dechaine une honteuse passion ; il en est absolument la victime : elle le inene, elle le traine, elle le foule aux pieds, elle 1'abaisse el 1'humilie aux yeux de Dieu et des hommes. Quelle ignominie de ne se relever que pour retomber perpeluellement et d'etre comme attache et rive a cette infame passion !

244 PRKMIKRE SEMAINE

C. Le troisieme effet est le loiirraent et la peine. Nous croyons trouver le bonlieur el le ciel dans un bien cree, etnous n'y trouvons que desenchantement, bonte, satiete et degout. Ajoulons a cela les remords de la conscience, laquelle, au lieu d'elre une amie et une conseillere, devient une accusatrice, un juge, un bourreau, qui nous poursuit sans relache et trouble toutes nos joies. LThomme qui a un peche sur la conscience, ressemble au malheureux poisson qui a avale Thamecon avec 1'appal : plus il sWorce de se defaire de riiamecon, plus celui- ci s'enfonce dans ses entrailles et lui cause de douleurs. 11 ne reste,a la fin,au pecheur, que la ressourceou de mener une vie tout exterieure, dissipee, sensuelle, irreflechie et deraisonnable, ou de subir sans cesse la torture de sa conscience.

D. Le qualrieme effet est le danger de se perdre eternelle- ment. A tout instant la morl peulvenir;le pecheur est suspendu comme par un cheveu au-dessus de fabirae : cetle situalion est effrayante pour celui qui y pense.

Scito et vide, quia malum el amarum est reliquisse te Dominnm Deum luum (Jer., 2, 19) : Ce ne sonl la que des consi- deralions generales sur le peche et ses consequencesnaturelles; pourlant elles suffisent pour epouvanter. Et c'est bien encore mainlenant le momenl de nous rendre parfaitement corapte du malheur el du mal naturels du peche et de les avoir sans cesse presents ;i Tesprit, comme raotifs et comme raoyens de preser- vation du peche, afin de nous confirmer toujours davantage dans la haine profonde que nous lui portons et que nous lui devons. Avant tout, rappelons-nous que le peche est absolumenl inu- tile et que, pour ne pas nous perdre a tout jamais, il nous faut rebrousser chemin. Ensuite, voyons le malheur et la deception qui se trouventdans le peche : a peine ravons-nous commisque nous le regrettons. Ajoutons, de plus, les embarras terribles ou il nous a mis pour le lemps et pour relernile, le danger affreux de la damnalion elernelle. Ertfra, considerons, de nolre cole, 1'absurdile de notre conduite, nolre ingralitude, laveuglement et 1'erreur de notre inlelligence, la faiblesse honleuse de notre volonte, notre folie et notre perlidie : voila ce qifil y a dans chaque peche grave. II est impossible, en effet, de trouver plus

MEDIT. SLPPLEM. I PECHE MORTEL Dl CHRETIEN 245

d'absence de conscience et de manque de caraclere, plus de folie et d'ingralitude que dans le peche mortel.

bj LE PECHE MORTEL CONSIDERE AU POINT DE VUE SURNATUREL LE PECHE MORTEL DU CHRETIEN

I. Nature de Vetat surnaturel de la grdce.

A. En general, lelat surnaturel est une elevation loute gratuite de la nature creee a une vie a laquelle par elle-meme elle n'a aucun droit, qui ne lui esl pas necessaire, et dont elle n'a meme pas la notion.

B. En parliculier, 1'etat surnalurel consisle dans 1'elevation de notre elre jusqu'a runion de vie avec Dieu, jusqifa runion de vie telle qu'elle existe dans les trois Personnes divines. Le but ou le terme de cette vie surnalurelle est la vision reelle, immediale de Dieu, des Personnes divines, et la possession bienheureuse de Dieu. Les moyens d'alteindre celte lin et de nous y disposer sont la grace sanctifiante, toutes les verlus el tous les dons de FEsprit-Saint, par lesquels riiomme des ici-bas est mis en etat de connaitre Dieu surnaturellement, de 1'aimer et de se preparer au ciel. Ainsi, la grace sanclifiante pose en nous reellement la base de 1'habitation de la Tres Sainte Trinile.

C. L'homme en etal de gnice est donc meme en ce monde Timage surnaturelle de Dieu et de la Trinite; il est 1'enfant de Dieu, le frere et le membre myslique de Jesus-Chrisl, Fils de Dieu, et devient le temple vivant du Saint-Espril.

II. Le peche du Chretien, en tan.t quacle.

A. La desobeissance a Dieu, ringratitude envers lui, lin- jure et 1'offense de sa Majeste atteignent dans le Chretien pecheur un haut degre, parce que le Chretien n'est pour Dieu ni un etranger ni un serviteur, mais un etre qui lui est proche, qui lui est parliculierement cher, un veritable enfanl.

246 PREMIERE SEMAINE

B. A cause de 1'uhion intime avec les Personnes divines (jue produit en tout Chretien la grace sanctifiante, le peche du Chretien revet un caractere tout special d'offense et d'outrage personnels envers Dieu. II brise cetle union, en meme lemps qu'i'1 lui fait perdre son droit a Tunion avec Dieu au ciel, et son caraclere d'enfant de Dieu ; il deshonore le membre du corps du Christ, et chasse ignominieusement le Sainl-Espril de son tem- ple. Dans rAncien Testament, Dieu se plaignait deja ameremenl de celte injure : Filios enutrivi et exaltnvi : ipsi aulem spreve- runl me (Is., 1, 2 .

III. Le pechp du Chretien, en tant quetat ses <>/fets).

A. En general, Felfet du peche mortel en nous consiste dans une cliule epouvanlable et une triste humilialion. Le Chre- tien s'abaisse meme bien au-dessous de 1'etat de nature ; non seulemenl il perd la justice surnaturelle, mais il en arrive a un elat elTrayanl de desordrt1, de confusion, de difformite et de lai- deur, pendant que, de la parl de Dieu, il y a, comme conlre- coup de roflense qui lui est faite. non seulement eloignement, mais encore inimitie posilive.

B. En parliculier, Tetat du peche morlel consiste dans une Iriple malediction de Dieu.

La premiere malediclion est la plus triste pauvrele. Dieu se relire et enleve au Chrelien qui peche la grace sanctifiante et avec elle la beaule, la richesse et la dignite de la vie surnalu- relle. Celte vie esl aneantie absolument et, sauf la foi et 1'espe- rance, il n'en reste pas le moindre indire ; toul merite a disparu et rhomme ifest plus en etal d'en acquerir de nouveau. II perd son Dieu el son souverain Bien. Le peche est la plus effrayanlr excommunicalion. Le pecheur n'a plus en Dieu ni un Pere ni un Ami ; Dieu est desormais pour lui un ennemi et un juge irrite. Lui-meme offre le spectacle d"un ^tre dans la desolation et le desordre complels, du mendiant le plus necessiteux : il est comme un arbre fendu de haut en bas et desseche jusque dans ses racines, ou encore comme le proprielaire a qui le feu, la

MED. SUPP. I PECHE M0KTEL DU RELIGIEUX ET Dl PRETRE 247

grele et 1'eau ont toul detruit et enleve. II esl mort surnaturel- lement ; il n'est plus qu'un cadavre vivant (Apoc, 3, 1;.

La seconde malediction du peche consiste dans le plus igno- minieux esclavage : non seulement nous sommes devenus les esclaves de nos passions, mais le demon s'esl en quelque facon empare de nous. Quand 1'Espril-Saint se retire, il laisse la place a Salan, qui se hate d'en profiler, prenant possession de notre ame el exercanl de nouveau la lyrannie epouvanlable el deso- lantedonl le Chrisl nous a delivres : Qui facit peccatum, servus est peccati (Is., 8, 34). Vos ex palre diabolo estis (Is., 8, 44 . Qui facit peccalum, er diubolo est (I Is., 3. 8). Gombien il esl plus lionorable el meilleur d'avoir Dieu pour Maitre et pour Pere !

La troisieme malediclion que nous fait encourir le peche mortel, est limpossibilile de changer par nous-memes 1'etat ou il nous a mis ; en d'aulres termes, cest rimmutabilite de ce triste etal. Si vous vous arrache/. un oeil, vons ne pouvez le remellre; si vous vous jetez dans un abime, vous ne pouvez pas vous en relirer : vous ne pouvez pas davantage, par vos propres forces, vous relever de la chule du peche. Si Dieu le premier ne vous tend pas la main ou ne s'approche pas de vous, vous etes perdu ; a loiit instant vous pouvez entendre la parole de la malediclion elernelle. Cesl ici surlout qiTil est vrai de dire : Scilo et vide quxa maluin ol amarum est reliquisse te Dominum Deum tuum (Jek., 2, 19).

LE PECHE MORTEL DU RELIGIEl X ET DU PRETRE

I. La possibilile de ce peche.

A. La raison et la foi d'abord nous convainquent de la possibilile de ce peche du Religieux ou du Pretre. U y a deux ^auses qui cooperenta nous preserver du peche mortel : c'est la gntce et c'est notre volonte. Or la grace efficace, qui nous garde effectivement du peche mortel, est un bienfait particulier de Dieu ; a parler strictemenl, nous n'avons pas droil a celte grace

248 PREMIERE SEMAINE

et meme nous ne pouvons la meriter. II nous faul la demander a Dieu. Quanl a notre volonte, qu'elle est variable et incon- stante! Nous-memes souvent nous ne comprenons pas combien nous sommes faibles. De plus, le monde nous entoure de ses. dangers ; en nous se trouvent des passions mauvaises et perfides ; le malin espril nous poursuit partout afin de nous perdre. II en veul surtout aux Pretres et aux Religieux : sa colere contre eux est grande ; il n'a pas d'autre intention que de les faire passer par le crible comme du froment (Luc, 22, 31).

B. Ensuite 1'experience apprend assez que le Religieux et le Prelre sont capables de pecber. Quelle creature raisonnable n'a jamais failli ! Les Anges, Adam et Eve, David et Salomon, Pierre et Judas, des communautes, des Ordres, des peuples entiers ont peche ! Le peche est donc possible dans les rangs de la bierarchie sacree : Tetat religieux ou sacerdotal n^enleve pas la possibilite du pecbe ; elle ne fail que Teloigner, la rendre plus difficile ou moins realisable.

II. Gravite de ce peche.

A. La gravile du peche du Religieux ou du Prelre appa- rait dans son peche raeme.

Premierement, ce peche esl mauvais a cause du devoir spe- cial qu'ont le Pretre et le Religieux de tendre a la perfectioiu Ce devoir est le premier du Religieux : il doit garder non seule- ment les comraandements, mais encore les conseils; et cerles il y a ainsi un champ assez vaste ouvert au peche mortel ! De plus, il resulte du caractere sacre dont le Pretre et le Religieux sonl marques, que mainls pecbes sont pour eux des sacrileges.

Deuxiemement, le peche du Pretre ou du Religieux emprunte une malice particuliere aux lumieres et aux connaissances qu'ils possedent. Le Pretre et le Religieux ne peuvent, comme les mondains, alleguer Texcuse de leur ignorance. L'un et Tautre onl eu assez d'occasions de penser a ce qu'ils faisaient; en tout cas, c'elait leur premiere obligation d'y reflecbir ; peut-etre meme, ont-ils parle avec force conlre le peche dans leurs pre-

MED. SUPP. : PECHE MORTEL DU RELIGIEUX ET DU PRETRE 249

dications ou leurs instriictions... Sous ce second rapport, leur peche a de la ressemblance avec celui des Anges.

Troisiemement, ce peche est affreux a cause de ringfatitude qu'il temoigne. Dieu a deja pardonne a ce Pretre et a ce Reli- gieux les peches de leur vie passee el les a combles de bienfails naturels el surnaturels sans nombre. Quel abus de graces incal- culables n'ont-ils pas du faire pour en arriver a un peche mor- lel ! Une chute si profonde est incoraprehensible sans une tiedeur tr.es grande et inveteree. Avec quelle facilite pourtant ils pouvaient 1'eviter ! Un mol a leur Superieur suffisait ; mais ils ne voulurent pas se resoudre a le dire... iNous avons la uue aulre ressemblance avec le peche de nos premiers parents.

Quatriemement, ce qui monlre la malignite du peche du Pretre ou du Religieux est la durele de coeur, 1'hypocrisie et la temerite qui raccompagnent. Geux qui le commettent habitent dans la maison de Dieu et a quelques pas du saint Tabernacle ; ils portenl 1'habit ecclesiastique ou religieux ; ils sont par elat voues a la perfection chretienne; ils se laissent baiser la main, appeler « Peres » et « Reverences » ; ils raarchent sous les yeux du Sauveur; et, raalgre tout cela, ils ont Satan dans leur cceur ! Ne font-ils pas ainsi penser a Judas? Vrairaent, il ify a qu'un coeur dur, qii'ime arae noire, capables d'agir de la sorte et de continuer a vivre dans 1'etat du peche raortel : de lels hommes ne sont-ilspas, pour parler avec franchise, les plus grands sce- lerats que la lerre puisse porler?

B. La gravite de leur peche ressort aussi des resultats ou des fruits qu'il produit. D'abord,considerons-les dans lepecheur lui-meme. Dans quel etal peul bien etre son cceur? Quel vide, et quel malheur de vivre la ou tout lui i'appelle sa faute, la con- damne el raugmente ! De plus, une inalediclion particuliere du peche du Religieux et du Prelre consiste dans une sorle de pro- pagalion el de multiplication epouvanlables : son peche devienl legion a cause des frequenles occasions ou il se trouve de le renouveler, a cause des uoinbreux devoirs quil neglige, a cause des cas reserves el des censures qifil encourt. Aura-t-on lecou- rage de se soumettre a ces pimitions et aux exigences qui ei> resultent? Cesl de cetle maniere quuii enorme monceau de

250 PREMIKRE SEMAINE

peches ou de bois d'enfer peut s'accumuler dans le cceur d'un Prelre ou d'un Religieux!

Ensuite, voyons les tristes consequences du peche du Pretre ou du Religieux pour TEglise et pour 1'Ordre auquel ils appar- tiennent. Assurement, un tel homme ne peut que nuire aux aulres en etendant, aulour de lui, 1'atmosphere de tiedeur et de mal ou il esl lui-meme ; il prive son Ordre de la grace et de la prolection de Dieu ; et, enfin, il fait ce qifil peut pour le cou- vrir de honte et d'ignominie. Est-ce que son Ordre ou sa Gon- gregation onl merite un pareil outrage?... L'Eglise perd une force dans le Pretre ou le Religieux pecheur. Que fera-t-il, en effet, pour le Royaume du Ghrist, pour les ames et pour la gloire de Dieu? Que pourra-t-il conlre le royaume de Satan el contre le monde, lui qui est Tesclave de Satan, vinctus diaboli'.' Qui a cause plus de lort a 1'Eglise que les Moines oulesPretres aposlals?

Donc, plus jamais de peche mortel ! Si vous voulez savoir ce que c'est qu'un peche morlel, inlerrogez les Saints, interrogez lous les nobles coeurs de la milice du Ghrist, les solilaires, les martyrs, etc... Leurs sacrifices el leurs soultrances, voila leur reponse. Que disent-ils et que crient-ils tous d'une voix?Plulol tout endurer que de commettre un peche mortel ! G'est ainsi que pensent toutes ces nobles ames ; nous, Pretres et Religieux, ne devons-nous pas avoir les memes sentiments? Interrogez votre propre cceur. Que dit-il tle la faiblesse, de la folie, de 1'infortune, cle l'inutilite, du danger, de l'infidelile, de 1'ingrati- tude et de la lachete qui se trouvent dans le peche ? Interro- gez Dieu, les Anges dechus, nos premiers parenls, l'ignominie et le malheur du monde pecheur. Comparez 1'ordre acluel avec 1'etat originel du paradis terrestre. Interrogez enfin la Groix de Jesus..., 1'Ordre dont vous faites partie... Est-ce que le peche mortel peut s'approcher d'un de ses fils? trouver en l'un d'eux meme la moindre place ? Cesl mainlenant plus que jamais qu'il faut repondre : « La garde meurt et ne se rend pas. » Oii faul-il donc chercher cette haine du peche si ce n'est dansla Gompagniede Jesus?Par consequent, resler fideles jus- qn'a la mort, telle doit etre nolre resolution a tous.

MED. SIPP. : ACHEMINEMENTS VERS LE PECHE' MORTEL 231

€) ACHEMINKMENTS \ KfiS LK PECHE MORTEL ET MOYENS DE NOUS

KN KLOIGNER

Qu*est-ce qui peul.dans la Religion, noiis conduire an peclie grave ?

I. Ce qui ne nous conduit pas aupeche-.

Ge qui par soi nous conduil au peche n'est ni notre etat ni ses dangers, si nous ne nous y exposons pas sans necessite, mais seulement par obeissance, en gardant la prudence conve- nable. Ge ne sonl pas non plus ni notre temperament, ni notre caraclere, ni nos dispositions naturelles, ni meme nos tentations qui nous menent necessairement au peche. Mille autres ont les memes tentations que nous et, avec cela, un caractere plus difficile et des inclinations plns dangereuses que les notres, qui neanmoins se sanclifient eux-memes et sanctifient les autres, laisant ainsi honneur a leur vocation. Donc le mal n'est pas la, et il ne faut pas 1'imputer a ce qui en soi ne le merite aucunement.

II. Ce qui nOus conduit au peche.

A. Avant tout, c'esl le manque de fondement solide dans la vie spirituelle. Ge fondement, qui doit etre pose pendant le noviciat, a trois parties : la premiere consiste dans la crainte et dans l'amour de Dieu ; nous devons, a proprement parler, ne craindre el n'aimer que Dieu. La seconde partie esl le mepris du monde, mepris resultanlde la conviction qull est vain, mau- vais et mechant, qu'il ne peut nous rendre veritablement heu- reux el qu'il nous mene surement au peche. La troisieme partie de la base de nolre vie spirituelle est 1'intime persuasion de la grande necessite que nous avons de la discipline, de la morti- fication et de Tabnegation, pour ecbapper au\ dangers et pour faire un bien serieux.

B. Ge qui nous mene au peche est ensuile la negligence de la priere : quand. par exemple, Iheoriquement parlant, nous

252 PREMIERE SEMAINE

ne somraes plus convainciis de rexcellence, de la necessite et de 1'efficacile de la priere, et quand, en pralique, nous ne prions plus, ou nous prions mal, ou avec tiedeur. Voila la preraiere voie d'eau ouverte au navire qui s'appelle notre ame, et c'est aussi le commenceraent de notre ruine ; car alors nous man- quons de serieux, de lumiere et de force, et aussi de la protec- tion si necessaire de Dieu.

G. Enfin el d'une raaniere particuliere, nous sommes exposes au peche par le manque d'abnegation el de raortifica- tion, soit du c6te de 1'esprit, par Yorgueil, soit du cote du corps, par la sensualite.

Relativement a Yorgueil, il nous est surtout fatal d'avoir une certaine confiance presomptueuse et une estiine exageree de nous-memes, qui nous persuadent, pour ainsi dire, de notre impeccabilite. En principe, nous devons, d'abord, nous con- vaincre du contraire, grace a celte verite deja connue qu'un peclie grave nous est toujours possible et, ensuite, graver bien dans notre esprit el retenir la maxime fondamentale et generale que nous sommes capables de tout. Ni l'age, ni la sagesse, ni la saintele ne nous garantissent absolument delafolie du peclie. II n'y a de cerlitude que dans l'eternite. Cette fausse assurance et celte negligence seraient le premier pas vers notre perte. Pour la pratique, il nous faul rester dans l'humilite et la defiance de nous-memes, en evilant les dangers qui ne sont pas neces- saires.

La sensualile se presente sous differenls aspects. Tantot c'est une sorte de legerete qui ne nous fait rien prendre et accomplir serieuseraent, qui joue et badine avec tout : la con- sequence esl le raanque de force ou d'energie dans les difficul- tes. Tantot c'est une certaine superficialile qui nous fait passer le teraps a nous occuper d'afl'aires et de travaux exle- rieurs, sans jamais ou presque jamais nous recueillir pour prier el pour entretenir notre vie interieure : c'est une sorte de devergondance et une deperdition de forces deplorable. La sensualile peut aussi consister dans la paresse ou dans 1'amour des aises, quand on ne veut supporter aucune incommodite ; ou encore dans la curiosile indiscrete des sens, quand on veut tout

MEDIT. SLPPLEM. '. l'ENFER 253

voir, lout entendre, tout lire et lont savoir ; ou enlin dans la licence eftYenee de 1'imagination et dans les altaches du coeur, quand on ne peut vivre sans certains amis et qifon entretient partout des amities particulieres. En tout cela, nous devons nous faire violence, ne pas nous laisser aller, prendre et suivre fidelement le principe de ne rien faire sans un motif raison- nable et serieux. Jamais il ne faut se demander s"il y a la peche grave ou leger, ni meme s'il y a peche ou non. Ge qui doit decider alors est ceci : ai-je une raison serieuse et convenable <fagir? Voila le principe fondamental du salut et de la perfec- tion.

Telles sont les voies qui conduisent au peche, et prendre les voies opposees est le moyen d'eviter le peche. Saint Francois de Sales ajoute un autre moyen : « Gardez-vous du premier peche, el vous n'en commettrez pas un second. » En eftet, cette conscience de son innocence est un puissant moyen pour se preserver du peche. Une fois tombe, qif il est facile de retomber encore !

Analyse de ces Meditations supplementaires.

1. L/etat du peche mortel a peut-etre ete le mien, et c'est un mauvais etat : nous en avons les preuves dans les medila- tions sur la nature du peche, considere naturellement et surna- turellement.

2. Get elat peut toujours devenir mon etat, alors il devient toujours pire : Ia meditation sur le peche du Religieux le montre.

3. Ge qui peul, meme dans les Ordres ecclesiastiques ou religieux, me mener au peche : voies du peche.

d) l'enfkk I. Existence de 1'enfer.

Par lenfer on comprend un lieu de punition qui se trouve dans reternite et oii le peche grave, non pardonne, recoit un

254 PREMIERE SEMAINE

ehatimenl sans fni. Deux verites sont renfermees dans celte deiinition :

A. II y a un chatimenl dans reternite. Tout lf est pas uni avec celte vie. La raison d'abord nous le dit avec certitude. Aucun heretique ne l'a nie ; les hereliques ont besoin eux aussi de lenfer pour avoir de rautorite et des partisans. Les libres penseurs, en entendant parler de 1'enfer, ricanent, mais ils ne lnettenl pas d'autre verite a la place de celle-la. L'enfer est precisement un mal necessaire ; tout le monde en a besoin, par- ticulierement les Souverains et Dieu lui-meme. En effet, pour gouverner il faut des lois, et il if y a pas de loi possible sans une sanction. La loi doit sorlir de la tete, du cerveau du legislaleur, armee du glaive et de la hache ; autremenl elle ne serait pour les hommes qu'un vain epouvantail. Mais pourquoi lapunition de Tenfer? Dieu punit le pecheur deja ici-bas par les remords et les angoisses de la conscience ; mais cela ne suffil pas : a la fin on if enlend plus les cris de la conscience, et le coeur s'endurcit. Sur la terre Dieu permet beaucoup de choses; il lfy a que les crimes enormes qifil fait punir par la juslice temporelle. Or que peut cette justice? Ceux qui la rendent sont souvent des hommes indignes, qui merileraient la potence, et qui parfois ont la hardiesse de braver Dieu meme en face... Mais qifarrivera- l-il donc a la fin? Est-ce que tout finira par une apotheose de la sceleratesse, comme dans Faust? Cest impossible. L'ordre raisonnable et moral du monde, bouleverse par les pecheurs, reclame necessairement dans felernite une compensation de peines el la reparation du desordre qui a ete fait sur la terre.

B. Les peines de 1'enfer sont eternelles, sans fin. La foi nous en donne 1'absolue certilude : In ignem xlernum, voila la sen- tence du jugement (Matth., 25, 41), a laquelle s'ajoule le codi- cille de la merne verite, repetee trois fois successivement dans 1'Evangile de saint Marc (9, 43. 45. 47) : « La ou le ver ne meurt point et oii le feu ne s'eteint point. » Le chatiment est donc eternel et sans fin. La meme decision de feternite des peines de 1'enfer a ete donnee encore par le tribunal supreme ou les lois sont defmies et expliquees, par un concile general, celuv de Florence.

MEDIT. SUPPLEM. : I/eNFER ^55

La raison, eclairee par la foi, ne peul que conlirrner ce que nous venons de dire. La notion de la fin derniere exige a priori une invariabilite, une immiilabilite d'elat. Le plus grand crime peul et doit recevoir le plus grand chatiment, et ce chatiinent peut et doit durer aussi longtemps qu'il n'y a pas damelioration ; or personne ne se corrige dans reternite, quand il n'y a plus de grace. D'ailleurs loute aulre punition que fenfer eternel ne pourrait guere retenir riiomme passionne ; du moins elle seule peut en toul cas produire sur lous rimpression convenable. « Mais pourquoi Dieu punit-il aussi longtemps ? » La longueur du chatiment n'est pas, par elle-meme, une raison pour faire cesser la peine ; il ne s'agit pas de considerer ici la duree de la punition, mais la gravile du crime ; 1'Etat inflige bien aussi a sa maniere un chatiment eternel par la condamnation d'un homme a la mort. « Mais punir avec lant de severite? » Dieu ne veut pas ce chaliment ; le pecheur ne recoil que ce qu'il a voulu : cest le peche qui a fait 1'enfer. « Pourquoi ne pas aneanlir le pecheur ? » Dieu n'annihile rien ; pourquoi aneantirail-il le damne? « Dieu n'est-il pas bon et misericordieux ? » Mais il est jusle. Sa bonte ne le rendra pas menleur. II fut bon et mise- ricordieux au-dela de toute mesure. Mais il ne faut pas opposer a la juslice de Dieu sa bonte, qui fut sur la lerre si grande envers les pecheurs. II n'est pas juste de separer reternite des peines du lout divin forme par renchainemenl de tant de tresors de grace et de misericorde infinie, recus par le pecheur, et tie presenter le fait de la justice vengeresse et inexorable de Dieu comme un anneau isole de cette chaine merveilleuse de bienfails. L'enfer n'est que le contre-coup inevitable du mepris de la bonte et de la misericorde de Dieu. L'enfer est eternel. Croyons-le. Cetle verite ne change pas.

II. Ce quesl Venfer.

Les chatiments de 1'enfer resultent de la nature du peclie mortel. Celui-ci a deux aspects, puisqu'i'1 tourne rhomme vers la creature et le detourne completement de Dieu, la fin derniere ; aussi la punition ou la peine de Penfer est-elle double :

256 PREMIERE SEMAINE

A. La peine du dam. Lhomme mourant en etat de peche mortel meurl en etal de revolte contre Dieu. II savait que de lui-meme il ne pouvail se relever de sa chute, qu'a chaque instanl la morl pouvail le surprendre el qu'il courait le danger de ne pas atteindre sa fin, qui est Dieu. Ge malheur lui arrive et il n'a des lors que ce qu'il a voulu : il ne possedera plus jamais Dieu ; il perd Dieu pour reteririle. Qui est-ce qui comprend rhorreur de la peine du dam ? Nous pouvons jusqu'a un certain point en mesurer Tetendue, d'abord, par la grandeur de Dieu : plus la valeur d'un bien perdu esl grande, plus est grande la douleur qu'on en ressent. Quelles ne fuienl pas 1'affliction el la douleur d'Esaii et de Job !... Dieu est plus que les parents, que la patrie, que totit : il esl le bien infmi. De plus, la peine et ladou- leur se mesurent sur le besoin que nous avons de 1'objel perdu : rien n'est plus grand, plus naturel et plus invincible que le desir que nous avons d'atteindre la bealilude ou notre fin derniere ; nous avons faim de Dieu naturellement et surnaturellement ; toutes nos puissances et toutes nos facultes corporelles et spiri- tuelles, inlelligence, volonte, imagination et sens, cherchenl la pai.x et le bonheur. Nous voulons et nous devons etre heureux. Or, dans 1'eternite, ce n'esl qifen Dieu que se trouve la beati- tucle complete ; en dehors de lui il n'y a rien a esperer. Perdre Dieu, c'est tout perdre et ne rien avoir de ce qui peut rendre heiireux ou satisfaire 1'esprit, le cceur, le corps et 1'ame. Ici- bas, on trouve de quoi se soulager el se consoler en dehors de Dieu ; mais dans l'elernite, non. Quel etal ! Toute l'eternite, etre en proie a lous les tourments de la faim de la bealitude, et ne rien avoir pour 1'apaiser ! Ne sont-ce pas bien la les tenebres exle- rieures, n'est-ce pas la une mort vivante el elernelle ? Esl-ce que enlin cette perte de Dieu, cette damnation, n'ira pas droil au coMir des hommes sensuels, durs, insensibles et fiers ? Oui, leur orgueil s'effondrera dans un cri depouvante el de douleur. Quelles larmes ameres alors ils verseront ! De quels regards avidesetde quels soupirs ardents ils assiegeront pour ainsi dire les portes du ciel ! Mais ils ne les enfonceront pas, ils ne les feronl pas sauler. Tout sera inulile. Les damnes ne peuvent vivre heureux sans Dieu, et il faut que desormais ils vivent sans lui. Qui pourra

medit. supplem. : l'enfer 257

comprendre la Iristesse, l'abattemenl, l'affliction et 1'affreuse melancolie de ces etres infortunes? Gest par leur faute qu'ils se sont rendus si mallieureux.

B. La peine du sens. Lendroit ou se Irouve 1'enfer est, d'apres la sainte Ecrilure, un desert horrible, un lieu de tene- bres II Pierre, 2, 17), une prison, le pressoir de la colere divine [Apoc, 19, 15), un lieu de tourment (Luc, 16, 28), ou il y a des lameulalionsel desgrincementsde denls (Matth.,8, 12). Quel spectacle ! La societe de 1'enfer est formee de la lie de 1'humanite. Lenfer est comme une ile peuplee de forcats, la demeure de la mechancete, de la depravation et de la scelera- tesse. Quelles scenes s'y passent entre les seducteurs el leurs victimes ! Ajoutez a cela la compagnie et la vue des demons ! Loccupaliou el la vie de 1'enfer consistenl a etre tout a fait malheureux spiriliiellement et corporellement. Qui dira ce dont le corps humain est capable de souffrir? Notre corps esl uu sysleme organise ou un foyer de toute espece de maladies. Chaque membre, chaque cellule du corps estune source de dou- leurs particulieres, parfois morlelles, quand elles deviennent excessives. Que ne souffrenl pas les hommes sur leurs lits de malades, sur les cliamps de batailles el sur les lables d'operation chirurgicale ! En enfer loul y est intolerable ou insupportable. La peine esl le feu ! II n'y a pas a en douter : Fidei proximum ! Quinze fois le Sauveur el Irenle fois la sainte Ecriture parlent (lu feu de 1'enfer : quel mol epouvantable ! Etre entoure de feu, enveloppe dans le feu, £tre assis et enseveli dans le feu : quelle couche ! Supposez qu'un damne ait porte toutes les couronnes dii monde que vous voudrez, a quoi lui servent-elles mainte- uaul? II esl toul a fait malheureux, indiciblemenl malheureux ; el eela pour toute 1'eternite ! Nous nepourrons jamais nous faire la moindre idee de 1'enfer ni nous representer ce qu'il esl. Cesl uii desert sans limile, mie mer sans fond ; c'est comme une chule dans le vide; il esl impossible d'y echapper, d'avancer ou de reculer ; c'esl un bannissement et un etat dimmobilisation elernels a un seul el meme inslanl el dans une seule et meme posilion, el cette posilion est effrayanle etdouloureuse a 1'exces : on ne peut exprimer celle souffraiuv. el il n'v a aucun espoii

17

258 PREMIERK SEMAINE

den elre delivre. Labime de 1'enfer esl scelle, la porte en est lermee et la elef de eette porle esl lombee dans Tabime de la justice de Dieu. Personne ne peut la saisir ; toule reclierche el toute peine sont inutiles : c'esl a faire mourir de desespoir.

Par consequent, renfer existe ; 1'enfer esl elfroyable ; un seul peche mortel merile lenfer ; si jai cominis un peche morlel, je suis digne de 1'enfer; si l'enfer n'a pas ete mon parlage, je n'en suis redevable a nulaulre qu'a mon Seigneur et Sauveur, Jesus, qui a ete crucifie pour moi,afin de me delivrer de renfer. Je le considere allache a sa croix : il ne parle pas et il a les yeux fermes, comme s'il etait effraye du malheur epou- vantable dans lequel je suis lombe en pechanl ; il a les bras etendus pour me retenir sur le bord de labime du peche et de 1'enfer ; il a le Goeur ouvert pour me pivserver de la crainte des coups de la juslicedivine... Est-ce que mainlenantje ne mejet- terai pas dans les bras de la misericorde de mon Sauveur el je ne renoncerai pas au peclie ?

e) L EiNFER Dl PRETRE ET DU RELIGIELX

A. hJxislence du peche.

A. L'enfer exisle... (Voir le premier poinl de la medilalion precedenle ; mais 1'abreger.)

B. Mais Tenferexiste aussi pour moi, Religituix et Prelre. 11 peut aussi devenir mon partage. Personne n'est exempt de la possibilile d'etre damne. En voici les raisons extrinseques : il y a eu elfet des Prophetes el des Pretres a qui le Seigneur dil : Nunquam novi vos ^Matth., 7, 23). II y a eu un Apolre donl Jesus a parle en ces lermes : Bonum erai ei, si natus non fuisset (Matth., 26, 24). II y a un Apotre qui dit de lui-meme : Casliyo corpus meum..., ne... ipse reprobus efficiar (I Cor., 9,27); et qui, s'adressant a toiit le monde, s'exprime ainsi : Cum metu et tremore vestram salulem operamini iPhil., 2, 12). Qui se existimat stare, videat ne cadat (I Cor., 10, 12). La raison intrinseque de la possibilile de 1'enfer pour le

MED. supp. : l'enfer du pretre et du religieux 259

Pretre ou le Religieux esl que personne n'est assuie d<- son salut sans la perseverance ; mais la perseverance est une grfice speciale de Dieu, que noiis ne meritons pas proprement, mais que nous demandons a Dieu dans la priere el que nous pouvons obtenir par nos bonnes oeuvres de la misericorde de Dieu.Que Taul-il donc pour etre damne? II suffitde tomber dans un peche mortel et d'eT.re surpris par la mort dans eet etat. Or, lous, nous ponvons ainsi pecher, el qui a 1'assurance de n'etre pas rappele a Dieu dans l'6tat du peche mortel ? La juslice de Dieu a ses mysteres, comme sa misericorde : le deluge, la chute des Anges et celle de nos premiers parents, Sodome el Gomorrhe et la croix meme de Jesus le prouvent assez. Qui me dit main- lenant que je ne suis pas du nombre des viclimes de la justice de Dieu? Donc, 1'enfer existe anssi pour moi, aussi vrai que le soleilluil; 1'enfer existe, el ses peines el ses lerreurs ne sonl pas loin : 1'enfer est un abime dangereux, tres proclie de nous ; il esl comme la maison de force ou de reclusion au milieu de la cite. Tous nous devons prendre garde de n'y eln- pas un jour renfermes.

II. Conditions de cel enfer.

A. Etre damne cest, premierement, perdre Dien pour lou- jours. S'il y a la une peine epouvantable et la peine des peines pour tous les reprouves, que sera-ce donc pour le Religieux et le Pretre, que leur elat et leur ministere nnissaient si elroile- ment a Dieu et au Sauveur, et qui avaienl a leur disposilion des moyens de salul si nombreux et si puissants ! Quelsdoivenl eliv leur chagrin et leurs remords, et dans quelle fureur ils doivent entrer contre eux-memes, en voyant corabien d'autres, moins avantages el privilegies qu'eux, se sont sauves par leurs propres eftbrts ! Quelle peine pour eux de se voir eloignes et separes pourtoujours dc Dieu etde leur Sauveur, de leur Mailre, de leur Pere, de leur souverain Bien ! Quel trisle et aflfreux sorl dc blaspliemer el d'insulter Dieu sans cesse ! Getle perle de Dieu es1 a clle seule un verilable enfer, sans qu'il soit besoin dc feu, une eflroyable douleur sans grincements de denls, un desespoir

260 PREMIERE skmaim:

horrible sans lamentations, nii aveuglemant de 1'espril el iin endurcissement dn cceur, loule la plenitude de 1'enfer reduile pour ainsi dire en un etre, dans le damne : en nn mol, 1'enfer des enfers, lapeine des peines, en eomparaison de laqnelle loules les antres peines ne sonl rien. Qifil esl donc eponvanlable de n'avoir plns de Dien !

B. Elredamne est, deuxiememe.nl, avoir Dien ponr ennemi. Qifest-ce donc avoir Dieu ponr ennemi? Dien est sage : il se connail lui-meme,il connatl sa Sublimite el son Amabilite, que riiomme meprise ; il nons connaitaussi nons, tonte notre nature, loule la capacile que nous avons de souffrir, loiite nolre malice; mais ilconnait anssi lons les moyens de nons chatier. Dien est pnissant el loul-pnissanl. Malheur a nous, si nne loule-puis- sance s'emploit' ;'i nons pnnir! Dieu esl enfin bon et miseri- cordienx, el il l'esl snrlout envers le Pretre el le Religieux ; mais c'esl precisement ce qifil y a de plns funesle pour eux en enfer. Mainlenanl, l'nn el fautre sentent le contre-coup dn ineprisqu'ils ont eu de 1'amour et de la misericorde de Dien ; c'est en enfer sans nul donle que la misericorde divine sera la premiere a tirer nne vengeance implacable de ceux qui 1'auront meconnue el dedaignee ici-bas. Si donc Celni qui a cree le phosphore, le sonfre, la foudre et les couranls eleclriqnes, qni a fail nos yeux. nos oreilles et chacun de nos nerfs, el qui est si grand dans ses recompenses comme dans ses pnnilions, emploie sa puissanct^ el sa sa^esse a venger son honneuret son amonr, en meltanl an len toutesles parties de notre organisme corporel, quelle affreuse deslinee sera la notre !

G. En troisiemv lien, elre damne esl avoirles demons ponr bourreanx. Quelle peine el quelle honte en resulleronl ponr le malheurenx Prelre damne ! Qni pent comprendre la fureur de ces esprils dechns conlre loul ce que Dien a cree, specialemenl contre les Pretres ; et qui aura nne idee de la mechancele et de la violence diaboliques clonl cenx-ci sonl desormais les victimes ? Un Reli<"ieux. un Pr^lre en enfer ! Un ambassadeur de Dieu, nn membre el un organe sacres du Ghrisl, qui elail auparavant la demeure du Sanveur, un oslensoir vivanl se Irouve plonge dans le gouffre infernal ! Son caractere sacerdotal le fail recon-

MED. SUPP. : l'eNFER 1)1 PRETRE ET DU RELIGIEI \ 261

nailre cotiime Pretre el il est mis la comme au carcan avec sa dignite el son peehe !

D. Quatriememenl enfin, l'enfer consiste en ce que loul est pourle reprouve instrnment d»- supplice : rintelligence, par la connaissance du souverain Bien qtfil a perdu ; rimagination, par les frayeurs qu'eile lui occasionne ; la volonte, par la desolation, la tristesse, la haine el Tamour ; le corps et tous les organes du corps, par les soutfrances et les douleurs sensibles, qui lui arri- vent de tous cotes. Assurement le Pretre,a cause de sa position privilegiee ici-bas. aura aussi en enfer une place exceptionnelle : la tenebras exteriores (Matth.; 25, 30). Potentes potenter tor- menta sustinebunt (Sag., 6, 7 . Prsecepit ut succenderetur fornax sepluplum (Dan., 3, 19). « Reservez-lui la plus haule potence ». dit un jour le roi Ganul, quand il apprit que, dans une foule de criminels condamnes, il s'en trouvait un de sang royal. Saint Francois d'Assise demanda a un deses Freres lais, qui avait une vision sttr I'enfer, sil voyait aussi un Frere Mineur en enfer. Le Frere lui repondit que non : « Vous cherchez peul- etre en haul, ajottta le Saint ; ce nest quen bas, lout a fait au fond, quedoit se trouver un Frere Mineur. Par consequent, le Pretre a une place de choix en enfer ! Comtne alorsbouillonnera dans ses veines le sang precieux de son Sauveur, dont il s'est abreuve tant de fois el a si longs traits ! Gel Haceldama vivant sera totit en feu, et cela pendant lottte l'eternite !

III. Conclusions.

A. La premiere conclusion est une reconnaissance sincere de <e que Dieu nous a preserves de cel epouvaulable malheur, que nuus ayons peche gravement ou non. Si nous uavons pas cotumis de peche grave, a qui en sommes-nous redevables ? Si nous avons peche morlellement, demandons-nous alors depuis com- bien de temps nous soulfririons deja, si Dieu nous avait damnes apres notre premier peche grave, et combien de temps encore nous aurions a souffrir. Nous avons ici une preuve manifesle de la bonte de Dieu pour nous : Misericordiie Domini, quia non sumus consumpti (Lament., 3, 22). Donc ne roublions pas et

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remercions Diea de tout nolre cceur : Confilebor tibi... te col- laudabo te, Deum salvatorem meum... Liberasti corpus meum a perditione... a rugientibus prseparatis ad. escam... de portis tribulationum... a pressura flammse... de allitudine ventris inferi... a rege iniquo... Laudabit usque ad mortem anima mea... laudabo nomen tuum assidue... confitebor el laudem dicam tibi el benedicam nomini Domini (Eccli., 51, 1-17). Confitemini Domino, quoniam bonus, quoniam in ssecutum misericordia ejus, dicant qui redempli sunt a Domino (Ps. 100, 1. 2. Cf. Ps. 123).

B. La seconde conclusion esl le ferme propos de ne plus relomber a 1'avenir dans le peche morlel. Nous ifavons pas aulre chose a craiudre que le peche ; en dehors de lui, rien ne peut iious nuire, ni la morl, ni le demon, ni 1'eufer. Exposons lout le reste, mais ne jouons jamais avec le peche morlel ! Toul peehe grave esl comme une grenade loule remplie de la poudre eflroyable de rcnfer. Arriere donc ce peche, el aussi lout ce cpii y conduil ! Qui voudra se jeler dans une demeure embrasee? Jam noli peccare, ne deterius aliquid tibi conlingat (Jo., 5, 14).

G. La troisieme conclusion est riiumilite el la patience dans les aclversites de la vie et de 1'etal. IVoublions jamaisque, si nous avons un jour commis un peche mortel, nous avons alors merile une place en enfer; nous avons echappe a fenfer, parce qu'on esl venu ii temps couper la coi'de a laquelle nous elions suspendus. Ainsi reslons humbles el patients. Dans tous les efforts que nous sommes obliges de faire pour sauver nolre ame, disons toujours : « Ge ifest pas 1'enfer » ; dans tous nos travaux, nos peines el nos souffrances, repetons sans cesse : « Ge ne sonl pas la les tourments de 1'enfer que nous avons meriles. »

D. La qualrieme conclusion esl le zele, 1'effort noble et genereux, dans le butde preserver aussi les autres hommes du malheur lerrible de la danination. Nous ne pouvons rien faire de "mieux que eela. Si nons reussissons a sauver une ame, quel gain infini ! Gomme cette ame sera reconnaissante, et comme le Sauveur sera aussi reconnaissant envers nous ! Les ames que

MEDIT. supplem. : LA VIE 1)1. l'e.\fer 263

nous sauvoos sonl les gages de nolre propre justilicalion. Cest pourquoi faisons loul, olFrons toul. sacrilices el prieres, pour le salut des peeheurs qui vont raourir. Placons-nous, coinrae des sentinelles, devanl la porle de lenfer, et repoussons irapi- toyablemenl l.ous ceux qui auraienl 1'imprudence de s'en appro- cher. Souvent lon peuse que 1'enfer ressemble a la mer. qui ne produit rien. Rien n'esl plus faux. Oui, renfer esl pareil a la mer, qui est le principe de toute la fecondile de la terre. Quelles magnifiques et sublimes conclusions a tirer de la ! Haine du peche. humilite, patience. charile. reconnaissance euvers Dieu et zele ardent pour les ames. Peul-il y avoir quelque chose de meilleur? L'enfer ou plutot la pensee de 1'enfer esl donc tres utile, a de tres bons resullals, el cest pourquoi elle etait tres familiere aux anciens ascetes. La piele a leau de rose de notre temps trouve cette verite Irop forle et Irop exageree. Aussi nous savons ce que vaut celte piele.

f) LA VIE DE l'eNFER (Nouvel exercice sur la nature de 1'enfer.

I. LEnfer est une vie de malice infdme.

Lliomme eommel-il un peche grave, il s'expose a ne plus pouvoir s'en debarrasser, puisque, dans 1'eternite, il n'y a plus de grace de conversion. La mort surprenanl- quelqu'un eu etal de peche morlel, le pecheur et le peche sont desormais insepa- rables. L'homme esl pour loujours vendu el rive au peche, pour ainsi dire petrifie en lui. II reconnait, infinimenl raieux que personne, loul ce qu'il y a de condamnable, de hideux el de. mechanl dans le peche ; il le rejette el le repousse, mais il ne peut s'en defaire et le commel a chaque inslant ; il l-embrasse et 1'etreint avec une honle, un degout et une frayeur dont uous n'avons pas 1'idee. Voila ce que font tous les reprouves. L'enfer est, de cette maniere, le receptacle de lous les resles immondes et repugnants du peche. la demeure de la raalice el de la scele- ralesse la plus execrable. On raconte qu'un Sainl a ete attache a

264 PREMIERE SEMAINE

iiu cadavre en putrelaction et eondamne ainsi a raourir de faim : c^est une faible image de la vie cle chacun des damnes eu enfer.

II. La vie de Venfer esl une vie de tourmenls.

Les lourmeiils de renfer sout eu partie corporels el eu partie spirituels.

Les tourments corporels consistenl avant tout dans la priva- tion de la liberte du regard et du inouveraeut. Le damne ue peut voir ce qifil veut, et ce qu'il voit el doit voir est affreux el epouvanlable : des tourbillous de flamraes, des teuebres el les figures horribles des demons et des reprouves. La sainte Ecri- ture parle de la prison de Teufer (Luc, 12, 58), des chaines mises aux mains et aux pieds des daranes (Matth., 22, 13), de leur etroite reunion comme dans un faisceau (Matth., 13, 30 . de leur eiiterremeut et de leur sepulture en enfer (Luc, 16, 22). dans ce lieu oii les maledictions tombenl sur eux comme goultc par goutte, s'accumulent de maniere a former uu ctang de feu et de soufre (Apoc, 21, 8). et ou les reprouves sont sales avec le feu corarae la victime est salee avec le sel (Marc, 9. 48j. Cette image terrible indique evidemraent une douleur pene- trante, cuisante, brulante, et qui ne finit jaraais : de menie que le sel mortifie et conserve la viande, aiusi le feu de Teufer tor- ture et conserve les damnes.

Les tourmeuts spirituels de Tenfer sout uaturellement, eu preraier lieu, la colere, la fureur, la haine, la vengeance, 1'amer- tume, rafflictiou, rabatteraent, le chagrin et la melancolie : tous ces tourments des damnes pesent, corame un poids tres lourd, sur leur tete ; or. que devieut ici-bas un liomme qui en est accable un jour seulement! - En second lieu, il y a, en enfer, les frayeurs. Quel effet terrible produit sur nous une terreur soudaine : par exemple, rannonce subite d'un malheur, d'un incendie, d'une attaque de rennemi ! Et d'abord les frayeurs de 1'enfer viennent du spectacle des scenes horribles qui sepassent sous les yeux des reprouves, et de rapprehension des raaux affreux qui leur arriveront bient6t. Ensuite, ils sont effrayes par la vue des esprits des tenebres et des autres damnes, parmi les-

MEDIT. SUPPLEM. : LA VIE DE l'eNFER 265

quels il leur faut vivre corarae avec un troupeau d'animaux feroces et furieux. Enfin leur elfroi vient de la consideration de reternile oii ils sont desormais, el dont la justice de Dieu etend sur eux les ombres gigantesques : au railieu de ces ombres, ils distinguent des sceptres hideux el epouvantables. Tout cela ifest-il pas capable d'agiter violemraent les nerfs des reprou- ves, et une telle vie ifest-elle pas en verite une agonie con- slante, eternelle? En dernier lieu, les danines souffrent d'avoir perdu Dieu ou raanque leur fin derniere. Un reprouve est un etre sans but, qui ifa plus de tiu a atleindre ! Esl-ce encore un etre?

III. La vie de Venfer est une vie de desespoir.

La vie de Penfer esl une vie de desespoir, parce que, premii- rement, il ify a pour le darane aucun repos, aucuu oubli de ses raaux, aucun changeraent. aucune occupalion. Deuxieme- ment, 1'enfer est le desespoir, parce qu'on n'y tiouve aucun adoucissemenl a ses peines : pas la mointlre verite agreable pour rintelligence, pas la plus petite consolation pour le coeur ulcere el desseche ; jamais aucun regard de compassion ne torabe sur nous, jainais de parole de pitie pour nous encoura- ger ; aucun coeur aimant et emu ne pense a nous : ceux qui nous aimaienl nous ont oublies, ou, s'ils pensent a nous, c'esl pour nous maudire comrae les ennemis de Dieu. Or, quel est le moyen de vivre sans amour et sans consolation? Troi- siemement, en enfer, les reprouves menent une vie de deses- peres, parce qtfil ify a plus pour eux d'esperance pendant toute reternite. Gomprenons ce qu'est un homrae qui ifa plus d'aveuir heureux a esperer, qui s'agite toujours dans le merae cercle, rive a la meme chaine ; qui, corporellement et spirituel- lement, avec ses puissances, ses pensees, son iraagination et sa volonte, est fixe dune maniere irrevocable el, pour ainsi dire, emrauraille dans le merae present epouvantable et dans le raerae raoment de frayeur, d'inforlune et de peine intolerables ! Sou- vent, en apprenant une terrible nouvelle, en recevant une balle oii iin coup morlels, Ihomrae pouss.- un cri dans lequel est

2(>6 PREMIERE SEMAINE

exprime lout 1'exces de sa douleur et aussi, a propremenl par- ler, lout le desespoir de sa vie. De meme, 1'idee, la parole, le cri', qui expriment et qui resument toute la sottffrance, loute la rage, toute la colere el lout le desespoir de Penfer, se trouvenl dans un mot : « Elernite ». L' « elernite » comprend lout : les lenebres, le feu, le froid, ia faim, la soif, le mal du pays, la demoralisation et le desespoir. Etre broyes, perir <'t mourir, seraient pour les damnes le plus grand des bonheurs; mais cela ne leur arrivera pas.

fj) LA PARABOLE DE LAZARE ET DU MAUVAIS RICHE (Repetition de la Meditation sur l'enfer, Luc, 10, 19-31.)

Presuppose renseignement de la foi sur la nature de 1'enfer, nous avons dans la parabole cle Lazare et du mauvais riche un exemple frappant des peines des damnes. II y a dans cetle para- bole deux idees principales :

I. Lazare est Vimage de la misere temporelle la plus grande.

Lazare esl pauvre : c'est un mendiaut, et il esl enlierement abandonne. II git sans secours et affame sur le seuil de la porte du riche, etencore il est lourmente par la vue de la sante luxu- riante de ce dernier. II esl traite plus mal qtfun chien : on ne lui offre meme pas une seule fois les mieltes qui tombent de la lable du riche. Ilest couverl d^ulceres, comme un cadavre, dont la presence n'altire que les chiens ; ceux-ci, en effet, s'appro- chent et lechenl ses blessures. Lazare metirl enfin non seule- ment dans la misere, mais encore par suile de sa misere. Y a-t-il une plus grande inforlune? Mais elle trouve une fin dans reternite : le pauvre est porle dans le sein d^Abraham.

II. La misere de Lazare nest rien, comparee au malheur de la condamnation du mauvais riche.

Le mauvais riche meurt aussi, raalgre sa richesse, sa bonne chere et ses plaisirs, peut-etre meme en consequence de sa

MED. S( PP. : PARABOLE DE LAZARE ET Dl' MAUVAIS P.ICHK 267

bonne chere et de ses plaisirs. II est enseveli, mais en enfer. Quel changement ! An lien cfapparlements somptueux, un cavean funebre ! An lieu cle superbes habits de bysse et de ponrpre, nn triste lincenl ! An lien de candelabres etincelants, des tenebres epaisses ! Au lieu de porliques spacieux et aeres, une etroite couche et un cercueil en enfer !

II leve maintenant ses yeux vers le ciel c'est peut-etre la premiere fois qu'il le fait. Gonsiderez ce regard. Quel clesir, quelle faim, quelle soif, quelle ardeur extreme il exprime ! « II regarde de loin... et il crie » : il ne peut comprimer sa douleur, si orgueilleux qifil soit... Gomme tout peint bien sa misere, son isolement, son abandon et sa reprobalion !

II dit : « Pere », se rappelant enfin une parente dont il ne se souciait guere, sa parente avec les Saints du ciel et avec Dieu, •qui est son Principe, son Greateur el sa Fin. Et que lui demande- t-il ? « Envoyez Lazare ; vous n'avez plus besoin de venir vous- meme ; Lazare est assez riche, assez puissant, assez heureux pour me consoler. » Tout est donc bien change ! Lazare devient un objet cfenvie pour le riche malheureux ! Linfortune de ce riche est si grande qif elle pourrait loucher meme Lazare, lequel cependant ne trouva aucune commiseralion aupres de lui, mais au contraire ifen recut que de durs traitements. Quelle priere adresse-t-il a Lazare ? II ne lui demande pas la griice, la remise de sa punilion, mais il lui demande un simple adoucissement a sa peine, une seule goutte d*cau... Oh ! corabien tout coute cher dans Teternite malheureuse ! « Je suis tourmente par le feu » ; il y a donc clu feu !

Voici la reponse : « Tu as recu ton bien. » Toi, comme tout homme, tu avais, grace a la bonte et a la misericorde de Dieu, le choix entre les biens temporels et les biens eternels. Tu as choisi les biens temporels el tu as pris cfavance la part dans les dons de la bonte divine : tu ne recevras plus rien. II ne te reste meme pas la consolation daccuser un autre cle ton malheur; tu as personnelleinent fait le choix. Ton sort ifest que justice et le resultat de ton propre choix. C'en est fail : tu as eu ce que lu voulais. Souviens-toi de cela, et prends-en desormais ton parti ! Quid prodest homini, si mundnm umversum lucrelur, animae

268 PREMIERE SEMAINE

vero suse delrimentum palialur? (Matth., 16, 26.) La raison du refus cTAbrahani se trouve, de plus, en ce que Tetat de 1'eter- nite est immuable. « II y a entre nous un abime que personne ne peut franchir. » Cest donc une separation et un oubli abso- lus, eternels ! L'enfer est un tombeau, un abime ; ni Ange ni Saint ne peuvent aller au dela pour y porter la consolation. II ify a par consequenl plus que le desespoir.

Le mauvais riche damne prie Abraham d'envoyer prevenir ses freres, qui sont sur la lerre, afin qu^eux-memes ne soient pas reprouves. D'ou lui vient cette compassion ? Assurement pas de sa misericorde et de son amour. Abstraclion faite du but qifa le Sauveur dans cette parabole, on peut bien dire aussi que le mauvais riche parle dans son interet, parce que la presence de ses freres en enfer ne ferait qifaugmenter son tourment. Peut-etre ont-ils ete seduits par lui, etquel surcroit depeinesde les avoir a ses cotes : en enfer d'ailleurs la place qu'il occupe est si affreusement etroite et resserree ! Gomment la parlager avec d^autres ! Les damnes haissent toul; mais leur malheurest lellement grand quils ne peuvent, pour ainsi dire, le souhaiter meme a leurs ennemis.

III. Quelle est la conclusion ?

La derniere demande du mauvais riche est refusee, parce que son objet est inutile et superflu. Les vivants ont des temoignages assez nombreux et assez importants, a savoir ceux de Moise et des Propheles ; ils doivent les croire, et, sMls ne le font pas, une apparition d^outre-tombe ne leur servirait a rien.

La conclusion est donc la foi, et une foi vive a rexistence et h Thorreur de 1'enfer, foi qui s'appuie non seulement sur la parole de Moise, mais encore sur celle du Christ. Le Messie vint dans le seul but de rendre temoignage de 1'enfer et de nous en deli- vrer. Cest pourquoi croyons-y fermement, recevons avec recon- naissance le pardon de nos peches et ne pechons plus.

MEDITATION SUR LA MORT

I. Mature de la mort.

A. La raprt esl la fin de notre vie lerrestre, et cela de Irois manieres :

Premieremenl, la morl est la fin de nolre vie corporelle, physiqne. Lessence de la mort consiste propremenl«en ce que le corps et l'ame sonl separes et se quitlent I'un 1'autre. II y a 1'union la plus inlime enlre 1'ame el le corps : ce n'est pas seu- lemenl une union de communaule de vie, c'est une unite d'elre. LVime el le corps se penetrent reciproquement el s'unissent pour former un principe d'activite vitale. LVime n'est pas seule- ment le principe de la vie de Tesprit ; elle est aussi le principe de la vie du corps : elle en esl la forme. Getle union inlime ne se delruil que par la morl. La separation est donc violente et de plus douloureuse : car le corps ne se retire de fame que par suile de rafTaiblissemenl et de la dissolution penibles de ses organes, qui la forcent a rabandonner. Gette separation est de plus bumiliante, parce quelle n^etait pas a Forigine dans le plan de Dieu el qu'elle n'a ele voulue que comme la punition du premier peche, auquel le corps et 1'ame ont coopere : sous ce rapport, la mort est la verilable execution d'une sentence. L'ame seule va dans l'eternile ; le corps, reste en arriere, esi porte dans la terre, ou il se reduil en poussiere et devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue.

Deuxiemement, la morl est, a cause de la separalion de lanie et du corps, la fin de tout travail lerrestre. Quels que soient nos emplois et nos places, quelles que soient nos relations, quels

liTO PREMIERE SEMAINE

que soient nos plans, nos projets, nos affaires et nos entreprises dans 1'Eglise, dans le monde et dans la vocation religieuse, tout cesse, tout nous echappe : c'en est fait alors meme de ce qui nous est le plus cher, le plus agreable, le plus precieux, le plus estimable et le plus saint. Travail, sacrifice, merite, parfaits ou imparfaits, si importants et si necessaires qu'ils nous paraissent a nous et aux aulres, sont interrompus a jamais. Toul ce qui est du lemps, mitre ou etole, sceptre ou beche, en usage pour ce monde, ne servait que dinstrument ou de moyen pour atteindre 1'eternite : lout cela reste et est rejele en arriere, comme la poulre qui a apporte le naufrage sur le rivage et qui est repous see ensuite loin de lui.

Troisicmement, la morl esl la tin de notre vie dans la memoire el le souvenir des hommes. Gomme nous disparaissons vile au regard et au souvenir de nos semblables ! D'autres pren- nent noti* place, nous eloignent el nous supplantenl. Gombien tot il ne sera plus queslion de nous ici-bas ! Apres peu detemps personne ne pensera plus a nous.

Ainsi nous sommes enleves de la vie terrestre, comme 1'arbre, arrache par la temp^te, qui laisse voir, au milieu d'un sol affreu- sement laboure et devaste, jusqiraux dechirures de ses moindres racines. Voila comment la mort en finil avec riiomme; il n'en resle pas pierre sur pierre : Abseissus esl de terra viventium (ls., 53, 8). Oblivioni datus sum tanquam mortuus a corde ; factus sum tanquam vas perditum fPs., 30, 13) Homo cum mortuus fuerit el nudatus atque consumplus, ubi qufeso, est ? [Job, 14, 10.)

B. La mort est le commencement de 1'eternite : lbit homo in domum lelernitatis suse {Eccl., 12, 5). La mort est donc Tentree dans cet autre monde, dont les conditions, les desti- nees, les soutfrances, les joies, les recompenses et les punitions sonl pour nous, qui avons des sens, toutes differenles, tout etrangeres, tout inconnues, bien plus, si extraordinaires et si prodigieuses ! La mort est, en tant qifentree dans l'eternite, le commencement d'un elat eternel et immuable. Ce pour quoi j'ai ete cree et ce qur j'ai merite par ma vie devienl alors mon partage et mon lot eternels. La mort enfin, comme com-

MEDITAT10N SUR LA MOBT 271

mencement de 1'eternite, est une renconlre decisive avec Dieu. Nous parailrons devant Dieu : il nous jugera, il nous punira ou nous recompensera ; et la sentence qu'il prononcera demeurera eternellement irrevocable. Revertatur pulvis in terram suam, unde erat, et spiritus redeat ad Deum, qui dedit illum (EccL, 12, 7.) Ainsi la mort, considerer sous chacune de ses facesf est severe, penihle et fatale.

II. Circonstances de la mort.

A. La premiere circonstance de la morl est qu'elle vient avec certitude. Nous avons lii une verile indubitable naturelle- ment et surnaturellement. En pnnition du premier peche, Dieu a condamne a mort loute 1'humaoite : Morieris [Gen., 2, 17 . Statulum est Itominibus semel mori (Heb.,9, 7). Jusquici per- sonne n'a ete epargne. Suivant une loi tres sage de Dieu, lout le resle aussi, meme ce qu'il y a de plus puissant et de plus solide, va a laruine et a la dissolution : les monlagnes tombenf peu a peu en poussiere ; la grande horloge planetaire volera un jour en eclats, et alors le soleil restera, pour aiiisi dire, endorrai dans les nuages du malin et ne se levera plus. Le monde enlier est voue avec rhomme a la mort. Et il est necessaire que nous mourions : nous ne sommes pas nes pour cette terre et pour cette vie. Gelte vie n'est qu'une preparation a la vision intuilive de Dieu dans l'eternite ; or « personne ne verra Dieu et vivra en m£me temps » (Exod., 33, 20) ; donc la vie va a sa lin. Rien n'est aussi certain que cetle verite. II y a un terme au travail, a la souffrance, a 1'occasion de meriler ; il y a un dernier jour. une derniere action, uu dernier merile pour riiomme.

B. La deuxieme circonslance de la mort, c'esl qu'elle vient vite. En effet, sans cesse, jour et nuil, dans le travail et dans le repos, nous nous hatons vcrs elle ; de plus, la morl a deja entre les mains la grande partie, peut-etre la plus grande partie de notre vie ; et d'ailleurs, en general, la vie esl si courle : conime notre vie a passe vite! Le resle ne sera pas moins rapide.

G. La troisieme circonstance est que la mort vient a l'im- proviste. Dieu, pour de bons motifs, ne veut pas dire quand il

272 PREMIERE SEMAINE

vieiit ; il veul nous surprendre comrae un volenr (Luc, 12,39), corame reclair (Matth., 24, 27). Ne le pent-il pas? Ou estnotre certificat de vie et cTiramorlalile? Jeunesse? Sante? Autorite?... D. La qualrieme circonslance consiste en ce que la raort ne vienl qif une fois. jamais cleux fois. Cest ce qu'il y a de ter- rible dans la raort : celte seule et nnique visite, el qui decide de toute 1'eternite ! Aussi le Ghretien demande-t-il a Dieu la grace d'etre preserve cle la mort subite el imprevue.

III. Lecons de la mort.

Les lecons cle la morl correspondenl aux trois graces que nous implorous dans le colloque de la repelilion cles meditalions sur le peche.

A. La mort nous enseigne dabord la connaissance et la fuile du peche.

1. La mort nous apprend, premierement, a connailre le nombre de nos peches. Elle donne la claire vue : ce qui parais- sait depuis lougtemps oublie, mort et enseveli, se reveille et revient a fapproche de la dernicre heure. La niort nous apprend, deuxiemement, a connaitre la malice de nos peches. Eu effet, elle nous montre le neant et la vanite de ce qui nous a porte au peche : qtfesl-ce alors que riionneur, que la richesse, que faraour humain, sinon comme un araas cle debris l)i*ules et consumes? Elle nous raontre la folie et linutilite du peche lui- merae : il n'a fait que nous tromper et nous rendre malheureux. Elle nous montre enfm le malheur du peche dans ses conse- quences, dans le jugement, dans les punitions, qui deviennent menacants. Ainsi la mort, le trepas, est une sorle cle revelation, de manifestation du peche, et pour nous un passage des lenebres a la lumiere.

2.La morl nous enseigne a fuir le peche et a le delester. Gar ifest-ce pas le peche surlout qui rend la mort inauvaise, si nous sommes surpris par elle dans 1'etat du peche mortel? De plus, le peclie rend la mort penible et triste, a cause de la separation des creatures et des habitudesqui nous etaienl devenues clieres, a cause de la perspeclive du jugement et des chatiuients de

MEDITATION SCP. LA MOP.T 273

reternite, el a cause des remords de notre conscience. Le peche n'est par consequent qa'un monstre venimeux, qui siffle sous des fleurs.

B. La mort nous apprend ensuite a reconnaitre el a corri- ger le dereglement de notre vie. Le dereglemenl de la vie con- sisle avanl tout en ce que nous navons pas considere 1'exis- tence, au moins au point de vue pratique, comme la preparation a 1'elernite : alors nous avons donne a notre vie des fins tem- porelles, naturelles, et nous avons Iraite releniite, le service de Dieu et le salut de notre ame comme des accessoires, des cho- ses secondaires. La mort nous enseigne expressement, et d'au- tant plus expressement que nous approchons de lelemite, a voir dans cette eternile la seule chose en realite grande et terrible, et dans tout ce qui est temporel, seulemenl des moyens pour conduire a l'eternile : ainsi.quand nous nous rapprochons d'une chaine de montagnes, les sommets nous paraissent selever tou- jours davanlage, pendant que tout le reste s'eflace et disparait a leurs coles.

Le deregtement cle la vie consiste aussi en ce que. malgre la connaissance de notre fin, nous navons pas fail des efforts serieux pour 1'atteindre pai- 1'emploi des moyens convenables. Gest le cas, quand nous manquons d'indifference vis-a-vis des creatures, quand nous ne choisissons pas les meilleurs moyens ou que nous ne les employons pas d'une raaniere conslante.

En tout cela la raort est une conseillere et une aide. Comine rindiflerence est naturelle sur le lit de mort ! La mort nous fait indiflerenls a Tegard de tout ; elle nous rend tout egal. Richesse, honneur, longue vie, tout est passe. il n'en reste plus de trace ; pauvrete. raepris, vie courle, sont egaleraent |>asses, ils ne nous affligent plus. Qifelle nous apparail vraie alors la maxirae : « De toutes les choses du teraps les trois quarts ne sont que pure iraagination ! »

Gomraent peul-il donc elre difficile,pendantla vie, de prendre et d^erabrasser les meilleurs moyens ! Que penserons-nous de cela sur notre lit de morl ? Ce que nous desirerons alors, ce sera bien cFavoir choisi les meilleurs raoyens ! De raeme, la mort nous enseigne a employer ces moyens avec perseverance.

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'274 PREMIERE SEMAINE

Ce n'est pas seulemenl le mauvais usage de la vie, mais c'est encore le non-usage de Ia vie qui, a lheure de la mort, sera un poids tres penible pour notre coeur : cette inutilite de la vie, ces zeros ! Quel profit nous aurions pu faire de tout ce temps que nous avons perdu ! Dieu veuille que nous ne soyons pas de ceux dont il est dit: Dormierunt somnum suum, et nihil invenerunt omnes viri divitiarum in manibus suis (Ps. 75, 6).

G. La mort nous apprend a connaitre la vanite et la mechancete du monde : telle est la derniere lecon de la morl. Yest-ce pas vain, en eflfel, ce qui nous abandonnecertainement, ce qui ainsi ne laisse aucune trace apres soi, des que reternite arrive, etne nous assure aucun contentement, aucune satisfaction? X'est-ce pas vain ce qui nous abandonne si vite et ce dont nous ne pouvons jouir que pour ainsi dire debout et en passant ? N'est-ce pas vain ce qui peut nous abandonner subitement a cbaque instant ? Gela vaut-il la peine d'y mettre son coeur? Qu'il avait raison saint Francois de Borgia de faire le voeu de ne plus jamais se consacrer au service d'un maitre que la mort pouvait lui ravir ! Qu'est-ce donc que toute magnificence, toute gloire liumaine, sinon une tete de mort couronnee ! Le monde est de plus mechant. C'est lui qui nous rend la morl si amere, qui nous prend et enleve tant de merites pour 1'etemite, qui nous fait contracter la dette de tanl de peches, et qui a la fin nous laisse tout seuls avec la charge d'une succession si inquie- tante ! Gar que fait le monde pour nous consoler a notre heure derniere ? Extremement flatteur et caressant tant que nous sommes pleins de vie, le monde iva pas son pareil en hichete et en infidelite, des que la mort est a notre porte.

O.) AUTRE MEDITATION SLR I.A MORT

I. Quest-ce que mourir ? (App/ication des sens.)

Je suis gravement malade. Je lis dans les yeux de ceux qui n^entourent que Tetat de ma sante inspire de serieuses inquie- tudes... Enfin l'on me dit : « Preparez-vous bien ; car vous allez mourir ! »

AUTRE MEDITATION SCR LA MORT 275

Quest-ce que je fais alors 7 Je mets en ordre toutes les affaires de raa vie, avant d'entrer dans mon eternite, avant de me ren- contrer avec Dieu. Par oii commencer ? Que je suis heureux, si tout est bien regle, si une confession ordinaire me suffil!... Alors je recois la communion, le saint viatique... Le Sauveur vient, mais comment? Gomme Juge ? Ou comme Ami, pour me rendre les visites que je lui ai faites, pour me consoler ; ou encore comme Grand-Prelre, pour me prendre moi-meme comme victime?... Enfin rExtrgme-Onction m"esl administree : mes mains sacerdotales sont-elles sans aucune tache el purifiees du dernier reste de la poussiere de ce monde ?

II s'ecoule peut-£tre encore du temps jusqifa mon dernier soupir, et quelles sont alors mes pensees? Ma vie en est tou- jours 1'objet. Je regarde autour de moi. Que me disent ma table de Iravail, mon pupitre, mes livres, mon prie-Dieu, mon bre- viaire, le livre de mes regles, la feuille de Texamen particulier. le cahier de mes recolleclions et de mes notes spirituelles?... Que me disent mes Freres, mes Superieurs?... Que rae rappel- lenl la chaire de 1'eglise et mon confessionnal?... Et, en dehors de la maison, que me disent les lieux oii je me suis trouve et ou j'ai travaille ; les voyages que jai faits ; les per- sonnes avec qui j'ai ete en relation ; les emplois et les affaires dont j'ai ete charge? En un mot, que rae rappellent tout l'en- semble el tout le detail de ma vie, de cette succession continuelle et quasi infinie de pensees, dMntentions. de resolutions, de paroles et d'aclions ?

Ghaque instant de celte vie a-l-il ele pour Dieu,dans Tinteret de mon eternite? Pourqui a-t-il ete? A tout moment je pouvais me faire un merite infini pour le ciel : 1'ai-je fait? Que me semble maintenant toute ma vie? Est-ce que je vois les choses d'un autre oeil que je les voyais autrefois? Ont-elles toujours pour moi la meme importance ou le meme attrait ? Me parais- sent-elles toujours aussi insignifiantes ou aussi desagreables ? Lequel des deux jugements est-il le meilleur et le plus sur, de celui de la vie ou de celui de Theure de la morl ? Gertes, je dois faire mon profit du jugement plus equitable I

L'agonie arrive, heure penible ou, abandonne a moi-meme,

276 PREMIERE SEMAINE

prive de secours el de consolation, j'entre, en quelque sorte, dans un pays de montagnes, desert et inhabite, par un temps d'automne froid et nebuleux. Les extremites de mes membres. de mes mains et de mes pieds, deviennenl glaciales ; la voix du Pretre qui dit : Proficiscere, anima christiana, retenlil a mes oreilles, comme si c'etait un bruit lointain... Le cierge des ago- nisants projeltesur moi ses lueurs vacillantes, pendant que mes yeux repandent leurs dernieres larmes et s'obscurcissent.On me suggere de douces et pieuses invocations : mais est-ce que je les entends ou ne s'arretenl-elles pas a mes oreilles, comme les gouttes d'eau qui gelent, pendant 1'hiver, en tombant sur le sol? Mon coeur bal toujours plus lentemenl et moins fort, et nean- moins que de choses serieuses se passent dans ce cceur !... II s'y livre le dernier combal entre la vie et la mort, entre la grace et de nombreux ennemis... Graduellement me surviennent uue faiblesse, une langueur, un assoupissemenl et une agilation inquietante... Puis se produisent en moi un etonnement, exempt de douleur, comme une surprise soudaine, et ensuile un ellroi. comme si je tombaisdans l'eau,si je me submergeais, sij'elouf- fais : je cberclie un terrain solide pour y meltre le pied el je ne le trouve pas ; la terre me fuit, m'echappe... Enfin j'ai une der- nierecontraclion sur le visage et j'eprouve unesecousse supreme, et c^est fini... Je suis dans IVlernite... en la presence de Dieu.

Desormais, je ne suis plus qu'un cadavre... Autour de moi, on regarde, on examine tout, mes effets. mes ecrits... Je suis la indifferent, silencieux, tenant pieusemenl dans mes doigts entre- laces mon chapelet, mon crucifix et un calice, mes derniers biens... Quelles sont les pensees de ceux qui me visilenl'?... L'heure de mon enterrement a sonne... : Toffice des morts coin- mence ; il est suivi de la messe... Je suisensuite porte et accom- pagne au cimetiere... On me descend dans la lerre et je dispa- rais... Pendant quelques annees se dresse sur ma fosse une croix sur laquelle esl inscrit mon nom... Gette croix se degrade peu a peu et a la fin tombe... Y a-t-il deja longlemps queje suis oublie dans la maison oii j'ai termine ma carriere?... Qu'est-ce que je suis devenu? Que resle-t-il de moi? Valde cito erit tecum hic

PREPARATION A LA MORT 277

factum ; vide aliter quomodo le habeas... (Imit. Christi, 1, 23.)

Voila ce que c'est que mourir. Et ce luoraent de la raort

viendra surement, el bientot, et a 1'improviste, et une senie fois.

II. Les consequences.

A.— Ge qui aeledit dans la medilalion precedente peut etre rappele ici. Premiirement, je dois eviter le peche, parce que le peche fait la mort mauvaise ou la rend triste et epouvantable en face de l'eternite. Deuxiemement, je dois mepriser le mondeet ne pas rae laisser troraper par lui ; sa puissance, ses plaisirs et ses jugeraents cessent et s'evanouissent a 1'heure de ma mort. Troisiememeni, je dois mener une vie fervente. Que desirerais-je avoir fait a mon dernier soupir ? El comment 1'avoir fait ? II faut me dire achaque aclion : « Cette ceuvre, je la retrouverai un jour, dans 1'eternite. »

B. Ou bien, je dois faire ma preparation a la mort (Voir la medilation suivante).

b) PREPARATION \ LA MORT

I. Xecessile de cette preparation.

A. Xous devons nous preparer a lamort. Tout, en cetle vie, demande, pour reussir, une preparation; a plus forte raison devons-nous nous preparer a la mort ! Y a-t-il rien de plus sur que la mort ? On prevoit les eventualiles et on se precau- tionne contre les accidents qui peuvent arriver ; pourquoi donc ne pas prendre garde a la mort, qui est si certaine et si inevi- table ? Ensuite, y a-t-il rien de plus important que la mort? La raorl n'est pas un eveneiuent isole dans notre vie et sans connexion avecelle. La raort est non seulemcnt la fm de notre existence ici-bas, elle en est encore le resultat ou le fruit, et le momenl qui decide de toute notre eternite. La bonne raortestle ( :hef-d'o2uvre que notre vie a du produire. La vie, si nouscom- prenons toule la portee de ce mot et surtout de la chose qifil

278 PREMIERE SEMAIJNE

exprime, n'est que la preparation a la raorl et par suite a 1'eter- nile. Nous devons donc nous preparer a la morl et serieuseraent et au prix meme des plus grands sacrifices : Nulla satis magna securilas, ubi periclitatur leternitas (S. Greg.).

B. Nous devons etre prepares a la mort. Sint lumbi vestri prsecincti et lucernie ardentes in manibus... Eslole parati (Luc, 12, 35-41). En effel, la mort vient bientot et bien vite, et nous n'avons peut-etre que peu de temps a vivre ; de plus la inort vienl a riinproviste, a 1'heure oii elle n'est pas attendue

Lu<;, 12, 40). Ghacun de nous doit etre toujours comme une sentinelle a son poste. II en resulle qifil ne faut pas remettre a notre demiere heure nolre preparation a la mort. Alors cette preparation n'esl souvent plus possible, ou elle est difficile. Les raisons de cette difficulle se trouvent d'abord dans les souffrances corporelles, dans la faiblesse et l'abaltement de Tesprit; puis dans les tenlalions dMmpatience, de decouragement et de tris- tesse ; et enfin dans les embuches du demon, notre pire ennemi. II est des heures et des lieux qui sont particulieremenl troubles par les mauvais esprits, et le lieu et lheure de notre raorl, cerles, sont de ce norabre. Le denion sait qu'il n'a plus que ce dernier inoinent de notre existence pour nous faire du raal : le temps le presse ; les graces que nous recevons 1'exasperent ; le pouvoir de 1'Eglise firrite ; et c'est pourquoi il eraploie toutes ses ruses et toutes ses forces, il calcule lout et redouble ses assauts pour detruire le regne de Dieu dans notre coeur. Soyons donc bien sur nos gardes ! G'est maintenant qu'il faut nous rappeler la lecon que nous donne la parabole des Vierges folles

Matth., 25, 1-14).

II. Comment devons-nous nous preparer d la morl ? (Methode de [ireparation a la mort.)

A. Nous devons, premierement, nous y preparer de maniere a ce qu'elle ne soit ni mauvaise ni malheureuse. Evitons donc le peche grave et ayons soin de nous conserver en elal de grace : il n'y a que le peche grave qui rende la raorl mauvaise et malheureuse. Si la mort nous surprend en etat de

PREPARATION A LA MORT ^!T9

grace, ce nest pas im malheurpour nous; nous faisons toujours une bonne mort, et c'est souvent meme un bonheur : le principal pour nous est assure et sauve, bien que nous soyons peut-etre condamnes au purgatoire.

B. Nous devons, deuxiemement, nous preparer a la mort de telle sorte qirelle ne soit ni penible, ni amere. Et pourquoi ?

Parce que d'abord 1'elal oii nous sommes reduits a 1'heure de notre mort. est par lui-meme deja assez penible ; ensuite. la mort difficile et amere 11'edifie pas ; et enfin Dieu ne la veut pas.

Qu'avons-nous donc a faire pour 1'eviter ? Ge qui rend la mort amere, cest le peche veniel frequent, delibere; c'est la negli- gence de la penitence el des moyens de purification de 1'ame ; c'est surtout la tiedeur dans la vie spirituelle. Dans ces condi- tions, tout nous cause deTangoisse et nous serre le coeura notre heure derniere : le monde, que nous n'avons quitte qirexterieu- rement; notre Ordre, dont. nous n'avons pas garde les obser- vances et dontnous ne nous sommes pas approprie 1'espril: nos charges et nos fonctions, dont nous avons abuse dans notre interet ; nos Freres en Religion, que nous avons scandalises et que nous n'avons pas aimes ; nos Superieurs, que nous avons contristes ou forces a trop souvent nous epargner; Dieu, que nous n'avons pas servi loyalement et genereusement ; Teternite, la rigoureuse eternite, qui remet tout en question : principes de conduite, confessions, comptes ou examens de conscience, rela- tions, libertes, dispenses ; enfin la conscience, autrefois si large el si certaine, est alors si peniblement perplexe et douteuse ! Gombien est triste et sombre, apres une telle vie, la perspective de reternite ! Que de graces imporlantes ne nous fait pas perdre, pourjl'heure de la mort, une semblable existence !

G. Nous devons, troisiemement, nous preparer a la mort de maniere a ce qu'elle soit paisible, facile et sereine. La raison en est qifune pareille mort est chretienne, edifiante et meritoire pour nous, et de plus tout a fait possible. Xous avons assez de motifs de ne pastant craindre la mort, assez de moyens de rendre notre trepas dou\ et facile. Dabord et avant tout, nous avons, parmi les moyens exierieurs, les Sacremenls de 1'Eglise : nous en comptons au moins trois ! Le Sauveur lui-

280 1'REMIERE SEMAINE

meme vienl a nous dans 1'Eucharistie : ce divin Pilote prend alors personnellement la direction de nolre ame pour la conduire a travers les ecueils qui 1'environnent de toute part. Nous avons aussi, a notre disposition, en ce moment critique, des graces loutes particulieres. Dieu, le Pere de la pauvre creature, esi la pres d'elle, et lui tend une main secourable, pendant qu'elle acheve de boire les ameres goultes du calice de sa vie precaire. Dieu aime la morl el il Fenloure, comme une ile fortunee, d'un ocean de graces. Enfm, a nos cotes, se liennent nos bien-aimes amis du ciel, les Saints, qui, a cette heure supreme, nous pro- tegenf el nous consolent. II y a, de plus, des moyens intimes, surtoul des motifs nobles el beaux, de ne pas redouter et meme d'aimer la morl. Sans doute, la mort n'arrive pas au Chreiien a 1'improvisle. II ne Toublie pas, meme il 1'invoque et 1'appelle chaque jour en recitant le Pater : Advenial regnum tuum.t En soi, elle nest pas redoutable : elle n*est pas pour nous, Ghretiens fideles, uii spectre affreux ; elle est 1'arrivee du Dieu bon el aimable qui vient nous chercher : Nigra sum, sed formosa (Canl., 1, 4). G'en est fait du passi avec ses Iravaux, sespeint-s, ses tentations et tous ses dangers : desormais plus dWerises envers Dieu. Le present nous offre 1'occasion d'olI*rir a Dieu le sacrifice le plus precieux, de prier le Sauveur d'agreer notre mort en souvenir et en retour de la sienne, el enfin de meriter par notre Irepas 1'entree dans le Royaume du Ghrist. Uavenir nous montre la recompense, le ciel : nous sommes tout pres de notre belle patrie, a la porte de la maison paternelle, au seuil de notre demeure si aimee! Le rivage de notre pays nalal semble nous sourire et nous appeler. II n'y a plus qu'une lame dange- reuse, qu'un pas difficile a franchir,et nous sommesii flieureux terme! Nous devons nous comportera fegard de la morl comme nous nous comporlons a legard de Dieu : il nous faut craindre la niorl, mais plus encore 1'aimer. Mais le moyen que nous devons employer, avanl tout autre, pour avoir une mort tran- quille, consiste a mener une vie pure el sans tache, exemple le plus possible de peches veniels volonlaires, a mener une vie pieuse, une vie de priere et de recueillemenl, a mener une vie loule de ferveur et demerites. Cest le momenl de recommander

prGparation a la mort 281

certains exercices de piele, comme les devotions au Sauveur mourant, au Sacre-Cceur, a laTres Sainte Vierge, & saint Joseph et a 1'Ange Gardien : ces pratiques sont en quelque sorte des obligations que nous contractons pendant notre vie, mais qui cessent a notre mort. N'oublions pas non plus deraviverchaque jour en nous Tamour pour TEglise et pour le Regne du Ghrist, et enfin le zele des ames que loules nous devons obliger de quelque maniere. Quelle grande consolation nous donnera, a notre dernier soupir, ce devouement genereux au Sauveur, a son Eglise et aux ames ! Si le Ghrist et son Regne nous parais- sent aujourd'hui deja si grands et si beaux, que sera-ce a la fin de notre carriere !

Ilestdonc possible que nous mourions bientot. Qu'elle est belle la mort du juste ! Qif il est delicieux le trepas de Pinno- cent! Avec quelle confiance ils quittent toul, et combien est ardent le desir qu'ils ont de Dieu ! Ainsi meurenl les Saints; ainsi sont morts lesStanislas, les Louis de Gonzague, les Ignace, les Xavier, les Elisabeth. Quel magnifique coucher de soleil, quel ravissant spectacle, quel parfum delicieux, quelchef-d'o3uvre incomparable que la inorl d'un Saint ! Pretiosn in conspectu Domini mors sanclorum ejus Ps. 115, 1.5). Moriatur anima mea morte justorum (Num., 23, 10).

LE JUGEMEMT PARTICULIER

Le bul de cette meditation et des meditations suivantes n'est pas seulement de nous detaclier du peche, mais encore de nous eloigner de latiedeur et de la negligence dans le servicedeDieu, el de nous exciter au zele et a la ferveur.

I. Verite et realite du jugement parliculier.

Vivre, mourir et etre juge, voila tout le programme de nolre existence : Facile est coram Deo, in die obitus, retribuere urticuique secundum vias suas... In fine hominis denudatio operum ejus (Fcc, 11, 28. 29). Factum est ut moreretur mendicus et portaretur ab angelis in sinum Abrahx. Mortuus est autem et dives et sepultus est in inferno (Luc, 16, 22). Statutum est hominibus semel mori, posl hoc autem judi- cium (Hebr., 9, 27). La meme verite fail parlie de 1'ensei- gnement de TEglise : « Les ames, apres la mort, vont au ciel ou en enfer ou en purgatoire » (Goncile de Florence, Decret d'union). Les motifs en sont que la vie est terminee et qualors, le merite el le demerite cessanl, notre sort doit etre decicle d^une maniere definilive. II n'y a aucune raison pourque le jugement ne suive pas immediatement la mort ; le contraire, envisage du cote des jusles ou du cote des pecheurs, ne repon- drait ni a la sagesse ni a la juslice de Dieu. Le jugement gene- ral n'est que la ralitication et la pleine execution du jugemenl particulier.

U! JUGEMENT PARTICULIER 283

II. Nature et procedure du jugement particulier.

Le jugement a lieu aussilol la sortiedel1amedu corps ; ilcon- siste probahlemenl dans une illumination surnaturelle de 1'esprit qui nous fait voir notre etat, et clans la conviction intime quen ce raomenl nolre sort est decide par Dieu et par Jesus-Ghrisl. On pourra alors, en effet, reunir et analyser, d'un coup d'ceil, dans ses moindres details, (ous les acles de cette procedure, qui ne durera qu'un inslant ; el il le faul, pour avoir une idee juste de ce jugement. N-elant pas des purs esprils, nous ne pouvons, en ce monde, comprendre el saisir tout d'un seul coup el a la fois.

A. Le Juge esl Dieu et rHomme-Dieu, le Chrisl Jesus, parce que, coinme Homme-Dieu, il est par naissance Maitre, Roi et Juge de loute rinimanile : Potestatem dedit ei judicivm facere, quia Filivs hominis est. (Joan., 5, 27, cf. 22).

La personne et les qualites du juge sont d'une grande impor- tance ici. Aulre est un homine, meme grave el severe, autre un mort, ayanl deja toul le serieux et la majeste de l'eternite, aulre enfm un Saint ou un Ange. Or, dans le cas present, le Juge est Jesus-Chrisl, admirable el grand dans celte fonclion corame sous tous les autres rapports. II a loutes les qualites d'un Juge.

Avant loul, il a la sagesse et la connaissance, par suite de sa science surnaturelle et officielle de Juge : aucune des actions de nolre existence et de la vie de lous les hommes n^echappe a sa memoire et a son souvenir. De plus, il est juste, et il exerce purement la justice dans son jugement, parce que le temps de la misericorde est passe. II ne veut que recompenser et punir, selon ce qu'il trouvera en nous : reddet unicuiqve secundum opera ejus. Sans doute, il aime les hommes, mais Dieu et la justice encore davanlage. II est elabli pour que le droitet la jus- tice se fassenl et que rien dMmpur n'entre dans le royaume des cieux : Fiat jvslilia, pereat mundus ! Enfin, il a 1'aulorite corame Dieu et comme Homme-Dieu : c'eslau nom el de la parl de Dieu qifil remplit 1'office de Juge et en tant qu'Homme-Dieu. II porte avec lui, dans sa main et dans ses yeux, la paix et la

-2H't PREMIERE SEMAINE

guerre, la recompense el la punition : Hex tremendae majes- tatisf

B. L'accuse et 1'objel de 1'accusation. L'accuse c'est riionnne en sa qualile de Chrelien, de pretre ou de religieux; riiomme de cette place ou de cet emploi ; rhomme qui a recu de Dieu tant de temoignages de bonte, un nombre pour ainsi dire infini de graces et de bienfaits. Tous ces biens furenl pour riiomme un grand avantage et un grand bonheur pendant sa vie mortelle, mais ils sont pour lui un grand danger a lheure du jugement. L^objet de 1'examen et du jugement est toute la vie, ce tissu immense de pensees, de desirs, d'intentions, de resolutions, de paroles, d'aclions, d'omissions, le resultat des graces innombrables qui nous ont ete offertes el de notre coo- peration personnelle; c'est tout le livre des oeuvres secretes et publiques de notre vie : Liber scriptus profereturin quo totum continetur, unde mundus judicetur.

G. Le jugement lui-meme, avec 1'examen et la sentence, se fera vile et en toute rigueur de justice. Le detail et Tetat de loute !a vie se montreront a Tame, grace a une lumiere et a une vue que Dieu lui donnera surnalurellement : comme Teclair, qui brille du levant au couchant. celte lumiere extraordinaire eclairera toute notre existence. Nous verrons alors nos actions et nos entreprises avec leurs consequences et leurs effets, avec leurs circonslances, lesquelles souvenl aujourd'hui, par une presomption inconsideree, nous sont si indifferentes. Nous verrons nos actions avec les intenlions, dont nous fumes a demi conscients, mais qui influerent pourtant sur nos resolu- lions ; nos actions avec les paroles qui pouvaient paraitre nous echapper, mais qui portaient 1'aiguillon desline a faire une bles- sure au prochain ; nos actions avec nos pensees, rapides comme Teclair, mais cependanl plus ou moins voulues et entretenues. En un mot, nous verrons tout dans les moindres details, parfai- tement determine et rigoureusement exact, a notre tres grand etonnemenl, a notre tres grande stupefaction. Et nous ver- rons tout cela non pas a la lumiere du monde, laquelle est deja loin derriere nous, non pas a la lumiere du feu des passions, de la legerete et de la sensualite. laquelle est maintenant eteinte,

LE JUGEMENT PARTICULIER 28o

mais a la lumiere de leteinile, de la saintete et cle la justice de Dieu, dans toute la clarte de 1'evidence que nous donneronl les pensees et lesjugements de Dieu : Dieu lui-meme nous donnera des yeux pour tout voir, comme il le voit lui-meme... Quel spectacle que celui menie de tous ces peclies veniels volonlaires, et de leur enchainement ininterrompu de confession en confes- sion, sans marque serieuse d'amendement ; de cette lie, de ces resles impurs des passions, de ces caresses el de ces complai- sances avec les tentations ; de cette tiedeur et de la negligence <le tanl de moyens de salut ! Rappelons-nous, seulement d'une maniere generale. le oombre de nos lieures de priere et de nos receptions de Sacrements : quelle quantite incalculable ! < »r quel fruit en avons-nous retire? Nous verrons tout : bien et mal, abus et non-usage des graces, dans la lumiere divine, entoures des rayons de la saintete de Dieu, comme ecrases el reduits ;i rien sous le poids de son infinie Majeste! Nous, impurs vers de terre, etres orgueilleux el legers, que dirons-nous ? « Nous 1 1 ' \ avions pas songe. » Mais nous devions le prevoir. Pourquoi avions-nous le temps et des griices ? « Nous etions faibles. » Nous aurions du nous fortifier et nous le pouvions. « Nous etions vifs et inconsideres. » De ore tuo te judico, serve nequam Luc, 19,22. Ne saviez-vous pas que vous traitiez avec la Majeste supreme? Gombien de fois n'avez-vous pas repete dans la for- mule des voeux. dans les oraisons et dans les prieres : Omni- polens, sempiterne Deus ! Qu'etais-je doncpour vous?Les crea- tures n'etaient-elles pas davantage? Ne saviez-vous pas que je vous jugerais un jour? Pensiez-vous que je suis comme vous et que je fermerais les yeux, a votre maniere, sur ce que vous faites ? « Je suivais les autres. » Pourquoi ne suiviez-vous pas plulot mes paroles et mes inspirations ? » Mais mes nombreuses occupations ! » Quelle elait votre principale occupation, votre affaire propre et unique ? Que dirons-nous? Rien. Nous serons muets, nous demeurerons interdils, comme le fut, sous son babil sordide, 1'invite aux noces dont parle 1'Evangile, en presence de son hdle royal : Obmutuit. Le lemps de prier et de demander sera passe.

Alors suivra lejugement et la sentence : au meme instant oii

286 PREMIERE SEMAINE

l'on nous ferme les yeux, nous sommes mis dans la balance et juges. Malheur a nous, si le Juge trouve a punir ! Horrendum est incidere in manus Dei viventis (Hebr., 19, 31). Le visage' d'un homme irrite suffit pour nous effrayer : que deviendrons- nous donc en face de Dieu, duSeigneur, denotre Juge, qui nous connait parfaitement, non moins qu"il se connait lui-meme, et qui tient notre pauvre ame entre ses mains? Nous fremirons (reflfroi et nous Iremblerons comme la feuille agitee par le vent de la tempete ! Un regard, une parole de lui, au jardin des ( Hives, lorsque pourtant il etait deja dans la voie de 1'humilia- tion et de raneantissement, renversa par terre toute la troupe de ses ennemis ; malheur, trois fois malheur, s'il venait a nous en Juge irrite ! Qui pourra se tenir et rester devant lui ?" Quelle dure, quelle terrible sentence? Meme si elle consiste seulement en ces mots : « Allez au lieu de la purification. » Alors nous irons aussitot, non plus comme ici-bas, apres la confession, dans la chapelle, pour y faire une penitence de quelques Pater ou Ave, mais dans le purgatoire, dans le lieu du bannissement, des tenebres, du tourment et de la peine, pour y rester jusqu'a ce que nous ayons paye tout, m6me la derniere obole. Quelle joie, au contraire, et quelle recom- pense, si chacun de nous entend le Souverain Juge lui dire : « Viens, bon et lidele serviteur ! je veux t'elablirsur degrandes, sur de belles choses ; entre dans la joie de ton Seigneur » (M.vtth., 2o, 21, 23). Gar, ne roublions jamais, de meme qiraucun peche, aucun demerite n'est sans chatiment, de meme aucune bonne osuvre, aucun merite, si petit qu'il soit, n'est sans recompense. Le Sauveur sait tout, toutes les penitences, tous les sacrifices meme caches, tous les efforls serieux et genereux k son service. Gette reconnaissance et cette louange de nos bonnes actions par le divin Juge sont deja un ciel de joie; mais le ciel lui-meme deviendra aussitot notre parlage et notre pos- session.

III. Conclusions.

A. Jugeons-nous nous-memes des a present : la balance- de lajustice est entre nos mains. Portons notre propre sentence

LE .11'GEMENT PARTICULTER 287

sur mainles choses sur lesquelles vraisemblablement nous serons juges, afin d'en faire notre profit ; et remplissons, aussi bien que possible, envers nous-memes les fonclions de juges equitables : si severes que nous soyons, nous ne le serons jamais comme le sera le Juge de 1'eternite.

B. Ge que nous punissons en nous mainlenanl, ne sera plus jamais puni. Faisons-nous de nos defauts et de nos peches des occasions et des stimulants pour acquerir des merites, en rachetant nos fautes par la pratique de grandes vertus : Anle judicium para justiliam (Eccl., 18, 19).

C. Gette meditation ne doit pas seulement nous effrayer ; elle doit surtout nous disposer a marcher devant Dieu avec tout le serieux, avec toute la sincerite et toute la sollicitude qui con- viennent (Mich., 6, 8;. Fasse le ciel que nous obtenions pour nous-mthnes ce qui est demande dans les prieresdes agonisants : Mitis atque festivus Chrisli Jesu tibi aspectvs appareat, qui te inter assistentes sibi jugiter intercsse decernat... Constituat te Christus, Filius Dei vivi, intra paradisi sui amcena virentia, et inter oves suas te verus ille Pastor agnoscat... Redemp- torem tuum facie ad faciemvidcas el priesens semper assislens manifeslissimam beatis oculis aspicias verilatem. Conslitutus igitur inler agmina beatorum, contemplationis divime dulce- dine potiaris in sxcula sxculorum !

LE PURGATOIRE

I. Existence du Purgaloire.

Le purgatoire est un lieu d'expiation qui se trouve dans 1'autre vie, el ou les ames des honimessubissent les peines temporelles dues a leurs peches deja pardonnesou a leurs peches veniels non encore pardonnes.

On ne peut douler de 1'existence du purgaloire. L'Ancien Testament el le Nouveau atteslent celte verite : Sancta ergo et salubris est cogitatio pro defunctis exorare, ut a peccatis sol- vantur (II Macch., 12, 46). Nous avons, dans ces paroles du second livre des Macchabees et dans le recit qui les precede (v. 43, 44), 1'expression de la croyance inebranlable de tout le peuple juif. de son armee, de son sacerdoce et de son chef, Judas Macchabee... Quia autem dixerit [verbum) contra Spiri- tum Sanctum, non remittelur e.i neque in hoc szeculo neque in futuro (Matth., 12, 32; cf. I Cor., 3, 11. 15). Cest aussi la conviction et l'enseignement formel de 1'Eglise catholique qu'il y a un purgatoire et que nous pouvons secourir les pauvres ames qui s'y trouvent (Trid. sess. 25, decr. de Purg.). Enfin la raison, eclairee de la foi, nous dit qu'un certain nombre d'hommes meurent sans avoir. au moins completement, acquitte la dette des peines temporelles que meritent leurs peches. Or, rien d'impur n'entrera dans le royaume des cieux ; et, comme les ames de ces hommes sont en etat de grace, I'en- fer ne peut elre le lieu de leur punition. II faut donc qifelles soienl chatiees ailleurs, c'est-a-dire dans le purgatoire. Le pur- gatoire est par consequent pour ces ames une station interme- diaire entre la terre et le ciel; et, dans les circonstances oii elles se trouvent, il estpour elles un Ires grand bienfait.

LE PUP.GATOIRE 289

II. Ce qu'est le Purgatoire.

Dans le peche veniel, il y a ime inclination dereglee vers la ereature, et une opposition a Dieu ; c'est pourquoi Ia peine du purgatoire est dotible, comme celle de l'enfer, negative et posi- tive : la peine du dam 011 la privation teraporaire de la vue de Dieu, et la peine du sens.

A. La peine du dam. Le delai de la vue et de la pos- session de Dieu au ciel resulte de ce que 1'bomme, en pechant veniellement, a peche contre la charite ou 1'amour de Dieu, qtioique non pas d'une maniere grave : il a prefere la creature a la volonte divine dans des choses de peu d'importance par elles-raeraes, lout en sachant que ce dereglement le detournait en partie de sa demiere fin. II est donc juste que, dans Tautre vie, il ait la part, le lot que lui-meme a voulu et choisi. Nous avons, sur la terre, laisse Dieu frapper el altendre a notre porte ; nous avons fail peu de cas d'etre pres de lui aussitot apres nolre mort : c'est a son tour maintenant de nous faire attendre, et sa porte restera fermee quelque temps encore, malgre Tabon- dance et ramertume de nos larmes. Cetle premiere peine du purgatoire est exlraordinairement grande. On peulen dislinguer deux parlies :

D'abord, c'est une grande soulfrance pour lesaraes du purga- toire de n'etre pas encore pures de toute souillure sous les yeux de la divine Majeste, au raoins a cause de la marque humiliante de la peine temporelle quelles subissent. Ges saintes araescon- naissenl Dieu infmiment mieux que sur la terre. Le monde et ses distractions, les attraits de la sensualite et des passions sonl bien loin en arriere ; Dieu, avec sa majeste, sa bonte et sa beaute infinies, esl 1'unique objel qui les occupe. Mais elles ne sont pas encore pures a ses yeux ; pendant leur vie mortelle, elles n'eurent pas a coeur de se laver de leur souillure, et voila ce qui presentement les lourmente plus que tout le reste. Elles en eprouvent une douleur vive el persistante, dont le seul adou- cissement est la pensee qu'elles ne souffrent que pour effacer peu a peu la fletrissure de leur condaranation. Ensuite, \es

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290 - PREMIERE SEMAINE

aines du purgatoire soulfrent de la separation de Dieu, derniere (in de leur existence, et du desir naturel et surnaturel qu'elles ont de la beatitude, suivant leur degre de connaissance et d'amour de Dieu. Dieu, dans le purgatoire, attire les ames a lui, et celles-ci sont porlees vers Dieu de toule laforce de leur etre, et, malgre cela,elles ne peuvent atteindre et posseder Dieu. II y a un mal terrible, parfois mortel, qui s'appelle la nostalgie ou le mal du pays. Absalon, ce fils denature, ne voulait plus vivre, parce qifil ne devait plus desormais voir la face de son pere. Quelle peine poignante pour un prince royal d'etre enleve au mi- lieu du cortege qui le conduit a la ceremonie de son sacre ; pour une fiancee cfetre sequestree avec violence,alors qu'elle estdeja sur le cbemin de 1'eglise ou vont se celebrer ses noces ; pour un enfant, longlempsabsent, d'etre prive par force de la vue d'une mere tendrement aimee ! Or, que sont un pere, un fiance, une mere, en comparaison de Dieu ? Qifest-ce qu'un royaume tem- porel, une parcelle de terre, compare a la possession et a la beaute du ciel? Voila ce qui tourmente les ames du purgatoire. II n'y a que Dieu et la possession de Dieu qui puissent les con- soler. Gelte privalion de Dieu est donc une douleur aigue et conslante ; pourtant ce if est pas du desespoir, puisqu'elles ont la certitude de posseder un jour Dieu.

B. La peine du sens des ames dti purgatoire doit etre consi- deree sous un quadruple aspect : En premier lieu, d'apres les docteurs et les Saints, aucune douleur terrestre if egale cette peine du sens et meme ne peut lui £tre comparee ; et c'esll'en- seignement fonde des theologiens que le feu en est un des ele- ments. En second lieu, elle lfest pas eternelle, mais elle est longue : d'abord, parce qu'elle est tres douloureuse, el, ensuite, parce qifen realite elle peut durer longtemps, suivant 1'opinion de 1'Eglise. En troisieme lieu, les ames du purgatoire ne peu- vent absolument pas se garantir de celte punition ; elles ne peu- vent rien faire pour 1'adoucir et 1'abreger. Elles doivent la subir, jusqif a ce quelles aient satisfait pour la derniere obole, a raoins que Dieu lfinspire a l'Eglise et aux Ghretiens de la terre la pensee de prier et de faire des bonnes oeuvres dans leurinler&t. Elles dependent donc entierement de la Providence de Dieu et

LE PURGATOIRE 291

de la corapassion des fideles d'ici-bas. En quatrieme lieu, la peine du purgatoire n'esl daucun merite pour les araes qui la supportent : elles n'en recevront aucune recompense. Cest une peine exclusivemeut satisfacloire, une pure reparation, mais qui est exigee avec la derniere rigueur.

Telles sont les peines du purgatoire, si dures et si extraordinairemenl grandes. Le peehe veniel est donc, apres le peclie mortel, le plus grand des raaux ; et pourtant on comraet tant de peches veniels et avec une telle facilite ! Les peines du purgatoire ne sont pas des peines correctionnelles ; elles sont des peines pureraent vengeresses (panx mere vindicativse). Enfin, elles sont des peines de Teternite el a cause de cela d'une grandeur inexprimable. Combien terribles sont parfois, meme en ce monde, les coups de la juslice divine ! Mais ils ne nous donnent quune faible idee des peines de 1'aulre vie ; ils ne sont, daus le temps, que comrae des etincelles isolees qui s'echap- pent de 1'abime de Teternite.

III. Moyens d'eviter le Purgatoire.

Le fruit de celle meditation ne peut etre que la resolution de faire lout nolre possible pour eviler les peines du purga- loire.

A. Le premier moyen a prendre dans ce but esl de fuir le peche, meme le peche veniel. Xous voyons, par les peines du purgatoire, quelle esl la Majeste de ce Dieu qui chalie si rude- raent pour les moindres offenses donl il est Fobjel. Deman- dons-nous quels sont ceux qui subissent ce chatiment : ce sont des saints, des enfants que Dieu aime par-dessus tout ; c'est pourtant sur eux quil decharge les coups lerribles de sa justice. Donc, craignons Dieu tout en raimant! Nous voyons encore par Iti ce qu'est le peche et combien il nous rend malheureux. Les charbons et les lisons qui nous tourmenteront dans le pur- iratoire, seront exclusivement le resultat ou la punition des peches que nous aurons commis. Donc, acquerons la purete du coeur! Enfm, remarquons une fois de plus la mechancete du monde, qui est pour nous 1'occasion perpetuelle du peche, la

292 PREMIERE SEMAINE

cause de tanl de douleurs, et qui ne fait rien dans nolre interet. Donc, fuyons le monde.

B. Le second moyen d'echapper au purgatoire est de satis- faire en cette vie pour les peines teraporelles dues a nos peches ; etnous le faisonspar la penitence, la priere, Taumone, le jeune, et en gagnant des indulgences. Assuremenl,il iVesl pasbon pour nous de remettre jusqu'a 1'elernite racquiltemenl complel de notre dette. Ghaque jour nous devons payerquelque chose, parce que chaque jour nous contractons quelque dette par nos fautes quolidiennes : la nacelle fail eau chaque jour, il faut clonc la vider chaque jour. Au moins supportons, avec espril de foi et par amour pour Dieu, lespenitences involontaires qui consistenl dans les souffrances et les adversites de cette vie.

G. Le troisieme moyen d'eviler lepurgatoireest d'observer nos regles avec exaclitude et avec zele : observance qui est ici- bas un purgatoire. Nos regles ont precisement cet avantage de prendre soin partout et toujours de nos interets, meme de nos interets eternels. Quel spectacle nous offrirail une ame du pur- galoire, par exemple, l'ame d'un de nos Peres ou Freres, qui aurait obtenu la faveur de subir tout son chatimenl sur la lerre et dans les conditions oii nous vivons ! Avec quelle fidelile et quelle ardeur ne garderait-elle pas toutes ses regles, n'accom- plirait-elle pas chacnn de ses moindres devoirs !

O) LE PECHE VENIII.

La question du peche venielest trop importante dans le lemps et dans reternite, pour que nous n y donnions pas une particu- liere attention.

I. Nalure du pechc veniet.

A. Par peche veniel on entend, en general, une transgres- sion de la loi de Dieu et une offense de Dieu, qui lVentrainent pas la privalion de la grfice et de Tamitie divine el la danmation eternelle. Un peche peul elre veniel pour deux raisons, ou

LE PECHE VENIEL 293

}>ien a cause de la legerele et de rinsignifiance de Tobjet en lui- meme ; ou bien ii cause du manque de connaissance parfaile ou de volonte enlierement libre, meme quand Tobjet ou la matiere est grave. Qu*il y a des peches qui ne sont que veniels, c*est l'enseignement de FEglise catholique (Trid. sess. v:, cap. 11, can. 23, 25; xiv, cap. 5, can. 7). La sainte Ecriture dit elle- meme qu'i'1 y a des peches icommis par les justes, sans que ceux-ci cessent d'etre justes. Ges peches sont les petites laches et les rides qui deparenl 1'Eglise et aussiles ames en particulier, mais sans les defigurer entierement (Eph., 5, 27) ; c'est le bois, c'est la paille sur le fondement, le Ghrisl, et qui bruleront dans le purgatoire (I Cor., 3, 12, et suiv. ; EccL, 7, 21 ; Jac, 3, 2). En eflet, la sagesse et la justice de Dieu exigent que sa grace et son amitie, ainsi que robtenlion du salut, ne dependent pas de choses, lesquelles souvent peuvent a peine elre appelees des actes humains et qui sonl le fait plutot de la laiblesse que de la reflexion. Le peche veniel n'est pas l'inter- ruplion, la cessation complete de l'efforl vers la fin derniere ; c'est seulemenl de la lenteur ou de la diminution dans cet elfort.

B. Tel est le peche venielengeneral. Ici, nouscomprenons, sous le nom de peches veniels, specialement et expressement, la pire espece des peches veniels : a savoir, ceux qui sont com- mis avec pleine connaissance et une volonte entieremenl libre et malgre la protestation de la conscience ; il sagit donc des peches veniels parfaitement volontaires. Ge sont ces peches surtout qui sont 1'objet de cette meditation, et non pas autant ceux qui nous echappent par inadverlanceet surprise : ces der- niers nempechent pas de tendre a la perfection, mais bien les premiers. Notre premier effort, dans la vie spirituelle, doit etre de nous armer contre ces fautes deliberees el de faire en sorte que nous nous en abstenions habituellement.

C. Cest ici le lieu dejeter un regard en arriere sur notre vie, et d'examiner notre conscience, comme nous 1'avons fait dans la meditation sur les peches personnels, afin de voir ou nous en sommes par rapport a la haine du peche veniel volon- taire : parcourant pour cela les commandements et remarquant

294 PREMIERE SEMAINE

ceux contre lesquels nous avons surlout peche el pour quels peches veniels nous avons plus dinclination.

II. Le mal du peche veniel.

Nous pouvons voirclaireraent le inal du pecheveniel de deux cotes a la fois, et ainsi nous trouvons de nombreux motifs de 1'eviter :

A. Du cote de Dieu, le peche veniel est, premierement, une protestation contresa souverainele etson domaine, auxquels nous devons etre soumis par raccomplissement de sa volonte, Fobservation de ses preceptes et de ses defenses. Le mal du peche veniel n'esl pas, essenliellemenl el dans le principe, moins mauvais que le mal dn peche mortel, et Dieu prend au serieux aussi 1'obligation qifil nous impose d'eviter le peche veniel. Oui, son ordre ou sa defense sont expres et obligatoires alors, comme dans le cas du peche grave ; seulement il n'y apporte pas loutle poids de snn autoriteet loutela rigueur de sa justice. Malgre cela, nous passons outre, nous pechons veniel- lemenl. Le peche veniel volontaire est donc la transgression el le mepris d^une volonte de Dieu connue el formelle, une vraie desobeissance envers Dieu, mais une desobeissance qui n'est pas punie de la damnalion eternelle. Cest pourquoi le peche veniel volontaire renferme en soi un si grand mal que, pour rien au monde, nous ne devrions le commettre.

Deuxiememeni , le peche veniel est une opposition a la sain- lete et a la sagesse de Dieu. Meme le .plus petit des peches veniels est un lel monstre et si contraire a Dieu que Dieu detrui- rait mille fois tout 1'univers plutdt que de 1'approuver. II est evi- dent qu'un sage legislateur ne doit pas seulement defendre les transgressions graves, mais aussi les legeres, parce que celles-ci conduisent a celles-la. Ainsi Dieu ne se contente pas de defendre les fautes gravescontre les cinquieme, sixieme et sep- tieme commandements ; il defend encore les fautes legeres. parce qu'elles sont un vrai mal, un mal tout a fait inlolerable pour lui, et parce que les pelits peches menent aux grands. Nous-memes nous ne pourrions supporler aucune sociele dans

LE PECHE VLMKL 295

laquelle il serait seulement defendu de nous frapper a morl, de nousvolerou de nouslromper d'unemaniere notable.

Troisiemement', le peche veniel est oppose a la bonte et a ramourde Dieu. 11 y a, en effet, dans le pecheveniel une offense de Dieu, parce qu'il y a une inclination dereglee a un bien cree et par consequenl unmepris du bon plaisir divin, sans loulefois elre grave. Or, tout cela est contraire a ramour et a la haute estime que nous devons au Bien supreme. Sans nul doute, notre charite esl defeclueuse, quand nous disons de bouche que nous aimons Dieu el quand nous faisous souvenl ce qu'il n'aime pas, ce qu'il defend el ce qu'il deleste. Dieu ne sarrete pas a l'unique essenliel, au strict necessaire, dans son amour el sa bonte pour nous : il nous aime partout et loujours et en tout outre mesure. Pourquoi voulons-nous donc nous contenler de 1'essentiel dans 1'obeissance el 1'amour que nous lui devons ? II est clair que ce n'est pas la du bon esprit, de 1'espril filial ; et encore bien moins cet esprit convient-il a un Religieux, qui s'est fixe, comme but a atleindre, la perfection, c'est-a-dire l'amour de Dieu.

B. Relalivemenl a nous-memes, le peche veniel est un mal, a vrai dire, deplorable, a cause de ses consequences funestes. En |)iemier lieu, ce peclie nous cause un serieux desa- vantage dans les rapports avec Dieu. Le peche veniel offense Dieu, etc'est pourquoi il fait diminuer les demonstrations et les preuvesdamour el de tendresse de Dieu a notre egard : il nous soustrait maintes graces efficaces, que nous aurions sans cela recues de la bonte divine, en nous approchant des Sacrements ou en accomplissant d'autres bonnes oeuvres; il nous prive ensuite de la prolection speciale de Dieu dans les epreuves, les dangers et les lenlations. Et celte proleclion de Dieu estquelque chose d'extraordinairement imporlant dans la vie pratique. Le peche veniel amoindrit, de notre cote, la confiance filiale envers Dieu et notre amour pour lui, en sorte que peu a peu la froideur et l'indilference prennent leur place, et un mur de separation s'eleve enlreDieu et nous. Parceque nousavonsune mauvaise conscience, nous i^aimons plus le commerce intime avec Dieu et nous ne le recherchons plus comme aulrefois.

-29() PREMIERE SEMAINE

En second lieu, le peche veniel nous mene insensiblenienl, d"une autre maniere encore, a un etat d^ame mauvaiset dange- reux. Les peches veniels volontaires frequents font perdre a la conscience sa delicatesse et nous rendent legers et negligenls : il en resulte le reveil des passions et 1'assaut des tentations. Alors il suffit d'une occasion dangereuse exlerieure pour nous faire lomber dans le peche mortel ; c'est ainsi que le peche veniel prepare dans notre cceur la place au peche mortel. Lun et 1'autre de ces peches sont comme deux voleurs qui travaillent en se donnant la main : la ou le grand et gros voleur ne peul penetrer, le pelil passe et il elargit de 1'interieur rouverlure pour que le grand puisse entrer lui-meme.

Troisivmement , le peche veniel nous expose a des punitions penibles, d'abord, dans le temps, souvent a d^amers desagre- ments, ades embarras, a des prejudices de sante, a des troubles dans notre paix et nolre tranquillite, occasionnes par la deso- beissance et les autres desordres du peche veniel ; ensuite dans reternile, oii nous altendent les supplices cruels du purgatoire. Mesurons d'apres cela tout le mal que nous cause le peche veniel ! Aussi les Saints aimaient mieux mourir que de le com- mettre, ou bien, s'ils 1'avaient commis, ils en faisaient une rude penitence, souvent toute leur vie.

III. Moyens deviler le peche veniet.

A. Le premier moyen est la resolution, le propos ferme et invariable de ne jamais commettre de peche veniel volontaire ; el nous devons nous renouveler dans cette bonne disposition a chaque confession et a chaque examen.

R. Le second moyen estla fuite des occasionsdangereuses. Peut-elre (et ces cas de pecher ne sont pas rares) que nous trouvons une cause permanente de peches veniels dans certaine personne, a un certain lieu, etc... ; alors evitons-les comme des pierres de scandale.

G. Le troisieme moyen est le calme, la presence d'esprit, la prevoyance, le recueillement et rattention sur nous-memes.

D. Le quatrieme moyen est rexamen particulier, moyen

L\ tiedelj; 297

qui doit etre employe avant tout autre, si nous avons 1'habitude de 1'aire despeches veniels deliberes.

b) LA TIEDELR

I. Nature et essence de la tiedeur.

A. En general, la tiedeur est le conlraire de la ferveur. Or, la ferveur consiste dans un degre eleve de charite, tandis. que la tiedeur est une diminution et un refroidissement de la charile. La tiedeur est, en etfet, un peclie contre cetle vertu : le Reli- gieux ou le Chretien tiede ireprouve-t-il pas du degofit volon- taire dans le service de Dieu, parce que ce service lui coule quelque peine ? Xe peche-t-il donc pas ainsi contre la charile ?

13. En particulier, la diminution de cette faveur se montre dans la conduite de celui qui est tiede, et d'abord, dans les pechesqu'il commet : il n'a plus 1'aversion ni 1'horreurqu'il avait et pour le peche lui-meme, dont il ne tient plusun si grand compte, et pour les sources du peche (esprit du monde, sensua- lile, orgueil), et enfin pour les suites du peche (tentations, mau- vaises habitudes et occasions du peche). De plus, la tiedeur est un amoindrissement dans le zele et Testime du bien : on manque de courage, de resolution et de force pour profiter de tout, temps, faculles, occasions et graces, pour acquerir des merites et des vertus. La tiedeur esl remarquable specialement par 1'elevation moins grande des pensees, des vues et des maxi- mes : on ne veut plus viser a rien de haut et de grand ; on ne pense qifau bien qu'on a, sans s^nquieter de celui qui manque ; on ne fait plus que se compareraux moinsparfaits. Pourdes- cendre davantage dans le detail, la tiedeur se revele encore dans le degout volontaire de sa vocation ; il y a la toujours un signe dela negligence de ses devoirs d'etal, d'oii resultent lesremords de la conscience. De meme, la tiedeur apparait dans la diminu- lion du zele pour la priere : on n'y suit plus de methode deter- minee, on n'y prend plusde resolutions precises, on ne note plus auciine des lumieres qu'on y recoil. Ne plus marquer ses fautes

298 PREMIERE SEMAINE

sur lafeuillede fexamen particulier, avoir unegrande frayeurde la porte de son Superieur ou de celle de son confesseur, ne plus rendre le comple de sa conscience aux jours fixes en dehors de laconfession, sont egalement desmarques de tiedeur. Le demon de la tiedeur repose avec complaisance sur le livretde l'examen particulier; Vesla nous de 1'en eloigner deuxfois parjour, en y inscrivant exactementchaque fois nosmanquementsou nosactes de vertu. Enfin, la tiedeur se Irouve dans labandon des exer- cices de penilence.

Ajoutons que la tiedeur se fail reconnaitre a cerlaines manie- rer de parler : « Ge ne sont quedes bagalelles », entendons-nous clire quelquefois des fautes dont le Religieux liede, parexemple, se rend coupable. Mais esl-il quelque chose de petit dans la vie bumaine et dans le service de Dieu ? JNous donnons nolre atten- tion aux petites choses, quand il sagil de notre sante corpo- relle et de nolre vie. Est-ce que nous l^estimerions plus ces pelites choses dont se compose la plus grande parlie de nolre vie religieuse? Sommes-nous donc si riches de biens spirituels? A vrai dire, nousne faisons, en nousrefusant a quelques efforls, que montrer nolre faiblesse, notre paresse el nolre pauvrele spirituelle. « Je ne suis pas novice. » Si cela veul dire que vousavez surmonle les difficulles des novices, que vous servez Dieu avec plus d'inlelligence etde ferveur, alors c^est tres bien. Mais si vous voulez dire que vous en voulez prendre plus a votre aise dans le service de Dieu, alors vous merilez qu'on vous adresse les plus justes reproches. « Je cominets seulement un peche veniel. » Volre parole indique que vous etes tresdan- gereusement malade. « La regle n'oblige pas sous peine de peche » : en llieorie, oui ; en pratique, presque loujours non. « Les autres fonl aussi comme moi » : voila le meilleur moyen de devenir bientot lemodeleet Tideal de lanegligence et de Tim- perfection. Est-ceque nous nous reglons sur le besoin des autres, quand il s'agit de notre appetit ou de notresommeil ?

T elle esl donc la tiedenr : voila son portrait, ses manieres, son caractere et ses habitudes. Nous favons depeinle, afin que vous la connaissiez et surtout afm que vous la meltiez en fuite, des qu'elle s^offrira a vos yeux.

LA TIEDKIP. 299

II. Motifs ou raisons d'eviter la tiedeur.

A. Le premier motif est le desordre et l'indignite de cet •etat. La tiedeur constitue un peche contre la charite ; elle s'op- pose a ce qu'il y a de mieux et de plus eleve dans la vie spi- riluelle. Cest un amoindrissement, une degradalion de tout rhomme. Cest un etat de misere morale, sans vertus remar- quables et sans merites particuliers : toutes les mauvaises pousses renaissent a la vie danscette tiede atmosphere. Cest un foyer.de passions dereglees, de negligences, de fautes, de peches et parfois de peches serieux, mais qu'on ne veut pas savouer a ^oi-meme. Dicis : quod dives sum et locupletatus et nullius egeo ; et nescis, rjiiia tu es miser el miserabilis et pauper el coecus et nudus Apoc, 3, 17). Le Ghretien tiede ne peut savoir vraimenl s'il esl digne de 1'amour ou de la haine de Dieu.

B. Le second motif d'eviter la tiedeur est le malheurdecet etat. Cet etat est sans consolalion et sans joie : ni le monde ni les passions ni, a plus forte raison, Dieu ne procurent un parfait contentement a celui qui vit dans la tiedeur. Ainsi il est comme ^ntre le marteau et l"enclume ; raffliction lui arrive de tous cotes et il ne trouve de consolation nulle part. Or, peut-on vivre sans' consolation? Cest pourquoi ilfail chaque jour moins de cas des commandements, des regles et de sa vocation, jusqu'ace qu'en- fin il en secoue le joug complelement. II est impossihle qu'un Religieux tiede eprouve une joie veritable : car il est dans un etat qui est en contradiction avec toutes les exigences de sa Aocation.

C. Le troisieme motif de fuir la tiedeur est le danger auquel elle nous expose. II resulte, en effet, de la nature et du carac- tere de la tiedeur que, dans son activite debilitante et destruc- live, elle s'attaque aux moyens les meilleurs et les plus puissants de la vie spirituelle, a la priere, a 1'examen partictilier. aux communications frequentes avec le Pere spirituel. Alors com- mence un etat dangereux, mais qui ne s'etablit quepeu a peu et presque sans etre remarque : c'est une decadence graduelle. La tiedeur esl comme la fievre gastrique : on ne sail au juste oii est

300 PREMIERE SEMAINE

le siege de ce mal et d'ou vient raftaiblissement des forces, le malade se sentanl d'aulant plus dispos que la consomption aug- mente. Le Religieux tiede resserable encore au voyageur egare sur les sommets neigeux des Alpes : tombant de lassilude et de fatigue, il veut s'asseoir et se reposer partout ; si on acquiesce a sa demande, il commence a dormir pour ne sereveillerque dans 1'eternite. La tiedeur detruit 1'edifiee de notre vie spirituelle a la maniere dont les vers consument les poutres d'une maison : ils les rongent sans faire de bruit et sans £tre apercus, jusqifa ce que le batiment tombe et s'ecroule tout d'un coup. Le Religieux tiede delourne Dieu de lui ; la sainte Ecrilure se serl d'expres- sions terribles pour monlrer comment Dieu envisage celui qui vit dans la tiedeur : Scio opera tua : quia neque frigidus es neque validus : utinam frigidus esses aut calidus ! Sed quia tepidus es et nec frigidus nec calidus, incipiam te evomere ex ore meo (Apoc, 3, 15...) : voila ce que Dieu eprouve en presence du Chretien tiede...,et ce degoiit, ces repugnances deDieuvien- nent d'abord des actions de celui qui s^bandonne h la tiedeur, et ensuite de sa personne elle-meme, quand il franchil le pas presque imperceptible qui le fait tomber dans le peclie morlel. Alors Dieu le rejelte loin de lui : Caritatem tuam primam reli- quisti. Memor esto itaque, unde excideris ; et age poenitenliam et prima opera fac. Sin autem, venio tibi el movebo candela- brum tuum de locosuo,nisi pcenitenliam egeris(Apoc, 2,4...).

III. Remedes a la tiedeur.

A. -Le premier remede est la priere et la meditalion. Nous devons souvent considerer, dans ces Exercices, quelle est laMa- jeste que nous servons, et les pressants motifs que nous avons de la servir avec generosite. Nous trouvons un secours special contre la tiedeur dans la meditation des qualre fins dernieres ou dans la repetition des raeditations de la premiere semaine. On raconte comment, en Siberie, les ours sont habitues a faire la danse : le bas de leur cage est chaufte a une temperature si elevee que ces animaux paresseux sont forces de lever leurs pattes 1'une apres 1'autre, pour ne pas etre brules, el ainsi ils

LA TIEDKIT. 301

s'accoiituraenl peu a peu a danser. Faisons les meditalions sur 1'enfer et sur nos fins dernieres, el nous deviendrons fervents, nous marcherons allegrement dans les voies de la perfection.

B. Le second remede a latiedeurest le controle des Supe- rienrs ou la reddition assidue et exactedu comptede conscience en dehors de la confession. Sans Temploi de ce moyen, lesaulres moyens, meme les meilleurs, ne servent a rien, parce cpfon les neglige peu a peu ou qu'on ne les utilise pas comme il faut. Le compte de conscience esl le regulaleur de toul le reste.

C. Le troisieme raoyen a employer contre la tiedeur est la raorlification volontaire dans maintes clioses licilesel permises : ce moyen ranime la vie spirituelle et nous donne de nouvelles forces pour pratiquer la verlu. Les carpes resteraient toujours pan-sseiisemenl dans la vase et garderaient, sur nos tables a raanger, legout de la vase, si on ne metlait avec elles dans leur elanii des brochets, qui leur font conlimiellement la chasse et les mellent sans cesse en mouvement : mortifions-nous donc souvent, et nous serons excellenls... La ferveur, comrae la fide- lite, se montre surlout dans les petites choses...

D. Le dernier remede a la liedeur consiste dans une sin- cere devotion au Sacre-CcEiir de Jesus. La grace particuliere de celle devotion est la preservation de la liedeur ; cette grace resulte de Tessence meme de cetle devotion : en effet, la devo- tion au Sacre-Coeur est la devotion a ramourdu Cceur divin de Jesus, et son fruit esl la reciprocile de 1'amour. II y a la le contrepoison de la liedeur : Suadeo tibi emere a me aurum ignitum probatum, ul hcuples fias et vestimentis albis indua- ris et non appareat confusio nuditatis tuae; et collyrio inunge oculos tuos, ut videas (Apoc, 3, 18).

LE JUGEMENT GENERAL

I. Certitude de ce jugement.

A. Gelle verite 1'ait parlie de renseignemeiit expres et repete du Sauveur (Matth., 25, 31-45 ; cf. 16, 27; 13, 41), de i'enseignement des Apolres (Acl., 10, 42; 17,31; Rom., 2, 5. 6 ; II Cor., 5, 10 ; II Tim., 4, 1 ; Jud., 14, etc.), de 1'ensei- gnement des anciens Prophetes (Is., 13, 9; 66, 15, etc. ; Dan., 7, 9, etc. ; Jorl, 2, 1 ; Soph., 1, 14, etc. ; Mal., 1, etc.i. LEglise universelle entin est convaincue de cette verile, comme on le conslate dans ses symboles de foi... Jiesurrectio mortuo- rum, spes christianorum (Tf.rt.).

B. Voici les raisons de la cerlitude du jugemenl general ; L'homme doit elre aussi juge au point de vue social, et comme appartenant a une collectivite, a une personne morale ; il doit etre, par consequent, recompense ou puni publiquemenl, avecet devant les membres de la famille, de la .paroisse, de TEtat et de la societe humainedonl il fait parlie. Le jugement general s'ap- puie ainsi sur des motifs pris des rapporls sociaux de 1'homme (Matth., 25, 35-45). De plus, il fautque Dieu soitjustifie, aux yeux de lous, dans la conduile et le gouvernement des peuples et de tous les hommes. Enfin, le Christ doit apparaitre lui- meme une fois glorieusemenl comme Chef, Roi, Legislateur et Juge de toute 1'humanite ; el il apparaitra bien ainsi au juge- ment general : tout y sera digne du Fils de Dieu, car l'univers tout entier prendra part a ce jugement.

LE JUGEMENT GENERAL .303

II. CondUions du jugement general.

Nous pouvons distinguer trois parties dans le jugemenl gene- ral : les preparatifs, la procedure et la sentence.

A. Les preparatifs sontde trois sortes :

D'abord,il y aura les signes avant-coureursdu jugemenl gene- ral : les guerres. les tremblements de terre, des ebranlements et des troubles epouvanlables dans toute la nature, la crainte et la terreur des habitants de la terre.

Ensuite, aura lieu la resurrection des morts. Aussilot que la trompette aura retenti, il se fera un grand travail dans la terre et les tombeaux. Les jusles en sortiront a rinstant transfigures, beaux comme des tleurs printanieres, radieux comme desaslres, brillanls comme des soleils ; ils parcourront les airs en formant une magnifique procession que les Anges dirigeront jusqu'au lieu du jugement. Les damnes ressusciteront aussi, mais dans le mepris et riiumilialion, osant a peine se montrer et s'avaneer, craignant la lumiere ; ils ressusciteronl avec des corps tumelies, defigures. hideux, la rougeur de la honle sur le visage, exhalant une odeur nauseabonde ; et ils seront dans cet etatenlraines et pousses, comme un vil betail, par les demons au Iribunal du Souverain Juge.

Enfin. le momenl sera arrive de 1'apparilion du divin Sauveur. D'apres la sainte Ecrilure, il se montrera, au dernier jugemenl, avec lout le deploiement de sa puissance et dans toute la gloire de sa majeste, entoure d'une lumiere eclatanle et accompagne des legions innoinbrables de larmee celeste : il se monlrera alors vrai Roi et vrai Fils de Dieu. El certes il le peul, quand il leveul; et telle esl mainlenanl sa volonte de se revelcr comme le Ghef de l'humanite et comme le Maitre du ciel et de la terre, de se reveler corame le Fils de Dieu dans toute la majeste du Pere, et pour se faire a lui-meme une jusle compensalion des humilialions et des abaissements de sa premiere venue. L'elfet de sa seconde venue au dernier jour sera pour les elus une grande joie, une vive allegresse : ils s'elonneront, ils admi- reront, ils pousseronl des cris de reconnaissance el de vicloire,

^04 PREMIERE SEMAINE

el ils iront dans les airs a la rencontre du Sanvenr, en enton- nanl les chants joyeux de YAUeluia. Mais pour lesdamnes cette apparilion sera desolante et epouvantable : elle produira sur eux 1'eiret de 1'ouragan sur les feuilles des arbres de la foret ou celui du feu sur une vasle plaine remplied'herbes ou de roseaux secs... Helas ! cela leur mancpiait encore! Ge Jesus, a qui ils n'ont pas cru, qiTils onl meprise, hai el raille, se presente main- tenant a eux comme Juge, et il le fait publiquement a la face de lout 1'univers. « 0 colliues, lombez sur nous ; 6 montagnes, couvrez-nous » (Luc, 23, 30).

B. La procedure du jugement general ne sera pas de longue duree. Par un miracle de la puissance et de la sagesse de Dieu, le fond des consciences de lous les hommes sera mis adecouvert, et tout le monde pourra y lire comme dans un livre aux letlres colossales. Ce sera la reproduclion et la publication eclatantes de 1'histoire universelle de TEglise et de la lerre, composee des paroles et des actions des individus, des familles, cles villes, des Etats et de tous les peuples, depuis 1'origine du monde jusqu'a sa fin. Tout apparaitra dansla plusgrande clarle : les inlentions secretes, les desseins eaches et les sourdes inlrigues des damnes ; et l*on reconnaitra alors tout ce qu'il y avait la cle miserable, de vain, de sensuel, d'egoiste, de faux, cle violenl et d'inutile. Les malheiireux reprouves en rougironl. en paliront, en seront tout couverls de honle et cle confusion,et ils s'ecrieronl : Evgo erra- vimus (Sap., 5, 6.) Mais, en meme temps, nous verrons exal- ter les maximes, les inlentions, les aclions, les vertus, les souf- frances et les persecutions cles Saints, qui sur la lerre elaient trailes avec mepris, oublies, meconnus et calomnies. Les Saints brilleront aux yeux de loul l'univers, ils seronl justifies en pre- sence cle tous les hommes, et ils auront un Iriomphe incompa- rable au milieu cle 1'eclat de la lumiere de la croix, de la verite et de la saintete de Dieu. A cetle heure, la pelite Gompagnie cle Jesus, successivemcnl chassee cle lous les pays de la terre, presque accablee sous le poicls de la caloranie et cle la violence, sera enfin reconnue et approuvee pour loujours ; elle se mon- trera sous cles trails bien differents cle ceux cpfelle avait sur la lerre ; elle aura alors son apologie h\ elle recevra sa recom-

LE JUGEMENT GEN&RAL 305

pense en face de ses persecuteurs... On verra lout a faitclai- rement le bien et le raal de cliaque personne el de chaque peuple ; on verra anssi le bien et le mal dans ses consequences bonnes ou mauvaises non seulement pour celui qui en a ete lauteur, mais encore pour lesautres... Et de cette reunion d'in- iUiences, d^effets et de rapporls mutuels resultera une sorle de grande representation de la cite de Dieu et de la cite du demon, represenlation faite de lenebres et de lumiere, de Tentrelace- ment des voies innombrables, suivies par les individus el par les peuples, des inspiralions infinimenl variees que tous et cba- cun ont recues de Dieu el de Satan, des pensees ou des des- seins des hommes et des decrets de la divine Providence : celle-ci, corame un soleil brillant, eclairera de ses rayons toutes les orabres decelle scene gigantesque, revelera tous les secrets des liommes dans la lumiere de la sagesse, de la loule-puis- sance et de la bonle de Dieu : ce sera un speclacle grandiose et admirable !

C. La senlence du jugement, cliacun de nous peul deja la prevoir en considerant les actions de sa vie ; dailleurs, par une graee speeiale de la puissance judiciaire de Jesus, tout horarne en aura la conscience et la connaissance inliine. (Juant a sa publicalion solennelle, le Sauveur la fera lui-meme en presence de tous les hommes, qui en seront les lemoins et les auditeurs. Jesus-Christ se levera, et, plein de grace, de bonte et cie len- dresse, il dira d'abord aux justes avec la plus grande douceur : <■ Venez a moi«, pres de maPersonne, dans mes bras, sur mon Coeur ; « venez, les benis de raon Pere », mes fideles servileurs el mes freres, que Dieu m'a donnes ; je vous reconnais corarae tels ; « venez, pour prendre parl au Royaume que mon Pere vous a prepare, aussi bien qu'a moi, de loule eternile : c'est votre heritage et le legs de ma predilection et de 1'election de raon Pere, raais aussi la recorapense de vos propres travaux. Vous m'avez vu dans la detresse el vous nVavez secouru... » Toul stupefaits et enivres de joie a cause de la grandeur et de la raagnificence de leur recompense et de leur felicite, les Sainls demanderonl avec surprise comraent ils les onl merilees, puis- qu'ils n'ont jamais eu le boiiheurde clonner amangereta boire...

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306 PREMIERE SE.NfAINE

, au Sauveurlui-meme. Celui-ci leur repondra : « Tout ce que vous avez fait au moindre d'en1remes freres, c'est a moi enPersonne que vous lavez fail. » Ensuite, lerrible Comme la foudre, les yeux laneanl des eclairs, il se lournera du cole des damnes et leur criera : Arriere! Loin de moi », qui suis votre Maitre, votre Frere, votre Dieu, volre derniere Fin ! « Allez, maudils ! » Vous n'aurez de moi que la malediction : malediclion pourvolre intelligence, malediclion pour votre volonte, malediclion pour volre corps el pour votre ame, el, pendant toute reternite, dans le feu et ies supplices de 1'enfer : « Allez au feu elernel » (Matth., 25, 41).

Et la sentence sera executee a rinstant. La lerre s^ouvrira pour engloulir tous les damnes avec les demons, el Tabime de Tenfer sera scelle par Dieu pour toute reternite. [Apoc, 20, 3). Mais dans le ciel commencera le triomphe des elus, qui enlon- neronlleschants de i\4//e/m'aetdu Te Deum pour les continuer eternellemenl dans ie Royaume des Bienheureux.

III. Conciasions.

A. La premiere conclusion a tirer de la consideration du jugemenl general est le mepris du monde. Y a-l-il une image plus frappantede sa vanite etde sa caducite que la represenlation du jugement general? En toul cas, le royaume de ce monde ne durera pas au-dela du dernier jugement. Que servent alors lous les biens d'ici-bas, richesse, honneur, puissance ? Quels avan- lages procureront tous les titres de noblesse, toutes les couronnes et tous les trones ? Voyez-vous cetle flamme, et enfin ce pelit nuage de fumee, se dissipanl dans Tair : c'est le dernier reste de 1'incendie et de rembrasement general de Funivers ; voila tout ce qui subsiste de loute la magnificence de ce monde.

B. La deuxieme conclusion... est la haine et Pliorreur du peche. Encore, au jour du jugement, c'est le peche, el le peche seul, qui rend riionime malheureux, le couvre de honle, le livre a un tribunal redoutable et a des chatiments inoiiis et sans fin. Fermons donc el scellons par la penitence la porle de 1'horrible abime de renfer.

MEDIT. SIPPLEM. : CRAINTE DE DIEU 307

C. La troisiemc conclusion... eslla perseverance el le zele dans le service de Dieu et le Royaume du Ghrist. Qui donc a la 611 restera victorieux sur le charap de balaille, si ce nesl Jesus, apresque Tempire du peche et de la raort aura ete detruit? Le Christ seul vaincra, regnera, gouvernera, et avec lui tous ses fideles sujets. Aucun de ceux-cine manquera a 1'appel, el il leur donneraen partage le Royaume des cieux, corame le Pere le lui avait donne a lui-meme : ils boiront et mangeront a sa table et ils s'assieront sur des trones et ils regneront avec lui. (Luc, 22, 29. 30). Aucuntravail, aucune peine, aucune souffrance et aucun sacrifice ne doivent nous affliger; aucune persecution etaucune perte ne doivent nous effrayer, aussi longlemps que nous avons en perspective la grande retribution, le grand salaire delafin de ce monde. Quel honneur et quel bonheur pour nous d'avoir eu a souffrir, et beaucoup a souffrir, dans Tinteret du Royaume de Jesus-Cbrist !

MtiDITATIONS supplementaires

QUI SONT DES CONSEQUENCES DES VERITfe DE LA PREMIERE SEMAINE

a) CRAINTE DE DIEU

I. Essence de la crainte de Dieu, en tant qu'il est un Dieu pnnisseur du mal.

Uessencede lacrainte de Dieu, ainsi consideree, consiste dans la fuite du peche par peur de la justice vengeresse de Dieu. La raison formelle en est donc lapeur de la pnnition divine.

308 PREMIERE SEMAINE

II. Motifs d'avoir cette crainte de Dien.

A. Voici les molifs extrinseques : La recommandation de la crainte de Dieu est le premier enseignemenl de Dieu et de rEspril-Saint : Timor Dei, initium dilectionis ejus [Eccli. 2o, 16)... Confige timore tuo carnes meas, a judiciis enim tuis ttmui (Ps. 118, 120)... Le Sauveur lui aussi recommande celle crainte : Timete eum qui potest et animam et corpus perdere in gehennam (Mattii., 10, 28). El saint Paul dit : Cum metu et tremore veslram salulem operamini [PhiL, 2, 12).

La crainte deDieu aete toujours le moyen employe par Dieu pour former et faire les Sainls, ainsi que nous le voyons dans Joseph, (ils de Jacob [Gen., 3!), 9), dansSuzanne {J)ani} 13,23), dans Tobie (1, 10) : il n'y apasde Sainl sans la crainte de Dieu. Cesl pourquoi, dans leurs souffrances, dans leurs persecutions, ils se la rappelaient sans cesse pour perseverer dans le bien : lexemple d'Eleazar (II Macch., 6, 26) et celui de lous les Mar- lyrs en sonl la prenve. On pourrait dire de la crainte de Dieu ce que le grand Apolre (Hebr., 12) dit de la foi : la crainte de Dieu, elle aussi, forme tous les Sainls; la verge contienl l'en- fant indiscipline ou mecliant, el la crainte de la justice distri- bulive de Dieu serl de frein aux enfanls de Dieu, qui ifont pas encore alteint le degre convenable d'instruction et de formation spirituelle.

C. Les motifs intrinseques d'avoir la crainle de Dieu con- sislenlen ce que, premierement, celtecrainte est bonne el salu- laireen elle-meme (Trid. sess., vi, cap. 6, can. 8 ; xiv, can. 5) : en effel, il ne s'agitpas ici de la crainte servilemenl servile, mais de la crainte servile, laquelle exclut ratlacheau peclie et com- prend aussi un commencemenl(ramourdeDieu ; ce qui manque i\ cetle crainte est de ne pas s'elever jusqifa la raison formelle de lacharile. De plus, la crainte de Dieu esl justifiee par les mysleres et les secrels de la justice vengeresse de Dieu que ren- ferment lamorl, 1'enler, le jugemenl et le purgaloire.

Deuxiemement, la craintede Dieu esl lionorable pour Dieu. La justice dislribulive esl une partie de lajuslice de Dieu, et la

MKD. SUPP.

CRAINTE DK DIEl 309

juslice esl un attribul de Dieu que nous devonsglorifier comrae ses autres attributs, ici-bas, en 1'acceptant volontairement el en ayaiit soin de nous la rendre favorable, et la-haut, en subissant le chaliment qifelle pourra nous imposer.

Troisiemement, la crainte de Dieu nousprocure de nombreux avantages. Avant tout et en premier lieu. elle nous donne la sagesse, laquelle nous fait craindre ce qu'il faut verilablement craiudre et aimer ce qu'il faut verilablement aimer. La crainle est ainsi le commencement et le fondement de la sagesse et de la charite (Prov., 1, 7 ; Eccli., 1,16.) En second lieu, lacrainte de Dieu preserve du peche et de ce qui mene au peche, connne la legerete, le manque de delicatesse de conscience et les badi- nages dangereux. La crainle de Dieu est a notre arae ce que la sentinelle est a la ville, dont elle garde la porte : elle arrele les malfaiteurs et elle est la terreur de lous lesennemis. II peut, en elTet, nous arriver des temps de legerete oii nous ne trouverons de secours efficace contre notre negligence que dans la crainle de Dieu : celle-ci mettra la legerete en fuite comme louragan disperse les oisifs qui ca et la stalionnent et bavardent dans la rue. Un homme sans crainle de Dieu est un navire sans lest Timor Domini expellit peccutum (Eccli., 1, 27). En Iroi- sieme lieu, la crainle de Dieu nous fait acquerir les vertus : elle est d'abord souveiit la condition necessaire pour pratiquer les vertus difficiles de la morlification, de la haine de soi-meme, de riiumilite, de la patience dans les peines et les douleurs ; en outre, elle comprend en elle-m6me des vertus importantes, comme la severite, le serieux, la gravite, la delicalesse de con- science, et les Exercices de la voie purgative. En quatrieme lieu, elle remplit 1'ame de calme, de conlentement, surtout de confiance en face de la mort et de 1'eternite; Enfin, la crainle de Dieu esl absolument necessaire a rhomme aposlolique a cause des nombreuxdangersauxquels sa vocationrexpose:cetlecrainte est riierbe merveilleuse qui rend invulnerables les ouvriers evangeliques.

310 PREMIKRK SEMAINE

III. Moyens d'acquerir la crainte de Dieu.

A. Le premier moyen est la co.nsideralion frequente des verites eternelles. Les Exercices spirituels, notamment ceux de la premiere semaine, sont comme Tofficine oii Ton peut se pro- curer avec plus de facilite le remede si efficace de la crainte de Dieu.

B. Le second moyen consiste dans les Exercices de la vie purgative ef de la penitence : ils nous rappellent sans cesse la crainle de Dieu.

C. Le troisieme moyen esl la delicatesse de conscience, la fuite de la legerete, de la dissipation, cles exces des paroles, elc.

b) SERVICE 1)1 MONDE ET SERVICE PE DIEU

Le jugement dernier nous offre un point de vue juste pour avoir une ideeexacte du servicedu monde et du service de Dieu. Transportons-nous donc en esprit sur les debris fumants de 1'universau jourdu jugemeut general,etconsiderons avecallen- lion ce double service :

I. Service du monde.

A. Le service du monde est vain, inulile, premierement, dans son bul : oii tendent tous les efforls des mondains, si ce n'est loujours a quelque chose de lemporel, de nalurel el de perissable, par consequenl de frivole, d'exlerieur, dMncerlain et dMnconstanl? Deuxiemement, le service du monde esl vain dans ses resultats. Que nous fait-il oblenir? Bien souvenl rien ! El leresultal final ne depend pas, en general, de nous. Troi- siemement, ce que nous oblenons n'a pas de duree. Ou sonl les joies sans melange el qui perseverenl longtemps ? Elles sont tres courtes, interrompues sans cesse par la douleur, la desillu- sion, le vide, la crainte, les accidents, et enfin par Tincerlitude et la brievete de la vie elle-meme. .lamais le service du monde ne procure de vrai bonheur ; trois choses l'en empechenl : cura

MED. SUPP. :• SERVICI". J)I MONDE ET SERVICE DE DIEI- 311

pungens, sensus egens, culpa remordens (S. Bernard) ; el le terrae de ce service est la desolation, ledesenchanlemenl.

B. Le service du nionde nons apporte une amere recom- pense, un trisle salaire. Premierement, il nous bumilie, n'etant que le service de la sensualite, de la cliair, de tout ce qu'on peut saisir avec les sens et qui passe avec le raonde. Deuxiime- ment, il nous trompe. II promet beaucoup, meme toul ; maisque peut-il tenir et que veut-il donner? II nouspromet lincertain el nous prend le cerlain. Troisiemement, il nous depouille, en nous enlevanl d'abord des merites innombrables, ensuile un temps precieux, et a la fln il nous perd nous-memes. Qua- triemement, il nous rend raalheureux. II nous porte au peehe, abreuve notre mort d'araerlurae, nous rend lesennemis de Dieu et nous livre aux chaliments temporels el eternels.

D'apres cela, ne faisons-nous pas en realite trop de sacrilices pour le monde? N'est-il pas une veritable caverne de voleurs el un veritable repaire de lions? Remarquons bien ces paroles ; Nemo polest duobus dominis servire (Matth., 6, 24). Le ser- vice de Dieu ne peul s'allier avec le service du monde : Tun est contraire a Pautre sous tous les rapports, lui esl diametralement oppose dans ses fms, ses maximes, ses moyens et ses resullats.

II. Service de Dieu.

A. Tu solus Sanclus : Dieu est laSainlete meme, c^est-a- ■dire la Juslice el la Fidelile non seulement en lui-meme, mais aussi a Tegard de ses creatures et de _ses serviteurs. II est le Desinteressemenl et la Sincerile merae : il n'a pas besoin de nolre service et n'y gagne rien ; il nous dit clairement el ouver- leinent ce qif il veut, el il lient ce qu'il a promis et au dela : il vent notre verilable bien.

B. Tu solus Dominus : Lui seul est notre veritable et unique Maitreet le Maitrede toutes choses.II ifapasabandonne le monde et il n'a pas renonce ;i sa propriete : Tunivers lui appartienl et il peut le donner a qui il veut. Tout enfin, toul absolumenl depend de lui. II est le Maitre de la joie el du bon- beur. II est 1'Elre le plus heureux, et toute joie creee n'est rien

.'{12 PREMIERE SEMAINE

en comparaison meme d'une seule goulte de sa joie etdesafeli- eite infinies. Delectare in Domino el dabit iibi petitiones cor- dis tui (Ps. 30, 4). II est enfin le Mailre de nos jours. II les compte et en delermine le nombre, el lui seul a droit sur tous lesjours de notre existence.

G. Tu solus Altissimus : II est plus grand que le monde. Tout a ete cree par lui et n'est qu'un retlet de lui-meme. Si le monde est si beau el si grand. quelle est donc la beauteet quelle esl la grandeur de Dieu !

Sa vie est plus longue que la nolre : il nous attend au-dela de la morl ; c^est apres notre vie qu'i'1 commence a exercer, en loule verite, sa souverainete sur nous. II esl plus grand que notre cneur. Jusqifou nos pensees et nos desirs ne peuvenl-ils pas se porter et s'etendre? Eh bien ! Dieu va au- delii de tout ce que nous pouvons imaginer, et personne autre ne peut Tatteindre et rembrasser que lui-meme. Enlin, il est plus grand que le ciel et tous les siecles : lui seul est sa maison el sa demeure unique et permanenle.

A qui donc pouvons-nous el devons-nous consacrer notre service et notre vie plus justemenl qu'a Dieu ? Faisons comme saint Christophe, qui ne voulait servir que Gelui qui est le plus grand, ou comme saint Francois de Borgia, qui ne voulail pas servir un maitre que la mort pouvail lui enlever.

C) EA MISERICORDK DE DIEU

Une aiitreconsequence des meditations de la premiere semaine se trouve specialement dans la resolulion de faire une penilence digne et durable. Mais la penilence presuppose, sans nuldoute, la misericorde de Dieu, qui allire les hommes a la penitence (Hom., 2, 4). En meme temps, la cousideration de la miseri- corde divine console les hommes dans Tetat malheureux oii les a mis le peche.

I. Nature de la misericorde de Dieu.

La misericorde de Dieu est, essentiellemenl, labonle de Dieu, en tant que Dieu, dans sa bonle, a la volonte et s'efforce de

MEDIT. SUPPLEM. \ LA MISERICORDE 1>E DIEU 313

remedier a nos maux. Or, le mal est loul maiiquenieiit a la per- feelion physique ou morale, et surtout le peche, qui est le plus grand mal et, a proprement parler, runique mal de riiomme. (lest pourquoi le peche est 1'objet principal de lamisericorde de Dieu. La misericorde divine ne se monlre nulle part avec plus d'eclat que dans le pardon du peche : en etfet, le peche est diamelralement oppose a Dieu,en sorle que la justice divine en reclame une punilion ; mais la misericorde desarme la justice, et triomphe en ineme temps et de la haine de Dieu contre le peche et de 1'inclination mauvaise du cceur de rhomme pour le peche. La misericorde de Dieu a deux proprieles : La premirre, c'est qu'elle est infinie. Representons-nous un homme foncieremenl hon, puis un autre homme dix fois, vingt fois, mille fois, des millions de foismeilleur que le premier; nous aurons beau faire, jamais nous ne pourions concevoir la grandeur de la miseri- corde de Dieu : elle est au-dessus de lout ce que nous pouvons imaginer, parce qifelle est infinie. II faul que nous retenions hien cette verile. Nolre peccabilite ou notre inclination au mal est bien grande, pouilanl elle n'atteint pas rinfmite el elle ne peut etre infinie. La creature nesl capable d'aucun acle infini ni en bien ni en mal. Quand il s'agit du peche, il ne peut etre question d'infinite qu'en consideration soil de rollense qui est le Dieu d'iufinie Majesle, soil du bien dont il nous prive et du mal qu'il nous merite. La misericorde de Dieu surpasse donc inlini- ment le peche, c'est-a-dire que la plus grande somme depeches disparail dans l'abime de la misericorde divine, comme le pelit brin de paille dans un immense incendie. La seconde pro- priete de la misciicorde de Dieu consisle en ce que, pendant le cours de cetle vie terrestre, elle a, pour ainsi dire, le pas sur tous les autres atlribuls de Dieu et, par consequenl, est la pro- priete qu'il nous decouvre principalement, dont il nous failsur- tout sentir les salutaires eflels, el a laquelle il subordonne tous lesautres atlributs. Dieu veut que sa misericorde regne particu- lieremenl ici-bas ; la sainle Ecriture d'ailleurs le dil : Misera- tiones ejus super omnia opera ejus (Ps. 144, 9). Superexaltat misericordia judicium Jac, '2, 13). Parcourons rapidemenl la serie des actions et des promesses divines, el nous verrons que la misericorde de Dieu s'y monlre d'une maniere toute speciale :

314 PREMIERE SKMAINE

tout cede a la misericorde, elle revendique tout, la sagesse, la vera- cile, la toute-puissance, le ricbe tresor de la Providence divine ; elleemploie tout pour le salut du pecheur. On peut donc dire quela vie humaine est une sorle de fondalion ou d'institution de la misericorde divine ; el celte pensee doit nous etre unegrande consolalion dans 1'exces de notre misere : car qui a plus de droit, dans un hospice, aux soins et aux remedes, si ce nest celui qui esl le plus malade?

II. /fkistoire de la misericorde de Dieu.

Lliisloire de la misericorde de Dieu est Thistoire de rhuma- nite et de Dieu : Misericordia Domini plena est terra (Ps. 32,5). Misericordia Domini ab xterno et usque in leternum (Ps. 102, 17). Universie vi;e Domini misericordia et verilas (Ps. 24,10). De loute elernite, deja dans le plan de la creation, le peche de 1'homme est en perspective el la misericorde de Dieu se mel en ceuvre. Plus tard, le peche apparait reellement digne de damnation a cause de roflense de Dieu et de ringratilude cle riiomine. La misericorde agit alors el cherche a retablir le plan priniitif; le peche devient ainsi 1'occasion de faire paraitre le plan divin plus merveilleux encore par le fail de 1'Incarnation. Gependanl l'homme seloigne loujours davantage de Dieu. La misericorde de Dieu le suit ; elle lui envoie tantot des Anges, lantot des prophetes (la longanimite divine fut souvent tres graude meme a 1'egard de ceux-ci : cf. Jonas, 4, 2) ; et plus rhiimanite s'egare, plus la misericorde de Dieu se manifesle en faveur des hommes, dans relablissement d'abord dune famille, puis dune race, puis d'un peuple privilegies. L'histoire d'Israel n'est-elle pas 1'histoire des aposlasies de l'homme el de la mise- ricorde de Dieu ?

Et ce que nous voyons dans loul le genre humaiii et dans un peuple choisi, nous le constatons egalement dans chaque homme en particulier : un homme se revolle-t-il contre Dieu el s'eloi- gne-l-il de Dieu, la misericorde divine le poursuil, sans se las- ser, meme apres avoir ele econduite ; elle revienl loujours a la ■charge, s'assied devanl la j)orle, jusqu'a ce que les vapeurs de

MEDIT. SUPPLfatf. : I.A MISERICORDE DE DIEI 315

l'ivresse soient dissipees, el elle frappe de nouveau : « Pourquoi veux-tu mourir? » (Ez., 18, 31.) « Si une mere peut oublier son nourrisson, moi je ne foublierai pas » (Is., 49, 15). Avec quel zele et quelle assiduite Dieu ne s'emploie-l-il pasau bien et au bonbeur de Phomme? Sa misericorde le rend semblable a un pasteurqui laisse ses quatre-vingt-dix-neuf brebis pour courir apres la centieme qui s'est egaree (Matth., 18, 12), ou encore a une femme qui, ayant perdu une drachme sur dix qifelle posse- dait, met loul en ceuvre pour la retrouver et n'a de repos que quand elle l'a recouvree (Luc, 15, 8 . El quelle joie pour Dieu, tmand riiomme se convertil ! (Luc, 15, 0. 9. i Une fois que 1'liomme se repenl de son peche, la misericorde de Dieu ne veul plus en entendre parler, elle le jette derriere soi (Is., 38, 17), ■dans 1'abime (Mtch., 7, 19;, elle le cacbe (Sap., 11, 24), elle faneantil Is., 44, 22) : ce peche lfest plus rien pour elle. L'bomme est, pour ainsi dire. enlierement cree de nouveau ; toutes ses bonnes oeuvres revivent : et il ressuscite plus ricbe qifavanl sa cliute : car sa penilence meme lui esl comptee et recoit sa recompense. David avait peche d'une maniere horri- ble ; il prononce une parole. el son pecbe lui estenleve fll Hois, 12, 13). Le prodigue avait prepare quelques mots d'excuse pour son pere, dontil ne voulait plus elre que le serviteur : son pere ne le laisse meme pas commencer ; par un baiser il arrete la parole sur ses levres. II le fait son enfant et son herilier pourla seconde fois, et dans quels transports de joie ! (Lic, 15, 24. 32.) 0 Gceur de Dieu ! Gombien le pecheur fappauvrit et fenri- <?hit successivement ! Eti eiTefle pecheur qui se converlit donne beaucoup a Dieu, apres favoir grandement prive. Comme Dieu ■est bon pour nous ! II if a pas ele aussi misericordieux avec les Anges.

D'oii vient son excessive bonle pour nous? La raison derniere saus doule en est que tel est son bon plaisir; maisnous pouvons encore ajouter nous-memes une raison qui nous touche person- nellement : c'est que nous avons ete seduils et trompes par le demon, nous, si faibles et si miserables par le fond de notre nature. Cest pourquoi Dieu a cboisi cetle nature pour manifes- ler <'ii elle la grandeur de sa misericorde.

316 PREMIERE SEMALNE

Et, en eifet, la plus grande cle toutes les misericordes n'est-ce pas rincarnalion ?Le Sauveur n'est-il pas la Misericorde incar- nee? Pouvait-elle apparaitre et se reveler en pensees, paroles et oeuvres autrement que comme le Sauveur l'a fait ? A-t-il jamais econduit el condamne un pauvre pecheur repentanl ? Voyez-le, au contraire, courir apres les pecheurs et leur faire les plus pressantes invilalions : « Venez tous a moi, vous qui etes fatigues et charges » (Matth., 11, 28). « Je ne suis pas venu pour appeler les justes, mais les pecheurs » (Luc. 5,32). II mange avec eux et les absout de leurs peches, il meurt pour eux, et dans sa mort il leur laisse le riche tresor de la Redemp- tion, quiest TEgiise avec les Sacremenls ; et il en confie 1'admi- nistralion a des pecheurs, en les chargeant de pardonner lou- jours (Matth., 18, 22). Le Sauveur n'est-il pas en realile bon et rnisericordieux? Jetons seulement les yeux sur nous: est-ceque chacun de nous n'est pas la preuve toujours renouvelee de sa misericorde el de sa longanimite?

III. Conclusions.

A. Gonfiance pour le passe. Quel que soil nolre passe, nous trouvons dans le Sauveur lout ce donl nous avons besoin, une rancon abondanle et surabondante : Copiosa apud eum redemptio (Ps. 129, 7). Quand meme lout le monde nous aban- donnerait, le Seigneur ne le ferait pas.

Filioli..., si quis peccaverit, advocatum habemus apud Patrem Jesum Christum justum, et ipse est propilialio pro peccatis nostris, non pro nostris autem tantum, sed etiam pro totius mundi (I Joann.,2, 1. 2). II a repandu assez de sang pour nous : la defiance est le pire des peches ; elle ful la cause de la perte de Judas.

B. Conliance pour 1'avenir. Hesterai-je lidele et ne retomberai-je pas? Ayons confiance! Mais pourquoi donc Dieu nous a-t-il pardonne? Est-ce pour nous precipiter dans Tabime de perdilion?Sa grace suffit bien pour achever ce qu'elle a commence et pour nous confirmer dans le bien (I Pierre, 5, 10). Le bon Pasteur a de fortes epaules el un excellent coeur : il peul

MEDIT. Sl PPLEM. : LA PENITE.NCE 317

porler sur lui la brebis retrouvee, si elle est epuisee par la fatigue. La raisericorde dout nous avons ele 1'objel, est encore un puissant motif pour resler nous-memes fideles ; car nous connaissons, nous aussi, notre Maitre sous <e rapporl : Plus diligit, cui plus donavit (Luc, 7, 42. 43).Saint Pierre el sainte Madeleine ne tomberent plus apres leur pardon. Tu autem, Deus noster, suavis et verus es. patiens et in misericordia dis- ponens omnia. Etenim si peccaverimus, tui sumus, scientes magnitudinem tuam : et si non peccaverimus, scimus quoniam apud ie sumus computati. Nosse enim te consummata jnslitia est, e.t scire justitiam et virlulem tuam radix esi nnmorlalHa- tis (Sap., 15. 1-3).

d) PENITENCE

I. Nature el essence de la peniience.

La penitence est la verlu par laquelle nous salisfaisons a Dieu pour Tinjustice du pecbe, nous reparons le peche el nous le detruisons en nous.

Pour que la penitence alleigne ce but, il faul qifelle soit inle- rieure et exlerieure et quelle remplisse trois conditions : elle doit d'abord effacer la faute (la coulpe;, puis enlever la peine qui resulle de la faule, enfin elle fait lutter contre les passions qui conduisent au peche. Faute, peine et passions, voila ce qui constitue en nous le regne du pecbe : c'esl aussi cel empire que la penitenee a pour unique but de renverser.

II. Molifs de penitence.

A. II y a d'abord, du cote de Dieu, des motifs qui mililent pour Texercice de la penilence en general. En efiet, la penilence est, relativemenl a Dieu, une affaire de juslice el d'equile : le peche est une dette dont nous avons a repondre devant Dieu (Matth., 6, 12) ; le peche est une injustiee et une ofiense. La delte doit etre payee ; lofiense, reparee; le bien pris. rendu : c'est 1'exigence de la juslice. Nous devons elre bonnetes aussi

318 PREMIKRK SEMAINE

vis-a-vis de Dieu. II arrive parlois de contracler des dettes ; mais 1'liomme loyal vse distingue de celui qui ne 1'esl pas par la tidelile ii les payer, des qu'il peut le faire. Or, nous pouvons payer nos dettes : le moyen est la penitence. Assurement, il nous faut satisfaire Dieu avant tout autre : n'esl-il pas le pre- mier de nos creanciers privilegies ? La penitence est un acte de haute justice que nous devons nous empresser d'accomplir en premier lieu. De plus, nous avons, de notre cote, egalement des motifs de faire penitence : d'abord et avanl tout, c'est abso- lument necessaire. II n'y a, en elTet, que deux voies pour aller au ciel, celle de rinnocence et celle de la penitence : Si pce- nitentiam non egeritis, omnes similitei peribitis (Luc, 13, 5). Les saints Peres appellent la penitence « la planche de salut dans le naufrage » ; si Ton ne veut pas etre englouti, il faut sai- sir cette planche et imiter le naufrage. Si penible que soit sa position, celui-ci se cramponne de toutes ses forces a la planche qu'il a saisie, quand meme il lui en coiite d'etre de temps en teraps submerge par les vagues el de boire quelques gorgees de 1'onde amere. La penitence, encore, repare tout, retablit tout, rend tout, les merites et 1'amitie de Dieu. La penitence el la justification, en effet, ne couvrent pas el ne cachent pas seule- ment le peche ; elles sonl une nouvelle creation, unerenaissance et un nouveau bapteme de 1'homme, qui devient un elre nou- veau et reprend une vie nouvelle. Nous avons des exeraples, des efiets merveilleux de la penitence dans la vie des Saints (sainte Marie-Madeleine, sainl Pierre et saint Paulj : quels avantages ne retire-t-on pas de la penitence ! Elle nous procure une haute saintete el nous assure une place magnifique dans le royaume des cieux.

B. Quant aux exercices particuliers de la penilence, nous avons egalement des motifs cle les faire. II y a, d'abord, deux manieres de pratiquer la penitence interieure. La premiere maniere consiste dans le repentir, le bon propos et 1'aveu de ses fautes ; nous produisons ces actes dans 1'examen de conscience et la confession. Le repentir et le bon propos sont ce qu'il y a de principal et de plus necessaire dans la penitence interieure, parce que le peche reside dans la volonte, et c'est aussi de la

MEDIT. SUPPLEM. \ LA PEMTENCE 319

volonte qu'il doil etre chasse. La confession est la tbrme exte- rieure de cette penitence ; Dieu lui-rneme l'a determinee. La seconde maniere de pratiquer la penitence interieure consiste dans la mortification et la victoire sur les passions dereglees. Nous devons mortifier nos passions, parce qu'elles nous condui- sent toujours au peche. Elles sont comme les grifles avec les- quelles le peche et le mauvais esprit nous saisissent et nous jet- tent par terre. Tous nos bons propos sont pure illusion, s'ils ne s'appuient sur la volonte et la resolution fermes de nous morti- fier et de resister a nos mauvaises passions.

Voici, de plus, les motifs que nous avons de faire les exercices de la penitence exlerieure, de mortifier nos sens : D'ahord. il esl de toute justice de punir les sens exterieurs, parce qu'ils sont, la plupart du temps, les complices du peche ; or, les coupables meritent d'etre chaties. Ensuite, les sens exterieurs sont tres souvent rcccasion prochaine du peche. Le demon approche de 1'ame par les portesdes sens, etc'est de la quil lance ses traits. Mortifier les sens, c'est donc enlever pour ainsi dire a l'ennemi les ouvrages exterieurs, les forts detaches de notre ame, et cou- per les vivres a la convoitise. Aussi tous les Saints, comme d'ailleurs tous les pecheurs convertis, sont-ils convaincus de cette verite ; que l'homme gagne en purete et en force, pour faire lehien, en proportion de sa mortification ou des privations qu'il impose a son corps.

La regle nous indique comment nous devons pratiquer la penitence : elle nous en donne la mesure juste, complete et agreable a Dieu. Observer 1'ordre de nos journees, 1p silence, 1'exactitude, la modestie et toutes nos autres regles, est faire une penitence perpetuelle. Cest egalement recueillir la myrrhe de la penitence que de supporter comme il faut les travaux, les fatigues et les desagrements de nolre vocation.

III. Moyens de perseverer dans les exercices de la penitence.

Un tres bon moyen de nous rendre familiere la pratique de la penitence consiste a nous rappeier frequemment nos peches : ce

3^0 PREMIERE SEJUAIiNE

souvenir nous rencl tres agreables a Dieu el nous oblient des graces speciales de consolalion et de proteclion; de plus, il nous maintient dans riiumilite, nous dispose a tout et produil en nous la liaine precieuse de nous-memes, sans laquelle la perse- verance dans la pratique de la penitence n'est vraimenl pas possible.

Cesl pourquoi il nous faut repeter souvent, sous la forme qui nous esl la plus prolitable, l'une ou 1'aulre cles meditations de la premiere semaine.

e) LA VICT0IRE SUR S.OI-MEME

La victoire sur soi-meme est une consequence des Exercices de la premiere semaine el une parlie importante de la peni- tence ; aussi merite-t-elle d'elre consideree dans une meditation parliculiere.

I. Essence de la vicloire sur soi-meme.

La vicloire sur moi-meme n'est aulre que la violence ou la force morale que nous employons conlre nous pour mener une vie conforme a la raison et a la foi, pour remplir notre devoir et pour etre ce que nous devons etre. Elle s'appelle aussi mor- lification, abnegalion, parce que, dans notre etat de nalure dechue, nous ne pouvons pas absolumenl remporter celle vic- toire sur nous sans violence ni contrainte.

Uobjet de la morlification n'estpas proprement nolre nature, ni nos aptitudes, ni meme nos passions, mais seulement ce que nous avons de desordonne, c'est-a-dire de defeclueux, de dan- gereux el d'inutile.

Le but cle la mortification nest pas non plus d'affaiblir, de delruire el d'endommager la nature, mais au conlraire de la rendre docile, aple et conslante au service cle Dieu et a l'accom- plissement de notre devoir (Gf. Commentaire des Exercices : premiere annotation et litre des Exercices). La mortificalion nest pas une vertu speciale, delerminee. Son objet esl la

MEDIT. SLPPLEM. \ LA \ ICTOIRE SLTB SOI-MEME 321

repression des passions, et a cause de cela elie a des rapporls inlimes avec loules les verlus, parliculierement avec les verlus cardinales de force et de temperance, parce qne ces verlus onl •pour objet propre la repression des passions.

II. Motifs de la victoire sur soi-meme.

A. Nous devons nous vaincre, atin, premiercmcnt, de devenir des liommes nobles, dignes d"estime et beureux. Par suite dn peclie originel, nous sommes pleins d^inclinalions etde passions dereglees ; or, ces passions nous rendenl difformes et nous avilissenl : elles formenl le eote pelil, fragile et humi- liant de notre nalure, el de plus un objel de liaine el dMiorreur pour Dieu ; ensuile, elles degradent en nous la noble el parfaile image de la Divinite el la reudenl meconnaissable. Les passions sonl une tache et la cause de tous nos Iroubles et de toules nos discordes inlimes.

B. Nous devons nous vaincre, afin, deuxiemement, de nous lenir eloignes du peclie. Les passions dereglees viennent du peche el conduisenl au peche : elles captivent notre intelli- gence et notre jugement ; elles affaiblissent et lyrannisent notre volonte ; elles nous menent au peche, dont nous devenons a la fin les malheureuses viclimes dans le lemps el dansrelernile.

G. Nous devons nous vaincre, afin, troisiemcment, d'acque- rir les vertus. La verlu plail par elle-meme ; ce qui nous en eloigne se trouve precisement dans la difficulte et la violence qu^exigenl son acquisilion, son maintien, sa pratique et son per- feclionnemenl. Or, la morlilicalion renverse ces obstacles : elle n'est, en eflet, pour le Ghretien, que la force morale necessaire pour elre ce qifil doil etre. Nous avons donc dans la mortifica- lion la clef de tontes les verlus.

D. Nous devons nous vaincre, alin, quatrieniement, de remplir les devoirs de nolre elat. Geux-ci demandent egalemenl •du courage et de la force, surtout si nous voulons vivre chre- tiennemenl. Le caraclere surnaturel du Ghretien donne el reclame une plus grande et plus parfaile ressemblance avec Dieu, des sentiments plus eleves et une vie plus sublime, une

21

329 PREMIERE SEMAINE

complete morlificalion des appelits deregles et mauvais de la naliire et une conduite parfaile selon Dieu (Bom., 8, 12-14).

E. i\ous devons nous vaincre, afin, cinquicmemcnt, d"ob- tenir des graces, la consolalion spiriluelle, et des meriles pour le ciel. La consolation celeste est presque impossible saus le renoncement a la consolalion lemporelle et sensible. Que nous restera-t-il a la morl de tous nos merites spirituels, si ce n'est 1'ensemble des sacrifices temporels que nous aurons olferls a Dieu pendanl toute notre vie? Que de merites nous pouvons acquerir pour le ciel, en faisant cbaque jour a Dieu le sacrifice des vaines joies de la terre !

F. Nous devons nous vaincre, dans le but, enftn, dene pas perdre le fruit des Exercices spiritwls. La vicloire sur soi-meme ou l'exlirpation des passions dereglees dans riiomme n'est-elle pas le but procbain des Excrcices (cf. premiere annotalion et titre des Exercices), et par suite la fin procbaine et principale. le premier devoir de toute la vie spiriluelle? Oublier cela, c'esl perdre son temps et sa peine et vouloir se tromper soi-merne ; c'est ignorer un axiome admis par lous les mailres de la vie spi- rituelle. Sans la resolution de nous vaincre et sans la pralique de la moitification, nous ne passerons jamais a 1'execulion de tout ce que nous avons decide dans la premiere semaine des Exercices, et a plus forle raison nous n'y persevererous pas : en effet, sans la morlificalion nous ne servirons pas Dieu, nous ne serons pas indiflerenls a 1'egard des crealures, nous n'evi- terons pas le pecbe. II nous faut donc ici tirer el admettre la consequence tinale : Qui veut alteindre sa fin doit eviler le pecbe : qui veut eviter le pecbe doil se vaincre el se morlifier.

III. Les qualites dc la moriification.

Pour atleindre son bul, la moi liflcalion doil avoir les qualites suivanles :

A. Premirrement, il faul qu'elle nous serve de fondement et de base d'operation ; c'est-a-dire que nous devons en faire un usage frequenl,- comme d'un principe, et ne pas la pratiquer incidemmenl et par occasion. Le mal, belas ! est aussi, pour

MEDIT. SLPPLEM. : l'hLMILITE 32">

ainsi dire, erige en principe dans notre elre : il esl une loi et nne inclinalion constante en nous ; a cause de cela, une oppo- silion conlraire doit avoir lieu, afin que le raal ne triomphe pas. Un de nos axioraes principaux dans la vie spiriluelle est que nous devons nous vaincre nous-meraes et avoir la volonte de le faire.

B. Deuxiemement, la mortifiealion doit etre universelle, constante et perseverante. II faut qu'elle s'etende a toules nos passions ; il faut qu'elle soit interieure et exterieure et qifelle se pralique sans interruplion. Une seule passion suffit pour nous perdre. Gliacune des passions est comme un tenia qui se renou- velle toujours si on n'y fait atleulion. Une passion non morlifiee ressemble de quelque maniere a une armee ou a une forteresse ennemies, qu'on a laissees derriere soi pendant qu'on a eontinue la campagne.

G. Troisiemement, la morlificalion doit elre offensive, et non pas seulement defensive. II fant nous mortifier sponla- neraent, sans atlendre que nous soyons forces de nous mortifier. Si nous ne faisons ainsi. nous manquons souvent le but, et nous remporlons sur nous des victoires intempeslives et inuliles. En prenanl roflensive dans la morlificalion, nous la rendous facile, parce qiUelle est ainsi en conlinuel exnrcice.

Telles doivent donc etre nos disposilions a 1'egard de la mor- tification, quelque penible qifelle paraisse. Elle esl absolument necessaire. De plus, elle n'est pas dangereuse, si on en voit bien le but et le veritable objet, si on ne vent pas tout entreprendre a la fois, et si ou se laisse guider. Oui, assurement, la mortifi- calion est facile, si on en fait un exercice essentiel et principal de la vie spirituelle, si I'on prie et si l*on a tanl soit peu d'amour de Dieu.

f) HUMILITE

Nous ne pouvons laisser passer la premieiv semaine des Exercices sans poser ici le solide fondenieiit qui s'appelle l'hu- milite. La premiere semaine y contribue el s'y adapte exlra-

324 PREMIERE SEMAINE

ordinairement bien, et cle plus 1'orgueil est une passion donl 1'extirpalion esl le res.ultat special de Tabnegalion de soi-meme.

I. Essence de V Humilile.

L/humilite apparlienl a la vertu cardinale de lemperance el est une parlie de la modeslie interieure. Specialemenl, 1'humi- lite est cetle vertu de la volonle qui nous mel en etat de ne pas nous elever outre mesure au-dessus de nous, de ne pas vouloir etre ou parailre plus cpie nous ne sommes et faire plus que nous ne pouvons en realile. Elle modere par consequent lous les acces de Torgueil, qui veut toujours parailre, s'elever et enlre- prendre plus que la droile raison ne le permel.

II. Condition et pralique de VHumilite.

A. La condilion de riiumilile est la connaissance de soi- meme, 1'eslime juste et moderee de ses propres qualites. La premiere semaine serl merveilleusement a atteindre ce but. Elle est un « miroir fidele » : elle nous mel sous les yeux et nous monlre, d'une maniere claire et dislincle, le speculum nativi- tatis nostrae. Elle nous monlre, d^abord, ce que nous sommes dans Fordre nalurel. La medilalion du « Principe et du Fonde- ment », que dis-je? le premier mot de cetle medilalion nous fait jouir crune vue immense sur notre nalure et sur loul notre elre. Nous ne sommes que des creatures, par consequent, nous ne sommes, de nous-memes, que la fragilite, rimpuissance, le fini et le neanl de toute maniere ; par nalure, nous sommes la faiblesse meme et nous ne nous appuyons sur rien. CelLe vue s'elend et s^elargit davantage clans la medilalion sur les peches personnels, quand nous considerons chacun qui nous sommes, et corporellement, et spiriluellement, en comparaison de tous les hommes, de tous les Auges, el cle Dieu meme : qu'est alors notre intelligence, qu'esl nolre memoire, qu'esl nolre volonte, que sont tous nos meriles el loutes nos verlus? Quelle pauvrele, quelle faiblesse, quelle triste et dure necessite ne nous devoile pas enfin la medilalion de la morl! Les suiles

MEDlT. slpplem. : l'hlmilite 325

de la cruelle morl sonl une enliere dissolution et une complete disparition. Quelque lemps on rit de nous, on nous juge, el apres on ne parle plus de nous : In imagine perlransit homo 'Ps. 38, 7).

De plus, la premiere semaine nous nionlre ce que nous sommes dans 1'ordre surnalurel. La meditation sur le Iriple peche nous revele la possibilite au moins et le liiste fail du peche grave, el cela dans les elres superieurs. les creatures pre- eminenles, dans nos premiers parenls et les Anges. La medilation des peches personnels nous apprend la meme cliose a notre propre sujet. Et quelle est la premiere lecon que nous donnela medilation sur 1'enfer, si nous avons peehe grave- ment? Elle nous fail decouvrir toul d'abord, dans le peche grave. la plus grande folie, le manque absolu de caractere, une infamie, une bassesse el une ingralitude incomparables. Peut-il y avoir rien de plus deshonorant que d'avoir echappe a 1'enfer?

B. Tel esl donc le Irisle miroir que nous presente la pre- miere semaine, et tel esl en meme temps le fidele conseiller qui nous dit en toute franchise ce que nous sommes. Nous voyons par la combien de raisons nous avons d'etre humbles et comment nous pouvons montrer effectivemenl que nous sommes humbles. Nous devons, avant tout, avoir une basse opinion de nous, et etre conlents si d'autres parlagent celte opinion ; il ne nous faut pas vouloir briller el nous faire remarquer, raais nous devons nous faire pelils et meprisables en toule realite, en monlranl a 1'occasion tout ce que nous sommes. L'efficacile de l'humilite resulle deja de la simple connaissance de nous-memes que nous donne la premiere semaine ; el il est de notre devoir de ne pas terminer celle-ci sansavoir pose en nous le solide fondement de 1'humilite pour toute nolre vie.

III. —Molifs.

iNous avons plusieurs molifs de regler el de diriger notre vie d'apres cetle connaissance de nous-memes, fournie par l'hu- milile.

A. Dabord. nous avancons ainsi reellement dans la verile :

326 PREMIERE SEMAINE

car rhumilite est la verite ; autrement, nous ne sommes que mensonge, objets de risee el d,b.orrew pour Dieu.

B. Ensuile, il y a dans celte humilile un grand avantage pour toute la vie spirituelle. Que de fautes et de defauts nous evitons par la ! La negligence dans la priere; la difficulle de nous soumeltre a la volonle de Dieu ; Tindependance, les plaintes conlre les Superieurs, le manque d^ouverlure de conscience avec eux, la pretenlion a faire valoir nos droits ; 1'intolerance vis-a- vis du prochain, le mepris des autres, 1'envie, la medisance, les critiques : et, pour ce qui nous regarde, le mecontenteraent que nous eprouvons de notre posilion el de nolre eraploi, la suscep- tibilile, Tallache aux honneurs, la crainle de 1'insucces, le decouragement et le dese^poir dans la vie spiriluelle... Comme la vie de sacrifice est facile quand on se hait et qu'on n'oublie jamais d'avoir merite 1'enfer ! A celtecondilion seulemenl, Dieu nous accorde ses graces et ses dons parliculiers, el nous evilons le malheur d^abuser de tout.

G. Enfin, rhumilite est une verlu belle, louchanle, sublime, et la meilleure disposilion pour imiter la vie du Sauveur. En toul cas, nous le suivrons volontiers el genereusement, si nous sommes humbles.

MODELES DE PENITENCE

a) L ENFANT PRODIGIE (Luc, 13, 11-32.)

Le Sauveur lui-meme raconle celte parabole, pour nous exci- ter tous a la penitence. Getle parabole renferme trois des motifs que nous avons tous de faire penitence.

I. Les faules de tenfant pmdigue.

A. Sa faute principale consisle dans sa pretention injuste a oblenir de son pere la parl de son beritage. II y a la un man- que de respect et d'egards, et une insolence. Une autre de ses fautes est la dissipation de son bien, lequel avait coule sans doute beauconp de travail et de peine a son pere. Enfin, son iuconduile et son immoralile mellent le comble a ses exces. Et il faut bien remarqiier que toules ces faules sont commises par un elre tres clier, qui toucbe de tres prescelui qu'il offense, par le propre fils de ce dernier.

B Les suites de ces fautes sont, d'abord, une diselte et une panvrele affreuse ; puis la perte de la liberte, le jeune pro- digue ayanl ele oblige de s'engager comme servileur ; enfin le plus profond abaissement et Tabandon. Son mailre Tenvoie au debors, a la campagne, pour garder les pourceaux : cet office est, aux yeux des Juifs, le plus bas degre de lavilissement el de la degradalion.

C. Les causes de ces erreurs sont la legerete, « il est le

328 PliEMIERE SEMAINE

plus jeune », ramour de la liberle, 1'ennui et la crainte de n'elre pas heureux dans la maison palernelle. Telle est vrai- ment 1'image de la misere du pecheur : il est pauvre, il est avili, il esl malheureux, il estcoupable, injusle et ingrat envers Dieu.

II. Penitence et relour du prodigue.

A. lVoccasion de la penitence du prodigue esl sa solilude, accompagnee des reflexions qu'il y fail. II rentre en lui-meme, compare son etat presenl a Fancien et en concoit une grande douleur et un grand repenlir. II se rappelle son pere, sa bonte el son amour, el ce souvenir lui donne Tespoir d'en elre par- donne.

B. L'Evangile depeinl Ires bien la maniere dont le pro- digue accomplit sa penilence, nous offrant ainsi un modele par- faitde conversion. Le prodigue prend la ferme resolulion de parlir et de s'arracher a son Irisle sejour. Le molif en est ramour pour son pere : « Je veux aller a mon pere. » El il persevere fidelement dans son excellenl dessein : rien ne l'ar- rele, ni la longueur ni les difficulles de la roule, ni enfin les humilialions de son relour dans la maison paternelle. II con- fesse sa faule comme un verilable peche el il acceple d'avance iiMmporte cpielle punilion, si humilianfe qu'elle soit. II esl con- tent de s^engager comme simple servileur dans la maison paler- nelle, il n'a aucune pretenlion sur le bien de son pere. Sa penilence est parfaile, remarquable et touchante. Un coeur si genereux merite son pardon et nous invite en meme temps a suivre son exemple.

III. La reception faite au prodigue par son pere.

A. La receplion faile au prodigue par son pere esl aussi vraimenl genereuse. Premierement, le pere reconnait aussi- tot son malheureux enfanl el se precipile a sa rencontre. Denxiemement, il lui pardonne immediatement et lui prodigue loutes les marques de sa tendresse, ne le laisse pas parler davanlage et arrete Taveu de sa faule par un doux baiser.

MODELES DE PENITENCE : SAINT PIERRE 329

Troisiemement, il rend a son fils toul ce qu'il a perduelle reta- blit dans son ancien etal ; il lui rend la fortune en le revetant de ses habitsde fete, les privileges de sa naissanceen lui remet- tant la bague a son doigt, la liberte et la noblesse dans les sou- liers qu'il lui donne, car marcher sans chaussures etait alors le signe de 1'esclavage. Enfin le pere fait tout cela avec joie et de lout son coeur, et il donne deux preuves manifesles de sa joie etde sa sincerile dans le festin magnifique qu'il commande et dans la defense qu'il prend de son fils retrouve en face de son aine, dont 1'indifference et le depil viennent troubler cetle fele touchante.

B. Dans tout ce recit se montre la misericorde de Dieu, et pourtant nous n'en avons la qu'une ombre. Non seulement elle accueille le pecheur et lui rend tous ses biens, mais encore elle va le chercher bien loin, sur des chemins detournes, au moyen de ses graces, sans lesquelles la penitence et la conversion ne seraienl pas possibles. Elle achcve et couronne son oeuvre en recevant dans ses bras, avec la plus grande bienveillance, la pauvre brebis perdue, mais retrouvee, en la retablissant dans tous ses anciens droils et . en lui rendant lous les privileges dela grace el de l'aniourde son Dieu.

b) SAINT PIERR E Luc, -11. 54-62.)

I. Ln chute de saint Pierre.

A. Les principales circonstances de la chute de saint Pierre setrouvenl dans ces deux faits : son admission dans la cour du grand-pretre Gaiphe etson imprudence a rester pres du feu pour se chauffer avec les soldals et les servileurs. Une ser- vante lui demande s'il fait partie de la troupe du Nazareen et, en meme temps peut-elre, une autre servante dit qu'il est en efTet de la suite de Jesus. Pierre repond qu'il ne comprend |ias ce qu'elles disent, qifil ne connait pas le Nazareen. ?]n voulant sortirde la cour, Pierre est interpelle de nouveau par une ser-

330 PREMIERE SEMAINE

vante et un des assislants : « Vous apnarlenez certainement, lui disent-ils, a la troupe de Jesus. » Pierre nie avec serment elre du nombre des disciples du Nazareen, et meme connaitre ■cet homme. Revenu du veslibule dans la cour de Gaiphe, il est enlrepris une Iroisieme fois el, ce semble, coup sur coup, par trois des individus presents cpii assurent qu'il est, sans nul doule, un des disciples de Jesus, qu'il esl Galileen de langue, que, d'ailleurs, on Ta vu dans le jardin au moment de la prise de Jesus. Alors TApolre repond par ces mots, qifil accompagne d^une imprecation contre lui-meme : « Non, je ne suis pas un des disciples de Jesus, je ne connais pas cel homme donl vous parlez. » Tel est a peu pres le recit de la chute de Pierre.

B. Mais que de cboses renferme ce peu de paroles ! Elles disent el. rappellenl »n miserable respecl hutnain elune lachele, un mensonge et un parjure, une imprecation et un reniement injurieux du Seigneur. G'esl ainsi qu^il aftirme, qifil jure et qu'il ment, ce Pierre, ce premier des disciples de Jesus, ce chef des Apolres et ce fulur Pape ! Kt qui affirme-t-il ne pas con- naitre? Son meilleur ami et son plus grand bienfaiteur, son Mailre, pour lequel, tout a rheure, il voulait mourir el il a merne lire le glaive ; il ne connail plus son Seigneur el son Dieu, dont il a si souvent, el si solennellement, el avant tout autre, procla- me la Divinite ! El en presence de qui le renie-t-il? Devant des valets, des servanles el une vile populace ! Que sonl donc les hommes, meine les meilleurs? La profondeur de cetle chute apparait encore plus clairement quand on pense quelle injure el quelle douleur resullerenl pour le Seigneur d'un pareil reniemenl. Quelle peine pour un ami, pour un mailre, pour un bienfaileur, delre meconnu et renie ! El d'abord dans quelles circonslances Jesus esl renie par Pierre ! Un aulre Apolre la dejci vendu el Irabi, tous 1'onl abandonne, et, maintenanl, voila son premier Apolre qui le renie et qui jure qifil ne le connail pas ! Gombien la coupe des douleurs du Messie est amere ! Et, certes, la chule de Pierre est un des coups les plus rudes que Notre-Seigneur recoit et ressent pendant sa Passion ! Celte deiection est vraiment deplorable.

MODELES DE PEiNITENCE \ SAI.NT PIERRE 331

II. Causes de la chule.

Une des causes de la chute de sainl Pierre esl sans doule sa negligeneede la priere,que le Seigneura si souvenl recomraan- dee pendanl cetle soiree. Ensuile, c'esl s.a presomplion. II pense que loul esl possible a son amour et qu'une iufidelite de sa part esl impossible : ilmontre bien la soncaraclere. Enfin, une derniere cause de sa chule esl l'irreflexion avec laquelle il s'expose au danger sans necessile.

jMainlenant on peut alleguer, comme circonslances allenuantes de son crime, le tendre inlerel qifil prend au sort de son divin Maitre, son amour pour lui et le desirde savoirce quil devient. De plus, les evenemenls inalleiulus qui se sont succede avec tanl de rapidile pendant cette nuit out tout ii fait trouble TAjxMre et i'onl aiusi rivre au pouvoir et aux caprices des impressions d'uue seusibilite extreme. Eufin, l'entourage qui le menace, les paroles qu'il enlend, les gesl.es qu'il voil el les assauts rudes et conseculils qu'il vienl de soulenir ont ebranle sa constance el diminue sa presence d'espril. Cerlainemenl, 1'augoisse, rafflicliou et le Irouble, en meme lemps que Ia lassilude et repuisemeat de ses forces corporelles et spiiiluelles, sont pour beaucoup dans la defection de saiut Pierre. MaJgre cela, pour- tant, sa cliule esl profonde el lamentable!

III. La jienilence de sainl Pierre.

\. Avant toul, il nous faut considerer la cause premiere de celte penilence, c'esl-a-dire le Sauveur lui-meme. Jesus, qui jusque-la esl resle silencieux, counne indifferenl et insensible a tout ce qui se passe aulour de lui, et qui raerae ne s'est pas laisse einouvoir en face de ses bourreaux, raaintenant se tourne du cole oii Pierre se trouve el arrete sesyeux surlui. Un pretre, un Apolre est sur le point de tomber dans 1'abime de perdition, et le Sauveur ne peut rester indilferenl a son sorl. Personne ne desespere plus facilemenl qu'un Apdtre. II lui accorde un de ses regards ! Dans quelle inlention? Pour le punir, le condamner?

332 PP.EMIERE SEMAINE

Est-ce 1111 regard de reproche, dMndignation, le regard dn jnge qui punit de morl? Non, c'est un regard de misericorde et de pardon. Que lui dil-il ? « Pierre, pourquoi es-tu vemi ? Me con- nais-tu? Ne sais-tu pas qui je suis? Ne vois-tu pas le precipice oii lu vas te jeter ? Ne desespere pas ! Cest moi ; je suis la. II n'est arrive que ce que j'avais predit. Aie confiance; j'ai prie pourtoi. Je m'en vais bienlol mourir pour tes peches. Toi, vis et confirme tes freres. » Le Seigneur a, pendant sa vie, jete sur les pecheurs bien des regards puissanls et aimables a la lois, mais jamais il n'a arrele ses yeux sur personne comme il vient de le faire sur son Apolre Pierre. Son regard est une de ces graces efficaces qui, des pecheurs, font desSaints. Pierre recon- nait le precipice epouvanlable ou il s'est jele, mais il voit aussi la main qui le retienl, la meme main qui l'a saisi sur la mer de Galilee pour 1'empecher d'enfoncer dans 1'abime. II saisit celle main qui le relire aussilot du precipiee. Nous devons ici nous prosterner et baiser le sol ou lombe le regard du Sauveur. Ge regard esl aussi pour nous : que seraienl devenus Pierre et tant d'aulreS prelres si Jesus n'avait pas fixe ce regard sur son Apolre? Comprenons-le donc bien et ayons confiance et cou- rage ! Qui peut desesperer desormais? Ge regard, le Seignetir le jetle souvenl stir nous dans le cours des Exercices.

B. Pierre comprend ce regard de Jesus, et il y repond de son cote avec lotil le devouemeut et loule la generosile donl il esl capable. Yivemenl penelre de la grandeur de sa faute, il se mel a pleurer ameremenl. II repand alors des larmes de repen- tir, de confiance et d'amour. II se leve aussitot et sYIoigne dtt danger. Pierre esl devenu htimble meme dans son amotir. Dans l'apparilion sur le bord dti lac, il n'osera pas affiimer qu'il aime son Mailre plus que les aulres. II n'oubliera jamais non plus son crime : le jour, il remplira fidelemenl sa fonction dePasleur des ames, el, la nuil, il se levera pour pleurer sa chutemalheu- reuse, de lelle sorle qu'au rapport de la legende ses larmes abondanles traceront peu a peu, dans ses joues, de profonds sillons. Telle sera sa penilence apostolique. L'humilite et la penilence seronl le fondement de lotil le reste de savie, la base de toulesses cenvres. 11 comptera tout potir rien, ses voyages,

M0DELES DE PEMTEXCE I SAINT IGNACE 333

ses travaux, ses persecutions, et, deveuu vieillard, il subira le martyre pour le Christ avec humilite et couslauce.

C SAINT IGNACE

Nous avons dans saint Ignace un modele de conversion el de penitence qui nous louche de pres el qui nous inleresse d'une maniere particuliere.

I. Disposition el etat d'Ignace avant sa conversion.

A. Nalurellement parlant, Ignace de Loyola esl un homme remarquable. Sa tigure et son exterieur sont dislingues, ses manieres nobles ; il a un espril droil, un coeur eleve, vaillant. Sa verlu caracterislique est la magnanimite.

B. Au point de vue.surnalurel, Ignace a une foi ferme el des senlimenls religieu\, mais il est trop imbu des maximes du monde.

Sa vie nV.sl occupee el son esprit n'est rempli que de bon- heur lerreslre et de succes temporels, surlout dans la carriere des armes, oii il veut devenir un grand et illuslre capitaine. Sa magnanimite a donc une fin nalurelle ; il est alors bien loin d'etre un Sainl et detre un saint Ignace. Si quelquun lui disail, quand il fail sa sorlie de la ville de Pampelune a la lele de son balaillon : « Inigo, on vous reverra sur nos roules dans quelques mois, mais sous riiabil d'un pauvre mendianl, que les enfants poursuivront et couvrironl de boue », il donnerail peut-etre pour reponse un coup d^epee a ce propbele de malheur. Ajou- tons qu'il a deja trenle ans.

II. La conversion.

A. Trois causes concourenl a operer la conversiou de saint Ignace :

La premiere cause est le coup terrible el providentiel porle par Dieu a la carriere d*Ignace : un boulel de canon le renverse

334 premiere semaim:

par lerre dans la defense de la citadelle de Pampelune. Suivant le monde, c'est un grand malfieur, mais surnalurellement, c'est le principe et le commencemenl de son bonheur et de sa conver- sion.

Comme seconde cause, il faul assigner les reflexions et les consideralions que fait Ignace lui-meme, pendant sa maladie, sous rinduence de la graee divine. Pour s'occuper sur son lit de douleurs, il prend et lil, quand il n'a plus de romans de chevalerie a sa disposition, la vie de Jesus-Christ et celle des Saints. Dans 1'elat d'ame oh il se Irouve, celte lecture ne lui dit d'abord rien de parliculier : il ne la comprend pas ; meine il s'y glisse souvent des idees d'avenir terrestre auxquelles il s'al)an- donne volonliers. Pourlant il remarque peu a peu que ces ima- ginalions ne lui laissent apres elles que le vide et le trouble, landis que le souvenir des Sainls le remplit de paix et de con- lentemenl. II en conclut qtie la verile doit etre d'un cole, le mensongeet la vanile de 1'aulre. II se mel a faire des comparai- sons : il trouve aussi dans les aclions des Saints ramour. mais ramour le pltis noble et le plus desinteresse pour Dieu et pour les hommes ; il y trouve encore la force, la generosite, un si grand conrage qifil a bonte de ne pas le posseder ; il y trouve la guerre el des balailles, mais des combats spirituels, et non pas contre les hommes, mais pour eux et conlre soi-meme ; il y trouve enfin le succes, la gloire, riionneur el le bonheur, et nn bonheur assure, pendant qu'au conlraire la fortune dans le monde depend d'un coup de hasard : lui-meme \ient d'en faire la Irisle experience. Peu a peu la penseelui vient d'ahandonner la rarriere du siecle et de chercher sa gloire devant Dieu, en devenant un Saint. Sous rinlluence permanente de la gracer celfe decision entre loujours plus avant dans son ceeur. II refle- chit sur sa vie et en reconnait la vanite et le dereglement, et il se resoul a en faire peiiilence aussilot, a changer de conduite et a suivre 1'exemple des Saints, surlout de ceux qui se sont signa- les par uiie grande morlilicalion exlerieure. Ainsi il veut elre un Sainl. 11 se releve de sa cotiche avec cette ferme resolulion : ce que les Sainls onl fail, il veul le faire lui-meme ; il veut se dislinguer et elre magnanime, mais aux yeux de Dieu. Ignace

MODELES DE PENITENCE : SAINT IGNACE 335

conserve donc loules ses disposilions, lous ses talenls naturels, seuletnent il leur donne un autre but : une direction surnatu- relle.

Une troisieme cause de la conversion d'Ignace de Loyola se trouve dans une serie d'evenemeiits extraordinaires, comme l'apparilion de la Mere de Dieu et celle de saint Pierre..., donl il est l'heureux tenioin ; mais ces fails ne font que confirmer sa conversion, ils ne la delerminent pas.

13. LTexeculion sttit immedialement la resolulion. II fait une penilence parfaite et heroiique. II oblient 1-absolution de ses peehes dans la confession generale qu'il fait a Monlserrat, et plus tard souvent encore. Le souvenir de ses Xaules passees ne le quitle jamais, el il s'appelle volonliers un grand pecheur. Pour la punilion de ses peches, il s'impose de rudes morlifi- ealions, des jeunes, des austeriles inouies et un detaehement complet du monde. Tout ce qu'il y a d^lTrayant et de penible dans la vie de penitence, il ralTronte et le supporle avec un cou- rage invincible. II atlaque aiissilol et combal en lui les pas- sions, causes et sources du peehe, avec une vigueur exlraordi- naire, en particulicr son orgueil, les recherches mondaines dans ses manieres, dans ses habils el dans sa nouri-ilure. En peu de femps, il en est le mailre. Ge qifil y a de ]»lus beau et de plus noble en lui, c'esl Tesprit d'amour et de generosile envers Dieu. II fail ainsi penitence, non pas tant pour reparer ses fautes que pour se distinguer au yeux de Dieu. Une sainle ambition le pousse a ne se laisser devancer par aucun Saint sur aucun point : s'il lit qu'uii Sainl a fait ceci ou cela, c'esl une raison sullisante pour lui de ritniler, de faire comme lui.

III. Hrsuttnls et effets de cetle conversion et de cetle penilence.

Le resullat pour Ignace lui-meme esl qu'il devient ttn Saint, et un grand Saint, comble de tmiles les benediclions de la sainlele dans le tetnps et dans 1'eternile. Le resultat pour nous est que saint Ijniace devient nolre Pere in Christo, par la fonda- tion el 1'etablissement de la Gompagnie (!<■ Jesus. Le resullat

336 PREMIERE SEMAINE

pour 1'Eglise est un nouveau secours dans ses combats, dans ses travaux pour la defense el Taccroissement de la foi et du Royaume de Jesus-Christ. Pour le monde c'est le progres de Ja civilisation chretienne, dela science etde 1'instruclion. Qifils sont magnifiques les fruitsde celte penilence et de celte conver- sion ! Que de millions dMiommes leur doivent le salul el le bonheur elernel ! Tout ce que la Gompagnie de Jesus a fait et accompli de grand depeud du seul instant de la conversion

dlgnace.

Gerles, il vaul bien la peine de se lourner vers Dieu de •loutson coeur, a 1'exemple de saint Ignace, de donner et de vouer completement tout ce qu'on a et loul ce quon esl a son service >'l a sa grace. La penitence, la conversion d^Ignace, comprise de celte maniere, esl aussi le fondemenl et la source de lout le bien dans notre vocation elle-meme En effel, le commencement, comme le progres, de la conversion de saint Ignace est dans la relation la plus inlime avec nolre conversion personnelle, non seulemenl en tant que la Gompagnie esl enfin sortie de la con- version d'Ignace, mais encoie dans le sens que nolre propre conversion a le meme point de deparl et les memes causes de developpement que celle de saint Ignace : les Exercices salu- laires que fit alors Ignace, el les Exercices que chacun de nous fait a son enlree dans la Goinpagnie, ne contiennenl-ils pas, en verile, les uns et les aulres, les memes elements et la m^me marche progressive de reforme et de changemenl inlime, ou de conversion ; ne suivons-nous pas, dans les Exercices, les pen- sees memes de sainl Ignace, et ne nous y relrouvons-nous pas dans les memes elals d'ame que lui pendanl sa conversion ? Enfin, le but el le resullal doivenl, avec la grace de Dieu, elre les memes : devenir comme sainl Ignace, par le devouement gene- reux a Dieu, de dignes inslruments de la gloire divine, de secours pour TEglise el de salul pour les hommes.

DEUXIEME SEMAINE

SENS & P0RTEE DE LA DEUXIEME SEMAINE & SON ENCHAINEMENT

AVEC LA PREMIERE

(Commentaire des Exercices, p. 70 a 11.

MEDITATION DU REGNE DU CHRIST

But et Plan de cette Meditation.

(Commentaire, p. 72 ;'i 71.)

I. Parabole du roi terreslre.

A. La personne et les qualiles du roi. Ge souverain est iin homme ; il partage avec nous la nature humaine et il est sem- blable a nous : ce qui nous fouruil aussilot des motifs d'avoir confianee en lui et de Faimer. II est un roi, choisi el etabli nar Dieu, donc un roi legilime par la grace de Dieu : il gouverne •avec raulorite divine. II est de plus liberal et bon (liberalis et humanus), voila ses qualiles personnelles : il a donc un carac- tere veritableraent royal. II est enfin un souverain grand el puissant : tous les princes chreliens el les aulres chretiens lui <loivenl 1'obeissance ; Dieu les adresse et les renvoie tous a lui. II est ainsi sous tout rapporl une majeste qui commande le res- pect et qui esl en eflet respeclable : c'esl un souverain dans le sens propre el beau du mol.

B. Le dessein, le plan du roi apparait clairemeiil dans son appel a ses peuples. Ce dessein est grand et sublime : il veut soumellre au Seigneur Jesus loul le monde paien et laire un

22

338 DEUXIEME SEMAINE

empire universel cbretien. Cest un dessein juste et saint, venanl de Dieu et ayant pour but la gloire de Dieu et le bien des- liommes. Cesl un plan raisonnable et acceptable pour tous : carlous doivenl travailler et combattre avec le prince, et avoir dans le butin une part proportionnee a leur peine et a leurs tra- vaux. Cest enfin un clessein glorieux, puisque la vicloire est certaine, promise par Dieu m6me.

G. La sage et noble resolution des sujets est d'engager aus- silot la lulte et de faire la volonte d'un prince aussi bon et aussi genereux ; le contraire denoterait en eux un manque complet dinlelligence et de la lachete. Gertes, les liommes se decident souvent a snivre un cliel darmee dans des circonstances beau- coup plus defavorables ; que ne feraienl-ils pas, s'ils etaient enioles par un tel prince el a de telles condilions?

II. Application de la parabole au divin Sauveur.

A plus forte raison, 1'entreprise est digne de notre considera- tion et de notre acceplalion, si Nolre-Seigneur Jesus-Gbrist lui- metne nous y convie ! Appliquons donc les trois points « de 1'appel du roi lemporel » au divin Sauveur, pour voir combien « le Roi eternel » merite incomparableinent plus d'^lre suivi.

A. La personne qui fail maintenant la convocalion est, avant tout, aussi un homme, un veritable homme en chair et en os, comme nous. Mais quelle magnitique nature dhomme, quelle grace, quelle majeste ! Quel esprit puissant et superieur ! Gomme son Cceur esl noble, fort, energique, vaillant, magna- nime ! Comme il est desinteresse et bienveillant envers chacun de ses sujets ! Lc Christ est ne Roi des ceeurs et Roi de runivers entier ! II cumulf ensuile les plus hautes dignites ; il les reu- nil loules en lui : il est Docteur et Prophele, Roi et Grand Pre- tre, Chef etMediateur de toule rhumanite ! II i^esl pas seulement un Roi temporaire, il est aussi nn Roi eternei : le ciel et la terre lui appartiennent. Enfin, il esl sans conteste le premier, le principal, le plus puissant de tous les etres crees, et encore davantage : il esl Dieu. Que signifie, en effet, celte aureole d'or autour de sa t£le? Nous pouvons, par consequent, l'admirer,

MEDITATION DU REGNE DU CHRIST 339

l'aimer, mais aussi 1'adorer : en lui se trouve le but supreme, la fin derniere de notre vie ; il esl notre Crealeur, nolre Maitre et nolre plus grand Bien... II n'y a donc pas en lui de desaccord entre le service qu'il rend a riiomme el celui qu'il rend a Dieu, enlre le droil de Dieu qu'il garde et le bien de riiomme qu'il procure. En servant, il remplil son office envers Dieu en meme lemps qu'il opere nolre propre salut. Ou trouvons-nous ailleurs nn tel Mailre? Et tout cela est d'une grandeur et d'une magni- licence qui depasseront toujours ce que nous pourrons jamais imaginer. Que ne roerite donc pas un semblable Maitre?

B. Pour bien eomprendre la cause a laquelle Nolre-Sei- gneur veul nous gagner, nous devons elre mis au courant des desseins, du but de sa venue et de sa mission ici-bas ; evidem- ment, ce ne peut elre que quelque ehose de grand et de sublime. Quelle fut rinlention, quel fut le projet de l'Homme-Dieu sur la tene ? II vonlait l'honneur el la glorificalion de Dieu, parce qu'il n'y a rien de plus eleve et parce qu'enfin la crealure ne doit pas tendre a d'aulre bul. II voulait la glorificalion de Dieu, commf Dieu la veut, par le moyen du salul et du bonheur des liommes. II voulail rendre lieureux les individus, les familles, les peuples, pendanl le temps ^i pendanl l'eternite, les conduire par le bon- beur temporel a la beatitude elernelle. Cest pourquoi il voulail avant loul les delivrer de la dominalion du peche, des passions el de Salan, proteger et garantir d'une maniere dutable leur liberte par des lois et par retablissement d'une grande societe, par un Empire universel, qui embrasserait toutes les nations et tous les temps : Royaume de veritablecrainte de Dieu eldesage morale, de paix, de bonheur, qui se transformerait un jour en un Royaume eternel, divin, dans le Giel. Le Ghristvint donc en ce monde pour fonder ce Royaume, el il l'a etabli dans 1'Eglise calholique. Tel ful le but de sa vie, de son enseignemenl, de ses exemples, de ses fonclions, de rinstilution des Sacremenls, de sa Passion et de sa mort.

Mais il ne voulul pas etablir ce Royaume sans le concours des hommes : il appela donc les Apotres, les choisit pour leur faire partager son entreprise et sa puissance ; il fil d'eu\ le fondement de ce Royaume de 1'Eglise et leur en confia le gouvernetnenl. Par

340 DEIXIEME SEMAINE

eux et par leurs successeurs ce Royaume doit perpetuellemenl se mainlenir, se defendre et s'agrandir, el !out homme esl appele a cooperer a cette oeuvre suivant la mesure de ses moyens el de sa posilion. Ghaque homme doil accepter et elablir dans son coeur ce Regne ou cet Empire avec sa foi, ses commandemenls et sa grace, doil, par consequenl, faire partie de ce Royaume, et de plus, cTapres 1'exigence de la volonle de Dieu et selon sa oapacite, contrihuer a l'etablir dans le coeur des autres. Pour y parvenir, la necessite incombe a lous et a chacun de commen- cer et de poursuivre lalutte contre le peche elles passions, el de cooperer de lout leur pouvoir au salul des autres et a Texlension du Royaume du Ghrist. Voila, esquissee en quelques traits, renlreprise a laquelle le Sauveur nous convie : elle n'esl aulre que limitation de Jesus Christ.

G. Relativement a lareponse que doivenl faire les sujelsa la demande ou a 1'appel du Roi Jesus, il esl a remarquer que, dans chaque division et dans chaque corps de celte milice, il y a dilTerenls posles et differents degies de devouement au service de la cause du Sauveur. Les uns enlrent en campagne, s*y lais- senl employer, y 1'onl et souffrenl en realile quelque chose ; dai:- Ires s"atlachenl toul enliers a l'oeuvre, en deviennenl les tenanls el les defenseurs enlhousiastes, y engagent leur fortune, leur vie, commencent et finissenl avec elle. Parlout, il y a plus ou moins d'inilialive : plus ou moins 1'on se lient sur la defensive ou Ton prend Tolfensive. II en esl de meme dans Pimitalion du Ghrisl, qu'il sagisse pour nous de suivre personnellemenl le Sauveur, d'accepter et d'elablir son Regne dans nolre propre coeur, ou bien de le fonder dans le coeur des autres. G'esl ainsi que nous avons des laics et des pretres, des seculiers el des reguliers, des Ordres contemplalifs, aetifs et mixtes, suivant que les uns ou les aulres representent l'Eglise enseignanle ou 1'Eglise enseignee, se contentent de l'observation des com- mandemenls ou s'obligent a suivre les conseils evangeliques ; et parmi tous l'on constate une variete, nne diversile infinie dans riniliative et dans Texecution des travaux pour 1'elablis- sement du Royaume de Jesus-Ghrist en eux-memes et dans les autres. Sainl Ignace place, en general, le plus haut degre de

MEDITATION DU REGNE DU CURIST 341

devoueinent el de fi d *t* 1 i I *!■ a 1'oeuvre enlreprise dans 1'offensive el dans la resolulion vojontaire e.t libre de se renoncer soi-meme et de vaincre la sensualite, 1'amour du monde et de la chair. Pourquoi? Parce que c'est la condition la plus necessaire pour la faire reussir.

II est evident que sainl Ignace nous exhorle a nous signa- ler et a monter au degre du plus absolu devouement a la cause du Sei^neur. Pour nous y decider, nous avons chacun assez de molifs :

Le premier esi le Sauveur lui-meme. la magnificence el rexcellence de sa persohne, riionneur el la joie de nous lenir a ses coles, de justifier notre reputation sous ses yeux, d'etre son ami, son confideiit et l'inslrument de ses desseins pour la gloire de Dieu el le salul des hommes. Que ne peuvent sur les hommes le charme ou 1'ascendalit de certaines personnaliles?

Le second molif de suivre le Seigneur est son entreprise : avaul tout, !a grandeur, la noblesse et la justice de son dessein. considere dans sa nalure, dans sa (in ou dans ses moyens : tout esl irreprochable. De plus, la necessite de la decision dans celte affaire. Nous devons nous declaier pour ou contre ; il n'y a pas de milieu a prendre. pas d"hesitalion a avoir : Qui non est mecum, conlra me est, et qui non colligit mecum, d>spergit (Luc, 11, 23). Ou 1'Empire de Dieu, ou 1'empire du monde ! Enfin, le succes de celte enlreprise : 1'avenir lui appartient. La victoire est certaine, et toul esl recompense, comme le monde ne peut le faire, parce que le savoir. le vouloir et le pouvoir lui manquent pour cela : lous les sacrifices auront alors leur pleine et eternelle recompense.

Le troisieme motif de repondre a 1'appel du Sauveur esl lexemple des Saints : le divin Roi a liouve des soldats et des serviteurs. Quelle magnifique cour l'environne! Elle se compose de personnages illustres de lous les lemps. de tous les pays, de loutes les races : c'est 1'elite de rhumanite qu'il a pres de lui. Gomme les Saints ont repondu a son appel ! Gomme ils l'ont suivi avec lidelite et generosite ! Kt comme ils sonl magnifique- ment recompenses ! N'esl-ce pas un honneur d'avoir une place au milieu d'eux ? Or. ce qui les a faits si grands et si beaux, c'est

.'M2 DEUMEME SEMAINE

cel amour pour leur Maitre et pour son Royaume, FEglise : lel esl l'esprit des Saints. Prenons doncla lesolution noble et gene- reuse de nous niellre aux ordres du Sauveur, pour tendre de tout notre pouvoir et pour parvenir a toute la perfection de nolre vocalion ; el. dans ce but, servons-nousdes paroles memes de saint Ignace dans son livre des Exercices : 0 seterne Domine rerum omnium...

REPETITION

DEVELOPPEMENT DE LA SECONDE PARTIE

A. Jetons encore une fois un regard sur la magnifique personnalite du Roi eternel. II y a dans ce speclacle de quoi salisfaire nolre cceur liumain, aimant, aflame d'amour. Nous voulons conslamment avoir devant les yeux un objet qui nous altire, nous rejouisse, nous enlbousiasme, imobjetqui conlenle nolre esprit, notre coeur el notre imagiitation. Cet objel, nous le renconlrons dans Ia meditalion « du Regne ». Nul autre ne peul lui etre compare ou le remplacer : Princeps regum terrae, qui dilexit nos et lavit nos a peccalis nostris in sanguine suo (Apoc, 1, o). In capiteejus diademalamulta... et habet in vestirnento et in femore suo scriptum : Rex regum et Dominus dominanlium (Apoc, 19, 12. 16). Ego sum A (alpha) et O (omega), primus et novissimus, principium, fhiis..., radix et genus JJavid, stella splend<da ct matulina (Apoc, 22, 13. 16). Voyez aussi le p^aume 44, dans lequel le Cbrist nous est represente dans la beaule, 1'eclal et les altrails aimables (oleum Iselilise) de son apparition au monde, dans sa niagnificence et sa juslice, dans sa puissance victovieuse de ses ennemis et enfin dans la splendeur eblouissanle de sa cour.

R. Le projet a la realisalion duquel le Sauveur nous invite, est le programme du genre de vie le plus magnilique et le plus sublin.e ; il n'esl autre que le plan de vie qiraexecule rHomme- Dieu et Dieu lui-meme : glorifier Dieu par le salut des bommes, en elablissant le Regne du Gbrist en soi-meme, par la victoire

REPETITION : REGNE DU CHRIST 34.'}

sur ses peches et sur ses passions, el en employant, lout, tra- vail. fatigue et vie, a 1'elablir et a 1'elendre dans les coeurs des auties. Peut-il y avoir un but plus nuble et plus eleve a aileindre que la gloire de Dieu el le salut des homiB.es? Goinbien les hommes seraient deja heureux ici-bas, sMls acceptaienl la doc- trine et la ioi de Jesus ! Peut-on prendre, pour atleindre le bul propose, des moyens plus nobles et plus irreprochahles que le travail, la peine, le detachemenl el le devoueinent enliers jusqua la morl ?

En outre. esl-il quelque chose qni merile plus ces sacrifices que la defense et raccroissement du Regne du Ghrist ou de son Eglise? Gombien ce Regne ou ce Royaume esl grand et magni- fiqne dans son Ghef, dans sa puissance et son extension, dans sa conslilution et son hisloire ! Ne lisons-nous pas, dans cette liistoire, le recit des combats tes plus glorieux, des victoires les plus fameuses et des exploits les phis utiles au bien verilable de riiumanile ? Enfin, que ce Royaume est magnifique dans son developpemenl et son eternelle duree ! Gomme il est 1'objet de la haine el des altaques incessanles el universelles ! Prenons la carte du monde a la main. Qu'il y a encore de territoires a i on- querir, de vicloires a remporter ! Un vaste champ d'action est ouvert a un cteur avide de combat el de gloire. D ailleurs, ce n'est qu'en servant Dieu ainsi genereusemenl que nous pouvons servir nos plus grands inlerets et faire notre propre salut. Que de \ictimes et que cle sacrifices ont ele deja olferls au pied de 1'aulel du Roi Jesus ! II les merile lous el il en merile encore infinimenl plus... Toul est mis a couvert par la grandeur de son credit... Son Royaume est reellement digne de tout nolre service, et il n'y a que lui seul qui en soit digne.

G. Le moment est venu pour nous de voir quelle place nous devons prendre, comme enfanls de la Compagnie de Jesus, dans 1'armee qui est a la suile du Ghrist. Qui donc sainl Ignace avait-il surlout en vue, quand il ecrivail ces paroles : « Geux qui veulent temoigner au Sauveur un plus grand amour et se dislinguer a son service, doivenl offrir de plus grands sacrifices el prendre l'initialive dans la victoire sur eux-memes »? Assure- ment, il pensait alors a la Gompagnie el a chacun de nous.

344 DEUXIEME SEMAINE

Ainsi nolre place est marquee dans le service de Jesus el de sbn Eglise. D'ailleurs, lout notre Institut 1'indique assez : le fondateur de notre Gompagnie s'appelle, et avec raison, le Soldal du Royaume du Ghrisl, et son Ordre est une Compagnie guer- riere dans 1'Eglise mililante ; le but denotre Gompagnie, d'apres les bulles ponlificales, n'est autre que la defense et la diffusion de la foi catholique ; les moyens qif emploie la Compagnie pour alteindre sa fin sont indiques dans le quatrieme vceu solennel de ses Profes el dans les regles onzieme et douzieme du Som- maire des Gonslitutions ; enfin, toute son bistoire se resume dans la reunion on fensemble imposant de tous les moyens humains dont elle se sert pour la defense et l'exallation de la sainte Eglise, dans loutes les spheres de factivile sacerdo- lale...

La mpdilation du Regne du Ghrisl a cette grande portee, a celte importante signification pour nons en particulier : toute notre vocalion s*y trouve. La Gompagnie estentierementformee dans ce moule et snivant ce modele, trait par trail. Ges trails sont : 1'apparlenancespeciale au Christ, lezele pour la gloire de Dieu et le salut des hommes, 1'amoiir de 1'Eglise et du Pape. Pour repondre a la demande, a la priere que nous fait faire acltiellement saint Ignace, pour « nous distinguer » au service de Jesus et de 1'Eglise, nous ifavons besoin que d'etre de bons Jesuites.

1/INCARNATION

(Lcc, 1, 26-28.) 'Voir Le Commentaire des Exercices, p. 77 a 80.

I. L 'humanite et son etat.

Pouravoir une ideeel de 1'etal du monde et de rincarnatioii, au temps ou le Messie parut, examinons quelle etait 1'humanite d'alors. Que voyons-nous ? Les enfanls d'un pere lerreslre et d'un Pere qui est dans les cieux, s'y divisent en mille especes degenerees de races el de nalionalites, au langage, aux moeurs el aux costumes si differenls et parfois si bizarres... Considerez seulement ces visages de palens inquiels, troubles, froids et tristes ! Qu'enlendons-nous ? Des blasphemes, des menson- ges, des rires et des pleurs, qui se terminent pour lous, a la fin de leur existence, par un cri de douleur et d'effroi. Que con- slatons-nous de tous coles ? L'agitation, la sceleratesse, le lerre a terre et la vie sans plaisir ni jouissance veritables nulle part. dans aucun des biens d'ici-bas : argent ou domaines, arts ou sciences ; parlout c'est une demoralisalion epouvanlabJe. Voila 1'homme aux pieds de ses idoles grotesques el hideuses, de ces masques du diable en personne, l'homme mendiant le bonheur, le front dans la poussiere, et se relevant pour courir au vol, au meuitre, a la debauche et a tous les vices. Parlout, excepte dans la seule petile Judee, domine le paganisme, et le paganisme c'est 1'incredulile, c'estrimmoralite, c'esl la cruaule. A cause de cela. partout aussi manque de diieclion, divisionsa 1'inOni, infortunes sans nom et desespoirs. Cest une descente generale de l'hu- manite en enfer : videndo quod omnes descendebant ad infer-

346 DEUXIEME SEMAINE

num. Qifelle est donc bien loin de Dien celle pauvre race humaine, nonseulement par sa nature, mais aussi paisa misere, sa degradation ei son peche !

Tel est le resullal d'une civilisalion de quatre mille ans ! Les sloiciens, d'un cole, et les pharisiens, de raulre, sonl les fleurs et les fruils decelte cultureavancee. Cest ici qu'apparaissent et se monlrent au plus grand jour les voies que suit la cieature sans Dieu : c'est la mechancele, c'esl la 1'olie, c'est le malheur, que le peche a multiplies, sur une elendue immense, dans Phu- manile toul enliere : Juslitia elevat gentes ; miseros aulem facit populos (leccalum (Prov., 14, 34; cf. Bar , 3, 9.14). Que les honimes sont donc indignes de la Redemption ! Osent-ils ou peuvenl-ils la desirer ? La veulent-ils meme ?...

II. La Tres Sainte Trinite.

II y a pourtanl quelqiPun qui ne desespere pas de nous, qui nous juge dignes d'un rachal el qui fail ce rachal : c'est la Tres Sainle Tiinite. Elle nous lemoigne par h'i une grande miseri- corde. Lagrandeur de cetle misericorde se montre de deux coles a la fois :

A. Premierement, c'estune grande misericorde, de la part de Dieu, d'abord, de vouloir nous rachcler et nous sauver. La Tres Sainte Trinite voit, du haut du lione de sa purete, de sa saintele et de sa majeste, rabiine de malice et d'indignile oii est lombe 1'hoinme, et certes elle considere ce speclacle avec une repugnance et un deplaisir inlinis. D'apres les lois vengeresses de lajuslice, sacolereel sa fureur devraient eclater pour anean- tir la lerre avec toule la race humaine. El pourquoi pas ? Dieu en a-t-il use aulrement avec les mauvais anges ? Que perd-il en nous abandonnant a nolre malheureux sort, el que gagne t-il enfin a nous eparguer ? Telles sont nos pensees : or, telles ne sonl pas les pensees de Dieu. II voit lout, mais sans colere ni fureur, mais avec une compassion infinie, prenant en pilie cet aveuglement universel et epouvaulable ; oui, il voit tout, meme avec des egards pour nolre nalure, malgre son elat de profonde degradation ; et i! resout de nous sauver.

l/lNCARXATION 347

B. Deuxiemement, la grandeur de la misericorde de Dieu apparait encore mieux si l'on envisage le niode de redemplion que Dieu ehoisil de prelerence pour sauver el racheler le genre liumain. Un grand nombre de voies s'ouvrent devant lui pour operer notre salut : il peut nous remellre la dette de nolre faule sans exiger de salisfaction, en se contenlant de notre repenlir ; il peut acceplerla satisfaclion d'un Ange ou d'un homme, de la facon quil veut ; une des Personnes clivines peulencore prendre une nature raisonnable, creee, elsalisfaire pour nous. Queleon- seil aurions-nous donne ? Absit a te, homine (Matth., 16, 22), aurions-nous cerlainemenl repondu. Mais pourquoi avoir justement choisi le moyen le plus exlraordinaire, le plus mer- veilleux, celui qui coutera le plus? Nest ce pas assez de grace et cle faveur de remellre sa clelte a notre race et cle lui rendre la grace perclue ? Pourquoi relever encore plus haiil cetle nalure dechue, Tenriciiir des clons les plus precieux, et la couronner de 1 honneur le plus grand et cle la gloire la plus sublime? Et, remarquons-le, c'esl precisement ce iuoyen que choisil la Tres Sainte Trinile.

Ne devons-nous pas nous elonner, admirer, adorer el remer- cier? Qu'elles sont vraies toutesces parolesde nos Livres sainls : .Xvn enim cogitationes meie cogitaliones vestrx, neaue vi;e vesttis vise mex i ls., o5, 8). 0 altitudo diviiiurum sapien- lise Dei : quam imomprehensibilia sunt judicia ejus el inves- titjabiles vize ejus ! Quis enim cognovit sensum Domini aut quis consiiiarius ejas fuit ? (Eom., 11, 33. 34.) Universie vi;c Domini misericordia (Ps., 24, 10). Pater misericordia- rum et Deus lolius consolationis (\l Cor., 1, 3). Miserator et misericors Dominus, longanimis et mullum misericors... N&n secundum peccata nostra fecit nobis... propilialur omni- bus iniqaitalibus tuis, sanat omnes infirmitates luas, redimit de mteritu vitam tuam, coronat te in misericordia el misera- tamibus... secundum altitudinem caeli a terra, corroboravil misericordiam suam(Ps. 102). Nous avons ainsi une re\elation touchante, une magnifique vue cle labinie de la misericorde de nolre Dieu : Per viscera misericordix Dei nostri, in quvbus visilavit nos, Oriem ex alto : illuminare his qui in ienebris

348 DEUXIEME SEMAINE

ei in umbra morlis sedent, ad dirigendos pedes noslros in viam pacis (Luc, 1, 78. 79).

III. Le Fils de Dieu etV Homme-Dieu.

D'apres le deciel cle la Tres Sainle Trinile, la seconde Per- sonne divine, le Fils de Dieu, des qne lelemps est arrive, prend la nalure humaine dans le sein de Marie, laViergede Nazarelh. Ainsi s'accomplit le myslere de rincarnation, lequel olfre a nos reflexions les veriles suivanles : Premieremenl, le Fils de Dieu prend une verilable nalure humaine, sans cesser d'elre Dieu. Si cette nalure est mienx douee, plus excellente et plus magnifique sous tous les rapporls que lfimporle quelle aulre, ce n'est pour- tant qu'une diflerence de perfeclion : essenliellement elle est lout a fait semblable el egale a la notre. Deuxiemement, le Fils de Dieu prend une nalure passible el mortelle, comme l'esl notre nature. II aurait pu prendre la nalure humaine dans les conditions de celle d'Adam, a 1'elat de juslice origmelle, c'est- a-dire impassible et immortelle. Le Fils de Dieu ne le fait pas. mais il veut nous ressembler encore en ce poinl. Troni&me- ment, il prend une nalure humaine, capable de souflYirau degre el dans les circonslances que nous connaissons. Quand il s'incarne, le Fils de Dieu fail son election ou le choix de sa vie : il determine alors toutes les particulariles dans lesquelles elle s'ecoulera etla mesure de soufTrances qu'il comblera : il y a, en eflel, des diflerences et des degres quasi infmis dans Feclielle generale des soulfrances humaines. Jesus pouvait vivre el nous racheter en Roi, commeDavid et Salomon, ou enGrand-Pretrer en Legislaleur, comme Moise et Aaron. Dieu connait et voit pour son Fils des voies ou descarrieres innombrables ; il les melsous les yeux de l'Homme-Dieu, au premier inslant de son exislence terreslre, afin qifil choisisse librement. El il choisil non seule- menl comme Fils de Dieu el seconde Personne de la Trinite, mais encore comme Homme-Dieu, el avec la plus entiere liberte. Sur ce choix nous avons trois eonsideralions a faire :

A. Premirrement, la verile et la realile de ce choix. La sainte Ecrilure 1'indique assez en ces lermes : Hosliam et

i.'l\c\I!\atio\ 349

oblationem noluisti, corpus autem aplasii mihi ; holocauto- mnla pro pecccato non tibi placuerunt. Tunc dixi : Ecce venio Hebr., 10, 5. 6). Proposilo sibi gaudio suslinuit crucem, confusione coniempla [ffebr., 12, 2). Les sainls Peres disenl, pour monlrer la liberle du sacrifice de Jesus, on bien qu'il devail nous racheter par sa morl, mais cpie le genre de morl elail laisse a son libre choix, ou bien qu'il devail nous racheler, mais que le mode el la maniere dependaienl de lui. En uii mol donc, ilchoisit librement. Dieunenous force pas non plus a embrasser une vocalion. un elal de vie : ce choix doil elrepurement 1'affaiie de nolre liberle. II en devailetrede meme pour le Fils de Dieu, el ainsi son exemple agit encore avec plus de puissance sur nous.

B. Deuxiememenl, l'e.\cellence de cetle election se monlre surtout dans le saerilice quil s'impose ici pour nous. Aquelle somme de bonheur, de gloire et de puissance renonce-t-il alors ? Quel exces de pauvrele, dliuniilialion el de soufirance prend-il surlui? Nous avons la reponse dans sa vie. Oui, par cet acle, il imprime sur toule son exislence le caraclere, le sceau de l'im- molalion. II se met a la place de toules les victimes, il se substi- tue a tous les sacrifices, el son sacrifice esl uu holocauste. Cest mainlenant qu'il faut dire : Exinanivil senielipsum, formam servi accipiens [Phil., 2, 7). Toute sa vie esl renfermee dans cet acte : loul ce qui suivra n'en seia que l'accomplissement, la realisation. De plus, 1'excellence de celte election apparait dans son motif. En derniere analyse, ce molif n'esl ni lhonneur de Dieu, vu que tout ce qiul fail, meme de la moindre impor- tance, esl d'une valeur infmie devant Dieu ; ni son propre inleret, sa gloire essentielle n'y gagnant rien et sa gloire accidentelle pouvant etre augmenlee, a son gre, de loule aulre maniere ; cest donc son seul amour pour nous, en vertu duquel il consent ci u'avoir, par anticipalion, aucun avanlage sur nous, mais veut se faire tout a fait semblable k nous : son bul esl de nous servir, dans toutes les situations et dans toutes les souffrances de la vie, de source de merite, de modele, de compagnon et de conso- laleur.

G. - Troisiemement, nous devons considerer combien celte

350 DEUXIEME SEMAINE

electionest cligne d'etre imilee et aussi est imilable. Ses tlif- ferents acles, l'adoralion, raction de graces, 1'humilite et la soumission a Tegard de Dieu sont comme les premieres pulsa- tions du Cieur de rHomme-Dieu, appelanl notre adoralion et notre reconnaissance eternelles. Ils sont le commencement de notre salut, notre joie, nolre honneur, notre consolation ; ils doivent aussi etre sans cesse le modele de nolre vie. Par cette election, Ie Royaume du Ghrist a ele fonde et etabli : la teneur en est le devouement le plus noble, le plus genereux et le plus aimant aux interets de Dieu et des hommes, et la plus entiere subordinalion de tout a ce double interet. Par celte election encore, le Royaume du Ghrisl se maintient et s'agrandit conti- nuellement ; c'est pourquoi elle devrait etre aussi le type et le modele de toules nos resolulions. Nous avons la, en effet, le programme le plus complet el le plus parfait de vie : le but on la fin esl la gloire de Dieu et le salut des hommes par Tetablis- sement du Royaume de 1'Eglise ; les moyens sont 1'absolu devouement, rabnegalion, le travail, la souffrance, rhumilia- tion et la mort. Dieu merci, nous avons, nous, en embrassant notre vocation, deja fait la grande, la generale eleclion de nofre vie ; il ne nous reste plus qu'a faire, dans le detail, nos elec- tions particulieres, toujours d'apres ce magnifique modele...

REPETITION

LES CAUSES DE L'lNCARNATION

Les causes qui contribuenl a 1'Incarnation du Verbe sont au nombre de quatre :

I. La Tres Sainle Trinite.

A. La Tres Sainle Trinite esl la cause premiere, la cause la plus elevee et, a proprement parler, la vraie cause eflicacedu myslere de ITncarnation : en effet, c'est la Trinile qui a cree la nalure humaine de Jesus, qui 1'unil avec la deuxieme Personne

BEl'1'TITION : INC.ARNATION 351

divine. au Fils de Dien, et 1'enrichit de ses dons el de ses privi- leges toiit parliculiers. Comme oenvre de Dieu exlerieure {nd extra), 1'Incarnation est commune aux trois Personnes diyines; pourtant, elle est attribuee aussi achacune d'elles ; mais rincar- nation elle-meme est propre seuleraent a la seconde Personne. Cest pourquoi les theologiens disent : 1'Incarnation est un m\ s- tere danslequel le Fils de Dieu s'est revetu de la nature bumai- ne : le Pere et le Saint-Esprit l'ont aide a le faire, mais le Fils seul a pris le vetement de nolre mortalile.

B. Le Pere envoie donc son Fils en Personne dans le monde (Jean, 17, 3), et nous le donne en present (Jean,3, 16 . Le Sainl-Esprit, comme principe de la perfection des oeuvres de charile et de saintete, fait, dans 1'lncarnation, en creaul eten dolant la nature bumaine et en 1'unissant a la seconde Personne divine, l'oeuvre la plus magnifirpie de la nature, de la graceetde la charite; c'est pourquoi rincarnation lui est,en ce sens, attri- buee particulierement (Luc, 1, 35; Mattii., 1,20). Mais il n'y a que le Fils qui prenne reellement la nalure bumaine et forme avec elle la liaison d'une relalion subslantielle et personnelle par Funion hypostalique. La raison pour laquelle le Fils de Dieu prend nolre propre nature est que precisement il est le Fils et que, la nature humaine allanl etre admise dans la filiation divine par le fait de Tadoption de Dieu, rintervention du Fils con- vient parfailement dans cette circonstance. De plus, le Fils est le Yerbe, la Parole interieure du Pere, et par rincarnalion, il il doit en elre la Parole evterieure, c*esl-a-dire qu'il doit elre 1'abrege et le sommaire de la perfeclion visible, de la puissance crealrice du Pere. Enfin, le Fils est la Sagesse meme de Dieu ; c'esl suivant 1'idee de cetle Sagesse que le monde et la race hu- maine ont ete crees : qui pouvail mieux et plus convenablement le faire que le Fils de Dieu, la Sagesse crealrice elle-m^me, et maintenant qui peut mieux que lui devenir le Restaurateur du monde et le Sauveur du genre humain? Telles sont a peu pnes les raisons pour lesquelles le Fils se fait bomme ; et le moment de rincarnalion est 1'heureux moment ou il prend en realtte notre nature et 1'eleve jusqu'a lui, pour commencer avec elle runion de vie et d'exislonce la plus intime et la plus elroite.

352 DELXIEME SEMAINE

II. Les Patriarches et les Saints de VAncien Testament.

Le Myslere de l'Incarnalion esl pour l'humanile, dans son interet ; et, a cause de cela, les peuples de l'antiquile devaient, eux aussi, cooperer a ce myslere ou le preparer.

Le premier cooperateur a ete, sans doule, le peuple dlsrael, que le Fils de Dieu clioisit pour devenir Homme. L'action des Patriarches et des Sainls de rancienne Alliance sur le mystere de rincarnation a ele en parlie morale et en parlie physique et malerielte .

A. Leur aclion morale a consisle a meriler l'Incarnalion. Une premiere question se pose ici : Qu'est-ce que les Saints de rAncien Teslamenl onl pu meriler sous ce rapport? Assure- ment, ils n'onl pas merile rincarnation elle-meme, qui est la plus grande ceuvre de la grace el qiraucune crealure ne pouvail meriter, a proprement parler. Mais ils onl pu meriter, dans une cerlaine mesure, les circonslances de rincarnation : par exem- ple, le mode, le lemps et 1'acceleration dc son accomplisse- ment, ses eflels et son influence sur le monde : ils pouvaient meriter pour leGhrist quelques circonstances exterieures hono- rahles, comme sa descendance de famille royale. II esl cerlain qu'il y a de larelation enlre 1'elal de gracede ces Saints de l'an- tiquile el les effels dont nous venons de parler. De plus, on peut considerer comraent ils onl merile ces- faveurs : d'aJbord, ce ful par leurs grandes verlus : nous les admirons dans Ahra- ham, Isaac, Jacoh, David, etc... ; ce fut ensuite par leurs souf- frances el leurs adversiles : car ce fut a cause de sa foi que le peuple d'Israel devint pour tous un ohjelde haineet de persecu- tion, et la promesse du Messie el de rincarnalion faisait parlie precisement du tresor de la foi des enfanls dlsrael ; enfin les Saints de 1'Ancien Testament merilerenl 1'Incarnalion par leurs prieres incessantes et leurs desirs ardenls de la realisalion de la promesse du Messie. Telle a ele 1'actioa morale de 1'Ancien Teslament sur le mystere de 1 Incarnation.

B. Son action physique et materielle a prepare la chair du Fils de l'Homme, puisqu'il devail nailrede la famille d'Abra-

REPETITION : INCARNATION 353

ham el de Davicl suivanl la chair (Rom., 1, 3 ; 9, 4, 5) : nous avons la unedes plus sublimes prerogatives du peuple d'Israel.

III. L Archange Gabriel.

Nous pouvons faire ici Irois considerations :

A. Pourquoi Ia mediation des Anges dans Taccomplisse- menl du myslere de rincarnation ? D'abord, parce que ies Anges sont ordinairement les Messagers de Dieu aupres des liommes ; ensuite, parce que les Angesonl cooperea notre chute et a notre perle ; enfin, le Messie futur est aussi le cbef des Anges et il devail un jour completer leurs cadres ou leurs hie- rarcbies.

B. Pourquoi encore 1'Ange apparail-il a Marie sous une forme visible ? A cause du Ghrist, qui doit se montrer sous cetle forme, par son bumanite ; et aussi a cause de Marie, qui, par 1'apparition visible de TAnge et son entretien oral avec lui, acquierl la cerliliide exlerieure et sensibledes evenements visi- bles et invisibles qui vont se passer.

C. Considerons, en dernierlieu,comnienl 1'Ange s^acquitte de son message : c'esl, avant tout, avec une grande joie tant a cause de lui-meme qu'a cause du Dieu-Sauveurel des hommes ; de plus, il remplit sa mission avec un grand respect pourMarie, qui est elevee en saintele et en dignite infiniment au-dessus de lui ; enfin, il fail sa commission de la maniere la plus convena- ble. D'abord, il altire laltention de Marie par le salutbonorable qifil lui adresse ; puis, il lui expose 1'objel de son message, en lui suggerant les motifs magnifiques qu^ily a pour elle d'accepler Toffre de Dieu : il calme d'nn cole ses inquieludes, el de 1'aulre il lui montre toule la grandeur et la dignile de Mere de Dieu dans la nature, les obligalions et lesaltribuls de rHomme-Dieu, en meme lemps que le signe de la volonte divine dans laconcep- lion miraculeuse de Jean, le Precurseur du Messie. La mission de 1'Ange est couronnee de succes ; el ainsi Gabriel esl le mediateur et le cooperaleur de 1'Incarnation du Fils de Dieu.

23

354 DEIXIEME SEMAINE

IV. La Tres Sainte Vierge.

Apres Dieu, c'esl la Tres Sainte Vierge Marie quiesl 1'instru- ment le plus noble el le plus magnifique de rincarnation. La cooperation de Mariea ce myslereest :

A. Physique eimaterielle, puisque le corps du FilsdeDieu est forme de son sang virginal. Marie esl Mere de Jesus dans le rneme sens que nos meres sont nos meres, et on peutdire, dune cerlaine maniere, que Marie est encore plus Mere de Jesus que nos meres ne sont nos meres pir rapporl a nous, parce que la Gonceplion de Jesus est virginale.

B. La cooperation de Marie a rincarnation estensuite mo- rale. De meme que les Saints de TAncien Teslamenl y ont con- tribue, de meme la Sainte Vierge, mais avec [une efficacite infi- niment plus grande, attire. par ses merites, le Fils de Dieu sur la terre. Marie nepeut meriter la dignite de Mere deDieu, mais, en consequence du choix que Dieu, de toute eternite, fait d'elle pour cette dignite, elle y esl dignement preparee par sa vie admirable, et ellemeritecetle preparation, ainsique toussesdons et ses privileges, par sa cooperation parfaile a la grace et toutes ses verlus. Cest parliculierement au jour de l'Annonciation que ses vertus paraissenl danstouteleur beaule : sa merveilleuse humilite, quand elle entend les paroles infiniment louangeuses de TArcbange, sa prudence extraordinaire, sa foi et enfm son abandon filial et son consentement a la volonte de Dieu. Ici tout est vertu admirable et inetlable, qu'elle se taise ou quelle parle, vertu si baule et si sublime que Marie se tient verilablement au sommet du mystere.

Tellessont lescauses quiont conlribue a raccomplissement de rincarnalion.

La premiere consequence de celle medilalion est la recon- naissance envers lous ceux qui ont coopere a ce grand mys- tere. Avant toul, remercions 1'Ange qui a prepare notre redemption et a repare mille fois le torl quun autre ange nous a fait. De meme, remercions tous les Sainls de 1'Ancien Testament qui ont contribue a notre delivrance par leurs ver- tus, leurs soulTrances et leurs prieres. Mais nous devons de particulieres actions de graces, bien plus tous nos respectset

REPETITION : INCARNATION 355

tous nos honneurs, a la Sainle Mere de Dieu, a cette crealure sublime, dans la maiu de laquelle Dieu a mis notre delivrance et dont le consentement a la proposition de 1'Archange devait operer notre salul. Marie a prononce son fiat et elle l'a fait avec un amour infini, hrisant ainsi le sceau des arrets secrets de Dieu. Comme ses vertns, sa dignite et son autorite de Mere de Dieu 1'eleventhien au-dessus des autres creatures ! Combien la premiere Eve est depassee ])ar cette seconde Eve, Mere et Maitresse clu second Adam et en meme temps Auleur de notre nouvelle vie et de notre salul ! Enfin reconnaissance ;i la Tres Sainle Trinite : d'abord au Pere des misericordes et et au Dieu de toule consolation, cpii nous a donne son Eils et en lui tous les hiens ; ensuile, au Saint-Espril, ce divin Para- nymphe, qui a presente au Eils de Dieunolre pauvrenature ell'a unie avec lui ; enfin, reconnaissance au Eils de Dieu lui-merne, le grand ami et amanl de nolre nature qui l'a embrassee clans un amour indicihle, l'a recue dans son elre, l'a corohlee de richesses et d'lionneurs infinis et l'a introduite dans le sein du Pere. Que le Eils deDieu en Personne soit 1'objel de notreeter- nelle reconnaissance !

La seconde consequence de lameditalion cle rincarnalion est la resolution et le desir de travailler pour leRoyaume du Christ. Nous voyons que Dieu, dans sa sagesse et sa honte, a rendu le resullat de ce mystere fondamental dependant aussi de l'huma- nite, de la volonle des hommes : ceux-ci devaient cooperer a l'accomplissement de cetle grande ceuvre ; toul le moncle y a pris parl, meme les monarchies terrestres, qui, par leurs aclions et leur histoire, preparerenl reellement la venue el le Regne du Messie sur la terre. Ce dessein de Dieu resle, et nouslous aussi nous devons nous interesser et travailler a son execution, au moins en contribuanl, suivant nolre pouvoir, a le realiser dans riiumanite.

Les Saints les plus eleves dans la hierarchie celeste sont ceux dont l'union avec Dieu se rapproche le plus cle celle du Verhe avec nolre humanite. Nous ne pouvons nous-memesfaire rien cle plus sublime ici-bas que de Iravailler a poursuivre cetle fin du mystere de rincarnalion parla diffusion de la connaissance et de 1'amour de Jesus dans les esprits et dans les coeurs des hommes.

356 DEUXIEME SEMAINE

LA NATURE DE L INCARNATJON (Gommc Instruction ou Meditation)

11 est extremement imporlant, pour comprendre la vie de Jesus, d'avoirune idee exacte et claire du mystere de 1'Incarna- tion.

I. fssence de Vlncarnation.

A. Par rincarnation, il faut coraprendre, d'une maniere generale, le mystere de l'union de la nalure humaine et de la nature divine dansle Chrisl, lequel devientalors 1'Homme-Dieu : celte derniere expression est 1'expression simple, mais exacte et complele, du rayslere de l'Incarnation.

B. Pour mieux coinprendre ce myslere, nous devons savoir comment cetle union n'a pu se 1'aire et comment elle s'esl faile. LTunion des deux nalures, de ladivine etde l'humaine, n'a pu se faire par un changement, par un accroissement ou une diminution quelconque de l'une ou de Taulre de ces natures, ou bien encore par un melange des deux, de maniere a en forraer un troisieme elre, un etre nouveau, ou bien enfin par runion immediate de la nalure divine avec la naltire humaine : tout celaest irapossible. La foi nous dit que le Glirisl avail la nature divine et la naltire htimaine, bune el 1'aulre vraieset corapletes. La nature divine ne souffreaucun changeraent, aucun perfeclion- nenient comme auctine deperdilion, et ellene petit s'unir imme- dialement a aticune aulre naltire. De tnerae, le Fils de Dieu piil la nature humaine pure el simple, sans changement aucun dans cette nature, qtii devait 6tre une vraie nature humaine, comme la nolre, et ne pas stibir de modification essentielle.

Maintenant, comment s'est faile l'union des deux nalures, divine et humaine? Dans la seconde Personne divineet parelle, la seconde Personne divine etant en merae temps la Personne de chacune des deux natures el les iinissanl ainsi entre elles. Notis devons donc admeltre dans Jesus-Christ deux natttres vraies et completes, la nalure divine et la nalure humaine, et celle-ci,

REPETIT10N : INfcARNATION 357

loiit & failcomme la nolre, doueed'un corps et d'une ame, d'une intelligence, d'une volonte et de lous leurs accessoires. Jamais, jamais, dans le Ghrisl, la Divinite n'a pris la place de Tame rai- sonnable. II ne manquail rien ala nature humaine de Jesus si ce n'esl sa personnalile nalurelle. Quand nousvenons au monde, nous sommes complets, independanls, les possesseurs subsislanls de nolre nature, et, a lYige de raison, nous serons les auleurs responsables de nos aclions ; c'esl le resultal de nolre person- nalile : nous sommes cbacun une personne. Mais il y a dans le Glirisl, ala place de la personne nalurelle, la seconde Personne divine, qui esl le soulien, le sujel, le possesseurresponsable des deux nalures. Celle Personne divine, comme d'ailleurs toule autre personnalile, ne change absolumenl rien a la nalure humaine : elle ne fait que la delermineret la fairesubsisler (ler- minare). Dece que, par suile de celte union, la nalure humaine du Sauveursoil plus sage, plus sainle et plus puissanle que la nolre, il ne resulte entre lesdeux qtfune difference de degre de perfections, et nullemenl une difference essenlielle. II ya donc dans le Ghrist deux nalures toules differenles, la divine et 1'humaine, et une seule Personne, la Personne du Fils de Dieu, qui unit en elle les deux natures, les possede l'une et l'aulreet dispose absolumenl des ressources et des richesses de chacune. La consequence en esl, d'abord, qu'il y a la l'union la plus inlime, une union substanlielle ; ensuile, que celle union est la plus sublime el la plus glorieuse, puisqu'elle esl la commu- nicalion non pas seulemenl de la grace el de la gloire divines, mais de la Personne divine elle-meme, et une communication purement surnaturelle, la source el 1'ideal de toule union surna- lurelle avec Dieu.

II. La maniere dont 1'fncarnation s'est faile.

A. II resulle du caraclere enlieremenl surnaturel de l'union du Verbe avec la nalure humaine qu'elle a ete faile par Dieu lout a fail libremenl et par pure bienveillance.

B. De plus, en accomplissant cette union, Dieu a montre aux hommes la plus condescendanle bonte : en effet, le Fils de

358 DECXIEME SEMAFNE

Dieu prenait la nalure humaine clans la descendance d^Adam, devenant ainsi veriiablement notre Frere ; ensuite, il prenail celte nalure avec loutes ses faiblesses physiques ordinaires. Le corps de Jesus-Clirist fut passible ; son ame fnt sujelle, comme la nolre, a toutes les agitations de Tappelit sensitif, mais avec la difference que ces mouvements etaient soumis completemenl a sa volonte, par consequent elaient libres, toujonrs bons et meritoires.

G. Enfin, 1'union du Verbe avec notre nature fut eternelle et indissoluble : la mort elle-meme ne pourrait jamais separer en Jesus la Divinile de riiumanite.

III. Effets de Vlncarnalion.

A. Le premier resullat de runion hyposlalique est pour le Sauveur, meme comme Homme, une veritable dignile divine : son humanile a droit au culle de lalrie, a radoration, tout en lui elant divin el d^une dignile infinie. Le second resultal est la dotation admirablemenl belle de sa nature humaine : la sagesse, la saintete et la puissance lui sont donnees, et son corps en beneficie dans la proportion qui lui convient. Le Iroisieme resullat est, pour le Ghrisl, la plenilude parfaite des honneurs, des dignites et des fonclions, en tant que Ghef de riiumanite et de la creatiou enliere, et aussi comme Mediateur, Docteur, Pro- phele, Grand-Prelre, Roi, Legislateur et Juge.

B. Pour le genre humain, le premier effet de rincarnalion est une elevalion sublime et une vraie parente avec Dieu : un (Teiitre nous est Dieu, est assis avec le Pere et le Sainl-Esprit sur le trone de la magnificence celesle. Le second effet est cTenrichir la nalure huinaine. Par le Christ et dans le Chrisl, notre nature possede mainlenant en propre et dans sa source la vie surnaturelle, la grace et la gloire ; nous y avons droit, si nous faisons ce que le Sauveur demande de nous. Tous ses merites nous apparliennent par Techange el la communication de vie et de biens, ainsi qu'elle se fait enlre la tete et les mem- bres : caril est nolre Ghef, nous sommes son corps myslique, et nous avons parl & tous les avanlages de grace, de merite,

REPET1TI0N : I.A NATURE DE LlINCARNATION 359

dbonneur et de dignile qiril possede. Nous sommes devenus riches meme aux yeux de Dieu, puisque nous pouvons lui offrie desormais dans le Christ et par lui les hommages d'une ado- ralion et d'un respect intinis. Le troisieme ellel de l'Incarnalion sur le genre lmmain est de le consoler et de lui inspirer une grande conliance. Jesus esl Dieu, mais il est aussi un vrai homme, un liomme composede tous ses membres et de toutes ses faculles, comme nous ; il n'est pas un etre singulier, colossai, mais il est nolre semblable. S'il a quelque cbose de plus, il nen est pas redevable a lui-meme, mais a Dieu seul. II le sait bien, et ii cause de cela il nous montre tant de bonte et de condescendance, malgre nos miseres et nos faiblesses. Rien ne doit troubler les rapporls de franche cordialite qui existent entre lui et nous ; nous pouvons, en loule occurrence. nous fier a l'amour infini de son Goeur.

G. L'effel ou le resullat de rincarnation pour la creation enliere est de la perfeclionnt!!-, de lui donner son dernier reliei el son achevement, d'augmenter d'une maniere infinie sa variete el son unile, en l'unissant substantiellement a Dieu.

D. Pour Dieu lui-meme,' l'union hyposlatique est un accroissemenl infmi d'honneur el de gloire. Nulle parl Dieu ne manifeste ainsi ses allributs divins : sa toute-puissance, sa sagesse, sa bonte (il donne et il pardonne tant dans ce mystere ! ) et sa justice. G'est pourquoi Ibomme est excite a la louange de Dieu, et cetle louange trouve dans l'Homme-Dieu une voix, un organe d'un merile infini. Dieu a mainlenant un Homme-Dieu pour adoraleur. Un nouvel iige d'lionneur et de gloire commence donc pour Dieu avec l'Incarnation de son Verbe.

Voila le mystere de 1'Incarnation, qui est d'une grandeur et d'une magnificence incomprebensibles. Sa nature inlime est lunion de la nalure humaine avec la seconde Personne divine et 1'entree et rinlroduction de riiumanite dans la Divinite. Son resultat elson terme esl THomme-Dieu, cet Etre grand et admi- rable, le type, le principe et la fin de tout etre cree, l'Elre myslerieux qui reunit en lui-meme loule vie et loutes sorles d'exislences et de digniles, et donl 1'image ou les perfections se reflelenl dans toules les creatures. Quant aux elfets de l'In-

3C0 DEUXIEME SEMAINE

carnation, ils s'etendent a tout, au ciel et a la terre, au temj3s et a 1'eternile ; meme ils entourent le trone de la Divinile d'une splenclide aureole de gloire. Toules ces magnifiques choses ont lieu au moment solennel et unic{ue de rincarnation.

Alors commence celte vie infiniment precieuse, celte vie infmimenl vraie, pleine el subsistante en elle-meme, sans defail- lance, sans interruption et sans inegalite, celte vie d'une excellence inlellecluelle et morale et cfune saintete incompara- bles, cetle vie debordante de mysteres, de merites el de salisfaclions, celte vie qui est le sontien, le complement el le perfeclionnement cle toute vie, celte vie d'une valeur infinie : Ei verbum caro factum est, et habitavit in nofris. (Joan.t 1,14.) Qni peut sonder avec son intelligence ia profondeur des mysleres de ce momenl ineffable de rincarnation, et qni peut les embrasser avec les alfeclions de sa volonle et de son camr? Donc, merci a Dieu et au Fils de Dieu ! Le Fils de Dieu nous apparlient ! Dieu est avec nous : rEmmanuel ! Donc, adoration, amour et confiance !

LA VISITATION

(Luc, 1. 39-56.)

I. Occasion et but du mrjstere.

A. L'occasion. la cause exterieure de la Visilalion est sans doute la nouvelle que TArchange Gabriel annonce a Marie de Ia grossesse de sa cousine Elisabelh. Les paroles de Gabriel sont pour Marie non seulement une preuve de la realile de la mission celeste de 1'Ange, mais encore une invilation a visiter elle-meme sa parente. Vraisemblablement, la Sainte Vierge connail alors les rapports qui exislenl enlre Jean et son Fils, ef voit que la famille d'Elisabelh sera beuie par sa visite, et rendue bienheureuse par la revelalion de 1'Incarnation. Sans Tinspi- ralion divine, la visite de Marie a Elisabelh est a peine croyable.

B. La cause ou la raison intime de cetle visile, en eflet, se trouve dans 1'intenlion de Dieu, qui veut, par ce moyen, mani- fester l'Incarnation et en repandre les benediclions sur saint Jean. Le but de ce myslere est donc la revelation de Pln- carnalion et la dispensation des graces qui en decoulenl. Le Sauveur ne peut elre inactif, il doil aussilol dislribuer ses graces et, en les dispensanl, il se laisse diriger par les conside- rations les plus sages.

II. Obtentionde la fin du mi/stere.

Cest, a proprement parler, rEsprit-Saint qui fait lout, mais il emploie des instrumenls.

362 DEUXIEME SEMAINE

A. LMnstrument esl, dans ce mystere, la Mere de Dieu, dont les belles verlus servent alors merveilleusement au Saint- Esprit. Mais quelles verlus? D'abord et avanl tout, sa foi, son profond respect, et sa reconnaissance, quand 1'Arcliange lui donne le signe ou la preuve de sa mission ; ensuite, sa prompli- tude a suivre les inspiralions de Dieu : elle se met bientot en marche pour les monlagnes de la Judee (Lic, 1, 39); enfin, Tamabilite et 1'liumilite avec lesquelles elle salue la premiere Elisabeth (Luc, 1, 40). Or, le Saint-Esprit se sert surtout de cette humble sahitalion pour atleindre le but du mystere present, c'esl-a-dire la revelation de rincarnalion et leffusion des graces qui lui sonl propres.

B. La premiere grace est accordee a saint Jean, lequel, au salut de Marie, tressaille dans le sein de sa mere, est rempli de 1'Espril-Saint el des lors sanetifie (Luc, 1, 41). La seconde grace esl recue par sainle Elisabelh, que le Saint-Esprit a son tour visile apres etre descendu sur son fils (Luc, 1, 41). Le fruit particulier de cette faveurest pour elle de voir et de contempler, dans une lumiere prophelique, le fait de rincarnalion, de le publierhautemenl, de conlinuer etde terminer la Kilulalion ange- lique. Ainsi loutes les fins du mystere de la Visilation sonl atteintes par le moyen de Marie, et toute la maison de Zacharie est alors remplie de graces et de benedictions. Ou se trouve Marie, la coulent des graces avec plus de force et pius d'abon- dance.

III. Resullats ou effets.

La Visitation a deux resullals principaux :

A. Le premier resullat est la glorificalion de la Mere de Dieu. L'organe de celle glorification est sainle Elisabeth, qui nous offre en cela un modele accompli, que nous considerions soit les motifs de celte glorificalion, soit la maniere dont elle la fait, soit enfin les benediclions qui en sonl la consequence. Elisabelh indique trois molifs d'honorer Marie : le premier esl sa dignile de Mere de Dieu : elle appelle Marie « Mere de son Seigneur » et proclame le fruit de son sein « bienheureux » (Luc, 1, 42. 43). Le second motif d'honorer Marie est sa verlu

I.A VIS1TATI0_\T 363

ou sa .«aintele, qui consiste dans 1'esprit de foi (Luc, 1, 45 . Le troisieiue motif se trouve dans les privileges et les dons de la grace accordes a Marie, qui font qtfelle esl benie entre les femmes (Luc, 1, 42) et qi^elle remporte par la sur toules les saintes femmes de 1'Ancien Testament. Quant a la maniere dont sainle Elisabeih glorilie Marie, l'on peut dire assuremenl quelle Thonore avec i'expressiou des sentimenls les plus sin- ceres, d'une eslime inlinie, se reconnaissant lout indigne de sa visite (Luc, i, 43) ; alors, Iransporlee d'un saint entbousiasme, elle manifesle exlerieurement les sentimenls de son coeur et par ses parolesel parses aclions Luc, 1, 43). La glorilicalion de Marie par Elisabelh esl enfin un modele a cause des benediclions de piete et de devotion qui en decoulenl sous toute espece de rapport.

B. -— Le second resullat de la Yisilalion est la glorification de Dieu, Marie rapporlant aDieu les temoignages d'honneur qui sont decernes a son liumble personne. Elle le faitdans le Magni- ficat, ce magnifique cliant de louange, qui est bien, en realite, riiymne propre de rincariialion (Luc, 1, 47 . Le fail de la R.edemption y esl exalte de loute iuaniere, d'abord a cause de Dieu, qui montre, dans ce myslere, sa puissance (Luc, 1, 49. 51 , sa misericorde (Luc, 1, 50. 54) et sa fidelile (Luc, 1, 55); de plus, a cause de la Mere de Dieu que rincarnalion du Verbe a elevee a une dignile, a une sainlele et a un lionneur, pour ainsi dire, infinis ; enlin, a cause des consequences qui en resultenl pour le regne de Satan ou du nionde, et pour le futur Regne de Dieu. Le regne de Satan et du monde, ce regne de l'orgueil, de la suffisance et de la presomption, cesse desormais et resle con- fondu, liumilie et dans le desarroi (1, 51. 52. 53), tandis que le Rrgne de Dieu esl reconnu a des marques caracleristiques : a sa baute anliquite (Luc, 1, 54. 55), a son origine et a son parfait etablissenient (Luc, 1, 54), et enfin a ses lois et a ses moyens daclion admitables, qui ne sont aulres que la pauvrete, riiumi- lile et le mepris (Luc, 1, 51. 52. 53). Nous avons la tin liymne toujours ancien et toujours noiiveatt. a la foi gracieux et sublime, et qu'un poete serail lenle d'appeler le premier cliant du rossignol au Royaume de Dieu sur la terre.

364 DEUXIEME SEMAI.NE

Le myslere de la Visitalion est un mystere en meme lemps aimable et de haute signification. Ge qui le rend aimable, ce sont les verlus delicieuses de la Mere de Dieu ; et son importance vient non seulement du fait de rincarnation, mais encore de son but, lequel n'est autre que la sanctification et la justification du monde et des pecheurs. II est tres bien choisi le pecheur qui est justifie le premier, a savoir saint Jean : Jean le Precurseur, en effet, doit manifester TAgneau de Dieu, celui qui enleve le peche du monde. Mais la grace de sa sanctificalion lui est octroyee par rinlermediaire de Marie. Dieu veut ainsi, sans aucun doute, designer Marie comme la grande Mediatrice de ses graces et de ses faveurs, et etablir un precedent, une loi, qui restera pour toujours en vigueur.

LA NATIVITE DU SEIGNEUR

(Luc, 2, 1-7. 12.)

I. Porlee et importance de la Nalivite.

A. La naissance est 1'entree visible de riiomme dans le monde el dans la societe luimaine. La premiere apparition, la premiere visite d'un homme, desline a exercer une grande influence, est importante et souvent decisive : c'est comme la revelation de son esprit et de ses principes. A plus forle raison, est-ce ici le cas pour le Sauveur, en qui loul est parfailement prevu, voulu et ordonne de loute elernite, el de plus d'une signi- fication et d'une porlee infinies ! Combien capitales sont donc les circonstances et les parlicularites de sa premiere apparilion ici-bas !

B. Get evenement prend des proportions encore plus grandes, si Ton considere que Dieu aulrefois apparaissait sous les traits d'une Majeste redoutable, comme en Egypte et au Sinai ; ce que les Prophetes onl predit de celle nouvelle venue ; et quelle etail alors ratlente de tout Israel ! 11 sagit maintenant du salut non pas d'un seul peuple, mais de 1'univers entier, el de la legislation de toule riiumanite. Alors comment apparait le Sauveur ?

II. Mode et circonstances de la Nativite.

L'apparilion du Sauveur a sa naissance se presenle a nous sous un double aspect, I'un exterieur, 1'autre inlerieur.

366 DEUXIEME SEMAINE

A. Premierement, le Sauveur apparaii au temps et au lieu predils par les Prophetes, apres recoulement des semaines d'annees (Dan., 9, 24), a Bethleem (Micn., 5, 2), par conse- quent dans 1'exercice de fobeissance, naissant au lieu annonce d'avance el exeeutanl une ordonnance d'Elat (Luc, 2, 1-5).

Deiixiemement, le Sauveur apparait tres aimable, non pas comme une flamme eblouissante et comme Ange de 1'alliance, mais comme un Homrae et un Enfant (Luc, 2, 12). : qify a-t-il en effet de plus charraant el de plus aimable qifun enfanl?

Troisiemement, le Sauveur apparait en Enfanl pauvre, de- laisse, dans une grande pauvrete, un grand abandon, une grande obscurite. Sa pauvrete est grande : il manque du plus neces- saire, de lout ; elle est incommode et penible, choisie pourtant et preparee depuis des siecles, et aujourd'hui a peine remarquee a cause de rallluencedu peuple qui arrive pour sefaire inscrire. Et 1'obscurile? Quand un prince vient au raonde, il faut que la terre entiere le sache. Qifil elait iraportant ce monient pour Israel et pour lout funivers ! Israel, avec toule son histoire, et loute la race humaine attendaient farrivee de cet instant solen- nel. Et il if est revele a personne, a aucun prelre, a aucun prince, a aucun Sainl ! Personne ne le sait. Le Glirist nait la-bas, a fecart, dans une elable, au milieu de la nuit. Marie el Joseph composent toute sa cour humaine ; les animaux, le froid, les lenebres, la creche, la durecouche de paille, voila les represon- lants de la crealion, privee de raison (Luc, 2, 12).

Qualriememenl, malgre tout, le Sauveur apparait glorieux. Sa naissance virginale est un miracle annonce par les Prophetes (Is., 7, 14), et qui esl altendu. Pendant qifil esl euveloppe ici-bas de pauvres langes, la-haut il revet de splendeur les Anges, dans la clarle des cieux, et il les envoie aux bergers pour leur faire part de sa venue. II arrive au milieu d'une paix profonde, comme « Prince de la paix » (Is., 9, 6), et lui- meme esl « TAuteur de la paix » (Is., 45, 7). 11 entre en ce monde au raoment oii se passe un fail qui met en mouvement toute la terre, et c'esl lui qui est la cause et le but de ce mouve- menl. Les vieilles races des hommes se levent pour rendre temoignage de lui, et les messagers de Rome deposent son nom

LA XATIVITE D(j SEIGXKtJR 367

dans les arehives du Gapilole. II esl le Personnage le plus olli- ciel, 1'Homme pubtic par excellence, dans son obscurite. II y a donc aulour de son berceau une admirable lumiere en meme temps qu'un nuage d'humilite et d'obscurite.

B. Le cote interieur ou intime de 1'apparilion du Seigneur n'offre aucune trace, aucun signe de faiblesse, d^inconscience, mais une source abondante de vie, de vie merveilleuse, univer- selle, divine. Le sommeil de cet enfant est parfaile conscience, pleine possession de lui-meme ; ses larmes sont pitie el com- passion pour nous ; sa pelite main conduit Tunivers ; sa boucbe muetle dirige les ames ; son regard appelle du neant de nouvelles etoiles ; son faible soullle eteint la vie des rois ; de son Goeur s'eleve vers Dieu le precieux encens du sacrifice, de 1'adoration et de la louange. II est en rapports conlinuels et aclifs avec son Pere celesle, avec sa Mere cherie, avec saint Josepb et avec nous lotis. Le Sauveur prend possession de la lerre au nom du Pere des cieux et renouvelle le vceu et 1'olTrande de son sacrilice : Tunc dixi : Ecce venio.

III. Baisons de ce mode de Nalivite.

Pourquoi le Sauveur cboisit-il ce mode de naissance, cette maniere d'apparailre sur la sce-ne du monde?

A. Premicrement. il veul par la prouver la verile de sa nalure bumaine. Le sommeil, les larmes, l'allailemeiit. la fai- blesse el les besoins sont, en effet, des preuves nombreuses de la realite de sa nature bumaine et des gages precieux de la par- faite cerlilude que Dieu s'est reellemenl fait bomme : Parvulus natus est nobis et Filius dalus est nobis ils., 9, 6). Si, malgre cela, celte verite a ete niee, que serail-il donc arrive. s'il elait venu au monde d'une aulre facon ?

B. Deuxiemement, le Sauveur veul, des sa naissance, s'annoncer comme le Redempleur. Nous avons unabsolu besoin de la lecon que le verilable bonbeur ne git point dans la richesse, dans riionneur et dans le plaisir ; aulretnenl, le Sau- veur les aurait cboisis. II nous est aussi necessaire de con- nailre et de comprendre le devoir indispensable de la penitence

368 DELXIEME SEMAINE

et du renoncenienl, pour eviter le peche et satisfaire pour lui. Cest ici que le Seigneur nous donne cetle double lecon : le froid, la nuit, la paille dure et piquante de sa creche nous l'en- seignent assez. Dans les circonslances de son apparition sur la terre, le Sauveur marque deja les trails de ressemblance et les noles de 1'accord de sa Nalivite avec loule la suile de son cxistence ; la creche est bien une revelalion de son esprit et une prophelie de sa vie future ; sur la croix encore nous le retrou- verons dans la meme compagnie, avec la pauvrete, 1'humiliation, la souffrance. Gelte venue a Betlileem est la premiere renconlre du Messie avec son peuple ; el son peuple, ses concitoyens. ses propres, « les siens ne 1'ont pas recu » (Joan., 1, II): nous avons la encore une sorte de propbetie des choses de 1'avenir, comme saint Ignace 1'iiidique : Considerare ea qux faciunt..., ut Dominus nascatur in summa pauperlate, et post tot labores, post famem, post silim, post lestum et frigus, post injurias et eontumelias, ut moriatvr in cruce.

C. Troisiemement, le Sauveur apparait de cetle maniere, pour se reveler comme Dieu. En effet, il vient ici-bas pauvre et delaisse, mais aussi glorieux, afin de nous prouver que celte pauvrete lVest pas necessile, mais grace et inslrument de Re- demplion. II demontre par cetle pauvrete qu'il esl verilablement Dieu : rindigence, la faiblesse el 1'obScurite ne sont pas des moyens de reussir pour les hommes, mais bien pour Dieu, parce que Dieu esl labsolue Puissance el quil n'a besoin d'aucun secours exlerieur. Que noperera t-il pas avec cetle creche ? II fondera par elle les Ordres religieux qui voueronl la pauvrele, et il creera 1'esprit de vie interieure el dliumilite ; par elle encore il retablil requilibre enlre la pauvrele et la richesse, il affranchil et emancipe 1'enfanl, el il le rend digne d'elre recu et forme dans le sein du chiislianisme.

Cest ainsi que la premiere apparition du Sauveur sur la scene de ce monde convient tres bien a sa Personne et repond absolument au but de sa venue : c'esl un myslere d'une profon- deur insondable, d'une porlee infinie, el un prodige inelfable ! Le Redempteur apparail ainsi « plein de grace el de verile», toul a fait comme Isaie Favait vu d'avance (Is., 9, 6) : Parvulus

REPETITION : XATIVITE DU SEIGNELP. 369

natus est nobis et Filius datus est nobis... Admirabilis (Pro- dige, Miracle), Consiliarius, Deus forlis, Pater fuluri s&culi, Princeps pacis. Lne lumiere immense se repand de la creche sur tout 1'univers, en meme lemps que le ciel et la Tres Sainle Trinile en recoivent une gloire el un honneur infinis. Les Anges montrent qu'ils onl compris loule la siguificalion el loule 1'impor- tance de cetle venuepar les quelquesparoles de leur merveilleux cantique: Gloria in altissimis Deo et in lerra pax hominibus bonse votuntatis (Luc, 2, 14).

REPETITION

L'objet principal du myst^re de la Nativite ayanlete considere dans la premiere medilalion, nous pouvons, dans la repelilion, nous arreler aux objels secondaires.

La presence constanle de Marie et de Josepli au depart de .Nazarelh, pendanl le voyage et a 1'arrivee a Bellileem, complete et aclieve le tableau admirable et iiniqne de la Xativile ou de la premiere apparilion de Jesus au monde. Marie el Josepli onl, dans leur pliysionomie et leur conduile, des Irails de ressem- blance avec ceux deja remarques dans le Sauveur lui-meme. (Gf. Le Gommenlaire des Exercices : Medilation sur la Nati- vit^.)

A. Soumission el obeissance, particulieremenl au deparl. L'occasion du voyage est rordonnance de rempereur, relative au recensemenl de son Empire. Xolre-Seigneur donne aussi a ses Parenls des superieurs et dilTerenls snperieurs, spirituels et temporels, el eeux-ci se servenl de leur pouvoir, ou plulol Dieu s'en serl, pour executer les plans de la Providence. Le Messie doit nailre a Belhleem el dans la plus grande indigence el le plus grand oubli ; de plus, il doil elre inscril sur la lisle officielle des sujels de 1'Empire romaiii, donl la Judee fail partie. Or, toul ceci devienl realisable par la demarche du recensemenl. Marie et Joseph obeissent el accomplissent ainsi les desseins de Dieu.

B. Le voyage de Belhleem a Nazaretb, effeclue a cetle epoque de l'annee, a egalement ses incommodiles et ses desa-

370 DEUXIEME SEMAINE

grements ; mais Marie elJoseph supportent tout avec palience ; ils gardent le silence, le recueillement et la modeslie : ces vertus sont leurs fideles compagnes pendant ce voyage.

G. LJuimiliation el la privation atlendent la sainte Famille a son arrivee aBethleem. Elle lfy trouve aucune place pour se loger, en sorte qifapres bien des recherclies elle est obligee de se refugier dans une grotte. Les membres de celte Famille ne sont-ils pas les heritiers de la maison de David? Et les habitants de la cite de David, les descendants de Hur, de Booz et de Jesse, ne les recoivent pas dans leur demeure ! Ne sonl-ils pas les meilleurs et les plus sainls des hommes, et ils sont plus mal loges que peut-elre lfimporle quel pauvre dans la petile ville de Belbleem ! Ce soir-la, Dieu prend soin de tout le monde, exceple des Siens : il semble les oublier, et pourlant ils viennent de faire un long voyage, ils sont dans le cceur de riiiver, el il fail nuil deja ! On dirait que c'est un parti pris, un syleme voulu de Dieu, et c'est la verite : les Parents de Jesus sont compris dans le plan de la vie de rHomme-Dieu. Quel programme aurions-nous fait pour la solennite de la Nais- sance du Sauveur? Et que voyons-nous ici ? Et comment Marie et Joseph supporlenl-ils les desagrements ? Tout a fait dans 1'esprit de Jesus, avec humilite, palience et charite, ils s^arrangenl dans la grolle et s'y accommodent, en adressant en m6me temps leurs prieres au ciel. On peut bien dire qifils sont la comme le cceur ou le centre du monde en adoration devant D:eu, et leurs prieres ardentes halent rexeculion des desseins eternels.

D. Mais Marie et Joseph ont leur dedomagement : c'esl la consolalion et la consolalion surabondante que leur procure la Naissance du Messie et la revelation qui en est faite ensuite aux bergers. Alors ils oublient toute soulfrance, tout desagre- ment et toute privation : c'est la joie la plus grande et la plus sublime qui prend leur place.

APPUC. DES SENS I NATIVITE DU SEIGNEUR 371

APPLTGATION DES SENS

(Voir le Commen/aire des Exercices, p. 81 a 85

A. Le voyage a Bethleem. L'ordre de rinscriplion el du reccnsement est annonce a Nazarelh. Comment Ies Juifs accueillenl-ils cetle ordonnance? Ceux qni ont les idees du monde proferent des maledictions ; les patriotes laissent ecla- ter leur fureur ; quant aux femmes, elles poussent des soupirs et des gemissements. A lafin pourlant toutse calmeel s'arrange. Marie et Joseph, qui sont beaucoup plus eclaires, reconnaissent les vues profondes de Dieu : ils se disposenl au voyage, prepa- rent peu de choses, ii vraisemhlablemenl un ane. II y a un double chemin pour aller a Bethleem : celui de l'interieur des terres par la Samarie, par Sichem et Bethel, et celui qui longe le Jourdain par Jericho et Jerusalem. On esl en decembre ; le vent d'ouest souffle d'ordinaire pendant ce mois et, en cas de pluie et de neige, il peut faire un froid assez vif sur les plateaux des contrees que la sainte Famille va parcourir. La Mere de Dieu s'assied sur 1'ane, enveloppee d'un manteau de laine brune, avec un voile sur le visage. Saint Joseph porte 1111 baton, qui lui sert a la fois d'appui pour marclier el d'aiguillon pour 1'animal ; il se tient a la gauclie de celui-ci el le conduit avec sollicilude, tandis qifil jette frequemment les yenx sur la Mere de Dieu. II peut avoir trente ans ; sa figure est aimable, calme et bienveil- lanle ; il a un manteau par-dessus sa lunique : tout son habille- menl est simple, de couleur unie et foncee, mais tres propre, comme s'il etail neuf. Quand Marie souleve le coin de son voile, on voit alors son beau visage ovale, de couleur pure, un peu pale, avec ses grands yeux bleus, ses levres roses et dun con- tour parfait. qui donnent a sa bouche une expression de ten- dresse, de vie et de bienveillance inelTable. La Sainte Vierge a uue chevelure abondante. d'un blond ardent, qui retombe sur ses epaules. LTn ensemble indescriplible d'innocence, de modes- tie. de recueillement •■[ de bonle Iransfigure tout son elre. Le voyage a ses desagremenls : il fait chaud pendant le jour, dans

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cerlaines vallees profondes, et, la nuit, le temps est froid et humide. Mais Marie et Joseph sont patients et ont toujonrs Tair gai et content. Ils voient passer avec rapidite a leurs cotes une foule de personnes dans les alours d'une porape vaine. Pour eux ils s'avancent tianquillenient et lenlemenl ; dans les holel- leries ils fonl meine place a toul le monde ; ils sonl tres lium- bles, comnie de simples gensdu peuple, el se gardenl bien de parler de leur noblesse, ne voulant point en tirer le moindre avanlage.

Aussi ne fait-on pas allenlion a eux, et pourlant qui sonl-ils? Avec quelle magnificence i'arche n'a-t-elle pas ele transporlee autrefois a travers ces coiitrees ! Aujourd'hui cest la veritable Arche d'alliance qui esl ici presenle, et personne ne le sait. Aucune des aieules du Messie n'a parcouru ces ehemins dans un lel elal dJiumilialion. Au milieu du bruit et de la confusion, ils vonl Iranquilles, parlent peu et bas ; souvent ils elevent les yeux vers le ciel el remuent les levres dans une douce priere. Plus Dieu s'approche, plus les hoinmes deviennent calmes et silencieux : le Sauveur, qui n'est pas loin, les atlire tous deux a lui. Ils sont les uniques personnes qui pensent au Messie ; eux seuls raccompagnent d'esprit et de coeur.

B L'arrivee a Belhleem. La pelite niais royale ville de Belhleem est a la dislance d'environ deux lieures de Jeru- salem el au sud de cetle ville, sur la route d'Hebron. Elle est siluee sur deux crelesde raonlagne, que relie une elroite bande de teire en forme de selle de cheval. Des rangees de maisons lilanches couvrent celle bande el le somraet occidental. La grolle de la Nalivile esl creusee sur le penchant-est du sommet occi- denlal, en face de Jerusalem. La ville s'eleve sur des terrasses iiregulieres et pitloresques, plantees de vignes, de figuiers et d'oliviers ; el elle doraine de haut un paysage charmanl, des vallees, des champs et des prairies, dont le lendre gazon fait les delices de norabreux Iroupeaux de chevres et de moutons. Cesl peut-elre le soir, quand le soleil couchant de decembre eclaire les raaisons blanches de Bethleem, que Joseph et Marie, inonlanl avec leur ane, preiinenl un chemin entre les lerrasses de vignobles, afin de pouvoir lourner aussitot du cole de l'h6lel-

APPLIC. DES SENS : NATIVITE DU SEIGNEUR 373

lerie. Ges holelleries sont des sortes de clos, souvenl sans mai- son ni hangar, 011 lon trouve seulement un asile, de la tran- quillile et de 1'eau ; pour loul le reste, c'est a cliacun de se le procurer. Un gardien, arme a la legere, qui a un cliien avec lui, laisse enlrer et indique la place oii l'on peul se reposer. L'hotel- lerie pres de laquelle la sainte Famille vient de s'arreler est toute remplie ; d'ailleurs la pelile ville regorge d'etrangers. Joseph et Marie doivenl aller plus loin . Joseph va de maison en maison s'enquerir d'un abri ; il frappe a bien des portes, landis que la Mere de Dieu allend la reponse dehors, assise sur sa bele de somme. Les gens ne font pas la moindre attention a eux ou bien les econduisenl. Saint Joseph a peut-etre laisse esperer a Marie, pour la consoler pendant les fatigues du voyage, de trouver, a Bellileem. un qnartier tranquille et une hospilalile cordiale ; et il ne leur esl reserve de bon accueil nulle part. Joseph en est alllige a cause de Marie, mais il ne perd pas son calme el sa douceur pour cela. CepenJant la nuit tombe et les portes se ferment de toute part ; alors saint Joseph doit se deci- der a chercher un gile dans une grolte, hors de la ville, sur la colline calcaire el grise. en face de Jerusalem. Iis vont donc de ce cole. Cetle grotte, pourvue d'un avanl-toil, a environ qua- rante pieds de long, douze a quinze de large, etneuf a dix.de haut; il s'y trouvait probablement des creches contre le mur du rocher ; c'esl 1'emplacement d'un ancien chaleau de David, el cette grotle a du servir d'ecurie royale. Us s'avancent dans la direclion de la grolte, a la lueur incerlained'une lanterne. Ge nesl pas extraor-, diuaire en Orient de passer la nuit dans des cavernes ; mais ici el dans les circonslances presenles il y a quelque chose d'infi- niment touchant. Et de quelle maniere Joseph el Marie sup- porlenl-ils ces ennuis et ces peines? Dans lesprit du Sauveur. Cestla premiere fois qu'il esl rebuteet htimilie sur celte terre, et ses concitoyens, a qui il est uni par les liens les plus etroils, eu sonl la cause. Son pelil Coeur est dans la jubilalion de pouvoir soulTrir.el il communique ses senlimenls a Marie et a Joseph. Dans la crainte d'elre a charge, ceux-ci n'onl qu'a regret de- mande riiospilalite, et chaque refus a ele excuse par eux avec cbarite et douceur. Ils vcnt maintenanl d'un pas content au lieu

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DEUXIEME SEMAINE

de leur repos. La nuit sainte arrive, comme toules les autres nuits, sans que rien cle parliculier ne signale sa venue. Les lu- mieres s^eteignent clans la petile ville ; le bruit cesse peu a peu, et le monde, faligue des travaux du jour et de ses ceuvres de peche, se livre au sommeil.

C. La Nativile du Seigneur. La naissance du Sauveur n'est pas imprevue pour Marie ; bien loin de la, elle esl un ellel de ses prieres et de ses desirs ardenls de voir son Dieu. Elle passe sans doute la nuil a prier, et comme auparavanl elle a par ses soupirs fait sorlir le Fils de Dieu du sein du Pere celeste, ainsi maintenant ses ferventes supplicalions 1'altirent hors de son propre sein. Quand Texlase de son amour et 1'ardeur de ses desirs ont alleint leur plus liaut degre, alors apparait miraculeu- sement, dans un pli de son manteau, blanc comme la neige qui vientde tomber,beau comme un Angedu Paradis,le Fils deDieu nouveau-ne et son propre Enfant i\ elle. Gelui-ci la regarde avec la Majeste du Dieu vivant, avec la profondeur et rimpenetrabilile delaSagesse infinie, aveclagravile imposante du Juge du monde, avec la douce tristesse du Redempteur ues liommes, avec la grace et ramabilite de Tenfance et avec le sourire d'un Fils, qui est a la fois son Dieu, son Crealeur, sa derniere fin, la premiere cause de tout bonlieur et de toule joie. En la regardanl, il se met a pleurer et tend ses pelits bras vers elle, comme s'il deman- dait a y etre recu, lui le Dieu abandonne sur la terre ! Alors Marie tombe ;\ ses pieds et, avec les devoirs de son adoralion, elle lui offre tous les leinoignages de son amour, de sa joie et de sa compassion, et use pour la premiere fois, dans des transports heffables, de la prerogative cle lui rendre lous ses services de Mere. Elle ne peut rassasier ses yeux de la vue magnifique de son visage, et ce spectacle la reuouvelle dans la purete, dans la saintete, dans la conformite avec lui. II s'opere, en cet instant, toutun changement enMarie a Tegarddeson Fils,dansson cceur, dans son intelligence et dans son imagination. Elle Fenveloppe aussitot de langes, et, apres un raomenl de penible hesilation, deja au courant de lous les decrets de la Redemplion et familia- risee avec eux, elle le depose dans la creche, comrae si elle Tof- frail en sacrifice ! Saint Joseph s'approche alors, jelte, avec

Kr?L~. . lii ;•:''; ? t7~."Ti 1 -;

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respect et joie. les yeox sor la fignrre do Yerbe de Dieo ioearne et 1'adore. avaot de loi iotimer ses ordres. Le premier regard de l'Eofaot le remplit d'ooe telle aboodance de cbarile et de sagesse qoe des lors il le reod capable de sacqoriter di^oemeot de la fooctioo de sa vie. Josepb sempresse eosoite de felieiler Marie. et toos deox looeot Dieo et le remercieot de toot ce qoils Toieot et de toot ce qo*ils eprouTeot. Peodaot ce lemps. le SaoTeor a visiblemeot pris possessioo de celte terre et. saos le moiodre retard. des soo berceao. ill a rempli sa missioo de Redempteor daos ses rapports arec Dieo. avec sa Mere et arec ooos. 13 fait la priere do matio de sa premiere joornee iri-bas. reoonreUe soo oflraode. et promel a soo Pere de loi recooqoerir la terre et de loi elablir ooe maisoo et oo Royaaime. dans lequel sa dooiinatioo oaorait poiot de fio Ps. 131 . U embrasse aossi. dans les peosees de soo amou~ Here el ooos loos.

freres seloo la cbair. Daos sa ~ne iolime il n"y a rieo d'incon- scieot. de faible el dimpoissaot : mais toot est poissaoce. lont est activite immeose, ODiTerselle, el repood parfailemeDt a la Tocatioo de sa vie d'Homme-Dieo.

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de leur repos. La nuit sainte arrive, comme loutes les autres nuits, sans que rien de parliculier ne signale sa venue. Les lu- raieres s^eteignent dans la petite viile ; le bruit cesse peu a peu, et le monde, fatigue des travaux du jour et de ses oeuvres de peche, se livre au sommeil.

C. La Nativile du Seignear. La naissance du Sauveur n'est pas imprevue pour Marie ; bien loin de la, elle est un elfel de ses prieres et de ses desirs ardenls de voir son Dieu. Elle passe sans doute la nuil a prier, et comme auparavanl elle a par ses soupirs fait sorlir le Fils de Dieu du sein du Pere eeleste, ainsi maintenanl ses ferventes supplications 1'allirent hors de son propre sein. Quand Textase de son amour el 1'ardeur de ses desirs ont atleinl leur plus haut degre, alors apparait miraculeu- sement, dans un pli de son manteau, blanc comme la neige qui vient de tomber,beau comme un Ange du Paradis, le Fils de Dieu nouveau-ne et son propre Enfant a elle. Gelui-ci la regarde avec la Majeste du Dieu vivant, avec la profondeur el rimpenelrabilile de la Sagesse infinie, avec la gravite imposante du Juge du monde, avec la douce tristesse du Redempleur ues hommes, avec la grace et ramabilite de Tenfance el avec le sourire d'un Fils, qui est a la fois son Dieu, son Grealeur, sa derniere fin, la premiere cause de touf bonheur el de toute joie. En la regardanl, il se met a pleurer et tend ses petits bras vers elle, comme s'il deman- dait a y etre i'ecu, lui le Dieu abandonne sur la terre ! Alors Marie tombe a ses pieds el, avec les devoirs de son adoralion, elle lui offre lous les ternoignages de son amour, de sa joie el de sa compassion, et use pour la premiere fois, dans des transports i leffables, de la prerogative de lui rendre tous ses services de Mere. Elle ne peut rassasier ses yeux de la vue magnifique de son visage, et ce speclacle la renouvelle dans la purete, dans la saintete, dans la conformile avec lui. fl s'opere, en cet instant, tout un changement en Marie a 1'egard de son Fils, dans son coeur, dans son intelligence et dans son imagination. Elle 1'enveloppe aussitol de langes, et, apres un momenl de penible hesilation, deja au courant de tous les decrets de la Redemption el familia- risee avec eux, elle le depose dans la creche, comme si elle Tof- frail en sacrifice ! Saint Joseph s'approche alors, jelte, avec

APPLIC. DES SENS : NATIVITE DU SEIGNELR 375

respect et joie, les yeux sur la figure du Verbe de Dieu incarne et fadore, avant de lui intimer ses ordres. Le preruier regard de l'Enfant le remplild'une telle abondance de eharite eldesagesse que des lors il le rend capable de s'acquiller dignement de la fonction de sa vie. Joseph s'empresse ensuite de feliciter Marie, et tous deux louent Dieu et le remercient de tout ce qif ils voient et de lout ce qifils eprouvent. Pendant ce temps, le Sauveur a visiblement pris possession de cette lerre et, sans le moindre retard, des son berceau, il a rempli sa mission de Redempteur dans ses rapports avec Dieu, avec sa Mere et avec nous. II fait la priere du matin de sa premiere journee ici-bas, renouvelle son offrande, et promet a son Pere de lui reconquerir la terre et de lui elablir une maison et un Royaume, dans lequel sa domination naurait point de fin (Ps. 131). II erobrasse aussi, dans les pensees de son aroour, et sa Mere et nous tous, ses freres selon la chair. Dans sa vie intime il n'y a rien d'incon- scient, de faible et d'impuissant ; mais tout est puissance, tout est activite immense, universelle, et repond parfailemenl a la vocation de sa vie d'Homme-Dieu.

LES BERGERS

(Luc. 2. 8-20.1

Le bul de ce mystere, et de plusieurs aulres qui suivent, est la manifeslation de la Nalivile de Nolre-Seigneur : Tarrivee du Messie doit etre revelee a eause de notre salut ; car le salut n'est obtenu que par la foi, el la foi vient par la revelation : Fides exauditu... (Rom., 10, 17.)

I. A qui la revelation de la Naissance du Messie esl-elle faite d'abord ?

A. Avanl tout elle est faile aux Israelites, a qui en parlicu- lier Dieu a promis le Messie, el pour qui premierement, sinon exclusivemenl, le Messie descend sur la terre.

B. Quels sont les premiers, parmi les Israeliles, a qui est revelee la Naissance du Sauveur ; ou plulol a qui d^enlre eux n'esl-elle pas revelee lout d'abord ? Elle n'est revelee tout d'abord ni aux riclies, ni aux puissants, ni aux savants, ni aux scribes, ni aux pretres, ni aux princes du peuple, ni meme aux parenls du Messie, ni enlin a des sainls personnages, au moins connus comme lels el instruils dans la science de Dieu.

C. La revelalion de la Naissance du Messie est faite a des Bergers simples, ignoranls et ignores, lesquels veillent la nuit pres de leurs lioiipeaux dans le voisinage de Bellileem. (Lucr 2, 8.)

LES BERGERS 377

II. De quelle maniere a lieu cette revelation ?

A. La revelalion de la Nalivile du Sauveur se fait par le moyen des Anges, qui apparaissent visiblement aux Bergers, Les Anges sont les Messagers de Dieu et du Messie ; d'ailleurs, leurs apparilions n'olfrent rien d'insolile aux yeux des Israeliles. Les Bergers sont des gens simples et plus accessibles a des represenlations d'objets sensibles et palpables qu'a des inspira- lions interieures et a des manifestations spiriluelles. Le Sauveur lui-meme se montre aux bommes sous une forme visible. Cesl pourquoi les Anges, messagers de sa venue au monde, doivenl eux aussi apparailre visiblemenl et sensiblement

B. La maniere dont les Anges annoncent la Naissance du Messie est extraordinairement amicale, aimable el bonorable pour les Bergers. Cesl, d'abord, un Ange qui apparait sous une forme magnitique. splendide, si magnifique et si resplendissante que les pauvres Bergers en sont effrayes a sa premiere vue. En effet, jamais Ange ne sesl jusqu'alors montre dans un pareil eclat, in claritale Dei, parce que jamais Ange n'a annonce l'ar- rivee de Dieu parmi les bommes ; et, par sa magnilicence, 1'Ange de Noei veut, pour ainsi dire, faire un conlrepoids a la venue du Dieu-Enfanl dans les ianges et dans la crecbe el inspirer d'avance la foi a la bonne nouvelle qu'il va leur communiquer. Cel Enfanl. dans la clarle el la splendeur cluquel il apparail. est « le Sei- gneur », le Messie, Jebovab lui meme. (Luc, 2, 9. H.) L'Ange leur dil avec beaucoup d'amabilite et de bienveillance qu'ils ne doivenl pas craindre, que ses paroles sonlune nouvelle de joie, non seulemenl pour eux-memes, mais encore pour toul le peuple. Alors il leur annonce la Naissance du Messie, du Sei- gneur (de Jehovab), dans la cite de David ; il leur indique le signe auqnel ils pourronl le reconnaitre, et les invilea se mellre en marcbe pour le cbercher. Bien plus, afin de confirmer ses paroles et de publier la grandeur de l'Enfant nouveau-ne, son imporlance et sa valeur pour le ciel et la lerre et pour loul le genre humain, voila qu^ine nombreuse Iroupe d'autres Anges se monlre aux veux ravis des Bergers, les entoure el entonne le

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sublime cantique de louange : « Gloire a Dieu dans les hauteurs du ciel et paix sur la terre aux hommes de bonne volonte. » Ges paroles marquent merveilleusemenl les grands elTels qui resul- tenl pour Dieu et pour les hommes de rincarnation et de la Nali- vile du Messie : pour Dieu, c'est la gloire, et pour les hommes, c'est la paix, ou la fin du regne de la colere et du crime, le terme de leurs desirs et de leurs supplicalions, et, enfin, laple- nitnde de tous les biens ; en meme temps, nous y voyons indi- cmer a quelles condilions nous pourrons avoir part a ces bien- faits : ce sera grace, d'un cole, a Telection de Dieu, et, de raulre, a la cooperalion de nolre bonne volonte. Quelle force et quelle ellicacile doit avoir ce chant, 1'expression de la joie des cieux ! Y eut-il jamais pareille jubilalion sur la surface de la terre? Eh bien ! ce sonl les Bergers qui entendent ce magni- fique concerl.

C. Mais quelque chose de plus beau et de plus agreable encore est reserve aux Bergers a leur arrivee alacreche, quand ils voient de leurs yeux la realile de tout ce que leur a anuonce 1'Ange. Marie el Joseph sont agreablemenl surpris de leur visite, quils recoiventavec joie et avec tous les egards possibles ; ils les admettenla conlempler et aadorer le Sauveur ; peut-elre meme leur est-il permis de prodiguer a rEnfanl-Dieu leurs caresses. Ge n'est plus seulement un aulre Ange, un rayon emanant du Seigneur, qifils considerent, c'esl le Seigneur lui-meme. Ils sont les heureux beritiers de toutes les promesses failes a rhomme. Ge qu^Abraham et Davicl ont salue dans le lointain, ils radrairent de leurs yeux comme la plus belle des verites et la plus heureuse des realiles. Qui pourrail donc comprendre leur bonheur?

III. Pourquoi cette revelation est-elle faite de cette maniere ?

A. D'abord, parce que Dieu l'a voulu ainsi : Dieu choisit ses voies et ses instruments d'apres les vues de son infinie Sagesse ; il choisil aujourd'hui les Bergers comme plus tard il choisira les Apotres.

B. De plus, ce mode de revelation convient parfailement au

REPETITION : LES BERGERS 379

Christ. Le Sauveur est pauvre et veut etre pauvre ; c'est pour- quoi il choisit des pauvres pour ses amis. II est le Dieu de la paix ; cest pourquoi il ne veut aulour de sa creehe que des ames douces, paisibles, humbles, et nuliement des soldats et des savants. II est le Dieu des Palriarches et des Pasteurs, lui- raeme est le souverain Pasleur de nos ames el TAgneau qui sera immole pour nos peches ; c^est pourquoi il appelle a sa ctScfre des bergers ou cles pasteurs. II est le Redempleur de tous les hommes, aussi bien des pauvres que des riches, mais surtout des pauvres et des petits ; c'est pourquoi, aujourdhui, comme dans la suite, FEvangile leur esl parliculierement annonce. (Luc. 4, 18 ; 7, 22. Le Sauveur esl le Docteur de Fabnegalinn, el c'est pourquoi il compose sa cour de gens simples, patients, endurcis au travail, a la privation, a la peine, et habitues a la solilude. Ses premiers Apfilres sont des Bergers, et les seconds seront des Pecheurs.

C. Enfin, nous pouvons voir un autre motif de la maniere donl a lieu cette revelation du Sauveur aax Bergers, dans le des- sein ou rinlenlion qu'a Dieu de redresser el de corriger nos idees. Naturellement, nous aurions appeleaTelablede Bethleem d'abord des pareuls du Nouveau-Ne el des personnages riches el savants. Le Sauveur suit d'autres maximes : il appelle ceux que Dieu veut, et Dieu, pour de sages raisons, veut avant tout des pauvres et des petils pour les premiers sujets de son Royaume ; il ne choisit pas des sages suivant le monde, ni des puissanls ni des nobles (I Cor., I, 26), atin de ne pas rendre inulile la Croix du Christ (I Cor., 1, 17 .

La vocation des Bergers est donc une manifeslation aimable et importante de 1'espril de Jesus. L'esprit de Jesus n'agit pas selon la nature, mais d'apres les inspirations de Dieu : cetesprit esl humilite, simplicile et detachement.

REPETITION

A. La maniere aimable et digne dont les bergers sont appe- les et invites. Le Sauveur a sa cour royale ouverle el acces-

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sible a tous, raeme aux pauvres et aux simples, bien plus, sur- lout a ceux-ci. II les fail inviter avec des temoignages particuliers de respecl el d'affeclion. Gomme les Bergers en deviennent non seulement heureux, mais encore grands et illuslres ! Un rayon de la splendeur de Jehovah esl tombe sur eux, elcela suffil pour les- rendre a jamais celebres et chers a tous les Chretiens : la fele de Noei ne pourra desormais se solenniser sans les Bergers. Nous voyons qu'on trouve pres du Sauveur aussi des honneurs et des- plaisirs ; mais ils sont vrais, excellents et durables.

B. Gommenl les Bergers se sont-ils prepares a cel honneur et 1'ont-ils, juscpfa un certain point, merite ? Par leur simpli- cite, laquelle semble elre leur saintele. LMiomme simple ne veut et ne cheiche que Dieu, ne pense qifa Uieu, el il s'oublie lui- meme. LMiomme simple va a Dieu, sans prendre de detours, par les voies droiles qui s'ouvrent devant lui, par raccomplissement des devoirs de son elat el par sa soumission parfaile a ce que Dieu veut ou permet. LMiomme simple croit toul, acceple tout el execule tout. Tels sont les Bergers : ils ne deviennent pas orgueilleux si les Anges leur parlent, ils acceplent Tinvitalion qifils en recoivent et ils y repondent, ils relournent aprrs h\euv logis lout contents et ne font plus parler d'eux. La simplicile est une aimable enfance de 1'ame, remplied'une joie toujours nou- velle. Peut-etre if y a-t-il pas alors dans Israel des Saints aussi simples que les Beigers, et c'est pourquoi aussi il ify a pas, parmi les Juifs, d'audileurs plus aptes a entendre les concerls- des Anges et de meilleurs adorateurs de riiumilile el la simpli- cite de rEnfant-Dieu que ces simples bergers.

C. Comment les Bergers recoivent et gardent le bonheur et rhonneur qui leur sonl echus. Ils remercient, avanl tout, Dieti el le louenl, et ils if oublieronl jamais la grace insigne qui leur esl accordee. Ensuile, ils raconlent a tout le monde ce cpfils onl vu el enlendu, et ils deviennent ainsi les premiers- Apolres cle la venue du Messie. (Luc, 2, 18.) Enfin, ils revien- nent sans doule visiter la sainte Famille et en sont les meilleurs amis.

APPLIC DES SE.NS : LES BERGERS 381

APPLICATION DES SENS

Pendant qne le Sauvenr vienl au monde, les Bergers font la garde de leurs Iroupeaux dans le voisinage de Belhleem. A l'est de cetle petile ville, a une demi-heure de chemin, se trouve une vallee agreable et ondoyanle, couverte de cereales, de figuiers, d'oliviers et de planles fourrageres. Graee aux pluies de 1'hiver, on n'y voil partout que de verls herbages, et, quand la tempera- ture esl douce, les brebis et les moulons passent la nuil en plein air. G'est remplacement des champs de Booz, cest la que Rulh ramassail des epis, el que David et meme Jacob (Gen., 35, 21; faisaienl pailre leurs Iroupeaux. Les Bergers y gardenl leurs moulons, qifils ont reunis dans un parc a 1'entree duquel ils ont allume un feu. Ils prennenl, bienlol apres, leur modesle repas, et devisent enlre eux, parlant peul-etre du recensement de 1'Empire el de la venue du Messie ; puis ils fonl leurs prieres du soir et enfin s"elendenl pres du feu pour se reposer, landis que 1' u n deux etix fail la veillee en allanl el venanl dans le parc.

La nuit est silencieuse et solennelle, comme le soir d'une fete augusle : les etoiles brillent d'un vif eclat au-dessus des hau- teurs de Belhleem. II esl miiniil. el le gardien, avanl d"eveiller celui qui doil le remplacer dans sa charge, jelle un dernier coup d'oeil autour de lui. En ce momenl s'eleve, sur la colline orien- lale de Bethleem, une nuee lumineuse, qui monle toujours plus haut, pour descendre ensuile dans la vallee, se rapprochant lou- jours davanlage des Bergers : elle eclaire tout, les arbres el les arbusles, d'une lumiere semblable a celle du soleil. Le garde, rempli d'elonnemenl, appelle ses compagnons, en leur criant que touf est en feu. Les chiens aboienl, les moulons s'eveillenl et se serrenl les uns contre les aulres ; les Bergers se levent aussitdt et courent a leurs armes. Une lumiere magnitique les enveloppe de lous cotes ; les eloiles palissent et le feu du parc n'a plus de clarle. La nuee lumineuse, qui environne les Bergers, devient loujours plus belle ; ils en sont slupefaits, couvrenl leurs yeux de leurs mains et commencenl a s'effrayer. Alors, du cenlre de

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la nuee, se detache une fornie visible et splendide, entouree d'une aureole de gloire et porlant un vetement d'une blancheur eblouissante ; elle a aux epaules des ailes cpii reflelent les cou- leurs de Tarc-en-ciel, et sur son fronl brille une flamme, pareille a une etoile ; son visage est d'une beaule celeste, a la fois aimable et majestueux, et rayonnant de joie. Les pauvres Bergers tombent de peur sur leurs genoux el la face conlre terre. Ils ne doulent pas de la presence d'un Ange du Seigneur, peut-etre du Seigneur lui-meme, el ils sont epouvant.es. Un Ange en eflet leur dit bientdt d'une voix claire et douce : « Ne craignez pas... » Le son de cette voix agreable et bienveillanle les tranquillise, et les paroles si neltes et si intelligibles qu'ils entendent vont jusqu'au fond de leurs cceurs et y produisent un sentiment de bon - heur indicible. Ils comprennenl parfaitement ce que 1'Ange leur annonce, a savoir qne le Messie est ne dans la cile de David et qu'ils doivent y aller 1'adorer. L'Ange a cesse a peine de leur parler que la nuee lumineuse, au milieu de laquelle les Bergers se trouvent, se resout en une multitude innombiable de formes angeliques et tres belles, qui montent vers le ciel clans un ordre admirable, formant une sorle de voie ltimineuse, immense et loule vivanle, et qui entonnent le chant merveilleux : Glorxa in excelsis... Quel chant de bonheur, magnifique et imposant ! II continue a etre enlendu sur les collines de Juda et de lous les cotes cle 1'horizon pour se perdre peu a peu dans les hauteurs du ciel. Les yeu\ des bons Bergers ne sonl-ils pas alors ravis cle contempler toute cette troupe majestueuse des Anges, et leur cceur ne se fond-il pas en larmes de juie et de bonheur?

Lorsque les formes angeliques ont disparu, que le chant celeste a cesse et que les Bergers sont revenus a eux, ils se con- siderent les uns les autres dans le silence et avec elonnement. Mais ils se ressouviennent aussitdt de la parole de 1'Ange, et ils se hatent d'aller, trois par trois ou quatre par quatre, a la grotle, en traversanl la petite ville cle Bethleem. Arrives a la grotle, ils frappent doucement a la porte qni la ferme ; saint Joseph s'em- presse de 1'ouvrir el leur demande aimablement ce qu'ils desi- rent. Les Bergers repondent a saint Joseph que cles Anges leur sont apparus el leur ont fait connaitre la naissance d'un Enfanl

APPLIC. DES SENS : LES BERGEP.S 383

dans ce lieu, oii il doit elre couche dans une creche. En les enlendant, saint Joseph esl rerapli de joie et loue le Seigneur, et, sans tarder, il introduit les Bergers, comme des amis bien connus, dans 1'inlerieur de la grotte ou repose rEnfant. Bien- tot, a la faveur d'une faible luiniere que va prendre saint Joseph, les Bergers peuvent contempler, dans une rauelte admiration, les traits de l'Enfanl-Dieu nouveau-ne. Ensuite ils demandentdes nouvelles de sa Mere. Marie arrive bientot du fond sombre de la grolle et s'approche des Bergers, toute simple, modeste, sans la moindre confusion. Les Bergers la saluent respectueusement, en raettant leurs mains sur leur poitrine et en sMnclinant. La Mere repond avec bonte a leursalut, prend dans ses bras son Enfant et le leur presente. Ils entourent 1'Enfant et sa Mere, lombent a genoux pour adorer, dans les transports d'une joie naive, Celui qui est le Messie ; puis ils racontenl tout ce qui leur est arrive celte nuit et lapporlent les paroles de 1'Ange. Marie, emue de bonheur, ecoute tout attentivement et y refle- chil en silence ; elle se monlre tres bonne pour les pauvres Ber- gers, mais elle ne dit pas un seul mot d'elle-meme. Peut-elre leur remet-elle son Fils entre les bras, afin qu'ils puissent lui faire de douces caresses. Tous ensemble ils eprouvent une vive joie et temoignenl une grande reconnaissance a Dieu. Au mo- ment de prendre conge de la sainle Famille, les Bergers baisent le bord du voile de la Mere de Dieu, demandenl a Marie et a Joseph sils pensent sejourner dans ce lieu et s'ils pourront leur faire d'autres visiles. Ils s'eloignent alors en louant Dieu et en annoncant parloul la nouvelle heureuse qu'ils ont recue les premiers. Yraisemblablement, ils reviennent plus d'une fois voir la sainte Famille, lui apporlent de petits presents et en deviennent les meilleurs amis.

LA CIRCONCISION

;Luc, 2, 21.)

I. Sa signifkalion.

A. La circoncision elait, avant tonl, le signe de l'alliance des Hebreux avec Dieu, de leur separation d'avec les autres peuples et de Tadmission dans la religion judaique. (Gen., 17, 9-14.) En consequence, elle elait aussi le signe de 1'acceptation de la loi el de ses obligalions (Gal., 5, 3), de ses benediclions et de ses promesses, mais aussi de ses maledictions el de ses chatimenls, en cas de Iransgression (Rom., 2, 25). Enfin, lacir- concision etail le signe du peche el de la necessile de la peni- lence ou de la circoncision du coeur. (Deui , 10, 16 ; .30, G.) Apres sa circoncision, Tenfant recevait son nom el avail desor- mais 1'existence legale dans 1'etal civil et dans Telal religieux. La circoncision etail donc a peu pres comme notre bapteme, lequel esl non seulement ratfranchissement du peche originel, mais encore 1'admission dans TEglise el l'acceptalion de sa doc- trine el de sa morale. Aussi sainl Paul appelle la circoncision une tigure du bapteme. (Col., 2, 11.)

B. Pour ce qui regarde la ceremonie, la circoncision devail avoir lieu huit jours apres la naissance, mais elle pouvail etre faile en lout lieu et par n'importe qui ; ordinairementcetail le chef de la famille qui faisail la circoncision et qni donnait le nom a l'enfantcirconcis.

L\ CIRCOXCISION 385

II. Moiifs pour lesc/uels notre Sauveur se soumet u /a circohcision.

Le Messie n'est pas, a proprement parler, lenu a la loi de la circoncision. II n'esl lenu qu'a la loinaturelle ; les lois positives de rAncienne Alliance ne l'ol)ligent pas, pas plus que les lois des impols n'obligent le chef de 1'Elat. Le Sauveur eslsans doule le Mailre et le Legislateur del'Ancien Testamenl el pardeux fois il defendra celte prerogalive personnelle. (Matth.,12, 8 ; 17,25.) II est donc circoncis parce qu'il le veut, et il le veut pour les raolifs suivanls :

A. Premierement, le Sauveur veut nous donner de nouveau une preuve de la verite de sa nalure humaine, et raonlrer qu'il est en lout semblable a nous. II veut, comtne nous, avoir nne mere bumaine, nne nationalite humaine, un nom humain el une forme de Religion humaine, lui pourlant 1'Elre ineffable, le Pere de tous les hommes el de toutes les nations. De raeme, il veut faire voir clairement qu'il est un descendant d'Abraliam ; sans cela les Juifs ne 1'auraient pas reconnu comme Messie. (Gal., 3, 7.

B. Deuxiemement, il veul confirmer ladivinile de la loi et l'accomplir sous toul rapporl, aussi bien en 1'observant qifen prenanl sur lui le chaliment de ses transgressions. Cest aussi cette significalion qu'a le sang qu'il repand aujourd'hui pour la premiere fois ; c'esl le gage qu'il versera un jour tout son sang pour les peches de tous les hoinraes. Ce sang de la circoncision est, par consequent, coinme une aurore sinistre au ciel de l'en- fance de Jesus et le presage des terapetes et des orages de sa vie fulure. (Matth., 10, 3; GaL, 3, 10. 13.)

G. Troisiemement, le Sauveur veul nousdonner 1'exemple de 1'emploi de tous les moyens que Dieu prescrit de temps a aulre pour resister au peche, praliquer l'obeissance, la peni- tence, la morlifieation, circoncire le cteur et eviler lout scan- dale. (Matth., 17, 20.)

D. Quatriemement, le Sauveur veut meriter son nom de Jesus et les magniliquesprerogatives qui ysont allachees. La

25

386 UEUXIEME SEMAINE

magnificence dn nom de Jesus resulte, avant lout, de son origine qui est divine ((Is., 7, 14 ; Matth.. 1, 21 ; Luc, I, 31) ; puis, de sa signifiealion : Jesus veut dire : « Dieu est notre seconrs, notre salul », et exprime aussi bien la donhle nature de rHomme-Dieu, divine et humaine, que sa vocation de Redemp- teur. Enfin, Texcellence du nom de Jesus se montre dans les effets merveilleux qu'il produit en notre favenret aussi a Tavan- tage du Sauveur lui-meme. Pour nous, il est le gage du pardon de nos peches, de Tefficacite de nos prieres, et le fondement de nos merites ; il est aussi le gage de nolre consolation et de notre force dans les lentations, pendant la vie et a la morl ; oui, il est une sorte de sacramental de toutes les benedictions que le Messie nous a apportees. Pour le Sauveur lui-m£me, le nom de Jesus ost rinstrument de la gloire ; en effet, d^un cole, les fideles rinvoquent, y mettent leur confiance et Taiment, et, de Taulre, sa puissance se manifeste par ses victoires sur Tenfer et par toules sortes de prodiges. En ce sens, le nom de Jesus est, pour ainsi dire, la glorieuse remuiieration de roeuvre si dif- ficile de la Redemption : a ce nom, tout genou flechit au ciel, sur la terre et dans les enfers. (PhiL, 2, 10.) L/Homme-Dieu a beaucoup de noms, mais il nen a pas de plus cher que celni-la, qui le fait se souvenir sans cesse de nous. Cest pourquoi le norn de Jesus retentit autour de son berceau et il devra se retrouver inscrit au hautde sa croix.

III. Conclusions.

A. La pvemiere conclusion a tirer de la circoncision est ramour pour le divin Sauveur, quiveut en tout etre semblable a nous, et accepte un nom, par lequel il veut etre tout pour nous.

B. La seconde conclusion que nous clevons tirer dece mys- tere est la promplitude et la generosite i\ remplir tous les devoirs, k faire tous les sacrifices que la Religion et notre voca- tion nous imposenl. Par sa circoncision, le Saiweur a, par amour pour nous, pris et rempli des obligalions bien plus diffi- ciles que les notres. 11 ne pouvait jamais penser a son nom de Jesus sans se senlirpousse a accomplir tout ce qu'exigeait notr& salut. N'en devrait-il pas etre ainsi de chacun de nous?

L.\ CIRC0NCISI0N 387

G. La Iroisieme et derniere conclusion de celte medilation est d'lionorer et de glorifier le nom de Jesus, en ne le pronon- cant qu'avec respect et amour, comme le firent TArchange, Marie et Josepli, en l'invoquant dans nos prieres, nos bonnes ceuvres et nos tentalions, enQn en le confessant avec courage et en repandant sa connaissance et son culte a 1'exemple des Mar- tyrs et des Apolres.

Pour nous, Jesuites, nous avons des motifstout parliculiers dJionorer, d'aimer et de glorifier le nom de Jesus. Cest nolre nom et il nous appartienl plus qu'a personne autre en vertu de notre vocation. II est une revelation cle la predestination eler- nelle, par laquelle Dieu nous a associes d'une maniere speciale au Sauveur, dontil nous donne le nom ; il est une revelation de notre vocation, surtout de son but qui n*est aulre que le but de la vie de Jesus, ensuite de ses moyens et de ses resullats, qui sont ceux de Jesus, et enfin de sa recompense. Toul cela est contenu et apparait clairement dans le nom de Jesus. Qui donc plus que nous devrail honorer, aimer, recommander et glori- fier le nom de Jesus ? Sans nul doute, nous sommes destines, romme saint Paul, a porter le nom de Jesus devant les peuples et les rois, a riionorer et a le glorifier par beaucoup de souf- frances. (Act., 9, 15. 16.)

LA PRESENTATION AU TEMPLE

(Luc, 2, 22-39.)

I. Le Sauveur est porte au lemple.

Cest la premiere fois que le Messie enlre dans le temple de Jerusalem : c'est un evenement tres important. II est le Dieu d'Israel et FAnge de 1'Aneienne Alliance, et le temple esl fait pour lui. II y a reside des les tempsles plus recules. Maintenant il se presente dans le lieu saint comme Homme-Dieu ; il penelre dans le Temple, noncomme les autres Israelites,pour seulemenl y adorer Dieu, mais pour en prendre possession ; il enlre dans le temple, non pas comme Moise qui n'elait qu'un serviteur, mais comme un Fils, comme un Heritier el comme un Mailre, pour saisir les renes du gouvernement de la maison de son Pere celeste, et pour s'y manifester publiquement. Cette entree du Messie dans Jerusalem et dans le temple est d'une telle impor- tance qu'elle a ete Tolqet de plusieurs proplieties : « Jerusalem est le lieu de la revelation et de la magnificence royale du Mes- sie... (Is., 60.) L'Ange de 1'Alliance entrera dans le second temple (Mal., 3, 1) ; et, a cause de cela, ce second temple sera plus glorieux que le premier (Agg., 2, 7. 10). » La presentalion est donc un grave evenement dans la vie du Sauveur.

II. Manifestation du Sauveur dans le lemple.

La deslinee du temple, quiest de servir de lieu a la revelation du Messie, s'accomplit des la premiere apparilion du Sauveur

LA PRESENTATION AU TEMPLE 389

dans rinterieur de ses murailles. Au moment ou les Parents de Jesus entrent avec lui dans le lemple, Simeon vient deja a leur renconlre et annonce publiquement le Messie.

Gelle manifestation est splendide sous plus d'un rapport. D*abord. a cause clu lieu ou elle se fait : Jerusalem, capilale du royaume, le temple, le centre de !a Religion et la ville du culle de 1'Ancien Teslamenl. Ensuite, parce que le peuple qui y assiste, est nombreux ; car le fait se passe vraisemblablement a 1'heure du sacrifice du malin. En troisieme lieu, a cause de la qualile des personnages qui la font : ce sout Simeon et Anne, qui jouissent de la reputation d*une grande saintete et que leur esprit prophelique a renduscelebres. Enfin, la beaule de cetle manifestation resulte des glorieux temoignages qui sont rendus au Sauveur. Ges temoignages regardent et la magnificence et rimporlance de la personnalile du Messie pour Israel, pour la gentilile, pour le genre humain toul entier : Simeon nomme le Sauveur le Salul promis (Luc, 2, 30; Gen., i9, 18 , la Gloire du peuple elu (Luc, 2, 32), laLumiere des Genlils et de tous les peuples (Llic, 5, 31. 32). Bien plus, le Sauveur est le cenlre de rhisloire universelie de la Religion et du monde, la fin et le moyen de toute predeslinalion et de toute eleclion : toutpredes- tine lui doit le salul, el toul reprouve recoil de lui sa coudamna- lion. (Luc, 2, 34.) Israel el toul le genre humain se diviseront en deux camps el en deux partis a cause de Jesus : il est un signe de conlradiclion et une pierre d'achoppement. Avec la nianifes- talion du Ghrist, commence cette conlradiclion, qui se conti- nuera dans sa vie publique jusqu'au Galvaire et bien au dela, uisqifii la fiti des temps. Le Ghrist n'est indifferenl pour per- sonne : ou bien on 1'aime, ou bien on lehait ; ou bienon 1'adore, ou bien on le maudil. Devant lui toutes les voies, toutes les routes se partagent, cellesdes individus etcelles des peuples, les unes conduisant a la vie, au ciel, et les autres, a la perdilion, a lenfer. (Luc,2,34.) Memela vocation de Redempteur du Mes- sie, par la soullrance el la mort, est predite ici. (Luc, 2, 34. 35. II ne peut elre fait d'eloge plus glorieux : c'esl toute Tapo- theose du Ghrist. A proprement parler, l'Esprit-Saint lui- meme a fail celle revelation duMessie : Simeonet Anne ne sont

390 DEIXIEME SEMAINE

que ses inslruments. Ils rendront, encore apres, leur temoignage dans tous les lieux ou la venue du Messie elait ardemmenl desiree. (Luc, 2, 38.) Jusque-la il n'y a pas encore eu de mani- festalion aussi imporlanle du Sauveur des hommes.

III. Le Sauveur est presenie d Dieu.

A. La signification de la presentation est lareconnaissance effective du dioit special de propriete de Dieu sur le peuple dlsrael, non seulement en tant que la naissance de lout enfant, quel qifil soit, est due a la benediction de Dieu, mais encoreen tant que Dieu avait delivre son peuple de la servitude d'Egypte et en avait fait son bien propre et particulier. Pour la recon- naissance el laconfirmation de ce droit de propriete, Dieuavail, a la place de lou! le peuple, choisi les Levites pour son service exclusif ; de plus, tous les premiers-nes devaient lui etre pre- sentes (Nomb., 8, 10. 17); si c'etail des garcons, on versait, pour les raclieter, la somrae de cinq sicles (16 fr. 25) qui deve- naient le partage des prelres. Le rachat des garcons etail seul prescrit et le pere de 1'enfanl le faisait trente jours apres leur naissance ou merae phis lard. Voulail-on presenter un garcon au teraple, alors on devait le deposer enlre les mains du pretre, lequel, apres le paiement des cinq sicles fi\es pour son rachat, le rendait a ses parents en prononcanl une forinule de benedic- tion et de remerciemenl.

B. Pourquoi le Seigneur veut-il se soumeltre a la loi de la Presentation ? II s'y soumet, non pas parce qu'il le doit : aucune loi posilive ne 1'oblige, et l'union de la nature huraainea la seconde Personne divine l'a consacre a Dieu coraine aucune cereraonie sainte ne pourrait le faire. Or ce rayslere n'est pas encore connu, el Jesus ne veut pas donner de scandale, mais, au contraire, un exeraple d'hurailile, d'oheissance et de zele : il veul honorer Dieu par Tobservalion de loules les cereinonies prescriles el donner la derniere perfeclion au culte de son Pere par l'applicalion de ses merites infinis. II profite de toutes les occasions pour glorifier Dieu. Le Messie n'est pas non plus propremenl rachele ; les cinq sicles qui sonldonnes ne sont quc la figure des cinq plaies qifil doit avoir et garder plus tard.

LA PP.ESENTATION Al TF.MPLE 391

C. Gommenl le Sauveur se presente-l-ila son Pere celeste? Avant tout, avec une entiere liberte ; puis, en suivant toutes les prescriptions de la loi, qui obligeait a elre presente par la main des prelres de 1'Ancienne Alliance ; el enfin, avec la plus grande devotion inlerieure. II renouvelle ici l'offrande qu'il a faite de lui-meme auparavanl : Ecce, venio...

Comme conclusion, nous devons, en premier lieu, nous rejouir de la haute importance de celte premiere apparilion du Glirist dans le temple et le feliciler de lout notrecoeur de 1'lion- neur et de la gloire quTl recoit a cette occasion. 11 nous faut remarquer, en second lieu, comme cette glorification lui vient precisement d'un acte dlmmilile, d'obeissance, de soumission a la loi. II entre dans le temple avec rintenlion d'honorer son. Pere, et alors son Pere le glorifie. Tel est le sens de ce myslere relalivement au Sauveur : c'esl 1'accomplissement dune loi et une manifestation du Messie. .\oiis ne savons ce que nous devons admirer et exaller davantage, dans la joie de notre eoeur, ou 1'exemple de riiumilite cle Jesus ou riionneur qui lui en revient. En toul cas, il y a la une verile qui se confirmera sou- vent dans la vie du Sauveur, c'est que riiumilialion lui prepare la gloire. En troisieme lieu, nous ne devons pas oublier que cette Presenlation dans le temple est la premiere rencontre publique et solenuelle du Messie avec Israel, qui est lui-meme la tout entier avec son teniple el avec les differents represenlants deTAncien Testament, le peuple el le sacerdoce juifs. Simeon et Anne tiennenl la place dTsrael lidele et le pretre de la Presen- tation agit au nom de tout le sacerdoce. Cette premiere ren- contre est pacifique : le Sauveur reconnait le sacerdoce juif, se soumet a lui, lui donne le prix qui le rachele ; il se laisse pre- senler, par les mains d'un de ses pretres, au Pere celeste, et ce prelre ensuile le benit. Plus tard, il devra en elre toul autre- ment. Pour le sacerdoce juif, el surtoul pour lui, le Sauveur sera une pierre de scandale, uu signe de contradiction el, helas ! une occasion de ruine, comme Simeon l'a predit.

392 DEUXIEME SEMAINE

REPETITION

I. Marie.

A. La Mere de Dieu prend une tres grande parl au myslere de la Presentation. Elle y est elle-meme impliquee, en accoin- plissant personnellement une loi, et c'esl sur ses bras que le Messie apparait, pour la premiere fois, dans le temple de Jeru- salem. La presentation el le rachat du premier-ne ne devaienl pas se faire necessairement par la mere de 1'enfant ; mais el!e devait elle-meme, pour se delivrer de 1'irnpurele legale, se rendre au temple quaranle jours (ou plus lard, mais pas plus 161) apres renfanlement el faire deux offrandes, la premiere d'uii agneau, qui elail offert en holocauste, et la seconde d'une colpmbe, qui elait offerte comme sacrifice expialoire ; ou, en cas de pauvrete, elle se conlentail de presenler deux colonibes ou deux tourterelles. (Lev., 12.)

B. Quant a la maniere dont Marie accomplit la loi, elle le fait a peu pres comme le Sauveur : d'abord sans y etre lenue, puisque ni la letlre de la loi (Lev., 12, 2) ni 1'esprit de la loi ne l'y obligenl. Aussi la remplit-elle dans la meme inlention que son Fils, pour honorer Dieu et pour ne pas scandaliser le pro- chain. D'ailleurs, elle ne s'y resout pas sans faire le triple sacri- fice de sa repulation de Vierge, de sa dignile de Mere de Dieu, et meme de son Fils, dont les destinees lui sont alors prediles. Enfin, elle accomplil la loi, proportion gardee, avec le meme devouement el le meme amour que Jesus.

G. Pour la part qifelle prend a roffrande de son Fils, du Sauveur, Marie est recomqensee par la part qifelle a dans la magnificence de la revelation qui a lieu alors. Si le Sauveur est le signe de la conlradiction, la cause du salut et foccasion de la ruine, il ifest pas seul : sa Mere se tient pres de lui, la contia- diction 1'atteinl aussi et transperce son Cceur avec celui de son Fils, et, a cause de cela, les pensees des hommesse manifestent a son sujet pour le salut et la perle d'un grand nombre. (Luc,2

REPETITION : LA PRESENTATION 393

34. 35.) De plus, Marie n'est indifferente a personne : ou bien on la glorifie ou bien 011 la meprise. Deja, aux paroles de Si- meon, le glaive traverse son Goeur et, sans doule, afin d'y rester jusqifa la fin de sa vie. C'est pourquoi Marie et Joseph s'eton- nent des paroles du saint vieillard qui proclame, il esl vrai. avec une certaine solennite, mais aussi avec une nettele dou- loureuse, la verite de la redemplion des hommespar Jesus. Lcc, 2, 33.)

II. Simeon et Anne.

A. Commenl Simeon el Anne se sonl disposes au bonheur de voir le Messie. La sainlete de ces deux personnages porle a peu pres le meme caractere. La sainte Ecriture loue deux choses dans sainl Simeon : il etait juste, parce qifil meltail sa sainlete daus 1'accomplissement de la volonte de Dieu et qifil s'en tenait simplement aux moyens de salul, indiques et prescrils alors par Dieu. De plus, il craignait Dieu et elait saint jusqifau fond de 1'ame, ne se contenlant pas dune juslice exterieure. Enfin, il altendail « la Gonsolalion d'Israel » : rabaissement de son peuple lui allail au coeur, au plus inlime de son elre, etil ne trouvait de consolalion que dans fesperance du Redempteur. Gel aniour pour le Sauveur parail avoir ele le caractere propre de son esprit el de sa saintele. II elail donc dans lattente du Messie, comme tout Israel, et c'est vers le Redempteur que se portaienl tous ses desirs. L'ardeur de ses desirs avait encore ete augmenlee |iar le don de prophelie qifil avait recu de Dieu, par la promesse que le Sainl-Esprit lui avait faite qifil ne mourrait pas avanl d'avoir vu le Sanveur. (Llc, 2, 25. 26. Aussi le temple etail-il devenu sa demeure de predileclion, parce que c'etait la que le Messie devait se monlrer. Sainte Anne avait la m6rne piete et la meme ardeur pour la priere. Elle ne quitlail pas le temple, soit qifelle y passat la plus grande parlie du jour dans ce saint exercice, soit qifelle y habitat avec les jeunes vierges occupees autour du sancluaire. A la priere elle associait un exlraordinaire esprit de penitence ; elle persevera dans les jeunes jusqifa sa qualre-vingl-qualrieme annee. Sa vie elail une vie de priere, de penilence el de renoncemenl : elle elait comme

394 DEUXIEME SEMAI.XE

le t\ pe caracteristique de la servante fidele a la loi de Dieu dans rancien temple de Jerusalem.

B. Pour Simeon et Anne la recompense et la consolalion arrivent, et elles sont raerae plus grandes qu'ils ne pouvaient 1'esperer. La surabondance de ieur consolation resulte, d'abord, du bonheur qu'ils eprouvent d'avoir ele appeles par rEsprit-Sainl dans le temple, au moment ou la sainte Famille y entre (Luc, 2, 27 . 38 ; ensuite, de la joie qifils onl de con- lempler le Sauveur et sa Mere : Simeon peut meme recevoir TEnfant-Dieu dans ses bras el le presser sur son coeur. De plus, ce sainl vieillard voit sa consolation s'accroitre de toule la con- naissance profonde et sublime qu'il recoit de la mission et des destinees du Sauveur et de la Mere de Dieu : on peut croire qu'il en a la connaissanee. au moins quanl a 1'essentiel, dans tous les delails de leur vie. Enfin, la grandeur de la joie de Simeon el d'Anne se montre dans les efiels qu'elle produit, efiels qui sont maguifiquement exprimes dans le cantique de saint Simeon. (Lue, 2, 29-32.) II veut mourir mainlenanl, puisque ses desirs sont combles. Sainle Anne, elle aussi, est tellemenl con- solee qu'elle ne croil pas pouvoir mieux employer les derniers inslanls de son existence qu'a faire connaitre partout le Messie. (Luc, 2, 38.)

Simeon el Annesonl,commeElisabetlielZacliarie,rexpres- sion de la veritable saintete de 1'Ancien Teslament, qui consis- tait dans la priere, la penitence, laccomplissement de la loi et le desir ardent de la venue du Messie. Leur altente n'est pas judaique el charnelle. IIs soupirent avant tout apres un Hedemp- teur qui delivrera du peche, par consequent apres un Messie de douleurs, qui sera un signe de conlradiction meme pour son peuple. Yoila le Sauveur de leur choix ; ils se separent ainsi de leur nation indigne et viennent se placer a 1'ombre de la Groix aupres de la Mere des douleurs. Dans le Royaume du Ghrist, Simeon et Anne representent les ames interieures, que le monde ignore, mais qui, par leurs prieres et leurs sacrifices, detruisenl lempire du mal dans le monde et y font regner le bien. Ils menagent constamment rintervenlion de Dieu ici-bas. Ce nesl pas trop, certes, d'occuper toule sa vie dans la priere et la peni- tence pour meriter cet honneur et cette consolation.

APPLIC. DES SENS '. LA PliESENTATION 395

APPLICATION DES SENS

A. Depart de Bethleem et marche vers Jerusalem. II y a cleja quarante jours que la sainte Famille habite Beth- leem. Peut-etre passe-t-elle tout ce temps dans la grotle, peut- etre aussi va-l-elle loger dans une hotellerie de la ville. Le temps est arrive de presenler TEnfant Jesus au Temple de Jerusalem ; Marie veut y faire en meme temps roffrande pour sa purifica- tion. Mais en quel etal la sainte Famille laisse-l-elle la grotte de Belhleem? Assurement, dans un etat tres convenable, apres avoir mis soigneusement toul en ordre. Dans quelles disposi- tions effeclue-t-elle son depart de Belhleem ? Sans monlrer la moindre aversion ni le moindre mecontenlement, mais aussi sans faire parailre la joie imparfaile de quitter un lieu ou l'on n'a eprouve guere que des desagrements. Marie et Joseph s'eloignent avec beaucoup de dignite, eu remercianl ceux qui leur onl fait du bien, en temoignant de la bienveillance a ceux dont ils ont eu a se plaindre, et surloul en rendant graces a Dieu de toul le bien et de tout le mal qui leur sont arrives. De combien de faveurs et de quelles joies leur sejour n'a-t-il pas ete la source ou 1'occasion «i Bethleem ! La naissance virginale de Jesus, la revelation de la Nativile aux Bergers, 1'adoration des Mages, el enfin beaucoup de peines et de sacrifices. Marie et Joseph remer- cient Dieu pour toul absolument et se metlent en route pour Jerusalem.

Cette fois, le voyage s'effectue a trois. Marie s'assied sur l'ane et porte soigneusement 1'Enfant Jesus dans ses bras. Saint Joseph conduit la bete de somme. Le chemin traverse la plaine de Rephaim. Sur cetle nieine route, Abraham a passe avec Isaac en se rendant a la montagne de Moriah ; Jacob s'y est ari«ie, la tristesse dans 1'ame, pour enterrer Rachel; David y a battu deux fois les Philislms et passe la revue de ses braves avanl de se jeter sur la forteresse des Zebuseens ; sur cetlevoie aussi a roule rapidement le char de Salomon, tandis qifaccom- pagne de ses courtisans, loul couverls d'or, il allait visiler les jardins d'Etham. La plaine brille, au moment du passage de la

396 DELXtEMK SEMAINE

sainte Famille, de 1'eclal des anemones ecarlates, des piropre- nelles jaunes el bleues, des jacinlhes, et des petiles roses qui sont admirablement belles. Lorsqu'elle arrive au lombeau blanchi de Rachel, le Sauveur pense sans nul doule au meurtre des Innocenls, que la prophelie rallache a Rachel ; il regarde trislement sa mere, la seconde Rachel, et ses yeux se portenl du cole des valiees et des hauteurs, dout les hameaux et les habi- tations abritenl les pelits enfants qui voiil bientot niourir a sa place. Au poinl le plus eleve de la roule, on jouit d'une vue magnifique : dans le loinlain, on apercoit les chaines des monlagnes de la Judee, la mer Morle el 1'imposanl remparl des monls de Moab, et, a une plus grande dislance encore, on distingue, de nos jours, en droite ligne, la coupole du Saint- Sepulere de Jerttsalem, derriere laquelle se dessine le sommet du monl des Oliviers. Des hauteurs qui dominent la vallee (THiniiom, la sainte Famille voit donc, en face, la ville sainte avec ses murs creneles, avec la citadelle magnifique de David, quHerode a rebalie ; plus loin, les constructions gigantesques dtt lemple et, toul a fait dans le fond du tableau, la moniagne des Oliviers. - Mais quelle est roccttpation de la Mere de Dieu pendanl ce voyage? Elle pense avec reconnaissance aux evene- menls de Belhleem, et en parliculier a la lele du lendemain. Sa modeslie lui fait sans doule oublier son droit a Texemplion cle la loi qu'elle va accomplir; car elle rellechil alors aux motifs de 1'observer le plus parfailement possible : le principal de ces molifs est le respecl infini de la volonte de Dieu, qui reclame la promplitude a s'y conformer, lors meme quil n'y aurait qu'un signe de sa parl ; un aulre molif esl la reconnaissance pour tant de graces el de bienfails, recus de sa roain liberale. Plusieurs de ces pensees sont Ires bien expriroees dans les psauines des vepres de 1'office de la Sainle Yierge. LeSauveur s'enlretient aussi avec lui-metne de semblables pensees. Gomme le petit oiseau regarde a travers la feuillee, ainsi le petil Jesus regarde, ponr la premiere fois, de ses yeux mortels, par 1'ouverlure du voile de sa mere. El que regarde-t-il ? La ville de Jerusalem, le temple, le mont des Oliviers, l'emplacemenl eleve du cenacle, et peut elre aussi la monlagne du Calvaire, si sainl Joseph se dirige non du cole de la porle de Joppe, mais dtt cote de celle

APPLIC. DES SENS '. L\ PRESENTATI0N 397

du Jugement. Avec quelle force doit battre alors le pelit Goeur de rHomme-Dieu, du Sauveur ! La sainte Famille prend son logement dans une maison connue d'honnetes gens, dans la ville elle-meme ou dans un faubourg.

B. Entree dans le Temple et revelation de saint Simeon. Marie et Josepb ont passe une grande pailie de la nuil a prier. De bonne heure, ils revGlent leurs habits de fele, par respect pour la ceremonie ;i laquelle ils vonl prendre part. el ils se rendenl au temple avant le sacrifice du inatin. Cest la premiere fois que le Sauveur penetre dans le temple, qu'il en voit les portes colossales avec les ponts el les escaliers souter- rains, par lesquels on y arrive du sud de la ville et de la par- tie occidenlale du faubourg ; pour la premiere fois, il apercoit la puissanle muraille d'enceinte de Jerusalem, entrecoupee a 1'exterieur par de hautes tours et bordee a 1'inlerieur de magni- fiques colonnades ; pour la premiere fois, il conlemple le par- vis immense, au carrelage varie, appele le parvis des Genlils, qui conduil, par un escalier, a la grande porte de Nicanor, A travers une galerie couverte, soutenue de chaque cole par des murs de treillis en pierre. II considere loutes ces belles choses avec joie, mais dun air serieux, avec uo calme plein de majesle : il entre, en effet, dans le temple, en pleine con- naissance non seulemenl de sa Personne el cle sa dignite, mais aussi de la signification du lemple et de ses rapporls avec iui. Le temple est la maison de son Pere, et il e\sl personnel- lement le Fils du Pere et, par consequent, 1'Herilier, le Maitre -el le Dieu de celle maison. Des l'antiquile, il y habile comme 1'Ange de 1'Alliance, dans 1'eclat de 1'aureole de gloire qui environne 1'arche; il esl 1'objet et le lerme de mille figures ou symboles, ainsi que de la foi et des desirs de lous les croyanls. Mainlenanl, ii prend possession du lemple, le glorilie el le sanclifie par une nouvelle presence, comme Homme-Dieu ; el, plus tard, il le sanctifiera et le glorifiera encore pardes manifes- lations ou des revelations plus sublimes. Toute la signification de cette premiere apparilion dans le temple ressorl vivement en presence du Sauveur, qui est la plenilude du sens de loule l'Ancienne Loi.

Vraisemblablemenl, c'esl devanl la porle de Nicanor, la

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principale des portes du parvis des Genlils, que se tient Simeon, vieillard venerable, a la longue barbe blanche, auvisage aimable et recueilli. II est la dans une allente passionnee : le Sainl- Esprit lui a revele de se rendre au temple, ou leMessie vavenir. A peine a-t-il reconnu Josepli, Marie et le Sauveur, qu'il va a leur renconlre, s'approche de Marie et s^incline profondement pour adorer le Sauveur, rEnfant-Dieu. Jesus regarde peut-elre alors sa mere et se penche vers le vieillard, donnant a comprendre qifil veut aller a lui. Simeon tend aussilot ses bras pour le recevoir, et Marie presente Jesus au saint vieillard. Avec quel respect, quelle adoration et quelle ferveur Simeon recoit rEnfanl-Dieu et le presse conlre son cceur ! II est \h debout, tenant 1'Enfant dans ses bras ; et, comme s'il voulait cle ses yeux mouranls examiner atlenlivemenl une image cherie, il eloigne un peu de lui rEnfant-Dieu, et se perd, avec une joie et un amour sans bornes, dans le ravissement de ce merveilleux spectacle. Ses yeux de vieillard plongent dans les yeux pene- trants de rEnfant-Dieu, et il a alors une magnifique vision. II contemple tous les mysteres de la vie du Sauveur, il voit la Lumiere du monde se lever a 1'orient et a 1'occident, sur lesiles lointaines de la gentilile, et enfin un radieux Soleil de midi briller sur Israel. Ses bras tremblanls elevent la « Lumiere du monde », le prix de la rancon de rHumanile ; son cceur, fatigue de baltre, se rajeunit dans Tetreinte de 1'Eternite toujoursjeune et de la Beaule toujours nouvelle de Dieu ; et ses levres enlon- nent le cantique touchant de laclion de graces, que TEglise recite tous les soirs pour remercier Dieu de chacun desjoursde la ledemption : « Cest mainlenant, Seigneur, que vous laissez aller votre serviteur. .. » En ce momenl, il rend Jesus a sa Mere, qu'il felicile sans doute et loue avec les paroles de rArchange et de sainte Elisahelh. Puis il devient serieux et triste, parce que, en considerant, le mystere redoutable de la predeslination et le Messie qui en est le centre et rinslrumenl, il voit que Jesus sera pour beaucoupune cause de salul, et pour beaucoup aussi une occasion de ruine ; il voit que le Sauveur deviendra le « Signe de la contradiclion » meme pour son peuple, et plus lard pour le monde enlier. Un champ immense

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de balaille se deroule devant les yeux du saint vieillard : une croix se dresse au milieu : Jesus y est altache, et Marie est deboul pres de son Fils. prenanl parl, elle aussi, au combat qui se livre. Cest pourqtioi, en quelques Jraits courls et rapides, il peint le tableau lugubre du Galvaire, devant lequel tous les homraes et tous les peuples passeront, exprimant leurs senli- raenls d'amour ou de haine, dadoration ou de mepris, el ou ils trouveront le salut ou la perdilion. Sur ces enlrefailes, la prophelesse Anne fait son apparition. Elle est courbee sous le poids de ses quatre-vingl-quatre ans, et s'appuie sur un baton ; les jeunes ont amaigri son visage, et ses yeux sont presque eleints. Elle aussi reconnait le Sauveur et sa Mere ; elle aussi publie bien liaut la presence du Messie dans le temple et proclame bienheureuse sa Mere. Ators, sa figure pale et ses trails alteres se raiiiraenl dans 1'eclat d'une nouvelle beaute, ses yeux languissants lancent, comme au temps de sa jeunesse, des eclairs de joie et damour. Cest un raoment unique et solennel, et beaucoup de passants s'arrelent pour contempler ce raagni- tique spectacle et entendre les paroles extatiques des deux Sainls, qui publient et raontrent toute limportance de cetle apparition du Seigneur dans le leraple. Le Sauveur eprouve une grande joie de la conduile de Simeon et d'Anne, el il leur donne en recorapense la grace d'une heureuse et sainte mort. Quanl it Marie et a Josepb, ils sont dans radmiration et l'etonnement en presence de celle revelation e.vlraordinaire, toute nouvelle el si nette de la personnalile et des destinees de leur Fils Jesus.

C. Uoffrande de la Purification el le rachal de Jesus. La purification desfemmes qui sont devenues meres recemraenl. se fait pres de la porte de Nicanor. Cetle porle, toute d'airain de Gorinlhe, a environ 16 melres de haut el 8 de large ; ses deux ballants, qui brillent comme de l'or, sonl si lonrds qu'il faut au moins vingt hommes pour les fermer. On a pralique deux petites portes dans celle enorme porle cocbere, et c'esl la qu'a lieu la purification des lepreux et des fenimes devenues raeres. Ges femmes se presentenl. a cet endroil, devant un pnMre qui prie et prononce sur elles une forraule de benediction ; alois seulement elles sonl admises dans le parvis des femmes. pour

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mellre dans un des troncs 1'argent du sacrifice et se rendre a la place ou elles assisteronl au sacrifice lui-meme. Cest apres le sacrifice public du matin que se font les sacrifices prives {Tagneaux ou de tourterelles. Marie accomplil toul avcc une grande simplicile et une grande piete, quoique pourlanl la repulalion de sa virginile et sa dignile de Mere de Dieu en soulfrent quelque peu. En loul elle imile la conduite du Sau- veur, servant Dieu avec abnegation el generosite.

Les premiers-nes sonl offerts a Dieu et racheles pres de la porte centrale du parvis des prelres; elle se Irouve au midi. Cest le pere qui parait dans cette ceremonie. Saint Joseph doit donc aller avec rEnfant-Jesus a gauche de la porle de Niranor ■el parcourir le chemin de ronde qui longe les terrasses inte- rieures du temple pour arriver a Pentree du parvis des prelres. Vraisemblablement, il esl alors accompagne de sainl Simeon, el tous deux font ainsi la pieuse procession que TEglise devra continuer plus tard ; cependanl ces deux sainls Personnages chanlent : « Dieu esl bon, el sa misericorde esl eternelle. Nous avons recu, 6 Dieiu ta misericorcle au milieu de ton temple. » (Ps. 117; 47, 10.) Sainl Joseph met PEnfant enlre les bras du pretre, lequel 1'eleve vers le ciel et 1'olfre a Dieu. Apres avoir recu cinq sicles de la main du pere, le prelre remet 1'enfant en prononcant une parole de benediction. Qui pourrail dire ce qui se passe dans le Gceur de Jesus, quand le pretre le presenle au Seigneur en lace du parvis des pretres, de 1'aulel des sacrifices et du Sainl? Lui-meme s'olfre alors ii Dieu avec ses senli- ments habiluels dadoralion, de reconnaissance el de devoue- ment, mais aussi avec une devotion et un amour exlraordinai- res. Jamais il n'a ele olTert de pareil sacrifice dans le lemple de Jerusalem : sa spiendeur remplit le temple, la lerre et le ciel ; et lui seul supplee a la pauvrete et a rinsulfisance de lout le culle de l'Ancienne Alliance. Mainlenanl, le second tem- ple brille de 1'eclal qui lui a ele predit, et les tiois Personnes de la Sainte Trinile y descendent ponr le sanclifier de leur pre- sence, comme aulrefois a la dedicace du temple, bali par Salomon. Desormais lous les sacrifices recoivent leur derniere perfection, et rancien Sacerdoce, entre les bras duquel le

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Messie vient d'etre eleve vers le ciel, a alteint toute la liauleur de ses destinees. Cet Enfant que le prelre a entre ses mains reviendra un jour sanctifier le sanctuaire et purifier les enfants de Levi, eomme l'or et Targent ; alors, ils seront au Seigneur et ils offriront leurs sacrifices dans lajustice; alors les victimes de Judee et de Jerusalem seront agreables au Seigneur, comme elles retaient dans les premiers lemps et dans les annees d'autrefois. (Mattii., 3, 3. 4.)

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LES ROIS MAGES

(Matth., 2, 1-12.)

I. Le cote exterieur du mystere de V Epiphanie.

Ce mystere comprend la vocation des Mages, leur fidelile a y repondre et la recompense de leur fidelile.

A. Comment les Bois Mages sonl-ils appeles? Les Rois Mages sont vraisemblablement des descendants des pretres de la Medie ou de la Perse. Ils possedent les revelations primitives el sont tres honores chez eux comme pretres, commeprinces de sang royal ou comme officiers de la couronne. Sont-ils de la Chaldee, de la Perse ou de TArabie, on ne le sait ; en tout casr ils demeurent dans un pays situe a Test de la Judee. (Matth., 2, 1.) Par les frequentes relalions que les liabilants de ces con- trees eurent avec le peuple juif, surloul pendant sa caplivite en Syrie et a Babylone, ils pouvaient avoir eu connaissance des saintes Ecrilures et des propheties des Hebreux. {Nomb., 24, 17.) De plus, les Sages de ce pays d^Orient ont eux-memes une revelation parliculiere, suivant laquelle ils devront, a 1'appari- tion d'une cerlaine etoile, aller offrir leurs hommages au Dieu qui nailra Roi des Juifs... Or, celte eloile apparail a Tepoque de la naissance du Ghrist. Get astre est-il une eloile nouvelle- ment creee, ou bien une etoile deja existante, ou bien une lumiere aerienne extraordinaire, surnaturelle? Qui peut repon- dre a ces queslions? En tout cas, la grace de Dieu agit en meme temps dans les camrs des Rois, pour leur faire comprendre qu'il y a pour eux un devoir de suivre cette etoile et d'aller offrir leurs

LES ROIS MAGLS 403

adorations a rEnfanl-Dieii. Dieu appelle ainsi les Rois cTabord conformement a leur genre de vie, puisqu'ils sont astronomes ; ensuite d'une maniere digne du Sauveur, dont la lumiere est le symbole ; eufin, leur vocation repond a lanature dela grace, qui est, suivant les theologiens, prevenante, concomitante et subse- quente... : en effet, cette triple graee a une figure parfaite dans 1'origine divine, la marclie fidele et le terrae heureux de 1'eloile des Mages...

B. Comment les Rois Mages suivent-ils Vetoile? Les Mages suivent 1'eloile avec foi. avec une generosite et une per- severance toules royales, malgre tous les sacrifices el toutes les difficultes. Ges sacrifices sont pour eux au nombre de trois prin- cipaux : Le premier est celui de 1'abandon de leur pays natal, et l'enlreprise, peut-etre dans un age avance, d'un voyage long et dangereux, seulement pour des interels deReligion... Naturel- lement parlan!, on pourrait taxer leur conduite de folie. Une seconde difficulte, un second sacrifice pour les Mages est d'aller trouver Herode pour lui demander ouest le Roi nouveau-ne. Ne connaissent-ils pas Herode au moius de reputation? Ne voient- ils pas repouvante bienlot peinte sur les figures des Juifs de Jeru- salem, et ne se rendent-ils pas compte qifils sont lombes au milieu d'une troupe d'ennemis? Si le ruse Herode n'avaitpaseu d'autres projels, c'en etait fait d'eux. Enfin la rencontre avec le nouveau Roi qifils cherchent leur reserve un troisieme sacri- fice. N'esperent-ils pas avec raison voirbienlot de leursyeux un beau et grand spectacle?... Et, en realite, que voient-ils?... Mais ils sont des hommes de foi, au coeur eprouve : ils adorenl sans hesiter 1'Enfant nouveau-ne et lui olTVent leurs presenls dans toule la simplicite de leur foi.

C. Commenf les Mages sont-ils recompenses ? « lls trouvent rEnfant-Jesus avec sa Mere » : tout est dit en ce peu de mots. Ils apprenuenl a connaitre la foi chretienne et conterr.- plenl ce qifil y adeplusbeau, deplusaimable et deplus sublime dans laReligion du Ghrist. Ils s'en retournent dans leur pays pour devenir les Docteurs. les Gonfesseurs et les Apolres de celte Religion. Ils ontete depuis les premiers princes de 1'Eglise des Gentils et de grands Saints.

DEUXrEME SEMAIXE

II. Signification et poriee du mxjstere.

Que signifie ce mystere? Pourqnoi, au milieu de robscurite et de la pauvrele de 1'enfance de Jesus, celle etoile brillanle, ce corlege princier, cel or, cet encens et ces aromates precieux? La miserable demeuredu Messie est devenue une tenteroyale et a ete Iransformee, pour ainsi dire, en une riche basilique chre- tienne. II y a la, en effet, la revelation de la Royaute du Cbrist ; ce myslere a pour but de manifester en general la Royaute du Messie elen particulier les atlribuls de cette Royaule.

A. Tout le mystere de TEpiphanie est une manifestation de la Royaute de Jesus. Les RoisMages s^enquierent du Roi nouveau-ne, pour pouvoir rendre les liommages de leur adora- lion a ce Roi, a la fois Dieu et Messie.Leurs presentsegalement revelenl la Royaule sacerdotale et divine du Sauveur. D'ailleurs, Herode ne le comprend pas autremenl : il voit dans Ie nouveau- ne un competiteur au trone, dont il faut se defaire. Enfin la sainte Eglise a toujours enlendu dans ce sens le mystere de rEpiphanie, et c'est pourquoi elle lui applique toules les pro- phelies sur la Royauledu Messie.

B. Nous avons ici encore une magnifique revelation des atlribuls de cetle Royaute.

En premier lieu, nous en voyons 1'origine. L'origine n'est pas une acquisition par violence, par acbat ou par heritage, mais u n droit permanent, inne et personnel, fonde sur la nature de rilomme-Dieu. Sa Divinite lui serl d^onclion royale. Cest le sens qu^a rinlerrogation des Rois Mages : Ubi esl qui nalus est liex Jud.vorum ?

En second lieu, Tetendue et la duree de la Royaute de Jesus- Gliristse revelent dans ce myslere. Les autres rois commencent i\ regner tard et finissenl de regner tot ; de plus, leur pouvoir est, a propremenl parler, entre les mains de leurs sujets : le Messie regne des le premier instanlde son existence ; des son berceau, il se pourvoit de vassaux et de ressources par un signe, par un mot desa bouclie ; enfin, son Regne luaura point de fin.

En troisieme lieu, nous voyons se deployer maiiitenanl loute

LES ROIS MAGES 40o

lapuissance de la Royaule du Ghrist. Elle s'etendsurtous et sur tout : il est le Maitre du monde materiel, l'or de la terre lui apparlient et les etoiles du ciel executent ses ordres; il est le Maitre des hommes, d'abord de ses ennemis, qui tremblent devanl lui el dont les projets servent a accomplir sa volonle ; il esl le Maitre de ses amis et de ses servileurs, qifil appelle comme il Fentend et qu'il rend capables de lous les sacrifices j)ar le secours de sa grace ; il est le Mailre des Juifs et des Gen- lils el de toule la race humaine.

En cjuatrirme lieu, nous contemplons les bienfaits et les benediclions de la Royaute du Messie. Gomme Mailre de tous, il appelle tout le monde, Bergers et Mages, pauvres et riches, justes et pecheurs, Juifs el Gentils. Gomme il recompense tous et chacun magnifiquement dans le temps et dans relernite ! II est Dieu el il n'a pas besoin de nos biens; il est Redempleur, il donne sa vie pour nous et il nous enrichit des tresors de sa Redemplion.

En cinquieme lieu, nous penetrons les desseins de Dieu, en entrevoyant deji les deslinees de la Royaule du Chrisl-Jesus. Les Gentils sonl appeles ; leurapparilion dans la Judee revele la presence du Messie au milieu d'Israel ; Israel renvoie les Gen- tils au Messie, mais, deson cdle, ne daigne passe rendre aupres de lui. Ainsi sont figurees la reprobalion des Juifs el la voca- tion des Gentils, 1'habilation de ceux-ci dans les tentes de Sem : le Ghrisl est le commencement, le milieu el la fin de tout. Ainsi sont accomplies les prophelies qui annoncaient le Ghrist comme la Lumiere el le Salut de la gentilile, comme le Roi et le Messie des nalions. (Is., 60 ; Ps., 71. De lous les cdles la Royaule du Ghrist est glorifiee dans son triple caraclere messia- nique, sacerdotal el divin, dans sa puissance, son elendue el sa duree. Le mystere de FEpiplianie plane, commeune nueelumi- neuse, au-dessus du pauvre berceau de Jesus : il est deja, pour ainsi dire, le nuage glorieux du Thabor couvrant Tenfance du Seigneur.

406 DEfflXIEME SEMAINE

III. Conclusions ou Fruits.

A. Le premier fruii de celte medilation consiste a nous rejouir el afelicilerle Sauveur de ce beau jour de fele, de cette inagnifique solennile, qui secelebre en son honneur. Gomme il est heureux de voir ces coeurs vraiment royaux des Mages, qui montrent si bien ce qifils sont dans Toffrande de leurs pre- sents! Marieet Joseph eprouvent, euxaussi, une grande joie des hommages rendus a leur Enfant !

B. Le second fruit a recueillir de ce myslere est la recon- naissance. II y a la un evenement qui nous touche de pres : ne celebrons-nous pas, en cetle solennite, notre propre voca- tion a la foi chretienne? Les Mages sont les premices de la Gentilite. A leursuite, lous les peuples paiens ont pris le che- min de la croix pour y rencontrer et accompagner le Messie. Nous sommes entres dans 1'heritage des Juifs, non par nos merites, mais par la grace de Jesus. Nous devons donc temoi- gner a Dieu notre gratitude pour ce bienfail, et nous devons prouver notre reconnaissance en prenanl part, suivant notre pouvoir, aux travaux de la conversion des paiens par la priere et par le sacrifice : c'est ce que demandent, d'un cole, la grande grace de la vocation au Ghrislianisme, de Tautre, le zele pour le Regne du Christ, et enfin la compassion que doivent nous inspi- rer nos malheureux freres dans le paganisme. Qu'il est profon- dement triste de voir la plus grande partie de 1'humanite encore plongee dans les tenebres de Tincredulite!

C. Le troisieme fruit de celte meditation est ramour, la generosite, Tesprit de sacrifice au service du Sauveur. Si le Christ est Roi et s'il est un Roi a la fois Pretre et Dieu, alors nousdevons le servir, comine Dieu et comme Roi,de tout notre coeuret avec tout ce que nous sommes et toutce que nous pou- vons.

REPETITION

Le myslere de 1'Epiphanie eclaire d'une magnifique lumiere lamedilation du Regne du Christ, en meme temps qifelle nous

REPETITION : LES MAGtS 407

conlirrne merveilleusement dans la resolulion de servir Nolre- Seigneur et Roi avec amour, zele, generosile et abnegation. Toul ici sent, pour ainsi dire, 1'odeur du sacrilice etnous recom- mande 1'esprit de sacrifice :

A. En premier lieu, les presents des Rois Mages nous inspireni. 1'espritde sacritice. Leurs presenls signifient lesacri- fice de la charile, le sacrifice de la priere, le sacrifice de la mor- tificalion ; ils embrassent tout notre etre, toule nolre vie, dont il convient assuremenl de faire le sacritice au service d'un Roi divin.

B. En second lieu, les Rois Mages, ces nobles person- nages, nous prechent aussi cet esprit de sacrifice. Que de sacrifices ils s'imposenta eux-memes. ou plutot quels sacrifices ne s'imposent-ils pas? Ils oflrent tout, patrie, famille, tresors, repos, inlelligence, cceur et presque leurvie. Quaurait ele ce voyage sans les sacrifices ? Pas plus que le pelerinage que des milliers de raahomelans font cbaque annee a la Mecque. Main- tenant ils sont devenus des Confesseurs, des Apolres el des Marlyrs. Et comment les Mages ofTrent-ils ces sacrifices? « Nous avons vu son etoile et nous sommes venus. » Us offrent donc leurs sacrifices sans retard, spontanement, avec generosite' el constance, avec humilite et avec une simplicite d'enfant. Et pour quels molifs ?... En tous cas, nous en avons de plus serieux et de plus puissanls. Ils n'ont pas contemple la magnifi- cence du Royaume du Gbrist, tandis que, nous. nous en voyons de nos yeux retendue el la puissance, el nous jouissons de la possession de tous les biens dece Royaume divin.

G. La Personne de Notre-Seigneur nous est elle-meme enfin un stimulant pour embrasser Fesprit de sacrifice. Ou trouvons-nous un Maitre meilleur et plus puissant que le Sau- veur? Comme il conduit les Mages avec douceur et avec force pendant leur voyage ! II les prend encore visiblement sous sa proteclion, et en presence du sanguinaire Herode, le bourreau desa femme et de ses enfanls, el a Rethleem, les prevenant de s'en retourner chez eux par un autre chemin... Quils auraient ele, par consequenl, insenses et ridicules de rebrousser chemin avec leurs chameaux, quand leloile disparul, quand ils se trou- vaient deja devant Jerusalern et devant la pauvre babitalion du

408 DEUXIEME SEMAINE

Sauveur! Avec quelle magnificence le Ghrist les a recom- penses, ici-bas et la-haut, cle leur peine et de leur conslance ! Un faible rayon de cette gloire apparait dans le culte que leur rend la sainte Eglise, dans la fele solennelle avec octave qu1elle celebre en leur honneur, dans les nombreuses images ou repre- sentations de leurs actions, dans les temples ou les aulelseriges sous leur vocabie. Ils se reposenl deja, depuis longtemps, des faligues de leurvoyage et, en retourde leur hommagesau Sau- veur nouveau-ne, ils sont devenus Tobjel de la veneration du peuple chretien... Prenons donc la resolulion de servir notre Dieu avec courage et generosile. L'esprit de sacrifice seul nous rassure dans la vocation que nous avons embrassee ; il nous y inspirede lajoie, et il couronne enfin nos efforls d'un heureux succes.

APPLIGATION DES SENS

A. Apparition de Veloile. Cest pendant une nuit d'un calme imposant qu'apparait, dans le ciel bleu fonce de la Ghal- dee, une eloile d'un eclat merveilleux. Au centre d'un village, compose de tentes, se dresse une tour en bois de construction legere. Tout esl dans le repos : les hommes et les troupeaux dorment dans leurs babitations. Un seul homme veille sur la tour; il est habille de blanc, porle un turban sur la tete, et a aulour des reins une ceinture aux coiileurs variees. II est assis au milieu de rouleaux de parchemin, couverls d'ecritures et de sigues myslerieux, el il observe le firmament, pendant que ses levres prononcent une douce priere. Nous voyons la le chef de la tribu, un adoraleur du vrai Dieu. Les ^crilures qu'il a devant lui, sont des livres sacres, les propheties et les tradilions con- cemanl le Messie a venir; ce sont les Israelites qui, dans leur captivile, les ontapportes a Babylone. Enlre lousces parchemins un surtoul est remarquable par les dessins precieux dont il esl orne : on y admire 1'echelledeJacob et une serie d'images sym- boliquesqui represenlent les principaux mysteresel evenements de 1'hisloiresainle ; la derniere de ces images est une eloile merveilleuse, 1'eloilede Jacob. Quand elle apparailra, le Messie

APPLIC. DES SENS : LES MAGES 409

viendra au raonde, el alors le chef de la tribu devra se mettre en roule pour allerlui offrir ses hommages : telle estla tradilion ou le secret de famille du Mage qni observe sur la tour de bois les astres du firraament. Pendant qifil regarde le ciel et qifil prie, voila qifa Torient se leve et s'avance au-dessus de sa l&le une eloile splendide, de premiere grandeur, d'un eclat et d'une fornie incomparables, qui cbange la nuiten un jour clairet lumineux : c'est 1'eloile predile. Sa forme speciale repond a fimage du par- cbemin; salumiereesl si belle, si agreable, el elle produit dans 1'ame du Mage un lel elTel qifil a 1'inlime conviclion de la vue actuelle du signe du grand Roi et du devoir qui lui incombe de suivre celte eloile avec fidelite et avec la plus entiereconfiance. Alors il remercie Dieu el il se decide irrevocablement a faire le voyage. Les gens de satribu voienl-ils eux aussi feloileet sont- ils animesdu meme zele?... Peul-elre que quelques-uns d'entre eux, moins inslruilsel moins croyants que leur chef, regardent son projel comme une enlreprise basardeuse et comme une extravagance. Mais le respecl el 1'affeclion qifils ont pour lui levent tous lesdoules el aplanissent loules lesdifiicultes.

Des lors, toul esl vie et aclivite dans la cile des tentes : les cbameaux, les dromadaires, les cbevaux sont prepares pour le voyage ; des hommes forts et fideles en feronl partie ; les coffres, suspendusaux monlures, sonl remplisde provisions et d'objets precieux, el on ifepargne rien pour que le saint pelerinage se fasse beureusement. Le Mage se dirige bienlot du c6le de 1'ouesl, accompagne quelque temps de sa famille et d'une depu- lation de la tribu, et la petile caravane disparail vile dans le desert, suivie de lous les soubails de benediction... Y a-t-il une revelation particuliere faile a cbaque Roi Mage de trouver cer- lainement, a un lieu determine, deux autres compagnons de voyage, ou bien les trois Mages se connaissaient ils et, apres s'elre comraunique leur revelalion, sont-ils pa>1is ensemble d'un meme endroit. personne ne peut le dire. En toutcas, ils se sonl rencontres sur la route, el ce ful avec une grande joie el un nouvel accroissement de courage. L'un d'entre eux pouvail bien venir de 1'Arabie. le second, de la Cbaldee, ei le Iroisieme, deia Perse ou de 1'Inde.

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B. Le voyage. Le desert de la Syrie s'etend uniforme- ment a perle de vue et sans fin. II n'y a du jonr qu'une faible lueur, du cote de l'orient, pour eclairer cetle iinmense plaine grise, quand se leve un astre, plus brillant et plus grand que l'eloile du matin. II ne fait pas sonascension dans leciel, comme les aulres astres ; mais il se trouve a une hauleur moyenne, s'avance et devient de plus en plus grand et lumineux. ( A moins qu'on n'adopte 1'opinion de ceux qui supposenl que Teloile n'a pas accompagne les Mages pendant tout le voyage : le contraire n'esl pas dit dans la sainte Ecriture. Mais, dapres cette der- niere opinion, il y aurait eu un second et tout nouveau miracle et sans raisou peremptoire.)

Bientot cette etoile merveilleuse rend visibles certains points obscurs, qui apparaissent peu a peu sur une meme ligne, devien- nent de plus en plus gros et distincts et se rapprochent de nous. Nous apercevons une caravane de voyageurs qui Iraverse le desert. Elle s'avance toujours davantage ; les chameaux, les dro- madaires et les chevaux dessinent parfaitement leursilhouette ; nous entendons bienlol le son argentin de leurs clochettes, et aussi une douce psalmodie qui retentil dans le profond silence du deserl : c'est la caravane des Rois Mages. Ils viennent dans un ordre admirable. Les chameaux, blancs et superbes, sont harnaches d'argent etelegamment ornes de clochettes, suspen- dues a chacun de leurs llancs ; ils portenl un beau panaehe sur leur tete et une selle a tenle sur leur clos : ce sont les montures de nos Rois. L'un des trois Mages a le leinl jaune, le second noir, et le troisieme vermeil avec une chevelure blonde et des yeux bleus : ils sontcommela representation des trois racesantiques de Sem, de Gham el de Japhet. Ghacun est suivi immedialement de ses gens. Ils n'ont pas d'armes : c'est un pelerinage qu'ils font. La pieuse caravane marche d'un bon pas, mais sans se presser. Entendez-les tous chanter leur psalmodie du matin et conside- rez-les : ils regardent constammenl, d'un ceil tranquille, 1'etoile qui est toujours au-dessus deux et dont la douce et agreable clarte les invite a la suivrefidelement... Latroupe s^arretequand la nuit vient, que la fatigue est trop grande ou qu'une oasis, arrosee et couverte de palmiers, 1'engage au repos au milieu de

APPLIC. DES SENS : LES MAGES 411

la chaleur du jour. Ghaque soir, au signal donne, les chameaux s'agenouillent, les cavaliers descendent de leur raonture, et tout un camp, forme de tenles, s'eleve comme par enchantement pour passer la nuit. Les pieux Rois font la ronde, interrogent leursgens, pourvoienta tout avec une bonte toute paternelle, et tous ensemble ils prennent le repas du soir, compose de viande •dessechee, de fromage, de gateaux, de dattes et de figues. Avant le repos, ils adressent a Dieu leurs prieres ; et 1'etoile hrillante reste la-haut, imraobile, veillant sur eux, comme un ange tute- laire, pendant quils sonl livres aux douceurs dn sommeil. G'est ainsi que sepassentregulieremenlpoureuxbeaucoupdejournees, dans le recueillement et le calme, dans la palienceella douceur, dans la foi et la confiance; enfin, ils arrivent au pays de Galaad, dont les palurages sont si riches, el les hauteurs couronnees de chenes magniliques : c'est la contree donl Herode est le roi. L'etoile conlinue a les accompagner jusqu'au-dela du Jourdain, en face de Jericho. Alors elle disparait lout a coup. Que s'en- suil-il? Les Mages s'etonnent, raais ils ne perdent pas courage : ils s^nformenl du Roi des Juifs qui vient de naitre ; on ne les comprend pas, et on les envoie a la ville de Jerusalem, qui n'est pas loin.

G. A Jerusa'em. Les Irois Rois chevauchenl donc vers Jerusalem. L'imporlance et la richesse de leur caravane font sensation, des leur entree dans la ville ; mais c'est leur interro- galion sur le nouveau Roi des Juifs qui produil un eflel extra- ordinaire dans Jerusalera. On ne setonne pas seulement, on s'effraie, et on adresse les etrangers a la cour du roi Herode. Au palais, on est emerveille de recevoir une semblable visile, mais la simple annonce du bul de leur voyage y retenlit comme un eoup de foudre. Tout s'agite. II faut prevenir maintenant Herode. Le vieux tyran, a la nouvelle de ce qui se passe, palit et tremble : il reinue comme 1'araignee donl on a louche la loile. Mais la chose est trop importante, et il est trop curieux pour negliger cette affaire. II se calme et il ordonne d'abriler lescorte des Magesdans les antiques remises du chateau de David, pendant que les Rois sont inlroduils dans son appartement. La salle oii Herode les recoit est une chambre de parade, qu'un lustre en

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oreclaire merveilleusementet qui eslremplie defodeur du bois de sanlal. Herode est age," decharne; quand il se leve ou qifil inarche, il est courbe et appuye sur son balon. Considerez-le sur son siege d'or : plie sur lui-meme, il a les yeux enfonces, le regard penelrant el mauvais ; il semble voir un ennemi en tout homme qifil rencontre. Ses vetemenls sonl soignes, 1'aitsd'ecar- late et de pourpre ; il porle sur la tete un bandeau royal enlrelace d^or. Nous avons sous les yeux le speclacle de rinnocence dela simplicite, de rhonnetele el de linlrepidile aux prises avec la malice, la deloyaute, le mensonge et la plus insigne cruaule. Le tyrao s'enquiert, avec un calme simule, de la patrie des Mages el du but de leur voyage. Geux-ci racontent ingenument leur hisloire, la maniere dontune eloile merveilleuse leur esl apparue et le long voyage qifils ont enlrepris en toule confiance pour trouver el pour adorer le Messie. Torlure par sa mauvaise con- science, Herode esl dans la plus grande perplexite. Ilrassembler la nuit, dans son palais, les scribes et les princes des prelres, pour savoir ou le Messie doit nailre : « C'esl a Belhleem », lui repondirent-ils. Herode fait, une seconde fois, comparailre devanl lui les Mages, leur indique Belhleem comme le lieu de la naissance du Messie, el leur recommande, lhypocrite et le perfide ! de se renseigner exaclement sur 1'Enfant-Roi, nou- veau-ne, et de Ten averlir, « afin, dit-il, d'aller moi-meme fado- rer avec toute ma cour ». Vraisemblablemenl, les Mages recoi- vent de la part d'Herode des habits royaux magnifiques ; et le ruse tyran les laisse partir, sur desormais de la reussite de son infame projel. Ne soupconnant rien el enchantes des paroles qifils viennenl d^enlendre, les Rois reprennent leur roule celle nuit meme. A peine ont-ils quilte le palais ou plulol fantre d'Herode pour se diriger vers Belhleem, que tout a coup ils apercoivent de nouveau leur chere Eloile au-dessus de leurs tetes : on dirait qifelle les a attendusa la porte, comme un con- ducteur fidele. Qui pourrait decrire leur joie? Mainlenant et Dieu etles hommes leur onl donne 1'assuiance delre bientot au terme de leur voyage.

D. A Bethleem. Les Mages ne perdent plus de vue fetoile. Gelle-ci seinble briller d'un nouvel eclal et avancer plus

APPLIC. DES SENS .' LES MAGES 413

vile ; arrivee au-dessus de la colline, en face de Belhleem, elle parcourten ligne droite 1'espace qui separe deux poinls oppo- ses etvienl s'arreler, a l'est, stir la crete de la nionlagne ou se Irouve une des parties de la ville : elle s'arrele precisement au-dessus de la grotlebeniede Belhleem. Comme si elle voulait, de ses doigts lumineux, designer cet endroit, 1'eloileprojelte des rayons plus brillants sur 1'entree de la grolle, scintille d'nne facon si agreable et avec uneclalsi extraordinaireque lesMages comprennent lout de suile qu'ils sont a 1'heureux lerme de leur voyage. Ils traversent rapidement la vallee, s'engagent dans les ruelles de la pelite ville endormie et parviennent a la colline ou est creusee la grotte : leur camp y esl bientot elabli. Les Bois ne sont probablemenl pas surpris du silence et de la solilude de ce lieu el de n'y rencontrer aucun signe de la puissance et de la grandeur bumaines. Ils peuvent bien, en effet, avoir snr le Mes- sie des idees plus jusles que beaucoup de Jnifs, et 1'obscurile de sa naissance ne fait que les confirmer dans la pensee qu'ils trouveraient un Enfaut, prive du fasle exlerieur des rois. Leur esprit est juste et leur coeur esl vraimenl royal; aussi n'onl-ils aucune estime pour les pompes vaines du monde... Sans doule, Marie el Josepb s'allendent deja a les recevoir. Les Mages envoient donc a la porte de la crecbe leurs liommes les plus distingues pour savoir si le Boi des Juifs, nouveau-ne, esl dans ce lieu et s'ils peuvent lui offrir leurs bommages. Saiut Josepb ouvre la porle et demande a ces liommes ce qu'ils dtisirent. Des qu'il en est informe, il les prie d'allendre un inslant pour pouvoir avertir la Mere cle Dieu. Marie prend, avec calme et tendresse, rEnfant Jesus dans ses bras et s'apprele a recevoir la visile desiree. Saint Joseph se rend avec les bommes aupres des Bois Mages, s'incline profondement devant ceux-ci et les invite a venir avec lui. Les Mages ont revetu les habits de ceremoiiie que leur a donnes Herode ; ils font deballer elporler a leur suile par leurs serviteurs les presenls precieux de letir pays. Alors le cortege royal se mel en marcbe : c'esl comme une procession magnilique et majeslueuse qtii se dirige du cole de la grolle de la Nalivite. Marie esl voilee et assise ; elle a enlre ses bras l'Enfant divin. Lorsque les Mages enlrenl, elle se leve, s'incline

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aimablementet leur presente son Fils. Les Rois regardent Jesus- avec respect et bonheur, et manifestent le desir de 1'adorer. La sainte Mere de Dieu sassied de nouveau et lienl son Enfant debout sur ses genoux. Les serviteurs des Mages etendent alors devant Jesus et Marie un splendide tapis, oii ils placent les pre- sents de leurs Maitres, des coffres precieux et des vases d'or. Les Rois Mages s'agenouillenl en formant le cercle autour de la sainle Famille, et, avec toute rhumilite, la veneration, la foi, la joie el la charite de leur cceur, ils offrent a l'Enfant-Dieu leurs personues, leurs peuples et tout cequi leur appartient...Qui sait ce qu'ils ont eprouve et ressenti en ce moment?... Ensuite, ils prennent eux-memes les dons qu'ils ont apportes, et les presen- lent aTEnfant et a la Mere. Jesus est toujoursdeboul, enveloppe de langes rouges el blancs jusqu'au-dessous de ses petits bras, mais ayant les mains libres et joinles comme s'il voulait benir. II regarde les Mages de ses yeux clairs et transparents, avec une intelligence et une bonle incomparables, pensant en meme temps a lout le reste de la genlilite, dont les Rois sont les pre- mices. II regarde aussi leurs presents et surtout la myrrhe, qi i se trouve dans une cassolelte d'or. II comprend tout et recom- pense tout en accordant une infinile de graces ; chacun des Rois recoit un temoignage parliculier de sabonle divine. Vraisembla- blement, la Mere de Dieu leur fait baiser la pelile main de son Fils, et peut-elre m£rne le depose-t-elle entre leurs bras. A la suile des Rois, leurs servileurs sont admis egalement a offrir leurs devoirs k 1'Enfant Jesus,et celui-ci ne se montre pas moins aimable envers eux qu'envers leurs Mailres.

Quand celte ceremonie touchanle est lerminee, les Rois s'assoienl pour s'entretenir avec la sainle Famille. Alors la Mere de Dieu ecarte un peu le voile qui couvre sa t£te, et les Mages peuvenl apercevoir son visage si beau et si doux ; ce speclacle les touche profondement. Ils s'informenl discretement des circonstances de la venue du Seigneur; et Marie, sans la moindre crainte, repond a toutes leurs demandes avec bienveil- lance, tranquillite, dignite, humilite, et aussi avec une grande prudence ; son esprit est eclaire, eleve, ses manieres sontnobles el distinguees. Cest la premiere fois que TEglise des Gentils

APPLIC. DES SENS : I ES MAGES 415

reeoit rinstruction chretienne ; c'est par Marie que les Rois Mages deviennent Chieliens, elc'esl graceaelle qu'ils emportenl avec eux la foi chrelienne dans leur pays. Leur conversalion dure toule cette journee ; ils se succedent les uns aux aulres pres de la creche du Messie et, le soir arrive, peut-etre que saint Joseph les invite a partager uh modeste repas, dont les presents des Bergers font lous les frais. Ge nest qu'assez tard que les Mages prennenl conge de la sainle Famille, parce qu'ils veulenl, apres s'(Mre reposes un peu dans leurs tentes, parlir celte nuit meme. Les adieux sonttout a fail emouvants. Les Rois pleurenl, pendant qu'ils se recommandent eux et leurs peuples a la Mere de Dieu et qu'ils la prienl de les rappeler plus tard ala memoire de son Fils; ensuite. ils invitent Marie a venir un jour les voir, 1'assuranl que tout chezeux serait a elle et a son Fils ; et enfin ils lui demandent uu petit souvenir. La tres sainte et honne Yierge leur donneson voile, qu'ils se partagent a linstant entie eux. Ils adorent encore une fois 1'Enfant Jesus, le pressent contre leur coeur et seloignent tout emus et toulreconnaissants. Pendant la nuit, un Ange les averlit dans un songe de ne pas s'en retourner par Jerusalera, raais par la voie du raidi. Tandis qu'ils s'eloignent, la creche esttoujours enveloppee de silence et d'obscurite ; souveul ils regardent en arriere, dece cole, comme si 1'Eloile continuait de briller au-dessus de ce lieu de benedic- lion. Par ce qu'ils ont vu de leurs yeux et par ce que leur ame a ressenti, ils se croient recompenses, au-dela de toute raesure, des faligues et des epreuves de leur voyage : le bul de leur exisr- tence est desormais alteint.

HERODE ET LES INNOCENTS

(Matth.. 2. 16-18.)

I. Herode.

Nous avons dans Herodeun exemple inslruclif, qui monire ce que sont les passions. Get exemple renferme deux lecons : la premiere nous apprend que les passions sont des mauvaises conseilleres ; et la seconde, qifelles sontdes aides puissanles.

A. Les passions sont de mauvaisesconseilleres, parceque, d'abord, elles sonl aveugles ou voienl mal. Les passions dere- glees ne considerent que le hien parliculier, non le bien general, et dans le bien particulier elles ne voienlque le cole lemporel et sensuel. C'esl pourquoi elles nous Irompenl dans le choix des biens d'ordre plus eleve que nous devrions faire, ou eneore elles nous effraient la oii il n' y a rien a craindre, ou enfin elles nous rassurent quand nous devrions tout redouler.

Ensuile, les mauvaises passions, en nons conseillanl mal, nous causent du dommage et nous rendenl malheureux. Elles nous rendent malheureux, surloiit en troublanl nolre repos el notre paix : nous le voyons dans Herode, qui elail domine par la plus lerrible des passions, par 1'ambilion, et qui redoulait sans cesse de perdre son Irone. A la nouvelle de la naissance d'un nouveau Roi des Juifs, il esl dans 1'angoisse el saisi de frayeur. A quoi lui auront servi lous ses efforts pour fonder sa dynaslie et tous les crimes qifil a commis pour la consolider? En verile, il s^epouvante sans raison serieuse. Le Glirist ne prelend pas a un trune lerreslre : Non eripit morlalia, qui

HERODE ET LES INNOCENTS 11 7

regna dat coeleslia. Nousconstatons precisementiclla politique des passions dereglees. De plus, ces passions nous rendent malheureux, parce qu'elles nous conduisent au peche et au crime, comme elles y conduisirent Herode. Elles firentde ce roi un homme deloyal et un hypocrite. Malgre son inquietude, sa haine el son impiete, il feint le calme, 1'amitie et la piele : il veut se rendre, avec sa cour, aupres du nonveau Roi, afin de 1'adorer. Enfin, quand Herode est decu dans ses esperances, les passions font de lui un lyran infame et sanguinaire. II frappe un coup' qui coule la vie a qualre vingl-dix ou cent vingt pelits enfants. Et quel est le resullal de toute celte conduite?Un resultal absolument nul, au moins pour le but quil veut atleindre. Herode veut aneanlir le Ghrist et jusqu'a son souvenir. II le fait connailre en inlerrogeant le Sanhedrin et en ordonnanl le massacre horrible des Innocents, qui ne doil plus jamais setTa- cer de la memoire du peuple. Le Christ lui-meme echappe a la mort, tandis qullerode, quelques mois apres, meurt des suiles d'une maladie abominable. Quel fruit a-t-il donc retire de son crime?

B. Les passions sont des aides puissantes. Nous en avons de nouveau une preuve dans Herode. Avec quelle ruse il calcule loul, et la oii la ruse ne suffit pas, il veut employer la force el mgme la violence ! Les passions ne reculent devant rien. Telle cst la lecon que nous donnenl les passions.

II. Les Innocenls.

Les pelits Innocents sonl, naltirellement parlant, tres dignes de compassion, mais, au point de vue surnalurel, tres dignes d'envie. Pouren elre convaincus, nous n'avons qu'a considerer :

A. PremvTemeiU, ce qu'ils seraienl devenus, si Herode ne les avail pas fait egorger. Vraisemblablement, ils auraienl ete des hommes ordinaires, des ouvriers, des bergers. tout au plus des employes dHerode ou des Romains, ou peut-elre encore des hommes mauvais,des ennemis et des meurtriers du Messie. En tout cas, ils n'auryienl jamais merile une couronne.

B. Deuxiemement, ce qu'ils sont devenus. Us sonl devenus

418 DEUXIEME SEMAINE

des Saints el des Saints puissants, qui ont un pouvoir special pour nous assister a 1'heure de la mort. De plus, les [nno- cents sonl des ames pures, qui jouissent au ciel de tous les pri- vileges de la virginite : 1'Eglise ne leur applique-t-elle pas les paroles de la vision de saint Jean dans V Apocaly pse (A poc . , 14, 1-6)? Enfln, ils sont devenus des martyrs, que nous hono- rons comme tels, parce qifilsont donne leur vie pour le Glirisl ; meme la sainte Eglise celebre leur fete dans le deuil, avec une Irislesse touchante, au milieu des joies de la Nativite du Sau- veur. Ges innocentes viclimes avaient ele d'ailleurs, au moins indireclement, Tobjet d'une proplnMie particuliere. Jeremie fait pleurer Rachel, la souched'Israel, sur la captivite de son peuple a Babylone et enfin sur sa reprobation definitive, laquelle esl une suite de la haine qu'il porte au Messie. Or, cette haine com- mence precisement avec la persecution cfHerode, avec le mas- sacre des Innocents (Jer , 31, 15; Matth., 2, 17. 18); et FEglise, pour les pleurer, emprunte les paroles memes des lamentations de Rachel.

G. Gomment les sainls Innocents sont-ils parvenus a leur bonheur incomparable ? D'abord, ils y sont arrives tres lot : Lucis ipsn in limine. Ensuite,tres vite, en un inslant etsans douleur, au moins sans avoir conscience de leur douleur. Ils ferment alors leurs yeux au monde et aux choses du monde, pour les ouvrir au ciel, a tout jamais. Heureux enfanls ! Et qui les a rendus si heureux ?

III. Le Sauveur.

Toute 1'obscurite el toiites lesombres de ce mystere se dissi- pent devanl le Sauveur. dont la sagesse, Ja puissance el la bonte se manifestent avec tant d'eclal dans les saints Innocenls.

A. La sagesse du Sauveur se montre dans les cris de frayeur et de detresse des Innocents : car ils sont des figures de la mortilicalion el de la passion du Messie, en m6me temps que des propheties vivanles de ses destinees el des destinees de tout Ghretien. Meme l'innocence doit souffiir el faire penileuce : le Ghrist lui aussi sera immole plus tard comme victime de nos

hSrode et les innocents 419

peches. Les langes de sa creche appellent deja les bandelettes de son lombeau, et il y a, certes, plus qu'une vision ou une representation du Calvaire dans 1'etable de Bethleem : la Pas- sion de Jesus, comme 1'air et la lumiere, enveloppe lous ceux qui 1'approcbent.

B. La puissance du Sauveur se revele en ce quil peut cbanger tout en un instant, pour ainsi dire, en un seul tour de main. Le malbeur et la mort et la ruine deviennent, a son con- tact,salut, vie, joie el surabondance de joie. Le Messie triompbe par les coups de ses ennemis et par la mort des Innocents. Les cris de detresse de ceux-ci sont la voix qui annonce sa venue a "Israel.

C. Enfin. la bonte de Jesus apparail bien dans cemystere. Nous y voyons comment il recompense. Gomme il nous rend aimables et cbers les petits Innocenls : ne sont-ils pas ses com- palriotes, ses Apolres, ses Evangelisles, et meme ses rempla- canls dans la mort? Nous leur sommes en quelque sorte rede- vables de tout ce qu'a 1'ail le Sauveur pour nous pendant les Irenle-trois annees de sa vie. Cest a cause de leurs relations touchantes avec le Messie que la sainte Eglise celebre leur lete d'une maniere si solennelle, et que nous-memes nous ne pou- vons les oublier en parlant de Belbleem. D^ailleurs, ils furent aimes et cberis de Marie, et cerles ils avaient assez de titres pour cela. L'Eglise exprime tres bien toutes ces pensees et tous ces senliments dans la petite hymne de loffice des saints Inno- cents : Salvete, flores marlyrum...

LA FUITE EN EGYPTE

(Matth., 2, 13-lo, 19-23.)

I. Les occasions de la fuile.

Les causes ou les occasions de la fuite en Egyple sonl au nombre de deux :

A. La premiere est la passion brulale cTHerode, qui pousse les cboses a 1'extrerae et rend necessaire l'inlervention immc- diate de Dieu.

B. La seconde cause de la fuile en Egypte est 1'ordre de Dieu el ia disposition de sa Providence : Dieu veut celte fuite, et un Ange est charge de manifesler la volonte de Dieu a sainl Joseph dans un songe prophetique. Ce decret divin a plu- sieurs motifs :

D'abord, c'est la conduite ordinaire de Dieu de respecter la liberle de ses crealures dans leurs actions et de n'intervenir surnaturellement que dans les cas de necessite. Aussi Dieu laisse-t-il faire Herode ; il ordonne seulement a un Anged'aver- tir saint Joseph des projels de ce roi, et de lui indiquer le moyen de sauver 1'Enfant Jesus, en partant pour 1'Egypte ; quant a 1 execution de son ordre, Dieu en abandonne lout le soin a Joseph et a Marie. Ensuite, le choix de 1'Egypte, comme lieu de refuge, est tout naturel : 1'Egypte n'est pas loin, il suffit de quaranle heures pour aller de Belhleem en Egypte ; d'ailleurs, comme province romaine, elle offre a la sainle Famille une en- tiere securite. Deja plusieurs fois 1'Egyple a ete le refuge des Juifs persecules, en particulier sous les Plolemees. II ya

LA FIITE EX EGYPTE 421

aussi des raisons mysliques de la fuite en Egyple, a cause des relations qui exislenl entre ce pays, le Messie el le peuple de Dieu. N'est-ce pas en Egypte qiflsrael devient un veritable et grand peuple et se forme au travail, a rinduslrie et a la souf- france? N'esl:ce pas en Egyple que Dieu 1'appelle pour la pre- miere fois « son premier-ne » {Exod , 4, 22 ; Os., 11, 1) ; qu'il 1'acquiert par herilage speeial en le sauvant, et qu'il inslilue le sacrifice de 1'agueau pascal, qui esl la principale figure du Mes- sie ? Maintenant, c'est le veritable « Premier-Ne », c'esl le veri- table « Agneau pascal » qui prend la fuite en Egypte; el il doil, en effet, dans le meme pays d'exil el de la meine maniere que son peuple, apprendre a parler la langue de la contree, et faire son apprentissage de travaux el de souffrances. Ge rapproche- ment ou celle reunion, dans le meme lieu, de la figure et de la realile, repond lout a fait a la sage disposition de la Providence divine. De celle facon egalemenl devail s'accomplir la promesse de benedicliou que Dieu avail faite autrefois (Is., 19,19; Deul., 23, 7) et qui avail commence a se realiser par la Iransmigralion desjuifsen Egyple (II Mncch., 1, 1), la traducliou des Livres saints el la constructioii du temple d'lleliopolis. On rapporte qua 1'arrivee du Sauveur en Egyple les idoles de ce pays. spe- cialemenl celle du dieu Soleil, fiirenl renversees dans la ville d'Heliopolis. Peut-etre encore que la fuile du Messie en Egyple fut, dans les vues de la Providence, le principe de la propaga- lion merveilleuse de la foi el surlout de la surabondance de vie religieuse qui devaient plus tard rendre ce pays si celebre el si venerable.

II. I^ordre de la fuile en Egypte et son execution.

A. L'ordre divin de fuir en Egyple esl pour saint Joseph el la sainle Famille une tres penible et Ires rude epreuve. Gon- siderons, en effet, les quelques paroles adressees par 1'Ange a Joseph : « Leve-loi ! » Gombien de traverses saiul Josepli n'a-t-il pas dejii eprouvees? Depuis que Jesus est avec lui, ne doit-il donc plus avoir de repos? « Prends 1'Enfanl et sa Mere » ; fuir seul est loujours desagreable et meme penible, mais fuir k

122 DEUXIEME SEMAINE

deux et a trois, et dans de semblables rirconstances ! a Fuis en Egyple » : donc, c'est 1'exil ! Or, Texil esl loujours dnr. Quand inrme 1'Egypte serait un pays ami, ce n'est pas le pays natal. « Reste la, jusqifa ce que je favertisse » : celte incertilude de Tavenir est assurement une nouvelle circonstance aggravante. « Herode cherche 1'Enfant pour le tuer » : Dieu a su proteger son peiiple contre Pharaon et contre Sennacherib, et maintenanl ce n'est que par la fuite quril sauve son Fils de la fureur cFun scelerat! En deux mots, Tordre divin de la fuite en Egypte esl, nalurellement parlant, Ires dur et tresdesagreable.

B. Gomment sainl Josepli et la sainte Famille execulenl- ils cet ordre ? « Joseph se leve, prend TEnfanl et sa Mere et s'enfuit en Egypte. » Par consequenl, la sainte Famille accorc- plil la volonle de Dieu sans tarder, avec une grande humilite, ne se perrnetlant pas la moindre observation, el pourtant elle peut en faire de jusles et de raisonnables ; de plus, elle supporte tout avec une grande conslance aussi bien pendant le voyage que pendantle sejour en Egypte. Le voyage dure huit a dix jours : il se fail ou bien par llebron en traversant le pelil desert de TArabie, ou bien par Hebron, Eleutheropolis et Gaza, ou bien encore, suivant une ancienne tradilion, par Joppe en longeant la cote mediterraneenne. Dieu a opere, en faveur des Hebreux dans le desert, les miracles de la colonne des nuees, de la manne et de la boisson merveilleuse qui sortait du rocher ; danslafuite en Egypte, il ne fait rien de semblable. Les desagrements ne sont pas epargnes a la sainle Famille pendant le voyage ; elle ressent vivement aussi les elTets penibles et inevitables de 1'exil en Egypte ; mais elle supporte lout avec courage.

G. Quels sont les motifs qui determinent la sainte Famille a supporter si genereusemenl celte dure epreuve ? G'esl d'abord, avant lout, la volonte ou 1'oidre de Dieu : Dieu a parle, Dieu a ses desseins, et sa Providence est Sagesse, Puissance et Bonte. Ensuite, c'est ramour pour le divin Sauveur. Sa vie est en danger : que ne feraient pas Joseph et Marie et que ne soulfriraient-ils pas encore pour lui sauver la vie? Enlin, c^esl Texemple meme de Jesus qui leur apprend lhumilite, la resignation et la patience dans toules les tribulalions.

LA 1TITE EX EGYPTE 423

III. Sens et portee du Mijslere.

A. En general, le mystere cle la fuile en Egypte est une de ■ces epreuves et un de ces eoups providenliels, auxquels les hommes, et surtout les jusies, sont exposes pendant leur vie. Notts avons dans la sainte Famille Lexemple de la resignation, de la patience et de lafermele dans toutesles epreuves envoyees par la divine Providence. L/epreuve est grande, mais elle passe, comme tout ce qui est lemporel, et le bon Dieu est toujours la, pres de nous, avec son secours et sa consolation. Aux jours d^aftliction succedent des jours de joie ; apres la tempete vien- nent les jours calines el sereins.

B. En parliculier, ce mystere est la premiere persecution du Sauveur. Cesl la premiere fois qu'il a aftaire avec les repre- senlants de Tautorite publique el de la funesle polilique du monde ; cette rencontre n'a rien d'amical, et desormais leurs rapports auronl toujours le meme caractere d'hostilite mani- feste. La haine du Clirisl passera du pere aux fils et, apres, aux heriliers de leur pouvoir, aux Romains. II est a remarquer que le motif de celte premiere persecution est deja la royaute judaique de Jesus. II est aussi inslruclif de considerer, eu pas- sant, comme la divine Providence se joue des Elals : l'Eg\ "pte, qui aulrefois a reduil en servitude et persecute les Juifs, devient, dans la suite des temps, 1'asile et la consolation d'Israel etentin la demeure et le refuge assure du Messie. Le Sauveur veut elre persecute el hai morlellement, des ses plus lendres annees, et nous donner 1'exemple de la palience et de 1'humilite dans 1'adversile et la perseculion. Cest sans doute une grande humi- lite de sa part d'etre oblige, lui, le Createur, de se retirer el de fuir devant sa crealure. Dieu respecle la liberte de sescreatures et leur laisse bien le champ libre pour agir, mais elles ne chan- gent pas ses desseins : les desseins de la Providence divine embrassenl toute laclivile des etres libres, et, finaleraent, le profit de cetle aclivile est pour Dieu seul. Marie et Joseph sont aussi enveloppes dans la perseculion contre Jesus. Pai la, ils perfectionnenl leurs verlus et augmenlent leurs meriles, en

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meme temps qu'ils acquierent le droit a notre veneration et a notre reconnaissance : ils nous gardent el nous sauvent notre Sauveur.

REPETITION

Nous pouvons encore glaner quelques epis et recueillir qoel- ques fruits spirituels, en parcouranl une seconde fois le mystere du sejour de la sainle Famille en Egypte et de son relour dans le pays dlsrael.

I. Sejour en Egypte.

A. On ne sait pas au juste le temps que la sainte Famil!e est restee en Egyple : les uns disent qu'elle n'y est reslee que quelques mois, tandis que d'autres opinent pour un sejour de six annees. En tout cas, la fuile en Egypte a dii avoir lieu aussitot le depart des Mages ; et le retour de Texil a pu s'effectuer dans le courant de Tannee qui suivit la mort d'Herode, apres que ses deux fils, Archelaiis et Herode Antipas, lui eurent succede, le premier en Judee et le second en Galilee.

B. D'apres la tradilion, c'est dans le voisinage d'Helio- polis, non loin de 1'ancienne Memphis et des grandes Pyramides, que la sainte Famille etahlit son sejour.

C. En Egyple, la sainte Famille mene une vie d'exiles, une vie remplie dMncommodites, mais aussi de saintes joies. Sa vie est alors une vie de pauvrete et de privations, et par conse- qtient une vie de travail opinialre : Marie et Joseph ne doivenl- ils pas gagner leur pain du travail de leurs mains? Ilsontencore a essuyer heaucoup dautres desagrements : ils sont en exil et dans un pays paien ; ils voient s'etaler sous leurs yeux les cere- monies d'un culte degenere et impur, car Heliopolis est le centre du culte du Soleil et la demeure preferee des pretres de celle religion. Si la sainte Famille a a souffrir en Egypte, elle y eprouve aussi de hien douces joies et de grandes consola- tions. Elle travaille dans la paix et la confiance en Dieu ; elle supporte les desagrements de 1'exil sans regrels trop sensibles

REPETlTiON : FHITE EX EGYPTE 425

cle-la patrie absente, sans plaintes et sans desirs impatients de quoi que ee soit. II y a alors en Egypte et presque partout des colonies juives; et merae, a Heliopolis, les Hebreux ont, depuis ud siecle et demi, bali un temple magnifique, dontlesceremonies pompeuses peuvenl elre comparees a celles du temple de Jeru- salem. Sans doute la sainte Famille fait la connaissance de mainles familles juives el aussi de quelques bonnes familles paiennes. Dieu accorde a Marie et a Joseph beaucoup de conso- lations inlerieures, et ils trouvent dans le Sauveur une source perpeluelle de bonbeur domestique. Si le sejour en Egyple a ele de plusieurs annees, c'est en exil, par consequent, que Jesus a prononce ses premieres paroles, qu'il a fait ses premiers pas, qu'il a porle sa premiere petite robe et qu'il a rendu ses pre- miers pelits services a Joseph el i\ Marie : n'etaient-ce pas la pour ses parenls des joies de famille inlimes et d'unedouceur ineffable ?

II. Le Retour.

A. Enfin le jour vienl oii 1'Ange apparail de nouveau pour dire a sainl Josepli que, tous les ennemis morlels de l'Enfant Jesus elanl morts, il doil retourner en Jsrael. En etTet, pendant qu'Archelaiis est a Rome afiu d'y oblenir la contirmalion de sa royaute, les Juifs se sont revolles conlre sa domination et, dans- ce soulevement, beaucoup de parlisansdu vieil Herodeont peri ; il esl aussi vraisemblable que parmi ces victimes se trouvent bon nombre de ceux qui lui ont conseille le meurlre des Inno- cenls. Dieu pense aux siens et, avec le temps el la patience, 1'Eglise triomphe de tous ses ennemis.

B. Gomment la sainte Famille accueille-t-elle ce message? Sans doule avec une grande joie, mais avec une joie humble et moderee : une autre joie deplairait aux yeux de Ia divine Pro- vidence.

G. Apres les adieux de la sainte Famille aux personnes amies, le relour s'eflectue le long de la mer, par Joppe, Cesaree, en tournanl le Garmel, 011. d'apres une aulre tradition, en le fran- chissant, pourparvenir enfni aNazareth de Galilee. Ilparailquele premier dessin de sainl Joseph avail ete de se fixer a Bethleem,

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mais, ayant appris qu'Archelaus elait reconnu roi de la Judee par les Romains, il resolut, dans rioleret de rEnfant-Dieu, d'aller habiler Nazareth, et 1'Ange vint encore confirmer cette decisiou. Cest ainsi que sont accomplies les propheties de Daniel, d'Isaie, etc... qui ont designe le Messie sous lesnoms de « Separe, Consacre, ou encore de Bourgeon, de Rejeton et de Fleur » (Dan., 9, 24 ; Is., 4, 2 ; Jer., 23, 5 ; Zach., 3, 8 : N&- zaretli esl desormais la patrie du Sauveur.

III. Applications pratiques.

A. On rencontre des difficultes a pratiquer la conformite a la volonte de Dieu dans les epreuves, comme d'ailleurs a pra- tiquertoute autre vertu. Nous devons donc, avanttout, avoirsans cesse la volonte ferme de ne jamais nous soustraire ala conduile de la divine Providence.

B. Et la raison en est qu'agir aulrement, c'est agir par passion ; et nous avons, a cause de cela, toujours a craindre de nous repentir un jour de notre infidelite et de nous exposer a des difficulles ou a des dangers beaucoup plus grands. Cest pourquoi il ne sert a rien de dire que 1'epreuve nous fait com- meltre beaucoup d'infidelites. Mais ou donc ne faisons-nous pas de peches. La faute en est non pas au lieu ou aux circonstances oii nous sommes, mais a nous-memes. II ne sert pas davan- lage d'ajouter que dans la peine nous ne pouvons pas prier : nous pouvons alors au moins obeir, et nous avons ainsi plus de merile. Mais, dites-vous enfm, nous ne faisons rien de bien : qu'en savez-vous? Qu'a fait le Sauveur lui-meme en Egypte? Nous pouvons au moins souffrir, et ainsi acquitler la delte de notre purgaloire.

APPLIGATION DES SENS

A. Fuite en Eyyple. Vraisemblablement, sainl Joseph, apres la presentation de Jesus au temple, fait une courte visite a Xazareth et ensuile s'etablit avec sa famille a Bethleem. Les

APPLIC. DES SENS : FUITE EN EGYPTE 427

Mages viennent de qnitler la grotle de la Nativite. II fait nuit et sainl Joseph dort d'un somraeii paisible. Alors un Angelui appa- vail dans un songe prophelique et lui ordonne de fuir en Egyple avec TEnfant et sa mere. Le raessage est imporlant et pressant. Neanmoins 1'Ange se comporte avec calme et dignite, etil n'ou- blie pas de saluer Joseph du titre de sa charge. Ge dernier recoit la comraunication celeste tranquilleinent, mais aussi avec em- pressement. II se leve aussilot et en avertit la Mere de Dieu. Marie et Joseph se delerminent sur-le-champ a fuir, malgre robscurite de la nuit. Ce qui les preoceupe, c'est la pensee de 1'Enfant-Dieu, qui. a peine ne, est ainsi persecute et doit prendre le chemin de 1'exil, pour echapper alamort. Marie eveille Jesus en pleurant et, navree de douleur, elle le prend dans ses brasel riiabille pour le voyage. Remplie de confiance en Dieu, lasainte Famille rassemble quelques effets indispensables. Joseph en por- tera une parlie ; 1'outre, Feau et le pain sont charges sur le dos de lane. La sainte Famille quilte donc la chere cile de Belh- leem au milieu de la nuit el prend, au sud, la route d'Hebioii. Peut-elre qu'en ce moraent la lune eclaire les rues et les raaisons silencieuses de la petite ville ; les autres hommes dorment en paix sous leur loil, pendant que Jesus, Marie et Joseph doivent fuir a 1'elranger. Ils ne montrent alors ni de la lenteur ni du depit ni trop de hale par crainte d^Herode, mais unedouce secu- rite el une tranquille confiance en Dieu.

II y a six a sept lieues de Bethleem a Hebron. Le cherain qui y conduit traverse les montagnes de la Judee, toules entie- rement planlees de chenes rouvres el de caroubiers. A quelque distance d'Hebron on venerait autrefois, pres d'une cilerne, uu petit editice dans lequel la sainte Famille a du se reposer. Hebron est le lieu de la sepulture d'Abraham, dlsaac, de Jacob et de Joseph, et se trouve dans une vallee magnifique et ferlile, couverle de vignes et darbres fruiliers. Une des parlies de celle vallee s'appelle la vallee de Mambre, qui est celebre. Ginqa six lieues plus loin, du cote du desert, l'on voil Bersabee et, surle bord de la mer, Geraris, et entre ces deux localiles setendent les paturages qu'Abrabam, Isaacel Jacob onlparcou- rus avecleurs troupeaux. Tels sont les pays aimesparlesquels la

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sainle Famille passe, si elle fail son voyage par Hebron (ou Eleulheropolis), pour gagner Gaza ; elle allonge ainsi sa roule de dix lieues. De Gaza un chemin sablonneux, Ires large, eonduit en Egyple, en suivant le bord de la mer. On renconlre desor- maisdetemps en temps un village, enloure de planlations de palmiers el d'oliviers. Le peu de verdure qifon apercoit tout d'abord, disparail de plus en plus, el, ii parlir du « ruis- seau d'Egyple », commence une plaine Irisle et sauvage, qui se lermine au Nil el dont la Iraversee ne dure pas moins de neuf jours. Cesi, deja le petil desert d'Arabiequi s'etend de Gaza au Caire el, dans 1'inlerieur des terres, jusqu'a 1'isllimede Suez. Le sable de ce deserl vient de la Medilerraneeet eslcharrie du cole des Monls Arabiques ; des lignes de dunes, blancb.es etdenudees comme des teles de morl, divisent en divers sens cette surface sablonneuse donl leslimiles se perdenl a riiorizon. II n'y a un peu d'humidile, au pied de ces collines, que pendanl la saison des pluies : on voil ca el la quelques groupes de palmiers, qui s'elevenl comme desgrandes touffesde plumes noires, au milieu de cetle vasle plaine.

Pendant ce voyage de centcinquante lieues environ, la sainle Famille supporle beaucoup d'incommodites : elle a faim, elle a soif, elle a chaud, et surlout elle est faliguee ; Marie et Joseph doivent porler rEnfant-Jesus, et celui-ci est ballolle toute la journee, dans la meme posilion, el souffrant des bandes et des cnrdons qui lui serrenl lecorps. Gombien de fois, au milieu de la chaleur du jour el au crepuscule, quand la lune se leve, ils ont cherche un lieu de repos dans un enfoncemenl, creuse sur le versant d'une haule colline de sable ! Toul pres d'eux se trouve une source, entouree d'acacias aux feuilles garnies de plumes ; sur un rare gazon rampent les planles du desert, aux tiges pul- peuses et pleines d'epines ; il y a aussi, de place en place, quelques arbrisseaux rabougris, et des brins d'herbes,deja desseches, qui separentde tous coles celle petiteoasis de la plainesablonneuse, jaunalre,quiressemble a une immensepeau de lion,etenduedans le deserl. C'est la que la sainte Famille s'arrele pour se remettre des faligues de la journee. Marie et Joseph ont alors le visage en feu et lout couvert de sueur. Ils iachent de reparer leurs

APPLIC. DES SENS : FUITE EN EGVPTE 429

forces en prenant une parlde leurs modestes provisions. Pen- dant ce lemps, 1'Enfant-Jesus dort au milieu d'eux, et leur ane -cherche sa pature ici el la dans toule 1'etendue de 1'oasis. Apres leur repas, ils s'endorment a 1'endroit ou ils sont ou dans le coin d'un miserable reduit,que les Arabesappellent khan. Ilsnesont pas, dans 1'exces de leur lassilude, chagrinseldecourages comme Agar, qui avait erre aulrefois dans ce meme desert avec son fils Ismael ; mais ils sont calmes, contenls,et ils ressentenl une grande joie inlerieure de pouvoir, par leurs incommodiles, •sauver la vie a 1'Enfant Dieu.

B. Arrivee en Egypte. Des qu'onarrive surle bord du premier bras du Nil, on decouvre, comme par enchanlement, ud verilable paradis, lellement la nature y esl belle et ferlile. Au milieu d'une atmosphere liede et bleue se balancent douce- menlles branches des cilronniers, des acacias, despalmiers el des sycomores, sur lesquelles volligenl unemullilude de pigeons ramiers. Le sol ressemble a un tapis de verdure epaisse, fait de cannes a sucre, de cotonniers, de froment el de mais. Cest la terre de Gessen, que les Israelites onl jadis habitee. La sainte Famille se dirige du coled'Heliopolis, la ville du culte du Soleil, ou il y avait autrefois un temple juif magnifique et ou se trouve encoreune communaute juive nombreuse; elle va s'etablir aux environs de la ville actuelle du Caire, qui est sur remplacement de 1'ancienne Babylone. Dans un des faubouigs du Caire, au niidi, on venereencore aiijourd'huirendioilou lasainte Familleaurail habite. lleliopolis et Babylone, avec leurstemples auxconslruc- tions massives, severes et mysterieuses, sont situees sur la rive droite du Nil. Le desert commence aux porles de ces villes et sV-lend au loin dans Ia direclion de 1'est ; le solen est giaveleux, tout rempli de cailloux brillants el de pieires quartzeuses. A 1'ouesl, Ton voit une plaine tres belle, dont la vegelalion est luxuriante el qui se lermine au Nil ; et, plus loin, au-dela du fleuve, s'elevent la ville sepulcrale des rois deMemphisetla ville de Memphiselle-meme avec ses pierres colossales, ses differents groupes de pyramides. Cest a Babylone que s'etablil la sainte Famille de Jesus. Marie el Josepli ; c'est peul-etre dans le voisinage de la porte de laville et a rexlremile de cetle ruelle

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silencieuse, donl les baliraenls sont si eleves qifils laissenl a peine passer quelques rayons de soleil,merne au milieu du jour. C. Sejour en Egypte. La vie de la sainle Famille en Egypte est unevie d'exil, entremelee de douleurs et de joies. Elle est, avant tout, une vie de pauvrete et d'indigence, et, a cause de cela, une vie de travail. Marie et Joseph ont un grand amour de la pauvrele, et ils doivent aussi gagner leur pain de chaque jour du travail de leurs mains. lls arrangent rinterieur de leur pauvre habitalion. Saint Joseph y place des cloisons et differents ustensiles qu'il fail lui-meme. La Mere de Dieu se charge du soin du linge et des velements. Ensuite l'un el 1'aulre cherchent du travail dans les maisons voisines, y rapportent Fouvrage termine et en recoivent le modeste salaire. lls ne dis- cutent ni ne marchandenl, se confient en Dieu et ne demandenl pour leur lravailqu'un prix infirae, suffisant pour les faire vivre et pour donner quelques petites aumones. Si on relient leur salaire ou si on ne les paie pas, ils supportent avec patience ces indelicatesses. Plus tard, le petit Jesus ne dedaignera pas de rendre service a Marie et a Joseph dans rinlerieur du menage ou de faire pour eux au dehors differenles comraissions; il s'en acquittera avee modestie et sans respect huraain. La Mere de Dieu est tres habile a filer le lin el a fabriquer des tissus. Une cause de desagrement et de peine pour la sainte Famille est le spectacle du culte odieux et irapur des idoles, qui frappe ses yeux a loul instant el a chaque pas. Les Egyptiens, taciturnes et raelancoliques, adorent toul, les oignons, les chats, les croco- diles... Chacune de leurs maisons a son animal divin, dont la morl devient un deuil de famille bruyant, et qifils embaument, avant de le deposer dans le lieu qu'ils lui destinent. Comme toutes ces horreurs devaienl faire de la peine a lasainte Familie! En general, le pays et !e peuple dEgyptene sontpassi agreables el si gais que ceux de Judee et de Galilee. En Egypte regnenl un silence, une uniformile et une raonotonie qui portent aux idees serieuses. La campagne n'a que deux couleurs, le vert des prai- ries et le jaune du desert sablonneux; partout on ne voil qu'une ligne, la ligne droite. Le Nil coule presque toujours dans la meme direction, du sud au nord; sur chacune de ses rives se

APPLIC. DES SENS : FUITE E.N EGYPTE 431

developpe uue chaiue de moutagues qui ue se terraiueut ui eu poiutes ui eu forine de cones, mais qui soutlegereraeut ondulees on presentent sur chaqueversanl unesurface plane et unie. Pres du fleuve silencieux se dressent les palmiers, iinmobiles comme des statues, couronnesde leur panache de feuilles ; el, plusloio. apparaissent daus leur soleuneile majeste, sur le fond d'un pay- sage tranquille el severe, les conslructions elevees des temples et les pyramides gigantesques. La vie deTEgypte n'est doncpas des plus agreables pour la sainle Famille ; et Dieu la laissera altendre assez longtemps le messager de la delivrance, qui lui signifiera de retourner dans son pays.

Malgre toul, elle a aussi des joies daus son exil. D'abord, la nature et le pays lui procurent des agremenls. Les nuits d'Egypte sont dune beaule enchanleresse. Apres avoir, a midi, darde ses rayons eblonissanls el extrememenl chauds, le soleil descend derriere les monlagnes de Lybie et s'envelopped'une orabre de couieur bleu fonce, pendant que la chaine des raonts arabiques prendles couleurs de l'arc-en-del et que, ca et la, des soramets isoles s^mbrasent.faisant Telfet de roses et derubis cKune gran- deur iramense. Les parfuras du printemps remplissent Pair ; lout bourgeonne el fleuril ; des voleesde pigeons roucoulent et s'agi- tent dans les palmiers el les acacias, el des troupes d'oiseaux aqualiques, blancs, noirs ou rouges, de herons et de pelicans. sassemblent sur les bancs de sable et entonnent leurchanl mono- tone. Les etoiles se leveni,se montrenl; elles ont un vif eclat, mais elles ne scintillent pas corarae chez nous ; elles se refle- chissent dans l'eau presque immobile du llenve. qui prend l'as- pect du ciel. Tout est mouvemenl et vie surlesbords du Nil. Les troupeanx de brebis et de chevres s'en eloignent ponr regagner lems parcs. Lne foule depromeneurs montent surdesbarqueset sur des gondoles, qui sillonnent bienlot le fleuve en lous sens ; les chants comraencent sur le tleuve, ils sonl accorapagnes du tambourin. L'air retentit an loin des clamenrs el du bruit des conversalions. Des feux sallument dans les rues de laville: car les places des foyers se trouvent devant les maisons. Les chiens aboienlet les anesbraienl, landis que lesenfanlspoussenldes cris de joie. La ville esteclairee avec des lanlernes variees, qui pro-

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jeltenl leur lumiere vacillanle jusque dans les eaux du Nil. Gom- bien de fois Marie etJoseph doivent passercessoirees agreables sur les rives du fleuve el offrir au pelit Jesus, comme jouet, une desfleurs du lotus, qui paraissenl elrecommeune pelile flotlille a Tancre dans les etroiles baies du Nil ! A la fin du mois dejuin, le tleuve commence a monler elchange loul le pays en un grand lac. Les villages el les villes, qui s'eleveiil alors du fleuve, res- semblent a des iles oii l'on voit des rangees et des bosquels de palmiers, d'acacias el de sycomores, autour desquels se trouvent ■des planles grimpantes de couleur brune et violetle. Ces plantes forment enlre elles des sortes de guirlandes sauvages, dont les eauxdu lac reflechissent les longues lignes el les gracieux con- tours. Au commencement d'oclobre, le Nil eslde nouveaurenlre dans son lit, el alors ont lieu successivemenl et bien vile les semailles, la pousse des plantes, la maturile el la recolle des fruits. La recolte est Ires abondante : lesproduclionsde TEgypte sont le pois, la feve, le riz, le mais, le sesame, le concombre, la cilrouille, le melon, 1'oignon, 1'ail, le lin, le colon, la canne a sucre, le poivre, le baume, la dalle, la figue, lorange, la grenade, le coing, la peche, 1'abricot, 1'amande, le raisin et 1'olive. L'Egypte esl aussi une lerre sainte pour les Israeliles fideles. Les souvenirs les plus chers de 1'hisloire du peuple de Dieu se ralta- chenl el au sol el aux deslineesde PEgypte. Abraham, Jacob et Moise ont vecu dans ce pays. Heliopolis elait la partie meridio- nale de la terre de Gessen ; a une epoqueplus recente, le peuple dTsraeL, quoique persecule, elait parvenu a un haut degre de prosperile au sein meme de 1'Egyple, el la connaissance des sainles Ecritures s'elail repandue de ce pays dans le monde de la genlilile. Parloul la sainle Famille remarque les Iraces du peuple juif et de ses croyances : ce lui est une grande con- solation. Elle liouve un aulre sujet de consolation dans 1'esprit de foi, dans l'abandon joyeux a la volonle de Dieu el ■dans la priere. Elle prie assidiiment a la maison et sans doute aussi avec les aulres Israeliles dans les beaux temples d'Helio- polis. Joseph el Marie ne soupirenl pas apres les vertes mon- tagnes de la Gaiilee el ne regreltent pas le temps passe. Ils trouvent Dieu aussi en Egyple, car il est parloul. Proba-

APPLIC DES SENS : FUITE EN EGYPTE 433

blement, ils se fontpeii a peu quelquesconnaissances parmi les bonnes familles (Ki voisinage ; meme ils se metlent en rapporl avec des paiens honneles delaconlree, el ilsexercenl sur tous la meilleure des influences. Enfm, rEnfant Jesus est pour Marie el Joseph la source des plus douces joie. Son liumilite et sa palience consolenl el sancliflentleur exil, et, quand ses annees augmenlent, plus nombreuses aussi el plus douces deviennent les joies qu'il procure a sesbien-aimes Parents. G'esl en Egyple qu'il commence a parler, qifil porte sa premiere petile robe et qu'il fail ses premiers pas : tous ces evenements sontdes jours de fete pour sa Famille. II esl agreable de penser comme 1'Enfant Jesus, s^amusant avec d'autres enfanls, est assis aux pieds de Marie, comme il s'empresse d'aller a la rencontre de saint Josepb, quand il revienl de Talelier. Joseph apporle a Jesus parfois un raisin ouune orange, que 1'Enfaut remet aussilol enlre les mains de saMere. II est ravissant de considererle petit Sauveur, lors- quil commence a rendre quelques services a ses Parenls, lors- qu'il est assis a table, ou quil va, tenant les inains de Joseph et de Marie, se promener sur les bords du Nil. II regarde alors tout pensif les Pyramides, a lelevation desquelles les Tsraeliles ont travaille avec to.ii t de peine; il arrete ses yeu\ sur 1'ile de Roda, oii Moise ful Irouve, dans une corbeille de joncs, par la fille de Pliaraon ; el, plus loin, il apercoil les temples ou les palais de Mempliis, oii Joseph, fils de Jacob, a habite atitrefois, comme gouverneur lout-puissant de TEgypte. Gomme le Gceur de Jesus doit baltre, quand arrive la fele pascale el qu'a lieu le sacritice de Tagneaii, simple figure du veritable Agneau de Dieu, qui porte les peches du monde ! El quel esl ce verilable Agneau, sinon Jesus lui-merne? Ses regards plongent aussi dans Tavenir, dans les lemps du Chrislianisme, quand ce pays des lombeaux deviendra le berceau et la source de la vie, quand ce peuple, enseveli dans les tenebres, sera un peuple de lumiere, quand les eavernes, au lieu de cacher des corps sans ames, renferinoionl presque des ames sans corps. Gombien de fois rEnfanl Jesus doit jeler ses yeux, ii droile, sur le deserl de TEgypte, el, a gauche, sur celui de la Lybie ! Gombien de fois il considere soit la Thebaide soil la Xilrie, ce berceau des anaclioretes ! Peut-Glre

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que cetle magtiifique roseraie de la myslique, qui a reraplace si avanlageuscmenl la solitttde dn desert, est le fruil tardif de la benediction du sejour de la sainte Faraille enEgypl"'.

D. Retour en Galilee. Enftn 1'Ange reparait el annonce a saintJoseph la morldUerode, laquellelui permet deretourner dans sa palrie avec rEnfant-Jesus et sa Mere. Cetle nouvelle est recue avec une joie calme, respectueitse et sincere, qni ne deplait aucunement a Dieu. La sainle Famille fail ses preparatifs pour le depart. Ils s^loignent de 1'Egypte en temoignant leur reconnaissance a Dieu et aux hommes ; ils se fonl un devoir agreable, avant de parlir, de prendre conge des familles dontils sont devenus les amis. Quelques-unes de leurs connaissances les accompagnenl peut-elre : les homraes sont avec sainl Joseph, les femmes avec Marie, et les enfants avec Jesus, qui est dcja grand et a riiabillemenl complet du pelerin : sandales aux pieds, chapeau d^ecorce sur la lete el baton de voyageur a la main. La sainle Famille recoit sans dottte quelques presents de ses amis ; Jesus accepte sa part avec httmilite et modeslie, e1 la remet aussitot a saint Joseph. II faul bien qiuls qtiittent leur aimable compagnie : les adieux sont touchants. Us reprennent la menie direction qu'en venant, a travers la terre de (jessen, le longdela mer. La lnmiere comraence a lttire dans leur ame, comme d'ail- leurs le jottr sttr la terre, ou un vent frais souffle de la Mediter- ranee et enfle les voiles des barques qui voguent sur le Nil atix premiers rayons de raurore...Desormais,ils sont . loin de la ville et des horames aux visagesbasanes ; ils sont loin des ntes elroi- tes, oit l'on ne voil, de chaque cole, que des boutiques obscures et des murs a la chaux fusee. Jerusalem et la Terre-Sainte atli- rent leurs pensees, leur cceur et leurs regards, comme de veri- tables aimants... Peu a peu le desert disparait a leurs regards ; les ondulalions des collines et des montagnes meridionales de la Terre-Sainte se dessinent en lignes vaporeuses de couleur bleue ; et bient6t un vent tiede leur apporle les exhalaisons du thym, qui croit dans les prairies verl lendre du pays de Judee. Comme rEnfant Jesits se rejouit en passant pres de (Jaza, d'Azote el d'Ascalon, le theatre des exploits de Samson, cVea- trer dans la plaine de Saron et d'arriver, au-dela de la chaitie

APPUC DES SENS '. FUITE EN EGYPTE 435

chi Carrael, par la plaine d'Esdrelon, jusqifaux monlagnes ver- doyantes qui entourent Nazarelh comme des sentinelles silen- cieuses ! Saint Joseph apprend, en elfet, pendant le voyage, qifArchelaiis, fils d'Herode, est de retour de Rome, et qu'il a pris possession de son royaume. Arclielaus est, comme son pere, un homme mechant, cruel, et, pour cela, sainl Joseph craint d^aller a Bethleem, ou il semhle avoir eu d'abord 1'inten- tion de se fixer. II se decide donc a se diriger vers Nazarelh : Marie y possede une maison et un jardin qifelle a acquis par heritage. L'Ange vient le confirmer dans sa resolution de s'ela- blir a Nazareth. U faut que s'accomplisse aussi la prophetie qui dit que le Sauveur sera « un .\azai-een », c'est-a-dire « un homme a pait. separe des aulres », « un Rejeton », et « une Fleur >). Or. la ville de Xazarelh esl Iresbien choisie pour deve- nir la demeure du Messie : elle esl tout a fait cachee dans une vallee charmante et delicieuse, et Jesus devient la belle fleur de cetle vallee.

LA VIE CACHEE DU SAUVEUR

(Luc, 2. 40. 51. 52.)

Desormais commence la vie cachee, ce temps tranquille et agreable, cetle sainte obscurile, cetle existence pleine de majesle el de profonds mysteres ' Cette vie, y compris le sejour en Egypte, dure trente annees pleines : c'est un temps tres long ! Et que fait le Sauveur pendant ce temps? Les Evangiles apo- cryphes raconlent loules sortes de merveilles de la vie cachee. Mais la sainte Ecriture ne dit que quatre rnots a ce sujet : « II descendit ii Nazareth ; el il leur etail soumis » (Luc, 2, 51) ; il elait le fils d'un charpenlier (Matth., 13, 55); et ilcrois- sail en age et en sagesse » (Luc, 2, 52).

Telles sont les qualre principales parties de la vie cachee du Sauveur : vie d'obeissance, vie d'obscurite, vie de travail,vie de progres, voila le resume de la vie de Jesus a Nazarelh.

VIE D OBEFSSANCE

I. Sentimeuts du Sauveur d Vegard de Vobeissance.

A. L'obeissance estlavertu quirend nolre volonle promple el docile a execuler les oidres des superieurs legilimes.La per- sonne du superieur a droit a notre respecl, a nolre amour et a nolre obeissance... 11 s'agit donc pour nous, en obeissant, de faire medialement la volonle de Dieu, et immediatement celle de rhomme qui commande a la place de Dieu.

LA VIE CACUEE DU SAUVEUR '. VIE D^OBEISSANCE 437

B. Quels sont les sentimenls ella disposilion de la volonle du Sauveur relativeraenl a robeissance?La sainle Ecriture par- lant, d'une maniere speciale, de son obeissance, et ne faisant, pour ainsi dire, ressortir que cette verlu dans la periode de sa vie cachee, nous devons croire que 1'obeissaiice n^apasele alors seulement une regle exterieure de la conduite de Jesus, une vertu passagere et de circonslance, raais bien le but de ses desirs, de ses inlenlions et de ses projets, le devoir propre de sa vie. Par consequenl, i\olre-Seigneur ne veut pas d'abord, a priori, faire ceci ou cela, pour ensuite mettre d'accord ses aclions avec Kobeissance ; mais il veut, avant toul, obeir, el rien aulre chose qifobeir : tout le reste doitelre determine el domine par cela. II n'a pas anlerieurement d'aulres desseins que celui d'obeir. Et pourlant qui est-il? La Sagesse infinie, la Toute- Puissance et la Saintele de Dieu. Et a qui obeit-il ? Quelle est la volonte qu'il prend pour regle de sa vie et de ses aclions?La volonle de ses Parents, qui sont, alaverile, bons et sainls, mais qui, en toul cas, ne Tegalenl pas en sagesse et en dignile. II comprend et sail lout plus parfaiteraent qifeux, meine s'il s'agit des choses qu'ils lui coramandent.

G. Tels sont donc les sentiments du Sauveur relativement a Tobeissance ; ils doivent elre aussi les notres. II ne faut pas que Tobeissance soit pour nous une vertu accidentelle et d'occa- sion, raais une obligalion de notre existence, un devoirdetat et 1'objet de tous nos desirs. La matiere de Tobeissance ou raeine leresultalexterieur deTobeissance importenl peu,mais ilimporle beaucoup de faire la chose commandee ou d'obeir. iNous n'avons pas fail le vceu de devenir des savanls, de grands oraleursou des ecrivains celebres, mais d'observer 1'obeissance.

II. Qualites de Vobeissayice de Jesus.

La maniere dont le Sauveur obeil repmid bien aux senli- ments qu'il a de robeissance.

A. Jesus obeil en toule chose, agreable ou desagreable, grande ou pelile, qu'il s'agisse soit d'ordres donnes, soil seule- ment de desirs exprimes par ses Parenls. Son obeissance ne

138 DEIXIEME SEMAINE

^exerce, a propremeut parler, que sur des objets exterieurs et indifferents ; mais tout est imporlanl pour lui et merite son obeissance.

B. Dans l'execution, Jesus d'abord obeit avec une obeis- sance de jugement parfaite, en considerant comme juste et equitable tout ce qui lui est commande, quand nieme ce n'est pas en soi le meilleur ni le plus sage ; de plus, il obeit avec une obeissance parfaite de volonle, avec une volonte qui est en com- plet accord avec la volonte de ses Parents, avec un profond res- pect pour Dieu, dont Marie et Josepli sont les representants, et aussi avec un graind amour de Dieu. Sans ce rapport ix Dieu, 1'obeissance n'aaucun merile, aucune duree et aucune dignite ; elle est, au contraire, ravilissement et la degradation de soi- meme. On ne doit voir dans le superieur que limage de Jesus- Ghrist. Que Timage soit laile avec ait ou grossierement, d'une matiere precieuse ou vile, cela n'importe aucunemenl : 1'obeis- sance considere et honore le Chrisl dans le superieur auquel il obeit.

Exterieurement, le Sauveur obeit avec ponclualile, avec une exlraordinaire facilite, d'une maniere aimable et avec joie. Ses Parents ont la conviclion qu'on ne peut lui faire de plus grand plaisir que celui de lui commander quelque chose ; sans cela, ils n'oseraient pas eux-memes lui donner des ordres. Enfin, 1'obeissance de Jesus est perseverante : il reste sous laulorite immediate de ses Parentsbeaucoup pluslongtempsque lesautres enfants, jusqifa sa trentieme annee !

III. Motifs de 1'obcissance du Sauveur.

Ils sont au nombre de Irois principaux :

A. Le premier motif de 1'obeissance de Jesus est le grand honneur qui en revient a Dieu. Dieu veut que les creatures soient conduiles a leur fin par des creatures. Cette volonte de Dieu ou celte loi de 1'obeissance s'etend aussi loin qu'il y a des etrescrees; et de 1'observation de cette loi resultent d'aulant mieux la gloire et rhonneur de Dieu que la creature se soumet non seulement a Dieu personnellement,mais encoreatoul autre qui tient la place de Dieu.

la viE cachSe dl SALV.LR : vie d'obeissance 439

B. Le second molif de 1'obeissauce clu Sauveiif se Irouve dans la beaute el rexcellence de cette verlu. Lhomme, en obeissant, offre a Dieu le sacrifice le plus parfait, celui de sa propre volonle et de sa propre liberle. Or, avec la volonle de riiomme, Dieu a l'homrae tout entier, et ainsi il en devienl effec- tivemenl le mailre. De plus, 1'excellence de lobeissance se raanifeste par les nombreuses verlus qifelle fail pratiquer : a savoir, la victoire sur soi-meme, 1'esprit de foi, l'humilite et la eonfiance en Dieu. Dieu voit toulce qui se fait sur la lerre pen- dant la vie cachee de Jesus, et, assuremenl, il se fait beaucoup de choses, et de grandes choses : pourtant rien ne procureaulant <lc plaisir et aulant dhonneur a Dieu que les aclions de la vie tranquille et obeissante du Sauveur. Dieu alors peut dire sans cesse : « Voyez, celui-ci esl mon Fils bien-aime en qui j'ai mis toutes mes complaisances. »

C. Nous elions nous-memes le troisieme motifpour lequel Jesus s'esl fait obeissant : en effet, 1'obeissanceest dunegrande imporlance pour nous. Ne devons-nous pas lous obeir? El per- sonne ne peut se soustraire a 1'obeissance. De la fidelite a cette vertu dependenl non seulement la prosperite des peuples et le bien des individus, mais encore le bon ordre et la slabilite de la sociele humaine.Souvent aussi 1'obeissance est difficile et impose de penibles sacrifices. Le Sauveur pralique 1'obeissance si longtempset si parfailemenl,d'abord pour rendremeritoire notre obeissance, ensuile potu* nous donner en lui-meme un parfait modele de cette verlu, et enfin potir notis inspirer du courage dans les difficultes.

Jesus doit donc etre, dans sa vie cachee, notre modele el le molif de nos aclions. II faul que nous ayons de 1'obeissance les inemes senlimenls et les inemes idees que lui ; il faut que nous obeissions de la meme maniere et pour les memes raisons que lui, surloul dans les dilficultes. Le Sativeur les prevoit, ces difli- cultes, et nous apprend, par son exeraple, a les surmonter. Soraraes-nous plus sages el plus saints que lui? Corame il se laisse manier par lobeissance ! N'est-il pas en verite un lalent eofoui dans 1'obeissance? En toul cas, le Christ esl la solution des difficultes : il a ele obeissant jusqtf a la mort, et, a cause de cela, nous devons etre fermement resolus a perdre la vie plu-

440 DECMEME SEMAIXE

161 que de desobeir. Les difficulles de 1'obeissance viennent, du reste, de trois coles : premierement; on ne fail pas de Kobeissance un devoir de sa vie, mais on la regarde comme une obligalion accessoire el passagere ; deuxiemement, on ne voit pas Dieu dans Tobeissance ; troisiememenf , on iVestime pas assez cette vertu. Aussi longtempsque nous obeissons, nous pouvons elre satisfaits. Le P. Ferrari repondait a ceux qui le plaignaient de ce que son age et sa faiblesse l'empechaient de travailler et d'agir : « Je puis encore faire beaucoup, si je sais obeir. »

VI E D OBSCLRITE

I. Comment /e Sauveur se propose, par sa vie cachee, de combattre Vambition.

A. Le second trait ou le second element de la vie de Naza- reth est 1'obscurile. A cause de cela cette vie s'appelle aussi « la vie cachee ».

B. Et quelle inlention a le Sauveur en menanl celte vie? Evidemment, il y veul combaltre nolre ambilion. Eneflet, l'am- bilion est une parlie de Torgueil : elle consiste dans l'inclinalion dereglee a etre considere el honore par aulrui, ou bien dans le desir immodere de 1'estime, de la louange et de la gloire.

II. Pourquoi le Sauveur combat-il Vambilion?

A. Le premier motif qifil a de combatlre ce vice, est 1'existence de celle passion en nous : car elle est en nous et er> chacun de nous. Nous sommes lout infecles du peche originel, gales et ronges par ce mal. « Le ruse, l'antique serpenl » a ecril dans notre livre de genealogie a tous les paroles : « Yous serez comnie des dieux », el ces mols reslent graves profondement dans nolre esprit et notre cceur. Ayons donc rintime conviclion de la grande necessite pour nous de comballre l'ambilion.

B. Le second motif qu'a le Sauveur de la combattre esfc

LA VIE CACHEE DU SALVELT. I VIE d"0BSCURITE 441

1'inanite de cette passion. Getle inanite apparait claireraent, en premier lieu, si nous en considerons Tobjet, lequel n'est aulre que 1'eslirae, la louange et la gloire des hommes. L'eslime est bien quelque chose de nous, mais n'est pas nous-memes : elle est, pour ainsi dire, Torabre et le reflet de nous dans 1'esprit des autres. Qui fera fond sur cetle ombre et courra apres elle ? La consideralion des hommes n'est qifun bien exterieur et ne nous rend nullement meilleurs ; elle esl un bien purement ima- ginaire, et ressemble a notre ombre : en efTel, 1'estime qu'ont les hommes de nous est presque toujours erronee, tres souvent au-dela ou en-dec;\ de la verile, el frequemment fait de nous de verilables caricalures. Pourquoi donc en faire cas? Deuxie- mement, linanile de l'ambilion ressort bien, quand l'on consi- dere les personnes de qui nous altendons la gloire. Ge sont des bommes, si souvent Irompes ou exageres dans leurs pensees et leurs jugements, si souvenl les jouets de leurs illusions et de leurs passions, des hommes enfin, des elres miserables et des men- diants, comme nous, que nous ne jugerions pas meme dignes d'un de nos regards, s'ils ne nous louaient pas, mais qui sont, precisemenl a cause de cela, devenus de grands personnages ft nos yeux. Nous imilons alors Demoslhene. Un jour qu'il passait, une lavandiere dil a une de ses compagnes : « Regardez ! Voila Demosthene. » Getle parole plut lanl a ce dernier qu'il s'ecria : « Mais celle femme me recompense de loutes les peines que j'ai eues pour devenir un grand orateur ! » Trohiememenl, l'ina- nile de cellepassion se revele avec evidence, si l'on examine les choses memes par lesquelles les hommes cherchent la gloire et la consideration. Sans doute, la premiere et la meilleure de ces choses esl le lalent, le genie ; mais, si nous Pavons, de qui le tenons-nous? Est-ce que l'ane de rAmerique doit elre fier et dresser plus haul ses oreilles, parce qu'il porle sur son dos de la poudre d'or a travers la Gordillere des Andes ? Nous ressemblons a cet animal, quand nous nous estimons pour les lalenls dont Dieu nous a gralifies. Celui qui a du lalenl, ne doil pas s'enor- gueillir : d'autres en possederaient aussi, si Dieu leur en avait donne. Je voudrais bien, moi, elre un grand oraleur, un grand poele et un grand eerivain, raais, helas !... Assuremenl je serais

.44:2 DEUXIEME SEMAINE

tout cela, si Dieu 1'avait voulu. D'autres eherchent a attirer l'altention et a se rendre celebres par la finesse cle leur taille, la beaute de leur voix, la fraicheur de leur teint, la noblesse de leur extraclion, ou bien par la riehesse de leurs habits et de leurs parures ; mais tons ces avanlages ne leur apparlien- nenl pas en propre, ils sont d'un aulre, ils sont euipruntes. D'autres enfin cberchenl la gloire dans le peche, dans le mensonge ou dans Ies cboses imaginaires. Qualrirmemenf. la vanite de Fambition se montre dans la maniere dont on veut se faire remarquer dans le monde. On ne peut y souflrir les oublis ni les manques d'egards,et on ne croit pas vivre sans cousideralions et sans louanges. Aussi voyez ces bommes, ces ienimes, qui cbercbent partout a se montrer, a se produire el a se faire remarquer : ils ont mis, pour ainsi dire, au pillage tonte la crealion, lui prenant son or, ses pierreries, ses plumes, ses tleurs, ses parfuras..., et ils se sont pares eux-meraes des depouilles des quatre regnes de la nalure; ils se batissenl, coinme les rois dEgyple, des palais, des mausolees et des pyra- mides, afin d'y vivre el dy elre ensevelis. Mais coinbien de teinps dure rillusion et jusqu'ou va-t-elle souvenl?... De lout cela il ressort que la passion de la gloire et des honneurs n'est quune grande futilite el une pure vanite.

G. La malignite de l'ambition est le troisieme motif pour lequel Notre-Seigneur combal celte passion. La malignile de l'ambition vient d'abord de son origine, qui n'est autre que labandon de Dieu, la revolle conlre lui, comme nous le consta- tons soil dans les Anges, soit dans nos premiers parents ; elle vient ensuite de son iuclination conslanle a se metlre a la place de Dieu ; enfin, elle apparail dans ses effels, lesquels sout funestes aussi bien a la societe qu'aux individus : Lambition rend les individus inquiets, malheureux et ridicules; il suffit, pour s'en convaincre, de se rendre corapte une bonne fois de toutes les pensees dont elle remplit nolre pauvre cerveau. De plus, celte passion gale nolre vertu, nos merites et notre caractere, lequel perd tolalement ou en partie sa fermete, sa loyaute et sa fran- chise aux yeux de Dieu. Geci est surlout vrai quand il s'agit des pnMres el des missionnaires qui, dans les travaux aposlolicpies,

LA VIE CACHEE DC SAIVEUP, : VIE D'oBSCCR.ITE 443

ne cheFchent plus la gloire de Dieu, mais leur propre gloire. Mainlenant, dans la societe, ramhition est lennemie de la paix, de la concorde ; elle devient la source de 1'envie et des trouhles de toute sorte, le principe des illusions trompeuses et des pre- tenlions exagerees, et enfin 1'adversaire de toute autorile. Les reformalions protestanles, les revolulions, toutes les beresies et toutes les catastrophes humaines viennent de ramhition. Ce vice est donc notre plus mortel ennemi ; et le Sauveur ne ponvait rien faire de mieux, de plus salulaire et de plus utile que de nous enseigner le moyen de nous en corriger.

III. Comment Nolre-Seigneur agit contre 1'ambition.

Le Sauveur, a Xazareth, comhal ramhition de toules les manieres, en y vivant dans la relraite el en s'y cachant le plus possible.

A. Avant lout, il comhal ramhition par le choix du lieu oii il veut demeurer. Nazarelh est une petite ville, situee dans la partie solitaire d'une vallee, au centre des montagnes de la Haule-Galilee. Getle localite n'est jamais mentionnee dans TAn- cien Teslament et elle ne semhle pas, dans le Nouveau, jouir dune honne reputalion (Jo\x., I, 46) ; mais elle a pour elle le hon air et on y jouil de helles vues et de magnifiques perspec- lives. A Nazareth, Jesus est donc ii Fecart et a l'ahri, bien o separe ». « Xazarams », des aulres hommes. (Matth., 2, 23.)

B. Le Sauveur agit conlre ramhition, en choisissant des Parents pauvres, dechus d'un haut raug, sans charges publiques et obliges de vivre du travail de leurs mains.

G. Le genre de vie qu'il emhrasse sert encore a Jesus de moyen pour comhattre ramhilion. Les Juifs esliment sans doule beaucoup la profession dartisan, mais ils y ajoutenl les etudes elevees et scientifiques, rexplicalion et la transcriplion des saintes Ecrilures. Quant au Sauveur, il passe presque loute sa vie dans des occupations toul a fail ordinaires, auxquelles cha- cun peut se livrer, mais qui nont jamais procure de gloire «i personne. II ne parait pas avoir frequente les ecoles, au moins les ecoles superieures. (Joax., 7, 15.

444 MUXIEME SEMAUNE

D. Enfin, Jesus cache, par huniilile, ses qualiles personnelles. Sa grace et sa beaute s'epanouissenl corame la violelte des champs el la rose des Alpes, dans 1'endroil le plus retire de la vallee ; les Anges seuls 1'admirent. Nul n'a 1'idee et le pressenliment de sa puissance el de sa sagesse. Dans les circonstances ou il se trouve, il pourrail bien laisser echapper quelques rayons de cette sagesse el en eclairer au raoins le cercle reslreinl de ses conciloyens et 1'enceinte modeste de ville qu'il habile : il pourrail, par exemple, devant ses com- patrioles, porler son jugemenl sur les evenements du jour, leur expliquer les Ecrilures, leur donner des conseils snr les afiaires de leurs families ou de leur pays, leur reveler les secrets des coeurs dans l'interet du salut des ames, mais il ne le fait pas. II cache aussi sa saiulele el il ne la montre qu'aulant qu'elle con- vient a un enfanl pieux et a un jeune homme exemplaire. Notre- Seigneur se relire et il se cache tellemenl que Nalhanael, qui habile seulemenl a quelques lieues de Nazarelh, dans la ville de Cana, ne sail rien de lui, et que ceux qui le connaissent savent seulemenl qifil est le fils du charpentier. Cest ainsi que Jesus descend en efiet a Nazareth (Luc, 2, 51) au fond de l'abime de Tobscurile el de 1'humilite.

Est-ce possible ? Est-ce reel ? Jesus, qui se cache ainsi, esl-il la Sagesse elernelle, la Puissance infinie, la Saintele par essence ? Que pourrail-il bien faire pendant ce temps el dans oes circonslances ?... II a quelque chose de tres imporlant a accomplir : nous donner 1'exemple en embrassant avec amour riiumilile et en comballant a mort l'ambilion. Lui, 1' « Ouvrier », Faber, travaille a un cercueil pour y metlre notre orgueil el nolre ambilion. II y a deja travaille a sa naissance el daus 1'exil en Egyple, el il y travaille maintenanl, pendanlsa vie cachee; et il y travaillera plus tard encore : pendanl sa vie publi- que ; apres sa morl, dans rEucharistie, ou il continueracelte vie cachee ; el enfin dans son Eglise, qui sera loujours dans l'hu- milialion et 1'abaissement, toujours enveloppee de nuages et de lenebres, sans qifil laisse voir toule la lumiere el toute la splen- deur de cetle divine Epouse, pas plus que la plenilude de sa propre gloire a lui. Nolre vanite ifaura douc pas de fin ? Com-

LA VIE CACHEE DU SAUVEUR \ VIE DE TRAVAIL 445

nienl pourrons-nous desormais etre assez ambitieux potir reclier- clier la louange el la consideralion, el pour nous abandonner & la trislesse, si elles nous echappenl? Commenl pouvons-nous vouloir etre remarques, quand le Fils de Dieu se cache ; etre honores, quand le Messie esl inconnu sur la terre ; recevoir une recompense parfaite, quand Jesus n'est pas arrive ici-bas a la plenitude de sa gloire? Mais nolre coeur reclame. II veut etre console par la reconnaissance, soutenu par les bonneurs. Galmons-nous el recueillons-nous en presence du Sauveur ! Pensons-nous que le renom parmi les bommes est vraiment quelque cbose de grand ? S'il en etait ainsi, le Gbrisl aurait clioisi et voulu la celebrile dans le monde. Mais convenait-il de fail au Fils de Dieu de se rendre fameux sur la terre par sa noblesse, son talent, sa beaute ou toute autre qualile, en debors de Dieu ? Les enfants des bommes peuvent se complaire dans les oripeaux de la vanile, mais jamais Dieu. Les rayons de la vraie gloire, meme ici-bas, ne nous seront jamais enleves, si nous en sommes dignes : le Sauveur nous recompensera lui- meme el donneraanos coeurs toules les salisfactions desirables. Aujourd'hui, notre vie esl caehee dans le Ghrist ; mais nous serons plus tard glorifies avec lui, quand il se monlrera dans toule sa gloire. (CoL, 3, 3. 4.)

VIE DE TP.AVAIL

I. Ce que fait le Sauveur.

A. Le Sauveur, dans sa vie cadiee, fait, avanl tout, quel- que chose d'utile, de necessaire, de conforme au devoir et d'obli- galoire. Le travail est, a vrai dire, une occupation serieuse el licite ; aulrement, il iVest quune faineantise deguisee et un pur desordre. Nous ne pouvons nous imaginer que le Sauveur se livre a des travaux de fantaisie. Telle est donc la regle que nous devons suivre et avoir conslamment devant les yeux : faire d'abord le necessaire, ensuile 1'utile et enfin 1'agreable.

B. Jesus fait des cboses agreables et desagreables, faciles et difficiles, enlre lesquelles il ne fail pas de difference, des

436 DEI XIEME SEMAIXK

qif elles sont commandees el voulues par Dieu, des qu'elles sont uii devoir pour lui.

C. Notre-Seigneur se livre a des occupations lant6l uni- formes, tantot variees. H est probable que chacun des jours de sa vie se ressemble, a fexception cles jours oii il se rend a Je- rusalem pour les solennites. Mais il y a de la variele dans ses travaux journaliers. II travaille lanlot avec sainl Josepli, dans son atelier, lantot aupres de sa Mere, a la maison paternelle. Jamais il na trop d'occupations. Les enfants des pauvres sont toujours des servileurs chez leurs parents : ils doivent tout faire et rendre loute sorte de services.

D. Le Sauveur s'occupe de travaux materiels et d'ceuvres spirituelles : il unit la priere au travail des mains. La priere succede au Iravail ; dans la vie de Jesus, l'oraison mentale et les bonnes inlentions accompagnent loujours ses ouvrages exte- rieurs et les sanclifient. Par la priere el la purete d'inlenliou, le tiavail terrestre devient une teavre celesle, une source de meriles et un verilable culte rendu a Dieu.

E. Enfin Jesus parail faire des choses lout a fail ordinaires. Les liabilants de Nazareth ne le connaissent que comme « fils du charpentier *> Matth., 13, 55), et comme etant « charpen- tier » lui-meme Marc, 6, 3\ Ses travaux sont donc tout ordi- naires et materiels, ne procurant, par eux-memes, aucune gloire a Dieu et n'e\igeant aucun talenl parliculier.

II. Coinment le Sauveur travai/le.

A. Le Sauveur lravaille, premierement el avanl tout, dans un grand esprit interieur et avec d'excellentes intentions. Ge travail exterieur et vulgaire a des motifs si saints et si eleves qifil rentre parfaitement dans le cadre du grand devoir de rHomme-Dieu et qifil en est meme une partie imporlante.

B. En deuxieme lieu, Jesus travaille conslamment. Aussi- lot qif il peut faire quelque chose, comme Enfant, il le fait, pour rendre service a sa Mere et a saint Joseph, et il continueia a faire ainsi dans la suife.

G. Troisiemement, Notre-Seigneur Iravaille toujours davan-

LA VIE CACHEE DU SAUVF.UR 1 VIE DE TRAVAIL 447

tage et avec plus de perfection. Ce progres exterieur est a remar- qner dans sa vie cachee, el surtout ci;ms sa vie cachee, et il aura lieu toute sa vie.

D. Enfin, leSauveur travaille serieusement, sans jamais se lasser. nialgre ladurele des Iravaux. Son travail n'estpas seuh'- raent unesimple occupalion, .raais nne occupation qui le faligue et Tepuise, parce que son elat est penible et qifil veut gagner son pain a la sueur de son fronl. Ses mains deviennent dures et calleuses.

III. Pourquoi le Sauceur travaille-t-il ninsi '.'

Tout homme est oblige de travailler, et le Sauveur ne veut pas etre une evception a cetle loi. Le travail est oblipatoire pour qualre raisons :

A. La premiere raison estqne le travail conslitue, nalure!- lement, la loi de notre creation, de notre conservalion et de notre perfeclionnement L'intention de Dieu, en nous donnant Texistence, le temps et les forces, a ete que nous nous en ser- vions et que nous les utilisions pour sagloire et pour nolre salnt et celui du prochain. « De meine que 1'oiseau est ne pour voler dans les airs, ainsi riiomrae est ne pour travailler. » (Job, o. 7. Le travail est donc lin des devoirs naturels de rhomrae. Ega- leraent, letravail est la loi de nolre conservalion.Dieu, qui nous a crees sans nous, vent que nous cooperions avec lui a nolre conservation par le raoyen du travail. « Gelui qui ne travaille pas n'a pas non plus le droit de manger. » (II Thess., 3, 10.) Le travail n'est pas moins la loi du developpement et du pro- gres non seuleraent dans les individus, mais encore dans les peuples. Sans le Iravail tout deperit dans 1'homme et aulour de 1'horame. Les Turcs et les Indiens en sont lapreuve vivante. Ne rien faire est la marque distinctive de la pierre et de la biiche. Au conlraire. plus lelre travaille, plus il s'eleve sur les degres ie lechelle des creatures, plus il s^approche de 1'Etre snpreme et plus il se rend semblable a Dieu, qui est le modele de lacti- vitela plus grande et la plus universelle. Cestainsi que riiomme devrail ressembler a Dieu. Deja, dans le Paradis terreslre, Dieu

448 DEUXIEME SEMAINE

exigeait de riiomme le travail (Gen., 2, 15),alors que le travail n'elait pas une peine, mais une occupation. Par consequent, celui qui ne travaille pas fait deja mal, parce qu'il ne fait rien, qu'il perd son lemps et qu'il laisse deperir ses forces. II est cer- lain que le Sauveur veut, par son exemple, nous inculquer ce devoir et nous exciler a le remplir.

B. Deuxiememenl, le travailesl la loi de raffranchissement du peche. Nous sommes delivres du peche par la penilence. Or, le travail esl une penilence, el, de plus, la penitence du travail a une double qualite : En premier lieu, le travail est la plus sainte et la plus venerable des penitenees, Dieu Iui-m6me 1'ayant impose comme penitence a rhomme : « Tu mangeras desormais ton pain a la sueur de lon front » (Gen., 3, 19) ; ensuile celle penilence a ete sanclifiee par 1'exemple du Ghrist, Nolre-Sei- gneur. En deuxieine lieu, le travail esl en lui-meme une tres bonne penilence : d'abord, il nous convienl a lous et nous est impose a tous, et de plus il expie nos peches. En effel, le travail devant elre honnete et serieux et elanl, depuis la chule de riiomme, penible et faligant, il nous fait subir le chalimenl (pie le plaisir du peche nous a merile. II y a dilferenles «uvres de penilence approuvees par TEglise, comme sonl la priere, lau- nione el le jeune. JMais le travail a sur loules ces penilences des avanlages particuliers : on ne peut pas toujours prier, ou, au uioins, on ne peut pas prieraulanl que travailler; raumone n'est dordinaire possible que par le travail ; et le jeiine n'est propre- menl une penilence que si l'on liavaille. Ou jeune avec facilile si l'on reste dix heures au lit. Enfin, le travail n'expie pas seulement lepeche, il en preserve encore. Par le seul fail que le travail nous occupe, il alfaiblil nos passions, mate notre corps, el nous garanlil ainsi du peche. De plus, rhomme qui travaillea beaucoup moins a craindre du cole des lentations : en effel, le travail esl le meilleur des moyens naturels aemployerpourcom- battre les l^ntations. Le travail occupe, et aussi longlemps que nous Iravaillons, le demon n'a pas d'acces aupres de nous. Cesl pourquoi les anciens Peres disaienl que « celui qui ne travaille pas a affaireavec milledemons, tandis que celui qui travaille n'a qu'un ciemon a ses trousses, celui de la paresse ». Celte verile

LA VIE CAGHEE DU SAUVEUR '. VIE DE TRAVAIL 449

devient evidente, quand en considere les jours ou les hommes pechent le plus : ce sont les dimanches et les jours de feles, ou ils n'onl rien a faire; combien d'hommes ont une excellenlecon- duite lous les jours de la semaine, excepte le dimanche ! Quel malheur pour nous, si Dieu avait, commedansle Paradis, laisse loul croilre el prosperer ici-bas sans le travail el la peine de rhorame ! Le travail esl donc un imporlant moyen de salut ; aussi le Sauveur n'a pas negligede remployer,etde remployersouvent.

G. Troisiememenl, le travail est la loi de 1'avancement et du progres dans la vie spirituelle. Dieusefait le debiteurdu tra- vail chretien et il y repand ses benedictions; il accorde a ses bons ouvriers les verlus, les graces et le ciel. II est difticile de trouver un moyen d'acquerir des merites comparable autravail, a ce moyen qui esl voulu el ordonne par Dieu, et qui, de plus, doit elre employe par nous chaque jour, du matin au soir. On peut donc dire que le travail est d*or, merae dans le sens spiri- tuel. Nous aurons au ciel une recompense proportionnee aux merites de nos travaux terrestres. Gette verite bien comprise, qui oserait se souslraire au travail?

D. Qualriememenl, le travail est la loi de 1'etal religieux. D'abord, le religieux ne peut ne pas tenir comple du travail, lequel est d'une importance si grande dans la vie naturelle comme dans la vie chretienne. Lelal religieux doit elever et perfeclionner l'homme et le Chretien. Dailleurs, comment 1'elal religieux pourrail-il alteindre son but, la perfeclion, sans le travail? La perfection exclut avant lout le peche et compreiul la repression des passions desordonnees, la pratique des vertus, et la fidelile ii la priere et auxdevoirs d'etat. Or, tous ces exer- cices demandent du travail, el un travail long et assidu, un tra- vail spirituel el corporel. Les Gonslitutioiis et l'histoire des Ordres Religieux prouvenl et confirmenl bien ce que nous disons. Comme le Iravail y joue parlout un ruleimportantet y tient tou- jours une large place, qu'il s^agisse soit du travail du defriclie- raent de la terre, soil du travail des sciences, soit du travail apostolique ! Telle est la lecon que les religieux onl apprise de leur Maitre, le divin Sauveur.

Cest pour ces motifs que Notre-Seigneur Jesus-Christ a

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travaille el qifii son exeraple ont travaille et Iravaillent lous ceux. qui ont son espril, les religieux, les apotres, les Sainls, dans 1'Eglise et dans riramanite. Toute la viehumaine estunegrande procession de penitents et d'artisans, qui parcourent le nionde ; le Sauveur y marche en tele, porlant la croix clu travail. II n'a que quelques heures elreint dans ses hras la croix de hois de sa Passion, mais la croix du travail, il l'a portee loute sa vie. Nons conlenterons-nous d'assisler a cetle procession cle penitence en curieux et en desceuvres, ou memeen ferons-nous 1'objel de nos sarcasmes et de nos railleries? Cela eslirapossible... Ilfaut donc nous resoudre au travail ; il nous faut travailler, honorer, estimer et aimer le travail, meme le travail penible, materielethumhle : nolre Sauveur l'a ennohli, sanctifie et divinise. Jesus a seule- menl pendant trois annees exerce les fonclions du Sacerdoce, et il s'est pendanl trente ans livre aux occupations d'un « Frere coadjuteur de la Gompagnie de Jesus ». L'etat des Freres coad- juteurs est donc un etat eleve, mais seulement selon 1'esprit <le foi, selon lespril de Jesus. Donc travaillons ! Le Iravail est sainl, il esl sanctifiant, il est salutaire pour le monde et pour le Royaume du Christ, lequel ne peut suhsister sans le secours du travail.

VIE DE PROGRES

I. En quoi consiste ce progres du Sauveur ?

La sainte Ecriture parle deux foisclu progres du Sauveur pen- dant sa jeunesse : « L'Enfanl croissait el se fortifiait, rempli de sagesse, et la grace cle Dieu etait en lui. » (Luc, 2, 40.) « El Jesus croissail en sagesse, en age el en grace devant Dieu et devanl les hommes. » (Luc, 2, 52.)

A. Mais comment fant-il coraprendre cetle croissance ou ce progres? Ce progres n'est pas interieur, raaisseuleraenl exle- rieur : la sagesse et la saintete, iramanentes en Jesus, se mani- festent a l'exlerieur et au grancl jour suivant son age el le deve- loppemenl de son corps. Le Sauveur possede, des le premier instant de sa conception, la plenitude de la science, de la sain-

LA VIE CACHEE DU SAUVEUR : VIE DE PR0GRES 451

tele et de la puissanee ; il ne fait donc pas, dans la suite, de progres sous ce rapporl. II ne merite rien pour lui, mais seule- raent pour nous. Tout au plus peut-il faire des progres dans la science experimentale. Getle plenitude de perfection interieure lui revient, des le preraier instant de sa vie, parce qu'il est Fils de Dieu ; c'est la dot qui convient a son etat. De plus, il jouit des lors de la vision intuilive de Dieu, et avec elleil entre aussi en possession de toute science et de toute saintete. II ne faut pas non plus considerer proprement le progres de Jesus en sagesse et en grace devant Dieu du cole du but de son oftice de Redempteur : car il pouvait deja atteindre celte fin d'autant mieux et d'autant plus efficacement quil elait, de son cole, plus eclaire, plus saint et plus agreable aDieu.

Le progres du Sauveur est donc purement exterieur. Son corps, si noble et si bien fait, grandit,sesforces sedeveloppent ; Jesus se livre a des travaux qui repondent a son age et aux cir- conslances ou il se trouve... Le progres de Jesus est, par conse- quent, admirable sous tous les rapports : il represente a nos yeux ravis le tableau d'un enfant parfaitement doue, dont les facultes se developpent dans les circonstanceslesplus favorables.

B. Ge spectacle, cet exemple, nous amene a la question de savoir en quoi consiste et en quoi ne consiste pas pour nous- memes le veritable progres ? D'abord, notre progres ne doit pas etre purement exterieur, c'est-a-dire ne doil pas consister pour nous a croilre en age, a nous elever dans les dignites, a acquerir plus d'estime et plus d'autorite aupres des liommes : tout cela, en soi, ne conlribue en rien a notre progres. En- suite, notre progres n'est pas dans les clioses accidentelles ou tortuiles, comrae sont les consolalions, la delivrance des lenta- tionsou reloignement des difticultes, ou encore la facilite natu- relleapratiquer la verlu. De meme, nolre progres ne con- sisle pas dans deschoses insoliles, qui lTont rien a faire avec notre vocalion, comme seraient des fantaisies ou des objels de luxe. Enfin, il ne consiste pas dans un exclusivisme qui nous porterail a ne nous occuper que de choses puremenl exte- rieures, par exemple de science, ou de clioses purement inte- rieures, et donl le resullat serail de faire de nous des personnes

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elranges ou singulieres. En tout cas, il n'y a la pour rious aucun verilable progres.

Le progres consisle pour nous, d'abord, a diminuer et a cor- riger nos fautes volonlaires, a dominer nos passions dereglees el a enlever les obslacles, lant exterieurs qu'inlerieurs, comme sont les occasions prochaines du peche : lel est, pour ainsi dire, Telement negatif de nolre progres. Au point de vue posilif, notre progrc-s consisle a praliquer les verlus et les bonnes ceuvres, convenables a notre elat, ela acquerir des meriles sur- nalurels ; il consiste donc, avant tout, en ce qui met en exercice notre libreet « bonne volonte ». Pour progresser ainsi, il lVest pas necessaire de faire chaque jour quelque chose de plus ou de neuf : nolre progres de chaque jour doit consister a profiter des avanlages ou des bienfailsque nous assurela fidelitequolidienne aux devoirs de nolre elat ; si nous voulons atleindre un bul en marchant, ilrfestpas necessaire que chacun de nos pas soitplus grand que celui qui l'a precede.

II. Ce qxd doit nous determiner d faire du progres.

A. Le premier motif est Dieu, la volonle de Dieu, sa com- plaisance dans notre progres. Combien de fois Dieu ne nous exhorle-t-il pas a nous avancer clans le chemin de la vertu ! (II Pn:r(RE, 3, 18; Eph., 4, 15 ; I Pierre, 2, 2; Col., 1. 10; I Cor., 14, 12; II Cor., 9, 8. 11 ; I 7'hess., 4, 1.) Qu'il a du ^lre beau le speclacle du progres de Jesus, quand il croissail en age, en sagesse eten grace devant Dieu et devanl les hommes ! Dieu el les hommes y trouvaient leur contentemenl : nousavons deja cile les deux passages de la sainle Ecrilure ou il est dit que Jesus elait 1'objel des complaisances de Dieu.

B. Le second molif que nous avons de faire des progres se trouve dans notre vocalion et dans rabondance des moyens qu'elle nous ofTre dans 1'ordre naturel et dans rordresurnalurel. Pourquoi, en effet, lous ces moyens, si cen'estpour nolreavan- cemenlet pour nolre progres? Ge progres, nous le devons a la Gompagnie; son honneur et nolre reconnaissance envers elle nous y obligenl. Quel malheur de ne pas voir progresser un

LA VIE CACUEE DU SAUVEUR \ VIE DE PROGRES 453

enfant, un ecolier, qui esl entoure detotis les soins ! Quel mau- vais signe pour nous, si aujourdliui nous somraes moins zeles, moins pieux et moins bien disposes que pendanl nolre novicial 011 meme pendant nolre postulat ! Nous serions assurement res- pousables d'un pareil cbangement.

G. Le troisieme raotif de nolre progres est pris de nous- meraes. Oui, nous voulons avancer et partoul el sous lout rap- porl. Pourquoi donc ne progresserions-nous pas dans les clioses spirituelles? Le progres dans la vie spiriluelle n'esl-il pas notre verilable, nolre uiiique bien? El ce bien ne depend-il pas de nous? Nous devons penser a lVige que nous avons deja; il scmble que nous restons toujours dans le mGme age, pendant (|iie notre vie se liale vers sa fin avec une rapidite extraordinaire. Gombicn de temps avons-nous encore a vivre? Qui d'entrenous le sait?

III. Quels moyens de projres avons-nous a notre disposilion?

A. Le premier moyen esl la priere, unie a la bonne inlen- lion. Dans la priere, rhomme iuterieur se recueille et se forlifie en raeme lemps qu'il recoit la grace de Dieu. II en est ainsi de rhomme qni prie comme de la nature pendant Tliiver : la nature se repose alors, elle se remet, elle reprend des forces... Ne dil-on pas qne letemps du sommeil, du repos, dn calme, est surlout le temps de la croissance pourles enfanls? (Ps. 6, etc.)

B. Le second consisle a nous faire violence, a nous vaincre nous-memes. Toul nolre avancemenl . depend d'abord de notre libre volonle et de Teraploi de cetle volonle; or, c'esl par la force que nous triomplions de son insubordinalion el de sa faiblesse : nous ne progressons qu'autant cjue nous nous faisons violence. Nous avancons d'une maniere particuliere, si nous savons profiler des bonnes occasions qui se presenlenl ci\ el la : ces occasions sont pour ainsi dire, les gros lots de notre vie spiriluelle.

C. Enfm, notis devons avoir de la palience et la conserver loujours. Toul se fail lenleinent et successivemenl dans la vie

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spirituelle corarae dans la vie naturelle, Que de temps ne faut-il pas a rhorame poui' le developpeinent coraplet et de son corps et de son espril? Mais a la fin il devienl en verite un hoinme! Donc, faisons des progres! Specie iua et pulchritudine tua intende, prospere procede et regna : Gagnez en beaule, avancez dans le bonlieur, et enfin regnez ! (Ps. 44, 5.)

REPETITION

II nous resle encore deux considerations parliculieres ii faire sur la vie cacliee du Sauveur.

I. Dispositions et sentiments du Sauveur pendanl m vie cachee.

A. D'abord, il eprouve un grand contenlement el jouil d\ine profonde paix, interieure et exlerieure. Jamais il ne laisse echapper de sa bouche une parole ni nieme un soupir a cause de 1'insignifiance et de 1'inutilile de cette vie; jamais il ne lui vient la pensee ou ledesircTun emploi plus utile et raeilleur. Le Sauveur est certes la sagesse et la raison raeines, el il sait bien qu'il n'y a dans runivers qu'un seul Etre necessaiie : cet Etre est Dieu, lequel n'a besoin de personne pour ses oeuvres, pas meme, slrictement, de rHorarae-Dieu. AussiNotre-Seigneur est-il conlenl de la place ou Dieu l'a rais. En tant qu'Ho!nnie, il iVest que crealure vis-ii-vis de Dieu, et il ne veul pas etre Iraite dune autre maniere que nous...

B. La i-econde de ses dispositions ou de ses verlus est la patience, unie au courage. Dieu serable le faire altendre beaucoup, avant de lui donner un eraploi et des travaux exle- rieiirs, jusqua sa Irenlieme annee : c'est bien long! Le Sau- veur reste, par consequent, i\ peu pres le double du teraps des aulres enfants, dans les occupalions de la vie domestique ordi- naire, dans la soumission, la dependance et robscurile... ; il ne consacrera que la plus pelite parlie de son exislence aux anivres du dehors.

REPETITION : VIE CACHEE DL SAUVEDR 455

G. En troisieme lieu, ses senlimenls k 1'egard des occupa- tions, sans imporlance par elles-memes, de sa longue vie cachee, sonl ceux d'un protond respecl el d'une haute estime. Pour lui. toutce qifilfait, (pioi que ce soil, n'esl rien moins que la volonte de Dieu, « les choses de son Pere : in iis quse Patris nici sunt..., esse »; el c'est-assez pour quil accomplisse lout avec un grand soin, un grand zele et un grand amour. .. Pour ce motif encore, il lui est parfaitement egal ou de faire des miracles on d'elablir des Sacrements ou de fabriquer une charrue : l'un comme 1'aulre est a ses yeux la volonle de Dieu, et a cause de ceia sainl et sacre.

D. Quatriemement, le Sauveur passe celte vie avec un grand esprit interieur. En effet, il fait tout pour la gloire de Dieu el pour le grand but de sa vie d'Homme-Dieu, accompa- gnant toutes ses actions d'inlentions, de vertus interieures, Miblimes, qui repoodeiii au mieux a la tache ma^rnifique qu'il s'«st imposee...

II. Mohfs ou raisons de la vie cachee.

II y en a surlout deu\ :

A. Le premier motif se rapporte h Dieu : soumission a sa volonle el respect pour elle. II est evident que le Sauveur veut ici nous donner une grande et importante lecon. Suivant les incliiiations de la nalure et les maximes du monde. nous ne croyons vivre et travailler comme il convient que si nous faisons ce qui nous plail, en daulres lermes, ce qui est conforme a nos passions, a nos gouls, a nolre ambition, a nolre cupidite el a notre sensualile ; mais ceci n'est ni vrai ni juste. II nousimporle avant tout de faire ce que Dieu veul : « Accomplir la volonle de Dieu. voilaloul lhomme et toulelavie. » (Fccles..., 12, 13.) Cesl uii imporlant exemple que nous donne le Sauveur dans sa vie cachee. Pour quiconque a 1'esprit de foi, la Volonte de Dieu, ([uelle qu'elle puisse etre, renferme assez de grandeur, de sain- lele, de sagesse et de beaute pour le rendre non seulement con- tent, mais encore parfaitement heureux : celui qui fail ce que

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Dieu veut fait cequ'il faut, et celui que Dieu connaita assez de celebrite et de grandeur.

Nesl-il pas vrai que, pendanl la longue dureedelavie cachee de Jesus, il s'accoraplit de norabreuses et grandes choses sur la terre, dans la polilique, dans les sciences et dans Ia religion; raalgre cela, aucune creature n'a procure alors a Dieu autanl de glpire el autant de joie que son Fils, dans le silence de Nazarelh et dans Fobscurite de ses occupations.

B. Le second inotif ou la seconde raison de la vie cachee du Messie est la consideration des besoins de riiomrae. Le divin Sauveur nous donne, dans cetle vie, 1'exemple de la vie chre- tienne ordinaire, de la vie de la plus grande parlie deshommes, el pose ainsi les fondemenls du progres individuel et du progres social, de laprosperile privee et de la prosperite publique. Gelle clouble prosperite est comprise totalemenl dans les limiles de la vie cachee, c'esl-a-dire dans Tobeissance, dans 1'humilite et dans le travail, suivanl 1'ideal de la vie du Sauveur : telles sont les basesdubonheur deriiommeel memelesbasesde toulleChrislia- nisme. Avanl de prGcher 1'Evangile el de renouveler la sociele humaine par sa doctrine, le Messie veut lui-meme pratiquer cel Evangile, et etablir en lui el dans sa vie les veritables fondemenls du bien universel de la sociele humaine; et il le fait dans sa vie cachee : cette vie est donc TEvangile de la vie sociale. En effel, comme la vie cachee est la base et le fondement de tout, comnie la plus grande portion de riiumanite mene cetle vie el doit y meriter leciel, Jesus,lui aussi, elanl le Hedempteurde lous, n'en veut pas d'autre pendanl la plus grande parlie de son existence ici-bas. II ne cherche pas son bien particulier, mais il cherche le bien general. Celle vie cachee n'est donc ni inutile ni perdue : elle forme bien une parl essentielle de 1'ceuvre de sa Redemption. II esl veritablemenl ici « le Dieu Sauveur cache : Veretu es Deus ahscondilus, Deus lsrael Salvalor » (Is., 45, 15). Nous devons IVn remercier et prendre pour nous cette lecon, qu'on ne con- Iribue jamais plus au bien general que lorsqu'on sert Dieu ou que 1'on fail sa volonte.

APPLIC. DES SENS : VIE CACUEE DU SAUVEUR 45'

APPLICATIOX DES SENS

UN JOrR A NAZARETH

A. Localile. Nazaretb, la ville blanclie, la fleur de la (lalilee, se trouve, tranquille et silencieuse, cachee au 1'ondd'une vallee ayant 1'aspect d'une vaste conque, au centre d'une cou- ronne de collines, au milieu des hauteurs qui liiuitenl au nord la plaine d'Esdrelon. Surle penchant sud-est d'une des monlagnes cle 1'ouest s'elevent, du bas de la vallee oblongue de Nazarelh, par rangees superposees, les propretles maisons blanches de la pelileville : elles s'eehelonnenl, mais loujours avecrirregularile orientale, jusqu'a mi-hauleur de la inontagne escarpee. Les ver- sants, du sud a 1'est, sonl bien cullives : les champs de ble aller- nent avec les vignes; des plantations de figuiers et de datliers, disperses ca et la, donnent a lout le paysage un caraclere ori- ginal, particulier a lacontree. Quant aux sommets calcaires qui couronnenl la ville, ils sonl deserls et remplis de rochers, el, surlout en hiver, ils laissenl paraitre comme un front grisalre et denude. Ici on ne voit ni de haules cimes en forme de lours ou de fleches hardies, ni d'affreux precipices, ni des forels aux soliludes profondeset hanlees par des revenanls. La physionomie de Nazareth est le calme, Texislence cachee, la douce gravile : c'esl une image de la vie commune de chaque jour.

La maison orientale forme la plupart du temps un carre ; elle est faile de pierre, ou de terreglaiseet declayonnage, et enduile de lait de chaux. Au-dessus des chambres, de deux au plus pour lordinaire, il y a la terrasseavec un parapet el souvent avec une sorle de pelile lour : sur celle terrasse l'on prie et en ele l'on dorl, sous un berceau de feuillage ou de joncs. Un escalier mobile ou fixe relie la terrasse a la petite cour qui se Irouve devanl chaque demeure et qui est enlouree d'une haie ou d'un mur. Dans un coin de la cour, l'on voit le petilfour en pierre ou en argile, et quelquefois aussi une vigne el un figuier. Le mobi- lier de la maison est le plus simple du monde : quelques esca-

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beaux, une table, puis, le long des parois de la muraille, des coussins, des malelas et des lapis, ensuite une lampe, un grand cofTre pour le linge et les habits, un boisseau, quelques cruches a eau et le moulin a bras pour broyer le grain ; et c'est tout. La maison de la sainte Famille devait etre a peu pres dans les raemes conditions. Elle occupait remplacement de Teglise acluelie de l'Annoncialion el se coraposait de deux parlies. La parlie anlerieure etait un ouvrage de maconnerie et fut trans- porlee, au ras des fondalions, a Loretle, par les mains des Anges. La partie du fond est creusee danslerocher etcomprend d'abord la place « oii le Verbe s'est fail chair », puis un espace ou le Sauveur a du habiter, el enfin un aulre endroit qui parait avoir ete la cuisine; en tous cas, y apercoit-on encore aujour- d'hui une sorte de cheminee : ces differentes pieces forment rinterieur de la grolle, de la crypte acluelle, tandis que la partie anterieure decelle-ci, appelee la chapeile des Anges et qui n'est qu'un travail de maconnerie, elait autrefois au-dessous de la place occupee par la sainte maison de Lorette, et se trouve aiijourdhui au-dessous de 1'eglise raeme de l'Annoncialion a jNazareth. Au nord-est, dans le voisinage de cette eglise, on venere « 1'atelier de saint Joseph » ; en Orient, en effet, 1'atelier esl separe du lieu de riiabitation. A dix minutes de la ville, a l'est, apparait, entouree d'oliviers et de cacliers, « la fontaine de Marie », oii les femraes de Nazarelh vont encore acluellement puiser de l'eau. II est certain que la Mere de Dieu y est venue, plusieurs fois le jour, chercher de l'eau, et sen est relournee a la raaison, portant sa cruche pleine sur la tete; sans doule aussi, le petit Jesus 1'accorapagnail souvent a la fon- taine, lenant a la main une pelite cruche, quil reraplissait d'eau et rapportait ensuite, corame d'ailleurs le font meme aujourd'hui les enfanls de Nazareth. La montagne sur le flanc de laquelle s'eleve en parlie Nazarelh esl assez haute et offre une tres belle vue, d'abord sur la vallee de Nazareth, le Thabor, le pelit Her- mon, Endor et Naira, puis sur la plaine d'Esdrelon, le Garmel et la Mediterranee, enfin sur la ville de Saphet, le grand Hermon et les chaines de montagnes bleues, dans le lointain, au-dela de la mer de Galilee : rencaissement profond de celle-ci

APPLIC. DES SE.NS \ VIE CACHEE DU SAUVEUR 459

1'einpeche d'elre apercue. Lne pelile riviere coule de 1'est de celle jolie vallee dans la direction du sud.

Nous pouvoQS nous represenler le Sauveur a differents ages de sa jeunesse... Sa taille est grande et quelque peu svelle ; son visage esl ovale, assez maigre et comrae resplendissanl, de cou- leur saine, plutut pale. Ses cheveux, lirant sur le blond fauve, sont divises par le milieu et relombent sur ses epaules. Sa lu- nique, qui est d'un brun clair, descend jusqu'aux piedsels'elar- git aux extremiles des manches,

B. Un jour ordinaire. II est encore tres malin ; le soleil n'est pas encore leve sur les hauteurs de Nazarelh. Le Sauveur repose et dort dans sa pelile chambre du rocher : qu'il est beau ! qu'il esl modesle ! II ressemble a un Ange sursa nalle el dans sa couverlure, ayant une main sous sa lele et 1'autre sur sa poilrine. II s'eveille, el aussitot il se leve avec la plus graude decence. Son coeur el ses yeux sont deja lournes du cote du ciel vers son Pere celesle : Deus, Deus meus, ad le de lace vigilo ! II observe, croyons-le, quelques-unes de nos Additions, remer- cie Dieu clu repos de la nuit, lui oilre la journee presente, lait lout promplement, mais aveccalme, tranquillite et sans bruit, de maniere a ne troubler personne. Puis il va commencer sa priere : ayant suivi cLabord sans doute plusieurs des Additions, il prie, mentalement et vocalement, laisant celte meditation du malin avec une devotion exlraordinaire, el aussi longue, peut-elre meme plus longue que la nolre. Le sujet de son oraison peut bien elre le Pater noster. En tout cas, la priere du Sauveur est parlout et toujours la priere de rHomme-Dieu ; elle esl, par consequent, une priere calliolique, universelle. Son oraison terminee, il se rend dans la petite cuisine pour y preparer lout ce dont sa Mere pourra avoir besoin pendantla journee; probablemenlbalaye-l-il alors les chambrelles : car une grancle proprete regne dans celle petile maison. Le moment est venu de saluer sa Mere bien- aimee et le bon sainl Joseph : il le fait avec un profond respect et chaque fois avec un amour toujours nouveau, el recoit sans doule leur benediction. II leur demande s'ils ont quelque chose a arranger el soffre a les aider. II se rend, peut-etre aussi, cle tres bonne heure, a la fontaine, afin tout d'abord de pourvoir sa

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Mere d'eau el ensuile'pour ne pas s'y rencontrer avec tin grand nombre de fernmes et de jeunes fdles. Toul pensif, il voit 1'eau monter dans sa cruche et songe a 1'eau qu'il donnera i\n jour pres du puils de Jacob, a 1'eau qu'il fera repandre, dans chaqne eglise cliretienne, au\ baptemes el sur les aulels, ou son Sang se mele a 1'eau, pour eflacer les peches du monde.

LMieure du travail est arrivee, et le Sauveur se rend avec sainl Joseph a Talelier. II laisse saint Joseph marcher a droite et porle lui-meme toute sorle d'outils. Le Messie veut, dans son enfance, filre forme au Iravail, et son Pere nourricier lui montre la ma- niere de commencer un ouvrage. Quelquefois sainl Joseph pose sa large main d'liomme sur la petite main de rEnfanl-Jesus, afiu de !a conduire ainsi ; alors son ame, en adoralion devanl Dieu, surabonde damonr, el pourtant il tnnterrompt pas pour cela son enseignement : c'est sa fonclion et il la comprend a merveille. l^e Sauveur se fail toujours assigner son Iravail ; il y mel lou- jours de lardeur et de la perseverance, mais avec calme, rn6me quand le soleil esl deja haut, que les goulles de sueur perlent sur son beau fronl et que sa poilrinese souleve pour attirer lair el respiier. II nc sorl pas, ne perd pas un inslanl a slalionner el a parler inulilement. II repond loujours avec altention, egard et amabilile ;'i loules les interrogations, rend lous les saluts a ceux qui passenl ou qui s'arrelenl. II travaille avec de pauvres oulils et a la maniere de ce lemps-la. II laisse a saint Jose|)h Fouvrage le plus aise, et prend pour lui le plus diflicile, en sorle que ses tendres mains peu a peu deviennenl dures.

A 1'heui e du diner, le Sauveur relourne avec saint Joseph a la maison, que sa Mere a gardee pendanl leur absence : c'est a la niailresse du logis qu^apparlient de moudre le grain, de preparer le manger, de liler la laine, de confeclionner les velemenls, de puiser de leau el d'aller au marche pour faire les empletles ; el c'esl ce dont s^acquitte tres bien la Sainte Vierge. Peut-elre que le Seigneur aussi met la table et aide sa Mere dans les travaux de la maison. Jesus, Marie el Joseph peuvenl, en ce momenl, faire un pelil exercice de piete, dans le genre de notre examen de conscience ; ensuile ils se lavenl les mains. Sainl Josepli fail la prieie avant le repas, et le Sauveur el Marie sHinissenl a lui

APPLIC. DES SENS : VIE CACHEE DU .SAUVEUR 4G1

avec devolion et recueillement. Jesus prend la derniere place a table ; il se laisse servir les mets par saint Joseph, ne regarde pas ce qui est apporle et ne se plainl jamais : toul ce qui a ele prepare parsaMere est pourlui excellent. Yoici le detail des mels de ce pays : chair des animaux non impurs, rolie a la broche ou bouillie dans le pot-au-feu, volaille, poissons ; lait caille ou non, beurre frais ou sale, fromage, miel, millet, len- tilles, feves, concombres, melons, poireaux, oignons, figues, dalles, grenades, pommes, noix, amandes ; galelles, palisseries. Les pauvres gens se contenlenl de pain, de vinaigre, de miel et de rolies. Les aliments sont pris avec la main dans les plals oii ils se trouvent ; le pain est coupe, la viande parlagee el, apres avoir ete trempee dans la sauce ou dans le vinaigre, porlee a la bouche sur un pelit morceau de pain. Pendant le repas, avantdemanger ou apres Pavoir fait, on presenle nn verre cPeau ou de vin a boire. En prenant leurs repas, les membres de la sainle Famille ont des conversalions aimables et pieuses, tout en s'appliquant a garder le recueillement, la modestie et la bienseance. Quand, apres le diner, la table est debarrassee, ils prennent enlre eux une douce et honnete recrealion, puis de nouveau Joseph et Jesus se rendenl a 1'alelier. Pendanl le Ua- vail de Tapres-midi, ils boivent a peine et parlent peu. Quel- quefois alors, ils peuvent recevoir la visile de Marie, qui vienl, avec son ouvrage, pour s'edifier aupres de Jesus. Le soir arrive, le Sauveur mel toul en ordre, les planches, les outils, el ramasse les copeaux pour les placer dans un meme endroit. II esl lemps de revenir au logis. Dans la soiree, il y a le pelil souper, la recrealion, penclant laquelle le Sauveur lit quelques passages de TEcrilure et, quand il es.t plus grand, explique lui meme d^une maniere admirable le lexle sacre qu'il a lu. Ensuile ils se lien- nent tous debout, les bras croises, sous un chandelier a plu- sieurs branches, pour reciler leurs prieres. Ils vont enlin prendre leur repos.

G. Jours extraordinaires. Arrivenl aussi le sabbat el les jours de fetes obligaloires, pendant lesquels la sainle Famille ne travaille pas, mais se livre enlieremeul a la piete el aux bonnes ceuvres. Le Sauveur revet, dans ces occasions, ses

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meilleurs habils et va a la Synagogue, qui se trouve sur la plaee du marche. La il prie a haute voix et chanle les psaumes avec toul le monde ; puis il ecoule 1'explication de la loi et des pro- pheles. II pourrait, certes, tout inlerpreter beaucoup mieux et avec plus de profondeur ; mais il ne le fait jamais et il nedonne non plus aucun signe de desapprobation, quand l'explicalion n'est pas exacle ou qu'elle aurail pu elre meilleure.

La sainte Famille recoit el fait en ces jours quelques visites ; elle ne frequente que des voisins connus et des parenls. Alois Jesus se recree et joue avec des enfanls ou des jeunes gens de son age ; il se montre toujours tres aimable et tres edifianl dans les jeux, et il profite de 1'occasion pour inslruire ses camarades el leur faire du bien. Les malades et les pauvres ne sont pas oublies : Jesus esta c6le de Marie dans les visites de charite, ou il distribue de faibles aumones sans doule, quelques petits pre- sents, mais surlout des paroles precieuses de consolation. Les jours de sabbat et des f6tes sonl aussi des jours de petiles pro- menades dans la vallee charmante, sur les bords de la petite riviere ou sur les hauleurs, cPou l'on decouvre un si beau paysage. Que peut bien penser et eprouver le Sauveur, en voyant la mer sur laquelle ses Apotres s'embarqueront un jour pour aller dans tout 1'univers, en voyant le grand Hermon, au pied duquel il fera a Pierre la promesse de sa primaute, en voyant le Thabor, Naim et la contree oii se trouvent le lac de Tiberiade el Gapharnaiim, Magdala et Belhsaide? Peut-elre passe-t-il quelquefois au bas de la hauteur abrupte d'ou un jour on vou- dra le precipiter. Tout, de tous coles, lui rappelle les grands bienfails de Dieu el les grandes choses qu'il veut oper^r, et il s'en rejouit ; il n'oublie pas non plus alors tous ses Apolres et ses disciples, qui deja vivent et grandissent ici et la, el toutes les ames a qui il devra faire du bien plus tard.

Telle est la vie du Messie a Nazarelh, vie toule pleine de saintele et de doux agremenls. Les complaisances de Dieu el des hommes reposent sur lui. Jesus est calme, paisible, silencieux, mais aussi tres aimable el serviable ; il montre une grande inlel- ligence pendanl Tenfance, 1'adolescence et 1'age d'homme. II est comme un centre ou un foyer d'edificalion, de graces et de joie

APPLIC. DES SENS : VIE CACHEE DU SALVEIR 463

indicibles. Tous le regardent avec veneration et amour ; tous fonl volontiers sa renconlre et ont toujours un mot a lui dire. II repond par un regard ou par une parole, el tous se senlent heu- reux. Les meres, avec leurs cruches d'eau sur la lete, se relour- nent, quand elles le voient passer, et porlent une sainle envie a Marie d'avoir un tel Fils, tout affliges d'avoir des enfants mechanls et indisciplines. Les rudes el inculles habilants de Nazareth deviennent plus doux et plus polis, leurs cceurs froids et durs s'amollissent, quand Jesus apparail, quand un regard de lui tombe sur eux. II est deja le Roi des coeurs, mais, helas ! qu'adviendrait-il s'il pretendait a sa Royaute comme Messie ! Ges hommes voudraient lui ravir sa couronne.

LE SAUVEUR AU TEMPLE

(Luc, 2, 41-50.)

I. Principales circonslances du mystere.

A. Elles sonL au nombre de qualre :

Premierement, le Sauveur a douze ans et a, par consequenl, alteinl 1'age de l'emancipalion. II devient, de plein droit membre de la communaule juive et est desormais tenu et soumis a la loi judaiquc, ou, comme on le disail, « il est desormais fils de la loi ». II doit donc, comme tel, se rendre Irois fois par an a Jerusalem, pour celebrer les feles solennelles de sa nation. (Luc, 2, 42.)

Devxiemement, le lieu du myslere est Jerusalem et son lem- ple, el le temps en est 1'epoque tle la Paque. Or, Jerusalem et ie temple furenl toujours desigoes par les Propheles comme les lieux oii le Messie viendrail el se mamleslerail. LaPaque meme elait la principale fcle de TAncienne Alliance, el son sacrifice, Fagneau pascal, le plus excellenl de ses sacrifices, et tous deux, le sacrilice de 1'agneau et la fele de la Piique, elant les plus par- failes figures de la Redemplion, se trouvent par consequent dans les rapports les plus inlimes avec le Messie. (Luc, 2, 41.)

Troisiemement, le Sauveur non seulement vient a Jerusalem pour la fele pascale el y prend part pour la premiere fois, comme il le doit, el avec tout le recueillement de la devotion ; mais de plus il visite alors la synagogue, s'y monlre et allire sur lui, par la sagesse el la prudence de ses demandes el de ses reponses, rattention et radmiralion generales (2, 47. 48).

Quatriemement, il se souslrait ainsi, de fait, a la vigilance de

LE SAUVKUR AU TEMPLE 46»

ses Parents : il les laisse partir seuls; et il se fait chercher par eux, trois jours durant, malgre leur grande douleur et leur grande angoisse, jusqiTa ce qu'enfin ils le retrouvent dans le temple, au milieu des docteurs de la loi. (Luc, 2, 43. 45. 46.)

B. Getle conduile, surlout acause des deux dernieres cir- constances, esl sans doute toul a fait exlraordinaire et meme elrange. Elle est en opposition complete avec la vie cacliee au milieu de laquelle ce mystere se passe, autour de laquelle ce phenomene gravite ; elle est en opposition avec robscurile, avec riiumilile el avec 1'obeissance de cetle vie ; oui, toule cette con- dtiite est, sous plus d'un rapport, un manquemenl aux devoirs de 1'enfant envers ses parents dans les circonslances ordinaires de la vie. Car qui comprend la conduite d'un fils qui mel ses parents dans Tembarras et les plonge dans Tangoisse, pendant que lui le sait et ne fail pas un seul pas pour leur epargner ou abreger cetle grandepeine? La surprise de ce singulier procede donne lieu a la douce plainle de la Mere de Dieu : « 0 Fils, pourquoinous avez-vous faitcela? Volre pere el moi nous vous cliercbions, accables de douleurs. » (Luc, 2, 48.)

Nous sommes ici en presence d^un profond mystere.

II. Signi/ication et portee du mystere.

A. La significalion generale du mystere, le Sauveur la donne dans sa reponse : « Ne saviez-vous donc pas qu'il faul queje sois aux chosesde mon Pere? » (Luc, 2, 49.)

Ges paroles ne peuvent avoir d'autre sens que celui-ci : « J'agis mainlenant suivanl une volonte superieurede mon Pere celeste el, parce quej'ai fail pendant ces trois jours, j'ai accom- pli un ordrede mon Pere. »

Ii. Mais quel est en parliculier cet ordre, cette volonte de son Pere?— Le Sauveur Ta declare assez souvent dans lasuile de sa vie (Joann., 4, 34 ; 5, 30 ; 6, 37-40 ; 17, 3) : c'esl de pro- curer la gloirede ce Pere celeste el le salut des liommes par la revelalion de la mission divine el de la Divinite de son Fils. Voila donc la porlee qu'a encore ce myslere. Ce sejour a Jerusalem et cette venue au lemple sont une manifestalion per-

30

466 DEUXIEME SEMAINE

sonnelle du Messie, un veritable prelude, mais court, de sa vie publique de Docteur et sous le double rapport du but poursuivi et des moyens employes :

Premidrement, la visite du Sauveur au temple est un prelude de sa vie publique au point de vue du but qu'il s'y est propose. Toute la vie publique du Sauveur est un solennel temoignage rendu a lui-meme, une revelation de sa venue, de sa mission et de sa Divinite, parsa doctrine etpar ses miracles. Or, le mystere qui nous occupe n'a pas d'autre fin, quoique sur une scene moins grande et dans des proporlions plus petites. En effel, ponrquoi le Messie se presente-t-il ici publiquement? Pourquoi fait-il briller sa sagesse ? Pourquoi selaisse-t-il admirer? Getle conduile lfest, sans aucun doute,qu'une nouvelle manifestation du Sauveur, et une manifestation caracleristiqueet importante. Elle est caracteristique et importanle, d'abord parce qu'elle est la premiere manifestation personnelle : jusque-la sa venue n'avait ete revelee que par d'autres, par sainte Elisabeth, parles Anges, etc, el, aujourdhui, il se manifesle lui-meme. De plus, elle est caracteristique, parce qifelle est tres aimable : quel spectacle plus charmant que celui d'un enfant doue d'une grande et belle intelligence? Enfin, elle est caracterisliqueet d'une grande importance, parce qifelle est tres eclalante : le Sauveur montre sa sagesse, appelle mysterieusement Dieu son Pere, el son temoignage est si fort que les docteurs de la loi radmeltent au sein de leur assemblee. Cest la un fait tout a fait inoui, surlout quand on se rappellerautorite considerable dont jouissait alors cette assemblee ; aussi les sainls Peres disent-ils que cet evenement fut uu miracle. A Texempledu jeune Samuel qui avait instruit H-eli, et de Daniel, fadolescent qui avait ren- seigne les anciens, le Sauveur donne dans le temple deslecons et des conseils aux docteurs m£mes de la loi : il laisse ecliapper ainsi d'avance un rayon magnifique du foyer de la science divine qifil devait repandre de tous cotesplus tard.

Deuxiemement, cetle manifestalion du Messie est aussi un prelude de sa vie publique sous le rapport des moyens qifil y emploie pour atteindre la fin qu'il s^est proposee. Quels sont ces moyens? Le complet detachement du foyer et de la maison, de la chair et du sang : donc la pauvrele et la separation

LE SAUVEUR AU TEUPLE 467

de sa Famille. Gomme, pltis tard, il abandonnera sa Mere et vivra d'aum6nes, ainsi mainlenant il demande la charite, pour sabriler et se nourrir; il quitle, mais seulement pour peu de temps, son Pere et sa Mere, et cela dans des circonslances tres criliques, a leur insn, et en imposant a eux et a lui-meme une Ires vive peine et nn tresgrandsacrifice. Ce mystere estdonc une verilable manifestation personnelle, et une revelation sou- daine et eclatante de la vocalion messianique de Jesus, au milieu de robscurile et du calme de la vie cachee. Cest pourquoi ses Parents s'etonnent tant d'un pareil evenement. (Luc, 2, 50.)

III. finisons du mystere.

Elles sont au nombie de trois principales :

A. Cest dabord en eonsideration des Juifs que s'accom- plil ce mystere. II est Ires imporlant que le Sauveur rende, dans 1'occasron presente, temoignage de lui-meme. La derniere revelation a son sujet a ete faile par les Mages, et la procliaine manifestation du Seigneur ne devra se produire qu'a son bap- teme sur les bords du Jourdain. II convient tout a fait qu'il paraisse en public acluellemenl, surtout au milieu de robscurite de son long sejour a Nazareth : ce mystere relie ainsi entre elles les manifestations de son enfanceet celles de sa vie publique. A cet effel, le lieu, le temps et lescirconstances sont d'ailleurstres bien choisis : le Sauveur se revele dans la salle des docleurs, el en presence meme de ceux dont le devoir et la tache sont de conduire au Christ, de faire connaitre le Messie.

B. Le myslere de la vie cachee a lieu ensuite a cause des Parents de Jesus, surtout dans Pinteret de sa Mere. Pour Marie aussi ce mystere est une revelation plus parfaite de la vocation superieure de Jesus : il lui apprend que son Fils if exisle pas seulement pour elle et sa Famille, mais qifil depend d'une autorite plus haute. Dans ce but, sa douzieme annee est bien choisie : c'est 1'age ou fenfant sort de la lutelle de ses parents. Le Sauveur veut dejti preparer sa sainle Mere a la separalion definitive qui se fera immediatement avant sa vie publique.

C. Nous-memes enfin nous sommes la troisieme raison

468 DEUXIEME SEMAINE

d'elre de ce myslere. Nous avions besoin d'un grand exemple, de 1'exemple de la fidelile a suivre 1'appel de Dieu, si jamais nous en enlendions la voix. Ce myslere est un vrai myslere de vocalion, qui nous apprend a repondreafappel de Dieu el nous fail un devoir de suivre sa volonle, quelle qifelle puisse elre. Aussi le Sauveur l'accomplil-il dans sajeunesse, parce que c'esl d'ordinaire dans la jeunesse que le devoir du choix d'une voca- lion s'impose : lout le myslere esl dirige dans ce sens.

LTexemple du Sauveur nous enseigne en quoi et comment nous devons obeir a Dieu. LTappel de Dieu est ici pour Notre- Seigneur insolile et extraordinaire, si l'on en considere le but : le Messie doil se produire publiquement et rendre lemoignage de lui-meme ; cet appel est exlraordinaire, si l"on en considere le lemps : le Sauveur n'a que douze ans ; enfin ilesl exlraordi- naire, si l'on en considere les circonslances : Jesus doil briser tous les liens de la chair et du s-ang el imposer a lui-meme el a ses Parents de durs sacrifices. En un mol, 1'appel de Dieu esl lout a 1'ait inaccoutume : c'est un appel a une vocation plus liaule, meme a la vocalion la plus sublime, comme le dil sainl Ignace, au service exclusifde Dieu (ut selerni Palris sui servilio pure [unice] vacarel), a la perfeclion evangelique, qui alleint son degre le plus eleve dans la vie aposlolique.

Mais le Sauveur ne nous apprend pas seulement en quoi nous devons suivre 1'appel de Dieu, il nous apprend encore comment il nousfaut obeir a Dieu. Or Notre-Seigneur obeit parfailement, c'esl-a-dire aussilol, avec courage et exactilude. 11 n'adoucil ramerlume du sacrifice ni a lui ni a sesParents : il leur echappe, 5-ans les y avoir prepares ; il ne fait aucun pas pour aller <i leur renconlre, et, quand ils le relrouvent, il ne fail pas la moindre excuse ni la moindre reparalion ; il se contente de prononcer la senlence, la parole grave et majestueuse : « Ne saviez-vous pas qn'il faul que je sois aux choses de mon Pere? » Par ces quel- ques motset par son exemple, il renverse lous les obstacles qui peuvenl s'opposer a une vocation, de n'importe quel cole ils s'elevenl, qifils viennenl soil de la lendresse de l'age, soil des egards dus aux parenls, soit des sacrifices de la vocalion elle- ineme : il ify a aucunedifficulle de vocalionqui ne soilcomprise

PREMIERE REPETITION \ LE SAUVELR AU TE.MPLE 460

dans ce myslere et qui ne soit en raeme temps aplanie par 1'exemple du Sauveur.

Cest sans doute pour nous le moment, non pas de decouvrir nolre vocation, puisque nous 1'avons Irouvee deja, mais plulol (\'en remercier Dieu. de nous en rejouir, puisqu'elleest lameme que celle du Sauveur, de nous y affermir, et de prendre nos precautions en vue de toules les difficultes qui pourront se pre- senler...

PREMIERE REPETITION

A. Considerons la promplitude de volonte avec laquelle le Sauveur repond a 1'appel de Dieu : non seulementil n'hesilepas a abandonner ses parenls pour se manifesler a Jerusalem, mais encoreil se laisse, sans difficulte el meme avec joie, reprendre par les siens et ramener a Nazarelh, pour s'y cacher dans l'ob- scurile d'une vie tout a fait commune et ordinaire. Apres avoir brille avec tant declal pendant trois jours, dans le temple de Jerusalem, « la Lnmiere » est de nouveau misesousleboisseau, a Nazaretli, oii pourlanl elle se consumera, avec toule sa force et sa vivacite, en rhonneur el en presence de Dieu, comme la veilleuse devant le labernacle d'une eglise solitaire.

B. Nous avons ici a contemplerla Mere de Dieuaux prises avec la grande epreuve que la Providence lui menage. II nous faut considerer son immense douleur tant a cause d'elle-meme qu'a cause de son Fils, donl elle se voil privee, sans savoir ce qu'il est devenu, de ce Fils qu'elle airae plus que sa vie. II nous faut aussi considerer sa patience el sa parfaile resignation a la volonle de Dieu, qu'elle accoraplit en tout point ; la profonde lramilile de son cceur, puisqifelleseeroit indigne de la presence de Jesus et, pour cetle raison, meme responsable de sa perte ; et enfin son ardeur infaligable et sa perseverance a chercher le Sauveur perdu : ce ne serait pas trop pour elle de faire le tour du monde pour le relrouver.

De plus, nous pouvons considerer dans la Mere de Dieu le beau et parfail modele, offert aux parents que preoccupe la ques- tionde l'avenir ou de la vucalion de leurs enfants. Dans lacon-

470 DEUXIEME SEMAINE

science de sa dignite maternelle, et aussi a cause de l'inter£l qu'elle porte a Jesus et de l'amour incomparable qu'elle a pour lui, elle lui demande avec raison pourquoi il a agi ainsi avecson Pere et sa Mere. A la reponse grave du Sauveur, Marie se tail, s'incline et adraire. Les parenls ont sans doute le droit et le devoir de s'enquerir de la vocation de leurs enfanls et de 1'eprou- ver, mais ils n'ont pas le droit de s'y opposer et de la reudre impossible. Loin de la, ils ont le devoir de sesoumellre, avec patience el generosite a la volonle de Dieu, aussilot qu'elle est manifestee. La volonte de Dieu, et rien que la volonle de Dieu, est, dans cescirconstances,leur seuleloi etl'unique regle de leur eonduile : car eux aussi doiventelre aux choses qui regardenlle service de leur Pere. Alors ilsont partaux grands avanlagesqui resultentde la vocation de leurs enfants.Marieeslunmagnifique exemple, en meme lemps qu'un aide puissant, pour triompher des difficulles que renconlrent les parentsdans la question de la vocalion de leurs enfants : par sa vertu heroique, elle a merite des graces parliculieres a tous les parents qui ont a subir une pareille epreuve ; a nous d'amener les parents a profiter de ces graces de choix.

G. Mais il esl surtout de la plus grande importance, dans la meditation de cemystere,de bien remarquer cequi peul nous empecher plus ou moins de suivre 1'appel de Dieu : c'est pn;s- que loujours une attache a un bien exlerieur ou a la chair et au sang. II nous faut alors allaquer cet obstacle et chercher a 1'eloi- gnerde notre cceur, en consideranl les motifs que nous avons d'agir ainsi et qui se trouvent daus ce rayslere :

Le premier motif est Dieu. Dieua des droils sur nous, plus de droits que lous les aulres horaines, raeme les droits les plus slricts ; il a cerles tous les droits sur nolre service, sur nos for- ces, sur notre temps, sur nolre vie, sur notre personne et sur nolre amour. N'esl-il pas nolre Maitre, notre Greateur, notre souverain Bien ; et nous devons laimer de tout notre cceur, de loule notre ame et par-dessuslout. Or, ratlachementa une crea- lure eloigne Dieu de nolre coeur, prive Dieu de notre service, de notretemps, de nos forces, de nolre fidelile et surtout de notre amour. Et qu'est-ce que tout ce que nous donnons a Dieu, si

PREMIERE REPETITIOX ! LE SAUVELR AU TEMPLE 471

ramour y manque? Cest une offrande, un don fait sansle coeur. Nous ne vivons plus sous 1'Ancien Testament, dans le tempsoii Fon croyait que Dieu agreait le sang des taureaux etdes beliers. Sans amour. sans coeur, tout ce que nous faisons ivest pas plus aux yeux de Dieu que du sang des boucs et des genisses. Dieu veut avant tout nolre coeuret notreamour ; tout le reste ne suffit pas pour le salisfaire : donnons-lui donc nolre eceur !

Le second molif que nousavons de rompre Fattaclie aux crea- tures se trouve dans 1'exeiiiple memeque nousdonne le Sauveur dans ce mystere. Lareponse de Jesus ases parents : « Ne saviez- vous pas qu'il fallait que je fusse aux clioses de mon Pere? » est la premiere parole duSauveur citee par lasainte Ecrilure. Cest une parole grave, majeslueuse et pleine de sens, qui nous per- met, pour la premiere fois, de jeter un regard dans son Cceur, de penetrer les senliments intimes de son amour et de son res- pect infinis pourDieu, le Pere celeste. Dans leCoeur de Jesusest et regne Dieu, Dieu seul et sa sainle Yolonte : tout le reste dis- parait ou sefface devant cette Yolonte divine, meaie les affec- tions, les sentiments les plus saints et les plus legitimes. 11 y a assurement un jugement grave et severe, porte par le Sauveur contre nos attaclies, dans la maniere dont il traite ses Parenls si chers el si saints. Qif avons-nous a dire contre celle conduite de Jesus?

Xous trouvons un troisieme motif de combattre nos affeclions dereglees dans le tort qu'elles fonl a nous et ii noire prochain. Elles nous delournenl tous, en effet, du but et de la fin de notre exislence. Ou trouver finalement notre bonbeur si ce n'esl en Dieu ? Ne faut-il pas un jour nous separer de toul? A quoi nos allaches nous serviront-ellesalors? Rappelons-nous ce quenous avoos medite dans rindifference des crealures. Nous jugeons de rimportance que saint Ignace donne k la contemplation de r*En- fanl-Jesus au temple, par les deux ou trois repetilionsqifil nous en prescrit dans le meme jour. Cest une raison suffisante pour nous faire prendre au serieux le sujet qui nous occupe.

472 DEUXIEME SEMAINE

DEUXIEME REPETITION

APPLICATION DU MYSTERE AUX SCOLASTIQUES ET JAUX NOVICES

Assurement rien n'est mieux que dese sanclifier et de sancli- fier les autres ; ensuile, de se sanctifier en sanclifiant les aulres elde sanctifier les autres en se sanclifiant. Le myslere de Jesus au lemple a 1'age de douze ans est un magnifique ideal de voca- tion, qui nous est ofiert a tous, meme aux Scolastiques et aux Novices de la Compagnie de Jesus. Quel est, en efiet, le bul, quels sont les moyens etquels sonl les resullals denotre voca- tion ?

I. Bul de notre vocation

A. Le but de notre vocation est eminemment apostolique, Nous travaillons a procurer lagloire deDieu elle salut deshom- mes par le moyen des oeuvres sacerdotales, dont lout le resume est TEvangile ou la revelation du Sauveur.

B. Or, ce but de nolre vocation est precisemenl le but du mystere que nous medilons aujourdluii. Jesus arrive, se mon- tre, se revele, et sefait reconnaitre. Et il fait tout cela tres I6t, dans Tage le plus lendre, pour indiquer que c'est bien la la vo- calion parliculiere de savie, et, en ce jour et en ce myslere, il nous donne une preuve el un exemple de cetle vocalion. II veul ainsi nous faire comprendre que lous nous devons avoir ce bul apostolique loujours devant nos yeux, des le premier inslant comme dans la suite desanneesde notre vie religieuse, quel que soit le rang que nous occupions dans la Gompagnie. Toutes nos penseeset tous nos eflbrls doivent lendre seulement la ou nous sommes toul a fait aux choses du servicede notre Pere.

II. Les moyens de nolre vocation.

II y a deux sorles demoyens d'atteindre le but de notre voca- lion ; ces deuxsorles de moyens, Notre-Seigneurles a employes

DEUXIEME P.EPET1TI0N '. LE SAUVEUR AU TEMPLE 473

lui-m£me d'avance dans le mystere qui est 1'objet de nolre me- ditation.

A. Les moyens interieurs. Le premier et le principal de ces moyens est la piete, 1'amour de la priere et la confiance dans la priere..., en un mot, la promptitude de nolre volonle a faire tout ce que leservice de Dieu nous demande (devotio essen- lialis : la devotion essenlielle). Quel magnifique exemple de celte devotion nous donne Jesus dans le temple de Jerusalem a 1'a.ge de douze ans! Non seulemenl il prie dans la maison de Dieu et y prend part aux exercices publics dela Religion ; mais encore il fait allenlion au moindre desir de la volonle de son Pere el il raccomplit au prix des plus grands sacrifices. Par celte devo- tion, par celle piele seule, nous arrivent les plus grands biens : le merile, le succes el la securite pendant nos annees d'elude et dans les ceuvres exterieures que nous faisons alors, toujours con- formement a noire vocation.

Le second moyen inlerieur d'alleindre la fin denotre vocalion est !a purete du coeur, qui consiste surtoutdansson delachement du foyer, des biens exterieurs et de la chair el du sang, suivant 1'exemple actuel du Sauveur.

Enfin, le troisieme moyen d'etre loujours fidele a nolre voca- tion est le zele des ames, qui n'a pas d'autre motif que l'amour de Dieu, c'esl-a-dire l'inlention de faire regner et glorifier Dieu dans les coeurs des hommes. II n'y a que le zele des ames qui retienne 1'Enfant Jesus a Jerusalem.

B. Les moyens exlerieurs. Pour alleindre le bul de notre vocation, nous avons encore des moyens exterieurs : ces moyens nous mettent en rapport avec les hommes et en etat d'exercer nolre influence sur eux. Cest avanttout ledesirde notre formalion et de notre progres dans la science. Le Sauveur visile la Synagogue et se range parmi les auditeurs et les disci- ples des docteurs qui y enseignent : il interroge et il ecoute. (Luc, 2, 46.)

Un autre moyen est l'intrepidile et lecourage : ne pas crain- dre de se produire publiquement. Siriionneur deDieu elle salut des hommes 1'exigent, nous devons pouvoir nous faire remarquer et meme briller. Pour plusieurs d'entre nous, il y ala parfois un verilable sacrifice. fLuc, 2, 47.)

474 DEUXIEME SEMAINE

Un dernier moyen pour nous cUagir sur les bommes est la modestie. Jesus ne se montre et ne se manifesle que parce que Dieu leveut; el dans lout Feclal qifil laisse paraitre, il se cache infininient plus qu'il ne se moulre. II ne cesse pas alors un ins- •tant d'elre modeste et, apres, il se laisse volontiers mettre de nouveau sous le boisseau. (Luc, 2, 51.)

III. Les resullats de notre vocatiori.

Si nous employons fidelement les moyens que nous venons dMndiquer, nous oblenons les heureux resullals de notre voca- tion.

A. Le premier de ces resullats est pour nous le progres, ravancement inlerieur et exttrieur; c'est le merite devant Dieu <4 Testime aupres des bommes. Nous croissons effectivement en sagesse et en grace devant Dieu et devant les bommes. (Luc, 2, 52.) Rien ne nous fail plus avancer dans la vie spirituelle que lemploi assidu des moyens de notre vocation.

B. Le second resultat de nos efforts est redificalion du prochain : nous devenons d'excellents instruments de grace et de salut pour un grand nombre dbommes.

G. Le troisienie resultal esl la gloire de Dieu. Soyons con- vaincus que, par nolre fidelile a atteindre la fin de nolre voca- tioii, meme des la jeunesse, nouscausons une grande joiea Dieu et nous lui rendons un importanl service.

Celle meditation doit conlribuer efficacemenl a augmenter notre amour et notre zele pour notre sainl elat, parce qu'en effet elle a pour objet la vie meme dont le Sauveur nous offre lexemple dans ce mystere et quil veul nous voir mener nous-memes.

APPLIGATION DES SENS

A. Voyage d Jerusalem. Jesus est age de douze ans et il va, pour la premiere fois, « comme Fils de la loi », a Jeru- salem, afin de celebrer la fele pascale. Deja, a la tombee de la nuit, les feuxbrulenlsur les hauteurs environnantes : ils annon-

APPLIC. DES SENS : LE SAUVEUR AU TEMPLE

cenl la fete de la nouvelle lune du mois de Nisan, et de toules parls l'on se prepare a faire le voyage de Jerusalem. Ce voyage dure trois jours et demi. Les pelerins peuvent prendre avec eux Tagneau pascal ; ils emportent eux-memes leurs habits de fele et les provisions de bouehe, ou ils les chargent sur des b6les de somme. On se divise par groupes el on forme des caravanes. Une grande joie regne, pendanl le voyage, parmi les pelerins, parce quela Paque est la principale des fetesde TAncien Testament. Le pelit Jesus se rejouil lui aussi : ne va-t-il pas dans la maison de son Pere; n'esl-ce pas la premiere fois qu'il va remplir son devoir pascal, rendre ses hommages publics a son Pere celesle, realiser proprement la significalion de la fete et se comporler, a cette occasion, d'une faoon merveilleuse? Cest avec une pro- fonde joie quil recile le psaume cxxi : Lielatus sum m his...

Le Sauveur voyage donc en pelerin au milieu des petits compa- triotes de son age. Son aimable saintete le rend bienlol sans con- teste le roi de la petite troupe qui Tenloure. 11 voyage ainsi tres recueilli et il veille a ce que ses jeunes amis marchent ensemble et gardent Tordre convenable. II protile en parliculier des souve- nirs qui lui rappellent les lieux sainls par ou il passe, pour edifler ses compagnons et les faire prier avec lui. Les hauteurs au bas et au milieu desquelles se trouve Nazareth s'abaisseut bienlol dans la plaine dEsdrelon, qui etale actuellement sa belle el brillanle parure du prinlemps. A gauche, le Sauveur voil le Thabor majestueux, le petit Hermon avec la ville de Naim, puis la chaine de monlagnes de Gelboe avec Endor et Sunem, oii le prophete Elisee a ressuscite le fils dune mere allligee. Au-dela de Jezrael, la caravane arrive iiGinea-la-G-racieuse, au pied des montagnes de la Samarie, la meme ou le Sauveur doil plustard guerirles dix lepreux. Maintenant le chemin traverse la Samarie, les montagnes et les vallees, couvertes d'oliviers, deterebinlhes, de grenadiers el de vignes, passe a cote de la ville meme de Samarie, quiest balie sur uue hauteur, dans une situalion magni- fique, et ahoutit a la ville de Sichem, si abondanle en eau, entre le pays severe dHebal et la verdoyante Gazarim. G'est ici qifAbraham a ree.u la promesse de la terre sainte ; que le peuple de Dieu a, plus lard, prele le serment de fidelile a la loi ; que

476 DEUXIEME SEMAINE

Joseph, fils de Jacob, a ete enterre et que se trouve le puils de Jacob, pres duquel Jesus converlira la Samaritaine. La contree devient maintenanl severe, et le cliemin esl rude et pierreux. Mais ensuite se presente Silo, ou asejournesi longtemps 1'arehe dalliance avant la conslruction du temple de Jerusalem : c'est a- Silo que le pelit Samuel, au service d'Heli, s'esl revele comme prophele. Plus loin, l'on rencontre 1'ancienne, la venerable Bethel, celebre par l'aulel qu'y eleva Abraham el par le songe de 1'echelle celeste de Jacob. De Bethel les pelerins apercoiven-t, pour la premiere fois, les creneaux du temple et le faile des mai- sons de Jerusalem. Enfin ils enlrent dans la vallee etroite et melancolique de Beroth, qui a pourtanl sa beaute : c'esl la der- nieie etape avant d'arriver a Jerusalem. On y voil la fontaine e! le palmier non loin desquels la prophelesse Debora rendaitr a 1'ombre d'unchene, la justice a son penple; dans les environs se trouve la villed'Ephrem, tont pres du desert de Jericho. Cest ainsi que ce voyage a travers des lieux remplis de monuments ou de souvenirs bibliques devienl un veritable pelerinage. Jesus rappelle tous ces souvenirs sacres et chanle joyeusement le psaume lxxxiii, qui est celui des pelerins : Quam dilecla taber- nacula! \\ a soin de ses compagnons, parliculierement sur les. chemins des monlagnes, leur rendant tous les services qui sonl en son pouvoir. Enfin il salue avec allegresse la ville sainte et le temple, des qu'il les apercoit du haut du mont Scopus.

B. La fele pascale. Vraisemblablement, la sainle Famille recoit 1'hospitalile chez des personnesamies et connues. Le Sauveur prend part a toutes les ceremonies de la solennile de la Paque. Le treizieme jour de Nisan, & la chute du jour, tous les levains sont enleves des maisons. Le quatorzieme jour, dans l'apres-midi, apres le sacrifice du soir, chaque chef de famille immole son agneau dans le parvis des pretres, et les preires repandenl le sang des victimes, avec des coupes d'or, sur 1'autel de l'holocauste, tandis que les trompelles resonnent el que se chanle le petil alleluia (Ps. cxiu). Apres que les mor- ceaux graisseux des agneaux ont ele mis sur 1'autel, chacun des agneaux, depouille de sa peau, est emporle avec les entrailles dans chacune des demeures des Juifs, oii on le rotit sur une

APPLIC DES SENS : LE SAUVfiUR AU TEMPLE 477

broclie faile de bois de grenadier. Apres la tombee de la nuil, a lieu la manducalion de 1'agneau pascal. Le quinzieme jour de Nisan, tons les hommes doivenl aller au lemple pour le sacrifice extraordinaire que les pretres olTriront, sepl jours durant, avec le sacrificedu malin. Le sacrificeextraordinaire consiste d'abord a offrir en holocauste deux jeunes boeufs, un belier el six agneaux d'un an, el ensuite a immoler un bouc pour Texpialion des peches. Ges sept jours de feles sont solennises comme les jours du sabbal. Le 15 de Nisan au soir, Torgeeslcoupee en pre- sence du peuple et mise en gerbes, afin d'en offrir a Dieu les premices. Le 16 du meme raois, les bles sont ballus, raoulus et presentes a Dieu ; une partie en esl brulee et offerte en holo- causle avec uu agneau d'un an et un don de vin el de farine de fromenl. C'esl par ce sacrifice que s'ouvre la moisson, qui con- linue jusqu'a la Pentecote. Les pelerins peuvenl s'en relourner chez eux quand les premices des gerbes ont jele offerles a Dieu.

rroutes ces ceremonies fonl une grandeimpression sur le divin Sauveur, parce qifattcune fele et aucun sacritice ne figureiil sa Personne el sa Redemption, son double sacrifice, sanglant el eucharistique, aussi parfailemenl que la fele pascale el Tagneau pascal. II comprend loule la significalion de ces differentescere- monies et songe a la Paque qu'il celebrera dans vingt el un ans el qu'il accomplit davance aujourdhui par un ardent desir. Son Gceur redit sans cesse les paroles : Ecce vertio !

G. Jesus rente d Jerusalem el esl relrouve dans le temple. Peut-etre que les parents deJesus decidenl, avec desgensde leur pays, de relourner a Nazarelh apres 1'offrande des gerbes. Gomine les sexes sonl separesdaus les offices du leraple el aussi pendant le voyage, il est facile au Sauveur de rester dans le leinple sans elre remarque, apres le depart de Marie et de Joseph. Geux-ci ont dejafait un jour devoyage el ils selrouvenl a Berolh. Quels sont leur elonnement el leur consternation, leur angoisse el leur douleur, quand ils ne retrouvenl l'Enfaut Jesus ni dans l'ime ni dans 1'aulre partie de la caravane ! II esl donc perdu ! Ils passenl probableraent la nuil a Beroth pour prendreparlout des informalions : ils demandent a toul venanl sil a des nouvelles de Jesus, ou bien s'il esl deja parti en

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avant, 011 encore s'il est en arriere avec les autres groupes qui arrivent ou qui viennent. Cetle nuil, pour eux cTune longueur el cTune trislesse mortelles, esl suivie cTune journee plus Irisle encore. Personne n'a vu lenr Enlant. II leur faut donc, le jour suivant, revenir a Jerusalem pour l'y chercher. Xous pouvons bien nous representer la dure epreuve que subissent en ce moment Marie et Joseph. Cest avant tout une grande dou- leur : ils auraient cerles sacrifie leur propre vie plutot que de perdre leur Fils, le meilleur, le plus aimableetle plus saint des enfanls, leurdivin Mailre et leur souverain Bien. L'amour nalu- rel et lamour surnaturel qif ils onl pour Jesus produiseot en eux la plus grande et la plus amore des douleurs. Qifesl-il donc devenu ? Oii est-il ? Lui est-il arrive du malheur ou du desagre- ment? Celle incerlilude, celle angoisse el celte apprehension augmenlent extraordinairement leur peine. D'ailleurs, qui peut comprendre ramerlume deleurslarmeset les soupirs douloureux qif ils ne peuvent contenir ? Pendant la fuile en Egypte, ils ont soullert aussi d'une maniere indicible ; mais ils avaient aveceux le Sauveur, et ils ifetaienl pas dans 1'angoisse ni la perplexile : ils savaient alors ce qifils avaient a faire. Pourlant, Marie et Joseph restent palients et soumisa la volonle de Dieu au milieu de leur profonde allliction. Ce qui leur arrive, arrive par la volonte de Dieu, et est, a leurs yeux, loujours bon, juste et saint. Rien ne peut ebranler leur palience et leur resignation. l)e plus, ils sont humbles dans leur douleur : ils attribuent la perle de Jesus a leur indignile. Qui, en effet, est vraiment digne de posseder cet Enfant ? Ils remercienl meme Dieu d'avoir daigne leur permettre, deja si longlemps, de soigner eld'elever 1'Enfant Jesus. Mais leur grande douleur ne ralentit pas un ins- tant leurs efforts pour le retrouver. Leuramour, leur inquielude et leurs desirs les porlenl a la priere, aux supplicalions, et leur font faire toutes les demarches possibles. Ils courent tous les chemins ; ils s'arrelent partont, pour passer en revue les cara- vanes qui passent etdemander des nouvelles de Jesus; ils frap- pent a toules les porles, interrogent toutes leurs connaissances el leurs proches, et ils envoienldes messagers k la recherche de l'Enfant-Dieu. Ils ne s'epargnent ni peines ni fatigues pour le

APPLIC. DES SENS : LE SAUVEUR AU TF.MPLE 479

retrouver. Cest ainsi qu'ils passent le second jour, la soiree et une partie de la nuit a s'en revenir a Jerusalem ; et ils parcou- rent encore la ville peut-etre une partie du troisieme jour, jus- quii ce qu'enlin ils retrouvenl Jesus dans h synagogue, dans le temple meme qifilsavaientnaguere quitte.

Le Sauveur est, en effet, resle dans le temple de Jerusalem, y visitant la synagogue qui se trouve dans le parvis exterieur: c'est dans cetle synagogue qu'enseignent les docteurs juifs du pays et de relranger; tout le monde peut assisler a leurs lecons, faire des qnestionsetproposerdes difficulles... Jesus, a la synagogue, s'as- sied au milieu des auditeurs, et, comme il vient peut-etre souvents dans ce lieu, son assiduite, sa conduite edifianle, son airintelli- gent, et peut-elre aussiquelques-unesdesesdemandessenseesou de ses reponses profondes, attirent peu a peu sur lui l'attention des docteurs et des auditeurs. On admire cet Enfant si heau, si bien eleve et si intelligent ; on ne peut s'empecher de lui porler inter^t et on s^informe de ce qu'il est. Cesl dans cetle compa- gnie que le Sauveur a passe sans doute son premier apres-midi. Le soir, il aquitte le temple. a mendie quelque peu de nourri- ture et a cherche, lui si pauvre et si seul, un abri chez de bonnes gens ou dans une hotellerie ouverte aux pauvres ; il a pu se refugier, meme en dehorsde la ville, dans une grotte, peut-£tre dans la grolle de Gelhsemani. Dans la matinee et Tapres-midi du jour suivant, il a assiste encore une fois aux sacrifices de 9 heures et de 3 heures, avant de se rendre de nouveau aux conferences de la synagogue ; il yetait deja attendu et une place lui etait preparee au premier rang. On pouvait 1'interroger alors sur n'imporle quelle science ; ses reponses etaient toujours exactes et pleines de sens, de telle sorte que les docteurs de la loi s'adressaient a lui, afin de 1'examineret deserendre comple de ses connaissances. Mais, par sa science, il est au niveau de tous et memesuperieura tous. En meme temps, ilestsi modeste, si aimable et si serieux que personne ne prend en mal sa supe- riorite, mais qu'au contraire elle hii gagne tous les coeurs et le fait regarder comme un Enfant d'une sagesse et d'une saintete merveilleuses. On ne peut assez nile voir ni l'ecouter, tellement fout en lui est digne de louange et d'admiration. Quelques-uns

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ne viennent a la synagogue que pour renlendre; el il peul bien se faire que des docleurs inslruils el celebres s'y Irouvenl pour inlerroger cet Enfant exlraordinaire. Le Sauveur veut aussi profiler de leur presence el de radtniration dont il est Tobjet, pour preparer une manifestation eclatante. Ilcommencelui meme alors a inlerroger, el sans doute parlieulieremenl sur la grande affaire de toule la religion judaique, sur la venue du Messie. II demande si le Messie doil venir, et de quelle famille il sortira. Les docleurs de la loi lui font des reponses tout a fait justes. Jesuslesinlerroge encore surle temps de Tapparilion duMessie; ils lui repondent, d^apres TEcriture, qifil viendra ici-bas a Tepoque du second temple de Jerusalem et apres recoulement des semaines fixees par Daniel. Alors le Sauveur affirme el montre que les semaines d^annees de Daniel sonl passees. Les docleurs, tres embarrasses, le nient, veulenl meme ])rouver le conlraire avec 1'Ecriluie, et se laissent emporler par 1'envie et la colere. Jesus leur pose une derniere el decisive queslion : « N'avez-vous pas, leur dil-il, entendu parler des Mages de rOrient qui, sous la conduile d^une eloile merveilleuse, sonl venus a Jerusalem pour sMnformer du lieu de naissance du Roi des Juifs? Avez-vousoublie ce que fil Herode en celleoccasion ; commenl, apres avoir consulle a cesujet les piinces des prelres et les docleurs du peuple, il a envoye lesMages a Belhleem ; el comment ensuile, ne les voyant plus revenir, il a oidonne le massacre des Innocents? » Les docleurs, ne pouvanl nier ces fails, s'emporlent, entourenl Jesus el le poussenl conlre les degres de la chaire de la synagogue. Ils luicrienlen meme temps: « Est-ce que vous voulez par hasard vous donner vous-menie comme le Messie ; vous eles bien ose de pretendre nous iu- slruire! »Jesus doil,poiulesesquiver elpouvoir respirer, monler sur les degres de la chaire, d'abord sur le premier, puis sur le second..., jusquVi ce que, pousse a boul, il gravil le dernier el s'assied enfin sur le siege des docteurs. Le voila donc dans la chaire de Moise, laissee vide par eux : lesdocleurs sont deboul ■auloiir de lui, etonnes eldansla stupefaction, debatlanl el discu- tant avec lui.

G^est en ce moment que Marie el Joseph penelrent daus la

APPLIC. DES SENS '. LE SAUYEIR AU TEMPLE 481

salle et jouissenl avec surprise d'un speclacle jusque-la inoui clans le leraple. Ils Iraversent les rangs serresdes auditeurs, qui s'ecarlent respectueuseraenl devant eux, et arrivent au pied de la ehaire oii se trouve Jesus. Des que celui-ci apercoit ses Parents, il se leve el descend quelquesmarcliespour aller aleur rencontre. La Mere de Dieu, sous le coup de la douhle emotion et de la douleur d'avoir perdu Jesus et dela joie deTavoir retrouve, fond en larraes et etend ses raains vers lui pour remhrasser. Que fait le Sauveur ? Tombe-t-il dans les hras de sa Mere tt adoucit-il sa douleur en remhrassanl tendrement ? Non, mais debout, silencieux, grave et majestueux, en presence de ses Parents et au milieu du cercle des docteurs de la loi, il leve sa petile main droile vers le ciel et s'ecrie avec force : « Ne saviez- vous pas qu'il faul que je nfoccupe de ce qui regarde le service de mon Pere? » Toute sa personne a une dignite etune raajesle raerveiileuse el surnaturelle, qui impose le silence a toute 1'assemhlee et le fail regarder, meme par ses Parenls, avec une veritable crainle reverenlielle et avec etonnement. On ne sait que penser. Alors Jesus descend completement les degres de la cliaire, se dirige du cote de sa Mere, saisit une de ses raains, prend egalement la main a saint Joseph, et parl aveceux au railieu de la foule, ravie de cespectacle.

Cest, en effet, un grand spectacle que celui que nous venons d'avoirsous les yeux : c'esl lepremier temoignage puhlic et personnel du Messie, rendu par le Messielni-meme ; c'est une manifeslalion et une revelation soudaines de sa vocalion ; c'est un prelude magnifique de sa vie publique de Docteur; c'est une prophetie d'un sens profond des choses de Tavenir, qui seront bien differenles de celles que nous voyons presenteraenl, et que cel Enfanl extraordinaire lui-memeaccomplira. Et, en realile, c'esl un bouleversement coraplel que fait l'Enfant-Jesus dans le teinple en cel instant et en cette circonstance : tout lancien ordre desclioses y est change. Les docleursde laloi, si anciens, si honores, presque divinises, descendent de la chaire de Moise, etrEnfant-Jesus les y remplacepour enseigner ranlique sagesse et raeine une sagesse plus grandeencore. Nous voyons ici figures et annonces le coramencenient duNouveau Testamenl, du Gliris-

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tianisme, el la fip de 1'Ancien. La signification morale de cet evenemenl n'est pas moins importante. « Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'occupe de ce qui regarde le service de mon Pere » : telles sont les premieres paroles que la sainte Ecriture nous rapporte du Messie. Elles sont belles et d'une grande por- tee. Elles ne decouvrent pas seulement le cote exterieur, magni- fique, de la vocation messianique, mais aussi son cote inlerieur, a savoir Famour sans mesure du Messie pour Dieu et 1'estime infmie qu'il a pour son Pere celeste : amour et estime qui rem- plissent le Goeur de l'Homme-Dieu, le dominent entierement et sont le principe et le mobile de toules ses oeuvres exlerieures. Mais cet amour de Jesus et le service qu'il rend a Dieu onl pour condition necessaire et indispensable le complet detachement du coeur.

LE BAPTEME DE JESUS

(Mattu., 3. 13-17 ; Makc. 1. 9-11 ; Luc. 3. 21. 22.)

I. Le Saureur rjuilte sa Mere.

Xous avons a considerer le clouble sacrifice que Jesus s'im- pose en quittant sa Mere :

A. Son premier sacrifice est celui du genre de vie qifil a mene jusqirici. Xazareth est une petite ville, inais un lieu de sejour tranquille et agreable. La vie qifil mene est ordinaire, mais exempte de soucis, reglee, et alaquelleil est fait. CTest, na- turellemenl parlant, toujours un saerifice pour 1'liomme d'elre force d'abandonner ses occupations liabituelles pour en prendre dautres et nouer de nouvelles relations.

B. Le second sacrifice est pour Jesus de quitter la compa- gnie et la conversation de sa sainte Mere. Jesus aime et estime beaucoup Marie et naturellement el sui-naturellement. Elle seule le comprend d^une maniere parfaite, elle seule est, pour ainsi diie, de meme naissance et de meme raug que lui. De plus, il agit eu elle, par sa griice, plus quen toute autre ereature : cliacune de ses paroles, cbacun de ses exemples. chacun de ses regards, chacune de ses actions, tout ce qui vient de Jesus pro- duit en Marie des liuits surabondants et lui rapporte en verite au cenluple. II est dans les vues de la Providence que la longue vie cachee de Jesus serve aussi a former sa Mere a la vertu el a la saintele, et ii ly faire progresser. Cette divine Mere enfin reste desormais presque seule et isolee dans \e iDonde. apres le depart de son Fils. Gelteseparalion lui impose un sacrilice qui ne peut

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etre adouci et compense cjue par la conforraite a la volonle de Dieu.

G. La grandeur du sacrifice apparail encore davantage, quand on pense dans quelle vie le Sauveur allail entrer. II va commencer a vivrepartout en elranger, erranl ca et la, sans do- micile fixe, sans repos ni consolation. Quelle esl la corapagnie qui remplacera celle de sa sainte Mere ? Gellede ses Apolres, qui seront bons sans doule, raais non de la merae condition que lui ; celle d'un peuple egoiste, cliangeant; celle des raalades et des inflrmes; celleenfm d'horames ou indiflerents, ou jaloux, ou mal affeclionnes, ou meme ennemis declares, comme lesScribes el les Pharisiens.

Ainsi, dans Tadieu de Nazareth, il y a, au poinl de vue naturel, iin grand sacrifice pour Nolre-Seigneur.

II. Le Sauveur se fait haptiser par saint Jean-Baptiste.

Le Sauveur se dirige du cote du Jourdain, pour se rendre au lieu ou Jean preche et baptise.

Cest la, au bord de ce tleuve, que, sous Taction puissanle de Jean-Baptiste, se concentrent, pour ainsi parler, toute la vie religieuse du peuple el toute 1'ardeur des desirs messianiques ; c'est donc un lieu veritablement bien choisipour une manifesta- tion de Jesus. II y va donc, afm cfetre baplise par Jean, son Precurseur.

Nous devons considerer, avant tout, les mulliples raisons pour lesquelles le Sauveur vect recevoir le bapteme de Jean.

II y en a trois principales :

A. La preiniere raison regarde Jean et son bapteme. Jesus veut confirmer le bapleme de Jean, comrae uneinslitulion divine et en raeme temps comme une figure du bapleme chrelien ; or, il ne peut le faire mieux et «Tune maniere plus frappante qu'en se le faisant administrer a lui-meme. De plus, il veut ho- norer et recompenser Jean de ses vertus, de son zele, de sa fide- lite et de son grand detachement : Jean iVest jaraais alle trouver le Sauveur, et le Sauveur presenlement vient a lui.

B. La seconde raison concerne le Sauveur lui-meme.

LE BAPTEME DE JESUS 485

L"lieure est arrivee pour le Messie de se produire en public devant le peuple el dans 1'exercice de sacharge ou desa mission. Or, aucun endroit ne peut convenir mieux que celui ou Jean l'a annonce el predit, ou par consequenl les desirs du Messie sont devenus plus ardents que jamais, elou enfin lesesprits sont pre- pares en sa faveur.

C. Le bien des hommesest la troisieme raison du bapleme de Jesus par saint Jean. Le Sauveurveut nous donner l'exem- ple de lhumilite et de lempressement filial a employer les moyens de salul que Dieu prescrit de temps a autre, sans pour- laut en faire une obligalion grave. Jesus lui-meme indique re molif (Matth., 3, lo : or, le bapleme de la penitence est un de c-es moyens. La volonte de Dieu esl quetoul le peuple le recoive ; pourtanl cetle volonle n'irapose pas un precepte grave ; il n'y a laqifun conseil. En meme temps, le Sauveur veut nonseidemenl figurer en lui-meme le bapleme clirelien, maisencore nous exci- ler, par son exemple, a le recevoir : cerles il ne peul agir avec plus de puissance sur nous qifen recevant le bapteme figuratif de Jean.Son propre bapleme n'esl pas encoreelabli, et d'ailleurs il n'a pas besoin de le recevoir, en possedant deja eminemmenl les magnifiques prerogalives ; mais il doit recevoir le bapleme figuralif du Precurseur. Or, le bapleme de Jean n'est par lui- meme qu'une profession de penilence, et le recevoir est simple- menl se vouer a la penilence. Dans ces conditions el avec celle significalion, le Messie peul le recevoir : il est, en effet. le Pre- mieret le Grand Penitent de rinimanile enliere ; il esl le lype et 1'ideal de la Penilence et de la Saintete pour lous les temps.

III. Le temoignage, rendu publiquement au Sauveur.

A. La manifestalion du Messie se fait de la maniere sui- vanle :

Lorsque le Sauveur sort des eaux du Jourdain, il y a au-des- sus de lui dessignes visibles el invisibles : le ciel s'ouvre, lais- saul ecbapper une magnifique lumiere ; le Sainl-Esprit descend sur le Clirisl sous la forme d'une colombe eblouissanle ; et i\ne voix puissante se fait enlendre : « Celui-ci est mon Fils bien-

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aime en qui j'ai mis mes complaisances. » (Matth., 3, 17 ) B. Ges evenements ont une triple signification : En premier lieu, ils sont une revelation ou une manifestation du Sauveur, elcertes la plus belle el la plus solennelle de toutes celles qui ont eu lieu jusqiralors : la Tres Sainte Trinite elle- meme rend temoignage, et d'une maniere formelie, de la Divi- nite de Jesus, au milieu de la plus grande splendeur el en pre- sence de tout le peuple.

Deuxiemement , cetle manifeslation est une recompense accordee au Sauveur pour son humilite et sa vie cachee jus- qu'ici, pour son obeissance el sa soumission, en particulier dans cetle ceremonie du bapleme.

Troisiemement, cetle manifeslation est la confirmation solen- nelle du ministere public de Jesus, en lanl que prophete, Roi et Prelre, el sonintronisalionexleiieure et officielle commeMessie. Tout cela est compris dans la declaration publique et imposanle qu'il est le vrai Fils de Dieu. Aussi le Saint-Esprit apparait-il visiblement & cetle occasion, parce que c'esl le Saint-Espril qui confere les minisleres sacres de TEglise et qui fait entrer dans les charges ou fonctions divines.

Le bapleme du Ghrist esl donc un profond el sublime myslere. II commence par labnegation et rabaissemenl et linil par le lemoignage le plus glorieux qui ait jamais ete rendu a Jesus : c'est le couronnement brillant de sa vie cachee et le debut majestueux de son minislere public. Ge bapt^me du Messie est le bapteme figuratif de toule la race humaine ; cetle declaralion de la Divinile dii Sauveur est l'alteslation aulhenlique de la parlicipation deloulela race humaine a la nature divine dans la grace sanclifiante par le bapleme, qui esl ici figure et elabli en realite.

PREMIERE REPETITION I. Adieu de Jesus a Marie.

II nous faut considerer les motifs pour lesquels le Sauveur fait 1'abandon de tout dans ce myslere. Ils sont au nombre de trois principaux :

RREMIERE REPETITION : BAPTKML DE JESUS 487

A. Le premier molif se trouve dans la nature de la voca- liofi apostolique, laquelle comprend 1'efforl et la lendauce vers la perfection personnclle et la perfeclion du prochain. La per- fection personnelle exige absolument le complet detachement. Latlache aux biens exlerieurs, TaUache a la chair et au sang, sont les premiers et principaux obstacles a la perfection de ramour el du service de Dieu. Or, ces obstacles sont tout a fait renverses par le complet detacheinent. Quant au salul du prochain, il ne peul elre non plus opere avec elficacite sans le delachement. En effet, si nous sommes lout i\ fait detaches, d'abord, notre volonle reste libre et garde toute son energie pour agir : la vocation apostolique demande loutes les forces de Ihomme el tout son temps, son ame el son corps, son inlel- ligence et sa volonle. De plus, le delachement nous donne de linfluence sur le prochain : nous deveqons pour lui uu stimulant el un encouragement a suivre nolre exemple, par consequent a eloiguer les principaux obslacles a sa sauctification. Enfin, nous oblenons, par la puissance de nolre sacrifice, des graces pre- cieuses pour nous et dans rinterel de nos travaux pour le pro- chain.

B. Nous avons un second motif du complet delachemeut du Sauveur, age seulemenl de douze ans, dans la doclrine et le genre de vie qu'il imposera plus tard a tous ceux qui voudront imiler sa vie aposlolique. Pour les raisons donnees plus haut, il ne peut agir ni parler aulrement. S'il se montre ici slrict et severe, et s'il est el a ete toujours inflexible sur un point, c^est, sans uul doute, sur celui qui tixe nolre allention dans le myslere de ce jour. Gomme, plus tard, il s'exprimera avec force sur le danger des richesses ! (Luc, 18, 25 ; Matth., 19, 24; Marc, 10, 25.) Avec quelle nettete et quelle fermele il ordonneraa ses disciples de lout abandonner ! (Luc, 9, 59-62 ; 14, 26-35.) II con- vient donc que le Messie nous donne, le premier, Texemple et confirme ainsi sa doctrine, afin de nous rendre son imitalion plus facile et plus meritoire. Jesus n'est pas un homme qui agisse a la legere, mais il esl la gravile, la loyaute et la franchise memes.

C. En troisicme lieu, Notre-Seigneur a en vue sa Mere

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dans ce myslere. Cesl pour Marie,qui, elleaussi, est unie reel- lemenl a Jesus dans le sacrifiee-si penible qifil fail en cette cir- constance, le moyen de parliciper a 1'ceuvre magnifique du Sau- veur el a tous les effets merveilieux qui en resulteronl. Elle devient des lors le modele de tous ceux qui auront des enfanls a consacrer au service special de Dieu. Cesl pourquoi elle prend laut a coeur le detaehement et labnegalion. Tandis que nous voyons, dans 1'Evangiie, d'aulres saintes femmes suivre et ser- vir le Sauveur, nous ne remarquons pas, parmi elles, sa sainle Mere. Pendanl la vie publique de Jesus, nous ne voyons qifune seule fois Marie aupres de Jesus. Ges motifs de parfail detache- ment valent aussi pour nous, qui avons la meme vocalion et les memes obligalions (Somm., 3, 8) que Jesus. Nous devons douc les bien considerer el surtout agir en consequence.

II. Le Bapteme du Sauveur.

Nous pouvons encore considerer allenlivement les circon- slances du bapleme du Messie, et les senlimenls qu^eprouvenl saint Jean et Notre-Seigneur en celte occasion.

A. Nous admirons dans saint Jean, dans cet bomme du desert,en premier lieu, les transports d'une joie sainle el naive, aussilot qifil apercoit devant lui le Messie, donl il est le Precur- seur el fhumble Messager. Avec quelle ardeur il a desire sa venue pendant le cours de sa vie ! En second lieu, considerons sa surprise, son humilite et sa confusion, en voyant le Sauveur venir a lui, assister peut-etre a sa predicalion, et demander for- mellemenl a elre baptise de ses mains. Jean refuse absolumenl de le faire et veut plutot 6lre baplise par Jesus. Lliumilile si profonde de Nolre-Seigneur est sans doute pour Jean-Bapliste encore une marque de sa Divinile. En troisieme lieu, ifou- biions pas d'admirer la grande simplicile de saint Jean : des qifil connail la volonle du Sauveur, il faccomplit aussitolel lui donne le bapl^me dans les sentiments les plus sinceres de joie, de respect et d'lnunilite.

B. Quant a Jesus, il se fait bapliser avec bonheurpar Jean, par ce sainl homme qui ifa vecu que pour lui et dont le deta-

PREMIEP.E P.EPETITIOX BAPTEME DE JESUS 489

chement et l'abnegalion onl ele si grands qu'il ne s'est jamais permis jusqu'a ce jonr d'aller trouver le Messie. Jean a vu Jesus seulement trois fois et, apres sa rencontre solennelle etheureuse avec Jesus, ie jour de son bapleme, il se liendra toujours res- pectueusement a l'ecart el dans reloignement, quoique pourlanl sa pensee resle loujours avec Jesus et que son ccetir, pour ainsi dire, se consume sans cesse d'amour ponr lui et ne soupire qifapres lui. En meme lemps que saint Jean le baptise, le Messie baplise lui aussi 1'ame de son Precurseur,en versant sur elle un torrent de graces celestes. Enfm, le Goeur de rilomme-Dieu pratique, pendant son bapteme, toutes les verlus qni repondent au but de cette ceremonie : l'humilite, la recon- naissance envers Dieu, qui, de fail, instilue a celle OQcasion le Sacrement de bapleme pour le bien des hommes ; il prie encore avec ferveur, afin que lous les hommes puissenl etredignes de la grande grace du bapleme qu'il etablit. Luc, 3, 21.

III. La manifestalion du Messie.

A. Nous constatons ici, encore une fois, dans la vie du Sauveur, la confirmalion de celte verite que la glorification suit immediatemenl 1'humiliation et rabaissement de soi-meme : nous ne sommes jamais plus pres de l'honiieur que quand nous sommes humilies pour Dieu.

B. Mais celte glorification nest pas pour le Sauveur seul : il la partage avec nous tous. Jesus ne nous donne pas seule- menl le nom d'enfant de Dieu, dans le bapt^me chretien : il nous fail enfanl de Dieu. Le bapleme chrelien est figure par le bapteme du Messie, d'abord, dans sa nature, puisque nous y voyons l'eau, maliere du Sacrement, sanctifiee par le Sauveur, el nous y entendons l'invocation de la Tres Sainte Trinite ; ensuile, dans ses effels, la purificalion du peche, la communica- tion de l'Espril-Saint, la filiation divine el le droit d'enlree au ciel, qui s'ouvre sous les yeux des assistanls emerveilles. Les elfets visibles, produits dans le Messie par le bapteme de sainl Jean, sonl a peu pres les meraes que ceux que produit le bap- teine chretien dans chaeiin des hommes qui le recoivenl.

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DEUXIEME REPETITION

I. Adieu de Jesus a sa Mere.

A. II nous reste encore a considerer comment ie Sauveur supjtorte la peine de la separation de sa Mere.

1'remirrement, il ofire ce sacrifiee dans le lemps fixe par Dieu. Jesus a vecu environ trente ans a Nazareth avec sa sainle Mere. Pendant ce temps, Jean s'est produit sur la scene du inonde. a preche sur les bords du Jourdain, y a baptise el aunonce la venue prochaine du Messie. Quelques mois lui ont suffi pour mellre loul le pays en branle ; et quand la popu- lation est assez remuee et preparee, le Sauveur parait. L'lieure <lu Messie est toujours la volonle de son Pere : il suil fidelement les voies de Dieu.

Deuxiememenl, Jesus se separe de sa Mere, apres 1'avoir dis- posee a ce sacrifice et oblenu son consenlement : c^esl la regle invariable de sa conduite, afin que Marie, elle aussi, coopere a ses desseins el a 1'ceuvre de la Redemplion.

Troisirmement, le Sauveur supporte la peine de la separalion de sa Mere de bon cceur, volontiers et avec generosite, pour 1'amour et Thonneur du Pere celeste, et aussi par amour pour nous : car desormais il doit etre a nous, nous appartenir toul enlier.

Quatriemement, enfin, il dit cel adieu, il consomme celte separation dans rintimile de son etre, du fond de son cceur, et meme avec la peine la plus profonde, mais toujours avec calme et moderation, se rendant digne de tous les merites de Thumi- lite et du detachement.

li. II est maintenant tres inslructif et tres interessant de voir dans quelles conditions le Seigneur s^eloigne apres les adieux fails a sa Mere... Nous pouvons faire ici deux reflexions : Pre- miere/ment, considerons la grandeur de Toeuvre et Timportance de 1'entreprise du Messie. II part pour conquerir la terre, com- battre le prince du monde et fonder son Royaume. On n^a pas

DEUXIEME REPETITIOX : BAPTEME DE JESUS -491

encore vu de grancJ de la lerre faire nne pareille enlreprise. Deuiiememenl, reinarquons bien que le Sauveur commence sa grande ceuvre sans aucun des secours lmmains : il est pauvre et faible, naturellement parlanl ; il se montre aux hommes sans la plus pelite escorte et sans le moindre eclat exlerieur ; il esl seul, inconnti, sans ressources. II n'a en son pouvoir que la puis- sance de sa pauvrete, de sa passion et de sa mort. II n'est pas de prince qui se soit jamais presente de celle facon pour faire des conqueles ici-has. Mais Jesus conquiert le monde par la verlu de sa Divinite, par le moyen de la pauvrele el des souffrances.

C. II nous faut, sans doule, nous examiner serieusement nous-memes, pour voir si nous avons ce complet detachement •de toute chose exlerieure, de la richesse, de la chair et dii sang, ou du moins si nous voulons travailler a racquerir : notre coeur a-t-il quelque atlache ou est-il en danger d'en avoir ; quels sonl les principes que nous voulons et que nous devons suivre potir imiter, sous ce rapport, rexeinple de nolre divin Maitre ? Ce delachement a pour objet Vout ce qui est en dehors de nous, patrie, personnes el choses, tout ce qui est dans nolre Ordre et en dehors, en un mot toules les creatures, meme celles dont notre vocation nous fail un devoir de nous occuper. Nous ne devons pas avoir volontairement d'inclinalion dereglee ,pour rien et pour personne : nous devons regarder cotnme desordonne tout ce qui est entache de peehe, dangereux ou inutile. II nous faut etre loujours tres fideles a ce principe : « Nous avons tout donne et offerl au Sanveur, el nous ne vou- lons rien reprendre. » De nous-memes, nous ne renouerons pas de relalions, soil par lettres soit par visites, avec notre famille et avec le monde. Au conlraire, nous ferons tout pour rempeeher. II n'y a que 1'obeissance et le devoir, les conve- nances, le respect ou la reconnaissance qui motiveront le» exceplions a celte regle; et, meme dans ces cas, nous n'agirons que suivant le bon plaisir de nos Superieiirs. Nous pouvons et nous devons, par consequent, prier pour nos parents dans des lemps delermines, mais il ne faul pas que nolre esprit soit occupe, d'une maniere inutile, ni d'eux ni de leurs affaires. JVous ne voulons donc jamais provoquer des visites de parents

492 DEUXIEME SEMAINE

ni engager des correspondances epislolaires suivies avec eux ni meme les y inviler; nous ferons toul notre possible pour ies en delourner. Nous n'avons pas le droil, en voyage, de passer par un lieu oii se trouvent des parentsou des connaissances, a inoins d'avoir des raisons parliculieres pour cela, et des raisonsjugees bonnes par nolre Superieur. A moins de necessile, nous ne lirons pas de snite les lettres qne nous recevrons el nous n'y repondrons pas immedialemenl ; nous ne les conserverons pas non plus ; nousdevons, a plus forleraison, nousdebarrasser des objets mondains, comme sonl les pbolograpbies, !es souvenirs : ce sontde petils felicbes, de pelilesdivinites. (II Macch., 12, 40.) En nn mot, il nons faul absolnment avoir le cceur libre de tonle affection dereglee .. Le Sauveur fait bien remarquer et ressorlir les vertus qu'il demande a ses Apolres et auxquelles il les exerce. II n'esl aucun poinl sur lequel il insiste avec aulant de forceque sii r le delacbement. Nous avons aussi la pensee de saint Ignace a ce sujel : il ordonne jusqu'a trois ou quatre repetilions decelle medilalion dans le livre de ses Exercices ; c'esl la preuve qn'il veut que nous gravions profondement le sens de ce myslere el dans nolre esprit el dans nolre ccetir.

II. Le Bapteme de Jesus.

A. Dans son bapt^me, le Sauveur nous donne, en paroles el en aclions, un exemple d'une grande imporlance pralique : il faut qu'a sa suile nous remplissions nous-memes toule justice. (Matth., 3, 15) Or, ia justice embrasse lous les moyens que Dieu nous offre pour notre salut el notre sanctification, qu'il s'agisse de preceptes ou de simples conseils de perfection. Nous devons donc, avec un amour fiiial el avec un grand zele, em- ployer et utiliser tous ces moyens, et particulierement observer les regles el les usages de TOrdre el de la maison donl nous fai- sons parlie : par exemple, faire lesneuvaines et les exercices de penilence; autremenl, nous nous monlrerions paresseux et orgueilleux.

B. Voici les molifs que nous avons d'agir ainsi : d^abord, c'est nnlre propre avantage d'employer des moyens si utiles ;

APPL. DES SEXS : BAPTEME DE JESIS 493

ensuile, c'esH'utilite du prochain, qui voit nolre humilite el nolrezele ; enfin, c'est 1'imilation du Sauveur, avec qui nous sorames; par notre vocalion, les herauls et les messagers de Dieu.

III. La Mafiifeslation du Messie.

La Manifeslalion du Messie, le jour de son bapteme, a ponr but non seulement de le recompenser de son humilile el de son abaissement, mais encore de 1'accrediler, en quelque sorle, aupres des hommes el de l'inlroduire ofliciellement dans sa charge de Docleur.

II esl donc evidenl que, dans loul ce mystere, il y a pour le Sauveur une double preparation a savie publique : l'une nega- tive, qui consisle dans le detachement de toule choseexterieure, etFautre posilive, qui consiste dans la reception du bapleme de Jean et offre par la m^me a Jesus roccasion de sereveler comme Messie. Celte manifestalion est, pour ainsi dire, l'installation solennelle de Jesus dans la chaire de Docteur.

APPLICATION DES SENS

A. Depart de Nazareth. Jesus a trente ans et demeure a Nazareth depuis longlemps ; on est a la fin de l'aulomne. Le Sauveur, qui esl deja un homme dans la force de l'age, se Irouve a lable, prenanlson derniersouperavec sa sainte Mere. II veul, le lendemain malin, se rendre sur les bords du Jourdain, pour commencer sa vie publique. Depuis longlemps deja, il aprepare sa Mere a cetle separalion. Marie esl doucement emue et trisle ; elle a les mains joinles el posees sur la lable ; mais elle esl prele a lout et remercie Dieu de toul son cceur des annees qu'elle a vecues dans la compagnie de son Fils ; en meme temps, elle ecoute ses dernieres paroles, ses dernieres instruclions. Jesus lui dil qu'il va sur les bords du Jourdain Irouver Jean, son Pre- curseur, afin de lui procurer la joie de le baptiser de ses mains ;

494 DEUXIEME SEMAINE

le Sauveur explique alors a sa mere la signification du bapleme qifil va recevoir. 11 ajoule qu'il se rendra ensuile dans ledesert, pourse preparer a sa vie publique par la priere el la penitence ; et il invite Marie a 1'accompagner en esprit dans cette solilude. Apres son sejour dans le desert, il s'attachera ses premiers dis- ciples et les emmenera avec lui.

Comme !a Tres Sainle Vierge se rejouit de 1'honneur que va avoir sainl Jean de baptiser son Fils ! Apres le soupir, Marie prepare les vetements qifelle a confectionnes elle-meine pour Jesus : c'esl une sorle de foulard auquel peud un ruban fonce, afin de garantir sa tete des rayons du soleil ; ce sont des sandales netives, solides et simples, puis un bel habit en laine blanche avec unebordure bleue, etenfinun manleaucarre, ayant des houppes bleues a chacune de ses extremites. Le joursui- vant, ils prennent encore une fois ensemble unelegere collation. Peul-elre que la Mere de Jesus mel, pour son Fils, dans un petil sac quelques gateaux el des fruils secs. Le momeut des adieux est arrive. Jesus et Marie s'agenouillent l'un devant 1'autre, seremercienl reciproquemenl de leurs services mutuels, et, apres les souhaits les plusheureux pour 1'averiir, ils s'embras- sent dans une etreinte douloureuse, mais calme, sans la moin- dre mollesse. Marie peut tres bien alors repandre de douces larmes. Elle accompagne sans doute Jesus jusqu'au versant dela monlagne, dans la plained'Esdrelon, et, apres, s'en retourne dans sa maison... Gomme sa demeure lui parait solilaire alors ! Dans 1'alelier elle Irouve tout en ordre, et l'ouvrage fait. La Mere de Jesus s'habitue a risolemenl : elle prie, elle Iravaille, elle accom- pagne en espril le Sauveur dans son voyage et offre au ciel tou- tes ses peines pour nous.

B. Voyage de Jesus aux bords du Jourdain. Pendant ce temps, le Sauveur s'avance vers Jezrael, a travers la plaine d'Esdrelon ; il marche seul, avec courage, mais aussi sansagila- tion ni empressement. Le mouchoir qu'un ruban lient atlachea sa tete retombe sur ses epaules et le garanlit des ardeurs du soleil. Tout pensif, Jesus regarde les montagnes et les localiles qui rentourent au loin, le Thabor, l'Hermon, Naim, Sunem ; et certainement, son esprit est occupe des interels des hommes

APPLIC. DES SENS '. BAPTEME DE JESUS 49.>

qui habitent ces contrees, de leurs souffrances, de leurs joies et surtout des besoins de leurs ames. Le Sauveur eleve souvent aussi sesyeux. vers le ciel; il plonge ses regards dans lavenir et prie Dieu. II pense sans cesse a la vocalion qif il va suivre desor- maisavectant de difficultes. Qui donc, nalurellement parlant, ne serait pas effraye, en consideranl la grandeur de 1'oeuvre qu'il entreprend et rinsuffisance des raoyens qnil a a sa disposilion? II n'a que son corps, sa pauvrete et ses souffrances. Mais la Divinite est avec lui et il peut dire les paroles de la prophetie d'Isai'e (50, 4-1 i) : Dominus dedit mihi linguam erudilam, ut sciom sustentave eum, qui lapsus est verbo : erigit mane, mane erigit mihi aurem, v( audiam quasi magistrum. Dominus Deus aperuit mihi aurcm, ego autem non conlrwjlico : rclrorsum non abii. Corpus meum dedi percutientibus, et genas meas oellenlihus : faciem meam non averti ab increpanlibus, et conspuentibus in me... Dominus Deus auxiliator meus, ideo non sum confusus : i>lco posui faciem meam ut petram duris- simam, et scio quoniam non confundar. Juxta est quijusli- ficat me, quis contradicet mihi? Stemus simu/, qui est adcer- sarius yaeus ? Accedat ad me. kcce Dominus Deus auxiliator meus : quis est qui condemnet me? Ecce omnes quasi ceslimen- tum conterentur, tinea comedet eos. Quis ex vobis timens Dominum, audiens vocem servisui? Qui ambulavit in tenebris et non est lumcn ci, speret in nomine Domini, et innilalur super Deum suian. Le Sauveur ne s'arrete pas a des pensees trop sentimentales, en songeant a sa Mere ou en coraparant la paix. de sa vie passee avec les peripeties, les desagrements et les nombreux sacrifices de sa vie future. Quand ces penibles pensees lui viennent, il les offre toules a Dieu pour nous, et il continue a marclier en avanl.

Jesus longe maintenant les montagiies de Gelboe, ou Saiil et. Jonatlias sont tombes ; il passe d'abord devanl Jezrael, jadis r6si- dence d'Achab et de Jezabel, el celebre par sa fonlaine I Rois, 29, i) ; il arrive ensuite a Belhsean ou Scythopolis, el enfin dans la vallee du Jourdain. dont il apeiroit le lit avec ses dechi- rures profondes. L>~ Jourdain sort de la raer de GenesurHh. et, dans sa marche rapide, forme des sinuosiles innombrables ; lan-

496 DEUXIEME SEMALNE

161 il s'elargit el lanlot il se resserredans un litelroiieLprofond ; on y voit beaucoup de lournants et de ressacs entre les rochers qiul renconlre dans sa course au sud, vers la mer Morte. Dans les mois de mars et d'avril, quand la neige fond dans TAnli- Liban, le Jourdain commence a grossir beaucoup et finit par sorlir de son lit. On apercoit de cliaque cole decelte riviere une succession de vallees el de ravins qui amenent beaucoup d'eau ; a droite, l"on voit la chaine des montagnesd^Ephraim ; agauche, les hauteurs de Perea qui se prolongent comme une muraille tres droile el forment, au sommet, un magnifique plateau. La largeur de la vallee meme du Jourdain varie beaucoup : pres de Belhsean, elle mesure un mille, et, pres de Jericho, trois milles. Les bords de celte riviere grisalre el poissonneuse qui s'appe)le le Jourdain, presentent tanlol des roches denudees, tantot des landes plates et desertes, tantAt une vegelation liixuriante de saules, de peupliers blancs, de tamaris, de terebinthes, d'acacias et de joncs a haute tige. Aux cimes des arbres chantenl les tourterelles et les rossignols, el dans les fourres et les marecages habilenl des sangliers el des leopards; aulrefois il y avail des lions. A environ trois heures au-dessous dn lieu oii le Jourdain sort de la mer Morte, le Sauveur passe sur un pont massif et hardi, el se dirige a Test, le long de la riviere, du cole de la plaine de Jericho, oii Jean adminislre le bapteme. II doil ren- contrer en route d'autres pelerins qui viennent de quilter Ie Precurseur ou qni vonl le trouver. Les unslui racontent de Jean des choses merveilleuses, dont ils ont ete les temoins, et les aulres b.rulent du desir de le voir et dNMre baptises de ses mains. Jesus est un compagnon aimable el bienveillant pour ceux qui voyagenl avec lui ; il s'assied a leurs cotes aupres des sources, ou ils se desallerent en prenant leurs repas ; il parlageavec eux ses modestes provisions ; il les confirme dans la haute idee quMls ont de Jean et les exhorle a ecouter sa parole el a suivre ses conseils.

G. Le Bapteme. Le Sauveur arrive enfin dans la plaine de Jericho, autrefois si bien arrosee et cullivee, el tres celebre par son baume, ses palmes el ses roses. Dans le voisinage, de Taiilre cote de la riviere, Ton apercoit les villes de Gilgal

APPLIC DES SE.NS : BAPTEME DE JESUS 497

et de Jericho, au milieu d'une forel de palmiers et d'aulres grands arbres, et, du cole du midi, le miroir eblouissanl de la mer Morle^ le lout encadre par une chaine de montagnes elevees et denudees. Le Jourdain decrit, en un endroit une courbe tres prononcee ; et c'esl la, sur le rivage du lleuve, que s'elevent des lenles el des cabanes qui forment une sorle de smalah, ou s'agilent pele-mele une foule d'hommes et de betes de somme. On voit encore un second campementde cecote-ci du Jourdain : c'esl le lieu ou reside saint Jean-Bapliste ; c'est lendroit meme ou aulrefois les Israeliles ont passe miraculeusemenl la riviere avec Tarche d'alliance. Moise etait venu jusqifau bord du Jour- dain el etail mortsur le mont Nebo, qui domine toute la con- tree. C'esl a Gilgal que le peuple juif fit sa premiere halte dans la lerre promise ; c'est a Gilgal aussi que Josue erigea le monu- ment des douze pierres en souvenir du passage du Jourdain, et que resta 1'arche d'alliance avant detre transporlee a Silo.

A 1'arrivee du Sauveur pres du Jourdain, il y a une grande alfluence de peuple sur le bord ; Jesus se mele a la foule. Saint Jean se tient debout, les pieds nus, sur une belle pierre plale, sur une sorle de dalle, ayant unlongbalon a la main. II eslgrand, a des epaules larges ; sa physionomie est noble ; sa purele, sa pauvrele, sa simplicile et sa franchise frappenl tous ceux qui l'approchent ; sa figure est longue, osseuse, maigre, d'un jaune fonce comme du parchemin, grave et severe ; ses yeux semblent lancer des eclairs. II porle sur les epaules un manleau grossier, el son corps est couvert jusqifa mi-jambe d'un velement de poils de chameau, mainlenu aulour des reins par une laniere de cuir. II preche a la grande foule de peuple qui rentoure,for- manl ca el la des groupes vaiies el pilloresques. On apercoil des personnages qui sont venus de Jerusalem et de Jericho; leurs riches velements les dislinguent.On voil aussi des paysans de la Judee el de la Galilee, des publicains, des bergers des montagnes de Galaad, des chameliers, des soldats au service d'Herode 011 des Romains, des femmes de qualile, assises sur les selles de leurs montures ou sur des tapis qu'ont elendus leurs domesliques, des caravanes enlieres venues de l'inlerieur du dasert assyrien, des Arabes et meme des paiens. Gonsiderez

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498 BEUxisaiE semaine

plus loin, a 1'ecart, ces Pharisiens, ces docleurs de la loi et ces pretres : leur raaintien raide, leurs regards inquisiteurs, leurs gestes, tout semble indiquer de leur part la reprobalion ou la raillerie, en entendant parler saintJean. Ge dernier se sent tout a fait mailre de ce grand audiloire; et, parce qifil traite gene- ralement avec des hommes de loute condilion comme avec des enfants, il parle haul, avec force et autorile, presque avec au- dace, faisant des gestes courls et rapides, sans cesser pourtant de plaire et de toucher.

Sa predication a deux parties : En premier lieu, il exhorte a la penitence. « Le Royaume de Dieu, dit-il, est arrive et son juge- ment est proche ; que la hache soit mise a la racine de 1'arbre : celui qui ne fait pas penitence sera retranche de la societe des croyants, comme un arbre slerile, et jete au feu. Je suis la voix. qui crie dans le desert : Preparez le ehemin au Messie, rendez droits ses sentiers ; toule colline sera abaissee et toute vallee sera comblee. » Les collines signifienl Torgueil et les vallees signiflent la pusillanimite des hommes. Cest par la penitence que le Precur- seur arrivera a ses fins. Jean jetle cles regards severes et mena- canls sur lesPharisiens et les qualifie de race de viperes rampan- les, perfides, mauvaises et intolerantes, qui se glissent au loin dans Tombre et, par orgueil et arrogance, ne veulent pas s'ap- procher de lui. « A vos yeux,leur dit-il, toute penitence est inu- tile,parce que vous etes des descendanlsdWbrahamelque Dieu vous doit la saintete. » II leur reproche vivement leur orgueil et leur dit encore cle ne pas appeler Abrahain leur pere, parce que Dieu n'a pas besoin d'eux et qu'il peul faire des enfants d'Abra- ham meme avec des pierres ; et il leur montre en meme temps, avec son baton, les pierres monumentales que Josue avait eri- gees en souvenir du passage du Jourdain. La seconde partie de sa predicalion est rannonce de la venue du Messie : « Le Messie est ici, dit-il. Je ne suispas le Messie, mais c'est un aulre, lequel est si grand et si magnifique que je ne suis pas meme digne de porler ses chaussures et d'en delier les cordons. Le Messie ne baptise pas avec de 1'eau, comme moi, mais avec le feu et TEsprit-Saint. Ge Messie est le Mailre de Taire, cle la maison de salut de l'Ancienne Alliance, le Mailre clu bon grain,

APPLIC. DES SENS I BiPTEME DE JESUS 499

du froment. II est le Juge separant la paille et la jelant dans le feu qui ne s^eteint pas. » En ce moment, cet liomme nule s'at- tendrit, il soupire avec ardeur et regarde de lous coles, comme s'il chercbait le Messie. Sans doute Jean pressent Tapproclie du Mailre, mais son activite n'en est pas diminuee ; bien au cor,- traire, il devient alors plus zele et plus joyeux. Le Sauveur se lienl lout silencieux el bumble dans la foule, comme un homme ordinaire; il se laisse annoncer et eprouve un grand contente- ment de la fidelite et de 1'ardeur de son Precurseur. Mais la predicalion de Jean a un effet merveilleux. Tout a coup on enlend des pleurs et des sanglots parmi le peuple, et un mouve- meut se produit dans la direction de Jean-Baptiste. Soldals, publicains, tous se pressent contre la pierre ou celui-ci se tient deboul, et ils lui demandent a grands cris ce qu'ils doivent faire. Jean repond a cbacun d'une maniere breve et saisissante. Ce qu'iJ exige d^eux est peu de chose et bien simple. Aux riches il dil de donner aux pauvres leur superflu en velements et en nourrilure ; aux publicains, de ne pas elever la taxe des impots ; auv soldats, de ne lrapper, ni voler, ni violenter personne, et d1etre satisfaits de leur salaire ; a tous ehfin, cle recevoir le bap- lenie et de confesser leurs peches : c'est, ajoute-t-il, la volonle de Dieu que je preche le Jjapteme de la penilence, afin de vous preparer au bapteme du Messie. Tous ses auditeurs suivent volnntiers les conseils de Jean el il les mene au tleuve, comme un berger y mene son troupeau. Les hommes deposent leurs velements de dessus dans les lentes qui sont dressees sur les bords du Jourdain, et entrent dans le fleuve ou bien dans une fonlaine creusee dans le sol et qui est en communication avec le Jourdain. Jean est la pour les bapliser, en les plongeant dans l'eau. Cest un grand travail qui Tattend, car les hommess'avan- ceut vers lui en formant une file interminable.

Le Sauveur ne reste pas en arriere, mais il s'avance avec le peuple, a son rang, dans la direclion du Precurseur. Lorsque Jean apercoit le Messie, il le reconnait par une grace spiriluelle, el, sans craindre ni besiter, quoique avec respect, humilile et amour, il sMncline profondement et s?ecrie : « Quoi ! vous votilez que je vous baplise? Cest moi qui dois etre baptise par

500 DEUXIEME SEMAIJNE

vous ! » Le Sauveur ressent une grande consolation de l'humilite et de la fidelite de saint Jean, aqui il repond : « Allez toujours, il nous faut ainsiaccomplir toutejustice. » Et Jean comprend ce que ces paroles signifient : Jesus veul donner a tous un grand exemple d'humilite et de soumission vis-a-vis des inslilulions salulaires de Dieu ; il veut, en recevant le bapteme, confinner la niission de Jean et preparer le bapleme messianique. Saint Jean se prete donc volontiers et simplement a tout ce que Jesus demande de lui. Le Messie entre dans une tente, oii il depose son manteau et sa tunique; puis, accompagne avec le plus grand respect par Jean, il descend dans la fontaine ou il se plonge aus- silot, apres avoir croise les bras sur la poilrine; pendanl ce temps, le Precurseur, lout emu de joie et de veneiation, remplit lecreux de sa main avecde reau,qu'il verse surla telede Jesus. En ce momenl, le Sauveur repand dans 1'ame de saint Jean des graces extraoidinaires de connaissance et d'amour de Dieu, et il produit lui-meme des acles de vertu qui correspondenl au but de ce mystere. II sanclifie les eaux du Jourdain, c'est-a-dire qifil delermine et prend l'eaucomme maliere du bapteme qu'il insti- tuera. Or, ce bapltime nous ouvrira a lous la porte du ciel, de memequele passage du Jourdain a ele pour les Israelites 1'entree dans la terre promise. En oulre,ildemande et oblient pournous la grace d'etre fideles a Dieu en tout el d'employer tous les moyens de salut qu'il nousoffre. Lorsque Jesus sorl de l'eau, on entend soudain un grand bruit el comme le roulement du lonnerre ; une nuee lumineuse apparait dans les airs et descend vers la terre ; et comme si les portes du ciel s'ouvraient, on aper- coit des rayons innombrables d'une vive lumiere se diriger du cote du Sauveur, de saint Jean et de leur voisinage, et remplir loule la conlree d'une splendeur toute celeste. Un rayon plus large et plus brillanl que les aulres vient tomber sur le Messie et 1'eclairer tout enlier, pendant qu'au-dessus de lui plane I'Esprit- Saint, sous la forme d'une colombe, el que, du sein de la nuee lumineuse, retenlit une voix puissanle, comme celledu tonnerre, donl 1'ecbo se repele de montagne en montagne el qui dit : « Ge- lui-ci est mon Fils bien-aime, en qui j'ai mis toutes mes com- plaisances. » A ce speclacle, toul le monde s'etonne et fuit epou-

APPLIC. DES SENS : BAPTEUE DE JESUS 501

vante ou tombe le visage conlre lerre. Jean lui-m£me est la a genoux en adoration. II n'y a que Jesus debout, calme, comme transfigure et ravi en extase. Pendant que la foule se remel et s'assemblede nouveau, pour demanderet voir ce qui s'est passe, le Messie s'eloigne rapidement et abandonne le lieu ou Jean vient de le baptiser.

LE SAUVEUR DANS LE DESERT

(Matth., 4, 1-11; Marc, 1, 12. 13; Lvc, 4. 1-13.)

I. Jesus va dans le desert.

Au lieu de comraencer immediatement sa vie publique, le Sauveur s'eloigne du Jourdain. ou vient d'avoir lieu sa mani- festation, et il se rend dans le desert pour y resler quarante jours. Mais qui l'a conduit dans celte solilude? Cesl, d'apres troisevangelisles, le Saint-Esprit. En memetemps qu'il descen- dait visiblement sur Jesus et qifil 1'installait dans la chaire de verite, il avait, pour ainsi dire, pris lui-meme la conduite du Messie, et mainlenant il remmene dans le desert. Le Saint- Esprit conduit toute cliose a son but, et il esl en nous Tauteur de tout mouvement bien regle et de toute bonne action. II nous fait sanctifier les autres, mais il nous sanctifie aussi nons-raemes, en nous portant a mener une vie veritablement interieure. L/ordre legitime exige que nous soyons affermis dans la vie spi- rituelle, avant d'y conduire les autres, que nous nous sancti- fiions nous-memes, avant de sanclifier les autres ; et c'est pre- cisement la conduite que tienl ici rEsprit-Saint a 1'egard de Jesus.

II. Le Sauveur au desert.

Nous avons a faire deux consideralions : quelle est la vie que Nolre-Seigneur raene dans le desert,et ponrqnoi mene- t-il cette vie?

A. La vie de Jesus dans le desert esl evidemraent, avant

LE SALVELR DANS LE DESERT 503

tout, une viedepriere eldepriere, extraordinaire, longue, inin- terrompue, fervenle et parfaile.

Ensuite, c'est une vie de penitence : d'abord, a cause du lieu ou il se trouve, qui est un desert affreux et effrayant : puis a cause de la saison qui a commence, de fhiver que les pluies el le vent rendent si desagreable et si facheux ; enfin, a cause du jeune que le Sauveur simpose : ce jeune dure, sans inlerrup- tion, quaranle jours et quarante nuits, eu sorle qifau terme Jesus a faim ; c'est-a-dire qu'il eprouve tous les desagrements, toutes les lortures et tout fepuisemenl dune abslinence si abso- lue. Ge n'est que par une intervention speciale de Dieu qifil n'a pas ressenli plus tol les elfels de cette faim cruelle.

Enfin, la vie de Notre-Seigneur au desert est une vie d'epreu- ves, de lentations et de combal avec le mauvais esprit. LEvan- gile raenlionne trois sortes de tentalionssubies parle Messie. L'occasion de la premiere esl fepuisement de Jesus, quiajeune si longtemps et sent le besoin de la nourrilure. L'esprit malin sollicile le Sauveur achanger les pierres en pains. II faut qifil se procure du pain par un miracle, qui ifest pas necessaire, puisque dans le voisinage il peul trouver des provisions ; par un miracle, qui revelera sa Divinite en agissant contre la volonte de Dieu el sous linspiration de Salan,swade/ite diabolo. Jesus reppusse la tentalion par un mot,qui doit nous excitera laconfianceen Dieu dans les assauts analogues du demon. Gelte confiance en Dieu du Sauveur devient foccasion d'une seconde tentalion : tenlalion d'un exces deconfiance ou de presomption. Le mauvais esprit transporte le Messie sur le pinacle du temple, d'ou il ne peut se sauverqifen se precipitant dans fabime. Mais, pour faire ce saut perilleux, il doit se fier a la protection des Anges. G'est par cet acte qifil se monlrera le veritable Messie. Jesus rejelte cette proposition diabolique, parce que faccepter serait tenler Dieu. Enfin, fesprit infemal emploie tous les moyens de seduction humaine, en prometlant a 1'Homme-Dieu loules les richesses, tous les plaisirs et tous les honneurs d'ici-bas, s'il le reconnail, lui Satan, et fadore comme Prince de ce monde. Cest une lentation d'apostasie que Jesus repousse aussitot avec dignite.

S04 DEUXIEME SEMAINE

B/ Pourquoi le Sauveur mene-t-il celte vie? Pour Irois raisons generales el une parliculiere.

La premiere raison generale est sans doule que le cours de la vie humaine consiste dans la priere, la penilence et le combal ; et notre divin Mailre veut faire et supporler tout ce que les hommes font et supportent, afin de sanclifier ainsi la vie des hommes. La seconde raison generale de la vie de Jesus au desert se trouve dans le but qu'il s'y propose : il veul nous donner par la Fexemple de la perfeclion ; c'esl pourquoi il nous olTre ici, dans loute sa conduile et sous lous les rapports,le mo- dele d'une perfection extraordinaire, afin que nous puissions 1'imiter au moins dans les choses ordinaires de la vie. Le Sauveur agit ainsi, parce que, troisiemement, il veut salisfaire pour les fautes et les defauts des hommes dans la priere et la peni- tence, et aussi pour les manques d'energie el de courage dans la resislance aux lenlations. II y a la un motif suffisant de salisfac- tion. Par rabandon de la priere et de la penitence, par la fai- blesse et la lachele dans la tentation, toule la race humaine, depuis Adam, et chacun des hommes en parliculier ont suc- combe au peche. La quatrieme raison generale de la con- duitede Jesus, dans ce mystere, est qu'il veut nous acquerirdes graces pour les temps difficiles de lapriere, dela penitenceet du combat. II nous est tres consolant, dans les heures obscures et desolees de la tentation et de 1'epreuve, de penser que iNolre- Seigneur est pres de nous avec les graces qu'il nous a meritees par ses tentations au deserl.

Le mo\i( parliculier pour\eque\ le Sauveur vit quaranle jouis el quarante nuits au desert est qu'il veul maintenant commencer sa vie publique. Ne convienl-il pas de commencer toule oeuvre imporlanle par la priere, afin de rendre gloire a Dieu ? Or, la priere, la penilence et la vaillance spirituelle sont les moyens particuliers a employer pour obtenir ce resultal. Le bul de la vie publique du Messie est le salut des ames; et il n'y a que le travail de la priere et de la penitence qui sauve les ames. Jesus a encore un aulre but, c'est de delruire le royaume de Satan et de vaincre le prince du monde. Get ennemipuissant ne peul elre aballu personnellemenl que par un plus fort que lui ;

REPETfTtON : LE SAUVEIR DANS LE DF.SERT 505

sans cela, il ne lache pas sa proie. Enfin, Nolre-Seigneur a en vue, au deserl, la fondation de son Royanme. II faut qifil donne a ce Royaurue consistance et force interieures ; et precise- ment celle force intime se trouve dans la priere, la penitence et le combat ; c'est pourquoi le Ghrist veut employer le premier ces moyens, dans le desert, afin de servir lui-meme de modele a tous les sujets du Rovaume qifil va etablir. II inaugure ainsi le jeune du careme, cel exercice annuel de la milice chrelienne (prxsidia militise chvistianre), qui donne toujours a 1'Eglise de nouvelles forces el une sorte de rajeunissement.

III. Le Sauveur quitle le deserl fortifie el victorieux de Vennemi.

Apres la derniere tenlation de Jesus, la scene change. La soli- lude du desert se peuple de saints Anges ; pour la longue priva- lion d'aliments el de breuvage, ils servent au Messie une abon- dante nourrilure ; pour riiumiliation des tentations, ils lui adressent leurs louanges ; el a la place des hommages terrestres qifil aurait pu recevoir en reconnaissant 1'empire de Salan, ils lui offrent 1'adoralion du ciel. Cesl alors que s^accomplissenl, dans un sens plus eleve, les paroles qui onl ete echangees sur le cliamp de fepreuve : « L'horame ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sorl de la bouche de Dieu. » « Dieu a ordonne a ses Anges de vous garder dans loutes vos voies. » « Je vous donnerai tout, si vous nfadorez. » Le Sauveur rem- porte une grande et magnifique victoire, et il la remporle pour nous tous Cest alors que commence la defaite de Satan ; elle sera definilive, quand Jesus prononcera ces paroles : « Toule puissance nf a ete donnee au ciel el sur la terre ! »

REPETITION

A. II nous restea considerer encore, dans le preniierpoint de la medilation precedente, comment le Sauveur suit l'impul- sion du Saint-Esprit qui le mene au deserl : II semble d'abord

306 DEUXIEME SEMAINE

que Jesus la suit aussitol, qu'il quilte sans retard les borcls du Jourdain (Luc, 4, 1) : en effet, ce n'est plus la volonte de Dieu quil y resle, el ensuite il veut peut-elre se soustraire aux temoi- gnages d'adrairalion de tout le peuple. De plus, Nolre-Sei- gneur se rend au desert avec empressemenl el tout rempli de la joie de 1'Esprit-Saint qui est descendu sur lui. Cette joie va lui etre ulile dans sa vie de solilude. Enfin, le Sauveur suit la conduile du Sainl-Espril avec conslance et fidelite, dans la peni- tence el dans les combals du desert, aussi longtemps que le veut son Pere celeste.

II esl certain que la pensee ou rinspiration non seulement de nous livrer aux ceuvres exlerieures, mais encore de renlrer en nous-memes, de nous recueillir el de prier, vient du Saint- Espril. Aussi devons-nous lui obeir et lui demander de ne pas inlerrompre ses inspirations, quand meme parfois nous ne les suivrions pas. De ce soin de notre vie spiriluelle resullent pour nous lout merite, toule benediclion el meme la perseverance dans toules nos entreprises exlerieures. Jesus qui va joyeux dans le desert, nous est un magnifique modele de fidelile par- faile a toutes les inspiralions de 1'Esprit-Sainl.

B. Des tentalions du Sauveur dans le desert nous devons relirer encore une autre lecon, relalive aux tenlations qui nous assaillent nous-memes : Premierement, nous voyons com- ment le Messie est tente. II nest tenle qu^exterieuremenl, la tentalion interieure ne convenant jjas a la dignite de rHomme- Dieu. Pour nous, c'est lout aulre cliose, el il laut que nous soyons prets a subir des tentations interieures. Mais nous ne pechons pas, si nous ne laissons pas la tentation devenir mai- tresse de notre volonte. De plus, le Sauveur est tenle plu- sieurs fois et de diverses manieres, tantot d'un cole et tantot d'un autre, sous 1'apparence du bien et du mal, ouvertement et en secrel ; il est sollicite a des actions plus ou moinscoupables, meme a 1'acte le plus criminel, a Tapostasie. Enfin, Salan lente Jesus ostensiblement, pour ainsi dire en mettanl la main sur lui, puisqu'il le transporte a Iravers 1'espace, dans les airs. Nous trouvons la un sujel de grande consolation, quand nous sommes tenles sans cesse, de toute maniere et peniblement.

REPETIT10N : LE SAUVEUR DANS LE DESERT 507

Xous avons dans 1'exemple du Sauveur une preuve convain- canle de celle verile que la tentalion n'est pas un peche ni une imperfeclion, si nous ne la voulons ni ne la clierchons. Qui de nous pourrait se desesperer, quand meme il serait devenu •comme le jouet du tentateur, en considerant toutes les manieres donl le Fils de Dieu lui-meme a ete lente? ISous n'en sommes sans doute pas encore venus aux mains avec le malin esprit, et il ne nous a pas encore pousses a lapostasie. Mais quand il aurail agi ainsi envers nous, nous n'aurions pas ete plus mal trailes que le Fils de Dieu.

Deuxiemement, nous voyons, dans ce mystere, comment le Sauveur resisle aux tentalions. Dabord, il y resiste avec un grand calme exterieur et interieur et avec inlrepidite ; ensuile, de la facon la plus simple, en la rejetant par une maxime de la foi, eu y opposant un lexle de la Joi ; puis encore avec une grande fermele cle volonle, sans rien accorder ni faire la moindre concession ; enlin, avec constance et succes, de telle sorte que le tentaleur s'eloigne pour un temps. (Luc, 4, 13.) Nous avons sous les yeux un bel exemple de la maniere dont •nous devons nous conduire dans les tentalions : il ne nous faut pas les cbercber ni les provoquer ; si elles viennenl, il ne faul pas nous en etonner, ni les craindre; mais il faut avoir soin de faire toul le contraire de ce qu'elles nous suggerent, jusqua ce quelles s'eloignent et disparaissent.

C. Dans le troisieme point de cettemeditalion, nousavons a considerer la recompense de la priere, delapenitence etdu com- bat de Jesus : Celte recompense est la joie, riionneur, le pro- gres,le gainen force, en merile et en vertu, la vicloire surSalan et la vigueur pour travailler dans linteret du Royaume du Cbrist. Telle est la signification des trois mysteres du depart de Na- zareth, du Bapteme et du sejour du Sauveur dans Je deserl : ils offrenl, nous 1'avons deja dit, le modele de la preparation a la vie apostolique. Celte preparation, consideree sous son douhle cole positif et negalif, recoit son complet achevement ici, dans la retraile absolue de Jesus au deserl, dans son jeiine el sa priere, et surtout dans sa victoire sur toutes les tenlations de 1'esprit infernal. Desormais, l'armuredu « Fort » est complele :

508 DEUXIEME SEMAINE

il a recu la consecration inlerieure el exterieure pour les fonc- tions de TAposlolat.

APPLIGATION DES SENS

A. Le desert de la Quarantaine. Le Sauveur va au- dela du Jourdain, el ensuite, se dirigeant du cole de 1'occideut, il Iraverse laplaine fleurie de Jericho, pour gagner la ])arlie septentrionale du deserl. Sa route le conduil a Galgala ou a Gilgal. II laisse a sa gauche Jericho, qui apparait au railieu de plantations de vignes el de balsainiers, et d'une foreH de palmiers, d'oliviers, de grenadiers et de figuiers. Cette ville a ete erabellie par Herocle, qui y a fait construire des edifices et des chaleaux somplueux. Jesus s'avance a travers les jardins, en longeant de riches villas, jusqirau pied des raonlagnes, pres de la source qifElisee a assainie et dont il a corrige Tacrele. Une belle foret de zakkums, d'acacias et d'autres arbres odoriferants, remplie de perdrix el d'oiseaux de toule sorte, enloure cetle source abondante, qui fait entendre le doux murmure de ses eaux et laisse voir une mullitude de poissonss'agiler vivement dans son lil. Si l'on regarde plus loin, au-deld de la source, alors on decouvre une vallee petite, mais riante, couverle d'arbres de difierentesespeces : ce serail vraiment une solitude tres agreable a liabiter. Mais le Sauveur va plus loin encore et gravit une mon- tagne elevee et escarpee, appelee aujourd'hui « la Quaranlaine » ou encore « la montagne du diable ». Aussi haut qifon peut y monler, on y trouve des groltes nalurelles ou creusees de main dliomraes, ou ont demeure des solitaires. La montagne esl cal- caire, toute deserle, nue, trisle, sans la moindre verdure, rem- plie de crevasses et de precipices. Leprophete Elie l'a habitee, dit-on, et sainl Jean-Bapliste a bien pu y faire un court sejour.

B. La vie de Jrsus dans le deserl. La caverne que Notre-Seigneur aurail choisie pour demeure, est sur le versant escarpe de 1'est et la plus elevee qu'on puisse atleindre. Cest a Touest que se trouve la plus haute cime de la montagne. De la grotte du Messie, on apercoil tres bas, au-dessous de soi, une

APPLIC. DES SENS : LE SAUVEUR DANS LE DESERT 509

vasle etendue de terre desolee, seche, crevassee ou couverle d'eboulis rocailleux. A droite, le desert grisalre de Juda se resserre, pour se terrainer aux montagnes de Ziph el deTekoa. Eu face de ces hauleurs, s'elevent a pic les raontagnes de Moah avec le Nebo, et, dans rinlervalle, se trouve le miroir terne el uniforrae de la mer Morle. Sur la gauche seulement, a une cer- taine distance, le Jourdain fail conlraste avec celle image ina- nimee de la mort : ses bords boises el verdoyants, et la plaine riante de Jerichodonnent des tonsplus vifs au milieu de tout cel ensemble inerte el sans vie. Pour animer le deserl il n'y a que les vaulours aux Iongues ailes qui, de temps a autre, voleut majestueusemenl, les hirondelles qui vont et viennent, les ser- penls, les lezards, les chevres sauvages, les renards. el une troupe innombrable de chacals, donl les hurlements seuls Irou- blent la tranquillite des nuils. Ce lieu est donc deja une peni- tence, raais la saison oii l'on se trouve en est une autre aussi. Jesus entre au desert, sans doule a la fin de noverabre ou au comraenceraent de decembre, quand deja, en Terre-Sainte, les pluies sont frequentes et les venls se mellent a mugir. 11 ne fail pas froid dans la plaine du Jourdain ; mais la liauteur de la mo;> tagne (1.500 pieds), 1'inbospilalile de lagrollejes averseset les venls de la nuit rendenl ce sejour extremement desagreable el huraide. II est inutile de cherclier une distraclion, de vouloir laire quelque promenade ou preudre quelque recrealion dans 1'espace resserre de la caverne du Sauveurousur lesentier raide el dangereux qui y mene. Enfin, ajoulons a toul cela le jeune rigoureux de quarante jours et de quarante nuils. Le proplieie Elie parait avoir vecu aussi a cel endroit ou dans le voisinagp, dans la gorge de Karilh ; mais Dieu lui envoyail chaque jour un corbeau qui lui apporlait du pain et de la chair des animaux. Jesus s'abslient de toute nourrilure et de tout breuvage. Malgre cela, il n'a ni faira ni soif : c'est grace a un rairacle, aune inter- vention surnalurelle de Dieu. Mais aussitol que ses quaranle jours de desert sont ecoules, rinfluence divine cesse, et son corps ressent toul l'aff&ib!issement et toule la fatigue dun jeune si long et inoui : c'esl assurement pour lui une grande incora- modile et une penible soulfrance. La vie du Sauveur, dans le

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desert, est donc une vie de rude penitence el dextreme priva- lion.

Mais quelle est 1'occupation de Jesus, en deliors du temps de repos? II s'occupe a prier. II prie sans cesse, il s'entretient conlinuellemenl avec son Pere celeste. U est alors lantot ci genoux, tantot prosterne la face contre terre, tantot debout, les mains elevees vers le ciel. Quand il prie, il se tient habituelle- ment dans la grolte ou bien devant 1'entree de la grotte. Sa priere peuf bien resserabler a celle du jardin de Gethsemani, sans toutefois eTre aussi penible. Ilyconsidere touslesliommes, leurs peches, leurs besoins, leurs corabals et leurs soufTrances ; et il offre pour eux ses travaux, ses prieres et ses douleurs; il n'oublie pas surlout ses Apotres et ses disciples fulurs ; il pense au malheureux etat du peuple dlsrael, a la gentilite, a 1'Eglise et a riiumanite tout enliere. En raenie teraps, il prevoit sa Pas- sion et il 1'accepte avec courage et amour, se rejouissant du salut qifelle apportera aux horames et cle la gloire qifelle pro- curera a Dieu. II formule ainsi d'avance loutes les demandes du Paler. Des Anges sonl, sans doute, meles aux scenes de fristesse ou de joie qui sans interruplion passent sous les yeux de Jesus. Le Messie nous raerite, au desert, lous les secours, loute la consolation et toule la force dont nous avons besoin pendant les tenlations ; il clonne a nos penilences et a nos travaux toule leur valeur et lout leur merile. II reunil les richesses spirituelles et en forme un tresor, ou TEglise viendra puiser lout le courage necessaire pour travailler, poursoulTrir et pour combatlre. La vie de Notre-Seigneur dans le desert est, par consequent, i\ne vie de priere.

Mais il n'y a pas que le Saint-Esprit qui soit venu avecle Sauveiir dans le deserl ; le demon s'y trouve aussi, ce mauvais esprit qui est parloul el epie tout, et qui se plait particuliere- ment dans les endroils solitaires et effrayanls. II observe Jesus depuis longtemps deja, et il lfa encore trouve rien a reclirea. sa saintele. II a le pressenliment ou 1'idee qifil se trouve en pre- sence du Messie et meme peut-etre de Dieu. Les paroles qifil a entendues a son bapleme : « Gelui-ci estmon Fils bien-ainie... », ne lui paraissent pas assez claires. Elles peuvent signifierencore

APPLIC. DLS SENS : LE SAUVELR DANS LE DESERT oll

que Jesus lfesl qu'un prophete. En tout cas, il veut essayer cle le porter au peche et de penetrer le mystere qui enveloppe son existence. Cest peudant lhorreiir d'une nuil d'orage, quand les vents el la tempete font rage autour de la grotte de Jesus, que Satan gravit le monl de la Quarantaine. Les nuees du ciel passent rapidemenl au-dessus de la contree sauvage, tanlot permettanl a la lune de leclairer de sa pale lumiere, tanlol la plongeant dans une obscurite profonde ; les chacals liurlent de tous coles. Le demon ressemble a un ermite deguenille, demi- nu, enveloppe d'une peau de chevre, portant une longue barbe ; sa ligure esi horrible, son air ruse et son rire sarcastique. II se presente ainsi a 1'enlree de la caverne oii habite Jesus ; celui-ei est en priere. Satan interpelle le Sauveur et commence un long discours hypocrite et mensonger. II raconte qu'il est un solitaire du Carmel, qifil a beaucoup enlendu parler de la saintele de Jesus el que d'ailleurs lui-meme observe sa conduite depuis longtemps deja. Mais, a son avis, il va trop loin, il exagere ; desormais, qu'il suive son conseil, qui est celui d'un penilenl et d'un homme d'experience. Jesus doit donc, d'apres le malin esprit, cesser sa penilence et prendre de la nourriture ; d^illeurs, ajoute-t-il, un saint homme comme lui, qui est plus saint qifElie et est peul-elre meme Dieu, changera facilemenl ces pierres en pains; et, en meme temps, le demon presente a Jesus des pierres qifil vient de ramasser. Le Sauveur a reconnu Salan, mais il ne le crainl pas, ne s'emeul aucunement et ne de- tourne meme pas ia tete pour le voir. Le demon s'approche de lui toujours davantage, et il le presse de faire ce quil lui demande, osant meme lui direqifune lelle obstinalion n'est pas de la saintete. Alors enfin Nolre-Seigneur repond au tentateur d'une voix basse, a peine perceptible : « Liiomme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouchede Dieu. » Aussitot Salan se relire. en lancant les pierres au bas de la montagne, et il disparait dans le brouillard et l'obscurite. Une autre fois, pendantque Jesus est de nouveau en priere, le demon lui appaiait tout a coup, comme s'il descendait du ciel ; il ressemble au prophete Elie. II porte un vetement cle peau et, par-dessus, une sorle de manleau grossier et rustique. Sa tele

512 DEUXIEME SEMAINE

esl chauveet il est vieux... Ilest comme environne d'une lumiere blafarde. II dil qifil est le prophete Elie, envoye pour preceder le Messie et pour rannoncer aux hommes. Alors, s'adressant direclement a Jesus : « Vous etes certainement le Messie et le Fils de Dieu ; le temps de volre manifestalion est arrive ; Dieu m'a envoye vers vous el, pour preuve de celte mission divine, je vous transporle maintenant a Jerusalem. » El, en effet, il saisit le Sauveur par le haut du corps et Temporle avec lui, a travers les airs, au-dessus des montagnes arides el deserles, des gorges beantes el profondes, jusque sur le haut d'une des tours lerminales de Jerusalem : de laon peutembrasserd^in coup doeil la ville entiere et toules les construclions du temple. II esl pre- dsement Theure du sacrificedu malin : on entendle carillon des ■cloches et le son des trompeltes d^argenl. « Le moment de volre manifestation esl venu, ditSalan aJesus; montrez au peuple el aux pnHres que vous etes le Chef du Royaume de Dieu el que vous etes meme Fils de Dieu ; pour cela, lancez-vous dans Tespace et descendez en bas. Tous ceux qui verront le miracle ■s'atlacheronl a vous el vous suivront, comme si vous eliez des- cendu du ciel. » A cet instant, Satan se dirige, a travers Tespace, du c6te du parvis du temple. Mais Jesus lui a repondu : « II est ecritquevous ne tenterez pas leSeigneur votre Dieu. » BienkH le demon remonte vers Jesus qui lui dil de se servir encore de la puissance que Dieu lui a donnee ; et Salan esl oblige de saisir ■el de Iransporter de nouveau Jesus dans la grolte du deserl. Comme le demon aurail volonliers alors laisse tomber le Sauveur, afin de le mettre en pieces, de le briser conlre les rochers !

Enfm, Salan se presenle unelroisieme fois, un jourque Jesus selienta rentree de la grolle, regardanl la plaine, la merMoile ■et le deserl. II s'eleve alors du deserl comme une sorte de lour- billon et une nuee noire. Un orage se prepare, qui apporle dans ses llancs un ange puissanl,revelu d^inearmure guerriere, avec un casque, surmonle d'une couroune, et une ceinlure, couverle ■de signes mysterieux elcabalisliques. La nuee sombreentoure le Sauveur, le souleve et le porte jusqifau plus haut sommel qui «urplombe Tendroit oii se trouvait Jesus. « Je veux vous faire

APPLIC. DES SENS : LE SAUVEUR DANS LE DESERT .">13

voir qui je suis, dil Salan au Sauveur : je suis le Prince du monde ; admirez tonle la magnificence de mon empire » ; el, comme aun signal donne, apparaissent aux yeu\ de Jesus les conlrees et les paysages les plus magnifiqnes, ou l'on apercoit des monlagnes, des mers, des ciles, des iles, des porls de mer... Les habilants de ces pays porlenl les coslumes les plus varies ; ils ont a leur lele des rois etdes princes, que suivent des arruees innombrables. Ges grands du monde sont honores comme des dieux, et ils s'enivrenl detous les plaisirset de toutes les louan- ges. Toute cetle pompe, loul ce fasle esl entoure de Teclat le plus seduisant d'une lumiere extraordinaire et encbanteresse, el semble si rapproche et si dislinct qu'on pourrait croirese Irouver au milieu meme de toule celle splendeur. Salan dil encore a Xotre-Seigneur : « Tout ce qui frappe vos yeux en ce moment est mon royaume el m'apparlient, et je puis le donner a qui je veux. Je sais bien que vous etes un grand Docteur el un grand Maitre et que vous voulez repandre votre doctrine. Je vous aiderai dans volre entreprise et je conlribuerai, selonmon pou- voir, a assujettir lout avous. Mais pourquoi limiter vos travaux a la seule pelile Judee? Vous devez aller au milieu des peuples paiens ; vous aurez ainsi un champ daclionbeatieoupplus vaste. Ces peuplesvous obeiront, je vousle promels ; jevous lesdonne, a la condilion que vous vous jeliez a mes pieds et que vous nTadoriez. » Jesus est debout et immobile; il se contente de repondre : « Tu adorerasle Seigneur tonDieu, et tu ne serviras que lui seul. Arriere, Salan ! » Et assilbt toute la magnilicence du Prince du monde s'evanouit en fumee, et lui-meme se preci- pile dans Tabime sous des traits d'une horreur indescriptible ; il disparait, comme si laterre venait de s'entr'ouvrir et de 1'englou- lir sous ses pas.

C. La recompense. A la place du demon et de ses illu- sions mensongeres, le Sauveur voit lout a coup aulour de lui une splendide couronne d'Anges, radieux de beaute, qui s'appro- chenl bientot et se prosternenl respectueusement a ses pieds. Jesus esl transporle entre leurs bras du haut de la monlagne et descendu doucement dans 1'inlerieur cle la grolte. La froide et aride caverne de la monlagne est devenue un berceau fieuri et

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odoriferant. Ofl y sent une douce chaleur et elle est remplie d'une lumiere agreable, chaleur et lumiere qui se m£lent aux rayons et a la chaleur dun beau soleil d'hiver. Des fentes du rocber sorlent des plantes merveilleuses, couvertes de fleurs et chargees de fruits, qui recreent la vue en meme temps qifils syrabolisenl les effets de lapriere et de lapenitenee de Jesus au desert. Sur le sol est dressee une jolie table basse, oii l'on voit les fruits les meilleurs et les plus beaux. Apres que les Anges se sont inclines profonderaent a la benediction de la table, le Seigneur s'assied par terre, les jambes croisees, pour prendre le repas. Ce sont les Anges qui le servent ; ils le font avec atten- tion et avec un visage gracieux. Pendant le repas, d'autres Anges font une musique ravissante ou chantent les combats et les victoires du Messie. Jesus celebre ainsi une fele charmante et magnifique au lieu meme de sa solitude, de ses abaissements, de ses privations et de ses epreuves. 11 fait partager sa joie ineffable a sa Mere et a ses Anges, en les favorisant de visions et de consolations spirituelles. Quelques-uns disent que les Anges avaient pris chez la Tres Sainte Yierge une petile ser- viette, du pain, du poisson et des fruits cuits au sucre, afin de feter le Sauveur, parce que, dit saint Bonaventure, Jesus airaait surtout les mets prepares par sa Mere. Nous serons feles, nous aussi, comme le Sauveur, si, pour son amour, nous avons reraporte des victoires sur nous-memes, et si nous avons bien soutTert, bien combattu et bien travaille avec lui.

VOCATION DES APOTRES

(Jeax, 1, 29-'il)

Apress'elre prepare imraediatement asa vie publique el non- velle, par la receplion dn bapleme de Jean et sa penitence de quaranlejours au desert, Jesus coramence a exercer son minis- lere aupres des homraes. II entreprend raaintenant la fondation de son Royaume, et, pour y reussir, il va s^occuper avant lout d'appeler et de reunir des Apotres.

I. Comment le Seigneur appelle ses Apotres.

II est tres instruclif et tres interessant de considerer les moyens dontle Seigneur sesert pour appeler ses Apdtres etpour les altachera sa Personne.

II emploie a cette fin deux inslruraents principau\ : A. Le premier instruraent est saint Jean-Baptiste, et le Sauveur en use de beaucoup de manieres : d^abord, Jeanesl nn moyen pour sa fin a cause de sa mission, de sa personnalite puissante, de ses verlus, de son bapteme et de ses predicalions sur larrivee du Messie, par lesquelles il attire et entraine tout le monde a sasuite. Plusieurs des fulursApotres, corame Andre et Jean, sont devenus ses disciples, et presque tous les autres sont baptisespar lui. Ensuile, et d'une facon speciale, Jean- Baptiste devient rinstrumenl de la vocation des Ap6tres par le temoignage formel qu'il rend et repete de la mission et de la Divinite de Jesus, et aussi en lui adressanl ses propres disciples : par la il leur donne 1'occasion de se faire connaitre du Messie et de s'attaclier a lui. Joan., 1.)

516 DEUXIEME SEMAINE

B. Le second instrument est le Sanveur lui-meme, el de differentes manieres : Premierement, il se montre personnelle- ment aux yeux des Apolres. Ce n'est pas sans dessein qu ll vient plusieurs fois dans le voisinage de Jean : il veuteMre vu de ltii et de ses diseiples. (Joan., 1, 29. 36.) Sonexterieur est si plein de dignite etd^amabilite qu'il les gagne lous. Deuxiememen l , !e Sauveur est 1'instrument dela vocation des Apolres par la grfl.ce interieure qu'il altache aux paroles de Jean et k ses propres apparitions ou visites : cette grace parle avec force aleurs comiis el les excite a le suivre. Troisiemement, un tres imporlant moyen dont se serl le Sauveur pour atlirer ses Apotres esl la maniere delicate dont il les appelle : d'abord il ne les appelle pas tous a la fois, mais successivemenl, selon que le comportent leurs occupations, leurs liabiludesou leurs relationsexterieures, et il ne les appelle a le suivre que d'une maniere generale (Matth., 4, 18-22; Marc, 1, 16-20); ensuite, il les appelle ;\ le suivre avec exclusion de loule autre occupation (Luc, 5, 2-11) ; entin, il les choisit pour ses Apotres (Matth., 10, 1-2 ; Marc, 3, 13-19; Luc, 6, 13-16). La delicatesse du Sauveur se monlre aussi dans la facon avec laquelle il sait se conformerau carac- tere de chacun des Apotres qtiil appelle : ainsi il gagne Andre el Jean par son amabilite et par ses prevenances. (Joan., 1, 37-40.) Geux-ci sont tres sensibles a Faffection et a ramitie, el ils trouvent en Jesus le meilleur, le plus tendre, le plus fort et le plus fidele des amis. Quant a Simon-Pierre, le Sauveur 1'attire par la perspective d'un bel avenir, des grandeurs et des dignites qui lui sont destinees : Tannonce du changement de son nom est le gage de ses privileges. (Joan., 1, 40. 42.) Et, en effet, Pierre eut en partage une gloire, une celebrite vraie, grande et elernelle : on le reconnait, et avec saisissement,quand, aRome, pres du tombeau de ce Prince des Apotres, levant les yeux vers rimmense et magnifique coupole qui le domine, on lit Tinscrip- lion magistrale : « Tu es Pierre... » Pour gagner Philippe et Matthieu, Jesus n'a besoin que d'exprimer un desir et de leur faire une simple invitation : car l'un et Taulre semblent avoir une nature souple et docile. (Joan., 1, 43 ; Luc, 5, 27.) Ils ont dans le Messie le meilleur cles maitres. Nalhanael (Barlhe-

VOCVNON DES APOTRES 517

lemy), qui parait elre un horume cultive, un invesligateur sin- cere, raais auxidees personnelles, est gagne par la revelalion de felat de sa conscience, que Dieu, « le Scrutateur des cceurs », peul seul connailre. (Joan., 1,45-50.) Louer delicatement un houime et lui monlrer qif on voil les penseesde son coeur, c'est se rendre hien vite mailre de cet homme : c'est le cas de Natha- nael. Aussi tf ouve-t-il dans Jesusceqifil cherche, c'est-a-dire le Messie, le Docteur, dontla haute sagesse lui inspire le plus pro- fond respect ; il reconnait le Mailre et le Jugede sa conscience et 1'Auteurdu salut. Jesus appelleenfin les autres Apotres en daignant egalement s'accommoder et se plier aux circonstances ou ils se trouvenl, a leurs differents caracleres. II se sert de leur nalurel comme d'uu moyen, dun point d'appui pour sa grace. Nous avons la une revelation aimable, enmeme temps qifimpo- sanle, de la personnalile du Messie : on n'a besoin que de le voir et de le connaitre pour laimer et pour le suivre (Joan., 1, 39. 46.) Enfin, qualriemement, le Seigneur acheve 1'oeuvre de la vocation de ses Apolres en donnant des preuves de sa puissance superieure, par les miracles quil accomplil a Gaphar- naiim, a Gana et dans la peche du lac de Genesarelh. (Joan., 5, 1-1-2.)

II. A quoi le Sauveur appelle ses Apdtres.

Nous avons ici deux consideralions a faire :

A. En premier lieu, nous devons considererla grandeur de la dignile a laquelle les Apolres sont appeles.

Elle renferme cinq grandes prerogalives : Le Sauveur appelle ses Apolres au plus grand bonheur : a son amitie, au commerce le plus intime, a la communaule de vie et de societe avec lui. Desormais ils doivent resler a ses coles, devenir les temoins de sa conduile, de ses vertus, de sa doclrine et de ses miracles, et etre sa famille parliculiere, suivant ces paroles : « Afin qifils soient pres de lui. » Marc, 3, 14; Joan., 15, 15.) Le Sauveur plus tard les proclamera bienheureux a cause de cet avantage. (Matth., 13, 16; Luc, 10, 23.)

Le Sauveur les appelle au plus grand honneur : car ils

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iloivenl etre ses messagers, ses Envoyes (Apotres) (Luc, 6, 13), 9es ambassadeurs et ses represenlants aupres de riiumanite.

Le Sauveur appelle ses Apolres a la plus grande puissauce : ' u la parlicipation de la plenitude de son pouvoir. (Marc, 3, 14. 15 ; Matth., 10, 1. 8.) II les charge de ses fonctions de Docleur, de Pasteur et de Prelre, en fait le Fondemenl de son Eglise, leur en contie le gouvernement (Maith., 16, 18) elles choisit comme assesseurs pour le jugementfutur (Matth., 19, 20). De meme et encore ruieux que les douze Patriarches de l'Ancienne Alliauce, les douze Apbtres doivenl, dans la Nouvelle Alliance, avoir entre les mains le depot de la revelation et le tresor enlier des bene- dictions de la grace.

Le Sauveur appelle les Apulres a la plus haute saintete, oui, a une saintele de quelque maniere sembiable a la sienne, puisqirils doivent le represenler et le remplacer, et aussile faire dignemenl : toute la majeste de la saintele et loute la grandeur des dons apostoliques se montreront en eux. (Joan., 17, 6. 8. 17).

Eufin le Seigneur appelle ses Apotres a mener le meme genre de vie que lui : a se livrer aux travaux evangeliques, k faire de grancles ceuvres (Joan., 14, 12), a subir des persecu- tions, a souffrir une mort sanglante et a parlager sa gloire (Luc, 21, 12; 22, 29; Joan., 16,2; 17, 14). L'apostolat est evi- demment la destinee la plus belle et la plus sublime a laquelle un homme puisse elre appele.

B. Deuxiemement , il nous faut considerer oii Nolre-Sei- gneur va chercher ses Apolres, de quels milieux il les fail -soflir pour les elever si haul et quelle est leur valeur dJiomme. Leur condilion, si elle n'est pas la plus commune el la plus basse, ne depasse pas les limiles dluu etal de vie ordinaire. 11 les appelle quand ils nelloient et raccommodenl leurs filels, quand ils pechent, meme sans rien prendre (Marc, 1, 16. 19; Luc, 5, 2. 5); el, pour tout dire en deux mots, il les lire d'une condilion relativemenl inferieure, oii ils sont inconnus et sans influence; meme Malthieu exerce une profession qui ne passe pas pour <Hre honorable. Leur inlelligence, en general, n'a rien d'extra- ordinaire : un ou deux possedent une cerlaine science. 11 n'y a rien non plus de particulier a dire de leur saintele. Ils ont de

VOCATION DES APOTRES 519

bonnes qualites : ainsi ils sonl habilues au travail, sont actifs, pieux, onl un esprit clroit et lucide, un coeur bon et fidele. Tel est Felal dans lequel le Sauveur trouve ses Apolres, et tels quils sont-ils sont appeles a la plus sublirae vocation.

III. Comment les Apotres repondent d 1'appel du Sauveur.

Les Apolres suivent Fappel clu Sauveur, premiercment et avant tout, avec promplilude et zele, obeissant dans la raesure que le Sauveur deniande de cbacun d'eux : la sainte Ecriture en fail la reraarque deux fois. Matth., 4, 20. 22; 19, 27; Makc, 3, 13.)

Deuxiemement, ils repondent a Tappel du Messie avec joie : saint Jean, dans un age avance, sait encore avec exactilude riieure du premier entrelien avec le Seigneur, qui decide leur vocalion. (Joan.. 1, 39.) Saint Matthieu prend, s'il n'a pas deja un double nora aii|)aravant, un nouveau nom, quand il est appele, comme s'il ne faisait que commencer de vivre, et donne un grand feslin d^adieu. Luc, 5, 27-29.) Les Apotres se recrulent aussi entre eux, parmi leurs proches et leurs connais- sances, et s^efiorcent de faire partager rimraense bonheur de leur vocalion a ceux qu'ils aiment le mieux. (Joan., 1, 41. 42. 45. 46.)

Troisicmemcnl, les Apulres suivent Tappel du Seigneur ou leur vocation avec conslance et tidelile, en Iravaillanl, en coin- battant, en souflYant, el en obtenant de magnifiques resultats. (Lcc, 22, 28.) Ils rendent leur vocation glorieuse par la conver- sion de Tunivers, et ils la scellent presque tous de leur sang, couronnant ainsi leur vie par un glorieux mailyre.

Telle eslla voealion des Apotres : ellecontienl un myslere qui esl a la fois beau, important el profond. Gette vocalion est surtout une revelation trcs aimable de la sagesse, delabonte, de la delicalesse du Sauveur ; et, a cause de cela, le premier fruil a relirer de ce mystere est ramour pour le divin Mailre. Le second fruil esl la joie, unie a la reconnaissanee : ce mystere ne comprend-il pas, en elTet, la fondalion de 1'Eglise, retablissement

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de la hierarchie sacree et le comraencement du Royaume de Dieu ici-bas? Quelle reconnaissance ne devons-nous donc pas au Sauveur, d'autant qu'il a appele ou qu'il appelle aux memes subliraes destinees non seulement les douze Apotres, mais encore un grand nombre d'aulres, parmi lesquels nous sommes. Il.ne peul echoir a quelqu'un rien de plus avanlageux, de plus beau et de plus grand que d'elre designe pour occuper une place dans cette magnifique hierarchie. Le troisieme fruit ou la troisieme consequence de ce mystere esl la confiance : ne voyons-nous pas, ne conslatons-nous pas, en effel, par la capa- cite et les lalenls que les Apolres montrerent dans la suile, malgre leur insuffisance naturelle, quelle esl la puissanceet 1'effi- cacile de 1'eleclionde Dieu? Dieu, eneffet, n'appelle pas l'homrae a cause de l'aptitude qu'il trouve en lui, mais il lui donne 1'apti- lude pour 1'etat de vie auquel il 1'appelle.

REPETITION I. Eleclion des Apdtres.

La raison derniere pour laquelle le Sauveur choisit des hom- mes, et des hommes tels que les douze, pour devenir ses Apo- tres et les fondenients de son Royaume ou de son Eglise, n'est pas la necessile, comme si, parexemple, il availbesoin des Apo- tres, meme avec loutes les qualiles et les aptiludesde leurvoca- tion; la raison derniere de cette eleclion est le decret elernel et la volonte de Dieu, son Pere : cest le giand et magnifique plan qu'ont dresse la Sagesse et la Bonte de Dieu en faveur des hommes. Dieu veut se faire representer aupres des hommes par des honimes. Ge Royaume, qui est fonde par les hommes el qui se compose des hommes, doit avoir aussipour assises eternelles les hommes : son commencement, sa conservalion, son agran- dissement et sa defense dependront des homraes, s'appuieront et reposeront sur les homnies. De cette maniere, Dieu eleve riiumaiiite; il lui oclroie une part de sa propre puissance ; il 1'unit au ciel par les liens d'une famille divine, et forrae avec elle comme un grand Elal divin.

REPETITION : VOCATION DES APOTRES 521

Pour realiserce plan, Dieu, dans lesdesseins impenelrablesde sa Sagesse, choisil de fail des bonimes, qui, nalurellement par- lant, ne peuvenl en rien contribuer a la reussile de son enlre- prise. Et, precisement, 1'ceuvre sera divine, parce qu'elle ne s'appuiera sur rien de naturel. (I Cor., 1, 17. 18. 27. 28.) Le Pere designe les Apolres el les donne au Sauveur (Joan., 17, 0. 11. 24 ; 18, 9), qui les recoit lous de ses mains, meme Judas. Aussi la sainle Ecriture remarque-t-el!e qu'il a cboisi ceux qifil a voulus. (Marc, 3, 13. Nous avons la un miracle de la Sagesse el de la Bonle de Dieu. (Joan., 15, 16.) Le Psalmiste (au Ps. cxxxvm) parle en tres beaux termes de ce myslere.

II. La Dignite de VAposlolat.

II nVst pas de dignite plus elevee que Taposlolat, et c'est pourqnoi nous devonstant estimer et lant aimer la vocation a la Gompagnie de Jesus, qui a beancoup de ressemblarce avec celle des Apolres.

A. Gomme le college apostolique, la Gompagnie de Jesus apparlieut de la maniere la plus absolue au Sauveur et a la com- munaule de vie la plus intime avec lui. En effel, nous vivous sous le meme toil que Jesus et dans son voisinage le plus proche. De plus, notre communaute de vie avec Xolre-Seigneur se manifeste dans le nom de Jesus que porle notre Institut : dans ce nom esl toute la definition de la Gompagnie, dont la lacbe essenlielle esl de reproduire, inlerieuremenl et exterieurement, en nons et dans les autres, la vie de Jesus. Par cenom, en vertu de notre vocalion et de notre mission, nous approchons tres pres de Jesus ; et c'est la le privilege propre de nolre Compa- gnie.

B. En second lieu, la vocation a la Gompagnie esl, comme celle des Apotres, une vocation a la Saintele de Jesus. Geci resulte de 1'essence ou de la nalure de la vocation de la Compa- gnie, laquelle est de reproduire la vie de Jesus sous le double rapport de la fin quil a poursuivie ici-bas et des moyens qu'il a employes pour ralleindre. Considerons seulemeut la onzieme Regle du Sommaire.

522 DEUXIEME SEMAINE

G. En troisieme lieu, la vocalion a la Gompagnie nous ■vaut, commeaux Apolres, une parlicipalion au pouvoir du Sau- veur. La Compagnie est un Ordre de Pretres ou de Clercs, un Ordre aposlolique, et, pour celte raison, elle parlicipe a la puis- sance sacerdotale de Jesus, meme avec le privilege de renoncer d'avance, pour honorer liiumilile de Jesus, a toutes les dignites ecclesiastiques ; par consequent, nous voulons des ici-bas avoir part seulement autravail et a lapeine,et non pas a riionneur et a la gloire.

D. Enfin, qualriemement, la Compagnie parlage le sort et les destinees de Jesus ; el c'esl mainlenant qiul iaut faire une mention speciale des perseculions continuelles de loute sorte quelle a a soufiVir sans cesse. Nous avons ainsi dans nolre vocation une imilalion tres heureuse et parfaile de la vie des Apolres; etc/est pourquoi nous devons de particulieres actions de graces a Dieu pour un si grand bienfait.

III. La Fidelite des Apotres d leur vocalion.

A. Nous pouvons considerer encore plus en detail la ma- niere dont les Apolresont suivi leur vocation. Premierement, ils Tonl suivie avec une grande estime pour elle et avec la parfaite conuaissance de leurs obligations. Le seul tilre qifils se donnenl dans leurs Epitres est celui-ci : Vocatus Aposiolus Jesu Christi;el, cerles, c'est le m«illeur de tous les titres ! Gelte estime de leur vocation esl tres importante pour ceux qui en veulent rester dignes. Deuxiernement, les Apotres ont suivi leur vocation avec une grande fidelile, n'y cherchant pas leurs avantages temporels, bien au contraire : que pouvait-elle, en effel, leur rapporter, sinon des travaux, des souffrances et des perseculions? Troisiemement, ils Tonl suivie avec un grand zele. La terre fut presque trop petile pour leur zele : ils por- lerent le nom de Jesus jusqifaux extremiles du monde. Qua- tri&mement enfm, les Apolres poursuivirent leur carriere, en deployant une grande habilete el en remportant de magnifiques succes. Ils furent vraiment des serviteurs du Ghrist capables et fideles (II Cor.} 3, 6). Voila les modeles que nous devons imiter !

APPLIC DES SEXS : VOCATION DES APOTRES 523

B. Maintenant il ne nous faut pas oublier qu'il y a eu un Apolre infidele a sa vocalion, el cet Apolre s'appelle Judas. On peut s'elonner de la vocation de ce traitre. Elle esl un mystere de la Sagesse et de la Justice divines. Celle vocation a ete, sans nul doule, une grande grace de Dieu ; mais la grace n'enleve pas a riiomme la liberte ni la possibilite d'en abuser. II est vraisem- blable que Judas avait de la bonne volonte et de la foi, quand il fnt appele par Jesus ; mais, au lieu de cooperer a la grace, il ceda toujoursdavantage a la tenlalion du demoneta 1'entraine- mentde ses passions dereglees, et, de cetle maniere, il devint le funeste inslrument de la Passion el de la mort de son Mailre. Le malheureux ! il est comme la prophelie vivante de 1'avenir, en ce sens que la plus sainte des vocations, le sacerdoce, aura lui aussides membresindignes,quiferontcertes sa honte;Luc,14, 35) et son inalheur, mais aussi qui contribueront a glorifier le Mailredontla puissance conserve la hierarchie sacree malgre la faiblesse de plusieurs de ses membres. Ici, assurement, une con- clusion s'impose a chacun de nous, cellede nous maintenir tou- jours dans la crainle de Dieu et rhumilite de coeur, de nous defier sans cesse de nous-m^mes el de profiler avec fidelite et ^ele de toules les graces de Dieu.

APPLICATION DES SEXS

A. Vocation dWndre et de Jean. Saint Jean-Baptiste *e lient pres du Jourdain a Tendroit oii il baplise ; il est enloure de ses disciples et dune grande foule de peuple, qu'il enseigne. Tout a coup il s'arrete et regarde. Un profond silence s'elablil. A peu de distance apparait un homme qui longe le tleuve. Sa taille est plus haute que la moyenne ; elle est svelle et noble ; son air est calme et grave, comme est celui dfun homme qui pense habituellement a des choses serieuses. Son vetement consiste en une longue tunique de laine blanchatre, qui descend jusqira ses pieds el dont les manches sont tres larges. Cetle lunique a une bordure bieue et est maintenue autour des reins par une cein- lure. II porte sur sa tunique un manteau brun ou une sorte de

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long surtout carre qui a des franges bleues a ses extremiles. Sa belle tele ovale est legeremenl penchee en avant. Sa longue che- velure, d'un brun clore et quelque peu bouclee, se clivise eu deux parties egales sur une tete qui reste loujours decouverte. Sous un front large et eleve brillent de grands yeux bleus, qu'encadrenl des sourcils bien fournis et bien arques ; les longs cils cles paupieres de Jesus produisent une impression de ten- dresse iiiexprimable sur ceux qui le regardent. Les autres traits de son visage ont une purele deforme parfaite ; mais on ne peut dire qifil represenle le type particulier d'une nalionalite. Une barbe clouce retombe sur sa poilrine en boucles ondoyantes. Tout 1'exterieur du Messie est agreable, modesle et prevenanl : on reconnait tout de suite en lui 1'ideal d'une beaute accomplie. Jesus s'avance, les bras et les mains enveloppes dans son large manteau ; il parait doucemenl pensif. Quant a Jean-Bapliste, il esl tout a fail absorbe par sa vision, et il regne en ce monient un profond silence. Enfin il leve son baton, et montrant Jesus : « Yoici TAgneau de Dieu, qui enleve les peches du monde ! II esl Gelui dont j'ai dit : II vienl apres moi quelqif un qui elait avant moi. Je ne le connaissais pas, mais c'est pour le reveler a Israel que je suis venu et que je baplise avec feau. Et Gelui qui nfa envoye pour baptiser ainsi m'a adresse ces paroles : Celui sur qui vous verrez le Saint-Esprit descendre et demeurer est Gelui qui baptise dans l'Espril-Saint. Et j'ai vu comment cet Esprit est descendu du ciel sous la forme d'une colombe et est resle sur Lui. El j'ai rendu le temoignage qif II est le Fils de Dieu. »

L'impression produile par ces paroles est profonde. Quel- ques-uns des disciples du Precurseur sont parliculieremenl tou- ches : ce sont les futurs Apotres. Parmi eux se trouvent Andre et Jean. Ils se disent a eux-memes que, s'il en est ainsi, il y a tout avanlage a aller au Mailre des mailres. Ils se rappellent en meme lemps les miracles dont ils ont ete lemoinsaubapleme du Seigneur, quarante jours auparavant. Le lendemain, Jesus etant passe de nouveau dans le voisinage el Jean-Baptiste fayant signale encore avec les memes paroles graves et solennelles, alors Andre el Jean prennent une resolulioii genereuse, celle de

APPLIC DF.S SENS \ VOCATIO.N DES APOTRF.S

suivre le Messie el de faire cTabord connaissance de sa Per- sonne. Jean-Baplisle ne le Irouve pas mauvais ; au contraire, il desire que tous ses disciples s'attachent a Jesus : n'est-il pas venu, en effet, non seulement pour manifester le Sauveur au peuple, mais encore pour lui amener et reunir autourde lui ses premiers disciples ou ses Apolres? Les deux disciples de Jean s'approchenldonc de Jesus qui longe le Jourdain. Us n*osent pas tout d'abord adresser la parole au Sauveur; ils se pressenl l'un Tautre de le faire, et se tiennent Ires pres derriere lui. Jesus, qui connait leur intenlion, se retourne aimablement, les regarde avec bienveillance et, comme ils hesitent a lui parler, il les pre- vient et leur demande qui ils cherchent. Jean et Andre lui repondent que cest lui-meme qu'ils cherchent et ils le prient de leur dire ou il derueure ; car ils desirent vivement faire sa con- naissance. « Venez et voyez », leur dil le Sauveur. Tout en marchanl, Jesus leur deraande avec beaucoup dinterel quel est leur noin, leur faraille, d'ou ils viennenl. Ils lui repondenl avec simplicile qifils sont Galileens, que l'un d'enlre eux (Jean esl le fils de Zebedee, pecheur el marchand de poissons, et 1'aulre (Andre) est le frere du mailre-pecheur, Simon, loueur de la grande peche sur le lac de Genesareth. Ils ajoulenl qu'ils sont venus Irouver Jean-Baptisle et qu'ils onl concu une telle eslime pour lui et 1'ont pris en si grande affeclion qu'ils sont devenus ses disciples. Le Sauveur leur dit alors : « Yos paroles me font plaisir ; je vois que vous eles mes compatriotes, puisque je suis de la Galilee, de la ville de Xazareth ; mes parents sont Marie el Joseph. Moi aussi je me suis rendu pres de Jean pour me faire bapliser ; je me rejouis de l'affection que vous avez pour lui. Jean est un grand Saint et un grand Prophete; on n'en ajamais vu de pareil ici-bas. II faut faire ce qu'il enseigne : c'est lui qui prepare la voie au Messie. » « Assurement, repondent Jean et Andre ; Jean-Baptiste nous a beaucoup parle du Messie, et d'apres lout ce qu'il nous a dit, il nous esldifficile, sinon impos- sible, de ne pas conclure que Celui a qui nous parlons esl le Messie ; d'ailleurs Jean nous a renvoyes h vous. » Jesus confirme leurs paroles, en disant modestement : « Ce que Jean dit est la verite. N'avez-vous pas assiste dernierement a l'apparilion qui a

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eu lieu a 1'occasion de mon bapteme, et if en avez-vous pas ele frappes? » Les disciples repondent qtfils en onl ete emerveilles. Le Messie se fait connailre a enx et ils oroienl en lui. Cependant ils arrivent a mie hotellerie, et Jesus les invile a le suivre et a prendre un frugal repas en sa compagnie. Ils acceptent volon- tiers. L'amabilile et la noblesse du Seigneur les captivent tou- jotirs davaniage, en sorle qtf a la fin ils osent lui demander s'il medite quelque projel, comme Jean, et s'il veul avoir des disci- ples. Sur la reponse affirmative de Jesus, ils declarentqifilsveu- lent bien etre de ses disciples et sont disposes a le suivre. Le Sauveur leur repond que c'est un devoir pour eux de le faire. Alors Jean et Andre lui parlenl cle leurs amis el de leurs parents, qifils veulent aussi lui amener et lui presenter, pour qifils deviennent eux-memes ses disciples. Jesus leur dit qtfils peu- vent venir. Nous avons ici la premiere renconlre et la pre- miere conversation des Apdlres avec le Messie. L'impression qifils ressentirent de faffabilile et de ramabilite de Jesus fut si grande que saint Jean se rappelait encore dans sa vieillesse 1'beure de ce premier entretien avec le Sauveur. (Joann., 1,39.) B. Vocation des autres Apotres. Plein de joie d'avoir trouve le Messieel de pouvoir le suivre, Andre va a larecberche de son frere Simon, qtii pouvail bien, ces jours-la, se trouver aupres de Jean-Baptisle sur le bord du Jourdain. La premiere nouvelle qif Andre annonce a son frere, c'est que Jean et lui avaienl trouve le Messie. Simon etonne s'en rejouit grandement : car ponr un Israelite croyant il ne pouvait y avoir de nouvelle plus desirable et plus importante, et Simon est un Israelile zele et epris de tout ce qtii esl bon el beau. II est de BelhsaTde, ville siluee sur la rive occidentale de la mer de Galilee, et semble avoir loue une importante pecherie avec Zebedee et ses deux fils, Jacques et Jean, qui if habilent sans doute pas loin de ltii. Simon est un homme robuste et entreprenant. II suit aussitdt son frere, qtii le mene au Sativetir ; el bientol a lieu cette pre- miere rencontre de Jesus et de Pierre, qui commence entre eux des relations, desormais ininlerrompues, dont 1'importance et les consequences seronl si grandes pour le lemps et pomTeter- nite. Simon est un homme fort quoique de petite taille, il a les

APPLIC. DES SEIVS : V0CATI0N DES APOTRES .j27

yeux vifs, il porle stir le devant cle la tete la louffe de cheveux si connue. Des qnih se presenle, Jesus le considere avec son calme el sa majeste liabitnels, avec son aimable bienveillance, mais aussi avec une fermele et uneprofoiideur de regard toutes myslerieuses, el il ltii dil toul aussitot : a Tu es Simon, fils de Jonas, el tu dois a 1'avenir 1'appelerCephas, c'esl-a-dire Pierre. » La figure majestueuse du Sauveur, son regard significalif et serieux, son apostrophe a Simon, en prononcanl son nom el en lui donnant un nom nouveau, produisent sur Pierre une impression lies profonde : C3tle conduile mysterieuse de Jesus est evidemment pour Simon le presage dune vocation speciale et extraordinaire. II sent qu'il se Irouve en presence d'un Elre sttperieur, qtii se declare le Mailre de son avenir et aux yeux de qui sa personne el loule sa vie deviennenl comme transpa- rentes. II es< lempli d'admiralion et de respect et, pour ainsi dire, en adoration en presence de Jesus, et peul-elre qu'en cet instant il a le pressenliment de la grandeur de sa vocation. Mais si, d'un cote, cette vocation esl un grand honnettr pour le Galileen, d'un autre, elle le remplil de crainte et d'angoisse en considerant 1'insuffisance de ses capaciles nalurelles et aussi a catise des relations temporelles ou il esl engage comme chef de famille et comme directeur d'entreprise. Nous verrons plus tard que le Sauveur dut employer des moyens tout parliculiers et mtoie la force des miracles pour Iriompher de la petir el des hesitations de Pierre. En attendanl. le fondemenl de sa voca- lion est pose et Simon est tout a fail gagne a Jesus. Mais le Sei- gneur le laisse provisoirement conlinuer son enlreprise de pecherie.

Jesus voyage mainlenanl dans la Galilee et, sur sa route, il renconlre Philippe, un compatriote et un concitoyen de Simon et d'Andre. II semble que Philippe est un homme tres limide, meliculeux et timore, mais souple el docile. G'est pourquoi la seule parole du Sauveur : « Suis-moi » 1'attache definitive- ment a sa Personne divine. Yaincu par la grace et enlraine par son bon ca^tir, il ne peut s'empecher de repondre a cet appel de Jesus, en qui il reconnait immediatement le Mailre q u ' i l doit suivre desormais. Matthieu est gagne a peu pres de la meme

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maniere. II apparlienl a la classe, meprisee el decriee avec rai- son, des pnblicains, et, pour ce molif peul-elre, il esl un sujet de peine et de honte pour sa famille. Mais Malthieu a un excel- lent coeur, et peut-elre est-il deja alle trouver Jean-Baptiste et a-l-il ete converli par lui ; dans ce cas, le Seigneur trouve dans Matlhieu un terrain bien prepare. II est possible aussi que Matlhieu ail ele tres surpris el fortement remue de voir Jesus s'arreler silencieux devant sa maison et atlacher sur lui un de ces regards a jamais inoubliables, qui decident absolument de la deslinee du temps et de 1'etemite. En meme temps, le Seigneur hii adresse ces simples mots : « Suis-moi. » Matthieu a sans doule deja appris h connailre Jesus par les cetivres qii'il a failes a Capharnaiim el aux environs, il est rempli de respect et d'es- time pour lui ; d'un aulre cole, il desire se decharger de son emploi d'une facon convenable. II saisil avec joie Toccasion de realiser son plus cher desir : touche par la grace de Dieu et 1'amabilite du Sauveur, il repond immedialemenl a son invila- tion. II quitle aussitot sa place et sa famille, et se declare le disciple de Jesus. Mais, avanl son deparl defmitif, il donne un grand repas a ses amis. Matthieu a encore une aulre cause de joie dans le nouveau genre de vie qifil embrasse : au lieu de compter des marchandises, il s'occupera du soin des ames; au lieu de rediger des leltres de voiture, il ecrira le saint Evangile; au lieu de gagner la richesse lemporelle, il conquerra le Royaume elernel; au lieu d'elre assis a un comptoir de publicain, il sie- gera sur un des douze trones du Royaume des cieux...

Apres Philippe, le Sauveur appelle Nathanael, qu'on suppose etre 1'apotre sainl BarllxMemy. Nalhanael esl de Gana en Gali- lee. II paraU elre un homme instruit, d'humeur gaie, prompt, de caraclerequelque peu independant, mais honnete el sincere. Philippe esl a sa recherche et, quand il l*a trouve, il lui parle vraisemblablement avec un grand enthousiasme de Jesus, fils de Joseph de Nazareth, qu'il dit etre le Messie. Nathanael connait Nazareth, qui n'est pas loin de sa propre ville, et il sait que les Nazareens n'ont pas une grande culture intellecluelle el jouissent de la repulalion d'avoir un naturel tres facheux. A cause de cela, il pense qu'un homme eleve a Nazarelh ne peut que

APPLIC. DES SENS \ V0CATI0N DES APOTRES 529

repondre clifficilement a 1'idee qu'il a clu Messie; aussi fail-il a Philippe celte reflexion a demi plaisante : « El comment un si grand bien ou meme quelque bien peul-il venir cle Nazarelh? » Neanruoins il a un vif desir et une sorte d'impatience de voir ce Messie, annonce par Philippe. A peine le Sauveur Pa-t-il apercu, qu'il dit avec beaucoup d'amabilile, de maniere a elre entendu de Nathanael : « Voici un vrai Israelite en qui il n'y a point de faussele ! » Nathanael, comprenant que Jesus parle de lui, reprend aussilot : « Mailre, comment me eonnaissez-vous? » « Avant que Philippe ne fait appele, lui repond le Sauveur, je l'ai vu sous le figuier », et en meme temps il jette sur lui un regard louchant et profond. Alors s'eveille vivemenl dans Tes- prit cle Nalhanael le souvenir d'un evenement de sa vie, connu de Dieu seul, « le Scrulaleur des eoeurs ». Cette revelation des secrels les plus caches de son ame touche et bouleverse foite- ment Nathanael ; il ne plaisante plus desormais; mais il recon- nait dans Jesus non seulemenl le Docteur sage, mais le Maitre de sa conscience, son Juge et son Dieu, et son ccEur droil et sensible est entierement satisfait. II s'humilie aussilot en pre- sence de lout le monde et reconnait avec joie Jesus pour le Messie et pour Dieu. « Yous etes le Fils de Dieu, le Roi d'Israel », dit-il a Notre-Seigneur. La penetration de Jesus et la preuve de sa toule-puissance divine ont opere en Nathanael ce changement complel. II veut aussitol suivre le Sauveur. Alors Jesus prononce ces paroles qui s'adressent a tous ses Apolres : « Cette seule preuve de ma Divinile vous a determines acroire; mais vous verrez encore de plus grandes choses : vous verrez les Anges de Dieu monter et descendre »; c'est-a-dire qu'ils verront un jour les Anges le servir, lui, « le grand et elernel Mediateur entre le ciel et la terre ». II n'y a rien qui gagne les hommes comme la louange, et il n'est pas de moyen plus facile et plus infaillible de s'en rendre maitre que de leur prouver qu'on les connail et qifon penetre le fond de leurs ca?urs. Cest ainsi que Nathanael a ete gagne a la Personne et a la cause de Jesus.

C. Le choix des Apolres. (Luc, 6, 12-16 ; Marc, 3, 13-19; ^Ivtth., 10, 1-4.) Le choix et 1'appel definitifs des Apotres

3i

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sont le complement et le couronnement de leur vocation. Le Sauveur se tient dans le voisinage du lac, a peu pres a moitie chemin entre Capharnaum et Nazareth, entre le Thabor et Saphet. II est sur une hauteur, qui fait deux saillies bien pro- noncees. Entre ces deux proeminences il y a un enfoncement ou une petite vallee, que la nature semble avoir faite tout expres ponr une reunion d'hommes, pour recevoir un auditoire. Une grande foule de peuple, venue de la Galilee, de l'est, du Jour- dain, de la Judee et m6me de Tyr et de Sidon, y est rassemblee; tous attendent que Jesus vienne leur faire une predication. Les disciples que ie Seigneur a convoques, sont egalement la. Le Sauveur a passe la nuit dans une oraison mysterieuse sur un des sommets arrondis de la monlagne : c'est le signe qu'il medite quelque projet important.

Au lever du soleil, Jesus descend de la montagne, ou il vient de passer la nuit en prieres ; il descend majestueusement, comme Moise du Sinai. Aussilotses nombreux diseiples 1'entou- rent, prets a recevoir ses ordres. Le Messie leur declare qu'il veut choisir douze d'entre eux, qui resleront toujours pres de sa Personne et seront particulierement ses Messagers ou ses Apo- tres; et il commence de suite a les choisir. On voit alors un magnifique spectacle. Le soleil apparait au firmament; il repand ses rayons dores sur les vagues du lac et sur la plaine environ- nante; les montagnes de la rive gauche du Jourdain projeltent surtout cet ensemble des ombres bleues et violettes; le Thabor eleve, au midi, sa tete altiere au-dessus de la chaine des mon- lagnes de Gelboe et d'Ephraim, pendant qu'au nord le majes- tueux Hermon laisse briller sa cime neigeuse : on dirait, en ce moment, que les rayons du soleil le couronnent d'une fraiche couronne de roses. Remplis d'admiration et clans 1'atlente d'un grand evenement, les disciples se liennent lout pres du Sauveur; et, plus loin, la foule du peuple trepigne d'impatience. Jesus estdebout, dans une attilude noble et imposante, transfi- gure par la joie et la piete. II appelle les Apotres chacun par son nom, et ceux-ci s'approchent du Maitre avec bonheur, reconnaissance et amour. Tout emus, ils s'agenouillent devant lui, pour recevoir la benediclion de ses mains venerables, et

'applic. des sens : voc.vnox des apotres 531

ensuite ils se placent a ses cotes. Simon, le fidele, le coura- geux Simon, s'approche le premier de lous ; c'est lui que le Sauveur a nomme et appele le premier. Cest avee une gravile singuliere que le Seigneur 1'accueille et lui donne le nom de Pierre, ce nom qui esl le signe de sa primaute, de sa preseance sur les autres Apotres. II le salue, sans doule, en espril par les paroles qui feronl de lui plus tard le clief de 1'Eglise : a Tu es Pierre, et sur cette pierre je batirai mon Eglise », ou par la for- mule de la benediction de Juda : « Tes freres te loueront; ta main s'appesantira sur la tete de tes ennemis; les fils de ton pere se meltront a tes pieds : tu es un jeune lion. » (Gen., 49, 8. 9.) Ensuile Jean s'approche, l'innocent Jean, avectoutesa simplicite et son amabilile de jeune homme. Comme le Sauveur raccueille avec joie! II lui donne la benediction de Benjamin : « Tu esle bien-aimedu Seigneur; tu demeurerasavec assurance dans la part de tou heritage; tu y habiteras comme dans une chambre nuptiale; lu y reposeras enlre les bras du Seigneur. » (Deut., 33, 12.) Apres Jean vienneut Andre, le zele, les deux cousins du Seigneur, Jacques le Mineur, le futnr eveque de Jerusalem, et Jude, nomme aussi Thaddee, et ensuite Thomas : lous recoivent, comme aulrefois les fils de Jacob et les tribus dTsrael, leurs graces et leurs benedictions parliculieres. Le Sei- gneur se rejouit dans son ame et remercie Dieu de tout le bien que fera la vocalion de ses Apotres. Enfin Judas se presenle : la vue de Judas est pour Jesus la cause d'une vive douleur. Judas est alors croyant et bon, mais que deviendra-t-il un jour? Le Seigneur fremit dans lout son etre, en prononcant son nom et en le voyant s'approcher. Pourlant il le recoit, parce que son Pere, suivant un decret de sa sagesse et de sa justice impene- trables, le lui a donne. Peut-elre qu'il lui dit doucemenl a Toreille les paroles : « Prends garde qifun autre ne prenne ta place. » (Ps. 108, 8.)

Tel estle choix definitif, tel est 1'appel decisif des Apdtres. Le jour de celte election est pour le Sauveur un jour de grande joie, parce que son oeuvre y fait un grand progres et qifil considere notre elevalion comme la sienne propre. Ce jour est aussi un jour a jamais memorable pour les Arolres, qui voient

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le Sauveur poser le (ondement de leur felicite, de leur gloire et de leur puissance. Enfin il est un jour heureux pour le monde, parce que le Messie y a elabli la bierarchie sacree, et trace les grandes lignes du plan de son Eglise et de notre salut.

Accompagne des Apotres, Nolre-Seigneur descend vers le peuple, pour faire son sermon sur la montagne et operer beau- coup de miracles.

LE MIRACLE DES NOCES DE CANA

(Jean, 2. 1-11.

Le Sauveur selrouve avec ses uouveaux disciples sur la route qui couduit a Capharuaiira, eu Galilee. II s'arrete aCana, ou sa sainle Mere assisle a des noces, et c'est dans cette pelite ville quil fait le miracle de l'eau changee en vin.

I. Le Miracle.

Qualre circonslances en montrent la grandeur et la magnifi- cence :

A. Premierement, c'est le premier miracle que le Messie opere publiquement. Aussi saint Jean dit-il que c'est « le cora- mencementdes miracles de Jesus ».

B. Deuxiemement, ce miracle constitue, d'apres sa nature, un miracle de premier ordre, un miracle absolu et parfail. En effet, il ne s'agit pas seulement ici d'une modificalion ou d'un changement quelconque, raais il y a, dans ce rairacle, un clian- geraent complet de la substance d'un etre. Le Seigneui- monlre par la son pouvoir illiraite sur la nalure. II peut faire d'elle ce quihcut.

C. Troisiemement, le miracle des noces de Canaest remar- quable par la manieredont Jesus le fait : d'abord, sans bruit, en silence, comrae par liasard, el sans aucun raoyen exlerieur ; de plus, dans des circonslances telles qu'il est irapossible de le conlester ou d'en douler. Nolre-Seigneur 1'opereun jourde fele publique, devanl beaucoup de teraoins irrecusables, enpresence

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des servileurs, du maiire d'holel et de Pepoux : personne ne peut le nier. II esl evident que le vin esl epuise et que les urnes sont pleines deau ; et voila qifau lieu d*eau les serviteurs pui- sent du vin dans les urnes, eomme le maitre dliotel Paffirme lui-meme.

D. Quairiemement, ce miracle est tres remarquable a cause de sa signification spiriluelle. Dans la double circonstance des noces, oii le Seigneur fait le prodige, et du don d'un vin excel- lent, qifil offre aux convives, les saints Peres voient une figure de Punion mystique du Christ avec Phumanile, ici-bas dans PEglise etla-haut dans la lumiere de gloire. La sainle Ecrilure nous represenle en effel cetle union sous ce double rapport, comme un feslin de noces (Luc, 14, 16 ; Matth., 22, 2; Apoc, 19, 7). oii toujours le Seigneur offre et donne du vin : c'est d'abord, sur la terre, dans Padorable Eucharistie, el ensuite, au ciel, dans le feslin oii les elus boivent avec lui « le vin nouveau » delafelicite (Matth., 26, 29). Jesus fete les premices de celte union au commencement de savie publique de Docteur, a Pepo- que oii il etablit Paposlolal : il veut ainsi manifesler, d'une facon parliculierement significalive, la joie de son cceur, en assistant a un repas de noces et en faisanl, a Poccasion de ce joyeux e\e- neinent, le don d'un vin merveilleux.

II. Molifsou causes clit Miracle.

En considerant les differents motifs du miracle des noces de Gana, on voil quil revet lecaractere d'un charmeinexpriraable. Ces molifs ou ces causes sont au nombrede trois :

A. Le premicr motif ou la premiere cause du miracle est la presence dela Mere de Jesus aux noces. II est probableqiPelle y prend part en amie, comme personne connue, ou peut-elre menie comme parente de Pun ou Pautre des epoux : elle cou- seille, elle arrange, elle prete son seco-urs dans les preparatifsdm feslin. Celte presence est pour les fiances Poccasion d'inviler Jesus et ses disciples a leurs noces.

B. Le second motifdu miracle est laposilion critique des epoux, lorsque le vin vient k manquer. Peut-etre qu'a cause de

LE MIRACLE DES NOCES DE CANA 535

l'invilation du Sauveur et de sa suite, le nonibre des coavives etant devennlrop considerable, leur provision de vin s'estepui- see. II est donc jusle que le Sauveur et sa Mere cherchent a les tirer d'embarras.

G. Le troisi&me motit* et la cause prochaine du miracle esl la Mere de Dieu, implorant le service de son Fils. Le Sauveur ne parait pas, a proprement parler, avoirTidee bien arrelee de faire, maintenant el a cetle occasion, sou premier miracle et de montrer ainsisa Divinite; ilse manifestera a Jerusalem, le jour de la Paque : il dit, en effet, que son heure n'est pasencore venue. Neanrnoins il opere le prodige, et cela en consideralion de sa Mere : d'abord, a cause de sa foi : nous ignoronssi Marie a deja vu un miracle de Jesus, mais elle est convaincue de sa loute-puissance; ensuite, a cause de sa sollicilude malernelle, de son atlention et de sa bonte qui lui font remarquer aussilot le manque de vin ella portenta y remedier ; enfin, acause dela delicalesse et de la modestie de sademande, et en meme temps de la confiance absolue qu"elle exprime. Marie, pouilant, ne desire rien qui ne soit conforme a la voionte de Dieu.

III. Les effets ou resultats du miracle.

Ges resullats sont en faveur el de Jesus el de ses disciples.

A. Aux noces de Gana le Seigneur manifesle avec eclal el magnificence saDivinite; il en donne une preuve irrefulable en changeant Teau en vin. II y montre aussi toute la grandeur et la beaute de son caractere ; ef, d'abord, sa bonte et sa condescen- dance, en acceplanl rinvitalion de personnes sans fortune ou peu forlunees. Jesus benil, enefiel, tous les usages convenables d'ici-bas et il sanctifie les fetes des hommes par sa presence et parTexemple des verlus qu'il y donne. Les sainls Peres voienl dans la part qu'il prend aux noces de Cana la confirmation du mariage legilime. Ge n'est pas sans raison non plus qu'il fete ainsi solennellemenl le jour oii il quille la vie de famille et qu'il fail un miracle pour 1'ulilite ef la consolation de deux epoux qui, en ce meme jour, foudent une nouvelle famille. II acquitle par la, pour ainsidire, la delte de reconnaissance qu'il a conlractee

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enversla famille au sein de laquelle il a vecu si longlenips et dont il a recu tanlde bienfails.

Jesus raonlre aussi, aux noces de Gana, une liberalite et une generosite etonnanles, pnisque, a l'occasion d'un evenement sans importance,il fail un si grand rairacle et fait don aux epoux d'une grande quantite d'un vin excellent.

Enfm, le Sauveur temoigne son estime elson amour extraor- dinaire pour sa Mere. Les mots « Qu'y a-t ilentre vous el moi. femme? » ne sont pas des paroles de meseslime et de blame. Getle expression, dure en apparence, signifie seulement que la deraande est quelque peu intempestive; el le mol « fenime » neditpas plus que notre raol « dame ou raadarae ». En tout .cas, ces paroles prouvenl que Nolre-Seigneur opere ie rairacle sur la seule demande de sa Mere ; sans celte demande, le raira- cle, dans les desseins divins, n'aurait pas eu lieu. LHomme- Dieu ne pouvait monlrer d'une maniere plus frappante son amour pour sa Mere. 11 ne faut pas oublier de faire cette remarque importante : c'est que, au debut de sa nouvelle vie, Jesus veut que le miracle, opere par lui pour fortifier ses disciples dans la foi etponr reveler sa Divinile, depende absolument de l'inter- .cession de Marie, sa Mere. Nous avons la une revelalion des desseins de Dieu sur Marie : tout, dans le Royaume du Glirist, doil passer par les niains de cette divine Mere, aussi bien la grace de la justification (Luc, 1. 44) que celle de la foi : c'est de Marie que vient le Soleil de Juslice el c'esl par elle qu'il rayonne dans toule sa splendeur pendant les jours de la vie publique de Jesus.

B. Aux noces de Cana, les disciples « croient », c'est-a- dire qu'ils soni merveilleusemenl confirmes dans la croyance a la Divinile du Chrisl. Cetle foi, ils l'ont recue a la premiere rencontre du Messie, quand ils ont appris de sa bouclie des clioses queDieu seul pouvail connaitre. Celait un miracle dans le domaine spiriluel: aujourd'hui, c'esl un rairacle dansle monde visible. Nous avonsdeja maintenant la confirmation des grands evenemenls que Jesus leur a fait entrevoir. Getle confirmalion de la foi de ses disciples est un des buts principaux que pour- suit le Sauveur ; et les disciples en ont un grand besoin a cause des faits qui se passeronl a Jerusalem.

REPETITION : MIRACLE DES NOCES DE CANA 537

Nolre-Seigneur ne fait pas uniquemenl a ses disciples ce don de la foi ; il veul 1'accorder aussi a ses parenls et a ses connais- sances, qui sonl venus nombreux assister aux noces de Gana. En tonl cas, la nouvelle du grand miracle qu'il y opere se repand de tous coles, et ainsi il atteinl son but, qui esl la revelation « de la magnificence du Seigneur ».

Ge mystere est le terme glorieux de la preparation imme- diate du Messie a sa vie publique. Jesus sorl radieux de 1'obscu- rile de sa vie privee, pour s'elancer dans la carriere brillanlede sa vie publique, oii il revelera sa Divinite par ses mirucles elpar son enseignement. Lesdisciples ont, dans ce myslere, la confir- mation eclalante de leur foi naissante, pendanl que les parents elles amis de Jesus y tronvenl le bienfail de la foi. Enfin, nous avons la une revelalion et unepreuve de la puissance mediatrice delaMerede Dieu dans le doraaine de la grace et dans le Royaume du Ghrisl.

REPETITION

Le Sauveur assisle a des noces, et, vraiserabiablement, a des noces de pareuts ou d'amis. Nous avons ici 1'occasion de con- siderer 1'exeraple que Jesus, devenu personnage public, nous donne dans ses relalions avec sa parenle ou avec ses connais- sances. Nous pouvons faire nne double consideration :

A. Premierement, Jesus remplit ses obligations envers les siens et il a pour eux les egards qui leur sont dus : nous le con- statons en parliculier dans le present myslere. II revele sa Divi- nite d'abord a ses parents, ensuile aux Juifs (Jean, 4, 3), enfin aux Galileens (JeAn, 4, 43; Matth., 4, 12), en commencant par les Nazareens (Luc, 4, 16).

B. Deuxiemement, le Sauveur neanmoins pralique en tout le plns grand detachemenl, le detacbemenl interieur et exterieur de la famille, de ses amis et de ses connaissances, du moins en tant que la perfection de la vie apostolique le reclame.

Ilifa certes aucune altacbe a son pays nalal : il n'aele qu'une ou deux fois a Nazarelh. (Matth., 13, 54; Lix, 1, 16.) II parle un jour de sa ville natale, mais seulement pour donner un avis

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qui esl bien juste. II ne flatte pas ses coropalriotes, el ceux-ci ne !e flallenl pas davantage. II ne temoigne pas un plus grand altacheroent a sa Mere. II rabandonne tout a fait, lorsque Dieu le veut (Matth., 3, 13); il esl probable qu'il n'a pas consenli a ce qu'elle le snive avec les aulres sainles feranies : en toul cas, le nom de sa Mere n'esl pas indique dans rEvangile [Lwg, 8, 2. 3) ; pendanl une de ses instruclions, il ne la recoil pas aussil6t Matth., 12, 18); il ne parle pas d'elle d'une maniere speciale Lic, 11, 28-). II montre la meme liberte de cceur en face de ses amis. II reprend Marlhe de ce qu^lle esl mecontente de sa soenr Marie (Luc, 10, 41); el il laisse les deux soeurs Tattendre trois jours, pendant que leur frere est malade el enfin meurl : la gloire de Dieu est le seul molif de cette conduile (Jean, 11, G). II nbesite pas non plus a opposer un refus formel a la demande iuteressee de la mere de deux de ses Apolres (Matth., 20, 22). II accueille la ricbe paienne de Phenicie en apparence tres dure- ment (Marc, 1 , 27). II n^epargne pas davanlage ses principaux disciples (Matth., 16, 23; Luc, 9, 50. 55). Cestainsi que le Sanveur est delache : il n'est ailache qu"a Dieu el a sa vocalion. Nous ne devons pas non plus nous-meine avoir d'atlache a la chair et au sang; mais il nous faut changer nos affections na- turelles en affeclions surnalurelles, qui repondent a notre voca- lion et a nolre etat. Nous devons le faire, premierement, acause de Dieu : autrement, nous courons le danger, dans nos travaux, de perdre de vue sa plus grancle gloire. Nous nous occupons de personnes et de choses qui ne contribuenl pas beaucoup a celte gloire, et nous negligeons celles qui la procureraienl inliniment davantage : alors nous ne nous devouons pas unice et pure au service de la divine Majeste. Deuxiememenl, Tinleret du prochain exige que nous n^ayons pas d^atlache nalurelle. Autre- menl il ne recoit pas l'edification et le secours qu'il a le droit d'attendre de nous. Nous negligeons tres souvent ceux qui ont le plus besoin de notre assistance et de nos soins, comme les hommes, les ouvriers, les pauvres, les enfanls, elc... De plus, nous nuisons au prochain, quand il reraarque nos affeclions et nos attaches; el nous pouvons merae etre la cause de sa perle. Au lieu de lui donner Texeraple du delacliemenl, nous Tatlirons

repetition : mip.acle des noces de cana 539

et nous l'altachons a nolre personne : ce qui est loin d'elre apo- slolique. Ainsi nous derobons a Dieu les cceurs qu'il ne nous esl permis de gagner et d'attirer que pour les donner etles atlacher a Dieu. En un mot, il n'y a alors pour nous aucune benediction celeste, mais seulement lucrum cessans et damnum emergpns. Troisiemement enfin, nous devons nous defaire de toute affection deieglee dans nolre propre inleret. Ges attaches nous enlevent d'abord nolre paix : nous ne sommes plus purs et sans tache aux yeux de Dieu ; el ensuite, elies nous privent de la consideration et de 1'autorile dont nous avons besoin pour faire du bien aux hommes : nous uous avilissons et nous nous ren- dons ridicules a leurs yeux; nous perdons loule force pour les vrais travaux et pour les sacrifices, ou bien nous ne mellons nos travaux qifau service de nos passions. Dans de telles disposi- tions, il n'y a en nous ni eharite ni devouement sinceres, mais un miserable egoisme; c'est ce que l'on constale, helas ! quand on veul uous enlever notre idole. Nous perdons completement notre energie : il n'y a plus de ressorl en nous; toule grandeur disparait dans nos pensees et dans nos affections : nous nous amoindrissons, nous commeltons des imprudences, parfois des sottises, nous nous amollissons, nous devenons des hommes mediocres, sinon vulgaires. La plupart du temps, c'esl avec les femmes qu'on se compromel et a cause d'elles qu'on se mel meme dans des embarras serieux. Voila pourquoi le Sauveur est si inflexible sur ce point, cl pourquoi aussi les prescriptions de notre Institut sont si severes, quand il traile des visites, des correspondances ou des relations exterieures, surloul s'il s'agit de femmes ou de religieuses : il nous defend absolument de sorlir seuls el sans compagnons, d'entretenir des amities parli- culieres et de nous charger de la direclion speciale de personne. II ne veut pas davantage que nous ayons de correspondance suivie avec les personnes pieuses du dehors, et que nous nous melions dalfaires temporelles, meme dans 1'interet de nos parents. En toul cas, nous avons besoin d'une permission spe- ciale pour le faire 011 pour nous y preter : le mieux esl de nous en abstenir. Relativemenl aux attaches du coeur, il nons faut les prevenir, les eviter, ou les briser, nous en teiiant toiijnurs slric-

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lement a nos regles et a nos usages. Alors nous avons la bene- diction de Dieu et nous n'avons rien a craindre ni du cole de Dieu, ni du cote des hommes, ni du cole de notre conscience. Nolre coeur ressenlira vivement au debut cet exilium cordis ; mais il ne manquera pas non plus de consolation. Esl-ce qu'il n*y a pas une grande eonsolalion a 6lre un bon et loyal servi- leur de Jesus, a 1'avoir pour ami et a elre le pere d'une nom- breuse poslerite spiriluelle?

APPLIGATION DES SENS

A. Arrivee de Jesus d Cana. Le Sauveur, en quillant le Jourdain, prend le chemin qui conduit de la plaine d'Esdre- lon a Capharnaiim, et il arrive ainsi a Gana. Gana se trouve sur la route de Nazareth au lac de Tiberiade : c'est un village consi- derable, bati en terrasses sur le penchant d'une colline, au mi- lieu d'un pays accidenle et fertile, ou l'on voit de belles vallees, coavertes d'oliviers, de caroubiers et surlout de grenadiers. Ghaque groupe de maisons, a Gana, est separe par des champs et encadre agreablemenl dans des arbres el des haies de caclus. A 1'ouesl, en dehors du village, coule une fonlaine a trois bas- sins, la seule de la contree : et, a cause de cela, c'est elle qui a fourni probablement l'eau qui a ete changee en vin par le Sau- veur. Jesus trouve le village en fete : en effel, un mariage doity avoir lieu. Deux maisons sont reliees entre elles par une lon- nelle, arlistement faite, sur laquelle se detachent des guirlandes de verdure el des couronnes de tleurs el de fruils. Ges maisons sonl les demeures des deux fiances. La localite est envahie par les invites a la noce. Les fiances semblenl etre les parenls ou au moins les amis et les connaissances de Jesus et de Marie. La Mere de Dieu est la, tanlot dans 1'iine, tantol dans 1'autre des maisons des fiances : elle aidepartout, elle conseille, elle arrange avec beaucoup de sagesse et de bonte. Bien loin de se faire ser- vir, comme une femme de qualite, elle se montre toujours ser- viable, humble, pieuse, habile et experle en toules choses. II est probable que le Sauveur a deja ete invite et qifil a promis de

APPLIC. DES SEXS '. MIRACI.E DES N0CES DE CANA 541

venir": en loul cas, il arrive et se presente avec ses nouveaux disciples. Son intenlion, certes, n^est pas seulement de prendre part a la joie d'une fete; il veut faire honneur a ses parents, d'autant plus qu'il se les a alienes en suivanl sa vocation; peut- elre raerae que sa conduite leur deplait et qifils pensent qu"il devrail davanlage prendre soin de sa Mere et de sa famille. Jesus 11'estime rien autant que ce que Dieu a ordonne et etabli, et son dessein est d1honorer la fete de sa presence et de ses sublimes vertus. Enfin, il sait parfaitement dans quel embarras se trouve- ront bientot les deux jeunes epoux; et la priere de sa Mere lui fournira Toccasion de les tirer d^affaire en faisant un miracle. II a sans doule, dans cette circonstance, rintention particuliere dhonorer sa Mere, de marquer pour toujours sa place dans le Royaume de TEglise et de se reveler comme Messie et comine Dieu a ses parents, a ses arais et a ses disciples. Ses disciples d^ailleurs apprendront ainsi a se connailre entre eux, et ils deviendront, en quelque sorte, les preraieres pierres de son Eglise par leur foi en sa mission divine et en sa Divinite. Telles sont les pensees el les inlentions du Sauveur en acceplant 1'invi- tation aux noces de Gana.

B. Les f/Hes. Jesus est recu avec beaucoup d'egards et de cordialile dans la maison de l'un des deux epoux, oii un logeraent lui est prepare. La ceremonie principale des noces consisle, au terme des fiancailles, a aller chercher solennelle- ment la fiancee et a la conduire dans la demeure du fiance. Ordi- nairement, c^esl la nuit que le cortege se rend d'une habitation dans 1'autre. Une musique, composee de fifres, de fliites, de cymbales et de tambourins, ouvre la marche; ensuite viennent des hommes, qui distribuent de riiuile et des noix au peuple et aux enfants; enfin marchent, en dernier lieu, des enfants, cou- ronnes de fleurs, le fiance el ses compagnons. Quand le coilege est arrive pres de la raaison de la fiancee, celle-ci sort, suivie de ses demoiselles dlionneur; elle est tres bien paree et couverte d'un voile epais; aussitot elle prend place dans le corlege du fiance. En ce moment, un grand nombie dMiommes, portant des torches a la main, s'adjomt au cortege, qui se rael en raarche. Dans la maison du fiance, la fiancee est conduile et presentee a

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son ftitur epoux : tous deux ont des couronnes de fleurs"sur la lete. Alors le contral de mariage est dresse et la benediction nnptiale donnee. Apres, suivent le festin des noces, les danses et les jeux, qui souvent durenl plusieurs jours.

II est vraisemblable que le Sauveur, aussitot arrive, devient le roi du festin et rordonnaleur de la fete. II benit les anneaux et donne la benediclion nupliale. II parle, a celte occasion, des plaisirs legitimesdes noces, de leur importance, de leurmesure, de leur cote serieux el de leur utilite. II prend part sans doute avec une gravite aimable aux divertissements qui ont lieu sous les arbres. Les hommes el les femmes, separes les uns des autres, meltent en enjeu des objets de peu de valeur, des fleurs et des fruits; ils donnent et recoivent des gages. Les enfants et les jeunes gens font des courses el des sauts sous le berceau de feuillage, afin de gagner des recompenses. Jesus lfinterdil pas ladanse : carlesdanses despays d'Orient sontextraordinairement modestes. Elles consistent dans des marches cadencees, en sui- vant des lignes qui s'entre-croisent et en faisanl avec les mains des gestes pleins d'expression ; les danseurs et les danseuses ne se touchent que mediatement, tenanl parfois des liandes d'eloffe qifils se presentent les uns aux autres. Notre-Seigneur est tantot ici et tantot la; il adresse souvent, avec un sourire, une bonne paroleque tous admirent ou accueillent en silence et avec atten- drissement. Pendant qu'il dislribue les prix gagnes, il fait de belles et judicieuses observalions, de sorte que le lot esl toute une parabole pour celui qui le recoit. II assaisonne ainsi loul de lecons pi atiques et donne la note grave au concert de 1'allegresse generale.

G. Le miracle. Jesus opere probablement son premier miracle au principal repas des noces. Ge feslina lieu au fond de la cour d'entree, le long de la maison. La salle de la noce, qui est parfaitemenl ornee, se divise en deux parties, afin de sepa- rer les hommes des femmes; une cloison forme celte division, mais elle est assez basse pour permeltre de voir d'un regard fassemblee entiere et de pouvoir tout entendre. Le Messie occupe le milieu de la salle, la place d'honneur, avec 1'epoux. Apres la priere et fablution d'usage, le repas commence. II se

APPLIC. DES SENS \ MIRACLE DES NOCES DE CANA 543

compose de plusieurs services. D'abord ce sont les mets plus subslantiels : le bceuf, le veau, le mouton avec leurs assaisonne- ments et Ieurs legumes. Peut-elre qu'on serl alors un agneau roli, que le Seigneur parlage. Des galettes de farine tiennent lieu d'assieltes. Lescoupes sont remplies du vin que contenaient de grandes urnes d'argile, qifon apercoit au fond de la salle. Jesus a le visage tres serein, et il explique, par des paraboles admirables el instructives, la signification spiriluelle de cerlains mels, places sous ses yeux. Le second service consiste en volailles, poissons et plats sucres. Le troisieme enfin comprend des fiuils, des palisseries et des gateaux de miel ; c'est pendant ce serviee que l'on offre aux convives du vin plus fin. Mais, soit a cause du retarcl de la commande, soit a cause du nombre inaltendu des hotes, le vin fait defaut en ce moment. La Mere de Dieu, plus oublieuse d'elle-meme que des autres et malgre toute sa modes- tie, voit lout. Elle remarque 1'embarras et le desespoir des ser- viteurs, en face des urnes toutes vides. Ils vont et viennent comme affoles; ils s'approchenl du maitre d'liolel et lui parlent a 1'oreille. Marie interroge a part un des serviteurs sur la raison de leur embarras et elle apprend qu'il n'y a plus de vin. Anssitot elle se met en devoir, peut-etre pendant qu'on sert un mels de parade, d'aborder son Fils et vite elle lui dit : « Ils n'ont plus de vin » ; et en m^me temps elle le regarde d'un air suppliant et touchant. Le Sauveur, de son cote, quelque peu surpris, jette sur elle un regard imposant et lui repond : « Femme, qu'est-ce que cela nous imporle? Qu'y puis-je faire? » Puis, d'une voix radoucie, il ajoute pour s'expliquer de quelque facon : « Mon beure n'est pas encore venue. » II vent, par ces paroles, dire, d'abord, que le temps de se manifester comme Dieu n'est pas encore fixe par son Pere a celte heure-la, et que personne, pas raerae sa Mere, n'a le droit de 1'avancer : la demande de Marie n'est donc pas adressee toul ci fait dans le moment voulu; de plus, il y apourlant dans les paroles de Jesus un acquiescement au desir ou a la volonte de sa Mere, mais ll 1'exauceia a l'heure seule qu'il jugera convenable. Marie le comprend tres bien et dit aux serviteurs : « Restez tranquilles, ne dites rien et atten- dez les ordres de Jesus. » Peut-etre qifalors le Seigneur

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enseigne Tassemblee. Quand rembarras est extreme autour de lui, Jesus commande aux serviteurs d'apporler les six grandes urnes et de les vider en sa presence. Les servileurs obeissent et montrent, en les renversant chacune au-dessus d'une coupe, qifelles sont completement vides. Jesus les fait toules remplir d'eau. Les urnes, ainsi remplies, sont remporlees et plaeees conlre le buffet, la ou elles elaient auparavant. Le Seigneur, en ce moment, va sans doute de ce cole pour les benir, puis il revient se mettre a table. Bientot il ordonne de verser du vin et d'en faire goiiter au maitre d hotel, et, chose merveilleuse! les servileurs puisentdans les urnes un vin excellent! Le mailre d'holel se rend immedialement aupres deTepoux et lui demande d'ou vient ce vin ; il ajoute : « D'ordinaire, on sert le meilleur vin, et, plus tard, quand les convives sonl deja salisfaits, on leur offre du vin ordinaire. » L'epoux ignoi'e tout ce qui s^est passe, goute le vin et est tres etonne. Les servileurs aflirment avoir mis seulemenl de Teau dans les urnes. Le fait est bientot connu de tous les convives, qui regardent Jesus avec elonne- ment, respect, joie etamour. Le vin miraculeuxesl bientot dans toules les coupes, et les hotes le boivent comme un breuvage sacre. Touterassemblee est silencieuse, emue etrecueillie. Alors le Seigneur declare commenl il a atlendu la solennile presenle pour celebrer lui-meme ses propres noces, c'est-a-dire pour feter son alliance avec les ames que son Pere lui adonnees; et, en effet, cette union spirituelle commence desle premierjour de sa vie publique. II fondera un Royaume, une famille, a qui il donnera aussi un vin precieux. Tous, en l'entendant, sont chan- ges inlerieurement : ses disciples et beaucoup de ses parents et tle ses amis croient desormais a sa Mission divine. Mais c'esl la Mere de Dieu qui, a cette heure, ressent dans son ame une joie et un bonheur incomparables.

JESUS CHASSE LES VENDEURS DU TEMPLE

(Jban, 2, 1S-25.)

I. Jtsus va a Jerusalem pour la fele de la Pdque.

Apres un courl sejotir a Gaphariiaiim, oii il est alle de Gana ou de Nazarelh avec sa Mere, ses freres (ses cousins) et ses dis- ciples, Nolre-Seigneur se rend a Jerusalem, pour assister a la fele pascale qui est proche.

A. L'inlenlion du Sauveur, en visitant la ville sainte, est de s'y manifester comme Messie, de se montrer dans 1'exercice divin et complet de sa charge de Docteur, de Ghef et de Refor- mateur de toute la Religion. I! veut pour la premiere fois se prodtiire publiquement, devanl la nation entiere, dans toute la beaule de sa vocalion et loute la verite de sa Mission.

R. Dans ce but, Jesus choisit fort a propos les circonstances de lieu et de temps. Le lieu est la Judee et Jerusalem. Les propheties designent toujours Jertisalem et le Temple pour le lieu de la manifeslalion du Messie. (Mal., 3, 1.) G'est en Judee que Jean doit annoncer la venue dti Messie, et c'est en Judeeencore que celui-ci doit se manifesler. Dans la Judee et surtout a Jeru- salemsetrouvele centre de 1'aclivite religieusede toutela nalion. (Jean. 4, 22 ; Matth., 23, 34. 37.)

Le lemps de la revelation du Messie est la fete pascale : il est bien choisi egalement pourle but poursuivi parJesus. La Paque est la grande fete de TAncienne Alliance, lafelealaquelleassiste toute la nalion ; et parTagneau pascal qtfon y immole etqui est la figure la plus parfaile du sacrifice de Jesus sur la croix,

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celle fele est dans la relalion la plus intime avec le Messie, a la fois Prelreet Victime.

Le lemps elle lieu cle la manifeslation du Messie sonl donc toul a fait propres au deploiement de l'activile de Jesus, comme Docteur, Reformateur et Messie, el par suite au developpement de soh oeUvre divine. Mais aussi, en face de sa revelation, l'in- credulile peut se produire ets'affirmer, occasionner une scission el amener un denouemenl. Cest, en effet, pendant cette premiere Paque que se montrent les premiers symptomes de la division parmi les Juifs.

II. Le Sauveur purifie le temple.

Pourla premiere fois, Jesus apparait, a la fele pascale, comme Docteur de la loi, et aussi comme Thaumaturge. (Jean, 2, 23 ; 3, 2.) Mais celte solennite est remarquabie surtoul par le fait importanl et significatif de la purification du Temple.

A. Quelle est Toccasion de cet acle du Sauveur? Cest le desordre el le trouble que causent dans la maison de Dieu non seulement les vendeurs d'agneaux, de colombes, de farine, dliuile el d'autres objels, utiles aux sacrifices^ mais aussi les changeurs, qui donnent de la monnaie du pays et surtout les sicles du temple a la place de 1'argent elranger. Tous ces hom- nies ont eu 1'audace de s'installer avec leurs marchandises, leur argent etleurs tables sous les longs portiques du Temple, depuis le parvis des paiens jusqifarentree meme du lieu de la prieret dont ils troublent la tranquillile et le recueillemenl. Sans nul doute ils ne font cela qu'avec la permission ou la tolerance des prelres et des ministres du Temple, qui retirent probablement un benefice de la location des places qu'ils leur abandonnent.

B. Quel abus le Sauveur veut-il corriger? II ne veut pas, d'abord, empecher la venle des objets necessaires au service du Temple : il veut faire cesser le desordre, occasionne par tous ces trafiquants qui s'introduisent jusque dans le lieu de la priere. Leur conduite est un sujet de derision et de scandale publics et un obstacle aux desseins misericordieux de Dieu sur les paiens craignant Dieu. (III Rois, 8, 41.) De plus, il y a la une pro-

JESl'S CHASSE LES VENDEUUS DU TEMPLE 547

fanation de la inaison de Dieu, une cause de tt'oublepour lapaix et Tordre du service divin, surtout aux grands jours des fetes solennelles, ou il y a une grandeaffluence de pelerins. Enfin, la cupidite trouve sa place meme a la porte dtt sanctttaire. Peut- &tre aussi que les prelres ont dans cette toleranee un moyen de gagner de 1'argent. En tout cas, il y a de leur part une negli- gence scandaleuse du devoir qui leur incombe de faire honorer et respecter la maison de Dieu; au lieu de remplir ce devoir, ne rendent-ifs pas a Jehovah un ctilte superstilteux? (Jer., 7, 10.) Nous sommes lemoins ici de la decadence des Juifs, au moins de leurs chefs, sous le rapport de la piete de la Reli- gion. Les filsd'Aaron ont unabsolu besorn d'etre pttrifies par le Messie. (Mal., 3, 3.)

C. GommentJesus fait-il cettepwrification? Premicrement, avec une grande moderation. Le Sauveur a deja sans doute constate plusieurs fois le desordre, et avec une douleur amere ; roais il srest abstenu jtisqtra ce jour d'y porter remede. CTest une affaire qui ne regarde pas les particuliers, et il iVetait pas encore entre dans la charge de Docteur de sa vie publiqite. Ensuile il est difficile de ne pas supposer qtfil n'a pas fail une demarche bienveillante aupres des gens du marche, au moins pour les dissuader de continuer leurs traftcs et leur faire des menaces. Le Sauveur ne montre pas moins de moderalion dans raccomplissement m£me de la purification : tandis qu^il pousse devant lui les vendeurs de marchandises plus communes et qu'il renverse fes lables des changeurs d'argent, il ordonne aux ven- deurs de colombes de prendre lettrs cages et de s'enaller. II y a la, de sa part, evidemment une attenlion delicate, des egards pour de pauvres marchands, dont les oiseaux auraient pu s'envo- ler, s'il avait voulu, et aussi pour Ies petiles colombes elles- m^mes ou pour leur destination : car elles sont 1'offrande des pauvres femmes devenues meres. Deuxiemement, Jesus fait la purification du Temple avec une inlrepidite et une energie, un zele et uneseverite, une majeste et uneforcequi remplissent de frayeur et mettent en fuite tous les tnarchands. II fait une sorle de fouet en torlillant des cordes, parce qif il est defendu de gra- vir la montagne du Temple avec un baton.

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D'ailleurs le fouel n'est que le symbole de la vertu et de la puissance toute mysterieuse deson Etre, donl les effets surnatu- rels se reconnaissent a la crainle et a 1'effroi qu'il repand autour de lui en ce moinent. Jesus dit meme de quel droit il agit ainsi : « Ne failes pas de la Maison de mon Pere un lieu de marche public. » Ge n'est pas seulemenl leProphele, leMessie qui parle et agit, c'est le Fils de Dieu, le Fils du Dieu dTsrael, a qui le temple appartienl et qui a le droit d'y etre adore : il vienl pour revendiquer rhonneur du a son Temple et a son Pere. Sa con- duile est admirable : lout considere, nous sommes en presence d'un miracle el de la revelalion, en paroles et en oeuvres, de la vocalion messianique et de la Divinite de Jesus.

III. Les Prefrei demandenl d Jesus compte de sa conduite.

A. Le resultal de la purification du Temple par Jesus esl extraordinaire sous differenls rapports. L'efiet produit sur les Juifs, c'esl-a-dire sur les ennemis du Messie, sur le sanhedrin, sur les prelres el les ministres du temple, animes de sentimenls pharisaiques, c'esl la colere, c'est Tenvie, c'est rincredulile. Ils voient dans la conduite de Jesus une usurpation, un erapiele- mentsur leurs droils et uneattaque contre la Religion : en verlu de quelle autorite vienl-il regler et ordonner les choses du Temple? Cest pourquoi ils lui demandent comple de ce qu'il a fait : « Avez-vous, lui disent-ils, recu de Dieu la haute mission de prendre en main les interets de la Religion? Donnez-nous en pour preuve un miracle. » Ils connaissent sans doule lesparoles que Jesus a prononcees en chassant les vendeurs du Temple. Mais le vrai motif de leur demarche aupres de Jesus est leur crainte et leur incredulile ; leur mauvaise conscience les guide en ce moment. L'acle intrepide de Jesus a trouble tout a coup le fond meme de leur ame perverse, et maintenanl leur hypo- crisie et leur incredulite sont a decouvert. Ils croient devoir craindre toul de cel homme si courageux, et ils veulent aussildt le rendre inulile etle mettre dansl'impossibilite de faire quelque chose.

JESUS CHASSE LES VENDEURS DU TEMPLE 549

B. Jesus leur repond dans leur sens. Mais la reponse qu'il leur fait est, d'abord, arnbigue, parce qifils ifont pas cru a une premiere reponse claire et netle ni raeme a un rairacle. Ses paroles peuvent signifier aussi bien le Teraple raaleriel, de pierre, que ie Temple de son Gorps, qui est, en verite, le Sanctuaire de Dieu le plus saint et aussi visible a tous les yeux. Sa 1 eponse est, ensuite, assez claire pour que sesadversairessoienla raerae d'en conclure quil possede la puissance sublirae et divine d'ac- coraplir de plus grandes choses encore, el qtfil a agi, par con- sequent, en vertti du plein pouvoir que Dieu lui a donne. Enfin la reponse du Sauveur est prophelique : par le Temple il entend son Gorps et il prophelise ainsi sa mort et sa resurrec- tion. Sa resurrection esl aussi le miracle qifil accordera a l'in- credulite de ses ennemis. En effet, il prevoil et predit, d'une parl, que celte incredulite, dont il esl loccasion, se changeraen une haine mortelle et aboulira a sa condamnalion a morl, et, de laulre, qu*en face de cetle incredulite le seul miracle de sa resurreclion est suflisant. U voit donc deja la fin dans le com- mencement.

C. Considere du cote du peuple, le resultat de la purifica- tion dn Temple et des miracles operes par Jesus est que beau- coup des temoins de ces fails exlraordinaires croient en leur auteur. (Jeax, 2, 23.) Mais Jesus connaille defaut etrinconstance de leur foi et il ne se confie pas a eux : il ne parle du mystere profond de son existence ici-bas et de sa mission qif a un petit nombre, a Nicodeme, par exemple. (Jeax, 2, 24. 25.)

LMmportance de ce raystere consisle en ce qu'il est sous tout rapport une revelation etune raanifestalion du Messie. Jesus revele sa nature cornrae Messie et corame Fils de Dieu, en agis- sant a son gre dans le Temple, comme dans ia maison de son Pere el dans sa propre raaison. II revele sa vocation, qui est de purifier et de reformer laReligion. II revele sa vertu principale, un zele ardent pour 1'honneur de son Pere. (Ps. 68, 10; Jea\, 2, 17.) II monlre deja, par ses paroles et par ses acles, ce que sera lout le cours de son existence, c'esl-a-dire une suile ininlerrompue derelations avec un peuple inconstant et infidele, une lutle conlinuelle contre un sacerdoce dechu et hypocrite, ei,

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en face de celle increduliie, ada fin la defaile dans la morl et la vicloire dans la resurreclion. Cette solennelle enlree en scene de Jesus, a Jerusalem, est un veritable tableau d'ouver- lnre d'un grand drame, une perspective de loute la vie du Redempteur.

REPETITION

A. Ge mystere de la purification du Temple esl la troisieme mctnifeslation du Sauveur a Jerusalem et dans le lieu sainl. La premicre a eu lieu par les paroles de Simeon le jour de la Pre- sentation. Alors Jesus esl revele comme le Principe ou 1'Auleur du salul de tous, comme le Redempleur, mais au prix des com- bats et des souffranees, et comme le Signe de la conlradiclion et 1'Occasion de la ruine pour un grand nombre dMiommes. Sa rencontre avec 1'ancien sacerdoce est pacilique : apres le paie- ment de sa rancon, les pr^tres le laissent aller en paix. La seconde manifestalion du Messie a eu lieu dans sa douzieme annee. G^esl la premiere manifestation personnelle, larevelation de sa Sagesse divine dans rassemblee des docteurs de la loi. Deja, dans cette circonstance, il appelle myslerieusement Dieu son Pere. La conduite des Docleurs a son egard estinouie, mais encore sans hostilite : il s'opere alors une sorte de revolution pacilic{ue dans l'inlerieur de la synagogue. G'est le preludedesa vie publique, mais il n'y a que lui et ses parents qui aient parl, dans ce myslere, a la souffrance et aux sacrifices. La troi- sieme manifeslalion de Jesus, celle dela purification du Temple, fournit la preuve, en paroles et en actes, qu'il esl le Messie, le Mailre et le Reformateur de l'ancienne Religion et du Temple. Son detachement de la chair et du sang est complet; sa ren- conlre avec lesacerdoce juif est agressive el hoslile. Les paroles prophetiques du Sauvenr monlrent deja en perspeclive la fin de celle inimitie, c'esl-a-dire son denouement fatal & la quatrieme PAque suivante.

Remarquons que les deux dernieres manifesialions du Sauveur se fonl pendant la f^te pascale. La succession des feles pascales forme douc une veritable gradalion ascendante dans la

REPETITION : JESIS CHASSE LES VENDEIRS DD TEMPLE 55i

vie de Nolre-Seigneur : ces feles servent comaie cle traits d'union ou de points de repere dans la mulliplicile des evene- menls de celte existence si remplie etsi exlraordinaire.

13. De plus, le Sauveur donne, dans ce mystere, le spec- tacle unique d'une verlu sublime, aposlolique, qui esl comme le resume de ses sentiinents, 1'ame de sa vie et la cause de sa mort : cetle verlu est un zele devorant pour 1'lionneur de Dieu, de son Pere celesle. Sainl Jean en fait la remarque, en disant qu'ici Jesus a accompli la prophetie du Psalmiste : « Le zele pour 1'honneur de votre maison me consume. » iJean, 2, 17 ; Ps. G8, 10.) Ge zele, uni a la conformile de sa volonte a la volonle de son Pere et a 1'assiduile de ses pieux entretiens avec lui, forme tout 1'ensemble de ses relations avec le Pere celeste.

Le Sauveur briile du zele de 1'lionneur de Dieu, et il gravit les trois degies de perfeclion de cetle verlu. D'abord, il cherche non pas sa gloire, mais celle de son Pere celesle. II le declare assez souvenl. (Jean, 8, 50.) II aurait pu pourlant chercher sa propre gloire, mais il ne le faitpas; et il agit comme il parle. II se caehe pour ainsi dire a 1'ombre de son Pere. 11 se nomme son Envoye (Jean, 8, 42 ; sa doclrine est celle de son Pere (Jean, 7, 16); ses miracles sonl ceux de son Pere (Jean, 14, 10); il est la Voie qui conduil au Pere (Jean, 14, 6 j; il va lui-meme vers son Pere (Jean, 14, 12); son Pere est le Maitre, le Pere de famille, le Roi dont il est question dans ses para- boles; il est la source de tous les biens, el il les demande a son Pere pour lui et pour nous i Jean. 17). La gloire du Pere est uniquement le but de sa vie et de ses oeuvres ''Jean, 17, 4j ; il ne veut sa glorification personnelle que comme un moyen de glori- fier son Pere (Jean, 17, 1). De plus, Jesus cherche la plus grande gloire de son Pere. Dans ce but il ne fait pa« n'importe quoi; il met du discernement dans le choix de ses ceuvres. II entreprend les oeuvres les plus necessaires, les plus utiles, les plus universelles et les plus durables. Cest pourquoi il enseigne surlout dans la Galilee, parce que ce pays en avait le plus besoin; il vit au milieu des pecheurs, parce qifils courenl . a leur perle (Luc, 5, 31j; il prefere la predicalion a radministration du bapteme, le travail aposlolique a la douceur de la vie con-

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templative ; parce quil est dans une ville, il n'oublie pas pour cela les autres lieux (Luc, 4, 43); il ne s'occupe pas beaucoup des femmes (Jean, 4, 16. 27), et il laisse meme sa sainle Mere. Enfin, le Sauveur cbercbe la gloire du Pere celeste en se devouanl tout entier a son service et en sacrifiant pour lui son propre bonneur et sa propre vie. Afin de reparer le tort fait a rbonneur de son Pere et de sa maison, et de les venger, il ne craint pas de s'aliener son peuple cboisi : il decouvre la mechancete et la corruplion de ce peuple, il met lui-meme le doigl sur ses plaies et attaque vigoureusement son mal. Jesus laisse deja entrevoir, dans ce mystere, sa morlcomme laconse- quence de son zele pour la gloire de son Pere. Et cetle mort aura lieu ainsi qu'il le predit. II ne veut obtenir sa glorification que de son Pere (Jean, 8, 50; 17, 1), et il ne veut 1'avoir qu'aux depens de son bonneur et de sa vie. (Jean, 13, 31.) Ge zele est vraiment la passion de la vie du Sauveur, et il la salisfait des le premier instant de son exislence, quand il dit : « Me voici ; je viens » (Ps. 39, 8), et il a sacrifie tout a cetle passion. D'un autre cote, son zele esl plein de moderalion, el il reste toujours dans les limites de la plus sage prudence.

Nous avons, dans ce mystere, un modele d'une beaule et d'une valeur incomparables, que tous nous devons nous eflorcer d'imiler. En voici les raisons : Premierement, la justice 1'exige de nous. Dieu seulmerile toute gloire et toul honneur, parce qu'il est la source de lous nos biens et le Bien souverain par lui-meme. Ne pas lui rendre cet honneur et se 1'approprier est un vol. Si nous cberchons la gloire de Dieu, alors nous ten- dons au grand el magnifique but que poursuivent toute la crea- tion el Dieu meme de toute elernite : c'est la verile que nous avons apprise dans la Medilalion du c< Principe et Eondement » de sainl Ignace. Deuxiemement, il esl de notre interet de cbercher la gloire de Dieu. Aulrement, de qui cherchons-nous la gloire, el aupres de qui, el en quelle chose? El a quoi abou- tissons-nous si ce n'est a 1'humiliation et a la ruine? Nous le voyons dans les Juifs, qui se sont ainsi eloignes de la foi (Jean, 5, 44; 12, 43) et perdus. Cest bien la, en eflet, 1'espritdes Juifs et celui de Satan de chercher tout autre chose que la gloire de

APPLIC. DES SENS : JESIS CHASSf LES VENDEURS 553

Dieu. II n'y a rien qui soil plus oppose a Tesprit de Jesus et de ses Apotres. Au conlraire, Dieu nous glorifiera, si nous le glori- fions (Jean, 8, 50. 54; 12, 28; ; et nolre gloire sera vraie. Nous devons donc, en loule chose, meme dans 1'affaire de nolre progres- spirituel, nous efforcer de procurer la gloire de Dieu et par nous- memes et par les aulres, et, dans ce but, ne craindre ni Iravail, ni peine, ni sacrifice. Cest d'ailleurs pour nous le moyen de realiser la devise de saint Ignace et de la Gompagnie : Ad majorem Dei gloriam !

APPLICATION DES SENS

A. La fele pascale. Gomparee aux Paques precedentesT la Paque ou Jesus purifie le Temple pourrait se dislinguer de celles-la par les Iraits caraclerisliques suivants : Le Sauveur vient assisler a celle Paque pour se reveler comme Docleur de la loi et commeMessie, et preparer ainsi peu a peu la Redemp- lion par sa Passion et par sa morl. Gest pourquoi les ceremo- nies figuralives de celte mort reparalrice, comme le sacrifice de l'agneau pascal et 1'offrande de la premiere gerbe dans le Temple, doivent, a cetle occasion, parler foi temenl au Goeur de Jesus ; el Jesus doil y repondre a propos par des acles, dans de& entretiens lout myslerieux avec son Pere celesle. La parole : « Me voici, je viens », devient de plus en plus vraie. Le Messie voil sans doute, dans le Temple, des pretres, occupes au sacrifice de l'agneau pascal, qui, trois ans apres, repandront aussi son propre sang. Tout a donc pour lui alors un langage beaucoup plus expressil', une significalion ou un sens d'une porlee beau- coup plus grande qu'en lout autre lemps.

De plus, Jesus se presente, pour la premiere fois, comme Docleur de la loi, portant Thabil distinctif des Docteurs et des Prophetes, prenant place dans la salle des seances et y pronon- cant des discours. Ses Apolres et ses disciples l'accompagnentv et l'on voil bien que le Ghrist forme et reunit autour de lui une societe parliculiere de disciples. En outre il opere, comme le remarque saint Jean (Jeax, 2, 23; 3, 2), un grand nombre de

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miracles, dont le resullat est que beaucoup de Juifs croient a sa Mission divine. Sans doute aussi les pelerins, venant de la Gali- lee et des bords du Jourdain, racontent les faits merveilleux donl ils ont entendu parler ou dont ils ont ele les temoins.

Cest ainsi que peu a peu 1'opinion publique se fait autour de Jesus. Le peuple et les classes elevees le considerent atlentive- menl. D'un cole, c'est, d'abord, 1'elonnemenl; puis, le depit de le voir s'approprier la cbarge de Docteur sans avoir frequente d'ecole ni avoir ete autorise a enseigner; enfin, 1'aversion, 1'envie, la haine, en le voyant enseigner comme un Mailre, avec une force irresistible et une franchise entiere, parler et agir en Prophele et se faire des disciples parmi les personnes bien pen- santes : telles sont les disposilions d'une parlie des scribes, des pretres et des membres du sanhedrin, animes de sentiments pharisaiques. De 1'autre cote, parmile peuple, c'est Tadmiralion, le respect, le goiit de la doclrine de Jesus, le desir de le con- naitre. Des deux c6les opposes lescceurs commencent a s^emou- voir. Les uns sonl pour Jesus, et les aulres contrelui. Ses enne- mis ne montrenl a sa vue que du mecontentement, de la consternation, de la frayeur et de Taversion, tandis que ses amis n'ont pour lui que de la veneration, de la confiance et de ramour. Mais tout cela n'est que le commencement; c'est pour- quoi le Sauveur est encore reserve et ne se decouvre qu'en secret, comme par exemple a Nicodeme. Mais ce qui attire le plus l'atlention sur lui et surexcite davantage les esprits, dans les deux camps, esl Fexpulsion des vendeurs du Temple.

B. L'expulsion des vendeurs du Temple. Pour faciliter raccomplissement des veeux des pelerins, Techange de 1'argent etranger, Tachat des animaux pour les immolations privees ou les repas de sacrifices, et aussi pour satisfaire la devotion des individus, beaucoup de choses sonl utiles ou necessaires : il faut des agueaux, des jeunes boucs, desoiseaux, des colombes, de la farioe, des herbes vertes et d'autres comeslibles. Comme les pelerins ne peuvent apporterdes pays lointains beaucoup de ces objets, on a eu soin de les reunir dans les cellules et les places vides du parvis des Gentils, en prenant toutefois, au debut, des

precautions pour ne pas troubler le recueillement de ceux qui

viendronl prier.

APPLIC. DES SENS '■ JESUS CUASSE LES VENDEURS 555

Mais peu a peu les marcliands s'avancent plus a rinlerieur, jusque dans le parvis dlsrael el dans celui des femmes. Et comme, pendant la solennite pascale, il y a immolation d'une tresgrande multitude d'agneaux, on a soin d'ouvrir d'avance de nomhreuses issues et de reuverser beaucoup de barrieres, afin qu'on puisse circuler dans dillerenles parlies du Temple. Les vendeurs en profitent pour s'installer avec leurs tables et leurs cages, depuis le parvis des Genlils jusque dans celui des femmes; et c'est ainsi que la devotion de ceux qui prient se trouve trou- blee par les cris des animaux et le grand bruit du marche. Le desordre est donc dans la maison de Dieu ; mais les minislres du Temple ne l'empechent pas; au contraire, ils le supportent et peut-elre le lavoriseiit-ils dans le but d'en retirer quelque profit pecuniaire. Personne n'ose remedier a ce desordre. Jesus le voil avec douleur, mecontentement et indignalion, et il se decide a faire cesser le scandale el a venger l'honneur de la maison de Dieu. II reconnait dans celte conduite des pretres, des ministres et du sanhedrin, la frivolile et le vide complets de leur religiosile, suivant les paroles des anciennes propheties : « Les pasteurs se rassasieront, el ne feront pas paitre leurs Iroupeaux. (Ezech., 34, "2. 10.) Personne ne veut sans rancon garder la porle, ni allumer le feu du sacrifice; leurs feles sont une horreur et un scandale aux yeux de Dieu. (.1, 10; 2, 3. 8.) Ils laisseut dans le desordre la maison de Dieu (Ag-g., 1), quand ils n'y rendent pas un culte superstilieux... (Jer., 7, 4). Ils en font une caverne de voleurs 7, 11). Cest pourquoi le Messie viendra humilier les fils de Levi el purifier les enlants d'Aaron dans les ardeurs du feu. » iMal., 2, 9; 3, 2. 3.) Le Sauveur accomplit mainlenant ces propheties striclemenl el a la letlre, mais aussi avec douceur et moderation. II regarde donc autour de lui pourvoirsi les marchands ne pourront dans un autre eudroit rendre leurs services, sans rien y perdre et sans troubler la devotion des pelerins ni le recueillement de la mai- son de Dieu. Jesus ne trouve rien a redire a leur aclion elle- meme, rnais a la maniere dont ils 1'accomplissent. II y a les cel- lules pratiqueesdans les murailles du Temple, il y a les endroits recules et les porliques du parvis des Gentils ; c'est la que les vendeurs pourraient tres bien s'etablir. Nolre-Seigneur circule

556 DEUXIEME SEMAINE

aulour des tables du marche, represenle aux marchands, dou- cement et aimablement, le desordre dont ils sont foccasion, leur indiquanl en meme lemps les portiques exterieurs comme un lieu plus convenable pour leurs inslallalions. Peul-elre meme qu'il fail deux fois ces demarches et qu'i-1 aide les vendeurs de bonne volonle a plier leurs lables et a transporter leurs mar- chandises. Mais bientol le mauvais esprit se revele parmi les marchands : un cerlain nombre d'entre eux viennent, apres quelques heures, reprendre leurs anciennes places. Jesus va les Irouver de nouveau el leur ordonne avec plus de severile et plus de force qu^auparavant de s'en aller au plus 161, les menacant meme d'user de violence s'ils ne lui obeissent de bon gre. II est possible qifalors le Messie rappelle leur devoir aux ministres du Temple, qui ne semblent pas avoir lenu compte de ses observa- tions.

Lors donc que le Sauveur arrive au Templeavec ses disciples, le malin de la fele pascale, il voil loul envahi, presque jusqu'au lieu ou le peuple prie, par une foule de vendeurs bruyants ; en meme lemps, daulres marchands vienneul pour s'inslaller a cote de ceux qui le sont deja. Le Seigneur s'indigne de ce speclacle. II inlerrompt sa priere ou ses leeons, s'avance avec majesle et Tair severe du cote des vendeurs et leur ordonne de se relirer avec leurs marchandises ; ses disciples, en ce momenl, se pres- senl iiombreux a droite el a gauche de sa personne. Mais il y a devanl Jesus une vile populace, qui a peut-elre ete indisposee et ameutee conlre lui par ses adversaires. Elle veut resisler au Seigneur; elle gesticule avec violence et se porte en avant. Ges insolents injurient Jesus, parce que lui, le Galileen, Televe de Nazarelh, ose leur donner des ordres; ils lui disent quils ne le craignent pas, et qifils ne s'en iront pas; quelques-uns meme d'entre eux appellent la garde du Temple. Jesus est debout; son visage prend alors une expression de severile extraordinaire ; il lire de son vetement de dessous une sorle de fouet, fait avec des cordes, et fagite forlement en 1'air, en signifiant de la main gauche aux vendeurs de quitter aussilolla place. Le Sauveur n'a pas de balon : le baton est interdil a ceux qui montent au Temple. II s'avance droit contre ses insulleurs et contre les

APPLIC. DES SEXS : JESUS CHASSE LES VENDELRS 557

marchands, et crie cTune voix puissante : « Arriere, tout cela! Ne faites pas de la maison de mon Pere un lieu de marche public ! » II pousse en meme temps el renverse les tables les plus rapprochees. Ses disciples, devenus une sorle d'Eglise militanle, sont a ses cotes, pressantel chassant lout devanteux. La crainle et 1'efTroi s'emparent des vendeurs, qui fuient en desordre et epouvantes, et se dirigenl du cdle du parvis des Gentils. Rien ne peut resister a la puissancequi precedeJesus et qui renverse tous les obstacles. La garde du Temple se presenle alors ; il n'y a plus rien a faire. Elle regarde, mais ne s'emeut pas. Des gens du peuple entourenl Jesus et lui donnenl raison ; on enlend quelques hommes crier : « Voila le Prophele de Nazareth ! » Les soldats aidenl meme a transporler les tables des changeurs et a ramasser les marchandises qui sont par lerre. Bientdt le voisinage du parvis des femmes est enliere- ment Iranquille. Mais tous les vendeurs ne sonl pas aussi seve- rement traites. Geux qui sont raisonnables el dociles, ceux qui nevendent que des colombes et des objets de peu de valeur, peuvent s'en aller tranquillement. Cesl ainsi qifa lieu la purifi- <:ation du Temple. Elle est accomplie par le courage, la fermele el le zele du Sauveur, en meme temps que par l'influencesurna- turelle de respect et de crainte que sa presence exerceautourde lui. Nous sommes les temoins d'un vrai miracle.

G. Les agissemenis des prelres. Pendant que Notre- Seigneur chasse les vendeurs de la maison de Dieu et la purifie, les prelres et les minislres du Temple sont la le regardant; ils ne bougent pas, mais ils sont honteux de voir Jesus faire ce qu'ils auraient du faire ; en meme temps, leur conscience leur adresse toute sorte de reproches. Ensuite, ils s'assemblent, se concertent, et, au lieu de remplir leurs devoirs envers Dieu et envers eux-m£mes, ils s'endurcissent et s"excitent les uns les autres a agircontre l'homme temeraire et dangereux qui les a montres publiquement tels qu'ils sont et dont ils ont aussi tout a craindre dans 1'avenir. C'esl pourquoi ils veulent, desledebut, paralyser completement ses efforts. D'accord avec le sanhedrin et en son nom, un cerlain nombre de prelres et de pharisiens connus el consideres se rendent aupres de Jesus et lui demaii'

558 DEUXIEME SEMAINE

dent, dans le Teuiple, en presence d'unegrande foulede peuple, « qui lui a donne le pouvoir de se conduire ainsidans la maison de Dieu et de s'ingerer dans leur fonction ». Ils ajoutent « qifil a saus doute pour cela recu une mission divine ; il doit en four- nir le lemoignage; quel miracle opere-l-il pour la prouver aux yeux de tous » ? Pendant que les envoyes officiels parlent, le Sauveur esl parfaitement calrae, et il leur repond : « Le miracle que je fais pour confirmer mes pleins pouvoirs, est celui-ci : apres que vous aurez delruit ce Temple, je le rebiilirai en trois jours. » Par ce Temple Jesus enlend son propre Gorps, le sanc- tuaire le plus sacre qui exisle ici-bas, celui dont le Temple de pierre 11'est 'qtfune pale figure. Et peut-etre qifalors Notre-Sei- gneur montre de la main son Corps ; mais les Juifs n'y font pas attention. Voici ce que le Messie veut dire : « Je connais votre incredulite ; je sais qu'elle se changera peu a peu en une haine morlelle contre moi el qif elle aboutira meme a ma mort. Je ifai pas d'autre miracle a y opposer que celui de la resurreclion de mon Corps, que j'accomplirai trois jours apres ma mort. » Le Sauveur voit donc deja dans cette premiere demarcbe des prelres juifs le terme de toutes leurs intrigues, et le denouement final, apres trois annees ecoulees et dans la meme solennite pascale : il propbelise ainsi sa mort et sa resurrection. Telle est la signification que la presente Paque a pour le Messie l Quelle impression de tristesse et de douleur doit en recevoir son iime ! Les Juifs croient que Jesus veut parler d'une mauvaise aclion dont il sera lavictime, et qui, en fin de compte, ne sera d'au- cune utilile pour ses auteurs. II lui repondent d'iine maniere piquanle et sarcastique : « Mais il a fallu quarante-six ans pour construire le Temple, ettu veux le rebatiren trois jours ! » Sur ces paroles ils se retirent.

Nous venons de constaterles premiers symptomesde 1'ini- milie et de la persecution dont Jesus sera desormais 1'objet de la parl des pretres juifs ; memedejamaintenanl, en cette preraiere Piique, les classes superieures d'Israel montrent de telles dispo- sitions a legaixl du Messie, une telle animosite contre lui, que lepeuple ne sait plus qu'en penser, el que Nicodeme, le pieux Nicodeme, n' ose approcher de Jesus qifa la faveur des tenebres de lanuit.

LE SERMON SUR LA MONTAGNE

(Matth . 5-7.)

Une des principales occupalions du Sauveur, pendant sa vie publique, estl'enseignenienl des verites du salut. Le sermon sur la montagne estuu resume de la morale que prechera Jesus. II nous y donne 1'idee generale de ses enseignements.

I. Ce que le Sauveur enseigne.

La fin de Ihomme el les moyens pour riiomme d^alleindre celte fin, tel est le sujet ordinaire et, pour ainsi dire, le precis des predicalions du Messie.

A. La fin de rhomme, comme son origine, est Di>eu. (Matth., 23, 9.' Tous les hommes forment une famille. Leur Pere est Dieu, Dieu en trois Personnes, Pere, Fils et Saint- Esprit. (Matth., 28, 19. Ge Pere est infiniment puissant, infini- oient bon, infiniment sage : il dirige el gouvernetout (Matth., 6, 8. 26), el il veut nous reudre tousheureux, en nousfaisant entrer dans son heritage, qui est le ciel, un Royaume magnifique et eternel. (Luc, 11, 2. Ge Royaume est la fin de fhomme et la recompense de tout bien, meme da plus petit des biens. (Matth., 9, 40.) Telle est la fin de 1'homme, laquelle est essen- tiellement surnaturelle.

B. Les moyens d'aUeindre celle (in sont de deux sortes : cesontles commandements et la gnice ou les moyens surna- turels.

Les commanderaents embrassent les vertus et les actions

.560 DEUXIEME SEMAINE

morales, par lesquelles nous parvenons au bul de notre exis- tence. Nous devons d'abord avoir la foi (Marc, 16, 16), et garder le commandement de Tamour de Dieu el du procbain. (Marc, 12, 30. 31.) Parmi les verlus morales, il y en a sur- tout qualre que le Sauveur recommande. II recommande, pre- mierement, la pauvrele (Matth., o, 3), spirituelle et reelle, le detachement de tout bien, la pauvrete apostolique, qui laisse et sacrifie tout potir suivre les maximes de 1'Evangile et de la per- fection. (Luc, 18, 22.) Notre-Seigneur recommande, deuxie- mement, la purete du coeur, la purete des pensees, des inten- tions, des desirs, et le renoncemenl complet aux plaisirs par le celibat. (Matth., o, 8.) Troisiemement, nous devons pratiquer la charite envers le prochain (Mattii., 5, 7), meme aimer nos ennemis (Matth., 5, 44), et faire toules les oeuvres de miseri- corde. Qualriemement enfin, il nous faut elre patients et joyeux dans les souffrances et au milieu des persecutions. (Matth., 5, 10.) -- Telles sonl les verlus recommandees par Nolre-Seigneur. II traite tout, preceple el conseil, oeuvre d'obli- gation et oeuvre de surerogation. II nous montre le chemin etroit, la porle basse, par lesquels on va a la vie : c'est la loi de la mortitication eldu renoncement.

Dans Temploi des moyens surnaturels, le Sauveur prescrit, avant tout, Tusage des Sacrements, qu'il institue afin d'avoir la vie de la grace en soi et de la conserver (Matth., 28, 19); ensuite, Texercice de la priere, sur lequel il donne une instruc- tion complete (Luc, 11, 1 ; 18, 1) ; enfin, la participation au ser- vicedivin, qu"il organise. (Luc, 22, 19.) Tous cesmoyens ne sonl pas abandonnesa Tarbitraire et aux caprices de chacun ; mais ils sont determines et coordonnes, et Femploi en sera fait dansune societe reguliere et sous une aulorite fixe, dansrEglise chretienne. (Matth., 18, 17.) Jesus-Ghrist indique 1'essence de cette Eglise, ses devoirs et ses pouvoirs, sa composition (Matth., 16, 18 ; 18, 18), et ses destinees. Tel est, en deux mots, le sommaire de la predication du Messie : voila le regne de Dieu ici-bas, la loi de 1'Evangile, le dogme et la morale du Ghris- lianisme. Comme tout y est simple, vrai, grand, consolanl el facile ! Nous y voyons peu de preceptes, en dehors de 1'obli-

LE SERMON SUR LA MONTAGNE 561

galion de croire en Dieu et cTobeir a 1'Eglise, et des dix com- mandernents ; mais nous y trouvons beaucoup de graces et de puissants moyens de sanclification.

II. Comment le Sauveur enseigne.

A. Lesqualites que Jesus montre dans sa predication, sont au nombre de six principales : Premierement, il preche avec un plein pouvoir : il a parfailement le droit d'enseigner. Cedroil, ce pouvoir, illes tient de sa mission ou de sa charge de Messie etde Redempteur. II a ele annonce par les Prophetes comme le Docteur, comme laLumiereet leTemoin des peuples (Is., 30, 20; 49, 6) ; il est altendu comme Prophete (Jea.\, 4, 25) ; il s'an- nonce lui-meme comme Prophele (Luc, 4, 18; Jean, 13, 13; Matth., 11, 5) ; il est le Roi de la verite (Jean, 18, 37) el la Verile meme (Jean, 14, 6). Aucun homme ne peut se sauver sans la foi et sans la connaissance de sa fiu et des moyens de Talleindre ; c'est pourquoi le Messie doit montrer la voie du salul a ceux qui veulent se sauver. Getle autorisalion ouce pouvoir d'enseigner, comme Jesus, nepeut venir que de Dieu, parce que Dieu seul connait le chemin du ciel ou les moyens d'atteindre la fin surnalurelle. Aussi le minislere de la predicalion est-il une fonclion divine, el le droit d'enseigner ou de precher ne peut elre confere que par Dieu. Le Sauveur, lui, tient son pouvoir, non des hommes, non d'une ecole, mais de son Pere (Llc, 9, 35; Jean, 7, 16), mais de lui-meme, en tant qu'il est Homme-Dieu et la Lumiere, qui eclaire lous les hommes et les oblige a em- brasser ses enseignements. II n'a donc pas seulement raulorisa- tion exterieure d'enseigner; mais il a encorelesqualites person- nelles pour enseigner, et au plus haut degre : il possede, en effel, la connaissance et la science (Jean, 9, 31), la saintele et la veracite (Jean, 5, 30. 31) ; il n'a pas seulement 1'eloquence exterieure, il a encore la grace ou le don d'eclairer interieure- mentles ames et de faire agir selon ses enseignements.

B. Deuxiemement, Jesus preche avec un grand zele. Gombien de fois le saint Evangile ne dil-il pas que le Sauveur pr£che etqtfil preche parlout (Matth., 9, 35) : dans les syna-

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562 DEUXIEME SEMAINE

gogues, a la ville, a la campagne, sur les montagnes, sur le bord d'un lac, dans le desert (Matth., 14, 15), envoyage! (Luc, 13, 22.) Toul est pour lui une chaire de verite : un puits (Jean, 4, 6), mm barque (5, 3), la lable d'un festin de noces (Luc, 14). Jamais il ne considere ni le nombre, nt la qualile de ses auditeurs. Tout lui sert de sujet d'instruction : les fleurs (Luc, 12, 27), les oiseaux (Mattq., 6, 26), les arbres (Luc, 13, 6), les usages de la vie domestique (Luc, 13, 21), les evenements religieux et politiques (Luc, 13,4), les questionsinsidieuses de sesennemis: il ne laisse echapper aucune occasion de precher ou d'enseigner.

C. Troisiememenl, le Sauveur precbe avecdignite et force et il preche la verite. II n'a ni querelle ni dispute avec ses adversaires ; contrairemenl a ce qui se passe dans les eeoles d'alors, il ne subtilise pas, il ne raffine pas dans les explications dela loi et dans 1'exposition de la verite : il ne montre ni esprit de parti ou d'ecole, ni alfectation, ni vues purement hurnaines. II decide avec autorite et justesse, n'interprete pas seulement la loi, mais donne aussi des lois (Matth., 5, 22), et ses decisions, pleines d'une force d'eloquence vive et convaincante, accom- pagnees de la saintete de la vie et de la puissance des miracles, ne souffrent ni replique ni conlradiction. II parle comme quel- qu'un qui a 1'autorite (Mattu., 7, 29); on pressent ou meme on voit en lui le Legislateur.

D. Qualriemement, Jesus enseigne et preche avec une grande simplicite et beaucoup de naturel. On le voit souvent parler au peuple et a ses disciples : on dirait alors un pere qui s'entrelient avec ses enfants. Les paroles s'echappent de sa bouche et coulent de ses levres doucement et sans effort. Le tresor entier des verites nalurelles et surnaturelles est, en effet, ouvert devant lui, toujours a la disposition de sa belle etmagni- fique intelligence. II connait parfaitement leurs relations reci- proques ; il sait comment 1'ordre surnaturel esl prepare et sym- bolise par l'ordrenaturel ; il voit comment des cboses ordinaires eljournalieres sont la figure el 1'image du plus parfail modele, el servent d'acheminement el d'e\plication a ce qui est le plus eleve" et le plus sublime. II n'a besoin que de donner quelques indications pour monlrer clairement lesrapportsdesverilesentre

LE SERMON SIH I.A MONTAGNE 563

elles. De raerae qu'un artisan joint d'une main legere differents fils pour lisser une trame aux couleurs variees, ainsi Jesus fail concourir le naturel et le surnalurel, la terre et le ciel, a la corapo- sition deses serraons etde sesinstructions admirables. Cesl ainSi que nous avons le texte ou le tissu precieux de sesdiscours para- boliques, dont aucun esprit ne peul mesurer la profondeur et Tele- vation et dont la verite neanmoins esl accessible a une intelli- gence d'enfant. II ne parle pas coranie les Prophetes, lesquels souvent, a cause de Tineffabilite des veritesqiiils voienl, se fali- guenl. et s^epuisent a trouverlestermes quipuissenl lesexprimer. Gorame ieau coule d'elle-m6me de sa source, comrae tes grains de ble tombent facileraent de la main du semeur, ainsi se repand de tous coles la divine semence de la parole du Sauveur. Sans. doule, les discours de Jesus gardent fidelemenl la marque de leur temps, ils ont la conleur locale : on y reconnait le pays et le peuple au milieu desquels ils ont ete prononces ; mais, a Top- pose des discours des prophetes etdes rabbins, ilsout un carac- teie d^universalite, qui repond parfaitement au but generalde la predication du Messie et convienttout a fait a son humanile, en lanl qifil est veritablement « Fils de rilomme ».

E. Cinquiemement, Jesus preche avec une grande onction. Ses discours ne satisfont pas seulement rintelligence par la claile et la purete de la diction, par la profondeur et Televation de la conception ; ils conlenlent aussi la volonte par la part que son Goeur a a son enseignement et par rinfluence qu'il exerce sur le cceur de ceux qui lesecoutent. Le Sauveur prend riiomme tel qu'il est, avec son intelligence, sa volonle, son imagination et sa sensibilile, et il s'adresse a toules ses facultes. II suppose dans ses auditeurs un esprit libre de prejuges et docile, et un bon cceur. II ne leur deraande rien sans raolifsserieux et eleves, et ces motifs il les trouve dans 1'ordre naturel et 1'ordre surna- turel. G'est pourquoi il releve et encourage sans cesse, el il monlre combien il est avantageux et beau de suivre ses ensei- gneraents. Quede fois il dit : « Bienheureux celui qui fait cela ! » et il propose toujours le magnifique Royaume, le ciel, comme bnt et recompense de tous les sacrifices. Si on ne veut pas recouter, alors on voit trop bien comme on fait raal a son

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coeur. II deplore cette conduite el il gemit amerement tlu mal- heur qu'on se fait a soi-meme : tous ceux qui fecoulent sentent que c'est d'un cceur excellenl que viennent les paroles qu'il pro- lionce ou les enseignemenls qifil donne.

F. Sixi&mement, le Sauveur preche avec un grand succes. II est impossible qif il en soit autremeiit. Tout le monde se sent en presence d'un spectacle extraordinaire, tout le monde s'elonne el admire. (Luc, 13, 17.) Le peuple court en foules apreslui(MATTH., 19, 2), le presse et 1'assiege (Luc, 5, 1 ;8,45; 12, 1) : c'est tellement forlque les maisons, les placespubliques et meme le rivage du lac ou de la mer ne peuvent plus contenir les multiludes (Luc, 5, 3), et que les auditeurs oublient leur mai- son et meme leur nourriture pour fenlendre (Matth., 15, 32). Ses ennemis eux-memes doivent lui rendre le temoignage que jamais homme if a parle comme lui (Jean, 7, 46) ; et a la fin, ils lui abandonnent le champ de balaille, ou ils n'ont trouve pour eux que la honte et la defaite. Ce qui, entre autres choses, les pousse a boul el les irrite conlre le Sauveur, c'est precisement la force victorieuse de ses discours, c^est son courage et son intrepidite a devoiler et a stigmaliser leur malice incorrigible. Malgre que le peuple juif, en grande partie, se precipite vers sa ruine par son incredulite, les enseignements de Jesus ne lais- sent pas d'avoir d'excellents resultats : les paieus recueillenl de la bouche des Juifs les paroles de Jesus, et ainsi, la civilisation du monde chretien et le salut de rhumanite sont et reslent le fruil precieux des predications du Messie.

III. Quels fruits devons-nous retirerdes enseignemenls de Jesus.

A. Le premier fruit que nous devons en relirer, est fes- time unie a la veneralion, a 1'amour et meme a fenthousiasme pour sa Personne. Peul-on, en effet, considerer ce qu'il y aiie vrai, tle beau et de consolanldans ses enseignements, sans pen- ser au bon cceur qui en est la source, sans benir les levres tfou ils s'echappent avec tant de charme, d'onction el d'efficacite, sans etre saisi d'elonnement et d'admiration devant fespril grand

I.E SERMON SUR LA MONTAGNE 565

el superieur qui s'y decouvre et s'y revele ? Quel magnifique spectacle que celui du Seigneur expliquanl la loi de la Nouvelle Alliance, sur la montagne des Bealitudes, entoure d'un peuple innombrable et ayant sous ses yeux le splendide panorama de la Galilee entiere ! Quel admirable speclacle encore que celui de Jesus, assis dans une barque, sur le lac calme ou legeiement ondule de Tiberiade, dans la baie cbarmante de Bethsaide ou de Gapharnaiim, et expliquanta une foule allentive les mysleres du Boyaume du ciel ou lui adressant ses discours paraboliques ! Assurement, ce sont des spectacles que le monde n'a jamais vus, donl le Seigneur lui-mfmie dit : « Bienbeureux les yeux qui voient ce que vous voyez ; el bienbeureuses les oreilles qui enlendent ce que vous entendez ! Beaucoup de rois et de pro- phetes ont desire voir ce que vous voyez et ne 1'ont poinl vu, entendre ce que vous entendez et ne l'ont point enlendu. » (Matth., 13, 16. 17 ; Luc, 10, 23. 24.) S'il est un fait d'une por- teeinfinie, c'est celui deTapparilion de Dieumeme, venant ensei- gner les bommes ; et sil y a une aclion, digne de toute notre estime et de loules nos louanges, c'est celle de Dieu parlanl aux bommes dans un magnifique langage bumain.

B. Le second fruil a recueillir des enseignements du Sau- veur est la reconnaissance envers lui pour ce grand bienfait et pour toute la peine quils lui ont coiUe. De quoi avons-nous lous surtout besoin si ce n'est de la lumiere et de la verite, de la grace et de la foi? Par sa doctrine, Jesus est devenu pour nous la sagesse de Dieu et le guide sur le chemin du Paradis. (I Cor., 1, 30.) Quelle consolation verilable et celeste ne nous procurent pas ses enseignemenls dans toules les siluations de la vie ! Les Juifs ne veulent pas recevoir celle doctrine, et dans la tempete qifelle souleve, celte divine semence esl emporlee et repandue par rEsprit-Saintdans les lerres memes dupaganisme. La predication du Messie accomplit parmi nous la plus heureuse des revolulions : elle supplante le paganisme, cree le monde chretien avec sa foi, sa science, ses arts, ses lois, ses mceurs el sa civilisalion. La semence de sa divine parole a produit au mi- lieu de nous une riche moisson de grandes oeuvres et d'institu- tions admirables. Ses enseisnements continuent a fructifier dans

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nos pays : ils convertisssent les ames, donnent la sagesse aux petits, eclairent les intelligences et, par leurs beautes el leurs consolalions loutes celestes, rendent heureux une infinite de crcurs. (Ps. 18,8.)

C. Le troisieme fruit que nous devons retirer de la doclrine du Sauveur esl d'apprendre a la bien connailre, de la com- prendre, de nons 1'approprier et de nous en penelrer toirt enliers, intelligence, cceur et vie. Les enseignements de Jesus doivenl elre les principes de notre conduite, servir de direclion a toute notre vie. Cest d'ailleurs ce que le divin Maitre dit a la fin de son sermon sur la montagne : « Celui qui ecoute mes paroles et fait ce que je dis, est semblable a un homme sage qui batit sa maison sur le rocher : viennent la pluie, le torrent et 1'orage, sa maison reste debout, parce qu'elle est fondee sur le rocher. » (Matth.. 7, 24, 25.) Le veritable disciple duChristne fait en elTel plus qu'un avec lui : il forme un seul rocher avec le rocher qui esl le Christ ; le Ghrist regne dans son ame par la grace, dans son inlelligence par la foi, dans son coeur etdans sa vie par la cliarile. Cesl pourquoinotre etude et nolre occupation conslantes doivent etre d'apprendre les enseignemenls de Jesus et de nous familiariser avec eux, afin d'y conformer nolre vie.

REP^TITION

Nous pouvons considerer ici, dans deux points, les enseigne- ments du Sauveur, en tant qu'ils sont surlout pour les Apdtres.

A. En premter Heu, tous les enseigneraents de Jesus s^adressent parliculierement aux Apotres. Ce sont eux, avarit tout autre, qui doivenl les suivre et les mediter, el Fe Seigneur leur donne les raisons qu'ils ont d'agir arnsi : dl n'est pas venu lui-meme detruire la loi, mais raccomplir (Matth., 5, 11); et eux aussi doivent raccomplir, sans quoi leur dignile leur sera inutile (Maith., 7, 21) ; c'est a cette marque fidelite qtfil reconnaitra leur amour pouriui. (Jean, 14, 21. 23 ; 15, 10.) Le Satrveur leur donne personnellemerft le magnifique exemple de cetle soumission a la volonte de son Pere. Nousavons la encore un des principaux traits caracterisliquesde la vie de Jesus, con-

REPETITION : LE SERMON SUR LA MONTAGNE 567

sideree dans ses rapports avec le Pere celeste. En general, il faut dire que raccomplissement de la volonte de son Pere est le grand devoir de la vie du Sauveur (Jean, 5, 30; 6, 38) ; c'est le poinl de depart, la regle, la mesure et le but de ses pensees, de ses desseins, de ses entreprises, et Telement au milieu duquel il vit (Jean, 8, 29) ; c'est sa nourriture quotidienne (Jean, 4, 34) -et sa consolation dans toutes ses peines. (Mattii., 11, 26.) Les Pro- phetes avaient predit que le Messie serait le serviteur de Dieu (Is., 42, 1), et, de fait, il s'est toujours comporte comme un simple etfideleserviteur vis-a-vis de Dieu, son Pere. Maintenanl, en particutier, et dans le detail de Texistencede Jesus, si lavolonte de son Pere a ete la premiere alfection de sa vie (Ps. xxxix, 9 ; Hebr., 10, 7) et la regle de sa jeunesse (Luc, 2. 49), on peut dire aussi quelle a ete la loi invariable et universelle de toute sa vie publique : la duree et les circonstances de cette vie, le thealre de Tactivite du Sauveur, c'est-a-dire la Galilee et la Judee seules, la designatiou de l'unique peuple a evangeliser par lui, du peuple juif (Matth., la, 28), le choix de ses Apotres, meme de Judas (Jban, 6, 37), et enfin le resullat de ses travaux, tout depend de son Pere, dont la volonte est la seule regle de toule sa conduite. Assurement, rensemble de toutes ces choses est petit et modeste, quand on pense que e^estrHomme-Dieu qui les fait, mais neanmoins il les accomplit tres fidelement. ( Jean, 4, 37, 38.) Cesl dans celte lumiere, dans cette direclion de la volonte de son Pere, qu'il envisage les souffrances de sa Passion : celle-ci est le calice que son Pere lui donne. (Marc, 14, 36 ; Jean, 14, 31 ; 18, 11.) II nepeut mourir avant la realisation de laderniere prophetie qui le concerne. (Jean, 19, 28.) Sa der- niere parole est la reconnaissance de Dieu comme son Pere et rabandon de tout entre ses mains. (Luc, 23, 46.) Les propheles onl trace davance les grands trails de la vie du Redetnpteur : ils ont predit sa naissance miraculeuse d'une Yierge, sa royaute, son sacerdoce, son ministere prophelique, sa mort et sa resur- reclion ; mais ils ont annonce auvssi des particularites de sa vie moins considerables : par exemple, sa naissance a Belhleem, -sonenlree triomphale a Jerusalem sur une anesse, sa venle pour trente pieces d'argent, sa soif ardente au moment d'expirer. Tout est accompli ii la leltre, jusqira un iota. Sa vie publique

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est, sous maints rapporls, bien exlraordinaire et, naturellement parlanl, inexplicable. C'est un va-et-vient et un changement continuels : tantot il opere ses miracles publiquement et au grand depit de ses ennemis, tanlot il les fait secretement; on dirait qu'il veut exciter la colere des Juifs en frequentant des bommes mal fames et sans religion ou en negligeant leurs usa- ges etleurs coutumes; devantle peuple il n'atleste pastoutafait ouvertement ni sans detour la verite de sa Divinile. S'il agit de cette facon, ce n'est pas pour son bon plaisir ou par caprice, mais pour accomplir la volonte d'un Etre invisible, qui le dirige et le conduit, la volonte de son Pere qui est dans les cieux. Gette volonle est le fil conducleur de toul, la clef merveilleuse qui explique tout dans Texistence si adinirable et si remplie de Jesus. II donne par la a ses Apolres et k nous tous un bel exemple de la soumission a la volonle de son Pere. Get exemple, nous devons Timiler pendant lonle notre vie. Nous sommes, avant tout, des crealures, el que doit la crealure au Greateur si ce n'est la soumission? Sans cette soumission, lout, absolument tout, meme Taclion la plus eclatante, n'est qu'un pur desordre. Au contraire, 1'obeissance a Dieu esl la vraie sagesse etla vraie saintete. L'Apotre surtoutdoil etre un modele parfait de la soumission a Dieu, lui a qui le devoir incombe de precber la loi de Dieu. II ne faul pas qu'il imile les ap6lres de la Bible, qui poussent et menent & travers le monde des anes charges de Bibles. Le veritable Apolre est, dans sa personne et dans sa vie, la loi vivante de Dieu, TEvangile vivant du Gbrist; autrement il detruirait au lieu d'edifier. II doil etre la veracile meme. A cbaque pas qifil fail, il peut dire de lui-meme : « Ge qui plail a Dieu, je le fais tous les jours sans cesse. » (Jean, 8, 29.) B. Mais le Sauveur veut, deuxiememenl, que ses Apolres repandentet precbent la doctrine qu'il leur enseigne : il Ies y exborte, eux et tous ceux qui les suivront dans la carriere de Tapostolat. Dans ce but, Jesus donne des instruclions particu- lieres a ses Apotres et, pour quils soient en elald'enseigner les aulres, il leur donne des lecons plus completes : ainsi, il leur explique ses paraboles plus en detail (Matth., 13, 10. 30; 15r 15) et d'une facon plus claire qtiil ne le fait au peuple ; il les initie plus parfailement aux mysteres de sa Religion, a ceux de

REPETITION I LE SERMON SUR LA MONTAGNE 569

sa veritable Divinile (Matth., 16, 20), de sa Passion (Luc, 18, 31), de sa seconde venue (Luc, 17; 22; Matth., 24) ; et dans son discours d'adieu, aux mysteres les plus profonds de la Tres Sainle Trinite (Jean, li, 15-17.) Apres cela, il pourra leur dire qu'il ne leur a rien cache et qifil leur a tout dit. (Jean, 15, 15.) Ensuite, le Seigneur allegue a ses Apotres les puissanls raotifs quils ont d'annoncer avec zele sa parole divine. II faut que leur lumiere brille; ils doivent etre le sel de la terre, non seulement par leurs exemples de verlus et ladispensalion des Sacrements, mais eucore par leur predicalion : la predication n'est-elle pas, en effel, une lumiere brillante etun sel excellenl, si elle conserve son caractere surnaturel dans renseignement du dogme et si elle respire 1'abnegalion de soi dans renseignement de la morale evangelique? (Mattu., 5, 13. 14. 16.) Aussi le Sauveur dil-il a ses Apotres : « Je vous ai places sur lechandelier, afm quevous puissiez briller; ce que je vous ai communique en secret, vous devez rannoncer publiquement : je vous en recompenserai sui- vanl la mesure de volre lidelile a mes recommandations. » (Marc, 4, 21-25.) Merae, il leur promet une recompense particuliere, parce quMls seront les Docteurs ou les Instituteurs des peuples. (Matth., 5, 19.) Cest pourquoi saint Paul s'ecrie : « Malheur a moi, si je n'evangelise ! » (I Cor., 9, 16.) D'apres lui el selon l'exemple du Seigneur, precher est plus que baptiser. (Jean, 4, 2 ; I Cor., 1, 17.) Nous devons donc, nous aussi, precher et regarder le ministere de la predicaliun comme Ires honorable ; il faut nous esliraer tout a fait heureuxde pouvoir le remplir et Iriompher de toules les difficulles que nousy rencontrons : ce sont preciseraent les ennuis et les peines de la predication qui allirentles benedic- lions du ciel. Mais comment precher?Gomme le Sauveur lui- meme. Nous devons precher sa doctrine el uliliser, dans nos predications, toute notre science et tous nos lalenls nalurels pour nous faire ecouter favorablement. Prechons, a 1'exemple de Jesus, les veriles necessaires ou utiles, et disons en chaire des choses qui dilatent et encouragenl les coeurs. Dans ce but, consullons le Sauveur sur le sujet de nos instructions, recomraandons-lui bien ce sujelune fois choisi, el penetrons-nous de 1'esprit de ses en- seignemenls dogmaliques et raoraux.

LES MIRACLES DU LAC

Suiveut maintenant des mysleres, comrae les miracles du lac de Genesareth et la Mission des Apotres. Les miracles du lac sonl.au nombre de trois : la peche miraculeuse, 1'apai-sement de la tempete el la marche de Jesus sur les flots. Ges trois miracles ont un but unique : armer les Apotres de courage et de confiance en vue des difficultes de leur vocation. Cest pourquoi nous pouvons tres bien les reunir ensemble et en faire un seul Exercice ou un seul sujel de medilalion.

I. La Peclie Miraculeuse. (Luc, S. 1-11; Matth., 4, 18-22; Marc, 1, .16-20.)

A. L'intention du Sauveur dans ce miracle est, sans nul doule, de determiner saintPierre et les deux fils de Zebedee a suivre defmitivement leur vocalion apostolique, eta s'altacher a sa Personne, en sacrifiant tout, maison, liberte, affaires. Jusque- la Jesus neles a appeles que provisoirement : on les voit tantdt rester aupres de lui et tantot le quitter pour vaquer a leurs occu- pations. Maintenant ils doivent tout abandonner et s'attacher au Messie : il s'agit, en edet, pour eux de mener desormais la vie apostolique. S'y resoudre n'est pas certes sans plusieurs diffi- cultes. La premiere difficulte qu'ont les Apotres, se trouve dans 1'affection et l'atlachement a la famille, a la maison, au foyer, aux i>iens et a 1'etat ; la seconde, ,dans leur sollicitude pour les interets temporels de leurs parenls etd'eux-memes ; la troisieme enfin, dans la grandeur et la sublimite de leur vocation, gran-

LES MIRACLES DU LAC 571

«deur et sublimile qui apparaissent si bien dans la Personue et dans les aclions du divin Sauveur. Ils doivent donc devenir ses cooperateurs et travailler a la m£rue oeuvre que lui. Mais qui sont-Hs? Et quels sont leurs talents et leurs moyens naturels? Comment d'ailleurs oser comraencer une pareille entreprise? Ah ! s'ils pouvaient, en ce moraent, plonger leurs regards dans Tavenir et voir ce que le Seigneur leur demande! II ne leur ■demande rien moins que de soumettre a son joug humble et suave le judaisme avec Tantique religion de leurs peres, le paganisme avec son incredulite et sa volupte, son orgueil et sa cruaute, et darborer, au sommet du Gapitole et de TAcropole, Teteudard de la Croix ! Quelle tache immense et effrayante pour les Apotres, depourvus de toule puissance, de toute aulorile et de toute eloquence ! D^ailleurs, leur vocation, ils ne la connais- sent pas et elle est au-dessus de leurs forces. Aussi on com- preud qu'ils hesitent et qu1uiie intervention surnaturelle soit necessaire pour les decider a aller oii Dieu les appelle,

B. Getle intervention est celle de Jesus, quand il fail le miracle de la peche miraculeuse : Toccasion, la nalure et les •circonstances de ce miracle sont, en effel, tres bien clioisies pour atteindre le but qu'il se propose en raccomplissant. LTocca- sion est la bonue disposition que saint Pierre montre pour TAposlolat, en rendant volonliers le service ou en faisant le tra- vail que le Seigneur lui demande, et en jetant avec confiance son filet, des que Jesus le lui dit. Le miracle lui-meme est une peche tres abondanle, naturellement impossible, apres le travail inutile de la nuit a cet endroit meme, et effectuee, en ,pleine mer de Tiberiade, le jour ; celte peche se fait donc sans ile secours d'aucun raoyen exterieur. Gonsidere dans ses cir- constances, ce miracle est accorapli, on peut le dire, dans la sphere d'activile de Pierre, du p^cheur, qui esl plus a raeme que personne de le comprendre; et en outre, il symbolise, d'une maniere frappante, la vocation apostolique, puisqifelle esl une ip^che, raais une peche dTiraes, qu'il s'agit de sauver pour le teraps et pour Feternite. (Luc, 5, 10.) Le miracle de la peche miraculeuse et toutes ses particularites doivenl, sous rinfluence ide la grace, porter dans Tame de saint Pierre celte conviction

572 DEUXIEME SEMAllNE

qu'a 1'appel du Glirisl loute sollicitude anxieuse, au sujet de la famille, des ressources temporelles et sur leurs Iravaux futurs, est completement superflue dans leur nouvellevocation. L'Ap6tre recoit aujourd'hui le gage de Fheureuse reussile de toul ce qu'il enlreprendra sur la parole du Seigneur.

G. La peche miraculeuse produit sur les Apotres, sur Pierre surlout, les effels que Jesus en attend : D'abord, une frayeur toule respectueuse a Tapproche et en presence de la Divinile ; puis, un vif sentiment d'indignile et de culpabilile, qui jette Pierre a genoux et lui fait dire : « Seigneur, eloignez- vous de moi, car je suis un pecheur » ; enfin, sur la parole de Jesus qu'il ne doit rien craindre et qu'il deviendra un pecheur dMiommes, Pierre se sent un courage inlrepide et une confiance absolue : en eflet, aussitot, il abandonne tout, barque, etat et famille, et s'attache a Jesus pour loujours. Par consequent, le Messie affermit, par ce miracle, ses Apotres dans Tesperance de triompher des difficultes de leur nouvelle vocation et de travailler avec succes au salul des ames. Le succes leur est garanli par un miracle et par Tassistance divine, qui ne leur fera jaraais defaut. A la fele de laPenlecdte, on verra leur succescontinuer. Pierre allirera dans son filet lous les hommes de la terre.

II. L'Apai$ement de la tempeie.

(Luc, 8, 22-25; Matth., 8, 23-27; Marc, 4, 35-40.)

A. Dans le precedent miracle, Jesus preraunit les Apotres conlre les difficulles intimes de leur vocalion ; ici, il les premu- nil conlre les difficultes exterieures ou les persecutions. Tout, dans ce myslere, est dirige dans ce sens. Le Sauveur s^embar- que, le soir, avec ses Ap6tres sur la mer de Tiberiade; il prevoit la tempete, el une tempete telle que les vagues couvriront la barque et la remplironl d'eau ; ils sernnl exposes vraiment a un graud danger, el Jesus ne fail rien pour Teloigner. Peu imporle que celte lempete ail ele naturelle ou surnalurelle... Pendant qu'elle sevit, le Messie dorl et les Apolres travaillent. Le Sei- gneur permet cel orage pour eprouver les siens et voir s^ils ont

LES MIRACLES DU LAC 573

assez de foi et cle confiance en lui eten saDivinite pour compter sur son secours sans pourlant leveiller. La foi des Apotres fai- blit, en cette circonstance : ils pensent que Jesus doit ne pas dorrair pour pouvoir les tirer du danger. Aussi ils reveillent. Le Sauveur reproche a ses Apotres, non pas leur crainte natu- relle, mais leur manque de foi a sa Divinite, qui est verilable et ne dort jamais (Matth., 8, 26; Luc, 8, 25; Marc, 4, 40); puis d'un seul mot il apaise la lempete et calme les flots de la mer. L'effet de ce prodige sur les Ap61res est un melange d'etonne ment et d'admiration, et en meine temps ils reconnaissent la Di- vinite de Jesus : Quel est donc, s^ecrient-ils, Celui a qui les vents et la mer obeissent? » (Luc, 8, 25 ; Matth., 8, 27 ; Marc, 4, 40.)

B. Le Sauveur veut, dans ce myslere, donneraux Apotres et nous donner a tous une double lecon :

La premiere est que les persecutions et les diffieulles exte- rieures ne nianqueront pas a son Eglise et a ses disciples ; en eflet, 1'opposilion naturelle de TEglise, de sa foi et de sa morale au monde el a ses maximes sera une cause perpetuelle de liaine et de persecutions contre TEpouse du Ghrist ; de plus, TEglise doit se reveler toujours comme une oeuvre divine ; enfin, Jesus a predit ces persecutions et il les a meme figurees dans celles de sa propre existence ici-bas. Ajoutons que, de fait, TEglise a loujours ete perseculee. Qui peut penser qu'une tempeles^ele- vera sur le lac pendanl la traversee de Jesus ? Cest pourlant ce qui arrive. Nous-memes nous ne serons pas davantage epar- gnes.

La seconde lecon que nous donne ici le Sauveur, renferme Tassurance de la victoire constante de TEglise sur ses ennemis : les orages et les perseculions ne la detruiront pas, soit que le Clirist sommeille, laissant la tempete sevir un cerlain temps, soil qu'il intervienne lui-meme, Tapaisant aussitol d^inseulmot de sa puissance. La barque de 1'Eglise ne chavirera pas plus sur la grande mer du monde que la barque du Sauveur dans les eaux du lac de Genesareth. Gette divine lecon est aussi, pro- portion gardee, pour chacun d'entre nous. La persecution ne nuira pas a ceux qui la souffrent pour les mfimes inolifs que

574 DEUXIEME SEMAINE

Nolre-Seigneur l'a soufferle. Toulefois, c'estaux trois condilions suivantes : la premiere, qu'ils aienl avec eux, dans- la barque, Jesus endormi ou eveille, c'est-a-dire, s'ils appartiennent a TEglise, s'ils sont en etal de grace et sous la direclion de Tobeissance ; la seconde, qu'ils fassent, de leur cole, toul leur possible pour calmer lalempete ; el la troisieme, qu'ils aient lou- jours une confiance absolue dans leur divin Mailre.

III. La marche sur les flots,

(Jean, 6, 17-21 ; Marc, 6, 41-52 ; Matth., li, 24-33.)

A. Ge mystere a ceci de particulier, c'est que la Personne du Sauveur, sa conduite et sa maniere d'agir sont pour les Apotres Toccasion de manquements a la foi et b. la confiance en Dieu. L'intenlion de Jesus y est donc de nous amener a une entiere confiance eti lui dans toules les circonstances analogues de notre vie.

B. Le miracle qui nous occupe est fait en parlie dans l'in- teret de tous les Apolres et en partie dans Tinleret de Pierre seul. Jesus envoie tous les Apolres sur merpar un vent con- traire etpar un temps d'orage ; d'ou il en resulte poureux beau- coup de peine et de faligue pendant la traversee. Soudain apparait le Sauveur, plananl el marchanl sur les flots. Les Apo- tres, qui croient voir un speclre, sont epouvaules el, remplis d'angoisse, ils crient au secours. Le second miracle du lac de Tiberiade et celui de la mulliplicalion des pains, qui 1'avait immediatement precede, n'ont pas encore assez bien affermi el consolide leur foi et leur confiance pour les faire penser aussilot au Seigneuv et se confier entierement en sa conduile. Aussi 1'Evangile dit-il qifils n'ont rien compris au miracle de la mul- liplicalion des pains et que leur cceur elait aveugle. (Marc, H, 52.) En marchant sur les flots, Jesus se propose de consoler ses Apolres, de les secourir dans la ternpeHe, de perfeclionner leur foi par cette nouvelle preuve de sa Divinite et de les preparer a 1'epreuve qui les attend a Gapharnaiim, oii, pour la premiere fois, il leur parlera du mystere de l'Eucharistie. Le miraele

LES .UIRACLES DU LAC 575

actuet opere dans soti Corps-, s'adapte tres bien a ce dessein du Sauveur (Jean, 6, 64), et c'esl pourquoi il a produit son effet (Jean, 6, 68. 69). Jesus se fait raaintenant reconnaitre ; il dit a ses Apotres : « Ne craignez pas, c'est moi-meme. » II monte dans la barque eta rinslant elleesttransporlee an rivage. ('Jean, 6, 21.) Alorsles Apotresconfessentsa Divinite. (Mattd., 14, 33.) Saint Pierre a, lui, une part speciale a ce miracle ou a ce mys- tere : « Si c'est vraiment vons, dil-il au Seigneur, permettez- moi dlalter a votre rencontre, en marchant sur l'eau. » Jesus le lui permet. Pierre s'avance effectivemenl sur les flots, mais bienldt il commence a craindre el il enfonce. A son cri de detresse, le Sauveur lui tend la main et lous deux marchent sur les vagnes de la mer. II y a dans celte conduite de Jesus une lecon el un encouragemenl pour saint Pierre. Sans doute, c'est Famour qui a pousse TApotre a vouloir aller sur les flols a la rencontre de son Maitre ; mais sa demande etait inconsideree et son zele n'etait pas necessaire dans la circonstance. Mais Pierre esl ainsi fait : qu'il pense, qu'il parle ou qu'il agisse, il devance loujours les aulres. Pour lui donner unelecon, le Sauveur laisse 1'Apotre subir la consequence de sa faute, c'est-a-dire tomber dans le decouragement, et il commence a s'enfoncer. Mais il appelle au secours, et Jesus lui tend la main en disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu doute ? » (Matth, 14, 30. 31.) Tenant la main du Sauveur, il est en surete et revient dans la barque. Cest ainsi qne Jesus repare la fante cle Pierre et encourage en meme temps son Apotre pour 1'avenir, qnand il occupera le Siege de la Papaute. L'appui de Pierre n'est pas 1'Eglise ni meme la foi : c'est la main du Seigneur. Jesus et Pierre, marchant sur les flots la main dans la main, voila une belle figurede la Primaute et de rinfaillibilite' du Pape !

G. Notre-Seigneur donne, dans ce mystere, trois lecons de confiance en Dieu et a son Eglise et a nous tous : Premiere- ment, nousdevons, dans toutesles circonstances possibles, nous confier en Dieu. Si Jesus nous oblige a marcher dans les tene- bres, par des temps d'orages epouvantables, au milieu d affreux precipices ; s'il nous semble etre tout a faitseuls et abandonnes, ne perdons pas courage et ne craignons rien : car le Sauveur

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pense a nous, il nous regarde, il a compassion de nous, il nous suit et nous accompagne. Visible ouinvisible, parfoismeme sous une forme indefinissable, il se tient a nos coles ou nous precede, indiquant la route et calmanl les flots, nous encourageant et cor- rigeant nosfautes, nous conduisant et nous protegeant, et, malgre lout, nous faisant avancer. Deuxiemement, ne soyons jamais presomplueux : car la presomption est un grand defaut, qui laisse bientol la place au defaut conlraire et nous rend respon- sables de ses consequences facheuses. Troisiemement, meme dans ce dernier cas, il ne faut pas nous desesperer, mais recou- riravec confiance a Notre-Seigneur. La main de Jesus n'est pas loin, et c'est par la confiance et la priere que nous la saisissons. Ges trois mysteres sont bien pour nous des mysteres de con- fiance en Dieu dans toutes les situations critiques de notre vie apostolique. Le Sauveur nous y enseigne a ne craindre aucune des difficultes que nous y rencontrerons : difliculles du succes de nos entreprises, difficulles des persecutions du debors, diffi- cultes venant de nos propres defauls. Donc, confiance parloul et toujours, quoi qu'il arrive !

REPETITION

Toul concourt, dans les mysteres de ce jour, a nous inspirer la confiance. La confiance doil elre 1'objet particulier de notre meditation pendant cet Exercice.

A. Qu'est-ce que la confiance? La confiance est un degre eleve d'esperance, une grande assurance d'avoir une chose. L'objet de la confiance est non seulement nolre fin der- niere, le ciel, mais encore notre fin prochaine, le but de nolre elat, la perfection de notre vocation. Pendanf les Exercices, Dieu nous invite a atteindre ce but et nos resolulions servent a nous y faire parvenir.

B. Motifs de celle confiance. II y en a trois principaux : Premienment, la confiance nous est necessaire. Les grandes

choses exigenl une force constante et impulsive. Ce que nous voulons est grand : ll s'agil pour nous de devenir les apotres de Jesus-Cbrist, les aides et les soldats valeureux de 1'Eglise

p.Einhrno.\ : miracles du lac 577

mililante. Nous devons potir celaavoir un appui ou un soulien, nous avons besoin d'une force : cet appui, celte force, c'esl la confiance. Une arruee sans confiance est une armee batlue. L'ne armee confiante est sure de la vicloire; elle triomphera malgre toutes les difficulles. Nous aurons des difficultes, et meme par- fois nous serons secoues el ebranles : le Maitre nous l'a predit, et c'est pourquoi nous devons avoir confiance. Avec la con- fiance, les difficultes ne pourront nous nuire. II n'y a qu'une cliose que nous devions redouter, c'est la perle du courage.

Deuxiemement, la fin ou le but de notre vie et les moyens d'y arriver reclament absolument celle confiance. Ajoutons aussi que le Sauveur nous le demande. Notre fin est de la plus haule importance, elle est pour nous une alTaire capitale. Nous devons 1'alteindre ; or, si nous le devons, nous le pouvons. Mais il n'est pas facile d'arriver a la perfection. Donc nous devons tout faire pour alleindre ce but de notre vie. Les moyens que nous avons d'y parvenir 1'exigent egalement. Nous ne serons pas seuls : Dieu nous prelera son assistance. Pour avoir ce ferme espoir, il n'esl pas necessaire que Dieu nous fasse de pro- messe particuliere de secours : il suffit qu'il nous appelle a la perfection aposloliqueet que, dans celte vocation, il nous assure les moyens bons et excellents de 1'atteindre ; or, ces moyens, nous les trouvons precisement dans les Exercices et dans les resullats ou les fruils de ces Exercices. Enfin Jesus, notre Sauveur, veut que nous ayons celte confiance. Quiconque con- nait et possede Jesus ne peut se desesperer. Avec lui el par lui, ne triompherons-nous pas de loules les difficulles?

Troisiemement,la confiance est honorable pour nous-memes. Le courage et la confiance supposenl loujours un cajur noble et fort, en meme temps qu'un esprit eleve. Desesperer est la pire des choses ; la matiere n'a pas d'esperance ; aussi montre-t-elle par la combien elle esl vile et meprisable. L'homme incline faci- lement vers le desespoir, parce qu'il y trouve un certain inleret ou une certaine commodile ; il est alors, en effel, dispense de lout travail et de tout efforl. La confiance esl encore honorable pour Dieu. Elle est une glorificalion de saSagesse, de sa Puissanceet de sa Bonte ; elle est le plus beau merci que l'homme puisse dire a Dieu, apres celui de la charile ou de l'amour; elle est le sen-

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578 DEUXIEME SEMAINE

timenl le plus raisonnable que nous puissions avoir on expriraer an sujet de Dien. Quantl nous avons confiance eu Dieu, nous comprenonsvraiment ce qifil est, nous nous elevons jusqu'a lui, nous gagnons son cceur et nous nous emparons de sa force et de son secours lout-puissants. Qui peut alors nous nuire? Ego exullabo in Deo Jesu meo... deducet me victor in psalmis ca- nentem. (Hab., 3, 18. 19.) Gelui qui se confie en Dieu n'est jamais confondu. Par consequent, la confiance doit toujours eHre notre mot d'ordre, Tetendard sous lequel nous combatlons et la forteresse dans laquelle nous nous refugions. La confiance est bien une place tres forle, que quatre chaines solides rattachent au ciel : ces chaines sont la Sagesse, la Bonle, la Puissance et la Fidelite de Dieu ; et, pour tout dire en un mol, c'est la divine Providence qui en fait loute la force et toute la securite. Nos fautes elles-m£mes, volontaires ou involontaires, commises par faiblesse ou avec rellexion, ne doivent jamais etre des raisonset des motifs de rendre ou de livrer la citadelle, quand meme il s'agirait des fautes auxquelles nous expose notrevocation. Sainl Pierre nous sert d'exemple ici. Le Seigneureslpresent, ne l'ou- blions pas. Ayons seulement confiance! Nos fautes auront aussi leurs bons effets ; nous travaillerons a les corriger peu h peu et elles nous feront avancer dans la charite et le zele de la gloire de Dieu. En un clin d^oeil. la barquede Pierreestau rivage, et cela arrive des que Jesus y est monte.

On peut encore indiquer d'autres remedes efficaces a employer contre les tentations ou les epreuves : d'abord, croire que 1'ima- gination y est au moins pour les trois quarts ; puis, prier ; enfin, recourir au Superieur et lui dire que ladifficulteest tropgrande. Apres cela, tout ira bien. Quis ergo nos separabit a caritale Christi?{Rom.,8, 35.)

APPLIGATION DES SENS

A. La Peche miraculeuse. Get evenement myslerieux se passe sur le lac de Genesarelh. Le lac de Genesareth, appele aussi mer de Tiberiade, a environ cinq lieues de longueur sur deux cle largeur. II a la forme d'une ellipse et s'etale comme une

APPLICATION DES 8ENJS \ MIRACLES UV LAC 579

immense grappe de raisin. Le bord oriental decrit une courbe, ressenablant a un cinlre aplali ; le haulplateau qui domine le lac de oe c6te, setermine brusquement par des falaises u pic, dechi- rees ca et la. Le rivage oecidental s'arrondit en forme de baie ; ses peutes sont douces. Les collines qui s'avancent dans le lac, ponr se retirer eiisuite, forment de petits promontoires el lais- sent entre elles trois plainescharmanles, dontl'une,celle dn nii- lieu, se nomme la plaine de Genesar. II est vraisemblable que le miracle a lieu a Bethsaide ; car Jacques etJean, qui sonl dc Belhsaide, se trouvent sur le bord du lac avec leur barque; >et, comme probaJ^lement Pierre est leur associe, quMl a peche avec eux la nuit derniere, sa barque est amarree non loin de la ieur. Belhsaide est agreablement situee dans un angle de la chaine de montagnes qui lirnite au nordla petileplainedeGene- sarelh et qui se prolonge dans le lac, en formant un promon- toire ; sur ce promontoire il y a, creuse dans le rocher, un ehe- min qui couduit dans la plaine de Gapharnaum et m6me jusqu'a rembouchure du Jourdaiu. Cest danscet endroit sans doute que le Seigneur arrive le matin, entoure d'une grande mullitude de peuple. En meme temps, on voit detous cOtesdes foulesaccourir vers 1 11 i pour enlendre sa parole.

Le rivage oii se tient Jesus s'e]eve quelque peu ; aussi le Sau- veur, qui n'esl jamais embarrasse et sait profiler de tout pour remplir sa divine Mission, decide de parier au peuple de 1'inte- rieur d'une barque. Or, il y a tout pres les barqnes de Pierre et ttes Zebedee, qui, en ce moment, nettoient et arrangent leurs filets. Jesus faiit signe a Pierre d'approcher. Quand Pierre esl pres du Sauveur, celui-ci le prie modestement de lui permeltre de monter dans sa barqihi pour enseignei' le peuple. Pierre met avec joie sa barque a ladisposilion de Jesus; il 1'aide a y monter, et ensuile ii 1'eloigne un peu dn bord, afin que leSauveur puisse etreentendu comimodement. Lepeuple se divise par graapesqui s'echelonnent et s'assoient sur le rivage, leqnel en cet endroit s'eleve et a iine forme demi-circulatre. Le point de vue est vrai- ment piltoresque. D'un ccite, dans le fond, le bourg de fietb- sa'id« et, de 1'autre, le dernier conlrefort des rochers qm se dressent et arretent le son de la voix de Je9iis de maniere a la faire entendre de tout le monde. G'est donc la qne le Sauveur

580 DEUXIEME SEMALNE

enseigne le peuple. Peul-elre qu'ilexpose alors les paraboles du bon grain et de 1'ivraie ou du filet du pecheur, et son discours dure assez longtemps. Cependant Pierre est assis au gouver- nail, et, en entendant la predication du Messie, il se livre a ses refiexions. II a Iravaille loule la nuit, avec ses servileurs et ses aides, et il n'a rien pris. II lui revient alors a la pensee que Jesus l'a appele a le suivre el a parlager son genre de vie. II doit donc tout quilter, melier, famille, maison, el, apres, qifen resullera-t-il? Qui prendra soin des siens? Ensuite, il lui fau- dra conslamment mener une vie errante dans son propre pays, entreprendre destravaux loul differents des siens, s'appliquer a renseignement de la loi et devenir un Rabbi : mais, pour y reussir, ou sont ses moyens et ses talents? Gomment se tirera- t-il d'embarras? La doctrine si profonde et si admirable de Jesus, qui le penelre si vivement, loin de le rassurer, le rend tout pensif : jamais personne n'a parle comme Jesus et il doit faire comme Jesus ! Bref, s'il s'agil pour lui d'une vocalion serieuse, il ne voit pas comment il pourra la suivre : elle est trop au-dessus de ses forces, et d'ailleurs il ne voit aucun moyen d'existence. Mais le Sauveur a termine son discours, et il remercie avec beaucoup d'amabilite Pierre dti service qifil vient de lui rendre. Afin de prendre conge de la foule du peuple, Jesus demande a Pierre de se diriger avec deux barques vers la haute mer. Voyant cela, la mullitude se disperse. Lorsque les barques sont assez loin du rivage, le Seigneur dit a Pierre de jeter son filet. « Maitre, lui repond Pierre, nous avons peche toute la nuit sans rien prendre. » II veut dire par la qu'il n'y a pas de poissons a cet endroil et que d'ailleurs le moment n'est pas favorable : il fau- drail un miracle pour prendre du poisson. Pourtant il ajoute : « Puisque vous me le dites, je vais lancer le filet. » Et il le jette dansTeau, et, ensuite, les barques reviennent lentement du cote du rivage, pendanl que les pecheurs sont dansl'atlenlede ce qui va arriver. Jesus est assis sur le devant d'une des barques : il se lait et il parait mediter. Pierre, Andre el leursaides ramenent le filel au milieu des deux barques. Tout a coup un mouvement se produit, qui ride la surface de Teau, comme si les poissons arrivaienl par bandes. En effet, on voit, iciet la, unetete depois-

APPLICATION DES SENS : MIRACLES DU LAC 581

son sortir de 1'eau, el, peu apres, le nombre des teles est incal- culable : de tous coles, les poissons saulent et gambadent pour venir se precipiler dans les mailles du filet. Le filet devient de plus en plus pesant, de sorle que l'on a peine a le lirer dans 1'eau et que meme il commence a se dechirer, quand les barques arrivent pres du rivage. Aussi Pierre appelle-t-il les Zebedee, qui viennent, plougent les bras dans le filel, retirenl les poissons, et les metlent dans de petits filets eldans des colfres qui surnagent dans 1'eau de cbaque cole des barques. Tous sont elonnes, stu- pefaits d'une peche si exlraordinaire. Jamais ils n'en ont vu de pareille. Pierreest la, silencieux, regardantavecconfusion cette prise merveilleuse et n'osant lever les yeux sur le Sauveur. En cel inslanl, Dieu le juge digne de recevoir de giandes graces. Pierre sent que jusqu'a ce jour il n'a pas eu assez d'estime pour Jesus ; il voil maintenant combien toules ses inquieludes et ses craintes du present el de 1'avenir sonl vaines. En se donnant beaucoup de peine, il n'a guere avance dans ses affaires, el au- joiird'hui, sur la seule parole du Maitre, il a fail plus que pen- danl plusieurs mois.Quand sescompagnons abordent au rivage, il est elfraye du cbiHVe enorme des poissons pris; el penetre d'un sentiment vif et profond de la presence de la Divinite, lout bonleux de son indignile et de ses vaines inquieludes, il se jetle au\ pieds de Jesus, en s'ecrianl : « Seigneur, eloigiiez-vous de moi, qui ne suis qu'un pecbeur ! » Le Sauveur lui repond avec bonte et majeste : « Ne crains pas. A Tavenir lu seras un pecbeur d'bommes. » Pierre est comme tout transforme. II ne pense plus qu'a quitter tout sur-le cbamp et a suivre desormais le Seigneur. Andre et les deux fils de Zebedee sont dans les memes senliments, et aussitot lous les trois abandonnent leurs baiques el se mettenl a la suite de Jesus.

B. L'apaisement de la tempite. Le Sauveur se trouve probablement a Gapbarnaiim. Ses procbes sont venus le cher- cher pour le ramener a la maison. Mais ils ne peuvent percer la foule ; aussi lui font-ils direque ses parenls et ses freres sont la. Jesus leur adresse celle reponse : « Geux-lii sont mes proches et mes freres qui accomplissent la volonle du Pere celesle. » 11 est donc evident qu'il y a une grande allluence de peuple, a Gaphar-

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naiUui, a cause du Messie. (Mahc, 4, 36; Matth., 8, 18;Luc, 8, 19.) Pour ee motif, le soir, JeSauveur ordoune a ses Apotres de faire La traversee du lac. Par prudence,. en effet, il ne laisse jamais ses disciples longleiups en contact avec les gi andes foules : il s'y commel souvent des desordres dont lui et ses Apotres seraient rendus responsables. /Je plus, Jesus est vraiment fali- gue etepuise, et il a besoin de repos : dans ce but, une Iraversee noclurne esl tres opportune, en meme lemps qifelle lui donne ravantagedegagnerdu temps et de reprendre, le lendemain, son Iravail sur 1'aulre rive du lac. Enfin,, le Sauveur veut evidem- meet habituer ses Apotres a un travail dur et constanl, et, par la lempeHe qifil prevoit, eprouver leur foi et leur confiance. Les Apolres suivent aussilot et volontiers Tordre de Jesus, mal- gre les desagrements qui en resultent : ils s'embarquent, en effet, apres une journee tres laborieuse, a la louiLbee de la nuit, vemar- quaait peul-elre deja les signes avanl-coureurs de la tempele. Mais ils foul tout pour le Sauveuret suivant sa volonle. Ilsmon- tent donc dans la barque en compagnie de Jesus.

Ils. parleiai, et, vraisemblablement, le trajel esl gai et agreable, sur une mer calme et belie : ils voient la cote occidenlale s'en- velopper d^une ombre bleuatre et pourpree, taudis que la cole orienlaie est eneore eclairee des dernders rayous du soleil cou- cbant. Jesus est tres faligue. Pendant que ses Apotres et ses discipks rament alternativement, il se reiad dans une cabine siluee & 1'arriere du baleau (Marc, 4, 38), et s'endoi'1, la tele appuyee sur tin coussin. Son sommeil est nalurel et prouve la veiiite de sa nalure humaine. La nuit est arrivee; une violente tempele s'eleve sur Je lac. Le niveau du lac est beaucoup au- dessous de celui de la Mediterranee,, et le bassiu cpfil forme est extremement cbaud penda.nl la saison dele. A Test, il est borde oVune chaine de monlagnes escarpees, entrecoupees de vallons et dfii ravins profonds, oii passent souvent, surlout apres les JQiirnees chaudes, des orages soudains etviolents. Ges ouragans arrivent du liaut plaleau, situe plus loin, et de la monlagne de rilermon, el ils se dechaiuent avec violence au-dessus du lacjde (iejiesareth. Jesus peul tres bien avoir permis celte tempele. VA\e est epouvanlable : les eclairs sillonnent sans cesse les nues;

APPLIGATION DES SENS : MIRACLES DL LAC 583

la nier de Tiberiade est en fureur; les vagues assaillent de tous cotes la barque et la remplissent d'eau. Les passagers courent vraiment le danger ou de sornbrer, ou de se briser conlre les rochers de la rive escarpee. Cest une bien rude epreuve pour les Apotres. Pierre, marin consomme, et les autres Apolres font tout ce qifils peuvent pour sauver le bateau. Mais 1'orage sevit avec plusde furie et plusde menace que jamais, etils com- mencent a craindre, a perdre courage et confiance. Ils tournent leurs yeux inquiets du cote de TeiKlroil oii Jesus repose. Mais la porte ne s'ouvre pas, et le Sauveur ne parait pas. Son som- meil est tranquille au railieu de fhorrible tempele : car il est completement maitre de sa nature sensible, et il peut dormir malgre la rage des vents et la fureur des flots. Jesus permet cet orage dans l'interet de ses Apotres et pour d'excellents motifs. Les Apotres ne peuvent comprendre qifil les delaisse ainsi, apres s'etre embarques sur son ordre el en sa compagnie, et a leur crainte et a leur frayeur s'ajoule bientol le decouragement. Jesns neanmoins dort loujours. Enfin la situation devient si cri- tique qif ils pensent ne plus pouvoir tenir tete a 1'orage qif en eveillant le Seigneur et en remellant leur salut entre ses mains. Ils sont convaincus du pouvoir de Jesus : assurement, ils croient qifil peut les sauver, mais pas en dormant; il doit etre eveille pour leur porter du secours. Les Apolres disent a Pierre daller pres du Sauveur et de Feveiller. Ils ouvrenl donc la porte de la piece oii Jesus dorl; leur agilation est grande, et c'est la figure toute bouleversee que chacun d'eux lui crie : « Maitre, est-ce que notre mort ne vous fait rien ? Sauvez-nous, car nous peris- sons 8 ; et, en merae teraps, ils le secouent douceraent et le plus respectueusement possible. Jesus s'eveille et se leve ; puis, regardant ses Apotres qui tremblent autour de lui, il leur dit avec le plus grand calme : « Hommes de peu de foi, pourquoi vous decourager ? Ou est votre foi ? N'en avez-vous doncplus ? » II leur reproche ainsi non pas leur fiayeur, laquelle est involon- laire et certes a sa raisou d'£tre, mais le raanque de foi vive ; car ils sonl persuades que Jesus doit elre eveille pour les sauver. Telle est leur faule. Alors Nolre-Seigneur sort de sa cbambrette et, tranquille et raajeslueux, il regarde ce qui se

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passe : il est temoin lui-meme de l'effroyable tempele, de l'im- peluosile des vents et de la rage des flols. II se contente de dire a la tempele en faisanlun gesle de la main : « Assez, tais-toi ! » El aussitol le calme est retabli et dans Tair el sur le lac. II vient de faire un double miracle : il a apaise latempele etrendu soudain une tranquillite parfaile aux eaux, lesquelles d'ordi- naire, quand le vent a cesse, reslent encore agilees pendant des heures et meme des jours enliers. Les Apolres el leurs compa- gnons etonnes, remplis d'admiration, se disent : « Quel est donc Celui qui commande aux venls et les fait obeir, et d'oii vienl-Il? » II y a, dans ces paroles, une allusion cerlaine aux passages des psaumes, qui monlrent la toute-puissance de Dieu dans 1'empire qu'il a sur la mer ; en tout cas, les Apolres y font bien une sorle de confession de la Divinile de Jesus-Chrisl.

C. La marche sur les flols. Le Sauveur vient de faire la premiere mulliplicalion des pains sur la rive orienlale du lac de Genesarelh. Les gens qu'il a nourris miraculeusement se sont releves et, debout, ilss'entretiennent de cet admirable eve- nemenl. Bienlot vole de bouche en bouche la nouvelle de la venue du grand Prophete : ce Prophete, c'est Jesus ! II est par- toul queslion de le proclamer Roi. Le Sauveur ordonne a ses disciples de s'embarquer et de gagner la cote occidentale. Pour lui, il varenvoyer lepeuple et les rejoindraensuile. Les Apolres parlent, et Jesus, apr^s avoir pris conge de la foule, se rend sur une monlagne, afin de s'isoler et de prier. Les Apdlres ont bien- tot a lutler conlre un vent tres fort : ils ramenl avec beaucoup de peine el avancenl difficilement. II estminuit depuislongtemps el ils n'onl parcouru que les deuxliers du lac. Leur posilion est derechef Ires desagreable ; mais ilssont habitues au travail, a la fatigue et a la peine et ramenl a lour de role sans se lasser.

Cependant Jesus, sur la montagne du bord de l'eau, ne les- oublie pas. II voit comme ils lutlent conlre le venl et les flols, il a pilie d'eux et veut les consoler et leur porter secours En meme temps, il se propose, en faisant un nouveau miracle, d'eprouver et de fortifier leur foi en saDivinile. Ildescend de la monlagne et entre dans le lac. II marche sur les flots plus vile qu'il ne marche ordinairement. Un cercle lumineux enloure son

APPLICATION DES SENS '■ MIRACLES UL LAC 585

corps, dont la forme renversee parait dans 1'eau du lac La ouil passe, Ies vagues se calment el le lac devient uni comme une glace. Ge n'est plus seulementun miracle opere dans l'eau, c'est aussi un prodige opere dans soncorps, et une faible image de sa futureTransfiguralion surleThabor. Ilprouve ainsi sa puissance sur les elemenls et sur son propre corps. II veut encore, de cetle maniere, preparer ses Apolres au grand myslere de sa presence dans rEucharistie, dont il va faire la proraesse, le lendemain, dans la synagogue rie Capharnaum. Le Seigneur marche donc sur les eaux, lumineux, a travers les ombres de la nuil. Les Apotres levent la tele et apercoivent d'abord avec elonnement, puis avec une angoisse toujours croissante, la forme etrange qui s'avance vers eux. Dans 1'exces de leur effroi, ils croient cpie c'est un fantome, el ils se metlent ii appeler, h crier, peut-elre meme a souffler dans lasirenede leur embarca- lion. Mais plus le speclre approche, plus leur crainte redouble : les cheveux se dressent sur leurs teles et ils sont presque morls de frayeur. Jesus ne veut pas prolonger davautage leur epreuve. Arrive non loin d'eux, il leur crie de sa voix connue : « Ne craignez pas : c'est moi. » En ce moraent, il semble aux Apo- tres que des ecailles tombent de leurs yeux et qu'ils sorlent comme d'un cauchemar. lls reconnaissent le Seigneur et repren- nenl haleine. Mais Pierre ne s'en lient pas la : pour monlrer h Jesus et aux disciples sa foi vive, pour 1'affirmer bien haut en leur presence, il se hale trop de dire : « Mailre, si c'est vous, ordonnez-moi de venir & votre rencontre en me faisant marcher sur les eaux. « Le Sauveur se rejouil, il esl vrai, de la foi de son Apolre, mais il veut, d'un aulre cote, le meltre en garde conlre 1'orgueil et la presomption. 11 repond a Pierre de venir. Gelui-ci descend dans le lac par une pelile echelle appliquee conlre la barque, et, chose merveilleuse! il marche lui aussisur les flots, dans la direclion du Seigneur. II savance tres bien pendanl un certain temps. Mais il regarde a ses piecls et autour de lui; et il s'etonne et il pense plus a l'eau el au vent qu'au Sauveur et a ses paroles. II commence a avoir peur. Alors les vagues ne le portenl plus, et il perd pied et il enfonce jusqu'a la poilrine. Dans son angoisse il crie a Jesus : « Seigneur, sauvez-

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moi ! » Et il lend les mains vers Jesus, qui se trouve bienlot pres de ltii et lui saisit le bras en disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu doute? » Alors Pierre se tient debout sur Teau et, la main dans la main de Jesus, il se dirige du cote de la barque. Quel spectacle charmant et sublime de voir le Ghef divin et le Ghef humain de 1'Eglise marclier ensemble sur les flols ! La main de l'un, qui est la puissance, serl d'appui a la main de Tautre, qui est la confiance. Tous deux a la fois mon- tent dans la meme barque, conjurent et calment la tempete, relablissent la tranquillile et assurent un voyage rapide et heu- reux. Voila une belle image de la Primaute du Pape! Quand Jesus et Pierre sont dans la barque, tous les disciples s'appro- chent de Jesus, et, se jetant a ses pieds, ils fonl leur profession de foi : « Vous eles vraiment leFils de Dieu », s'ecrient-ils ! Le Seigneur a opere simullanement plusieurs miracles : il a plane et marche sur les eaux, a apaise 1'orage, transporle en un instant la barque sur le bord du lac et fait marcher Pierre sur les flots. L'ardeur de ce dernier a montrer sa foi et le defaut de confiance qui a suivi son zele inconsidere raniment |et excilent la confiance et la foi des aulres disciples. Geux-ci n'ont pas ose suivre Pierre sur les flols ; ils ont admire sa foi, mais ils ont reconnu que sa foi, si superieure a la leur qu'elle fut, n'elait pourlant pas encore suffisante.

MISSION DES APOTRES

(Luc. 9, 1-6; Mabc, 6, 7-13 : Matth., 10, 1.5-15.

I. Pourquoi Jesus envoie-t-il ses Apotres en Mission ?

Dans un triple but :

A. D'abord, Jesus veut monlrer effeclivement et publique- ment qa'il est en pleine possession de la puissance aposlolique, quil la possede dans sa source et sans limites et qu'il peut lexercer comme il le veut, par lui-meme ou par les autres. De son vivant il use de ce plein pouvoir, non seulement personnel- lement, mais encore par delegation : il veut que d'autres pre- chent et operenl des prodiges comme lui. G'est pourquoi il envoie ses Apotres en mission, et il les depute en son nom, avec sa puissance et son autorite.

B. De plus, cette mission des Apotres est un progres dans la formation et le developpement de TEglise. Jusqtnci le Sei- gneur n'a fait que choisir, designer et inslruire les organes de son Eglise ; mainlenant il faut qu'ils agissent eux-memes avec tout le serieux el toute 1'energie dont ils sont capables. Getle mission des Apolres est un prelude de la grande mission qu'ils recevrout un jour sur la montagne de la (lalilee, apres la Resur- rection de leur Maitre.

G. Enfin, le Sauveur se propose, parcelte mission, deleur faire faire des exercices pratiques, preparatoires a leur giand ministere futur. Ils sont restes jusqu'a present aux c6tes de Jesus, entendant ses discours et lui rendant aussi quelques ser- vices. Or, autre chose est de voir agir, et autre chose est d'agir

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soi-meme. Mainlenant il lenr faut se produire personnellemenl. Par cet essai et celte experience, ils s'habitueronl a Texislence qinls doivenl mener plus tard : ils concevront une idee juste de leur vocation, ils acquerront de Thabilele dans leur nouvel elat, el, ce qui est raieuxencore, ils raiiueront et ils y trouveront du plaisir.

II. Commenl Jesus envoie-t-il ses Apolres en Mission?

A. Le Sauveur envoie ses Apolres, en lenanl parfaiteinent comple, premierement, de leur inexperience dans les fonctions qifils vont remplir. II a soin de les depuler, encore de son vivant, pour les encourager par la pensee de son voisinage el Tes- perance du profil et des recompenses qifils recueilleronl au relour de leur mission. II les envoie « deux a deuv », afin quils s'aidenl, se conseillent el se consolent mutuellement, et aussi atin que leur lemoignage (Deul., 19, 15), comme le sien (Jean, 8, 17-19), ail loutes les garanlies desirables. II les envoie entin non pas chez les Samaritains ni chez les paiens, mais vers la maison d'Israel, pour ne pas froisser les Juifs, si jaloux de leur privilege, d'ailleurs legilimeet reconnu par le Sauveur lui- meme. (Matth., 15, 24.) Plus tard, apres la mort de Jesus, quand toules lesbarrieres et tous les obstacles seront renverses, il les chargera officiellemenl de la mission de lout 1'univers. Mais acluellement il n'est pas prudent de les deputer vers la Samarie ou vers les nalions. lls sonl encore novices dans leur elal et onl besoin de formalion. Jesus veut les habituer peu a peu aux conlrarietes et aux persecutions.

B. Secondement, le Seigneur envoie ses Apolres en mis- sion en leur indiquant tres clairement le bul a atteindre. Le bul consisle a annoncer, avant tout, la joyeuse nouvelle de Tapproche du Royaume des cieux ou de 1'arrivee du Regne de Dieu (Matth., 10, 7) avec ses promesses el ses recompenses (Luc, 9, 2) ; ensuile, a consoler les hommes, a leur faire du bien corporelleraent et spirituellement (Luc, 9, 1), a leur souhailer et a leur procurer la paix, Tabondance de tous les biens tem- porels el elernels. (Matth., 10, 12.)

MISSIOX DES APOTRES 589

Les moyens qu'ils onl pour alteindre ce bul magnifique se trouvent dans leur conduite personnelle ou dans les vertus apo- stoliques quils doivent praliquer. II leur recommande particu- lierement la pauvrele : ils ne doivent avoir ni argent, ni sac de voyage, ni deux tuniques, ni meme le baton d'honneur el de defense : « Ne porlez, leur dit-il, que le necessaire, ayez une seule paire de sandales et un balon uniquement pour vous aider a marcher. » uMatth., 10, 9. 10; Marc, 6, 8. 9 ; Luc, 9, 3.) Jesus recommande aussi a ses Apotres la modeslie et 1'edifica- tion. Ils ne doivent pas aller d'une maison a une aulre, afin de ne pas conlrisler leur hote (Matth., 10, 11); ils ne doivent demander 1'hospitalite qu'a des personnes qui soienl dignes de les recevoir. (Matth., 10, 11.) Enfin il leur recommamle le desinleressement : quils n'acceptenl rien pour lesservices qu'ils rendent. Cesl graluitement qu'ils ont recu leurs dons et leurs privileges : « Donnez donc graluilement,leur dit-il, ce que vous avez recu gratuitement. » (Matth., 10, 8.) Le Sauveur fait loules ces recommandations a ses Apotres, d'abord, a cause du peuple, pour 1'inslruire el 1'edifier, vu qu'il altend un Messie riche et heureux selon le raonde ; ensuile, dans l'inleret roerae des Apotres, qu'il veut premunir conlre l'egoi'sme, la cupidile et la legerete ; enfin, dans son propre interet, puisqu'il veul fonder son Royaume sur la pauvrele et 1'humilite. Si 1'Apolre remplit son devoir, Dieu et les homraes, donl il aura favorise les inte- rels, auront soin de lui : car 1'ouvrier est digne de son salaire. Matth., 10, 10.)

G. Troisiemement, Jesus envoie ses Apotres, avec la ple- nitude du pouvoir etde la puissance, afin d'exercer le minislere apostolique. Dans ce but, il leur donne le pouvoirde precher en son nom (Matth., 10,. 7 ; Luc, 9, 2); et il y ajoule, pour les Apotres, le privilege de faire des miracles, a son exemple, de guerir les malades, de ressusciter les morts, de chasser les deraons (Matth , 10, 8; Marc, 6, 7 ; Luc, 9, 1), et, pour leurs audileurs, l'obligation d'ecouler el de suivre leurs enseigne- ments. Ils doivent seloigner du lieu ou on ne les recoit pas, et secouer la poussiere de leurs pieds en signe de cessation de toul rapport et pour marque de condamnalion de ces endurcis : car,

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au jugement dernier, ils seront traites plus severement qne les habilanls de Sodome. (Matth., 10, 15 ; Marc,6, 11 ; Luc, 9, 5.) Jesus se contente aujourd'hui de dire ces quelques molsau sujet des persecutions futures ; plus lard, quand il confiera a ses dis- ciples la mission de 1'univers, il sera plus explicite : il leur dira qu'il les euvoie comme des agneaux au milieu des loups, qu'ils doivent etre simples comme des colombes et prudents comine desserpents. (Luc, 10, 3.) Le Messie donue ici un bel exemple de sa prudence, en tantque Maitre et Instituteur des hommes.

III. Comment Jrsas fail rextssir la Mission des Apolres.

A. Les Apotres partent en mission. Jesus a soin que leurs travaux et leurs efforts soient couronnes de succes. II les pre- serve de toute souffrance et de toute persecution ; il donne a leurs paroles la benediction et 1'efficacite, et il confirme et auto- rise leur ministere par des miracles. Ils vont a travers les bour- gades, annoncant la bonne nouvelle, guerissant parlout les malades (Luc, 9, 6), chassant les demons et oignant lesinfirmes avec de riiuile. (Marc, 6, 12. 13.)

B. Les Apotres reviennent, quelques jours apres, avec un pltis grand amour pour leur vocation, une plus liaule idee du Sauveur et une foi plns feraie en lui et en sa puissance : en effet, Jesus n'a-t-il pas opere par eux les merveilles qu'il fait lui-meme, et n'ont-ils pas constate, eux et leurs auditeurs, que son pouvoir n'a point de limites? A leur retour, ils informent le Seigneur de lout ce qu'ils ont dit et fait. (Marc, 6, 30 ; Luc, 9, 10.) Nous avons la un exemple remarquable de sincerite ou de confiance filiale, et la preuve de la bonne volonte des Apotres pour se per- fectionner dans leur etat. Jesus, sans aucun doute, leur temoigne, en celte circonstance, lout son interet et toute son atfection, et les recompense suivant leur merite.

Nous avons, dans ce mystere, une raagnifique revelalion de 1'amour du Sauveur pour ses Apotres, de sa sollicitude pour leur formation, de ses sages menagementset de sa douceurdans leur instruction. De plus, nous conlemplons ici 1'Eglise, non seulement hierarchiquement constituee, mais encoTe commeii-

REPETrno\ : missiox des apotres 591

gant deja a se metlre a roeuvre. Or, les instruelions pasto- rales de Jesus sont de la plus grande importance pour tous les membres de la hierarchie sacree, instruclions qui comprennent toute la vocation aposlolique, ses fins, ses moyens et ses desti- nees. Cest surtoul la pratique des vertus apostoiiques que le Sauveur recommande alors : c'est-a-dire, 1'amour des hommes, le zelepour les secourir et le desinteressement persounel. Ges instructions sont faites evidemment pour exciter 1'amour de TApostolat, dont le but est si sublime, les moyens sont si irre- prochables et si eleves, et les resultats si glorieux. L'assislance ou la protection particuliere sous laquelle nous voyons les Apo- tres faire leur premier essai dans la carriere apostolique, doit etre aussi pour nous un motif dencouragement et de confiance.

REPETITIO.N

Nous admirons» dans ce mystere, comment le Sauveur pre- pare ses Apolres, par des exercices pratiques, a remplir les devoirs de leur nouvel elat : celte initialion est, en effet, pour les Apotres, de la plus haute importance. Jesus poursuit la forma- lion de leur inlelligence par des instructions speciales, comme nous 1'avonsdeja vu, et la formation de leur coeur en les corri- geant de leurs fautes et de leurs defauts, particulierement de leur ambition (Marc, 9, 32-44; Matth., 20, 24-28 , de leur envie (Luc, 9, 50), de leur susceptibilite et de leurs desirs de vengeance (Luc, 9, 55) : il acheve celle formation du coeur en raettant en eux les vertus apostoliques et en leur fournissant 1'occasion de les pratiquer. Or, c'est precisemenl dans le mystere de ce jour que le Seigneur s'emploie, avectoutsonzele, a cette formation apostolique et nous y voyons a quelles vertus doivent pretendre ceux qui suivent Jesus dans la carriere de TApostolat. Le Sauveur enseigne ces vertus non seulemenl par ses paroles, mais aussi et surtout par les exemples de toute sa vie publique.

592 DEIJXIEME SEMAINE

I. Pauvrele.

A. La pauvrete consisle a se dessaisir et a se priver des biens materiels et exterieurs pour des fins surnalurelles et par amour pour la perfection evangelique.

B. La pauvrele du Sauveur n'est pas une pauvrete absolue, mais une pauvrete conforme a sa vocation et adaplee aux fins apostoliques : c'est unepauvrele qui repond bien a sa vocation, a samission deDocteur.

Malgre cela, elle a ete tres grande sous tous les rapports : Habitation, Le Messie n'a pas de demeure propre et perma- nente. II est partout et nulle part chez lui, conslamment cliez des etrangers, le jour dans les rues oii sur les places publiques, la nuit en plein air, a ciel decouverl, sous les arbresou dans une caverne, a moins que des personnescompalissanles neluioffrent un logis dans leur maison ou dansun edifice public. II n'a vrai- ment pas oii reposer sa tete. (Matth., 8, 20.) Nourriture. De meme, Jesus a des moyens de vivre tres incerlains et une nourriture tres variable : aujourdMnii, il mange chez Lazare, un ami, ouchez un Pharisien, plus ou moins hostile ; demain, dans le desert, avec une grande foule de peuple qu'il nourrit miracu- leusement ; le surlendemain, en pleine campagne, sous un soleil ardent, avec ses Apotres qui broient des epis pour apaiser leur faim. (MArrn., 12, 1.) Voila le camp et lestentesdu Roi du ciel et de la terre ! Vetement. Son vetement est celui du pays et tel qu'il convient a un Docleur de la loi, mais simple, sans superfiuile ni affectalion. Sur le Golgolha on fera 1'inventaire de ses habils, de toutson trousseau. (Jean, 19, 23.) Ressources pecuniaires. Le Sauveur n'a pas d'argent sur lui ; une fois meme il ne peut payer 1'impotdu lemple. (Matth., 17, 26.) II vil, en verite, d'aumones qu'il acceple de personnes bonnes el devouees. (Luc, 8, 3; Jean, 12, 6.)

Assurement, la pauvrete du Ghrist augmente chaque jour davantage. A Nazarelh, il avait un domicile delermine et sa Mere pourvoyait a tout ; mainlenant ces secours lui manquent loul a fait, et, a sa mort, il n'aura meme pas un verre d'eau

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pourelancher sa soif, ni un morceau de toile pour.le couvrir, ni un tombeau pour sa sepulture. Merne son cadavre sera confis- que et rais sous les scelles. II avait donc bien raison de dire a un scribe : « Les oiseaux onl leurs nids el les renards leurs tanieres; mais le Fils de 1'homme n'a pas oii reposer sa tete. » Matth., 8, 20.; II esl cerlain que Nolre-Seigneur pralique une grande pauvrele et une pauvrele touchante, surloul si nous nous rappelons qui il esl et ce a quoi il pourrail pretendre. Dans ses peregrinalions, il voit des proprietes, des jardins de plaisance, des maisons de campagne, des palais, habiles par des hommes qui nagent dans l'opulence et les plaisirs ; il peut se procurer lui-meme ces avantages et ces biens terrestres, mais il n'en veut pas : quel est le prince qui se contenle et se sert d'aussi peu de choses que le Redempleur du monde ?

G. La conduite de Jesus est, sans nul doule, sage, el elle nous touche profondemenl; mais elledoit nousfaire ressouvenir, a nous qui suivons la vocalion apostolique, de la maniere dont nous devons pratiquer la pauvrete a Texemple du Sauveur. L'Apolre a robligaiion d*£tre pauvre ; le divin Maitre la lui impose (Matth., 19, 21 ; 10, 9) : c'est, d'abord, dans 1'inleret de son propre salut et de sa propre perfection ; ensuite, c'est a cause du bon exemple qu'il doit a ses audileurs ; enfin, c'est pour conserver la liberte et le courage dans ses travaux aposlo- liques Lic, 1:2, 33. 34 >, pour ne pas vivre dans la sujelion, la paresse et la mollesse, et pour raeriter ainsi les magnifiqnes recompenses temporelles et eternelles que le Seigneur lui pro- mel. (Matth., 19. 28.) II faut donc que nous soyons pauvres, pour avoir 1'esprit de Jesus et faire les travaux aposloliques. La mesure de notre pauvrele est determinee par nolre regle ; et c'est dans les limiles de nolre regle que nous devons la pratiqner conlinuellement, en toule simplicile et raodeslie. II ne nous faul poinl, en lout cas, avoir plus que lesautres ; et, a causede cela, il est tres bon de faiie, de teraps en leraps, ce qu'on appelle le scrutinium paupertatis, pour voir si. dans nolre habilalion, nos velements, toute notre maniere de vivre, il n'y a rien d'inu!ile, de superflu el de mondain.

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II. Travaux apostoliques.

A. Les travaux apostoliques, but de la mission des Apo- tres, sont les voyages, les predications, radministralion tles Sacrements et les autres oeuvres de zele pour le salut des ames. Jesusdonne, encore ici, a ses Apolres un admirable exemple de travail apostolique.

Sa vie publique est une vie de travail, de travail tivs grand et ininterrompu. II va de mission en mission. Les voyages, les predications et les guerisons des malades occupent toutes ses journees et souvent une parlie de ses nuits. Une fois, a Gaphar- naiira, il a travaille san>s relache toute la journee et il est tres fatigue ; le soir, la maison ou il se trouve est assiegee par une 1'oule de malades, venus des pays environnants : il ne lesrenvoie pas et n'abrege pas pour cela son travail. 11 aurait pu, d'un seul mot, avec une seule benediction, lesguerir tous ensemble ; il ne le fait pas, mais il va de l'un a 1'aulre, et ne les congedie qu'au fur et a mesure qu'ils sont gueris. (Matth., 8, 16.) II fait de meme, quand les meres lui apportent une multilude de petils enfants. (Matth., 19, 13.) Jamais il n'a un instant de repos, et meme quand il veut etre un peu tranquille, il est bien- 161 derange, mais jamais a regret. Cest ce qui arrive dans le desert, ou il a l'intention de se reposer avec ses Apotres : des qu'il y est, il se trouve environne d'une grande foule de peuple, qu'il se met a inslruire un long espace de temps. (Marc, 6, 34.)

Jesus n'a ni predilection, ni preference, il ne connail que le Iravail, le travail dur et penible de sa vocation. Ce travail le faligue et il le sent bien ; c'estainsi qifil se reposepres du puits de Jacob (Jean, 4, 6), et qu'il s'endort dans la barque des Apo- tres (Matth., 8, 24). Rien ne peut rempecher de travailler, ni les desagrements des voyages, ni les intemperies des saisons, ni les privations involontaires ou volontaires de 1'existence. (Matth., 4, 2; Luc, 6, 12.) Jesus est un travailleur, un bon ou- vrier. Aussi la rude vie qu'il mene laisse-t-elle des traces visi- bles jusque dans sa personne. Le soleil de ses trente-lrois ans brunit le teint de sa belle figure ; il a les mains fortes d'un

REPETITION : MISSION DES APOTRES 595

horarae de peine et ses nombreux voyages ontdurci la plante de ses pieds ; sa tele se penclie quelcpie peu sous la charge et les fatigues de son dur Apostolat, et son visage serieux porte Tem- preinte profonde des tristesses et des soufffrances d'ici-bas.

B. Le Sauveur est partout le meme. Deja dans sa vie cachee, il nous offre Texemple de 1'assiduite au travail ; il conti- nue, sous ce rapport, a nous servir de modele dans sa viepubli- que, mais avec celle difference que son travail est plus etendu, plus difficile, plus sublime et plus penible. La croix du travail est inseparable du Sauveur; elle doit etre aussi notre compagne fidele, notre principale croix, que nous porlons pour le plus grand bien des homraes. Le Ghrist et son Royaume demandent des travailleurs, et non des amateurs. (Luc, 10, 2.) L'Apolre doit etre avant tout un ouvrier, dans la force du terme. Cest pour- quoi Jesus choisit presque tous ses Apdtres dans la classe on- vriere, et il corapare TApostolal a une peche (Marc, 1, 17) ou a la culture d'uiie vigne ou d'un champ (Luc, 9, 62). Ge n'esl que par le travail que s^etend le Royaume du Christ. Et que de travail il reste encore a faire ! A cause de cela, quelle giande eslime pour le travail ont tous ceux qifanime le verilable esprit de Jesus! Heuieuses les mains et heureux les pieds qui se fali- guent au service de 1'Eglise etdes ames ! La recorapense de ces bons ouvriers sera grande dans le ciel.

LA CONVERSION DE MADELEINE

(Luc, 7, 36-50.)

I. Madeleine.

A. Jesus est assis a la lable d'un Pharisien. Pendanl le repas, une fenmie s'approche du Sauveur. II parait qu'elle est riche, puisqifelle apporle un precieux vase d'albatre, rempli de parfum. Son caractere est noble, mais elle est disposee el portee au mal comme au bien. Son mal est evident, il esl public, et, quoi- qu'il ne soit pas de la pire espece, il est pourlant assez delesta- ble ; vraisemblablement, elle vit dans le desordre avec des per- sonnes de son rang : cetle sorte de scandale peut bien elre donnee, helas ! pardes membresde la plus haule societe. Made- leine est donc un coeur devoye, une perle dans la boue.

B. Maintenant elle veut reparer sa inauvaise conduite en s'amendant et en se converlissanl. Sa conversion est remar- quable par trois verlus qu'elle pralique et manifeste. La pre- miere est la foi (Luc, 7, 50) : la foi est comme un prelude de sa conversion. La pecheresse de distinclion a sans doule ete lou- chee et ebranlee par les enseignements, les miracles et les qua- lites admirables de la Personnalile du Sauveur. Sa conduile prouve qu'elle reconnail Jesus non seulemenf comme un Pro- phete, mais encore comme Dieu meme, qu'elle a offense. Les paroles du Seigneur : « Elle a beaucoup aime, el c'est pourquoi ses peches lui sont pardonnes », nepeuvent etre prononcees par un homme. (Luc, 7, 47.)

La secoide verlu de Madeleine convertie est sa profonde humi- lile. Elle se rend parfaitement comple de ce qu'elle est, elle a la

LA CONVERSION DE MADELEINE 597

conscience d'etre la grande debitrice qui ne peut payer ses det- tes. (Luc, 7, 41. 42.) Aussi veul-elle se montrer publiquemenl. se jeler aux pieds de Jesus et implorer son pardon. Elle arrose les pieds du Messie de ses larmes ; elle les essuie ensuite avec ses cheveux, comme si ses larmes elaient indignes de reslersur les pieds de Jesus : voila vraiment un exemple de profonde humilile de la part d'une femme orgueilleuse ! (Luc, 7, 38.)

La troisieme et principale vertu de sainle Madeleine, dans ce mystere, est son amour, amour que Jesus lui-meme se plail a faire ressorlir. (Luc, 7, 47.) Cest, d^abord, un amour repen- tant : la pecheresse a un sincere regrel de ses fautes et de son eloignement de Dieu, le souverain Bien, qu^elle vienl de retrou- ver. Cest, ensuite, un amour reconnaissant du pardon deses nombreux peches (Luc, 7, 47) etde sa delivrance clu pouvoir de Satan. (Luc, 8, 2; Marc, 16, 9.) Bien que sa contrition parfaite lui ait deja remis ses fautes, Madeleine veut voir son plus grand Bienfaiteur lui temoigner sa reconnaissance et entendre de la bouche meme de Jesus la parole de son pardon. L'amour de Madeleine est, enfin, un amour plein de zele pour 1'honneur du Messie. Eile a ete lernoin, ce semble, du manque d'egards pour Jesus du Pharisien qui Ta invile a sa table : elle ne peut le supporter, et elle veul, publiquement, dans la maison meme de cet homme, rendre a Jesus tous les devoirs de rhospitalite. (Luc, 7, 44-46.) En un mot, Marie-Madeleine aime Jesus d'un amour vrai, parfait, debordanl; elle Taime comme il convient d'aimer un Dieu. Qui ne serait touche a ce spectacle, a la vue de cette scene, ou la foi, le repenlir et ramour de Madeleine jouent les principaux rdles?

II. Le Pharisien.

La Pharisien esl loutle conlraire de Marie-Madeleine.

A. D'abord il est sans foi. II ne voit pas rn6me dans Jesus un prophele. D^ordinaire, laconnaissance des cceurs est regar- dee comme une des allributioiis des prophetes, et le Sauveur a, plus d'une fois, donne des preuves de cette connaissance. Mais, d'apres 1'idee du Pharisien, Jesus ne sail pas meme ce quest celte femme qu'il a devant lui. (Luc, 7, 39.)

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B. Le Pharisien est, de plus, un orgueilleux. II ne doit rien a personne; et, dans la conscience de sa parfaite honnetele, il regarde avec mepris ou peu de consideralion aussi bien Jesus que Marie-Madeleine. Cest Madeleine quia desdeltes, c'estelle qui est la femnie perdue, indigne de toute marque d'estime. Pour lui, il est incomparablement meilleur, il ne doit rien, pas meme cinquanle deniers. (Luc, 7, 41.) Au contraire, il fait a Jesus 1'honneur de sa tableet deson hospitalile,et, s'il supporle la pecheresse danssamaison, c'est qu'il le veut bien.

G. Enfin, le Pharisien se monlre sans coeur, ne temoigne aucune affection. II peut bien n'avoir invile le Seigneur que pour des motifs purement humains ou mondains, par curiosile ou dans une mauvaise intenlion. En tout cas, il traite son Hote avec une grand froideur et sans les egards convenables. II ne lui donne meme pas les marques ou les temoignages d'amitieet de politesse dont, en Orient, les hotes estimables et de qualite sont, d'ordinaire, 1'objet. II ne le salue pas par un baiser, il.ne lui fait pas laver les pieds ni oindre la tete de parfums ; ce sont les remarques que lui adresse meme Jesus. (Luc, 7, 44-46.) Peut-etre aussi qu'il s^iudigne et contre Madeleine qui ose rendre a Jesus, dans sa propre maison,les devoirs de 1'hospita- lite qu'il ne lui a pas rendus, et contre Jesus qui tolere une pareille conduite... II montre bien par la a quelle caste ou & quelle secle il appartienl : il est un verilable Pharisien.

III. Le Sauveur.

Jesus ne peut rester indifferent a la conduite du Pharisien et a celle, si differente, de la Pecheresse. Gonsiderons donc main- tenant la conduite du Messie :

A. Premierement, le Sauveur se justifie lui-meme et prouve qu'il est bien prophete, en devoilant les secrets des cceurs, en revelant au Pharisien ses plus intimes pensees (Luc, 7, 40) : il lui fait voir clairement par la combien la Pecheresse est plus digne dindulgence el de pardon que lui-m6me.

B. Deuxiemement, Jesus condarane le Pharisien, d'abord avec une grande finesse et une grande delicatesse : il lui pro-

I.A CONVERSION DE MADELEINE 399

pose, en eflet, une parabole, dont les terraes, en apparence, sonl loin dVlre insidieux ; et par les reponses qifil provoque, il fait prononcer au Pharisien lui-merae la sentence de sa propre condaranalion. (Luc, 7, 41-43.) Ensuite, Jesus condamne le Pharisien noblement, courageusementet severement, mais aussi avec douceur et menagement, en faisant lui-meme rapplication de la paraboleau Pharisien. Le Sauveur peut bien, par humilite et abnegation, tolerer une atteinte a son estime et a son hon- neur; mais il a pleinement conscience de sa dignite, et il saiten revendiquer les droits quand et comme il lui plait. 11 confond 1'orgueil du Pharisien, en lui disant quil a aussi des detles, quoique pas aussi grandes que celles de la Pecheresse. Jesus ressent avec douleur le manque de reconnaissanceet d'amourdu Pharisien pour lui et lui suggere la pensee que peut-elre il ne 1'aime plus et est ainsi indigne de pardon. II lui fait voir que la Pecheresse a une eharile incoraparablement plus grande que la sienne. (Luc, 7, 47.) Que lui importe le repas qu'il lui oflre plus ou raoins a contre-creur? Ce qui satisfait le Messie, c'est ramour, cVst la charite.

C. Troisiemement, Jesus justifie avec eclat la Pecheresse a cause de sa foi et de son amour. Ilaccepte tres volontiers tous ses lemoignages d'araour, qu'il remarque el enumere avec soin. (Luc, 7, 44-46.) II lui pardonne ses peches en consideration de son amour. Ilest, sans nul doute, touchant etencourageant dVn- tendre le Sauveur parler de Pamour, et assurer souvent qu'il pardonne a ceux qui 1'aiment. (Luc, 7, 47. 48.) La mesure de Tamour est la cause preparaloire et la mesure du pardon, de meme que ia mesure du pardon est le motif, le stimulant et la mesure d'un nouvel amour. (Luc, 7, 42. 47.) Enfin il rend a la Pecheresse son araour. On sent aux paroles de Jesus combien Tarae de Madeleine lui est chere, qu'il la regarde comme sa propriete, quil ia defend et la prend sous sa protection, meme au peril de passer pour un blasphemateur par rassurancedu par- don qifil lui donne. (Luc, 7, 49.) II congedie Madeleine en la confirmant dans la paix. (Luc, 7. 50.) Or, qui est en paix avec .b'sus, a en Jesus le gage de tous les biens.

La conversion de Marie-Madeleine, la Pecheresse, est un

GOO DEUXIEME SEMAINE

evenement bien propre a toucher nos coeurs. Gomme le Sauveur y monlre son grand et beau caraclere, sa delicalesse, son intre- pidile, mais surloutsa bonteet sa misericorde pourles pecheurs repenlants ! Avec quelle bienveillance il accueille la pauvre Pecheresse ! 11 ne voit que le cceur, que 1'instanl presenl. 11 oublie lout et il accorde le pardon de tout en presence d'un amour sincere.

Le Messie donne, egalement ici, la confirmation solennellede la puissance cpiil a de remeltre les peches, el se revele comme le Dieu el le Juge a la fois juste et misericordieux, aqui rien ne peut elre cache.

REPETITION

A. Le mystere de la conversion de Marie-Madeleine met, avanl toul, sous nos yeux Timage de labienfaisance du Sauveur. Gelte bienfaisance est un des principaux exemples de verlu que Jesus nous donne dans ses rapports avec leprochain. Nous avons ici, en particulier, un exemple de sa bienfaisance ou de sabonte a Tegard des pecheurs, el nous allons nous efforcer de completer et d^achever ce magnilique tableau.

Les pecheurs sont les plus panvres et les plus miserables enlre les malheureux, el c^est pour cela que Jesus leur temoigne sa bonle dans une mesure si extraordinaire. 11 ne les dedaigne ni ne les meprise, comme le font les Pharisiens. II court apres eux et il recherche leur compagnie : par exemple, il rencontre volonliersla Samaritaine (Jean, 4, 6) et les publicains. (Mattii., 9, 10.) Quand il trouve ensemble une foule de pecheurs, il leur fait une instruction et il leur parle dansdes termes tres moderes el tres encourageanls, non pas de Tenfer ni du pelit nombre d'elus, mais du pardon et du ciel. Ses paraboles les plus tou- chanles, la drachme perdue, la brebis egaree, Tenfant prodigue, sonl adressees aux pecheurs. (Luc, 15.) II veul aussi que les autres hommes, en particulier les Pharisiens, aient envers les pecheurs les memes sentiments de bonle et de misericorde que lui : c'est d'ailleurs un des buts principaux de ses paraboles.

REPET1TI0N : CONVERSION DE MADELEINE 601

Lui-meme dit qu'il est venu surtoul a cause des pecheurs. (Matth., 9, 13.) Si les pecheurs s'approchent de Jesus, il les accueille avec bonle fainsi la femme adullere : Jean, 8, 10) ; il penelre dans leur conscience delicatement el habilement (Jean, 4, 16 : exemple de la Samarilaine) ; il les console avec beau- coii|) de douceur el ne leur impose qu'une legere penitence (Jean, 5, 14; 8, 11 ; Luc, 7, 50). Une fois converlis, ils devien- nent ses amis, et il les defend quand ils sonl attaques : nous le voyons dans Fexemple de Madeleine. Ils peuvent toujours compter sur son amilie la plus sincere. Le Seigneur se montre ainsi le bon Pasleur de lout ce troupeau de brebis perdues, et il est ponr elles la misericorde incarnee ou personnifiee : il veut etre en cela le modele que nous devons lous imiter.

B. De plus, rimporlance de ce mystere resulle de ce qu'il nous montre jusqu'011 une ame devoyeepeut aller avecle secours de la grace de Dieu. La procedure ou la marche de la justifica- liou du Chretien est parfaitement indiquee ici. Cest, d'un c6te, la foi qui la commence, suivie du repenlir el, de Faveu des faules, et de l'amour ou de la charite, el, de Fautre, c'est la misericorde el le pardon qui raccomplissenl et 1'achevent. Nous voyons en parliculier, dans la conversion de Marie- Madeleine, 1'action reciproque de l'amour et du pardon des fautes. L'amour est la cause preparatoire de la remission des peches (Luc, 7, 47); mais 1'amour est surtout excile par la grandeur de la delte ; la remission de cette delte devient, a son lour, le stimulanl dun nouveau et plus grand amour (Luc, 7, 42. 47). Le passe du pecheur n'est donc pas un obstacle a l'amour de Dieu, a 1'union !a plus intime avec lui : nous en avons la preuve la plus convaincante dans la conversion de Madeleine. Oui, en comparant Madeleine et le Pharisien, nous recueillons celte lecon que la vie d'une ame ardenle, devoree par les flammes d'un amour excessif et deregle, deplait moins a Dieu qifune existence moins coupable, qui se complait dans une fausse et inerte securite.

La conversion de Madeleine nous offre un exemple remar- quable des effels ou des resultats que doivent produire en nous la premiere et la seconde semaine des Exercices. Gomme la

002 DEUXIEME SEMAINE

Pecheresse atleint parfailement le but de la premiere semaine, en reconnaissant el en deteslant ses peches, le desordre de sa vie, la vanite et la malice du monde ! Comrae elle prend a cceur les paroles de saint Ignace : Quid debeo facere pro Christo ? C'est dans ces sentiments de 1'amour repenlant et de la genero- site qu'elle s'approche du Christ, et qu'elle entend 1'appel qu'il lui fait. Avec quelle resolution etquel courage elle suit cel appel, elle se decide a combaltre sa.propre sensualite et Taraour de la chair et du raonde ! Elle donne ici une preuve eclatanle de sa conversion et elle la donnera pendant toute sa vie, alors qu'elle sera dans la compagnie des autres saintes femmes, Marthe, Jeanne, etc... II est tres instructif et tr6s encourageant de considerer comme le Sauveur appelle aussi les femmes a le suivre ouarimiter etcomment elles sont fideles a leur vocation. D'abord, Jesus les appelle a la saintete personnelle; il com- mence par les delivrer des demons et les sanclifier. Ensuile, il les appelle a remplir un office special et a exercer leur activite dans son Royaume : il faut qu'elles cooperent a TApostolat evan- gelique, au moins mediatement, par leurs aumones, leur travail et les ceuvres de misericorde, qui contribuent tant a la propa- gation de la foi chrelienne. Et cette vocation des femmes est digne d'envie : car il est bien beau de fournir a Jesus et a son Royaurae les ressources teraporelles qui leur raanquent ; et elle est fres iraportante, puisque TEglise, etant dans le monde, a besoin des subsides du monde et que les biens du monde pre- parent souvent la voie au Regne du Ghrisl dans les coeurs des hommes; enfln, la vocation chretienne des femraes est enviable a cause des raagnifiques recompenses qui sont assurees a celles qui y sont fideles. Pour Marie-Madeleine et les saintes Femmes, elles suivent leur vocation fidelement : aucune faligue ne les arrete, et elles poussent 1'oubli d'elles-memes jusqu'au complet sacrilice, comrae nous le voyons au pied de la croix du Sauveur. Leur exemple doit etre imite de tous ceux qui veulent suivre la vocation apostolique.

G. Maintenant il ne nous reste plus a nous-memes qu'a prendre la resolution d'imiter le Seigneur Jesus dans sabonte et sa raisericorde pour les pecheurs. Gorabien d'ames se perdent,

APPLICATIOX DES SENS '■ CONVEJRSION DE MADELEINE 603

parce queUes ne trouvent personne qui sapproche d'elles? Et pourtant qui sait ce quelles auraient pu devenir dans 1'Eglise du Ghrist? La conversion de Madeleine en est une preuve ecla- tante. Les hommes n'ont pas tant besoin d'etre humilies et abattus que d'etre encourages et releves. D'ailleurs, nous aulres prelres, uous ne sommes pas les olTenses, nous ne sommes pas Dieu, nous sommes seulement des medialeurs et des reconcilia- teurs ! Nous ne sommes pas des bourreaux, mais des medecios ! Le bon Pasleur n'a pas frappe la brebis perdue, mais il l'a prise sur ses epaules el rapportee dans le bercail. Voilci 1'esprit de Jesus ! NttttS vivons sous le Nouveau Testament, et non pas sous TAncien, lequel etait un Teslament de crainte et d'epou- vante.

APPLICATION DES SENS

A. II esl vraisemblable que le Sauveur vient de precher daus la localite oii a lieu la conversion de Marie-Madeleine ; il a parle soit dans la synagogue, soil en plein air devant une grande foule de peuple. Madeleine a assiste a sa predication ; la force et la beaute des paroles du Christ ont touche et bouleverse sou cceur, et la grande dislinclion de la personne de Jesus a tout k fait ravi son ame. Elle regrette et deteste sincerement sa conduite passee ; et, sans doule, les miracles du Sauveur, guerisons de malades et delivrances de possedes, donl elle a ele temoin, Tont amenee a croire fermement a la Mission divine et k la verite de la Divinile de Jesus. Elle voil en lui non pas seulement le Pro- phete et Thomme de Dieu, mais encore Dieu meme, le souve- rain Bien, qu'elle a jusqu'^ ce jour oflense et meprise. Cest pourquoi elle veut lui faire une amende honorable publique, entendre de sa bouche la parole du pardon, et reparer son scan- dale public par une penilence publique. Madeleineaun caractere noble et un esprit tranchant, mais qui se decide avec aulant de facilite pour le mal que pour le bien ; elle se montre toujours entierement ce qu'elle esl. A toutprix ellecherche a s'approcher en personne de Jesus, et, n'ayant pu, ce semble, penetrer, au

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dehors, jusqu'au lieu ou il enseignait la foule, elle se met a le suivre. 11 est d'usage d'offrir un repas de fete aux docleurs de passage qui viennent d'inslruire le peuple. Un Pharisien s'avance pres de Jesus et Tinvite a nianger avec lui. II fait cette demarche non pas tant par amilie et par respect pour leMessie, comme on le verra bientol, queparegard pour la coulunie elablie el pour le peuple, de peur de paraitre impoli; peul-elre aussi agit-il dans une mauvaise inlention, afin de pouvoir importuner Jesus par toute sorle de questions el de ie mellre dans l'em- barras el dans une facheuse siluation. Le Sauveur connait son hole, qui est bien un fils de sa race el un veritable membre de sa secte. II acceple neanmoins 1'invital.ion du Pharisien, pour ne pas olfenser ni choquer personne; d'ailleurs, il n'evite jamais les croix qui se trouvent sur son chemin el il veut au moins faire du bien a une pauvre ame, a Madeleine la Pecheresse. Jesus enlre avec ses Apolres dans la maison du Pharisien ou dans une hotellerie ou il y a deja d'aulres Pharisiens, invites comme lui. La salle du feslin louche a une cour, dont elle n'est separee que par des colonnes, des parapets el cles treillis de peu de hau- teur ; les enlrees en sonl libres. En Orienl, la reception d^un hote etranger el illuslreest presque un evenemenlpublic. Les voisins et les amis y viennent, et du fond de la salle regardent et ecou- tent toul. Cesl ainsi qifau repas, offerl a Jesus par le Pharisien, il peut se trouver beaucoup de personnes qui, des baluslrades, observent tout ce qui s'y passe. Parmi ces personnes on dislin- gue Marie-Madeleine qui n'atlend qu'une occasion pour s'appro- cherde Jesus. Madeleine estgrande, forle, et a un porlimposant. Ses cheveux sontblonds, longs et epais, el leleint de son visage esl beau et d'une grande fraicheur. Elle porte un long voile, et, sous ce voile, on apercoit les boucles de ses cheveux et une coiffure ornee de perles. Son corsage est varie, avec des brode- ries blanches el rouges ; sur sa robe plissee esl jete un manteau, parseme de fleurs d'or, qui se rejoint par le devant et est alta- che a la taille ; les manches de sa robe, qui se lermine en queue, sonl fixees aux avant-bras et pres des epaules pardes agrafes de diamants.

Quanl a Jesus, il n'est pas recu par le Pharisien avec les

APPLICATION DES SENS : CONVERSION DE MADELEINE 605

egards convenables. On ne lui donne pas les temoignages d'hon- neur, dns au\ liotes estimes et aimes. Le Pharisien ne lui fail pas laver les pieds ; il ne Taccueille pas avec 1'accolade et le baiser d'usage ; aucun parfum nebruledans la salle, etpersonne ne repand sur Jesus les eaux odoriferanles. II est conduit froi- dement a sa place, et le repas commence. Les hotes sont genes el paraissenl peu sympalhiques a Jesus, qu'ils regardent avec une curiosite indiscrele et des signes d'aversion. Mais la con- versation finit par se mellre en train. Le Messie commence, suivant son habilude, k parler, d'une maniere aisee, sur le lon des paraboles, assaisonnant sesdiscoursde remarquespiquantes et de traits edifiants. II s'adresse bienlot directemenl aux Phari- siens, qui nallendaient sans doute que le momenl de discuter avec lui.

B. Madeleine n'y lient plus. Elle esl troublee, ebranlee et complelement subjuguee par toul ce qifelle a entendu et vu de Jesus pendant cetle annee. Elle a des sentiments nobles et genereux, et il s'agit pour elle dapprocher Jesus non seulement pour lui demander pardon de ses fautes, mais encore pour lui faire reparation des indignes traitemenls dont il est 1'objet. Elle atout observe, et elle est revoltee de voir qu'on ne rend pas au Docleur admirable, tres saint et tres sage, au Bienfaileur des bommes si bon el si liberal, au Fils de Dieu meme, les h'on- neurs convenables, pas meme les bonneurs de 1'hospilalile, et, bien plus, qu'on se conduit a son egard d'une facon choquante et injurieuse. Elle veut, elle, a la place de tous les convives, remplir envers lui lous les devoirs de 1'hospilalile. Elles'avance donc dans la direction du Sauveur el s'inc!ine profondement. Sa tele esl voilee et elle a dans la main un pelil vase d'albalre blanc, ferme avec un bouquet de verdure. Tous ses mouvemenls sont rapides, et bienlol ellese lrouve aupres de Jesus, derriere le coussin sur lequel il est elendu. Elle se prosterne alors fievant lui el se met a pleurer amerement. Elle arrose les pieds du Sau- veur de ses larmes et des parfums qu'elle a apporles, et les essuie avec sa belle, longue et moelleuse chevelure qui est deliee el tout en desordre. En ce moment, Marie-Madeleine est loule a son repentir, a la honle et a la douleur de ses peclies ; mais sa

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confiance dans la bonte de Jesus est absolue; elle est ravie d'admiration et d'amour en presence de sa grandeur et de sa majeste. Elle s'estime mille fois heureuse de pouvoir lui temoi- gner publiquement sa reconnaissance, son respect et son amour. Et le Sauveur, dans sa bonte, la laisse faire en loute liberle.

G. Gelle inlervention soudaine de la peclieresse fait aussi- 161 cesser les conversations des convives du Pharisien. II regne un profond silence, et tous les regards sont tournes dti c6te de Madeleine et de Jesus. La bonne odeur des parfums se repand dans toule la salle. Le Sauveur cesse aussi de parler, mais Madeleine n'est pas de sa part, exterieurement du moins, 1'objet d'une allention particuliere. On voitles t6tes de quelques Phari- siens se rapprocher et chuchoter entre eux des paroles dedesap- probalion et de desobligeanceau sujetdeMadeleine, sur laquelle ils jettent des regards meprisanis et mecontents. Mais c'est sur- tout le Pliarisien, presidant la table, qui parait irrile : il ne peut comprendre qtte Jesus accepte quelque chose d'une femme, et surtout d'une femme comme Madeleine. II la connait sans dou1;e ; ila remarque ses toilettes voyantes et luxueuses. « Si Jesus est Prophele, se dit-il a lui-meme, il doit savoir ce qu'est eelle femme ; Jesus se montre un triste Prophete, en ayant si pen de perspicacite et en permetlant tine telle inconvenance. » Ils'aban- donne a ses pensees et a sessentimentsdefavorables a la Peche- resse et meme ati Messie. Le Sauvetirvoit le demon despensees et des jngements temeraires agir sur 1'esprit des convives ; il remarque surtout rindignation pharisaique de son hole, qui, dans la pleine conscience de sa jtistice personnelle, se croit doublement saint dans un pareil milieti. Alors Jesus inlerrompt subitement le silence et dit : « Simon, j'ai quelqtie chose a te dire. » « Diles », repond le Pharisien. « Un creancier avait deux debiteurs, contintie Jesus ; comme ceux-ci ne pou- vaient le payer, il letir remil leurdette. » Ptiisadressanta Simon une question, bien innocente en apparence : « Lequel des deux debileurs, ajoute Jesus, a, d'apres vous, plus d'afTeclion ponr le creancier? » Simon replique aussilot : « Gelui a qui le crean- cier a fait une remise plns grande. » « Tres bien », s'ecrie

APPLICATION DES SF.NS : GGNVBRSION DE MADELEINE 607

Jesus, qtii coramence de suile a appliquer la parabole a Siraon et a Madeleine. « Vois-tu cette femme ? dit le Messie a Simon. Sur ton invitation je suis entre dans tamaison, mais tu ne mas pas offerl d'eau pour iaver mes pieds ; elle me les a laves de ses larmes et essuyes avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donne le baiser de bienvenue; elle n'a cesse, depuis son entree, de me baiser les pieds. Tu ne mas pas oint la I6le de parfums ; pour elle, elle en a repandu meine sur mes pieds. » Jesus a vu et remarque toutes les marques d'amour de Madeleine. Ges temoi- gnages lui sont treschers et il les recoit tres volontiers ; quant a la conduite du Pharisien, il en est indigne, et, dans la conscience de sa dignite offensee, il ressent vivement tous les manques d'egard dont il est 1'objet.

Maintenant le Sauveur arrive a la conclusion de sa parabole. II dit : « Gelle femme a beaucoup peche, il est vrai, mais a present elle aime encore plus, et, pour cela, ses nombreux peches lui sont pardonnes. Pour toi, Simon, tu as peche aussi, beau- coup moins qu'elle sans doute ; mais tu n'aimes pas aulant qu'elle, meme tu n'aimes pas du tout, quoique tu te croies in- comparablement meilleur qu'elle. Or, il n'en est pas ainsi. Tu ne m'as temoigne aucun amour, et elle, pour le remplacer, a raonlre toute la perfection de 1'amour. » Alors, se tournanl vers Madeleine, Jesus lui adresse, a haule voix el avec une grande bienveillance, ces consolanles paroles : « Tes peches te sonl pardonnes. » Qui pourrait comprendre la consolation de Ia Pecheresse en ce raoment? Elle vient de recevoir, de la bouche merae du Sauveur, 1'assurance du pardon de ses peches. Qui donc ne se rejouirait pas avec elle? Mais les Pharisiens sont loin de parlager sa joie. Ils s'offensent de la parole de Jesus et disent entre eux-memes : « Quel est celui qui s'arrogele pouvoir de remettre les peches ? Ne commet-il pas ainsi un blaspheme? Est-ce que par hasard il veut se faire Dieu ? » Jesus ne daigne meme pas les regarder, mais, confirmant avec force ce qu'il vient d'avancer : « Ta foi t'a sauvee, dit-il a Madeleine. Ya en paix. » M^arie-Madeleine comprend parfaitemenl les i^aroles du Sauveur. G'est en croyant fermement a la Divinile de Jesus quVlle est venue se jeter a ses pieds avec une entiere confiance

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et loute la sineerite de son repenlir. Jesus n'a pas trompe son attenle. Elle emporle avec elle le plus precieux de tous les tre- sors, le resume de tous les biens du temps et de 1'eternile, la paix avec Jesus, avec Dieu et avec sa propre conscience : les paroles de Jesus operent dans le coeur de Madeleine lout ce qifelles signifient. Alors elle quitle la salle, Tame toule remplie des plus doucesemolions et de la plus delicieuse paix.

LA MULTIPLICATION DES PAINS

<Jean, 6, 1-16 ; Luc, 9. 10-17 ; Marc, 6, 31-46 : Matth., 14, 13-22.)

I. Occasion et cause du Miracle.

A. LToccasion ou la cause eloignee de la niulliplicalion des pains se trouve dans les circonstances preparaloires de ce mi- racle. On en distingue trois principales :

Premierement, le Sauveur, pour se souslraire aux embuches d'Herode et donner un peu de repos aux Apotres revenant de leur mission, veut traverser le lac et se rendre dans une petite piaine, situee au nord-est, entre Bethsaide (Julias), le lac et les hauteurs s'etendant a Texlremite de la plaine.

Deuxiemement, le peuple, apres avoir vu la barque de Jesus se diriger du cote de Bethsaide, prend aussilot, pour le rejoindre, lavoie de terre, qui longe le bord du lac : la multitude se divise en diflerents groupes, dont chacun se charge de ses malades et de ses infirmes. Une fois arrivee pres du Sauveur, la foule du peuple nele quitte plus de lajournee, tellement elle est altachee a sa Personne et a sa doctrine. Naturellement, le soir, la faim survient, et cette multitude n'a rien a manger. Matth., 1-4, 13. 14.)

Troisiemement, dans cette necessile, les Apolres avertissent Jesus de renvoyer le peuple, pour qifil cherche un abri et de la nourriture dans les localites voisines. iMatth., 44, 15.) Tel- les sont les trois circonstances, les trois causes eloignees du miracle de la multiplication des pains.

B. Mais la cause propre et verilable de ce miracle est la

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corapassion de Jesus, sa bonte et sa rnisericorde. Cela ressort clairement de 1'entretien du Sauveur avec ses Apotres. « Pour- quoi les congedier? dit Jesus. Donnez-leur vous-mernes a raan- ger. Gombien de pains avez-vous ?. . . Apportez-les. Faites asseoir tout ce monde. » (Matth., 14, 16-19.) « Dej& Jesus, remarque 1'Evangeliste (Jean, 6, 6), savait bien ce qifil voulait faire. » Le Sauveur a pitie de la faim du peuple, parmi lequel il y a beaucoup d'enfants et de femmes. Ils ont tous fait un long chemin pour venir le trouver, et ils sont restes toute la journee pres de lui raalgre le manque de nourriture.

II. Le Miracle.

A. Le miracle lui-raerae attire, d'abord, notre altenlion. Au pointde vue naturel, il est de la plusgrandeimporlance : en effet, Tobjet en est 1'essence meme des choses, il y aici une mul- tiplicalion de la meme substance ; de plus, ce miracle est fait en faveur non d'un seul homme, mais d'une grande multitude d'hommes, et renouvele autant de fois qu'il y a d'individus pre- sents ; enfin, il est public, solennel et d'une evidence incontes- table. Sans nul doute, c'est surtout par ce miracle que Jesus est devenu populaire.

B. Ensuite, il nous faut considerer l*inlention du Sauveur dans ce miracle : oulre la manifeslationde sa bonte,il veut faire un coup d'autorite, une action d'eclat, afind'augmenler la foi du peuple el de ses Apotres. Cette intention de Jesus apparait bien dans le petit conseil qiul tienl avec ces derniers. On y constate que la nourriture de tant de personnes n'est pas possible natu- relleraent, et que d'ailleurs les Apotres ne songent pas a un rai- racle pour secourirla fouledupeuple. « Neles renvoyez pas, leur dit le Sauveur ; donnez-leur a manger. » « Devons-nous aller dans les environs acheler du pain ? » repondent les Apotres. (Marc, 6, 37.) Le Seigneur dit a Philippe : « Ou pourrions- nous acheter assez de pain? » Philippe pense que 200 deniers de depense (187 fr. 50) ne suffiraient pas pour pouvoir donner a chaque individu seulement un morceaude pain. » (Jean, 6, 7.) « Combien depains avez-vous? Informez-vous. » (Marc, 6, 38.)

LA MLLTIPLICATION DES PAINS 611

Andre rapporte qifun enfanl a cinq pains d'orge et deux pois- sons ; « inais, ajoule-l-il, qu'est-ce que cela pour tant de per- sonnes? » Jean, 6, 9.) Nous concevons tres bien, par tous cesdetails, la grandeur du miracle que Jesus va operer, de ce miracle si propre, sous tout rapport, a agir fortement sur les ames des personnes qui en seront temoins et a accroilre leur foi. Aussi 1'Evangile dit que Jesus parle de cetle maniere a Phi- lippe pour voir si son Apotre penche du cote d'un miracle en faveur de la foule, mais que « lui-meme sait tres bien ce qifil doil faire ». 'Jean, 6, 6.)

C. Enfin, il nous faut considerer la maniere dont le Sau- veur fait le miracle. Premierement, il le fait avec un ordre et un calme parfaits. Les Apotres sont charges de diviser le peuple en groupe de cinquante et de cenl personnes. Deuxie- mement, Jesus opere la multiplication despains avec une grande piele : il prie son Pere celeste et montre combien il lui est tout devoue. II benit les pains et plus tard veille a ce que les restes nen soient pas perdus. Tfoisiemement, il laisse, avec une grande bienveillance ses Apotres prendre part au miracle, soit que le pain se multiplie enlre leurs mains, soil qif ils en fassent eux-meraes la distribution. Quatriemement enfin, le Seigneur montre, en cetle occasion, la plus grande liberalite. Tout le monde est rassasie, chacun peut prendre le pain qiiil veut. et, quand le repas est termine, il reste encore douze corheilles de pain. La liberalile de Jesus a donc ete veritablemenl royale. Les convives elaient au nomhre de cinq mille, sans compter les femmes et les enfants. Tel est le miracle de la multiplication des pains, considere sous son cote exterieur. Les sentiments interieurs du Messie sonl la bonle, la bienveillance, lamour, la joie et la reconnaissance envers Dieu.

III. Les Ejfets du Miracle.

A. Les effets de ce miracle doivent, naturellement, etre extraordinaires. La multiplicalion des pains durant assez long- temps et le miracle se renouvelanl s;ms cesse en faveurdes per- somies presentes, il ne faut pas sVtonner de voir !<■ peuple

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donner libre carriere a son admiralion, a sa reconnaissance et a son enthousiasrae. Ge prodige rappelle celui de Moise, nour- rissant miraculeuseraent les Hebreux dans le deserl ; et-1'on comprend tres bien que des voix se soient elevees de tous cotes pour dire de Jesus : « IN"est-il pas le grand Prophete, le Messie attendu? » Aussi lidee vient bientot aux Galileens, si vifs et si impressionnables, « deleproclamerRoi ». (Jean, 6, 14. 15.) Gette resolulion s'explique pas la reconnaissance et renthousiasme dont Jesus est lobjet, et aussi par la conviclion qu'il est le Messie. Mais c'esl a torl que ce peuple croit que le Royaume du Christ est exlerieur et terrestre. Le bien et le mal, la foi et rincredulite, la gratitude et 1'egoi'sme agissent de concert dans cetle ciiconslance extraordinaire.

B. Le Sauveurconnail leur projet et, pour le dejouer, il fait aussitol embarquer ses Apotres, congedie la foule et s'enfuit immedialement dans la montagne pour prier. (Jean, 6, 15. 16.) Ge mystere est d'une tres grande importance pour Jesus, dont il revele le caractere. Jesus y montre, d'abord, son Goeur, rem- pli de zele et d^amour pour les hommes, au point de s'oublier lui-merae, des qu'il s'agit de les secourir ; ensuite, la piete de son ame, qui lui fait commencer tout avec Dieu et accomplir tout pour rhonneur de son Pere celeste ; enfin, la generosite de son caractere : ne veul-il pas partageravecses Apotresla gloire d'un grand miracle et ne fuit-il pas les honneurs de la royaule? De meme, le miracle de la multiplication des pains ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine de la puissance du Sau- veur, dans le raonde des lypes ou des figures bibliques, et sur les deslinees de la vie future de Jesus. Ge prcdige esl le prelude et rimitalion de rEucharistie. Cet evenement a aussi son importance pour les Apolres. Ils s'y monlrent dans 1'exercicede leur charge officielle, comme les medialeurs enlre le peuple et le Messie. Jesus les consulte et ils onl leur partdans roperation ou raccomplissement du miracle : ils se preparent ainsi a leur vocation glorieuse, s^acquiltant deja de fonctions semblahles a celles qu'ils rempliront plus lard dans l'adrainistraliondu Sacre- ment adorable de nos autels.

P.EPETITION : MULTIPLICATION DES PAINS 613

REPETITION

La raultiplicalion des pains est un des nombreux rairacles du Sauveur. Or, tous les rairacles de Jesus ont une double portee ou un double but : ils sout des preuves et de sa puissance et de sa bonte. Pour nous qui avons la vocation apostolique, il est tres imporlant de considerer les rairacles de Jesus sous ce dernier rapport, c'est-a-dire comme des manifestalions de sa bonte : ie present miracle d'ailleurs nous y amene nalurellement.

A. Le miracle de la mulliplication des pains nous raontre le Sauveur dans 1'exercice de sa charite et de sa liberalile envers les necessileux. Cest specialement pour eux qu'il est plein d'amour et de bienveillance. Presque lous ses rairacles sont des guerisons de raalades, des delivrances de possedes, des resur- rections de morts ou bien d'aulres ceuvres de bienfaisance en faveur de ceux qui souflrent ou se trouvent dans le besoin. Les necessiles teraporelles et corporelles ne sont pas exclues de la liberalile de Jesus ; au conlraire, il aiine a lirer les liommes d'embarras ou de necessites qui ne sont pas toujours extremes : par exemple, aux noces de Gana (Jean, 2, 9), et dans la double raultiplication des pains... Parfois il n'attend pas les raalades, il va lui-meme les trouver : ainsi le paralytique (Jean, o, 6), et il offre ses bons offices sans raeme en avoir ete prie . par exemple, quand il ressuscite le fils de la veuve de Naim (Luc, 7, 13). Pour le bien des malades, il donne une verlu curalive ou mer- veilleuse h lout, a ses vetements (Matth., 9, 21; 14, 36), ii sa salive (Jean, 9, 6), a ses mains (Matth., 8, 3). II ne renvoie personne mecontenl ; il console et il guerit lout le monde. II y a des iocalites, des bourgs et des villesou, apres son deparl, il ne reste plus de malades.

B. Et corament Notre-Seigneur fait-il ces oeuvres de mise- ricorde el de bienfaisance ? Exterieurement, avec une grande affabilile et une palience inalterable. Rien ne lui coute trop, aucune demande n'est exageree, et rien n'arrive a contretemps. Nous le constalons dans le myslere de ce jour (Matth., 14, 14)

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el dans beauroup d'autres circonstances encore (Matth., 8, 16). Avec quelle amabilite ne rend-il pas a une mere son fils qu'il a ressuscite (Luc, 7, 15), et a un Pere son enfant qif il vient de guerir ! (Luc, 9, 43.) lnterieurement, Jesus accompagne ses miracles de verlus veritables et surnaturelles ; il les failavec une bonte de cceuret une compassion d'ame tout a faitsinceres. Que de fois ses yeux se remplissenl de larmes a la vue de l'infortune des pauvres et des delaisses ! (Matth., 15, 32 ; Marc, 6, 34.) Et il monlre bien au dehors la compassion dont son ame est rem- plie. (Matth., 15, 32.) Ses bienfails sont toujours acrompagnes cTune solide vertu et de 1'or pur de la charite. Les motifs qui !e fonlagir sont des meilleurs et des plus saints. Cest d'abord k cause de Dieu qifil repand ses bienfaits : ilvoitdansles hommes des creatures, des images et des enfants de Dieu, de son Pere celeste. Cest ensuite a cause de lui-m£me, poursa propre satis- faction, puisqu'il est en effel notre Dieu, qifil nous aime et qu'il devrait meme faire violence a son Gceur, s'il ne nous faisait du bien. Cest enfin a cause de nous, qui sommes effeclivement malheureux et indigents et qifil veut ainsi gagner a sa Personne et a son Evangile. De cette maniere, le Sauveur passe sur la lerre en faisant le bien, en repandant divinement ses benedic- lions et ses liberalites a travers le monde. (Act., 10, 38.)

G. Quelbeau modele pour nous ! Gertes, nous avons assez de motifs de 1'imiler, meme abstraclion faite du raolif de 1'exemple du Sauveur. La misericorde est, en effet, une par- tie de l'amour du prorhain. Elle appartient donc a la vertu la plus sublime, a la charite, dont elle est la fille. Nous faisons du bien au prochain a cause de Dieu, et par la a Dieu lui-m^rae. Faire du bien a Dieu, quelle chose digne d'envie ! Un autre niotif d'imiter la bonle du Sauveur est la somme immense de malheurs, spirituels et corporels, qui inondent le monde. II faut nous efforcer de les diminuer. Nous avons, pour cela, tant de inoyens ettantde ressources ! Nous avons un bon cceur, d'excel- lentes idees ; joignons aux aclions charitables des paroles encourageantes et des regards bienveillanls ; usons encore de la priere et de la puissance sarerdotale. D'ailleurs, nous y trouvons nous-memes notre propre avantage. Nous avons besoin,

APPLICATION DES SENS '. MULTIPLICATIO.N DES PAINS 615

nous aussi, du pardon de nos peches ; de consolalion dans nos prieres et a 1'heure de la mort ; de securite, pour Tavenir, en face de notre ennemi, le peche. Or, la misericorde nous procure tous cesbiens, commele dit le prophele Isaie (ch. lviii) : « Nous serons comme un jardin auquel l'eau ne manque pas et comme une source qui coule loujours sans diminuer jamais ; Dieu rem- plira notre ame de lumiere, et si nous rinvoquons, il nous repondra : Me voici ! » Assurement, il n'est pas pour nous de chemin plus agreable et plus sur pour aller au ciel. Gelui qui une fois prend plaisir a faire ainsi du bien, remporte la victoire sur le peche. Enfin, la bienfaisance est extraordinairement importanle pour les travaux de 1'Apostolat. Nous ne pouvons faire des miracles, mais nous pouvonsfaire du bien, et le resul- tat est le meme : la charite est une force d'eloquence a laquelle personne ne resiste. Cest pourquoi Jesus a exerce une influence si grande et si heureuse sur ses contemporains. Et cela esttelle- ment vrai que les ennemis de TEglise enlevent a celle-ci ses biens temporels, afin qifelie ne puisseplus secourir les malheu- reux et, de cette facon, gagner les hommes a sa cause. II lui suffit, d'apres eux, de se conduire a Tegard de 1'humanite souf- frante comme le pretre et le levite juifs ont agi avec le malheu- reux homme, depouille et meurtri par les voleurs a la porte de Jericho : le pretre catholique doit se contenterde dire son bre- viaire et de donner des benedictions ; il n'a qua passer indifle- rent devant les pauvres et a les laisser tranquilles sur leur cou- che de misere. Un homme charitable et misericordieux est une grande puissance au service de 1'Eglise...

APPLIGATION DES SENS

A. Les Apolres arrivent de leur mission et ont besoin de repos. Ils ne trouvent pas le calme au milieu de la foule du peuple qui afflue vers le Sauveur ; a peine ont-ils le temps de prendre quelque nourriture. De plus, la multitude est fortement emotionneeet agitee par la nouvelle de la decapitalion de Jeau- Baptiste et par le speclacle des miracles extraordinaires de Jesus

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et des Apotres. Aussi le Seigneur trouve bon de quitter quelque temps la Galilee, le pays d'Herode Antipas. II s^embarque donc pour atteindre le bord oppose du lac, la rive orientale, ou, sous la domination d'Herode Philippe, il aura plus de securite et pourra se reposer dans un endroit solitaire et tranquille. II con- nait, en effet, au nord-est du lac, non loin de Bethsaide (Julias) et du lieu ou le Jourdain y debouche par une crevasse de roches basaltiques, une petite plaine qui fait le pendant de la plaine de Genesareth, situee enface, de 1'autre cote du lac, elesttraversee par trois petites rivieres. La chaine de montagnes, en s^eloignant, forme cette pelite plaine qui, a cefte epoque du printemps, est en pleine floraison de nombreux lauriers-roses. Jesus navigue evidemment dans celte direclion avec ses Apotres. Alors le peuple qui ne veut pas quitter le Sauveur, se met en marche par la voie de terre longeant le lac, et arrive enfin a la plaine de Belhsaide. La foule esl enorme ; car elle s'est augmentee, sur le parcours, de nombreux renforts et peut-6tre aussi des troupes de pelerins de la lete pascale, qui viennent de Jerusalem.

Jesus est deja debarque et retire dans un lieu tranquille. Mais le peuple, trainant apres lui ses malades et ses infirraes, se raet a la recherche du Sauveur et le trouve. Que va faire le Messie? Va-t-il slndigner de la hardiesse de celte foule, qui vient trou- bler son repos et celui de ses Apotres? Va-t-il renvoyer tous ces horames et se debarrasser deux?... Non, il a compassion de ce pauvre peuple, si malheureux et si delaisse, qui est comme un troupeau sans pasteur. Aussitot il coramence a enseigner et a guerir, et il ne cessera qua la fin du jour. II est evident que, pendant ce temps, beaucoup de ses auditeurs eprouvent le besoin de manger. Ils ont, le matin, fait le tour du lac, et ce trajet a dure trois ou quatre heures; parmi eux se trouvent beaucoup d'enfants, de femmes et de malades, et ce ifest que le tout petit nombre qui a apporte des provisions. Une grande multilude de personnes, par consequent, est tout a fait faliguee et dans la peioe, et les enfants, de tous cotes, pleurent en demandant du pain. Les Ap6tres, qui circulenl dans la foule pour y maintenir Fordre, entendent et voient tout. Ils viennent trouver le Sauveur pour 1'avertir de ce qui se passe. Suivant leur conseil, d^ailleurs

APPLICATION DES SENS '. MILTIPLICATION DES PAINS 617

tres respectueusement donne, Jesus devrait congedier le peuple el Tenvoyer dans les localites et les hameaux les plus rapproches, afin de s'y procurer de la nourrilure el un abri pour la nuit : « car, disent-ils, ici il n'y a rien ». Le Sauveur leur repond : « Pourquoi renvoyer ces gens? Cest a vous a leur donner a manger. » Philippe reprend : « Est-ce que nous devons courir nous-memes dans les fermes pour y accaparer le pain et l'ap- porter en ce lieu? » S'il parle ainsi, ce n'est peut-etre pas sur- tout a cause de la fatigue et des frais que ces demarches leur couleraient. Apres avoir sacrifie leur repos et s'etre donne tant de peine, doivent-ils encore se charger de distribuer des vivres a une si grande foule de peuple? Aiors Jesus dit a ses Apotres de voir combien de pains la foule a a sa disposition ou en reserve. Ils s'informent donc et trouvent un enfant qui possede cinq pains d'orge et deux gros poissons : c'est probablement une aumone que son pere lui aconfieepour les Apotres. Andre donne cette nouvelle au Sauveur, en ajoutant d'un air decourage : « Mais qu'est-ce que cela pour tant de personnes? » Jesus se tourne du cote de Philippe, toujours en peine a cause de 1'achat du pain : « Eh bien! Philippe, avec quoi achetons-nous du pain? » Gependant Philippe a recommence son calcul et, sans doute pour demontrer au Seigneur 1'impossibilite de realiser sa demande, il lui repond : « Un achat de deux cents deniers ne suflirait pas pour donner a chacun un morceau de pain. » Le besoin se fait donc senlir parlout, et les Apotres ne trouvent pas de moyens d'y subvenir. Mais Jesus, lui, sait le moyen de secou- rir la foule. Son dessein est de la nourrir par le prodige de la multiplication des cinq pains et des deu.v poissons de lenfant ; et ses deliberations avec les Apotres avaient pour but precise- ment de les amener a le prier de faire ce miracle. Mais ceux-ci 11'ont pas meme 1'ideede la possibilite de ce miracie, etils conti- nuent ii s'entretenir de la situation critique ou se trouve la mul- litude qui les assiege.

B. En ce moment, le Seigneur se fait presenter les cinq pains et les deux poissons. Le lieu oii il enseigne, sur le pen- chant de la colline, est au fond de la pelite plaine, et sur une sorte de lertre couvert de gazon, qui est accessible de

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plusieurs coles. Cest sur ce gazon que Jesus fait etendre une couverture, oii 1'on depose les pains et les poissons. Ensuite, il ordonne a ses Apotres de diviser le peuple a Tenlour en groupes de cinquanle ou de cent personnes. Les Apotres se melent au peuple et remplissenl leur fonclion sans peur, avec aisance et intelligence ; le Sauveur les a deja forraes a ce genre d'occupation et ils savent traiter avec les foules dliom- mes. Meme le jeune et contemplalif Apotre Jean peut servir de modele dans ce ministere, oii il se montre tres aclif et tres habile a former, en un inslant, plusieurs groupes d'hommes, suivant le desir de son Mailre. La foule du peuple, qui compte cinq mille personnes sans les femmes et les enfants, s'organise ainsi regulierement par groupes sur le versant de la hauleur qui s'eleve en forme de terrasses et est couverte d'un gazon long et epais. Le spectacle est tres beau et le coup d'ceil feerique. Le soleil baisse a rhorizon et repand ses rayons dores sur la chaine de montagnes, la plaine en fleurs, les ruisseaux et le lac. II regne un grand calme sur le lac, uni et clair comme une glace. On voil les nombreux palmiers qui s'elevenl sur sa rive et les groupes varies dMiommes et de femmes qui s'eparpillent dans la plaine et sur la colline verdoyantes. Jesus est debout sur la hau- teur; les traits de son visage sont empreints d'une majeste douce el aimable; il arrete ses yeux sur tous ses enfants, qui eux-m£mes le regardent dans rallente d'un grand evenement. Le Messie prend un pain, sur lequel il met un poisson, et, ele- vant le tout vers le ciel dans Tattilude de la priere, il remercie son Pere celeste de celte occasion de le glorifier, de se mani- fesler lui-meme et de pouvoir encore faire du bien aux hommes. Alors il benit les pains et les poissons, fait une pelile marque aux pains avec un couteau en os, et coupe en tranches transver- sales les poissons qui etaient deja vides et cuits. Les pains, en Orient, ont la forme longue et portent de pelites entailles qui permettent de les partager facilement. Jesus rompl les pains et depose chaque morceau, avec lalranche de poisson qu^un Apotre met dessus, dans les corbeilles d'ecorce, peu haules, qui vien- nenl d'etre apportees par les Apotres. Ceux-ci les reprennent bienlot pour aller faire la dislribulion aux nombreux groupes

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APPLICVTION DES SENS : MULTIPLICaTTON DES PAINS 619

qui les attendent. Cest alors que le miracle se revele. Les Ap6- tres ont beau prendre dans lescorbeilles etdistribuer sans cesse, elles ne sout jamais vides ; ils trouvent toujours de quoi donner. Beaucoup de personnes et les Apotres eux-memes regardent avec surprise dans les corbeilles inepuisables et reconnaissent alors le miracle. La distribution dure longtemps, mais dans le plus grand ordre. Tout le monde est silencieux, et garde une atlitude pleine de respect, d'elonnement et d'aclmiration. Le peuple ne se fait pas defaut de manger le pain et les poissons qui sont excellents ; il puise dans des outres de 1'eau pour se desalterer. Le Sauveur se tient toujours debout; il est vraiment content de son miracle, el regarde avec bonheur la foule, les enfants et les Apotres. Ghaque personne recoit ce qu'elle desire, et la distribution ne cesse que quand tout le monde est rassasie. Pendant ce temps, Jesus songe a Moise et surtout a la multipli- cation future du pain eucharistique dans le Sacrement de nos autels : c'esl avec ce pain qu'il rassasiera les hommes et qu'il les rejouira ; il est heureux de penser a ses Apolres et a ses pr6- tres, qui auront une partsi grande a celte multiplication celeste. En ce moment, le Messie dit a ses Aputres de circuler parmi le peuple avec les corbeilles afin de recueillir les restes ; ils en remplissent douze corbeilles. Beaucoup des convives de ce repas extraordinaire demandent, en souvenir, un morceau du pain miraculeux soit pour eux-memes soit pour leur famille, et ils robtiennenl. Le reste du pain est destine aux pauvres.

G. Quand il ne restc plus personne a rassasier, tout le monde se leve et s'assemble en masse. L'admiration est peinte sur les visages. Les conversations roulent naturellement sur le miracle inoui que le Sauveur vient d'operer. De tous coles, on enlend repeter ces paroles : « Jesus est vraiment le Prophete qui doit venir. II n'est pas moins grand que Moise ; il est le Messie. » Mais le Sauveur ne se mele pas a lafoule. II ordonne aux Apolres de s'embarquer a 1'instant et de regagner 1'autre bord du lac. Les Apolres obeissent, emportant avec eux les douze corbeilles de pain. La nuitarrive : c'est deja le crepuscule. Le peuple se reunit alors autour de Jesus, qui lui parle de la bonte et de la puissance de Dieu, toujours fidele a secourir ceux

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qui cherchent son Royaume. II termine en faisant la priere de Faction de graces. La multitude est tres emue, et, lorsque Jesus s'eloigne du lieu de la predication, beaucoup d'hommes s^ecrient : « II nous a donne du pain. II est notre Roi. Nous voulons le proclamer Roi. » El ils se mettent a courir apres le Sauveur, mais il leur est impossible de le retrouver : Jesus, penetrant leur dessein, s'est retire sur une monlagne solitaire pour prier.

LA TRANSFIGURATION

(Luc. 9, 28-36; Marc, 9, 1-12 ; Matth., 17, 1-13.)

I. Circonslances et but de la Transfiguration.

Nous remarquons, dans ce mystere, Irois circonstances prin- dpales :

A. Le lieu ou il se passe, probablement le raont Thabor, en Galilee, est parfaiteraent choisi. En elTet, le Thabor est presque completement isole dans la plaine d'Esdrelon ; sa masse imposante resserable a une enorrae pyraraide tronquee ; on y jouit de magnifiques vues sur la Mediterranee, sur le lac de Tiberiade et sur le vaste champ ou s'exerce 1'activite de Jesus pendant sa vie publiqtie ; enfin il rappelle la victoire de Bara sur les rois chananeens et le chant de triomphe de Debora.

B. Les temoins de la Transfiguration sont au nombre de trois : c'est le nombre requis pour la validite legale d'un lemoi- gnage. Ges temoins sont Piene, Jacques et Jean. Jesus n'en veut pas plus, afin que la connaissance du mystere reste dans les limiles qu'il desire. D^ailleurs, les trois Ap6tres privilegies sonl ceux que le Seigneur a d'ordinaire pres de lui dans les prin- cipales circonstances de sa vie.

G. La Transfiguralion a lieu pendant la troisieme annee de la vie publique de Jesus. Le Messie adeja entendu de la bouche de ses Apotres la confession de sa Divinite, et il leur a annonce une fois sa Passion et sa glorification futures. (Luc, 9, 20. 22, 26.) D'apres ces circonstances, il est facile de reconnailre le

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but de la Transfiguration : le Sauveur veut affermir ses Apotre& dans la foi a sa Divinite et a sa gloire fulure, et les initier lou- jours davanlage au mystere de sa Passion.

II. La Transfiguration elle-meme.

Les trois principales parties de la Transfiguration ou les trois principales scenes de cet evenement conviennent et s'adaptent tres bien au but que se propose le Sauveur dans ce mystere.

A. D*abord, la Transfignration elle-meme. Elle est la con- firmation dela parole de Jesus, predisant saglorificalion fulure : en effet, les Apotres, dans la Transfiguration, voient et consla- tent deja en quelque facon la gloire de leur divin Maitre. A leur reveil, ils apercoivenl Jesus eleve de terre et transfigure. Iln'ya pas la, il esl vrai, la complele transformalion du Corps du Sau- veur, comme elle aura lieu au ciel ; il n'y a que 1'apparence de la verilable Transfiguration : la clarte el 1'agilite du Gorps de Jesus ne sont qifexlerieures et, pour ainsi dire, a la surface. (Matth., 17, 2; Marc, 9, 1. 2; Luc, 9, 29. j Mais, malgre cela, qifil est beau et splendide le speclacle que les Apotres ont sous les yeux ! La grandeur de cette magnificence ressorlr d'abord, du recit meme de 1'Evangile : le visage de Jesus brille comme le soleil, son vetement esl blanc comme la neige, et Moise et Elie apparaissent dans la meme splendeur. Ensuile, les effets produits sur les Apotres prouvent bien la beaute de la vision qui lescaptive : leur bonheurest si grand que, transportes de joie, ravis d"admiration et saisis de respecl, ils ne peuvent plus parler ou ils ne savent pas ce qu'ils disent : « Mailre, s'ecrie saint Pierre, il fait bon d'elre en ce lieu. Nous voulons y dresser trois tenles, la premiere pour vous, la seconde pour Moise etla troisieme pour Elie. » (Luc, 9, 33; Matth., 17, 4.)

B. La seconde scene de la Transfiguration esl 1'apparition de Moise et d'Elie. Gelui-la apparait dans un corps apparent ou avec son propre corps ressuscite, et celui-ci, en chair et en os, puisquil n'est jamais mort : lous deux sont entoures de gloire et de splendeur. Le but de leur venue est de rendre leurs horamages au Redempteur, la loi et les prophetes n'elant que

LA TRANSFIGURATION 623

ses hurables servileurs. De plus, ils sont venus pour apprendre coramenl le Messie doil accoraplir la Rederaplion des hommes, a savoir par ses souflrances et par sa mort. (Luc, 9, 31.) Gelte revelation de la Passion deJesusafferrairaaussi les Apotres dans la foi a la prediction que naguere le Sauveur leur a faite « de 1'exces de ses souffrances » ; elle leur apprendra, en merae teraps, que la Passion du Messie n'est pas imprevue, un effet du hasard, ou encore un insucces, mais bien la realisalion d'un plan divin, 1'execution dun decrel eternel de Dieu.

C. Enfin, considerons la troisierae scene de la Transfigu- ration. Une nuee lumineuse descend du ciel sur Jesus et l'en- veloppe, ainsi que ses corapagnons ; puis une voix puissante se fait entendre : « Celui-ci, dit-elle, est raon Fils bien-airae enqui j'ai rais loules mes complaisances ; ecoulez-le. »(Matth., 17,5.) II est evident qu'il y a la une confirmation expresse et publi- que de la Divinite du Chrisl ; et de plus, dans cette circonstance solennelle, il est reconnu officiellement comme Prophete et comme Pretre. La nuee luraineuse est le symbole de 1'Esprit- Sainl, le signe de 1'approche et de la presence de Dieu, el la ratification de l'Ancienne Alliance. {Exode, 40, 32. ( L'effet de la Transfiguration sur les Apulres est si grand qu'ils lombent epouvanles la face conlre lerre et qu'ils reslent ainsi sans con- naissance jusqu'ii ce que Jesus, s'approclianl d'eux el les tou- chant de la raain, leur dit de ne rien craindre et leur ordonnede se relever. (Matth., 17, 6. 7.)

III. Apres la Transfiguration.

A. Immediatement apres la Transfiguralion, Notre-Sei- gneur enjoinl, d'abord, a ses trois Apotres. Pierre, Jacques et Jean, de ne rien dire de celte vision jusqu'a ce qirilsoit ressus- cite. De plus, une conversation parliculiere s'engage entre les Apotres el leur Maitre. Les Apotres interrogent Jesus sur sa Resurreclion dont il vient de parler et qu'il leur a deja predite auparavant. Ils veulent aussi une explication sur ce que disent les Scribes, qui affirment qu'Elie precedera le Messie sur la lerre (Mal., 4, 5; Eccli., 48, 10), tandis que, de fait, il y est

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venu apres le Messie. (Matth., 17, 10.) Le Sauveurrepond que leurs deux remarques sont justes, mais en adniettant qu'il y a deux Elie, Jean et le Prophete, et qu'il y a deux venues du Messie, Tune pour sa Passion et 1'autre pour sa glorification : Jean est deja venu et a precede la premiere venue ; Elie, le Pro- phele, viendra un jour el precedera la seconde venue duMessie. (Matth., 17, 11. 12; 11, 14.)

B. II est evident que cet entretien el les autres particula- riles de la conduite de Jesus, immediatement apres la Transfi- guration, n'ont qu'un meme but : initier toujours davantage les Apdtres a la connaissance des mysteres de la Passion et de la glorification du Sauveur. Cest ainsi que tout, dans la Trans- figuration, est, avec une merveilleuse sagesse, parfaitement approprie et adapte au but de ce grand mystere, qui est d'affer- mir les Apotres dans la foi a la gloire future du Messie et de les preparer graduellement a rignominie de sa Passion. Les Apo- tres ne voient pas seulement la gloire de leur Maitre ; ils sont aussi consoles, ils goutent les joies inetTables du ciel. Ils quiltenf le Thabor tellement convaincus de la Divinite du Christ que saint Pierre, de longues annees apres, aura encore present a Tesprit lesouvenir de la glorieuse Transfiguration de Jesus : elle lui servira de lumiere (II Pierre, 1, 16-19) dans les tenebres de 1'adversite, et de guide pendant toutes les per6"grinations de sa vie apostolique. Des lors, les Apotres ne sont pas seulement de nouveau persuades de la verite de la Passion de leur Maitre ; leur intelligence est encore remplie d'une clarte surnaturelle qui leur revele le plan divin, le dessein qifa Dieu de conduire tous les hommes & la gloire par Ie chemin de la souffrance. [Hebr., 2, 9. 10.) Cest la Groix qui doit consommer la perfection de tout le monde et celle du Messie lui-meme : nous avons la preuve de cette verile dans Moise, Elie, Jean et Jesus, le Sauveur des hommes, dans tous les personnages de ce mystere.

La Croix est parlout, elle embrasse tout, mais aussi elle mene a la Resurrection et a la gloire.

REPETITION : TRANSFIGURATION 625

REPETITION

Cest surtout dans les principaux mysteres de la vie publique <Ie Jesus que nous constatous ce fajl : il vaque a la priere. Nous le voyons, dans le raystere de la Transliguralion, se refugier sur une raontagne pour y prier, et, en elfet, la Transfiguratiou a lieu pendaul sa priere nocturne. (Luc, 9, 28. 29.) La priere est donc une des excellenles occupations dont Jesus nous donne Texeraplesur le Thabor, tandis qifil s'y entretient inlimement avec son Pere celesle ; et son importance est si grande qu'elle doit faire, aujourd'hui au moins, 1'objel particulier de nosconsi- derations.

I. Le Sauveur nous donne Vexemple de Vardeur dans la pri&re.

A. Le Sauveur prie beaucoup. II ne se contente pas de parler de la priere, d'enseigner el d'encourager a prier : il donne lui-meme 1'exemple de la priere ! (Luc, 11, 1-14; 18, 1-8.) Interieurement, Jesus jouit sans cesse de la vue immediale de Dieu, et, pour cetle raison, il est en rapport continuel avec son Pere. Malgre cela, il prie souvent d'une maniere ostensible ou exterieurement, en secret et pendant la nuit (Luc, 6, 12 , en public et de bouche (Matth., 6, 9 ; Jean, 17), dans la synagogue aux heures habituelles de la priere, mais aussi dans les circon- slances speciales ^Matth., 11, 25), surtout avantles grands eve- nemenls de sa vie. (Luc, 6, 12 ; 9, 18; Jean, 6, 11 ; 11, 41.) II eraploie toutes les melhodes d'oraison, et son entretien avec son Pere celeste esl perpetuel. En effet, qifest la priere sinon une reciprocite de relation entre rhomme et Dieu, et 1'echange mu- luel de leurs pensees et de leurs senlimenls? Quand nous prions, nous reraercions Dieu, nous le louons, nous lui deraandons ses graces et nous implorons de lui notre pardon...

B. En outre, le Sauveur prie tres bien. Exterieurement, il prie avec un grand respect, a genoux (Marc, 14, 35) el les yeux

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eleves vers le eiel (Jean, 11, 41). Inlerieurenient, il est tout a fait recueilli, prie avec devolion et obtienl toujours ce qifil demande absolument (Jean, 11, 42): car sa priere est la priere du divin Mediateur et du Fils de Dieu (Hebr , 5, 7).

C. Maintenant, voici les molifs pour lesquels Jesus montre une si grande ardeur a la priere : D^abord il prie a cause de la parfaite convenance et de la necessite de la priere. Le Sauveur, ayant la nalure humaine, n'est, sous ce rapport, qifune creature vis-a-vis de Dieu, et, comme telle, il doit rendre a Dieu son Pere 1'hommage de sa priere, de ses adorations et de son aclion de graces. Le devoir de la priere s^etend aussi loin que le domaine de la creature. Ainsi consideree, la priere est reelle- ment la fin prochaine de la creature : elle est creee pour louer Dieu et lui offrir les hommages de sa veneration. De plus, le Sauveur eslime et aime la priere, a cause de sa sublimile, puisqu^elle met 1'homme en relation avec Dieu, et reciproque- ment. Aussi il n'y a rien, pour le Ghrist, de plus eleve, de plus imporlant et de plus doux que ces rapports avec le Pere celeste. Atteindre sa fin ou etre reuni a sa fm, c'est certes la perfection; or, par le moyen de la priere, nous touchons le dernier but» nous atteignons la fin derniere de notre existence, autant qif il nous est possible de le faire ici-bas. Enfin, Nolre-Seigneur monlre tant de zele pour la priere dans notre propre interet : il veut nous donner 1'exemple de ce saint exercice, rendre, par sa priere, nos prieres efficaces, nous oblenir des graces et glorifier Dieu en nous. II lfa pas besoin de demander des graces pour lui-meme, mais bien pour nous. Quand il s'agit de nos interets^ il est soumis aux memes lois que nous : plus il prie, plus il a de graces ; moins il demande, moins il obtient, Dieu fa ainsi ordonne. Le Messie doit meriter des graces pour nous non seule- ment par le travail et la soulfrance, mais encore par la priere. Alors nous comprenons pourquoi le Sauveur prie tant : il a a demander tant de graces et pour tanl de personnes ! Lorsqif il se met en la presence de Dieu pour prier, il se considere, avec raison, comme le Remplacant, leChef, le Mediateur et le Grand Pretre de toute rhumanite; c'est ainsi qifil honore Dieu au nom de tous et qu'il merite des graces pour tous. Pendant sa

REPETITI0N : TRANSFIGURATION 627

priere, cliaque homme est devant lui avec ses besoins, ses neces- sites, ses diflicultes et ses dangers corporels et spirituels; il a sous les yeux 1'Eglise entiere, son histoire, son developpement, ses destinees, ses persecutions et ses triomphes ; il voit sa hie- rarchie, lous les Papes, tous les Ev£ques, tous les Pretres et lous les Fideles ; toute rhumanite est presente a son esprit, toutes les epoques, toutes les conditions, toutes les races et tous les peuples de Tunivers. Tout le monde passe devant ses yeux ; il prie etil combat pour tous, et il n'oublie personne ; c'estalors qu*il merile des graces pour tous, que toutes les aflaires se decident et que toutes les decisions sont prises. Toules nos graces et tous nos secours, toutes nos lumieres et toutes nos forces nous viennent de la priere du Sauveur. Jesus est la comme un arbre puissanl qui plonge ses racines par tout i'uni- vers, dans chaque vie humaine et dans chaque coeur d'homme, dans 1'Eglise, dans toutes les familles et dans tous les peuples. II prend sur lui toutes les obligalions, surtout les devoirs de la louange et de la reconnaissance des hommes envers Dieu ; il se charge de toules leurs demandes et de tous leurs besoins ; et, les unissant a sa priere, il se les approprie et en fait un tout qu'il oflre a Dieu, afin dallirer les benediclions de son Pere celeste sur le monde enlier et de repandre partout les bienfails de sa toute-puissante priere. Toute 1'Eglise et toute la race humaine vivent de la priere du Christ aussi bien que de sa doc- trine et de sa grace. Cest ainsi que nous penetrons les inten- tions de la priere du Messie et que nous connaissons les pensees qui 1'occupent pendant ses lougues oraisons de nuit. Ge sont, en toute verite et dans toute leur sublimile, les prieres de 1'Homme- Dieu. La preuve en est dans certaines paroles, sorties de sa bouche : par exemple, quand il assure a Pierre qu'il prie pour lui (Luc, 22, 32), quand il enseigne le Patev noster et qu'il recite sa priere de Grand Prelre de la loi nouvelle. (Jean, 17.)

II. Conclusions d lirer de Cexemple du Sauveur.

Nous avons deux conclusions a tirer de 1'exemple du Messie, priant avec une si grandeardeur :

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A. Premieremenl, nous devons nous-memes prier. Les molifs pour lesquels Jesus prie valent egalement pour nous. Nous devons prier, parce qifil n'y a aussi pour nous rien de plus sublime que de nous entrelenir par la priere avec Dieu ; de plus, la priere est indispensable pour obtenir les graces ntiles a soi-m£me et aux autres. Dieua atlache toutes sesfaveurs a la priere ; la priere est le moyen loul a faitsuffisant pour solli- citer et recevoir de Dieu lous les secours dont tous nous avons besoin : aucune limite, en effet, ifa ete posee a 1'eflicacile de la priere. Quel moyen admirable, puissant et universel nous trou- vons dans la priere, si nous voulons glorifier Dieu ! Cest pour- quoi le Sauveur femploie sans cesse et avec un zele infaligable. II travaille en realite pour Dieu, quand il prie. Nous sommes nous-memes des enfants de ses prieres. N'aurait-ce pas ete un grand bonheur et un grand honneur pour nous de prier a cole de Jesus, quand la nuit il s'enlretenait avec son Pere celeste? Nous pouvons avoirce bonheur et cet honneur. II nous y invite loules les fois qifil nous sollicite a prier. La priere que nous faisons au nom de Jesus est une continuation de la priere de Jesus.

B. Deuxiemement, il resulle de fexemple du Sauveur que nousdevons prier comme lui : par consequent, tout d'abord, prier beaucoup, c'est-a-dire autant que nous le pouvons et que nos devoirs d'elat nous le permetlent. En faisant ainsi nous apprendrons a prier ; car ce n'est qif en priant qu^on apprend a prier. II en est pour nous de la priere comme de raumone : si nous avons beaucoup d^argent, il nous faut en donner beaucoup ; s\ nous en avons peu, il nous faut en donner suivant nos moyens. Notre devoir est de prier. On trouve toujours du lemps pour faire ce que l'on aime. De plus, nous devons prier dans Fesprit du Sauveur, faire une priere calholique, en quelque sorle theandrique : c'est-&-dire qu'il ne nous faut pas seulement prier pour nous, pour nos petils interets et pour nos croix domestiques, mais encore pour 1'Eglise entiere et pour loule rhumanite. Jesus nous a laisse le modele et la formule de la priere catholique dans son Pnler noster. Alors notre priere ressemble a la priere de rHomme-Dieu : elle est vraiment une

APPLICATION DES SENS '. TRANSFIGIRATION 629

priere faile en son nom et a sa place. Xous glorifions ainsi Dieu (Tune maniere incomparable et nous rendons les plus grands services aux hommes. A tout instant du jour, il y a des ques- tions posees et des interets engages d'oii depend en grande par- tie le salut des ames. A cause de cela, nous pouvons aussi prier longtemps, puisque nous avons a prier pour tant de per- sonnes et pour tant de besoins. Prier de cette facon, c'est prier en vrai Jesuite, c'est faire une priere apostolique et catliolique. D'ailleurs, c'est le seul moyen de faire honneur a nolre profes- sion d'hommes de prieres. Xous devonsnous efforcer datleindre ce but de la priere de l'Homme-Dieu surtout dans nos prieres officielles, dans la recitation du breviaire el la celebration de la Messe : ce ne sont pas des prieres privees, mais les prieres de 1'Eglise et de 1'humanite. Le pretre, dans 1'exercice de ces ministeres sacres, est bien le coeur du monde qui bat et prie pour lui. Chaque fois qu'il celebre la Messe, qu'il recite 1'office et meme le Pater noster, il compose une page de 1'histoire de 1'Edise et du monde.

APPLICATIOX DES SENS

A. Le Sauveur est revenu de son voyage a Sidon et a Cesaree de Philippe. II a, pour la premiere fois, parle de sa Passion et de la glorification qui la suivra. II se trouve probable- ment dans le bourg de Dabralh, sur le versar.t seplenlrional du Thabor et dans l'enfoncement qu'y forme la plaine d'Esdrelon. Cest le soir qu'il dit a Pierre, Jacques et Jean de le suivre sur le Thabor, oii il veut aller prier. Les autres Apolres doivent resler ou ils sont et attendre son relour. Jesus se propose de passer lanuit en oraison ; et, de fait, il se mellra en priere avec ses Apolres sur le haut de la monlagne. Mais ce n'est pas tout son dessein : il veut encore se Iransfigurer devant ses trois Apotres. II ne communique a personne son projet, alin de le tenir secret el de ne oas mecontenter les autres Apdtres. Pierre Jacques etJean accompagnent leurMailre volontiers et joyeuse- ment. Xous voyons par 1'exemple des Apolres que si Dieu ou sa

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grace nous engagent a prief, il nous faut toujours suivre leurs bonnes inspirations : autreraent nous renoncerions peut-etre a de grancles faveurs et a cles dons celestes extraordinaires.

Le Thabor est situe au bord orienlal de la plaine d'Esdrelon. II s'eleve regulierement, comme une pyramide tronquee, et il faut une lieure pour le gravir. II est tout a fait isole sur trois de ses cdtes ou de ses faces, qui regardent la plaine d'Esdrelon. II n'y a qu'au nord qu'il se relie, par des collines et des hauteurs boisees, aux montagnes de Galilee, en formant une sorte de fort avance gigantesque ; et, de ce cote, la pente, quelque peu escarpee, n'est cependant pas trop raide et le chemin est tres agreable. 11 est vraisemblable que Jesus a choisi ce versant pour gravir la montagne. Le chemin serpente a travers des collines couverles d'arbres, puis descend dans des enfoncements et des vallees de pelite profondeur, pour remonter enfin jusqifau som- met du Thabor. Des sources abondantescoulent surles collines; et dans les huissons epais, formes par les rosiers el les storax odorants, au milieu de petits bois de chenes rouvres, de noyers et de pistachiers, circulent, encore aujourd'hui, des gazelles, des daims et une mullitude de perdrix etd'autres oiseaux. Cette proraenade du soir doit etre delicieuse, surtout apres la chaleur du jour. Une rosee abondante tombe alors sur la montagne ; et merae dans les jours les plus chauds de l'ele, quand tout est desseche dans la plaine, des brises fraiches soufflent surle som- met du Thabor/Le Sauveur est aimahle et a le visage serein. II raconte a ses Apdlres differents faits qui se sont passes dans ces lieux, comment les Propheles y ont vecu dans des cavernes, oii lui-mfmie a prie quelquefois avec eux. Ils atleignent enfin le haut de la montagne, qui forme un pelit plateau, incline un peu du cote de 1'ouest. Ge plaleau est plante d'arbres touffus et cou- vert d'un gazon fleuri. Sans doute, le Seigneur et ses compagnons conteraplenl avec plaisir le site pittoresque quils ont sous les yeux : du cote du sud, ce sont les montagnes du petit Hermon et de Gelboe, et les chaines bleuatres des montagnes de Samarie ; du cole de 1'ouest, les hauteurs sombres du Garmel ; du cote du nord, les vallees et les collines de la Galilee qui s'elevent jusqifau grand Hermon dont les cimes sont couron-

APPLICATION DES SENS \ TRANSFIGURATION 631

nees de nuages et de neiges eternels ; enfin, du cote de 1'orient on apercoit le bassin profond du lac de Tiberiade avec la vallee du Jourdain et, dans le fond, la chaine des montagnes de Galaad et de Basan. Au pied du Thabor s'etend la plaine d'Es- drelon, le grenier de 1'Egypte. qui forme. pendant la saison des pluies, un magnifique tapis de verdure et de fleurs variees, et ressemble en ete a une immense peau de lion decouleur brune. Tout ce paysage est environne d'une lumiere agreable et douce, pendant que deja une brume bleuatre s'eleve des profondeurs et que les hauteurs sont encore couronnees et scintillent des rayons rouges d'or du soleil couchant. II est probable que Jesus et ses Apotres prennent, sur le Thabor, un leger repas et se rafraichissent avec l'eau d'une cilerne voisine.

B. Ils se rendent au lieu de la priere, lequel, d'apres la tradition est au sud-est du petit plateau. II y a sans doute une petite excavation au-dessous du rocher qui surplombe. Cest la que les Apolres s'assoient, sur le gazon fleuri et odoriferant, en presence du Sauveur qui s'assied lui-meme, le dos appuye conlre le rocher. II coramence par leur expliquer pourquoi il les a pris lous les troisaveclui : « Ilsont confesse sa Divinite, illeur a parle de sa mort et de saglorilicalion ; maintenant il veut leur monlrer que tout ce quil leur a dit est vrai. Ils vont etre temoins de sagloire, afin denejamais defaillir dans la foi, meme quand ils le verront raeprise, raaltraite et abandonne de tous... II faut auparavant qifils prient avec lui. » Jesus parle avec lant de bienveillance et d'onction que ses Apotres en sonl profonde- ment emus. Pendant ce temps le soleil a disparu a l'horizon, et la nuit est arrivee. lls se couvrent la tete d'un voile et se metlent a prier; mais bientot les Apolres s'endorment de faligue.

Ils s'eveillent ensuile et regardent autour deux. II voient Jesus a genoux, dans 1'atlitude de la priere, et. 6 merveille ! s'elevant peu a peu deterre; ses velements et toute sapersonne brillent d'un eclai qui croit progressivement. Le spectacle est admirable. On dirait une lumiere etheree, tres subtile, qui s'echappe de la Personne du Sauvetir pour former autour de lui un cercle si elincelant que les Apotres peuvenl, comme en plein

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jour, distinguer chaque brin d'herbe du tapis de verdure. Mais celte lumiere est agreable, douce et delicieuse. Pendant que Jesus devient loujours plus luminieux et comme diaphane, arri- vent successivement sur les Apotres des effluves deparfums de- licieux et de jouissances celestes, qui les remplissent d'une consolation indicible : ils sont la assis, muets, dans le ravisse- ment, ne se lassant jamais de jouir d'un si beau speclacle. La gloire de Jesus est deja tres grande, quand deux formes bril- lantes entrent dans la lumiere qui l'environne. Elles paraissent y venir tout naturellement, comme des personnes qui des tene- bres de la nuit passent dans un lieu eclaire. Ces formes bien deter- minees sont des corps crhommes, pleins de vie, de jeunesse et de beaute. Cest Moise el c'est Elie. Moise est grand et majes- tueux ; il porte une longue robe el a ses deux cornes brillantes sur la lele. Elie est plus maigre et a une figure plus austere ; il est enveloppe de son manteau de prophele et a sur le front la verrue bien connue. Moise et Elie se prosternent devant Jesus pour 1'adorer. Ils lui disent combien ils sont heureux de con- templer Gelui qui autrefois a sauveson peuple et qui vientencore maintenant pour le racheter. Ensuile, ils lui demandent respec- tueusement de quelle maniere il se propose de faire celte Re- demption. LeSauveur jetle sur eux des regards ties bienveillants et leur decouvre le mystere de la Redemption des hommes, qui s'accomplira par sa Passion et par sa mort. II leur fait le recit de tout ce qu'il a souffert jusqu'a ce jour et de tout ce qui lui reste a soufliir. II leur predit 1'histoire entiere de sa Passionr dont chaque scene passeainsi successivement devant leurs yeux. Moise et Elie, ;i la fois emus et heureux, se permellent d'inler- rompre parfois le Redempteur. Ils ont compassion de lui, ils le consolenl, ils lui offrent les hommages de leur veneration et le remercient de sa bonle et de son amour. Ils ne cessent de louer en meme tempsDieu. Ils repondent souvent au Sauveur, en rap- pelant les faits et les personnages qui figurent sa Passion et sa gloire ; et ils peuvent se ciler eux-memes, comme etant du nombre de ces types bibliques ou des figures du Messie. Usren- dent giaces a Jesus de cet honneur, et louenl Dieu de ce que de toute eternile il a eu pitie de son peuple. Ils font aussi amende

APPLICATION DES SENS '. TKANSFIGURATION 633

honorable au Sativeur pour Loutes les perseculions et tous les outrages dont il est ou sera 1'objet et pour l'ingratilude mons- trueuse de son peuple ; et ils le supplient de l'epargner et d'en avoir compassion. Lorsque Jesusarrive au recit de sonelevalion en croix, il se met debout et elend ses bras en disant : « Cest ainsi que le Fils de riiommeseraeleve de terre. » En cetinstant, il est tout penelre de lumiere ; son visage brille comme le soleil eL ses vetements sonl blancs comme la neige ; et lui, les Pro- phetes el les Irois Apolres sonl suspendus en 1'air. Alors Moise et Elie disparaissenl de ia maniere dont ils sont venus ; les Apotres louchenl de nouveau le sol, chancellent comme eni- vres de bonbeur, et Pierre s'ecrie, sans savoir ce qu'il dit : « Mailre, il fait bon d'elre ici. Nous voulons y dresser trois tentes, l'une pour vous, 1'autre pour Moise et la troisieme pour Elie. » II croit qu'il n'a plus besoin ni de terre ni de ciel, qu'il y a en ce lieu tout ce quelecteur peut desirer, les tentesdurepos, de la beatitude et de la gloire, et Dieu lui-meme. Les Apotres etanl devenus plus calmes et ayant repris completement leurs sens, voila qu'un nuage leger, blanc et lumineux, semblable a la vapeur du matin au-dessus des prairies humides, descend sur le Sauveur et 1'enveloppe tout entier. Ce nuage devient toujours plus clair et plus brillanl ; bientot on dirail quil projetle des llammes et qu'il est sillonne deciairs. Le ciel semble s^ouvrir, el une magnifique gerbe de lumiere s'en echappe pour eclairer Jesus, pendant que relentil une voix puissante qui dit : >< Gelui- ci est mon Fils bien-aime en qui j'ai mis toutes mes complaisan- ces ! Ecoutez-le ! » Les Apotres tremblent de frayeur, et se sen- tent, au plus intime de leur etre, dans le voisinage etlapresence de la Divinile. Ils tombent le front conlre terre et ils ne reviennent a eux que quand Jesus les touche et leur adresse la parole.

C. Les trois Apolres sont encore prosternes, quand le Sei- gneur s'approclie d'eux, les secoue doucemenl et leur dit : « Ne craignez pas. Levez-vous ! » Pierre, Jacques et Jean regar- dent et ils ne trouvent plus devanl eux que le Seigneur Jesus. Toute sa splendeur s'est evanouie, et il se tient la debout de nouveau sous les dehors accoutumes de pelerin terreslre. Les

634 DEUXIEME SEMAINE

Apotres, en cet instant, sont graves, emolionnes et penetres tout a fait du sentiment de leur misere et de leur faiblesse : ils se montrent beaucoup plus respectueux envers Jesus, ils sont intimides et presque confus d1avoir vu sa gloire el d'avoir entendu le lemoignage solennel de son Pere celeste. Ce lfest qu'avec angoisse et avec regret qu'ils pensent a leurs inquie- tudes et a leurs doutes passes au sujet du Sauveur. Mais main- tenant ils sont tres fermes dans la foi. Quant a Jesus, il leur repete qifil leur a laisse contempler sa gloire, afin qifils ne chancellent jamais dans leur croyance : « Quand vous verrez, leur dit-il, se realiser en moi Ies prediclions de la Passion que vous venez d'entendre, quand je serai livre aux mains des pecheurs a cause des peches du monde, ne vous scandaiisez pas de mes abaissements, et meme affermissez les autres. » Le Sauveur rappelle alors a saint Pierre la confession qif il a faite, a Cesaree, de sa Divinite. Pendant ce temps, le jour com- mence apoindre : des bandes lumineuses blanches paraissent a fhorizon. Jesus et ses Apotres prient toujours. A faurore, ils descendent du Thabor par le chemin qu'ils ont pris pour y monter. Jesus continue a expliquer aux Apotres differentes choses qif ils ont vues et entendues ; mais il leur ordonne de ne rien dire, jusqifapres sa Resurrection, de tout ce dont ils vien- nent d'etre les heureux temoins. Les trois Apotres n' entendent rien ou presque rien a la Resurreclion, laquelle fait, apres, le sujet de leur conversation.

LA RESURRECTION DE LAZARE

Je.yx. 11. 1-46.)

I. Ce qui se passe sur le bord oriental da Jourdain.

Deux fails sont ici a considerer : d'abord le message des soeurs de Lazare a Jesus, el ensuite la conduite de Jesus a cette occasion.

A. Le message des soeurs de Lazare. La famille de La- zare, qui se compose de Lazareet de ses deux soeurs, Marlhe et Marie, est riche et consideree Jf.\n, 11, 19); elle habite Belha- nie, dans le voisinage de Jerusalem Jean, 11, 18), est tres pieuse, devoueeau Seigneur, et en relour aimee de lui (Jean, 11, 3. 5). Le chef de celte famille, Lazare, est tombe malade, et, pourcela, ses soeurs, pleines de foi, dJiumilite et de confiance, envoient un messager k Jesus, seulement pour Tavertirde lama- ladie de leur frere, s'en remettant pour tout le reste a sa bonle el a sa sagesse. (Jean, 11, 3.

B. La conduite de Jesus. Premierement, Jesus, appre- nant la nouvelle de la maladie de Lazare, console ses sceurs par une parole toute mysterieuse : « Gette maladie, dit-il, n'est pas pour la mort, mais pour rhonneur de Dieu et la glorificalion du Messie. » (Jean, 11, 4.) Deuxiemement, le Sauveur restera encore deux jours dans le lieu oii le messager de Marthe et de Marie le trouve ; il sait pourtant que Lazare va mourir dans quelques instants ou dans quelques heures. Mais il le laisse mourir, d'abord pour ne pas sacrifier son travail messianique a des interets particuliers, ensuile pour procurer beaucoup <!e

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gloire a Dieu el a lui-meme par la resurrection de Lazare, et enfin pour montrer a Lazare et a ses soeurs tout son araour : en effel, il rendra a Lazare plus que la sante, et il accordera a Marllie et a Marie un bienfait inconiparable, en leur menageant 1'occasion de pratiquer de grandes vertus et d'acquerir de pre- cieux merites. Troisiemement, Jesus se rend avec ses- disciples en Judee pour ressusciler Lazare. Les disciples- sWraient de celte demarche et represenlent le danger auquel lui, leur Maitre, s'expose. (Jean, 11, 8.) Jesus les tranquillise, en leur disant en termes paraboliques que la fin du travail de sa journee n'est pas encore arrivee. (Jean, 11,9. 10.) Saint Thomas exhorte les Apolres a suivre le Sauveur, meme au peril de leur vie. (Jean, 11, 16.) Cest ainsi que tous prennent le chemin de la Judee. Tels sont les deux faits qui forraent la preparation eloignee, et, pour ainsi dire, le prologue ou le premier acle du drame de la resurrection de Lazare. On y voit les personnages qui joueront un role, Texpose de la question, rensemble des motifs des actions qui vont suivre, le noeud du drame et, deja en perspective, son denouement final. En laissant mourir Lazare, Jesus rend la silualion desesperee et ne laisse plus de place qu'au miracle qui va suivre.

II. Ce qui se passe d Bethanie immediatement avant le miracle.

Les evenements qui ont lieu a Belhanie avant la resurreclion de Lazare tendent uniquement a cette fin : c'esl de servir de preparalion derniere et immediate au miraclequi va s'accomplir. En effet, ils doivent determiner le fail et la nalure raeme de ce miracle et en reveler la portee ou la signification.

A. Le miracle en question est, par lui-meme, uneveritable resurrection de mort, nne vicloire eclatante sur la raort et sur la corruption du torabeau. QuMl en soit ainsi, les fails qui se passent imraediatement avant le prodige le prouvent avec evidence : Lazare est dans le sepulcre deja depuis quatre jours (Jean, 11, 17); le tombeau est scelle (Jean, 11, 38. 41;; Marlhe temoigne de la putrefaction du cadavre (Jean, 11, 39) ; beaucoup de Jnifs

LA RESLRRECT10N DE LAZARE 637

sont venus de Jerusalem chez les soeurs de Lazare (Jean, 11, 19); ils vont avec Marie ii larencontre de Jesus Jean, 11, 31) et ensuile au tombeau, oii ils sont les temoins de 1'action miraru- leuse du Seigneur. Le miracle est donc parfaitement determine, si on 1'envisage sous son cote materiel.

B. II n'est pas moins bien delermine sous son cote formel, «'est-a-dire en tant qifil a pour fin, dans son ensemble et ses details, de montrer la charile de Jesus et de prouver sa Divi- nite :

Que le rairacle du Sauveur soit un acte ou un effet de son amour, cela ressort surtout de la scene ou Jesus se prend a pleu- rer. Quelques exegetes expliquent separement les termes de 1'Evangile « etre bouleverse » et « pleurer », et y voient deux sentiments distincts du Goeur de Jesus. Le premier serait la orainte, la peur el la repugnance qifil eprouverait au moment ou il va accomplir le miracle : la raison en est qu'il prevoit que ce miracle, le plus grand qifil ait fait, sera foccasion procbaine des souffrances de saPassion. Ilsaitque plusieursdes personnes presentes courront du theatre du prodige au sanhedrin pour le denoncer. II considere, dans la mort de son ami, sapropre raort, et, dans la douleur des sceurs de Lazare, la douleur de sa bien- aimee Mere a foccasion de sa propre mort. Ce mystere d'ini- quite se presente a ses yeux, enveloppe son ame de tenebres et la remplit de frayeur et d'angoisse : on dirail deja un sombre nuage echappe d'avance de la grotle de Gelhsemani. Aussi le Sauveur semble hesiter a faire le prodige qui lui sera si funeste.

Mais, deuxieme senliment, Jesus pleure aussi. (Jean, 11, 35.) S'il pleure, ce n'est pas a cause de la mort de son ami et de ses destinees elernelles : Lazare etait un Saint et il veut precise- ment le ressusciter. La seule cause des larmes du Sauveur est sa corapassion touchante. Quand un homme tres bon voit un de ses amis plonge dans une douleur cruelle, il en eprouve une peine profonde; quand un membre de la famille esl lemoin des larmes et de la punition dun aulre de ses membres, alors les pleurs de tous se melent ensemble. Cest ce que fait Jesus. Marie, en larmes, se jelte aux pieds du Messie ; Marlhe pleure,

638 DEUXIEME SEMAINE

et tous les assistants pleurent, regardant avec perplexite Jesus> runique Sauveur. Jesus lui-meme verse des larmes en ce mo- ment. La raison en est, par consequent, tres touchante, ainsi que la facon donl il pletire. En nous les emotions et les larmes ne sont pas volonlaires, tandis qu'elles le sont en Jesus, qui ne pleure que quand il veul. Dans la circonstance presente, le Sau- veur voit combien la douleur de Martlie et de Marie est juste et raisonnable; a cause de cela, il la laisse agir sur son cceur de maniere a en etre tellement touche qifil repand des larmes. Ges larmes sont donc tout a fait volontaires. De plus, Jesus pleure sans rougir de ses larmes et sans les cacher. II ne fait pas ce que font souvent les bommes qui ont un bon coeur, mais qui craignent et sont confus de paraitre touches. Le Sauveur est la au milieu deceux qui pleurent, et il pleure lui-meme; les larmes coulent sur ses joues, et son beau visage dliomme en est tout inonde. Comme ces larmes sont precieuses et pour Lazare et aussi pour nous tous! Les Juifs en comprennent Ires bien le molif; car ils disenl : « Voyez combien il aimait Lazare!... Mais pourquoi ne Ta-t-il pas empeche de mourir, lui qui a rendu la vue a 1'aveugle-ne? » (Jean, 11, 36, 37.) Jesus, arrive pres du sepulcre de Lazare, se laisse encore toucher par remotion. (Jean, 11, 38.) Mais il ifest pas habilue h reculer d'un pas, et il se met vite a Toeuvre pour accomplir son miracle.

Le second sens ou le second but du miracle apparaitclaire- ment dans les deux scenes dont nous allons 6tre temoins :

En premier lieu, dans 1'entretien de Jesus avec Marlhe. Marlhe se presente devant Jesus avec une vive foi et une pleine con- fiance en sa puissance et en son aiuour (Jean, 11, 21) : elle est entierement convaincue que le Sauveur peut encore venir a leur secours, au moins par sa toute-puissante intercession. (Jean, 11, 22.) Mais cette disposition de Marthe ne suffit pas au Seigneur. II faut qifelle croie que non seulement son frere ressuscitera au dernier jour du monde (Jean, 11, 23. 24) ou meme maintenant par rintercession de Jesus aupres de son Pere, mais encore que le Messie peut rendre la vie a un raort, quand et comme ilveutr parce quil est absolument la Yie divine et vraiment Dieu. Telle est « la gloire de Dieu » que va reveler ce miracle de Jesus, tel

LA RESURRECTION DE LAZARE 639

estle sens des belles paroles du Sauveur : « Je suisla Resurrec- tion el la Vie. Gelui qui meurt avec cette foi aura la vie, et celui qui vit ne mourra jamais. Crois-tu cela? » (Jean, 11, 25. 26.) Jesus exige cette foi comme condition du miracle. Et lors- qu'un peu plus tard Marlhe, pres du tombeau de Lazare, paraitra hesiter un peu, le Christlui rappelleracettecondition (Jean, 11, 40) et sa magnifiqtie profession de foi precedente : « Oui, Sei- gneur, je crois que vous etes le Fils du Dieu vivant, venu en ce monde. » (Jean, 11, 27.) Jesus demande de Marthe cette foi et cette idee juste du miracle. A ce qu'il semble, Marie a deja cette foi. Les deux soeurs de Lazare sont donc preles a recevoir la grande faveur du Messie : elles comprennent toute la portee et toute la signification de Tacte divin qui va s'accomplir.

En second lieu, le Sauveur donne et explique lui-meme le sens de son miracle, avec tine force d'expression encore plus grande, devant les Juifs qui 1'ont suivi nombreux au sepulcre de Lazare : il le fait dans la priere solennelle qu'il adresse a son Pere immedialement avant d'operer le prodige. Celte priere montre la cause efficace et la fin du miracle. Elle a deux parties : Dans la premiere, Jesus remercie son Pere de Tavoir exauce. (Jean, 11, 41.) Cela ne veut pas dire que le miracle sera seulement le resullat ou le fruit de ses prieres : il le fail par sa propre puissance. En effet, il ajoute ces paroles : « Je sais que le Pere m'exauce tou- jours (Jean, 11, 42) » ; en d'autres termes : « Le pouvoir des miracles esl sans cesse entre mes mains, et je puis men servir quand je veux. » LeSauveur remercie son Pere, comme homme, et il le remercie d^tre a m£me d^accomplir une grande oeuvre pour sa gloire et le salut des Juifs. II remercie son Pere, en lui attribuant Toperation miraculeuse, parce que les Juifs ne le reconnaissent pas lui-meme personnellement pour Dieu, ni meme pour un homme envoye de Dieu, mais qu'ils le prennent pour un instruraent du demon. II veut ainsi leur persuader qu'il ne fait pas le miracle, en tant que signe divin, par lui-meme, comme ils le pensent, mais au nom et par la vertu de Dieu. La seconde partie de la priere de Jesus indique le but du miracle : c'est afin que le peuple, qui 1'entoure, croie que Dieu l'a envoye. (Jean, 11, 42.) II opere donc le prodige precisement pour prou-

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ver sa Mission divine. Cest pourquoi le Messie parle haut, afin que tout le monde rentende. Jusqu'ici, pour confirmer sa clivine Mission, il n'a pas deploye d'une maniere aussi solennelle et avec aulant de majeste la puissance qu'il a de laire des miracles. Mais voici qu'il ne menage plus rien el qiril expose tout, meme sa vie.

III. Le Mirach.

II nous faut considerer le miracle et dans sa nature et dans ses effets.

A. Le miracle, en lui-meme, est grand et insigne : c^esl la resurrection d'un morl, et il prouve la domination absolue de Jesus sur la vie el sur la mort. Ge prodige se dislingue des autres semblables en ce que la pulrefaclion du cadavrea deja commence. Aussi, un saint Pere fait cette remarque que, si le Seigneur a arraehe la fille de Jaire des bras de la mort et le fils de Naim de la gorge de la mort, il a arrache Lazare desenlrailles memes de la morl.

Les circonslances du miracle sont remarquables parlasimpli- cite de sa cause, et par la soudainete et la perfeclion consom- meede son accomplissement. Jesus n'entre pas dans la grolte du sepulcre; il se tient a rexterieur et se contente de crier haut el fort : « Lazare, viens dehors! » II revele par la que sa voix est rinstrument sensible de sa puissance divine. Une autre circonstance admirable, laquelle semble un second miracle, est que Lazare non seulemenl vit, mais encore se leve, sortdutom- beau et lout a coup se trouve debout en presence de Jesus et au milieu de ceux qui raccompagnent. Or, d'apres la coulume des Juifs, tous les membres des cadavres sont entoures de linges et de bandes et la tete des morts est couverte d'un voile ; et, natu- rellement parlant, il est impossible a Lazare de se lenir droit el de marcher. (Jean, 11, 44.)

B. L'Evangile ne dit rien des effets immediats de ce mira- cle. Mais nous pouvons bien presumer la surprise et Teffroi, el en meme temps la joie et la reconnaissance des personnes pre- sentes. La Sainte Ecriture parle davanlage des effets medials du prodige, particulierement sur les Juifs. Beaucoup d'enlre

RE>ETITION : r.ESURRECTION PE LAZARE 641

eux; subjugues par la force du temoignage divin, croient desor- mais (Jean, 11, 45; 12, 11); mais d'aulres, pareils a des demons furieux, s'eloignent a rinslant et courent chez les Pbarisiens pour leur denoncer le miracle. (Jean, 11, 46 ) Le resultat pro- cbain de leur demarche est la resolulion ou le decret officiel du sanhedrin de faire mourir Jesus (Jean, 11, 53), avec 1'ordre ge- neral d'indiquer le lieu de son sejour (Jean, 11, 56). Meme les ennemis de Jesus se bercent de Fidee de se debarrasser de La- zare. (Jean, 12, 10.) Mais le Sauveur seretireaussilol aEpbrem. iJean, 11, 54.)

Tel est le miracle de la resurreclion de Lazare. Cemiracle est le lemoignage le plus fort que Jesusait rendu de lui-merae. Si l'on excepte sa propre Resurrection, il n*y a pas de plus grand prodige opere par le Seigneur. Ce miracle est, en effet, grand par lui-meme et grand dans ses circonslances. Le Christ avoulu que celles-ci deviennenl criliques au pointdene pouvoiiT£tre davan- tage, et lui-merae a contribue a ce resullat. Enfin, ce miracle est grand dans ses consequences. Tous les fils des evenements passes et futurs convergent el se reunissent ici. Le miracle de la resurrection de Lazare s'appuie sur les miracles anlerieurs de Jesus comme sur une substruction qui lui serldebase (Jean, 11, 37); el il confirme magnifiquement ses enseignements subliraes sur sa puissance divine. (Jean, 5, 21. 25. 26.) De plus, il monlre en perspeclive Tavenir du Cbrist, son triompbe etsa mort. L'en- Iree glorieuse du Seigneur a Jerusalem n'est qu'une consequence de ce miracle, un hommage rendu par le peuple a Celni qui a ressuscile Lazare. (Jean, 12, 17.) En dernier lieu, ce miracle est la cause des resolulions extremes que prennent les ennemis de Jesus. Kappeler un mort de son elernile est cerles trop forl aux yeux de l'incredulite, surlout si ce fait la juge et la con- damne. Cest pourquoi il faut que tous deux disparaissent, celui qui est ressuscite et Celui qui Ta ressuscite. Voila ce qu'ily a de triste et de navranl dans le miracle sublime de la resurrection de Lazare. Ce miracle est la cause procbainede la morldu Sauveur.

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042 DEUXIEME SEMAINE

REPETITION

La Resurreclion de Lazare est le plus important miracle de Jesus, et le double but des niiracles du Sauveur y apparait netleraent.

A. Les miracles de Jesus, nous 1'avons deja dit, manifes- lent son amour et sa bonte. Cesl le trait parliculier des miracles du Messie d'avoir tous pour but de faire du bien aux hommes, soit spiriluellement soit corporellement. Aussi n'ont- ils pas d'ordinaire !e caraclere effrayanl que portent beaucoup de miracles des Prophetes : ils sonl, en effet, des preuves de 1'amour et de la misericorde du Messie.

a) Or, les traits admirables de lamour de Jesus ne se mon- Irenl nulle part mieux que dans le miracle de la resurrection de Lazare ; ils y paraissent comme dans lardeul foyer d'un mi- roir merveilleux. En premier lieu, 1'amour du Sauveur est omniscient : rien ne lui echappe, il connait loul, voit tout, embrasse tout. Bien que absent, il connatt 1'etat de son ami Lazare ; il parle souvent de lui et annonce sa mort. (Jean, 11,7. 11. 14.) Tel est 1'amour de Jesus : aucune mere ne veille avec plus crallention et de sollicilude au chevet de son enfanl malade et ne connait mieux ses besoins et ses souffrances que le Sei- gneur veillant sur nous et s'occupant de nous. II y a des por- trails ou des images qui nous regardent partout oii nous nous metlons : voila ce que fait 1'amour de Jesus ! II a sans cesse les yeux sur nous, el c'est pour nous un sujel de grande consolation et la source de la plus filiale confiance : Jesus le sait, et cela suffit! En second lieu, 1'amour de Jesus esl sage. II n'est pas aveugle, mais il agit avec discernement. II nous aime, mais il aime Dieu encore plus : LeSeigneur laisse mourir Lazare, parce riionneur de Dieu reclame son trepas. II nous aimeel, dans son amoiir, il ne veut pas nous donner nMmporte quel bien, le premier venu, si excellent qu'il soit, mais le bien qui est le meilleur pour nous. II aurait pu guerir Lazare, comme il avait gueri tant d'autres ; mais il veut faire pour Lazare plus que pour

repetition : resurrection de lazare 643

loul autre. II sait que cette niort temporaire sera utile et a Lazare el a ses soeurs. Gelles-ci en retireront de grands avantages : la charite de Jesus les unira eneore plus etroitemenl entreelles, les forlifiera dans ia foi, Tespeiance et la charite ; enfin cest a ramour de Jesus qu'elles devront de posseder Lazare. Lamour de Jesus n'est pas 1'amour du servileur pour son mailre : le serviteur ne connait pas d'autre devoir que daceompliir la volonte de son mailre. L'amour de Jesus est lamour d'um pfere pour son enfant : il voit ce qui lui est plus avantageux el il le lui donne. En troisieme lieu, ramour de Jesus eslgene- reux et pret a faire des sacrifices. Le Sauveur sait bien que ce voyage a Bethanie lui sera funeste, el les Apotres lui en omtfaif la remarque. Mais Jesus repond a leur obseivation en disant que son heure nest pas encore venue. Neammoins il prend le cherain qui le merie h la morl; car il sait que le miracle qu'il va operer sera 1'occasion prochaine de sa condamnalion. II ne recule pas, bien que ce miracle doive lui couler la vie. Ce que le Sauveur a fait pour Lazare, il l'a fait pour chacun de uous : « II m'a aime et il s'est livre a la morl pour moi. » En qua- Irieme lieu, 1'amour de Jesus est tendre et compatissant. Que^le scene magnifique et louchante que celle ou Jesus pleure, sur- totit quand on considere pourquoi il pleure et comment il pleure : c'est par pure compassion, volontairement et devant toul le monde! Nous avons ici la preuve non seulemenl de la verile de sa nature humaine, qni a une ameet uneame sensible, mais encore de sa bonte comme homme, de la sensibilile el de la lendresse de son Goeur. II ne se contente pas de pleurer sur le malheur de nos peches ; il pleure sur nos souffrances tempo- relles, et cela seulement par bonte d'ame et par compassion ! Quel bon et excellent Goeur a donc nolre Maitre Jesus ! Les larmes sonl le sang du coeur el de l'amour, et elles prouvenl les senliments de 1'arae plus que le sang lui-meme : on peul mou- rir pour une personne par pur sentiment du devoir, mais pleu- rer cette personne montre, sans qu'on en puisse douter, qu'elle possedait notre cceur. Et Jesus a toujours ce bon Goeur, un Goeur qui, dans le tabernacle et au ciel, bat sans cesse, pour chacun de nous, avec toute sa tendresse et toute sa chaleur. Le

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ciel n'est pas le lieu de rendurcissement : les larmes y cessent, il est vrai ; mais, a parl cela, tout le coeur de rhomme s'y trouve pour aimer. Enfin, en cinquieme lieu, 1'amour de Jesus est tout-puissanl. II peut nous aider quand personne ne peul plus nous secourir, quand, completement abandonnes de lous, nous nous tordons les mains de desespoir en face des sombres porles du trepas. La parole puissante de 1'amour du Sauveur commande en-deca et au-dela du tombeau, et rien ne lui est impossible.

b) G'est dans toule celte splendeur que se manifeste 1'amour de Jesus au momenl ou il opere le beau et sublime miracle de la resurrection de Lazare. Quel ami bon, cher, tendre, lidele et puissanl que ce Jesus! Gombien est digne d'envie la famille de Lazare, donl il est dit que Jesus Taimait! Que devons- nous donc faire nous-memes pour meriter cet amour et celte amilie? Lazare et ses soeurs nous rapprennent. Ils croient en lui, ils lui sont sincerement atlaches et devoues, et enfin, quoi qu'il leur arrive, ils se confient absolument en lui. Apres la resurrection de Lazare, comme les liens qui altachent loule sa famille a lapersonne de Jesus doivent elroilement se resserrer! Comme elle redouble d'amour el de reconnaissance pour un si grand bienfail! Avec quel zele et quelle force Lazare, devenu ev£que, a du annoncer le Messie, et se presenter personnelle- ment aux paiens, comme un lemoignage vivant de la Divinite de Jesus et de son amour! Ge que le Seigneur a fait pour Lazare, il le fera encore mieux pour nous : sa voix nous appellera a la vie glorieuse ; nous vivrons tous dans des corps transfigures, et nous serons eternelleraenl des temoins de la puissance et de Tamour de Jesus. D'apres toul ce qui precede, nous voyons quel bon et cher ami les ficleles trouvent dans le Sauveur. II ne se con- lente pas d'elre indulgenl pour nous apres nos fautes (Jean, 3, 2; Marc. 5, 36), de ne pas trop exiger de nous (Marc, 2, 18), de nous inspirer du courage et de louer nos vertus (Marc, 5, 34; Matth., 8, 10; 15, 28) : il nous accorde aussi son secours dans toutes nos necessites (Marc, 14, 19; 15, 36).

B. Les miracles de Jesus servent aussi de preuves iisa Divinite. Le premier et principal but des miracles du Messie est, en effet, de prouver et de confirmer sa Mission divine et sa

REPETITION : RESURRECTION DE LAZARE 645

Divinile. Lui-meme le declare plusieurs fois : il fait des miracles pour rendre temoignage de lui-meme et de sa doctrine (Jean. 5,36; 10,25); et les hommes doivenl croire a ses miracles iJean, 10, 38; 14, 12). II y renvoie meme les envoyes de Jean- Bapliste. (Matth., 11, 5.) Mais de tous les temoignages, le plus solennel est celui de laresurrection de Lazare. (Jean, 11, 42.) Assurement, le miracle esl la meilleure preuve de la verile qu'il affirme, et la vraie leltre de creance de la Divinile : en effet, le miracle est un temoignage meme de Dieu, que tout le monde comprend el qui ne souflre pas de eontradiction. D'ailleurs Jesus doitconfirmer sa doclrine par des miracles : les Propheles 1'ont predil. (Is., 35, 5.) Gonsideres sous ce rapport, les miracles de Jesus revetent un caraclere de grandeur que les aulres n'ont pas : ils sonl veritablement des miracles messia- nvjues- :

ai Les miracles du Sauveur sonl des moyens, d'abord, loul a fait appropries et s^adaplanl parfailement a la fin pour laquelle il les opere. Ils alleignenl ce bul, c'est-a-dire prouvent sa Divinite, premierement, par leur variete el leur diversite. Jesus les fait dans lous les ordres, dans 1'ordre de la nature et dans celui de la grace, dans la nalure raisonnable et dans la nalure privee de raison, dans le monde materiel et dans le monde spi- riluel, meme diabolique. Deuxiemcment, les miracles du Sauveur demontrenl sa Divinile par la maniere oslensible et soudaine dont il les accomplit : c'est tantot dans une ceremo- nie publique, tanlot en disant une parole, tanlot par un seul acle de sa volonle et a distance. Cetle facon d'agir prouve bien que le pouvoir des miracles lui apparlient enlierement et qu'il les fait non seulemenl apre-s avoir prie son Pere, mais encore parsapropre vertu elsonaction personnelle. (Luc, 9, J6 ; Marc, 5, 30. ) Troisiinnement, le caraclere de la bonte et la marque de la bienfaisance que porlent les miracles de Jesus,conlribuent puissamment a soumellre les inlelligences humaines a la croyance a sa Divinite. Enfin, quatriemement, ce meme resultat est tres souvent obtenu par le rapport merveilleux et frappant qui existe enlre le miracle et l'enseignemenl du Sauveur. Quede fois Jesus conlirme immediatemenl ses senlences sublimes par un miracle !

646 DEUXIEME SEMAIKE

S'il dit qu'il est la lumiere du monde, il donne aussilol lavue a un aveugle-ne ; apres avoir proclame quil est le Pain de vie, ii multiplie les cinq pains ; en s'attribuant le pouvoir de remellre les peches, il guerit en meme temps un malade de la paralysie, image du peche ; il ressuscile Lazare aussitol apres avoir affirme qu'il est la Resurreelion et la Vie. G'est ainsi que les miracles de Jesus, consideres dans leur relation avec les propheties et unis aux manifeslalions de la saintele personnelle dtt Ghrist, sont la preuve irrefutable au moins de sa Mission divine ; et il ay a que rincredulile ctiminelle, la passion dereglee et 1'endur- cissement volontaire qui puissent refuser de radmellre.

b) Ges miracles de Notre-Seigneur doivent, de plus, nous alfer- mir dans la foi. D^illeurs, c'est le but qu'a Jesus en faisanl des miracles. Nolre foi s^appuie sur les miracles du Sauveur comme sur son fondement. Ajoutons que notre confiance en. Jesus doil y gagner en grandeur, precisemenl parce qu'il est si bou et si puissant. 11 n'y apaspour riiomme de necessite telle qu'il ne puisse toujours dire au Sauveur : « Vous pouvez mesecourir!» EnOn, les miracles du Messie excitent notre amour ; nulle parl le Seigneur ne montre mieux ramabilile de son Ga?ur que dans ses miracles. E.L cetLe amabiliLe parail nonseulemenl ence que ceux-ci sonl par eux-memes des preuves de sa bonte, mais encore dans la maniere dout il les fait : par exemple, quand il gueril le goulteux de Belhesda, qu'il rend son fils a la veuve de Naim, et, dans le myslere d^aujourdliui, quand, avant de res- susciter Lazare, il verse des larmes par compassion, par pure tendresse de ceeur.

APPLICATION DES SENS

A. Le Seigneur est dans la Peree. II vient, avec sa gravite ordiuaire, de proposer aux Pharisiens la parabole du mauvais riche el du pauvre Lazare, et de leur dire qu'ils ne croiraient pas quaud meine un mort revieudrait de l'eternile. Alors se presenle un messager des soeurs de Lazare qui annonce de leur parL a Jesus que leur frere, son ami, est gravement malade.

APPLICATION DES SENS : RESURRECTION DE LAZARE 047

Qne fait le Sauveur? Se montre-l-il inquiet et agile? Laisse-l-il tout sur-le-champ et interrompt-il son travail pour courir vers Lazare, qui est son ami et donl la famille compte plusieurs de ses principaux disciples? Non, Jesus reste tranquille ; il se contente de faire dire aux soeurs de Lazare, pour les con- soler, que la maladie de leur frere n'est pas pour la mort, mais pour riionneur de Dieu el pour la glorilication du Fils de riiomme. Le Ghrist aime sinceremenl Lazare et ses soeurs ; neanmoins, il n^inlerrompt pas ses travaux apostoliques, et il reste ou il est encore deux jours : il ne veut pas sacrifier a un bien particulier un minislereproprea savocalion ;deplus, il sail que lagloiredeDieu reelame la mort de Lazare, et il aime Dieu plusque tous leshommes ; enfinilsepropose daccorder aLazare et a ses sceurs un plus grand bienfait qu'une guerison. Cest pourquoi il demeure encore deux jours dans la Peree. Le tioi- sieme jour, le Seigneur dit : « Retournons en Judee. » Les Ap6tres sont effrayesen entendant cette parole ; ils representenl a Jesus que naguere encore, a la fete de la dedicace, les Juifs voulaient le lapider; il va donc les exposer, lui el eux, au dan- ger de mort. Le Sauveur les calme par cette reponse : « Aussi longlemps quil failjour, on ne trebuche pas; c'est seulemenl la nuit que cela arrive ; mon dernier jour n'est pas encore venu ; je porte en moi le flambeau de la vie. » Puis il leur doune la raison de son voyage en Judee : « Lazare, notre ami, dorl, el je vais leveiller. » Les Apdlres, pensant que Jesus parledu sommeil nalurel de Lazare, concluent qu'il sera bienlot gnerj. Mais le Sauveur les delrompe en leur disant : « Lazare est mort, et je me rejouis, a cause de vous, de n'avoir pas ete aupres de mon ami; vous serez confirmes dans la foi ; maintenant, allons chez Lazare. » En ce moment, Thomas, plein d^ardeur el de courage, s'ecrie : « Allons-y aussi, quatid inerae cette demarche devrait nous couler la vie ! » Jesus sait parfailement toul ce qu'il en est de Lazare : il est en esprit aupres de lui, suivanl sa maladie, voyanl 1'extremite oii il est reduit et 1'angoisse eruelle de sesdeux soeurs ; il les aide tous de sa grace, el se rejouil du speclacle de leur saintete et de leurvertu, de leurpalience et de leur resignalion, de leur foi et de leur confiance. II sait aussi

(3i8 DEUXIEME SEMAINE

avec laplus grande cerlilude, et infinimenl mieux que les Apo- Ires, quelles seront, pour sa vie, les suiles de ce voyage et miracle qu'il va operer. Malgre tout, il se dirige du cole de Bethanie, qu'il peut alleindre dans une journee, et ses Apolres le suivenl.

B. Betbanie se trouve sur le versant sud-est de la montagne

des Oliviers, dans un enfoncemenl, sur le cliemin qui conduil

de Jerusalem a Jericho el au Jourdain. Les figuiers, les carou-

biers, les amandiers et les oliviers, par leur ombrage, les champs,

par leur verdure, fonl de Belhanie, au prinlemps, iin hameau

cliarmant. Au nord de Belhanie, l'on montre encore ie tom-

beau de Lazare, qui est creuse piofondement dans le roc et stir-

monte d'une tourelle. A 1'esl de cetombeau, a qtielques minules

de distance, sur une colline, d'oii l'on voit le liameau de

Bethanie, sis gracieusement au fond de la vallee, on honore

« la pierre de 1'arret ou du repos », appelee aussi « la pierre de

Marlhe », parce que le Seigneurs'y esl assis et y a eu son entre-

tien avec Marlhe. La « citerne de Marlhe » se voit aussi non

loin de « la pierre d'arret » et marque probablement la place

oii s'elevait la demeure de Lazare. Le Sauveur vient donc de

Jerichoavec sa suile; iltraverse les gorgessauvages de la mon-

tagne et arrive, peut-etre dans lapres-midi, sur la colline ou se

trouve « la pierre de Marlhe ». 11 s'y arrele. De cet endroil, il

jouit d'une belle vue sur Belhanie, qui esl a ses pieds danstoute

la fraicheur de sa parure prinlaniere. 11 considerela demeure de

Lazare avec ses cours, ses jardins, ses allees ombragees qui

montent jusque stir la hauteur oii il se tient. Gette habilalion oii

regnaienl la paix, la priere, la joie el la bienfaisance, est deve-

nue une maison de deuil. Son bon, son pacifique ami Lazareest

mort ; il est enterre la, et ses soeurs onl le coeur brise de dou-

leur et de tristesse. Leurs parenls sont morls, et Lazare, le chef

de la famille, leur servail de pere. Avec quel chagrin elles ont

vu la maladie l'atteindre, devenir ensuile grave et enfin mor-

telle ! Gomme Marthe et Madeleine s'epuisaient a donner a leur

frere lous les temoignages de leur amour et de leur tendresse,

a prier el a supplier Dieu pour lui, et a faire loule sorlede bon-

nes ceuvres dans Tinteret de sa sante ! Jour el nuit, elles ne

APPLICATION DES SENS : RESURRECTION DE LAZARE 649

Ie qniltaient pas. Elles avaienl mis toute leur confiance dans le Seigneur; elles 1'avaient fait prevenir du dangerquecourailleur frere, eldans des termes d'unemodestie, d'une humilile et d'une confiance si grandes qu'il aurail du les exaucer. Elles raltendaieut d'heure en heure. Que de fois elles se sonl dit fune a 1'autre : « Oh ! si seulement Jesus elait la, Lazare ne mourrait pas ! » Gependant Jesus n'esl pas venu et Lazare est morl. II est morl dans leurs bras, el elles l'ont conduit a sa derniere demeure, et le Sauveur rTarrive pas ! Gomme elles sont maintenant seules sur la terre ! Mais, malgre toute leur douleur, elles ne perdenl pas courage. Toules leurs pensees se poitenlvers Jesus toujours avec plus de force el d'amour. Elles accueillenl, comme une grande grace, les paroles que le Sauveur a prononcees a leur adresse, et elles esperent fermement qu'il viendra el qu'il les secourra. Sans nul doule, elles ne se pieoccupent guere alors de riierilage de Lazare : elles comptent les heures, ellesne tou- chent a rien jusqif a ce que vienne Jesus. G'est dans celle atlenle que se passent pres de quatre jours.

L'on est donc au quatrieme jour apres la morl de Lazare, et il y a grande reception chez Marlhe et Marie, que les Juifs de distinction viennent visiler. Dans le salon, les hommes sont separes des femmes ; chacun est assis sur un coussin ou sur un divan. L'assemblee forme un cercle assez etendu aulour des maitresses de la maison ; il y regne ungrandsilence, etunepio- fonde tristesse est peinle sar lous les visages. Tout a coup Mailhe s'enlend appeler : un de ses servileurs lui annonce ia nouvelle que Jesus esl dans le voisinage et qifil l'allend. Rien ne peut plus la retenir ; il faul qif elle voie le Sauveur et qifeile lui parle. Yile, elle va a sa renconlre ci travers les cours el le jardin. Arrivee sur lacolline, elle voit Jesusassis sur une pierre. Dominee par un senliment mele de 0101116111-, de respect, de reconnaissance et d'espoir, elle se jelte a ses pieds en versant un lonent de larmes, el s'ecrie : « Mailre, si vous aviez ele la. raon frere cerlainement ne serail pas morl. » Elle veut dire par la que le bon canir de Jesus leur aurait epargne ce malheur et qif il aurail gueri Lazare. « Neanmoins, ajoule-t-elle avec une ferme esperance, je sais que Dieu vous accordera toul ce que

G50 DEUXIEME SEMAINE

vous demanderez. » Elle insinue ainsi, d'une maniere tou- chante et delicate el avec une pleine assurance, 1'idee qu^elle a que Jesus pourrait bien ressusciler Lazare, s'il le vouluit. Le Sauveur jelte sur Martha des regards de bonle et de com- passion, et il la console en lui disant, dans un langage mysterieux et quelque peu ambigu, que son frere ressusci- tera. Le Seigneur exige, en effet, de Marlhe une foi plus parfaite : il veut qtfelle reconnaisse et confesse, en termes plus expliciles qu'il peut ressusciler Lazare non seulemenl par ses prieres, mais par sn propre puissance. Alors Marlhe presse Jesus, avec toule son humilite et sa confiance, de ressusciler son frere : « Je sais, repond-elle a rinstanl, qu'il ressuscilera au dernier jour avec toul le monde et comme tout le monde ; mais ne ferez-vous rien de particulier en sa faveur? » A ces paroles, Jesus se leve majestueusement et dit avec solenniie : « Je suis la Resurrection el la Yie. Qui meurt dans cetle foi vivra de nouveau, et qui viten croyant en moi ne mourra jamais. Grois-tu cela? » Le Sauveur affirme ainsi qu'il esl, lui-meme, absolument, la vie divine et vrai Dieu, el que, comme tel, il peut, quand el comme il veut, rendre la vie perdue ; et il de- niande a Marllie si elle le croit. Celte foi et celle profession de foi sont la condition du miracle, et il la veut et il la demande de Marlhe. Celle-ci, dans toule la vivacile de sa foi et sous Tin- spiration de TEsprit de Dieu, s'ecrie aussildl : « Oui, je crois quevous etes le Fils du Dieu vivant, quieslvenu en cemonde. » Jesus la regarde avec complaisance et lui demande oii est sa soeur ; « car, ajoule-t-il, il faut qu'elle vienne ici ». Marlhe se hale d'accourir aupres de Marie, qui est avec les femmes dans la salle de reception. Mais, par egard pour leSauveur, elle neveul pas que 1'arrivee de Jesus soit connue de ses hotes, dont beaucoup sont ses ennemis ; et elle fait en sorle de lui epargner le desagrement de se Irouver avec eux. Cest pourquoi elle dil d'une voix tres basse a sa soeur : « Le Mailre est la el il l'ap- pelle. » Alors Marie, oubliant lout le reste, se leve et, sans prononcer une parole, sans prendre conge de personne, courl a Jesus, qui esl encore a 1'endroit ou Marlhe l'a rencontre ets'est enlrelenue avec lui. Les holes sont surpris de la conduite de

APPLICATION DES SENS : RESL'RRECTION DE LAZARE ()5i

Marie ; mais ils pensent que, dans un acces de douleur, ellc s'est rendue au sepulcre pour y pleurer, elque, par convenance, ils doivenl eux-memes l'accompagner. Toute la compagnie se met donc en marche el se dirige du cole du Sauveur, qui sevoit loul a coup entoure d'un grand nombre de personnes. II y a parmi elles des habilanls du village, les voisins et lesserviteurs de la famille qui sont venus a la nouvelle de Tarrivee de Jesus. Marie, en apercevant le Seigneur, se jelte a ses pieds, tout en larmes, et s'ecrie, comme Martlie : « Ah ! si vous aviez ete la, il ne serait pas mort. » Les deux soeurs s'elaient sans doute bien souvent dil l'une a l'autre ces paroles, qui exprimaient leur douleur et leur confiunce. Le speclacle est touchant et saisis- sant. Marie esl lout eploree aux pieds du Sauveur ; Maillie se tient egalement a genoux devant lui, versant des lannes ameres ; a cote des deux sceurs sont les servileurs el les Juifs bien pensanls, amis de Jesus et de la famille en deuil ; plus loin, se trouvent les Juifs hosliles au Messie, qui ne peuvent retenir leurs larmes et ont les yeux fixes sur lui. Tout le monde pleure et jelte des regards suppliants sur Jesus, comme sur le seul refuge et 1'unique Sauveur. Cen est trop pour son cneur. Jesusest la deboul, lemoin decette douleur inconsolable, voyanl cespersonnesexcellenles, cessainles ames qui lui sont si fideles et si devouees et sont plongees dans un abimede douleur ; el leur peine de la mort de Lazare esl juste etsainte. Comment pouvail- il ne pas etre touche lui-m^me ! Oui, Jesus le veut et il esl loul a fait emu : son coeur si forl s'allendril, rHomme-Dieu ressent, comme nous, le tressaillement el le frisson qui precedenl les larmes. Son exterieur semble dire : « Si vous eles vous-memes dans un pareil etat, comment pourrais-je ne pas pleurer el ne pas le ressusciler? Ou est-il depose? » Et en meme temps des larmes s'echappent de ses yeux. La scene que nous avons sous les yeux est divinemenl belle : Jesus se tient au milieu de lous ces hommes et de loules ces femmes qui pleurent ; il regarde avec compassion et bonte aulour de lui, et landis que ses yeux ne rencontrent de tous coles que des visages baignesde larmes, la majeste de sa face divine prend une expression de douleur douce et calme, il ne peut plus se conlenir, et de grosses larmes

652 DEUXIEME SEMAINE

limpidescoulentsur sa belle figure d'homme. Ge sont des larmes d'«ne compassion noble et pure : il prend part a la peine des personnes qui lui sont cheres el qifil aime. Aussi les ennemis deJesus se radoucissent eux-memes, et etonnes ils se disent les uns aux autres : « Yoyez combien il 1'aimait ! Pourquoi 1'a-i-il laisse mourir? N'est-ce pas lui qui a rendu la vue a 1'aveugle- ne? Aurail-il perdu le pouvoir de faire des miracles ? » Le Sau- veur ayant demande ou se trouve le tombeau de Lazare, on lui repond : v Venez et voyez. »

G. Jesus se rend alors au sepulcre de Lazare, qui est pro- bablemenl Ires pres dans le jardin ; car les Juifs aimenl a avoir les tombes de leurs morls lout pres d'eux. Tout le cortege suit le Sauveur jusque-la. A la vue du sepulcre et des larmes des sueurs el des amis de Lazare, Jesus s'emotionne el pleure de nouveau. Le sepulcre esl creuse dans le roc, el se compose de deux pieces, d'un veslibule el d'une cbambre mortuaire. Dans celle-ci est la lombe, la fosse ou l'on a descendu le corps de Lazare ; une grande dalle la recouvre. Le Sauveur se place devant la grolle, a peu de distance de l'ouverlure, el commande d'enlever la dalle du tombeau, qu'on peut tres bien apercevoir dans la chambre funebre. Quelques hommes el les Apotres vont avecMarthe dans le sepulcre pour executer 1'ordre du Seigneur, et bientol se repand 1'odeur d'un cadavre en pulrefaclion. Mar- the, effrayee el bouleversee, se relourne vers Jesus et lui crie : <( Ah ! il senl deja mauvais. G'est en effel son quatrieme jour. » Jesiis lui repond par ces paroles encourageantes : « Ne t'ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire deDieu ? » Tout le monde se presse autour de la grotte et pres du Sauveur, et se tient immo- biledans l'allente de ce qui va arriver. Mais Jesus est la, impo- sant et majeslueux ; il eleve les yeux vers le ciel, etend ses bras et dit a haute voix : « Pere, je vous remercie de m'ecouler lou- jours. Je sais que vous m'exaucez toujours; mais c'est ii cause du peuple qui m'entoure que j'ai parle ainsi, afin qifil croie que vous m'avez envoye. » Le Sauveur veul dire parlii quesapriere est toujours efficace el par consequent divine, que 1'oeuvre qu'il va accomplir esl egalement un miracle veritable etdivin, et qu'il 1'opere dans le dessein de prouver sa mission divine et sa Divi-

A.PPLICATI0N DES SENS '. RESURRECT10N DE LAZARE 653

nite, Jesus tourne les yeux du cole de la grotte et crie avec force : « Lazare, viens dehors ! » Et aussilol le cadavre se reinue, se dresse dans le tombeau et sort de la grotte, toujours lie et enveloppe de linges el de bandelettes, et la tele recouverte du voile des morts. Geci esl deja un miracle ; car Lazare ne peut, naturellement, se mouvoir, se tenir debout et regarder. La foudre n'aurait pas produil un plus grand effel sur tous les assistanls : les uns reculenl d'effroi, les autres poussenldes cris d'admiration, d'autres sejettenla lerre enpleurant, sanglotant et priant. Quant au Sauveur, il fail delivrer Lazare de ses liens. Les Apolres enlevent le voile qui caclie sa tele, denouent les bandelettes des pieds el des mains el jettent sur lui un large manteau. Alors le Seigneur prend, avec bonle et dignile, les deux mains de Lazare, comme s'il voulait le saluer et le rassurer au seuil de sa nouvelle vie. Lazare se prosterne aussilol aux pieds de Jesus, 1'adore et le remercie avec emotion de 1'avoir delivre de la mort et rendu a la vie. Le Sauveur le benit, le releve et le conduit a ses sceurs el a ses amis, qui rembrassent avec une joie indicible et offrenl a genoux a son Liberateur riiommage de toute leur gralitude. Un grand nombre de Juils, hostiles a Jesus, se convertissenl en ce moment et croient au Messie. Jamais ils n'ont ete temoins d'un pareil spectacle, el ils eprouvent un vif sentiment de crainle en presence de la Divinite incarnee. II n'y a plus devant leurs yeux Jesus de Nazarelli. le Docteur et le Prophete, mais il y a le Dieu vivant, la vraie Yie el le Juge des vivants el des morls, dont la parole puissante est ecoutee au fond des abimes de 1'eternite, qui relrouve relincelle de la vie dans la poussiere du sepulcre et dans les ossements des morls, et change tout a coup en fraicheur dejeunessela corrup- tion el la decrepitude des tombeaux. Mais voici que 1'arret de son jugement va elre prononce ; car tandis que, parmi les Juifs, les uns, subjugues par la force du lemoignage divin, commencent a croire, les autres, semblablesa des esprits infer- naux epouvantes par la foudre divine, courent au lieudereunion du sanhedrin et annoncent au Iribunal supreme la nouvelle du miracle accompli par Jesus.

LE REPAS DE BETHANIE

(Jean. fl, 55. 56; 12. 1-11 ; Mahc, 14. 3-9 ; Matth., 26, 6-13.)

I. Circonstances concernant ce repas.

Elles sont au nombre de Irois prineipales :

A. Le lieu du repas est Belhanie, hameausitue au midi de Jerusalem, a environ deux mille pas des porles de celte ville. Qnelquessemaines seulement se sont ecoulees depuis que Jesus a ressuscile Lazare au caslel meme de Bethanie.

B. Le Sauveur assisle a ce repas et la scene se passe sL\ jours avant la fete pascale (Jean, 12, 1), par consequent le ven- dredi precedanl les Rameaux. Les chemins qui conduisent a Jerusalem et les rues de la ville elle-meme sont remplis de pelerins. Ceux-ci sont arrives d'avance afin de pouvoir offrir le sacrifice pour les fautes personnelles ; autrement, ils se seraient exposes a elre exclus de la prochaine solennile. (Jean, 11, 55.) Beaucoup de pelerins peuvent avoir fait route avec le Sauveur ou avoir entendu parler de son approche.

G. Lopinion sur Jesus est deja faite dans la ville; il est Tohjet de toutes les conversalions et desenquetes de toute sorle. L'agitation est augmentee par une ordonnance des grands pre- tres, prescrivant a chacun d'indiquer le domicile de Jesus afin de pouvoir rarreler. II est probable que les Pharisiens mettent toule leur applicalion k faire connaitre partout cette ordonnance. (Jean, 11, 56 ) Les circonstances sonl deja devenuescriliques, et tout se prepare pour un coup d'aulorite.

LE RfiPAS DE BETHANIE 655

II. Le Repas.

Malgre loat, le Sauveur, venanl de la Peree et de Jericho, arrive a Bethanie pourla fele de la Paque. II habite vraiserabla- blement chez Lazare, avec qui il passe le jour du sabbat. Cest le soir de ce jour quil assisle au repas que lui offre Simon le lepreux uMatth., 26, 6), un voisin et un ami de la famille de Lazare. Simon est un disciple de Jesus. Lazare se trouve parmi les invites et ses deux soeurs dirigent le service de table. (Jean, 12, 2.)

Trois incidents ou trois fails sont a remarquer dans ce festin :

A. La conduite de Marie. Marie pratique trois admi- rables vertus. La premiere est sa generosite. Elle s'esl reserve de faire les honneurs a 1'Hdte divin : elle a achete une livre de nard pur et precieux pour une somme de trois cents deniers (250 francs), selon la jusle evaluation de Judas. Le parfum est dans un vase d'albatre, qifelle brise afin de pouvoir verser le conlenu sur la tete du Sauveur. (Jean, 12, 3; Matth., 26, 27.) Elle se comporte donc avec toute la generosite possible. La seconde vertu de Marie est son humilile, qui lui fait essuyer avec ses cheveux les pieds de Jesus. La troisieme esl sa foi, unie a son religieux respect pour le Sauveur. Elle traile Jesus non pas comme un homme, mais comme un Dieu. Elle lui ofTre des hommages divins, et qui pourrait dire avec quel cceur, quel amour, quelle gratitude et quel devouement ? Toute la maison est remplie de la bonne odeur du nard precieux, mais le suave parfura des vertus de Marie rejouit le ciel et le cceur de Jesus.

B. La conduile de Judas. La conduile de Judas fail un conlrasle choquant avec celle de Marie-Madeleine. II est dit (Marc, 14, 4 ; Matth.,26, 8) que plusieurs disciples ont desap- pronve la generosite de Marie ; mais sainl Jean ne nomme que Judas parmi les meconlents, lesquels d'ailleurscriliquent la con- duile de Marie pour un autre motif que celui du traitre. Ils voient peut-etre dans Taclion de Marie un exces, peu conforme a la pauvrete et a la simplicite de leur Mailre. En Judas, c'est un senliment bas et vulgaire, c'est de rincredulite, et c'esl deTim-

636 DEUXIEME SEMAINE

piele, qui le font parler en cette occasion. II murmure el il injurie : il appelle l'acle de Marie-Madeleine une prodigalile insensee ; le culte religieux rendu a Jesus est pour lui denue de fondement, exagere et scandaleux. (M.atth., 26. 8.) Judas montre son hypocrisie et sa faussete, sa cupidite et son infidelite, quand i) dit qu'il aurait fait une bonne aumone aux pauvres avec la somme depensee par Marie. (Matth., 26, 9.) En effet, il con- serve 1'argent que le Sauveur lui donne pour les pauvres et rentretien des Apolres ; et il aurait voulu avoir celui que Marie avait depense et le garder pourlui.

G. La conduile de Jesus. Gomment Jesus se comporle- t-il vis-a-vis de Marie et de Judas? D'abord, il prend Marie sous sa protection : « Laissez-la, dit-il. Pourquoi lui failes-vous de la peine? » (M.atth., 26, 10.) Ensuite, il declare francliement que son action est un service qifelle lui rend, une bonne oeuvre qui lui profite a lui en personne (Matth., 26, 10), el il le prouve de suile en refulant robjection, prise des pauvres. II est pauvre et ilsurpasse en dignite lous les pauvres ; c'est meme a cause de Iuiqu'on faitdubien aux pauvres ; mais actuellement il convient surtout de lui faire du bien a lui personnellement, puisquMl va les quilter, tandis que les pauvres leur resteront toujours. (Matth., 26, 11.) II developpe encore cette derniere pensee en invoquant la raison touchante pour laquelle Marie lui a fait du bien : elle l'a oint d'avance pour sa sepulture (Matth., 26, 12), ou, comme dit saint Jean, il ne faut pas la blamer d'avoir con- serve du parfum pour sa sepulture (Jean, 12, 7). II n'est pas cerlain que Marie ait connu ce mystere, mais il se peut aussi que, de fait, cetle consideralion Tait poussee a une si grande generosite. Quoi qifil en soit, son coeur a suivi en cela 1'inspi- ration de la divine Providence. Le soir de la deposition du corps du Seigneur, il ne lui sera pas accorde de faire cet acle de cha- rite. Enfin, le Sauveur recompense Marie pour sa bonne teuvre, en lui assurant que TEglise en gardera un souvenir elernel (Matth., 26, 13) : promesse que 1'Epouse de Jesus a tenne et tiendra toujours. G'est ainsi que le nard de Marie con- tinue a repandre son delicieux parfum dans la maison de Dieu.

LE REPAS DE BETHAME 657

III. Uimportance da repos de Bethanie.

Le sejour de Jesus a Bethanie et le repas qiril y prencl onl une grande portee el sont d'une consequenee capilale pour le reste dela vie du Sauveur : car c'est alors que les desseins de la Providence dans la resurreclion de Lazare sont developpes el compleles.

A. Aussilot que, dans la ville, le bruit se repand que Jesus est a Belhanie, beaucoup de Juifs se rendent dans celte localile pourlevoir, ainsi que Lazare, el ils y reeoivenl le bienfait de la foi. (Jean, 12, 9. 11.) II en resulle que les grands pretres deci- dent de faire mourir aussi Lazare. (Jean, 12, 10.) La reception solennelle de Jesus a Jerusalem, le jour des Rameaux, est aussi une consequence de son sejour a Belhanie.

B. Mais revenement principal, ici. esl la decouverte d'une cause. cachee jusqiralors, et pourtanl de lacpiellele sorlde Jesus devait dependre : cette cause est la trisle disposition de Tame de Judas, son incredulite, son impiele, sa cupidite, qui, sous rinfiuence du mauvais espril, feront de lui un Irailre et le mise- rable auleur de la Passion el de la morl de son divin Maitre. Peul-elre que 1'aclion de Marie-Madeleine, pendanl le repas de Belhanie, a ete le molif determinant de son crime : en effet, celle aclion, dans l'elal d'ame de Judas, heurlait tout a fail ses senliments, elant diamelralement opposee a sesdesseins. Quelle scene inslructive nous offrent Judas et Marie dans ce myslcre! Combien Jeurs voies sont differentes ! Considerons comment l"un et 1'autre ont commence, et comment ils vont finir? Judas, un Apotre,devienl un incredule et un voleur, tandis que Made- leine, une pecheresse publique, suit, avec generosile el amour, les lecons de Jesus ! Quels chemins et quelledireclion imprevus les hommes ne peuvent-ils pas prendre dans leur exisleni e ! Pendanl que les uns s'elevent du fond de 1'abime de perdilion jusqu'a la sainlete, jusqu'au ciel, d'autres descendenl du ciel dans les profondeurs de 1'enfer. Combien la vue de Judas doil elre dauloureuse pour le coeur de Jesus, et combien, au con- lraire,la vue de Marie-Madeleine doit lui etredouce el bienfai-

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sante ! Les paroles du Sauveur nous revelent les pensees dont son esprit est occupe en ce moment. La Passion, la croix et le tombeau jetlent leurs ombres funestes sur son ame, qui com- mence a etre envahie par les tenebres de la desolation la plus grande...

REPETITION

Qui considere attentivement le mystere de ce jour doit etre frappe du calme et de la moderalion admirables avec lesquels Jesus defend Marie contre Judas. Gelui-ci vient de prononcer des paroles blessantes pour Marie et a montre toute la bassesse de ses senlimenfs ; il merite une reprimande severe, mais le Sauveur se contente delui repondre aveccalme et d'une maniere toucliante. La premiere fois que Madeieine, la Pecheresse, a repandu des parfumssurleCbrist, le Pbarisien s'en etailindigne, et Jesusavait blame vivement la conduite dece dernier. Aujour- d'hui que Tinjustice vient d'un Apotre et qifelle est beaucoup plus crianle, le Sauveur iVadresse aucun reproche, il montre seulement de la patience et de la moderation.il y a la pour nous Toccasion de penetrer encore davantage ce mystere et demediler la palience de Jesus, qui est une des vertus principales qu'il a pratiquees dans ses rapports avec le prochain.

1. La douceur, appelee aussi vulgairement patience, regle les mouvements desordonnes de la colere el reprime les desirs immoderes de vengeance. L'occasion de ces dereglements est ratlitude inconvenante ou les procedes injustes du prochain a nolre egard ou a 1'egard d'aulres personnes.

2. Le Sauveur nous donne un bel exemple de la pralique de cette vertu. Gombien de fois et de combien de manieres en effet sa douceur a ete mise a 1'epreuve, et avec quelle fidelite il l'a loujours praliquee ! Tout le monde exerce la patience de Jesus : En premier lieu, les Apolres, dont 1'esprit, le caractere el le genre de vie sont si differents de ceux du Sauveur, qui monlrent lant d'indocilite et cle defauts dans le travail de leur formation a 1'Apostolat et dans leurs relations intirnes et con- stanles avec le Messie, qui lui posentsans cesse des questions et

REPETIT10N : REPAS DE BETHAXIE 659

bien souvent ne comprennentpas ses reponses. (Matth., 13, 36; Marg, 8, 16. 17.) Au bout tle trois ans, ils n'ont pas encore une idee lout a fait juste du Regne du Christ. Act., 1, 6.) En second lieu, c'est le peuple qui met la douceur de Jesus a 1'epreuve, avec ses grossiereles et ses importunites indiscreles : le Sauveur n'a plus un instant de repos (Matth., 14, 13), il est conlinuellement assiege el obsede par la foule (Marc, 3, 10 ; 5, 31 ; Luc, 5, 1), dont les demandes n'ont souvent pour objels que des inlerels purement temporels (Jean, 6, 26). En Iroi- siemeUeu, les prineipaux d'entre les Juifsou lesgrands de Jeru- salem exercenl beaucoupsa patience ou sa douceur en le traitant avec indifference ou mepris, en agissant avec lui sans 1'ombre de sincerile. (Jean, 7, 48 ; 12. 42. 43.) Parmi eux se trouvent des ennemis et des adversaires qui le contredisent, le molestent et mettent en suspicion. En dernier lieu, c'est le Pere celesle qui eprouve la verlu de son Fils, en limilant sa sphere d'activile a la seule Palesline, et en ne laissanl reussir son enlreprise que lenlement et mediocrement, avant de permettre la cataslroplie flnale. Jesus a la rude lacbe d'ensemencer el de travailler, de souffrir et de mourir : d'aulresquelui viendronl faire la recolte. (Jean, 4, 37. 38; 12, 25; 14, 12.)

Malgre tout, le Sauveur ne se plainl pas, ou tres raremenl (Mauc, 8, 17-20; 9, 18), il ne s'irrite pas, il ne change rien a Tordre de la Providence; au contraire, il laisse a tons la plus grande liberte et le pouvoir illimite de disposer de lui. 11 aurail pu, sans nul doute, faire beaucoup de changements et meme changer tout, mais il ne le fait pas. Et pourtant ou trouver une sensibilite, une delicalesse et une distinclion comparables a celles de Jesus ? Dieu avait dit de lui depuis longlemps par la bouche du prophele : « Yoici mon Servileur, en qui j'ai mis mes complaisances; mon espril repose sur lui... 11 ne poussera pas de cris, el il ne fera acceplion de personne ; on nenlendra pas sa voix au dehors. 11 ne rompra pas un roseau froisse el il n'eleindra pas une meche qui fume encore. » (Is., 42, 1-3 ; Matth., 12, 18-20.)

3. Nous avons donc sous les yeux un magnifique modele, offert a nolre imilalion. Les molifs que nous avons d'imiter la

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douceur de Jesus sont, oulre son exerriple, premierement, 1'absolue necessite de la palience pendant notre vie. Nous avons beau arranger tout corame nous Tentendons : nous eprouverons, soyons-en surs, des desagrements ici-bas. (Hebr., 10, 37.) Deuxiemement, la patience ou la douceur est une vertu, el une verlu de la vie pralique, sa neeessite nous le raontre, et une vertu de 1'age mur ou une vertu consommee. Plus nous avancons dans la vie, plus nous connaissons les hommes et plus aussi nous devenons patients. LMmpatience merae dans rHomrae-Dieu, au lieu de plaire, aurait choque vivement. Troisiememenl, la palience eslsurlouttresimporlantepour la vie apostolique. Elle nous donne rautorile ou la consideration, parce qu'elle annonce la superiorite de notre inlelligence el de nolre jugement, el qtfelle suppose la force non comraune de notre volonle, la bonle, rhumilite et la generosile de notre coeur. Elle nous fait aimer des horames, qifelle rapproclie de nous, a qui elle inspire cou- rage et confiance el dont elle ouvre les cceurs : autrement, que ferions-nous pour les ames? Gar l'impatience ne fait rien de bon etfait beaucoup de raal. Elle nousavilit et nous rend injusleset odieux. LMmpatience ne sied pas au pasteur d'ames dans le Nouveau Testament. Si nous somraes irapalienls, Dieu nc peut se servir avantageusement de nous ni dans la cbaire, ni a 1'ecole, ni au confessionnal, ni dans les charges de la Compagnie.Cesl tout autre chose, si nous sommes doux el patients. La doticeur nous fait aimer de Dieu et des hommes. (Jac, 1, 4.)

4. Mais pour eJre conslamraent doux el palients, nous devons, cVabord, nous tenir recueillis ; puis, d'avance ou o priori, regarder toutcomme possible ici-bas, ne nous elonner de rien et elreprels a tout ; puis encore, suivre celte maxirae que nous n'avons aticune raison d'elre impatients ; et, enfin, nous appli- quer a acquerir une humilile profonde et une grande charile : telle est la recette, tels sont les moyens qu'il nous faut employer pour avoir la vertu de douceur.

APPLICATION DES SENS i REPAS DE BETHANIE ("»01

APPLICATION DES SENS

A. Jesus arrive cle Jericbo a Belhanie, dans le but de cele- brer sa derniere Paque a Jerusalem. II arrive six jours avant la fete, donc, probablement, le vendredi. Suivant son habitude, il demcure chez Lazafe, ou il a, sans doute, une piece speciale pour enseigner et pour prendre son repos. Son enlree dans la demeure de Lazareest moins triste que la precedente, alors que le chef de la maison etait mort et depose dans le sepulcre, el que loute la famille etait dans le deuil et les larmes. Aujour- d'hui, le ressuscile se tient pres de Jesus, qui lui-meme est proche de sa mort. Non loin de la, dans la ville, on parle beau- coup de Jesus, el la question de sa venue a Jerusalem passionne el divise beaucoup les esprits. Vn grand nombre de pelerins, qui 1'ont vu et enlendu dans la Peree et a Jericho, racontent les derniers miracles qu'il a operes et affirment qu'il s'est dirige sur Jerusalem pour assisler a la fete pascale. Les Pharisiens, de leur cote, ne restent pas inactifs : ils agilent et soulevent le peuple, en repandanl partout la nouvelle que le sanhedrin a ordonne a toute personne qui en aura connaissance, de lui indi- quer aussitot ou reside Jesus. Les Pharisiens sont tous d'accord secrelement pour le faire mourir a n'imporle quel prix. Cest ainsi que tout, a Jerusalem, prend un aspecl chaque jour plus raenacant pour la vie de Jesus.

Mais, 4 Belhanie, on redouble de zele et on acheve tous les preparalifs pour faire au Sauveur la reception la plus honorable et la plus cordiale. La faraille de Lazare veut lui lemoigner, encore une fois publiquement, sa reconnaissance pour tout le bien qu'elle en a recu ; aussi elle prepare en son honneur un grand repas k Tissue du sabbal. Simon le lepreux, un ami el un voisin de cette famille, veut faire, de son cole, quelque chose pour Jesus, et il insisle pour que le repas ait lieu dans sa propre salle de fete. Mais Lazare, Marthe et Marie se chargenl de tous les frais. Meme, Marie se reservede rendrea Jesusles honneurs proprement dits du feslin. Elle va donc a Jerusalem, pour y acheter les parfums les plus precieux et le meilleur nard qu'elle

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pourra Ironver. Rien n'est Irop bon. Le nard qu'elle achele est renferme dans un magnifique flacon d'albalre dont le col est long et raince. Pour s'en servir, il faut briser le col, et alors on repand le parfum. Le vase et son contenu coutenl 300 deniers, environ 250 francs. Marie-Madeleine met a contribution toul ce qu'elle trouve, et elle n'epargne rien. II esl probable qifelle a appris, a Jerusalem, de la boucbe de Veronique ou d'une autre femme de qualite, que les Juifs trament quelque noir dessein contre Jesus. Gelte nouvelle la rend triste, mais la stimule encore davanlage a donner au Sauveur tous les temoignages de son devouement el de son amour.

B Le soir arrive, Simon, le maitre de la maison, vient avec ses servileurs chercher Jesus, Lazare el les Apotres. Ils passent sans doute par une des portes du jardin. Tous porlent des habits de fete lougs, de differenles couleurs, mais de meme forme. Les servileurs ont des vetements plus courtset leur habit de dessus n'a pas de manches. La salle du festin longe la cour et esl ornee de fleurs et de guirlandes. Apres la priere, faite par le Sauveur, les convives s'assoient sur des lits de repos. Les femmes sonl arrivees par une aulre porte ; elles ont leur table a parl, mais, de leur place, elles peuventvoir tout ce qui se fait el enlendre toul ce qui se dit dans la salle des hommes. D'abord, on apporte un agneau, auquel Jesus fait une petite entaille avec un couteau d'ivoire ; alors Simon le decoupe et le presente aux Apotres qui en prennent chacun une part. Apres l'agneau vien- nenl les poissons, accompagnes d'une espece de gelee. Ensuile, on sert des patisseries, ayant la forme d'arbres ou d'oiseaux, puis des rayons de miel, des herbes vertes, comme la salade, trempant dans une sauce, enfin toute sorte de fruits, tres bien arranges sur des assiettes ou dans de jolies corbeilles. II y a sur les tables plusieurs boissons avec des verres de diverses grandeurs. Apres la manducation de 1'agneau, les convives commencent a boire. Marlhe sert dans la salle des femmes, et c'esl Marie, la Mere de Jesus, qui enlame les mets. Pendanl le repas, Jesus donnebeaucoup d'enseignements, que les Ap6lres ecoulent et sur lesquels ils font des interrogalions.

Madeleine a pleure, pendant le repas, plus qu'elle n'a mange.

APPLICATION DES SENS : REPAS DE BETHANIE 663

Ce qifelle a entendu dire a Jerusalem lui a ete au cceur, et les paroles du Sauveur ne confirment que trop 1'approche d'un facheux evenement. Elle ne peut plus se contenir de douleur. Elle se leve et va derriere les tables et les lits qui les entourent, jusqifa 1'endroit ou se trouve Jesus. Elle se jelte a genoux, penche sa tete vers les pieds du Sauveur qui sont tournes de son cote et repand d'abondantes larmes. Puis, elle tire le flacon de parfum de dessous son manteau ample el leger, en brise le col et, apres avoir ote les sandales de Jesus, le lui verse sur la plante et le dessus des pieds, qifelle essuie ensuite de ses beaux cheveux. Apres avoir remis au Sauveur ses sandales, Madeleine se leve, son vase de parfum a la main, et elle en repand le reste sur la tete de Jesus, en sorte que 1'eau precieuse coule sur son vetement. Elle jetle egalement feau parfumee sur son Mailre, depuis le derriere de la tele jusqtf a 1'extremite des pieds. Toute la salle est rempliede Todeur suavedu narddeMarie-Madeleine. G. En ce moment, Jesus a interrompn son discours. Tous les assislants ont les yeux surlui elgardentle silence. Quelques- uns des convives et nieme des Apolres regardenl d'un mauvais ceil la conduite de Marie-Madeleine : d'apres eux, sa demarche trouble la f6te. Certains commencent a chuchoter qifelle aurait mieux fait de s'en abstenir ou de la remettre a plus tard ; qifen tout cas elle indique de fexaltation de sa part. Judas saisil avec empressement 1'occasion d'intervenir : il est indigne non pas de ce que Marie a interrompu les enseignements de Jesus, mais des marques de veneration el d^amour qifon donne a celui-ci et de la prodigalite avec laquelle on le traite. II a vu et observe la conduite de Madeleine avec des yeux desapprobateurs et un cceur rempli de fiel et de colere. II s'etonne de ce que le Messie ail pu merae tolerer de pareils procedes. Judas n'a, eneffet, plus de foi ; il esl faligue de ses incerlitudes et de ses tiraillemenls perpeluels, qui lfaboutissent a rien : il comptait seulement sur farrivee d'un regne temporel du Messie ; il est plein de cupidile et d'avarice et il vole ou il peut. Aussi on comprend son aver- sion pour Jesus et la colere qifexcitent en lui les graves avis qu'il en recoit secretement; il ifa qifun desir, c'estde disparai- tre en emportant quelque chose. Les sentimenls religieux de

66'l DEUXIEME SEMAINE

Madeleine el sa grandeur d'ame le revollenl, parce qifils sont diamelralement opposes a son espritel asespropres senlimenls. II ne pense qif a favantage personnel qu'il aurait retire, si Marie avait verse ses 300 deniers dans sa caisse ; et il manifesle a son voisin son mecontenlement de cette prodigalite insensee. Marie se leve vitealors et passe derriere Judas, couverte de son voile, pour se rendre a sa place dans la salle des femmes. Judas lar- reMe en elendant le bras, fappelle une dissipatrice et lui dil qifelle aurait mieux fail de donner son argent aux pauvres. Marie-Madeleine debout lui repond avec humilite que le Sau- veur merite tout ce qu'elle a fait pour lui, el infiniment davanlage encore ; qu'elle ne peul le remercier assez de ce qu'il afail pour son frere et pour elle. Et aussilot elle serend a sa place, s'enve- loppe la lele de son voile et fond en larmes : c'est surlonl le langage facheux du miserable Apolre qui est cause de sa dou- leur.

En ce moment, Jesus prend la parole et, tourne du c6le de Judas, il dil que Ton doit laisser Marie en paix el qifelle a fait une bonne oeuvre en sa faveur. II ajoule : « Vous avez toujours aulour de vous des pauvres a secourir ; quant a moi, je m'eii vais, et Marie m'a oint pour ma sepulture. Si elle a depense son argenl pour celle circonslance, vous ne devez pas le prendre en mauvaise part ; elle a fail lout ce qifelle pouvait faire pour moi, el, a cause de cela, elle ne perdrapas sa recompense. Parloul ou fEvangile sera preche, on annoncera la bonne aclion de Marie en ma faveur, favantage qu'elle en a relire, et aussi le nom de celui qui s'en esl indigne et a murmure contre elle. » En finis- sanl, le Sauveur jelle sur Judas un regard de profonde trislesse.

Toule la salle du festin est dans le trouble : la conduile de Judas et le reproche qifil s'est atlire defrayenl toutes les con- versations. Jesus parle ensuile de diflerenles choses avec une grande tranquilile, et a la fin lous se rendent de nouveau dans la maison de Lazare. Pour Judas, il esl furieux et il senl bien qifil lfest plus a sa place dans un pareil milieu. II medite donc serieusement le projet de rompre avec Jesus.

L'ENTREE TRIOMPHANTE DE JESUS A JERUSALEM

(Marc, 11, 1-11 : Luc, 19, 29-44 : Mattii., 21, 1-17 ; Jban, 12, 12-19.)

Le lendemain du sabbal, le Sauveur se rend a Jerusalem, et son enlree dans la ville devient une marche Iriomphale.

I. Commenl Jesus manifesle sa puissance en entrant d Jerusalem.

Le Sauveur veut absolumenl reveler sa puissance en ce jour, et il le fait de trois manieres :

A. En premier lieu, Jesus monlre sa puissance dans !a pompe exterieure qui esl alors deployee. En quillant Bethanie, Jesus a pris, avec ses Apotres el se.s disciples, la route quicon- duit a Jerusalem. Mais cetle fois, oubliant sa pauvrete, il ne veut pas aller a pied, mais se servir d'une monture. II envoie deuxde ses disciples a Bethphage, village voisin, situe sur le penchant du mont des Oliviers, tout conlre Jerusalem, dontil n'estsepare que par la vallee de Josaphal ; il les envoie chercher une anesse qui y est allachee avec son anon. Si on leur fait quelque diffi- culle ou quelque observalion, ils repondront que le Maitre en a besoin. (Matth., 21, 2. 3.) C"est ce qui a lieu. A la place de selles et de couverlures, les disciples jettent Ieurs manleaux sur les deux betes ; le Seigneur monte sur 1'anon el laisse Tanesse le suivre a peu de distance. Les Apolres et les disciples forment vraisemhlablement un corlege, au milieu duquelse trouve Jesus. Les habilants de Belhanie et de Belhphage viennent bientdt s'y

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atljoiudre. Un merveilleux enthousiasme s'empare alors de toule la multitude. Le peuple fait de ses vetements de dessus une sorte de lapis aux couleurs variees toul le longde la route ou Jesus va passer : cesl donner au Messie une marque de veneration et un teinoignage de devouement extraordinaires. (IV Rois, 9, 13.) On coupe des branches de figuier et des rameaux d^olivier qu'on eparpille dans la rue. ( Matth., 21, 8.) Tous ensemble, ceux qui precedent et ceux qui suivent le Sauveur erient de loute leur force : « Hosanna au Fils de David ! Beiri Gelui qui vient comme un Roi au nom du Seigneur! Benie soil Tarrivee du Regne de notre pere David ! Paix et gloire au plus haut des cieux ! » (Matth., 21, 9; Marc, 11, 9. 10; Luc, 19,37. 38.) Les pelerins de la fete, campes autour de Jerusalem, apercevant le corlege de Jesus et entendanl les chants de louange dont il esl 1'objet, sont eux aussi transporles d^enlhousiasme. Ils viennent par troupes au-devant du corlege, coupent des branches de palmier el se meltenl a crier eux-memes : « Hosanna ! Beiii Gelui qui vient au nom du Seigneur ! Beni le Roi d'Israel ! » (Jean, 12, 12. 13.) La foule innombrable s'approche ainsi de Jerusalem au milieu d^une allegresse indescriplible. La ville elle-meme se mel bientot en mouvement ; de tous coles, on demande quel est celui qui arrive, et des qu'on apprend que c'est Jesus, le Pro- phelede Nazareth en Galilee (Matth., 21, 10. 11), leshabilanls augmentent les rangs de Tescorle du Messie. Celui-ci entre dans le lemple, et y guerit des aveugles et des boiteux. Alors les enfants poussent les cris de joie : « Hosanna, hosanna au Fils de David. » (Matth., 21, 14. 15.) Jesus commence a faireTins- peclion du temple. (Marc, 11, 11.)

B. En second lieu, celte magnificence exterieure est accrue par sa haule portee, la sublimile de sa signilicalion. II ne s'agit pas seulement ici d'une manifestation polilique, mais d'une manifestation religieuse. L^ntree triomphale de Jesus est une vraie marche religieuse, une procession, en meme tempsqu'une reconnaissance solennelle de ses miracles et de sa Mission divine : Jesus y est proclame Roi et Messie et prend officiellement pos- session du temple. Voila la signification des rameaux ou des palmes que porte et agile le peuple ; tel est le sens des repons

l'entree triomphante de jesus a jerusalem 667

de fete qui sont alors chantes : « Hosanna ! lieni soit Celui qui vient au nora du Seigneur ! » (Ps. 117, 2-4. 26.) Getle ceremonie el ces chants sont ceux de la fete des labernacles, laquelle est une verilable fete du Messie ; c'est, en lermesexpresetformels, le salut royal ou le salut de benediction, adresse a l'Heritier du trone de David. Aussi 1'Evangile dit que les disciples de Jesus onl chante les louanges de Dieu a cause des miracles dont ils ont ele temoins (Luc, 19, 37), et que le peuple a rendu temoigna^e au Sauveur, en apprenanl le miracle de la resurrection de Lazare (Jean, 12, 17-18;. Gelle entree a Jerusalem est l'accom- plissement de cette prophelie de Zacharie : « LeMessie arrivera dans Sion sous des dehors humbles, monte sur une anesse et sur 1'anon, sur le petit de la bele de somme. » (Zach., 9, 9.) Gomme il sagit d'un service ou d'un office sacre, il faut que 1'animal n'ail jamais ete monle par personne. (Nomb., 19, 2 ; I Rois, 6, 7.) Les saints Peres voient dans celte circonslance le pouvoir souverain du Messie sur la gentilite, tandis que 1'anesse figure le Judaisme. Mais 1'Eglise calholique regarde les palmes et les rameaux d'olivier comme des symboles de la vicloirc de Jesus sur le prince des lenebres et de la mort. Ge n'est que plus lard que les Apotres ont compris clairemenl tout le sens de cette entree trioraphale du Sauveur. (Jean, 12, 16.")

G. En Iroisieme lieu, c'est la cause proprement dile de Tentree pompeuse de Jesusa Jerusalem qui donne encoreacelle solennite un singulier eclat. Getle cause n'est autre que le Sauveur lui-meme, sa Personne, la puissance de sa grace el de sa Divinile, qui se manifeste avec tant de magnificence dans ses actions miraculeuses. Jesus vient sans armee, sans tresors, sans 1'apparat des armes et sans coursiers de bataille : il est pauvre, el meme la monture dont il se sert ne lui apparlient pas. Mais il vient avec rEsprit-Saint et avec les dispositions admirables de la grace, qui altire tout k lui el enlhousiasme toute la multilude en sa faveur ; il vient aussi avec ses Apotres, ses disciples et le peuple, qui lui font un cortege d'honneur comme rois et triom- phaleurs n'en onl jamais eu. El personne ne mel obslacle a celle entree triomphale. Pilate, avec sa double garde, Pilate, qui voit toujours avec tant de defiance les manifestations populaires,

668 DEUXIEME SEMAINE

surlout dans la solennile pascale, Pilate ne bouge pas.Les Pha- risiens et les grands pretres s'irrilenl el inveclivenl en vain conlre les enfants el la foule qui poussent les acclamations de 1'liosanna dans le lemple. La reponse ne se fait pas attendre : Si les enfants ne criaient pas, les pierres elles-memes crie- raicnt (Luc, 19, 39. 40) ; n'a-l-il pas ete predit que la louange du Messie sortiraitde la bouche des enfants?» Les ennemis du Sauveur sont obliges d'avouer que tous leurs efforts sont inutiles et que tout le mondecourt apres Jesus. (Jean, 12,19.)La magni- ficence de cette journee est donc Toiivrage exclusif du Messie, el ce jour esl de fait le plus glorieux de sa vie terrestre.

II. Pourquoi le Sauveur fait-il celte entree solennelle ?

Les molifs en sont au nombre de qualre principaux :

A. Premierement, le Prophete a predit que le Messie prendra de celle maniere possession de la ville sainte et du temple. (Zach., 9, 9.) Ge triomphe est par consequent un signe pour reconnailre le Messie. Aussi tous les Evangelistes en font une menlion speciale.

B. Deuxiemement, le Sauveur veut, par ce triomphe, enlever a 1'incredulite son dernier sublerfuge. Les Juifs alten- dent loujours un Messie puissant et honore, et ils ne peuvent le concevoir aulremenl. Eh bien ! aujourd'hui ils ont ce Messie. De plus, Jesus veut detourner ses ennemis de leur dessein cri- niinel ; et, en realile, son enlree triomphanle a Jerusalem les empeche d'arreter, suivant leur plan, le Seigneur pendant les feles pascales. (Matth., 26, 5.) Lui-meme leur a dit qu'ils ne le reverraient a Jerusalem que quand les airs relentiraient du chant de riiosanna : « Beni Gelui qui vienl au nom du Sei- gneur ! » (Luc, 13, 3o.) Gette enlree solennelle de Jesus est une giande grace pour les Juifs ; c'est la derniere visite du Messie, conmie le Seigneur le leur dit avec une douloureuse emolion. (Luc, 19, 42.)

C. Troisiemement, Jesus se propose de montrer par ce triomphe que sa Passion et sa mort futures sonl des actes libres de sa volonle, qu'il les a permis et qu'il les a choisis. Gelui qui

L ENTKEE TRrOMPHANTE DE JESUS A JERLSALEM f)G9

est ainsi mailre de soi et des autres peut bien se deferdre conlre ses ennemis. Son enlree triomphale a Jerusalem esl la reponse de Jesus a la queslion de savoir s'il parailra a la fele ; c'esl la reponsea 1'ordre donne d'indiquer le lieu de son sejour, afin de pouvoir l'arreter (Jean, 11, 56); c'est la reponse a la resolulion prise parles Pharisiens de le faire mourir. (Je.an, 11, 33.) Aujourd'hui, ce n'est pas sa vie qui est entre les mains des ennemis de Jesus, c'est leur vie qui est entre ses mains.

D. Quatriimement, le Sauveur veut faire ressorlir 1'igno- minie de sa morl par le contrasle d'un glorieux triomphe. Gest pourquoi il choisit Jerusalem et la Paque pour le lieu el 1'epoque de sa Passion, et aussi pour le lieu et le lemps deson Iriomphe. II veut donc souffrir et mourir dans la me"me ville el de la main des memes hommes qui auronl ete les temoins el les inslru- ments de sa glorificalion. Voila le grand et 1'admirable esprit de Jesus : il se prepare la gloire dans rignominie el rignominie dans la gloire ; il vienl prendre possession de la ville sainle pour y etre crucifie.

III. Comment le Sauveur fait son enlree solennelle a Jerusalem.

A. Exlerieurement, Jesus fail son enlree solennelle a Jerusalem avec une modestie, une humilite et une amabilile tres grandes. II arrive, suivant la prediclion du Prophele, non pas avec 1'appareil guerrier ni avec une pompe vaine, mais simple- ment, avec mansuelude, assis sur le pelit de 1'anesse : cette entree convienl a son caraclere de Prince de la paix et de Roi d'une nation sacerdotale, de Roi du peuple de Dieu, lequel ne doil pas se confier dans ses chariots et ses chevaux de bataille, mais seulement dans le nom et la prolection du Seigneur. II arrive, comme tous les Pretres, les Prophetes et les Rois des heureux lemps d'Israel. II arrive, comme Roi el Messie, pour fonder son Royaume non au moyen de l'art guerrier et de la puissance exterieure, mais avec les armes delapaix, de la dou- ceur el de la pauvrete. Samonlure et son equipage ne lui appar- liennent meme pas. Mais il a tout ce qu'il veul : 1'amour de ses

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sujels lui donne tout et lui met tout ce qa'il desire entre les mains.

B. Init-rieurement aussi, le Sauveur triomplie avec une profonde humilile. 11 connait le neant de lous les honneurs terrestres. II sail que sur ce menie chemin, jonche de palmes, que sa nionture foule aux pieds, il repasseradansquel([nes jours, Iraine comme uu malfaiteur, de trihunal en trihunal ; il sait encore que ces memes hommes qui chantent riiosanna en son honneur lui crieront bienlol : « A mort ! a mort ! » Mais il voit aussi comme lout depend de sa grace.

G. Enfin, Jesus triomphe en ayant une grande pitie de Jerusalem et de son peuple. G^est pourquoi il pleure a la vue de la ciie sainte et il se plaint bien liaut de son aveuglemenl el du malheur qui va fondre sur elle. Ce malheur, il le depeint en quekpies trails et sous des couleurs tres vives. (Luc, 19, 41-44.) En meme temps qu'il triomphe, le Sauveur eprouve encore dans son ame un sentiment douleureux a cause des souffrances et de la mort qui le menacent. Tout lui rappelle alors sa Passion prochaine. Gelte entree dans Jerusalem est pour lui une marche funehre plulot qu'uiie marche triomphale. Jesus se laisse orner pour le sacrifice et accompagner solennellement jusqu'a Tautel de rimmolation : carc^est precisement en ce jour que, suivant la coulume, les Juifs font choix de 1'agneau pascal et rapporlent dans leur demeure tout orne de fleurs et de rubans.

Tel est le fail important de 1'entree solennelle de Jesus a Jerusalem. Nous y voyous, dans le plus grand jour, la Personne, 1'esprit et les deslinees de 1'Homme-Dieu. G'est un lableau vraiment admirahle. Dans des conlrastes merveilleux el sous des traits saisissants, la morl s'y trouve a cote de la vie, 1'igno- minie a cole de la gloire, la pauvrele a cole cle la richesse, raffliction a cole cle la joie ; on y constale raveuglement et la perte des uns, la foi et le salul des aulres. Toul cel ensemble forme une raagnifique introduclion a la Passion du Sauveur. Dans son rapport avec les Exercices, le mystere de 1'enlree solennelle de Jesus a Jerusalem jette un grand eclat sur la medi- tation du Regne du Ghrisl. Gomme sa personnalite y parail grande el magnifique, el avec quelle nettete s'y dessine son plan

REPETITION : ENTREE DE JESIS A j£r(JS.\LEM 671

de conquerir le Royaume de la gloire par le travail et l'humi- liation ! D'un autre eole, nous voyons encore, a celle occasion, se reveler d'une faron claire les senliments veritablesel devoues des bons sujets a 1'egard de leur grand Roi. Nous devons nous- memes etre ce qifils sont et suivre les exemples des Apotres, des disciples et du peuple fidele. Nous ne ferons jamais trop pour lui : rien if esl jamais ni trop cher ni trop precieux, quand il s'agit de lui offrir quelque present. Nous devons nous rejouir du jour de son triomphe, 1'en feliciler et montrer a son service tout le zele interieurel exterieur dont nous sorames capables.

REPETITION

Le trait le plus saillanl et le plus admirable de Tentree triom- phale de Jesus ii Jerusalem consiste en ce que le Sauveur y prepare immediatement sa honte et son humiliation. L'Eglise a tres bien compris et exprime le sens de ce mystere dans les prieres lilurgiques el 1'epilre du dimanche des Rameaux. Nons y trouvons nous-memes Toccasion de conlempler 1'humilile de Jesus pendanl sa vie publique : celle humilile, nous la conside- rons ici dans sa source ou dans son principe, en lant qifelle vient et decoule du cuenr de Jesus, et non pas en lant qtfelle resulte de la souffrance que lui font endurer les hommes par les oulrages et les injures dont ils 1'accablent.

A. L'humilite, dont nous parlons, se resumedans un poinl qui est celui-ci : « Le Sauveur ne cherche pas a plaire au monde. » Aulrement il y aurait eu dans sa conduile un manque d'hurailite et les vaines recherches de 1'amour-propre. Or, Jesus est, au conlraire, lout a fait libre de celte affection dereglee. Nous le conslalons dans les trois considerations suivanles :

Pretmerement, 1'apparilion et la conduite du Sauveur ne repondent nullement a l'attenle des Juifs mondains et sensuels. Ils esperenlun Messie riche, heureux el honore, et Jesus esl humble el pauvre. II cache tous les tresors de puissance et de sagesse dont la manifestation lfest pas necessaire. Que de fois il a defendu de ne pas repandre le bruit de ses miracles ! II preche

672 DEUXIEME SEMAINE

la penilence, se norame le liberaleur des esclaves du peche, exige de ses disciples le renoncement d'eux-memes ou l'abne- galion (Luc, 5, 32 ; 13, 5), et ne favorise d'aucune maniere la vanile nalionale des Juifs. G'est pourquoi il dil : « Heureux celui qui ne se scandalise pas k cause de raoi ! » (Luc, 7, 23.)

Dtuxiememenl, le Sauveur se pose publiquement en adver- saire du parli doininanl des Pharisiens, dont il devoile la con- duite scandaleuse, quoique secrele, et dont il atlaque et flagelle sans menagemenl la vanite, la sottise, 1'immoralite, la cupidile et rhypocrisie. (Luc, 11, 39-52 ; Matth., 23, 25-39.)

Troisiemement, Jesus se compromel avec le Judaisme entier, Iui laissanl entendre clairement que, comme Messie, il est le Fils de Dieu et le Mailre de toute la Religion (Matth , 12, 8 ; Jean, 2, 16; Lic, 19, 46); qu'il va fonder une autre Religion (Matth., 16, 18), de la(|iielle les Juifs seront exclus par leur faute (Luc, 13, 28 ; Mattii., 21, 43) ; que leur cite vadisparailre avec leur nationalile (Matth., 22, 7) ; et qu'enfin les paienspren- dront leur place. Nalurellement parlant, ces predictions sont trop fortes pour les oreilles juives, et c'est pourquoi tout le Judaiisme devient ouverlement Iiostile au Sauveur. Jesus esl 1'objet de la liaine el des persecutions des Juifs. Mais le Messie y resle bien indifferent. II cherche avant toul Dieu et la juslice, et il esl assez humble pour prendre surlui et supporter la desap- probation et le meconlentement universels. Cesl pourquoi sainl Paul dit si bien en parlant du Sauveur : « Le Ghrist n'a pas cherche son propre plaisir. » (Rom., 15, 3.)

B. Mais pour agir ainsi, il faut une profonde humilite : car il y a la tres souvent un ecueil pour cetle vertu. Gombien rhumi- lile esl necessaire ! Sans elle nous sommes sans cesse exposes au danger d'abandonner Tanivre de Dieu. Gelui qui cherche a plaire aux hommes ne peut elre un serviteur de Dieu sur et fidele. (Gal., 1 , 10.) Gombien d'hommes qui ont vecu el converse avec Jesus, sont la preuve vivante de cetle verite ! Ils ont cru a Jesus, mais, par respecl humain, ils n'ont pas ose se declarer pour lui. (Jean, 12, 42.)

APPLIC DES SENS \ ENTREE DE JESUS A JERUSALEM G7'3

APPLICATION DES SENS

A. Le lendemain du repas offerl a Jesus par Simon le lepreux, le Sauveur s'avance du cote de ses Apolres solennelle- raentet en costurae de ceremonie. II porte un vetement de laine blanche, tres fine ; il a aulour des reins une ceinlure, ou l'on a tisse des letlres; une elole lombe sursa poitrine, et un manteau brun, leger, couvre ses epaules. II reunit tous ses Apotres, ses disciples, tous les hotes de Lazare, et les saintes ferames, et Jeur declare qu'il veul en ce jour faire son enlree Iripmphale ■dans la ville et au temple. II ajoule : « Ce triomphe a ele predil ■el il doit avoir lieu. Les ennemis disent et repelenl que"le Mes- sie viendra avec une grande puissance et une grande majeste. Je veux aujourd*hui les eblouir par une gloire que ni en\ ni leurs peres n'ont jamais vue. Mon but est de les faire rentreren eux-meraes. Pour vous, raes amis, vous n'avez rien a craindre : personne ne vous touchera. Je suis arrive a mon jour d'honneur et de louange ; je l'ai voulu avanl de mourir. Rejouissez-vous •donc el louez Dieu ! »

B. Le Sauveur ordonne alors adeux desesdisciplesd'aller iv Bethphage, hameau situe pres de Belhanie et encore de ce •cole du mont des Oliviers. « La, leurdit-il, vous trouverez une anesse, allachee a une clolure en bois, avec son anon, deja grand. Yous delierez 1'anesse et vous me 1'amenerez ; 1'anon la suivra. Si quelqu'un vousdit quelque chose, vous repondrezque le Seigneur a besoin de ces animaux. » Jesus organise ensuite le cortege : a la tete, il place les disciples, ii leur suile les Ap6- tres, deux par deux ; derriere lui seront d'autres deses disciples el de ses amis, et enfin, a une cerlaine dislance, les sainles femmes, sa Mere a leur tele. Les disciples couvrent 1'ane et Tanesse, chacun d'un manteau, el leur mellent au cou une elroite bande d'etoffe precieuse qui pendra suffisamment. Les Apolres et tous ceux qui font partie dti cortege, ont eu soin de couper des rameaux de palmiers dans les jardins de Lazare. Des que Jesus est monte sur 1'anon, un enlhousiasme indescriptible s'empare

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de lout le moncle. La foule commence a agiter les palmes et a chanter avec force, el le corlege se met en marcbe dans la direc- tion de laville. Tous les chemins fourmillent de pelerins elran- gers, que renthousiasme gagne bientot aussi et qui se joignent sans cesse a Pescorle du Messie en poussanl des cris de joie el de Iriomphe.

A la sortie de Bethanie, le eortege fail le tourdu versanl me- ridional du mont des Oliviers et traverse le chemin de Ia vallee, entre la montagne du scandale et le prolongement du mont des Olives; c'est a cel endroil qu'on apercoit, pour la pre- miere fois, la parlie sud-ouest de Jerusalem, ou se trouvent le palais royal el les tours d'Herode. A cette vue s'eleve une excla- mation exlraordinaire : « Hosanna au Fils de David! Beni soil Celui qui vient au nom du Seigneur ! » Ce cri est repele par tous les echos de la montagne. Puis le calme se retablit : le chemin descend dans un fond pour bient6t remonter jusque sur un pla- teau de rocher, ou soudain le magnifique panorama de Jerusa- lem se presente aux yeux emerveilles. Le spectacle est incom- parable : on voit, d'un c6te, les constructions gigantesques du temple avec le Sainl des Saints richemenl recouvert d'or ; d"un autre, les splendides portiques el les tours de la maison de Dieu ; et, enfin,la ville entiere, dans toute sa longueur, avec ses palais et ses forleresses. Ce tableau unique a pour fond les jardins en fleurs et les faubourgs de la ville, en ce moment tout eblouis- sants des rayons du soleil du matin. Devant ce spectacle, Ten- thousiasme des disciples et de la foule est a son comble, il n'a plus de limites, el parlouton entend les cris joyeux etrepeles : « Hosanna ! Hosanna au Fils de David ! » Tout le monde croil voir poindre Faurore du Begne du Messie. Les acclamalions retentissent dans la vallee et arrivent jusqiraux murs de Jerusa- lem et du temple; elles reveillent Ies pelerins qui campent autour de la ville. Des quMls aperroivent la foule el qii'ils apprennent la venue de Jesus, ils sont transportes eux-m^mes d'enthousiasme. lls vont par Iroupes a sa rencontre, coupent des rameaux de palmiers et d'oliviers sur le penchant occidental du mont des Oliviers et se mettent a crier : « Loue et beni soit Celui qui vient au nom du Seigneur, Boi d'Israel ! » Bientot ils

APPLIC. DES SENS : ENTREE DE JESUS A JERISALEM 675

s'adjoignent au corlege. On aurail dit deux lorrents d'hommes confondant leurs flots ensemble, quand une des foules, arrivee au-devant et lout pres du Sauveur, s'est retournee respeclueu- sement et a pris la lete du corlege, tandis que Tantre, venant par derriere, continuail a suivre ses pas.

Mais, au milieu de cette jubilation universelle, un seul homme esl triste et verse des larmes : cel homme, c'est Jesus. La vue de la ville et du temple, cause de joie pour tous, le lemplil de peine et d'affliction. Elle lui rappelle tout aulre chose qne le debut du Regne du Messie. II songe a toutes les misericordes de Dieu envers Jerusalem et le peuple dlsrael, a ringratilude el a rinfidelile des Juifs, et au terrible jugement qui les altend : « 0 ville, dit-il, si lu savais, au moins en ce jour qui l'est encore donne, ce qui peut 1'apporter la paix ! Mais tout cela est cache a tes yeux. II viendra un temps 011 tes ennemis fenvironneront de relranchements, fenfermeront et te serreront de loutes parls. Ils te renverseront par terre, toi et tes enfanls, et ne te laisse- ront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps ou Dieu l'a visitee. » (Luc, 19, 42-45.) Jesus voit en esprit les murailles de Jerusalem, si elevees et si blanches, devenir la proie des flammes,detruites et rasees; il voit leurs pierres noir- cies par le feu ; il voit les enfants, si frais et si aimables, qui courent apres lui et chantent de tous leurs cceurs, reduits a 1'etat de cadavres mutiles, ensanglantes et carbonises, gisant dans les rues dela villeprise d'assaut ou mourant sur des croix a cet endroit meme oii il passe; il voit le Temple saint s'abi- mer pour toujours dans les flammes et disparailre dans les decombres. II songe que bientot un autre Messie, le Romain Tilus, viendra faire le siege de Jerusalem, ordonner a ses legions d'en faire 1'assaut et battre ses remparts en breche avec leurs beliers. II prevoit cette infortune et cette misere sans nom; et son cceur, afflige et emu de compassion, exhale des plaintes : Jesus repand des larmes ameres au milieu meine de son triomphe.

Cest ainsi que le corlege immense du Messie s'approche de la ville en poussant des cris de joie indescriptibles. Jerusalem s'ebranle aussi. Jesus y a sans doute envoye quelqnes disciples

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pour prevenir ses amis de son entree Iriomphale. Geux-ci vien- nent a sa rencontre, el leurs rangs sont augmenles d'un grand nombre de personnes qui ont entendu les instructions du Sau- veur et appris la nouvelle de la resurreclion de Lazare. De tous c6les, on demande ce que signifie cetle agitalion, quel est celui qui fail son entree a Jerusalem. On repond que c'est le grand Prophete, Jesus de Nazareth, en Galilee, qui arrive. Alors des troupes dliommes sorlent de la ville pour le voir el 1'accompa- gnent en criant : « Hosanna au Fils de David ! Paix au ciel et gloire dans les hauteurs inaccessibles ! Hosanna ! » Mais avec le peuple viennenl les ennemis de Jesus, irrites d'entendre les chants de THosanna, de voir Jesus recevoir des honneurs reli- gieux et etre proclame le Fils de David et le Messie. Ils sortenl de la ville el s'avancenl dans ia vallee de Gedron ; la ils repro- chentaJesus et a ses disciples cetle scandaleuse manifestation. Le Sauveur leur repond : « Si on se tait, les pierres parle- ronl. » Eiraffluence croissante du peuple les force a se relirer. Jesus enlre alors dans la ville, non, au moins d'apres des con- jectures probables, par la « porle doree » qui conduit direc- tement au parvis du lemple, mais par la « porle des brebis ». Le corlege doit ainsi parcourir une partie de la ville, et c'esl en ce moment que le triomphe de Jesus acquiert toute sa magnifi- cence. Beaucoup de Juifs enlevent leurs robes de dessus et leurs manleaux pour les etendre par lerre. La rue est tellement jon- chee de tapis, de branches d'arbres et d'habits que le cortege ne peut avancer que pas a pas et a travers des arcs de triomphe qu'on a eleves de place en place. Dans le voisinage du lemple, se trouvent des cldtures et des barrieres elegantes, derriere lesquelles on voit des agneaux et des jeunes boucs, ornes de fleurs et de rubans : c'est le marche des agneaux, deslines a la celebration de la fele pascale.

Mais le Sauveur est tres humble et tres grave au milieu de celte pompe et de cetle jubilation. II sait bien que lous les hon- neurs d'ici-bas sont vains et perissables, et que tout cet enlhou- siasme n'esl qu'un effet de sa grace : c'est lui-meme, et lui seul, qui esl 1'auteur de ce magnifique triomphe,qui seravitepasse et sera aussitot suivi de sa Passion. Aussi Jesus celebre cetle f£te

APPLIC. DES SENS '. E.NTREE DE JESUS A JERUSALEM 677

avec un vif senliment de trislesse. Toul lui rappelle sa passion : les lieux pres desquels il passe, Gethseraani, le Cedron, les palais, les rues, et la foule qui 1'accompagne et 1'acclame. II sail que, clerriere les murs de Jerusalem, ses ennemis le guetlent et que toule cette splendeur aiguise leurenvie etexcile leur haine. Sur ces rameaux que sa monture foule aux pieds, il repasseia bienlol comme un criminel, traine de tribunal en tribunal jusque sur la montagne du Galvaire. Les memes hommes qui elendent aujourd'bui leurs velements dans les rues et chanlent 1'Hosanna reclameront sa mort et le traineront au lieu du supplice. Judas marehe devanl lui, le visage froid et le cocur dur. Gelte enlrce Iriomphale est donc pour le Messie plutdt une marche funebre. Orne corame une viclime, il ressemble a la brebis qui est menee a rabaltoir. Les agneaux de la Paque enguirlandes et leur faible belement lui disent assez ce qui lui est reserve.

G. Enfin, le cortege arrive a la monlagne clu temple. Le Seigneur descend de sa monture et entre clans la maison de Dieu avec ses disciples et le peuple quisonl remplisd'allegresse. Les prcHres et les grandsprelresen sonl indignes et scandalises. On presenle a Jesus beaucoup de boiteux et de malades qu'il gneiil sur-le-champ. Alors renlhousiasme de la foule esl a son comble ; el meme les enfants du temple viennent par bandes et entonnenl les passages propheliques de la fete des Taberna- cles : « Hosanna au Fils de David !... » Les grands pretres n'y tiennent plus et, s'approchant du Sauveur, ils lui disenl : « N'entende/.-vous pas ce qu'ils chanlenl? », et ils veulent lui faire des reproches de ce qu'il supporle cela. Mais Jesus leur repond : « Je les entends bien. N'avez-vous jaraais lu ce qui est eciil : Je ferai sortir ta louange de la bouche des enfauls el meme des enfanls a la mamelle a cause de tes envieux ? » Et il ne s'inquiete plus de ses ennemis. II continue a enseigner el a guerir jusqu'au soir, et il retourne ensuite a Bethanie.

DERNIERS ENSEIGNEMENTS DE JESUS DANS LE TEMPLE

(Matth., 21, 17-46; 22. Luc, 19, 47 ; 20: 21, 1-4. Jean, 12, 20-50.

Dans celte medilalion, nous considerons les derniers ensei- gnemenls donnes par Jesus dans le temple, quelques jours avant sa Passion.

I. Ce que le Sauveur enseigne.

Les derniers enseignements de Jesus dans le temple peuvenl se ramener a trois points principaux :

A. Premirrement,\e Messie rend lemoignagede lui-meme •d'uue double maniere : D'abord, il alteste sa Divinite el dans la parabole des ouvriers envoyes a la vigne, ou il se declare « le Fils cheri » du Mailre de la vigne, et dans rinterrogation qu'il fait aux Pbarisiens : « Que pensez-vous du Cbrisl? De qui esl-il le Fils?... », quand ilajoutea leur reponse : «SiDavid 1'appelle Seigneui-, comment est-il son Fils ? Le Gbrist est donc plus que le Fils de David. II est son Seigneur et son Dieu. » (Mattii., 23, 45.) De pius, Jesus s'explique sur sa glorificalion et sur sa mort : « Cest maintenanl que le Fils de Fhomme est glorifie... Si le grain de froment ne meurl pas apres qu'on 3'a jele en terre, il demeure seul ; mais quand il est mort, il porle beaucoup de fruils... Cest maintenant que le monde va elrejuge ; c'eslmain- tenant que le Prince de ce mondeva etre chassedehors.El pour moi, une fois eleve de terre, j^atlirerai loul a moi. » (Jean, 12, 23-25. 31. 32.)

DERNIERS E.MSEIGNEMENTS DE JESUS DANS LE TEMPLE 679

B. Deuxiemement, le Sauveur enseigne diderents poinls de la morale evangelique : ainsi, les relations de 1'Eglise et de 1'Etal (Matth , 22, 21), la resurreclion des corps el la vie qui suit la resurreclion (Matth., 22, 23), le grand preceple de 1'araour de Dieu (Matth., 22, 37), et la vaJeur de raccomplisse- ment genereux des devoirs de la Religion. (Luc, 21, 3.)

G. Tronidmement , le Sauveur parle de la punition que rinfidelile et la perversion morale altireront sur le peuple. Le Christ depeint ce chatiraent dans les paraholes des deux fils (Matth., 21, 28. 32 j, des vignerons (Matth., 21, 33) etdu repas des noces (Mattu., 22, 7). II doune une iraage de la reproba- lion future dans le figuier sec el sterile quil trouve aux porles de Jerusalem. M vith., 21, 19.) Ce sonl les paiens qui prendront laplace d'Israel dansle Royaume de Dieu. (Matth., 21, 31. 41 ; 22, 9.) Jesus lermine en fulminant ses terribles raaledictions coutre les Pharisiens et en annoncanl la devastation du teniple. (Matth., 23.) Cest corame la repudiation de la Synagogue par le Clnisl.

II. Comment Jesus donne ces derniers enseignements.

A. En premier lieu, Jesus enseigne alors dans le lemple avec une activite et unzele infatigahles. LesEvangelislesremar- queut plusieurs fois qu'il se rend chaque jour de Bethanie a Jerusalem pour enseigner dans le temple. (Luc, 19, 47 ; 20, 1.) Cesl surtout a ces jours ou la vie du Sauveur touche a sa fin que s'appliquent les paroles quil a diles aulrefois : « Aussi longtemps qu'il est jour, je dois faire les oeuvres de Gelui qui m'a envoye ; vienl la nuil oii personne ne peut plus travailler. »

B. En second lieu, Jesus enseigne avec une grande intre- pidite. Ses ennerais, irriles el aigris de son recent trioraphe, ont resolu de le faire raourir et, dans ce but, ils epient toutes ses demarches et lui font subir loute sorle d"epreuves ; malgre tout, le Christ ne craint pas de leur annoncer leur reprobation et la reprobation de tout le peuple d'Israel, destigraatiser leur iucre- dulite et leur depravalion, et cela publiquement et dans des assemblees solennelles. Ses ennemis eux.-memes sonl obliges

080 deoxieme: semaine

d'avouer qull enseigne la voie de Dieu dans la verile, qu'il ne s'inquiete de rien et ne fait acceplion de personne. (Matth.^ 22, 16.)

C. En troisieme lieu, le Sauveur monlre une grande supe- riorile d'esprit dans ses enseignements. Les ennemis de Jesus mellent tout en oeuvre pour le surprendre dans ses paroles : ils combinent leurs altaques ; ils disposent tous les moyens que 1'astuce et la ruse peuvent leur suggerer. Cest ainsi qu'ils posenl, meme en public, au Seigneur des questions insidieuses, comme celles-ci : « De quel droit avez-vous chasse les ven- deurs du temple ? Est-il permis de payer le tribut a Cesar ? Lequel des sept freres aura, dans l'eternite\ pour epouse la fernme avec qui chacun d'eux s'etait marie sur la terre ? Quel est le plus grand preceple de la loi? » Jesus sort victorieux de toutes ces allaques, repond parfaitemenl a loutes leurs questions et confond tous ses ennemis. (Matth., 22, 21. 32.) Lui-meme prend 1'offensive et renvoie ses agresseurs charges de honte et d'ignominie : a la fin ceux-ci n'osent plus se mesurer avec leur terrible adversaire. (Mvmi., 22, 46 ; Luc, 19, 48 ; 20, 26.)

III. Les resultals des enseignemenls du Sauveur.

A. Le premier effet de ces inslruclions sur le peuple en parliculier et aussi sur les ennemis de Jesus esl 1'estime et le respect, a cause de la sagesse el de 1'eloquence de ses paroles. Ils admirenl sa doclrine (Matth., 22, 33 ; Marc, 12, 17) et ils l'ecoutent volonliers (Marc, 12, 37). Tout le peuple est suspendu a ses levres, pendant qu'il parle. (Luc, 19, 48.) Et, precisement, cette eslime et cette popularite du Messie sont la raison pour laquelle ses ennemis n'osent pas publiquement porler la main sur lui et 1'arreter. (Luc, 20, 19.)

B. Malgre cela, les enseignements du Sauveur ont un second effel : ils produisent 1'incredulite au moins dans le plus grand nombre des auditeurs. M6me immediatement apres le lemoignage divin, rendu dans le lemple par la voix celeste, et apres la prediction de sa mort, des troupesd'hommes se mettent a dispuler avec lui sur la question de savoir s'il est le MessieT

DERNIERS ENSEIGNEMENTS DE JEStiS DANS LE TEMPLE 68t

puisquMl prelend qu'il mourra. A celle oceasion Jesus lesexhorte serieusemenl a croire. (Jean, 12, 34-36.) Saint Jean ajonte que beaucoup de Juifs ne croient pas en lui, quoiqifil ait fait beau- coup de miracles. iJean, 12, 37.)

G. Enfin, le troisieme effet des derniers discours du Chrisl dans le temple est une haine morlelle de ses ennemis conlre lui. Geux-ci s'affermissent dans la resolution de tuer Jesus, et ils voudraient bien le saisir des maintenant (Matth., 21, 46; Marc, 12, 12) ; mais la crainte du peuple les arretu. Cesl poui- quoi le Seigneur passe la nuit, non a Jerusalem, mais aBelhanie ou sur lamonlagne des Oliviers. (Luc, 21, 37.) Alorsles princes des prelres et les Scribes envoient des emissaireslui tendre des embiiches, afin que, le surprenanl dans ses paroles, ils puissenl le livrer aux tribunaux. (Luc, 20, 20.) La Personne de Jesus, lfesl pas seule 1'objet de leurs persecutions. Ils poursuivenl el oppriment aussi la foi dans les autres, meme dans des hommes considerables Jeax, 12, 42), comme Nicodeme et Joseph d'Ari- malhie, et dans le peuple, en menacantdMnlligerdes punilionsel en excluanl de la synagogue (Jean, 9, 22; 12, 42). Saint Jean donne la raison de cetle incredulile et de celte conduile : d'un cole, c'est le respecl humain ou la crainte en ceux qui croient (Jean, 12, 43), et, de 1'aulre, raveuglement de Tesprit et Finsen- sibilile du cteur dans les incroyants. Le prophete Isaie Tavail predit iJean, 12,38-41; Is., 6, 9. 10); a cause de cela, ils seront juges et condamnes (Jean, 12, 47. 48). G'est ainsi que le Sauveur Iravaille et agit avec une conslance et une ardeurinfa- tigables : ne dirait-on pas le soleil se montrant une derniere fois dans toule sa splendeur apres le travail d'une magnifique journee d'ete? Les nuages et la nuit peuvent le faire disparailre un court espace de temps, mais ils n'arretent pas sa course el n'empechent pas son action bienfaisante. II se leve de nouveau toujours radieux.

Nous avons une triple lecon a tirer de ce cbapilre fmal de la seconde semaine des Exercices ou dela vie de Jesus. D'abord, nous y voyons combien est redoulable la puissance des passions desordonnees ; comme elles s'opposent aux manifestations les plus touchantes et aux revelations les plus sublimes de la boule

682 DEUXIEME SEMALXE

de Dieu et precipilent tout un peuple dans 1'ahimed'un mallieur sans nom. De plus, nous constatons que toule la malice des liommes ne peut ni barrer ni delouiner les voiesde Dieu, el que les obstacles des mechants ne font que confirmerla Divinite des ceuvres divines. Enfin, nous avons sous les yeux unbelexemple a imiter : le Sauveur nous y montre comment nous devons tra- vailler nous-memes, sans jamais nous lasser ninousdecourager, malgre tous les insucces et tous les echecs.

REPETITION

Les Evangelistes remarquent que, le soir deson entree triom- phale a Jerusalem et sans doute aussi le soir des jourssuivanls, Jesus retourne a Belhanie, au lieu de rester daus la ville, d'ou il vient d'enseiguer le peuple. (Matth., 21, 17; Marc, 11, 19.) Saint Ignace ajoute qu'il est force dagir ainsi, parce que per- sonne ne veut ou ne peut le recevoir dans la ville. Ges quelques traits sufGsenl pour depeindre la silualion. Les grands prelres ont probablement defendu de recevoir le Sauveur; et celui-ci, pour ne metlre personne dans Tembarras et n'exposer la vie de personne, quilte Jerusalem chaque soir. L'occasion se presenle ici pour nous de considerer un instant les souiTrances et les peines exterieures que Notre-Seigneur a endurees de la part des hommes pendanl le cours de sa vie publique : on araison de les appeler les soucis de la charge d'ame ou les peines du minisler»' apostolique.

A. Ge que Jesus a souffert sous ce rapport. Les peines du minislere des ames sont au nombre de deux principales. La premiere est le defaut de succes. On a de bonnes intenlions, on liavaille, on prie, et neaumoins toutva mal et toujours plusmal : c'est un dur sacrifice. Le Sauveur lui aussi a eprouve celle peine. Qui a eu de meilleures intenlions que lui? Qui a travaille plus que lui? Que de predications et de miracles nVt-il pas faits? Et quel en a ele le resultat? A la fin, tous ses efforts ont presque echoue conlre la sottise, la passion ellamechaucete des hommes. Quelle douleur pour lui de voir le peuple d'Israel se

REPETITION : ENSEIGNEMENTS DE JESIS DANS LE TEMPI.E 683

rendre ainsi malheureux ! Ge speclacle lire a Jesus, plusieurs fois, des larmes de ses yeux et des plainles ameres desoncceur. A ce manque de reussile s'adjoint pour le Messie un auire genre de peine, que nous pourrons ressentir nous-m£mes dans le ministere aposlolique : ce sont les vexations, les calomnies, les injures et les perseculions de ses ennemis, qui cherchent a toul prix a le traverser dans ses projets et a ruiner ses entre- prises pour 1'evangelisation du peuple. Ils rabaissent son merile et inlerpretent en mal tout ce quil fait. Si Jesus preche, ils disent qu'il n'a pas de science (Jean, 7, 15) ; s'il fait du bien au peuple, c'est dans le but de le tromper (Jean, 7, 1$) ; s'il accepte d'etre invite par des personnes de qualite, il montre ainsi sa passion pourlevin. (Matth., 11,19.) II n'operedesmiiaclesque par la puissance du demon (Lcc, 11, 15), et lui-meme est pos- sede du diable (Marc, 3, 32) ; il blaspheme Dieu, en se disant Fils de Dieu. iJfan, 10, 36.) Partout ses ennemis se glissent aupres de lui (Matth., 12, 2) et 1'observent Lcc, 14, 1); ils tachent de le surprendre dans ses discours (Matth., 19, 3 ; Lbc, 11, 16) ou meme de le trouver en defaul dans ses bonnes actions Luc, 14, 3) ; ils lui jettent a la face publiquemenl, devanl le peuple, les injures les plus grossieres el les plus oulra- geantes (Jean, 7, 20 ; 8, 48 ; 10, 20 ; ils eloignent de lui tout le monde, les petits et les grands, et fonl en sorle qifa la fin on ne sait plus que penser de lui (Jean, 7. 12) ; on se relire et on rougit de ses bienfaits. L'aversion el l'irrilation des Juifs se changent peu a peu en haine morlelle et en persecution a oulrance contre Jesus. II suffit de lire el de comparer les recils evangeliques des visites du Sauveur a Jerusalem, a 1'occasion des grandes solennites, pour voir que la haine de ses ennemis augmenle toujours davanlage et que sa vie est toujours plus en danger. A la premiere Paque de sa vie publique, Jesus chasse les acheteurs et les vendeurs du temple, et 1'irrilation esl si grande que Nicodeme n'ose venir trouver Jesus que pendant la nuit. iJean, 2, 18. 24; 3, 2.) A la Paque suivante, le Sauveur guerit le paralylique un jour de sabbat, et les Juifs songent deja a se defaire de lui. (Jean, 5, 16. 18.) Le Seigneur ne va pas & Jerusalem pendant Vavrint-dennere ffile pascale de sa vie, pour

684 DEUXIEME SEMAINE

echapper auxembuches de ses ennerais. (Jean, 6, 4.) A la fete des Tabernacles, il n'ose pas se montrer en public : c'est a 1'occasion de cetle solennile que les Juifs veulent le prendre (Jean, 7, 30) pour le lapider aussitot apres (Jean. 8, 59). Le jour de la f<He de la Dedicace, ou il s'est expiime le plus claire- ment possible sur sa Divinite, il ne se tire des mains de ses ennemis que parun miracle : ceux-ci avaienl resolu de Tarreler el de lelapider. (Jean, 10, 31. 39. Enfin, a sa derniere Paque, la qualrieme de sa vie publique, Jesus tombe et meurt viclime de la liaine des Juifs. Depuis le jour oii, au debut de ses predi- cations, il faillit etre precipite du haut d'une montagne par les Nazareens (Luc, 4, 29), Nolre-Seigneur n'a jamais cesse d'etre persecute : toujours on a attente a sa liberle et a sa vie. Que de fois ne doil-il pas changer de lieu et de contree pour ne pas tomber dans les pieges de ses ennemis ! (Jeax, 4, 3 ; Mattu., 12, 15 ; 14, 13.) Sa vie publique est donc un tissu de persecutions sanglantes el non sanglantes.

13. Gomment le Sauveur souffre la persecution. Avant toul, il la souffre avec patience. II ne fail pas descendre )e feu du ciel, comme Elie (IV Rois, 1, 10 ; il ne veut pas sacrifier sa vocation, comme Moise {Nomb., 11, 15) et comme Jonas (Jon., 1, 3). Ensuite, il souffre les perseculions avec courage. II ne cesse de faire des signes et des miracles en faveur de toul le monde, d^exhorler el de reprimander les grands el le peuple, quoiqu'il sache bien que pour lui le resullat de ses travaux el de ses bienfaits sera la mort. (Luc, 13, 32.) Enfin, le Sauveur est plein d'egards et de douceur pour ses ennemis. II ne les evile pas (Luc, 7, 3G) ; il repond toujours a leurs questions impertinenles ; il en protile meme pour leur donner dutiles con- seils (Matth., 15, 10) ; et souvent il defend aux malades quil a gueris de publier celle nouvelle, afin de ne pasirriter davanlage ses ennemis et de ne pas augmenler la punilion de leur incredu- lite.

G. Pourquoi devons-nous imiter 1'exemple de Jesus. 1'remierement, c'est une necessite pour nous de souffrir. Les ames doivent etre achelees au prix du sang et du sacrifice ; le travail et la priere ne suffisent pas. Deuxiemement, nous

repetition : enseignements de jesls dans le temple 685

montrons clairement ainsi que, dans nos travaux, nous clier- chons Dieu seul et non pas nous. De plus, nous prions davan- tage et nous procurons lagloire de Dieu. Le succes, au conlraire, nous rend facilement vaniteux et presoraplueux et nous fait oublier Dieu. Troisiemement, nous trouvons de la consola- tion a souffrir quelque chose, avec Jesus, pour 1'extension de son Regne. Le Sauveur a vonlu que toutes les sortes de peines de 1'Apostolat ou du rainislere des ames fassent partie du programme de son existence, dans le but de nous procurer et de nous assurer cette precieuse consolation. Dans toutes les situations et dans toutes les conjonclures, nous avons en lui un modele, uneforce et un appui.

LES MEDITATIONS POUR I/ELECTION

(Voir Commenlaire des Exercices. p. 88, 89 : 1, 2, 3.)

Ge sont les Meditations de deux Etendards, de Irois Glasses d'hommes el des trois Degres d'humilite.

MEDITATION DE DEUX ETEXDARDS

(Voir le but de cette Meditation dans le Commentaire des Exercices : p. 89 a 94).

Le but parliculier de cette premiere meditation preparatoire a Teleclion est de nous faire connaitre et comprendre les prin- cipes et Tesprit de Satan (du monde), ainsi que les principes et 1'esprit de Jesus-Ghrist.

I. Lucifer.

A. Lucifer montre entieremenl le fond de son esprit et revele ses principes dans les paroles qu'il adresse aux mauvais esprits, rassembles devant lui, et par eux a tout 1'univers.

II y a trois choses dont ils doivent s'efforcer de donner le goiit aux hommes : ils doivent leur inspirer, avant tout, Tamour de la richesse, de la possession exterieure, temporelle, de Tar- gent, des biens, des maisons, d'une installation et d'un train de vie brillants ou commodes, de la force el de la puissance ; ensuite, 1'amour de rhonneur et de Testime des hommes par le talent et 1'habilete, par les emplois et rinfluence, parde grandes

DEUX ETEXDARDS 687

situations el de hautes dignites ; enfin, 1'orgueil, lesentimeul altier du merite personnel, la suffisance, l'independance, raffran- chissement de l'autorite de Dieu et de celle des hommes, par consequent, une sorte de demi-apolheose de soi-meme.

Voila les principes de Lucifer, voila les lendances ou les directions que ses suppots, les mauvais esprits, doivent donner aux hommes el par lesquelles ils en deviendront les maitres : ce sont, en grand et en petit, dans Tensemble et dans le delail, les fins que le monde se propose, ce sont ses aspiralions. Nous avons donc ici trois degres : richesse, honneur et complete independance ou orgueil ; l'un doit servir a faire monter a 1'autre.

B. Le meme esprit et les memes principes se revelent, mais d'une maniere indirecte et implicite, dans la personne et 1'entree en scene de Lucifer, ainsi que dans le lieu et les cir- constances oii il se manifeste. Sa residence est dans la grande plaine de Babylone, la ville magnifique de Tunivers, vers laquelle, comme au centre de Tempire du monde, affluent toules les richesses, et de laquelle une vaine ambition et la gloire humaine font sortir bientol et dispersent jusqu'aux extre- mites du monde tous les rois,tous les chefs, et tous les domina- teurs, devores de la fievre des conqueles. Apres leurs vicloires, ils y reviendront tr6ner comme des dieux : on les verra alors, toul eblouis tles honneurs divins qifon leur rendra, oser meme se mellre au-dessus de Dieu (Dan., 4, 26 et suivants ; 5, 1 et suivants^ ; et cela, a Fendroit ou, aulrefois deja, dans 1'enivre- ment d'un fol orgueil, la race des hommes avait voulu elever sa demeurejusqifala hauteur des cieux ! (Gen., 11, 4.) Dans le lieu oii il se montre, Lucifer etale un luxe sensuel, la richesse el la puissance. 11 siege sur un trone de grandes dimensions, d'un eclat trompeur et qui n'est que de feu ; une foule innom- brable de vassaux renvironnent : ce sonl des damnes ; tout autour de lui est symbole de force et de magnificence... Lui- meme est Lucifer, le Prince dn monde, le Prodige (le Monslre; d'orgueil, qui a vonlu s'eleAer jusqifa la montagne du Tesla- ment et s^asseoir a cote de Dieu. (Is., 14, 13.) Tout publie son esprit et ses principes, et il cherche, en personne, a les incul-

£88 DEUXIEME SEMAINE

quer aux hommes. II est Tesprit meme du monde, et c'est pour- quoi il est le Prince du monde.

II. Le Sauveur.

A. A 1'enconlre de Lucifer, le Sauveur montre, lui aussi, son propre esprit et proclame ses propres principes. A 1'esprit de Satan et du monde il oppose, premierement, Tamour de la pauvrele, el de la pauvrele non seulement spirituelle, mais encore de la pauvrele reelle, par le sacrifice, le depouillement volontaire des biens temporels, exterieurs : Jesus oppose par consequenl a 1'amour de la richessecelui d'une grande pauvrele. Deuxiemement, le Sauveur preche l'amour des mepris, qui fait qu'on se complait a etre inconnu des hommes, ou a elre peu estime, et meme accable d'injures. Troisiemement, il preche rhumilite, une profonde hiimilite, une grande abnega- tion, une obeissance parfaiie. Gelle humilite sera le fruit cer- lain de la pauvrete et de 1'amour des mepris ou des humilialions.

B. Ge meme esprit apparait aussi dans les autres circon- slances de la manifestation « du souverain el verilable Chef et Seigneur ». Le lieu en est Jerusalem, la ville ou reside et regne Dieu, dont la beaule n'est pas la puissance guerriere, mais la paix. Le Sauveur se tient dans une charmante vallee, non pas sur uu trone, mais dans un endroit qui n'est pas eleve, ou peu- vent venir el se tenir egalement tous les hommes qui veulent repondre a son appel. Lui-meme enfin esl le Ghrist, Notre- Seigneur ; mais il ne veuten rien etre avanlage sur nous : notre Frere par sa nature humaine, il se place au milieu de nous, et sa distinclion royale consisle dans une affabilite etune amabilite qui gagnent les coeurs. II est le Mailre et le Modele de la pau- vrete, de l'amour des mepris el de 1'humilite : il aj le premier, gravi ces trois degres qu'il nous invile a monler nous-memes.

Tel est 1'espril qu'il s'efforce, de toute maniere, de faire regnerdans le monde, el telles sont les maximes qu'ilcherche a inculquer aux hommes. Ges trois degres sonl les principes de la perfeclion chrelienne, et quiconque veut en faire profession doit iaire de ces principes la base et la regle de sa vie. II nous faut

DEUX ETENDARDS G89

donc bien remarquer ceci : lout ce qui nous incline vers les richesses ou les honneurs doit nous elre, a priori, suspect, el nous devons y prendre garde ; au conlraire, nous pouvons accueillir saus crainle ni controle ce qui nous porte a 1'oppose.

III. La priere finale.

Saint Ignace nous fait faire a la fin un triple colloque :

A. L'nbjet de cetle priere est la grace de connailre claire- menl les Iromperies de Satan, d'un cole, et, de Tautre, la vraie vie que nous montre le Ghrist. Getle graee de lumiere ou celle connaissance nous est toul a fait necessaire pour trois motifs : d'abord, les maximes de Lucifer flaltent nolre nature et, a cause de cela, nous sommes dans le danger d'avoir du penchant pour elles, de les agreer et de les suivre. Ensuite, de fail. la plupart des hommesles suivent, el leur exemple peut facilement exercer sur nous une influence funeste. Enfin, dans notre vie, il peut souvent se Irouver des cas si delicats ou des difficulles si subliles que nous ayons besoin d'une lumiere toute speciale pour reconnailre alors la presence et 1'action du mauvais esprit.

B. Les personnes a qui cetle grace insigne est demandee sont la Mere de Dieu, le divin Sauveuret le Perecelesle: on ne pouvait, dans ce but, faire un meilleur choix dlntercesseurs que Marie el Jesus ! Marie esl la « Yierge prudenle, et le Trune de la Sagesse » : elle s'etait approprie, identifie Tesprit et les principes de son Fils, donl elle elait, a cet egard, la parfaile image et ressemblance ; personne ne peut mieux qu'elle nous aider k avoir Tesprit de Jesus. Le divin Sauveur est « la Lumiere surnalurelle qui eclaire le monde » ; il est « rAuleur de la foi, !e Maitre de la vraie vie, el par sa doclrine et par sa vie elle-meme » : tout en lui annonce cel esprit. Qu'il daigne donc nous eclairer entierement de cette lumiere ! Le Pere celesle, enfin, a qui notre priere s'adresse, est Gelui par lequel vient la connaissance ou la revelalion du Fils. (Matth., 11, 37 ; 16, 17.)

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690 DEUXIEME SEMAINE

PREMIERE REPETITION

Le btit de celte repetilion est, apres avoir jele un coup d'ceil retrospeclif sur le resullat ou le fruit de la meditalion precedente, d'adopter comrae siens les principes de Jesus-Ghrist et de les prendre pour base de son Election. Cest d'ailleurs ce quMncli- quent le troisieme prelude et la fm du colloque de la meditation de deux Etendards : « Nous y demandons la grace de ne pas tomber dans les pieges du demon ou du mauvais esprit et de suivre les Iraces du Sauveur, et en meme temps la grace d'etre recus sous TEtendard de Jesus. »

Les motifs ponr nous determiner a alleindre le but de la me- dilation des deux Etendards nous sont fournis par le Glirist et aussi par Lucifer : considerons, en eflet, attentivement leur per- sonne, leur intention et leurs moyens d'action.

I. Lucifer.

A. Qui esl donc Lucifer, pour que nous mettions nos com- plaisances en lui et que nous suivions ses conseils? II est le dernier des esclaves de Dieu, le plus abject et le plus deprave ; il esl rennemi de Dieu el 1'ennemi hereditaire de notre nature humaine, qu'il persecute par haine de Dieu el par jalousie des hommes.

G'est lui qui est cause de ce que nous ne sommes pas ce que nous pouvions et devions etre ; qui est cause de tous les peches que nous comraetlons, de toutes les punitions que nous eucou- rons, de loutes les pertes que nous faisons en merites et en vertus. Jamais personne ne nous a nui aulant que Luciter. Ne merite-t-il donc pas que nous nous detournions completeraent de lui et que nous ne lui abandonuions rien de ce que nous avons et de ce que nous sommes ?

B. Ensuite, quelle est rinlention de Lucifer? II se pro- pose uniquement nolre prejudice et notre ruine ; et son but final est de nous faire pecher pour nous rendre malheureux

PREMIERE REPETITION '. DEUX ETEXDARDS 691

pendant le teraps el 1'eternite. II veul que nous devenions les corapagnons de son infortune, les fauteurs de ses desseins et les complices de ses crimes, ses limiers et ses ames damnees. 11 est si horrible el si execrable quil n'ose pas se presenter a nos yeux. Alors il se sert des bommes pour perdre les hommes. Sil ne peut pas nous faire tomber dans le pecbe, au moins cherche- l-il a nous eloigner de la perfeclion, a nous empecher de nous signaler au service du Ghrist et de son Royaurae. II veul nous annihiler, afin que nous ne lui causions pas de lort a lui-meme et ne soyons d'aucune ulilile pour Dieu ; il met tout en eeuvre pour faire de nous des etres miserables, ridicules el dignes de pilie.

G. Quels raoyens emploie-t-il pour arriver a ses fins ? Gonsiderons la facon donl il nous traite, nous et les siens? Fai- sons seulemenl allention a sa maniere d'agir et a ses paroles. I! nous traite comrae des esclaves, avec un orgueil et un dedain intolerables ; oui, il nous traite comme des animaux sans raison, qifon prend avec des pieges et avec des appals. II nous faii vio- lence a nous-n:<'mt's au moyen de nos propres passions.

De plus, il agil avec nous astucieusemenl et avec la plus insigne mauvaise foi. II nous offre non pas des choses mauvaises, mais des choses indifferenles : ainsi, la richesse et les honneurs, les- quels du reste ne sonl que des biens apparents, et deviennen!, dans ses mains, des pieges et des embuches pour nous perdre. II ne nous envie uullement, a vrai dire, ces vains avantages ; mais, parce qifil lfa rien avec rien, il nous presente quelque chose ; et ce quelque chose ifest qifamorce et haraecon, vraie monnaie de peche el de Judas pour acheter nos anies et trahir les interets de Dieu. Voila Satan ! Ne merile-l-il pas que nous le renvoyions bien vite avec ses pretentions, ses conseils et ses presents ?

II. Le Sauveur.

Jesus est toul le contraire de Lucifer. Tout dans le Sau eur nous incite a adopter ses principes :

A. Premierementr sa Personne. Jesus esl le Maiire veritable, le Mailre de nos destinees etde ros jours, et le Mailre

692 DEUXIEME SEMAINE

de loul 1'univers. II est, en realite, le seul Saint, la Fidelile et la Veracite meraes, le seul Puissant et le seul Tres-Haut, a qui nous sommes redevables de tout notre bien. Et, neanmoins, il est la condescendance et l'amabilite memes.

B. Deuxiemement, 1'intention du Sauveur, en nous decla- rant ses principes, nous engage aussi a les embrasser. II n'a en vue que notre vrai bien teraporel et eternel. II est notre meil- leur Ami, le Gcenr le plus fidele qui balte pour nous. Ge qu'il veut faire de nous, si nous entrons dans son esprit et dans ses idees, esl indique par saint Ignace en quelques mots significalifs : « II veut nous donner la vraie Yie. » Les principes ou les maximes de Jesus sonl la vraie Vie surnaturelle ; tout le resle n'est qu'une vie apparente. De plus, le Sauveur veut faire de nous « ses Disciples et ses Amis » : c'est a ses Disciples et a ses Amis qu'il adresse son allocution, et ils doivent repandre son esprit dans le monde. Ces principes sont, au fond, « sa sainte Doctrine ». Qui n'a pas ou ne connait pas ces principes, n'a pas ou ne connait pas le secret de sa Doctrine. Or, il nous importe avant tout, a nous qui voulons la precher, de connailre el de posseder la clef de la Doclrine du Christ : c'esl la le moyen de nous sanctifier el de sanctifier les autres. Et l'inlention du Sau- veur est precisement de faire de nous ses Amis, des Saints, des Apolres et des Inslruments de son amour pour les hommes et pour son Pere celeste.

G. Troisiemement, nous avons encore un puissanl motif de suivre les maximes du Sauveur dans la maniere donl il veul nous gagner a sa cause et a ses idees. D'abord, il nous traite con- venablement et raisonnablement. II ne veut pas qu'on nous trompe et qu'on nous dupe ; on doit seulement nous conseiller, nous aider, nous montrer ce que nous avons a faire, adducere, adjuv tre. Nous-memes nous n'avons qu'a nous servir de nolre raison et de notre jugement. Ensuite, Jesus nous traite avec \in grand respect, comme des etres libres et mailres d'eux- memes et de leurs acles. Cest nous personnellement qui devons nous decider. Enfin, il agil avec nous avec franchise. II nous dit ouvertement et exactement ce qu'il veut et altend de nous. II nous demande 1'amour de la pauvrete, et un grand amour de la

PREMIERE REPETITIOX : DEUX ETENDARDS 693

pauvrete, 1'amour de riiumilialion ; raais il nous offre, corarae dedommagenient, la vraie Vie et son amitie, tandis que Lucifer ne nous promet que des biens apparents et se propose par la de nous perdre. Le Sauveur nous- montre aussi sa franchise en ce qu'il n'a pour tous qu'une mesure et qu'il pose atous les memes conditions ; el cetle mesure et ces conditions il les a lui-merae le preraier acceptees et reraplies. II ne s'est pas traile lui-merae et il n'a pas traile sa sainte Mere d'une facon differenle de celle qu'il nous propose. D'ailleurs, dans 1'interet de qui veut-il qu'il en soit ainsi? C*est dans notre inter£t et pour notre plus grand bien. El nous, pour repondre au desir du Seigneur, de quoi avons-nous besoin pour vivre selon ses principes? Seulement d'un peu de fermete, de courage et de perseverance. Domine, ad quem ibimus ? Verba seterme vitx habes. (Jean, 6, 69.)

III. Priire /inale.

Gonformement au bul de la meditation, il nous faut, dans un triple colloque, demander la grace d'adopter de lout cceur les principes de Jesus-Christ et d'y conformer les actions de notre vie. D'abord, il nous faut faire une election d'apres ces maximes ; en d'autres termes, il nous faul demander la grace d'6tre admis et ranges sous 1'Etendarddu Ghrist. LaMere deDieu aservi, toule sa vie, sous cet Etendard ; specialement, sur le Galvaire, elle s'est lenue fidelement a son ombre et sous ses plis. Que Marie veuille bien nous recommander et nous proposer a son Fils, pour qu'il nous accepte dans son escorte! Gelte grace est sans cesse reclamee dans les strophes du Stabat Maler. La medilalion « de deux Elendards » nous fait faire la connais- sance intime, intima cognilio, du Sauveur, nous decouvre le fond de son esprit, de cet esprit qui l'a anime toute sa vie et a penetre toutes ses actions, de cet esprit qu'il invile lous les hommes a prendre, particulierement ceux qui veulent suivre la vocation apostolique. Nous sommes bien en presence de 1'Eten- dard aux trois couleurs du Sauveur des hommes. Qu'il daigne nous vetir lui-meme de ses livrees, afin que nous porlions ses couleurs comme lui-meme les a portees ! Que le Pere celeste

694 DEUXIEME SEMAINE

enfin acceple de nous associer a son divin Fils ! Car sans le Pere personne ne vient au Fils; le Pere doit nous altirer, nous presenter son Fils et nous le donner. (Jean, 6, 44. 45.) Et cetle reunion ou celte Compagnie dliomnies, ainsi associes au Fils de Dieu, esl precisemenl celle que saint Ignace a vue dans la celebre apparition de Storla. Que notre bienheureux Pere nous obtienne la grace d'enlrer dans cette Societe! Cest la plus grande grace de la vie spiriluelle d'etre unis aussi intimement a Jesus et le tresor cache de nolre Ordre. Aussi s'appelle-t-il la Garde du Sauveur, « la Gompagnie de Jesus », qui doit avoir son esprit. II nous faut prier de toul notre cceur et beaucoup pour obtenir celte grace.

DEUXIEME REPETITION

A. Pour mieux connailre le Sauveur et le monde, et leur esprit respeclif, observons ici avec plus d'attention le tableau « des deux Etendards »; et remarquons qu'on y connait les grands traits ou les traits essentiels de leur esprit non seule- ment dans la personnalile des deux Ghefs d'armee, dans leurs paroles el leur maniere d'agir, mais encore dans maints aulres delails du lableau. En effet, il resulte de la consideration alten- live de chacun des deux Elendards, d^alwrd, que toute magnifi- cence el toul faste sensuels, toule arrogance, toute brusquerie, lout mepris et toul dedain vis-a-vis du prochain, touteagitalion, toul trouble et tout desordre, et, notainment, toute ruse, loule deloyaute et tout manque defranchiseappartienncnt aTespritde Satan >eti du monde; et, ensuile, qu'au coulraire tout ce qui est simple, modeste, affable, calme et sincere, appartient a Tesprit de Jesns. Les remarques de ces Iraits particuliersdu tableaudes deux Etendards sont tres impoilantes pour la vie pratique ; et qui veut s^approprier 1'esprit du Sauveur ne doit point les oublier. A cause de cela, profitons de Toccasion exceplion- nelle qui se presente ici de mediler specialement sur la fran- chise et la sincerile de Jesus. Sous ce rapporl, en effet, le Sau- veur est la verile el la droilure memes.

DEUXIEME REPETITION \ DEIX ETENDARDS 695

II a cu pour tous les hommes une bienveillance sincere : ses paroles et ses acles prouvent qu'il ne l'a jamais refusee a personne. Jamais non plus il ne s'est servi des liommes pour des fins ou des interels personnels; il parle et il agit publiquement, avec droilme, sans detours ni dissimulalion. (Jean, 18, 20. ) II declare franchement a tous ceux qui veulent le suivre ce a quoi ils doiventelre prels et ce qu'il altend d'eux (Luc, 9, 58) ; et surtout il ne cache pas la prophetie ou la prediction des croix et des persecutions qui leur sont reservees (Lic, 12, 51 ; Matth., 10, 21 ; Jew, 10, 2. II veut, avant tout, Tegalile, et il ne demande de personne plus qifil n'a fait et qu'il n'a souffert lui-meme. Li-c, 9, 23; 14, 26; Jean, 15,20; Mattii., 10, 24.) Quand il doit reprimander, il le fait ouvertementet sanscrainte. (Lic, 9, 50. 55; Matth., 16, 23.) Aussi est-il Tennemi jure des Phari- siens, dont la conduile et les idees sont diameti alement opposees aux siennes. (Matth., 23.) Gette sincerite ou cette franchise forme une parlie tres imporlanle de nos devoirs envers le pro- chain. La sincerile esl toutsimplemenlune exigencede la justice, qui la reclame, et a bon droit; elle est le commencement de la charile el une des conditions indispensables pour suivrela voca- tion apostolique ou pour exercer TApostolal : en effet, nous ne gagnons la confiance que par la franchise, et sans la confiance nous ne faisons rien aupres des hommes. Serions-nous meme des Sainls sans cette vertu, nous ne serions toujours pas des Siiintsselon 1'esprit de Jesus.

B. De la meditalion des deux Ltendards il resulle encore que 1'esprit de Satan et lesprit de Jesus ne sont pas de pures abstraclions, mais exislent en realite. II n'est pas difticile de les decouvrir ou d'en constater les effets : car 1'esprit de Satan existe veritablement dans les mauvais esprits, et 1'espril de Jesus, dans les bons esprits; chacun de ces esprits est comme inearne dans les hommes qui en sont animes, qui le repandent autour d'eux par leurs actions, leurs paroles, leurs ecrils, el qui cherchent a le communiquer aux autres. ftous sommes donc entoures et enveloppes de ce double esprit, el nous nous Irou- vons sans cesse sous leur influence. A cause de cela, nous devons prendre garde et observer, afin de voir lequel des deux

696 DEUXIEME SEMAINE

esprits peut bien nous conduire. G'est pour nous aider a le decouvrir clairemenl que saint Ignace a donne a celle medita- tion la forme d'un drame historique. II ne veut, ici, pas seule- ment faire de la poesie el du sentimenl; il veut surtoul faire de Tliistoire et exposer des faits reels. Les deux Etendards sont deployes parlout et sans cesse : on les voit flotler, chaque jour et a chaque heure, au-dessus de Ihumanite enliere, de cliaque Elal, de chaque ville, de chaque communaute, de chaque assem- blee, de chaque famille, de chaque Ordre religieux, de chaque maison, de chaque cercle d'hommes, si pelit qu'il soit, et meme de chaque individu. Nous sommes toujours el parlorul comme sons le feu croise de ce double esprit; el, parliculierement aujourdlmi oii nous voulons faire notre Election, il nous faut bien voir quel esprit agit sur nous. Sainl Ignace ne veut pas, au moins immediatemenl, nous exciter au zele des ames : car la grace que nous demandons dans le prelude et le colloque est d^eviler les pieges et les tromperies du detnon, et aussi d^em- brasser la vraie vie du Sauveur ; en d'aulres termes, d'elre recus sous son Etendard.

C. Nous pouvons encore, pour nous confirmer dans notre bonne resolution, invoquer les motifs suivants.

a) Le premier est le Sauveur lui-meme. Nous voyons, d'apres son discours a ceux qu'il envoie en expedition, que son plus grand desir esl de nous voir, nous et tous les hommes, adopter ses principes. II recommande aux siens d'aider, de conlribuera les faire accepter des autres hommes; il envoie partoutdes mes- sagers el des Apotres. De plus, Jesus nouslaisseentrevoir la pleine recompense qu'il nous reserve : nous seronsses Disciples et ses Amis, nous deviendrons des Sainls et nous serons capa- bles de tous les devouemenls et de loules les vertus.

b) Le second motif de suivre le Sauveur se trouve dans la consideralion de ce que nous pouvons faire pour le salul des aulres, si nous agissons d'apres les principes du Ghrist : nous serons de vrais Sauveurs d'hommes, de vrais Bienfaileurs de riiumanite. Gomme les hommes seraient heureux, sMls adop- taient les maximes du Dieu que nous prechons !

c) Nous trouvons un troisiime motif, pour nous ranger sous

DEUXIEME REPETITION" I DEUX ETENDARDS 697

1'Elendard de Jesus, dans 1'exemple des Saints : ils ont pris a coeur les principes de la doctrine de leur divin Mailre; et c'est pourquoi ils ont ele si puissants en paroles et en oeuvres pour elendre son Royaume ici-bas ! Saint Ignace dit que le Seigneur envoie a son expedition beaucoup, beaucoup de personnes. En effel, Jesus a parlout, en tous lieux et dans lous les etats, des lenants et des defenseurs de son esprit, meme dans les plus humbles elals ou conditions. Quelle lionte pour nous si les petits, les ignorants, nous supplanlaient, comprenaient et sui- vaienl mieux la doclrine du Ghrist que nous, qui en sommes les predicateurs officiels et autorises!

d) Le quatrieme motif de suivre les maximes du Sauveur esl Texemple des ennemis de Jesus. Combien ils prennent au serieux leurs propres maximes; avec quel zele ils s'efforcent (1'avoii' des parlisans de leur doctrine ou de leur esprit, et avec quel succes effrayant ne les voyons-nous pas venir a bout de leur entreprise!

DE TROIS CLASSES D'HOMMES

(Voir le Commentaire des Exercices, p. 94 a 96,, sur le but dc ccttc meditation.)

Les preludes sont ceux du livre dcs Exercices.

I. La premlere Classe.

A. En quoi consiste essentiellement celle premiereClasse? Les hommes de la premiere Glasse voudraient se decharger et debarrasser du poids cpii les retient, elre libres de 1'allache ou de 1'affection a 1'objet qui les eloigne du royaume de Dieu, mais a la condition qu'il ne leur en coulat rien ; aussitot que celaleur coule quelque chose, ils ne veulent plus. Ges hommes n^ont pas <le volonte, ou pas d^aulre volonteque cellede n'employer aucun moyen. Toutpar consequentse borne a un vain desir.

B. Quels motifs avons-nous d'abandonner celte Glasse, de renoncer a cetle categorie? G'est qu'elle ne fait paraitre que son manque dMntelligence et sa folie : elle veut la fin sans les moyens. De tels hommes altendentde purs miracles : ils veulent voyager sans aller ni par terre, ni par eau, ni par air ; ils veu- lenl arriver au ciel sans observer les commandements, devenir riches sans rien faire el sans bouger. L/enfer est rempli d'hommes de cetle volonle et de cette categorie.

II. La deuxieme Classe.

A. En quoi consiste celte Glasse? Les hommes de cette Classe veulent sedefaire de 1'aUache qui les retient et employer ■effeclivement des moyens dans ce bul ; mais ils ne veulent pas

DE TROIS CLASSES d'hOMMES 099

prendre tous les moyens, ou ne prennenl pas les raoyens veri- tables et decisifs. La raaniere vraie et infaillible serait de sacri- fier 1'objet meme, Targent ; mais ils ne le veulenl pas, ils veulent rester avec 1'argenl et briser Tattache on ne sait avec quels moyens. Ils ne veulenl pas aller a Dieu ; Dieu doit venir a eux. Ainsi fait un raalade qui, pour se guerir, ne veut el ne prend que des remedes palliatifs, ou encore un raarchand qui se con- tente de rester a 1'interieur de sa maison, sans se donner la moindre peine pour vendre ses marchandises : comme si les affaires devaient se faire d'elles-meraes et les horaraes courir apres lui !

Dans la vie spirituelle, appartiennenl a celle calegorie ceux qui, premierement, ne veulenl travailler a leur perfection qifen eraployant quelques raoyens, des moyens faciles, des demi- moyens, ou qui, devxiemement, ne se servent de bons moyens que de teraps en temps, pour ainsi dire par boutades. De cette facon entrent dans la seconde Glasse ceux qui veulent arriver a 1'unron avec Dieu, mais seulement par la priere et non par la victoire sur eux-memes ; ceuxqui desirent devenirhumbles, mais sans chercher ou aimer rhumiliation ; ceux qui veulent s'absle- nir du peche veniel, sans en eviter Toccasion prochaine ; ceux qui veulentperdre latlachement a une personne ou a une chose, sans les abandonner : en un mot, tous ceux qui veulent n'essayer que des moyens speculatifs, theoriques, et non les moyens pra- tiques, coinme serait de fuir les occasions du peche, de se vaincre, de prier chaque jour poui Tacquisiliond'une vertu, d'en faire le sujet de leurs meditations, de chercher un bon Direcleur et de se choisir un saint Palron au ciel, etc...

B. Les motifs pour eloigner de cette Glasse sont, premie- rement, que c'est une pure illusion de penser, en la suivant, parvenir ci la perfection ! Nous n'aboulirons a rien de serieux ; nous perdons notre temps el notre peine : apres des annees, nous serons toujours au meme poinl.

Deuxiemement, cette conduite est une inconsequence. Dans la meditation sur le Fonderaent, nous nous sommes resolus, en principe, a prendre les meilleurs moyens : nous devons tenir notre parole, maintenant que la chose devient pralique.

700 DEUXIEME SEMAINE

Troisiemement, il y a la encore une indignile. Si un malacle ne veut pas prendre des remedes ou des moyens energiques, c'est son affaire, et personne ne peut le trouver mauvais ; mais on ne peut admettre cela de la part d'un Religieux qui s'est pro- pose 1'effort vers la perfection comme bul et devoir de sa vie, et qui, dans le cours des Exercices, de ceux qu'il fait presenle- ment, s'est offert au Sauveur pourtout accomplir. Gertes, nolre conduile est toute differente, quand nous voulons une chose serieusemenl ! Le mal, pour progresser en nous, ne se sert pas de moyens theoriques, mais de moyens tres pratiques, et c'est pourquoi il gagne le dessus, el le bien succombe.

III. La troisieme Classe.

A. La disposition essentielle de celle Glasse criiommes h Tegard de la perfeclion consisle en ce qu'ils veulent briser 1'allache ou raffeclion dereglee a lout prix et par tous les moyens que Dieu veut : ceux-ci ont une vraie et reelle volonte, une bonne volonte, la meilleure des volonles. Ils ne s'infornient que de ce qui mene au but, de ce que Dieu veut, et ils le veu- lent aussi. A cetle Glasse doit apparlenir quiconque veut « se signaler » au service de Dieu ou faire quelque chose pour le Royauine du Ghrist.

B. Gomme molifs pour entrer dans cette Glasse, on peut invoquer lout ce qui nous disposait, dans la medilation de Tusage des crealures, a faire 1'emploi des meilleurs moyens. II nous faul ici revenir a celte meditation ; car la meditation actuelle n'esl que Tapplication pratique de celle-la :

Le premier motif est que nous agissons aussi de cette ma- niere dans la vie naturelle, pratique : nous ne voulons que des moyens nousconduisant surement, plus tot, et plus parfaitement au bul que nous nous proposons. L'applicationde ce principe est encore, danslavie spiriluelle, de beaucoup plus d'imporlance et de consequence que dans la vie nalurelle.

Le deuxieme motif est lebutou lafin,la-haut le salut, ici-bas la perfection, les resultats heureux pour les ames et pour le Royaume de Jesus-Ghrist : c'est la necessite, 1'elevation, la gran- deur de ce lerme.

DE TROIS CLASSES D^HOMiMES 701

Le troisieme molif est pris de notre cote et de nolre avan- tage. La resolution nons honore et aussi nous sert a nous- memes ; car dans cetteresolution se trouvent clarte, verite, logi- que, force, puissance, et enfin facilile poui Theureux succes. II y a la une volonte enliere, qui raenera une oeuvre a bon terme. Rien n^est aussi terrible pour Tesprit mauvais qu'une lelle volonte ; il ne redoute rien tant que de voir une ame sur le point de se donner sans reserve a Dieu ; et il cherche de tout son pou- voir a rempecher de le faire. Le nombre de ces ames est petit : aussi riionneur d'en faire parlie est d^autant plus grand.

Voila donc ce que c'est que la bonne volonle. Celui qui l'a, qu'il s'avance el qu'il suive le Sauveur! II fera de belles et de grandes choses. Sans cette bonne volonte, toul le reste n'est rien et ne serlde rien. (Gf. Dent., 20, 5-9.)

LES TROIS DEGRES D'HUMILITE

(Voir le bul de cette consideration dans le Commentaire des Exercices, p. 96 a 103. Nous pouvons prendre pour preludes ceux de la medi- tation pre'cedente.)

I. Le premier Degre d'humilih\

A. Essence de ce Degre. Ge Degre consiste en ce qtie, par snile du peu d'eslime que nous avons de nous-memes et de la haute estime que nous avons de Dieu, nous voulons pltitot perdre tous les biens temporels et supportertousles maux cfici- bas que de transgresser un precepte grave ou de commettre un peche mortel. LTobjet en est donc toul ce qui est uni et tient essentiellement et necessairemcnt au service de Dieti et h notre propresalut. Nous devons tout faire, tout laisser et tout souffrir plulot qtie de nous rendre coupables d'un peche grave. Et il faut que nolre volonte soit dans une disposition habiluelle (in habilu) lelle que nous rejetions a Tinslant, actuellement (in actu), sans reflexion positive de notre part, toule proposition conlraire a une obligation grave ; y reflechir volontairement serait deja un peche. La raison de toul cela est l'humilite.

B. Lesmotifs, pour monteret rester a ce Degre, sont, pre- mierement, son absolue necessile pour le salut eternel, comme dil saint Ignace. Deuxiemement, 1'inegalite el la dispropor- tion des interets respectifs, des interels de Dieu et des nolres : ces derniers ne peuvent d'aucune facon elre mis en ligne de compte. Troisiemement, et specialement, le manque de cette disposition habituelle de volonte est une indignite vis-a-vis de Dieu. Nous-memes nous ne serions point contents davoir un

LES TROIS DEGP.ES d^umilite 703

serviteur qui ne repousserait pas aussitot loule proposition de nuire serieusement a notre bien; mais qui deinanderait chaque fois, avant de repondre, trois jours pour y reflechir.

II. Deuxieme Degre (Thumilite.

A. L'essence de ce Degre consisle, avant toul, dans la vraie et pure indifference pour les creatures, en sorte que nous ne faisons aucune difterence reelle entre les choses temporelles, comme l'honneur et le mepris, une vie longue ou courte, Ia pau- vrete et la richesse, aussi longlemps qifil n'y a que notre inle- ret personnel et temporel en jeu. La condition de ce Degre est qu'il y ait egalile d'honneur et cle service de Dieu dans 1'usage ou le non-usage des ereatures. De plus, saint Ignace unit a ce second Degre la fuile du peehe veniel, ou parce que cette fuite fait partie essentielle de ce Degre, ou parce qifelle n'en est qu'un effet, un resultat accidentel. L'objet total de ce Degre serait donc tout ce qui n'est pas uni necessairement ou essentiellement au salut et au service de Dieu ; donc abstention de toul cela ou indifference a 1'egard de tout cela, aussi longlemps qu'il ne s'agil que de nous. La raison enestencorerhumilite, le peu d'eslime de nous-memes et de nos interets temporels : il y a, en elfet, dans la pure indifference une vraie humilile et tres peu d'estime de ce qui nous louche personnellement, tandis que, dans la disposilion conlraire, se trouvent legoisme et Testime exageree de soi. * B. Les motifs en faveur de TindilTerence de ce Degre sont les suivants : premierement , cetle indilference est justifiee, paree qu'objectivement il n'y a pas si grande difference entre les choses creees; c'est la preoccupation de soietde ses inlerets temporels qui rend celte difference si notable.

Deuxiemenient, de meme que le manque d'indifference est toujours de Tegoisme, de meme l'indifference est le signe et la preuve d'un caractere noble, desinleresse, fortement trempe : un tel caraclere, qui n'est pas commun, merile notre respect et nolreadmiration.

Troisiememenl, le defaut de cetle indifference expose d'ordi-

^04 PEUXIEME SEMAINE

naire au danger du peche, au moins veniel, a cause de la pre- ponderance de regoiisme. Par consequent, il y a la un elat qui n^est pas le vrai, qui est dangereux, et en tout cas sans noblesse ni generosile.

Qualriemement, si l'exemption du peche veniel est de Tes- sence de ce Degre, alors tous les motifs ou plutot tous les griefs apportes contre le peche veniel deviennenl des preuves en faveur de ce second Degre. Le peche veniel est une presomption coupahle el une estime exageree de soi sans egard a la volonle, aux commandemenls et aux interets deDieu.

G. En pratique, nous nous exercons dans ce Degre d'hu- milite, quand, dans les calomnies, les accusations, les medi- .sances, nous ne nous defendons pas, a moins que les Supe- rieurs ne nous inlerrogenl ; quand, dans les desagrements et les privations, nous ne demandons rien de nous-m6mes, et, en general, quand, dans le choix et 1'usage des choses exterieures, nous ne nous laissons pas determiner par le pur agrement qirelles peuvent nous procurer, mais seulemenl par un motif raisonnableen dehors de nous.

III. Troisicme Degre dliumiliie.

A. L/essence de ce Degre consisle a ne pas s^en tenir h 1'indifference en presence de la pauvrele et de la richesse, de riionneur et du mepris, etc... ; mais a chercher, a choisir el a prendre en effetce que le Sauveur a choisi, c^est-ti-dire la pau- vrele, la souffrance et riiumiliation. L/essence de ce Degre, compare aux deux precedents, est de nature lout a fait positive : il nous fait aller de 1'avant, prendre Toffensive et embrasser ce que le Seigneur a embrasse liii-meme. La condition est cncore ici Tegalite dans rhonneur et le service de Dieu. La raison de ce Degre est de nouveau 1'humilile, alliee au respecl et <i ramour pour le divin Sauveur. On pourrait exprimer, d'une maniere frappante, cette raison parces quelques mols : « Rou- gir de vouloir etre mieux partage ici-bas que le Sauveur », qui a choisi le mepris, la pauvrele paramour pour nous. Or, il y a la humilile et amour, et 1'ud el Taulre doivent s'y trouver : car

LES TROIS DEGRES d'hUMILITE . 705

l"amour sans humilite ne persevere pas. L*amour de Dieu ne peut subsister qifaux depens de 1'amour-propre deregle et qifen employant surtout le moyen de l'amour des humiliations... Sans ce fondement de lliumilite tout est remisenquestion. Cest poiir- quoi saint Ignace remarque que le premier et le second Degres doiventetre presupposes et solidemenl etablisen nous : le troi- sieme Degre les renferme.

B. Les motifs suivants peuvent servir a nous faire monter au troisieme Degre d'humilite :

En premier lieu, ce n'est que justice vis-a-vis du Sauveur : lui-m6me s'est lenu a ce Degre en facede nous. Par chacune de ses oeuvres de penitence, Notre-Seigneur offrait a Dieu pour nous une salisfaction d'une valeur infinie, de telle sorte que, sous ce rapporl, la reparalion etait surabondante et que l'hon- neur et la juslice de Dieu ne pouvaient exiger davantage ; mal- gre cela, pourtanl, le Sauveur, par humilile et par amour pour nous, a voulu se reduire a rien, prendre la forme de 1'esclave et se faire obeissant jusqu'a la mort de la croix. (PhiL, 2, 7. 8.) II a choisi la pauvrete, la souffrance et rhumilialion, afin de nous racheter, precisement parce que nous etions nous-memes dans la pauvrete, la souffrance et 1'humiliation. II choisit donc notre lot par humilile et par amour : ne devons-nous pas a notre lour choisir son lot par amour el par humilite?

En second lieu, c'est la beaule et l'elevalion de ce Degre. Celle beaute et cette elevation se trouvent d'abord dans l'humi- lite el le peu d'estime de nous, par lesquelles nous subordonnons au Seigneur et nous-memes el lout ce qui nous concerne, non parce que nous le devons, mais parce que nous avons honte d'avoir une meilleure position que lui. La beaule de ce Degre se montre de plus dans 1'amour et la haute eslime que nous avons pour la Personne et 1'exemple du Sauveur, la raison expresse de ce Degre etant J6sus lui-meme et son exemple, non pas l'hon- neur et le service de Dieu et notre salut : ceux ci sonl presup- poses les memes, que nous choisissions ou que nous ne choisis- sions pas. Nous temoignons donc la une delicalesse et une tendresse speciales d'amour ;'i la Personne adorable du Sei- gneur : je choisis, parce qu'il a choisi le premier.

706 DEUXIEME SEMAINE

Le troisieme motif est la joie et riiomieur de l'amitie de Jesus et son union avec lui. De meme qu'il n'y a rien qui nous unisse aussi intimement a Dieu comme le molif de la eharite, de meme ii n'y a rien qui nous transplante aulant dans le Christ que cette disposilion, laquelle resulte de raisons tirees expressement et exclusivement de lui, de son etre, de son esprit et de sa Per- sonne. On pourrait appeler le troisieme Degre dhumilite la verlu theandrique ou de 1'Honmie-Dieu. La consequence en esl que le Sauveur nous donne alors son Goeur et son amour, et ainsi nous devenons un avec lui, un esprit, un coeur et une ame : ce n'est plus moi qui vis, mais c'est le Christ qui vil en moi. (Gal., 2, 20.)

En qualrieme lieu, s'il est juste et raisonnable que cette dis- position et cet esprit se Irouvent quelque part dans le Chrislia- nisme, ou doivent-ils donc £tre, sinon dans la Gompagnie de Jesus, qui sorl tout entiere de Jesus, dont la raison d'etre et la tache sont de reproduire interieurement et exterieurement la vie de Jesus ; dans la Compagnie de Jesus, dont Tessence et 1'esprit le plus interieur sont renfermes dans les regles onzieme et dou- zieme du Sommaire des Conslitutions? Ces regles ne sont-elles pas Texpression la plus exacte et la plus claire de 1'essence meme du troisieme Degre d'humilite? Elles forment Tesprit propre du Jesuite. G'esl pourquoi la Gompagnie de Jesus s^appelle le regiment du Sauveur. Dans ce troisieme Degre nous avons donc tout : la plus haute sainlete, Tadmirable originalite du Ghrislianisme, la divine folie de la croix qui distingue les Saints. le verilable amour pour Notre-Seigneur et le devouement le plus parfait a son service.

On fait le colloque comme dans les deux meditations prece- denles, mais encore avec plus de ferveur et d'energie, puisqu'il s'agit d'une affaire si importante et si decisive.

LES MEDITATIONS POL'R L^ELECTION RELMES EN LNE SELLE 707

LES MEDITATIONS POUR UELECTION REUNIES EN UNE SEULE MEDITATION

Pour faire une bonne Election, Irois conditions sont ueces- saires :

A. Nous devons connailre les principes de la perfection clirelienne et vouloir les suivre dans notre Eleclion.

a) La raedilalion des deux Elendards nous fait connaitre les principes de la perfection ehretienne, et de plus, en opposition a ceux-ci, les principes ou les maximes du monde : voir pages 686 a 690.

b) Les motifs que nous avons de vouloir suivre les principes du Ghrist en faisanl nolre Eleclion sont indiques, ibidem, et dans la premiere Repetition, pages 690 a 694.

B. II nous faut eprouver serieusement la volonle que nous avons de suivre, dans 1'Election, les principes de la perfeclion chrelienne.

Ceci se fait dans lameditalion sur les trois Glasses d'homnn.s :

a) Premiere Classe : page 698, A, B.

b) Deuxieme Classe : p. 698, A ; 699, B.

c) Troisieme Classe : page 710. A. B. Eprouvons nolre volonte relativement a la sensualite, a Taversion, a Torgueil, ci la paresse, a la colere, etc...

C. Nous devons metlre nolre volonle dans la disposition qui lui permetlra, autant que possible, de prendre et d'employer les meilleurs moyens de faire une bonne Eleclion. Nous y arri- vons par la cousideration des trois Degres d'buniilit<'\

a) Premier Degre, page 702, A, B.

b) Deuxieme Degre, page 703, A, B; 704, C.

c) Troisieme Degre, page 704, A ; 705, B.

D. Maintenanl, esquissons quelques modeles d'Election.

ESQUISSES ET PROJETS D'ELECTION

PREMIERE ESQUISSE

Le premier resullat et le resullat nalurel des Exercices est, assurement, 1'imilation du divin Sauveur, rallachement intime et le devouement absolu a sa Personne, la plus parfaite union avec lui. Mais celte union n'esl parfaile qifautant que nous fai- sons notres, que nous nous approprions le grand but de la vie de Jesus el les moyens qu'il a choisis et employes pour rallein- dre. Si nous y ajoutons les molifs que nous avons de poursuivre cette fin, alors nous avons trois poinls a considerer ponr faire 1'Election.

I. Le But ou la Fin.

A. Le grand el magnifique but de la vie du Sauveur n'est autre que riionneur ou la glorification de Dieu, et le salut el le bonheur des hommes par 1'Eglise et dans 1'Eglise, laquelle est le Royaume du Christ. La fondation de ce Royaume a ele le but de sa vie d'Homme-Dieu. Toul dans son existence tendait a cela, sa doctrine, ses exemples de vertus, ses miracles, ses souf- frances et sa morl ; et maintenant encore le gouvernement de ce Royaume esl l'occupation de sa vie glorieuse.

B. Le Regne du Chrisldoit doncelre aussi le but prochain de ma propre vie. Toutes mes prieres, mes travaux, mes souf- frances et mes joies doivent appartenir a 1'Eglise, afin que Dieu soit glorifie en elle et par elle, et aussi que les hommes fassent leur salut et parviennenl a la felicite.

C. Pour ce motif, je dois etre tres elroitemenl attache a

ESQUISSES ET PROJETS d'eI.ECTIO\ 709

ma vocalion : car elle consiste essentiellement dans ce devoue- ment absolu au Sauveur et a son Royaume, 1'Eglise.

II. Moyens.

Pour atleindre le magnifique but de ma vocalion ou de ma vie de chaque jour, je n'ai pas d'autres moyens a prendre que ceux dont le Sauveur s'est servi lui-menie.

Ges moyens sont de deux sorles : exterieurs et interieurs.

A. Les moyens exterieurs sont ceux qui nous meltent en rapport avec les hommes. Jesus s'est servi, a cette fin, de la predication (pages 559, 56G), de miracles (page 642) et de rela- tions charitables et edifianles avec les hommes : il a oblige et gagne les hommes par sa franchise (page 694), sa patience (page 658) el sa bienfaisance (page 613). Moi aussi je dois travailler a devenir un bon predicaleur ou un bon ecrivain en acquerant une science solide et en perfectionnanl mon style et ma diclion. II faut que je m^exerce a la pratique des vertus que demande le commerce avecles hommes, el que je cherche a 6tre utile au prochain par des conversations edifiantes.

B. Comme moyens interieurs ou intimes, Jesus emploie, avant tout, 1'amour du travail et d'un travail excellent et serieux (pages 445, 594). Le travail doil etre ma premiere penitence et, pour celte raison, je veux toujours m'occuper d^une maniere conforme a ma vocalion, utilement et serieusemenl.

Le second moyen dont se sert le Sauveur esl la priere (page 625). Ma maxime doit etre celle-ci : le salut des hommes ne s'opere pas seulement par le travail, mais encore par la priere. La priere est le moyen indispensable, raais aussi suffi- sant, pour faire quelque chose de bon ici-bas, et il n'y a rien de plus eleve et de pltis sublime que la priere. Cest pourquoi je veux 1'estimer plus que loul le reste et prier autant que je le puis. Par consequent, je dois d'abord faire consciencieusement et de mon raieux les Exercices spirituels qui me sont prescrils, observer les Addilions, elc..., et prier, pendant le jour, a des heures ou a des moraenls determines... ; de plus, je veux etre fidele a telle ou telle devolion...

710 DEUXIEME SEMUNE

Le troisieme moyen employe par Jesus pour atteindre le but de sa vie est le complet delachement, meme de ce qu'il y a de plus clier. Premierement, il s'esl detache des biens exlerieurs par la pauvrete (pages 486, 1; 592,1) : c'est lepremier degredudeta- chement. Je veux m'en tenir en ce point aux regles de la pau- vrete, vivre entout avec simplicile, demander volontiers les per- missions necessaires etsupporler les privationsqui se presentent.

Deuxiememenl, le Sauveur a pratique le detachement de la chair et du sang (pages 190, 537, 543, 550) : c'est le second degre de cetle verlu. De mon cole je veux renoncer a toule rela- tion avec les parents el les allies par lettres ou par visites, et ne me laisser guider en cela que par 1'obeissance. Je ne veux jamais enlretenir dans mon cceur d^amilie ou d'all'ection pour personne ; je veux eviter, aulant que possible, les rapports agreables, surlout avec Taulre sexe, ne pas avoir de correspon- dances suivies et dire aux Superieurs toul ce qui concerne ce sujet. Quand il s'agit d'altaches, je dois diriger mes elTorls seu- lement dans le sens ou la nature trouve moins sa satisfaclion.

Troisiemement, Jesus a combatlu la vanile et 1'ambilion (pages 440, 671) : c'est le troisieme degre du detachemenl. A son exemple, je dois, avant tout, chercher a faire ce que 1'Insti- lut demande de moi en ce point : donc, ne jamais aspirer aux charges honorables, etre conlent du degre et de la place ou 1'obeissance m'a mis ; aimer a voir mes faules et mes defauts reveles aux Superieurs et a rendre le compte de conscience avec exactilude el pour m'humilier : voihi la vraie humilile du Jesuite ! De plus^ il ne faul pas quejecherche magloire, ni 1'approbation des hommes ; je dois garder un silence de mort pour ne pas m'excuser de quelque faute, a moins qu'on ne mMnlerroge, et me rendre en verile meprisable en decouvranl mes manque- menls el mes faules : c'est le cas de le faire dans mes confes- sions, dans la reddilion du comple de conscience, dans les accusalions publiques ou privees, etc.

Quatriemement, je dois monler, comme le Sauveur, jusqifau dernier degre du detachemenl, qui est de ne pas suivre le desir naturel de jouir ici-bas d'un certain bien-etre, de mener une vie douce el facile, exemple de croix et d'adversiles. II faul que

ESQUISSES ET PROJETS d'eLKCTIO.\ 711

je resiste a cetleconvoilise, queje morlilie messens pour mener une vie austere. Cest pourquoi je dois observer la regle com- mune et ordinaire relalivement aux habils, a la nourriture et a lhabilalion, et ne pas me distinguer des autres ; je dois aussi 6lre toujours assidu au travail, me meltre en garde contre la curiosile, 1'appetit, le bavardage, les commodites dela vie, faire exactemenl les penitences permises et me preparer aux croix, aux souffrances, aux calomnies et aux perseculions; jedois enfin sacrifier volonliers ma sante el ma vie a Tobeissance, parce que le Sauveur l'a fail lui-meme (page 682).

Et, de celte maniere, je reussirai a peu pres a mener, comme Jesus, une vie mortifiee, e'esl-a-dire une vie pauvre el humble.

III. Motifs.

Les molifs que j'ai d'agir ainsi ou d'imiter le Sauveur se trouvent dans tout le cours des Exercices, depuis la premiere semaine jusqu'a la derniere. Cest en suivant cel ordre que je puis me les rappeler en detail. Alors j'aurai sous la main tout ce qu'il faut pour alteindre ma fin comme homme, c'est-a-dire le service de Dieu, sa gloire et mon salut ; comme Chretien, lie inlimement a la Personne du Ghrist, reconnaissant de ses exem- ples, et absolument devoue au service de son Royaume ; comme religieux, oblige de tendre a la perfection chretienne ; et enfin, comme menxhre de la Compagnie de Jesus, dont 1'essence et la tache sont de s'idenlifier entieremenl avecle Sauveur en pouv- suivant le grand but de sa vie par 1'emploi des moyens dont il s'est servi lui-meme.

SEGOXDE ESQUISSE I. But.

Comme dans 1'esquisse precedente, page 708.

II. Moyens.

Ils sont compris dans les trois parties de la vie publique du Sauveur, a savoir :

71:2 DEIXIEME SEMAINE"

A. Enseignernenis, pages (558, 566).

B. Mivachs. En tant qifils sont une preuve delaverite de la doctrine de Jesus, ils sont aussi un enseignemenl ; en tant qu'ils demontrent sa bonle et sa miserieorde, ils sont des actes de la bienfaisance.

C. Exemples de vertu. Les exemples de vertu du Sau- veur onl un triple aspect : on peul les considerer du c6te de Dieu, du cote du prochain et du cole de Jesus lui-meme.

Du cole de Dieu, les exemples de verlu du Sauveur consistent d'abord dans la souraission (page 567) ; puis, dans le zele pour la gloire de Dieu (page 550; ; et, enfin, dans le comraerce babi- tuel avec Dieu par la priere (page 625).

Avec le prochain, Jesus a une grande franchise (page 694), une grande patience (page 658), et il montre une extraordinaire bonle en faisant clu bien a tous ceux qui l'entourent, aux Apo- tres (pages 568, B, 591), aux necessiteux (page 613), el aux pecheurs (page 600).

De son cote, le Sauveur pralique une grande pauvrete (pages 486, 592), un grand detachement de la chair el du sang (pages 490, 537), un grand amour de 1'humiliation (pages 440, 671), des soutfrances et des adversiles (page 682).

Tel esl le programme de la vie publique de Jesus : ne devrait-il pas etre aussi le notre ?

TROISIEME ESQUISSE

On peut, avec raison, raniener la vie publique du Sauveur au zele des araes. Et ainsi nous avons trois points a considerer.

I. Quelle importance a le zele des dmes dans la vie de Jesus l

A. Par zele des ames nous ne devons pas comprendre aulre chose qu'un degre eleve de charite pour le prochain, sur- tout dans le but de favoriser lesinterels de son ame. Le zele des ames est donc un acte de 1'amour du prochain, dont le motif est

ESQUISSKS ET PROJETS d'eLECTION 713-

Dieu lui-meme. De la, le zele des ames dont etait anime le Sau- veur consistail dans les eflorts genereux el constants qifil fai- sait pour glorifier Dieu par le moyen du salut des fimes.

B. Ge zele des ames n'elait pas seulement une vertu isolee et passagere, qne Jesus pratiquait par occasion ; elle est le resume et la tendance de sa vie et de tous les mysteres de sa vie : de son Incarnalion, puisquMl vienlsur la terre pour racheter son peuple (Matth., 1, 21) ; de sa Nativite, par laquelle il con- clut la paix entre les liommes et Dieu (Luc, 2, 14) ; de sa Mani- festalion dans le temple (Luc, 2, 49). Toutes les oeuvres de sa vie publique onl pour liut de nous faire avoir la vie, et une vie surabondanle (Jean, 10, 10), la volonte du Pere celesle elanl que tous les hommes possedenl la vraie vie (Jean, 6, 40). La Passion et la mort de Jesus ont mis le sceau a son zele pour les ames : elles en ont ele le couronnement. L^inscriplion placee au-dessus du berceau du Christ se trouve aussi au-dessus de sa croix et de ses aulels ; lisons-la : « Victime du zele ou de ramour des- ames. Urbi el orbi. »

II. Commenl le Sauveur exerce son zele en faveur des dmes.

A. Premieremenl, en se conformanl parfaitement a la volonte de Dieu, dans une complete subordination a ses ordres (page 566) el m£me a ses desirs : quse placila sunt ei facia semper.

B. Deuxiememenl, avec une prudence d^apotre, avec sagesse el devouement aux interets de la gloire de Dieu (page 550).

G. Troisiemement , avec une grande ardeur. Jesus ne se contente pas de purs senliments de compassion et de simples desirs. II met tout ce qu'il a de forces et de ressources au ser- vice des ames : lout d'abord sa priere d'Homme-Dieu (page625) ; puis, son temps, sa peine et son travail (page 594), son ensei- gnement (pages 559, 566), ses voyages, ses vertus, ses rela- tions, ses miracles (page 642), ses amities et ses connaissances (page 537) ; en un mol, il emploie tout au salut des ames. Et, pour que son zele des ames demeure toujours, ne perisse

714 DEUXIEME SEMAINE

jamais, il fonde une inslilution a perpetuite el il organise une verilable sociele, qui est son Eglise.

D. Qualriemement enfin, le Sauveur exerce son zele pour les ames avec le plus grand desinteressement et la plus grande generosite. II ne cherche alors ni sa satisfaclion sensuelle, ni sa gloire (page 550), ni son avanlage temporel (page 682). II sacri- fie, au contraire, tout a 1'amour des ames, raeme sa propre vie; et il est ainsi absolument la viclime de son zele pour les ames.

III. Pourquoi le Sauveur ed-il ainsi rempli de zele pour le salul des dmes ?

A. D'abord, c'est paramour pour lui-meme. II y a pour son bon Goeur une pieuse salisfaclion a rendre heureux les hommes, ses freres et les enfanls de son Pere celeste. II veul enlrer dans la gloire qui lui convient et lui est due de plein droit, seulement au titre de Redempteur, el ainsi c'est par le zele des ames qifil se prepare sa glorificalion. Le velemenl degloire donl il se couvre, c'est la juslificalion des Saints, c'est la sain- tete de ses servileurs.

B. Ensuite, Jesus exerce son zele par amour pour nous. II voit combien nous sommes malheureux, el comme tous, sans lui, nous allons a notre perdilion. II voil aussi combien les raauvais esprits brulenl du desir de nous perdre et comme malheureusement les hommes se pretent aleurs infames desseins el se font meme des instrumenls de leur haine infernale. II veut donc nous gagner par son exemple, afin que, zeles comme lui, nous arrachions les hommes a Satan et nous les rendions heu- reux.

G. Enfin, c'est par amour pour son Pere celesle que Notre-Seigneur a un si grand zele pour le salut des ames. II sail que rien ne lui agree aulant que ce zele, et que le Pereaime son Fils particulierement, parce qifil sacrifie sa vie pour les brebis de son troupeau. (Jean, 10, 17.) De plus, Dieu, son Pere, trouve precisement son honneur et sa gloire dans nolre sancti- ficalion et notre beatitude eternelle.

La confrerie du zele des ames que le Sauveura etablie est

ESQCISSES ET PROdETS D^ELECTION 715

la plus belle et la plus honorable des confreries. Elle exisle de fail, elle est realisee dans 1'Eglise et dans la Compagnie de Jesus, donl la verlu caraeteristique, en lant queCorps religieux, est le zele des araes. Tout, dans la Compagnie, tend a cela, tout y est determine par cela : ladmission de ses membres, leur formation, leurs emplois a linlerieur et a l'exlerieur. Son merite devant Dieu et devant les bommes, ainsi que sa recom- pense, se trouve dans les ames, qifelle gagne a Dieu avec le Sauveur. Cest pourquoi Jesus 1'aime comrae sa Compagnie.

TROISIEME SEMAINE

(But ct Moyens de la troisieme Semaine : Commenlaire des Exercices, p. 109-112.)

LA CENE

(Matth., 26, 1-6, 17-35. Marc, li. 12-31. Ldc, 22, 7-39. Joa.n., 13-17.)

I. Adieux d Bethanie et marche vers Jerusalem.

Le depart pour la celebration cle la derniere Cene, a Jerusa- lera, a lieu naturellement apres les adieux de Jesus aux siens, a Belhanie. A ce sujet, nous avons[deux consideralions a faire :

A. Gonsiderons, premiereraent, la tristesse de ces adieux. II est convenable que le Sauveur averlisse les siens qu'il va a sa Passion et a la mort, et qu'il les quille pour ne plus revenir...

II esl facile de juger de la Iristesse de celle separalion, en se rappelant qui Notre-Seigneur abandonne et a la rencontre de qui il va. Jesus quitte sa sainte Mere, son excellent arai Lazare et ses sceurs, et d^autres ames cheres et saintes, qui lui sont toutes devouees, dont il recut beaucoup de temoignages d^amour et de grands bienfaits, et chez qui il pourrait recevoir la meil- leure des hospitalites ; et il va se livrer a ses ennemis les plus implacables, a la mort la plus ignominieuse et la plus cruelle... Quelle separation douloureuse, par consequent, pour lui et pour les siens !

"718 TROISIEME SEMAINE

B. Considerons, secondement, avecquelle resolulion, quel courage il fait ses adieux, et avec quelle fermele il se dirige vers Jerusalem et entre dans la ville sainte : la douleur qu'il eprouve au sujet de lous ceux qu'il vient de quilter, la connaissance claire de Tarrivee de son heure, Tangoisse, 1'apprehension des peines el des lourments de sa Passion, qui esl imminente, ne sont pas capables de ralentir aucun de ses pas ; calme et courageux, il suit sa deslinee, et il va ou Dieu 1'appelle.

II. La Cene.

Faisons de nouveau ici une double consideration :

A. En preniier lieu, voyons en quelle disposilion estTame du Sauveur pendant la Gene. La nuil de la Passion envahit toujours davantage son ame avec ses apprehensions, ses tris- tesses et ses frayeurs, et Tenveloppe de toutes parts. Tout aussi lui rappelle en ce moment sa Passion qui approche : son entou- rage, les Apotres, surtoul le trailre Judas, puis Tagneau pascal, qui est une des figures principales de sa propre immolalion, et encore rEucharislie, ce memorial, celle continuation etcecom- plemenl du sacrifice de la Groix.

Ses paroles d'ailleurs temoignenl bien de Tetat de son ame : toujours il parle de separation, d'adieu, de fin de sa vie (Luc, 22, 15-18), de sa mort ; il predit clairement cette derniere et la trahison de Judas (Luc, 22, 21-23).

Ces images de la mort se montrent a lui de lous c6tes, assie- gent son cceur et lui causent de 1'angoisse, en sorle que jusqu'a deuxfoisil est trouble, il frissonne en lui-meme (Joan., 13,21), et que raffliclion et la crainte s'emparenl aussi des disciples (Marc, 14, 19 ; Joan., 10, 0).

B. En second lieu, voyons comment le Seigneur se com- porte pendant la Gene et quelles vertus il y pratique. Avant tout, le Sauveur est le calme et la serenite meme, tandis qu'il accomplit les ceremonies et les actions de la Gene. De plus, il y apparail magnanime. Quelles magnifiques oeuvres d'amour ne fait-il pas pendant la Gene ! Quel menagement, quelle cha- rile, quelle longanimite n'a-t-il pas a 1'egard du traitre ! II cherche

LA CENE 719

plusieurs fois a le sauver et il emploie pour cela tous les moyens l II inslruit les Ap6lres et il les introduit dans les mysteres de la foi, comme jamais il ne l'a fail : les paroles du discours d'adieu le monlrent bien. II leur lave les pieds en signe de sa charile humble et de son humilite charitable ; enfin il etablit le Tres Saint Sacrement, le chef-d'oeuvre de son amour pour nous lous et pour son Eglise. II ne peut nous abandonner, ni 1'Eglise ni nous-m6mes, et, avanl de mourir, il invenle un moyen nouveau et merveilleux de survivre au milieu de nous.

C. En dernier lieu, le Sauveur est plein d'amabilite el de lendresse. Quoique son Goeur soit sous Toppression de l'an- goisse et dechire par la douleur, il encourage pourtant ses Ap6- tres, il les console el les rassure soit a son sujet soit en ce qui les concerne : le temps de 1'epreuve est arrive, mais elle aura pour lous un heureux denouement (Luc, 2J, 32 ; Joan., 13, 36) ; ce n'esl qu'une souffrance passagere, une separation de courle duree, suivie bientot d'un revoir joyeux et de jours de bonheur (Joan., 14, 1. 27; 16, 22). En rentendant, les Apotres sont remplis de consolation. (Joan., 16, 29.) Le Seigneur parle.et agit avec une tendresse d'amour et de sentiment qu'il n'ajamais montree jusqu'alors. Le dernier discours de Jesus et la priere du Grand Pretre de la nouvelle Loi, apres la Gene, sontlareve- lation la plus admirable de l'amour de l'Homme-Dieu, faite par le Messie lui-meme : on y enlend vraiment le chant du Gygne de la cbarite...

III. La marche vers le jardin des Oliviers.

Remarquons trois circonstances dans celte marche : A. Le Sauveur quitte la salle du cenacle : car il ne veut pas etre surpris en ce lieu. II ne peut pas, a vrai dire, y avoir de surprise pour celui qui sait el accepte d'avance tout ce qui doit arriver; et en ce sens il souffre librement, quelle que soit la cause de sa souffrance ; mais il ne veut pas qu'exterieure- ment, meme une seule fois, quelque chose paraisse manquer a la liberte de sa Passion. G'est pourquoi il se leve tout a coup de table et sort.

720 TROISIEME SEMAINE

B. Sur le chemin, la conversalion reprend de nouveau sur sa Passion prochaine et sur sa mort, el il predit aux Apotres qifils se scandaliseronl a son sujet et qifils rabandonneront. S'adressant parliculieremenl a Pierre, qui a proteste, le Seigneur lui affirme qu'il le reniera trois fois. (Matth., 20, 31-37.) Bien loin alors de donner carriere a son meconlentemenl, Jesus con- sole ses Apotres et saint Pierre, en citantle texte de la prophe- lie qui annoncait ses souffrances, et en ajoutant qu'apres toul 1'epreuve finirait bien, aurait un bon resullat. (Matth., 20, 31. 32.)

G. Le Sauveur se rend dans le jardin de Gethsemani, quoi- qii"il sache que Judas s'y presentera avec des soldats pour le prendre. (Joan., 18, 4.) Getle prevision et aussi la crainte nalu- relle qifil doit avoir en enlrant dans la premiere phase de sa Passion ne peuvent fempecher un inslant de vaquer a sa priere du soir.

Tout ce myslere est bien le prelude de la Passion : il est trisle el sombre comme la grande porte qui conduit a la prison ou au supplice. Partout 1'ceil de Jesus ifapercoit que des images <le la douleur et de la morl ; son oreille if entend que des menaces et des cris de mort ; son esprit lfest rempli que des representations de la Passion el de la mort, en sorle que son Gceur esl accable par raflliclion, rinquielude el la frayeur : voila ce qui se passe reellement dans lame du Sauveur. Mais il par- court fobscur chemin avec la serenite lumineuse de 1'espril, avec toule la grancleur el la majeste du courage, avec une ama- bilite touchante el la magnanimite de son Cceur. N'oublions pas ce qifeprouve notre pauvre coeur en de pareils momenls : il esl paralyse par la frayeur ; il ne veut ni avancer ni reculer ; il e^t resserre par la peine ; il lui en coule tellement de s'oublier el de penser a autre chose, de s'employer tant soit peu pour le prochain, a plus forte raison de l'encourager, de le consoler, de le rejouir, quand i! a lui-ineme un si grand besoin de consola- tion ! Quel bel exemple, quel exemple heroique le Sauveur nous donne ici de la maniere dont nous devons nous comporter a 1'approehe de la souffrance et en presence d'un sacritice !

I/AGONIE AU JARDIN DES OLIVIERS

(Matth., 26. 36-45. Marc, 14. 32-41. Luc, 22. 40-46.)

I. En quoi consiste VAgonie clu Sauveur?

Pour repondre a cette question, nous n'avons qu'a considerer la nature, le nombre et la violence des souffrances de Notre- Seigneur pendant son Agonie.

A. Les souffrances du Sauveur au Jardin de Gethsemani sont interieures de leur nature : ce sont des souflVances de 1'ame. De 1'ex.terieur, du dehors, il n'a encore rien a supporter : aucun ennemi n'esl la, en sa presence. Mais, precisement parce que les douleurs ne sont qu'intimes, elles n'en sont souvent que plus vives et plus profondes dans le coeur de l'homme.

B. Les sonffrances du Sauveur sont, quant au nombre, mnlliples et variees. Les Evangelistes en comptent au moins trois especes principales : la crainte et la peur (Marc, 14, 33) ; rennni et le degout, la repugnance et rhorreur (Marc, 14, 33) ; raftliclion et la tristesse (Matth., 26, 37. 38).

Une seule peine interieure suffit deja pour nous rendre mal- heureux : ici toutes les souffrances inlimes, capables d'afl1iger un coeur d'homme, semblent s'etre donne rendez-vous ; de tous cotes s'eleve la tempete el, de tous Ies points de 1'horizon, lous les venls de la desolalion arrivent au jardin des Oliviers et se dechainent dans 1'ame du Sauveur.

C. On peut se faire une idee de la grandeur et de la vio- lence de ces souffrances en considerant, d'abord, la conduile exterieure de Jesus, son inquietude, ses allees et ses venues :

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722 TROISIEME SEMAINE

il se refugie tanlot pres cle ses Apolres, tantot dans la solitude et la priere, pour trouver un peu de consolation. Ensuite la grandeur de ses souffrances se raontre dans les paroles qu'il prononce : « Mon arae est triste jusqu'a la mort. » (Matth., 26, 38.) Le Sauveur ne se plaint pas facilement et n'exagere pas ; sa trislesse et sa desolation doivent donc ressembler a celles qu'on ressent a la mort : oui, il eprouve une tristesse lelle qu'il aurait dii en mourir. II prie jusqu'a deux fois son Pere d'eloigner, s'il est possible, le calice de ses levres (Matth., 26, 39. 42) : pour faire celte demande, il faut que ses souffrances soient intole- rables, qifil soit bien amer ce calice qu'il a loujours tant desire el donl il se detourne avec horreur maintenant ! Enfin, une preuve parliculiere et peremptoire de la violence de ses souf- frances est la sueur de sang (Luc, 22, 44), dont les gouttes lombent jusqiwi terre. Ge fait nous monlre d'un cote la com- plexion delicale du corps du Seigneur et de Taulre la profondeur de ses douleurs intimes. La resistance de sa volonte superieure a la partie inferieure de son elre esl si vive que la violencede la lutle fait passer le sang a travers la mince enveloppe el le tissu delicat de son corps. II a donc a supporter une souffrance cruelle et profonde, une veritable Agonie.

II. Les causes de 1'Agonie.

II y en a trois causes qui correspondent aux trois especes de souffrances du Sauveur :

A. La crainte et la peur de Jesus, a 1'Agonie, sont causees par la certitude, 1'approche et Texces des souffrances de sa Pas- sion et de sa mort. Abandonner la vie est dur pour tout le monde ; or, il n'est pas de vie plus precieuse pour le ciel et la terre, pour lui-meme, sa Mere et ses amis, que celle de Jesus, a cause de sa saintete, de sa dignite et de son importance : per- sonne ne sait cela mieux que Notre-Seigneur. Mainlenant, lui, si jeune, doit la perdre, et par une mort si injuste, si infame et d'une cruaule inouie ! Son imagination lui represente d'une maniere tres vive loules les douleurs, tous les mauvais traite- menls et loutes les injustices qui vont fondre sur lui : il ressent,

LAGOME AU JARDIN DES OLIVIERS 723

pour ainsi dire, deja dans ses merabres toutes ces souffrances : que ne peuvent sur le coeur de lhomme 1'angoisse et la crainte de la mort ! Sans doule aussi, il eprouve les effets de la justice vengeresse de Dieu, laquelle est si meprisee des hommes et pourtant si terrible ! Son ame est remplie d'images effrayanles, qui produisent sur lui des impressions penibles ii 1'exces ; il doil par la satisfaire a la justice divine.

B. Uennui, la repugnance et le degoiil resultent, premie- rement, de la connaissance des peches, pour lesquels le Seigneur doit supporler de si nombreuses et si cruelles souffrances. II considere les peches au point de vue d'abord de leur nombre efTrayant, puis de leur malice, de leur bassesse, de leur inso- lence et de leur opposilion a la sagesse, a la majeste, a la justice et a la bonle de Dieu, enfin de leurs ravages epouvantables parmi les hommes et de leur punilion elernelle. II voil cet abime sans fond et celte masse incomraensurable de boue et de souil- lures, dont la raoindre partie suffit pour remplir son cceur dune repugnance et d'une horreur indicibles ; et c'est pour cela quMl doit desorraais souffrir el salisfaire ! Deuxiememenl, il trouve une autre cause de repugnance dans les hommes eux-memes, pour les peches de qui il a lanl a supporter. Que sont-ils, en elfel, pour lui, ces hommes? Que sont les paiens, qui composenl loujours la plus grande partie de rhumanile? Et les Chretiens, que 1'heresie, le peche mortel, la mondanite, rindifference et la tiedeur liennent eloignes de lui ? Est-ce que les Chretiens, dans tous les temps, ne formenl pas le plus grand nombre des enneniis les plus haineux et les plus implacables de la Personne du Sau- veur? El dans la petile troupe de ses fideles, que voyons-nous? Oii est celui qui peut dire qifil fait tout son devoir, qifil repond a toiit ce que lui demande le Seigneur, avec generosite et abne- gation enliere? Combien nous nous fatiguons vite, comine nous nous menageons, comme nous calculons et nous examinons lout, pensaut toujours que le nombre de nos obligations est trop grand ou nos charges trop lourdes! Le Seigneur voil tout cela : d'une part, notre insensibilite, notre paresse, nolre egoisme insatiable, et, d'autre parl, sa divine Personne et tous ses droits a nolre fidelile, & nolre amour et a nolre devoueraent. Faut-il

724 TROISIEME SEMAINE

s'etonner qu'il eprouve de Tennui, de la repugnance et du degoiit a souffrir d'une facon si cruelle pour nous ?

G. Enfin, la tristesse de Jesus a sa raison dans la perspec- tive du peu de resultat et de fruit de ses efforts, de ses bienfaits et de ses sacrifices. Une quantite considerable d'hommes ne sera sauvee que par necessite, comme de force ; des peuples entiers seront relranches de son Corps mystique, pour elre precipites dans 1'erreur el la perdition, malgre ses graces et ses bienfaits et a cause d'eux. Et pourquoi ? Parce que les hommes abusent de tout : de sa doctrine, de ses Sacrements, de son Eglise. La perle de chaque ame lui fait un mal extreme ; chacune est le prix de son sang, et avec quel bonheur il les verrait toules sauvees ! La est la raison de sa tristesse et de son abattement profond ; son Gceur est oppresse allernativemenl par la crainte, le degout et la trislesse, comme la grappe de raisin est ecrasee sous le pressoir.

III. Maniere donl le Sauveur sou/fre.

A. Le Sauveur souffre avant lout librement et volonlai- rement.

II est, en effet, le mailre absolu des mouvemenls de son ame : s'il ressenl des douleurs inlimes, donc c'est qu'il le veul. II ouvre, pour ainsi dire, lui-m6me les ecluses, afin que les eaux de la tenlation entrent dans son ame. Cerles, il y a la un pro- fond mystere et un grand miracle : comment peut-il soulfrir dans sa volonte avec la vue immediate de Dieu ? Et meme, a cause de celte vision beatifique, ses souflrances, son horreur el sa repugnance en deviennent plus vives. G'est pourquoi celle liberle du Seigneur nous rend sa Passion si venerable et si digne d'amour. Qui de nous voudrait accepter une pareille Passion et la prendre sur lui ?

Or, Jesus veut, pendant son Agonie, boire el epuiser le calice de toules les souffrances interieures. U est pousse a cela par les molifs suivants : D'abord, il veul salisfaire pour tous les peches et toutes les imperfections que nous commettons dans les heures d'epreuves : pour nolre impatience, nolre independance vis-a-vis

l'agoxie au jardix des oliviers 725

de la volonte de Dieu, nos manques de generosite, nos inlide- liles a nos resolutions, nos negligences dans la priere, nos plaintes injustes, el nolre ardeur a rechercher la consolation pres des creatures. Ensuite, le Sauveur veut nous consoler, par son exeiuple, dans les cas oii nous ne trouverons aucun allegemenl ni en Dieu ni dans les hommes.Qu'elle est vivelapeine du Seigneur de ne trouver nulle part de consolateur ! Enfin il a en vue de nous meriter, par son Agonie, une grace el une force speciales pour les temps ou nous serons nous-memes aux prises avec la desolation. Nous en aurons alors un tres grand besoin, surlout quand arrivera Iheure de notre agonie, celte heure ou des douleurs semblables a celles de Jesus fondronl sur nous, et oii personne ne pourra nous secourir ! Que nous serons consoles, en ce terrible moment, d'avoir medite et honore particulierement le myslere de TAgonie de Jesus et d'avoir attire sur nous la benediclion et les graces de force qu'il renferrae ! Le Sauveur seul pourra nous aider dans nolre propre agonie.

B. Le Messie souffre ensuite avec une airaable ettouchante humilite. Son Agonie esl aux yeux des hommes un etal de fai- blesse deplorable ; et pourlant les trois Apolres, temoins de sa glorieuse Transfiguralion, doivent voiraussi eux-memeslagran- deur, 1'extremite de cetle faiblesse. De plus, Jesus monlre son humiliteen priantdans celle necessite (Matth., 26, 39. 42;, en priaut si longtemps et a plusieurs reprises (Matth., 56, 44), en priant avec une enliere resignalion, malgre le poids qui accable sa pauvre nalure humaine, et en alleignant, dans sa priere, sinon le plus haut degre de la magnaniraile, au moins loute la perfection de la resignation et clu devouement a la volonle de son Pere. Enfm, Notre-Seigneur est assez humble pour se laisser consoler par un Ange, et pour excuser d'une maniere si louchante la somnolence de ses Apotres. (Matth., 26, 40. 41.)

G. Le Sauveur souffre avec fermete, avec perseverance et enfin viclorieusement. Sans nul doule, le combat est rude ; la repugnance et la frayeur de la nature inferieure sont tres grandes : la sueur de sang en fait foi ; mais le Sauveur tient

726 TROISIEME SEMAINE

ferme et se defend avec avanlage. II s'allache avec force a la volonle de Dieu, dont le dessein est d'accomplir notre Redemp- tion par sa mort. Aussi est-il console et fortifie par un Ange. (Luc, 22, 43.) Une telle perfection de renoncement merite un signe exterieur du ciel, comme cela a deja eu lieu dans d'autres circonstances. Jesus n'a pas un absolu besoin de cette consola- tion ; mais cependantc'eslun grandsoulagement pour sa nature humaine de voir s'approcher de lui un envoye de son Pere celesle ; et, dans son aimable humilite, il veut bien consentir a accepter celle consolalion. En quoi consiste-t-elle, il est dif- ficile de le dire : probablement, 1'Ange lui montre, dans de magnifiques represenlations, les merveilleux effets de sa Pas- sion et de la sanctification des hommes. Alors, delivre de celte lutte interieure, le Ghrisl penetre plus avant dans 1'ceuvre de la Redemption.

Telle esl la premiere station de la Passion de Jesus. Elle est d'une tres grande importance a cause des souffrances intimes qui arrachent deja au Ghrist une sueur de sang. Les douleurs de son Agonie ont leur siege dans son ame. Nous voyons par laque le Sauveur est tout a fait un homme, a une volonle d'homme, et comiment sa faculte sensitive passe par tous les etats par lesquels celle faculle humaine peut passer ; nous voyons aussi a quel degre exlreme il laisse la douleur s'elever, paramour pour nous, dans la partie sensible de son etre, etcomment il sort victorieu- sement de celte epreuve dans l'interet de notre salut et pour notre propre consolation. Nous aurons, nous aussi, nos heures de Gethsemani et d'agonie ; alors nous saurons ce que nous avons a faire : il nous fauclra, dans ces douloureux mo- ments, nous refugier pres de Jesus a 1'Agonie, le considerer, et apprendre a les passer comme lui et surlout a ne negliger, pour nMmporte quelle difficulle ou peine interieure, aucun de nos devoirs el aucune des resolutions que nous aurons prises pour le mieux servir.

L'ARRESTATION DE JESUS

(Jean, 18, 2-12; Mattii.. 26, 45-S&; Makc, 14. 41-52; Luc, 22, 47-54.)

I. Le Sauveur va a la rencontre de ses ennemis.

Jesus est absolument calme el maitre de ses facultes. II s'avance vers ses Apolres, qui se sonl de nouveau endormis, et leur enjoint de se lever et d'aller avec lui a la rencontre de s,es ennemis.

A. II est probable qu'il leur ditalors de prendre le cbemin qui conduit du jardin de Gethsemani a la ville : car c'est preci- sement celui quesuivent ses ennemis pour venir 1'arreler. Judas a obtenu des grancls pretres et du sanbedrin un detachemenl de soldats romains et de gardes du temple, ainsi qu'une troupe de serviteurs el de valels. Tous sont armes et portent des lanternes. (Jean, 18, 3.) Dans le cortege se trouventaussi quelques pretres de haut rang, des preposes du temple et des anciens du peuple. (Luc, 22, 52.) Judas les precede tous, comme un guide, peut- etre meme a une certaine dislance pour ne pas sembler etre des leurs. Ils sont convenus entre eux tous du signe auquel Judas fera connailre Jesus : Judas donnera au Messie 1'accolade et le baiser, que ses disciples peuvent loujours lui donner, quand ils le saluent.

B. Le Sauveur rencontre vraisemblablement cette troupe d'ennemis entre le jardin de Gelhsemani et la grolte de 1'Agonie. Les huit autres Apolres, qui ne sont pas avec lui, ont du se meler au cortege. Jesus esl le calme, la paix, la serenile et la resolution m^me en face de la precipitation, de l'incertilude, de

i28 TROISIEME SEMAINE

1'agilalion et de la violence de ses ennemis. II esl bien le seui point calme et silencieux au milieu des passions furieuses sou- levees aulour de lui et contre lui.

II. Le Sauveur se fait reconnaitre.

Jesus se fail reconnaitre par deux circonstances :

A. D'abord, il permet le baiser de Judas, quoique pourlant il sache bien que ce baiser est le signe donne par le trailre pour le reconnaitre. La plupart des soldats peuvent sans doule ne pas connailre Jesus de vue ; c'est pourquoi ils poussent Judas devant eux. Gelui-ci s'approche de Jesuset le baise en disant : « Salut, Rabbi ! » II y a dans cetle action cle Judas une insolence, une hypocrisie, une bassesse, une malice et une durele de cceur inouiies : comment, Judas, lu te sers du signe de 1'amitie, du symbole el de la marque du disciple, pour trahir lon Maitre et le livrer a la morl ?

Voici la maniere dont le Sauveur se conduit vis-a-vis de son horrible Apotre : il ne refuse pas le baiser de Judas ; il Tacceple et il le lui rend, parce qu'il veut en effet souffrir et mourir. De plus, il accompagne cet acte de douceur du lemoignage le plus touchanl de sollicilude et d'affeclion pour son disciple infortune ; il lui dit : « Ami, c'est par un baiser que tu trahis le Fils de rhomme ! » (Luc, 22, 48.) Jesus veut effrayer Judas par sa science et sa perspicacile infmies, et aussi le toucher par son incomparable raansueiude.

B. Ensuite, le Sauveur se fait reconnaitre, en deinandant a la troupe qui elle cherche : « Jesus de Nazareth », repond-elle. « C^est moi », dit immediatement Jesus. Alors le Messie fait un miracle : des qifil prononce les paroles"« c'est moi », lous les hommes de la troupe reculent et tombent la face conlre lerre. (Jean, 18, 6.) Le Christ se revele ainsi manifestement ; son inten- tion est encore de detourner ses ennemis de leur dessein cri- minel.

III. Le Sauveur se laisse prendre.

A. Deux incidenls onl lieu avant Tarrestation de Jesus. Le premier incident est celui-ci : Des que les soldats veulent

l'arrestation de jesis 729

porler la ruain sur le Sauveur, Pierre veul les en empecher, et d'un coup (Tepee, il tranche Toreille du premier individu qui s'approche de son Maitre. (Matth., 26, 51.) Le Sauveur le blame de sa conduite pour une triple raison : d^abord, celui qui fail usage du glaive doit s'atlendre a elre frappe du glaive ; puis, si le Ghrist le vouiait, il recevrait aussilot du ciel le secours suf- fisanl ; enfin, il veut boire le calice de son Pere celeste et accom- plir lEcritiire Matth., 26, 52-54: Jean, 18, 11). La resistance violente est insensee, indigne et conlraire a la volonte de Dieu. Alors, plein de bonle, Jesus remet et gueril Toreille de Malchus. (Luc, 22, 51.) Egalement, Je Sauveur reproche aux pretres et aux ministres du temple leur allentat noclurne, comme elant une indignite : « Je ne suis point un voleur, leur dit-il ; vous pouviez m'arreter chaque jour dans le lemple ; je vous previens qu'en agissanlde celte facon vous devenez en verile cles suppots de Satan et des inslrumenls de 1'enfer. » (Luc, 22, 53.)

Le second incident qui precede 1'arrestation de Jesus est la fuile de ses Apolres. (Matth., 26, 56.) Gette fuite est aussi une parlie du calice de la Passion du Sauveur, el raccomplissement des predictions du Ghrist et des Propheles. (Ps., 21, 12; 87, 9. 19.)

B. Alors s'opere 1'arreslation du Seigneur. Les soldats s'emparent de lui, renchainent et remmenent vers la ville, sans doute en le maltraitanl et en le raillant d'une maniere indigne el cruelle. (Matth., 26, 57.) Mais Jesus laisse toul faire. Ses mains, plus fortesque les mains de Samson,sontliees sansresis- tance de sa parl. A cette occasion, le Sauveur fait le sacrifice de sa liberle, de son honneur et de sa vie. Desormais il n'esl plus qu'une viclime inofiensive entre les mains et au pouvoir de ses ennemis cruels. Jesus souffre cette peine avec une patience, une humilile et une charite infinies. Dans ce mystere, qui est le ves- libule sombre de la Passion, le Messie revele, d'une maniere admiiable, d'abord son omniscience : car il montre qu'il sait d'avance tout ce qui arrive ; puis sa puissance et sa liberle divines : il ne veul el il n'a besoin d'aucun secours, pas meme de celui des legions celestes, et un seul mol de sa bouche suffi- sail pour reduire ses ennemis a 1'impuissance ; enfin JXotre Sei- gneur manifesle une douceur et une bonte louchantes dans sa

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sollicitude pour ses Ap6tres (Jean, 18, 8. 9) et merae pour Judas et Malchus i L'Eglise a, dans lespersecutions, toujours imite le Sauveur. Elle n'a besoin ni d'armes defensives ni de massues de combat. Sa puissance, elle la trouve dans la volonte de Dieu, dans la souffrance et dans la morl. Dans les fers, elle benit ses ennemis et elle dit toujours : « On use de violence a mon egard ; que Dieu en soit beni : Deo gratias ! »

APPLICATION DES SENS

A. Jeudi est le dernier jour que le Sauveur passe a Be- thanie, dans ce lieu qui lui est si cher et si connu, au sein de cette famille de Lazare qu'il airae tant ! II ne doit plus revoir Belhanie. II songe a tout cela, et son Goeur en souffre cruelle- menl ; mais il ne se laisse pas aller a des pensees trop naturelles el a des sentiments trop tendres. Des le matin, il envoie dans la ville Pierre el Jean, afin de requerir une salle, ou lui-meme, le Seigneur Jesus, pourra celebrer la Gene avec tous les siens. Pour ce mystere de son araour envers les hommes, le Sauveur n'a meme pas de maison ni de local qui lui apparlienne.

Dans Tapres-midi, Jesus reunitdans une grande salle tous ses Apolres et ses disciples, ainsi que les sainles femmes et la famille de Lazare. II leur dit tout emu, mais aussi avec fermete et dignite, que 1'heure de raccomplissement des prediclions antiques de sa Passion est arrivee ; c'est maintenant qu'il va recevoir le bap- leme dont il a parle, c'esl riieure ou ses ennemis, donf ils ont remarque la fureur et la rage, auront tout pouvoir surlui, parce qu'illeveut. II celebrera, encore une derniere fois, la Cene avec ses arais ; mais il ne reviendra plus dans ce lieu, car il va mourir. En ce moment, tous sont plonges dans une grande trislesse el leurs visages sonl inondes de larmes ; Marthe et Marie sanglo- tent, des qifelles entendent Jesus dire qu'il ne reviendra plus. Le Sauveur les console lous, en ajoutanf que tout cela devail arriver, mais qifil les reverra tous bientot apres.

II s'approche ensuite de Marie, satendre Mere, a qui il prend affectueusement les mains, comme s*il voulait la remercier de

APPLTC. DES SENS : CENE, AGONTE, ET ARRESTATION DE JESUS 731

toul sou amour ; et il lui dit : « Un bou Fils ne quitle pas la faniille sans le cousentement de sa mere ; vous devez donc, par amour pour les liommes, 1'aire le sacrifice de votre Fils. » Marie tombe aux pieds de Jesus en pleuraut amerement, et elle le supplie de lui permettre de mourir avec lui. Le Seigneur ne le veut pas. « II faut, dit-il encore a sa Mere, que vous preniez part a ma Passion et que vous vous teniez le plus pres possible de moi. » Puis il releve avec bonte sa Mere, qu'il embrasse ten- drement et presenle a ses Apbtres, leur recommaudanl de s'at- tacher etroilement a elle et de lui resler fideles pendaut les beures de lenebres qui vont arriver. Le Seigneur se tourne alors du cote de son cher et devoue arai Lazare, qu'il remercie cordialement de toule son affection et de tous les bienfails dont lui et ses deux soeurs l'ont coinble. Lazare, calme et silencieux, regarde Jesus avec une profonde douleur, comme s'il voulait dire que lui et les siens et tout ce qu'il a, sont a l'enliere dispo- sition du Sauveur, qu'il devrait rester au milieu d'eux... Quelle peine il eprouve de voir que Jesus ne veut pas acceder a ses desirs ! Lui-meme el les siens auraient a temoigner au Messie une gralitude inliniment plus grande que celle qu'il veut bieu leur exprimer. Jesus embrasse Lazare el tous les autres dis- ciples. Mais qui pourrait comprendre sa douleur, quand il s'adresse a Marlhe, a Marie-Madeleine et aux saintes femmes ! Toutes sont a genoux et fondent en larmes ; des voiles cachent leurs visages. Gomme elies auraient volonliers sacrifie tout, meme leur vie, pour Jesus ! Comme Jesus pourrail vivre en paix sous leur toit, s'il le voulait ! Et aux raains de quels gens va-t-il se livrer raaintenant? Le Sauveur se raet a consoler aussi les saintes femmes, et il leur tend aimablement la main, les remerciant de leur amouret de leur atlacliement ; el lorsqu'elles lui demandent ce qu'elles peuvent encore faire pour lui, il repond qu'il n'a plus besoin de leurs services, parce qu'il va mourir. Jesus part; ladouleur et le regret de toute 1'assemblee l'accompagnent; il traverse les cours avec le cortege et arrive a la grande porte qui donne sur le chemin de Jerusalem. II n'a pas, dans ce trajet, une seule fois detourne la tete ni les yeux.

732 TROISIEME SEMAtNE

Le chemin que suit le Sauveur court sur la raonlagne des Oliviers pour descendre dans les vallees de Gedron etd'Hinnom et reraonter, au midi du temple, jusque dans la citadelle de Sion. II commence a faire nuit, quand Jesus traverse avecses Apolres la \allee d'Hinnora. En regardant la ville, morne et raenacante, qui domine au loin, avec ses murs, ses bastions, et ses tours, on croil voir une prison et un echafaud immenses, prets a rece- voir le Sauveur et a le faire disparaitre du nombre des vivanls. Getle marche de Jesus vers Jerusalem esl trisleet lugubre; mais il va oii Dieu Tappelle, au milieu de ses Apolres, avec une fer- mele et une resolution adrairables.

Gette separation est tres touchante et tres inslruclive. Le Sei- gneur est un homme, et il est, comme nous, mais seulement quand il le veut, accessible a tous les sentiraents humains. Quelle peine pour son Goeur de penser aux amis chers et fideles qifil laisse dans raffliclion, a leurs excellentes dispositions a son egard et a leur charilable hospitalile! Mais aussi quelle douleur et quelle angoisse il eprouve en songeant a la raechancele des horaraes a qui il va se livrer el aux tristes destinees qui ratlen- denl! Gomrae sa vocation a du, en ce raoment, lui paraitre dure et penible ! Mais il triomphe de tout, pour nous servir d'exem- ple, et nous oblenir la grace dont nous aurons besoin, quand il faudra nous separer nous-memes de personnes et de lieux chers et aimes. N'oublions pas alors que le Sauveur a fait lui aussi ce saciifice pour nous et a nolre avantage.

B. Jesus arrive au Genacle, qui forme un baliment vaste avec une salle basse et une salle haule et differentes depen- dances : il est situe au sommet de la montagne de Sion. LeSau- veur y vient pour faire la Gene, et il choisit dans ce but la salle haute. Tous revelent 1'habit des voyageurs, se ceignenl les reins el se placent aulour de la table, tenantchacun un baton a laraain. Jesus fait une courle priere et tous se lavenl les raains. Alors il benit la premiere coupe et la fait circuler avec des herbes araeres, qui trerapent dans une sauce rougealre, faite de daltes, d^amandes, de figues et de cannelle. Prenant ensuite la seconde coupe, il explique brievement, selon Tusage, le sens du repas pascal, rompt les differenls pains azymes qui sont devant

APPLIC. DES SENS '. CENE, AGONIE, ET ARRESTATION DE JESLS 733

lui et les fait passer a la ronde avec les herbes ameres. II est probable que Jesus prononce a cette ceremonie les paroles suf- vantes : « Avec quelle ardeur j'ai desire manger celte Paque avec vous, avant que je raeure! Desormais je ne la mangerai avec vous que quand elle sera accomplie dans le Royaume de Dieu. Prenez ce calice et partagez-le entre vous ; je ne boirai plus avec vous du fruit de la vigne si ce lfesl dans le Royaume de mon Pere. » Ils assistentdonc tousan repas d'adieu, aurepas qui separera Jesus de ses Apotres et du monde. Jesus a sa mort devant les yeux, il la voil netteraent et distincteraent ; et c'esl sous les impressions de la tristesse et de fangoisse que le repas commence. Tout rappelle an Sauveur sa mort. Tous les convives s'assoienl sur les coussins et mangent Tagneau pascal qui a ete depouille de sa peau, vide et rdti ; il est la sur la table, perce d'outre en outre par deux balons de grenadier qui ont la forme d'une croix. Gelte forme et la signification de fagneau pascal represenlent vivemenl au Seigueur le sacrifice du Calvaire. De raeme, la conversation et la vue de ses hotes le font penser conli- nuellement a sa mort. Pendantla mauducalion de 1'agneau, alors que la troisieme et la quatrieme coupe circulenl parmi les convives, Jesus predil clairement et solennellement a ses Apolres quun d'entre eux le trahira, et ses yeux s'arretenl aussitot sur Tinforlune Judas. Cest ainsi que le Sauveur ne voit de tous coles que les images de la raort, qui envahissent toujours davanlage son ame enl'accablant de tristesse et en la remplissant d'effroi; parfois il est tellement doraine par les impressions qifil s'arrete et ne peut parler qu'avec peine.

Malgre tout, il fait toutes les ceremonies avec exactitude et atlention, calme et dignite, recueillement et piete. II remercie Dieu des bienfaits que celte solennite rappelle et presage, et il se rejouit de pouvoir en realiser mainlenant toute la signification. Jesus est en verite alors famabilite, la tendresse el la charile memes. II accomplit, dans ces circonstances si penibles, les plus grandes oeuvres de son amour. A la suite d'un desaccord survenu enlre les Apdlres, soit a cause de 1'ordre de leurs places atable, soit a cause de 1'aiitionce de la mort et de la trahison de leur Maitre, le Sauveur, apres que la quatrieme coupe a ete passee,

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fail la ceremonie louchante du lavemenldes pieds... etexposesa doctrine sur le gouverneraent de 1'Eglise... Puis il etablit, sans doule au moinenl oii la cinquieme coupe fait le tonr des con- vives, le tres Saint Sacrement de 1'autel... : il choisit pour cela 1'heure ou l'on veut lui enlever sa vie terrestre; et, apres, il prononce ses raagnifiques discours d'adieu, qui renferraent, avec la priere du Grand Prelre de la loi nouvelle, les lecons les plus sublimes, des revelations sur le Messie, et les encouragements les plus precieux... Jesus, qui a tant besoin de consolation, n'a que des paroles consolantes el encourageantes, desinteressees et charitables pour les autres, pour toul le monde, meme pour ses ennemis. Gelui qui est dans la desolalion et sait combien il est difficile alors de s'occ,uper du prochain, de s'accommoder a sa situalion, de compatir a ses souffrances et ases besoins, des'ou- blier soi-meme et de praliquer le desinteressement, sait aussi eslimer les exemples de vertus que le Sauveur donne dans ces penibles moraents. Jesus termine la ceremonie de rinstitution de rEucharistie et les discours d'adieu en recitant les psaumes du grand alleluia (Ps. 120-137), apres que la cinquieme coupe a fait le tour de la table.

G. Maintenant le Sauveur se dirige vers le jardin solitaire de Gethsemani. Ge jardin, qifon voitencore, du moins en partie, sur le versant occidenlal du mont des Olives, est plante d'oli- viers; huil de ces arbres paraissent avoir survecu jusqifaujour- d'hui et restent ainsi les temoins des souffrances et de 1'Agonie de l'Homrae-Dieu. Ils se trouventau milieu d'une verdure et de fleurs sans cesse renouvelees, parnii lesquelles dominent le romarin et les immortelles rouges, appelees aussi le sang du Messie. Gethsemani est un pelit coin de terre agreable et rianl au centre du champ desert des morls de la vallee de Josaphat. Le chemin qui y mene passe par le faubourg d'Ophel, dans la partie meridionale de la montagne du teraple. II if y a pas au monde de lieu plus severe et plus triste que la vallee de Josa- phat avec le lit desseche du torrent de Gedron, avec ses ravins, ses roches escarpees, ses montagnes steriles et ses arbres rabougris : cette vallee s'elend au loin le long des haules murailles de la ville et de la forteresse du temple de Jerusalem.

APPLIC. DES SENS : CENE, AGONIE, ET ARRESTATION DE JESUS 735

Autrefois, 1'aspect pouvait en etre lout different, quand les hau- teurs etaient boisees el que les aqueducs du temple fournissaient sans cesse de 1'eau au torrent de Cedron. En tout cas, c'est une Iriste promenade que le Sauveur fait, dans les tenebres de la nuit, au milieu du petit groupe de ses Apotres. Cest le meme chemin que David, la tete enveloppee et le visage cache, a autre- fois suivi avec quelques fideles, quand il fuyait devant son fils Absalon. Jesus peut tres bien penser alors a son aieul, en pas- sant sur le pont dn torrent et en jetanl nn regard sur la cite sombre, oii uu antre fils denalure, un Apotre dechu, pousse des soldals et des valets a accomplir le mystere d'iniquile. Quel lugubrecortege, parconsequent, avons-nous donc sous les yeux! La Passion approche bien vile. Elle est le sujet de la conversa- tion generale. Jesus predil aux Apotres sa mort el leur annonce qu'ils vonl bientol rabandonner. Et il confirme ses paroles par le texle du Prophete : « Glaive, leve-toi conlre mon Pasleur et contre rHomme qui se lient le plus pres de moi; frappe le Pas- teur, et les hrebis se disperseront. » (Zach., 13, 7.) Mais le Sau- veur console tout aussilol ses Apolres; car, au lieu d'ajoiiler le reste du verset prophelique : « mais j'elendrai ma main vers les pelils », il dit : « Apres ma Resuirection je vous precederai en Galilee. •» (Matth., 26, 32.) II ecoule aussi avec bienveillance la proleslation de fidelite des Apotres et en parliculier celle de Pierre, qui 1'assureiit lous qu'ils ne 1'abandonneronl pas, quand meme leur altachement devrait leur couter la vie. Alors Jesus signifie a Pierre qu'il le reniera trois fois... (Matth., 26, 33-35.) Mais il le console en meme temps par des paroles de la sainle Ecriture et par la promesse de 1'execution entiere des desseins divins. Le Sauveur a lui-meme lant besoin d'elre console! Plus il s'approche de Gelhsemani, plus les ombres et les nuages de la tristesse et de 1'angoisse deviennent epais et menacants, assiegent et envahissent son ame de lous les coles. Mais il entre resolument dans 1'honrible jardin.

D. A 1'enlree du jardin de Gelhsemani, peut-^tre dans la maison du jardinier ou sous un berceau, le Seigneur laisse huit de ses Apolres, qu'il exhorte a prier, afin de ne pas enirer en tenlalion. II garde Pierre, Jacques et Jean, et se rend avec eux

736 TROISIEME SEMAINE

plus loin, probablement dans une parlie du jardin separee de Tautre par un chemin. Dans le fait, on suit encore aujourd'hui, pour gravir le mont des Oliviers, un cherain qui se trouve enlre la grotle deTAgonie et le jardin de Gelhsemani. Cest dans cet endroit solitaire que Jesus coramence sa Passion en presence de sestrois Apotres. II est plonge dans une tristesse indescriptible. II regarde autour de lui et ne voitde toute part que les images epouvantables de la desolation el de la mort, qui s'approchent €omme des nuages menacants, et qui entrent sans interruption dans son ame. Le Sauvear dit en ce inoment a ses Apolres : « Mon ame esl triste jusqu'a la mort. Restez ici et veillez et priez, pour ne pas tomber dans la tenlation. »

a) Puis il va seul dans une pelite grolle, sous une saillie de rocher, d'ou tombent des branches d'arbrisseaux qui en cachent Touverture. Les images effrayantes resserrent toujours davan- tage leur cercle autour de Jesus, qui se sauve au fond de la grotte, commesMI elait menace par un orage effroyable. Mais les representations le poursuivent et 1'environnent de leurs speclres horribles, lesquels deviennent toujours plus distincls et plus menacanls. Ge sont des images de sa Passion ; el le Sauveur les laisse agir sur son imagination si vive, sur ses faculies infe- rieureset surson corps. II voit tout et il sent tout d'avance : la irahison de Judas, la fuite des Apotres, les railleries el les peines des tribunaux d'Anne, de Caiphe et de Pilate, la fla- gellalion et le couronnement d'epines, la condamnation k mort, le portemenlde la Croix, la rencontre de sa Mere, le cruel cru- cifiementavecdes clous, les douleurs de la Croix, les sarcasmes de ses ennemis, les douleurs de sa Mere et de Marie-Madeleine et enfin son affreux trepas. II voit toutet il reconnait tout dans son imagination, en meme lemps que les douleurs de chacun de ses inslruments de supplice, et la rage et la mechancete de tous ses bourreaux. II se devoue a tout, el, en expiation de nos faules, il prend pour lui seul cette mullitude infinie des fruits du peche et des passions, dont il laisse le suc empoisonne agir violem- ment sur chacun des raembres de son corps et sur chacune des •facultes inferieures de son ame. Jesus est dans les affres de la mort, et des speclres aux forraes les plus effrayantes, Tenviron-

APPLIC. DES SENS l CENE, AGONIE, ET ARRESTATION DEJESIS 737

nenl el l'assaillenl de tons lescoles a la fois. Dans son angoisse et sa detresse extnhnes, il fait des supplications a Dieu, la face conlre lerre : « Pere, dit-il, tout vous est possible. Eloignez de moi ce calice. Pourtant que votre volonte se fasse, et non la niienne ! » II veut souffrir et rnourir pour nous, et satisfaire ainsi a la justice de son Pere celeste. La Passion du Sauveur est jusle et sainte ; mais il voit aussi 1'exces de peine et de lionle qu'il aura a y supporter; il connail la valeur et rimporlance de sa vie pour le ciel et pour la lerre, pour sa Mere bien-aimee et pour ses amis ; il senl la douceur decette vie,el aussi 1'indignite et riiorreur de sa mort ; c'est pourquoi la sueur de 1'agonie cou- vreson visage ; il tremble, ilfremit, ses mains se conlraclenl, et il tombe par terre plusieurs fois. II se leve et va trouver ses Apotres ; mais ses jambes peuvent a peine le porter. II esl tout defigure, son visage est pale, ses membres s'agitent, sa poitrine se souleve peniblement, la respiration lui manque, il regarde avec effroi tanlot vers le ciel, tantol vers la terre, tanlot vers ses Apotres : Jesus ressemble a un moribond qui cherche quelque chose etconsidere ceux quirentourentavecdes yeux troubles et pleins (fangoisse. En ce moment les Apolres sont plonges dans le sorameil. Le Seigneur dit : « Tu dors, Simon ? Ne pouviez-vous pas veiller une beure avec moi? » Jesus tombe presque de Iris- tesse el d'epuisement. Les Apolres, en le voyanl si defait, si defi- gure, pale, chancelant, tout couvert de sueur, tremblant el fre- missant, ne savent que penser. Ils se levenl aussilot pour le soutenir, et ils lui demandenl ce qu'il a et s'ils doivent fuir ou appeler le resle des Apotres. Le Sauveur leur dil sans doute de rester tranquilles, parce que les autres Apotres ne pourraient supporter sa vue : « Vous trois, ajoute-t-il, vous m'avez vu dans ma Transfiguration, et il faut que vous me voyiez aujourd'hui dans riiumiliation el le delaissement. Veillez seulemenl et priez pour ne pas tomber dans la tenlation : car 1'esprit est prorapl el la chair est faible. »

b) Notre-Seigneur relourne dans la grotte, se proslerne encore la face conlre terre pour prier son Pere celeste. Un second combal va selivrer dans son ame. II doit donc tant souffrir, et pourquoi donc el pour qui?Pour lespeches et pour les hommes.

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II contemple toute la beaute qu'avait Tbonime avant sa chute, il admire cette imagede Dieu, et en meme temps il voit toute sa degradalion et toute sa corruption apres le peche. II considere le premier peche de 1'homme et, dans ce peche, la source et 1'ori- gine de tous les autres; il \oit le caraclere bonteux el la ten- dance mauvaise de chaque passion dereglee, les relationsredou- lables que les passions ont avec les puissances de notre ame et les membres de notre corps, leurs suites et leurs ravages etTrayants dans la societe humaine, leur opposition criminelle a Dieu, et leurs consequences terribles pour l'eternite. II voit les peches de tousles temps et de toutes les races d'hommes ; il en voit le nombre incalculable, la malice, lamechancete, la bassesse et la folie. II les voit fondre sur lui, comme mille lorrents impe- tueux, et se reunir autour de lui, en formant, pour ainsi dire, une mer dMgnominie et d'infeetion. De quelles images horribles et abominables les passions el les peches n'assiegent-ils pas son esprit, nWfligent-ils pas son coeur ! II regarde cette masse immense de corruption et de maux, donl 1'idee seule cause a son Coeur noble, sensible et saint, une repugnance et une bor- reur indicibles. El c^est pour ces peches qu'il doit souffrir main- tenant d'unemaniere cruelle et infinie ! Ensuite Jesus consi- dere les liommes. Que sont-ils pour lui, ces hommes? D'abord, tous ceux que l'infidelite el le paganisme tiennent eloignes de lui? Ils ne le connaissent pas et il ne recoit jamais d'eux le moindre lemoignage de gratitude : et neanmoins c*est pour ces paiens qu'il doit souffrir ! Que sont-ils encore ces hommes que les pre- juges, les erreurs, les heresies el les schismes separent du Christ? Que sont enfin les fideles que les crimes et les peches secrets, la tiedeur et rindifference rendent pour lui etrangers? Combien, parmi les Chretiens, qui le renient, s'eloignent de lui, rougissent de lui, el le perseculent, comme desennemis person- nels, dans les ames, dans son Eglise, dans sa doclrine, dans ses Sacrements, dans la Hierarchie sacree et dans sa propre Per- sonne? Qu'est-ce qu'out fait les heretiques de la Personne de Jesus ? Le Sauveur voil, a travers des siecles, des armees entie- res se lever pour venir le combattre. Combien petit est le trou- peau de ses fideles ! Et de quelle maniere se comporle-t-il a son

APPLIC. DF.S SENS : CESE,- AGOME, ET ARRESTATION DE JESUS 739

egard? Ouest rame qui. fait toul ce qu'il veut, qui reponda tous ses desirs dune maniere desinteressee;, sans deviation el avec generosite? Gomme nous nous fatiguons lous vite, comme nous nous recherchonsnous-memes, comrae nous pesons etcalculons anxieusement lout, de peur de donner trop a notre Dieu ! Ge n'est qu'a forcede paroles, de supplications et. d'instances qu'il obtient que nous fassions un petit sacrifice, et que de fois il n'y reussit pas ! El cela malgre tous les titresqu'il a a notre service, a notre fidelile, a notre amour, a notre devouement, el apies nous avoir lant aimes et avoir lout sacrifie pour nous ! Faut-il donc s'etonuer de sa repugnance, de son degoiil et de son hor- reur exlremes a la vue des hommes? La volonte humaine de Jesus soutient une lutte acharnee contre la repugnance que lui inspire une pareille ingratitude. Le Sauveur s'agitepeniblement, joint les mains et crie plusieurs fois : <i Ges hommes! Est-il possible de souffrir ainsi pour de tels ingrats? » Alors sa sueur commence a se coudenser et a devenir du sang, qui jaillit de ses pores et coule sur sou visage. « Pere, dit Jesus, est-ce possible de souffrir et de mourir pour de tels hommes? Neanmoins, comme vous voulez. Si ce calice ne peut s'eloigner de moi, que votre volonte s'accomplisse. » II est dans une si grande affliction qu'il regarde de tous cotes, cherchant du secours et paraissant prendre le ciel et la terre a teinoin de sa delresse. II veutencore fuirles fantomes epouvantables qui 1'assiegent, et c'est pourquoi il se leve, et de nouveau se dirige en chancelant vers ses Apo- tres. Geux-ci sontla, a genoux, la tete enveloppee, accables de tristesse; ils se sont endormis pendant leur priere. Lorsqu'ils voient, a la lumiere de la luue, leur Mailre defait, tremblant, la lete penchee, le visage paleet sanglant^ u peine reconnaissable, ils se meltent debout aussilot, tout effrayes. II leur dit quedans une heure il va elre pris et que, malgre cela, ils dormenl ; ils devraient veiller et prier, car la pluslerrible des epreuves les atlend, eux et lui, el elle ne tardera pas. Les Ap6lres rentourent, le prennent dans leurs bras, mais ils ne savent que repondre, tellement sa vue et ses paroles les plongent daus la consterna- tiou ! Apres quelques instants, Jesus retourne dans laigrotte. c) II va y subir un troisieme assaut. lTne nouvelle serie

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d'imagespenibles se presentent a son imagination : c^eslTappre- hension anxieuse du resultat de ses souffrances, ce sonl les visions epouvanlables de Tavenir qui oppressent son Coeur. II est, plein d'amour et de misericorde, descendu des cieux ; il a, pour nous sauver et nous faire entrer dans sa gloire, pris 1'Eglise comme Epouse et adopte en elle tous les hommes pour membres de son Gorps myslique. II a donne a cetle Eglise son enseignement, le sang de la Redemplion, son esprit, les Sacre- ments, afin qu'elle devienne la Mere de tous les vivants et, pour eux lous, la Porte du Giel. Or, que voit le Sauveur? II voit toutes les hostilites et toules les persecutions dont son Eglise sera l'ob- jel : les hommes rejelteront les moyens de salut qu'elle leur olfriraet ils refuseront positivement d'elre sauves. II voit loutes les heresies et tous les schismes, causes par 1'orgueil, la deso- beissance et la sensualile. II voit la tiedeur et la mechancele d'une foule innombrable de Chreliens, la vanile et la presomp- tion des savants, les sacrileges des prgtres, el rabomination de la d^solation dans son Eglise : en effet, la table de 1'Alliance, le banquelde 1'union des Sacremenlsne devient-il pas une marque de separalion et une pierre de scandale? Et ces Sacremenls ne sont-ils pas indignement delaisses par les Prelres et par le peuple? Les hommes ne veulent pas etre sauves : au lieu de se nourrir des aliments de la saine doctrine, ils courent apres les paturages empoisonnesdu monde ; au lieu de se laisser conduire par le Pasteur legitime, ils ne veulent etre diriges que par des mercenaires et par des loups ; au lieu dailer, avec le verilable Maitre, aux sources de la vie, ils aiment mieux elre seduils, egorges et devores par rancien Serpenl, qui emploie tous les moyens et prend loutes les formes pour les tromper. II voit, decette maniere, des multitudes d'hommes, meme des peuples entiers, se detacher de lui et perdre les tresors des graces de son Eglise ; il voit comment tous ces apostats, dans leur infide- lile et leur heresie farouches, s'unissent enlre eux et arrivent a former des armees formidables dans le but d'altaquer violem- ment 1'Eglise et de la detruire; mais, au milieu de leurs rangs, c'esttoujours le memeSerpent quilesanime et qui par eux fait tous les ravages et tous lesmassacres. Jesus voitune foule infinie

APPLIC. DES SENS : CENE, AGOME, ET ARP.ESTATION DE JESUS 741

(Tliomm.es qui ne sont sauves que par force et (Tautres non moins nombreux qui se precipitenta leur perte eternelle. II con- sidere tous ces elres humains et il les suil longlemps des yeux ; c'esl pourquoi il est plonge dansune si profonde tristesse. II n'y a rien qui perce aulant le Goeur de Jesus comme la separation, la dispersion, la division et le malheur des ames ; et il voit ces schismes se perpetuer jusqiTa la fin deslemps, quand il lTy aura plus de salut pour elles Son plus ardent desir est de les voir sauvees, et combien (Tentre elles seront perdues ! Elles sont pourtant encore, ces ames infortunees, lesmembresdeson Gorps mystique et elles se separent ainsi violemment de lui I II lui semble, a chaque separation, qiTon lui enleve une parlie de lui- meme, qu'on met ainsi son Gorps en lambeaux. Sous Timpres- sion de ces images tristes et effrayantes, le Sauveur tombe par terre et s'affaisse comme un moribond. La sueur de sang devient plus abondanle et penelre ses vetemenls. Elle coule en goutles epaisses et d'un rouge fonce sur son visage pale ; ses cheveux sont en desordre et remplis de sang. Son epuisemenl est com- plet et on entenda peine ces paroles sorlir de sa bouche : « Pere, que votre volonte se fasse el non la mienne ! » II souffre en verile les douleursd'une terrible agonie.

d) Mais c'est assez pour Jesus de douleurs et aussi de peines inlerieures. II faut qiTil soit reconforle et console dans ses puissances nalurelles. Un Ange brillant lui apparait ; il est revelu d'un ornement sacerdolal el porle devant sa poitrine un petit calice. II s^approche du Sauveur avec un grand respect, lui teud sa main droite pour Tengager a se redresser, et quand Jesus Ta fail, il lui presente le calice. Le Seigneur prend ce calice. Getle ceremonie ou ce mystere signifie que c'est la volonte du Pere celeste que le Messie accomplisse la Redemplion par les souffrances ; el, en acceptant le calice des mains de TAnge, Jesus se soumet librement et avec amour a la volonle de son Pere. II est vraisemblable que TAnge console le Christ en lui laissant entrevoir les heureux effets de sa Passion. Les porles des limbes s^ouvrent devant lui, et il y voit les Palriarches, ses ancelres suivanl la chair, les Prophetes et lous les Saints de TAncien Testament, ainsi que les parents de sa Mere et saint

742 TROISIEME SEMAl.NE

Jean-Baptisle, qui soupirent ardeniment apres sa venue et sa Redemption. Celle vision forlifie et encourage le Goeur si aimant du Sauv.eur. Des troupes nombreuses d'ames passent devant ses youx : ce sont celles qui, grace a lui et aux merites de sa Passion, coutracteront une alliance etroite avec son Pere celeste. II 'les voit totites se presenter, par calegories et par ordre de dignile, parees de leurs souffrances et de leurs verlus : ce sont les Ap&tres, les Vierges, les Gonfesseurs, les Martyrs, les Erraites, les Eveques, les Pretres et les Papes. Gbacun porte sur sa lete la couronne des vainqueurs et la marque dislinclive de sa dignite. Gest une variete unique de couleurs, de parfums, de formes et de forces admirables. Toute celte majeste et loute cetle puissance, loule cette lumicre et toute cette beaute des Sainls revelent le tresor inepuisable de la Redemption du Glirist. Les Saints recoiveut toul de la mort de Jesus. La consi- deralion des rappoHs des Saints enlre eux et des effels recipro- ques que ces rapports produisenl, la vue de la seuJe source des graces, c^est-a-dire la Passion el les Sacremenls, ou les Sainls ne cessent de puiser, sont pour Xotre-Seigneur un spectaele incomparablement beau, toucbant et 1'econforlant : c'est un tableau ravissant dans sa vaiiete et son uuite ; c^est, pour ainsi dire, un soleil splendide qui repand ses rayons et ses flols lumineux de lous les cotes, avec une profusion iiafinie ; c'est la Gommunion des Saints, faiile de tous les Bienbeureux de l'An- cien et du Nouveau Testaments, qui enlourent, comme une cou- ronne de gioire, le Gcenr aiinable du Redempteur. Gette vision loucbanle el joyeuse donne a Jesus de nouvelles forces el un noHveau coiirage. W nous aime tant quil aurait supporle lout pour sativer une seule ame ; el maintenant c'est dans un ciel tout peuple dTnnes sauvees par lui qnMl se trouve transporte. II repose, quelque lemps encore, ses yeux sur le tableau si conso- lant que lui ollient les Limbes. Alors forlifie, bien qu'encore tres triste, il peut se rendre d'un pied ferme pres de ses Apotres privilegies. II essuie d'abord son visage, el il arrange ses cbe- veux dont les mecbes pendent tout bumides de sueur et de sang ; puis, bien que pale encore, il s^avance plein de resolution. II Irouve les Apotres de nouveau endormis. II leur dit : « Vous

APPLIC. DES SENS : CENE, AGONIE, ET ARRESTATION DE JESUS 743

pouvez bien donnir desormais ; la lutle est fmie ! » Et il leur eojoint de se relever pour venir a la rencontre de ses ennemis. II monlre aussi aux Apolres le chemin de Jerusalein, sur lequel il y a une troupe dMiommes portant des lanternes ; ces hommes se dirigent de leur cote.

e) Alors Jesus prend, avec ses trois Apolres, le cliemin qui se trouve entre la grotte de 1'Agonie et le jardin de Gelhse- mani ; les soldals viennent eux-memes de s'y engager. Les huit autres Apotres ont remarque egalement la Iroupe suspecte, et ont rejoiut le Sauveur, qui n'a qu'a faire quelques pas pour se trouver en face de ses ennemis. Judas est la, Judas, lApdtre inlidele, le trailre et le conducteur de la troupe ! Tout pres, derriere lui, se tiennent des gens armes, des soldats, quelques archers (sorle de gendarmes), avec des cordes et des menotles, et an milieu des soldals un pelit nombre de pretres et d'employes du sanhedrin. Les soldals ne connaissent pas Jesus de vue ; aussi Judas leur a indique davance un signe pour le reconnailre : « Gelui que j'embrasserai et je baiserai, est Gelui que vous devrez saisir et lier. » Mais, pour ne pas paraitre trahir le Sau- veur aux yeux des Apotres, il a ete convenu que les soldats et les archers suivraient Judas a une certaine dislance; ia renconlre de Jesus par la troupe, quand Judas lui donnera un baiser, aura lieu ainsi comme par hasard. Neanmoins les pretres et les ser- vileurs du sanhedrin ne se fient pas a Judas, qirils suivent de pres, et de cetle maniere ils se trouvent en face de lui au momenl ou il aborde Jesus. Judas, lout confus, ne se hate pas de donner le signal convenu, et il y a un momenl d'hesitation, dincertitude et de perplexile. Le Seigneur en profile pour s'avancer et pour dire a haute et intelligible voix : « Qui cher- chez-vous? » Les soldals lui repondenl : « Jesus de Nazareth. » Le Sauveur replique : « C'est raoi. » Et a ces mots toute la troupe lonibe par terre, comme frappee de stupeur. A peine ks ennemis de Jesus se sont-ils releves et onlils repris leur rang, que Jesus leur dit de nouveau : « Qui cherchez-vous? » « Jesus de Nazareth », repondent-ils. « Je vous l'ai deja dit, reprend le Sauveur : c'esl moi. Mais si c'est moi que vous cher- chez, laissez ceux-ci aller en paix. » Et il niouliv ses Apotres.

744 TROISIEME SEMAINE

Alors les soldals tombenl une seconcle fois ;\ la renverse, comme s'ils avaient ete frappes de la foudre. Mais ils sont bienl6t debout, et, exciles par les prelres el leurs acolytes, ils menacent Judas et le pressent de tenir sa promesse. Le traitre est couvert de confusion sous les yeux des Apotres indignes et en presence de la Majesle de son divin Maitre. II ne peut plus reculer, et, loiit tremblanl et deconlenance, il s'approclie de Jesus, l'em- brasse el lui donne un baiser en disant : « Salul, Rabbi ! » Le doux Sauveur le laisse faire ; il regarde Judas avec douleur et pilie, el se contente de lui repondre : « Ami, dans quel dessein es-tu venu? Cest par un baiser que lu trabis le Fils de 1'homme ! » Que n'aurait pas merile, en cet instanl, ce voleur et ce trailre impudent el infame ! Mais le Sauveur ne refuse pas de lui rendre son baiser ; et il lui donne le baiser qui aurail rendu heureux tanl de Sainls et les aurait recompenses de lous leurs travaux et de tous leurs sacrifices. Jesus n'accorde pas ce baiser aux Sainls, mais il 1'accorde a Judas, parce qu'il etait le signe de la trahison et que le Sauveur voulait encore sauver la pauvre ame de son infortune Apolre.

Alors les soldals s'approclient et enlourenl le Sauveur, pen- dant que les arcbers portenl les mains sur lui. Quant a Judas, decontenance et bonleux, il prend la fuite. A celle vue, les Apolres se precipitenl vers Jesus pour le delivrer, et Pierret plus courageux et plus decide que les aulres, tire son glaive et se jelle sur le premier homme d'armes venu, sur Malclius, ser- vileur du grand prelre, quil renverse, et a qui il coupe 1'oreille droite. Jesus se retourne vers son Apotre et lui dit : « Remets lon glaive au fourreau. Tous ceux qui prennent le glaive peri- ront par le glaive. Ne pourrais-je pas prier mon Pere de m'en- voyer plus de douze legions d'Anges? Mais ne faut-il pas que je boive le calice que mon Pere m'a donne ? » El il s'approche de Malchus, dont il touche Toreille ; celle-ci est a 1'instant remise a sa place el guerie. Apres cel incident, tous les Apolres fuient dans toutes les directions. Jesus, s'adressant aux pretres el aux employes du sanhedrin, qui sont maintenant autour de lui, leur dit ces paroles : « Vous eles venus me prendre avec des piques et des batons, comme si j'elais un assassin. Tous les jours

APPLIC DES SENS l CENE, AGONIE, ET ARRESTATION DE JESUS /45

j'etais pres de vous dans le temple, et vous ne m'avez pas arrele. Mais c'est votre heure, Tlieure des lenebres. » Le Mes- sie veut ainsi les loucher el les deiourner de leur crime, en les empechant de devenir des instruments de Tenfer. Mais ils onl la rage dans le cceur, el les archers recoivenl 1'ordre de saisir le Ghrist, de le lier et de renchainer le plus eiroitemenl possible. Les archers obeissent, lient Jesus avec la plus grande brutalite el la plus grande cruaule et 1'aceablent de toule sorte de mau- vais traitements. Les pretres et les Pharisiens regardent avec plaisir et eprouvent une joie diabolicpie d'avoir enfin Jesus entre leurs mains et en leur pouvoir. On 1'amene en leur presenceT el ils ordonnent a la troupe de retourner ii Jerusalem avec le caplif. Pour Jesus, il se tait et supporle toul. Desormais il n'est plus que la Viclime inolfensive de ses bourreaux et de nolue Redemption.

Ces trois mysleres ont pour bul de nous affermir en vue des difficulles intimes que peut nous offrir notre Eleclion 011 notre vocalion, des sacrifices el des souffrances de toule sorle que nous pouvons y trouver. Nous voyons comment le Sauveur se separe, avec force et courage, de ses plus chers amis afin daller aia mort ; comment raugmentalion toujours plus grande de son angoisseet du serrement de son Goeur neTempeche pas, a la Gene, d'accomplir les plus magnifiques ceuvres de Tamour el de la magnanimite; coiumeut ll clonne a ses Apotres et a nous tous les preuves les plus touchanles de sa tendresse et de sa charile. II lutle alors conlre toutes les puissances reunies de la desolation, conlre la frayeur, la repugnance et la trislesse ; il soutient un combal dur etlerrible contre son propre Gceur, de sorte quil a une sueur de sang ; mais, par sa perseverance, il renverse tous les obstacles et va a la rencontre de ses ennemis ; il abat toules les resislances el il s'offre et se livre lui-meme ;\ ses bourreaux. Quel exemple consolanl, louchant et encoura- geant pour nous clans toutes les difficultes interieures qui peu- vent nous atleindre ! Or, ces difficultes viendront ; oui, les heures douloureuses de Gellisemani, la salieie, la repugnance, le degout, la tristesse, 1'angoisse et la peur viendront un jour pour chacun de nous. N'oublions pas alors 1'Agonie de notre

746 TROISIEME SEMAINE

Sauveur, la resislance energique qu'il a opposee a loules les attaques, et la victoire eclatante qu'il a remportee en notre faveur et par amour pour nous. Contemplons-le : il persevere dans le calme et la patieuce, et 1'orage passe ; il prie et il est console. Recommandons-nous donc et recourons & la grace vic- torieuse de sa priere au jardin des Oliviers. Malgre tout, il ne recule pas un instant, il avance toujours sur son champ de balaille ; il ne s ecarle pas du chemin du Galvaire, mais il s'y avance majeslueusement. Imitons-le el suivons-le ! Rien n'est plus propre a nous faire recouvrer la consolalion et la paix de Dieu.

LE SAUVEUR CHEZ CAIPHE

(Matth., 26, 57-75; Ma«c, 14, 53-72; Luc. 22, 54-71; Jeax, ls, 14-27.)

Nous avons a considerer Irois circonstances principales dans ce mystere.

I. Uimtruction judiciaire de (a nuit.

L'instruction judiciaire noelurne dout Jesus est Tobjet olTre trois incidents remarquables.

A. La demande, faite au Sauveur, de rendre lemoignage conlre lui-meme. Au lieu de donner des defenseurs a Jesus, selon Tusage legitime des tribunaux, et d'accepter des temoi- gnagesen sa faveur, au lieu de bien preciser 1'acte d'accusation et de le faire confirmer par des lemoins, le grand pretre commence Tinterrogatoire du Sauveur en lui demandant de s'exprimer sur sa doctrine et sur ses disciples. (Jean, 18, 19.) Or, il y a la, de sa parl, d'abord une pretention injusle, car personne ne s'accuse ainsi soi-meme ; de plus, une pretention perfide, on veut sur- prendre Jesus dans ses paroles; et, enfiu, une pretention inutile, puiscpie sa mort est decidee.

Cest pourquoi le Sauveur repond qu'ayant toujours enseigne publiquemenl, le grand prelre peut interroger ceux qui l'ont entendu. (Jeain, 48, 20. 21.) Sa reponse est bumble : il recon- nail la juridiction de Caiplie ; sa reponse est juste, personne n^etant oblige de s'accuser soi-m^me ; elle est enfin sage et calme : le Sauveur reclame avec modestie 1'audilion des temoins.

A celte reponse, un soldal, enhardi sans doute par le mecon-

48 TROISIEME SEMAINE

tentement visible du grand prelre, donne a Jesus un coup de poiug dans la figure, en disant : «. Reponds-lu ainsi au grand pretre? » (Jean, 18, 22.) L/atrocile de ce mauvais traitement ressort, en premier lieu, de sa nature elle-meme, qui est un oulrage et une douleur ; en second lieu, de la consideralion de celui qui en est rauleur et de Gelui qui en est 1'objet ; et, en troisieme lieu, du motif pour lequel il est inflige : c^esl une replique violenle a la plus jusle et a la plus douce des paroles.

Le Sauveur repond alors tranquillemenl a roffenseur : « Si j'ai mal parle, prouve-le ; sinon, pourquoi me frappes-tu? » (Jean, 18, 23.) Jesus agit ainsi pour se juslifier du reproche d'irreverence envers le grand prelre, pour nous apprendre qu'une defense juste et moderee esl parfois necessaire, et pour insisler modestemenl sur 1'audilion des temoins.

B. L^audilion des temoins a charge. Le grand prelre est conlraint mainlenanl d^enlendre les lemoins. Les ennemis de Jesus ont deja aposle des lemoins de leur choix. D'apres la procedure des tribunanx, chaque temoin devait etre inlroduil separement. Les faits allegues par les temoins ne concordent pas, et, par consequent, ne peuvent etre invoques conlre Jesus. (Mattu., 26, 59. 60.) Mfime la derniere accusation dont il est 1'objel est fausse, dans les termes et le sens, a savoir qu'il a profere des paroles meprisantes et blasphematoires contre le temple et qifil veut le renverser et le rebatir en trois jours. (Matth., 26, 61 ; Jean, 2, 19.) Quant aux lemoins a decharge, ils ne sont pas admis.

Que fail le Sauveur en entendant ces lemoignages portes contre lui? 11 se tait, meme quand le grand pr£tre le presse de s^expliquer. (Mattii., 26, 62. 63.) Jesus se tait, parce que toule reponse a ces accusations absurdes n'estpas necessaire et, vu les disposilions du grand conseil, est complelement inulile. Ensuite, le Sauveur veut par la nous donner un exemjtle, afin que nous sachions resister au besoin immodere deloujours nous defendre. II n'y a, dans la conduile de Jesus, que sagesse, force d'ame et humilite admirables.

G. L'adjuration solennelle. Le grand pretre, embar- rasse, profile de la derniere deposition pour adresser solennel-

LE SAUVEUR CHEZ CAIPHE 749

lemenl celle demande a Jesus : « Es-lu le Messie el le Fils de Dieu? Beaucoup de personnes fonl reconnu comme Messie, nous le savons, et, toi-meme, tu l'es plus ou moins donne comme lel. » (Matth., 26, 63.) Gelle question est des plus imporlantes ; elle est faite dans la forme la plus solennelle, c'est-a-dire dans la forme d'une adjuration au nom de Dieu ; et c'est 1'inlention la plus mauvaise possible qui 1'inspire, puis- qu'elle a pour but de faire condamner Jesus a la mort comme blasphemateur. La reponse du Sauveur esl tout h fait a propos et en m£me temps des plus nettes et des plus imposantes. II ne contredit pas Caiphe, loin de la : « Tu l'as dit, je suis le Messie. » El il confirme ce temoignage personnel en predisant a ses juges sa gloire; malgre son etat actuel d'abaissement, il viendra un jour dans sa gloire, comme Juge du monde, afin de punir leur incredulite. (Matth , 26, 64.) II ne s'esl jamais expli- que aussi clairement et aussi franchement sur sa dignite de Messie. Et il le fait en face du grand prelre, du grand conseil, de toul le peuple et de loute riiumanile.

A ces mots, le grand prelre le declare blasphemaleur et pro- nonce prealablement la senlence de mort, manifestant une grand indignalion : en effel, il dechire son vetement de dessus en signe de douleur et de sainte colere. Toule la synagogue 1'approuve et declare le Sauveur digne de mort.

LMnformation juridique est ainsi lerminee ; la base de Taccu- sation s^appuie sur la deposilion meme du Sauveur ; et le chali- ment est d'avance fixe et decerne. Tout est donc pr^t pour le jugement definilif.

II. La nuit chez Caiphe.

Pendant la nuit que Jesus passe chez Gaiphe, deux choses arrivenl qui affeclent tres douloureusement le Sauveur.

A. La premiere consiste dans les injures et les railleries dont il est 1'objet. Au lieu de le laisser prendre un peu de repos et se remetlre des faligues et des emotions de son arres- tation, du trajel de Gelhsemani a Jerusalem et de la seance judiciaire, on fail de lui un objet d'outrages revoltants. Les

750 TROISIEME SEMAINE

auleurs et les instruments en sont non seulement les soldats et les serviteurs du palais, mais sans doule aussi plusieurs mem- bres du haut conseil. (Marc, 14, 65.)

Quant au genre d'injures que recoit le Sawveur, on peut dire qu^elles sont les plus grossieres et des plus oulrageantes pos- sible. Elles visent sa Personne, ses fonctions et ses altributs divins : on lui voile la face, on le frappe et on lui demande qui l'a frappe (Mattu., 26, 68); on profere des blasphemes contre lui (Luc, 22, 65) ; on le couvre de crachats, ce qui dans Israel est le plus grand affroot (Matth., 26, 67; Deut., 25, 9; ftomb:, 12, 14 ; Job, 30, 10) ; a la raillerieon ajoute des voies de fait odieuses : coups de poing sur le visage, soufflets (Luc, 22, 64 ; Mahc, 14, 65 ; Matth., 26, 67), ainsi que le prophete l'a predit (Is., 50, 6). L'atrocile de ces mauvais traitements ressort deja des circonslances ou se trouve Jesus. D'abord, il est sans defense et dans un pitoyable etat, et, comme accuse, il a droit a la protection officielle ; or, actuellement, c'est sous les yeux meme de 1'autorite que se passent, contre tout droit, ces scenes etranges et repugnantes. De plus, la qualite de TAccuse rend ces insultes encore plus atroces : qui est, en effet, Jesus?... II est defendu de cracher deja sur le seuil du temple, et ici on se permet, sans honte ni pudeur, de profaner et de deshonorer la face auguste de Gelui qui est le Dieu du lemple et qui a recu, sur le Thabor, les hommages des Prophetes, deMoise et d'Elie !

B. Le reniement de saint Pierre est le second evenement douloureux pour Jesus durant cette lerrible nuit. Yoici com- menl il a eu lieu. Pierre, stationnant dans la cour de CaYphe, se voil aborde par des servantes et d'autres gens de service, qui lui demandenl s'il est du nombre des disciples du Nazareen. D'abord, il le nie et declare ne pas savoir ce qu'on veut luidire. (Jean, 18, 17 ; Luc, 22, 57; Marc, 14, 68; Matth., 26, 70.) Ensuile, une seconde fois, il repete la meme chose en y ajoutant un serment. (Matth., 26, 71. 72; Marc, 14, 69. 70; Luc, 22, 58.) El enfin, la Iroisieme fois, presse davantage, il affirme, mais en juranl et en faisant des imprecations, qu'il n'est pas disciple de Jesus, qu'il ne connait pas Thomme dont ils parlent. (Matth., 26, 73. 74; Marc, 14, 70. 71 ; Luc, 22, 59i 60 ; Jean, 18, 26. 27.) Et

L'i SAUVEUR CHEZ CAIPHE 751

tout cela se passe dans 1'espace d'une heure, enlre le premier et le second chant du coq.

U y a dans celle conduile de Pierre Tindignite d'abord de son mensonge, puis de son serraent et de saprotestation, puis encore de ses maledictions et enfin de son renieraent. Commenl, Pierre, tu ne connais pas cet Homme ! Ton Seigneui , ton plus grand Bienfaiteur, ton Mailre, ton Pere et ton Dieu ! Que de fois tu l'as appele solennellement par ces noms ! Cest pour lui que tu as tout a Theure tire le glaive et que tu voulais aller en prison el a la morl! Et maintenant tu le renies si injurieusement, en presence des valets, des servantes, des domestiques ! Oopeut mesurer maintenant la profondeur de l'abaissement, de rhumi- liation et de la douleur de Jesus. Quelle peine pour un Mailre, pour un Bienfaiteur, pour un Pere, que ringratitude, l'infidelite et la meconnaissance ! Surtout quand on pense aux circonstances dans lesquelles setrouve le Sauveur! Un de ses ApOtres le vend el le trahit ; tous les autres rabandonnent ; et voila que son premier Apolre le renie, pretend ne 1'avoir jamais connu ! Est-il possible a Jesus de tomber plus bas?

III. Jugement definitif de Caiphe.

A. La haule cour se reunit de grand malin. Luc, 22, 66.) Son intenlion est de prononcer un jugemenl defmilif sur Jesus et de faire tout pour le condamner a raort. La seance de nuit etail seuleraent pour 1'audition des temoins, et, d'apres les for- malites juridiques d'alors, la sentence ne pouvait etre rendue que le deuxieme jour apres les debats et seulement le jour, pas la nuit.

B. Les debats sont extrememenl courts. Le grand pretre rappelle le dernier incident de la seance de nuit et demande au Sauveur s'il est le Messie. (Luc, 22, 66.) Jesus dit que toute reponse de sa part est proprement inutile ; les juges ne le croient pas, s'il affirme, et ils ne lui repondent pas, s'il les interroge; c'est pourquoi les debats ne servent a rien ; ils ne veulent pas de lui comme Messie, ils seront bien forces de l'avoircomrae Juge. (Luc, 22, 67-69.) Alors tous rinterpellent :

TROISIEME SEMAINE

« Es-lu donc le Fils de Dieu? » « Oui, corame vous le diles, je le suis. » (Luc, 22, 70.) Les senliments indignes et 1'eiidur- cissement des niembres du grand conseil se revelent assez dans celte circonstance. Ils voient tres bien toule la porlee de leur inlerrogalion ; et le Sauveur, dans sa bonle, les rend altentifs aux consequences epouvantables de leur arr£t.

C. Malgre lout, la sentence est prononcee. Tous les juges, d'une voix unanime, le condamnent a mort.(Luc, 22, 71.) C'est un proces religieux qui arrive a son denouement. Le Juste ^st juge et condamne a raort par Gaiphe, le representant de la justice; le Messie, par son peuple; et Dieu, par ses propres creatures.

Mainlenant on ne sait si on doit pleurer, rire ou s^eflrayer. 11 y a, dans la circonstance, des raisons pour toutcela. Uncrirae si horrible esl commis avec un tel entetemenl, une telleraechan- cete, une lelle legerete ! Les juges eux-memes avouenlquMlsont recueilli de la bouche de Jesus un temoignage irrecusable, dont certes ils devraient le reraercier a genoux, et qui leur sert, au contraire, pour le condamner a mort comme Blasphemateur ! G'en est fait alors de Jesus. A cause de cela, nous devons d'au- tant plus le remercier nous-meraes d'avoir rendu ce temoignage qui lui coule la vie. Prosternons-nous, enTadorant, en le remer- cianl et en lui demandanl pardon, a Tendroit ou il vienl d'elre condamne a mort pour nous, et disons-lui de tout nolre coeur : Deus sanctus, Deus fortis, Deus immorlalis, miserere nobis !

LE SAUVEUR CHEZ HERODE

(Loc, 23, 7-12.)

I. Jesus est conduil cliez Herode.

Le trajet que fail Jesus, en allant chez Herode, est doublemenl penible pour son Coeur :

A. D'abord, il esl penible a cause des nombreux mauvais traitements que lui font subir les Juifs. En effet, ceux-ci sont irrites du retard qu'eprouve 1'execulion de leur dessein ; ils onl peur des disciples de Jesus; et enfin ils sont humilies de men- dier dessecours dans la ville pour accomplir leur crime abomi- nable.

B. Mais, dans la circonstance presenle, c'esl surtoul son humiliation qui fait souffrir Nolre-Seigneur. Ilest humilie elpar Pilate el par Herode. La politique et la lachele seules inspirenl a Piiale Tidee de renvoyer cetle affaire a Herode. Pilale voit qu'il ne peut condamner juslement le Sauveur, et en meme lemps il ne veut pas indisposer les Juifs. De plus, ce renvoi lui fournil Toccasion de temoigner des egards a Heiode et de se reconcilier avec lui. II est toujoursdangereuxet humiliant d'etre le jouel des passions et des inlereUs d'autrui. II y a aussi une penible humiliation pour Jesus d'avoir affaire avec Herode, avec ce prioce qiTil n'a pas certes menage et qui l'a deja persecute (Lnc, 13, 31. 32; Marc, 8, 15) : il faut maintenant comparailre devanl lui, et son sort va etre mis entreses mains.

4S

754 TROISIEME SEMAINE

II. La rencontre de Jesus et d'Herode.

A. Notons ici deux circonstances :

Herode est un homme raou elvoluplueux, publiquement decrie pour sa liaison avec Herodiade. De plus, il est leger, superficiel et avide de miracles. (Lnc, 23, 8.) Enfin, il est vaniteux, et, comme un prince dechu et amoindri, il est passionne pour la gloire de sa personne el de sa maison.

Le renvoi a son tribunal de Taffaire de Jesus va lui permettre de salisfaire ses passions et de realiser tous ses plus chers desirs. Par cet acte, son aulorite est reconnue publiquement et mise en relief par le gouverneur romain, qui le designe comme juge dans une cause celebre. Le sanhedrin et les princes des prelres viennent lui presenter leurs plaintes et leurs demandes. (Llc, 23, 10.) Le Sauveur lui-m£me, qu'il a jusqu'a ce jour tant desire voir, mais en vain, et dont il a entendu dire des choses si merveilleuses, le Sauveur Jesus est entre ses mains et en son pouvoir : si le Messie lui-meme reconnail sonautoriteetimplore sa protection, Herode aura vu le plus glorieux jour de sa vie. C'est pourquoi il eprouve une grande joie de la presence de Jesus dans son palais (Luc, 23, 8) ; et, sans nuldoute, il deploie a cetle occasion toute la magnificence de sacour royale.

B. Comment se passe 1'entrevue de Jesus et d'Herode? Gommenl le Sauveur se conduit-il a 1'egard d'Herode ? Jesus n'otTre en sa personne, aux yeux du sensuel Herode, que le speclacle d'un homme miserable, tout defait et couvertde souil- lures. II se garde d'ailleurs d'accorder quelque chose a sa curio- site et a son desir dn merveilleux. Pour tous le Seigneur a de bonnes et instructives paroles, une grande aflabilite etmeme des miracles ; mais pour Herode ef pour toules ses queslions il n'a aucune reponse, pas un seul mot. II ne satisfaiVpas plus sa vanite qu'il ne reconnait son autorite. Ainsi il ne lui demande rien ; il n'a pas un regard pour lui ; en presence de tout le sanhedrin, par son silence absolu et sa reserve surprenante, il monlreclai- rement qu'Herode lui est tout a fait indiflerent.

G. Les consequences de celte conduite sonl celles-ci (nous

LE SVUYEUR CHEZ HERODE tao

ne les envisageons que du eote cTHerode) : d'abord, Herode a desormais la connaissance et la conviction que c'est en vain que les pretres accusenl Jesus d'avoir dil quil elait roi : ce roi, aux yeux d'Herode, esl moius que rien. De plus, il s'irrile, il devient mechant et furieux en voyanl le peu d'estime que lui ternoigne le Sauveur. Aussi il le raille et il se moque de lui avec loute sa cour, et, parce que Jesus pretend aux titres de Messie etdeRoi, Herode 1'afl'uble d'un habit d'apparat, d'unerobe blancbe, comnie les princes, les chefs d'armee et ies pretres en portaienl alors, el c'est dans cet accoutrement qu'ille reuvoie a Pilale.(Luc,23, 11.) Herode croit satisfaire ainsi tout le monde : il flalle Pilate par le renvoi du Prisonnier a son trihunal ; il contenle les Juifs par 1'injure qu'il fait a Jesus ; et il se conlente lui-meme, en se dechargeant d'une atTairedesagreable. Le ruse !... A parlir de ce jour,PilaleelHerodedeviennent vraimentdes amis.(Lic, 23,12. i

III. Purtre ou signifJcation de ce mystere.

A. II est evident que ce myslere a pour fin generale et principale riiumilialioti de Jesus, en taut qu'il y est surtout raille et persifle comme Roi par les princes et les grands de ce monde, represenles par Uerode. Le Ghrist ne doil oblenir son empire sur lous les hommes qu'en supporlanl les sar^asmes, les railleries el les humilialions de toule sorle, qui lui viennent de tous les cotes.

B, Le Sauveur nous donne ici, en particulier, 1'exemple de rbumilile avec laquelle nous devons nous conduire en face du grand monde. Son exemple renferme deux.lecons pour nous : Premierement, Jesus ne s'avilit pas devant le monde, en em- ployant sasagesse et sapuissance a le recreer, ou en se donnant lui-meme en spectacle. Herode ne lui fail pas subir d'interroga- toire serieux ; mais il s'amuse du Christ et il fait de lui un objet de diverlissement. Or, le Sauveur n'esl pas venu sur la lcrre pour elre un Prophete de cour. Deuxiemement, Jesus ne sacrifie pas son devoir de Redempteur des hommes au plaisir de contenter le monde et ainsi de se sauver lui-meme. S'il a\ait consenti a flatler tanl soil peu Herode, il etait possible que

756 TROISIEME SEMAINE

celui-ci le gardat pres de lui, comme il avait garde Jean-Bap- tisle. Mais nous lui sommes plus chers que la faveur et la pro- teclion d'Herode el de tous les rois de la terre.

Nous avons donc sous les yeux un exemple de la maniere donl nous devons nous comporler avec les grands du monde. Si nous ne voulons el si nous ne pouvons les trailer comme Jesus a liaite Herode, et pour de justes molifs, il nous faut au moins ne pas renoncer a nolre dignite el a notre simplicile, a nolre calme et a notre franchise d'homme, de Cliretien et de Prelre. Getle lecon nousest tres necessaire. Gar comment agissons-nous dans de telles renconlres, si nous ne veillons sur nous-memes? Uuelle vanite de toule sorle devient la nolre ! Comme nous cherchons a nous dislinguer dans la demarche, les manieres et les discours ! Comme nous faisons etalage de toul ce qui peut nous recommander, meiiie en deguisant la verile ! On s^ingenie a s^accommoder aux circonstances, a flatler, a sourife et a parler avec grace ! On fuit, comme le feu, tout ce qui semhle commun et ordinaire, lout ce qui pourrait rendre ridicule. Et pour- quoi cela? Qu^est-ce que le monde ? Jesus le meprise, le rejette, ne lui donne pas un de ses regards; et de son cole, le monde meprise, raille et persifle Jesus. Alors pouvons-nous aimer et estimer le monde? Si nous 1'aimions, serions-nous encore avec le Glirisl? Et, precisement, cetle rencontre du Messie avec le monde nous monlre ce que ce dernier est. Le monde sourit et flatte aussi longlemps qifon lui sourit et qifon le flalle ; mais, apres, il devient une furie mechante, aussi mechanle que le felin que fon a touche, avec le pied, a son endroit sensible. Le monde, en effet, ne recherche que lui- meme. (GaL, 1, 10 ; J.\c, 4, 4.)

LE SAUVEUR CHEZ PILATE

(Matth., 11-26. Marc, 15. 1-15. Luc, 23, 1-25. Jean, 18, 28-40; 19. 1-16.)

I. Le Sauveur est cite devant Pilate.

II nous faul considerer corament Jesus est cite et accuse devant Pilate, et queile est sa conduite a cetle occasion.

A. Le Sauveur est presente et livre a Pilate avant toul comrae un criminel (Jean, 18, 30) qui merite les plus grands chaliments (Jean, 18, 31). Quant au delail ou aux circonslances des accusations failes contre Jesus, il esl a remarquer qu'elles sonl nombreuses, dont trois tres nettes, mais fausses et tres raecliantes : leur but est d'indisposer Pilate contre le Sauveur, qifon accuse d'etre un criminel polilique : « II souleve le peuple, disent les Jnifs, il refuse de payer le tribut a Gesar et il se donne comme le Messie, c'est-a-dire comme le Ghrist-Roi. » (Luc, 23, 2, 5.) Le blaspheme a ele aussi devant le sanhedrin 1'unique accusation portee contre Jesus, el la cause de sa con- damnation. Les Juifs font donc d'un proces religieux un proces polilique.

B. En face de ces accusations, Jesus garde le silence, et il se tait merae apres avoir ete invite plusieurs fois par Pilate a se defendre. (Marc, 15, 4, 5; Matth., 27, 13. 14.) Que de molifs, pourtanl, n'a-t-il pas de se defendre ! II peut le faire, et bril- lamment, et retourner victorieusement les accusations meine conlre ses ennemis ; il s'agit d'ailleurs de son honneur et de sa vie. Mais il se tait, et pourquoi ? D'abord, parce que Pilate est suffisaramenl informe ; ensuite, parce que les Juifs savent bien

758 TPOISIEME SEMAINE

ce qu"il en est de ces accusalions ; enfin, Jesus veul mourir et nous donner 1'exemple de la resistance a Tenvie de toujours nous defendre ; et il veut aussi consoler ceux qui ne peuvent se defendre ou, pour des motifs eleves, ne veulent pas se defendre. Jesus, par consequenl, ne garde pas le silence de 1'impuissance, de la soltise, du depitetde 1'orgueil. Tl y a en lui alors la majeste de la palience, de la sagesse, de rhumilite, de 1'intrepidite, de la noblesse et de 1'amour pour Dieu et pour les liommes. Avons-nous des raisons plus nombreuses et plus serieuses de nous defendre ? IVavons-nous pas les memes motifs de ne pas le faire, a 1'exemple du Sauveur?

II. Le Sauveur est interr&gepar Pilate.

A. Elles sont graves el remarquables les paroles dont les Evangelisfes se servent pour rapporter rinterrogaloire de Jesus. Jesus esl donc debout, en preseuce du gouverneur romain (M.iTTH., 27, 11) : c'est le futur Herilier du monde en face du represenlant de la puissance acluelle de la terre ; c'esl linno- cence el la saintete en face d'un vil pecheur et d'un paten ; c'est Dieu en face de sa creature, et un Dieu pauvre, sans puissance exlerieure, meme rejete el accuse par son peuple, el livre aux paiens pour subir un interrogatoire et elre condamne !

B. Et comment se comporle Jesus? D'abord, avec une tres grande humilite sous tous les rapports. Avant lout, il recon- nait la jmidiction de Pilate, il s'y soumet, en lui repondant el en lui rendanl raison de ses actes et en ne proteslant pas conlre sa juridiction. De plus, le Sauveur repoud, avec uu grand calme el une grande modeslie, a rinterrogalion sur sa Royaute. II do.ine a Pilate les renseignements suffisanls, tres simplement et modestement. (Jea>, 18, 36. 37.) Que naurail-il pas pu dire de sa Royaute et d'abord de sa Personne? II ne dit rien de Lui- meme, parle de sa Royaute tres peu, pour affirmer qu'elle est spirituelle.

Si donc Jesus ouvre la bouche pour de graves motifs, il le fait avec humilite et modestie. Cest aussi pour nous l'occasiou, quand nous devons nous defendre, de reserver dans uotre cceur quelque chose pour 1'humilite et pour 1'amour du bon Sauveur.

LE SAUVEIR CHEZ PILATE 759

III. Jesus esL declare innocent par Pilale, qui cherche d le sauver, et enfin le condamne d la mort.

A. Pilale est lelleraent eclaire et informe par rinterroga- toire du Christ qu'il le declare innocent el quil regarde loute celte aflaire corame 1'oeuvre de la haine el de la jalousie des Juifs. iMatth., 27, 18.) Aussi proclame-t-il, plusieurs fois et solennelleraent, l'innocence de Jesus : c*est, d'abord, apres le piemier interrogatoire ^Jeax, 18, 38; ; puis, apres le relour du palais dllerode (Llc, 23, 14. 15) ; puisencore, apres la compa- rution de Jesus et de Barabbas devant le peuple (Luc, 23, 22) ; et, enfm, apres la flagellalion et le couronnement d'epines (Jean, 19, 6j.

B. En consequence, Pilale cherche a sauver la vie de Jesus ; mais, au lieu de faire, dans ce but, usage de sa puissance, il s'epuise a essayer des tentatives qui echouent contre la fureur el 1'entelement, la malhonneteleet 1'asluce des Juifs : ces demi- raesures deviennenl pour le Sauveur des causes de douleurs et surtout dhurailiations et d'oulrages sans nora. D'abord, Pilate renvoie 1'alTaire a Herode. N'ayanl pas reussi aupres de ce prince, il recourt a une sorle d*amnistie, et, pour mieux assurer son succes, il fait comparailre devanl la foule Jesus et Barabbas, le rebelle et 1'assassin fameux (jEiN, 18, 39; Marc, 15, 9), afm qu"elle se prononce pour l'un ou pour l'aulre. Gelle lentalive ayant encore echoue, Pilate fail flageller et couronner d'epines Jesus ; el, quand sa victime esl reduile a un etal lamenlable, il la met, encore une fois, sous les yeux de la populace. (Jeax, 19, 4. 5.)

En tout cela, il y a pour le Sauveur une injuslice criante, en merue temps qu'une offense grave et une humilialion profonde; Pilate et les Juifs en sont la cause. Dabord, Pilate, qui, comme juge, comme autorite conslituee, ne delend pas Jesus et ne le prend pas sous sa protection ; qui, de plus, raet sur le raeme rang le Sauveur et Barabbas el laisse au peuple 1'enliere liberte de delivrer l'un ou 1'aulre. ^Matth., 27, 10. 17.) On peut se faire une idee du deshonneur qui rejaillil sur le Ghrisl, en considerant ce qu'U est et ce qu'esl Barabbas, devant quelle

760 TROISIEME SEMAINE

assemblee Jesus esl ainsi outrage et qiielle en est la consequence. Le resultat de tout cela est la calomnie la plus atroce et la plus revoltanle, puisque l'innocence, les meriles, la personne et la dignile du Messie sonl sacrifies par Pilate. II n'esl pas le seul coupable : le peuple juif fail a Jesus une injustice tres grande el 1'humilie exlremement, d'abord en Iui preferant Barabbas (Matth., 27, 21); puis en lui portant une haine implacable, qu'il n'assouvit qu'apres avoir obtenu sa mort, la mort la plus honteuse et la plus douloureuse, la mort de la croix (Matth., 27, 23) ; enfin, en lui lemoignant le plus profond mepris : pendant que Pilate se lave les mains, pour decliner la responsabilile du meurtre de 1'Innocent, les Juifs crient : « Que son sang relombe sur nous et sur nos enfanls ! » (Matth., 27, 25.) Par la ils veu- lenl dire : « Sa mort ne nous inquiele guere ; nous en prenons d'avance la responsabilile : nos enfanls et nous, nous n'aurons pas a souffrir beaucoup des suiles de son trepas. « Le Seigneur, a leurs yeux, n'est pas plus qu'un animal qu'on ne se fait aucun scrupule d'ecraser sous les piecls. Meme les Juifs atlendent des benediclions divines pour la peine de mort qif ils lui infiigent. II y a la le raepris le plus grand qui puisse alleindre quelqu'un ; el c'est en public et par toul le peuple que Jesus est ainsi oulrage.

Gependanl toutes les lentatives faites par Pilale pour sauver le Christ ne reussissent pas : elles viennenl toules echouer conlre l'obstinalion, la colere ella ruse tles Juifs ; el alors Pilale se resigne enfin a condamner Jesus a mort. La sentence de morl est prononcee. (Jean, 19, 13.) Celle senlence esl, d'abord, la plus inique du monde, car Pilate a proclame quatre a cinq fois rinnocence du Glirist, et sa conclusion fmale est une sen- lence de mort. Ensuite, celte sentence est exlrememenl dure et cruelle : en effet, le crucifiement est une peine tres doulou- reuse el qui dure beaucoup de temps. Les peines capitales des Juifs n'ont d'ordinaire ni duree ni cruaute particuliere. Mais Jesusdoit souffrirlongtempset cruellement. Enfin, lasentence de Pilate est souverainemenl injurieuse el infamante pour le Christ a cause de la solennile avec laquelle elle est publiee et aussi a cause du genre de mort qu'elle renferme et proclame.

LE SAUVEUR CHEZ PILATE 7C1

Chez les Komains, il n'y a que les esclaves et les crirainels vul- gaires qui subissenl le supplice de la croix ; et, chez les Juifs, il n'y a que les cadavres des scelerats celebres qui sont attaches a la croix apres leur execulion, afin de servir d'exemples. A cause de cela il est ecril : « Maudit qui est pendu a la polence ! » (Deut., 21, 23 ; Nomb., 25, 4.) Tout doit fondre sur Jesus, qui devienl la viclime de 1'injuslice la plus crianle, de la douleur la plus vive et de 1'oulrage ie plus sanglant.

Mais corament le Sauveur recoit-il sa sentence ? II senl, cerles, toute l'injustice, la cruaute et le deshonneur d'un parei* jugement : car il a plus que tout aulre la conscience desa sain- tete etde sa majeste divine. Malgre tout, il accueille lasentence de Pilate avec une profonde humilite. II ne conlredit pas, il ne proleste pas, il n'inlerjelle pas appel. De plus, il entend sa sentence dans les sentiraents les plus sinceres cle 1'estime et du respect, et sans la moindre amerturae pourceux qui en sonl les auteurs, pour Pilate et pour les Juifs. II se considere comme le garant et le repondant des peches du peuple et de loute 1'huma- nite ; et c'est pourquoi il voil dans la sentence de Pilate une condamnalion juste et meritee. Enfin le Sauveur accueille la lerrible sentence avec tout l'amour de son Cceur et une soumis- sion toule filiale ason Pere, qui, a proprement parler, prononce lui-meme la sentence ; et il baise, en toule humilite, veneration et reconnaissance, la main qui le frappe si cruelleraent. S'il appelle de ce jugeraent inique des hommes, ce n'est que pour recourir a la juslice et a la misericorde de son Pere enfaveur de tous les infortunes pecheurs.

Mainlenant il est juste que nous nous proslernions, en esprit, la face contre terre a l'endroitou Jesus vienl d'elre con- damne injustement pour uous. Nous devons 1'adorer et le remer- cier du fond de notre cceui* d'avoir pris notre place et laisse prononcer contre lui la senlence que nous-memes meritions. II nous faut, nous pauvres pecheurs, apprendre a supporter la peine d'une condamnation injusle ou detrailements injurieux, si 1'occasion s'en presente. Si jamais nous avons comrais un peche mortel, que devient, en ce cas, notredroil? lYesl-cepas le droit a 1'enfer? Ne l'oublions pas : le Sauveur, la Juslice et la Sain-

762 TP.OISIEME SEMAINE

tele de Dieu, se lail devanl ses juges et se laisse condamner a 11)01 1 ! Ge speclacle n'est-il pas proprea nous rendre tnodesles el moderes dans ladefense dece que nous pretendons elre notre droit et notre houneur ?

APPLIGATION DES SENS

A. Vers minuit, la troupe qui a arrele Jesus arrive avec lui a la demeure de Caiphe. Le parvis en esl eclaire el estrem- pli dMiommes, de soldats, de servileurs, de Pharisiens et de curieux, qui siy pressent pour voir le Messie. Le Ghrist passe au rnilieu de cette cohue, qui Taccueille avec des cris et 1'accable d'outrages, pour se rendre dans la salle exterieure du tribunal de Caiphe. Cestla, en eflet, que la plus grande partiedu sanhe- drin est deja reunie ; les membres y sont assis sur des sieges adosses a lamuraille. La slalle dugrand pretre est remarquable- ment belle. Gaipbe porle quelques insignes de sa dignite ; la eolere parait sur sa figure, qui est tres rouge. Le Sauveur esl entoure de soldals el d^archers; on le conduit en face du grand pretre, au milieu de lasalle qui se remplit bientol de scribes, de temoins el d'accusateurs. Jesus se tient debout : il esl pale et extenue; son vetement est humide el couvert de boue ; il a les mains liees, des archers le liennent etroitement altache par des cordes ; sa tele est inclinee en avant ; ses yeux sont calmes el fixes devant lui ; le Sauveur ne regarde personne. Gaiplie el les ennemis de Jesus eprouvenl une joie diabolique de le voir ainsi humilie el outrage, ils ricanent entre eux et se moquent de lui. Enlendez-les : « Esl-ce bien la le grand Roi, le Messie ? Le bon- heur semble 1'avoir abandonne. II n'injuriera plus les prelres et n'invectivera plus contre eux... » Gaiphe commence alors a le presser d'une foule de queslions, a lui demander s'il a voulu inlroduire une nouvelle doctrine, dans quels endroits ila ensei- gne, qui lui a donne ce droit, quelle est sadoclrine et quelssonl ses disciples?... Jesus leve sa tete fatiguee, regarde Caiphe et dit : « J'ai loujours enseignepubliquement, et jamais en secret ; j'ai enseigne dans le temple, oii tous les Juifs se rassemblenl.

APPLIC DES SENS : JESUS CHEZ C.UPHE, HERODE ET PILATE 763

Pourquoi m'interrogez-vous ? Interrogez ceux qui m'ont enteiidu; tous, ils saveut ce que jai dit. » La colere et la rage se repaudent sur le visage de Caiphe ; car il aurait volontiers accueilli de la bouche meme du Messie un aveu ou un temoignage, pour pouvoir lui faire son proces et le juger immediatement. Les autres membres du sanhedrin murmurent et chucholent entre eux, Bii entendanl la reponse de Jesus. Alors un valel du trihu- nal, homme grossier, infame et servile, leve le bras et, appli- quanl avec force sa main ganlee de fer sur la bouche et sur les joues du Sauveur, lui dil : « Tu reponds ainsi au grand prelre? » Jesus, ebranle par la violence du coup, chancelle et recule, et le sang s'echappe de sa bouche. De lous cotes retentissent des cris iujurieux, on entend des persiflages, on voit des rires moqueurs. Le Sauveurse conlente de repliquer tianquillement : « Si j'ai mal parle, monlre-le ; sinon, pourquoi me frappes- tu ? »

II ne resle plus mainlenant au grand pretre qu'a recourir arinlerrogatoire des temoins. II les somme de deposer contrele Nuzareen, de se servir, pour cela, de ce quils rontentendu dire ou de ce qu'ils 1'ont vu faire. Les temoins qifon a reunis en un lieu sont appeles a comparaitre separement, et voici le resume de leurs deposilions : « Jesus chasse les demons par la vertu du demon ; il profane le sabbat ; il transgresse la loi du jeune; il ne se lave pas les mains avant de manger; il souleve le peuple ; il nomme les Pharisiens des adulteres et une race de viperes ; il appelle les maledictions sur la ville et sur letemple ; il va avec les publicains et avec des femmes de mauvaise vie ; il se laisse appeler Roi, Prophele et Fils de Dieu ; ildefend de divorcer, se dit le Pain de vie et veul quou le mange !... » Cest ainsi que les temoins a charge rapportent, en les denaturant, les paroles et les actes du Christ, et fonl de lout une arme coutre Jesus qu'ils veulent perdre.

Mais des que les juges veulent faire confirmer aux lemoins les deposilions de leurs devanciers, alors tous se contredisent. Si llun affirme que Jesus s'est proclame Roi, 1'autre le conlesle ou nie qiiiil ait parle ainsi, puisque leChrist s'esl enfui au contraire quand on a voulu le faire Roi. Si l'un dit qiiiil s'est reellemenl

7(34 TROISIEME SEMAINE

donne comrae le Fils de Dieu, 1'autre le nie et croit qu'il ne se nomrae le Fils de Dieu que parce qifil fait la volonte du Pere celeste. Si l'uii pretend qu'il guerit toulleraonde par le demon, il esl deraenli par un aulre qui soutient que ses guerisons ne signifient rien, que les miracules redeviennent malades, el qifil ne fait que tromper les gens avec sa science medicale. Ainsi les depositions des temoins sont tout a fait miserables et ridicules : ils n'apporlent aucune accusation serieuse contre Jesus. Enfin, deux temoins se presentenl encore, qui disenl que Jesus veut detruire le temple et le rebatir de nouveau, mais non de main d'homme : ce qui, a leur avis, est un blaspheme. Mais ils tom- benl eux aussi dans la contradiction : car lun des deux affirme que le Clirist n'a pas dil qu'il detruirait le temple, mais seule- ment que, si on le detruisait, il le rebalirait sans le secours des Iiommes : ce qui esl uneabsurdite et une folie. Cependant Jesus esl lout a fait calme, et il ne leve pas les yeux, de sorle que beaucoup des personnes presentes sont touchees de sa patience el de sa douceur. Caiphe en est tres irrite ; il se leve de son siege, descend les degres de son tribunal pour se rapprocher de Jesus, qu'il interpelle ainsi : « Qu'as-tu a opposer a tous ces lemoignages ? Tu ne dis rien ? » Le Seigneur ne le regarde meme pas. Alors les archers le lirenl violemment et le maltrai- tenl, lui criant de parler et de repondre ; mais Jesus ne s'emeut pas et ne prononce pas un mot.

En ce moment Caiphe entre en fureur, et, pour se tirer du grand embarras ou il se Irouve et en finir d^un seul coup, il s'avance vers Jesus, leve vivement les mains et, d'une voix courroucee, il lui dit : « Je fadjure, par le Dieu vivant, de nous dire si lu es le Christ, le Fils de Dieu, digne de toule benedic- tion. » Un profond silence succede tout a coup a un grand Irouble dans Tassemblee. Le Seigneur repond a Gaiphe d'une voix incomparableraent grave, qui faittout trembler, avec la voix du Verbe eternel : « Oui, je suis ce que tu dis ; et je dis encore que vous verrez tous le Fils de riiomnie assis a la droite de Dieu et venanl sur les nuees du ciel ! » En entendant ce temoi- gnage magnifique et si vrai, le ciel tout enlier, les Anges et tous les justes des Limbes sont transportes de joie ; les horizons du

APPLIC. DES SENS : JESIS CHEZ CAIPHE, HERODE ET PIL.VTE 76.J

monde, sur lequel regne encore la nuit du paganisme, se bordent d'une raie lumineuse, comme celle qu'on voit a 1'aurore du plus beau jour ; mais 1'enferest ebranle jusque dans ses fondemenls, et une foule de mauvais esprits se repand dans le tribunal de Caiphe et dans tout 1'univers pour eteindre la lumiere de ceglo- rieux lemoignage. La terreur et 1'agilation de Tenfer se revelent aussilot a la violence de la colere etde la rage sauvages qui s'em- parent des ennemis du Christ. Caiphe surlout, comme possede de 1'enfer, recule de quelques pas, saisildes deux mainsson pro- pre habit au collet et, au milieu d'un bruit strident, le dechire jusqu'a la ceinture en criant : « Cest un blaspheme ! Vous 1'avez enlendu ! A quoi bon mainlenanl des lemoins? Que vous en semble? NVt-il pas merite la moii ? » Alors tous s'agitent comme des possedes et s'ecrienl : « II est digne de mort. » Et c'esl un desordre et un vacarme epouvanlables dans toule la salle : on dirait que tout 1'enfer s'y est tlonne rendez-vous pour y celebrer savictoire sur la verile el stir Dieti. Plein d'une joie tliabolique, Caiphe leve la seance, fixe la prochaine au lende- main de tres bonne heure, pour s'occuper du jtigement definilif, et confie Jesus a la garde de ses servileurs, qui feronl de lui ce qu'ils voudront pendanltout le resle de ia nuil.

Au lieu de donner un peu de repos au Sauveur faligue, loul enclolori et accable de tristesse, la troupe des servileurs, des soldats et des mauvais sujels qui rodent dans la cour, se preci- pite stirltii conime un essaim de guepes furieuses el se raille tlti Messie de toule espece de maniere. lls le tiraillenl et le secoueut violemmenl, lui arrachenl la barbe el les cheveux, crachenl sur lui de lelle facon qtie ses cheveux el sa barbe sont tout souilles tle boue. lls lui couvrenl. les yeux diinallVeux chiffon, etensuite le frappent avec les poings et des balons en crianl : « Grand Prophete ! propheiise, el devine qui t'a frappe? 11 y a ici plus que Salomon ; c'est le Roi lui-meme qtii celebre les noces de son Fils. » El pendanl quils lui crachenl ati visage et partout sur sa Personne, ils disent : « Tu as l'onclion des Propheles el des rois, et le nard de troiscenls deniers. » Ils continuent ainsi dele maltraiter etde le railler diine facon horrible et incroyabl»'. Personne ne les en empeche ; au contraire, ils peuvenl eire

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d'autant plus surs du consenlement et de rapprobation de leurs excelients maitres qu'ils auront davanlage outrage Jesus.

Pierre est, dans 1'intervalle, entre dans la cour interieure pour avoir des nouvelles deson Maitre, et, tout trouble et soucieux, il s'est assis pres du feu au milieudessoldatsetdes serviteurs. Sa physionomie, son silence et sa tristesse frappent lout le monde; et, dans ce moment, une porliere, s'approchant aussi du feu, lui dit qu'il peut bien 6lre un disciple du Nazareen. Surpris et crai- gnant la foulenombreuse qui Venvironne, il repond qiril ne sait pas ce qu'elie veut dire. 11 se leve aussitot et se dirige vers la cour exterieure. Arriveala porte, il rencontre une autre domes- tique qui dit aux personnes presentes : « Celui-la a ete assure- menl avec le Nazareeu » ; etles hommes duvoisinage, entendant cette femme, posenl eux-m^mes a Pierre la question : « Es-tu vraiment disciple du Nazareen? » La peur et 1'inquielude s'em~ parenl de FApdtre, il Iremble; alors il affirme elil proteste qu'il n'esl pas disciple de Jesus, meme qu'il ne connail pas cet homme ; et il sort par la porte. Son angoisse et son affliclion font qu'il pense a peine & son reniement. Mais il n'a plus de repos, et ramour qu'il a pour son Maitre 1'atlire loujours pres de lui, dans la cour interieure du Iribunal. Tout bouleverse et anxieux, il s'assied de nouveau pres du feu ; et, encoiv une fois, un individu, qui le remarque, 1'importuneen lui demandant s'il est du parli du Galileen, et en ajoulant que son langage d'ailleurs monlre qu'il est Galileen. Au moment oii Pierre veut se disculper el ensuile s'eIoigner, le frere deMalchus se presente el 1'interpelle ainsi : « Mais je crois que c'est loi qui as blesse mon frere ; je t'ai vu dans le jardin. » Pierre, «'ices paroles, perd son sang-froid et, ne se possedant plus, il protesle, avec toute 1'impeluosite de son caraclere, en faisant des imprecations et des sermenls, qu'il ne connait pas cet homme; et il va du cote de la porle pour sorlir. Cest en ce momenl qu'il renconlre le corlege qui conduit, apres 1'avoir raille, comme nous 1'avons vu, le Sanveur dans la prison soulerraine du tribunal. Jesus se tourne un peu de cole et regarde Pierre avec un visage grave, empreint de tristesse el de compassion. Aussitot revient vive- ment a 1'espril de TApotrelaparole du Christ : « Tu merenieras

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trois fois entre le preraier et le secondchant du coq. » Presqne epuise de chagrin, dMnquietude et de peine, il avait tont a fait oublie sa promesse de fidelite ; mais, au regard de Jesus, le sentiment de sa faute lui fend l'ame de douleur : il a peche conlreson Sauveur, condamne et horriblement maltraite, qui l'a toujours tant aime et qui l'a toujours averti avec unesi grande eharite. Penetre de repentir, il s'enveloppe la t£te et se hate d'aller dans la cour exterieure pour pleurer amerement. II ne craint plus d'elre interpelle desormais ; et, si quelqu'un lavait fait, il aurait dit qui il est et quelle est la grandeur de sa faute. Le danger, la perplexite, linquietude, le trouble, la faligue et l'epuisement, ajoutes a son caraclere vif etemporte, permettent, jusqira un cerlain point, d'excuser la faute de Pierre ; mais pour Jesus elle fut unecause de grande douleur et de profonde humiliation.

Les archers et les solclats emmenent le Sauveur dans une pelite prison souterraine, afin qifil y passe le reste de la nuit. La le Seigneur est assis : une chaine en fer, rivee a la muraille, est passee autour de son cou ; ses mains liees se croisent sur sa poitrine ; sa noble tele endolorie se penche en avant comme pour chercher un lieu de repos qu'elle ne trouve pas. Ge n'est pas le momenl pour lui de songer au repos. Jesus ressenttresvivemenl ses douleurs et son abandon. Pendant que ses gardiens som- meillent, il prie et il offre a Dieu toutes ses souflrances passees, presentes el fulures dans 1'intenM desa gloireet de nolre salut... Enfin le jour commence a poindre, et un rayon de soleil passe a travers les barreaux de 1'unique fenelre de la prison. Ge rayon arrive limidement, comme le juge criminel qui se rend aupres- du condamne pour lui signerou lui ralifier sa sentence. Ildemande, pour ainsi dire, pardon au Sauveur de lui faire tant demaletde lui prendre la vie : il est en effet venu le jour des douleurs immenses et indicibles de Jesus, lejour ou il doit supporterune peine capitale inouie. Jesus levesesyeux vers le ciel et salue ce jour avec une emotion, nn amour et une dignite incomparal)les. II adresse ensuite une priere fervente a son Pere celeste, en le remerciant du don de cette journee que les Patriarches ont desiree el apres laquelle lui-meme a soupire, de cette journee

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qui esl le but de toute sa vie, dans laquelle il accomplira nolre salut, ouvrirale ciel, triompherade l'enfer, ouvrira aux hommes la source de toule benediclion et accomplira la volonle de son Pere celesle.

Les soldals et les servilenrs du tribunal viennenl bruyamment, de tres bonne beure, dans la prison ou se trouve Jesus. Ils le detachenl el conduisent l'infortunee Viclime, avec un empresse- ment lumullueux et des grossieretes incroyables, enlre deux files degens armes, juscpie dans l'interieur de lasalle du tribunal. Le sanhedrin y est deja et atlend avec impatience 1'Accuse. Les mauvais traitements, la boue el la faligue ont defigure Jesus : il est meconnaissable. Au lieu d'etre louches de ce speclacle, les puissants ennemis du Ghrist ne font que s'emporter davanlage conlre lui, tellemenl leur haine et leur colere sont grandes! Mais le temps presse. Gaiphe vient vite a la question capilale, el demande aussitot a Jesus s'il est le Messie, en ajoutant que c'est un devoir pour lui de le dire. Alors Jesus leve la tele et repond majestueusement : « Si je vous le dis, vous ne me croirez pas; et si je vous inlerroge, vous ne me repondrez pas, et ne me delivrerez pas. II ne vous reste donc plus qu'a mc voir, un jour, comme volre Jnge, assis a la droile de la verlu de Dien. » Les juges, furieux, se regardent les uns les aulres en ricanantet lui demandenl s'il esl en verite le Fils de Dieu. « Oui, replique le Sauveur, vous le diles, je le suis. » A celle reponse lous s'ecrienl qu'on n'a plus besoin d'aucune j)reuve, et ils le condamnent a mort comme blasphemateur. Les injures et les blasphemes redoublent conlre Jesus : « Gomment, disent-ils, toi, un vaga- bond, un homme sans ressource et de basse extraction, tu es le Messie, lu veux t'asseoir a la droile de Dieu! » Immediatement ils decidenl de le renvoyer au gouverneur romain pouren obte- nir la condamnation definilive. Ils le font enchainer comme un criminel et mener chez Pilate, a travers les rues de laville, dans un appareil bizarre et grotesque. Getle seconde seance judi- ciaire, qui esl decisive, est donc une vraie comedie : c'est une seance d'une mechancete et d'une hypocrisie impardonnables ; c'est une assemblee dans laquelle president et jugent, avec Tin- credulite, tous les mauvais esprils et tous les mauvais senlimenls,

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la passion, la precipitalion, le trouble, la haine, la vengeance et la fourberie. Comme les Pharisiens orgueilleux el irrites donnent raaintenant libre carriere a leur fureur contre une Vic- tirae sans defense, qui git a leurs pieds! El pourtanl Jestis les depassede toule lagrandeur de Dieu par sa Majesle, son calme, sa sagesse, sa moderalion, son humilile, sa douceur au milieu de toutes les injures, el aussi par sa magnanimile el son amonr dans le magnifique lemoignage qu'il rend de lui-meme. Ce lemoi- gnage illumine el eclaire toutes les prophelies qui regardent Jesus en tant que Messie : nous comprenons des lors ses ahais- sements comme Redempleur et son elevation eomme Juge de runivers (Dan., 7, 13. 14), et de plus, toute sa doclrine, ses miracles et sa sainlele. Par ce lemoignage le Sauvetir conlirme le Chrislianisme el son araour pour les horames.

B. Le palais d'Herode est situe dans la nouvelle partie de Jerusalem, appelee Bezelha, au nord du palais de Pilale. Le chemin qui conduil d'un palais a Tautre n'esl pas long; nean- moins Jesus y souflre cruelleraenl, parce que les Juifs sont furieux d'etre obliges de circuler dans laville pouraller mendier une condamnalion, et aussi parce qu'ils ne peuvenl executer immediatement leur plan infernal, letir dessein horaicide. La Paqtie presse, et chaque retard leur fail apprehender rinterven- tion des disciples du Sauveur. A cause de cela, ils Ie mallrailent indigneraenl sur le chemin. Cest encore un oulrage pour le Ghrist d'etre humilie jtisqti'i devenir renjett des interels vul- gaires de Pilale. En eflel, Pilate a deja fail averlir Herode de la venue de Jesus, en qui il ne trouve aiicun sujet de condamnation, et dont il fera ce qu'il voudra, puisqtfil est son sujet. Herode, (res flatle de celle atlenlion du gotiverneur, se rejouil de toute facon de voir les Juifs obliges de lui demander une grace, et surloul de posseder Jesus dont on lui a dit lant de choses et qifil if a jamais renconlre .. Aussi est-il tres fier el tres preoc- cupe de pouvoir jouer une fois un role tres imporlant et de faire subir un inlerrogatoire celebre, ou ildeploiera toule sapuissance el monlrera toule sa sagesse. II convoque donc tous ses servi- leurs et toule sa cour militaire; el, a celle heure, lous, pares magnifiquement, atlendenl farrivee de Jesus dans une des

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grandes salles du palais, ouHerodesiegesur une sorlede trone. Les princes des prelres et-Ies membres du sauherin entrent dans cette salle, et s'y rangent sur deux lignes; >m milieu d'eux vient se placer le Christ, non loin de Tenlree, a une distance respectueuse d?Herode. Tout de suile, ils eommencenl, avec un zele outre, a faire toule sorle de plainles contre Jesus. Herode regarde curieusemenl le Sauveur, et, le voyant si mallraile, les cheveux et la barbe en desordre, la robe couverle de boue, cet homme, mou et voluptueux, pousse des cris comme ceux d'une femme el fail de la main un geste qui exprime sa compassion et son degout. Pour fialter Pilate et montrer son impartialite, il imile la conduite du gouverneur vis-a-vis de Jesus el vis-a-vis des Juifs. II fail peu atlenlion auxplainles etaux accusal-ions des princes des pretres, et s'occupe beaucoup plus de Jesus, afin d'en oblenir quelque marque d'estime ou de reconnaissance. Cest pourquoi il esl tres prolixe et parait instruil de toute chose. II interroge sans cesse le Ghrist et veut avoir de lui un miracle. Mais le Sauveur reste muet, il ne repond pas un mot. Herode est indigne de cetle reserve et se sent humilie sous les yeux de tous les assistants. II ne !e laisse pas voir neanmoins, et s'epuise a poser a Jesus toule espece de qnestions, oii il semble meme prendre interet a sa personne : « J'eprouve de la peine, dit-il au Messie, de te voir ainsi inerimine ; le gouverneur romain m'a renvoye ton affaire; que reponds-lu a toutes ces accusations? Jai entendu parler de la grandesagesse de tes discours; je desire fenlendre ; es-tu le roi des Juifs, es-lu Dieu? As-tu verilablement opere les miracles qtfon raconle de toi? Es-lu bien celuiqueles Mages sont venus adorer; commenl as-tu echappe au massacre des Innocenls? Qifest devenue ta royaule? Aujourd'hui tu ne sembles plus guere un Roi ! pourquoi ton impuissance? » Jesus ne regarde pas une seule fois Herode, ce qui irrite toul a fait ce prince. Les princes des prelres remarquent l'indignalion d'He- rode et en profilent pour accumuler d'aulres accusations, qui concernent memielapersonnalile d'Herode. « Jesus, luidisent-ils, vous a appele renard ; il s'esl montre 1'ennemi de votre famille royale, et s'est declare avec Jean conlre vous. » Le Sauveur n'a pas une parole pour se defendre. Mais Herode est au bout de sa

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science et de ses moyens; il se croit abaisse, humilie et.comme juge en presencede toute sa cour. II estevidenl que leGhrist ne i veut rien avoir a faire avec lui et qu'il le n6glige. Herode est assez ,r»se el assez fin politique pour ne pas sortir de son role. 11 ne veut pas condamner Jesus, qui lui inspire de rhorreur, etil lui repugne absolument de commeltre un nouveau meurtre. De plus, il se refuse a rendre aux Juifs, qu'il n'aime pas, le service de les delivrer de leur ennemi mortel. Enfin, il ne veut pas oflenser Pilate, mais, au contraire, le flatter a son tour, en n^exercant pas la fonclion de juge dans la capitale de sa province. Aussi decide-t-il de renvoyer le Christ a Pilate. U se leve donc avec une gravite affeclee et ordonne a sa eour defaire sortir Plnsense et de rendre a ce Roi ridicule riionneur qui lui esl du : « Jesus, ajoute Herode, esl bieu plutot un Fou qu^an Griminel. » Les prinees des prelres meltent toul en oeuvre pour engager Herode a condamner le Messie. Mais Herode leur repond que ce serait une faute d'agir ainsi, ou plutot de porler une sentence con- traire a celle de Pilate, et il les congedie. En s^eloignant, il aper- coit, d'une lerrasse deson palais, Jesus quon mallraite et raille dans la cour. La troupe des servileurs el des soldals suit, en effet, le conseil de leur maitre et traite le Ghrist comme il con- vient. Ges hommes mechanls poussent donc le Sauveuv dans la cour, laquelle fourmille de peuple, Toutragent et le persiflent de Ia maniere la plus indigne et la plus cruelle. On apporte un habit blanc de ceremonie, tel qu'est celui des rois, tles prolres et des triomphateurs, et on en afluble Jesus. Alors les valets et les soldats se prosternent ou s'inclinent devant lui, le bousculent, 1'insultent, le couvrenl de crachats et le frappent au visage. Parfois meme ils le renversenl ou se font un jouet de sa per- sonne, le maUraitant de lelle sorle que son visage esl bienlot loul couverf de sang. La violence et la cruaule des Philistins a Tegard de Samson, dans le champ de course de Gaza, n'ont pas du elre plus grandes que celles des ennemis de Jesus dans la cour du palais d'Herode. Les princes des prelres mellent enfin un lerme a ce divertissemenl infame, car il leur presse tle se rendreaupres tle Pilate.

G, Le palais tle Pilate esl sitne dans la ciladelle Antoira

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et communique, par un pefroti el une lerrasse, aboutissant a ime salle cTaudieiice, avec la grande place ou le forum. Cest sur celte place que l'on voit la garde principale du gouverneur, la colonne de la flagellation, le tribunal criminel ou lelieu oules sentences sont prononcees. Les Juifs y amenent Jesus au milieu d'un grand corlege. Pilate est assis sur la terrasse, et les princes des pretres avec leur suite traitent avec lui de la place du marche ou ils se sonl arretes. II est probable que Pilale fait une remarque desagreable aux Juifs, en voyant 1'elal ou ils ont reduil le Sau- veur... II leur demande la cause et 1'objel de leur accusalion. Les Juifs, irriles, lui repondent que si Jesus, n'etail pas un mal- faileur, ils ne l'auraient pas cile a son tribunal. Pilale leur dit alors de le juger d'apres leur loi, s'il s'est rendu coupable envers le temple et leur Religion. Les Juifs repliquent qu'il s'agil d'un cas de la plus baule gravile et d'un delil politique ; et ils accusent Jesus de soulever le peuple, de refuser le tribut a Cesar, de s'etre rendu coupable du crime de haute lrahi.son, en se pre- tendant le Roi-Messie. Apres avoir entendu ces paroles, Pilale enlre dans la salle d'audience, ou il interroge Jesus specialemenl sur le dernier point. Le gouverneur de la Judee est un homme superstitieux, irresolu, et sur lequel on ne peut compler ; les affaires des fils des dieux sonl pour lui la cause de noirs pressen- timenls ; et d'ailleurs il a appris que les Juifs atlendenl, d'apres leurs prophelies, un grand Liberateur et un Dieu-Roi ; enfin il ne pent penser du Messie autremenl qu'un Juif eclaire ou un Herodien, qui esperenl un Dominateur polilique. Aussi Pilale est-il tr^s etonne de voir devant lui un homme qui, malgre son elal de pauvrele et de misere, peul se donner comme un Envoye de Dieu el un Roi. Gependant il invoque le grief de haute tra- hison, en demandant a Jesus s'il est vraiment le Roi des Juifs. Le Seigneur lui repond avec dignile : « Est-ce de toi-meme que tu m'interroges ainsi, ou est-ce a cause de l'accusation des Juifs? » Celte reponse pique vivemenl le gouverneur, mais il iVen laisse rien voir et dil d'un air fier el mecontent : « Mais je ne suis pas un Juif, et je ne m'occupe pas de ces sottises ; les Juifs l'ont remis entre mes mains pour que je te condamne ; tu dois avouer ce que lu as fait. » Alors le Sauveur repond avec

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humilile el gravile que son Royaume n'est pas de ce monde ; autrement ses vassaux ne Tauraient pas laisse lomber au pou- voir des Juifs. « Tu es donc bien un Roi ? » dit Pilate, de nouveau secoue. « Oui, je suis un Roi, repond Jesus, et je suis venu en ce monde pour rendre temoignage a la verile, et quiconque est ne de la verile ecoute ma voix. » « La verite? Qu^est-ce que la verite ? » ajoute Pilate, et il va au dehors. U n'a pas compris le Sauveur, mais il a vu aussitot que la Royaute de Jesus n'est pas un danger pour celle de son maitie, et qifil n'a pas a s'en inquieter le moins du monde. II deciare donc Ires haut aux Juifs qu'il ne trouve aucune cause de condamnalion dans cet Homme. Les princesdes pretres recommencenta se plaindre du Sauveur bien baut et bien fort et a se repandre contre lui en un torrent d'accusations. Pilate fait venir Jesus, pour les entendre, et, apres, il lui demande s'il n'a rien a dire conlre leurs allegations. Mais le Ghrist se tait et ne prononce pas un mot. Ge calme el celte expression inallerable de dignite et de majeste de Jesus, au milieu de sa misere, de son impuissance et de son abandon, remplissent Pilale d'etonnement et de crainle, et cet Homme devient pour lui un sujet d'effroi. II ne peut et il ne veut pas le condamner. Le droit et rinnocence sont de son cote, comme le prouvent assez la passion, lelrop grand empres- sement el la fureur des Juifs. Dun autre cote, rexasperation de ces derniers intimide le gouverneur, et c'est pourquoi ii saisit a propos 1'occasion qui lui est offerte, quand 011 accuse Jesus de soulever le peuple depuis la Galilee jusqu'a Jerusalem. Pilate demande si le Ghrist est Galileen, et, sur la reponse affirmative, il decide aussitot de renvoyer cette affaire desagreable a Herode, qui est en ce moment dans la ville. Le gouverneur a encore un autre bul, en agissant ainsi : il veut tacher de se reconcilier avec Herode, devenu son ennemi. II abandonne donc le Sauveur et, a tout hasard, le livre a des mains elrangeres et impures...

Mais, pour le malheur de Pilate, Jesus lui revient, et le proces recommencc de nouveau. D'abord, Pilale declare, comme il l'a deja fait, qu'il ne trouve aucun motif de condamnalion dans TAccuse. Ensuite il ajoute : « Herode est aussi de mon avis, et, a cause de cela, il m'a renvoye Jesus. Je ne puis, par conse-

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quenl, le condamner : tout ce que je puis fai i-e ^ c'esl de lui infliger la peine de la flagellation et ensuite de le rendre a la liberleJ»» Les princes des pretres etles PharisiensyenTentendant, deviennent furieux, et, a leur instigation; il se produit un grand mouvemenPel une grande presse du peuple au bas de la terrasse oii selient Pilate. Un groupe s'avance, et de ce groupequelques voix s'elevent pour reclamer du gouverneur ce qu'il a coulume> d'accorder k l'occasion de la fele. Pilate s'y attendait et avail prepareson plan. II repond donc qu'il veut, suivant 1'usage, deli- vrer dii criminel pour la Paque : « Maislequel des deux, de Jesus ou de Barabbas, voulez-vous ? de Jesus, le Roi des Juifs, ou de Barabbas, 1'assassin et le seditieux, le scelerat mechant, que tout le peuple deteste et maudit? » Le gouverneur donne a Jesus le nom deRoi par crainte superstitieuse, et aussipar orgueil el par mecoiYtenlement des Juifs et des princes des pretres, qui le poussent a bout et le meltent dans rembarras, Mais les princes des pretres ont pris leurs precautions et, au moyen de 1'argent et de faux bruits, ont decide leurs parlisans et le peuple a demander formellement a Pilate la mort de Jesus. Cest pour- quoi, a rinstigalion des> pretres, la foule crie au gouverneur : « Delivre non celui-ci, mais Barabbas. » Pilale est cons-terne et> comme aneanti. II replique aussil6t : « Que ferai-je donc de Jesus? » « Grucifiez-le ! crucifiez-le! » repond le peuple. « Mais qu'a-1-il- fait de mal ? » ajoute Pilale. « Qifil stoit cru-' cifie ! qu'il soit crucifie ! » Telle est l'immense clameur qui accueiHe^les dernieres paroles du juge et retenlit de totis coles, comnwla foudre de 1'enfer. Les Pharisiens et les pretres- pren- nent une large part a tous ces^cris. Pourconjurer 1'orage, 1'habile ■■ Pilale recourt encore a un expedient. II se fait apporter deTeau. par un serviteur, et pendant que celui-ci la; lui, verse sur les mainsy le gouverneur, se retournant du cote des Juifs, dit qu'il i est innocent du sang de ce Juste etqu'ils auront a en repondre. 11 teut^ par cetle scene, s'adresser a la conscience des prelres etdupeuple ; mais, dans Tetat aclnelde surexcitali-on et de vio- lence, il n'y a rien a faire avecle peuple. Un cri horrible s'eleve de loute-part pour repondre k Pilate : « Que son sang retombe sur nous et sur nosenfanls ! » Le gouverneur alors cede, d'abord

APPLIC. DES SENS : JESUS CH£Z CAIPHE, HERODE ET PII.ATE / /O

en delivranl Barabbas el ensuite en faisant pour le moment fla- geller Jesus : il a la simplicile d'esperer encore que celte flagel- lalion produira un bon effet sur le peuple et secondera son des- sein de sauver le Ghrist. Le Sauveur est, pendanl tous ces debats, resle a i fond de la terrasse et a tout vu. Gomme il doit <Hre confus et douloureusement affecle de se tenir debout devant tout ce peuple, qui parle de lui en des termes pareils ! Quelle honle et quelle peine pour le Messie d'entendre son peuple reclamer sa mort et Pilate parlementer pour le sauver, de voir le peuple juif, par liaine et par mepris, prendre si legeremenl la responsabilite de sa mort, tandis qu'un paien se refuse absolu- menlaraccepter ! Les Juifs trailent, en verile, Jesus comme un vil animal, dont ils peuvent disposer a leur gre et sans le moindre scrupule. Oh ! qu'elle est grande mainlenant la dislance qui separe le Sauveur et le peuple! Gomment les choses en sont- elles venues la? Qu'aurait bien pu dire Jesus, en cetle circon- stance, apres loutes les benedictions et lous les bienfails qu'il avail repandus sur ce peuple ? Gombien de ces hommes, qui crient avec fureur et rage contre le Christ, n'ont recu de lui que des consolalions, des graces de guerisons et des secoursde toute sorte ! Quanl au Sauveur, il est la debout, patient, silencieux et priant pour les malheureux mortels, pour la pauvre humanite... Ge sonl les soldats qui flagellent Jesus et qui se moquent de lui... Pilate comple que la vue du Ghrist, ainsi maltraite lou- chera le peuple et le portera a la commiseration. II fail donc venir le Sauveur, apres ces supplices, pour le presenter a la;. foule. Jesus s'avance donc, couronne d'epines, un roseau dans ses mains liees, vetu a peine avec le manleau de pourpre. II marche courbe, chancelant, et ne gravit que difficilement les degres de la terrasse ou se trouve Pilate. Gelui-ci, a la vue du Sauveur, eprouve un sentiment d'effroi, mele de compassion, et, se lournant vers les Juifs, il dit : « Je veux Famener encore une fois devant vous, pour vous.dire que je ne le liouve cou- pable d'aucun.crime. » Alors il fait avancer Jesus de maniere a ce que lout le nionde puisse le voir, elTlemonliant de la main, il prononce avec emolion ces paroles : « Voila l'llomme ! » Gest un speclacle horrible et dechirant que celui du Fils de-

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Dieu, courbe, couvert cTun manteau de derision, le corps en lambeaux et rouge comme uu drap Irempe dans le saug, la lele meurlrie el couronnee d'epines, broye par la douleur et porlant sur sa figure la marque et 1'expression d'une tristesse et d'une douceur indicibles : on dirait un fantome sanglanl et couronne, qui s'avance sur la lerrasse du c6le du peuple et fixe des yeux brillants sur la multitude bouleuse qui est a ses pieds. Le frisson, la lerreur et un morne silence sont les elfets produits sur le peuple par 1'apparilion de Jesus. II n'y a que les princes des prelres, les gens du Iribunal et leurs adeples que ce spec- tacle irrite, comme s'ils y voyaienl leur ame et leur conscience dans un miroir fidele. Alors tous ces forcenes s'ecrienl d'une seulevoix : « Enlevez-le! Crucifiez-le! » et ils entrainent lepeuple, qui bientol pousse et repele avec eux les memes cris. Pilate leur repliqtie : « Ghargez-vous de celle besogne, moi je ne veux pas m'en°meler. » Mais les Juifs ne consenlent pas a ce qu'il en soil ainsi ; il faut que Pilate condamne et fasse executer Jesus. Cesljpourquoi ils changenl de taclique el lui presenlent 1'accusa- tion sous une aulre face. Pilate est dans le plus grand embarras, quand les Juifs lui clisent : « Nousavons une loi, el, d'aprescelte loi, Jesus doitmotirir, parcequ'ils'est proclame leFils deDieu. » Le gouverneur roinain est dans les angoisses, sa crainte super- stilieuse devient excessive. II fait rentrer Jesus dans le tribunal et il le suit. Trouble el ne sacbant que faire, il s'approcbe du Sauveur infortune, couvert de sang, que personne ne peul voir sans effroi ; il semble 1'interroger timidemenl des yeux, et il lui demande enfin d'oii il est et qui il est. Jesus ne lui repond pas uneparole. Alors, mecontenl el irrile, Pilate lui dit : « Pourquoi ne me reponds-tu pas ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de le crucifier el celui de te delivrer? » A ces mots, le Cbrist repond avec gravite et majeste : « Tti n'aurais aucun pouvoir sur moir s'il ne t'avait ete donne d'En-liaut ; celui qui m'a livre entre les mains est plus coupable ; mais tu peches aussi, si tu me laisses mourir. » Le cotip a tres bien porte, et Pilate se senl serieuse- menl alteint. II quitte aussilol Jesus, avec la ferme resolution de le sativer, et il dil aux Juifs : « Je ne trouve aucune cause de condamnalion dans le prevenu ; c'est pourquoi je vais le rendre

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a la liberte. » Les Juifs livrenl a Pilale un autre assaul, c'est le dernier. Ils crient au gouverneur : « Si tu le delivres, lu n'es pas 1'arai de Cesar ; celui qui veut devenir Roi est contre Cesar. » En d'aulres termes, ils rendent Pilale responsable du crinie de baule Irahison, s'ils ne condamne pas Jesus, et ils 1'accuseront de ce crime aupres de 1'erapereur. Celle imputalion produit ud tres facheux eflet sur Pilate dans la circonstance pre- senle, et finit par briser toute sa resistance. II abandonne des lors Jesus.

Le gouverneur va proceder raaintenant a la condaranation officielle, laquelle a toujours lieu en plein air, et avec une tres grande solennile. Pilate, porlant les insignes de sa charge et escorle de soldats, nionle sur son siege de juge et fail corapa- railre le Sauveur. Afra de mecontenler les Juifs ou de confirmer publiquement qu'il remplit son devoir envers 1'empereur, il pre- sente encore une fois Jesus aux Juifs en leur disanl : « Voila volre Roi ! » Un cri sauvage lui repond : « Enlevez-le ! Gru- cifiez le ! » « Je crucifierais volre Roi ? » repartit Pilale. Ils repondent : « JNous n'avous pas d'autre roi que Cesar. » G'est le dernier mol de celte alfaire, el Pilale prononce la sen- tence contre Jesus. Elle renferrae sa condamnalion a raort, parce qu'il a pretendu au lilre de Roi ; elle est ecrite el elle est lue ecrite. Les princes des pnHres et les Pharisiens sont dans la jubilation a la suite de la vicloire qu'ils viennentde remporler sur leur plus implacable ennemi ; mais une affliclion etune dou- leur profondes accablent tous les arais et tous les disciples de Jesus, parliculieremenl sa sainle Mere et les saintes femraes, qui ont assiste a loute cette scene sous un des portiques du palais. Le Sauveur garde le silence, recoit sa sentence de mort avec courage et resignation, raeme avec un araour infini pour son Pere celeste, el 1'offre a Dieu pour nous, pauvres pecheurs, et specialeraent pour les auteurs de sa morl.

Telle est donc la marche suivie dans toute cetle affaire, tel est 1'enserable de ce proces a la fois religieux el politique. Depuis le commencement jusqu'a la fin, nous avons assiste a une come- die judiciaire, dans laquelle le Sauveur a toujours ele sacrifie el ou il n'a recueilli que des raepris, des injures et des raauvais

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Irailemenls. Quel exemple damour de rhumilite ne nous donne- t-il pas ! Gorarae il a ete loin dans cetamour! II estlivre, aban- donne el renie, meme par.ses amis et ses disciples. Les trails de ringralitude, du mepris et de la haine le frappenl.de tous les cdles; il est mis au-dessous des scelerats les plus mechantselles plus infames, rejete de tout le peuple ; il se soumet a toutes les auloriles, il les reconnait et il repond a sesjugesavec humilite ; il laisse disposer de lui, permet qu'on le maltraile, cpion Tou- trage el qifon 1'afflige de toute espece cle maniere ; il n'evile personne et il ne se retire devanl qui que ce soit ; il veut elre faible el inoffensif, se refusant a employer la force de lacontra- diction el de la resistance, quand il aurait pu le faire ; s'il se defend parfois, il le fait modeslement el toujoursbien en-deca de la raesure perraise ; il souffre Tinjustice et la perseculion, qui lui arrivent de tous les cotes et de toute sorte de personnes ; les autorites, qui devraient le defendre et le proteger, lui refusent aide et protection et lui font des denis de justice; ses juges l'abandonnent a son raalheureux sorl et deviennent ses persecuteurs ; ils aneanlissent son honneur, en le condam- nanl comme blasphemateurel commecoupable de hautetrahison : Jesus a perdu completemenl son existence au point de vue reli- gieux et civil, et il esl tout a fait sacrifie.

,\ous Irouvons ici assurement un exemple, un molif.el une force pour nousaffermir et nous confirmer dans laresolution que nous avons prise d'aimer el de praliquer rhumilile. En particu- lier, il nous fait apprendre du Sauveur a ne pas regarder le grand monde avec des yeux de coraplaisance ; nous ne devons pas toujours nous defendre et nous justifier, et, si nous le fai- sons, nous ne devons le faire que modestement, en reservant toujours quelque chose pourrhumilite; il nous faut apprendre aussi a garder la patience, comme Jesus, si on fait des rapports sur nous, si on nous accuse, si on nous interroge el nous fait rendre comple de notre conduite ; de meme, si on nous accuse fausseraent ou si on ne nous a pas compris ; si nous avons- a souffrir<de manques d'egards volontaires ou non ; si les Supe- rieurs nous negligenl, ne sont pas pour nous et m^rae sont contre nous ; si 1'on fait lorl a nolre honneur et a notre repu-

APPUC. DES SE.NS : JESIS CHEZ CAIPHE, HERODE ET PILATE 779

talion.... Xous devons alors supporter tout avec palience et roeme, aulanl que possible, avec joie, sans crier a 1'injustice, sans prolester, sans en appeler a personne, sans invoquer tou- jours nos droits. Cest surtout le cas de praliquer cette humilile, quand se presententles occasionsi que nous signale rinstitul : en acceptanl humblement la place ou le degre qui nous est assigne dans la Compagnie, en supportanl avec patience le desagrement des denoncialions et les reprimandes des Supe- rieurs, et enfin en rendant fidelement notre compte de con- science, sans cacher aucun de nos veritables defauts. Nous devons, dans ces circonstances, nousrappeler les mysteres dans lequels Notre-Seigneur a supporle lant d'attaques et tant de pertes dans sa reputalion et son honneur. Demandons-nous s'il est vrai que Jesus a lellement soutTert et comment il a soufiert, si nous pouvons accepter detre liaites d^une autre maniere que lui. Dejuandons-nous si nous devons jouir encore de Feslime ou de la consideration de nos semblables et faire tout pour Tavoir, apres que le Sauveur a perdu entiereineul son honneur aupres des liommes. Recourons a nolre divin JMailre. Consolons-nous pres de Jesus qui esl dans 1'humilialion el le delaissemenl, et regardons comme uu grand bienfait d'y avoir part nous-memes. De cetle facou, nous ue suivons pas les inclinalions de notre nature legere et perverse, nous commencons effeclivemenl a elre des disciples de.Jesus. k vivre pour Dieu et h avoir tout en lui; autrement, nous reslons loujours animalia glovix, couime dit TertuUieu. Par le sacrifice de notre honneur, nous travaillons et nous contribuons a rextension du Royaume du Ghrist avec plus d'efficacite el de succes que nous le pourrions faire. de toute autre maniere.

V

LA FLAGELLATION

(Matth., 21, 26; Marc, 15, 15; Luc, 23, 16. 22; Jkan, 19, 1.

I. La Flagellation en general.

Le supplice de la flagellation etait d'ordinaire tres cruel et epouvantable. La (lagellalion du Ghrist est un des principaux mysteres de toule sa Passion : aussi le Messie en fait-il une menlion speciale dans les predictionsde ses souffrances. (Mattu.t 20, 19; Marc, 10, 34; Luc, 18, 33.)

A. En premier lieu, la flagellation etait epouvanlable a cause du deshonneur et de la honte qu^elle entrainait. Cetait le supplice des gens du bas peuple devenus scelerats. des esclavesr des brigands, et le chatiment des betes : en celles-ci le fouet tenail lieu d^intelligence ou de raison, et dans les autres il rem- placait la conscience. Quand Je fouet avait touche une fois quel- qu'un, il elait flelri et perdu de repulation pour toujours ; aussi saint Paul ne consentit pas a etre flagelle par les Romains. [Act., 22, 25.) La flagellation deshonorait aussi a cause de la nudile, laquelle pourtant n'etait imposee regulierement que jus- qifaux reins.

B. En second lieu, la flagellation elait epouvanlable a cause de la douleur et du tourment qu'elle occasionnait. On flagellait ou avec des branches d^orme, des verges (Act., 16, 22 ; II Cor., 11, 25), ou bien avec des fouels, faits de lanieres de cuir et souvent armes de petits crochets, de grilles, d'eperons, de mor- ceaux de bois ou d'os : cette derniere flagellation elait la plus cruelle de toutes. Les effets de ces differenles flagellations s'ap- pelaient en termes populaires : batlre, fouler, tailler, dechirer, meltre en pieces ou en morceaux.

L.\ FLAGELLATIOX 781

G. En troisieme lieu, l'horreur de la flagellalion dependait du but qu'on se proposait en infligeant ce supplice : tanldt celail un pur nioyen de correclion et une simple punilion avec laquelle le coupable elait quitte (Luc, 23, 16. 22) ; tantot ce nelait qu'une partie du crucifienient, pour ainsi dire, son inlro- duction el son prelude ; tanlot c'etait une torture, afin de con- traindre a un aveu. II n'y avait pas de tenips delermine pour la duree de cette derniere flagellation ; les trailements les plus brutaux n'en elaienl pas exclus : ils etaient des moyens pour la fin. En dehors de la torlure, le nombre des coups ne devait pas depasser quaranle (Oeul., 25, 3); chez les Romains, ils pou- vaient s'elever jusqifa soixanle-six. M6me sous ce nombre res- treint de coups, plusieurs succombaienl ou avaient leurs forces brisees pour loule leur vie.

D. En quatrieme lieu, 1'endroit ousedonnail la flagellation augmenlait encore la honte de ce chatiment. On l'administrail en secret ou bien en public sur la place du marche. 11 semble que c'est publiquement que le Sauveur a ete flagelle. (Matth., 27, 27 ; Marc, 15, 16.) La colonne de la flagellalion ou bien avait une demi-hauteur d'homme, el alors le criminel devail, la tete penchee sur cetle colonne, presenler le dos aux coups ; ou bien elle avait une elevation plus considerable, el, dans ce der- nier cas, le palient elait hisse conlre le ful de maniere a ne tou- cher le sol que du bout des pieds. 11 est vraisemblable que Jesus fut altache a une colonne elevee, en sorle qu'en verite il y fut pendu el lie. (Deut., 25, 2.)

E. Enfin, en cinquieme lieu, c'elaient, pour 1'ordinaire, des soldals, dont l'indifference et l'insensibilite sont connues, qui infligeaienl le supplice de la flagellation.

De tout ce qui precede il resulle que cette punilion elait pour !e condamne un tres dur martyre.

II. Circonstances de la Flagellation .

U y a, dans la Flagellation du Chrisl, des circonstances qui la rendent parliculieremenl cruelle.

A. D'abord, elle est le fait d'une injustice crianle, qui

782 TROISIEME SEMAINE

donne a eette punition, a celte partie du calice de la Passion, une amerlume be.aucoup. plus grande et exceptionnelle. Tout a coup Pilate dit qu'il ne Irouve aucune cause de condaranation dans cet Honime, qu'il va donc le faire flageller et ensuite le delivrer. (Luc, -23, 16.-.22.)

B. La seconde circonstance est rintention de Pilate en ordonnant la Flagellalion de Jesus : il veut, par cet affreux moyen, inspirer.de la corapassiou aux Juifs. Aussi separe-l-il la Flagellalion du crucifiement et ordoune-t-il Texecution publique, sur le marche, en presence de tout le peuple. Sans <loute. a cause de cette circonslance encore, la Flagellation est plus cruelle et plus horrible. La duree el la l-igueur en font non seu- lement une Flagellation de correction, un simple chatiment, mais une veritable torture.

G. Enfin, ajoulons Texlreme delicatesse et finesse de com- plexion du corps du Seigneur. La douleur a, en effet, une moins grande prise sur une constitulion plus rude ou sur un corps endurci par les occupalions et les hahitudes de la vie.

D'apres toutes ces circonstances, Ton peut se faire une idee de la rigueur et des souffrances de la Flagellalion de Jesus.

III. Sentiments du Sauvenr pendant sa Flagellation.

A. Nolre-Seigneur supporte ce supplice epouvantable avec rheroisme de 1'esprit interieur. Ses douleurs exterieures ne Tahsorbent pas au point de Teuipecher de les accompagner et de les sanctifier par les actes interieurs des vertus les plus sublimes : il endure la Flagellalion avanl lout avec une patience divine, les yeux et le Coeur sans cesse eleves ii Dieu ; il souffre enfin avec une charite admirable envers lout le monde, meme envers les auteurs de son chalimenl : Pilale, les Juifs et les bourreaux...

B. Nous devons considerer ici en particulier les inlentions pour lesquelles Notre-Seigneur permet et subit ce chatiment Il-est facile de les deviner :

La flagellation est principalement une punilion coiporelle, sensible, une peine pour le sens du toucher. Qui ne voil. de suite

LA FLAGELLATIGN "83

que le Sauveur par la veut surtout salisfaire pour les peches de la chair ? II y avait aussi dans Uancienne loi des faules honleuses qui elaient chatiees de celle facon. (Lev., 19, 20.) Celui qui s'est abandonne a ces peches doit se representer Jesus flagelle, dechire par lescoups, couverl de blessures sanglantes et hor- ribles, et ensuite se deinander pourquoi il endure dans son corps une douleur aussi intolerable et a quoi il pense pendant cet affreux supplice... A ce spectacle, personne ne peut perdre ni le courage ni 1'esperance : nous sommes en presence d'une salis- faction surabondante et d'une charile touchanle qui nous 1'offre ou plulol qui 1'offre a Dieu pour nous. Le Sauveur veut de plus par sa flagellalion nous donner 1'exeinple de la maniere dont nous devons traiter nolre corps et remployer au service de Dieu. Peu' importe meme quMl yperde sa beaute, sa sante et ses forces : le Sauveur ne sacrifie-t-il pas entierement le sien avec tous les biens el les avantages qu'il en relire? A quelles forces brutales ne livre-t-il pas son corps ! Voyezles instruments epou- vantables qui le meltent en pieces ! Et cependant il n'est pas de corps plus pur, plus noble. plus beau, d'extraclion plus illustre, et qui ait opere plus de merveilles. Aucun corps ne peut abso- lument supporter la comparaison avec celui de Jesus. Par consequent, offrons le nolre en holocauste a Dieu par la chas- tete, le travail, les faligues et les souffrances jusqu'a la mort !

LA DERISION ET LE COURONNEMEN T D'EPINES

(Matth., 27, 27-30 ; Marc, 14. 16-19 ; Jean, 19, 2. 3.)

I. Occasion et circonstances du Couronnement.

A. Apreslaflagellation, le Sauveur est conduil au corps de garde des soldals de Pilate pour y atlendre Tissue du proces : c'esl 1'occasion pour Jesus d'un nouveau et cruel supplice. Les soldats profilenl de cet intervalle pour se diverlir aux depens du Messie. LMdee sans doule leur en a ele suggeree, a eux el a la populace qui les entoure, par Herode et par les Juifs qui se sont moques tanl de fois de la Royaute du Ghrist. Ils veulent donc les imiter, en jouant au Roi avec lui et en raillant sa Royaute.

B. Mais les circonstances ou cette derision a lieu en font pour Jesus une souffrance horrible.

La premiere circonstance est 1'injuslice de cet outrage. Les soldats agissent ainsi contre tout droit. L^accuse esl comme une personne sacree, el il n'esl pas permis de le traiter arbilrairemeiH et suivant son bon plaisir. Or, Jesus est maltraile de la facon la plus indigne, meme sous les yeux du gouverneur, peul-etre meme avec son assentiment, puisqu'il voit en cela un moyen desauver sa Viclime.

La deuxieme circonstance qui rend surtout penible le Gou- ronnemenl d'epines se trouve dans les auteurs et les acteurs de celle atroce comedie. Ce sont des soldals, donl la brulalile esl connue, deshommesdesang, prels a tout et ennemis meprisanls des etrangers, surtout des Juifs. Jesus leur esl entieremenl

L.\ DEP.ISION Ef LE COUT.ONNEUENT d'E>INES 785.

livre el abandonne : ils peuvenl faire de lui ce qiTils veulent. Ils rassemblent loule la cohorte, qui est sous les armes pour le service de la journee (Map.c, 15, 1G , el ce que l'un ne trouve pas, 1'autre rinvenle pour railler. ridiculiser el oulrager le Chrisl ; el l'on sait ce que sont les plaisanteries et les jeux d'es- pril des chambrees et des casernes !

La troisieme circonslance specialemenl douloureuse de ce myslere est dans la condilion et 1'etat du Sauveur. Jesus est de noble extraclion, de tendre complexion ; il a une purele et une delicalesse extremes; il a toujours ele doux et a mene une vie paisible, il est donc tout diflerent des soldats qui le harcelenl : circonslanee qui excite et augmente leur malice. De plus, il a des aspirations de Roi, et veul, comme 1'on dit, cbasser les Ilomains : il a, par consequent, besoin d'etre morigene. Enfin, Jesus vient d'elre flagelle, il est couvert de plaies et souflrant liorriblement dans tout son corps. i\'est-ce pas assez pour augmenter la douleur de ce nonveau supplice?

II. Coiiiment Jesus est raille et couronne oVepims.

Ce passe-temps horrible des soldats et des Juifs, dont Jesus fait tous les frais, est donc une contrefacon plaisante d'un cou- ronnement royal el des hommages rendus a un souveiain.

A, Pour offrir ses hommages a un roi, il faut, avant toul, la.pourpre, qui esl 1'insigne de la dignite royale en ce monde. Ilerode a laisse mellre a Jesus une robe de parade blanche, parce qu'il voulail en meme lempsse moqueraussi delui comme Messk'. Mais. pour les soldats, Jesus n'est qu'un souverain ter- restre, un chef d'armee, et, a cause de cela, il doit ayoir le manteau de pourpre que portenl les empereurs et les generaux. Mais ils ne vont pas lecherchera Tyr ; il leursuffil d'un manleau de soldal, vieux et dechire. Ils lui enlevenl le velement qui est colle a ses epaules me;irlries et le remplacenl par la pourpre du soldat. Mattu., 27, 28; Mauc, 15. 17 ; Jeax, 19, 2. Comme troneil aura unecolonnebasse, columna imijroperiorum, qu'on montre encore aujourd'hui. Un roseau dans ses mains liees sur la poitrine lui servira de sceptre royal. (Mathi., 27, 2!).)^-.

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786 TROISIEME SEMAINE

Sa couronne n'esl pas le diademe de Melchom, qu'aporle David et qui elait fait d'or et orne de pierres precieuses ; ce n'est pas non plus une couronne de roses el de branches dVtlivier, mais une couronne enlrelacee d'epines longues et aigues (Matth., 27,. 29i : tel est le diademe qu'on lui met surla tete.

B. Voila tout 1'appareil royal ; etmainlenanl les hommages vont etre offerls au nouveau Roi. Ses sujels se jellenl a ses pieds (Matth., 27, 29), lui pretent le serment de fidelite el souhaitent longue vie au Roi des Juifs : Ave, liex Judasorum! En meme temps, ils se moquent de lui et font desgestes oudes salutations ridicules. Alors tous se levent, donnent a Jesus des soufllets, le frappent et lui donnent des coups sur la teVe avec le sceptre de roseau, de maniere a enfoncer les epines dans ses tempes et a le blesser cruellement. (Mattii., 27, 30.) Au lieu de lui baiser la main el le sceptre (Esth., 5, 2), au lieu de l'embrasseretde lui offrir des presents, ils lecouvrenl de crachats (Marc, 15, 19); peul-elre meme qu'ils le renversent de son singulier trone, au milieu des rires moqueurs de toute 1'assistance. En un mot, il n'y a pas de railleries et de sarcasmes dont Jesus ne soit alors 1'objeL

III. Portee et signification du Couronnement d'epines.

A. Ge mystere est, avanl lout, un persiflage de la Royaule du Ghrist. Nous voyons, en effet, ici la genlilite et la puissance souveraine du monde lourner en ridicule la Personnalite du Messie. Jesus est raille, dans le preloire romain,'par des soldats romains, sous les yeux et peut-eHre meme a l'instigalion du gou- verneur romain. Mais cette derision merile au Sauveur 1'empire du monde : la couronne d'epines deviendra pour lui une cou- ronne d'honneur et de gloire ; son roseau se changera en un sceptre de fer, avec lequel il renversera et delruira, au temps voulu, les trones et les royaumes infideles a sa grace, 1'empire de Rome lui-meme, 1'empire de l'orgueilleuse capilale du monde. A la suile des soldals meprisanls et moqueurs viendronldes rois et des peuples qui se prosterneronl aux pieds de Jesus pour l'ado- rer. G'est grace a cetle derision humblemenl soufferteque l'em- pire universel de Rome deviendra son heritage.

LA DERISI0N ET LE COURONNF.MENT d'ePINES 787

B. Ensuile, le Sauveur couronne d'epines esl la Victime expialoire des peches d'orgueil, des desirs de dominalion qui tourmenlent les hommes. II esl encore la Victime des revendi- calions injustes de leurs droits et des vengeances criminelles de leur honneur ; de leurs iniques atteinles a la reputation du prochain ; de toules nos impatiences dans les humiliations elles moqueries dont nous sommes Tohjet; de toutes les injures que nous faisons a 1'autorite et de toutes nos revoltes contre elle, specialement contre la sainte Eglise. Avec quelle amertume le Sauveur doit souffrir pour loules ces causes !

C. Enfin, Notre-Seigneur veut nous monlrer, dans ce mys- tere, combien font souffrir les railleries injustes. En effet, les moqueries, le persiflage el les pointes ou les traits d'esprit sont des epines avec lesquelles nous hlessonscruellementleprochain. Jesus nous apprend aujonrd'hui la maniere de les supporter nous-memes.

LE PORTEMENT DE LA CROIX ET LE CRUCIFIEMENT

(Matth., 27, 3!-35; Makc, 15, 20-24 ; Luc. 23, 33. 31 : Jean. 19,16-18.)

I. Jesus est charge de la Croix.

A. Suivant Tusage de l'Orient, rexecution du criminel suit immediatement sa condamnation a mort. Les malfaiteurs doivent porler eux-memes, pour leur honle el leur chatiment, la croix, nnstrument de leur supplice, jusqu'au lieude l'execution. On ne fait pas d'exception pour Jesus et il esl traile comme un criminel vulgaire.

B. Mais comment le Sauveur recoil-il sa Groix? Sans doute, c'esl avec une horreur et un effroi bien naturels : n'y a-t-il pas, de fait, dans son supplice, la somme de toutesles dou- leurs et de toutes les hontes ? Jesus accepte sa Groix aussi avec resignation et courage, avec un religieux respect et un ardent amour. En effet, il voit dans sa croix, par-dela la douleur et la honle, la volonte adorable de son Pere, l'instrument de jiotre salut et de notre bonheur, le sceptre de gloire et de puissance qu'il porlera un jour. Ou donc saint Andre et tant d'autres Saints ou Marlyrs puiseront-ils leur desir, leur amour et leur veneralion de la Groix si ce n'esl dans 1'exemple que donne ici le Sauveur des hommes? (Luc, 12, 50; Hebr., 12, 2.)

II. Le Portement de la Croix.

A. Cest mainlenant que commence le long et douloureux Jrajet pendanl lequel Jesus porte sa Croix. Comment le Ghrist

LE POP.TEMENT DE LA CROIX ET LE CRUCIFIEMENT 789

porte-t-il sa Croix ? D'abord, avec une grande honle et une grande hiiniilialion. II .fa.il parJie, en effet, dJun corlege de raal- heureux pechetirs, ou il occupe la premiere place : il a ete juge et condamne coinme coupable de haute trahison, comme faux prophete el comme blasphemateur.i Un peuple innombrahle L'at- tend avee impatience el, quand il arrive, le: regarde avec une curiosite indiscrele. II s'avance ainsi surles memes chemins ou, il y a quelques jours^ il est passe en Triomphaleur. De plus, le Sauveur porte sa Groix en souffranl beaucoup. La voie doulou- reuse mesure environ mille pas, est inegale et a par intervalles des montees tres raides. La Groix, sans elre tres lourde par elle-

■meme, Tesl assez dans les circonslances ou se Irouve le Messie.

.Jesus est tout a fait epuise. brise, dechire par les coups de la flagellation, a les epaules rueurtries el ensanglantees, et eprouve une extreme fatigue par stiite de >ses nombreuses pertes de sang. La tradition rapporte qu'il est lombe jusqifa sept fois, -soit a causedeson epuisement, soil a cause des trailemenlsindignes et cruels qu'il subit. Enfin, le Sattveur porte sa croix. sans

i recevoir desoulagemeut, ni de temoignage de compassion, si ce n'e;«t de la part de quelques amis ou de quelques fideles. On a pitie raeme d'un pauvre aniraal et on lui porle secours, s'il tombe par terre et s'il ne peut plus avancer. Mais pour Jesus il n'y a pas de pitie. Meme quand on lui enleve sa Groix pour en cbarger Simon le Gyreneen, ce n'est pas par compassion qu'on agit ainsi, mais dans la crainte qu'il ne meure avant d'ar- river au Galvaire. B. La signification du portement de la Groix est claire. En premier lieu, il est la realisation de plusieurs figures et raccomplissement de plusieurs propheties : Isaie n'a-t-il pas dit que le Seigneur prendra sur lui tous les peches des hommes? (Is., 53, 3)De meme que Abel a ele emmene par Gain pour etre tue {Gen., 4, 8\ que Isaac a porle lui-meme le bois de son sacrifice Gen.,^2, fi , queles victimes expiatoires elaientbrtilees en deliors de la ville (Hebr.r 13, 11. L2i, de meme Jesusldevail sortir de Jerusalem, portant sa Groix, afin d'etre immole pour

-expier les pc,fihes des hommes.

En second lieu, le porteraentde la Croix est instriiclif poin

790 TROISIEME SEMAINE

nous tous. II nous enseigne en elTet deux choses : la premiere, que tous nous devons porler notre Groix ; la seconde, com- ment nous devons la porter. La Croix comprend la penilence, la victoire sur les passions dereglees, Tobservation des pre- ceptes, et tous les maux temporels, inlerieurs etexterieurs, spi- rituels et corporels. Tous nous devons porter notre Groix, celle-ci ou celle-la ; le Sauveur l'a dit : « Gelui qui veut etre mon dis- ciple, qifil prenne sa croix et qifil me suive ! » (Matth., 10, 38 ; 16, 24 ; Marc, 8, 34 ; Luc, 9, 23 ; 14, 27.) Mais il nous faut aussi bien porter notre Groix. Commenl la portons-nous bien ? Si nous la portons comme Jesus a porle la sienne, pour des motifs surnaturels, en union spirituelle de foi et de charite avec lui ; si, de plus, nous la portons avec les memes disposilions interieures et exlerieures que lui. Or, Jesus ne portepas sacroix avec Tappareil de la gloire ; mais il la porte noblement, digne- ment, genereusement, avec un cceur qui aime jusqifa la fin, qui aime jusqu'a mourir entre ses bras. Ces deux lecons decoulent naturellement de la consideration des differentes personnes qui accompagnenl Jesus porlant sa Groix : ces personnes prennent part au portement de la Groix du Sauveur, mais pas toutesde la meme maniere. Les unes, en effet, par exemple, les Juifs et les larrons, n'y jouent qifun role force, exterieur, de commande; les autres, comme Simon le Gyreneen, Veronique, les femmes de Jerusalem, la Mere de Dieu, y participent reellement, effec- tivement, en compatissant de coeur et d'ame. A nous de choisir nolre place : car il faut nous decider a nous joindre aux pre- mieres ou aux secondes des personnes qui forment le cortege du Sauveur.

III. Jesus esl altache a la Croix.

A. Voici en quoiconsistenlles preparatifsdu crueifiement: on agence les differentes parties de la croix, on creuse le trou ou elle>era planlee et on disposelecondamne pour sonsupplice. Jesus se voit arracher, pour la derniere fois, ses habits qui se sont desseches dans ses blessures pendant le porlement de la Croix ; on ne lui laisse que les vetements de dessous. On lui

I.E PORTEMENT DE L.\ CROIX ET LE CRUCIFIEMENT 791

presente alors un narcotique, du vin depalmier, mele de rayrrhe, d'aloes, etc..., qui adoucit quelque peu la douleur du patient. Le Sauveur eftleure a peine ce vin des levres, sans en boire : il veut consoler les saintes femmes qui le lui ont prepare, mais aussi souffrir et elre immole avec sa pleine connaissance. (Marc, 15, 23.)

B. Maintenant Jesus est allache a la Groix. Gelle-ci se trouve vraisemblablement par terre, et les bourreaux y clouent d'abord ses mains et ensuite ses pieds. Un double soc sert <l'appui aux pieds el au milieu du corps du Sauveur.

Mais que pense et que sent le Chrisl pendant ce cruel sup- plice ? Les paroles qifil prononce le disent assez : « Pere, s'ecrie Jesus, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu'ils font. » (Luc, 23, 34.) II demande pardon pour tous sesbourreaux, pour les archers, pour les Juifs, pour Pilate, pour nous tous, qui sommes la cause de son marlyre. II implore notre grace avec inslance et il appuie sa supplique en invoquant les molifs les plus louchants : n'est-il pas, en effet, le Fils de Dieu, par con- sequent son Pere ne raime-t-il pas et n'aime-t-il pas son Pere et ne lui obeil-il pas jusqifa la morl? Ensuite, il excuse le crime de ses bourreaux par leur ignorance, laquelle, sans elre excu- sable de la part des Juifs (Jean, 15, 22), est pourlant pardon- nable a cause de la passion et de la legerete humaines. Enfin, sa priere est exaucee : ceux qui, dans les rangs du peuple, se sonl converlis a sa mort ou se converlironl plus tard, ne 1'onl fait ou ne le feront que grace au merite de cette priere touchante de Jesus. Le Sauveur veut par la nous donner 1'exemple de la maniere dont nous devons nous comporler a Tegard de nos ■ennemis et de nos offenseurs.

G. La Groix esl Irainee avec son Fardeau jusqura 1'ouver- ture. creusee dans le rocher, oii on va 1'enfoncer. Bientot, en effel, on ladresse au moyen de cordes et d'echelles et on la fixe dans le sol : quelle douleur pour Jesus en ces terribles instanlsl G'est un spectacle unique, a la fois effrayant et loucbanl, que celui de cette Groix qui s'eleve avecpeine el qui domine ensuile tout le pays des alenlours, a la grande joie des uns et pour la consternation des autres... Elle esl la pour lous le symbole

792 TROISIEME SEMAIXE

de la jnslice, puisqifelle monlre a loul l'univers l'image d'un Dieu qui est exeente comme un scelerat iufame, enlre deux ■aulres scelerats, et mis a mort au lieu m£me des execnlions, immediatement apres la sentence, au milieu de la plus profonde misere, dans le plus grand abandou elles donleurslesplns epou- vantables. Qui doncaurait pu penser que celte vie aurait eu une pareille fin ? (Is., 53.) Mais la Groix nous parait aussi comme le symbole de la misericorde et rinstrument de la grace. Cest mainlenant que le verilable arbre de vie est plante et qu'une source infinie de graces en jaillil pour purifier le monde, en effacer la marque de malediction et en faire un second paradis. Toutes les graces nous viennent par la Croix. Enfm la Croix est le grand Drapeau, rimmense Elendard du Royaume du Christ, vers lequel accourent et se reunissent en foule les peuples. (Is., 11, 10.) La Croix se dresse sur le sommet occidental du Calvaire : Jesus y tournele dos arantique cite etregarde Tocci- dent. On dirait que la Croix est le point de depart d iine grande expedition guerriere, donl le terme sera la conquete du monde entier. Nous assislons a la premiere fele de 1'Exallalion de la "Sainle Croix : Adoramus te, Christe, el benedicimus libi, quia per sanctam crucem luam redemisti mvridum.

APPLICATION DES SENS

A. Pendant qne plusieurs soldats apportent des fouets et des verges qu'ils jettent au pied de la colonne de la flagellation, d'aulres accompagnenl le Glirist et ramenent de ce cote. Jesus regarde la colonne avec horreur et epouvaute, mais aussilot il eleve, avec courage et energie, ses yeux vers le ciel, vers son Pere eeleste. Les solclats lui enlevent ses chaines, et lui-m^me ote sa robe de ses mains enflees et sanglantes : qui pourrait peindre sa peine et sa honle rien qu'a ee depouillemenl par- tiel?Il offre ce sacrifice pour le manque de pudeur de taiit cFhommes, et en mfeme lemps il prie et il gemit. On lui met, aux jointures des mains, des cordes, lesquelles servent a hissertoiU son corps contre la colonne, de maniere a ce qu'il touche a peine

APPLIC. DES SENS : ELAGELL..., ET CRUCIFIEMENT 793

\e sol de ses pieds, elroitement serres aussi contre le fiit de la colonne.

Alors les coups de verges el de fouets oommencent a tomber avec violence, a siffler el a claqner sur le dos et sur les epaules de Jesus. Sa chair «'enflamme et se gonfle ; on voit bient6t sur son corps, en tout sens, de longues stries bleues, brunes et rouges. La peau cede : d'abord ce sont de pelites dechirures, puis des blessures et des sillons, toujours plus profonds et plus longs ; peu a peu la chair se partage en morceaux, et les fouets atteignent les os. Le sang sort en filels el, apres, en ruisseaux, et finit par cotivrir toul le corps du Chrisl, par jaillir dans lacour et par former autour de ia colonne de larges flaques rouges. Et qu'est la douleur de Jesus ? Cest d"al>ord une douleur poi- gnante, sourde el conquassanle, qui de\ ient, apres, plus vive et plus penetranle, brule el cuit comme le feu el lesel, envahittons les membres et penetre jusque clans 1'ame, tire les larmes des yeux, les soupirs et les gemissements de la bouche du Palient... Helas ! commenl, au milieu de lant de douleurs, les yeux de Jesus peuvent-ils regarder le ciel et comment son Goeur peut-il crier vers son Pere celeste? Mais la flagellation continue, faisant toujours de nouvelles blessures et causanl toujours de nouvelles douleurs, jusqu'a ce que la pauvre Viclime parait succomber sous les coups. Le speclacle est epouvantable. Notre Maitre et notre Sauveur, le Fils de Dieu, vrai Dieu el vrai Homme, pal- pite et tremble a la fois, pendant sa cruelle flagellation, et on entend sortir clairement de ses levres des plaintes douces, comme une priere touchante qui anive a percer le bruil des sif- flemenls affreux des fouels des bourreaux. De temps en lemps, ces plainles lamenlables, sainles et salnlaires de Jesusse per- dent au milieu des clameurs de la populace el des Pharisiens, pour ensuite se faire entendre de nouveau dans les intervalles des coups de fouets et des blasphemes des soldats.

II esl probable que le Sauveur tombe par terre, au pied de ia colonne, quand les soldats l'en delienl. Oonsiderons-fe attenti- vement dans ce triste etat : il est la, elendu sur le sol, expose h l'air glacial, baigne dans son sang, absorbe par sa douleur, foule et broye commeun verde terre ; et aucune personne amie

794 TROISIEME SEMAINE

«'accourt pour le soigner el le secourir ! 11 ramasse lui-merae peniblement ses habits pour se les mettre sur ses epaules el ses hanches toutes dechirees... II nevoit aucune main se lendre vers lui... Mais oii sont donc tous ceuxqui, dans des jours meilleurs, le frequenlaienl, 1'honoraient et l'aimaient, tous ceux a qui il a rendu la sanle, la consolation et la vie?Ou sontLazare, Pierre, Madeleine, Jean el Marie, sa Mere? N'y a-t-il plus de baume, d'liuile et de linge pour ses blessures dans le pays oii coule 1'huile et qui esl couvert de baume et de lin ? Autour de lui il n'est pas une seule main secourable,un seul regard compatis- sant. Cependanl combien dliommes qui l'ont frequenteet quile connaissent, rougissent de lui maintenanlel lerailient au milieu meme de son ignominie ! En verite, il ne lui reste plus qifa mourir. II ne peut plus lever la lete dans la compagnie de ses semblables, il est deshonore, perdu, fini. II a cerles accompli a la lellre loutes les propheties : « Les pecheurs ont frappe a coups redoubles sur ses epaules et ont creuse dans sa chair de larges et profonds sillons (Ps. 128, 3) ; il n'a plus de forme ni de beaute... ; il esl meprise, le dernier des hommes, l'homrae de douleurs ; et il se cache le visage de honte et de confusion. » (Is., 53, 1-4.) II est bien jusle que nous nous jelions aux pieds de Jesus flagelle pour rinlerroger sur la cause de lanl de douleurs, lui demander de toul notre cceur pardon de nos offenses, et lui offrir nos bonnes resolutions a la place de tous les seryices que nous lui aurions rendus, si nousavions ete pres de lui en ces lerribles raoraenls.

B. Jesus est conduit de la colonne de la flagellalion dans la cour de lagarde principale de Pilate, pres du forum. A cause de l'agilalion etdu mecontentement du peuple, Pilaleaaugmenle le nombre des soldals. Cependant le Sauveur se lient debout, garde par quelques soldals : il esl brise et comme aneanli par la douleur et la fievre. Gomme il a besoin alors de repos, de menagements et de soins ! Mais, au lieu de cela, il va elre cou- ronne d'epineset tourne en derision avec la plus grande cruaute. Ge sont, sans doule,.des goujats, des domestiques de la prison et des valets du tribunal qui s'approchent les premiers de Jesus, le raillenlde son triste etat acluel et de « sa pretendue Royaute »,

APPLIC DES SENS '. FLAGELL..., F.T CRLCIFIEMENT 795

comnie ils Tont vu faire chez Caiphe et chez Herode. L'idee de s'amuser de la Royaute de Jesus prend, dans les rangs de la soldatesque, une consistance toujours plus grande, et recoit des approbalions toujours plus norabreuses, a mesure qu'elle est communiqnee et connue davantage dans le corps de garde : les soldats veulent donc faire une parade a leur maniere pour rendre leurs hommages au Glirist-Roi, et cette ceremonie aura un caractere puremeni militaire. Ges horames grossiers el durs arrachent de nouveau a Jesus tous ses habils en le mallraitant horriblement et Taffublent d'un vieux manteau rouge et dechire qu^iin d'eux est alle chercher. Puis ils remmenent pres du piedestal d'une ancienne colonne, sur lequel ils le font asseoir brulalement : ce piedeslal est le trone de Jesus. Ils lui meltent un roseau dans ses mains liees : voila son sceplre; el, pour corapleter Tappareil royal, ils vont chercher une couronne. Cest un bandeau qui a plusieurs fois la largeur de la main ; ilest forme de branches d'epines artislement tressees ; les epines en sont longues et dures. Les soldats placent cette couronne antour du fronl et des tempes de Jesus et la serrent par derriere au moyende cordons : on dirait quils ont mis une coiffure (Tepines de haute dimension sur la tete du Sauveur. En meme temps, ils affeclent une gravile derisoire, font des deraonstrations et des gestes ridicules, corame s'ils couronnaient un roi ou un general victorieux. Enfin, ils se disposent a rendre leurs hommages au nouveau Roi. Ils lombent a ses pieds et lirent la langue ; au lieu de lui baiser la main et le sceptre, ils se levent d'un bond et lui prennent le roseau des mains pour frapper sur la cou- ronne d'epines qu'il porle ; ensuite ils le lirent de tous les cdtes, le battenl el, a la place des presenls royaux, ils lui cra- chent merae au visage, poussent des hourras et des vivats en son honneur et finalement le renversent de son trone en riant aux eclals. Toule la cour y repond et relentit de cris insolcnls et de rires grossiers. Meme les soldats qui se tiennent en rangs et par files se moquent et rient de Jesus, et ainsi encouragent ees infames diverlissements.

Quel speclacle de misere laraenlable nous offre en ce moment le Sauveur des hommes ! II est la assis, incline et recourbe sur

796 TROISIEME SEMA-INE

lui-ineme : il est bien 1'image vivanle de la desolation et de la

douleur ! Son beau lYont eleve est depriraeet serre parraffreuse

couronne d'epines. Ses cheveux sonl enlremeles et noues avec

les cordons qni serrenl et maintiennent la couronne. Son visage

^disparait presqne entierement sous le boiirrelel saillant qifelle

forme autour de son front. Le sang suinte de loule part sur sa

tcle, ruisselle sur les tempes et sur la nuque, tombesdans ses

yeu.v et rougit ses epaules. Ses clieveux se collent ensemhle en

formant des boucles el des meches sanglantesj II tremble de

fievre ; sa langue est conlractee ; et, pour se rafraichir, il n'a

que le sang qui coule dans sa bouche, tlouloureuseinent entrou-

verte. Gombien d'epines aigues penetrent dans ses tempes,

dans cetle partie sensible de son corps! Et chaque secousse,

cliaque mouvemeiil, les enfoncent plus avant et lui causent

des doulenrs tres vives. Quelle souffrance et quelle honte

pour Jesus ! El pourlant qui est Gelui qui- se lient aui railieu

de cette troupe de monstres, qui Tabreuvent d'outrages el le

tonrmenlent hoiTiblement? II surpasse Salomon, le favori de

! Dieu, en sagesse et en magnificence ; il est, dans sa Majeste,

plns inaccessible qu'Assuerus, et la gloire de ses armes est plus

grande qne celle de David ; il est le Dieu vivant qui a sous son

sceplre des myriades de legions d-Anges. Le voila plonge dans

'la douleuret rhumiliation,devenu le jouet d'une troupe infame,

"'de ses propres creatures, qui le rassasient de honte et d'oppro-

1 bres. (Lament.,3, 30.) II est le Messie, le;Desire de ce peuple,

et neanraoins tels sont les presents qui lui sont offerls en ce

jour, ou il tend la main a son peuple pour en recevoir un gage

de son amonr et de sa veneration ! Sion, sa Fiancee, lui pre-

senle la couronne de l'ignominie, et la terre promise n'apour

1 lui que deschardons etdesepines 5 Gorabien Fempiredu imvekIc

'•lui coutech^er ! Et qu'il a expie amerement toutes les revoltes

' contre 1'a'utorite legitime ! Nous apprenons, par la meme

■occasion, le raal que fail la raillerie et la maniere de la sup-

porter.

G. Apres la condamnation de^ Jesus, ©n-procede imme- diatement a l'execution de la sentence: Le SauveTirest depouille du manteau de pourpre et rev^tu de ses propres hatoits. Les

APPLIC. DES SENS : FLAGELL..., ET CRUCIFIEMENT 797

soldats el les archers se rasseniblent, on aoiene les deuxlarrons et on apporte les croiA. La croix de Jesus a deux 1'ois la liauleur dun homme, environ dix pieds, et pese a peu pres quarante- livres. La traverse est mise a la parlie principale de la croix. Xaturellement Xotre-Seigneur fremit d'horreur en apercevant rinslrumenl de son supplice et de son humiliation. Mais il le recoit dans ses bras avec resignation et courage, avec un pro- fond respect et un araour tout filial : car il voit dans la croix le present de son Pere celesle, l'instruraent de sa propregloire, dui salut et de la redemption des hommes. II est vraisemblable qu'ih l'a baisee et recue a genoux enlre ses bras.

Maintenant coniraence l'affrfeux trajet sur le chemin du Calvaire : la voie douloureuse, via dolorosa, a son point de deparl a la ciladelle Anlonia else termine en dehors de la ville, sur le lieu de 1'execution. Le chemin, qui mesure environ mille pas, se dirige vers le midi pour aboutir, en passant par la porle du Jugement, jusqifa la montagne du Calvaire. Le corlege funebre s"engage donc dans la voie douloureuse. En avant marche le centurion romain, qui est suivi des condamnes avec leur escorle de quatre soldats. Derriere eux viennent lesarchers et les valets de bourreau, porlant des oulils et des perches sur lesquelles on lil les causes de chaque condamnation. Enfin une foule innombrable ferme la marche : il s'y trouve des personnes de lous les rangs. particulierement des Pharisiens du pays ou elrangers. Considerons, dans ce corlege, une forme humaine, inclinee, chancelanle, a peine reconnaissable sous le faix de la croix qifelle porte et avec la couroune saillante d'epines qui ombrage sa tete. Les mauvais lraitemenls, les pertes de sang, la soif et les douleurs onl corapletement epuise Jesus. Sa main droite sontient le lourd fardeau de la croix qu'il porle sur 1'epaule droite, pendant que, de sa main gauche, il s'efforce peniblement, en soulevanl sa longue robe, de ne pas faire de faux pas el de ne pas tomber. II a le visage couvert de sang et enfle, les chc^ veux et la barbe en desordre et sauglanls. Le fardeau de la croix,' les cordes auxquelles il est attache et que tirent les bourreau\,> pressenl son lourd velemenl de laine conlre sa chair raeurliie et ses horribles blessures ouverles. Aulour de lui ce n'est que

798 TROISIEME SEMAINE

derision et mechancele. II est dans un etat de misere et de souffrance indicibles ; el, malgre loul, ilprie meme des levres, et ses yeux rouges de sang, qui paraissent profondement enfonces sous 1'enlrelacemeiil irregulier des branclies d'epines, lancent des regards ou se peignent touralourla majeste, la compassion, la priere el le pardon. Plusieurs fois ii chancelle sur la voie elroile et inegale du Calvaire et tombe autant de faiblesse et d'epuisement que par la faute des mechanls bourreaux qui le tirent de tous c6les avec les cordes qu'ils tiennent a la main. Cest en vain que le Sauveur tend le bras et demande du secours : personne n'a pilie de lui. II ne se releve qu'a force de coups el de blasphemes. Dans une de ses chutes il rencontre sa Mere incon- solable, qui veut 1'aider, mais est impitoyablement repoussee... Une aulre fois, il ne peut plus se relever. Cest alors que les solclats arrelent Simon le Gyreneen, qui avec ses deux fils revient de son jardin, silue a la porte de la ville, et ils le forcent a porler la croix a la place de Jesus. Simon se defend crabord el montre une grande repugnance a se charger de rinstrument de supplice de rhomme qu'il voit si horriblement defigure el tout couvert de boue et de sang. Mais Jesus pleure et regarde Simon avec des yeux si supplianls, si dignes de pitie, que celui-ci a la fin se laisse toucher et se decide a prendre la croix. Le Sauveur eprouve de la consolalion en voyant sainte Veroni- que traverser courageusement et rapidement la foule du peuple et les rangs des soldals, pour venir se jeter a ses pieds et lui presenler un voile avec lequel elle essuie son visage ; mais elle est ensuile repoussee avant d'avoir eu le temps de lui offrir un rafraichissement. De meme, Jesus est console par quelques jeunes filles et quelques femmes qui, au lieu de fuir devant lui, comme d^autres, par horreur et par la crainte pharisaique de conlracter la souillure legale, se tiennent a ses c6tes, lui lemoi- gnent de la compassion, le plaignent haulement et reprochent aux bourreaux leur cruaute. Le divin Maitre daigne leur adres- ser quelques paroles : « Pleurez, leur dit-il, sur vous et sur vos enfants : car viendront cles jours oii vous desirerez n'avoir pas d'enfants. »

G'est ainsi que le corlege arrive vers midi au lieu de 1'execu-

APPLIC. DES SENS : FLAGELL..., ET CRUCIFIEMENT 799*

lion. A parlir de la porte du Jugemenl, le chemin, devenu assez large, s'enfonce a droite a travers deux murailles de rochers. La muraille a droite soutienl le jardin de Josepli d'Arimathie, dans lequel il a fail creuser un sepulcre ; a gauclie, c'est le grand rocher du Calvaire ou du (iolgotha, qui s'eleve peu a peu, et qui, a son plus haut point, en face du tomheau de Joseph d'Arimalliie, se termine en penle pour aboutir au chemin, et forme une figure ressemblant a un long crane denude. C'est du cote du nord-est que le corlege commence a gravir la montagne du Galvaire. Jesus arrive au sommel tout epuise, dechire, pale el sanglant : il est dans le plus tristeetat. Pendant la flagellation des deux larrons, ragencement des differentes parlies des croix el le creusement des trous ou elles seronl planlees, le Sauveur est conduit dans un lieu enfonce, sur le penchanl du Golgotha. Alors il prie avec ardeur : il en est pour ainsi dire a 1'inlroit de sa Messe ou de son Sacrifice sanglant. On le vient chercher bientot pour etre crucifie, mais auparavanl on lui ote de nou- veau ses vetements avec brutalile el on lui inflige encore une sorte de flagellation. II garde probablement la bande d'etoffe qui entoure ses reins ; et l'on se conforme ainsi a 1'usag^ des Romains et aussi des Juifs, qui onl la plus grande horreur de la nudile complete. Jesus souffre d'ailleurs deja assez de se voir ainsi presque sans habits. Le vin de myrrhe est offert au Sau- veur, qui se conlenle d'y tremper les levres, mais n'en boitpas. Les soldals forment, en cel instant, cercle autour de lui et les bourreaux s'ap|)rochent. Gomme le Gceur de Jesus adu batlre el bondir en cel afTreux momenl ! Les bourreaux s'emparent donc du Ghrist el le jeltent, le renversent sur le bois delacroix, sil ne s'y met lui-meme. Quel spectacle toucliant nous oflre Jesus ! Quil est beau dans sa difformite, glorieux dans son igno- minie, le Mailre eternel, etendu sur la croix, les yeux douce- ment lournes vers le ciel ! Les bourreaux lient le haut de soiv corps a 1'arbre de la croix ; un d'entre eux appuie ses genoux sur la poitrine de Jesus, un second sur son bras droit, el un troisieme, lui saisissant la main droile, 1'allache a la croix en frappant avec un marleau, a coups redoubles, sur un gros clou Iriangulaire el aigu, qui p6nelre les chairs et les fibres avant

800 TROISuhlE SEMAINK

d^arriver au trou fail dans le bois de la croix. Du raal horrible que ressent le Sauveur resulle le tremblement de lous ses merabres; son sang jaillit et.ses doigts se crispenl aulour dm clou. Cest ensuile le tour de la raain ganche, Les bras: de JeMis sont cruellement disloques, sa poilrine se souleve, se^ muscles craquent, pendant qtfil pousse des plainles, d'une voix douce, claire, enlrecoupee. Son supplice esl encore plus leri ible- quand on.cloue ses pieds t\ la croix : les jambes du Sauveur s:etaient repliees sur elles-memes^ et> les bourreaux doivent les tirer violemment, afin de les fixer sur le soc du bas de la croix au moyen d'un clou, qui brise, en les broyanl el en les laisanl eclater, les os el les jointures. Jesus esl la, allache avec des clous ; lout son corps est violemmenl tendu, tous ses nerls travaillent et sont agaces douloureusement; son visage est pale comnie un linge el tache de sang.; ses soupirs el ses plaintes se melent aux cruels coups de marleau, pendant que son sang jaillit de ses larges blessures ouverles. Qui peul com- prendre Tepouvante et la douleur de la Mere de Dieu, de saint Jean et des sainles lemmes, en entendant les coups de mai- leau des bourreaux et les gemissements de rinnocente Victime ? Pendanl cet affreux supplice, le Sauveur prononce les belles el louchanles paroles : « Pere, pardonnez-leur ; ils ne savent ce qifils font. » Gomme le pressoir fait rendre a 1'olive son huile, au raisin son jus et au baume son parfum, ainsi la douleur extrenie; de Jesus el la malice inconcevable de ses ennemis font sortir du Coe;ur de Jesus celte priere precieuse et d'uneefficacite infinie,

Maintenant la Croix esl trainee pres du lieu oii elle doil etre plantee ; bienlol on Televe an moyeu de cordes et d'echelles, mais elle chancelle ; enfin elle est enfoncee et debout dans You- "verlure qui lui a ete preparee. Chaque raouvement, chaqne secousse cause aJesus la plus vive douleur ; il ressenl surtout le choc de la Groix, quandeile est mise dans le trou du roclier. Son corps pese.de toulson poidssurdes endroits oii il sdapjpu-ie^; ses blessures s^agrandissent et laissent couler; le sang en i)lus grande abondance. Cest la premiere fois quela Groix du Messie se di-esse sur le monde et domine lout le pays environnaotJ

APPLIC. DES SENS : FLAGELL..., ET CRUCIFIEMENT 801

L'enfer pousse son cri de victoire ; il eraprunte pour cela la voix <Jes arcbers et des nombreux ennerais de Jesus, Pharisiens et autres, qui entourent le lieu de rexeculion et occupent toutesles bauteurs envii onnant le Galvaire. Ils croient qne Tbeure du triora- pbe a sonne pour eux ; c'est pourquoi ils la saluent par des cris de joie et en raillant et en insultant le Sauveur. Mais il y a aussi d'aulres cceurs, d'autres yeux, d'autres voix et d*autres raains qui autour de la Groix s'elevenl et la saluent en gemissant et en ladorant avec araour : ce sont les coeurs de Marie et des autres personnes fideles. Quel spectacle s'offre a leurs yeux ! Jesus est suspendu entre le ciel et la terre, en face de Jerusalem, sous les yeux de son peuple qui le repousse, sur la place des executions publiques ; il est la comrae un criminel infame, place a dessein entre deux scelerats : il represente bien Tiraage de la misere la plus grande et de la douleur la plus profonde. II a la tele pen- cbee sous le poids de sa couronne d'epines, et son sang coule dans ses yeux et jusque dans sa bouche. Sa poitrine se souleve et se conlracte borriblement ; il a les aisselles touta fait disten- dues ; ses hanches ont presque disparu ; et des plaies de ses mains et de ses pieds s'echappent des ruisseaux de sang qui coulent sur ses bras et sur ses pieds le long de la Croix. G'est alors que s'accomplit la prophelie du Prophete : « Qui a cru a nolre parole, et a qui le bras du Seigneur a-t-il ele revele?... Xous 1'avons considere comrae un lepreux, corame un homme frappe de Dieu et humilie. II a ele perce et blesse pour nos crimes....et Dieu ]'a charge lui seulde 1'iniqiiite de tous. Ilaete offert, parce que lui-meme l'a voulu, el il n'a point ouvert la bouche. II sera mene a la mort comme une brebis qu'on va egorger ; il demeurera dans le silence, sans dire un mot, comme un agneau est muet devant celui qui le tond... II a ete retrancbe de laterre des vivants. » (Is., 53.)

Ces trois mysleres sont surtout pour le Sauveur des mys- teres de souffrances et de mauvais traitemenls corporels, et ten- dent, sans nul doute, a nous forlifier dans la resolution de vaincre notre mollesse. Les raisons que nous avons de nous mortilier ainsi ne sont pas difliciles a trouver : elles sont au nombre de trois principales. La premiere est 1'exemple du Sauveur. 11

5t

802 TRQISIEME SEMAINE

refuse lout adoucissement et se livre a tous les mauvais traile- ments, si durs qu'ils soient. II y a la, on ne peut en douter, un plan arrele : en effet, par les divers mauvais traitements qu'il subil, il veul que les differentes parlies de son etre, 1'une apres 1'autre, et toutes a la fois, ses organes et ses membres, pieds, mains, lele, etc... soient affligees, ravagees et detruites de la maniere la plus epouvanlable, de telle sorte que sur la Croix il est en verile une victime parfaite el un holocausle complet. Jesus monlre assez par la sa regle de conduile, sa volonte de sacrifier pour nous non seulement son lionneur, mais encore son corps et sa sanle. Comment pouvons-nous 6lre ses disciples, si nous iVembiassons pas etsi nous ne suivons pas cetlemaxime ?Com- menl pouvons-nous baiser le Crucifix. si nous ne voulons pas prendre au serieux la morlificalion de nous-memes? Le Sauveur abandonne son corps a loules les douleurs el ;i toutes les incom- modites, et nous voulons epargner le notre el le trailer comme une relique de Saint ! Le second motif que nous avons de nous morlifier, de crucifier nolre chair, est Lexemple des Saints. Nous trouvons dans leur espril, dans leur vie, le miroir fidele de la doctrine et cles senlimenls de Jesus. Oii est le Sainl, m£mele plus doux, le plus aimable, qui n'ait pas pralique la morlification exterieure aulant qu'il le pouvait? Gomment ont-ils aussi com- pris et pratique la mortificalion, nos propresSainls, ceshommes apostoliques, donl la regle, relalive a la vie exterieure, etail pourlant ad modum probatum sacerdotum honeslorum? Com- bien leur Iravail etait penible! Gombien dure elait leur vie ! (II Cor., 11, 26-28.) La seule barriere, opposee a leur zele pour la morlification, elail 1'obeissance : telle est la formule ou la regle de leur conduite ; elle doil elre egalement la notre. Le troisieme molif que nous avons d'agir ainsi esl nolre avantage personnel. Nous devons avant tout, d'abord, satisfaire pour nos peches. II ne faut pas que nous laissions punir le Sauveur toul seul et que nous imitions Barabbas passant devanl la Croix et disanl : « G'est moi qui devrais y etre. Mais je suis libre, el toi, Jesus, t'y voila suspendu ! » Nous avons une semblable dispo- sition, si nous ne voulons rien soufirir. Ensuile, nous avons besoin de graces efficaces pour secouer le joug des passions, sous

APPLIC. DES SENS '. FLAGELL..., ET CRUCIFIE.UENT 803

lequel nous ont mis nos peches anterieurs ; or, nous n'aurons ces graces que par la mortificatiou exterieure. D'ai!leurs, si nous voulons arriver a prier facilemenl, avec gout et avec ferveur, cette mortification nous est toul a fait necessaire. Enfin, elle est la condition indispensable pour acquerir des meriles pour le ciel et pour eviter de lies grands dommages : que de graces nous per- dons en negligeanl Ia discipline et la mortification exterieures ! Que nous resle-t-il fmalement de ces joies frivoles, donf le sacrifice nous aurait procure les joies eternelles ! Et a quoi bon Qatter et caresser notre corps? II regimbera, soyons-en siirs, et nous porterons la marque de ses coups. Nous restons ainsi les esclaves de la sensualite, si nous ne pouvons faire les moindres sacrifices ; et nous ne sommes pas, a vrai dire, des hommes spirituels, ce qui est assez dommageable et honleux pour nous. Quant a la maniere de pratiquer la morlificalion exterieure, nous devons tenir avant tout et fermement a cette regle : « Ne pas refuser ce que la pauvrete, 1'obeissance, la chastete, la tem- peranee, le travail, la modestie el Ia bienseance nous offrent ou demandent de nous tous les jours. »Ne nous plaignons doncpas sans necessite, et jamais la ou il ne faut pas ; ne cherchons pas des remedes a tous nos maux, si pelils qu'ils soient ; ayons hor- reur des exceptions, ou son(Trons-les difficilement ; ne nous occupons pas trop de notre sanle; sachons renoncera 1'agreable et rechercher le desagreable ; et ne vivons pas comme si nous avions fait le vceu de ne jamais manquer de vien et de profiter de lout... Pour garder en tout cela la mesure convenable, par- lons-en a nos Superieurs el determinons avec eux les penilences et les morlificalions que nous ferons desormais, sans Ies negliger jamais, a moins d'un motif grave. L'obeissance doit regler nos morlifications : ainsi nous suivons la regle de la perfeclion.

SOUFFRANCES ET MORT DU SAUVEUR EN CROIX

(Matth., 17, 35-56 ; Marc, 15, 24-41 ; Luc, 23. 3-49 ; Jean, 19, 18-30.

I. Cc que le Sauveur souffre sur la Croix.

Le Sauveur enduresur laCroix trois souffrances principales :

A. La premiere souffrance de Jesus en Croix est exterieure et corporelle.

Le triste elat oii son corps est reduit de toute maniere doit occasionner a Notre-Seigneur les douleurs les plus terribles. II est suspendu ilaCroix, a des clous qui le dechirent, et sur des plaies vives qui le briilent a l"air glacial. La position forcee, la tension el rallongement de son corps, les lacerations el la luxa- tion de ses membres sont un obstacle a toule activite vitale. Ses poumons renferment une trop grande abondance de sang et fonctionnent avec difficulte ; son coeur bat peniblement, et Thor- rible oppression de sa poitrine lui cause une angoisse et un mal morlels. Ladilalation et par suite ramincissement des parois de ses veines empechent le sang de revenir des extremites et de cir- culer ; et il en resulte pour Jesus, surtout a la tete, au front et au cou, une douleur sourde, enervante et poignante, accompa- gnee d'une ardenle fievre, dinilalion, et de demangeaisons insupportables, dont ses mains clouees ne peuvent Taider a se soulager. Enfin, la grande quantite de sang qu'il a perdu lui fait eprouver une soif devorante : car la soif est toujours un des tourments les plus penibles du crucifiement.

Le supplice de la Groix est donc en veriteun des martyresles

SOUFFRAXCES ET MORT DE JESUS EN CROIX 805

plus elTroyables ; car il n'offre que tles douleurs inouies sans le raoindre adoucissemenl.

B. La deuxieme souffrance du Sauveur sur la Croix est inlerieure, venanl de lout ce dont il est le teraoin ou 1'objet, et du delaissement absolu ou il se trouve.

a)Du deborslui arrivenl les railleries el les sarcasmes de ses ennemis. Tout le monde se moque de Jesus (Luc, 23, 25) : les passants, peut-etre les pelerins de la fele pascale, qui suivent le chemin a proxiraite du Calvaire (Matth., 27, 39), les Pretres et les Grands Pretres [Marc, 15, 31), les Anciens et les Scribes (Luc, 23, 35), les soldats (Luc, 23, 36), et enfin les condamnes au meme supplice que lui Matth., 27, 44). Et le Seigneur est raille sous tous les rapporls : comme Prophete (Matth., 27, 40), corarae Fils de Dieu (Matth., 27, 43), comrae Tbaumaturge (Luc, 23, 35), corame Messie (Marc, 15, 32), et meme a cause de sa saintete et de sa confiance en Dieu (Matth., 27, 43). Les soldats lui presentent une eponge a la boucbe, qu'ils retirent aussilot pour ne pas le laisser boire, etse fonl un jouet de Jesus crucifie. (Luc, 23, 36.) Ob ! quelle peine pour le Sauveur davoir a supporter cetle derision generale et ces plaisanleries grossieres dans de pareilles circonslances ! Cesl une barbarie inbumaine, une noire ingralitude, un horrible blaspberae. Ici se revele bien 1'esprit cruel du peuple, quand il est ecbaufie et surexcite. Ne pouvant plus saisir Jesus avec les mains, on le blesse el on le couvre avec les traits aceres de la haine et de la raillerie. Aussi loin que le Sauveur porte ses regards, il voit lout un peuple hostile et en fureur contre lui ; partout ses yeux ne renconlrent que des figures, rouges de colere,et des homraes qui lui raontrent le poing. Merae du petit groupe de ses arais fideles il ne lui vient, au lieu de la consolation, que d'ameres douleurs. II considere leur amour et leur fidelite a sa Personne jusqifa la mort, et lui seul mesure et est capable de mesurer rimmensite de leurs soulTrances. Oh ! quels regards, quelles paroles il echange avec sa sainle et bien-aimee Mere, avec saint Jean, avec Marie-Madeleine ! Et comme ces regards, ces paroles font et creusent des blessures cruelles et profondes dans les coeurs de tous ! Combien le Coeur du Sauveur doit etre dechire,

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qiiand il dit adieu a sa Mere, qiril en fail 1'abandon et qifil la confie a fapolre Jean, qui sera desormais son fils !

b) Mais la phis grande peine interieure de Jesus en Groix est le delaissemenl. 11 est vraisemblahle qifil se trouve de nouveau dans le meme elal d'ame epouvanlable qifau jardin de Gellise- mani. La Divinite ne rabandonne jamais, a cause de runion de sa nature humaine avec la seconde Personne divine, el il a tou- jonrs, en consequence, la vue intuitive ou immediale de Dieu ; or, Dieu prive surla Croix riiumanite de Jesus des effets de joie que produisait en elle celle vision, et il la plonge dans unabime de souffrances et d'abandon interieurs inexprimables. II est, en effet, impossible de mesurer la profondeur et d'imaginer 1'amer- tume de celle douleur de fame du Sauveur : c'est un mystere insondable. Si les hommes nous delaissenl, il nous reste encore Dien, nolre Souverain Bien, la vie intime de nolre ame ; mais si Dieu s'eloigne anssi de nous avec sa consolafion, alors nous sommes lout seuls, entieremenl abandonnes : nous sommes plonges dans 1'horrenr de la plus profonde nuit; ce n'est plns la vie, c'est renfer... Or, il ify a pas d'ame qui aime Dieu plus que celle de Jesus, qui soit avec Dieu dans des rapports plus inlimes et plus affeclueux, el qui (par suile de son union sub- stantielle avec la Divinile et de la vision inluilive) puise, d'une maniere plus admirahle, aux sources de ramour, de la joie el de la bealitude. Ges communications de paix, de bonheur et de consolation sont actuellemenl toul a fail interrompues, el a leur place pesenl sur 1'ame du Sauveur le poids el les tenebres de la desolalion, de l'impuissance, de la tristesse el de la frayeur. Jamais ame lfa ressenti et ne ressentira de douleurs comme 1'ame de Jesus, pendant qu'il est suspendu a la Groix ! G'esl sans doule alors qifil a supporle la plus terrible des souflrances de sa Passion. On peul le conjecturer par le cri qif il pousse en ce momenl : « Dieu, mon Dieu, pourquoi nf avez-vous abandonne ? » (Matth., 27, 46.) 11 ne s'adresse pas a son Pere, mais il s'adresse a Dieu : c'esl le cri de Tame vers le Bien Souverain, Elernel. Gomme les Propheles ont parle de celle douleur en termes emouvants et touchanls ! (Ps. 21, passim ; Lament., 3, passim.) 0 ffcffroyable Galvaire ! II if est pas de lieu plus abandonne de

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Dieu que celui-la ; il n'est pas cTheure de plusgrande desolation que celle oii nous sommes ! Mais le Sauveur n-e pousse pas son cri de delresse : « Dieu..., pourquoi m'avez-vous aban- donne ? »fcparce qifil n'en peut plus, mais pour nous reveler qu'il consent encore a supporter cetle peine du delaissement au milieu des supplices exlerieurs, et qu'il les endure de fait sans consolation imerieure. De plus, il veut monlrer que les prophe- ties sout accomplies aussi en ce point. Enfin, il veut nous con- soler nous-memes des temps ou nous serons prives de toute €onsolalion divine el humaine : par son complet delaissement sur la Groix, Jesus meiite et amasse un tresor precieux, ou pourront puiser tous les abandonnes, tous les delaisses de 1'humanile ; il nous acquiert et nous prepare la force pour le jonrou, seuls et sans lumiere, nous serons plongesdans Tabime de la desolation, dans les tenebres de Tagonie et de la mort. Lui-meme s'y trouve presentement : il y a dresse sa Croix, afin de nous servir, dans les circonstances analogues, de consolateur, de guide et d'aide puissant.

G. Enfin le Sauveur souffre les douleurs de 1'agonie et la mort. II y a bienlot trois her.res qu'il est sur la Cioix ; loules ses forces sont epuisees, et la mort arrive : la mort. la derniere et la plus cruelle necessiie de notre nature ; la mort, la plus grande des humiliations, oii le corps et 1'ame, comme deux cri- minels associes, sont separes et arraches de vive force ; la mort, le combat le plus opiniatre, oii la vie, assiegee et refoulee de tous les coles i la fois, oppose une resistance supreme el deses- peree ; la mort, la plus profonde des douleurs, dont la violence se revele si souvent par une derniere larme dans les yeuxelpar une contraclion penible et amere aulour de la bouche ; la mort, cette fille dure et impitoyable du peche, qui, de son sceplrefou- droyant, touche tous les descendanls d'Adam et les reduit en poussiere. Oui, la mort est arrivee, et elle porte sa main meme sur le Saint des saints, sur 1'Auleur de Ia vie, et elle le soumet a sa trisle domination ; et il doit en e^tre ainsi, parce que le Seigneur le veul. Le Seigneur lutte contre la mort et il est aux prises avec elle, comme !'un d'enlre nous. II leve la tele et s'ecrie : « Tout est consomme » (Jean, 19, 30); les tourments

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onl epuise mes forces, ma carriere esl remplie, il ne me resle plus qu'a mourir. Alors il dit cTune voix puissante : « Pere, je remels mon ame entre vos mains » (Luc, 23, 46), incline latete et rend Tame (Jean, 19, 30) : il est environ trois heures de Tapres-midi, la neuvieme heure des Anciens.

II. Commenl Jesus supporle toutes ces souffrances.

A. Le divin Sauveur souffre sur la Croix, d'abord, avec un grand calme, une grande attention et une grande presence d'espril. II n'esl pas tellement absorbe par ses indicibles dou- leurs qu'il n'apercoive lout ce qui se passe autour de lui. II voit lout, il entend tout, meme le moindre soupir. II entend la faible voix du larron repentant et il lui accorde aussilot le ciel, ce ciel qui lui coute si cher a lui-meme. (Luc, 23, 42. 43.) II regarde sa Mere et son Apotre bien-aime et il n'oublie pas leur avenir a tous deux. II parcourt les prophelies pour voir si elles sont toutes parfailement accomplies, et, quand plus rien ne manque, il dit : « Mainlenant tout estfini. » (Jean, 19, 30.) Aucun prelre ne peut, a 1'autel, s'acquitter des fonclions sacrees avec plus de tranquillite, plus de recueillement el plus de dignile que le Sau- veur offrant son sacrifice sur Taulel de la Groix.

B. Jesus souffre, ensuite, avec une grande patience, un grand amour, dans la pratique de la plus magnanime vertu, en produisant les acles de la plus sublime saintete. Pendant qu'il esl atlache a la Croix, abandonne des hommes et de Dieu, sans la moindre consolation, souffranl toul ce qu'un homme malheureux, tourmente, broye et brise par la douleur, peut souf- frir, il prie, il se sacrifie enlierement lui-memeet compose de ses souffrances et de son abandon le plus richetresor de graces, dans rinleret de notre salut el de la gloire de Dieu. II fait son Testament devant Dieu et laisse tous ses merites alEgliseetaux pecheurs ; et aucune ingratitude, aucune douleur, aucun delais- sement, pas meme celui ou le reduisent a cette heure Dieu et sa justice inexorable, rien, absolument rien, ne peut troubler la purele parfaite de son devouement filial et de sa charite. Quoi- qu'il soit abandonne par son Pere d^une maniere si dure et si

SOUFFRANCES ET MORT DE JESUS EN CROIX 809

cruelle, il s'ecrie pourtant avant de mourir : « Pere, je remets mon ame entre vos mains. » (Luc, 23, 46.) Ainsiil reconnaitson Pere corame le principe de toutes choses, par consequent de sa vie, et il lui rend son ame el sa vie en expirant : il neconnait personne, en dehors de son Pere, a qui il puisse, avec plus d'amour et d'assurance, confier ce qifil a de plus cher. II meurt donc avec toutes les marques de la plus parfaile sainlete, dans 1'exercice de la plus heroique verlu, dans la praliquede 1'amour des ennemis et des parents, de 1'obeissance, du devouement, de la dependance la plus absolue, de la soumission la plus entiere a Dieu, dansla reconnaissance la plus aulhenlique du souverain domaine de son Pere sur lui. De celte maniere, sa mort n'est pas seulement precieuse aux yeux de Dieu, comme celle de tous les Sainls (Ps. 115, 15), elle esl encore le modele, le couron- nement, la consommation et la source de toutes les sainles morls.

G. Enfin Jesus meurl avec une liberte et une force Vrai- ment divines. II meurt en realile de la mort de la Groix et des suiles du crucifiement, des souffrances et des pertes de sang, inseparables de ce supplice, d'ailleurs morlelles par elles- memes. Cependant, malgre tout, la vie ne peutluielre arrachee sans un consenlemenl formel de sa part ; et, ce consentement, il le donne a 1'instant oii il penche la tete. La sainte Ecriture semble l'indiquer, en disant que le Seigneur a d'abord incline la tete et a ensuite rendu son fime (Jeax, 19, 30) : regulierement, l'on meurl en premier lieu, et, apres, la tele s'abaisse. De plus, les Evangelisles lemarquent que le Sauveur, au moment de sa mort, pousse un cri fort et emouvant (Luc, 23, 46 ; Matth., 27, 50 ; Marc, 15, 37), en sorle que le centurion de garde y recon- nait un signe extraordinaire, qu'il y voil un temoignage de la Divinite de Jesus et qu'il la proclame en public (Marc, 15, 39). Le Messie meurt librement, parce qu'il le veut. (Is., 53, 7 ; Jean, 10, 18.) Sa mort n'a pas seulement la marque de la fai- blesse de sa verilable nalure humaine ; elle porte encore le caractere majestueux de son empire complet sur lui-meme, en temps qu'Homme-Dieu : il meurt avecla majeste de la plenilude du pouvoir absolu et personnel.

#10 TROISIEME SEMAINE

III. Effels de la mort de Jesus.

Les eflets de la mort du Sauveur se font senlir partoul, et dans Ja nature inanimeeet dalis le monde des liommes.

A. A la mort de Jesus, la terre est ebranlee et tremble. La montagne du Galvaire sefend en deux ; les tombeaux s'ecroulent et s^ouvrent, et, apres la Resurreclion, beaucoup de saints per- sonnagesde rAncien Testament appaiaissent pour rendretemoi- -gnage au Messie. La confusion et les degats sont grands dans le Temple : le voile, place entre le Saint et le Saint des Sainls, est dechire de liaut en bas (Matth., 27, 51), et le regard peut p!onger dans le Saint des Saints, des lors ouvert, pour signifier la fin de 1'Ancienne Alliance, du regnedes ombres el des figures, et aussi Facces aupres de Dieu, desormais permis a tout le peuple (HeOr., 9). Cest dans la terreur et repouvanle que la nature apporte le temoignage de Dieu.

Le centurion romain est, parmi les liommes, le premier qui ressent les effels de la mort du Sauveur. A la vue des signes ^xtraordinaires qui ont lieu, il est frappe de stupeur et, eclaire par la lumierede la grace, il proclame 1'innocence et la Divinite de Jesus. (Luc, 23, 47 ; Maiic, 15, 39.) Une frayeur subite s'empare en meme temps du peuple, qui se trouve danslevoisi- -nage et sur les hauteurs, el qui esl temoin de ce qui se passe ; ces pauvres gens renlrenl en eux-memes, sefrappenlla poilrine, poussanl des lamentations, et s'enfuient consternes vers la ville (Luc, 23, 48), laquelle est, sans doule, elle-m6me bientot rem- plie de crainle et d'effroi. La niort de Jesus produit dans sa Mere, dans saint Jean et dans les sainles femmes des fruils de foi, d'adoration, d'amour crucifie et de douleur inelfable : c'est un Fils bien-aime, c'est un Mailre unique qui vient d'expirer.

B. Tels sont les spectaleurs et les lemoins perseveranls de la morldeJesus ; et leurssentimentset leurs dispositions doivent ^lre aussi les nolres en presencede ce mystere : lafoi, lerepen- tir, la mort aupeche, le crucifiemenl des passions dereglees et le renouvellement de la vie dans ie Christ sont les fleurs qui s'epa- nouissent et les fruils qui murissent au pied de la Groix. Voila

SOUFFRANCES F.T MORT DE JESLS EN CROIV 811

tout l'enseignement et tout le resullat de la mort du Sauveur. Sa mort est le point culminant de sa vie et de tous les mysteres de son existence ; elle est le sceau de sa Divinite ; elle est la confirmation de sa morale, de notre fin surnaturelle, de la loi eternelle, de renormile du peche, pour la deslruclion duquel il fallail qu'un Dieu mourut ; elle est la marque definilive, le carac- tere dislinctif du nouvel Ordre de la grace, par la crealion du Merite de toute grace ; elle est le modele de la nouvelle vie, en lant que, morls au peche, nous devons aimerDieudans la sainte esperance de la resurreclion de notre corps. (Rom., 6, 8.) La morl de Jesus nous apprend, en un mol, a vivre et a mourir pour Jesus. Le Ghristest mort pourtous,afin queceuxqui vivenl ne vivent pas pour eux, mais pour Celui qui est mort et ressus- cite pour eux. (II Cor., 5, 15.) Que nous vivions ou que nous mourions, nous appartenons au Christ. (Rom., 14, 18.) Depuis que le Sauveur est mort pour nous, la mort n'a plus rien pour nous delTrayant. La morl dans la grace de Dieu, dans la foi p.t dans l'union de la charile avec le Christ, esl un sacrifice infinimenl precieux, le couronnement de la vie chrelienne et la plus parfaile assimilalion et ressemblance au Christ. En disant ces mols : « Pere, je remets mon ame enlre vos mains », le Seigneur s'esl enipare de la main de son Pere et il nous y a lous deposes comme un legs bien cher. Ne nous effrayons donc plus a la vue du portique sombre du trepas : Jesus s'y trouve, et la ou esl Jesus, est aussi Marie, parce qu'en effet elle-meme assis- tait a la mort de son Premier-ne.

« Pere, je remets mon ame entre vos mains » ; el « Sainle Marie, Mere de Dieu, priez pour nous maintenant el a 1'heure de la mort », voila les paroles de predileclion du Chretien mou- rant; voila sa priere et son arme de defense contre les puissan- ces des tenebres el de 1'enfer.

I/OUVERTURE DU COTE DE JESUS

(JEAN, 19, 31-37.)

I. Causes de celte ouverlure.

Elles sont au nombre de deux :

A. La premierese trouve dans la loi romaine. Le crucifie- ment n'esl pas morlel par lui-meme, mais seulement par suile de repuisement graduel des forces. Aussi, chez les Romains, 1'usage est de bruler les crucifies ou de les jeler aux betes sauvages ou de les laisser mourir de faim ou enfin de les transpercer dun coup mortel de lance. Par consequent, Notre-Seigneur doil perir d'une de ces manieres.

B. D'apres la loi judaique, le cadavre d'un liomme qui, pour une plus grande ignominie, est pendu a la croix, doit etre enseveli avant la fin du jour. (Deut., 21, 23.) S'appuyant sur cette loi, les Juifs demandent a Pilale des soldals qui, en compen- salion de la plus longue duree du crucifiemenl, briseront les os des crucifies, acheveronl les crimiuels el, apres les avoir deta- cbes, les porleront en terre. Les Juifs donnent pour raison le sabbat, lequel, celle annee, esl « le grand sabbal », parce que la fete de la paque tombe ce jour-la. La vigile touche a sa fin et il n'y a plus de temps a perdre. (Jean, 19, 31.) Ils peuvent avoir encore d'autres motifs : le mauvais etat de leur conscience, la crainle du peuple el la frayeur des choses extraordinaires qui viennent de se passer, les poussenl a etoufler completement cette ennuyeuse aflaire. Peul-etre aussi veulent-ils faire a Jesus une derniere injure.En tout cas, Pilate envoie cles soldats, suivant leur desii\

l'01YERTURE DU COTE DE JESLS 813

II. Vouverture du Cote.

A. Mais le Sauveur est deja raort a rarrivee des soldats, et, peut etre sur la demande de sa Mere et des saintes feraraes, ils ne profanent pas son Gorps divin en rompant ses bras et ses jarabes et en enfoncant sa poilrine. (Jean, 19, 33.) Au lieu de cela, undes soldats, qui en a, sans doute, recu 1'ordre, perce le Gote de Jesus avec sa lance (Jean, 19, 34) afin d'avoir la cerli- tude de sa mort et de pouvoir rannoncer officiellement. D'apres la tradition, c'est le Gole droit du Sauveur qui a recu le grand coup de lance, dont la pointe a penetre jusque dansson Goeur. Quoi qu'il en soit, la blessure a du elre large et profonde, pour que saint Tliomas aitpu y mettresa main. (Jean, 20, 27.)

B. Ueffet du coup de lance est que de 1'eau et du sang jaillissent du Cote de Jesus. (Jean, 19, 34.) Quele sang jaillisse,- c'est nalurel, puisque le sang, d'ordinaire, ne se coagule que quatre heures apres la mort ; mais qu^il soite aussi de Teau, et, d*apres letexte de FEvangile, c'estbien deTeau, cela serable un fait raerveilleux. D'ailleurs les saints Peres rexpliquent ainsi, et la maniere dontsaint Jean fait ressortir ce detail 1'indiqueassez. (JeaiN, 19, 35.) Mais, dans ce cas, la lance adu percer 1'enveloppe du Coeur de Jesus et meme probablement penetrer, au moins en partie dans Tinterieurde ce viscere.

III. Signification de l 'ouverture du Cote.

Les paroles de sainl Jean : « Ceci est arrive, afin que TEcri- ture soitaccomplie » (Jeax, 19,36. 37), montrenl qu'il s^agit ici de profonds mysteres et de grands desseins de Dieu.

A. En premier lieu, 1'ouverlure de son Cote est dans Tidee du Sauveur une preuveirrefutable de la verite et de la realile de sa mort. II est evident qu'elle doit resulter au raoins du coup de lance, et c'est le fait de la mort de Jesus que saint Jean veut prouver avant tout. Nous assistons donca lolTiande ouau sacri- fice de la derniere goulle de sang du Sauveur des hommes.

B. En second lieu, ce mystere est 1'accomplissement des

814 TROISIEME SEMAINE

propheties et la realisalion des figures de 1'Ancien Teslamenl.

Lecoup de lance a ete predil par le prophete Zacharie en ces termes : « Je repandrai sur la maison de David et sur les habi- tants de Jerusalem 1'espril de grace et de priere, et ils eleveront les yeux vers moi, vers Gelui qu'ils ont transperce. » Zack., 12, 10.) Ges paroles signifient : « Jehovah sera mis a mort par les Juifs, qui se retourneront ensuite vers lui par la foi et la peni- lence. » Geci a lieu d'abord au pied de la Croix de Jesus (Luc, 23, 43), puis se realisera particulierement le jour dela Pentecote (Act.,%, 37) elenfinala consommaliondes siecles. Quantaux figures bibliques, elles se realisenl egalement ici : d'abord, la figure du sacrifice de 1'Agneau pascal, dont les os ne sont pas brises et qui est apporle tout entier sur la table de famille. Cette inlegrile ne signifie pas seulement la parenle et runion des convives, du nombre desquels, pource motif, les etrangers sont 'exclus, raais encore leur commune participation ouleur commu- nion a 1'Agneau pascal entier et non divise. Nous sommesnous- memes parlicipants du Christ enlier, qui ne meurt plus et ne peut etre divise. (I Cor., 10, 16. 17 ; Exod., 12, 43-48 ; Nomb., 2, 21-24.) De plus, les sainls Peres et TEglise voient dans ce mystere la realisation de la figure d'Eve sortanl du cote d'Adam endormi (Gen., 2, 21-24) : c^est ainsi que la nouvelle Eve, 1'Eglise, est sortie du Gote du Sauveur mourant avec ses principaux Sacrements, le Bapleme et rEucharislie, que sym- bolisent Peau et le sang.

Eu Iroisieme lieu, il y a encore une signification mystique de ce mystere dans la relation qifil a avec les deux grandes devo- tions qui fleurironl plus tard dans TEglise, avec la devotion au precieux Sang de Jesus et avec la devotion a son sacre Gceur. Toutes deux, surtout la derniere, ont leur origine dans ce mystere. L'ouverlure du Cote du Sauveur est le dernier des mysteres douloureux ; alors la derniere goutte de son sang a ele versee, el le seul organe de son corps reste intact, son C'jeur, a ele sacrifie el detruit. Le coup de lance mel, pourainsi dire, a decouvert le Coeur de Jesus et le revele comme le siege de Tamour, qui a lout fait pour nous, comme le ressort de loule sa vie et le mobile de loutes ses aclions, comme lasource de toutes

i/OUVERTURE DU COTE DE JESUS 815

les vertus el detous les merites, corarae la victimede celaraour infini ; et, parce que c'est surloul ce Coeur qui a merite et ouvert en notre faveur le tresor des graces celesles, il semontre encore comme le precieux inslrument de rapplicalion des graces aux hommes qui onl pour lui une particuliere devolion. Cesl sans doute ici le lieu de nous offrir au Gceur de Jesus et de le remer- cier de lout ce qu'il a fail et souffert pour nous dans sa vie. Nous trouvons en cela des modeles dans la Mere de Dieu, saint Jean et les saintes femraes, reunis au pied de la Groix : ils contem- plent le mystere de 1'ouverture du Goeur de Jesus avec les sen- timenls les pltis profonds de la douleur, de la compassion, de 1'adoration, de l'amour et de la salisfaction ; et ils rendent ainsi au Gceur de Jesus lespremiers hommagespublics qu'il ait jamais recus. La devotion au Sacre-Goeur est donc revelee, etablie et renduepublique avec son objet ou le Ceeur materiel, entant que •symbole et siege de raraour..., avec ses touchants motifs..., et avec sa pralique, qui consiste dans Tamour et la satisfaction....

LA SEPULTURE

OIatth., 25, 57-61 ; Marc, 16, 42-47 ; Luc, 23, 50-53 ; Jean, 19, 38-42.)

I. Jesus est detache de la Croix.

A. Jesus est enleve de la Groix par les saints personnages Nicodeme et Joseph dWrimathie. Ge dernier est un homme riche (Matth., 27, 57), un membre considerable du sanhedrin (Marc, 15, 43) ; il jouit de lareputalion d'un homme juste (Luc, 23, 50); il atlend le Royaume de Dieu et est un disciple secret de Jesus (Jean, 19, 38; Matth., 27, 57); h la suite de la condamnation illegale du Messie, il a rompu onverlement avecle parli ennemi de Jesus (Luc, 23, 51). Ge premier pas annonce qu'il ne s'arre- lera pas la. Joseph veut donnerune sepullure honorable au Sau- veur et le deposer dans son propre tombeau, en face du lieu cTexeculion ou du Calvaire. (Matth., 27, 60.)C'est pourquoi il a 1'audace cLaller trouver Pilate (Marc, 15, -43), pour lui demander le cadavre de Jesus aunom de la famille et des amis de celui-ci. (Jean, 19, 38.) Gette demande peul se faire d'apres le droit romain. Pilale s^tonne de ce que Jesus est deja mort, puisqu'il vient d^accorder aux Juifs la permission de lui briser les jambes sur la Groix. (Jean. 19, 31.) Sur raffirmation du cenlurion de garde qui cerlifie que le Christ est mort, Pilate donne graluite- menl a Joseph d^Arimalhie le corps de Notre-Seigneur et enjoint de le lui livrer. (Marc, 15, 4i. 45; Jean, 19, 38.) Alors Joseph achete du linge fin de 1'Inde, comme celui que porlent les pretres et les riches, et se met en devoir avec ses serviteurs d'executer son pieux dessein. (Marc, 15, 46.)

LA SEPULTURE 817

Nicodeme est egalement disciple de Jesus (Jean, 19, 29), docleur de la loi et mailre en Israel (Jean, 3, 1. 10). II veut, lui aussi, prendre part a la bonne ceuvre, et il achele pour l'embau- memenl du Sauveur cent livres de parfum, d'aloes, de myrrhe el d*aromales.

B. Jesus esldetache delaCroix par Joseph d*Arimalhie et Nicodeme personnellement, aides de leurs serviteursel des amis du Sauveur ; ils le delachenl avec un grand soin, le plus profond respect et une sincere compassion, surtout lorsqiuls voient comme son corps a ete horriblemenl abime et ravage. II n"y a pas de Pretre qui traile les Sacremenls avec plus d'egard et de reverence que ces sainls personnages n*onl traile le corps du Christ. Gombien ces hommes doivent donc nous elre chers a cause de leur amour pour le Sauveur et pour sa Mere, de leur liberalite et de leur courage ! Ils font volontiers le sacrifice non seulemenl de leurs richesses, mais encore de leurs personnes. II faul en realiteplus queducourage pouragir de celtesorte dans les circonstances ou ils se trouvenl. Ils font une vraie contre- manifeslalion en face des grands pretres et du sanhedrin. Leur belle et courageuse aclion est sans doute deja un des fruils de la mort de Jesus, et le resultal de la douceur et de la patience avec lesquelles il les a si longtemps supporles : jusque-la ils ne se sont jamais monlres ouvertement ses disciples et ses amis.

C. D*apres la tradilion, le corps de Jesus, detache de la Croix, esl mis sur le sein et entre les bras de sa Mere. Celte tradition ne renferme rien que de juste el de raisonnable : le corps du Fils appartienl a sa Mere. Et que fail alors Marie? Elle considere, de tres pres, les plaies horribles de Jesus... Et a quoi pense-t-elle? Aux heureux temps d'autrefois, a la noblesse el a la majeste de 1'humanite de son Fils, aux jours de vie paisible el inlime passes a Nazarelh el a Belhleem, a la beaule el a 1'amabilile de rEnfanl-Jesus, quand il reposait enlre ses bras. El qifeprouve-elle? Elle senl la poinle aceree du glaive de Simeon (Luc, 2, 35) : elle eprouve une douleur, et une douleur iodicible, en meme lemps qu'un immense amour pour Jesus et pour nous. Que lui disenl toules ces blessures, sinon 1'amour de son Fils pour les hommes, qui sonl le prix de sa vie

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et de sa Passion? Gommenl peut-elle nous oublier el ne pas aimer ceux donl les noms sont graves, en trails profonds et douloureux, dans le plus intime de son cceurde Mere? Mais nous ne devons pas nou plus nous-mernes roublier. Aussi long- temps qifune Groix se dressera sur le monde, la devotion ou ramour i\ la M»'Te de Dieu ne cessera d'exister. Quiconque passe devant la Groix el voit le cadavre de Jesus sur le sein de sa Mere doit penser el parler aiusi : « Vous etes benie enlre toutes les femmes, 6 Marie, et beni soit le Seigneurqui a reuclu votre nom si celebre que les hommes, au souvenir de la puissance de Dieu, ne cesseront jamais de vous louer! Votis n'avez point craint dexposer votre vie,en voyant 1'extreme affliction de votre peuple; mais vous vous eles presenlee devanl Dieu pour empe- cher sa ruine, » (Jlditu, 13, 23-25.)

II. Embaumement de Jesus.

A. Maintenanl les hommes porlent le corps de Jesus sur la pierre dite de Yonction, que l'on venere encore aujourd'hui dans Teglise du Saiul-Sepulcre. La ils disposenl tout pour Pembaunier snivanl la coutume juive. (Jean, 19, 40.) Us lavenl le corps (Acl., 9, 37), renveloppent d'un linceul (Marc, lo,46)r mettenl entre le corps et . les bandelettes des aromates, des bou- quets d'herbes odoranles, et imbibenl les linges de parfums (Jean, 19, 40) ; ils terminent en enveloppanl sa tete d'un voile (Jean, 20, 7).

B. Ges pieux personnages, amis de Jesus, fonl toul cela pour Thonorer et lui donner une sepullure digne de son rangr et aussi de leur condilion, digne de lui et digne d'eux. Les aro- mates qu'ils emploient doivent servir egalement a eloigner, le plus longlemps possible, du corps de Jesus, la corruption du tombeau.

III. La mise au tombeau.

A. Apres rembaumement on se dispose aussitot a metlre ie Sauveur an lombeau, parce que le tem.ps presse el quele soir arrive. (Matth., 27, 57.) Le sepulcre, que Joseph d'Arimatl)ie

L.\ SEPULTURE 819

a fait tailler clans le roc de son jardin, est entierement nt-ul (Matth., 27, 60), a quelques minutes de dislance dulieu de 1'exe- cution, dans la direction du nord-ouest : on y arrive par iw&e excavalion entre le rocher du Calvaire et la hauteur opposee. II se compose de deux parlies ou deux grotles, donl la premiere serl de vestibule a rautre, & la chambre sepulcrale proprement dite, &u se Irouve le tombeau. Le lombeau est place a droite de la ported^nlree, laquelle esttres basse. Le sepulcre duSeigneur est donc dignc de lui ; c'est en meme temps un sepulcre d'ami, qui lemoigne par la de la pauvrete de Jesus et de 1'amour des siens. Cest dans ce lieu que les hommes apporlent le corps de Jesus ; ils sont accompagnes de Marie, sa Mere, de saint Jean et des sainles femmes. Leur douleur et leur tristesse a lous sonl grandes, et leurs sentiments ont ete exprimes depuis long- temps par le Prophete : « Ils pleureront sur lui (Jehovah) comme sur un fils unique, et ils sWfligeronl a son sujet, comme on s'afflige a la mort d'un fils aine. En ce temps-la, il y aura un grand deuil dans Jerusalem, tel que ful celui de la ville d'Ada- dremmon, dans la plaine de Mageddon. Tout le pays sera dans les larmes : les familles iront k part, et les femmes iront a part pour pleurer dans les rues et sur les places publiqi.es. » (Zach., 12, 10-12.) Les saintes femmes n'ont pas pu, ce semble, entrer dans le sepulcre a cause de son exiguite, et elles se conlenlerent d'y regarder du dehors. (Luc, 23, 55.) LeSauveur a donc trouve enfin le lieu de son repos. Une grosse pierre est roulee devant rouverture du tombeau, et la Mere de Jesus reprend loule triste le chemin de la monlagne de Sion.

B. La sepullure du Christ a un triple but ou une triple portee : En premiev lieu*, elte est une preuve nouvelle et serieuse de la verilable mort de Jesus ; sanscela, les siens, particuliere- ment sa Mere, ne le laisseraient pas ensevelir : le coeur et Toeil d'une mere ne se trompent pas, surtout en pareille circonstance. En secoml lieu, par la sepullure de Jesus el son sejour dans le tombeau sonl realisees les figures et accomplies les prophe- ties : d^abord et avanl tout, la prediclion faite par Jesus aux Juifs eux-memes : Generatio mala et adullera sigmun quaerit : et signum non dubitur ei, nisi signum Jon;e prophetse... (Matth.,

820 TROISIEME SEMALNE

12, 39. 40 ; Jean, 2, 19) ; ensuile, la prophelie dlsaie (53, 9) : Et dabit impios pro sepullura et divilem pro morte sua; c'est- a-dire, on lui deslinera une sepulture parmi les scelerals, mais c'est chez un riclie qu'il aura son tombeau. La sepullure de Jesus a une troisieme signification mystique : Le Messie veut encore faire la derniere station de Pexistence humaine, la sanc- lifier de sa presence et la remplir de consolation et de merites, en deposant dans la demeure de la mort le germe de la vie et en y laissanl croitre 1'arbre de limmortalile. Saint Paul voil aussi dans la sepullure du Seigneur un modele de la mort com- plele au peche, qui nous prepare la glorieuse Resurrection. {liom., 0, 4 ; CoL, 2, 12.)

APPLICATION DES SENS

A. II y a trois heures environ que Jesus esl suspendu a la Croix, et qui peut comprendre les douleurs et les peines qu'il y endure! Un coup d'ocil rapide suffit pour nous donner une idee de ses soufTiances corporelles, de son multiple martyre. II esl la, elendu sur un bois dur el rude, sur le lil horrible de la Croix ; ses epaules el son dos sonl ecorches ; il n'est qifune plaie depuis le sommel de la lete jusqu'a la planle des pieds ; il est suspendu sur des blessures vives ; un clou de couleur noire est fixe dans ses pieds reunis et dans chacune de ses mains, qu'il brule vivemenl ; sur sa lele et dans ses tempes les pointes des epines font TelTel de veritables poinles de feu. On voit decouler de sa tete, penchee surla poilrine, du sang qui remplil les caviles de ses yeux, ses cheveux, sa barbe et sa bouche douloureuse- menl enli^ouverle el languissanle ; il ne peut relever celle tete sacree qu'avec une peine indicible a cause de Tatfreux cercle d'epines qui rentoure. Ses membres sontallonges avec violence, et tous ses muscles sont tellement lendus qifon peul compter tous ses os. Lesang jaillil de ses mains dontles blessuress^elar- gissent, el le terrible clou qui allache ses pieds fail couler du sang le long de la Croix. Tout son Corps esl couvert de raies livides, de taches et d^ndures brunes et bleues, et d^ecorchures

APPUCATION DES SE.NS : LA CROIX..., LA SEPULTURE 821

sanglantes. Des crevasses se produisent aux endroils blesses par suite de la forle lension des membres, et repandent du sang rouge. Ses poumons renferment une trop grande abondance de sang et fonclionnenl avec difficulle ; son coeur bat peniblement, et Thorrible oppression de sa poitrine Iui cause une angoisse el un mal mortels. Aux lempes et a la nuque il eprouve une douleur sourde et poignante ; il souffre au frontdTine inflamma- tion intolerable, et ses blessures sans nombre, exposees a 1'air, lui causent a la fin une douleur cuisante qui esl exlreme. A cause des vives douleurs de ses membres et de 1'ouverlure de ses plaies, exposees au grand air, il eprouve des frissons dans toul son corps qui tremble de fievre, et une soif ardente le devore. Ses levres sonl dessechees, sa langue esl comme carbo- nisee, el son gosier el son palais sonl loul en feu. II demande a boire el on ne lui apporle que quelques goulles de vinaigre. Voila, dans sa necessile extreme, sa soif brutante el mortelle, le rafraicbissemenl de Celui qui donne aux hommes loul en sur- abondance, les sources d'eau et les breuvages reconforlanls : il ne recoil meme pas un verre d'eau !

El de meme que tout en lui est source de souffrance, ainsi lout autour de lui esl cause de douleurs. Jesus esi repousse par la lerre et n'esl pas accueilli par le ciel. Les derniers liens qui rallachenl a la lerre sont brises. Ses velemenls sont parlages, sa propre Mere ne lui apparlient plus ; toulle monde l'a abandoniie : ses Apolres sonl loin, ses disciples 1'onl trahi ou sont disperses, el lout le peuple l'a reprouve. II n'a aulour de lui, aussi loin qu'il regarde, qif tme masse d'ennemis, d'hommes qui le haTs- sent el le tourmenlenl, se rejouissenlde son malheur, l'insultent el le meprisenl. Du haul de la Groix, sesyeux ne renconlrent que des visages contents de ses soulTrances, des regards moqueurs, des poings menacanls et des gesles furieux. Tout ce qifil voil et entend, ifesl pour lui qifamere affliclion et raillerie sanglanle, el est inspire el anime par 1'esprit de haine el de vengeance. Le pelit cercle de ses amis fideles se lienl a 1'ecart, et ne peul faire autre chose qifaugmenter ses douleurs par le spectacle de leur attachemenl, de leur perplexite el de leur Irislesse. Comme leur aflliclion va droil a son Cceur !

822 TROISIEME SEMAINE

De la terre il ne recoit aucune consolalion, mais seulement de la douleur et des peines, et le ciel est d'airain pour lui. Inlerieu- remenl et exterieurement il est enveloppe de tenebres : au debors, robscurile, causee par 1'eclipse du soleil, et, au dedans, l'abandon absolu de Dieu sont des poids qui pesent lourdement surtout son elre. II estsur laGroix tout a fait seul et desole, souf- frant tout ce qifun bomme malbeureux, afflige et brise, peut souffrir, en un mot abandonne du ciel et de la lerre : il est dans 1'etat de 1'homme, au milieu du desert de 1'epreuve, a qui la foi, 1'esperance et la charile reslent, mais depouillees el les mains vides, n'offrant ni recompenses, ni consolations, ni jouissances, et obligees, pour ainsi dire, de vivre d'elles seules avec une torlure infinie. Jesus exprime bien ce delaissement dans le cri : « Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonne? » Mais il compose de cet abandon absolu le plus ricbe tresor ; en effet, il loflre alors, avec sa vie et sa Passion, au Pere celeste en notre faveur, afin que personne ne tombe dans le desespoir, malgre les lenebres, 1'absence de toute lumiere el de toute consolalion. L'homme, uni au Christ par la grace, la foi et la charite, n'est jamais seul ni abandonne, meme dans les moments les plus criliques et les plus lerribles heures de la desolatiou. Jesus veul souffrir cette detresse, ce delaissement exterieur et interieur, quand il est plonge dans 1'abime des tenebres de la derniere agonie. Lui, la Lumiere, la Yoie et la Yerite, parcourt ce cbemin obscur, en le benissant et en en surmontant loules les frayeurs, et il y dresse sa Groix. II pousse alors son cri de delresse, mais c'est pour donnera tous les aftliges du monde, qui reconnaissent Dieu pour leur Pere, la liberte d'exprimer leurs plainles confiantes et filiales. Aucun homme ne peut etre delaissec omme Jesus l'est a celte heure : il esl tellemenl hai' que presque tout le monde lui fait du mal, tellement meprise que personne ne veut lui faire du bien, lellement abandonne que Dieu lui-meme semble ne vou- loir savoir rien de lui ; et il souflre ainsi au moment rueme ou il donne a Dieu la plus grande preuve de son amour et ou il se sacrifie entierement pour son bonneur et pour sa gloire !

II y a deja pres de trois longues beures que Jesus est sur la Groix. Le denouement approche. Son corps commence

APPLICATION DES SENS : LA CROIX..., LA SEPULTUKE 8:23

a s'alTaisser, comme si les clous ne voulaienl plus le porler. Ildevienl toujours plus blanc, et les ruisseaux de sang prennenl une teinte plus foncee et plus vive. Son visage est plus pale, les traits en sont moins prononces, ils s'allongent et s'effi- lent, ses joues se creusent, et ses yeux congestionnes regardent fixement devant lui. II garde le silence, et pendant les colloques niysterieuxqifilaavec son Pere, la mort arrive. En ce moment il leve avec peine sa tete couronnee d'epines et dit : « Tout est consotiime », et, apres un court intervalle, il ajoule cFune voix pnissanle : « Pere, je remets mon ame entre vos mains. » L'agonie commence. Une sueur froide sort de tous les membres de Jesus ; la pale couleur de la morl se repand sur tout son Corps, el il tremble de douleur. Ses mains, crispees autour de la lete des clous, s^ouvrenl et se portent en avant ; ses bras s'allon- gent ; toul le poids de son Corps tombe sur ses pieds ; ses genoux se plient et ses jambes tournent du meme cole, faisant ainsi quelque peu pivoter ses pieds sur le clou qui les attache a la Groix. Sa tete tombe sur sa poitrine; ses levres, bleuatres et pendantes, laissent voir dans une bouche ouverte sa langue ensanglantee ; il pousse u\\ profond soupir et rend raine. Alors son ame, libre et transfiguree, descend aux limbes, brillanle comme 1'eclair. Le dernier objet qui frappe les yeux mourants du Seigneur est la figure de sa sainte Mere, comme elle avait ete lepremier objetqifavaient rencontreses yeux a savenuedans le monde. Mais c'est avec gravile, avecprofondeurel avec epou- vante que le regard de Jesus penelre dans le Coeur de Marie : c'est le regard du Sauveur des hommes, mourant pour leurs peches, qui transperce lYime de sa Mere, comme l'a predit le vieillard Simeon. En meme temps commence dans le temple rimmolation de 1'agneau pascal ; on enlend retentir et se pro- longer, sous les portiques sacres, le son plainlif des Irompetles, lesquelles, avec le grand cri de Jesus expiranf, annoncent au ciel, a la terre et aux enfers que le veritable Agneau pascal est immole. A la derniere exclamation du Sauveui, une douleur poignante saisit tous ses fideles amis. Les mains de Marie se raidissent, ses yeux, qifa rencontres le dernier regard de son Fils, s'obscurcissent, une paleur morlelle couvre son visage et

824 TROISIEME SEMAINE

ses pieds chancellenl avec la terre,qui, alors meme, en s'agitant et en tremblanl, reconnail son Seigneur el son Maitre. Jean et les saintes femmes lomhenl le visage contre lerre ; et la nature en cleuil enleud avec crainte et effroi, avec des convulsions ter- ribles, rouverture bruyanle de ses abimes, le temoignage et les avertissemenls de son Dieu. Le centurion est a cheval tout pres de la Croix, qu'il ne quitle pas des yeux : il regarde grave et erau le visage couronned'epines du Seigneur. Mais au cri puissant de Jesus et a la vue des evenemenls merveilleux qui s'accomplis- sent, il esl toul bouleverse, la lumiere de la grace entre dans son ame, el, se frappant la poilrine, il s'ecrie : « En verite, cet homme esl un Juste, il esl Fils de Dieu. » Quanl au peuple, qui se trouve dans le voisinage el sur les hauleurs environnanles, il est suhitement frappe de lerreur ; il se frappe lui aussi la poi- trine, pousse des lamentalions el s'enfuit du cote de la ville a travers la vallee. Lorsque la Mere de Jesus rouvre les yeux, elle apercoit le Corps de son Fils, ce vase sacre fait de son sang par rEsprit-Sainl ; elle le voil depouille de tout ornemenl, sans aucune forme, prive de sa sainte ame, ahandonne aux lois de la nature, dontil est le Createur, el ahime el detruil par les mains de ceux qu'il est venu sauver. Repousse, meprise, raille, pareil h un lepreux, le Saint des Sainls, le Dieu de toule beaute, de toute verile et de tout amour, esl suspendu a une Groix entre deux assassins! Mais, malgre sa difformile, le Gorps de Nolre- Seigneur offre un spectacle qui n'en est pas moins infmiment beauettouchanl, el ilapparail loujours commele verilable Gorps du Fils de Dieu.

B. Apres la morl de Jesus, les tenebres se dissipent peu a peu, el le soleil couchant eclaire de ses derniers rayons le rocher du Galvaire, les croix et les victimes, ainsi que les som- mels des collines el des monlagnes environnanles. Un posle de soldats romains est encore de garde aux pieds des croix, et les amis de Jesus sont assis ou dehoul pres de la sienne, plonges dans la plus affreuse trislesse. En ce moment arrivent de Jerusa- lem des archers, porlant des echelles et des massues ; Pilate les a envoyes, a la priere des Juifs, pour briser les bras et les jambes des crucifies : c'esl le moyen de les achever. On pourra

APPLICATION DES SENS : LA CROIX..., LA SEPULTURE 825

ensuite les enlever et les metlre ensemble dans une fosse au pied du Galvaire, elainsi lasainlete du grand sabbat iTaura rien a souffrir de 1'horreur d'un pareil spectacle. Les bourreaux se mettent aussitot a leur oeuvre horrible et meurlriere : ils com- mencent par briser Ies deux jambes des larrons, qui poussent alors des gemissements et des cris de douleur ; puis ils enfoncent violemment leur lance dans la poilrine de ces inforlunes. La Mere de Jesus et sacompagnie sonlepouvantees de ce speclacle. Les archers ayant defail les liens qui attachent les larrons a la croix, les cadavres de ceux-ci lombent a terre. Ils s'approchent ensuite de Jesus, dont ils touchent el secouent Ie Corps avec leurs massues. A la demande supplianle de sa Mere et sur les observations de sainl Jean qui leurdit que le Christ esl deja mort, ils s'eloignent momentanemenl en trainant les corps des larrons au bas de la colline, jusque dans la fosse qui s'y trouve. Marie et sa suile les regardent avec epouvante et horreur et craignenl qu'ils ne reviennent pour faire subir les memes avanies au Corps de Jesus. Mais Dieu endispose autremenl. L'officier de service, nomme Longin, qui est a cheval, s'elance subitement et contre loule atlenle, comme s'il elait inspiie d'En-haut, dans la direclion de la Croix de Jesus, donl il perce le cote droit de la poilrine d'un coup de lance si violent que le Coeur en est traverce. Quand il retire vivement sa lance, il sort de la large blessure une grande quanlile de sang el d'eau qui inonde le rocher. II est probable que ce soldat n'a fait, en cette circonslance, qifobeir a sa consigne, pour pouvoir dans son rapport officiel affirmer avec certilude la verite de la mort de Jesus ; peul-elre aussi a-l-il agi ainsi par pilie et compassion pour le Sauveur, afin de preserver son Corps des outrages des bourreaux. En tout cas, il accomplit la prophetie qui, depuis longlemps, annoncait quaucun des os du Messie ne serait brise el qu'il serait Iransperce d'un coup de lance. Suivant la tradi- tion, Longin est gueri de la maladie d'yeux donl il souffre par Taspersion des goultes de sang qui tombent alors sur lui, et, comme le cenlurion, il se mel a genoux pour adorer Celui qu'il reconnail pour le Fils de Dieu. La Mere de Jesus, sainl Jean et les saintes Femmes ont vu avec effroi 1'aclion soudaine el vio-

S26 TROISIEME SEMAINE

lente de Longin, et ils se sont tons precipites vers la Croix du Messie, en ponssanl ensemble nn cri de douleur. Lame de Marie a senli profondemenl le fer du terrible coup de lance, comme si elle en avait ete transpercee en realite. Emotionnes ■d'une facon extraordinaire, ils se jeltent tous a genoux pour recueillir avec des linges le sang du Sauveur qui s^amasse dans une excavation de rocher. Le double miracle opere en faveurde Longin les remplit de consolation, mais c'est avec peine et tris- tesse qifils regardent la plaie aflreusequi a entr^ouvert le Goeur si saint, si eher, si fulele et si noble de Jesus. Mainlenanl le sacrifice est complet : tout est detruit, et la derniere goulte de sang est repandue.

C. Pendant ce lemps, Joseph dArimalhie a obtenu de Pilate le Corps du Sauveur el toutes les permissions pour le meltre au tombeau. Tandis qifavee Xicodeme il fait des empleltes pour rembaumement, ses domestiques nettoient le sepulcre et annoncent aux amis qui sont sur le Calvaire que leur maitre se charge de la sepulture de Jesus. Cette nouvelle console la Mere de Dieu, qui est dans le plus lamentable etat. En effet, que peut- «lle faire en faveur de son Fils? Elle ne peut et elle ne doit pas 1'enlever de la Croix : le Corps de Jesus ne lui appartient plus ; il est la propriete de Pilate et des Juifs. Toules les demandes etles demarches qifelle pourrait faire ne lui altireraient que des avanies ou des traitemenls indignes. A tout instant, elle craint que les archers ne reviennent et ne Irainent le cadavre de son Fils a travers les rochers. D^illeurs, elle if a pas de sepulcre a lui olTrir. Marie a toujours ete pauvre, pauvre a Bethleem et pauvre en Egypte ; mais au moins elle pouvait alors lui presen- ter ses bras ; aiijourdhui c^est impossible. Jamais elle n'a res- senti aussi vivement les elTets de la pauvrete qif en ce moment ou elle se trouve en presence du Cada\re de son Fils. Mais la charile et le devouement de Joseph d'Arimalhie etdeNicodeme la delivrent de toutes ces angoisses poignantes.

Ces deux saints personnages arrivent bientotavecleurs servi- teurs, qui portent des echelles, des outils et tout ce qifil faut pour enterrer un corps. Ils informent Longin de fordre de Pilate, et ce brave officier leur offre aussitot ses services pour

APPLICATION DES SENS I LA CROIX..., LA SEPULTlTiE 8^27

]e detachemenl de Jesus de la Croix. Avec quel respect et quelle conipassion Joseph et Nicodeme ne saluent-ils pas la Mere de leur Dieu ; et quelle est leur douleur et leur uffliction en aper- cevant pour la premiere fois le Gorps pale et si indignement maltraile de leur bon Maitre ! Apres Tavoir adore, ils montent aussilul sur les echelles pour commencer leur affligeante mais bien douce ceuvre de charite. Les clous sont enleves, passes de main en main, jusqtfa ce qu'ils parviennent a la Mere du Sau- veur! Enfin, c^est le tour du Corps de Jesus, reai dans un drap, et traite avec les plus grands egards et porte avec les plusgrands soins enlre les bras de Josepli dWrimatbie, de Nicodeme et de sainl Jean... Ceux-ci font tout avec tant de precaulion qu'on dirait qtrils transportent un ami tres cber, gravement blesse, et ils sont penetres des sentiments d'un amour indicible et d'une veneration qu'ils n'avaient jamais eus pendant la vie de leur Maitre. Tout absorbees dans leur contemplation, les saintes femmes regardenl le Corps du Sauveur que leurs amis deta- chenl : elles suiventdes yeux chacun de ses mouvements ; elles •elevent les mains, elles pleureni, elles donnent tous les signes de la douleur et de la sollicitude les plus grandes ; mais elles gardent toules le silence. Quant aux hommes, ils parlent avec •le plus profond respect, comme s'ils remplissaient une fonction sacree, el seulement en peu de mols et a demi-voix, pour se demander entre eux les services necessaires.

La Mere de Dieu s'assied par terre sur une couverture ; elle n'etend pas complelement sa jambe droite et appuie son dos contre un coussin. Le Corps de Jesus est place sur la couverture ; sa lete repose sur le genou a demi releve de Marie. Celle-ci «st enfin de nouveau en possession de son Fils; elle constate de ses yeux les mauvaistraitements dont il a ele 1'objel. et les bles- sures cruelles qifon lui a faites ; et aussitot elle se mel a lui pro- diguer ses soins et a le purifier de ses souillures. Elle defait riiorrible couronne d'epines et la met de cote. On peut a peine reconnaitre le visage de Jesus, tellement il est defigure par le sang et les plaies. Marie lave ce Chef et ce visage sacres, enleve doucement avecdes eponges humides le sang desseche dans ses cheveux el sur ses yeux eteints; elle neltoie la bouche beanle

828 TROISIEME SEMAIINE

de Jestis, ainsi que sa langue, el separe en deux le peu de che- veux qui lui restent. Ensuile elle s'occupe des epaules, de la poi- trine et des mains, quisontdechirees el couvertes de sang. Tous les os de la poitrine sont disloques et tous les muscles en sont dislendus et raidis ; 1'epaule droite presente une tres grande blessure, le dos esl tout dechire, el sur le cote droit apparail la plaie large et ouverte, faite par le coup de lance. Quand le-Gorps du Sauveur est lave et purifie, on voit qu'il ne renferme plus de sang : sa chaira une couleur blanche el bleuatre ; on y remarque parloul des cicatrices el des raies nombreuses de sang coagule. Jesus esl ainsi sur le sein de Marie, sa Mere ; et, en ce moment, elle commence a oindre otta remplir d^aromates les blessures de son Fils el a repandre sur sa tAte un parfum precienx. Apres, elle enveloppe ce Clief sacre avec des bandes de toile, ferme la bouclie el les yeux de Jesus, sur lesquels elle appuie quelque temps les mains, embrasse le Corps de son Fils et laisse en pleuranl sa tete relomber sur la sienne. Sans doute elle se lap- pelle alors les lieureux lemps ou, pelil Enfanl tout aimable, elle lui prodiguait de semblables caresses el lui rendail ses mater- nels services. Qui peul comprendre la douleur et ramour de Marie en cetle circonslance, son amour pour son Fils el son amour pour nous ? Elle ne s'irrite pas conlre nous. Elle nous a donne Jesus, le plus beau et le plus aimable des enfants des hommes, le siege et le tresor de toule beaule, de toute verite et de lotit amour, et elle nous l'a donne pour faire nolre joie et servir nos inte"rels. Et en quel elat elle le recoit aujourd'hui ? 11 est pauvre, il esl mis en pieces, et son Cadavre esl mutile : voila comment 1'Enfant de Belhleem revient sur le sein et sur les genoux de sa Mere ! Mais comme les bras de Jesus en ce moment se levent d^une lout autre maniere qu'a sa naissance dans Telable de Belhleem ! Ils sont cruellemenl disloques et raidis par Tagonie qu'il a soutTerle, de telle sorte qu'ils ne se laissenl plier qu'avec une grande difficulte. II garde encore Talli- tude d'un Crucifie sur le sein el dans les bras de sa Mere ! Mais de quoi parlent a Marie loutes les blessures de Jesus si ce n'est de son amotir pour nous? Nous sommes le prix des blessures et de la vie de son divin Fils. Tous nos noms, on peul le dire, sont

APPLICYTION* DES SENS \ LA CROIX..., L/V SEPULTLRE 829

graves dans' le Goeur de Marie au fond des milliers de blessures dont il est dechire. Gommenl pourrait-elle donc nous oublier et ne pas nous airaer?

Nicodeme et Joseph dWrimathie s'approchenl, prennent le Corpsdu Sauveur el fe portentsur la couverlure 011 il se trouve, jusqifa la pierre dite de l'onction, qui est un rocher plat et uni. La ils le lavent encore une fois, peul-etre avec de 1'eau de myrrhe, el ils rentourent de toile et de bandes de linge fin. Enlre le linge et le Gorps ils placent des aromates, des bouquets d'herbes odoriferanles, et ils imbibent meme les linges d'eaux parfumees. II est vraisemblable que les sainles femraes ont conduit Marie jusqifa cet endroit. Les bras de Jesus sonl croises sur sa poitrine, el tout son Gorps esl enveloppe dans un grand drap. Cest sa Mere elle-meme qui couvre sa tete d'un voile et qui rabal 1'extremite du drap jusque sur ses epaules. On peut dire en verite qu'alors le Soleil de sa vie vient de se coucher. La Iradilion rapporle qifon vit, avant de 1'ensevelir, sur le grand drap qui enveloppait le Corps du Christ, une image qui le representait loul entier avec toutes ses blessures ; on en voit encore aujourd'hui une semblable a Chambery. A ce spectacle inaltendu tous s'elonnent, embrassent en pleurant et en se lamenlant le Gorps sacre de Jesus : c'esl, de sa parl, la recom- pense de leurs soins charilables el la reconnaissance de toul leur devouement.

11 peul bien etre environ cinq heures du soir, quand les hommes metlenl le Gorps de Jesus sur une civiere et le trans- porlent a quatre, aides de saint Jean et peut-elre aussi de quelques soldals, a travers le chemin de la monlagne jusqifau bas du Galvaire : ils se rendent dans le jardin de Joseph d'Ari- malhie, a 1'endroit ou se Irouve le sepulcre. La Mere de Dieu les suil avec les saintes femmes et les servileurs. Ces quelques ames fideles accompagnenl le Crealeur du monde jusqifa son tombeau, c'i une tres pelile dislance de la ville. Jerusalem, a celte heure, commence a s'envelopper de tenebres et esllivree a ses remords el a ses angoisses morlelles ; elle ne vienl pas troubler Jesus pendanl qifil se rend a sa derniere demeure. Mais comme cetle marche funebre est trisle el dechirante pour

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le Goeur de Marie ! Elle la mene a la separation definilive. Le sepulcre est silue dans la direclion du nord-ouest, en face du rocher du Calvaire ; il est creuse dans la roche vive et enloure, selon la coutume aimee des Juifs, de palmiers, d'oliviers et de balsamiers, de bosquels et de fleurs. 11 se compose de deux parties,d'uu vestibule et de la chambre mortuaire,dans laquelle on ne peut enlrer qifen se baissant. Arrives pres du sepulcre, les hommes prennenl le Corps du Sauveur et le portent dans la chambre morluaire pour le deposer dans Ie tombeau propre- ment dit. Le tombeau est a la droite de la porte d'enlree de la chambre, et forme d"une longue pierre creuse, qu'on a garnie prealablement d'une couverture el d'une couche d'herbes et de feuillage. Les sainles femmes s'assoienl dans le vestibule en face de 1'enlree du sepulcre ; il n'y a que la Mere de Dieu qui y penetre. Marie se penche en pleurant sur le Corps de son Fils, maintenant dans son tombeau, et prend conge de lui. Les- hommes temoignent aussi a Jesus, avec des larmes et des embrassements, leur veneration et leur amour, avant de mettre une couverture sur son Gorps et de rouler une grosse pierre devant la porle de la chambre sepulcrale. A cause de robscurile, tout se fait a la lueur des torches. Desormais le Sauveur a trouve le lieu de son repos : on ne peut pas dire la meme chose de sa Mere. Elle reprend le chemin de la ville, chemin d'aban- don et d'isolemenl infinis. Elle n'a vraiment plus de patrie. Comme un navire sans voile ni gouvernail, elle se dirige avec les saintes femmes du cole de sa demeure sur la monlagne de Sion.

SOUS LA CROIX

Coup d'oeil retrospectif sur la vie de Jesus.

Representons-uous au pied de la Groix, sur le Galvaire, et considerons dela, premierement, lavie du Sauveur, et, deuxie- mement, la maniere dont nolre vie doit correspondre a la sienne.

I. Revue de la vie de Jesus.

A. Gomment la vie de Jesus s'offre-t-elle a nous sous son cole exterieur ? Ici, a quelques lieures du Calvaire, est situee la charmante pelile ville de Bethleem, ou Jesus naquil dans une grande pauvrele et un graud ahandon, au milieu des lene- bres d'une nuit d'hiver, et eut une ereche pourberceau. Plus loin se trouve 1'Egypteavec son fleuve trouble et la magnificence de ses pyramides mysterieuses, au pied desquelles il a passe, comme une fleur chetive du desert, les premieres annees de sa jeunesse et mange le pain amer de l'e\il. La-bas, au nord, dans une vallee bien prolegee, se trouve 1'agreable Nazarelh, oii le Sauveur vecul, la plus grande parlie de son existeuce, d'uue vie de travail, de relraile et d'obeissance. Tout autour s'elendeut les campagnes rianles de la Galilee et les bords du Jourdain : c'est la qu'il a ele puissant en paroles el en ceuvres, dans sa doctrine et ses miracles, qu'il a ele suivi el honore par tout le peuple comme Prophete el comme le Messie. Mais c'est la aussi que 1'envie de ses ennemis a grandi avec sa reputation, qu'elle l'a poursuivi jusqu'a le faire perir ici meme aux porles de Jerusalem. Le lieude sa revelation, de sa plus grande gloire,

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est aussi le lieu de son ignominie. Son dernier voyage a ele la voie doulourense, laquelle aboulil a la montagnedu Calvaire,au lieu des executions, oii il a subi la morl la plus deshonorante et la plus cruelle ; et son tombeau esl seulement a quelques pas d'ici.

Voila, dans son ensemble el ses plus grands Irails, la vie de Jesus, consideree sous son c6le exlerieur. Qu'y voyons-nous partout? Principalement de la pauvrete, puis de robscurile, des humilialions, des souflVances ct du travail, d'abord du travail ordinaire et ensuite du travail apostolique. Et nous voyons loute cette vie se developper sans cesse jusqu'a atleindre les derniersdegres de 1'opprobre et de la souflrance, de la pau- vrele elderabandon sur 1'arbre de la Croix, oii il n'a pas, dans sa necessite exlrcme, un veired^eau a boire, ni un voile pour couvrir sa nudite. Sa Passion et sa mort onl ete le tombeau de son bonneur, comme elles ont ete le terme de son exislence terrestre. Que raconlenl a leurs compalrioles les pelerins de la fele pascale, quand ils sont de retour dans leur pays? Que c'est fini avec Jesus, quMl est enfin demasque, ayanl ete condamne partous les tribunaux comme faux propli^le et blaspbemateur. Ses ennemis Iriomplienl, ils ont oblenu tout ce qiVils voulaient. II est morl, enlerre el enseveli pour toujours. Si le ciel ne s'en mele pas, si Dieu lVinlervienl pas, c^en esl fail de lui el de son ceuvre.

B. Mais quel esl le cote interieur ou intime de celte vie extraordinaire? Quelles elaienl les inlentions qui animaient Jesus el quels elaient les motifs qui delerminaient les acles exterieurs de sa vie? Assurement ce n'elaient ni la passion ni la satisfaction nalurelles qui donnaient a celle existence son caractere et qui fixaienl ses choix el ses preferences. II suivait un plan bien combine, sublime et divin. Toule la parlie exte- rieure de sa vie, travail, pauvrete, souffrance, liumiliation et morl, represente seulement des moyens : ce n'est pas la fin ; c'est !a voie et non pas le terme. Le but est relablissement du Royaume de Dieu el roblention des grandes et belles clioses qui en resulteronl, c'esl-a-dire la gloire de Dieu el le salul des liommes, et la glorificalion de Jesus-Ghrist lui-meme. G'est k

SOUS LA CROIX 833

celle fin que sont ordonnes par Dieu les moyens : la pauvrele, la souffrance, riiumiliationetla mortdu Christ. « Semetipsumexi- nanivit formam servi accipiens... Propter quod et Deus exal- tavit illum et donavit illi nomen, quodest super omne nomen...» (Phil., 2, 7-12.) Du point ou nous nous Irouvons, toul s'har- monise et s'eclaire, lout concorde avec la raison el la foi. Sans ce but final, le Sauveur lui-meme n'aurail pas pu consentir a prendre le chemin de la Croix, le chemin de la honle et de la mort. Mais pour alteindre un but necessaire, grand et magni- fique, on peut accepter tout, souffrir tout el meme rechercher la douleur et la mort. Et c'est lii precisement la condilion de la vie du Sauveur : elle est selon la plus saine raison et la plus haute sagesse.

II. Conclusions.

Mainlenant, de quelle maniere repondre, de nolre cole, aux exigences de cette vie de Jesus, si ce ivest en nous determinant resolumenl et en travaillant de loutnolre pouvoir a 1'imiler el a conformer nolre propre vie ala sienne? La formule de celle con- formite est renfermee dans le troisieme Degre dJiumilile, lequel nous enseigne a choisir, par humilile et par amour pour le diviir Sauveur, ce qu'il a choisi lui-meme dans sa vie terrestre. Ge cboix regarde aussi bien les moyens a prendre que la fin a atleindre.

A. Le but et le devoir de la vie du Chrisl a ete la gloire de Dieu et le salut des hommes daus 1'Egliseel par TEglise, quiest le Royaume de Dieu ici-bas : tel doil etre aussi nolre bul. Assu- rement, il n'y a rien de plus necessaire, de plus sublime, de plus glorieux et de plus meritoire pour nous que de nous devouer au service de ce Royaume.

B. Mais, dans ce bul,ilnous fautaussi cboisir et employev les moyens que le Sauveur a employes lui-meme. Ces moyetrs sont le travail aposlolique, dont la fin est la diffusion de la con- naissanceet de ramour de Jesus par la foi et la grace. II y a encore les moyens plus personnels, tels que lamour de la pau- vrele, le detachemenl de loule chose temporelle, 1'amour de riuimilialion, de la souffrance, Tabnegalion el la mort, si Dieu

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834 TROISIEME SEMALXE

nous les demande. Et nous employons tous ces moyens par le double motif de l'humilite et de 1'amour, comrae le troisierae Degre d'humilile nous l'apprend. Et certes l'humilile, le peu d'estime de soi, ne doit pas etre separe de 1'amour pour le Sauveur. La raison en est simple : tout amour est sujet a cau- lion, illusoire ou trompeur, s'il n'a pour fondement le mepris de soi. Nous devons rougir d'etre mieux parlages ou traites que le Sauveur. Les?tto/i/sque nousavonsd'agirainsisont aunombre detrois : Premieremenl, c'est juste et raisonnable. Des le premier inslant de sa vie, Jesus se trouve a ce Degre et il y reste jusqifa la fin de sa vie. II ne fait attention ni a lui-meme, ni a ses inte- rels, ni a son honneur, ni a ses avantages temporels. II sacrifie tout pour nous avec une humilile et un amour incroyables. Gomme nous lui sommes redevables d'avoir pris celte voie et non pas une autre ! II aurait pu, sans danger et sans inconve- nient pour lui, suivre ici-bas le chemin de la gloire et de la for- tune. Mais ce chemin nous aurait ele funeste a nous-m^mes. Aujourd"hui encore, apres que le Sauveur a pris une voie tout opposee, nous avons bien de la peine de le suivre ; que serait-ce donc, si nous devions, dans notre existence, pratiquer la pau- vrete el 1'humilite, apres queJesus aurait meneune vie contraire a ces deuxvertus ?

Deuxiemement , il est noble et beau d'imiter la conduite du Sauveur, preciseinent parce que nous raontrons ainsi notre humilile el notre amour. Un serviteur qui; par amour pour son mailre, veut partager avec lui les mauvais jours, commeil a par- tage les heureux, meritenotre adrairation el presque notrevene- ralion. Se mepriser tout a fait el sincerement, dans tous les mauvais traileraenls el toutes les injuslices qu'on subit, dire du fond de son coeur : « Cest tres bien ; je ne suispas aplaindre », esl un fait exlraordinairement rare. Mais si, dans les persecu- lions et les manques d'egard dont nous sommes 1'objet el que nous souffrons meme avec patience, nous nous disons toujours a nous-memes, pauvres creatures que nous sommes : « Gertes, nous sommes a plaindre ; nous meritions d'^tre traites aulre- ment » , dans ce cas, c'est bien la voix de la nature qui se fait

SOLS LA CROIX 835

enlendre. Le Sauveur n'a pas parle ainsi. II disail au conlraire : « Le salut des hommes, raes freres, m^est plus cher que lout le resle; je nesuis pas a plaindre d'aucune facon. » Tel etaitaussi lelangage des Saints. Jamais ils n'accusaient les autres, el ils s'accusaienl loujours eux-memes. Getle conduite est inconce- vable et incoroprehensible pour 1'homme naturel : elle est en effet le depouillement enlier du vieil homme, la raort de regoisme, la victoire complete de Dieu en nous et la folie de rhumilite chretienne. C'esl de celte maniere que le mal, Tabces rongeur et enfiamme de notre nature corrompue est incise etouverl.

Troisiememenl, en agissant ainsi, nous y trouvons enfin notre plus grand avantage. D'abord, nous nous lenons a la plus grande distance possible du peche et du monde : le peche ne peul nous atleindre a cette hauleur, et le monde elouffe dans celle almo- sphere de purete et de saintete ; mais plus nous avons Tesprit du monde, plus le peche esl menacant pour nous. De plus, tout nous devient facile avec le troisieme Degre d'humilile, parce que riiumilile et ramour nous aident h sortir de tous les embarras et a triompher de loules les difficultes : en effet, toutes les diffi- cultes viennent apres lout de Testime de soi el de rattachement a soi. Lnfin, ramour reciproque de notre Sauveur nous recom- pense magnifiqueraent de ce que nous faisons pour lui. Nous sommes alors, pourainsi dire, transplantes en lui, identifies avec son Elre, avec son esprit ; nolre coeur bat a runisson du sien ; nous avons verilablemenl en nous les senliments de son Goeur. (Vhil., 2, 5.) La vraie vie esl venue en notre ame et nous sommes les amis, les disciples et les Apolres de Jesus. II n'y a rien de plus beau dans le Ghrislianisme que cet esprit d'amour, et il n'y a rien qui caracterise raieux 1'esprit de la Gompagnie de Jesus que le troisicme Degre d'humilile. Aussi la Compagnie de Jesus doil-elle elre le regiment particulier du Sauveur. Mon- trons nous donc dignes de cetle Gompagnie non seulement par notre exlerieur ou nolre uniforme, mais surlout par nos idees, et les sentimenls de notre coeur ! Nolre dfnise est : Ad convi- vendiun, ad commoriendum, ad conrerjnandum cnm Chrislo ! (II Tim., 2, 11. 12.) II nous faut maintenant demander avec fer- veur celle grande grfice au moyen du triple colloque...

LE GRAND SABBAT

(Matth., 2*, 62-66 ; Luc, 23. 56; Marc, 16. 1.

Le Sabbal est arrive : jourde silence, de deuil et d'esperance! Ce Samedi forme bien 1'intermediaire entre le Vendredi-Saintet le jour de Paques : il est comme le crepuscule du Vendredi- Sainl et 1'aube du Dimancbe de Paques. Un coup d'ceil sur Ia demeure de Marie dans la citadelle de Sion, sur le lombeau de Jesus el sur les limbes suffit pour nous rappeler et nous repre- senter les mysteres de ce jour.

I. La demeure de Marie sur la montagne de Sion.

A. L'edifice de la ville baule, dans les dependances duquel la Mere de Dieu a fixe sa demeure, renferme actuellement tout ce qui reste du college apostolique, et TEglise tout entiere. Les babitants en sont silencieux, tres silencieux. (Luc, 23, 56.) Ils ont beaucoup a penser, beaucoup a s'attrister et, plusieurs d'entre eux, beaucoup a se repentir. On ne voil que des yeux rouges de pleurs, on n'enlend que des soupirs etouffes : la tris- tesse est peinte sur tous les visages. On parle peu. Le jour pre- cedent, avec lous ses terribles evenements, obsede el oppresse lous les caours de la maniere la plus douloureuse. Le Sauveur avait souffert, etait morl el gisait, hi-bas, dans le sepulcre du rocher. Nous devrions nous-memes, a proprement parler, mener loujours une vie semblable a celle que menent maintenant les disciples de Jesus. Nous ne devrions jamais oublier que nolre bon Mailre a soufferl et est mort pour nous, si long que soil le

LE GR.VSD SABBAT 83"

temps qui nous separe de ces evenemenls : pour un coeur noble et aimanl, le souvenir cTun ami ou d'un bienfail ne doit jamais £tre indifferent.

B. Quelle consolation recoivent-ils, dansleurgrande peine, les habilants deceltedemeure,quijusqu'a lafin sonl restes fideles au divin Mailre : Jean, Madeleine et les saintes femmes...? Les disciples et les Apolres, apres s'etre disperses el caches, se retrouvent enfin. Ils se presenlent a la maison deMarie humilies et honteux, et demandent a entrer. Saint Jean et les autres personnes viennent a leur rencontre el les accueillent avec des paroles aimables el encourageanles. Pierre arrive a son tour et confesse sa faule en versant un lorrent de larmes. Mais tous les Apolres sonl tristes et inconsolables. (Marc, 16, 10.)Ilsn'osent penser ni au passe ni a lavenir. Qui est leur consolation et leur soutien dans leur affreuse situation? La Mere de Dieu. Mal- gre sa desolation absolue et sa douleur immense, elle est le calme, la fermete meme et la consolation de lous ; elle se monlre bien des lors la Mere, la vie, la douceur el Tesperance de 1'Eglise. Cest en souvenir de cet office de Gonsolatrice, rempli par Marie le Samedi-Saint, que le samedi de chaque semaine lui a ete specialement consacre.

G. Le soir du Sabbat, quand commence le premier jour de la semaine, una sabbatomm, les saintes femmes songenl de nouveau a offrir et a rendre leurs services au Seigneur. (Marc, 16, 1.) Elles achetent et preparenl des aromates pour completer rembaumemenl du Gorps de Jesus ; car elles en onl ete empe- chees la veille par 1'approche du Grand Sabbat. (Luc, 23, 54. C'est ainsi qu'une bonne action sert de stimulant a une aulre et fait trouver du plaisir a la renouveler toujours.

II. Le Sepulcre du Seigneur.

Le lieu du repos, le sepulcre de Jesus est Iriplemenl glorieux :

A. D'abord, il est glorieux par lui-meme. II est la situe

agreablemenl, dans un endroit solilaire, et enloure d'un jardin

verdoyanl : on dirait tout un prinlemps tle fleurs et de parfums

autour du caveau neuf que Joseph d'Arimathie a donne iiJesus.

838 TROISIEME SEMAINE

Le Gorps du Sauveur repose imraobile comrae uue magni- fique statue de marbre, conservant encore toules ses blessures ; raais le sang n'en coule plus et on n'y voit aucune Irace, aucun indice de corruption. Les aromales, les bouquels de fleurselles parfums exhalent une odeur suave. La Divinite, laquelle nes'esl jamais separee ni de 1'ame ni du Gorps de Jesus, forme, pour ainsi dire, une aureole de lumiere aulour de lui ; et vraisembla- blement une couronne d^Anges en adoration environne sans cesse son tombeau. Le sepulcre du Sauveur esl une belle et louchante image du Sacrement de nos autels, lequel aussi com- pose une reunion admirable d'abaissements el de grandeurs, de morl et de vie.

B. Ensuite, le sepulcre du Ghrist est glorieux a cause de la veneration et de Tamour dont rentourenl les Apolres, les saintes femmes, parliculieremenl Marie, et tous les disciples de Jesus. Leur esprit et leur cceur, leurs pensees et leurs afleclions y sout attaches fortement. Ges visites spirituelles ne sonl d'ail- leurs que les messageres des pelerinages merveilleux qu'a tra- vers tous les siecles les Ghretiens feront en pensee el en realite au tombeau de leur Sauveur : ce sepulcrerenferme bien le Gorps autour duquel tous les aigles s'assemblent.

G. Enfra, le torabeau de Jesus est glorieux par la crainle el Tangoisse qu'il inspire aux ennemis du Ghrist. Le samedi meme (Matth., 27, 62), probableraent au soir, lesgrauds preHres et les Pharisiens demandent a Pilate de faire garder le sepulcre de Jesus, de peur que ses disciples n'enlevent son Corps et ne repandent le bruitqu'il est ressuscite, comme il Ta predit faus- sement. (Matth., 12, 40; 16, 21; 17, 22; Jean, 2, 19; Matth., 27, 62-64.) Ils ont peur par consequent, ils ne se fient pas a leur vicloire et ils avouenl que la Resurreclion serail la pire des choses. Pilale leur donne la permission de garder le torabeau. (Matth., 27, 65.) Ils y mellent donc un poste desoldats romains et scellent la pierre d^entree du sepulcre en rejoignant de tous cotes avec des rubans les sceaux qu'ils y appliquent. (Matth., 27, 66.) Ils se precautionnent ainsi contre les entre- prises des disciples de Jesus et merae des soldats. Mais, en raeme temps, ils pourvoient a la presence de temoins irrecu-

LE GRAXD SABB.VT 839

sables dans le cas de la Resurrection et ilsentourent , letombeau (Tiiiie garde d'honneur : le sepulcre de Jesus n'est-il donc pas veritablemenl glorieux?

III. Les Limbes.

A. Au moment de sa mort, 1'ame du Sauveur se dirige vers les Limbes (I Pierre, 3, 19) : elle estdesormais impassible et glorifiee, victorieuse et accompagneed'une nombreuse troupe d'Anges. Les Limbes composent la demeure des Saints de l'An- cien Testamenl. On ne sail si le Seigneur a eleaussi personnel- lement au seiour des damnes ; en tout cas, il y a fait alors, sans nul doute, senlir les effets de sa terrible puissance.

B. Mais dans quel but Jesus est-il descendu aux Enfers ? Premierement, pour bonorer ce lieu de sa presence, le benir, 1'eclairer et se manifesler dans 1'eclal de sa puissance et de sa Divinile, comme il lavait fail sur la terre. Deuxiememenf, pour confondre et humilierles esprits infernaux. Quelle horreur, quelle epouvanle el quelle honte pour eux, quandils voienl venir de leur cole, majestueusement, Celui qu'ils n'ont pas voulu reconnaitre au lemps de lepreuve, Gelui que leu.r mechancele a fait mourir par les mains des Juifs, Celui, enfin, a qui, par Ia, ils ont fourni 1'occasion deracheter et de sauverle monde! Ilsse sonl donc perces eux-memes avec leur propre glaive. Le Christ leur fail sentir d'une facon lerrible toute la force deson pouvoir, el alors plienl veritablemenl devanl lui les genoux de tous ceux qui se trouvent eu enfer. (PhiL, 2, 10 ; Is., 45, 24.) Troisie- mement, en descendanl dans les Limbes, Jesus veut consoler les Saints de 1'Ancien Testament et les tirer de ce trisle sejour. II a vaincu Satan, et maintenanl il delivre les prisonniers des Limbes La venue du Sauveur produit sur les ames qui s'ylrou- venl 1'effel d'une agreable et douce lumiere, d'une rosee bienfai- sanle el d'un vent frais du matin. Tous ces Saints, depuis Adam, les Patriarches, les Prophetes, les Rois, les Grands Pretres et les Ancetres de Jesus jusqu'a Jean-Baptiste, Elisabelh et saint Joseph, adorent Jesus dans un enlbousiasme indescriplible, en poussant des cris de joie el de victoire : il y a si longtemps

840 TROISIEM.E SEMAINE

qifils 1'allenclenl el qu'ils soupirent apres lui! Ils le remercient de la Redemption de riiumanile, de 1'accomplissement detoules les propheties et de la realisalion de loutes les figures bibliques ; ils n'oublient pas non plus deluitemoigner leur gralitude pourle bonheur et l'honneur qifils ont de lui avoir ressemble par la pralique des vertus et la simililude des evenemenls de leur vie, et d'avoir ainsi contribue eux-memes i\ la fondalion de son Royaume. Qifil est aimable, le Sauveur, de venir visiler ces sainles ames, de se reveler a elles personnellemenl, de les deli- vrer et de les rejouir par sa presence ! II les aimeetilnousaime tous comme les membres de son Gorps myslique, et il les embrasse et il nous embrasse lous comme des parties de son existence, de sa vie de Redempteur des hommes. II est probable que Jesus est resle aux Limbes jusqifau moment de sa Resur- rection.

QUATRIEME SEMAINE

(But de celte Semaine et Moyens de l'atteindre : voir Commentaire des Exercices, p. 115-118.)

LA RESURRECTION DE JESUS

(Marc, 16, 9.)

I. La verite el la realile de la Resurrection.

La verile et la realile de la Resurreclion se prouvent par son exislence, son fait, et par des raisons exlrinseques et inlrinse- ques : le Ghrist est ressuscile, et il devait ressusciter.

A. LeChrist est reellement ressuscile.

Tout nous 1'assure : le temoignage de la sainte Ecriture (Maiic, 16, 9) ; le lemoignage des Anges (Matth., 28, 6) ; le temoignage des saintes Femmes (Marc, 16, 18); le temoignage des Apolres, lesquels d'abord en doutaient, puis en furenl con- vaincus, et precherenl la verite de la Resurreclion dans lout runivers (Acf., 4, 33) ; enfin le lemoignage de toule la Cbre- tienle, dont Texistence et la duree dependenl de ce fait, de celte verile. (I Cor., 15, 14.)

B. Le Christ devait aussi ressusciter. (Luc, 24, 4-7.) - La Resurrection avait ete predite (Ps. 15, 10 ; Act., 2, 31) ;

Isaac (Hebr., 11, 19) et surtout Jonas en avaient ele les types et les figures. Jesus lui-meme avail plusd'une fois annonceases Apolres sa Resurreclion (Matth., 17, 22 ; 20, 19); et il lavail

842 QUATRIEME SEMAINE

encore signalee et indiquee aux Juifs comrae la marque, ia preuve infaillible de sa Mission divineet de sa Divinite (Matth., 16, 4; Luc, H, 29). Cest pourquoi les Juifs atlendaient sa Re- surrection (Matth., 27. 63), et lous les yeux etaienl tournes du cdte de son sepulcre. S'il ne ressuscitait pas, c'en etait fait de lui, desa Personnalite et de son auvre ; et il ne pouvait y avoir •de pire resultat pour toule sa Mission. De plus, le Ghrist devait ressusciter, parce que la Resurrection, meme selon le Gorps, convenail a la perfection, a 1'achevement de son auvre, et parce qu'elle est d'une iraportance decisive pour nous. Le Ghrist devait donc ressusciter, et il est reellement ressuscite : Surrexit Dominus vere. Alleluia. (Luc, 24, 34.)

II. Nalure et circonstances de la Hesurrection .

A. IVessence ou la nature de la Resurrection consiste dans la reunion du corps et de Tame, jouissant ensemble de la vie glorieuse. LYime glorifiee anime de nouveau le corps ; or, le resultal de cette vivificalion n'est plus une vie terrestre, mais une vie toute nouvelle, merveilleuse et surnaturelle. Le corps lVest pas seulement alors un instrument lout a fait docile, qui ne gene ni n'appesanlit plus Tame dans sa vie et ses operalions, mais il esl pour elle une aide et une source inaltendue de con- naissance, de joie et de puissance. En effel, il acquiert, sans cesserd'elre corps, les proprieles des etres glorieux, proprieles qu'on peut appeler spirituelles : c'est d'abord riramorlalite ou la parfaite irapassibilite el Tindependance, pour la vie el la vigueur de la jeunesse, des condilions exlerieures, comme la nourriture et le sommeil ; ensuile, la clarle, qui consiste dans une beaute ravissante et dans une splendeur radieuse; de plus, la sublilile, qui trioraphe de toute difficulte et passe a travers tous lesobstacles ; enfin, Tagilite, lapenetrabilite et la plenitude de force el de puissance, sans qiraucune liraile puisse y etre posee par la matiere, le temps et Tespace. A cause de ses pro- prietes, un corps glorifie esl un elre veritablement merveilleux : c'est le chef-d'auvre de la sagesse el de la puissance de Dieu dans le regne materiel. (I Cor., 15, 26. 38 el sq.) Le Ghrist est ainsi

la resurrection de jesls 843

ressuscite ; il s'avance dans cette vie nouvelle {Rom., 6, 4), apres avoir depouille toutes les miseres de la vie maudite du peclie (Rom., 6, 10), avec un Gorps transfigure (Phil., 3, 21), danslequel se trouvenl toute la plenitude et la magnificence de la vie glo- rieuse. II esl bien le Premier-ne d'eiitre les morls, et il en forme les premices (I Cor., 15, 20) ; il esl 1'auteur et le type de tous les glorifies (Col., 1, 18); il est bien le vrai Fils de Dieu, quia me- rite par sa vie et par sa mort la couronne d'honneur et de gloire (Hebr., 2, 9). La forme de 1'esclave a disparu en lui, et meme jusque dans son Gorpsglorieux brille 1'image ou la splendeur de Dieu, de telle sorte que le Pere peut dire encore aujourd'hui, comme dans la generation eternelle : « Vous etes mon Fils : je vous ai engendre aujourd'hui. Demandez-moi, et je vous donne- rai les peuples en heritage et les extremites de la terre en possession. » (Ps. 2, 7. 8.) L'honneur, la puissance et la joie sans mesure et sans limite, voila le partage de cette vie glo- rieuse ! II regne et il gouverne desormais en toute verile. En raison de Tagilile, de la subtilile el de la puissance de son etat glorieux, il n'y a aucun point de son immense Royaume ou il ne puisse se trouver personnellement a Tinstant. 11 va bienlot aussi dominer sur la terre : au lieu d'une croix ignominieuse, vont s'elever d'innombrables autels, ou il sera adore; a la place d'un peuple qui Ta rejete, tous ks peuples de la terre accour- ronl vers lui : les saintes Femmes qui Tont approche apres saResurrection onl ete les precurseurs de millionsd*adoraleurs. De la pierre de son sepulcre les Anges annoncent sa Resurrec- tion el envoient les soldats comme messagers de cette nouvelle, a la ville, laquelle, au milieu meme de sa victoire, s'agite et trerable devant le Ressuscite. Ce qui donne a ce bonheur el a oelte magnificence le cachet de la derniere et plus sublime per- feclion est rimmulabilite et relernite : « Le Ghrist ne meurt plus et la mort n'a plus aucune puissance sur lui. » (Rom., 6, 9.) Le beau jour de relernite bienheureuse luit deja, et il n'aura ni soir ni declin.

B. Telle est Tessence, la nature de la Resurreclion. Les circonslances ou elle s'accomplit sont au nombre de trois prin- cipales :

844 QUATRIEME SEMAINE

Premierement, la Resurreclion a lieu le troisieme jour apres la raorl de Jesus : trois jouis suffisent pour prouver legalement et validement la verite de sa morl.

Deuxiememenl, la Resurreclion s'opere sans etre vue par un mortel. Aucun oeil humain ne jouil de ce beau speclacle ; la Resurreclion n'a pour temoins que les choeurs des Anges et les Jusles de l'Ancien Teslament ; parmi ceux-ci, les uns ont part a la joie de la Resurrection seulemenl pour la circonslance, et les aulres, d'une maniere definilive, pour n'en plus jamais etre prives. De meme que rilomme-Dieu etait entre dans le monde au milieu cle la nuit, sans nuire a la Yirginile de sa Mere, de m£me sa glorieuse Humanile sorl de la nuil du lombeau, sans elre remarquee et sans le moindre dommage pour son sepulcre. La Resurreclion est en effet une aclion, un fait qui n'apparlient plus a ce monde.

Troisiemement, la Resurreclion se fail par la puissance divine du Glirist : la Resurrection est rosuvre exclusive de Dieu. Gelte toule-puissance reside originairement dans le Pere, et c'est pourquoi il est dit que le Pere a ressuscite Jesus d'enlre les morts {llom., 8, 11), que Jesus vilpar la force el la magnificence du Pere(I Cor., 6, 14; Rom., 6, 4). Mais, grace a la genera- tion elernelle, le Fils possede lui-meme cetle puissance en propre; la Resurreclion esl donc aussi 1'ceuvre de sa propre puissance divine, et c'est pourquoi elle a lieu independarament du temps, sans aucun des moyens humains et en un instant, ainsi que d'ailleurs cela arrivera a nous tous. (I Cor., 15, 52.) Gomme rHomme-Dieu a librement donne sa vie, ainsi il la reprend libremenl (Joan., 2, 19; 10, 18); nousavons la unedes magnifiques proprieles de la Resurrection.

III. hnporlance de la Resurreclion.

La Resurreclion a pour le divin Sauveur et par suile pour nous une triple imporlance, de laquelle resulle une tripleconse- quence ou a laquelle correspond un triple fruit.

A. LMmportance de la Resurrection consiste, premiere- mcnt, en ce qu'elle esl la glorieuse et derniere confirmation de la

LA RESURRECTION DE JESlS 845

doctrineet de la puissance miraculeuse elprophetique deJesus, en un mot, la glorieuse confirmation de sa Divinite. Ladoctrine, les miracles el les propheties du Sauveur avaient pour but de prouver sa Divinite, et sa Resurreclion met le dernier sceau a lout. Lui-meme avait annonce d'avance sa Resurreclion aux Juifs (Joan., 2, 19; Mattu., 16, 4; Ldc, 11, 29), el leur avait donne ce miracle unique et incomparable comme la preuve de sa Divinite. Maintenanl il lopere ce miracle, le plus grand des miracles, un miracle absolu sous toul rapport, infinimenl plus grand que le signe du ciel demande par ses ennemis (Marc, 8, 11). Tous les autres niiracles s'appuient sur celui-la et recoivent de lui leur confirmation.

L'importance de la Resurreclion resulte, secondement, de ce qu'elle est la derniere grande vicloire du Sauveur, la consom- mation de 1'ceuvre de la Redemplion. Cest avec trois grandes puissances que le prince des tenebres avait mis l'humanite sous le joug : avec la puissance des passions, avec celle du peche et avec celle de la mort; el ainsi il lui avail derobe lous les dons de Dieu : la paix, la griice el rimmorlalite. Par sa grace, par Texemple de ses vertus, par sa Passion el sa mort, le Messie renversa Tempire du peche el la puissance des passions : la mort restait seule a vaincre. 11 Tattaque, la saisit dans sa propre forleresse, dans le lombeau, et il la lue par sa glorieuse Resur- rection : comme un aulre Samson, il enleve les verrous et les portes de son cacliot et il les emporle au loin. (Jug., 10, 3.) Cest certes une vicloire glorieuse, d'abord parce que lui seul l'a remporlee, ensuite parce qu'il n'a pas seulement vaincu la morl et repris la vie, mais encore parce qu'il a conquis une vie glorieuse et immorlelle; enfin cette victoire est glorieuse, parce qu'elle est la vicloire de nous tous : nous avons lous vaincu la mort dans le Ghrist. Nolre glorieuse resurrection est aussi certaine que la Resurreclion du Sauveur. (1 Cor., 15.) Le ter- rible tombeau, la fin de loute esperance, est devenu le siege de la vie; elle jardin du Calvaire, le lieu de la sepulture, estdesor- mais le paradis de 1'immorlalile. De cette sorte, tous les enne- mis sont baltus; tous les biens, meme ceux du corps, sonl recouvres; tous les plans de Dieu, tous ses desseins sur 1'liuma-

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nite, sont retablis, meme ils sont etendus infiniraent et realises au-dela de toute esperance.

L'importance de la Resurreclion ressort, troisiemement, de ce qu'elle est pour le Fils de riiomme 1'enlree dans la gloire essenlielle du Paradis. Laglorificalion de Jesuseuttrois degres : aussitot apres sa morl, l'ame du Ghrist fut transfiguree et beati- fiee jusque dans ses puissances et ses faculles inferieures; main- tenant, dans la Resurrection, son Gorps, par sa reunion avec lame, recoit sa propre glorification ; enfin, le jour de 1'Ascen- sion, Jesus recevra la gloire de la demeure ou du sejour. La gloire essentielle des cieux esldonc le parlage de rHumanite du Ghrist, de son Gorps et de son ame, au moment de la Resurrec- tion. Ainsi le Sauveur prend veritablement possessionde laglo- rification qui lui appartienl et qui est due a sor Humanile pour les merites de sa vie morlelle; et il entre dans sa gloire. G'est pourquoi la fele de Paques est la fete la plms glorieuse de l'Homme-Dieu; elle est, comme dit 1'Eglise, la solennite des solennites; en tout cas, elle esl pour Jesus la paix, ritn que la paix, el pour 1'elernite la paix ; il jouil desormais du bonheur qu'il a merile : loutes ses soutfrances, tous ses travaux sont changes el converlis en une gloire magnifique et eternelle.

B. La premicre consequence ou le premier fruit resultant de 1'importance de la Resurreclion esl la joie et la reconnais- sance. Alleluia, voila 1'expression de cettejoie; c'est le chant d'allegresse de la joie la plus grande, de la joie elernelle. (Tob., 13, 22; Apoc, 19, 1.) Giel et terre, Anges et hommes, tout se rejouit. El qui ne se rejouirait pas, tant a cause du Sauveurqu'a cause de soi-meme? Donc rejouissons-nous, el felicitons le Sei- gneur de ce qu'il a enfin la paix et de ce qifil possede le bonheur, qui lui appartenait des le commencement, mais qu'il voulut meriter el acquerir par sa vie pauvre et sa Passion douloureusel Oh ! comme il l'a bien raerite aussi pour nous !... Avec combien de raison se rejouissent ses yeux, qui avaient vu de si mauvais jours; ses oreilles, qui avaienl enlendu tant de contradiclions, de railleries el de blasphemes ; son Coeur, qui avait ete brisepar 1'angoisse, la trislesse et 1'agonie! Oh ! comme tout est change! Jesu, Rex admirabilis et Triumphator nobilis ! Tibilaus, honor nominisel regnum bealiludinis!

LA RESCRRECTIOX DE JESCS 847

Le second fruil de la Resurreetion esl l*amour du divin Sau- veur : nous en trouvons tous les motifs dans ce myfctere. Avant tout, nous voyons quel Mailre nous avons en lui : il est glorieuxr immorlel, puissant et bon au-dela de toute mesure ; de plus, ce myslere nous montre quel sacrifice le Sauveur a offert pour nous, puisqifil a voulu elre prive si longtemps de celte magni- fique gloire; enfin, sa gloire est aussi la notre, sa Resurrec- tion esl notre Resurreclion; il ne peut nousoublier : il acquiert toul pour nous, il partage lout avec nous.

Le iroisieme fruit de la Resurrection de Jesus consisle dans 1'esperance, le courage el la confiance au milieu de toutes les difficulles et de toutes les adversites de la vie. Qu'avons-nous a craindre, nous qui n'avons plus a craindre la mort, laquelle est la frayeur des frayeurs, le plus grand mal d'iei-bas? Surrexit Christus, spes meal... Jesuisla Resurrection et la Vie... (Jean, 11, 25.) Le Christ est immortel, et tout ce qui esl uni a lui est immorlel : sa doctrine, son Eglise, ses Elus, leurspensees, leurs paroles, leurs actions. leurs travaux et leurs souffrances. On ne peut pas nous tuer, nous, Chretiens, ni nous mellre pour lou- jours dans le tombeau : le sepulcre de Jesus en est la garanlie. Oii est la pierre, ou sont les gardes, oii sont les scelles, ou estla morl? Tout a ete emporle dans la gloire de la vie de Jesus. Que ceux-la craignenl et desesperent qui ne croienl pas au Chrisl! Pour nous, nous esperons et nous sommes dans la jubilation : Deo autem gralias qui dedit nobis victoriam per Dominum nostrum Jesum Chrislum. (I Cor., 15, 57.) Amour, joie et courage, voila en quoi consisle la nouveaule dela vie, a laquelle nous appelle la Resurreclion du Christ. (Rom., 6, 4.)

JESUS REVELE SA RESURRECTION A SES ENNEMIS ET APPARAIT A SA MERE

(Mattii., 28, 2-4, 11-15.)

I. Des apparitions de Jesus (ressuscitd) en general.

A. Le Iml principal des apparilions el de la vie lerreslre du Ghrist. enlre sa Resurrection el son A:cension, esl dereveler sa Resurreclion, el sa Resurrection glorieuse * il veut ainsi que les hommes voient ce qui Ies attend ou leur est reserve, meme selon le corps, pendant reternile. Un aulre but encore des mysteres de la Resurreclion est le complemenl de rorganisalion

.deTEglise. {AcU, 1,3.)

B. La necessite de la Resurreclion resulte precisement de rimporlance de la Resurreclion pour la mission de Jesus, pour TEglise et pour la Religion enliere : « Le Chrisl est ressuscile acause de notre justification. » {Rom., 4, 25.)G'est pourquoi la Resurrection doit elre publiee.

G. Voici mainlenanl la maniere dont esl annoncee la Resur- reclion : D'abord, le Ghrist ne la fait pas connaitre lui-meme au peuple, en ressuscilant devanl lui. La Resurreclion n'appar- tienl plus propremenl a la vie de ce monde. Aussi 1'annonce de la Resurreclion doit elre faite par d'aulres : en premier lieu, par les Anges, qui sonl toujours charges de transmetlre les messages entre le ciel el la lerre el d'annoncer aux hommes les decisions ou les arrels secrets de Dieu. En oulre, le service ues Anges monlre et fait ressorlir la grandeur el la majesle du Messie. En second lieu, ce sonl les Saints de 1'Ancien Tes- tament qui, apres la Resurrection du Christ, apparaissenl avec

JESUS REVELE SA RESURRECTION. . . ET APPARAIT A SA MERE 849

leur corps a beaucoup de personnes et annoncent que Jesus est ressuscite. Enfin, les Ap6tres sont les temoins et les herauts de ce myslere; les Apolres, qui ont" ete elablis de Dieu pour cela. (Act., 10, U ; 13, 30; I Cor., 15, 5.) Cest pourquoi le Sauveur leur apparait souvenl et de differentes facons pour les convaincre du fait et des conditions ou des qualitesde la Resur- rection. Le peuple recoil donc par les Apolres le message de la Resurreclion. D'ailleurs 1'interet de la foi et la soumission au pouvoir spiriluel reclament qu'il en soit ainsi.

II. Jesus revele sa Resurreclion d ses ennemis.

A. Pourquoi Jesus fait-il connailre aussi sa Resurrection a ses ennemis ? Pour Irois raisons : Dabord, c'est pour etre fidele a ce qu'il a annonce. II leur avail fail enlrevoir sa Resur- reclion ; aujourdhui il lienl parole. De plus, il veut elre bon et clement pour eux : le grand miracle de la Resurreclion leur enleve le dernier prelexte d^opinialrete dans Terreur et 1'incre- dulite. Enfin, il suil un plan de sa Sagesse divine, en conse- quence duquel loutes les mesures prises ou a prendre par ses ennemis pour empecher la Resurreclion ou la rendre inutile ou incroyable formeront le temoignage le plus aulhenlique el le plus eclatant en faveur de ce myslere, comme aussi la preuve la plus forte de la sainlete de Jesus et de la malice de ses ennemis.

B. Comment le Christ fait-il connailre sa Resurrection a sesennemis? 11 annonce sa Resurrection aux soldals de garde a son lombeau par un Ange qui se monlre avec lous les signes et tout Tappareil d'une puissance terrible. Le messager celeste descend du ciel comme la foudre, fait trembler la terre, renverse la pierre de 1'entree du sepulcre du Sauveur et s'assied majes- lueusement dessus. (Matth., 28, 2. 3.) Les soldals peuvent se convaincre que le tombeau est vide. Le Sauveur revele sa Resurreclion a ses ennemis de Jerusalem, aux grands pietres, par rinlermediaire des soldats qu'ils onl places comme gardiens officiels pres du sepulcre. Ges soldats sont des temoins non suspects de la Resurrection en vertu de leur fonclion, de leur charge el de leur desinteressement dans toute celte affaire ; el

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c'est d'aiitant plus vrai que leur propre interel reolame de relater le fait selon le desir des grands prelres. (Matth., 20, 4. 11.)

G, Quel esl le resultal de Tannonce de la Resurreclion de Jesus a ses ennemis? Les grands prelres tiennent conseil ; mais, au lieu de se rendre a Tevidence ou au moins de declarer Tevenement du sepulcre un effet de la sorcellerie, contre laquelle meme la puissance armee ne peut rien, ils reconnaissent le fait, et engagent les soldals, en leur donnanl del'aigenletrassurance de 1'impunite, a repandre le bruit qu'ils dormaient et que les disciples du Ghrist ont profile de leur sommeil pour enlever son Gorps. (Matth., 28, 13. 14.) Gette conduite n'est pas seulement de rincredulite, c'esl de la deloyaute et de la sceleratesse. Par leur mensonge, ils se meltent eux-memes dans 1'embarras, se couvrent de honte el se devouent d'avance a 1'enfer. Par cette action, le grandconseil et la synagogue se separent de TEvangile et de TEglise. La nalion juive a par ses chefs constamment joue le role d'un Etat atliee et impie dont le bul n'esl aulre que Toppression de la verite, dont les moyens ordinaires sont la corruption, le mensonge et la violence brutale, el donl le resullat final est une ruine honteuse et epouvanlable.

Mais, en face de ses ennemis, le Sauveur se monlre vraiment le bon Dieu : il est alors, en effet, magnifique dans sa bonle toute clemente et toute misericordieuse pour tous, specialemenl pour ses ennemis, dans sa Majesle et dans la puissance avec laquelle il terrifie ses perseculeurs et ses oppresseurs ; son but est non de les perdre, mais de les convertir et de les sauver.

III. Apparilion de Jesus a sa Mere.

A. II est probable que le Sauveur apparail aussi a sa Mere, quoique la sainte Ecrilure n'en dise rien. Mais, dans la vie de Jesus, tout s'accomplil avec la plus grande convenance etla plus grande delicatesse de procedes. Des auteurs respectables sou- tiennent celle opinion ; il suffil de citer parmi eux Benoit XIV, Maldonat, Suarez, Tolet, saint Bonaventure...

B. _ Gomment a lieu l'apparilion ? Marie se prepare a cetle grace par la foi vive et la ferme esperance dans la Resur-

JESUS REVELE SA RESURRECTION. . . ET APPARAIT A SA MERE 851

rection de son Fils. Elle connait parfailemenl la promesse de la Resurreclion, et elle n'imite pas les sainles Femmes et les Apolres, dont la foi a ce myslere est ebranlee. Cest vraisembla- blement la cause pour laquelle elle ne va pas au sepulcre de Jesus avec les saintes Femmes. De plus, elle soupire ardem ment apres la Resurreclion et 1'appelle de lous ses voeux : on le comprend, si on connail le coeur d'une mere, et surlout d'une telle mere. Les desirs de Jacob {Gen., 15, 28) et de Tobie (Tob., 10; 11, 5. 6) de revoir chacun leur fils absent ne sont rien en comparaison de ceux de Marie. Enfin, elle oblienl par ses ferventes prieres la Resurrection de son Fils. (Cant., 5, 1 ; 4, 16.)

Le Sauveur lui apparait el la console ; il la console comme un Fils peul consoler sa Mere, en lui prouvanl avec evidence qu'il vit, qu'il est heureux el qu'il 1'aime. (Gen., 46, 30.) Jesus n'a manifesle sa gloire a personne aussi bien qu'a sa Mere ; il 1'eleve alors ii une tres haule contemplalion, a une vision inluilive tout a fait sublime, el Ia fail participer d'une maniere ineffable a ses joies divines. II lui revele sans doule le but qu'il se propose en restanl encore quarante jours sur la terre et lui monlre la part qu'elle prendra a celte oeu,Tre glorieuse.

La raison pour laquelle Jesus traite sa Mere avec tant de dis- tinction, se trouve en ce qu'elle est la plus rapprochee de lui et dans 1'ordre de la nature el daus 1'ordre de la grace. D'elle il a recu la vie de son Gorps, qui est aujourd^hui si glorieux, et elle a, de la maniere la plus intime, eu parl au merite ou au benefice de celte gloire, surtout pendant la Passion ; c'esl pourquoi il est jusle qu'elle soil consolee parliculieremenl en paiticipanl ainsi a la jouissance de la gloire de son Fils.

Les effels de celte apparition sur Marie sont la consolalion et la joie : consolation et joie, d'abord, tout a fail profondes, lies vives el telles qu'un elre privilegie comme la tres sainle Mere de Dieu peut seule en gouler el supporler. De plus, celle joie est tres pure el loute spiriluelle : son objet est uniquemenl le bonheur et la gloiie de son Fils. Elle esl, avec cela, silen- cieuse, modesle et interieure. II semble qu'elle n'en parle a personne : comme loujours, elle repasse et medite toul dans son

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cceur. (Luc, 2, 19.) Enfin, cette joie de Marie est noble et parfaile : les Apotres et nous lous nous en somrnes 1'objet. La Mere de Jesus se rejouit de tout ce que la glorieuse Resurrection de son Fils nous procurera de biens et d'avantages. Elle prend la part la plus grande aux temoignages de bonle que le Sauveur donnera a chacun des siens.

G. Quels doivent etre les fruils de ce mystere pour nous ? Avanl tout, nous devons nous en rejouir, et nous devons feli- citer la Mere de Jesus, qui nous a merite cetle joie et ce bon- heur. De plus, ce mystere nous apprend a parvenir aux •veritables joies pascales, en nous tenanl loujours fidelement pres du Seigneur. Et il nous enseigne encore la nature et les con- ditions de la vraie joie ; car Texemple de Marie nous les montre clairement. L'objet de cette joie doit etre le Sauveur ; quant -a ses caracteres, elle doit elre calme et interieure, unie a la priere et au recueillement, el ensuite noble et desinteressee, clierchant aussi a la faire partager aux autres. Nous avons Texpression de tous ces sentiments dans la belle antienne : Jiegina coeli, Iselare, Alleluia!. .

APPARITION AUX SAINTES FEMMES

(Matth., 28. 1. 5-10; Marc, 16, 1-8: Luc, 24, 1-11; Jeax, 20, 1. 2.)

I. Senlimenls et disposilion des sainies Femmes.

A. Qui sonl ces Femmes, les Evangelistes nous le disent : ce sont Marie-Madeleine, Marie, mere de Jacques et femme de Cleophas, Salome, Jeanne et d'autres encore. (Matth., 28, 1 ; Marc, 16, 1 ; Luc, 24, 10.)

B. Ges pieuses Femmes, le Dimanche matin ou a 1'issue du Sabbat proprement dit el au commencement du premier jour apres le Sabbat ou du premier jour de la semaine Matth., 28, 1), se meltent en route de tres bonne heure, quand il fait encore sombre (Jean, 20, 1), pour aller visiter le tombeau de Jesus. Elles y arrivent apres le lever du soleil (Marc, 16, 2),. donc quand elles peuvent toul voir et distinguer parfaitement. Leur intention est de donner au Gorps de Jesus des marques de leur respecl et de leur araour en achevant de rembaumer avec des aromates et des parfums precieux et en completant ainsi ce qu"elles n'ont pu faire le soir du Yendredi-Saint. (Matth., 27, 61 ; Marc, 15, 47.) Elles ne savent pas, ce semble, qu'il y a une garde pres du sepulcre, et elles se demandent entre elles comment elles pourront enlever la pierre de 1'entree. Malgre tout, elles veulent s'y rendre el voir ce qifon pourra faire.

C. Ici se montre bien 1'esprit des sainles Femmes, disciples- de Jesus-Ghrist : elles onl du zele, de la constauce, de 1'inlre- pidite, de la generosite et du devouemenl. Elles ne complent pour rien ce qu'elles ont fait pour le Sauveur pendant sa vie, et

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mainlenant qu'il est morl, elles ne peuvent luitemoigner encore assez d'amour et lui rendre assez de services. Argenl, repos, securite, elles lui sacrifient tout, et rien ne peut les empecher d'accomplir leur oeuvre de charile : 1'obscurite de la nuit, les dangers, les difficultes de toute sorle ne les arretent pas ; elles veulenl au moins se rendre comple sur place de ce qu'elles peuvent faire. Elles ont bien profile a 1'ecole de Jesus : elles montrent une bonne, une excellente volonle.

II. La Recompense des saintes Femmes.

La recompense des saintes Femmes est double : elles la recoivent a 1'heure meme et elles en recevronl une autre plus lard dans la suite des siecles.

A. La premiere recompense des saintes Femmes consiste d'abord dans Tapparition des Anges. Des qu'elles enlrent dans le vestibule du sepulcre, elles conslatent renlevement de la pierre d'entree, et, dans la chambre sepulcrale elle-meme, elles voient un tombeau vide. A ce spectacle, elles sont stupefaites et consternees ; mais, au mfime momenl, deux Anges appa- raissenl a droite de la pierre tombale. Effrayees, les Femmes delournent les yeux. Alors les Anges leur monlrent une grande affabilite et leur temoignent un profond respect. Leur apparition est entierement joyeuse : ils porlent des vetements blancs et sont dans toule la fraicheur de la jeunesse. (Marc, 16, 5.) Leurs paroles rassurent et tranquillisent les sainles Femmes. « Ne craignez pas », leur disenl-ils. Ils declarent connailre leur dessein et les louent de chercher Jesus le Grucifie. Ensuile, ils leur annoncenl tres spirituellement la Resurrection du Seigneur : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts? II est ressuscite. » Gomme preuve de ce qu'ils avancent, ils montrent le tombeau vide et rappellent la promesse que Jesus a faite de ressusciter. (Luc, 24, 5-7.) Enfin, les Anges chargenl les sainles Femmes d'annoncer la Resurrection aux Apotres et speciale- ment a Pierre. (Marc, 16, 7.) Les Femmes se ressouviennent des paroles du Sauveur, el, remplies d'une joie melee de frayeur, elles quitlent le sepulcre ; mais elles n'osenl pas tout

APPARITION AUX SAiNTES FEMMES 855

d'abord porter leur message aux Apotres. (Luc, 24, 8 ; Marc, 16, 8.) Getle apparilion des Anges esl sans doule deja une belle recompense pour les saintes Fenimes. Elles en recoivent encore une autre : c'est Tapparition que leur fait Jesus-Christ en personne. Elle a lieu vraisemblablement pendant qifelles se rendenl chez les Apotres, dans le jardin nieme ou aux environs ; mais le Seigneur ne se montre a elles qu'apres avoir apparu a Marie-Madeleine (Marc, 16, 9), et en leur lemoignant la plus grande bienveillance et la plus grande amabilile. II les salue avec bonte : « Je vous salue », leur dil-il ; et il les tranquillise, en ajoutant : « Ne craignez point ! » Alors il les admet a baiser ses pieds et il les envoie aussi vers « ses Freres », les Apotres, pour leur faire parl de sa Resurreclion. (Matth., 28, 9. 10.) Cest pour les saintes Femmes le comble de la bienveillance, de lhonneur et de la joie.

B. Maintenant, la recompense qifelles recevronl plus tardV dans la suile des siecles, est principalemenl la joie des Paques eternelles qu'ellesauront dans le ciel, oii leur ravissement, leur adoration, leur bonheur et leur jubilalion aux pieds du divin Ressuseile ne fiuiront jamais. Mais elles recevront aussi ici- bas une recompense speciale au relour de chaque fete de Paques. En eflet, a Paques, en celte premiere iele de la Ghre- tienle, tous les Chreliens, meme le Pape el les rois, doivent se tenirdeboul el la tete decouverle, pendant la messe, afin den- lendre 1'Evangile du jour. Et que dit cel Evangile ? II raconte comraenlles sainles Femnies se sont levees de bon matin en ce jour, ce qu'elles disaient enlre elles dans le chemin, ce qu'elles firent et voulaienl faire pour l'honneur du Christ. Dans celte ceremonie, les sainles Femmes recoivenl une dislinclion qifaucun graod et qifaucun heureux de la lerre ne rece- vronl janutis ; el cetle recompense leur est offerte chaque annee. i Marc, 14, 9.)

III. Conclusion.

La conclusion ou la consequence de ce myslere est evidem- ment pour nous une exhorlalion ou un stimulanl a servir nolre divin etbon Mailre ; et nous en Irouvons ici deuxmolifs :

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Le premier consisle clans le bel exemple que les sainles Femmes nous donnent. Leur vocalion est de faire les ceuvres de misericorde corporelles dans le Royaume du Clirist et en sa faveur. Elles nousen offrent deja 1'exemple dans la vie publique de Jesus, et elles suivent leur vocalion avec inlrepidite, zele, generosite, amour et perseveranee. Ge modele est sans nul doule magnifique et digne de fixer ratlention de tous, mais sur- tout de ceux qui ont le devoir d^elre fideles a une vocation plus sublime : est-ce que par hasard les Apotres se laisseraient sur- passer par les femmes dans le devouement au service de Jesus- Ghrisl ?

A. Un second motif qui nous presse de suivre le Sauveur, c'est la recompense qifil nous donnera, si nous leservons fidele- ment, comme les sainles Femmes. Que leur recompense a ele belle ! Deux Anges leur apparaissent, leshonorenl et les louent; le Christ lui-meme daigne leur apparaitrepersonnellement etles traiter avec la plus grande bienveillance. II leurdonnea remplir aupres des Apotres une mission des plus imporlanles, qui fait d^elles lespremieres messageres dela Resurrection du Seigneur. Notre foi s'appuie donc sur leur lemoignage. Et il ne faut pas oublierleur magnifique recompense pendant toute 1'elernile ! G'est ainsi que Jesus recompense, et sans acception de per- sonnes, suivant le degre de charile et de zele dans son service. Les sainles Femmes ont vu les premieres le Sauveur, parce que les premieres elles 1'ont cherche : leur amour et leurs oeuvres le prouvent.

APPLIGATION DICS SENS

A. Dans la sainte nuit de Paques, vers minuil, 1'ame glo- rifiee de Jesus, accompagnee de la grande et magnifique troupe des Patriarches et des Anges, quitle les Limbes et se dirige vers Jerusalem. Le Sauveur parcourt avec eux toute la voie douloureuse et leur raconte toutes les lortures et tous les mau- vais liaitements qifil y a endures. Les Anges recueillent d'une maniere myslerieuse toutes les gouttes de sang et tous les lam-

APPLIC. DES SENS : RESURREC, APPAR. AUX S. FEMMES, A MARIE 857

beaux de chair que le Seigneur a perdus pendant sa Passion. Alors 1'ame du Ghrist va du cote du sepulcre, ou son Gorps se trouve, garde par des Anges en adoration h salele et a ses pieds. Le Redempteur montre au\ Palriarches son Gorps martyrise, depouille, dans un etat lamentable, et toul couvert de plaies. II leur fail connailre et sentir intimement loul ce qu'il a soufferl des injures et des blessures qu'il a recues, des supplices qifil a endures : de cette facon, toutes ses plaies, toules ses afflictionsel toules ses douleurs les plus cachees leur sont clairement reve- lees. Ges saintes ames considerent tout avec le respecl le plus profond et demeurent emues de compassion, d'amour, de devo- tion et de reconnaissance. L'ame du Sauveur offre une derniere fois au Pere Gelesle son Gorps tout meurtri ; elle demande el oblient par ses supplicalions que tous les fruits de la Redemp- tion soient appliques h lous les hommes. Puisondirail que 1'ame de Jesus se penche vers son Gorps et se confond avec lui ; aussildt les membresde ce dernierse mettenten mouvement, el le Gorps enlier du Sauveur, lumineux et vivant, penetre par son ame et la Divinite, qui d'ailleurs n'a jamais ele separee ni de son Corps ni de son ame, se degage de ses liens et se leve au-dessus du lombeau. Tout est eclatant de lumiere, et le sombre rocher du sepulcre disparail devant la gloire du divinRessuscite.

G'est un spectacle d'une beaule, d'une majesle et d'une splen- deur indescriptibles. Le Gorps de Jesus esl comme spirilualise, transparent, d'un teint blanc etrose. Son front esl d'une purele el d'une serenite exlraordinaires, autour duqtiel une aureole lumi- neuse remplace la terrible couronne d'epines. Ses yeux brillent doucement comme les etoiles du malin. Les boucles dorees de ses cheveux et de sa barbe relombent harmonieusement; iecon- tour de sa bouche et les traits de son visage exprimentla grace, la joie et la bienveillance. Son velement tres ample flolte dans l'air et produit diflY-rents elfets de lumiere : c'est tantot 1'eclat empourpre de Fhorizon au crepuscule el h 1'aurore, el lantol 1'elfel blanc et bleu des nuages legers eclaires par le soleil. Les plaies du Sauveur sonl grandes et brillantes : il en sort des rayonsde lumiere treslins suivant la direction des doigls, et les levres de ses blessures sont admirablement belles... Mais qui

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peut comprendre les joies, les delicesja felicile de ce Gorps res- suscite dans toute sa force, son immorlalite, sa clarle, son agilile, sa sublilile, el la liberte illimitee de sa nouvelle vie? Que de paradis et de mondes pleins de beaule et de magnificence iL embrasse d'un seul regard ! Quellesdouces el ravissanles melo- dies ses oreilles entendenl ! Son Goeur d'Homme-Dieu estinonde perpeluellemenlde lorrents dedelices, qui se sontd'abordrepan- dus dans chacun de ses sens glorifies. Et de meme qu'a tout instanl ce Gceur divin recoil desjoies immenses el inetTables de la part de toute la crealion reunie, qui lui rend liommage et s'approche de lui pour le feliciler, ainsiil distribue partoul 011 il se trouve des torrenls de bonheur celesle sur tous ceux qu'il visite ou qu'il reroit. Quelle joie mainlenant pour lui d'elre Homme-Dieu ! G'est de la felicile, el toujours rien que de la feli- cite ! Les differentes scenes lugubresde sa vie lerrestre sonl pas- sees. Ses peines et ses souffrances ne sont plus qu'un songe. Le Seigneur s'en rejouit (Ps. 3, 5. 6), et sans fin ; ses yeux ravis conlemplent un ciel immense de gloire, ou il n'y a jamais de nuage. Dans la nouveaute de cette vie, le Sauveur eleve ses yeux et ses bras vers le Pere celeste, comme s'il voulail se presenter a luidans le velemenl cle sa gloireet en tant queRoide gloire, et aussi lui offrir les premices cle sa vie, glorieuse. Exsurrexi e.t adhuc sum tecum. (Ps. 138, 18.) Posuisti super me manum tuam ; mirabilis facta esl scientia lua ex me... Domine, pro- bastimeetcognovistime, tucognovisti sessionemmeam et resur- rectionem meam. (Ps. 138.) Exaltabo te, Domine, quoniam sus- cepisti me, nec dclectasli inimicos meos super me... eduxisti ab inferno animam meam, salvasli meadescendentibus in lacum... Psallile Domino, Sancti ejus... In voluntale iua prsestiiisti decori meo virtutem... Convert isti plancium meum in gaudium mihi... circumdedisti me hetilia, ut cantet libi gloria mea... Domine, Deus meus, in selernum confitebor tibi. (Ps. 29.) On dirait aussi quelaTres Sainle Trinile s'incline vers Jesus elque le Pere celesle lui dil : Filius meus es lu, ego hodie genui te ! (Ps. 2, 7.) Et les saints Palriarches sont dans relonnenienl et la jubilalion ; ils adorenl el louent le Seigneur ressuscite, leur Dieu, et ils chantenl tous en chceur d'une voix puissanle : Vicit

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leo de tribu Juda. (Apoc.,o, 5.) Refloruit caro mea. (Ps. 27, 7.) Adimplebis me hetilia cum vultu tuo. Deleclaliones in dextera tua usque in finem. (Ps. 15, II.) Exultabimus et Isetabimur in salulari tuo. (Is., 25, 9.) Regnum tuum regnum omnium ssecu- lorum et dominatio tua in omni generalione et generalionem. (Ps. 144, 13.) Non discedimus a te, vivificabis nos, et nomen iuum invocabimus. (Ps. 79, 19.) Prsecursor pro nobis inlroisti, Pontifex factus in celernum. (Hebr., G, 20. ) Hxc est dies quam fecit Dominus, exultemus et laelemur in ea. (Ps. 117, 24.) Hodie illuxit nobis dies redemptionis noslrx, reparalionis antiqux, felicitalis seternve. (Brev.) Dominus regnavit, decorem indulus est, indutus esl forliludinem el prxcinxit se. (Ps. 92, 1.) Canlale Uomino canlicum novum, quia mirabilia fecit : salvavit sibi dextera ejus et brachium sanctum ejus. (Ps. 97, 1, 2.) Nos autem populus tuus et oves pascuae luse. (Ps. 94,7.) Venite, exullemus Domino, jubilemus Deo. (Ps. 94, 1.) Cesl la solennile de la Resurreelion du Sei- gneur.

B. Cependant le sepulcre de Jesus est toujours dans Tob- scurile ; a rhorizon du ciel seulement on voil se dessiner une raie blanche qui indique le point du jour. Les soldats sont encore de garde devanl la porle du sepulcre ; ils ont fixe leurs lances dans le sol, et leurs lanternes projettenl une faible lueur autour d'eux. Mais lorsque le Seigneur sorl resplendissant du rocher avec le cortege des Justes de TAncien Teslament, la lerre tremble, et un Ange, dans 1'appareil guerrier, descend du ciel, comme un eclair, pousse a sa droite la pierre d'enlree du lom- beau, sur laquelle il s'assied ensuite, pareil a une flamme vive. La secousse est si forle que les lanternes chancellenl et les lumieres sont agilees en toul sens. Les gardes. comme frappes par la foudre, tombenl ala renverse el restent sur le sol abasour- dis et sans connaissance. Mais, quelque temps apres, ils se remellent, se relevenl, et, regardanl avec des yeux hagards par Touverlure du lombeau, ils le trouvenl vide. Alors ils prennent leurs lances et leurs lanlernes el quitlent tout effares Ie jardin pour courir chez Pilate. Celui-ci les ecoule avec une terreur secrete el les renvoie aux grands prelres avecrordre de faire ce

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qu'ils leur diront. Ils se rendenl donc dans le.palais des grands prelres, ou beaucoup de Juifs sont reunis.Ces pecheurs incorri- gibles s'effrayent en entendant le rapportdes gardes, mais ils ne laissentrienparaitreau dehors. Apress'elre consulles enlre eux, les grands prelres prennent a part les soldats, leur font des observations el leur donnent beaucoup d'argent, afin delesobli- ger a dire en tout lieu que, pendant qifils dormaienl, le Corps de Jesus a ete enleve par ses disciples. Les grands prelres et les pharisiens font repandre eux-memes ce faux bruit et annoncer celle nouvelle dans toutes les synagogues de la contree, en y ajoulant des injures conlre Jesus. Mais, grace aux nombreuses apparilions du Sauveur et peut-elre grace aussi aux indisci etions des soldats, la verite finil par arriver aux oreilles du peuple et ci se confirmer de lous c6tes.

G. A peine le jour commence-t-il a poindre que Marie- Madeleine, Marie, mere de Jacques (femme de Gleophas), Salome, Jeanne et d'autres sainles Femmes quittent, envelop- pees dans leurs manteaux, la maison du Genacle. Elles porlent, avec une lumiere, des aromales, des fleurs, des huiles et des eauxparfumees, et prennent le chemin qui conduit au sepulcre du Seigneur. Leur bul est de Yendre a son Gorps leurs devoirs respectueux et de lui temoigner leur amour, en achevanl de lui donner leurs soins interrompus pendant la soiree de sa sepul- ture. D'abord la pensee des ennemis de Jesus leur inspire quelque frayeur, mais leur amour pour lui les fail triompher de tout. Elles ne savenl pas non plus qifil y a un posle de soldats pres du tombeau et que la pierre d'entree en estscellee.Chemin faisant, elles s^entreliennent a voix basse de la maniere dont elles pourraient bien enlever le bloc qui ferme Touverture du sepulcre. Ellessedecident, malgre tout, a aller jusqifau tombeau pour voir ce qifil y a a faire. S'il est impossible d'agir autre- ment, elles deposeront leurs aromates sur la pierre du sepulcre et altendront dans le deuil et les larmes jusqifa ce que quel- qu'un vienne et les aide a eloigner la pierre de rouverture du lombeau. A l'enlree du jardin et ft l'approche du sepulcre, elles voienl, avec elonnement et epouvante, les traces de la garde de nuil des soldats et constatent partout la desolation el les ruines.

APPLIC DES SENS '. RESURREC, APPAR. ALX S. FEMMES, A MARIE 861

La pierre qui fermait 1'enlree de la cliarabre sepulcrale est rou- lee de cole. Les Femraes regardent autour d'eiles avec anxiete, et toutes consternees elles s'approchenl davantage du tombeau. Madeleine, plus courageuse que les autres, entre dans le vesti- bule, se baisse pour regarder dans Tinlerieur du sepulcre, et <ille le trouvevide ; les differents linges sonl plies apart. Inquiele et troublee, Marie-Madeleine montre a ses compagnes le tombeau vide, et aussitot apres sort du jardin pour porter cette nouvelle aux Apolres, reunis au Cenacle. Les autres saintes Femmes deviennent plus hardies et enlrenl dans le veslibule du sepulcre ; se baissant pour regarder parFouverlure du lombeau, elles con- stalent elles-m£mes qu'il est vide. Elles sonl la loutes surprises €t aballues, quand tout a coup deux Anges apparaissenl : runse tient au chevet et 1'autre au pied de la couche sepulcrale. Ils se montrent dans toute la fraicheur de la jeunesse, et ils portent des veleraents sacerdolaux blancs et brillants ; ils olTrent aux yeux des saintes Femmes un speclacle ravissant. Mais celles-ci, tres eflrayees, se serrent 1'une contre l'aut.re et inclinent vers la terre la lele qu'elles cachent dans leurs mains. Alors un des Anges leur adresse, avec une tres grande amabilite, quelques paroles d'encouragement : « Ne craignez point, leur dit-il ; vous cherchez Jesus, le Grucifie ; vous ne devez pas chercher un Vivant parmi les morls ; il n'est pas ici, mais il est ressuscite, comme il vous l'a predit. Voici le tombeau ou on l'a mis ; il esl vide, comme vous pouvez le voir vous-raemes. Allez mainlenant trouver les Apolres et surtout Pierre pour leur annoncer cetle nouvelle et pour leur dire que le Sauveur va les preceder dans la Galilee. »

Apres avoir parle, les Anges disparaissent, et les saintes Femmes, a la fois heureuses el tremblantes, considerent la place ou le Gorps de Jesus a repose et les linges qui l'ont enveloppe, et elles se mettenta pleurer. Ensuite elles s'eloignenl, maissans se hater, eten s'arrelant par intervalles, pour voir aulour d'elles si elles ne rencontreront pas le Seigneur ou encore Madeleine ; elles se dirigent du c6te du Golgotha et de la ville, quittant comme a regret ces sainls lieux. Gependant Marie-Madeleine rovient vers elles, apres avoir vu 1'Ange et le Seigneur lui-mrrae,

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mais aussitdl elle reparl pour le Cenacle. II est bien possible que Jesns ait apparu aux saintes Femmes au momenl ou, encore dans le voisinage du jardin, elles cherchenl des yeux, de tous colesjeur divin Maitre. Celui-ci se presente tout a coup a leurs regards, velu d'une belle robe tres blanche, et il les salue avec une grande bonle et d'un air joyeux : « Je vous salue », leur dit-il. Les saintes Femmes le reconnaissent aussilot et immedia- lemenl elles tombenl a genoux el lui baisenllespieds ; leurbon- heur esl immense et leur fait repandre un torrent de larmes. Jesus les encourage : « Ne craignez point, leur dil-il, mais allez trouver mes Freres pour leur annoncer que je les precede en Galilee. » Ge sont les paroles m£mes qifelles ont entendues deja de la bouche des Anges. Alors le Seigneur disparail. Quant aux Femmes, elles se halent de relourner au Cenacle pour rap- porler aux Apolres etaux disciplesce que le Seigneur leuradi!. D. Mais, avanl cet evenement, Jesus a deja apparu a sa sainte Mere. Mai ie n'est pas allee au sepulcre avec les sainles Femmes, parce qifelle sail que le Seigneur ressuscilera. Elle prefere atlendre sa venue dans le lieu ou elle demeure, dans la maison ou la Cene a ele celebree, et elle se dispose a recevoir la visite du divin Ressuscile. Celte nuil, lajoie el ratlenterem- pechenl de dormir. Elle rev^l ses habits de fele, pour celebrer ainsi dignement la solennile pascale en rhonneur de son Fils. Elle decore avec gout sa chambrelle et place a la fenelre des bouquels de romarin et de myrte, et ensuile se met en priere. Avec quelle ardeur ne soupire-t-elle pas apres son divin Fils, encoreau lombeau, et avec quel amour et quels desirs enflam- mes son espril et son coeur ne voyagenl-ils pas et ne s^elancent- ils pas au-dela de la cellule sombre el silencieuse oii elle est renfermee, jusqu'en dehors de la ville, jusqiraulieu oii repose le Gorps de Jesus ! Veniat dilectus meus in hortum suum. (Cant., 5, l.) In lectulo meo per noctes c/uxsivi quem diligit anima mea, qwesivi illum et non inveni. (Cant., 3. 1.) Hiems trans- Ht, imber abiit, flores apparuerunt in terra... ficus protulit grossos suos, vinese jlorentes dederunt odorem suum. (Cant., 2, 11-13.) /tevertere, similis eslo caprex hinnuloque super montes liether. (Cant., 2, 17.) G^est ainsi que la Mere du Sau-

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veur prie et supplie avec* perseverance, les yenx baignes de douces larmes. De meme qifautrefois elle a, par sa priere, obtenu la venue du Messie en ce monde, de meme aujourd'hui elle altire, par le meme moyen, le Redempteur au dehors de son lombeau. En effel, vers minuil, elle entend un chant celesle, doux et mysterieux ; sa chambre se remplit d'une brillanle lumiere, qui fail paiir la flamme de sa pauvre pelile lampe. Le Sauveur lui apparail, entoure d'une grande foule d'Anges et de Jusles de TAncien Teslament, que Marie salue avec le plus pro- fond respect et la plus touchanteaffabilite. Jesus monlre en celte occasion loule la gloire de sa nouvelle vie : son velement est d'une blancheur eblouissanle ; il a un visage serein, beau, rayonnanl et joyeux. II salue sa Mere avec la plus grande cor- dialile. Marie se jetle aussitof a ses pieds pour 1'adorer, et, dans son emotion et son bonheur, elle lui demande si c'est vraiment lui. « Oui, c'est moi, Mere bien-aimee, lui repond Jesus. Je suis ressuscite elje suis venu vous rannoncer. » Alorsil lareleve avec beaucoup de tendresse et 1'embrasse, metlant son visage conlrecelui de sa Mere et la pressant sur son Coeur. En meme temps, il 1'eleve h une vision et a une connaissance merveilleuse de sa Divinite el de son Humanile, comme personne n'en a eu une pareille jusque-la, el la Mere de Dieu esl inondee, sans s'y attendre, d'un torrent des ineffables joies du Giel. Jamais £tre humain n'a goute des joies pascales comparables a celles-ci. Le Sauveur la recompense ainsi des douleurs ameres qu'elle a souf- ferles pendant sa Passion et sa mort. Ils s'asseoient alors tous deux, et Marie contemple, avec une tendresse, un amour et une joie indescriplibles, les Irails si beaux et sacres de son Fils transfigure el glorifie, son visage et ses mains. Jesus lui montre ses blessures qu'elle a vues naguere si horribles, qui mainlenant rayonnenl el brillent si agreablemenl et dont 1'aspecl cause la plus douce joie. Marie demande k son Fils si loute douleur a pour lui disparu et s'il n'a plus rien a souffrir. Jesus lui repond : « Mere que je respecte et que j'aime, loute douleur a cesse pour volre Fils. Tout est passe, j'ai triomphe de loul, el je ne souffrirai plus jamais rien de semblable. » Et Marie se rejouil en louant Dieu de lui avoirrendu son Fils. L'un et 1'aulre s'enlre-

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tiennent longlemps, et Jesus revele a sa Mere son intention de prolonger son sejour ici-bas avanl de monler vers son Pere. II lui conimunique tout ce qu'il veut accomplir encore sur la terre pour 1'achevement de son Eglise, et il lui indique la part qifelle prendra a celte grande ceuvre. Marie le remercie et se rejouit pour nous ; elle n'oublie pas de lui recommander les Apolres, Pierre, Jean el Madeleine, et elle lui demande de vouloir bien les consoler tous, puisquMls ont tant souflert a cause de lui. G^est ainsi que la Mere de Dieu passe dans la joie la solennite de cette fete pascale, deces premieres Paques cbreliennes.

APPARITION A MARIE-MADELEINE

(Jean, 20, 11-18; Marc, 16. 9-11.)

I. Marie-Madeleine visite le lombeau de Jesus.

A. Marie-Madeleine esl allee avec les aulres Ferames au sepulcre du Sauveur, raais, des qu^elle a vu le tombeau vide, elle s'est rendue en toute hate chez les Apolres pour leurannon- cer cetle nouvelle. (Jean, 20, 1. 2.) 11 est probahle qu'elle revienl au sepulcre sansallendre PierreelJean et qu'elleyarrive avant eux.

B. Marie-Madeleine se tienl donc pres du sepulcre du Sei- gneur et 1'examine a plusieurs reprises. Depnis la morl de Jesus, ce tombeau esl tout pour elle, c'esl Tunique chose qui lui reste du Sauveur. Elle ne cessede pleurer sa Passion et sa mort; elle s'al'llige sans doule aussi de la profanalion presumee de son tom- beau, de riiicertilude ou elle esl de ce qu'on a faitdeson Gorps. (Jean, 20, II.) Elle se baisse pour bien regarder a travers rouverture dans 1'interieur de la chambre sepulcrale, el elle ne voit que les deux Anges qui y elaient deja. (Jean, 20, 12.)Ceux- ci demandent a Marie pourquoi elle pleure. Sans crainleet sans joie elle repond : >< Je pleure, parce cjifon a enleve le Seigneur, el que je ne sais ou on l'a depo^e. » (Jean, 20, 13.) Jesus esl son seul cbagrin el son unique souci. Marie-Madeleine regarde en ce momenl aulonr d'elle, soil sur un signe des Anges, soit par suile dun hruit qu'elle enlend dans le voisinage. Jesus se lient derriere elle. Marie le prend pour le jardinier : c'est peut-etre parce qifil n'a pas son exlerieur ordinaire ou encore

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parce que le chagrin et la peine empechent Madeleine de bien voir. (Jean, 20, 14.) Le Sauveur dit a Marie-Madeleine : « Pour- quoi pleures-tu etqui cberches-tu ? » « Seigneur, lui repond- elle avec beaucoup de politesse, si vous 1'avez enleve, diles-le moi. » Le jardinier n'a pour elle de rimportance qu'aulant qu'il peul la renseignersur sonMailre, qifelle n'appelle pourlant paspar son nom : en elTet, Madeleine croit que tout le mondele connait et pense a lui. « J'irai le prendre parloul ou il se trouve et au prix de n'importe quel sacrifice. »

G. Comme tout est marque, dans cetle femme fidele, au coin de 1'amour le plus grand et le plus pur pour Jesus ! Elle ne cherche que le Seigneur, elle ne pense qu'a lui ; il est tout pour elle, et tout le resle n'a de valeur a ses yeux qu'aulant qu'il se rapporte a lui. Ses pensees, ses paroles, ses ceuvres, ses senli- ments, ses faculles, son elre, tout, absolumenl lout en elle, est au pouvoir et au service de ce noble amour. Le Sauveur eprouve une grande joie a voir 1'amour d'un cceur si fidele, el il merile certes uneconsolation exceplionnelle.

II. Jcsus apparait a Madeleine.

A. De fait, le Sauveur ne resiste pas longlemps a un amour pareil a celui de Marie-Madeleine. II lui apparait donc. Et de quelle maniere?En luidisanl un motelaussi, vraisemblablement, en se presenlant a elle sous un exlerieur reconnaissable et tres glorieux. (Jean, 20, 16.) II ne prononce qu'une parole : Maria ! Mais que ne dit pas ce seul mol ? Cest une parole toute revela- trice : « Cesl moi ; reconnais-moi. » Cestune parole de conso- lalion et d'apaisement : « Galme-toi, console-loi, ne pleure plus a mon sujet. » Cest une parole de reconnaissance et d'amilie, de satisfaclion et d'amour, comme s'il disait : « Je te reconnais bien la, Marie, mon fidele disciple. » Gelte unique parole cause a son coeur plus de joieque n'importe quelle lecture, quelle pre- dication et quelle chose ici-bas.

B. L'effet immedial produit sur Marie-Madeleine est qu'elle reconnait aussilot le Sauveur et qu'elle est inondee d'un torrent de delices. Elle aussi n'a pour repondre qu'un seul mot,

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qui exprime tout ce qui se passe dans son coeur : « Rabboni ! » s'ecrie-1-elle, « mon Mailre ! » (Jean, 20, 16.) Maiscette unique paroledit tout ce qu'elle sail, tout ce qu'elle sent, toutcequ'elle aime ; elle eomprendtout le resume desavie et deson existence. Cette parole indique les plus belles, les plus nobles et les plus touchantes relations, les relations d'un disciple, d'un enfant avec son Maitre et son Precepteur, les relations de respect, de devouement, de reconnaissance etd'amour, en un mot, toutes les relations de Marie avecson Sauveur. Qui pourrait depeindre la grandeur de sa joie? Comme elle est heureuse d'avoir choisi Jesus pour partage ! Quelle magnificence et quelle gloire ne lui revele pas un seul de ses regards sur le Redempteur ! Aussi elle ne peut cesser de baiser ses pieds, d'autant plus qu'elle pense qu'il ne s'agil presentement que d'une apparition passagere et que le Messie va immediatementapres retournerau ciel. A cause de cela, Jesus lui dil : « Ne me touche pas; car je ne suis pas encore monle vers mon Pere. » (Jean, 20, 17.) II ne refuse pas ses hommages, comme il n'a pas davantage decline leshonneurs que lui ont rendus les autres saintes Femmes ; mais il ne peut supporter les exces, et il ne veul pas que Marie croie qifelle ne le reverra plus. II sejournera sur la lerre encore pendant qua- rante jours, et ainsi il lui offrira plusieurs fois 1'occasion de le revoir ici-bas.

III. Le Sauveur charge Marie-Madeleine dhine mission aupros des Apolres.

A. Ensuite le Seigneur confie a Madeleine un message pour les Apotres. Et pourquoi? Parce que precisement Jesus a surtoul en vue ses Apotres en apparaissant ainsi, meme a des personnes en particulier : ses Apotres sont la cause ou le but final de toules ses apparitions. Les Apolres sont les chefs du Royaume qiTil esl venu fonder et donl il veul maintenanl achever 1'organisalion ; les Apdtres doivent rliv l»'s messagers ofliciels de sa Resurreclion, et enfin ils ont, h cause de leur faiblesse, besoin d'une assislance particuliere.

R. Quel est ce message? Jesus leur fait dire par Marie-

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Madeleine non seulemenl qifil est ressuscite, qu'il les precede en Galilee et qu lls le verront, mais encore qifapres il monlera au ciel. Ge message renferme une explication et un developpement plus elendus de la nature et des effets de sa vie glorieuse ici-bas. II est en r£alile ressuscite, il vit sur la terre, il conversera avec ses Apolres, il designe la Galilee comme lieu de rendez-vous pourfaire des preparatifs el des arrangements imporlanls; mais il ne restera pas en ce monde : apres quelque lemps, il ira au ciel et lerminera de celle maniere son oeuvre terreslre. Ge ii'est donc pas la vie d'autrefois qif il mene aujourd'hui, mais une aulre vie, une vie exceplionnelle et plus celeste.

G. El comment Notre-Seigneur fail-il annoncer celte nou- velle aux Apolres? Dans les termes les plus aimables. II les nomme encore une fois « ses Freres » et il ajoule d'aulres paroles qui monlrent bien le fondement et le couronnementde cette fra- ternile : « Je monte, dit-il, vers mon Pere et votre Pere, mon Dieu et volre Dieu. » (Jean, 20, 17.) Par la Redemplion le lien de la filialion est forme dans le Perecommun, et runion parfaite esl consommee dans la possession commune de Dieu au ciel. Nous avonsdonc ici une explication et un developpement magni- fiques des buts et des fins de la Resurrection que le Sauveur enonce et marque par ces paroles. Toule joyeuse, Marie-Made- leine se hAle de porler son message aux Apotres.

II ify a guere, ce semble, d'aulres apparilions de Jesus ou tout porle aux choses surnalurelles et celesles comme fapparition qui nous occupe : on dirait que le Sauveur veul indiquer el for- tement donner a nolre coeur et a nolreelrela direclion qui mene a la fin. (Col., 3, 1. 2.) Dans les dernieres paroles qu'il prononce, il esquisse non seulemenl le programme de son exislence tem- poraire ici-bas, mais encore celui de loule nolre vie. Nous voyonsaussi comment le Seigneur fail servir afavantage de son Royaume toutes ses relalions, meme celles d'un caraclere tout a fait prive. Les Apolres et 1'Eglise sont le but linal de loutes ses pensees, el il dirige dans ce sens les pensees des siens. Ne devons-nous donc pas nous-memes suivre celte direclion, surloul si nous sommes dans un degre de la hierarchie sacree et des membres dun Ordre aposlolique! L'Eglise du Ghrist elleGhrist

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Jui- meme ne doivent-ils pas aussi occuper la premiere place dans nolre coeur? Quel bel exemple de cet amour ne nous donne pas ici Marie-Madeleine! Comme elle est zelee et genereuse, fidele etconstante! Apolres, « vous voyez cette femme?... » (Luc, 7, 44.) Que le Seigneur nous accorde la grace de Taimer par rintercession de sa grande Servanle, dont 1'aniour lui procure lant de joie!

PIERRE ET JEAN AU SEPULCRE : LE SAUVEUR APPARAIT A PIERRE

(Jean, 20, 1-10; Luc, 24, 12. 34.)

I. Pierre et Jean vont au Sepulcre,

A. L/occasion de cette visile est la nouvelle, donnee par Marie-Madeleine, que la pierre d'eiilree du tombeau est mise de cote et que le Gorps de Jesus a ele enleve. (Jean, 20, 1. 2.)

B. Immediatement les Ap6tres Pierre el Jean se rendent au sepulcre. (Jf.an, 20, 3.) Dans cet empressement les deux Apotres montrent plusieurs excellentes qualites : tiabord, leur superiorite spiriluelle : ils ne considerent pas, en effet, la nou- velle, apportee par Madeleine, comme cliimerique, ainsi que les aulres Apotres le penseront plustard, mais ils veulenlse rendre compte du fail par eux-memes et regler ullerieurement leur con- duite d'apres ce qu'ils auront vu. De plus, ils montrent rinter^t veritable qirils prennent a tout ce qui regarde le Sei- gneur et toul raraour qu'ils porlent a leur divin Maitre. Toule nouvelle de Jesus est pour eux d'une importance capitale et esl accueillie par eux avec le plus grand empressement, qu'elle vienne de ii'iniporte ou. Dans sainl Jean specialement apparait toute 1'ardeur juvenile de cet araour, quand il court plus vile que saint Pierre. (Jean, 20, 4.) Enfin, Tapulre Pierre fait preuve d'un sincere desinteressement, d^iin oubli de soi complet et d'une confiance filiale, en ne redoutanl pas une entrevue possibleavec le Seigneur, qifil a tant offense. II ne pense cerles pas a lui- meme dans son zele a apprendre quelque nouvelle de son bon Mailre.

PIERRE ET JEAN AU SEPULCRE

C. Telle doit etre aussi nolre conduite, surtout au teraps de la desolalion et raerae apres nos fautes ou nos bevues. II ne faut pas que l'araour et le zele pour les inlerets de Jesus et de son Royaume souffrent de notre mauvaise humeur et d'une trop grande preoccupalion ou recherche personnelle. En evilantcela, nous sommes dans une disposition d'araeexcellenteel nous nous preparons le raieux possible a recevoir des consolations.

II. Les Apotres visilent le Sepulcre et croient.

A. Arrive au torabeau, Jean se baisse pour regarder dans 1'inlerieur, par 1'ouverture cle 1'entree : il voil tousleslinges qui onl servi a envelopper Jesus, raais il ne penetre pas dans la chambre sepulcrale; sans doule, sa raodestie et les egards pour saint Pierre l'en erap^chent. Jean, 20, 5.)Gelui-ciy enlre reso- lumentel considere les differents linges et en particulier celui qui couvrail la lele du Sauveur: ils sonl lous pliesensembledansun endroit du tombeau. Jean, 20, 6. 7.) Jean est bienlot pres de Pierre, el alors ils parlent entre eux, vraiserablableraent de la raaniere d'enterrer les morls. Les deux Apotres arriveut a se convaincre sur les lieux que le Corps de Jesus n'a ele ni enleve ni abime a la suile d'un tremblement de terre.

B. Le resultat de celte conversalion des deux Apolres est que Jean croit fermement «i la Resurrection (Jean, 20, 8), etque Pierre y croil probablement aussi, puisque 1'Evangile dit qu'il eslretourne dans sa demeure rempli d'admiralion (Luc, 24, 12). Ils quillent le sepulcre dans une toute aulre disposilion qifen y arrivant : ils sont pleins de courage, tout consoles, et onl des lun.ieres parliculieres pour connailre le myslere de la Resur- rection, dont la prophelie de 1'Ecriture et la prediclion de Jesus ne leur avaient aucunement donne l'inlelligence. (Jean, 20, 9.)

C. Les causes de la consolation des deux Apotres sont, avant kyut, la priere duChrisl pour Pierre (Luc, 22, 32 ; pms'} par inaniere de preparation du c6le des Apolres, leur amour pour le divin Sauveur, amour qui les conduit au sepulcre; enfin, lusagc qifils fonl de leur raison et de leur foi, en examinanl le fail en queslion et en y reflechissanl. Cesl ainsi quils sont par-

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vemis a la foi a la Resurreclion. Dans un pareil cas, il n'est pas necessaire que cles Anges leur apparaissent. Reflechir serieuse- nienl sur les verites de la foi et les prendre lout a fail a cceur procurent aussi une solide consolation et de veritables joies pascales.

III. Le Seigneur apparait d saint Pierre.

A. Nous ne lisons pas, dans TEvangile, que Jesus ait apparu a saint Jean : la raison en est que cet Apolre elait suftL samraent affermi dans la foi ou bien que sa modeslie lui a fait taire ce privilege. A Texception de saint Jacques (I Cor., 15, 7), le Seigneur n'aurait apparu en parliculier qu'a saint Pierre. El pourquoi cette apparilion a Pierre? D'abord, il a besoin, sinon d'etre forlifie dans la foi, au moins d'etre console d'une maniere speciale a cause de sa faute ; ensuile, il est le Ghef du college aposlolique, el une apparilion personnelle ne peul que lui donner plus d'aulorite sur les autres Apolres; enfxn, le l^moignage propre de Pierre doit confirmer dans la foi lous ses Freres, surtoul dans la foi a la Resurreclion.

B. Comment rapparition a-t-elle lieu? Cesl un spec- lacle bien touchanl que 1'apparilion du Seigneur a Pierre. Avec quelle bienveillance le bon Maitre ne se monlre-l-il pas a son Apolre? Jesus veul lui-meme en personne donner a Pierre Tassu- rance de son pardon. II le console, il 1'encourage el il lui ordonne de confirmer dans la foi lous ses Freres. Pierre, de son cote, demande a Jesus pardon de sa faute dans de grands sentiraenls d'humilite. Gombien celte nouvelle marque de bonle du Sauveur augmente la confianceel ramour de saint Pierre! Comrae il doit raettre sans arriere-pensee loule chose entre les mains de son Mailre!

G. Le fruit de cetle apparilion est que Pierre en fait part immedialemenl aux autres Apotres et affermit ainsi leur foi : cela ressort des paroles avec lesquelles ceux-ci accueillent les disciples d'Emmaiis. (Luc, 22, 34.) Sainl Pierre goule main- tenant, lui aussi, les joies de la fele pascale, el il commence aussitot a remplir son ministere apostolique.

LES DISGIPLES D'EMMAUS

(Luc, 24, 13-35 ; Marc, 16, 12-13.)

I. Combien ils ont besoin d'eire consoles.

A. Dans 1'apres-midi du dimanehe de Paques, deux dis- ciples de Jesus, donirun s'appelleCleophas, quillent Jerusalem, pour se rendre (Marc, 16, 12) dans le bourg d'Emmaiis, situe a deux lieues et demie au nord-ouest de la ville. Us sont tres tristes.

B. Les causes de leur tristesse sonl indiquees dans 1'enlre- tien quils ont enlre eux etavecleSauveur(Luc,24, 14. 18. 19): La premiere est la fin deplorable de Jesus. Ils sont profonde- ment aflliges d'avoir vu perir, d'une maniere si miserable el des mains des Ghefs du peuple, un Homme, un Prophete, un Thau- maturgelel que Jesus, qifils esperaienl etre le vrai Redempteur dlsrael. (Luc, 24, 19. 21.) Ils s'etonnent de ce que retranger puisse meme seulement leur demander le sujet de leur entretien et deleur allliclion. La seconde cause de latristessedes disci- ples d'Emmaiis est Fechec absolu que vienl d'essuyer leur Maitre : il a manque completement son oeuvre el le but de sa vocation messianique. (Luc, 24, 21.) Ils sont amenes a celte idee ou a cetle conviction d'abord par le fait de la morl de Jesus, mnis surlout parceque, en ce jour, le Iroisieme dejaapres son trepas, il n'a pas encore, comme il Ta annonce, conflrme la verite el la realite de sa Resurrection par une apparilion glo- rieuse el triomphante et aiosi accompli la delivrance dTsrael. Ils s'y attendaient et, au lieu de cela, ils n'onlque la nouvelle cer-

874 QUATRIEME SEMAINE

laine de l'evacuation du tombeau et la nouvelle incertaine de la Resurrection clu Sauveur : cette derniere nouvelle leur vient des Femmesqui pretendent avoir vu des Anges. (Luc, 24, 21-24.) Ils sonl toultroubles et ne savent plus oii ils ensont. Dans celte incertitude, ils ne peuvent concilier la mort sur la Groix de Jesus avec Tidee de Messie, et il Ieur semble que loules les belles esperances qu'eux et tant d'aulres avaient concues sont eva- nouies sans retour. Par consequent, leur intelligence el leur cceur ne peuvent se faire a la pensee du mystere cle la Groix. Cest pourquoi Jesus leur adresse celle apostropbe : 0 slulli et tardi corde... (Luc, 24, 25.) Enfin, la troisieme cause de leur tristesseestla siluation oii ils se trouvent a celle beure. Ils se sont altaches publiquement a la personne du Sauveur, et desor- mais ils ne sont plus que des dupes aux yeux de lout le monde. Ils peuvent a peine parailre mainlenanl sans honle et sans dan- ger. C'est pour cela sans doule qifils s'eloignenl de la ville et qu'ilsgagnenllacampagne. En un mot, ils sonl tout a fait tristes et consternes.

II. Comment Jesus console les Disciples d Emmaiis.

Sur ces enlrefaites, Jesus s'adjoinl a ses deux disciples sans en etre connu, et il sait, par sa conversalion instructive et consolanle, retirer toutes les epines de leur coeur decbire et ulcere.

A. Avanl toul, il fait cesser le scandale que leur donne la Groix : illeur enseigne que la Passion el la mort de Jesus n'ont ele en rien imprevues el que leur resullat n'a ete nullement un echec; il leur prouve, au contraire, quetous ces evenementsont ete prevus et annonces bien des siecles a Tavance par les Pro- pheleset dans rhisloire du peuple de Dieu, et meme qu'en sup- portanl loul ce qu'il a soutfert, le Ghrist s'est revele comme le verilable Messie, promis aux Juifs. Illeur demonlre toul jusque dans les moindres details ; il esquisse ainsi la magnifique figure du Messie en tracant les grands trails de sa Passion et de sa glorificalion, etil expose le plan complel cle la Redemption depuis le commencement. II en donne 1'idee mailresse ou dominante

LES DISCIPLES d'eMMAUS 875

dans la sentence : Nonne hsec oportuit pati Chrislum, et ila intrare in gloriam suam? (Luc, 24, 26.) Fnsuite, leSauveur convainc les disciples dEmmaiis de sa veritable et glorieuse Resurreclion. II leur en donne toutes les preuves : il raarche avec eux, il Ieur parle, et ils lui repondent; il les inslruit, il raange a leur table, il change son exterieur corarae il veut (Marc, 16, 12) et il disparait tout a coup a leurs yeux (Luc, 24, 16-3J). Et certes, aprestoul ce qu'ils ont vu, ils peuvent a la fin elre tres conlents el tout a fait rassures.

B. Nous devons egalement considerer ici la maniere donl Jesus agit en celte circonstance. II monlre alors une bienveil- lance, une douceur et une amabilile extraordinaires : il s'adjoint de lui-meme sur la route a ses deux disciples, il slnforme avec beaucoup d'inleret de la causede leurabaltemenl, il leur adresse un long discours, entiereraenl biblique, et a eux seuls, qui ne sont pas m^ine des Ap6lres, mais seulement des disciples; et il letir parle d^une facon si sublime et si consolante que leur cceur ■en est embrase. (Luc, 24, 32.) De plus, il accepte leur invilalion, «'assied a table a leur cote et se revele enfm a eux par la maniere dont il rompt le pain (la fraction du pain apparlienl lou- jours convive dMionneur ou a Thote le plus digne) ; en cet instant, il laisse echapper en leur presence un rayon de sa gloire. II y a des saints Peres qui pensenl meme qifa celte occasion le Seigneur a donne la sainte Communion a ses deux disciples. S'il en est ainsi, Jesus a raontre lout 1'exces de son araour, car il a fail alors un autel de la lable de rhospitalile.

G. Mainlenant, quels effels produit cetle apparition sur les disciples? D^abord et avant tout ils sont et demeurenl con- vaincus de la Resurreclion du Sauveur : leurs prejuges conlre la Passion torabent, les nuages de leur intelligence se dissipent •en ce sens qu'ils coraprennent dans ce myslere ce'qu'ils ne com- prenaienl pas auparavant ; leur coeur brule d'amour pour leur Maitre si bon, et, dans Pardeur de cet amour et la vivacite de leur joie, ils onl le courage el la force de relourner immediate- menl et en toute hate dans la ville pour annoncer aux Apolres leur grandenouvelle. (Luc, 24, 33.35.)

Au cenacle on leur repond par une autrenouvelle : « Le Sei-

876 QUATRIEME SEMAINE

gneur, leur dit-on, aapparu aSiraon. » (Luc, 24, 34.) En atlen- dant, ils ne reussissent pas, avec leur recit, aconvaincre comple- tement les Apotres. (Marc, 16, 13.)

II [. Pourquoi les Disciples meritentils dfetre consoles ?

A. En premier lieu et avant tout, ils en sonl redevables a la bonle du Seigneur, pour qui porler la croix. ou soulTrir a son service est loujours un motif d'accorder son secours et ses con- solations. En second lieu, les disciples merilent de quelque maniere d'elre ainsi consoles a cause de la haute estime el du fidele devouement qu'ilsluilemoignenleldont leurs paroles sont la sincere expression. En troisieme lieu, leur pieux enlretien sur le Sauveur y contribue egalement : Jesus est toujours tres pres de ceux qui ont de bonnes conversalions. (Mattii., 18, 20.)

Enfin, en qualrieme lieu, leur invilalion aimable el recon- naissanle fournit au Sauveur 1'occasion de rester pluslonglemps avec eux ; aulremenl, il est probable qifil aurait passe oulre et que les disciples auraient perdu une part considerable des con- solations dont ils sonlfavorises.

B. Nousvoyons dans ce mystere se manifester de nouveau 1'exces de la bonte el de l'amour du Seigneur pour les siens : il les connail tous, il lessuil partout et illes console, particuliere- menl ceux qui sont dans la peine et la tristesse a cause de lui.

II est de la pius grande importance pour nous de bien coni- prendre l'enlrelien el l'instruction qui ont lieu, en celle ren- conlre, sur le role de la Groix dans la vie de Jesus, dans la vie de 1'Eglise el dansla vie des Elus : « Le Christdevait souflrir et ainsi entrer dans sa gloire. » II faul dire la meme cliose decha- cun de ses disciples. Que le Seigneur daigne eclairer chacun de nous pour nous faire voir les grands biens que nous reservent, dans nolre exislence, la souffrance et rhumilialion !

APPLIGATION DES SENS

A. A peine Marie-Madeleine a-t-elle conslate, a 1'entree du lombeau, que le Gorps de Jesus n'y esl plus, qu'elle se hale

APPLIC. DES SENS : APPAK. A MADEL., PIERRE, DISC. d'eMMAUS 877

de relournerau Cenacle. Elle frappe vivement a la porle, que Pierre el Jean viennenl ouvrir. En !es apercevant, elle se conlenle de leurcrier : « On a enleve le Seigneur du sepulcre el nousne savons oii il est », et vite elle repart pour le jardin de Joseph d'Arima*thie. A cetle nouvelle, Pierre et Jean, lout slupefails, sont a la fois rejouis et epouvantes. Ils renlrent a 1'inlerieur de laraaison pour en conferer avec les autres Apolres et les disci- ples qui s'y trouvenl. La plupart d'enlre eux ne veulent rien entendre du rapport de Madeleine, qifils regardent comme une hallucinalion de son cerveau trouble. Mais Pierre el Jean ne rejetlenl poinlabsolumenl ce qui peul les renseignersur le Sau- veur, et ils se decidenta se rendreeux-memes au sepulcre pour voir de leurs yeux el aviser ensuile. Ils partent donc, pleins de joieet desireux dapprendre quelque nouvelie de leurbou Mailre el raerae avec 1'idee de ie rencontrer peul-elre. Pierre s'oiiblie lui-meraepour ne penser qu'au Seigneurjel Jean esl si conlent el si avide de savoir quelque chose de Jesus qu'il se met acourir avec 1'ardeur d'un jeune homme et laisse Pierre assez loin der- riere lui. Gependant Marie-Madeleine est arrivee de nouveau au jardin. Son agitation, son trouble et sa course rapide 1'ont mise hors dhaleine etelle esl toute trempee de sueur. Son manleau esl descendu de la tete sur les epaules, et ses Iongscheveuxsonl denoues et pendent de tous coles. Eile entre saus crainle dans le vestibule du lorabeau, sebaisse pour regarder par rouverture de 1'entree de lacharabre sepulcrale, et, ecarlant avec ses mains sa chevelure qui la gene, elle regarde attenlivemenl dans linte- rieur, el bientot un torrent de larmes s'echappe de ses yeux. Alors, elle voit tout a coup deux Anges revelus de vetements sacerdolaux : l'un est au chevet et 1'aulre au pied de la couche funebre. Ils regardent Marie avec une tres grande bonle et lui disent: « Femrae, pourquoi pleures-tu? » Elle repond aussi- t6l : « Ils ont enleve mon Mailre et je ne sais oii ils l'onl rais. » La presence des Anges ne lui inspire ni crainle ni joie. Made- leine considere les linges qui ont enveloppe le Sauveur, con- stale que le tombeau est vide et que le Gorps du Sauveur n'y est plus. On dirail qu'elle ne prend pas raeme garde que les Anges sonl la. Elle ne pense qu'a Jesus, el ayant un vague pressenli-

878 QUATRIEME SEMAINE

oient de son voisinage, elle pense le Irouver partout. Cest pour- quoi elle se retourne comme si elle le cherchait des yeux, et, landis qifelle rejette une parlie de sa chevelure sur son epaule droite, elle apercoit toul pres une forme blanche, coiffee d'un chapeauplat. Elle croit que c'est le jardinier. Maislefantome lui demande la raison de ses larmes. Aussitot elle lui repond : « Seigneur, si c'esl vous qui Favez enleve, indiquez-moi ou vous 1'avez mis, afin que j'aille moi-meme le prendre. » Le Seigneur lui dit alors de sa voixaccoulumee : « Marie ! » A rinstant, elle reconnait la voix et, oubliant lout, crucifiement, mort el sepul- lure, elle s'ecrie : « Rabboni(mon Mailre) ! » etelle lombe ases genoux et elend ses bras vers les pieds de Jesus. Dans un ravis- sement celesle elle leve bienlol les yeux et le voit devanl elle debout, dans lasplendeur d'une gloire delicieuse et incompara- ble. Elle baise ses pieds el ne peut mellre un terme aux lemoigna- ges de son respect, de sa joie et de son amour. Le Sauveur Tarrete d'un gesle en lui disanl : « Cest bien, et cela suffit... Je ne suis pas encore monte vers mon Pere et votre Pere, mon Dieu et volre Dieu. » Et il disparait subitement. Desormais Madeleine est convaincue de la verite de la Resurreclion, et aussitot elle se met en route pour rejoindre ses compagnes, qui se sont arretees non loin du jardin avant de regagner le Cenacle.

B. Lorsque Marie-Madeleine sort du jardin, Pierre et Jean yarrivenl. Pierre suit Jean de pres. Jean entre lout de suite dans le veslibuledu sepulcre et se baisse pour regarder par 1'ou- verture du tombeau. II voitdeslinges qui ont enveloppe le Sau- veur, mais il ne penetre pas plus avant par respecl pour Pierre. Gelui-ci entre resolument dans la chambresepulcrale et Jean le suit. Alors ils considerent Tun et 1'autre les linges qui entou- raient le Gorps de Jesus dans le lombeau : le grand linceul est a sa place, mais retombe sur lui-meme el formant une excava- lion ou se trouvent, a leur place, les aromates et les bouquels cFherbes odorantes que Joseph d^Arimalhie et Nicodeme y ont mis ; les bandeletles qui avaienl ete roulees autour du linceul, sont toujours dans le meme etal. Quant au voile de toile dans lequel Marie avail cache la tele de son Fils, il est a parl, au lieu

APPLIC. DES SENS l APPAR. A MADEL., PIERRE, DISC. D'EMMAUS 879

meme ou ce Chef sacre avait repose, tout a fait tel qu'il favait entoure ; seuleruent la partie qui avait couvert la face est relevee. Les cleux Apotres examinent tout avec soin, pendant que Jean explique a Pierrela facon dont leGorpsaeteembaume eldepose au sepulcre. Des lors, ilestclair que le Corps de leur Mailre lf a pas ele enleve el qu'il ne reste plus qu'a croire a la Resur- reclion. Ils se rappellent aussi, en ce moment, la promesse, souvent reileree par Jesus, de ressusciter un jour. Jean croit desormais fermement a sa Resurrection el quilte le sepulcre, le courage et la joie dans rame. Saint Pierre est lui-meme rempli de consolation ; pourtant il est encore agite par differentes pensees : Abiit secum mirans. II se dit a lui-meme : « Oudonc est le Seigneur ? Pourquoi ne vient-il pas consoler les siens?...» U ne se juge pas digne personnellement d'une apparition de son Mailre : il a ele si coupable envers lui ! Celle humilite de 1'Apotre plait au Seigneur, et il esl probable que Pierre, revenu au Cenacle et peut-etre en priere ou 1'esprit occupe de son divin Mailre, esl tout a coup honore de la visite et de Tappari- tion de Jesus. Dans le transport de sa joie et la profondeur de son humilile, il se jelte aux pieds du Sauveur qifil baise avec respect; et, sans atlendre, il se frappe la poilrine en pleurant amerement et en prolestant bien haut qifil ifest pas digne d'etre son Apolre : « Veuillez seulement, Seigneur, ajoute-t-il, me rendre volre grace el votre amour, et je serai assez heu- reux. » II abandonne tout le reste a son divin Mailre en toule confiance et toute humilile. Mais Jesus esl rempli de bonlepour Pierre, a qui il dil : « Que la paix soit avec toi ! Ne crains rien : c'est moi ; lon peche est pardonne ; il ifest arrive que ce que je f ai predil. Maintenant je renouvelle tout ; confirme desor- mais tes Freres. » L'Ap6tre est trop heureux. Les derniers nuages sonl dissipes dans son ame. II court a finstant vers la Mere de Dieu et les Apolres pour leur raconter ce qifil a vu el entendu.

G. Le Dimanche, dans 1'apres-midi, deux disciples, appeles Tun Cleophas et lautre, d'apres la Iradilion, Luc, quittenl la maison oii Jesus a celebre sa derniere Cene. Ils ont a la main des batons et portentdes pelils paquels de voyage. llsparaissent

880 QUATRIEME SEMAINE

avoir peur. L'un passe par la porte de Bethleem, 1'autre par celle des Juges, el, lorsqirils sont hors de la ville, ils se reu- nissent ensemble el marchent vite, regardant de lemps en lemps avec anxiete aulour d'eux ; ils s'avancent dans la direction du bo urg d'Emmaiis. Le trouble el la tristesse sont peints surleur visage, et, des qu'ils ont perdu de vue la ville, ils se mellent a parler entre eux. Ils ont besoin de s'enlretenir de tout ce dont ils ont ete temoins les derniers jours passes.La Passion du Sau- veur leur pese paiiiculierement sur le coeur. II elait un Homme si bon, si saint, si grand, un Prophete et un Thaumalurge, bien pliis, le Messie ; il se donnait comme lel, el eux-memesle regar- daient ainsi : commenl donc a-t-il pu perir d'une manieie si miserableel de lamain desgrands pretres? U leur esl impossible de le comprendre. Si au moins, en ce jour, le troisiemeapres sa morl, il elait ressuscile et avait, par une manilestalion merveil- leuse et extraordinaire, retabli le Royaume dlsrael ? Leurs esperances, par consequenl, sonldecues et, auxyeuxdu peuple, ils sonl des dupes ; ils ne peuventmeme pas se monlrer en public sans elre un objel de railleries et de menaces. A cause de cela, il leur eta.il desagreable de rester a Jerusalem el ils se hatent de gagner la campagne. Tandis que les deux disciples se comrauni- quent ainsi leurs tristes pensees, ils apercoivenl sur un chemin de traverse un homrae qui vient de leur cole. Get horarae a loul 1'exterieur d'un pelerin, lequel probableraent s'en relournechez lui. Pour 1'eviter, ils marchentavec plus de lenleur et veulenl le laisser passer ; car ils redoulent de se joindre k sa compagnie ou d'elreentendus parlui. Maisl'homme ralentil aussile pasetprend le chemin des deux voyageurs, quand ils sonl deja un peu plus loin devant lui. Pendant quelque teinps il lessuil sans se presser, et enfin il s'approche toul pres d'eux. Les disciples veulenl lui ceder le pas el le laisser passer ; maisil les salue aimablemenl el leur demande ou ils vont. Sur leur reponse, il dit qu'il va lui- meme a Emraaiis, el, commeils reslenttimidementsur la reserve et la bouche close, il leur pose netlement celte queslion : « Qu'avez-vous donc? Vous paraissez tristes ! De quel sujet vous entretenez-vous? » Les deux disciples onl un momenl d'hesila- tion, pendanl lequel ils fixent sur l'elranger des regards scruta-

APPIJC. DES SENS : APPAR. A MADFL., PIERRE, DISC. d'eMMAUS 881

leurs ; puis ils commencent a parler el ils ne finissent qifapres lui avoir raconte toules leurs peines et exposetous leurs doules. Le Seigneur (ear c'est Lui) lesecoute avec interei, et, quand ils ont fini d'epancher leur coeur, il s'arreie, el, les regardant avec amabilile et presque en sonriant, il leur dit : « Quoi ! c'estla ce qui vous rend tristes ? G'est la morl du Messie ? Insenses et incre- dules ! II ifest donc pas le Messie, parce qtf il a ete tue el qu'il a lant soulTert? Ne savez-vous pas que toul cela devait arriver au Messie, et qu'il ne serail pas le Messie, s'il ifen avait pas eie ainsi? » Et alorsil leur developpe loulleplande lavie souflianle et glorieuse que devail mener le Messie, comme les diflerents Prophetes lavaienl predit ; et il montre comment tout, jusque . dans les moindres delails, a ele realise dans la vie el la Passion de Jesus de Nazareth. A mesure que chacune des scenes de 1'existence du Messie est reraise sous leursyeux, les deux disci- ples preient une oreille toujours plus altenlive au recit de 1'Elran- ger; ils se regardent l'un 1'aulre de lemps en temps, et deviennent de plus en plus calmes et joyeux, en sorle qtfa la fin tous leurs doules ont disparu. Ils croientmerae que le Sauveur doit elre ressuscite, surtout que son tombeau a eletrouve vide et quedes Anges onldilaux Femmes qu'il etail vivant. Cleophas et Luc brulenl desormais du desir de revoir leur Mailre bien-aime. Mais les trois voyageurs arrivent a Emmaiis, quand deja le soleil descend derriere la chaine des monlagnes. A un croise- ment des roules, le Sauveur s'arrete el semble vouloir prendre conge de ses compagnons, pour prendre le chemin de Belhleem. Geux-ci rinvitent ii rester en leur compagnie et a passer la nuit sous le raeme toit qifeux. 11 semble hesiter. Mais les disciples insislent en disant que c'est deja le soir, qu'il n'arrivera pas a Belhleem avant la nuit ; que d'ailleurs il les a si bien entretenus el consoles qifils ne peuvent assez lui lemoigner leur reconnais- sance ; et ils le conlraignenl a acquiescer a leurs desirs. L'un d'eux prend le balon et 1'aulre le sac de voyage de 1'Elranger, el ils l'entrainent facilement el avec les egards convenables dans 1'ho- tellerie qtfils onl choisie. Jesus les laissefaire. Gleophas recora- mande aux personnes de la maison de bien trailer 1'Hdle qu'ils amenent : « 11 esl Ires bon, disent-ils, et il nous a rendu tin

882 QUATRIEME SEMALNE

grand service. » Alors on lave les pieds au Sauveur, et les Irois voyageurs se mellenl a lable. Le service se compose de rayons de miel, de gateaux de farine, de poissons el de fruits. Les dis- ciples ont un tel respect pour leur Invite qu'ils lui donnenl la premiere place et le prient de rompre le paiu. Jesus saisitle cou- teau d'ivoire, renfonce dans le pain, qiul coupe dans le sens des rayures qui s'y Irouvent, et en placeles morceaux sur une pelite assietle. Ensuile IeSauveur benilces morceaux : il se leve, prend le pain entre sesdeux mains et prie, les yeuxtournes vers le ciel : il agil en ce moment comme dans toutes les circonslances ou il a beni.el rompu lepain au milieu de ses Apolres. En mSme lemps II se transfigure, et les disciples reconnaissent bienlot les trails veneres cle leur Mailre, donl la t<Me el tout le Gorps sonl enloures d'une lumiere ravissanle. Toul emus et comme en extase, les deux disciples se sonl leves sans le remarquer et onl approche leur bouche enlr'ouverle de la main du Seigneur qui lenr donne a chacun une pelile portion de pain et disparail a 1'instant. Les disciples reslent encore quelque temps absorbes dans leur con- templalion, el, revenus a eux, ils se precipitenl dans les bias l'un de Taulre en versant des larmes de tendresse. IIs se sentent lellement fortifies par la nourriture qu'ils ont recue el la joie qu'ils eprouvent, qu'ils se meltent aussilot en roule pour la ville, afin de raconler aux Ap6lres le recil de celte nouvelle apparilion. En chemin, ils ne peuvent s'entrelenir d^autre cbose que du charme delicieux des paroles et des aclions du Sauveur, de la joie et de la consolalion que ses discours leur ont procu- rees, etde Textase et du ravissement ou ils sonl entres, des qu'il s'est fait reconnailre a eux.

APPARITION DE JESUS AUX APOTRES DANS LE CENACLE

(Jean. 20, 19-23 ; Luc, 24, 36-45.)

I. Dispositions des Apdtres.

A. A 1'arrivee des disciples d'Emmaus, lous les Apolres, exceple Thomas, sont reunis dans la salle du Cenacle. Malgre les differentes revelations et annonces de la Resurrection du Sau- veur, le college apostolique est et resle dans lincertitude, agite par les doutes, l'inquielude el la crainte. Les sainles Femmes hesitent meme a communiquer leur message (Marc, 10, 8) ; et lorsqu'enfin elles se hasardenl a le faire, elles ne trouvent qi.e de 1'incredulite. (Luc, 24, 11.) Madeleine n'est pas mieux accuei!- lie que les aulres Femmes. (Marc, 16, 11.) Meme le double lemoignage de Pierre et de Jean ne suffil pas aux Apotres. (Marc, 16, 13.)

B. Ces doules el cette crainle des Apolres ont un triple objet : D'abord, ils redoutent les Juifs, ainsi que sainl Jean le remarque expressement (Jean, 50, 19) ; c'esl pourquoi ils ont eu soin de fermer toutes les porles de leur demeure. Ensuile, ils sonl loujours dans 1'incertitiide relativement a la Resurrection du Seigneur. Et, enfin, il est probable que leur propre avenir les inquiete. Jesus les a bien fait saluer deux fois comme « ses Freres », mais ils ne savent pas si, dans la suite, rien ne sera change dans leur siluation. lls sonl donc la perplexes, comme un troupeau abandonne qui cberche des yeux son pasteur.

884 QUATRIEME SEMAINE

II. La Consolalion des Apotres.

Les Apolres s^enlreliennent de rApparilion du Sauveur aux disciples d'Ernmaiis (Luc, 24, 36), quand Jesus se montre a eux loul k coup et les console de loules leurs peines.

A. En premier lieu, il les console d'une maniere generale en leur disanl : « Que la paix. soil avec vous! Ne craignez point! Cest moi ! » (Luc, 24, 36.) 11 les exhorle a laisser loule crainle et loute inquielude ; c'est lui et pas un autre qui leur parle, et lui, leur Mailre, leur Seigneur, leur Pasteur et leur Protecteur, lout comme aupaiavant. II y a la une assurance generale de la paix, une invitalion a la confiance el au courage. La paix est le resume de tous les biens que la Redemplion a apporles a riiomme, et Jesus la donne aujourd'hui a ses Apotres. D^ailleurs son apparilion merveilleuse, la transfiguralion de son Corps, la maniere aimable dont il les entrelienl, el les graces interieures qui accompagnent son discours, produisent les efiets que ses paroles indiquent ou signifienl, et remplissent les Apolres de courage et de confiance, les rassuranl meme en face de leurs ennemis. De fait, les Apotres lVauronl rien a soutfrir des Juifs jusqu^a la descente de rEspril-Sainl. Cest ainsi que le Sauveur montre qu'il a le sentiment el rintelligence de toules les faiblesses humaines el quil sail traiter lout avec sagesse el circonspeclion.

B. En se.cond lieu, Jesus console ses Apolres en les rassu- ranl tout a fait au sujet de sa Resurrection. Les Apolres croienl dabord voir un espril. (Luc, 24, 37.) Le Sauveur leur donne loutes les preuves de sa Resurreclion verilable el glorieuse. 11 leur decouvre les doutes qui agilent leur esprit (Luc, 24, 38), leur montre ses mains, ses pieds el son cote avec les cicalrices de ses blessures, en leur permellant sans doute de les toucher de leurs mains ; ensuile, il mange avec eux les restes de leur repas ; enfin il disparail, comme il est apparu, pendant que toules les portes de la maison sont fermees. Certes il fournit, a celte occasion, des preuves suffisantes de sa Resurrection veri- lable et glorieuse.

C. En troisieme lieu, le Seigneur rassure les Apolres sur

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APPARITION DE JESUS AUX APOTRES DANS LE CENACLE 885

leur avenir : en effet, il complete les pouvoirs aposloliques dont ils sont raunis, en y ajoulanl encore deux autres importants. Le premier est 1'intelligence de la sainte Ecriture (Luc, 24, 44. 45) : ils en connaissent des lors le sens et en peuvent utiliser les paroles selon leur besoin, ainsi qifils le feront a Telection de saint Mathias el le jour de laPentecole. (Act., 1, 16. 20; 2, 16. Le second pouvoir que donne alors Jesus a ses Apolres est celui de remettre les peches, lequel esl une parlie de la puis- sance sacerdotale. Jean, 20, 30.) Nolre-Seigneur confere ces pouvoirs solennellement et suivant la formule officielle : « La paix soitavecvous! Gomme mon Perem^a envoye, moijevousenvoie. Recevez le Saint-Esprit, c'est-a-dire le pouvoir d'absoudre des peches ; les peches seront remis a ceux a qui vous les remellrez. et retenus a ceux a qui vous les retiendrez. » (Jean, 20, 21-23. Le Sainl-Esprit est le Delenteur et le Gollateur des pouvoirs de TEglise, et, pour exprimer cette verile, le Seigneur soullle sur ses Apotres : car le souftle estun symboledel'Esprit- Saint et de sa procession du Pere et du Fils par voie d'amour.

III. Fin ou Portee de celte Apparitum.

Cette Apparition a une double portee ou un double bul : A. D'abord, c'est la premiere Apparition de Jesus a tout le college aposlolique ; jusque-la il ne s'est manifeste qu'a des individualites, qui devaient avertir les Apolres de sa Resurrec- tion. Le Seigneur n'a probablement retarde cette Apparitioo personnelle a tous les Apotres que pour les y preparer, pour augmenter en eux le desir de sa venue, et pour attendre qu'ils soient tous reunis, Thomas exceple : c'est, en effel, la premiere fois oii ils se trouvent tous ensemble dans la soiree. II tient ainsi la promesse qu'il leur a faite un jour « de venir el de les remplir de joie ». (Jean, 14, 18; 16, 16 et suivants.)

R«^ De plus, le Sauveur, dans cette Apparilion, atleinl, pour la premiere fois, tous les buls ou toules les fins de son sejour transitoire sur ia lerre : il prouve la verite de sa Resur- rection et poursuit relablissement de son Eglise. II oblient ce dernier resullat surlout en accordant a ses Apotres le privilege

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de rintelligence de la sainle Ecriture et en instiluant le Sacre- ment de Penitence (Trid. sess. 14, c. i, cn. 31) : nous avons la deux des raagnifiques pierres de 1'edifice de TEglise, particulie- rement le Sacrement de Penitence ! Quel beau present et quel pouvoir divin le Ghrist ne donne-t-il pas ainsi a son Eglise ! Ce pouvoir esl divin dans son principe, puisqu'il est le pouvoir meme du Sauveur : « Gomme mon Pere m'a envoye, moi je vous eavoie... » ; il est divin dans sa verlu etson efficacite : il remet reellement les peches sous forrae de sentence judiciaire ; il est divin dans son Ctendue, qui n'est aulre que celle de la culpabi- lile de riiorame et de la misericorde de Dieu ; il est divin dans ses e/fets bienfaisants, puisqu'il fait cesser tant de raaux, sauve les ames et procure la consolation en repandant la paix etla joie dans les coeurs. U n'y a pas d'autre Sacremenl quiail ete elabli dans des circonstances aussi heureuses : en eflet, c'esl au soir de Paques et a la premiere visile du'Sauveur, apres avoir mon- tre ses plaies aux Apolres, qu'il leur souhaite la paix et souflle sur eux FEsprit-Saint, qui est 1'amour et la douceur de Dieu. Gette paix et cette consolation ineflables sont toujours les fruits du divin Sacrement de la reconciliation. Notre-Seigneur a donc alors fait la salutalion et le presenl de Paques au monde tout entier. II a, dans ce Sacreraenl, pour ainsi dire fonde a perpe- tuile uii tresor inepuisable de graces pour la remission des peches. Gomme nous devons elre reconnaissanls envers le Sau- veur de sa grande bonte et de sa misericorde infinie ! II nous faut lui temoigner encore nolre gratitude specialement en mon- trant toute nolre estime, lout notre z61e el loule notre confiance dans la frequentation de ce Sacremenl.

JESUS APPARAIT A SAINT THOMAS

Jeax, 20, 24-29.)

I. Les Occasions ou les Molifs de VApparilion.

A. Cesl cTabord 1'absence de saint Thomas le jour ou le Sauveur a apparu la premiere fois a lous les aulres Apotres reu- nis. (Jean, 20, 24.) Cest ensuite la disposilion despril de cet Apotre (Jean, 20, 25) : il ne veul pas ajouter foi aux paroles de tous les autres Apotres qui affirment avoir vu le Seigneur, et il declare qu'il ne croira pas, s'il ne met les doigts dans les trous des mains de Jesus et la main dans 1'ouverlure de son cole ; il persiste dans celle declaralion.

B. Les paroles de Tliomas revelent assurement en lui plus d'une impeifeclion : elles montrenl, avant tout, son espril de conlradiclion, son entelement et son opinialrele ; ensuile, elles sonl un manque de respect, et au college apostolique, donl le lemoignage merile creance, et au Sauveur lui-meme, a qui il pose des questions pour pouvoir croire, condilions qui certes ne sonl pas inspirees par 1'espril d'humilite et de simplicite; enfin, Thomas lemoigne de son incredulite, car celle prelention a lout voir et a loul examiner est la ruine de loute croyance. Que ferail-il lui-meme plus lard, siles paiens aqui il prgcheralaResurreclion, lui posaienl les condilions qu'il pose aujourd'hui?

C. Neanmoins sainl Thomas est de tout cceur attache, fidele et devoue a son divin Maitre. (Jean, Jl, J6.) L'elTroi et la tristesse des derniers jours peuvenl Tavoir decourage el rendu timide et singulier. Nous voyons ici la bonte de Jesus : il ne laisse pas de cole ceux en qui il voit de bonnes qualites et des

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qualites imparfailes ; la ou il trouve de la loyaute et de la fran- chise, il sait tourner en bien meme les fautes et les defauts.

II. UApparition elle-meme.

Sainl Thomas merite sans nul doute d'etre reprimande.

A. Que fait maintenant le Seigneur? En premier lieu, il n'apparaitde nouveau aux Apotres que huit joursapres, quand Thomas est avec eux ; et il apparait, ce semble, surtout a cause de cet Apotre. (Jean, 20, 26.) En second lieu, il lui adresse des reproches. Lesquels? D'abord, pour montrer qu'il a tout entendu, Jesus repete toutes les conditions inconsiderees et irrespectueuses que TApotre exige pour croire a la Resurreclion de son Maitre. (Jean, 20, 27.) Ensuite, le Sauveur dit expresse- ment a Thomas de ne plus vouloir £tre incredule, mais croyant et fidele. (Jean, 20, 27.) Enfin, il loue et exalte, en face de 1'obsli- nation de son Ap6tre, la foi de ceux qui croient sans avoir vu. (Jean, 20, 29.) En troisieme lieu, il impose une punilion a saint Thomas : la punilion, sansdoute, de faire exactement tout ce qu'il a desire ; il doit donc s'approcher de son Maitre, metlre les doigts dans les cicatrices de ses mains et la main dans la blessure de son cote.

B. Nous voyons alors 1'exces veritable de la bonle el de rindulgence du Sauveur, bonle et indulgence qui facilement nousferaientporter envie aTApotreThomas. Telle est la maniere d'agir de Jesus : il reprimande, il punil, il repare les fautes et triomphe du mal par le bien. (Fiom., 12, 21.) Cest maintenant qu'on peut apprendre a avoir du Seigneur des sentiments dignes de sa bonte. [Sag., 1, 1.) On dirait presque que la Passion etla glorification de Jesus n'ont fail qu'augmenler sa bonte etsa dou- ceur. (Hebr., 4, 15.)

III. Les Effets de 1'Apparilion.

Nous pouvons en distinguer trois sorles : A. ; D'abord, dans sainl Thomas c'est, avant tout, de la honte, de l'humilite et le repenlir de sa faute. Ensuite, c'est

JESUS APPARAIT A SAINT THOMAS 889

la foi, comrae cela ressort de ses paroles : « Mon Seigneur et mon Dieu! » (Jean, 20, 28.) Elles sont une confession ou une declaration claire, complele et touchante de sa foi a la Divinite du Christ et aussi de sa soumission el de son devouement abso- lus a sa Personne. Enfin, 1'amour est le dernier effet produil alors dans TApotre Thomas. Gomme la puissance, la force de son amour doit gagner au speclacle de la bonte de son Mailre ! Que ne ressent-il pas dans son ame, en meltant ses mains dans les plaies de Jesus et presque dans son Coeur, dans ce foyer ardent et central de toule bonte et de tout amour! II est, a cet instant, non seulemenl gueri de sa faiblesse et purifie de sa faute, mais encore tres avance dans loute sorle de verlus.

B. LTapparilion de Jesus a saint Thomas doit egalement produire sur les autres Apolres les heureux effels de 1'affermis- sement dans la foi el dans la charite. Le Seigneur apparait ainsi a Thomas, en presenee de tous les Apotres, afin d'augmenler leur foi par son incredulile, et pour que la maniere aimable dont il le reprimande opere ramendement de 1'incredule et enflamme du meme coup d'un plus grand amour pour sa Personne divine le coeur de tous les autres.

G. Enfin, ces nifmies effets doivent etre produits en nous. Toute incredulite trouve son reraede et sa guerison dansTincre- dulite de saint Thomas : personne ne peut plus dire que les ApOlres ont cru trop vite ou trop tot. Quel encouragemenl il y a encore pour notre foi d'entendre Notre-Seigneur proclamer bien- heureux ceux qui croient sans avoir vu ! La facon aimable donl Jesus se comporte a 1'egard de son Apolre incredule nous excite a la confiance et a ramour. Nous voyons avec quelle lon- ganimite le Sauveur peut supporler nos lorls ou nos faules el comment il peut aussi les faire tourner au bien. Ne nous a-t-il pas dejA monlre a nous-memes cetle bonte et celle longani- mite?...

Notre foi elnolre charite sontencore solidemenl affermies par ce fait queJesus a voulu garder les marques de ses plaies dans les membres de son Gorps glorifie. Geci est deja avere dans le myslere precedent, ou le Seigneur monlre aux Apotres ses mains, ses pieds et son cole, evidemmenl avec leurs cicatrices.

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Mais, dans le myslere d^ujourdMiui, il n'y a plus de doule pos- sible a ce sujet : le fail esl inconleslable. Jesus conserve ces sligmales pour bien des raisons : premierement, pour prouver que le Corps qu'il a en ce moment est le merae qui naguere a soufferl sur la Groix et pendanl la Passion; deuxiemement, pour rappeler sa victoire sur la mort el 1'enfer par sa propre mort et sa Resurreclion ; troisiemement, pour rornement de son Corps, parce que.ses sligmates soirt les leraoins eloquenls de Tamour de son Gceur, en meme temps que leur eclat et leur splendeur forment la plus belle paruredeson Corps; quatriemement, pour fournir une preuve irrefulable de son amour pour nous, en ayant toujours nos noras graves dans ses mains (Is., 49, 16); cinquie- memenl, pour refficaeite plus grande des prieres qu'il adresse a son Pere en notre faveur; et, sixiemement enfin, pour la honte et la condamnalion de ses ennemis au dernier jour, au jugeraent general : les plaies du Glirisl sonl ses armes. Nous rendons un culle aux plaies du Sauveuren baisant pieusement le crucifix, en faisant ainende honorable ii ses cinq plaies, en ulilisanl la valeur ou le prix infini de ces plaies pour nous proteger dans les tenlalions et les dangers, pour oblenir des graces et augmenter nos merites. Pratiquer 1'une ou Taulre de ces devolions, c'est glorifier les cinq plaies du Sauveur et rejouir le Coeur de Jesus ressusciie.

APPARITION DE JESUS SUR LE BORD DU LAC DE GENESARETH

(Joa.v, 21, 1-24.)

Cesl la premiere apparilion de Jesus en Galilee el la Iroisierae en presence de plusieurs Apolres. (Joan., 21, 14.) Elle est sur- tout iraportanle pour saint Pierre, qui y recoit sa derniere for- raalion, corame Apulre, en tant que la vocation aposlolique lui est propre el personnelle.

I. Le Seigneur exhorte particulierement saini Pierre a Vexercice des fonctions apostoliques.

L'exhorlalion de Jesus est pour lous les Apolres (Joan., 21, 2 , mais specialeraent pour saint Pierre : parce que, d'abord, lui- merae a entrepris la peche, symbolede 1'Aposlolal (Luc, o, 10), offrant ainsi au Seigneur 1'occasion d'apparailre; et, de plus, parce que lui encore dirige celte peche, les aulres ne laisanlque 1'aider (Joan., 21, 11). Le bon Mailre excite saint Pierre aux travaux apostoliques de la maniere suivanle :

A. Premierernent, il l'y invite en apparaissant pendant la peche, en manifestant le desir de manger du poisson (Joan.,21, 4. 5), et en 1'engageant a faire un nouvel essai apres le travail inutile de la nuit (Joan., 21, 6). Le Seigneur soupire apres le salul des iimes, qui est le resullat du travail aposlolique. II desire lenr salul, d'abord a cause de lui-meme : il aime lanl les horanies, el d'ailleurs il est glorifie par leur salul ; ensuile a cause des Apdlres, qui merilent ainsi la magnifique recompense du

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ciel; et enfin a cause des homraes, qui en deviennent eternelle- ment beureux.

B. Deuxiemement , il- y a une exhortation a 1'Apostolat dans le secours raerveilleux que les Apolres trouvent dans cette peche. La chose se passe a peu pres corame a la premiere peche miraculeuse. Les details seuls sonl nouveaux : il semble que les poissons sonl plus nombreux cetle derniere fois; malgre cela, les filets ne sont pas rompus (Joan., 21, 11), image de 1'Eglise qui peul recevoir dans son sein un tres grand nombre d'ames; enfin, averti par Jean de la presence de Jesus, Pierre, au lieu de s'eloigner et de se retirer par une crainte respectueuse, se jette a 1'instant dans 1'eau et accourl, plein de zele et d'amour, vers le divin Maitre. (Joan., 21, 7.)

G. II y a une troisieme invitation a la vie apostolique dans la perspective de la recompense des labeurs de 1'Apostolat, laquelle est figuree dans le dejeuner inlime prepare par le Sei- gneur sur le bord du lacpour ses Apotres et pour Lui-merae. Ici, comme au ciel, le travail esl termine, et les ouvriers ont alleint le rivage; raainlenant, comme dans reternite, la nuit est passee et le jour de la vision beatifique comraence a poindre ; dans les deux cas, c'est le merae Maitre qui prend part a la rejouissance, au plaisir delicieux de la reunion, et qui en est Tauleuret 1'objet. (Joan., 21, 12. 13.) Tous voient et reconnaissent le Seigneur, et personne ne demande son nom (Joan., 21, 12) ; de plus, les ames qui ont ele gagnees sont une partie de la joie. (Joan., 21, 10.) Exhorlation et invitation a 1'Aposlolat sublime ettouchante en verite !

II. Le Seigneur donne a saint Pierre la Primaule.

Jusqu'ici la Primaule n"a ete que promise a Pierre (Matth., 16, 18) ; aussilot apres le dejeuner sur le bord du lac, le divin Mailre la lui confie d'une maniere definitive. Trois choses sont a remarquer dans cet evenemenl :

A. Premierement, le Seigneur designe lout a fait claire- ment Pierre comme l'elu a la Primanle apostolique et comrae celui qui en esl desormais le detenteur : en eflet il i'indique

APPARITION DE JESLS AU BORD DU LAC DE GENESARETH 893

exactenient par son nom (Joan., 21, 15), de maniere a ne laisser place a aucun cloute, a aucune confusion. Plusieurs Apolres assistent a celte scene '^Joan., 21, 2), mais aucun d'eux ne recoit ee que Pierre vient de recevoir.

B. Deuxiemement, il indique aussi exacleraent la plenitude el la raajeste dela Primaute. C'esl un pouvoir legilime, vu qu'il esl confere par Jesus-Christ, qui en esl le possesseur : c'est son propre pouvoir, ce sont ses brebis et ses agneaux qnil confie & Pierre. (Joan., 21, 15.) De pius, c'est un pouvoir etendu, era- brassant toute 1'Eglise et la plenilude de la puissance sur elle : carPierre doit elre le Pasleur ; il doit paitre par la predication, par les Sacreraentset par le pouvoir legislalif, non seulemenl les agueaux, mais aussi les brebis ; 1'Eglise enseignee el TEglise enseignanle lui sont enlieremenl soumises. (II Rois, 5, 2; Ps. 22, 1; 77, 71; Matth., 2, 6; Joan., 16. 17.)... Eniin, c'esl un pouvoir tres important pour loute 1'Eglise, puisque son existence, sa duree, ses allributs, sesforces, sa vie etsesoeuvres dependent absolument de la Primaule du Prince des Ap6lres et de ses successeurs : la vie, le progres, la verlu et l'effieacite ne sonl que la oii est le Pape ; les Eglises separees en sontune preuve frappante...

G. 1 ' roisiemement, le Seigneur raarqueenfin les condilions sous lesquelles il confere a Pierre la Primaule : il devra pos- seder la cliarite, el une grande charile, et une charite humble. G'est lesensqu'a la triple intenogation du Seigneur, demandant a Pierre s'il Taime, el s'il 1'aime plus que les aulres : il est evi- dent qu'il fail allusion a la prolestation presomptueusede fidelite de Pierre avanl la Passion (Marc, 14, 29), et a son triple renie- menl (Joan., 18, 16, et sq.). La reponse modesle de 1'Apolre prouve que son amour esl maintenanl tout a fait humble, et alors le divin Maitre peut lui confier la charge de la Primaute. Pourexercer chreliennemenl une fonclion dans 1'Eglise, il faut avoir une charile humble el une humilile charilable : sans cela, on aboulit a la ruine et a la perdilion. (Luc, 22, 24..., 27.) Le Seigneur a, par une sage conduite, amene Pierre a cet heureux resultal, a cetle parfaile disposilion.

894 . QUATRIEME SEMAINE

III. Jesus promet a saint Pierre une fin glorieuse par le martyre.

A. Nolre-Seigneur, apres avoir confere a saint Pierre la Primaute, lui predit tout aussitot son martyre : « Dans un age avance, tu seras pris, lie (alius te cingel), pour etre conduit au marlyre de la croix : tu etendras les mains pour y elre altache. » (Joan.,21, 18, 19; II Petr., 14.)

B. Mais Jesus promet a Pierre la constance, une perseve- rance glorieuse dans le martyre : la force qu'il monlrera alors, dans la vieillesse, fera un conlrasle frappant avec la faiblesse donl il fit preuve a l'age viril. Ordinairement, c'est le contraire qui a lieu : on est courageux et personnel dans la jeunesse, tan- dis que le vieillard est timide et dependant de tout ; par la grace de Dieu, Pierre, a la fin de savie, donnera Texempleoppose. Telle est donc rimilation parfaile a laquelle le Seigneur invite sainl Pierre plus que n'imporle quel autre Ap6lre (Joan., 21, 19) : en effet, Pierre seul esl le Pape.

G. A la demande de Simon-Pierre sur ce que deviendrait Jean, « si lui aussi souffrirait le marlyre », le Seigneur reponcl par la negation, quoique pourlant d'une maniere vague et inde- terminee : « Si je veux qu'il reste jusqu'a ce que je vienne (soit pour juger Jerusalem, soil pour le juger a sa mort), qu'est-ce que cela le fail ? » (Joan., 21, 22.23.)Saint Jean remarque qu'il . ne faut pas comprendre ces paroles dans le sens qu'il ne mour- rait pas du toul, mais dans le sens qifil ne mourrait pas de mort violenle. (Joan., 21, 23.) Jesus ajoute a cette occasion que Pierre ne doit pas s'inquieler cle la vocalion d'aulrui, mais songer et s'appliquer a son office (Joan., 21, 22) : lesgraces par- ticulieres et la vocalion speciale sont 1'affaire du Seigneur. Gha- cun de ses disciples 1'aime el est aime singulierement-de lui. Jean est aime peul-elre d'un amour plus tendre, honore d'une plus grande inlimitedu Sauveur, elen recoit des privileges plus spe- ciaux. Quant a Pierre, il a en parlage un amour d'eslime plus grand de son Mailreelde plus sublimes fonclions. Jesusaccorde a Jean le don de la virginile, plus cle penelration dans la con-

APPL. DES SENS I APPAR. AUX APOTRES, A THOMAS, ET PRES DU LAC 895

naissance, une contemplalion plus haule et une action dans 1'Eglise d'un caractere plus inlime : c'est la consequence de la nature meme de ses privileges et de ses dons. Le Seigneur veut que Pierre sedistingue par son courage, son energie-et son au- torite dans 1'entreprise et la gestion d'affaires generales et urii- verselles. Jesus confie a Jean sa Mere et a Pierre son Eglise.

Dans ce mystere se monlre de nouveau, magnifique et tou- chante, la bonte de Jesus, surlout a 1'egard de saint Pierre. Le divin Mailre ne retire pas son amour a celui a qui une fois il l'a donne. (Rom., 11, 29.) Gomme le Seigneur a conduit el dirige Pierre avec sagesse et force ! Quelle mansuetude et quelle ama- bilite dans 1'allusion qu'il fait a son reniement! Encore ici, avec quelle aclivite le Sauveur s'emploie a l'achevement de son E^lise ! En effel, il etablit la Primaute et institue ainsi de fail son Eglise. Que la Primaute apostolique est un grand bien ! Tout, absolument tout, nous vient, apres Dieu, de Pierre, ou du Pape, successeur de Pierre.

APPLIGATION DES SENS

A. Lorsque les deux disciples arrivent d'Emmaiis, les Apolres, les aulres disciples et les sainles Femmes sont lous ensemble en priere, dans la vasle salle du Genacle, se tenant debout et ranges autour d'un grand chandelier qui eclaire toule h salle. La priere esl inlerrompue a 1'entree des deux disciples, qui racontent, aussit6t et avec ame, 1'apparition dont ils onl ete les heureux temoins. La Mere de Dieu se rejouit en silence de celte grande marque de bonle de son Fils ; mais plusieurs Apolres ne veulenl pas encore croire a la vraie Resurrection de Jesus et pensent qu'il peut bien y avoir la des visions et des apparitions semblables a celles qu'ont eues les Prophetes. Puis ils se remettent lous de nouveau a la priere comme auparavanl, et voila que le Sauveur se trouve tout a coup debout au milieu d'eux sous le chandelier. II porte un vetement blanc comme la neige ; son visage, ses mains et ses piedsbrillenl d'un doux eclat de couleur rosee et paraissent transparenls ; de ses plaies s'eehap-

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pent des rayons cTune lumiere tres subtile qui captivent lous les yeux. Toul son exterieur exprime une grace et une majeste toutes surnalurelles. II regarde les Apotres avec une grande ama- bilite et leur dit de sa voix connue : « Que la paix soit avec vous ! » Et aussitol, des rayons lumineux jaillissant de sa Per- sonne se repandent sur tous ceux qui 1'entourent, les remplis- senld'une joie intime el excitent en eux une emolion profonde ; mais malgre eux ils reculenl d^elonnemenl et de veneration, ne sacbant encore avec cerlitude si c'est bien Jesus ou seulement une apparition de son esprit : son Gorps est amaigri, etsacliair esl presque diaphane et comme spiritualisee. Alors le Seigneur leur adresse ces paroles d'un lon de voix eleve : « Ne craignez pas! G'est moi. » El il sapproche d'eux, landis que son Gorps prend une forme plus determinee. Les Apotres sont de plus en plus rassures et contenls ; mais ils ne peuvent neanmoins se debarrasser de cetle idee : « Esl-ce bien reellement le Seigneur en corps et en ame ou n'y a-t-il que son esprit? » Jesus se rap- proche d'eux encore davanlage et leur dit : « Quelle pensee avez-vous donc de ne voir en moi qifun espril? Mais un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai. » En meme temps il leur presente ses mains et leur monlre ses pieds, qui poitent encore les marques de ses blessures et brillenl d"un eclal merveilleux. II leur decouvre aussi la large plaie de son cole. Les Apolres avancent de quelques pas, saisissent ses mains, en baisent les plaies et, le regardant avec elonnement et joie, ils se disent en eux-memes : « Non, c'est trop beau pour que ce soit lui. » Le Sauveur leur dit : « Mais que clois-je donc faire de plus pour vous prouver que c^esl bien moi? Je le sais. Avez-vous encore quelque chose a manger? » « Oui », repondent-ils. El Pierre et Jean vont aussitot dans un endroit retire oii l'on apercoit une table, sur laquelle il y a une assielle profonde, contenanl du miel et un morceau de poisson. Le Sei- gneur benit celte nourriture, en prend un peu et le mange a la grande joie et stupefaction de tous ; et les Apdtres remarquenl bien s'il mange en realite el si tout se passe naturellement. Jesus leur distribue lesaulres parts, et des lors ils croient tous qifils onl sous les yeux le Sauveur en personne.

APPL. DES SENS : APPAR. AUX APOTRES, A THOMAS, ET PRES DU LAC 897

Aprescela, le Christ les laisse forraer un double cercleaulour de lui, le cercle des Apotres, qui est le plus rapproche, et ensuile le cercle des disciples... Alors il se met a les enseigner el a leur repeterce qu'il leur a dejadit : « II fallaitque s'accom- plit lout ce que Moise et les Prophetes ont annonce d'avance, a savoir que le Messie souffrit et ressuscital le troisieme jour ; il fallait que la penilence fut prechee, en son nom, pour la remission des peches, et qu'eiix-m£mes rendissenl temoignage de toul cela. » Puis il ajoule, en s'adressant specialemenl aux Apolres : « Mais, pour remplir ces missions, il vous manque beaucoup de choses ; et ces choses, je veux vous les donner main- lenanl : c'esl rinlelligence de la sainle Ecrilure, et c'esl le pou- voir de remetlre les peches, pouvoir quejevousai promisaulre- fois. » Les Apolres s'agenouillenl a cel inslant, et Jesuscontinue avec une Ires grande solennite : « Que la paix soil avec vous ! Gomme mon Pere m'a envoye, moi je vous envoie. » II souffle sur chacun des Apolres et dit ensuile : « Recevez le Sainl- Esprit. Les peches seront remis a ceux a qui vous les remet- trez, et ils seront relenus a ceux a qui vous les reliendrez. » De celte maniere il leur accorde le privilege de comprendre les saintes Ecrilures et de s'en servir suivanl leur besoin, et, de plus, le pouvoir de remellre les peches. Pendant qu'il parle, il est tout brillant ; il s'echappe de sa bouche, de ses mains et de son cole une lumiere qui penelre les Apolres. Puis il disparail subitement, laissanl les Apolres ivres de bonheur. Ils vont et viennent, entrenl et soitent, el enfin se reunissenlde nouveau sous le chandelier, pour enlonner, tous ensemble, le clianl de la reconnaissance el de la louange.

B. Peu de temps apres celle apparition, Tapolre Tliomas arrive lui aussi au Cenacle. Les tristes evenements survenus avant la Paque 1'oiit complelemenl bouleverse : il fuit la com- pagnie des hommes et se retire dans des endroits solitaires. Son caraclere esl loul change, et il ne sait plus que penser de lout ce qui se passe. Soupiranl sans cesse apres son divin Maitre qu'il aime tant et presse du desir de revoir les siens qu'il aime beau- coup aussi, il revient enfin parmi eux, mais tout a fait Irisle et trouble. Les Apolres raccueillenl avec beaucoupde bonle et lui

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raconlent aussitot que le Seigneur est ressuscile et a apparu pendanlson absence. Thomas ne peul les croire et il combal vive- ment loules leurs idees. Tous les Apotres, a mesure qu 'ils se presentent, lui repetent que le Seigneur est ressuscite, comme d'ailleurs il l'a dit avanl sa mort, que les Femmes Tont ren- conlre, qifil a apparu a Pierre, que les disciples d^Emmaiis ont mange avec lui, qifeux tous enfin Tont vu de leurs yeux : « et c'est ici meme, ajoutent-ils, qu ll s'esl monlre a nous » ; et ils raconlent comment a eu lieu cetle derniere apparilion et ils cilenl les paroles qtiMl leur a dites en celle circonstance. Mais Thomas veut avoir raison conlre tous, il se defencl meme en gesliculanl et il declare formellement qu'il ne croira pas tanl qifil n'aura pas mis les doigls dans les trous des mains du Sau- veur et la main dans rouverture de son cole. 11 n'y a rien a faire avec Thomas, el les Apotres le laissent parlir, gardant toulefois Tesperance que Jesus lui-meme eclairera et guerira son Apolre incredule. Cest ce qui arrive bientot. Le Uimanche suivant, au soir, les Apolres sont encore reunis dans la salle du Cenacle au-dessous de la lampe, et Thomas cette fois esl avec eux. Ils vaquenl tous a la priere. Toul a coup rappartement se remplit de lumiere, et tous, comme s'ils pressentaient 1'approche de Jesus, sont remplis de joie et reculent de quelques pas. De fait, le Sei- gneur s'offre bientol a leurs yeux, porlant une robe blanche, et il parcourut leurs rangs ; on dirait un pretre en aube, s'avangant a travers la foule compacle de ses paroissiens reunis autour de lui. Le Sauveur est environne de lumiere. On fenlend dire ces paroles : « Que la paix soit avec vous! » et (il regarde tous les assistanls. Thomas esl loul bouleverse, en apercevant son divin Maitre, et tres inlimide, il veut se retirer. Mais Jesus lui fait signe de s"approcher. Thomas s^approche, agite el tremblanl. Alors le Sauveur prend avec sa main droite celle de Thomas et met rexlremite de 1'index de 1'Apotre dans la blessure de sa main gauche ; il lui fail toucher de meme, avec la main gauche, la blessure de sa main droite ; enfin, de celte derniere main, il inlroduil la main droile de Thomas sous sa robeblanche danssa poilrine pour qu ll touche la plaie de son cole, et il lui dit : « Ne sois plus incredule, mais croyant. » Thomas s'ecrie vive-

APPL. DES SE.NS : APPAR. AUX APOTRES, A THOMAS, ET PRES P-U LAC 899

ment : « Mon Seigneur et raon Dieu ! » et, subjugue par la majesle et 1 amabilite du Seigneur, il s'affaisse comme s'il etait evanoui. Mais Jesus lui prend la main, le releve et lui adresse ces dernieres paroles : « Parce que tu as vu, Thomas, tu as cru ; bienheureux ceux qui n'ont pas vu et ont cru ! « Pendant toute cetle apparition, le Sauveur est tout a fait brillant et ses plaies rayonnent comme de petits soleils. Les autres Apdtres et les disciples sont tres emus; ils n'onl cesse de regarder alten- livement, mais avec reserve, ce que Jesus faisait toucher a son Apolre incredule. Ils se rejouissenl mainlenant de la foi de Thomas et de la facon aimable dont le Sauveur l'a reprimande. Gependant la Mere deDieu est reslee silencieuse et recueillie, comme ravie en exlase.

C. Les Apolres sont ensuile parlis pour la Galilee, ainsi que Jesus le leur a recommande. Mais Pierre n'y veut pas demeurer dans 1'oisivete. II dit donc qiril veul aller pecher, et Thomas, Nathanael, Jacques el Jean le suivent aulacdeGenesa- relh, pour pecher avec lui. Ils monlenl tousdans une barque, et Pierre, non content de donner des ordres, se mel aussi a ramer, comme ses compagnons, avec une grande humilile el une grande modeslie. Pendanl la nuit, ils naviguent ca el la, a la lueur des torches. jelanl leurs filets tanlol a droite, tanlot a gauche, mais sansjamais rien prendre. De temps en temps ils prient et ils chantent. Le matin, au point du jour, ilsse rapprochentdu bord du lac pour se reposer un peu, et ils veulenl, a cause de cela, se rhabiller, n'ayant que leurs veleraenls de dessous et un surloul qui couvre le haut de leur corps. Alors se montre a leurs yeux, derriere les joncs du rivage, une forme humaine, vetue de blanc, qui leur crie : « Enfanls, n'avez-vous rien a manger? » Ils repondent : « Rien. » L'etranger leur dit encore : « Jelez le filel a droitede labarque. » Et sans hesiler ils obeissent. Bienlnt une grande agitalion se produit dans l'eau ; les poissons com- mencent a sauler de tous c6les, et le lilel devienl tres lourd : c>st le signe qu'il doit elre plein de poissons. A cet inslanl, ou le calme regne sur la mer, Jean reconnail le Seigneur et crie a sainl Pierre : « Mais, c'esl le Seigneur ! » Pierre iTallend pas davantage : il met son velemenl, se jetle a 1'eau et passe a Ira-

900 Q_UATRIEME SEMAINE

vers les roseaux pour rejoindre le Sauveur. Les autres Apotres, trainant penibleraent le filet, abordenlau rivage avee la barque. Des qu'ils sonla terre, ils voient unpetit feu allume el-un poisson cuisant sur le brasier ; et, a peu de distance, sur des-pierres, se trouvent des galeaux de farine ou des galeltes : -c'est un dejeuner toul prepare. Le Seigneur leur dit d'apporler des poissons de leur peche. Pierre aide les autres Apolres a lirerle filel sur le rivage, puis il se niel a le vider : il en relire cent cinquante- trois gros poissons, qifil place au fur et a mesure aux pieds de Jesus. Ensuile, le Seigneur les invite a manger. La place qifil a choisie, sur le rivage, est agreable et silencieuse ; il s'y Irouve une cabane de pecheurs dont la porleest ouverle. A un signede Jesus, les Apolres s'assoient, le dos appuye conlre une poutre qui esl devant la cabane, el le Sauveur lui-meme les sert. II donne a cbacun un galeau el un raorceau de poisson qifil prend dans la poele, et il s'assied lui-memeelmange comme eux. Tuut se passe dans le plus grand calme el tres paisiblemenl. Une cerlaine crainte reverentielle empeche les Apotres de parler. En effet, le Sauveur parait lout transfigure, et !e repas a quelque cliose de rayslerieux, desolennel et de Iranquille, quelque cbose qui tient de la gravile et de l'agremenl de la vie du ciel. Les Apolres ne peuvenl assez admirer la maniere donl loul cel eve- nemenl vienl de se passer.

Apres le repas, Jesus seleve avecles Apotres. Tous ensemble vont et viennent le long du lac pendanl un certain temps. Puis le Sauveur s'arrele toul a coupet, d'un airgrave et majeslueux, il dit a Pierre : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-lu plus que ceux- ci?» Pierre, etonne et inlerdit, repond tres timidemenl : « Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. » Alors le divin Maitre lui dit : « Pais mes agneaux. » Quelques inslants apres, le Sauveur se tourne de nouveau vers Pierre, s'arrete, et, en presence de tous les Apotres, lui pose cette queslion : « Simon, fils de Jonas, nfaimes-tu plus que les autres ? » Pierre, se rappelant son reniemenl, devient encore plus timide et plus hurable : « Mailre, vous savez que je vous aime. » Jesus lui dit solennellement : « Pais mes agneaux. » Pour la troi- sieme fois, le Sauveur regarde Pierre en reilerant la meine

APPL. DES SENS l APPAR. AUX APOTRES,.A THOMAS, ET PRES DU LAG 901

demande, et Pierre, conlriste, c^mme si Jesus doutait de son* amour, et tout a fait repentant de son reniemenl, il repond : Seigneur, vous savez tout, et vous savez que je vous aime. » Jesuslui redit, mais encore avec plus de solennite : « Pais mes brebis. »■ El il ajoute : « En verile, en verite, je te le dis, lorsque tu elais jeune, tute ceignais loi-meme-el lu allais ou lu voulais; mais quand tu seras vieux, tn elendras les mains el un aulre te ceindra ou te conduira oii tu ne veux pas aller. Suis-moi. » II est vraisemblable que Pierre voit alors en esprit le sens et la portee de ces paroles, c'esl-a-dire prevoit son emprisonne- ment et sa mort sur la croix, et il se met a suivre Jesus, mais sous le coup dela plus profonde emolion. Alors il lui vient la pensee que Jean, le bien-aime du Sauveur, n'aura pas le bon- heur de souflrir le marlyre, et monlrant cet Apotre "a Jesus : « aSfailre, lui dit-il, que deviendra clonc celui-ci? » Le Seigneur reproche a Pierre sa curiosile et lui repond : « Si je veux qu'il resle ainsi, jusqifa ce que je vienne, qif est-ce que cela te fait ? Pour toi, suis-moi. » Et Jesus disparait a 1'instant, laissant les Apotres et surlout Pierre extraordinairemenl consoles.

L'APPARITION SUR LA MONTAGNE

(Matth., 28, 16-20 ; Marc, 16, 15-18 ; I Cor., 15, 6.)

I. Les circonstances de V Apparition.

A. Le lieu ou Jesus apparait de nouveau est encore la Galilee, et c'est probablement sa derniere apparition avant de monter au ciel. Dans cette apparilion il complele 1'organisation de son Eglise et se montre a une grande foule de peuple. Le lieu est parfaitement cboisi pour la circonstance : la Galilee est, d^apres les Propheles, le premier tbealre de Tactivile exterieure de Jesus (Is., 9, 1 ; Matth., 4, 15) ; la Galilee est la patrie de la plupart des Apolres ; c'est en Galilee que le Seigneur a com- mence a balir 1'edifice de son Eglise, elc'est la meme qu'il veut aujourd'hui en faire rachevement par rinstitution de la Pri- maute; c'est aussi de la que les Apotres vont recevoir leur Mission definitive de precher TEvangile etd'etablir TEglise dans le monde entier. La montagne de la Galilee ou a lieu Tappa- rilion est vraisemblablemenl le Thabor ou la monlagne des huit beatitudes.

B. Si cetle apparition est la meme que celle dont parle Tapolre saint Paul (I Cor., 15, 6), les Apolres s'y trouvent, ainsi que beaucoup de disciples de Jesus et une grande foule de fideles jusqu'au nombre de cinq cents. Gest donc une des plus belles, sinon la plus belle.desapparilions du Sauveur, repondant parfaitement au bul iju'il se propose ; et c'esl peut-elre 1'appari- lion qu'il a fait enlrevoir a ses Apotres. (Matth., 28, 7.)

G. Quanl aux disposilions des membres deTassemblee, les

l'aPPARITIO\ SLR LA MONTAGNE 903

uns croient el les autres doutent : il serable que les premiers sont les Apotres et les disciples qui ont deja vu le Seigneur depuissa Resurrection, et que les seconds sonl ceux qui ne Tont pas encore conteraple dans son etal glorieux.

II. Butel portee de l' Apparilion .

Apres avoir organise 1'Eglise el donne aux Apotres la pleni- tude du pouvoir apostolique, Nolre-Seigneur veut raaintenant leur confier la mission d'exercer ce pouvoir dans tout runivers. A ce sujet, nous avons troisclioses aconsiderer :

A. Premierement, Jesus confirrae la legitimite du pouvoir apostolique et de la mission de 1'exercer, en en montrant l'ori- gine et la nature : « Toul pouvoir m'a ele donne au cielet surla terre. » (Matth., 28, 18.) Le Seigneur possede la plenitude de la puissance, par consequent le pouvoir d'enseigner, le pouvoir pastoralel le pouvoir sacerdolal ; il la possededans toule 1'eten- due du domaine de Dieu; et non seulement pour lui-meme, mais encore avec la faculte de communiquer a qui il veut et dans la mesure qu'il veut. 11 a loute cette puissance en propre comme Fils de Dieu et comme Greateurdumonde (Jean, 1, 10); il en a herile comme Homme-Dieu [Col., 1, lo), il l'a acquise

Hebr., 2, 10), il l'a achetee (I Pierre, 1, 19) par sa mort, au prix de son sang. A tous cestilres il possede la puissance, mais il a voulu la recevoir de la raain de son Pere, apr^s l'avoir merile et en lui reslantloujours soumis. Cest aussienvertu des niemes titres que les Apotres ont et exercent le pouvoir qu'il leur aconfie ce jour-la.

B. Deuxiemement, le Sauveurdetermine retenduedu pou- voir apostolique. Ge pouvoir est simplemenl « son pouvoir », et it lexplique : « Enseiguez » (Matth., 28, 19), faites des disci- ples ; « baptisez », incorporez a mon Royaume ; et « enseignez aux horaraes a observer lout ce que je vous ai commande ». II donne ainsi aux Apolres le triple pouvoir dont il a deja ete queslion, loute puissance pour elablir, conserver, gouverner et etendie le Royaunie du Christ sous la haule directiou de sainl Plierre. El cette puissance des Ap6tres s'elend, comme celle

90-4 QUATRIEME SEMAUNE

du Sauveur, a toill runivers (Marc, 16, 15), a tous les peuples, et a toule la race humaine (Matth., 28, 19), a tous les temps et a toule la duree du monde (Matth., 28, 20), a relernite elle- meme (Matth., 28, 18), et avec une complele independance de lout pouvoir temporel. La ligne de demarcation de ce grand Royaume esl tracee, les murs de separation entre les differenls peuples, entre le ciel et la terre, sont renverses : tout ne forme qu'un immense Empire, donl le ciel et la terre sont les deux provinces. En merae temps qu'il lenr confere le pouvoir el le droit de 1'exercer, le Seigneur impose a ses Apotres le devoir de Texercer effectivement et a lous les aulres hommes robligation.de s'y soumettre : il n'excepte el il n'exemple per- sonne.

G. IroisUmement, Jesus ajoute une sanclionaux loisqu'il vient de donner : c'est une recompense ou une punition, le ciel ou 1'enfer, pourles Apotresel pourleurs auditeurs, les liommes, selon queles uhs (Marc, 1G, 16) et lesautres auronl ete fideles ou infideles aux devoirs respeclifs qui leur incombentdesormais. Afin qifils exercent leur charge avec plus de facilile et de suc- ces, le Sauveur promet a ses Apotres des graces ou des dons particuliers, comme le pouvoir de commander aux mauvais esprits, celui de guerir les malades e< le privilege de parler dif- ferenles langues. (Marc, 16, 17. 18.) II leur assure egalement une assistance speciale de Dieu qui durera loujours (Matth., 28, 20), jusqira ce que TEglise raililante se transfigure el se trans- forrae en Eglise triomphante.

III. Conclusions ouFruits.

II y adeux conclusionsa tirer de ce mystere:

A. D'abord, nous devons tous en retirer les fruils sui- vants : Premieremenl, une reconnaissance sincere pour 1'insli- tulion definitive el solennelle du sainl Bapleme, qui est comme notre naluralisalion dans le Royaumedu Ghrist et pour nous tous la porle d'entree dans 1'Eglise ; deuxiemement, respect et sou- mission a la hierarchie ecclesiastique, dont le pouvoir est si .grand el verilablementdivin ; troisiemement, foi a la Tres Sainte

l'apparition sur la montag.ne 905

Trinite et grantle reconnaissance a cause de la manifestation publique et solennelle de ce myslere, qui est comme la clef de voute et le couronnement de toute la Revelalion.

B. Ensuite, ceuxquiout quelqueparticipationa Texerciee du pouvoir apostolique ont qualre fruils principaux a recueillir : En premier lieu, ils doivent avoir une certaine grandeur, une certaine universalite de cceur et d'espril, 1'Apolre elant pour 1'univers entier, et Tunivers entier pour TApolre; nous ne devons pas nousconfmer dans un lieu elelrecomme altachesa la glebe.

En second lieu, il faut que nous ayons un courage inebran- lable dans les difficultes et les dangers : le Ghrisl esl pres de nous avec son assistance divine, pourquoi craindrions-nous ?

En troisieme lieu, Touvrier evangelique doil avoir une haule estime et la pleine conscience de la sublimite de sa vocation et de sa dignite, parlout et toujours, meme en presence des puis- sanls du monde et des grands de la lerre. En quatrieme lieu, ramour de la Groix est encore un des fruils que TApotre doit retirer de cetle magnifique apparition : en effel, toute la puis- sance apostolique vienl de la Croix, el le Sauveur lui-meme n'a voulu obtenir son pouvoir aulrement que par sa Passion et par sa mort.

Dans le myslere de ce jour, toul est grandiose, d'une por- lee immense et d'une elevation extraordinaire. Les paroles que Jesus emploie, sonl les paroles de benediclion que Dieu autre- fois a prononcees sur le monde, apres avoir acheve 1'oeuvre de la creation. (Gen., 1, 28.) Ges paroles n'ont jamais cesse de retenlir dans 1'Eglise el d'y repandre la vie et la fecondite\ Toute sa puissance d'exlension el de propagation, toute la sura- bondance de sa vie et de ses benediclions, toute sa force de resistance et la mulliplicite de ses vicloires, viennent de celte mission et de cetle benediction du Sauveur, son Mailre; el les membres, les ceuvres et les ordonnances de 1'Eglise participent a tous ces avantages. II faut que loujours elle marche, elle tra- vaille, elle preche, elle s'etende, elle triomphe et remplisse toul de benediclions ; el chacun de nous, proporlion gardee, doil faire de meme.

COUP D'(EIL RETROSPECTIF SUR LA VIE GLORIEUSE DE JESUS ICI-BAS

La vie terrestre du Sauveur, enlre la Resurrection et 1'Ascen- sion, a un triple caraclere ou une triple propriete, et ainsi elle atleintparfaitemenllesdifferentsbuls queJesuss'y est proposes.

I. Cesl une vie glorieuse.

A. Premierement, cette vie est glorieuse, parce qifelle est une vie impassible en consequence de l'immortalile, et une vie impassible parce que Jesus est exempt ou delivre non seule- ment de la souffrance terrestre, de la mort, mais encore des necessites personnelles de 1'existence ici-baset desdependances qu'y entrainent le repos, le sommeil, la nourrilure. II possede la source de la vie en lui-meme et independammenl de tout don et de toute condilion exterieurs. S'il veut bien prendre encore de la nourriture, c'est seulement dans un but plus eleve, non pour conserver sa vie, mais pour demonlrer la verite et la realite de son Gorpsmateriel.

B. Deuxiememenl , la vie de Jesus ici-bas, enlre sa Resur- reclion et son Ascensionest glorieuse, parce qifelle est une vie divine. Par suite de la clarle, de 1'agilile et de la penetrabilite se revelent parliculieremenl dans son Gorps des qualites divines. Le Sauveur est corporellement tanlot ici, tantol la, et il realise presque une sorte d'omnipresence. Laloute puissance se monlre dans le pouvoir merveilleux qu'il exerce, soit sur la nature (Jean, 21, 6, 7), soil sur son propre Gorps, auquel il donne la

COUP D^OEIL RETROSP. SUR LA VIE GLORIEISE DE JESUS 907

forme ou 1'apparence qu'il veut (Jean, 20, 15; 21, 7 ; Luc, 24, 16.) Enfin la splendeur de la Divinile brille dans la beaute et la clarte admirables de son Gorps ressuscile. Jesus ressuscite possede toute la magnificence de la vie ou de 1'etat glorieux, et partout ou il va, il se plait a 1'exposer a lous les yeux.

II. Cest une vie active.

II est dit que le Seigneur, pendant son sejour sur la terre apres la Resurreclion, a beaucoup parle du Royaume de Dieu, c'est-a-dire de 1'Eglise. (Act., 1, 3.) De fail il deploie, pendant ces quarante jours, loute son aclivite, de toute maniere, pour achever et consolider 1'edifice de son Eglise.

A. l/abord, rappelons-nous que 1'Eglise s'appuie sur la foi. Or, le Sauveur ressuscite affermit la foi, en meme temps qu'il agrandit le domaine de cette vertu, en annoncant explicitement el publiquemenl la verite du myslere de la Sainte Trinite (Matth., 28, 19), et aussi, d'une facon toute speciale, 1'article de foi a sa glorieuse Resurrection. Confirmer la realite de sa Resurreclion est uii des principaux buts que se propose le Sauveur dans ses differenles apparitions. El, en effet, il donne toutes les preuves possibles de celle verite, preuves exlerieures et preuves intimes ou personnelles : d'abord, il cile, comme preuves, les temoi- gnages de lasainte Ecrilure relalifs a cet evenement; ensuite, il envoie des Anges pour annoncer sa Resurrection ; enfin, il prouve lui-meme qu'il est reellement ressuscite dans un Gorps d'liomme, vraiet palpable (Luc, 24, 39), et dans le Gorps qu'il avail aupa- ravanl Jea^, 20, 20. 27); il prouve que ce Gorps est anime par une ame humaine et que par consequent lui-meme en personne mene une vie vraiment humaine, qu'il a une vie vegelative (Luc, 24, 43), unevie sensitive, puisqu'il enlend, repond, salue Mattil, 28,9), une vieinlellectuelle, puisqu'ilexplique l'Ecrilure (Luc, 24, 27), et, avec tout cela, une vie glorieuse, puisquil est au-dessus des condilions de la vie terreslre ordinaire, ainsi que le demonlreul ses apparilions et ses disparitions soudaines (Luc, 24, 31. 36 ; Jean, 20, 19. 26). Par cellc wie glorieuse, le Sauveur confirme egalement la foi a rimmoilalile des ames et

908 QUATRIEME SEMAINE

a la resurrection des corps ; il confirmeaussi indirecteraent lous les rairacles qu'il a faits et toute la doclrine qu'il a enseignee pendantsa vie terreslre.

B. Ensuile, les Sacrements et le tresor des graces forment une autre parlie essentielle de TEglise. Pendant les quarante jours qui suivent sa Resurrection, le Seigneur n'institue pas moins de deux Sacrements, la Penitence (Jean, 20, 23) et le Bapleme; en tout cas, il proclame alors l'obligation generale de les recevoir (M.vtth., 28, 19). De plus, il accorde a 1'Eglise, dans le meme temps, les graces ou les dons precieux de l'intelli- gence des saintes Ecritures (Luc, 24, 45) el du pouvoir des miracles (Marc, 16, 17. 18).

G. Enfin, 1'Eglise repose sur le fondement de la hierar- chie. Jesus acheve, en ces jours, 1'organisalion de cette hie- rarchie par 1'institution de la Primaule (Jean, 21, 15); et il donne solennellement aux Apolres 1'autorisation de remplir les fonctious de 1'Apostolat avec 1'assurance formelle de sa pro- lection et de son secours divin (Matth., 28, 20; Marc, 16, 15).

III. Cest une vieaimable.

A. Gelle vie terrestre du Sauveur ressuscile est aimable surtout par les preuves tres nombreuses qu'elle offre de sa bonte, de sa bienveillance el de sa charile infinies a tous sans exceplion, aussi bien a ses Apotres el a ses disciples qu'a ses plus implacables ennerais. II combk tont le monde de ses bien- faits el de la maniere la plus aimable. Rappelons-nous seule- ment, en passant, ce qu'il a fail dans ces jours en faveur des saintes Femmes, de Marie-Madeleine, des disciples d'Emmaus, de Pierre et de Thomas.

B. Nons pouvons nous representer celle amabilite el celte bonle du Sauveur ressuscile sous trois figures, auxquelles donnenl lieu ses dilferentes apparitions : Madeleine le prend pour un Jardinier. (Jean, 20, 15.) Nous avons la une frappanle image de la vie du Sauveur pendanl les quaranle jours qui suivent sa Resurrection. Un orage epouvanlable a devasle son jardin et y a lout renverse. Une fois ressuscite, il retourne vile dans ce

COUP d'0EIL RETROSP. SUR LA VIE GLORIEUSE DE- J^SUS 909

jardin, il y releve chaque fleur et chaque arbuste, y soigne les plantes endommagees, ranime et fait reprendre tout par la rosee de ses douces consolations et le rayonnemenl de sa joie divine. En peu de lemps, les ruines ont disparu et tout est repare et retabli. Jesus se monlre aux disciples d^Emmaiis sous les trails d'un Voijageur. En effet, pendant le temps qui suit sa Resurrection, 1'amour de Jesus le fait voyageur ici-bas, quoi- qu'il soit deja dans la gloire. (Luc, 24, 15. ; Quel compagnon de voyage fidele et patienl ifest pas alors le Sauveur! Comme, par ses recits et ses consolations, il abrege la longueur de la route, diminue la peine et la trislesse de ses deux disciples ! Gomme il forlifie leur courage a la fraction du pain ! C'e*t bien une image charmante de toute la vie de Notre-Seigneur, qui, parsonlncar- nation, s'est fait le compagnun de nolre pelerinage sur la terre, et qui, dans TEucharistie, conlinue a vivre et a voyager avec nous ! Sur le bord du lac de Genesarelh, Jesus apparait comme Pasteur supreme. Quel bon Pasleur il est apres sa Resurrection, pendant son dernier sejour ici-bas ! II n'abandonne pas ses brebis : il revient vite, ii les rappelle, il courl apres elles. Combien sa joie eclate, quand il les a toules retrouvees el ras- semblees ! Et il ne les quilte definitivemenl qifapres avoir cher- che un aulre Pasleur selon son Cceur, Favoir forme et 1'avoir elabli a sa place. El il ne lui confie son troupeau qifapres avojr recu de lui 1'assurance explicite etsolennelle de ne conduire ses agneaux et ses brebis que dans 1'espril de charite qui anime son Coeur divin. (Jean, 21, 15.) Qifil est bon et fidele, Jesus, le Pasteur de nos ames !

I/ASCENSION

(Luc, 24. 44-52; Marc, 16, 19; Act., 1, 4-12.)

Avec TAsceiision finil la vie terreslre du Sauveur el commence sa vie glorieuse dans le ciel.

I. Motifs uv raisons de VAscension.

Le Seigneur doit consommer sa glorification en monlant au ciel, et en voici les raisons :

A. Premi&rement , a cause de lui-meme ou dans son propre inter£t. Pendant le cours de son existence ici-bas, le Seigneur a plusieurs fois parle de son Ascension fulure etl'a laisse entre- voir. (Joan., 1, 51; 16, 28; 20, 17.) La terre n'est pour per- sonne le lieu de la demeure permanente, parce que la terre n'est que le lieu de la preparation ou de 1'epreuve : elle n'est pas le but ni le terme ; a plus forte raison, est-ce vrai pour rHomme- Dieu. Cornme Dieu, il n'a jamais quilte le ciel ; comme Homme- Dieu, il a droit au ciel et il doit en prendre possession, afin de consommer sa gloire. Le fait est accompli, quand riiumanite glorieuse de Jesus entre dans la gloire accidentelle du sejour m6me du paradis : ce qui a lieu a son Ascension. (Eph., 4, 10.) Des lors il ne manque plus rien a sa glorification.

B. Deuxiemement, notre interet demande aussi que Notre- Seigneur monte au ciel. Jesus a acheve son oeuvre sur la terre et etabli son Eglise. Sa presence visible ne peut plus nous elre d'une grande utilite ; mais tout autre doit etre pour nous le resultat de son entree au ciel, dans la maison de son Pere : au

l'ascension 911

ciel, il forlifie la vie de la foi (Joan., 16, 10 ; 20, 29) ; au ciel, il aflermit solidement notre esperance, en prenant deja posses- sion pour nous du paradis (Joan., 14, 2. 3) ; au ciel, il augmente aussi notre charite par les dons magnifiques qifil nous envoie (Ps., 67, 19j, surtout par le Saint-Espril, qui esl la Charite et qui repand la charite dans nos ames. La venue ou la descente du Saint-Esprit lVaurail pas lieu si le Seigneur ne montait au ciel. (Joan., 16, 7.) Ajoutons de plus que le ciel resterait ferme pour nous-memes. (Eph., 4, 8.) L/Ascension est donc d^abord un honneur pour notre nature : le Ghrist l'a placee au sommet des grandeurs divines, au-dessus de toutes les hierar- chies celesles. (Eph., 1, 21.) Ensuite, TAscension du Sei- gneur est pour nous une source de salut : elle augmente et for- tifie en nous la vie de la verlu ; elle permet au Sauveur d'entrer en possession du ciel pour nous et dans notre interet, afin d'y etre notre Avocat aupres de son Pere. (Hehr., 7, 25.) Cesl ainsi que, par son Ascension, Jesus-Christ nous procure de nouveaux moyens de sanctification et de salut ; c'est ainsi qu'il complete et confirme sa doctrine par le spectacle sublime et 1'esperance ferme du paradis, qui est le but glorieux de tous les eflorls de Dieu et de rhomme, de la terre et des cieux. II est cerlain que rHomme-Dieu ne peut terminer sa carriere plus glo- rieusement que par son Ascension.

II. LAscenswn.

\. . Le Sauveur prepare son Ascension ou son depart pour le ciel, avant lout en faisant venir ses Apotres a Jerusalem : il veut de la s'en aller au ciel, et de la cile du trone de David enlrer dans son Royaume. (Mich., 4, 7 ; Luc, 1, 32.) Suivant la coulume des hommes, lui aussi prend part a un repas d'adieu dans la compagnie des siens. Pendant ce repas inlime, il leur adresse ses dernieresrecommandationsfLuc, 24, 46-49; Acl., 1, 4, 5) : il leur ordonne de resler a Jerusalem pour y atlendre rEsprit-Saint, et de fairede celte ville le point de deparl de leiir predication dans Funivers entier. Cependant rAscension ne doit pas avoir lieu dans linterieur de Jerusalem et en presence de

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tout le peuple : ce mystere n'apparlient pas non plus propre- nient a la vie terreslre, a la vie de ce monde.

Le Sauveur conduit donc ses ApGlres et ses disciples en deliors de Ja ville, a la montagne des Oliviers. (Luc, 24, 50.) 11 veut monler au ciel de 1'endroit meme ou il a commence sa Passion et ou il reviendra un jour pour juger tous les hommes. (Act., 1, 11.) Pendant le trajet, les Apdtres rinlerrogent sur le temps du Regne du Messie, lui demandant meme s'il est arrive (Acl., 1, 6) ; le Seigneur ne le nie pas, mais il dil que le soin d'en fixer 1'epoque a ele remis a la sage disposition el a la volonle puissante du Pere celeste (Acl., 1, 7). Ensuile il indique assez clairement que la descente du Sainl-Espril inaugurera le Royaume de Dieu par leur glorieux temoignage, el, a cetle occa- sion, il leur decouvre une magnifique vue sur l'histoire de TEglise. (Act., 1,8.) Au sommet de la monlagne, il benit lous les siens en signe d'adieu (Luc, 24, 50) : c'est le Grand Pretre de la loi nouvelle qui, comme un aulre Jacob, elend les mains sur ses enfants (Gen., 49); mais sa benediction a une vertu et une efficacile que la benediclion dlsrael iVavait pas. Nous sommes lous alors presents a la memoire de Jesus, et aucun de nous n'est exclu de celle benediclion supreme.

B. L'Ascension elle-meme s^accomplit par la puissance de rHomme-Dieu, et, a en considerer rexterieur, visible a 1'ceil humain, elle se fait graduellemenl (Act., 1, 9), avec les mani- feslalions el les signes evidenls d'une giande puissance et d'une grande majesle. La grandeur de celle magnificence ressorl, en premier lieu, du recit meme des Acles des Aputres : « Une nuee apparait... » (Act., 1, 9), c'est-a-dire qu'on voit dans l'air une splendide lumiere, comme cela arrivera au dernier jugemenl, suivanl la parole des Anges : « II reviendra de la meme maniere que vous 1'avez vu aller au ciel » : ce sera avec la plus grande pompe el le plus grand eclal. En second lieu, il convienl que, dans son Ascension, 1'Honime-Dieu deploie loule la magnificence, digne de lui. En troisieme lieu, nous pouvons conjecturer de la "splendeur de 1'Ascension par 1'effel produit sur les Apolres : au lieu de s'affliger du depai t de leur bon Mailre, ils 1'adorent et ils se rejouissenl (Luc, 24, 52), preuve cerlaine de la realile

l'ascension 913

magnifique et ravissanle du spectacle dont ils sont les lemoins. Qui pourrail decrire la beaute de celte scene, qui s'efface peu a peu aux yeux des Apotres? Que dit alors au Sauveur ce der- nier regard a la terre, donl la forme disparait pour lui avec le temps, ses fatigues, ses souffrances et ses travaux, sources pour- lant d'uD bien infini? Que lui dit aussi un regard vers le ciel, ouvert devant lui, comme un Royaume sans fin d'honneur, de puissance et de joie, dans lequel il va enlrer pour s'asseoir desormais, lui, vrai Homme et vrai Roi et Fils unique de Dieu, sur le trone de la Divinite, pendant tous les siecles des siecles? Qifelle doit etre magnifique son entree dans le ciel, au milieu des troupes des Saints de 1'Ancien Testaraent, des premices de la Redemplion! Qu'elles doivenl etre belles la reception et l'in- stallalion a ia droite de Dieu que lui font son Pere el 1'Esprit- Saint! iJoan., 17, 5. 24; Apoc, 5, 12; Eph., 4, 8; Ps., 46, 6. 7.9.)

III. Effets de VAscension.

A. L/Ascension produit dans les Apotres l'admiralion (Act., 1, 10. 11), la joie et l'adoration (Loc, 24, 52). I!s plon- gent, pour ainsi dire, au jour de 1'Ascension, leurs regards dans le ciel, etle ciel est 1'allegresse et le ciel inspire le courage. Ils sont la debout et ils y restent et ils ne peuvent se rassasier de la grandeur et de la magnificence du speclacle. Encore dans le ravissemenl de celle joie, ils quittent la montagne, et, pendanl toute leur vie, le seul souvenir de 1'Ascension les fera tous pal- piter de bonheur.

B. Le fruit de 1'Ascension doilelre, aussi pour nous, avant tout, la joie : nous rejouir du triomphe de notre divin Sauveur, d cnuse de lui : il est mainlenant au terme et en possession de la joie et de la magnificence, qui lui ont tant coule! Desormais 1'hoimeiir et la joie sans fin seront son partage : Et regni ejus non eril finis. iLuc, 1, 33.) L'Ascension doil de plus nous laire nous rejouir d cause de nous-memes : car le ciel depuis lors esl a nous. Le Seigneur en a deja pris possession comme de 1'heritage commun de tous les enfants de Dieu : « Je monte

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OUATRIEME SEMAIKE

vers raon Pere et votre Pere, vers mon Dieu el volre Dieu. » (Joan., 20, 17.) Le bon Sauveur, notre Frere, ne reliendra pas notre parld'heritage. Donc rejouissons-nous! Personne ne nous raviia celle joie! Ensuile, 1'Ascension produira -en nous le courage et la confiance. L'avant-garde de notre armee, en la Personne de notre Chef et Seigneur Jesus, est deja sur les rem- parts de la ville eternelle et regne en Mailre clans la Jerusalem celeste. Quelle chose peut encore nous decourager? Nous n'avons plus qu'un elTort a faire, un assaut k donner, et nous serons aussi nous-memes dans l'inlerieur de la ville. Enfin, TAscen- sion doit allumer en notre cceur le feu de la charite et y exciler des desirs ardents : au ciel, se trouvenl le Sauveur, puis Dieu, puis toul ce qui est bon et toul ce qui est beau; le ciel esl la palrie, le pays natal, d'ou nous venons et ou nous allons. Esl-ce que notre cceur peul elre ailleurs que la? G'esl pourquoi pensons souvent au ciel et soupirons souvenl apres le ciel : il n'est rien de plus beau a quoi nous puissions penser, rien qui nous soit plus avanlageux. La pensee du ciel detache nolre cceur de la lerre, nous donne joie et courage au travail et au sacrifice. Qui croit fermeraent au ciel n'a pas, a vrai dire, un seul instanl de tristesse ici-bas.

APPLIGATION DES SENS

A. Pierre et quelques Ap6tres se dirigent, avec plusieurs disciples et autres fideles, du c6te de 1'occident, vers le mont Thabor : ils viennent du lac de Genesarelh. Au pied du Thabor ils trouvent le reste des Apolres et des disciples, ainsi que la Mere de Dieu, les saintes Femmes el beaucoup craulres per- sonnes. Les Apotres et les disciples savenltous qu'ilsdoivent se reunir en cette parlie de la Galilee : c'esl 1'ordre du Seigneur. Pierre el les Apotres, qui arrivent du lac, raconlent a la Mere de Jesus et aux aulres le miiacle de la recente peche miracu- leuse. A ce recit, tous se rejouissenl grandement et oflrenl a sainl Pierre les lemoignages de leur veneralion. Alors ils prennent quelque nouriilure dans les melairies qui se trouvenl au

APPL. DES SENS l APPAR. SUR LA M0.NTAGNE, ASCENSION 913

pied de la monlagne, el ils la gravissent ensuite lous ensemble. Ils suivent des cherains agreables et ombrages, enlre des haies vives et a travers des bosquets verdoyants, et ils parviennent enfin a qualre plateaux, ou une foule assez considerable trouve facilement de la place pour se promener el pour s'asseoir. II y a sur la montagne deja beaucoup de monde assemble, plusieurs centaines de personnes. Les Apolres se meltent aussitol, sui- vant leur habitude, a parcourir les groupes et a y meltre de 1'ordre, et sainl Pierre commence a precher a loule 1'assemblee la Resurrection de Jesus et a lui annoncer les differenles appa- ritions qui l'ont suivie. Alors le Sauveur se montre tout a coup, el vetu, conime d'ordinaire, d'une robe eclatanle de blancheur, et il passe a travers les rangs presses de la foule Beaucoup de spec- taleurs sont stupefaits el meme inquiels, comrae s'ils avaient devanl les yeux un pur esprit, et reculent de frayeur; mais d'aulres, transporles de joie, se jellenl aux pieds de Jesus et 1'adoretit respectueusement. Le Seigneur s'assied au milieu de la foule, eleve assez haut de lerre, de facon a ce que tout le monde puisse le voir el 1'enlendre, el il regarde toute cette mullilude assemblee, les differenls plaleaux de la monlagne et le beau paysage qui s'etend sous ses yeux. II ne pouvail clioisir de lieu plus favorable a son dessein. On voil au loin, d'un cole, la mer cle Galilee, et, d'un aulre, la mer d'Occidenl, les vertes vallees de la Galilee et les monlagnes sur lesquelles Jesus a prie el a opere des miracles. Tout ici est vaste, grand et eleve. Le Seigneur parle avec beaucoup de solennile de l'accomplissemenl des prophelies, du Royaume de Dieu qu'il elablira sur loute la terre : « Celui, dit-il, qui veul enlrerdans ce Royaume, doil croire, fairepenitenceel selaisser bapliser. Le temps esl arrive pour cela, el c'est pourquoi il a choisi les Apo- tres. Ceux ci doivenl se mellre maintenanl a 1'o.Mivre et faire de lous les peuples une seule Eglise. » Alors leSauveurseleve Ires graveraenl et, s'adressant a ses Apolres, conlinue ainsi : « Tout pouvoir m'a ele donne au ciel et sur la lerre, el ce pouvoir je vous le Iransmels. » 11 etend ses bras de toule leur longueur, corame s'il voulail embrasser loule la lerre el loule rimmanite, et, monlrant les pays et les raers, il s'ecrie : « Alle/. donc,

916 QUATRIEME SEMAINE

enseignez tous les peuples, baptisez-les au nom du Pere, du Fils el du Sainl-Espril, el apprenez-leur k observer tout ce que je vous ai dil. Qui croit et est baptise, sera sauve ; qui ne croit pas, est damne. Les miracles suivront les pas de ceux qui croient : ils cbasseront les demons en mon nom, parleronldifle- renles langues ; ils prendront sans danger les serpents entre leurs mains, et s'ils boivent quelque breuvage empoisonne, ils ifen seront pas incommodes ; ils imposeronl les mains sur les malades, et ceux-ci seront gueris. Voici que je suis avec vous jusqu'a la fin du monde. » Tandis que Jesus prononce ces paroles, de sa personne emanenl des rayons lumineux qui se repandenlsurles Apotres et sans doute aussi sur tout Tunivers. Puis il ordonne a ses Apotres d'aller a Jerusalem, et il fmit en leur disant qu^ils iront jusqifaux extremiles de la lerre, el en les cbargeant de fonder parlout des communautes. En ce momenl il disparait, comme une lumiere qui s'eleint, au milieu des Apolres et de la foule du peuple, qui tous se jellent a genoux pour fadorer.

B. Les Apolres sont de nouveau a Jerusalem, dans le Cenacle, au repas d'adieu que le Seigneur preside avanl son depart pour le ciel. Cest seulement un dejeuner matinal. Les Apolres et les disciples sont assis a diflerentes tables, el les femmes sont a part dans le fond de la salle. Parmi celles-ci, la Mere de Dieu est la moins eloignee de Jesus, qu'elle veut voir el enlendre le mieux possible. Le Sauveur se tient debout pres d'une table; il benit les pains et les poissons et les presente tout a renlour, m^me a sa Mere et aux sainles Femmes. II est tres aimable, tres bienveillant et rempli de sollicitude : on dirait qifil veut se surpasser en bonte et en amabilite. De temps en temps, il donne aux convives des enseignements sublimes et louchanls. II leur dit entre auties choses : « Mon ouvrage est acheve ici-bas, et il est temps pour moi de retourner a mon Pere celeste ; desormais je ne puis plus vous elre utile sur la terre, mais je puis beaucoup 1'aire pour vous la-haut ; je nfen vais donc vous preparer une place; demeurez en moi par la foi, la charite envers moi et envers vous tous et fexercice dela priere; je ne mangerai plus avec vous avant que tout ne soit accompli dans le ciel. » Ges paroles contrislenl singulierement les Apotres,

APPL. DES SENS : APPAR. SUR LA MOXTAGNE, ASCENSION 917

et beaucoup des assistants se raettent a pleurer. Mais le Sau- veurlesconsole en ajoulant : « Je ne vous laisse point orphelins; dans quelques jours je vous enverrai TEsprit-Saint. Restez ici dans la ville pour 1'attendre. Cest lui qui vous arraera de la force d'en-haut ; et vous irez dans tout 1'univers pour rendre temoignage de moi, et vous n'aurez rien a craindre d'aucun ennerai ni d'aucune persecution. » Quand le Seigneur a fini de parler, il fait passer a la ronde encore un verre de vin, dont il boit lui-meme, et il ordonne a toul le mondede se rendre sur la montagne des Oliviers. Avant le depart, Marie s'approche humblement de son Fils pour lui faire une demande : elle voulait le prier de la laisser raourir maintenant pour aller au ciel avec lui; car elle savait parfaitement que Jesus parlait pour le ciel. Mais le Seigneur, qui connait ses pensees, lui fait, avec tous les egards possibles, de la main un signe negatif, en lui disant qu'il ne peul lui accorder ce qu'elle desire. La Merede Dieu remercie humblement son Fils du refus qu'il lui oppose et veut se retirer, quand Jesus la prie de resler. Alors le Sauveur donne solennel- lement a ses Ap6tres Marie pour Mere et Avocate; et Pierre et les autres Apotres viennent, l'un apres 1'aulre, s'incliner devant Marie et recevoir sa benediction. Jesus fait egalement avancer Pierre au milieu de la salle, et il repele ce qu'il luia dil a Cesaree de Philippe et sur le bord du lac de Tiberiade : c'est Pierre qui doit etre le Chef el le Mailre a sa place.

Apres cela, tous quitlent la salle, et le Seigneur les conduit par troupes, d'abord encore une fois au Galvaire et a son Sepulcre; puis, tournanl vers le nord, ii entre dans la vallee de Josaphat et longe le mur de Jerusalem, en face du mont des Oliviers. Beaucoup de fideles suivent Jesus, et aussi dans la vallee du Cedron se trouvent deja un grand nombre de disciples, venus de Bethanie a la nouvelle du depart definilif du Seigneur. Jesus parcourt bienldt, surla pentede la montagne des Oliviers, un endroit delicieux au milieu des arbres. Cest aussi bien ui> rendez-vous de promenades qu'un lieu de prieres, comme il y en a tant sur cetle monlagne et aux environs de la ville : 1'air y est fiais et la situation agreable. La foule s'installe et se repose de tous cotes, au milieu des grandes herbes. Jesus prononce

918 QUATRIEME SEMAINE

encore ici un long discours, dans lequel il console les siens el parle delavenir de 1'Eglise. CTest pour les Apolres Toccasion de lui demander si le Ilegne de Dieu va comraencer mainlenanl. Jesus ne leur fait pas de reponse precise a ce sujel; il leur dit que c'est faffaire de son Pere de delerminer le momenl de Tarrivee du Regne de Dieu, elque, pour eux, ils doivenl atlendre 1'Esprit-Saint, qui leur apprendrael leur annoncera toule chose. II s^enlrelienl longtemps avec eux, comme quelqifun donl la mission esl remplie et qui est sur le point de faire ses adieux : lous les assislants en onl le pressentiment el se pressent autour de lui.

II y a deja plus d'une heure qu'ils sonl la. Le soleil esl deja tres haul, presque au milieu de sa course. De la ville on aper- coilles nomhreux pelerins qui sont sur le penchant du mont des Olives, et lesgroupes varies qui continuent a s'y acheminer. En ce raoment, Jesus se dirige vers le somraet de la montagne, et la foule s'ebranle, se met en marche, formanl comrae differenles processions sur les roules, et s^avancant a travers les bosquets, enlre les haies el les palissades des jardins. Les Apolres escorlent le Sauveur; il sont suivis de tres pres par la Mere de Dieu et les saintes Femmes. Jesus devienl de plus en plus lumineux et marche toujours plus vile, corame s'il voulait echapper a ceux qui rentourent. Sur le sommet de la monlagne, il se tient deboul, ravissanl de splendeur, au milieu d'une grande mullilude d^hommes. II est midi : le Seigneur devienl eblouissant comme le soleil, et bientotun cercle lumineux, reflelant magnifiquement les couleurs de farc-en-ciel, descend du ciel el 1'environne de loule part, mais il a lui-meme, en sa Personne, un plus giand eclat. II regarde, encore une fois, avec une bonle et un amour infinis, sa sainte Mere, ses Apolres, les sainles Femmes, tous ses disciples, tous ses amis, et, plus loin, finfortunee ville de Jerusalem, place sa main gauche sur sa poilrine, eleve sa main droite sainle et venerable, el benil, en se tournant de tous les coles, la foule assemblee el funivers tout entier. Alors, une lumiere d'un eclal parliculier arrive du ciel sur luiet forme une nuee tres claire et tres blanche, au railieu de laquelle Jesus, en presence de tous les assislanls, s^elevelentement dans les airs...,

APPL. DES SENS I APPAR. SUR LA M0NTAGNE, ASCENStON 919

jusqifa ce qu'enfin sa forme humaine se confonde avec celte lumiere celesle : on aurail ctit alors un soleil enlrant dans un autre soleil. Les troupes innombrables des Saints de TAncien Testamentse reunissenl en choeurs brillants autour du Sauveur, penetrenl bientol dans la lumiere et la gloire qui 1'environnent, et disparaissent avec lui dans les liauleurs du ciel des Bienheureux.

Du nuage brillant qui vient de derober Jesus a lous les regards s'echappe une sorte de pluie de lumiere qui tombe sur les spectateurs : ils sont eblonis, saisis d'elonnemenl et de crainte. Les Apolres, qui se tenaient plus pres du Sauveur, sont enveloppes toul a fail dans celte lumiere et tombent la face contre terre. La Mere de Dieu se tient immedialemenl derriere les Apolres et regarde avec calme ; il est possible qu'elle ait alors joui, pendant quelques inslants, de la vue de Dieu el soil reellement monlee en espril au ciel avec son Fils. La foule du peuple observe le plus grand silence et, une fois remise de J'eblouissemenl, ne quitle pas des yeux le phenomene celesle donl elle vient d'etre temoin et donl elle admire longlemps les reflets : tous ces bommes sont agiles de sentimenls bien divers. Cependant voila que du milieu de la voie lumincusese levent toul a coup deux Anges, velus de longues robes blanches et ayant des balons a la main. Ils parlenl a la mullitude ; leur voix a le son eclalant de la Irompelle, mais leur altitude est calme et imposante : « Hommes de Galilee,s'ecrienl-ils, pourquoi reslez- vous ici deboul et regardez-vous vers le ciel? Ge Jesus, qui est monte au ciel sous vos yeux, reviendra comme vous 1'avez vu monler. >x A ces mots ils disparaissent et la nuee lumineuse se dissipe elle-meme peu a peu. Mainlenant les disciples de Jesus savent ce qui vienl de leur arriver : le Seigneur les a quilles pour remonter vers son Perecelesle. Les hommes et les femmes du peuple restent la longlemps encore, conversant entre eux cl regardanl le ciel. Enfin chacun se relire chez soi. Marie el les Apotres sonl parlis Iranquilleinenl, laconsolation el lajoie dans le coeur : ils ont vu de si magnifiques choses ! L'endroil d'ou le Seigneur s'esl eleve vers le ciel esl une pierre plale, une dalle, sur laquelle il a laisse l'empreinle de ses pieds.

Mainlenanl Jesus monleau ciel avecune grande magnificence.

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II est accompagne des Saints de TAncien Teslaraent, qui clian- tentdans les transports de la joie la plus vive : « Cantate Deo, iter facite ei qui ascendit super occasum. Dominus nomen illi. (Ps. 67, 5.) Confiteantur Deo misericordise ejus et mirabilia ejus filiis hominum. (Ps. 106, 8.) Benediclus, Deusnoster, qui salvos facis sperantes in te (Ps. 16, 7.), qui deducis populum tuum in jubilatione et electos luos in Isetiiia (Ps. 104,43.)... En vous elevant dans les hauteurs, vous nous preparez a nous- m£mes une ascension glorieuse et vousnous dirigez vers le lieu du rafraichissement... » Alors lesporles d^orduciels^ouvrent, les chceurs des Anges viennent en chanlant a la renconlre de leur Roi, quils saluent avec le plus grand respect ; ils offrent aussi leurs hommages au corlege brillant qui Taccompagne, et ils entonnent le magnifique chant : « Alleluia ! Benedicfus es, Domine, qui sedes super Cherubim el ambulas super pennas ventorum. (Ps.103,3.) Gloriose magni ficatus es . (Exod., 15, 1.) Con/ileantur cceli mirabilia tua. (Ps. 88, 6.) Ascenderunt tribus ad confitendum nomini Domini. (Ps. 121, 4.) Principes populorum congregati suntcum Deo, quoniam dii forles terrse vehementer elevaii sunt. » (Ps. 46, 10.) El les phalanges des Saints repondent : « Vous, Princes du Seigneur, nos aides et nos protecteurs, que la paix et la joie soient avec vous!... Psal- lite Begi nosiro. (Ps. 46, 7.) Lsztati sumus in his qusedicla sunt nobis : in domum Domini Hnmus. (Ps. 121, 1.) Populus ejus et oves pascuse ejus, inlroibimus portas ejus in confessionp. (Ps. 99, 3. 4.)... Cest Lui-meme qui veut bien nous recevoir. Alleluia! » Mais le Seigneur Jesus s'eleve au-dessus de lous les chceurs des esprits celesles, depose devant le trone de son Pere les premices de son Regne. Le Pere raccueille avec la plus grande bonte et le place h sa droite. Cest la que Jesus vivra el regnera desormais avec le Pere el le Sa;nt-Esprit pendant les siecles des siecles.

LA VIE GLORIEUSE DE JESUS ICI-BAS EN UNE SEULE MEDITATION

I. Commenl le Sauveurest console.

Le Sauveur est console par sa glorification, laquelle a trois degres (page 846, premiere moilie de la page).

A. L'Ame du Christ est consolee immediatement apres sa mort :

a) Elle jouit de la beatitude celeste en elle-meme, dans la partie inferieure de la volonte (p. 839 A .

b) Elle esl lieureuse de son triomphe sur 1'enfer (page 839 B).

c) Elle eprouve une joie incomparable des liommages que lui rendent les justes de 1'Ancien Teslament (page 839 B).

B. Le Corps et 1'Ame du Chrislsont consoles par la Resur- rection :

a) Realite et verite de la Resurrection page 841, i). 6JMagnificence de la Resurrection (page 842, u).

C. LeCorpsetrAmedu Christsont consoles a rAscension : a) Realite et magnificence de 1'Ascension ( pages 91 1 , 912, 913). b Yie glorieuse au ciel, vie de sublime majeste, de paix et de

repos parfails, vie d'aclivite divine avec des resultats el des triomphes incomparables.

II. Comment les Apotres sont consoles.

A. llssonlconsoles par lespreuves de la Resurreclion vraie et glorieuse du Seigneur fpages884 B, 907 A).

922 QUATRIEME SEMAINE

B. Ils sont consoles parlesmarques touchantes de sa bonle et de son amour :

a) Envers ceux quisonl resles fideles : envers Marie (page850, iii) ; envers les saintes Femmes (page 853) ; envers Madeleine (page 8Gt> A, B) ; envers sainl Jean (page 871, n).

b) Envers ceux qui onl failli : envers Pierre (page 872 A, B, C) ; envers Thomas (pages 887 et suiv.) ; envers les disciples d'Emmaiis (pages 873 et suiv.).

c) Envers tous les Apolres, en les confirmantdansleurcliarge (pages883 el suiv., 908 B, C).

III. Comment rtous sommes consoles nous-memes.

A. Parla foi a notre Resurreclion fpage 845 a 848).

B. Par Tesperance ou la confiance dans Jesus (page 908, iii, A, B).

C. Parla charite el par le desir du ciel (page 913 B).

MEDITATION SUR L'AMOUR DE DIEU

(Consulter le Commenlaire des Exercices sur la place et la portee decette Meditation, p. 118, 1.)

I. Essence el nalure de Vamour.

Sainl Ignace clit, relalivement a 1'essence de 1'amour, deux choses qu'il imporle cle bien connailre, si l'on ne veut pas se tromper dans un sujet de si grande consequence.

A. Premierement, le veritable amour consisle beaucoup plus dans les ceuvres et raclion que dans les paroles el le senti- ment. En elTel, Tamour ou la charite est la vertu theologale par laquelle nous embrassons, pour ainsi dire, Dieu avec nolre volonte el nous nous reposons en lui, comme etant le Bien supreme et parfait en lui-m£me. Cet amour esl ce qu'il y a de plus profond dans l'homme; c'est le premier mobile et ressort de sa volor.te, le plus grand commandement, la premiere et la plus haute demande de Dieu a riiomme, la vertu la plus sublime etla plus parfaile, la perfeclion meme, el le service de Dieu le plus excellent. D'ou il resulle que,si l'amour peul consisler dans des paroles, pourtanlil ne peul pas seulemenlconsisler dansdes paroles et des sentiments : cela ne repondrait pas tout a fail a la nalure, a Televalion el a 1'imporlance de ramour ni atix effels merveilleux qui lui sont atlribues ; car les sentimenls et les paroles ne sont qu'une parlie de la faculte humaine d'aimer, et ce n'est pas meme la meilleure. Le sentiment, comme tel, ne depend pas absolument de l'homme, el lesparoles ne coulent pas cher : elles ne sont pas plus que des complimenls ; de quelle maniere pourraient-elles donc former la nalure inlime et com-

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poser 1'essence enliere de 1'amour? L'amour doit donc de loute necessite elre action et oeuvre : sa nature et son honneur 1'exigent. (Jean, 14, 15.)

B. Deuxiemement, l'action par laquelle se prouve Tamour consiste dans la communicalion mutuelle des biens entre celui qui aime et celui qui est aime. Par consequent, il s'agit ici de 1'amour elTectif et reciproque ou, a proprement parler, du veri- table amour d'amitie, lequel consiste dans la connaissance mutuelle de rinclination d'amour el dans la reciprocite de cet amour pai Taclion ou par les ceuvres. L'amour est quelque chose d'exlatique : il doit donner et communiquer de ce qu'il a, et il croit se donner lui-meme en ce qu'il donne. Tel est donc aussi le veritableamourde Dieu.

II. Motifs de Vamour pour Dieu.

Sainl Ignace en donne quatre motifs :

A. Le premier motif que nous avons d'aimer Dieu est la consideration des bienfaits grands et nombreux donl il nous a combles. Pour avoir une idee de lamour de Dieu ft nolre egard, appliquons a Dieu lui-meme la regle et la notion de Tamour que saint Ignace vient de donner. II nous a aimes de toute eternite non pas seulement d'un amour dMnclination ou affectif, mais d'un amour d'action ou effeclif, nous ayantdonne de ce qui est.de lui et nous ayanl coramunique a profusion de tous ses biens et de tous ses tresors, soit dans 1'ordre de la nature, soit dans 1'ordre de la grace.

a) Dans Vordre de la nature, Dieu nous a d'abord donne 1'existence, de preference a des millions d'autres cieatures qui resteront dans le domaine de la possibilile : 1'existence est la source de tous les autres biens. Quant a notre maniere d'elre et d'exister, chacun d'entre nous peut ^tre satisfail de son lot et de son sort : nous avons suffi^ammenl d'intelligence, de talent, d'energie, d'imaginalion, d'habilete et de sante. Nous nous en faisons souvent accroire, a tort ou a raison, sur nos lalents et sur notre superiorite : mais k qui somraes-nous redevables des talenls et cles qualites veritables que nous avons ? Dieu nous

MEDITATION SUR l'amT5l'R DE DIEU 925

a conserve 1'existence jusqu'a ce jour, tandis qu'il en a deja prive tant d'autres, qui elaient venus au monde avec nous ou qui peut-elre furent noscamarades de jeunesse! Quel bien Dieu ne nous a-t-il pas fait au point de vue corporel ou materiel ? Et de quoi avons-nous manque sous ce rapport? Peut-etre navons- nous pas souffert, un seul jour, dela faim, pendant quedes foules dliommes passaient des jours et des jours dans une misere noire, dans une exlreme indigence : a qui en sommes-nous encore redevables?

b) Mais, dans Vordre de la grdce, que n'avons-nous pas recu ? Dieu nous a aceorde la grace de la vocation a la foi et a 1'Eglise catholique ; peul-elre meme avons-nous trouve cetle grace dans nolre berceau, au lieu que dautres ne l'ont obtenue qu'au prix des plus grands sacrifices. Et quelle faveur est celle- ci ! II nous faut apprendre a connailre l'infortune et Tabandon dans lesquels se trouvenl ceux qui appartiennent a dautres reli- gions, pour savoir ce que c'est que d'elre un Enfant de 1'Eglise calholique. Que de graces ne recoit pas un Catholique pendant une seule annee de sa vie? El depuis quand vivons-nous dans le sein de 1'Eglise etnous rejouissons-nous de ses bienfails? Helas ! il en serait tout autrement si nous etions nes de parenls pro- testanls et dans 1'heresie. Pourquoi cela ne nous est-il pas arrive?... De plus, Dieu nous a conserves dans la foi calho- lique. Nos parenls elaientbons, pieux, el nos insliluleurs crai- gnant Dieu; nous avons vecu dans d'excellenles maisons d'edu- cation. Combien d'aulres enfanls el de jeunes gens, pendant ce temps, vivaient a leur guise, et sans foi ni loi ? Rappelons-nous et parcourons les noms de nos amis de jeunesse et de nos con- disciples? Ou sont-ils main'enanl? Que sonl-ils devenus ? El reflechissons aussi aux graces parliculieres donl Dieu nous a favorises et honores. Qui d'enlre nous ne les a pas recues? Et qui connait le nombre lotalde ces bienfaits? Voila les graces queDieu nous a accordoes; et cnmmenten avons-nous profite? Avons-nous ete reconnaissants envers Dieu ? Tous ses bienfaits a notre endroil ont-ils contribue a nous le faire niieux servir et a procurer sa gloire? Qui peul le dire? iVavons-nous pas peut- etreabuse de tout, peche et beaucoup peche? El qu'esl-ce que

926 QUAftUEiUE SEMAINE

Dieu nous a fail? Nous a-t-il retire ses graces? Nous a-t il punis, comme nous le merilions? N'avons-nous pas ele 1'objet d'une longanimite et d'une misericorde excessives de sa parl? N'a-t-il pas repondu a notre ingratitude par des faveurs toujours plus grandes, et finalement par la grande gracede lavocalion a la Gompagniede Jesus? Qu'elleestgrande cettedernieregrace! Qui la comprend? Sur quatorze cent millions d'hommes, combien y a-t-il de Ghretiens ; parmi les Ghretiens, combien de Callioli- ques; parmi les Gatholiques, combien dePrelres et deReligieux; elparmi les Pretres et les Religieux, combien de Jesuiles ? Un peu plus de quatorze mille ! Ne suis-je pas vraiment elu, choisi entre des milliers et des milliers? Et, dans laGompagnie, Dieu nous a oclroye la grace exceplionnelle des Exercices spirituels de sainl Ignace ! Que de graces n^avons-nous pas recues jx»s- qu'a ce jour, jtisqu'a celte heure? Dieu n'est-il pas en toute realile bon pour nous, et notre plusgrand bienfaileur ? Ne som- mes-nous pas nous-m6mes tout entiers, corps, ame et vie, un bienfait absoludeDieu ? Raisonnablement parlant, Dieu pouvait- il faire davanlage pour nous? Sainl Ignace le dit tres bien : « Nous devons considerer combien Dieu nous a donne, autant que cela etait conciliable avec ses desse\ns,j uxta ordinationem suam : en dehors de lui, Dieu ne peut donner 1'infini. Partoulil y a la defecluosile de la creature; mais nous n'avons pas lieu d^lre mecontenls de ce qui nous manque. D^ailleurs, qui est souvent parmi nous responsable de ses defauls, si ce n'esl celui qui s'y abandonne?... Et tout ce que Dieu nous a donne n'est que le gage de graces et de bienfails encore plus giands : du ciel et de Dieu meme. II est par consequent vrai que Dieu nous a aimes, non seulement d'un amour d'inclinalion, mais d'un amour d'aclion, et il l'a montre et prouve en nous communiquant de ses biens, de tous ses biens, et avec une liberalite el une generosile sans exemple.

Que s'ensuit-il pour nous? Quelle doit elre notre reponse a cet amour de Dieu a nolre egard, sinon un relour d'amour, un amour tel qifest le sien, un amour en toute verite el realile, un amour effeclif d'aclion et de communication de toutce que nous avons et de lout ce que nous sommes. Nousavons la formule

mGditatioS sur l'amour de dieu 927

de cet aiuour dans le Suscipe. Celte priere renferrae trois parlies : Dans la premtVre, sonl enumeres tous nos biens : notre liberle, notrememoire, notre intelligence, nolre volonte, tout ce que nous avons et toul ce que nous possedons, riiomme tout entier, corps et ame. La seconde partie indique ce que nous devons faire avec ces biens : nous devons les sacrifier a Dieu, les lui abandonner sans reserve, pour qu'il en fasse lout ce qu'il veut et en dispose absolument, pour qu'il puisse Ies prendre, les augmenter, les diminuer suivant son bon plaisir; mais aussi longleraps que Dieu nous les laisse, notre devoir est de les lui donner et de les partager avec lui, en les employanl pour le servir selon sa volonte et pour procurer sa gloire. II faul donc nous eslimer heureux d'elre libres, afin de pouvoir servir Dieu iibrement et de ne pas user de celte liberle contre lui, mais d'apres sa volonle. Nous devons lui offrir el lui sacrifier notre intelligence par la foiet la soumission a son Eglise ; nous devons ' nous en servir pour connaitre toujours davantage ses perfections divinesel savolonle, de maniere a avoir de Dieu une baute idee et une connaissance superieure. II faut employer notre memoire pour nous souvenir de Dieu et de ses bienfails el pour penser aluisouvent, aussi souvent que nous le pouvons. Nous devons- iui abandonner toute notre volonte par Fobeissance et la sou- mission a la sienne, manifestee soit par ses comraanderaenls, soit par les evenements resultant de sa permission divine; nous devons mettre tout en oeuvre, toul nolre amour et toule notre volonte, la superieure el 1'inferieure, pour Taimer de tout nolre co3ur, de loute notre ame et de toutes nos forces. Enfin, le don du corps doit accompagner celui de 1'ame : il nous faut donnerii Dieu notre corps avec loutes ses facultes, avectous ses sens, en les lui soumellanl absolumenl et en ne les employanl que pour le servir. La fromVme parlie du Suscipe renferme les motifs que nous avons de livrer et de sacrifier tout a Dieu el de nous remeltre complelement enlre ses mains : ce n'est que juste et raisonnable, puisque lout ce que nous avons et possedonsesl un don et un presenl deDieu, donc son bien propreet parliculier... Nous devons, en consequence de celleoblalion, nous considerer coraine la propriele de Dieu d'unc double maniere : d'abord

928 QUATRIEME SEMAINE

parce que nous sommes le don de Dieu, et ensuile parce que nous nous redonnons a lui. Pour executer en fait cette derniere donalion de nous-memes et agir ainsi comme des etres donnes et appartenant a Dieu, il nous faul consacrer et meltre a son service toute notre existence, tous nos meriles el tout nolre bonheur, de telle sorte que nous ne demandions rien a Dieu que de vivre et mourir dans sa graee et son amour.

B. Le deuxieme motif pour nous d'aimer Dieu consiste, d'apres saint Ignace, dans le voisinage de Dieu, dans Fhabila- tion de Dieu en nous. Nous avons trois pensees a conside- rer :

a) Premierement, c'est un fail et une realile que Dieu est et habite en nous. Dieu est present parlout dans toutes les creatu- respar sa sagesse, sa connaissance et sa puissance, parce qifil est infini, qu'il remplit tout de sa presence, et parce que rien ne peuletre, ni vivre, ni agir sans lui : par consequent, Dieu est toujours la ou il y a quelque chose qui est et qui vit. Deus, qui fecit mundum et omnia quie in eo sunt, hic cceli el lerrse cum sit Dominus... dat omnibus vitam et inspirationem et omnia... In ipso vivimus et movemur et sumus. [Act., 17, 24. 25. 28.) Portans omnia verbo virtutis suse. (Hebr., 1,3.)

b) Deuxiemement, le mode de celte presence et de cette liabi- tation de Dieu dans les creatures est tres different d'apres les effets de cette presence : cetle presence ou celte habitalion peut etre appelee plus ou moins parfaite suivant les effets plus ou moins parfaits qu'elle produit et revele dans les creatures. Nous avons ainsi en tout une double sorte d'effets el par suile une double presence : Tune naturelle etTautre surnaturelle. Dans Tordre naturel, la presencedeDieudans les crealures offre de nouveau une grande difference de degres de perfection sui- vant Ies effets qifelle y produit, suivant que les creatures sont inanimees ou animees, suivant qu'ellessont douees de raison ou ne le sont pas. Le degre le plus haut et le plus parfait de celle presence est celui qui se trouvedans les creatures raisonnables, elevees a 1'ordre surnaturel par la grace de^Dieu : Dieu alors habite en elles comme vivant, connaissant, aimant et rendant heureux, de meme qu'il est connaissanl, aimant et heureux en

MEDITATION SL"R L'AMOUB DE DIELi 929

lui-meme. Par cette habilation de Dieu dans la creature en grace avec lui, la creature devient en verile une image et une ressemblance surnaturelle du Createur, un temple vivant de Dieu etson enfant.

c) Troisiememenl, il nous fatit considerer comment cette babitation de Dieu en nous peut contribuer a nous faire progres- ser dans Tamour de Dieu. Elle le peut de trois manieres : Dabord, ce voisinage de Dieu est pour nousun grand honneur ; il est aussi la cause premiere de tous nos biens et de tous nos avantages sur toutes les autres creatures. Sans doute, c'est le mode d'habitalion de Dieu dans la creature qui determine leur excellence et leur elevation dans 1'echelle des etres crees : la creature n'est ce qu'elle est que par Dieu et par ce que Dieu lui donne ; or, ce que Dieu nous donne se mesure sur le degre de perfeclion de la presence de Dieu en nous. Ensuite, cette presence esl une elevation aimable de la magnificence de Dieu lui-meme, parce que nous y trouvons une preuve du grand amour et de la grande affeclion de Dieupour nous. Si cette pre- sence de Dieu en nous nous comble de beaucoup de biens, la cause en est raclion libre de Dieu, Tceuvre de son amour a notre endroit. De lui, en effet, depend que nous soyons en general, et que nous soyons en particulier ce que nous sommes. L'amour cherche la proximite et la presence de celui qu'ilaime ; Dieu fait de meme : il aime h demeurer en nous d'une facon speciale et a etre conslarament present en nous d'une presence qui est pour nous un bonheur et un honneur. Enfin, cette verite nous fournit un moyen tres facile et tres efficace d'aimer Dieu et de nous avancer dans son amour : car nous n'avons pas besoin d'aller loin pour le trouver. Gette habitation de Dieu en nous le rapproche de nous, le transporte en nous, fait de nous des temples vivants de Dieu. II est en nous, et d'une facon tellement particuliere, qu'il n'est ainsi nulle part ailleurs, si cen'estauciel et dans le saint Sacrement de 1'autel. Les grands dons et les grandes graces que nous apporte cette presence de Dieu sont, pour ainsi dire, le trone de magnificence sur lequel Dieu regne en nous. A cause de ce voisinage et de cette presence de Dieu, nous avons le grand et perpetuel avantage d'etre toujours pres

930 QUATRIEME SEMAINE

de Dieu et en Dieu, de' pouvoir 1'adorer, lelouer, 1'a'imer el jouir de lui en nous-memes : nous avons la une consequence de ce point de la raeditation, et un de ses fruits ; c'est ainsi que nous pouvons surlout realiser ou metlre en pralique le Suscipe de saint Ignace, en produisanl des actes frequents d'adoration el d'amour, en prenant riiabitude de penser souvent a la presence de Dieu en nous, et autour de nous, et, par suile, de le Irouver en nous. (Act,, 17, 26. 27.) Que penseraient et que feraient le temple et le sanctuaire, sil esl permis de sexpriruer ainsi, dont toute la saintele et toute la magnificence viendraient de la Divi- nile qui y demeurerait, s'ils savaienl et s'ils connaissaient lout ce dont ils lui seraient redevables?

Faisons-le nous-memes, eldavantage encore.

G. Le troisieme moiif d'aimer Dieu est 1'action el le tra- vail de Dieu pour nous, en nolre faveur. Faisons encore icitrois consideralions :

a) Premierement , Dieu n'est pas seulement presenl en rea- lite dans toutes les creatures ; il est encore agissant en elles, c'est-a-dire que Dieu opere lui-meme en tout ce que les creatures font et produisent pour nous : non seulement il les conserve, mais aussi il les met en aclion, et, avec son aide et son soulien, elles sont effectivement en etat de nous faire du bien. Dieu es( la cause premiere cle toute existence et de loule action, et ce n'est que par la force de Dieu que loutes les aulres causes subor- donnees ou secondes vivenl, se meuvent et agissenl. Les crea- tures ne sont que des instruments au moyen desquels Dieu agit autour de nous el pour nous : les instruments sont visibles, raais la main qui les dirige ne 1'est pas.

b) Deuxiemement, nousdevons considerer avec quelle magni- ficence, quelle portee et quelle amplitude immenses Dieu deploie son activite pour nous. Saint Ignace dit qu'il nous faut consi- derer comment Dieu est agissant pour nous dans toutes les cliosescreees, dans le ciel, les elements, les plantes, les fruits, le regne animal, en donnant a tout 1'existence, le developpement et la vie. Quelle perspective le Saint offre a nos yeux par ces quelques paroles ! Quelle vue splendide dans Tordre naturel et dans 1'ordre surnalurel ! Parcourons seulement les spheres

MEDITATION SUR L,'AM01R DE DIEC 931

de la creation au milieu desquelles Dieu a place riiomme, ou Jes ereatures donl 1'homme se serl et qui ont de rinfluence sur lui... Prenons ce qifil y a de plus commun, le pain, qui est sa nourriture de chaque jour. Combien de forces onl ete neces- saires pour ensemencer les giains de ble dont il se compose et les enfouir dahs la lerre ; que de goutles de pluie et de rayons de soleil, que d'air el de vent pour donner a ce ble la croissance, le developpemenl et la maturile ; que de travail pour le rentrer dans nos greniers; que de preparalions et de modifications pour en faire le pain qui esl servi sur nos lables a manger! II nes'agil pourlant qued'un simplealimenl ; decombien d'autres <dioses l'homme ifa-t-il pas encore besoin pour se velir, pour se loger, pour se former, se developper, et pour se recreer? Kl nous sommes seulemenl en presence de la creation inferieure Tisible. Viennent ensuile la sphere de la famille avec les fatigues et les soucis des parenls et des inslituteurs ; la sphere de-la vie sociale avec ses grands etablissemenls d'instruclion, de finances, de commerce, de police, d'armee (quelles forces «t quelles puissances ! | ; la sphere encore plus grande de Tfiglise qui embrasse tous les temps et tous les espaces de ce monde, avec ses pouvoirs et sa hierarchie sous un seul chef ; et enfin la sphere de leternite et du ciel avec ses moyens de salut et de grace, son arrnee innombrable d'esprils celestes, et avec Dieu lui-meme. On peut dire sans crainle que chacun de nous est le <:entre aulour duquel se meut une fouleincalculable decieatures au ciel et sur la terre. En nous prenant pour point de deparl ■ou comme milieu, ces spheres d'aclivile s'elargissent toujours davantage et se perdent dans un horizon sans bornes, en sorte que nous ne pouvons plus les distinguer ni determiner leurs mouvements ou leurs oscillations. Et dans chacun de cescercles immenses d'etres se trouve Dieu ; dans chacune de ces spheres d'activite quasi infmie Dieu agit, opere, conserve, arrange, pro- lege. benit, fait le bien : car c'est lui qui dispose, dirige, fait et execule tout. Quelle aclivile infinie de Dieu en toute chose! Et tout gravile autour de 1'homme, et tout a son centre et sa fin dans riiomme. Tout est pour lui, el Dieu est en toul. Dieu opere en lout pour faire du bien a riiomme et dans son corps et dans

932 QUATRIEME SEMAINE

son ame, el pour le conduire a la fin de sa vie. Bien plus, il y a des forces el des ordres de choses etablis, ou Dieu non seule- ment travaille et agit lui-meme pour nous, mais encore ou il nous serl personnellement, souffre et meurt pour nous : par exemple, dans la Redemption par le divin Sauveur. Cest ainsi que rhomme se tient en verite au centre d^une sphere d'activite infinie. Dans chaque rayon de soleil et dans chaque souftle de vent, dans chacune des reparations de nos forces, procurees par la nourriture et le breuvage, dans chacune des pensees et des aclions aimables et charitables de nos semblables, dans toute manifeslation de puissance et de vie des grandes creations de Dieu dans 1'ordre de la nature et dans celui de la grace, c'est Tactivile deDieu qui nous alteint, c'est 1'oeuvre meme de Dieu en trois Personnes qui s^accomplit pour nous. La pierre morte et inerte s'echauffe aux rayons du soleil : resterais-je froid, moi, sous linfluence perpetuelle de ce Soleil infini de lumiere et de chaleur, qui est Dieu, agissant sans cesse autour de raoi et sur moi ?

c) Troisiemement, considerons coraraent les hommes doivent repondre a celte ardeur, acetteaclivile incessante de 1'amour de Dieu pour eux. II nous faut, avant lout, reconnaitre cet amourr et decouvrir, sous le voile des creatures, prendre et baiser la main qui nous fait du bien par elles et en elles. De plus, notre devoir est de rendre amour pour amour, par la reciprocite de ramour etdes bonnes oeuvres, agissant pour Dieu, employant a son service toute Taclivite et toules les ressources de nosfacul- tes, de notre intelligence, de notre memoire, de notre libre volonte. Assurementraraour de Dieu a notre egard nous presse de Tairaer et de le servir par tous les raoyens a notre disposilion, par le travail et la souffrance, la gloire et rignominie, le bon- heur et le malheur, la vie et la mort. (II Cor., 6, 4 et sq.)

D. Le quatrieme moti f que nous avons d^aimer Dieu, con- siste, d'apres saint Ignace, dans la bonte et la beaute infinies et absolues de Dieu. II iraporle ici de concevoir une tres haute idee de Dieu, et, dans ce but, nous devons nous servir de Taide des crealures. Les crealures ne sont, naturelleraent et essentiel- lementque des fitres emanant de Dieu par la creation, des ima-

MEDITATION SL!R L'AMOLR DE DIEU 933

ges, des ressemblances et des revelalions de la bonte et de la beaute infinies de Dieu. Nous devons par consequent considerer les creatures non pas seulement comme les demeures ou les babilations de Dieu, comme les instruments au moyen desquels il nous fait du bien et nous rend beureux, mais encore comme des images de la Divinite, qui sont revfHues de sa beaule et de son amabilite, de sa puissance et de sa majeste, et qui se mon- trent a nous sous les dehors de cetle magnifique parure. Nous devons voir, dit saint Ignace, comment toute creature vient de. Dieu, de memeque les rayons eraanent du soleil et 1'eau sort de la source.

Cest pourquoi nous voulons nous representer, seulement d'une maniere generale, ce qu'il y a de beau et de splendide dans la creation et, par voie de conclusion, nous elever, comrae d'un bond rapide, a Tidee de la bonte etde labeaute increees.

Parcourons en esprit toule la splendeur et la magnificence de la creation, privee de raison : la beaute, la variete, les vertus secretes, les couleurs, les parfums, qui se trouvent dans le regne vegetal ; lecharme, Telegance, 1'agilite, la force et la finesse des instincls dans les animaux ; 1'agrement des champs, desprairies, desvallees, des ruisseaux..., des forets et de certains paysages; la majeste et la richesse des montagnes ; la magnificenceagrea- ble, mais aussi terrible, de la mer ; le nombre incalculable, la grandeur et la puissance immenses des astres du fnmament, leur ordre merveilleux et leur permanence, puis les phenomenes de l'almosphere qui plaisent et qui aussi parfois epouvanlenl : lalumiere, le jour, la nuit, 1'aurore et le crepuscule, la pluie, la neige, les eclairs, les tempetes el les orages : quelle somme, quel total enorme de beaule, d'agrement, deforce eldemajeste ! Jetons les yeux ensuile sur la magnificence du monde doue de raison, et voyons la bonle de coeur, les dons excellenls et spirituels des enfants des homraes; le talenl, lhabilete et Tesprit invenlif des classes laborieuses ; la majeste, le faste et la puissance des princes et des grands de ce monde ; hi linesse et la penetration des classes dirigeantes; les tresors de science, dintelligence et de sagesse des hommes de savoir et d'etude : quelles merveilles necoraprend pas toul cetensemble ! Tour-

934 QUATRIEME SEMALNE

nons nos . regards maintenant du cote du raonde surnaturel de- 1'Eglise. Quelle sagesse et quelle connaissance sublime, celeste,. de Dieu et de toutes les choses ! Quelle elevation et quelle no- blesse de sentiments, qui meprise tout ce qui est terreslre ! Quelle force de resistance et quelle iniliative d'ejHreprise dans lesSaints! Quelle splendeur et quelle dignite dans uolre sainte Mere 1'Eglise ! Elevons-nous en esprit encore plus haut, jusqu'au monde des Anges : quelles hierarehies a rinfmi,bril- lantes d'intelligence, de puissance, de beaute et de sainlete-! Un. seul Ange connait et peut plus que lous les hommes reunis, et dapres cela mesurons etevaluons lagrandeur et la magnificence de ce monde des purs esprils ! Mais qu'est-ceque tout le resto en face de la Mere de Dieu ? Elle est a elle seule tout un monde qui renferme tout 1'ordre de la nature et lout 1'ordre surnaturel, et qui les depasse en beaute, en grace du corps et de 1'ame, en sagesse, en vertu, en sainlete, en puissance, en dignite et en honneur. Et la Tres Sainte Vierge Marie elle-meme est a une distance infinie au-dessous de l'Homme-Dieu, si l'on compare entre elles les grandeurs et les prerogatives du Eils et de la Mere ! Jesus a, en effet, un esprit qui comprend tout, une puis- sance et une force qui regissent et penetrent tout : il est le resume et le sommaire de toute grandeur et de toute perfection naturelle et surnaturelle, creee et increee, il est tout eu toules choses. Quel miroir incomparable de sagesse, de puissance et de bonte divines nous avons par consequent en notre Sauveur ! Sommes-nous enfin en Dieu ? Avons-nous atteint la beaule et la bonte increees? Non, non, toujours non ! Dieu a cree tout, et il est lui-meme encore infiniment davantage. Tout pourrait disparaitre, et il ne perdrait rien, tout pourrait elre augmente et multiplie dans une mesure toujours plus grande, et il n'y gagnerail rien ; tout n'esl qifun regard, une pensee, un rayon fugitif, une trace legere, une pale copie de sa grandeur, de sa majeste, de sa sagesse, de sa beaute et de sa bonte ; rien ivest en etat de le representer et de le depeindre, de montrer comme il est et ce qifil est. Quel Etre est-il donc ? Ou sommes-nous? Que sommes-nous en face de cet Etre? Pense-t-ilmeme a nous?" Nous voit-il? Ne serait-ce pas admirable? Mais ce qur serait

MEDITATION SUR l'a.UOUR DE DIEL 935

encore plus raerveilleux, serait si cet Etre, infiniraent riche, puissant et heureux, non seuleraent nous connaissait, mais nous aimait, nous voulait du bien ; s'il voulait elre aime de nous : s'il nous faisait un commandement de l'aimer et s'il desi- rait avec ardeur notre amour, malgre la vue de notre complete faiblesse, la connaissance de toute nolre impuissance et de notre neant ; s'il voulait nous rendre heuretix et pas autrement que par lui-meme; s'il se communiquait tout a nous, pour toujours, pour l'eternite ! Que devrions-nous faire alors? Quoi donc, si ce n'est de 1'aimer, et de 1'aimer encore, et de 1'aimer toujours de tout notre coeur, de toute notre iirue, de toutes nos forces ! Et nousnepourrions jamais 1'aimerassez, quand raemenous aurions mille eceurs pour l'aimer! Or, il en est ainsi ; cette supposi- tion est la pure et absolue verite. De la, il suit que nous devons au moins 1'aimer, ce grand Dieu, de tout notre coeur, et n'airaer que lui en toute sincerite et realite, que nous devons nous exer- *cer et croilre dans cet amour toute notre vie, que nous n'avons pas d'autre chose a faire que d'aimer Dieu el que nous devons vivre et mourir dans cetamotir. Ilest evident que saint Ignace a en vue, par cetle meditation, de donner une direction a notre vie et de 1'animer du souffle ou de 1'esprit du parfait amour. Olfrons a Dieu tout l'amour du ciel et de la terre et son propre amour pour lui-meme ; et prions-le de vouloir bien que nous raimious, et que nous 1'aimions toujours davantage,et que nous ne mouiions pasavant d'etre ariives «i la perfection de son amoiir. Amen, Amen, Amen.

A. m. D. <;.

ORDONNANCE DES SUJETS DE MEDITATION

POUR UNE RETRAITE DE PROBATION

1. Fondement...

2. Peche : Le Triple Peche. Les Peches personnels. Repe-

lition. Nature du Peche mortel.

3. Enfer : Application des sens. Existence et conditions de

1'Enrer. Le niauvais riche. Jugement general.

4. Mort. Nalure de la mort et Preparalion a la mort.

Peehe veniel. Purgatoire.

5. Service du monde et service de Dieu (Crainte de Dieu).

Penitence. Misericorde de Dieu. Saint Ienace.

POUR UNE GRANDE RETRAITE PREMIERE SEMAIXE

A. PREMIERE SEMAVNE DE TROIS .IOCRS

1. Fondement.

2. Peche morlel. Acheminements vers le peche mortel.

Enfer.

3. Mort. Jugement parliculier. Peche v^niel et Purgatoire.

Tiedeur.

B. 1'REMIERE SEMAI.NE DE HUIT JOURS

\. Fin prochaine. - lin derniere. Application de la Fin a l'homme el au ChreHien, au Religieux, au Jesuite.

2. Creaimes ; Origine et Fin. - Usage. -— IndifTerence et

R^solution d'employer les meilleurs moyens.

3. Le triple Peche. Les P6ch6s personnels.

59*

938 ORDONNANCE DES SU.IETS DE MEDITATtON

- Nature du peche\ Le peche du Chretien, du Religieux.

Acheminements au peehe. ~ Enfer. L'Enfer du Religieux. Le mauvais Riche. Appliealion des sens.

- Mort. Preparation a la morl. -- Jugement general.

Jugement particulier.

- Le peche veniel. Le Purgaloire (la Tiedeur). La Crainte

de Dieu. La Penilence. Misericorde de Dieu. L'Enfant prodigue (saint Pierre ou saint Ignace). Conclusions de la premiere semaine : Mortification ou vicloire sur soi-meme, Humilile.

DEUXIEME SEMAINE

1. Regne du Christ.

2. Annoncialion. Causes de rincarnation. Nature de ITncar-

nation. Visitation.

3. Nativite. Les Bergers.

4. Circoneision. Presenlalion au Temple.

5. Les Rois. La Fuile en Egypte.

6. Vie cache^e.

7. Le Sauveur au Temple a l';ige de douze ans.

8. D6"parl de Nazareth. Hapteme de Jesus.

0. Vie dans le deserl. Voealion des Apotres.

10. Noces de Cana. Purilieation du Temple.

11. Sermon sur Ia monlagne. Apaisement de la tempete.

12. Mission des Apotres. Conversion de Madeleine.

13. Mulliplicalion des pains. Transfiguration.

14. Resurrection de Lazare. Repas de BeThanie.

15. Entree a Jerusalem. Derniers enseignemenls. 1'6. Deux Etendards. Les trois Classes.

17. Les trois Degres d'humilite'. Repetition des meditations preparatoires a rEleclion.

TROISIEME SEMAINE

1. Cene. Jardin des Olives. Arreslalion.

2. Interrogatoires ehez CaTphe, Herode, Pilate.

ORDONNANCE DES SUJETS DE MEDITATION 939

3. Flagellatidn. Couronnement d'epines. Portement de la

Groix. Crucifiement.

4. Soulfrances et mort sur la Croix. Ouverlure du Cote.

Sepullure.

5. - Le Grand Sabbat. Sous la Croix.

QUATRIEME SEMAINE

1. Resurrection. Apparitionsa Marie. Au\ saintes Femmes.

2. Apparitions : A Marie-Madeleine. A Pierre. Aux disciples

d'Emmaiis.

3. Apparitions : Aux onze. A Thomas. Sur le bord du lac

de Tiberiade.

4. Apparition sur la monlagne. Ascension. Mcditalion ad

amorem.

POUR UNE RETRAITE DE HUIT JOURS

1. Fondement...

2. Peche... Enfer.

3. Mort. Jugement. Purgatoire (Peche* veniel ou Tiedeur).

Un des Modeles de penitence.

4. Regne du Chrisl. Incarnation. Vie de la jeunesse de

J6sus (Nalivite, Pit5sentalion, Fuite en Egyple). Vie cachee. ii. L'Enfant Jesus au Temple. Preparation a la vie publique (Depart de Nazareth. Bapteme el vie dans le desert)... Vocation des Apotres.

6. Sermon sur la montagne. Mission des Apotres. Made-

leine. Lazare.

7. Mrdilalions de 1'Eleclion. Le Jardin des Olives. llumi-

liations et soulfrances corporelles de Jesus pendanl la Pas- sion...

8. Mort du Christ. Sous la Croix. Vie glorieuse (Resur-

reclion, Apparitions, Ascension). L'Amour.

LEGTURES DE " LTMITATION

PREMIERE SEMAINE

Service de Dieu : m, 9, 10, 22.

Salut de Tame : m, 47.

Les Crealures : n, 4. m, 26, 27, 38, 15, 16, 17.

Le Peche : m, 4, 8, 52.

Mort : i, 23.

Jugement particulier : i, 21, 20.

Jugement general et Enrer : i, 24.

Conversion : i, 18, 22, 2.'i.

Misericorde de Dieu : m, 8.

DEUXIEME SEMAINE

Le Regne du Christ : i, 2. n, I.

Incarnation : m, 18.

Nativite" : m, 23, 24.

1.es Bergers : i, 2, 7. n, i.

Circoncision : i, 6. ui, 12.

Presentation : n, 9. m, 16. iv, 8.

Les Rois : i, 3.

Fuite en Egyple : i, 12. m, 15, 17, 2:5, 30, 39.

He>ode : i, 6. n, 3, 6.

1,'Enfant Jesus au Temple : n, 9.

Vie cachee :

Obeissattce : i, 9. m, 13.

Humilite : i, 2, 7. n, 2.

Travail : i, lii. iu, 47.

Pwjrcs : i, 3, 1 I. m, 3'.».

942 LECTURES DE " i/lMITATION

Deparl de Nazareth : m, 31, 37.

Bapteme de Jesus : m, 51.

Jeime el Tentation : i, 13, 20. n, 5. in, 6, 23, 35.

Vocalion des Apotres : m, 22.

Noces de Cana : iii, 17, 26.

Jesus chasse les vendeurs du Temple : m, 36, 46.

Predication du Sauveur : i, 3. m, 1, 2, 3, 43.

Soumission a Dieu : m, 17.

Priere : m, 1, 2, 3, 31, 41. tv, 15.

Zele pour la gloire de Dieu : m, 36.

Multiplication desfiains, Bienfaisance : i, 15.

Patience : i, 16. m, 12, 19.

Mission des Apotres : m, 35.

Detachement : i, 8, II. m, 27, 31, 32, 37, 39, 42, 56.

Conversion de Madeleine : m, 5, 8, 52.

Apaisement de la lempete, Confiance : i, 4. m, 57, 59i

Re^surreclion de Lazare : n, 7.

Persecution, derniers Enseignemenls : m, W>.

Transliguration : n, 10. iii, 7, 10.

Entree a Jerusalem : n, 1. m, 43, 45.

Deux Elendards : m, 23, 53, 54, :i.'i.

Les trois Classes : i, 11, 18, 25.

Les trois Degres d'humilite : iii, 18, 41, 42.

TROISIEME SEMAINE

Agonie de Notre-Seigneur : m, 29, 50. Jesus est arrete : m, 19. Devant Caiphe : n, 2. m, 28. Chute de Pierre : m, 7, 57. Devant Hdrode : m, 28. Devant Pilate : m, 36, 46. Flagellation : m, 52. Couronnemenl d'epines : m, 19. Portement de la Croix : n, 12. m, 56. L'amour de la Croix : n, 11.

LECTURES DE

l'imitation " 943

QUATRIEME SEMAINE

Resurreetion : n, 1. m, T, 2ii.

Marie : iu, 1.

Les saintes Femmes : m, 34.

Jean et Pierre : m, 30.

Les disciples d'Emmaiis : i, 10. n, 0.

Madeleine : n, 8. m, 21, 31.

Tliomas : n, 10. m, 33.

Sur le bord du lac de Tiberiade : iii, 24, 30, 34, 58.

Apparition sur la monlagne : m, 35.

Ascension : m, i\ J'L

Amour de Dieu : iu, 3, 34.

TABLE DES MATIERES

COMMENTAIRE DES EXERGICES

Nature et division du livre des Exercices 7

Inlroduction aux quatre semaines des Exercices .... 9

Les annotations 9

Titre 9

Premiere annotalion 9

Deuxieme » 14

Troisieme » . 16

Quatrieme » . 18

Cinquieme » 20

Sixieme » 22

Septieme et huitieme annotations 23

Neuvieme et dixieme » 23

Onzieme annotalion 24

Douzieme et Treizieme annotations 24

Quatorzieme annolalion 26

Quinzieme » 27

Seizieme » ' . . . . 28

Dix-septierae » 29

bix-huilieme, dix-neuvieme et vingtieme annotations . . . 29

Titre des Exercices 31

PREMIERE SEMAINE

Butetfin 33

Examen de conscience 39

Examen parliculier 39

Examen general 13

946 TABLE DES MATIERES

Confession generale et sainte communion 48

Meditations sur le peche 49, i

» sur le triple peohe 49,2

» sur les peches personneis . 51,3

» sur 1'enfer 54,5

MeHhode pour mediter, developpee d'apres la meditation du

triple peche 56

Les additions 59

La dixieme addition ......". 64

Resume de k premiere semaine . 69

DEUXIEME SEMAINE

Sens et portee de la deuxieme semaine ........ 70

Meditation sur le Regne du Chrisl. 72

» sur 1'Incarnation. - 77

» sur la Nativite 80

L'application des sens 81

Notes pouj: la deuxieme semaine 84

Fuite en Egypte ....'. 85

Le Sauveur au Temple a l'age de douze ans 86

Introduction a la consideration des dilferents etats de vie . . "88

De deux Etendards. 89

De trois Classes d'hommes 94

Des trois Degres d'humilite 96

Separation du Sauveur et de sa sainte Mere 102

Regles de 1'dection 103

Electionpour la reforme de la vie 105

Autres m^dilations pour la deuxieme semaine 108

TROISIEME SEMAINE

But de la troisieme semaine 109

Regles de la temperance*. 112

' QUATRIEME SEMAINE

But et portee de la quatrieme semaine 115

Meditation pour obtenir 1'amour de Dieu ....... 118

TABI.E DE*3 MATlERES 947

Trois manieres de prier .• 122

Premiere maniere de prier - 122

Deuxieme maniere de prier 124

Troisieme maniere de prier. . . "125

Combien demelhodes de priere, surtout menlale, saint Ignace

enseigne-l-il dans le livre des Exercices"? 126

Regles du discernement des esprits ". . 127

pour la premiere semaine ....*... 129

pour la deuxieme semainc 136

Regles sur les scrupules. 139

Regles et principes pour penser et agir suivant 1'esprit de

TEglise catholique 143

Analyse abregee du petit livre cles Exereic.es, disposee pour des

inslructions 1 VI

MEDITATIONS DES EXERCICES

Remarqles 1'Reliminaires . . . . : 153

Consideralions pour servir d'introductions a diverses retraites. 157

A. Introduction a une retraite de postulants 157

B. Introduction a la grande retraile 160

C. Inlroduction a la ictraite de huit jours de la fin du

noviciat 166

D. Introduclion a une de nos retrailes quelconques . . 170

PREMIERE SEMAINE

Le Fondement 181

A. Fin de ITiomme 181

a) Fin prochaine de l'homme 181

b) Fin derniere de l'homme . 1*'.»

^B. Fin des autres crealures 194

M«'tli tations -uppl^mentaires sur le Fondement 206

A. La tin prochaine de l'honime ou le service de Dieu,

fonde sur le domaine souverain de Dieu. . . . 206

948 TABLE DES*MATIERES

B. La fin prochaine de riiomme, expliquee par la notion

de la oreation- 209

C. La fin derniere et supreme de lacreature est 1'honneur

de Dieu ( 212

D. Autre meditation sur le salut de 1'ame 210

E. Aulresdeveloppements de la fin prochaine, en lant que pr^paration a la fin derniere de l'homme considere

dans differents etats 217

Meditations sur le peche 223

A. Le triple peche 223

B. Les p6"ches personnels 228

C. Repetition des deux meditations precedentes . . . 235

D. L'enfer 237

Meditations supplementaires sur le peche et 1'enfer .... 240

A. Nature et effets du pe>,he mortel en general .... 240

B. Le peche mortel, considere au point de vue surnaturel. 245

Le peche" mortel du Chretien 24r»

Le peche du Religieux et du Pretre 247

C. Acheminements vers le peche mortel et moyens de

nous en eloigner 251

D. Lenfer 253

E. L'enfer du Pretre et du Religieux ........ 258

F. La vie de 1'enfer 263

G. "— La parabole de Lazare et du mauvais riche (Repetition

de la meditalion sur 1'enfer) 266

Meditation sur la mort 269

A. Autre m^ditation sur la mort 274

B. Preparalion a la mort 277

Le Jugemenl particulier 282

Le Purgatoire 288

A. Le peche veniel . . . 292

B. La tiedeur 297

Le jugement general 302

Meditations supplementaires, qui sont des consequences ues

verite"s de la premiere semaine 307

A. Crainte de Dieu 307

B. Service du monde et service de Dieu 310

C. La misericorde de Dieu 31T2

D. Penitence 317

E. -- La victoire sur soi-meme 320

TABLE DES MATIERES 949

F. Humilite 323

Modeles de Penitence 326

A. L'enfant prodigue 326

B. Saint Pierre ." 329

C. Saint Ignace 333

DEUXIEME SEMAINE

Meditalion du Regne du Christ 337

Repelition 342

L'Incarnation 345

Repelition : Les Causes de llncarnation 350

La Nature de rincarnation 356

La Visilation de la Sainle Vierge . . ... . . * . . . . 361

La Nativile du Seigneur 365

Repetition : Voyage a Bethleem. '. 369

Application des sens 371

Les Bergers 376

Repetition : Simplieite 379

Application des sens •...., . 381

La Circoncision 384

La Presentation au Temple 388

Repetition 392

Application des sens 395

Le Mystere des Rois Mages 402

Repetition : Generosite et esprit de sacrifice 406

Application des sens 408

Herode et les Innocenls •. . . 416

La Fuite en Egypte - i 20

Repetition 424

Applieation des sens 426

La Vie cachee du Sauveur 436

Vie d'obeissance 436

Vie dobscurile iin

Vie de travail 445

Vie de progres 450

RepeHition 454

Application des sens : Un jour a Nazareth 457

Le Sauveur au Temple i>i

950 TABLE DES MATIERES

Premiere Repelition .• 469

Deuxieme Repetition : Notre vooation 472

Application des sens . . % . . . . - 474

Le Bapleme de Jesus. 483

Premiere RepeTition 486

Deuxieme Repetilion .* . 490

Application des sens . . * . 493

Le Sauveur dans le desert .* 502

Repetilion ....... 505

Applicalion des sens 508

Vocation des Apotres . 515

Repelition 520

Applicalion des sens . . : 523

Le Miracle des noces de Cana 533

Repetition. .-..._ 537

Application des sens 540

Le Sauveur chasse les*vendeurs du Temple 545

Repetilion : Zele pour 1'honneur de Dieu 550

Application des sens " 553

Le Sermon sur la monlagne 559

Repetition 566

Les Miracles du lac 570

Repetition : Confiance 576

Application des sens 578

La Mission des Apotres . . . . 587

.RepeHition : Pauvrete et travail apostoliques de Jesus. . . 591

La Conversion de Madeleine ' 596

Repelition : Misericorde de Jesus envers les pecheurs . . 600

Application.des sens 603

La Multiplication des pams ....:...•.... 609

Repetition : Bienfaisance de Jesus 613

Application des sens 015

La Transfiguration 621

Repetition : Amour de Jesus pour la priere 625

Applicalion des sens 629

La Resurrection de Lazare . 635

RepeHition : But et porlee des miracles de Jesus .... 642

Application des sens 646

Le Repas de Bethanie 654

Repelition : Douceur de Jesus 6")8

TABLE DES MATIERES 951

Application des sens '. 661

L'Entree triomphante -de Jesus a Jerusalem 665

Repetition : Humilite de Jesus 671

Application des sens ...... 673

Derniers Enseignemenls de Jesus dansJe Temple 678

Repelition : Peines du minislere de Jesus . . . . *. . 682

Les Meditations pour 1'Election : Meditation de deux Etendards . 686

Premiere Repelition 690

Deuxieme Repetition : Franchise et loyaule de Jesus. . . 69i

De trpis Cfasses d'hommes 698

, Les trois Degres d'humilite 702

Les Medilations pour FElection reunies en une seule niedi-

tation 707

Esquisses et projets d'Election ^ 708

Premiere Esquisse 708

Seconde Esquisse _ %. . 711

.Troisieme Esquisse ". . . . 712

TROISIEME SEMAINE

4a Cene 7 17

L'Agonie au jardin des Oliviers "... 721

L'Arrestation de Jesus 727

Application des sens * 730

Ee Sauveur chez Caiphe 747

Le|Sauveur chez Herode 753

Le Sauveur chez Pilate 757

Applicalion des sens 762

La Flagellation 780

La Derision et le Couronnement d'epine_s 784

Le Portement de la Croix et le Crucifiement 788

Application des sens 792

Souffrances et Mort du Sauveur en Croix 804

L'Ouverture du Cot6 de Je"sus . 812

La Sepulture '...'.... 816

Application des sens » . 820

Sous la Croix : Coup d'ceil retrospeelif sur la vie de J-isus . . 831

Le grand Sabbat 836

952 TABLE DES MATIERES

QUATRIEME SEMAINE

La Resurreclion du Seigneur 84 i

Jesus revele sa Resurrection a ses ennemis et apparail a sa

Mere . - . . ' 848

Apparition aux saintes Femmes 853

Applicalion des sens 856

Apparition de Jdsus a Marie-Madeleine 865

Pierre et Jean au Sepulcre : le Sauveur apparait a Pierre . . 870

Les Disciples d'Emmaiis 873

Application des sens 876

Apparition de JtSsus aux Apotres dans le Cenacle 883

Jesus apparait a saint Thomas 887

Apparition de Jesus sur le bord du lac de Gtmesareth . . . 891

Application des sens . 895

L'Apparilion sur Ja montagne 902

Goup d'oeil relrospectif sur la vie gloriedse de Jesus ici-bas . 906

L'Ascension -910

Application des sens .- 914

La Vie glorieuse de J6sus ici-bas en une seule medilation . . 921

Meditalion sur 1'Amour de Dieu 923 .

Ordonnance des sujets de meditation 937

Pour une Retraite de probation 937

Pour une*grande Retraite. 937

Pour une Retraite de huit jours 939

Lectures de Vlmitation 941

LA CHAPELLE-MONTLIUEON (ORXe). IMP. DE MONTLIGEON. 4717-9-13

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Ig-nat ius ,

Les exercices spirituels

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