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LES FAUSSES

BONNES FEMMES

COMÉDIE

Représentée pour la premièic fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 8 janvier 1858.

raris.. Typograpliic Morv s et Cie, rue Amelot, 6i.

LES FAUSSES

BONNES FEMMES

COMÉDIE EN CINQ ACTES EN PROSE

PAR

TIli: ODORE BARRIÈRE etERXEST CAPENDU

TARIS

.MICIIKL LtlVY FHKRlîlS, LiBRAlRES-ÉDITEUI\S

KIE VIYIEX>K. 2 EIS

1858 R''ir;scntalion, rrprod'.ictioa et IriJuclion réscprécç.

PERSONNAGES

GEORGES RHETBL, officier de marine MM. Avbree.

PASCAL VILLIERS, officier aux zouaves Félix.

LE MARQUIS DE COTTERBàU Pabadb.

DE FLRRETIÈRES Cbaumont.

LE VICOMTE D'ASSIGNY Monib.

HECTOR BRIZAC Chambért.

HERMINIE DE TREMBLAY M"«s Fargueii,.

LA COMTESSE BLANCHE DE NOYAN Saikt-Mahc.

MADAME MAL'GRIN Gcillèmin.

ALGUSTINE PERMONT Astrdc.

CAROLINE D'ATHIS . Dcplbsst,

CAMILLE DE COTTEREAU Bodis.

BERTHE, fille de M"» Maugrin et femme de Pascal

Villiers Pimsoîi.

SUZANNE, femme de chambre Ibwx Gbanibr

MATHILDE DE FURRETIÈRES Pblagh.

GERVAIS, 1 MM. JEAttDRox.

> domestiques

ANTOINE, \ SCHAUB.

1er et 2e actes aux en

3«, et actes à Bade.

LES

FAUSSES BONNES FEMMES ACTE PREMIER

Un petit salon très-élégant ouvrant sur un parc. On est au mois de mars, il y a du feu dans la cheminée.

SCÈNE PREMIÈRE

SUZANNE, puU GERVAIS, et ensuite ANTOINE. (Suzan«e est auiie près de U cbemiaée et lit.— Ao leTerda rideau^ on «Dtead sonner i la grille du cbileau. Suzanne iève noDclialammeat let jeux de dessus son livre, regarde tagiiement an debori, puis se rcoiet à lire. On souno de cou - veaa. Suzanne, tans se déracger, étend la main jusqj à la cbeminéd et tira un cordon de sonnette. )

GERYAIS paraît an journal à la mais; il vient de la droite. SL'ZA^>E, sans même le regarder.

Est-ce que vous n'entendez pas qu'on sonne à la grille?

GERVAIS, lisant toujours les Donvelles diTerses. Non. (Oa sonne pins fort.)

SUZANNE, même jeu que précédemment.

Tenez!

GERVAIS, de même aa.^i. Ah! c'est vrai! (root en lismt, ll Ta l la porte du fond et app.-lle.)

Antoine! Antoine!

ANTOINE para't. Il tient dei romance) dont il rejftriie les dessins. Il ««( lrè*-occnpé aussi. "*

Qu'est-ce qu'il va?

'Suzanne, Gervais.

** Antoine, Suzanne, Geryais.

2 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

GERVAIS, de ϐme.

Il y a qu'on sonne à la grille.

ANTOINE.

Ah bien! Je le sais!... J'ai envoyé Joseph; il doit avoir ou- vert.

GERVAIS, qui a fini de lire, et qui regarde au dehors.

J'aperçois quelqu'un là-bas au bout de l'avenue.

SUZANNE.

Qui est-ce?

GERVAIS.

Ah ! je ne peux pas distinguer d'ici. Cependant, il me semble que... oui, oui; c'est monsieur Hector Brizac.

SUZANNE, ■vivement et quittant son livre.

L'homme d'affaires de madame ?

GERVAIS.

Il arrive de Paris, sans doute.

SUZANNE, Millant

Ah Dieu ! s'il pouvait être porteur de mauvaises nouvelles !

GERVAIS, étonne.

Comment ?

SUZANNE.

Si les affaires allaient mal, comme ça m'irait bien, à moi !

GERVAIS, riant.

Eh bien ! vous êtes gentille, vous !

SUZANNE, haussant les épaules.

Comment, vous ne comprenez pas que si la fortune de ma- dame était en danger, la présence de madame serait néces- saire à Paris, et que, si madame allait à Paris, nous pourrions quitter le Nivernais et ce château si pittoresque et si en- nuyeux? (Elle bâille.)

GERVAIS.

Ah ! si c'est comme ça, je me joins à vos vœux.

ANTOINE.

Ah! mademoiselle Suzanne, on vient d'apporter cela.

SUZANNE.

Qu'est-ce que c'est?

ANTOINE.

Je crois que c'est de la musique.

SUZANNE.

Eh bien ! qu'est-ce que ça me fait ?

ANTOINE.

Eli bien ! et à moi ?

ACTE I. 3

Chut!... Voici monsieur Brizac! (a*m imfaH»wtt.) ie Vais le recevoir. Quant à vous, Antoine, allez prévenir madame,

AMOINE, rianl.

Il SUfQt. (Il sort par la gaoche, et en même temps Hector Briuc pirait •▼ec 00 doiaettiqoe.)

BRIZAC, saos v.iir Suzanoc.

Ali! enCn! Je suis dan» la place; ce n'est pas malheureux. Diable m'emporte si l'on ne se croirait pas dans le château de la Belle au bois dormant, ici ' (ao domesiique.) Tenez, mon ami, voici quelque chose comme un louis, vous vous chargerez de payer le conducteur de l'ignoble patache qui m'a secoué si

gentiment depuis Nevers. (Vt donestlqoe s'ioclioe et sort eo emporiaol (on paletot.)

SCÈNE II HECTOR, SUZANNE'

HECTOR, se jetant dan* oo faotenil.

Ouf ! Quelle jolie chose que la campagne au mois de mars! (Apercetant Suianne.) Tieus ! c'est Suzanuc. Bonjour, ma petite

Suzanne, (ll bit nn mooT^mrol comme |«ur loi prendre la taille.) SCZAKNE, loi repoostaot doocement la maio.

Ne vous dérangez donc pas, je vous prie.

HECTOR, se renroDçaot daos soa faateail.

Ah bien ! sacrebleu ! on a de la peine à entrer chez madame de Tremblay. J'ai sonné plus de deux centà fois. Ta maîtresse est prévenue de mon arrivée, n'est-ce pas ?

SUZANNE.

Oui, monsieur; elle doit l'être maintenant.

HECTOR.

Tu t'ennuies bien dans ce manoir, hein ?

SUZAKKE.

Cest à qui s'ennuiera le plus de nous tous.

HECTOR.

Et madame de Tremblay? .

SUZANNE.

Elle ne s'amuse pas davantage ; mais madame, au moins^ n'a * Suzanne, Hector, ,

A LES FAUSSES BONNESFEMMES.

pas le droit de se plaindre, car enfin, si elle a passé l'hiver ici, c'est qu'elle l'a bien voulu.

HECTOR, à lui-même, avec ud air de doute.

Ah! je crois bien que...

SUZANNNE.

Quoi?

HECTOR, l'arrêtant.

Rien, (a soMnne.) Mais, dis-moi, madame de Tremblay est- elle donc absolument seule?

SUZANNE. »

Ma foi, à peu près.

HECTOR.

A peu près?

SUZANNE.

Oui, car les deux seules personnes qui sont ici, nous ne les voyons jamais.

HECTOR.

Quelles sont ces deux personnes-là?

SUZANNE.

Deux chasseurs enragés, qui partent quand la lune se couche, et qui ne reviennent que quand elle se lève. Ali! je vous réponds que, depuis quinze jours, ils usent du droit de chasse que maaame leur a donné. (Elle s'accroupit près de la cha-

minée.)

HECTOR.

Et tu les nommes ?

SUZANNE.

Monsieur le marquis de Cottereau et monsieur de Furretières.

HECTOR.

Ah! bon!

SUZANNE, à Hector.

Vous les connaissez?

HECTOR.

De nom seulement.

SUZANNE, riant.

Ah ! bien, si vous les voyez, par hasard, vous m'en direz des nouvelles.

HECTOR.

Ils ne sont pas amusants?

SUZANNE.

Ah ! non. Monsieur de Furretières surtout, avec ses questions

ACTE I. 5

perpétuelles. Il veut tout savoir. Ce n'est pas un homme, c'est un point d'interrogation.

HECTOR.

Et le marquis de Cottereau?

SL"ZA>>E "rianl. *

Il est bien agaçant aussi avec ses histoires d'ici à Saint- Cloud; mais enlin, je lui en passe un peu plus qu'à l'autre.

HECTOR, riant en «e leraDt.

Pourquoi donc cette injustice ?

SUZA>NE.

Mais c'est une justice, au contraire. Monsieur le marquis a été si généreux pour moi. (Baissant la Toix.) A l'époque il se mourait d'amour pour madame.

HECTOR.

Comment? le marquis?

SUZANNE.

Eh ! le marquis comme les autres ! Est-ce que ça n'a pas toujours été une fureur? (Soapirant.) Ah ! pendant les deux der- niers hivers, en avons-nous reçu de ces lettres, de ces bou- quets! Je ne sais pas comment madame faisait son compte, mais un mot, un signe, un coup d'éventail, un rien, et tous ces grands enfants-là étaient à ses pieds. Dieu ! m'ont-ils fait rire !

HECTOR.

Mauvaise !

SUZANNE.

En vérité, je crois que si madame s'est retirée ici, c'est qu'elle était fatiguée de tous ces hommages; oui, oui, ce doit être cela.

HECTOR, raillant.

Certainement, cela ou autre chose.

SUZANNE.

Que serait-ce alors?... Quel autre motif? Oh! dites-le-moi

HECTOR.

Est-ce que tu vas faire comme monsieur de Furretières, toi ?

SUZANNE, par rëflexioo.

Tiens! à propos, pourquoi me tutoyez- vous ?

HECTOR riant.

Cherche bien. (un« Mcoode de siieoce.) Tu as trouvé? * Hector, Suzanne.

6 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

SUZANNE, pudiqicmenl.

Laissez-moi tranquille, monsieur,

HECTOR.

Ah ça, voyons. Est-ce que madanie de Tremblay ne reçoit absolument que les deux messieurs en question ?

SUZANNE.

Absolument.

HECTOR.

Mademoiselle Suzanne, vous avez hésité.

SUZANNE.

Pas du tout.

HECTOR.

Allons, tu ne sais pas mentir.

SUZANNE, piquée.

Vraiment ! Vous croyez cela ?

HECTOR.

Ne te fâche pas, c'est pour rire. Enfin, tu veux être discrète, à Ion aise; mais tu n'avais pas besoin de te faire celle vio- lence; tu sais bien qu'on n'a pas de secrets pour son homme d'affaires. Ta maîtresse me dira tout.

SUZANNE.

Ah ! ça la regarde.

HECTOR.

11 y a donc quelque chose ?

SUZANNE.

Non, encore une fois. Je vous dis que madame n'a aucune... distraction, si ce n'est quelques promenades à cheval dans les environs.

HECTOR.

Eh bien, dans les environs, il y a des voisins.

SUZANNE.

Des voisins? Ah! bien oui, des ours. Ah! à l'exception, ce- pendant, de madame la comtesse de Noyan, dont on voit le château d'ici.

HECTOR.

Madame de... Ah ! oui, la veuve du vieux comte de Novan, fortune de deux millions. Mais comment se fait-il que ces aeux veuves ne se soient pas liées ensemble?

SUZANNE.

Je l'ignore; mais le fait est que madame de Noyan n'a ja- mais mis le pied ici. Ces dames se sont trouvées trois ou quatre fois ensemble à Nevers, je crois; mais lorsqu'elles se

ACTE I. 1

rencontrent, elles s'adressent un salut dans un sourire, et c'est tout.

HECTOR.

Elle est charmante la jeune comtesse?

SUZANNE.

Oui, mais Tair gauche, emprunté. Provinciale eu diable, voilà le signalement.

HECTOR.

Signes particuliers?

SUZANNE.

N'a jamais vu Paris. Éducation à faire.

HECTOR.

Dieu veuille pour elle que tu ne sois jamais chargée de celle éducation-là !

SUZANNE.

Pourquoi donc? Croyez- vous que madame de Noyan per- drait son temps avec moi ?

HECTOR.

Oh ! au contraire. Je crois que tu la ferais aller trop vite.

SUZANNE.

Vous croyez?

HECTOR.

Chut ! on vient.

SCÈNE III

Les Mêmes, HERMIME DE TREMBLAY.*

HERMIME^ eotrant.

Bonjour, mon cher Brizac. Laisse-nous, Suzanne, (suzanné iori.) Je vous ai fait attendre. Vous ne m'en voulez pas?

HECTOR, lui baisant la main.

Si fait.

HERMIME, avec indifférence.

Vous êtes un homme charmant! Ah çà, mais ix)urquoi ne m'avoir pas prévenue que vous arriviez? J'aurais envoyé une carriole au-devant de vous.

HECTOR.

Je me suis décidé tout à coup. * Herminie, Hector.

8 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE.

Vous devez être moulu.

HECTOR.

Je suis en poudre. Mais parlons de ce qui m'amène.

HERMINIE.

Non, parlons de ce qui ne vous amène pas. Que dit-on de mon absence à Paris ?

H«CT0R.

Eh! parbleu! on se perd en conjectures: les uns vous croient dans quelque couvent de carmélites déchaussées ; les autres supposent que vous habitez un palais de porphyre à Ispahan, où, comme lady Stanhope, vous vous amusez à Briser dps cœurs et à couper des têtes. Les habitués de l'Opéra, en voyant que décidément votre loge restait vide, ont eu l'ingé- nieuse iaée de mettre un crêpe à leur lorgnette; et, enfin, le jour de votre départ la rente a baissé.

HERMINIE, riant.

La rente est bien honnête; mais quand vous êtes parti, vous, que faisait- on?

HECTOR.

On faisait maigre.

HERMINIE.

C'est juste, flous sommes à une époque d'abstinence.

HECTOR.

Pendant laquelle on ne s'abstient naturellement de rien.

*HERMINIE.

« Enfin, en deux mots, les nouvelles nouvelles.

HECTOR.

» Des concerts dans toutes les rues et à tous les étages, et la » comédie de société partout... une grande dame qui entre au » théâtre et une grande artiste qui entre en religion... la polka » qui se meurt et la gavotte qui ressuscite... madame Miolan » dans la Fanchonnette et madame Grisi dansla Sémiramide; » et enfin, en même temps, une pluie de fleurs et une pluie » de feu... c'est-à-dire, la Ristori dans Myrra, et un incendie » à Macao... Voilà!...

HERMINIE, rianl.

» Merci. »

HECTOR.

Mais savez- vous, ma belle cliente, que votre conduite est héroïque?

Coupé à la représentation.

ACTE I. 9

HERMINIB.

Al» ! si je le sais !

HECTOR.

Vous résoudre à déserter Paris, juste au moment il recommençait à devenir habitable.

HERMIME.

Il le fallait!...

HECTOR.

Qu'aviez-vous à craindre?

HERMINIE.

Eh ! je vous l'ai dit le jour j'ai remis mes intérêts entre vos mains. J'avais le pressentiment d'un cataclysme. Je sen- tais ma fortune crouler, j'ai eu peur de me trouver un beau matin ensevelie sous les décombres; et, ma foi, je me suis sau- vée, vous laissant le soin d'étayer la maison. (oonfiaernincDi.) Eh bien ? avez-vous suffisamment étudié la situation ?

HECTOR, soupirant.

Très-suffisamment.

HERMIME.

Ma fortune est bien malade, hein?

HECTOR, bM.

Elle agonise.

HERMIME.

11 n'y a plus d'espoir ?

HECTOR.

Du moins, il n'y en a guère... Il parait que vous comptiez bien peu...

HERMIME.

Mais je ne comptais pas du tout.

HECTOR.

Vous alliez!... vous alliez!...

HERMIME, riant.

Mon Dieu, oui; j'allais !... j'allais !...

HECTOR.

Et enfin, vous êtes arrivée...

HERMIME.

A la ruine, n'est-ce pas?..

HECTOR.

Quelle fatalité que je ne vous aie pas connue plus tôt!

HERMIME, riant.

Oui, cela vous eût profité au moins ; mais, voyons, serait-

1.

10 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

il indiscret de vous demander quelques éclaircissements?... En vérité, je ne puis comprendre que j'aie pu aller si vite...

11 faut qu'il y ait de la sorcellerie là-dedans ; car, enfin, je vous jure que j'ai toujours vécu on ne peut plus simplement.

HECTOR, riant.

Oui, le strict superflu.

HERMINIE.

Mon cher, le mot n'est pas de vous.

HECTOR, riant.

Non, mais il est à moi ; je le tiens d'un homme d'esprit qui est mort sans héritier. Mais , pardon ! nous n'avons peut-être pas toute la gravité que devrait comporter la circonstance.

HERMINIE.

C'est juste ! Parlons raison... mais parlons vite, alors... Avez- vous mes...

HECTOR. Vos dossiers ? oui, madame, les voici, (il tire une liasse de pa- piers de sa poche.)

HERMINIE, effrayée.

Bonté divine ! mais il faut des années pour lire tout cela !

HECTOR.

Ah ! rassurez- VOUS, il suffit que j'en aie pris connaissance.

HERMINIE.

Vous avez tout lu ?

HECTOR.

Oui, tout.

HERMINIE.

Comme vous devez être vieux!...

HECTOR.

Oh! non, l'hahitudc. (sérieusemeoi.) Mais encore une ibis, ma chère cliente, je vous en conjure, permettez-moi de jouer mon rôle d'homme d'affaires. Laissez-moi gagner mon pain.

HERMINIE.

C'est bien... gagnez votre pain, mon brave homme... A pro- pos, vous dînez avec moi?

HECTOR.

Sans doute !

HERMINIE.

Bon ! Maintenant, revenons à votre grimoire, cher, je vous écoute. Abrégez seulement...

ACTE I. 11

HECTOR^ oavrant od papier.

Tenez, madame, voici un petit résumé de la situation exacte de votre fortune.

HERMINIE,

Ce doit être affreux!... Allez!,..

HECTOR.

Nous avons d'abord la terre du Bazois estimée à cent cin- quante mille francs et h>-pothéquée pour cent vingt-deux mille francs; ci... vingt-huit mille francs.

HERMINIE.

Ci... vingt-huit mille francs... Qu'est-ce que cela veut dire... ci?...

HECTOR.

Cela veut dire qu'il vous reste vingt-huit mille francs seu- lement.

HERMINIE.

Ah!... fort bien!...

HECTOR.

Pour les deux fermes des Aniognes estimées chacune à trente-cinq mille francs, et hypothéquées ensemble pour cinquante-neuf mille francs...

HERMIME.

Ci... onze mille francs...

HECTOR.

C'est parfaitement cela.

HERMIME^ liant.

Ce que c'est pourtant que d'avoir étudié !

HECTOR.

>'ous avons ensuite les vignobles, situés au pencliant ile la colline de Saint-Bcnin; les bois au delà de l'réniery et les clos de Mouliii-Eiigilbeit; le tout représentaiu une valeur de cent soixaute-lrois mille francs et hyiiulhéqué pour deux cent mille francs.

HERMIME, riant.

Si vous voulez, nous ne compterons pas cela.

HECTOR, rijnl lussi.

J'ullais vous le proposer.

HERUIME.

Ensuite?

HECTOR.

Ensuite, il y a voire propriété de Saiut-Germaiii qui \o\is revient...

LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE.

Pardon, cher ami, le total?...

HECTOR.

Le total de quoi ?

HERMIME.

De ce qu'il me reste...

HECTOR.

Comment ce qu'il vous reste?...

HERMINIE.

Oui, ce qu'il me reste tout compte fait.

HECTOR.

Il vous reste tout compte fait treize mille trois cent trente- trois francs nets.

HERMINIE.

C'est un joli denier!... me voilà bien lotie!... Eh bien! et vous, qu'est-ce que je vous dois?

HECTOR.

Ohl une bagatelle!... vingt mille francs, plus mes lioni)- raires.

HERMINIE.

Mais, mon Dieu! combien ai-je donc alors dépensé dans le cours de ces huit maudites années?

HECTOR.

Environ huit cent six mille francs.

HERMINIE.

Ce qui donne par an?

HECTOR.

Cent mille sept cent cinquante francs, et par mois huit mille trois cent quatre-vingt quinze francs quatre-vingt-trois centimes.

HERMINIE, cpoiivanlce.

Huit mille trois cent quatre-vingt-quinze francs quatre- vingt-trois centimes ! (Elle cclale de rire.) HECTOR, clonnc'e.

Vous riez?

HERMINIE, riant plus fort.

Oui ; c'est une idée grotesque qui vient de me passer par la tète. Je me demande ce que j'ai pu faire de ces quatre-vingt- trois centimes.

HECTOR.

Des aumônes leul-jlre.

ACTE I. 13

HERMIME, seriease^ leTanl.

Ail ! monsieur Brizac ! vous ne me flattez guère.

HECTOR.

Pardon, madame, pardon !

HERMINIE.

Ah ! après tout, pour treize mille trois cent treitte trois francs, on n'a pas le droit de se montrer bien exigeante.

HECTOR, se lerant.

De grâce, croyez bien que...

HERMIME.* Ne parlons plus de cela. (Elle lallend la main.) HECTOR. (Tou« deaxà la cbeminép.)

Merci ; mais parlons alors de vos intérêts. Que complez-vous faire?

HERMIKIE, riaot.

Ce que je compte faire ?

HECTOR.

Oui...

HERMIME.

Lu bien, monsieur Brizac, je compte racheter la terre du Ba- zois et les deux fermes des Amognes, le bois de Prémery et les prairies de Moulin-Engilbert, la propriété de Saint-Germain et le reste.

HECTOR.

Avec treize mille trois cent trente-trois francs?

HERMIME.

Avec treize mille trois cent trente-trois francs !

HEcioR. Votre beau-père est donc mort!

HERMIME.

-Monsieur de Tremblay? Il se porte admirablement, et je vous jure que je souhaite de tout mon cœur qu'il garde ses quatre-vingt mille livres de rentes le plus longtemps possible.

HECTOR.

Eh bien, alors?

HERMINIE.

Aimez-vous les histoires ?

HECTOR.

Plait-il?

* Herminie, Hector.

U LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE.

Je vous demande si vous aime^ les liistoires?

HECTOn.

Pourquoi cela?

HERMINIE. (Elle s'assied.)

Parce que si vous ne les aimez pas, je vous plains, allendu que je vais vous en raconter une...

HECTOh.

Laquelle?

UÉRMINIE.

'La mienne.

HECTOR.

Permettez ; quel rapport peut-il y avoir entre votre histoire et vos projets ?

HERMINIÈ.

Un rapport très-direct, vous allez voir! Mettez du bois au feu et faites une cigarette si bon vous semble, nous sommes à la campagne. 11 faut (|ue je vous dise d'abord, pour votre in- struction, mon cher Brizac, que je jierdis ma mère en venant au monde, et que mon père se remaria après deux ans de veu- vage; naturellement, ma belle-mère me prit en grippe, et na- turellement aussi Al. dePresles, mon cher papa, la laissa faire. Il était tellement occupé!! !

HECTOR.

A auner sa femme?

HERMINIE.

Pas du tout, 11 ne l'avait épousée que parce qu'il s'ennuyait tout seul. Je grandis donc de mon mieux sous les yeux d'une vieille gouvernante. Ma belle-mère ne s'occupait de moi que pour me gronder. Jamais elle ne m'adressait im sourire ni une caresse, mais en revanche elle me itrodiguait quotidiennement les rebufTudes et les chagrins. Parnii ces mille taquineries de chaque jour, il en était une qui avait le don de m agacer plus particulièrement.

HECTOR, riant.

On voulait vous persuader que vous étiez laide ?

HERMIME.

Justement !

HECTOR.

J'entends d'ici votre belle-mère : Oh! la vilaine enfant! qu'elle est insupportable ! Tâche donc d'être aimable au moins si tu veux te marier un jour.

ACTE I. IS

HERMIME, riant.

C'est bien cela; mais quelque chose me disait que l'on me trompait, ce quelque chose c'était mon miroir'; et je me sou- viens que bien souvent je descendais sournoisement au jardin au lieu de me coucher, que je cueillais des fleurs, et qu'une fois remontée dans ma chambre, je me coiffais, je me parais en adressant mille sourires au cristal de Venise qui avait la bonté de me les renvoyer fidèlement. Et voilà comment, mon cher Brizac, je commençai à rêver coquetterie à un âge l'on ne rêve ordinairement que poupées.

HECTOR.

On pourrait faire ici une foule de réflexions sur la manière d'élever les enfants... mais...

HERMI?<IE.

Mais le temps nous manque heureusement... c'est j>ourquoi je vais sauter par-dessus les deux premières années de mon adolescence et arriver tout droit à l'époque je comptai mes quinze ans accomplis. A cet àge-là, i étais, ou plutôt je commençais à être très-jolie, ma parole d'honneur.

HECTOR.

Ce n'est pas la peine de jurer.

HERM1>IE.

Madame de Presles avait alors trente ans, c'était une belle pers«mne qui avait beaucoup de succès dans les salons. A partir du jour mon père exigea qu'elle me conduisît dans le monde, elle éprouva pour moi un sentiment voisin de la haine, mais j'avais trouvé mon moyen de vengeance. Le jour je re- marquai que la beauté de M"* Herminie pouvait éclipser celle de M"^ de Presles, je me sentis prise tout à coup d'une ami- tié étrange pour ma belle-mère. Je ne voulais plus la quitter, j'étais toujours pendue à son cou , je l'appelais ma chère ma- man, je me faisais passer pour sa véritaule fille, et je criais njon âge sur les toits, en me vieillissant un peu, dans l'espoir de lui servir d'acte de naissance.

HECTOR.

C'était très-adroit.

HERMINIE.

Elle enrageait. J'étais enchantée. D'autant mieux que tout le monde vantait mon amour pour ma chère belle-mère. Si bien (pi'un jour que je jouais mon rôle avec plus de supériorité encore (jue de coutume, madame de Presles, outrée et n'y te- nant plus, s'écria en plein salon : « Cette jretite Herminie n'est qu'une fausse bonne fille. » Le mot eut un succès fou.

16 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HECTOB.

Vous étiez vengée.

HERMINIE.

Trop vengée... car à partir de ce moment elle ne voulut plus aller dans le monde et mon supplice commença... L'été survint, et mon père étant en voyage, madame de Presles alla s'ensevelir dans une ses terres au fond de la Bretagne. Elle se sacrifiait pour se venger à son tour...

HECTOR.

Mais c'était un véritable duel!...

HERMINIE.

A armes égales... nous étions aussi hypocrites l'une que l'autre. En Bretagne, nous avions pour voisin de campagne un gentilhomme nommé monsieur de Tremblay. 11 était assez aimable, mais tout à fait sans façons, et surtout amateur pas- sionné de la chasse. Monsieur de Tremblay trouvait ma belle- mère fort à son goût, mais je compris vite que la femme du monde ne tarderait pas à l'ennuyer. Alors, je me misa étudier l'art de la vénerie, et au bout de huit jours je possédais un vo- cabulaire à faire pâlir un grand veneur... Si bien qu'un beau soir que le gentilhomme commençait à bâiller aux coquetteries de ma belle-mère, je lâchai mes chiens, mes chevaux... je récitai toute ma leçon... un peu plus j'aurais sonné du cor... Monsieur de Tremblay était émerveillé, ravi, enthousiasmé... ma belle-mère était vaincue, et quatre jours plus tard, comme mon père arrivait au château, monsieur de Tremblay venait en grande tenue me demander en mariage.

HECTOR.

L'aimiez-vous?...

HERMINIE.

Pas du tout... Aussi voulais-je décliner l'honneur qu'il me faisait; mais ma vindicative belle-mère, qui lisait dans l'ave- nir, fit si bien que mon père ordonna cette union. Toute ma lune de miel se passa à cheval, dans les bois, à courre le san- glier. Enfin exténuée, demi-morte de fatigue, je me mis au lit un beau jour, et, à partir de ce moment, mon mari ne m'eut plus qu'en médiocre estime. 11 retourna à ses chiens, me laissa aller seule à Paris, et tout fut dit... Cinq ans après, j'étais veuve.

HECTOR.

Et alors?...

HERMINIE.

Alors, une fois libre, je me jetai dans les plaisirs, dans le luxe, dans les fètea... La petite coquette était devenue grande.

ACTE I. 17

HECTOR.

Et la moralité de tout cela?

HERMIME.

La moralité de tout cela... c'était cpie, bien loin de cultiver mes rares qualités, on a développé mes nombreux défauts, et (ju'au lieu d'être aujourd'lmi une heureuse mère de famille, je ne suis tout simplement qu'une pauvre femme à la mode.

HECTOR.

Mais, dans tout cela, je ne vois pas trop...

HERMIME, se rapprochant.

Attendez donc!... Dans mon enfance, une dame du voisi- nage m'avait prise en grande affection. Cette dame se nommait madame Rhétel. Elle avait un fils plus âgé que moi d'une année seulement. Nous nous étions pris l'un pour l'autre d'une belle amitié, et nous continuâmes à nous voir jusqu'au jour Georges entra à l'Ecole navale de Brest.

HECTOR.

Georges Rhétel... mais sa mère habite près d'ici, à Xevers?

HERMIME.

Oui...

HECTOR.

r C'est un beau garçon, lieutenant de vaisseau aujourd'hui, et, de par son oncle, mort il y a six mois, riche d'une qua- rantaine de mille livres de rente.

HERMIME.

C'est bien cela.

HECTOR.

Et vous l'avez revu?

HERMIME.

11 y a trois ans que nous nous sommes trouvés face à face dans un bal par souscription... 11 y avait douze ans que nous étions séparés... Dès le premier jour notre amitié se réveilla : la sienne surtout, vive, expansive, ardente...

HECTOR.

Enfin, il vous parla d'amour...

HERMIME.

Mieux que cela.t . il me parla de jnariage.

HECTOR.

Diantre!... mais c'était un mauvais parti, alors!... Que ré- pondîtes-vous?...

18 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

IIERMINIE.

Je ne le décourageai point, j'étais heureuse de ine sentir aimée par cette belle et franche nature, moi qui, jusqu'alors, n'avait été aimé par personne au monde... Et puis, être riche et épouser un homme pauvre, cela me souriait...

HECTOR, lui prenant les mains.

Eh bien?...

IIERMINIE, se levant.

Eh bien... le jour j'allais me décider, le congé de Georges expirait, et, comme nous ne pouvions pas nous marier en vingt-quatre heures, nous nous jurâmes fidélité, nous échangeâmes même nos anneaux, et trois jours après il s'em- barquait.

HECTOR.

Vous vous écrivîtes, au moins?

HERMINIE.

Comme bien vous le pensez!,.. Il y a dix-huit mois, il est revenu. J'étais alors en Allemagne et il allait partir pour me rejoindre, lorsque la guerre de Crimée, qui venait d'éclater, le contraigïiit à retourner à Toulon immédiatement; mais, il y a six mois, je reçus une lettre par laquelle il m'annonçait son arrivée prochaine, et alors je pris la résolution d'aller attendre Georges auprès de sa mèrej c'est pourquoi je suis venue ici.

HECTOR.

En effet, madame Rhétel et vous, vous êtes voisines... Eh bien alors, il y a six mois que monsieur Georges est auprès, de vous?

HERMINIE.

Non.,, son anivée a été retardée de plus de cinq mois, et cette pauvre madame Rhétel a passé ce temps dans des an- goisses horribles... Enfin, Georges est ici depuis six jours... 11 est toujours bon, tendre, aimant. Mon anneau est toujours à son doigt...

HECTOR,

Et votre souvenir dans son cœur... Eh bien, quand vous mariez-vous ?

HERMINIE.

Je vous le dirai ce soir, car, Georges et moi, nous ne nous sommes encore vus que deux fois en présence de sa mère, et je l'attends seul aujourd'hui.

HECTOR, prenant SCS papiers.

Alors je m'explique votre insouciance au sujet de votre

ACTE 1. 19

mine, puisque bientôt vous devez être aussi riche que par le passé; mais savez-vous ce que cette union va vous couler?..,

HERMINIE.

Et que me coûtera-t-elle?

HECTOR.

Quatre-vingt mille livres de rente, tout net!...

HERMIME.

Comment cela?...

HECTOR. *

C'est bien simple... monsieur de Tremblay, votre beau-père, a testé en votre faveur, à la condition que vous ne quitterez jamais le nom de son fils.

HERMINIE.

Oh ! monsieur de Tremblay donnera ses quatre-vingt mille livres de rente à qui bon lui semblera, et moi, j'épouserai Georges, si toutefois il est aussi désintéressé aujourd'hui que je l'étais, moi, il y a trois ans.

HECTOR.

Est-ce que vous doutez de monsieur Rhétel?

HERMl.ME.

Oh ! non, je n'en doute pas. Je connais Georges, et d'ailleurs s'il m'apporte la fortune, je lui apporterai, moi, de hautes pro- tections; s'il me fait riche, je le ferai grand! Et puis...

HECTOR.

Et puis^... quoi?..,

HERMIME.

Il faut bien l'avouer... mais depuis le départ de Georges, j'ai bien souvent interrogé mon cœur... et je me suis vue forcée de convenir que ce que j'avais pris pour une bonne et franche amitié, n'était réellement qu'un bel et bon umour.

HECTOR, »« levant.*

Ainsi, vous aimez monsieur Rhétel?

HERMINIE, siiD|>leroeDl.

Mon Dieu, oui, je l'aime sincèrement. Georges est tout pour moi : le passé, le présent et l'avenir, car Georges est mon pre- mier et mon seul amour.

HECTOR.

Bien ! bien !... Je ne parle plus des quatre-vingt mille livres de rente perdues, l'amour ne calcule pas... Personne plus que moi ne souhaite de vous voir heureuse.

* Herminie, Hector.

80 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE.

Je le sais, c'est pourquoi j'ai voulu tout vous dire... Mais, tenez, regardez dans l'avenue du château... Voyez-vous ce cava- lier qui arrive?

HECTOR.*

C'est lui?...

HERMINIE.

Oui, dans deux secondes il sera ici.

UN DOMESTIQUE, annonçant.

Monsieur Georges Rhétel !

HECTOR.

Alors je vous laisse, et vais me mettre dans un costume plus présentable.

HERMINIE.

Bonjour, mon cher Georges. (Au domestique.) Conduisea mon- sieur Brizac dans sa chambre.

SCÈNE IV HERMINIE, pui5 GEORGES.

HERMIME, tiTement et au fond.

Vous arrivez à propos, mon cher Georges, et les oreilles ont vous tinter, car on parle de vous depuis une heure.

GEORGES, lui baisant la main.

Vraiment?

HERMIME.

Oui, j'étais en train de remuer les cendres du passé avec un ami à moi... qui sera le vôtre quand vous le voudrez bien.

(Après un moment.) GcOrgCS?

GEORGES.

Quoi donc?

HERMINIE.

Qu'est-ce que vous avez?

GEORGES.

Mais rien...

HERMINIE.

Pardon, vous avez quelque chose... Voyons, avez- vous une confidence à me faire ?

GEORGES, embarrassé.

Une confidence ?. . . non. . .

ACTE I. 21

HERMINIE.

Le moment n'est pas venu, à ce qu'il paraît... le moment... ou la conûance...

GEORGES.

Ah! ma chère Herminie...

HERMIME.

C'est bien... j'attendrai.

GEORGES, distrait.

Que me disiez-vous donc quand je suis entré?

HERMI-ME.

Pourquoi l'avez-vous oublié ? Je vous disais... je cite textuel- lement... que j'étais en train de remuer les cendres du passé. Vous souvenez- vous du passé, Georges?

GEORGES, éma.

Oui!... je m'en souviens!...

HERMIME.

Savez- vous ce qui ne s'effacera jamais de ma mémoire?... Eh bien ! c'est le souvenir de ces cinq mois passés à vous at- tendre en compagnie de votre pauvre mère, car nous ne savions ce qui vous était arrivé... nous ne pensions pas à la chose la plus naturelle du monde, aux exigences du service ni aux vents contraires, notre tendresse ne voyait dans ce retard que des dangers courus par celui que nous attendions.

GEORGES, dont l'émotion «t 1 embirrai augmentent.

Mon amie...

HERMIME, se levant.

A cette époque-là, le hasard le plus insignifiant était pour nous une cause de terreur et de larmes. (Aiiam à la croisée.) Tenez, un certain soir, ici même, et comme nous étions accoudées toutes deux au balcon de cette fenêtre, un jeune garçon passa dans la vallée, il chantait en regagnant le ■sillage, et sa chanson arrivait jusqu'à nous dans le silence de la nuit... Oh! cette chanson, je ne l'oublierai jamais...

GEORGES.

Que disait-elle donc?

HERMIME.

Elle parlait d'un petit mousse gui avait quitté sa mère et qui ne devait plus la revoir... c'était bien simple... bien naïf... Tenez, cela commençait ainsi :

n était un petit navire, Qtti sur la mer s'en est allé.

82 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

Et puis le navire était perdu, brisé, je ne sais plus au juste... on tirait au sort et le petit mousse était mangé. (RUnt ei pleurant à la fois.) Que c'est bête!... Je pleure encore en me rappelant cette chanson... je suis bien sûre que vous vous moquez de moi!.,.

GEORGES, avec une sorte d exaltation.

Moi?... me moquer de vous?... des saintes larmes que vous et ma mère donniez à l'exilé... Oh!... non!... je ne me moque pas, car, moi aussi, j'ai eu mes heures de défaillance, et bien souvent, quand tout dormait autour de moi, sur le pont du vaisseau confié à ma garde, et que, triste et pensif, je suivais des yeux les grands nuages qui couraient vers l'occident, uiie vieille clianson m'est revenue en mémoire.

HERMINI E ëmue, lui tend les mains.

Que j'aime à vous entendre parler ainsi... (eiib se lève.) Et à votre tour, cette chanson, quelle est-elle?...

GEORGES.

Oh! VOUS la connaissez, car, le jour de mon départ, vous me. l'avez apprise...

HERMIME, joyeuse et courant au piano. *

Oh| je sais... je sais,., c'est celle-ci, n'est-ce pas? (eii« chante.)

Combien j'ai douce souvenance Du joli lieu de mon enfance ! Ma sœur, qu'ils étaient beaux ces jours de France! Oh ! mon pays sois mes amours Toujours.

(Georges passe à la cheminëe. Elle se retourne et voit Georges dont tes yenx sont baignés de larnes.)

Comme vous êtes ému ! qu'avez- vous?

GEORGES, éclatant.

J'ai... que cette France dont vous parlez, je l'aurai quittée, demain pour jamais...

HERMINIE, se levant.

Vous quittez la France demain?... Que dites-vous donc?... Est-ce que vous devenez fou?...

GEORGES, e'mu.

Non, mon amie, je ne deviens pas fou. Demain, je pars... et je viens vous faire mes adieux, (u s'assied à gauche.)

* Georges, Herminie.

AGTB I. U

Ah çà! voyons, Georges, je ne comprends pas bien... j'ai mal entendu?... '

GEORGES, trës-agité.

Herminîe, je vous répète que je pars, (toi mootrant un p»?i*r.) Tenez, lisez plutôt !

HERMIME, lisant.

Eh bien! qu'est-ce que cela?

GEORGES.

C'est une nomination à un poste que j'ai sollicité... Je vais à la Guadeloupe.

HERMIXIE.

A la Guadeloupe?... Et qu'est-ce que vous allez faire là?

GEORGES, ie levant.

Je ne sais plus... Je suis attaché à la personne du gouver^ neur en qualité de premier aide de camp... je crois!...

HERMIME.

Vous croyez?... Vous ne savez plus?... Ah çà! quelle triste romédie raè jouez-vous là?... Est-ce une épreuve?... Qu'est-ce (jue cela signifie?...

GEORGES, tiès-ému.

Laissez-moi vous embrasser, mon amie, et quittons-nous.

HERMINIE.

Non, je ne vous embrasse pas... Encore une fois, qu'ya- t-il?... que s'est-il passé?

GEORGES.

Il ne s'est rien passé... Il faut que je parte... et je pars... vuilà tout.

HERMINIE.

Eh bien!... Adieu!

GEORGES, lai prenant la main et la couvrant de baisen. Adieu!... (ll remonte.)

HERMIME, I arrêtant; elle le fait .isseoir près d elle.

Ah çà! mais ce n'est pas possible!... Vous ne me quitterez pas ainsi!... Voyons? Est-ce qu'un grand malheur vous a frappé? Quoi? Ètes-vous ruiné? Votre mère serait-elle morte?

GEORGES, Tirement.

Oh!...

HERMrME, levant.

Au fait! vous me l'auriez dit!... Mais que voulez-vous... vous me rendez folle!... Georges, est-ce de moi qu'il s'agit?...

24 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

Est-ce qu'on vous a dit du mal de moi?... Est-ce qu'on vous a dit que j'avais un amant?... Oh! ce n'est pas vrai, je le jure sur la vie de votre mère ! *

GEORGES.

Non, non, chère Herminie, on ne m'a rien dit de tout cela!

HERMIME, agitée.

Eh bien! alors, qu'y a-t-il donc?... Qu'est-ce qui vous prend?,.. Vous comprenez bien que je ne vous laisserai pas partir ainsi. Parlez!... Je le veux!... (avcc force.) Je le veux, entendez-vous, Georges?

GEORGES.

Herminie, je vous en conjure....

HERMINIE, arec colère.

Encore?... Ah! à la fin, c'est ridicule ! (Elle «'assied.) Georges, vous me faites beaucoup de mal, je vous assure!... Une der- nière fois, qu'y a-t-il?

GEORGES, n'y tenant plus.

Il va... il y a... que je souffre plus que je ne puis vous le dire.", que je suis un honnête homme... que... enfin, il faut que je parte; si je reste... je me tuerai!... (ii tombe à genoux.)

HERMINIE.

Georges!... (Après un silence.) Vous lie m'aiiiiez plus!...

GEORGES, couvrant sa main de baiser!.

Mon amie!...

HERMINIE, émue.

Vous ne m'aimez plus... et vous en aimez une autre!... (George» garde le silence.) C'est bien Cela, et je comprcuds tout!... Comme vous m'estimez trop pour venir m'offrir un cœur qui ne m'appartient plus; comme vous êtes homme d'honneur, et que vous ne voulez pas manquer à la promesse que vous m'avez faite en en épousant une autre, vous ne trouvez rien de mieux que l'exil pour rester en paix avec votre délicatesse et avec votre conscience ! (Mouvement de Georges.) Voyons, n'est-ce pas que j'ai deviné ?

GEORGES.

Herminie!...

HERMINIE, à la cheminée, prenant un paquet de lettres, et les lui donnant avec nue fièvre conlenue.

Voici VOS lettres... (otanv l'auneau de son doigt.) Volrc auncau, VOUS êtes libre.

* Herminie, Georges.

ACTE I. 25

GEORGES.

Herminie, j'ose à peine lever les yeux sur vous.

HERMIME.

Craignez-vous donc de voir des larmes dans les miens?

GEORGES.

Oh ! soyez généreuse.

HERMIME.

Il me semble que je le suis. (Froideuwni.) Ah ! mon ami, voua voudrez bien me rendre aussi mes épîtres, n'est-ce pas? il est inutile de...

GEORGES, lu lai doDoant.

Les voici!...

HERMIME, les prenant.

Ah!

GEORGES.

Je voulais en partant les laisser à Suzanne... Il fallait tout prévoir... Je pouvais mourir ià-bas, et je ne voulais pas...

HERMINIE, l'iDterrompaDl. Merci!... (Elle prend le paquet de lettres, le jette sur la table, pub prend un Terre d'eau.)

GEORGES, approchant.

Vous souffrez?...

HERMIME.

Non... j'ai un peu mal à l'estomac... ce n'est rien.

GEORGES, trèf-ému.

Daignerez-vous toujours être mon amie?

HERMIME.

Pourquoi pas?

GEORGES, suppliant.

Herminie, votre main?

HERMIME, le repoussant doacemcnt

Plus tard... un autre jour, Georges! (voTint qu« Georges prend son chapeau.) Eli bien! VOUS mc quittez?... Pourquoi?... Puisque vous n'allez plus à la Guadeloupe, vojis ne retournerez à Ne- vers qu'après dîner, je suppose...

GEORGES.

Excusez-moi, mais...

2

26 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE, avec une gsiclç fnicée.

Voyons, mon cher George--, je vous en supplie, (juittcz celte mine désolée. Vous voulez partir parce que j'ai relusé de vous donner la main? Oh! mon Dieu! la voici... tenez! (Ei:e la lui donne.) Vous dîiiez avcc moi, n'est-ce pas ?... C'est entendu ! ... Te- nez, nous avons monsieur Hector Brizac, mon homme d'affaires, je vous présenterai à lui... Si vous avez besoin de son office,..

(Elle va et vient tout en parlant, en passant devant nne jardinière de ar—

r.iciie nne fleur.) Conuaisscz-vous cettc tleur?... Je n'ai jamais pu savoir ce que c'était.

GEORGES.

Mais c'est une bruyère...

HERMINIE, en arraclnnl uae antre.

Non, je me suis trompée, c'est celle-ci que je voulais dire... Avec tout cela, vous ne m'avez pas donné des nouvelles de votre mère... elle se porte bien?

GEORGES.

Oui, madame...

HERMINIE.

Avez-vous peur du froid?... Voulez-vous faire un tour dans

le parc?... (Avançant près de la fenêtre.) TicUs! il plcUt justement! (se retournanl.) Est-CC qUC VOUS SaVCZ le VVistll? (Elle pronj de la musique qu clic parcourt,)

GEORGES Irèi-embarrassé.

Un peu.

HERMINIE, qui ne l'écoute pas.

Ah ! c'est fâcheux ! vous auriez pu faire un robbev avec mon- sieur le marquis de Furretières. (eiio est près du pijno ) Qui épousez-vous ?

GEORGES se levant^ lui prenant la main et la forçnnt à se retoumer.

Oh ! je n'y tiens plus! Herminie, je ne puis rester vis-à-vis de vous dans cette situation si cruellement ridicule ! 11 faut que je vous parle, que je vous dise...

HERMINIE.

Qu'est-ce que vous pourriez me dire ? Vous m'aimiez, vous ne m'aimez plus... tout est dit.

GEORGES.

Non, tout n'est pas dit ; car je suis moins coupable que vous ne le supposez.

HERMINIE, jetant la musique.

Mais, encore une fois, qui vous accuse?

ACTE I. 87

GEORGES.

Moi, nioi-inêine, et vous ne pouvez pas ra'enipèclier de me juslifier!

HERMIME le iTpous«aiit IrUlcmint.

Laissons cela, mon ami, (eIc s'assied.)

GEORGES.

Non... non... Je ne veux pas que vous me détestiez un jour après m'avoir aimé peut-être.

HERMIME coariant.

Peut-être!... (eiic m lève.)

GEORGES, arec lendreste.

Herminie !

HERMIME, atcr doiilenr.

Georges ! vous m'avez fait bien du mal ! Je me croyais plus

forte, je vous le jure... (eu* lomle assise il laisse on InstaDt sa lèie dûi:s sc! maiiis.)

GEORGES l'enloiirani de ses bras.

Mon amie...

HERMIME se dégageanl doucement.

C'est fini... les larmes m'ont soulagée; mais vous avez à me parler, à me raconter quelque chose... j'écoute... (Elle rii.) Ah! il paraît que cette journée est la journée aux histoires. Je ve- nais d'en raconter une à monsieur Brizac quand vous êtes entré... Mais allez, allez, Georges. Je ne demande pas mieux que de vous entendre.

GEORGES.

Souvenez-vous du jour nous nous sommes rencontrés à Paris il y a trois ans. Vous m'avez trouvé bien fou, n'est-ce pas? bien désireux de me lancer dans le tourbillon du monde?

HERMIME.

C'est vrai...

GEORGES.

Eh bien, je cherchais à m'étourdir...

HERMIME.

Pourquoi ?

GEORGES.

Pour oublier...

HERMINIE.

Une femme?... Vous en aimiez déjà une autre à l'époque vous me parliez d'amour?

S8 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

GEORGES.

Laissez-moi continuer. Vous m'avez entendu dire à cette époque, n'est-ce pas, qu'avant d'aller à Paris j'avais passé plu- sieurs semaines dans le Nivernais ?

HERMINIE.

Près de votre mère...

GEORGES.

Non, chez le comte de Noyan.

HERMINIE.

Le comte de Noyan ! celui qui est mort il y a dix-huit mois, laissant une veuve jeune, riche et jolie? Eh bien! vous de- vîntes amoureux de la comtesse ? Achevez donc!

GEORGES.

Je voulais faire taire mon cœur, et après avoir embrassé ma mère j'accourus à Paris me jeter au milieu des plaisirs.

HERMINIE.

Ah ! fort bien.

GEORGES.

Herminie, quand je vous disais que je vous aimais, quand

t'e vous suppliais de m'épouser, je vous le jure, j'étais de lonne foi, je disais bien réellement ce que je pensais. Je me croyais guéri, mais une fois en mer, une fois livré à moi- même...

HERMINIE.

Oui, oui, je comprends.

GEORGES.

Dix-huit mois après je revenais en France; je voulais vous voir, je voulais vous supplier de ne plus retarder notre union; mais, en arrivant à Nevers, j'appris que vous étiez en Alle- magne, et que monsieur de Noyan était mort.

HERMINIE.

Alors vous revîtes la comtesse?

GEORGES.

Oui, avant mon départ pour la Crimée.

HERMINIE.

Continuez, mon ami.

GEORGES.

Je n'ose plus.

HERMINIE.

Pourquoi? Vous craignez de renouveler ma douleur? Mais le mal fest fait, Georges. J'ai souffert, j'ai pleuré... et je souffre

ACTE I. M

moins. Depuis votre arrivée à Nevers, vous avez encore revu madame de Noyan, vous lui avez parlé de votre amour, la comtesse vous â écoulé et vous a aimé; quoi de plus naturel? (Elle le leTP. Dt«-pnd»ni.) Mâïs il ne faut pas partir pour cela, Georges, il ne faut pas vous exiler; je ne le veux pas.

GEORGES.

Que faut-il donc que je fasse?

HERMIME.

Il faut épouser la femme que vous aimez.

GEORGES.

Herminie !

HERMINIE.

Allez, mon ami, soyez heureux!

GEORGES TiTement.

Ne vous verrai-je donc plus?

HERMIME.

Mais si fait. Madame de Noyan peut bien me prendre votre amour, mais je veux garder votre amitié.

GEORGES.

Mon Dieu! mais vous paraissez souffrir encore.

HERMINIE.

Ce n'est rien, j'ai la tête un peu lourde. Tenez, mon ami, veuillez ouvrir celte fenêtre, l'air me fera du bien. C'est pour- tant vrai que l'on voit d'ici les flèches du château de Noyan. Comme cela, tandis que je vous attendais, vous étiez là-bas auprès d'elle. Ah! on me l'aurait dit que je ne l'aurais pas cru. Enfin, madame de Novan vous attencl à son tour, et je ne dois pas vous retenir plus longtemps... Et à quand cette union?

GEORGES.

Ne faut-il donc pas que je parte ?

HERMINIE.

Pourquoi? puisque tout est arrangé maintenant.

GEORGES.

Eh ! si je n'obéis pas à cet ordre, si je ne pars pas demain, il faut que j'envoie ma démission aujourd'hui même.

HERMIME.

Ah ! vous consentez à quitter la marine ?

GEORGES.

Ah! bien à regret! C'est un sacrifice, je l'accomplis; et ce

2ui m'inquiète, c'est que ma mère, elle, ne consentira que dif- cilement à ce que j'abandonne le service.

M LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMIME.

Votre mère ne connaissait donc pas votre résolution d'aller à la Guadeloupe ?

GEORGES.

Non.

HERMINIE.

Vous ne lui avez donc pas confié votre amour pour la com- tesse?

GEORGES.

Non.

HERMIME.

De sorte qu'elle croit toujours que vous devez m'épouserî

GEORGES.

Ouij et elle vous aime tant, elle était si heureuse de nos an- ciens projets, que je n'oserai jamais non plus lui dire ce qui vient de se passer entre nous.

HERMINIE.

Eh bien! Georges, ce sera moi qui lui apprendrai tout.

GEORGES.

Vous?

HERMiniE.

Je ne veux pas être la cause d'une mésintelligence entre vous et votre mère. Je saurai lui faire comprendre que votre bon- heur est près de madame de Noyan, et quant a ce qui est de cette démission... eh biçn! nous verrons... j'en parlerai...

GEORGES.

Oh I mais... je ne puis accepter.

HERMIME soonaBt. Je le veux. (Cliaugeant de ton. Écri»ant.) DitCS-moi! VOUS u'aVCZ

jamais raconté à madame de Noyan ce qui s'est passé entre

nous? (Georges se rapproche.)

GEORGES.

Jamais...

HERMINIE.

Eli bien^ il ne faut pas le lui dire, mon ami, car elle pour- rait clouter de moi, et je ne le veux pas. (Au domesliqne qui entre.)

Faites porter cette lettre au château de Noyan.

GEORGES.

Que signifie?

ACTE I. ai

IIERMIME.

C'est une invitation pour ce soir. Ne faut-il pas que je con- naisse madame de Noyan jtour parler d'elle à votre mère?

GEORGES.

Sans doute...

UERMIME.

Eh bien! comme le temps nous presse jiour prendre une résolution relativement à vous, vous allez partir sur-le-champ, vous vous rendrez chez la comtesse, vous ferez excuser le sans façon avec lequel j'agis, et vous me ramènerez vous- même madame de Noyan.

GEORGES.

Moi-même?...

HERMIME.

Sans doute... Je l'ai prévenue de tout dans ma lettre.

GEORGES.

Quoi! Herminie, vous agiriez ainsi pour moi?

HERMIME.

Eh! mon Dieu! que gagnerais-je à agir autrement?... Votre haine, peut-être. (Eiie se lève.)

•GEORGES.

Oh!

HERMIItlE. *

&ins doute ! si je vous laissais partir, vous expatrier, vous me haïriez un jour en songeant que je suis la cause du mal- heur de votre mère, du malheur de cette femme que vous m'avez préférée. Mais tout est dit, n'en parlons plus. Allons, mon ami, amenez-moi madame de Noyan... je vous promets de faire ce que je pourrai pour l'aimer.

GEORGES.

Mon Dieu! ma chère Herminie, en vérité je...

UERMIME.

Allez, dépêcliez-vous et revenez vite.

GEORGES.

Herminie, que pourrais-je faire un jour pour vous lémoi-

nner mon affection?

HERMIME.

Allez! allez! vous me remercierez plus tard!

GEORGES, lui baisiol les maius.

Adieu! adieu!

* Georges, Herminie.

32 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE j leule^ fait quelques pèa inceriains dans la chambre^ puit elle ouvre l'autre feDètrc en diiant :

On étouffe ici! oh! j'ai besoin d'air... de mouvement, (elle

sonne bnisquemenl. Suzasne et GerTais entrent à g^uclic. A Gerrais.) Faites seller Titania. (Oervai» sort & droite.)

SUZANNE. *

Madame va monter à cheval?

HERMINIE.

Oui.

SUZANNE.

Mais il pleut à verse !

HERMINIE.

Tant mieux!... dépêche-toi!... (Snzanne rentre vivrmc-nl à gmdio. Hcrmini-: a rencontre dan» sa main le paqii.-t de lettres, m ouvre une, la parcourt, puis la froisse en haussant les cpaules et j lie le tout au feu. Le rideau baisse.)

F N DU PREMIER ACTE.

ACTE II. 33

ACTE DEUXIÈME

Même décor qu'au 1" acte, SCÈNE PREMIÈRE

HECTOR, HERMINIE. (nector debout aa fonM^ lisant un joarnal. HcrmiDie entre par le fond à droite. Elle est en amazone et mouillée jusqu aux os. Elle s approche de la cbemioe'e, y jeile sa craTache et ar- rache ses gants.

HECTOR.

Ah! VOUS voilà? quelle singulière fantaisie avez-vous eue de monter à cheval par un temps pareil ? Je vous cherchais partout, moi. (ii »e Ictb et Ta à la fenêtre.) C'cst Que ça tombe à flots!... Oh! mon Dieu, votre cheval est blanc aécume!...

HERMIME.

Pauvre Titania, je l'ai menée rudement.

HECTOR.

Est-ce que vous avez reconduit monsieur Rhétel?

HERMINIE.

HECTOR. HERMIMIE.

Non.

Eh bien?

Eh bien, quoi?

HECTOR.

Étes-vous satisfaite de cette entrevue?

HERMIME.

On ne peut plus satisfaite!...

HECTOR, sefrolUnllef maiDi.

Les choses vont comme vous voulez?

HERMINIE.

Comment donc? mais tout à fait.

34 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HECTOR.

Et à quand le mariage?

HERMINIE.

Mon cher Brizac, vous m'agacez horriblement!

HECTOR, riant.

Comment! je vous agace?

HERMINIE.

Votre gaî me donne sur les nerfs.

HECTOR.

A qui en avez-vous?

BERMIME.

Voulez-vous me faire Tamitié de me regarder bien en face?

HECTOR, la regardant.

Ah ! mon Dieu ! mais en effet, votre physionomie est toute bouleversée, que s'est-il donc passé ?

HERMINIE.

Mon cher Brizac, vous voyez devant vous la femme la plus humiliée, la plus mortifiée des cinq parties du monde! Je me croyais aimée de Georges... et Georges -en aime une autre.

HECTOR, stupéfait.

Monsieur Rhétel aime une autre femme?

HERMINIE, s'assejant.

Certainement! '

HECTOR, à part.

Diable!... (a Herminie). Mais cette' parole qu'il vous avait donnée?

HERMINIE.

Eh bien! je la lui ai rendue...

HECTOR.

Sait-il que vous êtes ruinée?

HERMINIE.

Vous voyez bien que non, puisqu'il ne m'épouse pas.

HECTOR.

Mais...

HE R MIME.

Je vous ai déjà dit que je connaissais Georges.

HECTOR.

Oh ! mais c'est un mauvais rêve.

ACTB II. »

HERMIME, »gacée.

Est-ce que vous allez me faire des phrases de mélodrame à présent... vous?

HECTOR.

Comme vous êtes méehantel ce n'est pas moi cependant qui vous ai trahie?

IIKRMIME.

11 ne manquerait plus que cela.

HECTOR, riaol. Merci! c'est pour mes honoraires? (HerBiinie %e retourne pour ckcber Im Urinei qu'tUe se peut plu« retenir.— S^cQ apercevant.) Oll !

pardon, pardon, madame, je ris et vous...

HERMIME, ckcrcbant il «e eout«nir.

Eh! vous êtes fou! je ne pleure pas!...

HECTOR, brutalement.

Si fait! vous pleurez; allez, allez, ne retenez pas vos larmes. Cela soulage.

HERMIME.

Oh ! combien je connais de femmes qui seraient heureuses si elles pouvaient me voir ! (s'essuyam Us t«^ï). Gardez cela pour vous au moins !

HECTOR.

Oh! madame!

HERMIME.

D'ailleurs, si vous dites que vous m'avez vue pleurer, je dirai que ce n'est pas vrai, (cbahgpam de ton tout i coop). Ah çà, voyons, Hector, est-ce que je suis laide? Pourquoi a-t-il changé ainsi tout à coup? Dire que je faisais ce matin des projets avec vous! vous vous souvenez?... Elle est donc bien jolie, cette madame de Noyan ?

HECTOR.

Ah! c'est madame de Noyan.

HERMIME.*

Eli ! voilà une heure que je vous le dis.

HECTOR.

Mais alors, je n'y comprends rien; car c'est une beauté des plus ordinaires.

HERMIME.

Comme c'est spirituel, ce que vous me dites là!... Vous ne l'avez jamais vue...

* Herminie, Hector.

30 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HECTOn.

Maison m'a dit...

HERMIME, bauitaot les ëpaules.

Laissez-moi donc tranquille... Est-ce que je ne l'ai pas ren- contrée dix fois?... Elle est jolie et très-jolie, au contraire!... Vous êtes encore bien naïf, vous, de me donner de ces conso- lations-là!... (AllaDl à la cbeminë*.)

HECTOR.

De grâce!... calmez- vous !... vous vous faites mal !...

HERMIME.

Oh! soyez tranquille!... je n'en mourrai pas, au bout du compte!... Mais, vous comprenez?... dans les premiers mo- ments... (riant) et quaud on ii'en a pas l'habitude... (chaDgeaot de ion.) Ah ! mon pauvre Hector, quel drôle de dimanche je vous

fais passer!... (Elle lui donoe la main.) HECTOR.

Mais... quand monsieur Rhétel vous a fait cetinexplicable aveu, qu'avez-vous répondu ?

HERMINIE.

Je l'ai invité à dîner.

HECTOR, stupéfait.

Hein?...

HERMINIE.

Je VOUS dis que je l'ai invité à dîner... Ah!... c'est-à-dire,

aue j'ai fait bien mieux encore, allez!... je lui ai promis de evenir l'amie de madame de INoyan.

HECTOR.

Vous?...

HERMIME.

Eh ! oui, moi...

HECTOR, brusquement.

Pourquoi ne vous êtes-vous pas chargée d'acheter la cor- beille pendant que vous y étiez ?

HERMIME.

Eh bien, mais, c'est ce que je ferai probablement.

HECTOR.

Allons donc !

HERMIKIE.

Je me suis engagée à parler à madame Rhétel... à lui con- duire la comtesse.... madame de Noyan sera ici dans une heure... et ce soir nous serons intimes... Voilà!...

ACTE II. 37

HECTOR.

VousaveZ fait cela, VOUS, madame de Tremblay?...

HERMIME.

Parfaitement...

HECTOR.

Ah çà, je ne vous connaissais donc pas?...

BERXIME.

Il paraîtrait...

HECTOR.

Tenez, ma parole d'honneur, je n'y comprends rien...

UERMINIE.

Moi non plus... Mais vous êtes charmant, vous... Croyez- vous donc que l'on sache parfaitement ce qu'on dit et qu'on fait, quand on est tombé de cinq étages sur le pavé et que, par hasard, on ne s'est pas tué sur le coup?... Eh bien! je suis tombée de plus haut que cela... il y a à peine une heure.

HECTOR.

Alors, vous laisserez ce mariage s'accomplir?...

HERXIME.

Dame !... est-ce que j'ai le droit de m'y opposer?...

HECTOR.

Mais, que deviennent vos projets?...

HERXIME.

Des folies irréalisables...

HECTOR.

Mais, VOUS ne l'aimiez donc pas comme vous le disiez ...

HERMIME.

Eh ! je l'aime plus encore...

HECTOR.

Alors, cette abnégation est ridicule... J'ai bien le droit de vous le dire, moi, qui suis votre ami... et votre ami dévoué, vous le savez bien...

HERMINIE.

Et le moyen de ramener Georges... le connaissez- vous?...

HECTOR.

Oh ! si je le connaissais !...'

HERMIME, soDoaot et s'ancyaot.

Eh bien, alors? Ah! c'est égal, convenez au moins que je n'ai pas de bonheur!... Ainsi, je vous ai raconté mon his-

3

38 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

toire... Soyez tranquille.... je n'ai pas l'intention de la re- commencer !... Mais voyez si je suis faite pour aimer ou pour être aimée... Tout ce que j'ai tenté a toujours tourné contre moi, excepté mes taquineries envers ma belle-mère... 11 n'y a décidément que la méchanceté qui réussisse!...* (Elle s'arrête,

et tire avec violence le rordon de la sonnette.) Oll ! mais pcrSOnnC ne

■viendra donc quand je sonne ?

GKRVAIS, entrant timidement. *

Madame !

HERMIME.

Mettez du bois au feu... j'ai froid!... dépêchez- vous... (cervais obéit et sort. A Hector.) Savcz-vous quc Ics liommcs sout bien étranges et bien impudents?... En voilà un, par exemple, Georges, qui, sur un mot de moi, s'en va gaillardement et de son pied léger me chercher sa maîtresse... Comment trouvez- vous cela?...

HECTOR.

Dame... cela dépend de ce que vous lui avez dit...

HERMINIE.

Je lui ai dit... je ne sais plus... que je voulais devenir l'amie de cette femme... je crois...

HECTOR.

Alors, c'est qu'il a pensé que vous n'aviez pas pour lui uo amour bien extraordinaire, et que vous renonciez à lui comme il renonçait à vous. Enfin, puisque vous lui avez promis d'aimer madame de Noyan!...

H E R M I M E , avec tîolence.

Moi?...

HECTOR.

Allons donc! je devinais bien que vous ne pouviez aimer cette femme.

HERMINIE.

11 ne fallait pas être sorcier pour cela! Oh! certes, non, je ne pourrais l'aimer! Et après tout! pourquoi Taimerais-je? Si j'étais si sotte, mais ils se moqueraient de moi tous les deux, et ils auraient raison! Leur bonheur! Eiil je me moque bien de leur bonheur! Se sont-ils souciés du mien, eux?... Ah! te- nez, ne me parlez plus de cette femme,., je la déteste!

HECTOR.

Cependant, vous ne l'en avez pas moins appelée auprès de vous, et elle va venir.

* Herminie, Hector.

** Gervais, Hector, Herminie.

ACTE II. 3^

HERMIME.

Eh bien ! tant pis pour elle !

HFCTOR.

Que ferez-Yous donc?

HERMIME.

Je VOUS demande un peu pourquoi vous m'adressez celte question-là? Vous savez bien que je ne peux pas y ré[K)ndre !

C'est ridicule!... c'est absurde!... (Ldï lendam ta miin el cliangeaut

de 100. ') Tenez! excusez-moi, mon cher Brizac, je suis une créature insupportable aujourd'lmi; mais c'est comme jadis, on me rend méchante. Permettez-moi de me retirer, j'ai be- .soin de quelq^ues instants de repos, j'ai la tète en feu... uh! non, je ne sais pas ce que je ferai... mais ce que je sais bien, c'est que, décidément, je déteste cette madame de Noyan.

HECTOR.

Mais, vous vous en allez, et elle va venir...

HERMIME.

Eh bien ! vous lui direz que je ne puis la recevoir, que je suis partie, que je suis malade... que je suis morte, si vous voulez.

HECTOR.

Cependant...

HERMINIE.

Eh! laissez-mui donc... vous voyez bien que je ne sais plus

ce que je dis! (Elle va poor sortir. Gerrais entre.) GERV.MS.

Madame!...

HERMIKIE, se retoomaat.

Quoi?

GERTAIS.

Il 7 a en bas, une personne qui demande si madame est vi- Tisible.

HERMIME. Eh! je n'y suis pas! (Gcmb va poar sortir. Suzanne entre.) SrZA>>E.

Madame! c'est madame de l'Estang.

HERMI5IE, s'arrèUDt.

Diane?... Et vous dites qu'elle est en bas?... cela, en bas?... à la pluie?

* Hector, Hermioie.

40 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

SUZANNE.

Dans sa voiture. Elle dit qu'elle ne veut pas risquer une fluxion de poitrine, sans être sûre que madame est au château.

HERMINIE, souriant malgré elle, à Gervais.

Priez cette dame de monter, et hâtez-vous.

HECTOR.

Comment! vous allez recevoir cette dame de l'Estang?

HERMINIE.

Eh! sans doute!... Il le faut bien!... Je ne suis pas ici à Paris ! Cette évaporée de Diane ! Je ne comprends rien à sa visite.

HECTOR.

Enfin , sa gaieté vous distraira peut-être.

HERMINIE.

Avec cela que je suis bien fagotée et en train d'être gra- cieuse. Heureusement qu'avec Diane je ne me gêne pas; (Tail- leurs, je ne dirai rien, et vous ferez un quart des irais de la conversation.

HECTOR.

Et les trois autres quarts?

HERMINIE.

Oh ! elle s'en chargera facilement, vous verrez !

GERVAIS, annonçant.

Madame de l'Estang !

SCÈNE II

Les MÊMES, DIANE. ** (Gervais ouvre la porte. Diane se précipite dans le sa!on comme une avalanclie. Elle est en costume de voyage et toute encapuclionnce.)

DIANE.

C'est moi, bien moi. (a oeivais.) Attendez, mon garçon... Je viens vous dire bonjour en passant, chère amie; si je vous dérange, tant pis, je m'en moque... il ne fallait pas me laisser monter, (saïuam Hector.) Moiisicur...

HERMINIE, la débirrassant de sou manteau.

L'aimable surprise!... Mais embrassons-nous donc!...

DIANE, riant.

Volontiers, ça n'engage à rien.

* Hermine, Hector.

** Herminie, Diane, Hector,

ACTE II. 41

HERMINIE^ souriant.

Toujours la même...

DIAMEj lui serrant la main.

Oh! c'est pour rire; vous savez bien que je vous déteste moins que les autres, (creioiunt.) Ah ! chère amie, je ne suis que gjaçons des pieds à la tête.

HERMTME, souriant.

Ah ça, mais, par quel hasard extraordinaire?...

DIANE.

C'est un conte de fée... Il n'y a que monsieur de l'Estang pour avoir de ces idées-là... A pVopos, avez-vous un trou pour fourrer ma chaise?...

HERMIME, souriant. *

Comment!... vous voyagez en chaise de poste depuis Paris?

DIANE.

Non, depuis Marseille... Cela c'est une idée à moi. (a g rTais.) Mon garçon... (a Hermiuie.) Vous permettez?... (a coryai?.) Ser- rez mes domestiques quelque part, mais ne faites pas trop boire mon postillon, (cervais s'iuciine Cl sort.) Tout le long du che- min il m'a fait des peurs affreuses; il me versera très-cer- tainement avant le prochain relais, (a Herminie.) Pour en revenir à mon mari, figurez-vous, ma clière Herminie, que monsieur de l'Estang, qui était arrivé de Saint-Pétersbourg, où, par pa- rentiièse, il était allé je ne sais pourquoi et lui non plus, monsieur de l'Estang m'annonce l'autre soir, en prenant le tlié, qu'il part dans quelques heures pour Rio-Janeiro, la Terre de Feu, je ne sais quoi...

HERMINIE, diitraile, l'écoute à peine; Hector parcourt on jiuroal ; Diane est presque dans la chemincV, riant avec complaisance.

Singulière idée!...

DIANE.

N'est-ce pas?... Idée qui du reste n'a rien qui m'étonne... monsieur de l'Estang est le mouvement perpétuel. Toujours est-il que le lendemain nous roulions sur la route de Marseille; mon mari avait voulu que je l'accompagnasse jusque-là... Autre idée biscornue qui m'a fait manquer dix bals au moins, et qui, en échange, me vaudra très-certainement une maladie de six mois. Enfin, je l'ai embarqué; il vogue et me voilà redevenue veuve pour un an ou deux, (eiib te lève.) Ah! par exemple, monsieur de l'Estang est bien le mari le moins gênant que je connaisse.

* Herminie, Diane, Geryais, Hector.

42 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMlJilE, sonriaiil.

En effet... mais il y a une chose qui m'intrigue, c'est votre chaise de poste.

D1.\NE.

Ah ! que voulez-vous, j'avais du chemin de fer par-dessus la tête;, rien que pour avoir été de l*aris à Marseille!... c'est si bête, ces chemins de fer... Cette machine qui siffle, qui tousse, quiéternue; ces arbres, ces maisons qui prennent le mors aux dents; ces employés qui font comme ça (eiie dicnd le bras) tout le long de la route... Et puis ces buffets devant lesquels oii vous jette juste le temps de regarder les comestibles; vous payez la vue et vous remontez en wagon... (eIb s'assiei.) Aii ! cette manière de voyager est ennuyeuse comme la pluie. Voyez-vous, en fait de cnemins de fer je n'estime que les ac- tions... et encore...

HECTOR, riaul.

Quand vous les vendez en hausse après les avoir achetées en baisse.

DIANE.

Justement... Aussi j'éprouvais le besoin de changer mes moyens de locomotion pour revenir à Paris... et, ma foi! en flânant sur le port avec ma suite, j'ai avisé une façon de ber- line... Elle n'était pas à vendre...

HECTOR.

Alors?...

DIAISE.

Alors je l'ai achetée... on m'a hissée dedans et me voilà.

(eIIc donne \ct mains à Herminie.)

HECTOR, riant.

Mais êtes-vous donc si courageuse, madame, que vous n'ayez pas été quelque peu épouvantée sur la route?

DIANE.

Moi?... En dehors des cahots j'ai eu des terreurs à en mou- rir et des hilarités à en perdre la respiration. A chaque relais, je m'attendais à être assassinée par les hôteliers et leurs nom- breux enfants. Ah bien ! le monde n'est pas près de finir, allez, grâce aux aubergistes!... En ont-ils des enfants!... c'est ef- frayant!... Après ça, il passe si peu de voitures!... Et puis, si vous saviez comme c'est amusant de voyager en poste!... Des auberges il ne vient plus personne, et l'on ne trouve ni de quoi manger, ni sur quoi dormir... Des relais il n'v a plus de chevaux... il faut attendre qu'ils soient revenus des champs. Le postillon, lui, garde les oies et les dindons, et, quand il

ACTE II. Û3

revient, il passe une bonne heure à chercher ses bottes

(BuBt.) Figurez- vous qu'à Senecey, le malheureux n'en a pu chausser qu'une... oui, une poule couveuse s'était tranquille- ment établie dans l'autre... C'était charmant!... Je ne recom- mencerais pas ce voyage pour un million.

HECTOR, riaot, et bas à^ Hermiaie.

Mon quart était de trop.

DIANE; i HermiDie.

Monsieur me trouve bavarde ? (Herminie sourit.)

HECTOR; embarrassé.

Ah! madame!

DIANE, riant.

Non ! alors vous êtes le seul; mais que voulez- vous? Je viens de faire trois mille lieues sans ouvrir la bouche, et je me rat- trape, (a Herminie.) Du restc, ma bonne petite, rassurez-vous, le temps de me dégeler et de faire boire les chevaux, et je me replonge dans mes peaux de renard.

HERMINIE.*

Vous moquez- vous? Votre chambre est déjà préparée, et vous ne vous en irez pas ainsi.

DIANE.

Vrai, vous me gardez un peu? Merci. Cependant, il faut absolument que je me sauve demain au plus tard. J'ai encore quelque chose comme cinquante lieues à faire, et je suis pressée. Par exemple, je laisserai ma chaise dans un fossé, et je reprendrai le raiiway. J'en aurais pour un an avec ce car- rosse, et il faut que je sois mercredi à Paris: je change mon ameublement. Kayserdoit me montrer des étofTes, et ma cou- turière a une douzaine de robes à m'essayer, une entre autres, un amour, quatorze jupes de tulle sur t;inèta< mauve. Notez que les jupes sont triples.

HECTOR.

Parbleu!

DIANE.

Puis une autre encore, tulle orange sur taffetas orange, sept volants bordés d'un effilé de fougères en marabouts.

HECTOR, soorianl.

Orange?

DIANE.

Toujours; c'est une fantaisie de Zacharie. Ah ! j'oubliais la plus jolie: taffetas vert Azof, avec des volants de Cliantilly.

Diane, Herminie, Hector.

44 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

C'est à vous rendre folle, si on ne l'était pas. (Hector rit. Gaiement.) N'ai-jo pas cu déjà l'avantage d'entendre rire mon- sieur?

HECTOR, se levant.

Oui, madame, à Paris.

HERMINIE, le prcsenlanl.

Monsieur Hector Brizac, mon ami et mon homme d'affaires.

HECTOR.

A VOS ordres, madame.

DIAISE, gaiement.

Merci, j'ai mes voleurs. (Hector rit.) Vous riez, monsieur, mais c'est très-sérieux, et il est bien certain que vous êtes

tous des bandits, (neclnr /incline. prenant la main d'Herminie.) Je

vous ennuie.

HERMINIE.

Non, bien vrai, au contraire, votre joyeux babil m'a fait du bien; j'étais irritée quand vous êtes venue.

DIANE.

Je l'ai bien remarqué; vous étiez toute pâle, et vous aviez les yeux battus. Je regrettais d'être montée, mais il était trop tare! pour reculer, et alors no pouvant espérer vous amuser absolument, j'ai voulu du moins vous étourdir.

HERMINIE.

Chère Diane !

DIANE, riant et se levant.

La bonté même, (a Hector.) Et modeste par-dessus le marché. Qu'est-ce que c'est que cela?

HECTOR, riant et lui remettant un journal de modes.

Des oranges d'Azoff.

DIANE, à Herminie.

Ah ! dites donc, j'ai bien des choses à vous dire de la part de tous nos amis.

HERMINIE, so cvant

Vous aviez donc l'intention de vous arrêter ici en revenant?

DIANE.

Mais oui !

HERMINIE.

Eh bien! comment vont ces dames?

DIANE.

Mais admirablement; elles ne font que croître et enlaidir. * Herminie, Diane, Hector.

ACTE II. 45

HECTOR, riant.

Dieu que vous êtes mécliante !

DIANE.

A quoi ça m'avancerait-il d'être bonne avec tout ce monde-là ?

HECTOR.

Je ne sais, pas moi.

DIANE.

Eh bien ! si vous ne savez pas... (a Hermioie). A propos, j'avais pris un parti, celui d'être ausii fausse qu'elles, mais ça ne in'a pas amusée longtemps, et comme j'ai recommencé à leur faire la guerre, ellesm'ont reprise en grippe, et m'étrangleront très- certainement un de ces matins.

HERMINIE.

Et madame de Cottereau, que devient-elle?

DIANE.

Camille?... votre amie intime de l'année dernière?.,, elle vous déchire à belles dents. Ce qui ne l'empêchera pas, du reste, de vous embrasser en pincettes quand vous reviendrez.

HERMIME.

Alors, toutes ces charitables amies s'occupent de moi?

DIANE.

Naturellement, votre absence prête aux commentaires, et on ne s'en fait pas faute. On en dit de toutes les couleurs. Quant à madame d'Athis, vous savez, Caroline, la prude, la fausse vertu, celle oui pleure toujours sur sa triste position de femme séparée? Eh oien! quand on parle de vous devant elle, elle baisse pudiquement les yeux, rougit jusqu'au bout du nez et se cache derrière son éventail; c'est la conspiration du silence.

HERMINIE.

Enfin, on dit de moi pis que pendre?

DIANE.

Certes ! il n'y a pas jusqu'à cette vieille folle de madame Maugrin qui n'invente quelque chose à propos de votre réclu- sion. (Elle regîrde des graTures.) Comme si elle u'avaitpas assez de monter la tète à sa fille contre son mari, le meilleur des hommes. Elle en arrivera à leur faire faire un ménage atroce ! Et cette petite bête de Bertlie qui ne s'a[>erçoit de rien.

HERMINIE.

Et mademoiselle Permont ?

DIANE.

Augustine? Ahl elle vous regrette celle-là, car elle est sans place pour le moment.

46 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HECTOR, au guéridon, à droite.*

Comment, sans place? qu'est-ce qu'elle fait donc cette dame-là?

DIANE.

Cette dame-là, c'est une demoiselle qui vous "fait l'honneur de s'installer chez vous avec effraction, de bien vivre à vos dépens, et de vous calomnier ensuite, (a Herminie. Elle s'assied.**) Vous savez cette bonne petite Adèle d'Orcy qiii l'avait prise en si grande affection et qui l'avait gardée chez elle pendant trois ans?... Eh bien! comme son mari a fait de mauvaises spécula- tions et qu'elle est dans une position fâcheuse, Augusline Per- mont l'a plantée là, et va partout en dire un mal horrible.

HERMINIE.

Charmante créature! (pcnsam à autre chose.) Et... monsieur le vicomte d'Assigny, qu'est-ce qu'il devient?

DIANE.

Ma foi, ie ne sais trop... Ah! si, cependant, il lui est arrivé quelque chose à lui aussi... mai|... je ne m'en souviens plus.

HECTOR, à part.

Tiens ! tiens, le voilà, mon moyen !

DIANE. Attendez donc !... (Elle cherche. Hi'iminic retombe dans sa rêverie.) HECTOR, se souvenant tout à coup.

Mais... le vicomte d'Assigny!... n'est-ce pas ce jeune gen- tilhomme qui a failli se marier il y a six mois ?

DIANE.

Justement !

HER.MINIE, assise sur le canapé.

Eh bien, tant- mieux pour sa future, s'il n'a fait que man- quer.

HECTOR.

Ma foi, je n'en sais rien , car ce mariage rompu lui a donné l'occasion de se venger d'une façon étrange et terrible.

HERMINIE.

Ah ! il s'est vengé ? Comment donc cela ?

DIANE.

Mais j'avoue que les détails in'cc'inppent...

* Hemiinie, Diane, IlecJor. ** Diane, Hector, Herminie. *** Diane, Herminie, Hector.

ACTE II. 47

HECTOR.

Oh! je connais l'histoire à fond...

HERMIME.

Vous ne m'aviez pas parlé de cela?

HECTOR.

Ma foi! je n'y avais pas" songé; mais madame de l'Estang vient de me rappeler cette anecdote.. 11 paraît que le vicomte^ dans un de ses voyages, avait rencontré une charmante héri- tière, qui, dans un' mouvement irréfléchi sans doute, lui avait promis son cœur et sa main, sous un acacia en fleurs, un soir

qu'il faisait de la lune... (acrminie esl ud pca agUée ; elle prend ddc tapis^rie pour se donner une contenance. CootiDuaDt.) Mais VOVCZ COmmC

les femmes sont inconstantes et comme le roi chevalier avait hien raison de rayer ses vitres ; l'acacia n'avait pas encore se- coué toute sa neige que déjà la jeune héritière avait changé d'idée, et, un autre soir... par un autre clair de lune, le jeune vicomte recevait brusquement son congé.

HERHINIE, avec un mouvement. Ah! (eIIc laisse looilier ta laioe.)

HECTOR, la lui reaJant et ba>.

I*renez garde.

DIANE, continnant.

Et bientôt le vicomte apprenait que la jeune fille était fiancée à un petit cousin, l)eau comme le jour et riche comme un nabab, n'est-ce pas?

HECTOR.

Précisément.

DIANE.

Oh! j'y suis maintenant.

Il ER Ml ME.

Et puis?..

HECTOR, ave; nne iotention marquée.

Furieux, comme bien vous pensez, le vicomte eut bientôt tracé son plan de vengeance; ayant appris que le jeune...

DI \>E.

Nabab!

HECTOR.

Nabab, devait, avant de se marier, alki im>-..i trois mois à Paris i»our y régler des affaires ; il eut sgin de se trouver sur sa route, et fit tant et si bien, qu'au bout de quinze jours ils étaient les meilleurs amis du monde. _ . .

lt& LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMIME, avec un sourire cl comiic frappée dune idée soudaine.

Ah! je devine.

DIANE, ropnnant.

Pendant trois mois le jeune provincial ne dormit pas vingt- quatre heures; le vicomte lui fit avoir les plus beaux chevaux et les plus brillantes maîtresses.

HERMIISIE.

Fort bien.

HECTO R, continuant.

Aux courses, au club et à l'Opéra on ne parlait plus que de Tami du vicomte d'Assigny.

UERMIME, d'un ton singulier.

C'était bien joué'... Enfin?...

HECTOR.

Enfin le vicomte trouva qu'il était temps de recueillir les fruits de sa vengeance, et ma foi ! un soir, au foyer de l'Opéra, il lui chercha querelle à propos d'une danseuse maigre, lui donna un coup d'épée et le renvoya à sa fiancée à moitié mort et aux trois quarts ruiné. La famille apprit tout, le mariage fut rompu et le vicomte fut vengé... Eh bien! que dites-vous de cela?

HERMIÎSIE, qui rêvait, se levant tout à coup.

Je dis que votre vicomte est un maladroit, et que son petit drame est incomplet... 11 devait épouser son héritière au dé- noûment.

DIANE, rianl, se levant.

C'est vrai, mais c'est égal, cette petite invention est encore assez jolie.

HERMINIE.

Oui, pour un homme! (Elle rénccint.) Mais que dit le monde de la conduite du vicomte? Ne la trouve-t-on pas un peu blâ- mable?...

DIANE, à la g'acc.

Le monde? mais il rit... et les rieurs sont du côté du vi- comte... Pourquoi donc voulez- vous qu'on le blâme? 11 s'est vengé, et il a eu raison.

HECTOR, (1c.ccr.danl.

D'autant plus raison, qu'il est mieux payé que qui que ce soit pour se coimaitre en générosité.

* Diane, Hector, Ilerminic.

ACTE II. 49

HERMIME.

Comment cela?

HECTOR.

Dam! si le vicomte est aujourd'hui un sceptique, un cœur froid ne pardonnant jamais, c'est qu'il a appris à ses dépens, jadis, que la générosité est une duperie toujours, et un ridi- cule souvent.

HERMIME, se looTenaiit. *

C'est ATai! Je lui ai entendu dire, à lui-même, que, dans sa jeunesse, il avait été bafoué par une femme qu'il adorait.

HECTOR.

Mais, c'est-à-dire que cette femme, après avoir exigé de lui tous les sacrifices, l'avait abandonné, un beau matin, pour se sauver avec un des amis intimes du vicomte, auquel ce- lui-ci avait tout simplement servi de paravent... On! cette fois, les rieurs avaient été contre d'Assigny, aussi s'est-il juré qu'à l'avenir il n'en serait plus ainsi.

DIANE.

Et il a eu bien raison. Si cette fois encore. il ne s'était pas vengé, il aurait été accablé par le ridicule... (tom se lè^em. **)

HECTOR.

Tandis qu'aujourd'hui, le ridicule est pour tous les autres, et qu'il porte haut la tète... Je sais bien qu'il aurait le droit de la porter plus haut encore s'il avait accompli sa vengeance en épousant son héritière, ainsi que vous le disiez... mais... on ne pense pas à tout, et. . . ;avec inicDiinn) le vicomte d'Assigny ne possède pas votre esprit, madame !

HERMIME, le regardant.

Vous croyez?... Eh bien! je le crois aussi!... (Reprenant son amabiiiU ei louie «a liberté d'esprii. '**) Cette cbère Diane, suis-je donc heureuse de vous avoir vue, et que vous avez bien fait de vous arrêter ici !

HECTOR, à part.

Bravo !

HERMIME.

Mais, en vérité, je vous reçois bien mal, je vous fais ba- varder depuis une iieure au lieu de vous conduire dans votre appartement, quand vous devez avoir besoin de repos.

* Hector, Diane, Herminie. ** Diane, Hrctor, Ilerminic, *♦* Diane, Herminie, Hector.

50 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

DIANE.

Ma foi, c'est vrai, je me reposerais volontiers, et si vous voulez dire à Suzanne... (Hector sonoe.)

HERMIME.

Non pas, je vous ferai les lionneurs nioi-niènie... monsieur Brizac nous excusera.

HECTOR.

Comment donc, madame.

HERMIME^ à Diane.

D'ailleurs, je veux que vous soyez belle et fraîche pour le dîner. _

DIANE.

Vous avez du monde?...

HERMIME.

Oui, une charmante jeune femme, dont je veux que nous devenions les amies... la comtesse de Noyan... Elle est veuve et elle épouse monsieur Georges Rhétel.

DIANE.

Tiens! monsieur Rhétel, je l'ai vu chez vous autrefois... c'est un marin ?

HERMINIE.

Oui.

DIANE, bas.

Mais on m'avait dit qu'il était amoureux de vous?

HERMINIE. *

On s'était trompé, (suzanne eriie.) Prépare ce qu'il faut pour m'habiller, et dis en bas que l'on me prévienne dès que la comtesse de Noyan arrivera, (a Diane.) Venez-vous, chère belle?

DIANE, saluant Heclor.

A bientôt, monsieur. (Elles sortent.)

SCÈNE III HECTOR, SUZANNE.

HECTOR, à lui-même.

Allons donc! je le savais bien, l'histoire du vicomte portera *es fruits, j'en mettrais ma main au feu!...

* Diane, Herminie, Suzanne, Hector.

ACTE II. 51

SUZANNE.

Monsieur Brizac! monsieur Brizac! Pourquoi donc madame a-t-elle monté à cheval, tout de suite après le départ de monsieur Georges?

HECTOR, préoccopë.

Est-ce que je sais?...

SUZANNE.

Que s'est-il passé?... Qu'est-ce que madame avait?...

HECTOR.

Ah! tu ressembles trop à ce monsieur de Furretières, dont tu parlais, toi...

FLRRETIÉRES, in dehors.

Venez-vous?...

SUZANNE.*

Le voici, justement!... Vous ne voulez rien me dire?... Eh bien! je vous laisse avec ces messieurs, casera votre puni- tion.

HECTOR, à lBi-»êiiie.

Je vais écrire à Paris, pour que ses créanciers la laissent tranquille.

SCÈNE IV Les Mêmes, COTTEREAU, FURRETIÈRES. (Ui «o.t

eo équipage de cba«se.)

HECTOR, se krant à demi. Messieurs... (Oo se salue.)

FUR RET I É R ES , i Gerrais qoi arrange le feu.

s;iv.>/-vous le nom de ce monsieur-là?

GERTAIS.

iNuii, monsieur... (ii sort.)

FURRETIÈRES, i Collereau.

Connaissez- VOUS ce monsieur?

COTTKREAU.

Non...

FURRETIÈRES, arrèlaot Snzione qui ra pour sortir.

Quel est ce monsieur?

SUZANNE.

C'est monsieur Brizac. * Suzanne, Hector.

52 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

FURRETIÉRES.

Qu'est-ce que c'est que monsieur Brizac?

SUZANNE.

Eh bien! c'est cennonsieur-là...

FURRETIÉRES.

Qu'est-ce qu'il fait?

SUZANNE.

- Il écrit une lettre.

FURRETIÉRES.

Mais dis -moi...

SUZANNE.

Ah! pardon, monsieur, on m'appelle. (Kiie se sauve.)

SCÈNE V HECTOR, COTTEREAU, FURRETIÉRES.*

FURRETIÉRES, à part.

Elle est fort sotte, cette petite!

HECTOR.

Je vous demande pardon, messieurs, mais il faut que je ter- mine ma lettre.

FURRETIÉRES.

Faites donc, monsieur; vous n'avez pas trop de temps, d'ailleurs, si vous voulez qu'elle parte aujourd'hui.

HECTOR

En effet.

FURRETIÉRES.**

Si c'était pour les environs seulement, ce serait plus com- mode, mais c'est pour Paris, n'est-ce pas ? pour Paris ?

HECTOR.

Oui, monsieur.

FURRETIÉRES.

Alors, vous n'avez pas une minute à perdre, car passé quatre heures, il n'y a plus de courrier pour Nevers; et si c'est une affaire importante... si c'est une affaire importante?

* Cottereau, Furretières, Hector. ** Cottereau, Hector, Furretières.

ACTE II. 53

HECTOR, irès-polimenf, se levant.

C'est à monsieur de Furretières que j'ai rhonueur de parler?

FURRETIÈRES.

Oui, monsieur.

HECTOR salaatJ.

Je m'en doutais.

COTTEREAU, liranl Fnrretièrcs à part.

Prenez donc garde, mon cher ami, vous êtes inconvenant avec vos questions incessantes.

FURRETIÈRES.

Que voulez- vous donc dire, marquis ?

COTTEBEAC.

Parbleu ! je veux dire que vous avez une habitude vrai- ment déplorable, et que c'est même à cette funeste habitude que je dois d'avoir manqué ma chasse.

FURRETIÈRES.

Quand donc cela ?

COTTEREAU.

Quand gela? Mais aujourd'hui comme hier, comme avant- hier, comme tous les autres jours... Au reste, vous ne vous corrigerez jamais, c'est chez vous une manie incurable, et je déteste les manies!... (s'a's<>yani près <ie lui.) Tenez! je me rap- plle un coup de fusil magnifique que vous m'avez fait perdre li y a une dizaine d'années; c'était en... attendez donc! Etait- ce en 46 ou en 47?

FURRETIÈRES.

Bah! qu'est-ce que cela fait?

COTTEREAU.

Cela fait beaucoup. Eh! parbleu! m'y voilà! C'était en 47, l'année j'ai perdu ma premièTe femme. Est-ce en 47 que j'ai perdu ma première femme? Au reste, j'ai manqué tant de fois de la perdre ! Elle avait une santé tellement délicate et un si mauvais caractère! Après tout, elle avait de qui tenir, car son père était bien l'être le plus désagréable! Figurez- vous, mon cher ami, que c'était la contradiction en personne. H avait constamment des procès et des querelles; une fois entre au- tres, c'était en... attendez donc! en 38 ou 39?

FURRETIÈRES.

Qu'est-ce que cela fait?

COTTEREAU.

Cela fait beaucoup. Ah! j'y suis ! C'était en 39, à l'époque je fus atteint d'une fluxion de poitrine. C'était Dortain qui me

54 LES FAUSSES BONNES FExMMES.

soignait. Vous savez, Dortain, ce médecin qui habitait Ne vers? Un charmant garçon... Il avait épousé la fille d'un fermier, le- quel fermier était un assez brave homme, mais très-voleur. Il avait pour ami un scélérat fieffé qui a passé aux assises, vous vous souvenez? c'était en... (ii se lève.) En... attendez donc!...

FURRETIÈRES.

Oh ! j'attends! (a pan.) Et il dit qu'il n'aime pas les manies!

(il se lève.)

COTTEREAD.

Je chercherai le journal... je l'ai conservé; j'en fais collec- tion...

FURRETIÈRES.

Pourquoi faire?

COTTEREAU.

Oh ! je ne sais pas. Figurez-vous que j'en ai cinq grandes caisses. Le comte de Noyan en avait encore davantage. Quel brave homme c'était que ce comte de Noyan ! J'en parlais il y a quelques jours avec M*' Hugon, le notaire, vous savez? celui dont la femme est partie un beau matin avec un officier du 7'' chasseurs. C'était un bien beau régiment! Je connaissais le colonel; nous nous réunissions le soir chez le préfet; il avait un œil de moins; c'était aussi un ami du feu comte de Noyan... Ah! en voilà un qui n'aurait jamais voulu chasser avec vous!

FURRETIÈRES.

Qui ça? le préfet?

COTTEREAU.

Non, le comte de Noyan. Et si vous lui aviez fait manquer un lièvre comme à moi, tantôt? (il remonte.)

FURRETIÈRES.

Je vous ai fait manquer un lièvre ?

COTTEREAU.

Ah ! la question est ravissante ! au moment l'animal dé- buche à quinze pas devant moi, et comme je le mets en joue tandisquemon chien,qui connaîlla justesse de mon tir,s'élance déjà en avant... A propos, vous savez qu'il descend de la meute de Chantilly?

FURRETIÈRES.

Qui cela? le lièvre?...

COTTEREAU.

Non... Pascaro, mon chien. C'est le général de Noiziel qui me l'a donné Tannée il fut blessé en Afrique. C'était en... en... attendez donc!

ACTE II. «

FURRETIÈRES.

Mais nous parlions de lièvre... Est-ce ma faute si vous l'avez manqué?

COTTEREAU.

Certainement; au moment même je fais feu, vous me posez la main stir le bras pour me demander j'ai acheté mon fusil.

FURRETIÈRES.

Tiens, c'est vTai, l'avez- vous donc acheté?

COTTEREAU.

Mais je vous ai dit vingt fois qu'il venait de chez Lepage ; c'est un canon de Paris, parbleu!... Je l'ai acheté en 36, au mois d'octobre, le jour même l'on a dressé l'obélisque de Louqsor; quel beau spectacle!... Il y avait là, sans exagération, plus de trois cent mille personnes le nez en l'air...

FIRRETIÉRES.

En effet, ça devait être joli?

COTTEREAU.

J'avais vingt-neuf ans, ce qui ne me rajeunit pas, ni vous non plus, au reste, puisque nous sommes à six mois de dis- tance.

FURRETIÈRES.

Qu'est-ce qui vous demande ça?... Et puis, vous, qui me re- prochez de vous avoir fait manquer un lièvre... et la compa- gnie de perdreaux que vous m'avez empêché de tirer?

COTTEREAU.

Moi?... vous m'étonnez!

FURRETIÈRES.

Au moment je lève mon fusil, vous vous campez en face de moi pour me conter une histoire...

HECTOR, qai a lerminë la lettre, à part.

Suzanne a raison!... Le gibier de madame de Tremblay ne doit pas courir de grands dangers avec ces gaillards-là. (il se

lèT».)

FURRETIÈRES.

Ah ! vous avez fini, monsieur?

HECTOR.

Comme vous voyez, messieurs, et je vous prie de nouveau de recevoir mes excuses, mais il s'agissait des intérêts de madame de Tremblay ?

FURRETIÈRES.

Ah ! vous vous occupez des intérêts de madame de Tremblay ?

56 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HECTOR.

Oui, monsieur...

FURRETIÉRES.

Vous êtes son ami?

HECTOR

Elle daigne parfois me donner ce titre.

FURRETIÉRES.

11 y a longtemps que vous la connaissez?

HECTOR.

Trop peu de temps, au contraire...

FURRETIÉRES.

Alors vous n'avez pas connu son mari?

HECTOR.

Non, je n'ai pas eu cet honneur.

COTTEREAU, à part, liaus'ani les épaules en regardant Furrclières.

Diable d'homme!... c'est plus fort que lui! (sas à Hector.) Je VOUS prie d'excuser ce cher Furretièrcs, mais il faut toujours qu'il questionne, c'est un tic...

HECTOR.

Oh ! cela ne fait rien.

FURRETIÉRES.

Aimez-vous la chasse?... Non?...

HECTOR.

Pas du tout.

COTTEREAU.

Ah! c'est monsieur de Tremblay qui était véritablement en- ragé pour cette passion-là!... Il aurait rendu des points à saint Hiibert... Son frère ne lui ressemblait pas, il n'aurait pas tué un poulet; mais en revanche il adorait la musique; moi aussi, du reste; ainsi j'ai eu longtemps ma stalle à l'Opéra, à côté de celle d'un banquier qui a fait de mauvaises affaires, vous savez... vous savez?...

HECTOR.

C'est bien vague, et je pourrais confondre...

COTTEREAU.

Si... sa femme l'a planté quand il a été ruiné... c'était une blonde, fort jolie... j'ai toujours aimé les blondes... Notez bien, au reste, que je ne veuille pas dire par que je méprise les brunes... il y en a de fort jolies, témoin madame de Tremblay, qui est charmante...

ACTE II. 57

Fl'RRBTIÈRES, qui a regardé Collereau avec ironie, bas à Heclor.

Soyez indulgent pour ce pauvre marquis, il est un peu aga- çant.

HECTOR.

Oh ! cela ne fait rien.

FURRETIÉRES.

Mais au fond c'est un très-brave homme, (voyant que couerean le regarde, iiaui.) De sorte que vous comptez rester longtemps au château?

HECTOR.

Je ne crois pas.

FLRRETIÈRES,

Est-ce que c'est par amitié que vous soignez les intérêts de madame de Tremblay?

HECTOR, souriant.

Par amitié et par état : je suis homme d'affaires...

FLRRETIÈRES.

Est-ce que c'est un bon métier?

HECTOR.

Cela dépend.

FURRETIÉRES.

De quoi?

HECTOR, s'asseyant.

Mais de toutes sortes de choses.

FURRETIÉRES, s'asseyant aussi.

Est-ce que vous faites aussi des affaires de Bourse?

HECTOR.

Quelquefois.

COTTEREAf.

C'est un vilain monument.

HECTOR.

Quoi?

COTTEREAV, l'asîeyant.

La Bourse, bien qu'elle soit construite dans le stvle grec; je traitais cette question dernièrement avec un architecte qui a épousé la fille d'un magistrat, lequel magistrat est un homme extraordinaire, il possède un coup d'oeil infaillible et il est des environs de Bordeaux.

FURRETIÉRES.

Mais nous parlions de madame de Tremblay.

58 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

COTTE RE AU.

Eh bien! j'y reviens!...

FURRETIÉRES.

En passant par Bordeaux?

COTTEREAU.

Sans doute, car madame de Tremblay y est justement allée Tannée dernière...

FURRETIÉRES.

Mais, mon cher, il n'est pas question décela!... vous vous écartez toujours du sujet.

ANTOINE, annonçant.

Madame la comtesse de Noyan ! Monsieur Georges Rliétel !

HECTOR, à part

Ah!... ah!...

FURRETIÉRES.

Tiens! la comtesse vient ici? depuis quand? Est-ce qu'elle est liée avec madame de Tremblay?

SCÈNE VI Les Mêmes, BLANCHE, GEORGES.

HECTOR, à part.

Diantre!... Elle est bien jolie!...

FURRETIÉRES et COTTEREAU, salaant.

Madame!...

GEORGES, à Blaoebe.

Monsieur le marquis de Cottereau ! Monsieur de Furretières.

BLANCHE, s'asseyant à gauche.

Messieurs...

COTTEREAU.

Madame la comtesse nous excusera, mon ami et moi, de nous présenter à elle sous ce costume de chasse ; mais madame de Tremblay a la bonté de se montrer indulgente à cet égard, et nous ignorions l'honneur qui nous était réservé aujourd'hui...

BLANCHE.

Je serais désolé, messieurs, que vous eussiez fait pour moi la moindre infraction à vos habitudes...

COTTEREAU, à Furretières.

Elle est charmante!... Elle me rappelle cette baronne aile-

ACTE II. i9

mande dont le mari était l'ami d'un officier supérieur prussien qui...

FURRETIÉRES.

Laissez-moi donc tranquille avec vos histoires, il n'y a pas moven de placer un mot. (a BUncUe.) Madame la comtesse vient au château de Tremblay pour la première fois, je crois ?

BLANCHE.

Oui, monsieur.

FURRETIÈRES.

Alors, c'est à une circonstance fortuite que nous devons le plaisir de l'y voir ?

BLANCHE.

M.Rhétel est venu me chercher tout à l'heure, de la part de madame de Tremblay.

FURRETIÈRES, i Georges.

Ah ! notre belle châtelaine vous avait chargé de ce soin?

GEORGES.

Oui, monsieur.

FURRETIÈRES, à Brizac.

Madame de Noyan désire sans doute nouer des relations de voisinage ?

BRIZAC

11 y a apparence.

FURRETIÈRES.

N'êtes-vous pas étonné, comme moi, que madame de Noyan n'ait pas eu plus tôt ce désir-là ?

BRIZAC.

Permettez, monsieur, mais...

FURRETIÈRES.

Pensez-vous que madame de Noyan soit dans l'intention de se remarier?

BRIZAC, après l'avoir regardé avec rtODoeaient.

Je l'ignore, monsieur, mais on pourrait le lui demander...

FURRETIÈRES.

Ce serait peut-être indiscret.

BRIZAC.

Vous croyez?...

FURRETIÈRES.

Mais il serait aisé d'avoir ce renseignement-là chez son notaire...

60 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

BRIZAC.

Avez-vous son adresse?

FURRETIÉRES.

Noti, monsieur.

BRIZAC.

La voulez-vous?...

FURRETIÉRES.

Volontiers.

BRIZAC.

Est-ce que vous êtes veuf?

FURRETIÉRES.

Hélas!... non...

BRIZAC.

Eh bien! alors?...

FURRETIÉRES.

Ah ! c'est pour savoir, tout simplement.

COTTEREAU, qui cause avec Bbnclio.

Oui, madame, c'est à Londres que je rencontrai M. de Noyan. Londres est une ville assez singulière... il y a des rues très-larges et des rues très-étroites...

BLANCHE, riant.

Comme partout ailleurs...

COTTEREAU.

Plus que partout ailleurs, par la raison que la ville est fort grande... Au reste, la grandeur ne constitue pas la beauté... Je soutenais cela un jour devant un ancien garde du corps qui avait six pieds... Il s en fâcha, et ma foi, nous nous battîmes... il fut blessé : nous avions emmené un chirurgien, un élève de Dupuytren, qui était le fils d'un ancien fabricant d'eau de Cologne...

FURRETIÉRES.

Par exemple!... son père était avocat à Limoges...

COTTEREAU.

C'est trop fort!... Je l'ai beaucoup connu personnellement, il se nommait Oscar Bergère...

FURRETIÉRES.

Le père de Dupuytren ?

COTTEREAU.

Qui est-ce qui vous parle de Dupuytren, à présent ?

FURRETIÉRES.

Mais vous, parbleu !

ACTE 11. 61

COTTEREAU.

Je vous parle de son élève, dont l'oncle a fait faillite lors de la Révolution de 1830; ce qui fut un véritable malheur; car il avait trois fils. L'aîné, qui se nommait Jules, entra dans l'armée ; le second se fit pharmacien, et le troisième se pendit.

FIRRETIÉRES.

Mais ce n'est pas une profession

COTTEREAU.

Se pendit par amour pour une certaine marquise autri- chienne... de... (llcberche.)

BLANCHE, à Georges.

Mais il pourrait aller comme cela très-longtemps.

HECTOR, à part.

Ah çà, est-ce que madame de Tremblay ne viendrait pas?

COTTEREAU, se «outeDant.

Non ! ce n'était pas une marquise autricliienne, c'était une dame des chœurs du théâtre des Célestins... (a Blanche.) Cette dame quitta même la scène plus tard pour épouser un horlo- ger de Genève, qui la rendit fort heureuse... Elle mourut quinze jours après son mariage... Ça me rappelle même...

BLANCHE, souriant.

Pardon, monsieur, mais voici madame de Tremblay...

HECTOR, à part.

Ah ! diable ! que va-t-il se passer?...

SCÈNE VII Les MÊMES, HERMINIE.

HERMINIE, allant à Blancbe.

Combien j'ai d'excuses à vous faire pour ne pas m'ètre trou- vée ici à votre arrivée!... Laissez- moi remercier monsieur Rhé- tel de m'a voir amené une amie ; car vous serez la mienne, je le veux... Et vous aussi, n'est-ce pas?...

BLANCHE.

C'est moins le temps que la sympathie qui unit les cœurs, madame.

HER.MINIE.

A ce compte-là vous êtes déjà une sœur pour moi.

COTTEREAU, a Purrelière*.

Bref, cet officier pnissien...

h

62 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMIXIE, à ColUrpau cl à Fnrreliorfs.

Oh ! pardon, je ne vous avais pas vus; mais entre vieux amis comme nous...

DLA>'CnE, à Giwgf?.

Vous ne m'avez pas trompée... Quelle grâce! quel cliarmc!

HERMIME.

Maintenant, messieurs, je vous dirai que je reçois aujour- d'hui madame de Noyan pour la première fois, et que je ne yeux pas lui faire une réception banale. Elle est entrée ici presque comme une étrangère, je prétends qu'elle eii sorte comme une amie de dix ans. Or, comme rien ne 11»' plus vite deux femmes qu'une conversation intime...

GEORGES souriant.

Je crois comprendre. 11 faut que... (ii fc dispose à sor.ir.)

HERMI.ME.

Vous comprenez parfaitement. (\ Bionciie.) Pardon, clière comtesse, le temps seulement de mettre ces messieurs à la porte, et je suis à vous. Mais... est-ce que vous avez froid?

BLANCHE.

Non.

HERMINIE. Eh bien! alors, ÔteZ donc... (Blanche quitte son r.liapppu. Aux

autre».) Messicurs... à bientôt! nous ne vous demandons qu'une heure pour échanger notre amitié, (coiiereau »i Furr. iicros saluent

et remontent pemlant que Georges est auprès de Blandie, avec (pii il pailc avant de se retirer.)

HECTOR, à part.

Décidément, j'ai bien fait de raconter l'histoire du \icomle d'Assigny.

COTTEREAU, qui parlait à Furretièrcs.

Non, parole d'honneur, vous devriez vous défaire de cette habitude-là. Tenez! je me rappelle justement... (us sortent tous

quatre.)

SCÈNE VIII BLANCHE, PERMINIE.

HERMIME, la faisant asseoir sur le canapé à gauche cl restant debout.

Comme vous me regardez !

BLANCHE,

Je vous admire.

ACTE il. 63

HERMINIE, foariaDl.

tl pourquoi dooc?

BLANCHE.

Jamais je ne parviendrai à avoir cet adorable laisser-aller, pnice auquel vous savez, je le vois, être aimable pour tous et libre pour vous-même.

HERMINIE, sooriant.

Oh ! c'est quelque chose de bien simple, et qui ne mérite aucune admiration.

BLANCHE.

Alors vous allez me trouver bien sotte, bien provinciale; mais songez que j'ai été élevée entre deux vieillards amis de la solitude, entre mon père, qui, honteux de sa médiocrité, ne voulait voir personne, et le comte de Noyan qui, quoique riche, détestait le monde. De sorte que, je rougis presque de le dire, à vingt-quatre ^ns je suis aussi ignorante des moindres usages qu'une hlle qui sort du couvent... A la mort de mon père, |'ai épousé monsieur de Noyan, et depuis mon veuvage je n'ai ja- mais quitté ma retraite.

HERMIME, étoDDée.

Ne receviez-vous personne du vivant de votre mari ?

BLANCHE.

-Nous n'avons pas reçu cinq visites en huit années.

HERMIME.

Et. .. parmi ces cinq visites, comptez-vous celles de Georges?

BLANCHE.

Sans doute... Monsieur Rliétel est venu jadis passer quelques ours ciiez mon mari,

HERMINIE.

Oui... je sais... Georges m'a appris ce matin tout ce qui vous concernait l'un et l'autre...

BLANCHE, riaDl.

11 a bien vous ennuyer...

HERMIME, ('asicyanl.

Non, car je devinais que la femme qu'il aime, je l'aimerais bien vite à mon tour...

BLANCHE, lai ptpnant la main.

Vraiment?... vous pourriez avoir quelque amitié pour moi? Oh! j'en suis bien heureuse; car, moi, qui ne vous connais que depuis quelques minutes seulement, j'ai déjà en vous la confiance la plus absolue...

64 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE.

Et VOUS avez raison, ma chère comtesse! (Eiie lui serre la maiD.)

BLANCHE, aTec un petit cri de douleur.

Olî ! comme vous êtes forte ! . . .

HERMIME.

Je vous ai fait mal? pardon !...

BLANCHE, riant et regardant la main d'Herminie.

Oh! les belles petites serres... Pour la peine, vous allez m'embrasser...

HERMINIE.

Vous êtes charmante; mais parlons de notre miriage... Quelles sont vos intentions?...

BLANCHE.

Elles sont bien simples... Demain, au plus tard, j'aurai l'honneur d'être présentée à la mère de Georges... Il m'a même fait espérer que vous voudriez bien m'accompagner chez elle...

HERMINIE.

Sans doute.... Je suis tout à vous... Après?...

BLANCHE.

Après?... Eh bien! Georges va donner sa démission... et dans un mois nous serons mariés...

HERMINIE.

Ah ! Georges va donner sa démission?... Et... une fois ma- riés, que comptez vous faire?...

BLANCHE, souriant.

Être heureux ! nous nous aimons tant!...

HERMINIE.

Vous ne me comprenez pas... Je vous demande comment vous comptez vivre?...

BLANCHE.

Mais nous passerons les quatre plus mauvais mois de l'an- née à l'hôtel de madame de iihétel, à Nevers; et le reste du temps, elle viendra à son tour habiter avec nous à Noyan.

HERMINIE.

Ainsi, vous avez l'intention de rester éternellement dans le Nivernais?

BLANCHE.

Certainement!...

HERMINIE.

Songez donc, chère comtesse, que votre mari a trente et un ans... qu'il a vécu jusqu'ici d'une existence aventureuse !...

ACTE II. 65

Et c'est un fiomme jeune encore ; c'est un marin que vous pré- tendez brusquement, sans transition, enfermer dans un vieux cliàleau.

BLANCHE.

Puisque je serai près de lui.

HERMIME.

Mon Dieu ! vous êtes jeune, jolie, spirituelle, et vous vous aimez, je le sais bien... mais la jeunesse, la beauté, l'esprit et l'amour ne sont pas toujours des préservatifs infaillibles contre ces deux ennemis du bonheur conjugal que l'on nomme la satiété et l'ennui.

BLANCHE, leraot.

Oh!...

HERMIME, TiTement, m levanl.

Ne VOUS fâchez pas... mais j'ai vu déjà tant de bonheurs détruits par ces deux poisons corrosifs... (eii«s de»cendeDi.) Pen- dant les quelques mois qui suivront votre mariage, Georges sera, sans nul doute, très-heureux de s'enfermer avec vous dans ce joli nid bâti là-haut sur la colline... mais au bout d'un

an... (mnuTement de BlancLc) dc dcUX aUS, si VOUS le VOUlcZ, il SC

souviendra, un beau matin, qu'il existe un Paris tout plein de bruit et de lumière... un monde brillant au milieu duquel sa place et la vôtre restent vides... Il rêvera malgré lui aux triomphes que lui procureraient votre beauté et sa fortune.

BLANCHE, soupirant.

Mon Dieu!... si cela arrive... nous irons à Paris.

HERMINIE.

Oui, mais si vous êtes toujours restée à l'ombre de vos noires tourelles...

BLANCHE.

Eh bien?...

HERMINIE.

En vérité, je ne sais si je dois continuer, car ce qui me reste à vous dire vous concerne personnellement... et je crains de froisser votre amour-propre.

BLANCHE.

N'êtes- vous .pas mon amie?

HERMINIE.

Vous voulez donc que je sois franche jusqu'au bout?...

BLANCHE.

Je vous en prie.

4.

66) LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE.

: Voyous!... vous m'avez dit vous-même que vous ne con- naissiez rien aux usages du monde.

BLANCHE.

C'est vrai...

HERMIJSIE.

Çh bien! la science du monde est le résultat de l'iiabitude... et cette habitude vous manque. Vous êtes trop jolie et trop riche pour ne pas exciter bien des jalousies à votre entrée dans la vie élégante; vous trouverez aes ennemies vigilantes, qui analyseront vos moindres actes, vos plus légères pai-oles... Or, il est impossible que vous ne manquiez pas tout d'abord à cer- tains articles de ce code de convention qui régit les salons; vous Serez peut-être un peu gênée...

BLANCHE, rUnl.

Un peu ridicule... dites le mot... il est sur vos lèvres.

HERMINIE.

Tout le monde a commencé par là... Chacune de vos fautes en matière de savoir-vivre sera commentée de cent façons et habilement amenée aux oreilles de Georges...

BLANCHE.

Mais alors, vous voyez bien vous-même que je dois fuir ce monde dont vous parlez!... Faire rire de moi!... Allons donci Jamais'...

HERMINIE, jqjeute.''

Ah ! vous avez de l'orgueil !

BLANCHE.

J'ai le sentiment de ma dignité! *

HERMINIE.

Et vous avez raison, comtesse... d'ailleurs, l'orgueil n'est pas un défaut, c'est une qualité précieuse, au contraire... Mais cependant, je vous le répètCj si Georges, atteint de cette fièvre parisienne si commune aujourd'hui... voulait aller là- bas?...

BLANCHE.

Je l'y laisserais aller seul.

HERMINIE.

Seul?... vous n'y songez pas... le danger serait cent fois plus grand... car si Georges... une fois libre abusait, de cette liberté!...

* Herminie, Blanche.

ACTE 11. 67

BLANCHE, avec un éclair dans les yeux.

Georges!... parler d'amour à une autre!... (elle s'assied.)

HE RM I ME, joyeuse.

Ali! vous êtes jalouse"?...

BLANCHE.

Je l'avoue !

HERMINIE.

Et je vous comprends... L'amour vrai est exclusif! mais, avec tout cela, nous prévoyons bien les dangers, mais nous ne cherchons pas le remède.

BLANCHE, iropalieotée.

Et que voulez-vous que je fasse?

HERMINIE.

Ah! si je vous avais rencontrée il y a six mois, vous auriez pu venir avec moi à Paris avant l'arrivée de Georges.

BLANCHE.

Eh bien?

HERMINIE.

Ah!... en trois mois j'aurais voulu faire de vous une véri- table Parisienne, l'une des reines les plus fêtées de la société élégante !

BLANCHE, soupiranl.

Malheureusement cela n'a pas été...

HERMINIE.

Comme vous avez vous ennuyer! Ne recevoir personne, quelle abominable existence!... Ainsi, quand vous aviez la fan- taisie de faire un peu de toilette... aucun regard llatteur n'ad- mirait votre beauté?

BLANCHE.

C'est vrai... et, entre nous, j'avoue que cela me désolait bien un peu...

HERMINIE.

Ah! vous êtes coquette?

BLANCHE.

Mais...

HERMINIE.

Vous ne seriez pas femme s'il en était autrement... Mon Dieu 1 que je regrette donc de n'avoir pu vous emmener à Pa- ris! Connue Georges eût été lier de vos succès!... Je suis cer- taine (lue son amour serait devenu de l'adoration. Si vous sa- viez quoi empire ces trois mots : Femme du monde ! ont sur les hommes... mais hélas! il n'est plus temps!...

68 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

BLANCHE.

Cependant, si nous allions un jour à Paris, est-ce que vous ne consentiriez pas à nous accompagner?

HERMIME.

Si fait... Mais cela ne serait plus la même chose... Seules toutes deux, je vous eusse transformée bien plus vite... tandis que maintenant... Georges étant là... Ah! ah! s'il ne donnait pas sa démission...

BLANCHE.

Oh! ne dites jamais cela devant lui!

HERMINIE.

Pourquoi donc?

BLANCHE.

Parce qu'il n'est que trop disposé à ne pas quitter la marine.

HERMINIE.

Mais enfin, si, cette démission, il ne la donnait qu'un peu plus tard...

BLANCHE.

Un peu plus tard!... Mais quand donc alors?

HERMINIE.

Mon Dieu!... je ne sais, dans quelques mois...

BLANCHE, soupirant.

Quelques mois, c'est bien des jours.

HERMINIE.

Des jours qui vous rapporteraient dos années de bonheur. Décidément, il ne faut pas que Georges donne encore sa dé- mission. (Elle te lève.)

BLANCHE, avec un soupir.

Cest peut-être vrai... (Ap;ès un silence.) Quelle singulière chose ! Tenez j'aime Georges... je l'aime de toutes les forces réunies de mon cœur et de mon âme. H y a une heure, avant notre causerie, je n'aurais consenti pour rien au monde à demeurer un jour sans le voir... eh bien, maintenant, je voudrais presque pouvoir être seule quelque temps avec vous pour courir Paris.

(Elle se lève.)

HERMINIE. Vous êtes charmante. (Elle l'embrasse. Georges pjra'i.)

ACTE II. M

SCÈNE IX Les Mêmes, GEORGES/

GEORGES.

La conférence est-elle terminée?

BLA>CHE.

Tout à l'heure.

GEORGES.

Alors je me sauve.

HERMIME.

Non, non, restez, on vous le permet.

GEORGES à Bhncbe.

Eh bien?

BLANCHE.

Je VOUS présente ma meilleure amie. Tout a été convenu, nous allons demain à Nevers, chez madame Rhétel. (Eiiet

I aiH>TeDl sur le canapc. Georga derrière.* ) HERMIME.

Chez madame Rhétel, qui achèvera, j'en suis sûre, ce que j'ai commencé en faisant comprendre tout à fait à madame de Noyan que vous ne devez pas donner votre démission.

GEORGES, 1 Berminie.

Comment? vous avez dit à madame de Noyan?...

HERMIME.

Sans doute.

GEORGES.

Mais ce matin encore vous vouliez m'empêcher d'aller à la Guadeloupe.

HERMIME.

Ce matin j'étais folle, et maintenant je vous parle comme vous parlerait madame Rhétel elle-même.

GEORGES.

Mais...

HERMIME, Tirement.

Voyons, Georges, mon ami, dites franchement si vous vous sentez le courage de vous classer, vous, jeune, intelligent et

* Georges, Herminie, Blanche.

** Hermioie, George», Blanche. .

7.(K LES FAUSSES BONNES FEMMES.

instruit, parmi les hommes inutiles qui n'ont de relief que par la beauté de leur femme ou par l'importance de leur fortune? (Georges hésite.) Si, plus tard, après avoir donné votre démission, vous alliez avoir un regret ?

GEORGES. Un regret? (Blanche se lève.)

HERMINIE.

Georges, êtes- vous bien certain qu'un jour en voyant passer vos anciens camarades entourés de gloire et d'honneur, vous n'étoufferez pas un soupir?

GEORGES.

Eh! mon Dieu!...

HERMIME, Las i Blanche.

Vous voyez, il hésite.

BLÂ.MCHE, ba;.

C'est vrai.

HERMINIE, à Blanche.

Et d'ailleurs, ces dangers de la vie de marin, ne vous senti- riez-vous pas la force de les affronter près de lui?

BLANCHE, presque vaincue.

Si... mais les officiers de marine ne peuvent emmener leurs femmes.

GEORGES, vWement, se rapprochant.

Oh ! ceux qui commandent en chef obtiennent parfois cette faveur... mais moi, je ne suis que lieutenant de vaisseau.

HERMINIE.

Et dans un an, vous êtes sûr d'être capitaine de frégate!

GEORGES.

C'est vrai, mais si je nedonne pas ma démission aujourd'hui, il faut que je sois à Cherbourg après-demain au plus tard!

HERMINIE, vivement, le faisant a^eoir auprès d'elle.

Eh bien! si vous alliez à la Guadeloupe, ne pourriez-vous pas, au bout de quelque temps, abandonner le poste qui vous est confié?

GEORGES.

Oh! si, très-facilement.

HERMINIE.

Alors vous seriez de retour?...

GEORGES.

Dans cinq ou six mois.

BLANCHE.

Cinq ou six mois? mais c'est l'éternité !

ACTE II. 71

11 ER MI ME.

Enfant! (ju'est-oe que six mois de la vie? qu'est-ce qu'une st'paration si courte quand... le bonlieur est au bout?

GEORGES.

Cependant?...

HERMIME.

Croyez-moi, Georges, votre avenir est trop beau pour que vous le brisiez ainsi. Vous êtes jeune, instruit, intrépide; vous arriverez aux plus liauls grades; vous serez un jour capitaine de vaisseau, vice-amiral! que sais-je?

BLANCHE, rêvant.

Oh ! si je le croyais !

GEORGES.

Ne vous montez pas la tète, chère Blanche, madame de Trem- l>la:y, dans son adorable amitié, va peut-être un peu loin.

HERMINIE.

N'avez-vous donc pas confiance dans votre avenir?

GEORGES.

Si fait! mais...

HERMI.ME.

Vous arriverez aux plus hauts grades, je vous l'affirme ! car vous serez poussé non-seulement par votre propre désir, mais encore par votre amour, et par un juste orgueil ! Vous vous direz en songeant à votre femme : Avant de m'appartenir, elle portait le noble nom d'un vieillard, elle appartenait par sa naissance à l'aristocratie du pays., eh bien! je ne veux pas (ju'elle m'ait fait un sacrifice; en'écliange d'un nom aristocra- tique, je veux lui donner un nom célèbre.

GEORGES, se levinl, eniraiac et éao.

Merci, Herminie, merci, vous avez raison, je dois rendre en gloire à la comtesse de Noyau ce qu'elle perd en devenant madame Rhétel ! Chère Blanche ! Tenez, voici la lettre que j'écrivais au ministre, faites-en ce que vous voudrez. (BiaucUe

regarde Georges, puis Herminie, et déchire la iellre).

HERMINIE, se leraDt vivement et avec joie.

Oh! décidément je vous adore!

GEORGES, serrant les mains d Hermioie.

Pendant mon absence vous la verrez souvent, n'est-ce pas?...

HERMINIE.

Oh ! je ne la quitterai pas d'une minute, soyez sans crainte. Georges! à votre retour vous la retrouverez près de moi î

GEORGES.

Merci! merci I

72 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

SCÈNE X Les Mêmes, FURRETIÉKES, HECTOR.

FURRETIÈRES.

Nous ne vous dérangons pas?...

HERMIME.

Nullement!... (\ Georges.) Ainsi, vous partez?...

GEORGES.

Demain... Cet ordre d'embarquement est précis!...

FURRETIÈRES.

Tiens!... Quel ordre?... Comment est-il fait?... Montrez-le- moi donc !

HECTOR. *

Oh! monsieur Rhétel part demain?...

HERMINIE.

Oui, et il revient dans six mois pour être l'heureux époux de madame de Noyan.

HECTOR, bas.

Très-bien... je devine...

FURRETIÈRES, à Blanche. **

Comment! madame, vous allez vous marier?...

BLANCHE, souriant.

Oui, monsieur...

FURRETIÈRES, i Georges.

Et c'est vous qui?... Pourquoi donc ne me l'avez-vous pas dit?...

HERMIME, à Blanclie.

Pendant l'absence de Georges, nous irons à Paris. ***

BLANCHE.

Mais ne craignez- vous pas que deux femmes seules?...

HERMINIE.

Oh! soyez tranquille... je mettrai près de vous un mentor, une femme charmante, bonne, dévouée, qui sera pour vous une seconde mère.

BLANCHE.

Qui donc?

* Georges, Furretières, Herminie, Blanche, Hector, *• Georges, Furretières, Blanclie, Herminie, Hector. **' Georges, Furretières, Blanche, Herminie, Hector.

ACTE IL 93

HERMINIE.

Vous ne la connaissez pas, mais je réponds d'elle... Elle se nomme Augustine Permont.

HECTOR, qui écouUit, à part.

Bien!

HERMIME.

Je VOUS formerai, tout d'abord, un petit cercle. Madame d'Athis, madame Maugrin, madame Villiers sa fille, mesdames de Furretières, Cottereau et tant d'autres.

H ECTORj de même.

Bon!

HERMINIE.

Enfin, à partir de ce jour, et pour vous mettre bien au cou- rant des mille petits détails de la vie élégante, je vous donne Suzanne, ma femme de chambre.

HECTOR, de même.

Ça, c'est le bouquet; je vois qu'elle est bien décidée à dé- fendre son bonheur. (On entend une cloche.)

FURRETIÈRES.

Ahî voici la cloche du dîner... Pourvu que Cottereau l'en- tende !

SCÈNE XI

Les Mêmes, DIANE, puu COTTEREAU.

DUNE.

J'espère que mon estomac est exact, (sainant.) Ah! messieurs... mesdames...

HERMINIE, pn^teoUnt Blanche.*

Ma chère Diane, j'ai l'honneur de vous présenter madame la comtesse de Noyan... (a Blanche.) Madame de l'Estang.

BLANCHE, saluant.

Madame...

DIANE, las. i Herrainic.

Elle est jolie, mais elle ne sait pas s'habiller.

HERMINIE.

Nous la formerons.

* Georges, Blanche, Diane, Herminie, Furretières, Hector.

5

n LES FAUSSES BONNES FEMMES.

D1A^E, riant.

Au fait, ça sera amusant... je veux bien.

COTTEREAU, entrant. *

Ah! ûgurez-vous qu'il vient de m' arriver la plus drôle d'histoire... qui m'a rappelé un fait assez curieux... c'était en... en... attendez-donc...**

FURRETIÉRES, i Hector.

Quelle est cette dame-là?... *"*

GERVAIS, entrant.

Madame est servie ! . . .

HERMINIE.

Georges, votre bras à madame de Noyan.

COTTEREAU, à Georges.

Ah! c'était en 52!

HERMINIE, à Coltereau, lui désignant Diane.

Monsieur Cottereau!...

COTTEREAU, 4 Diane, )ui offrant le bras.

Madame...

HERMINIE, à Hector.

Eh bien?

HECTOR, bas.

Eh bien!... monsieur Georges part, la comtesse ne vous quitte pas, mais dans six mois?...

HERMINIE, bns.

Dans six mois je serai madame Rhétel!...

* Cottereau, Furretières. ** Georges, Blanche, Diane, Hertninie, Hector. *** Cottereau, Georges, Blanche, Diane, Herminie, Furretières, Hector.

FIN DU DEUXIEME ACTE.

ACTE m. 75

ACTE TROISIÈME

Le salon de conversation des abonnés à Bade. Canapé à gauche. Causeuse et fauteuils à droite. Piano au fond.— Au milieu une table ovale avec des brochures et des journaux. Fenêtres au fond.

SCÈNE PREMIÈRE

M"" MAUGRIN, BERTHE, PASCAL, MATHILDE, BLANCHE, AUGUSTINE, DIANE, CAROLINE et

CAMILLE. (Au IcTcr (lu ndcao. M"* Maugrio, assise à gauche avec Berlhe, sur le C203|>é, éveotc sa fille qui brode. Paical YilUers, asiis der- rière elle, lit un joamal. Xatbilde parcourt nae revue. Blancbe, Boacha- lammeot élendae sur la cauieu?c, à gjuchâ, aban tonne sa tèle à Aagustioe qui s'amuse à maître des fleurs 'naturelles dans ses cheTeax. Piane touche do pi«Be, laB)iis que CaieliDe, debout auprès d'elle, feuillette des romaBcet. Canille, debout devaut une g!ace, achève de mdtre son cbapeaa.)

MATHILDE, du coin de iVi!, tout ta parcourant sa reToe.

Ma chère Camille, vous avez un délicieux chapeau.

Ci MILLE, se coiffant.

Oui, il est assez gentil!

ADGCSTISE.

Oh ! madame de Cottereau a tant de goût !

VS DOMESTIQUE.'

La voiture de madame de Cottereau.

CAMILLE.

Mes bonnes amies, je vous demande un million de pardons,

mais je me sauve. (Elle va au canapé.)

BERTHË, qui causait avec sa mère.

Vous êtes une vilaine...

CAMILLE.

Je vous reviens tout à l'heure j mais que voulez-vous?...

* Diane, Caroline, Blanche, Augustine, Camille, Hector, M"* Maugrin, Berthe.

76 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

C'est une idée fixe... 11 faut absolument que mon mari m'a- chète un petit clialet à Lichlentlial, comme c^ui notre chère Blanche nous a reçues cette nuit.

AtCL'STlNE, grondant.

Oui, oui, votre chère Blanche!... regardez comme elle a les yeux battus.

CAMILLE.

Ah! ma chère Augustine, vous grondez toujours! pour une pauvre petite nuit passée...

AUGUSTINE.

A la suite de vingt autres.

CAMILLE, à Augustine. ,

D'abord, qu'est-ce que vous voulez dire avec vos yeux bat- tus?... Puisque ça lui va bien, au bout du compte!... Est-elle

jolie cette petite horreur-là?... (Elle l'embrasse. Elle tourne le dos au piano.)

DIANE; jouant, et avec moquerie.

Que l'on est heureuse d'être aimée ainsi !... (Rires.)

CAMILLE; riant et kaussant les ëpaules, & Blanche.

Ma belle petite, dites-moi donc à combien, à peu près, vous revient votre chalet?

BLANCHE.

A trente-sept ou trente-huit mille francs, environ.

CAMILLE.

Tout meublé?

BLANCHE.

Non... sans les meubles...

CAMILLE.

Mais c'est effrayant, et si je continue, il faudra, cet hiver, que mon mari arrête "^1 es diligences...

BLANCHE.

Ma chère amie, c'est aujourd'hui musique autrichienne, et ensuite nous avons fait la partie d'aller toutes ce soir souper au vieux château.

AUGUSTINE.

Encore cette nuit?...

BLANCHE.

Ah ! ma chère Augustine, vous grondez toujours, (caraiiie

tort.]

ACTE m. 77

SCÈNE II

Les Mêmes, mcint c<miii<.

MATHILDE, do fa placr.

Ma chère Diane, n'est-ce pas le vicomte d'Assigny que j'aperçois tout là-bas?

DIANE, regardaot an dehon.

Se promenant avec madame la duchesse de Villemare. . Oui, c'est lui-même.

kATIIILDE.

Il traîne sa chaîne assez péniblement, ce me semble.

DIANE.

La duchesse l'accapare complètement; c'est à peine s'il a la permission de parler à une autre femme.

MATHILDE.

Elle l'aime donc?

DIANE.

Elle en est folle !

ACGU3T1NE, qui causait arec Blanche.

Vous direz tout ce que vous voudrez, ma chère Blanche, mais, je le répète, vous n'êtes pas raisonnable.

BLANCHE.

Vous direz tout ce que vous voudrez, ma chère Auçustine, mais je suis en retard avec le plaisir. Bade est la ville du monde il soit le plus facile de se rattraper, et je me rat- trape.

AUGUSTINB.

Oui, mais vous vous rattrapez trop... Depuis quinze jours je crois que vous n'avez pas fermé l'œil. Cette nuit, après votre- bal, vous donnez à souper; au point du jour vous montez à cheval, et voilà que ce soir... mais vous vous tuerez, et ma- dame de Tremblay s'en prendra à moi.

Dl ANK, •■«■ •*•' ri'vrnni* pt<*$ ilr Camtin<* iin pIIp aTaïl i|niil<V! an •n><aiit.

Ah çà, ma c!ière madame d'Athis, comme vous faites j»eu

de bruit donCÎ... (E.l«»a i'<c. a.- Camlin-, a gauibr.) CAROLINE.

Oh! ma bonne amie, ne faites pas attention à moi, vous voyez.. Je déchiffrais.

DIANE,

Une romance?

78 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

CAROLINE, rudiquemcDt.

Oh! non.

DIANE.

C'est vrai, pardon... oui... (a pan.) Cela fait venir de cou- pables pensées!... (eiic rii, à pan.)

pascal, bâillant dans son faulouil cl fredonnant à demi-voix.

Mon Dieu, mes auiis, Comme on s'amuse à la campagne !...

MADAME MAUGRIN, se reloiirnant.

Plaît-il?...

PASCAL, fe levant *.

Rien, belle-maman, c'est un souvenir d'Afrique, une mar- che de nos zouaves, (ll s'appuie sur le canapé.)

MADAME MAUGRIN.

On dirait vraiment, monsieur, que vous n'aviez jamais fré- quenté la bonne compagnie avant de vous marier.

PASCAL.

Ah ! belle-maman, songez donc qu'il y a cinq ans que nous nous connaissons, et que je me suis marié il y a huit mois... seulement.

MADAME MAUGRIN.

Depuis que nous sommes à Bade vous ne faites que bâiller.

PASCAL.

Qu'est-ce que vous voulez? Je n'avais pas demandé un congé pour aller à Bade, moi... je ne comprends pas la campagne comme ça! Je n'affectionne pas du tout les plaisirs que l'on goûte aux eaux.

MADAME MAUGRIN.

11 fallait dire cela à Paris, avant notre départe

PASCAL, à part.

Je la trouve forte! Oui, j'aurais été bien reçu!

MADAME MAUGRIN.

Nous sommes si despotes, ma fille et moi !

PASCAL.

Berthe n'est pas en cause, belle-maman.

MADAME MAUGRIN.

Monsieur!...

* Diane, Augustine, Caroline, M"" .Maugrin, Blanche, Hector, Mathilde, Berthe.

ACTE IIL 39

BERTHE.

Qu'est-ce donc?

MADAME MACGRIN.

Ton mari qui nous reproche la dépense que nous avons faite en venant ici.

PASCAL.*

Je la trouve forte! mais je ne reproche rien du tout!...

MADAME MAUGRIN.

D'ailleurs, si nous sommes venus à Bade, ce n'est pas pour mon plaisir!...

PASCAL.

Cest peut-être pour le mien?...

MADAME MAUGRIN.

Et la santé de votre femme?...

PASCAL.

Ne parlons pas de santé à Bade... tout le monde y vient bien portant.

MADAME MAOGRIN.

Cependant, le docteur a ordonné...

PASCAL.

Pour vous être agréable, à vous !

MADAME MAUGRIN.

Et quand cela serait?...

PASCAL.

A la bonne heure; soyons francs!

MADAME MAUGRIN.

Quand on ferait auelque chose pour m'ètre^ agréable? Ne iruis-je pas la mère ae votre femme? Si vous l'aimiez réelle- ment, vous m'aimeriez aussi, monsieur.

PASCAL.

Mais je vous aime, belle-maman, je voas vénère ! Si vous . voulez, je vous ferai dresser des autels, et on immolera dessus des gendres de toutes les couleurs.

MADAME MAUGRIN. Je ne vous réponds plus, monsieur ! (Pascal le reoferme dans ta lecture.)

DIANE.'*

Ah çà ! ma chère Blanche, je songe à une chose. Comment

* Diane, Caroline, Mathilde, Augustine, Blanche, M"* Maugrin, Berthe.

** Mathilde, Augustine, Caroline, Diane, Blanche, | Pascal, M"' Maugrin, Berthe.

80 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

donc se fait-il que moilsieur le vicomte d'Assigny soit venu chez vous cette nuit, quand vous n'aviez pas invité madame de Villemare? car vous ne l'aviez pas invitée, je crois?

BLA^CHE.

J'en aurais été bien fâchée ! Cette dame m'a fait l'impolitesse de me refuser une fois.

AUGUSTINE.

Elle nous dédaigne donc?

MATHILDE.

Il faut croire.

MADAME MAUGRIN.

Cette duchesse de Villemare, cela lui va bien! (Eiie va à

Blanche.)

CAROLINE.

Oui, une femme mariée qui mène une pareille conduite !

BERTHE, frappant un pelii coup de son cvcnlail sur le journal de Pascal.

Dites donc, monsieur, vous ne me parlez donc plus?

PASCAL.

Et le moyen ? puisque madame Maugrin ne te quitte pas d'une minute. On dirait qu'elle a peur que je ne te mange.

MADAME MAUGRIN, très-roide.

Ce n'est pas cela, monsieur; je ne vous soupçonne pas en- core d'anthropophagie !

PASCAL.

C'est heureux !

MADAME MAUGRIN.

Mais il me semble qu'une mère a bien le droit de parler à sa

fille. (Elle s'asseoit !t côté de Berlbe, à droite, et Augustinc va rejoindre Matbilde et Caroline.)

PASCAL.

Mais il me semble à moi qu'un mari devrait bien avoir le droit de parler à sa femme, ventre d'Arabe !

BERTHE.

Pascal !

MADAME MAUGRIN.

Laisse, laisse, ma fille, c'est un souvenir d'Afrique.

PASCAL.

C'est agaçant aussi, car enfin, qui est-ce qui est le mari de nous deux ? Est-ce vous ou moi ?

MADAME MAUGRIN, avec un soupir de résignation.

C'est vous, monsieur...

ACTE III. 81

PASCAL.

Ça vims fait soiipiier. Eh bien! quand Bertlie était toute pe- lile, elle fUvait vouloir se marier avec sa maman; c'est l'usage. Il fallait l'épouser dans ce temps-là ; maintenant il est trop tard ; elle ist ma femme, et vous aurez beau faire...

MADAME MALdRlN.

Comment, comment, j'aurai beau faire? Voulez-vous dire par là, monsieur, que je sois un brandon de discorde ?

PASCAL.

Un brandon? Je ne sais pas si ça s'appelle comme ça.

BERTHE, Ini ilnnnsDt la main.

Voyons, ne gronde pasj je t'aime.

MADAME MAUGRIN.

Oh! sois tranquille, monsieur Villiers le sait, bien j tu le lui répètes assez.

BERTHE.

Mais... pourtant, maman.

PASCAL.

Berthe a-t-elle donc tort?

MADAME MAUGRIN.

Peut-être, monsieur, car vous autres hommes, vous êtes si disposés à abuser de l'amour que l'on a pour vous...

PASCAL.

Ah! je la trouve forte I Vous empêchez bien que je n'en abuse.

MADAME MAUGRIN. *

Si je vous gêne, il faut le dire, je retournerai à Paris.

BERTHE.

Oh! chère mère!... (Eiie u c»iiiic.)

PASCAL.

C'est ça, c'est moi qui ai tort, c'est moi qui suis un tyran, un loup-garou, un brigand, un scélérat!

MADAME MAUGRIN.

Voulez-vous vous taire, monsieur, ne fût-ce que par égard pour votre femme?

PASCAL, 3 rari.

Oh! je préférais les Kabyles! Frffion.ani entre se? deois.)

* Augustine, Mathilde, piane, parolinc, Blanclie, Pascal, Berilie, fà."' Maugrin.

5.

sa LES FAUSSESBONNES FEMMES.

As-tu vu la casquette, La casquette...

(Bertbe embrasse sa mère et tend par derrière i>a uaia à Pascal.) PASCAL) lui embrassant la main.

Pauvre petit ange ! dire qu'il faut qu'elle me donne à man- ger en cachette !

As-tu vu ]a casquette, La casquette...

MATHILDE.

Madame d'AthiSj est-ce que vous retournerez à Rastadt?

CAROLINE.

Oui, madame.

DIANE.

Madame me disait à l'instant qu'elle comptait repartir dès demain.

BLANCHE.*

Comment?... A peine arrivée, vous voulez... mais c'est im- possible !

CAROLINE.

Mon amie, je vous avais prévenue que je ne ferais que passer. Vous le savez, les pluisirs mondains n'ont jamais été fort de mon goût.

DIANE, à Pascal.

Bon ! voilà les lamentations de madame Jérémie !

CAROLINE.

Même du vivant de monsieur d'Athis... (so reprenant.) Je veux dire lorsque monsieur d'Athis vivait... pour moi...

DIANE, bus à Pascal.

Comment, pour elle?

PASCAL, bas.

Oui... son monstre de mari l'a quittée.

DIANE, bas.

Et pourquoi ?

PASCAL, do mèiiic.

C'est un mystère.

CAROLINE, qui causait avec Matliilde.

En vérité, il faut que je parte, et dès que j'aurai accompli ma mission.

* Augustine, Matbildc, Pascal, Diane, Caroline, Bl.iiclic, Bcrtlic, M""' Maugrin.

ACTE III. 88

AUGLSTISE.

Quelle mission?

CAROLINE.

Si j'ai consenti à quitter ma paisible retraite pour venir passer quelques jours à Bade, c'est qu'il s'agissait pour moi d'une bonne action à laquelle je voulais vous associer.

BLANCHE.

Ah ! c'est bien à vous !

BERTHE.

De quoi s'agit-il?

CAROLINE.

De pauvres gens qui habitent près d'ici, et dont la petite ferme a été la proie des flammes. J'ai songé à organiser une quête en leur faveur.

BERTHE.

Toujours charitable I

MADAME MAUGRIN.

C'est le modèle de toutes les vertus.

DIANE.

Oh! c'est bien vrai!...

CAROLINE.

Mes amies... de grâce!...

MATUILDE.

Ma chère madame d'Athis, on ne fait que vous rendre justice.

DIANE. Et tout UU plus. (Ciroline lui sourit et la legarde de trarers.) BLANCHE.

En vérité, vous nous faites rougir de notre conduite...

DIANE, acUevant.

Mondaine. Heureusement que l'on ^e sauve par la charité, et que cettiî bonne Caroline nous offre le moyen de racheter quelques-unes de nos folies.

CAROLINE, après un regard laccô à Dîaoe d'ua ton mielleux.

Comme j'ai été heureusement inspirée!... Mais je savais bien ce que je faisais en m'adressanl à des cœurs comme les

vôtres.

AUGUSTlPiE, les larmes aux yeoz.

Cette bonne Caroline!...

* Augustine, Caroline, Blanche, Malhilde, Diane, Berthe, Pascal, M"' Maugrin.

84 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

PASCAL, bas à Diane.

Qui trompe-t-on ici?

DIANE, ('c me ni».

Tout le monde.

(Pascal fredonne de nouT*au l'air de la Casqiiclte du Maréchal.) MADAME MAUGRIN, à part.

Avez-vous bientôt fini de sonner de la trompette?

PASCAL.

Oh! pardon, belle-maman, c'est instinctif... c'est par habi- tude.

MADAME MAUGRIN.

Non, non, je vous ai bien vu sourire en parlant à madame de l'Estang; vous n'aimez pas madame d'Athis, c'est convenu.

(Berthe appelle Caroline auprès d'elle.)

PASCAL.

C'est vrai. Et au lieu de voir Berthe aussi liée avec cette lady Tartuffe, je préférerais de beaucoup la voir intime avec la comtesse de Psoyan. Voilà une charmante petite femme!

MADAME MAUGRIN, lic>-pincée.

Oh I je sais tout l'intérêt que vous portez à Blanche ! De- puis que nous la: connaissons, vous nous en rebattez les oreilles !

PASCAL.

Qui est-ce qui ne s'intéresserait pas elle?... Pauvre petite!... elle n'a ni père, ni frère, ni mari. . . Elle est siifonne, si douce. . .

MADAME MAUGRIN.

Oh ! je devine les raisons qui vous font parler ainsi, mon- sieur!... C'est sans doute que madame de Noyan vous aura sottement écouté; tandis que madame d'Atliis aura mal accueilli quelqu'une de vos plaisanteries de régiment...

PASCAL.

Vous en voulez aux militaires, belle-maman.

MADAME MAUGRIN.

Oui!

PASCAL.

Qu'est-ce qu'ils vous ont donc fait ?

MADAME MAUGRIN.

Ils ne m'ont rien fait du tout; mais sachez que je ne souf- frirai point que vous attaquiez devant moi la réputation de madame d'Athis, ne fût-ce que par l'ombre d'un doute... Madame d'Athis est un modèle d'Iionnètclé... et si elle n'avait pas eu affaire à un homme comme son mari...

ACTE III. 85

PASCAL.

Que vous n'avez pas connu, par parentlièse.

MADAME MAl'GRIK.

Il n'importe, monsieur mon gendre, et je sais ce que je sais...

PASCAL.

Et moi aussi... d'Athis était officier dans mon régiment... C'est tn brave et digne garçon... et sa femme ne vaut pas...

MADAME MAUGRIN.

Sachez, monsieur, que quand un ménage est désuni, c'est toujours la faute du mari...

PASCAL, entre ses dents.

Ou de la belle-mère.

MADAME MAUGBIN.

Vous dites, monsieur?...

PASCAL. Rien du tout... (lirenonte et rencontre Diane.) DIA>E.

Vous êtes resté longtemps en Afrique, je crois, monsieur Villiers?

PASCAL.

Douze ans, madame... Je suis parti de France sous-lieute- nant, et j'y suis revenu chef de bataillon.

DIANE.

Et vous avez chance de régiment, afin de pouvoir rester à Paris?...

PASCAL.

Mon Dieu, oui... Je ne voulais pas quitter ma femme... Ah!... si j'avais pu... prévoir...

BERTHE, qui êcriTait.

Là!... voici la liste de souscription qui est faite... (ÉcriTam.) Je souscris pour cent francs.

MATBILDE.

Nous souscrivons toutes pour la même somme.

TOUTES.

Oui, oui, toutes. .

BEBTHE, déchirant «a liste. Alors, je vais faire la quête... (tlle fntui corbeille a <H.>rasc, rt va de | nue 1 l'antie.)

DIANE, qai cause toujtxirs avec Tas- al.

De sorte que vous jouez souvent?. .

M LES FAUSSES BONNES FEMMES.

PASCAL.

Que diable voulez-vous que je fasse?... ma belle-mère est toujours entre nous, et elle s'arrange de façon à confisquer ma femme à son profit... Je suis seul... je m'ennuie... je joue...

D I A ^ E.

Et vous perdez ? Naturellement.

PASCAL.

BERTHE, àMalliilde.

Vite, mes cinq louis.

MATHILDE, à Blanche

Les voilà !

BERTHE, à sa mère.

Maman ?

MADAME MAUGRIN.

Tiens, chère petite, voilà tes cent francs... (L'embrassant.) Et ceci par-dessus le marché.

BERTHE, à Pascal. Et toi, mon ami ? (pascal nict l'argent et se dispose à l'embrasser aussi. Btrihe lui échappe et passe à droite. Berlhe passe dcvanl Pascal, puis va à Diane, et ensuite à Augustioc.)

PASCAL.

Eh bien! et l'appoint?...

MADAME MAUGRIN, bas.

En vérité, monsieur, c'est indécent!...

PASCAL.

Indécent!... d'embrasser sa femme?...

MADAME MAUGRIIS.

Devant le monde, oui, monsieur... Voyez si messieurs de Cottereau, de Furretières se conduisent ainsi?...

PASCAL.

Je le crois bien... ils ne sont jamais avec leurs femmes, ni le jour, ni la nuit...

MADAME MAUGRIN.

C'est que ce sont des hommes bien élevés, eux... et il n'y i qu'un ancien militaire qui puisse être capable...

PASCAL.

Un ancien militaire!... un ancien militaire!... A vous en- tendre, madame Maugrin, il semblerait que j'étais à la bataille de Fontenoy... Vous savez... tirez les premiers!... tirez les premiers!...

ACTE IIL 87

MADARE MAL'GRIN.

Monsieur, je vous prie de ne pas vous moquer de moi... On peut ne pas aimer sa belle-mère, mais il faut au moins la res- pecter.

PASCAL,

Mais je vous respecte, belle-maman, je vous respecte!... Je ne fais que ça...

MADAME MAIGRIN.

Je sais bien que vous voudriez me voir à tous les diables!...

PASCAL, à pari.

Oh! un seul me suffirait.

MADAME MAVJGRIN.

Mais j'en suis bien fâchée. . Je resterai auprès de ma fille, monsieur, attendu que je ne pourrais vivre s<»ns elle, et que, pour le peu de temps que j'ai encore à passer sur la terre...

PASCAL.

Allons ! voyons, belle-maman, il me semble, après tout,' que

vous jouissez" d'une assez bonne santé.

MADAME MAUGRIN.

Est-ce un reproche, monsieur?...

PASCAL.

Mais non... Mais à dîner, je n'étais occupé qu'à vous cou- per du pain...

MADAME MAUGR1>', indignée.

Vous allez me compter mes bouchées, à présent! (eUo le qmue.)

PASCAL, à part

Ce n'est pas une belle-mère, c'est un hérisson.

BLA>'CHE, à Augustine.

Mes cent francs?...

A L' G t' s T I N' E, an piano.

Ah! ma chère Blanche, donnez pour moi, n'est-ce pas? ma bourse est là-haut...

DIANE, à Pas: al, riant.

11 y a longtemps qu'elle est là-haut... Je ne sais pas ce qu'elle y fait...

PASCAL.

Elle s'engraisse.

BERTHE, (|:ii a Qni ;a quête.

Voilà!... il y a juste huit cents francs.

CAROLINE.

Mes pauvres protégés vont être trop riches.

88 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

MATHILDK.

Eli bien ! pour notre récompense, il faut nous rester quel- ques jours...

BERTHF.

Oh ! oui, n'est-ce pas ?

BLANCHE.

Nous vous en prions toutes...

CAROLINE, assUc à ganclir.

En vérité! c'est impossible; vous ne doutez pas, je pense, du plaisir que je goûterais au milieu de vous, mais ma place n'est pas ici, dans un lieu de plaisirs.

MADAME MAUGRIN.*

Pourquoi?

CAROLINE.

Hélas! parce que quand une pauvre femme, quelque inno- cente qu'elle soit, a le malheur d'être séparée de son mari, (Blanche Ta au fond) elle doit bien sc garder de donner prise à la

médisance. (Elle cominne bas.)

PASCAL, emmenant sa femme à l'extrcnic droilc.

Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas.

BERTHE.

Oh! monsieur...

PASCAL.

Kon, c'est un agneau, peut-être?

BERTHE.

C'est ma mère.

PASCAL.

Mais moi je suis ton mari, (avcc amnor.) Sais-tu que c'est en- nuyeux d'avoir toujours un tiers comme ça entre nous, n'est- ce pas, madame Pascal ?

BERTHE, un pci in |iiiolc.

Dame, oui, quelquefois.

PASCAL.

Quelquefois? toujours, dis donc!

MADASJE MAL'GRIN, à Caroline.

Mais enOn, il est de ces plaisirs que l'on peut se permettre, même dans votre position, mon entant.

Caroline, M""' Maugrin, Augustine, Matliilde, Diane. Berthe, Herminie.

ACTE III. M

CAROLINE.

Ah! non, madame! le monde est si méchant, si disposé à jeter la pierre à la femme que son mari abandonne, (eiu coim-

oue loal bas.)

PASCAL, fmnicDaut Bertbe.

Dis donc, madame Pascal, pendant que ta mère écoute la complainte de cette épouse infortunée, si nous allions un peu visiter les environs ensemble?

BERTHE, toojoars inqniète.

Ob! non, ça fâcherait maman.

PASCAL.

Ab! c'est trop fort! A Paris, je veux aller dîner avec toi en tète-à-tête ; impossible, ça fâcherait maman. Je veux aller au théâtre, toujours avec toi; impossible, ça fà«Mierait maman, et toujours ça fâcherait maman. Ma parole d'honneur, je ne sais pas ça s'arrêtera.

BERTHE.

Que veux-tu?... Elle n'est plus jeune...

PASCAL.

Mais... nous le sommes encore, nous...

BERTHE.

Voyons, sois gentil... si tu veux aller quelque part, ne te gêne pas...

PASCAL.

C'est ça, tout seul, comme toujours. Ah ! si ta mère voulait se remarier, tiens, je la doterais.

BERTHE.

Voyons, ne te mw}ue pas d'elle.

PASCAL, i sa femme.

Embrasse-moi, chère Bertbe. .\h î chère petite femme, que je

t aime ! (ll l embrasse. Madame Mandrin, qui a quitté le gr<«ii|ic il<>|iiiis nu instaiii, «si arrivée auprès de sa Glle el de Pas al. Qnaol ils rap«'rçoi»rû', elle |ia<se roide cl froi le auprès d eox cl rcnKDlr.)

BERTHE, cAuraa! apics e:le.

Maman...

MADAME MAICRIN.

Reste, reste, ma Glle! cela contrarierait ton mari!

PASCAL, i lart.

Ah! au diable! (aIUdI ireodrc la maio de ma lame Mangrin.) Per- mettez, belle-maman.

W LES FAUSSES BONNES FEMMES.

MADAME MAUGRIN. Hein?... qu'est-ce que c'est? (ll la fait asseoir , pois prend Berihc à son tour, la pousse sur les genoux de sa mère, lui atUclie les bras autoor du cou, les enlace l'une dans l'autre.)

PASCAL.

Là! êtes- vous contente? J'ai bien l'honneur de vous saluer. Je vais à la roulette, (ii soft ▼ivement.)

SCÈNE m Les Mêmes, moins PASCAL, puis HERMINIE.

MADAME MAUGRIN.

Cet homme me fera mourir.

HE R THE.

Ah! maman, il n'a rien fait de mal, cependant, il faut être juste.

MADAME MAUGRIN, se levant.

II faut être juste. Je suis donc injuste, à ton sens? Ah! tiens, Berihe, tu ne m'aimes plus comme autrefois, (a Herminie qui entre.) Bonjour, clièreamie! (a Berthe.) Ah! ton mari me fera

mourir. (Ellep'eure.)

BERTHE.

Petite mère, je t'en prie, ne pleure pas. (Elle la console.)

HERMINIE, entrant.

Bonjour, mesdames; je suis en retard, à ce qu'il me paraît. Ah! mon Dieu! mais je vous arrête au milieu de votre conver- sation... est-ce que vous médisiez sur mon compte?

DIANE, riant.

Non; tiens, au fait, c'est drôle, nous n'y avons pas pensé.

CAROLINE.

Nous parlions de Blanche, clière madame, et nous nous éton- nions qu'elle (ïl'it pu prendre aussi vite les allures d'une Pari- sienne.

HERMINIE.

Et que vous répondait madame de Noyan?

BLANCHE.

Je répondais à ces dames que ce n'était pas étonnant, quand

on avait un aussi bon professeur. (eIIc prcn.l la main d'Henninie) CAROLINE, à Bianclie.

Et enfin, vous vous amusez beaucoup?

ACTE III. 01

BLANCHE.

Énormément, d'autant plus que je n'ai ([ue cela à faire. Cette chère Herminie a été pour moi une véritable Providence ; si bien que lorsque Georges viendra, je n'aurai plus rien à dési- rer sur la terre, et c'est à elle que je devrai tout cela (a au- gunine.) Et à vous aussi, chère amie, et, croyez-le bien, vous n'aurez ni l'une ni l'autre affaire à des ingrats.

AUGUFTINE.

Vous croyez donc que monsieur Rhétel partagera l'affection que vous avez pour moi?

BLANCHE.

Georges vous aimera, j'en suis certaine.

CAROLINE.

Oh! je le souhaite de tout mon cœur; mademoiselle Per- mont mérite si bien une récompense pour son dévouement.

(Caroliuc remoote et sort avec Diaue. Blaucbe cause avec MalUilde.) ALGISTINE, à HermiDie.

Cette chère Blanche,, comme elle aime monsieur Rhétel! Ah! je suis aussi heureuse qu'elle en songeant à leur prochain ma- riage, car il parait que monsieur Rhétel est un homme char- mant?...

HERMIME.

Charmant tout à fait.

ADGUSTINE.

Blanche prétend qu'il sera très-heureux de notre amitié.

HERMIME.

Certes...

AUGUSTINE.

Et qu'une fois mariés, nous vivrons tous trois dans un bon- heur complet.

HERMIME.

Tous trois... je ne crois pas que ce doux rêve se réalise.

AIGUSTINE.

Comment ! pensez-vous donc que monsieur Rhétel trouve mauvais que Blanche ait pour moi l'affection d'une fille et que je l'aime, moi comme si j'étais sa mère?

HERMINIE.

Georges, j'en suis sûre, vous remerciera vivement de votre affection pour sa femme; mais... une fois marié, il a l'inten- tion bien arrêtée de solliciter un commandement qui lui per- mette de ne pas quitter Blanche. Or, Blanche est ignorante des choses du service maritime ; elle ne sait pas que Georges

92 LliS FALSSl.S lîOiNNLS FliMMES.

obtiendra facilement l'autorisation d'emmener sa femme, mais qu'il ne saurait vous garder aupiès d'elle à aucun titre.

ALGISTINE.

Ah! vous croyez que monsieur Rhétel...

HERMIME.

Ait cette intention? mais il me l'a dit lui-même, et je sais

3ue lors de son départ, il a chargé quelqu'un au ministère 'agir en son sens.

A U G U s T I N E , Ur»-\cxre ,

Vraiment?... (Apiè* un si:<ni.e.) Dites donc?...

HERMIME.*

Quoi?

AEG USTINE, >-c posant . n face d'elle.

Croyez-vous que monsieur Rhétel puisse faire un bon mari?

HERMl.ME.

Certes, je le crois...

AUGUSTINE.

Ah ! si cette pauvre petite était malheureuse, j'en mourrais, voyez-vous ! . . .

IIERMINIE.

Mais elle sera très-heureuse, je vous le certifie.

ATIGL'STINE.

Eh bien ! moi, quelque chose me dit que ce monsieur Georges n'est pas aussi parfait que vous paraissez le croire.

HERMIME.

Vous ne le connaissez pas...

AUGUSTINE.

C'est de l'instinct, et ça ne me trompe jamais... Et puis... quelle existence aura-t-etlc avec ce marin?... Aii! pauvre en- fant, moi qui rêvais pour elle un ministre ou un ambassadeur... Oh! ma clièreHerniinie. j'ensuis bien fiichéo!... mais ma con- science avant tout, je suis trop l'amie delà comtesse pour lui cacher ma façon de penser à l'égard de ce mariage. HE ion M F.

Ne faites pas cela ,- vous avez tant d'empire sur elle que vous pourriez changer sa résolution, et que ce pauvre Georges...

* Augustine, Ilerminic,

A C T E 1 1 1. 03

ALGLSTINE.

Eh! mon Dieu, vous connaissez monsieur Rhétel et... vous l'aimez... moi, je ne le connais pas, et j'aime Blanche

MATHiLDE, à Blunthe.*

Les voitures seront ici à six heures ,- il en est quatre et demie, à huit heures nous serons au vieux château. Là, nous soupons, nous dansons au piano et nous attendons le lever du soleil, que nous admirons du haut de la tour... .\ cinq heures du matin, nous serons chez nous.

BLA?iCBE.

Oh! ce sera charmant. (siitUiltie et Angnsiioe vont se promener.)

HEBMIME.

Comme vous êtes gaie ce matin, ma petite Blanche ! (eiu

s assied.)

BLANCHE, riant.

Oh ! je m'amuse tant ici !.. . savez-vous que vous aurez charge d'àmes?...

HERMINIE.

Comment?...

BLAKCHE, f'asseyanl. '*

C'est vous qui m'avez amenée dans cet enfer, (toi prenant u iLsiD.) Mais, vrai... je ne vous en veux pas... Grand Dieu!... quand je compare cette existence-là à celle que je menais à rSoyan!... (atcc un regret.) Oh! je suis ingrate, car monsieur de Noyan était bien bon ; mais c'est égal, le château était bien triste, aussi, allez... je dormais tant que je pouvais; mais il fallait bien se réveiller un jour ou l'autre... Alors la cloche sonnait le dé- jeuner, monsieur de Noyan venait au-devant de moi, il me bai- sait au front et me conduisait solennellement à ma place. Nous passions alors dans le salon, nous attendaient presque tou- jours quelques vieux amis de mon mari, de vrais gentilshommes d'autrefois, bien calmes, bien respectueux, qui venaient tour à tour déposer sur ma main un baiser de glace qui me vieillis- sait d'une année, et qui parlaient si bas qu'on eût dit qu'ils craignaient de réveiller l'attention de la Parque qui les oubliait. Puis ils relevaient de tomps à autre leur tète blanchie et se retournaient vers moi, m' adressant un doux sourire comme l'on donne un bonbon à un enfant. (Ea-iyant une iirme.) Je ne me sen- tais pas vivre, je me sentais bercée. C'était un sommeil doux et paisible, un sommeil éternel, et malgré cela, je l'avcae, je me

* Hermlnie, Augustine.

** Berthe, Diane, Mathilde, Caroline, M"* Maagrin, Hencinie, Blanche, Aagnstine.

•4 LES FAUSSES ËONNES FEMMES.

suis demandé bien souvent, depuis, si ces heures tranquilles ne devaient pas être les plus heureuses de ma vie. et si je n'avais pas mangé mon pain bénit le premier. Vous le voyez, j'ai com- mencé par une raillerie et je finis par un regret.

HERMINIE, avec élan.

Tu es bonne!... vous êtes bonne. Blanche.

BLANCHE.

Pourquoi vous reprendre?... Tutoyons-nous, veux-tu?...

HERMIME. Oui... (atcc une sorte de fièvre.) Embrasse-moi... (Elle l'embrasse.) BLANCHE.

Qu'est-ce que vous avez?... Qu'est-ce que tu as?...

HERMINIE.

Rien!...

BLANCHE.

Mais encore une fois, qu'est-ce que tu as ?

HERMINIE.

Il me semble que je t'aime.

BLANCHE.

Il te semble...

HERMINIE.*

Pardon... je ne sais ce que je dis... Écoute, veux-tu m'en croire?

BLANCHE.

Oui.

HERMINIE.

Eh bien! tu vas faire tes préparatifs de départ et t'en aller...

BLANCHE.

donc?

HERMINIE.

Au château de Noyan. Tu y attendras monsieur Rhétel, et... quand vous serez... mariés, eh bien! vous ferez ce que vous voudrez. . cela ne me regardera plus. (eiIo s'assied à droiie.)

BLANCHE.

Comment?... cela ne te regardera plus, et iras-tu, toi?

HERMINIE.

Je ne sais... je voyagerai... Il y a longtemps que j'ai envie * Blanche Herminie.

ACTE III. »9

lie visiter l'Ecosse, (souriam tristement.) C'est un pays mélanco- lique... Je vais l'aimer.

BLANCHE,.

Mais alors, tu as donc des chagrins? voyons confie-les-moi !

HERMIME.

Non, non, ce n'est pas la peine, va- t'en seulement... Vois-tu, mon enfant, notre vie mondaine ne te convient pas.

BLAKCHE.

Pourquoi donc? (Riant.) Mais il ne faut pas me faire meilleure que je ne suis, et je suis très-mondaine, moi aussi, mainte- nant.

HERMIME.

Tu ne veux pas partir?

BLANCHE.

Mais non, tu ne m'as pas comprise. Je sommeillais là-bas, comme je te le disais tout à l'heure, mais je suis éveillée depuis longtemps et ne saurais plus me rendormir... sais-tu ? mon réveil date du jour Georges m'a dit qu'il m'aimait... A propos, j'ai reçu une lettre de lui. (eiib se lète.)

HERHINIE.

Quand donc?

BLANCHE.-

Ce matin. Tiens, la voici, veux- tu la lire?

HERMINIE.

Oui!

BLANCHE.

Comme ta main est brûlante !

HERMIME.

Ce n'est rien. Le temps est à l'orage et je souffre un peu. (Elle lu.) « Oui, Blanche, je vous le jure, vous êtes la seule lemtne au monde que j'aie jamais aimée. (\Tec uu lire conniUif.)

Ahl c'est trop fort... (Pendam qu'elle lit, Diane etécule au piano le moiir du premier acte : « Combien j'ai douce sourenance!) » BLANCHE.

Quoi donc?

HERXINIE, te remettant.

Qu'un simple déplacement d'atmosphère puisse vous rendre ainsi tout à coup irritable et sensible.

BLANCHE, M levant.

Comme tu es nerveuse !... cela me rappelle le premier jour nous nous sommes vues.

% LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE, riant. Oui, c'est vrai!... (eIIc conUnne la lecture de sa lettre. )

BLANCHE, à Herminie qoi froisse légèrement la lettre.

Eh bien!... qu'en dis-tu?

H ERMIME.

Mon Dieu!... je ne sais pas... je ne ne connais rien aux lettres d'amour... je n'ai jamais aimé!... Mais tiens! voici Diane, montre-lui ta lettre.

BLANCHE.

Oli! non... je ne veux pas!

HERM INIE.

Pourquoi?... mais la lettre de Georges ne peut pas être mal interprétée!...

BLANCHE.

Mon Dieu! non... mais, enfin, il y a des gens qui ont su trouver des taches au soleil.

HERMINIE.

Encore une fois, la lettre de Georges ne peut pas être mal interprétée... Relis-la donc! je t'assure qu'elle est remplie de poésie... c'est vraiment très-attendrissant; on ne peut y trouver rien à reprendre, j'en défie même une voltairienne comme Diane.

DIANE.

Hein?... Quoi?... Qu'y a-t-il?... on parle de Voltaire, et à propos de moi?

HERMINIE.

Cette pauvre Diane!... elle ne l'a peut-être pas lu seule- ment!...

DIANE.

Qui cela?... Le patriarche de Ferney?... si fait, je l'ai lu à douze ans. De quoi s'agit-il ?

HERMINIE.

C'est Blanche qui croit que vous sauriez découvrir des preuves d'inconstance jusque dans les plus vives protestations de l'amour.

DIANE, liant.

Mon Dieu! pourquoi pas?... Un chimiste célèbre assure bien qu'on peut trouver de l'arsenic dans des bâtons de chaise.

BLANCHE.

Ne riez pas, ma chère amie, c'est très-sérieux... ou bien rendez-moi ma lettre. (eiIo avance u mjin.)

ACTE III. 07

DI AKE , »e rclirjnt.

Non pas!... (Lisant.) Le vent du soir... les voix intérieures...

rilirondeile voyageuse... (Frcdonnjnl loi.t ea contiimant de lire.)

Sans doute vous venez de France. De mon pays ne mo parlez-vous pas?

Et puis le navire doucement bercé... Tétoile du soir... (Même

j«D et cléclamant.)

Pâle étoile du soir, messagère lointaine...

(Lisant eiici»re.) Et puis cucore, les nuages amoncelés que l'éclair décliire... (Lisant.) Et enfin!... de l'amour, des serments et des serments d'amour, en veux-tu en voilà!... Eh bien! mais c'est très- gentil, ce petit poëme... Il y a tout dedans : du de Mus- set, du Béranger, c'est une petite macédoine...

BLANCHE, reprenant sa lellrc.

Ah! VOUS êtes une railleuse impitoyable!... (a nerminie.) Tu vois que j'aurais bien fait de ne pas lui montrer ma lettre... mais c'est toi qui l'as voulu.

HERMITJIE.

C'est vTai!... Mais cela prouve que j'ai encore des illusions.

BLANCHE.

Mais vous ne croyez donc pas à l'amour dévoué, fidèle?...

DIANE.

Hélas ! je crois qu'il n'y a plus d'amant capable de traver- ser chaque soir l'HcUespont pour passer une heure avec sa bien-aimée... ni de jeune berger silicien mourant de mélan- colie amoureuse... et, enfin, je suis de l'avis d'une dame poëte qui, sans doule, avait lu Voltaire, et qui disait :

peut-on trouver des amants Qui nous soient à jamais fidèles? Je n'en sais que dans les romans Ou dans les nids de tourterelles.

(Elle rit.) BLA>CHE.

Je ne voudrais pas vous entendre parler souvent ainsi...

SCÈNE IV Les Mêmes, C.\MiLLE.

CAMILLE, se jetant dans nn rauleui;.

Ah! mes bonnes amies!... de grâce!.. . un flacon, des sels,

* Caroline, Augustine, Berthc, M** Uaugrin, Mathilde, Blan- che, Herminie, Diane, Camille.

98 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

du vinaigre, quelque chose!... je suis dans un état dont rien

n'approche. (On l'entoure.)

H E R M I M E .

Eh! bon Dieu!... à qui en avez- vous?

CAMILLE, se rficvjiit.

A qui?... A cette madame de Villemare!... à cette duchesst; de pacotille!... (at^c agitation.) L'audacieusse !... l'imperti-" nentet...

CAROLINE.

Calmez- vous !

CAMILLE.

Que je me calme?... que je me calme?... Figurez-vous, mesdames, que je passais tout à l'heure devant l'hôtel Victo- ria... la fenêtre du petit salon celte espèce de grande dame tient habituellement son cercle était ouverte... je lève les yeux, par hasard, et qu'est-ce que je vois? une demi-dou- zaine de lorgnettes et autant de pince-nez qui me couchaient enjoué!... C'était madame la duchesse et toute sa cour qui me regardaient ainsi, absolument comme on regarde une co- mète... Interdite d'abord, je tiens bon cependant, et je m'ar- rête une minute, espérant que tous ces impertinents... téles- copes se baisseront enfin!... Point; ils restent effrontément braqués sur moi... Je m'éloigne alors, et tout aussitôt j'en- tends derrière moi une salve effroyable d'éclats de rire!...

MADAME MAUGRIN.

En vérité!...

CAMILLE.

De ces rires stupides qui vous agacent les nerfs !...

DIANE.

^Je comprends cela.

CAMILLE, avec rage.

Celte madame de Villemare!... avec ses lèvres de Caffre et ses cheveux d'Éthiopienne, c'est qu'elle est noire à faire peur! et avec cela, elle a la ra^e de s'habiller de blanc du haut en bas... on dirait sur une touille de papier d'une tache d'encre.

DIANE; riant.

Et de la petite vertu, encore ! . . .

CAMILLE.

Une impertinente s'il en fut! qui se permet de marcher sur tout le monde.

DIANE, riant.

Ah ! ça lui est facile, elle a de si grands pieds !

ACTE 111. 99

CAMILLE.

Oh ! VOUS, ma chère Diane, rien ne vous émeut, et pourtant celle insulte vous intéresse comme elle doit intéresser ces (lames, car toutes vous avez eu, hier soir, au bal, votre part lies impertinences de la duchesse... je le sais bien, moi, car je n'ai pas perdu une seule de ses méchancetés.

MATHILDE.

Vraiment!... Et que disait celte dame?

CAMILLE.

Oh! des choses horribles!... cette femme-là ne respecte per- sonne... Ainsi, croiriez- vous , ma pauvre Augustine, quelle osait dire de vous, si bonne, si désintéressée, que vous étiez issue d'une guêpe et d'un frelon, et que, n'ayant jamais su vous faire une ruche, vous butiniez le miel dans la ruche des autres?

ALGUS 1 INE.

L'insolente!... *

CAMILLE, i madaire Maugrin.

Elle disait que Berthe, ma charmante petite Berthe était folle de suivre les conseils et les avis de sa mère.

MADAME MAUGRIN, K levant. Ah ! la scélérate!... (Elle tient riè$ sa fil!e.) CAMILLE, te levint.

A propos de notre amie Caroline, de cet ange de vertu, la méchante femme ne citait-elle pas des vers du Misan- thrope?...

CAROLINE

Et quels étaient ces vers?...

CAMILLE.

Je ne sais si je les aurais retenus!...

DIANE, riant."

Oh! que oui!...

CAMILLE.

Ah! attendez?... je crois que les voici... c'est cela... Ladu- 'liesse disait, en faisant un léger changement :

A quoi lK)n, s'il vous plaît, cette mine modeste Et ce sage dehors qui dément tout le rtste?...

* Caroline, Camille, Berthe, M"* Maugrin, Matliilde, Blanche, Augustiue, Herminie, Diane.

** Berthe, Mathilde, M"' Maugrin, Caroline, Camille, Diane. Berthe, Augustine, Herminie.

100 LES FAUSSES BONNl.S FEMMES.

C A nOLl.^ E, pli.iôe.

C'est bien, mailame...

DIANE, ri..ii'. '

Oh! je sais par cœur toute la tirade, (coniioiiam.)

Elle csl à bien prier exacte au dernier point, Mais...

CAROLINE.

Assez, madame. Au reste, madame de l'Estang n'a pas sans doute été épargnée non plus?

DIANE .

Au fait, je suis curieuse de savoir comment votre duchesse aura pu dire du mal de moi... (nant) sans piller quelqu'un ou quelqu'une, voyons, (a camiiie.) Voyons.

CAMILLE.

Madame de Villemare avait la hardiesse de dire, en parlant de vous, chère belle, que vous seriez peut-être fort embar- rassée le jour 011 votre mari serait avalé par une baleine, (on

rt.)

DIANE, riant.**

Oh! la chute est jolie, et j'avoue que je n'avais point songé à cela ; mais, bah ! monsieur de l'Estang aurait peut-être, après tout, la chance de Jonas ! . . .

BLANCHE.

Et... est-ce que cette... généreuse dame ne disait rien de moi?

CAMILLE, s'asscyanl.

Si fait!... Elle disait que, pour vous attaquer, elle attendrait que vous eussiez des armes pour vous défendre.

BLANCHE.

C'est-à-dire?...

CAMILLE.

C'e<t-;Vdire... (je le pense du moins) que vous fussiez de- venue Parisienne.

HEP. MINIE.

Le fait est que cette duchesse de Villemare est indigne.

Mathilde, M"'* Maugrin, Caroline, Diane, Camille, Blanche, Augustiiie, Herniinie.

** Sl«" Maugrin, Bertlic, Caroline, Camille, Diane, Blanche, Augustine, Mathilde, Herminie.

ACTE III. 101

Plusieurs fois déjà nous nous sommes querellées à votre sujet, et j'ai remarqué que cette dame affectait de ne prononcer voire nom qu'en y ajoutant l'épitliète de provinciale.

BLA>'CBB, piquée.

Vraiment!...

DIANE^ i Camille.

Et ensuite ?

CAMILLE.

Je vous avoue qu'après avoir entendu cela, je n'ai pas eu la force d'en écouter davantage.

DIA>E,i Cwnille,'

De sorte que vous ne savez pas ce qu'elle pense de vousT

CAMILLE, foorUnt.

Non.

DIANE, riant.

Eli bien! voulez-vous savoir ce que je pense, moi?... C'est que, comme vous nous aviez toutes embrassées en sortant, vous éprouviez le besoin de nous mordre un petit brin à votre re- tour... et que vous empruntez pour cela les dents de la du- chesse.

CAMILLE.

Madame...

HERMIME.

Non, non, Diane. Madame de Cottereau a raison, la duchesse a dit en effet tout cela.

DIAT^E.

Eh bien ! alors, cela ne se passera pas ainsi.

BERTHE.

Oui, il faut nous venger.

MADAME MADGRIK.

Ah ! ma fille! (par rénexioo.) Tu as raison.

ACGLSTI>E.

Mais quel moyen employer?

DIANE.

Ah! si le duc était ici, et si elle l'aimait!

BLANCHE, à Dianf.

Que feriez-vous?

* M"* Maugrin, Berthe, Camille, Caroline, Diane, Blanche, Mathilde, Herminif.

6b

«2 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

DIANE.

Mon Dieu! c'est bien simple. Je ferais la coquette avec lui, voilà.

HEBMINIE.

Eh bien ! mais elle a mieux qu'un mari.

DIANE.

Tiens! au fait... le vicomte.

HEBMINIE. *

Mais elle prétend qu'il n'y a pas à Bade une femme assez adroite pour lui enlever le cœur de monsieur d'Assigny.

BLANCHE, se lerant.

Ah!

MATHILDE.

Elle a de l'amour-propre, cette dame.

HEBMlNtE.

11 est certain que si l'on voulait s'en donner la peine...

CAROLINE.

Oh! mais il n'y faut pas songer... des honnêtes femmes comme nous...

TOUTES.

Oui, oui,

HEBMINIE.

Oh ! des honnêtes femmes ont toujours le droit d'être un peu coquettes, et l'on pourrait enlever le vicomte à la duchesse sans pour cela l'attacher à soi; et pour ma part, si l'occasion se présente, je vous promets de faire de mon mieux pour vous v£nger.

DIANE.

Moi, si le petit vicomte me tombe sous la patte, je veux lui faire perdre le sommeil, l'appétit, et la raison par-dessus le marché.

AUGUSTINE, à Herminie.

Oh! mais je ne crois pas que Blanche doive se mêler à tout ceci.

HEBMINIE.**

Pourquoi donc ?

* M""' Maugrin, Berthe, Diane, Camille, Herminie, Caroline, Blanche, Augustine.

"* Diane, Blanche, M°"= Maugrin, Berthe, Camille, Herminie, Augustine, Caroline, Mathilde.

ACTE III. 103

AUGL'STINE.

Mais parce que le vicomte est un monstre.

nERMIME, riant. .

Oh! ce pauvre vicomte!... S'il vous entendait, lui qui vous aime tant!

AUGUSTINE.

Comment, il m'aime?

HERMINIE.

Sans doute. Tenez, il me disait hier encore que s'il se ma- riait jamais, il voudrait vous supplier de rester auprès de sa femme.

AUGUSTINE.

Il disait cela? Le fait est qu'il s'est toujours montré fort ai- mable avec moi... Ah! voilà un mari comme j'en désirerais un

pour Blanche. (Elle rcmcnle.) *

HERMINIE.

Vous allez trop loin, ma chère amie.

DIANE.

Eh bien, c'est décidé, nous nous vengeons.

MADAME MAUGRIN.

Permettez, mesdames... je ne sais si je dois...

DIANE, follemeo:.

Vous conseillerez votre fille.

MADAME MAUGRIN.

Berthe! mais je n'entends pas qu'elle se mêle de tout ceci... Viens, mon enfant, laissons ces daines. (Elle* soneni.)

DIANE.

Bon! voilà la défection. qui commence, (a Caroline.) Et vous, madame d'Athis?

CAROLINE.

Oh! moi, dans ma situation...

DIANE.

Et madame de Coltereau?

CAMILLE.

Moi?... Je me rends justice; je ne suis peut-être pas assez jolie?

DIANE, bas.

Quel bon chef de parti vous faites! vous lancez tout le monde

* Diane, Blanche, Hcrminic, Augustine, M"" Maugriu, Berthe, Camille, Caroliue, Mathilde.

104 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

en avant, et vous vous retirez au moment du combat!... Eli bien, et vous, Blancbe?

HERMI.MK, à D .me. '

Laissez, car si Blancbe ne réiis>issail pas, la ducbesse serait trop contente.

BLANCHE.

Vous croyez donc que je pourrais écbouer?... Au reste, je suis H provinciale !

DIANE, liaii'.

Bien! voilà l'amour-propre qui s'en mêle!...

AUr.USTINi:, à Ilbnch-.

D'ailleurs, il ne s'agit que de plaire, et vous ferez dignement votre partie.

DIANE.

C'est convenu !

«I, ANCHE, J. |.arl.

Ah ! je ne suis qu'une provinciale !

CAMILLE, bas à Caroline cl à madaniu Mangrin.

Pour moi, je blâme très-vivement ce que ces dames vont faire !

CAROLINE.

Et moi aussi.

MATHILDE.

Ce sont des femmes sans principes.

DIANE, bas à Blanche.

Chère belle, venez-vous faire un tour dans les salons de jeu?

BLANCHE.

Volontiers.

MATIIILDE.

Nous, nous allons faire un tour sur la promenade.

BLANCHE.

Nous nous retrouverons ici à l'iieurc du concert.

TOUTES.

Au revoir! (eiIcs .'on.m.)

* iM"'" Maugrin, B^rtlie, Caroline, Camille, Blaiiciic, Herminii', Diane, Augustine, Ma;Iii!de.

ACTE III. 105

SCÈNE V HERMIME, AUGUSTINE.

IIERMIME, à part.

Air ce rôle que je me suis imposé me fatigue; il me tue!... (ATrc ironifi.) Quaud je peusc que là, tout à l'heure, j'ai eu pour cette femme un mouvement de pitié!... que j'ai senti une vraie larme dans mes yeux !... Ah ! elle a bien fait de me mon- trer cette lettre! Le vicomte d'Assigny... Ah! s'il pouvait être amoureux de Blanche!...

SCÈNE VI HERMIME, D'ASSIGNY.»

HERMIME.

Est-ce que vous avez joué, là-bas, vicomte?

d'aSSIGNY, diitrait.

Ma foi, non.

HERMINlE, s asseyant tôt le canapé i droil«.

C'est exemplaire. Vous n'avez donc plus de vices?

d'assigny. Plus du tout... je les ai tous congédiés.

HERMIME.

Bah!

d'aSSIGNY, riant.

Je ne pouvais plus les nourrir.

HERMINlE.

Dites-moi, vicomte...

d'assigs Y. Madame...

HERMIME.

Qu'aviez-vous donc, tout à l'heure, quand vous êtes arrivé? Vous m'avez paru préoccupé. Est-ce que vous cherchiez quel- qu'un?

d'assig.ny.

Oui... je vous l'avoue. Juitc! je crob que je suis amou- reux, (ncrminic le regarde en f^n riant.)

* D'Assigny, Henninie.

106 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE.

Vraiment?

d'assigny. Vraiment!

HERMIISIE.

C'est à merveille... et de qui ?

D ASSIGMT, saueyant sur uiic chaise prêt d'elle.

Devinez!...

HERMINIE; riant.

De la duchesse de Villemare?

d'assigny, avec impatience.

Eh ! c'est de l'histoire ancienne, cela. . . d'ailleurs, la duchesse est mariée...

HERMIME.

Ah ! vos vues actuelles sont sérieuses. Eh bien, comment votre amour s'appelle-t-il?... voyons, noramez-le-moi, allez, ce sera plus tôt fini.

d'assigny.

Vous avez raison... c'est...

HERMINIE.

C'est...

d'assigny. C'est miss Nelvil.

HERMINIE, avec un mouvement qu'elle co peut réprimer.

Miss Nelvil!...

d'assigny. Ce choix a l'air de vous surprendre.

HERMINIE, se remettant.

Mais pas du tout, miss Nelvil est un des meilleurs partis de l'Angleterre.

d'assigny. De plus, la jeune personne est jolie....

HERMINIE.

Charmante, un peu maigre seulement!

d'assigny. De fort beaux cheveux. . .

HERMIME.

Oui... mais d'une nuance originale, on dirait du brouillard.

d'assigny. Est-ce que vous n'approuvez pas mes projets?

ACTE III. 1«7

UERMINIE.

Ah ! par exemple ! mais vous ne pouviez en former de meil- leurs, et me voilà tout à fait rassurée.

d'assignt. Quelle inquiétude aviez-vous donc?

HERMIME. se IcTant.

Aucune '.

d'assigny. Cependant...

HERMIME.*

En vérité... j'étais folle et je ne sais j'allais chercher cela; mais il m'avait semblé...

DASSIGNT.

Quoi donc ?

HEBXINIE.

Enfin... je vous croyais amoureux de madame de Noyan.

d'aSSIGNT, (C Uvaot.

Ah! je vous avoue que j'avais bien d'abord tourné les yeux de ce côté... mais, ma foi...

HERMINIE.

Vous y avez renoncé tout de suite... (Lui donnant main.) Al- lons, votre réputation n'est pas usurpée, vicomte, vous êtes un homme d'esprit.

d'assiot.

Je ne comprends pas.

HERMIRIE.

C'est que vraiment c'eût été une fatalité que vous devinsr siez amoureux de notre petite comtesse '...

d'assigst. Une fatalité!... A quel point de vue?

HERMIME.

A tous les points de vue.

d'à s SI g >• Y.

Madame de Noyan est veuve.

HERMINES.

Oui.

d'assigsy. Riche...

* Herminie, Diane.

108 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HE RM! NIE.

Cela est certain.

d'assigny. Aussi jeune que miss Nelvil.

HERMINIE.

Bien plus jeune, puisqu'elle est veuve.

d'assigny. Aussi jolie !

HE RM I ME, riant.

Plus grasse toujours, avec la Tamise en moins dans les cheveux.

d'assigny.

Madame de Noyan est digne, ce me semble, de tout l'amour d'un galant homme.

HERMINIE.

Certes, je le crois bien.

d'assigny. Alors...

HERMINIE, éclatant de rire.

Oh! votre alors me semble adorable.

d'assigny. Comment?

HERMINIE.*

Madame de Noyan est jeune, jolie, immensément-riche, elle est digne de porter le nom de monsieur le vicomte d'Assigiiy. Conclusion : Alors; c'est-à-dire, il n'y a plus qu'à publier les bans.

d'assigny.

Ah! vous railliez toujours, je^vous demande un peu...

HERMINIE.

Et moi , je vous demanderai beaucoup pourquoi nous nous occupons de madame de Noyan, quand c'est de miss Nelvil qu'il était question d'abord?

d'assigny.

Miss Nelvil?... nous y reviendrons; dites-moi, avant tout en quoi j'ai pu exciter vos moqueries ?

HERMINIE.

En rien.

* Diane, Herminie.

, ACTE III. IW

d'assigny. C'est une moquerie de plus?... fort bien.

HERMINIE.

OIiI mais c'est qu'en vérité vous êtes aujourd'hui d'un naïf., ce n'est pourtant pas votre défaut d'iiabitude. Cette métamor- phose subite doit avoir quelque cause extraordinaire. d'assigny.

Eh bien, c'est possible; et savez-vous de qui je vais être amoureux, maintenant?

HERMIME.

De miss Nelvil?

d'assigny. Pas du tout, de madame de Noyan.

HERMIME, éclataol de rtr».

De madame de Noyan... comme cela? Tout de suite, sans crier gare?

d'assigny. Parfaitement.

HERMINIE, riant tonjoon.

Et amoureux pour tout de bon?

d'assigny. Pour tout de bon.

HERMIME.

Et, là... pas d'un petit amour?

d'assigny. Non.

HERMINIE.

J'entends, et comme dit Laçingeole ou un autre dans fOurs et le Piwha : Pas un petit poisson, un grand poisson, (eiic rit

aux larmes.)

d'assigny, trè*-s<rieoï.

Je ne ris pas du tout. Madame.

HERMINIE.

Je le vois bien... Vous êtes sérieux comme leShahabaam en question... Mon Dieu, que vous m'aniuzez! d'assigny.

Comme cela, selon vous, je devrais renoncer absolument à l'espoir de ce mariage, si, par hasard, je m'en étais bercé ?

HERMINIE.

Bercé est le mot, très-cher, et vous devriez y renoncer ab- solument ; mais il me semble que l'on parle bien peu de miss Nelvil, dans tout cela?

7

UO LES FAUSSES BONNES FEMMES.

DASSIGNY.

Eh bien, n'en parlons pas, n'en parlons jamais. Parlons de madame de Noyan au contraire, et parlons-en beaucoup.

HERMINIF:, s'asseyaut.

Soit! Eli bien, régularisons la position tout de suite. Madame de Noyan ne vous épousera jamais, sachez-le bien, par la rai- son toute simple, qu'elle est promise à un certain monsieur Georges Rhétel, un garçon tout aussi séduisant que vous, tout aussi riche qu'elle, et qui a sur monsieur le vicomte d'Assigny l'avantage immense d'être adoré.

d'assigny.

Savez-vous bien que vous me poussez au jeu. (s'appnyaot sur le

canapé.)

HERMINIE.

Ce n'est pourtant guère mon intention, et je suis trop votre amie pour cela.

d'assigisy.

Alors, c'est qu'il y a quelque chose encore que vous ne vou- lez pas me dire?

' HERMINIE.

Et que votre amour-propre ne vous dira très-certainement jamais.

d'assig>y.

Qu'est-ce que c'est?

HERMINIE.

Si nous reparlions de miss Nelvil ?

d'assigny, s'assoyant.

Qu'est-ce que c'est?...

HERMIME.

Si je vous le dis, vous vous fâcherez,

d'assigny. Non.

HERMIME.

Eh bien ! vous déplaisez souverainement. . . Èlcs-vous content?

d'assigny. Qu'est-ce qui déplaît en moi?

HERMINIE.

Tout un peu.

d'assigny. Alors, je suis enchanté... Qui veut trop prouver, ne prouve rien...

ACTE III. i*4

HERMJME, se leTant.

Voyons, parlons d'aulre chose... Décidément, que comptez- vous faire ce tantôt ?...

d'aSSIGNT, «élevant tusti.

Je compte mettre un liabit noir, une cravate blanche et des gants gris perle... et me présenter, tout battant neuf, chez madame de Noyan.

HERMIME.

Qui vous mettra à la porte avec votre cravate blanche et vos gants gris perle. (Eiieru aui cciau.) d'assiov.

Riez, riez; mais aussi vrai que je suis le vicomte d'As- ssigny, je poursuivrai l'aventure.

HERMIME

Aussi vrai que vous êtes un écervelé, votis l'abandomierez ; attendu que madame de Noyan m'est pour ainsi dire confiée, que je réponds d'elle à monsieur Georges Rhétel... et que je ne souffrirai pas que vous la compromettiez. d'assigny.

Bravo î c'est la guerre... et vous êtes deux contre moi... cela lève tous mes scrupules... Adieu...

HERMIME.

Vous allez?

d'assigrt. Faire ma cour à madame de Noyan... Ah! mais, j'y songe!... ne soupez-vous pas toutes ce soir au vieux château ?...

HERMIME.

Non.

D^ASSIGSY, rianl.

' Bon! cela veut dire oui... Eh bien, comme je ne connais rien de plus favorable aux amours que ces vieilles ruines... j'irai avec vous...

HERMIME.

Vicomte, je parle très-sérieusement... Je vous ordonne de renoncer à cette folie.

d'ASSIGKT, riaml.

Ah çà, vous avez donc peur que je l'abandonne ?

HERMIME, après on mooTeineDt.

Vous êtes un impertinent, et puisqu'il en est ainsi... faites ce que vous voudrez...

112 LES F\USSRS BONNES FEMMES.

d'aSSIGNY, gaiomcnl.

Alors, c'est dit, je soupe avec vous.

HEKMINIE.

Mais encore faut-il qu'on vous invite...

D ASSIGNV, voyant arriver toutes le( femmei.

N'est-ce que cela?... Je vais me faire inviter justement, (ii

va au— devant d'elles.)

SCÈNE VIII

Les Mêmes, DIANE, CAROLINE, AUGUSTINE, M"« MAUGRIN et BERTHE.

DIANE, bas en entraot.

Ah ! voilà le vicomte...

d'assigny.

Mesdames, j'ai une humble requête à vous adresser : vous allez, ce soir, souper au vieu.K château, daignerez-vous me per- mettre de me joindre à ces messieurs^, et de vous accom- pagner?... ■••

DIANE, riant.

Si vous quittez la société de la duchesse pour la nôtre, vous perdrez au change, je vous en préviens...

d'assigny. Avouez que vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites?

DIANE, riant.

C'est ma foi vrai!...

CAMILLE.

Quelle coquette effrontée!...

madame MAUGRIN'.

Elle a un aplomb renversant !...

d'assigny, qui s'est approché d'Herminie.

Me tenez-vous toujours rigueur?...

UERMINIE, lui serrant la main.

Non!

d' ASSIGNY, la lui baisant.

Vous êtes adorable !...

MADAME MAUGRRIN.

Madame de Tremblay l'emportera !...

ACTE m. 113

CAMILLE.

C'est tout simple; elle a eu soin de commencer le feu sans nous...

CAROLINE.

Cette femme est l'intrigue incarnée.

d'aSSIGNT, s'a|iprocUanl de Carolii.e.

Chère madame d'Athis, serons-nous assez heureux [tonr vous posséder quelque iemps à Bade?...

CAROLI>E, miDJulant.

Mon Dieu!... je ne saii trop... (n lui parie ba?.)

CAMILLE, à Angasline.

Ah! elle rie sait plus quand elle doit partir, maintenant...

DIA>E, à Herminir, lui monlrant madami- Mangiin il Angostine aulquc^llci »a pailer le viconilc

Dites-donc, est-ce que la vieille garde va donner?

- MADAME MALGBIN.

Monsieur... je vous prie de me parler tout haut!... (oA^signy

passe i Camille.)

CAROLINE.

11 est fort aimable, ce monsieur d'Assigny.

MADAME M ALGRI>, à Caroline

Cette madame Cottereau... Voyez donc! ... comme elle essaye

de faire la gracieuse... (D'Assigny va aupiès rte BenUe.) HE R MIME, à Blambe.

Vous voyez bien que vous avez tort d'avoir peur... 11 ne pense pas à vous.

BLANCHE, piqué.-.

Lui aussi me trouve peut-être trop provinciale.

UN DOMESTIQUE, outrant.

Messieurs de Cottereau et de Furretières font prévenir ces dames que les voilures sont arrivées.

D'aSSIGRY, à Blanclic.

Madame, voulez- vous me permettre d'être vutre cavalier?

BLANCHE, liésttaol.

Monsieur...

d'assignt.

Je vous en prie! (ll Inï preol la maiD.)

MADAME MAUGRIN, i Berth», et trèo-Texde.

Viens, ma fllle.

lift LES FAUSSES BONNES FEMMES.

CAROLINE^ avec aigreur.

Celte madame de Noyan...

CAMILLE.

lit monsieur Rhélel qui est à la Guadeloupe.

DIANE, gaiinent^ à Hcimiiiie.

C'est donc décidément notre petite comtesse qui va jouer le rôle du serpent vis-à-vis du vicomte et lui tendre la pomme?... Mais dites donc, chère amie, si elle allait en croquer la moitié?

HERMlJilE, ïcmonlant.

Ah!... ne sommes-nous pas pour veiller sur elle...

PASCAL, entrant dn ilroile.

Ah ! belle-maman, je viens de perdre dix-neuf cent trente- six francs en cinquante-six minutes.

MADAME MAjL'GRIN.

Cet homme-là mettra ma fille sur la paille.

PASCAL.

Venez- vous avec moi souper au vieux château ?

MADAME MAUGRIN.

Non!...

PASCAL.

F.h bien! j'y vais tout seul et je me griserai.

^ MADAME MAUGRIN.

Décidément, ces anciens militaires ont tous les défauts.

FIN DU TROISIEME ACTE.

ACTE IV. liS

x\CTE QUATRIÈME

Le salon des fleurs à Bade.

SCÈNE PREMIÈRE CÔTTEREAU, FURRETIÉRES.*

FLRRETIÉRES.

Dites donc... dites donc, Cottereau, est-ce que votre femme est arrivée?

COTTEREAU, préoccupe.

Non... comment diable voulez-vous que je sache ça !

FLRRETIÉRES. **

Elle paraissait un peu contrariée ce soir, avez-vous remar- qué?

COTTEREAU.

Non, je pensais à autre chose de très-important... (n se Ictô et passe.) Ah ! bon, je ne sais plus maintenant à quoi je pensais...

FURRETIÈRES. *'*

Qu'est-ce qu'elle vous disait donc quand nous sommes partis ?

COTTEREAU.

Dieu ! que vous êtes insupportable avec vos interrogations. Ainsi tout à l'heure, dans les salons de jeu, ces pau\Tes crou- piers, n'étiez- vous pas honteux de les tourmenter avec vos questions? Vous avez été cause que l'un d'eux s'est trompé trois fois dans sa taille ; toute la galerie murmurait. Aussi qu'en est-il résulté? c'est que l'inspecteur est venu me trouver pour me prier de vous emmener...

FURRETIÈRES.

Ah ! c'est trop fort ! quand c'est à moi que l'inspecteur s'est adressé pour me supplier de vous faire sortir!

* Cottereau, Furretières. **Furretières, Cottereau. •** Furretières, Cottereau.

116 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

COTTEREAU.

Moi?...

FDRRETIÈRES.

Oui, vous! Vous qui dites que j'ai troublé le jeu, mais vous avez fait scandale, vous, avec votre parapluie!...

COTTEREAU.

Comment! avec mon parapluie?..

FURRETIÉRES, ?e levant.

Eh! sans doute! mais aussi il n'y a que vous pour avoir des idées pareilles. A chaque coup que vous jouez, vous ouvrez votre parapluie !

COTTEREAU, se levant aussi.

Permettez... permettez, j'ai lu dans le Figaro...

FURRETIÉRES.

Et qu'est-ce que cela, fait le Figaro!

COTTEREAU.

Cela fait beaucoup. J'ai lu, dis-jc, qu'un certain monsieur avait cette manie, et qu'elle lui réussissait fort. A chaque coup qu'il faisait, il ouvrait son parapluie, et chaque fois il gagnait. i ai voulu tenter de l'expérience et j'étais dans mon droit.

FURRETIÉRES. -

La banque n'est pas de votre avis.

COTTEREAU.

La banque a tort! C'est une idée de joueur et l'on doit la respecter. Il y a des gens qui ont bien d'autres manies. Et tenez, un exemple! Je me rappelle un certain particulip.r que j'ai connu autrefois à Ems, et qui était le neveu d'un premier président à la Cour de cassation... Tiens! à propos, vous savez qu'elle vient de rejeter mon pourvoi?

FURRETIÉRES.

Qui cela?

COTTEREAU.

La Cour de cassation. J'ai perdu complètement mon procès!

FURRETIÉRES.

Quel procès?

COTTEREAU.

Celui contre le domaine.

FURRETIÉRES.

Et cela vous coûte cher, hein?

COTTEREAU.

Mais oui, assez... et cela me contrarie fort, bien que je

ACTE IV. 117

sache me résigner et que je ne sois pas comme ce brave géné- ral de Noiziel, celui qui m'a donné mon chien ; je ne sais même pas ce qu'il a, il faudra que je fasse venir le vétéri- naire. . .

FIRRF.TIERES.

Pour qui?

COTTEREAt.

Eh bien, pour Pascaro.

FURRETIÉRES, à pan.

Il n'a pas du tout de suite dans les idées.

COTTEREAU, cherchant.

Qu'est-ce que nous disions donc? '

FCRRETIÈRES.

Eh! VOUS parliez de votre chien.

COTTEREAU.*

Ah! oui. Efi bien, le vicomte d'Assignv veut me l'acheter. Tiens, à propos? la duchesse de Yillemare est partie d'hier soir, et ça doit même chagriner beaucoup le vicomte, car, entre nous, je crois pouvoir affirmer sans calomnie que...

FtRRETIÉRES.

Comment! vous en êtes encore là, vous? Mais c'est de l'his- toire ancienne... La duchesse est partie parce qiie le vicomte est amoureux de madame de Noyan, et amoureux fou encore I Je le sais bien, moi, je ne perds pas un de leurs gestes, ni une de Jeurs paroles depuis quinze jours. 11 la suit partout, il ne la quitte pas.

COTTEREAU."

Vraiment?

KURRETIÉRES.

Oh! il y a bien autre chose encore.

COTTEREAU.

Quoi donc?

FURRETIÉRES.

Figurez-vous que ce matin, au point du jour, et comme je revenais à cheval d'Ebersteinchloss j'avais soupe, je suivais l'avenue de Lichtenthal, lorsqu'en passant devant le chalet de la comtesse... je remarque...

COTTEREAU.

Que la seconde fenêtre du rez-de-chaussée est de travers?

* Cottereau, Furrclières. ** Furretières, Coitereau.

11» LES FAUSSES BONNES FEMMES.

F V R RE T I ËRE s ^ impatienté.

Eh! qu'est'ce qui vous parle de ça? qu'est-ce qu© cela fait?

COtTEREAU.

Cela fait beaucoup! C'est une bévue du même genre qui a causé la guerre du Palatinat.

FURRETIÉRES, rageant.

Oh!

COTTEREAU, continuant.

Et [dire que ce pays ravagé, cet incendie allumé, c'est la faute d'un architecte!... J'en causais dernièrement avec un musicien...

FUBRETIÊRES*

Ah çà, voulez-vous , oui ou non, que je vous raconte mon histoire?

COTTEREAU.

Quelle histoire?

FURRETIÈRES,

Celle relative au vicomte et h la comtesse de Noyan...

COTTEREAU.

Il y a donc réellement quelque chose?

FURRETIÈRES.

Je le crois bien! Figurez-vous, vous disais-je, que ce matins au point du jour, et comme je revenais à cheval d'iibersfeins- chloss j'avais soupe, je suivais l'avenue de Lichtenlhal, lors- qu'en passant devant le chalet de la comtesse, j'apefçois...

SCÈNE II Les mêmes, CAROLINE, CAMILLE, et MATHILDE.

COTTEREAU.

Ah ' voici ces dames.

FURRETIÈRES, à part.

Allons, bon!

CAROUXE, regardant Jans le -alon.

Oh . comme il y a du monde, déjà au bal.

CAMILLE.

Sfadame de Noyan?

F tURETIÉIlLS.

Elle n'est pas venue.

ACTE IV. lis

CAROLINE, hypocrilemcnl .

Le vicomte d'Assigny non plus?

CAMILLE, avec an mécbnnt soorire.

Naturellement.

F€RRETIÈRES.*

Mais,., ils viendront, soyez-en certaines... ils arriveront même probablement ensemble.

CAMILLE.

Pourquoi donc dites-vous cela t

FURRETIÈRES.

Mon Dieu... parce que...

CAMILLE, bas.

Vous savez quelque chose de nouveau ?

FCRRETIÈRES.

Non... je vous assure.

MATHILDE.

Qu'est-ce que c'est?

CAMILLE, à Furrelières.

Voyons racontez -nous cela !

FCRRETIÈRES.

Eh bien! figurez-vous que ce matin, au point du jour et comme je revenais à cheval d'Ebersteinchloss j'avais soupe, je suivais l'avenue de Liclitental , lorsqu'on passant devant le (.'lialet de la comtesse, je remarquai...

CAMILLE, très-TiTenwnt.

Quoi?

FURRETIÉRES.

Un homme qui ouvrait la petite porte du jardin.

CAROLINE.

l'as possible!... quelle horreur!

CAMILLE.

lit qui élait-co ?

y\ \TH IL DE.

Avez-vous pu voir?

FtRRETIÉRES. ( lui... t "était... le vicomte d'Assigny !.. (Aog«stine entre en scène.) CAROLINE.

C'est abominable !

* Mathilde, Farretiëres, Camille, Caroline, Cottereaa.

120 LES FAUSSES BONiNES FEMMES.

SCÈNE m

Les Mêmes, AlJGUSTIiNE.

CABOLINE. Elle ira loin, cette petite... (Auguslinc »'esl approchée sans clro vuo et écoute.)

CAROLINE; conliiinant.

Savez-vous qu'elle a déployé dans toute cette intrigue une expérience infernale.

CAMILLE.

J'en suis honteuse pour elle !

CAROLINE.

Au reste, elle a été puissamment aidée, sans doute, par ma- demoiselle Permont, et je comprends maintenant le rôle que cette femme joue auprès d'elle !

AUGCSTIfiE, s'avançant.

Qu'est-ce que vous dites donc. Madame ?

CAROLINE, surprise.

Mais... je...

; AUGUSTINE, avec colère et bas.*

Oh! je vous ai bien entendue, et je vous dirai, Madame,

au'au lieu de parler toujours sur les autres, vous feriez mieux e faire attention à ce que l'on dit sur vous-même.

CAROLINE.

Qu'est-ce à dire, Madame !

AUGUSTINE.

C'est à dire. Madame, que vos airs doucereux, que vos ma- nières de victime n'en imposent à personne, et que tout le monde sait bien que si votre mari vous a délaissée, je suis polie, c'est qu'il avait d'excellents motifs pour cela.

CAROLINE, furieuse.

Vous êtes une calomniatrice !

AUGUSTINE.

Bah!... Et votre correspondance avec l'élève de l'École d'État-Major; et vos assiduités à l'Opéra cluKjue fois que chan- tait certain petit ténor?

'Camille, Fiureiièrcs, Maihildc, Caroline, (iottereau, Aiigustine.

ACTE IV. 121

CAROLINE, furieuj*.

Madame, je suis trop bien élevée pour vous répondre. («île»

se regarU'Dl louics iteux itec de» yt-nx natulKiyjiii.«, imis elles se loiiriii'iil l>nij— queirrnt le <int. Augu>line aperçoit Bl nilie qai cuire et Ta vers elle. Caroline lirriid giacieus«incQl le bras que lui offre Cottereaa -t rcolre au bal avec !ui )

CAMILLE, à Malbildo.

11 faudrait prévenir madame Maugrin, sa fille ne doit plus parler à cette femme.

MATHILDE.

Vous avez raison... Ce serait vouloir servir le vice que de ne pas dévoiler la vérité!

CAMILLE.

G'etitbieu mon opinion...

FURRETIÉRES. C'est la mienne aussi... (Madame Maugrm parait atec Bt-rlbc, It» dames se salaenl.)

MATHILDE, à madame Mangriu.

Chère madame, il faut que je vous parle...

MADAME MAUGRI.N.

Je suis à vous, je vais vous rejoindre dans deux minutes; va, ma fille, moi je me charge de retrouver ton mari.

SCÈNE IV M°" MALGRIN, PASCAL.

(Pa cai «M ut du fuud, il se dirign vers la dioitc el se diiimic à eotn r au bal, ma'iaire ilDugrin, en g-anJc toiKltc, le front liaut et mcnaçini, h; diesse (ur le s^ui'.)

PASCAL, à part. Allons bon!... ma belle-mère, (ll rcir.oi.ter, madame Mangiin lui barre la porte du fuiiil, il rcdescead.) Elle CSt doUC partout!...

i! A DAME MALCRI>.

Je vous guettais, monsieur.

PASCAL.*

Parbleu I... vous n'avez pas besoin de le dire!

MADAME MAL'GRÏN.

Monsieur mon gendre!... une explication entre nous est devemie nécessaire.

* Pascal, Mme Maugrin.

iSâ LES FAUSSES BONNES FEMMES.

PASCAL. Je ne trouve pas. (ll *eiit remomer,) MAt)AMB MAUGRINj Pascal s assied, clic continue afcc des larmes dans les yeux.

Que vous a-t-elle fait, monsieur?

PASCAL, éionné.

Qui donc?

MADAME MAUGRIN, de même.

Est-ce là, monsieur, ce que vous lui aviez juré?

PASCAL.

Ail ça! belle maman, à qui en avez-vous?

MADAME MAUGRIN.

A qui j'en ai?... à vous, monsieur, n'aveii-vous pas honte de délaisser une petite femme jeune ei jolie comme est la vôtre, pour aller... courir la prétentaine.

PASCAL.

La prétentaine, madame Maugrin!...

MADAME MAÙGRÎN.

Oui, monsieur, la prétentaine, et je vous le dis, votre con- duite est indécente !

PASCAL.

Ah!...

MADAME MAUGRIN.*

Monsieur, je vous défends de sortir!

PASCAL.

Je la trouve forte !

MADAME MAUGRIN.

Croyez-vous donc que je n'aie pas remarqué vos assiduités ridicules auprès de cette petite coquette qui se nomme Blanche de Ps'oyan ?

PASCAL.

Ah! vous perdez la tête!.... je suis avec madame de Noyau comme tous les autres.

MADAME MAUGRIN.

Comme tous les autres, oui, c'est cela!... car, en effet, elle donne des espérances à tout le monde... en supposant qu'elle ne donne que cela!...

PASCAL.

Ah! madame Maugrin!... vous en arrivez aux propos légers? * Mme Maugrin, Pascal.

ACTE IV. 139

ilADA ME MAUGRIS.

Oh! ces hommes, du moment une femme ef»t bien en^ tourée, bien affichée, vite, ils vont s'enchaîner à son char... Tenez, voulez-vous que je vous le dise? Eh bien ! vous n'êtes qu'un mouton de Panurge.

PASCAL.

Madame Maugrin, vous devenez rabelaisienne.

MADAME MAUGRIN.

Je détiens ce que je veux, monsieur.

PASCAL, entre ses dénis.

Deyenez douce, alors.

MADAME MAUGRIN.

Très bien!... après avoir abandonné la fille, toilà qu'il outrage la mère.

^ PASCAL.*

Eli ! vous feriez damner un saint.

mAdaMe Maugri^. Eh bien ! tovotis, monsieur, répondez? Depuis quinze jours, depuis ce fameux souper au vieux château, ne vous êtes-vous pas plongé dans les plaisirs jusqu'au cou? pascal. Il ne tenait qii'à Berthe de s'y plonger comme moi; mais vous mettez toujours des bàtonsdans les roues ; quand nous sommes au bal, vous emmenez Berthe à une heure du matin.

MADAME MAUGRIN.

Eh ! monsieur, croyez-vous qu'à mon âge on puisse passer ainsi une nuit tout entière?

PASCAL.

Dans ce cas là, belle-maman, on quitte le bal discrètement et l'on rentre chez soi...

MADAME MAUGRIN.

Toute seule, n'est-ce pas, monsieur? au risque de me trouver indisposée peut-être, sans quelqu'un pour me secourir?

PASCAL.

Bon! ... Eh bien! vous emmenez votre fille et...

MADAME MAUGRIN.

Et vous, vous restez...

PASCAL.

Ccrlaiacment que je reste... que voulez-vous que j'aillefaire " Pascal, Mme Maugrin.

124 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

au logis, puisque, en rentrant, votre fille va chez vous et y reste à jacasser jusqu'au jour...

MADAME ÎÎAUr.RlN.

A mon âge, monsieur, on ne dort pas comme au vôtre .. et pendant mes insomuies, croyez-vous qu'il soit bien agréable d'être toute seule?...

I'ASCaL, à liai'.

. Je la trouve forte!... (ii.u .) Mais enfin, quand je veux l'em- mener à cheval le matin avec moi, elle n'ose pas y venir.

MADAME MAUGRIN.

Eh ! monsieur, parce que la pauvre enfant sait que ce serait une grande douleur pour moi si je ne trouvais pas son gracieux sourire à mon réveil.

PASCAL, rageaiil.

Oh!... oh! Mais dans le jour, quand il est question d'une excursion aux environs?

MADAME MAUGRIIS,

Monsieur, vous savez bieil que la voiture me fatigue.

PASCAL, criant

C'est heureu.xl...

MADAME MAUGRIN *

Il est inutile de crier ainsi, monsieur, avez-vous l'intention de faire savoir à tout le monde que vous maltraitez la mère de votre femme?

PASCAL, il p;irl.

C'est à se manger les poings!...

MADAME MAUGRIN.

Si VOUS croyez que cela vous donnera une bonne réputa- tion! Allez, monsieur, cela ne porte pas bonheur de manquer de respect à la vieillesse.

PASCAL , à |':iil.

La voilà qui prêche à présent !

MADAME MAUGRIN.

Vous aurez des enfants un jour...

PASCAL, cclalJiil.

Ma foi ! ce ne sera pas votre faute.

MADAME MAL'GRIN.

Que voulez-vous dire, monsieur?... * Mme Maugiiii, Pascal.

ACTE IV. 125

PASCAL.

Je veux dire que si vous n'avez, plus vos jambes de quinze ans, ma femme et moi nous avons encore les nôtres... 4e vous déclare donc que si vous emmenez Bertlie d'un bal, à une heure du matin, pour lui raconter Peau d'Ane ou k Chat Botté, moi je continuerai à danser jusquà m'en faire craquer la rate... (eiic reruic. *) que si vous l'empêchez de venir souper avec moi, j'irai souper tout seul et me griserai à rouler sous la table... que si vous voulez m'empècher de causer avec ma femme , je continuerai à perdre par jour mille neuf cent trente-six francs, et que si vous m'empêchez de l'embrasser, j'en irai embrasser d'autres, !.. . Mais pas vous ! pas vous ! non! non! oh! grand Dieu non!...

MADAME MALGIl.I>.

Tenez, monsieur, vous finirez mal ! (eiu «''assied.)

PASCAL.

Oui, sur l'échafaud, c'est entendu...

MADAME MALGR».

J'en ferai une maladie, vous m'aurez tuée!... vous êtes un meurtrier! .. (s« i-Taui, tiangpani a.- ton.) Et dire que c'est pour cette madame de Noyan que vous me traitez ainsi!...

PASCAL.

Madame de Noyan?... Qu'est-ce que madame de Noyau a à faire dans tout cela?...

MADAME MAUGRIN.

C'est parce que j'ai osé toucher à la vertu de celte dame... Monsieur, vous n'êtes pas adroit, vous devriez mieux cacher votre folle passion...

PASCAL.

Encore une fois!...

MADAME MAUGBIX.

Cette femme qui vient troubler le ménage de ma lille...

PASCAL.

Mille cartouches!... il n'est pas question...

MADAME MAt'GRIN.

Celte péronnelle!...

PASCAL.

Madame Maiigrin , in.nlamc de Noviiu e.-l une hunnèle femme, et je .ne souffrirai pas que dans un moment de folie...

* Pascal, Mme Maugriii.

180 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

MADAME MAUGRIN,

C'est cela, insultez-moi, insultez ma fille, monsieur... pour faire respecter une femme qui ne se respecte pas elle-mêmen. pour défendre une coquette, une évaporée!...

PASCAL.

Belle-maman!...

MADAME MAUGRIN, remontant.

Oh ! mais je lui dirai quelque jour son fait à cette dame...

PASCAL.

Vous ne ferez pas cela, j'espère^..

MADAME MAUGRIN*

Et qui m'en empêchera?... Vous, monsieur?... Ah! vous vous rangez décidément du côté de cette dame, à ce qu'il paraît!... Eh bien! il suffit... Vous choisirez entre votre femme et...

P/ SCAL.

Vous allez dire une nouvelle sottise, madame Maugrin, et je ne veux pas l'entendre... Adieu!...*

MADAME MAUGRIN.

Monsieur!...

PASCAL.

Allez au diable!... (n soit.)

MADAME MAUGRIN, seule.

11 l'a dit!... Ah! le scélérat!... Mais ça ne se passera pas ainsi!... (eiic son en ciiam.) Mon gendre! mon gendre!

PASCAL, deliori, criant.

Encore! ah! je la trouve trop forte !...

SCÈNE V AUGUSTJNE, BLANCHE.

AUGU?TI.\E.

Quoi ! vous n'avez pas voulu accepter le bras du vicomte pour entrer au bal?...

BLANCHE, riant.

Je n'ai que faire du vicomte, maintenant que la duchesse est partie... Ne vous souvenez-vous donc plus de nos conven- tions et de ce que disait Herminie ? nous voulions l'enlever à la duchesse, mais non pas l'attacher à nous.

* Mme Maugriu, Pascal .

ACTE IV. 127

AUGUSTINE.

Mais il vous aime, lui, je le sais!

BLA>CHE.

Augustine!,..

AUGDSTINE.

Dame ! je vous dis ce qui est, et je vous répéterai encore ce que je vous ai dit bien souvent... c'est que le vicomte fe- rait un mari charmant!...

BLANCHE.

Ne songez-vous pas à Georges?...

AUGUSTIÎIE.

Eh! mon Dieu! monsieur Rhétel! monsieiw Rhéteil...

BLANCHE.

Assez, je vous en prie , vous savez bien que vous rtie faites de la peine toutes les fois que vous me parlez ainsi!...

AUGUSTIÎSE.

Vous en ferez ce que vous voudrez, mais voyez -vous, chère belle, quelque chose me dit que vous épouserez le vicomte... Au reste, il vous aime tant qu'il est homme à ne reculer devant rien pour conquérir votre amour.

BLASCHE.

Assez sur ce sujet ! . . . Entrons au bal !.. .

LE VICOMTE, arrëlant Blanche qni va torUr. *

Pardon, madame, mais ne serez-vous pas assez bonne pour m'accorder cinq minutes d'entretien ?

BLANCHE, arec enibarras.

Excusez-moi, monsieur, mais ces dames m'attendent. d'assigmy.

En dansant;., elles prendront patience. Et mademoiselle Permont voudra bien vous permettre de m'accorder cette fa- veur, j'en suis sûr.

AUGCSTINE.

Certaineuiiiit... je vous laisse...

BLANCHE.

Mais...

AUGLST1>E.

X tout à l'heure, chère enfant. (Elle wn.) * Augustine, Blanche, d'Assigny.

128 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

SCÈNE VI

Blanche, d'assigny.

D'ASSIGNV, «'iiicjiiant. EHo s'assip.!. *

Madame la comtesse, connaissez-vous l'histoire de la du- cliesse de Langeais?...

BLANCHE.

Oui, monsieur.

d'assigny. Vous vous souvenez alors d'une certaine scène chez mon- sieur Armand de Montriveau?...

BLANCHK.

Non, monsieur.

d'assigny.

Je vais aider vos souvenirs... La duchesse de Langeais, par ^'ageure, par désœuvrement, je ne sais plus au juste, avait juré que monsieur de Montriveau deviendrait son esclave et ne serait jamais son maître. Un jour, l'esclave se révolta, et fit enlever la duchesse par des hommes masqués, la fit ap- porter chez lui, dans sa ciiambre de garçon...

BLANCHE, riant.

Ah ! oui, avec l'intention délicate de marquer la duchesse au front avec une croix de Lorraine rougie au feu... N'est-ce pas cela?...

d'assigny.

Oui, madame.

BLANCHE.

Je me souviens parfaitement à présent.

d'assigny. Et vous souvenez-vous aussi, madame la comtesse, des pa- roles de monsieur Montriveau à la duchess(! de Langeais?

BLANCHE.

Je vous avoue que je ne les ai pas retenues. d'assigny.

Eh bien! moi, je l/'x ai i-ypriscs... les voici : « Le droit de » loute femme est de se refuser à un iiiiiour qu'elle sent ne » pouvoir partager... mais attirer un homme à soi en feignant » le sentiment... lui faire comprendre le bonheur pour le lui » ravir, c'est plus qu'une faute, c'est un crime. » **

* Blanche, d'Assign y. ** D'Assigny, Blanche.

ACTK IV. 129

BLANCHE.

La mémoire me revieni. •décidément, et vous altérez horri- blement le texte, monsieur le vicomte... Et puis, il y a un passage que vous oubliez : « Un jour vous avez appelé » l'amour... 11 est venu à vous pur et candide... » (ÉcUiaDt de rire.) Allous, franchement, il n'y a pas de rapport entre vous et le général Armand de MontriVeau. d'assigny.

Pardon, madame, il y en a deux... Une volonté ferme et un violent amour!...

BLANCHE j Dn peu tronb'ée.

Eh bien ! supposons que nous sommes au bal, chez la com- tesse de Serizy, et faites-moi enlever!... Voyons! monsieur, sont vos hommes masqués?... est votre'fer rougi?...

d'assignt. Mon intention, madame, n'est pas de mettre sur votre front une croix de Lorraine... mais tout simplement une couronne de vicomtesse...

BLANCHE.

Plaît-il?...

d'aSSIGNY, sWlinaot.

J'aî l'honneur de vous demander la main de madame la comtesse de Noyan.

BLANCHE, raillant et se lerant.

J'aime mieux la croix de... Lorraine.

d'assigny. * Je vous ferai observer humblement, madame, que vous n'avez pas le choix.

BLANCHE.

Raillez- vous, monsieur ?. . .

d'assigny. Pas le moins du monde.

BLANCHE. '

Monsieur le vicomte, je ne puis en entendre d'avantage... Permettez-moi de me retirer...

d' A s s I GN y, froidement.

Je ne le permets pas, madame...

BLANCHE, 3Tec colère.

Monsieur!...

* Blanche, d'Assigoy.

130 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

d'assigny. J'avais tout deviné... Je savais que vous vouliez vous venger de la ducliesse de Villemare.

BLANCHE.

Je ne sais ce que vous voulez dire, monsieur.,. d'assigny.

Pardon! vous le savez bien... mademoiselle Permont, m'a tout dit... Pour en arriver à votre but, une désertion était né- cessaire, la mienne... En général babile, vous n'avez pas épar- gné les promesses, et j'ai déserté avec armes et bagages... A cette heure, la bataille est gagnée... l'ennemi est en fuite... et je viens vous demander le prix de ma trahison.

BLANCHE, Iroublée.

Voyons, monsieur d'Assigny, c'est une plaisanterie ?... Vous voulez me punir sans doute de ce petit mouvement d'orgueil qui m'a poussée, je l'avoue, à lutter un instant de coquetterie avec la duchesse; mais vous n'avez pas pris cela au sérieux, je pense...

d'assigny.

Pardonnez-moi, madame, et la preuve, c'est que maintenant je n'aime plus madame de Villemare, et que je vous aime...

BLANCHE, tiès-tronblée.

Monsieur, je ne vous crois pas...' Vous ne m'aimez pas... vous ne pouvez m'ai mer... Encore une fois, je ne vous crois pas...

d'assigny.'^

Tout le monde ici n'est pas aussi incrédule que vous, ma- dame. . Oh! n'en doutez pas, on sait que je vous aime, et... pardon !... je vous le dis bien bas, on va jusqu'à croire que. .. vous m'aimez...

BLANCHE.

Mais cela n'est pas, monsieur, cela n'est pas... D'ailleurs, vous savez bien que je ne m'appartiens plus... que nm main est promise à un autre...

d'assigny.

Mais je sais aussi que vous pouvea reprendre votre parole.

BLANCHE.

Reprendre ma parole ?.. . mais, monsieur, j'aime monsieur Georges Rhétel...

* D'Assigny, Blanche.

ACTE IV. 131

Eh bien!... si monsieur Georges Rhétel renonçait de lui- même à rhonneur de vous nommer sa femme?...

PLA^CqE.

Et pourquoi y renoncerait-il?... je ne vous comprends pas?... Qu'ai-je donc fait?... de quoi donc suis-je coupable?... Mais, monsieur, vous savez bien que je ne vous ai jamais dit que je vous aimais... (eiie s'assied.)

d'assigny.

Oui, madame, je le sais ; mais je sais aussi que vous m'avez laissé croire que vous pourriez m'aimer un jour... Je sais que je ne pouvais plus supporter la pensée de vous voir appartenir à un autre... que cette pensée m'avait rendu fou, et qu'hier soir, dans ma folie... j'ai couru à Lichtentlial, sans savoir ce que je faisais... Lue lumière brillait au fond du jardin... vous étiez seule !... je n'avais qu'une porte à ouvrir pour aller me jeter à vos pieds... un instant, j'ai hésité à me servir de la clé qu'on m'avait livrée... mais mon amour a été plus fort que ma raison,' et je suis entré...

BLANCHE.

Oh! c'est impossible... vous n'êtes pas entré chez moi?...

d'aSSIOY, se levaDi.

J'ai passé la nuit tout entière dans votre jardin.

BLANCHE.

Mon Dieu !

d'assigny.

Et par malheur, au point du jour, au moment je sor- tais, un cavalier passait sur la route; c'était monsieur de Fur- retières... J'ai voulu me cacher, mais...

BLANCHE.

Dites donc, monsieur, que vous avez calculé pour sortir le moment l'on pouvait vous apercevoir... r»|p' v..ii^ m'avez perdue, c'est horrible...

d'assigny, froidement.

Pardon, madame, la duchesse est partie hier... Or, je savais gue vous me fermeriez votre iK)rte, ce soir; donc j'ai pren- dre mes précautions pour me la faire ou\Tir demain.

BLANCHE, égarée.*

Oh! mon Dieu!... mon Dieu!...

d'assigny. Vous voyez bien, madame, que vous n'avez plus le chouc

* Blanche, d'Assigny.

132 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

entre la croix de Lorraine et la couronne de vicomtesse... Au

revoir... (n salue et son.)

SCÈNE VII

BLANCHE seule.

Oh! mais!,., pour avoir pu entrer la nuit chez moi, cet homme était d'accord avec quelqu'un de ma maison?... Qui donc me trahit?... (se levant.) Oh! mais^ j'y songe!... ce que me dit Augustine depuis quinze jours... les paroles qu'elle a laissé échapper tout à l'heure... ce que le vicomte m'a dit lui- même, plus de doute, elle était de complicité avec lui.

SCÈNE VIII BLANCHE, AUGUSTINE.

AUGUSTINE, entrant.*

Tiens! vous êtes seule ici? (li regardant.) Ah! mon Dieu!...

qu'aveZ-VOUS donc ? (eIIc lui pren l U main.) BLANCHE, la retirant.

Ce que j'ai ?. . Oh ! je comprends, maintenant, pourquoi VOUS me vantiez tant monsieur le vicomte d'Assigny!... Vous vouliez que je devinsse sa femme, n'est-ce pas?... Et comme je rejetais cet amour, vous vous êtes entendus tous deux pour me forcer à l'accepter.

AUGUSTINE.

Blanche, écoutez-moi !.i.

BLANCHE.

Monsieur le vicomte d'Assigny s'est introduit, cette nuit, chez moi.

AUGUSTINE.

Est-il possible?

BLANCHE.

Eh! vous le savez bien!...

AUGUSTINE.

Mais, je vous jure...

BLANCHE.

Allons donc!... je ne vous crois pas!.,. Adieu, madame... Je désire être seule à l'avenir.

* Blanche, Augustine.

ACTE IV. 133

ACGUSTINE.

Blanche! mon enfant^ écoutez-moi!...

BLAKCHE.

Je n'ai plus rien à entendre.

AUGUSTINE.

Il suffit... et je n'essayerai pas de repousser des allégations aussi outrageantes .. Je ne vous imposerai pas mon dévoue- ment... Je me retire, madame, je m'en vais... vous ne me

reverrez plus... (Elle attend TaiuemeDl qoe Blaocbe la relieone. A pari.) Oh ! cette femme n"a pas de cœur. (Elle son par le fond, et ren- contre Ceorgej.)

GEORGES, en dehors.

Pardon, madame... Madame de Tremblay est-elle arrivée?

AUGDSTI>E.

Non, monsieur, pas encore...

GEORGES.

Et monsieur le vicomte d'Assigny?...

Al'CUSTINE, avec uulice.

Oh ! il ne doit pas être loin, monsieur, car voici madame de Noyan.

GEORGES.

Madame de Noyan ! . . .

SCÈNE IX

BLANCHE, GEORGES. (BiancUe est assise, la lête dans se» mains. Georges est entre, va à elle et la reconnaît.^

GEORGES.

Blanche !

BLANCHE, avec dd cri d'elTroi.

Georges !

GEORGES.

Qu'avez-vous?

BLANCHE.

Le plaisir... la surprise... (Aran.) Mon Dieu! s'il apprend... s'il voit le vicomte... c'est sa mort {»eut-être!...

GEORGES. *

Vous ne m'attendiez pas?...

BLANCHE.

C'est vrai...

134 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

GEORGES.

Mais, au moins, m'espérioz-vous ?

HI.ANCUE , allant h Uv.

Oh!

GEORGES.

Blaiiclie! vous avez des larmes dans les yeux?

BLANCHE.

Moi, des larmes !... c'est possible... Vous arrivez seulement?

GEORGES.

Je suis à Bade depuis deux heures.

BLANCHE.

Et... qui avez-YOUs vu depuis votre arrivée?

GEORGKP.

Suzanne... et je vous enjjage même ù vous défier de cetle fille.

BLANCHE.

Ah !... mais, pourquoi donc n'avoir pas annoncé votre re- tour?

GEORGES.

Je ne le voulais pas... c'était un enfantillage assurément... une faute, peut-être...

Une faute!...

BLANCHE.

GEORGES.

Oui... c'est toujours une faute que de surprendre ainsi les gens; il est rare qu'on les trouve justement dans la disposi- tion d'esprit on aurait désiré les voir... (.«ii3i(iue.)

BLANCHE.. **■

Expliquez-vous mieux.

GEORGES.*

Ce sont des folies... mais, vous savez... quand on est... bien loin, la pensée vole vers ceux qui vous attendent, on se les figure dans tel ou tel milieu, et quand on apprend (jue l'on s'est trompé, c'est une déception... Aussi, je vous avoue que j'ai eu le cœur serré en lisant votre première lettre qui me disait que vous étiez à Paris.

BLANCHE, se levant.

J'avais voulu y aller avec Herminie pour... * Georges, Blanche.

ACTE IV. 135

(iEORGES.

Soit. Mais enlin, eu arrivant à Paris, et en apprenant que vous n'y étiez plu<, j'ai eu encore un moment d'espoir; je pen- sais que vous seriez allé peut-être à Noyan ou auprès de ma mère, mais je sus bientôt que vous étiez à Bade; alors je me remis en route, mais, cotte fois, j'avais moins hàle d'arriver.

BLANCHE.*

C'était mal.

GEORGES.

C'était un pressentiment.

BLANCHE.

Un pressentiment!

GEORGES.

Quel est donc ce monsieur d'Assigny?

BLANCRE.

Pourquoi me demandez-vous cela?

GEORCF.S.

Parce que, lorsqu'à mon arrivée je me suis présenté au cha- let Licliienthal, Suzanne m'a dit que vous étiez sortie avec le vicomte d'Assigny. . .

BLANCHE.

Et d'autres personnes...

GEORGES.

Suzanne ne m'a pas dit cela... Quand je me suis présenté de nouveau, vous n'étiez pas de retour, mais j'ai appris que monsieur d'Assigny devait vous prendre pour vous conduire au bal. Encore et toujours monsieur d'Assigny!... Jasque dans ces salons, les premières personnes auxquelles je parle de madame de Noyan me répondent d'Assigny... Quelle place cet homme occupe-t-il donc dans votre existence?

BLANCHE.

Vous êtes un affreux jaloux...

GEORGES.

Ne riez pas, madame, je souffre, je vous le jure. J'ai placé ma vie tout entière sur votre amour... s'il me fallait en dou- ter, voyez- vous, je crois que j'en mourrais, (a Ban ih>, qui lerc les yetix%iir lui.) Ah! VOUS uc ricz plus! Il y a même trouble dans voire regard, (e u s'a-K-oii rur lo caiui«.) Tenez! vous pâlis- sez! .. (b jiK bu <e (Iclouruc iiivolonUirpmciil.] BLANCHE."

Oh!...

* Blanche, Georges. *♦ Gcori;e?, Blanclie.

136 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

GEORGES, assis pros (l''ello.

Blanche, mon amour, répondez-moi ! Que s'est-il passé pendant ces six mois de séparation?... Je sens qu'il est arrivé quelque chose, voyons!... L'ahsence aurait-elle- donc été si fatale au pauvre exilé?

BLANCHE.

Georges!...

GEORGES.

Ce ne serait pas un crime. Blanche, cela se voit tous les jours... on aimait la veille, et le lendemain venu...

BLANCHE.

Vous me faites mal, Georges!

GEORGES.

Pardon, pardon, ma bien-aimée... mais que voulez- vous? Je vous le répète, nous autres marins, nous croyons aux pres- sentiments, et quand je vous ai rencontrée tout à l'heure... Mais non ! non ! j'étais fou... vous m'aimez encore, vous n'avez pas cessé de m'aimer...

BLANCHE.

Oh! non... non... mon ami, jamais!

GEORGES.

Mais alors, pourquoi donc pleurez-vous? Cest de bonheur, n'est-ce pas? Oui, et je suis injuste, mais c'est que je vous en veux. Pourquoi avoir voulu affronter sans moi les dangers de Paris et ceux de celte ville de plaisirs?... pourquoi avoir quitté la paisible retraite votre honneur et le mien étaient si bien gardés? Oh! encore une fois, Blanche, pourquoi pleurez-vous?

(il re lèv«.)

BLANCHE.

Ce sont vos reproches, Georges, qui me font pleurer, mais il en est temps encore, et l'imprudence que j'ai commise, je puis la réparer. Cette retraite dont vous parlez, nous allons la revoir; votre mère nous attend, nous allons partir, nous irons auprès de madame Rhétel... et je ne la quitterai plus jamais. Je veux toujours rester entre votre mère et vous, Georges... Venez, venez, partons! (eUc remonte.)

GKORGES. .

Nous attendrons le jour, Blanche.

BLANCHE.

JNon, non, partons cette nuit, je vous en prie.

GEORGES.

Ah çà, mais, vous avez donc quelque chose à redouter ici?... Voyons! qui craignez-vous? qui donc a le pouvoir de vous

ACTE IV. 1S7

InmbU'r ainsi? car vous tremblez, car vous pleurez toujours, nianchc, et ces larmes ne sont pas pour moi; elles coulaient ck'jà quand je suis arrivé.

BLAÎiCHE, »e j>Unt .lans les b.ii.

Georges, je vous en prie, emmenez-moi!

GEORGES.

Blanche, nous partirons quand j'aurai vu le vicomte d'Assi- gny. (!i|.i4c.)*

BI.AISCHB.

Le vicomte? à quoi bon? pourquoi le voir?

GEORGES.

Vous redoutez que je le voie ! mais que pourrait-il donc me dire?

BLANCHE.

Rien, rien; mais encore une fois, partons! partons!...

GEORGES, héiiunl.

Blanche!... oh! cette incertitude me tue!... Il faut que je voie cet homme! (ii Mon.)

PASCAL, entrant.

Cette madame Maugrin me fera mourir à petit feu! SCÈNE X BLANCHE, PASCAL.

BLANCHE, voyant PaMal.

Monsieur Villiers!...

PASCAL.

Oh! mon Dieu! Chère enfant?...

BLA>CHE.

Je suis perdue!... monsieur Rhétel est ici!...

PASCAL.

Eh bien?

BLANCHE. .

Eh bien! je vous dis que je suis perdue... Georges cherche monsieur d'Assigny.

PASCAL, dans le saloc de bal.

Le vicomlo?... il vient d'entrer dans les salons de jeu, ainsi il ne le trouvera pas... et puis, d'ailleurs, que vous im- j»orle?...

* BLinchc, Georges.

8.

138 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

BLÂ74CHE.

Ail! oui... vous ignorez... Georges a des soupçons, il a vu mes larmes, il me croit coupable... mais je ne le suis pas, je vous le jure 1...

PASCAL.

Voyons, remettez-vous.

BLANCHE.

Le vicomte a juré ma perte. 11 est venu chez moi, cette nuit... je ne le savais pas... ah ! sur ma vie, je ne le savais pas!... mais on Ta vu, et à cette heure, peut-être, on parle de moi dans les salons, n'est-ce pas?... Que dit-on?... Si Georges allait entendre... Ah ! mon Dieu ! je crois que je deviens foUel

(Elle tombe atsise. Augustioe entre.)

PASCAL.

Mais je ne vous comprends pas... De quoi peut-on vous accuser?...

BLANCHE.

D'être la maîtresse du vicomte d'Assigny !

PASCAL.

Vous? allons donc ! on en a menti !

BLANCHE, se levant.

Oh ! merci ! vous êtes bon ! vous me croyez !

PASCAL.

Pardieu! certainement que je vous crois !

BLANCHE.

Mais ces bruits qui circulent peut-être... ces bruits qui peu- vent arriver aux oreilles de Georges...

PASCAL.

Nous les ferons taire, je vous le promets!... Venez avec moi!

BLANCHE.

Oui! vous me défendrez, n'est-ce pas? car, je vous le jure, je suis digne de l'estime de tous.

AUGUSTINE, s'avançant.

Ma chère Blanche, qui pourrait en douter...

BLANCHE.

Encore vous !

AUGUSTINE.

Je venais .. je voulais dire...

PASCAL, à Augustine.

Oh ! vous ! vous ! je vous connais, vous montez aussi la tète

ACTE IV. 139

à ma femme... Vous ne vulez pas mieux que ma belle-mère!

ACGUSTi:SE.

Monsieur !

J'ASCAL.

Venez, chère enfant, (juand une honnête femme est calom- niée, on trouve encore des hommes de cœur pour la défendre, et quand un homme comme moi vous fera publicpiement as- seoir auprès de sa femme, je vous assure que la caloihnie baissera la tête... Madame, faites -moi l'honneur d'accepter mon bras...

BLANCHE.

Merci, monsieur, merci.

AUGUSTINE. Blanche... (Blan'he lu 1 nre un regard de mépris.) Ah! OU me TC-

pousse!... ah! on m'insulte!... Eh bien! je ne suis pas mé- chante! mais je me vengerai!... Comme ce monsieur Villiers prend de l'intérêt à Blanche. . . pourquoi donc ?, . . (ta muskiiic c«f e.)

SCÈNE XI

AUGUSTINE, MADAME MAUGRIN et BERTHE, pais CAMILLE, MATHILDE, CAROLLNE, GEORGES.

MADAME MALGRIN.

Viens, ma ûlle !... Quelle effronterie!... ils ont jeté le masque!... J'avais dit à M. Villiers de choisir entre elle et toi... et il paraît qu'il a choisi, (eiics des enJent.)

BERTHE.

Oh! ce serait abominable!... mais je ne puis croire en-r core...

AUGUSTINE.

Ah! ma pauvre enfant! j'aurais voulu pouvoir vous laisser quelques illusions à cet égard, mais non, après ce qui s'est passé tout à l'heure ici devant mes yeux.

BEKTUE,-! Aagustme.

Qu'est-ce donc? (Elle \i^.)

MADAME MAUGRIN.

N'interroge pas* mademoiselle Permont, cela te ferait trop de mal.

AUGUSTINE.

Chère petite, votre mère à raison... d'ailleurs, j'ai peut-être mal vu, mal entendu.

140 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

MADAME MAUGRIN.

Viens, viens, mon enfant.

BERTHE.

Laissez-moi, ma mère, je veux tout savoir... Je vous en supplie, mademoiselle, parlez !

AUGUSTllNE,

Eh bien ! après tout, il ne sera pas dit qu'un ange de ran- deur sera sacrifiée à une semblable coquette! car ma pré- sence ne l'a pas retenue. Monsieur Villiers lui avait sans doute fait des reproches au sujet du vicomte d'Assigiiy et de l'histoire du balcon, alors madame de Noyau n'a plus rien mé- nagé. Elle lui a fait ïes plus grands serments, et comme monsieur Villiers semblait douter encore , elle a employé les supplications, les larmes...

RERTHE.

Enfln, elle a fini par se traînera ses pieds. . c'est horrible! .. c'est abominable!... (eiic s'asseon.) Ah! maman, j'en mour- rai!

MADAME MAUGRIN.

Non, non, ma lille; mais tu viendras avec moi, nous fuiroiis ce monstre!

MATHILDE.

Eh! mon Dieu, qu'y a-t-il donc? vous paraissez toute bou- leversée.

MADAME MAUGRIN.

Oui, mesdames, et par le fait de cette madame de Noyan.

MATHILDE.

Encore un scandale !

CAROLINE.

Mais c'est affreux ! on n'entend parler que de cette dame partout.

MATHILDE, à Brrtlm, (|ni pleure lonjoiirs.

Mais, enfln, que s'est-il donc passé ? dites vite.

MADAME MAUGRIN, se levant.

11 s'est passé, que monsieur Villiers, mon gendre, enporté par son amour jaloux, a donné un soufflet à cette BlaiiChé, et que, pour lui prouver qu'elle n'aimait que lui, elle lui a pro- posé de fuir avec elle.

BERTHE.

Mais, maman, ce n'est pas ainsi...

MADAME MAUGRIN.

Laisse, laisse, mon enfant, je connais ton mari, ça a dit ^e passer comme ça.

ACTE IV. 141

CAMILLE.

Un enlèvement!...

CAROLINE.

Mais c'est à ne pas rester cinq minutes ici , quand on se respecte !

BERTHE.

Oh! cette femme...

MADAME MADGRIK^ à BeiUi«.*

Viens, partons... ta place n'est plus ici.

BERTHE.

Que je parte?... Oh! non, non, je veux rentrer dans le bal... je veux me trouver en face d'elle... je verrai bien s| elle aura l'effronterie...

MADAME MAUGRI5.

Alors, je vais l'accompagner.

BERTHE.

Non, ma mère, j'irai seule, il le faut... (DoBceiKot.) Je le

veux... (Elle entre dans le bal.)

MADAME MAUGRIN.

Je suis bien tranquillt... l'opinion publique nous aura bientôt vengées de cette femme, car tout le monde commence déjà à l'abandonner... et mademoiselle Permont elle-même.

AIGUSTINE.

Jamais je ne remettrai les pieds chez elle...

MATHILDE.

Quoi?...

CAROLINE.

Vous êtes brouillées?...

AUGUSTIHE.

Vous comprenez bien que je ne puis plus rester près d'une femme sur laquelle tout le monde a les yeux...

MATHILDE.

C'est bien évident!...

AUGUSTINE, à Cirol.De.

Et quand je pense que je lui ai sacrifié mes amitiés les plus chères...

CAROLINE.**

Oui, car c'est à cause d'elle que nous nous disions tout à l'heure encore des choses...

*Aii?ustinc, Mathildc, Mme Maiig^rin, Bertlie, Caroline. ** Augustinc, Caroline, Matliilde, Mme Maugrin, C«aiille.

142 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

AUGUSTINE.

Que nous ne pensions ni l'une ni l'autre...

CAROLINE.

Pas moi, du moins...

AUGUSTINE.

Oh! ni moi, non plus...

CAROLINE.

Oh! j'en suis bien certaine; mais c'est égal, c'est toujours douloureux à entendre...

AIÎGUSTINE.

Bonne Caroline!...

CAROLINE.

Bonne Augustine!... Embrassez-moi, voulez-vous?...

AUGUSTINB.

De grand cœur!...

MADAME MAUGRIN.

Et quand je pense à ce pauvre garçon qui arrive tout juste pour tomber au milieu de ces scandales-là; car vous savez qu'il est ici...

CAMILLE.

Oui... mon mari nous Ta dit...

ACGDSTINE.

Ce pauvre M. Rhétel!.. Ah !... le cœur me saigne rien que d'y songer... En vérité, il faut qu'une femme ait bien peu de cœur pour mener une pareille conduite, pendant qu'un hon- nête homme risque sa vie pour donner un peu plus d'éclat au nom qu'elle doit porter.

MATHILDE.

Si elle ne l'aimait plus, elle devait au moins le prévenir...

CAROLINE.

Et pousser l'audace et le manque de pudeur jusqu'à rece- voir la nuit, chez elle, le vicomte d'Assigny.

MATHILDE.

Un homme auquel une lionnête femme n'ose môme pas adresser la parole.

MADAME MAUC RIN, se levant.

Et cela ne lui suffit pas!... 11 faut encore qu'elle vole le mari de ma fille.

GEORGES, se Icvanl Irufiiuemcnl.

Assez... madame.

ACTE IV. US

MADAME MAUGRIN.

Comment... assez?

GEORGES.

Je suis Georges Rliétel ! . . .

CAMILLE, Uj à Cjroline.

Le marin...

AUGLSTINE.

Il sait tout, tant mieux... Je vais prévenir madame de Trem- blay.

GEORGES, à madame Mauijrio.

J'ai eu un instant le courage de- vous écouter, de me laisser déchirer le cœur... mais maintenant, je vous en préviens, je ne veux plus qu'on parle devant moi de madame de Noyan.

MADAME MAUGRIN.

Eh bien ! . . . Monsieur, allez-vous-en, personne ne vous force à nous écouter.

CAROLINEj bitaax aulr». Je crois que notre place n'est plus ici. (Elles sorlenlSDCcessiTemenl, pendant ce qui tuii.)

MADAME MACGRIN.

11 nous est bien permis, je pense, de faire des réflexioçs.

GEORGES.

Non, madame, pas devant moi.

MADAME MAUGRIN.

Ah! c'est trop fort! .. sachez, monsieur, que, pour ma part, ''ai l'habitude de dire tout ce qui nie passe par la tête.

GEORGES.

Madame, assez, vousdis-je...

MADAME MAUGRIλ.

M'imposer silence à moi. . . et cela quand je parle d'une péron-" nelle qui a brisé le bonheur de mon enfant !

GEORGES.

Encore une fois, madame...

MADAME MAUGRIN, criaot.

Ne me menacez pas, monsieur...

GEORGES.

Mais taisez-vous donc...

MADAME MAUGRIN, horiant.

Mais c'est une infamie, une abomination... vous m'insultez.

(a Pascal, qui entre.)

144 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

PASCAL, eiilrant.

Ou diable est donc ma femme?...

MADAME MAUGRIN.

Ah! Pascal!... cet homme nisulte votre belle-mère!...

SCÈNE XII

Les Mêmes, PASCAL.

PASCAL.

Allons, bon !

GEORGES.

Cette femme est folle.

MADAME MAUGRIN.

Vous entendez, mon gendre?

GEORGES.

Votre gendre? Vous êtes donc monsieur Villiers, vous?

PASCAL, étonné.

Mais oui.

GEORGES, froidement.

Eh bien, alors, j'insulte votre belle-mère ; après ?

PASCAL.

Comment, après ?

MADAME MAUGRIN.

Ah ! si mon mari vivait encore !

PASCAL.

Pardieu ! Monsieur, en disant que vous insultez ma belle- mère, vous avez l'air de m'insulter moi-môme.

GEORGES.

Eh ! prenez la chose comme vous voudrez.

PASCAL.

Pardieu ! je la trouve forte ! Il n'y a pas deux manières de la prendre !

MADAME MAUGRIN, avec le goste dos S..bin('s.

Messieurs, arrêtez!

PASCAL, à maiUme M.iiigrin.

Ah ! vous allez nous laisser tranquilles, à présent! Vous criez qu'on vous insulte; eh bien, me voici; maintenant il ne s'agit pas de me rendre ridicule... Faites-moi le plaisir de rentrer au bal, et pas un mot à ma femme.

ACTE IV. 145

MADAME MAL'GRIN.

Mon gendre... je...

PASCAL, la reconJoi$ant.

Allez donc, sacrebleu !

MADAME MAlf. RIX.

Ah ! c'est le coup de ma mort !

SCÈNE XIII

PASCAL, GEORGES.

PASCAL.

Maintenant, monsieur, veuillez m'oxpliquer ce que tout cela

-iiiiiilii'.

GEORGES.

Cela signifie, monsieur, que vous vois nommez, vous, Pascal Villiers, et que je m'aiHH^lle, moi, Geortrt's Rliétel. Coinjireiiez- vnus ?

PASCAL.

Ma foi, non.

GEORGES.

Eh bien! puisque lintelligence vous manque à ce point...

PASCAL.

Permettez, monsieur. Vous ciierchez un duel, je ne sais pas pourquoi ; mais ce qu'il y a de sûr, c'est que vous avez trouvé ce que vous cherchiez. Maintenant, je vous écoute.

GEORGES.

Cette femme oui sort d'ici a dit devant moi, Georges Rliétel, le fiancé de maname de Noyan, que la comtesse avait deux amants : vous et le vicomte d'Assigny.

PASCAL.

Parbleu! elle en a menti...

GEORGES.

Soit. Mais (|ue ces paroles soient ATaies ou fausses, elles ont été prononcées par une personne dont vous êtes solidaire, et je vous en demande rals^m.

PASCAL.

Mais écoutez donc...

GEORGES.

EstH"»' que vous avez jx'nr?

9

146 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

PASCAL, bonilissanl.

Peur, moi? Sacrebk'u! voilà un .loot qui mot le IVu aux poudres. Vous voulez vous battre, eh! morbleu! battons-nous clone!

GEORGES.

Bien, monsieur; demain j'attendrai vos témoins.

PASCAL.

Ah! soyez tranquille, vous recevrez leur visite, (a pan.) Ali ! c'est trop' fort! il fout que jp me batte pour ma bdle-mère !

(n sort.)

SCÈNE XIV GEORGES, puis HERMIME et AUGUSTINE.

GEORGES.

A monsieur d'Assigny, maintenant; il est dans b^s salons i\t>

jeu, m'a-t-On dit. (ri va reprcnilro son cliapciii.) AUGUSTINE, à Herminie.

Tenez, le voilà î

GEORGES.

Ah! j'en jure Dieu! quand le jour sera venu, Blanche sera forcée de verser des larmes sur l'un de nous.

HERMINIE.

C'est bien, laissez-moi. (Augusiinc sou.)

GEORGES.

Qu'elle pleure sur l'amant qu'elle a trahi ou sur l'amant qu'elle aura perdu ! (ii va «oairci rtncnnir.' n.nr.inie.) Herminie !

HERMtNlE. Georges ! (Georges saluo cl va s'éloigner.) Eh qUOi ! VOUS lUC quittCZ

ainsi?

GEORGES.

Vous souvenez-vous de vos dernières paroles au château de Tremblay, madame, quand je vous suppliais de veiller sur Blanche? Vous m'avez dit: Soyez tranquille, Georges, inadaine de Novan ne me quittera pas d un seul instant. éliez-vous donc, "^ Herminie, quand monsieur d'Assigny élait auprès de Blanche ?

HERMINIE, apics un nionvenicnl di; ync.

Que dites-vous?

GEORGES.

Je dis que je .sais tout, que Blanche m'a trahi!

ACTE IV. 147

HF.RMIME.

nianclie vous aurait trahi! Mais c'est impossible î

GllOUGEP, irrni|icnipnt.

luipo;;sibUi ! oui, au fait. Vous ne pouvez pas savoir, vous arrivez sculfuioiit; et \iOurtaiit vous m'aviez <1it encore : A votre retour, Georges, vous retrouverez Blanche auprès de moi. Il parait, ceiteiKhuit, que lorsque tout le moiule s'éloitiuait de madame de Noyau, vous n'étiez pas auprès d'elle!

HF.RMIME

Vous avez raison de m'accuser, Georges, je suis coupable. Vous m'aviez généreusement chargée de veiller sur vos amours, it, gardieni'.e inlidèle ou inattentive, j'ai laissé voler le trésor (pii m'était conlié. Je suis coupable ! Quelquefois, après de mortelles iitures passées'auprès d'une rivale à écouter de ten- dres confiik-ncos qui me déchiraient le cœur, je me suis retirée chez moi pour pleurer en silence. Je suis coupable ! bien sou- vent, au milieu île ces f: tes brillantes qui me rappelaient le jour vous m'aviez juré de m'aimer, j'ai manqué de courage pour atteiKlre l'heure du départ, et je me suis enfuie seule; et enlin, à mesure que le, moment de votre retour appn)cliait, j"ai senti diminuer pcH à peu mon amitié [)Our Blanche et grandir ma ten(h-esse pour vous... Oh! certes, je suis coupable, bien coupable, et vous avez raison de m'accuser!

GEORGES, avec clan.

Herminie!...

HERMIXIE.

Mais comprenez-moi bien, Georges, si je vous parle ainsi, c'est que je ne veux pas que vous me haïssiez après m'av(»ir aimée peut-être!... c'est que je veux enfin que lorsque vous soull'rirez, vous n'alliez pas chercher ailleurs des consolations . et de la pitié.

GEORGES.

Mon amie! Oh! cette pitié, j'en ai besoin déjà; car je soutire bien.

HERMINIE.

Oui, oui... Oh ! je sais ce que vous devez souffrir...

GEORGES.

Oui, c'est vrai, pardon !... Oh! mais vous êtes bien vengée.

(il s'i)?s:eil )

UEKMI.ME.

Vengée ! moi vengée par votre douleur !

GEORGES.

Pardon... encore une fois, je sais plus ce que je dis...

148 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMINIE.

"Voyons, mon ami, parlons d'elle.

GEORGES, se levant vivomonl.

De Blanche? non ! non ! jamais !

HERMINIE.

Ne l'avez-vous pas accnsée trop légèrement? prenez garde !

GEORGES.

Trop légèrement? mais pnisque je vons dis qu'elle était là, il n'y a qu'un instant, tremblante, éplorée, à la seule pensée que je pouvais me trouver face à face avec ce. vicomte d'As- signy. Alors je ne comprenais pas, mais tout à l'heure j'ai compris, car on disait tout haut, devant moi, que monsieur d'Assigny était l'amant de madame Blanche de Noyan !

HERMINIE. *

Georges !

GEORGES.

Ah! mon amie! pourquoi ne m'avez-vous pas laissé partir le jour je suis venu vous avouer que je vous avais trahie pour elle?...

HERMINI E.

A quoi bon revenir sur le passé, Georges?

GEORGES.

A quoibon, dites-vous? Mais puisque je ne l'aime plus et que vous m'aimez toujours, Herminie?

HERMINIE.'

Georges/je vous en supjilie, taisez-vous!

GEORGES.

Non, non, je veux parler! Écoutez, Herminie. Oh! vr>us ne pouvez me refuser cela... (uiam.) Elle voulait que je la con- duisisse auprès de ma mère. Oli ! non pas! Cost vous que j'y conduirai... Ma mère vous a toujours aimée... Eii bien! je lui dirai tout, et elle vous aimera plus encore! et nous partirons tous trois... nous irons au bout du monde.

HERMINIE.

Georges! (El!e l'embras-c cf iiviilsiverTKnt , puis s'airèto.) Noil ! UOll !

Je r.e vous crois pas... Georges! La jalousie vous égare, c'est elle qui vous fait parler... Mais c'est Blanche, toujours Blanche que vous aimez.

GEORGES. **

Ah! VOUS ne me croyez pas? Eh bien! j'irai avant vous,

* Herminie, Georges. ** Georges, Herminie.

ACTE IV. 1.9

auprès de ma mère, et vous viendrez mj retrouver.. Je parti- rai demain matin... (irjipc .l'un «omen r n %■• reirrnin') demalii soir.

HF.RMI.M E.

Pourquoi demain soir?

GEORGES, avec un ccrljln cmljjms.

Parce que, jusque-là, j'ai quelques affaires à terminer, une mission sacrée à remplir.

HERMIME, IIP le ptrdanl pas Ju reg:irJ.

Ah:...

GEORGES, arec um? certaine e'molion.

Écoutez?... Vous verrez ma mère avant moi... vous Tem- brasserez. . la première... mais vous lui direz que j'es[»ère l'embrasser bientôt à mon tour.

HERMIME, même jeu.

Je lui dirai cela, Georges, c'est convenu. (Gf-orgcs est de plus eu

ploi IroubSé.)

GEORGES.

Oui, n'est-ce pas? c'est convenu.

HERMIME, s'asseranl.

Oui. (ÉcUiani tout à coup.) Ail çà , mais, Georges, vous ne savez donc pas que j'ai appris à lire dans votre regard, dans votre pensée?

GEORGES.

Que voulez-vous dire?

HERMIME.

Ce que je veux dire? Ah! c'est bien malin à deviner. Vous allez vous battre, Georges...

GEORGES.

Moi?...

HERMIME.

Nous allez vous battre demain matin.

GEORGES.

Mais, croyez bien ..

UERMIME, vivcmrnt.

Georges, ce n'est pas la jicine de mentir, a i-.h avrc aou". or.) In duel!... 0!i!jc n'avais pas songé à cela, moi! (vmt ■.•» .ii.ii..n cl f...i.Kn.ci.i.) .Mais, vou.> savez que vous ne voui battrez pa>?...

GEORGES.

Encore une fois, Herminie...

H E R M I N I E, «aïK I ôconler el avec une agitai on croisante.

Vous battre ? vous ! et avec cet homme, avec ce spadassin.

150 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

car je sais bien le nom de votre ailveisairo, allez... Vous battre!... pour qu'il vous tue?... mou Dieu! (se irv^m.) lîli bien! il re manquerait plus que cela! ^dMi' v...x i i..i'. .) n!i! in;u-:, je ne le veux pas!... Je ne veux pa.; qu'- n vou.; rapporte demain ensanglanté, mou.-ar.t!... Aou, non, je ne le veu \ pa;, entendez-vous bien?. . Vous avez dit autret'jis ;i mon amour de se taire, et mon amour s'est tu.. Votre orgueil peut bien se taire à son tour, (ieorges, mai- songez-y donc, votre vie est ma vie^, et vous n'avez jtas le droit de nyissassiner ! (.w. c mi.- soiiE (le Ji'iirc «i lui s:iisi-s.iii la ui;nu.) Mourir!... il vc'.itmourir ! (av.c .I(."s i;inne«.) Ail! Gcorgcs, VOUS uvcz (louc juré de me faire passer par toutes les soulTrauces?..

G KO KGKS, ii.'iaii.é.*

llerminie, ma bien-aimée...

HERMIME, avi'C des laiinc-, ri sdiuianl lii Icnioil.

Sa bien-aimée. Oh! rei!is-moi ce mot-là, redis-le moi, il m'enivre. (av<«c douleur.) Et pourtant je siiis bien que lu me nicnls, (jue lu te ments à toi-même' Je sais bien que (bniain tu seras à ses pieds et que 'u renieras ces paroles de tendresse (|ue mes larmes arraclicnt à ta [litié; mais n'importe ! cette iicure m'appartient, car tu m'aimes à cette heure. Eh bien ! tout ce (|ue je te demande pour mes souiïrances passées, peur mes soulTrancês à venir, c'est un serment ! un serment sur ce que tu as de puis cher, (se L-vaui )"* Sur ta maîtresse si tu veux ! Jure-moi!... jure-moi que lu ne te battras pas avec monsieur d'Assigny.

GEOnCES , vivcmcBl.

Oh! je le jure!

H R R M I ÎJ I E , à |>:i I .

Ce n'est pas avec monsieur d'Assigny (pi'il se bat.

I> A se AL, iiirjis>.nl a .lio.i".

Tiens, le voilà!

nur, y. iMi:, .i paii. Mail avec qui donc?

PASCAI., :iGc(>i-c .***

A^ous ne connaissez personne ici? je vous ai trouvé deux témoins.

GEORGES, li,.s.

.McTci, je sors avec vous, prenez garde, (ii.niiinc a surprix tes

si;;!! ■? ii'ini. ;l '^'.ncc « le proii.icr uioiivcuioiil ilo Gi'Digiv-.)

* Gcûi\.;cs, llerminie.

*' Iliirminie, Georges.

**' llerminie, Goorges, Pascal.

ACTE IV. 151

IIERMINIE, à part.

C'est avec monsieur Villiers qu'il se bat ! (v Jemi-voii à George».)* (Vest bien, Georges, je .suis tranquille!... mais nous ne sommes plus seuls, éloignez-vous. Cette scène m'a brisée, nous

nous reverrons tout àl'beure. (EI!e snil avrc anxiélé, a^* yeux, Pascal (\u Aie crjinlde voir partir. j

GEORGES, à demi-voiï.

Je VOUS laisse, Ilerminie, mais souvenez- vous- de ce que je vous ai (lit! Je veux retourner auprès de ma mère, et avec vous, avec vous, entendez-vous bien ? Ainsi, c'est convenu, vous irez m'attendre auprès d'elle? vous me le promettez?

HERMIN I K, s-iiis quitter des jeux Pascal qui veut toujours lùcber de faire signe à Georges de sortir avec lui. A Georges.

Oui, oui, mon ami, nous reparlerons décela. A minuit, vous me retrouverez ici.

GEORGES.

.Vlors, à bientôt.

UERMINIE.

A bientôt. (O'wrges salue et s'éloigne.)

SCÈNE XV HERMINIK, PASCAL."

HERMINIE, courant à fascal.

Monsieur! monsieur!

PASC.VL.

Madame? madame?

HERMINIE, îiiunaiit ('resiiue.

J'ai quelque cliose à vous demander.

PASCAL.

A vos ordres, madame.

lIKIî MIMJ.

Ob' mais d'abord, jurez-moi sur riioimeur de me dire la M'i-ité,

PASCAL.

Je vous le jure, madame.

HERMIME.

Eli bien, vous vous battez demain avec mouiieur Rliétel.

* Ge rgcs, Hcrniiiiie, Pascal. *' IJeroiiiiie, Pascal.

152 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

PASCAL.

Hein?... oui^ madame, mais sacrebleu! c'est un piège cela!

HERMIME.

Peu importe !

PASCAL.

Très-bien.

UERHIME.

11 ne faut pas que vous vous battiez, monsieur.

PASCAL,

Ah ! permettez ! je sais bien que vous êtes l'amie de madame de Koyan, mais je n'ai pas juré de ne pas me battre.

HERMINIE.

Yous allez me le jurer aussi !

PASCAL.

Ah ! pardon !

HEU MI. ME.

Ce duel est impossible, monsieur, car si monsieur fUiétel vous a provoqué, c'est qu'il est poussé par un motif de jalousie.

PASCAL.

Fondé sur un propos de ma belle-maman, je vous prie de le croire.

HERMIME.

Je le sais bien, et c'est pour cela que je viens vous supplier de ne pas vous battre avec monsieur Rliétel.

PASCAL.

Mon Dieu, madame, je ne demanderais pas mieux au bout du compte, car il me plaît, moi, ce garçon-là.

HERMIME.

Vous avez fait vos preuves, n'est-ce pas, monsieur?...

PASCAL.

Ail! pardieu, ce n'est p.as cela ([ui m'inquiète, in:iis encore f<iut-il... que le diable m'emporte si. . (v..y.ii.i .rAsri^ny ) Ali! j'ai mon moyen ! comme ça je re l^altrai pas pour ma belle- mère! (h. II'.) .Madame, je vous dtmnc ma parole d'iionneur de ;ol<!al... (a f.ii.) Tiens! qiîe le si.i; bte, je n'en ai qu'une. (>i.i. I.) Je \om donne ma parole que je ne me battrai pas avec iiionsicur Georges Hliékl.

n I. U M 1 .M E.

Merci, monsieur, merci. (eIo soi .)

ACTE IV. 153

SCÈNE XVI

PASCAL, D'ASSIGNY.'

PASCAL.

Ah! vous arrivez comme mars en carême, voui. Venez donc un peu ici?...

d'assicny. Plaît-il?...

pascal. Ah ! pardon !... je n'ai pas le temps d'être poli... Je me bats demain avec M. Rhétel, et par votre faute ... d'assigny. Comment cela?...

pascal. Parce qu'on crie sur les toits que vous et moi, sommes les amants de la comtesse... et que, dans sa fureur, le pauvre garçon s'en est pris au premier qui lui est tombé sous la main... Or, on ne dirait rien sans votre escapade de la nuit dernière...

1>'aSSIGNY, froidement.

Ensuite?...

PASCAL.

Ah ça! vous ne vous révoltez pas?... Comprenez donc qu'on accuse une femme.., et cela par votre faute! d'assiov. Le monde est si méchant !

PASCAL.

Alors, vous ne démentez pas ces propos?...

d'assigny, riant.

Je les démentirais, qu'on ne me croirait pas.

P.XSCAL,

Eh bien, vous les affirmeriez, vous, que je ne croirais pas davantage, moi !

d'assigny. Monsieur Villiers !..

PASCAL.

Monsieur d'Assigny?... * Pascal, d'Assigny.

154 LES l'AUSSES BONNES FEMMES.

d'assioy. voulez-vous en venir?...

PASCAL.

A vous dire ceci : Puisqu'il faut quL- je inc balle avec (luel- qu'un, je préfère que ce soit avec vous qu'avec un autre... Est-ce clair?...

u'assigny.

Parfaitement!... et demain je serai à vos ordres

PASCAL.

Ah ! ma foi! ce serait trop tard... 11 fait un clair de lune superbe, ce soir, et je connais, à deux pas d'ici, un endroit nous serons à ravir...

d'assigny. Très-bien... j'ai des épées chez moi... Le temps d aller les chercher, et je vous attends derrière la maison de conversa- tion. (lU se saluent.)

PASCAL.

A merveille! Là!... voilà une affaire arrangée...

d'aSSIGNY, a |>arl, en soiirianl.

Ce monsieur Villiers est un homme charmant... Et grâce à lui, maintenant, madame de Noyan est bien compromise.

pascal, ^.iil.

C'est égal! madame Maugrin et ma femme d'un côté... monsieur Rhétel et monsieur d'Assigny de l'autre. . Quelle existence agréable ! .. .

SCÈNE XVII

PASCAL, FURRETIÈRES.

FUftRETlÉr.ES.*

Ou'est-ce qui est agréable... la vie à Bade, hein?...

pascal, 11,11,.

Oui... oui... oui... Parlons-en!...

l'LliRETlÈRLS.

Comme cela, vous vous amusez beaucoup?

PASCAL.

Énormément.

* Pascal, Fiinition;s.

ACTE IV. 155

FL'RRETIÉRES.

A proitos!... Qu'est-ce que vous avez fait hier?...

PASCAL.

Hier ? Je me suis brouillé avec ma belie-mère.

FURRETIÉRES.

Ail! ., El ce matin?...

PASCAL.

Je me suis disputé avec ma femme...

FURRETIÉRES.

Ah!... et ce soir?..'

PASCAL.

Ce soir, je me bats avec le vicomte d'Assiguy... Demain, je nie bats avec monsieur Rhétel... et après-demain, je me battrai avec vous si vous le voulez...

FLRRLTIÉRES, sluptfait.

Plait-il?...

PASCAL.

Voilà! (n ïMi.;

SCÈ.>E XVIII

l l KUtTlIil^t:-, COTTE Pi EAU, ,.uis BERTHE cl M"»^ MAIGRIN.

COTTF.KEAi:.

Furrelières! n'êtes- vous pas honteux?. . Aller | provoquer ce jeune homme!...

F LR TÊTIÈRES.

Allez au diable !..

tOTTEREAL.

IVnni'Uezî... Vous le prenez sur un ton... et si vous n'avez I :! ' 1 duel avec monsieur Villiers...

BERTUE, à Cotlereau.*

I i! iliicll monsieur, monsieur! qui donc se bat avec mon ;i?

COTTEREAU.

(.■<•! (le Furretières..

FL'RRETIÉRES.

; i I. mais non, c'est monsieur Villiers ([jj^ provoque tiiul le luuiide.

* Furretières, Berthe, M"* Maugrin, Cottereau.

156 LES FAUSSES BONNtS FEMMES.

MADAME MALGRIN.

Ail! cellioimne n'est qu'un spadassin.

BERTME.

Mon mari! Ali! mais je verrai, je saurai bien l'empêcher de... Ma mère... ah! vous avez fait peut-être bien du mal ..

MADAME MAL'GRIN.

Et c'est moi que l'on accuse!...

KIiN Uf QUATRIEME ACTE.

ACTE V. 157

ACTE CINQUIÈME

Mèm-î décor. SCÈNE PREMIÈRE

DIANE, BLANCHE, (aiei cnlrem enie^bte.) DIANE.

Non, non, ma chère enfant, vous ne partirez pas ainsi... je suis trop votre amie pour le permettre. '

BLANCHE.

Comment!... Même après ce que je vous ai dit?... (Eik

toabe auise.)

DIANE.

Surtout après ce que vous m'avez dil ! Mais si vous partiez, si vous quittiez Bade, comme c'était votre dessein, ce serait vous avouer coupable, ce serait vouloir donner raison à toutes ces calomnies!. . AJi! si mon scélérat de coiffeur allemand ne m'avait pas retardée de trois heures, tout cela ne serait pas ar- rivé!.... J'aurais bien su, moi, prouver à monsieur Rhétel qu'il n'est qu'un niais, et imposer silence à toutes ces fausses bonnes femmes, qui sont parties maintenant que le mal est fa t. Oh ! mais rien n'est désespéré encore, heureusement, et il faut f;iire tête à l'orage. Oh! je ne vous quitterai pas que votre innocence n'ait été reconnue par tous!.,. Et, d'abord, savez-vous ce que vous allez faire?... Eh bien! vous allez avouer la vérité à monsieur Rhétel.

BLANCHE.

Lui avouer la vérité! moi? jamais!,,. Mais, cette vérité, je pouvais la lui dire déjà, tout à l'heure, alors qu'il interprétait contre moi mou inquiétude et mes larmes. Et si je me suis lue, Diane, ne devinez-vous pas i>ourquoi ?

DIANE.

Vous redoutiez un duel? ' Blanche, Diane.

158 LES FAUSSES BO^NES FEMMES.

liLA>CllE.

Eli! ^;aii.s doute, est-ce que ce u'est pas là, mou Dieu, la lireuiiôre crainte qui doit uaitre au cœur de la fournie qui aiuie?... Oui, oui, j'ai tremblé pour ses jours, car je le con- uais, s'il avait ajouté foi à mes paroles et si je l'avais voulu, il ui'aurait crue!... Oh! j'en suis sûre, c'eût été un duel à mort entre lui et le vicomte d'Assigny!...

DIANE.

Mais, cependant. . .

BLANCHE, v..\Miil Goorgcs. *

C'est Georges! Taisei5-vous ! Mon Dieu! iieut-êtrc a-t-il vu déjà le vicomte !

SCÈNE II Les Mêmes, GEORGES, luis HERMKNIE.

GEORGES, siluiiil Dian,", bas à BlaucUo. **

Blanche, il faut que je vous parle une dernière fois, mais que je vous parle à vous seule, (a ouar.) Pardon, madame,

(Diane f.iil un iiuiuvciiicnt pour s'ôoiRiicr. ) BLANCHE.

Non, non, restez, Diane, je vous en prie, (a ceoi-o-.) Vous pouvez parler devant madame, Georges.

GEORGES.

Blanche, ce que vous refusiez do me dire il y a une heure, en y réfléchissant, j'ai trouvé indigne de moi de le demander à monsieur d'Assigny lui-même.

BLANCHE, .1 p.irl, avci; joie.

Il ne l'a pas Vu !

GEORGES, coiitiiujut.

Aussi, étais-jo revenu tout à l'heure dans ce salon es|iérant VOUS y rencontrer et décidé à une explication dernière, quand la fatalité ma jeté au milieu de vos amies.

BLANCHE.

Mes amies?...

GEORGES.

De ces fonnnes, enfin, dans la société doscpielles vous vivez depuis noire séparation. Eh bien ! savez-vous ce qu'elles di-

* Diane, Bliiiichc.

** Diane, Blanche, H rminie, Georges.

ACTE V. 159

saieut, Blanche?... Elles disaient que le vicomte d'Assigny avait été aperçu sortant de chez vous la nuit dernière !

BLANCUK.

Oh:...

<;eorges. Elles mentaient, n'est-ce pas?... Dites-moi qu'elles nien-

laienl?

DIA Nt.

Oui, oui, elles mentaient!...

BLANCHE, las.

Taisez- von- '

GEORGES.

Je le croi.-;, iiiaiimi.-. mai? je veux le lui entendre dire à elle-même .. Voyons, yhniche, justifiez- vous!... Prouvez-moi que tous ces geiîs ont m(,'nti! Parlez!... raaib parlez donc:...

DLA.NCUE.

Ouo voulez- vous que je vous dise, Georges?... une pui:^ sance fatale me jiousse vei"s l'abîme, et je n'ai personne... personne pour ino •• ••• puistpae vous-même vous m'aban- donnez!...

..LURGES.

Eh bien! aloi"s, pourquoi depuis quelques heures ne puis-je faire un pas snns me heurter à une accusation dirigée contre vous?

BLANCHI.

Mais je n'eu sais rien.

GEORGES, s cloiïoaul àdroiU;.

Oh:...

DIANE, ba?.

Blanche! je vous en supplie à mon tour, parlez, mais parlez donc! ou bien je vais...

BLANCHE, bas.

>uii, nun, car iiirure une fois je ne veux pas qu'il meure!

GEORGES.

Mais il n'en est pas moins vrai que l'on dit partout que le vicomte d'Assigny a été vu sortant de chez vous... Eh bien! (liiez, jurez-moi que ce n'est pas vrai, et je vous croirai.

BLA.NCUE.*

Mais Georges, je no puis vous le jurer, car ce que l'on a dit r ! v::'i Hni, monsieur d'Assigny est entré chez moi, mais je !:• I... Jeu'ai laème rien entendu.

* D.aui.', Liaaclie, Georges.

160 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

HERMIME^ entrant il apercevant Ceorg"». A part.

Ah! encore avec elle.

GEORGES.

Alors tout ce dont on vous accuse est faux? Jamais monsieur d'Assigny ne vous a parlé d'amour et jamais vous ne Tave^ écouté?

BLANCHE.

Mais je ne puis vous dire qu'une chose, je suis innocente et je vous aime l

GEORGES.*

Oh ! je ne vous crois plus, madame.

BLANCHE.

Georges !

GEORGES.

Vous êtes libre! je pars, vous ne me reverrez plus. Adieu! adieu! pour toujours, (n son.)

BLANCHE, avec un cri.

Mon Dieu! mon Dieu! (au cri de Blanche, Herra nie a fiil un mou- vement comme pour aller vers illc, puis s'est arrèléj Irusqucmcnt.)

HERMINIE, à part.

Ah ! tant pis, j'ai trop souffert I... (eUc court à la fenêtre cl rogarle au dehors. )

SCÈNE III BLANCHE, DIANE, HERMINIE.

Elle le laisse partir. Ah! ma parole d'honneur c'e>t une maison de fous que cet établissement thermal. Ma chère, vous êtes une petite solte! se laisser accuser pour empêcher ce duel ! la belle affaire! Monsieur de l'Estang s'est battu vingt-deux fois, et il est en Amérique, (a pan ) (Jlil mais! J'ai dit que je ne sortirais d'ici que lorsque son innocence aurait été reconnue, et je n'en aurai pas le démenti.

HERMINIE, à part.

Le voilà... il part!

* Diane, Georges, Blanche. ** Herminie, Diane, Blanche.

ACTE V. 161

DIANE, à Blaikh*.'

Chère eufant, attendez-moi ! Je cours après le marin et je vous le ramène mort ou vif!

HERMIME, arec joie, à pari.

11 est parti; euQn!

DIANE.

Ah! c'est vous, mon amie, Blanclie pleure, consolez-la.

(E'ie tort.)

BLANCHE.

Herminie !...

SCÈiNE IV HERMIME, BLANCHE.

BLANCHE.'*

C'est toi! oh! si tu savais? je suis bien malheureuse! Georges ne m'aime plus, il m'a dit adieu! tin adieu éternel... il e»t parti, je ne le verrai plus... mes rêves sont détruits, mon bonheur est à jamais brisé, si tu ne viens pas à mon secours. Ecoute ! Georges me croit coupable, car je n'ai pas pu tout lui avouer... tu comprends... je ne pouvais pas lui dire que mon- sieur d'Assigny avait juré de me perdre pour me forcer à l'é- pouser, c'eût été un duel à mort! Diane le sait bien, mais toi, toi en qui Georges a toute confiance, toi son amie, tu lui par- leras, tu sauras le convaincre sans l'exposer, et tu le feras, tu me sauveras, n'est-ce pas, car tu m'aimes, toi?..

HERMINIE.

Moi? Eh bien, non, non! Je ne t'aime pas, je ne t'ai jamais aimée.

BLANCHE.

Qu'est-ce que tu dis donc?

HERHIME.

Oh ! l'en ai assez a la fin de cette contrainte de tous les ins- tants. Je ne veux plu» de votre amitié.

BLANCHE, U r-;i:(1ant atrc une 50rl«r d'tO'ini.

Oh!...

H K R V I M E.

Oui, oui, va, regarde-moi, lu verras bien dans mes yeux que je ne te mens pas.

* Diane, Blanche, Ilermiaio. ** Blanche, Herminie.

162 LES TAUSSES BONNES FEMMES.

BLANCHE.

Je 110 conipieiids pas... vous ne m'aimez pas, dites-vous? vous ne m'avez jamais aimée? mais que vous ai-je doue fait?

H F. R Ml NIE.

Ce que tu m'as fait? tu m'as pris mon premier, mon seul amour. Ton Georf^es? mais il m'aimait avant de t'aimer, mais sans toi, il m'aimerait encore, coinprends-tu maintenant?

I! langue; Mon Dieu'...

lltRMlNlE.

Mais quand tu me parlais de tes projets d'avenir dans les premiers temps de notre liaison, j'avais toutes les peines du monde à étoulTer les ardentes colères qui grondaient en moi. Vingt fois j'ai été sur le point d'arracher mon masque et de te jeter la vérité au visage; mais en parlant je perdais l'espoir de te reprendre le bonheur que tu m'avais volé, etjemesuis tue! Je devrais me taire encore, je le sais bien, mais je n'en ai plus la force. Je ne puis plus résister à cette immense vohipté de te dire enfin comme je l'aime et combien je te hais!

BLANCHE, avi'c ciïroi.

Ah! vous me faites peur!

HER.MINIE.

Oh ! reprends si tu \ eux tes airs de colombe, ça m'est bien égal! Tu me parlais tout à leurc de tes rêves détruits. Est-ce que tu n'as pas détruit les miens? J'ai jeté des pièges sur votre route, madame, c'était à votre amour de vous les faire éviter. (uhiiuiii' ca.jiiL- son vi>n!;e (i.iii* «.'s main?.) Oh! VOUS mejiaïsscz bien à votre tour, n'est-ce pas? (irnico [«.i- le sii. nce de Blanche.) Répon- dez ! mais répondez donc !

BLANCHE, avoi (loii:'Pur.

Non, madame, je ne vous hais [las, je vous plains! car pour m' avoir fait tant de mal il faut que vous l'ayez bien aimé, lui, et si vous l'aimiez tant, vous avez bien souffrir, mais aussi pourquoi ne m'avoir rien dit d'abord? Oli! je n'aurais pas lutté avec vous, madame, je n'aurais pas eu le courage de ilure ce nue vous avez fait. J'aurais préféré mourir mille fois de ma douleur et de mon ai.îour. Enfin, \ous l'avez voulu, soyez con- teiite! Tout est fini pour moi. Georges inc fuit; il va partir! partir avec vous, peut-être. Cet amour qu'il vous avait repris, il vous le rendra sans doute un jour, s'il ne vous l'a rendu déjà. Soyez heureuse, vous m'avez perdue. Je vous ai fait souf- frir, pardonnez-moi comme je vous [lardonne.

ACTt; V. io;i

llEUMIMi;, liiU.iiil COI. Il' I riii.);ioii

iili! inadame, je n'ai qne faire de votre ikikIoii, iiiii.s<|iie je \ous dis que je \ous déteste, que je vous ai toujours déte-tée.

BLANCHE.

Oii ! non, jias toujours, car je me souviens que dernièrement encore vous nie conseilliez de retourner à mes vieilles tou- relles. Aiil j'avais bien raison de vous dire alors que j'avais peut-être mangé mon jiain bénit le premier, (i-.iic saiisjiûu.-.)

IIF. RMIMT. , liiltjiiit ciiulre son ('motion.

Des larmes ! . . .

BLANCHE.

Oli ! ces lariiio, j'aurais bien voulu pouvoir les retenir, mais je ne suis pris si forte que vous, moi... (eu.- Uii .noie .|..ii.|u.-i f>ns .1 pi .1.1 ^.: .le s':.rièi<M-.) Ail! Tair iiie manque... Oli! si je pouvais mourir!

HERMIME*.

Mourir!... allons donc!... Est-ce qu'on meurt quand on est aimée ?...

Bl ANCHE.

Aimée !... mais vous savez bien (jue je ne le iuis plus... vous savez bien qu'il me liait, qu'il me méprise... méprisée riar lui!...

UEUMlNli:.

oii allez-vous? irez-vous?

BLANCHE.

Jirai à Xoyan; c'est que dorment tous ceux qui m'ont vraiment ailliez,. . J'irai m'ageiwuiller sur leur tombe, tt ils me pardonneront de les avoir oubliés un jour pour des ihé- c!iai:ts qui m'ont tant fait souffrir. (eIc cdaïc ,u s..ngi..is )

11 E II M I M E, sans |Mrlfr, il lullant en or." rrnire fcin éniolioii, (IimiIil- .i liait. 1- ifs nij;n< l'c B .'ncli'-. BUn iii> ri'*i-ii-. Hcriiiinic avec d s biinc* dans Il voix.

nianclie! je vous en prie! ne pleurez pas.

l LANCIll", r I. \;.nl «on vif.,;.- b.iisiir .li- larim-f.

-Mais, vous pleurez vou.i-incme.

UERMIME, n'y l.nam pluî.

Eh bien, oui, je pleure.

BLANCHE.

Herminie! (eu v. s-.^i.ai.-.r ei s'auèic avec iriuessc.) Ob: mais, non, non, vous inc trompez encore.

164 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

IIEP.MIMK.

Blanche! oh! mais comprenez-moi donc! Je m'attendais à de la colère, à des malédictions, mais je ne m'attendais pas à des larmes !

BLANCHE.

Oh ! vous deviez bien vous y attendre, pourtant.

HERMIME.*

Quand vous me direz cela, c'est vrai ; mais enfin, que vou- lez-vous? je vous jugeais d'après moi, et la preuve, tenez, c'est que si vous m'aviez fait le mal que je vous ai fait à vous- même... je crois... Eh! bien, oui... je crois que je vous aurais tuée !

BLANCHE.

Oh!..

HERMINIE.

Vous voyez que nous ne nous ressemblons pas, car vous, vous souffrez sans m'accuser, et vous mourriez sans me maudire.

BLANCHE.

C'est vrai.

HERMINIE.

Oh! tenez, c'est infâme, ce que j'ai fait, car vous m'aimiez pauvre enfant, n'est-ce pas que vous m'aimiez?

BLANCHE.

Oh ! oui, je vous aimais bien.

HERMINIE.

Et vous me haïssez maintenant.

BLANCHE.

Moi? Encore une fois, je ne sais pas haïr!

HERMIME.

Vous êtes bien heureuse ! car ça fait bien du mal... Voyons, ne pleurez plus, je ne le veux pas. (e ic lui <s uic loi yeux.) Je réparerai le mal que je vous ai fait.

BLANCHE.

Mais, c'est im;ios.sib!e 1

Il Kl! Ml M!', l^<■c une v. i!p ■!. iK'vr-.

Laissez-inoi (l;)nc tranquille, puisqio je vous di^ que je le répa erai... Allons, séclicz vos larmes! (w c un »oiifirc.) Je soi- forte, disiez-vous?... Ah! avec votre faiblesse, vous êtes bien plus forte que moi.

* Hi-rminio, Blaii he.

ACTE V. i65

SCÈNE V

Les Mème^, GEORGES, DIANE, puis BERTHE ei M"* MAL- GRIN, p«ii PASCAL.

DIANE.

Venez, monsieur Rliétel, venez, nous avons à vous parler, vous dis-]e, car je le jure encore, si vous partiez ainsi, vous auriez des regrets éternels.

GEORGES.

Madame...

BLAKCHE, l'apoiwvaDt.

Georges!...

HERXIME, courjot'i Disnr.

Merci, merci ! de l'avoir ramené !

BLANCUE.

Que voulez-vous faire?

HERMIME.

Laissez-moi. ( a oporge*.) Blanche a été la victime d'odieuses calomnies, et ces calomnies, c'est moi qui lésai fait naîlrt^.

GEORGES.

Vous !

HERMIKIE.

Souvenez-vous de ce qui s'est pssé, il y a six mois; vous aviez blessé mon orgueil, alors la naine a ]tris dans mon cœur la place de l'amour. J'avais juré de me venger... je me suis vengée. Mais elle souffre trop, et ma colère est tombée tout ;\ l'heure devant ses larmes... Georges, moi seule suis coupable, et Blanche est toujours digne de vous.

GEORGES.

Blanche!...

BERTHE, «-ntr.-nl.

Vuus n'avez pas vu mon mari?... Mon Dieu! il est blessé, mort peut-être?

MADAME MAL'GRIN.

Vh! c'est affreux! de telles émotions à mon âge.

GEORGES.

Monsieur Villiers se bat donc?

r>iA\F. Avec qui?

160 LES FAUSSES BONNES FEMMES.

DF.RTiir:. Avec monsieur d'Assigny.

GEORGES.

Mais cet lioimiie m'apartient, et je cours...

PASCAL.

Ce n'est pas la peine!

ISEiniIE. Afon mari ! (P.iscal l'cml.msse.)

MADAME MAUGRIK.

Eli bien! et moi?

PASCAL.

Je la trouve forte... Excusez-moi, monsieur, mais vous me ])laisiez, et j'ai préféré me battre avec le vicomte, qui me flé- \tlaisait avant qtic je ne lui eusse donné un coup d'épée.

GEORGES.

Comment?...

PASCAL.

Le vicomte s'est conduit en galant homme. En présence de messieurs de Cottereau et de Furretières, qui ont bien voulu me servir do témoins, il a déclaré, sur .son honneur de gen- tilhomme, que madame do Noyan était la plus pure des femmes.

BLANCHE.

Ah!...

DIANE, à Gccrjes.

Eh bien! qu'attendez-vous?

GEORGES.

Mon pardon.

HERMINIE.

Eh bien ! demandez-le.

GEORGES.

Ma Blanche bien-aimée...

BLANCHE.

Chut! Pas devant elle.

HERMINIE, à Diane.

Mon amie, accompagnez-moi. Partons !

DIANE.

Volontiers! (a pan.) Cette pauvre Herminie... C'est drôle, je ne croyais pas, moi, qu'on pût prendre l'amour au sérieux.

(bIIcs nîiiioiuciil leiuoiiK ni. Rlaiiclic les suit des yeux.)

ACTE V. 167

PASCAL, criant.

Ah: voilà fjuo ça recommence!... Eh "bien! belle-maman, ma femme et moi nous parlons demain pour faire le lour ilu monde, et connue les longues courses vous fiilil.'nfnt ..

MADAME MAIGRI >.

(/est alïrt'ux!... c'est abominable!... vous tiiK Ues enfants dt'iialuiés!

BERTHE.

Oh!...

MADAME MAL'GRIN.

Mais si je ne te vois plus, je vais mourir de cliai:rin!

BERTHK.

Pascal!...

PASCAL.

Allons, nous reviendrons quand vous serez gi-and'mère.

M ADAM K M \rr, Bl>.

Vrai!

PASCA I., rni,!.

Ainsi, dépécliez-voiis !

FIN.

Paris. Typographie Morris et Cie. rue Amelot, 64.

n

PQ Barrière, Théodore

2189 Les fausses bonnes fenimes

B5F28

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