LES 2 à de rs ER 4 FA 1€ ; + 2 EAUX: DOUCES DE FRANCE ET LEURS PERLES D con Lioxez BONNEMÈRE PARIS. INSTITUT INTERNATIONAL DE BIBLIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE. 93, Boulevard Saint-Germain, VI “HAiMe : 1901 | _ LES MOLLUSQUES | AUX DOUCES DE FRANCE LEURS PERLES LES MOLLUSQOUES EAUX DOUCES DE FRANCE ET LEURS PEREES Lioxez BONNEMÈRE [Æ PARTIS. INSTITUT INTERNATIONAL DE BIBLIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE, 93, Boulevard Saint-Germain, VI, 1901 | Étars JA |: INTRODUCTION Il y a de cela quelques années à peine, l'opinion publi- que s’est grandement émue en Amérique par suite de la découverte réitérée de très belles perles dans des coquil- lages qui peuplent, en quantités innombrables parfois, une partie des rivières et des lacs des États-Unis. Ces mollusques, appartenant tous à la famille des Unionides, avaient eu leur heure de célébrité avant l’ar- rivée des Espagnols au Nouveau-Monde; et nous pouvons citer comme preuve à l’appui de ce que nous avancons certains passages de la relation de de Soto, malheureuse- ment trop peu connue en France. On y lit, en effet, que dans la Floride, par exemple, les indigènes étaient litté- ralement couverts de perles, qu’ils pêchaient dans les cours d’eau de leur pays. Les assertions de cet écrivain avaient passé presque inapercues des Européens qui vinrent en foule habiter l'Amérique du Nord. Leur attention se tourna d’un autre côté. Après plusieurs siècles, elle ne fut pas même réveillée chez leurs descendants par les fouilles qu’un certain nombre de savants exécutèrent avec le plus grand soin et qui amenèrent assez souvent la découverte de perles bien dénaturées, il est vrai, mais pourtant encore très recon- naissables. C’est par borsseaux qu'on les a parfois trou- vées dans les monuments étranges, élevés par ces hom- mes inconnus que, faute de pouvoir mieux faire, on a désignés sous le nom de Mounds Builders. BONNEMÈRE, L 9 INTRODUCTION Ii fallut les découvertes, presque récentes, de quelques Unio contenant des perles splendides, pour amener un revirement dans l’opinion publique. Bref, en Amérique, des coquillages de la même famille absolument que ceux qui vont faire le sujet de nos recherches préoccupèrent tous les esprits, après avoir été complètement négligés. On vit donc bientôt éclater aux Etats-Unis un pearl feaver, « une fièvre des perles ». Elle ne fut pas, certes, sans analogie avec cette fièvre de l'or qui, à une époque antérieure, sévit avec tant d'intensité sur une partie de ce même pays. La population de villages entiers abandonna la culture des champs pour se livrer à la pêche des Unio ! La vieille Europe possède, elle aussi, des mollusques margaritifères, qui, par malheur, ne sont pas comparables à ceux du Nouveau-Monde. Beaucoup moins nombreux, ils ne sécrètent pas,comme leurs congénères d'Amérique, des perles de couleurs très variées. Tels qu'ils sont cependant, ils n’en présentent pas moins un très réel intérêt et les perles qu’ils produisent sont loin d’être rejetées par nos bijoutiers. Quelle que soit leur provenance réelle, ils les appellent perles d'Ecosse. En réalité, elles sont, croyons-nous, en grande partie originaires de la Saxe, où, depuis 1610, des pêcheries par- faitement organisées existent sur les bords de l’Elster pour le plus grand profit du Gouvernement royal. Nous avons, nous aussi, des Unio, nombreux encore, dans beaucoup de nos cours d’eau. Certains de nos conchy- liologistes en ont décrit près de deux cent trente espèces; et pourtant la plupart de nos compatriotes ne se doutent pas de la présence de ces mollusques dans la région qu'ils habitent, comme dans certaines parties de la Bre- tagne,par exemple, tandis que, dans d’autres de ce même INTRODUCTION 3 pays, on les pêche en assez grande quantité, en employant pour cela les méthodes les plus primitives et les plus dévastatrices. Sans doute, au cours de cette étude, nous aurons bien des fois à nous occuper de ce qui se passe à l'étranger. Nous aurons très souvent à consulter les documents qui s'y publient; mais, en réalité, ce n’est que l’histoire des mollusques perliers vivant dans les eaux douces de France que nous tentons d'écrire, en remontant pour cela aussi loin que possible, car on peut dire, sans crainte d’être taxé d’exagération, que les premiers hommes eux-mêmes furent frappés par la douceur de l’éclat des perles. Ils ne les employèrent pas, ilest vrai, pour des raisons qui sont fort simples et que nous ne manquerons pas d’étudier au cours de cet ouvrage. Par contre, ils tiraient un des prin- cipaux éléments de leur parure des coquilles nacrées de l'Unio et de la Margaritana, vulgairement appelés Mu- lettes, qui sans doute aucun, roulaient alors des perles beaucoup plus fréquemment qu'aujourd'hui. Suivant les localités, on désigne encore ces mollusques sous un assez grand nombre d’autres noms que nous aurons grand soin de mentionner, à mesure que l’occasion s'en présentera. L’appellation de Mulettes, qui, nous venons de le dire, s'applique aussi bien dans le langage usuel aux Unio qu'aux Margaritana, est assez répandue, elle a été assez employée par des savants, même illustres, pour que nous n'hésitions pas à en faire usage. Nous serons trop bien payé de notre peine, ajoute- rons-nous en términant, si nous pouvons attirer l’atten- tion sur des êtres qui sont menacés d'une destruction pro- chaine et irrémédiable, au moins dans les régions de notre pays où on les recherche pour leurs perles, car, pour des raisons multiples, leur existence y devient chaque jour plus précaire. CHAPITRE PREMIER. NOTIONS PRÉLIMINAIRES, La famille des Unionides appartient à la classe des Pe- lecypodes (1), connue également sous le nom de classe des Lamellibranches (2), qui a prévalu. Les mollusques auxquels nous consacrons cette étude sont les mêmes que ceux que le grand naturaliste de La- marck appelait Nayades (3). Ils vivent dans les eaux douces. Quelques-uns, cepen- dant, supportent, sans en souffrir, un certain degré de salure du milieu qu’ils habitent; et nous aurons à revenir sur ce fait assurément curieux. D’autres se plaisent dans certaines eaux thermales. Dans son bel ouvrage intitulé : « Les Coquilles des eaux douces et saumätres de France », M. Arnould Locard, le savant conchyliologiste, a décrit de la manière suivante la coquille des Unionides : « Coquille grande, subtrigone, plus ou moins comprimée, inéquilatérale, sommet dorsal plus ou moins médian, charnière dentelée ou non... » Puis, avec tous les naturalistes qui se sont occupés de ces mollusques, il les divise en plusieurs genres. Nous n’au- rons à porter nos investigations que sur deux d’entre eux ; et c’est au savant, dont nous venons de citer quelques lignes, que nous demanderons à quels caractères on les distingue. (1) Des deux mots grecs, Pelecus, hache, et Podos, pied. (2) Nom provenant de la disposition et de la forme de leurs bran- chies. (3) Nom tiré de la mythologie classique. 6 CHAPITRE PREMIER Ces deux genres sont désignés sous le nom de Margari- tana et sous celui d'Unio. L'un et l’autre indiquent à mer- veille que les animaux qui les composent sont doués, au moins en principe, de la précieuse faculté de sécréter des perles. En latin, Margarita (1) signifie Perle, et ce vocable est la racine du mot Margaritana. Unio a le même sens. Il semble même que ce dernier terme servait à Rome pour désigner d’une manière générale les perles qui étaient grosses, celles qu’il était difficile d’apparier (2). Nous ajouterons que le mot français Perle vient de Prrula, qui, dans la basse latinité, signifiait petite poire. C’est un diminutif de Pirus (3). Nous avons dit qu’en principe tous les Unio sont aptes à produire des perles, comme le sont d’ailleurs d’autres mol- lusques ; mais ces derniers ont la mer pour habitat. L’expé- rience a démontré que certaines espèces le sont beaucoup plus que d’autres. Nous complèterons les notions préliminaires que nous avons voulu donner, avant d’entrer en matière, en disant que les Margaritana jouissent à un haut degré de cette faculté; mais que, fort malheureusement, la Margari- tana margaritifera, le type du genre, n'existe, paraît-il, que très rarement en France. Certains conchyliologistes ont même été jusqu’à nier qu'on puisse la pêcher dans nos cours d’eau. Voilà quels caractères M. Arnould Locard a relevés pour distinguer ces mollusques les uns des autres. Pour ce qui concerne les Margaritana, il s'exprime de la sorte : « Coquille allongée, peu renflée ; dent cardinale simple à « la valve inférieure, bifide à la supérieure ; une lamelle obso- « lète à chaque valve... » (4). 1) Cicéron. Orat. 78 ; Ver. 4. — Tacite. Agricola. 12. 2) Pline. Æist, Nat. 11.— Trib. Tyr.32. 3) Brachet: Dictionnaire étymologique de la langue francaise, au mot zr le. (4) Arnould Locard, loco citato, pp. 149 et suiv. ( ( ( Pe Fe OS + je. SE à NOTIONS PRÉLIMINAIRES 1 Relativement aux Uno, il dit : « Coquille allongée; sommet intérieur ; une dent antérieure « et une dent postérieure simple à la valve inférieure, bifide « à la supérieure... » Le genre Margaritana est formé de six espèces seulement. Il n’en est pas de même du genre Unio qui, en France, en comprend deux cent trente : ce qui est peu en comparaison de ce que nous savons de l'extrême diversité de ces mol- lusques dans le nouveau monde. En 1870, Léa en comptait déjà 616 espèces dans l'Amérique du Nord, et 78 dans celle du Sud. Depuis, leur nombre s’est considérablement accru par suite de l'intérêt toujours de plus en plus grand qui s'attache à ces coquillages, et nous ne pensons pas que l’on ait pu en dresser encore une liste absolument définitive. Au surplus, une classification est bien difficile à établir. Certains naturalistes, tels que le Dr Paul Fischer, par exemple, vont même jusqu’à la croire presque impossible, « tant les formes sont variées et tant les passages sont insensibles entre elles... » (1). Au premier rang des savants qui ont voulu établir des divi- sions entre les mollusques qui nous occupent, il convient de citer M. Arnould Locard, qui a poussé la classification aussi loin que possible. Laissant de côté tous les autres Unio pour ne s'occuper que de ceux de France, il en a décrit minutieuse- ment 230 espèces et a soigneusement indiqué ceux de nos départements où on les rencontre avec quelque abondance, car il demeure bien entendu qu’on peut les trouver parfois en dehors des limites que l'éminent conchyliologiste a assi- gnées à chacune d’elles d’une façon au moins générale. Les dimensions que nous avons résolu de donner à notre travail ne nous permettent pas de transcrire intégralement la liste dressée par M. Arnould Locard et nous préférons ren- voyer au livre que nous aurons l’occasion de citertant de fois (1) D' Paul Fischer. Manuel de Paléontologie conchyliographique, 999: 8 CHAPITRE PREMIER ceux de nos lecteurs qui voudraient avoir de plus amples renseignements. Au surplus, au point de vue où nous nous plaçons, cette nomenclature ne présenterait guère d'intérêt, ni d’utilité. Nous voulons, en effet, étudier les Unio de France, et leurs perles. Or, la plupart des espèces décrites par le savant maître n’en ont jamais produit, à notre connaissance du moins, soit qu’elles soient naturellement moins margaritifères que d’au- tres, soit qu’elles ne se trouvent point dans des conditions suffisamment favorables, et pourtant, nous ne saurions trop le répéter, l’organisation physique des unes et des autres est exactement la même. Des questions bien curieuses et bien complexes se présente- ront à nous au cours de cette étude; et, dans la mesure du possible, nous tâcherons d'en trouver la solution. CHAPITRE II. LA COQUILLE. Au commencement du chapitre précédent, nous avons cru devoir donner une notion sommaire des coquilles des Mar- garitana et des Unio. Elles sont assez semblables, en somme, pour que nous les confondions dans les développements qui vont suivre. Les valves de ces mollusques, quel que soit le genre auquel ils appartiennent, sont enveloppées d’une membrane de nature animale, en connexion avec les bords du manteau. C’est l’épiderme. Cette membrane, presque toujours de couleur très foncée chez les adultes, est généralement d’une teinte beaucoup plus claire chez les individus très jeunes. Pour en citer un exem- ple, nous dirons que l’épiderme de l’Unio Deshayesr, espèce qui vit en abondance dans certains cours d’eau du Finistère, est vert d’abord, pour devenir ensuite d’un brun noirâtre. On peut affirmer d’une façon générale que l'aspect extérieur des valves d’un Unio ne peut faire soupçonner l'éclat nacré que leur intérieur présente. L’espèce qualifiée d'exauratus, qui n’est guère abondante puisqu’on ne la rencontre que dans un seul de nos départements, fait seule exception à la règle. Toutes les autres, à l’état adulte, revêtent, ainsi que nous avons dit, une livrée plus ou moins sombre. Puisque nous en sommes sur le compte de l’épiderme, nous ajouterons qu'il est moins épais au sommet de la coquille que partout ailleurs, Aussi, dans cet endroit, voyons- nous qu’il est souvent déchiré, ce qui amène, comme consé- 10 CHAPITRE Il quence naturelle, l'érosion des valves. Aïnsi que l’ont sou- tenu certains auteurs, ces érosions que l’on rencontre très fréquemment, ne sont pas produites par des insectes ni par des algues perforantes, mais bien par l’acide carbonique con- tenu en quantité plus ou moins considérable dans toutes les eaux douces. I1 y a lieu de penser que tous les Unio n’ont pas un épi- derme d’une égale épaisseur. Dans certaines espèces, nous croyons qu'il est beaucoup plus résistant que dans d’autres, et il y aurait peut-être des recherches à faire à cet égard. Dans la suite nous dirons pourquoi. L’épiderme est absolument insensible. Il a pour mission d'empêcher les influences atmosphériques et chimiques qui, nous le savons, ont tant d’action sur la coquille, composée alternativement d’une membrane et de couches formées de phosphate et de carbonate de chaux. Il joue également aussi le rôle de ces feuilles de papier collées sur les verres des tableaux que l’on emballe. Il amor- tit singulièrement les heurts et retient en place les morceaux des valves alors qu’elles viennent à être brisées à la suite de quelque accident. Les couches dont nous venons de parler sont prismatiques ‘et cellulaires. Celle qui est tout à fait interne et placée per- pendiculairement aux autres est, si on l’examine au micros- cope, complètement recouverte de sillons. La lumière qui vient frapper leurs bords, produit, en se jouant, une irisation plus ou moins belle. Cette couche, en un mot, constitue ce qu'on appelle la nacre, du persan nakar, dont le sens est le même. Dans les Margaritana et les Unio, que nous nommerons souvent mulettes pour nous servir d’un mot qui est fort usité, ainsi que nous l’avons déjà dit, la nacre est assez générale- ment d’un blanc azuré, avec une partie rosée, voire même parfois un peu livide, vers le centre de chacune des valves. Lorsque nous étudierons le corps même de l’animal, nous verrons qu'il est enveloppé d’une partie charnue ressemblant LA COQUILLE ai assez exactement au couvercle d’un livre. C’est le Manteau. Jusqu'à ces derniers temps il avait été admis d’une façon presque unanime que la coquille était produite par des sécré- tions ayant pour origine le bourrelet qui entoure ce manteau, appelé plus scientifiquement pallium. Les mémorables expé- riences que M: Boutan a faites au Laboratoire de Roscoff sur des Haliotis, il est vrai, ont démontré d’une manière absolu- ment certaine que, dans toute son étendue, la partie du mol- lusque qui nous occupe en ce moment sécrète ce qui est nécessaire à la formation des diverses couches de la coquille, y compris la nacre. En un mot, il n’y a pas de localisation. Il v a tout lieu de supposer que ce qui est exact pour l’Ha- liotis, vulgairement appelé ormier ou oreille de mer, doit l’être également pour les mulettes, Telles sont les notions générales que nous voulions ajouter à celles que nous avons précédemment données. En résumé, au point de vue où nous nous plaçons, que sont les valves, sinon l’écrin, très sombre à l’extérieur et sou- vent très brillant à l’intérieur, d’une perle parfois infiniment précieuse ? Mais on ne peut à l’écrin juger du joyau qu'il renferme ! CHAPITRE III. LE CORPS DE L'ANIMAL. Maintenant que nous connaissons la coquille d’une mu- lette, occupons-nous de son corps, que nous n’entendons pas décrire avec minutie. Nous n'en parlerons que d'une façon générale, en nous appesantissant seulement sur celles de ses parties que nous aurons le plus souvent à citer au cours de notre travail. Nous ne saurions trop le répéter, c’est surtout au point de vue de la sécrétion de leurs perles que nous étudions les Unio et'les Margaritana. Et comme nous voudrions que notre ouvrage fût lu par le plus grand nombre possible de personnes, nous nous ferons un devoir aussi de consacrer quelques chapitres aux mœurs de ces mollusques et au rôle qu'ils ont joué à travers les âges dans l’industrie humaine. Il y a bien des faits curieux à citer et bien des remarques à faire ! Nous demanderons au docteur Paul Fischer la description du corps des Unio, parce que son beau Manuel de Conchy lio- logie et de Paléontologie conchy liologique est un livre facile à se procurer. C’est donc à cet auteur que nous renverrons toutes les personnes qui, sur le sujet que nous allons effleurer seulement, voudraient avoir des connaissances plus étendues et plus précises. Voici ce que ce savant naturaliste dit au sujet de l’Unio pic- torum (1), qu'il prend en quelque sorte comme type. (1) L’Unio pictorum est souvent désigné de nos jours sous le nom d'U. vinceleus. LE CORPS DE L'ANIMAL 45 « Manteau ouvert jusqu'au syphon anal ; orifice branchial non limité en avant, mais à bords garnis de papilles plus ou moins saillantes ; pied grand, tranchant, aplati bilatéralement; branchies grandes, réunies en arrière l’une de l’autre par le manteau, l’interne débordant en avant et en bas; palpes médio- crement allongés, obtus à leurs extrémités; sexes séparés... » Pour ce qui est de la couleur du corps, nous dirons qu’il est d’un gris sale, plus ou moins roussâtre, quelquefois de couleur livide. La teinte du pied est généralement d’un jaune tirant sur le gris ou d’un roux terne. Le manteau, ou pallium, sur le compte duquel nous aurons si souvent à revenir, est bordé de brun en avant et sur sa partie inférieure. Les papilles postérieures sont d’un brun noirâtre. Les branchies, enfin, sont d’un gris brun rayé de blanc. Telles sont du moins les indications que Moquin-Tandon, le grand naturaliste dont le nom a été donné à une espèce d'Unio, nous fournit à ce sujet. Le Dr Paul Fischer, que nous avons surtout pris pour guide dans cette partie de notre travail, nous enseigne que les muscles adducteurs des valves, d’ailleurs très puissants, mar- quent sur elles des impressions profondes. Au-dessus de chaque adducteur des dites valves, on remarque une impres- sion de l’adducteur du pied. Le même savant constate encore « une impression semi-circulaire (adducteur fixateur de la masse viscérale) en arrière de celles de l’adducteur antérieur des valves »; et il ajoute, pour finir, que « la ligne palléale est entière... » Nous supposerons maintenant que nous avons devant nous un Unio ouvert par la moitié et tenant encore à sa valve gauche par ses adducteurs. Nous passerons en revue ce que nous remarquerons. Le mollusque n’a point de tête distincte. Est-il doué du sens de la vue ? On ne peut l’assurer d’une façon absolument certaine. On croit pourtant avoir découvert, chez les mulettes, comme chez les autres Lamellibranches, sinon des yeux, du moins des ocelles, non seulement sur le bord du manteau, mais encore sur les tentacules qu’on trouve non loin de l’ori- fice anal. 14 CHAPITRE HI Nousnesavons pas non plus si ces animaux sont pourvus du sens de l’odorat. On a supposé que leurs palpes labiaux pou- vaient jusqu’à un certain point leur faire percevoir les odeurs. Au surplus, ils n’ont guère besoïn de ce sens, étant donné leur genre de vie. Sans doute, comme les huîtres, ils ne sont pas astreints à demeurer à la même place. Nous savons qu’ils rampent au fond des rivières et des lacs, maïs au prix de quels efforts ? Pourquoi sentiraient-ils de loin une proie qu’ils ne pour- raient pas atteindre la plupart du temps et dont ils seraient parfaitement incapables d’apprécier la qualité ? Au point de vue de l’ouie, l'Unio est sans doute mieux par- tagé. Chez lui, comme chez l’Anodonta, on a reconnu l’exis- tence d’un nerf acoustique assez long. La bouche est placée au fond d’un renflement qui se remarque entre l’adducteur antérieur de la valve et le pied. Elle est ainsi faite que le mollusque ne doit pas être doué du sens du goût, comme nous venons de le dire. A quoi lui servirait-il au surplus ? N’est-il pas forcé d’absorber comme malgré lui tous les infusoires, tous les débris végétaux que le courant lui apporte ? En un mot, il ne choisit pas sa nourriture; il la subit. L'Unio n'a pas de mâchoires. Il est aussi complètement dépourvu de pharynx musculeux et de plaques linguales, toutes choses qui lui seraient parfaitement inutiles. Sa bouche n'est donc, en somme, qu'une simple ouverture, une sorte d’entonnoir. Son œsophage est court et son estomac assez renflé : ce qui est compréhensible. Nous savons, en effet, que la mulette est forcée d’absorber ou plutôt d’engloutir toutes les choses que le courant apporte à sa bouche, et dès lors on conçoit que pour les recevoir, son estomac doit avoir une certaine capacité. Son tube intestinal décrit d'assez longues circonvolutions. Placé sur la ligne médiane, le ventricule du cœur est tra- versé par le rectum. Le foie, de couleur brune, enveloppe une partie de l’estomac et de l'intestin, avec lesquels il communique par plusieurs orifices. LE CORPS DE L'ANIMAL M5 Enfin, l’anus est en forme de pavillon. Brehm qui, dans les Merveilles de la Nature, a résumé les travaux de Von Heszling, nous apprend que l'eau chargée de petites particules nourricières absorbées par l’animal estchas- sée ensuite avec des matières excrémentielles en forme de jet puissant. « La surface du ruisseau, ajoute-t-il, dans un « rayon de plusieurs pouces, est soumise alors à un mouve- « ment de tourbillon. » Les Unio ont un cœur divisé en oreillette et en ventricule. Ce dernier, nous l’avons dit, est traversé par l'intestin. Le ventricule, nous enseigne le D' Paul Fischer, « envoie le sang dans des aortes qui se ramifient dans les veines et dans les téguments et qui aboutissent soit à des sinus, soit à des lacunes, soit à de véritables capillaires. Les veines se réunis- sent à la base des branchies en un ou plusieurs troncs qui se jettent dans les oreillettes » (1). Les sinus dont il vient d’être question sont des cavités creu- sées dans les tissus. On en trouve dans les divers organes. Cette particularité présente un très réel intérêt, et nous nous y attacherons davantage quand le moment sera venu, après avoir renvoyé nos lecteurs désireux d’étudier plus en détail le système circulatoire des mulettes aux livres des auteurs qui ont traité plus spécialement cette question longtemps controversée. Nous ajouterons seulement que, chez les Lamel- libranches, une partie du sang va par voie directe des veines palléales aux oreillettes, sans passer par les branchies. Or, que sont les branchies, sinon l’organe respiratoire des mollusques sur lesquels portent nos recherches ? Il faut donc conclure de cette particularité qu’une partie tout au moins de la respira- ton des Unio se fait par leur peau. Aussi voit-on que ces animaux peuvent vivre très longtemps hors de l’eau. Si, un jour, les mulettes sont, pour ainsi dire, domestiquées, on tirera le parti le plus avantageux de ce que nous venons de dire. On pourra faire entreprendre à ces mollusques des voyages, même très longs, dont ils n’auront pas à souffrir si, par ailleurs, on les entoure de quelques précautions ; etil (1) D' Paul Fischer, loc. cit., p. 52. 16 CHAPITRE IN deviendra possible de peupler des meilleures espèces tous les cours d’eau où l’on voudra se livrer à leur reproduction ou à leur parquage, la distance à laquelle ils seront situés n'étant pas un obstacle. A une époque où nous avions entrepris, avec MM. René Despommiers et Félix Godefroy, d'établir à la Trinité-sur- Mer, près d’Auray, en Bretagne, un parc d'expériences, nous avons pu faire venir du fond des Vosges une certaine quan- tité d'Unio, qui nous arrivèrent en parfait état de santé, malgré la longueur de la route et la chaleur de la saison. Certaines espèces d’'Anodonta, très proches parents des Unio, présentent surtout, paraît-il, une force de résistance inconcevable. Le rein ou corps de Bojanus, ainsi appelé du nom du savant qui fut le premier à l’étudier, est placé au-dessous du cœur, et se présente à nous sous la forme d’une masse brune, allongée et repliée. La présence d’acide urique y a été signalée, ainsi que celle de petites concrétions sou- vent presque microscopiques et assez fréquemment rondes. Nous en avons trouvé parfois plus d’une dizaine dans le rein de certains Unio du Neuné (Vosges). Quelques auteurs ont vu en elles des embryons de perles. A les en croire, les mollusques qui en sécrètent parfois de si belles ne seraient donc que de malheureux coquillages atteints d’une gravelle particulière !.. Il nous est de toute impossibilité de partager cette opinion, d’ailleurs assez géné- ralement abandonnée aujourd’hui. On a dit, pour l’appuyer, qu'on a rencontré des perles dans le corps de Bojanus. Rien n’est plusexact; maisn'enrencontre-t-on pas également parfois dans telle ou telle autre partie du corps des mollusques à l'étude desquelles nous nous livrons ? Les découvertes dont on a prétendu tirer un argument n’ont donc pas très certai- nement l'importance qu’on a voulu leur attribuer. Pour ce qui nous concerne, nous avons vu des perles dans des Unio qui ne nous ont pas paru atteints de la moindre maladie rénale. Par contre, comme nous le montrerons dans le chapitre où LES MOLLUSQUES D'EAU DOUCE ET LEURS PERLES Ficure 1. — UNIO (Margaritana) MARGARITIFERUS. Anatomie de l'animal (D'après Leuckart et Nitsche). Legende : 1, bouche. — 2, œsophage. -- 3, estomac. — 4, intestin. — 5,anus. — 6, ouverture de la glande digestive dans l'estomac. — 7, foie. — 8, cœur. — 9, aorte antérieure. — 10, aorte postérieure. — 11, ganglion cérébroide. — 12, ganglion viscéral. — 13, ganglion pédieux. — 14, néphridie. — 15, orifice néphridien. — 16, glande génitale. — 17, canal excréteur de la glande génitale. — 15, branchie. — 19, pied. — 20, cavité palléale. — 21, muscle adducteur anté- rieur. — 22, muscle adducteur postérieur. FiGurE Il.— Valve droite d'une HuiTRE PERLIÈRE, montrant FiGure IL — Per- le point d’inclusion dela PERLE (D'après Kunz, 1890]. le d'Unio, de for- me curieuse {D'après Kunz, 1890]. L. BONNEMÈRE PLANCHE I. + \p# NEQUT * We # L 4. « vis War vf ’ { H/OETE SCT ir É CHALTE ANS AN OUUAL 0 LE LR 'h 4 . ' ù ds P sh L art . : TL - : Le ‘ ‘ e- \ x ? ù u OL 1 : ñ " k é LUS M # Lu! \ | \ , e HQE { ù " À Le NO LU : E » k ÿ ï Pan UE », . ‘ h OL. 1 \ 1} à : : 0 * MAL ‘ fr Û f ni Li ’ rt ï : » 1 + = 0 ; il u À Mr LT F A} _ ji \ x , ñ \ 1e É { ' L CRT ré $ * ! es, ét y à Le 1 Ur ' ce - à Eu Ï LL | x $ ; CR n: Î LU '! ti L l LE CORPS DE L'ANIMAL 47 nous traiterons spécialement de la formation des perles, nous attachons une grande importance à ce qu’on est convenu d'appeler le système aquifère. Il consiste en un réseau de cavités que l’on remarque dans le pied et dans le manteau des mollusques. [1 prend commu- nication avec l’extérieur, c’est-à-dire avec le milieu ambiant, au moyen de pores. Lorsqu'on pêche un Unio dont le pied est gonflé, on remarque souvent qu’il s'en échappe des jets d'eau très fins, qui lui ont valu dans certains endroits, le nom de pisse-en-lair. De bellzs expériences faites par Agassiz ont démontré que le système circulatoire des mulettes n'était pas fermé. L'eau s’y introduit grâce au pied. On peut même dire qu'elle circule dans toutes les parties de leur corps et qu’elle se mêle au sang. Nous aurons plus d’une fois à revenir sur ces faits et nous montrerons quelle est peut-être leur importance. Ce pied constitue également l'organe qui sert à la locomo- tion des mulettes. Leur sensibilité y a surtout dans l’extré- mité son siège principal. Nous ne saurions passer complètement sous silence les branchies qui forment en grande partie le système respiratoire des êtres que nous étudions. Placées de chaque côté de leur corps, elles sont de longueurs inégales et se composent de tubes sensiblement droits. Intérieurement ces tubes sont dis- posés en sorte de grillage. Au dire de Von Heszling, les mulettes produisent une sorte de courant branchial, qui n'est astreint à aucun rythme et dont l'intensité varie beau- coup. Il est plus fort lorsque le mollusque « est exposé directement aux rayons du soleil ou à sa réverbération dans le cas où la température de l'atmosphère est élevée; ce cou- rant dure des heures et se suspend aussi longtemps alterna- tivement ; dans l’obscurité, il cesse habituellement tout à fait, et, lorsque le temps se trouble, il devient de plus en plus rare pendant plusieurs jours... (1) ». (x) D° Paul Fischer, loc. cit., p. 65. BONNEMÈRE. 2 18 CHAPITRE HI Nous ne dirons que peu de chose du système nerveux des mulettes qui, d’ailleurs, est fort simple, ainsi que l'on doit bien s’y attendre. Il ne présente pour nous aucun intérêt spécial. Nous nous bornerons à une nouvelle citation empruntée au bel ouvrage du D' Paul Fischer. « Les ganglions, nous dit cet auteur, sont dissociés et symétriques. Les ganglions cérébroïdes, les seuls dont nous parlerons, sont petits et réunis par une anse ou commissure assez longue. Les nerfs qui partent des ganglions cérébroïdes se distribuent à la bouche, aux palpes labiaux, et à la partie antérieure du manteau (1)... » Toutes succinctes qu’elles sont, les données que renferme ce chapitre nous semblent être plus que suffisantes pour que nos lecteurs puissent se faire une idée Juste de l’être auquel certains sens font presque complètement défaut, qui n'a pas même de tête, et qui produit ce chef-d'œuvre, la perle! (1) Dr Paul Fischer, loc cit., p. 65. CHAPITRE IV. LA REPRODUCTION. Dans les Margaritana et les Unio, dans toutes les mulettes en un mot, les organes reproducteurs occupent une place extrêmement considérable. [ls sont séparés dans les espèces européennes ; mais ils résident dans le même individu. Il n’en est pas de même chez leurs congénères d'Amérique. Il y a, en effet, parmi ces derniers, des mâles et des femelles reconnaissables parfois, dit-on, au seul aspect de leurs coquilles. On peut avancer, sans crainte d’être taxé d’exagération, que les organes, dont nous nous occupons en ce moment, rem- plissent presque tout l’intérieur du corps, le pied excepté ! On a soutenu assez généralement que la ponte des œufs a lieu au printemps. Nous croyons, d’après nos propres observations, que les mulettes n’en font pas qu’une seule, chaque année. Dans les bassins que M. Despommiers, l’habile ostréiculteur, avait aménagés à la Trinité-sur-Mer, on a obtenu deux pontes à quatre mois d'intervalle, c’est-à-dire en mai et en août; et elles ont été, l’une et l’autre, d’une extrême abondance, sans que, par malheur, il nous ait été possible de les évaluer, même approximativement. Certains auteurs, sans doute bien documentés, ont publié des chiffres qui, pour les Anodonta, varient de quatorze mille à deux millions, comme nombre d'œufs. L’Unio pictorum ou vinceleus, le seul sur le compte duquel nous ayons des reñ- 20 CHAPITRE IV seignements précis, pondrait chaque fois, paraît-il, deux cent vingt mille œufs (1). C'est chose généralement admise que, chez les Unionides, les œufs arrivent une fois fécondés dans les tubes bran- chiaux qui se dilatent alors pour les recevoir et constituent ainsi de véritables chambres incubatrices. Lorsque les em- bryons en sortent, au bout d’un laps de temps dont la durée n'a pas été déterminée, ils ont une forme toute spéciale. On leur voit déjà des valves ; mais elles ne ressemblent en rien à celles qui devront les protéger plus tard lorsqu'ils seront arrivés à l’état d'animaux parfaits. Elles sont d’abord arron- dies, pour devenir ensuite triangulaires. Nous ajouterons que le bord cardinal forme la base du triangle. Ces valves présentent une particularité qu’il convient de mentionner. À l’une de leurs extrémités (et nous voulons parler de celle qui est au sommet du triangle), on remarque une sorte de pointe recourbée, pourvue de nombreuses épines. Il convient de noter encore que cette étrange coquille est percée de beaucoup de trous. L'animal qui l’habite a reçu le nom de Glochidium, et, comme d’autres mollusques, il a la faculté de sécréter un -byssus où filament. De plus, il manœuvre chacune de ses valves au moyen d’un seul muscle adducteur. Lorsqu'un certain temps s’est écoulé, les Glochidium sor- tent des chambres incubatrices, dont nous avons parlé plus haut. Ils s’attachent alors par leurs crochets épineux et leurs byssus, aux branchies et aux nageoires des poissons. Peu à peu, ils se métamorphosent pour devenir des individus par- faits, pourvus de tous leurs organes, sauf celui de la généra- tion qui n'apparaît que plus tard. Ils cessent alors de mener unc vie parasitaire et abandonnent les poissons sur lesquels ils se sont fixés, afin de se nourrir à leurs dépens, pour habiter et ramper au fond des rivières et des ruisseaux (2). [l n’est pas douteux que les choses se passent de la sorte (1) Dr Paul Fischer, loco citato, p. 90. (2) D° Paul Fischer, loc. cit., p. 919 et suiv. LA REPRODUCTION 91 pour les Anodonta; mais en est-il réellement de même pour les mulettes ? Nous avons, en vérité, quelque raison d’en douter. Par deux fois, à la Trinité-sur-Mer, M. Félix Godefroy, notre ami et collaborateur, a assisté à la ponte d'Unio qui, nous l'avons dit, étaient originaires des Vosges. Les œufs, de tous points semblables à ceux des huîtres, gisaient sur le sable, dans le voisinage plus ou moins immédiat des mollusques. L’habile expérimentateur vit sortir de quelques-uns d’entre eux des êtres qu'il a comparés, dans une lettre à nous adressée, « à de très petites loches terrestres, dont, au surplus, ils avaient le mode de reptation. Leur couleur était celle de la rouille. Quand ils voulaient nager, ils le faisaient à la façon des langoustes, qui rapprochent leur queue de leur thorax pour imprimer plus de vitesse à leur fuite. ». Dans un autre endroit de la même lettre, notre correspon- dant nous dit qu’il put examiner d’une façon spéciale et plus prolongée un de ces petits animaux. Il avait des tentacules plantés de chaque côté de la tête à la façon des limaces et des escargots, et ils étaient terminés par des cils vibratiles. Enfin, il ajoute que son corps paraissait être composé d’an- neaux et que sa longueur était d'environ trois fois sa largeur. Nous voilà bien loin des Glochidium ! Les deux pontes dont nous venons de parler présentent des particularités qui méritent d’être signalées. La première eut lieu le lendemain de l’arrivée des Unio lorrains et de leur installation dans un petit ruisseau que l’on avait aménagé pour eux non loin de la Trinité-sur-Mer ; et la seconde, le lendemain de leur translation dans des bas- sins situés à quélque distance. Ce déplacement avait été rendu nécessaire par suite de l’abaissement considérable des eaux du ruisseau, après de très fortes chaleurs. On peut dire que l’une et l’autre de ces deux pontes ont été provoquées par les fatigues que les mulettes ressentirent; mais cependant les époques auxquelles elles eurent lieu coïncident avec celles dont les pêcheurs de perles du Finistère nous parlent. Des milliers de petits êtres virent chaque fois le jour CHAPITRE IV et leur vivacité témoignait hautement de leur santé normale. A la vérité, malgré tous les soins que M. Godefroy prit d'eux, il ne put en conserver aucun. Ils disparurent bientôt jusqu'au dernier, n’ayant pas sans doute rencontré dans le milieu ambiant les conditions de vie qui leur étaient néces- saires. Les faits que nous venons de relater se passèrent en 1803. Une maladie se mit promptement sur nos mulettes, si bien qu'au bout de quelques mois il ne nous en restait plus une seule. Il convient, suivant nous, d’attribuer cette mortalité à la difficulté que l’on avait de donner assez d’eau fraîche aux mollusques, placés dans des bassins trop étroits pour leur nombre. Nous avons dit que MM. Despommiers et Godefroy avaient à lutter contre la sécheresse qui, au cours de l’année dont nous parlons, fut si grande et de si longue durée. Nos amis s’étaient bien juré à eux-mêmes de reprendre sur de nouveaux frais les expériences qu’ils avaient inutilement tentées en se procurant cette fois de beaux Unio bretons. Mais, dit un proverbe, l'homme propose et Dieu dispose. Aussi bien que la nôtre, leur attention se porta sur d’autres sujets et nous fit, pour un temps du moins, abandonner l'étude des coquillages perliers d’eau douce. Ainsi vont trop souvent les choses. CHAPEERE: Ve MŒURS ET COUTUMES, Dans les cours d’eau, les Unio se présentent à nous soit isolés, soit par groupes, soit aussi par bancs véritables, qui peuvent atteindre des dimensions extrêmement considérables. M. Kunz, dans le travail qu’il a publié (1), nous dit que parfois, en Amérique, les mulettes sont si nombreuses, si pressées les unes contre les autres qu’elles forment une sorte de pavage au fond des rivières et des lacs. _ Il en est de même, en France, au moins dans certains endroits. On a remarqué assez souvent que les Unio étaient réunis en couches séparées par des lits de sable de quelques centi- mètres d'épaisseur et, dans ce cas, les individus les plus vieux sont toujours à la partie supérieure. Plus heureux que beaucoup d’autres mollusques, les Unio- nides ne sont pas forcés de demeurer à la même place ; mais pourtant toute locomotion leur est extrêmement difficile. Il leur faut plus d’une journée pour parcourir une distance de moins d’un mètre; et ils ne peuvent le faire que lorsque le fond sur lequel ils rampent est vaseux ou sablonneux. Ils y tracent alors des sillons qui décèlent leur présence. Aussi (x) Kuwz (G.-F.). Gems and precious stones of north America a popu- lar description of their occurrence, value, history, archaeology and of the collections in which they exist, also a chapter [XII, p. 211-257] on pearls and on remarkable foreign gems owned in the United States. Illustrated with 8 coloured plates and numerous minor engravings. New-York, Scientific Publish. C°., :890, gr. in-8e. 94 CHAPITRE V ceux que le sort a placés au milieu de pierres sont-ils forcés d'y rester tout le temps que durera leur vie. Notons qu’elle peut être fort longue, si l’on en croit Von Heszling. A l’en- tendre, sa moyenne serait de cinquante à soixante ans! Il cite même des individus qui atteignirent d’une façon absolu= ment certaine l’âge de soixante-dix ou de quatre-vingts ans. En Allemagne, le peuple, dont le goût pour le merveilleux est inné, prétend que quelquefois des mulettes vécurent deux cents ans; mais, suivant nous, il ne faut attacher aucune créance à une pareille assertion. Revenons au déplacement des Unio. Il est impossible de se rendre un compte exact de toutes les causes qui poussent ces mollusques à se mettre en marche pour les trajets individuels qu'ils effectuent. On peut cepen- dant croire que la plupart du temps ils vont à la recherche de fonds mieux appropriés à leurs conditions d'existence, d'eaux plus profondes, par exemple. On a remarqué que l’été ils se rassemblent dans les endroits libres et qu’à l’au- tomne ils gagnent les parties les plus creuses des ruisseaux et des rivières. En agissant de la sorte, ils ont pour but de se mettre à l’abri du froid et de la gelée. Pendant les longs mois d'hiver ils s'enfoncent complètèement dans le sable ou dans la vase pour ne reparaître que lorsque les beaux jours sont de retour. On sait aussi que l'instinct de ces mollusques les pousse à se grouper auprès des gués où les bestiaux ont l’habitude de traverser une rivière ou un ruisseau. Les excréments, mêlés à ce qui constitue le fond souvent remué par le piétinement, leur fournissent une nourriture abondante que le courant leur apporte. À une certaine époque, noùs avions à Paris des Unio pro- venant d'Auvergne que nous destinions à des expériences. Pour les alimenter, nous jetâmes dans leur aquarium, dont l’eau était souvent renouvelée, mais non courante cependant, quelques grains d’avoine qui ne tardèrent pas à fermenter et à se couvrir d’une sorte de végétation, de moisissure parasi- MŒURS ET COUTUMES 25 taire. Nous avions soin de les remuer de temps à autre, afin de détacher quelques parcelles de ces productions dont la nature était diverse, et nos prisonniers trouvèrent toujours dans ces corpuscules de quoi rassasier leur appétit. Ce procédé ne s'éloigne guère de celui que préconisent cer- -tains marchands d’huîtres. Voici, en effet, comment ils s'y prennent pour prolonger l'existence de ces mollusques tout en leur conservant un goût agréable. Ils les placent, une centaine à la fois au plus, dans des ter- rines en grès. Tout récipient de bois ou de métal doit être soigneusement écarté. Puis ils recouvrent les coquillages d’une eau douce très propre, en ayant soin d'y ajouter une poignée de gros sel et de la saupoudrer de bonne farine. Cette eau doit être changée toutes les vingt-quatre heures, et, chaque fois, il faut l’additionner à nouveau de ce que nous venons de mentionner. Le succès est à ce prix. Les huîtres captives trouvent évidemment leur nourriture dans cette farine, de même que les Unio dont nous venons de parler se la procuraient dans notre avoine, ou plutôt dans les végétations parasitaires qui recouvraient chaque grain. M. Despommiers et Godefroy eurent l’occasion d'employer à la Trinité-sur-Mer le procédé dont nous nous sommes servi à Paris et ils n’eurent qu’à s’en féliciter. Au cours de cette étude nous reviendrons sur tout ce qui se rattache à la question de la nourriture des mulettes, car jusqu’à présent on lui a généralement reconnu la plus grande importance. La façon dont elles s’alimentent influerait beau” coup sur la beauté des perles qu’elles sécrètent. Pour nous résumer, nous dirons que les Unio mènent la vie la plus monotone et la plus calme. Manger, digérer, et reproduire, telles sont leurs occupations habituelles. Quand certains individus, appartenant à des espèces mieux douées que d’autres à cet égard, ou placés dans des circons- tances plus favorables, produisent des perles, c’est toujours parce qu’une cause, dont nous essaierons de nous rendre 26 CHAPITRE V: compte, leur apporte une incommodité dont ils ne peuvent se délivrer. à | . Ne rien faire, tel est le genre de vie normal de nos mu- lettes (Unio et Margaritana) qui, nous l’éspérons, seront un jour en quelque sorte domestiquées et produiront alors plus de perles et de plus belles, afin que nous puissions en parer nos femmes et nos filles ! CHAPITRE NT: LES MULETTES AUX TEMPS PRÉHISTORIQUES. Avant de nous occuper de la formation des perles dans les Margaritana et dans les Unio, nous croyons qu’il n’est pas hors de propos de montrer à nos lecteurs quelle a été l'impor- tance de ces mollusques pendant toute la durée des temps pré- historiques. A ces époques si éloignées de nous, en Europe tout au moins, les hommes connaissaient bien sans doute les perles, mais ils n’en tiraient aucun parti. Quand ils en trouvaient une, l’admiraient-ils ? Oui, très certainement. Ils en faisaient même peut-être un objet auquel ils attachaient une idée superstitieuse. L’humanité presque encore à ses débuts était portée à prendre pour merveilleuses toutes les choses dont elle ne pouvait s'expliquer ni la formation, ni l’origine ; mais il faut bien reconnaître que dans les fouilles qui ont été faites dans tant d’endroits divers on n’a jamais, chez nous, rencontré de perles. Il est vrai qu’elles ont très bien pu échapper à l’examen des chercheurs. La nacre est chose très fragile, en effet. A moins d’être découvertes à la fois en très grand nombre, et de fixer ainsi forcément l'attention, des perles qui n’ont plus d’éclat brillant peuvent facilement passer inaper- çues. Au cours de notre Introduction, nous avons dit qu’en Amé- rique, au contraire, c'est par boisseaux, et le terme n’est pas trop fort, qu’on les a trouvées dans certains monuments remon- tant à l’époque énigmatique des Mounds Builders. 28 CHAPITRE VI Puisque jusqu'ici on n’a pas recueilli de perles dans les monuments mégalithiques déjà fouillés dans notre pays, nous ne nous attarderons pas davantage sur ce point. Si nous ne pouvons pas nous empêcher de supposer que les préhistoriques devaient admirer autant que nous les perles et les regarder comme des objets dignes d’un culte, nous croyons volontiers avec toutes les personnes qui s'occupent de préhistoire, qu’iis ne s’en sont jamais servis dans leur parure. Pour peu qu'on y réfléchisse, la raison en est simple. Ils ne disposaient d’aucun outil qu’ils pussent employer pour les percer. Ce n’était pas leur dureté qui les arrêtait : ils foraient bien les pierres! C'était leur petitesse. Bref, il leur était de toute impossibilité de transformer les brillantes sécré- tions des mulettes en grains de collier. Ils ne savaient pas les coller non plus. C'était l’éclat nacré des coquilles que les préhistoriques appréciaient au plus haut degré. Souvent ils se contentaient de percer des trous dans des valves demeurées plus ou moins entières (1). Parfois ils les taillaient, de façon à en faire de véritables boutons de forme correctement ronde. Avec la nacre, ils savaient même fabriquer des pendeloques, qu'ils entremêlaient avec des perles de diverses matières. M. Thieul- len, notre collègue à la Société d’Anthropologie de Paris, a trouvé dans une sépulture préhistorique de la vallée du Grand- Morin, à Crépy-en-Brie, des fragments de coquilles d'Unio façonnés dans la forme que nous venons d’indiquer. Toutes ces pièces avaient dû être fixées à des vêtements dans le but de les orner (2). Les primitifs habitants de notre pays employaient des débris de coquilles pour la fabrication de leurs grossières poteries. Voilà comment G. de Mortillet s’est exprimé à cet égard: (1) De Baye. Archéologie préhistorique, p.379. — Séance de la Société d’Anthropologie du 13 juillet 1807. (2) Thieullen. Silex antéclassiques présentés à la Société normande d'Etudes préhistoriques. LES MULETTES AUX TEMPS PRÉHISTORIQUES 929 « Nos poteries préhistoriques et protohistoriques de l'Europe continentale, a dit cet illustre savant, contiennent dans le corps de leur pâte des débris pierreux destinés à com- battre le fendillement lors de la dessiccation et de la cuisson. Les débris préférés sont les éléments désagrégés des roches granitiques. Quand ils font défaut, on les remplace souvent par des coquilles d'Unio ou moules d’eau douce. Nos poteries préhistoriques sont si mal cuites ou ont subi une si faible action de la chaleur que les débris de spath calcaire et des coquilles n’ont pas été altérés... (1) ». Tout récemment, dans les fouilles qu'il a faites sur le pla- teau des Hautes-Bruyères, à Villejuif, près Paris, M. Rol- lain, notre collègue à la même Société, a découvert des pote- ries préhistoriques présentant absolument les mêmes carac- tères (2). Il n’est pas douteux non plus que les hommes qui vivaient à ces époques si lointaines aïent su faire figurer souvent les coquilles de mulettes au nombre de leurs modestes instru- ments de cuisine. Elles étaient, en effet, tout indiquées pour servir de cuillères et de puisoirs. Nous nous souvenons fort bien d’avoir vu autrefois dans le nord de la France des mari- niers qui, à bord des bateaux sur lesquels ils parcouraient les canaux de cette région, employaient très volontiers des valves d’Anodonta pour manger leur soupe, et, de nos jours encore, dans la Côte-d'Or, elles sont très en faveur auprès des fer- miers pour l’écrémage du lait. Dans ce dernier pays, on appelle toutes les moules d’eau douce des cafottes. Il est plus que probable que parmi ces coquilles il doit y en avoir qui proviennent de mulettes, car ce genre de mollusques est extrêmement commun dans ce département, dont les habitants n'établissent pas de différence entre tous les genres d'Unio- nides. (1) Extrait du Bulletin de la Société d’Anthropologie (année 1896, p. 395). (2) A. Rollain. Séance de la Société d’Anthropologie du 13 avril 1899 Voir le Bulletin, tome X (IV* série), p. 200. 30 CHAPITRE VI En Bretagne, du côté de Lorient, les cultivateurs du littoral et les pêcheurs principalement fabriquent toujours avec de grandes coquilles Saint-Jacques et d’autres du même genre des ‘cuillères complétées par l’adjonction d’ün manche en bois, qui sont loin d’être disgracieuses comme forme et qui ne sont pas aussi incommodes qu’on serait d’abord tenté de le croire. On en peut voir de très curieux spécimens dans les belles collections ethnographiques du Musée du Trocadéro. Puisque nous sommes sur le chapitre de la cuisine, nous ajouterons que nos ancêtres préhistoriques semblent avoir mangé assez volontiers la chair des Unio malgré son extrême fadeur, et nous croyons qu'ils la consommaient plus souvent cuite que crue. A en juger par les nombreuses coquilles trouvées au milieu de foyers datant de leur époque, il est à présumer qu'ils pla- çaient les Unionides pêchés par eux sur des charbons ardents afin de faire griller leur chair. Dans la suite de notre travail, nous verrons que, dans cer- taines parties de la Bretagne, les petits pâtours n’agissent pas différemment quand ils gardent leurs troupeaux sur le bord des ruisseaux ou des rivières encore peuplés de mulettes, dont la capture est un jeu pour eux. Triste régal à notre avis, mais un poëte a dit : « Les repas les meilleurs sont ceux que l’on digère », et l'estomac des jeunes gars du Finistère et des Côtes-du-Nord est robuste, autant que leur humeur est joyeuse ! CHAPITRE VIT: OPINION DES ANCIENS SUR LA FORMATION DES PERLES. Ce chapitre et celui qui le suivra nous semblent être comme une préface absolument nécessaire aux pages où nous étudierons quelle est la vraie nature des perles selon Îles données de la science moderne. Ce fut surtout après leurs conquêtes en Asie que Îles Romains se prirent d’une admiration sans bornes pour les sécrétions nacrées des Pintadina ou huîtres perlières. On peut dire que leur passion pour elles alla jusqu'à la démence. Ne s’expliquant pas quel pouvait être le mode de forma- tion de ces corps dont le doux éclat charmait tant leurs regards, ils imaginèrent une fable qui, certes, ne manque pas de poésie. Ils prétendirent que les huîtres perlières mon- taient, surtout par les nuits d'orage, jusqu'à la surface de la mer et entrouvraient leurs valves pour les refermer seule- ment lorsqu’au retour de l’aurore quelques gouttes de rosée ÿ avaient pénétré. Elles redescendaient alors dans les profon- deurs qu'elles habitent d'ordinaire et les gouttes captives se trouvaient bientôt métamorphosées en perles (1). Il n’est pas douteux que, surtout vers les derniers temps de la République, les maîtres du monde aient connu les perles sécrétées par certains Unionides et par d’autres coquillages encore, tels que les Pinnæ par exemple, qui se péchaient en si grandes quantités sur le littoral de la Médi- terranée. (1) Pline, Hist. Nat., livre IX, chap. LVI, 2: 32 CHAPITRE VII Nous l’établirons par la suite. Mais les Romains ne paraissent pas avoir jamais établi la moindre différence entre les perles, quelle qu'’ait été d'ailleurs leur provenance. Il y a donc tout lieu de penser que celles qui étaient produites par des mollusques d’eau douce devaient aussi pour eux provenir de gouttes de rosée tombée entre leurs valves durant ces nuits d'orage aussi fréquentes en Germanie et dans la Gaule que dans cette île de Bretagne où nous verrons bientôt César faire une descente à la tête de ses légions, hélas ! tant de fois victorieuses. Un des motifs qui, dans cette circonstance, auraient déterminé le grand capitaine à envahir ce dernier pays fut, si l’on s’en rapporte à certains auteurs, le désir qu’il avait de se procurer beaucoup de perles ! La croyance relative au rôle de la rosée dans la formation de ces corps brillants et nacrés s’est conservée longtemps en France. Nous lisons, en effet, ce qui suit, dans la Vie privée d'autrefois, le livre si intéressant de M. Franklin. Avec une compétence et une érudition du meilleur aloi, cet écrivain y passe en revue tout ce ‘qui a trait aux arts et métiers, mœurs et coutumes des Parisiens pendant la période qui s'étend du xue au xvin® siècle. Il y dit, en citant un fragment dont il n'indique pas l’auteur : « Les oystres suivent la lune, car elles sont pleines en pleine lune et vuydes à son décours. Elles s'ouvrent au moment de la rosée et d’elle conçoivent la perle très précieuse et sont meilleures les blanches et les plus luysantes ». Dans ce passage que donne M. Franklin il y a confusion évidente entre les huîtres comestibles (Ostrea edulis) et les Pin- tadina. Ce n’est que très rarement, en effet, que les premières sécrètent des perles, et, le plus souvent, pour ne pas dire pres- que toujours, elles ne sont d'aucune valeur. Pour corroborer ce que nous venons de dire relativement à la croyance romaine conservée chez nous, il convient d’a- Jouter que Salerne et Nobleville (deux médecins d'Orléans, qui nous semblent cacher leurs véritables noms sous des pseudonymes) publièrent un ouvrage en douze gros volumes, OPINION DES ANCIENS SUR LA FORMATION DES PERLES 39 intitulé Histoire naturelle des animaux, où ils nous laissent clairement entendre que bien des gens, même à leur époque, c'est-à-dire au siècle de Louis XIV, se rangeaient encore à avis de Pline. Alors très rares étaient les esprits assez indépendants pour s'affranchir de l'influence gréco-romaine. Malgré les raille- ries de notre grand Molière, le monde des savants regardait toujours comme un devoir absolu d’adopter les théories d’Aristote, de Pline et des autres auteurs anciens, même quand elles étaient dénuées de tout sens commun. « Le Maître l’a dit, » faisait la jeunesse d'Athènes, en s’in- clinant devant quelque illustre philosophe ou quelque homme de science trop épris de poétiques légendes. Et c’est ce qu’à l’envi répétèrent pendant une très longue suite de siècles presque tous nos savants, parce que l’instruc- tion exclusivement classique qu’ils avaient reçue leur faisait sans cesse tourner leurs regards vers ce qu'ils appelaient, dans leur amour de la langue latine, l’alma mater antiquitas. « Le Maître l’a dit, et le Maître ne peut s’être trompé! Voilà pourquoi très sûrement les perles ont pour origine des gouttes de rosée. » | BONNEMÈRE. 4 CHAPIERE VENTE DU MOYEN AGE AU XIX° SIÈCLE. Concurremment avec une théorie qui avait été imaginée par les Romains, ces maîtres du monde pendant plusieurs siècles, le Moyen Age en connut une autre. Celle-là sans doute avait pris naissance en Germanie, dans les régions sau- vages dont les Francs étaient originaires, bien que nous ne puissions rien affirmer à cet égard par suite du manque de documents positifs. A l’époque dont nous parlons, beaucoup de gens s’imagi- naient que les perles étaient les larmes congelées de certaines bêtes fauves, gelatas lacry mas belluarum (1). Il est très fâcheux que l’auteur, dont nous venons de citer quelques mots, ne nous ait pas dit quels étaient ces fauves. Il est plus que probable qu’il pensait à ces dragons, à ces guivres ou wivres (2), à ces serpents fantastiques, chargés de la garde de trésors cachés. Les monstres hantaient, en effet, l’imagi- nation des hommes de ces siècles farouches. À en croire les récits du temps, les preux chevaliers de la Table Ronde et d’autres encore, des prêtres et des moines, des saints même et des saintes, faisaient une rude chasse à ces bêtes aux pro- portions énormes et aux formes étranges, toutes plus ou moins vomies par les enfers. Ilest fort possible que, dans leur naïveté, nos pères aient cru que tous ces êtres malfai- sants versaient des larmes, quand ils étaient blessés à mort ou exorcisés, et que ces larmes se changeaient en perles. Le Bœuf. Dissertation sur l’histoire de France. Tome 11, p. ro et 11. Du latin vipera, vipère. 1) (2) DU MOYEN AGE AU XIXC SIÈCLE 39 Nous donnons cette explication sous toute réserve; elle ne nous semble pas être en désaccord avec l’amour du mer- veilleux qui régnait alors d’une façon absolue. Nous avons montré qu’au temps de Louis XIV la plupart des hommes de science ajoutaient encore la foi la plus entière aux doctrines de Pline. Nous ne reviendrons pas sur ce sujet. D’une façon générale, on peut dire cependant que les idées avaient marché. Cer- tains esprits, plus éclairés et plus indépendants, ne croyaient plus que les perles fussent des gouttes de rosée cristallisées. On commençait également à établir une distinction plus pré- cise entre celles qui étaient produites par des huîtres vivant au fond de la mer et celles qui se trouvent parfois dans des coquillages d’eau douce. Maïs, chose fort singulière, si un moment vint où l’on s’occupa quelque peu des Unio étrangers, on ne prit pas beaucoup garde aux nôtres. On n’en parlait guère que pour dire qu’ils avaient leur place marquée dans les officines des apothicaires. Il en fut ainsi pendant fort longtemps. Lorsqu’à une époque plus rapprochée de la nôtre parut l'Encyclopédie, rien pour ainsi dire n’était encore changé à cet égard. L'auteur qui, dans cet immense recueil, a rédigé l’article concernant les mulettes, ne sait rien au sujet de celles qu’on pêche dans nos cours d’eau ; mais, par contre, il s'étend avec complaisance sur celles qu’on trouve en Tartarie dans un grand lac près duquel la ville de Nipehoa est située. Il ajoute que c’est leur pêche qui fut la cause d’une guerre entre les Chinois et les Moscovites. « Elle fut, dit l’auteur que nous citons, terminée vers la fin du siècle dernier (1) par les négociations des jésuites Pereira et Gerbillon. Le lac, qui est d’une grande étendue, fut divisé entre les deux nations, dont chacune prétendait à la posses- sion du tout...» La Tartarie est, certes, un pays bien éloigné de nous et cependant nous ne croyons pas être sorti de notre sujet, puis- (1) C'est le xvie siècle. 36 CHAPITRE VIII que la paix fut ramenée entre la Chine et la Moscovie par un de nos compatriotes. Comme bien on pense, notre curiosité fut grandement piquée par les faits que nous venons de relater, et nous fimes des recherches sur celui de ces deux Jésuites pris pour mé- diateurs, dont le nom avait une forme évidemment française. Nous ne tardâmes pas à apprendre qu’il naquit à Verdun en 1654, justement dans cette Lorraine dont les mulettes ont joui jadis d’une réputation si méritée. Mieux que personne il dut donc se rendre un compte exact de l’importance de cette vaste nappe d’eau, dont deux nations se disputaient la posses- sion les armes à la main. Le père Gerbillon fut, paraît-il, envoyé en Chine vers 1686 et sut bien vite y conquérir les bonnes grâces du prince alors régnant. Ce membre de la Compagnie de Jésus était un savant, lisons-nous dans un article que Feller lui a consacré dans sa Bibliothèque universelle, et les négociations aux- quelles il prit part eurent lieu à Moscou et furent si habile- ment conduites qu’elles lui valurent un surcroît de faveur. Il a beaucoup écrit de livres de science, ainsi que des relations de voyage restées manuscrites. Le Père Gerbillon mourut en 1707, à Pékin, où il résidait avec le titre de supérieur de toutes les missions que son Ordre avait fondées en Chine. Maintenant que nous avons commémoré de notre mieux le souvenir d’un Lorrain que le lieu de sa naissance prédes- unait en quelque sorte à servir de médiateur entre deux nations en guerre à cause de mulettes, nous passerons briè- vement en revue, toujours d’après l'Encyclopédie, les princi- pales causes que l’on donnait alors à la formation des perles. À cette époque, beaucoup d’auteurs étaient enfin arrivés à croire que les coquillages dans lesquels on en trouvait étaient bien pour quelque chose dans leur formation. Les idées de Pline avaient enfin perdu beaucoup de leur influence. Mais on supposait volontiers que ces corps si brillants et si précieux étaient « d’une nature pierreuse», et l’on s'imaginait qu'ils avaient de l’analogie avec les fameux bézoards que l’on trou- vait dans l’estomac de certaines chèvres et qui jouissaient d'une si grande réputation comme remèdes. DU MOYEN AGE AU XIX° SIÈCLE fl Quelques autres savants soutenaient de leur côté que l’on ne rencontrait des perles que dans des coquilles très vieilles et partant atteintes de quelque maladie. Alors qu’elles étaient soudées aux valves du « poisson », comme on dit souvent encore, ils étaient d'avis qu'elles n'étaient qu'une gale d’un genre particulier. Il en était d’autres qui, avec Samauel Dale, prétendaient que les perles étaient semblables aux calculs rénaux, aux graviers de la vessie. Nous avons déjà parlé de cette théorie que l’on a reprise de nos jours, mais qui n’a guère eu de partisans. Nous aurons, au surplus, à revenir sur son compte. D'autres auteurs, d’une opinion bien différente, affirmèrent que les perles sont les œufs des animaux dans lesquels on les trouve; mais cette opinion ne fut pas beaucoup adoptée. « On accordait seulement que comme dans la poule il y avait une infinité de petits corps dont quelques-uns croissent et viennent à maturité pendant que les autres restent à peu près dans le même état, l’on trouve dans chaque huître une perle beaucoup plus grosse: que les autres et qui vient à ma- turité tandis que les autres restent dans le même état... » Les noms des savants qui, au xvir siècle, s’occupèrent de la formation des perles sont tombés dans un complet oubli. Celui d’un seul a survécu. Nous voulons parler de Réaumur qui, en 1717, présenta à l’Académie des Sciences un mémoire très important sur le sujet que nous traiterons bientôt à notre tour. Ce travail nous intéresse à des titres divers et sa lec- ture nous montre que son auteur avait déjà des idées beau- coup plus justes. Ne pouvant pas étudier des pintadines vivantes, c’est- à-dire des mères perles (mater perlarum), pour nous servir d’une expression alors employée, il se rejeta pour ses expé- riences,sur des Pinna dela Méditerranée,dont, nous le verrons, la pêche est loin d’être facile. La détermination que prit l'illustre physicien et naturaliste a lieu de nous surprendre, car il étair originaire d’une région de la France où les mulettes ne manquent pas et où elles sont parfois très perlières. Il 38 CHAPITRE VIN semble qu'il aurait eu tout intérêt à faire ses recherches de préférence sur elles et qu’il eût dû bien les connaître. Mieux que toute autre chose, ce fait nous montre combien peu alors on prenait garde aux Unio. Sans doute Réaumur croyait, lui aussi, que tout mollusque qui produit des perles est un être atteint d’une maladie quel- conque; mais il avait bien compris les rapports qui existent entre elles et les coquilles qui les abritent. Il n’attribuait pas aux unes et aux autres une origine différente et proclamait que le suc (aujourd’hui nous dirions le mucus) dont les perles sont formées provient du corps même des mollusques. Réaumur avait cru remarquer que l'intérieur des valves d’une Pinna est en partie « d’une couleur de perle ou de nacre de perle; que les perles d’une couleur se trouvent toujours dans la partie de la coquille de même couleur qu'elle, ce qui fait voir que dans le même endroit où la transpiration d’un cer- tain suc a formé ou aurait formé une tunique ou une couche de coquille d’une certaine couleur, les vaisseaux qui ont apporté ce suc étant rompus, il s’y est formé une petite masse ou un petit amas de liqueur, laquelle venant à s'endurcir,est devenue une perle de même couleur que la partie de la coquille qui lui correspond... ». Certains savants, tels que M. Kunz, par exemple, qui fut chargé par le gouvernement des Etats-Unis d’une grande enquête sur la question des perles d’eau douce, professent encore des idées qui, au moins par certains côtés et d’une façon générale, se rapprochent beaucoup de celles que Réau- mur a émises. A la suite du grand savant auquel le département de la Vendée devrait bien élever une statue, car c’est sur son terri- toire que s'élevait le château dont il portait le nom et où il fit les découvertes qui l’immortalisèrent, d’autres naturalistes allèrent de l’avant, mais sans atteindre jamais le but vers lequel tenaient tous leurs efforts. [l était réservé à des hommes de science, nos contempo- rains, de résoudre enfin le problème qui avait passionné tant de chercheurs. CHAPITRE IX. AU XIX® SIÈCLEe Au cours du xix° siècle, les travaux sur la formation des perles se sont multipliés d’une façon très remarquable, mais encore plus peut-être à l'étranger qu’en France où les Unio continuèrent pendant très longtemps à ne guère piquer la curiosité générale. C’est seulement dans ces dernières années qu'à la suite de divers articles de journaux relatant nos pro- pres travaux et surtout ceux de MM. Boutan et Diguet que l'attention du public fut éveillée. Notre esprit, moins classique qu’autrefois, fait meilleur accueil aux théories des savants et ne se repaît plus de fables ni de légendes, quelque séduisantes qu’elles soient. Nos littérateurs, poètes et prosateurs, le sentent si bien que dans leurs livres ils ne discutent plus des choses ne relevant que de la science. Un de ces derniers, et des plus illustres sans contredit, a fait exception à la règle. Nous voulons parler du grand Miche- let qui, pour se délasser de ses œuvres de plus longue haleine, s'est complu à traiter parfois des sujets empruntés à l’histoire naturelle tels que l’Oiseau, l’Insecte et la Mer. Ouvrons ce dernier livre. Nous y lisons ce qui suit : « Je comprends très bien ce que sent, en présence de la perle, le cœur ignorant et charmant de la femme qui rêve, est émue sans savoir pourquoi. Cette perle n’est pas une personne; mais elle n’est pas une chose. Il y a là une destinée. » Combien la définition que nous allons donner va paraître froide et triste après ces lignes d’une forme littéraire, exquise à coup sûr, mais bien peu claire, il faut en convenir ! 40 CHAPITRE IX Nous ne saisissons pas ce que le grand écrivain auquel nous les avons empruntées a voulu dire quandil a prétendu qu’une perle n’était pas une personne,mais qu'elle n'était pas une chose, et qu’il y avait là une destinée * Comprenne qui pourra ! La perle, avancerons-nous à notre tour, en résumant des opinions qui eurent force de loi, est une concrétion brillante, consistant essentiellement en carbonate et en phosphate de chaux mélangés avec une substance organique, appelée con- chyoline. Elle a souvent pour cause déterminante la pré- sence d’un corps étranger fortuitement introduit dans l’in- térieur de la coquille, voire même dans le corps du mollusque qui l’habite. On le désigne alors sous le nom de nucleus ou de noyau. Ce nucleus peut être constitué par les objets les plus divers. Quel que soit le mollusque qui la produise, toute perle, croyait-on jusqu'à ces derniers temps, est composée des mêmes éléments qui ont servi à la formation de la coquille. Ils sont disposés dans un ordre identique; mais ils sont retournés en quelque sorte. Nous entendons dire par là que laépartie nacrée tquiestaintérieurmrdes valves; esta l'extérieur des perles qu'elles sécrètent. Comme on le voit, il y a bien retournement. Mœæbius a prétendu que les premières couches qui se dépo- sent sur le noyau dont nous avons parlé se distinguent par leur structure de celles qui, plus tard, viennent accroître leur volume. « Elles seraient constituées par la juxtaposition de prismes calcifiés à six pans, représentant une sorte de mosaique ou de carrelage. C’est précisément ainsi qu'est composé l'émail des dents, et la comparaison n'est pas telle- ment hyperbolique qui assimile les dents à une rangée de perles. (1) ». | Sur un point, voilà donc poètes et savants d'accord; et le fait est assez rare pour qu’il puisse être noté. Nous avons dit que les perles se composent de couches (1) A. Dastre. Les perles fines. Article paru dans la Revue des Deux Mondes, n° du 1°" février 1870. AU XIX° SIÈCLE 41 différentes. Celles qui forment la partie extérieure sont emboitées les unes dans les autres et facilement séparables. J1 s'ensuit que leur irisation, qui produit leur plus grand charme, est chose très fragile. Elle a le plus souvent entière- ment disparu dans celles que l’on trouve en quantité si consi- dérable dans les Mounds des Etats-Unis. Ces couches extérieures dont il vient d’être question sont formées de plaques qui, lisses en apparence, sont en réalité plissées. On s’en aperçoit bien vite pour peu qu'on examine une perle au microscope. De plus, elles sont en partie trans- parentes. Le D' Paul Fischer, que nous nous plaisons toujours à citer, dit que l’irisation est due « à la lumière tom- bant sur les bords afférents de ces plaques. Plus, ajoute-t-il, les plaques sont minces et transparentes, plus l'éclat irisé est beau, et l’on prétend que c’est la raison pour laquelle les perles maritimes l’emportent sur celles que l’on obtient des mollusques d’eau douce. Outre les sillons formés sur la sur- face plissée, il y a une quantité de fines lignes noires, distantes de oo mm. 01455 qui peuvent ajouter à l'éclat brillant. Dans quelques perles ces lignes vont d’un pôle à l’autre, comme les degrés de longitude du globe; dans d’autres elles prennent différentes directions et dans quelques-unes les lignes qui se trouvent sur la même perle s’entrecroisent L’éclat irisé d’une perle est ce qui constitue son orient... (1)» Sans doute, les perles sécrétées par les mollusques marins sont en général plus belles que celles qu'on trouve dans les Margaritana et dans les Unio. Pourtant il y en a parmi ces dernières qui ne leur cèdent en rien. Il paraîtrait même que celles que l’on recueille dans les mulettes qui peuplent les cours d’eau des États-Unis l’em- portent souvent sur les sécrétions produites par les Pintadina. Elles seraient fréquemment beaucoup plus transparentes, si nous en croyons M. Kunz (2), dont l’opinion à tant de poids dans toutes ces questions. Le reproche que l’on adresse aux perles d’eau douce est donc loin d’être toujours fondé ! La présence de la substance appelée conchyoline est très (1) Docteur Paul Fischer, loc. cit., 952. (2) Loc. cit. 4 CHAPITRE IX aisément démontrable dans une perle aussi bien que dans une coquille. Si on en place une dans un bain d’acide conve- nablement choisi, le calcaire qui entre dans sa composition est dissous et il ne reste plus qu’une matière spongicuse. C’est justement là la conchyoline. Les brillantes concrétions que les Unio et les Margaritana produisent en France sont le plus souvent d’un blanc plus ou moins pur. Cependant on trouve assez fréquemment en Breta- gne des perles roses et tout à fait semblables, comme couleur, à celles qu'on pêche en Sibérie et qui jouissent d’une réputa- tion si grande et si méritée. Il en est également que l’on croi- rait en bronze à cause de leur éclat métallique et qui sont en vérité fort curieuses. On en pêche de pareilles aux États-Unis. Peut-être pensera-t-on que nous aurions dû expliquer le mode de formation des perles avant de donner sur le compte de ces dernières des détails aussi précis. Nous avons cru qu’il valait mieux faire autrement et dire tout de suite ce que c’est qu’une perle et quelles sont les prin- cipales qualités que l’on recherche en elle. Dans le chapitre suivant, nous étudierons, d’après les don- nées de la science moderne, les moyens qu’une mulette met en œuvre pour sécréter un corps, parfois si complètement beau qu’on emploie le mot qui sert à le désigner comme terme de comparaison élogieuse ! CHAPITRE: X. LA FORMATION DES PERLES, Les perles se trouvent dans un Unio ou dans une Margari- tana soit à l’état libre entre les valves, soit attachées à une de ces dernières, soit encore, et ce sont les plus belles, dissé- minées dans le corps même de l’animal. On en découvre par- fois, en effet, dans les parties les plus diverses de leurs tissus, qui sont beaucoup plus rares que les premières. Trois causes principales et bien déterminées peuvent ame- ner les mulettes à sécréter des perles. Telle était du moins Popinion généralement admise naguère encore et qui, à l'heure actuelle, compte encore d'assez nombreux partisans. Nous les passerons successivement en revue en réservant pour le chapitre suivant l'examen de théories créées depuis peu, dont la justesse a été confirmée par de si curieux résultats. Basées sur des idées très nouvelles et que tous les savants, à notre connaissance du moins, n’ont pas encore adoptées, elles méritent, en effet, de faire l’objet d’une étude spéciale. Dans les pages qui vont suivre, nous résumerons donc les principales opinions qui ont été émises au cours du xix° siè- cle jusqu’au jour où M. L. Diguet, l'explorateur érudit des côtes de la Basse-Californie, a montré, ce que l’on ignorait avant lui, que toutes les perles produites par un mollusque ne pouvaient pas être regardées comme étant identiques. Quelques-unes seulement, et c’est à beaucoup près le plus petit nombre, méritent l'appellation de perles fines, de perles nobles, ainsi que l’on disait autrefois, tandis que les autres ne sont, en somme, que des perles de nacre. 44 CHAPITRE X En temps et lieu, nous reviendrons sur la signification de ces deux termes. Avant d’aller plus loin, nous dirons que les théories nou- velles ne nous paraissent pas avoir complètement détruit celles qui avaient cours auparavant, si elles les ont battues en brèche sur bien des points, et nous croyons que nos lecteurs trouve- ront encore plaisir et profit à connaître les opinions des prin- cipaux hommes de science qui, avant M. L. Diguet, se sont, au cours du siècle qui vient de finir, occupés de la formation des perles. Nous l’avons dit, ils lui reconnaissaient trois causes. Les voici par degré d'importance : 1° L'introduction et le séjour d'un corps étranger entre leurs valves. 2° Un accident arrivé à la coquille ou la déformation de cette dernière. 3° Une maladie. Dans le cas d'introduction d’un corps étranger dont la nature importe peu, pour ne pas dire pas du tout, on conçoit aisément ce qui doit se passer. Le mollusque éprouve une gêne dont il cherche à se débar- rasser d’abord par les mouvements de son manteau. Quand il ne peut y parvenir, et cela sans doute a lieu assez souvent, il s’y prend d’une autre façon. Son pallium sécrète pour cela ce même mucus chargé de sels calcaires dont les valves ont été formées et bientôt le corps étranger est recouvert de cou- ches concentriques. Bref, il est devenu le nucleus ou noyau d’une perle. Plusieurs cas peuvent se présenter. Le corps étranger est-il de telle nature et de dimensions telles qu'il se soit logé sous le manteau ou qu'il ait été roulé par ce dernier entre lui et les valves ? La perle ainsi formée sera ou très ronde, ou plus ou moins ronde, ou parfois même tout à fait irrégulière. Si pour des causes qu’il ne nous est pas toujours très facile de connaître, la sécrétion affecte des formes singulières, elle est dite baroque. Jadis, si l’on en croit l'Encyclopédie, ce LA FORMATION DES PERLES 45 colossal ouvrage qui eut pour principaux inspirateurs Diderot et d’Alembert, les perles baroques portaient également le nom de perles d'Écosse, dont le nom nous paraît avoir été beaucoup plus général. Par cette expression on désigne volontiers aujourd’hui toutes les perles de mulette. Quelquefois la joaillerie ne peut pas, tant les formes de ces perles sont bizarres, les monter en bijoux; mais alors elle les transforme souvent en objets d’art. Le Musée de Dresde pos- sède un certain nombre de perles baroques d’'Unio converties de la sorte en divers sujets qui font l'admiration de tous les visiteurs. Les Américains savent également en tirer un bon parti. On cite notamment une perle qui fut montée par eux et qui, par une coïncidence fort singulière, présente les traits de Michel- Ange, et cela, dit-on, d’une façon très surprenante. Si le corps étranger est trop lourd, si, pour une cause quel- conque, il ne peut pas être roulé par le manteau et demeure appliqué contre l’une des valves, il y est bientôt soudé en quelque sorte et recouvert d'une couche nacrée. Dans ce cas, la perle ne peut pas être complètement sphérique. Une de ces parties est forcément aplatie. Quand le corps étranger se trouve près de la charnière qui réunit les deux valves, faute d’espace, la perle, dont il devient le noyau, est allongée et sans valeur. Les Américains lui ont donné un nom spécial. Ils l’appellent hinge pearl, ou perle de charnière. Il peut arriver encore que le corps étranger détermine sur une des valves un amas de mucus, qui forme comme une boursouflure de dimension plus ou moins grande. C’est la coque de perle. Il convient que nous citions une autre variété de ce dernier cas. Très souvent le corps étranger qui sert de nucleus est tel que les couches déposées sur lui ne peuvent jamais rien for- mer qui, même de très loin, ressemble à une perle. C’est ainsi qu’on cite des Unio des Etats-Unis et d’ailleurs aussi qui, à l’intérieur de leurs valves, montrent aux regards sur- 46 CHAPITRE X pris des brindilles, voire même de petits poissons, englués pour ainsi dire dans le mucus, et comme momifiés. A noter encore ces petites excroissances nacrées qui parfois sont semées sur toute la surface interne des valves, mais qui sont plus rares dans les Unio et les Margaritana que dans les Haliotis. Elles ont pour origine de minuscules grains de sable, ayant servi de nucléus, entrés dans la coquille à la suite de quelque soudaine agitation du fond sur lequel les mollusques vivent et non rejetés par lui. Ainsi donc les mulettes ne sécrètent de mucus pour en cou- vrir un corps étranger que dans le but de se délivrer d’une gêne, et justement le travail auquel elles se livrent pour cela leur en occasionne un autre. Lorsqu'une perle est devenue un peu grosse, elle tient sou- vent dans la coquille une place qui est parfois relativement considérable. L'animal subit alors une incommodité à laquelle il ne peut se soustraire que si le corps étranger, recouvert par lui de couches nacrées,est indépendant, à l’état libre. Dans ce cas, il a soin de l’expulser, et ce fait est bien connu par les pêcheurs de tous Les pays. Ceux des bords de l’'Elster, en Saxe, prétendent même que les Unio se séparent fréquemment de leurs perles quand ils voient qu’on va les leur ravir et trompent ainsi l’espérance de ceux qui sont en quête de leurs précieux trésors. Comme on le voit, cette fiction est basée sur un fait abso- lument vrai. A propos du mucus des Margaritana, des Unio, et de tous les mollusques perliers en général, Brehm, dit, dans les Mer- veilles de la Nature, « qu’il est sécrété par des cellules micros- copiques appartenant au système vasculaire et au manteau ». Puis, il ajoute « que la résidence de la perle et son siège déterminent les relations des trois couches qui font partie de la coquille. Les perles qui siègent dans la couche du manteau qui secrète les beaux dépôts nacrés, conservent ces dépôts et deviennent des perles d’une très belle eau. Les perles qui siègent dans le bord du manteau qui forme la couche épi- dermique et la couche à colonnettes, s’approprient la struc- ture des colonnettes, et notamment de la dernière. Aussi ne deviennent-elles point précieuses... ». LA FORMATION DES PERLES 47 Ainsi que nous l'avons déjà dit, les expériences de M. Bou- tan au laboratoire de Roscoff qui l’ont conduit à forcer des Haliotis à sécréter des perles, infirment les idées de Brehm en ce sens qu’il n’est plus permis maintenant de sectionner en plusieurs parties le rôle du manteau. Les travaux plus récents de M. L. Diguet contredisent encore davantage l’opi- nion du savant allemand. Nous avons placé au second rang des causes qui amènent la formation des perles la gène causée aux Margaritana et aux Unio par les accidents survenus à leurs coquilles. En effet, quand elles sont brisées, ces mollusques les répa- rent bien vite, et le manteau, par ses mouvements, joue en quelque sorte le rôle d’une truelle. Il étend par couches, régulières le plus souvent, le mucusqu'’il sécrète et le trou ne tarde pas à être bouché. A plus forte raison, quand il n’y a qu'une simple fêlure, le dégât est-il promptement réparé. Mais que s'est-il passé presque forcément dans l’un ct l’autre de ces deux cas ? Quelques fragments de la coquille, peut-être extrêmement petits, ont dû pénétrer dans l’intérieur où ils font plus que gèner l’animal. Ils le piquent; ils peuvent même entamer ses chairs. Aussi s’empresse-t-il de les couvrir de couches con- centriques nacrées. Bref, les esquilles deviennent des nucleus. Les chercheurs, qui ont pensé qu’en blessant une mulette ils pourraient l’amener à sécréter des perles, n’ont pas songé qu’en s’y prenant comme seulement ils pouvaient le faire, ils ne se mettaient point dans les conditions requises. C’est moins sans nul doute la blessure elle-même que la présence d’une esquille ou de tout autre petit corps que l'on voudra qui détermine la formation d’une perle. Il n’est pas de meilleur nucleus que ces petits fragments de coquille dont nous venons de parler, et pour corroborer ce que nous venons d’avancer, nous rappellerons un fait bien connu de tous les habitants de l’île de Sein. Les personnes qui font de la conchyliologie le sujet de leurs études savent que de très nombreux Haliotis vivent sur les rochers qui bordent cette motte de terre incessamment battue 48 CHAPITRE X par les flots d'une mer, hélas! trop souvent en furie. Ces univalves ne deviennent perliers que lorsqu'ils sont à proxi- mité d’un banc de sable formé par de très petits débris de coquilles, ainsi que nous l’a aflirmé notre savant ami, M. Le Carguet, d’Audierne. Par les trous que la nature a percés dans la coquille de ces mollusques, quelques-uns de ces fragments pénètrent parfois jusqu’à leur corps, auquel ils causent une sensation de gêne, d’irritation, voire même de douleur. Alors des perles ne tar- dent pas à être formées. Le procédé imaginé par M. Boutan au laboratoire de Roscoff est évidemment fondé sur les faits que nous venons de relater. Si bons réparateurs que soient les Unio et les Margaritana, leurs coquilles demeurent très souvent déformées. Elles le sont aussi assez fréquemment à cause du milieu dans lequel les mollusques qui les habitent sont contraints de vivre. En effet, au fond d’un cours d’eau, les mulettes sont parfois comme parquées au milieu de pierres qui constituent un obs- tacle infranchissable pour elles et qui nuisent d’une façon quelconque à leur accroissement normal. Trop resserrées, les valves sont obligées de se contourner d’une manière souvent très curieuse et très singulière. Il semble que ces circonstances soient absolument favora- bles à la formation des perles pour peu surtout qu’un corps étranger, si petit qu’il soit, pénètre entre leurs valves. Les conditions de gêne constante dans lequel ces mollusques sont contraints de vivre les prédisposent en quelque sorte au tra- vail. Les paysans des rives de l’Aven et de l’Elorn, en Breta- gne, sont donc très Joyeux quand ils capturent des Unio dont les valves n'ont pas leur forme naturelle. Ils sont presque assurés que la visite à laquelle ils se livreront sera très fruc- tueuse. | Nous devons reconnaître qu’en général leur attente n’est pas trompée. Il en est de même encore lorsqu'ils pêchent des mulettés dont la coquille porte des trous fermés à la partie inférieure, soit qu'ils n’aient pas été complètement forés, soit qu'ils aient été bouchés à l’une de leurs extrémités avec du mucus. A LES MOLLUSQUES D'EAU DOUCE ET LEURS PERLES FIGURE IV. — Valve d’Unio. (Face exter- Ficure V. — Valve d'Unio. — On voit, ne). — On voit, en haut et à gauche, le en haut et à droite, la Perle en place. sillon qui correspond intérieurement à la Perle de la Fig. V. Ficure VI.— Valve d'Unio. — Face ex- Ficure VII. — Valve d'Unio. — Face terne très curieusement déformée. interne déformée. L. BONNEMÈRE PLANCHE II LA FORMATION DES PERLES 49 Pontaven (Finistère), et ailleurs aussi peut-être, ces coquilles sont qualifiées de piquées. Les pêcheurs affirment qu’on y trouve presque sûrement des perles, et ils ont raison. Les mo- tifs qui ont amené la formation des sécrétions nacrées dans ces dernières sont absolument les mêmes que ceux que nous avons. indiqués lorsque nous avons parlé des Unio dont les valves sont déformées. On peut donc dire que très fréquemment l’état extérieur d’une coquille permet de conjecturer d’une façon à peu près certaine si oui ou non sa capture récompensera le pêcheur de ses peines. Nous avons dans notre collection bon nombre de valves de mulettes provenant de Pontaven. Elles sont déformées ou piquées. Quelques-unes présentent même à la fois ces deux particularités. Nous savons par M. Ménard, le peintre distin- gué, que toutes ou presque toutes contenaient des perles dont il a pris soin de nous indiquer la place par des signes minu- tieusement tracés. Or, la place de la majeure partie, pour ne pas dire de la totalité, est en parfaite concordance avec les défor- mations et avec les piqûres. Les espèces américaines ont donné lieu aux mêmes obser- vations, dont l'importance, nous l’espérons du moins, n’échap- pera à aucun de nos lecteurs. Il ne nous reste plus qu'à étudier la troisième des causes que nous avons mentionnées. Les perles, a-t-on dit et dit-on encore, sont la conséquence d’une maladie. Quelques auteurs ont supposé que, dans certains cas, il y avait surabondance de mucus chez les Unio. A les entendre, ces mollusques seraient menacés de devenir pléthoriques! Pour que leur santé puisse recouvrer son équilibre, il faut qu’ils emploient le mucus calcifère encombrant leur système vasculaire et leur manteau, et cela coûte que coûte. Il y a donc parfois pour eux nécessité absolue de sécréter des perles (1). (1) Les diamants et les perles fines, ouvrage collectif de MM. Jannetaz, E. Fontenay, Em. Vanderheyem et A. Coutance. Voir au chapitre inti- tulé : Les Perles. BONNEMÈRE. 4 50 CHAPITRE X Cette théorie ne compte plus guère de partisans, nous le croyons du moins. Au cas même d’ailleurs où l’on pourrait démontrer que cette pléthore existe, ce qui, on en conviendra, est fort difhcile, elle ne suffirait pas à elle seule à déterminer la création d’une perle. D’autres savants ont soutenu également que les mollusques que nous étudions ont une maladie de rein assez fréquente et bien caractérisée par des corps de forme à peu près toujours ronde et très petits qu’on rencontre dans cet organe. Bref, les mulettes seraient atteintes fort souvent d’une gra- velle {1), et, pour corroborer leur opinion, ces auteurs font remarquer qu’elles ont constamment en elles une certaine quantité de cet acide urique que les goutteux et les rhumati- sants connaissent, hélas ! trop bien. Incidemment nous avons eu déjà l’occasion de déclarer ce que nous pensions de cette théorie. Les corpuscules dont il s’agit, et pour notre part nous en avons trouvé jusqu’à une douzaine dans le rein du même individu, ces corpuscules, disons-nous, peuvent évidemment servir parfois de nucleus ; mais on se tromperait grandement en supposant que la chose a toujours lieu. Nous ne saurions trop le répéter, nous avons disséqué des mulettes qui, tout en ayant de ces calculs, ne contenaient pas de perles. D’autres, qui ne présentaient pas le moindre symp- tôme morbide, en recelaient au contraire. il ne nous semble pas nécessaire de nous attarder plus longtemps à l’examen d’une théorie qui n'a pas, croyons- nous, de fondement bien sérieux, ainsi qu’on vient de le voir. Des naturalistes ont pensé que les perles avaient pour noyau central sinon un parasite, du moins un de ses œufs. Cette opinion a été émise pour la première fois par l'italien Filippi, qui croyait que ce parasite n’était autre qu'un Dis- tomum. (1) A. Dastre, loc. cit. LA FORMATION DES PERLES pl Sa façon de voir fut partagée par l’allemand Küchein- meister qui remplace l’insecte désigné par l’Atax Ypsilophorus, un arachnide vivant dans les eaux douces. Le nom d’autres insectes a encore été mis en avant. Il convient de joindre aux témoignages de ces hommes éminents dans la science l’opinion des pêcheurs des rives de l’'Elster. Ils prétendent, en effet, que la sécrétion des perles par les mulettes est due à l’attaque d’un certain Annélide, auquel ils ne paraissent pas avoir donné de nom. Les habitants de Pontaven, en Bretagne, ne sont pas d’un avis différent. Le célèbre naturaliste allemand Von Heszling, dont l’au- torité, jadis prépondérante, est encore grande aujourd’hui quand il s’agit d’une question concernant les perles et leur formation, n’eut pas de peine à démontrer que les théories de Filippi et de Kücheinmeïster étaient excessives, dans ce sens que beaucoup de sécrétions formées par des mulettes ne présentaient point dans leur milieu la moindre trace d’un œuf d'insecte. L L’illustre savant s’est exprimé de la sorte parce qu’il ran- geait toutes les perles dans la même catégorie et qu’il leur donnait à toutes un mode de formation identique : ce qu’il n’est plus permis de faire aujourd'hui. Par ce qui précède on voit que l'intervention d’une maladie d organique n’est guère probable. L'attaque d’un insecte, provo- quant par sa morsure ou sa piqûre une inflammation locale, peut seule être invoquée, pour expliquer la formation des perles dans une partie quelconque du corps d’une mulette, car, ainsi 1 ) que nous l'avons dit au commencement de ce chapitre, on en découvre parfois dans les organes et les muscles les plus e) divers. On en a trouvé, voire même de fort belles, jusque 2? 7) dans les adducteurs des valves, dont la chair est cependant compacte et relativement dure. Puisqu'on niait le rôle joué par des insectes visibles et dont les noms étaient connus, et qu’on ne pouvait pas, à cette F pas, époque,connaître celui qui, de nosjours,estattribué sans doute à juste titre, à des microbes, il fallait bien chercher autre chose. 52 CHAPITRE X Pour expliquer la présence de perles dans l’intérieur même du corps des mulettes, on a fait intervenir encore la présence de corps étrangers et voici de quelle façon on s’y est pris. Les Unio, nous l’avons vu, ne choisissent point leur nour- riture. Le courant la leur apporte. Aussi doivent-ils souvent avaler des matières qu’ils ne peuvent pas s’assimiler et que, pour des raisons diverses, ils ne rejettent pas non plus par leur anus. Elles pénètrent dans leur corps grâce aux orifices dont nous avons signalé l'existence ; puis elles cheminent alors à travers les tissus et finissent par se fixer dans des endroits très variables. Là, elles deviennent de véritables nucleus. S'appuyant aussi sur ce que le système circulatoire des mu- lettes n’est point fermé et que, par les pores du pied, de l’eau pénètre facilement dans tout leur organisme, on a cru pou- voir encore créer une autre théorie qui a bien quelques rap- ports avec celle dont nous venons de parler. On a donc prétendu que par ce pied dont nous avons, en temps et lieu, signalé une particularité intéressante, le liquide ambiant entre sans difficulté dans l’intérieur de nos mollus- ques où il se mêle un peu à leur sang, entraînant avec lui des corpuscules de nature organique ou autre et dans tous les cas infiniment petits. Après avoir été charriés de la sorte, ils se déposent dans quelques-uns de ces vides, ou lacunes, dont nous avons parlé quand nous avons brièvement entretenu nos lecteurs de ce qu’on appelle le système aquifère. Dès lors, leur présence constitue une gêne. Un afflux de mucus a lieu pour le plus grand bien des mollusques. Le suc calcaire, comme on disait autrefois, fait son œuvre plus lentement, plus régulièrement que lorsque le pallium joue un rôle dans l’opération. Bref, des perles se formeraient à la longue, qui ont toute chance d’être très belles et dignes d’être en tout point qualifiées de fines. Il n’est point malaisé de comprendre comment il se fait que bon nombre d’entre elles peuvent, en déchirant les tissus, revenir à l'état libre entre les valves où elles se mêlent aux LA FORMATION DES PERLES 53 perles de nacre qui, assez généralement, leur sont fort infé- rieures à tous les points de vue. Sans doute, nous eussions pu nous étendre bien davantage et citer beaucoup d’autres opinions émises par différents auteurs. Les dimensions que nous avons résolu de donner à notre travail ne nous permettent pas de le faire. Telles sont donc, rapidement énumérées, les causes qui, d’après divers savants du xix° siècle, peuvent amener la sécré- tion d’une perle. Bien que nous les ayons rangées en trois classes distinctes afin de nous conformer à un usage reçu, il est très évident, en somme, qu’il n’v en a réellement qu’une. D'une manière générale, on pouvait dire, en effet, avant les expériences de M. L. Diguet, qui ont permis d'envisager la question sous un jour tout nouveau, qu’une mulette d’une espèce bien douée au point de vue margaritifère sécrétera une perle toutes les fois qu’elle éprouvera une gêne, quelle que soit d’ailleurs la cause qui l’occasionne. De plus, devra-t-on ajouter, en agissant de la sorte, les mollusques se mettent à l’abri d’un grand danger si le corps étranger est d'une nature telle qu’il puisse tomber en putréfaction. Sa décomposition entre ieurs valves, et, à plus forte raison dans leurs tissus, amènerait forcément des désordres, dont nous nous sommes fort bien rendu compte au cours de nos propres expériences. Ils n’auront absolument rien à craindre lorsqu'ils l’auront entouré de mucus. Cette décomposition des nucleus putrescibles est, suivant nous, la cause évidente de la mauvaise odeur qui s’exhale assez fréquemment des perles quand on les scie ou quand on les perce pour ies monter. Nous tenons ce fait évidemment curieux d’un grand nombre de bijoutiers. Il n’est peut-être pas sans intérêt de faire remarquer que les abeilles n’agissent point pour ainsi dire d’une façon très différente lorsqu'une limace a, par hasard, pénétré dans 54 CHAPITRE X leur ruche. Ne pouvant pas chasser le mollusque indiscret qui, de son côté, sera bien incapable sans doute de retrouver l'endroit par lequel il est entré, ces buveuses de rosée l’en- gluent, le momifient, s’il nous est permis de nous exprimer ainsi, afin de se soustraire à des miasmes délétères pour elles, qui ne manqueraient pas de se produire après que l’impru- dent sera mort d’inanition ou par suite de leurs piqûres non sans avoir auparavant pollué par son « train glaireux » comme a dit un de nos vieux poètes, toutes les parois de leur calme demeure et jusqu’à leurs rayons de miel. Les mulettes font en partie et par instinct la même chose que les gentes avettes par calcul et par intelligence. CHAPITRE XI. PERLES DE NACRE ET PERLES FINES,. Jusqu'au jour où M. Diguet saisit l’Académie des Sciences de ses découvertes sur les perles qu’il avait pêchées sur les bancs de la Basse-Californie, on n’avait jamais songé à les ranger en différentes catégories. Les unes étaient douées d'un orient splendide et on les admirait. Les autres n’en avaient que très peu et les bijoutiers ne les employaient que par fractions, dissimulant par un artifice de monture leurs côtés défectueux. D’autres enfin, et très nombreuses celles-là, étaient sans surface brillante aucune, absolument ternes en un mot porcelainées, pour nous servir d’une expression qui n’a pas besoin d’être expliquée, ou même encore pires que cela. Parfois on disait de ces dernières qu’on les avait pêchées trop tôt, c’est-à-dire avant que l’animal ait pu les parfaire, les revêtir d’une couche nacrée. Il semble bien que parfois il doive en être ainsi. Malgré les travaux de M. Diguet, qui ont porté exclusive- ment sur les huîtres à perles et ceux plus récents de divers savants qui ont repris ses études et les ont complétées, nous croyons toujours, en effet, que certaines perles, sans beauté aucune, et partant sans valeur, en auraient peut-être acquis avec le temps. Jusqu’à présent, en France, toute mulette cap- turée est, par malheur, vouée à une mort immédiate, qu’elle soit perlière ou non, alors qu’en Saxe les pêcheurs rejettent constamment les Unio qu’ils ont ouverts, sans leur avoir fait pour cela le moindre mal, s'ils ne contiennent pas de perles 56 CHAPITRE XI ou si celles qu'ils y ont découvertes ne leur semblent pas suffisantes. Que conclure de là, si ce n’est qu’en Allemagne une perle dénuée d’orient est regardée comme susceptible d’en acqué- rir par la suite ? Nous l’avons déjà dit et nous ne saurions trop le répéter, avant M. Diguet, on n'aurait pas pu supposer que les perles n'avaient pas toutes le même mode de formation, et nous nous étendons d’autant plus volontiers sur les travaux de ce savant que nous sommes absolument convaincu que, visant des mollusques marins, les Meleagrina margaritifera,ils sont, au moins dans une certaine mesure et avec des modifications nécessitées en partie par la différence du milieu ambiant, très applicables aux Unio et aux Margaritana. M. Diguet n’a pas ditetne pouvait pas dire que la pré- sence d’un corps étranger entre les valves de certains mollus- ques et mieux encore sous le pallium n’amenait pas la sécré- tion de perles; mais il a soutenu victorieusement que celles qui ont cette cause pour origine sont indignes de porter le nom de perles fines, au moins dans la majorité des cas. | Pour le savant explorateur, les perles vraiment fines ont une origine tout autre et elles ne prennent naissance que dans le corps de l'animal. Elles ont pour point de départ des parasites dont on retrouve les restes dans leur milieu. Ces parasites dont, on le voit, le rôle est si curieux, n'ont pas pu encore être déterminés par M. Diguet, qui est reparti pour un nouveau voyage en Basse-Californie. Nous voyons, d’après ce qui précède, que la théorie du savant explorateur se rattache, somme toute, aux idées que. certains naturalistes du siècle dernier avaient déjà émises» comme aussi à celles des riverains de quelques-uns de nos cours d’eau de Bretagne et d’ailleurs. Filippi et Küchein- meister étaient donc dans la bonne voie. S'ils avaient moins généralisé, Von Heszling les aurait moins facilement vaincus, en démontrant que dans des perles très belles il n’y avait pas toujours desrestes d’Atax y psilophorus, de Distomum ou d’au- tres insectes. PERLES DE NACRE ET PERLES FINES 57 De même, on peut dire, à propos des travaux de M. Diguet, que souvent, au moins dans nos Unio, on découvre des perles remarquables qui vraisemblablement n’ont pas eu pour lieu de formation quelque partie du corps de ces mollusques ; mais cependant on est bien obligé de reconnaître que celles qu'on trouve renfermées dans leurs tissus sont ordinairement les plus belles. C’est pour cela que nous n’avons pas hésité à reconnaître que les théories de ce savant doivent être prises en grande considération, même pour ce qui concerne les sécré- tions de nos mollusques d’eau douce, parce qu’elles éclairent d’un jour nouveau une question qui, avant lui, et malgré les recherches de très nombreux naturalistes, demeuraïit fort obs- cure. | A l’entendre et pour nous résumer, parmi les Meleagrina qu'il a spécialement étudiées, celles-là seulement peuvent sécréter des perles vraiment fines qui ont été atteintes d’une affection due à des parasites d’un genre spécial et encore indéterminé. Il s’en suit très naturellement que si on arrive un jour à les bien connaître, ce qu’il faut espérer, on pourra les propager par un moyen quelconque sur les bancs d'huîtres, et alors, par une conséquence forcée, et grosse en précieux résultats, on obtiendra un nombre beaucoup plus considé- rable de perles vraiment fines. Donc, d’après le savant auteur dont nous analysons trop brièvement les travaux, les perles fines se trouvent exclu- sivement à l’intérieur même du mollusque, au sein de ses tissus. Les autres, qui ne seraient que de simples objets nacrés, de forme plus ou moins ronde et souvent très irrégu- lière, très baroque, pourraient, relativement aux premières, être taxées de fausses perles. On est convenu de les appeler des perles de nacre ; et à diverses reprises nous nous sommes servi de cette expression à présent tout-à-fait reçue. Parmi ces dernières il en est pourtant qui méritent de fixer l'attention, d’être recherchées encore pour leur beauté; mais le plus grand nombre n'aurait aucune valeur. La théorie de M. Diguet s'appuie sur des faits observés par lui au cours de son voyage. 58 CHAPITRE XI Elle implique forcément un mode de formation très parti- culier, puisque l'introduction d’un corps étranger ne peut plus être regardée comme étant sa cause, ainsi que l’ontcru la plu- part de ses devanciers, car nous avons vu que Filippi et Kü- cheinmeister ont eu à cet égard des opinions très spéciales. En rendant compte dans les Annales Politiques et Litté- raires de la découverte qui nous occupe en ce moment, M. Henri de Parville, dont la compétence scientifique est universellement reconnue, s’est exprimé de la façon suivante: « La perle fine, — y dit-il, — ne se constitue pas d’emblée, comme la perle nacrée. Elle subit une évolution. Au début, elle se manifeste sous la forme d’une ampoule, d’une phlyc- tène remplie d’une sérosité dont la matière organique en dissolution se condensant progressivement arrive, après s'être maintenue pendant quelque temps à l’état gélatineux et avant de se calcifier, à se transformer en une matière ana- logue à la conchyoline. La condensation accomplie, la nappe se subdivise en une série de couches concentriques, laissant entre chaque zone des interstices que le dépôt calcaire cris- tallisé occupera peu à peu... Au centre, — ajoute-t-il plus loin, — on rencontre un espace vide, occupé par de la matière organique, quelques cristaux calcaires et des débris d'êtres organisés (1)... » Les débris ne seraient autres que ceux des parasites dont nous avons parlé plus haut. Les observations de Filippi et de Kücheinmeïster qui, nous l'avons dit, furent battues en brèche par Von Heszling, dont les opinions avaient force de loi, étaient donc bien fondées, au moins d’une façon générale. Ainsi qu’on vient de le voir par tout ce qui précède, parmi les perles, soit de Meleagrina, soit d'Unio, très peu mériteraient véritablement le nom de perles fines ; et pourtant nos bijou- tiers en vendent de très bonne foi beaucoup sous cette appellation. Ils ignorent, en effet, la distinction qu’il con- (1) Henri de Parville. Mouvement scientifique, dans les Annales Poli- tiques et Littéraires, n° du 1°" octobre 1809. PERLES DE NACRE ET PERLES FINES 9 vient de faire entre les brillantes sécrétions des mollusques margaritifères. Quoi qu’il en soit, les dames qui les portent montées en bijoux, sont cependant très fières d’en faire montre. Elles ne se doutent pas qu’il en est, même parmi les plus belles, qui ne sont peut-être, en somme, que des perles de nacre habile- ment choisies. Conviendrait-il de les dissuader ? Non, certes. Elles ont foi dans la beauté de leurs parures et cela suffit. En fait de bijouterie, comme en fait de beaucoup d’autres choses, c’est la foi qui sauve ! CHAPITRE XIT: LENTEUR DE LA FORMATION DES PERLES. La lecture des ouvrages publiés en Amérique et en France jusqu’à ces dernières années ne nous permettait pas de nous faire une idée bien exacte du temps que met un.Unio à sécréter une perle. On s’en rapportait, faute de pouvoir mieux faire, aux assertions de Brehm qui, dans les Merveilles de la Nature, affirme qu’au bout d’une année la couche déposée sur un corps étranger par une mulette est à peine appréciable et que, d’après les observations faites par les pêcheurs, des perles de la grosseur d’une tête d’épingle mettent douze mois pour atteindre celle d’un petit pois. Bref, à l'entendre, il faudrait une vingtaine d'années pour qu’une perle d'Unio acquière un volume ordinaire. Ce serait même pour cela que le gouver- nement saxon, qui a divisé l'Elster en un certain nombre de cantonnements, ne permet la pêche dans chacun d'eux que d’une façon successive, afin de donner aux mollusques le temps d’en sécréter de suffisamment grosses pour avoir une valeur commerciale. Les arguments de Brehm et les chiffres cités par lui ne sont pas absolument convaincants, et il est permis de croire qu’il a singulièrement exagéré la lenteur avec laquelle les mulettes accomplissent leur tâche. Nous savons, en effet, que les Haliotis vont beaucoup plus vite en besogne, mais nous devons confesser toutefois que leur rapidité est toute rela- tive. Il faut environ deux ans à un de ces univalves pour LENTEUR DE LA FORMATION DES PERLES 61 sécréter une perle susceptible d’être employée dans la bijou- terie. Peut-être à cause de la différence de milieu, ne pouvons- nous pas nous en rapporter trop complètement aux obser- vations que M. Boutan a faites sur un mollusque en somme très différent de ceux qui font le sujet de notre étude. Mais il existe, en Chine il est vrai, un coquillage qui est fort voisin de nos Anodonta et même de nos Unio. C’est le Dipsas plicatus. Tous les conchyliologistes savent fort bien qu’on le force à recouvrir de nacre les petites figurines qu’on fixe solide- ment à l’intérieur de ses valves. Longtemps on a cru qu’elles étaient maintenues en place par la seule pression que le corps du mollusque exerce sur elles; mais M. le D' Capitan, ancien président de la Société d’Anthropclogie de Paris, a détaché plusieurs de ces figurines et a toujours remarqué qu’elles avaient été collées au moyen de gomme laque, c’est-à-dire à chaud. Dès lors, il est permis de se demander si cette façon de pro- céder n’influe pas grandement sur la promptitude que lani- mal déploie. L'incommodité qu'on lui a causée par l’introduc- tion de corps étrangers se double pour lui, au premier moment tout au moins, d'une sensation de chaleur, presque de brûlure même peut-être dans certains cas. Quelques auteurs prétendent aussi qu’on frotte avec des feuilles de camphrier les figurines dont nous avons parlé afin de les rendre en quelque sorte caustiques. Quand, au bout de quelques jours, on repêche les Dipsas plicatus que l’on a remis dans l’eau dès que le collage des objets a été fait on remarque que ces derniers sont déjà recouverts d’une membrane destinée à être par la suite recou- verte d’un mucus calcifère. Quand sept ou huit mois se sont écoulés, les mollusques ont parfait leur œuvre et les pêcheurs les leur dérobent. Il est plus que probable que le Dipsas plicatus, pas plus d’ailleurs que l’Haliotis, ne travaillerait avec si grande rapi- dité s’il était livré à lui-même, s’il n'avait qu’à se délivrer 62 CHAPITRE XII d’une gêne causée par un corps étranger mis en contact avec son corps par suite d’une circonstance naturelle. En pareil cas, des Margaritana et des Unio agiraient sans doute de même. Des expériences du genre de celles que nous venons de rap- porter ne permettent pas, suivant nous, de rien conclure rela- tivement au plus ou moins de temps qu’il faut à un mollus- que margaritifère pour sécrérer une perle; mais elles peuvent cependant fournir quelques indications utiles. Au surplus, beaucoup de causes peuvent expliquer le peu de hâte que, suivant Brehm, les Unio {et sans doute aussi les Margaritana) déploient d'ordinaire dans leur travail qui, d’ailleurs, peut être retardé ou même interrompu pour des rai- sons diverses. Nous inclinerions à penser que les influences atmosphériques, le froid surtout, qui, pendant l'hiver, les fait s'enfoncer dans le sable ou la vase où ils demeurent comme engourdis jusqu’au retour de la belle saison, les époques du frai qui se représentent deux fois par année, mille autres occurrences enfin qu'il est assez difficile de préciser, doivent influer d’une façon plus ou moins grande sur la puissance sécrétive de ces mollusques. Il est permis également de supposer que les Unio déploient une activité plus ou moins grande selon qu’un grain de sable s’est, par exemple, introduit entre leurs valves, ou qu’un accident est arrivé à l’une d'elles. Dans le second cas, la douleur et la gêne qu'ils éprouvent est beaucoup plus vive, le danger plus pressant. Il est donc tout naturel de penser qu'ils doivent chercher à réparer le plus vite possible le dommage causé. Nous en pourrions dire au moins autant quand les mollus- ques ont été attaqués par un de ces insectes dont Filippi et Kücheinmeïster nous ont dit le rôle, ou par d’autres encore qui, certes, ne seraient pas les moins redoutables si, comme la chose est fort probable, on doit appliquer aux mulettes les découvertes que M. Digueta faites au sujet des huîtres perlières de la Basse-Californie. Il y aurait des cas d'une gravité plus ou moins grande, LENTEUR DE LA FORMATION DES PERLES 65 ayant, comme conséquence naturelle, la formation de perles dans un temps proportionné peut-être à l’intensité du mal. Il est temps de nous résumer, et nous répéterons qu'en somme, les mollusques margaritifères ne peuvent se hâter que d’une façon toute relative. « Festina lente », le précepte du bon poète Horace est gran- dement mis en pratique par eux. Mais peu importe après tout. Quand une perle bien blanche et bien ronde a été décou- verte au milieu des chairs de quelque mulette ou qu’elle brille d'un éclat très doux entre les valves qui lui servent comme d’écrin, on n’en veut pas au coquillage du temps qu’il a mis pour parfaire un pareil chef-d'œuvre ! GHAPIDRERATE LA COLORATION DES PERLES. Dans les Merveilles de la Nature, Brehm prétend que la matière qui colore les perles provient de la nourriture des mollusques qui les ont sécrétées. A l’en croire, il faut donc, autant que possible, maintenir les cours d'eau qu'ils peuplent libres de toutes productions végétales et des boues qui proviennent de leur décomposition. En un mot, les eaux très claires et très limpides sont à beaucoup près les meilleures. Aussi voyons-nous que les mulettes se plaisent surtout dans les rivières et les ruis- seaux au cours très rapide, et que c’est toujours entre leurs valves ou au milieu deleurs chaïirs qu’on a le plus de chances de trouver des perles bien blanches et douées d'un bel orient. Von Heszling, dont Brehm n’a presque fait que de résumer les travaux, a dit à propos du point que nous traiterons dans ce chapitre, que les mulettes qui vivent dans des eaux mal- propres ont leurs tissus plus pigmentés. Par une conséquence naturelle, les perles qu’elles produisent sont donc plus ou moins colorées. Les sels, les molécules minéraux que l’eau peut tenir en suspension ont également une très grande influence. C’est ainsi, par exemple, que des perles trouvées dans des mollusques habitant une rivière courant sur des terrains ferrugineux, ont une teinte parfois un peu couleur de rouille. Dans le beau mémoire que M. Kunz, l'excellent conserva- teur des collections de la célèbre maison Tiffany, de New- York, a présenté au Gouvernement des Etats-Unis et qui traite LA COLORATION DES PERLES 65 de toutes les questions relatives aux mollusques qui nous occupent nous-même, il est fait mention d’un cas bien curieux. Un Unio, dont les valves étaient revêtues à l’intérieur d’une nacre d’un blanc extrêmement pur, a produit, à sa connais- sance, des perles d’un rouge pourpre superbe. Il faut donc supposer que le mollusque dont il s’agit ici avait trouvé dans le milieu ambiant une matière qui a teinté le mucus sécrété par lui. Nous avons choisi ce fait entre plusieurs autres du même genre parce qu’il nous a paru être absolument typique. Les observations que l’on peut faire en France relative- ment aux couleurs des perles produites par les Unio sont bien peu de chose auprès de celles dont leurs congénères de l'Amérique du Nord peuvent fournir la matière. On reste véritablement ébloui devant leur admirable diversité et nous ne pouvons mieux faire que de transcrire la liste que M. Kunz a dressée avec le plus grand soin, en y indiquant seulement les couleurs bien définies. Elle eût été beaucoup plus longue s’il y avait fait entrer toutes les nuances qu'il a pu observer. La voilà donc, cette liste, avec le degré de fréquence exprimé par des chiffres. Blanc moipour cent. Lavande. 3 pour cent. RoSeclains re — Brunes aie: 3 — POUTPrE Len 209 € l'2 GHSPERREE AUS 3 = INGÉES SRSNET 123 — RUbBIS ER, 2e 2 — Bienne Sal — Macon en uen — Rouges SHRLO — CAVE. I — On rec 12 — ATBÉUT AT ae « I — Bronze aie TO) — Couleur plomb 1 — TaUne AE Le Lo — Cerises 1.2.2 NOR — Mestre nie SAS — SAUIMON. 2%. 1 _— Gris d'acrenst "5 — Roseplusfoncé. 1 —— Couleur vin... : 3 — Ardoise: 340242 I — (1) Combien, hélas ! les couleurs des perles de nos Unio sont peu variées, si on les compare avec celles que nous venons (1) Kunz, loco citato BONNEMÈRE, 3 66 CHAPITRE XIII de passer en revue, et cependant cette nomenclature n’est pas complète, car nous n’y voyons pas figurer celles d’un lilas clair délicieux, qui ont si vivement attiré l’attention des visi- teurs lors de la dernière Exposition Universelle, et qui, paraîtrait-il, deviennent de plus en plus rares sans que l’on puisse savoir pourquoi ! Le blanc, le rose, le noir et le bronze sont les nuances le plus habituellement rencontrées en France. On trouve par- fois également chez nous des perles grises et même brunes; mais ces dernières sont en général si peu belles que ce n’est pas vraiment la peine d’en parler. Nous en avons vu encore, et nous les croyons rares, qui étaient entourées comme d’un cercle d’une couleur différente très exactement tracé. Certaines personnes ont prétendu et prétendent encore que les perles d’Unio perdent assez fréquemment leur orient, qu’elles meurent promptement, pour nous servir d’une expression consacrée par l'usage. Les perles de notre pays ne se détériorent pas plus vite que celles qui viennent des radieuses contrées de l'Orient que le soleil inonde de ses flots de lumière. Nous l’affirmons haute- ment, malgré l'opinion intéressée de quelques bijoutiers dési- reux d’en vendre qui soient d’un prix plus élevé, parce qu’elles ont été produites par des Pintadina ou des Meleagrina, sans être pour cela plus belles peut-être. En Bretagne, nous avons vu des parures déjà anciennes montées avec des perles locales, qui ne nous semblent pas du tout avoir subi les outrages du temps. La même remarque s'applique également à ces bijoux que, dans les vieilles familles de la Lorraine, on se passe de génération en géné- ration, et qu’on sort des écrins seulement dans les grands jours de fête. Il y a bien longtemps aussi que certaines perles, baroques et autres, du Musée de Dresde, en Saxe, ont été pêchées dans les eaux de l’Elster; et nous n’avons jamais entendu dire qu'aucune d'elles ait subi la moindre altération. Ce qui est peut-être vrai, au moins dans une certaine em LA COLORATION DES PERLES 07 mesure, c'est qu’à la longue la coloration des perles de mulettes s’atténue un peu. Nous en avions, dans notre collec- tion, de roses provenant du Stang-Ala, près de Quimper, qui sont aujourd’hui d’une teinte beaucoup moins vive. Il en est même qui sont devenues presque blanches. Elles n’en ont pas moins toujours un bel orient. Parmi les perles d'Unio on en trouve malheureusement beaucoup qui sont porcelainées, et beaucoup plus encore qui n’ont aucun éclat. Dans ses savants travaux, M. Diguet nous a appris à quoi cela tient. Perles de nacre, nous affirme-t-il ; et nous sommes de son avis, tout en faisant cependant nos réserves, Car nous croyons que parmi elles il en existe qui sont pour ainsi dire inachevées. Nous voilà très loin de la théorie qui voulait que la cou- leur d’une perle s’accordât toujours avec celle de la nacre des valves ou fût en rapport direct avec la partie du pallium près de laquelle elle avait pris naissance. Il a bien fallu admettre l'influence du milieu ambiant sur la pigmentation des tissus et du mucus des Unio et des Margaritana; mais on ne peut pas dire que toutes les questions qui se rattachent au sujet que nous traitons en ce moment soient complètement élucidées. Bien des points restent encore à éclaircir et le seront bientôt sans doute ; car le monde savant s'occupe de plus en plus de tout ce qui touche aux mulettes. CHAPITRE XIV. ESPÈCES PERLIÈRES. Nous avons déjà dit que, si on s’en rapporte à M. Arnould Locard et à d’autres savants classificateurs, les Ünio de France se divisent en un très grand nombre d’espèces, qui, d’ailleurs, pour des raisons que nous avons données, ne sont pas recon- nues par tous les conchyliologistes. Au pointoù nous en sommes arrivé, nos lecteurs peuvent désirer connaître quelles sont les see qui, principalement sécrètent des perles. Satisfaire leur curiosité n’est pas, en vérité, chose facile. Dans ceux de nos départements où l’on se livre encore plus ou moins à la recherche des perles (et leur nombre n'est pas grand), les pêcheurs ne s'inquiètent pas du tout de savoir à quelles espèces appartiennent les coquillages qui peuplent les cours d’eau. Peu leur importe même que ce soit des Unio ou des Margaritana qu’ils capturent, pourvu que leurs valves renferment les objets de leur convoitise | Nous sommes donc, il faut le reconnaître, fort mal docu- menté pour ce qui concerne l’heure actuelle. Le sommes-nous mieux pour le passé ? En aucune façon. Nous savons que les rivières et les ruisseaux de la Lorraine, par exemple, contenaient jadis des mulettes, aussi nombreuses que justement renommées à cause de la beauté de leurs perles. A quelles espèces appartenaient-elles exactement ? Nous n'avons sur leur compte que peu de données et elles sont loin de concorder toujours. Notre embarras est donc très grand. ESPÈCES PERLIÈRES 69 D'après M.Arnould Locard, et par ordre alphabétique, nous donnerons la liste des espèces de Margaritana et d'Unio, qui existent dans ceux de nos départements où nous avons appris que jadis on a trouvé des perles. Dans quelques-uns d’entre eux on en pêche encore, mais, hélas ! en quantités de moins en moins grandes. Pensant aussi être utile à nos lecteurs qui voudraient rechercher des Unio dans les différentes régions de notre pays où nous les signalerons comme étant perliers, nous aurons soin d’indiquer les noms locaux qu’ils portent toutes les fois qu’ils seront venus à notre connaissance. Nous ajouterons que, faute d'espace, nous ne pouvons pas donner après le nom de chaque espèce les caractères que M. Arnould Locard lui a reconnus. Ainsi que nous l'avons déjà fait une fois, nous renverrons pour plus de détails au bel ouvrage de cet éminent conchyliclogiste. Maintenant que ces points sont bien établis, il ne nous reste plus qu’à dresser la nomenclature que nous avons promise. Nous.la ferons précéder d’une liste des espèces qu’on ren- contre partout ou presque partout en quantités plus ou moins considérables, en ayant soin de les ranger par ordre alphabé- tique. Unio Batavus ([Maton et Racket). — U. Batavellus (Letour- neux). — U. Brevieri (Bourguignat). — U. cancrorum (id.). — U. falsus (id.). — U. fascellinus (Servain). — U. Gallicus (Bourguignat). — U. gestroïanus (id.). — U, meretricis (id.). — U. riparius (Pfeffer) (1). — U. rhomboïdeus (Schræter). — U. rostratus (de Lamarck). — U. sinuatus (id.). Peu communs dans tous les grands cours d’eau: U. maxi- mus (Moërch). — U. ryncheticus (Letourneux). Assez communs dans l'Est, plus rares dans le Centre : U. piscinalis (Ziegler). Un peu partout, dans le Centre et dans l'Est : U. subtilis (Drouet). Dans tous les petits cours d’eau de l'Est : U. nanus (de Lamarck). (1) Principalement dans l'Est. 10 CHAPITRE XIV Dans les étangs de la Gascogne, voisins des bords de la mer : U.ignariformis (Bourguignat). Nom local dans cette dernière région : Coutoyo (1). Pour rendre notre travail plus complet, nous suivrons la même méthode par rapport aux Margaritana. Nous dirons donc que celle qui a été caractérisée par le qualificatif d’elongata (de Lamarck) se trouve dans tous les cours d’eau des régions submontagneuses. Il ne nous reste plus à présent qu’à donner la liste dont nous avons parlé, après avoir dit que nous y comprendrons à la fois les Margaritana et les Unio qui, au point de vue au- quel nous nous plaçons, n’offrent vraiment pas de grandes différences. Voici donc les renseignements promis, divisés par départe- ments : Allier. Margaritana Michaudi (Locard). Unio Balbignyacus (id.). — U. crassatellus (Bourguignat). — U. niger (de Joannis). C'est dans l’Allier qu’on a trouvé des coquillages perliers, sans que nous puissions dire à quelle espèce ils appartiennent. En temps et lieu, nous reviendrons sur leur compte. Cantal. U. margaritifera. Nous relevons ce nom dans l’Aguarium d’eau douce de M. H. Coupin; et nous croyons qu'il a été employé égale- ment par d’autres savants, nos contemporains. Suivant nous, cette appellation que nous ne trouvons pas mentionnée dans e livre de M. Arnould Locard est erronée. Nous pensons (1) E. Rolland. La Faune populaire. ESPÈCES PERLIÈRES 71 que les auteurs qui ont employé ce terme l'ont appliqué à la Margaritana margaritifera, dont la présence dans nos cours d’eau a été niée par quelques conchyliologistes réputés à bon droit cependant. Dans tous les cas, ces mollusques sont, si nos renseigne- ments sont exacts, très peu abondants, et il y aurait très réel intérêt à en tenter la propagation. Quelques indices nous font supposer que l’on pourrait ren- contrer des individus de cette espèce, ailleurs que dans le département du Cantal, mais nulle part en grande quantité. Charente. U. Carantoni (Coutagne). — U. gobionum (Bourguignat). Noms locaux : Moules, Patagaux. Si le terme Patagaux semble être très spécial à ce pays, il n’en est pas de même pour l’autre. En effet, il est employé dans un très grand nombre de nos départements où il s’ap- plique indifféremment aux Unio, aux Margaritana, voire même aux Anodonta. Charente-Inférieure. } U. Carantoni (1). — U. Heckingii (Colbeau). — U. lacry- miformis (Locard). — U. pictus (Beck). Nom local : Palourdes. De temps immémorial on a pêché des Unio dans la Cha- rente et dans quelques-uns de ses affluents, notamment dans la Sevigne ou Seudre. Côtes-du-Nord. U. Andelyacus (Bourguignat). — U. Balbignyacus {Lo- card). (r) Nous nous sommes fait une règle absolue de ne pas répéter le nom de l’auteur, qui a décrit pour la première fois telle ou telle espèce d'Unio ou de Margaritana. 72 CHAPITRE XIV Noms locaux. Dans la partie de ce département où la langue française est parlée, on appelle les Unio et les Ano- donta Croquilles, corruption évidente du mot coquilles. On les nomme également Pisse-en-l’'air, pour une raison que nous avons fait connaître quand nous avons décrit le corps des mollusques auxquels nous consacrons cette étude. Dans la partie bretonne, les mêmes mollusques sont des Hisk ou Hist. Ces mots sont une déformation de Jstr, qui, dans les différents dialectes celtiques, signifie huître. C’est, à notre connaissance du moins, dans les environs de Guingamp seulement qu’on a pêché des perles ayant de la valeur, et cela en petit nombre. Partout ailleurs, dans le reste du département, elles sont fort rares, généralement très petites et d’une teinte plus ou moins rosée, mais sans beaucoup d’orient. Quelques-unes cependant qui sont bronzées présentent quelque intérêt. Nous ne croyons pas que la bijouterie locale ait jamais cherché à tirer parti des unes ou des autres. Dordogne. U. Michaudianus (des Moulins). Dans l'Isle on a trouvé parfois des Unio dont les valves renfermaient des perles assez belles, si nous en croyons un de nos correspondants. Finistère. Unio*Deshayesi (Michaud). Le département du Finistère étant, à l'heure actuelle, celui où la pêche des perles a le plus d'activité, il n’est pas étonnant que les riverains de ses cours d’eau y aient donné plusieurs noms aux mollusques qui les produisent. On les appelle Xroget ou XKreget (1) dour douc, mot à mot (1) 11 faut prononcer le g dur. ESPÈCES PERLIÈRES 73 « coquillages d’eau douce ». Kroget et Kreget sont des altéra- tions du mot breton Krogen, pluriel Kregin, même sens. On les nomme encore Meskleut, Mousklet, Mesklet, tous mots venant de Mesk et Mesklen, pluriel Meskled, moule. Pour ne pas confondre les moules de mer (Mytilus edulis) avec les mollusques perliers qui vivent dans leurs rivières, les paysans ajoutent souvent: dour douc, que nous avons déjà traduit, et même aussi dour ster, eau de rivière. Ajoutons en passant, puisque l’occasion s’en présente, qu’en breton du Finistère perle se dit Perlez, pluriel Per- lezen. À l’île de Sein, le dialecte diffère un peu. On les appelle Pearlez, en appuyant fortement sur la syllabe anté- pénultième. Ces vocables sont très certainement notre mot français à peine modifié. Nous sommes heureux de pouvoir dire que nous devons ces précieux renseignements à notre ami M. Le Carguet, d’Audierne, l’habile archéologue dont les travaux sur la région du cap Sizun sont si justement appréciés. Les cours d’eau du Finistère où, à l'heure actuelle on trouve la plus forte proportion d'Unio perliers sont : le Stang- Ala, l’Aven, l’Elorn, la rivière de Lesneven, et les deux ruisseaux qui se jettent dans le port de Pont-Labbé. Ille-et-Vilaine. Margaritana Roissy i (Michaud). U, condatinus (Letour- neux). C’est surtout dans Pancien lit de l’Ille, près de Rennes, que l’on pêchait jadis le plus d'Unio margaritifères. Loire (Haute). M. Roissy. U. Lamboltei (Malzine). — U. vinceleus (de Joannis). La présence de perles dans des Unio de cette dernière espèce 14 CHAPITRE XIV nous est attestée par Touchard-Lafosse (1) et par d’autres auteurs. Nous lisons notamment ce qui suit dans le Guide de l'étranger dans la Haute-Loire (2) : « M. Déribier cite une espèce de coquillage fluviatile dont la coquille est trans- vèrse et qui se pêche dans la Virlange, canton de Saugues. Il songe à le classer parmi les Unio pictorum de Linné (3). Il paraît que parfois ils contiennent des perles aussi précieuses, lorsqu'elles sont pures, que celles qui nous viennent de l'Inde ». Lozère. La présence de coquillages perliers est nettement établie par le texte suivant : « Dans le diocèse de Mende, dans un ruisseau près du village des Plantes, se trouvent quantité de peries fines : ce qui semblerait incroyable. Je fus prié par un seigneur de la cour de lui en envoyer quelques douzaines, qu'il présenta à la feue Reyne mère et par l'ignorance des bergers qui les amassent, ils en détruisent mille pour en profiter d’une (4) ». Nous n'avons pu nous renseigner au sujet des Unio et peut- être aussi des Margaritana de ce département. Meurthe-et-Moselle. U. Balbignyacus.— U. Bardus (Bourguignat). — U. conus (Spengler). — U. Feliciani (Bourguignat}. — U. Fourneli Gid.). — U. Hollandrei (id.). — U. Materniacus (Locard). — U. Melas (Coutagne). — U. potamius (Bourguignat). — U. rostratellus (id.). — U. Salmuriensis (Servain). — U. Socor- dianus (Bourguignat). Le Bénédictin Dom. Calmette a affirmé que de son temps (1) Touchard-Lafosse. La Loire historique. (2) H. Malègne. Le Guide de l'étranger dans la Haute-Loire, p. 143. le Puytré6b6Alexteide AB: ( ( o 3) L'Unio pictorum est appelé Unio vinceleus par M. Arnould Locard. 4) Bibliothèque de l’Arsenal, manuscrit 3.023, ESPÈCES PERLIÈRES 15 les Unio abondaïent dans la Moselle et dans d’autres rivières de la Lorraine. S'il a pris soin de les mentionner de la sorte, c’est évidemment à cause des perles qu’ils produisaient. Morbihan. U. Oberthurianus (Bourguignat). On a pêché des Unio contenant des perles au Faouet et dans quelques autres localités de la même région, mais en très petit nombre. Oise. U. alpecanus (Bourguignat). — U. crassatellus (id.). -- U. cyprinorum (id) — U. Dolfusiasus (id.). — U., Giberti (Locard). — U. Materniacus (id.). — U. Matronicus (id.). Dans le glossaire de M. Laborde, il est question d’'Écron et de Compiègne, comme localités où l’on pêche les Unio. Nous pouvons aussi ajouter qu’on en a parfois aussi pêché à Méru.. Puy-de-Dôme. Margaritana Michaudi (Locard). — M. pyrenaica (Bour- guignat). — M. Roissy. Quelques-uns de nos correspondants nous ont affirmé, ce qui n’est pas pour nous surprendre, qu’autrefois on avait trouvé des perles dans certaines Margaritana dont ils n’ont pas pu nous préciser l’espèce et que la bijouterie locale en avait tiré parti. Ces mollusques sont encore abondants dans certains cours d’eau, notamment dans le Chavanon, qui passe au Mont Dore. Nous ne croyons pas que maintenant on pêche ces mollusques. Vienne. U. Brindosopsis (de Folin et Bérillon). — U. vinceleus. Nom local : Moucle, altération évidente du mot Moule. 76 CHAPITRE XIV Quelques renseignements que nous avons reçus nous ont. permis de croire qu'à une certaine époque on a pêché des Unio perliers dans le Clain. Vosges. Margaritana Roissyi — U. Balbignyacus. — U. Dane- moræ (Môrch). — U. elongatulus [Mühlfeld). — U. 1gnari (Bourguignat). — U. oxyrinchus (id.). — U. septentriona- lis (id.). La plupart des cours d’eau de la région des Vosges pro- duisaient, au temps des ducs de Lorraine, des mollusques aussi abondants que perliers. Mais c'était surtout la Vologne et son affluent le Neuné qui fournissaient les plus nombreux et les plus renommés. Nous aurons l’occasion de revenir plus loin très longuement sur leur compte. Nom local : Mulette. Ce nom a été adopté même par cer- tains savants pour désigner autrefois les Unio et les Margari- tana. L'emploi qu’ils en ont fait l’a en quelque sorte francisé, bien qu’il ne se trouve pas dans tous les dictionnaires. Nos lecteurs se tromperaient grandement s’ils supposaient que nous croyons complètement exacte la liste que nous avons placée sous leurs yeux. Nous leur avons seulement donné les résultats des patientes recherches auxquelles nous nous sommes livré. Il se peut fort bien que les mollusques que nous étudions aient pro- duit au moins quelques perles dans d’autres départements que ceux que nous avons énumérés, et nous serons très heu- reux d'apprendre qu’il en a été ainsi. Telle qu’elle est, notre nomenclature sera, nous l’espérons du moins, de nature à faciliter la tâche de tous ceux qui s'intéressent aux mêmes questions qui nous passionnent et qui voudraient suivre la voie où nous sommes entré. Dans le même but, avant de clore ce chapitre, nous donne- ESPÈCES PERLIÈRES Tel rons quelques autres noms locaux que nous avons relevés au cours de nos lectures. Dans le département de la Côte-d'Or, où ils abondent véri- tablement, nos mollusques sont communément désignés sous ceux de Creuze d'Érouée, de Creuxze de rivière, de Diable, de T'abatière, de Petite Barque et de Cafotte (1). Nous avons déjà parlé de ce dernier vocable. Nous devons faire remarquer que les paysans confondent absolument tous les Unionides qui peuplent leurs cours d’eau et ne font pas la moindre différence entre les mulettes et les Anodonta. Ils appliquent donc indifféremment tous les noms que nous venons de citer. Presque partout ailleurs, nos mollusques sont des moules ou des mulettes auxquelles on ne fait guère attention, lorsque les Américains, plus avisés, tirent de leurs congénères un parti dont nous aurons soin de parler quand le moment sera venu pour nous de le faire. (1) E. Rolland. La France populaire. CHAPITRE. XV. LA PÊCHE ET LES ENGINS. Rien n’est plus barbare ni plus primitif que la façon dont on s’y prend pour pêcher les mulettes et pour les ouvrir. Par la pensée, transportons-nous en Bretagne, sur les bord de l’Aven, par exemple. Les gens qui recherchent les coquillages abondants encore dans cette charmante rivière si connue des touristes, savent qu'ils se trouvent dans le sable ou sous des pierres. Aux basses eaux, ils en bêchent donc le fond avec des pelles. Ce sont les valets de ferme et les meuniers qui se livrent de préférence à cette besogne et l’œuvre de destruction qu'ils accomplissent est inouie. On nous a affirmé qu'un pêcheur dont on ne nous a pas dit le nom y capture bon an mal an, pour sa part, huit ou dix mille mollusques qu’il ouvre avec son cou- teau et dont, après examen, il abandonne les valves sur les rives. Ils ne se doutent pas, ces hommes, que les individus trop petits ne peuvent pas contenir de perles valables et qu'ils ris- quent de détruire l'espèce, car c’est justement à l’époque où ils se livrent à ces massacres que les mulettes font une de leurs pontes. Ils ne songent pas non plus que le procédé employé par eux peut causer dans le pays de terribles maladies. Le gain pos- sible les préoccupe seulement. À Pontaven, il ne manque pas de touristes qui désirent acquérir des perles, comme souvenir de voyage et qui les paient des prix sans cesse plus élevés. Fort heureusement les rats d’eau, les loutres, et certains oiseaux comme les corbeaux, par exemple, se chargent, en LA PÊCHE ET LES ENGINS 19 dévorant la chair des mollusques abandonnés inconsidéré- ment, de supprimer le foyer d’infection créé par les pêcheurs. Jadis, la recherche des perles occasionnait de joyeuses parties. Les jeunes filles de Rosporden se rendaient au lieu dit Kerenmertiet, en français le Bois des filles. Il est situé au bord de l’Aven. A demi dévêtues, ces pêcheuses improvisées ne craignaient pas d’entrer dans l’eau et prenaient un grand nombre de Kregen dour douc ou mulettes, qu’elles ouvraient sur le champ pour les visiter. Elles rejetaient ensuite leurs valves dans la rivière. Cette méthode est mauvaise à tous Les points de vue, quoi- que on ait dit qu’elle avait pour effet d’ajouter à l’eau du calcaire tiré à la longue de la décomposition même des coquilles. Les mulettes n’ont vraiment pas besoin de cela pour se procurer un des éléments qui leur sont nécessaires ! Elle est de plus bien imprudente. Une perle, fraîchement trouvée surtout, est fort glissante. Elle peut aisément s'échapper des doigts et retomber dans l'eau. La voilà donc irrémédiablement perdue ! Pareille aventure arriva, dit-on, à un pêcheur des États- Unis qui, un jour, en découvrit une grosse comme un petit œuf de pigeon. On juge si sa joie fut grande ! Elle fut surtout de très courte durée, car sa main, qu’une émotion bien com- préhensible rendait tremblante, ne sut pas retenir le précieux trésor. À peine entrevu, il disparut dans la rivière et toutes les recherches que l'on fit pour l’y retrouver furent vaines (1). Après cette digression retournons à Kerenmeriet. De joyeux propos y volaient de bouche en bouche et les éclats de rire retentissaient au loin, au cours de ces parties de pêche. Et puis quelles exclamations joyeuses lorsqu'une des jeunes filles avait fait une belle trouvaille, éomme aussi que de railleries quand une d’entre elles avait annoncé à ses com- pagnes qu'elle croyait avoir enfin capturé une Kreget dour (1) Kunz, loc. cit. 80 CHAPITRE XV douc qui contenait une perlez merveilleuse, et qu'elle était déçue dans ses espérances ! Elle avait beau dire, pour s’excuser de son erreur, que ses prévisions étaient fondées, en somme, puisque les valves en étaient piquées, les plaisanteries allaient leur train. Tout contribuait à rendre la fête charmante, car un chaud soleil rayonnait sur ces jeunes paysannes. Dans leurs cœurs, autour d’elles, tout était joie et lumière! En songeant au gracieux spectacle qu’offraient aux regards ces blondes filles de l’Armor, toutes au printemps de la vie, nous sommes presque tenté d'excuser l’œuvre de destruction dont, sans y penser, elles se rendaient coupables. Nous nous ressaisissons pourtant et, malgré tout leur pit- toresque, nous blämons les scènes que nous venons de décrire et qui, fort heureusement, n’ont plus lieu. A l’époque où nous nous sommes reporté, on recueillait non seulement beaucoup de perles dans les Unio de l’Aven, mais encore dans ceux qui abondaïent alors dans tous les cours d’eau du Finistère et, notamment, dans le Stang-Ala, non loin de Quimper. Quand on construisit la voie ferrée qui fait le tour de la péninsule Armoricaine, les chemineaux qui travaillaient dans le chef-lieu du département où nous avons prié nos lecteurs de se rendre avec nous par la pensée, abandonnaïent souvent, dit-on, leurs chantiers pour aller explorer le lit de la rivière dont nous venons de citer le nom. Les perles qu’on y prenait alors étaient aussi nombreuses que justement renommées. Nous avons à peine besoin de dire qu’elles y sont devenues fort rares. Cependant, il n’y a pas encore bien longtemps de cela, des hommes allaient de temps à autre offrir des perles aux buveurs attablés à la porte des principaux cafés de Quimper. Nous ajouterons que les bijoutiers de cette ville en ont tou- jours de belles en montre. Dans la région que la Charente arrose, les choses ne se pas - saient pas différemment, en ce sens que là aussi le massacre. LA PÈÊCHE ET LES ENGINS SL était considérable. Dans ce fleuve, les Unio étaient jadis nom- breux à ce point que c'était par pleins bateaux que l’on empor- tait leurs coquilles pour les livrer aux fabricants de boutons de nacre. La pêche est beaucoup moins active à présent et les moyens que l’on met en œuvre sont quelquefois très perfectionnés. On va même jusqu’à employer des scaphandriers. Au temps dont nous parlons, la chair des mollusques cap- turés était jetée dans des marmites placées sur un feu vif. Quand la cuisson était parfaite, on recherchaïit les perles au milieu d'un amas sans nom qu'on malaxait avec les mains. D'ordinaire, on les trouvait au fond du récipient, mais beau- coup étaient tachées par le fait même de ce procédé stupide. L'opération répugnante que nous venons de décrire avait pour but de rechercher celles qui avaient pu demeurer empri- sonnées dans les chairs et c'était le plus petit nombre. Avec cette façon de s’y prendre, beaucoup de perles étaient irrémé- diablement détériorées. Il y a de cela quelques années déjà, aux Etats-Unis, une perle d’une très belle eau et d’un orient irréprochable fut com- plètement gâtée par l'emploi de ce même moyen. Autrement elle eût été à coup sûr la plus belle des temps modernes ! Sur les bords de la Sévigne ou Soudre, qui se jette dans la Charente, même massacre ! Quand les pêcheurs aperçoivent au fond de l’eau une mulette entrouvrant sa coquille, ils l’at- tirent à eux, grâce à un bâton pointu qu’ils introduisent dans l’intérieur. Le mollusque n’a rien de plus pressé que de se clore dans sa demeure nacrée. Il referme donc ses valves et 1l devient très facile alors de le sortir de la rivière, car il ne lâche jamais prise (1). Nulle part, chez nous, des engins de pêche rationnels ne sont employés ; nulle part non plus on ne fait usage d’outils spéciaux pour la visite des mulettes. Autant de capturées, autant de détruites. En Ecosse, en Saxe principalement, on a créé une série (1) Dr Bellet. La Nature. BONNEMÈRE,. 6 82 CHAPITRE XV d'instruments très pratiques qui permettent d'explorer l’inté- rieur des valves, sans blesser l'animal qu’elles contiennent et de le rejeter à l’eau en pleine santé, s’il n’a pas sécrété de perles, ou si celles qu’on y a découvertes ne sont pas encore suffisamment grosses. Dans le cas même où il ne s’en trouverait pas autre part que dans les tissus de l’animal, il est assez facile de les aper- cevoir, car elles déterminent le plus souvent des saillies de la chair qui décèlent absolument leur présence. Nous passerons maintenant en revue ceux de ces instru- ments auxquels nous avons fait allusion, en nous appesantis- sant que sur le compte de ceux qui sont vraiment pratiques. Nous commencerons par les outils qui sont en usage dans diverses parties de l’Allemagne, parce qu’ils nous semblent être, à beaucoup près, les meilleurs et les plus pratiques. L'un d’eux est un outil mince et plat, tout en fer,avec une extrémité recourbée qu’on introduit entre les valves. Son manche est tourné à 90 degrés. Grâce à lui, on peut aisément ouvrir les coquilles. Un autre se compose d’une paire de pinces avec des mà- choires pointues et eflilées. On le tourne à la main jusqu’à ce qu’on puisse voir si la mulette a sécrété des perles. Rien de très particulier à dire sur les outils écossais. L’in- géniosité américaine a inventé beaucoup d’appareils qui sont loin d’être aussi bons que ceux que l’on emploie sur les bords de l’Elster, en Allemagne. Ce quile prouve,c'est que M. Kunz, que nous avons si souvent cité déjà et que le Gouvernement a chargé, il y a de cela quelques années seulement, d’une vaste enquête sur tout ce qui se rapporte à la question des Unio, a conseillé vivement à ses compatriotes d'adopter les instruments dont on se sert en Saxe, à l'exclusion de tous les autres. Peut-être nos lecteurs seront-ils bien aises de connaître l'équipement d’un de ces hommes qui, dans l'Amérique du Nord, abandonnent souvent tout autre travail pour fouiller le fond des rivières et des lacs. LA PÈCHE ET LES ENGINS 83 Ils portent, nous dit M. Kunz, un costume en caoutchouc, composé de bottes et d’un pantalon, le tout ne formant qu'une seule pièce. Ainsi accoutrés, ils marchent dans l’eau. Chacun d’eux suspend à son cou un seau d'’étain ou de zinc perforé destiné à recevoir les Unio qu’il prendra. A sa tête un télescope d’eau est attaché au moyen d’une courroie. Cet instrument consiste en une boîte carrée, faite en plan- chettes de bois mince et léger, ouverte à l'extrémité supé- rieure où l’on applique l’œil. L'autre, qui est plongée dans l’eau, est fermée par une plaque de verre. Ces télescopes sont, en vérité, fort commodes quand on veut inspecter minutieusement le fond d’une nappe bien transparente ; et nous nous souvenons avoir vu employer par notreami, M. le Professeur F. Forel, à Morges, sur le Léman, un instrument construit d’après les mêmes principes, mais différent de forme, pour l'exploration des cités lacustres qui, en face de cette charmante petite ville, sont au nombre de plu- sieurs. Nous avons nous-même essayé de nous en servir, et, malgré notre inexpérience, nous ne tardâmes pas à obtenir d'excellents résultats. Le pêcheur américain est armé d’une pince articulée dont la manœuvre est facile, avec laquelle il peut s'emparer des mulettes qu’il découvre. Nous croyons que pour les rivières de Bretagne où les Unio foisonnent encore en bien des endroits et forment des bancs, ce qui n’a pas toujours lieu, il y aurait grand intérêt pour les pêcheurs à s’équiper de la sorte. Ils éviteraient ainsi beaucoup de maladies. Maintenant il ne nous reste plus qu’à nous occuper de ce qui a été fait en France. Nous l’avons dit, jusqu’à ces derniers temps rien n’a été imaginé pour faciliter la pêche des mollusques d’eau douce. Pour celle des Pinna, coquillages de la Méditerranée qui produisent également des perles, mais toujours de teinte rosée ayant eu jadis leur heure de célébrité,on avait créé,par contre,à une époque indéterminée,un instrument nommé crampe,dont nous trouvons la description suivante dans l'Encyclopédie : 84 CHAPITRE XV « C’est, y lisons-nous, une espèce de fourche de fer dont les fourchons ne sont pas disposés à l’ordinaire ; ils sont per- pendiculaires au manche. fs ont chacun huit pouces de lon- gueur et laissent entre eux une ouverture de six pouces dans l’endroit où ils sont le plus écartés. On proportionne la lon- gueur du manche de la fourche ou crampe à la profondeur où l’on veut aller chercher les Pinna; on les saisit, on les détache, on les enlève avec cet instrument... ». Nous avons cru devoir publier cet extrait, parce que peut- être l’outil dont il y est question serait, au moins dans cer- tains cas, utilisable pour la recherche des Unio. Lorsqu'en 1893,avec MM. Despommiers et Godefroy, nous nous livrâmes à des essais de culture des mulettes, nous fimes de vains efforts pour nous procurer les instruments dont on se sert en Saxe. Nous eûmes alors recours à l’obligeance de M. le D' Jousset de Bellesme, alors professeur de piscicul- ture de la ville de Paris et directeur de l’Aquarium du Troca- déro. Ce savant naturaliste imagina pournous un instrument, dont nous ne croyons pas devoir donner la description, car son inventeur ne l’a point mis dans le commerce. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’il est extrêmement ingénieux et qu'il nous a rendu les plus grands services. Avec lui, rien n’est plus facile que de visiter les mulettes sans leur faire la moindre blessure. Puissent nos pêcheurs comprendre bientôt qu’ils auraient tout intérêt à se servir d’outils du genre de ceux que nous avons cités au lieu d'employer, pour la recherche des perles, les détestables procédés qu’ils s’obstinent à mettre en pra- tique ! CHAPITRE XVI. APRÈS LA PÊCHE. — LE TRAITEMENT DES PERLES, — LEURS MALADIES. Nous avons vu combien on prend peu de précautions pour la pêche des perles. Les entoure-t-on ensuite de plus de soins? Non. C’est à peine si parfois les riverains de nos cours d’eau les lavent avec un peu d’attention pour les débarrasser de toute matière animale qui pourrait y adhérer. Ensuite on les ren- ferme le plus ordinairement dans de mauvaises boîtes où elles restent exposées à toutes les secousses et à tous les chocs. Certaines, qui ont peu d'orient, sont méprisées, rejetées, tandis qu’en enlevant la couche supérieure, ce qui est tou- jours assez facile, on arriverait peut-être à en trouver une sous-jacente dont l’éclat ne laisserait rien à désirer. Nous avons vu, en effet, que les perles étaient constituées par des couches successives, concentriques, comme emboîtées. Avec le temps, parfois les perles s’altèrent. Elles s’écaillent, se ternissent ou se raient, et perdent ainsi toute valeur ; mais nous ne croyons pas, malgré tout ce que l’on a dit à ce sujet, que celles qui proviennent des mulettes soient plus que les autres susceptibles de détériorations. Lorsque de pareils cas se présentent, on prétend qu’elles sont malades et la superstition, qui ne perd jamais ses droits, cherche alors à établir une corrélation entre leur état de santé et celui de la personne qui les porte. Cette croyance existe 86 CHAPITRE XVI aussi pour certaines pierres précieuses, telles que les tur- quoises, par exemple. Elle a cours également pour ce qui concerne le corail. Nous ne voyons pas, en vérité, quelle influence la santé d’une personne peut avoir sur les perles qui font sa parure ! Trop souvent leur beauté s’altère, meurt, pour employer l'expression consacrée, parce qu’on ne prend pas les soins nécessaires à leur conservation. On a proposé parfois les remèdes les plus étranges. On a soutenu, par exemple, qu’il suffisait de faire manger à une volaille une perle malade pour que dans la fiente de l'oiseau on la retrouve bientôt avec toute sa beauté première. Puisque nous sommes amené à parler d'oiseaux à propos des perles, nous signalerons en passant un fait dont on nous a assuré l’exactitude et qui nousasemblé être infiniment curieux. Il paraîtrait qu’on en trouverait très souvent dans l'estomac des grèbes, que l’on tue en grand nombre dans les marais qui avoisinent Dol, en Bretagne (1). On a dit encore qu’il fallait reporter en Orient, au moins pour un certain laps de temps, les perles qui ont été sécrétées par des Pintadina et qui, pour une raison quelconque, ont perdu leur éclat. Voilà, certes, un moyen qui n’est guère pratique ! Agissant par analogie, voyez-vous, amis lecteurs, que l’on soit contraint de renvoyer en Amérique les perles, dites de fantaisie, que le commerce tire des États-Unis? Passons. D’autres personnes, évidemment très ingénieuses, ont pré- tendu que les perles se ternissent quand elles sont trop long- temps sevrées de cette eau de mer au milieu de laquelle elles ont pris naissance. C’est une idée qui, paraît-il, aurait prin- cipalement cours dans la docte Allemagne. Nous avons lu, en effet, ce qui suit, dans un numéro du Figaro, dont, par mal- heur, nous ne pouvons pas donner la date exacte: (1) Nous devons ce renseignement à l’amitié de M. Le Carguet, d’Au- dierne, dont, en mainte occasion,nous avons mis à contribution l’extrême obligeance. a APRÈS LA PÊCHE.— LE TRAITEMENT DES PERLES. — LEURS MALADIES 81 « On sait que les perles, ces pierres vivantes, selon la - pittoresque expression des bijoutiers, se ternissent et prennent une vilaine couleur jaune,si on les laisse trop longtemps dans leur écrin sans les porter ; mais on prétend que, dans ce cas là, une immersion prolongée dans l’eau de mer suffit pour leur rendre tout leur éclat. « Les journaux américains racontent que semblable acci- dent est arrivé dernièrement à un magnifique collier apparte- nant à l’impératrice d'Allemagne. Sur les conseils du joaillier de la Cour, on vient d’enfermer le précieux objet dans une cage en verre munie d'un orifice et on a immergé le tout dans la mer du Nord à quelque distance de la côte ; une garde d'honneur veillerait nuit et jour sur le précieux trésor... » Si ce mode de traitement avait quelque chose de sérieux, ce que nous ne croyons guère, il s’en suivrait par une consé- quence toute naturelle que l’on devrait placer dans de l’eau douce et pendant un laps de temps dont il faudrait étudier la durée, les perles de Margaritana et d’'Unio qui se ternissent. Autre recette. La marquise de Créquy, une très grande dame qui mourut presque centenaire, après avoir vu Louis XIV à son déclin et Bonaparte à son aurore, la marquise de Créquy, disons-nous, rapporte ce qui suit relativement aux perles héréditaires de la maison d'Egmont, « qui valaient au moins quatre cent mille écus et qui étaient substituées à perpétuité, ni plus ni moins qu'un majorat de Castille ou qu’une principauté de l'Empire. C’étaient les mêmes perles sur lesquelles la répu- blique de Venise avait prêté tant d’argent au comte Lamoral d'Egmont, pour soutenir la guerre des Pays-Bas contre le roi Philippe IT et son duc d’Albe. Il est à remarquer que sur toutes ces perles il n’y en avait que deux ou trois qui se fussent détruites depuis le xvi° siècle. M. d'Egmont disait pertinemment que pour empêcher les perles de s’éteindre il était suffisant de les enfermer dans un morceau de racine de frêne. M. de Buffon n’y voulait pas croire ; mais une expé- rience qui s’est transmise de génération en génération dans une famille ancienne est tout autre chose qu'une argumen- 88 CHAPITRE XVI tation d’académicien. Souvenez-vous de la recette de M. d'Eg- mont quand vous hériterez de mon beau fil de perles qui provient de la famille Gradenigo de Venise, et que mon père y avait payé quinze mille écus (1) ». Si la recette est bonne pour les perles de Pintadina, il ny a pas de raison pour qu'elle ne soit pas également applicable à celles que sécrètent les Unio. Mais voilà. A-t-elle quelque valeur ? Nous serions très volontiers de l’avis de M. de Buffon à qui madame de Créquy jette si dédaigneusement son titre d’académicien à la face. Académicien !.. Le beau titre que celui-là aux yeux d'une dame d’un rang aussi élevé ! Il faut convenir que le grand naturaliste avait eu une bien fâcheuse idée d'émettre une opinion contraire à celle d’un Lamoral d'Egmont ! L'avis d'un gentilhomme appartenant à une famille aussi illustre et aussi ancienne était autrement plus digne de créance. Nous avons pris quelque plaisir à transcrire pour nos lec- teurs cette recette qui ne nous semble pas avoir rien de sérieux. Le passage assez long que nous avons emprunté aux Souvenirs de Madame de Créquy nous semble pourtant fort intéressant, parce qu’il nous montre en quel dédain la haute noblesse tenait jadis les savants. Ainsi qu’on vient de le voir, nous n’avons pas montré la moindre confiance dans l’efficacité des recettes que nous avons données. N’en est-il donc pas au moins une qui soit véritablement efficace, quoique très simple à mettre en pratique ? SL: Pour assurer la conservation des perles, il faut les laver avec soin dans de l’eau de savon chaude et les mettre ensuite (1) Madame de Créquy. Souvenirs. Tome IIL p. 4. APRÈS LA PÊCHE. — LE TRAITEMENT DES PERLES, — LEURS MALADIES 89 au soleil et à l'air jusqu’à ce qu’elles soient parfaitement sèches. Traitées de la sorte, elles peuvent garder indéfiniment tous leur éclat (1). Avant de clore ce chapitre, nous parlerons de quelques découvertes qui nous paraissent avoir des bases sérieuses. Il y a de cela quelques années déjà, les journaux ont rap- porté qu'un chimiste, M. Louis Encausse, avait trouvé le moyen de rendre aux perles leur orient primitif. Cette nou- velle passa, croyons-nous, assez inaperçue. A noter encore que, de nos jours, M. Leobti s’est fait, paraît-il, une spécialité de dégager les perles attachées aux valves des mollusques et en quelque sorte perdues au milieu de la nacre qui les enrobe et quiles cache. Ceci demande quelques mots d'explication. Soit qu’elle ait été sécrétée par le manteau, soit que formée dans une partie quelconque des tissus elle ait dû, pour en sortir, déchirer quelque membrane, une perle à l’état libre peut arriver à causer une grande gêne à un mollusque. Si, pour une raison quelconque, il ne peut pas l’expul- ser, il la recouvre de sécrétions nouvelles, afin de l’immobi- liser contre une de ses valves. Par un procédé que nous ne connaissons pas, M. Leobti sait la retrouver et la dégager. Il est de toute évidence qu’il doit être également applicable aux perles de mulettes, et c'est pour cette raison que nous avons cru devoir le signaler. (1) Chasseur français, n° du 1‘ mai 1900. CHAPPTRE XVIT: LÉGENDES, SUPERSTITIONS, REMÈDES. Nous avons déjà passé en revue un certain nombre de légendes, alors que nous avons cherché à nous rendre un compte exact des idées que les auteurs s’étaient faites au sujet de la formation des perles. Nous avons montré, en effet, que presque jusqu’au xix° siècle les savants, même les plus illustres, avaient émis les opinions les plus erronées. Des corps dont on s’expliquait si peu la nature devaient, pensait-on, être doués de propriétés merveilleuses. « La perle — a dit Renée d'Anjou, une femme de grand talent qui s’est dissimulée sous ce nom d'emprunt, — la perle a toujours eu, dès la plus haute antiquité, la propriété d’ins- pirer l’amour aux personnes indifférentes! Cléopâtre, la Belle, n'aurait fait dissoudre dans du vinaigre la plus rare de ses perles que pour inspirer à Antoine la passion insensée qui lui coûta l'empire du monde et l'honneur avec la vie » (1). Nous sommes heureux qu’une occasion se présente à nous de relater une expérience que nous avons faite. L’anecdote racontée sur la célèbre reine d'Egypte n’est rien qu’une fable sans aucun fondement. Nous avons mis, en effet, des perles dans d’excellent vi- naigre et elles ne s’y sont point dissoutes après une immer- sion qui a duré plusieurs années. Elles sont simplement devenues d’un brun noirâtre et ont perdu toute trace d’o- (1) Renée d'Anjou. Ouest artistique et littéraire, n° du 9 janv. 1808. LÉGENDES, SUPERSTITIONS, REMÉDES 91 rient. À les voir on ne dirait jamais que ce sont des perles que l’on a sous les yeux. L’auteur que nous venons de citer ajoute : « ... En revanche, les perles portées en collier protègent la chasteté. Leur poudre mêlée avec du lait adoucit les tem- péraments irritables et guérit les fièvres pestilentielles... » Ce dernier fragment nous amène tout naturellement à parler de la place que ces brillantes concrétions ont tenue dans l’ancienne pharmacopée. Tout d’abord il convient de dire que les alchimistes les désignaient par un signe qui, de nos jours, est, croyons nous, fort peu connu. ; Au lieu de le décrire, nous croyons qu'il est préférable de le reproduire, un dessin valant infiniment mieux ’ _ que toute explication. Le voici donc (Fig. 1). Jd& Fig.1.—<«Signe» de la Perle. Il fut employé pendant fort long- temps et dans l'Encyclopédie nous le retrouvons au nombre des « caractères de chy mie » qui couvrent plusieurs planches. Nous avouons très humblement ne pas être assez versé dans ces doctes matières pour en donner le sens. Ce furent, paraît-il, les médecins arabes qui, les premiers, préconisèrent l’usage des perles comme médicaments. Les seules auxquelles ils accordaient de l'efficacité étaient celles que l’on trouvait dans les Pintadina. Quelques-uns de nos docteurs français (1) partagèrent cette opinion qui, fort heureusement pour la bourse de leurs clients, ne prévalut jamais complètement. Ils auraient formulé des ordonnances trop coûteuses à faire exécuter! D’ailleurs,çcommentaurait-on pu empêcher la fraude ? Malgré l’avis de Salerne, de Nobleville, et de tant d’autres de leurs confrères, ce furent surtout des perles de mulettes dont on se servit dans les officines pour effectuer certaines (1) Arnault de Nobleville et Salerne. Histoire des animaux, au chapitre “sur les Perles. 9? CHAPITRE XVII préparations prescrites. Nous en avons comme preuve déci- sive que très souvent on les désignait sous le nom de perles d'apothicaires. Au xv° siècle, on vendait des perles qui étaient, croyait-on, fort efficaces pour la conservation des veux; et, si nous en croyons Brehm, dans les Merveilles de la Nature, à une épo- que très éloignée, mais qu'il ne précise pas, on les broyait pour les faire entrer dans la composition d’électuaires coû- teux. On en mélangeait la poudre ainsi obtenue avec de l’eau ou du vin. Nous supposons que ce dernier liquide devait être, et pour cause, le plus fréquemment employé. Comme on va le voir, ces remèdes étaient connus en France. Tout le monde sait que la peste visita notre pays aux som- bres jours du Moyen-Age et plus tard encore. A toutes ces époques néfastes, il y eut, certes, la plus grande et la plus louable émulation parmi les médecins, chacun d’eux s’évertuant à découvrir quelque préparation efficace. Dans celles qu'ils imaginèrent, ils firent souvent entrer des perles et nous ne croyons pas pouvoir mieux faire que de rapporter textuellement une formule qui eut son heure de célébrité. La voici : « Mélanger thériaque, racine de tormentille, semences de genièvre et chardon bénit, bol d'Arménie, poudre d’Elec- tuaire de (gemmis) et de deux (margaritis frigidum), semences d’oseille, râclure d'ivoire, corail rouge, sirop d’écorces et jus de citron pour électuaire en forme d’opiat. Chaque matin prendre gros comme une aveline avec eau de roses ou de vinette... Vinaigre et beaucoup d’eau de fontaine » (1). Nous ne nous chargeons pas d'expliquer à nos lecteurs de quelles pierres précieuses était composée la poudre de gem- mis, encore moins ce que pouvaient bien être ces « deux mar- garitis frigidum ». Comment traduire exactement ces mots ? Si le latin de cuisine n’est guère bon, celui des ordonnances du temps jadis nous semble avoir été, pour le moins, aussi peu cicéronien | (1) D' Louis Porquet. La Peste en Normandie, p. 105. LÉGENDES, SUPERSTITIONS, REMÈDES 93 Peut-être entendait-on dire par là qu’on avait broyé à froid des perles de mulettes, voire même de Pintadina. Veut-on savoir ce que coûtait une poudre quand elle était faite avec des perles dont la provenance orientale était garantie ? Si nous en croyons Philibert Guybert, docteur régent de la Faculté de Paris, qui était fort opposé aux étranges amal- games que la plupart de ses confrères ordonnaient, une prise valait de 50 à 60 écus! Le même médecin nous apprend que l’on attribuait égale- ment aux perles des propriétés cardiaques et corroboratives et il ne se gêne pas pour qualifier cette croyance d’absurde (1). A citer encore « un magister de perles préparées », men- tionné comme existant en 1705 dans une officine de la Motte- Sainte-Heray (Poitou) (2). Les précieuses matières qui nous occupent jouissaient de propriétés bien plus nombreuses que celles que nous avons déjà relatées, si l’on s’en rapporte aux assertions de certains auteurs. Elles passaient, par exemple, pour être astringentes. « Aussi s’en sert-on, — lisons-nous dans le Dictionnaire de Trévoux —, pour arrêter le flux du sang et tous les autres flux. On s’en sert encore dans les syncopes où il s’agit de fortifier le cœur. Elles purifient le sang et sont bonnes pour les mélan- choliques. Elles ont aussi la propriété d’éclaircir la vue et de nettoyer les dents... » Les perles qui, nous venons de le voir, passaient jadis pour être très efficaces contre la mélancolie sont aujourd’hui con- sidérées par certaines personnes comme étant des choses qui portent malheur et qui doivent infailliblement causer des lar- mes aux gens qui s’en parent. Rappelons-nous, en passant, qu’au Moyen-Age ces corps si précieux étaient, disait-on, des larmes congelées de certaines bêtes féroces. La superstition moderne tirerait-elle de là son origine ? C’est fort possible. (1) D' Louis Porquet. Loc. cit. (2) D' Prouhet. Vieux papiers, médecins et apothicaires, dans le Mer- cure Poitevin, n° d'août 1899, p. 104. 94 CHAPITRE XVI Les pleurs appelleraïent donc les pleurs ! Quoi qu'il en soit, on évite souvent de mettre des perles dans les corbeïlles du mariage, bien que, par une idée toute contraire, on vende chez les bijoutiers des talismans formés d’une pépite d’or dans laquelle une perle est enchâssée. C’est, croit-on, uné amulette dont la vertu est toute puissante au cours du mois de décembre de chaque année. Les Allemands ne partagent pas nos appréhensions au sujet des perles. Pour eux, elles sont, en effet, un excellent préservatif contre les pleurs. Aussi voit-on souvent en vente chez leurs bijoutiers des médaillons-breloques en argent doré, renfer- mant chacun un certain nombre de perles d'Unio sans valeur, et, en général, assez fortement teintées, semblables, en un mot, à celles que l’on pêche dans quelques cours d’eau des Côtes-du-Nord. Elles sont accompagnées d’un saphir mi- nuscule bien taillé. Voici ce que porte la notice qui accom- pagne toujours ces breloques amulettiques, dont la vogue est si grande : Orientalischer Talisman gegen Thraënen, echt Perlen und Steine ; ce qui signifie : « Talisman oriental contre les larmes en perles et en pierres vraies ». Nous nous sommes laissé entraîner plus loin que nous le voulions. Revenons donc au rôle qu’ont joué les perles dans la mé- decine après avoir fait une courte incursion dans le domaine de la parfumerie. Au temps où l'élite de nos savants se groupa pour collaborer à cet immense ouvrage qui a pour nom l’En- cyclopédie, il y avait sur les toilettes de toutes les élégantes des préparations qui portaient des appellations diverses dans lesquelles le nom des perles entrait seulement,car il ne semble pas qu’elles aient jamais, en réalité, joué un rôle quelconque dans leur préparation. C'était une façon de poétiser, si nous pouvons nous exprimer ainsi, des pommades et des essences alors recherchées par le beau monde et aussi de les vendre à des prix plus élevés. LÉGENDES, SUPERSTITIONS, REMÈDES 95 Dansle lait de perles,iln’ÿ avait pas plus delaitque de perles! Puisque nous venons de parler de lait, nous nous trouvons tout naturellement amené à parler de l'animal qui le produit en plus grande abondance, de la vache, et nous dirons quelle médication on appliquait jadis en Bavière à celles qui allaient mettre bas. On leur faisait avaler une perle, et, comme il ÿ a des Unio dans ce pays, nous ne croyons pas trop nous avancer en disant qu’elle avait dû être à coup sûr sécrétée par un de ces mollusques. Voilà, certes, qui est bien insensé ! Jusqu’à présent nous n'avons pas vu que l’on ait tiré des remèdes des valves d'Unio. Nous allons combler cette lacune. Autrefois, paraît-il, toujours dans le même pays, on avait la coutume d’introduire, dans les yeux des chevaux et des chiens atteints de cécité, de la poudre de coquilles d'Unio broyées, secundum artem, vu la circonstance (1). Ainsi deux citations fort précises nous ont prouvé que les perles et les valves qui les contiennent avaient été employées autrefois principalement pour la guérison des affections de la vue; et,si nous voulons en chercher la raison, nous croyons qu’elle est la suivante. Une perle, pensait-on au bon vieux temps, ne pouvait pas manquer d'être efficace dans toutes les maladies des yeux parce qu’en somme, par sa forme, par sa couleur, elle ressem- ble au globe d’un œil. C’est sur cette similitude... très approximative qu'est basée une légende que nous devons de connaître à la complaisance de M. Guichoux, juge de paix à Rosporden (Finistère). Nous y verrons que, dans l'opinion populaire, une perle peut amener la guérison d’un mal aux yeux réputé incurable. Voici la légende : Quand une personne est atteinte d’une affection de la vue que nul traitement prescrit par un docteur, voire même par un sorcier, ce qui est plus grave, n’a pas guéri, elle n’a qu’à recourir au moyen suivant, car ilest infaillible. (1) Brehm. Les Merveilles de la Nature. 96 CHAPITRE XVII Il faut que le malade ou une personne qui le représente crève les yeux aux petits d’une hirondelle. Pour guérir sa chère nichée, la mère se met en quête d’une certaine pierre qu’elle introduit tour à tour entre les pau- pières de ses nourrissons méchamment aveuglés. Aussitôt ils recouvrent la vue,et,si leurs petites ailes sont déjà assez fortes pour les porter, ils s'envolent à travers les plaines de l’air. Quant la couvée a pris son essor,on trouve la pierre dans le nid abandonné et on s’en sert avec efficacité pour guérir le malade qui, jusque là, a demandé en vain son rétablissement aux remèdes prescrits par les docteurs ou par les personnes qui connaissent la vertu des plantes et des formules magiques. Dieu sait si le nombre de ces gens est grand en Bretagne et ailleurs aussi! Dans certaines familles de Rosporden on conserve précieu- sement quelques-unes de ces pierres, afin de les avoir tou- jours sous la main en cas de besoin, car la précieuse propriété dont elles jouissent ne s’affaiblit point avec le temps. M. Guichoux en a vu bien souvent et il n’a pas eu de peine à reconnaître en elles des perles d'Unio semblables à celles que lon pêche dans l’Aven. On ne comprend pas comment il peut se faire que nos paysans traitent de pierres des corps dont cependant ils devraient bien connaître la vraie provenance, puisque bon nombre d’entre eux sont des pêcheurs de mulettes. Il faut croire que l’amour du merveilleux, inné dans le cœur du Breton des campagnes, les abuse et les rend inca- pables de toute réflexion. La légende que nous venons de rapporter fidèlement semble à M. Le Carguet, dont nous avons eu plusieurs fois l’occasion de citer le nom avec éloge, dériver d’une façon absolue d'une autre qui était, naguère encore, très répandue dans les environs de Quimper. La voici. Les petits piverts naissent aveugles,et,pour les doter du sens de la vue, leurs parents vont chercher l'herbe d’or dont le nom, soit dit en passant, nous fait songer au sélage ou herbe d’or LÉGENDES, SUPERSTITIONS, REMÈDES 97 des druides (1). Ces oiseaux sont les seuls êtres avec les hom- mes qui puissent découvrir cette plante merveilleuse. Elle donne à celui qui la trouve la précieuse faculté de tout voir. En choisissant le pivert parmi tous les autres oiseaux pour en faire le héros d’une légende, les paysans du Finistère ne se doutent pas assurément que les Romains, ces impitoyables vainqueurs de leurs ancêtres, avaient un culte pour lui. Picus, avant d’être recouvert de plumes par la Magicienne Circé, avait été un roi du Latium. Sous le nom de Picum- nus, qui signifie aussi Pivert, il avait même été un Dieu, qui présidait aux mariages. Il nous semble donc très possible que des souvenirs mythologiques, assurément fort confus, aient pour ainsi dire à leur insu guidé dans leur choix nos Bretons des environs de Quimper. On a vu des exemples de la chose qui sont encore plus extraordinaires. Mais revenons à notre légende. Quand les piverts sont entrés en possession de l’herbe d'or, ils découvrent bien vite l’endroit où se trouve la pierre d'enfer, quelque bien cachée qu’elle soit. Ils s’en empa- rent aussitôt pour ouvrir les yeux de leur chère nichée, comme le fait l'hirondelle dans la légende recueillie à Ros- porden. Pour prendre cette pierre et en faire l’usage que nous savons, il faut étendre un drap sous l'arbre où se trouve le nid de piverts; puis on en frappe le tronc à coups redoublés. Effrayés, les oiseaux s’envolent, laissent tomber la pierre magique qu’ils eussent voulu emporter avec eux. Il est de toute évidence que ces deux légendes ont plus d’un rapport entre elles. Elles n’en font même, en somme, qu’une seule. Pas plus que dans la version de Rosporden, dans celle de Quimper on ne nous dit pas quelle est cette pierre dont les vertus sont si puissantes ; mais il n’est pas douteux, suivant nous, que, dans l’une comme dans l’autre, il ne s’agisse tout simplement d’une perle de mulette. (1) L. Bonnemère. Voyage à travers les Gaules, p. 211 BONNEMÈRE. s = 98 CHAPITRE XVII Nous croyons être certain qu’une légende absolument ana- logue existe, ou, pour parler plus exactement peut-être, a existé dans cette partie de l’Allemagne où le commerce des perles de mulettes est le plus lucratif. Nous l’avons lue dans notre jeunesse, hélas! assez lointaine maintenant pour que nous ne nous souvenions plus dans quel ouvrage nous l’avions trouvée. En Allemagne, comme en France, la pierre que l’on vole aux oiseaux est donc une perle; et c’est 1à pour nous le point important. Lorsque nous avons commencé notre étude sur le côté légendaire de la question qui nous passionne, nous nous attendions à rencontrer, tout au moins en Bretagne, un grand nombre de contes, dans lesquels les précieux trésors que ren- ferment parfois les mulettes, auraient joué un rôle considé- rable. Il n'en a absolument rien été. Nous n'avons pu nous procurer que les deux récits qui précèdent, et qui, nous lavons montré, dérivent l’un de l’autre. Contrairement à notre attente, l'hagiographie ne nous a pas fourni le moindre docu- ment. Nos paysans ne semblent avoir jamais cherché à s'expliquer d’une façon quelconque certaines particularités de la vie de nos mollusques, pourtant mystérieuses pour eux. La forma- tion de leurs perles n’a pas davantage attiré leur attention. Seulement ils prêtent aux mulettes, qu’ils qualifient souvent de poissons, une intelligence qu’elles sont loin d’avoir ! En Bretagne, comme en Saxe, les pêcheurs prétendent que les mulettes ont conscience des richesses qu’elles récèlent. A les en croire, lorsqu'elles se sentent prises, c’est par méchan- ceté qu’elles laissent tomber leurs perles au fond de l’eau, afin qu’elles ne deviennent point la proie de leurs bourreaux. On prétend aussi sur les bords de l’Aven que les perles sont mûres, c’est-à-dire bonnes à recueillir, lorsque les genêts sont en fleur et quand l’avoine est sur le point de mûrir. Pour par- ler d’une façon moins poétique, c’est donc au printemps et LÉGENDES, SUPERSTITIONS, REMÈDES 99 dans le courant de l'été qu’il faut se livrer à la pêche des Unio. Mais quelle est cette maturité que l’on attribue aux per- les ? Brehm, d’après Von Heszling, a fait bonne justice de cette croyance, toujours vivace en Allemagne comme en Armor. Pour clore ce chapitre, nous ne résistons pas à la tentation de rapporter quelques faits, au moins étranges, pour ne pas dire plus, que nous relevons sous la signature de B. Dennys dans le Journal of Straifs Branch of the Asiatic Society, qui se publie à Singapore. Ils se rapportent aux perles sécrétées par des mollusques marins; mais, s’ils renfermaient quelque chose de vrai, nous ne voyons vraiment pas pourquoi ils ne seraient pas applicables à celles des Unio. Va-t-il s'agir ici d’une légende populaire ? Oui et non. Par son caractère improbable, mystérieux, ce que nous allons raconter semble, en effet, se rattacher aux croyances erronées qui, dans tous les pays, sont si chères aux gens du peuple, et pourtant M. B. Dennys affirme, de la façon la plus formelle et avec une bonne foi absolue, que les choses qu'il nous décrit sont complètement indéniables, quelle que soit d’ailleurs leur singularité. A Singapore et dans beaucoup d’autres villes de la même région, il est certain que le peuple croit à un mode de forma- tion des perles tout à fait spécial. Selon lui, il y en aurait qui en enfanteraient d’autres, quand on les place dans des con- ditions favorables pour le faire. Chose stupéfiante en vérité, des personnes appartenant à la meilleure société partagent cette opinion. Bien plus, il en est parmi ces dernières qui ont montré à M. B. Dennys des perles qui avaient été produités par d’autres! Pour ce qui nous concerne, nous pouvons ajouter que nous avons fait la connaissance d’un Suisse, fort considéré dans son pays, que ses affaires ont contraint de résider aux Indes pen- dant de très longues années et qui partage absolument les idées de l’auteur dont nous résumons en ce moment le travail, im- portant au moins par son étendue. 100 CHAPITRE XVII M. B. Dennys y soutient qu’il est presque unanimement reconnu à Singapore que lorsqu'on place des perles avec des grains de riz de la meilleure qualité possible, du riz Pullot par exemple, dans une petite boîte, et qu’on met cette dernière, après l’avoir fermée, dans un endroit où elle est à l'abri de toute trépidation, on y trouve, quand on l’ouvre de nouveau après un laps de temps assez long, de petites perles. Elles sont semblables à celles qu’on désigne dans le commerce sous le nom de semences. Dans le cas où l'opération réussit, les perles qui ont été sou- mises à l'expérience deviennent plus grosses et chaque grain de riz offre des particularités curieuses. On y remarque une petite morsure à l’une de ses extrémités. Le nombre des semences de perles créées coïncide exactement avec celui des grains de riz qui ont été ainsi attaqués. M. B. Dennys (1) ne nous cache pas que la science a voulu contrôler ces faits plus qu'étranges. Des savants ont donc tenté une expérience en l’entourant de toutes les garanties désirables. Son résultat a été complète- ment négatif. Notre auteur n’en reste pas moins convaincu de la réalité des faits qu'il a rapportés en se fondant sur ce que des per- sonnes de la plus haute honorabilité lui ont affirmé de la façon la plus formelle que non seulement ce moyen était efh- cace, mais qu’encore à diverses reprises elles avaient tenté chez elles des essais qui avaient toujours donné les meilleurs résultats. Nous ferons grâce à nos lecteurs des raisons que M. B. Den- nys met en avant pour expliquer ce mode de génération si contraire à toutes les opinions généralement admises sur la matière, du moins dans notre vieille Europe. Nous ajoute- rons seulement, encore d’après lui, que pour trois ou quatre perles que l’on veut mettre dans les conditions requises pour en produire d’autres, une proportion de quinze à trente grains de riz semble être suffisante. (1) B. Dennys. Breeding Pearls. Communication publiée dans le Journal of the Strait's Branch of the Asiatic Society, et faite le 28 fé- vrier 1878: LÉGENDES, SUPERSTITIONS, REMÉDES 401 Parmi les personnes qui liront notre modeste ouvrage, il s’en trouvera peut-être plus d’une ayant des perles d'Unio à sa disposition qui sera tentée de faire l’essai du procédé que nous venons de décrire dans ce qu'il a d’essentiel. Nous les prévenons que la première condition pour réussir est la patience. Toujours, d’après l’auteur de la communica- tion sur les breeding pearls, il faut environ un an pour qu'une semence de perle soit créée. Cette dernière met ensuite assez ordinairement huit ans pour s’accroître de quatre fois son diamètre, c’est-à-dire d’un sixième de pouce anglais. Ah! si l’on était sûr d’atteindre un bon résultat, la certi- tude que l’on aurait ferait passer outre à toutes ces lenteurs. Mais voilà ?.. Rien n’est moins probable que le succès final ! CHAPITRELXVIIT- L'HISTOIRE ET LES MULETTES. Dans un de nos premiers chapitres, nous avons vu que les primitifs habitants du vaste territoire qui devait plus tard s'appeler la Gaule connaissaient parfaitement les mulettes. Nous reprendrons nos recherches au point où nous les avons laissées, c’est-à-dire au seuil même de lhistoire et nous passerons en revue tous les documents dans lesquels il est question des mulettes et des Margaritana. Les rudes guerriers, nos ancêtres, qui, pendant si longtemps, luttèrent contre les Romains, ne pouvaient pas ignorer que dans leurs rivières il se trouvait des mollusques qui parfois sécrétaient des perles, mais ils n’y prenaient pas garde, pas plus dailleurst'qu'a "la nacre. --C'estrdu moinsicelquenlés fouilles tendraient à établir de la façon la plus certaine. Cela provenait sans doute de ce que les perles fines étaient pour eux presque impossibles à percer. Ils ne pouvaient donc pas en faire des colliers; et, pour cet usage, ils leur préféraient celles qui étaient en verroterie et surtout en ambre. D’autre part, ils ne pouvaient guère fixer des corps si petits sur leurs armes. D'ailleurs elles n’y auraient pas produit beaucoup d'effet. Ils aimaient infiniment mieux les orner de corail dont la couleur rouge et comme sanglante se voit de plus loin. Ils avaient d'ordinaire, et par la voie du commerce d'échanges, cette matière en assez gros morceaux d’une taille aisée pour leurs outils encore bien primitifs et bien rudi- mentaires. Dans son Voyage en Basse-Bretagne, M. Mahé de la Bour- L'HISTOIRE ET LES MULETTES 103 donnaye nous aflirme que les Vénètes achetaient dans l'ile d’Albion, surtout dans la région que nous appelons la Cor- nouaille anglaise, des perles qu'ils allaient revendre en Italie ; mais par malheur il ne nous dit point où il a puisé ce renseignement, dont il eut été fort intéressant pour nous de connaître l’exacte provenance. De Gaule transportons-nous à Rome. Dans un beau livre intitulé les Merveilles de la Peinture, Louis Viardot a rap- porté, d’après des auteurs anciens, une anecdote qui, selon nous, donnerait à penser qu'avant l’époque où la Gaule fut conquise par eux, les fils de la Louve connaissaient les perles d’eau douce. Le regretté critique d’art nous dit, en effet, que, lors de l’un de ses triomphes, Pompée exposa dans la Ville aux Sept Collines son portrait entièrement exécuté en perles de toutes les couleurs. C'était là, on en conviendra, un genre de mosaïque prodi- gieusement coûteux! Flus que tous les autres mollusques, sans en excepter les Pintadina du golfe Persique, les Unio et les Margaritana, qui peuplaient les cours d’eau du monde connu des anciens sécrètent des perles de teintes variées. En effet, les roses de plusieurs tons propres à représenter la chair ne sont pas rares parmi elles. Les grises et les brunes sont communes. Nous en avons vu en Bretagne qui ont l'éclat métallique du bronze. Qui sait si les mulettes des différentes parties de l’Asie, voire même de l'Afrique, ne recélaient pas des trésors infiniment variés dont les teintes faisaient ressortir encore davantage ceux qui provenaient des huîtres perlières. L'existence d’'Unio, dans le Tigre, l'Euphrate, le Nil, et dans d’autres fleuves encore, nous est attestée par des savants dont nous ne saurions repousser le témoignage. Nous ne prétendons pas, au surplus, que Pompée n'ait fait mettre en œuvre pour son portrait que des perles d'Unio et de Pintadina.La Pinna,leJambonneau, la Grande Nacre,bien d’autres coquillages encore,avaient dû en fournir les éléments. Si, à l’époque où vécut le rival de César, l'Amérique avait été connue, il n’eût éprouvé aucune difficulté pour faire exé- 104 CHAPITRE XVII cuter une mosaïque aux couleurs extraordinairementbrillantes et variées. Les mulettes seules lui en eussent fourni avec abondance tous les éléments. Nous prions nos lecteurs de se reporter au tableau que nous avons cru devoir mettre sous leurs yeux dans le chapitre où nous avons traité de la colo- ration des perles. Si ce que M. de la Bourdonnaye a dit au sujet des Vénètes, ces ancêtres de nos Vannetais actuels, est vrai, il n’est guère douteux que des perles de l’île d’Albion aient dû figurer dans le portrait de Pompée qui, paraît-il, fit sensation ! Certes, il ne devait avoir absolument rien d’artistique; mais les Romains n'étaient pas connaisseurs en fait de belles choses. Ajoutons que le prix énorme de cette œuvre avait de quoi frapper leur imagination. Comme tous ses compatriotes, César raffolait des perles. Sut-il qu’il en pouvait faire pêcher dans les rivières de la Gaule ? Nous ne pouvons rien dire à ce sujet. Nous croyons cependant que cela est fort peu probable. Voici sur quoi se base notre opinion. S'il avait connu leur présence dans des coquillages de notre pays, il n’eût pas manqué de le dire dans ses Commenuaires, car il avait le plus grand intérêt à y relater tous les faits qui donnaient plus d'importance à ses conquêtes et qui en outre, étaient de nature à éveiller la curiosité, un peu blasée, du peuple romain. _Tout ce que l’on peut croire, c’est qu'il en vit qui avaient été apportées de l’île de Bretagne et qui lui plurent, en fin connaisseur qu'il était. Aussi un auteur ancien est-il allé jusqu'à dire que c’est poussé par le désir de s’en procurer un grand nombre de pareilles qu’il résolut de conduire ses légions dans Pile d’où l’on avait tiré celles qu’on lui avait montrées. Nous croyons très fermement que César, qui a toujours été l’objet de notre haine et qui avait de véritables instincts ce voleur véritable,eut cependant des raisons plus déterminantes et plus dignes d’un grand politique tel que lui. L'HISTOIRE ET LES MULETTES 105 Mais la préoccupation qu'il avait d’éblouir ses compatriotes par les richesses qu’il rapporterait du pays où il allait porter la guerre sans raisons bien plausibles entra peut-être pour quelque chose dans sa résolution. Quoi qu'il en soit, il est parfaitement avéré que, de sa cam- pagne assez malheureuse dans l’île de Bretagne, César retira presque comme unique profit une très grande quantité de perles. Il ne semble pas que, pour la plupart, elles aient été d’un bel orient. Presque toutes étaient aussi fort petites. Très évidemment l’auteur des commentaires De bello Gal- lico avait dû espérer beaucoup mieux que cela. Pompée, nous l’avons dit, avait grandement excité la sur- prise et l’admiration des Romains en exposant son portrait fait en mosaique de perles. L’immense quantité qui était entrée dans la composition de cette œuvre avait donné au Peuple Roi une juste idée de ces pays qui venaient d’être con- quis par lui pour devenir des provinces. César avait rêvé de faire plus et mieux. Il eût voulu surpasser son rival qui avait surtout pour lui le Sénat en plus de l'affection d’une partie du peuple, et tous ses plans étaient renversés ! Mais il était homme de ressources et il sut fort habilement se tirer d'affaire. Il fit donc incruster toutes ses perles britanniques dans l’airain d’une cuirasse et la consacra à Vénus Genitrix. Sur le forum auquel il donna son nom, il avait élevé un temple somptueux en l’honneur de cette divinité dont il se vantait d’être le descendant. Nous savons que, dans l'antiquité, les perles ont été souvent consacrées à la mère de l'Amour. Au portrait de son rival Pompée, le futur destructeur de la liberté romaine opposa cette pièce d’armure et les gens pieux ne se lassèrent pas d'admirer les sentiments religieux d’un homme qui, somme toute, eût été fort embarrassé pour tirer un parti avantageux quelconque des perles qu’il avait apportées à Rome. Il n’eut jamais osé les offrir aux élégantes patriciennes dont il briguait les tendres faveurs. Les seules, en effet, qu’elles trouvaient dignes de leur beauté valaient quelquefois plu- sieurs millions de sesterces ! 106 CHAPITRE XVIII Les divinités sont plus accomodantes. César aimait du moins à se le persuader. Mais qui sait pourtant si Vénus Genitrix fut satisfaite au fond de Pâme du cadeau que lui fit l’ambitieux qui prétendait être de sa lignée ? Il nous est bien permis de remarquer qu'elle ne fit rien pour le soustraire au fer des assassins. Dans la vie de C. J. Agricola, Tacite a parlé des perles de l’île de Bretagne, qui sont absolument semblables aux nôtres. Tertullien en a fait mention également (1). Pendant toute la durée de l'Empire, Rome fut le principal marché des perles. Près de la maison du Grand Pontfe donnée par Auguste aux Vestales, s'élevait le Porticus Mar- garitarius. Les Margaritarii y avaient leurs boutiques et nous avons tout lieu de penser qu’elles étaient approvision- nées de perles, provenant non seulement du golfe Persique et de la mer des Indes, mais encore de toutes celles des rivières de l’Ancien Monde qui nourrissaient des Unio d'espèces mar- garitifères. Tant que Rome fut à l’apogée de sa gloire, les perles en forme de poires se nommèrent elenchi (2); et jamais les écri- vains classiques ne se servirent du mot pirula dont le vocable français est dérivé. A l’époque du Bas-Embpire, le luxe était toujours aussi grand, mais il était moins élégant, moins raffiné. On n'avait plus besoin de termes divers pour désigner les perles de différentes formes. Il n’en fallut plus qu'un, eton en créa un nouveau, celui de pirula, que nous venons de Citer. Mais retournons un peu en arrière. Après la conquête des Gaules par les Romains, le goût des perles y régna et nous en donnons comme preuve les superbes bijoux antiques conservés au Musée de Lyon. Nous ne pou- vons pas dire si à cette époque on dépouilla les mulettes de ertullien. De ñabitu muliebri, cap. VI. u mot grec éhéyxw. ee L'HISTOIRE ET LES MULETTES 107 leurs trésors nacrés. La chose est pourtant fort probable. L’invasion des Barbares n’arrêta pas les progrès du luxe et nous savons par des textes nombreux que les descendants de Mérovée aimaient à se parer de perles. Le roi Dagobert, pour ne citer que celui là, les grands dignitaires de sa cour et les membres du clergé d'alors eux-mêmes, en étaient littéralement couverts. Toute cette énorme quantité de perles venait-elle d'Orient ? Nous ne le croyons pas; mais il nous est impossible de dire s’il s'en trouvait parmi elles un certain nombre qui fussent pêchées dans nos rivières. Tout ce que nouspouvons afhirmer, c'est qu’à une époque fort éloignée de nous on vendait déjà dans notre pays des perles d’Ecosse, qui ne pouvaient être que des perles d’'Unio. Elles jouissaient d’une grande faveur. Il est fort possible que toutes n’aient vraiment pas été origi- naires du pays dont elles portaient le nom. Si nous osons émettre ce doute, c’est parce que nous voyons qu'aujourd'hui encore nos bijoutiers appellent sou- vent ainsi toutes les perles d’eau douce, quelle que soit d’ail- leurs leur origine. La France ancienne connut aussi les perles de Lorraine, sur le compte desquelles nous aurons à revenir d’une façon toute spéciale, et les perles Bohémiques, non moins recher- chées. Encore des sécrétions de mulettes. Nous n’avons lu nulle part que dans notre pays les perles fussent considérées comme pouvant être montées en bijoux pour les femmes veuves. Nous ne serions pas surpris cepen- dant que cet usage ait existé. Les corps brillants qui, suivant certaines idées supersti- tieuses, étaient des larmes congelées, pouvaient convenir aux femmes qui pleuraient leur époux. Notons que nos reines portaient le deuil en blanc. Dès lors, il est permis de supposer que des bijoux en perles pou- vaient parfaitement compléter leur toilette. Rappelons-nous ce que nous avons dit, lorsque nous avons été amené à 108 CHAPITRE XVIII parler des perles de la Lozère, d'après un manuscrit de la bibliothèque de PArsenal. Nous y avons lu qu'un grand sei- gneur, qui en avait fait venir une certaine quantité du dzo- cèse de Mende, les offrit « à la reyne mère ». Elles con- venaient donc à sa qualité de veuve. Il nous semble bien voir là une preuve à l’appui de notre opinion! Nous ajouterons que le port des perles par les veuves était chose très ordinaire de l’autre côté de la Manche. Si on en croit Boëtius, on les y qualifiait même de « délices des veuves » (1). En dehors des cas que nous venons de citer, les Unio et les Margaritana ont-ils jamais fourni chez nous des éléments aux bijoux que portaient nos princes et nos rois ? Oui, mais fort rarement, à notre connaissance du moins, pour ce qui concerne les temps un peu reculés. Le roi René d’Anjou, qui, on le sait, avait le goût de toutes les choses curieuses et rares, acquit un jour d’un allemand une perle bleue, qui nous a tout l'air d’avoir été sécrétée par quelque mulette saxonne (2). En sa qualité de prince Lorrain, il avait, en surplus, la passion des perles et il est fort probable, suivant nous, que, parmi celles si nombreuses et si belles qu’il donna à maintes reprises à sa femme, Jeanne de Laval (3), il devait y en avoir qui avaient été sécrétées par des Unio de la Vologne et du Neuné. Nous verrons par la suite que ces deux cours d’eau furent à une époque, moins reculée il est vrai, fort renommés pour les coquillages très margaritifères qu’on y pêchait en abondance. Il n’est pas, certes, déraisonnable de penser que leur réputation à cet égard devait dater de plus loin. A propos des parures dont il vient d’être question et dont la description serait trop longue pour pouvoir trouver place ici, nous renvoyons à l'ouvrage de M. J. Denais. Nos lecteurs y trouveront un détail bien curieux. Lorsque le roi René quit- (1) Boëtius. History of Scotland, p. 15. (2) A. Lecoy de la Marche. Le Roi René, t. Il, p. 371. (3) J. Denais, Monographie de la cathédrale d'Angers, p. 203-204. L'HISTOIRE ET LES MULETTES 109 tait son château d’Angers pour se rendre dans quelque autre partie, souvent fort lointaine, de ses nombreux états, il les confiait à la garde du clergé de la cathédrale de cette ville où elles étaient renfermées dans un reliquaire. A Scaër, dans le département du Finistère, les paysans racontent parfois encore aujourd’hui que la duchesse Anne, La bonne duchesse comme ils l’appellent toujours, acheta, lors d’un séjour qu’elle fit dans cette localité, deux perles qu’on avait pêchées dans un cours d’eau voisin de cette petite ville et qu'elle aurait fait monter en pendants d'oreille. On va même jusqu’à dire qu’elle les paya douze cents livres la paire. Cette tradition ne repose sur aucune base sérieuse. Si, dans le but de rendre notre travail plus complet, nous poussons nos investigations jusqu’en Angleterre, nous voyons que, sous le règne de Charles IT, on trouva dans un Unio de la Conway (principauté de Galles) une perle, qui était à la fois si remarquable par sa grosseur et son orient qu’elle fut jugée digne d’entrer dans l’ornementation de la couronne Royale {r). Dans son Essai sur les Mollusques des Vosges, Puton parle également d’une perle achetée par lady Glencaley. Elle pro- venait d'Irlande. La noble dame en refusa deux mille livres, offertes par la duchesse d'Ormont. Le même auteur en signale encore une autre qui pesait 36 carats. Elle était également d’une eau superbe. _ De tous les princes de l’Europe, ceux de Lorraine,auxquels il convient que nous revenions, nous paraissent à coup sûr avoir eu le goût le plus prononcé pour les perles. Afin de protéger les mollusques qui les sécrétaient et qui, nous avons déjà eu l’occasion de le dire, étaient surtout nom- breux dans la Vologne et le Neuné, son affluent, ils avaient édicté les règlements les plus sévères et ils tenaient la main à leur application. Soit qu’ils en aient eu besoin pour eux-mêmes, soit qu’ils (1) Arnould Locard. Histoire des mollusques dans l'antiquité. 410 CHAPITRE XVHI voulussent en faire présent aux supérieures de l’abbaye de Remiremont qui étaient le plus souvent leurs proches pa- rentes et qui ne dédaignaient pas de se parer de très riches bijoux, au moins dans les grands jours de fête, ils se réser- vaient tous les produits de la pêche des perles. L’épouse du duc Léopold I, nous dit J. P. B. Koltz (1), avait un très beau collier et des pendants d'oreilles dans la composition desquels des perles du pays étaient entrées à l'exclusion de toutes autres. On citait également avec admi- ration ceux de la princesse Charlotte, sa fille, qui était abbesse de la communauté dont nous venons de citer le nom. C'était, nous l’avons dit, la Vologne qui produisait les Unio les plus margaritifères. Aussi, à certaine époque de l’histoire, cette rivière prit-elle le nom de Perle (2). Dans le chapitre où nous étudierons Îles poésies que les mulettes ont inspirées à deux auteurs de conditions bien différentes, nous verrons que l’un d’entre eux, Philippe Antoine de Chesnel, était seigneur de Château- sur-Perle, c’est-à-dire : sur-Vologne. Ce cours d’eau figure dans la Pompe du duc Charles ITI, sous les traits d’une nymphe portant un collier de perles et tenant à la main des perles enfilées. On lit au-dessous : « Vologna margaritifera suas margaritas ostendit (3) ». La Vologne perlière est devenue à certain moment, ainsi que nous l’avons'montré, la Perle, comme le prouve le nom du château dont nous avons parlé. A l’époque où vivait Charles II, les Unio elongatulus, car ce sont eux, croyons-nous, sans pourtant en être sûr, qui produisaient les plus belles sécrétions, étaient d’une abon- dance extrême dans la Vologne et le Neuné. Leurs lits en étaient comme pavés, si l’on ajoute foi à Dom Calmette; et le même fait se remarquait dans beaucoup d’autres cours d’eau du même pays. Hélas ! les jours de décadence sont arrivés pour les Unio (1) J. P. B. Koltz. Traité de pisciculture pratique. (2) A. Fournier. Topographie du département des Vosges, dans les Annales de la Société d'Hmulation des Vosges, année 1896. (3) À. Fournier, loco citato. L'HISTOIRE ET LES MULETTES 111 de la Lorraine et la Vologne ne pourrait plus à l’heure actuelle être surnommée la Perle ! Depuis 1870 surtout, un grand nombre d’usines ont été établies le long des rivières du département des Vosges et leurs déjections ont empoisonné les eaux, jadis si transpa- rentes et si claires.'[l en est résulté, commeconséquence natu- relle, une terrible diminution dans le nombre des coquillages ainsi que dans celui des poissons. Sur quelques points même, ils ont complètement disparu et il est malheureusement à croire que cet état de choses ne fera qu’empirer de plus en plus. Il nous semble de toute évidence que lorsque Marie Lec- zinska devint reine de France elle dût apporter avec elle des bijoux montés en perles de son pays et nous nous imaginons volontiers qu’ils furent toujours très chers à son cœur. Alors que la cour la délaissait pour entourer de ses hommages empressés les favorites de Louis XV, son époux, ils lui rappelaient le temps où, jeune fille, elle était heureuse à la petite cour de son père. Franchissons bien des années pour arriver jusqu’à l’époque du premier Empire. Joséphine est encore impératrice et c’est à ce titre que de belles perles de mulette lui furent offertes à Nancy. Par contre, la duchesse d'Angoulême ne put, en 1826, voir son désir se réaliser. Cette princesse, voyageant alors en Lorraine, souhaita fort d’avoir, comme souvenir, un bracelet orné de perles pêchées dans le pays. Il fut de toute impossibilité de la satis- faire, car on ne put pas en réunir une quantité suffisante. Nous savons aussi que la ville de Vichy fit don à la duchesse de Berry d’un collier dont tous les éléments avaient été soustraits à des Unio de l'Allier. Avant de rechercher si, dans les années qui se rapprochent davantage de celle où nous sommes nous ne trouverons pas des faits ayant trait aux mollusques que nous étudions, nous retournerons un peu en arrière. Dans d’autres parties de la France, il nous sera peut-être possible de recueillir des documents curieux à relater. 412 CHAPITRE XVI Transportons-nous donc dans nos provinces de l'Ouest. Au xvie siècle, on pêchait à Saint-Savinien, en Saintonge, de grosses moules dans lesquelles se trouvaient des perles aussi belles que celles du Levant. Comme elles étaient très rares, cette pêche devenue trop dispendieuse fut abandonnée dans le siècle suivant...(r). En 1733, M. de Beauharnais, intendant de la marine à Ro- chefort-sur-Mer, adressa un mémoire à la Cour pour répondre à des questions justement relatives à ces moules de ce Saint- Savinien dont nous venons de parler. Il s’y exprime en ces termes : ; « J’eus ordre de Monseigneur le duc d'Orléans, il y a six ans, d’en faire pêcher et j’eus l'honneur de lui envoyer une petite perle d’une assez belle eau et d’une figure ovale (2) ». Si nos renseignements sont exacts, les hommes que M. de Beauharnais avait chargés de capturer des Unio à Saint-Savi- nien ne durent pas s'acquitter de leur tâche avec un bien grand soin. Presque jusqu’à nos jours, en effet, la Charente a été renommée pour le nombre et pour la beauté de ses perles; et, il n’y a pas de cela très longtemps, on en a justement pêché encore de très belles à l'endroit même dont il est parlé dans la réponse que M. de Beauharnais fit à la Cour. [l est très visible, d’ailleurs, que cet intendant de la marine ne mit aucun zèle à se conformer aux ordres du duc d’Or- léans, puisqu'il laissa six ans s’écouler avant de s'acquitter de la tâche dont on l'avait chargé. Le fait que nous venons de relater prouve que, jadis, les choses n’allaient guère autrement qu'elles ne vont à présent, ce qui n’est pas une consolation. Sans contredit, la Bretagne est le pays de France où, à l'heure actuelle, on pêche le plus de perles, et nous aurions dû nous attendre à y rencontrer beaucoup de documents. Il n’en a rien été. Il ne semble pas que ses ducs régnants ni ses seigneurs (1) Massion. Histoire de la Saintonge et de l'Angoumois. (2) Thomas. Mémoires pour servir à l'histoire de Rochefort. L'HISTOIRE ET LES MULEITES 113 aient jamais établi de pêcheries dans le genre de celles que nous savons avoir existé en Lorraine et dans beaucoup de pays d'Allemagne. La présence des Unio paraît y avoir été pen- dant fort longtemps comme ignorée, car nous avons dit qu’il ne fallait pas ajouter foi aux propos des bonnes gens de Scaër, qui prétendent que la duchesse Anne acheta dans ce bourg même deux perles d’une grande valeur. Par contre, au xu° siècle, si l’on en croit un éloge de la Bretagne datant de cette époque et conservé aux archives de Quimper, on savait que dans la mer qui baigne les côtes de l'Armorique il y avait des coquillages margaritifères. L'auteur de cette pièce si curieuse va même jusqu’à penser, contraire- ment à l'opinion de Pline le Naturaliste, que les perles rap- portées par César de l’ile de Bretagne étaient de provenance marine, ce en quoi il se trompe évidemment, au moins pour ce qui concerne le plus grand nombre. Le manuscrit auquel nous faisons allusion en ce moment a été publié en 1888 dans les Bulletins de la Société archéo- logique du Finistère et il est curieux à plus d’un titre. Les coquillages marins dont il y est fait mention ne peu- vent guère être que ces Haliotis auxquels personne pour ainsi dire ne prenait garde avant les travaux de M. Boutan et qui, on vient de le voir, ont eu peut-être leur heure de célébrité à une époque très éloignée de nous, alors qu'on n’attachait au- cune attention aux Unio et aux Margaritana. Après ce document qui, somme toute, n’a pour nous qu’une importance relative, nous ne trouvons à citer que quelques lignes de Cambry. Nous lisons, en effet, dans son célèbre Voyage dans le Finistère, qu’à Scaër on pêche parfois des perles. L'auteur nous assure qu’un certain abbé Floïd, recteur de cette commune, en fit parvenir à Paris « de la grosseur d’une petite aveline ». A cette époque, la République avait autre chose à faire qu’à s'occuper des mulettes de la Bretagne... et d’ailleurs. On était, pour ainsi dire, au lendemain de la Révolution et la France était en armes pour faire face à l’Europe coalisée Aussi l'envoi de l’abbé Floiïd passa-t-il complètement ina- perçu. BONNEMÈRE. 8 114 CHAPITRE XVII I] faut que nous arrivions jusqu'à nos jours pour trouver d’autres faits se rapportant aux perles de la presqu'île armo- ricaine. Lorsqu'elle fit avec l’empereur son voyage en Bretagne, l’impératrice Eugénie eut envie de posséder, comme souvenir, un bijou fait en perles du pays. Ce désir était un ordre. En conséquence, on en rassembla une certaine quantité, qui, tou- tes, étaient fort belles. Maïs, quelque peine que l’on prit, on ne put en réunir assez pour réaliser le vœu de la souve- raine. Envoyées plus tard à Paris, elles y furent vendues sépa- rément. Nous ne sortirions pas de notre sujet en disant que l’impé- ratrice Eugénie détermina aux Etats-Unis, sans le vouloir assurément, la première crise de la fièvre de perles, pearl fea- ver, pour nous servir de l'expression consacrée de l’autre côté de l’Atlantique. En 1867, une perle d’un bel orient, pesant 93 carats, fut pêchée dans l'Etat de New-York. On la baptisa aussitôt du nom justement mérité de Reine des Perles. Achetée par la maison Tiffany, de New-York, elle fut ven- ‘due à l’impératrice Eugénie pour la somme de deux mille cinq cents dollars, ce qui fait en monnaie de notre pays douze mille cinq cents francs. « Maintenant, lisons-nous dans le travail de M. Kunz que nous avons eu l’occasion de citer bien des fois déjà, maintenant cette perle vaut quatre fois plus. Elle avait été trouvée à Noich-Brook, près de Paterson. Lorsqu'on sut quel prix elle avait atteint, la pearl feaver éclata aussitôt avec une redoutable intensité. C’est par mil- liers qu’on se mit à détruire les coquillages tant dans l'endroit où la Reine des Perles avait été pêchée que dans ses environs. Mais les résultats obtenus furent très minces et même com- plètement nuls. Il ne fallut rien moins que des échecs, souvent répétés, pour ramener le calme dans les esprits surexcités par l'espoir : de découvertes aussi fructueuses (1)».... Qu'est devenue la Reine des Perles ? (1) Kunz. Loc. cit. CHAPITRE XIX. LES PERLES DE MULETTE ET LA POÉSIE. Ils sont légion les poètes, qui, dans leurs vers, ont exalté la beauté des perles ; mais toutes celles qu’ils ont chantées ont été formées dans ces grandes coquilles nacrées qui peuplent le fond des mers de l'Orient. Aucun de ceux dont le nom est entré dans la gloire n’a jamais soupçonné l'existence des mulettes, ni la propriété qu’elles ont parfois de sécréter des corps brillants et pré- Gielxe Il s’est pourtant trouvé deux écrivains qui n’ont pas craint de consacrer leurs veilles à célébrer dans la langue des Dieux les mérites des Unio de la Lorraine. Ont-ils montré beaucoup de talent dans l’accomplissement de la tâche que chacun d’eux s’est imposée ? Nous allons en faire juges nos lecteurs. Le premier dont nous parlerons est Messire Jean-Claude Sommier. D'origine francomtoise, puisqu’il naquit à Vau- villers en 16671, il passa presque toute sa vie en Lorraine. Curé de Champs, conseiller d'Etat, archevêque de Césarée et grand prévôt de l’église collégiale de Saint-Dié, il publia une Histoire dogmatique de la Religion, et une autre du Saint-Siège,qui, paraît-il, l'ont placé en un bon rang comme écrivain ecclésiastique. S’il n'avait produit que ces ouvrages, nous n’aurions pas eu à nous occuper de lui; mais, en 1702, dans une pièce de vers latins, il s’étendit longuement sur les mérites des mol- lusques de la Vologne. Même, afin de les faire mieux con- naître, il traduisit son œuvre en alexandrins français. 116 CHAPITRE XIK Ses deux poëmes portent les titres suivants: Orgia Alica- pellana ; Festes d'Alichapelle. Plein d'enthousiasme, le digne archevêque en partibus de Césarée s’écrie à certain endroit de sa version en langue vul- gaire : « La Vologne surtout, vray Gange de la Voge, « Attire du Prieur et la veue et l'éloge. « Il y voit se former et les perles et l’or « Qu'on trouve dans son sein, qui brillent sur bord... » Evidemment Messire Claude Sommier avait les intentions. les meilleures quand il chanta les mulettes de son pays d'adoption, mais il faut convenir qu’il n’avait pas reçu du ciel « l'influence secrète » dont parle Boileau. Les quatre vers que nous venons de citer le prouvent surabondamment. L'autre auteur dont nous allons parler maintenant est ce Philippe-Antoine de Chesnel qui, nous l’avons déjà dit, était seigneur de Château-sur-Perle. Son poëme, qui a pour titre la Centhyperleyade où l'Ordre de Diane, contient plus de deux mille vers! Il n’a jamais été publié; mais plusieurs copies manuscrites en existent. Avant d’en donner un fragment qui permettra à nos lec- teurs de se rendre un compte exact de la manière de cet auteur, il convient, pensons-nous, de résumer en peu de mots le sujet qu’il a traité; et nous le ferons d’après M. A. Fournier à qui, au surplus, nous avons emprunté presque tous les éléments de ce chapitre. Nous ne pouvions pas en vérité prendre un meilleur guide (1). Voici donc l’argument. Vénus voyage donc dans cette partie de la Lorraine où la chaîne des Vosges dresse vers le ciel les sommets de ses montagnes couvertes de forêts aux vertes frondaisons, et la jeune Déesse veut laisser aux jeunes filles du pays un souve- nir de son passage. Virgile a dit qu’une Immortelle se recon- naît rien qu'à sa démarche: « Incessu patuit Dea ». Dans (1) A. Fournier. Topographie du département des Vosges, p. 57 et suiv. dans les Annales de la Société d'Emulation des Vosges (année 1895). LES PERLES DE MULETTE ET LA POÉSIE 417 l’œuvre de Chesnel, dont le nom s'écrit aussi Chainel, c’est tout autrement que la mère de l'Amour manifesta sa présence et son pouvoir. L'auteur dont nous parlons était, comme tous les hommes de son époque, fort épris des Dieux et des Déesses de l’anti- quité classique. Il savait donc à merveille que les Grecs et les Romains, pour lesquels il professait à coup sûr une admi- ration... littéraire sans bornes, avaient en quelque sorte établi une corrélation entre Vénus et les perles. Ainsi que l’Immortelle, ne naissaient-elles pas de l’onde amère? Étant la chose la plus belle qui fût au monde, n’était-il pas tout naturel qu’elles lui fussent consacrées ? Pour réaliser son dessein, M. Chesnel comprit qu’il devait établir un lien entre les brillantes concrétions des mulettes et la blonde Aphrodite, mais tout en respectant cependant les opinions des anciens. Il ne crut donc pas pouvoir faire d’elle une fille de la Vologne. Ses contemporains lui en eussent voulu d’une pareille licence. La mythologie était alors une chose presque sacrée. Notre auteur eût sans doute pu dire que Cytherée, en sor- tant du bain qu'il lui fit prendre dans la Vologne, tordit ses épais cheveux d’or et que de tous les côtés l’eau ruissela en gouttes irisées sur les charmes nusde la déesse. Au contact de ce beau corps, Chesnel aurait pu, que dis-je! aurait dû les changer en perles! Ce n’est point ainsi qu'il s’y prit, sa muse n’aimant pas ces fictions qui seraient écloses très certainement dans l’esprit de tout poète véritable. Voici ce qu’il imagina : « Vénus vit la Vologne, y voulut prendre un bain. « L’onde en était limpide et présentait son sein. « Elle entre, et, s’ébattant comme fait une anguille. « Elle enfante un fœtus couvert d’une coquille. « Par les flots emportés, ce germe original « Fut fixé sur la pointe au milieu du canal... « Cependant, de Vénus, ayant reçu la vie, « Au vœu de la nature, l’huître était asservie ; « Le long de la rivière aussi vit-on bientôt « De sa progéniture un très nombreux dépôt. 118 CHAPITRE XIX « Mais dans l’huître, en l’ouvrant, le pêcheur y rencontre « Une perle à belle eau, d’une éclatante montre; « Le galant bijoutier en forma des atours « Dont la femme raffole en ville et dans les cours... » Il est rare de voir des vers aussi exécrables et aussi profon- dément ridicules à tous les points de vue que ceux nous venons de citer. Assurément les mulettes de la Lorraine méritaient beaucoup mieux. Quoique véritablement les poèmes du curé de Champs et du seigneur de Château-sur-Perle méritent le juste oubli dans lequel ils sont tombés, ils ont du moins ceci de fort curieux qu'ils nous font comprendre, mieux que tout peut-être, quelle réputation avaient à leur époque respective les perles de la Lorraine. En effet, les auraient-ils chantées avec amour, sinon avec talent, si elles n’avaient pas joui d’une grande célébrité ? Évidemment non. Il eût été à souhaiter que le seigneur de Château-sur-Perle pût finir ses jours au bord de la charmante rivière qu’il aimait tant. Le sort en décida autrement, car avec tous les membres de sa famille il émigra lors de la première Révolu- tion. Ses biens furent confisqués et vendus le 26 fructidor an III au profit de la Nation. Comme tant d’autres, la superbe demeure du chantre des mulettes n’a pas été complètement détruite. Ses restes nous permettent de juger de sa splendeur passée. La Vologne coule toujours auprès ; mais l'effet du bain pris par Diane dans ces eaux, si pures alors, ne se fait plus sentir. Les femmes ont beau raffoler toujours de la blancheur nacrée des perles, les bijoutiers de la Lorraine qui, au dire de Philippe de Chesnel, étaient, de son temps, si galants, sont aujourd’hui contraints de dépouiller de leurs trésors les Pintadina des mers orientales. CHAPITRE XX. AU POINT DE VUE DES ARTS, DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE. I1 semble que le monopole du commerce des perles, après la chute de l'Empire Romain, ait appartenu à la France enfin créées A Saint-Denis, près Paris, il y eut, en effet, des foires qui, dès l’époque Mérovingienne, étaient célèbres sous ce rapport. On y vendait surtout, cela va sans dire, des perles d'Orient, mais aussi très probablement des perles de mulettes. Nous avons montré que ces dernières, souvent traitées de perles d’apothicaires, entraient dans la composition de très nombreux remèdes. Nous en avons indiqué plusieurs. Les -orfèvres ne se faisaient pas faute non plus de les employer et nombre d’entre eux, paraît-il, s’efforçaient de les vendre à leur clientèle sous des désignations fausses. Ils avaient la coutume aussi de les mélanger avec d’autres qui venaient du Golfe Persique ou de la mer des Indes. Aussi, à diverses époques, nos rois se virent-ils contraints de publier des édits pour réprimer ces fraudes. Nous y lisons, entre autres choses curieuses qu’il était interdit aux maîtres dans l'art de travailler les matières précieuses, d’allier des perles de provenance européenne avec celles que des Pintadina avaient sécrétées, à moins que ce ne fût pour exécuter de grands travaux d’orfèvrerie religieuse. Dans ces actes, les perles des Unio sont appelées d’un nom dont le sens exact nous échappe. Elles sont qualifiées d’entraïnettes (1). (1) Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts, et des métiers, par une société de gens de Lettres, mis en ordre et publié par M. Diderot et quant à la partie mathématique par M. d'Alembert, au mot Perle. 490 CHAPITRE XX Le monopole dont nous avons parlé passa ensuite à l’Alle- magne au détriment de notre pays. Il y dura fort longtemps. De l’autre côté du Rhin, la noblesse et même aussi les bourgeois se plaisaient à prodiguer les perles sur leurs vête- ments. À Nuremberg, notamment, il y eut une époque où « les jeunes gens s’amusaient à courir dans les rues sales et pleines de boue, avec des manteaux et des bottes de velours brodé de perles mal attachées... (1) » Or, Nuremberg se trouve en Bavière, ce royaume quia dans ses cours d’eau des mulettes très margaritifères. Il est donc permis de croire qu’une partie des perles, dont les jeunes fous, dont Mme Dufrenoy nous a raconté les coû- teuses excentricités, se plaisaient à orner toutes les parties de leurs vêtements, étaient de provenance locale ou saxonne. Nous avons presque en vain cherché des renseignements sur lés prix qu'au temps jadis les perles d'Unio atteignaient chez nous. Alors que nous avions espéré trouver de nom- breux documents,nous n’avons pu en découvrir qu'un seul. Martin Lister, célèbre médecin et naturaliste anglais, né vers 1638 dans le comté de Buckingham, fitun voyage en France, dont il nous a laissé une relation fort intéressante.Ce grand savant résida quelque temps à Paris et il y vit chez des bijoutiers des perles d’eau douce, qui étaient estimées fort cher. Il en cite quelques-unes dont on demandait quatre cents livres pièce. Contrairement à notre attente, nous n'avons rien pu décou- vrir relativement à la valeur vénale des perles de la Lorraine qui, pourtant, à une certaine époque, furent si habilement employées par la bijouterie locale. Nous avons dit qu’aujour- d’hui on n’en pêche pour ainsi dire plus dans ce pays. Nos investigations ont également porté sur la Bretagne. Dans le Finistère, les gens aisés tiennent parfois à honneur de posséder des bijoux montés avec des perles pêchées dans les cours d’eau de ce département; mais,chose curieuse, les gens de la campagne n’ont jamais eu de goût pour elles. Jadis ils (1) Madame Dufrenoy. Histoire de tous les peuples. AU POINT DE VUE DES ARTS, DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE 121 les recherchaient surtout comme passe-temps et sans y atta- cher grande importance. Il a fallu que les touristes de plus en plus nombreux leur en apprissent la valeur. Aussi voyons-nous qu’autrefois on pouvait acheter des riverains de l’Elorn, par exemple, des perles souvent fort jolies pour la somme d'un franc et même parfois pour moitié moins. Aujourd’hui mieux renseignés, ils vendent à Landerneau, comme ailleurs dans le département, les produits de leur pêche à des prix beaucoup plus élevés. Une belle perle de l’Aven peut maintenant, nous a-t-on affirmé, valoir jusqu’à une trentaine de francs. La même, pendant très longtemps, n'eût pas été vendue plus de trois à quatre francs. Les bijoutiers de Quimper et de Brest gagnent le plus ordi- nairement le double sur celles qu'ils acquièrent des gens qui les ont trouvées. Pour avoir les perles à meilleur compte, ceux de la première de ces deux villes ont l'habitude d'acheter en bloc toutes celles qu'on vient leur offrir, qu'elles soient belles ou laides, grosses ou petites. De cette façon ils se rendent les maîtres du marché. Nous avons moins de renseignements sur les perles de la Charente. Nous croyons savoir pourtant qu'elles atteignent des prix beaucoup plus élevés. Elles se vendraient, nous a écrit de Ruffec M. Chauvet, l’archéologue bien connu, depuis quelques francs jusqu’à deux cents. On voit que la marge est grande. Nous avons aussi cherché à savoir si les Bretons avaient jamais cherché à tirer un parti quelconque de la nacre de leurs mulettes; mais sur ce point encore notre enquête n’a été couronnée d'aucun succès. Nous sommes très porté d’ailleurs à croire qu’ils ne l'ont jamais employée à quoi que ce soit. Elle est pourtant propre à mille usages et les préhistoriques, nous l'avons montré, savaient s'en servir pour faire des objets de parure. Dans le Finistère on n’a jamais vendu, nous le croyons du moins, les valves des Unio et des Margaritana à des marchands pour être converties par eux en boutons. Après que les coquilles 199 CHAPITRE XX ont été visitées avec plus ou moins d'attention, on les rejette dans la rivière ou même, sans plus se soucier des consé- quences qu’une telle façon de procéder peut avoir, on les abandonne sur ses rives. Dans les départements qu'arrose la Charente, les choses se passent différemment. Jadis surtout les coquilles étaient rassemblées avec soin pour être livrées à des marchands. Ce commerce a perdu beaucoup de son importance et cela pour des raisons multiples. La lingerie emploie en nombre beaucoup moins grand les très petits boutons que l’on pou- vait découper dans des valves d’'Unio. Ceux que l’on a ima- giné de faire en porcelaine et avec d’autres matières encore sont une des causes principales de la défaveur dans laquelle ils sont tombés. Il convient aussi d’ajouter que les coquilles d’huîtres perlières sont devenues de plus en plus communes sur notre marché et que, vu leurs dimensions et l’épaisseur de leur nacre, elles sont, à juste raison, beaucoup plus recherchées de nos fabricants. Cependant cette industrie n’a point complètement cessé. La pêche des mulettes se fait toujours dans la Charente, à partir de Saint-Savinien, cette localité que nous avons déjà eu l’occasion de citer. Si nous en croyons nos correspon- dants, les individus qui s’y livrent viennent de Bordeaux et de Libourne et se servent de scaphandriers pour explorer le lit de la rivière. Ces coquillages sont vidés immédiatement par des femmes, gagées à cet effet. Les valves sont mises ensuite dans des sacs pour être expé- diées à des fabricants qui en utilisent la nacre. Toutefois cette pêche qui emploie jusqu’à cinq ou six petits bateaux n’a pas lieu tous les ans. Il paraît qu’un habitant du port d'Envaux s’y livre aussi de son côté, dans des conditions analogues. On dit que ces pêcheurs trouvent parfois des perles, mais si rarement qu'ils n’y attachent aucune importance. Il fau- drait prendre des précautions spéciales pour les recueillir et surveiller étroitement les femmes qui vident les coquilles. 1" 5 AU POINT DE VUE DES ARTS, DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE 123 Le produit de la nacre est seul en vue. Jadis les mulettes, ou palourdes, étaient beaucoup plus abondantes dans la Cha- rente. On les trouvait facilement sur les bords découverts à marée basse, mais à présent il faut les chercher dans le lit même de la rivière. Ces renseignements, que nous devons à la complaisance de M. Montaut, ancien commissaire général de la marine, com- plètent admirablement ceux que nous avons déjà fournis à nos lecteurs au sujet des Unio de la région qui nous occupe en ce moment. Nous ferons remarquer qu’ils diffèrent sensi- blement de ceux que nous avons puisés dans un article de M. Bellet publié dans La Nature. D'après cet article qui, il est vrai, remonte à quelques années déjà, les perles seraient beaucoup plus nombreuses et il y aurait des pêcheurs qui se livreraient plus spécialement à leur recherche. Ces divergences peuvent, hélas ! très bien s'expliquer. Ce qui était vrai sans doute lorsque M. Bellet fit paraître son tra- vail dans la Revue précitée n'existe plus.aujourd’hui. Il y'a moins de perles; il n’y en a presque plus même dans les palourdes de la Charente parce que les coquillages (et nous entendons surtout parler des adultes) sont de moins en moins abondants. De plus, les bancs sont sans cesse fouillés, boule- versés par les scaphandriers, et les infortunés mollusques ne mènent plus qu'une vie fort précaire. Dans ces conditions,ils ne peuvent pas produire beaucoup de perles et, là comme ailleurs, ils sont menacés d’une destruction prochaine et complète. Puisque nous avons été amené à parler de ce rôle des valves d'Unio dans l’industrie, disons qu’autrefois celles particuliè- rement blanches à l’intérieur, de l'espèce qu’on désigne à pré- sent sous le nom d’Unio vinceleus, servaient à contenir l’oret l'argent finement moulus que l’on emploie toujours dans les arts. De l’usage que l’on faisait de ses valves, il était devenu par excellence l'Unio des peintres, Unio pictorum, et c’est sous ce nom qu'on le désignait. On les a remplacées par des coquilles de moules comestibles et aussi par des godets en porcelaine ; mais dans ce dernier 4124 CHAPITRE XX cas le nom d’or ou d'argent en coquille a été conservé aux métaux qu’on y met après une préparation spéciale. Puisque nous avons été ramené à parler encore des mu- lettes et de leurs perles au point de vue des arts, nous nous permettrons de dire à nos lecteurs que, nous rappelant que dans notre jeunesse nous avions reçu de Barve des leçons de sculpture, nous avons modelé en cire teintée, pour le Musée de Beaufort-en-Vallée (Maine-et-Loire), un groupe dont le sujet a été emprunté à une fable de Lafontaine, celle inti- tulée le Cog et la perle. Auprès de l’oiseau, roi des basses-cours, qui du bec s’a- charne après une grappe de mil, nous avons placé une valve d'Unio dont il n’a cure, bien qu’une perle y soit attachée. Il n’est peut-être pas hors de propos de parler, ne fût-ce que brièvement, de ce qui se passe en Amérique. La maison Tiffany, de New-York, qui au cours de ces der- nières années a envoyé à Paris tant de perles d’eau douce diversement colorées, dites perles de fantaisie, exécute dans ses ateliers des pièces d’orfèvrerie dans lesquelles elle en fait entrer beaucoup de blanches. L’effet produit est souvent très artistique et très original. Nous aimerions voir la fabrication française entrer dans cette voie, suivant nous très féconde en bons résultats. A notre dernière Exposition Universelle, l’attention du public fut vivement attirée par des pièces ornées de la sorte. En Amérique, lorsque la nacre des coquilles n’est pas assez épaisse pour être convertie en boutons, on en tire une chaux qui, paraît-il, est excellente. Nos Bretons dont, en beaucoup d’endroits, le sol ne con- tient pas du tout de calcaire, devraient bien adopter cette méthode pour les valves qu’ils abandonnent sur les rives de leurs cours d’eau. Ils le pourraient d'autant mieux faire que l’usage de convertir en chaux certaines coquilles marines est bien connu de ceux d’entre eux qui habitent sur les côtes et dans les îles. Il n’est pas jusqu’à la chair des mollusques dont en Amé- Fa AU POINT DE VUE DES ARTS, DU COMMERCE ET DE L'INDUSTRIE 125 rique on sache faire quelque chose, alors que chez nous nos pêcheurs n’en tirent aucun parti. De l’autre côté de l’Atlantique, on l'emploie avec succès et en très grande quantité pour la nourriture des porcs et des volailles. On la convertit également en engrais fort apprécié par les cultivateurs des Etats-Unis. Nous souhaiterions très vivement voir cet exemple suivi par ceux de nos paysans qui habitent des départements où les {nio sont encore nombreux et où leur chair, abandonnée souvent au hasard, risque, nous ne saurions trop le répéter, d'amener de terribles maladies. CHAPITRE XXI. AU POINT DE VUE CULINAIRE. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit relati- vement à la consommation que les préhistoriques faisaient des Unio et des Anodonta. Ils mangeaient leur chair crue ou cuite, mais plutôt de cette dernière façon. Il semble pourtant qu'ils n’ont jamais eu pour ces mollus- ques un goût aussi marqué que celui dont faisaient preuve les sauvages habitants de l'Amérique du Nord. Les Kjækken- mœddings que l’on a explorés en si grand nombre sur les rives du Mississipi, de la rivière Saint-John et de celle des Cèdres, se composent en très grande partie de coquilles de mulettes, appartenant à quatorze espèces différentes (1). Dans beaucoup d’endroits en France, les pauvres gens, faute de mieux, et les petits pâtours de la Bretagne, par caprice et par désœuvrement, consomment des Unio. Il les mangent de préférence grillés. Nous l'avons vu faire dans les Côtes-du-Nord. Il est fort curieux de constater que, dans la baie du Mont Saint-Michel, les paysans qui, cependant, peuvent si aisément se procurer des coquillages marins, ont une préférence mar- quée et inexplicable pour les Margaritana. M. le Dr Ozenne, cité par M. Arnould Locard, dit qu'ils les font cuire dans de l’eau bouillante. Cette opération a pour but d'en attendrir la chair. Ensuite il les mettent à frire dans le beurre, en ayant soin de les assaisonner d’un filet de vinaigre (2). En Angleterre, les mariniers de Londres font grand cas des Anodonta et des Unio et considèrent comme étant les meil- leurs à cause de leur grande taille ceux qu’ils pêchent dans le Surrey Canal dont les eaux sont si polluées qu'aucun poisson, à exception de l’anguille, ne saurait y vivre. Les étranges 1) Arnould Locard. Histoire des mollusques dans l'antiquité. 2) Arnould Locard. Les huîtres et les mollusques comestibles. ( ( AU POINT DE VUE CULINAIRE 421 gourmets dont il s’agit les mangent après lesavoir trempés dans du vinaigre et les avoir fortement saupoudrés de poivre (1). Disons encore que les pêcheurs américains font avec la chair des Unio une sorte de soupe, également fort épicée sans doute, dont le goût n’a jamais passé pour être très agréable. En somme, on peut dire que, pas plus en France qu’à l'étranger, les Unionides ne sont pas en général recherchés comme denrée alimentaire. Ainsi que certaines personnes se le figurent bien à tort, leur chair n’est pas malsaine; elle est seulement d’une digestion un peu difficile. Celle des espèces qui vivent dans l’eau courante et sur un lit de sable ou de gravier sont préférables. Leur chair est aussi fade sans doute; mais elle n’a point ce goût de vase qui la rend répugnante au suprême degré. En résumé, triste régal ! Ce que nous venons d’avancer par rapport aux mulettes considérées comme mollusques comestibles a dû surprendre ceux de nos lecteurs qui se figurent qu’au moins dans la région qu’arrose la Charente, elles sont tenues en haute estime par les gourmets. A l'appui d’une pareille assertion il ne leur serait pas difh- cile de nous opposer des témoignages et notamment celui de M. Marcel Bellet publié dans la Nature, il y a de cela quel- ques années déjà. Il est indéniable que dans cette partie de la Charente dont l’eau est plus ou moins saumâtre, les Unio vivent encore en assez grand nombre; et le fait, en vérité, n’a pas lieu de nous surprendre. Nous savons, en effet, par les travaux d'éminents conchyliologistes, que les mulettes peuvent supporter un degré de salure assez considérable du milieu dans lequel le sort les a placées. Leur chair doit donc être forcément meilleure, l’eau de mer, mêmé en petite quantité, lui donnant un peu plus de saveur. Cependant, plusieurs personnes très dignes de foi auprès desquelles nous nous sommes renseigné dans le pays même, (1) Fishing Gazette, numéro du 25 juillet 1896; et Rivières et étangs, numéro du 1‘ septembre de la même année. 198 CHAPITRE XXI nous ont affirmé de la façon la plus positive qu’elles n’ont jamais vu d'Unio mis en vente sur les marchés des villes de la région qu’elles connaissent, tout en ajoutant cependant que la chose a pu avoir lieu quelquefois, mais d’une façon tout à fait exceptionnelle. Il convient de rappeler que, sur les bords de la Charente, ainsi que nous l’avons dit précédemment, les mulettes por- tent plusieurs noms locaux. Ce sont des Patagaux et des Palourdes. Or, ce dernier vocable, le plus répandu à beaucoup près, est celui par lequel on désigne aussi un bivalve marin, très commun sur les côtes, dont la chair est fort justement appré- ciée. Nous pensons que cette synonymie a produit une con- fusion entre deux mollusques bien différents, puisque l’un vit dans l’eau douce et l’autre dans la mer. Ce coquillage est la Venus decussata et plus exactement le Tapes decussatus, ainsi que nous l’a écrit M. Odin, le savant directeur de l’Aquarium des Sables-d'Oionne (1). Pour expliquer encore mieux la confusion qui s’est pro- duite, il convient de remarquer que les Tapes decussatus ont, si l’on veut, une certaine ressemblance avec quelques petits Unio qu’on pêche du côté de Ruffec,par exemple. Ils n’en dif- fèrent pas beaucoup pour la taille. De tout ce qui précède, nous pouvons conclure que, dans la Saintonge et l'Angoumois, les Unio ne sont pas plus qu’ail- leurs regardés comme comestibles. On ne les mange que très exceptionnellement, au moins dans la classe aisée, car il est bien évident que les pauvres gens en consomment parfois, mais seulement faute de meilleure nourriture. | Quand on n’a pas de grives, — dit un proverbe —,on mange des merles et le merle est encore un fortbongibier de petit pied. Quand on n’a pas de palourdes marines à se mettre sous la dent, on se rabat, hélas ! sur celles qui peuplent la Charente. Triste régal ! nous sommes-nous déjà écrié, et nous le répé- tons en finissant notre chapitre. (1) À Paris, ce mollusque est connu dans les marchés sous le nom de clovisse. —_———_—__ MN ————— rh CHAPITRE XEIT: ACCLIMATATION. ESSAIS LE CULTURE. Nous avons vu que les ducs de Lorraine prisaient à juste utre les perles d'Unio et qu'ils en réglementaient la pêche avec un soin jaloux. Par contre, ils ne semblent pas avoir jamais tenté leur acclimatation dans certains cours d’eau qui en étaient dépour- vus. L'honneur d’avoir peuplé de mulettes le ruisseau d’Or- val, à 20 kilomètres de Montmédy, revient aux moines, qui avaient un monastère dans la localité de ce nom. Cet essai, qui réussit parfaitement, remonterait à une époque relative- ment ancienne que nous ne saurions préciser (1). Tandis que plusieurs princes Allemands assuraient la conser- vation des mollusques dans certains cours d’eau de leurs États, grâce à une réglementation sévère et les acclimataient dans beaucoup d’autres, rien, pour ainsi dire, ne fut jamais tenté en France par aucun des gouvernements quise sont succédés dans notre pays. | En 1806, un essai d’acclimatation eut bien lieu dans les bassins de la Malmaison par l’ordre de l’Impératrice José- phine qui, à la suite du voyage en Lorraine dont nous avons déjà parlé avait voulu qu'on peuplât d'Unio de la Vologne ou du Neuné les pièces d’eau de sa résidence favo- rite. Il ne faut voir là qu’un caprice de souveraine, une fantaisie qui n’avait aucune chance de réussir, les eaux dor- mantes ne convenant guère à des mollusques qui jusqu'alors (1) Koltz. Traité de Pisciculture pratique. BONNEMÈRE, (e 130 CHAPITRE ‘XXII avaient vécu dans des rivières torrentueuses. [l eût fallu tout au moins leur rendre la transition moins brusque. Ajoutons encore que les graves évènements qui survinrent quelques années plus tard détournèrent complètement latten- tion de cette tentative, qui, nous le répétons, ne pouvait pas être couronnée de succès. Ce que l’État ne fit pas chez nous fut à plusieurs reprises essayé par des hommes de science principalement. En 1840, le docteur Adolphe Bauran essaya d’acclimater des Unio dans le ruisseau de Viaz, non loin de Rodez. Il ne se laissa point décourager par un premier insuccès et plu- sieurs fois il recommença ses expériences avec une très louable ténacité ; mais nous ne croyons pas qu'il ait jamais obtenu le moindre résultat satisfaisant. Une vingtaine d'années plus tard, Jules Cloquet et Moquin- Tandon se donnèrent pour but de propager l’Unio littoralis dans le ruisseau du Touch, près de Toulouse, et ne furent pas plus heureux. Vers 1867, Lefèvre-Duruflé peupla de mulettes margariti- fères sa belle propriété de Pierrefonds, près Compiègne, sans y mieux réussir. Nous rappellerons, en passant, que nous avons eu l’occa- sion de citer le département de l'Oise comme étant un de ceux dont les Unio ont, d’une façon très authentique, produit de belles perles. Il y aurait donc eu tout lieu de supposer que la tentative que nous venons de rappeler eût dû être fruc- tueuse. Il n’en fut rien cependant. Il est possible que divers autres essais aient été faits depuis cette époque. Nous ne croyons pas que leur nombre ait dû être bien grand et qu'aucun ait répondu à l’attente de son auteur. Arrivons maintenant à ce qui s’est passé plus récemment. A la suite de quelques articles que nous fimes paraître dans différents journaux et revues, en 1893, MM. Despom- miers et Godefroy tentèrent de propager en Bretagne de très beaux Unio lorrains. Le ruisseau choisi pour ces expériences ACCLIMATATION. ESSAIS DE CULTURE 151 se Jette dans la rivière de Crac’h près de la Trinité-sur-Mer (Morbihan). Avec ces messieurs, nous voulions nous servir de ces mol- lusques pour expérimenter tous les procédés que nous avions vus mentionnés dans les livres, et appliquer aussi certaines théories qui nous étaient personnelles. Nous attendions des merveilles de ces dernières et nous devons avouer en toute sincérité que nous #e fûmes pas plus heureux que nos devan- ciers. Pour des causes qui ne sont guère de nature à intéres- ser nos lecteurs et dont nous avons déjà dit quelques mots, alors que l’occasion s’en est présentée, nous perdimes assez vite toutes nos mulettes. De ce qui précède il ne faudrait pas conclure que l’accli- matation des Unio dans un cours d’eau soit en général une chose difficile. A l'étranger et à des époques très diverses de nombreux essais ont parfaitement réussi. Nous sommes abso- lument convaincu malgré les échecs que nous avons passés en revue, qu’en France la solution de ce problème n’est pas plus insurmontable qu’elle ne l’a été au-delà du Rhin, notam- menten Bohème et en Bavière, pour ne citer que ces deux pays. Le choix de l’eau est évidemment fort important, bien que nous puissions dire que nos mollusques sont fort accommo- dants sur ce point. Nous croyons aussi que, pour avoir chance de réussir, les essais doivent être faits sur une assez grande échelle. Les mulettes ont tant d’ennemis diversque si l’on ne tente le peu- plement d’un ruisseau qu'avec un petit nombre d'individus, il y a malheureusement beaucoup de chances pour que tous soient détruits dans un laps de temps relativement assez court et avant qu'ils aient pu se reproduire. Il faudrait donc commencer par supprimer dans la mesure du possible tous les animaux qui font une guerre acharnée à nos mollusques. Ce point nous semble être d’une importance assez grande pour que, dans le chapitre qui va suivre, nous étudions avec tous les développements que le sujet comporte, CHAPITRE XXII: LES ENNEMIS DES UNIO. Pour les Unio, les causes de destruction sont nombreuses. Les très grands hivers avec leurs glaces, les étés avec leurs sécheresses parfois d’une longue durée, qui réduisent presque à rien le cours des ruisseaux et même de certaines rivières, leur sont funestes. Mais ce sont les crues trop subites et trop fortes qui leur sont surtout préjudiciables. Les bancs de mu- lettes sont alors bouleversés, et les individus qui les composent heurtés les uns contre les autres. Les petits coquillages sur- tout sont entraînés par l’inondation hors du lit des cours d’eau où ils vivent et plus tard laissés à sec. Ils deviennent alors la’ proie des oiseaux, tels que les pies et les corbeaux, et celle des rats. Aux Etats-Unis, dans la vase laissée sur les terrains qui ont été submergés pendant quelque temps par une inondation, on a trouvé assez souvent des perles pour que leur recher- che ait donné lieu à une industrie curieuse. Il y a, en un mot, des champs de perles, dans certains Etats de l’Union, comme il y a des champs d'or en Australie (1). Toute inondation a aussi comme conséquence fatale la destruction d’une quantité de naissain fort considérable. Les loutres, ces plongeuses émérites, sont, durant tout le cours de l’année, au nombre des pires ennemis des mulettes, tandis que les grands échassiers, tels que les hérons, les pêchent surtout lorsque les eaux sont basses, c'est-à-dire jus- (1) Ch. de Varigny. Les champs de perles. Illustration, n° du 25 sep- tembre 1597. LES ENNEMIS DES UNIO 133 tement à l'une des deux époques où elles fraient. Les grèbes doivent être également signalés comme faisant de grands ravages. Les anguilles sont, elles aussi, très friandes de la chair des mulettes. Elle happent le pied des pauvres coquillages quand ce dernier sort de l’écartement des valves. S'il est vrai (ce qui est loin d’être prouvé pour nous) que, dans le premier stade de leur existence, les Unio revêtent une forme sous laquelle ils portent le nom de Glochidium, il est évident que la diminution des poissons dans presque tous les cours d’eau doit priver les individus naïissants des supports dont ils ont besoin pour mener leur vie parasitaire. D'autre part, il estabsolument prouvé que certaines espèces de poissons font une chasse terrible au naissain qu’ils dévo- rent à pleine bouche. Cette nourriture leur convient si bien que des pisciculteurs fort expérimentés ont émis cette opinion qu'il était bon de peupler les étangs et cours d'eau de mulettes, afin de fournir aux poissons une alimentation absolument profitable (1). En renouvelant toutes nos réserves à cet égard, nous venons encore de répéter d’après un grand nombre de naturalistes, qu'aussitôt après leur naissance, nos mollusques à l'état de glochidium vivent aux dépens d'autrui. Il y a une contre-partie qui est fort curieuse. Dans /a Revue scientifique, M. Henri Coupin a signalé un cas très intéressant de commensalisme dont nos mollusques sont les victimes. Au dire de cet auteur, ce serait l’'Unio vinceleus, ou Unio pictorum, qui aurait surtout à se plaindre des procédés dont un petit poisson, la Bouvière (Rhodeus amarus) use de pré- férence à son égard. La Bouvière, qui a de cinq à huit centimètres de longueur, ressemble à une jeune carpe et, nous dit M. Coupin, «il est très commun dans nos cours d'eau par les fonds clairs de sable et de gravier. Les jeunes de cette espèce habitent jus- (1) Koltz. Traité de pisciculture pratique. 134 CHAPITRE XXII qu'à complet développement les branchies d’un mollusque également très commun, l'Unio des peintres. Au printemps, lorsqu'on ouvre les Unio, on trouve surtoutentre les feuillets branchiaux, dans ce qu’on appelle les chambres interbran- chiales, des œufs jaunes, ovoiïdes, de trois millimètres envi- ron. Ces œufs éclosent et donnent naissance à de petits Rhodeus, qui restent engagés dans les branchies de leur hôte, non sans causer quelques dégâts. Quand on ouvre les bran- chies, ils s’'échappent et nagent vivement, puis se posent sur le fond où ils restent immobiles sur le côté. Ils restent dans l'Uniojusqu’àrésorption complète de leur sac vitellin et sortent alors des mollusques pour mener la vie libre. « Au moment du frai, poursuit notre auteur, la femelle du Rhodeus amarus présente une particularité curieuse, qui a autrefois fortementintrigué les naturalistes. Un peu en arrière de l’anus apparaît un long boyau rougeûtre, un peu conique, qui peut atteindre plusieurs centimètres de long et qui n'est autré chose qu’un prolongement de l’oviducte. Au printemps. époque de la ponte, la femelle et son mâle qui accompagne partout, se mettent en quête de mollusques convenables. Lors- qu'ils en ont trouvé un, la femelle se redresse verticale- ment, la tête en bas, au moment où un œuf s’engage dans l’oviducte et le dilate; elle engage alors le tube dans les branchies du mollusque et l’y dépose. On peut trouver une quarantaine de ces œufs dans le même Unio.….. » M. Henri Coupin dit que les Unio pictorum peuvent avoir de ce chef quelque peu à souffrir. Nous croyons, nous, que les dégâts causés par les Rhodeus amarus sont parfois beau- coup plus considérables que ne le pense cet auteur. Nous serions aussi très étonné si la Bouvière n'agissait pas de la même façon avec des individus appartenant à n’importe quelle espèce d'Unio, quand elle ne trouve point dans le cours d’eau qu’elle habite celle qu’elle préfère. Mais le plus grand ennemi des mulettes est sans contredit l’homme. Avec les plantes textiles qu’il met à rouir, par la création LES ENNEMIS DES UNIO 135 d'usines et de fabriques, par suite de mille choses encore, il pollue/souvent de telle façon les rivières que tous les pois- sons et tous les mollusques en disparaissent parfois complè- tement dans un laps de temps relativement court. C’est ce qui est arrivé pour la Vologne, et, si nos renseigne- ments sont exacts, c’est ce qui se passe également en Allema- gne dans l’Elster. Il ne semble pas que les efforts du Gou- vernement Saxon puissent rien pour arrêter la dépopulation de ce cours d’eau justement renommé entre tous les autres. Mais c’est surtout la pêche inconsidérée à laquelle l’homme se livre qui produit des ravages irréparables dans les bancs de Margaritana et d'Unio. Rien ne nous serait plus facile que de donner une liste, bien longue, hélas! des cours d’eau qui contenaient jadis des mulettes en quantité pour ainsi dire innombrable et dans lesquels on ne peut plus en trouver une seule ! A aucune époque, les perles n’ont été, ensomme, très com- munes dans ces coquillages; mais il semble qu’à présent elles y deviennent de plus en plus rares. Il n’y a pas bien longtemps encore, dans l’Elorn, la capture de deux cents gros Unio amenaitassez généralement la décou- verte d’une perle au moins passable. Il faut en ouvrir aujour- d’hui une proportion beaucoup plus considérable pour arri- ver au même résultat. Les mêmes observations s'appliquent à l’Aven. Nous avons vu que les pêcheurs qui explorent le Lit de la Charente ne font plus guère entrerles perles en ligne de compte et ne les recherchent même plus bien souvent, alors qu'ils le faisaient avec profit, il y a de cela peu d’années encore. Nous constatons donc, à l'heure actuelle, une diminution prodigieuse dans le nombre des Unio, et aussi une dégénéres- cence dans leurs propriétés margaritifères, puisque, nous ne saurions trop le répéter, ils ne paraissent plus être aussi per- liers qu’autrefois. CHAPITRE XXIV. LES MESURES PROTECTRICES A PRENDRE. Nous l'avons montré, les Unio et les Margaritana ne peuvent absolument rien pour leur défense. Il est donc de toute nécessité qu’on les protège. Pour cela il faut employer divers moyens qui doivent être rangés en deux catégories. Dans la première, on fera entrer tous ceux qui tendent à éli- miner autant que possible les causes nuisibles aux mulettes et à multiplier, par contre, toutes les conditions favorables à leur conservation. Dans la seconde, on comprendra toutes les mesures admi- nistratives sans lesquelles on n’obtiendra pas le résultat sou- haité. Nous avons, en partie tout au moins, traité la question qui nous occupe en ce moment lorsque nous avons énuméré tous les ennemis de nos mollusques et dans le cours decetouvrage nous avons, de notre mieux, passé en revue les conditions qui sont nécessaires à leur propagation. Nous avons montré que le calme du milieu ambiant est nécessaire et que la qualité de l’eau est indispensable. Là où il y a des usines qui polluent les eaux il n’y a bientôt plus de mulettes. Nous voulons seulement rappeler ces causes, comme en passant. Tout ce qu’on pourra jamais faire chez nous par la voie de l'initiative privée pour peupler un cours d’eau d’espèces jus- LES MESURES PROTECTRICES À PRENDRE 437 tement réputées, comme, par exemple, la Margarilana mar- garitifera, ne sera d'aucune utilité tant que l'Administration Supérieure n'aura pas pris les mesures nécessaires pour réfréner la cupidité des pêcheurs et exiger d’eux l'emploi d'engins rationnels et d'instruments n’entraînant pas la mort inévitable de toute mulette capturée. C’est ce que les Allemands ont parfaitement compris. À des époques, même reculées, de l’autre côté du Rhin,ona établi des règlements qui, sous les peines les plus sévères, prohibent absolument la pêche pendant les mois de juillet et d'août. Or, nous savons que c’est alors que les Unio font leurs pontes. C’est à cette époque aussi que les eaux sont les plus basses dans les ruisseaux et les rivières. La capture des coquillages perliers est donc particulièrement fatale durant ce laps de temps et il serait bon de n’en pas permettre la pêche, afin de sauver le naissain. La chose est, on le voit, d’une importance capitale. De nos jours des règlements restrictifs de la pêche aux Unio sont en vigueur en Franconie et surtout en Saxe. Dans ce dernier pays, le Gouvernement en édicta pour la première fois, en 1610, ayant pour but de déterminer strictement dans quelle mesure les pêcheurs des bords de l’Elster auraient le droit d'explorer le cours de cette rivière. Encore aujourd’hui, elle est divisée en dix cantonnements et la pêche est autorisée dans un seul, chaque année. Les Unio capturés, nous lavons dit, sont ouverts avec le plus grand soin, au moyen d'instruments que nous avons décrits. Les individus, qui ne renferment pas de belles perles ou qui n’en ont sécrétés que de trop petites encore, sont rejetés dans la rivière, sans avoir éprouvé aucun mal du fait de la visite qu’on leur a fait subir. Les produits de la pêche sont concentrés au Ministère des Finances, à Dresde, la capitale du royaume, qui, dans un de ses musées, expose à l'admiration des visiteurs une certaine quantité de perles fort belles. On en cite surtout quelques unes qui sont baroques, dont on a tiré le meilleur parti, grâce à des montures artistiques. 138 CHAPITRE XXIV Les sages mesures prises par le Gouvernement Saxon ont, jusqu’à ces derniers temps, sauvegardé de la façon la plus heureuse les muliettes de l’Elster. Mais il paraît, ainsi que nous. Pavons déjà dit, que les manufactures et les usines cons- truites depuis peu en grand nombre sur ses bords, ont amené des désastres, auxquels on cherche à trouver un remède. Il est fort difficile d'en imaginer un qui soit efh- cace, puisqu'on ne peut faire cesser bien aisément la cause du mal. Il faudrait tout d’abord pour cela rendre aux eaux leur pureté première. Est-ce possible avec les établissements in- dustriels dont nous venons de parler ? Les ducs de Lorraine mettaient, eux aussi, tout en œuvre pour protéger les mulettes qui pullulaient alors dans un grand nombre des rivières qui arrosaient leurs états. Après la réunion de ce duché à la France, par suite du mariage de Marie Leczinska, son héritière, avec Louis XV, les mesures de protection en vigueur ne furent plus exactement appliquées; et peu à peu la décadence commença pour s’accé- lérer bientôt d’une façon inouïe. Nous avons dit à quel point elle était rendue. Si l’on n’y prend pas garde, la destruction complète, irré- médiable, tel est le sort qui attend les mulettes, du moins dans toutes les parties de la France où l’on a reconnu qu’il y en avait de margaritifères. En Auvergne, on n’en pêche plus et pour cause. Dans la région de la Charente, nous avons vu que la recherche des perles n’a plus d'importance et, à plusieurs reprises, nous avons rapporté ce qui se passe en Bretagne. De tous les côtés on nous signale de telles destructions d'Unio et de Margaritana dans des rivières dont le lit était, naguère, comme pavé de coquillages réunis par bancs, que bientôt elles en seront dépeuplées d’une façon absolue ! Pour qu'il puisse s’y produire de nouvelles agglomérations, il faudrait que les rares individus qui subsistent encore dans certains endroits fussent plongés, ainsi que nous l’avons dit dans un calme profond, et cela pendant un certain nombre d'années, sans doute assez considérable, sans que l’on puisse LES MESURES PROTECTRICES A PRENDRE 139 rien préciser à cet égard. En effet, les renseignements que l'on a recueillis sont absolument contradictoires, et tous, ou pres- que tous, ont trait aux espèces américaines. On conçoit d’ailleurs que cette durée ne peut pas être la même partout. Des circonstances locales la font sans doute varier d’un endroit à un autre, et cela dans de très nota- bles proportions. La différence des espèces d'Unio et de Mar- garitana pourrait fort bien également y être pour quelque chose. Serait-il possible, au surplus, d'obtenir que les riverains d'une rivière ou d’un ruisseau en cours de repeuplement ne s’y livrassent pas à la pêche? Nous ne le pensons pas, à moins que des peines très sévères soient édictées et que l’on veille à leur stricte application. Pour bien faire, il faudrait donc que, dès à présent, le Gou- vernement, qui semble ignorer jusqu’à l'existence des Unio, alors même qu’on en recueille sous les yeux de ses agents, prît les mesures nécessaires pour les préserver d’un anéantis- sement total et qu’il y mît un esprit de suite, dont bien rare- ment il nous donne des preuves. C’est chose absolument urgente! CHAPITRE XXV. UN PEU DE STATISTIQUE. Il ne nous reste plus qu’un point à examiner pour avoir achevé notre tâche. Nous devons passer en revue toutes les méthodes essayées jusqu’à présent pour contraindre les Unio à sécréter des perles plus nombreuses et plus belles. Il est, en effet, de toute évidence, que les mulettes en pro- duisent, à l’état libre, une très petite quantité et l’on conçoit aisément que l'idée soit venue à bien des gens de vouloir les forcer à être plus actives. Nous n’avons pour ainsi dire pas de documents français relatifs à la proportion qui existe entre le nombre des coquil- lages pêchés et celui des perles découvertes. Nous sommes donc obligé d’en demander à l'étranger. Les chiffres que nous obtiendrons en nous y prenant de la sorte seront d’ailleurs si variables que nous ne pourrons pas en tirer de conclusions précises. Jusqu'au xvu* siècle, les Irlandais se sont, paraît-il, livrés à la pêche des Margaritana qui étaient fort abondantes dans la plupart des cours d’eau de leurs pays et Woodward, qu'a cité le docteur Paul Fischer, nous affirme que l’on trouvait une perle pour cent coquilles visitées, et que, sur cent péri une seulement était d'une belle eau (r!. L'Amérique nous fournira des renseignements plus nom- breux et très récents. (1) Paul Fischer, loc. cit. UN PEU DE STATISTIQUE 141 Dans son rapport au gouvernement des Etats-Unis, M. Kunz cite les chiffres suivants qui lui ont été fournis par les différentes personnes compétentes auxquelles il s’est adressé. L'un de ses correspondants lui a affirmé qu’on trouve une perle sur trois mille coquilles ouvertes, tandis qu’une autre lui a soutenu qu’on en recueillait une sur cinq cents. D'autres lui ont donné des proportions bien différentes, parlant de trois cents, de cinq mille, de six mille, voire même de dix mille mulettes visitées pour obtenir une seule perle. Ces énormes variations auraient pour cause la dif- férence qui existe, au point de vue margaritifère, entre les diverses espèces d'Unio. Les conditions dans lesquelles ils se trouvent et la nature de l’eau des rivières et des ruisseaux où ils vivent entrent aussi en ligne de compte. Cinq boisseaux de mulettes lisons-nous dans le même rapport, produisirent en 1898 trois perles, tandis que, l’année suivante, ils n’en pro- duisirent qu'une seule. Rien ne nous prouve mieux que ceschiffres qu’en Amérique, plus encore peut-être que partout ailleurs, les mulettes ont cessé d’être aussi perlières qu’elles l’étaient. Rappelons-nous, en effet, les assertions de l'espagnol de Soto, qui nous dit que les sauvages étaient parfois couverts de perles. Songeons aussi à ces quantités vraiment fabuleuses que l’on a recueillies dans les Mounds ! Ces chiffres ne nous permettent guère de comprendre com- ment une excitation désignée aux Etats-Unis sous le nom de pearl feaver a pu, à plusieurs reprises, s'emparer de la popula- tion. Elle a existé pourtant et fait de grands ravages. Nous sortirions des limites que nous nous sommes imposées si nous abordions cette question et nous renvoyons nos lecteurs à l'excellent travail publié par M. C. de Varigny sous le titre de : Les champs de perles. Tout ce que nous ajouterons c’est que ce fut sans doute moins le nombre des perles que la grosseur de quelques- unes et le prix qu'elles atteignirent qui passionnèrent les Américains pour leur recherche. 149 CHAPITRE XXV Voyons maintenant quels renseignements nous pouvons tirer de notre propre pays. Nous nous souvenons que le regretté sculpteur Léofanti nous a dit que, dans sa jeunesse, sur dix Unio pêchés dans le vieux lit de l’Ille, non loin de Rennes, un environ contenait une perle, très petite, ilestvrai, etrarement belle comme orient. Nous avons vu d’autre part, qu’à une époque qui n’est pas éloignée de nous, la capture dans l’Elorn de deux cents Unio amenait à peu près sûrement la découverte d’une perle au moins passable. Dans l’Aven, la quantité des mulettes diminue chaque année. En 1897, Fridour (c’est le nom d’un pêcheur très connu de tous les touristes qui visitent Pontaven), Fridour, disons- nous, a trouvé 16 perles dont l’une fut vendue par lui trente francs. En 1808, sur environ huit cents mulettes, il a recueilli dix perles vendues 15, 10, 8, 14 francs, ainsi que beaucoup d’autres qui n'avaient aucune valeur, soit qu’elles fussent mal faites ou qu’elles n’eussent pas d’orient. Dans le Sulon, petite rivière des Côtes-du-Nord, il a fallu, nous écrit un de nos correspondants, ouvrir plusieurs cen- taines de mulettes pour recueillir une trentaine de perles petites et fort laides. De Lorraine, nous pouvons également produire un rensei- gnement très positif. | En 1893, M. A. Fournier nous dit avoir assisté à une pêche dans le Neuné où les mulettes abondent encore. Sur « sept cents coquillages ouverts, on trouva une dizaine de perles ; La plus grosse, une seule, avait le volume d’un petit pois; d’autres ne dépassaient pas la grosseur d’une tête d'épin- gle » (1). Quelle différence si l’on compare les résultats de cette pêche avec ceux que l’on obtenait encore à la fin du siècle dernier, pour ne pas remonter plus haut! Alors les mollusques capturés dans le même ruisseau sécrétaient des perles très nombreuses et très belles! Cette dégénérescence de la faculté margaritifère de cer- (1) A. Fournier. Loco citato. ET DE RARENQUE® vu r la fréqu quence et Le beauté de leurs perles, tient sans + CHAPITRE XXVI. FORMATION ARTIFICIELLE DES PERLES. Le titre que nous avons donné à ce chapitre a besoin de quelques mots d’explication. Par le qualificatif artificielle que nous avons cru devoir accoler au mot formation, nous avons voulu indiquer seule- ment que nous allons y traiter des artifices, ou, si l’on aime mieux, des méthodes que les hommes ont successivement imaginées pour tâcher de forcer les mulettes à sécréter des perles qui, elles, seraient absolument naturelles, c'est-à-dire de tous points semblables à celles qu'elles produisent quand elles sont absolument livrées à elles-mêmes. Les perles artificielles existent, et, assez généralement elles ont pour éléments principaux du verre soufflé et cette partie brillante, nacrée, qui recouvre les écailles des ablettes. Nous n’avons pas à nous en occuper, après avoir volontiers reconnu que, de nos jours, on est arrivé à en faire qui ressem- blent presqu’à s’y méprendre aux vraies. Quel que soit d’ail- leurs leur degré de perfection, elles n’ont aucune valeur et il ne faut les considérer que comme un joli tour de force indus- triel. On conçoit que devant le nombre toujours décroissant des perles d’eau douce et la cherté toujours plus grande par contre de celles que les Pintadina et les Meleagrina produisent, l'idée soit venue de stimuler par des moyens divers la faculté sécré- toire de certains mollusques. FORMATION ARTIFICIELLE DES PERLES 149 Ce ne fut ni en Europe, ni sur des mulettes que les plus anciens essais furent tentés. Les Chinois ont été les premiers à contraindre des coquii- lages d’eau douce, les Dipsas plicatus, à recouvrir de nacre des corps étrangers fixés à l’intérieur de leurs valves au moyen de gomme laque. Leur procédé, que nous avons déjà décrit, au moins dans ce qu’il a d’essentiel, est encore appliqué aujourd’hui par les pêcheurs qui habitent sur les bords de vastes étangs voisins du fleuve Ning-Po. Il fut inventé, dit-on, au xn° siècle de notre ère, par un homme originaire de Hut-ché-fou, appelé Ye-jen-yang. Au lieu de figurines de Bouddha, les Chinois collent par- fois dans l’intérieur des valves de petites boules enfilées ou non. Elles sont promptement soudées à la coquille par les couches de nacre plus ou moins épaisses et sans grand orient qui les recouvrent. Après qu’on les a soigneusement détachées, il faut, non sans une extrême précaution, enlever la boule intérieure, ou si l’on aime mieux, le noyau, le nucleus, et la remplacer par de la cire blanche. Sans l'emploi de cette dernière matière toute solidité ferait défaut. Ainsi qu'on peut s'en rendre compte, d’après ce qui pré- cède, la méthode, sans doute fort ingénieuse, imaginée par Ye-jen-yang, ne fait pas produire aux Dipsas plicatus de véri- tables perles, ni même des moitiés de perles. Nous sommes, s’il nous est permis de nous exprimer ainsi, en présence d’une sorte de galvanoplastie naturelle, le corps étranger étant moulé par une couche de mucus déposé, qui n’est pas beaucoup plus épaisse parfois que celle de cuivre, d’or ou d'argent qu’on dépose au moyen d’une pile sur un objet de métal de moindre valeur. Sans doute, on pourrait obtenir une enveloppe nacrée plus résistante en laissant le Dipsas continuer plus longtemps son œuvre; mais on n’y gagnerait rien. S’il s’agit d’une figurine de Bouddha qu’on a fixée entre ses valves, on verrait bientôt la finesse de son dessin disparaitre. Si l’opération a été exé- BONNEMÈRE. 10 146 CHAPITRE XXVI cutée sur une petite boule, elle deviendrait de plus en plus adhérente à la coquille et sa forme s’altérerait également de plus en plus. À différentes reprises, le système chinois a été expérimenté en Allemagne sur des Unio et il y a donné des résultats ana- logues à ceux que nous venons de mentionner, c’est-à-dire tout à fait insignifiants, et il ne pouvait guère en être autre- ment. La première méthode imaginée en Europe pour résoudre le problème qui fait l’objet de nos recherches le fut par Linné. , En quoi consiste-t-elle ? C’est ce qu’on ne saurait dire exactement, si bien des sup- positions ont été faites à cet égard. Après avoir beaucoup étudié tout ce qui se rattache aux Unio et aux Margaritana, cet illustre naturaliste crut enfin avoir trouvé la solution du problème qui le passionnait. En conséquence, il offrit au Gouvernement suédois de lui vendre le secret du procédé qu'il avait imaginé. Ce dernier n’accepta pas, mais les Etats Généraux de ce pays lui votèrent une récompense nationale. Très déçu dans ses espérances, le savant fit alors des pro- positions à un riche négociant de Gothenbourg, nommé Bayge, et, sous pli cacheté, lui céda son secret moyennant une somme de huit mille écus. Bayge ne paraît pas avoir jamais expérimenté le moyen dont il avait acquis la propriété exclusive pour un prix qui, certes, n’avait rien d’excessif, si l’on songe qu’à en croire Linné, les mulettes, très nombreuses en Suède, devaient toutes par son application produire des perles à volonté pour ainsi dire. Quand le négociant mourut, ses héritiers cherchèrent à ürer parti du fameux pli, mais pas en brisant son cachet, pour connaître enfin ce qu'il contenait, pour appliquer la méthode inventée par un homme de génie. Il résolurent seulement de vendre le secret de Linné et en demandèrent cinq cents écus de banque. FORMATION ARTIFICIELLE DES PERLES 147 Aucun acheteur ne se présenta ! Que devint par la suite l'écrit mystérieux ? À notre connaissance du moins, nul ne saurait le dire. Toute cette histoire est, en vérité, bien étrange et l’on a peine à comprendre pour quelle raison Bayge, un négociant qui devait savoir compter, acheta un secret pour n’en tirer aucun profit. Pendant longtemps on a cru, et beaucoup de savants croient encore, tant en Europe qu'en Amérique, que les eaux les plus calcaires sont les plus favorables à la vie des Unio. Ces mol- lusques y puiseraient également les éléments dont ils ont besoin pour sécréter des perles de plus belle qualité et plus nombreuses. Cette opinion nous semble être excessive. Les Unio Deshayesi, qui peuplent encore en très grande quantité les ruisseaux et les rivières du Finistère, produisent des sécrétions souvent fort remarquables et les ruisseaux dans lesquels ils vivent ne contiennent pas du tout de calcaire ou en contiennent, pour parler plus exactement, des quantités extrêmement faibles. D'autres Unio, au contraire, qui vivent dans des cours d’eau coulant sur des sols tout à fait calcaires, comme il n’est pas rare d'en rencontrer dans certaines parties de la France, ne sécrètent jamais de perles. Si nous en croyons M. Arnould Locard, on trouverait dans le département de Maine-et-Loire, où les eaux calcaires sont très communes, vingt-cinq espèces d'Unio, dont une tout au moins, l’Unio vinceleus, où Unio pictorum, est marga- ritifère dans quelques-uns de nos autres départements. Après avoir pris l’avis de quelques Angevins s'occupant de science, nous sommes arrivé à la conviction absolue que nos mulettes, et cela quoi qu'il leur arrive, ne mettent pas en usage les facultés dont elles sont douées. En veut-on une autre preuve ? Dans un livre intitulé l’Aquarium d'eau douce, M.H. Cou- pin nous parle de l’Unio margaritifera (1) qui, nous l'avons (1) Le mot latin Unio étant masculin dans le sens de perle, c’est Mar- garitifer qu'il faudrait dire au lieu de Margaritifera. 148 CHAPITRE XXYI dit, n'est, en somme, sous un autre nom, que la Margaritana margaritifera, et il nous dit expressément qu’elle vit dans les eaux peu calcaires. Ce n’est pas tout encore. Des expériences fort curieuses faites en Allemagne à di- verses reprises ont démontré que cet élément que l’on préconise devient nuisible pour les mulettes alors qu’il esten excès dans les milieux où on les force à vivre. Les perles qu’elles produisent ne sont alors que des boules grisâtres sans éclat et sans la moindre solidité. Elles s’effritent avec la plus grande facilité. De tout ce qui précède, il faut conclure que, si la présence des sels calcaires dans le milieu ambiant peut être utile, leur trop grande proportion est très nuisible. Les plus récents travaux de nos savants tendent à démon- trer que les perles ont deux modes de formation et deux ori- gines. Les plus belles seraient produites, chez la Meleagrina margaritifera, et sans doute aussi chez les Unio et les Mar- garitana, par des insectes, et se trouveraient non sous le man- teau ou à l’état libre entre les valves des mollusques, mais bien dans l'intérieur de leurs tissus. De là, nous l’avons dit, deux catégories de perles. Les unes sont appelées communément à présent perles de nacre, et les autres seraient, d’après certains auteurs, les seules qui méri- teraient véritablement le nom de perles fines. Le moment ne nous semble pas être encore venu de parler de ces dernières en nous mettant au point de vue spécial de leur formation artificielle. S'il faut, comme nous le croyons, tenir grand compte des travaux de M. Diguet et appliquer, au moins dans une cer- taine mesure, ses théories aux Unio et aux Margaritana, nos savants, partisans des idées nouvelles, devront donc reprendre avec soin les études des Mœæbius, des Filippi et des Küchein- meister, afin de déterminer exactement le rôle que jouent les insectes assez nombreux que ces naturalistes ont cités dans leurs écrits, tout en se demandant si, dans nos cours d’eau, il FORMATION ARTIFICIELLE DES PERLES 149 n’y en aurait pas d’autres encore dont on ne soupçonne pas l'existence, tant ils sont petits et qui, cependant, soit par leurs morsures, soit autrement, pourraient avoir une grande part dans la formation des perles. Il y a là un très vaste champ de recherches. Au premier abord, il semble qu’il ne soit pas très difficile de forcer un Unio à produire des perles, en lui imposant la gêne d’un corps étranger introduit entre ses valves. Lorsque de la théorie on passe à la pratique, on voit qu'il n'en est plus de même. S'il ne s’agissait que de reproduire ce que les Chinois font depuis des siècles, rien, certes, ne serait plus simple. Des objets collés sur la surface interne des valves seraient recou- verts de nacre au bout d’un temps plus ou moins long; mais nous avons montré que le résultat ainsi obtenu est toujours fort imparfait. Par cette méthode, on n'obtient pas de vraies perles. | Un corps étranger mis à l’état libre entre le manteau et les valves pourrait amener une meilleure réussite,en ce sens que la perle dont il déterminerait la formation aurait des chances pour être indépendante de la coquille et avoir une forme plus ou moins ronde, ce qui est fort important, si par les mou- vements de son manteau, le mollusque n’arrivait pas presque toujours à s’en débarrasser. Le meilleur endroit pour placer un objet destiné à servir de nucleus est le dessous du pallium, et il faut avoir soin de l'y mettre le plus haut possible; mais, il faut bien l'avouer, mal- gré toutes les précautions prises, le plus souvent l'opération ne donne pas les résultats attendus. L'animal trouve moyen, quoique moins facilement sans doute, d’expulser de sa coquille le corps qui le gêne. Comme le Dipsas de la Chine, les Unio et les Margaritana sont des bivalves qui ne sont pas obligés de rester durant toute leur vie au même endroit. La position qu'ils prennent quand ils rampent au fond de l’eau les aide beaucoup à se délivrer de tout corps étranger logé sous leur manteau, puis- 10° 1450 CHAPITRE XXVI que leurs valves se sont ouvertes pour donner passage au pied. Or nous savons qu’il est relativement assez volumineux lors- qu’il est turgescent. A plusieurs reprises, avec MM. Despommiers et Godefroy, nous avons essayé, à la Trinité-sur-Mer, de placer sous le pal- lium de nombreuses mulettes des corps de diverses natures, propres, suivant nous, à servir de nucleus. Un seul de nos mollusques ne parvint pas à chasser celui que nous avions mis dans un endroit peut-être plus convenable que dans ses congénères. Aussi ne tarda-t-il pas à le recouvrir d’une mem- brane que bientôt très certainement il eut imprégnée de mucus calcaire. Bref, il y eut commencement de perle. Par malheur, un accident survenu à cette mulette ne nous permit pas, à notre très grand regret, de pousser l'expérience jusqu’au bout. M. Boutan a donc sagement agi quand il a pris un univalve, l’Haliotis, comme sujet d’études. Ce mollusque est, en effet, incapable de chasser les corps étrangers dont on lui impose la gêne en les introduisant par des trous forés dans sa coquille et soigneusement rebouchés après avec un mastic ou un ciment quelconque. Reste à savoir si les perles qu’il sécrète par l’application de cette méthode sont aussi belles que celles que produiraient PUnio et la Margaritana si par quelque procédé on pouvait les contraindre à ne pas expulser les corps étrangers qu’on leur impose. Nous ne le pensons pas. On a cru que l'on pourrait arriver à un bon résultat en mettant à profit les travaux de Bouchon-Brandely. Au cours d’une mission en Nouvelle-Calédonie, ce dernier. imagina de percer les valves de quelques Pintadina et d’intro- duire de cette façon des corps étrangers munis d’une tige fixée dans le trou rebouché ensuite. Très gênés par ces corps dont ils ne pouvaient pas se déli- vrer, les mollusques ne tardèrent pas à les enrober dans des couches de nacre. FORMATION ARTIFICIELLE DES PERLES 151 Telle est brièvement résumée, l'expérience tentée avec suc- cès par le regretté Inspecteur Général des Pêches,qui cherchait moins à provoquer la formation de perles vraiment dignes de ce nom qu'à se rendre un compte exact du temps qu'il faut à des Pintadina pour couvrir de nacre un corps étranger quel- conque. Cette méthode serait-elle pratique, si on voulait l’appliquer à des Unionides margaritifères ? Nous ne le pensons pas pour l'excellente raison que les val- ves de ces derniers ne sont guère épaisses et que, pourtant, si on veut les forer, on aura beaucoup de peine à ne pas les briser d’une façon parfois si malheureuse que l’on compro- mettra peut-être l’existence de l’animal blessé par des esquilles coupantes. I] serait de plus fort malaisé de reboucher les trous après qu'on aura introduit les corps étrangers maintenus en place et immobilisés par le procédé que nous venons d'indiquer. Sans doute, en admettant que l'opération du percement ait réussi à souhait, l'Unio sur lequel on aura opéré sécrétera bien vite des couches de mucus; mais ne voit-on pas qu’elles souderont fortement le nucleus à la valve? On n’obtiendra donc pas une perle facilement détachable et surtout d’une belle forme. 11 y aura toujours un endroit, plus ou moins large, qui sera déprimé, un point même qui formera une tache à cause de la tige ou du fil qui aura été engagé dans le trou rebouché avec une matière quelconque. On aura donc un corps plus ou moins brillant, qui ressemblera, mais en beaucoup mieux peut-être, à ces demi perles que les Chinois forcent les Dipsas plicatus à sécréter. On a pensé aussi qu'on arriverait à un résultat satisfaisant en tournant les difficultés que nous avons signalées, c’est-à- dire en liant les valves d'une mulette après avoir placé un corps étranger sous son pallium. 11 faudrait s'y prendre de telle sorte que l'animal pût assez entr'ouvrir ses valves pour qu'il lui fût possible d’absorber la nourriture que le courant lui apporte et dont il a besoin, et pour que l’eau pénétrât libre- ment dans tout son organisme, mais pas assez pour qu'il 152 f CHAPITRE XXVI puisse étendre son pied au dehors en prenant la position ver- ticale. | Nous ignorons si l’on a jamais mis en pratique le système que nous venons de décrire. Ne voulant rien omettre de tous les faits concernant la formation artificielle des perles qui sont parvenus jusqu’à nous, il convient que nous citions, au moins pour mémoire, les expériences qu’un savant italien, M. le chevalier Comba, a poursuivies pendant nombre d’années à Turin sur des Ano- donta. A ce propos, nous rappellerons que son compatriote de Filippi avait pris, lui aussi, ces mêmes mollusques pour sujet d’études. M. Comba aurait trouvé le moyen, tenu secret par lui, de rendre perliers ces coquillages d’eau douce.qui ne le sont pas naturellement peut-on dire d’une façon générale, car les sécré- tions que l’on remarque parfois sur l’intérieur de leurs valves ne méritent pas d’être signalées d’ordinaire. Chose fort remarquable, mais qui n’est pas certes pour nous surprendre, il aurait pu ensuite appliquer aux Pintadina la méthode imaginée par lui. On annonce qu’une société s’est formée pour peupler d’huîtres margaritifères certains points de la côte calabraïse, qui ont été reconnus favorables pour cette tentative dont les conséquences, si elle est suivie des résultats qu'on est vraiment, dit-on, en droit d’en attendre, n’échapperont à personne (1). Après tant d’autres preuves, les travaux de M. le chevalier Comba en apportent encore une nouvelle. Dans les Anodonta (et nous croyons qu'à plus forte raison, on peut dire dans les Unio et les Margaritana), la formation des perles a les mêmes causes que dans les mollusques marins margaritifères. Les expériences qui sont tentées à l’heure actuelle pour assurer la formation des perles dans l’intérieur même du corps de l’animal mettent encore en plus vive lumière cette vérité. (1) Daniel Bellet. Culture d’huîtres perlières. Moniteur des pêches ma- ritimes, n° du 30 avril 1800. LS 7.0. x : (A t CONCLUSIONS. Nous sommes arrivé au bout de notre tâche puisque nous avons examiné successivement, dans la mesure de nos forces, toutes les questions qui se rattachent aux Unio et aux Margaritana. Nous eussions pu, certes, donner des proportions plus considérables à cet ouvrage et pousser plus à fond sur bien des points nos recherches. Tel qu'il est, il suffira, nous l’espérons du moins, pour faire comprendre à nos lecteurs tout l'intérêt qui s’attache à des mollusques, dont on s'occupe si peu chez nous, alors qu’en Saxe, et surtout aux Etats-Unis, ils excitent la curio- sité générale. Nous croyons savoir, en effet, que dans ce der- nier pays, depuis deux ou trois ans, si ce n'est même plus, on fait des expériences tendant à la solution des problèmes dont nous avons exposé les données au cours de notre ouvrage. Des pêcheries admirablement outillées y ont été aussi organisées, et le Parlement a été saisi de propositions fort sages, ayant pour but de réglementer efficacement la pêche des mulettes menacées, comme partout ailleurs, d’une destruction complète et rapide. Sans doute, nous eussions beaucoup voulu pouvoir révéler à nos lecteurs ce qu’il convient de faire pour arriver à la for- mation artificielle des perles d’'Unio et de Margaritana! Cela nous a été de toute impossibilité; mais nous aurons 154 CONCLUSIONS pourtant la satisfaction de nous dire que nous aurons cepen- dant rendu service aux chercheurs. Nous leur épargnerons, en effet, de la peine et du temps,en leur apprenant ce qu’il ne faut pas faire. Instruits par les tentatives infructueuses de nos devanciers et par les nôtres propres, qui n’ont pas été couronnées de plus de succès, ils verront quels écueils il leur faut éviter et quelles précautions ils doivent prendre, de quel côté enfin leurs efforts et leurs études doivent se tourner. Nul plus que nous ne sera content s’ils réussissent là ou nous avons échoué, car, en écrivant ces pages, aucun intérêt personnel ne nous a guidé. Nous n’avons eu qu’un seul but, nous rendre utile dans la mesure de nos forces ! TABLE DES MATIÈRES. INTRODUCTION .... RODERR OUT DEEE LT UeS ane CC DO0u do 0 06 1 CHAPITRE I. — Notions préliminaires.............. RER Nc 5 CHAPITRE ir MA COQUE AE 6e 4 NE TE 9 CHNBRTRE II. NÉE corps de lanimal. ONE ER RERNe 12 BHABRE RE IVEE = TA TEPrOdUCtIONT ee nec ee 19 CHAPITRE V. — Mœurs et coutumes........ ER re Dec ot 23 CHAPITRE VI. — Les mulettes aux temps préhistoriques....... 2 CHapiTRe VII. — Opinion des anciens sur la formation des perles. 31 CGAPTRENIIE ES DuMoyen A\pe AUNXIX M SIÉÈCIE ER CR AR EE EE 34 CHAPITRE IX. — Au xixe siècle............ PP NE MEL A 2 39 CHAPITRE Xe —Yariormation destperles tree CRE er 43 Creme XI "Perles de nacrekét perles fines... 22: DLL Du CHaPriTRE XII. — Lenteur de la formation des perles........... 60 CHapitTRe XIII. — La coloration des perles...... RTS RS AO 64 CHapitTRe XIV. — Espèces perlières .......... STEEL ET NE US CHapirre XV. — La pêche et les engins........... Rérodcd0 000 ve 78 CHapitTRe XVI. — Après la pêche. — Le traitement des perles. — Leurs maladies...... PORÉUE SR Se 85 CHapitTre XVII. — Légendes, superstitions, remèdes............. 90 CHaritTRE XVIII. — L'histoire et les mulettes....... NE Cr c 102 CHapirre XIX. — Les perles de mulette et la poésie..." 115 CHaPpiTRE XX. — Au point de vue des arts, du commerce et de FINAUSIIER Are. «DOS Ne ANS ÉRMES 119 CHAPitRE XXI. —: Au point de vue culinaire..... AR OU S EE Dot 126 CHaPriTRE XXII. — Acclimatation; essais de culture........ ae T2 CHapitre XXII. — Les ennemis des Unio....... REC dne use AN CHapiTRE XXIV. — Les mesures protectrices à prendre.......... 000 CHarirre XXV. — Un peu de’statistique-:...... ÉRÉRHERUE 140 Cuaritre XXVI. — Formation artificielle des perles.............. 144 CONCLUSIONS ..... RL PE SE noce Be AD cc He AAC MGUCE 153 Imprimerie de l'Institut international de Bibliographie scientitique.— N° 774.