r-* HARVARD UNIVERSITY f LIBRARY OF THE Museum of Comparative Zoology SEP 6 1928 \ 1c,^3 fiMILE BLANCHARD DE L ACADEMIE DES SCIENCES *$ ^nUules de m »4 -r-^3»-«>-K^s-a- LES POISS.ONS DES EAUX DOUCES DE LA PRANCE Deuxieme tirage AVEC 32 PLANCHES IIORS TEXTE Et 115 figures dessinees d'apres nature PARIS LIBKA1HIK J.-B. BAHJJ&RE bt I US 19, rue Hautefeuille, pres du boulevard Saint-Germain 1 i\ — ^/\A^iAA/"» — ■ ■ ./VWl/V*— £ m [ SEP 6 1928 LES POISSONS DES EAUX DOUGES DE LA FRANCE ANATOMIE — PUYSIOLOGIE DESCRIPTION DES ESPECES — MQEURS — INSTINCTS — INDUSTRIE COMMERCE — RESSOURCES AL1MENTAIRES — PISCICULTURE LEGISLATION CONCERNANT LA PECHE pa r. EM1LE BLANCHARI) MEMBRE DE L'lNSTITUT, PROFESSEUR AU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE, ETC . Deuxieme tirage AVEC ",.i BLANCHES HOBS TKXTF Et 115 figures dessinees d'apres nature PARIS LIBRAIRIE J.-B. BAILLIERE n IILS 19. rue Hautefeuille, pres du boulevard Saint-Germain 1880 Tous droits reserves PREFACE. De nos jours, il n'est guere d'esprits cultiv^s qui ne s'a- bandonnent volontiers aux seductions des conquetes de la science, qui ne reconnaissent un inte>et dune grandeur singuliere et un charme particulier, dans les etudes des moeurs souvent si curieuses, des instincts si merveilleux, dont les animaux offrent des exemples varies a l'infini et toujours saisissants; car c'est le spectacle de la creation animee , le plus grand spectacle que l'liomme puisse contempler sur la terre. S'agit-il des animaux de son pays ? combien alors s'ac- croit l'attrait pour toute connaissance qui les concerne ; combien l'interet devient general, si ces animaux ont un role dans l'economie sociale ! C'est le cas, assure- ment, pour les Poissons qui peuplent les eaux interieures de la France. Nul ouvrage general n'existait sur un pared sujet. Ou trouver a acque>ir des notions sur les habitudes de ces etres encore trop peu studies, ou apprendre a les distin- guer les uns des autres?En partie seulement, dans des lWres traitant indifferemment des Poissons de toutes les vi PREFACE. mers et des eaux de tous les continents ; ensuite, dans des publications 6trangeres. L'Angleterre possede des ouvrages sur la faune de ses terres et de ses eaux, et les habitants de la Grande-Bre- tagne saluent toujours avec joie, l'etude apportant une connaissance qui se rattache a la patrie. L'Allemagne a aussi des livres pour apprendre par quels animaux est peupl^e chacune de ses regions. Et la France, la patrie de Reaumur et de Buffon, de Vicq d'Azyr et de Cuvier; la Prance, privil£giee parmi les autres contrties de l'Europe, par la varied de son climat, ayant ainsi une t'aune remar- quable par sa diversity ; la France n'a pas encore fourni a ses habitants les moyens d'instruction qui existent pour l'Angleterre et pour l'Allemagne. Cette situation regrettable a fait naitre ici, le d6sir de remplir un espace dans le cercle encore vide. Presenter avec une entiere exactitude l'histoire de tous les Poissons des eaux douces de la France, deces animaux inte>essants sous les rapports les plus divers, devint une pens^e pour atteindre un but off rant un caractere d' utility g6ne>ale. C'est le but dece livre. Pour accomplir la tache, il a paru indispensable de se reporter aux Merits de la foule des auteurs auxquels on doitdejabien des connaissances acquises, mais il a 6te~ juge" particulierement essentiel d'^tudier a nouveau la plupart des faits et de chercher le plus possible a tfclairer les d6- PREFACE. vii tails rested obscurs ; il a 6t6 surtout arrets de ne rien dire sans l'observation constante de la nature elle-meme. Quatre ann^es ont 6t6 employees a cette observation. Preciser les caracteres des especes ; tmoncer tout ce que Ton a pu recueillir touchant les moeurs, les instincts, les conditions d'existence de chacune d'elles, devaienl etre l'objet de la premiere pr6occupation. Cette preoccupation cependant ne pouvait etre la seule. A cote" de Y histoire particuh'ere des especes, il fallait montrer comment s'est constitute, atravers les siecles, la partiedela science qui est Y Ichthyologie ou la connaissance des Poissons ; il fallait exposer les particularity d'organi- sation essentielles d'animaux des plus remarquables par leur conformation : c'etait Y Histoire generate. Depuis l'origine du monde, tres-certainement, les hommes estiment les Poissons, parce que les Poissons sont bons d manger. Un semblable point de vue m6ritait d'etre pris en se>ieuse consideration, dans une histoire des Pois- sons des rivieres, des 6tangs et des lacs de la France. La valeur comestible, l'importance industrielle et commer- ciale des especes, les moyens de propagation, ce que Ion appelle aujourd'hui la Pisciculture ou Y Aquiculture , etaient autant de sujets dignes de la plus grande attention. lis composentdans celivre Y Histoire economique des Poissons. Depuis des siecles, les pouvoirs publics ont eu la juste preoccupation de conserver au pays les ressources alimen- vili PREFACE. taires que fournissent les eaux ; il y a profit a suivre, aux diverses 6poques, les prescriptions l^gales, 6dict6es en vue d'empecher la destruction des Poissons ou d'en organiser la \ente. VHistoire de la legislation relative a la peche et a la vente de ses produits, a paru le complement n£cessaire d'un ouvrage ou Ton traite sp^cialement des Poissons des eaux douces de la France. Un ouvrage sur nos animaux indigenes s'adressant d'une maniere indifferente a toutes les classes de la societe, l'auteur a pris soin dans ses remits et dans ses descriptions de n'employer aucune forme, aucune expression peu intel- ligibles pour les personnes 6t range res a la science. Toutes les especes sont designees par leurs noms francais ; les appellations vulgaires dans chaque contree, sont men- tionnCes pour faciliter les recherches du grand nombre. Les denominations scientifiques se cachent sous les noms frangais ; les citations des livres oil les especes ont 6te prCcMemment d£crites, indications utiles pour quelques- uns, sont place"esdans des notes, de facon a ne point gener les lecteurs auxquels elles sont inutiles. Les figures qui accompagnent les descriptions ont 6te dessinCes d'apres nature, le plus souvent d'apres des su- jets vivants. II n'y a pas d' exception pour une seule. Rien n'a 6te~ empruntC a autrui. Pour rassembler les mate>iaux nCcessaires a son etude, pour recueillir des renseignements locaux, malgr6 de Ion- PREFACE. ix gues recherches, malgre des explorations nombreuses, dans la plupart de nos departements, l'auteur eut ete faible en- core dans cevaste champ d'etudes, s'il n'avait recu aucnn secours stranger. Des amities personnelles, des sentiments inspires par l'intcret scientifique ou par nn interet plus general, sont venus a son aide. Nommer ici tous ceuxqui ont apporte a 1'auteur le tribut de leur cooperation, est justice, mais c'est dire aussi, combien ont ett» considera- bles les inateriaux r&mis, combien ont pu etre multi- pliers les comparaisons pour cette etude des Poissons de la France. M. Lereboullet, le doyen de la Faculty des sciences de Strasbourg, dontnous deplorons laperte recente, a recueilli les especes qui vivent dans l'lll, dans le Rhin, dans les (Hangs des environs de Strasbourg. M. Godron, le doyen de la Faculte des sciences de Nancy, l'auteur d'une Zoologie de la Lorraine, a bien voulu prendre la peine de r£unir les especes de la Meurthe et des petits cours d'eau des environs de Nancy. Un entomologiste distingue de la ville de Metz, M. Gehin, a fourni un gros con- tingent; il a procure les Poissons de la Moselle et de ses affluents, de la Meuse, des lacs des Vosges, ainsi que des remarques personnelles et des renseignements obtenus aupres despecheurs. M. le docteur Baudelot s'est occupe des especes que Ton peche dans les eaux des Ardennes; M. Charles Bouchard, a Gisors, decelles qui vivent dans les rivieres du departement de l'Eure. M. Grenier, le profes- x PREFACE. seur d'histoire naturelle de la Faculty des sciences de Be- sancon, a forme" en vue de ce livre une collection tres- completedes Poissons du Doubs, de la Loue, de l'Ognon. A Dijon, le doyen de la Faculty des sciences, M. Brull6, et M. Lespes.alors professeur a lameme Faculty, out bien voulii rechercher les especes des eanx d'une portion de la Bourgogne. M. le professeur H. Lecoq, de Clermont-Ferranad, mis a la disposition del'auteur, une collection des Poissons re- cueillis dans les rivieres et les lacs de l'Auvergne. Pour le midi de la France, M. Fabre, professeur au Lycee d'Avignon, a prete" un concours qui a 6te" pr^cieux, les Poissons des eaux de nos departements meridionaux ayant ele" peu observes jusqu'a present par les naturalistes. M. Fabre a recueilli les especes qui vivent dans le cours inferieur du Rhone, et il a explore^ la Sorgue et la Durance. M. ledocteurDufosse, a Marseille, s'est occupe des Poissons qui remontent le Rhone acertaines 6poques de Fanned. D'unautrec6t6, M. Lacaze-Duthiers, aujourd'hui profes- seur au Museum d'histoire naturelle, qui s'etait charge pen- dant son sejour a Lille de reunir les especes que Ton peche dans les eauxdu d6partement du Nord, a ensuite recueilli avec un grand soinles Poissons du Lot, dela Dordogne, etc. , et M. Dreme, avocat general a Agen , a complex la collec- tion des especes dela meme contr6e* M. le docteur Tho- mas s'est occuptj en particulier des eaux du Tarn. M. Joly, le professeur de la Faculty des sciences de Toulouse, a PREFACE. xi reuni les Poissons cle la haute Garonne et du canal du Midi. M. le capitaine Duvoisin, a Biarritz, a pris la peine d'en- voyer les especes pen nombreuses que Ton prend dans le petit lac Mariscot. M. Aug. Dume>il, le professeur du Museiim d'histoire naturelle, charg6 des collections des reptiles et des pois- sons, a fourni a l'auteur les moyens de comparer les indi- vidus 6tudi£s par Cuvier et Valenciennes. Ce n'est pas tout encore; M. Ch. Millet, inspecteurdes forets, qui depuis quinze ans s'occupe de la maniere la plus se>ieuse de l'^tude des Poissons, principalement sous le rapport 6conomique, et qui a rassemble une multitude d'observations et de renseignements d'un grand inte>et, a tout mis a la disposition de l'auteur. Ainsi, ce sont des elements deja fort considerables qui out servi a la composition de ce livre. Cependant on est bien loin encore d'avoir tout vii, tout exploit, tout ob- serve pour les Poissons de nos rivieres ; peut-etre cet ou- vrage donnera-t-il a plusieurs le gout de poursuivre des observations, la facility de les faire connaitre, l'envie de contribuer a rendre plus parfaite l'histoire des Poissons des eaux douces de la France, le d6sir de s'occuper de la multiplication des especes utiles en suivant les indications fournies par la melhode scientifique. C'est la seule ambi- tion que l'auteur puisse concevoir. TABLE DES MATIERES. Preface Table des jiatieres , xn HISTOIRE GENERALE DES POISSONS i § 1. — L'abondance des Poissons clans les eaux douces de la France id, § 2. — De quelle maniere les Poissons ont cte observes dans l'an- tiquite et au moyen fige t» § 3. — Des etudes sur les Poissons depuis le commencement de la Renaissance jusqu'a la fin du xvme siecle 14 §4. — Des etudes sur les Poissons depuis le commencement du xixe siecle jusqu'a la mort de Cuvier en 1832 26 § 5. — Des etudes sur les Poissons depuis la mort de Cuvier jus- qu'au moment actuel 40 § 6. — Des caracteres qui distinguent les Poissons des autres groupes du Regne animal 52 §7. — Des teguments 54 § 8, — De la charpente solide des Poissuns 57 § y. — Des muscles et des mouvements 72 § ID. — Du systeme nerveux 74 3 11. — Des organes des sens 82 tj 12. — De la respiration et des organes respiratoires 87 g 13. — De la vessie natatoire 94 § 14. — De la circulation du sang 90 §15. — Des l'onctions digestives et des organes de la digestion. . . 102 •j 10. — Des organes de la secretion urinaire 100 § 17. — De la reproduction 110 g 18. — Du developpement 110 § 10. — De la classification des Poissons 110 HISTOIRE PART1CULIERE DES POISSONS 125 Les Poissons osseux id. L'ORDRE DES ACANTHOPTERYGIENS id. LA FAM1LLE DES PERC1DES [Percida;) UjJ LE GENRE PeRCUE [PtVCa) 129 La Perche de riviere (Perca lluviatilis) 1 iiO La Perche des Yosges 1 40 LE GENRE AlJRON [AspTO) 142 L 'Apron commun (Aspro vulgaris) 143 le genre Gremille (Actrina) 149 La Gremille commune (Acerina cemua) 151 TABLE DES MATTERES- *in LA FAM1LLE DES COTTIDES (Cottidx) 159 LE GENRE CHABOT (CottltS) 160 Le Chabot de riviere (Cottus gobio). 161 LA FAMILLE DES GASTEROSTEIDES (Gasterosteidae) 174 le genre Epinoche (Gcisterosteus) 177 Les Epinoches proprement dites 213 L'Epinoche aiguillonnee {Gcisterosteus aculecitus) 214 L'Epinoche neustrienne (Gcisterosteus neustrianus) 220 L'Epinoche demi-cuirassee (Gcisterosteus semiloriccitus) 222 L'Epinoche demi-armee (Gcisterosteus semiarmatus) 224 L'Epinoche a queue lisse (Gcisterosteus leiurus), 225 L'Epinoche de Baiilon (Gasterosteus Bailloni) 231 L'Epinoche argentee (Gasterosteus argentatissimus) 232 L'Epinoche elegante (Gasterosteus elegans) 234 Les Epinochettes 236 L'Epinochette piquante (Gcisterosteus pungitius) 238 L'Epinochelte bourguignonne (Gcisterosteus burgundianus) 240 L'Epinochette lisse (Gasterosteus laevis) 242 L'Epinochette lorraine (Gcisterosteus lothciringus) 244 L'Epinochette a tele courte (Gcisterosteus breviceps) 244 LA FAMILLE DES MUGILIDES (Mugilidw) 245 le genre Muge (Mugil) 247 Le Muge capiton (Mugil capilo) 248 Le Muge cephale (Magil cephalus) 251 LA FAMILLE DES BLENNIIDES (Blenniidse) 253 le genre Blennie [Blennius) 254 La Blennie cagnette (Blennius sujefianus) -• 255 La Blennie alpestre (Blennius alpestris) 261 L'ORDRE DES MALACOPTERYGIENS 264 LA FAMILLE DES PLEURONECTI DES (Pleuronectidse) 265 le genre Pleuronecte (Pleuronectes) . . . • 266 Le Pleuronecte flet (Pleuronectes flesus) 267 LA FAMILLE DES GADIDES (Gadidx) 270 le genre Lote (Lota) 271 La Lote commune (Lota vulgaris) 272 LA FAMILLE DES CYPRINIDES (Cyprinidx) 277 le genre Loche (Cobitis) 279 La Loche franche (Cobitis barbatula) 280 La Loche de riviere (Cobitis tcsnia) 285 La Loche d'etang (Cobitis fossilis) 289 le genre Goujon (Gobio) 293 -Mv TABLE DES MATIERES- LE GOUJON DE RIVIERE 293 le genre Barbeau (Barbus) , . . 301 Le Barbeau commun (Barbus fluviatilis) 30'2 Le Barbeau meridional (Barbus meridionalis) 313 le genre Tanche (Tinea) 316 La Tanche commune (Tinea vulgaris) 317 le genre Carpe (Cyprinus) , 321 La Carpe commune [Cyprinus Carpio) 322 La Carpe a cuir 330 La Carpe bossue id. La Carpe reine id. La Carpe de Hongrie id. La Carpe a tete de dauphin id. La Carpe de Kollar (Cyprinus Kollarii) 331 le genre cyprinopsis (Cyprinopsis) 335 Le Cyprinopsis Carassin (Cybrinopsis Carassius) 336 Le Cyprinopsis gibele (Cyprinopsis Gibelio) 340 Le Cyprinopsis dore (Cyprinopsis auratus) 343 le genre Bouviere (Rhodeus) 345 La Bouviere commune (Rhdoeus amarus) 346 le genre Breme (Abramis) 350 Les Bremes proprement dites 351 La Breme commune (Abramis brama) id. La Breme de Gehin (Abramis Gehini) 355 La Breme de Buggenhagen (Abramis Buggenhagii) 357 Les Blickes (Blicca) 359 La Breme bordeliere (Abramis bjoerkna) id. La Breme rosse (Abramis abramo-rutilus) 361 le genre Ablette (Alburnus) 362 L'Ablette commune (Alburnus lucidus) 364 L'Ablette Mirandelle (Alburnus Mirandella) 369 L'Ablette de Fabre (Alburnus Fabrsei) 370 L'Ablette Spirlin (Alburnus bipunctatus) 371 L'Ablette Hachette (Alburnus dolabratus) 375 le genre Rotengle (Scardinius) , 376 La Rotengle commune (Scardinius crythrophthalmus) 377 le genre Gardon (Leuciscus) 381 Le Gardon commun (Leuciscus rutilus) 382 Les varietes du Gardon commun 385 Le Gardon Jesse 386 Le Vengeron id. Le Gardon de Selys id. Le Gardon pale (Leuciscus pallens) .• . ■ id. le genre Tde (Idus) 388 L'Ide melanote (Idus mclanotus) 389 TABLE DES MAT1ERES. xv le genre Chevaine (Squaliw) 390 La Chevaine commune [Squaliw cephalus) 392 La Chevaine meridionale (Squalius meridionalii) 396 La Chevaine treillagee (Squalius clathratus) 398 La Vandoise Aubour (Squaliw bearnensi«) 400 La Vandoise commune (Squalius leudscm) 401 Le Ronzon 404 Le Poissonnet id. Le Rostre id. La Vandoise bordelaise (Squalius burdigalenais) 5-05 Le Blageon eommun (Squaliw Agassizii) 406 LE GENRE V.\IRON (PJlOXirlUS) i09 Le Vairon eommun (Phoxinw lewis) 410 le genre Chondrostome (Chondrostoma 412 Le Chondrostome Nase (Chondrostoma Nams) 413 Le Chondrostome bleuatre (Chondrostoma co3>-ulescens) 416 Le Chondrostome de Dreme (Ghondrostoma Dremcei) 418 Le Chondrostome du RhOne (Chondrostoma rhodanensis) 420 LA FAMILLE DES SALMONIDES (Salmonidce) 422 le genre Coregone (Coregonus) 423 Le Coregone Lavaret (Coregonus Lavaretus) 425 Le Coregone Fera (Coregonus Fera) 429 Le Coregone Gravonche (Coregonus hyemalis) 432 Le Coregone Routing (Coregonus oxyrhynchus) 433 le genre Omrre (Thymallus) 436 LOmbre commune (Thymallus vexillifer) 437 le genre Eperlan (Osmer'is) 441 L'Eperlan eommun (Osmerus Eperlanus) id. le genre Saumon (Salmo) 443 L'Omble Chevalier (Salmo salvelinm) 444 Le Saumon eommun (Salmo salar) 448 le genre Truite (Trutta) 464 La Truite des lacs (Trutta lacastris) 465 La Truite de mer (Trutta argentea) 468 La Truite commune (Trutta Fario) 472 LA FAMILLE DES CLUPEIDES (Clupeidce) 478 le genre Alose (A losa) 479 L' Alose commune (Alosa vulgaris) 480 L'Alose Finte (Alosa Fin/a) 481 LA FAMILLE DES ESOCIDES (Esocidiv) 482 LE GENRE BrOCHET (EsOx) id. Le Brochet eommun (Etox tucius) 483 xvi TABLE DES MAT1ERES. LA FAM1LLE DES MURENIDES (Murenidce) 489 le genre Anguille (AnguiUa) 490 LAnguille commune (AnguiUa vulgaris) 491 L'Anguille a large bee (AnguiUa latirostris) 495 L'Anguille a bee moyen (AnguiUa mediorostris) 496 L'Anguille a bee oblong id. L'Anguille a long bee (AnguiUa acutirostris) 497 Les poissons cartilagineux 503 L'ORDRE DES GANOIDES id. LA EAMILLE DES ACIPENSER1DES (Acipenseridce) id. le genre Esturgeon (Acipenser) 504 L'Esturgeon commun (Acipenser Sturio) 505 L'ORDRE DES CYGLOSTOMES 509 LA FAMILLE DES PETROMYZONIDES (Petromyzonidce) 510 le genre Lamproie (Petromyzon) id. La Lamproie marine (Petromyzon marinus) 512 La Lamproie fluviatile (Petromyzon fluviatilis) 515 La Lamproie de Planer (Petromyzon Planeri) 517 DISTRIBUTION DES POISSONS DANS LES EAUX DOUCES DE LA FRANCE 523 HIST0IRE EC0N0MI0UE DES POISSONS 534 § 1. — Les Poissons considered sous le rapport de l'interet public, id. §2. — Les Poissons consideres sous le rapport de leur valeur ali- mentaire 540 § .'( — De l'industrie et du commerce auxquels donnent lieu en France les Poissons des eaux douces 546 § 4. — La pisciculture depuis les temps anciens jusqu'a la fin du xvme siecle 561 § 5. — La pisciculture depuis le commencement du dix-neu- vieme siecle jusqu'a l'epoque actuelle 571 § 6. — Des pratiques mises en usage pour la pisciculture 597 § 7. — Des conditions n6cessaires a la propagation des Poissons. 610 IIISTOIRE DE LA LEGISLATION, relative a la pficlie et au commerce des Poissons des eaux douces 024 § 1. — Les anciennes ordonnances royales depuis les premiers siecles de la monarch ie francaise jusqu'en 1669 id. § a . — La legislation depuis 1 B69 jusqu'en 1 829 633 § 3. — La legislation actuelle 641 Table alphabetique des noms des Poissons 05 1 FIN DE LA TABLE DES MATIERES. LES POISSONS DES EAUX DOUCES DE LA FRANCE HISTOIRE GENERALE § i. — I/abondance des Poissons dans les eaux de la France. La France, arrosee par de grands fleuves, par de nombreuses rivieres, les nnes rapides, les autres lentes dans leur cours, devait autrefois etre merveilleusement peuplee de Poissons. De nos jours, les eaux douces en fournissent encore a la consom- mation des quantites appreciates, mais les fleuves, les ri- vieres, les lacs, les etangs, tendent a se depeupler, et la depo- pulation semble meme marcher assez rapidement pour que de vieux pecheurs se rappellent un temps oil leurs filets rappor- taient de plus lourdes charges, ou le travail donnait plus d'ai- sance a la famille. A cette epoque ou commence l'histoirc de notre patrie, lors- que les legions de Cesar envahissaient la Gaule, alors que le sol etait couvert de forets qui s'etendaient jusqu'aux rives des fleuves, les animaux aquatiques abondaient certainement dans les grands cours d'eau, comme ils abondent encore aujourd'hui BlANCHAIiD. 1 2 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. dans quelques miserables ruisseaux echappes a l'attention des hommes. II n'y avait point de bateaux a vapeur sillonnant les rivieres et envoyant l'eau frapper les berges, de maniere a eparpiller et a faire perir les oeufs des Poissons caches parmi les herbes. II n'y avait pas de ces villes immenses dont les egouts viennent charger l'eau d'un fleuve de matieres infectes. II n'y avait point d'usines versant dans les rivieres, des dejections qui tuent tous les etres vivants. II n'y avait point d'ingenieurs des ponts et chaussees, qui, sous le pretexte de curage, faisaient enlever toutes les herbes, detruire toute la vegetation aquatique ser- vant de refuge ou de nourriture a line foule d'animaux. II n'y avait pas, enfin, de ces vastes cites qui attirent a elles et con- somment une grande partie de ce qui est produit au loin. Les Poissons des eaux douces devaient constituer une tres- grande ressource alimentaire pour nos ancetres d'il y a dix-huit ou vingt siecles. Les populations etablies dans lewsinage des fleuves et des rivieres, ou groupees autour des lacs ; celles des pays couverts d'etangs et de marais, etaient habit uees sans doute a voir des peches qui de nos jours paraitraient des plus miraculeuses. Dans les contrees ou la civilisation n'a point penetre, ou s'est pen etendue, les hommes vivcnt presque exclusivement des productions naturelles de leur sol. lis tirent leur subsis- tance en grande partie des vegctaux qui croissent spontane- ment dans la contree, et d'animaux dont il suffit de s'emparer. Dans les temps primitifs, il en fut ainsi dans les regions du monde qui 6blouissent aujourd'hui par les merveilles de l'in- dustrie de leurs habitants. Partout ou l'homme n'a d'autre res- source propre a assurer sa vie materielle, que les animaux de ABO.NDANCE DES POISSONS. 3 ses forets, de la mcr qui baigne ses cotes, des lacs qui s'eten- dent sur ses terres, ou des fleuves qui les parcourent, il respecte les Liens dont la nature l'a entourc. Le sauvage ne fait tomber l'oiseau sous sa fle-che qu'au moment ou la faim l'y oblige. Son interet lui conseille de ne pas detruire, de ne rien sacrifier quand la n£cessite ne le commande pas. Nous ne pouvons, a la verit6, juger d'une maniere absolu- ment certaine de l'abondance des Poissons clans l'ancienne Gaule ; mais connaissant d'ailleurs la multiplicity des etres vivants dans les eaux qui ont ete epargnees par les hommes ; eonsiderant les heureuses conditions naturelles de la plupart de nos fleuves et de nos rivieres, on demeure convaincu qu'avec le developpement de l'industrie et du commerce, une des res- sources alimentaires du pays a ete presque tarie. Dans les premiers temps de la domination romaine, il com- menga sans doute a s'effectuer bien des changements dans nos cours d'eau. Lorsque la navigation s'etendit sur les fleuves et les rivieres, les animaux aquatiques durent necessairement en souf- frir. Pour rendre facile le passage des bateaux, on ne manque jamais d'arracher les herbes autant qu'il est possible ; alors la subsistance des Poissons herbivores est aneantie, et, avec elle, la multitude des mollusques et des insectes servant de pature aux Poissons carnassiers, qui sont les plus nombreux et en general les plus cstimes. D'un autre cote, les armees conquerantes regardent peu a ravager le pays conquis, et les invasions des Romains, des Francs, des Bourguignons, n'ont pas etc proba- blement sans faire quelque tort aux giboyeuses forets, aux poissonneuses rivieres de la Gaule. Mais, a cet egard, on serait embarrasse s'il s'agissait de preciser des faits; l'liistoire ne garde pas le souvenir de ces details. \ IIIST01RE GENERAEE DES POISSONS. Vint une epoque en France ou les Poissons des eaux douces furent en grande estime. On cherchait a les multiplier; on les protegeait sur beaucoup de points du territoire. An moyen • age, parmi les maisons religieuses, les abbayes qui s'elevaient si nombreuses ; les unes etaient situees a peu de distance des rivieres, les autres etaient entourees d'etangs qui devaient four- nir une partie de la subsistance de la communaute. L'intendant des eaux, le frere Aquarius 1, que Ton voyait a certains jours, raonte sur une barque, jetantses filets, s'efforgait certainement, avec toute la sagesse imaginable, d'entretenir dans les meil- leures conditions les sources d'un precieux revenu. Dans les premiers sie-cles dela monarchie franchise, alors que la plupart des ames etaient pleines de la foi chretienne, alors que chacnn, pour ainsi dire, se soumettait sans hesitation a toute prescription de l'Eglise, les Poissons etaient bien neces- saires pour les jours de l'annee ou il etait interdit de faire usage de la viande. Les habitants des cotes avaient la mer pour nour- rice, mais les produits de la mer ne pouvaient etre portes loin, dans ces temps ou l'idee seule de communications rapides n'en- trait dans l'esprit de personne. L'agriculture encore restreinte, les rivieres durcnt etre raises a contribution d'une maniere excessive, et ainsi se depeupler clans des proportions notables. Le braconnage ne pouvait manquer d'etre une industrie lucra- tive, que ne reussirent gufere a arreter les edits, les ordonnances, les peines memo les plus severes. Les etangs et les marais 6taient nombreux en France, et plusieurs esp^ces de Poissons 1 (Test sous ce nom, que Ton designait dans les communautes de dif- ferents ordres, le moinc specialement charge de l'eniretien des eaux et en particulier de la peche. — Voir : Ducange, Glossarium; D'Arbois de Jubainvillc, Eludes sur Vetat inttrieur des Abbayes cisterciennes et prin- cipalement de Clairvaur, uux douzieme et treizieme siecles, etc. ABONDANCE DES POISSONS. b s'y trouvaient en grande quantite. G'ctait une immense res- source pour certaines provinces. Les etangs de la Bresse et de la Dombes contribuaient, dans une assez large mesure, a nourrir les habitants de la ville de Lyon. L'extension des cul- tures, l'appauvrissement des caux, le besoin d'assainissement dans les contrees marecageuses , pnt pousse les communes et les proprietaries a opercr lc dessechement d'une infinite d 'etangs. Une des sources de l'alimentation publique s'est beaucoup amoindrie de la sorte, sans, peut-etre, avoir toujours eu sa compensation. Ce sont la des faits d'une incontestable certitude dans leur generality mais il est impossible de savoir d'une maniere approximative pour quelle part les Poissons des eaux douces en- traient clans l'alimentation publique aux differentes epoques, par consequent de preciser l'importance du depeuplement des eaux de la France, depeuplement qui n'a jamais pu s'effectuer d'une facon assez rapide pour attirer aussitot l'attention. Au- cune espece ne semble avoir disparu, mais chaque espece est devenue moins abondante qu'elle n'etait anterieurement. De nos jours, l'attention est eveillee. On a genii sur la dispa- rition des Poissons les plus estimes de nos fleuves et de nos rivieres. On a songe a faire renaitre l'abondance qui n'existe plus depuis longtemps. II faut applaudir aux efforts dont le but est d'augmenter le bien-etre general, et l'idee de repeupler les fleuves, les rivieres, les lacs, devenus presque deserts, est trop sage pour qu'on ne s'y attache point avec energie. Seulement, l'experience parait l'avoir deja demontre, pour obtenir d'heu- reux resultats, il ne suffit pas, dans la plupart des circons- tances, de jeter en quantite de jeunes Saumons et de jeunes Truites dans les rivieres. Ges Poissons ont besoin, pour grandir 6 HIST01RE GENERALE DES POISSONS. et se multiplier, de conditions sans lesquelles on ne saurait con- cevoir l'esperance de les conserver longtemps. G'est la une question importante que nous aurons a examiner ailleurs. § 2. — De quelle maniere les Poissons ont ete observes dans l'antiquite et au moyen age. Les Poissons ont 6te necessairement, a toutes les epoques, l'objet de quelques observations. Sur les rivages de la mer, les populations trouvent a leur portee une nourriture abondante. La surtout ou manque l'in- dustrie, vivent des peuples pecheurs, des peuples ichthyophages. Dans l'interieur des terres, lesfleuves, les rivieres, les ruisseaux meme, les etangs, ont leurs Poissons, qui n'ont jamais suffi, sans doute, a l'alimentationdes habitants, mais qui, neanmoins, ont pu compter parfois pour une part notable dans leur consom- mation alimentaire. Pour la chasse, 1'adresse, l'agilite sont indispensables ; il faut tendre des pieges, avoir des engins assez compliques. Pour la peche, tout est facile relativement; quelques hamegons attaches au boutd'un fil, une nasse, l'engin le plus simple, en un mot, permet de se procurer de quoi faire un bon repas. On a un ali- ment sain, agreable, obtenu avec pen de peine. Vers le cours inferieur des fleuves, comme sur les cotes mari- times, la peche n'a plus servi seulement a des besoins journa- liers, elle s'est elevee a la hauteur d'une Industrie. Differentes especes de Poissons qui habitent la mer viennent frayer dans les eaux douces. A certaines saisons de l'annee, ces animaux re- montent les fleuves en colonnes serrees. lis sont attendus; les pecheurs ont leurs embarcations et leurs vastes filets prepares. D'immenscs quantites de poissons sont bientot prises ; elles ne ANTIQUITE ET MOYEN AGE. 7 peirvent etre consommees de suite ; les Poissons seront seches ou sales, et formeront des provisions pour les temps improduc- tifs, ils serviront meme a un commerce. Ces peches ont etc .pra- tiques annuellement vers l'embouchure des fleuves a toutes les epoques, comme elles le sont encore aujourd'hui dans l'an- cien et le nouveau monde. Les hardis aventuriers de l'Ame- rique du Nord, qui les premiers s'avancerent clans le far-ivest, trouverent par dela les montagnes Rocheuses les Indiens des rives du Columbia et de l'Oregon, occupes h la peche des Sau- mons de l'ocean Pacifique, qui viennent au printemps deposer leurs ceufs dans les eaux courantes des rivieres. Gertaines observations ont etc ainsi faites partout des l'ori- gine, sur les habitudes de quclques Poissons. Parmi ces ani- maux, tous n'ayant pas la meme valeur comme aliment, ils ont du necessairement 6tre i'objet de remarques sur les particula- rites pouvant conduire a distinguer au moins les especes les plus vulgaires. On se tromperait cependant, si Ton pensait que les Poissons si utiles a Thomme, lui arrivant comme une manne pour sub- venir h. sa subsistance, ont ete de bonne heure bien observes, si Ton s'imaginait que leurs especes, sans cesse sous les yeux de tous, ont du etre parfaitement distinguees. II n'en est rien. Les hommes, en general, ne s'inquietent guere d'acquerir des con- naissances, lorsqu'ils n'apercoivent pas, dans la possession de ces connaissances, un avantage direct et hnmediat. Les lumieres de l'antiquite' touchant l'histoire naturelle des Poissons ne furent done pas tres-etendues. Les Hebreux ne nous ont rien transmis. La peche, du reste, ne pouvait avoir une importance considerable dans la Judee, pays eloigne de la mer, arrose par un seul fleuve assez me- 8 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. diocre, et n'ayant que deux petits lacs d'eau douce. Neanmoins Irs eaux poissonneuses du Jourdain et du lac de Tiberiade per- mettaient encore, a certains jours, de faire de belles captures. Lorsqu'on jette un regard sur l'Egypte, parsemee de lacs et traversee par son immense fleuve, il vient a la pensee qu'au sein de l'antique civilisation de ce pays, les Poissons ont du etre l)eaucoup rcchcrches et assez bien observes. Cependant, sur cette terre, ou s'elevaient les plus vastes monuments du monde, les pretres s'etaient attaches a inspirer a la nation une sorte d'horreur pour la mer, et l'usage de se nourrir de Poissons avait ete proscrit. Les peuples ichthyophages, comme il s'en trouvait sur les cotes de la mer Rouge et de la mer des Indes, ne posse- dant aucune autre industrie que celle de la peche, etaient re- putes les plus grossiers parmi les hommes. L'idee de defendre aux Egyptiens de manger du poisson, avait ete concue sans doute dans le but de les forcer a s'adonner davantage a ragriculture. Mais comment obliger une nation a repousser des Mens qu'il est facile de se procurer. L'interdiction n'etait evidemment pas destineea avoir un effet general. Aussivoit-on les Egyptiens se livrer activement a la peche, et en consommer le produit sous toutes les formes. Des peintures en ont retrace des scenes, ou les esp^ces de Poissons se trouvent representees d'une facon assez exacte pour qu'on puisse les reconnaitre l. Les adorateurs de tous les animaux ne pouvaient gubre manquer de tenir en haute consideration certains Poissons, et Strabon apprend, en effet, qu'une grande esp^ce de Gyprinides 2, 1 Description de l'Egypte. — Antiquites, t. II, pi. LXXXVII. — Caillaud, Voyage au Merod, Paris, 1823, t. II, pi. LXXV. 2 On donnc le nom de Cyprinides a une famille de Poissons dont la Carpc peut Otre consider6e comme le type. ANTIQUITE ET MOYEN AGE. 9 le Lepidote on Binny, et rOxyrrhynque, sorte de Brochet du Nil, etaient reveres par toute l'Egypte. En outre, dans plusieurs re- gions, dans differentes \illes, une espece particuliere etait spe- cialement en honneur. Des momies conservees de ces animaux sont encore aujourd'hui les temoins de ce culte etrange. L'habitude devoir et de contempler les especes sacrees, la ne- cessity de les ouvrir apres leur mort pour les embaumer, avaient du inevitablement conduire a constater des particularites relati- ves a leur organisation, ceux qui avaient mission de s'occuper de ces animaux. Rien de ce qui nous est parvenu de l'histoire des Egyptiens n'autorise a aller an dela de cette supposition. L'Ichthyologie, ainsi qu'on appellera plus tard la science ayant pour objet les Poissons, ne commence que chez les Grecs a pren- dre le caractere d'un ensemble de connaissances. Get ensemble se trouve a peu pres tout entier dans les ecrits du grand natura- liste de l'antiquite. G'est Aristote , en effet , qui semble resumer en lui presque tout le savoir sur l'histoire naturelle des animaux , non-seule- ment pour les anciens,mais encore pour toute la longue periode du moyen age. Les Grecs se sont moins occupes des Poissons d'eau douce que des especes marines, et on le concoit : les rivieres de leur pays etant le plus souvent a sec, pendant la saison chaude, et la mer, avec ses notes innombrables, etant partout a leur portee. Chez cette nation, les Poissons frais ou sales etaient de grande importance comme denree alimentaire. Byzance et Sinope trou- verent dans ce commerce lucrati'f une prosperite qui eut la duree de plusieurs siecles. Dans la patrie d'Homere , certains personnages avaient pour le poisson un gout assez prononce et assez connu de leurs com- 10 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. patriotes, pour les avoir exposes aux plaisanteries et aux sarcas- raes des poetes. Ce qui, au reste, denote le mieux des observa- tions poussees assez loin et des distinctions fort nombreuses entre les differentes especes de Poissons, de la part des Grecs, c'est la grande quantite de noms attribues dans leur langue a ces animaux, ainsi que Buffon et Guvier en ont fait la remarque. Athenee, d'ailleurs, cite une foule d'ouvrages sur ce sujet, dont il ne nous est rien parvenu. Aristote nous apparait, seul entre tous ses compatriotes, comme le veritable savant. Nous ne devons, ni rappeler les ser- vices immenses que ce grand homme a rendus a l'histoire natu- relle, ni retracerl'etendue de sa science, ni faire ressortir la haute portee de ses vues generates , mais constater simplement ce qu'il fit pour l'lchthyologie. Le fondateur de l'ecole peripateticienne precise avec une admirable nettetc les caracteres communs a tous les Poissons, ainsi que les particularites les plus essentielles de leur organisation qui les separent des autres animaux : il si- gn ale avec la memo justesse les principales modifications de leurs organes, la variete de leurs instruments de locomotion, de leur genre de vie, de leurs habitudes. On va jusqu'a s'etonner derexactituded'une foule d'observations dues aim homme dont. la vie s'est trouvee partagee entre tant de sujets divers. A la verite, tout n'est pas absolument exempt d'erreurs ou de suppositions mal fondees, et les animaux dont parle 1'auteur sont souvent designes d'une mani^re bien vague. II a nomme cent dix-sept Poissons, et, en presence de cette longue nomen- clature , les naturalistes moderries ont vu leurs efforts echouer en maintes circonstances quand ils se sont efforces de recon- naitre un grand nombre d'especes signalees par le philosophe de Stagire. ANTIQUUM ET MOYEN AGE. II L'impulsion donnee aux etudes d'histoire naturelle par Aris- tote s'affaiblit apres sa mort, sans cepcndant s'eteindre de suite. II nous serait permis de citer de ses disciples, des observations relatives a notre sujet , et en particulier celles de Theophraste. Mais l'interet de ces observations est mediocre; nous ne jugeons pas necessaire de nous y arreter. La science , on le sait , n'est pour rien dans la grandeur de Rome. II fut une epoque 011, parmi les principaux personnages de l'antique capitale du monde, on s'occupa prodigieusement des Poissons; mais, dans cette occupation, personne ne songea a acquerir des notions exactes sur les etres recherches comme objets d'amusement ou de gourmandise. C'est l'amour de tous les genres de spectacle, c'est la passion du luxe, qui pousserent les riches a se livrer aux plus folles depenses pour faire con- struire des "viviers et y entretenir une multitude de Poissons. Les piscines d'eau douce etaient deja fort repandues an temps de Cesar et d'Auguste, comme l'apprenncnt Varon et Columelle. On ne devait pas s'en contenter. Des viviers etablis pres de la cote et soiwent construits dans des proportions immenses , fu- rent alimentes par l'eau de la mer. Lucullus depassa tous les au- tres dans ses fastueuses depenses; aux environs de Naples, il fit creuser une montagne dans le seul but de faire arriver l'eau de la mer dans l'un de ses bassins. Dans les habitations somptueuses, des rigoles etaient mena- gees pour alimenter des reservoirs dans lesquels nageaient des Mulles ; on se plaisait a voir le spectacle des changements de couleur, des degradations de nuance, que presentent ces ani- maux sur le point d'expirer. C'etait pen encore pour les Romains d'avoir les especes de leurs cotes. On allait en pecher au dela des colonnes d'Hercule, • 12 HISTOIRE GENERALE DES POISSON.S. et un amiral, Optatus Elipertius, commandant de la flotte sous l'empereur Claude, fut employe a repandre dans la mer depuis Ostie jusqu'aux rives de la Gampanie, le Scare, qui ne se trou- vait que dans la mer de Gre.ce. Toutesces magnificences qui procuraient tant de sujets dignes d'etude, etaient condamnees a demeurer steriles. II n'y avait pas a Rome d'Aristote pour faire profiter l'esprit humain de la presence de ces nombreuses richesses de la nature. Pline s'est contente depuiser dansl'auteurgrec, de recueillir quelques as- sertions, et il parait surtout avoir pris plaisir a faire le recit des (biles depenses auxquelles se livraient les vainqueurs du monde pour deployer un faste inou'i. Les naturalistes, pousses par le desir de retrouver toutes les lumieres de l'antiquite, ont fouille et commente les ecrits des Latins posterieurs a Pline, lorsqu'il y avait esperance de saisir un fait concernant l'histoire des animaux. On ne peut dire que leurs recherches aient ete fecondes ; elles ont montre neanmoins qu'a l'epoque de la decadence romaine, beaucoup de notions vagues ou incompletes existaientsurune infinite de sujets. Un poete qui vivait au commencement du troisieme siecle, Oppien, l'auteur des Halieutiques, semble s'etre efforce de re- cueillir tous les faits connus avant lui. Dans son poeme sur la peche, il ne cite pas moins de cent vingt-cinq Poissons, parmi les- quels on en compte environ le cinquieme dont il n'est fait au- cune mention dans les ecrits precedents. Athenee, supposant dans une assemblee d'erudits assis au meme festin une conversation sur les mets * , a donne aussi l'occasion de rechercher des traces des connaissances en his- ' Deipnosophistce. A.vnoiiTE et mo yen age. 13 toire naturelle que possedaient les anciens. Le profit de ces re- cherches a ete tres-faible. Voici encore Claude Elien, qui a laisse un ouxrage en dix-sept livres sur les proprietcs des ani- maux. On s'attendrait a rencontrer dans un traite, des rensei- gnements ne figurant pas ailleurs ; mais le gout et le talent de l'observation manquaient a peu pres universellement. L'ceuvre d'Elienest une miserable compilation. Cependant, an quatrieme sierle, survient un poete qui est en meme temps un veritable naturaliste , un observateur parlant de ce qu'il a xu lui-meme. G'est Ausone l, un Gallo-Romain ne a Bordeaux, prccepteur de l'empereur Gratien, puis consul, et enfm, auteur d'un poeme de la Moselle. II dccrit d'une maniere reconnaissable quatorze especes de Poissons qui etaient demeu- rees, pour le plus grand nombre, inconnues des Grecs et des Romains. Pour la premiere fois, il est question des Truites et du Barbeau. Les ccrivains posterieurs sont pour nous absolument denues d'interet. Les connaissances de l'antiquite etaient perdues pour la plupart. L'esprit humain etait endormi pour la durce d'une suite de siecles. D'apres une comparaison attenthe des ouxrages des Grecs et des Romains, Guxier a compte que les anciens avaient distingue environ cent cincmante especes de Poissons. Us les axaient nom- inees sans jamais chercher a en fixer les caract^res; aussi bien des fois, suixant toute probabilite, des noms differents s'appli- quent-ils a la designation de la meme espece. L'organisation de ces animaux n'axait etc, depuis Aristote, l'objet d'aucune etude. 1 Decius Magnus Ausoniu?, mort en 394. 14 IIISTOIRE GENE11AEE DES POISSONS. Au treizieme sifecle, lorsque le desir de reconquerir le savoir do l'antiquite commence a se manifester, de nobles aspirations s'elevent. Albert le Grand congoit un large plan pour un traite snr les animaux ; mais l'ceuvre etait immense , les materiaux etaient rares , les copies ou les traductions des vieux auteurs etaient fautives. II devenait difficile, dans de semblables condi- tions, de bien remplir un aussi vaste programme. Neanmoins , Albert le Grand , dans son livre consacre aux Poissons, cite plusieurs especes d'apres ses observations parti- culieres. Les memes remarques s'appliquent aux travaux d'un autre frere precheur de la meme epoque, Vincent de Beauvais, qui a egalement ecrit sur les Poissons, avec plus d'etendue qu'Albert le Grand, d'apres des textes plus corrects et aussi d'apres qucl- ques investigations personnelles. Rien,ailleurs, de cette longue periode du moyen age ne merite d'etre mentionne. Nous com- prenons a peine aujourd'hui jusqu'a quel point on a pu demeu- rer ignorant des choses les plus vulgaires. Mais l'epoque de la Renaissance arrive , les ceuvres de l'anti- quite se repandent, le gout des lettres, la passion des decouver- tes, I'amour des recherches scientifiques se propagent, et bien- tot les etres animes serontle sujet des etudes les plus serieuses. s' 3. — Des etudes sur les Poissons, depuis le commencement de la Renaissance jusqu'a la fin du dix-huitieme siecle. Avec le seizieme siecle s'ouvre cette grande periode, magni- fique pour les sciences naturelles. L'lclithyologie ne tardepas a recevoir les avantages du nouveau mouvement intellectuel dont toutes les branches des connaissances humaines vont profiter. Avantde s'engager dans l'etude directe de la creation, on parait DE LA RENAISSANCE AU X V 1 1 1 e SIECLE. tb sentir qu'un point de depart est necessaire ; ce point de depart sera fourni par les ecrivains de l'antiquite. II s'agit d'abord de les bien entendre, d'etre fixe sur la nature des etres dont ils ont parle. Mors on voit Paul Jove 1, l'historien illustre, s'adonnant a la recherche des noms attribues aux Poissons par les anciens Romains ; Massaria2, commentant de la meme maniere le neu- vieme livre de Pline ; Gilles, interpretant Elien et comparant les noms latins et frangais des Poissons de Marseille3, d'autres en- core s'engageant dans les memes voies. A certains moments, des questions auxquelles personne n'a- vait songe, des besoins que nul n'avait reconnus, viennenttout a coup, comme par une sorte d'enchantement, occuper a la fois 1'esprit de plusieurs hommes qui s'imaginent chacun etre seul en. possession de son idee. Le seizieme siecle avait accompli la moitie de son cours, et il n'etait venu dans la pensee d'aucun savant de rassembler les especes d'animaux de l'une ou l'autre des principales formes zoologiques, et d'en donner des descriptions etdes figures pro- pres a faire connaitre leurs caracteres les plus remarquables, leurs particularites les plus curieuses. Voila que presque en meme temps , de 15S3 a 1555 , paraissent des travaux sur les Poissons congus d'apres ces vues, par trois naturalistes dont les noms sont restes dans la science en grand honneur. 1 Paolo Giovio, ne a COme en 1483, mort a Florence en 1552. — Dc romanis piscibus Libellus ad Ludovicum Borbonium cardinalem. — Rome, fol. 1324. — 8°, 1527. 2 Francisci Massarii hi nonum Plinii de Naturali Historia librum Casti- gationes et annotationes. — Bale, 1537, et Paris, 1542. — Le nemieme livre de Pline est celui qui traite des Poissons. 3 Pierre Gilles ou Gyllius, ne a Albi en 1490, mort en 1553. — De nominibus gallicis et latinis Massiliensiwn, 1535. I(i H1ST0IRE GENERALE DES POISSONS. Ges trois naturalistes, c'est Pierre Belon, ne vers 1518, qui se livre avec ardeur a l'etude des animaux,qui voyage en Grece, clans l'Asie Mineure, en Egypte et qui est assassine dans le bois de Boulogne en 1564; c'est Salviani, de Gittadi Castello, dans lesEtats pontificaux, ne en 1513, medecin des papes Marcel II et Jules III, mort en 1572; c'est enfin Rondelet, ne en 1507 a Montpellier, qui devient professeur dans cette ville, qui voyage en France, en ltalie, dans les Pays-Bas, avec le cardinal de Tour- non ; qui tronve un collaborateur dans l'eveque de Montpellier, Guillaume Pellicier, et qui meurt en 1566. Belon, Salviani, Rondelet, ne sont plus des compilateurs, eomme tous ceux qui les avaient precedes depnis Aristote. lis ont vu et examine les Poissons dont ils parlent; sous leurs yeux, ils en ont fait tracer des representations qui, sans etre d'une verite parfaite, permettent de reconnaitre les especes qu'ils ont observees. Ces naturalistes, il est vrai, sont loin de s'etre appli- ques a decrire avec toute la rigueur desirable les sujets dont ils s'occupaient. Ils subissaient l'influence de leur epoque , en croyant qu'il importait surtout de determiner les noms que les differents animaux portaient chez les anciens, en jugeant que leur histoire devait acquerir de la valeur par des fragments em- pruntes aux vieux auteurs, plutot, que par le simple recit de leurs observations. Mais Belon, Salviani, Rondelet, ont donne de nombreuses figures qui ont beaucoup contribue aux progres de l'lchthyologic. Sous ce rapport, Rondelet a conserve un avan- tage tres-marque sur ses deux contemporains. On penserait volontiers que le champ prepare par ces natu- ralistes va etre bientot cultive avec plus de soin, que de nou- ^ elles etudes vont perfectionner une histoire encore a l'etat d'ebauche. II n'en fut rien cependant. De vastes compilations DE LA RENAISSANCE AU X V 1 1 1 e SIECLE. 17 qui n'ont pas ete inutiles, corame colles de Conrad Gesner et d'Ulysse Aldrovande, des rechcrches particulieres entreprises la plupart sur des animaux des pays lointains, sont pour une longue periode les seuls ouvrages dont on trouvc a faire mention. D'un autre cote, vers le milieu du seizieme siecle, on commenca a s'occuper sericusement de la conformation interieure de 1'homme et des animaux. Le celebre professeur de Padoue, Fabrizio d'Aquapendente, entreprend des recher- ches anatomiques sur les Poissons, etudie leur mode de repro- duction, leurs ecailles, etc. Son eleve, son successeur dans sa chaire, Casserio, porte ses investigations sur les organes des sens deces animaux. Un professeur de Naples, Severino, exa- mine differentes parties de leur organisation et s'attache a prou- ver que les Poissons respirent l'air dans l'eau, tout en se me- prenant neanmoins d'une maniere complete a 1'egard de leur organe respiratoire. Borelli de Naples, successivement profes- seur a Pise et a Florence, s'attache a determiner le mecanisme de la natation etindique l'usage de la vessie natatoire. Plusieurs autresanatomistes constatent des faitsisoles. Un peu plus tard, un savant francais reste celebre, Joseph Duverney, mcmbre de l'Academie des sciences, professeur au Jardin du roi, de 1679 a 1730, eut le merite de faire connaitre le premier, les organes et le mecanisme de la respiration des Poissons, ainsi que le cours du sang dans leurs branchies. Vers le meme temps, divers auteurs enrichissaient la science d'ob- servations particulieres sur certaines especes. On ne savait en- core presquc rien sur les formes du cerveau de ces etres aqua- tiques dont l'intelligence et les instincts paraissent si faibles ; un medecin anglais, Samuel Collins, combla cette lac une par Blanchard. 2 18 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. unc publication accompagnee de planches Men executees l. Une foule de materiaux dissemines, de connaissanees epar- ses, s'etait formee pendant le seizieme et le dix-septieme siecle. Beaucoup d'ecrits auraient pu facilement rester inconnus aux nouveaux scrutateurs de la nature; mais, par bonheur, survien- nent le plus souvent des hommes animes du desir de satisfaire au besoin qui doraine. Des recueils ou se trouvaient rassembles la plupart des memo-ires relatifs a 1'organisation des animaux furent mis au jour 2. Les animaux avaient toujours ete decrits presque sans ordre ; l'idee de les grouper d'apres des caracteres communs s'etait a peine manifestee depuis Aristote ; les avantages d'une veritable methode n'avaient frappe l'esprit de personne, lorsque parut Tun des plus grands naturalistes du dix-septieme siecle. C'etait Rai, un theologien anglais, qui fut le premier a concevoir la pensee des classifications zoologiques. II poursuivit son ceuvre de concert avec son eleve et son ami, Willughby, et en 1686, ce dernier fit paraitre une histoire des Poissons, qui marque une epoque pour l'lchthyologie 3. Pour la premiere fois, les Poissons sont decrits d'apres nature et axec une certaine precision ; ils sont classes d'apres des caracteres tires deleur conformation. Si les faits ne sont pas toujours en 1 A System of Anatomy treating of the body of man, beasts, birds, fishes, etc., 2 vol. in-fol. Load., 1685. 2 Blasius, Anatome animalium terrestrium, volaiilium, aquatilium, etc., stracturam naturalem, ex veterum reeenliorumque propriis cbservationibus exponens, in-4. Amsterdam, 1081. — Valentin, Amphitheatrum zootomi- cum, in-fol. Francfort, 1720. 3 Francisci Willughbeii, armigeri, De HistoriaPiscium libri IV, jussu et sumptibus Socictatis regice Londinensis editi, etc., totum opus recognovit, coaptavit, supplevit, librum etiam primum et secundum adjecit Job. Raius; Oxford, fol. 1G8C. DE LA RENAISSANCE AU XVIII6 SIECLE. VJ accord avec la methode, si les genres nc sont pas encore nette- ment dermis, l'heureuse inspiration qui a conduit l'auteur, n'en est pas moins appelee a porter ses fruits. Apres la publication de Rai et WiUughby, un demi-siecle s'ecoule sans que l'histoire naturelle des Poissons se perfectionne d'une maniere cclatante. Un certain nombre d'ecrits et de figures viennent accroitre le domaine ti.es connaissances, sans porter le cachet d'aucune vue generate, le signe d'aucune veri- table decouverte. II faut arriver vers le tiers du dix-huitieme siecle pour voir la zoologie revetir definitivement sa forme et prendre le caractere d'une vaste science ; c'est l'epoque cle Linne et de Buffon : d'un cote la precision, l'ordre, la methode; de l'autre, l'observation des details caracteristiques et des particularites biologiques, revetue de toutes les magnificences et de tons les charmes de la pensee. Un contemporain de ces hommes illustres, un jeune Suedois plein de genie, Pierre Artedi, passionne pour l'etude des Pois- sons, va accomplir une tache brillante. II prencl pour guide et pour point de depart l'ouvrage de Willughby; il en saisit les defauts et se donne pour mission de combler une lacune de la science. II formule des regies pour les divisions zoologiques, pour la nomenclature des genres et des especes, et repartit tous les Poissons dans quatre ordres, s'appuyant pour sa classifica- tion sur la consistance du squelette, sur la forme des opercules et des branchies, sur la nature des rayons des nageoires, sans tenir compte des conditions de sejour qui avaient conduit les anciens naturalistes aux rassemblements les pins etranges. Artedi imagine pour designer les ordres, ces noms de Malaco- pterygiens, d'Acanthopterygiens, de Chondropterygiens, si gene- 20 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. ralcmcnt employes depuis, qu'ils sont presque devenus des mots de la langue franchise. II caracterise les genres d'aprSs le nombre des rayons de la membrane des oui'es, d'apr^s le nombre et la position des nageoires, d'apr&s les dents, la con- formation des ecailles et meme les parties internes, comme l'estomac et les appendices pyloriques. On voit par ces details qneranteur comprenait son sujet tout autrement que ses devan- ciers. Artedi, mort par accident, a Fage de trente ans, laissa ses travaux inedits *. Ge fut Linne, qui, apres avoir rachete ses ma- nuscrits, les mit en ordre, les completa et fit paraitre Fouvrage aLeyde, en 1738 2. Avec Linne, il est inutile de le rappeler tant le fait est connu, la zoologie descriptive re\et une forme toute noinelle, elle acquiert un caractere de precision ignore jusqu'alors, le systeme de nomenclature est desormais fixe d'une facun si heureuse, qu'on ne trouve rien d'aussi parfait a lui comparer. Les natu- ralistes avaient, sous un nom commun, constitue des reunions d'esp^ces, c'est-a-dire des genres, et, afin de distinguer les especes entre elles, ils n'avaient rien trouve de mieux que de les designer par une phrase plus ou moinslongue, exprimant leurs particularites les plus manifestes. Linne imagine d'appliquer aux espfeces un nom simple, qualificatif, qui s'ajoute au nom du genre. De la, cettc nomenclature binaire, bientot universelle- ment adoptee, ayant l'avantage d'offrir pour tons les etres une designation etroite et toujours claire, et de fournir en meme temps a l'esprit un apergu plus large par le nom gene- rique. 1 N6 clans la paroisse d'Anunds, en Angcrmanic, en 1705 ; il se noya dans undes canaux d'Amslerdam, le o scptembre 1735. 2 Ichlhyologia sive opera omnia de Piscibw, 8°. Leyde, 1738. DE LA RENAISSANCE AU XVIIIe SIECLE. 21 Linne adopte dans ses premiers ouvrages la classification d'Artedi, n'ajoutant d'abord que fortpeu de chose a l'oeuvre de celui qui a\ait ete son maitre pour richthyologic. Cependant, le grand naturaliste de la Suede, destine a exercer une immense influence surles sciences naturelles et a etre un jour l'une des plus rayonnantes gloires de son pays, etait sans cesse anime du desir de perfectionner toutes les parties de l'ceirvre gigantesque dont il avait concu le plan des sa jeunesse. II s'apergoit bientot de l'utilite, dans la caracterisation des especes, de l'indication du nombre de rayons composant les nageoires, dont on ne s'etait pas occupe avant lui. Plus tard, il rejette de la classe des Pois- sons, pour les placer dans la classe des Mammiferes, les Baleines et les Dauphins ; car, par suite de la tendance ordinaire des naturalistes anterieurs au dix-huitieme siecle, a se preoccuper moins de la conformation des etres que de leur sejour ou de certaines ressemblances grossieres, on s'etait obstine a associer les Cetaces avec les Poissons, malgreles faits precis signales par Aristote, relativement a l'organisation de ces animaux l. Linne en vint a restreindre singulierement la circonscription de la classe des Poissons 2. II en separa les Lamproies, les Raies, les Squales,les Esturgeons, les Baudroies, lesCoffres, cjui n'ont pas l'apparence des Poissons ordinaires 3. Cette separation a fourni matiere a de \ives critiques, mais on Terra par la suite que tout ici ne doit pas etre impute a erreur. Le naturaliste scandinaxe n'ayait pas seulement apporte dans son inxentaire de la nature, la rigueur scientifique et des xues 1 Brissonfutle premier qui, en 17b6, separa les Cetaces des Poissons, mais il en forma une classe particuliere. 2 Systema natures, 12e edit., 1766. 3 Ces types forment pour l'auteur du Systema natura, la division des Amphibia nantes. 22 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. nouvelles sur la classification des animaux, il avait fait connaitre et caraeterise une foule d'especes. A partir de ce moment, la voie est bien tracee ; les natura- listes devenus plus nombreux recueillent avec plus d'ardeur les productions naturelles, les voyageurs rapportent celles des con- trees lointaines, les expeditions mari times ordonnees par les souverains contribuent pour une large part a enrichir les musees. Tous ces materiaux donnent lieu a des publications plus ou moins speciales qui agrandissent chaque jour davantage le domaine de la zoologie. Pen de temps apre-s la mort de Linne, le nombre des especes animales de toutes les classes s'etait ainsi prodigieusement accru dans les collections. Un auteurallemand, Bloch, entreprit, a partir de l'annee 1780, un travail general sur les Poissons l. Cet ouvrage divise en deux parties : YHistoire economique des Poissons de V Allemagne et YHistoire des Poissons (strangers, est devenu presque classique. Presentant des descriptions tra- cees pour les especes europeennes d'apres des sujets vivants ou encore frais, des figures en general bien executees, des obser- vations interessantes et exactes, il a ete jusqu'a present d'une utility extreme pour tous ceux qui se sont adonnes a 1'Ichthyo- logie. Pour ne pas scinder cet apergu sur les travaux concernant la description et la classification des Poissons, il faut maintenant nous transporter a la derni^re limite du dix-huitieme sifeclo et atteindre merae les premieres annees du dix-nenvieme. L'au- teur dont nous avons a parler est d'ailleurs. si bien du dix- huitieme siecle et si peu du siecle actuel, qu'on lui ferait vrai- 1 Dloch, chirurgien israelite de Berlin, ne a Anspach en 1723. mort en 1799. DE LA RENAISSANCE AU XVIIIe S1ECLE. 23 ment tort, en ne le laissant pas tout entier dans la periode de sa plus grande activite. Get auteur, c'est de Lacepede qui eut la fortune dejouir d'une reputation et d'honneurs bien supe- rieurs a ses talents. De Lacepede, garde du Cabinet du Roi en 1785, pro fesseur du Museum d'histoire naturelle en 1795, membre de l'lnstitut en 1790, senateur en 1800, grand- chancelierde la Legion d'honneur en 1802 *, avait la noble ambition d'etre unnouveau Buffon. Malheureusement, lc desir ne devait pas suffire chez lui pour atteindre le but. Son habilete d 'observation, son elegance de style etaient condamnees a de- meurer, a bien des degres, inferieures au modele. Apres avoir ecrit une Histoire des Reptiles, qu'il nommaitles Quadrupedes ovipares, puis une Histoire des Serpents, Lacepede composa une volumineuse Histoire des Poissons 2, dont le plan, comme le remarque Guvier, etait conQii d'une maniere large et elevee ; mais l'auteur n'etait ni doue du tact qui conduit a apprecier jus- tement les ressemblances et les differences des etres entre eux, ni pourvu de cette patience soutenue pour l'investigation qui produit encore de meilleurs resultats. On etait a une epoque ou les relations de la France etaient presque entierement inter- rompues avec le reste du monde ; il etait fort difficile de se pro- curer les sujets d'etude, de connaitre et d'obtenir les livres pu- blics a l'etranger. Dans ces conditions deplorables, Lacepede emprunta, sans examen, des descriptions a ses devanciers, il en traga d'apres des notes et des figures soirvent imparfaites qui lui avaient ete communiquees. Alors, il lui arriva d'assigner des noms nouveaux a des especes qui avaient ete qualifiees prece- 1 Bernard-Gcrmain-Etienne de la Ville, comte de Lacepede, ne a Agen en 17oG, mort a Paris en 1826. 2 5 vol. in-4°, publics de 1798 a 1803. 24 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. demmeht, et que lui-meme avait deja enregistrees dans son livre sous leur premier nom. En resume, onseraitporteajuger d'une maniere bien severe l'ouvrage de Lacepede, si Ton ne tenait largement compte des circonstances defavorables dans lesquelles il a etc compose. Guvicr, en signalant les erreurs du naturaliste dont il avait ete longtemps le collegue, a insiste en termes eloquents sur ces circonstances vraiment de nature a imposer une grande reserve dans l'appreciation. II est d'ailleurs equitable de constater que des qualites de style ont amene beau- coup de lecteurs a YHistoire des Poissons , et qu'ainsi la vulga- risation de faits interessants y a trouve profit. En meme temps que se poursuivaient sur les Poissons les etudes des caracteres generiques et specifiques, des recherches d'une autre nature se multipliaient. Des investigations anato- miques conduisaient a la connaissance des faits les plus renin r- quables de l'organisation de ces animaux. Plusieurs anatomistcs etudiaient specialement certains points. Reaumur, l'admirablc historien des insectes, s'occupa de I'appareil electrique des Tor- pilles et de la matiere qui colore les ecailles des Ablettes et dont on fait usage pour la confection des fausses perles *. Le grand Haller 2, le savant presque univcrsel, s'efForga de reconnaitre dansl'encephale des Poissons les parties correspondantes a celles du cerveau de riiomme, et 11 examina surtout avec soin la con- formation des yeux. Pierre Camper 3, dont on compte toujours les services rendus a l'anatomie comparee, fournit aussi plu- sieurs observations interessantes. 1 Ren^-Antoine Ferchaud de Reaumur, ne a la Roclielle en i 083, mort a Paris en 1757. — Memoires de V Academic des Sciences, 1714 et 1710. 2 Albert de Haller, ne a Berne en 1708, mort en 1777. 3 Ne a Leyde en 1722, mort a La Haye, en 1789. DE LA RENAISSANCE AU X V 1 1 1 e SIECEE. 25 Jusque-la, les anatomistes restaient toujours strangers aux etudes de ceux qui se proposaient d'ecrire l'histoire des ani- maux, et ces derniers ne portaient aucune attention aux decou- vertes des anatomistes. Le premier, qui tenta de relier les deux ordres de rechcrches appartenant en realite a une science uni- que, fut Vicq-d'Azyr, dont la vie a ete trop courte pour la gloire des sciences naturelles l. Mais Fauteur, qui a eu le merite de devoiler une grande partie des principaux faits de l'organisation interne des Poissons, est Alexandre Monro, professeur de l'Universite d'Edimbourg. Les travaux de ce savant, sur l'appareil digestif, sur l'appareil de la circulation du sang, surle systeme nerveux, sur les organes des sens des Poissons, ont une importance telle, qu'aujourd'hui en- core, les naturalistes sont obliges de les consulter, malgre les nombreuses reclierches anatomiques dont les Poissons ont ete l'objet 2. Des observations plus restreintes sont venues aussi, d'autre part, ajouter bien des renseignements precieux sur la structure de ces etres aquatiques qui representent dans le Regne animal un type parfaitement caracterise. Les organes des sens de ces animaux exciterent a un haut degre l'interet des physiciens et des physiologistes. Antoine Scarpa, le dernier des grands ana- tomistes de l'ltalie, livra les resultats de ses belles etudes sur le sens de l'odorat et sur le sens de l'oui'e. Un professeur de Pa- doue, Gomparetti, s'occupa egalement de l'appareil auditif. En France, Broussonnet traita de la respiration des Poissons, 1 Felix Vicq-dAzyr, ne k Valognes en 174.S,mort en 1794, secretaire perpetuel de E Academic frangaise, membre de l'Academie des sciences. 2 Observations on the structure and functions of the nervous system, fol. Edinburgh, 1783. — The structure and physiology of fishes explained and compared iv iti h those of man and other animals, fol. Edinburgh, 1785. 2(1 HISTOLRE GENERALE DES POISSONS. et cn Italie, l'habile naturaliste, Spallanzani, fit a ce sujjet des experiences des plus remarquables. Si nous voulions enumerer absolument tous les ecrits se rap- portant a notre sujet, qui furent mis au jour pendant le dix- huitieme siecle, il faudrait accumuler encore bien des citations. Aussi nous pensons devoir nous arreter apres avoir signale ce qui se produisit de plus important. Mais un ouvrage d'une valeur scientifique tres-mediocre, re- dige dans un esprit fort different de ceux dont il a ete ici ques- tion, ay ant eu une popularity assez grande, ne pent etre passe sous silence, a cause de son caractere special. C'est le Traite des peches par Duhamel, ou Ton trouve des figures assez exac- tes, ct parfois des renseignements curieux sur les Poissons. Ainsi, quand le dix-huitieme siecle fut acheve, les connais- sances de toute nature, relatives a l'lchthyologie, formaient deja un ensemble imposant. § 4. — Des etudes sur les Poissons, depuis le commencement du dix-neuvieme siecle jusqu'&, la mort de Cuvier en 1832. Des l'origine du dix-neuvieme siecle, la zoologie apparait sous un jour presque entierementnouveau. La scene s'agrandit. Des recherches sur l'organisation de la plupart des grands types du Regne animal sont entreprises ; poursuivies avec ardeur, elles donnent a la science de magnifiques resultats. Les etudes ana- tomiques, entre les mains de plusieurs naturalistes habiles, prennent un caractere d'exactitude, de precision, inconnu aux epoques anterieurcs. II est surtout un signe du temps, essentiel a rappeler; c'est l'idee de la comparaison qui commence a do- miner, et qui sera desormais le guide des investigateurs. Deja, il est vrai, Vicq-d'Azyr avait montre la voie ; l'lionneur d'une COMMENCEMENT DU XIXe SIECEE. 27 conception pleine dc profondenr revient pour uric part impor- tante a ce brillant observateur. Mais e'etait la un fait isole, qui ne devait etre compris que plus tard. Des l'instant ou Ton sen- tit la necessite de determiner d'une fa§on rigoureuse les res- semblances et les differences de toutes les parties de l'organisme des animaux, et d'apprecier ainsi les affinites naturelles, les classifications etaient destinees a acquerir une signification que les premiers methodistes n'avaientpas merae soupxjonnee. Quand Linne et ses successeurs s'efforcaient de caracteriser les genres et les groupes d'un rang plus eleve, leur but principal etait de fournir un moyen rapide et commode pour arriver surement a la determination du genre et de 1 'espe.ee. G'etait dejaun grand but, car, avant Linne, precede par les premieres tentatives de Rai, la zoologie descriptive etait une sorte de chaos rempli de tenebres. Le jour ou un esprit puissant s'est dit : Une classifica- tion zoologique doit etre le tableau de toutes les connaissances acquises sur les animaux, et, dans l'avenir, elle sera l'cxpression fidele de l'ensemble des rapports naturels existant cntre les rc- presentants des divers types, une nouvelle lumi^re a conduit d'un travail presque mecanique a une operation de la plus haute philosophic. Cuvier a une part bien large dans ce mouvement scientifique qui se dessine sur la limite du dix-huitieme et du dix-neuvieme siede. Georges Cuvier : tout le monde connait ce nom, qui re- tentit aux oreilles comme l'une des plus nobles gloires de la France. Cuvier, devenu professeur au Museum d'histoire naturellc l, entreprit de faire, sous le titre alors nouveau • Georges Cuvier, ne a Montbeliard, le 23 aoiit 1769, d'une famille pauvre, pritle gout de l'histoire naturelle des l'age de douze a treize ans, en copiant les figures d'animaux jointes aux ceuvres de Dufl'on, que 2.S HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. de Cours cTanatomie comparee, line exposition des parti- cularities de conformation de tous les appareils organiques chez tons les principaux types dn Regne animal. C 'etait alors possedait un tie ses parents, ministre protestant dans une campagne. Devenu le protege du due Charles de Wurtemberg, il alia terminer ses etudes a 1'Academie de Stuttgart, et se familiariser avec cette langue allemande, qui devait plus tard lui donner tant de facilite pour con- naitre les ecrits' de l'Allemagne, pendant longtemps beaucoup trop negliges en France. Dans cette situation, le jeune homme auquel etait reserve le plus brillant avenir, ne manqua pas de se distinguer dans toutes les branches de l'instruction, tout en continuant a cultiver l'his- toire naturelle. Sur le point d'obtenir un emploi en Allemagne, la posi- tion de sa famille le determina a revenir en France, et bientot a entrer comme precepteur dans une maison particuliere. II arriva ainsi a Caen au mois de juillet 1788, n'ayant pas encore accompli sa dix-neuvieme annee. Tous ses moments de loisir furent consacres a des etudes zoologiques, et en 1791, il adressa au celebre entomologiste Oli- vier, un memoire sur les Cloportes. Neanmoins, sans quelques circon- stances fortuites, un talent destine a s'elevcr au plus haut degre, pou- vait rester a jamais dans l'ombre. Heureusement que la fortune lui procura pour le conduire a la lumiere, la rencontre de bons apprecia- teurs. L'abbe Testier, fuyant la terreur, etait venu a Fecamp prendre l'emploi de medecin en chef de l'hopital de cette ville; ileut l'occasion de connaitre le jeune Cuvier, au moment ou celui-ci traitait pour une place analogue a celle qu'il remplissait depuis 1788, se croyant con- damne pour longtemps a l'existence precaire et subordonnee a laquelle il etait attache. L'abbe Teissier l'engagea a faire un cours de botanique aux eleves de son hopital, et bient6t il parla du jeune professeur dans ses lettres, a de Jussieu et a Geoffroy Saint-Hilaire. Cuvier envoya alors quelques m6moires dont Geoffroy fut enthousiasme, et l'espoir lui ayant et§ donne d'etre choisi comme suppleant du professeur KAnntomie au Museum d'histoire naturelle, il se rendit a Paris. Les premiers temps furent penibles, mais nomme le 2 juillet 1795 au poste qui lui avait ete promis et loge au Jardin des plantes, sa brillante carriere commenga. Sestravaux le grandirent de suite auxyeuxde ses contemporains, d'une fagon qui n'est pas ordinaire. Cuvier fut elu membre de l'lnstitut le 17 decembre 1795, professeur a l'Ecole centrale du Pantheon le 2 Jan- vier 1790, professeur au College de France le 8 Janvier 1800, professeur titulaire au Museum en 1802, secretaire pcrpdtucl de l'Academie des COMMENCEMENT DU XIX* SIECEE. 29 une maniere absolument neuve d'envisager l'etudc des ani- maux. Les lemons du maitre sur les organes du mouvement et sur le systeme nerveux, recueillies par Dumeril, furent pu- blieesen 1800. Duvernoy prit des notes pour les autres sujets et les trois derniers volumes de l'oirvrage, re\us par Cuvier lui- meme, ou il est traite des organes de la digestion, des appareils respiratoire et circulatoire, des organes de la generation, ont t'te mis an jour en 1805 l. Les Lecons d 'anatomic comparec, qui ont ete le point de depart des rechereh.es ulterieures, resu- maient avec une admirable clarte, au grand profit de la marche de la science, a peu pres tous les faits connus au commencement du siecle actuel touchant l'organisation des Poissons. On avait a cette epoque fort peu etudie le squelettc des Pois- sons, mais l'idee des comparaisons, qui commencait a. penetrer dans Tesprit des naturalistes, allait conduire a un genre d'in- vestigations inconnu auparavant. Un professeur de Tubingue, plus tard chancelier de TUniversite de cette ville, Autenrieth, concut la pensee de retrouver dans la charpente osseuse des Poissons les parties correspondantes a celles du squelette des Mammiferes 2. Geoffroy Saint-Hilaire 3 poussa plus loin les re- sciences le 31 Janvier 1803,membre du conseil de l'lnslruclion publi- que en 1808, maitre des requetes en 1813, vice-recteur de l'Academie de Paris en 1815, conseiller d'Etat, membre de l'Academie frangaise en 1819, president du comite de l'lnterieur, chancelier de l'lnstruction publique, membre libre de l'Academie des inscriptions et belles lettres le24 decembre 1830, pairde France en 1831. Cmier est mort le 13 mai 1832. 1 Lecons d 'anatomic comparee, t. I et II, an VIII (1800), t.III,IVetV, 180o. 2 Autenrieth, ne en 1772, mort en 1835. — Bemerkangen iiber den Ban der Scholle {Pleuronectes platessa). — In Wiedemann's Archiv. Bd. I. s. 47 (1800). 3 Etienne-Geoffroy Saint-Hilaire, ne a Etampes le 15 avril 1772, nomme professeur de zoologie au Museum d'histoire par decret de la 30 HI.STOIRE GENERALE DES POISSONS. clierches clans cette direction, et, a partir de l'annee 1807, il donna une suite de memoires sur les os des Poissons compares a ceux des Vertebres superieurs. On ne saurait dire que l'inge- nienx professeur du Museum ait toujours ete heureux dans ses determinations, mais on doit constater qu'il contribua puissam- ment aux progres de la zoologie, en insistant sur des rapports de conformation tres-reels, dont les naturalistes s'etaient a peine occupes avant lui * . Une observation neuve, vraie dans sa generality, une concep- tion hardie, avaient revele que la tete est un assemblage de plu- sieurs vertebres ayant subi un developpement extreme et des modifications tres-prononcees. Ce fait generalement admis de nos jours, dont la demonstration toutefois n'est pas encore four- nie d'une maniere suffisante pour ecarter les discussions, a ete l'origine de travaux d'un grand interet, qui ont contribue aussi a rendre plus exactes les connaissances relatives aux pieces os- scuses des Poissons. Dumeril avait reconnu que l'occipital est constitue a peu pres comme une vertebre ordinaire chez les Reptiles 2. Un philosophe allemand, naturaliste plein d 'imagi- nation, prenaht le plus souvent des reveries pour des realites, ayant parfois des vues qui n'etaient pas sans justesse, des idees qui avaient leur grandeur, Oken 3, qui eut ses admirateurs et convention le 10 juin 1793, membre de la commission des sciences de l'ex:pediiion d'Egypte en 179S, membre de l'lnstitut en 1807, pro- fesseur a la Faculte des sciences en 1809, mort le 19 juin 1844. 1 Voir les Annates du Museum d'/tistoire nalurelle, t. IX, p. 337 et 413 ; t. X, p. 85 et 345, etc. 2 Constant Dumenl, ne a Amiens, le ler Janvier 1774, professeur au Museum d'bistoirc naturelle et a la Faculte de medecine, membre de l'lnstitut en 1816, mort le 14 octobre 1860. 3 Eorenz Oken, n<5 le lcr aout 1779, professeur a Zurich, mort le II aout 1851. COMMENCEMENT DU XIXe SlfiCLE. 31 ses detracteurs, avait etc frappe de la ressemblance do certaines zones du crane avec les vertebrcs, .en considerant nne tetc de chevreuil, depouillee de ses chairs et parfaitement blanch ie, qn'il avait rencontree a ses pieds en errant dans la foret de Hartz. N'est-on pas touche an souvenir de ce penseur qui, dans sa promenade solitaire, ramasse le debris le plus me- prisable en apparence, et sent son esprit saisi d'un trait de lumiere, apres avoir jete les yeux sur l'objet echappe a la destruction l. D'autre part, on poursuivait des recherches sur les parties profondes de l'organisme des Poissons. Biot, notre illustre physicien 2, Configliacchi, de Pavie 3, Humboldt et Provencal 4, faisaient des experiences sur les gaz contenus dans la vessie natatoire. Tiedemann, Tun des premiers zoologistes de l'Alle- magne s, se livrait a des investigations comparatives sur le cceur d'especes assez nombreuses. Des aperQiis generaux sur le meme organe etaient fournis par Dollinger 6. Dans la plupart des classes du Regne animal, il y a des es- peces qui, s'eloignant beaucoup des formes ordinaires, devien- nent pour les naturalistes des sujets de predilection. L 'attention s'est trouvee appelee de la sorte sur les Lamproies qui consti- tuent un type ichthyologique remarquablement degrade. Du- 1 U<:ber die Bedeulung der Schcedelknorhen, 4°, 1807. 2 Ne en 1774, membre de l'Jnsfitut le II avril 1803, professeur au College de France, etc., mort le 3 fevrier 1862. — Memoires de la Societe d'Arcueil, t. I, p. 252, 1807, et t. II, p. 487. 3 SuW analisedeW aria contenuta nella vesica nataloria, 4°. Pavie, 1800. 4 Memoires de la Societe d'Arcueil, t. II, p. 359, 1809. 5 Friedrich Tiedemann, ne en 1781, successivement professeur a Landshut et a Heidelberg, mort a Munich, en 1800. 6 Annalen der Weteravisch-Gesellschaft, Bd. II, s. 311, 1811. 32 IIISTOIRE GENERALE DES POISSONS. meril a examine 1 'organisation de la grandc Lamproie *, etquel- qnes annees plus tard, un savant zoologiste de l'Allemagne, Rathke, a repris la meme etude stir la petite Lamproie de ri- \iere '2. Le cerveau des Poissons n'avait encore ete observe que d'une maniere assez superficielle, lorsqu'en 1813, un medecin grec, Arsaky, donnant des descriptions et des figures exactes de l'en- cephale de plusieurs especes, emit des vues neuves sur les ana- logies des parties qui le composent, avec celles du cerveau des Vertebres superieurs 3. Du premier coup, Arsaky se montra heureux dans ses determinations des lobes de l'encephale des Poissons. Get auteur a ete discute, critique par une foule d'ana- tomistes, et apres les nombreuses contradictions venues de tous cotes, on en est arrive a penser qu'il avait plus approche de la verite que ses contradicteurs. Cependant la conformation si curieuse du squelette conti- nuait surtout a exciter au plus haut degre l'interet des anato- mistes. Un auteur allemand, Rosenthal 4, chercha d'abord a iaire connaitre exactement les os de la tete, et donna plus tard un atlas contenant la representation du systeme osseux tout entier de beaucoup d'especes chez lesquelles on ne l'avait pas encore examine. Depuis que l'existcnce d'une sorte d'unite de plan fondamental, dans la constitution de la charpente osseuse de tous les animaux vertebres avait ete constatec, chacun s'ef- for^ait de retrouver chez les Poissons les pieces de la tete hu- maine; mais les divisions multipliees de plusieurs os, des deve- 1 Dissertation sur les Poissons qui se rapprochent le plus des animaux sans vertebres, 4°. Paris, 1812. 2 Meckel's Archiv fur physiologic, Bd. VIII, s. 4o, 1823. :i De Piscium cerebro et medulla spinali, Halle, 1813. 4 Mort en 1820. — Rett's Archiv fitr physiologie, Bd. X, s. 340, 181 1. COMMENCEMENT DC XIXe SIECLE. 33 loppements particuliers, des ehangements considerables dans les formes et parfois dans les rapports de certaines pieces, dns a des adaptations biologiques speciales, rendant beaucoup de determinations fort difficiles, des opinions estranges et absolu- ment contradictoires surgissaient en foule. Geoffroy Saint-Hi- laire, qui le premier s'etait vaillammcnt engage dans cette voie, poursuivait son ceuvre sans relache, sous l'empire de son idee preconcue, et s'enthousiasmait lorsqu'il etonnait le monde sa- vant par les assertions les plus aventureuses, comme si la lu- miere d'en haut l'avait penetre l. II s'inquietait, en effet, assez mediocrement de justifier ses opinions, meme lorsqu'il annon- Qait, par exemple, que les opercules des Poissons, ces lames destinees a la protection de l'appareil branchial, sont les osse- lets de l'oreille des Vertebres superieurs , estrangement mo- difies et detournes de leurs usages, de leurs relations ordinaires. En presence d'assertions dont la hardiesse etait extreme, puis- qu'elles ne s'appuyaient en aucune fagon sur des decouvertes resultant d'observations patientes et bien suivies, les anato- mistes reprenaient les questions presque avec acharnement. C'etait Cuvier, c'etait, en Allemagne, Bojanus, Spix, d'autres encore, qui, par la diversite des resultats de leurs recherches, montraient ce que le sujet presentait de difficultes. On ne s'en tenait pas heureusement a ces seule*s considera- tions relatives a l'osteologie. Un auteur anglais, auquel on aurait reconnu davantage quelque merite, si son honorabilite person- nels avait ete irreprochable, sir Everard Home, a donne, de 1814 a 1828, une suite de memoires sur differentes parties de l'organisation des animaux, entre autres des descriptions et des 1 PJtilosophie anatomique, 1 8 i 8 . — Memoiies du Museum, t. IX et X. — Annates des Scie?ices naturelles, 1824, etc. Blanchard. 3 34 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. figures dc l'appareil alimentaire d'un assez grand nombre de Poissons, et des observations plus ou moins etendues sur leurs autres visceres 4. Mais c'est surtout a Henri Ratlike que la science est redevable des recherches les plus importantes sur l'appareil digestif et les organes de la reproduction des princi- paux representants de cette classe du Regne animal, ainsi que sur le foie, l'oreillette du cceur, etc. 2. Des observations sur quelques points du systeme nerveux par le professeur Weber 3 ; des recherches sur le meme appareil organique, et en particulier surl'encephale, dues a M. Serres *, a Magendie et Desmoulins 5 ; une etude comparative de l'ceil par Sommering 6 ; d'autres investigations encore, portant sur des points spcciaux de l'organisme des Poissons, enrichissaient l'lchthyologie de la connaissance dc faits precis. Dans le meme temps, de nouvelles etudes osteologiques etaient mises an jour par deux savants hollandais, Van der Hoeven 7 et Bakker 8. M. Cams, de Dresde, publiait un atlas remarquable contenant des figures des principaux organes des Poissons 9. 1 Everard Home, ne en 1756, mort en 1832. — Lectures on comparative Anatomy. 2 Martin Heinricli Rathke, ne en 1793, professeur a Kcenigsberg, morl en 1860. — M&moires de la Societe des naturalistes de Dantzig, t. I, 1824. — Meckel's Archiv fur Anatomie und Physiologic, 1826, et Annates des Sciences naturelles, t. IX, 1826. 3 Anatomia comparata nervi sympathici, in-8°. Leipzig, 1817. * Anatomie comparee du cerveau dans les quatre classes d'animaux verte- bras, t. I, 1824. 5 Anatomie du systeme nerveux des animaux a vertebres, 182o. 6 Le oculorum hominis animaliumque sectione horizontali Commcnlatio, in-fol. Gottingen, 1818. 7 DisserlaliophilosophicauiayguralisdesceletoPiscium,in-80.Lcydc, 1822. 8 Osteographia Piscium, in-8°. Groningue, 1822. 9 Tabulae anatomiam comparatam illustrantes, 1828- i Si.'). COMMENCEMENT DL XlXe SIECLE. 35 D'un autre cote, de 1821 a 1828, un anatomiste celebre de l'Allemagne, Meckel, dont l'ouvrage a ete traduit en fran- gais, s'attachait a resumer dans un traite d'anatomie comparee ce qui etait acquis a la science relativement a l'organisation des animaux par tous les travaux executes depuis la publication de l'oirvrage de Cuvier, qu'il avait pris pour modele, sans manquer d'y joindre ce qu'il devaita sespropres observations1. Les premiers qui abordent un sujet se contentent en general de l'examen des choses les plus apparentes ; mais lorsque le sujet a ete etudie dans le plus grand nombre de ses parties, ce que Ton a neglige d'explorera cause d'une difficulte exceptionnelle, seduit par l'espoir de decouvertes importantes ceux qui viennent les derniers. On etait arrive a connaitre deja d'une maniere assez satisfaisante les differents appareils organiques des Pois- sons, et Ton ne savait presque rien touchant leurs vaisseaux lymphatiques. Un habile anatomiste, Fohmann, combla cette lacune en homme de talent 2. La theorie de la constitution du squelette, contre laquelle ve- naient se briser tant d'eflbrts, ne pouvait cesser^d'inqui^ter les naturalistes. En 1828, le professeur Cams exposait a cet ^gard ses vues particulieres, vues assez eloignees de celles de sespre- decesseurs 3. Bien d'autres tentatives du meme genre se pro- duiront dans la suite, et la question restera neanmoins toujours susceptible d'etre discutee. Une foule de notions importantes sur l'organisation des Pois- J. F. Meckel, professeur & Halle, mort en 1833. — Traile general d'anatomie comparee, 1828-1838. 2 Fohmann, ne en 1794, mort en 1837. — Systeme lymphatique dans les animaux verlebres, in-fol. Leipzig et Heidelberg, 1827. 3 Ueber die Urlhellen des Knochen-und Schakngerustes, in-fol. Leipzig, 1828. 36 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. sons avaient ete ainsi acquises successivement, ct ces notions aUaient permettre aux zoologistes de mienx apprecier les formes typiques et les rapports naturels d'etres dont la diversity est extreme. On en etait venu a envisager l'etude des animanx sons les points de vne les plus eleves. Les classifications, les descriptions des formes exterieures des especes, les details sur leur sejour habituel, n'etaient plus desormais l'histoire des ani- maux, si les caracteres organiques n'etaient particulierement pris en consideration. Pendant la premiere periode du siecle actuel, pendant que les anatomistes executaient ces laborieuses recherches qui dans un tres-court espace de temps avaient change la face d'une science; des voyageurs exploraient la plupart des regions du monde, enrichissant les musees de leurs abondantes recoltes et etendant de la sorte, dans des proportions enormes, le dc- maine de l'lchthyologie. Mais les resultats de ces lointaines ex- plorations n'etant pas de ceux qui ont profite au sujet restreint dont nous avons a nous occuper dans ce lixre, nous de\ons re- noncer a en faire l'enumeration. Durant une suite d'annees assez longue, les observations sur les Poissons d'Europe, et en particulier sur ceux des eaux douces, devinrent assez rares. Neanmoins, en Angleterre, Donovan avait publie une histoire des Poissons de la Grande-Bretagne, un naturaliste de Geneve, Jnrine, une histoire des Poissons du lac Leman,madame Bow- dich, un ouvrage sur les Poissons d'eau douce de T Angleterre. Les travaux qui avaient revele de nombreux faits touchant la conformation interieure des Poissons, permettant de mieux sai- sir les rapports naturels, les degres de parente existant entre ces etres, le desir de presenter de meilleures classifications que celles des auteurs du dix-huitieme siecle, ne pouvait manquer COMMENCEMENT DU XIXe SIECLE. 37 de se produire. On ne tira pas cependant, de suite, tout le parti possible de cet avantage. Dumeril avait surtout tente de dormer la clarte a la classification de Lacepede et avait imagine, pour les ordres et les families, une nomenclature dont il est reste le possesseur. Un zoologiste, Francais d'origine, devenu Sicilien, Rafmesque *, avait modifie a certains egards et sans trop de bonheur, les groupements de Lacepede. De Blainville, soiwent heureux appreciateur des affmites zoologiques, avait propose aussi une classification des Poissons, mais ce n'est pas dans ce travail cpi'il eut le plus de succes. L'idee principale consistait dans la caracterisation d'apres le mode d'implantation des dents, des deux grandes divisions primaires qui correspondent aux osseux et aux cartilagineux des precedents auteurs. Cuvier connaissait deja beaucoup mieux son sujet que ses contempo- rains, lorsqueen 1817, il publia son Regne animal ; aussi, per- fectionna-t-il d'une maniere tres-sensible les circonscriptions et les caracterisations des differents groupes. Enfin, de nou- veauxessais, entrepris dans le meme but, par Goldfuss 2, par Risso de Nice 3, furent sans influence sur la marche de la science, parce que ces auteurs n'etaient pas suffisamment eclai- res sur tous les points de la structure des etres qu'ils s'effor- caient de classer, parce que, tres-preoccupes d'introduirc des noms nouveaux, en general fort inutiles, ils n'etaient pas guides par des vues d'un ordre bien elev6. Une phase nouvelle se dessine pour l'lchthyologie ; phase marquee par l'apparition en 1828, des premiers volumes d'une 1 Mort aux Etats-Unis, en 1840. 2 Ne en 1782, professeur a l'Universite de Bonn, mort en 1848. — Handbuch der Zoologie, Bd. II, 1820. 3 Ne en 1777, mort en 184S. 38 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. histoire generate dcs Poissons de Cuvier qui, pour l'execution d'une CBiivre aussi vaste, s'est adjoint comme collaborateur un savant zoologiste, M. Valenciennes. Le plan de rouvrage est trace d'une maniere large, dignede l'homme eminent qui l'a congu. II s'agissait de faire connaitre avec la plus rigoureuse precision tons les Poissons recueillis, deja a cette epoque, en nombre immense par le monde entier. Les auteurs se proposaient ainsi de donner des descriptions de- taillees de Fensemble des caracte-res exterieurs des especes, des indications surles particularites les plus remarquables de leurs organes internes, des apercus sur leurs habitudes, sur leur dis- tribution geographique, sur les ressources qu'elles fournissent aux populations comme denree alimentaire, cnfm, des rensei- gnements sur les ecrits concernant les Poissons qui avaientdeja ete enregistres dans les inventaires de la nature. Cuvier, cet esprit toujours attache a la poursuite de la verite et de la clarte clans l'exposition, regardait comme particulierement essentiel, la definition nette des genres, des families, des ordres, par des caracteres veritablement communs a tous leurs representants. G'etait la une preoccupation bien serieuse quant a ses resul- tats; car trop souvent, la caracteristique des groupes avait ete donnee d'apres quelques especes, parfois d'apres une seule, et Ton pouvait ensuite s'etonner de voir placees dans le meme groupe des especes auxquelles la caracteristique assignee ne convenait en aucune fagon. Ge plan eut aussitot un tres-beau commencement de reali- sation. Cuvier n'avait pas entendu traiter d'une classe d'ani- maux, sans avoir fait une etude approfondie de l'organisation de ces memesanimaux ; aussi, le premier volume del'ouvrage qui debute par une histoire de richthyologie est-il en grande partie COMMENCEMENT DU XIXe SIECLE. 39 consacre a une exposition des caracteres anatomiques des Pois- sons ou la Perche fluviatile est choisie corame exemple. Deux parties dune meme science, la zoologie descriptive et l'anato- mie, ayant aux epoques precedentes sum leur voie particu- liere, presque sans se toucher, etaient venues se confondre. On ne cessera jamais d'admirer Guvier pour la part immense qu'il a prise dans ce mouvement. I/Histoire naturelle des Poissons de MM. Guvier et Valen- ciennes etait parvenue au huitieme volume, lorsque notre grand naturaliste mourut en 1832. Son collaborateur continua le tra- vail qui etait en pleine voie d'execution. Pendant dix-sept an- nees, il employa tous ses efforts a le conduire a bonne fin ; malheureusement des circonstances vinrent l'arreter en 1849, de sorte que l'ouvrage est demeure inacheve 1 . Le progres que Guvier a fait faire a l'lchthyologie ; 1'influence que ses travaux relatifs a cette partie de la science ont exercee sur la direction des etudes ulterieures, sont immenses. Sa classifi- cation, son apercu general de l'organisation des Poissons, ont ete le point de depart des recherches qui se sont produites en si grand nombre depuis trente-cinq ans. Sa classification est loin d'etre parfaite; personnen'en etait mieux persuade que lui-meme, mais elle marque une ameliora- tion prodigieuse sur celles qui l'avaient precedee, car on y trouve, pour la premiere fois, une definition precise des grou- pes. Ses investigations anatomiques ne s'etendent pas sans doute a tous les details, mais elles forment deja un ensemble fort remarquable, ou Ton admire encore ce caractere de pre- cision, de clarte, qui se montre a un si haut degre dans toutes 1 Vingt-deux volumes de cet ouvrage ont ainsi ete publies de 1828 a 1849. 40 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. les ceuvres du grand naturaliste. Dans 1'impossibilite d'etudier tout l'organisme chez beaucoup d'especes ; pour atteindre plus surement son but, il avait choisi un type en particulier (la Per- che de riviere), afinde pouvoir decrire tous les organes dans le ratoe animal et employer ses observations moins completes sur les autres representants de la classe, a fournir des termes de comparaison. A ce tableau, il faut aj outer que les descriptions exactes de YHistoire naturelle des Poissons, avancerent considerable- ment la connaissance des especes de toutes les regions du monde. La part de Cuvier dans le developpcment de cette science qu'on appelle l'lchthyologie, a done en realite une im- portance hors ligne. § 5. — Des etudes sur les Poissons depuis la mort de Cuvier jusqu'au moment actuel. Les travaux sur les Poissons se sont singulierement multi- plies durant la periode qui s'etend de l'epoque de la mort de Cuvier an moment actuel. Nous n'entreprendrons pas d'en faire Enumeration complete ; un grand nombre de ces travaux portant sur des points tres-speciaux peuvent etre negliges dans un simple apercu historique. II nous suffira de donner une idee des recherches qui ont eu pour resultats, soit des vues particu- lieres d'une certaine portee, soit la connaissance de faits nou- veaux. Depuis un temps qui n'est pas encore fort eloigne, on a fait de grands efforts pour decouvrir, a l'aide du microscope, la structure intime de la plupart des tissus organiques. Les tegu- ments des Poissons et particulierement leurs ecailles, sont ainsi SECONDE PERIODE DU XIXe SIECLE. 41 devenus le sujet des investigations de MM. Agassiz l, Mandl 2, Peters 3, etc. De nouvelles recherches sur l'osteologie des Poissons ont etc entreprises ; de nouvelles appreciations relatives a la constitu- tion du squelette de ces animaux ont ete produites, par Hall- mann 4, Reichert 5, Kostlin 6, en Allemagne ; Jacobson 7, en Suede ; M. Hollard 8, en France. Le plus eminent zoologiste de l'Angleterre, M. Richard Owen, a contribue d'une maniere bien sensible auxprogres de l'lchthyologie. Par ses grands travaux sur la composition fon- damentale du squelette des animaux vertebres, ce savant a reussi a faire apprecier exactement la nature de certaines pieces de la charpente solide des Poissons, et al'egard du mode de cons- titution des vertebres de la tete osseuse, il nous parait avoir plus approche de la verite que les autres naturalistes qui ont traite le meme sujet 9. Par de belles recherches sur la struc- ture des dents, M. Owen a mis en lumiere une foule de faits 1 Recherche* sur les Poissons fossil.es et Annales des Sciences natu. elks, 2e serie, t. XIII, p. 58, et t. XIV, p. 97. 1840. 2 Annales des Sciences naturelles, 2e s6rie, t. XII, p. 337; t. XII, p. 62. 1839-1840. 3 Miiller's Archiv fur Anatomie und Physiologie, p. 119. 1841. 4 Vergleichende Osteologie des Schlwfenbeines. Hanovre, 1837. 5 Vergleich. Entwickelungsgeschichte des Kopfes der nachten Reptilien. Konigsberg, 1838. 6 Der Bau des Knbchernen Kopfes in den vier Klassen der Wirbelthiere, Stuttgart, 1844. 1 Forhandlingar vid de Skandinaviske Natur for shames, 1842, et Miiller's Archiv, 1844, p. 36. 8 Annales des Sciences naturelles, t. XX, p. 71, 1853 ; t. VII, p. 121, 1857; I. VIII, p. 27o, 1857; t. XIII, p. 1, 1860; t. II, p. 5 et 242, 1864. 9 Voir surtout Principes d' anatomie comparec on Recherches sur T Arche- type. Paris, 1855. 42 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. precieux pour la science, car ils revelent, pour les especes de chaque groupe, des particularites utiles, soit pour les distinc- tions entre les divisions zoologiques, soit pour la determination des especes fossiles l. L'etude du systeme nerveux des Poissons n'a pas cesse d'etre poursuivie, sans cependant avoir encore a beaucoup pres fourni tons les resultats les plus desirables sur ce point. On pent citer plus specialement des observations importantes sur le cerveau, dues a un naturaliste danois, M. Gottsche 2, des recherches assez considerables de M. Stannius, le professeur de l'univer- site de Rostock 3, des investigations sur la structure de la moelle epiniere par M. Owsjannikow 4. Les organes des sens ont aussi ete examines sous certains rapports avec plus de soin qu'on ne l'avaitfait anterieurement, par Breschet, Krieger, Steifensand, Gottsche, etc. De nombreux details sur l'appareil alimentaire ont ete con- signee par M. Valenciennes, par MM. Brandt et Ratzeburg 5, sur les differcntes glandes par Rathke 6, par Steenstra Tous- saint 7, par M. Hyrtl 8. L'appareil respiratoire des Poissons, si remarquable par sa structure, si interessant dans ses modifications suivant les types, 1 Odontography. London, 1840. 2 Muller's Archiv, 1835, p. 244 et 433. 3 Das peripherische Nervensystem der Fische. Rostock, 1849. 4 Disquisidones anatomical de medulla spinalis texturu imprimis in Pis- ribus. Dorpat, 1854. 3 J. F. Brandt et Ratzeburg, Medizinische Zoologie. Berlin, 1820-33, 2 vol. in-4. 6 Midler's Archiv, 1837. 7 Descriplio anatomica organorum urinam secerncntium in Piscibus. (ironingue, 1834. 8 Memoiresde VAcademie de Vienne, I. I, 18o0, t. II, ISo2; t. VIII, 1854. SECONDE PERIODE DU XIXe SIECLE. 4:} a donne lieu a divers travaux importants, parmi lesquels se dis- tinguent ceux de Rathke l, de M. Lereboullet 2, d'Alessan- drini 3, de M. Williams 4. Surla vessie natatoire, on a acquis beaucoup de notions nou- vclles depuis une trentaine d'annees. Au point de \ue de la con- formation organique, on pourrait citer des observations nora- breuses 5 ; au point de vue physiologique, lesresultats des expe- riences de M. Armand Moreau 6. Pour l'appareil de la circulation du sang, des investigations en general limitees a certaines parties ont ete faites chez differents types de la classe des Poissons 7. Les recherches sur l'ensemble de rorganisation d'un type, reclamantun labeur immense, se produisent toujours en nom- bre beaucoup plus restreint que les etudes ayant pour objet soit un seul organe, soit un seul appareil organique ; cependant nous avons a mentionner comme exemple de ces investigations generates, l'anatomie des Salmones par MM. Vogt et Agassiz 8. Ce n'est pas tout encore. II est un magnifique faisceau de connaissances sur l'organisation des Poissons que Ton doit a un 1 Anatomisch-philosophische Untersuchungen fiber den Kiemenapparat und das zungenbein der Wirbelthiere. Riga, 1832. 2 Anatomie de l'appareil respiratoire dans les animaux vertebres. 1838. 3 Commentaliones Academics scientiarum Instituti Bononiensis, t. HI, p. 363. 1839. * Todd's Cyclopedia of Anatomy and Physiology. Supplement, p. 286. 5 Voir Jacobi, Dissertatio de vesica aerea Piscium. Berolini, 1840. 6 Comptes rendus de I'Academie des Sciences, t. LVI, p. 629. 1863. 7 Duvernoy, Annates des Sciences nature lies , 2e serie, t. VIII, p. 315. 1837. — Hyrtl, Medicinische Jarhbucher des ostreischischen Staates, t. XV. 1838. — Briieke, Denkschriften der Akademie der Wissenschaften zu Wien, t. III. 1852, etc. 8 Memoires de la Societe des Sciences naturelles de Neufchdtel, t. III. 1845. 44 IIIST01RE GEXERALE DES POISSONS. auteur moderne, Jean Miiller, le celebre professeur de Berlin l. Les travaux de ce naturaliste, executes avec line perfection peu ordinaire, portent l'empreinte d'une haute conception. On y remarque dans l'exposition, une clarte et une precision gu'on trouve rareraent dans les ceuvres des savants de l'Allemagne. J. Miiller, ne a Goblentz, parait avoir senti de pres le souffle qui \ient d'Occident. On le voit a differentes epoques de sa vie mo- difier la direction de ses etudes, appreciant avec une rare saga- cite de quel cote il est le plus utile de se porter [pour realiser un progres. Adonne plus specialement a la physiologie de l'liomme, pendant ses jeunes annees, J. Miiller mettra au jour un Traite de physiologie qui compte parmi les livres les plus re- commandables 2. Le champ restreint oul'on peut experimenter pour reconnaitre directement les fonctions des organes, en agis- sant sur un petit nombre d'especes, semble lui avoir bientot paru etroit. II ne tarde pas a se consacrer entierement a des inves- tigations approfondies sur l'organisation des animaux les plus curieux, sur le developpement de certains types remarquable- ment caracterises. Mais nous n'avons pas a examiner ici le brillant ensemble des travaux de l'eminent naturaliste ; nous devons indiquer seulement la part considerable qu'il a prise aux progres de l'lchthyologie. Pour cette partie de la Zoologie, J. Miiller a enrichi la science de l'une des plus belles monographies qui aient jamais ete exe- cutees. Le type choisi est un animal marin (le Myxine gluti- 1 Jean Miiller, ne a Coblentz, le 14 juillet 1801, professeur d'ana- tc-mie et de physiologic a l'Universite de Berlin, membre de l'Acade- mie royalc des Sciences de cette ville, correspondant de l'Institut de France, etc., mort a Berlin, le 28 avril 18o8. 2 Miiller, Manuel de physiologie, traduit de l'allemand, par A. J. L. Jourdan, 2e edition. Paris, 18ol. SECONDE PERIODE DU XIXe SIECLE. 43 nosci) appartenant a la meme grande division naturelle que les Lamproies, et l'etude de ce type est accompagnee de no-m- breuses observations destinees a fournir des termes de compa- raison qui ont eclaire plusieurs points de la structure des prin- cipaux representants de la classe des Poissons, en meme temps qu'ils ont donne a l'auteur le moyen de s'elever a des conside- rations generales l. Les recherches de J. Miillersesont etendues, en outre, aux reseaux admirables, arteriels et veineux, do l'organe hepatique du Thon 2, a l'organisation et aux fonctions des fausses bran- chies 3, a la vessie natatoire *, aux organes sexuels des Plagio- stomes 5, a l'organisation des Gano'ides 6, a la voix des Pois- sons 7, etc. Nous avons deja eu l'occasion de voir que des etres d'une organisation tres-speciale excitentd'ordinaire au plus haut degre l'interet des investigateurs qui esperent a bon droit y trouver un champ de decouvertes. De nouveaux exemples sont a citer. II y a de vingt a vingt-cinq ans, un type ayant a la fois des bran- chies comme un Poisson, et des poumons comme un Batracien, etablissant ainsi un lien veritable entre deux classes d'animaux 1 Analomie der Myxinoiden, etc., in Physikalische Abhandlungen der I\ oniqlichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin (Mem. de I'Academie des Sciences de Berlin), pour 1834, 1836, 1837, 1838, 1830, 1843 et 1843. 2 Memoires de I'Academie de Berlin pour 1835 et 1837, encommun avec Eschricht. 3 Cuuiptes rendas de I'Academie des Sciences, t. X, p. 422, 1840, et Mut- ter's Arrhiv, 1841, p. 263. 4 Miiller's Archiv, 1842, p. 307. 5 Ibid.,]). 414. 6 Memoires de I'Academie de Berlin pour 1844, p. 117. 1846. 7 Mutter's Archiv, 1857, p. 219. 40 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. \ertebres, le genre Lepidosiren l, devint le sujet d'etudes par- ticulieres de la part de M. Owen de Londres2, de M. Bischoff de Munich 3, de M. Peters de Berlin *, de M. Hyrtl de Vienne 5. D'autre part, nn Poisson d'une organisation relativement si imparfaite, que Pallas, 1'un des plus savants zoologistes du sieele dernier, l'avait pris pour une limace, avait ete recemment observe, apres etre reste longtemps completement oublie des naturalistes. Get animal, connu sous le nom d'Amphioxus, a ete l'objet des reeherches successives de M. Costa a Naples, de Yarrell et de M. Goodsir en Angleterre, de M. Retzius en Suede, de Rathke, de JeanMiiller, de Kollikeren Allemagne, de M. de Ouatrefages en France 6, d'autres encore. Une des yoies les plus profitables a la science dans lesquelles se soient engages les naturalistes du dix-neuvieme sieele est l'etude du developpement embryonnaire. Ces etudes, toujours fort longues et souvent fort difficiles, ont donne des resultats d'une haute importance au point de vue de la physiologie gene- rale comme au point de vue de la philosophie de la science. Elles ont deja fourni sur les relations naturelles des animaux, des lu- mieres qui n'avaient pas ete obtenues par les reeherches sur les 1 Les Lepidosirens regardes comme appartenant a la classe des Batra- ciens, par plusieurs naturalistes, sont aujourd'hui consideres comme dos Poissons par le plus grand nombre des zoologistes. 2 Transactions of the Linnean Society. 1839. :i Lepidosiren paradoxa, Anatomisch unlersucht nnd beschrieben , in-4°. Leipzig, LS40. ' * Midler's Archiv, p. i, 1845. :i Lepidosiren paradoxa, Monographic, in-4°. Prague, 1845. ,; Voir le Meaioire de M. de Quatrefages qui eontient une 6numera- tion des travaux anterieurs. — Annates des Sciences naturelles, 2e serie, t. IV, p. 107. 1845, SECONDE PERIOD! Dli MX« SlECLE. 47 adultes. Par suite de la constatation de ce grand fait, quo les etres se ressemblent d'autant plus que leur developpement est moins avancc, on a pu saisir des rapports evidents entre des types que Ton pensait etre extremement eloignes par les ca- racteres de leur organisation. Cette voie d'investigation deja si feconde, qui sans aucun doute deviendra bien plus feconde encore dans l'avenir, com- mence a etre ouverte, de la maniere la plus brillante, par un professeur depuis longtemps celebre de l'Universite de Saint- Petersbourg, M. Baer, et suivie aussitot avec un grand succes par Rathke, l'habile naturaliste de Konigsberg dont le nom a deja etc cite dans cet aperc,u historique. Les travaux particuliers sur le developpement embryonnaire des Poissons se sont succede rapidement depuis trente-cinq ans, de sorte qu'ils sont aujourd'hui assez nombreux. Nous mentionnerons ceux de Rathke *, de Baer 2, de Rusconi 3, de M. de Filippi \ de M. Vogt 5, de Valentin6, de M. Lereboullet 7. i Entivickelungsgeichichte der Haifische und Rochen. Schriften der natur- forschenden Gesellschaft, in Danzig. Bd. II, 1827. 2 Untcrsurhungen fiber die Entwickelungsgeschichte der Fische, in-4°. Leipzig, 1833. 3Miiller's Archiv, 1836, p. 278. 1 Memoria sullo sviluppo del Ghiozzo d'acqua dolre. Milano, 1840. — Giornale del Istituto lombardo, t. VI, 1845. — Annates des Sciences natu- relles, 3e serie, t. VIII, p. 117, 1847, etc. 5 Embryologie des Salmones, in Histoire naturelle des Poissons d'eau douce de V Europe centrale, par Agassiz. Neufchatel, 1842. 6 Siebold und Kolliker's Zeitschrift fur Wissenschaftliehe Zoologie, Bd. II, s. 257. 1850. 7 Recherches d' embryologie comparee sur le developpement du Brocket, de la Percheet-de I'Ecrevisse, in-4°, 1862 {Mem. des Savants elrangersd I' Aca- demic des Sciences, 1862), et Recherches sur le developpement de la Truite, du Lizard et duLimnee, in-8°, 1863. — Annates des Sciences naturelles. 48 HISTOIRE GfiXERALE DES POISSONS. Ne pouvant faire ici remuneration complete de tons les tra- vaux plus on moins importants qui, depuis trcnte annees, ont amene la conuaissance d'une foule de details relatifs a l'organi- sation des Poissons, nous indiquerons enfin les ouvrages ou Ton trouveles citations toujours si necessairespour ceux qui, voulant s'engager dans la voie des recherches, ontbesoin de savoirde la facon la plus exacte ce qui est deja acquis a la science. Pour ce qui concerne seulement la conformation des organes, le Manuel d'anatomie comparee de M. Stannius est fort utile a consulter pour les renseignements bibliographiques l. Mais au-dessus de tout, il y a le grand ouvrage de notre illustre zoo- logiste, M. Milne Edwards, qui sera pendant longtemps bien precieux pour les hommes d'etude 2. M. Milne Edwards, resu- mant avec l'habilete consommee et la justesse d'appreciation d'un veritable maitre de la science, ce que Ton possede actuel- lement de connaissances sur les organes des etres et sur les fonctions de ces organes, a pris soin de citer en detail, avec la plus scrupuleuse exactitude, absolument tons les eerits ou Ton rencontre quelque observation originale, quelque opinion d'une certaine portee. A cote des travaux relatifs a l'organisation et an developpe- ment des Poissons vivants, il s'en est produit d'autres sur les Poissons des epoques geologiques. Une des conquetes les plus brillantes pour les sciences natu- relles, accomplie pendant la premiere periode du dix-neuvieme 1 Stannius unci Siebold, Lehrbuch der vergleichenden Analomie. Ylev- lin, 1846-48. Manuel d'anatomie comparee, traduit de l'allemand, par MM. Spring et Lacordaire. 3 vol. Handbuch der Zootomie. Berlin, 1854. 2 Milne Edwards, Lccons sur la physiologie et Vanalomie comparee de r/wmmc et des animaux. Paris, 1857-65. T. 1 a VIII. SECONDE PEHIODE D U XlXe SIECLE. 49 siecle, est celle qui a procure cet admirable faisceau de connais- sances sur les etres qui vivaient aux epoques antericures a celle du monde actuel. Guvier, ce fondateur de la paleontologie, avait, par ses savantes etudes, fait revivre en quelque sorte, une foule des especes appartenant aux premiers ages de la terre ; mais, dans cet immense travail, notre grand zoologiste n'avait pu parcourir en entierla carriere qu'il avait mesuree du regard, en tragant le plan d'une ceuvre gigantesque. II s'etait arrete, apres avoir execute une serie magnifique de memoires sur les Mammiferes et sur les Reptiles. Les Poissons restaient a etudier, et Ton savait que leurs debris etaient en nombre fort considerable dans diverses couches de la terre. Un naturaliste, qui s'est acquis a juste titre une haute reputation, M. Agassiz, congut la pensee de completer l'ceuvre de Guvier par l'etude des Poissons fos- siles. Les travaux de M. Agassiz, avec l'interet attache a la constatation des formes ichthyologiques qui avaient existe aux differentes periodes geologiques, devaient conduire a perfection- ner la science entiere a l'egard des Poissons. Ge qui a echappe a la destruction, ce sont des os on leurs empreintes, des dents, des ecailles on des pieces cutances ossifiees. La comparaison de ces parties ne pouvait manquer dejeter dujour sur les rela- tions naturelles des types et d'amener la connaissance de formes particulieres n'ayant plus de rcpresentants dans le monde ac- tuel, capables ainsi de fournir des elements propres a eclaircr sur la nature de certaincs modifications dans les caracteres de plnsieurs groupes de Poissons. G'estde la sorte que les recher- ches de M. x\gassiz ont revele l'existence, aux epoques geolo- giques, de nombreux Poissons (les Ganoi'dcs) seulement reprc- sentes dans nos faunes actuelles par quelques especes isolees. G'est dela sorte que M. Agassiz, ayant recours, pour la deter- Cl.ANCIIAKD. 4 :;0 IIISTOIRE GENERALE DES POISSONS. mination des esp&ces fossiles, aux ecailles, fut conduit a exami- ner ces pieces dont on s'etait trop pen occupe avant lui, a montrer le parti avantageux que la Zoologie et la Paleontologie pouvaicnt en tirer, en exagerant neanmoins l'importance des caractercs fournis par ces organes * . Des travaux particuliers ont ete publies d'autre part sur les Poissons fossiles, par M. Pictet, de Geneve, M. Troschel, lepro- fesseur de l'Universite de Bonn, Heckel dc Vienne, M. Leidy de Philadelphie, Andreas Wagner de Munich, etc. Tant de recherches sur l'organisation des animaux d'une classe entiere ; tant d'etudes sur les especes eteintes appartenant a cette meme classe, devaient faire surgir bien des vues noiivelles sur la classification. Les vues les plus importantes a cet egard, produites dans la science depuis la mort de Guvier, sont dues encore a M. Agassiz 2 et a Jean Miiller a. Pendant la periode comprenant les trente dernieres annees ecoulees, de nombreux zoologistes se sont attaches avec predi- lection a decrire exactement les Poissons des differentes regions du globe. La liste des travaux de ce genre est immense etne sauraitici trouver sa place. Nous devons nous borner amen- tionner les ecrits ayant pour but de faire connaitre la faune de diverses regions de la France et les faunes de certaines parties de l'Europe qui ressemblent trop a celle de notre pays pour qu'on puisse s'occuper de l'une sans s'occuper des autres. Dans nos departements, plusieurs naturalistes ont dresse I'inyentaire des animaux de leur contree. i Recherches sur les Poisso7is fossiles. Neufchatel, 1833-45, 5 vol. in-4 et Atlas de 394 pi.] 2 TheEdinburg's new philosophical Journal, vol. XVIII, p. 176. 1834-3o. 3 Annates des Sciences naturelles, 3e s6rie, t. IV, p. I. 1845. SECONDE PERIODE DC XIX" SIECEE. .11 Vallot, de Dijon, s'est ocoupe des Poissons de la Cote-d'Or l ; Fournel et Holandre ont decrit ceux de la Moselle 2 ; M. Mau- duyt, ceux de la Vienne 3 ; M. Ernest Laporte, ceux de la Gi- ronde4; M. Anjubault, ceux du departement de la Sarthe 5 ; M. Godron a enumere les especes de la Lorraine 6. Parmi les publications dues a des naturalistes etrangers qui sont d'un interet general pour la connaissance des Poissons des differentes parties de l'Europe , nous axons des etudes de M. Agassiz sur les Cyprins 7; V Iconographie de la faune ita- lienne 8, et le Catalogue des Poissons d 'Europe , par le prince Charles Bonaparte 9 ; un ouvrage d'une fort belle execution sur les Poissons de la Grande-Bretagne, par Yarrell 10 ; des observa- tions sur les Poissons de la Russie meridionale , par M. Nord- mann u; une etude de la faune de Belgique, par M. de Selys- Longchamps 12 ; des travaux, de MM. Fries et Ekstrom sur les Poissons de la Scandinavie 13 ; de M. de Filippi sur les Poissons 1 lchlhyologie francaise. (Memoires de I'Academie de Dijon, 1836 et 1850). 2 Fournel, Faune de la Moselle, 183G. — Holandre, Faune de la Moselle, 1836. 3 Tableau mcthodique et descriptif des Poissons de la Vienne, 1853. 4 Histoire nature lie des Poissons qui se trouvent dans le departement de la Gironde. 1856. 5 Revue des Poissons qui habitent le departement de la Sarthe. Mem. de la Soc. d'Agric. sciences et arts de la Sarthe. T. I, 1855. 6 Godron, Zoologie de la Lorraine. — Nancy, 1863. ''Memoires de la Societe" des Sciences naturelles de Neufchatel , t. I, p. 33, 1835, etc. 8 Iconografia delta fauna d'Palia. 1834-1842. 9 Catalogo metodico dei Pesci di Europa. Napoli, 1848. 10 History of the Fishes of the Great-Britain. 1836. 11 Voyage dans la Russie meridionale, sous la direction de M. le comte Demidoff. 1839. 12 Faune de Belgique. 1842. 13 Skandinaviens Fiskar. — Stockholm, 1836-1840. 52 HISTOIKE GEXERALE DES POISSONS. d'eau douce de la Lombardie1; de M. Kroyer sur les especes de la Scandinavie 2 ; sur les Poissons du Bodensee, en Baviere, par M. Rapp 3 ; sur les Poissons du Neckar, par M. Giinther 4 ; divers memoires de Heckel, et surtout la faune des Poissons d'eau douce de l'empire d'Autriche, par Heckel et Kiier 5 ; une monographic des Gyprinides de la Livonie, par M. Dybowski 6; un bel ouvrage sur les Poissons de l'Europe centrale, par M. de Siebold 7, etc. A ce tableau, il faut aj outer que, depuis une quinzaine d'an- nees, une foule de publications ont ete mises au jour, sur les moyens de propager les Poissons, d'empoissonner les rivieres et les etangs, en un mot, sur cette application de la science a l'in- dustrie qu'on appelle aujourd'hui la pisciculture. On le voit, c'est la un magnifique ensemble de recherches. Nous allons maintenant en resumer les resultats les plus impor- tants. On comprendra alors combien les investigations dorvent etre nombreuses encore avant que la science soit pres d'etre jugee a peu pr&s complete. § 6. Des caracteres qui distinguent les Poissons des autres groupes du Regne animal. Aujourd'hui, par suite de la diffusion des connaissances scientifiques elementaires, il est peu de personnes qui ne sa- chent distinguer un Poisson de tout animal d'une autre classe. 1 Pesci di acqua dolce. Milano, 1844. 2 Danmarks Fiske. Kjobenhaun, 1838-185:1. 3 Fische aus dem Bodensee. 1854. 4 Fische des Neckars. 1853. 3 Die Susswasserfische da- Oestreichischen Monarchic. Vienne, 1858. ,; Versucheiner Monographie der Cyprinoiden Livlands. 18G2. 7 Die Susswasserfische der Mittel-Eio-opa. 1863. CARACTERES D1STINCTIFS. 53 Les caractercs generaux que presentent les Poissons, sont en effet assez remarquables pour etre reconnus sans un grand effort. Les Poissons sont les animaux vertebres a sang froid, orga- nises pour vivre dans 1'eau et pour respirer par l'intermediaire de ce liquide. lis ont des formes extremement variees. II y en a qui sont arrondis ; d'autres qui sont allonges et presque cylindriques comme des Serpents "(les Anguilles, par exemple). Mais parmi eux, la forme oblongue, comprimee lateralement, attenuee aux deux extremites et surtout a l'extremite posterieure, est la plus ordinaire. Chez tous neanmoins, quelle que soit leur forme generate, la tete est en continuity a\ec le tronc; il n'y a aucun retrecissement semblable au cou des Mammiferes, des Oiseaux ou des Reptiles. Un caractere tr&s-ordinaire chez ces animaux, mais qui est loin cependant d'etre commun a toutes les especes, consiste dans la presence d'ecailles sur le corps. Les Poissons conformes essentiellement pour la natation, plonges dans un liquide presque aussi lourd qu'eux-memes, ont des organes de locomotion reduits a des proportions tres- mediocres. Les parties correspondantes aux membres ante- rieurs et posterieurs des Vertebres a sang chaud, sont peu de- veloppees et plus ou moins completement cachees sous les teguments ; les mains et les pieds sont representes par des tiges greles, habituellement designees sous le nom de rayons, qui soutiennent une membrane; ce sont les nageoires. Celles qui repondent aux membres anterieurs portent le* nom de pecto- rales ; celles qui repondent aux membres posterieurs, le nom de ventrales. En outre, des rayons fixes a des os particuliers, 54 H1ST0IRE GENERALE DES POISSONS. places tantot stir les apophyses des vertebres, tantot entre ces vertebres soutiennent des nageoires vertieales. II y en a qui s'el&vent sur le dos et qu'on appelle les nageoires dorsales ; il y en a une autre, attachee a la face inferieure du corps, en ar- rie-re de l'orifice anal, qu'on nomme la nageoire anale; une enfin, situee au bout de la queue, qui est la nageoire caudale. Dans un grand nombre d'exemples, on observe l'absence d'un ou de plusieurs de ces organes locomoteurs. Mais les caracteres les plus importants des Poissons sont fournis par l'appareil respiratoire et par l'appareil de la cir- culation du sang. L'appareil respiratoire est constitue par des branchies placees sur les cotes de la partie posterieure de la tete. Ces branchies i'ormees de lamelles traversers par d'innombrables vaisseaux sanguins et attachees a des arceaux fixes a l'os hyoi'de et qucl- quefois simplement adherentes a la peau, re^oivent l'eau qui est introduite par la bouche et rejetee au dehors par des orifices que Ton appelle les ou'ies. L'appareil circulatoire est egalement tr6s-caracteristique. Le cceur presente un seul ventricule et une seule oreillette re- pondant au ventricule droit et a l'oreillette droite des Mammi- ftres et des Oiseaux. Le sang, apr^s avoir respire dans les branchies, est ramene dans un tronc arteriel regnant sous la colonne vertebrale, pour etre de la distribue a toutes les parties du corps, d'ou il revient au cceur en passant par les veines. § 7. Des teguments. Les teguments presentent une extreme variete dans la classe des Poissons. La peau est tuujours un tissu forme de fibres entrc-croisees, les unesetantlongitudinales, les autres transver- TEGUMENTS. 55 sales, tissu tantot assez mince, tantot fort epais suivant les differents types et meme suivant les differentes parties du corps, et tapisse inferieurement par une couche gelatineusc. L'epiderme est toujours une delicate membrane formee de cellules juxtaposees. Mais chez les Poissons, la peau est le plus souvent revetne d'ecailles ou de plaques osseuses. Ges ecailles que nous voyons chez une infinite d'especes, supcrposees a la maniere des tuiles d'un toit, sont en partie renfermees dans des capsules consti- tuees par des prolongements de la peau ; chacune d'elles etant en outre enveloppee d'une tunique ou membrane extremement mince, quelquefois garnie d'une substance d'un blanc d'argent, comme nous aurons l'occasion d'en voir des exemples. Les ecailles, quiont en general une assez grande resistance, offrent assez frequemment des corpuscules osseux dans leur epaisseur. Chez beaucoup ;de Poissons, la peau est protegee par des pla- ques completement ossifiees. Les ecailles affectant des caracteres tres-varies suivant les types, les zoologistes n'ont pas manque de s'attacher a ces ca- racteres pour etablir des distinctions entre des groupes plus ou moins etendus. Neanmoins le developpement et la structure intime de ces productions cutanees n'ont pas encore ete etu- dies d'une maniere aussi parfaite qu'on pourrait le souhaiter. Les ecailles presentant des stries circulaires tres-nettes, M. Agassiz a pense que leur accroissement avait lieu par l'ad- dition successive de nouvelles lames se deposant a l'exterieur ; mais comme en comparant les ecailles des plus petits et des plus grands individus d'une meme espece de Poisson, on s'a- percoit bien vite que le nombre des stries n'est pas moins considerable dans les premiers que dans les derniers , il 50 HISTOIRE GENtfRALE DES POISSONS. semble difficile de s'arreter a l'opinion du celebre naturaliste. Les ecailles remplissent evidemment un role dans la fonction respiratoire ; role dont l'importance doit varier dans une assez large mesure suivant les types : il reste, a cet egard, des recherches a entreprendre. Le tissn des ecailles est tres-permeable a l'ean ; c'est ce que nous avons constate, en plongeant successivement de ces pieces protectrices de la peau, dans deux dissolutions, de facon a obtenir un precipite d'une couleur vive. D'un autre cote, on remarque, notamment chez les Cyprinides, des ecailles traver- sers par des canaux dans lesquels l'eau pent penetrer; indice certain d'une respiration cutanee chez les Poissons. Dans ces animaux, on observe de cliaque cote du corps, une file entiere d'ecailles portant une eminence allongee qui n'est autre chose que la paroi d'un tuyau. Gette rangee de petites saillies est toujours designee sous le nom de ligne laterale, et il en est question d'une maniere a peu pres constante dans les descriptions d'especes. Le tuyau ou canal de chaque ecaille de la ligne laterale, renferme un petit appareil, consistant en une sorte de glande secretant le mucus qui se repand a la surface du corps de l'a- nimal. Dans les especes dont les ecailles sont tres-petites, les glandes mucipares sont logees dans la peau ou elles se trouvent souvent plus ou moins ramifiees. II en est de meme pour les Poissons dont la peau est completement nue, ou les conduits excreteurs des glandes forment egalement une ligne laterale indiquee par une suite de petits godets , comme nous en trouverons chez quelques-uns de nos Poissons des eaux douces de la France. II n'est pas rare que de semblables orifices pour l'evacuation du mucus destine a proteger la CHARPENTE SOLIDE. 57 peau de l'animal, ne se montrent aussi sur differentes par- ties de la tete. § 8. — De la charpente 3olide des Poissons. Le squelette de ces animaux varie d'une maniere remarqua- ble sousle rapport de la consistance. II est osseux chez les uns, cartilagineux chez lesautres, et Ton sait que cette difference de texture a motive, pour un grand nombre de naturalistes, la sepa- ration des representants de la classe des Poissons en deux grou- pes principaux. An point de vue zoologique le caractere n'etait pourtant pas heureusement choisi, comme il est facile de s'en eonvaincre en s'arretant a la consideration de l'ensemble des autres caracteres organiques. D'ailleurs, entre le tissu osseux et le tissu cartilagineux il existe beaucoup d'intermediaires. Le tissu de la charpente du corps de l'animal pent etrc fibro- cartilagineux. Parfois, la plus grande partie du squelette res- tant cartilagineuse, certaines pieces s'ossifient, et dans l'etat plus ou moins avance do l'ossiiication, les divers types de la classe des Poissons presentent tousles degres. On a vu precedemment, combien avaient ete nombreux, com- bicn avaient ete ardents, les efforts des zoologistes, pour par- venir a identifier les pieces du squelette des Poissons avec celles qui constituent la charpente solide des Vertebres superieurs. A cet egard, des vues ingenieuses, des apergus pleins de justesse ont profite a la science, mais en meme temps, des assertions lancees presque an hasard, bientot reconnues en contradiction avec les faits, ont contribue plus d'une fois a repandre des doutes sur la possibilite d'arriver a des resultats susceptibles d'une complete demonstration, des doutes meme sur l'existence o8 I1IST0IRE GEXERALE DES POISSONS. reelle de cette unite de plan fondamental, objet de tant de preoccupations. Tandis que la recherche des homologies f du squelette des Oiseaux et des Reptiles avec celui des Mammiferes n'amenait que des divergences d'opinion assez restreintes, il en etait au- trement des qu'il s'agissait des Poissons. II y a en effet pour ces derniers des difficultes infmiment plus considerables ; car ony trou\e une modification immense de toutl'organisme, destine a un genre de vie special ; des adaptations a des fonctions qui n'existent pas dans les autres classes du Regne animal ; une division extreme des pieces osseuses de la tete, dont on n'a pu se former une idee qu'en portant la comparaison sur les em- bryons des Vertebres superieurs ; enfin, la presence de pieces particulieres constitutes par une ossification de certaines par- ties du systeme cutane. Le guide des zoologistes dans cet ordre d'investigations a ete fourni essentiellement par les rapports des parties entre elles, ce qu'on a appele le principe des connexions ; guide precieux, auquel on a ete redevable de resultats d'une grande portee, guide neanmoins insuffisant, et capable clans une foule de circonstances de conduire a l'erreur. L'avortement ou ramoindrissement de certaines pieces dont la fonction perd de son importance ou se modifie; le develop- pement excessif d'autres parties ayant regu de la nature une destination qu'elles n'ont pas dans les autres types du Regne 1 On emploie le nom A'/tomohgie et de par lie homologue pour designer l'idenlite fondamentale d'un organe dans differcnts animaux dans toutes ses formes et dans toutes ses fonctions possibles, par opposition aux mots analogie et analogue qui s'appliquent au rfile, a la fonc- tion a peu pros semblable que peuvent presenter des organcs diffe- rcnts. CHARPENTE SOL IDE. 59 animal, changent fatalement les rapports, les connexions, si nous Youlons employer le terme aiijourd'hui consacre dans la science. De la, les embarras pour les investigateurs; de la, les opinions contradictoires ; de la, les discussions interminables, parce que de chaque cote on s'appuie sur un fait en negligeant les autres. Cependant, a force de multiplier les comparaisons, a force de suivre dans les differents genres les modifications de chaque piece, on est parvenu a fournir assez de preuxes en favour de la determination de beaucoup de parties du squelette des Poissons, pour que l'accord se soit etabli sur plusieurs points. II n'en est pas ainsi pour toutes les pieces, et a 1'egard de quelques-uncs d'entre elles particulierement, on voudrait, pour etre assure de leur veritable nature, acquerir des connaissances qui aiijour- d'hui font encore defaut. On est heureusement en droit d'attendre de l'observation, de nouveaux faits assez concluants, pour esperer la solution defi- nitive de ces questions d'osteologie qui depuis soixante ans sont le sujet de tant d'etudes et de tant de debats. Ge ne sont plus seulement les rapports des os entre eux qu'il s'agirait d'examiner. Les muscles qui prennent leurs attaches aux pieces solides devraient etre compares a ceux des Vertebres superieurs. Mais les modifications du systeme musculaire etant encore fort imparfaitemcnt appreciees, meme dans la classe des Mammiferes, des recherches immenses sont necessaires, avant qu'on arrive a entrevoir un resultat applicable a la determina- tion des pieces du squelette. Ge n'est sans doute pas, au reste, a l'aide de la consideration des muscles que Ton parviendra le mieux a atteindre le but ; le mode de distribution des nerfs a line tout autre importance. Le systeme nerveux etant, de tous 60 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. les appareils organiques, celui qui dans chacune des grandes divisions zoologiques conserve partout au plus hant degre ses caracteres essentiels, le jour ou Ton aura constate rigoureuse- ment les origines et le trajet des nerfs dans quelques types de Poissons, ou Ton aura dans toutes les circonstances mieux re- connu par quelles ouvertures pratiquees dans les os du crane a lieu leur passage, on trouvera, dans les connexions des nerfs avec les os, un element de comparaison qui dans l'etat actuel est trop imparfait pour etre d'un grand secours. D'autre part, il s'agirait d'examiner le squelette des Poissons lorsqu'il est en voie de formation. Selon toute apparence, l'e- tude des pieces osseuses pendant les di verses phases de leur de- veloppement conduira souvent a mettre en lumiere ce qui est reste incertain quand l'observation a porte uniquement sur des animaux adultes. L'idee de cette recherche s'est deja manifested dans la science, mais c'est a peine s'il y a eu un commencement d' execution. Nous ne pouvons ici que donner une idee tres-generale du squelette des Poissons. Une description detaillee de toutes les pieces qui le composent, entrainant avec elle une discussion approfondie des opinions 6mises au sujet de ces pieces, aurait une etendue que ne comporte pas l'objet de ce lrvre. Le squelette des Poissons offrant des differences fort consi- derables entre les principaux types, il est necessaire, pour ne pas nuire a la clart6, de proceder par division. Les Poissons les plus importants par le nombre, ceux dont la charpente est osseuse, seront ainsi pris d'abordpour exemple. On distingue dans le squelette de ces animaux : la tete, la charpente solide qui constitue la chambre respiratoire, le tronc sc composant du corps ct de la queue a\ec les nageoires \erti- CHARPENTE SOLIDE. 01 cales du dos et de l'anus ainsi que celle de la queue, les mem- bres qui sont les nageoires pectorales et xentrales. La tete offraut plus de parties mobiles que chez les autres Ver- tebres, elle semble se partager naturellemeut en plusieurs re- gions. Le crane, ou la boite cerebrale, apparait ainsi plus separe de la face que partout ailleurs. 11 est compose de pieces dont les rapports a\ec celles qui constituent le crane des Reptiles et des Oiseaux sont d'uneentiere evidence. En dirigeant son examen de la tete osseuse, d'arriere en avant, on reconnait a la base du crane une premiere zone; c'est l'occipital forme de quatre pieces principales ; Tune basi- laire {basioccipital) ayant en arriere une facette articulaire correspondante a celle de la premiere vert&bre, deux laterales (paroccipitai/x) pourvues chacune d'une apophyse, et une su- perieure (saroccipital) completant le cercle. A ces pieces s'en ajoutent souvent deux accessoires (exoccipitaux) intercaMes entre l'occipital superieur et les occipitaux lateraux dont elles sont un demembrement. En avant de l'occipital se dessine, avec moins de nettete que la premiere, une seconde zone. Gellc-ci est constitute par un os impair et par trois os pairs. Le premier (basisphe'nokle), fort etroit, insere au-dexant du basioccipital, figure une sorte de pont a la partie inferieure du crane. De cliaque cote, s'etend une pi^ce (alisphc'noide, aile tenqjorale de Cuxier), repondanta ce que Ton nomme en ana- tomie humaine, la grande aile du sphenoide, et une autre piece contribuant avec le frontal posterieur a fournir la face articu- laire de l'appareil palatin et tympanique. La xoute de cette zone est forme e par deux ou trois pieces (parietaux et interpa- rietal) intercalees entre les bords superieurs des deux price- 62 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. dentes. Mais l'os basilaire, en general fort etroit, dememe que sa portion anterieure {prespheno'ide) dependant de la zone or- bitaire situee en avant, ne forme pas le planeher de la cavite eraniennc commc chez les autres Vertebres ; ce sont les os d'enveloppe des organes de 1'audition (rockers ou pe'trosauoc), qui ordinairement ferment le crane en dessrius et contribuent ainsi a en former les parois laterales. Une troisieme zone, la zone orbitaire et frontale, est con- formed a peu pr&s de la meme maniere que la precedente. II y. a une partie basilaire etroite {prespheno'ide) completement sou- dee avec le spheno'ide basilaire, de chaque cote une piece late- rale {orbitosphenoide ou aile orbitaire) formant le fond de l'orbite, et une piece dependante du frontal {post frontal ou frontal posterienr) qui constitue la paroi superieure de l'orbite ; enfin, la voute, composee de deux larges pieces engrenees sur la ligne mediane de la tete, qui repondent a l'os frontal des Mammiferes. Une quatrifeme zone, qui forme le museau, se montre com- posee de quatre pieces ; une basilaire {vomer), inseree au-de- vant du spheno'ide et garnie de dents chez beaucoup de Pois- sons, une de chaque cote {prefrontal ou frontal anterieur) et une superieure {nasal) souvent double, qui est l'os du nez. Ces quatre zones de la tete osseuse, regardees par plusieurs naturalistes comme autant de vert&bres cephaliques, sont com- posees de pieces veritablement homologues de celles qui entrent dans la constitution du crane des Vertebres superieurs ; il ne peut guere subsister de doute aujourd'hui sur leur determination. 11 n'en est pas absolument de meme pour toutes les autres parties de la tete, considerees par M. Owen comme des dependances ou des accessoires des quatre zones ou vertebres cephaliques. CHARPENTE SOLID E. 03 Examinons ces parties. Au-devant du museau, se voient les pieces maxillaires, donees d'une mobilite tres-grande chez les Poissons osseux, ou elles peuvent s'avancer. plus ou moins pour la prehension des aliments. Ge sontles intermaxillaires (premaxillaires Owen) et les maxillaires, c'est-a-dire les os propres de la machoire supe- rieure. Les premiers, rarement soudes, mais d'ordinaire unis Tun a 1' autre par des ligaments, se recourbent en arc et fournis- scnt chacun une branche ascendante fixee d'une maniere variable a la partie anterieure du museau. Le maxillaire est forme de deux branches paralleles, faiblement maintenues entre elles sur la ligne mediane, situees en dehors des intermaxillaires et articulees avec les pieces environnantes, (intermaxillaires, vomer, palatins). A cette zone nasale, appartiennent encore des plaques osseuses constituant la voute du palais ; ce sont, en avant a la base du museau, les palatins, souvent pourvus de dents, et en arriere, des pieces qui paraissent representer les os pterygo'ides des autres Vertebres (ptenjgoides et transverses, de Cuvier, entojjterygo'ides et ptenjgoides d'Owen). Si les interpretations deM. R. Owen sont justes, la machoire superieure et les os qui lui servent de support, seraient des dependances de la zone orbitaire [arc prosencephalique, Owen) ainsi que les pieces operculaires. La machoire inferieure est composee de deux branches * unies en avant et suspendues en arriere par une sorte de tige attachee a la base du crane. Cette tige est en general formee de trois pieces, quelquefois de cinq. La piece superieure (temporal 1 Chacunc de ces branches est ordinairement formee de quatre pieces : le dentaire, qui souvent porte des dents; Yarticulaire,\'angu- laire et Yoperculaire. 64 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. de Guvier, epitympanique d'Owen) est articulee a\ec une ca- vite situee sur la paroi laterale du crane ; la piece inferieure (jugalde Guvier, hypotympanique d'Owen) avec la machoire l. En arriere de l'insertion du suspenseur de la machoire, s'ar- ticule le preopercule, piece servant de support a l'appareil oper- culaire, dirigee en bas et un peu incurvee en avant, de maniere a rejoindre l'os qui fournit l'articulation de la machoire infe- rieure. Le preopercule considere par certains anatomistes corame correspondant rigoureusement a l'os (os ca?re, on tympanique) qui chez les Oiseaux et lcs Reptiles porte la ma- choire inferieure, offre ordinairement a sa surface une rigole dans laquelle passe une branche des canaux de la peau qui secretent la mucosite. Plusieurs pieces osseuses destinees a la protection de l'ap- pareil respiratoire, demeurent libres par leur cote exterieur, de fagon a constituer cette fente sur la partie posterieure et laterale de la tete que tout le monde connait sous le nom de oii'ie. Ce sont les pieces operculaires que Ton appelle, opercule, suboper- cule et ijiteropercule. Tres-variables dans leurs formes suivant les types, elles sont habituellement employees ainsi que le preopercule a la caracterisation des genres et des especes. La piece principale est l'opercule, situe en arriere du preopercule auquel il est attache par des ligaments et articule par son an- gle antero-supcrieur avec une saillie du suspenseur de la ma- choire inferieure {temporal de Guvier). II dcmeure libre en arriere et en dessous de facon a pouvoir se soulever et s'abaisser comme un battant de porte. A son bord posterieur est fixe le 1 La pi£ce intermfidiaire, souvent en partie cachee a la face interne de l'os qui fournit 1 'articulation de la machoire, est le symplcctique de Cuvier ou le mesotympanique d'Owen. CHARPENTE SOLIDE. 65 subopercule, ordinairement long et etroit; au bord inferieur des deux premieres pieces, se trouve l'interopercule qui se Fig. 1 . — Tcte de Carpe commune montrant les pieces operculaires l. prolongeant vers la machoire inferieure s'attache a celle-ci par des ligaments. Les naturalistes ont fait des efforts inouis pour reconnaitre la veritable nature des pieces operculaires sans qu'aucun d'eux aitreussi a apporter un resultat desormais hors de contestation. Pour Guvier, ces parties sont des os particuliers aux Poissons; pour M. Agassiz, ce sont des productions cutanees comparables aux ecailles, ce qui est peut-etre la verite; pour M. Owen, ce sont des dependances de la zone orbitaire du crane, sans compter bien d'autres interpretations moins serieuses. i On a represents tres-distinctement les os sous-orbitaires, formant une ceinture a la partie inferieure de l'oeil ; on reconnait le preoper- cuk qui se dirige vers la machoire inferieure au-dessous de la joue ; I'opercule, dont les dimensions sont enormes; au-dcssous, le suboper- cule; dans linlervalle des precedents et du preopercule, Yinteropercule; en arriere des pieces operculaires, la ceinture des os de l'epaule; enfin, au-dessous de ces pieces, une portion de la membrane branchiostege. Blakciiard. 5 OC HiSTOIRE GENERALE DES POISSONS. La tete des Poissons presente encore d'autres pieces regar- dees par les auteurs modernes comme des 05 accessories. Plu- sieurs anatomistes ont cherche a retrouver dans ces pieces, des parties correspondantes a celles de la tete des Vertebres supe- rieiirs, mais ils ont echoue dans lenr tentative et aujourd'hui on admet d'une maniere assez generate que ces pieces appartien- nent au systeme cutane. Elles donnent presque toujours pas- sage a des canaux dans lesquels se produit la mucosite qui suinte a la surface de la tete de la meme fagon que la mucosite qui sort de la ligne lateral e et se repand a. la surface du corps. Ces pieces sont les sous-orbitaires, qu'il est souvent utile de remarquer pour la caracterisation des especes. Ces sous-orbi- taires forment une chaine qui limite les orbites inferieure- ment, se soudent parfois non-seulement entre eux, mais en- core avec le preopercule et en viennent a constituer un bouclier qui couvre toute la joue. Des os analogues {surtemporaux de Guvier) se montrent chez certaines especes sur la region poste- rieure de la tete, s'a\anc,ant quelquefois jusqu'au point ou la ceinture des os de l'epaule s'attache au crane. D'autres pieces accessoires de meme nature (os nasaux) peuvent encore exis- ter sur le museau et au fond des fosses nasales. Dans les Poissons cartilagineux comme les Raies et les Squa- les, toutes les parties du crane demeurent presque molles et en general composees d'un tissu uniforme ; les pieces operculaires sont a l'etat rudimentaire, mais celles-ci, chez les Lamproies, constituent une charpente cartilagineuse assez compliquee. Chez les Vertebres superieurs, l'os de la langue, os hyo'ide, suhant la denomination scientifique, est peu devcloppe et d'une conformation fort simple. Chez les Poissons, au contraire, cet os acquiert un d^veloppement enorme et devient un appareil CHAHPENTE SOLIDE. 67 extremement complique, qui prend un role important dans la constitution de la chambre respiratoire et dans l'acte de la res- piration. Une portion anterieure et moyenne (os lingual) est le support de la langue ; une suite de pieces osseuses placees en arriere, egalement sur la ligne moyenne, constitue le corps de l'hyoi'de ; deux branches formees d'une chaine de pieces osseuses et reunies un peu en arriere de l'os propre de la langue, remon- tant sur les cotes de la tete pour s'attacher sur les parties late- rales du crane (a l'os temporal de Guvier on epilympanique d'Owen) par une tige ordinairement assez grele (osselet sty hide de Cirvier), sont les suspenseurs de tout l'appareil ; un os im- pair [queue de Vos hyoide), insere dans Tangle forme par la reunion de! deux branches et situe ainsi au-dessous des bran- chies, etablit inferieurement la separation entre les deux ou- vertures des ouies. De la portion moyenne de l'os hyoide, en arriere des branches de suspension, naissent les arcs branchiaux, au nombre de quatre paires, qui, contournant le fond del'arriere-bouche, re- montent jusque sous la base du crane pour aller s'appuyer sur d'autres pieces osseuses dependantes de l'appareil hyoi'dien, les os pharyngiens superieurs. Enfin, en arriere des arcs bran- chiaux, se trouvent encore deux tiges ou plutot deux plaques, designees sous le nom & os pharyngiens infe'rieurs, qui, chez beaucoup de Poissons, portent des dents, aussi bienque lesos pharyngiens superieurs. Des rayons sont tantot articules, tantot fixes par des liga- ments aux deux pieces principales de chaque branche de l'os hyoide ; ce sont les rayons branchiosteges, dont le nombre, va- riable dans les differents groupes de Poissons, est habituelle- 68 HISTOIRE GENERALE DES POISSOXS. ment mentionne dans les descriptions generiques et specifiques. Une membrane soutenue par ces rayons, la membrane bran- chiostege, complete la fermeture de la chambre respiratoire *. L'appareil hyoidien pouvant s'elever et s'abaisser, retrecit on agrandit de la sorte la chambre banchiale, en entrainant les branchies dans ses monvements. Les rayons branchiosteges ayant leurs mouvements particuliers, etendent ou plissent la membrane qu'ils soutiennent. Dans les Poissons cartilagineux, l'appareil hyoi'dien est cons- truitsurle meme plan general que chez les Poissons osseux, mais clans les Lamproies, il est d'une structure tr&s-compliquee ettres-speciale. La colonne vertebrale est en general composee, comme dans les animaux superieurs, d'une suite de vertebres s'eten- dant de la base du crane a l'extremite du corps. Les vertebres des Poissons sont tres-reconnaissables a la presence d'une fosse conique creusee tant a leur face anterieure qu'a leur face poste- rieure. Ces caxites sont remplies par une substance molle qui passe par un trou pratique au centre de chaque vertebre ; en sorte qu'il existe un veritable cordon de substance fibro-gelati- neuse. G'estla corde dorsale qui dans la plupart des Poissons cartilagineux s'axance jusque dans l'interieur du crane, et qui, dans les Lamproies, constitue presque toute la colonne verte- brale. 1 Toutes les parties de l'appareil hyoi'dien ont regu des noms pariicu- liers, et, comme chaque auteur qui s'est occupe du sujet a tenu a pro- poser une nomenclature, il en est resulte une multitude de denomina- tions. On trouvera a cet 6gard un excellent resume dans : Milne Edwards, herons de P/njsioloyie el, 3, et t. LVIII, p. 219, 1864. '.h; HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. a M. Moreau. On suit que des Poissons font entendre des bruits particuliers, qu'ils cmettent des sons, et, que Ton a designe cette production de sons sous le nom de voix des Poissons. Plusieurs esp&cessont conn ues sous ce rapport, notammentles Trig les ow Grondins. Jean Miiller a traite de la voix des Poissons dans un memoire special4. M. le docteur Dufosse en a fait le sujet de nouvelles recherches 2, mais le fait le plus curieux est celui qui a ete obtenu par M. Moreau sur des individus du genre des Tri- gles ou Grondins, il a reussi par l'excitation d'un nerf spinal se rendant a la vessie natatoire a reproduire le bruit, le gronde- ment que ces Poissons font entendre pendant la vie 3. La vessie natatoire est un organe qui joue peut-etre dans l'economiede certains Poissons un role plus important qu'onne l'a suppose; cependant il est a remarquer que cet organe man- que entierement chcz plusieurs especes, dont le genre de vie parfois ne semble guere differer de celui des esp&ces pourvues de cet organe. § 13. — De lappareil de la circulation du sang. Le sang des Poissons, tout le monde a eu l'occasion d'en faire la remarque, presente les memes caract5res physiques que ce- lui des Vertebres superieurs, bien qu'il soit beaucoup moins ri- che en materiaux organiques. La quantite de ce fluide relative- ment au volume du corps est aussi moins considerable chez les Poissons que chez les Oiseaux et les Mammiferes. Les globules rouges que le sang tient en suspension sont plus petits que ceux des Batraciens et plus gros que ceux des Vertebres superieurs. 1 Ueber die Fische, welche Tone von sich geben Archiv. 1857, p. 249. 4 Comptes rendus de V Academic des sciences, t. XI, VI, p. 352. 1858. 3 Comptes rendus de VAcademie des sciences, t. LIX, p. 430. 1804. CIRCULATION DU SANG. 97 C'est un fait a ajouter a beaucoup d'autres, justifiant cette opi- nion des naturalistes : que les globules sanguins sont d'autant plus gros que la respiration est moins active. Les instruments dont la fonction est de conduire le sang a tous les organes, et de rapporter ce fluide nourricier au coeur pour etre chasse a l'etat de sang veineux dans les organes respi- ratoires, d'ou il sortira, ayant repris ses proprietcs vivifiantes, e'est-a-dire a l'etat de sang arteriel, fournissent de magnifiques sujets d'etude chezles Poissons. Nous axons constate deja com- bien leurs particularites les plus essentielles sont caracteris- tiques des animaux de cette classe. Voyons done comment sont conformed ces instruments. Le cceur ne presente que deux poches contractiles : un ven- tricule et une oreillette, mais, dans presque tous les represen- tants de la classe, il existe, au-devant du ventricule, un elargis- sement, une sorte de reservoir, connu sous le nom de bulbc arteriel. Cestrois parties, oreillette, ventricule et bulbe arteriel, sont enveloppees dans un pericarde et logees ordinairement sous les os pharyngiens entre les parties inferieures des arcs bran- chiaux et protegees souvent sur les cotes par les os de l'epaule. Dans quelques especes, l'oreillette est situee exactement en arriere du ventricule, comme cela se voit chez tous les eni- bryons, mais, en general, elle remonte plus on moins sur le ven- tricule. Cette oreillette, plus volumineuse que le ventricule, a des parois minces, garnies a la face interne de faisceaux muscu- laires entrelaces. Son orifice auriculo-ventriculaire est pours u de valvules destinees a empecher tout mouvement retrograde du sang. Le ventricule, tr^s-variable dans sa forme suivant les ty- pes, offrele plus ordinairement la figure d'une pyramide dont la base est en avant. Ses parois, charnues et fort epaisses, presen- Blanchard. 7 98 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. tent deux couches de fibres musculaires, presque toujours sepa- rees Tune de l'autre et constituant des colonnes chamues plus on moins puissantes. Le volume du cceur est loin d'etre chez tons les Poissons, dans le merae rapport avec la dimension du corps. Lacapacitedecetorgane parait etred'autantplusgrande, que les moirvements de l'animal sont plus energiques, la res- piration plus active. Des observations bien precises et bien com- paratives sur ce sujet auraient un grand interet. Le bulbe n'est qu'un simple elargissement de l'artere. D'apres des recherches qui meritent confiance, ses parois seraient le plus souvent de- pourvues de fibres de nature a lui donner line contractility pro- pre, fibres dont l'existencc chez certains Poissons (par exemple les Esturgeons) est incontestable. A son origine, le bulbe est garni de valvules qui empechent le sang de retomber dans le ventricule, et, a son extremite, il offre un nombre plus on moins considerable de ces replis chez la plupart des Poissons cartila- gineux. Un tronc arteriel, en continuite avecle bulbe, Yartere bran- chial e, suivant la designation adoptee, se porte en avant et se partage bientot chez les Poissons osseuxen quatre branches, se distribuant aux arcs branchiaux qui sont en nombre egal. Dans les Cartilagineux, corame les Raies etles Squales, il y a cinqpaires de ces arteres branchiales, sept chez les Lamproies et six chez d'autres Poissons appartenanta la meme division que ces derniferes. A l'egard de la longueur du tronc arteriel com- mun,par consequent a l'egard du point d'origine des arteres propres des branchies, des differences extremes ont ete consta- tees, maisjusqu'a present, on n'est point parvenu a apprecier l'importance de ces modifications sousle rapport physiologique. Les arteres des branchies rampent d'ordinaire dans unegout- CIRCULATION DU SANG. 99 tiere pratiquee au bord inferieur des arcs branchiaux, fournis- sant, sur tout leur trajet, une double serie d'arterioles qui sedis- tribuent dans les kmeUes branchiales, formant a la surface de ces feuillets si delicats, un reseau capillaire d'une merveilleuse richesse. Le sang conduit dans ce reseau vasculaire passe en- suite dans un vaisscau qui regne au bord externe de chaque la- melle, d'ou il est verse dans un systemc de vaisseaux efferents diriges vers l'aorte dorsale. Ces vaisseaux, vcritables racinesdu systeme arteriel, recevant comme les veines pulmonaires de l'homme, le sang qui a respire, e'est-a-dire le sang arteriel, sont habituellement designes sous le nom de veines branchiales, terme vicieux, comme l'a fait remarquer M. Milne Edwards, qui propose de les appeler arteres epibranchiales. Ces vaisseaux efferents des branchies courcnt parallelement aux arteres, mais en sens inverse, fournissant, sur leur trajet, les arterioles nourricieres des branchies, Fartere coronaire du coeur, les arteres de l'appareil liyoi'de, des parties inferieures de la tetc et des parois abdominales et formant les organes vas- culaires connus sous le nom de pseudo- branchies, d'ou nait do leurs innombrables ramifications, un tronc destine a porter le sang aux yeux. Parvenus a la base du crane, les vaisseaux efferents s'anastomosent entre eux pour constituer les troncs d'origine de l'aorte, mais a leur sortie de l'appareil respiratoire, ils emettent une branche [art ere cephalique), qui va se distri- buer dans la region anterieure et superieurc de la tetc. L'aorte dorsale regne dans toute la longueur du corps, sous la colonne vertebrale, exactement sur la lignc medianc, en- voyant au niveau de chaque espace intervertebral une paire d'arteres qui se ramifient dans tous les muscles du tronc et dc la queue, et, en outre, un vaisseau d'un volume considerable qui 100 HISTOIRE GENERALE DES P01SSONS. conduit le sang a tons les visceres par des branches nombreuses ramifiees al'mlmi; — Le sang ainsi porte par les arteres sur tous les points de l'economie, est repris par les veines que Ton distingue en trois groupes : le systeme veineux rachidien, devolu aux muscles et aux differentes parties de la charpente solide ; le systeme vei- neux visceral, qui ramene le sang des xisceres de l'abdomen, et enfin le systeme veineux bronchique, qui est limitc a l'appareil hyo'idien. Ges trois groupes, differemment unis entre eux sui- vant les types, xersent leur contenu dans un xaste reserxoir en communication axec l'oreillette, reservoir designe habituel- lement sous le nom de sinus de Cuvier. Les veines du premier systeme remontent en suivant le tra- jet des arteres intercostales, pour atteindre de cliaque cote de la ligne mediane au-dessous de l'aorte, un xaisseau longitudi- nal (veines cardinales) qui conduit le sang dans le sinus de Cuvier, apres axoir recii deux xaisseaux [veines jugulaires), charges de ramener le sang de la tetc. II faut ajouter qu'une portion de sang xeincux retournant des parties posterieures du corps, principalement par la xeine caudale (resultant de la fusion en arriere des deux veines cardinales) est d'abord porte dans les reins par une xeine (veine porte renale) qui se ramifie dans ces organes de la meme maniere que celle du foie. Les ramifications se rcjoignent ensuite, dexiennent les xeines re- nales qui se jettcnt dans les xeines cardinales. Le systeme xeineux xisceral est plus complique; lespetitcs veines qui naissent sur lcsparois des visceres abdominaux, s'a- bouchent successixement pour former un tronc (veine porte hepatique), qui traxerse le foie, distribuant des branches et d'innombrables rameaux dans cet organc a la fa^on d'une ar- CIRCULATION DU SANG. 101 tere. Les demises ramifications, se r6unissant ensuite, consti- tuent inie veine (veine hepatique) qui se rend, comme les autres, dans le grand sinus. Chez certains Poissons, des veines viscerales presente'nt des divisions nombreuses, avec d'infinies ramifications qui consti- tuent des reseaux admirables comme les anatomistes les appel- ant. Particulierement chez les Cartilagineux , il y a des dila- tations des veines et parfois des communications entre elles ainsi que des sinus caverneux situes a la partie superieure de la cavite viscerale. Les veines qui ramenent le sang de toutes les parties de l'ap- pareil hyoidien se deversent dircctement aussi dans le grand sinus commun a son entree dans l'oreillette. Le sinus de Cuvier, qui rccoit la totalite du sang noir on sang veineux revenant de toutes les parties du corps, est un grand reservoir, unc vaste poche a parois minces. Ge reser- voir situe en arriere du pericarde chez les Poissons osseux, est loge avec le cceur dans le pericarde lui-meme chez les Cartilagineux, comme les Raies et les Squales. 11 s'ouvre tou- jours dans l'oreillette, dont il est souvent separe a l'interieur par deux valvules. Tel est, dans sa plus grande generalite, l'appareil de la circulation du sang dans les Poissons ; mais il est a peine besoin dele dire, il existe, suivant les types, une foule de modifications secondares qui acquierent parfois une importance conside- rable. Des particularites pleines d'interet, dans la disposition des vaisseaux, ont ete constatees chez certaines especes. Les rccherches de Miiller de Berlin et de M. Hhrtl de Vicnne ont ete a cet egard des plus fructueuses. Le sujet est si vaste ce- pcndant, d'une etude si longue et si difficile, que nous sommes 102 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. eloignes encore du temps ou la connaissance parfaite de tous les details de l'appareil cireulatoire chcz les types principaux de la classe des Poissons, permettra de s'elever a l'exacte genera- lisation de tons les faits et de coraprendre quelles sont les modifications pliysiologiques qui coincident avec ces disposi- tions anatomiques l. § 15. — Des fonctions digestives et des organes de la digestion. De tons les animaux, il n'en est guere qui paraissent aussi occupes d'une maniere incessante de la recherche de leur nour- riture que les Poissons. A l'epoque de la reproduction seule- ment et pour un espace de temps plus ou moins limite, leurs habitudes, d'ordinaire si uniformes, se modifient sous ce rap- port. Ces animaux doues d'une puissance digestive remarquable, avalent presque indistinctement tout ce qui est a leur portee. La voracite de beaucoup d'entre eux est pour ainsi direprover- biale. On les voit engloutir des proies enormes relativement a leur propre volume, et apres un repas qui semble prodigieux, on les trouve disposes a le renouveler sil'occasion est favorable, circonstance suffisante pour denoter la singuliere activite de leurs fonctions digestives. Cette voracite, on le comprend, se manifeste en raison de la dimension de leur bouche et de la 1 11 existe chez les Poissons, un systeme lymphalique, mais ne pou- vant cntrer ici dans tous les details que comporterait une description meme assez succincte des principaux vaisseaux chyliferes eL lymphati- ques, nous engagerons ceux qui voudraient acquerir les notions que Ton possede actuellement sur ce sujet a recourir aux Lecons sur la Phy- siologic ct I'Anatomie comparee de M. Milne Edwards (t. IV, p. 471). lis y trouveront un resume" precis des faits les raieux constates. FONCTIONS DIGESTIVES. 103 puissance tie son armature. Les Poissons sont carnassiers pour Ja plupart, mais parmi les especes dont la bouche est depour- vue de dents, il en est beaucoup dont le regime est vegetal ; ces dernieres neanmoins avalent encore des insectes, des vers, des mollusques, du frai, etc. L'accroissement des Poissons se fait avec lenteur ou avec ra- pidity, selon l'abondance de la nourriture. Ces animaux en general peuvent subir un jeune extremement prolonge sans perir ; les personnes qui conservent des Poissons rouges dans des vases, manquent rarement d'en faire une naive expe- rience, en oubliant de prendre la peine de les nourrir. Lors- que les Poissons sont ainsi soumis a un jeune absolu, ils diminuent de volume jusqu'a ce que l'epuisement determine la mort. S'ils ont peu de nourriture, leur accroissement mar- che avec une extreme lenteur, mais si les subsistances abon- dent, ils grossissent avec une merveilleuse rapidite. Les personnes qui se proposent d'empoissonner des lacs ou des rivieres, doivent done se preoccuper avant tout de savoir si les eaux sont suffisamment peuplees d'animaux et de vegetaux pour que les Poissons sur lesquels reposent leurs esperances y trouvent une alimentation suffisante ; condition essentielle pour que l'accroissement des nouveaux habitants ne vienne pas a languir. Chez les Poissons osseux particulierement, la machoire su- perieure a presque toujours une grande mobilite, ce qui pcr- met a la bouche d'offrir un vaste orifice. Les formes et le developpement des pieces qui constituent la charpente buc- cale sont tellement varies qu'on ne saurait en donner une idee complete sans entrer dans une infinite de details. Rien de plus variable aussi que l'appareil dentaire dans cettc 104 HISTOIRE GEXERALE DES POISSONS. classe d'animaux. II y a des Poissons dont la bouche est de- pourvue de dents ; il y en a d'autres qui en ont sur toutes les parties de la cavite buccale et pharyngienne, c'est-a-dire aux deux machoires, au vomer, aux palatins, au sphenoide, a. la langue, aux os pharyngiens, et meme aux arcs branchiaux. Sous le rapport du mode d'implantation et des formes, les dents offrent egalement la plus grande diversite. Elles sont simplement engagees dans des parties molles chez les Poissons cartilagineux. Dans les Poissons osseux, ou le plus souvent elles sont inserees dans des alveoles, on les trouve frequem- ment soudees on meme confondues avec l'os qui les porte; dans quelques exemples, elles sont mobiles dans une direction determinee. Les dents qui garnissent les machoires, le vomer, les pala- tins de certains Poissons, sont souvent en nombre immense et si petites et si serrees les lines contre les autres (chez la Per- che par exemple), qu'il faut les examiner de pres pour les bien distinguer. Ces dents tr^s-sensibles au toucher presentent dans leur ensemble, Fapparcnce d'un velours; de lale nom, de dents en velours, introduit par Cuvier. Lorsque les dents, dis- posees d'une maniere analogue, deviennent plus longues, ce sont des dents en rape (par exemple, les dents du vomer chez le Brochet) ; plus effilees encore et recourbees vers le bout, ce sont des dents en carde. Chez divers Poissons, les dents ont l'aspect des canines des Mammiferes ; chez d'autres, elles sont en forme de tubercules ronds ou o vales, en forme de cones, en forme delamellcs avec tousles intermediaires, toutes les modi- fications imaginables. II est un groupe ichthyologique (les Lamproies), ou la bou- che est conformee d'une manifere bien differente de celle des FONCTIONS DIGESTIVES. 10b autres representants do la classe, mais il est inutile de nous en occuper ici ; les remarquables caracte-res de cette bouclie se troiiYcront exposes dans un chapitre special. La langue existe chez le plus grand nombre de Poissons. Get organe, tonjours dur, peu mobile, porte par l'os liyoide qui est plus ou moins avance entre les deux branches de la ma- choire inferieure, ne se deplace gu6re que par les mouvements de Fappareil hyoidien. La langue etant ainsi incapable de se projeter au dehors ne sert en aucune maniere a la prehension des aliments. Dans la cavite buccale, un voile membraneux qui se fait ordinairement remarquer en dedans de chaque machoire,parait avoir pour usage d'empecher les aliments et l'eau avalee pour les besoms de la respiration, d'etre rejetes par la bouche. Les dentelures des arcs branchiaux servent a leur tour, lorsque les aliments sont portes plus loin, a les empecher de tomber entre les fentes branchiales. On connait le double role de la salive chez l'homme et les animaux superieurs; la salive, agent mecanique, facilite la prehension des aliments et la deglutition, agent chimique, elle estle dissolvant de certaines substances. Pour des animaux qui avalent dans l'eau et qui ne machent point, ce liquide etait inutile; les glandes salivaires manquent chez la plupart des Poissons, et s'il en existe, elles sont extremement rudimentaires. Les Cyprinides et plusieurs autres Poissons, ont le palais re- convert d'un tissu mou, epais, renfermant des cryptes que Ton considere comme de petites glandes salivaires, et sous la membrane muqueuse du palais, il y a egalemcnt de petites glandes chez les Raies. Mais dans lesLamproies, qui pendant la deglutition ne laissent pas penetrer l'eau dans leur bouche, il iOG 11ISTOIRE GE^ERALE DES POISSONS. existe une paire de glandes ayant des conduits excreteurs qui s'ouvrent dans la cavite buccale. Le pharynx est soutenu chez les Poissons par les os pharyn- giens qui sont souvent garnis de dents puissantes, de sortc que les aliments subissent une trituration avant de passer dans l'cesophage ; leur sejour un peu prolonge dans cette portion du tube digestif, etant sans danger pour des animaux a respiration branchiale. On a raeme observe que des especes herbivores, apres avoir gorge leur estomac, avaient la faculte d'en faire remonter le contenu pour le broycr entre les dents pharyn- giennes. Le canal intestinal est presque toujours contenu en entier dans la cavite abdominale. D 'ordinaire, rcesophage est un tube large qui se confond insensiblement avec l'estomac. L'estomac lui-meme, dans une infinite de Poissons (par exemple les Gy- prinides) n'offre point en arriere de limite nette, aucune val- vule ne le separant de l'intestin. Dans d'autres, il est plus ou moins renflc ou raeme globuleux et chez beaucoup d'especes carnassieres, il forme un sac parfois tres-vaste, rejete de cote, en sorte que Torifice pylorique se trouve a l'extremite d'une portion etroite et a peu pros cylindrique. On s'explique parfai- tement cette conformation pour des animaux qui doivent re- tenir une proie souvent volumincuse dans leur estomac afin qu'elle soit digeree en entier. Des Poissons de plusieurs groupes ont un estomac dont la portion pylorique renflee ou pourvue de parois musculeuses fort epaisses, devient un organe tritu- rant, a la facon du gesier des Oiscaux (les Muges, les Mo- ses, etc.). L'intestin varie extremement sous le rapport de la longueur. Toujours un pen plus long que le corps chez les especes car_ F0NCT10NS DIGESTIVES. 107 nassieres, il presente quelques courburcs. On nc connait guere que les Lamproies, ou le tube alimentaire se porte absolument en ligne droite de la bouche a l'orifice anal. II en est pour les Poissons comme pour les animaux des autres classes; ce sont les herbivores dont l'intestin fort long, se trouve necessairement tres-replie sur lui-meme. Dans les Garpes, le tube digestif n'a pas moins de deux fois la longueur du corps. Les parois de l'intestin des Poissons sont constitutes, de raeme que chez les animaux superieurs, par une membrane externe musculeuse, et par une membrane interne dite mu- queuse. Sculcment cette derniere n'offre pas, le plus souvent, de villosites analogues a celles qu'on rencontre dans les Mammi- fercs et les Oiscaux. La surface de la muqueuse intestinale, presque lisse chez certaines especes, presente simplement dans les autres circonstances des cellules ou areoles polygonales, comme la Perche et l'Anguille en fournissent des exemples des plus caracteristiques. L'entree du gros intestin est aussi pour- vue d'un gros bourrelet fonctionnant a la facon d'unc valvule pour empecher le re tour des matieres descendues jusqu'a l'ex- tremite du tube alimentaire. Une disposition bien curieuse, destinee a allonger le trajet que doivent suivre les matieres alimentaires, existe chez la plu- part des Poissons cartilagineux. Cette disposition est fournie par une large bandelette contournee en spirale et adherente par son bord externe a la muqueuse, dans presque toute la portion moyenne du canal. Les anatomistes ont donne a cette sorte de rampe le nom de valvule spirale. Comme chez les Vertebres superieurs, le tube digestif est ac- compagne de glandes particulieres, les appendices pyloriques, le foie, le pancreas. 108 HISTOIRE GENERALE DES FOISSONS. Lcs appendices pyloriques, tubes aveugles s'ouvrant clans l'mtestin an voisinage du pylore, paraissent avoir un role ana- logue a celui cle petites glandes que Ton trouve ehez les Mam- miferes logees dans les parois memos de l'intestin (glandes de Lieberkiihn). II est des Poissons oil les appendices pyloriques sont en nombre enorme, commc les Truites et les Saumons; d'autres, oil il n'y en a que deux ou trois, d'autres un seul. Ces organes secreteurs, aussi varies dans leurs proportions que dans leur nombre, debouchent en general isolement dans l'in- testin, mais chez diverses espfeces, ils se reunissent plusieurs ensemble pour s'ouvrir par un conduit commun. Lefoie est toujours assez volumineux. Tantot ramasse, tan- tot plus ou moins allonge, il pent constituer une seule masse (Saumon, Brochet, etc.), ou presenter un lobe (Perche), ouoffrir des divisions assez nombreuses. Le canal qui verse la bile dans l'intestin (canal cholecloquc), s'ouvre en arriere du pylore. Lave- sicule du fiel a ete observee d'une mani^re presque constante. Le pancreas manque chez beaucoup de Poissons osseux, et dans les espe.ces ou cette glande existe, elle est toujours tres- pctite. Ses canaux se reunissent pour former un seul conduit qui va deboucher dans l'intestin, pre.s-de l'orifice du canal de la bile. Dans les Poissons cartilagincux, il est en general assez vo- lumineux. La rate,sorte de glande sanguine, dont le role dansl'economie est encore tr6s-imparfaitement connu,setrouve, chez la plupart des Poissons, accolee a l'estomac ou a la portion antcrieure de l'intestin. La rate est beaucoup plus volumineuse chez les Poissons cartilagincux que chez les Poissons ordinaircs, et dans les Esturgeons, elle est multiple. Les intestins et les glandes sont enveloppes, comme chez les SECRETION URINAIRE. 109 autres Vertebres, par le peritoine et separcs ainsi de la cavite qui contient les reins. § 16. — Des organes de la secretion urinaire. Les organes urinaires ou les reins out un volume tr&s-consi- derable chez la plupart des Poissons. En general, ils occupent toute la longueur de la cavite abdominale, s'etendent memo chez certaines especesentre la basedu crane et l'appareil bran- chial oujusque dans la region caudale. Dans tons les cas, ils sont fixes au-dessus des autres viseeres de 1'abdomcn, de chaque cote de la colonne vertebrale, se montrantle plus souvent reunis Fun a l'autre, soit dans quelques parties de leur longueur, soit dans toute leur etendue. Ges glandes sontcomposees,comme chez les autres Vertebres, de tubes ou de canalicules uriniferes communiquant entre eux et termines chacun par unc ampoule designee sous le nom de corpuscule deMalp'ujhi, du nom de l'anatomiste qui le premier en reconnut l'existence. Le canal collecteur du produit urinaire verse par les canali- cules, l'uretere, regne pres de la face inferieure du rein, s'en separe en arriere et s'unit a celui du cote oppose pour former un scul conduit. Celui-ci debouche dircctement an dehors par rorifice des organes de la reproduction, ou par un orifice parti- culier situe un peu en arriere de ce dernier, apr^s avoir forme une dilatation, une vessie, diversement conformee suivant les esp^ces l. Chez les Poissons cartilagineux (Raies, Squales, etc.), les 1 Pour plus de details, voir Milne Edwards, LeQons sw la Physioloyie et TAnatomie comparee, t. \TI, p. 321 et suivantes. 110 HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. reins sont mediocrement developpes et tres-ordinairement par- tages en une suite de petits lobes. On n'a jusqu a present que peu de donnees sur la composition chimique de Purine des Poissons. Cependant, on a constate dansceliquide, la presence de l'acide urique et de plusieurs sels alcalins. Nous ne pouvons qu'indiquer ici la presence de glandes dont le role est encore eompletement obscur et que Ton nomme, a. raison deleur situation par rapport aux reins, les glandes surre- nales. Elles consistent chez les Poissons osseux en corpuscules blanchatres, arrondis et enveloppes d'une tunique. Dans plu- sieurs Poissons cartilagineux, elles ont l'apparence d'une ban- delette d'un jaune vif. § 17. — De la reproduction. On est sans doute trop persuade que les Poissons sont des creatures, non-seulement denuees detout vestige d'intelligence, mais encore privees de la plupart des instincts dont une foule d'autres animaux fournissent des exemples. Cette opinion a ete rcproduite sous mille formes, surtout avant l'epoque ou des observations precises surl'industrie de quelqucs especes ont pu donnerapenser que beaucoup de Poissons etaicnt mieux parta- ges qu'on neFavait suppose. Les Poissons, chez lesquels, pour la plupart, aucun rapproche- ment intimene s'opere entre les individus des deux sexes, nous semblent rester fort indifferents les uns pour les autres ; mais 1 'opinion con^uc a eet egard est pcut-etre fort crronee. Pour ces animaux, dont la vie s'ecoule hors de la portec de notre vue, les habitudes, les mceurs cchappent a 1'attcntion, si Ton n'a rccours a certains moyens, toujours assez difficiles a mettre en pratique, REPRODUCTION. Ill pour bicn observer. On se trompe souvent lorsqu'on croit qu'il ne se passe rien, la ou l'on n'a rien su voir. Avec les idees generalement acceptees touchant la notion que les Poissons peuvent prendre des objets exterieurs, comment s'expliqucr les changements qui se manifestent chaque annee chez ces animaux quand arrive l'epoque de leur reproduction ? Tout a coup, certaines cspeces dont les couleurs ctaient ternes se parent des plus vivos, des plus eclatantes nuances; comme les Oiseaux, clles revetentleur parure de noce. Qui n'a remarque au printemps cc chetif Poisson si cornmun dans les ruisseaux, et que tout le monde appelle le Vairon. II est splendide alors : son dos brille de teintes metalliques bleues on vertes; ses levres, ses joues, son ventre, ses nageoires, d'un magnifique rouge ecarlate, le rendent eblouissant. A peine a-t-il satisfait a cette grande loi de la nature qui assure la perpetuite des etres, que ses brillantes couleurs s'effacent , les tons metalliques disparais- sent, le beau rouge des parties inferieures du corps s'affaiblit jusqu'a ce qu'il n'en reste plus de trace. L'animal a repris sa modeste livree. Deslransformations analogues, toutaussi saisissantcs, chez les Epinoches, ont ete decrites avec un soin et une elegance dignes du sujet. La Perche, qui charme les yeux par la beaute et la va- riete de sa coloration, ne se montre dans tout son eclat qn'a l'e- poque du frai. G'est alors surtout que ses nuances vertes don- nent le mieux leurs reflets dores , que le rouge de ses nageoires est dans toute sa vivacite. Un pareil changement a lieu chez une infinite de Cyprinides, comme les Roches, les Rotengles, etc. Parmi les Salmonides, la parure de noce est encore bien sensi- ble. L'Ombre-chevalier, d'ordinaire d'un gris de perlc pale, avec la partie inferieure du corps blanchatre , se colore sur 112 HIST01RE GEXERALE DES POISSONS. le dos d'une teinte bleuatre, sur le ventre d'un ton orange. Dans le monde des Poissons, il est certain qu'a l'epoque de la reproduction un irresistible instinct pousse les individus des deux sexes a se rapprocher et a vivre en compagnie, au moins pendant un certain temps. On a doute de l'attrait que les indi- vidus d'un sexe pouvaient exercer sur les individus de l'autre sexe, parcc que, cliez le plus grand nombre de ces animaux, il n'y a jamais de rapprochement intime entre les males et les femelles ; mais ces parures de noce dont il vient d'etre ques- tion, ne temoignent-elles pas bien evidemment de sensations dont les etres d'un ordre plus eleve eprouvent le charme? Parmi les especes qui construisent des nids plus ou moins parfaits et le nombre semble aujourd'liui en etre assez consi- derable *, les males se portent avec ardeur a la recherche des femelles et reussissent a les attirer jusqu'a l'endroit prepare pour recevoir le depot des oeufs. Des Poissons vivant isoles pen- dant presquc toute l'annee, se montrent par troupes a l'epoque du frai, les males poursuivant les femelles et nageant pres. d'el- les sans les quitter d'un moment. Instinct indispensable pour assurer la propagation de l'espece, ainsi qu'on en a acquis la preuvepar unc suite d'observations et d'experiences. Les oeufs que deposent les femelles seraient perdus, s'ils n'etaient fecon- des aussitot apres la ponte. Spallanzani, ce naturaliste plein d'idees ingenieuses, avait constate que les oeufs des Grenouilles perdaient avec une etonnante rapidite la faculto d'etre fecon- des 2. MM. Prevost et Dumas se sont assures de l'exactitude 1 On peut consulter a cot egard de nouvelles observations sur des I'oissons marins, dues a M. Gerbe. Revue et Magasin de Zoologie, p. 273 et 337, 1864. 2 Spallanzani, Experiences pour servir a I'histoire de hi generation, tra- duction frangaise, p. lo7. Geneve, 1785. REPRODUCTION. 113 de l'observation de l'auteur italien, tout en admettant encore une vitalite des oeufs plus grande peut-etre qu'elle ne Test en realite dans la plupart des circonstances l. M. Gosteavu, chez les memes animaux, que tres-peu d'o3ufs restaient infeconds, si rimpregnation avait lieu immediatement ; que plus de la moi- tie etaient perdus au bout de cinq minutes, le tiers apres dix minutes. Dans une experience, sur 140 ceufs, 5 seulement 1'urent feconds apres une demi-heure et pas un seul apres une heure 2. Pour les Poissons nous n'avons pas de chiffre aussi precis a citer, mais nous savons neanmoins que les ceufs peri- raient egalement s'ils n'etaient impregnes de la laitance, au moment meme de leur emission, surtout lorsque la tempera- ture est un peu elevee. Sans l'attachement des males pour les femelles, pendant une periode de l'annee, la propagation des especes cesserait d'etre assuree. D'un autre cote, lorsque la laitance est repandue, la vitalite des corpuscules fecondateurs ne persiste dans l'eau, leur \elii- cule naturel, que durant quelques minutes. D'apres les expe- riences deM. Goste, les corpuscules fecondateurs perdent leur motilite et en meme temps leur propriete, au bout de deux a trois minutes pour le Barbeau, la Garpe, le Gardon, six a huit minutes pour le Brochet, la Truite, le Saumon. D'apres les ex- periences deM. Millet, la vie de ces corpuscules fecondateurs a une duree moindre encore, lorsque la laitance est complete- ment delayee dans l'eau. Chez les Poissons osseux, les organes de la reproduction sont i Deuxieme memoire sur la generation. — Annales des sciences naturellcs, t. II, p. 134. 1824. 2 Coste, Histoire generale et partiruhere du development des corps or- ganises, t. 11, p. 44. 1859. Bl.ANCHARD. g ili HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. d'une extreme simplicite. On les trouve presque toujours loges en cntier dans la cavite abdominale, ou ils sont maintenus en place par des replis du peritoine. Les ovaires consistent ordi- nairement en deux sacs ayant des parois constitutes par deux t uniques, l'une musculeuse, l'autre membraneuse, et pourvues a l'interieur de replis variables dans leur direction comme dans leur nombre. Chez beaucoup d'esp&ces, les ovaires sont en con- tinuity avec des oviductes qui se reunissent bientot en un ca- nal commun s'ouvrant par un pore situe au voisinage de l'ori- fice anal ; tels sont les Epinoches, les Cyprinides, les Brochets, les Harengs, etc. II y a divers Poissons dontl'un des ovaires est atrophic, c'est lecaspourla Perche. II est des especes, comme les Truites et les Saumons, oil ily a absence d'oviductes, de sorte que les ceufs tombent dans la cavite abdominale, d'ou ils sont expulses par deux ouvertures placees un peu en arriere de l'anus, au moyen des contractions des muscles abdominaux. Chez les Ganoi'des, les Esturgeons en particulier, il y a dis- continuity entre les oviductes et les ovaires. Lorsque les ceufs abandonnent les ovaires, ils descendent ainsi dans la cavite ab- dominale pour passer ensuite dans les oviductes; ceux-ci, evases dans leur portion superieure, se confondent dans leur portion inferieure avec les conduits des reins [ureter es). Dans les Cartilagineux, tels que les Raies et les Squales, il y a toujours solution de continuite entre les ovaires etles oviductes, comme chez les precedents et comme chez tous les Vertebres superieurs, de sorte que les ceufs doivent traverser une partie de la cavite limitee par le peritoine avant d'atteindre l'embou- chure des oviductes, qui est en forme de trompe evasee. Parmi les Plagiostomes (Requins, Squales, Raies, etc.), ily a REPRODUCTION. US des especes ovipares et d'autres xivipares. Chez les premieres, la coque de l'ceuf parait etre produite par un organe special, sorte de glande formee de canalicules presses les uns contre les autres et situee au sommet de 1'oviducte. Chez les especes vivi- pares, les jeunes se developpent dans une dilatation de l'ovi- ducte (uterus) et sortent libres de toute enveloppe. Les organes males des Poissons osseux ont la meme simpli- city que les organes femelles. Ce sont deux sacs ayant la meme apparence generale que les ovaires, pouvant comme ces der- niers presenter des lobules ou des divisions. Parfois il n'existc qu'un sac ; lorsqu'il y en a deux, leurs canaux deferents se reu- nissent en un seul conduit qui se jette dans le canal de l'uretre et s'ouvre au dehors, pour donner passage a lalaitance, soit dans une petite papille, soit dans une fossette placee en arrierc de l'orifice anal. Dans les Poissons cartilagineux les plus parfaits (Raies, Squales, etc.), les organes males sont deux corps larges et apla- tis divises par loges contenant chacune une xesicule remplie de cellules. Ces organes en communication par des vaisseaux avec un epididyme compose de canaux flexueux, se terminent par un conduit deferent qui debouchedans la portion elargie des ureteres (vessie). Chez les especes ou s'effectue un rapproche- ment intime entre les individusdes deux sexes, on remarque au bord de l'orifice, des organes en forme de tenaille 4. 1 Nous n'avons pas parle dans cet apergu de l'organisation des Pois- sons, des organes electriques des Torpilles, des Gymnotes, etc. Une description de ces organes dont il n'y a pas d'exemple chez nos Pois- sons d'eau douce, nous aurait oblige aentrer dansdetrop longs develop- pements, mais ceux qui voudraient en faire une etude, pourront con- suiter: Matteucci et Savi, Traite des phenomenes electriques, Paris, 1844, et surtout le beau travail de Max Scbultze, Ueber die electrischen Organe H6 HIST01RE GENERALE DES POISSONS. g 18. — Du D6veloppement. Au moment de la ponte, l'ceuf des Poissons osseux se com- pose du vitellus (le jaune), de gouttelettes d'huile, de la vesi- cule et des taches germinatives, de la membrane vitelline et de la coque qui est percee de petits trous que Ton designe aujour- d'hui sousle nom de micropyles l. C'est par ces ouvertures microscopiques que les corpuscules fecondateurs de la laitance penetrent dans l'interieur de l'ceuf. Peu d'heures apres la fe- condation, la membrane vitelline, par suite de la penetration de I'eau, s'isole de la coque, de sorte que le vitellus tourne libre- ment dans l'ceuf. Le vitellus n'offre ni vesicules ni cellules, mais il a des globules libres en nombre moins considerable que dans 1'ceiif des autres animaux, a cause de l'abondance du liquide albumineux et des particules huileuses qui se ramas- sent pour former de grosses gouttes. Bientot les globules vitel- lins se portent vers un point de la surface et le germe apparait sous la forme d'une ampoule. Peu apres, le germe prend l'ap- parence d'une vesicule diaphane, composee de cellules globu- leuses ; un fractionnement se produit, et la phase de sillonnement accomplie, le germe embryonnaire affecte une forme hemisphe- rique etpresente un aspect grenu. L'embryon s'isole de plus en plus de la vesicule vitelline, par suite du developpement de la membrane (blastoderme)qui vient envelopper le vitellus. A par- tir de ce moment, les principales regions du corps commencent a etre distinctes ; un sillon dorsal se montre sur toute la lon- ger Fische, I8IJ8, et Annates des sciences naturellcs, 4e ser., t. XI, p. 37o. 1859. 1 On trouve des observations nombreuses sur le micropyle des Poissons dans un memoire de M. Reichert. Miiller's Archiv, 1 .^56, p. 83. DEVELOPPEMENT. HI gueur de l'embryon, la tote so renfle et semble etre une vesicule vide. Un pen plus tard, le sillon dorsal se limitc en avant, les divisions vertebrales deviennent sensibles, trois divisions se dessinent avec une nettete croissante dans la region cephalique. Ensuite, la corde dorsale devient distincte, les divisions verte- brales se prononcent davantage, lesvesicules oculaires s'isolent sur les cotes de la region moyenne de la tete, et celle-ci se rem- plit de cellules nerveuses. Apres ces formations, le cceur se montre sous l'apparence d'un petit cone solide, appuye sur le vitellus ; sa cavite se forme bientot et Ton y apercoit des glo- bules sanguins ; les vaisseaux apparaissent ; la circulation du sang est etablie ; l'intestin se constitue et prend sa forme tu- buleuse ; la tete se degage peu a pen du vitellus ; un pig- 4... ..6» ...5 Fig. 3. — OEuf de saumon apres la fecondation, de grandeur naturelle. — Fig. 4. — Le meme grossi. — Fig. 5. — OEuf de saumon dont l'embryon est distinct en entier, au travers de la coque. — Fig. C. — Saumon venant d'e- clore, grossi. — Fig. 6\ — Sa grandeur naturelle. ment commence a se manifester sur les parties laterales du corps et sur la tete. L'embryon tout entier est alors tres-distinct an travers de la coque de l'ceuf. II est arrive a terme ; le jeune poisson eclot, 118 H1ST0IRE GENERALE DES POISSONS. portant appendue a son ventre la vesicule vitelline contenant des gouttes d'huile sonvent fort grosses, et des vaisseaux sanguins elegamment ramifies. Pen a peu cette vesicule se resorbe. Toutes les parties dn corps, pieces opercnlaircs, nageoires, se developpent, et lorsque la vesicule a entierement disparu, Ta- il imal doit commencer a chercher sa nourriture. Rien de plus joli que les jeunes Poissons an sortir de l'oeuf ; au travers de leurs tissus delicats et diaphanes, on petit voir et compter les battements de leur coeur, suivre tout le trajet de leurs arteres et de leurs veines et observer ainsi la circulation entiere du sang 4. La rapidite de la marche du developpement est extremement variable pour les differentes especes de Poissons ; chez beaucoup (Ventre elles, huit a dix jours seulement s'ecoulent entre la ponte et l'eclosion (Perche, Chabot, Epinoches, etc.) ; chez d'autres, environ deux mois (Salmonidcs). Dans Voeuf des Poissons cartilagineux, le vitellus, bien dif- IV'rentde celui de l'ceuf des Poissons osseux, estconstitue par des cellules analogues a celles du jaune de l'ceuf des Oiseaux ; seulement ces cellules, aulieu d'etre remplies de granules, ren- lerment des corpuscules quadrangulaires d 'aspect cristallin. La vesicule germinative est d'une elasticite telle qu'elle se I'ompt si Von vient a la comprimer. II est des Poissons qui naissent etgrandissentsous une forme particiiliere et subissent une transformation, une veritable me- tamorphose, apr6s etre arrives plus on moins pres du terme de leur croissance. Les Lamproies nous en fourniront un exemple. 1 M. Millet a observe le iKimbre des baltements du coeur cbez les Iruites et les Saumons nouveau-nes sous les differents degres de tem- perature. Voir Revue des Socieles savantes, t. VI, p. ."iOT. 1864. CLASSIFICATION. 119 § 19 . — De la classification des Poissons. Les classifications proposees pour les Poissons ont varie, na- turellement, selon les vues de leurs auteurs et surtout suivant Fetendue des connaissances scientifiques. L'historique de ces variations offrirait ici un interet assez mediocre. Nous nous bornerons a signaler ce qui a reellement une importance dans letat actuel de l'lchthyologie. La comparaison des caracteres tires de l'ensemble des orga- nes, on l'a vu, fait ressortir des dissemblances enormcs entre les principaux types de la classe des Poissons , et en meme temps des rapports de conformation, des affinites naturelles entre tous ces animaux, vraiment impossibles a meconnaitre. D'apres cela, on congoit sans peine combien les appreciations purent etre di- \erses. Le zoologiste suedois Pierre Artedi avait commence a definir les ordres et les genres de la classe des Poissons avec une habi- lete quilui a valu une juste renommee. Tr^s-frappe des diffe- rences qui existent entre les principaux types , Linne modifia bientot la classification proposee par son compatriote, sans se montrer toutefois bien heureusement inspire. Les Poissons os- seux, divises en quatre ordres d'apres la consideration de l'ab- sence ou de la situation des nageoires 4, composerent seulsla classe des Poissons; les cartilagineux, auxquels furent adjoints de la maniere la plus arbitraire des especes qui s'en eloignenta i \&%Apodes, sans nageoires ventrales ; les Jiiyulttires,&\ec les nageoi- res ventrales plus en avant que les pectorales ; les Thoraciques, avec les nageoires ventrales sous les pectorales; les Abdorninaux, avec les na- geoires ventrales plus en arriere que les pectorales. — Systema natura, I2eedit., 1. 1, p. 422(1766). 120 H1ST01RE GENERATE DES POISSONS. tons egards, prirent place avec les Reptiles et les Batraciens dans la classe des Amphibies sous le nam d' A?nphibia na?ite$ l. Ges groupements zoologiques parurent a bon droit fort estran- ges, et nous aurions juge inutile d'en rappeler le souvenir, si I'idee de separer les Poissons cartilagineux des autres types ich- thyologiques ne s'etait reproduite de nos jours , en s'appuyant sur des faits scientifiques d'une incontestable xaleur. Apr6s cette indication, il nous est permis de passer de suite a I'examen de la classification de Cirvier, d'abord generalement adoptee et maintenant encore suivie par une foule d'auteurs. Pour Guvier, les Poissons forment deux series distinctes : les Poissoiis proprement dits (osseux) etjles Chondropterijgiens on Cartilagineux. Les premiers sont partages en Acanthopterijgiens et en Malacopterygiens, suivant que les premiers rayons des na- geoires dorsale et anale sont durs et osseux, on flexibles et ar- ticules, corame si de petits troncons otaient places a la suite les uns des autres. Les Acanthopterijgiens sont ensuite distingues par families, et dans cette classification on en compte quinze. Les Malacopterijgiens sont repartis dans trois ordros : les Malacopterygiens ahdomiyiaux , ayant les nageoires ventrales suspenduesen arriere des pectorales ; les Malacopterygiens\snb- brachiens, ayant les nageoires ventrales placees exactement au- dessous des pectorales, et les Malacopterygiens apodes, prives de nageoires ventrales 2. 1 Les Lamproies, les Raies et les Squales, les Esturgeons avec les Baudroies, les Coflres, les Syngnathes, etc. 2 Si nous indiquons encore dans notrc livre, les deux divisions des Acanthopterygiens et des Malacopterygiens, c'est faute d'avoir jusqu'ici un meilleur moyen de grouper les Poissons osseux, car M. Agassiz vient CLASSIFICATION. 12t Viennent ensuite deux autres ordres separes des prece- dentes divisions : les Lop/wbra?iches (Syngnathes, Hippo- campes), remarquables par leurs branchies constitutes en ma- niere depetites houppes disposees par paires le long des arcs branchiaux, et les Plectognathes (Poisson-lune, Ostracions, Diodons, etc.), surtout caracterises par l'immobilite de leur ma- choire superieure, l'os maxillaire etant soude ou fixe solidement a rintermaxillaire et l'arcade palatine engrenee avec le crane. La seconde serie, les Chondropterygiens ou Cartilaginenx, est divisee en trois ordres : les Chondropterygiens a branchies libres (Esturgeons), les Chondropterygiens a branchies fixes (Requins, Squales, Raies, Torpilles, etc.), etles Suceurs (Lam- proies) l. Les defauts de cette classification, dejaentrevus par Guvier lui-meme, furent bientot mis plus en evidence, au moins en partie, par de nouvelles recherches sur la conformation des Poissons. II devenait certain pour les naturalistes que la nature des rayons des nageoires, que la position des \entrales, que la disparition meme de ces nageoires, n'etaientpas des caracteres d'une haute importance. Sous l'empire d'idees con^ues par suite d'etudes sur les Fos- siles, M. Agassiz eut recours essentiellement aux caracteres fournis par les teguments, et s'appuyant sur ces caracteres d'une maniere trop exclusive, il proposa une repartition de la classe entiere des Poissons en quatre ordres. de montrer par des recherches reeentes que certaines especes, ayanl, lorsqu'ils sont adultes, les caracteres des Acanlhoptery gicns , sont des Malaeopterygiens pendant leur jeune age.' — Agassiz, Observations sur les metamorphoses des Poissons, Annates des sciences naturelles , 5e serie, t. Ill, p. 55. 1865. 1 Regne animal, t. II (1829). 122 HIST01RE GENEHAEE DES POISSONS. Ces quatrc ordressont : iu\?s,Placo'idie)is, correspondant aux Chondropterygiens de Cuvier, a l'exception du premier ordre ; 2° les Ganoidiens on Gano'ides, comprenant ce premier ordre des Chondropterygiens (Esturgeons), quelques types dont les \eritables affinites naturelles avaient ete jusqu'alors mecon- nues (Lepidostee, Polyptere, etc.), puis im grand nombre de formes appartenant aux periodes geologiques, et enfm les Plectognathes et les Lophobranches de Cuvier ; 3° les Cteno'i- dietis, a ecailles denticulees sur leurs bords, c'est-a-dire les Acanthopterygiens d'Artedi etde Cuvier, a l'exception de ceux qui ont des ecailles a bord uni et avecl'addition des Pleuronectes (Turbot, Sole, etc.) ; et 4° les Cyclo'idiens, a ecailles lisses sur leurs bords, comprenant tous les Malacopterygiens de Cuvier, et de plus quelques families d'Acanthopterygiens ! . Un beau resultat des recherches de M. Agassiz, c'etait la se- paration pleinement justifiee des Gano'ides des autres types de la classe des Poissons ; un resultat mediocre, c'etait la ca- racterisation des deux ordres auxquels serattachent tous les Pois- sons ordinaires, d'apr^s une particularite unique, particularite offerte par les ecailles, qui sont atrophiees chez beaucoup d'es- p5ces, qui manquent absolument chez beaucoup d'autres. Jean Miiller, eclaire surbien des points par ses magnifiques travaux sur l'organisation des Poissons, devait aussi presenter ses vues touchant la classification. S'appuyant sur des carac- teres tires de la structure des valvules du cceur, de la confor- mation de l'appareil branchial, de la vessie natatoire, il com- mence par diviser la classe des Poissons en six sous-classes : \ ° les Teleostiens (Poissons osseux), qui ont deux valvules a l'en- 1 The Edinburgh new Philosophical Journal, \o\. XVIII, p. 176 (1834- 1835), et Recherches sur les Poissons fossiles. CLASSIFICATION. 123 tree du bulbe aortique ; 2° les Dip?wiens, ayant a la fois des branchies, des poumons et des valvules aortiques en spirale (le seul genre Lepidosiren)\ 3° les Ganoidiens, pourvusde nom- breuses valvules aortiques ; 4° les Elasmobranches (Raies, Squales), caracterises par leur crane sans division et par la nature deleurs teguments; 5°j les Mwsipobranchez * ou Cy- clostomes (Lamproies, Myxines), distingues par 1 'absence d'arcs branchiaux et par plusieurs autres caracteres ; et 6° les Leptocardiens, comprenant un seul type (Amphioxus), remar- quable au plus haut degre par l'absence d'un veritable cceur, comme par l'absence de distinction entre la moelle epiniere et le cerveau. Les Poissons osseux on Teleostiens sont ensuite repartis dans sixordres : i°\esAca?ithopterie?is, dontlesos pharyngiens sont doubles (la plus grande partie des Acanthopterygiens de Cuvier) ; 2° les Anacanthiens (Gades et Pleuronectes) ; 3° les Pharyngognathes, dont les os pharyngiens inferieurs sont lvunis (Labres, Sombresox);4°les Physostomes, ayant lavessie natatoire pourvue d'un canal aerien (Cyprins, Brochets, Sal- mones, etc.) ; S° les Plectognathes ; et 6° les Lophobranches* . Les autres sous-classes sont suffisamment indiquees par les types que nous avons cites. Les premieres divisions, telles qu'elles sont presentees par Jean Muller, reposent toutes sur des caracteres d'une importance incontestable ; elles offrent un tableau des principales formes de la classe des Poissons, plus 1 Ce nom, ainsi que le precedent, est emprunte au prince Charles Honaparte. 2 Muller, Beitrage zur Kenntniss der naturlichen Familien der Fische. — Erichson's Archiv. 1843, s. 292. — Memoire sur les Ganoides et sur la classification nalurelle des Poissons, Annates des sciences naturelles, oe serie, t. IV, p. o. 1845. \n HISTOIRE GENERALE DES POISSONS. parfait, h certains egards, que les tableaux des auteurs prece- dents. Les divisions etablies parmi les Poissons osseux (Teleos- tiens) peuvent au contraire soulever de nombreuses objections. Enfin, il y a peu d'annees, M. Agassiz, considerant les diffe- rences considerables qui existent entre les principaux types de Poissons, a ete conduit a regarder ces differences comme aussi importantes que les differences qui separent les Reptiles des Oiseaux, les Oiseaux des Mammiferes. II proposa alors la dis- tinction en quatre classes des animaux reunis par tous les Zoologistes, a l'exception de Linne, dans la scule classe des Poissons. Ces quatre classes de M. Agassiz sont : 1° les Myzon- tes, repondant a l'ordre des Marsipobranches de Ch. Bonaparte et de Mliller ; 2° les Poissons, reduits a ceux que nous appelons les Poissons osseux ou les Poissons ordinaires ; 3° les Ga- no'ides l ; et 4° les Selaciens (Squales, Raies, etc.) 2. Ces yues, nous pouvons le dire avec assurance, meritent consideration, mais ce n'est pas ici le lieu de les discuter. En exposant brievement les classifications modernes ayant les Poissons pour objet, le but a ete de montrer comment se resument des connaissances recemment acquises, et de fournir a chacun le moyen de reconnaitre la part que les especes de nos eaux douces occupent parmi tous les representants de cette grande classe des Poissons. Cet expose nous permettra d'ailleurs de passer sous silence, dans notre Histoire particuliere, la plus grande partiedes noms qui viennent d'etre mentionnes. 1 Eu y comprenant avec doute les Silures, les Plectognathes et les Lophobranehes. - 2 Agassiz, Contributions to the Natural History of the United-States. Vol. 1, pars i, p. 137-187. HISTOIRE PARTICULIERE LES POISSONS OSSEUX L'ORDRE DES ACANTHOPTERYGIENS G'est la presence de rayons epineux aux nageoires qui carac- terise,qui distingue le plus nettement les Acanthopterygiens des autres Poissons. La premiere portion de leur nageoire dorsale ou leur pre- miere dorsale tout entiere, lorsqu'il y en a deux, est soutenue par des rayons de cette nature. II y en a egalement quelques- uns, a la nageoire ventrale et au moins un aux centrales. Chez les Acanthopterygiens, les ecailles sont ordinairement pectinees a leur bord, mais ce caractere n'est pas aussi exclusif que le premier, et il n'apas la meme generalite, car les ecailles manquent completement chez beaucoup d'especes. Cet ordre est celui de la classe des Poissons qui a le plus grand nombre de representants ; seulement les especes qui \i- vent dans les eaux douces sont en quantite beaucoup plus petite que dans l'ordre des Malacopterygiens. 120 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. LA FAMILLE DES PERGIDES (percid^) Quelques Poissons repandus dansles eauxdouces de l'Europe et differentes especes de nos cotes maritimes, sont designes par les pecheurs et connus de tout le monde sous le nom de Perches. Ges Poissons, assez varies dans leurs formes, constituent pour les naturalistes, la famille des Percides l. Les representants de la famille des Percides ont, en gene- ral, des formes assez sveltes , des proportions elegantes, des mouvements faciles. lis sont reconnaissables , du reste , a un grand nombre de caracteres. Leur corps oblong , souvent un peu comprime lateralement , est couvert d'ecailles dures bien remarquables. Ges ecailles, dont la face exterieure esj apre an toucher, ont leur bord libre pourvu de dents ou d'epines parfai- tement distinctes a la vue simple, si Ton y porte un pen d'atten- tion, qui apparaissent sous un grossissement meme assez faible, comme des chefs-d'oeuvre de ciselure. Les ecailles des Percides sont implantees dans la peau par un bord decoupe en festons correspondant a des sillons longitudinaux qui convergent plus ou moins versle centre. Des stries circulaires, egalement espa- cees, tou jours d'une admirable nettete, ay ant de legeres ondu- lations, les parcourent sur toute 1'etendue recouverte par les ecailles inserees plus en avant, tandis que la portion qui est a 1 Cuvier, et k son exemple la plupart des auteurs ont ecrit Percoides. Celte forme est peut-Ctre plus euphonique, mais elle a le defaut assez grave d'etre irrSguliere. Nous pensons qu'il y a tout avantage a adopter exactement la meme desinence pour tous les noms de families. Yarrell et les zoologistes anglais, en general, ont employe le mot Percides (Percidcc). PERCIDES. t27 decouvert est chargee d'asperites disposers en files longitudi- nales, ordinarrpment en continuity des pointes fines et nom- breuses qui garnissent le bord libre. On connait la sensation do rudesse que Ton eprouve lorsqu'on saisit une Perche avec la main. L'effet est du a la presence des epines et des asperites de ses ecailles. Les Percides ont une bouche assezgrande, munie de tres-pe- tites dents fort nombreiises, pressees les unes contre les autres, de celles que les zoologistes appellent des dents en velours. II y en a non-seulement aux machoires, mais aussi sur la portion anterieure du vomer et aux palatins. II n'existe jamais de bar- Machoire superieure. 0P Machoire inferieure. Fig. 7. — Appareil dentaire de la Perche de riviere. billons chez les Percides. L'opercule et le preopercule sont pour- vus de dents ou d'epines, variables suivant les genres et les es- peces. Ges Poissons ont les oui'es largement fendues, et la mem- 128 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. brane branchiostege soutenue par cinq , six ou au plus sept rayons ; les nageoires dorsales, au nombre de deux chez les es- peces les mieux caracterisees ; les ventrales suspendues aux os de Tepaulepar l'intermediaire de ceux du bassin. La famille des Percides se compose d'especes particulieres aux eaux douces et d'especes marines. Plusieurs d'entre elles unis- sent a des formes elegantes des couleurs \ariees, vives, parfois eclatantes. Ce sont en general des Poissons recherches pour la table, qui, depuis l'antiquite, sont en grande estime pour la de- licatesse et le bon gout de leur chair. Les Percides vivant dans les eaux douces de la France, appar- tiennent a trois genres bien distincts ; mais ce ne sont pas les seuls qui existent en Europe. Une espece que Ton nomme le Sandre (Perca lucioperca, Linne), type du genre Lucioperca de Guvier, habite une partie de 1'Allemagne et de l'ltalie; on la trouve en Russie et jusqu'en Suede, et jamais on ne l'a vuedans notrepays. Gomme on la rencontre a la fois dans des contrees plus boreales et dans une region plus meridionale que la France, j'avais pense que si elle existait seulement dans les cours d'eau qui traversent nos departements du Midi, son existence pouvait avoir echappe a l'attention des naturalistes ; mais toutes mes recherches n'ont pas abouti a la faire decouvrir. Un autre genre de Percides fluviatiles d'Europe, le genre Percarina de Nord- mann, est represente par une seule espece, qui n'a encore et6 observee qu'en Bessarabie et en Russie dans le Dniester l. 1 Percarina Demido/fii, Nordmann ; Voyage da7is la Eussie meridionale, sous la direction de M. Anatole Demidoff, t. Ill, p. 357, pi. I (1840). — Meckel et Kner, Die S&sswasserfische der ostreichischen Monarchic, p. 24 (1858). PERT HE. 129 LE GENRE PERCHE (perca, Linne) Les Perches proprement dites vivent seulement dans les eaux donees. Elles se distinguent des Perches de mer, dont les zoolo- gistes modernes ont forme des genres particnliers, par plnsienrs details de conformation tres-caracteristiques et extremement la- dles a reconnaitre. L'examen de leurs deux nageoires dorsales tres-rapprochees l'nnede l'autiv, de leur preopercule dentele, de leur opercule osseux termine en pointe aigue, suffirait deja pour arriver k une determination certaine. Mais a ces caracteres s'en ajoutent pln- sienrs encore, qui ache-vent de mother la separation des Perches veritables de tous les autres representants de la famille des Per- cides. On remarqne chezces Poissons d'eau donee de petites dentelnres tres-sensibles, a la partie posterieure du premier sous-orbitaire ; on constate que lenr membrane branchiostege a sept rayons osseux, que leurs nageoires xentrales n'en ont que cinq. Si Ton voulait signaler encore un caractere qui ne soit pas exclusif comme les precedents, on pourrait dire que les rayons de la premiere nageoire dorsale sont durs et epineax, que les rayons de la seconde sont flexiblcs. On pense generalement qu'il n'y a qu'une espece du genre Perche, non-seulement en France, mais meme en Europe. Une Perche d'ltalie, dont les couleurs sont tres-pales, a ete decrite, a la \erite , comme distincte de celle dont nous allons retracer l'liistoire. Gettc distinction a ete repoussee par la plupart des Ichthyologistes qui, acetegard,paraissentavoir juge sainement. Une Perche remarquable sous certains rapports, assez commune Blanc hard. 9 130 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. dans une region restreinte de la France, devra etre pour nous, cependant, I'objet d'une attention speciale. LA PERCHE DE RIVIERE (PERCA FLUVIATILIS ') La Perche commune on Perche de riviere, conime on l'appelle indifferemment , est si bien connue, que sa description serait inutile s'il s'agissait ici simplement d'indiquer les traits les plus propres a la faire distinguer de tous les autres Poissons. Paree de belles couleurs, repandue et abondante dans toutes les eaux limpides de TEurope et d'une partie de l'Asie, la Perche a ete, des les temps les plus recules, I'objet de l'attention des observateurs ; elle a excite l'interet qu'inspire aux hommes un animal susceptible de fournir un aliment agreable, facile a se procurer. La Perche est l'habitant presque inevitable des eaux claires, celles des plus grands fleuves, des petites rivieres, aussi bien que celles des lacs. La transparence de l'eau permet souvent an promeneur attentif de suivre de l'ceil les mouvements gracieux et agiles de cebeau Poisson, le plus beau parmi les especes flu- viatiles de notre pays, d'admirer ses dedicates nuances et les re- flets dores qu'elles prennent lorsqu'elles sont eclairees par les rayons du soleil ; nuances releveespar la teinte noiratre de ban- des qui courent sur les flancs de l'animal , et par l'eclat du rouge de ses nageoires ventrales etanale. Tandis que la plupart de nos Poissons ont des noms vulgaires quivarientsuivantles localites, le nom de la Perche est repandu i Pcrca /luviatilis. Liane, Systema naturce, 12e 6dit., t. I, p. 482(176(3). — Guvier et Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. II, p. 20 (1828). PERCHE. 131 apeupres partout en France sans modification. C'est seulement dans les departments du Nord et du Pas-de-Calais que nous 03 s- a. .<=» £ avons entendu les pecheurs employer plus volontiers le nom de Percot;en Provence que celui de Perco est seul usite. En Al- sace, il est vrai, c'est le nomallemand le plus ordinaire, Barsch, qui est en usage. ,32 HISTOIRE PARTICUL1ERE DES P01SS0NS. Ce mot de Perche est celui des Grecs, celui d'Aristote a peine modifie i, et devenu Perca chez les Latins. Solon toute apparence, le nom faisait allusion a la variete, a la bigarrure des couleurs du Poisson 5. La Perche a le corps ovalaire, un peu comprime lateralement, convert d'ecailles de mediocre grandeur, disposees snr une tren- tainede files longitudinales. Ges ecailles meritent d'etre exami- nees. On ne comprend bien la perfection de lenr structure qu'a- pres les avoir detachees; et, comme leur dimension est faible, meme snr les pins gros individns, il n'est pas inutile de reconrir pour reservation aim grossissement, dont le seconrs permet d'apercevoir ici d'admirables details; details d'autant plnscn- rieux qu'ils sont caracteristiqnes dans chaque espece de la fa- mine des Percides. Les ecailles detachees, on recommit qu'elles s'elargissent ST^, Fig. «j. — Kcaille de la Perche, prise Fig. 10. vers le milieu tin corps. Ecaille de la ligne la- terale. dime facon tres-sensible depnis le bord libre, jusqu'a la partie 1 rlspxv;. * De l'adjectif ™>*c:, feminin n(?w, varie, bigavre. PERCHE. 133 implantee dans la peau. Lour bord basilaire se montre decoupe en festons profondement echancres, dont le nombre varie un pen suivant la dimension de l'ecaille. Des sillons partent des echancrures des festons et convergent vers le centre en maniere d'eventail. Des stries transversales regulieres, d'une nettete surprenante, d'une delicatesse inou'ic, courent rapprochees les unes des autres entre les sillons, en decrivant d'imperceptibles ondulations. Voila pour la portion de l'ecaille engagee dans la peauou recouverte par l'ecaille superieure. Mais la portion qui est a nu, n'cst pas moins curieuse a observer. Tout le bord est garni de pointes coniques, transparentes, et non pas « de cils fins et un peu rudes » , comme l'a dit Cuvier. Dans l'axe de ces pointes, s'elevent des files presque regulieres de petites saillies allongees, qui vont en s'affaiblissant vers le centre de l'ecaille ou reste un espace lisse. Ces stries dedicates, ces pointes, ces eminences separees les unes des autres par des sillons Men marques, font jouer la lumiere suivant la direction, a peu pres comme les facettes des pierres precieuses. Les milliers d'ecailles qui servent a la protection de la peau du Poisson sont ainsi autant de joyaux d'une incomparable perfection. Chez les Perchettes qui n'ont pas line longueur de plus de 5a 6 centimetres, les ecailles encore si petites et si minces, of- frent deja tous les caracteres de celles des plus gros individus. Sur toute l'etendue du corps du meme Poisson, les ecailles ne different guere entre elles que par la dimension, si Ton en excepte pourtant celles de la ligne laterale. La ligne laterale qui suit a line mediocre distance la courbe du dos, se manifeste a la vue simple par une petite saillie lon- gitudinale sur chaque ecaille. Une des ecailles enlevee etplacee sous un grossissement, il devient facile de reconnaitre en quoi 134 HISTOIRE PARTICl LIERE DES POISSONS. consiste la petite elevation longitudinale. G'est une sorte de gros tube, de canal crease dans l'epaisseur de l'ecaille et qui souleve sa lame superieure. La paroi inferieure du canal se termine avant le bord de l'ecaille qui est echancre, de fagon a oter tout obstacle a l'ecoulement du mucus ; le bord superieur s'arrete beaucoup plus tot en decrivant une courbe concave. Chez la Perche, la tete s'incline depuis la nuque jusqu'au museau, en presentant un front plat et assez large. Les yeux situes a peine au-dessous du front, arrondis et de moyenne grandeur, avec l'iris d'un beau jaune d'or, ont une remar- quable vivacite, surtout lorsque le Poisson s'agite. Les ma- choires presque egales et un peu protractiles, particulierement la machoire superieure, sontgarnies de dents en velours, for- ^A^&Zst/VC Fig. 11. — Tete et portion ante'rieure du corps de la Perche de riviere l. mant une large bande qui se retrecit en arriere. kv\ palais, le vomer fait une saillie, couverte sur un large espace de dents semblables ; de chaque cote, il y en a une longue rangee sur l'os 1 On a represents l'animal avec la bouche tres-omerte, afin de met- Ire en Evidence les petites dents en velours, la forme de l'os maxillaire et les sept rayons de la membrane brancliiostege. PERCH E. 135 palatin et Ton en troirve encore an pharynx plusieurs plaques. G'est nne armature tres-propre a retenir une proie jusqua ce (pie les mouvements de deglutition l'aient fait passer dans I'cesophage. Les narines ayant ehacune deux orifices assez rapproches l'un de l'autre, sont situees au-devant des yeux. Au-dessous, on apercoit distinctement sur les sous-orbitaires de petites fos- settes plus ou moins apparentes. La joue, depourvue de toute cuirasse, porte en arrierede l'ceil de tres-petites ecailles. L'appareil operculaire appelle l'attcntion par la presence de mignonnes dentelures ; une sorte d'armature d'une remarquable elegance. Le preopercule, long et etroit, lisse a sa surface, a son bord posterieur pourvu de petites dents coniques, tres-regu- lieres. Ges dents qui paraissent taillees a\ec une admirable per- fection, surtout chez les jeunes individus, s'affaiblissent vers la portion basilaire du preopercule. Au bord inferieur de cette piece, il existe encore cinq ou six dents, mais celles-ci sont beaucoup plus fortes que les autres, un pen courbees et dirigees en avant. L'opercule garni de petites ecailles dans sa moitie su- perieure, presente de fines stries rayonnees qui disparaissent presque, sous une ponctuation noire assez serree. II se termine par une forte pointe au-dessous de laquelle on apercoit quelques dentelures peu prononcees et fort irreguli^res. De petites dents serrees et de forme conique, tres-semblables a celles du bord posterieur du preopercule, se font remarquer au bord inferieur du subopercule ainsi que sur une certaine etendue de 1'inter- operclile. Sur 1'animal frais, tous ces details sont parfaitement visibles, mais ils se montrent avec une incomparable nettete, lorsqu'on a enleve les teguments sur les pieces operculaires. Ces petites dents si delicates, si jolies d'aspect, et dont Tutilite «6 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. pour l'animal n'est cependant pas tres-manifeste a nos yeux, sansdoute a cause de notre ignorance, n'existent pas seulement aux pieces operculaires. II y en a de toutes pareilles au bord su- perieur de l'os humoral, an bord du scapulaire et du sus-scapu- laire qui apparaissent au-dessus et en arriere des oui'es, sous la forme de deux grandes ecailles. Les nageoires contribuent pour une grande part aux allures elegantes de la Perclie. La premiere dorsale qui commence presque exactement au-dessus de la pointe de l'opercule et s'e- tend a pen pres jusqu'au milieu du dos, est formee de quinze rayons, quelquefois de quatorze seulement on meme de treize ; c'est alors un fait d'avortement. Ces rayons, tous tr&s-forts, tres-aigus, legerement courbes en arriere, ont une assez grande longueur, a l'exception des deux on trois derniers qui restent invariablement beaucoup plus courts que les precedents. Leur membrane decrit nne legere courbe concave entre eux tons, de sorte que les pointes demeurant libres peuvent servir merveil- leusement a la defense de l'animal. Lorsque la Perche est me- nacee, elle dresse sa nageoire etdevient redoutable. La main qui la saisit alors, sans precaution, risque d'etre fort endommagee. La seconde nageoire dorsale n'est guere moins haute que la premiere, mais elle est beaucoup moins longue. Son premier rayon qui est epineux est de moitie plus court que les suivants. Geux-ci au nombre de treize sont flexil)les, divises dans leur portion superieure en deux branches, elles-memes, pour la plu- part, subdhisees au bout en deux rameaux, et ces rayons arti- cules, soumis a un examen attentif, semblent partages en une multitude d'anneaux reguliers. Les nageoires pectorales sont faibles, de forme ovale et de taille fort mediocre, relativement a la dimension de l'animal; PERCHE. 137 elles sont composees de quatorze rayons greles, articules et branchus a l'exception des deux premiers. Les ventrales inse- rees un peu en arriere des pcctorales sont plus longues et sur- tout plus larges; elles ont un rayon epineux assez court, mais tivs-fort et extreraement aigu et six rayons mous, tres-rami- fies ; les deux derniers tout a fait contigus. La nageoire anale placee au-dessous de la seconde dorsale, commence neanmoins un peu en arriere de celle-ci ; elle a, en totalitc, dix rayons, deux epineux fort aceres et liuit mous, articules et tr&s- rameux. Toutes les nageoires a l'exception des pectorales sont pour la Perche, de puissants instruments de defense, si la premiere dor- sale est la plus terrible, les ventrales en s'ecartant, l'analeen se dressant, peuvent blesser de cote et en dessous a l'aide de leurs rayons epineux qui ont une grande resistance et une acu'ite parfaite. Nous avons peu de chose a ajouter a ce qui a ete dit prece- demment des couleurs de la Perche. Sa coloration varie un peu survant les localites et beaucoup suivant la saison. Nous axons • deja fait remarquer que la vivacite des nuances, que la teinte rouge des nageoires ventrales et anale se manifestaient dans tout .leur eclat a l'epoque du frai. Parfois les bandes noiratres des flancs s'etalent et prennent l'aspect de images capricieusement dessines. La premiere nageoire dorsale a souvent une teinte violacee et des ondes noiratres formees par des points tr&s- rapproches les uns des autres, et ordinairement ces points plus presses sur un certain espace entre les douzieme et quator- zieme rayons figurent une grande tache noire. La seconde dor- sale tire en general sur le jaune xerdatre en offrant des images ou des taches noiratres. Ces points noirs tres-perceptibles sur 138 HISTOiRE PARTICULIERE DES POISSONS. les membranes des nageoires sont aussi fort nombreux sur les joues et sur les pieces operculaires. On a vu des individns de la Perche dun jaune citron uniforme, mais cette variete est fort rare. La Perche ne depasse pas d'ordinaire des proportions assez mediocres. Un individu du poids d'un kilogramme et d'une longueur de 0m,30 a 0m,40, est deja une Perche d'assez belle taille. Les individus du poids d'un kilogramme et demi, n'ctant deja plus tr&s-communs, sont considered comme de fort beaux Poissons. Neanmoins, on cite des Perches du poids de 2kil,o00, 3 kilogrammes, et meme du poids de 4 kilogrammes a 4kil,S00 et d'une longueur de 0m,60; mais ce sont des exemples bien rares de nos jours. La Perche fraye depuis le mois de mars jusqu'a la finde mai, c'est-a-dire au printemps, un peu plus tot, un peu plus tard, suivant la temperature. Elle est extremementprolifique ; Bloch, qui conservait un individu d'assez petite taille dans un vase ou il effectua saponte, compta 280 OOOoeufs. Ce Poisson frayant habi- tuellement dans des endroits ou le courant est assez rapide, on voit frequemment dans les lacs, durant l'ete, des myriades de Perchettes au voisinage de rembouchure des petites rivieres et des ruisseaux. C'est ce que j'ai eu l'occasion d'observerau lac^ Leman, et au lac du Bourget, ou ces jeunes poissons etaient en telle abondance que les pecheurs lesprenaientjournellement [tour amorcer les lignes qu'ils tendaient la nuit pour les relever le lendemain matin, et chaque soir une seule barque n'amor- Qait pas moins de six cents lignes de cette fa^on . Les ceufs de la Perche, au moment de la ponte, sont tons ag- glutines par une matiere mucilagineuse ; ils adherent aux pierres et aux plantes aquatiques en formant de longs chape- PERCHE. 13!) lets. Cette particularity est connuedepuisl'antiquite, ct corame elle est signalee par Aristnte, on a la certitude que notrc Perche de riviere est bien la Perche du naturaliste grec. - Au moment de l'eclosion, les alevins de la Perche portant leur grosse vesicule vitelline ont presque la transparence du verre, et cette circonstance perinet d'observer avec la plus grande facilite les battementsde leur cceuret lc trajet de tons leurs vaisseaux sanguins. La Perche si bien donee pour sa defense est ardente a l'at- taque et elle est citee pour sa voracite. Apres avoir rempli son estomac de facon a ne pouvoir plus rien y loger, on la voit en- core chercher a mordre ou a saisir une proie. On observe par- fois des Perches qui, ayant pris un individu de leur espe.ce d'une taille un pen inferieure a leur propre dimension, font des efforts inouis et tres-prolonges pour engloutir leur victime. Cependant les Perches ont la reputation parfaitement justi- fiee de s'apprivoiser avec une facilite extreme. Placees dans des vases, dans un bassin quelconque, au bout de peu de jours, elles cessent de se montrer farouches ; ellcs ne temoignent plus aucune crainte a la vue de ceux qui les regardent de tr6s-pr&s ; elles \iennent resolument saisir une mouche ou un ver entre les doigts qui se portent au-devant d'elles. La voracite chez ces Poissons l'emporte done bientot sur la crainte. On vante beaucoup la Perche comme aliment ; la delica- tesse de sa chair est incontestable et la saveur en plait genera- lement. Aussi le beau Poisson de nos rivieres a eu l'honneur d'etre celebre par les poetes ; selon Ausone, il fait les delices des tables. On assure que les Lapons font une colic de poisson tres-solide avec la peau de la Perche. La Perche varie dans des limitcs assez larges, non-seulement 140 HISTOIRE PARTICULlfiRE DES POISSONS. sous le rapport de la coloration, mais un peu aussi sous le rapport des proportions generates du corps et du nombre des dentelures du preopercule. MM. Cinder et Valenciennes out decrit comme espece particulicre, une Perche sans bandes, d'ltalie {Perca italica)1, qui so distinguerait de notre Perche commune, par l'absence de bandes noires et par la tete un peu plus forte. Le prince Ch. Bonaparte n'a pas eu de peine a mon- trer que ces differences etaient seulement individuelles. D'un autre cote, des naturalistes, et M. Agassiz lui-meme, avaient pense que la Perche de la region du Danube (Perca vulgaris, Schceffer) etait distincte de la Perche des autres parties de l'Al- lcmagne et de la France. Gette opinion encore a du disparaltre devant l'observation attentive, comme M. de Siebold en a donne des preuves multipliees 2. Enfin, nous ferons connaitre ici une variete tres-remarquable, assez repandue dans l'un de nos departements, e'est LA PERCHE DES VOSGES ' Leslacs de Longemer et de Gerardmer dans les Vosges, sont habites par une Perche que Ton designe dans le pays sous le nom de Hurlin, sans pretention aucune, bien eYidemment, de la distinguer de la Perche de nos rivieres. Cette Perche des Vosges est assez etrange; j'ai cru d'abord qu'elle etait d'une espece particulicre, et e'etait aussi a pen pr^s l'avis de M. Godron, le doyen de la Faculte des sciences de Nancy, qui le premier m'en communiqua un individu conserve dans le joli Musee d'histoire naturelle de l'ancienne capitale de la Lorraine. 1 fJistoire naturelle des Poissons, t. II, p. i.'i. 2 Die siissivasserfisehe von Mittel-Europa, p. 48. PERCHE. 141 La Perche des Vosges est en general d'une forme plus allongee que nos Perches ordinaires, avec 1c dos beaucoup moins eleve. Fig. 12. — Tete et portion anterieure du corps de la Perche des Vosges 1. Les auteurs avaient deja signale chez la Perche de riviere, des differences individuellcs notables dans la hauteur de la region dorsale et il n'y aurait peut-etre pas eu de motif bien plausible pour s'arreter a cette particularity, si en meme temps d'autres caracteres n'avaient paru fort sensibles. Mais chez cette Perche du lac de Gerardmer, le museau se montrait plus aminci, les fossettes sous-orbitaires plus prononcees ; de petites ccailles s'e- tendaient surtoute la joue; les dents du preopercule se mo n- traient plus serrees, plus nombreuses, et an lieu de cinq ou six fortes dents au bord inferieur qu'on observe presque constam- ment sur noire Perche de riviere, c'etaient des dents a peine plus grandes que celles du bord posterieur ; en outre les petites dents du subopercule et de rinteropercule etaient presque imperceptibles, sans compter de legeres differences dans le contour de la joue et dans la forme des pieces operculaires, dont i La figure a ete faite avec un soin scrupuleux, d'aprcs un individu du Musee de Nancy, possedant au plus haut degre les caracteres de sa race. 142 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. on pent se faire une idee en comparant nos figures infiniment mieux que d'apres une description. Un tel ensemble de caracteres semblait appartenir plutot a une espece qu'a une variete locale ; cependant les variations sont parfois si considerables chez les Poissons d'une meme espece qu'il importait de comparer un grand nombre d'indivi- dus, avant de prendre une determination. M. Gehin de Metz, auquel je m'etais adresse, a eu l'obligeance de recueillir pour moi, des Perches des lacs de Longemer et de Gerardmer et de m'en envoyer une assez forte quantite. Chez tous les individus, j'ai retrouve le meme aspect et a peu pr&s les memes propor- tions que chez celui dont nous avons represente la tete et la partie anterieure du corps, mais avec des nuances dans le degre de hauteur de la region dorsale, dans l'etenflue que les ecailles occupent sur la joue, comme dans le nombre et la grosseur des dents du preopercule. II a fallu conclure de cet examen, que la Perche des Vosges n'est pas une espece particuliere, mais une variete remarquable de la Perche commune. Elle reste, parait-il, toujours tres-petite ; les individus en ma possession n'ont pas une longueur de plus de 0m,15 a 0m,18, mesuree du bout du museau a Textremite de la queue. Mais la taille, on le sait, ne saurait fournir pour les Poissons aucun indice; elle depend non-seulement de l'age, mais encore de l'abondance de Tali- mentation. LE GENRE APRON (aspro, Cuvier J) Ge genre ne differe de celui des Perches que par des carac- ' Cuvier et Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. II, p. 188. APRON. 143 teres fort secondares. II nous suffira de preciser ceux qui per- mettent d etablir une distinction facile et certaine. La forme du corps des Aprons est assez remarquable pour qu'on en soit frappe des le premier coup d'ceil. Ce corps tres-peu eleve est renfle sur les cotes, ce qui le rend a peu pres fusiforme. La tete est large, deprimee en dessus avec le museau bombe. Les deux nageoires dorsales, au lieu d'etre contigues corarae chez les Perches, sont fort ecartees l'unede l'autre. Le preoper- cule est tres-faiblement dentele et l'opercule se termine par une pointe aigue. Mais la disposition de l'appareil dentaire, la rudesse des ecailles, le nombre des arcs de la membrane branchiostege, la nature des rayons des nageoires, ont trop de ressemblance avec ce qui existe chez les Perches, pour qu'on puisse chercher a en tirer des caracteres generiques. Les Aprons sont essentiellement fluviatiles, et jasqu'ici on en connait seulement trois especes d'Europe. L'une d'elles n'est pas rare dans une assez vaste region de la France ; une seconde, confondue pendant longtemps avec la precedente, est repandue dans une grande partie de l'Allemagne et, croit-on, yneme dans les provinces rhenanes [Aspro streber, Siebold), et enfin, une troisieme de beaucoup plus grande taillc que les deux autres (Aspro zingel) habite le Danube et plusieurs de ses affluents. L'APRON COMMUN (aspro vulgaris ') Cette espece depuis longtemps fort bien decrite par les na- turalistes , n'est cependant pas connue d'une maniere tres- ' Aspro vulgaris. Cuvier et Valenciennes, Histoid nalwelle des Poii- 144 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. generate. L'explication en est simple. L' Apron ne parait etre abondant nulle part, et encore le trouve-t-on senlement dans les cours d'ean de quelques-unes de nos provinces du snd-est. Fig. 13. — L' Apron commun (Aspro vulgaris). Sa taille fort minime ne doit pas, du reste, beaucoup engager les pecheurs a le rechercher. Ce Poisson a le plus ordinaire- ment une longueur de 0m,10 a 0m,12; le plus grand individu que nous ayons observe avait 0m,16. Le nom A' Apron donne de suite l'idee de quelque chose A'dpre, et e'est en effet l'extreme rudesse des ecailles de l'ani- mal qui a motive l'appellation. Ecoutez plutot Rondelct, notre vieil iclithyologiste : « Les Lionnois, dit-il, appellcnt ce <( poisson semblable au Goujon, Aproti, dont se doit nommer « en latin Asper, de l'asprete de ses ecailles l. » U ne faudrait pas neanmoins prendre au serieux la ressemblance de l'Apron avec le Goujon ; la ressemblance n'est que dans la taille et un pen dans la couleur. Ce Poisson, en effet, est en general d'une teinte fauve, avec la tete et la region dorsale plus sombres, parce qu'elles sont soiis, t. IF, p. 188, pi. XXVI (1828). — Aspro apron, Siebold, Die SUsswasser Fisdie von Mittel-Europa, s. 53 (18G3). 1 L'Histoire entiere des Puisso/is, 2* partie (traduite en frangais), p. 152. I. ion, 1558. APRON. I4.'i pointillees de noir. Quelquefois sa coloration tire sur le gris. Sur le fond assezclair des flancs, se dessinent le pins souvent, avec nne grande nettete, de larges bandes transversales noira- tres, qui s'arretent a la region ventrale; nne premiere part de l'espace compris entre les deux nageoires du dos, une se- conde exactement en arriere de la seconde nageoire, et une troi- sieme, la plus petite, se montre dans le voisinage de la queue. Ces bandes peuvent varier ; il est des individus ou elles enva- hissent une surface beaucoup plus grande, ou, par exemple, deux bandes apparaissent sur la partie anterieure du corps, l'une vers la nuque, l'autre sous la premiere dorsale. Le corps de 1' Apron, assez allonge, presque rond dans son milieu, un-peu deprime et mediocrement retreci en arriere, est couvert, a l'exception de la region pectorale, d'ecailles assez grandes, disposees snr environ vingt-cinq lignes longitudi- nales et an nombrede soixante-dix a qnatre-vingts sur plusieurs Fig. li. — Ecaille des flancs vers le milieu du corps. /s. Fig. 15. — Ecaille de la ligne la- te'rale. d'entre elles. Ces ecailles, dont le contact est fort rude, ont la structure de celles de la Perche, tout en offrant certaines parti- cularites notables. Elles sontplus longues etnepresentent jamais d'elargissement bien sensible vers leurbase. Les festons qui de- Bl.ANCHARD. 1 0 146 HISTOIRE PARTICULARS PES POISSOIVS. coupent le bord de la partie implantee clans la peau, sont fai- blement separes ; les epines qui garnissent le bord exterieur out plus de longueur et plus d'acuite, les eminences qui se succe- dent a la suite des epines sont plus prononcees, ce qui rend les ecailles de l'Apron encore plus rudes an toucher que celles de la Perche. La ligne laterale n'est pas tres-eloignee du dos, et les ecailles qui la couvrent, avec leurs bords lateraux un peu plus paralleles que dans les autres, ont le canal de la mucosite fort large et construit comme chez la Perche. Notre figure en donne du reste une idee tres-exacte. L'Apron a une tete qui contribue extremement a lui donner un aspect singulier. Gette tete qui forme environ le cinquieme Fiy. \C>. — Tete d'Apron de grandeur naturelle, vue en dessus. de la longueur totale du Poisson, est large, un peu aplatie, ecailleuse sur le crane et jusque dans Fintervalle des yeux et des narines. Le museau est lisse, et son extremite obtuse est vrai- ment caracteristique. Les yeux, de mediocre grandeur, ressem- blent a ceux de la Perche. Les narines avec leurs deux ouver- tures rapprochees, sont situees entre l'ceil et le bout du mu- APRON. 147 seaii. Lesjoues sont lisses. Sur le Lord du preopercule il existe de tres-fmes dentelures peu visibles, car la peau les cache et une certaine dessiccation est necessaire pour qu'elles deviennent apparentes. L'opercule arrondi inferieurement, couvert d'e- /rz. Fig. 17. — Tete et portion ante'rieure du corps de I'Apron, vues de profit. cailles sur toute sa surface, se termine par une pointe assez lon- gue et fortaceree. Les nageoires de I'Apron different assez de celles des autre- Percides pour faire penser qu'elles sont les instruments d'une locomotion d'un genre particulier, comme la forme du corps tend deja a l'indiquer. Les dorsales sont pen elevees et leur etendue est tres-mediocre. La premiere, qui decrit unecourbepar suite de l'allongement des rayons moyens par rapport a ceux des extremites, n'est composee que de neuf rayons epineux. La se- conde en a treize, le premier court et epineux, le second flexi- ble comme les suivants et toujours simple, les autres partages en plusieurs branches clans leur portion superieurc. Les na- geoires pectorales sont ovalaires avec quatorze rayons ; les ven- trales, remarquablement longues, n'en ont que six, le premier epineux, les suixants tres-epais. A la nageoire anale, situee au- dessous de la seconde dorsale, mais un peu moins longue que cette dernare, on compte dix rayons, dont le premier est epi- 148 H1ST0IRE PARTICULIERE DES POISSONS. neux. E :i ii n la caudale formee de vingt et un rayons se fait re- marquer parson extremite taillee en maniere de croissant. Chez 1' Apron, les deux ovaires sont regulierement developpes et les oeufs ont une grosseur superieure a ceux de la Perche, malgre la petite taille de l'animal ; l'estomac est ovalaire et l'intestin n'a que deux replis. Les vertebres sont au nombre de quarante-deux : dix-sept abdominales, vingt-cinq caudales. L'Apron se trouvedans le Rhone et principalement, assure- t-on, entre Lyon et Vienne, mais il habite egalement le cours inferieur du Rhone. II existe aussi dans la Saone, dans l'Ouche, aux environs de Dijon, d'ou M. Brulle, le doyen de la Faculte des sciences de cette ville, m'en a fait parvenir, dans le Doubs, dans l'Ognon son tributaire, ou M. Grenier, le profes- seur d'histoire naturelle de la Faculte de Besan^on, en a re- cueilli, dansl'Isere etses affluents. Rien n'indique que ce Pois- son ait ete observe dans le Rhone, au-dessous d'Avignon, ni qu'on l'ait jamais vu, soit dans l'ouest, soit dans le nord de la France. Pendant longtemps, il a 6te confondu par les natura- listes, avec une espece de l'Allemagne qui en est tres-voisine l ; mais aujourd'hui, la distinction etablie, il parait probable que notre Aspro vulgaris n'habite pas Tixllemagne. On sait qu'il n'existe en Angleterre, ou en Italie, aucune espece de ce genre. L'Apron vit a la maniere des autres Percides, d'insectes et de petits poissons. II fraye en mars et en avril et memo parfois 1 Les autcurs ont rapporle a la Pcrca asper de Linne, deux especes bien distitictes : celle que nous venons de decrire (Aspi-o vulgaris, Cuvier) et celle d'Allemagne (voir Heckel et Kner, Siissivasser/ische der Oestreick- ischea Monarchic, p. 14) qui est extrememcnt amincie vers la queue et qui offre une coloration plus noire que notre Apron commun. M. de Siebold a insiste avec raison sur la difference qui existe entre ces deux especes (Siissivasser/ische der Mittekaropa, p. on). GREMILLE. 149 beaucoup plus tot, si Ton doit s'en rapporter a certaines asser- tions. II se tient habituellcment, parait-il, au fond de l'eau et ne nage guere en pleine riviere que par les raauvais temps, lorsque soufflent les vents du nord et de l'ouest, alors que les autres poissons se retirent dans les profondeurs. Cette circon- stance a amene les pecheurs de plusieurs localites a regarder l'Apron commele poisson maudit et ils s'en sont venges en l'ap- pelant le Sorrier. Les pecheurs de la partie de la Saone qui tra- verse le departement de la Cote-d'Or, rapporte un naturaliste bourguignon *, ont acquis la certitude que la peche sera mau- vaise s'ils ramenent un Apron dans leurs filets, et fort mecon- tents de la capture, ils la rejetaient autrefois avec depit, mais a present, comrae ils connaissent le bon gout de la chair de ce poisson, tres-analogue a celle de la Perche, ils preferent le man- ger. D'autre part, M. Charvet, professeur de la Faculte des scien- ces de Grenoble, nous dit aussi 2, que les pecheurs de l'lsere regardent la presence de l'Apron dans leurs filets comme un mauvais presage, croyant avoir remarque qu'ils font rarement bonne peche quand ils prennent des Aprons. LE GENRE GREMILLE (aceiuna, Cuvier 3) Par les formes, par l'aspect seul, les Gremilles se rapprochent beaucoup des Perches. Elles leur ressemblent plus raeme que 1 Vallot, Ichthyologie francaise, p. 71. Dijon, 1837. 2 Statistique generate du departement de there, t. II, p. 248. Grenoble, 1846. 3 Acerina, Cuvier, Regne animal. 150 HISTOiRE PARTICULIERE DES POISSONS. les Aprons; cependant, lorsqu'on examine attentivement les di- verses parties de lenr corps, on ne tarde pas a reconnaitre des earacteres qui les en eloignent dans une certaine mesure. Les Grerailles ont le corps ovalaire et un peu comprime, mais ce qui les fait distinguer aussitot des genres precedents, c'est la reunion des deux nageoires dorsales en une seule. Tousles au- teurs commencent par caracteriser ces Poissons, comme des Percides a dorsal e unique. La definition est mediocrement heu- reuse; elle donne l'idee de l'absence d'une nageoire qui existe- rait chezles Perches etles Aprons ; or, chez les Gremilles, il y a en realite deux nageoires analogues a celles des especes appar- tenant aux genres precedents ; seulement, ces deux nageoires, aulieu d'etre plus on moins ecartees l'une de l'autre, sont rap- prochees et en parfaite continuite. La nature des rayons, epi- neux a la premiere dorsale, flexibles, al'exception d'un seul, a la seconde, quand il y a separation, suffit a montrer a quoi se reduit la difference. Les Gremilles se font remarquer par une singularite de la con- formation de leur tete, ou, comme dans les Perches, il n'y a point d'ecailles. Des cavites, des fossettes tres-prononcees, sont creusees sur les joues, surle museau, sur les machoires, don- nant a l'animal une physionomie etrange. Chez ces Poissons, le preopercule a son bord posterieur arme de fortes dents et l'oper- cule termine en pointe, est denticule a son bord inferieur. De meme que chez les Perches, il y a des dents en xelours aux ma- choires, a la partie anterieure du vomer, aux palatins, et il y a sept rayons a la membrane branchiostege. Une seule espece du genre se trouve en France ; une autre (Acerina Schraitzer, Guvier; Perca Schraitzer, Linne), habite le Danube et ses affluents, une autre encore {Acerina rossica, GREMILLE. 151 Cuvier; Perca acerina, Giildenstaedt), les rivieres de la Russie meridionale. LA GREMILLE COMMUNE (acerina cernua ') Voila un Poisson fort repandu dans plusieurs regions de la France, que les pecheurs ne dedaignent pas absolument. Le r^-^^fi^-*&#£r Fig. 18. — La Gremille commune. nom de Gremille, dont nous ne connaissons pas l'origine, lui a ete applique, assure-t-On, par les riverains de la Moselle ; pour- tant en Lorraine, le mot de Gremille est devenu presque par- tout Gremeuille. Dans beaucoup de localites, sur la Seine, par exemple, c'est la Perche 'goujonniere ou Perche goujonnee, ou encore, comme dans les Ardennes, sur la Meuse, dans le departement de l'Aube, et sans doute ailleurs, le Goujon- perchat, ce qui exprime la raeme idee. L'idee est des plus i Perca cernua. Linne, Fauna suecica, p. 33o, et Systema naturae, t. I, p. 487 (1706). — Acerina vulgaris. Cuvier et Valenciennes, Histoire na- turelle des Poissons, t. Ill, p. 4, pi. XLI (1828). — Yarrell, British Fishes, t., p. 18 (1836). — Acerina cernua. Siebold, Sussiuasserfische von mitteleuropa, p. 38 (1863). 15*2 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. etranges; les pecheurs out saisi la ressemblance de la Gre- mille avec la Perche, ils ont vu ensuite une certaine analogie dans sa coloration avec celle dn Gonjon, et une explication est sortie de lenr naive simplicity. Ils se sont persuade que la Gremille etait le produit, le metis de la Perche et du Goujon, et l'explication a bien mieux fait son chemin qu'une bonne verite. Elle a ete acceptee par les pecheurs del' Angleterre, de l'Allema- gne, et je crois de la Scandinavie, aussi facilement que par les notres. Les noms vulgaires de chaque Poisson, aqnelques excep- tions pres, sont fort nombreux, et varient souvent d'un village al'autre. Ainsi,la Gremille est encore appclee le Chagrin en cer- tains endroits des departcments de l'Aube et de l'Yonne, a cause de la rudesse de ses ecailles, XEntrecri a Arcis-sur-Aube, 1' Ogi ou YOgier, sur la Meuse, dans les environs deMezieres ; le Kutth, Strasbourg, ou nous n'avons pas entendu parler des denomina- tions de Kaulbarsch (Perche ronde), et de Schroll, usitees en Allemagne. La Gremille ne fait pas une tres-brillante figure a cote de la Perche: on la rcconnait pour etre de la meme famille, mais l'une a ete richcment dotee par la nature, l'autre l'a ete avec parcimonie. Gependant, si on eloigne la comparaison, la Gre- mille est encore un joli poisson. Sa forme est presque aussi ele- gante que celle de la Perche ; sa couleur fauve, tirant au brun olivatre sur le dos, au vert d'aigue-marine sur la tete et le preo- percule, passant a des tons dores sur les flancs, prenant une teinte rosee sous la gorge et la poitrine, a des reflets cha- toyants du plus agreable cffet. Un pointille noir sur la tete et les opercules, des taches brunes sur la nageoire dorsale, >sur le dos et la region superieure des flancs, completent sa pa- rure. GREMILLE. 153 Ce Poisson n'atteint jamais sine grande dimension ; lcs pins gros individns ne depassent guere nnc longueur de 0'",15 a 0m,18. Son corps moins comprime ct plus oblong que celui de la Perche, presente, vu de profil, une courbe reguliere. II est revetu ordinairement, a l'exception de la region pecto- rale, d'ecailles assez grandes, aussi n'en compte-t-on guere qu'une cinquantaine disposees sur une vingtaine de files. Ges 6cailles ressemblent par lenr caractere general a celles de la Perche et de l'Apron, en presentant des particularites dignes d'attention. Leur forme est plus ovalaire. Les festons qui dc- yrz. Fig. 19. — Ecaille de la ligne latc'rale. Fig. 20. — Ecaille des flancs. coupent le bord basilaire sont beaucoup plus faibles encore que dans les ecailles de l'Apron et en general moins nombreux. Quelqnes-uns de ces festons offrent une on deux petites divi- sions marquees par un tres-conrt sillon longitudinal. Les epines qui garnissent le bord libre sont coniques, tres-aigues, plus nombreuses et moins fortes que chez la Perche, moins ton- gues que chez l'Apron. Les saillies formant des files regulieres a la suite des epines sont tres-saillantes. La ligne laterale, mediocrement eloignee du dos et presque 154 H1ST0IRE PARTICUEIERE DES POISSONS. droite, est tres-apparente a cause de la grosseur des canaux de la mucosite. Les ecailles de cette ligne, toujoursun peu deformees, sont d'ordinaire arrondies a leur base avec les festons du bord tres-faibles et peu nombreux. Elles ont le canal de la muco- site d'une tres-grande largeur, s'evasant encore a son embou- chure, de sorte que le bord epineux de l'ecaille se trouve fort reduit. La tete de la Gremille, t res-massive comparativement a celle de la Perche, s'abaisse legerement depuis la nuque jusqu'a l'ex- tremite du front et se renfle ensuite en un museau epais. Elle /rz. Fig. 21. — Tete et portion ante'rieure du corps de la Gremille commune, est entierement depourvue d'ecailles, mais fort remarquable par la presence de fossettes larges et profondes. II y en a trois entre les yeux, uneen arriere, deux en avant, deux grandes, de forme arrondie, entre les narines, une autre ovalaire en dehors des narines, sans compter quelques depressions plus legeres. On en voit ensuite une rangee regnant sur toute la longueur de lajoue; celles-ci, creusees dans les sous-orbitaires, ont leur contour superieur en forme d'arc plus ou moins regulier. Enfin, a la face inferieure de la tete, il existe encore de chaque cote, GREMILLE. I.i.i huit de ces fossettes qui s'etendent' en ime seulc file sur les branches de la machoire inferieure et le limbe du preopercule. L'ceil est grand avec l'iris d'un brim jaune et la pupille bleue. Les machoires sont pourvues d'une large bande de dents en velours plus fortes que chez la Perche ; ce sont presque des dents Fiy. 22. — Quelques-imes des dents de la machoire supe'rieure de la Gremille tres-grossies. en cardes, suivantun terme habituelleraent employe par Guvicr. II y en a de semblables au-devant du vomer et au pharynx. Le preopercule de la Gremille offre a sa sarface des depres- sions, dont le contour interne est en arc; a son bord posterieur, il porte six epines legerement courbees vers le haut, une autre plus forte, droite, souvent bifurquee, puis une dent beaucoup plus longue, un peu courbee vers le bas, et a son bord inferieur, trois dents egalement tres-fortes, dirigees en avant. On com- prend que le preopercule, aussi solidement arme, devienne une arme defensive puissante, lorsqu'il est un peu souleve. L'opercule est muni a son extremite d'une epine pointue, surmontee d'un petit lobe. Le subopercule et l'interopercule sont garnis comme chez la Perche d'une rangee de petites dents, mais ici, ces pointes sont un peu plus fortes et moins ser- rees. L'os sus-scapulaire, qui decrit une legere courbe concave, est large et pourvu de tres-petites epines, extremement serrees. 156 I1IST0IRE PART1CULIERE DES POISSONS. II n'y en a point aii scapulaire, mais l'extremite de l'os humeral qui fait saillie au-clessus de la nageoire, en presente trois ou quatre assez fortes. Les nageoires dorsales occupent presque toute la longueur du dos; ce sont d'abord quatorze rayons epineux, fort epais ettres- aceres ; le premier court, les suivants atteignant successivement plus de longueur, jusqu'aux cinquieme et sixieme qui sont les plus grands, les autres diminuant avec regularite jusqu'au der- nier, de maniere a suivre une courbe donnant a la nageoire une forme tres-elegante. Viennent ensuite les rayons flexibles, articules ct branchus, an nombre de onze a quatorze. Les nageoires pectorales sont ovalaires et composees de treize rayons. Les centrales en ont cinq articules et un epineux tres- fort et assez court; l'anale, deux epineux extremement gros et cinq articules et rameux. La nageoire caudale, formee de dix- sept rayons, est taillee en croissant a son extremite. Si les caracteres exterieurs de la Gremille indiquent une pa- rente etroite entre ce Poissonet la Perche,la conformation inte- rieure montre egalement une affinite naturelle a un haut degre. L'estomac de la Gremille, de meme que celui de la Perche, est court et obtus, avec trois appendices en caecum; l'intestin decrit aussi trois circonvolutions; les vertebres sont au nombre de trente-sept, quinze abdominales et xingt-deux caudales. La Gremille se trouve dans la plupart dcs rivieres du centre et du nord de l'Europe ; elle est tres-commune en Angleterre, et abondante egalement en Dancmark, en Suede, en Russie et jusqu'en Siberie. Elle est repandue a pen pres partout en Alle- magne ; MM. Heckel et Kner nous disent qu'elle est commune dans le Danube et ses affluents, et M. de Siebold assure qu'elle est rare dans les contrees alpines. D'apres les observations de GREMILLE. 157 M. Giinther, cc Poisson no vient qu'accidentellement dans le Neckar, et Dependant il est assez abondant dans lc Rhin et ses affluents. Ainsi que Guvier l'a constate, laGremillc se ticnt frO- quemment aux embouchures des petites rivieres, tributaires des grands fleuves. G'estla un faitconnu en particulier des pecheurs de la Seine. En France, ce Poisson est plus common dans nos departements de l'Est que partout ailleurs ; on le peche en assez grande quantite dans la Meuse, la Moselle, la Meurthe, le Doubs et leurs affluents. II n'est pas precisement rare dans la Somme, la Seine, l'Aube, l'Yonne, mais s'il faut en croire certaines assertions, les pecheurs de la Seine, au-dessous de Troyes, n'au- raient commence a observer cette espeee que dans les premieres annees du siede actuel. Je I'ai vue sur le marche de Lyon, et M. Fabre m'en aenvoye un individu pris dans le Rhone a Avi- gnon, en me faisant la remarque, que ce Poisson n'est connu a Avignon que depuis pen d'annees. II semblerait, d'apres ces faits, que la Gremille descend peu a peu vers le sud et se montre aujourd'hui dans des regions ou on ne la voyait pas aupara- vant. M. Char vet ne la cite pas dans la listc des Poissons du dc- partement de l'lsere, et nous ne la voyons mentionnee dans au- cun catalogue des animaux qui habitent nos departements de l'Ouest. II parait positif aussi, qu'elle n'existe nulle part dans l'Europe meridionale, soit en Espagne, soit en Italie, soit en Grece. Les anciens ne semblent pas l'avoir connue ; elle aurait ete ob- servee, croit-on, pour la premiere fois en Angleterre, vers 1460. Nos ichthyologistes du seizieme si^cle, Belon et Rondelet, ne Font pas etudiee ; le premier la croyait etrang^re aux eaux de la France et propre a 1' Angleterre ; lc second ne la mentionne en aucunemaniere. 158 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. Nous savons peu de chose des habitudes de la Gremille qui sous tant de rapports ressemble a la Perche. Elle ne se montre guere que pendant la belle saison; lorsque les mauvais temps surviennent, elle se tient dans les profondeurs. Ce Poisson ne parait vivre que dans les eaux eourantes ; Marsigli, a la verite, a declare qu'on le trouvait aussi dans les marais et les eaux tranquilles; et Cuvier en a conclu qu'on le prenait dans Unites sortes d'eaux. Or, survant toute apparence, cela n'est pas exact; rinformation de Marsigli etait probablement controuvee. La Gremille senourrit d'insectes, de vers, de petits poissons, commeil est facile de s'en assurer par l'inspection de l'estomac d'un grand nombre d'individus. Elle fraye en avril et en mai et recherche les herbes et les roseaux du voisinage de la rive pour y cacher ses ceufs. A cette epoque, on la voit souvent en troupes, ce qui indiquerait que les males suivent alors les femelles pour feconder leurs ceufs aussitot apres la ponte. Les ceufs sont tres-nombreux et agglutines en chapelet corame ceux de la Perche. La Gremille resiste a un sejour assez prolonge hors de l'eau. Les auteurs s'accordent a vanter les qualites de sa chair, son bon gout, sa legerete. Dans les contrees ou ce Poisson est abon- dant, on parait le tenir en veritable estime, mais dans les en- droits ou il est rare, on le dedaigne a cause de sa petitesse et d'autant mieux, qu'etant tout a la fois Perche et Goujon, selon la croyancedes pecheurs, il n'est ni Tun ni l'autre. Faute d'etre qualifie, il estmeprise. La Gremille est armee avec un tel luxe, qu'elle doit souvent etre epargnee par les poissons voraces. Si elle dresse ses na- geoires dorsale et anale, si elle ecarte ses nageoires ventrales, COTTIDES. 159 il est impossible en effet de ne pas sentir les atteintes des aiguil- lons a la premiere approche. LA FAMILLE DES COTTIDES (C0TTIDi£) Pour nous, en ce moment, l'histoire de cette famille est l'lris- toire d'un seul genre, l'histoire du genre, celle d'ime seule espece. Les representants de la famille des Gottides sont nom- breux, mais presque tous sont des animaux marins et nous n'a- vons pas ici a nous en occuper. Les Poissons que nous designons par le nom de Collides, sont appeles dans la nomenclature de Cuvier, nomenclature fort ir- reguliere quand il s'agit des families, les Acanthopterygiens a joue cuirassee, ou dans une forme plus abregee, les Jones cui- rassees, denomination habituellement traduite par les mots de Cataphracti et de Scleroparei dans les ouvrages etrangers. La famille des Cottides comprend une suite de genres qui, lies entre eux par des affmites naturelles assez manifestes, n'of- frent pas neanmoins beaucoup de caracteres communs. Une particularite assez frappante de la conformation de la tete se retrouve cependant chez tous ces Poissons, et cette particularite permet de determiner avec certitude si une espece appartient a la famille des Cottides. Cuvier a ete le premier a en faire res- sortir l'importance et a en montrer l'utilite pour la classifica- tion . Les Cottides ont les os orbitaires suffisamment developpes pour couvrir plus ou moins la joue et pour s'articuler parleur extremite posterieure a\ec le preopercule ; de la, cette joue cui- rassee qui est le caractere commun a tous les representants de 100 HISTOIIIL PARTICULlfiRE DES POISSONS. la famillc. Les os sous-orhitaires dont on reconnait facilement la presence sous la peau, varient sous le rapport de leur etendue, et cette variation contribue beaucoup a donner a la tete des Cot- tides des formes tre-s-diverses. Chez ces Poissons, l'appareil dentaire offre une infinite de modifications, et dans plusieurs genres, il manque totalement. II y a le plus souvent deux nageoires dorsales, mais ce caractere ne s'appliquc pas a toutes les especes. Chez les unes, le corps est entierement revetu d'ecailles, et chez les autrcs, il est abso- lument nu. En resume, il existe des dissemblances tres-grandes sous le rapport des formes exterieures entre les Poissons reunis par Cu- vier, sous le nom & Acanthopterijgiensa joue cairassee. Lors- qu'on aura acquis sur l'organisation interieure de ces ani- maux, plus de connaissances precises qu'on n'en possede aujourcrimi, on reconnaitra peut-etre que les limites de la fa- mille doivent etre modifiees. Les principaux types que Ton y rattache sont les Trigles, ou Grondins, bien connus a Paris sous le nom de Rougets *, les Scorpmes ou Truies de rner, et les Cottes, les seuls parmi les- quels il y ait des especes habitant les eaux douces. LE GENRE CHABOT 2 (coitus, Linne) Ce genre, qui a pour type un Poisson des plus communs 1 Le nom de Rouget s'applique surtout auxMulles [Mullus des anciens lloains), poissons de la famille desPereides. 2 Le nom de Chaboisseaux est egalement employe pour ces Poissons, quand il s'agit des especes marines. - CHABOT. 161 dans nos eaux donees, comprend en meme temps des especes marines que leur conformation generate ne permet pas de sepa- rer de l'espece fluviatile. Les Chabots se reconnaissent sans peine a leur forme large en avant, mince vers la queue ; a leur peau d'ordinaire abso- lument nue, e'est-a-dire sans aucun vestige d'ecailles, a leur tete volumineuse et deprimee, a leur preopercule epineux. lis ont des dents en velours aux machoires et a la partie anterieure du vomer, mais leurs palatins en sont depourvus. Us ont deux nageoires dorsales assez faiblement unies pour rester tres- distinctes, des ventrales composees seulement de trois ou quatre rayons. LE CHABOT DE RIVIERE (COTTUS GOBIO ') II n'est, sans doute, aucune de nos provinces ou le Ghabot de riviere ne soit parfaitement connu. La grande variete des noms qu'on lui applique dans les differentes regions de la France suffirait a en fournir la preuve. Ce petit Poisson, qui, dans ses plus belles proportions, ne depasse guere la taille de 0m,12 a Om,li, est commun a peu pres dans tous les coars d'eau vive dont le fond est parseme de pierres et de gravicr. Sa forme etrange, due principale- ment a la grosseur enorme de sa tete ; sa peau nue, molle, unpen visqueuse; la couleur grisatre de son corps, elegam- ment rehaussee de bandes et de taches irregulieres d'un brun 1 Linne, Systema natum, 12e 6dit., t. I, p. 452. — Cuvier et Valen- ciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. IV, p. 145. — Yarrell, British Fishes, t. I, p. 56(1836).— Heckel und Kner, Siissivasserfische, etc., p. 27 (1858). Blanch ah d. 11 162 HIST01BE PARTICULIERE DES POISSONS. fonce ; ses nageoires marquees d'annulations de cette der- niere nuance, lui donnent un aspect particulier et le signalent a l'attention. Le volume de la tete etant ici le caractere le plus frappant du Poisson, les denominations vide aires rappellent pour la plupart Fig. 23. — Chabot de riviere. ce caractere. Le nom de Chabot ou de Cabot remet en memoire notre vieux mot frangais caboche, mais les alterations manquent CHABOT. 163 rarement de modifier les noms, au point raerae de masquer leur origine ; c'est sans doute ainsi, par corruption, que le mot chabot est devenu Chapsot pour les pecheurs des environs de Paris, et Chamsot pour ceux de la Normandie. On reconnait dans l'appellation de la Provence, usitee surtout dans le depar- tement de Vaucluse, lou chabaou, le meme sens qu'a notre mot de Chabot. Sur le Rhone, a Geneve, le Poisson a grosse tete des ruisseaux est appele Sechot; nous ne nous hasarderons pas a rechercher I'etymologie de ce nom. Dans la meme contree, on lui applique encore volontiers, parait-il, 1'epithete de Sorcier. Sur les rives du lac Leman, c'est le Sassot on Chassot, et ici il est peut-etre per- mis de croire que c'est le mot chasseur, interprets par les habi- tants de la Savoie. Dans la Franche-Comte, c'est la Linotte; dans les Vosges, le Bavard, a cause de la mucosite, de la have dont se couvre son corps; dans une partie de l'Auvergne, a Raulhac, par exemple, YEsquale, mot dont le sens pour nous n'est pas tres-bien determine. Dans le Languedoc, la tete de notre Pois- son devient encore le signe distinctif, c'est le TSte daze, ce qui, en vrai francais, signifie TSte d'dne. Dans plusieurs departe- ments, c'est le Testu ou Testard, bien plutot probablement a cause de la grosse tete, qu'en consideration d'une vague res- semblance avec les larves de Batraciens, les tetards de gre- nouilles et de crapauds. Dans la Lorraine allemande, le Chabot est le Kautzenkopf, c'est-a-dire la tete de hibou ou de chat-huant. En Alsace, il porte comme en Allemagne le nomde Koppe ou Koppen dont la signification primitive semble aujourd'hui assez obscure aux environs de Nice, celui de Botto. Dans les autres contrees de l'Europe ou l'on rencontre notre Chabot, les habitants le desi- 164 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. gnentpar des appellations analogues. Les Anglais, parexemple, le nomment Bull-head, tete de taureau. Ce qui frappe surtout, comme nous l'avons dit, dans les pro- portions du Chabot, c'est l'extreme largeur de la tete et l'amin- cissement graduel du corps jusqu'a l'origine de la queue. La tete, au moins aussi large que longue chez les vieux males, aplatie en dessus, arrondie en avant, forme environ le tiers de la longueur de l'animal. Les yeux assez petits, situes presque au sommet et diriges de cote, se trouvent ainsi dans la condi- tion la plus favorable pour rendre la vision possible sur un grand nombre de points a la fois. Notre Chabot est pourvu d'une large bouche tres-capable de donner passage a une proie volumineuse ; ses machoires sont garnies d'une large bande de dents en velours tres-fmes. Ce Poisson a un preopercule portant une seule pointe recourbee vers le haut, sous laquelle existe une tres-petite dent cacliee sous la peau. La pointe est faible en apparence, et cependant le Chabot semble avoir conscience de rimportance de cette arme pour sa defense. Au moment du danger, on le voit gonfler la membrane des ou'ies par l'introduction d'une certaine quan- tity d'eau et par ce moyen soulever le preopercule de facon a pouvoir blesser avec l'epine. Dans cette' action, la tete parait s'elargir encore, car la membrane tendue prend l'aspect de joues gonflees. L'opercule est lisse et finit en pointe plate, trop rmoussee pour etre d'aucun usage dans la lutte. Chez le Chabot l'ouveiture des oui'es n'estpas fort grande, et la membrane branchiostege est soutenue par six rayons tres- faciles h, apercevoir. Les nageoires sont tres-caracteristiques. Les deux dorsales tiennent l'une a l'autre par la membrane qui unities rayons. La premiere, dont la hauteur est a peu pres CHAROT. 165 Squivalente an tiers de celle du corps, commence au-dessus de la base des pectorales. Les rayons qui la composent, depourvus de tonte articulation, sont neanmoins tres-flexiblcs ; on n'en compte le plus souvent que six ; il y en a parfois sept, assez fre- quemment huit. Cette variation est ordinaire parmi les indivi- dus pris dans le meme endroit. L'avortement on le developpe- ment d'un ou de deux rayons est sans importance, car cette difference se produit entre des individus du reste parfaitement semblables et pouvant provenir d'une meme ponte. La seconde nageoire dorsale, plus elevee et beaucoup plus longue que la premiere, a generalement dix-sept rayons ; quelquefois cepen- dant, elle n'en a que seize et c'est assez rarement que Ton en trouvedix-huit. Ces rayons sont tons articules, et parmi eux, on en distingue assez souvent de rameux, mais cette division de quelques rayons en deux outrois branches minces, est tres-va- riable ; le dernier qui est tres-grele est presque toujours bifur- que. Les pectorales sont fort grandes, arrondies, composees de treize rayons, et de quatorze accidentellement. II est ordinaire que cinq ou six des superieurs soient di vises a leur extremite tandis que les autres demeurent simples. On se tromperait neanmoins, si a l'exemple de quelques naturalistes, on attachait une importance a ce caractere *. II y a des individus chez les- quels tous les rayons sans exception restent simples ; d'autres, ou un on deux seulement de ces rayons se partagent vers le bout. Les nageoires ventrales paraissent fort greles, car elles 1 Cuvier et Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons,t. IV, p. 147, donnent ce caractere comme s'il etait fixe. — lleckel et Kner, Die Sftss- vjasserfische der Oestreichischen Monarchie, S. 31, s'appuient sur cette particularite pour distinguer un Cottus de la Hongrie et de la Russie (Coitus poscilopus, Heckel), dont tous les rayons de la nageoire pectorale sont simples; c'est bien certainement une faute. 166 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. n'ont que trois rayons mous et une epine qui semble assez grosse parce qu'elle est revetue d'une epaisse enveloppe mem- braneuse. La nageoire anale, d'ordinaire formee de treize rayons, commence un peu en arriere de la seconde dorsale et ne s'etend pas tout a fait aussi loin. Parfois, il y a un ou meme deux rayons qui avortent ; dans d'autres cas, le dernier qui est bifurque, se dedouble jusqu'a sa base, et alors la nageoire pre- sente ainsi quatorze rayons. La nageoire anale a douze rayons; les extremes simples, les autres branchus, Elle en presente en outre soirvent quelques tres-petits a sa base. La peau du Chabot est absolument nue. Elle n'a point d'e- cailles ; elle n'en a aucun vestige. Surla ligne laterale et meme sur l'opercule, on apercoit avec un peu d'attention de tres-pe- tits tubercules mous et blanchatres. En examinant ces tuber- cules, a l'aide d'un grossissement, on constate, sans peine, qu'ils sont perces a leur sommet d'un petit trou. G'est par ce trou que s'echappe la mucosite dont se couvre lePoisson, dont il englue les doigts lorsqu'on vienta le prendre. La coloration de l'animal est tres-sujette a varier; elle varie avec l'age. Les vieux individus ont ordinairement une couleur sombre presque uniforme, avec les parties inferieures toujours claires. Chez les jeunes, la teinte generale est roussatre ou d'un gris pale, avec des taches tres-brunes, entremelees les unes avec les autres, parmi lesquelles, plusieurs fort grandes, figurent des ondes transversales vraiment elegantes. L'observateur qui ne se contente pas d'examiner avec le secours seul de ses yeux et qui arecours al'emploi d'une bonne loupe, decouvre, que toutes ces taches, toutes ces ondes, toutes ces bandes, si capricieuse- ment dessinees sont formees par une multitude de petits points, plus ou moins rapproches. L'ecartement ou le rapprochement CHABOT. U17 des points, sui'fit pour donner a l'oeil l'apparence d'une teinte claire on foncee. Les individns dont les nageoires dorsales et pectorales sont bien annelees de blanc et de brun noiratre, sont entre tous, les mieux pares. II faut encore nous arreter aux differences que 1 age apporte chez le Poisson a grosse tete de nos ruisseaux. Gette tete si large chez les vieux males, comme nous l'avons dit, est un peu moins forte dans les femelles, et son enorme developpement n'est vraiment remarquable que chez les individns qui out atteint la taille d'environ 0m,0G. Les jeunes out la tete deja tres-forte sans doute, relativement au volume du corps, mais cette tete est moins dilatee sur les cotes; elle est beaucoup moins aplatie en dessus, plus attenuee en avant. Si an lieu d'observer une foule d'individus montrant toutes les gradations, dans le developpement de la tete, on comparait simplement un jeune Ghabot a un tres-vieux, on se persuaderait aisemcnt que Ton a sous les yeux deux Poissons d'especes assez dissemblables. Gette persuasion existe du reste parmi les pecheurs de quelques localites. Plusieurs traits de l'organisation interne du Chabot, meri- tent d'etre notes. Chez ce Poisson, il n'y a point de vessie nata- toire; ce petit appareil eut ete probablement sans utilite pour l'animal assez sedentaire, habitant toujours des eaux peu pro- fondes. L'estomac consiste en un sac arrondi, dont la capacite est parfaitement en rapport avec la large ouverturede la bouche, le pylore est accompagne de quatre coecums ; l'intestin est deux fois replie sur lui-meme, par consequent d'une assez grande longueur; le foie qui est volumineux et d'une teinte rouge fonce occupe le cote gauche. Les ovaires plus ou moins decou- pes en maniere de lobes suivant leur degre de plenitude, ont 168 HISTOIRE PARTICILIERE DES POISSONS. leur tunique exterieure noiratre comme celle des laitances ; leur volume etant enorme lorsque les 03iifs sont parvenus a maturite, le ventre de l'animal se trouve distendu au point de prendre l'aspect d'une diflbrmite. La colonne vertebrale est composee de trente-deux vertebres : dix abdominales, vingt-deux cau- dales. Le Chabot se tient habituellement sous les pierres, et cette circonstance rapportee par Aristote a l'egard d'un Poisson de riviere, a suffi pour que les naturalistes modernes aient cru le voir designe dans les ecrits du pere de la Zoologie. Au chapitre relatif a la faculte d'entendre eta ses manifestations chez les animaux, Aristote dit qu'il y a dans les rivieres de petits pois- sons connus sous le nom de Coitoi ! (ZtozVoid'apres d'autres le- cons) qui se retirent sous les pierres et qu'on prend en faisant du bruit. On a pense, peut-etre avec raison, que le Coitos du grand naturaliste de l'antiquite etait le vulgaire Ghabot des mo- dernes. Gaza, ce Grec du moyen age, fuyant sa patrie au mo- ment Lc la prise de Constantinople par les Turcs 2, a traduit par cottus ,le mot grec coitos, que, sans doute, il avait lu cot- tos 3. Artedi a ete ainsi conduit a prendre le nom de Cottus pour designer le genre dont le Chabot est le type, et de la sorte est entree dans la nomenclature zoologique une appellation aujourd'hui consacree. Le nom specifique et scientifique de notre Chabot de riviere, gobio, signifie goujon. Linne, en choisissant cette denomina- tion, aura voulu certainement rappeler une ressemblance dans 1 Livre IV, chap, vm; xo£to« (pluriel xcitoi), d'apr6s les meilleurs ma- nuserits, suivant Camus ; potro;, d'apres d'autres te\tes. 2 Theodore Gaza, ne a Thessalonique, auteur d'une traduction de YHistoire des animaux d' Aristote. Venise, 1474, mort en Italie, en 1478. 3 xo'ttc;. CHABOT. 169 la couleur, dans les taches, les marbrures du Chabot et du poisson que tout le monde en France appelle le Goujon. Le Chabot est done d'une grande agilite. Souvent au repos, souvent cache sous les pierres, s'il est en quete d'une proie, s'il est inquiete, on le voit s'elancer comme un trait. L'elargisse- ment de la partie anterieure de son corps, la tenuite de son extremiteposterieure, la puissance desesmembresthoraciques, constituent des conditions extremement favorables a l'execution de mouvements brusques et rapides. Daiis ces elans parfois si soudains, le Poisson atteint sans peine les animaux qu'il pour- suit et qu'il engloutit dans sa waste bouche. Les insectes, et particulierement ceux d'un certain volume, comme les larves de dytiques, d'hydrophiles, de libellules, forment son alimen- tation habituelle; mais le Chabot n'est pas le moins du monde exclusif dans ses gouts. S'il est vrai, ainsi qu'on le repete dans la plupart des ouvrages, qu'il se nourrit surtout d'insectes, de frai de grenouilles, etc., il s'empare tres-bien aussi de poissons dontla taille est un peu inferieure a la sienne. J'ai vu plus d'une fois des Chabots dont l'estomac etait rempli et fort distendu par un assez gros vairon on meme par un goujon . La vie, les moeurs du Chabot ne nous sont pas encore parfai- tement connues. Ce Poisson parait doue d'instincts analogues a ceux des Epinoches, sans offrir cependant un exemple de l'in- dustrie raffmee de ces dernieres. Le male creuse simplement dans le sable une cavite sous une pierre, et amene des femelles pondre en cet endroit ; ce qui a lieu pendant les mois de mars et d'avril. II garde ensuite le depot d'ceufs a\ec une sollicitude extreme, avec une vigilance incapable d'etre endormie, jusqu'au moment de l'eclosion des jeunes. II n'est pas rare, en effet, au printemps, de rencontrer, dans les petits cours d'eau limpide, 170 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. des pontes aupres desquelles s'agite un Ghabot. Au commence- ment du sieele dernier, le comte Marsigli a signale d'une facon tres-precise l'attachement et les soins que le Chabot porte a ses ceufs l. Linne, en termes fort concis, a appele de son cote, sur ces habitudes, l'attention des naturalistes 2. Othon Fabricius, 1'histo- rien celebre des animaux du Groenland, a insiste davantage sur ces faits, et a constate que cette protection n'avait lieu que de la part du male 3. Son observation s'accorde done avec ce que Ton sait aujourd'hui, touchant l'histoire des Epinoches. Des remar- ques du zoologiste anglais Fleming ont confirme ce qui avait ete indique par les precedents auteurs*. MM. Heckel est Kner ont rapporte, sur la foi des pecheurs, que le male protege, pen- dant quatre ou cinq semaines, les pontes qu'il a fecondees, sans s'eloigner autrement que pour chercher sa nourriture5. Mais nulle part, il n'y a eu d'observations suivies; un chapitre inte- ressant de l'histoire des Poissons reste a completer. L'oeirvre est facile, et en verite charmante a executer. A la campagne, il est aise d'avoir a sa portee un petit reservoir, une sorte & aquarium, oule regard puisse plonger sans effort sur tous les points. Qu'au printemps, on mette dans ce reservoir, garni de pierres et de 1 Louis Ferdinand, comte de Marsigli, neaBologne, le lOjuillet 1658, mort le 1" novembre 1730, dit en parlant du Chabot : Parturit mense martio, quo tempore cauda removendo lapides cavernulas qucerit; in Hits ova sua lapidibus, aid lignis in fundum infixis, agglutinat, a quibus jam agglu- tinatis fcemella secedit,; masculus vero triginta circiler dierum spatio ad ea se acclinando, et forte sao lacte foecundando custodiam gerit, donee vivere incipiant. Danubius pannonico-mysicus, t. IV, p. 73, fol. 1726. 2 Nidum in funds format, ovis incubal prim vitam deserturus quam ni- dum. — Linne, Systema naturae, t. I, p. 4o2 (1766). 8 Fauna Groenlandica, p. 160 (1780). 4 History of British Animals. Edinburgh, 1828. :' Die Susswasserfische der ostreich. Monarchie, p. 30 (1858). CHABOT. 171 graviers, de quelques herbes et d'insectes aquatiques, des Cha- bots males et femelles, et Ton assistera aux manoeuvres qui pre- cedent, qui accompagnent, qui suiventla ponte de ces Poissons. L 'observation ne pourra manquer d'amener la revelation de details nouveaux ou seulement a peine entrevus. N'y a-t-il pas la, de quoi tenter les amis de la nature, assez heureux pour etre en position d'habiter une partie de l'annee loin des villes? Les mosurs, les habitudes des animaux, offrent un tel charme a tout esprit cultive, de tels enseignements pour la raison du philo- sophe, que bien employes sont les instants qui s'emploient a les mettre en lumiere. Le Ghabot est peu recherche comme aliment, sans doute a cause de sa petite taille ; car la qualite de sa chair, d'apres un avis assez general, pourrait lui meriter quelque consideration. Cette chair, devenant, par la cuisson, rouge comme celle du saumon, a un aspect fort appetissant. Notre vieil ichthyologiste, Rondelet, s'exprime en ces termes au sujet des Ghabots : « lis ont, dit-il, la chair molle, asses bone au gout e qui n'est a me- priser. » Dans les Alpes maritimes, on est loin de la dedaigner. Risso rapporte que « ce poisson, dont la chair est agreable, fournit un mets delicat aux habitants des montagnes. » On pra- tique la peche du Ghabot en divers endroits ; mais c'est le plus ordinairement dans le but de se servir de ce Poisson pour pren- dre les Anguilles. Les pecheurs, en effet, assurent que les an- guilles donnent la preference aux Ghabots, apres les goujons, sur tous les autres appats. Le marche de Munich est tres-sou- vent appro visionne de Ghabots, dit M. de Siebold, a la grande satisfaction des pecheurs d'anguilles. Le Ghabot, croit-on, est trop intelligent pour mordre a l'ha- megon. Pour le prendre, on emploie une nasse que Ton traine, 172 HISTOIRE PARTICI MERE DES POISSONS. en renversant les pierres et en agitant le sable, soit avec les pieds, soit avec un baton, de maniere a deloger le poisson blotti dans les eavites, et a le pousser dans le filet. II ne faut rien moins que trois hommes, pour mettre parfaitement cette manoeuvre en pratique clans une petite riviere ; tandis que deux d'entre eux trainent la nasse en remontant le courant, le troisieme, place en avant, remue le fond avec son baton dans la direction du filet. II y a encore un procede bien connu, et surtout a l'usage des enfants, pour s'emparer du Ghabot; c'est la peche a la four- chette, a laquelle se montrent fort habiles les jeunes habitants des parages du lac Leman, de 1' Alsace et de bien d'autres loca- lites. Une fourchette de fer est solidement attachee aun baton, le pecheur souleve les pierres avec assez de precaution pour ne pas eurayer le poisson, et, guettant sa proie, il l'embroche d'un coup rapide de son instrument. Notre Chabot est repandu dans la plus grande partie de l'Eu- rope. II se trouve egalement en Siberie, au Groenland, et, as- sure-t-on meme, dans TAmerique du Nord. J'avais d'abord soupconne qu'il existait en France plusieurs especes voisines. Afin d'acqucrir une certitude a cet egard, j'ai recueilli une foule d'individus sur des points de notre territoire tres-eloignes les uns des autres. Ce n'etait pas encore suffisant; j'ai prie la plu- part des naturalistes de nos departements de me procurer des Chabots pris clans la contree qu'ils habitent. Avec le bienveil- lant concours de ces savants, je suis arrive a pouvoir multiplier les comparaisons sur une tres-large echelle. Mon examen a porte sur des Chabots recoltes dans le departement de la Seine et les departements limitrophes, en Normandie, dans les departe- ments du Nord etdu Pas-de-Calais, dans les Ardennes, la Lor- raine, y compris les Vosges, l'Alsace,le departement du Doubs, II am mmm \m IS ■ !' ' 'f Ff,f m: Wm CHABOT. 173 la Savoie, les environs de Lyon, le departcment de la Gote-d'Or, la Provence, et notamment les environs d'Avignon, ou M. Fabre en a pris en quantite dans la Sorgue, dans le Languedoc, en Auvergne, etc. Get examen des Ghabots, provenantde tontes les regions de la France, examen approfondi, minutienx, a conduit a avoir la certitude absolue que ces Poissons appartenaient a la meme espece, qu'il n'y avait aucune difference plus notable entre les individus de nos departements les plus eloignes qu'entre les individus nes dans le meme ruisseau. Si, par hasard, il existe en France d'autres especes du genre Cottus,ce qui commence a nous paraitre peu probable, elles ont encore echappe a nos re- cherches. Un zoologiste de l'Allemagne, M. Jeitteles, a fait re- cemment une etude comparative des especes de Cottus d'Europe et d'Amerique 4, et il a parfaitement reconnu que les variations dans les proportions des nageoires, dans les divisions de leurs rayons, dans l'ecartement des yeux, etc., etaient de simples dif- ferences individuelles. Gette observation, avec laquelle s'accor- dent les notres de la maniere la plus complete, a fourni a son auteur la preuve que des Cottus de la Lombardie et de la Dal- matie, de la Pologne et de la Russie, decrits comme des especes particulieres , n'etaient nullement distincts de notre Chabot vulgaire 2. 1 Ueber die Siiss-ivasser-arten der Fisch-Gattung Cottus. — Beitrag zu eineriviederholten Revision dieses Genus von Ludwig Heinrich Jeitteles. — Arehivio per la zoologia, I' anatomia e la fisiologia, vol. I, fasc. 2, p. 158 (decembre 1861). 2 Ce sont : le Cottus microstomas, Heckel, le C. ferrugineus, Heckel et Kner. — M. Jeitteles considere sans doute aveeraisonle Cottus peecilopus, Heckel, de la Galicie et des Carpatlies, comme une espece distincte du Chabot commun, parce que ses nageoires ventrales, assez longues pour atteindre l'anus, sont rubanees, ce qui ne se voit jamais dans notre espece vulgaire. 174 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. LA FAMILLE DES GASTEROSTEIDES (GASTEROSTEIDiE) Cette famille est institute imiquement pour ces Poissons si petits et si agiles, que tout le monde connait sous le nom d'E- pinoches. Les Gasterosteides, en effet, se distinguent par plusieurs ca- racteres qui paraissent les isoler d'une maniere bien notable des Poissons avec lesquels on les a ordinairement associes. Us ont des epines dorsales, et ces epines, demeurant libres, ne forment point une nageoire; ils ont un bassin tres-deve- loppe, et ce bassin etant reuni a des os de l'epaule, fort grands, enveloppe leur ventre d'une cuirasse osseuse. Pour toute na- geoire ventrale, ils ont une pointe aceree, occupant une posi- tion tres en arriere de la nageoire pectorale. Outre ces traits si remarquables de leur conformation, ils offrent encore certaines particularites qui doivent etre signalees. — Ces Poissons n'ont pas de veritables ecailles; leur peau est nue ou garnie en partie de plaques osseuses; leur corps est de forme naviculaire ; leur tete est etroite, avec la joue couverte par l'os sous-orbitaire, qui est lisse et a peine distinct sous la peau. Les Gasterosteides etaient consideres par Guvier comme ap- partenant a la famille des Poissons aux joues cuirassees, dont les representants les plus connus sontles Trigles ou Grondins, et les Ghabots. Le grand naturaliste avait \u cependant, et il avait in- dique les caracteres qui eloignent des Trigles et des Ghabots les Epinoches, qui ont en partage beaucoup de particularites dignes d'attention. Mais, tout en faisant la part des dissemblances, GASTEROSTEIDES. 175 Cuvier s'appuyait, dans son idee de groupement, sur un rapport tres-reel dans la conformation de la tete. Dans son opinion, il convenait de rennir dans nne raerae famille tons les Poissons ponrvns d'nn os sons-orbitaire assez grand pour s'etendre snr la joue, et s'articuler par son extremite posterieure avec le preo- percule. L'habile zoologiste commettait la fante, et d'attacher nne extreme importance a un seul caractere d'une valeur dou- teuse, et de passer trop legerement sur les autres. Un tel pro- cede, qui ne lui est pas ordinaire, est, a la verite, le plus simple pour le classificateur ; mais aussi il est le plus defectueux, si Ton se propose une classification capable de representer les degres d'affinite des etres. Tons les naturalistes n'ont pas accepte les vues de Cuvier. Plusieurs d'entre eux, frappes de traits d'analogie dans la forme generale, dans les proportions relatives des differentes parties du corps, et j usque dans le systeme de coloration entre les Epi- noches et les Maquereaux, ont pense avoir saisi, par une lieu- reuse inspiration, des affinites naturelles, meconnues avant eux. Les Epinoches se sont trouvees ainsi classees par ces auteurs dans la famille des Scomberides (Maquereaux, — Scomberoides, Cuvier). Riippel, le voyageur qui s'est acquis des titres al'estime des zoologistes par ses decouvertes en histoire naturelle, dans la haute Egypte, en Abyssinie et dans l'Asie Mineure; MM. Hec- kel et Kner, les auteurs de V Histoire des Poissons de la Monar- chic autrichienne ; M. de Siebold, le professenr de Munich, qui a publie recemment un ouvrage sur les Poissons de l'Europe centrale , ont aussi apprecie les affinites naturelles des Epi- noches. D'abord un peu seduit par l'opinion de ces savants, j'ai ete 170 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. bientot conduit a m'en ecarter. En effet, lorsqu'on a cesse de se preoccuper des proportions da corps et du systeme de colora- tion, on arrive a ne plus constater que des differences entre nos Gasterosteides etles Scomberides (Maquereaux). Entre ces Poissons, il n'y a rien de pareil dans la conformation des os de l'epaule et du bassin. Les epines des Epinoches ne ressemblent en aucune facon aux nageoires dorsale et centrales des Maque- reaux, et, chez ces derniers, les os sous-orbitaires sont loin de couvrir la joue, sans compter une multitude d'autres dissem- blances que nous ne pourrions enumerer ici, sans sortir de notre sujet essentiel. Au reste, les auteurs qui ont associe les Epinoches aux Scom- berides, n'ont pas eu le merite d'apercevoir les premiers les traits d'analogie qui existent entre ces animaux. Ces traits d'analogie ont ete indiques par Cuvier l. Les Epinoches, malgre la conformation si particuliere de leur bassin et malgre la presence de leurs epines libres substitutes aux nageoires, ont, en realite, comme en avait juge Cuvier, plus de rapports avecles Perches, les Trigles et les Chabots. Ces rap- ports sont surtout manifestes dans la construction de la tete. Mais d'un autre cote, les Epinoches s'en eloignent a tant d'e- gards que leur reunion dans une meme famille avec les Trigles et les Chabots ne semble pas heureuse. C'est ce qui m'a deter- mine a presenter ces Poissons comme un type de famille natu- relle. Les Gasterosteides se composent essentiellement d'especes d'eau douce ou d'eau saumatre, mais on connait en outre, un representant de cette famille des plus remarquables a une infi- 1 Histoire naturelle. des Poissons, par MM. Cuvier et Valenciennes, t. IV, p. o. EPINOCHES. 177 nite de points de vue ; il forme le genre Gastree, dont nous n'a- vons pas a faire l'histoire dans cet outrage, car ce Gasterosteide nevit qua la mer. GENRE EPINOCHE (gasterosteus, Linne l) Dans la plupart des regions de la France, ou s'etendent des plaines traversers par des ruisseaux dont le cours peu rapide permet aux plantes aquatiques de se multiplier ; dans les loca- lites, ou les mares, les etangs, se couvrent de cette vegetation qui annonce la vie sous une infinite de formes, on est presque toujours assure de trouver des Epinoches en abondance. Ges Poissons, les plus petits de nos eaux douces, evitent les grandes profondeurs. Rares dans les fleuves et les larges ri- vieres, lorsqu'ils s'aventurent dans ces vastes cours, ils sem- blent craindre de s'eloigner de la terre; ils nagent la, ou le courant est faible, entreles herbes qui croissent pres du rivage. Les Epinoches ayant une predilection pour les eaux calmes et assez claires, l'observateur arrete au bord d'un ruisseau tran- quille, par une belle journee de printemps ou d'ete, ne tarde guere a apercevoir quelques-uns de ces petits Poissons aux for- mes gracieuses, aux couleurs ^i^cs et chatoyantes, a la de- sinvolture pleine d'elegance, tantot presque immobiles, tantot nageant avec rapidite , poursuivant une proie ou se pour- suivant entre eux. Les Epinoches, communs dans une grande partie de la France, sont connus a peu pres de tout le monde, sous diffe- rents noms vulgaires. Tous ces noms font allusion a leur carac- 1 Systema naturae, I. I, p. i89, )70(j. Blanchard. \t 178 HIST01RE PARTICl 1.1 ERE DES POISSONS. tere le plus frappant : la presence des epines dont leur corps est arme. Du mot epi?ie, a ete forme le nom d'Epinoche, usite aux environs de Paris et dans plusieurs de nos departements. Ge nom plus ou moins altere est devenu Epinocle sur certains points de la Normandie, Epinglotte dans le centre de la France, Epinarde, Epinaude, Echarde dans certaines localites. Des auteurs ont pense que la qualification d'Epijiarde etait nee d'une sorte deressemblance entre les piquants du Poisson et la feuille d'epinard ; la recherche des etymologies est parfois pe- rilleuse; on a ete un peu loin ici, ou, sans doute, il n'y a rien de plus que le mot epine accompagne d'une desinence particu- liere. Dans l'idiome provencal, ou les radicaux d'origine latine sont mieux conserves que dans la langue franchise, l'Epinoche est appelee Spinobe, comme en Italie on la nomme Spinarella. En divers endroits, on ne regarde pas si l'Epinoche a des epines, mais on s'apenjoit toujours qu'elle pique ; de la, le nom de Picot employe dans les Ardennes ; l'equivalent, Stickling en Alsace comme en Allemagne, derive du mot « Stich » qui signifie piqure. Dansle departement du Nord et sur quelques points du departement du Pas-de-Calais, le nom flamaod Estanclin ou Estecli?i, s'est conserve; il a la meme origine et la meme signification. Dans la Lorraine allemande, le nom de Spissert est en usage ; c'est un substantif forme du verbe germanique « spiessen » , qui se traduit en francais, par : en- ferrcr ou percer d'une pique. La plupart des noms strangers de l'Epinoche ont la signifi- cation de ceux de notre pays. Les Anglais, pourtant, ont voulu indiquer que c'est principalement le dos de 1 'animal qui est redoutable (Stickleback). EPLNOCHES. 179 Quelquefois, le peuple dans ses appellations, va an dela de ce qui frappe les sens ; nne comparaison lui vient en idee, line analogie est saisie au vol. Ainsi, on s'apercoit que les epines du petit Poisson de nos ruisseaux, ont une certaine ressemblance avec 1'instrument qui sert a la confection des chaussures, c'est- a-dire avec une alene; le petit Poisson sera nomine Cordonnier ou Save tier. Ges indications donnees, je me flatte que personne en France ne sera dans l'embarras au sujet de la nature des etres dont nous allons tracer l'histoire. • Suivant toute apparence, les naturalistes de l'antiquite accor- derent peu d'attention aux Epinoches. Aucun passage de YHis- toire des animaux d'Aristote n'indique que le grand philo- sophe ait connu ces Poissons. Au reste, nous ignorons encore aujourd'hui si Ton en trouve en Grece. Dans l'Europe meridio- nale, la plupart des cours d'eau sont desseches pendant la saison chaude, circonstance bien suffisante pour donner a penser que les Epinoches sont rares ou n'existent pas dans ce pays. Cepen- dant, Theophraste ayant cite sous le nom de Centrisque l un Poisson d'Heraclee sur le Lycus en Bithynie, que Ton comptait parmi les animaux qui naissent de la fange, car dans tous les temps, l'ignorance se cache volontiers derriere une supposition absurde, on a voulu reconnaitre dans ce Centrisque une Epi- noche 2. Le nom, il est vrai, etant derive selon la plus grande probability du mot grec qui signifie aiguillon 3, cette conjecture d'un mediocre interet, se trouve, comme le dit Guvier, « au moins aussi bien fondee que la plupart de celles sur lesquelles 1 KEVTot'axof. 2 Klein. 3 KevtfGv. 180 I1ISTOIRE PARTICULIEHE DES POISSONS. reposent les applications faites par les modernes de la nomen- clature de§ anciens. » LesPoissons de la famille des Gasterosteides, etantrepresentes dans nos eaux donees par le seul genre Epinoche {Gasterosteus), on pourrait sans grave inconvenient se dispenser d'entrer dans beaucoup de details sur les caracteres dece genre. La confusion, en effet, demeure impossible ici, des l'instant ou Ton est fixe a I'egard de la famille. Mais, ce serait passer sous silence des particularites de conformation qui meritent d'etre remarquees ; nous regretterions de laisser cette lacune. Le corps des Epinoches est comprime lateralement et un pen plus allonge, en maniere de fuseau, que celui des Perches. II en resulte une forme gracieuse et des proportions favorables a des mouvements rapides et harmonieux. La tete de ces petits Poissons , qui a environ le quart de leur longueur totale , s'a- baisse graduellement jusqu'a l'extremite, suivantainsila courbe dorsale, tandis que la machoire inferieure monte obliquement jusqu'au bout du museau. En examinant cette tete parle profil, on reconnait que la region sous-orbitaire est occupee par trois os remplissant tout l'espace compris entre la bouche et le preo- percule. Ces pieces, dont la surface est traversee par des stries d'une extreme finesse, sont, ainsiqueles autres parties de la tete, absolument depourvues d'epines, detubercules ou de den- telures. L'ceil est grand, et comme, pendant la vie, il a une teinte verte chatoyante, il ajoute beaucoup d'attrait a la pliysio- nomie de l'animal. La bouche, un peu protractile, est garnie aux deux machoires d'une etroite rangee de dents en velours. Ces dents sont les seules qui existent chez les Epinoches, ou il n'y en a ni au vomer, ni aux palatins, ni a la langue. La narine se montre sous la forme de deux orifices perces dans une petite fiPlNOCHES. 181 membrane situee au-devant de l'ceil et eirconscrite en dessous par le bord du premier sous-orbitaire. Les Epinoches sont snrtont bien remarqnables par la position exterieure et par la conformation des os de l'epaule, des mem- bres anterieurs et du bassin. En arriere de l'opercule, au-des- sous del'extremite posterieure du crane, on voit une piece pro- longed en pointe au-dessus de l'origine de la nageoire pectorale, c'estY humerus de Cuvierou le coraco'ide d'autres auteurs. Gette piece , surmontee d'un petit os qui est le scapulaire , forme la limite superieure d'un large espace lisse et nacre, compris entre l'ouie et la nageoire. Ge meme espace est circonscrit inferieurement par une lon- gue piece osseuse, qui se reunit au-dessous des opercules a la piece semblable du cote oppose, et s'etend en arriere jusqu'au bassin. Ces deux plaques pecto rales considerees par Cirvier comme representant l'os principal de l'avant-bras, c'est-a-dire le cubi- tus l, laissent dans leur intervalle un espace lisse, de figure co- nique, limite a sa base par le bassin. Ce dernier, qui constitue la cuirasse ventrale, est forme de deux os unis dans toute leur longueur par une suture mediane. Le bassin se prolonge en arriere en se retrecissant graduelle- ment, de fa^on a se terminer en pointe , et , pres de sa base, il • Nous rappelons cette determination, sans y insister davantage. On n'estpas parvenu en effet, jusqu'a present, a reconnaitre avec une en- (iere certitude la correspondance de tons les os des Poissons, avec ceu\ des Vertebres superieurs. Des naturalistes ont ete conduits souvent, selon leur point de depart, a des determinations fort differentes. La piece qui estle cubitus pour Cuvier, est le radius pour M. Owen, etc. II faudrait de tres-longues eludes comparatives sur le developpement pour fitre en situation de se prononcer avec autorite. 182 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. presente de chaque cote une large branche montante, aplatie, s'elevant presque jusqu'au milieu des flancs. C'est dansun an- gle rentrant que cette branche fait en arriere avec la lame infe- rieure, que s'articule l'epine, remplagant ici la nageoire ventrale des autres Poissons. Cette epine, tr&s-forte, tres-aceree, striee surlaface externe, canaliculee sur la face interne , denticulee sur ses bords, s'ecarte du corps a la volonte del'animal. Munie dans son aisselle d'une petite membrane, elle est ramenee pen- dant l'etat de repos sur le bord externe du bassin qu'elle em- brasse exactement. Les Epinoches ont encore le dos garni de plaques osseuses, mais ces pieces sont loin d'etre a peu pres semblables cliez tou- tes les especes du genre. On le verra plus loin , les differences qu'elles presentent servent a caracteriser deux divisions natu- relles qu'il convient d'etablir parmi les Epinoches; ces deux di- visions sont : les Epinoches proprement dites et les Epinochettes. C'est sur les plaques osseuses du dos que s'articulent les epines libres, qui remplacent la premiere nageoire dorsaledes Perches et des Chabots ; mais ces epines sont en nombre«variable ; ce nombre , ordinairement de trois chez les Epinoches proprement dites, est de huit a onze chez les Epinochettes. Dans tous les cas, les epines qui se couclient completement sur le dos , lorsque le Poisson est calme, se dressent avec une extreme facilite des qu'il menace ou se croit menace. Chaque epine etant pourvue en ar- riere d'une membrane, celle-ci , dans l'etat d'extension, prend 1'apparence d'une petite voile attachee a son mat. Apres les epines libres s'eleve la nageoire dorsale , dont le nombre de rayons varie de neuf a douze ou treize. Ces rayons sont flexibles et implantes chacun sur une tres-petite plaque os- seuse ; le premier, qui est le plus long, est simple; les autres se EPINOCHES. 183 bifurquent, et vont en decroissant de longueur j usqu'au der- nier. La nageoire pectorale, assez petite, formee de dix rayons et attachee a peu pres a egale distance de Tome et de la branche montante du bassin, a des mouvements tres-libres, car en avant comme en arriere la peau est lisse et completement nue. La nageoire anale commence un peu au dela de l'anus, qui est situe vers les deux tiers environ de la longueur du corps. Cette nageoire, composee ordinairement de neuf rayons bifur- ques et implantes dans de petites ,plaques dures et rugueuses, est precedee d'une epine libre et arquee. La nageoire caudale, pleine de regularity et d'elegance, a une mediocre etendue. Elle est composee de douze rayons dont les articulations sont en general bien distinctes. Le rayon superieur et le rayon inferieur, qui decrivent chacun en sens oppose une legere courbe donnant a la nageoire une forme gracieusement arrondie, demeurent simples jusqu'a l'extremite, tandis que les dix autres sont bifurques. Outre ces douze rayons, on en remar- que en dessus et en dessous, quatre ou cinq tres-petits ; de la sorte, l'extremite du corps se trouve embrassee en totalite par la portion basilaire de la nageoire. Nous distinguerons parmi les Epinoches les especes dont les cotes du corps sont garnis sur une plus ou moins grande eten- due de plaques osseuses finement striees, et les especes dont les cotes du corps sont nus. Mais tous ces Poissons ayant a peu pres les memes habitudes, il convient de ne pas insister sur ces dif- ferences avant d'avoir retrace ce que nous savons de leur com- mune histoire. Les Epinoches, extremement abondantes dans nos departe- ments du Nord, neparaissentpas egalement repandues sur tous 184 HIST01RE PART1CIEIERE DES POISSONS. les points dp la France. II y a pen de temps encore, divers na- turalistes nons affirmaient que ces Poissons ne se rencontraient. pas dans le midi de la France. Pendant nne tonrnee entreprise en 1862, dans le but d'etndier les especes de chaque contree, je tins a m'assnrer si les Epinoches manquaient reellement dans nos departements meridionaux. Arrive a Avignon, sachant que la campagne environnante etait traversee par des rnisseaux, je priai M. Fabre,professenr auLyceejdem'accompagner dansune exploration a la recherche des Epinoches. Un filet a insectes de- vait etre notre seul engin de peche, mais il ponvait suffire dans des eaux pen profondes. Ayant bientot atteint les rives d'nn rnissean tout verdoyant, tant il etait bien garni d'herbes, le filet fnt traine au fond de I'eau. Retire line premiere fois, amagrande satisfaction, qnel- ques Epinoches se trouvaient prises. Unpen plus loin, nous fimes la rencontre de gentils petits enfants qui selivraient au plaisir de la peche; ils avaient deja des bouteilles remplies d'Epinoches qu'ils emportaientpour s'en amuser. Ces Poissons n'etaientdonc pas rares dans le departement de Vaucluse. Dans les autres parties de la Provence, je n'ai pas reussi a m'en procurer. A Toulouse, M. le professeur Joly, m'assurant (pic les Epinoches n'etaient pas communes dans les environs de la ville, en avait neanmoins recueilli quelquesindividusqui furent mis obligeamment a ma disposition. Depuis, M.Paul Lacaze- Duthiers en a obtenu du departement dela Gironde. M. Gervais, le doyen de la Faculte des sciences de Montpellier,m'adit n'etre point parvenu a^en decouvrir dans le departement de l'Herault, ajoutant qu'a sa connaissance[on en voyait dans les emironsde Nimes. Les Epinoches sont done repandues en France d'une mani^rc beaucoup plus generale qu'on ne le supposait; et si elles EPINOCHES. is:. sont plus rares dans le Midi que dans lc Nord, cc fait doit etre attribue sans doute a l'abondance moins grande des eaux qui conviennent a ces Poissons. Des savants de Grenoble, le professeur de zoologie de la Fa- culte des sciences, M. Gharvet; le conservateurdu Musee d'his- toire naturelle de la ville, M. Bouteille, m'ont certifie qu'on ne trouvait point d'Epinoches dans la region que traverse l'lsere, et devant l'expression de mes doutes, ces naturalistes m'objecte- rent que ces animaux auraient ete infailliblement remarques, s'il en existait dans ce pays qui a donne lieu a de frequentes re- cherches scientifiques , et cela d'autant mieux , poursuivait M. Gharvet, que les Epinoches nc sont jamais rares ou elles se trouvent; elles sont eorarae les mouches : il n'y en a pas ou il y en a beaucoup. N 'ay ant pu explorer moi-meme tous les ruisseaux, toutes les« mares, tousles etangs de la France, on le comprendra sans peine, j 'incline tres-fort a penser que plusieurs espeees d'Epino- ches doivent m'avoir encore echappe. Aujourd'hui qu'il va etre demontre de la mani^re la plus evidente que ces Poissons n'ap- partiennent pas seulement a une ou deux esp^ces, leur recher- che, partout oucette recherche n'a pas ete complete, offrira un interet reel. C'est un a\is bon a porter a la connaissance des zoologistes et des nombreux amis de la nature qui habitent les departements. Si les Epinoches peuvent compter parmi les animaux les plus communs dans diverses localites du nord de la France, leur abondance, parait-il, est tout autrement considerable sur quel- ques autres points de l'Europe. D'apr^s une assertion repetOe dans une foule d'ouvrages, ces Poissons pourraient etre recueil- lis dans certains comtes de l'Angleterre en quantites tellement 180 HISTOIRE PARTICUL1ERE DES POISSONS. prodigieuses, qu'on les emploierait comme engrais. Ce serait sans doute un tort , neanmoins, de prendre l'assertion absolu- ment a la lettre. Pennant, un zoologiste anglais du dernier siecle, a rapporte qu'iin habitant du Lincolnshire avait trouve grand profit, du- rant une periode de temps assez longue, a recolter des Epino- ches pour en fertiliser les terres. Get homme ne les vendait qu'a raison d'un sou (un demi-penny) le boisseau, et, a ce prix assu- rement bien modique, il gagnait encore cinq francs (quatre shil- lings) par jour. Le brave homme avait eu une idee lumineuse ; il meritait, en verite, de faire fortune. Toujours d'apres le recit de Pennant, les Epinoches, une fois tous les sept ou huit ans, ap- paraitraient en colonnes immenses dans la riviere de Welland, ou les riverains les prendraient par charretees , se procurant ainsi, a peu de frais, un engrais d'excellente qualite. D'apres cela, depuis quatre-vingt-huit ans, chacun repete que les Epino- ches sont employees en Angleterre comme engrais, sans se preoc- cuper davantage de savoir si l'usage a persiste, si cetemploi est un peu general ou meme settlement habituel de la part de quel- ques agriculteurs. D'un autre cote, ces Poissons, parait-il, sont recueillis sur quelques-uns des points des cotes de la Baltique pour etredon- nes en pature aux pourceaux. On en prend, dit-on, en Angle- terre pour nourrir les volailles, qui s'en montrent tres-friandes et qui, avec cette nourriture, engraissent d'une faQon merveil- leuse. Des pecheurs a la ligne estiment que les Epinoches dont on a eu soin d'arracher les epines constituent un excellent appat pour la Perche. Ces chetifs Poissons ne semblent pas avoir ete jamais recher- ches en France comme aliment, meme par les plus pauvres. EPINOCHES. 187 L'exigu'ite de leur taillo devait deja porter a les faire dedaigner ; la presence de leurs opines et de leurs plaques osseuses devait porter a les faire absolument repousser. Gependant, d'apres lc temoignage de Belon, les Epinoches ne seraient pas aussi mepri- sees dans tons les pays. Ge naturaliste rapporte qu'on en peche en quantite dans la Nera,un affluent du Tibre, et qu'on lesporte sur les marches de Narni, l'une des villes des Etats romains. Belon ecrivait cela en 1553 ; Rondelet, son contemporain, a cer- tifies le meme fait; mais, depuis, personne n'en a dit mot. Rien done ne nous assure que le gout des habitants de Narni ne soit pas devenu plus delicat. En quelques endroits, par suite de la famine, les Epinoches ont pu encore devenir une ressource alimentaire. A Dantzig, il a ete raconte a M. de Siebold , qu'au temps du dernier siege de cette ville, ces Poissons s'etaient multiplies en si incroyable quantite dans les fosses de la forteresse, que les plus pauvres habitants de la grande cite maritime de la Prusse orientale, manquant de nourriture, y avaient eu recours pour apaiser leur faim. Les Epinoches qui appartiennent essentiellement a la catego- rie des Poissons d'eau douce, frequentent aussi les eaux sau- matres et quelquefois les rivages de la mer; mais ces diffe- rences de sejour n'ont pas lieu; en general pour les memes especes ; e'est du moins ce qui resulte de nos observations. Les Epinoches qui habitent le voisinage des cotes maritimes, ne se rencontrent pas dans l'interieur des terres. Ges Poissons nagent soirvent par troupes, et dans les eaux ou ils se trouvent en abondance , il n'est pas rare de les voir former de longuescolonnes. Des individus isoles errent aussi a l'aven- ture. Les Epinoches vivent des insectes, des vers, des mollusques 188 HISTOIRE PARTICUL1ERE DES POISSONS. qui fourmillent dans les mares et les ruisseaux ; elles en con- somment des quantites prodigieuses et avalent egalement une infinite de poissons nouvellement eclos et meme du frai, ce quileur vaut une antipathie prononcee dela part des pecheurs.. Les Epinoches ont la reputation bien etablie d'avoir une humeur irascible et d'etre d'une etonnante voracite. Des ama- teurs se sont souvent fort amuses a observer de ces Poissons qu'ils mettaient dans des vases, dans le but d'epier leurs mou- vements vifs et gracieux, d'exciter leur colere, d'assister a leurs combats, de les voir s'emparer avidement de leur proie. Les recits sur ces sujets sont nombreux. Ici, Tauteur a contemple une lutte entre deux individus acharnes, il decrit Timpetuosite de leur poursuite, la maniere dont les coups d'aiguillon etaient portes, comment il y eut un \ainqueur et un vaincu, comment le vainqueur furieux et sans pitie, a fini par eventrer son adver- saire; la, 1'observateur a \u parmi les Epinoches, s'agitant dans un bassin devenu leur demeure, un individu qui, apres avoir pris possession d'un coin particulier, poursuivait avec fureur ses pareils, s'ils s'avisaient de l'approcher. Ailleurs, on a vu une Epinoche devorer, dans l'espace de cinq heures de temps, soixante-quatorze poissons naissants de l'espece connue sous le nom vulgaire de Vandoise ; on en a remarque une, qui avait avale entierement une sangsue d'assez forte taille. II est en effet tr^s-curieux de voir ces Poissons changer in- stantanement d'attitude suivant les circonstances. Nagent-ils paisiblement, leurs epines dorsales sont couchees et a peine visibles ; leurs epines ventrales sont ramenees sur les cotes du corps. Survient-il un danger, quelque chose denature a exciter leur colere, soudain, les pointes du dos se dressent menagantes, les pointes du ventre s'ecartent, pretes a entamer l'ennemi. Ces &PINOCHES. 189 terribles aiguillons inspircnt la crainte, meme a d'assez gros poissons. II arrive malheur aux imprudents. Des Perches, de jeunes Brochets voraces, malgre 1' armature de leur palais, ont quelquefois la bouche1 on le gosier embroche par l'Epmoche qu'ils ont saisie et dont ils ne parviennent pas toujours a se de- barrasser sans grave accident. On assure que la duree de l'existence des Epinoches ne se prolonge pas au dela de trois annees. Bloch, le celebre ichthyo- logiste allemand l'a dit ; d'autres Tout repete. L'assertion n'a pas ete dementie ; ainsi que Guvier le fait remarquer, elle ne saurait etre presentee neanmoins comme ay ant le caractere de la certitude. Pendant une grande partie de l'aimee, il n'y a rien de plus a observer parmi les populations d'Epinoches, que leurs ebats, leurs chasses, leurs combats entre elles, leurs luttes avec d'autres animaux. Viennent les mois de juin et de juillet, la scene change completement ; on est alors dans la saison ou les Pois- sons de nos ruisseaux vont se reprodnire. G'est l'epoque ou 1'observation sera d'un interet saisissant. Les changements de plumage qui snrviennent chez les Oi- seaux, au moment ou les individus vont se rechercher, ont ete decrits en termes eloquents. Dans un langage poetique, on re- pete depuis des siecles que les Oiseaux prennent leur parure de noce. L'habilete que deploient ces creatures aeriennes pour construire leur nid moelleux, la tendresse des epoux de ce monde aile, les soins du male pour sa compagne, 1'amonr ma- ternel dans toutes ses ravissantes manifestations ont ete cele- bres, comme ils le meritaient, par tons les peuples. II devait y avoir toujours dans ces actes des Oiseaux, un amusement au moins, une curiosite, un sujet d'etonnement pour les esprits les 190 IIISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. moins cultives, et un admirable et delicieux spectacle pour les esprits d'elite. Tandis que Ton contemplait avec ravissement les beautes des Oiseaux, les merveilleux instincts de ces jolies creatures, les expressions de leurs sentiments, on restait fort indifferent aux actes de la vie des Poissons, actes presque absolument ignores on a peine entrevus. Les Poissons etaient regardes, sans dis- tinction, comme infiniment mal partages sous le rapport des instincts. On supposait de leur part, en toute circonstance, l'in- souciance la plus complete pour les individus de leur espeee et meme pour leur progeniture. Des observations sont venues ap- prendre que certaines especes etaient beaucoup mieux douees que les naturalistes ne se le figuraient. Les Epinoches, ces etres chetifs et dedaignes, ont fourni l'exemple le plus remarquable qui nous soit encore bien connu, d'une industrie parmi les Poissons, d'une etonnante sollicitude des parents pour leur posterite. D6s la fin de mai, les Epinoches apparaissent avec un eclat qu'elles ne presentaient pas auparavant. Dans l'espace de quel- ques jours un grand changement s'opere chez ces Poissons. Leur dos prend des teintes bleuatres, les parties inferieures de leur corps, leurs l&vres, leurs joues, la base de leurs nageoires, qui etaient blanches ou d'un blanc jaunatre, commencent a s'empoiuprer, et bientot deviennent d'une couleur rouge cra- moisie, des plus vives. G'est, comme chez les Oiseaux, la pa- rure de noce. Les Poissons eux-memes, ces etres qui semblent toujours preoccupes du seul besoin d'engloutir line proie, seraient-ils sensibles a la beaute ? On ne voudrait pas Taffirmer, et, d'un autre cote, comment se refuser a le croire, en voyant cette fiPLNOCHES. 191 beaute se manifester au moment ou les individus des deux sexes vont entrer en relation ? Vers les premiers jours de juin, dans les circonstances les plus ordinaires, 1'Epinoche male semble rechercher un endroit a sa convenance ; il s'agite longtemps a la meme place, s'il quitte cette place, il y revient frequemment . De sa part, il y a une pre- occupation evidente. Mais avant d'aller plus loin dans notre recit, une declaration est necessaire pour que notre exposition ne comporte rien de vague. Dans l'enonce des caracteres generiques des Epinoches, des differences ont ete indiquees entre les especes du genre, diffe- rences devant conduire a distinguer parmi ces Poissons, deux divisions secondaires : les Epinoches proprement dites, et les Epinochettes dont la caracterisation precise sera donnee plus loin. Les habitudes des Epinoches proprement dites et des Epi- nochettes, se ressemblent sous les rapports les plus essentiels; la disjunction ne saurait done ici etre permise a 1'historien. D'un autre cote, il y a dans les habitudes des Epinoches et des Epinochettes des particularites trop notables, pour rendre pos- sible une narration, s'appliquant a la fois entierement aux deux categories d'especes. Pour plus de clarte" , il convicnt, pensons-nous, de nous occu- per d'abord des Epinoches, et d'examiner ensuite ce qu'il y a de particulier aux Epinochettes. Pour les premieres, disons de suite, que notre recit se rapporte surtout a l'espece la plus commune dans notre pays, al'Epinoche aqueuelisse [Gasterosteus leiurus) qui sera decrite dans les pages suivantes. Selon toute apparence, l'histoire doit se rapporter avec la meme verite aux especes voisines,mais encore une fois, la precision la plus rigoureuse est indispensable lorsqu'il s'agit des faits scientifiques. [92 HISTOIRE PART1CUL1ERE IJLS POISSONS. L'Epinoche male, apres s'etre arrete a un endroit determine^ ibuille avec son museau la vase qui se trouve au fond de l'eau ; il Fig. 24. — L'Epinoche a queue lisse [Gasterosteus leiurus) et son nid. Unit par s'y enfoncer tout entier. S'agitant avec \iolence, tour- tiPlNOCHES. 193 nant avec rapidite sur lui-meine, il forme bientot une cavite, qui se trouve circonscrite par les parties terreuses rejetees sur les bords. Ge premier travail execute, le Puissou s'eloigne sans paraitre toujours suivre une direction bien arretee; il regarde de divers cotes, il est evidemment en quete de quelque chose. Un peu de patience encore, et vous le verrez saisir avec ses dents un brin d'herbe,ou un filament de racine. Alors, tenant ce frag- ment dans sa bouche, il retourne directement et sans hesitation an petit fosse qu'il a creuse. II y place le brin, le fixe a l'aide de son museau, en apportant an besoin des grains de sable pour le maintenir et en frottant son ventre sur le fond. Des qu'il est assure que le fragile filament ne pourra etre entraineparle cou- rant, il va en chercher un nouveau pour l'apporter et l'ajuster comme il a fait du premier. Le meme manege devra 6tre recom- mence bien des fois avant que le fond du fosse ne soit garni d'une couche suffisante de brindilles. Le moment arrive cepen- dant ou le tapis est devenu epais ; toutes les parties sont bien enchevetrees et parfaitement adherentes les unes aux autres, car l'Epinoche, par le frottement de son corps, les a aggluti- ne.es avec le mucus qui suinte des orifices perces le long de ses flancs. Ce qui ravit l'observateur attentif a suivre ce travail, c'est de voir l'intelligence qui parait presider aux moindres details de l'operation. En placant ses materiaux, le Poisson semble d'abord chercher simplement a les entasser, mais une fois le premier lit etabli, il les dispose avec plus de soin, se preoccupant de leur donner la direction qui sera celle de l'ouverture a la sortie du nid. Si rouvrage n'est pas parfait, l'habile constructeurarrache les pieces defectueuses, les fagonne, et recommence jusqu 'a ce qu'il ait reussi au gre de son desir. Parmi les materiaux appor- Blanchard. 13 194 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. tes, s'en trouve-t-il que leur dimension on leur forme ne per- met pas d'employer convenablement, il les rejette et les aban- donne aprSs les avoir essayes. Ce n'est pas tout encore; comme s'il voulait s'assurerquela base de l'edifice est bien consolidee, il agite avec force ses nageoires de fagon a produire des courants energiques, capables de montrcr que rien ne sera entratne. L'industrieux Epinochc, dans l'accomplissement de son la- beur, deploie une activite infatigable. Ilveilleace quenuln'ap- proche et s'elance avec ardeur sur les poissons ou les insectes qui osent se montrer dans son voisinage. Les fondations du nid seules sont etablies ; pour completer l'edifice, notre architecte doit travailler beaucoup encore, mais sa persistance ne faiblit pas un seul instant. II continue a se procurer des materiaux, et bientot les cotes du fosse dont le fond est tapisse se garnissent de brindilles qui sont pressees et tassees les unes contre les autres. L'Epinoche les englue toujours avec le meme soin. II s'introduit entre celles qui s'elevent des deux cotes, de facon a menager une cavite assez vaste pour que le corps de la femelle y passe sans difficulte. II s'agit enfin de con- struire la toiture ; de nouvelles pieces sont encore apportees, et pour former la voute, elles prennent place sur les murailles deja etablies et s'enchevetrent par leurs extremites.Le Poisson poursuit toujours son travail de la meme maniere ; il fixe et contourne les brindilles avec son museau, il lisse les parois de l'edifice en les impregnant de mucosite par les frottements repetes de son corps. La cavite est particulierement l'objet de ses soins, il s'y retourne a maintes reprises, jusqu'a ce que les parois du tube soient devenues bien unies. Parfois, le nid demeure ferme a l'une de ses extremites ; le plus souvent, au contraire, il est ou- vert aux deux bouts, seulement, l'ouvcrturc opposee a celle par EPINOCHES. !!>;. laquelle l'animal est entre si frequemment, pour accomplir son travail, reste tres-petite. La premiere est surtout construite avec un soin extreme ; pas im brin ne depasse l'autre, le bord est en- glue, poli avec les plus minutieuscs precautions pour rendre le passage facile. N'est-ce pas un saisissant et merveilleux spectacle donne par la nature, que celui de l'industrie de l'Epinoche male. Ge Pois- son si petit, si chetif, executant avec perseverance un travail peniblc, long, difficile, montrant une incroyable vigilance pour mettre son ouvrage a l'abri des accidents, deployant an besoin un courage prodigieux pour repousser l'ennemi. Et ce male est seul, il ne tire secours de mil autre. Tant qu'il est a l'execution de son travail, aucune femelle nele preoccupe ; cette preoccupa- tion ne se manifestera qu'apres Fentier achevement de son edi- fice. Les nids d'Epinoches se trouvent en grandc partie enfouis dans la vase, et quand on les apercoit aplate-terre, au fond d'un ruisseau clair, oil il y en a parfois des quantites enormes, ils apparaissent comme autant de pctits monticules, dont la dimen- sion est d'une dizaine de centimetres. Pour rendre distinctesles formes de celui qui a cte represente sur notre dessin, il a ete indispensable de le faire paraitre un peu isole, en un mot, de le montrer degage sur les cotes des parties terreuses qui l'entou- rent dans l'etat ordinaire. Les differentes especes d'Epinoches, proprement dites, pa- raissent se comporter dans tous leurs actes, exactement de la meme maniere. II n'en est pas tout a fait ainsi pour les especes de la division des Epinochettes. Le male est toujours le seul architecte et il ne se montre ni moins habile, ni moins vigilant que l'Epinoche. Cclui-la etablit son nid a une certaine hauteur 1% HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. du sol, parrai les plantes qui croissent dans les eaux, entre les tiges on contre les feuilles. II fait choix des materiaux les plus delicats; ce sont surtout des conferves, des brins d'herbes tres- delies. Hen apporte jusqu'a ce qu'il y en ait un paquet suffi- sant pour construire le petit edifice, en prenant des soins inces- sants pour leur faire contracter adherence avec les vegetaux sur lesquels.ils sont appuyes, et les empecher d'etre entraines par le courant. II emploie, dans ce but, le meme moyen que l'Epi- noche ; il englue de mucus toutes les parties, a l'aide de frot- tements de son corps. Lorsque la masse des brins d'herbes et des conferves est devenue assez considerable, il s'efforce de pe- netrer dans le milieu en poussant avec son museau. Des qu'il a reussi a s'enfoncer un pen dans cette masse, il se retourne a di- verses reprises, et avance de mieux en mieux en faisant agir ses nombreuses epines dorsales qui contournent et enchevetrent tous les brins les uns avec les autres. Parvenu an bout, il sort par l'extremite opposee a celle par laquelle il a penetre. *A ce moment, le nid a pris sa forme definitive. On a compare assez heureusement ce nid a un petit manchon. Le Poisson a encore peut-etre quelques precautions a prendre pour que le petit edi- fice soit acheve, les parois du tube bien lissees, l'orifice d'entree bien unie. Tout cela s'executera a l'aide des procedes que nous avons vus employes par l'Epinoche. Le nid de l'Epinochette est encore plus gracieux que celui de l'Ei)inoche. D'abord, il est suspcndu aux feuilles et aux tiges comme le nid des petits oiseaux; ensuite, n'ayant point de con- tact avec la terre, avec la vase, il conserve ordinairement une jolie teinte verte. On ne decouvre pas aussi facilement les nids des Epinochettes que ceux des Epinoches; caches entre ies herbes, entre les ro- EPIlNOCHES. 197 seaux, ils demeurent derobes aux regards les plus attentifs. Due recherche speciale devient nocessaire pour les apercevoir. Fig. 25. — L'Epinoehette lisse (Gasterosteus Icevis) et son nid. Leur construction terminee et prete a recevoir le depdt des 198 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. ceufs, l'Epinoche et I'Epinochette males vont se montrer ani- mes dcs memes desirs. Le Poisson, a ce moment, est dans tout l'eclat de sa parure de noce ; ses couleurs ont une vivacite surprenante, son dos est diapre des plus jolies nuances. Ainsi pare, il s'elance au milieu d'un groupe de femelles, s'attache a celle qui semble etre la mieux en situation de pondre, tournant, s'agitant aupres d'elle, paraissant l'engagera le suivre. Gelle-ci s'empressc a son tour; on supposerait volontiers de la coquetterie de sa part. Alors, le male, comme s'il avait saisi une intention manifestee de le suivre, se precipite vers son nid, en elargit l'ouverture de fagon a ce que l'acces en soit rendu plus facile. La femelle qui ne l'a pas quitte, ne tarde pas a s'enfoncer dans l'mterieur du tube, ou elle disparait en entier, ne montrant plus au dehors que l'ex- tremite de sa queue. Elle y demeure deux ou trois minutes, temoignant par ses mouvements saccades qu'elle fait des efforts pour pondre. Apres avoir depose quelques ceufs, elle s'echappe par l'ouverture opposee a celle qui lui a servi dentree, prati- quant quelquefois elle-meme cette ouverture par un effort vio- lent, si Fextremite du nid est restee fermee. Alors, pale, decoloree, elle semble avoir eprouve un(; souffrance ou un affai- blissement qui reclame un repos. Pendant que la femelle occupe 1'interieur du nid, le male pa- rait plus agite, plus anime que jamais, il remue, il fretille, il touche frequemment sa femelle avec son museau, et a peine eelle-ci est-elle partie, qu'il entre precipitamment a son tour et se met a frotter comme avec delices son ventre surles ceufs. Mais le nid, objet de tant de soins et de fatigues, n'a pas ete construit pour recevoir une seule ponte. Lemale s'efforce sans relache d'y attirer successivement d'autres femelles. II recom- EPINOCHES. 199 mence pr&s d'elles les memes agaceries, et continue le meme manege plusieurs jours de suite ; la meme femelle est quelque- fois ramenee au nid a diverses reprises. Les pontes s'accumulent ainsi dans la petite construction, formant une quantite plus ou moins considerable de tas, qui, reunis, deviennent une masse considerable. Ges habitudes de polygamic de l'Epinoche male suffiraient a montrer que parmi ces Poissons, les femelles sont beaucoup plus abondantes que les males, si l'inspection d'un grand nombre d'individus pris dans une foule de localites, n'a- vait fait constater a cet egard une disproportion tres-marquee. Lorsque lesnids sont remplis d'ceufs, lorsqueles pontes sont achevees, la mission du male n'est pas arrivee a son terme. Ge male va avoir pour premier soin de fermer l'ouverture du nid qui a ete le passage de sortie pour les femelles; ensuite, il veil- lera sur le berceau de sa posterite, avec une perseverance et une sollicitude dontles Oiseaux n'offrentpas d'exemple plus parfait. Ne voulant rien laisser approcher de son nid, il donne la chasse et poursuit avec fureur les insectes et les poissons attires par la presence de ces magasins d'ceufs, si seduisants pour les voraces habitants des eaux. S'il a affaire a des enncmis trop nombreux ou trop puissants, il doit naturellement succomber malgre sa vaillance; mais en pareille circonstance, avec le sentiment de sa faiblesse relative, il sait avoir recours a la ruse. II s'eloigne de son nid, il fuit pour detourner l'attention de l'ennemi, sans toujours y parvenir. Lesoeufs sont quelquefois manges, l'edifice bouleverse et tout est a yecommencer pour l'Epinoche qui ne se decourage pas si la saison est peu avancee. Pendant dix a douze jours, s'ecoulant entre le moment de la ponte et celui de l'eclosion des jeunes, on voit frequemment ce male venir, le museau place vers l'entree de son nid, agiter ses 200 HISTOIRE PARTICULlfiRE DES POISSONS. aageoires avec force, pour determiner des courants surles ceufs. G'est le moyen de les bien laver et d'empecher qu'aueune vege- tation ne puisse se developper a la surface. Le moment de l'eclosion arrive, et les jeunes Epinoches com- mencent a s'agiter, portant, comme tous les Poissons nouveau- nes, leur enorme vesicule ombilicale appendue a leur ventre. Jusqu'au temps ou ils auront a pourvoir a leur subsistance, ou ils seront devenus assez agiles pour se soustraire a la poursuite des especes carnassieres, le male ne les perd pas de vue, il ne leur permet point de s'ecarter, il les protege toujours avec l'ardeur qu'on lui a vu deployer dans les autres phases de son existence laborieuse. _ G'est en general depuis les demiers jours du mois de mai jusqu'a la tin de juillet, que les Epinoches se livrent a leurs tra- vaux ou s'occupent des soins de la reproduction de leur espece. Le mois de juin surtout est l'epoque ou tout ce petit monde des ruisseaux est en pleine activite, mais il y a quelquefois des in- dividus precoces, d'autres retardataires. Que la temperature soit cliaude de bonne heure ou qu'elle demeure longtemps froide, on pourra remarquer des differences assez sensibles dans l'epoque ou les Epinoches se preparent a frayer. Guvier a rencontre au mois d'aout des femelles encore remplies d'ceufs ; ce qui n'est pas ordinaire, car toutes les femelles que j'ai exa- minees dans cette saison avaient leurs ovaires vides. Ges Poissons ont, relativement a leur taille, des ceufs d'une grosseur remarquable ; j'ai compte, d'ordinaire, de cent a cent vingl. ceufs murs chez les femelles qui, allourdies par cette enorme masse, avaient les flancs le plus distendus. Les personnes qui veulent observer les moeurs si merveil- leuses des Epinoches, ne sont pas obligees de se condamner EPINOCHES. 201 a passer des journees entieres au bord d'un ruisseau. Malgre le charme qu'elles trouveraient dans la contemplation d'un ravis- sant spectacle, la fatigue causee par la necessite de demeurer trop longtemps dans une meme situation enleverait bientot une partie du plaisir. II est un procede facile pour suivre sans peine, a son aise, les manoeuvres si curieuses des habitants de nos ruisseaux. On transporte a domicile un certain nombre de ces Poissons industrieux et on les place dans un bassin ayant au fond une couchc de Union, garni d'herbes et de conferves et approvisionne de petits animaux aquatiques. Avec une con- fiance entiere, les Epinoches se mettront an travail dansl'etroite. prison et sous les regards des curieux. Si des plantes vegetent dans le bassin, l'eau restera pure et Ton n'aura pas trop a se preoccuper de son renouvellement ; dans le cas contraire , il sera indispensable d'etablir un courant pour que la decompo- sition des matieres organiques n'amene pas tres-rapidement la corruption de l'eau. A la campagne , un simple baquet en bois dans le jardin permettra de suivre tousles details de l'industrie des Epinoches, toutes les particularites de leurs instincts. Dans le vestibule, dans l'antichambre, un modeste bassin remplira le meme but. Dans le salon du chateau un elegant Aquarium, nouvel orne- ment, pourra devenir le theatre d'exploits que le proprietaire et ses invites se plairont a admirer. Aujourd'hui, les habitudes, les mceurs, les instincts des Epi- noches sont parfaitement connus des naturalistes, mais la con- naissance complete des faits que nous avons exposes, est d'une date encore recente. Desconnaissances incompletes, sur ce sujet, etaient acquises anterieurement, et, chose incroyable, elles ne s'etaient pas repandues. II y a un interet si grand a voir com- 202 HISTOIRE PARTICULlERE DES POISSONS. ment se sont succede les observations sur les Epinoches, que c'est ici line obligation d'en presenter l'historique. Depuis l'antiquite, on avait parle vaguement de Poissons industrieux comme les Oiseaux, de Poissons construisant des nids pour y deposer leurs 03iifs et mettre ainsi leur progeniture a l'abri des dangers. Parmi les Poissons de nos eaux douces, les Epinoches etaient parfois citees en exemple de I'industrie des habitants des rivieres et des ruisseaux. Cependant, a cet egard, aucun fait bien precis n'etait garde dans la memoire des hommes de science. Les auteurs qui s'etaient specialement oc- cupes de l'histoire des Poissons, n'avaient rien recueilli sur ce sujet ; ils avaient compulse a peu pres tous les ecrits relatifs a l'lchthyologie et les observations consignees dans certains livres leur avaient echappe. Dans un volume de l'ouvrage de MM. Cuvier et Valenciennes, il est traite avec beaucoup de soin et avec beaucoup de talent des Epinoches, sous le rapport de leurs caracteres zoologiques et sous le rapport de leur repartition geographique, mais il n'est, en aucune maniere, question de leurs habitudes. Un livre bien souvent cite a juste titre, YHistoire des Pois- sons de la Grande- Bretagne, par William Yarrell, publiee en 1836, contient quelques details interessants sur les Epi- noches, mais l'auteur ne sait absolument rien de leur nidili- cation. C'est peut-etre cependant en Angleterre • que les construc- tions des Epinoches furent signalees pour la premiere fois ; c'est du moins dans l'ouvrage d'un membre de la Societe royale de Londres, de Richard Bradley, que nous avons lu le recitle plus ancien que nous connaissions concernant la nidification des Epinoches. Une figure d'une espece appartenant a ladivi- EPINOCHES. 203 sion des £pinochettes, accompagnc le texte de L'auteur l. C'est en 1721, que parut le lixre oil sc troirve consigne un fait, que plusieurs naturalistes croyaient decouvrir il n'y a pas vingt ans. Les ceuvres du membre de la Societe royale d' Angleterre etaient tombees dans l'oubli. II est curieux de voir comment l'art des Epinoches et des Epi- nochettes fut annonce il y apres d'un siecle et demi. Apres avoir appele l'attention sur les epines dont plusieurs poissonssontpourvus, Bradley poursuit en ces termes : « Mais « ce n'est pas seulement par ces armes que les Poissons trou- « vent une protection, soit pour eux-memes, soit pour leur « ponte. lis ont aussi un instinct nature! qui les pousse a con- « struire des nids ou des places de refuge pour eux et leur uponte. C'est la un fait dont j'ai ete instruit dernierement (( dune maniere fort agreable par le chevalier Hall, qui m'a « fait present d'un nid d'Epinoche dont il avait observe la con- (( struction depuis l'origine jusqu'au moment ou il fut amene « a sa derniere perfection, tel qu'on le voit dans la figure 2. Ge « nid est compose de fibres $e racines, de maniere a laisser « un tube creux a l'interieur, que je suppose forme, plutot «pour recevoir la ponte que pour servir de logement an « poisson lui-meme ; car les Epinoches ont dans leur nageoire « dorsale une epine aigue, que je suppose suffisante pour les « defendre contre les poissons de proie ; mais comme elles vi- « venttoujours dans les plus basses eaux, leur ponte serait trop « exposee aux hirondelles et aux autres oiseaux qui se plaisent i A Philosophical Account of the Work's of Nature, p. 61. London, in-4° (1721). 2 L'auteur donne en effet une figure tres-reconnaissable d'un nid d'Epinochette. 204 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. « dans le voisinage des eaux, si elle n'etait protegee par quel- « que chose, comme une couverture. Vers la fin de mai on le « commencement de juin, ces petits constructeurs se mettent a « I'ouvrage, comme j'en ai ete informe par l'observateur que <( j'ai cite. Maintenant que nous avons un exemple de l'adresse « d'une espece de poisson' pour sa conservation ou pour la pro- « tection de ses jeunes contre les ennemis, nous pouvons rai- « sonnablement conjecturer que d'autres sortes de poissons « ont leur mathode particuliere de batir des nids on des abris « pour leur securite, ce qui n'est pas autre chose que ce que « font les oiseaux, quoique par des procedes differents. » La nidification des Epinoches, on le voit, avait ete passable- ment etudiee a une epoque assez eloignee de la notre. L'obser- vateur, M. Hall, n'avait eu garde demanquer de suivre les petits Poissons dans leur travail, et l'historien des oeuvres de la nature, Bradley, n'avait oublie, ni les explications, ni les conjectures que le fait inattendu pouvait suggerer. D'autres observateurs d'un temps plus recule etaient-ils aussi bien instruits des habitudes des Epinoches, c'est ce que nousignorons. Surce sujet, nous n'avons rien trouve de plus ancien dans les annales de la science que la narration de Bra- dley demeuree ignoree des naturalistes, jusqu'a present. En France, des remarques a la v6rite bien incompletes avaient ete faites sur l'industrie des Epinoches des le siecle der- nier. Ecoutons comment s'exprime sur le compte du petit Poisson de nos ruisseaux un personnage encyclopedique bien connu, un type d'erudit, ayant peu vu, beaucoup lu et beau- coup entendu, Valmont de Bomare, Tauteur du premier Dic- tionnaire d'Histoire naturelle. « On observe que l'Epinoche est un poisson leste et agile et EPINOCHES. 205 « tres-frequent dans les petites rivieres. Son natural est si pen « farouche, qu'il vientj usque sur les pieds de ceux qui se bai- <( gnent ; communement il etablit son domicile sous les algues « et autres plantesjaquatiques, mange des vers de terre, qui « servent meme d'amorce pour le prendre. II parait que le so- « leil lui faitplaisir. Mais un procede singulier et qui merite « d'etre etudie, c'est que ce petit poisson va chercher des brins « d'herbes on debris de vegetaux, les apporte dans sa bouche, (( les depose sur la vase, les y fixe a coups de tete, veille avec la « plus grande attention a ses travaux. Est-ce un nid? est-ce « un magasin de vivres? Si d'autres epinoches approchent de cet « endroit, bientot il leur donne la chasse etles poursuit au loin « avec une vivacite etonnante l. » Ge qui vient d'etre rapporte etait bien suffisant pour guider au moins les nouveaux scrutateurs de la nature dans les re- cherches qu'il convenait de poursuivre pour apprendre a con- naitre toutes les particularites des habitudes des Poissons repan- dus en abondance dans la plus grande partie de l'Europe. Malheureusement, on n'est pas tonjours parfaitement informe de ce qui a ete dit ou ecrit sur le sujet ou l'attention vient d'etre appelee par une circonstance fortuite. C'est ainsi que pendant une suite d'annees, cinq ou six observateurs eurentla joie de de'couvrir que les Epinoches etaient douees de ce mer- veilleux instinct dont les oiseaux offrent les exemples les plus saisissants et les plus admires. C'est ainsi, que Ton vit tel de ces observateurs, reclamant pour lui-meme l'honneur d'une decouverte datant de plus d'un siecle. Pendant une periode de soixante ans, c'est-a-dire de 1775 • Dictionnaire raisonne universel d'Hisloire naturelle, par Valmont de Bomare, t. Ill, p. 383 (1775). 206 H1STOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. a 1834, nous ne voyons pas que personne ait songe a etudier les moeurs de nos Poissons indigenes, mais, a partir de 1834, les investigations se portent de ce cote et se succedent assez rapi- dement. Cette meme annee, un auteur allemand publie une petite note pourservir a rhistoire de VEpinoche... G'etait, pa- rait-il, un amateur fort modeste, car il n'a pas dit son nom. II raconte simplement que le beau soleil du printemps de l'annee 1832, le conduisant souvent hors des murs de Wurz- bourg, il s'arretait des heures entieres a contempler les chasses sauvages des insectes, sur l'eau tranquille d'un petit etang voisin de la ville. Au mois de mai, quelques Epinoches attirent son attention, les petits Poissons se montrent d'abord assez craintifs et 1'ami de la nature a peine a reconnaitre le but de leurs manoeuvres ; mais bientot les Epinoches viennent vo- lontiers s'ebattre pres du rivage, sans paraitre effarouchees par la presence de l'homme avide de surprendre les secrets de leur vie intime. En meme temps que la couleur des parties infe- rieures de leur corps se manifestait avec plus d'intensite, ces Poissons changeaient d'allure; ils se partageaient ; chaque cou- ple paraissant ensuite fuirla societe des autres ; leur familiarite du reste ne laissait plus rien a desirer aux yeux de l'aimable habitant de ^7urzbourg. Leur contenance, poursuit notre au- teur, avec une verve toute poetique, etait bien en opposition avec le jugement formule par Cuvier a l'egard du sentiment des Poissons, car ceux-ci semblaient tout transformes par lefeu de l'amour. L'observateur continue son recit, en decrivant d'une ma- niere assez incomplete, les precedes employes par l'Epinoche dans la construction de son nid. II demeure persuade que l'ha- 1 his von Ohm, 1834, p. 227. EPINOCHES. 207 bile architecte est une femelle ; il n'a vu, ni la ponte, ni la fe- condation des oeufs. En enlevant un nid il l'a trouve rempli d'ceufs, il a assiste a l'eclosion des jeunes Evidemment, l'histoire des Epinoches n'etait pas encore achevee. L'ecrit de 1'auteur allemand passe inapercu comme les ecrits precedents; les zoologistes de l'Angleterre assurent encore au- jourd'hni que les habitudes si curieuses des Epinoches d'eau douce out ete signalees pour la premiere fois par un amateur anglais, M. Grookenden. Get amateur a consigne ses observa- tions en 1834, dans une publication periodique destinee a l'in- struction de la jeunesse l ; un de ces recueils ou personne ne s'avise d'aller chercher des renseignements scientifiques qui n'auraient pas paru ailleurs. Mais plusieurs naturalistes anglais, jaloux de montrer que l'interessante decouverte de la nidification des Epinoches, ap- partenait a l'Angleterre, ont pris soin de reproduire la notice de M. Grookenden. Ges naturalistes avaient pourtant mieux a faire pour rehausser la gloire nationale ; ils pouvaient citer la Narration phtlosophiqne des cenvres de la nature, publiee en 1721. Par malheur, John Hall et Richard Bradley etaient morts depuistrop longtemps, ils etaient oublies deleurs compatriotes. Quoi qu'il en soit a cet egard, M. Grookenden s'etait amuse a considerer les Epinoches en un certain endroit de la Tamise, ou il y en a\ait des milliers. La, tandis que les unes se rejouis- saient pres du rivage, a la chaleur du soleil, d'autres s'oc- 1 The Youth's Instructor. 2 Voy. Edinburgh new philosophical Journal, 1829, p. 398. — Annals of natural History, vol. V, 1840, p. 148.— The Naturalist's Librairy by Jar- dine, vol. XXXVI, 1843. — The Zoologist, vol. II, 1844, p. 795.— The Zoologist, vol. Ill, 1843, p. 885. — Fishes of the British Islands by Jonathan Couch, vol. I, p. 180 (1861), etc., etc. 208 HISTOIRE PARTICULARS DES POISSONS. cupaient de faire leur nid, si on pent appeler cela un nid, re- marque l'aiiteur , qui decrit en quelques traits les petites constructions. Plusieurs fois, il a enleve et jete les 03iifs qu'ils contenaient a la multitude des Epinoches, qui, aussitot, devo- raient ces ceufs avec la derniere voracite. L'observateur paratt croire que la femelle est l'architecte, mais il a vu le male oc- cupe a diriger des courants sur les ceufs qu'il avait fecondes. D'un autre cote, depuis 1'annee 1829, la grande espece ma- rine dela famille des Gasterosteides {Gastreus spinachia) devint, en Angleterre, l'objet de remarques analogues de la part de MM. David Milne, Duncan, Turnbull, Maclaren, Johnston, R. Q. Couch l. Toutes ces notices passaient ; et chaque auteur croyait toujours reveler un fait ignore avant lui. Mais revenons a nos Epinoches d'eau douce. En 1844, M. Fr. Lecoq, aujourd'hui inspecteur general des Ecole veterinaires de France, se rappelle avoir remarque dans sa jeunesse, peut-etre meme dans son enfance, des details cu- rieux sur des Epinoches qui vivaient dans un ruisseau d'eau vive, aux environs d'Avesnes (Nord). M. Lecoq pense que les seuls faits indiques, relativement a la nidification des Poissons, se bornent a ce qui a ete dit sur le Phycis par Aristote, et a ce qui a ete mentionne a l'egard des Gobies par Duges, de Mont- pellier; alors, avec l'intention la plus louable, rappelant a lui d'anciens souvenirs, il consigne, dans une notice qui a ete hie a la Societe d'agriculture de Lyon, les observations qu'il avait f;tites autrefois sur les Epinoches *. Dans cette notice, l'auteur donne une description des nids 1 Voy. Annales des sciences physiques et nature lies, d'agriculture et d'in- dustrie de Lyon, I. VII, p. 202 (1844). — Note sur les moeurs de quelques animaux. EPINOCHES. 20!t remplis d'oeufs, comma il on a plusieurs fois rencontre. II avail vn, a differentes reprises, le Poisson penetrer dans l'mterieur de ces petits edifices; il ne pouvait conserver lc moindrc donte sur la nature de cos constructions. Gependant, pour constater lc fait plus exactement, il etablit un petit pare sur un point du ruis- seau, et placa dans ce reduit un certain nombre d'Epinoches. « Au bout de quelque temps, dit M. Lecoq, un menage se « forma, ct un nid fut commence dans le coin le plus tranquille « du reservoir. Le male et la femelle apportaient et mettaient <( en oeuvre les materiaux. Je vis a plusieurs reprises la femelle « entrer et sojourner dans le nid, dont les abords furent gardes « avec la plus scrupuleuse attention par les deux proprietaires, « qui, leurs aiguilles etendues, ecartaient violcmmcnt tons les « autres poissons qui tentaient de s'en approcher. » Ces details ne sont pas exacts. Ce n'est pas la femelle, on le sait, qui con- struit le nid; les Epinoches ne font pas menage a la fagon qui vient d'etre rapportee, etc. Du reste, la notice de M. Lecoq, malgre l'inter^t qu'elle pre- sentait, passa inapercue, et, le 18 mai 1846, M. Coste venait lire al'Academie des sciences une etude sur les moeursdes Epi- noches, comme si ricn encore n'avait ete ecrit sur le sujet. A la verite, e'etait une etude autrement bien faite que toutes cellos dont nous avons parlo. M. Coste avait des Epinoches et des Epinochottes dans ses bassins du College de France. II avait suivi leurs manoeuvres, sans laisser echapper aucun detail; il s'etait assure qu'un male seul batit le nid, que la femelle n'y prend aucuno part, que lc male est polygame, que les Epinoches et les Epinochottes nYtablissent pas leur construction de la meme maniere; toutes choses que les precedents observateurs n'a- vaient pas su voir. Blanc hard. 1 4 210 HIST01RE PART1CULIERE DES POISSONS. Dans le memoire de M. Goste, ecrit avec une sorte d'enthou- siasme, les instincts si curieux, les lneurs d'intelligence si re- marqnables des Poissons de nos ruisseaux, etaient exposes avec art. Le memoire eut un succes; l'Academie des sciences decida que ce memoire serait imprime dans son Recueil des savants etrangers^. Ouelqiies naturalistes cependant croyaient se rap- peler que le fait principal avait ete signale, que Ton avait parle deja de la nidification des Epinoches. Neanmoins, rien en ce moment ne fut precise. Le silence sur ce point est rompu par M. Lecoq. Apres la lec- ture d'un resume du travail deM. Goste, insere dans les Comptes rendus de V Academie des sciences, il adresse sans retard une reclamation de priorite 2. M. Goste repond qu'il a ajoute a son memoire la note tout entiere de M. Lecoq, et donne ainsi la preuve de la loyaute la plus grande 3. Mais, M. de Sicbold en a fait la remarque, le nom de M. Lecoq n'est pas meme prononc6 dans le memoire de M. Coste, imprime en 1844. A l'epoque a laquelle l'honneur d'avoir fait le premier une observation curieuse sur les instincts des Poissons, etait reven- dique avec chaleur, des articles de journaux defendaient avec 1 Comptes renins de I' Academie des sciences, anniSe 1846, et le Me- moire de M. Coste ; Nidification des £pinoches et des Epinochettcs (accom- pagne d'une planche). — Memoves presented par divers savants it l' Aca- demic des sciences, t. X, p. 575 (1848). L'espece d'Epinoche etudiee est l'Epinoche a queue lisse {Gasterosteus leiurus) et l'espece d'Epiuochette, rEpinocbelte lisse (Gasterosteus Icevis). La figure donne au nid de l'Epi- nochettcunecouleur verte d'une fraicheur qui n'est pas ordinaire, cette figure ayant du 61re faile d'apres des nids Mtis dans les bassins du College de France, dont le fond etait sans doute fort propre. 2 Comptes rendus de /' Academie des sciences, t. XXIII, p. 1084 (1 846). 3 Comptes rendus de I'Academiedes sciences, t. XXIII, p. 1117 (1840). * Die Sussicasserfische von Mittcleuropa, p. 09 (1803). tiPINOCHES. 21 i animation, les uns, pour M. Lecoq, l'avantage de la priority ; les autres, pour M. Coste, l'avantage d'une etude achevee. Personne ne songeait a renvoyer la reclamation de priorite aux auteurs du temps passe. On est toujours fonde a reprocher a un auteur de n 'avoir pas connu les recherches anterieures aux sicnnes, mais, historien exact, nous devons le dire, les premieres observations sur les mceurs des Epinoches n'apprenaient qu'un fait, le plus remar- quable a la verite, la construction denids par les Poissons de nos ruisseaux; les observations de M. Coste ont fait connaitre l'histoire entiere de ces Poissons. Apres tant de publications sur le meime sujet, apres la publi- city si large donnee par l'lnstitut de France aux recherches de M. Coste, on aurait volontiers presume que desormais aucun naturaliste ne viendrait do nouveau decrire les manceuvres des Epinoches, comme s'il les decrivait pour la premiere fois. On se serait cependant trompe. Ainsi, en 1852, un zoologiste distin- gue de l'Angleterre, M. Albany Hancock, publie des observa- tions sur la nidification des Epinoches l, sans paraitre se douter de l'existence du memoire de M. Coste, etil en reste apenser que^probablementyC'est le male qui construit le nid et garde les oeufs. Pendant le cours de la meme annee, un observateur ir- landais, M. Kinahan, publie egalement une notice sur le meme sujet2. Mais tout finit par s'ebruiter. On commence a s'apercevoir, meme en Angleterre, que la decouverte de la nidification des 1 Observations on the nidification of Gasterosteus aculcatus and Gasteros- teus spinaehia. — Annals and Magazine of Natural History, vol. X, p. 241 (1852). 2 The Zoologist, July, 18o2. 212 H1ST0IRE PARTICULIERE DES POISSONS. Epinoches n'estplus a faire; M. Warington, sachant qu'il \ient apres d'autres, raconte simplement les scenes charmantes ou terribles dont il a ete temoin en contemplant les Epinoches lo- gees dans nn de ses bassins l, et, revoyant les memes scenes trois ans plus tard,il fait alors une nouvelle narration destinee a completer la premiere 2. G'est fmi aujourd'hui; on ecrira souvent encore l'histoire des Epinoches, on voudra peut-etre faire cette histoire mieux que ne Font faite les devanciers; en la retracjant, on ne croira plus apporter au monde une revelation. L'espece observee en France est la plus commune dans notre pays, rEpinoche a queue lisse (Gasterosteus leiurus)] l'espece plus souvent etudiee en Angleterre est rEpinoche aiguillonnee [Gasterosteus acid 'eat us)] les habitudes, les instincts decesdeux Poissons sont les memes ; s'il y a quelques differences dans les procedes de construction, ces differences sont a peine sensibles. Les Epinoches sont beaucoup plus nombreuses en especes, en France meme, qu'onne l'a suppose jusqu'a present. Ces especes, que nous allons decrire chacune separement, appartiennent a deux types que nous avons deja indiques, les Epinoches et les Epinochettes. Les deux types etant nettement caracterises, on pourrait sans doute tes declarer deux genres distincts. Gepen- dant, comme on n'y trouverait aucun axantage, pour qu'on ne perde pas de vue les affinites etroites existant entre tons les re- presentants d'un groupe fort naturel, nous croyons preferable^ d'adopter simplement deux divisions : cclle des Epinoclies pro- prement dites, et celle des Epbwchettes. 1 Annals and Magazine of Natural History, vol. X, p. 273-276 (1892). 2 Ibid., vol. XVI, p. 330 (18o5). EPINOCHES. Ji'i LES EPINOCHES PROPREMEXT DITES Les Epinoches ontla moitie antericure dudos cuirass6e par six plaques osseuses placees en serie ; deux ] letites en arriere de la tete; deux autres grandes, rabattues sur les cotes, sillonnees dans leur milieu, et supportant toutes les deux une epine dorsale ; une cinquieme, assez petite, ordinairement sans epine, et enfin une sixieme, aussi petite que la precedente, et portant toujours la troisieme epine dorsale l. Chez ces Poissons, les epines du dos sont done au nombre dc trois; les deux premieres sont fortes, larges a leur base, grenues et sillonnees a leur surface, dente- lees en scie sur leurs bords, et creusees en arriere d'un sillon dans lequel s'attache une petite membrane en forme de voile, qui, d'autre part, est fixee dans le sillon de la plaque dorsale. La troisieme epine est relativement fort petite. Dans quelques cas assez rarcs, une autre epine vient a se developper sur la cin- quieme plaque dorsale. Les deux epines ventrales, articulees au bassin, sont tres- fortes, elargies a leur insertion, tr^s-denticulees sur leurs bords, et surtout au bord superieur. Les Epinoches se font encore remarquer par leur armure thoracique. Cette armure est formee par des bandes osseuses disposees xerticalcment de chaque cote. II y en a d'ordinaire deux petites en avant, puis au moins trois on quatre fort longues, qui s'articulent en haut avec les deux grandes plaques dorsalcs, et qui, inferieurement, passent plus on moins sous la branche 1 Cuvier a pense que les Epinoches n'avaient que cinq plaques dorsa- les, la separation qui existe entre la deuxieme et la troisieme lui ayanl 6chappe. 214 HISTOIRE PARTICULlfiRE DES POISSONS. montante du bassin. Quelquefois ces plaques osseuses sont tres- multipliees, couvrent une grande partie des flancs, on s'etendent meme sur toute la longueur du corps. Chez les Epinoches proprement dites, il y a, d'une maniere a peu pres constante, dix rayons a la nageoire pectorale, douze a la nageoire dorsale, et huit a la nageoire anale. Cette indication generale suffira; car, si parfois il se developpe un treizieme rayon rudimentaireala nageoire dorsale, ou un neuvieme rayon toujours tres-petit a la nageoire anale; ou si, en quelques cir- constances, il y a avortement de 1'iin des rayons ordinaires, c'est une particularite individuelle dont il n'y a pas lieu de s'oc- cuper dans la caracterisation des especes. Pendant longtemps, on a cru que toutes les Epinoches trou- vees en Europe etaient dela meme espece. G'etait une erreur; l'erreur fut rectifiee par Guvier, et cependant la rectification n'a pas ete admise par tous les zoologistes : nouvelle erreur. On a imagine que ces Poissons pouvaient en certains temps se de- pouiller en partie de leurs plaques osseuses, et Ton a pu croire ainsi a d'incroyables varietes. L'observation montre que rien de semblable ne se produit. II y a diversss especes d' Epinoches bien caracterisees, et ces esp6ces, ne variant guere que sous le rap- port des couleurs , ont leurs localites, leurs stations particu- lieres. L'EPINOCHE AIGUILLO.NNEE (gasterosteds aculeatus ') Guvier, s'etant assure que plusieurs especes distinctes avaient ete confonducs sous uneseule appellation, crut devoir abandon- 1 Linne, Syst. nature: (12e edition), t. I, p. 489(1766).— Artedi, Species, p. 90. — Bloch, pi. LIU, fig. 3. — Qasterosteus Iraefmru*, Guvier el EPINOCHES. '21:; ner cette appellation et en proposer une nouvelle pour le Pois- son dont nous allons nous occuper. Deux motifs, qui sont loin d'etre sans valeur, poussaient sans doute notre grand natura- 1 raM,^ %Smmv Fig. 2G. — L'Epinoche aiguillonnee, de grandeur naturelle •. liste vers cette resolution. D'abord, le nom d'Epinoche aiguil- lonnee a s'applique d'une maniere aussi heurcuse a toutes les especes du genre ; ensuite, pouvait-on etre bien sur de rap- porter ce nom au Poisson que le premier auteur avait eu sous les yeux? Sur le premier point, aucune objection n'est possible, toutes les Epinoches connues sont parfaitement aiguillonnees. Relati- vement au second, si la certitude absolue manque, il semble du moins fort peu douteux que Linne ait surtout connu l'espece abondante dans le voisinage de la mer, celle dont nous allons esquisser le portrait. II y a un sigra\e inconvenient a ne plus ap- pelerun animal comme il est appele dans une foule d'om rages, Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. IV, p. 481, pi. XCVIII, fig. 1 (1829). — Yarrell, British Fishes, vol. I, p. 76 (1836). — Gasteros- (eus aculeatus, Heckel und Kner, Susswasserfische der ostreichischcn Monar- chic, p. 38 (1858). 1 Dans cette figure comme dans les suivantes, on a teinte seulement les parties osseuses, afin que les caracteres apparaissent avec toute la net- tete possible. s Gasterosteus aculeatus. 216 H1ST0IRE PARTICULIERE DES POISSONS. queje n'hesiterais pas a conserver le nom donne par Linne, memo dans le cas ou il me serait demontre une confusion de plusieurs especes de la part de I'illustre Suedois. Je pense qu'il n'a pas cu lien de faire cette confusion, alors toute hesitation me parait superflue. Lcs differentes Epinoches ont les memes formes elegantes ; elles ont toutes des couleurs vives plus on moins variees et agreablement nuancees ; mais celle qui a etc particulierement signalee par les anciens auteurs, l'emporte sur ses voisines. Sa taille est un pen plus grande et la brillante armure dont clle est revetue depuis la tete jusqu'a l'origine de la queue, lui donne un eclat presquc incomparable. Si l'Epinoche aiguillonnee avait la dimension d'une Perche, ce serait aux yeux de tout le monde un des plus beaux Poissons; elle est petite, personne ne la regarde. Notre Epinoche aiguillonnee, dans ses plus magnifiques pro- portions, ne depasse guere une longueur de 0°°,07, mesu- ree de la bouche a l'extremite de la queue. Les males memes n'atteignent jamais beaucoup plus de 0m,0o a 0m,06, et leur corps est toujours un peu plus eflile que celui des femelles. 11 faut, du reste, attacher peu d'importance a la forme plus ou moins elargie de l'animal, car cet elargissement varie suivant l'age et suivant le volume des laitances et des ovaires. Ce Poisson brillc d'un vif eclat pendant la vie ; sa tete et toute la region dorsale sont d'une couleur vert do mer avec des mar- b,rures plus foncees; les plaques qui constituent l'armure par- ticipent de cette nuance dans leur portion superieure, m:iis, dans le reste de leur etenduc, elles ont le brillant metallique de 1'argcnt. Des stries qui les parcourent produisent de char- mants effets de lumiere, et ce joli miroitage est encore reliausse EPINOCHES. 217 par la presence do tout petits points noirs. La partie inferieure du corps est d'un blanc d'argent pur avec le bassin et Forigine des nageoires passant au rouge vif, comrae chez les autres Epi- noches a l'epoque du frai. La coloration est d'importance secondaire ; c'est sur des ca- racteres plus essentiels qu'il convient de s'arreter. L'Epinoche aiguillonnee est du reste facile a reconnaitre entre toutes les especes de la France, a la cuirasse qui s'etend sur toute la lon- gueur de son corps ; cuirasse formee d'une suite de plaques osseuses, ayant chacune son bord anterieur reconvert par le bord posterieur de la precedence, et offrant en arriere, pour la plupart, une saillie triangulaire plus on moins prononcee a l'endroit de la ligne laterale. On corapte trente ou trente et une de ces plaques, depuis lepaule jusqu'a l'origine de la queue ; la premiere tres-petite, la seconde ovalaire, la troisieme a pen pres de la meme lon- gueur, unie a la plaque dorsale qui supporte la premiere epine, les suivantes couvrant entierement les cotes. Les quatrieme, cinquiemc et sixieme sont retrecies vers leur extremite infe- rieure, qui se trouve en partie cachee sous la branclie montante du bassin. La septieme est articulee comme la precedcnte avec la plaque dorsale qui porte la seconde epine; les autres, jus- qu'k la dix-huitieme ou dix-neuvieme, encore tres-longues, laissent a nu le bord superieur du corps, au-dessous de la na- geoire dorsale, et la partie inferieure du ventre, au-dessus du bassin et de la nagcoire anale. Les suivantes deviennent de plus en plus petites, et les cinq dernieres, qui sont fort etroites, constituent sur la region caudale une carene tres-saillante. II serait sans utilite d'entrer dans plus de details sur les proportions des differentes pieces dont est formee l'armure de 218 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. notre grande Epinoche ; la figure en donne line idee plus exacte que ne le feraitune description trop minutieuse. Dans la determination de toutes les especes du genre, il importe de considerer attentivement les particularites offertes par les epines du dos et du ventre. Chez 1' Epinoche aiguillon- nee, les deux grandes epines dorsales, assez longues et remar- quablement effilees, sont garnies sur leurs bords, de dentelures aigues, nombreuses et presque regulieres. La premiere, plus elargie que la seconde a sa base, affecte seule la forme coni- que, qui est, en general, plus prononcee encore dans les especes voisines. y^y1?'^ I" epine Jorsale. 2e epine doi'sale. Pointe ventrale du cote droit. Fig. 27. — Les epines de l'Epinoche aiguillonne'e. Le prolongement posterieur du bassin est souvent aussi tres-caracteristique. Chez l'Epinoche aiguillonnee, cette portion de la cuirasse ventrale se retrecit bien graduellement jusqu'a l'extremite, qui est obtuse, et figure de la sorte un cone tres- allonge. Les epines ventrales longues et fort aigues presentent un elargissement considerable a leur point d'insertion avec le bas- sin. Finement crenelees tout le long de leur bord inferieur, EPINGCHES. 21!) elles offrent, sur le bord superieur, des dentclures a pointe acc- rue, tres-rapprochees les unes des autres. Plusieurs naturalistes ne croyant pas devoir attacker d'im- portance an nombre des plaques osseuses des Epinoches, ont pu croire que la presence on l'absence de ces pieces dependait soit de lage, soit de la saison. II etait done essentiel de s'assu- rer si les caracteres de l'espece ne variaient pas, suivant les pe- riodes ou suivant les conditions de la vie del'animal. L'examen comparatif de beaucoup d'individus d'age different n'a pu lais- sersubsister le moindre doute a cet egard. Chez de fort jeunes individus, n'ayant pas la raoitie de la taille des adultes, nous avons trouve la serie des plaques constituant 1'armure, tout a fait complete. Seulement ces plaques, un peu plus courtes sur la region abdominale, avaient leur bord posterieur un peu plus sinueux. D'un autre cote, les 6pines du dos et du ventre de ces petits individus etaient deja semblables a celles des plus grands. Tl est certain ainsi que tous les caracteres de l'espece apparais- sent longtemps avant que la croissance de l'animal soit achevee. L'Epinoche aiguillonnee habite les ruisseaux, les etangs, les mares peu eloignees de la mer. En France, on n'a rencon- tre jusqu'a present ce Poisson, que pres des cotes de la Norman- die et dela Picardie. Les plus beaux individus que j'ai obtenus ont ete pris par M. de L'Hopital, professeur au Lycee de Caen, a peu de distance de cette ville, dans les ruisseaux de Bonne- ville en face du Maresquet. C'est egalement de cette partie de la France que M. Eudes Deslongchamps, actuellement doyen de la Faculte des sciences de Caen, en adressa, il y a au moins trente-cinq ans, a M. Cuvicr, de nombreux individus qui figu- rent encore aujourd'hui dans les collections du Museum d'his- 220 HISTOIftE PARTICULIERE DES POISSONS. toire naturelle de Paris. M. Baillon, d' Abbeville, avait recueilli aussi cette espece, pres du Treport, dans tin lac saumatre, nomme le Hable d'Ault, situe a 1'emboiichure de la Somme. De mon cote, je l'ai prise a quelques kilometres du Havre, aux environs de Harfleur, dans la riviere de Gournay et dans les ruisseaux qui tombent dans la Lezarde. L'Epinoche aiguillonnee est commune dans le nord de l'AUe- magne, elle abonde dans les etangs des environs de Berlin et pr6s des cotes de la Prusse orientale. Suivant toute apparence, elle n'existe pas sur la plus grande etendue de l'AUemagne. D'apr6s le temoignage de MM. Heckel et Kner, il n'y a pas d'Epinoches dans la region que traverse le Danube ; mais notre espece entierement cuirassee se rencontre dans le voisinage de la mer Noire. Elle se trouve egalement en Angleterre, dans la Scandinavie et meme au Groenland. L'EPINOCHE NEUSTRIENNE (gasterosteus neustrianus) Tons les individus que nous avons obtenus de cette espece etaient petits comparativement a la plupart de ceux de l'Epino- Fig. 28. — L'fipinoclie neustrienne. chc aiguillonnee. Les formes generates et la coloration sont du EPLNOCHES. 221 reste a pen pr6s semblablcs chez les deux especes, ct pour les distinguer il est indispensable d'examiner quelques caracteres, du reste t res-precis. Chez l'Epinoche neustrienne, l'armure laterale ne s'etend pas absolument sur toute la longueur du corps ; elle s'arrete a pen pr6s au niveau du quatrieme on cinquieme rayon de la nagcoire dorsale, pour reparaitre, sous forme de carene, vers la hauteur du neuvieme rayon, laissant ainsi un espace entierement nu. On compte, d'une part, dix-sept plaques osseuses, et onze on douze d'autre part, dont les premieres seules sont depourvuos de carene. II y a done dans l'armure laterale une difference bicn nette avec ce que Ton observe chez l'Epinoche aiguillonnee. Si cette difference etait unique, on ponrrait croire peut-etre a un arret de developpementde quelques-unes des plaques osseuses ; mais l'Epinoche neustrienne presente d'autres particularites tr^s-ca- racteristiques. Les epines dorsales sont fort larges alcur base, par consequent 1" epiite 2e epiiie Poiute ventrale du dorsale. dorsale. cote droit. Fiij. 29. — Les epines de l'Epinoche neustrienne. tres-coniques, et sur leurs bords, clles ne sont garnies que de 2'J2 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. tres-faibles dentelures obtuses. Le prolongement posterieur du bassin, tres-ctroit des son origine, parait ainsi, extremement grele et tout effile, comparativement a celui de l'Epinoche ai- guillonnee. En outre, sa surface a des sillons plus ecartes et plus profonds. Los epines ventrales, egalement tres-longues et fort aigues, sont moins elargies a leur insertion que dans la pre- miere espece ; leur bord superieur a des dentelures moins nom- breuses, plus grosses et plus ecartees, et leur bord inferieur est loin d'etre aussi regulierement crenele. Un tel ensemble de caracteres ne saurait laisser prise a aucune confusion, et encore serait-il facile d'y ajouter plnsieurs autres details. Par exemple, dans l'Epinoche neustrienne, l'opercule a moins de longueur que chez l'Epinoche aiguillonnee, et cette piece moins retrecie verslebas, a sa surface plus fortement striee. J'ai rencontre l'Epinoche neustrienne clans les ruisseaux de Harfleur et de Gournay dans le departement de la Seine-Infe- rienre, a une assez fa ible distance de la mer. G'est toujours dans le xoisinage des cotes que se trouvent les especes dont la cui- rasse prend un grand developpement. L'EPINOCHE DEMI-CUIRASSEE (gasterosteus semiloricatus !) L'Epinoche demi-cuirassee est plus allongee que les especes precedentes. Son opercule est long et tres-droit, en un mot, d'une forme particuliere. Son armure laterale ne depasse pasle niveau du troisieme on du quatrieme rayon de la nageoire dor- sale, et se compose seulementde treize plaque sosseuses, toutes 1 Cuvier et Valenciennes, Histoire natwelle des Poissons, t. IV, p. 194. fiPINOCHES. 223 allongees, a l'cxception des premieres; une assez grande partie du corps reste nu, et l'extremite presente une carene formee de six ou sept ecailles tres-petites. «o^ Fig. 30. — L'fipinoche demi-cuirassee de grandeur naturelle. .Les deux premieres epines dorsales sont tres-longues, tres- aigues, mediocrement larges a leur base et garnies sur leurs bords de dentelures acerees, tres-fortes et assez espacees. Le prolongement posterieur du bassin est beaucoup plus etroit que chez l'Epinochc aiguillonnee, mais il est loin d'etre effilc comme dans l'Epinochc neustrienne. Les pointesventralesatteignentau moins l'extremite de ce prolongement, ce qui n'a pas lieu chez les especes precedentes. Ces pointcs ou epines se font encore remarquer par les dentelures de leur bord superieur, qui sont tres-prononcees et assez ecartees les unes des autres. On observe encore que toutes les parties osseuses de l'Epi- noche demi-cuirassee portent un semis tres-serre de points noirs, mais c'est la un detail sur lequel on ne saurait insister. Cette espece a ete prise aux environs du Ha\re. 224 HISTOIRE PARTICUXIERE DE& POISSONS. L' E P I N 0 C II E D E M I - A R M E E. (gasterosteus semiarmatus ') Cette espece a une forme au moins aussi massive queTEpi- noche aiguillonnee et unetaille souvent presqueegale. Sonoper- cule est plus court et d'une forme qui s'eloigne peu de celle de l'opercule del'Epinoche neustrienne. Son armure laterale, com- posee de treize on quatorze plaques osseuses, ne s'etend pas au deladu niveau du troisieme ou da quatrieme rayonde la nageoire Fig. 31. — L'Epinoche demi-armee de grandeur naturelle. dorsale, a peu pres comme sur l'espece prccedente, mais la carene posterieure est beaucoup plus grande que chez celle-ci, et elle est precedee de trois ecailles ou petites plaques non care- nees. Les deux premieres epines dorsales sont tres-caracteristi- ques ; d'une longueur mediocre, relativement au volume du corps, ellcs sont larges a leur base et pourvues sur les bords de dentelures fortes et irrcgulieres. Le prolongementposterieurdu bassiii est d'une forme tres-semblable a celui de l'EIpiiioche ai^uillonnee. Les pointes vcntrales, tres-elargies a leur origine, 1 Cuvier et Valenciennes, Bhtoire naturelle cles Poissons, t. IV, p. 493 (1329). EPINOCHES. 223 ont leur bord superieur pourvu dc dentelures fort aigues. L'Epinochc demi-armce re unit un ensemble de caractercs qui ne permet de la con fond re avec aucune de ses congeneres. Elle se trouve aux environs du Havre; elle habite egale- ment le voisinage des cotes du departement de la Somme, ou M. Baillon en a pris dans la petite riviere de Braie, a pen dc distance d'Abbeville, des individus qu'il envoya a Ouvier, et qui sont aujourd'hni conserves clans les collections du Museum d'histoire naturelle de Paris. L'EPINOCHE A QUEUE L1SSE (gastkrosteus leiubus ') L'Epinochc a queue lisse est la seule espeee du genre^observee jusqu'a present aux environs de Paris. On la prend dans la Seine, et elle est assez commune dans les ruisseaux et dans les mares Fig. 32. — L'Epinoclie a queue lisse, tie grandeur naturelle. qui existent encore dans les alentours de la capitale, oil ruis- seaux et mares sont devenus fort rares. Cette Epinoche est facile a distinguer de celles qui viennent d'etre decrites. En l'examinant, on s'etonne que les zoologistes 1 Cuvicr et Valenciennes, Hhtoirc naturelle des Poissons, t. IV, p. 481- 487 (1829). Blanchard. 15 226 HISTOIRE PARTICl UERE DES POISSONS. aient pu la confondre habitucllement avec l'Epinoche aiguillon- nec. II en a pourtant ete ainsi de la part de presque tons les auteurs. Cuvier, le premier, a indique ses caracteres, et apres Cuvier encore, les nns n'ontpas snvoir, les autres ne Font pas vonln, et la confusion a persiste dans la plupart des onvrages. L'Epinoche a queue lissc, dont 1'armure est fort reduite com- parativement a celle des especes precedentes et surtout a celle de l'Epinoche aiguillonnee, n'a pas tout a fait le meme eclat, et d'or- dinaire, elle a des proportions plus modestes, sa taille ne depas- sant guere 0m,04 a 0ra,05. Ses plaques laterales, limitees a la region thoracique, sont seulement au nombre de six, et comme l'avortement de la derniere est assez frequent, chez beaucoup d'individus, il n'existe que cinq de ces plaques ; une premiere, toujours petite, situee en arriere de l'epaule et comph'tement de- tacliee ; une seconde, ovalaire, unie comme la survante a la pla- que dorsale qui porte la premiere epine ; puis, trois autres, lon- gues, ayant leur portion inforieurc cachee par la branche montante du bassin ; enfm,apr£s celles-ci,une derni^re souvent aussi developpee que les precedentes, mais pouvant etre rudi- mentaire ou meme manquer en totalite. S'il s'agissait simplement de fournir le moyen de ne jamais confondre l'Epinoche a queue lisse avec les especes dont 1'ar- mure couvre le corps en entier ou au moins en grande partie, il ne serait pas d'une utilite absolue d'examiner minutieusement d'autres details caracteristiques, mais il en est autrement. Plu- sieursEpinoches ont une armure presque semblable a celle dont il est question en ce moment, et ncanmoins, comme elles o Brent des particularitesconstantes, elles doivent en etre distin- guees. Les deux premieres epines dorsales et lepine ventrale servi- tiPlN-OCHES. 227 ront souvent do la maniere la plus hcureuse pour cette distinc- tion. Ces epines presentent en effet sur chaque espece des caracteres propres dont la persistance et par suite la valcur ca- racteristique ont ete apprecie.es par la comparison de centaines d mdividus de tons les ages. Les epines dorsales de 1'Epinoche a queue lisse, mediocrement larges a leur base, sont regulieremcnt amincies jusqu'au bout, 1" Epioe dorsale. "> Kpine dorsale. Pointe veuirale. Fig. 33. — Epines de l'fipinoche a queue lisse. qui forme une pointe aceree. Elles sont pourvues des deux cotes dedentelures aigues, assez fortes, au nombre de sept ou huit, mais vers l'extremite, leurs bords lateraux deviennent lisses. Lespointes ou epines ventrales, assez tongues, sont fmement et regulierement crenclees sur leur bord externe, tandis que sur leur bord interne, elles ont quelques dentelures irregulieres bien prononcees. II est encore une infinite d'autrcs details concernant la tete 1'opcrciile, le bassin, qui pourraient etre agnates ; seulement, ils'agirait de preciser des nuances dans les formes; on par- uendrait difficilcment a le faire, a 1'avantage clu lecteur. C'est un motif pour y renoncer. L'Epinoche a queue lisse, d'une couleur verdatre avec des HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. teintes tres-sombres, figurant des bandes transversales, deter- miners dune (agon Ires-vague, et d'ailleurs assez variables, est pointillee de noir, a l'exception des parties inferieures de son corps, qui ont le brillant de l'argent. I le n'est pas settlement dans la Seine et dans les ruisseaux des environs de Paris que se rencontre cette espece; elle est com- mune egalement dans les regions du nord, de Test et du centre de la France. Elle est fort abondante dans le departement de la Seine-Infe- rieure; j'en ai pris en grand nombre a Monti villiers et dans les ruisseaux de Gournay. M. Bouchard a recueilli et m'a envoye des masses considera- bles de l'Epinoche qui vit dans l'Epte et dans tous les ruisseaux des environs de Gisors. Tous les individus provenant de cette localite avaient ime nuance plus jaune que ceux qui avaient ete peches aux environs de Paris. Cette circonstance me portait deja a les examiner avec la plus serieuse attention ; et, comme, chez quelques-uns d'entre eux, les dentelures laterales des epines dorsales m'avaient paru un peu plus nombreuses, et les der- nieres plus fortes, je supposai d'abord avoir sous les ycux une espece particuliere; mais une observation minutieuse m'a con- duit a ne voir dans ces legeres differences que des variations in- dividuelles. La coloration, en effet, est peu de chose; on sait qu'elle devient plus vive a l'epoque du frai; et, quant aux den- telures des epines, des comparaisons multipliers suffirent a me convaincrcqne leur dcveloppement etait, dans certains cas, un peu phis considerable qua l'ordinaire. L'Epinoche a queue lisse est extr6mement abondante dans les ruisseaux des departements du Nord. M. le professeur Lacaze- Duthiers en a recueilli a mon intention des centaines d'indivi- fiPINOCHES. 22» dus aux alentours de Lille. Leur coloration tres-vive, leur ponc- tuation tres-prononcee jusque vers la region ventrale du corps, devaient engager a bien constater si Ton observait des particu- larities dans ies formes. Apr6s l'examen le plus scrupuleux, il devait rester la certitude que ces Epinoches du departement du Nord appartenaient a l'espece a queue lisse, que leur aspect un peu particulier etait du simplement a des details de coloration sans importance. L'Epinoche a queue lisse se trouve seule dans les ruisseaux des Ardennes, ou j'en ai peche de prodigieuscs quantitcs, a quelques lieues de Mezieres, en compagnie du docteur Baudelot . Des individus, pris aux environs de Metz, etaient remarqua- bles par leurs marbrures noires tres-prononcees, sans offrir, tin reste, aucune difference avec ceux dont la coloration est plus claire. M. Gelrin, l'habile entomologiste, bien connu par diverses publications interessantes, en a recueilli au commencement de novembre, a Gharmes, dans les Vosges, ou ce Poisson est connu sous le nom de Pingue. Tous ces individus etaient fort petits ; c'etaient des jeunes de 1'annee, qui presentaient egalement tons les caracteres de l'Epinocbe a queue lisse. Le raerae naturaliste en a recolte encore dans un affluent de la Nied, pres Bouzonville. Ceux-ci etaient en general corner ts de points noirs tr&s-serres et assez gros pour ressembler a de petites taches. C'est la seule particularite qu'ils aient offerte. M. Godron, le doyen de la Faculte des sciences de Nancy, m'a fait parvenir, en grand nombre, des Epinoches a queue lisse, pechees dans la Meurthe ou dans les ruisseaux qui se jcttent dans cette riviere. Elles ne presentaient aucune difference avec celles des environs de Paris. A la verite, des individus de petite 230 HIST01RE PARTICt JLIERE DES POISSONS. taille, avaient les dentelures des epines dorsalos tres-faibles. A defaut d'autres caracteres , il n'etait pas possible d'attacher d'importance a cette particularite. Des individus recueillis aux environs de Strasbourg par le savant M. Lereboullet, avaient en general les dentelures de leurs epines dorsales plus prononcees et plus aigues que chezles individus des environs de Paris. Mais on a deja vu qu'il pouvait y avoir a cet egard de legeres variations. J'ai compare a nos Epinoches de la Seine, et acelles du nord et de l'cst dela France, des individus de l'Auvergne pris dans la Scoule a Ponjibaud. Ces derniers ne m'ont rien offert qui merite d'etre mentionn6. L'Epinoche a queue lisse est done repandue dans une tres- grande partie de la France, comme le prouvent les faits qui viennent d'etre rapportes. Nous savons que cette esp^ce existe aussi de l'autre cotedu Rhin, specialement dans la region arro- see par le Neckar et qu'elle n'est pas rare en Angleterre ; mais jusqu'a present, il y a lieu de croire qu'elle manque dans nos departements meridionaux. L'Epinoche a queue lisse peut offrir quelques variet.es dans les nuances, ce qui depend sansdoute, a la fois, del'age, de la saison, de la nature des eaux. Elle peut pre- senter quelques differences dans les dentelures des epines, sans que le caractere general de ces epines ellcs-memes soit nean- moins vraiment altere. C'est a cela que se reduisent a peu pres, les variations de rEpinoche la plus rqiandue en France. EPINOCHES. 231 L'EPINOCHE DE BAILLON (GASTEROSTEUS BAlLLONl) Voici une especequi,etant tres-voisine de l'Epinoche a queue lisse, nous semble, cependant, en etre tres-distincte. Nous l'a- vons etudiee sur des individus recueillis aux environs d'Abbe- ville par M. Baillon , et qui depuis longtemps sont classes dans la collection du Museum d'histoire naturelle de Paris. 11 n'en esl fait aucune mention dans l'ouvrage de MM. Cuvier et Valen- ciennes. CesPoissons ont une taillc que nous n'avons jamais vuc atteinte par l'Epinoche a queue lisse ; leur taille est celle de l'Epinoche aiguillonnee, 0m,06 a 0n,,07. Tr6s-colores sur le dos et raerae sur les regions laterales, avec de nombreux points noirs assez regulierement distribues, ils ont les parties infe- rieures du corps tout a fait argentees. L'Epinoche de Baillon est pounue d'une armure tres-sem- blable a celle de l'espece precedente, mais les epines du dos et du ventre different d'une maniere bien notable. Les premieres, aussi petites que dans l'Epinoche a queue lisse, malgre la taille beaucoup plus grande des individus, sont bien graduellement amincies de la base au sommet, et au lieu d'etre pourvues de dentelures laterales aigues et plus on moins irregulieres, elles sont, au contraire, finement denticulees sur leurs bords. La pointe yentrale est egalement caracteristique; plus longue, plus epaisse proportionnellement que nous ne l'avons jamais vue chez aucun individu de l'Epinoche a queue lisse, elle se fait remarquer par les dents fortes, coniques et tres-regulieres qui garnissent son bord interne. Diverses particularites dans les formes de l'opercule, du bas- 232 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSON'S. sin, etc. pourraient encore etre indiquees, mais il serait difficile de les faire ressortir d'une maniere assez precise dans la de~- -iff Ire ei>ine dorsile. 2e epiue dorsale. Pointe venlrale. Fig. 3i. — Epines de l'Epinoche de Baillon. criptionpour que ces details contribuent surement amieux faire reconnaitre l'espece. Nous iguorons la nature des eaux dans lesquelles a ete prise l'Epinoche de Baillon. II y aurait pourtant interet a etre ren- seigne sur ce point, ce qui nous engage a appeler de ce cote 1 'attention des observateurs qui habitent le departement de la Somme. II y a certaine probability que cette grande Epinoche lmbite.les eaux saumatres. Geci expliquerait comment elle pent ne se trouver que dans des localitesrestreintes. L'EPINOCHE ARGENTEE (gasterosteus argentatissimcs) L'Epinoche argentee est commune sur quelques points du midi de la France. Cost dans les ruisseaux herbus qui parcou- rent la campagne d' Avignon que je l'ai vue en grande abon- dance. EP1JN0CHES. 233 Ayant les memes proportions que l'espece de nos departe- ments du Centre et du Nord, elle offrc neanmoins au premier coup d'oeil un aspect particulier. La couleur d'argent, dont son Fig. 35. — L'Epinoche argentee de grandeur uaturelle. revelu.es generalement ces Epinoches sur les parties inferieures de leur corps s'etendici davantagesur les cotes. Ensuite, le ton verdatredu dos est plus nuance de gris, et des points noiratres, disposes par groupes, descendent plus ou moins sur les flancs, se dessinant, sous l'apparence de bandes ou detaches, a\ec une admirable nettete sur le fond blanc dont l'cclat est celui du me- tal poli. Sans attacher trop d'importance a ce systeme de coloration, on doit en tenir compte, car il a ete observe presque sans va- riation sur des centaines d'individus pSches a diverses epoques. Du reste, l'examen de caracteres plus certains doit nous arrek r. L'armure thoracique constituee par cinq pieces comme chez les* espeees prccedentes n'offre rien deplus remarquablea men- tionner ; jamais aucune apparence de la sixitoie plaque signa- lee comme variable ou susceptible d'avortement chez l'Epinoche a queue lisse, ne s'est montrc sur nos Epinoches argentees. Ce sont les epines dorsales et ventrales qui meritent surtout notre attention. Les premieres demeurent toujours petites, si on les compare a celles des autres espfeces. Aussi larges a leur base par 234 HISTOIRE PARTICULIE RE DES POISSONS. suite de leur brievete, elles de\iennent plus coniques ; tres- aigues vers le bout, elles ont aussi des dentelures acerees etpas- sablement regulieres sur leurs bords lateraux. Les pointes ven- MM 1«« epine 2« epine dorsale. dorsale. Pointe ventrale du cote droit. Fig. 36. — Epines de l'Epinoche argentee. trales ne sont pas moins caracteristiques. Elles sont egalement plus courtes et plus larges que chez les especes precedentes, avec leurs dentelures plus nombreuses et plus pointues, principale- ment celles du bord externe. On remarquera en outre que le bassin compare a celui des autres Epinoches se prolonge moins en arriere et qu'il a un pen plus de largeur pres de l'insertion des epines. L'EPINOCHE ELEGANTE (gasterosteus elegans) Cette Epinoche, comme la precedente, parait plus oblongue ([tie celles du nord de la France. Par la comparaison, cette diffe- rence sur laquelle on ne saurait beaucoup insister, devient sen- EPINOCHES. 23o sible. Cette forme contribue encore a donner au Poisson de plus heureuses proportions. Si les varietes dans les couleurs, dans les nuances, ne se prc- sentaient assez frequemment, parmi les Poissons du genre qui nous occupe, on regarderait volontiers la coloration des indrvi- dus que nous avons sous les yeux comme snffisante pour faire distingner l'Epinoche elegante des especes voisines. Ces indi- vidus sontpresque entiereraent d'unblanc d'argent pur. Seule, la region dorsale est d'un gris verdatre clair, rehausse par nn semis de points noirs qui ne descendent pas sur les parties late- rales; mais il faut repeter que cette coloration au moins jusqu'a un certain point, peut dependre de circonstances particulieres, du reste parfaitcment indtterminees. L'armure thoracique est a peu pres semblable a celle de l'E- pinoche argentce. Au contraire, les epines dorsales ont une autre forme ; plus greles, plus longues, elles n'ont sur leurs 1" epiue dursale. 2« epine dorsale. Pointe \enlrale du cote droit. Fiy. 37. — Epines de TEpinoche elegante. bords que des dentelures tres-faibles. Lespointcs ventrales sont aussi remarquablement minces, comparativement a celles de 236 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. l'Epinoche argentee on de l'Epinoche a queue lisse. Elles n'of- frent a leur origine qu'un elargissement tres-court et leur bord superieur est garni de dentelures fort espr.cees et tres-petites. L'Epinoche elegante se trouve dans les provinces du sud- ouest de la France. J 'en dois la connaissance a M. Lacaze-Duthiers, qui, non content de rechercher lui-meme les Poissons qui pouvaient etre utiles pour mon travail, a engage plusieurs de ses parents a me preter leur concours. C'est M. Joseph Lacaze, le frere du savant zoologiste, qui a pris l'Epinoche 61egante entre Cadillac et Lan- gon, dans le departement de la Gironde. Deux Epinoches recueillies aux environs de Toulouse par M. le professeur Joly, appartennent sans aucun doute a cette espece, mais leur etat de conservation se trouvant defectueux, il est difficile de savoir si leur coloration etait semblable a des animaux qui ont ete les sujets de notre description. On recon- nait pourtant que les points sont plus dissemines sur les parties laterales du corps. LES EPINUCHETTES Les Epinochettes ont les formes generales des Epinoches pro- prement elites ; mais elles sont encore plus petites et surtout plus effilees. Elles portent tout le long de leur dos, jusqu'a Forigine de la nageoire dorsale, une serie de tres-petites plaques osseu- ses, qui, a l'exception de la premiere, donnent insertion aux epines dorsales ; aucune de ces plaques ne depasse la dimension des autres, aucune ne se rabat sur les cotes. Les epines sont au nombre de huit, de neuf, de dix on de onze, toutes egales, sans dentelures sur leurs bords, et munies en arriere, comme chez les vraies Epinoches, d'une petite membrane. KL'INOCHES. 237 Les epines ventrales sont aussi bcaucoup moins fortes que chcz les xraies Epinoches ; elles sont tres-peu elargies a leur ori- gine, et leurs borcls n'offrent pas de dentclures. Les Epinocliettes manquent entierement d'armure thoraci- que ; leur peau est nue sur les cotes du corps. Leurs nageoires sont un peu plus variables que chez les Epi- noches proprement dites. On compte dix on onze rayons a la nageoire pectorale, dix ou onze a la nageoire dorsale, neuf on dix a la nageoire anale. Les Epinocliettes sont quelquefois aussi communes que les Epinoches dans nos departements du Nord, de l'Estet du Centre ; mais jusqu'ici nous n'avons pu en rencontrer dans nos depar- tements meridionaux, et personne n'a reussi a nous en procu- rer de cette region de la France. Tons les auteurs qui ont ecrit sur les Poissons d'Europe, a une exception pres, n'ont reconnu qu'une seule espece d'Epino- chettes. L'exception est fournic par Guvier. Ge naturaliste, avec son tact habituel, a distingu6 deux especes parmi les Epino- cliettes de notre pays : il a indique le caractere infaillible pour ne jamais les confondre, et neanmoins il n'a pas ete compris. Aujourd'hui, nous connaissons en France, ou il y en a sans doute d'autres encore, cinq especes d'Epinochettes, parfaite- ment caracterisees ; il suffira d'un peu d'attention pour que la confusion deYienne desormais impossible. 238 HISTOIRE PARTICUL1ERE DES POISSONS. L'EPINOCHETTE PIQUANTE (gasterosteus pungitius *) Le nom d'Epinochette piquante convient tres-indifferemment a toutes les especes de cette division ; toutes, en effet, sont anssi Fig. 38. — L'Epinochette piquante de grandeur naturelle. parfaitement armees les lines que les autres ; mals Linne et la plupart des auteurs jusqu'ici, n'ayant distingue qu'une seule espece d'Epinochettes, n'ont pas eu a s'occuper de savoir si la qualification speciale pouvait devenir generale. Au reste, dans la circonstance actuelle corarae dans beaucoup d'autres, il con- vient de prendre le nom, corame line appellation, sans trop s'inquieter, on de son origine ou de sa signification primi- tive. L'Epinochette a laquelle nous attribuons le nom impose par Linne, est-elle vraiment l'espece signalee en qnelques traits par ce naturaliste ? II est difficile d'en avoir la certitude absolue ; la plus grande probability est tout ce que nous avons a offrir. Cette probabilite se fonde sur le nombre des epines dorsales indique par 1'auteur scandinave et sur la presence ordinaire dans le Nord, de l'espece pour laquelle nous reservonsle nom de Gusterosteus pungitius. ' Linne, Systema nalarw, 1'2C edit., I. I, p. 491. E PINO CHE S. 239 L'Epinochette piquante est l'une des plus grandes especes de cette division composee des plus petits Poissons connus. Cer- tains indrvidus atteignent 0m,06 a 0m,07. La coulenr generate est d'un vert assez sombre, plus on moins lavee de noiratre et parsemee sur tout le corps de points noirs, qui se convertissent en petites taches sur les parties inferieures. Ces details de coloration n'ont certainement qu'une importance fort secondaire ; cependant ils ont une persistance assez gene- rale pour qu'on ne les neglige pas absolument. lis donnent a l'espece une physionomie souvent suffisante pour la faire distin- guer de ses congeneres avant 1'examen des particularites plus caracteristiques. Pendant la plus grande portion de l'annee, la region xentrale est d'un blanc jaunatre plus ou moins ar- gente; mais a l'epoque de la nidification et du frai, comme cela est ordinaire chez toutes les especes d'Epinoches, les joues, les levres, les opercules, 1'origine des nageoires et le bassin se co- lorent de vives teintes rouges. L'Epinochette piquante peut etre distinguee de la plupart des especes que nous connaissons actuellcment, par un caract^re des plus faciles a constater. L'extremite posterieure de son corps, sa partie retrecie, ofTre une car&ne formee d'une file de petites ecailles, elles-memes carenees. Chez cette espece, l'opercule a un pen plus de largeur que chez les autres Epinochettes, la nageoire pectorale a dix rayons, les nageoires dorsale et anale en ont cgalement dix. Les epines dorsales sont presque toujours aussi au nombre de dix, comme je m'en suis assure, en examinant une tr5s-grande quantity d'individus, recueillis aux environs de Lille par M. Lacaze-Du- tliiers. Cependant quelques individus portaient onze epines, et dans un cas, je n'en ai compte que neuf. Alors, il est vrai. on 240 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. remarquait qu'il y avait eu avortement d'une epine entre la seconde et la troisieme. La forme du bassin est encore tres-caracteristique. La portion ventrale est large et se retrecit faiblement jusqu'a l'extremite Fig. 39. — Sternum de l'Epinochette piquante vu en dessous. qui est en pointe obtuse. La branche montante est grele et tron- quee obliquement au sommet. L'Epinochette piquante est fort commune dans nos departe- ments du Nord, mais je ne l'ai jamais Yiie aux environs de Paris. L'EPINOCHETTE BOURGUIGNONNE (gasterosteus burgundianus) L'Epinochette bourguignonne offre, comme l'espece prece- dente, une carene laterale s'etendant de l'extremite des na- geoires dorsale et anale a l'origine de la queue ; et cette carene est formee egalement de cinq petites plaques ou ecailles tres- etroites. Malgre ce caractere commun aux deux especes, apres lexamen attentif de toutes les parties, il devient impossible de les confondre. EP1N0CHES. 241 L'Epinochette bourguignonne est d'uno taille notablement inferieure; nous axons constate le fait, en comparant un nom- bre fort considerable d'individus, les plus grands n'atteignant pas en totalite la longueur de 0m,043. La forme generale du corps est diffe rente aussi, elle est moius allongee, plus ovoi'de. La tete est plus mince, plus effilee et plusprojetee en axant. La forme de l'opercule est a peu pres la meme. Les epines dor- sales sont egalement au nombre de dix, seulement un peu plus faibles; mais, comme chez l'Epinochette piquante, on observe parfois des individus ou l'une de ces epines est avortee ; d'au- tres chez Icsquels il s'en est developpe une onzieme; il ne faut prendre ce caractere en serieuse consideration qu'apres l'avoir verifie sur beaucoup d'individus. La nageoire pectorale a dix rayons, et la dorsale, comme l'anale, en a neuf au lieu de dix, que Ton trouve presque constamment chez l'espece precedente. Gependant, ainsi qu'on le voit frequemment chez les Poissons en general, le nombre des rayons des nageoires pent varier, par suite d'arrfit ou d'exces de developpement, et chez une de nos Epinochettes bourguignonnes, un dixieme rayon, tres-petit a la verite, existe a la dorsale. Le caractere le plus net et par consequent le plus sur pour ne jamais confonclre l'Epinochette bourguignonne avec l'Epino- chette piquante, est fourni par le bassin. Dans la premiere, la branche montante est beaucoup plus large, tanrlis que les lames qui constituent 1'armure ventrale forment une plaque longue, tres-etroite, effilee graduellement vers le bout, sans difference sensible entre les individus des deux sexes. La seule inspection decette partiepermet de ne jamais hesiter a rcconnaitre l'es- pece. En outre, les pointes ventrales un pen denticulees sur leurs Blanchard. 16 242 HISTOIRE PARTICULlERE DES POISSONS. bords, dans l'Epinochette piquante, sont lisses chez l'Epino- chctte bourguignonne. Fig. 40. — Sternum de l'Epinochette bourguignonne vu endessous. La coloration des deux especes n'est pas identique. L'Epino- chette bourguignonne a d'ordinaire des tons verdatres plus vifs ; elle est presque partout pointillee de noir, excepte sur la region ventrale, presentant aussi des bandes transversales noires, assez irregulieres et plus ou moins marquees. Cette espece nous est venue surtout du departement de la Cote-d'Or. M. Brulle en a recueilli un certain nombre d'indivi- dus aux environs de Dijon. L'EPINOCHETTE LISSE (GASTEROSTEUS LjEVIS j) L'Epinochette lisse a presque exactement les memes formes que l'Epinochette piquante, mais un examen facile doit empe- cher toute confusion. L'extremite posterieure du corps est lisse ; elle n'a point de carene laterale, aucune trace d'ecailles et plutot un legersillon. 1 Rcgne animal, 2e 6dit., t. II (1829). EPINOCHES. 243 Guvier avait en l'occasion d'etudier particulierement eette espece ; il avait constate que cette Epinochette etait la seule qu'on rencontrat dans les eaux des environs de Paris. Fig. 41. — L'Epinochette lisse, de grandeur naturelle. Sa tete est sensiblement plus effilee que celle de l'Epinochette piquante et ainsi plus scmblable a celle de l'Epinochette bour- guignonne. On saisit parfaitement cette difference, lorsque les individus ont ete desseches. Les epines dorsales sont au nombre de neuf, un peu plus faibles que dans les especes precedentes. La nageoire pectorale presente onze rayons ; la nageoire dor- sale, le raeme nombre ; l'anale, seulement neuf. Le bassin forme en arriere une plaque triangulaire, pointue a l'extremite; sa branche montante est notablement elargie vers le sommet. La coloration generale est presque toujours d'un vert assez vif avec des marbrures plus foncees, et bien que tout le corps soit charge de points noiratres, ces points ne se groupent pas sur les regions pectorale et ventrale, de facon a presenter l'as- pect de petites taches, comme cela se voit sur l'Epinochette piquante. Ces details de coloration n'ont pas une fixite suffisante pour qu'on s'y arrete beaucoup, mais ils appellent l'attention qu'il est utile ensuite de porter sur des caracteres plus certains. L'Epinochette lisse est fort repandue aux environs de Paris, c'est d'elle en particulier qu'il a ete question dans l'etude des 244 HIST01RE PARTICULlfiRE DES POISSONS. moeurs des Epinochettes. Elle abonde dans tons les ruisseaux aux alentours de Gisors. L'EPINOCHETTE LORRAINE (gasterosteus lotharingus) Cette petite espece, aqueuelisse, corame la precedente, offre nne physionomie particuliere. Elle est moins arrondie que les Fig. 42. — L'Epinochette Iorraine. autres Epinochettes; sa tete est plus mince, moins effilee ; les epines qu'elle porte sur le dos, settlement an nombre de huit, sont moins longues et plus courbees que chez l'espece prece- dente, etleur membrane etendue jusqu a lapointe, figure ainsi une petite voile fort ample. L'opercule est moins allonge que celui de l'Epinochette lisse. La nageoire pectorale a dix rayons ; la nageoire dorsale, neuf, et la nageoire anale seulement huit. Le bassin presente aussi plusieurs particularites caracteristi- ques; la branche montante est tres-large vers le sommet ; l'ar- mure ventrale est plus effilee que dans l'Epinochette lisse et moins triangulaire, etant plus etroite a son origine. Les epines sont proportionnellement un peu plus fortes et legerement denticulees. La couleur de ce petit Poisson est d'un gris jaune verdatre, avec la region ventrale orange et sans doute rouge, au printemps. EPINOCHES. 245 Des bandes transversales irregulieres, dues, non-seulement a une teinte plus obscure, mais surtout a des points noiratres, rassembles en grand nombre, parcourentle dos ct une partie des flancs. Gette Epinochette a ete prise dans la Meuse ou dans les ruis- seaux adjacents,aux environs de Saint-Mihiel. G'est M. Godron, le doyen de la Faculte des sciences de Nancy, qui me l'a envoyee. Tous les individus observes avaient a peu pres les raemes di- mensions, la meme coloration et absolument tous les memes caracteres. L'EPINOCHETTE a tete courte (gasterosteus breviceps) Voici encore une espece a queue lisse, mais malgre ce carac- tere qui lui est common avecles deux precedentes, on la distin- guera toujours sans peine en y portant un peu d'attention. Dor- ,^,-iai^. j, Fig. 43. — L'Epinochette a tete courte de grandeur naturelle. dinaire, assez elargie jusque dans le voisinage de la queue, elle est mediocrement allongee et sa tete se fait remarquer par sa brievete. Gette tete tres-bombee en dessus, se projette fort peu en avant, et les levres sont epaisses. L'opercule est aussi court que dans l'Epinochette lorraine, avec le bord superieur un peu plus eehancre. Les epines qui gar- 246 H1ST0IRE PARTICULllRE DES POISSONS. nissent le dos, au nombre deneuf, quelquefois cle dix, sont assez greles et leur membrane large relativement, se montre parse- mee de points noirs. La nageoire pectorale a onze rayons, la dorsale egalement onze, l'anale nenf et parfois dix, tons delica- tement pointilles de noir. Le bassin est fort etroit et se prolonge en arriere en nne palette triangulaire plus grele encore que dans l'Epinochette bourguignonne. Les epines ventrales sont tres- petites. La coloration generale de l'animal est cette nuance olivatre, plus ou moins variee de teintes obscures, que Ton observe chez l'Epinochette lisse. Dans l'Epinochette a tete courte, cette colo- ration est'de meme rehaussee par un semis cle points noiratres, mais ici les points sont tres-petits, presque egaux et presque egalement repartis sur tout le corps. J'ai etudie cette espece sur des individus pris dans les fosses des environs de Caen, par M. deL'Hopital, professeur auLycee de cette ville. LA FAMILLE DES MUG1LIDES (mugilidje) Les Mugilides sont de veritables Poissons cle mer ; aussi , beaucoup d'auteurs occupes exclusivement des especes d'eau douce, ont-ils era pouvoir les negliger. Neanmoins, comme les Muges entrent periodiquement dans les cours d'eau, comme on les peche chaque annee dans les fleuves et les rivieres de France a des distances assez considerables de la mer, il nous a paru indis- pensable cle decrire ici au moins les deux especes que Ton prend habituellcment dans les eaux douces en certaines saisons. MUGILIDES. 247 La familic des Mugilides, composee essentiellement du genre Muge, est des mieux caracterisees. Le corps de ces Poissons, d'une forme allongee, et convert de grandes ccailles finement denticulees sur leur bord, porte deux nageoires dorsales fort ecartees l'une de l'autre , la premiere formee seulement de quatre rayons osseux l. Les Muges ont des nageoires ventrales attachees un pen en arriere des pectorales, une bouche trans- versale d'un aspect tres-singulier ; la machoire inferieure offrant dans son milieu une preeminence qui s'engage dans uneechan- crure de la machoire superieure, des maxillaires extremement petits, une tete coirverte d'ecailles, un museau court et obtus, la membrane branchiostege pourvue de six rayons. Apres l'enonce de ces caracteres exterieurs faciles a aperce- voir, il faut ajouter que les Mugilides sont remarquablcs encore par leurs os pharyngiens tres-developpes, retrecissant l'entree de 1'cesophage et lui donnant une forme anguleuse, de maniere a ne livrer passage qu'a des matieres tres-tenues ; qu'ils ont un estomac termine par une sorte de gesier, des appendices pylo- riques pen nombreux, un intestin long et replie. LE GENRE MUGE (mugil, Liniie) Les Muges sont surtout caracterises par la forme de leur bouche, qui ne ressemble a celle d'aucun autre Poisson, par leur os sous-orbitaire denticule, masquant plus on moins com- pletement le maxillaire qui est toujours fort grele ; par leurs opercules larges et bombes. 1 On trouve parfois des individus presentant a la premiere dorsale un petit rayon supplementaire, mais le cas est assez rare. 248 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. Ces Poissons, estimes pour la table et fort abondants dans la Mediterranee, etaient bien connus dans l'antiquite. II est ques- tion de leurs habitudes, non-seulement dans l'ouvrage d'Aris- tote, mais encore dans les ecrits de divers auteurs de la Grece et de Rome, ou le vrai et le faux sont souvent fort entremeles *. Les Muges, d'une agilite remarquable, executent continuel- lement de grands sauts au-dessus de l'eau et reussissent souvent ainsi a s'echapper des filets. Ces Poissons n'ayant d'autre arme defensive que leur nageoire dorsale deviennent souvent la proie des especes voraces ; et c'est seulement a leurs mouvements rapides, qu'ils doivent de se soustraire parfois a la poursuite de leurs ennemis. lis cherchent leur nourriture au fond de l'eau, dans le sable ou dans la vase, mais on n'o pas encore d 'observa- tions bien completes sur leur regime. Plusieurs des especes de Muges de nos cotes se ressemblent beaucoup par leur aspect general ; Linne et la plupart des auteurs en avaient fait une extreme confusion. C'est Cuvier qui le premier a precise leurs caracteres specifiques. LE MUGE CAPITON (mugil capito 2) Parmi les Muges, le Gapiton est l'espece commune dans 'Ocean et dans la Manche aussi bien que dans la Mediterranee, qui a certaines epoques entre en grandes troupes dans nos cours 1 Les Muges 6taient appeles par les Grecs, Ksirpeu; et KicpaXos. 2 Cuvier, Regne animal, t. II, p. 230, 1829. — Yarrell, History of British Fishes, vol. Ier, p. 234; 1830. — Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. XI, p. 36; 183G. — J. Couch, History of Fishes of the /iritis/! Islands, i. Ill, p. 6, pi. 123. MUGES. 249 d'eau, la Gironde, la Loire, la Seine, la Somme et beaucoup d'autres rivieres. G'est un Poisson d'une forme oblongue, d'une couleur gris- bleuatre sombre sur le dos, plus claire sur les cotes, d'un blanc d'argent sur la region ventrale, a\ec sept ou huit lignes longitu- ,-- ^£, 7} - Fig. 44. — Le Muge Capiton. dinales verdatres sur les flancs plus ou moins marquees, suivant les individus, des nuances jaunes sur la tete et sur quelques par- ties du corps. Des ecailles grandes et minces couvrent non-seulement tout le corps, mais encore la tete. II y en a sur le sommet jusqu'au mu- seau dans l'espace compris entre les narines, et la joue en est entierement garnie. Les ecailles des flancs ont leur bord libre un peu anguleux et leur bord basilaire coupe presque droit. Toute leur portion libre, vue sous un grossissement, presente un reseau celluleux ; au centre, une sortede petit canal, etaubord, de tres-petites epines irregulieres. La portion engagee dans la peau ou recouverte par les autres ecailles, offre des stries regu- lieres d'une extreme finesse et six ou sept greles canaux paral- leles. Les ecailles du sommet de la tete et des joues deviennent plus petites et subissent certaines deformations, mais par la 230 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. nature de leurs stries et de leurs epines, elles ressemblent entie- rement a celles dont le corps est revetu. La tete du Capiton, arrondie sur les cotes et presque conique, forme a pen pres le quart de la longueur totale du Poisson ; la machoire superieure est garnie d'une rangee de dents extreme- ment fines et serrees, tandis que la machoire inferieure en est depourvue. L'ceil, assez grand, a liris jaunatre. Le sous-orbi- taire, muni de dents nombreuses, fines et aigues, ne cache pas entierement le maxillaire lorsque la bouche est fermee. La premiere nageoire dorsale a trois rayons fort epais et ace- res et un quatriemetres-faible. La seconde dorsale a un premier rayon osseux assez court et huit articules , les premiers simples, les autres rameux ; quelquefois les deux derniers rayons etant confondus, on n'en compte plus que sept au lieu de huit. Les nageoires pectorales, de forme ovalaire, composees de dix-sept rayons et surmontees d'une ecaille courte et obtuse, offrent dans l'aisselle une tache noire plus ou moins prolongee en s'affaiblis- sant sous forme de bande, et sou vent aussi une tache bleuatre situee vers les deux tiers de leur longueur. Les ventrales, Ordinairement d'une teinte orangee a leur base, ont un rayon osseux assez court et cinq articules et rameux. L'anale, placee exactement au-dessous de la seconde ventrale, a trois rayons osseux et huit ou neuf articules et branchus. Enfin la caudale en a quinze et un ou deux petits en dessus comme en dessous. Le Muge Capiton atteint une assez grande taille, emiron 0"',o0 a 0m,60 de longueur; commun dans la Mediterranee, il n'est pas moins abondant dans l'Ocean. II se trouve sur toutes les cotes de France, sur les cotes d'Angleterre et jusque sur les cotes de la peninsule scandinaxe. Au printemps, il penetre sou- vent en nombre considerable dans la Gironde et dans la Loire. MUGES. -ill Autrefois, il entrait clans la Somrao au mois de mai en legions si nombreuses, que la riviere en etait couverte pendant quelques jours, mais, dit M. F. Mareotte, l'auteur d'un Catalogue des animaux vertebres de I' ' arrondissement d? Abbeville, on ne l'y voit plus, depuis l'etablissement du canal d'Abbeville a la mer l, LE MUGE CEPHALE (mugil cephalls 2) Le Gephale est la grande espece mediterraneenne du genre Muge ; c'est l'espece particulierement observee par les anciens, et la plus estimee comme aliment. Elle entre dans le Rhone au printemps et remonte soirvent jusqu'a Avignon. Sa forme generale differe pen de celle du Capiton, mais le corps est plus epais, les ecailles sont proportionnellement plus grandes encore, un pen plus allongees, avec leur bord libre taille da vantage en ogive, et leur canal median tres-petit; la tete, plus forte et plus longue relativement a la longueur totale de l'ani- mal, a des ecailles qui ne s'etendent pas aussi loin sur le mu- seau. Une particularite singulierc permet de distinguer aisement le Cephale des autres Muges, c'est la presence d'un repli de la peau entourant l'orbite et retombant comme un voile, de fagon a cou- vrir une partie de l'ceil, et a ne laisser a decouvert qu'un espace vertical assez etroit. 1 Memoires de la Socicte imperiale ({'emulation d'Abbeville, i 857-1860, p. 437; 1861. 2 Cuvier, liegne animal, t. II, p. 231, 2" edit. 1829. —Valenciennes, Histoire nalurelle des Poissons, t. XI, p. i'J ; 1839. 252 HISTOIHE PARTICULIERE DES POISSONS. On remarque aussi dans le Cephale, que la bouche etant fer- mee, le maxillaire se trouve entierement cache sous le sons- orbitaire dont le bord est tres-denticule, que les deux ori- fices de la narine sont fort ecartes , les dents d'une extreme finesse. Les nageoires du Gephale ressemblent a celles du Gapiton, mais a la premiere dorsale, le quatrieme rayon est moins faible et a la base des pectorales il y a une ecaille triangulaire fort longue et carenee. Le Cephale est pare de belles nuances. D'un bleu grisatre sur le dos, affaibli gradnellement sur les cotes, et d'un blanc d'ar- gent sur toutes les parties inferieures du corps, il est orne sur les flancs de sept lignes longitudinales etroites, tres-rapprochees les unes des autres, de couleur bleuatre avec des reflets dores. L'oeil de cePoisson est argente avecl'iris dore ; les nageoires dor- sales ont une teinte grise, rehaussee sur la seconde par des taches noires ;-les pectorales, d'un brim assez sombre, ont une tache bleue a leur base ; l'anale, de couleur pale, est bordee de noir. Ge Poisson atteint, dans ses plus grandes dimensions, une longueur de 0ni,45 a 0m,50, et le poids de 3 a 4 kilogrammes. Abondant sur toutes les cotes de la Mediterranee, il figure freqnemment sur les tables dans les villes d 'Italic On le voit communemcnt sur le marche de Marseille. II fraye au mois de mai, et c'est alors qu'on le peche a l'embouchure du Var et dans le cours inferieur du Rhone. D'apres un renseignement qui m'a ete transmis par M. Fab re, les pecheurs d' Avignon le prennent surtout vers le mois de septembre, lorsque les eaux du fleuve sont limpides. D^s que les premiers froids se font sen- tir, les Muges retournent a la mer f . 1 On trouve encore sur nos cotes quelques autres especes de Muges BLENNIIDES. 253 LA FAM1LLE DES BLENNIIDES (blenniid.e) Tuns les representants connus de cette famille sont des Pois- sons de petite taille, remarquables par leur corps assez allonge; le plus souvent aussi par leur peau molle et sans ecailles, mais quelquefois garnie de petites ecailles arrondies ; par la presence d'une seule nageoire dorsale, occupant toute la longueur du dos, eomposee entiereraent de rayons simples on fourchus qui demeurent assez flexibles ; par des nageoires ventrales placees sous la gorge, n'ayant que deux on trois rayons. A ces caracteres, il faut ajouter que la membrane branchio- stege presente six rayons, qu'il y a absence chez ces Poissons de vessie natatoire et de coecums intestinaux. La famille des Blenniides comprend plusieurs genres, et quel- ques-uns de ces genres renferment une assez longue suite d'es- peces, mais la plupart de ces especessont marines; il n'y a d'ex- ception que dans un seul, le genre Blennie. On a assure que parmi ces Poissons, il y en avait de xivipares; les especes d'eau qui paraissent entrer moins frequemment dans les rivieres que le Ca- piton et le Cephale. C'est : le Muge dore {Mugil auratus, Risso), tres-voisin du Capiton, mais facile a distinguer par ses dents plus fortes, son maxillaire enfierement cache sous le sous-orbitaire; ses nageoires pectorales plus longues, sans tache noire ; Le Muge sauteur (Mugil saliens, Risso), plus effile que les precedents, avec le sous-orbitaire echancre, les lignes des flancs azurees, etc.; Le Muge a grosses levres (Mugil chelo, Cuvier), remarquable par ses levres fort epaisses, etc. Voir Valenciennes, Histoire naturelk des Poissons, t. XL 254 H1ST01RE PARTICULIE RE DES POISSONS. douce ne le sont certainement pas, et il est fort douteux que l'as- sertion soit exacte , meme pour certaines especes marines. D'apres quelques indications encore assez vagues, on croit que les Blenniides construisent des nids pour y operer le depot de leurs ceufs, mais j usqu'a present, toute observation suivie manque a cet eg arc! l . LE GENRE BLENNIE (blennios) Les Blennies proprement dites ont la peau entierement nue, sans aucun vestige d'ecailles ; la tete tres-inclinee en avant, avec la bouche petite, les deux machoires egales, des tentacules au-dessus des yeux, des dents aux machoires disposees sur une seule serie ; la membrane branchiostege pourvue de six rayons. Ce genre, qui comprend une assez longue suite d'especes ma- rines, a aussi quelques especes particulieres aux eaux douces ; ces dernieres, repandues seulement dans l'Europe meridionale. Deux d'entre elles se trouvent en France. i On classe pres de la famille des Blenniides, une autre famille de Poissons, qui a des representants parmi les especes des eaux douces de l'Europe. C'est la famille des Gobiides (Gobiida>) caracterisee par la pre- sence de deux nageoires dorsales, par des ventrales reunies dans toute leur longueur, et formant ainsi un disque concave comme une sorte d'en- tonnoir. Dans cette famille composee essentiellement d'especes marines de petite faille, on compte le genre Gobie (Gobius, Linne), dont on con- nait quelques espi>cesd'eau douce observees dans les rivieres et les lacs de l'Europe meridionale et orientate. Le Gobie fluviatile (Gobius fluviatilis, Bonelli) nolamment, petit poisson de 0m,07 a(),n,08 de long, se trouve assez communement dans les lacs et les petites rivieres d'une grande partie de l'ltalie, mais il n'a jamais ete rencontre en France. BLENMLS. 25S LA BLENNIE CAGNETTE (blenmus sujefianus1) La Blennie, qui porte en Italie les noms vulgaires de Cagnetto et de Cagnota, et en quelques endroits de la France le nom de Baveuse, parait avoir completement echappe a l'attention des Fig. 45. — La Blennie cagnette. observateurs jusqu'a une epoque encore bien recenle. Suivant toute apparence, c'est Risso de Nice qui, le premier, en 1810, a 1 Risso, Tchthyologie de Nice, p. L3i ; 1810. — Blennius vulgaris, Pollini, 256 HISTOIRE PARTICl LIERE DES POISSONS. signals ce Poisson corame habitant les eaux du Var. Quelques annees plus tard, un explorateur du lac de Garda et des monta- gnes du pays de Verone, en a donne une description corame d'un objet nouveau. Pendant longtemps, on a cru que la Blennie etait propre aux eaux donees de l'ltalie, et qirelle ne depassait pas, au nord, la region des Alpes maritimes. Gependant, corame depuis peu, les recherches des naturalistes se sont multipliers, on a ob- serve la Blennie dans plusieurs de nos departements meridio- naux. Ge Poisson, qui semble etre partout assez rare dans notre pays, etant d'une taillo fort exigue, devait echapper a l'atten- tion des pecheurs. Si quelques-uns d'entre eux l'avaient parfois remarque, ils l'avaient sans douterejete loin d'eux a cause de ses petites dimensions, et a cause aussi peut-etre de la mucosite abondante qui recouvre son corps. La Blennie est pourtant un animal d'une physionomie etrange, dont l'aspect n'a rien que d'agreable. Une peau luisante elegam- ment bariolee de taches obscures sur un fond d'une couleur assez vive et toute sablee de points plus ou moins gros, une crete sur latete, un oeil a iris vert et a prunelle noire, surmonte d'un appendice frange corame un petit panache, donnent a ce Poisson un caractere special et un aspect attrayant, de nature a exciter l'interet et la curiosite d'un observateur meme assez superficiel. La Blennie ou la Gagnette, dans ses plus belles proportions, ne depasse guere la longueur d'une dizaine de centimetres, et Ton en prend beaucoup d'individus qui n'en ont pas plus de six a sept. Le corps est arrondi sur les flancs et graduellement atte- Viagqio al Lago di Garda. — Salarias varus, Risso, Hist. nat. de I'Europe miridionale, t. Ill, p. *J37 ; IS27. — Blennius cagnota, Valenciennes, His- tuire naturelle ■ ** bl ■bl en a. BLENNIES. 263 dente, mais il n'y a quo seize incisives a la maehoire supe- rieure et quatorze a la maehoire inferieure-. La forme et la disposition des globules dans lesquels s'ou- vrent les conduits de la mucosite sur la tete et sur les cotes du corps se ressemblent trop dans nos deux especes de Blennies pour qu'il y ait quelque chose d'utile a mentionner ici. Les nageoires de la Blennie alpestre n'offrent rien non plus de tres-particulier sous le rapport de leurs proportions et du nombre de leurs rayons. A la dorsale, je n'ai jamais trouve plus de vingt-six a vingt-neuf rayons, mais on le salt, il est difficile d'attacher beaucoup d'importance a ce caractere, toujours va- riable dans une certaine mesure. Les pectorales n'ont presente que douze rayons, l'anale dix-sept on dix-huit. Le 27 septembre 1862, j'avais passe plusieurs heures sur le lac du Bourget avec des pecheurs qui prenaient le poisson avec 1'immense filet que Ton traine a l'aide de deux embarcations, eelui auquel on donne le nom de Seine. J'avais ainsi recueilli differentes especes et j'avais pu reconnaitre celles qui etaient particulierement abondantes dans le lac. La journec des pe- cheurs etantfinie, nous avionsjatteint la cote pres du village du Bourget a un endroit oil une petite riviere torrentueuse venait verser ses eaux dans le lac. Je temoignai aux hommes qui mon- taient les bateaux de peche, le desir qu'on fit en ma presence une exploration de la riviere pour y prendre les petits Poissons caches parmi les pierres. Deux hommes etant entrcs dans le petit cours d'eau qui avait pen de profondeur, y tralnerent un filet en remontant le courant, tandis qu'un troisieme, muni d'un baton et marchant en avant, remuait les pierres en les poussant du cote du filet. Pendant une exploration qui dura prfes de deux heures, j'obtins ainsi une vingtaine de Blennies 264 HI&JOIHE PARTICULIERE DES POISSONS. alpcstres et quelques Chabots. Les pecheurs n'avaient jamais remarque les Blennies et les confondaient parfaitement avec les Chabots, donnant aux uns et aux autres le nom de Sassot. Le court sejour que j'ai fait dans la localite, ne m'a pas permisd'etu- dier les habitudes des curieux Poissons que je xenais de decou- vrir dans un pays oul'on ignorait la presence des Blennies. L'ORDRE DES MALACOPTERYGIEXS G'est la presence de rayons flexibles a toutes les nageoires qui caracterise et qui permet de distinguer le plus souvent ces Poissons des Acanthopterygiens. Chez les Malacopterygiens tons les rayons des nageoires peuvent etre flexibles, mais souvent aussi les premiers de la dorsale, des pectorales et de l'anale sont osseux, ce qui revient a dire, que la distinction etablie entre les Poissons Acanthoptery- giens et Malacopterygiens est de pen de valeur. Les Malacopterygiens out ete partages en trois groupes, d'apr^s la position des nageoires centrales l, mais ce caractere n'est pas de nature a donner une idee juste des affinites natu- relles qui peuvent exister entre ces animaux. Les ecailles des Malacopterygiens ont generalcment leur bord sans dentelures et sont ainsi parfaitement unies sur leur bord. Ces Poissons sont representes dans les eaux donees par un tres-grand nombre d'especes. (I) Voyez page (20. PLEURONECTIDES. 265 LA FAMILLE DES PLEURONECTIDES (PLEURONECTiD^) Les Pleuronectides forment unegrande famille dc Poissons de mer; plusieurs d'entre eux, comme la Sole, la Plie, le Turbot, la Barbue, figurant continuellement sur les tables, se trouvent ainsietre parfaitementconnus de toutlemonde, an moms sous le rapport de leur forme generale. Ce sont les Poissons plats, sui- vant l'expression commune. lis ont, ainsi queCirvierl'a dit, un caractere unique parmi les animaux xertebres, le defaut de symetrie de leur tete, les deux yeux situes sur le meme cote, le cote du corps et de la tete ou sont places les yeux demeurant superieur quand l'aninal nage, toujours fortement colore, tandis que le cote oppose est blanchatre. Le corps des Pleuronectides, tres-comprime lateralement, participe impeudel'irregularite de la tete. Les pectorales situees sous la gorge sont souvent inegales ; les deux cotes de la bouche manquent egalement de symetrie. La nageoire dorsale occupe toute la longueur du dos ; et la nageoire anale presque toute l'etendue du bord inferieur du corps, 1'orifice anal etant situe tresen avant. Ges Poissons prives de vessie natatoire, se tiennent presque constamment au fond de l'eau. Les Pleuronectides ont line forme reguliere lorsqu'ils sortent de l'ceuf, mais apres la naissance leur tete ne tarde pas a se contourner, de sorte que des indhidus tres-jeunes ont deja l'aspect des adultes. On doit a deux savants professeurs,M. Van Beneden de Louvain etM. Steenstrup de Copenhague, des ob- 2(16 HIST01RE PART1CI EIERE DES POISSONS. sanations pleines d'interet sur les premieres formes de ces Poissons. Bien que les Pleuronectides soient essentiellement marins, il devait en etre fait mention dans cet ouvrage ; plusieurs de leurs especes entrent assez avant qnelquefois dans les rivieres et l'une d'elles y sejourne. LE GENRE PLEURONEGTE (PLEURONECTES ') Le genre Pleuronecte de Linne correspond exactement a la famille des Pleuronectides des auteurs modernes. En elevant an rang de famille le genre linneen et en le divisant en plusieurs genres, Cuvier a fait disparaitre le genre Pleuronecte. Des dis- paritions de cette nature sont pleines d'inconvenients ; aussi pensons-nous que le nom generique de Pleuronecte doit rester pour designer les esp&ces les plus communes de la famille, celles dont Cuvier a forme le genre Platessa. Les Pleuronectes sont caracterises par leurs dents tranchantes, disposees sur une seule rangee a chaque machoire, par leur nageoire dorsale commengant au-dessus de l'ceil superieur, par la queue separee de la dorsale et de l'anale par un certain in— tervalle. Ce genre se compose de plusieurs especes communes sur nos cotes, notamment la Plie ou Garrelet [Pleuronectes platessa, Linne), la Limande [Pleuronectes llmanda, Linne), etc. Nous ne croyons pas avoir a nous occuper ici de ces especes qui n'en- trent que par hasard dans les eaux douces ; il n'en est pas de meme pour le Flet. 1 Limit', Systetna naturae. — Platessa, Cuvier, Regne animal. PLEURONECTE. 207 LE PLEURONECTE FLET (pLEURONECTES FLESUS ') Le Flet, on Flondre on Picaud, car on lui donne ees divers Fig. 'M. — Le Flet [Pleuronedes flesus) . 1 Unne, Sy sterna natures, edit. XII, 1. 1, p. 4JJ7 ; 1766. — Platessa flesus, Cuvier, Regnc animal, t. II. — Yarrell, Histonj of British Fishes, t. II, 268 HISTOIHE PARTICULIERE DES POISSONS. noms vulgaires, est par excellence le Poisson de l'embouchure des cours d'eau qui se jettent dans l'Ocean, la Manche, la mer du Nord. II remonte habituellement dans les rivieres jusqu'a une distance de 30 a 40 kilometres de la mer, mais il n'est pas rare, surtout dans les grands fleuves, de le trouver fort loin des cotes. Le Flet ressemble par sa forme generale comme par son as- pect, a la Plie on Carrelet, bien qu'il soit un peu plus oblong et que sa taille ne depasse pas 0m,20 a 0m,2$. Sa couleur du cote ou sont tournes les yeux est comme chez cette derniere espece que Ton voit constamment sur les marches, d'un brun vert-olivatre avee des nuances plus brunes et des taches oran- gees ou rougeatres plus pales que celles de la Plie. Ges taches souvent assez vives au printemps disparaissent du reste tr&s- souvent a certaines epoques de l'annee. La peau du Flet est couverte d'ecailles fort petites, d'une minceur extreme, et de la sorte tr^s-difficiles a detacher ; mais il y a, eu outre, au-dessus et au-dessous de la ligne laterale, une serie de petites plaques pourvues de tubercules tr&s-saillants. A la base de chaque rayon des nageoires dorsale et analc, il existe une plaque semblable et Ton en voit encore sur la joue et l'opercule, mais ces derni^res ne sont bien apparentes que chez les \ieux individus. La ligne laterale formee d'une suite de petits tuyaux cylin- driques, s'etend en ligne droite de la tete a l'origine de la queue. La tete est tournec tantot du cote droit, tantot du cote gauche ; plusieurs naturalistes ont cru que cette difference tout p. 21 o; 1836. — Siebold, Die SUssw isserfische von Mitteleuropa, p. 77; 1863. Blanchard, Les Poissons. PL l\ . p. 268. Paris, J.-B. Bailliere et Fiis, edit. Corbeil; Crete, imp. LA PEGIIE DU FLET LE FLET EST PAR EXCELLENCE LE POISSON DE [.'EMBOUCHURE DES COURS DEAU QPI SE JETTENT DANS L'OCEAN. PLEURONECTE. 269 individuelle indiquait le sexe, mais l'observation a montre ['inexactitude de cette opinion. Dans tons les cas, la tete porte ontre les yeux line carene faiblement tuberculee, qui s'etend en arriere jusqu'au-dessus de l'opercule. La nageoire dorsale, mediocremcnt elevee, decrit une le- gere courbe; elle commence au-dessus des yeux et finit a une mediocre distance de la queue. Elle se compose de cinquante- sept a cinquante-huit rayons ; les pectorales en ont dix ; les ven- trales, six seulement ; l'anale, qui se prolonge en arriere aussi loin que la dorsale, formant une large bordure a la partie in— ferieure du corps, a de trente-huit a quarante-deux rayons ; la caudale en a dix-huit, les premiers en dessus et en dessous, simples, les douze moyens egaux et branchus. Le Flet s'attaque seulement a des animaux de petite dimen- sion ; ilsenourritapeupri^s exclusivement de vers,d'insectes et de mollusques, et il fraye au mois de mai dans le cours inferieur des rivieres ou le flux de la mer se fait encore sentir. II se tient dans les endroits pierreux et souvent dans la vase, car il pent vivre dans les eaux les plus impures. On le prend ainsi, en abondance, dans les petits cours d'eau de la Normandie, surles- quels se sont etablies des usines pour le lavage des laines im- portees de rAmerique. Autrefois, on pechait dans ces rivieres, beaueoup d'esp^ces de Poissons, meme des Truites ; tout a dis- paru aujourd'hui de leurs eaux, incessamment chargees des dejections des usines, seul le Flet a continue a vivre et a se multiplier ou les autres Poissons devaient perir etil est restc la ressource des amateurs de peche dans plusieurs locality du departement de la Seine-Inferieure. Le Flet remonte parfois fort loin dans les rivieres et lis fleuves, mais ce nestpas (rune maniere constante. M. Lacazc- 270 BISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. Duthicrs m'en a procure plusieurs individus pris dans la Dor- dogne a sa traversee dans le departement du Lot. On le peche journellement dans la Tamise a plusieurs milles au-dessus de Londres, et Yarrell rapporte qu'on le prend clans l'Avon a une certaine distance au-dessus de Bath. M. de Selys- Longchamps nous dit, qu'il remonte dans l'Ourthe, par le Maas, jusqu'a Liege, et dans la Nethe par la Schelde jusqu'a Waterloo. Holandre, l'auteur de la Faune du departement de la Moselle, a consign^ ce fait, qu'au mois d'aout 1818, un Flet fut peche a Metz dans la Moselle. Un autre naturaliste cite une capture de ce Poisson dans la Moselle an dela de Treves. Au mois d'octobre I8i2, on en vit sur le marche de cette ville, deux individus vi- vants qui venaient d'etre pris dans la Moselle. Un pecheur de Mayence a assure aM. de Siebold, avoir peche le Flet dans le Rhin a Mayence meme. Les observateurs du seizieme siecle ayant deja reconnu chez ce Poisson l'liabitude de remonter ac- cidentellement les cours d'eau, lui avaient donne le nora si- gnificatif de Passereau de riviere [Passer fluvial His). Bien que la chair du Flet soit tenue en mediocre estime, les pecheurs a la ligne de la Norman die comme ceux d'Angle- terre sont loin de dedaigner ce Poisson, d'abord parce qu'il abonde en plusieurs endroits, ensuite parce qu'il mord tres- facilemcnt a l'hamegon auquel s'agite un ver. LA FAMILLE DES GADIDES (gadid^:) Les Gadides, plus habituellement designes sous le nom de Ga- doides, forment une famille naturelle essentiellement composer LOTE. 271 du grand genre Gade (Gadus) do Linne, dont les especes les plus connues sont la Morue et le Merlan. Gette famille si interessante an point do vue des grandes peches maritimes, n'a qu'un seul representant dans les eaux donees de 1' Europe. Les Gadides se distinguent des autres Poissons, par 1111 corps allonge, couvert de tr&s-petites ecailles molles de la catcgorie des cycloiides, e'est-a-dire de cellos dont lebord est parfaitement uni, pardesnageoiresdorsales dont le nombre est de deux on de trois, composees exclusivement de rayons mous on flexibles, les ventrales situees au-dessous des pectorales, e'est-a-dire, sous la gorge, par des dents en carde, aux machoires et a la partie an- terieure du vomer. Ges Poissons sont tons d'une extreme voraeite ; aussi oht-ils un vaste estomac, capable de contenir de volumineuses proies. Leur vessie natatoire est depourvue de communication ex- terieure. Le representant fluviatile de cette famille forme le genre suivant. LE GENRE LOTE (lota) L'histoire du genre Lote est pour nous, l'histoire d'ime senlo espece, cequinous dispense d'entrer ici dansbeaucoup dedetails. Le genre Lote est caracterise par la presence de deux na- geoires dorsales, l'une petite, I'autre tres-longue, s'etendant jusqu'a i'origine de la caudale ; par les ventrales placees sous la gorge, en avant des pectorales, par la nageoire anale extreme- merit longue, par l'extremite du corps terminee en pointe et entouree par la nageoire caudale qui est arrondie; enfin par la 272 HISTOIRE PARTIGULIERE DES POISSOiNS. presence d'un long barbillon appendu au menton ou sym- physe de la machoire inferieure. Les Lotes ont la bouche fort large, avec les machoires gar- nies de plusieurs rangs de dents en carde, un pen plus fortes que celles des Perches, mais en realite assez semblables a celles de ces dernieres. LA LOTE COMMUNE (lota vulgaris ') La Lote est de tons les Poissons de nos eaux donees, l'un des plus etranges par son aspect. Son corps fort allonge est presque cylindrique dans toute sa portion anterieure; il ne devient com- prime lateralement que clans sa moitie posterieure. Ce corps toujours impregne de mucilage pendant la vie, est entiere- ment convert de tres-petites ecailles arrondies et contigues, a peine distinctes a la vue simple. II est en general d'un vert olivatre clair, avec des taches ou des ondes irregulieres d'un brim verdatre fonce, repandues sur toute sa surface a l'exception de la region ventrale. La coloration de la Lote est du reste tres-variable, suivant l'age et suivantles localites. Dans les eaux transparentes des lacs, ce Poisson affecte des teintes claires et assez vives ; il prend au contraire des teintes sombres dans les 1 Gadus Lota, Linne, Systema natures, edit. XII, p. 440; 1766. — Ju- rine, Histoire des Poissons da lacLeman. in Memoires de la Societe dephy- sique el d'hisloire naturelle, t. Ill, Jre partie, p. 148, pi. 2. — Lota vakjaris, C.uvier, Regne animal, t. II, p. 215; 1829. — Yarrell, British Fishes, t. II, p. 267; 1836. — Heckel et Kner, Die Sussajasserfische der dsinichischen Monarchic, p. 313; 1858. — Siebold, Die Stisswasserfische von Mittclea- ropa, p. 73 ; 1863. LUTE. 273 rivieres dont l'eau est limoneuse. Si Ton doit s'en rapporter a une assertion de Jurine, l'historien des Poissons du lac Lcman. les individus pech6s ade grandes profondeurs, seraient toujours plus pales quelesautres. Dans tons les cas, les tres-petits in- dividus sont a peu pres constamment plus colores que les vieux. La Lote est bien connue des pecheurs de la plupart de nos departements, qui la designent presque partout sous le uoni aujourd'lmi adopte dans la science. En quelques endroits ce- pcndant, on l'appelle des noms de Mustek et de Barbotte. A Strasbourg, on la nomme Rxiffolk, denomination fort differente de celles de Ruttc et de Quappe, usitees en Allemagne. La ligne laterale, chez la Lote, partage pour ainsi dire chaque cote du corps en deux moities ; elle semble eourir dans une depression qui est souvent assez marquee. Elle est formee d'une suite depetits tuyaux membraneux. La tete de ce Poisson est deprimee et fort large en dessus, en grande partie couverte de tres-petites ecailles, avec les machoires egales et arrondies, les yeux ronds, tres-saillants, places au niveau du front. L'iris est d'un vert dore. Lorsqu'ou examine cette tete en dessus, il est presque impossible de ne pas lui trouver quelque chose de la physionomie du chat ou de laloutre, cequi provient de sa forme large, et surtout de l'as- pect des yeux. L'unique appendice charnu tombant de la machoire inferieure contribue encore a donner a la tete de la Lote une physionomie etrauge. Vers le tiers anterieur du corps s'eleve la premiere nageoire dorsale formee de douze a quatorze rayons ; celle-ci, fort petite, est survie de la seconde dorsale qui n'a pas moins de soixante- dix a soixante-quinze rayons. Ces nageoires d'une hauteur tres- mediocre et presque egale dans toute leur etendue, participent de ri.ANCIIARl) 1^ <>1\. H1ST01RE PARTICULIEHE DES POISSONS. la teinte generate du corps et presentent egalement des taches brunes bien marquees. - Les nageoires pectorales, de forme arrondie, ont de dix-huit a vingt ou vingt et un rayons ; les ventrales n'en ont que sept, et LOTE. 275 comme l'un d'eux, le troisieme, est beaucoup plus long que les autres, elles ont l'apparence de languettes, surtout lorsque le Poisson est tire hors de l'eau. La nageoire anale est remarquable par son extreme longueur ; elle commence exactement en arriere de 1'orifice anal qui est situe au-dessous de l'origine de la seconde dorsale, et elle s'e- tend jusqu'a la base de la queue, formant ainsi une bordure infcrieure comme la dorsale figure une bordure superieure au corps du singulier Poisson. Cette nageoire un peu moins haute que la dorsale n'a pas moins de soixante-six a soixante-douze rayons et le plus souvent soixante-dix. Les nageoires inferieures ont des mouchetures plus ou moins nombreuses, mais en general plus petites que celles des na- geoires du dos. La nageoire caudale, formee d'une qtiarantaine de rayons, entoure l'extremite du corps et presente un contour remar- quablement arrondi. Elle est aussi plus ou moins tachetee de brim. La conformation interieure de la Lote offre beaucoup de par- ticular! tes. Les xertebres sont tres-epaisses ; on en compte vingt et une au tronc, portant de longues apophyses transverses qui remplacent les cotes et trente-huit a la queue. L'cesophage et l'estomac sont fort larges et pourvus de plis longitudinaux. L'intestin forme deux replis et il y a environ trente appendices pyloriques. La xessie est grande et munie de parois epaisses. Le foie est volumineux et trilobe. La Lote est repandue dans la plus grande partie de la France ; nous ignorons, cependant, si elle existe dans tous nos depar- tements meridionaux. On la trouve dans tous nos cours d'eau de TEst, mais nous ne croyons pas qu'on la peche jamais en tres- 27B HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. grande abondance dans aucune riviere de France. Elle est extremement ffitiltipliee an contraire dans leslacs de la Savoie, le lac du Bourget, le lac Leman, etc. D'apres nne tradition toujonrs vivante a Geneve, la Lote n'anrait pas tonjours existe dans le lac Leman, elle y auraitete introdnite il y a qnelqnes siecles. Si le fait est vrai, il y a la uti magnifique exemple d'acclimatation, car ce Poisson pullule au- jourd'hui dans les eanx du lac. Pendant un sejour a Thonon, j'accompagnai souvent des pecheurs qui le matin allaient re- lever descentaines de lignes de fond tendues la veille an soir. Souvent on tirait sans interruption trente ou quarante lignes auxquelles etait accrochee line Lote. On peche ce Poisson a peu pres dans toutes les rivieres comme dans tous les lacs, en Allemagne, en Danemark, en Suede, en Russie, en Siberie. II existe aussi, sans etre abondant, dans beaucoup de rivieres de l'Angleterre ; mais les naturalistes de ce pays assurent qu'on tie letrouve ni en Ecosse, ni enlrlande. La Lote atteint parfois une assez grande taille et un poids con- siderable; la plupart des individus, neanmoins, ne depassent o-uere 0m,30 a 0m,50. On assure pourtant qu'on en voit ayant un metre de long et un poids de 3*%3 a 4 kilogrammes et meme bien davantage; il est ecrit en plusieurs endroits qu'on en peche dans le Rhin du poids de 12 a i 5 kilogrammes ; un in- dividu pesant 21 kilogrammes aurait ete vendu a la ville de Strasbourg, moyennaut la somme enorme de 600 francs pour un dejeuner que la capitale de 1' Alsace offrait an roi Char- les X. Mais ce sont la des exemples bien rares, en admettant que l'exageration n'ait point eu sa part dans cesdiverses assertions. La Lote est un de nos Poissons les plus voraces ; elle con- somme en grande quantite des vers, des insectes, des mollus- LOTE. 277 ques, des cent's, mais elle s'attaque aussi a des animaux d'assez grande taille que sa vaste bouche lui permet d'engloutir. Se te- nant habituellement au fond de l'eau, elle se blottitdans des trous et attire de petits animaux en agitant son barbillon. Elle reste cachee pendant le jour, aussi les pecheurs assurent-ils qu'on ne la prend presque jamais que la nuit. Elle fraye pendant l'hiver, e'est-a-dire en decembre et en Janvier, deposant ses ceufs sur les graviers a peu de distance du rivage ; du reste, nous ne sa- vons a peu pres rien des circonstances au milieu desquelles a lieu la reproduction. La duree de l'incubation des ceufs est d'environ six semaines ; les jeunes Poissuns croissent lente- ment, car on assure que la Lote ne commence a frayer qu a sa quatrieme annee. La Lote est fort estimee pour la table. On la trouve partout vantee pour la qualite, pour le gout fin de sa chair. Son foie tres-volumineux est repute un objet de delices pour les gour- mands. LA FAMILLE DES GYPRIN1DES (cyprinid.e) Les Gyprinides forment la foule de nos Poissons d'eau douce, foule qui n'a cesse d'offrir les plus graves difficultes pour les naturalistes. II y a dans cette famille des series d'especes si \oi- sines les unes des autres, qu'on n'est pas toujours parvenu jus- qu'ici a les caracteriser d'une maniere precise. On a eu recours aux proportions du corps, et ces proportions sont variables dans chaque espece. On a pense avoir trouve an moyen infaillible de distinguer les especes par l'observation des dents pharyngien- 278 HISTOIRt: PARTICUUERE DES POISSONS. nes. Pour observer ces dents, il faut soulever l'opercule et les detacher avec dexterite ; de la, une petite difficulty, etla ressem- blance des dents pharyngiennes chez des especes differentes, leur variability suivantlage dans lameme espece, peuvent de- venir encore des sujets d'in certitude ; cependant elles fournis- sent des caracteres d'une certaine valeur. Les Gyprinides, etudies dans toutes leurs parties exterieures, peuvent etre certainement distingues, si Ton ne neglige aucune de leurs particularites specifiques. Examinons d'abord leurs caracteres communs. Ces Poissons ont toutes les parties de la bouche privees de dents, tandis que les os pharyngiens en sont constamment pour- vus ; ils ont le bord de la machoire superieure forme par les os intermaxillaires, une seule nageoire dorsale, les nageoires ventrales attachees en arriere des pectorales, un corps ecail- leux, la membrane branchiostege avec trois rayons aplatis. La famille des Gyprinides se partage d'une maniere tres-na- turelle en deux tribus : les Gobitines (Cobitince), caracterisees par la tete petite, les aides pen fendues, les dents pharyngiennes nombreuses, en pointe aigue, etles Cyprinines (Cyprinbtce), dont la tete est relativement assez forte, les ou'ies plus largement ouvertes, les dents pharyngiennes fortes et peu nombreuses. A la premiere tribu se r attache seul, parmi les Poissons d'Europe, le genre des Loches; a la seconde tribu appartien- nent tons les autres Gyprinides. Ges derniers, quile phis sou- vent ont le corps couvert de grandes ecailles, ont ete divises en un grand nombre de genres; ceux dont nous traitons en premier lieu se distinguent par des caracteres exterieurs fa- ciles a saisir ; ceux qui suivent, appeles vulgairement les Pois- sons blancs, se ressemblent an contraire d'une maniere ex- LOCHES. 279 treme par lours formes exterieures, et Ton a eu recours a Leurs dents pharyngiennes pour etablir des distinctions. Apres 1111 mur examen, nous axons reconnu qu'il etait avantageux d'a- dopter la plupart des genres etablis sur les seuls caract&res tires du nombre et de la forme des dents pharyngiennes; au- trement on arriverait a une confusion generate des especes. LE GENRE LOCHE (cobitis, Linne) Les Loches ont le corps allonge, convert d'ecailles trcs-petites, souvent presque imperceptibles a la vue simple ; les le\res epais- ses, cntourees d'appendices charnus ou barbillons ; des dents pharyngiennes nombreuses, disposees de chaque cote sur une seule serie ; l'ouyerture des aides pen fendue, ouverte seulement jusqu'a la nageoire pectorale. Ces Poissons ont une vessie na- tatoire logee dans une capsule osseuse formee aux depens de la premiere vertebre. Nous avons en France trois especes de ce genre. Les Loches presentent un fait physiologique des plus remar- quables. Chez ces animaux, la respiration branchiale parait etre insuffisante et le canal intestinal doit remplir la fonction d'un second organe respiratoire. Les Loches, venant a la sur- face de l'eau, avalent de l'air par la bouche, et cetair, expulse ensuite par l'orifice anal, se trouve converti en gaz acidc car- bonique. Des experiences a ce sujet, qui datent do 1808, avaient ete faites sur la Loche d'etang parErman, de Berlin ! ; elles ont ete reprises ensuite par G. Bischoff, et M. de Siebold 1 Gilbert's Annalen tier Phyii/c, t. XXX, p. i 40; 180S. 280 HISTOIRE PARTICLL1ERE DES POISSONS. s'est assure que le meme phenomene a lieu chez les trois es- peces du genre *. On sait aussi que les Loehes, et surtout le Cobitis fossilis, emettent un bruit, une sorte de sifflement, tnais jusqu'ici le mecanisme de cette emission n'a pu etre bien ctudie. LA LOCHE FRAN CHE (cobitis barbatula -) LaLochefrancheest, en Europe, l'espece la plus commune du genre. G'est elle, l'espece aux formes arrondies, que prennent pour terme de comparaison ceux qui, en parlant d'une jeune filled'un certain embonpoint, disent « qu'elle est grasse comme une loche. » La Loche franche est le petit Poisson qui abonde presque toujours dans les ruisseaux on vivent les Ghabots et les STZs^Z-AsfA'C Fig. 52. — La Loche franche [Cobitis barbatula). Epinoches, dans les etangs et les parties pen profondes et plus ou moins pierreuses des rivieres et des lacs ou s'etalent les plantes aquatiques. G'est le petit Poisson que des amateurs 1 Die Sitsswasserfische von Mitteleuropa, p. 340; 1863. 2 Cobitis barbatula, Linne, Systema natures, edit. XR, 1. 1, p. 499 ; 1766. — Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. XVIII, p. 14, pi. 520; 1844. — Heckel et Kner, Die Siissivasser fische der Ostreischischen Monarchic, p. 301 ; 18H8. — Siebold, Die Stisswasserfische von Mitteleuropa, p. 337; 1863. LOCHES. 2SI se plaisent a entretenir dans des vases ou des bocaux de cristal, pour le plaisir d'epier ses mouvcments gracieux et agiles, de voir son corps si bien tachete, si agrcablement mouchete, si fi- nement pointille, miroitant de reflets dores lorsque la lumiere joue a sa surface, ou encore, de posseder un barometre vivant. Dans l'opinion populaire, la Loche est tres-habile a marquer les changements de l'atmosphere. Ellemonte, en effet, vers la sur- face del'eaii, si Forage se fait sentir. La cause de cette manoeu- vre, ignoree de beaucoup de personnes, est simple et temoigne, de la part du petit animal, d'un curieux instinct, peut-etre d'unelueur d'intelligence. Dans les temps chauds et orageux, les insectes ailes volent, on le suit, en rasant la surface des etangs et des rivieres, le petit Poisson se tenant a fleur d'eau, se trouve alors admirablement place pour les happer au passage. G'est du reste un instinct qui existe chez beaucoup d'especes. La Loche francheest certainement connue de tout le monde; mais comme, dans le langage vulgaire de differentes contrees, elle porte souvent un nom particulier, il ne sera pas inutile ici de rappeler des denominations qui aurontl'avantage de designer de suite a tous les habitants de la France le Poisson dont il s'agit en ce moment d'ecrire l'histoire. En Provence, le mot Loche est a peine change, on dit la Lo- chou ou la Lotcho. Anx environs de Paris et dans plusieurs de nos departements, la Loche franche est appelee Barbotte, designation expressive, peignant amerveille l'une des habitudes de l'animal qui semble barbotter dans la vase. Barbotte devient parfois Barbette ou Petit Barbot, la signification reste toujours la meme. Dans le departement de Saone-et-Loire et dans quclques autres regions, c'estla Moustache, a cause des appendices qui 282 HISTOIRE PARTlCl'LlfillE DES POISSONS. pendent autour de la bouche. De Moustache est derive Mustelle usiteen divers endroits, puis Moutelle qui estHe nom ordinaire de la Loche en Bourgogne et en Champagne, modifie en Emou- telle et Amontelle dans certaines localites du departement de l'Aube. En Lorraine, par une autre modification, on dit la Mo- teulle ou la Moteuille. Sur les rives du lac Leman et dans une grande partie de la Savoie, la Loche porte le nom de Dormillc qui devient Endor- mille ou Endromille dans plusieurs cantons. Dans le departe- ment du Doubs, c'est la Linotte, appellation que les pecheurs peu soucieux de la precision appliquent egalement au Cha- bot. Dans les departement de l'lsere, c'est le Lanceron. En Al- sace, c'est le Griindling ', qui est aussi le nom du Goujon, et dans la Lorraine allemande le Grundel. Les Allemands disent Bartgriuidel, ce qui signifie Goujon barbu. La Loche franche n'a pas en general plus de 0m,08 a 0m,10 de long. Quelques individus cependant, places, sans doute, dans les conditions les plus favorables a leur existence et a leur accroissement, atteignent la taillede 0m,12 aOm,15. Chez cette espece, le corps fort long, relativement a la hauteur, est presque cylindriquc ; c'est seulement vers la region poste- rieure qu'il demeure toujours un peu comprime sur les cotes. La peau molle, qui semble entierement nue a la vue simple, est d'une couleur grise tirant plus ou moins sur le brun ou le verdatre suivant lesindividus, et parsemee de taches d'un brim noir, se confondant les lines avec les autres sur la region dorsale, et for- mant ainsi sur le dos et la partie superieure des flancs une teinte sombre plus ou moins nuancee, plus ou moins marbree. Rien d'ailleurs de plus variable que ces taches, tantot confon- dues, tantot separees, figurant les ondes ou les treillis les plus LOCHES. 283 capricieusementdessines. Versles parties inferieures du corps, les taches sont plus isolees et forment des dessins irreguliers qui finissent parse perdre dans la couleur generate du fond, car ces taches sont constitutes par des points noirs plus ou moins ecar- tes. A la vue simple, lapeau de la Loche, toujours plus ou moins enduite de mucosite, parait entierement nue, mais avec le secours d'une forte loupe on apercoit des ecailles d'une extreme peti- tesse implantees sur toute la region dorsale et les flancs ; la poi- trine et lapartie ventrale, seules, en sont depourvues. Ces ecailles Fig. 53. — Portion de la peau de la Loche franche, montrantune partie de la ligne laterale et quelques ecailles. sont de petites lames d'une extreme minceur et dont les stries ne sont pas fort nombreuses. La ligne laterale presque droite, depuis la tete jusqu'a l'origine de la queue, est formee d'une suite de petits tuyaux membraneux tres-apparents sur les indi- \idus d'une taille un peu forte. La tete est massive et en general obtuse a l'extremite ; il existe neanmoins a cet egard quelques legeres differences indi- viduelles. La bouche situee en dessous par suite de la brievete de la levre inferieure est transversale etassez petite. Gette bou- che est aceompagnee de six barbillons ou appendices charnus : 284 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. quatre au-dessus de la lexre superieure, ranges en nne seule serie, dontles internes moins longs que les externes etun peu plus grands que les autres a chaque angle de la bouche. Ges ap- pendices servent a l'animal a fouiller dans la vase et a saisir les insectes et les vers dont il fait sa nourriture. L'ceil, tres- petit, place a peu pres a egale distance de l'extremite du mu- seau et du bord posterieur de l'appareil operculaire, a l'iris bleuatre. Les nageoires sont petites et arrondies ; la dorsale s'eleve au milieu dudos, offrant Line couleur grise oujaunatre etdes ta- ches brunes bien marquees, disposees le long des rayons ; elle a dix rayons, les deux premiers simples, les autres rameux. Les pectorales, de forme ovalaire, tachetees a la face interne, ont quatorze rayons ; les ventrales, fort petites, en ont huit. La Loche franche est commune dans toutes les parties de la France. Nous en avons reuni un nombre d'individus immense, provenant de la plupart de nos departements, dans le but de reconnaitre s'il n'y avait pas des especesparticulieres a certaines regions. Entre les individus des plaines et des montagnes, du Nord et du Midi, aucune difference essentielle n'a pu etre constatee. Du reste, la Loche franche abonde egalement en Angleterre, en Allemagne et parait etre repandue clans une tres-grande partie de l'Europe. Gette espece se plait particulierement dans les ruisseaux; on la trouve aussi dans les grandes rivieres et dans les lacs, rnais alors elle se tient pres des rivages ou les eaux sont peu profondes. Tres-craintive, elle se refugie habitucllement sous les pierres ou entre les roches. Sa nourriture consiste surtout en insectes, en vers, en petits mollusques, qu'elle attire a l'aide de ses barbillons. Elle fraye pendant les mois de mars et Blanchard, Les Poissons. PL V, p. 285. Pans, J.-B. Baillierc et Kils, edit. LA PECHE A LA NASSE Coibeii, Oete, imp. LES I'fir.llKI'RS PROFITKNT SbOVENT DE L'OCCASION POUB LA PRENDRE (LA LOCHE) A V E C 11 K S NAPS E S . LOCHES. 28F) d'avril ; la Loche se montrant alors plus volontiers qua l'ordi- uaire , les pecheurs profitent souvent de l'occasion pour la prendre avec des nasses. Ge Poisson do-nt les ceufs sont tres-petits est d'une remar- quable fecondite. Sa chair grasse, delicate, est fort estimee ; aussi, en certaines contrees, on engraisse les Loches dans les canaux avec du sang caille, et en quclques endroits, des fosses oli des viviers sont etablis pour les conserver. LA LOCHE DE RIVIERE (COBIT1S TiENU ') Plus encore que la Loche franche, la Loche de riviere est ele- gante par ses formes, par ses couleurs, par ses mouvements : Fit,-, 51. — La Loche de riviere (Coxitis taenia). aussi des amateurs s'amusent-ils h emprisonner egalement des Poissons de cette espece dans des globes de verre, comme on le • Linn6, Systema natures, edit. XII, t. I, p. 494; 17GB. — Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. XVIII, p. 58. — Heckel et Kner, Die Siisswasserfische der CEsireischischen Monarchic, p. 308 ; 1858. — Siebold,Ztfe Susswasserftsche von Milleleuropa, p. 338; 1863. — Cobilis spilura, Holan- dre, Faiuie de la Moselle, p. 253; 1836. M. Agassiz a forme avec cette espece le genre Acanthopsis, mais cette division elablie d'apres la consideration de la presence d'une epine an voisinage de l'oeil, n'a pas semble etre suffisamment caracterisee. 280 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. fait pour les Poissons rouges pour le seul plaisir des yeux. La Loche de riviere, beaucoup moins commune que la Loche franche, n'a pas pour les gourmets le meme attrait que cette derniere. G'est une raison pour qu'on s'en soit beaucoup moins occupe. Ge Poisson est designe dans plusieurs de nos departe- ments sous les nomsde Satouille et de Chatouille. Quelquefois on Tappelle Grande Montelle, Men que sa taille soit en general un pen inferieure a celle de la Loche franche, la vraie Moutelle. En Allemagne, son nom le plus repandu, Steinbeisser, « qui mord les pierres, » lui vient de l'habitude de se tenir entre les pierres. La denomination scientifique del'espece, 7Ve;?za,ruban, fait allusion a la forme longue et aplatie du corps. La Loche de riviere, tres-comprimee lateralement, est en effet remarquable au plus haut degre par [son aspect rubane ; elle est remarquable aussipar sa jojie coloration, qui, tout en variant dans une certaine mesure suivant les individus, conserve tou- jours neanmoins ses principaux earacteres. Sur toute la tete, a l'exception de la gorge, des taches brunes ou noiratres, plus ou moins grandes et fort rappochees les lines des autres, produisent le plus agreable effet. Sur la ligne dorsale, court une serie de larges taches de la meme nuance, et plus ou moins bien delimi- ters. Au-dessous de cette suite de taches accompagnees dun sa- ble'tres-fin, il y a des points tres-rapproches qui, se confondant ensemble, forment une teinte vermicellee. Apres un etroit es- pace, succMe une bande longitudinale, tantot plus, tantot moins interrompue ; puis, apres un nouvel intervalle, une serie de points confus, et enfin, exactement au-dessous de la ligne laterale, une rangee dequinze a dix-huit grandes taches, commencant der- riere rorificede 1'ouJe et s'etendant jusqu'a l'origine de la na- geoire caudale. Ajoutons que les nageoires dorsale et caudale LOCHES. 287 sonl agreablement mouchetees de brim noiratre, et Ton aura une idee de la coloration attrayante de la Loche de riviere. Chez ce petit Poisson, la tete s'abaisse du sommet a l'ex- tremite du museau, en decrivant une courbe assez pronon- cee ; la bouche est petite et munie de six appendices charnus ou barbillons, moins volumineux que chez la Loche franche. II y en a quatre egalement espaces a la levre superieure, et un de chaque cote a la base de la levre inferieure qui est epaisse et bi- lobee. Les yeux sont fort petits, saillants et situes tres-pres de la ligne frontale. Ge qu'il y a de plus remarquable, c'est en arriere de la na- rine, exactement au-dessous de l'ceil, la presence d'une petite fissure de la peau, dans laquelle se trouve engagee une double epine mobile, dont la pointe superieure est moins longue que 1'inferieure. Lorsque le Poisson est calme, l'epine est entiere- ment couchee dans sa gouttiere, mais, dans le danger, il la pro- jette au dehors pour en faire une arme defensive. Nous ignorons, du restc, dans quelle mesure cette delicate armature peut de- venir un moyen de defense tant soitpeu efficace. La ligne laterale est parfaitement droite, coupant chaque cote du corps en deux moities presque egales. La nageoire dorsale s'elevant au milieu du dos, comme une petite voile a dix rayons, un premier dur et tres-court, deux a la suite, simples, et les autres rameux ; les pectorales en ont sept dont un premier osseux; les ventrales, sept, deux simples et cinq rameux, mais les deux derniers etant parfois reunis, des auteurs en comptent un de moins ; l'anale en a huit, et la cau- dale enfin, qui se termine carrement, en a quinze on seize. Les nageoires pectorales, ventrales et anale sont quelquefois d'une teinteuniforme, mais souvent aussi cette teinte est rele- 2S8 HIST01RE PARTICUL1ERE DES POISSONS. veeparde fines mouchetures noiratres, toujours plus petites et moins nombreuses que celles des nageoires du dos et de la queue. Holandre, J'auteur de la Faime de la Moselle, a decrit la Lo- che de riviere, qu'il pensait ne pas connaitre, sous le nom de Loche a queue tachetee [Cobitis spilura) ; j'ai eu communica- tion au Musee de Metz des individus qui ont servi a la descrip- tion decet auteur, et j'ai pu ainsi m'assurer de leur parfaite identite avec tous ceux de l'espece, dontles caracteres viennent d'etre signales. Les habitudes de la Loche de riviere sont bien peu connues. Nous savons seulement que ce Poisson se trouve particuliere- ment dans les eaux courantes, oil il se tient sous les pierres ou dans les intervalles etroits des pierres reposant au fond de l'eau; qu'il se nourrit de vers, d'insectes, de petits mollusques; qu'il fraye pendant les mois d'avril et de mai. Nous ignoronssil'e- poque du frai et de la fecondation des ceufs amene quelques changements dans les mceurs de la Loche de riviere, si des soins particuliers sont pris pour le depot des ceufs, etc. En re- sume, l'observation nous fait encore tenement defautici, comme pour tant d'autres especes, que toute histoire reste fort incom- plete. La Loche de riviere, qui ne parait jamais se montrer nulle part en grande abondance, est repandue dans une grande par- tie de la France. On la prend notamment dans la Seine, la Meuse, la Meurthe, la Moselle et les affluents. Elle se trouve en Angleterre, mais on assure qu'on ne l'a jamais vue en Irlande ; elle habite aussi la Belgique, presque toute l'Allemagne et le nord de l'ltalie. Autant la Loche franche est estimee pour la table, autant LOCHES. 28i> Test pen la Loche de riviere ; cellc-ci tr&s-mince, passe pour etre coriace et fort desagreable a manger a cause de ses fines aretes. LA LOCHE D'ETANG (COBITIS FOSSIL1S ') La Loche d'etang, assez rare en France, est un Poisson fort remarqnable par son aspect general comrae par ses habitudes. Cette cspece est designee dans plusieurs ouvrages, et notam- ment dins celui de Lacepede sous le nora vulgaire de Misgurne, du mot allemand Missy urn. Gependant en Allemagne on l'ap- pelleplus generalement Bissgurre ou Scldambeisser, mangeur de vase, et, en Alsace, on lui applique le nom de Murgrimdel, ce qui voudraitdireGoujon grondant, a cause du bruit particulier que fait entendre ce Poisson. Avec une forme moins comprimce que la Loche de riviere et moins arrondie que la Loche franche, la Loche d'etang a des dimensions bien superieures a cellos de ces deux es- peces. Sa taille ordinaire est de 0m,20 a 0,n,23, et Ton en trouve des individus qui atteignent la longueur de 0m,30 aOm,3o. La Loche d'etang, sans ligne laterale apparente , couverte de petites ecailles distinctes a la vue simple et ressemblant a de petites lames ovalaires, transparentes, pourvues de stries concen- triques, est d'un brim verdatre ou jaunatre sur le dos et la tete. 1 Linne, Systcma naturce, edit. XII, t. I, p. oOO ; 1706. — Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. XVIII, p. 46. — Heckel et Kner, Die Susswasserfische der (Erlreichischen Monarchic, p. 298; 1858. — Siebold, Die Susswasserfische von Milteleuropa, p. 33o ; 1803. Bl.ANCHAUD. 1 9 290 H1STOIRE PARTICULIERE DES P01SSONS. Gette couleur s'affaiblit sur les cotes ou deux larges bandes noi- ratres presque contigues courent dans toute la longueur du Fig. bb. — La Loche d'e'tang (Cobitis fossilis). corps, commcnQant derriere l'ceil pour se terminer a l'origine LOCHES. 291 tie la aageoire caudale. Une ligne longitudinale egalement noire on d'un brun tres-fonce, plus on moins interrompue,regne parallelement aux larges bandes sur les cotes de la region ven- trale et se termine en une serie de taches. En outre, de petites taches noires on brunes, comme de gros points, sont dissemi- nees sur toutes les parties du corps et de la tete, contribuant a rehausser la \ivacite de la nuance jaune orange que presente ordinairement toute la region ventrale. Ges points varient sen- siblement en nombre comme en grosseur suivantles individus, mais neanmoins le systeme de coloration de la Loche d'etang ne se modifie que dans une assez etroite mesure. Les nageoires sont egalement ponctuees de brun noiratre, particulierement la dorsale et la caudale. La tete de la Loche d'etang est allongee, avec le front deprime, la levre superieure epaisse, notablement avancee au-dessus de ifl ^/mvxw Fig. 56. — Scaille de Loche d'etang. la lewe inferieure et la bouche entouree de dix appendices char- nus ou barbillons. II y a quatre de ces appendices a la levre su- perieure, un a chaque angle de la bouche et quatre beaucoup plus petits que les autres a la levre inferieure. L'oeil tres-petit, situe presque a la hauteur du front et a egale distance de l'extremite du museau et du bord de l'opercule, a 202 IllSTOIRE PARTICULIEHE DES POISSONS. l'iris d'une belle couleur d'or. La narine, placee au-devant de l'oeil, a deux orifices tres-rapproches l'un de l'autre, le premier surmonte d'un petit prolongement tubuliforme. L'os sous-orbitaire mobile se prolonge au-dessus de l'oeil en une pointe assez longiie recouverte par le tegument, mais tres- sensible sous la peau. Les nageoires de la Loclie d'etang sont pen developpees relativement a la dimension du corps, et ce faible developpe- ment des nageoires contribue a donner an Poisson un aspect anguilliforme. La dorsale situee tres en arriere, vers les deux tiers de la lon- gueur du dos, est arrondie et composee de neuf rayons, trois simples, dont le premier rudimentaire et six rameux; les pecto- rales presentent onze rayons ; les centrales, placees au-dessous de la dorsale, seulement six dont un simple; l'anale, huit, dont le premier rudimentaire, le second tres-petit, et cinq rameux ; la caudale, seize, sans compter quelques-uns tres-petits en dessns et en dessous. Cette espece se trouve dans les etangs en Alsace et en Lor- raine ; nous croyons qu'elle n'a jamais ete observee soit dans le centre, soit dans le midi de la France; elle est plus re- pandue en Allemagne. Partout on la voit rechercher la vase ou elle prend de petits animaux dont elle se nourrit ; elle avale aussi de la vase qui ne peut manquer de contenir beaucoup de matieres organiques. Ge Poisson fraye pendant le mois d'avril et de mai. I a C5 o a o ►J H U o <) co ►J a CO o Z ■9) ■a CO a a CO Z < a a O b5 a CO a CJ -a a. cfi a a H r- W O GOUJON. 293 LE GENRE GOUJON (gobio, Cuvier) Ce genre n'est represente en France que par une seule es- pece; M. Valenciennes avaitcru reconnaltre une seconde espece du genre Goujon dans les eaux douces de la France, mais il a ete parfaitement demontre que cette derniere etait une variete de la premiere. II existe en Allemagne une espece bien caracte- risee qui n'a jamais ete prise dans nos rivieres [Gobio ura- noscopus, Agassiz). D'autres especes \i\ent dans les cours d'eau de l'Asie et de l'Amerique du Nord. Le genre Goujon est assez bien caracterise par une tete large avec la bouche placee en dessous et munie d'une paire de longs appendices charnus ou barbillons appendus a la base de la machoire inferieure, et les yeux situes tres-pres de la ligne frontale ; par la presence d'ecailles assez grandes, larges et courtes ; par les nageoires dorsale et anale etroites a leur base. A ces caracteres, il faut ajouter que les dents pharyngiennes des Goujons sont terminees en crochets et disposees sur deux series. LE GOUJON DE RIVIERE (GOIilO FLUV1ATII.IS ') Joli Goujon, appetissant Goujon ; ce sont les gracieuses epi- 1 Cyprinus yobio, Linne, Systema naturae,, edit. XII, t. I, p. o"26; 1760. — Gobio fluviatilis, Valenciennes, Histoire naturelle des Puissun*,t. XVI, p. 300, pi. 481 ; 1842. — Leuciscus (/obio, Giinther, Die Fische desNeckars, p. 44 ; 1853. — Gobio ftuviatilit, Siebold, Die Siisswasser/lsche von Miltel- europa, p. 112; 1863. 294 lUSTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. thetes que le peclieur, le peeheur a la lig'ne particulierement, donne volontiers au gentil Poisson qtie presque tout le monde en France, appelle le Goujon. Le Goujon, c'estle petit Poisson qui malgre sa taille exigue a le privilege entre tous d'exciterla gourmandise des amateurs debons dejeuners. Sa renommee est europeenne. Une friture de Goujons est reput6e un mets deli- cieux, de la Loire a la Tamise, de la Seine au Danube. Une saveur particuliere, en effet, qu'on ne trouve pas chez les autres Gyprinides, est tres-prononcee chez le Goujon, et c'estlapour Fiy. 57. — Le Goujon de riviere ffiobio fluviatilis). les gourmets un attrait considerable. C'est du reste une vieille renommee que celle du Goujon, renommee qui s'est maintenue Blanciiaiu), Les Puissons. PI. VII, p. 295 Paris, J.-B. Baillieic et Fils, edit. Corbeil, C.riii, imp. LA PECI1E AU GOUJON LES JEUNES LADIES QUI SE LIVRENT AU PLAISIH DE LA PECHE A LA LIGNE. GO II J on. 2rime lateralement vers l'extremite posterieure, convert d'e- cailles grandes, relativemcnt a sa taille, surtout si on les com- pare a celles du -Barbeau. On compte trente-huit a quarante Tu quoque flamineas inter memorande cohortes (iobi, noa major geminis sine pollicc palinis, Pra'pinguis, teres, ovipari congestior alvo. 296 HISTOIRE PARTICUL1ERE Dl-S POISSONS. ecailles sur les rangees qui s'etendent de l'epaule a l'origine de la nageoire caudale, sur la ligne laterale par cxemple, qui com- mence a l'epaule, se courbelegerement et coupe ensuite chaque cote du corps en deux moities presque egales. Dans la portion la plus epaisse du corps, il y a onze ou douze rangees d'ecailles dans la hauteur. Ces ecailles sont minces, delicates, et admira- blement caracteristiques si on les considere dans leur forme et dans leur structure. Plus larges que longues et faiblement fes- tonnees sur leur bord libre, elles presentent quinze a dix-huit ,0-:. <**■ Fig. 58. — Ecaille de la region dorsale. Fig. 59. — Ecaille de la ligne laterale. sillons longitudinaux qui convergent vers la base de l'ecaille. Entre ces sillons regnent des stries transversales tres-serrees, tandis que ces memes stries deviennent tr^s-espacees en dehors des sillons. Les tuyaux des ecailles de la ligne laterale sont cy- lindriques et assez longs. Le Goujon , comme chacun le sait, est tres-agreablement nuance ; son dos est ordinairement d'un jaune fauve, passant quelquefois au brim etreleve par des taches d'un run noiratre, plus ou inoins nombreuses, plus ou moins marquees, et ainsi tr^s-irregulieres. Souvent une serie de taches, une sorte de banile noiratre regne au-dessusde la ligne laterale. Au-dessous GO U J ON. 297 de cette ligne,lestaches brunes deviennent rares ou manquent totalement, et toutesles parties inferieures du corps prennent un eclat argente. La tete est souvent tachetee et les nageoires dor- sale et anale presentent d'une maniere constante dc petites ta- ches noiratres d'un charmant effet. II n'est pas rare que les au- tres nageoires portent egalement un certain nombre de marques semblables,mais, chez la plupart desindividus, on n'en voit au- cune trace. Le Goujon a une tete qui se fait remarquer par la tres- grande largeurdu front et par le museau epais et obtus. 11 y a des differences notables dans les proportions de cette tete relati- vement a celles du corps. On voit desindividus dont la tete est assez allongee, d'autres ou elle est tres-courte, et Ton croirait faeilement, d'apres une semblable difference, a l'existence d'au moins deux especes distinctes , si la comparaison d'un tres- grand nombre d'individus ne conduisait a reconnaitre entrc les deux extremes des transitions presque insensibles; de sorte qu'il serait impossible de separer les Goujons a tete courte, des Goujons a tete longue. Deja un naturaliste a note que la lon- gueur de la tete ne se trouve tantot que quatre fois dans la lon- gueur du corps, tantot quatre fois un tiers, tantot quatre fois et demie, tantot presque cinq fois l. La machoire superieure est beaucoup plus avancee que la machoire inferieure, de sorte que la bouche, assez large, est placee en dessous, portant de chaque cote un appendice charnu ou barbillon, tres-developpe. Les yeux, de mediocre grandeur, situes a peine au-dessous de la ligne frontale et a pen pres a egale distance du bout du museau et du bord librc dc L'oper- cule, ontl'irisjaunatre enhaut et argente en bas, avec un cercle 1 Giinther, Die Fische des Neckars, p. 45. 208 HISTOIRE PAKTICrUERE DES POISSONS. d'un jaune vif autour dc la pupillo. La nageoire dorsale pla- cee unpen en avant des nageoires ventrales, s'abaissc beaucoup en arrifere et s'elargit de la base an sommet. Elle est composee de dix rayons, un premier tout petit, un second de la moitie de la longueur du suivant, un troisieme simple, fort grand et sept rameux dont le dernier quelquefois divise presque jusqu'a sa base. Les pectorales ont un rayon osseux et quatorze ou quinze branchus; les ventrales, un premier sous la forme d'une petite epine, un second osseux aussi long que les suivants et sept ra- meux ; mais comme le dernier est soirvent partage jusqu'a son origine, divers auteurs en comptent un de plus. Enfin, l'anale a neuf rayons et la caudale dix-neuf. Les varietes individuelles etant tres-sensibles et fort nom- breuses chez le Goujon, j'ai reuni, de tons les points de la France, une masse prodigieuse d'individus afin de reconnaitre surements'il n'y avait pas en realite plusieurs especes de Gou- jons. J 'en ai observe ainsi de tons nos grands cours d'eau et de beaucoup de leurs affluents, ainsi que des lacs de la Sa- voie. L'examen approfondi, minutieux, de ces Poissons prove- nant de tant de localites diverses, a conduit a reconnaitre que tons appartenaient a la memo espece, que les differences de co- loration, les differences dans l'allongement de latete et du mu- scau, dans le nombre des rayons des nageoires, etaient pure- ment individuclles. Je me suis assure ainsi que le Goujon a tete obtuse (Gobio obtusirostris) decrit par M. Valenciennes etait une simple \ariete, comme deja l'avaient constate des na- turalistes allemands, MM. Giinther et de Siebold. J'etais reste plus incertain au sujet de quelques tres- grands Goujons, ayant une longueur de pres de Om,li, pro- venant dcla Sioule et du lac Pavin en Auvergne, qui m'avaient G.OUJON. 299 eteadressesparM.Lecoq, de Clermont-Ferrand. Quelques-uns de ces Goujons etaient remarquablcs, non-seulement par leur taiile, mais encore par leur coloration plus grise qua l'ordinaire, par les taches noires repandues sur toutes leurs ecailles a I'excep- tion de celles de la region ventrale, par la presence des mouche- tures tres-nombreuses et tres-prononcees de leurs nageoires dorsale et caudale, et par la presence de semblables mouchetu- res encore assez multipliees sur leurs nageoires inferieurcs. Cependant, comme ces caracteres etaient affaiblis chez plusieurs individus des memes localites dont les dimensions etaient un pen moins fortes que chez les autres; comme, en outre, les ecail- les soumises a une observation attentive et a une comparaison rigourense n'ont rien offert de particulier, je n'ai pu voir dans ces Goujons de l'Auvergne que des individus tres-developpes et remarquablement colores par suite de circonstances locales dont il ne m'a pas ete possible de determiner la nature. Ainsi , apres avoir rassemble des Goujons de presque toutes nos rivieres de France , des lacs de la Savoie , des Vosges, etc., il a fallu conclure que tons etaient de la mcrae espece. L'espece se trouve non-seulement par toute la France, mais encore dans 1'Europe entiere ; nous ignorons cependant si on la rencontre en Espagne et en Grece. Les Goujons recherchent particulierement les eaux courantes, claires, pen profondes, roulant sur un fond de sable ou de gra- vier. Us vivent aussi dans les lacs et les etangs ; mais an prin- temps, ils les quittent presque toujours pour remonter les ri- vieres. II est curieux de les voir dans les lacs, souvent minis en masses considerables dans les endroits ou viennentsedecharger des rivieres et des torrents. Au lac Leman et an lacdu Bourget, je les ai vus plus d'une fois s'agiter en ibule pres de l'embouchure 300 IIISTOIRE PA1UICUL1ERE DES POISSONS. ties rivieres ou les attirait l'eau courante, et surtout peut-etre l'eau a basse temperature, cartoutes les observations tendent a raontrer que ces Poissons redoutent les fortes chaleurs. Les Goujons paraissent avoir un remarquable instinct de so- ciability ; ils vont en troupes a toutes les epoques de l'annee. Leur nourriture se compose de vers, d'insectes, de petits mol- lusques qu'ils cherchent au fond de l'eau, en remuant les gra- viers. Comme on ne trouve presque jamais d'animaux entiers dans leur estomac, on en a conclu sans doute avec raison que chez eux l'aetivite digestive est extreme. Le Goujon fraye pendant les mois de mai et de join, et fixe ses oeufs contre les pierres. Les femelles semblent etre ordinaire- ment en beaucoup plus grand nombre que les males ; ces der- niers seraient ainsi appeles a feconder plusieurs pontes. Les oeufs petits et d'une teinte bleuatre ont une duree d'incubation d 'environ quatre semaines. Ce Poisson, qui est [la proie d'une fouled'esp&cescarnassie-res, multiplie avec tant de lacilite, qu'il abonde encore dans la plupartdes rivieres. D'apres le calcul d'un pisciculteur, M. Gar- bonuier, trente pecheurs a l'epervier exercant leur Industrie a Paris, entre les ponts de Bercy et de Passy, en prendraient an- nuellement un million d'individus, et Ton en saisirait sans doute une pareille quantite a l'aide des autres engins de peche. Des naturalistes anglais assurent que dans certaines localites de l'Angleterre, les Goujons sont pris parfois en telle quantite qu'on les jette en pature aux pourceaux, et un auteur, Thomp- son, rapporte qu'ils se trouvaient etre si communs dans une chute de moulin sur le Lagan en Irlande, que le chien du meu- nier les happait et en devorait des quantites. Les habitants des chateaux, possesseurs d'un pare traverse © c CO ft X* I':*: If llilli'if I I]!, UNi !;|i'.i ■''"'■' l' i, I ! I'll !; W 'M I ■III 111 li ihhI i lii'iilBI ,'lilll '!' 1 11 i1: I: 1IIINII ri •*■ tv V y.'i'.iii' jii.jiiiifiiiiii' HI Han ii'1 / H!' i HI 1 u lllllllllllllll'l „. A h i'.i1 'iii»iii 1 '^MilliB^ •J cs W >-~t • >■ m 22 a. W 3 a. w w H j a -u a -a Lj — ■ — i X u 3 a (d a. 3 o c: CO ft Blanchard, Les Poissons. PL VIII, p. :tui Paris, J.-B. Bailliere et tils, ddit. Corbeil, Crtiie, imp. LA PECHE A L'EPEUVIER P R E M I E II T E M I1 S . Hlanchaud, Les Poissons. PI. XI, p. 301. Paris, J.-B. Bailliere et Fils, edit. Corbeil, Oele, imp. LA PECIIE A LA BOUTEILLE. UNE CARAFE PERCEE u'lI.N TROU, DANS LAQTJELLE ON A MIS QUELQUE AI'PAT EST PLONUEK DANS L'EAU. BARBEAUX. 301 par une riviere, s'amusent parfois a prendre des Goujons a I'aide d'nn moyen simple et pen fatigant. Une carafe percee d'un tron, dans laqnelle on a mis quelque appat, est plongee dans l'eau, les Goujons s'introduisent par i'ouverture et il arrive sou- vent que la carafe est remplie de Poissons an bout de pen d'in- stants. II est vrai de dire qu'a cette singuliere peche, on prend des Vairons plus encore que des Goujons. II y a une croyance assez etrange et fort enracinee chez les pecheurs de beaucoup de localites , c'est que le Goujon donne naissancea l'Anguille. Dans leur simplicity les pecheurs pren- nent pour de jeunes Anguilles, des vers intestinaux de forme allongee, des Filaires [Filaria ovata), qui, logees dans la cavite abdominale, se montrent en se tortillant lorsqu'on vient a ou- vrir le ventre du Poisson . LE GENRE BARBEAU (barbus, Cuvier) Les Barbeaux forment un petit genre naturel, 1'un des mieux caracterises de la famille entiere des Cyprinides. Us ont le corps allonge, couvert d'ecailles de mediocre grandeur ; la bouche en dessous, avec quatre barbillons a la machoire superieure , la nageoire dorsale etroite a sa base ayant un premier rayon osseux. Les dents pharyngiennes disposees de chaque cote en trois se- ries, se terminent par une sorte de crochet courbe en dedans, les deux posterieures de chaque serie etant creusees en cuiller au-dessous du crochet terminal. Nous n'avons en France que deux especesde Barbeaux, mais de l'autre cote des Alpes, il en existe plusieurs autres. 302 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. LE BARBEAU COMMUN (BARBUS FLUVIATIL1S l) Les naturalistes les plus passionnes pour recucillir, dausles outrages de l'antiquite, les moindres notions acquises par les anciens, touchant l'histoire des animaux, n'ont trouve, aux temps dela Greoe et de Rome, mil indice propre a leur signaler le Barbeau. Aristote ne parle en aucune maniere de ce Poisson, peut-6tre etranger aux rivieres d'une partie de la Grece 2, et /^^SK^^C-^^' Fig. GO. — Le Barbeau commun (Barbus fluviatilis). les ecrivains de Rome, peu jaloux de rien examiner eux-memes, paraissent ne l'avoir mentionne nulle part. Ausone, le chantre > Cyprinus barbus, Linn6, Syst. nat. p. 525; 1766. — Barbus fluviatdis, Valenciennes, Hist. nat. desPoissons, t. XVI, p. 125, 1842. — Yarrell,JBn'fe/i Fishes, t. II, p.:i67; 1S36. — Siebold, Die Siisswasserfische von Mitteleuropa, p. 109; 1803. 2 Nous ignorons si notre Barbeau commun se trouve en Grece, mais dans la partie meridionale de cette contr£e qui portait autrefois lebeau nom de Peloponese, on a recueilli une espece particuliere du genre, qui a ete appel^e par M. Valenciennes , Barbeau de Moree, Barbus Pelopunnesius (Histoire nalurelle des Poissons, t. XVI, p. 144; 1842). I3ARBEAUX. 303 de la MoseJle, observateur veritable des objets qu'il celebrait dans ses vers, est, selon toute apparence, le premier qui ait clai- reraent designe le Barbcau. De tons les caracteres de ce Poisson, celui qui a le mieux ap- pele l'attention consiste dans la presence des appendices char- nus de la levre superieure et de la levre inferieure. Du caractere est venu le nom. Ausone a cite le Poisson pourvu d'appendices iabiaux sous le nom de Bar bus, et le nom a ete adopte dans la science, d'abord pour notre espece commune, ensuite pour toutes les especes du genre. Le mot Barbus est devenu en fran- cais, Barbeau et Barbillon pour les jeunes individus. Parfoisla desinence apu etre alteree, sans que le radical ait change. G'cst ainsi que dans plusieurs localites, le Barbeau est appele Barbct, et Barbotte on Barbarin lorsqu'il est tres-petit. Dans nos pro- vinces meridionales, c'est le Barbo. En quelques endroits du departement de l'Aube, cependant, les pecheurs le nomment CoquilIo?i, d'apres une idee qui nous echappe. En Alsace s'est conserve le nom germanique Barbe, qui parait etre un simple derive du mot francais comme le mot de Barbel usite en An- gleterre. Notre Barbeau commun est done d'une forme elegante, des plus favorables a une natation rapide. Son corps long-, etroit, decrivant une courbe gracieuse sur les parties laterales, est aminciet aplati vers la region caudale. Une teinted'un gris oli- vatre ou bleuatre chatoyant de reflets metalliques, regne sur la tete et sur toute la region dorsale. La couleur du dos s'etend sur les flancs, en s'affaiblissant par une gradation insensible jusqu a la partie ventrale qui est entierement d'un blanc nacre. Sur les joues,des tons dores acquierent souvent un remarquable eclat ; sur les cotes de la tete comme sur les opercules des points 304 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. noiratres d'une extreme petitesse, sont repandus a la maniere d'un sable fin. Des taches brunes, tres-variables dans leur forme et dans leur etendue, mais en general assez petites, par- foisen grande partie confondues les lines avec les autres, sou- vent, an contraire, plus on moins isolees, sont disseminees sur les cotes dans toute la longueur du corps, se dessinant avec une entiere nettete sur la teinte pale cpii forme le fond. Sur la na- geoire dorsale dont la nuance se confond avec celle du dos, se montrent egalement des taches brunes on noiratres, toujours irregulieres et jamais pareilles sur deux individus. Une teinte orangee un peu rougeatre, colore ordinairement, surtout a l'e- poque du frai, lesnageoires ventrales etanale ainsi que la base et la partie inferieure de la nageoire caudale, ou quelques ta- ches brunes, eparses, se troirvent tres-ordinairement, comme pour faire ressortir davantage la fraicheur de cette colora- tion . Des ecailles assez petites couvrent tout le corps du Barbeau a l'exception de la region pectorale. Leur dimension etant mi- nime, leur nombre est considerable. On en compte de soixante asoixante-dix sur une seule file, de l'ouie al'originedela queue, et il y en a une trentaine de files dans la hauteur du corps. Ces ecailles ont une forme tres-caracteristique. Examinees sur le Poisson, elles paraissent amincies vers le bout, leur bord libre affectant un contour a peu pres en ogive ; mais pour dis- tingucr tout ce qu'elles ont de remarquable, il est necessaire d'en detacher quelques-imes. On voit alors une forme oblongue, bien differente de celle qui est ordinaire pour les ecailles des Gyprinides. A l'aide d'un faible grossissement leurs stries de- viennent parfaitemcnt distinctes ; ces stries sont remarquable- ment ecartees vers l'extremite de l'ecaille et les sillons longitu- BARBEAl.X. 305 dinaux sont nombreux, mais il est inutile de pousser plus loin une description qu'une figure supplee avec le plus grand avan- Fi'j. 61. — Ecaille de la ligne late'rale. tage. Les ecailles de la ligne laterale ne different des autres, que par la presence du conduit de la mucosite. Celui-ci est tres- court, mais une sorte de canal sans paroi superieure s'etend jusqu'au bout de l'ecaille. La tete du Barbeau commun est effilee, presentant un front assez large, legerement convexe et un peu incline, et la region nasale abaissee de facon a former avec le museau en saillie, une brusque et profonde depression. Les yeux assez petits, situes un peu au-dessous de la ligne frontale, ont l'iris d'un jaune d'or pale. Les levres se font remarquer par leur forme de bourrelet et les appendices labiaux par leur epaisseur. La levre supe- rieure etant tres-charnue et fort avancee, la bouche, par suite de cette disposition, s'ouvre tout a fait en dessous. Cette parti- cularite est un indice certain que 1' animal a 1 'habitude de cher- cher sa nourriture au fond de l'eau et de saisir des corps peu volumineux. Les pieces operculaires n'offrent rien qui attire particuliere- ment l'attention. Le preopercule est long et etroit. L'opercule a son bord libre coupe presque droit. L'interopercule, en grande Blanchabd, 2 0 306 HISTOLRE PARTICUEIERE DES POISSONS. partie cache sous le bord du preopercule, se montre sous l'ap- parence d'une tres-petite lame. Les nageoires ont en general, dans cliaque espece, quelques traits caracteristiques essentiels a constater. Chez le Barbeau commun, la dorsale, etroite, surtouta sa base, s'eleve vers le milieu du corps, s'abaissant en arriere et formant comme une voile dont le sommet decrit une elegante courbe concave. Gette nageoire a quatre rayons durs ou epineux, ainsi qu'on les qua- lifie habituellement, un premier tout petit, presque entierement cache sous la peau, un second deja assez saillant, un troisieme ayant a peu pres la moitie de la longueur du suivant, un qua- trieme tres-fort, garni sur son bord posterieur d'une double rangee de dents bien prononcees que les auteurs comparent vo- lontiers adesdents de scie. Un caractere assez singulier de ce gros rayon osseux est fourni par son extremite qui est flexible et articulee. Les rayons entierement mous et articules viennent a la suite, an nombre de neuf, tons divises en deux branches, elles-memes subdivisees en deux rameaux. Les deux derniers rayons, contigus a leur origine, sont parfois en partie reunis. Les nageoires pectorales, assez petites relativement an volume du corps de 1'animal, out un rayon dur et quinze rayons bran- chus, allant en decroissant de longueur du premier au dernier. Les ventrales, plus ovalaires que les precedentes, commencent au-dessous du gros rayon dentele de la nageoire dorsale; on leur compte le plus souvent dix rayons, mais comme l'avorte- ment du dernier n'est pas rare, on leur en trouve neuf seu- lement chez beaucoup d'inclividus. A l'anale, situee tres en arriere, il y en a huit. Le Barbeau est repandu de la maniere la plus generale dans les eaux de l'Europe centrale et meridionale, les lacs, les etangs, BARBEAUX. 307 les rivieres, aussi bien que les grands fleuves. Ilhabite absolu- raent toutes les regions de la France , du nord au sud, de Test a 1'ouest, sans que la difference du elimat ou la nature des eaux le modifie d'une maniere sensible. II nous asemble que les individus de nos provinces meridionales etaient d'ordinaire un peu plus colores que ceux du nord, mais a cet egard, il n'y a rien de suffisamment precis pour qu'on soit autorise a en faire l'objet d'une remarque. Ge Poisson est extremement commun en Angletenv, parti- culierement dans la Trent et dans la Tamise. On pent en ju- ger par les faits rapportes par plusieurs naturalistes de ce pays. «Aux environs de Shepperton et de Walton, dit Yarrell, l'auteur de YHistoire des Poisso?is de la Grande-Bretagne, les Barbeau.x sont si nombreux, qu'on en prit, dans l'espace de cinq heuivs, line charge de 150 livres, et dans une autre occasion, on en pecha le meme jour de gros individus formant un poids total de 280 livres. » En Allemagne, le Barbeauabonde egalement dans la plupart des grands cours d'eau, le Rhin et ses affluents, l'Elbe, le Weser, le Danube, etc. On assure que dans le Danube, on en recueille chaque annee, en certains endroits, pendant l'equinoxe d'au- tomne, le chargement de dix a douze voitures. II se trouve aussi en quantite dans les fleuves et les rivieres de la Russie qui sejettent dans lamer Noire ou dans la mer d'Azoff; mais ce Poisson n'existe, parait-il, ni au nord de la Russie ni en Suede. Le Barbeau n'est pas rare en France, surtout dans les rivie- res des departenifnts de l'Est, la Meuse, la Meurthe, la Moselle ; mais, croyons-nous, il n'est aujourd'hui, dans notre pays, nulle part aussi commun que chez nos voisins d'outre-Manche on 308 HIST01RE PARTICIL1ERE DES POISSONS. d'outre-Rliin. On ne le voit point dans les lacs de la Savoie ; le lac dn Bourget l, le lac Leman 2 ; il est abondant au con- traire dans les lacs de Laffrey et de Paladru, du departement de l'lsere. Ce Poisson atteint de grandes dimensions ; on en voit assez frequemment snr les marches des individns du poids de 4 a 5 ki- logrammes et d'une longueur de 0m,60 a 0ra,65, seulement ce ne sont pas les plus communs. M. Valenciennes nous dit que «le « Barbeau sur lequel il a fait sa description sur les bords de la « Seine, avait deux pieds quatre pouces de longueur. » Voila pour la taille ordinaire. Maintenant, pour les cas exception- nels, on cite un individu pris en Angleterre , du poids de 7M,7S ; un du poids de 7kil,5 capture en 1857 dans la Seine, a Paris, entre le pont de la Concorde et le pont de l'Alma, canton tres-favorable, assure-t-on, pour la peche du Barbeau. Au rapport de MM. Heckel et Kner, un Barbeau peche en 1853 dans la Salzach, a Lauffen, pesait 12kil,75. On pretend avoir vu des Barbeaux ayant 3m,25 de longueur ; on ecrit qu'on en peche, dans le Volga, des individus du poids de 20 a 25 kilo- grammes. Mais on prete si aisement aux riches , qu'il ne serait pas impossible qu'on ait cru pouvoir ne pas compter trop strictement avec des Poissons d'une taille veritablement imposante. i M. le docteur B00 Constant Despine, medecin a Aix, a donne une liste des Poissons du lac du Bourget, qui parait 6tre assez com- plete. 2 Jurine, dans son Histoire des Poissons dulac Leman, s'exprime de la maniere suivante au sujet du Barbeau : « On dit que le Barbeau et la « Breme ont et6 pris autrefois dans le lac; cela peut elre, mais comme « je ne les y ai jamais vus, et que je n'ai voulu m'en rapporter ni aux « traditions, ni aux yeux des autres, je n'ai pas cru devoir les ajouter « a cette liste. » BARBKAUX. ;W!, II faut sans doute, d'ailleurs, une longue vie a un Barbeau pour acquerir cette merveilleuse ampleur dont on cite avec ad- miration de rares exemples, et depuis longtemps, les honnetes pecheurs et les braconniers s'arrangent de facon a ne pas laisser les gros Poissons vieillir indefiniment. Le Barbeau senourrit de vers, d'insectes, de mollusques et en meme temps de substances vegetales, aussi bien que de ma- tures animales en decomposition qu'il cherche au fond de l'eau. On assure meme qu'il retourne des graviers et de petites pierres pour trouver sa subsistance. Dans cette recherche, les barbillons deviennent des. organ esde tact d'une grande uti- lity. L'intestin a une assez grande longueur chez le Barbeau , cequi estl'indice d'un regime alimentaire ou les vegetaux ont une part considerable. Ce Poisson est extremement craintif et se derobe a 1'obser- vation plus que les autres Gyprinides; ce n'est guere qu'a J'epoque ou il est en quete des endroits propices pour frayer, qu'on le voit s'ebattre et montrer son corps en partie hors de l'eau. Pendant leur jeune age, les Barbeaux se melent habituelle- ment aux bandes de Goujons. Mors de la meme taillc que ces derniers, on croirait volontiers qu'ils les prennent pour des freres. tant ils leur ressemblent; cependantles Barbeaux sont toujours faciles a distinguer, des le premier abord, a la peti- tesse de leurs ecailles, a leur museau effile, a leurs quatre bar- billons. Devenus plus gros, ils abandonnent la societe des Gou- jons pour vivre solitaires. Les rivieres coulant sur un fond de gravier,parseme de pierres, semblent leurfournir le"k meilleures conditions d'existence. 310 IIISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. Aii printemps, les Barbeaux se reunissent en troupes; ordi- nairement, affirment les pecheurs , les femelles forment la tete de la colonne, les vieux males les suivent immediatement, etles jeunes males se tiennent en arriere. Souvent aussi une seule femelle est suivie de plusieurs males. D:apres quelques obser- vateurs, ces derniers serai ent aptes a la reproduction plus tot que les femelles ; on en verrait des individus n'ayant pas plus de 0m,15 a 0n',I8, deja parfaitement capables d'avoir une pos- terity. L'apparition des bandes de Barbeaux indique que l'epoque de frayer est venue pour ces Poissons ; cette epoque commence au mois de mai, dure pendant le mois dejuin et se prolonge parfois jusqu'en juillet. II y a dans cette variation une question de temperature printaniere dependant , ou des circonstances meteorologiques ou de la latitude. D'apres certaines indications, on pourrait croire que les memes individus frayent a deux epo- ques differentes, carle Barbeau, disent les pecheurs, fraye une premiere fois au moment de la floraison des colzas, une seconde fois, un mois apres. Mais il faut remarquer que l'assertion ne resulte pas d'une observation attentive, capable d'inspirer une entiere confiance. Les Barbeaux deposent leurs ceufs contre les pierres. Apres la ponte, les femelles, affaiblies, demeurent quelque temps sur place, mais, ayant repris des forces, elles se precipitent vers les courantslesplus rapidesqu'ellespeuvent rencontrer, re'cherchant meme les chutes d'eau, ou elles reviennent bientot a lour meil- leure condition. Les pecheurs regardent les mois de scptembre et d'octobre comme les plus favorables pour lapechedu Barbeau, lorsque lesnuits froides determinentce Poisson a quitter les cou- rantspourdescendredanslesenux plus pro fondes.Pendantl'hiver, BARBEAUX. 3H il se blottit dans des cavites ou sous des abris; quelquefois des masses d'individus se reunissent presses les uns contre lesautres dans un etroit espace. lis s'engourdissent alors si bien, qu'on reussit a les prendre a l'aide d'un simple cercle pourvu d'un filet, en les poussant avec une perche. Si le froid devient rigou- reux, ils tombent dans un tel etat d'immobilite que des plongeurs habiles parviennenta les prendre a la main dans leur gite. Dans l'histoire des Poissons, il est un point qui plus que tout autre, sans doute, interesse le grand nombre ; c'est de savoirsi ees Poissons sont dignes de figurer sur une table, si leur chair pro- met d'offrir quelque agreable sensation a un palais delieat. Me sentant de la plus deplorable inhabilete a decider sur de sembla- bles questions, j'aurais un penchant a accepter en ces matieres l'opinion d'autrui. Mais a 1'egard de la valeur comestible du Barbeau, il y a plus d'une opinion ; les opinions varient suivant les pays ; elles ont varie suivant les epoques ; le sens du gout lui- raerae est sujet de cette despotique gouvernante des gens civili- ses, qu'on appelle la mode. Ge n'est pas tout; les habitants dime contree affirment parfois que tel Poisson pris dans leur riviere ou leur lac est d'une excellente qualite, tandis que le Poisson de meme espece peche ailleurs, est detestable. L'amour-propre national restreint, conduit ainsi a des appreciations qui ne sont pas destinees a faire le tour du monde. Lorsque le Barbeau est petit, il passe avec les Goujons comme on peut le constater journellement sur les marches, et les fins gourmets qui le mangent pour un vrai Goujon ne semblent pas s'apercevoir qu'on a abuse de leur confiance. Mais quand le Barbeau est de la longueur de 0m,20 ou 0m,30, il est passable- ment dedaigne de nos jours. S'il est tres-gros, son poids respec- table, sa belle apparence, lui attircnt facilcment des amateurs. 312 HISTOIRb: PAKTICUL itliE DES POISSONS. 11 en etait deja ainsi, il y a quatorze siecles, comme l'apprend Ausone l. An rapport de Belon, les Barbeaux du Tibre auraient une ex- cellente reputation2; les eaux limoneuses du fleuvedes Romains n'exerceraient done aucune influence facheuse sur le gout de leur chair. Dans le Milanais, au contraire, la renommee du Barbeau est fort triste; les habitants estiment que ce Poisson ne merite d'e- tre mange, ni chaud ni froid, ni jeune ni vieux. En Angleterre, ou on le peche en abondance, si ses dimen- sions ne sont pas vraiment magnifiques, il est aujourd'hui pres- que aussi meprise que par les Italiens des rives du lac Majeur, ce qui permet habituellement de se le procurer a tres-bon mar- che. Ce dedain a succede a l'estime qu'on avait autrefois pour le Barbeau. Pendant le regne d'Elisabeth, on faisait assez de cas de ce Poisson pour l'avoir place sous la protection de la loi. Qui- conque prendra un Barbeau ayantmoinsdedouze polices de long, disait cette loi, payera \ingt shillings, perdra le Poisson indigne- ment pris, ainsi que le filet on l'engin employe indignement. Aux rives de plusieurs de nos grands fleuves, et en particu- lier sur les bords de la Loire, on attache encore, parait-il, quel- que prix an Barbeau; l'enseigne Aux trois Barbeaux, fixee a la porte de plus d'une auberge, est destinee a tenter la gourman- dise du voyageur. Les ceufs du Barbeau sont reputes dangereux, au moins dans certaines circonstances,qui, heureusement, semblentfort rares. On a cite l'exemple d'un individu qui, apres avoir mange de ces CBiifs, aurait eprouve des symptomes analogues a ceux du cho- 1 Tu melior pejore sevo. 2 Barbati tiberici plurimum laudanlur. BARBEAUX. 313 lera asiatique. Gesner a declare avoir ete le temoin d'un acci- dent des plus graves produit par la meme cause. II n'en a pas fallu davantage pour effrayer bien des gens. Gependant beaucoup de personnes ont plus d'une fois consomme des ceufs de Barbeaux sans en avoir ressenti aucun facheux effet. Bloch, le celkbre ichthyologiste, en a faitl'experience sur lui-meme et sur les membres de sa famille sans avoir eu lieu de s'en repentir. LE BARBEAU MERIDIONAL (barbus meridionalis ') Le Barbeau meridional, repandu dans une region assez limi- tee de la France, est bien facile a distinguer de notre Barbeau commun a l'aide de plusieurs caracteres fort apparents. L'un Fig. G2. — Le Barbeau meridional. des plus remarquables est fourni par la nageoire dorsale ou Ton constate l'absence de gros rayon dentele. La forme generale 1 Barbus meridionalis, Risso, Histoire naturelle de V Europe meridionale, t. Ill, p. 437; 1827. — Barbus caninus, Valenciennes, Histoire naturelle des Poissous, t. XVI, p. 142 ; 1842. — Heckel et Kner, Die Sv-iswasserftsche der CEstreichischen Monarchic, p. 8o; 1858. 314 HIST01RE PARTICULltiRE DES POISSONS. du corps est moins effilee,plusovalaire; la tete est plus courte, plus obtuse, et n'a point de depression sensible entre le museau et la region nasale. Tout le corps est d'un gris de perle, parseme de taches bru- natres assez grandes, avec les parties ventrales d'un blanc d'ar- gent. Au printemps, le dos presente presque toujours une teinte olivatre et les cotes des nuances tirant sur le bleu d'acier. A cette epoque de l'annee, les barbillons ont souvent une couleur rouge, ainsi que l'origine des nageoires. Les yeux, assez petits, ont l'iris dore. Lesecailles,plusgrandes quechez le Barbeaucommunetd'une forme tres-differente, sont presque aussi larges que longues avec leur bord libre arrondi, lesstries circulates tres-espacees etles sillonslongitudinaux fort nombreuxet ainsi extremementrappro- ches surtout dans la region moyenne. Le conduit de la mucosite Fig. 63. — Ec.iille de la ligne late'rale du Barbeau meridional. des ecailles dela ligne laterale est long, etroit, avec la paroi supe- rieure prolongee jusqu'a son extremite. On voit , par cette description, combien il seraitaisede reconnaitre les deuxespeces de Barbeaux qui se trouvent en France par l'inspection d'une seule ecaille. HARBEAl'X. 315 La nageoire dorsale plus largo et moins elevee que chez le Barbeau commun, ornee de taches brunes eparses, manque, comme nous l'avons dit, do gros rayon osseux dentele en ma- niere de scie. Les rayons de cette nageoire se succedent ainsi : un premier tout petit presque cache sous la peau, un second un pen plus long, un troisieme de la longueur de la moitie du sui- vant, un quatrieme aussi grand que le cinquieme, mais simple jusqu'a son extremite, et neuf branchus dont les deux derniers contigus a leur origine. Les autres nageoires n'offrent rien de bien caracteristique ; il faut remarquer cependant que l'anale est d'une longueur ordi- naire, tres-depassee chez une espece de Barbeau {Barbus Pe- tenyi, Heck.), repandue dans une grande partie de l'Autriche. Le Barbeau meridional, assez commun en Italic, ne se trouve en France que dans certains cours d'eau du Languedoc et de la Provence. On le peche frequemment dans le Lez et dans l'He- rault; il parait ainsi sur le marche de Montpellier, d'une fagon assez ordinaire. On le prend egalement dans la Sorgue, pres d'Avignon, et il habite, d'un autre cote, toutes les eaux des Alpes-Maritimes, rivieres ou torrents. A Avignon comme a Nice, le Barbeau meridional porte le nom vulgaire de Durgan, mais cette appellation, dans la langue des pecheurs, s'applique sans doute indifferemment a toute espece de Barbeau. Nous n'avons aucune observation particuliere sur les habi- tudes de ce Poisson l. 1 11 existe en Europe plusieurs especes de Barbeaux, qui jusqu'ici n'ont jamais 6te rencontrees en France: le Barbus plebeius, Bonap. (Z?. tiberinus, Bonap.) d'ltalie et de Dalmatie ; le Barbus eques, Bonap., des m6mes contrees; le Barbus Petenyi, Meckel, commun en Pologne, en Hongrie, en Transylvanie ; le Birbus peloponnesius, Valenciennes, de la 316 HISTOIRE PARTlCULlfiRE DES POISSONS. LE GENRE TANCHE (tinca, Cuvier) Le genre Tanche a eteetabli pour une seule espece, araison de certains caracteres assez nets et par consequent faciles a saisir. Un corps assez large, convert d'une peau epaisse et garnie de tres-petites ecailles, longues et etroites; une bouche situee a l'extremite de la tete, pourvue a chaque angle d'un petit barbil- lon ; des nageoires arrondies, sans rayons osseux, sont les si- gnes caracteristiques du genre. Les auteurs modernes qui se preoccupent particulierement des formes que presentent les dents pharyngiennes, constatent que ces dents, rangeesen une seule serie, au nombre de quatre d'un cote et de cinq de l'autre, sont renflees en massue et termi- nees a leur angle interne par un petit crochet. Mais ces dents pharyngiennes peuvent varier dans une certaine mesure; quel- quefois il y a cinq dents des deux cotes. Moree, et deux especes du Portugal, recemment decrites par M. Stein- dachner, les Barbus Bocagei et Comizo {Catalogue prellminaire des Poia- sons d'eau douce du Portugal, in-4. Lisbonne, 1864.) Pres du genre Barbeau se place le genre Aulopyge, caract^rise' par l'absence d'ecailles et par les dents pharyngiennes en forme de couteau et au nombre de quatre seulement de chaque cote. Le type, Aulopyge Hugelii, Heckel,se trouve dans les rivieres de la Dalmatie et de la Bosnie. TANCHE. :i!7 LA TANCHE COMMUNE (tinca vulgaris ») Une physionomie speciale, une coloration dont aucun autre de nos Gyprinides n'offre d'exemple, de petites ecailles d'un as- /^^.^SZ/f/^C Fig. (ii. — La Tanche commune {Tinea vulgaris). pect particulier, ne permettent a person ne d'hesiter a reconnaitre la Tanche entre tons les autres Poissonsde nos eaux douces. La Tanche, commune par l'Europe entiere, se trouve j usque dans l'Asie Mineure. On a pense pouvoir la reconnaitre dans le Poisson fluviatile designe par Aristote sous le nom de Psyllon 2, mais en l'absence d'une description, en l'absencememede toute indication precise, aucune certitude n'a ete acquise a cet egard. 1 Cyprinus tinea, Linne, Syst. natures, edit. XII, t. I, p. 526; 1766. — Tinca vulgaris, Cuvier, Regne animal. — Yarrell, British Fishes, t. 1, p. 388; 1836. — Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. XVI, p. 484; 1842. — Heckel et Kner, Die Siissivasserfische dcr CEstreichis- chen Monarchic, p. 75; 1858. — Siebold, Die Siissivasserfische von Mitte- leuropa, p. 106; 1863. 2 TuX>uv. 318 HISTOIRE PARTICULIERE DKS POISSONS. Parexemple, la Tanche etait bien connue d'Ausone1. Des le temps du poete naturaliste, on accordait peu d'estime au Pois- son vert de la Moselle, etdepuis, lememe sentiment s'est main- tenu a toutes les epoques. La Tanche se trouve dans les grands fleuves, dans les rivieres, c'est-a-dire dans les eaux courantes, et cependant, elle a une preference marquee pour les eaux stagnantes et vaseuses. Elle pentvivre dans des eaux fort peu aerees. Le corps.de ce Poisson, qui a une certaine ressemblance dans sa forme generale avec celui de la Carpe, est un peu comprime lateralement, surtout vers l'extremite. Le dos s'eleve en decri- vant une courbe plus reguliere. Toutle corps revetu d'une epaisse membrane epitheliale, qui laisse voir les ecailles par transparence est d'un brun verdatre, assez variable, offrant toujours neanmoins un eclat metallique plusoumoins prononce. Les individus qui ont vecu dans les eaux vaseuses sont en general d'un ton assez sombre ; au con- traire, les individus peches dans des eaux limpides presentent ordinairement une belle teinte verte, brillante de reflets dores, et rehaussee par de nombreuses taches irregulieres d'un noir assez intense. L'ceil a une vivacite remarquable, l'iris etant d'un beau rouge dorr. Les parties inferieuresdu corps sont d'un blanc jaunatre un peu metallique et une teinte rosee se mani- festo sur les levres et dans l'aisselle des nageoires. Ces dernieres, d'un gris sombre, passent au noir vers leur extremite ; les pecto- rales et les Veiitrales, ont leur bord rougeatre surtout au prin- temps. Les ecailles de la Tanche semblent fort petites, mais lors- 1 Quis non et virides vulgi solatia Tineas Norit ? w ►J '. /. W - IB LJ a w H --' Z •": <$ < ^ o a -i ta h c /. H * ci S O < t. a w < d tn a ^ o a ■r. [S s -a < O a r< o t. TANCHE. 3J9 qu'on vient a les detacher, on leur trouve une dimension qu'on n'avait pas soupconnee. Elles sont en realite fort longucs et comme elles se recouvrent sur one grande etendue, on n'aper- (joitque leur extremite sur le Poisson. Ges ecailles, assez etroi- tes, sont arrondies a lenr bord basilaire comme a lenr bord libre; elles out de nombrenses stries longitudinales regulidres convergeant vers un point tres-rapproche de la base etdes stries concentriqnes extremement serrees et tout a fait confuses. Ces ecailles different considerablement ainsi de celles de tous les autres Gyprinides. La ligne laterale, a partir de l'epaule, se courbe en descen- dant au-dessous de la portion moyenne du corps et se continue ensuite en ligne droite jusqu'a l'extremite du corps. Les con- duits de la mucosites sont assez courts et a peu pres cylindriques. Sur la tete il existe une grande quantite d'orifices des ca- naux mucipares ; ces pores en continuity avec la ligne laterale, sont ranges pour la plupart sur une file sinueuse qui s'etend sur le crane, se courbe au-devant des narines et vient ensuite con- tourner 1'ceil. La masse demucus versee par tous ces orifices est considerable, et chacun sait que la Tanche en est habituellement couverte comme d'un enduit. Les nageoires sont de dimension tres-mediocre. La dorsale situee au dela de la portion moyenne du corps, a douze rayons, les deux premiers rudimentaires, le troisieme de la longueur de la moitie des suivants, le quatrieme simple, les autres rameux. Les ventrales inserees un peu plus en avant que la dorsale sont composees de dix rayons, le premier simple, tres-epais chez les males et au contraire assez mince chez les femelles. Une diffe- rence de cette nature en coincidence avec le sexe, n'est pas ordi- naire, mais cependant elle parait etre constante chez la Tanche, 320 HISTOIRE PART1CULIERE DES POISSONS. au moins, lorsqu'elle a deja atteint un certain volume, car M. de Siebold a trouve le premier rayon des nageoires ventrales, pareil dans les deux sexes chez de tres-petits individus, ou les organes de la reproduction etaient deja parfaitement reconnais- sables. On compte dix rayons a la nageoire anale, mais les deux premiers sont tout a fait rudimentaires, le troisieme est assez court, le quatrieme est long et simple et les autres rameux. La Tanche se nourrit de vegetaux, d'insectes, de mollusques, avalant aussi d'une maniere habituelle de la vase qui contient toujours en plus ou moins grande quantite des corpuscules et des debris organiques. Elle fraye pendant le mois de juin, quel- quefois un peu plus tot, et souvent une seconde fois, au mois d'aout. Ses oeufs fixes aux herbes qui croissent pres du rivage, sont tres-petits et en nombre fort considerable. On en a compte de deux a trois cent mille chez des individus de moyenne taille. L'incubation s'effectue dans un tres-court espace de temps ; il a ete observe que les jeunes naissent six a sept jours apres la ponte. Pourvu que la temperature soit un peu elevee, leur croissance marche avec rapidite ; ils atteignent la premiere annee le poids d'environ 125 grammes, 1 kilogramme a 1 kilogramme et demi au bout de trois ans, et a l'age de six a sept ans, ils peuvent peser de 3 a 4 kilogrammes. La Tanche peut passer jusqu'a une journee entiere hors de l'eau sans perir ; sa tenacite a la vie, comparable a celle de la Garpe, est du reste bien connue. Ge Poisson n'est pas place bien haut dans l'estime des gastro- nomes : beaucoup d'aretes, une chair fade, ayant souvent con- tracts un gout de vase, que Ton peut faire disparaitre a la ve- rite, en placant l'animal quelques jours dans une eau vive, sont des motifs de dedain. 11 est pourtant, en Italic, des amateurs qui CARPES. 321 pretendent que les Tanches du lac de Trasymene ne sont pas a dedaigner. N'assure-t-on point qu'a la table meme de Leon X, un noble florentin eut l'audace d'affirmer que rien de ce qui nage dans la mer n'est comparable a une bonne Tanche de Tos- cane. Un eclat de rire des autres convives vint temoigner du reste en quelle pitie etait prise une semblable opinion. LE GEiNRE GARPE (CYPRINUS, Linne) Ce genre, qui comprenait pour Linne tous nos Cyprinides, est aujourd'hui limite a quelques especes faciles a reconnaitre a leur nageoire dorsale fort longue, a leur nageoire caudale courte, l'une et l'autre commencant par un gros rayon osseux dentele en scie, a leur bouche situeea lextremite du museau, a la pre- sence de quatre appendices charnus ou barbillons a leur ma- choire superieure. Les Carpes se font remarquer encore par leurs grandes ecailles et par leurs dents pharyngiennes massives, en general au nombre de cinq de ehaque cote, formant a trois ou a quatre une rangee principale. Nous n'avons en France que deux especes du genre Garpe proprement dit ; l'une la Carpe commune, offrant plusieurs varietes qui ont ete decrites comme autant d'especes distinctes, l'autre la Carpe de Kollar dont Hcckcl a voulu former un genre distinct a cause d'une petite difference dans la disposition des dents pharyngiennes et dans les proportions exigues des bar- billons. Bl.ANCIIAFlI). 21 322 II1ST0IRE PARTICUUERE DES POISSONS. LA CARPE COMMUNE (CYPBINUS CARPIO ') Entre tous les Poissons des eaux douces, il n'en est certes pas dont la reputation soit plus generale en Europe que celle de la Carpe. La Carpe est commune partout ; elle vit dans les fleu- ves, dans les petites rivieres, dans les lacs aux eaux limpides, dans les etangs vaseux. Elle tienttanta l'existence, qu'elle sem- ble subir avec une indifference parfaite toutes les conditions qui lui sont imposees. Aucun Poisson ne multiplie avec une facilite plus grande, ne s'eleve mieux dans les pieces d'eau, sans qu'il en coute de soins particuliers. De la, une industrie naguere fort etendue, aujourd'hui restreinte, consistant clans l'empoissonnement periodique des etangs. La Carpe ne passe point pour constituer un mets des plus exquis, mais elle atteint une forte taille et en toutes choses, pour le grand nombre, la quantite supplee avectant d'avantage a la qualite, qu'ici la compensation doit etre jugee suffisante. D'ailleurs, n'assure-t-on pas qu'un assaisonnement compose avec art donne toujours un attrait au Poisson qui ne se distin- gue pas lui-meme par une saveur des plus agreables. Tout le monde a entendu parler de ces families parisiennes, qui entre- prennent le dimanche de lointaines promenades sur les bords de la Seine ou de la Marne, comptant pour une bonne part dans les delices de la journee, le plaisir d'avoir an repas du soir une Carpe convertie en matelote suivant l'expression culi- naire. 1 Cyprinus carpio, Linn6, Systema naturce. Edit. Xlle, 1. 1, p. S25; 1760. CARPES. 323 D'apres l'opinion la plus accreditee, la Carpe est originaire de l'Asie Mineure et de l'Europe meridionale et orientale; elle ne se serait repandue, que successivement, dans le centre et dans le nord de l'Europe. Ce Poisson paralt etre celui que les Grecs designaient sous le nom de Cyprinos l, devenu Cyprinus chez les Latins. On sait combien les naturalistes des siecles precedents se sont mis en fraisd'erudition, pour reconnaitre, en general avec pen de profit pour la science, les animaux mentionncs par les anciens. lis ont du prendre naturellement un interet extreme, a savoir si les Grecs avaient connu la Carpe, notre Poisson vulgaire entrc les plus vulgaires, comment ils en avaient parle, sous quel nom ils I'avaient designe. Or, noserudits se sont montres assez satisfaits, pour la plupart, des traits rapportes par Aristote au sujet du Cy- prinos pour avoir le droit de croire que le mot KuTrpTvo? designait vraiment notre Carpe. II y a grande probabilite en faveur de cette determination, maisjetiens a ne pas rapporter tout ce qui semble 1'affirmer ou l'infirmer, par la raison simple qu'on n'y trouverait rien d'instructif, rien d'attrayant. Je puis ainsi me borner a dire ce qu'il y a de plus clair a cet egard. Aristote cite le Cyprinos parmi les Poissons fluviatiles ayant un palais charnu qui leur tient lieu de langue ; il le donne d'autre part, en exemple d'un Poisson qui fraye cinq fois pen- dant l'annee, et la Carpe dont la fecondite est proverbiale, fraye a plusieurs reprises aumoins dans la belle saison. Maintenant, si Ton veut savoir l'origine de notre mot Carpe, les etymologistes n'ont aucun embarras a repondre. Ecoutons plutdt Menage, le celebre erudit du dix-septieme siecle. KuTrptvo?, dit-il, devenu Cyprinus, est ailleurs Cyprius, ail- 324 HlSTOIRhl PARTICULLERE DES POISSONS. leurs Cuprus, ailleurs encore Cupra. Arrive avec tantde facilite a un resultat si bien fait pour amener In conviction, Tauteiir, on 33 sr n ~3 a a le concoit, n'a plus aucune peine a en venir au mot francais Garpe, au mot italien Carpione, au mot anglais Carp, au mot allemand Karpfen. Ges etudes portant uniquement sur des CAHPES. 325 mots, n'offrent mil interet, si elles nc conduisent pas a mettre en lumiere un fait scientifique et dans la circonstance presente l'histoire particuliere des Poissons ne s'enrichirait d'aucun de- tail utile par de plus nombreux exemples des denominations qui ont pu etre appliquees suivant les lieux ou suivant les epoques au Poisson le plus connu aujourd'hui dans l'Europe entiere. De tous les Poissons de nos eaux douces, la Garpe estcelui qui offre le plus de variations, non-seulement dans les couleurs, mais aussi dans les formes. C'est un animal qui, depuis des siecles, a ete soumis par l'homme a des conditions fort diverses. II est devenu presque domestique et il a subi ainsi des modi- fications de l'ordre de celles que subissent les animaux domesti- ques, suivant les lieux ou ils habitent, suivant les circonstances dans lesquelles ils naissent et sedeveloppent. Ges modifications n'affectent pas neanmoins les caracteres essentiels de l'espece ; les varietes les plus considerables, que presentent certaines Carpes, ont pu etre citees et decrites par plusieurs auteurs comme des especes distinctes, ces varietes ont bientot ete appre- ciees exactement par d'autres naturalistes qui avaient su re- connaitre des particularites, dues soit a des causes accidentelles, soit a des influences locales. Ainsi qu'il arrive parmi les animaux domestiques, les cas teratologiques ou ce qu'on appelle vulgai- rement les monstres, si rares chez les animaux sauvages, sont assez frequents chez la Garpe. Ge Poisson est si bien connu qu'une longue description serait superfine. La Garpe consideree de profil a le corps large, comprimc late- ralement avec le dos plus ou moins voute vers la partie ante- rieure et abaisse ensuite vers la tete, qui est elle-meme sensi- blement inclinee de la nuque a l'extremite du museau. Les pro- 326 H1ST0IRE PARTICULiERE DES PQISSONS. portions du corps sont au reste variables suivant les individus. II est dit dans la plupart des descriptions que la hauteur du corps est repetee trois fois et demie dans sa longueur ; c?est la une moyenne, car souvent la hauteur est relativement plus ou moins considerable. L'opercule est toujours assez fortement strie. Les ecailles grandes, ordinairement au nombre de trente-six a trente-huit dans la plus grande longueur du corps, forment cinq ou six rangees au-dessus de la ligne laterale et autant en dessous. Ces ecailles, notablement plus longues que larges, ont leur bord exterieur pourvu de nombreux festons limites par des sillons, leur bord basilaire sinueux, leurs stries concentriques tres- serrees. La bouche de la Carpe est assez petite et accompagnee de chaque cote de deux appendices charnus. La nageoire dor- sale presente le plus souvcnt, apres le gros rayon osseux dentele en scie, dix-neuf rayons rameux ; mais quelquefois ce nombre ne depasse pas dix-sept ou dix-huit, tandis que chez certains individus il est de vingt a vingt-deux. Les nageoires ventrales ont dix ou onze rayons dontles deux premiers simples ; l'anale a deuxpetits rayons simples, en avant du gros rayon dentele en scie et cinq rameux a la suite. La couleur generate de la Carpe est d'un vert brunatre assez clair chez les individus qui ont vucu dans les eaux limpides, et assez sombre chez ceux dont l'existence s'est passee dans les eaux stagnantes. Des reflets bleuatres se manifestent ordinairement sur la region dorsale et une teinte doree plus ou moins vive s'etend sur les cotes. Chez la Carpe, Tappareil digestif a un developpement plus considerable que chez beaucoup d'autres Cyprinides, indice du regime essentiellement herbivore de l'animal. CARPES. 327 La Carpe en effet se nourrit de conferves, de debris de vegr- taux, de vase chargee de substances organiques. Elle parait preferer les eaux troubles et stagnantes aux eaux courantes, et cette circonstance permet de l'elever sans difficulte et avec profit dans des etangs naturels ou artificiels. La fecondite de ce Pois- son est devenue proverbiale ; on peut compter cinq ou six cent mille ceufs chez un individu d'assez forte taille. La ponte a lieu pendant les mois de mai et de juin et quelquefois de nouveau an mois d'aotit. Les ceufs sont deposes sur les plantes, et corame leur incubation est rapide , surtout si la temperature est un peu elevee, on voit eclore les jeunes au bout de sept a huit jours. Dans de bonnes conditions, l'accroissement se fait avec une assez grande rapidite ; neanmoins, entre les faits cites a cet egard, il y a de grandes divergences, ce qui s'explique par la diversite des conditions d'existence pour lePoisson, dans les lieux ou les observations ont ete faites. Dans les eaux ou elles trouvent une nourriture abondante, les Carpes peuvent atteindre au bout de trois ans le poids de 2 a 3 kilogrammes. D'apres des renseignements que je dois a l'obligeance de M. Millet, un proprietaire au Port-aux-Dames, commune d' Au- ger-Saint-Vincent (Oise), eleve des Carpes qui atteignent le poids enorme de 9 kilogrammes, et il a vendu de ces magnifiques Poissons a la maison Chevet de Paris, au prix de24 francs. On arrive assez facilement a leur faire acquerir le poids de 3 a 4 kilogrammes dans l'espace de cinq a six ans, mais ensuite, il faut encore une quinzaine d'annees pour qu'elles parviennent au poids de 9 kilogrammes. M. Millet m'a dit aussi, qu'on a peche il y a quelques annces dans l'Aveyron, a Bruniquel (Tarn-et-Garonne), une Carpe qui pesait 17 kilogrammes et demi ; que dans la Seine, a Triel, un 328 HISTOIRE PARTICUL1ERE DES POISSONS. pecheur a la ligne en a pris une, au mois d'aout 1864, du poids de8 kilogrammes etdemi. D'apres les observations d'un auteur allemand, les Carpes arriventen general au poids de 5 a 6 kilo- grammes en France, de 20 en Prusse, jusqu'a 35 dans I'Oder, a Francfort,et enfin jusqu'a 45 en Suisse, dans le lac de Zug '. L'idee de la longevite de la Garpe a penetre partout. Si Ton devait s'en rapporter a l'opinion commune, ce Poisson vivrait des centaines d'annees. Ne cite-t-on pas les Carpes de Fontai- nebleau comme se livrant a leurs ebats dans les etangs dela re- sidence royale depuis le r6gne de Francois I"? Ne parle-t-on pas des Carpes de Chantilly dont la naissance remonterait au temps du grand Conde, de celles des etangs de Pontchartrain, vieilles de plus de deux sie.cles. Aux yeux de l'homme, il y a quelque chose de merveilleux dans une existence infiniment prolongee, fut-ce memel'existence d'un animal dont la vie parait bien monotone. G'est une chose enviable pour ceux qui deplorent la brie-vete de la vie humaine. Aussi la credulite est facile. Mais il vaut toujours mieux exa- miner que de croire aveuglement. A-t-on oublie entierement qu'a chaque revolution, les residences royales ont ete saccagees par les maitres du moment. Les belles Carpes des etangs de Fon- tainebleau, de Chantilly, etc., ont ete mangees par le peuple souverain en 1789, en 1830, en 1848, et certainement dans une foule d'autres circonstances. II faut s'en consoler, il n'y a point en France de Carpes seculaires. Les Carpes de Charlottenbourg ont aussi une reputation de haute antiquite ; nous ignorons si elles ont ete plus respectees que celles de nos etangs, mais la date de leur naissance n'en est pas moins fort douteuse. 1 Raphael Molin, Die Rationp.lle Zurht der Sussivasserfiiche^Nien, 1864. Blanch ard, Les Poissons. PL XIII, p. 328. Paris, J.-B. Bailliere et Fils, <5dit. LES CARPES DE FONTAINEBLEAU Corbeil, Crtitti, imp. NE CITE-T-ON PAS LES CARPES DE F ONTAIN EBLEA D COMME S E LIVIIAM A LEURS EBATS DANS LES ETANGS DE LA RESIDENCE aOYALE. CARPES. 32!) Tout le monde sait combien la vie est persistante chez la Garpe longtemps apres qu'elle a ete tiree de l'eau. La presence d'une membrane couvrant en partie les branchies et conservant l'humidite sur ses organes, permet a la respiration de s'effectucr encore a Fair libre pendant de longues heures. Gettc circon- stance est mise a profit, parait-il, en Hollande, pour engraisser des Carpes. On loge ces animaux dans des reseaux remplis de mousses liumides que Ton suspend dans des caves. La, durant trois ou quatre semaines, ils sont nourris avec un melange de pain et de lait qu'on leur introduit dans la bouche avec une cuiller. II suffit de rafraichir les Poissons en aspergeant d'eau la mousse dont ils sont entoures pour les empecher de perir. On a eu de nombreuses occasions d'observer combien etait remarquable chez les Poissons la faculte d'entendre. Les Carpes ont ete souvent citees comme exemple. Je ne rapporterai pas toutes les anecdotes repandues a ce sujet, une seule deja fort ancienne suffira a donner l'idee d'un fait curieux a beaucoup d'egards. A Rotterdam, dit nn observateur anglais du commen- cement du dix-huitieme siecle, Richard Bradley, que nous avons deja cite, « j'ai eu le plaisir de voir quelques Carpes dans un vaste etang appartenant a M. Eden, qui m'ont fourni l'occasion d'apprecier jusqu'ou allait la faculte d'entendre chez ces creatures. Le proprietaire ayant rempli sa poche de graine d'epinard, me conduisit au bord de Tetang. Nous restames muets quelques minutes, ce qui etait indispensable pour me convaincre que les Poissons ne viendraient pas tant qu'on ne les appellerait pas. Bientot le proprietaire les appela a sa maniere habituelle, et soudain les Carpes arriverent ensemble de toutes les parties de l'etang en tel nombre qu'elles avaient peine a se tenir les unes pres des autres. » 330 HISTOIRE PARTICUL1ERE DES P01SSONS. Plusieurs varietes de la Carpe doivent etre mention nees d'une maniere speciale, ces varietes ayant ete considerees par un grand nombre d'auteurs comme antant d'espe-ces particulieres. La Carpe a miroir [Cyprinus Rex Cyprinorum, Blocli , Cypri- nus specularis, Lac., Cyprinus macrolepidotus, Meid.) est line variete qui consiste dans line remarquable alteration des ecailles. Les ecailles sont peu nombreuses et d'une dimension enorme ; mulgre cette curieuse modification, leurs caraeteres essentiels ne sont pas notablement alteres, les decoupures du bord basilaire, les strips concentriques demeurent semblables a celles des ecailles normales. La Carpe a cuir [Cyprinus nudus, Bloch, Cyprinus coria- ceus, Cyprinus alepidotus) est line variete chezlaquelle les ecailles sont atropliiees et ou la peau epaisse a pris l'aspect d'une sub- stance coriace, l'apparence du cuir. La Carpe bossue [Cyprinus elatus, Bonaparte) est line variete qui consiste dans la grande hauteur du corps. La Carpe reine [Cyprinus regi?ia, Bonaparte) est line variete qui se distingue seulcment de nos Carpes ordinaires par le dos un peu moins eleve, et de la sorte, par le corps plus allonge rela- tivement a son epaisseur. La Carpe de Hongrie [Cyprinus hungaricus, Heckel) est une autre variete dont le corps est plus mince encore que chez la precedente. Parmi les monstruosites de la Carpe, une des plus frequentes, consiste dans une deformation de la tete, un aplatissement con- siderable du museau. Les individus qui presentent cet etattera- tologique sont connus sous le nom de Carpes dauphins, ou plutot, de Carpes a tete de dauphin. CARPES. 331 LA CARPE DE KOLLAR (CYPRINUS KOLLAR; I ') La Garpe de Kollar ne se trouve en France qae dans un petit nombre de localites ou presque certainement elle a etc intro- duite. A quelle date faut-il reporter cette introduction? dans quelles circonstances a-t-elle eu lieu ? On l'ignore absolument. La Garpe de Kollar vit dans les fosses de Metz, dans l'etang de Belletanche. Holandre assure qu 'on la peche quelquefois dans la Moselle, et que les pecheurs de Metz l'appellent Carousche blanche a cause de sa coloration pale, pour la distinguer du Ca- rassin, la Carousche noire. Elle se trouve aussi pres de Paris, avec la Garpe ordinaire dans l'etang de Saint-Gratien, de la vallee de Montmorency, ou elle est designee par les pecheurs sous le nom de Carreau, qui fait allusion a la forme elargie et de la sorte un peu carree de ce Poisson . Avec l'aspect general de la Garpe commune, la Garpe de Kol- lar ayant le corps plus eleve et comprime lateralement offre quelque chose de la physionomie du Garassin et de la Gibele. Son dos s'eleve beaucoup depuis la nuque jusqu'a l'origine de la nageoire caudale ; sa tete, proportionnellement un peu moins forte que cellede la Garpe commune, a le front plus bombe, la machoire superieure un peu proeminente sur l'inferieure et 1 Heckel, Ueber einigemue Cyprinen, in Annalen desWiener Museums, t. I, p. 213, pi. XIX, fig. 2; 1836. — Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. XVI, p. 76, pi. 458 ; 1842. — Carpio Kollarii, Heckel et Kner, Die Siiswasserfische de?- aeslreichischen Monarchie, p. 64; 1858. — Siebold, Die Susswasserfische von Mitleleuropa, p. 91 ; 1853. — Cyprinus striatus, Holandre, Faune du departement de la Moselle, p. 242; 1836. — De Selys- Eongchamps, Faune beige, p. 198, pi. IX; 1848. 332 H1ST0IHE PART ICULIERE DES POISSONS. pourviie de quatre birbillons places corame chez la Garpe ordi- naire, mais tres-petits et fort greles. L'opercule presente des stries profondes, bien marquees et Fij. CG. — Tele et portion anterieure du corps de la Carpe de Kollar. assez regulieres, etle sous-opercule est lui-memecomme cisele. Les ecailles, sensiblement plus grandes que chez la Carpe, en different a peine par quelques details. Leur bord libre est un tant soit peu inegal comme dans cette derniere, mais leur bord basilaire est plus festonne et les canalicules de la portion de- couverte sont plus rapproches et plus reguliers, de fagon que les ecailles, observees a la vue simple, presentent de nombreuses >tries longitudinales l. La ligne laterale, d'abord inflechie, se continue ensuite en ligne droite jusqu'a Textremite du corps. Les nageoires sont a peu pres semblables a celles de la Garpe commune. Chez la Carpe de Kollar, la coloration est variable dans une certaine mesure comme les proportions du corps; cependant 1 La description des Ecailles de la Carpe de Kollar donnee par M. Va- lenciennes, Hist, naturelle des Poissons, t. XVI, p. 78, est de tous points inexacte. CARPE. 333 elle est en general assez claire ; de la les noms, a Metz, de Ca- rousche blanche, en Belgique, de Carpe blanche. Tout lc corps est habituellement d'nn gris argente on jaunatre avec le dos d'un brim pins on moins verdatre, les ecailles moins pointillces de noir que chez la Carpe, les nageoires d'nn gris bleuatre ou noi- ratre, souventteintede rouge, surtontchez les jeunes individus. Gette espece ne semble pas depasser la taille de 0m,30 a 0m,40, mais la plupart des individus que Ton peclie sont d'une beau- coup plus petite dimension. La Carpe de Kollar a ete observee en Belgique, dans presque toutes les parties de l'Allemagne et en Hongrie, mais elle n'a jamais ete signalee en Angleterre. C'est seulement en 1836, qu'elle a ete enregistree au nombre des especes europeennes par Heckel, le celebre Ichthyologiste de Vienne, et en meme temps par Holandre, l'auteur de la faune du departement de la Mo- selle. Jl y a lieude s'en etonner, puisqu'il s'agifd'un Poisson de forte taille, repandu dans une grande partie de l'Europe cen- trale. On trouve aisement, neanmoins, une explication du si- lence des anciens auteurs a l'egard de la Carpe de Kollar. Ce Poisson n'a pas toujours ete distingue de la Carpe commune, et d'apres l'avis des pecheurs, elle a ete prise souvent pour le metis de la Carpe et du Carassin, d'ou les noms vulgaires de Carpe-Carassin (Karauschen-Karpf), de Carpe batarde [Bas- tard-Karpf), de demi-Carpe {Halbkarpf), qui lui sont ordi- nairement appliques en Allemagne. Apres avoir ete regardee par plusieurs zoologistes comme une espece bien caracterisee ; apres avoir meme ete considered comme le type d'nn genre (le genre Carpio) par Heckel, la Carpe de Kollar est prise egalement aujourd'hui pour un sim- ple metis par divers auteurs portes a accepter l'opiaion des 334 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. p&iheurs comrae l'expression de la verite. G'est ainsi que M. Dybowski , auquel on doit un ouxrage sur les Cyprini- des de la Lrvonie, voyant, dans la Garpe de Kollar, le pro- duit de deux especes differentes, s'attache a montrer que ce Poisson est sous tous les rapports intermediaire entre la Garpe et le Carassin ; par les dents pharyngiennes, par le nombre des vertebres qui est de 37 chez la Carpe commune, de 35 chez la Carpe de Kollar, de 34 chez le Carassin, par les rayons des na- geoires, par la forme dn corps *. G'est ainsi que M. de Siebold, croyant egalement trouver un hybride dans la Carpe de Kollar, estime l'avis des pecheurs comme bon a prendre en considera- tion. Cet avis nous semble cependant de peu de valeur, les pe- cheurs etant en general peu soucieux de l'observation et tres- enclins a adopter lesidees les plus fausses. Doit-on oublier que, dans presque toute l'Europe, ces braves gens \oient dans la Gremille le metis de la Perche et du Goujon ? En opposition avec le sentiment qui vient d'etre rapporte, car toute preuve directe manque, plusieurs faits d'une cer- taine importance sont a noter. La Carpe de Kollar est loin de presenter un partage des caracteres de la Carpe commune et du Carassin ou de la Gibele ; elle ressemble beaucoup plus a la Carpe qu'au Carassin, par la forme generale du corps, par la presence des barbillons et surtout par les ecailles presque sem- blables a celles de la Carpe et ainsi assez differentes de celles du Carassin ou de la Gibele. La comparaison rigoureuse des ecailles entre les especes, toujours negligee par les auteurset cependant indispensable quand il s'agitde la distinction des especes, con- duit a repousser l'opinion que la Carpe de Kollar est un hybride. 1 Dybowski, Versuch einer Monographie der Cyprinoiden Livlands, p. 60. Dorpat, 1862. CYPRINOPSIS. 335 Un fait d'un autre ordre porte aussi a conclure dans lc memo sens.' M. Valenciennes nous dit : « Le Cyprinus Kollarii est « tres-abondant dans le lac de Saint-Gratien, ou jc n'ai jamais « \u le Cyprinus carassius, et oil la Gibele (Cyprinus gibelio) « ne me parait se rencontrcr que par hasard, car je n'en ai ja- (t mais vu prendre qu'un seul individu pendant lc long espace « de temps que j'ai suivi avec soin la peche de cet etang. » Je suis done dispose a croire que la Garpe de Kollar est veri- tablement une espece particuliere ; neanmoins, il serait fort a desirer que la question se trouvat resolue par l'experience. Les pisciculteurs qui celebrent les avantages des fecondations arti- ficielles auraient a faire ici, an point de vue de la connaissance exacte des especes, un excellent emploi de leur procede tant vante pour la multiplication des Poissons. LE GENRE CYPRINOPSIS (cyprinopsis, Fitzinger l) Les Cyprinopsis ressemblent a un tres-haut degre aux veri- tables Garpes par la configuration de leur corps , par leurs nageoires, la dorsale et l'anale ayant egalement un gros rayon osseux dentele en scie. lis s'en distinguent par l'absence d'ap- pendices charnus ou barbillons aux cotes de la bouche et par les dents pharyngiennes au nombre de quatre seulement dis- posees sur un seul rang, les trois dernieres en forme de spatule avec la couronne sillonnee dans son milieu. Nous ne connaissons que quelques especes de ce genre. 1 Carassius, Nilsson. 336 HISTOID PARTICULIERE DES POISSONS. LE CYPRINOPSIS CARASSIN (r.YPRINOPStS CARASSIUS ') Ge Poisson peu connu en France, pour la raison qu'il ne se troirve que dans certaines localites de nos departements de l'Est ou il ne parait pas encore tres-abondant, est comraun an contraire dans toute l'AUemagne, en Suede, dans les provinces meridionales de la Russie. On l'appelle vulgairement le Caras- Fig. 67. — Le Carassin (Cyprinopsis carassius.) sin en plusieurs endroits ; a Metz, la Carousche ou Carousche noire ; dans la Lorraine allemande, Carasche ; en Alsace, Ka- 1 Cyprinus carassius, Linne, Systema natures, 6dit. XUe, t. 1, p. 526 ; 1766. — Bloch, part. 1, p. 60, pi. II. — Valenciennes, Histoire naturelle des Poissons, t. XVI, p. 82; 1842. — Carassius vulgaris, Heckel et Kner, Die Siisswasserfische der cestreic/uschen Monarchic, p. 63 ; 18;>8. — Siebold, -Darchie, p. 100 ; 18o8. — Siebold, Die Siisswasserfische von Mitleleuropa, p. 116; 18G3. BOUVlfiRK. 347 ce ne peut etre autre chose qu'une expression de mcpris pour la Bouviere qui excite leur dedain, parce qu'elle est fort petite et que sa chair passe pour etre amere, malgre {'affirmation con- traire de beaucoup de personnes. Car, disent ces dernieres, la Bouviere melee a d'autres Poissons passe inapercue dans une friture. Des pecheurs declarent qu'elle constitue une excellente amorce pour la Perche ; qualite qui ne lui est sans doute point particuliere, la Perche ne semblant pas avoir de preference bien marquee quand il s'agit d'avaler une proie a sa portee. La reputation d'amertume de la Bouviere est aussi repandue en Allemagne qu'en France ; son nom scientifique amarus, as- signee par Bloch, l'ichthyologiste de Berlin, est complctement expressif ; son nom vulgaire, Bitter ling, parait deriver du mot « bitter » , amer. En Alsace et notamment a Strasbourg, on ap- pelle ce petit Poisson partout fortpeu estime, Schneider Mr pf- chen, petite Garpe de tailleur, encore un terme de meprisbien probablement. La Bouviere ne depasse gu^re la longueur de 0m,08, mais ce sont les trfes-beaux individus qui atteignent une pareille dimen- sion, la plupart ne mesurent pas plus de 0,n,05 a 0"',06. Le corps de ce Poisson est couvert d'ecailles fort grandes, tr^s-larges et peu allongees, de sorte qu'elles figurent des lo- sanges, comme on n'en voit chez aucun autre Cyprinide. Ces ecailles detachees du corps et examinees a l'aide d'un grossisse- ment, ne sont pas moins caracterisees. Elles ont des stries cir- culaires extremement fines, des stries longitudinales nombreu- ses, egalement tr^s-fines, ondulees, fort rapprochees les lines des autres, sur toute la portion libre, ou Ton remarque des points noirs epars. Enfin le bord libre de l'ecaille decrit une double si- nuosite. Les ecailles de la ligne laterale ont le conduit dela mu- 348 H1ST0IRE PARTICUL1ERE DES POISSONS. cositegrele et assez long; une particularite remarquable, c'est que la ligne laterale ne se prolonge pas plus loin que la cin- quieme on sixiemeecaille. La Bouviere est plus ou moins large, mais elle varie surtout par sa coloration survant le sexe et suivant les epoques de l'an- nee. Dans le temps ordinaire, le male et la femelle sont a peu pres semblables. Les parties superieures de la tete et du corps sont d'un brim verdatre, avec les cotes et surtout la region ventrale argentes, et une longue bande verdatre ou noiratre regnesur la partie moyenne des flancs, commencant vers le milieu du corps et finissant a l'extremite. Les nageoires out une coloration d'un jaune rougeatre, etla dorsale d'un ton enfume presente ordinai- rement une bande transversale claire. A l'epoque de la repro- duction, c'est-a-dire pendant les mois d'avril et de mai, la fe- melle change peu, mais le male devient splendide ; son corps prend les teintes bleues de l'acier poli passant au violet intense, avec des reflets irises d'un magnifique eclat metallique; la lon- gue bande posterieure devient d'un vert d'emeraude, la poitrine et la region ventrale prennent une vive couleur jaune orange, et les nageoires dorsale et anale passent au rouge avec des mar- ques noires. La Bouviere male est alors un des Poissons les mieux pares. Elle donne lieu en meme temps a l'observation d'un fait etrange et encore inexplicable. De cliaque cote de la machoire supcrieure s'eleve une sorte de bourrelet sur lequel apparaissent huit, dix ou douze petits mamelons, et deux ou trois mamelons analogues se montrent au bord superieur des yeux. Ces eminences disparaissent peu a peu lorsque est passee l'epoque dela reproduction. La tete de la Bouviere est courte avec le museau obtus et l'oeil assez grand. BOUVIERE. 349 La nageoire dorsale est large surlout an sommet, presentant trois rayons simples dont le premier tres-petit, et neuf rameux, le dernier souvent divise jusqu'a sa base. Les pecto rales ont un rayon simple et dix branchus ; les centrales, deux simples et six rameux ; l'anale situee plus en arriere que la dorsale a trois rayons simples et neuf rameux, la caudale en a dix-neuf. La Bouviere presente quelques particularites d'organisation fort remarquables. L'intcstin a une longueur qui n'est pas ordinaire chez les Poissons, aussiparait-ilpelotonne,neformantpas moins decinq circonvolutions sur lui-meme. L'estomac est a peine distinct de l'intestin. Gette grande longueur du tube alimentaire annonce un regime essentiellement vegetal, aussi trouve-t-on presque toujours l'estomac et l'intestin remplis de matieres vertes, de debris d'algues et de conserves en particulier. Une singularity des plus curieuses qui nous est offerte par la Bouviere, c'est l'apparition chez la femelle a l'epoque du frai d'un long tuyau rougeatre, d'une sorte d'oviducte, se montrant a la partie posterieure comrae un ver, atteignant parfois la longueur de pres de 0m,02. Ge tube, observe pour la pre- miere fois par M. Krauss de Stuttgard, bien decrit ensuite et exactement representepar M. de Siebold, recoit les oeufs, et c'est a la coloration de ceux-ci qu'il doit la teinte rougeatre qu'il pre- sente ordinairement dans une partie ou dans la totalite de sa longueur. Apres le depot des ceufs, cet oviducte transitoire, qui est en communication avec les conduits urinaires, s'atrophie et ne persiste que sous l'apparence d'une petite papille. Gc long tube a sans doute pour usage de permettre a l'animal de fixer ses ceufs dans des cavites ou dans des espaces etroits, ou il ne pourrait atteindre sans le secours de cet instrument. Mais cc 350 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. n'est la encore qu'une supposition assez probable, l'observation directe nous fait jusqu'ici defaut. La Bouviere vit dans les rivieres et dans les lacs dont le fond est couvert de sable ou de gravier. Elle va souvent en troupes, surtout au printemps qui est l'epoque du frai. Ce Poisson est commun dans la plupart de nos rivieres ; ce- pendant nous ne pensons pas qu'on l'ait jamais trouve dans nos departements meridionaux. II est repandu dans toute l'Al- lemagne, mais selon toute apparence il n'existe point dans la Scandinavie. Ge qui est plus singulier, c'est qu'aucun auteur anglais ne parle de la Bouviere ; elle est done inconnue en An- gleterre. LE GENRE BREME (abramis, Cuvier) Les Bremes se reconnaissent au premier coup d'ceil a leur corps comprime et generalement tres-eleve et a leur nageoire anale fort longuc. Neanmoins d'autres caracteres moins frap- pants doivent encore etre notes. La nageoire dorsale assez courte est tronquee tres-obliquement d'avant en arriere, la nageoire caudale est profondement echancree, avec son extremite infe- rieure beaucoup plus longue que l'extremite superieure. Les ecailles sont larges, assez courtes, de consistance solide, avec des stries concentriques regulieres et des canalicules en eventail assez nombreux. La portion anterieuredu dos presente, le plus souvent, une etroite ligne mediane depourvue d'ecailles, bordee de chaquc cote par une serie d'ecailles plus petites que les autres. Parmi les Bremes, il y a des differences tres-notables dans les dents pharyngiennes entre des especes qui se ressemblent BREMES. 351 extremement par les autres caracteres. Dcs ichthyologistes rao- dernes n'ont pas hesite a prendre ces differences pour des carac- teres generiques, et alors les Bremes se sont trouvees reparties dans quatre genres. Nous pensons qu'il y aura avantage a con- server le grand genre en indiquant toutefois sous de simples divisions , les caracteres sur lesquels on s'est appuye pour operer une separation complete d'especes tres-voisines par 1' ensemble de leur organisation. Les Bremes ne sont pas nombreuses en France. Plusieurs especes europeennes n'ont jamais ete rencontrees dans notre pays. LES BREMES PROPREMENT DITES Ge sont les especes dont les dents pharyngiennes, au nom- bre de cinq, sont disposees sur un seul rang, et presentent une troncature en arriere de leur pointe terminale. LA BREME COMMUNE (abramis brama *) La Breme habite une tres-grande partie de l'Europe et, abon- dante dans beaucoup de localites, elle devient en divers pays, une ressource alimentaire assez importante. Ce Poisson atteint une forte taille, et si sa chair est depourvue des qualites suffi- santes pour lui meriter les honneurs des gran des tables, 1 Cyprinus brama, Linne, Sy sterna natura>, edit. XII, t. I, p. 531 ; I7(»ii.— Blocli, part. I, p. 7o, pi. XIII. — Abramis brama, Valenciennes, ffistoire naturelle des Poissons, t. XVII, p. 9; 1844. — Heckel et Kner, Die Sfiss- wasserfische der odreichischen Monarchic, p. 104; 1858. — Siebold, Die Susswasserftsche von Mittcleuropa, p. 121 ; 18G3. 352 HISTOIRE PARTICUUERE DES POISSONS. corame elle n'a habituellement aucun gout desagreable, la Breme, qui multiplie rapidement et qui se vend sur les mar- ches a un prix modique, ne doit pas etre dedaignee.Un ancien B Fig. 73. — La Breme commune (Abramis brama). proverbe disait : Quiconque a une Breime dans son etang, peut convier son ami. Aujourd'hui, on accorde a ce Poisson moins d'estime qu'on ne lui en accordait autrefois. Ceci est surtout manifeste en Angleterre. Pour les gens d'un gout delicat, une Breme ne vaut pas la peine d'etre cuite, tandis qu'au commen- cement du quinzieme siecle, avant l'introduction de la Garpe, elle figurait souvent dans les repas somptueux. Le nom de Breme est en usage parmi nos pecheurs, mais dans certaineslocalites, il devient Brame ou Bramme ; en Alsace c'est le mot Bresem qui est employe ; expression assez diffe- rente du nom allemand le plus ordinaire, Brachsen. La Breme a le corps comprime lateralement et tres-large par rapport a la longueur etant considere de profil. D'un blanc d 'argent tres-finement pointille de noir sur les cotes et les regions inferieures, toutes les parties superieures sont d'un gris bleuatre ou \erdatre plus ou moins intense, les nageoires BHfiMES. 353 d'un gris bleuatre sable de noir et l'iris d'un jaune d'or a\ec une tache noire. Un espace long et etroit sur la portion ante- rieure du dos, est, comme chez la plupart des especes du genre, depourvu d'ecailles. Les ecailles grandes, beaucoup plus larges que longues, ont leur bord basilaire faiblement et irregulierement festonne, leur bord libre peu arque et sensiblement anguleux, leurs stries circulaires partout tres-rapprochees d'une maniere egale ; elles offrent dans leur partie libre des rayons au nombre d'une dizaine convergeant vers le centre et quelques rayons allant du centre au bord basilaire, formant ainsi une sorte d'6\ entail. La ligne laterale deerit une courbe assez prononcee ; les con- duits de la mucosite sont greles, cylindriques et de mediocre longueur. La tete de la Breme, assez petite relativement au volume du corps, avec le museau obtus, la bouche peu fendue, la machoire inferieure plus courte que la superieure, presente de nombreux pores disposes sur une file passant sur le front pour venir con- tourner la narine, descend re au-dessous de l'ceil et remonter en arri^re pour se continuer au-dessus de l'opercule vers la ligne laterale. On voit ainsi que la tete du Poisson doit etre continuellement impregnee de mucosite. L'ceil est assez grand, son diametre etant souvent superieur au quart de la longueur de la tete. La nageoire dorsale etroite a sa base, situee au dela de la portion moyenne du dos, a douze rayons, trois simples, neuf rameux allant en diminuant beaucoup de longueur ; le premier des rayons simples est tr^s-petit, le second a un peu plus de la moitie de la longueur du suivant. Lesnageoires pecto rales ont seize rayons ; les ventrales dix, dont les deux premiers simples ; Rl.ANCHAilD. 23 T6i HISTOIRE PARTICULlfiRE DES POISSONS. l'anale en a trois simples dont le premier tres-petit, et vingt- deux a vingt-huit rameux. La Breme peut atteindre dans ses plus belles proportions la longueur d'environ 0m,60 et le poids de 3 a 4 kilogrammes lorsqu'elle est placee dans de bonnes conditions, c'est-a-dire dans des eaux ou elle trouve une nourriture abondante. Ce Poisson, comme tous ceux qui vivent indifferemment dans les rivieres, les lacs et les etangs, offre d'asseznombreuses varie- tes ; varietes n'ayant pas, au reste, de caracteres bien definis. G'est de la sorte que j'ai hesite longtemps a rapporter soit a l'es- pece de la Breme commune, soit a une espece particuliere des individus de la Garonne et de la Dordogne, ayant le corps un pen plus comprime, la tete legerement plus effilee que nos Bremes ordinaires , mais cependant dont l'ensemble des caracteres apres une etude comparative, n'a pu donner lieu a aucune dis- tinction certaine. On sait d'ailleurs que, chez la Breme, le corps est proportionnellement plus mince chez les jeunes que chez les vieux individus. II a ete reconnu ainsi qu'une espece decrite par Linne n'avait ete etablie que sur la consideration de jeunes individus de la Breme commune1. Sous les noms deAbramis microlepidotus, Abramis argijreus, Abramis vetula, MM. Agassiz et Valenciennes ont cm pouvoir admettre trois especes. De legeres differences dans la dimension des ecailles, dans la hauteur ou les proportions generales du corps, signalees comme des caracteres specifiques, sont en realite sans valeur. Telle est l'opinion de M. de Siebold, et telle est aussi celle que je me suis formee d'apres la comparaison d'un tres- grand nombre d'individus de localites fort di verses. Tous les intermediaires, toutes les nuances ont pu etre observes. 1 Cyprinus farenus, Linn6, Systema naturce, t. I, p. 532; 1766. BRfiMES. 335 La Breme, fort commune dans le centre, le nord et l'est de la France, nous est venue egalement de nos departements meri- dionaux, de la Garonne, de la Dordogne, du Rhone a Avignon, etc. Elle n'existe ni dans le lac Leman, ni dans le lac du Bourget, ni dans leslacs de Laffraye et de Paladru, dansle departement de 1'Isere. Ce Poisson se nourrit a la fois de substances vegetales et d'animaux aquatiques, principalement d'insectes et de mol- lusques. Les Bremes se reunissent tres-ordinairement par troupes, ce qui permet d'en faire des peches considerables dans certai'nes localites, par exemple dans plusieurs des lacs de llrlande et de la Baviere. Elles frayent pendant les mois de mai et de juin au milieu des plantes qui croissent pres du rivage. I A BREME DE GEHIN (abramis gehini) Gette espece, que les pecheurs de Metz designent sous le nom de Emite-Breme, est tr&s-voisine de la Breme commune, offrant neanmoins un aspect particulier. La forme de son corps observe de profil est oblongue, son dos etant peu eleve et d6- crivant une legere courbe reguliere. Toutes les parties supe- rieures sont d'un gris bleuatre ardoise et le reste du corps d'un blanc argente avec les ecailles tres-finement sablees de noir, ainsi que les joues et l'opercule. La tete est courte comme chez la Breme commune, avec le museau un peu moins epais, l'opercule plus large vers son sommet, n'ayant presque pas d'echancrure au bord posterieur. 356 HISTOIRE PARTICULIERE DliS POISSONS. Les ecailles au nombre de ciuquante-deux sur la ligne late- rale, sont encore plus courtes que chez la Breme commune, avec leurs canalicules en eventail en general moins nombreux. Fig. 74. — La Breme de Gehin. La nageoire dorsale est extremement haute, elle a neuf rayons rameux a la suite des rayons simples, la nageoire anale est aussi remarquablement haute, si nous la comparons a celle de la Breme commune ; nous lui avons trouve habituellement vingt-quatre rayons ; les pectorales, les centrales et surtout la caudale sont fort longues et cette grande dimension de toutes les nageoires est ce qui contribue davantage a donner a la Breme de Gehin son aspect propre. Les dents pharyngiennes different aussi de celles de l'espece precedente etant moins epaisses et terminees par un crochet recourbe bien plus prononce. Les os pharyngiens eux-memes sont plus longs et plus greles. Cette Breme vit dans la Moselle. Nous ne l'avons vue jus qu'a present d'aucune autre riviere. Des individus d'une Ion gueur de 0m,13 a 0m,15 sont regardes par les pecheurs de Metz comme devant etre ages de deux a trois ans. Ce Poisson, m'ecri M. Gehin, commence a redevenircommundans la Moselle d'o BREMES. 357 il avait disparu, il y a trentc ans, a la suite d'une grande inon- dation, on en pechait autrefois qui pesaient de 2 a 3 kilo- grammes ; tres-bon poisson, ajoute M. Gehin 4. LA BREME DE BUGGENHAGEN (abramis buggenhagii 2) Cette Breme, qu'on n'a encore observee en France que dans quelques rivieres de nos departements du Nord et de l'Est, a le corps d'une mediocre hauteur sans aucun espace depourvu d'ecailles sur le dos, et la tete plus inclinee et plus amincie vers le museau que chez les especes precedentes. Elle a le dos d'une teinte brunatre a reflets d'un bleu d'acier, les parties inferieures argentees, la tete et presque tout le corps sables de brim, les nageoires noiratres. Les ecailles dela Breme de Buggenhagen ressemblent a celles 1 II existe en Europe, et notamment en Allemagne, plusieurs especes de la division des Bremes proprement dites, qui n'ont jamais ete obser- vers en France; quelques-unes sont remarquables par leur nageoire anale ou assez courte ou extr£mement longue, et, dans ce dernier cas, composee d'un tres grand nombre de rayons : la Breme zerte {Abramis vimba, Ein.); la Br6me aux yeux noirs [Abramis melanops, Heckel); la Br6me sope (Abramis ballerus, Lin.); la Breme clavetza (Abramis sopa Pallas). D'autres se trouvent dans la Russie. 2 Cyprinus Buggenhagii, Blocli, pi. 9o. — Leuciscus Buggenhagii, Va- lenciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XVII, p. 53; 1844. — Abramis Heckelii, Selys-Longchamps, Faune beige, p. 217, pi. 8; 1842. — Abra- midopsis Leuckartii , Siebold, Die Susswasserfische von Mitleleuropa, p. 134; 1863. M. de Siebold a cru pouvoir considerer cette espece comme le type d'un genre particulier (Abramidopsis), en se fondant essentiellement sur 1' absence cbez cette Br6me de tout espace depourvu d'ecailles sur la portion anterieure du dos. 358 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. des especes precedentes, par la nature de leurs stries, mais elles en different beau coup par leur forme qui a infiniment de rapports axec eelle des ecailles des Chevaines. Gomme ces dernieres, en Fig. lb. — Tete de la Breme de Buggenhagen. effet, elles sont un peu plus longues quelarges, avec leur contour exterieur bien arrondi. La nageoire dorsale, moins haute que chez les especes prece- dentes, a neuf ou dix rayons branchus, l'anale en a de quatorze a dix-huit, le plus souxent quinze ou seize. Les dents pharyngiennes de cette espece, au nombre de cinq de chaque cote, rarement de six, sont moins crochues que celles de la Breme commune. La Breme de Buggenhagen ne parait guere depasser la taille de 0m,20 a O^^O ; elle fraye pendant les mois d'avril et de mai. Elle est tres-rare en France. Elle a ete pechee plu- sieurs fois dans la Somme , tres-rarement dans la Moselle, dans la Meuse, dans le Rhin. On la pfend en Angleterre seu- lement dans quelques localites restreintes, et en Allemagne, ou on la trouve plus frequemment, croyons-nous, dans un assez grand nombre de cours d'eau, elle ne se montre jamais en abon- dance. BREMES. 350 LES BLICKES (BLICCA, Heckel) Ge sont les Bremes dont les dents pharyngiennes, crochues a I'extremite comme chez les especes de la division prccedente, sont disposees sur deux rangs ; line rangee interne formee de deux dents, une rangee externe composee de cinq dents. LA BREME BORDELIERE (abramls bjcerkna ') La Bordeliere, connue egalement des pecheurs sous les noms de Blicke et de petite Breme ressemble beaucoup par sa forme Fig. 76. — Tete de la Breme bordeliere. generale a la Breme commune. On Ten distingue cependant a 1 Cyprinus bjcerkna, Linne, Sy sterna natures, p. 532; 1766. — Cyprinus blicca, Bloch, part. I, p. 6o, tab. X. — Leuciscus blicca, Valenciennes, Histoire nalurelle des Poiswns, t. XVII, p. 31 ; 1844.— Yarrell, British Fishes, t. I, p. 287; 1836. — Blicca argyroleuca et Blicca laskyr, Heckel et Kner, Die Susswasserfischc, etc., p. 120 et 123 ; 1858. —Blicca bjcerkna, Siebold, Die Siisswasserfische von Mitteleuropa, p. 138; 1863. 360 HISTOIRE PARTICUUERE DES POISSONS. la premiere inspection par 1'ceil plus grand relativement au volume de la tete, par la nageoire anale sensiblement plus courte, n'ayant que dix-huit a vingt-deux rayons rameux a la suite des rayons simples , tres-rarement leur nombre s'eleve a vingt-trois, vingt-quatre ou \ingt-cinq, par la nageoire dorsale n'ayant que huit rayons branchus. Le nom vulgaire de Bordeliere, generalement adopte pour designer cette Breme, serait \enu, s'il faut en croire Rondelet, de l'habitude qu'aurait le Poisson de se tenir pres des rives. Une observation inexacte serait ainsi l'origine du nom, car la Borde- liere ne parait pas moins vagabonde que la plupart des autres Cyprinides. La Bordeliere, verdatre en dessus, argentee sur les cotes et en dessous avec la nageoire dorsale d'un gris sombre, les na- geoires inferieures rougeatres, surtout au printemps, a le dos toujours tres-eleve, mais la hauteur du corps est assez variable suivant les individus. La tete est moins massive que chez la Breme commune, avec le museau plus saillant, la machoire su- perieure depassant un peu la machoire inferieure. Les ecailles dont on ne compte pas plus de quarante a qua- rante-huit dans la plus grande longueur du corps, sont sensi- blement plus longues que celles de la Breme commune et elles ont surtout leur bord exterieur plus arrondi, leur bord basilaire plus festonne\ II y a absence d'ecailles sur la partie anterieure de la carene dorsale et sur la careue ventrale entre la base des nageoires ventrales et la fossette anale. La nageoire dorsale a huit rayons rameux a la suite des trois rayons simples; les pectorales quinze, les ventrales huit, outre les deux premiers qui sont toujours simples. La Bordeliere offre, comme tons les Cyprinides, quelques BRfiMES. 361 variations (A brands micropteryx et erythropterus,Aga.ssizi Va- lenciennes) dans le nombre des rayons des nageoires dorsale et anale sur lesquelles on s'est appuye pouretablir des distinctions specifiques. Ce Poisson est repandu dans les memes contrees que la Breme commune ; il vit dans les memes eaux, il fraye a peu pr6s aux memes 6poques, mais il n'acquiert jamais une taille aussi considerable. Les plus beaux individus de la Borde- liere que Ton peche dans nos etangs et dans nos rivieres ne depassent guere la longueur de 0m,30. LA BREME ROSSE (ABRAMIS ABRAMO-RUTILUS ') Cette espece a ete pour la premiere fois decrite en 1836 par Holandre, qui l'avait observee dans la Moselle. Les pecheurs de Metz la designent sous le nom de Breme rosse, voulant indiquer un melange des caracteres de la Breme commune et de la Rosse ou Gardon . La Breme rosse represente dans la division des espe.ces du genre a deux rangees de dents pharyngiennes, la Breme de Buggenhagen de la division des especes a une seule rangee de dents. Corame chez cette derniere, sa nageoire anale est assez courte et composee seulement outre les trois premiers rayons 1 Abramis abramo-rutilus, Holandre, Faune du department de la Moselle, p. 246; 183(3. — Abramis Buygenhagii, Selys-Longchamps, Faune beige, p. 210; 1842. — Bliccopsis abramo-rutilus, Siebold, Die Sussivasserfische von Mitteleuropa, p. 1 42 ; 1S63. M. de Siebold a etabli avec cette espece le genre Bliccopsis, en se fon- dant pour le distinguer du genre Blkca, sur la presence d'ecailles sur les carenes dorsale et ventrale. 362 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. simples, de quatorze a seize rayons rameux, les carenes dorsale et anale sont entierement couvertes d'ecailles. Le corps est comprime lateralement, d'une hauteur mediocre, d'une forme generale assez semblable a celle du Gardon. Tout le dos, qui est eleve, a une couleur vert olivatre et quelquefois bleuatre ; les cotes ont des reflets cuivreux ; les parties infe- rieures sont d'un blancd'argent ; les nageoires dorsale, pectorales et anale d'un rouge orange, au moins a leur base. La tete est tres-courte, avec le museau fort epais, comme gonfle, saillant au-dessus de la bouche, l'oeil assez grand. Les ecailles, dont on compte huit rangees au-dessus dela ligne laterale et quatre au-dessous, sont de dimension mediocre, avec leur bord libre, bien arrondi. II y en a de quarante-deux a quarante-six sur la ligne laterale. La nageoire dorsale ne presente pas ordinairement plus de huit rayons rameux et l'anale de quatorze a seize. La Breme rosse ne parait pas depasser la taille de 0m,15 a 0m,18; elle semble etre fort rare en France, ou Ton sait qu'elle existe non-seulement dans la Moselle, mais encore dans la Meuse et dans le Rhin. En Allemagne, oil elle a ete pechee dans la plupart des grands cours d'eau, on ne la voit aussi que tres-rarement. Ce Poisson fraye pendant les mois d'avril et de mai. LE GENRE ABLETTE (alburnus, Rondelet) Un corps long et mince, des ecailles eclatantes comme l'ar- gent, d'une remarquable delicatesse ; une nageoire dorsale ABLETTES. 303 courte, s'elevant fort en arriere de l'insertion des ventrales, une nageoire anale tres-longue, naissant au-dessous ou en arriere de l'extremite de la dorsale ; une machoire inferieure saillante, sont les caracteres exterieurs qui distinguent les Ablettes des autres Cyprinides. A ces caracteres, il faut ajouter que les os pharyngiens sont longs et assez greles, les dents pharyngiennes sur deux rangs ; Fig. 77. — Dents pharyngiennes de I'Ablette commune. une rangee interne formee de deux tres-petites dents, une rangee externe composee de cinq dents plus on moins crochues a l'extremite et plus ou moins finement denticulees sur leur bord posterieur. Les Ablettes sont des Poissons de petite taille qui abondent dans toutes les eaux de l'Europe. Jusqu'ici, nous n'en axons rencontre que cinq especes en France, mais on en connait quelques autres (Alburnm ?nento, Agassiz; Alburnus arbo- rella), qui habitent les lacs et les rivieres de I'ltalie, de la Baviere, de rAutriche, de la Turquie l. 1 Plusieurs genres de Cyprinides voisins des Ablettes qui existent en Europe n'ont pas ete trouves en France : le genre Pelccus, ayant une seule espece connue, le Rasoir (Pelecus cultratus, Lin.), habite le Danube et les eaux de la Prusse oricntale; le genre Aspius, 6tabli sur 364 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. L'ABLETTE COMMUNE (alburnus lucid us *) L'Ablette est bien l'un des Poissons les plus vulgaires et les mieux connus dans toute 1 'Europe centrale. Parfaitement de- daignee des gastronomes a cause du gout fade de sa chair, Fig. 78. — L'Ablette commune. l'Ablette devient une consolation pour le pecheur a la ligne auquel la fortune n'a point souri pendant de longues heures, et puis, elle seduit les regards par l'eclat metallique de ses ecailles, plus encore que par sa forme elegante. Le magnifique vetement d'argent qui est sa parure a si bien attire l'attention qu'il a pris un role dans 1'industrie. une grande espece de l'Allemagne meridionale et orientale {Aspius rapax, Agassiz ; Cyprinus aspius, Lin.); le genre Leucaspius (Heckel et Kner), comprenant une petite espece de l'Europe orientale et meridionale (L. delinealas, Heck.; Leaciscus slymphalicus, Valenciennes). 1 Cyprinus alburnus, Linne, Systema natures; 6dit. XII, 1. 1, p. 531 ; 1766. — Yarrell, History of British Fishes, t. 1, p. 368; 1836. — Leuciscus al- burnus, Valenciennes, Bistoire naturelle des Poissons, t. XVII, p. 272; 1844. — Alburnus lucidus, Heckel et Kner, Die Sitsswasserfische der oslreichis- chen Monarchic, p. 131 ; 18o8. — Siebold, Die Susswusserfisehe von Mit- teleuropa, p. 154 ; 1863. A.BLETTES. 365 L'Ablette, appelee en Bourgogne Seu/fle ; Abbe, Blanchet ou Blanchaille, dans diverses localites; Lauge ou Lauch, en Al- sace; Nablo, dans le dcpartement de Vaucluse, depasse rare- ment la longueur de 0m,15 ; la plupart des individus n'en ont guere au dela de 12 a 14. Le corps de ce petit Poisson tres-variable dans sa forme, est en general assez effile, comprime lateralement, avec la ligne dorsale presque droite chez les males, tres-legeremeut arquee chez les femelles, et le ventre plus ou moins arrondi. Une couleur verte metallique passant quelquefois au bleu d'acier s'etend sur toute la region dorsale, s'affaiblit graduellement sur les cotes pour se confondre avec le blanc d' argent qui do- mine chez l'animal. L'iris est egalement argente. Les nageoires du dos et de la queue ont une teinte grisatre ; les autres sont entierement diaphanes ; quelquefois, avec la base des ventrales et de l'anale un peu lavee de jaune orange. ' Tout le corps est couvert d'ecailles fort minces, de moyenne dimension, se detachant avec la plus grande facilite et n'of- Fig. 79. — ficaille de la ligne laterale de I'Ablette commune. frant pas dans leur disposition la parfaite regularite qui est or- dinaire dans les ecailles de la plupart des Gyprinides. Les ecailles suffiraient a faire reconnaitre I'Ablette ; leur texture est 366 HISTOIRE PARTlCULlfiRE DES POISSONS. des plus dedicates el leur contour des plus earacteristiques. G'est Line forme ovalaire dans le sens de lalargeur. Le bord basilaire se montre legerement bilobe ; le bord libre offre de larges festons, limites par des sillons qui convergent vers le centre ; les stries circulaires sont assez espacees sur presque toute la surface de l'ecaille ; elles ne se trouvent tres- rapprochees que sur la portion basilaire. Les ecailles de la ligne laterale, au nombre de vingt-huit a vingt-neuf, ont le conduit de la mucosite cylindrique et echancre en dessus. La bouche est grande relativement a la dimension de la tete, avec la machoire inferieure plus ou moins ascendante. La nageoiredorsale, situee beaucoupen arriere des ventrales, a, d'une maniere presque constante, huit rayons branchus a la suite des trois rayons simples, et l'anale en a de dix-sept a vingt- deux, le plus souvent de dix-huit a vingt. L'Ablette commune varie assez dans les proportions pour qu'on ait pu croire a l'existence dans notre [pays de plusieurs espe-ces voisines, comme l'Ablette alburno'ide (Leuciscus alburnoides, Selys-Longch., Valenc.),|dont le corps est plus long que chez les Ablettes ordinaires, comme les Ablettes du departement de la Sarthe signalees par M. Anjubault (Soc. de la Sarthe, 1860). L'Ablette commune abonde dans la plupart des rivieres de France, mais il nous a paru qu'elle devenait plus rare dans les departements meridionaux ; du reste, elle existe presque partout en Europe. Ce Poisson, qui Jvit souvent en grandes troupes, nageantpr&s dela surface de l'eau, est fort dcdaigne pour la table, mais les pecheurs l'emploient volontiers comme appat pour le Brochet, les grosses Truites, etc. L'Ablette est tr^s-vorace et se nourrit plus encore de petits animaux que de substances vege- tales; elle fraye pendant le mois de mai. X ABLETTES. 367 L'Ablette donne lieu, en France, a line industrie aujourd'hui partieulierement exercee a Paris, qui est loin d'etre sans impor- tance. Tout le monde sait que les brillantes ecailles de ce Poisson fournissent le produit connu sous le nom d' essence d1 Orient, employe a la fabrication des fausses perles. Les ecailles du ventre sont detachees a l'aide d'un couteau, puis lavees et tri- turees pour en detacher leur pigment d'aspect metallique qui precipite au fond du vase sous la forme de particules microsco- piques1. On traite ensuite cette matiere pulverulente par l'ammo- niaque pour l'isoler de tout ce qui pourrait rester de substances organiques. Alors, avec de la colle de poisson, on forme de cette poudre une sorte de pate facile a etendre sur le verre. Les Chinois, s'il faut s'en rapporter a certaines assertions, connaitraient de temps immemorial le parti que Ton peut tirer de la couclie argentee qui revet les ecailles de certains Poissons. D'un autre cote, on assure que, des le seizieme siecle, les Venitiensconcurent l'idee d'enduire al'interieur de petits globes d'une couche d'essence d'Orient et reussirent a imiter si parfai- tement les veritables perles, que des gouvernements en vinrent a prohiber ce nouveau produit qui plusieurs fois avait ete l'occasion de fraudesiniques. Reaumur fixe la date de l'emploi de l'essence d'Orient en France a l'annee 1656, d'autres la font remonter au regne de Henri IV. On fabriquait alors des globules de platre ou d'une matiere analogue, que Ton recouvrait ensuite d'une couche de la substance qui imite si bien les perles. 1 Reaumur le premier a fait, en 1716, uue etude de cette substance^ Depuiselle a ete etudiee par divers n:ituralistes et chimistes : Ehrenberg^ Briicke, Barreswill, Voit, etc. 368 HIST01HE PARTICULIERE DES POJSSONS. D'abord, on s'emerveilla a la vue de ces joyaux, mais bientot quelle fut la disillusion ! La chaleur, la moiteur delapeaudes belles dames pendant les soirees determinaient un changement d'adherence de la matiere nacree ; cette matiere abandonnait le platre et s'attachait au cou, aux blanches epaules, en formant les dessins les plus incoherents. Les fausses perles etaieut eondam- nees. Mais tout etait sans doute a peu pre-s oublie a cet egard, lorsque, en 1680, un industriel de Paris, du nom de Jacquin, fabricant de chapelets ou Patenotrier, suivant l'expression du temps, ay ant observe de nouveau que les Ablettes lavees dans un vase faisaient deposer au fond des particules argentees ayant 1'eclat des plus belles perles, eut la bonne pensee d'enduire avec l'essence d'Orient depetites boules de verre, c'est-a-dire de confectionner les fausses perles a peu pr6s comrae on les confectionne encore aujourd'hui. G'etait une Industrie veritablement creee. Des fabriques s'etablirent sur les rives de la Seine, de la Loire, de la Saone et du Rhone. Apr6s avoir bien decline, cette industrie a repris faveur; elle occupe a Paris bon nombre d'ouvriers et surtout d'ouvrieres, et elle exporte annuellement pour plus d'un million de francs de ses produits. On a cite des fausses perles figurant a l'Exposition de 1855, d'une beaute si parfaite qu'il eut ete im- possible deles distinguer des veritables perles, sans un examen tr&s-attentif. Dans plusieurs de nos departements duNord et de l'Est et en Allemagne, on fait la peche des Ablettes pour en arracher les ecailles. Corame on compte qu'il faut environ quatre mille Ablettes pour fournir un demi-kilogramme d'ecailles, donnant a peine le quart de son poids dessence d'Orient, les fabricants de fausses perles doivent etre reconnaissants envers la Provi- ABLETTES. 309 dence qui a fait les Ablettes d'une merveilleuse fecondite. La valeur des ecailles, m'assure-t-on, varie dc 20 a 24 francs le kilogramme. Un pecheur dc Metz estime que les Ablettes, prises dans la Moselle, en i860, ontproduit 5,000 francs. L'ABLETTE MIRANDELLE (alburnus mirandella) On trouve au lac Leman et au lac du Bourget, une Ablette voisine de la precedente, mais vraiment bicn distincte, que Ton Fig. SO. — L'Ablette mirandelle. connait en Sa\oie sous les noms de Sardine et de Mirandelle. La Mirandelle se fait remarquer par son corps beaucoup plus allonge que celui de l'Ablette commune, avec le dos et le sommet de la tete formant une ligne presque completement droite, par sa machoire inferieure tout a fait ascendante, du reste a peine plus longue que la machoire superieure. Son opercule est plus large que chez l'Ablette commune ; ses ecailles au nombre de cinquante-sept ou cinquante-huit sur la ligne laterale, d'une texture sensiblement moins delicate que celles de l'espece precedente, ont leurs rayons ou canalicules |ilus Dlanciiard. 2 4 3T0 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. saillants et de la sorte tres-distincts meme a la vue simple. La nageoire dorsale plus ample que celle de l'Ablette com- mune a egalement huit rayons rameux, l'anale en a quinze ou seize. La Mirandelle d'un blanc d'argent eclatant a toute la region dorsale, d'un bleu fonce chatoyant, du plus agreable effet, qui rappelle beaucoup la coloration de la Sardine. J'ai observe des quantites considerables d'individus de cette espece ; je les ai compares a des Ablettes communes de toutes les provenances et j'ai pu me convaincre que la Mirandelle n'en est pas une simple variete, ce qui est rendu evident par la seule comparaison des ecailles. L'ABLETTE DE FABRE (AI.BURNUS FABRjEI) L'Ablette de Fabre, dont le corps est assez mediocrement allonge et le dos arrondi comme chez le Spirlin, la tete assez courte, la bouche un pen ascendante, les machoires egales, l'opercule plus court que chez l'Ablette commune. Les ecailles assez grandes, au nombre d'une cinquantaine dans la plus grande longueur du corps, sont un peu plus longues que chez l'Ablette commune, plus arrondies, d'une texture un peu moins delicate avec leurs canalicules plus saillants et ainsi, beaucoup plus distincts a la vue simple. La nageoire dorsale mediocrement elevee est extremement reculee en arriere ; elle a huit rayons rameux a la suite des rayons simples, l'anale, chez tons les individus observes, a pre- sente dix-sept ou dix-huit rayons branchus. ABLETTES. 371 Cette espece, d'un aspect bien different de eelui de nos autres Ablettes, a la raeme coloration que l'Ablette commune. Ses Fig. 81. — Ecaille de la ligne late'rale de l'Ablette de Fabre. dents pharyngiennes ont une forme particuliere ; elles sont plus courtes et plus faiblement dentelees. L'Ablette de Fabre se peche dans le Rhone aux environs d' Avignon. Le savant auquel elle est dediee men a fait par- venir plusieurs individus d'une identite parfaite , les plus grands individus ayant une longueur de 0m,10 a 0n',12. Les pecheurs du departement de Vaucluse appellent ce Poisson ainsi que l'Ablette commune la Nablo. L'ABLETTE SPIRL1N (albuenus bipunctatus ') Cette espSce est 1'une des plus faciles a reconnaitre parmi tons les Poissons habituellement designes par le terme de 1 Cyprinus bipunctatus, Bloch, part. 1, p. 50, pi. VIII, fig. 1. — Leu- cisms bipunctatus, Valenciennes, Hisloire naturelle des Poissons, t. XVII, p. 2K9; 1844. — Albunius bipunctatus, Heckel et Kner, Die Susswasser- fische der ostreichischen Monarchic, p. 13o; 1858. — Siebold, Die Suss- wasserfische von Mitteleuropa, p. Ifi3; 1863. 372 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. Blanchaille. Aussi trouve-t-on peu d'erreurs relativement a sa determination specifique dans les ouvrages d'lchthyologie. Les pecheurs savent la distinguer. Dans plusieurs localites, ils l'ap- Fig. 8.2. — Le Spirlin (Alburnus bipunctatus pellent Spirlin ; aux environs de Paris, cestYEperla?i de Seine, bien que ce Poisson n'ait aucun rapport avec l'Eperlan, qui appartient a la faraille des Salmonides. Dans le departement de l'Aube, les noms de Lorette on de Lurette sont en usage; dans la Lorraine, ce sont ceux de Mesaigne et de Meseine ; dans le departement de la Gote-d'Or, ceux de Lugnotte ou de Lignotte, faisant allusion a la double raie noire qui court sur les flancs du Poisson. Au lac Leman on donne au Spirlin les noms de Platet ou de Boroche. Le Spirlin, dont la plus belle taillene depasse guere 0m,10 a 0m,12, est une charmante Ablette d'ime physionomie toute particuliere. Moins effile , plus ovalaire que l'Ablette com- mune , le Spirlin avec sa longue nageoire anale et ses ecailles minces, dedicates, eclatantes, qui le designent comrae une veritable Ablette , presente certains details de colora- tion tres-fixes et tres-caracteristiques. Le plus remarquable de ces details de coloration, consiste dans la presence sur les ABLETTES. 373 ecailles de la ligne laterale de deux points, on plutot de deux petites lignes noires situees aux deux cotes du conduit de la mucosite, et formant ainsi deux raies interrompues qui regnent sur toute la longueur du corps. Le dos et la partie superieure de la tete sont d'un brun xerdatre metallique, tandis que les cotes et la region inferieure du corps sont d'un magnifique blanc d'argent passant au jaunatre sur les opercules. Sur ce blanc eclatant, de petites taches noiratres plus ou moins nom- breuses sont disseminees au-dessus de la ligne laterale. L'ceil dont l'iris est brunatre en haut, argente en bas axec la pupille jaune, contribue encore a rehausser la beaute duSpirlin. Les nageoires, principalement les nageoires inferieures, ont une coloration jaune-orange a leur base. A l'epoque du frai, les couleurs de ce petit Poisson prennent encore plus d'eclat ; le dos devient d'un vert plus vif, — le xert descend davantage xers la ligne laterale, et se dessine sur la teinte verte une bande bleuatre ou xiolette ; en meme temps la base des nageoires d'un jaune intense passe quelquefois au rouge. Le Spirlin dans sa parure de noce a ete pris pour une espece particuliere par quel- ques naturalistes l. La tete de ce Poisson est assez courte et semble un peu coni- que lorsqu'on la considere de profil. La bouche est grande rela- tivement a la taille de l'animal axec les deux machoires egalcs. Les ecailles, dont nous comptons neuf rangees au-dessus de la ligne laterale et quatre au-dessous, sont au nombre de qua- rante-cinq a cinquante dans la plus grande longueur du corps. Un peu plus longues et plus arrondies que chez l'Ablette com- mune, elles ont aussi leurs stries concentriques plus regulieres. 1 M. Valenciennes, Hist.naturellc des Poissons, t. XVII, p. 162, l'a d6 - crit sous le nom d'Ablede Baldner (Leuciscus Baldncri). 374 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. La nageoire dorsale du Spirlin, qui s'eleve en arriere des ven- trales, est remarquable par sa grande hauteur, presque double de sa longueur. Elle a trois rayons simples dont le premier tres- petit, et huit rayons rameux. L'anale, egalement tres-haute, a le plus ordinairement qua- torze rayons branchus a la suite des rayons simples, mais par- fois ce nombre est diminue de deux ou trois, ou porte jusqu'a quinze, seize ou dix-sept. Les dents pharyngiennes, terminees en crochet, sont tres- finement dentelees comme chez les especes precedentes. Le Spirlin est connu pour un Poisson tres-vorace, consom- mant peu de nourriture vegetale, mais prenant avec beaucoup d'avidite des insectes, des vers, de petits mollusques, ainsi que des ceufsdes differents animauxaquatiques. Ilfraye pendant les mois de mai et de juin. Le Spirlin est commun dans les rivieres de nos departements de l'Est, la Meuse, la Moselle, la Meurthe et leurs affluents, le Rhin, l'lll, etc. On le trouve aussi dans la Somme et dans la Seine, dans tout le centre de la France, et meme vers le cours inferieur du Rhone. M. Fabre m'en a envoye quelques individus peches dans la Sorgue, pres d'Avignon. Ges individus, d'assez petite taille, d'une couleur fauve doree, m'avaient semble d'abord pouvoir etre d'une espece particuliere, mais un examen minutieux n'a pu laisser de doute sur leur identite speficique avec nos indi- vidus du nord et du centre de la France. Ge Poisson est aussi fort repandu en Angleterre, en Belgique, dans la plus grande partie de l'Allemagne, mais il parait ne point se trouver dans le nord de l'Europe. Le Spirlin est, comme l'Ablette commune, recherche pour ABLETTES. 375 ses ecailles egalement employees a la fabrication do l'essence d'Orient. L'ABLETTE HACHETTE (alburnus dolabratus ') A la texture delicate de ses ecailles, a sa forme generale, a l'eclat argente de sa tete et de son corps, a sa nageoire anale encore assez longue, on reconnait de suite cette espece pour une Ablette, et cependant son corps moins effile que chez l'Ablette commune, sa tete beaucoup plus massive, son dos un pen courbe, luidonnent en merae temps une certaine ressem- blance avec nos Chevaines et nos Vandoises. La Hachette, d'un gris bleuatre ou verdatre sur les parties superieures, est du reste entierement argentee avec quelques points noirs sur les ecailles, l'opcrcule et la joue, et les na- geoires inferieures jaunatres. Ge Poisson a l'ceil grand, la bouche ascendante, rappelant la forme de celle de la Rotengle, les deux machoires presque egales, la machoire superieure depassant a peine l'inferieure. Les ecailles de la Hachette au nombre de quarante-cinq a cinquante dans la plus grande longueur du corps, disposees sur sept a huit rangees au-dessus de la ligne laterale et quatre au- dessous, sont tres-caracterisques. A la vue simple, leurs stries circulaires assez espacees entre 1 Leuciscus dolabratus, Holandre, Faune du departement de la Moselle, p. 250; 1836. — De Selys-Longchamps, Faune beige, p. 207, pi. V, fig. 5. — Valenciennes, Hist, naturelle des Poissons, t. XVII, p. 258; 1844.— Abramis dolabratus, Giinther, Fische des Neckars,\$. 70 ; 1853. — Albur- nus dolabratus, Siebold, Die Susswasserfische von Mittelearopa, p. 164; 186 3. 376 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. elles sont bien apparentes et leurs canaliculeslongitudinaux sont nombreux et tres-visibles. Ges ecailles detachees et comparees a celles de l'Ablette commune : leur longueur plus grande, leur contour exterieur arrondi , constituent des differences frappantes. La nageoire dorsale, qui s'eleve un peu en arriere de l'inser- tion des ventrales, a huit a neuf rayons rameux a la suite des trois rayons simples ; l'anale, beaucoup plus courte que chez les autres Ablettes, n'en a ordinairement que dix a douze, mais il est cependant des individus ou ce nombre s'eleve a quatorze, quinze, et meme seize. Les dents pharyngiennes different peu de celles de l'Ablette commune ; terminees davantage en crochet recourbe, elles res- semblent davantage a celles des Vandoises. Je n'ai eu la Hachette que de la Moselle ou elle a ete decou- verte il y a trente ans par Holandre. Depuis, elle a ete prise en Belgique, dans la Meuse, par M. de Selys-Longchamps ; et les natural istes allemands l'ont observee dans les regions du Rhin et du Danube. Ce Poisson, que Ton peche au printemps avec les Ablettes, est toujours en petite quantite dans la Moselle. II fraye, assure-t-on, pendant le mois de mai. LE GENRE ROTENGLE (scardimus, Bonaparte) Les Rotengles ont generalement le corps haut et comprime lateralement, les nageoires dorsale et anale courtes, la dorsale ordinairement tres en arriere. Ce sont des caracteres qui n'ont pas cependant la nettete de- ROTENGLE. 377 sirable, et il est necessaire d'avoir recours aux dents pharyn- giennespour acquerir la certitude qu'un Poisson est veritable- ment du genre Rotengle (S 'car dinius).hes dents pharyngiennes, par exemple, sont bien caracteristiques. Fig. 83. — Dents pharyngiennes grossies de la Rotengle commune. Disposees sur deux rangs, l'un forme de trois dents, l'autre de cinq, ces dents se font remarquer par leur forme comprimce et surtout par les dentelurcs tres-prononcees qui garnissent leur bord. Nous n'a\ons trouve en France qu'une seule espece de ce genre, offrant a la verite de nombreuses varietes. Mais on a decrit d'autres especes qui n'ont encore ete observees qu'en Italie, en Dalmatie, etc. LA ROTENGLE COMMUNE (SCARDINIUS ERYTHROPHTHAI.MUS1) La Rotengle est un Poisson fort commun dans une grande partie de l'Europe, que Ton reconnait au premier abord a la 1 Cyprinvs erythropJithulmus , Lmni^Sijslema natura>,edH.X\\, 1. 1, p. 530; 1766. — Leuciscus erythrophthalmus, Yarrell, Bis!, of British Fishes, t. I, p. 412; 1836. — Valenciennes, Hist, naturelle des Poissons, t. XVII, 378 HISTOIRE PARTlCULlfiRE DES POISSONS. magnifique couleur rouge des yeux. De cette particularity est venu son nom de Rothauge, ceil rouge, employe en Allemagne, egalement en usage en Alsace, et d'oii est derive, sans aucun Fig. 84. — La Rotengle (Scardinius erythrophthahnus). D'apres un individu de la Dordogne. doute, le nom vulgaire francais de Rotengle. Les pecheurs ce- pendant appellent plus ordinairement ce Poisson la Roche, la Rosse on la Rousse, et la Rossette s'il est petit, sans le distin- guer toujoursdu Gardon, qu'ils designentde lamememaniere. Dans diverses localites neanmoins la confusion n'existe pas et la Rotengle est nominee Gardon rouge ou Gardon a ailerons rouges. Dans les Basses-Pyrenees c'estle Sergent ; dans le de- partement de la Cote-d'Or, on le nomme encore, parait-il, Cher in ou Char in. La Rotengle, dont le corps peut etre plus ou moins eleve, etant consideree de profil, affecte une forme ovalaire tres-regu- liere, la ligne dorsale s'elevant sans aucune saillie brusque en arriere de la nuque. p. 107; 1844. — Scardinius erylhropldhahnus^Wcckel ct liner, Die Susswas- scrfische der osireichischen Monarchie, p. lo3; 18o8. — Siebold, Die Stiss- wasserftsche von Mitteleuropn, p. 180; 1803. HOTENGLK. 379 Ses couleurs varient dans une assez large mesure. Le plus soirvent, le corps est dans sa plus grande partie d'un blanc d'argent eclatant, a\ec le dos et la region superieure de la tete d'un brun verdatre ou bleuatre metallique, la nageoire dorsale de la meme nuance et les nageoires inferieures d'un splendide rouge vermilion, surtout vers leur extremite; mais chez beau- coup d'individus, la teinte generale du corps est rembrunie et Ton voit a la base des ecailles des taches obscures formees de points tres-rapproches. Souvent, aussi, les nageoires inferieures deviennent tres-pales et quelquefois elles sont entitlement decolorees. On sait du reste les changements qui seproduisent a cet egard, chez une infinite de Poissons suivant les epoques de I'annee, sans compter les influences dues a la nature des eaux. La tete, haute a sa base et amincie vers le museau, est ainsi presque conique avec l'ceil fort grand. La bouehe assez large est fendue tres-obliquement, de sorte que la machoire infe- rieure se trouve etre tres-ascendante. Ce caractere contribue encore a donner a la Rotengle une physionomie particuliere a cote des autres poissons blancs. Fig. 85. — Ecaille de la Rotengle commune. Les ecailles sont grandes, mais, comme leur portion decou- verte est fort etroite, elles figurent des losanges tres-allonges. 380 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. On en compte quarante a quarante-deux dans la longueur du corps, sept rangees au-dessus de la ligne laterale, trois a quatre au-dessous. Ces ecailles detachees, on voit qu'elles sont un peu plus longues que larges, avec leur bord basilaire tres- sinueux, leur bord libre arrondi et tres-legerement festonne, leurs stries circulaires sinueuses et irregulieres sur la portion libre, de tres-faibles sillons longitudinaux, deux, trois ou quatre canaux convergeant vers le centre, qui apparaissent a la vue simple comme autant de petites lignes saillantes. La ligne laterale, mediocrement courbee a son origine, court ensuite parallelement au bord ventral jusqu'a l'extremite du corps. A la position tres-reculee de la nageoire dorsale, on distin- gue encore aisement la Rotengle parmi les autres Poissons blancs. Gette nageoire, assez courte, s'elevebeaucoup enarriere de l'insertion des ventrales ; elle est eomposee de trois rayons simples dont un rudimentaire et de huit rayons rameux, quel- quefois neuf, dans le cas ou le dernier se trouve partage jusqua la base. Aux nageoires pectorales, on compte seize ou dix-sept rayons dont un simple ; aux ventrales, deux simples et huit rameux, et a l'anale, trois simples et dix a douze rameux, onze chez le plus grand nombre des indhidus. Un moment, j'avais cm \oir des differences specifiques en- tre les Rotengles de nos departements meridionaux et celles 4 du nord et de Test de la France. En general, les individus que j'ai obtenus de la Normandie, de la Lorraine et de l'Alsace, meme des lacs de la Savoie, ont le corps tres-eleve etles ecailles pointillees de brun a la base et au bord extcrieur. Des indivi- dus de la Dordogne ont le corps moins haut, les regions supe- rieures d'une couleur bleue plus fraiche et la ponctuation des GABDONS. 381 ecailles rare. Mais j'ai trouve tons les intermediaires et je n'ai rencontre aucim caractere distinctif precis. Dela sorte, onpeut dire que jusqu'a present, il n'a ete observe en France qu 'une seule espece de Rotengle l. L'Azurine [Leuciscus ccerulescens) que Ton peche aux environs de Knowsley, en Angleterre, et qui a ete decrite par Yarrell, est vraisemblablement une simple variete de la Rotengle commune, remarquable par sa belle cou- leur bleue. La Rotengle, le plus joli peut-etre de nos Poissons blancs, n'atteint guere une longueur de plus de 0m,30 et le poids d'un kilogramme. Encore est-il rare d'en trouver des indi- vidus d'une aussi belle dimension. Ce Poisson se plait ega- lementdans les eaux courantes et stagnantes, ou il vit de sub- stances vegetales et animales. II est tres-vorace et la facilite avec laquelle il se jette sur les appals lui donne un certain attrait aux yeux des pecheurs a la ligne. La Rotengle fraye habituellement a la fin d'avril et au commencement de mai. LE GENRE GARDON (leuciscus, Rondelet) Les Gardons ont en general le corps d'une assez grande hau- teur, ce qu'on appelle large en le considerant de profil, et ils ontlanageoire dorsale d'une longueur plus considerable que les autres poisso?is blancs. Ce sont les dents pharyngiennesseules cependant qui permet- tent d'affirmerquetel Poisson est du genre Gardon (Leuciscus). 1 11 existe en Italie, en Dalmatie, en Bosnio, quelques especes par- ticulieres tres-voisines de notre Rotengle commune. Voir Meckel et Kner, Die Sussivnsstrftsche der dstreichischen Monarchic. 3S2 H1ST0IRE PARTICULIERE DES POISSONS. Ces dents sont disposers sur un seul rang, le plus souvent au nombre de six du cote gauche et de cinq du cote droit, mais Fig. 86. — Dents pharyngiennes grossies du Gardon commuii. le nombre peut neanmoins etre de cinq ou de six des deux cotes. Les dents anterieures affectent une forme conique, tandis que les posterieures sont comprimees, crochues au bout, et tres-fme- ment entaillees sur leur bord. Les especes de Gardon s avaient ete tres-multipliees dans ces derniers temps par divers naturalistes, mais aujourd'hui, on a reconnu que beaucoup de ces especes etaient de simples varietes du Gardon le plus commun dans toute l'Europe. LE GARDON COMMUN (leucisccs rutilus ') Le Gardon commun, habitant des lacs aussi bien que des ri- vieres, est un des Poissons les plus repandus dans les eaux de la 1 Cyprinus rutilus, Linne, Sy sterna naturcc, edit. XII, 1. 1, p. 539 ; 1766. — Leuciscus rutilus, Yarrell , British Fishes, t. I, p. 399; 1836. — Valen- ciennes, Hist, naturelle des Poisso?is, t. XVII, p. 130; 1844. — Heckel et Kner, Die Sussivasserfische der oslreichischcn Monarchic, p. 169; 18b8. — Siebold, Die Susswasserfische von Mitleleuropa, p. 184; 1863. GAR DONS. 383 plus grande partie de l'Europe. Tres-variable tout a la fois sous le rapport des formes et des couleurs, plusieurs naturalistes ont considere ses principalcs varietes comme autant d'especes dis- tinctes. L'examen minutieux et comparatif d'un nombre tr6s-consi- derable d'individus de tous les ages, provenant de toutes les regions de la France et plusieurs de differentes parties de l'Allemagne nous a conduit a acquerir la conviction que des especes nominates decrites par les ichthyologistes modernes, etaient en realite de l'espece du Gardon commun. Dcja M. de Siebold, l'auteur de YHistoire des Poissons de l'Europe cenlrale, etait arrive a un resultat semblable qui d'abord m'avait surpris, mais 1'etude approfondie du sujet a du bientot faire considerer ce resultat comme l'expression de la verite. Le nom de Gardon ou de Gardon blanc, est tres en usage parmi nospecheurs; cependant les noms de Roche, de Rosse ou de Rousse et de Rossette pour les jeunes individus, appliques egalement a la Rotengle, sont aussi d'un emploi vnlgairc tres- habituel, pour designer le Gardon commun ; en Alsace, c'est le Rottel. Ce Poisson dans sa forme la plus ordinaire a le dos assez for- tement eleve et d'une courbe a peu pres reguliere. Considere de profil, il est en ovale plus ou moins allonge, car, suivant lage, suivant le sexe et le developpement des laitances ou des ovaires, la hauteur totale du corps varie d'une maniere tres-notable. Les couleurs du Gardon sont souvent tres-vives. En general, le dos est d'un vert fonce, a reflets dores ou irises, quelquefois d'un bleu magnifique, les cotes sont argentes avec des reflets bleuatres et souvent des taches brunes a la base des ecailles et des points de la meme couleur dissemines en plus ou moins 384 H1ST0IRE PARTICULIERE DES POISSONS. grand nombre, le ventre d'un blanc d'argent, l'iris d'un rouge dore, les nageoires dorsale etcaudale d'une teinte sombre, par- fois lavee de rougeatrc, les peetorales pales, les ventrales et l'anale d'un rouge plus on moms eclatant, suivant les epoques de l'annee, suivant les conditions d'existence. Des individus de la Seine, d'une teinte generale bleue assez claire, sont designes par nos pecheurs sous le nom de Gardons bleus. Chez ce Poisson, la t. 225; 1803. HA HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. ment Avcon, et Schiff dans quelques localites. Dansles Ardennes c'estle Hotu, designation egalement en usage a la Halle de Paris. Fig. 102. — Le Nase (C/iondrostoma nasus). Dans le departement de la Gote-d'Or, e'est la Seuffre ou la Senffle. Le Nase a une forme elancee, vraiment elegante et tine co- loration d'un aspect fort agreable. Uneteinte d'un gris noiratre, rendue plus vive par des reflets d'un \ert metallique, regne sur le dos, la nageoire dorsale et la nageoire caudale. Une nuance legerement jaunatre ou roussatre, brillante d'un eclat argente et rehaussee par de petites taches pigmentaires noiratres, s'e- tend sur les cotes, tandis que le blanc pur donne aux parties inferieurcs du corps par le jeu de la lumiere l'apparence d'une surface de nacre. En outre, un trait noiratre se dessine nette- ment sur chaque ecaille de la ligne laterale ; une couleur tantot jaunatre, tantot d'un rouge vif, pare les nageoires inferieures ; un cercle d'un jaune citron entourela pupille, et l'iris se montre, dans sa partie superieure de la nuance du dos, dans sa partie inferieure d'un blanc d'argent. Chez le Nase, ce qui frappe surtout l'attention, c'estla forme de l'cxtremite de la tete. Le museau est large, obtus, comme CHOXDROSTOMES. 41o tronque, formant en avant une sorte de cone aplati. La bouche situee en dessons se montre sons l'apparence d'nne fente trans- Fig, 103. — Tete du Nase vue en dessous. versale legerement arquee avec les levres garnies d'une lame cartilagineuse assez large, d'une teinte jaunatre, facile a deta- cher apres la mort de l'animal et se detachant presque toujours par Taction de l'alcool. Les ecailles, de mediocre dimension, offrant presque le poli que Ton remarque chez notre Ghevaine commune, ontleur bord exterieur bien arrondi . On en compte cinquante-six a cinquante- huit dans la plus grande longueur du corps, neuf rangees au- dessus dela ligne laterale, six au-dessous. Ces ecailles, conside- rees isolement, se montrent un peu plus longues que larges, avec leur bord exterieur bien arrondi et legerement festonne, six a huit canalicules longitudinaux , les stries circulaires assez espacees sur toute la portion decouverte, mais presque regulieres. La nageoire dorsale qui s'eleve au milieu du dos, au-dessus de l'insertion des ventrales, est tres-haute; elle a douze rayons, trois simples dont un tres-petit, et neuf rameux. Les pectorales 416 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. ont seize on dix-sept rayons, les ventrales onze, dont deux sim- ples. L'anale, qui est presque aussi haute que la dorsale, en a trois simples et dix rameux, quelquefois onze. Chez le Nase les dents pharyngiennes ont leur extremite re- marquablement longue. Ge Poisson fort rare dans la Seine est deja plus commun dans la Somme ; il est abondant dans nos rivieres del'Est, la Meuse, la Meurthe, la Moselle, Till, le Rhin. II fraye des le mois d'avril. LE CHONDROSTOME BLEUATRE (CHONDROSTOMA CERUI-ESCENS) Le Chondrostome bleuatre a le corps plus epais que le Nase et il a une coloration qui le distingue au premier coup d'oeil de cette derniere espece. Toute la portion superieure du corps est d'un gris noiratre plus ou moins fonce, avec de vifs reflets d'un bleu d'acier. De gros points noirs sont dissemines sur les ecailles jusqu'au-dessous de la ligne laterale, et des points sem- blables,ou encore plus gros, sont repandus autour de 1'ceil ainsi que sur l'opercule et le preopercule. II est a noter cependant que chez certains individus la ponc- tuation est notablement affaiblie. Les nageoires dorsale et caudale sont lavees de gris et les na- geoires inferieures d'une legere teinte jaunatre. La tete du Chondrostome bleuatre rappelle un peu la forme de celle de la Chevaine commune, mais elle a le museau caracte- ristique des Chondrostomes, court etaplati,et dans cette espece, il est remarquablement eleve. La bouche,taillee en croissant, est large, et cependant beaucoup moins grande que chez le Nase, avec CHONDROSTOMES. 417 la lame cartilagineuse de la levre inferieure relativement tres- courte. De chaque cote de la m&choire inferieure, on observe Fig. 104. — Tete, vue en dessous, du Chondrostome bleuatre. cinq petits pores disposes regulierement. Les ecailles dont on compte cinquante-huit a soixante dans la pins grande longueur du corps, sont oblongues, plus attenuees au bout que celles du Nase, avec leurs canalicules longitndinaux rarement au nom- bre de pins de six ou sept. La nageoire dorsale beaucoup moins haute que chez l'espece precedentea huit rayons rameux apres lestrois rayons simples, et dans certains cas nenf, lorsque la division du dernier est com- plete. La nageoire anale offre dix rayons branchus outre les trois premiers qni sont toujours simples. Les dents pharyngiennes du Chondrostome blenatre, con- stamment au nombre de six de chaque cote, out lenr surface tranchante beaucoup moins longue que chez le Nase, et de forme tres-conique. Le Chondrostome blenatre se peche dans le Doubs et dans l'Ognon, mais nous ignorons jusqu'a quel point il pent 6tre abondant. M. Grenier, le savant professenr de la Facnlte des Bt.ANCIIARD 27 418 IIISTOIRE PARTICLLIERE DES POISSONS. sciences de Besancon, m'en a errvoye plusieurs individus dela taille de 0m,25 a 0m,28. Jusqu'a present je n'ai obtenu cette espece d'aucune autre region de la France. Au premier abord j'avais pense que le Chondrostome du Doubs de\ait se rapporter au Chondrostoma Rysela dccouvert dans les affluents du Danube par M. Agassiz et deerit depuis par divers zoologistes de l'Allemagne. II y a entre les deux especes de grands rapports dans la coloration generate et meme dans la forme de la tete et de la bouche , mais chez le Chondrostome Rysele, il n'existe que cinq dents pharyn- giennes du cote droit , et parfois cinq seulement des deux cotes. LE CHONDROSTOME DE DREME CHONDROSTOMA DREM.EI Ce Poisson, un peu plus mince que l'espece precedente, a beaucoup de ressemblance par ses proportions avec cette der- niere ; il s'en rapproche meme par sa coloration. Fig. It 5, — Le Chondrostome de Dreme (Chondrostoma Dremai). Les pecheurs des departements du Lot, de Lot-et-Garonne et de la Haute-Garonne, lui donnent les noms de Seyche, de Setge, CHONDROSTOMES. 419 *>&&, de Sitge, de Mullet, mais on peut ,tre ^ apphquent assez indifferemment a d'autres especes de />„W blancs. Le Ghondrostome de Dreme ales parties superieures da corps d an gns tres-legerement bleuatre avec une bande longitudi nale situee au-dessus de la ligne laterale, d'un ton un peu ar- doise, tres-faible du reste chez certains individus; il a, en outre des points noiratres epars surles ecailles, devenant plus presses sur la ligne laterale. La joue ct l'opercule sont egalement par- semes de points assez confus. La nageoire dorsale est Cere- ment lavee de gris ; les pectorales et l'anale sont ordinairement sablees de petits points noiratres sur le trajet de leurs rayons. La tete du Ghondrostome de Dreme est proportionnellement aussi courte que celle du Ghondrostome bleuatre, mais le mu- seau est moins large ainsi que la bouche, qui est cependant plus grande que chez le Ghondrostome du Rhone. Cette espece se fait aussi remarquer par l'opercule presque carre, ayant le bord posterieur sans echancrure, plus large que chez nos autres Ghondrostomes. Les ecailles, an nombre de cinquante-six a cinquante-huit Fig. 106. — Ecaille du Chondrostome de Dreme. dans la plus grande longueur du corps, sont assez courtes, e avec 420 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. leur bord libre arrondi, tres-faiblement festonne, leurs stries circulaires serrees ; leurs canalicules longitudinaux au nombre de cinq ou six. Les dents pharyngiennes , toujours au nombre de six de Fig. 107. — Dents pharyngiennes du Chondrostome de Dreme. chaque cote, ressemblent a celles de l'espece precedente, seu- lement elles sont plus epaisses et leur extremite tronquee est plus triangulaire. Le nombre des rayons des nageoires est le meme chez toutes les especes. Nous avons eu le Chondrostome de Dreme de plusieurs? rivieres, du Lot, pres Cahors, de la Save, de l'Aude, de la Garonne, a Toulouse. LE CHONDROSTOME DU RHONE * (CHONDROSTOMA RHODANENSIs) Gette espece, que nous avons obtenue exclusivement du Rhone et de quelques-uns de ses affluents, ressemble beaucoup a la precedente. Un aspect particulier permet cependant de la dis- tinguer a la premiere inspection ; ses ecailles sont plus bril- lantes et sa coloration est en general d'un ton jaunatre, avec de tres-petits points noirs plus ou moins nombreux, dissemi- nes sur la tote et sur les regions superieures du corps. Ges caracteres a la verite seraient insuffisants pour voir, dans CHONDROSTOMES. 421 le Chondrostomc des eaux de l'Est, uric espece differente du Ghondrostome des eaux de l'Ouest, du midi de la France ; mais chez le premier, le Chondrostomc du Rhone, la bouchc est no- Fig. 108. — Tete, vue en dessous, du Ghondrostome du Rhone. tablement plus petite que chez le second et surtout plus en croissant ; les ecailles ont leurs stries cencentriques beaucoup plus espacees et par consequent moins nombreuses ; leurs dents pharyngiennes, trouxees invariablement au nombre de six des deux cotes, sont notablement plus greles. Le Ghondrostome du Rhone rappelle beaucoup par les formes le Ghondrostome de Gene (Ch. Ge?iei, Bonap.); mais chez ce dernier il n'y a que cinq dents pharyngiennes de chaque cote, et ces dents sont beaucoup plus massives. Nous axons eu de nombreux indixidus de cette espece, pro- venant les uns du Rhone, pres d'Avignon, de l'Ouveze, de la Durance, les autres des enxirons de Lyon. On la nomme a Avignon la sofjio et a Lyon \asoafe ou la seufle l. 1 On connait plusieurs especes europeennes de Chondrostomes qui n'ont jamais 6t6 trouvees en France : Le G. Genet, Bonaparte, commun en Italie ; le C. Rysela, Agassiz, du Danube ; le G. Soetta, Bonap., dont les dents pharyngiennes sont au nombre de sept, des eaux de la Lombar- 422 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. LA FAMILLE DES SALMONIDES (SALMONIDjE) Apres les Cyprinides, les Poissons blancs, c'est-a-dire les Poissons generalement assez dedaignes, se placent d'une ma- niere tres-naturelle, sous le rapport des affinites zoologiques, les Salmonides ; la famille qui comprend les Saumons, les Truites, l'Eperlan, etc., ce qu'on appelle, sur les marches, les Poissons fins, et, dans un certain monde, les Poissons nobles. Malgre d'assez grandes differences dans les formes, dans l'aspect general des especes des Salmonides, un Poisson de cette famille est toujours facile a reconnaitre ci un caractere bien particulier. Le caractere consiste dans la presence d'une tres-petite nageoire adipeuse situee en arriere de la nageoire dorsale. Cette nageoire adipeuse, commel'indique son nom, est formee d'une certaine quantite de matiere grasse, interposee dans l'epaisseur d'un simple prolongement des teguments. Elle n'a aucune trace de rayons. Mais les Salmonides se distinguent encore par d'autres par- ticularites. lis ont, le plus souvent, les machoires, les os pala- tins, le Yomer et meme la langue pourvus de dents plus ou moins nombreuses et plus ou moins fortes, le bord de la ma- choire superieure constitue a la fois par les os intermaxillaires etles os maxillaires, les ouies fendues jusqu'a la gorge. Leurs nageoires ventrales sont situees, comme chez les Cyprinides, en die; le C.Knerii, Heckel, de la Dalmatie; le C. phoxinus, Heckel, dela Dalmalie et de la Bosrtie; le C. polylepis, Steindachnec, du Portugal. Un pretendu hybride de ce dernier Chondrostome et d'un Barbeau est cite par M. Steindacbner (Catalogue preliminaire des roissons d'eau douce du Portugal, I860.) COR&GONES. 423 arrieredespectorales; leur membrane branchiostege offre de sept a dix rayons ; leur corps est convert d'ecailles, tres-potites chez beancoup d'especes, de mediocre dimension chez les autres. Les Salmonides se font aussi remarquer par plnsieurs carac- teres de leur organisation interne. Ainsi leur estomac presents constamment une dilatation en forme de sac, leur intestin est aecompagne a son origine de nombreux appendices pyloriques, leur vessie natatoire est simple, leurs ovaires sont depourvus d'oviducte, de telle sorte que les oeiifs murs, pour effectuer leur sortie, tombent d'abord dans la cavite abdominale. Les Salmonides, ayant une chair delicate et de gout extreme- ment agreable, sont tenus en tres-haute estime pour la table. Leur abondance dans toutes les parties de l'Europe, la grande taille de quelques-uns d'entre eux, leur donnent une veritable importance au point de vue economique. Les differences dans les caracteres, et surtout dans les conditions d'existence des especes de cette famille, offrent un interet considerable au point de vue de l'histoire des animaux. Parmi ces Poissons, les uns, habitants des mers, remontent chaque annee les cours d'eau a des epoques determinees : ce sont les migrateurs ; les autres sont sedentaires, et ceux-la vivent ou dans les grands fleuves, ou dans les lacs aux eaux pures et transparentes, ou meme dans les ruisseaux limpides. LE GENRE COREGONE (cokegonus Artedi). Les Coregones sont d'elegants Salmonides, un peu compri- mes lateralement, couverts d'ecailles tres-faciles a detacher, 424 HIST01KE PARTICULIERE DES POISSONS. assez grandes, arrondies, pourvues de fines stries concentri- ques, ayant une bouche, soit garnie de dents d'une extreme finesse, soit totalement privee de dents ; une nageoire dorsale, haute en avant, tres-oblique vers la partie posterieure, s'ele- vant moins en arriere que les nageoires ventrales. Une singuliere particularite se manifeste chez les Coregones a l'epoque du frai. C'est une sorte d'eruption cutanee, qui de- termine sur chaque ecaille une saillie blanche, allongee. Tout disparait bientot lorsqu'est passe le temps de la reproduction. La plupart des Coregones habitent les lacs des regions al- pines, quelques-uns vivent dans les eaux du nordde 1 'Europe ; d'autres sont des animaux marins qui remontent les fleuves periodiquement. Jusqu'ici on n'en a observe que peu d'especes dans les lacs de la France, mais il est des lacs, ceux des Pyre- nees par exemple, encore peu explores par les naturalistes, ou peut-etre on rencontrera de nouveaux Poissons de ce genre. Les auteurs anglais ont decrit diverses especes de Coregones des lacs de leur pays qui n'ont pas ete rencontrees en France. Deux especes du nord de 1'Europe {Coregonus marcena, Bloch, et C. albula, Linne) paraissent aussi etre etrangeres aux eaux de la France. Les Coregones comptent parmi les Poissons les plus estimes pour la table, leur chair est blanche et d'une extreme deli- catesse. LAVARET. 425 LE COR EGO* E LAVARET (COREGONCJS LAVARETUS ') L'etranger venu pour la premiere fois a Aix en Savoie on dans qnelque autre localise voisine da lac du Bourget, ne man- que pas d'entendre bientot parler du Lavaret. Vous ne con- naissez point le Lavaret ; vous n'avez jamais mange'1 du Lava- ret, lui repetent a l'emi les indigenes. Comme bien somen l'etranger tend une oreille frappce d'un mot nouveau, l'habitant de la Savoie jouit de sa surprise et, heureux d'en remontrer, peut-etre a un Parisien, en fait de bons mets, il daigne lui ap- prendre que le Lavaret est le Poisson le plus parfait qui existe, un Poisson sans egal pour la delicatesse de sa chair, pour son parfum ; un Poisson aupres duquel la Fera des Genevois ne meritememe pas grande consideration. Le Lavaret se distingue au premier abord des autres Core- gones par la forme de son corps comprime a peu pres egale- ment de l'extremite anterieure a l'extremite posterieure. II se fait aussi remarquer par une tete proportionnellement petite, dont le museau attenue et tronque au bout ne forme qu'une faible saillie au-dessus de la maclioire inferieure. Ge Poisson est d'un magnifique blanc d'argent sur les cotes et sur les parties inferieures, avec le dos d'un gris bleuatre ou verdatre, les nageoires pales chez les jeunes individus, lavees 1 SalmoL'ivaretus, Linne, Syst. nat., edit. XII, t. I, p. 512 ; 1766. — Salmo Wartmanni, Rloch, part. HI, n° 3a. — Coregonus Lavaretus, Valen- ciennes, Hist. nat. rfes Poissons, t. XXI, p. 4fi6, pi. 627. — Cor. Palea, p. 477, pi. 628, et Coreyonus Rcisi»geri, p. 499 ; 1848.— Coregonus Wart- manni, Heckelet Kner, Die Sitsswasserfische dcr Ostreichischen Monarchic, p. 23o ; 1 >58. — Siebold, Die Silssioasserfische von Mitleleuropa, p. 2 i3 ; 1 863. 426 H1ST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. de gris vers leur extremite et teintees de noiratre chez les adultes, l'iris argente. La region superieure du corps est tou- jours pointillee on sablee de noir ainsi que la tete, mais, a cet egard, on observe de grandes differences entre les individus selon leur age et surtout selon les localites ou ils ont vecu. Les points noirs, lorsqu'ils sont nombreux, donnent a l'animal une teinte plus sombre, corarae on le voit principalement chez les individus du lac de Neuchatel, que les naturalistes conside- raient autrefois comme appartenant a une espece distincte du Lavaret [Coregonus Palea). Les ecailles du Lavaret sont de mediocre dimension ; elles sont courtes surtout relativement a leur largeur ; aussi n'en compte-t-on pas moins de quatre-vingt-quatre a quatre-vingt- quinze, et le plus souvent quatre-vingt-sept ou quatre-vingt-huit dans la longueur du corps. II y en a de neuf a dix rangees au- dessus de la ligne laterale et huit ou neuf au-dessous. La nageoirc dorsale qui s'eleve vers le milieu de la longueur du corps a quatre rayons simples et onze rameux, quelquefois dix seulement ; les ventrales, deux simples et dix ou onze rameux ; l'anale, quatre simples etonze ou douze rameux. Le Lavaret atteint quelquefois, assure-t-on, le poids de 1 ki- logramme et demi a 2 kilogrammes, mais la plupart des indi- vidus que Ton peehe n'ont pas plus de la moitie de ce poids et ne depassent guere la longueur de 0m,30 a 0m,35. Ce Poisson se nourrit de tres-petits animaux nageurs, comme certaineslar- ves d'insectcs, de crustaces et, en meme temps, de frai et de debris organiques de toutes sortes. Les Lavarets se tiennent ha- bituellement dans des eaux profondes, mais, vers la seconde moi- tie de novembre, ils se rapprochent des rivages et se reunissent LAVARET. 427 en grandes troupes pour venir frayer, ce qui a lieu pendant deux a trois semaines, de novemhre a decembre. Les assertions des s s O o > re o .*5 auteurs relatives a l'epoque a laquelle fraye cette espSce sont fort contradictoires. On a ete fixe a cet egard depuis qu'on 428 H1ST0IRE PARTICULlfiRE DLS POISSOiNS. s'est oecupe de la propagation du Lavaret dans des eaux ou il n'existe pas et depuis les observations de M. Vogt. En France, nous avons le Lavaret dans lelac du Bourget ou il est tre-s-abondant ; il devient ainsi une ressource assez im- portante pour les localites voisines et surtout pour la ville d'Aix. II nc se trouve ensuite que dans un bien petit nombre d'autres contrees. Nous croyons qu'il existe dans le departe- ment de l'Ain ; M. Charvet le dit tres-rare dans le Drac et dans l'lsere, mais assez commun dans le Guier, surtout en hiver l. Cependant la presence du Lavaret dans des rivieres n'est pas sans me causer quelque surprise et je reste sous l'impression d'une crainte d'erreur. M. Valenciennes cite le Lavaret comme lui ayant ete envoye de Strasbourg ; nous som- mes persuade que ce Poisson n'a jamais ete pris aux environs de cette ville 2. II n'existe pas dans le lac Leman ; Jurine l'a affirme il y a plus de quarante ans, et toutes les informations que j'ai recues des pecheurs en 1862, pendant un sejour a Geneve et en Savoie, confirment l'assertion du naturaliste ge- nevois. Cependant le Lavaret se trouve dans les lacs de Neuchatel, de Constance, de Zug ; il est abondant dans la plupart des lacs de la Baviere etde rAutriche ; on l'a pris en Angleterre et en Suede; ce qui explique comment, dans chaque pays, ou il habite souvent un lac a l'exelusion des eaux des localites voi- sine, les naturalistes ont pu se croire pendant longtemps en possession d'une espece particulicre. Des comparaisons multi- 1 Slatislique generate du departement de l'lsere, t. II, p. 2oi ; 1846. 3 Un auteur allemand, Raldner, a cite aussi le Lavaret comme ayant etc peche" dans le Rhin. M. de Siebold pense que Baldner et Valencien- nes ont pris, pour le Lavaret, des Routings qui avaient eu le nez bris£. FfiRA. 429 pliees entre des individus des differentes parties de l'Europe que nous venons de mentionner, ont conduit depuis peu les zoologistes a reconnaitre le Lavaret dans plusieurs Coregones que Ton en avait cms distincts. LE COREGO.NE FERA (COREGONUS FERA ') La Fera est, pour les riverains du lac Leman, ce que le Lava- ret est pour les riverains du lac du Bourget, le Poisson par excel- lence, on pourrait presque dire le Poisson national, car c'estle Poisson dont on se montre tier devant les etrangers. Malgre son etroite affmite avec le Lavaret, la Fera, dont la chair est egalement fort delicate, a une saveur differente, peut- etre un peu moins parfaite, mais en realite encore tres-agreable. La Fera est facile a distinguer du Lavaret a la premiere in- spection. Elle est plus courte, plus ramassee; ainsi, on ne trouve pas dans la longueur de son corps quatre fois la longueur de la tete, tandis que, chcz le Lavaret, il y a ordinairement quatre fois et demie cette longueur. Un autre caractere tres- apparent de la Fera, lorsqu'on la compare au Lavaret, consiste, non pas seulement dans la tele plus forte proportionnellement, mais surtout dans la forme du museau qui est plus haut, plus tronque et un peu oblique d'avant en arriere, de sorte que la bouche parait etre plus en dessous. 1 Salmo Lavarelus, Linne, Syst. nat., t. J, p. 512 ; 1766. — Coregonus Fera, Jurine, Hist, tins Pulsions da lac Leman. {Mem. de la Soc.des scien- cesphys. et nat.de Geneve, i. Ill, p. 190, pi. VII ; 1823.)— Valenciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XXI, p. 472 ; I84S. — Heckel et Kner, Siiss- wasserfische, etc., p. 238 ; 1858. — Siebold, Die Sasswasserfische, etc., p. 251; 1863. 430 HISTOIRE PARTICUL1ERE DES POISSONS. La couleur de la Fera, aussi variable que celle du Lavaret, est habituellement d'un gris brunatre sur le dos, a\ec des reflets Fig. 110. — Tete de la Fera \Coregonus Fera). verdatres et quelquefois bleuatres sur les cotes et sur la tete, et des points, meme des taches plus fonces, surtout dans le jeune age. Des points noiratres sont dissemines sur les ecailles des flancs, ou ils forment d'ordinaire une bordure plus on moins prononcee. A cetegard, ily a des differences notables selon les epoques de l'annee, selon lage des individus, selon les endroits ou ils ont vecu. De la viennent les noms de Fera blanche, de Fera verte, de Fera noire, en usage parmi les pecheurs du Leman. Les nageoires, qui se colorent en rose tendre a 1'epoque du frai, sont pointillees de noir ; la dorsale et la caudale ont meme de petites bandes transversales plus ou moins rembrunies. Fig. 111. — Ecaille de la Fera. Les ecailles de la Fera different d'une maniere bien sensi- I-KKA. i.il ble de cellos du Lavaret; elles sont plus longues, et ainsi de forme tres-ovalaire ; elles ont une dimension superioure, de telle sorte, qu'il n'y en a que de quatre-vingts a quatre-vingt- dix sur la ligne laterale. La nageoire dorsale est composee de quatorze on quinze rayons, dont les quatre premiers simples; les pectorales en ont de seize a dix-huit ; les ventrales, de onze atreize; 1'anale, qua- torze ou quinze, y eompris les quatre premiers simples, dans quelques cas, treize seulement ; la caudale, de vingt-huit a trente-deux. La Fera ne depasse guere la taillc de 0m,30 a 0m,40. De plus grands individus sont fort rares. Ceux qui continuent long- temps acroitre prennent du volume par l'elargissement de leur corps, et c'est dans cette condition qu'ils ont toute l'estime des consommateurs. Ce Poisson, comme ses congeneres des lacs, fait sa nourri- ture de debris organiques et surtout de tres-petits animaux, se montrant particulierement avide des insectes qui voltigent a la surface de l'eau. II fraye sur les herbes a une assez grande profondeur, et Ton a insiste sur ce fait qui indique une diffe- rence dans les habitudes avec le Lavaret deposant ses oeufs tres-pres des rivages. L'epoque du frai est le mois de de- cembre. La Fera abonde dans le lac Leman. Pendant les mois d'ete et d'automne, lapeche est si considerable, qu'on en voit arriver chaque jour a Geneve de nombreux bateaux charges. Dans mes excursions avec les pecheurs de Thonon et d'Evian, j'en ai vu prendre de grandes quantitcs a la fin de septembrc et au commencement d'octobre. Un fait remarquable, c'est l'absence de la Fera dans le lac du Bourget, la patrie du Lavaret, tandis 432 HISTOIRE PARTICULlERE DES POISSONS. que ce Poisson existe dans divers lacs de la Suisse, de la Ba~ viere et de l'Autriche. LE COREGONE GRAVENCHE (COREGONUS HYEMALIS ') La Gravenche est un Poisson du Leman, voisin de la Fera, mais facile a distinguer de cette derniere par la forme du corps, le volume de la tete, la coloration. Chez la Gravenche, la tete est fortement inclinee en avant, et la courbe du dos, tres-prononcee depuis la nuque jusqu'a la nageoire dorsale; en meme temps, le ventre est moins arrondi que chez la Fera. La tete est plus grosse avec le museau aussi epais, mais un pen plus arrondi a l'extremite. Les couleurs de ce Poisson sont en general plus pales que celles de la Fera ; la tete offrant egalement de petites tache jaunatres surle sommet estd'une teinte violacee pale et toute sablee de noiratre ; le dos est d'un gris violet tres-clair avec des points obscurs plus on moins nombreux ; sur les cotes des points semblables on plus noirs forment une sorte de bordure a chaque ecaille. Les nageoires sont aussi plus pales que chez la Fera. Ges parties ne presentent rien de caracteristique dans le nombre, toujours variable, de leurs rayons ; mais elles per- mettent de distinguer l'espece par leur dimension, relativement an volume du corps. Toutes les nageoires sont plus grandes 1 Cnregiiinii hiemalis, Jurine, Histoire des Poissons du lac Leman, p. 200, pi. VIII ; 182o. — Valenciennes, Histoire nnt. des Poissons, t. XXI, p. 479 ; 184S. — Siebold, Die Susswasserfische von Mittcleuropa, p. 254; 186J. — Coregonus (vroititis. Rapp, Fische des Bodensee*, p. 22. — Heckel et Kner, Die Sassivasscr/ische, etc. p. 250; I8o8. H OUTING. 433 chez la Gravenche que chez la Fera, et cette difference est sur- tout frappante a 1'egard des pectorales. G'est Jurine qui le premier, en 1824, a fait connattre la Gra- venche. Ce Poisson est assez commun dans le lac Leman, ou il vit pendant onze mois de l'annee a de telles profondeurs, qu'on ne l'apercoit jamais. II cchappe ainsi aux filets des pecheurs, toute cette longue periode. G'est seulement au mois de decembre que les Gravenches se portent en troupes vers les rivages ou elles viennent frayer. Cette operation achevee, elles redescendent bientot dans les retraites inaccessibles aux redoutables engins inventes par les hommes. Malgre son etroite parente zoologique avec la Fera, la Gra- venche, assure-t-on, a une chair plus ferme, une saveur parti- culiere et, ce qui est etrange pour une espece habitant des eaux profondes, on reussit a la faire vivre assez longtemps dans des reservoirs oil les Feras perissent en moins d'une journee. Ce sont la de ces dissemblances dans les facultes des etres, comme on en rencontre beaucoup, et pour lesquelles des recherches fort delicates seront necessaires lorsqu'on voudra en connaitre les causes. LE COREGONE HOUTING (COREGONUS OXYRHYNCHUS !) Le Houting est un Coregone d'un aspect assez singulier et d'habitudes fort differentes de celles des especes precedentes. Poisson de mer, abondant dans la mer du Nord, comme les 1 Salmo oxyrhynchw, Unne,Syst. nut., t. I, p. 512; 17G0. — Coregonus oxyrhynchus, Selys-Longchamps, Faune beige, p. 222 ; 1842. — Valen- ciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XXI, p. 488, pi. 630 ; 1848. — Siebold, Die Silsswdsserfische von Mitteleuropa, p. 259 ; 1863. 28 Bl.ANCHARD. 434 H1ST0IRE PARTICULIE BE DES POISSONS. Saumons, il remonte les grands cours d'eau a I'epoque du frai, et alors on le peche dans le Rhin, dans la Meuse. r = o B S" ens "cS o o s 3- W ""l Le nom de Routing est son nom vulgaire en Hollande ou ce Poisson se prend chaque annee en quaatite considerable. Le HOOTING. i3S horn de Houting est dovenu Hautin en Bclgique, et notamment a Anvers. En venant a Paris, il a subi une modification plus marquee; c'est YOulil de nos marchandes de la Halle. Le Houting, par tons ses caracteres esscntiels, est un vrai Coregone ; mais un corps tres-effile, les flancs un peu arrondis, les ecailles assez resistantes, une apparence de fermete des tissus plus grande que chez les Coregones des lacs, donnent deja, au premier abord, une physionomie tres-particuliere a cette espece. Ce n'estpas la encore ce qu'elle offre de plus etrange; un pro- longement charnu du museau de forme conique, une sorte de nez dont la teinte noiratre tranche avec la couleur generate de la tete et du corps, est le signe le plus caracteristique et le plus frappant du Houting. Ce Poisson est ordinairement, sur les regions superieures, d'un gris verdatre affaibli sur les cotes ou Ton remarque de vagues lignes longitudinales d'un ton plus intense, et des points epars bruns ou noiratres ; sur les parties inferieures,il est d'un blanc d'argent, parfois un peu jaunatre. La tete, chez cette espece, est petite, mince, avec la machoire superieure tres-avancee sur rinferieure, rintermaxillaire et une plaque osseuse de la langue, garnis de dents d'une ex- treme finesse. Les ecailles, plus arrondies que chez nos autres Coregones, ont leurs stries concentriques beaucoup plus serrees. On en compte de quatre-vingts a quatre-vingt-cinq, sur la ligne late- rale, etil y en a neuf a dix rangees au-dessus, neuf au-dessous. La nageoire dorsale, situee en avant de la portion moyenne dudos, a quatre rayons simples et dix rameu.x, l'anale en a de dix a douze branchus a la suite des quatre rayons simples. Le Houting, dont la taille ordinaire est de 0m,30 a 0m,40, re- 436 H1ST0IRE PART1CULIERE DES POISSONS. monte les fleuves pour frayer pendant les mois d'octobre et de novembre. La plupart des individus s'eloignent mediocrement des embouchures, ce qui explique comment la peche en est sur- tout productive en Hollande, d'oii Ton fait des expeditions a Paris. On prend quelquefois le Houting dans le Rhin prfcs de Strasbourg; il a merae ete pris a Cologne, mais dans des cir- constances assez rares. II est assez commun en Allemagne dans l'Elbe et ses affluents, le Weser, etc. Du reste, nous ne savons rien de l'histoire de ce Poisson; aucune observation n'a ete faite encore sur l'eclosion des jeunes, sur le temps qu'ils pas- sent dans les eaux donees, sur l'epoque a laquelle lis se rendent a la mer. LE GENRE OMBRE (thymallus, Cuvier) Le genre Ombre est caracterise par une bouche tres-peu fendue comme celle des Coregones, mais pourvue de petites dents tres-nombreuses aux machoires, au palais, aux os pha- ryngiens, par des ecailles assez grandes, tr&s-exactement im- briquees les unes sur les autres, par une nageoire dorsale fort longue, tr^s-haute, commencant beaucoup en avant de l'in- sertion des nageoires dorsales. Les Ombres ressemblent extremement aux Truites sous le rapport de la conformation interne. Nous n'en avons en France qu'une seule esp^ce. OMBRE. 437 L'OMBRE COMMUNE (THYMALLUS VEX1LI.IFEU ') L'Ombre, assez commune sur divers points de la France, n 'est point cependant repandue d'ime maniere generate ; ce qui Fig. 113. — L'Ombre commune [Thymallus vexillifer). explique comment on la voit tres-rarement sur les marches de Paris. C'est un des beaux Poissons des eaux douces. Rien n'est gra- cieux comme sa forme allongee, s'attenuant d'ime maniere gra- duelle jusqu'a l'origine dela queue. Rien n'est plus elegant que sa nageoire dorsale, magnifique voile fort longue et d'une hau- teur remarquable. II suffit d'apercevoir un tel animal pour ju- ger combien il est heureusement conforme pour une natation 1 Salmo thymallus, Linne, Sys. nat., t. I, p. 512 ; 1766. — Thymallus vexillifer, Agassiz, Hist, des Poissons de /' Europe centrale, pi. 16, 17 et 17 bis. — Valenciennes, Hist. 7iat. des Poissons, t. XXI, p. 438 ; 1848, et Thymallus gymnothorax, p. 445, pi. 626. — Thymallus gymnothorax, Giinther, Fische des Neckars, p. 117 ; 1853.— Thymallus vexillifer, Heckel et Kner, Die Sussivasserfisehe der oslreich. Monarchie, p. 242; 1858. — Thymallus vulgaris , Siebold, Die Siisswasserfische von Milteleuropa , p. 267; 1863. 438 HISTOIKE PARTICUL1ERE DES POISSOiNS. facile et rapide. Les pecheurs sont souvent habiles a suivre les mouvements des Poissons traversant des eaux limpides, mais l'Ombre echappe a leurs yeux exerces. Elle a passe, elle a fai comme une ombre, et X ombre est devenue le nom vulgaire du Poisson doue d'une si merveilleuse agilite l. Rien n'estplusjoli que saparure, surtoutlorsqu 'elle est jeune. Ses ecailles polies, a bord exterieur presque droit, tres-exacte- ment appliquees les unes sur les autres, figurent une sorte de mosai'que. Sa couleur sur toutes les regions superieures est d'un bleu d'acier eclatant, rehausse par des points noirs a la base des ecailles ainsi que sur les joues et les opercules ; sur les parties inferieures, c'est le blanc de l'argent le mieux poli. Sa nageoire dorsale lavee de noiratre est entrecoupee par de pe- tites bandes transversales d'un noir plus intense, tandis que ses nageoires inferieures, pales, sont legerement teintees de jaune a leur base. Quand lage vient pour l'Ombre, les couleurs perdent de leur brillant, l'eclat du bleu d'acier se ternit et passe plus ou moins an gris. La tete de ce Poisson est aplatie en dessus et le museau est large et comprime. Les machoires ont une seule rangee de petites dents aigues semblables a celles qui existent sur le vo- mer et les palatins. Les ecailles, an nombre de quatre-yingt-cmq a quatre- vingt-dix sur la ligne laterale, formant sept a liuit rangees au-dessus de cette ligne et neuf ou dix au-dessous, devien- nent tr6s-petites sous le ventre, et un espace plus ou moins grand reste toujours nu entre les nageoires pectorales. Cet es- 1 Effitgkns oculii celeri Umbra natatu. Ausone. OMBRE. 439 pace entierement prive d'ecailles etant quelquefois tres-limite, quelquefois assez etendu, M. Valenciennes a cm, d'apres cette difference purement individuelle, a l'existence dedeux cspeces distinctes. Lesecailles de l'Ombre, lorsqu'elles sont detachees, mon- trentune forme pleine d'elegance; un peu plus larges que ton- gues, elles ont leurbord libre un peu anguleux, leur bord ba- silaire gracieusement festonne, leurs stries concentriques espacees et bien regulieres. La nageoire dorsale a un nombre de rayons qu'on ne trouve chez aucun autre genre de Salmonides, cinq ou six rayons sim- ples et seize ou dix-sept rayons rameux allant en deeroissant de hauteur du premier au dernier. La nageoire caudale, courte et longue, a trois ou quatre rayons simples et neuf ou dix ra- meux. L'Ombre ne depasse guere la taille de 0m,30 a 0m,40. Elle vit dans les rivieres et les ruisseaux limpides roulant sur un fond de sable et de gravier; elle se nourrit de petits animaux, mol- lusques, vers, insectes, tels que des larves de Dipteres, de Phryganes, de Libellules, ainsi que de frai de poisson. L'Ombre parait fuir les eaux tres-froides, qui sont recherchees par les Truites, de meme que les endroits parsemes de roches. Un fait remarquable, c'est que l'Ombre, qui habite toutes les contrees de l'Europe, se rencontre dans chaque pays dans des localites assez restreintes, etbrsqu'on a voulu, comme en Angleterre, la faire xivre dans des rivieres ou elle n'avait jamais ete vue, dans le cours superieur de la Tamise, par exemple, on n'y a pas reussi. En France, ce Poisson, qui est bien rarement apporte sur le marche de Paris, se trouve dans les rivieres de nos departe- 440 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. ments de l'Est, le Rhin, la Chiers, la Crimes, les cours d'eau des Ardennes, tres-accidentellement dans la Moselle et dans la Meuse. M. le professenr Grenier, de Besangon, m'en a envoye des individus qui avaient ete peches dans la Loue. L'Ombre, croyons-nous, est plus abondante dans les rivieres du departe- ment de l'Ain. On la voit frequemment dans celles qui debou- chent dans le lac Leman et dans le lac lui-meme. Ce Poisson n'est pas tres-rare dans le centre de la France, notamment dans l'Auvergne, d'ou le nom d'Ombre d'Auvergne sous lequel il a ete souvent designe. II existe aussi dans plusieurs des ri- vieres qui se jettent dans le cours inferieurdu Rhone. M. Fa- bre, d'Avignon, l'a pris dans la Sorgue. Ge Poisson se trouve dans les eaux de l'ltalie, de la Suisse, de l'Angleterre, depresque toute l'Allemagne, en Hongrie, en Suede, en Laponie. L'Ombre ne fraye pas en hiver, comme la plupart des autres Salmonides, mais au commencement du printemps, en mars et en avril. Ses ceufs tres-nombreux sont assez petits et d'un blanc opalin. L'incubation s'effectue dans l'espace d'une quinzaine de jours ; elle est done tres-rapide, si on la compare a celle des autres Salmonides. L'Ombre est regardee comme un excellent Poisson pour la table; une chair blanche, delicate, ayantun parfum special que Ton a compare a l'odeur du thym et d'ou serait venu le nom scientifique Thymalle applique a ce Poisson. Un illustre gas- tronome lui aurait donne l'epithete de Reine de delices, et, rapporte un auteur anglais, Walton, saint Ambroise, l'eveque de Milan, l'appelait la Fleur des Poissons. L'Ombre, Ownbre des Provengaux, est connue en Alsace sous le nom allemand de Aesche. EPERLAN. 441 LE GENRE EPERLAN (osmerus, Arteili. Cuvier) Un corps longet mince, convert d'ecailles ovalaires si minces qn'elles apparaissent a la vue simple comme nne sorte de gau- frage ; nne machoire superieure garnie d'nne senle rangee de dents tres-fmes; une machoire inferieure ponrvue d'nne rangee externe de dents a pen pres semblables a ces dernieres et d'une rangee de dents plus fortes ; tous les os qui circonscrivent la cavite buccale, le vomer, les palatins, egalement munis, ainsi que la langue de tres-fortes dents aigues ; une nageoire dorsale, courte, assez haute, inseree en avant des nageoires ventrales, sont les signes qui permettent de distinguer avec certitude les Eperlans de tous les autres Salmonides. Les Eperlans sont de petits Poissons de mer, qui entrent dans les Relives, sans se porter cependant a de bien grandes dis- tances des cotes. Nous n'en voyons qu'une seule espece dans les eaux de la France. L'EPERLAN COMMUN (OSMF.RUS EPERLANUS ') (( Aux bouches des riuieres qui tombent dans l'Ocean, comme a Rouan e a Anuers , on troune souuent l'Esperlan , ainsi nomme pour sa belle e nette blancheur semblable a celle de la perle. II ha une autre belle merque, c'est qui sent la violette. » 1 Salmo eperlanus, Linne, Syst. nai., t. I, p. 511 ; 1706. — Osmerus eperlanus, Yarrell, British Fishes, t. II, p. 7b; 1836. — Valenciennes, Mist. nat. des Poissons, t. XXI, p. 371, pi. 020 ; 1848. — Siebold, Die Siisswasserfische von Milteleuropa, p. '271 ; 1863. 442 HISTOIRE PARTlCULlfi R E DBS POISSONS. Ne disait-il pas quelquefois fort bien, ce maistre Guillaume Rondelet, docteur-rcgent enmedccineen l'Universite de Mont- pellier. Peindrait-on aujourd'hui, en moins de mots, les traits -^^2?^S!/1'C Fig. 114. — L'Eperlan commun (Osmerus Eperlanus). les plus frappants de l'Eperlan ; il vient anx bouches des rivie- res, et Rouen a le privilege de le voir venir ; il est d'nne blan- cheur comparable a celle des perles fines ; il exhale le parfura des violettes. Apres cela, il fant entrer dans la description des details. L'Eperlan est long, comprime lateralement, avec le dos presqne droit, le mnsean aminci, la fente buccale tres-oblique de bas en hant, lamachoire inferieure dela sorte, beauconp pins longne que la superienre et conrbee vers l'extremite, les dents du vo- mer, an nombre de quatre, tres-grandes comme celles de la langue et nn peu courbees, les palatins et les pterygoi'des pourvus d'nne longne rangee de dents pins petites. Les ecailles de l'Eperlan, d'nne extreme minceur, figurent des losanges snr la peau de l'animal ; lorsqu'elles sont detachees, elles se montrent larges, conrtes, ovalaires, n'ayant que cinq ou six stries circulaires regnant pres des bords. La ligne late- rale ne se prolonge pas au dela de la lmitieme ou dixieme ecaille. SAUMONS. 443 La nageoire dorsale, qui est courte et haute, n'a que dix ou onze rayons dont ies trois premiers simples ; l'anale en a ega- lementtrois simples, etonze, douze outreize rameux; la can- dale est tres-fourchue. L'Eperlan estd'un vert clair, plus ou moins pointille de noir sur les parties superieures, d'un blanc d' argent sur la machoire inferieure, les opercules, les cotes et la region ventrale. La couche argentee pouvant se detacher a\ec une grande facilite, les ecailles deviennent alors transparentes. Mais la teinte ge- nerate des parties superieures de ce Poisson est tre.s-\ariable, elle est tantot plus claire, tantot plus foncee, tantot bleuatre. L'Eperlan ale plus ordinairement une longueur de 0m,15 a O^IS, mais on en \oit des individus qui arrivent a la taille de 0m,25. Ce Poisson se nourrit de petits animaux et \ient frayer dans les eaux saumatres, pendant les mois de mars et d'avril, mais, jusqu'ici, personne n'a observe son developpe- ment. Les Eperlans entrent dans les fleuves en grandes masses au printemps et paraissent y faire un sejour trfes-prolonge ; nean- moins, ils ne remontent jamais au dela de l'endroit ou se fait sentir la maree. II remonte la Seine jusqu'a Rouen. On enpeche beaucoup aussi vers l'embouchure de l'Orne, de la Loire, etc. LE GENRE SAUMON (salMO, Linne) La plupart des auteurs modernes ont admis la distinction generique des Saumons et des Truites. Quelques-uns meme ont ete plus loin en admettant un partagc des Truites. Pour les au- teurs qui ont adopte le genre Saumon et le genre Truite, la 414 HISTOIRE PARTICULlERE DES POISSONS. circonscription de ces deux genres est differente. Pour les tins, certaines especes appartiennent au genre Truite ; pour les au- tres, an genre Saumon. Le Saumon commun a ete pris par la plupart des ichthyologistes modernes comrae le type du genre Saumon, mais M. de Siebold, qui admet le genre Saumon et le genre Truite, place le Saumon commun dans le genre Truite. Ces divergences dans les vues d'habiles naturalistes suffisent pour montrer que la distinction entre les Saumons et les Trui- tes ne repose pas sur des caracteres bien importants. Aussi n'aurions-nous pas hesite a revenir a la grande division des Saumons, telle qu'elleetait accepteeparCuvier et les zoologistes de son temps, si Thabitude de distinguer les Saumons et les Truitcs n'etait en quelque sorte devenue vulgaire. Les Saumons, comme les Tmites, out des dents fortes et pointues aux deux machoires, aux palatins, a la langue. Us en ont aussi au vomer, mais chez plusieurs especes, la piece prin- cipale en est depourvue *, tandis que chez les autres, elle n'en est privee que lorsque l'age a amene leur chute 2. Tous les Saumons ont les ecailles petites et en ovale allonge. Leurs pie- ces operculaires sont tres-unies et forment en arriere une courbe tres-prononcee. Cette particularity permet surtout de distinguer assez aisement les Saumons desTruites. L'OMBLE-CHEVALIER (SALMO SALVEL1NUS 3) L'Omble-Chevalier est un habitant sedentaire des lacs del'Eu- 1 Les seules que M. de Siebold conserve dans le genre Saumon, chez lesquelles la piece principale du vomer est tres-courte. 2 Comme chez le Saumon commun. 3 Salmo salvelinus, Linne, Syst.tml. t. 1, p. 511 ; 1766. — Salmo umbla, Agassiz, Poissotis de C Europe central', pi. IX, X, Xa et XI. — Salmo sal- SAUMONS. ',,., rope centrale ; jamais il n'entre clans les rivieres; c'est tout a fait accidehtellement qu'on a pris ce Poisson dans le Rhone, ou sansdoute ilpeut parfois se trouver entraine parle courant. L'Omble-Chevalier, tres-variable dans ses proportions, sui- vant 1 age, le sexe, les conditions d'existence qu'il a subies, a toujours le corps comprime lateralement et plus ou moins elance. Ses ecailles, de la merne forme que celles des Truites, sont si petites, qu'a la vuc simple, elles sont peu distinctes et donnent seulement a la peau une apparence de gaufrage. Ge Poisson offre des teintes claires et fraiches d'un aspect fort agreable. Le plus souvent il est d'un gris de perle ou d'un gris bleuatre sur toutes les parties superieures, et cette nuance s'affaiblit sur les cotes pour se fondre d'une maniere insensi- ble avec la teinte argentee des regions inferieures ou la couleur orangee rougeatre qui se manifeste sur le ventre et la gorge pendant la saison d'hiver, c'est-a-dire a l'e- poque du frai. Tres-ordinairement, il existe des taches rondes blanchatres ou d'un rouge pale, disseminees sur les cotes du corps. Quelquefois ces taches se montrent presque exclusive- ment au-dessus de la ligne laterale ; chez beaucoup d'individus on en voit en plus ou moins grand nombre au-dessous de cette ligne. La nageoire dorsale, de meme que la caudale, est habi- tuellement d'un gris fonce, et les nageoires inferieures, d'un jaune plus ou moins vif, sont souvent sablees de noir et ornees au bord anterieur d'un lisere blanc. L'Omble-Chevalier a la tete forte, abaissee en avant, avec le velinus et 5. umbla, Valenciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XXI, p. 233 el 24ft ; 18i8. — Heckel et Kner, Die Susswasserfische der dstrcichischen Monarchic, p. 2S0 et 28o ; 18oS. — Sal/no salvelinus, Siebold, Die Sfist- ivasserfische von Mi'teleuropa, p. 280; 1863. 446 HISTOIRE PARTICULARS DKS POISSOXS. museau large, nn peu deprime ; la machoire snperienre lege- remcnt en saillie sur l'inferienre ; le vomer garni a sa partie anterieure do dents crochues, en general an nnmbre de cinq, © & qnclqnefuis de six on de sept; l'ceil grand; I'opercule large, ayant son bord libre legerement arqne et qnelqnes stries tran sversales en arriere. SAUMONS. 447 Chez cetteesp&ce, la nageoire dorsalea neuf rayons rameux, plus rarement dix et l'anale huit ou neuf a la suite des trois rayons simples ; les nageoires pectorales el ventrales sont tou- jours pluslongues chez les males que chez les femelles. G'est la une difference dont on voit pen d'exemples parmi nos Poissons d'eau douce. L'Omble-Ghevalier atteint liabituellcment la longueur de 0m,30 aOm,40; il arrive quelquefois aunetaillebiensuperieure, mais les individus de grande dimension paraissent rares, e'est, du moins, ce que je dois croire d'apres les peches effectives en ma presence au lac du Bourget etau lac Leman. Ce Poisson est repandu dans la plupart des lacs de la Suisse, de la Bayi&re, del'Autriche. Des individus de l'Allemagne rae- ridionale ayant le corps moins haut quecelui des individus de nos lacs de la Savoie, avaient ete consideres autrefois comme etant d'une autre esp&ce. Cette difference a ete reconnue, depuis, tout individuelle *■.. L'Omble -Chevalier se nourrit particulierement d'insectes et de petits crustaces ; il fraye pendant les mois d'octobre et de novembre. Ses oeufs assez gros sont d'un jaune clair et d'une certaine transparence. 1 On trouve, dans les lacs du nonl de l'Angleterre et de l'Ecosse, des Poissons, trei-vuisins de l'Omble-Chevalier, qui sont designes par les au- teurs de la (irande-Bretagne sous le nom vulgaire de Ckarrs. II n'a pas encore ete etabli si quelques-uns de ces Charrs sont de veritables especes ou seulement des varietes locales de rOmble-Chcvalier. Le docteur Gunther, atlache au British Museum, pense qu'il n'y a pas moins de cinq especes de Saumons appartenant a la division des Charrs, propres a la Grande-Bretagne. Rien ne nous parait plus douteux. 448 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. LE SAUMON COMMUN (SALMO SALAIt ') Si nous etions au dix-huitieme siecle, oil Ton appelait encore avec line certaine emphase le Lion, le roi des animaux, il fau- drait appeler le Saumon le roi des Poissons d'eau douce. A la verite, le Saumon est plus un Poisson de mer qu'un Poisson d'eau douce, mais il vient chaque annee deposer ses CEiifs dans Fig. 1IC. — Tete et portion anterieure du corps du Saumon commun (Salmo Salar). les fleuves et les rivieres a d'enormes distances des cotes ; il nait ainsi dans les eaux douces, il y passe au moins la premiere annee de son existence, souvent davantage et, apres avoir ete 1 Linne, Systema natures, edit. XII, t. I, p. 509 ; 1766. — Yarrell, British fishes, t. II, p. 1 ; 1836. — Agassiz, I*oisso?is de i 'Europe centrale, pi. I, Ia, Ib, II. ^ Salmo Salmo (femelle) et Salmo hamalus (male), Valen- ciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XXI, p. 169 et 212, pi. 614 et 61 o ; 1848. — Salmo salar (femelle) et Salmo hamatus (male), Heckel et Kner, Die Sussivasserfische der oslreichischen Monarchic, p. 273 et 276 (1858). — Trutta salar, Siebold, Die S usswasscr/ische von Mi ttelew opa, p . 293 ; 1863. SAUMONS. 449 faire un voyage a la raer, il revient bientot au\ lieux ou il est nr, La presence du Saumon dans nos cours d'eau, plus que i'a- bondance de la plupart des autres Poissons, devient une source d'industrie, de commerce, de bien-etre pour les populations ; source malheureusement fort amoindrie , raeme depuis une epoque assez recente. Le Saumon presente done un haut int6ret sous le rapport economique. Au point de vue de l'histoire des etres, il offre egalement un interet considerable. G'est une histoire pleine de faits curieux et instructifs que celle d'un Poisson voyageur, tour a tour fluviatile et marin, marin et fluviatile, d'un Poisson qui subit a chaque age des changements assez remarquables pour n'avoir ete reconnus qu'apres l'observation suivie des memes individus aux diverses periodes de leur existence. L'histoire du Saumon est aujourd'hui assez avancee,etelle datepourtant d'une epoque peu eloignee. Nous la devons presque entierement a des natu- ralistes et a de simples observateurs de la Grande-Bretagne. On a souvent repete que les Grecs n'axaient point parle du Saumon ; rien de plus facile a comprendre : ce Poisson n'existe pas dans la Mcditerranee ; il n'a done jamais etc vu dans les fleuves qui viennent se decharger dans cette mer. Seul parmi les Latins, Pline a eu connaissance du Saumon ; il l'a men- tionne comme appartenant a l'Aquitaine, e'est-a-dire, au pays arrosepar la Gironde, la Garonne, la Dordogne, ouiletaitprefere a tousles autres Poissons de mer. G'est Ausone1 qui, ensuite, l'a particulierement signale en indiquantpar des epithetes, soit les 1 Nee te puniceo rutilantem viscere, Salmo, Transierim .• Teque inter geminas speeies neutrumque et utrumque, Qui necdum Salmo nee jam Salar, ambiguusque Amborum, medio Fario intereepte sub tevo. Blanch and. 29 450 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. differents ages de Tespece, soit le Saumon et les Truites con- fondus dans une meme designation generale. Le Saumon dans son etat adulte a une forme allongee, son corps, d'une epaisseurremarquable vers la tete, apeu de hauteur, ce qui le fait paraitre, considere de profil, assez grele et meme fusiforme. G'est du reste un bel animal, tout argente sur les cotes, d'un blanc de nacre sur les parties inferieures, d'un gris bleuatre ou verdatre sur les regions superieures,avec des taches noires plus ou moins arrondies, disseminees sur la tete et sur lopercule, souvent aussi avec de petites taches egalement noires, eparses sur la nageoire dorsale et, en general, des ta- ches plus ou moins obscures, variables sous le rapport du nombre et dela forme, repandues sur les cotes du corps. Mais la coloration des Saumons est sujette a de grands changements selon les circonstances. Lorsque ces Poissons arrivent dela mer, dans les fleuves, au moment de frayer, on voit leurs teintes, particulierement chez les males, prendre une nouvelle vivacite, des taches rouges apparaitre dans le voisinage de la ligne late- rale et meme sur les opercules, le ventre s'empourprer, ainsi que la basede la nageoire anale, le bord anterieur des ventra- les,lesbords superieur et inferieur de la caudale. Apres avoir fraye, ces animaux affaiblis perdent leurs riches couleurs et reviennent a leur premiere condition. Ge n'est pas tout encore ; Jardine, l'auteur d'un grand ouvrage sur les Salmonides de la Grande-Bretagne l, nous a appris que chez le Saumon male dans sa parurede noce, se produisait un remarquable epaissis- sement de la peau du dos et des nageoires, qui disparait bientot apres l'epoque du frai. 1 British Salmonidce. SAUMONS. 431 Chez ce Poisson a la forme elancee, la dimension de la tetc represente a pen pres nn sixiemedela longueur totale du corps. Le museau est arrondi, mais chez les males il est beancoup plus long que chez les femelles, avec la machoire superieure pourvue d'une fossette dans laquelle s'engage la pointe de la machoire inferieure. Celle-ci etant plus ou moins courbee et relevce au bout en manierede crochet, il arrive, surtout chez les vieux in- dividus, que la bouche reste beante sur les cotes. Cuvier et ensuite plusieurs autres naturalistes, avaient admis l'existence d'une espece de Saumon a bee crochu (Sahno hamatus) a la- quelle le nom de Becard a ete applique. Aujourd'hui, on est assure que la courbure, parfois tres- prononcee, de la machoire inferieure des males n'est pas un caractere specifique, mais une simple particularite sexuelle et jusqu'a un certain point individuelle. L'ceil du Saumon est petit; son diametre represente a peine le neirvieme de la lon- gueur de la tete. Chez ce Poisson parvenu a un age un peu avanc6, la plaque anterieure du vomer, de forme pentagonale, est privee de dents ; la piece principale offre une seule rangee de dents, et il est rare qu'il en reste plus de quelques-unes en avant; ces dents tombent ordinairement de bonne heure, surtout celles qui sont situees en arriere. L'opercule, intimement uni a l'interopercule et au suboper- cule, forme avec ces derniers une grande lame garnie de stries bien prononcees, ayant son bord posterieur arrondi. Ces ca- racteres des pieces operculaires permettent de ne jamais he- siter a distinguer d'une Truite, un Saumon meme d'un age peu avance. Les ecailles du Saumon sont tres-petites ; elles ressemblent 452 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. beaucoup a celles des Truites, mais leurlargeur est un peu plus considerable surtout vers la base. On en compte de cent vingt a cent trente sur la ligne laterale, vingt-cinq ou vingt-six ran- gees au-dessus de cette ligne, dix-huit au-dessous. Fig. 117. — Ecaille du Saumon commun prise sur les flancs. La nageoire dorsale situee plus pres de la tete que de la queue, et plus longue que haute, offre douze ou quinze rayons, les trois ou quatre premiers simples, les autres branchus. Les nageoires pectorales ont quatorze rayons, les ventrales neuf ou dix, l'anale dix ou onze dont les trois premiers simples. Tel est le Saumon qui, apres avoir fait plusieurs sejours a la mer, remonte les fleuves et s'engage dans les rivieres ou doit s'opererlaponte; mais, avant de prendre les caracteres que nous venons de rapporter, le Saumon a traverse plusieurs ages mar- ques chacun par des particularites assez notables pour n'avoir ete reconnues comme des phases de la vie d'une merae espece qu'apres des observations effectuees a diverses reprises sur les memesindividus. Ces ages sont distingues par des noras particuliers chez les habitants de la Grande-Bretagne. Les noms de Parr, de Smolt et de Grilse sont aujourd'hui generalcment adoptes en ce pays, et en l'absence des termes correspondants dans notre langue, nous pensons devoir n'en pas chercher d'autres. SAUMONS. 453 Lorsque, chez le jeune Saumon, la vesicule "vitelline esten- tierement resorbee,le petit animal, long de 0m,03, a encore nne tete tres-grosse relativement au volume de son corps, mais, pen de jours apres avoir commence a prendre de la •>- sc;^^2?^stsvc: Fig. 118. — Jeune Saumon apres la resorption de la vesicule ombilicale, grossi. — a, sa grandeur natnrelle. nourriture, la tete tend a s'abaisser, le museau a s'allonger, le dos a s'arrondir, et alors le petit Poisson prend l'aspect des Truites. Le jeune Saumon est d'une teinte grisatre terne sur les regions superieures et il offre de quinze a dix-huit bandes transversales noiratres qui descendent du dos jusqu a la re- gion ventrale. Pendant au moins une annee, quelquefois davantage, le Saumon a conserve les ternes couleurs particulieres a son jeune age, l'etat de Parr, mais, a un moment determine, un brusque changement se prodnit. Tout le corps prend un magnifique eclat metallique, il devient le Smott, ainsi que les Anglais nom- ment le Saumon parvenu a son second age. Les parties superieures sont d'un bleu d'acier etincelant. Huit ou dix grandes taches du meme bleu brillant, comme voilees par un manteau d'argent, occupent les flancs et des- cendent au-dessous de la ligne laterale. Entre ces taches regne une teinte rougeatre ou ferrngineuse tres-vive. Une tache noire 454 HISTOIRE PARTICULIER E DES POISSONS. se voit ordinairement au milieu de l'opercule. Le ventre est d'un beau blanc de nacre. La nageoire dorsale est grise avec sa portion basilaire brune et une rangee transversale de taches de la meme couleur; les nageoires pectorales ont un ton gris uniforme; les ventrales et l'anale sont presque incolores. Fig. 110. — Jeune Saumon ou Saumonneau (Smoll). Le Saumon, a l'etat de S?nolt, a l'apparence d'une petite Truite ; il a,eomme ces dernieres,le vomer bien garni de dents sur toute sa longueur, mais il est facile deja de reconnaitre que l'opercule est celui du Saumon. Un peu moins arrondi que chez les adultes, il a cependant son bord posterieur sensiblement courbe et les stries sont tres-facilcs a voir. J'ai observe de ces jeunes Saumons si brillants, qui prove- naient de l'lll et du Rhin et dont la longueur etait 0m, 1 0 a 0ra, 12 ; d'autres des rivieres des Vosges ayant 0m,lS a 0m,18 de long, lis sont designes dans le pays sous le nom de Renay. Un peu plus d'une annee s'ecoule, avons-nous vu, depuis le moment de l'eclosion jusqu'a l'cpoque a laquelle le jeune Sau- mon, le Parr, commence a prendre sa livree du second age, celle de Smolt. Du mois d'avril au mois de juin, les ecailles prennent leur vetement argente, et les bandes, alors plus ou moins confondues, s'affaiblissent, comme voilees, quelquefois SAUMONS. 45S presque completement. Elles redeviennent plus distinctes par une immersion dans l'alcool. Tant queles jeunes Poissons sont a l'etat de Parrs,i\s vivent isolement, ne cherchant jamais a se reunir, mais, devenus SmoltSy c'est-a-dire, ayant pris leur costume de voyage, selon l'expression de quelques auteurs anglais, ils se rapprochent, se forment en troupes. G'est dans cette circonstance que les pecheurs en ont fait souvent , sans difficult^ , une deplorable destruction . Un fait digne de remarque, qui parait avoir ete bien observe, notamment a Stortmontfield, sur la Tay en Ecosse, c'est que les Parrs ne se ehangent point tons en Smalts an bout d'une ann6e ; il y en a la moitie environ qui conservent la livree du premier age, sejournant deux et meme trois ans dans les eaux donees. Pendant tout le printemps, se succedent les bandes de Sau- monneaux descendant les rivieres pour gagner l'Ocean. Dans le trajet d'un parcours assez long, si des courants tres-rapides se manifestent en certains endroits, les Smolts s'en montrent parfois effrayes. La troupe, peut-etre , rebroussera chemin, mais revenant bientot a sa premiere direction, quelques indi- vidus se laissent entrainer resolument, et la cohorte entiere se decide a les suivre. Arrives a la panic inferieure du fleuve ou remonte la maree, les Saumonneaux, avant de gagner la mer, s'arretent deux ou trois jours dans Feau saumatre comme pour se preparer a leur changement de sejour. Que deviennent-ils alors? Nul ne le sait d'une maniere precise ; ils disparaissent dans les profondeurs de l'Ocean ou ne peuvent les atteindre les filets des pecheurs. Mais sept on huit semaines sont a peine ecoulees, que nos io6 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. Saumonneaux reparaissent dans les memes rrvi&res, remontant jusqu'aux endroits oil ils sont nes. Ges Poissons ne sont plus reconnaissables; ce ne sont plus des Smolts , ce sont des Grilses; aussi ne les reconnaissait-on pas, avant d'avoir pris le seul moyen possible de constater surement leur identite , c'est- a-dire d'attacher une marque a un certain nombre d'individus. Cette idee si simple semble n'avoir recu un commencement d'execution qu'il y a environ trente-cinq ans. Auparavant, et encore un peu apres , les naturalistes , sans etre en mesure d'arriver a une solution, dissertaient sur la question de savoir si le Saumonneau des Francais, Samlet ou Parr et Smolt des Anglais, Salmlincj des Allemands, etait d'une espece particu- liere ou le jeune du Saumon, tandis que la plus naive des ex- periences devait trancher la question. II est vrai de dire que les naturalistes n'ont pas, en general, sous la main une riviere bien peuplee de Saumons. Par une note publiee en 1830, nous voyons qu'un pecheur de la Severn en Ecosse, s'etant avise de passer un fil de metal a la queue d'un Samlet ou Smolt , reprit plus tard l'animal devenu Saumon l. Les experiences ne tarderent pas a se multiplier dans ce pays d'Ecosse tout particulierement favorable aux etudes sur le Saumon. Ainsi , rapporte sir William Jardine, « pendant les deux annees que les pecheries du Sutherland ont ete en la posses- sion du due, une suite d'experiences a ete entreprise par ses agents... Le printemps dernier, plusieurs milliers de Saumon- neaux ont ete marques dans les differentes rivieres. Dans le ' Loudon's Magazine of natural History, vol. Ill, p. 94 ; 1830. SAUMONS. 457 Laxford, les Saumonneaux marques en avril revinront au 25 juin. lis pesaient alors 3 livros, et pendant la saison ils arri- verent au poids de 6 livres et demie *. » John Shaw, dont les observations ont beaucoup contribue a faire connaitre l'histoire naturelle du Saumon, a signale egale- ment les resultats d'experiences analogues, mettant hors de doute que le Parr est le jeune age du Saumon 2. Citons encore les recherches de M. Andrew Young. « Nous avons marque des Smolts dans un double but, dit cet observa- teur , d'abord pour nous assurer s'ils revenaient dans les memes rivieres, ensuite pour constater le temps qu'ils reste- raient dans la mer. » — « lis reviennent avecla plusgrandeponc- tualite aux lieux ou ils sont nes, dit encore M. Andrew Young ; la nature les a doues d'un si merveilleux instinct, que pas un seul d'entre eux ne depasse sa propre demeure ou ne s'arrete a une station voisine. Nous avons verifie tons ces faits, ajoute l'au- teur, de telle sorte qu'une ombre de doute ne peut desormais subsister 3. » Un fait des plus remarquables, sujet d'etonnement de la part des observateurs, c'est la rapidite de croissance du Saumon a tons les ages pendant le temps qu'il passe a la mer. Le Sau- monneau ou Smolt qui a vecu dans les rivieres, une, deux et jusqu'a trois annees pour atteindre la longueur de 0m,12 a 0m,20, devenu Grilse au bout de moins de deux mois de sejour dans l'Ocean, est un Poisson d'un kilogramme et demi a deux kilogrammes. Les Grilses, apreslaponte, demeurent en- core quelque temps dans les eaux donees, puis, se rendant a la 1 The Edinburgh new Philosophical Journal, vol. XVIII, p. 46: 1834-1833. 2 TheEdinb. Philosoph. Joum., vol. XXI, p. 99 ; 1836. 3 The natural History and Kabits of the Salmon. — Wick, 1848. 458 HIST01RE PARTICIL IERE DES POISSONS. mer ou ils ne sejournent somen! pas plus de deux mois, ils reviennent a l'etat de veritables Saumons, ayant atteint un poids variable de 3 a 6 kilogrammes ; la rapidite de leur accroissement est toujours en rapport avec la duree de leur voyage a la mer. Pour le Saumon qui en est a son second ou a son troisieme voyage, l'accroissement n'est pas moins prodi- gieux pendant un tres-court sejour a la mer. Tous les auteurs de la Grande-Bretagne citent avec admiration l'exemple de ce Saumon de la Tay, pris apr6s la ponte et marque d'une eti- quette parle due d'Atholl au mois de mars 1845. Le Poisson pesait dix livres (angiaises) ; repeche, muni de son etiquette, cinq semaines et trois jours plus tard, par consequent apres une bien courte excursion a la mer, il pesait vingt et une livres et un quart. Chez le Grilse il n'y a plus aucune trace des bandes du Parr, visibles encore chez le Smolt. La tete est plus effilee, la queue n'est plus que faiblement echancree. A beaucoup d'egards, ce sont les formes et la coloration du Saumon completement adulte; mais le corps est proportionnellement plus mince, et la teinte generale, plus pale, plus uniforme, n'est pas encoie re- haussee par des taches. Les Grilses des deux sexes sont habiles a la reproduction aussi bien que les Saumons adultes ; mais, chose singuliere et pourtant affirmce par ceux qui ont le mieux etudie les habi- tudes du Saumon, le Parr male, le jcune Poisson qui n'a pas encore etc a la mer, est apte a feconder les oeufs des Grilses et des Saumons, tandis que la femelle ne possede en aucun cas la faculte de pondre. Dans la plupart des circonstances, les Saumons de divers ages, ayant sejourne une ou plusieurs fois a la mer, e'est-a-dire SAUMONS. 439 les Grilses et les Saumons adultcs et des indrvidus en quelque sorte intermediaries, dont le premier sejour a la mer a pu etre de huit a dix mois, remontent ensemble les cours d'cau dans un ordre qui ne \arie guere. Les vieux individus forment la tete de la colonne, les jeunes les suivent. Lorsque le temps de la ponte est arrive pour le Sanmon, \\\\ male et unefemelle se reunissent. Deux males se trouvent-ils pivs de la meme femelle, une lutte s'engage entreeux, et le combat dure tant que l'un des deux champions n'a pas quittc la place. Plusieurs historiens du Saumon nous ont trace le recit de ces exploits chevaleresques. Chaque femelle a son male, mariage d'un jour ou meme d'une heure, il estvrai, car de part et d'autre une nouvelle association ne tarde pas a se former. Dans le moment ou ils sont reunis, les deux individus semblent choisir d'un common accord 1'endroit destine a recevoir la ponte ; le male et la femelle a la fois, se mettent acreuser dans le gravier un lit d'une profondeur qui peut varier de 0ra,15 a 0m,25 ; la femelle y depose ses ceufs, le male les impregne imme- diatement de sa laitance. Un observateur attentif, nous dit M. Andrew Young, peut voir aisement la chute successive des ceufs et de la laitance dans la cavite preparee par les deux Saumons qui, en dernier lieu, travaillent encore en commun pour abriter leur precieux depot sous une couche de gravier. La fecondite de cette espece est tres-grande; on estime que chaque femelle donne, a tres-peu de chose pres, autant de mil- liers d'ceufs qu'elle pese de livres (livre anglaise = 453gr,5). Une eau bien courante est absolument necessaire au deve- loppement des ceufs de Saumon. lis n'eclosent jamais dans une eau tranquille ; l'experience souvent repetee a mis ceci hors de doute. L'eau de mer fait perir non-seulement les ceufs, mais 460 IIISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. encore les alexins et les Parrs, c'est-a-dire tous les jeunes Saumons, tant qu'ils ne sont pas parvenus a l'etat de Smolts. D'un autre cote, l'impossibilite de faire vivre d'une maniere continue des Saumons dans l'eau douce est bien etablie. Des alevins places dans des etangs artificiels, nous dit M. Andrew Young, ont grandi avec la raeme rapidite que ceux des rivieres, mais il est tout a faitindispensable que le Saumonabandonne, a certaines saisons, les eaux douces pour se rendre a la mer. Re- tenu dans les eaux douces, il ne deviendrait jamais un veritable Saumon * ; retenu continuellement a la mer, il ne pourrait se reproduire. L'eau douce bien courante lui est indispensable pour sa reproduction ; les eaux salees, indispensables pour lui fournir une nourriture abondante : sans ces deux conditions reunies, la race s'eteindrait. G'est la un fait des mieux demon- tres par les observations et par les experiences des savants et des hommes pratiques de l'Ecosse. Le Saumonneau emprisonne dans un etang ou meme dans un vaste lac, grossit a peine a partir du moment ou son instinct le pousse a aller se plonger dans les profondeurs de la mer ; sa chair se decolore et n'acquiert aucune des qualites comestibles si recherchees du Saumon . Longtemps on a pense que les Saumons n'entraient dans les rivieres que pour frayer. Aujourd'hui il est reconnu que c'etait la une erreur. Ces animaux, ayant pris un considerable accroissement, pendant un sejour a la mer de quelques se- maines, se montrent tres-empresses de revenir dans les eaux douces, a une epoque encore bien eloignee de celle du frai. On a souvent parle de 1'ardeLir que mettent les Saumons a remon- ter les fleuves et les rivieres, bravant les obstacles, franchissant (I) ('lean Salmon des Anglais. SAUMONS. 461 parfois des chutes d'eau considerables en executant des sauts d'une remarquable hauteur. C'est un spectacle qui, en certains endroits, attire la foule des curieux. La montec des Saumons, aux chutes de Kilmorac sur le Beauly, dans l'lnverness-Shire, au nord de TEcosse, et a la cataracte de Liffey en Irlande, est citee au touriste de la Grande-Bretagne comme l'un des plus curieux spectacles de la nature. La rcnomraee de cette merveillc est devenue europeenne. Tout le monde sait aujourd'hui que le Saumon fraye habi- tiieliement pendant les premiers mois d'hiver, c'est-a-dire en novembre et en decembre. Cependant, les observateurs ecossais auxquels nous devons le plus grand nombre de faits acquis re- lativement a l'histoire du Saumon, affirment que des individus commencent a pondre d&s le mois de septembre, que d'autres produisent encore dans les mois de Janvier, de fevrier et meme de mars. La temperature ordinaire de l'eau des rivieres dans lesquelles vivent les Poissons exerce a cet egard une influence bien notable. La ponte se fait plus tot dans les rivieres qui sor- tent des lacs, plus tard dans celles qui descendent directement des montagnes. La rigueur on la douceur des hivers est une autre cause de variation. Les oeufs du Saumon, d'une assez grande transparence, d'un blanc opalin dans les jours qui suivent la ponte, d'une agreable couleur rosee on mieux saimwnnee, quand le vitellus (le jaune) s'est colore, ont le volume d'un gros pois. Ceux des Grilses sont toujours sensiblement plus petits que ceux des Saumons adultes. La duree de l'incubation des ceufs est tres-longue, mais elle varie dans des limites fort larges, selon le degre de la tempera- ture; aussi l'eclosion des jeunes, provenant d'eeufs pondus en 462 HISTOIRE PARTICLLIERE DES POISSONS. automne a lieu ordinairement au bout de quatre-vingt-dix jours, tandis que l'incubation des osufs pondus en novembre on decembre, peut durer de cent a cent quarante jours. Les petits Poissonsnouyellement eclos s'agitent avec vivacite, portant leur enorme vesicule * qui servira a les nourrir pendant a peu pres cinq semaines. La vesicule entierement resorbee, les alevins doivent prendre de la nourriture, et c'est la une epoque de transition assez critique dans la vie de ces animaux. Beau- coup d'individus perissent a ce moment. Pendant son premier age, le Saumon se noun-it a la maniere des jeunesTruites d'une fouled'insectes, de frai, etcertainement aussi de petits poissons, des qu'il est parvenu a une certaine grosseur. Pendant son sejour dans les eaux donees, a l'etat adulte ou a l'etat de Grilse, il est evident qu'il devore une foule de poissons. Mais on est peu fixe encore sur la nature de l'objet de ses preferences dans \e temps ou il vit a la mer. Tous les naturalistes de l'Ecosse , attentifs observateurs des habitudes du Saumon, en ont ete reduits jusqu'a present a de simples conjectures sur l'alimentation si profitable a nos Pois- sons migrateurs dans les eaux salees. Suivant les uns , les Saumons auraient une predilection speciale pour les 03ufs des Oursins, des Etoiles de mer, des Grabes, des Homards. Selon les autres, ils rechercheraient des eaux dans lesquelles four- millent des masses de petits etres, et ils n'auraient qua ouvrir la bouche pour engloutir d'enormes quantites d'aliments. D'autres assurent cependant qu'ils consomment surtout des poissons-; quon en a trouve dans l'estomac de plusieurs indi- vidus. Le cas neanmoins s'est montre assez rarement; la di- gestion s'opererait avec une telle rapidite chez le Saumon, (I) Voir, p 117. SAUMONS. 463 que l'estomac serait habituellement trouve a peu pros vide. Par suite de cette circonstance, on s'est demande encore s'il n'arriverait pas au Saumon, saisi de fraycur au moment on il est pris, de degorger sa nourriture. Les qualites comestibles du Saumon sont assez connues el trop bien appreciees pour qu'il soit utile d'entrer dans aucune description a leur sujet. Remarquons seulement que des con- naisseurs accordent une preference aux Saumons de certaines rivieres sur ceux d'autres rivieres, aux femelles sur les males, etc. Les individus pris peu de temps apres la ponte, les Kelts, comme on les appelle en Angleterre, sont reputes detestables ; la loi britannique en interdit la peche. Les Saumons places dans de bonnes conditions croissent, on l'a vu, avec une merveilleuse rapid ite. lis atteignent assez frequemment le poids de 10 a 12 kilogrammes; maisoncite des captures d'individus de tres-forte taille, dont le poids s'ele- vait jusqu'a 25 ou 30 kilogrammes, ou meme davantage. Le Saumon appartient en propre a la mer du Nord et a 1 'Ocean, et a presque tons les cours d'eau qui se dechargent dans ces mers. Son abondance parait diminuer graduellement du nord au sud , a partir du 58e degre de latitude. II ne descend guere au dela du 42e degre, ce qui explique son absence dans les eaux mediterraneennes, le detroit de Gibraltar etant sitne par le 36 parallele 4: 1 Le Danube nourrit une especc particuliere de Saumon, a quelques egards intermediaire par ses caracteres cntre l'Omble-Chevalier et le Saumon commun. C'est le Saumon du Danube ou le Ruck (Salmo Hacho Linne) qui atleint de tres-grandes dimensions. Depuis une quiuzaine d'anneesona fait denombreuses tentatives pour l'introduire dans les eaux de la France. Rien encore cependant n'iudique qu'il doive prendre procbainement sa place dans la faune icbthyologique de notre pays. 46i HISTOIRE PARTICILIERE DES POISSONS. LE GENRE TRUITE (trutta, Nilsson) « Qui fera comparaison des Truittes avec des Saumons, qui regardera aussi leurs parties tant du dedans que du dehors, leurs meurs e facon de viure, il verra clerement que Truittes sont Saumons de riuiere e de lac. » Ainsi disait encore, en 1 558, Rondelet dans son Histoire entiere des Poissons, anec leurs pour traits au naif. Apres ce qui a ete exprime relativement aux caracteres ge- neriques des Saumons, on peut voir combien etaient justes les remarques faites par notre vieil ichthyologiste, il y a plus de trois siecles. Les Truites en effet, dont la bouche est aussi puissamment armee que celledes Saumons, ontla piece principale du vomer garnie d'une ou deux longues files de dents, qui persistent pour la plupart chez les vieux individus; mais ce caractere a bien pen de valeur, carle Saumon commun dans son jeune age a sur le vomer des dents disposees comme chez les Truites. II faut remarquer chez ces dernieres l'opercule qui est depourvu de stries et coupe droit en arriere. Les Truites se trouvent a peu pres partout ou il y a des eaux limpides, et, selon les localites, selon lage des individus, ces animaux presentent des differences frappantes ; on a ete porte ainsi a croire a l'existence d'especes tres-nombreuses dans ce genre. Les etudes recentes de plusieurs naturalistes ont conduit a faire reconnaitre beaucoup de ces especes pour de simples varietes. L'observation a amene la connaissance d'un fait impor- TRUITES. i6S tant pour l'histoire des Truites. 11 a ete constate, que des indi- vidus places dans certaines conditions, encore imparfaitement determinees, demeurent steriles. Ges individus steriles dif- ferent assez par leur aspect des individus feconds, pour avoir ete consideres comme appartenant a des especes distinctes. LA TRUITE DES LACS (trutta' lacustris ') Dans plusieurs des grands lacs de l'Europe, vit une belle espece de Truite qui acquiert souvent une forte taille, une Truite reputee excellente entre toutes ses congeneres. On l'ap- pelle en France, en Suisse, comme en Allemagne, la Truite des lacs, et sur les marches de Paris et de Lyon, on la designe d'apres sa provenance ordinaire, sous le nom de Truite du lac de Geneve. Le corps de la Truite des lacs, plus long proportionnellement que chez la Truite commune, est d'une epaisseur remarquable et parait de la sorte presque cylindrique. Toujours d'une cou- leur assez claire chez cette espece, le dos a une teinte gris de perle plus ou moins foncee, passant legerement au bleuatre on an verdatre ; les cotes sont d'une nuance grise fort pale, et i Salmo lacustris, Linne, Syslema naturae, t. I, p. 510 ; 1766. — Jurine, Hist, des PoissoitS du lac Leman, p. 15S, pi. IV ; 1825. — Salmo Trutta et Salmo lemanus, Agassiz, Poissons de I 'Europe centr ale, pi. VII, YIla et VIII. — Fario lemanus, Valenciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XXI, p. 300 ; 4S48. — Fario Marsiylii, Heckel et Kner, Die Siisswasserfische, etc., p. 267 ; 1858. — Individus steriles. Salmo Schiffermulleri, Bloch, part. Ill, p. 157, pi. 103. — Solar Schiffermulleri, Valenciennes, p. 344. — Salar Schiffermulleri et Salar lacustris, Heckel et Kner, p. 261 et 265. — Individus feconds et individus steriles. Trutta lacustris, Siebold, Suss- wasserfische, p. 301 ; 1863. Blanchard. 3° 4(36 H1ST0IRE PARTICULIERE DES POISSONS. toutes les parties inferieures d'un blanc d'argent. De petites taches noires, tantot rondes, tantot anguleuses, sont dissemi- nees sur l'opercule et sur les cotes dans toute la longueur de l'animal. G'est seulement chez de jeunes individus, qu'on aperQoit de rares taches eparses d'un jaune orange. La nageoire dorsale d'une hauteur mediocre est grisatre et ornee de tres- petites marques noiratres. Les ecailles de la Truite des lacs, plus longues que celles de la Truite commune, ont leurs stries concentriques plus rap- prochees et plus regulieres. La tete, chez cette espece, qui est a la longueur du corps comme 1 est a 4,5, a le museau court et obtus, une petite fossette a la machoire superieure dans laquelle s'engage le tubercule de la machoire inferieure, qui, meme chez les males, n'offre jamais une courbe bien prononcee. La disposition des dents vomeriennes fournit un des caracteres les plus certains pour reconnaitre la Truite des Fig. 120. — Dents vomeriennes de la Truite des lacs K lacs, malgre quelques variations individuelles. Sur la piece an- terieure, il y a quatre dents formant une rangee transversale. Sur la piece principale, les dents sont disposers sur une seule 1 Le vomer, formant la voiite du palais, est represente garni de ses dents, tel qu'il se montre lorsqu'on ouvre la bouche de l'animal. TRU1TES. 46? serie en avant, et sur deux series plus ou moins confuses en arrive. L'opercule, qui est assez large, a son bord posterieur coupe presque droit. La nageoire caudale est profondement divisee chez les jeunes individus ; mais plus tot, a-t-on remarque, que chez la Truite commune, la division disparait et la queue est alors terminee carrement. Chez la Truite des lacs, les individus steriles different beau- coup des individus feconds ; ils ont le corps plus comprime la- teralement, le museau plus effile, la bouche plus largement fendue, les couleurs de leur dos sont plus pales, les taches en general moins nombreuses et d'une teinte moins foncee. Les dimensions de la Truite des lacs sont souvent consi- derables ; on en prend quelquefois, dans le lacLeman, du poids de 15 a 18 kilogrammes. Mais ce sont des cas assez rares. Au moment de mes excursions sur le lac en 1862, il en fut pris une qu'on me declara, constatation faite, etre du poids de 22 ki- logrammes. Jurine en avait vu deux individus peches a des epoques differentes, Pun pesant 17kil,622 et l'autre 15kil,663. Si Ton pouvait s'en rapporter a des recits anciens, on aurait eu autrefois des Truites de SO a 60 livres (24kil,475 a29kil,370). Les individus steriles n'atteignent jamais, a beaucoup pres, la taille des individus feconds. Quand s'approche le temps de frayer, les Truites qui ont deja acquis un certain volume abandonnent les eaux des lacs ets'engagent dans les rivieres, qu'elles parais- sent remonter souvent jusqu'ade tres-grandes distances. C'est a partirde la fin de septembre que commence leur migration. Dans les derniers jours de septembre et au commencement d'octobre j'ai vu pecher des Truites des lacs en assez grand nombre dans la Draisse, petite riviere qui se decharge dans le 468 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. Leman, pres de Thonon. A Geneve, oil des nasses sont tendues a la sortie du Rhone, on observe aisement le moment des pas- sages qui sont connus sous les noms de descente et de remonte. A l'epoque du frai, les Truites des lacs se parent de vives cou- leurs, et ces couleurs se modifient selon les cours d'eau clans lesquels penetrent ces Poissons, selon les hauteurs auxquelles ils parviennent dans les rivieres des montagnes. A leur retour dans les lacs, ils sont decolores et amaigris ; mais ils revien- nent bientot a une meilleure condition, dans les eaux ou ils trouvent une nourriture abondante. LA TRU1TE DE MER (trutta argentea ') La Truite de mer, que Ton appelle aussi la Truite sau- monee, est un Poisson fort estime, vivant, comme le Saunion, d'une maniere alternative dans les eaux salees et dans les eaux douces. La Truite saumonee a le corps long, arrondi sur les cotes, rappelant la forme du Saumon plus que celle de la Truite commune, surtout dans un age avance. Un des caracteres de cette espece, c'est d'avoir la tete petite, proportionnellement a la longueur du corps. Quelques autres particularites faciles a saisir permettent encore de la distinguer assez surement de ses congeneres : ainsi l'opercule, dont le bord posterieur est coupe bien droit, a moins de largeur que chez la Truite commune, les 1 Salmo Trutta, Linn6, Syst. natural, t. I, p. 509 ; 1766. — Yarrell, British Fishes, t. II, p. 36 ; 1836. — Jardine, British Salmonidce, pi. XI, fig. I et 2(jeune Age); 1839. — Fario argenteus, Valenciennes, Hist.nat. des Poissons, t. XXI, p. 294, pi. 016 ; 1848. — Trutta Trutta, Siebold, Die Susivassc?'fische von Mitteleuropa, p. 314; 1863. TRUITES. 469 ecailles sont plus grandes et les nageoires sont moins longues. On reraarque surtout la brievete de la dorsale. Cependant lorsque la Truite de mer est jeune, il serait parfois aise de la confondre avec la Truite commune, si Ton ne portait atten- tion a l'arrangement des dents du vomer ; sur la piece ante- rieure il y a ordinairement quatre dents, trois seulement dans Fig. 121. — Dents vomeriennes de la Truite de mer. quelques cas ; sur la piece principale, on observe, en avant, les dents sur une rangee, en arriere sur deux rangees sotivent assez irregulieres et pouvant se confondre plus ou moins en une seule. La Truite de mer est argentee sur les cotes et ornee de pe- tites taches noires eparses et en nombre plus ou moins res- treint; elle a le dos d'un gris blcuatre, les parties inferieures d'un blanc eclatant, ce qui la distingue an premier coup d'oeil de la Truite commune. Sa nageoire dorsale, d'une teinte gri- satre comme la caudale, est mouchetee de noir. Vers l'epoque du frai, la couleur bleue du dos devient plus vive. Mais la Truite de mer subit des changements comparables a ceux qui ont ete observes chez le Saumon. Avant d'avoir et6 a la mer, elles presentent des taches orangees sur les flancs ; de sorte 470 HISTOIRE PARTICI'UERE DES POISSONS. que sa coloration se rapproehe beaucoup de celle de la Truite commune, excepte cependant sur les parties inferieures. Obser- CD 3 a" a 5 vee ainsi dans son jeune age , la Truite de mer a ete prise par plusieurs naturalistes comme une especeparticuliere (Sal mo Goedenii, Bloch). M. Lereboullet, le savant doyen dela Faculte TRUITES. 471 de Strasbourg, m'en a fait parvenir des individus longs deOm,15 aOm,20, peches dansun petit affluent du Rhin, qui etaient re- marquables par la beaute de leurs couleurs. Le dos, d'un noir magnifique, presentait des reflets eclatants d'un bleu d'acier. Une ponctuation noire s'etendait jusque sur le ventre* des ta- ches d'un noir intense se detachaient sur la teinte foncee des parties laterales superieures, et deux on trois rangees fort iriv- gulieres de taches orangees parfaitement rondes couraient au- dessus et au-dessous de la ligne laterale ; les nageoires infe- rieures etaient sablees de noir. La Truite de mer ou Truite saumonee, moins bien etu- diee quele Saumon,parait avoir des habitudes tres-analogues a celles de ce dernier. Elle nait dans les rivieres ; parvenue a une certaine taille, elle descend a la mer et remonte ensuite les eaux donees pour yfrayer. Quelquesauteiirsl'ontdonneecomme habi- tant aussi des lacs sans communication avec la mer, mais, selon toute apparence, il y a eu deleur part une confusion d'especes. La Truite saumonee, assure-t-on, sejourne dans les eaux douces plus longtemps que le Saumon : elle fraye du mois de septembre a la fin de novembre. Ge Poisson, l'un des plus estimes pour la table, dont la chair a une teinte rose, la couleur saumonee, atteint une assez forte taille. On en voit frequemment des individus, sur les marches, du poids de 4 a S kilogrammes, et il s'en trouve qui arrivent au poids de 12 a 15 kilogrammes. La Truite saumonee se peche principalement clans les eaux de nos departements de l'Est, le Rhin, I'lll, la Moselle, la Mouse et leurs affluents, etd'autre part dans la Loire etsestributaires l. 1 M. Valenciennes (Hiitoire natwelledes Poissons, t. XXI, p. 338) a rap- 472 HISTOIRE PARTICULARS DES POISSONS. LA TRUITE COMMUNE (trutta fario j) La Truite ordinaire, repandue en Europe d'une maniere an moins anssi generale que la Perche, se trouve dans presque tontes les parties de la France ; elle est la grande tentation des peeheurs a la ligne, qui ont facilement acces pres de ces rivieres aux eaux courantes et limpides ou se plait le Poisson pare de Fig. 123 — La Truite commune [Trutta fario) taches rouges et noires bien connu de tout le monde. La belle capture, en effet, qu'une Truite de forte taille qui, servie sur la porte au Salmo ferox de Jardine, qui est une Truite des lacs du Sutherland, peut-etre une simple variete de notre Truite des lacs, des Truites du Fo- rez, dont la machoire inferieure est courbee comme chez les Saumons becards. Je n'ai pu trouver aucun caractere particulier a ces Truites. A mes yeux, ce sonl evidemment des miles de la Truite de mer, dont la conformation des machoires est tres-analogue a celle des machoires de bcaucoup de Saumons males. 1 Salmo fario, Linne, Systema natural, t. I, p. 509 ; 1766. — Agassiz, Poissoiis de I' Europe centrale, pi. 3 a 5. — Salar Ausonii, Valenciennes, Hist. nut. des Poissons, t. XXI, p. 319, pi. 618 ; 1848. — Heckel et Kner, Die Susswasserfische, etc., p. 248 ; 1858. — Trutta fario, Siebold, DieSitss- wasscrfische von Mitteleuropa, p. 319 ; 1863. Rlanchard, Les Poissons. PI. XV, p. 472. Paris, J.-B. Bailliere et Fils, <-di t. Coibeil, Crete1, imp. PECHE DE LA TRUITE ELLE EST LA GRANDE TENTATION DES PECHEURS A LA LIGNE. Blanchard, Les Poissons. PI. XVI, p. H2. Paris, J.-B. Bailliere et Fils, edit. Corbeilf Cr6t<5, imp. LA PECHE DE LA TRUITE LA BELLE CAPTURE EN EFFET QU'UNE TRUITE DE FORTE TAIL I. I TRUITES. 473 table, fera les delices des convives. II n'est personne, sans doute, qui n'ait vu quelque amateur de pMie bien joyeux a la pensee de l'apparition prochaine de la mouche de mat, 1'appAt, par excellence, pour la Truite. La Truite commune est mcdiocrement allongee et com- primee lateralement. Une certaine hauteur et l'aplatissement des flancs permettent meme de distinguer, a la premiere ins- pection, l'espece parmi ses congeneres. II est utile neanmoins de considerer avec attention des caracteres plus precis pour etre certain de ne pas se meprendre. La Truite commune a une coloration d'un aspect toujours agreable, coloration qui varie infmiment sous le rapport de l'in- tensite, sous le rapport des nuances, sous le rapport, aussi, du nombre et de la vivacite des taches. En general, une teinte d'un vert olivatre s'etend sur toutes les regions superieures, et cette teinte affaiblie et plus jaunatre regne sur les cotes, tandis que les parties inferieures sont d'un jaune clair brillant commele laiton. Des taches noires, plus on moins arrondies, se trouvent disseminees sur la region dorsale, sur les opercules, sur la na- geoire du dos, et, d'autre part, des taches rondes d'un rouge orange, souven't circonscrites par un cercle pale oubleuatre, or- nent les flancs au-dessus et au-dessous de la ligne late rale. Les nageoires inferieures etla nageoirecaudale sont ordinairement jaunatres, plusou moins sablees de noir, etbordees d'une ligne de la meme couleur. Mais, nous le repetons, ces couleurs, ces taches, sont infmiment variables selon lage et beaucoup plus encore selon les localites. Les individus des ruisseaux des Al- pes se font habituellement remarquer par lour teinte noire re- pandue d'une manieregenerale. Chez lesTruites qui habitentles lacs et les ruisseaux des hautes Vosges, le plus souvent, le dos 474 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. est dun bleu d'acier, les taches noires rondes sont eparses sill- ies cotes, de larges taches transversales bleuatres occupent le milieu des flancs, traversers par la ligne laterale, et entre ces taches sombres on remarque une ou plusieurs taches rouges. Dans plusieurs localites on trouve les Truites tres-pales. La plupartdes individus de nos departements meridionaux que j'ai eu l'occasion d'examiner, ceux, par exemple, de la Durance et de la Sorgue, des affluents du Lot et de la haute Garonne, avaient le dos gris bleuatre on verdatre assez clair, les taches noires tres-petites, les taches rouges laterales ayant souvent l'apparence de gros points, parfois manquant absolument. L'ab- sence de taches rouges se manifeste du reste sur les Truites dans une foule de circonstances. Tout le corps, chez la Truite commune, est convert de petites ecailles qui, observers a la vue simple, ne different pas sensi- blement de celles des autres Truites, mais detachers, on con- Fig. 124. — Eeaille de la Truite commune, tres-grossie. state, a l'aide d'un grossissement, que leur forme est plus oblongue que chez les autres especes, leurs stries plus espacees sur la portion decouverte. La tete est epaisse, avec le museau large et obtus, l'oeil grand ; les dents vomeriennes formant d'ordinaire, an nombre detrois, quelquefois au nombre de quatre, une petite rangee transver- sale sur la piece anterieurc, et disposees sur deux series clans TRUITES, 475 toute la longueur du corps de 1'os. Ges dents varient a quelques egards sous le rapport du nombre et surtout du rapprochement des.deux series, mais, comme leurs variations sont d'un ordre Fig. 125. — Dents vome'riennes de la Truite commune. tres-secondaire, elles fournissent peut-etre le caractere le plus certain pour distinguer, en toute occasion, la Truite commune de ses congeneres. L'opercule est long et habituellement assez etroit, surtout asa partie superieure ; cependant i] y a, a cet egard, des differences individuellesremarquables. DesTruites pecheesdans les petites rivieres du departement de la Seine-Inferieure, la Lezarde, la Gournay, que j'ai eu Foccasion d'observeren assez grand nom- bre, avaient l'opercule beaucoup plus large que presque tous les individus que j'avais examines sur divers points de la France ; la probability d'une difference specifique s'etait presentee a mon esprit; mais il fut impossible de trouver, chez les Truites a opercule large, aucun autre caractere propre a les distinguer des Truites a opercyle etroit et, en comparant des individus de toutes provenances, toutes les nuances dans la largeur de l'o- percule se sont offertes. Ce n'etait done qu'une particularite sans importance. Sous le nom de Truite de Baillon (Salar Bail- lom), M. Valenciennes a decrit une Truite pechee dans la 476 I1IST0IRU PARTICIUERE DES POISSONS. Somme l, qu'il a regardee comme etant d'une espece distincte pouvant etre venue des mers du Nord. Nous avons examine avec le plus grand soin les individus etiqttetes par M. Valen- ciennes, sans pouvoir y reconnaitre autre chose que des Truites ordinnires. II n'est pasde Poisson, peut-etre, qui semodifie avec plusde facilite que la Truite commune, selon la nature du milieu dans lequelilse trouve.Leseaux,les herbages, le fond, l'alimentation, exercent une influence marquee, non-seulement sur la colora- tion, mais aussi sur la taille, a quelques egards sur les formes, beaucoup sur la teinte de la chair. On ne saurait con server au- cun doute sur ce point, car des Truites de certaines rivieres, o Errant un aspect bien particulier, ne tardcnt pas a se modifier lorsqu'elles sont introduites dans d'autres rivieres. L'effet est facile a constater, les causes encore impossibles a preciser. Per- sonne jusqu'a present n'a reussi a etablir d'une maniere satis- faisante par quelle cause les Truites ont dans telles localites, la chair blanche, ailleurs, de la couleur dite saumonee. M. Goste settlement a observe que cette teinte setransmettait des femelles a leurs ceufs 2. Nous considerons des Truites du poids d'un kilogramme comme d'assez beaux Poissons ; ce qui est bien peu de chose pour des Truites ; mais les individus de cinq, six, dix kilogram- mes sont fort rares aujourd'hui. Gependant un mettnier du departement de l'Eure, M. Prunier, habitant de Lorey, aurait pris dans l'Eure, en octobre 1862, m'assttre-t-on, deux Truites vraiment magnifiques, pesant l'une plus de 12 kilogrammes, 1 Hist. uat. des Poisso>s, t. XXI, p. 342. 2 Comptes rendus de I'Academie des sciences, t. L, p. 101 1-1012 ; 1800 tn a a o a a a tn a (3 a - H a Ed P H (S K 3 a - OC z 7. H a a ««! e J • 3 a -*: en a >-3 a Q ta Q< a «4 = a- PS - j W i_ J O ■y. a a A a a — - X a «4 a in en M -^ P tn H !- a V p. .5 / '5 pa a - i. 1 Z < en - TRUITES. 477 l'autre 9 kilogrammes. La plus belle a figure avec eclat sur la table de l'un de nos riches financiers l. La Truite est d'une extreme voracite, elle est particulierement avide de vers et d'insectes; mais elle s'attaque egalement a une infinite de Poissons et surtout a leur frai. On affirme que dans les rivieres oil viennent pondre les Saumons les Truites de~ truisent une grande quantite d'ceufs de ces Poissons. Dans les petits ruisseaux pierreux, clairs et rapides, ou Ton voit des lar- ves d'insectes ou de ces vers que Ton nomme des Planaires, une recherche attentive y fait presque ton jours decouvrir de jeunes Truites. Les Truites commencent a frayer des le mois d'octobre. En novembre et decembre est leur plus grande activite qui ne s'ar- rete pas, du reste, avant le mois de fevrier. Ces Poissons creu- sent des cavites a la maniere des Saumons, et y cachent leur ponte dans les graviers. Leurs ceufs sont assez gros, comme ceux de la plupart des Salmonides. La duree de l'incubation varie de quarante a soixante jours. La vesicule vitelline des nou- veau-nes est resorbee dans l'espace de trois a cinq semaines, et les alevins grandissent ensuite avec plus ou moins de rapidite, selon les conditions qui leur sontoffertes. A cet egard, une expe- rience assez curiense d'un amateur anglais, M. Stoddart, merite d'etre rapportee. De jeunes Truites furent placees dans trois bas- sins differents ; l'un fut approvisionne imiquement avec des vers, l'autre avec des vairons, le troisieme avec des mouch.es. Les Truites nourries exclusivement avec des insectes ailes devinrent dans le meme temps deux fois plus grosses que les autres ; les individus nourris avec des vairons eurent l'avantage sur ceux 1 D'aprc's les notes de M. Millet. 478 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. qui avaient ete alimentes avec des vers ou des larves. Tons les amateurs de peche savent, au reste, combien les Truites se montrent avides des insectes qui volent pres de la surface de l'eau. Dans la belle saison, c'est plaisir de voir ces Poissons sauter pour happer au passage les insectes ailes. Pendant la premiere annee, les Truites comme les jeunes Saumons ou les Parrs ont des bandes transversales bien mar- quees. Gette livree du premier age se modifie dans le cours de la seconde annee. La presence d'individus steriles de la Truite commune a ete assez frequemment constatee, surtout par les naturalistes de l'Allemagne. Les organes de la reproduction cliez ces individus semblent etre atrophies ; les oeufs y demeurent a peu pres de la grosseur de grains de millet. LA FAMILLE DES CLUPEIDES (CLUPEID^) Les Clupeides sont tons des Poissons de mer. Quelques es- peces, appartenant a un meme genre, sont les seuls represen- tants de cette famille de Poissons, qui entrent periodiquement dans les fleuves comme les Saumons. Les principaux types de la famille des Clupeides, les Sardines, les Anchois, et surtout les Harengs, ont, comme chacun lesait, une importance enorme au point de vue des peches maritimes. Les Aloses, les seuls Clupeides qui remontent les fleuves et les rivieres, ont donne lieu autrefois a des peches considerables, mais la diminution qui a atteint tous les Poissons migrateurs n'a pas epargne les Aloses. Les Clupeides ont des ressemblances de conformation gene- rale avec les Salmonides, pourtant il n'arrive a personne de faire Blanchakd, Lcs Poissons. PL Will, p. 478. Paris, J.-B. Bailliere et Fils, 6Iit. Corbeil, Cr6t6, imp. LA PECHE DE LA TRUITE TOUS LKS AMATEURS DE 1'ECHE SAVENT AU RKSTE COMBIEN LES TRUITES SE MONTHENT AVIDES DE* IN SECIES. ALOSES. 479 unc confusion entre ces animaux. Les Clupeides n'ont pas de nageoire adipeuse en arriere de la nageoire dorsale. Leur corps est convert de grandes eeailles minces; le bord de leur ma- choire superieure est constitue, an milieu par les intermaxillai- res, sur les cotes par les maxillaires ; leurs ouies sont tres-large- mentouvertes. Chez ces Poissons, l'intestin est pourvu de nombreux ap- pendices pyloriques ; la vessie natatoire est simple. LE GENRE A LOSE (alosa, Cuvier) Les Aloses, entre tous les Clupeides, sont caracterisees par leur corps comprime lateralement, par leur carene ventrale, en- tre les nageoires ventrales et la nageoire caudale, dentelee en maniere de scie ; par leur Louche, dontles intermaxillaires se- Fig. 120. — Carene ventrale de l'Alose commune, vue du cote droit. pares l'un de l'autre par un assez grand intervalle, sont garnis, comme les maxillaires, de dents tres-fines, dont la machoire in- ferieure, les palatins, le vomer, la langue, sontentierement de- pourvus de dents. Deux especes du genre Alose remontent chaque annee nos cours d'eau et se portent a d'immenses distances des cotes. 48 a HISTOIRE PART1CUL1ERE DES POISSONS. L'ALOSE COMMUNE (alosa vulgaris ') L'Alose commune, YA losaou des Provencaux, habite toutes les mers qui baignent les cotes d'Europe ; elle fait son appari- tion dans nos fleuves et dans nos rivieres au printemps, vers le moisde mai, d'oulenom vulgaire Maifisch « Poisson de mai » que lui donnentles Allemands. L'Alose a le corps assez eleveet comprime lateralement, avec r^ss^t^r Fig. 127. — L'Alose commune {Alosa vulgaris). des nageoires petites relativement a son volume, des ecailles de dimensions inegales, irregulierement festonnees sur leur bord. Elle se fait remarquer par sa bouche fendue jusqu'en arriere des yeux avec les macboires garnies de dents fines et serrees, par ses yeux converts en avant et en arriere d'un voile cartilagineux en forme de demi-lune et surtout par ses arcs branchiaux garnis de tres-nombreuses epines ou lamelles : » Clupea alosa, Linne, Syst. nut., t. I, p. 523 ; 1700. Alosa vulyaris, Cuvier, Regne animal, t. II, p. 319; 1829. — Alosa communis, Yarrell, British Fishes, t. II, p. 213 ; 1836. — Alosa vulgaris, Valenciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XX, p. 391, pi. 604 ; 1847. — Siebold, Die Susswas- serfischevon Mitteleuropa, p. 328 ; 1863. ALOSES, 481 99 a 118 sur le premier arc branchial, 96 a 112 sur le second, 74 a 88 sur le troisierae, 56 a 65 sur le quatrieme. L'Alose commune est d'une teinte generate argentee avec le dos verdatre et une ou deux tach.es noires en arriere des oui'es. Elle atteint une assez forte taille et un poids qui peut alter jus- qua 2 ou 3 kilogrammes. Ge Poisson qui jouit de quelque estime de la part des con- sommateurs, fait son apparition au printemps dans la plupart de nos cours d'eau et remonte a des distances enormes des co- tes. On voit les Aloses penetrer dans tous les affluents du Rhone, remontant l'lsere au-dessus de Grenoble, arriver dans la Saone jusqu'a Gray. Dans les fleuves qui tombent a l'Ocean , la Gironde, la Loire, les Aloses se montrent aussi en grande abondance, et elles s'engagent de meme dans tous leurs affluents. Nous ne savons presque rien encore de leurs habiti'des. L'ALOSE FhME (ALOSA F1NTA J) Getteespece ressemblea tel point al'Alose commune, qu'elle a ete confondue avec cette derniere par beaucoup de natura- listes et meme par M. Valenciennes. Cu\ier cependant , le premier, sut etablir une distinction, en reconnaissant chez la Finte une forme plus allong^e que chez l'Alose commune, des dents plus fortes aux deux machoires et cinq ou six taches noires le long des flancs qui n'existent pas chez la premiere. 1 Alosa Finta, Cuvier, Reyne animal, t. II, p. 320; 1829. — Yarrell, British Fishes, t. II; 1836. — Troschel, Wiegmanris Archiv fur Naturge- schichte, 1852, t. I, p. 228. — Siebold, Die Susswasserfische von Mitteleu- ropa, p. 332; 1863. — Alosa vulgaris, Valenciennes, Hist. nat. des Pois- sons, t. XX, p. 391 ; 1847. Blanchard. 31 462 H1ST0IRE PART1CULIERE DES POISSONS. Ges caracteres avaient semble de peu de valeur, mais M. Tros- chel, un professeurde l'Universite de Bonn, a reconnu entre la Finte et l'Alose commune, line difference d'une telle importance, qu'il estdevenu impossible de considerer l'une comme uneva- riete de l'autre. Chez la Finte, les arcs branchiaux portent un nombre de lamelles bien moins considerable que chez l'Alose commune ; il y en a seulement de 39 a 43 sur les deux premiers, de 33 a 34 sur le troisieme, de 23 a 27 sur le quatrieme. La Finte ne parait dans les rivieres que quelques semaines apres l'Alose commune. LA FAMILLE DES ESOCIDES (esocule) Les Esocides composent nne famille dont le Brochet, l'uni- que representant dans les eaux douces de 1' Europe, doit etre considere comme le type. Ces Poissons ont le bord de la machoire superieure forme au milieu par les intermaxillaires qui sont pourvus de dents, sur les cotes par les maxillaires ou il n'y en a auciine. lis ont une seule nageoire dorsale, et les ou'ies tres-largement fendues. LE GENRE BROCHET (esox, Linne) Un corps allonge, arrondi sur le dos, couvert d'ecailles de moyenne dimension ; une tete large et aplatie ; une bouche tres-largement fendue avec le palais herisse de dents tres-nom- breuses; une machoire inferieure garnie de tres-grosses dents BROCHET. 483 espaeees ; une nageoire dorsale situee tres en arriere, consti- tuent les principaux caracteres du genre Brochet. Ce genre n'est represents en Europe que par une seule es- peee l. LE BROCHET COMMUN (ESOX LUCIUS 2) De tous les etres qui forment la population des eaux donees de l'Europe, il n'en est ancun dont la reputation de voracite et meme de ferocite soit mieuxetablie que celle du Brochet. Une comparaison exprime, a cet egard, le sentiment populaire : le Brochet, dit-on, est le Requin des eaux donees. Si la physio- nomie de certains Crocodiles avait ete des iongtemps familiere aux habitants de l'Europe, on n'aurait pas manque de trouver de ce cote le motif d'une image. Lorsqu'a ete decouverte aux rives du Meschacebe une espece particuliere de Crocodile, un Caiman , on a ete frappe de l'analogie que presentait le museau de ce Crocodile, large et aplati comme une spatule, avec celui du Brochet, et le redoutable animal de la Louisiane a ete nomme le Caiman a museau de Brochet (Alligator lucius). Les personnes ayant l'idee que les etres les plus mauvais sont ceux qui croissent avec la plus grande facilite, qui prospe- rentle mieuxen toutescirconstances, seront parfaitementfondees a prendre le Brochet comme exemple. Le vorace Poisson s'ac- 1 Plusieurs esp^ces voisines se trouvent dans les eaux douces de l'Amerique du Nord. 2 Esox lucius, Linn6, Syst. nat., t. I, p. 516, i 766. — Jurine, Hist, des Poissomdu lac Letnan, p. 230, pi. 15; 1825. — Yarrell, British Fishes, 1. 1, p. 401 ; 1836. — Valenciennes, Hist. nat. des Poissons, t. XXIII, p. 279 ; 1846. — Heckel et Kner, Die Sussivasserfische, etc., p. 287 ; 1858. — Siebold, Die Sussivasserfische von Mitteleurojia, p. 325 ; 1863. 484 HISTOIRE PARTICLLlERE DES POISSONS. commode de tous les climats, des eaux de toute nature, de la plaine ou de la montagne. Le Brochet abonde particulierement Fig. 128. — Le Brochet commun. sous les froids climats de la Scandinavie, de la Russie, de la Siberie, il est fort commun dans l'Europe centrale, un pen BROCHET. 485 moins peut-etre dans l'Europe meridionale, mais on le trouve en Asie jusque vers les parties centrales de ce continent. Le Brochet vit dans les etangs vasenx, ou il extermine a profusion les Garpes et les autres Gyprinides; il parcourt les fleuves et les rivieres comme un bandit acharne a la poursuite de tout ce qui pent etre atteint ; il erre dans les grands lacs aux eaux bleues et limpides, ou il engloutit dans sa vaste gueule, les Goregones a la chair delicate, les Truites au vetement mou- chete. Plus d'un pecheur et d'un baigneur a recii, nous assure- t-on, les atteintes de ses dents redoutables. Le nom du Brochet est connu dans la France entiere et dans tons les pays de langue franchise. On assure que ce nom, mo- difies en Broaches chez les Provencaux, vient de la forme du corps de l'animal, qui ressemble assez a une brochette, si on l'exa- mine de profil. Les jeunes individus sont appeles tantot Broche- tons, tantot Lancer ons , Aiguillons, Poignards, toujours des allusions a la forme du corps. Les nomsde Becquet, de Becot, de Bec-de-canard, de Bec-de-canne sont employes egalement dans diverses localites, et ici, Ton comprend que c'est la confi- guration du museau qui a semble la particularite la plus frap- pante. Dans la plupart des idiomes etrangers, la puissance et l'acuite des dents du Poisson, paraissent surtout avoir determine les designations vulgaires. La denomination du Brochet en France, dans les anciens temps, etait Lucius, nom de forme latine duquel sont derives chez nous lesnoms de Luce et de Lucie, etchez les Italiens, ceux de Luccio et de Luzzo : il est merveilleux de voir comme le Brochet a figure souvent dans les anciennes armoiries. Gelui qui faisait figurer des Brochetsdans son blason voulait evidem- ment donner a croire, que lui aussi etait un terrible person- 486 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. nage, capable de mordre vigoureusement. On s'est mis bien fort en frais d'imagination pour trouver l'etymologie de ce mot Lucius. On a era l'avoir rencontree dans le mot grec Lukos (Lupus, Loup), parce que le Brochet est un veritable loup pour les autres Poissons (Lupus piscis). C'est dans le poeme d'Ausone que se trouvela premiere men- tion precise du Brochet, et ce qui pent etre note en faveur du bon gout du chantre de la Moselle, c'est son dedain pour le vorace Poisson. II s'agit ici d'un animal si parfaitement connu qu'une des- cription minutieuse de ses caracteres n'est pas bien necessaire. II suffira de rappeler ses traits les plus remarquables. Le Brochet a le corps long, presque aussi eleve pres de la nageoire caudale que vers la partie anterieure; de la sorte, le dos vu de profil, offre une ligne qui s'eloigne peu de la ligne droite. La tete fortement aplatie se prolonge en un large mu- seau en forme de spatule. La machoire inferieure depasse nota- blement la machoire superieure. La gueule, extremement vaste, est fendue jusqu'a la hauteur de l'ceil, et les dents qui la garnissent sont tres-diversement conform'ees. Aux intermaxillaires et au palais, ce sont de tres- fortes dents entremelees avec de plus petites; au vomer et a la langue de fines dents en brosse ou en carde ; a la machoire in- ferieure de grandes dents coniques, un peu courbees en arriere et de grosseur inegale. Les ecailles du Brochet, en grande partie enveloppees par la peau, sont assez petites, aussi n'en compte-t-on pas moins de cent vingt a cent trente dans la plus grande longueur du corps, et vingt-cinq a trente rangees dans sa hauteur. Ces ecailles de- tachees et observees sous un grossissement, paraissent extre- BROCHET. 487 mement jolies ; elles offrent line ccrtaine ressemblance par la forme avec celles des Perches, ressemblance tres-frappantemal- gre l'absence de toute dentelure an bord exterieur qui est ar- rondi. Elles ont leur bord basilaire partage" en quatre on cinq larges festons, leurs stries concentriques partout serrees et re- gulieres, et elles ne presentent ni sillons ni canalicnles. Un fait singnlier de l'ecaillure du Brocket, c'est que plusieurs des ecailles de la ligne laterale qui court en droite ligne, manqnent de conduit dela mucosite et que des ecailles ayant ce conduit, et ainsi le caractere ordinaire des ecailles de la ligne laterale, se trouvent disseminees au-dessus ou au-dessous de cette ligne, ou les conduits muqueux font toujours defaut chez les autres Poissons. La nageoire. dorsale, situee tres en arriere, presque exacte- ment au-dessus de l'anale , a 7 ou 8 rayons simples et 13 a 15 branchus ; les nageoires pectorales , qui sont petites, ont 15 ou 16 rayons dont un simple, les ventrales 9 ou 10, l'anale 17 ou 18 avec les premiers simples; la caudale , qui est completement divisee dans le milieu, en a 19. Le Brochet est d'un vert grisatre avec le dos plus fonce, les cotes plus clairs et plus jaunes, le ventre blanchatre, plus ou moins pointille de noiratre. Sur les cotes se dessinent, d'une maniere assez variable, des bandes transversales ou des marbrures oliva- tres, tres-irregulieres. Chez les individus qui ont vecu dans des eaux limpides, la coloration a une remarquable vivacite ; elle est sombre, an contraire, chez les individus qui ont sejourne dans des eaux vaseuses. Le Brochet, comme chacun le sait, parvient a une taille con- siderable. Les individus du poids de 10 a IS kilogrammes ne sont pas tres-rares ; on en cite du poids de20 a 2S kilogrammes, 4S8 MSTOIRE PART1CULIERE DES POISSONS. seulement, ceux-la doivent etre peu communs. Le Brochet se trouvant dans les conditions les plus favorables a son develop- pcment dans les pays froids, ce Poisson atteindrait frequem- mcnt, assure-t-on, la longueur d'un metre a un metre et demi dans les eaux de la Norwege, de la Suede, de la Siberie. On a parle de Brochets ayant des dimensions bien autrement prodi- gieuses, et le poids enorme de 50 a 75 kilogrammes, mais il est toujours necessaire de faire la part des exagerations. Les Brochets frayent pendant les mois de mars et d'avril ; quelquefois des la seconde quinzaine de fevrier, rechercbant alors les endroitsles mieux abrites et les plus solitaires, les eaux tranquilles et peu profondes ; les femelles laissent echapper leurs ceufs en se frottant le ventre sur les plantes aquatiques et meme sur la vase. La croissance du Brochet est rapide, mais cette rapide crois- sance a et6fort diversement determinee, par la raison simple, qu'elle est en rapport avec l'abondance de la nourriture. Dans tous les cas, la valeur des Brochets est loin d'egaler celle de la masse de poissons qu'il devore en un court espace de temps. Des pecheurs affirmentqu'un Brochet doit consommer en line semaine au moins deux fois son propre poids. D'autres esti- ment que cette consommation pent etre, en un seuljour, equi- valente a son poids. Un auteur anglais rapporte que huit Bro- chetons (d'environ 5 livres anglaises chacun), devorerent huit cents Goujons en trois semaines et que 1'u'n d'eux semblait in- satiable. On pent croire qu'un Brochet, ayant plusieurs annees d'exis- tence, et parvenu au poids de 8 a 10 kilogrammes, n'est arrive a ce developpement, qu'apres avoir depeuple les eaux d'une quantite de Poissons qui formerait unc masse de plusieurs cen- Blanchard, Lcs Poissom PI. XIX, p. 489. I'iiri-, J.-H. li.uhiL'io tt I- il», tii.l. (.01 boil, U.l'Il', imp. LE BKOCHET UN TK1. CALCUL CONDUIT A FAIRE REGARDER LA PRESENCE UV BROCHET HANS T.r.s LACS ET LES RIVIERES COMME UN VERITABLE KI.KAU. ANGUILLES. 489 taines de kilogrammes. Un tel calcul conduit simplement a faire regarder la presence du Brochet dans les lacs et les rivieres comme un veritable fleau. Les pecheurs en general pensent que la vie du Brochet ne se prolonge pas au dela d'une dizaine d'annees. Nous n'avons, du reste, aucune certitude a cetegard. Une extreme longevite a ete souvent attribute a ce Poisson. On aurait peche dans la Meuse,en 1610, un Brochet muni d'un anneau de cuivre por- tant la date de 1448, etcombien de fois a-t-on cite la pretendue histoire, rapporteepar Gesner, du Brochet du lacde Kayserweg, age de 267 ans, ainsi qu'on en put juger par l'anneau dont il etait pourvu, ou s'est trouvee gravee une inscription en langue grecque, dont la signification etait : Je suis le Poisson quile pre- mier a ete mis dans ce lac par les mains du maitre de l'univers, Frederic II, le 5 octobre 1230. Le Brochet etait fort dedaigne chez les Romains. On le pe- chait en abondance dans les marais de l'Etrurie, ou il contractait un gout de vase qui contribuait a lui oter toute estime de la part des maitres du monde, fort enclins d'ailleurs a priser avant tout lesobjets rares. Au moyen age, le Brochet etait tres-commun en France, tandis qu'en Angleterre, il etait assez peu repandu pour qu'on lui attribuat un prix fort eleve, une valeur bien superieure a celle du Saumon. LA FAMILLE DES MURENIDES (MVR^ENIDyE) Les Murenides, representes dans nos eaux douces paries An- guilles seules, sont des Poissons chez lesquels manquent les nageoires ventrales, c'est-a-dire les membres posterieurs. lis 490 HISTOIBE PARTICE EIERE DES POISSONS. appartenaient, pour Cuvier, a cet ordre qu'il a designe sous le nom expressif de Malacopterygiens apodes. Les Murenides ont encore d'autres caracteres communs. Leur corps, d'une forme allongee, commecelui des serpents, estcou- vert d'une peau epaisse,\isqueuse,ou Ton apergoitdifficilement de tres-petites ecailles ; le bord de leur machoire superieure n'est forme que par les intermaxillaires, les os maxillaires etant atrophies ; leur epaule est ecartee de la tete et suspendue a la colonne vertebrale ; leur estomac presente la forme d'un sac al- longe ; leur vessie natatoire est simple. LE GENRE ANGUILLE (anguilla, Tlwnbery) Nous enregistrons le genre Anguille, et dans toute histoire des Poissons, il serait impossible de ne pas l'enregistrer. Gepen- dant nous sommes persuade qu'il disparaitra un jour, corarae a deja disparu, dans l'ordre des Gyclostomes, le genre Ammo- cete. Tout ce qui a ete formule d'opinions, ecrit de dissertations, a propos de la generation des Anguilles, est incalculable et en- tierement prive d'interet, en l'absence d'observations serieuses. Si les Anguilles ont ete regardees comme vixipares, c'est par des personnes qui avaient trouve dans le corps de ces Poissons, des vers a\\onges,a?iguilliformes, connus sous le nom de Filaires. Desobservateurs ont pense reconnattre chez quelques Anguilles des organes de reproduction, mais c'etaientdesorganes fort pen developpes et comme on les trouve chez les animaux qui sont loin encore de l'etat adulte. Les Anguilles sont certainement des larves ; ce sont des etres ANGUILLES. 491 incapables de se reproduire , des etres qui doivent subir des changements avant de satisfaire a la loi de la reproduction . Quelle est la forme adulte des Anguilles? c'est ce qu'on ne peut affirmer ; c'est ce que Ton n'ose memeguere soupcunner ; car, si certaines analogies sembleut, d'un cote, offrir quclque pro- bability, des differences de telle nature, d'uu autre cote, parais- sent devoir eloigner l'idee d'un rapprochement. L'opinion que les Anguilles se metamorphosent en Anguilles de mer s'est presentee a l'esprit de plusieurs personnes. Yarrell l'arepoussee en ces termes : « La pensee que les Anguilles de rivieres, se rendant a la « mer, y restent et deviennent des Congres, reclame a peine « une remarque serieuse. « Le plus grand nombre de vcrtebres trouvc chez nos Ali- ce guillesd'eau douce est de 116; chez leCongre,ilyenal56 l.» Mais les metamorphoses des animaux out cause sou vent deja de si grandes surprises ! En l'etat actuel, les naturalistes distinguent le genre des An- guilles des autres genres de la famille des Murenides, surtout par les nageoires, dorsale et caudale, prolongees autour de la queue et y formant une caudale pointue. Les Anguilles ont les opercules petits, les ou'ies tres-peu fendues; la bouche garnie de petites dents en carde. L'ANGUILLE COMMUNE (anguilla vulgaris 2) L'Anguille est un Poisson si bien connu de tout le monde, qu'il n'est pas necessaire d'en faire une longue description. 1 History of British Fishes, t. II, p. 307. 2 Murcena anguilla, Linne, Systema naturce, t. I, p. 426 ; 1706. — Ju- 402 HISTOIIU: PARTICULIERE DES POISSONS. L'Anguille se troirve a peu pres dans toutes nos eaux douces, Fig. 129. — L'Anguille commune, d'apres un individu de la Seine (A. mediorostris). rine, Hist, des Poissons du lac Leman, pi. I; I82o. — Anguilla vulgaris, Yarrell, Hist, of British Fishes, t. II, p. 381 ; 1830. — Giinther, Die Fische de* Neckars, p. 128; 1853. — Siebold, Die Susswasserfische von Mitteleuropa, p. 342 ; 1863. ANGUILLES. 493 courantes et stagnantes ; on la voitainsi partout en Europe, ex- cepts dans les conrs d'eau qui se deversent clans la mer Noire on dans la mer d'Azoff; son absence, dans le Danube, a ete cons- tatee par un grand nombre de naturalistes, a commencer par Al- bert le Grand. UnPoisson que Ton rencontre sous tantde climats divers et dans les conditions les plus dissemblables, doit neces- sairement varier beaucoup, an moins sous le rapport de la colo- ration. Les Anguilles que 1'onprend dans les eaux limpides , comme les rivieres bien courantes, les lacs de la Savoie, sont ordinairement d'un beau vert fonce a reflets metalliques, quel- quefois bleuatre, avec les parties inferieures blanchatres. Au contraire, celles qui ont vecu dans des eaux bourbeuses sont, ou d'un brim jaunatre, ou d'un noir obscur. A cet egard, on observe toutes les nuances imaginables. Ce serait pen de chose que ces variations de couleur dont les Poissons nous offrent une foule d'exemples. Mais les Anguilles presentent des differences dans les formes, et Ton peut dire dans les caracteres, qui sont de nature a laisserles naturalistes dans le plus grand embarras. Chaque forme observee parmi les Anguilles se rencontre indistinctement clans toutes les regions, dans toutes les eaux, qu'elles communiquent avec la mer du Nord, avec l'Ocean ou la Mediterranee. Les diverses formes qu'affectent les Anguilles sont assez constantes ; elles sont connues des pecheurs et elles ont regu d'eux des noms particuliers, avant que des zoologistes aient cru a l'existence en Europe de plusieurs especes d' Anguilles; ce qu'au reste n'admettent pas encore tous les auteurs. Une Anguille esttoujoursl'animal serpen ti forme, cylindrique en avant, et comprime vers la queue, ayant des ecailles si petites qu'on ne les apercoit point a la vue simple; l'animal, dont la 494 HISTOIRE PART1CULIERE DES POISSONS. machoire inftrieure depasse la machoire superieure, dont les narines situees tr&s en avant des yeux ont leurs deux orifices separes par un intervalle considerable; l'animal chez lequel manque la ligne late rale et ou, a la tete seule, on decouvre des pores pour l'ecoulement de la mucosite, chez lequel encore la nageoire anale commence notablement en arriere de la partie anterieure de la nageoire dorsale. Mais parmi toutes les Anguilles presentant ces caracteres communs,iI y a des differences considerables et tres-persistantes dans les formes de la tete. Ces differences sont-elles particulieres ades especes, ousont-ellesde simples modificationsindividuelles? Risso,le premier, avoulu les caracteriser commeespeces ; Cuvier a admis les distinctions de Risso; Yarrell a adopte l'opinion de Cuvier et a cm avoir trouve la preuve de l'existence de plusieurs especes d'Anguilles, dans le nombre des vertebres qui serait different suivant les especes. Je me suis attache a determiner ce nombre de vertebres chez une foule d'Anguilles de toutes les provenances, en choisissant les plus dissemblables sous le rapport de la conformation de la tete, et j'ai toujours compte de 113 a 115 vertebres, sans que lesnombres 113, 114 et 115 s'appliquassent invariablement a tous les individus d'une meme sorte. En tenant compte de la difficult^ de separer les dernieres vertebres ; en reconnaissantla facilite d'une erreur ; en n'osant repousser l'idce d'une diffe- rence individuelle, je n'ai trouve de ce cote rien de suffisam- ment precis pour me former une conviction. Je signale ici les diverses formes que Ton observe chez les Anguilles, en atten- dant, de recherches ulterieures, la solution d'une question que les naturalistes ne peuvent trancher encore avec certitude. ANGUILLES. 495 L'ANGUILLE A LARGE EEC. (ANGHILLA LATIHOSTRIS l) Les Anguilles a large hec ou a bee plat, sont celles que nos pecheurs designent sous lo nom de Pimperneaux ; que les pecheurs de l'Angleterre appellent Grig Eel ou Glut Eel. Elles Fig. 130. — Tete, vue en dessus, de I'Anguille a large bee [Anguilla latirostris), d'apres un individu du Doubs. ont la tete extremement large, jusqua l'extremite du museau, ainsi fort arroudi ; la machoire inferieure un peu moins saillante que chez les Anguilles a long bee; les yeux, comme deja l'a remarque Guvier, peut-etre un peu plus grands proportionnel- lement. Chez tous les individus, j'ai compte 114 ou 115 \erte- bres . J'en ai vu de toutes les parties de la France. 1 Risso, JTistoire naturelle de V Europe meridionale, t. Ill, p. 199 ; 1827. — Yarrell, History of British Fishes, t. II, p. 298; 1836. 496 H1ST01RE PARTICUEIERE DES POISSONS. L'ANGUILLE A BEC MOYEN (ANGUILLA MEDIOHOSTRIS ') C'est l'Anguille verniaux de nos pechenrs, l'Anguille la plus commune, le Swig des Anglais. Gelle-ci a la tete conique, assez large a la hauteur des yeux, diminuant d'une maniere insen- Fig. 131. — Tete, vue en dessus, de l'Anguille moyen-bec (A nguilla mediorostris). siblejusqu'a l'extremite du museau, qui est ainsi fort etroit. On remarque encore que les narines sont plus lineaires chez cette Anguille que chez la precedente ; mais ce caractere n'est pas d'une evidence telle qu'il soit toujours facile a saisir. L'ANGUILLE A BEC OBLONG (ANGUILLA OBLONGir.OSTRIS) Nous avons observe des Anguilles qui sont intermediaires, sous le rapport de la forme de la tete, entre les Anguilles a bee 1 Risso, Hist. nat. de I'Eicropc meridionale, t. Ill, p. 199 ; 1827. — Yarrell, British Fishes, t. II, p. 301 ; 1836. ANGUILLES. 497 moyen et les Anguilles a long bee. Leur tote est moms large a la base que chez les premieres, moins grele que chez les der- nieres, avec le museau plus court et plus obtus. Nous avons recueilli un grand nombre de ces Anguilles a bee oblong' dans l'Huveaune, pres de Marseille, et nous avons eu du Lot et du lac de Bourget des individus presque semblables. L'ANGUILLE A LONG BEC (ANGUILLA ACUTIUOSTRIS l) Cette Anguille presente presque toujours un corps propor- tionncllement plus effile que chez les precedentes; une tete grele, etroite meme a la hauteur des yeux et continuant a s'amincir jusqu'a l'extremite du museau. Par suite de cette Fig. 132. — Tete, vue en dessus, de r Anguille a long bee [Anguilla acutirostris). conformation de la tete, les yeux paraissent se trouver plus rejetes sur les cotes que chez les autres Anguilles, et les ma- 1 Risso^ Hist. nat. de I'Europe meridionale , t. Ill, p. 19^ ; 1827. — Yarrell, British Fishes, t. II, p. 284; 1830. Bl.ANCHAIiD. 32 498 HISTOIRE PARTICULIERE l>KS POISSONS. choires deviennent fort greles. Suivant Yarrell, ectte espece n'aurait que 113 vertebres; j'en ai compte au contraire 114 choz unc foule d'individus. Ges diverses Anguilles, que Ton parait rencontrer indiffe- remment dans toutes les parties de l'Europe, atteignent une forte taille; cependant je n'ai jamais vu d'individus de 1'Anguille a long bee, ayant des dimensions aussi considerables que certains individus des autres especes on varietes ; especes on varietes, repetons-nous, car en l'etat actuel de nos connais- sances, il serait impossible de se prononcer avec confiance. Neanmoins, j 'incline tres-fortement a penser qu'il existe plu- sieurs especes d'Anguilles , mais nous n'avons pas encore le moyen de les bien caracteriser. Ges Poissons ont une vie fort longue. Un exemple en fournira la preuve. J'avais vu, il y a tres-longtemps, chez M. Desmarest, professeur a l'Ecole veterinaire d'Alfort, une Anguille qui avait ete achetee pour etre mise a la tortare. On ne se pressa point de la livrer au fourneau; le naturaliste se plut a observer Tanimal. Des ce moment, 1'Anguille fut consideree comme une amie de la maison. Je savais que ce Poisson existait encore chez le fils du professeur d'Alfort; je l'ai prie de me dire a quelles observa- tions il avait donne lieu. On ne lira pas sans intcriH la note suivante que m'a transmise M. Eugene Desmarest, l'un des naturalistes du Museum d'Histoire naturelle. « G'est depuis le 13 decembre 1828 que ma famille pos- sede V Anguille sur laquelle vous me demandez une note. II y a done trente-sept ans que nous l'avons en domesticite. <( De 1838 a 1853 (pendant vingt-cinq ans), elle a ete conser- vee dans une grando terrine placoe dans I'interieur d'une ANGUILLES. 499 chambre. Gette terrine, dont l'eau etait changee tons les sept ou huit jours, quoique grande, ne pouvait cependant pas lui permettre de se tenir etendue, et elle devait rester constam- ment repliee sur elle-meme. Depuis 1853, elle a et6 placee, d'aborda Batignolles, ehez ma scaur, et depuis 1863, chez moi, a Montrouge, dans un reservoir en zinc qui peut contenir une vingtaine de seaux d'eau, que Ton renouvelle tous les quinze ou vingt jours. G'est la son logement d'ete; car, des les premieres gelees etjusqu'au printemps, elle vient reprendre son logement primitif, sa terrine. « La longueur totale actuelle de mon Anguille est de lm,30 a lm,40 ; sa grosseur est de 0m,08 a 0m,10. Depuis que nous la conservons, on peut dire, sans rien exagerer, qu'elle a grandi d'environ un tiers. Son alimentation consiste en de petits filets de bceuf, coupes en forme de vers, qu'il faut lui presenter flot- tants dans l'eau ; elle les saisit avec une grande vitesse et une grande dexterity lorsqu'elle a faim, mais elle ne les mange ja- mais lorsqu'ils tombent au fond de son reservoir. Elle ne semble pas vouloir une autre nourriture, et encore faut-il que le bceuf soit bien frais. Elle refuse les vers de terre et meme les petits poissons, qu'elle n'aime toutefois pas voir aupres d'elle; car elle a constamment poursuivi et attaque ceux que Ton a mis quelquefois dans son reservoir. Elle ne mange guere que pen- dant l'ete, depuis le mois d'avril jusqu'au mois d'octobre; en hiver, et j'ai souvent tente l'experience, elle refuse toute nour- riture. Jamais elle n'a voulu manger de pain, ou une alimenta- tion vegetale quelconque. Pendant la saison chaude, ce n'est que tous les six a huit jours qu'elle veut bien manger ; alors elle le montre d'une maniere manifeste : elle s'agite dans son bassin, sort legerement la tete hors de l'eau quand on approche de sa SOO HISTOIRK PART1CULIERE DES POISS0NS. demeure, on lorsqu'on I'appclle. Les personnes qui lui donnent le plus habituellement sa nourriture semblent, en quelque sorte, etre connues par elle; c'est ainsi que jadis elle venait a la voix de ma soeur, et qu'aujourd'hui elle parait le faire egalement Lorsque ma fille vient l'appeler au bord de son bassin. Jamais, quoiqu'on l'ait souvent maniee, elle n'amordu personne; et, si cela est arrive une seule fois, c'est qu'on avait mis le doigt dans sa gueule. « Comme il faut la retirer de son bassin toutes les fois qu'on veut le nettoyer, elle s'est en partie habituee a etre touchee, a etre maniee, et, tout en essayant de rester dans I'eau, elle ne fait pas de trop grands mouvements pour s'eehapper de la main qui la tient. De meme, qnand on cherche a la saisir dans I'eau, elle ne se retire pas trop brusquement, mais elle vous glisse des mains. Elle est souvent stationnaire dans son reservoir, cherchant constamment a se eacher derriere les pots de plantes aquatiques places dans son bassin. Souvent, elle reste sans mouvement, etendue au fond de son reservoir, parfois elle se contourne autour des pots, et ce n'estguere que le matin ou le soir qu'elle nage lentement. Quand la temperature est plus elevee qu'a l'ordinaire , ses mouvements sont plus vifs, brus- ques parfois. De temps a autre, elle vient a la surface de I'eau. Bien lui en prend d'aimer a se trouver au fond du liquide qu'elle habite; car une fois, un chat affame la guettait et n'etait arrete dans sa chasse que par I'eau interposee entre lui et le Poisson. Un coup de griffe cependant vint blesser l'An- guille aupres del'oeil, qui se recouvrit d'une peau blanchatre, et que pendant plus dun mois je cms perdu. Mais heureusement iln'en futrien, etaujourd'huil'organe oculaire, prosduquelde- vaitetrela blessure, est semblable acelui qui etait reste intact. ANGUILLES. 501 « Vers le mois de mai, notre Anguille devient encore moins active qu'en hiver meme : deux on trois fois alors elle rendit des corps mous, blanchatres, que Ton regardait comme etant des ceufs. Un peu apres cette epoque, elle semble tres-agitee, a ce point meme qu'elle se jeta plusieurs fois hors de sa terrine, et que deux fois a Batignolles, et une fois k Montrouge, nous la trou- vamcs, ma sceur et moi, hors de son reservoir, sur le sable des allees du jardin. La, elle etait sans mouvement, molle, et n'au- rait probablement pas tarde a mourir par le dessechement, si nous ne Fax ions pas replacee dans l'eau. Un autre accident lui est une fois arrive : l'ayant laissee dans une cuisine trop froide, au milieu de 1'hiver, je la trouvai le lendemain matin toute gelee et prise meme dans les glacons qui couvraient sa terrine ; je rechauffaile liquide glace enymettantde l'eau tiede, bientot la glace fondit, et, petit a petit, le Poisson reprit ses mou- vements. » Les Anguilles sont d'une extreme voracite, mangeant des vers, des mollusques, detruisant en grande quantitele frai et les alevins des autres poissons ; ce qui est de nature a faire redou- ter leur trop grande abondance dans des eaux poissonneuses. Pendant les mois de mars et d'avril, des myriades de jeunes Anguilles, a peine plus grosses que des fils, remontent nos fleuves, se tenant en masses compactes pres des rives, et se dispersant bientot dans tons les cours d'eau secondaires. G'est ce qu'on appelle la montee des Anguilles. En Pro- vence, on donne a ces jeunes Poissons les noms de Buirons et de Bouyeiruuns. Les Anguilles placees dans de bonnes conditions pour leur alimentation croissent rapidement, et dans Tespace de quclques annees , elles peuvent acquerir le poids de 3 a 4 kilo- 502 HISTOIRE PARTICULlERE UES POISSONS. grammes. Vers l'automne, ces Poissons parvenus a une cer- taine taille, redescendent a la mer, probablement pour ne plus rentrer dans les eaux douces. Si, a cette epoque, les Anguilles se trouvent retenues par des obstacles ou emprisonnees dans des etangs, elles temoignent d'une grande agitation et souvent se jettent sur le rivage. Du reste, on sait que les Anguilles peuvent sortir de l'eau sans grave inconvenient, qu'elles voyagent meme 'volontiers dans les pres humides. A raison de leur peau visqueuse, lente a se dessecher, a raison surtout de la faible ouverture des ouies, l'eau ne s'echappant guere de leur chambre branchiate, ces Poissons peuvent rester longtemps a l'air libre sans perir. Cette faculty que possedent les Anguilles de ramper sur la terre, expli- que comment on trouve frequemment deces animaux dans des etangs et des mares ou il n'en existait pas a une autre epoque et ou personne n'avait song6 a en introduire. Les Anguilles s'enfoncent tres-habituellement dans la vase. Principalement aux approches de la saison froide qui amene chez elles un engourdissement complet, elles recherchent tous les moyens de se mettre a l'abri et de se cacher autant que pos- sible. Les qualites comestibles des Anguilles sont suffisamment appreciees de tout le monde pour rendre superfine toute re- marque a ce sujet, et si les diverses sortes d'Anguilles ne jouis- sent pas de la meme faveur aupres des connaisseurs, seuls, ceux-ci seraient capables de d^crire les avantages que les unes possMent sur les autres. Toujours est-il querAnguille, sous le rapport commercial, a parmi les Poissons d'eau douce une im- portance de premier ordre. LES POISSONS GART1LAGINEUX L'ORDRE DES GANOIDES Les representants de l'ordre des Ganoides qui habitent les eaux de l'Europe, out un squelette cartilagineux, comme on a pule voir dans notre expose des classiiications l. Des types pourvus d\in squelette osseux, out ete neanmoins rattaches a ce groupe, en consideration d'une particularity anatomique commune a ces divers Poissons : osseux et cartilagineux ; par- ticnlarite consistant dans la presence de nombreuses valvules a I'entree du bnlbe aortique. Dans les Ganoides, les feuillets branchiaux sont libres a leur extremite et les branchies sont revetues d'un appareil operculaire. Ghez ces Poissons, Tintestin est pourvu d'une valvule spirale et il y a une vessie natatoire simple, communiquant a l'exterieur par un conduit. Nous n'avons a nous occuper ici, que d'une seule famille de l'ordre des Ganoides. LA FAMILLE DES AGIPENSERIDES (acipenserida;) Les Acipenserides se reconnaissent aisement entre tons les Poissons, a leur corps allonge, garni de plaques osseuses cuta- nees, disposees en cinq series, lui donnant une forme penta- 1 Page lid. 504 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. gone ; a leur tete egalement couverte de plaques osseuses, unies les lines aux autres; a leur bouehe plaeee en dessous, privee de dents, et saillante ; a leur museau avance et immobile ; a leur membrane branchiostege sans rayons. Les Acipenserides ont un opercule qui ferme incompletement la chambre branchiale ; une colonne vertebrale cartilagineuse qui s'etend jusqu'a l'extremite de la plus longue division de la nageoire caudale. Cette famille eomprend uniquement le genre Esturgeon qui a ete de la part de' quelques naturalistes l'objet de certaines sub- divisions. LE GENRE ESTURGEON (acipensRR, Linne) Les Esturgeons presentent ton jours dans la longueur du corps cinq series de plaques osseuses, les lines plus grandes, les autres plus petites, plus on moins rugueuses, mais toujours pourvues d'une carene formant an milieu une pointe qui s'e- mousse avec l'age. lis ont la tete entierement revetue de plaques osseuses, la bouehe transversale, privee de dents , quatre barbillons situes entre la bouehe et l'extremite du museau et disposes sur une ligne transversale. Toutes les nageoires sont soutenues par des rayons articules ; la dorsale est tres-petite et situee fort en arriere, au-dessus de l'anale; la caudale est partagee en deux languettes, 1'une supe- rieure fort longue, entourant toute l'extremite caudale, l'autre infericure etassez courte. Tousles Esturgeons, animaux voraces, incapables pourtant, E STURGEON. 505 a raison de la conformation de leur bonche, de s'attaqncr a des proies volumineuses, sont des Poissons de mer qui atteignent une grande taille, maisces Poissons de mer remontent perio- diquement les grands cours d'cau. On connait en Europe un assez grand nombre d'especes de ce genre, seulement toutes ces especes, a l'exception d'une seule, sont etrangeres aux cotes de la France et a ses fleuves. Les Esturgeons abondent surtout dans la mer Noire et dans la mer d'Azow ; et c'est dans les deux plus grands fleuves de 1' Europe, le Volga et le Danube, qu'on observe les differentes especes de ce genre. LesoBufsde ces animaux sont extremement recherches. On en fabrique ce mets fort estime, celebre sous le nom de Caviar, ce qui n'a pas pen contribue a amener la tres-grande diminu- tion, sinon la disparition des Esturgeons dans beaucoup de fleuves de l'Europe. L'ESTURGEON COMMUN (acipenseh sturio ') L'Esturgeon commun est l'espece repandue a la fois dans la mer du Nord, I'Ocean, la Mediterranee et qui parait plus on moins rarement dans le Rhin, la Seine, la Loire, la Gironde, le Rhone ou les pecheurs dans leur idiome provencal le nomment Estiioun. L'Esturgeon commun ressemble a plusieurs autres especes du meme genre et divers auteurs l'ont confondu avec le Ster- 1 Linne, Sy sterna naturae, 1. 1, p. 403 ; 1706. — Bloch, part. Ill, p. 89, pi. 88. — Heckel et Kner, Die Siisswasserfische der dstreichischen Monar- chic, p. 362; 1858. — Siebold, Die Susswasserfische von Mitteleuropa, p. 363;18'»3. 506 II ISTOIHK PARTICULlfiRE DES P01SSONS. let (Acipenser ruthenus) que nous ne voyons jamais dans les 15 CO rn a o cs o 3 3 •S' re s <*> eaux de la France, L'Esturgeon commun, d'une eouleur jau- natre assez claire, avec lc ventre presque blanc, est tres-carac- ESTURGEON. 507 terise par le nombre et par la forme des plaques osseuses qui couvrent son corps. Les plaques du dos et du ventre plus on moins rugueuses suivant l'age de 1'animal avec une saillie, pointue chez les jeunes sujets, emoussee chez les vieux, sont au nombre de 12 a 15. Gelles qui constituent la serie Fig. 134. — Tete, vue en dessus, de l'Esturgeon eominun. laterale sont de forme triangulaire avec une arete mediocre, et au nombre de 30 a 35, car il y a sous ce rapport des diffe- rences individuelles. L'Esturgeon commun est aussi tres-caracterise par la forme de satete. Cette tete, assez large a la base et jusqu'a la hauteur des yeux, se retrecit ensuite graduellement vers rextremitc, S08 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSONS. de manure a former un long museau conique, mais ce museau a toujours moins de longueur que chez le Sterlet. La bouche est fort large et situee tres en arriere de l'extre- mite du museau. Les quatre tentacules que Ton observe chez toutes les especes du genre sont inseres plus pres de l'extremite Fig. 135. — Tete, vue en dessous, de 1'Esturgeon commun. du museau que de l'orifice buccal. La levre inferieure, qui affecte la forme d'un bourrelet, presente une division dans son milieu. L'Esturgeon entrechaque anneedans nos grands coursd'eau, le Rhone, la Gironde, la Loire, bien rarement aujourd'hui dans la Seine. 4. LAMPROIES. 509 II se montrait autrefois on abondance dans presquo tous les fleuves do la France et dans leurs principaux affluents. On cite aujourd'hiii les epoques ou un Esturgeon fut pris dans la Seine, dans la Somme, dans l'Orne, dans la Moselle, etc. L'animalest souvent recueilli precieusementpour quelque cabinet d'histoire naturelle. Les individus qui arrivent a Paris, provenant de la Loire, de la Gironde ou du Rhone, figurent chez les marchands de comestibles a pen pres comme des objets de curiosite. Ce- pendant l'Esturgeon dontla taille est considerable, la chair suc- culente, fournirait une importante ressource alimentaire, s'il etait possible de ramener son abondance des siecles passes. II y aurait une etude complete a faire a ce sujet, car nous savons fort pen de chose des habitudes de ce Poisson. Des Esturgeons arrivent a la taille de 5 ci 6 metres, mais il est rare que nous voyions sur les marches des individus de plus de 2 metres de long. L ORDRE DES CYCLOSTOMES. L'ordre des Gyclostomes est compose, le nom l'indique, de Poissons dont la bouche sans machoires consiste en un su^oir circulaire ou demi-circulaire, avec une levre charnue. Ces Poissons ont le corps mi, cylindrique, rappelant la forme des Anguilles, sans nageoires pectorales et ventrales ; ils ont un seul orifice nasal, des branchies en forme de bourses, sans appareil operculaire, un squelette entierement cartilagineux. Les Cyclostomes dont nous avons a nous occuper appartien- nent a une seule famille. 510 HISTOIRE PARTICULIERE DES P01SSONS. LA FAMILLE DES PETROMYZONIDES (PETROiMYZONID^) Les representants de cette famille offrent des nageoires, dorsale et anale, soutenucs par de nombreux rayons cartilagi- neux, des branchies au nombre de sept de chaque cote, com- muniquant avec lexterieur par des orifices en forme de bouton- nieres, situes a la suite les uns des autres en arriere de la tete. lis ont un orifice commun pour l'expulsion des residus de la digestion et pour la sortie des produits de la generation, lis raanquent de vessie natatoire. LE GENRE LAMPROIE (petromyzon, Linne) Au genre des Lamproies appartiennent les seuls Poissons de 1'ordre des Cyclostomes qui habitent ou qui frequentent nos eaux douces. Aux caracteres de 1'ordre des Cyclostomes et de la famille des Petromyzonides, il faut ajouter que, chez les Lamproies, la bouche conformee en sucoir est circulaire, que 1'interieur de cette bouche est pourvu de dents revenues d'une gaine cornee, de diverses formes et en nombre plus ou moins considerable, que la seconde nageoire dorsale s'etend jusqu'a la nageoire caudale. On sait aujourdhui que les Lamproies ne naissent pas avec tons les caracteres des adultes. Des observations d'un professeur de Berlin, M. Auguste Miiller, publiees en 1856, ont fourni la LAMPROIES. 511 preuve, au grand etonnement des naturalistes, qu'un Poisson regarde jusqu'alors corame le type d'un genre particulier, s o £ •a. e -._ '© H. S ce — -3 SO 03 1' Ammocetelamprillon ou I amproy on, etait simplementla larve de la petite Lamproie de Planer (Petromyzon Planeri). Gette 512 HISTOIRE PARTICULIERE DES POISSChNS. aunbnce, faite pour la premiere fois, de l'existence de metamor- phoses chez un Poisson, fut accueillie avec d'autantplus de re- serve par plusieurs zoologistes, qu'ils ne s'expliquaient pas comment avaient pu echapper jusqu'ici atoutes les recherches les premieres formes de la grande Lamproie marine, [/explica- tion n'a pas encore ete donnee. LA LAMPROIE MARINE (PF.TROMYZOX MARINDS ') Au printemps, on voit apparaitre dans la plnpart des rivieres de l'Europe, un animal long quelquefois d'un metre, d'aspect etrange, a la peau nue et visqueuse, au corps cylindrique ; c'est la grande Lamproie ou la Lamproie marine, comme on l'appelle indifferemment. Ge singulier Poisson est d'un blanc grisatre, quelquefois un pen jaunatre, avec le dos, les cotes et les nageoires marbres de bandes et de taches confuses, tou- jours extremement irregulieres , tantot d'une teinte olivatre foncee, tantot d'un beau noir. Mais ce qu'il y a de plus remar- quable encore chez la Lamproie marine, c'est la bouche comple- tement circulaire, vaste sucoir, enorme ventouse, entouree par une levre charnue garnie de cirrhes, ayant pour support une lame cartilagineuse. Gette bouche est pourvue sur toute sa surface interieure de rangees circulaires de fortes dents, les lines sim- ples, les autres doubles ; les plus grosses occupant la portion centrale, les plus petites formant les rangees exterieures. Une 1 Linnc, Syst. natures, t. 1, p. 394; 1766. — Bloch, part. Ill, p. 38, pi. 77. — Selys -Longcliamps, Fmme bdge, p. 226 ; 1S 42. — Heckel et Kner, Die Siissivasserfische, etc., p. 374 ; 1858. — Siebold, Die S&sswas- serfische von Mitteleuropa, p. 368 ; 1863. LAMPROIES. 513 grosse double dent, situee au-dessus de l'orifice buccal marque la place de la machoire superieure. Une large lame formant sept on huit grosses dents, represente la machoire inferieure. La langue porte aussi trois larges dents, profondement denticulees sur leur bord. Les yeux situes sur les cotes a une mediocre dis- tance du premier des orifices respiratoires, sont assez petits. Les nageoires dorsales sont separees Tune de l'autre par un assez grand intervalle. La Lamproie marine a un canal intestinal, pourvu d'une 1 Fig. 137. — Bouche de la grande Lamproie marine (Petromyzon marinus) , de grandeur naturelle. valvule spirale qui court en droite ligne, indice d'un regime essentiellement carnivore ; un foie petit et dhise en plusieurs languettes; des organes reproducteurs symetriques occupent toutelalongueurdelacaviteabdominale.Lesovaires,notamment, Bl.ANCHAItD. 33 Mi HISTOIRE PARTICUUERE DES POISSONS. sont immenses et se partagent en une multitude de feuillets. La Lamproie marine se nourrit de vers, d'insectes, de mollus- ques et meme de poissons, parfois d'assez grande taille, aux- quels elle s'attache avec son redoutable sucoir; il suffit de consi- derer cette ventouse si puissamment armee pour comprendre comment elle peut s'attacher a des corps volumineux et les sucer a lamaniere des sangsues. Ce Poisson remonte les fleuves, les rivieres, *les canaux jus- qu'a d'immenses distances des cotes, et Ton s'en etonne en considerant combien sa locomotion est lente ; la Lamproie ne peut que ramper a peu pres comme les Anguilles, et encore, avec moins d'agilite ; cependant elle remonte la Loire jusqu'a Orleans et meme bien au-dessus de cette ville, le Rhone et ses affluents a une tres-grande hauteur. On la prend dans 1'Isere, a Grenoble et meme en Savoie. Ges diverses circonstances ont donne a penser a un habile ichthyologiste, le docteur Giinther, que les Lamproies apparaissant dans les fleuves vers le mois de mai a la meme epoque que les Saumons et les Aloses, s'atta- chaient peut-etre a ces Poissons pour se faire transporter '. Le fait n'a pu toutefois etre constate et Ton s'imagine difficile- ment qu'iine Alose de taille ordinaire puisse trainer une lourde Lamproie, car, pour le Rhone et ses affluents, on ne peut attri- buer aux Saumons le transport des Lamproies, a'uxquels d'ail- leurs, personne ne les a vues attachees. Non-seulement les Lamproies sont pechees dans les fleuvesetles rivieres, mais bien souvent aussi dans les canaux ; il est fort ordinaire qu'elles se fixent par leur bouche aux barrages, aux ecluses, comme elles s'attachent souvent apres les pierres. 1 Die Fische des Neckars, p. 138 ; 1853. Blanchard, Les Voissons. PI. XXIII, p. 514. Piiris, J.-B. Bailliere et Fits, edit. Coibeil, Crete, imp. LA PEGHE AUX LAMPROIES MAIS BIEN SOU VENT AUSS1 DAN'S LES CAN AUX. s LAMPROIES. 513 En voyant, a chaquc printemps, les Lamproies quitter lamer, on a cm par analogic avec ce qui a lieu pour les autres Poisson migratenrs, qu'elles recherchaient les eaux donees pour y fraye Cette supposition parait aujourd'hui a pen pres inadmissible. Jamais personne n'a pu voir ni leurs pontes, nileurs jeunesj toutes les Lamproies marines que Ion peche out un volume considerable. D'un autre cote, d'apr&s les observations de quel- ques naturalistes, chez tons les individus pris en riviere on trou- verait les ooufs, encore assez eloignes de l'etat de maturite. L'histoire de la Lamproie marine demandera done bien des observations, bien des experiences peut-etre, avant d'etre com- plete. Autrefois, la Lamproie marine, quietait fort estimeepour la table, parait avoir ete'fort abondante ; onpourra en juger dans la suite de cet ouvrage, d'apres la citation de certaines ordonnances relatives a la venle de ce Poisson dans Paris ; elle est devenue sinon rare, du moins assez pen commune pour qu'on ne s'occupe gnere de sa presence ou de son absence sur les marches. LA LAMPROIE FLUVIATILE (PETRUMVZOX FLUVIATILIS *) La Lamproie fluviatile, on le emit aujourd'hui volontiers, ne serait pas, comme son nam semble l'indiquer , un Poisson vivant d'une maniere permanente dans les eaux donees. Cette espece est bien petite si on la compare a la Lamproie marine; sa taille ne depasse guere 0m,30 a 0m,40. Sa cou- 1 l.inne, Syiteifia naturie, t. I, p. 39i ; 17CI3. - Yarrell, British Fishes, t. II, p. 60i ; 1830. — Siebold, Die Siis.swasserfische vun Mitleleuropa p. 372 ; 1.863. • iiti H1ST0IRE PARTICULIERE DES POISSONS. leur est uniforme , d'un brun olivatre sur les parties su- perieures, d'un gris jaunatre sur les cotes, d'unblanc argente, parfois un peu grisatre sur les regions infiirieures. La Lam- proie fluviatile, extremement semblable a la Lamproie ma- rine par sa conformation generale, par la position de ses yeux, de ses orifices respiratoires, en differe essentiellement par 1 'armature de sa bouche. II n'y a qu'une seule rangee circulaire de dents ; une lame semi-circulaire portant deux dents au-devant de l'orifice occupe la machoire superieure ; la machoire infe- rieure est representee par une lame transversale garnie de sept petites dents aigues. Toutes ces dents, comme celles de l'espece precedente, sont revetues d'une gaine cornee. Les deux nageoires dorsales de la Lamproie fluviatile sont separees 1'une de l'autre par un assez large intervalle; la pre- miere commencant vers le milieu de la longueur du corps, est peu elevee ; la seconde est beaucoup plus haute, mais elle s'a- baisse vers l'extremite posterieure et vient se confondre avec la nageoire caudale. La Lamproie fluviatile parait avoir les memes habitudes que la Lamproie marine ; des auteurs assurent qu'elle passe, comme cette derniere, une partie de son existence dans la mer, et qu'elle entre periodiquement dans les eaux donees. Cependant, divers observateurs, parmi lesquels on pent titer le savant ichthyologiste anglais, Yarrell, affirment qu'on la prend dans les rivieres a toutes les epoques de l'annee et qu'elle est uniquement fluviatile. La verite est que nous ne savons rien encore de posi- tif, soit sur les habitudes, soit sur le developpement de cette espece '. 1 M. Van Benoden a decrit sous le nom de Pelromyzon Omalii, une petite Lamproie remarquable par son appareil dentaire tres-different LAMPROIES. 517 Elle a ete rencontree dans la plupart des rivieres de France, mais nous ne croyons pas qu'on la prenne nulle part en grande abondance. Autrefois, on en pechait annuellement, nous disent plusieurs naturalistes anglais, 1,000,000 on 1,200,000 individus dans la Tamise seule, mais cette peche est bien diminuee de nos jours. LA LAMPROIE DE PLANER (PETKOMYZON PLANERI l) La Lamproie de Planer on la petite Lamproie de riviere, comme on la designe plus ordinairement; le Sucet, la Chatouille ou Satouille, ainsi que l'appellent les pecheurs de diverses loca- lites, ne quitte jamais les eaux douces. Plus petite que la Lamproie fluviatile, car sa plus grande taille est de 0m,20 a 0m,25, elle a la raeme coloration, mais son corps cylindrique est proportionnellement plus court. La Lamproie de Planer se montre parfaitement distincte au premier coup d'ceil, si Ton porte attention aux nageoires dor- sales qui succedent l'une a l'autre sans aucun intervalle. D'un autre cote, la bouche, qui ne presente, comme chez la Lamproie fluviatile, qu'une seule rangee de dents, offre une difference dans la forme des dents; ici, au lieu d'etre aigues de celui des autres especes du genre. Cette Lamproie n'a encore et6 rencontree que sur la c6te de Belgique. — Bulletin de I'Academie de Bel- gique, 2e serie, 1^57. 1 Bloch, part. Ill, p. 47, pi. 78, fig. 3.*— Yarrell, British Fishes, t. II, p. 607; 1836. — Heckel et Kner, Die Silsswasserfische, etc., p. 380; 1858. — Siebold, Die Siissivasserfisehe von Mitleleuropa, p. 37o ; 1863. Le jeune age. — Pelromyzon branchialis, Linne, Syst. nat., t. I, p. 394 ; 1766. ■ — Ammocwtes branchialis, Yarrell, British Fishes, t. II, p. 609 ; 1836. — Heckel et Kner, Die Silsswasserfische, etc., p. 382 ; I80.8. ois HISTOIRE PARTICULIERE I)ES POISSONS. comme chez l'espece precedente, les dents sont obtuses a l'ex- tremite. La petite Lamproie parait se rencontrer dans les eaux de presqne tonte 1'Enrope ; elle se tient ordinairement clans les /^. Fig. 138. — La Lamproie de Planer. ruisseaux peu profonds, au milieu des pierres oil elle rencontre les petits animaux dont elle fait sa nourriture. On assure qu'elle fraye pendant les mois de mars et d'avril. Mais ce Puisson n'a pas dans le jeune age les caracteres de l'adulte, etil conserve les caracteres du jeune agejusqu'au mo- ment ou il a acquis a peu pres toute sa croissance. On com- prendra done sans peine que les naturalistes aieut admis deux LAMPROIES. 519 esp6ces differentes,deux types de genres, dans les individus de la Lamproie de Planer, les nns a l'etat adulte, les antres a l'etat 139 140 141. Fig. 139. La larve ou Ammocete de la Lamproie de Planer, de grandeur natu- relle, vue en partie du dos. — Fig. 140. Portion anterieure de la meme, un peu grossie, vue en partie de la face ventrale. — Fig. 141. Partie poste- rieure de la meme, vue de profil. 520 HISTOIRK PARTlCULlfiKE DES POISSONS. de larve, jusqu'au jour ou furent sums pas a pas les change- ments qui se manifestent lorsque l'animal passe de l'etat de larve a l'etat adulte. La Lamproie de Planer a l'etat de larve, c'est l'Ammocete branchiale {Ammoccetes branchialis) d'une foule d'auteurs, le Lamprillon des pecheurs. Lorsque la Lamproie n'a pas encore subi ses metamorphoses, lorsqu'elle est a l'etat d'Atmnocete, elle differe singulierement de l'adulte. Son corps au moment ou elle a pris sa croissance entiere n'est pas moins long, mais il est moins cylindrique ; sa bouche n'est pas arrondie, elle affecte la forme d'un fer a che- val, la levre inferieure formant une saillie en avant, et cette bouche est completement depourvue de dents. Lorsque cette larve commence a subir les changements qui vont l'amener a l'etat de Lamproie, on voit la bouche qui commence a devenir plus circulaire ; les levres prennentdavantage la forme de bourrelets ; l'ceil pen distinct chez la larve et, comme voile devient plus apparent. La bouche s'arrondit enfiu d'une ma- niere a peu pres complete ; les dents paraissent, d'abord fort petites, mais elles aequierent rapidement la forme et le volume qui les caracterisent chez l'adulte ; la peau de\ient plus ar- gentee ; les orifices branchiaux se garnissent d'un rebord en saillie comme celui d'une boutonniere. Rien de plus facile que de suivre jour par jour ces changements, si l'on est en situa- tion d 'observer des Ammocetes ou larves de Lamproies arrivees au temps de leurs metamorphoses. La Lamproie de Planer passe au moins deux annees a l'etat de larve ou d' Ammocete ; ce n'est qu'asa troisieme annee, quel- quefois peut-etre au debut de sa quatrieme annee d'existence, que sa metamorphose s'accomplit. Les Lamrpoies parvenues a LAMPROIES. 521 1'etat adulte ne tardent gufere a effectuer leur ponte, ce qui a 14-2 143 145 147 If 149 Metamorphoses de la Lamproie de Planer (Petromyzon Planeri). Fig. 142. Portion ante'rieure de la larve (Ammoccetes branchialis) vue de pro fil. — Fiy. 143. La meme partie vue en dessous. — Fig. 14 i. Portion anterieure d'une larve plus agee oii les yeux commencent a apparaitre. — Fig. 145. La meme vue en dessous. — Fig. 14C. Portion anterieure, vue de profil, d'une jeune Lamproie dont l'appareil dentaire est encore incom- pletement developpe. — Fig. 147. La meme vue en dessous. Fig. 148. Portion anterieure, vue de profil, d'une Lamproie adulte (Petromyzon Pla- neri), — Fig. 149. La meme vue en dessous. 522 HISTOIRE PARTICLLIERE DES POISSOXS. lieu pendant les raois de mars et d'avril. Elles perissent sans doute bientot aprfcs cet aete accompli, car elles ne tardent pas a disparaitre des eaux ou Ton continue a trouver des Ammoce.tes. Ces faits constates pour la premiere fois, il y a une dizaine d'annees, par M. Auguste Miiller, et aujourd'hui hors de doute, forment un interessant chapitre dans l'histoire du developpe- ment des animaux vertebres. Les Lamproies, a l'etat adulte, s'agitent beaucoup, cherchent leur proie, ne redoutent en rien la lumi^re ; a l'etat de larves, elles se cachent dans les endroits obscurs, sous les pierres, dans la vase, et redoutent le grand jour ; elles ne pen vent vivre que des corpuscules qui leur sont apportes par le courant, leur bouche ne leur permettant pas d'operer encore une veritable suceiou. DE LA DISTRIBUTION DES POISSONS DANS LES EAUX DOUCES DE LA FRANCE. » Un double interet s'attaeherait a la constatation exacte de la population de chaque grand cours d'eau et de ses tributaires, a la connaissance rigoureuse de la faune ichthyologique de cha- que departement. D'un cote, il y aurait a recueillir des ensei- gnements propres arepandre une certainelumiere surles ques- tions relatives a la distribution geographique des etres, si Ton etait absolument fixe, dans tous les cas, sur les localites que frequentent nos Poissons dans les differentes parties de la France. D'un autre cote, pour une appreciation juste des res- sources alimentaires que peuvent fournir nos divisions terri- toriales, on trouverait de precieux elements dans l'inventaire scrupuleusement dresse des produits de la peche pour tous les Poissons de la France. Ge qui importe done avant tout, e'est de voir comment sont peuples nos lacs, nos fleuves et nos rivieres sur les divers points de leur parcours. Mais cet examen n'est pas sans quelque dif- ficulte. Aucune region de la France ne se trouve ni rigoureuse- ment delimitee, ni caracterisee par un nombre bien notable d'especes particulieres. Les statistiques dela peche fluviale nous font encore presque entierement defaut. G'est presque unique- ment d'apres nos propres etudes, et d'apres des observations de 524 H1ST01RE PART1CUL1ERE DES POISSONS. M. Millet, relatives aux Poissons voyageurs *, que nous som- mes en mesure de presenter un apergu de la distribution des Poissons dans les eaux douces de la France. G'est la premiere fois que Ton tente d'etablir une comparaison entre les faunes ichthyologiques des principales regions de notre pays; le cadre trace, il pourrait etre assez promptement rempli, si tous les na- turalistes, si tous les observateurs dissemines dans nos departe- ments, voulaient s'attacher, sur les lieux, a constater la presence des esp&ces qui s'y trouvent, a noter leur degre d'abondance ou de rarete et a consigner ensuite les resultats de leurs ope- rations. Dans la situation presente, on est conduit pour l'cxamen com- paratif des regions habitees par nos diverses espe.ces de Pois- sons, a adopter les principales divisions generalement admises, du Nord, de YEst, du Centre, du Sud-Est et du Sud-Ouest et a tracer en outre quelques subdivisions. Beaucoup d'esp&ces de Poissons ont une vaste distribution geographique, qui s'etend, non-seulement a la France entiere, mais encore a la plus grande partie de l'Europe. Ces espe-ces, danslaplupartdescas, nepeuventdonnerlieua aucune mention speciale. Ainsi, la Truite commune est repandue apeu pr5s partout ou il y a des eaux limpides. Une statistique fiddle de la quantite de ce Poisson, que chaque departement fournitannuellement a la consommation,contribueraitcertainement afaire reconnaitre 1 M. Millet, inspecteur des forets, a eu l'obligeance de me communi- quer un tableau fort bien fait, sur lequel il a note avec un grand soin d'apres tous les renseigncments qu'il a pu recueillir, la presence ou l'ab- sence du Saumon, de la Truite, de 1'Ombre commune, de l'Alose et de la grande L'amproie dans chaque departement. DISTRIBUTION DES POISSONS, ETC. 525 beaucoup de moyens d'augmenter un produit d'une assez grande valeur. La Perche se trouve au Sud comrae au Nord, a l'Ouest commea l'Est, dans les eaux des plaines ct des montagnes. II en est de meme da Chabot [Cottusgobio) etdela Loche franche ; ces Poissons semblent etre partout ou il y a des rnisseaux tranquilles et herbns. Parmi les Cyprinides, le Barbeau commun, le Goujon, la Tanche, l'Ablette commune, la Ro- tengle, le Gardon, la Ghevaine commune, sont des habitants de la plnpart des eaux de la France. II en est ainsipour le Brochet, pouiTAnguille, et nousn'avonsactuellement aucun moyen d'in- diquer avec certitude le degre d'abondance ou de rarete de ces Poissons dans les differentes localites. Une connaissance des faunes de nos departements de l'Est et du Nord, plus complete que celle des faunes de l'Ouest et du Midi, nous conduit a porter en premier lieu notre examen sur les contrees qui avoisinent la Belgique et l'Allemagne. Le pays traverse par le Rhin, arrose par Till, la Meuse, la Meurthe, la Moselle et leurs affluents, appellel'attention, tout a la fois par l'importance de ses cours d'eau et paries rapports que leur population offre avec celle des fleuves et des rivieres de l'Allemagne. G'est la region comprenant l'Alsace, les Vosges, la Lorraine et les Ardennes, ou le caractere de la faune du Nord devient tres-prononce. Ge sera la region Est-Nord. Commencons notre revue des Poissons vivant dans chaque contree par les especes considerees comme les plus importantes. Les Salmonides apparaissent en premiere ligne. Le Saumon se montre dans presque toutes les eaux de la region Est-Nord. 11 remonte le Rhin beaucoup plus haut que Colmar, il s'engage clans les rivieres des Vosges et vient frayer 526 HIST01RI5 PARTICULlfeRE DES P01SS0NS. jusqu'a Archettes, a 6 kilometres environ au-dessus d'Epinal l ; il entre egalement dans la Moselle et dans la Meuse, mais en tres-petit nombre. On assure nel'avoir jamais vu dans l'Ornain. G'est evidemment par erreur que l'Omble-Chevalier a ete cite corame ayant ete pris dans la Moselle. La Truite commune est abondante dans une foule de lo- calites de l'Alsace, des Vosges, de la Lorraine et meme des Ardennes. Nous pensons que la Truite de mer remonte a peu pres tousles cours d'eau oil Ton voit le Saumon et sans doute d'autres encore ; mais cette espece n'etant pas toujours bien distingueede la precedente, il serait difficile dans l'etat actuel de signaler les eaux qu'elle recherche et celles ou on ne la ren- contre pas. L'Ombre est un Salmonide assez repandu dans nos departe- ments de l'Est; il existe dans le Rhin, dans plusieurs rivieres des Vosges, dans la Chiers, dansla Crimes, quelquefois dans la Moselle, la Meurthe, la Meuse. Je ne le vois nulle part indique comme ayant ete peche dans le departement du Haut-Rhin. On peche l'Alose dans les grands cours d'eau oil se rendent les Saumons, mais elle s'engage moins souvent que ce dernier dans les petites rivieres. On la prend abondamment dans le Rhin, dans la Moselle, la Meurthe, la Meuse, etc. Parmi les Percides : la Perche, qui n'estpas rare dans les ri- vieres, est tres-repandue dans les lacs des Vosges ou elle a pris une physionomie particuliere. Dans la grande famille des Cyprinides, nous comptons quel- ques especes, sinon particulieres a la region Est-Nord, du moins plus ordinaires dans cette contrec qu'ailleurs et repre- sentant en quelque sorte des formes ichthyologiques qui ap- 1 D'apr6s les notes de M. Millet. DISTRIBUTION DES POISSONS, ETC. 527 partiennent plus specialement a l'Allemagne, commele Garassin et la Gibele, la Breme tie Buggenhagen et la Breme rosse, I'A- blette hachette {Alburnus dolabratus), ride melanote, le Nase. II faut reraarquer encore que la Loche d'etang (Cobitis fossi- lis) est surtout repandue dans nos departements tie l'Est, que la Loche de riviere y est beaucoup plus abondante que dans les regions voisines, que la Lotte n'y est pas rare f. 11 faut encore constater, sur cette grande etendue de pays, la presence d'une seule espece d'Epinoche (Gasterosteus leiurus) etde deux especes d'Epinochettes (Gasterosteus Icevis et lotha- ringus). La region Nord est fort etendue. Elle doit comprendre au moins la Champagne, la Picardie, la Flandre, l'Artois, la Nor- mandie, le departement de la Sarthe, l'Orleanais, le departe- raentde Seine-et-Marne, la partie de la Bourgogne arrosee par l'Yonne. Dans les eaux de ces diverses parties de la France, nous rencontrons les memes especes. Une exception petit seule- ment etre indiquee al'egard d'un petit nombre tie Poissons qui habitent constamment le voisinage de la mer. Le Saumon entre quelquefois dans l'Aisne, dans l'Oise, dans l'Escaut, et, s'il ne se montre jamais dans les rivieres du Pas-tle- Galaisqui tombent a la mer, c'est uniquement, sans doute, paree que les cours d'eau de ce departement ont tin tres-faible vo- lume. Ilremonte la Seine, rarement aujonrd'hui , il est vrai, a cause de la deterioration du Active, mais il a ete peche nean- (1) Dans cette Histoire des Poissons des eaux douccs de la France, nous n'avons pas cm devoir faire mention du Silure (Silurus glanis), qui ha- bite les fleuves de l'Allemagne. Autrefois on le pechait dans le Rhin, dans Till, clans la' Moselle. Depuis des siecles il a disparu de ces ri- vieres et c'est dans de bien rares circonstances qu'il a etc pris dans le Rhin depuis les temps modernes. 528 HISTOIRE PARTICUL1ERE DES POISSONS. moins jusqu'a Provins, dans la Vouzie, un petit affluent de la Seine. Tl a ete pris encore reccmment dans l'Eure et dans l'Orne, ou il etait autrefois abondant, dans l'Yonne et l'un de ses affluents, la Cure. Selon toute apparence, on ne l'a jamais vu, soit dans la Sarthe, soit dans la Marne ou dans l'Aube. Nous ne possedons pas des indications suffisantes sur les loca- lites que frequente la Truite de mer, pour nous y arrSter. Quant a la Truite commune, elle est repandue dans une infinite de localites du Nord de la France, et Ton sait generalement que les rivieres des departements de l'Eure, du Loiret, etc., en sont assez bien pourvues. L'Ombre commune semble n'avoir jamais ete observee sur aucun point de la vaste region que nous venous de tracer. D'un autre cote, l'Eperlan remonte la plupart des fleuves, mais on sait que ce Poisson ne depasse guere la limite ou la maree se fait sentir. L'Alose, qui paraissait autrefois en grandes troupes dans toutes les rivieres qui se jettent dans la Manche, devient de plus en plus rare. Les Cyprinides n'offrent aucune espece particuliere a la re- gion Nord, qui manque, au contraire, de plusieurs especes re- pandues dans les autres parties de la France. L'embouchure des rivieres de cette region est frequentee par les Muges et par le Flet, mais ce sont la en realite des Poissons de mer. Differentes Epinoches appartiennent a cette region ; pourtant il est a remarquer que leurs stations , toujours au voisinage de la mer, s'etendent fort peu dans l'interieur des terres. La peninsule armorique semblerait, par sa situation g'eo- graphique, devoir etre regardee comme une region distincte, Ouest-Nord. Nous connaissons encore d'une maniere trop im- DISTRIBUTION DESP01SS0NS, ETC. 529 par aite la faune ichthyologique de ses rivieres pour etre en me- sure de la comparer rigoureusement aux faunes des contrees les plus voisines. Nous savons que la Loire, la Maine, ont a peu pres toutes les especes du Nord, et nous ne pourrions en citer aucune qui soit particuliere a ces cours d'eau. Si nous revenons a l'Est, nous pourrons reconnaitre au Sud de 1' Alsace, des Vosges et de la Champagne, une region Est- Centrale, comprenant tout le bassin de la Saone, s'e tendant de- puis ce bassin jusqu'a nos frontieres orientales et au Sud jusqu'a la vallee de l'lsere. Seulement, une subdivision est necessaire pour les lacs de la Savoie etdu departement de l'Ain. Le Saumon ne se voit nulle part dans les eaux de cette vaste etendue de la France. II en est de meme, presque certainement, de la Truite de mer. L'Ombre, au contraire, est frequente dans les eaux de presque tous les departements qu'embrasse cette region. Commune dans la plupart des rivieres de l'Ain et du Jura, on la rencontre dans le Doubs, la Loue et l'Ognon, dans les lacs de la Savoie et quelquefois dans l'lsere. La famille des Percides a un representant dans la region Est- Centrale, que nous ne voyons pas au Nord, c'est 1' Apron, qui semble ne pas 6tre repandu d'une maniere generale. II n'a ja- mais ete signale comme habitant les eaux de la Savoie. Parmi les Gyprinides, nous avons a citer une espece particu- liere de Ghondrostome [Chondrostoma ccerulescens),^eche dans les rivieres du departement du Doubs, et le Blageon (Squalius Agassizii), que nous retrouverons plus au Sud, mais que Ton n'a jamais observe plus au Nord. Dans la region Est-Centrale de la France , les lacs de la Savoie et du departement de l'Ain constituent des stations speciales ou Ton trouve la plus grande partie des Poissons com- Blanchard. 3 4 530 H1ST01RE PARTICULARS DES POISSONS. muns en Europe, mais ou il existe aussi des especes pour ainsi direparticulieresauxeauxdeslacs.C'estrOmble-Ghevalierabon- dant dans le lac Leman , dans le lac du Bourget , dans les eaux de quelques localites du departement de 1'Ain. Ce sont les Coregones, c'est-a-dire la Fera et la Gravenche du Leman, le Lavaret du lac du Bourget; c'est la Truite des lacs. LTn fait singulier, dont nous n'avons pas l'explication , c'est la rarete des Poissons dans le joli lac d'Annecy ; on n'en trouve guere qu'une douzaine d'especes, celles qui vivent partout. La Lote y a ete introduite en 1770 et s'est parfaitement multipliee. Ni rOmble-Clievalierniaucun des Coregones n'existent dans celac. 11 y a peu d'annees, on a tente de les y introduire. De grandes quantites d'ceufs et d'alevins de ces Poissons, ontete repandues dans les eaux du lac d'Annecy; il m'a ete assure, sur les lieux memes, que depuis il n'en avait jamais ete peche un seul in- dividu, petit ou grand l. La Savoie nous a fourni une Blennie ; mais jusqu'ici, l'espe-ce n'a ete observee que sur un seul point. Nouspouvons admettre parmi nos divisions une region Cen- trale, occupant le vaste espace compris entre le bassin de la Saone et l'Ocean, s'etendantdu Nord au Sud, entre les 48e et 45e degres de latitude, c'est-a-dire de la Loire a la Dordogne. Cette region, a la verite, n'est caracterisee par aucune es- pace particuli^re. Sa faune est pour ainsi dire la meme que celle de la region Nord; seulement elle a en outre quelques re- presentants de la faune Est-Nord. C'est ainsi que l'Ombre, que nous ne voyons pas dans la region Nord, est frequente dans beaucoup de rivieres de la France centrale. On la peche dans 1 L'ne description du lac d'Annecy a6te publi^e par M. J. Boltshauser. — heme Savoisienue par la Soci6te floriirontane d'Annecy, I860; lre ann^e, p. 2 et p. 9. DISTRIBUTION DES POISSOxNS, ETC. 531 l'Allier et elle est abondante, assure-t-on, dans la Loire, princi- palement a sa traverser des arrondissements de Montbrison et de Roanne, mais aussi jusque dans la Haute-Loire. Rien en- suite n'indique qu'elle ait jamais ete prise , soit dans la Loire- Inferieure, soit sur aucun point du voisinage de l'Ocean. Le Saumon entre en grand nombre dans la Loire , et de la il penetre dans ses affluents, la Maine, la Vienne, et ensuite. dans la Greuse, l'Allier, la Sioule, la Besbre, le Cher. Dans le siecle dernier, il remontait la Sioule presque jusqu'a sa source aupres duMont-Dore. Le comte de Pontgibaud,chate- lain du lieu, avait une redevance qui lui produisait environ cent cinquante Saumons par an ; depuis vingt-cinq ans, onn'en a pas pris un seul sur le domaine de Pontgibaud. Le marquis de Montboissier, chatelain du Pont-du-Ghateau, sur l'Allier, avait une redevance annuelle d'au moins douze cents Saumons en 1787. Les temps sont bien changes f. Le Saumon remontela Vendee, la Dordogne, et autrefois on le voyait jusque pres des sources de cette derniere riviere, la Dore et la Dogne ; il pa- rait qu'il n'entre, ni dans la Charente, ni clans les deux Se- vres; je le trouve mentionne comme tres-rare a l'entree de ces rivieres par M. Ed. Beltremieux, de la Rochelle 2. C'est pro- bablement a la nature du fond et aux eaux limoneuses de ces rivieres qu'il faut attribuer Tabsence du Saumon. Dans beau- coup de localites de cette region, la Truiteest abondante. L'Alose frequente en general les memes eaux que le Saumon ; on affirme cependant qu'on ne la voit jamais dans la Creuse, et qu'on la prend au contraire dans la Mayenne ou ne vient point le Saumon. 1 D'apres les notes de M. Millet. 2 Faune du dcpartement de la Charente Inferieure, 186i. 532 HIST01RE PARTICULIERE DES POISSONS. Ge que Ton est convenu d'appeler le Midi de la France doit elre dhise ici en deux regions : une region Sud-Est , une re- gion Sud-Ouest. La premiere ou la region Sud-Est , comprend le bassin du Rhone au-dessous de Lyon et tout le territoire qui s'etend de ce fleiive aux Alpes et a laMediterranee.Lafaimeichthyologique ,de cette portion de la France a des traits particuliers. Le Saumon n'y existe nulle part. Malgre les tentatives faites pour l'introduire dans le Rhone et dans l'Herault, nous doutons beaucoup encore qu'on parvienne actuellement a l'y rencon- trer. Suivant toute probability, laTruite de mer ou Truite sau- monee manque egalement. La Truite commune, au contraire, est repandue presque partout, dans les eaux limpides. L'Ombre se trouve dans le Rhone, dans la Durance, la Sorgue. L'Alose remonte le Rhone en grandes troupes et passe dans la plupart de ses affluents, la Drome, l'lsere et quelquefois le Drac; elle entre egalement dans l'Herault; mais nous pensons qu'elle ne s'engage pas dans les petites rivieres qui descendent des Alpes et traversent soit le departement du Var, soit le departement des Alpes Maritimes. Risso, de Nice? n'a jamais vu pecher ce poisson que sur la cote. Un type qui parait confine dans la partie orientale de la France, l'Apron, se prend dans l'lsere, dans la Durance etpro- bablement dans quelques parties du Rhdne, tandis que la Gre- mille manque dans presque toute la region Sud-Est. Parmi les Cyprinides, le Barbeau meridional, que Ton pe? che dans la Sorgue et, sans doute, dans d'autres affluents du Rhone, dans le Lez et l'Herault, dans le Var, semble jusqu'ici appartenir exclusivement a la region Sud-Est. En l'etat pre- sent, nous y voyons une Ablette particuliere(i4/^rmw Fabrcei), sans 6tre en mesure de dire si elle est repandue dans une DISTRIBUTION DES POISSONS, ETC. 533 grande partie de la region ; puis c'est une Ghevaine, un Chon- drostome ( Chondrostoma rhodanensis ) que Ton ne voit pas clans les regions du Centre ou du Nord. Le Blageon, deja ren- contre dans la region Est-Centrale, existe egalement dans beaucoup de localites, du Rhone au Var. Dans les autres families il faut noter encore la presence d'une Blennie , d'une Epinoche d'espece particuliere, pour montrer combien d'especes contribuent a donner un caraetere a la faune ichthyologique de la region Sud-Est. La region Sud-Ouest, c'est le pays qui s'etend de la Dordogne aux Pyrenees, de l'0c6an au voisinage du Rhone. Entre les re- gions Sud-Est et Sud-Ouest, on ne saurait tracer une limite precise, mais on est frappe d'une difference manifeste, si Ton compare les habitants des eaux des bassins du Rhone et de la Garonne. Le Saumon se voit dans la Garonne, dans l'Adour et probablement dans la plupart des rivieres qui courent vers l'Ocean. L'Ombre n'est signage nulle part dans la region Sud- Ouest. II en est de meme de 1' Apron et de la Gremille; mais pour cette derniere, dont la repartition geographique est tres- vaste, il est prudent de ne pas s'y arreter. Pour les Cyprinides, il faut peut-etre noter l'absence du Bar- beau meridional, mais ilfaut surtout noter la presence de Che- vaines et de Vandoises, que Ton n'a point observees dans les autres regions. Enfin, il est impossible de ne pas reconnaitre d'autre part dans les faunes des deux regions du Midi de la France, des analogies 6videntes. La Blennie Cagnette etrangere aux departements du Centre et du Nord est commune aux deux regions. II en est de meme de la Chevaine meridionale. HISTOIRE ECONOMIQUE § 1. — Les Poissons considers sous le rapport de Tinteret public. Par leurs formes et leurs couleurs infiniment variees, par leur organisation speciale , remarquablement modifiee a tant d'egards suivant les types , mais toujours merveilleusement adaptee a des conditions d'existence particulieres, par leurs ins- tincts encore trop imparfaitement connus, les Poissons four- nissent des sujets d'observation du plus liaut interet au natura- liste, au philosophe, a quiconque a l'esprit assez eleve pour admirer ce qui est admirable dans la vie des etres, a celui enfin qui est capable de comprendre que toute connaissance acquise dans le domaine de la nature est un bien apporte a la cause de la civilisation. Cependant ce n'est pas a raison de ces faits d'une incontestable grandeur , apprecies dans des limites fort etroites a cause de leur grandeur meme, que les Poissons sont l'objet de Tinteret ou des preoccupations de la mul- titude. Les Poissons aux yeux de la foule n'ont d'impor- tance qu'au point de vue economique. Leur importance en effet est considerable sous ce rapport, meme etant restreinte INTERET PUBLIC. 535 aux especes des eaux douces. II s'agit done, non-seulement de conserver cette importance deja si rcduite de nos jours, mais encore de l'accroltre. C'est d'abord, dans la peche sur les rivieres et les lacs, une industrie qui occupe un grand nombre d'hommes et procure le pain de leurs families. C'est ensuite une branche de commerce, principalement dans les grandes villes ou, sur les marches, des femmes trouvent une occupation lucrative. C'est, pour toutes les classes de la societe, une masse et une variete de substances ali- mentaires dont le seul defaut est d'etre troprestreinte. Les uns y trouvent simplement une nourriture saine et agreable , les autres des objets de luxe pour leurs tables somptueuses , des objets de gourmandise pour leurs repas delicatement compo- ses. C'est enfin, clans la peche a la ligne, un amusement, une distraction, une occupation dans la vie oisive, propre a chasser I'ennui, dontle resultat est de faire entrer dans la maison une augmentation de subsistances. Les avantages que les populations tirent de la peche sont nombreux ; on ne saurait done trop craindre de continuer a en voir amoindrir la source. Les veritables amoureux de la crea- tion ne s'arretent point a la pensee de la destruction des ani- maux sans en concevoir une profonde tristesse, cir c'est le spec- tacle de l'inintelligence n'apercevant rien au dela du moment present, rien au delade l'objet d'une preoccupation dun jour, ne songeant jamais que viendra un lendemain. On se plait cependant a contempler riiumanite, jouissant des biens de la nature dans une juste mesure, mesure constamment indiquee par le degre d'abondance ou de rarete de chaque es- pece. Ici, c'est la jouissance dans son acception la plus large; jouissance pour satisfaire des besoms materiels, jouissance 536 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSON'S. pour donner une occupation an corps et a, l'esprit, un repos a. 1'ame. En voyant les pecheurs de profession, jetant leurs filets sur ces grands fleuves, sur ces nombreuses rivieres qui arrosent la France, sur ces lacs, magnifiques ornements de quelques coins de notrepays, on se demande avec interet : Combien sont-ils, ces hommes gagnant leur vie uniquement avec le produit de nos eaux interieures ? Rien ne repond a semblable question. Tous les cinq ans, se renouvelle le recensement de la population. On publie le ta- bleau donnant le chiffre d'habitants de chaque canton, de cha- que village, mais dans le denombrement des hommes, suivant leur profession, il y a des professions oubliees ou confondues. L'industrie de la peche fluviale, malgre son caractere special , n'existe pas dans les documents officiels. Apres les pecheurs, patrons et ouvriers, travaillant en grand, avec bateaux et filets , viennent les pecheurs qui travaillent en petit et les pecheurs qui s'amusent. La profession de pecheur a la ligne 1 cela parait incroyable de nos jours, et pourtant, il pa- rait hors de doute qu'il existe bon nombre d'individus n'ayant pas d'autre moyen d'existence que cette peche. Ge sont des amis de l'independance absolue, tres-resignes , probablement, a se contenter depeu, au moins serait-il agreable de le supposer. On peche quelques Poissons en recevant le bienfait du grand air, on les vend pour quelques sous, et Ton n'a ni a recevoir les or- dres, ni a subir la contrainte de personne. On a, enfin, la liberte de l'liomme primitif. II ne serait pas impossible de concevoir une sorte de sympathie pour des philosophes pratiques rest ant ainsi, au sein de la civilisation, un exemple de la vie humaine aux premiers ages du monde, mais nous aurions besoin d'etre Blanchard, Lea Poissnns. PL XXIV, p. 536. Paris, J.-B. Bailliere et Fib, 6d\t. .luror. Corbeil, Crete, imp. LA PECHE A L'ECHIQUIER APRKS LES pfeCHEURS TRAVAILLANT AVEC BATEAUX KT FILETS. INTERET PUBLIC. 537 assures de la vertu des pecheurs & la ligne de profession et de ne pas songer que le choix d'un pareil etat est sans doute de- termine" par la paresse, par le gout du vagabondage, par de mauvais instincts. La peche a la ligne est surtout envisagee, a bien juste titre, comme une source de plaisir, de bonheur meme pour un grand nombre d'hommes. Plaisir incompris et digne des plus mor- dantes railleries pour beaucoup d'autres. Les amateurs de pe- che a la ligne se contentent en general de voir, dans les mauvais plaisants, des gens imparfaitement dou.es par la nature, gens incapables de discerner ou Ton trouve la joie pure, le bonheur paisible. lis ont le courage de leur opinion, ces pecheurs, et il y a lieu de les en feliciter. La p6ehe h, la ligne, a mes yeux, est une admirable invention ; a mon sens, elle merite d'etre encouragee. Je puis en faire l'eloge avec assurance , certain de n'etre pas entraine par la passion, car jamais, aii grand jamais, je ne me suis rendu coupable de la capture d'un fretillant Goujon ou d'une blanche Ablette, et mes dispositions personnelles sont telles que le passe peut repondre pour l'avenir. G'est au point de vue de la psychologie, au point de vue de l'hygiene, au point de vue de la morale, que la peche a la ligne me semble appelee a recevoir une juste consideration. La peche a la ligne ne doit-elle pas developper chez ceux qui l'aiment des qualites de l'ordre intellectuel? Que Ton y songe. Si la definition du genie que nous avons recue de M. de Buffon : « une longue patience, » etait bien l'expression de la verite, la plupart des pecheurs a la ligne auraient le droit d'etre comptes au nombre deshommes de genie. Une longue patience ! qui en offre le spectacle mieux que le pecheur a la ligne? Sans croire autant que M. de Buffon, la patience suffisante pour produire S38 HIST01RE ECON OMIQUE DES POISSONS. toujours des ceuvres grandioses, on doit la compter neanmoins comme Tune des belles et nobles qualitesdel'homme. Toutce qui peut la d£velopper ehez les individus est aiiisi une chose avantageiise. La peche a la ligne fait naitre encore chez quelques-uns, dans une mesure plus ou moins etendue, le talent del'observation. Dans cette peche ou, l'homme a besoin de decouvrir les meil- leurs moyens de tirer parti d'un faible engin, ne\oit-on pas des habiles, etudiant les habitudes de differents Poissons, epiant le moment favorable pour mettre l'appat a la portee de l'animal vorace , apprenant a reconnaitre , d'apres la nature de l'eau, d'apres la contexture de la rive, si l'endroit est frequente par certaines especes. Chez ceux-la, l'observation est intervenue, le talent de l'observation a grandi, et ce talent acquis produira ses bons effets dans d'autres circonstances de la vie. Le talent de l'observation, c'est-a-dire la faculte de voir tout ce que Ton regarde, de comprendre tout ce que Ton voit, est peut-etre la faculte la plus haute de 1'intelligence humaine. G'est le talent d 'observation qui fait le general d'armee, le grand capitaine, voyant l'ensemble et les derails, comprenant la va- leur des situations et la portee de tous les incidents. G'est le talent de l'observation qui cree le politique sagace, habile a discerner les passions, les faiblesses humaines. G'est, par-dessus tout, le talent d'observation, qui fait le penseur, decouvrant au sein de la nature, comment s'accomplissent des phcnomenes, ou la raison humaine arrive ala derni^re limite possible de son champ d' exploration. Si un talent, lorsqu'il est eleve a sa plus haute puissance, de- vient capable des plus grandes choses , il faut estimer que ce talent, memo reduit a de faibles proportions, est encore une Blanchard, Lcs Poissons. PL XXVI, p. 538. ^m- mm Paris, J.-B. Bailliere et Fils, <5dit. T.orbeil, Cr£t£,imp. LA PEG HE A LA LIGNE APPREN A NT A U E CONNAITRE, D APRKS LA NATURE DE L E A U , DAPRES LA CONTEXTURE DES RIVKS, SI l'eNDROIT EST FREQUENTE PAR CERTAINES ESPKCES. inm inn o a - Z u H •a cs es -3 a a 3 D H H O 2 W < Z - - O Z "■ OP < w .1 2: -J 2 <= a •a i. - S m H r * a 2 o a o -ai j (fl w - *™ o 0> /. O) I— ■ 0) w ^; H j2 H pa «t d S v a ^1 0 lNTEIl£T PUBLIC. 539 source d'avantages dans les diverses situations sociales. La peche, la chasse, conduisent souvent des amateurs, d'a- bord frivoles, a acqu6rir un grain de ce talent d'observation ; a ce litre, ces plaisirs peuvent etre regarded comme des exercices qu'il ne faut point dedaigner. Sous le rapport de l'hygiene, la peche a la ligne a une valeur impossible a meconnaitre. Voyez plutot cet ouvrier; il a passe la semaine entiere enferme dans l'atelier, il s'echappe le dimanche et varespirer le grand air. De bon matin, il prend ses Cannes, ses hamecetns, sa boite aux appatSj son panicr, et fait souvent une longue course, le cceur joyeux, pour atteindre le rivage, 011, plein d'csperancedans la bonne fortune , il s'arretera dans un lieu solitaire rempli des charmes de la nature. Quel exercice serait plus favorable a la conservation de la sante, a l'entretien de la vigueur du corps? Le pecheur n'encourra la reprobation de l'hygieniste que si une aveugle passion le pousse a cntrer clans l'eau et a y sojour- ner des heures entieres pour etre plus a portee de faire des victimes. Un semblable exercice est-il moins salutaire pour l'employe qui a passe de longues journees sur ses ecritures. Un tel delas- sement n'est-il pas du meilleur effet pour le desceuvre, proprie- taire, rentier, retraite', dont l'ennui ou Tinertie amenerait 1'afTaiblissement du corps? Au point de vue de la morale : le gout de la peche fait mer- veille, il ne laisseplus le temps de songer au cabaret, il arrete la frequentationdelamauvaisecompagnie.N'avez-vouspas rencon- tre purfois une de ces humbles families partant pour une expedi- tion a la recherche des Goujons, l'homme, la femme, les petits enfants, chacun avec sa part des engins? Le produit de la peche, si la journee a ete bonne, fera les frais du diner de la famille. 540 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. En presence de ces r6sultats , comment ne pas concevoir quelque sympathie pour les amateurs de peche? Je demande- rais volontiers aux amateurs qui ont des loisirs, de ne pass'oc- cuper uniquement de la capture des Poissons , mais de remar- quer les habitudes des especes aux diverses epoques de leur existence et de consigner leurs observations. lis prendraient bientot interet a un examen attentif des instincts, encore in- completement etudies, de beaucoup de Poissons, et l'histoire na- turelle trouverait profit a recueillir des faits qui, pour etre bien observes, doivent etre suivis avec perseverance. A tous les avantages que fournissent les Poissons des eaux douces, ne faut-il pas encore ajouter ceux des petites industries auxquelles ilsdonnentlieu, la construction des bateaux, la fabri- cation des filets et de tous les engins de peche? On conviendra alors que les produits naturels d'un pays doivent etre,. pour le bien general, menages avec la plus grande sollicitude. § 2. — Les Poissons consideres sous le rapport de leur valeur alimentaire. Soiwent on s'est preoccupe des qualites alimentaires de la chair des Poissons ; parfois, des craintes se sont manifestees sur l'in- convenient possible de l'usage trop exclusif ou trop predomi- nant du Poisson dansle regime alimentaire. Rien cependant ne JListifie la moindre apprehension a cet egard. L'experience, commencee sans doute d^s les premiers ages du monde, s'est continu^e chez une infinite de peuples sur une telle echelle a travers les si^cles, qu'il n'est difficile a personne de se for- mer une opinion solidement appuyee sur les faits. Alaverite, depuis Hippocrate, on a signale, sans la moindre preuve, la VALEUR ALIMENTAIRE. 541 chair du Poisson comme l'excitant d'une passion qui d'or- dinaire ne doit pas etre excitee; on a attribue a l'usage du Poisson des maladies qui frappent les habitants de la partie meridionale du Finmark et dc quelques regions de la Nor- wege^on a impute a la chair du Barbeau des accidents dont plusieurs auteurs ont conserve le souvenir; mais ces accidents ont ete si rares, qu'on n'oserait jamais regarder 1 'imputation comme fondee, pas plus que pour les maladies du Finmark, dont sont exemptes les autres populations ichthyophages du Nord de l'Europe. Ce qui est plus certain, c'est l'effet, au moins desagreable, produit par les ceufs d'un petit nombre de Poissons de riviere ou d'etang, ceux du Brochet par exemple et du Barbeau 2. Les anciens, et en particulier les Hebreux, d'apr&s la defense de Moise, rejetaient les Poissons sans nageoires etsans ecailles, les Anguilles par exemple. La defense, d'apr&s l'avis de divers auteurs, etait une mesure d'hygiene. L'Anguille en effet est un Poisson extremement huileux, et Ton sait combien les ma- tieres grasses, si delectables pour les hommes des pays froids, sont repugnantes pour les habitants des pays chauds. G'est tres-vraisemblablement dans cette circonstance que se trouve, comme pour la chair du pore , le motif d'exception dont les Poissons sans ecailles avaient 6te frappes. Le gout du Poisson devint extreme chez les Grecs et les Ro- mains; l'usage en etait tres-general, et jamais aucun indice 1 La Spedalskeld et la Radesyge. On trouve dans YHistoire generate des peches par Noel (Paris, 181 o) de nombreux details sur l'usage des Poissons. — Un jeune medecin mort depuis peu, G. C. Allard, les a reproduits dans une these intitulee Du Poisson considere comme aliment, Paris 1853. 2 Plusieurs especes marines de Poissons des cOtes de l'Amerique et de 542 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. facheux ne s'est manifeste par suite de ce regime. Les peuples d'une Industrie peu avancee out presque toujours beaucoup vecu des produits de la peehe, et cela assurement sans le moin- dre dommagc pour leur sante. Les Gaulois, au rapport de Posi- donius, consommaient beaucoup de Poissons ; il n'en est guere autrement de nos jours sur divers points de la Hollande, dela Suede, du Danemark, sur la plupart des cotes maritime^, sur les rives des grands fleuves de l'Asie et de l'Amerique. Les populations qui usent de cet aliment dans la mesure la plus large, n'en presentent certes pas moins que les aut'res les carac- teres de la vigueur et de la sante. Les Polynesiens aux formes athletiques sont la preuve vivante que l'homme n'a rien a perdre sous le rapport du developpe- ment physique, de la necessite ou de l'liabitiide de" faire sa prin- cipale nourriture du produit des eaux. Apres avoir visite aux rives de l'Adriatique, la lagune de Gomacchio, M. Coste a trace le portrait le plus flatteur d'une petite population, soumise aim regime toujours identique, a un regime presque exclusivement forme de trois especes de Poissons, l'Anguille, le Muge et l'Ac- quadelle (espece du genre Atherine) *. Depuis Hippocrate et Galien, les Poissons sont regardes comme une excellente classe d'aliments. Les anciens s'etaient l'ocean Paciflque acqui^rent des proprie'tes ven6neuses en accumulant dans leurs tissus des substances etrangeres dont la nature n'a pu encore etre determined. On cite ainsi plusieurs especes malfaisantes de la mer des Antilles. M. le commandant Jouan a donne une Enumeration de celles des cOtes de la Nouvelle-Caledonie {Revue des Soc. savantes, t. IV, et Mem. de la Societe des sciences natwelles de Cherbourg, t. XI). Heu- reusement n'avons-nous rien de pareil a redouter de la plupart des Poissons. 1 Voyage d' exploration sur le littoral de la France et de I'ltalie, p. 6 et 0. Paris, 1861. Blanchaiid, Les Poissons. PI. XXIX, p. Ml. Taris, J.-B. Bailliere et Fils, tidit. Corbeil, Crele, imp. LA PECHE DE NUIT APRES AVOIR VIS1TE AUX RIVES DE L'aDRIATIQUE LA LAGUNE DE COMACCHIO, M. COSTE A TRACE LE PORTRAIT LE PLUS FLATTEUR d'iTNE PETITE POPULATION. VALEUR ALIMENTAIRE. 313 forme une idee deja precise de la difference de qualite nutritive que presentent les diverses especes. Parmi les Poissons d'eau douce, Hippocrate signale la Perche comme une especc d'une digestion facile, l'Anguille et en general les especes d'eau bour- beuse comme particulierementpesantes1. Galien, ainsiqu'il est repete dans une foule d'ouvrages, prescrit de donner aux vieil- lards et anx convalescents la chair des Poissons, au moins de certains Poissons, de preference a la viande. Dans l'antiquite on avait ete tres-loin dans l'appreciation des qualites comesti- bles des Poissons, suivant la nature des eaux ou ils avaient ete p§ches, suivant l'epoque de l'annee et d'autres circonstances encore. On n'ignorait pas plus qu'aujourd'hui que les Poissons charges de leurs ceufs et de leurs laitances, sont dans une con- dition de sante bien meilleure que ceux qui viennent de frayer. Chez les premiers, la chair est succulente, agreable au gout; chez les seconds, elle est seche et d'un goutaffadi. Tous les hygie- nistes se sont occupes de la valeur alimentaire des Poissons ; plusieurs d'entre eux out eu la pretention de classer les especes d'apres leurs proprietes nutritives. C'etait aller bien loin , en l'etat de nos connaissances sur la digestion des divers aliments, et surtout en presence des variations si re- marquables dans la maniere dont fonctionne 1'estomac chez les individus. 11 n'echappe du reste a personne, que laTruite, l'Eperlan , mieux encore le Lavaret et la Fera, la Perche, le Goujon et la plupart des Gyprinides ont une chair delicate, et par consequent facile a digerer pour des estomacs mediocre- ment robustes, que la chair de l'Anguille, du Saumon, de l'Esturgeon est plus nutritive et en raeme temps plus pesante 1 Hippocrate, CEuvres completes, trad. Littre; Des affections, t. VI, p. 265. » 544 I1IST0IRE ECONOMIQUE DES POISSONS. sur l'estomac I, Mais, outre lalegerete plus ou moins grande de la chair de certains Poissons, n'y a-t-il pas des principes aro- matiques echappant a toute analyse chimique, et tres-utiles dans Facte de la digestion, qui existent chez certaines especes et manquent chez les autres? Chacun ressent une appetence par- ticuliere pour des Poissons dont la chair est parfumee, de bon gout, une repugnance pour ceux dont la chair, quoique tres- legere, est de gout fade. Ensuite c'est la preparation qui inter- vient, pouvant modifier plus ou moins les qualites nutritives et digestives de l'aliment. Les chimistes ont fait des analyses comparatives de la chair des differents animaux, essayant ainsi de determiner rigoureu- sement leurvaleur alimentaire relative. Ces analyses presentent certes un haut interet, mais on se tromperait, si Ton croyait pouvoir les employer a fixer completement ce que vaut chaque espece par rapport a une autre espece. C'est aM. Payen que nous devons surtoutlaconnaissance de l'ensemble des principes immediats qui entrent dans la consti- tution de la chair des Poissons 2. Avant lui d'autres chimistes, Schultz, Limpricht, etc., s'etaient occupes de ce sujet, mais ils n'avaient fait aucune mention de la matiere grasse ; singulier oubli, car personne ne l'ignore, il suffit de faire bouillir un Poisson dans l'eau pour voir des gouttes d'huile s'elever a la surface ; tout le monde le sait ; on engraisse des Carpes et d'autres Poissons. Et si les chimistes avaient visite les Musees d'anatomie,ils auraient appris combien la difficulte d'avoir des 1 On trouve enoncees a ce sujet les opinions les plus fondles dans plusieurs trait6s d'hygiene. — Michel Levy, Traite d' hygiene, 4e edit. Paris, 1862. — Fonssagrives, Hygiene alimentaire, etc., p. 106. Paris, 1861. 2 Payen, Precis theorigue et pratique des substances alimentaires, 4e edi- tion, p. 214 et suivantes; 1865. 1NTERET PUBLIC. 545 squelettes de Poissons qui ne soient pas impregncs de graisse, fait souvent le desespoir des preparateurs et des conservateurs obliges de recourir a l'6ther sulfurique pour degraisser et blan- chir les os. Schultz a fait l'analysede la Carpe; plus recemment, M. Lim- pricht a publie les r6sultats dune analyse du Gardon, egale- ment de la famille des Cyprinides l ; l'un et l'autre, sans tenir le moindre eompte de la matiere grasse. M. Payen a repris l'analysedu Gardon qui a fourni les re- sultats suivants : Eau 67,030 Matieres azot6es(d£duites del'azote = 2,329) 15,145 Matieres grasses (repr6sentant 45,3 p. 100 de chair s b •0> > 1 ~ *c5 J pa — pq Blanchabd, Les Poissom. PI. XXXI, p. 548. Paris, J.-B. Bailliere et Fils, 6dit. Corbeil, Cr6t<5, imp. LES PRODUITS DE LA PECIIE I L Y A L K PRODUIT D E LA P E C H F. A LA L, I GN E , I' E C II E [ N S I G N I F I A N T E E N A P P A H E N ( E , INSIGNIFIANTE EN Kl I I.T, A EN JCGEfl D'aPRES LE CONTENU DU PANIER. 00 Hi X X X a « u a •?. - INDUSTRIE ET COMMERCE. 549 approximativement, chaque espece, et de constater, si, dans un temps determine, elle se montre toujours avec une egale abon- dance ou si, au contraire, elle devient plus rare. Des renseignements sur le marche de Paris, puises aux sources les plus sures, c'est-a-dire dans les pieces conservees a la prefecture de police, ont ete publies en 1856, par M. Husson; en 18G2, par M. Robert de Massy l. Nous ne possedons aucune indication precise sur les quan- titesde Poissons vendues sur les marches, aux diffe rentes epoques de Tancienne monarchic. On sait seulement que l'approvision- nement de Paris en Poissons d'eau douce, recut une grave at- teinte par suite du decret de la Convention nationale en date du 4 decembre 1793, qui obligeait tous les proprietaires a operer le dessechement de leursetangs. Apres les jours de la revolu- tion, la liberte etant rendue a la propriete, beaucoup d'etangs furent remis en leur etat primitif et les Poissons repa- rurentsuccessivement a lahalle, en plus grandeabondance. La population ayant augmente, les demandes devenaient plus nombreuses. On songea alors pour tacher d'accroitre l'approvi- sionnement de la capitale,a diminuerles droits ou a en affran- chir meme entierement certaines denrees. Le Poisson d'eau douce avait subi autrefois une taxe de 21 pour 100 de sa valeur, plus tard, reduite a 12 pour 100; il cessa bientot d'etre sou- mis a 1 'octroi municipal. D'apres le releve dresse par M. Husson 2, les quantites de Poissons d'eau douce, consommees a Paris, del'an XIII ci 1853, sont comme les indique le tableau suivant : 1 Les consommalions de Paris, par Armand Husson. Paris, 18o6. — Des hallcs et des marches et des objets de consommation a Londres et a Paris par J. Robert de Massy. Paris, 1861-1862. 2 Lor. cit., p. 1>63. 550 HISTOIRE ECONOM1QUE DES POISSONS. Consommatiou Quantity 3valu<5es moyenne Annies. en poids. par tGte et par rn. 1804 (an XIII) 293,700 kil. 457 gr. 1817 244,962 343 i8-26 368,365 491 184(J 477,923 453 1851 525,004 498 1853 690,075 655 Pour les annees 1817 et 1826, les quantites sont evaluees d'a- pres la valeur connue des ventes. Les quantites de Poissons d'eau douce, formant l'approvi- siormement de la Halle, en 1853, se decomposaient selon les especes ou au moins selon les genres , de la maniere suivante : Carpes 100,123 Brochets 132,390 Anguilles 133,010 Perches 8,995 Tanches 27,720 Bremes 15,135 Barbillons 21,474 Lamproies 1,174 Goujons 17,910 Poissons blancs 117,274 Total 575,205 Cette statistique est evidemment incomplete. En reprodui- santle tableau donne par M. Husson, ilnous a fallu en retran- cher les Ecrevisses qui ont infiniment moins de rapports avec les Poissons, que les Poissons n'en ont avec les Boeufs et les La- pins ; d'un autre cote, il n'est nullement question des Truites, dont le marche est ordinairement assez bien approvisionne. 11 n'est pas question davantage des Poissons migrateurs que Ton peche beaucoupplus dans les rivieres que dans la mer, comme les Aloses, les Eperlans, les Saumons et memo les Flets. INDUSTRIE ET COMMERCE. 551 Les Parisiens, a-t-on souvent remarque, mangent du Pois- son d'eau douce, particulierement dans leurs promenades sur les bords de la Marne et de la Seine, mais on n'a aucun moyen de determiner l'importance de cette consommation. Les fritures sont demandees, parait-il, en nombre immense, et, rapporte M. Husson, les malheureux traiteurs n'y pouvant suffire, se montrentsi ingenieux, qu'ils supplement avec un artinfini et une extreme facilite a 'aosence de vrais Goujons. lis fabriquent des Goujons avec l'Anguille de mer, a l'aide d'un emporte- pifece ; et l'amateur de friture n'en estime pas moins qu'il faut venir au bord de l'eau pour manger de bon Poisson de riviere. Depuis 1853, la quantite de Poissons d'eau douce, vendue a Paris, a augmente chaque annee par suite de l'extension du rayon d'approvisionnement. Autrefois, ce rayon n'allait pas au dela de 60 a 80 kilometres, aujourd'hui , il s'etend jusqu'a 300 et 400 kilometres et meme davantage, car Paris recuit actuel- lement des expeditions de Belgique et de Hollande et Ton a compte qu'il avait ete importe en France en 1858, plus d'un million de kilogrammes de Poissons d'eau douce, provenant de la Belgique, de 1' Association allemande, de l'Angleterre, de la la Suisse, des Etats-Sardes. En 1854, il a ete vendu a Paris : i Carpes 1 25,220 kilogrammes. Brochets 162,920 Anguilles 115,220 Perches 8,935 Tanches 33,440 Bremes, 17,080 Barbillons 21,935 Lamproies 728 Goujons 20,343 Poissons blancs 126,240 Totai 634,061 kilogrammes. 552 HISTOIRE ECOXOMIQUE DES POISSONS. Nous n'avonspu avoir dechiffres precis pour ces demises an- nees, mais nous savons,par la somme totale des ventes,que la pro- gression n'a pas cesse d'annee en annee. Le montant des ventes n'excedait pas 500,000 fr. en 1840; il s'est eleve, en 1859, a 1,095,082 fr.: 807,851 fr.pour le Poisson ordinaire, 287, 231 fr. pour le Poisson de luxe; en 1860, a 1,227,495 fr.: 95,612 fr. pour le Poisson ordinaire, 325,783 fr. le Poisson de luxe ou Pois- son fin '. Les prix des Poissons d'eau douce n'ont subi sur le marche de Paris, depuis le commencement du siecle, que des variations assez legeres. Le prix moyen, d'apres les relev^s publies par M. Husson, a ete, en : 1804 (an XIII) de lf33 le kil. 1846 1,07 1851 1,42 1853 1,26 Les prix moyens par espece pendant les annees 1846, 1851, 1853, 1863, ontete les suivants : 1846 1851 1853 1863 Carpes, le kil lf18 lf19 lf27 lf10alf70 Brochets, la piece 4,72 4,58 4,88 0,30 6,00 Anguilles, la piece. 2,22 2,1 1 2,09 0,20 5,00 Perches, le kil 1,32 0,98 1,16 0,90 1,00 Tanches, le kil 1,27 1,14 1,17 0,90 1,10 Bremes, le kil 0,90 0,75 0,97 0,70 0,80 Barbillons, le kil 1,26 1,04 1,11 0,70 1,00 Goujons,lepanierde2a3kil. 9,62 7,98 8,37 Poissons blancs(ablettes,etc.) 0,81 0,77 0,86 0,50 0,60 Pour les Poissons migrateurs : 1 Robert de Massy, loc. tit., 2e partie, p. 308. :t cc iMMERC E. 553 1851 1853 1860 1863 35f90 32f26 8 a 55 fr. 7aoifr. 10,73 14,45 5ao0 12a 15 5,29 7,51 3 a 12 » 4,92 4,50 » )> 1846 Saumons, la piece... 29f03 Truites, la manne ».. . 10,43 Aloses, les deux 6,23 Eperlans, la manne.. 3,95 Le prix de tons les Poissons est, comme chacun le sait, tres- variable, selon l'importancedesarrivages, selon la temperature, selon les jours de lasemaine, maigresouordinaires. Mais, dans tous les cas, le Poisson arrive aux mains des consommateurs a supporte des charges qui en ont beaucoup augmente le prix. Le Poisson, dit ordinaire ou commun, est assujetti a un droit d'octroi de O'lS par kilogramme et a un droit de marche de 5 pour 100 de savaleur; le Poisson de luxe, les Saumons, les Truites, les Eperlans, les Aloses, les Esturgeons, subit un droit d'octroi de 0f60 par kilogramme, et un droit de marche de 10 pour 100 de sa valeur. Aujourd'hui, presque tout le Poisson d'eau douce arrive a la Halle; seulement, il y a, en outre, des marchands autorises a te- nir sur la riviere, des bateaux h, Poissons qui servent d'entrepot et sont, h ce titre, places sous la surveillance de l'octroi. Un facteur special institue pour la vente du Poisson d'eau douce (decret du 28 Janvier 1811), et assujetti a un cautionne- ment de 6,000 fr., pergoit une remise de 1 pour 100 sur le prix des articles vendus au comptant, et 1 et demi pour 100 sur ceux vendus a credit. Cette remise est payee par les acheteurs. 11 pa- rait meme que pour les ventes a credit la perception du facteur est en realite superieure au taux reglementaire et s'eleve a 2 pour 100. 1 Dans les statistiques, les Truites de mer et les Truites ordinaires sont loujours confondues. 554 H1ST01RE ECONOMIQUE DES POISSONS. Le facteur au Poisson d'eau douce a, comme les facteursa la maree, le caraclere d'agent administratif ; ne recevant pas or- dinairement d'expeditions directes comme mandataire, il est assiste de commissionnaires qui represented aupres deluiles expediteurs et auxquels il remet le moutant des ventes. On voit combien de causes contribuent a augmenter pour les consom- mateurs le prix des denrees alimentaires. Cependant, pour le Poisson d'eau douce, il y a des marchands apportant et vendant eux-memes le Poisson qu'ils achetent or- dinairement aux pecheurs des environs de Paris. Les ventes ont lieusoit a l'amiable, soit aux encherespubliques, et le facteur petit faire des ventes de gre a gre, ce qui est interdit aux facteurs ala maree (ordonnanceroyaledti 13 septembre 1814). Danstous les cas, il encaisse la recette jusqu'au moment ou il doit la re- mettre a l'expediteur ou au marchand. C'estainsi que la percep- tion des droits de la ville est toujours garantie. Les produits des droits etablis au profit de la ville et du facteur se sont eleves en 1859, pour la ville, b. 69,178 fr. : 40,443 fr. sur le Poisson commun, 28,729 fr. sur le Poisson de luxe, et pour le facteur a 10,761 fr. : 8,078 fr. surle poisson commun, 2,872 fr. surle Poisson de luxe l. II ne faut pas perdre de vue que la plupart des Poissons mi- grateurs, Saumons, Truites, Aloses, ne figurent pas surle mar- che des Poissons d'eau douce, et qu'ils sont generalement con- fondus avec la maree. Les marchandes de Poissons d'eau douce occupent, ala Halle (pavilion n° 9), vingt-quatre places fixes et quelques places mobiles. Le droit percu pour les places fixes est de lf,50 par 1 Tous ces details sont empruntds a l'ouvrage de M. Robert de Massy, 2e partie, p. 306. INDUSTRIE ET COMMERCE. 553 jour; il a donne un produit a la \ille, en 1859, de 13,129 fr., en 1860, de 13,144 fr. Le droit pour les places mobiles est de lr,40 par jour. Le droit de places existe dans tousles autres marches, rnais ilestpartoutmoins eleve qu'ala Halle. La consommation de Paris, en Poissons, et en particulier en Poissons d'eau douce, est bien faible, si on la compare a celle de quelques autres villes d' Europe, de Londres, par exemple. On assure qu'il se vend annuellement , sur le marche de Lon- ' dres, un demi-million de Saumons representant une valeur de plus de 3 millions de francs, et dix millions d'Anguilles don- nant 670,000 fr. La ville de Lyon, relativementa sa population, est infmiment mieux approvisionnee en Poissons d'eau douce que la ville de Paris. Son marche est pourvu des meilleures installations, car la plupart des marchands ont des bassins ou ils conservent les Poissons vivants. Les renseignements que j'ai obtenus sur l'approvisionne- ment du marche de Lyon, m'ontete obligeammenttransmis par M. Kauffmann, controleur du service des subsistances, qui se propose de faire un travail complet sur les consommations de la ville de Lyon. C'est seulement depuis l'annee 1859 que la municipalite exerce un controle sur la vente du Poisson d'eau douce ; aucune indication n'a pu etre recueillie pour les annees anterieures, et pour ces dernieres annees nous avons le regret de ne trouver au- cune distinction entreles especes qui composent habituellement l'approvisionnement du marche. Le tableau suivant donne simplement l'indication des quan- tites pour chaque annee. 556 IIISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. Quantities. Annies. Poissons Poissons Totaux. ordinaires. fins. 1859 » » kil. » » kil. 348,26+ k 1860 417,216 34,656 451,872 1861 462,080 36,902 498,982 1862 530,002 45,052 575,054 1863 366,275 35,454 401,729 1864 317,730 29,609 347,33J On remarque, depuis 1862, une diminution qui parait ne s'etre point arretee pendant l'annee 1865. L'approvisionnement mensuel offre les memes variations qu a Paris ; il est le plus considerable pendant le temps du careme ; c'est-a-dire les mois de fevrier et de mars et ensuite pendant le mois de novembre; il est le plus faible durant les mois d'ete, mai, juin,*juillet et aout. La presque totalite des Poissons, ditscommuns ou ordinaires, qui'se vendent sur le marche de Lyon, provient des etangs de la Dombes. La peche du Rhone et de laSaonefournit fort peu de chose; son produit,dureste. est surtout consomme dans lespetites localites environnantes. Le marche de Lyon recoit des Lavarets du departement de l'Ain et du lac du Bourget ; des expeditions de Truites, de Feras et de Lotes de Geneve, des Truites saumo- nees des lacs de la Lombardie. On voit que le rayon d'appro- visionnement de la seconde ville de France a une grande eten- due, et qu'il donne une remarquable variete de produits. Le marche de Lyon est ainsi pourvu habituellement de plusieurs especes de Poissons qu'on ne rencontre jamais ou qu'on voit tres-rarement sur le marche de Paris. Apres avoir note les prix auxquels se vendent a Paris les dil- ferentes especes de Poissons, il n'est pas sans interet de compa- rer les cours sur le marche de Lyon. INDUSTRIE ET COMMERCE. 557 Le tableau qui suit offre les prix de la vente en gros ou de 1 'achat par les marchands, et les prix des ventes aux consomma- teurs. Les prix sont ceux du temps present qui paraissent avoir peu change depuis plusieurs annees. Vente aux marcliands. Carpes, le kil 0f80 a 2f00 Brochets (suivant la taille). 2,00 0,00 Anguilles 2,50 0,00 Perches 0,80 2,00 Tanches 1,40 2,70 Brfimes 0,60 1,20 Barbeaux ou Barbillons. . . 1,00 2,50 Goujons 1,50 2,50 Chavassons(Chevaines,etc.) 0,80 2,00 Soafes(Chondrostomes)... 0,00 0,00 Petits Poissons blancs 0,00 0,00. Saumons, le kil 2,50 7,00 Truites (de Geneve et d'lta- lie) 3,00 5,00 Lavarets (de l'Ain) \ ,00 2,00 Feras (de Geneve) 1,00 2,50 Lotes (de Geneve) \ ,00 2,50 Aloses 0,80 1,20 Le mode de vente adopte a Lyon,comme le montrece tableau, est bien superieur a celui ou plutot a ceux qui sont en usage a Paris. A Lyon, toutesles especes sans exception se vendent au poids, ce qui a lieu egalement sur les marches de beaucoup de villes du midi de la France ; a Paris, les unes se vendent au poids, les autres a la piece ouala paire, les autres encore, aupa- nier ou a la manne. De la, une impossibilite d'etablir d'utiles comparaisons. II y a, sous ce rapport, un vice dont on aimerait a voir se preoccuper la municipalite parisienne. A Lyon comme a Paris, le Poisson subit un droit d'octroi. Vente aux consommateurs lf00 a 3f00 2,50 7,00 3,00 7,00 1,60 3,00 2,00 5,50 0,80 2,50 2,00 3,00 2,00 3,00 0,80 2,50 0.80 1,00 0,60 0,80 3,50 8,00 6,00 8,00 2,00 3,00 1,50 3,50 1,50 3,50 1,00 2,00 558 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. Ge droit, fixe par un decret en date de 1852, est de 0f,40 par kilogramme sur les Poissons fins, de 0r,20 sur les Pois- sons ordinaires, de 0r,l0 surles Poissons communs, c'est-a-dire, les Carpes,les Tanches etles Barbeaux. Un autre droit, appele proportionnel, est prelexe en faveur du facteur a la vente a la criee, auquel sont adressees directement des expeditions. II s'e- leve a 10 pour 100 de la valeur, pour les Poissons fins, a 6 pour 100, pour les Poissons ordinaires. La location des places sur les marches varie ensuite, suivant l'etendue de 1' empla- cement, de 0f,2o a 2 fr. par jour. Par suite de questions adressees a la Societe d'agriculture, des sciences et arts et belles-lettres de 1' Aube, par un prefet dont on ne saurait trop louer l'initiative, M. de Bantel, nous axons, sur la peche fluxiale dans le departement de l'Aube l, un rapport interessant, dans lequelontrouvequelques faits relatifs au commerce des Poissons d'eau douce dans la xille de Troyes. La commission chargee de ce rapport s'est declaree dans l'impossibilite absolue de determiner, meme approximative- ment, les quantites des principales sortes de Poissons p6ch.es an- nuellement dans le departement. Ellen'a pu se procurer un seul document officiel ou officieux sur ce point. A Tegard de l'approvisionnement de la xille de Troyes, en l'absence de toute statistique, le Poisson d'eau douce n'etant soumis a aucun droit ni a aucun controle , on a dti se conten- ter d'une estimation approximatixe. Ge sont les etangs assez nombreux dans le departement de l'Aube qui fournissent au 1 Par une Commission composee de MM. Jules Ray, Lebasteur, Cle- ment Mullet, Anner-Andre' et Gayot, rapporteur. — Memoires de la So- ctt lb d'agriculture, des sciences, etc., du departement de l'Aube; Troyes, 1861. INDUSTRIE ET COMMERCE. 559 chef-lieu la plus grande partie de son approvisionnement en Poisson d'eau douce ; de telle sorte que la Garpe compte a peu pres pour les deux tiers dans la consommation totale de cette denree. La consommation annuelle de la ville de Troves a ete eva- lucc ainsi : Carpes 21 ,900 kil. Les autres especes ensemble. 1 0,959 Soit un total de 32,850 Les prix moyens des differentes especes de Poissons sur le marche de Troyes, ont ete donnes comme il suit : Carpes vivantes, le kil lf,20 a lf,40 Carpes mortes . . 0,80 1 ,00 Brochets vivants 2,50 3,00 Brochets morts 1 ,80 2,00 Anguilles 2,50 3,00 Perches .-. . 2,00 2,40 Tanches 1,20 1,40 Bremes 0,90 1,00 Barbeaux ou Barbillons 1,10 1,50 Goujohs, le cent 4,00 5,00 Meuniers (Chevaines), le kil 1,00 1,20 Petits Poissons blancs 0,80 0,90 Truites ordinaires 3,00 4,00 Truites pechees dans l'Aube et ses af- fluents, moins estimees a Troyes 2,00 2,20 Truites saumonees 2,56 3,00 Lotes 2,00 2,50 Au moment de la peche des etangs, la Garpe se vend e??,gros, aux marchands de Troyes de 0f,75 a 0f,95 le kilogramme, et le Brochet, de 0f,90 a 1 franc. L'administration des Forets s'etait beaucoup preoccupee , il y a quelques annees , de dresser la statistique de la 560 H1ST01RE ECONOMIQUE DES POISSONS. consommation du Poisson d'eau douce dans les principales villes de France. Voici, d'apres un document emane de cette administration , les renseignements obtenus. Les quantites annuelles sont donnees en kilogrammes, sans distinction des especes : Departements. Villes. Ain. . Aisne Allier Alpes (Basses- Alpes (Hautes- Aube Bourg ( Laon I Saint-Quentin. Moulins Digne. Correze. Creuse.. Doubs . Eure Gard Garonne (Haute-). Gers — Loire (Haute-). . . Lot Lot-et-Garonne.. . Lozore Manche . Morbihan. Moselle. . . Nievre . . . Nord.... Gap Troyes /Brives j Tulle (ussel Gueret j Besancon 1 Baume J Montbeliard.. . . ( Pontarlier Evreux Nimes Toulouse Aucb Brioude Cahors Agen , Mende / Avranches. ..... Saint-Lo Mortain Valognes Ploermel Metz Nevers Les sept cbefs-lieux d'arrondissement. . Kilogrammes. 36,700 107,866 14,885 32 1,364 7,158 8,800 1,500 43,280 2,171 111,175 20,360 1,135 1,600 8,000 3,000 868 5,000 6,000 14,561 29,0C0 36,500 PISCICULTURE ANCIENNE. 561 Departements. Villes. Kilogrammes, Pas de-Calais Arras 3,500 Rhin (Bas-) Strasbourg 1 39,500 Rhin (Haul-) Colmar 30,000 Sarthe Le Mans 9,333 Abbeville. . , ' Amiens Somme < Doullens } 26,300 Montdidier , Peronne I Napoleon- Vendee. Fontenay \ 1,433 Sables d'Olonne. Vosges Epinal 23,000 11 nous est impossible de dire le degre de confiance que Ton doit accorder a ces chiffres, malgre le soin que Ton a pris pour les recueillir 1 ; mais, en les reproduisant, nous croyons donner une premiere indication utile aux personnes convenablement placees pour faire les constatations avec toute la.rigueur desi- rable. § 4. — La Pisciculture depuis les temps anciens jusqu'a la fin du XVIIP siecle. On assure que l'art d'elever et de multiplier les Poissons est pratique en Chine depuis une tres-haute antiquite. L'epo- que, neanmoins, n'a pu etre fix^e. En 1735, le P. Duhalde, de la celebre Compagnie de Jesus, a revele le premier, a quel point les enfants du Celeste-Empire pourraient en remontrer aux ha- bitants del'Europe, en fait d'aquiculture. « Dans le grand fleuve Yang-tse-kiang , dit le P. Duhalde, 1 On remarquera, pour la consommation de la ville de Troyes, l'e- norme difference entre le chiffre recueilli par l'administration des Forets et celui qui est donne par la Commission locale citee plus haut. Blanchard. 3C 562 HISTOIBE ECOXOMIQUE DES POISSONS. « non loin de laville de Kieou-king-fou, de la province deKiang- « si, en certains temps de l'annee, il s'assemble nn nombre « prodigieux de barques pour y acheter des semences de Pois- « son. Vers le mois de mai, les gens du pays barrent le fleuve « en differents endroits avec des nattes et des claies, dans une « etendue d'environ nenf ou dix lieues, etlaissent seulement au- « tant d'espace qu'il en faut pour le passage des barques; la se- ct mence du Poisson s'arrete a ces claies; ils savent la distinguer « al'ceil ou d'autres personnes n'apercoivent rien dansl'eau; ils « puisent de cette eau melee de semence et en remplissent plu- « sieurs vases pour la vendre, ce qui fait que dans ce temps-la, « quantite de marchands viennent avec des barques pour l'a- « cheter et la transporter dans diverses provinces, en ayant soin « de l'agiter de temps en temps. Ils se relevent les uns les autres a pour cette operation. Au bout dequelques jours, on apenjoit « des semences semblables a de petits tas d'ceufs de Poissons, « sans qu'on puisse demeler encore quelle est leur espece ; ce « n'est qu'avec le temps qu'on la distingue. Le gain va souvent « au centuple de la depense, car le peuple se nourrit en grande « partie de Poissons *. » Beaucoup de voyageilrs ont signale les pratiques des Ghinois pour elever des Poissons, etdes renseignements nouveaux, du reste un peu vagues, ont ete donnes sur ce sujet, il y a quelques annees, par le P. Hue. « Vers le commencement du printemps, « dit ce missionnaire, un grand nombre de marchands de frai « de Poisson, venus de la province de Canton, parcourent les « campagnes pour vendre la semence auxproprietairesd'etangs. « Leur marchandise, renfermee dans des tonneaux qu'ils trai- 1 Hisloire de V Empire de la Chine, t. I, p. 35; 173S. PISCICULTURE AXCIEXXE. b63 « nent, est unesorte de liquidegras, jaunatre, assez semblable « a de la vase. Tl est impossible d'y distinguer a l'oeil le moindre « animalcule. Pour quelques sapeques , on achete plein une « ecuelle de cette eau bourbeuse, qui suffit pour ensemencer un « etang assez considerable : on jette cette vase dans l'eau, et en « quelques jours les poissons eclosent a foison. Quand ils sont <( devenus un peu gros, on les nourrit en jetant a la surface de « l'eau des herbes tendres et hachees menu; on augmente la ra- ce tion a mesure qu'ils grossissent. Le developpement de ces <( Poissons s'opere avec une rapidite incroyable. Un mois tout (( au plus apres leur eclosion, ils sont pleins de force, et e'est le « moment de leur donnerde la pature en abondance. Matin et « soir, les proprietaires de viviers font faucher les champs et ap- « portent a leurs Poissons d'enormes charges d'herbes. Les « Poissons montent a la surface de l'eau et se precipitent avec <( avidite sur cette herbe, qu'ils devorent en folatrant et en fai- <( sant entendre un bruissement perpetuel : on dirait un grand « troupeau delapinsaquatiques. La voracitede ces Poissons ne a peut etre comparee qu'a celle des vers a soie, quand ils sont « sur le point de filer leur cocon. Apres avoir ete nourris de « cette maniere pendant une quinzaine de jours, ils atteienent Nous a\ons voulu citer textuellement les principaux passages du Rapport de M. Milne Edwards. En historien fidele, nous devions rapporter ou en etait la question relative a la pisciculture 1 Rapport sur l'empoissonnement des rivieres. — Minist^re de l'agrieul- ture et du commerce. — Commission de pisciculture. — Travaux et Rapports. — Annates des sciences naturelles,3e serie, t. XIV, p. 53 ; 1850. PISCICULTURE MODERNE. 581 en 1850; montrer avec quelle justice etaient exposes les merites des deux humbles pecheurs devenus celebres; avec quelle sa- gesse etaient donnes les eonseils ; avec quelle reserve etaient indiquees les esperances qu'on etait en droit dc concevoir pour l'avenir. Cette sagesse et cette reserve se sont trainees jnstifiees par les resultats obtenus depuis Cette epoque, c'est-a-dire dans l'espace de plus de quinze ans. Conformement au voeu exprime par M. Milne Edwards, une commission fut nommee par un arrete du ministre de l'agricul- tnre et du commerce en date du 28 septembre 1830 l. (( Vu, disait cet arrete, le rapport de M. Milne Edwards, du 20 aout, sur les travaux de MM. Gehin et Remy, du departe- ment des Vosges, relatif a la fecondation artificielle des Pois- sons; considerant 1'utilite de repandre et de generaliser autant que possible cette decouverte, arrete : une Commission est formee pres du departement de l'Agriculture et du commerce pour aviser aux moyens de multiplier le Poisson dans les rivieres, lacs et etangs du pays. » Les esperances fondees sur la pisciculture devinrent si gran- des, que Ton songea a introduire et a acclimater en France une foule de Poissons etrangers aux eaux du pays. L'idee nous semble bonne pour certaines especes offrant des qualites spe- ciales, mais sans doute il ne serait pas tres-avantageux de l'-ap- pliquer d'une maniere trop generale. 1 Cette commission fut ainsi composee, savoir : MM. Milne Edwards, Valenciennes, membres del'Institut; de Suzanne, inspecfeurdes for<3!s; de Bon, commissaire de la marine; de Franqueville, chef de la naviga- tion et des ports au Ministere des travaux publics; Monny de Mornay, chefde la division de l'agriculture au departement de l'Agriculture et du commerce; Coste, professeur d'embryogenie au College de France; Doyere, professeur de zoologie a l'lnslitut national agronomique. — L'arrete est signe : Dumas. 582 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. Qaoi qu'il en soit a cet egard, M. Valenciennes, le savant ichthyologisle, recut au printemps de l'annee 1854, du Ministre de l'agriculture et du commerce, la mission de se rendre en Al- lemagne pour y rechercher quelques-uns des grands Poissons d'eau douce de cette contree qui manquent aux rivieres, lacs et etangs de la France l. Le voyage de M. Valenciennes se borna a la Prusse, et la, le savant naturaliste reussit a se procurer plusieurs especes dont il amena a Paris des individus vivants. G'etait le Sandre, un Poisson de la famille des Percides2, de grande taille, estime pour la table, dont il rapporta en France huit individus vivants; puis le Silure, un des Poissons les plus voraces de la creation , dix-sept individus, parmi lesquels s'en trouvait un du poids de 10 kilogrammes et long de lm,20, furent amenes a Paris et deposes avec les Sandres dans les bassins des reservoirs de Marly. M. Valenciennes rapporta encore une douzaine de Lotes, autant de l'lde melanote 3, un Cyprinide, de valeur assez me- diocre, croyons-nous, et des Loches d'etangs. Ces Poissons ap- partiennent a la faune de la France, et, si Ton tenait a les pro- pager, il etait preferable de commencer par s'occuper de cette propagation aux lieux memes ou vivent ces Poissons. Si nous voulions chercher nous-meme a donner une idee de ce que Ton attendait, il y a quinze ans, des experiences de 1 Rapport sur les especes de Poissons de la Prusse qui pourraient elre im- porters et acclimafees dans les eaux douces de la France, adresse a M. le mi- nistre de l'agricullure et du commerce. — Annales agronomiques, t. II, p. 613, et Expose des lentatives faites pour acclimater en France plusieurs Poissons des eaux douces de VAUemcrjne. — Compter rendus de I'Acadcmie des sciences, t. XXII, p. 817; 1851. 2 Voy. p. 128. 3 L'espece que M. Valenciennes designe sous le nom de Cyprinus jeses. PISCICULTURE MODERNI-. 583 pisciculture qui devaient etre effectives dans les bassins de Ver- sailles, 011 Ton avait place les Poissons araenes de Berlin, un peu fatigues du voyage, nous aurions la crainte de ne point y reussir. line communication faite a l'Academie des sciences par M. Goste suppleera d'une maniere complete a notre insuffisance. « Les experiences sur Tacclimatation des Poissons et sur « lour multiplication, disait M. Goste dans cette notice, pourront « etre faites desormais dans les conditions les plus favorables « parlessoins d'une commission instituee pres du Ministere du « commerce l. « A Versailles , des bassins spacieux, nombreux, pouvant «. etre vides a volonte, presentent les conditions les plus va- « riees, ou les especes nouvelles, elevees separement, pourront « etre facilement propagees par la fecondation artificielle. Dans « ces bassins , nous pourrons introduire facilement les « especes qui vivent alternativement dans les eaux salees et les « eaux douces, et les habitner a vivre d'une maniere perma- <( nente dans les etangs et a s'y propager... les Saumons, les « Aloses, les Lamproies, les Plies. » M. Coste annongait devoir demander au Ministre le transport en France du Gourami de l'lnde, qui a ete autrefois transports avec succes a l'lle de France, etc'est aussi une des introductions d'animaux etrangers cjue nous aimerions a voir tenter. Mais, poursuivait M. Goste dans sa note a l'Academie des sciences, « Si, comme il riy a pas a en douter, les experiences de la Commission reussissent,les eaux de Versailles deviendront un moyen d'acclimatation des Poissons, une sorte de haras, qu'on me permette cette expression, ou seront propagees les especes 1 La Commission designee plus haut. 584 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. les plus productives qu'on pourra distribuer ensuite dans toutes les parties de la France. » 11 est regrettable d'avoir a le dire, les Poissons du Bran- debourg sont morts sans laisser de posterite * ; les espeees qui vivent alternativement dans les eaux salees et les eaux donees tie se sont pas habituees a vivre d'une maniere permanente dans les etangs ; les bassins de Versailles n'ont pas fourni de produits aux differentes parties de la France. Deux ingenieurs des Pontsetchaussees,MM. Detzemet Bertot, songerent a meltre a profit leur situation personnelle pour peupler le canal du Rhone au Rhin. Par une notice en date du 8 mai 1831 2, ils nous apprendront que, ayant ete invites par M. le prefet du Doubs a verifier si la methode mise en usage dans les Vosges pouvait aboutir a des resultats apprecia- bles, ils se sont mis a rceuvre, et leurs succ&s dans les opera- tions de fecondation artificielle les conduisent a concevoir des esperance's magnifiques pour l'avenir. Avec le concours de leurs agents, ils ont eu, dans l'espace de quatre mois, 3,382,000 ceufs fecondes de Saumons, Truites, Perches, Brochets, etc., et Ton aurait eu l'eclosion de cinq cents petits metis provenant d'eeufs de Saumons avec de la laitance de Truites. II eut ete bien interessant pour l'histoire naturelle de pouvoir etudier ces pro- duits parvenus a un age un peu avance. Toujours est-il, qu'ala date du 7 mai 1851 , MM. Detzem et Bertot avaient a jeter, dans les bassins confies a leurs soins, 1,683,211 Poissons nouvel- lementeclos. Gette facilite de faire edore des Poissons par centaines de 1 On m'assure cependant, que quelquc-s Silures vivent encore, mais ils n'ont rien produit et semblent s'etre amaigris. 2 Cumptes rendus de la Soeiete d 'emulation du Doubs, iSo\. PISCICULTURE MODERNE. 58o mille, conduisit bientot les deux ingenieurs du canal du Rhone au Rhin a calculer combien de Poissons pourraient vivre dans les eaux de la France. Estimant la population actuelle de ces eaux a 25 millions de Poissons, ils admettaient que, si la fecon- dation artificielle etait partout mise en pratique, le-nombre des Poissons s'eleverait, au bout de quatrc ans, a trois milliards cent soixante dix-sept millions cinq cent mille, et donneraitun revenu de plus de 900 millions. C 'etait evidemment ne considerer qu'un cote de la question, et le moindre cote de la question, a notre axis. Le plus difficile n'est pas de faire eclore des myriades de jeunes Poissons, mais d'avoir les moyens de les faire vivre et grandir, et c'est a une necessite d'un ordre semblable, que les pisciculteurs modernes ont donne le moins d'attention. II est juste de dire que MM. Bertot et Detzem, en presence de ce chiffre d'un revenu de plus de 900 millions, qui a en effet quelque chose de seduisant, s'empressent d'ajouter : (( Est-il possible de doter la France d'un pareil revenu ? « Nous sommes forces de dire, qu'en face de ce chiffre inat- « tendu, nous ne ppuvons pas nous defendre d'un sentiment de « mefiance; nous comprenons tres-bien qu'il produira lameme « impression sur tous ceux qui examineront les calculs dont il « ressort. » Certes, jamais sentiment de me fiance n'aurait ete mieux jus- tifie par les circonstances dans lesquelles se trouvent de nos jours les rivieres de la France. MM. Detzem et Bertot, encourages par le Ministre de l'agri- culture, du commerce et des travaux publics, poursuivirent leurs travaux avec tout le zele imaginable. Etablis a Loechle- brunn, a quelques kilometres d'Huningue, ils continuerent a 586 HISTOIRE tfCQNOMIQUE DES POISSONS. operer dcs fecondations de Truites et de Saumons sur une grande echelle. Dans un second rapport, a la date du7 mars 1 852, ils annoncaient avoir eu, depuis le 6 novembre precedent, 722,600 csLifs fecondes, ayant donne plus de 700,000 poissons. Des le moment ou l'attention fut appelee par M. de Quatrefages sur les avantages des fecondations artificielles pour le repeuplement des eaux de la France, M. Goste s'occupa avec uneardeur extreme de la pisciculture. Reprenantl'idee du baron de Riviere, qu'il n'a pourtant cite nulle part, il fit au College de France des experiences sur l'alimentation et la croissance des jeunes Anguilles qui remontent les fleuves a chaque prin- temps. Ges animaux, nourris axec des debris de chair conxertis en une sorte de patee, atteignirent dans l'espace dexingt-huit mois, la taille de 0ra,33 de long et de 0m,07 de circonference : le resultat meritait d'etre signale. M. Coste indiqua ensuite des moyens pour le transport de la montee1, etafin dedonner une idee de rimportance economique des Anguilles, il reproduisit textuellement les principaux passages de la description des pe- cheries de Comacchio, donnee par Spallanzani, telle qu'elle a ete traduite par Toscan 2, sans toutefois faire aucune mention de cette origine. Plus tard, il visita ces pecheries et put alorsen tracer le tableau d'apres ses observations personnelles 3. Dans un memoire sur les moyens de repeupler les eaux de la 1 Comptes rendus de VAcademie des sciences, t. XXIX, p. 797, 1840 ; et t. XXX, p. 473, 1850. — Rapport sur la pisciculture adresse a M. le Ministre de l'agriculturc et du commerce, 20 d6cembre 1830. 2 Conf. Coste, Instructions pratiques sur la pisciculture, p. 93 et 9i ; 1S53, et Spallanzani, Voyages dans les deux Sidles, traduits par G. Tos- can, I. VI, p. I H, 143, 144, 147, 148, 149, 130, lol ; an VIII. 3 Voyage d 'exploration sur le littoral de la France et de Vllalie ; 1835. — 2e Gdilion; I8G1. PISCICULTURE MODERNE. 587 France l, M. Goste a formulc les esperances qu'il croyait pouvoir attendre tie l'etablissement dc pisciculture fonde a Huningue a l'aide d'un credit de 30,000 francs, accorde par le Ministre de l'agriculture etdu commerce. «Ce credit, disait-il, nous ayant « mis en mesure d'entreprendre I'une des plus grandes expe- « ricnces dont les sciences naturelles aient jamais donne a Vexemple I » Le raeme savant nota d'autre part comment on reussissait a nourrir dans des viviers les jeunes Saumons et les jeunes Truites avec une patee formee de chair musculaire bouil- lie 2, les avantages obtenus avec les frayeres artificielles du pare de Maintenon, imaginees par le docteur Lamy 3. Mais deja en 1853 M. Goste avait publie des Instructions pratiques sur la pisciculture, ouvrage dont il donna une nouvelle edition en 1856 4. En voyant des hommes de science, des experimentateurs s'occuper activement des moyens de repeupler les eaux de la 1 Comptes rendus de V Academic des sciences, t. XXXVI, p. 237; I8S3. 2 Comptes rendus de V Academie , t. XXXVI, p. 642. 3 Comptes rendus de V Academie, t. XXXVIII, p. 935 ; 1854. '* Des notes ou des apergus sur la pisciculture out ete inseres dans divers recucils : — De Caumont, Annuaire normand pour 1850. — Ball, de la Soc.- centrale d' agriculture, diverses observations de MM. Gehin, Richard, de Behagae, t. VI, p. 461 et 469, 1851 ; de M. Noblet, t. VII, p. 403, 1852; de M. QuSnard, t. VIII, p. 93, 1853. — De Saint-Ouen, Rapp. au directeur general des eaux et forets sur le repcupkment des cours d'eau navigables et flottables; mars 1853. — Comarmond, De la pisci- culture de la Truite. Acal. de Lyon; 1852. — Fournet, Mem. de la Soc. d' agriculture de Lyon; 1853. — De Vibraye et de Pontgibaud, Lettres inserees dans le Precis analytique de I' Academie de Rouen: 1854. — Sivard de Beaulieu, Essai sur la multiplication des Poissons dans le de- par tement de la Manche; Annuaire normand ; 1854, etc., etc. — Charles Caron, Experiences faites a I'ctablissement diparlemental de I'Oise. — Mem. de la Soc. academique de I'Oise; 1855. 5S8 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. France et compter obtenir des succe-s magnifiques a l'aide des fecondations artiiicielles, certaines personnes se laisserent en- trainer a croire un peu trop aisement que Remy et Gehin avaient fait un prodige et qu'on songeait a leur ravir la gloire qui leur appartenait. Le docteur Haxo, secretaire de la Societe d'emulation des Vosges, langa un petit ecrit dans le but d'ap- prendre au monde, que si les savants ont entrevu la solution du probleme de l'lchthyogenie (la propagation des Poissons), ce sont deux simples pecheurs qui Font resolu, et que cette belle decouverte a ete pour la premiere fois appliquee stir une grande echelle dans cette partie de la France qu'on appelle les mon- t 'agues des Vosges l. Une nouvelle edition de cet opuscule nota- blementgrossi, futpubliee deux ans plus tard2, et l'imaginerait- on, le Rapport da M. Milne Edwards, empreint d'un sentiment de bienveillance extreme pour les deux pecheurs de La Bresse, est vigoureusement attaque, parce qu'ilrappelle comment la pra- tique des fecondations artificielles est devenue depuis long- temps familiere a tous les naturalistes. Les felicitations, les encouragements n'avaient pourtant pas ete epargnes aux deux pecheurs des Vosges. Gehin, venu a Paris au commencement de l'annee 1850, avait etepresente au Prince, president de laRepu- blique, tout comme un personnage ; il avait regu du gouverne- ment, en conformite du vceu exprime par M. Milne Edwards, la mission d'empoissonner les rivieres de plusieurs departe- ments 3. 1 R, 1863, 1864.— Com/des rendus de I' Academie des sciences, t. LIV, p. 148; 1862. 3 Bull, de la Soc. zool. d'acclimatation, t. VII, p. 518; 1860. PISCICULTURE MODERNS. 893 Dins le meme dupartement, M. Rico s'est occupe de la propa- gation dn Saumon dans les eaux dormantes, et, M. Gillet de Grandmont, rendant comptc dcs experiences, affirrae que deux individus de cette espece ont ete peclies dans le lac Pavin, ayant atteint, Fun, le poids de 500 grammes, l'autre, le poids de 700 grammes *. DesSaumonsd'unpareil volume, eleves dans de semblables conditions, auraient du etre places dans un musee d'histoire naturelle pour 1'instruction generale. Us y auraient figure comme une contradiction palpable des resultats si labo- rieusement acquis paries habiles experimentateursde l'Ecosse. Dans une notice recente, M. R. Caillaud declare qu'il regarde l'education du Saumon en eau douce comme douteuse^. Nous pensons qu'il a bien raison. A Toulouse, M. Joly, professeur a la Faeulte des sciences de cette ville, s'occupe, depnis quelques annees, de la multiplica- tion, dans le midi de la France, de nos meilleures especes de Poissons 3. Nous ne pouvons dire encore l'importance des re- sultats obtenus. Deux publications interessantes pour la pisciculture ont ete faites par le Ministere de 1' Agriculture, du Commerce et des Travaux publics. (Test une notice sur l'etablissement d'Hu- ningue, redigee parM. l'lngenieur en chef des travaux du Rhin, et un rapport sur la peche fluviale dans la Grande-Bretagne, par le meme ingenieur, M. Goumes4. Le premier de ces docu- i Bull, de la Soc. d'acclimatation, t. X, p. 261 et 332; 1863. 2 Bait, de la Soc. d'acclimatation, 2e serie, t. I, p. 78o ; 1864. :< Mem. de i Academic des sciences, inscriptions et belles-lettres de Tou- louse, 1*63. 4 Notice historique sur Vetablissement de pisciculture de Huningue, 1862. — Rapport sur la ]4sciculture et la peche fluviale en Angleltrre, en Ecosse et en Irlande, in-4° ; 1863. S96 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. ments fait connaitre Tetablissement d'Huningue dans ses phases successes, et ensuitela nature et l'importance des operations qui y ont ete effectives. Des tableaux particuliers fournissent I indication precise des quantites d'ceufs de Salmonidesfecondes chaque annee et des distributions de ces cents dans tous les departements de la France. Le nombre de ces distributions s'ele-ve a un chiffre considerable. Le second document fournit les renseignements les plus instructifs pour la propagation et la conservation des Saumons dans les rivieres. Depuis une dizaine d'annees, il a ete publie encore d'interes- santes notices sur l'empoissonneraent des eaux donees et sur l'etat de la pisciculture en France, oil l'on trouve souvent des indications utiles. Une notice de Jules Haime, qui date de 1854, a ete particulierement remarquee1. Sont venues ensuite des notes de M. Cloquet2 et de M. Rene Caillaud3, destinees a con- stater des resultats obtenus. Des instructions pour le repeuple- ment des cours d'eau, redigees par M. Millet, ont ete publiees en 1860 par l'administration des Forets. M. Baude a emis ses vues particulieres sur rempoissonnement des eaux donees \ M. Charles Deville a presente des remarques au sujet de la peche fluviale5, et M. de Quatrefages a developpe des conside- rations d'un ordre eleve sur la fertility et la culture de l'eau 6. Plusieurs proprieties se sontlivres avec zele a des travaux de pisciculture et ont eu parfois des sucefcs reels dans la propaga- tion de la Truite. Leurs noras se trouvent souvent cites dans ' La Pisciculture, Revue des Deux Mondes, ler juin 1856. 2 Bull, de la Soc. d'acclimatation, I. V, p. 40 ; 1858. 3 Ibid., 1e serie, t. I, p. 580; 1864. 1 Revue des Deux Mondes, 15 Janvier 1861 . 5 Annates forestieres, mars 1861. e Bull, de la Soc. d'acclimatation, t. IX, p. xlix; 1862. PRATIQUES DE PISCICULTURE. 597 les ecrits dont il vient d'etre fait mention et dans les ouvrages de M. Goste. M. le comte de Galbert, a la Buisse, canton de Voiron (Isere), entre autres, semble etre arrive a faire une indnstrie veritable de l'eleve de la Truite '. L'impulsion donnee en France s'est fait sentir dans presque tous les pays d'Europe, et depuis plusieurs annees, la Bel- gique, la Hollande, la Suisse, l'Allemagne, l'ltalie, TEspagne,. ont des etablissements de pisciculture. § 6. — Des pratiques mises en usage pour la pisciculture. De temps immemorial, on a pratique la pisciculture ou \Autot Y A quicylture, pour employer une expression peut-etre meilleure, introdnite depuis quelques annees. Les etangs, qui avaient une si grande importance an moyen age, ont toujours ete l'objet d'amenagements constituant une veritable aquicul- ture. Les etangs offrent un moyen de tirer parti du sol avec pen de travail et a tres-peu defrais. Si leur exploitation n'est pas des plus productives, on comprend neanmoins qu'elle ait du etre fort appreciee dans les pays ou la population etait peu abondante, ou la culture etait pen avancee. Dans leslocalites ou la culture des etangs est la mieux entendue, d'apres l'avis des hommes les plus competents, on les alterne en eauet en labourage ; en eau, ils fournissent du Poisson et quelque paturage, ou un peu de fourrage pour les bestiaux. Desseches, mis enassec, suivant le terme consacre, on obtient de bonnes recoltes, sans engrais et. avec peu de travail. 1 Son etablissement piscicole a ete decrit par M. Victor Borie, Journal d Agriculture pratique. 598 HISTOID ECONOMIQUE DES POISSONS. Ce n'est pas ici le lieu de parler des etangs a divers points de vue d'utilite publique, comme dans les endroits ou ils servent au flottage, comme clans les pays ou ils sont employes a l'irri- gation des prairies ou a fournir de l'eau a de petites rivieres, dorif on augmente ainsi le volume, de facon a les rendre flot- tables. II n'y a pas lieu, pensons-nous, de s'arreter davantage a ee qui concerne la culture des etangs. Les pratiques de cette cul- ture sont assez generalement bien connues, les avantages et les inconvenients qu'elles presentent ont fourni maticre a une foule de publications et a de nombreuses discussions. Ce qui excite aujourd'hui l'interet du public, cequi eveille partoutl'es- perance d'un nouveau bien-etre pour les masses, d'une nou- velle richesse pour le pays, ou du moins, du retour a une an- cienne richesse , aujourd'hui perdue , c'est la pisciculture moderne, raquiculture pratiquee d'apres les donnees fournies par l'experience et par 1 'observation. Le recit des essais, des travaux de tout genre, pour obtenir la multiplication des Poissons, a deja montre a quels moyens on a eu recours dans ce but, et, jusqu'a un certain point, a quels resultats on est arrive. 11 importe cependant de faire un resume de tous les procedes indiques par les experimentateurs qui pensent etre en possession des meilleurs moyens de rendre l'aquiculture vraiment profitable. On l'a vu, M. Goste, qui s'est beaucoup occupe de cette im- portante question, a public, des 1853, un petit ouvrage intitule: Instructions j)raliques sur la pisciculture , dont il a donne une seconde edition en 1856. Ce traite, ou les faits sont exposes avec beaucoup de clarte, a ete fort commode pour toutes les personnes qui ont voulu faire eclore des reufs de Truites ou de PRATIQUES DE PISCICULTURE. 599 Saumons, soit avec le dcsir do faire des operations serieuscs, soit dans un simple but de curiosite on d'arausement. Le petit livre de M. Goste a ete traduit en plnsieurs langues et plus souvent imite que traduit l. D'un autre cote, diverses per- sonnes, qui se sont occupees particulierement de la fecondation et de l'eclosion des Poissons, ainsi que de la nourriture des alevins, ont parfois imagine de petits procedes ou certaiues pra- tiques qu'il convient de ne point passer sous silence. II est juste de citer en premiere ligne les experiences de M. Millet, inspec- teur des forets, qui, avec des moyens bien restreints, s'est adonne, depuis plus de quinze ans, avec infmiment de zele et d'intelligence, a Tetude de toutes les questions qui se rattachent a l'aquiculture. On doit egalement fairc une mention speciale des resultats obtenus par les directeurs de l'etablissement d'Huningue, MM. Bertot et Detzem, qui font cliaque annee des distributions tres-considerables d'ceufs fecondes de Salmonidcs. Les pisciculteurs de l'epoque actuelle ont porte principale- ment leur attention sur les frayeres artificiellcs , sur les procedes de fecondation artificielle, sur les appctreils pour Veclosion des oeufs, sur les soins a donner mix ceufs, sur V alimentation des jeunes Poissons ou alevins. L'idee des frayeres artificielles parait assez heureuse en l'etat 1 Nous avons sous les yeux plusieurs ecrits de ce genre publies en France : Jourdier, Traite de pisciculture. — Fraiche, Traile des procedes de multiplication nalurelle et artificielle des Poissons. — Pierre Carbonnier, Guide pratique du pisciculteur, avec beaucoup d'observations propres a Fauteur. — P. Joigneaux, Pisciculture et culture des eaux, etc., etc. D'autres publies en Allemagne: Die Geheimnisse der hunstlichen Fisch- zucht, 1858 (sans nom d'auteur). — J. F. Neu, Die Teichivirtschaft, etc., nack pra/dischen Erfahrungen in der Ober-Lauvitz. Bautzen, 1859. — Dr Raphael Molin, Die ralionelle Zucht der Suiswasserfische, in-8°.Wien, 1864 (ouvrage etendu), etc., etc. (iOi> IIISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. ou se trouvent actuellement nos riviferes et nos canaux. M. Millet a insiste devant la Societe d'acclimatation avec la plus grande energie sur la preference a donner, dans beaucoup de circon- stances, aux frayeres artifieielles sur lesfecondations artifieielles. La fecondation artificielle n'est pas toute l'industrie, a dit avec raison M. Goste 1, et cependant l'opinion contraire s'est beau- coup propagee. On n'a certes pas oublie les merveilleux resultats que Ton devait obtenir au moyen des fecondations artifieielles. Les Poissons abandonnes a eux-memes s'y prenaient mal pour avoir une nombreuse posterite ; on les remplacerait dans l'ac- quittement de leurs devoirs, et les avantages seraient incalcu- lables. Plus de quinze ans se sont ecoules depuis les jours de ces seduisantes annonces, sans avoir encore fourni de brillants resultats. Parmi les Poissons, les ups, comme les Salmonides, depo- sent leurs ceufs dans de petites cavites au milieu du gravier ou dans les interstices des pierres ; les autres, tels que les Perches, les Cyprinides: Carpes, Bremes, Gardons, etc., attachent leurs ceufs, agglutines au moyen d'une matiere visqueuse, aux ve- getaux aquatiques, aux pierres, a tous les corps enfin ou les ceufs peuvent etre fixes. C'est pour ces derniers surtout que les frayeres artifieielles doivent parfois etre d'une certaine utilite. La construction d'une fray ere artificielle est une chose fort simple. II s'agit de former un cadre avec des batons ou des lattes, et d'attacher a ce cadre avec des liens, des branchages, des bruyeres, des plantes aquatiques, de facona constituer des massifs irreguliers. II est aussi aise de donner aux appareils de ce genre une forme circulaire en prenant des cerceaux pour cadres. Les formes, et surtout les dimensions a donner a ces 1 Instructions, etc., p. 20. PRATIQUES DE PISCICULTURE. 601 frayeres doivcnt nc-cessairement varier scion la nature, selon la largeur des cours d'eau dans lesqucls on les immerge, en les © Cn assujettissant an fond avec des pierres et en les retenanta un piquet ou a un poteau place sur le rivage. Les appareils main- 602 HlSTOIRIi ECO-NOMJQUE DES POISSONS. tonus en place de la sorte, sont facilement tires de l'eau si un besoin l'exige. On comprendra aisement l'avantage de ces frayeres artificielles dans des rivieres ou des canaux si bien cures, qu'il n'y a plus que de l'eau clairc, corarae le remarquait justement M. Le- verrier dans une des reunions des societes savantes tenues a la Sorbonne, ou il avait ete traite de l'amenagement des eaux 1. Pour les Salmonides, qui pondent sur le gravier et dont les ceufs restent libres, les frayeres artificielles sont fort simples a etablir: on couvre clans certaines parties les bords du lit de rivieres peu profondes et bien courantes, ou le fond de ruis- seaux, d'une couche epaisse de gravier oude cailloux, et Ton y forme de petites eavites ou des rigoles semblables a eel les que creusentles Saumons et les Truites pour y deposer leurs ceufs. M. Millet recommande d'elever des monticules de cailloux sur les bords de ces rigoles. A l'aide de ces artifices, les Truites particulierement , s'arretent souvent pour pondre dans les ^endroits qu'elles ne frcquentaient pas auparavant et ou il coii- vient de les retenir. La fecondation artificielle a ete la preoccupation dominante de ceux qui, depuis quinze a virigt ans, se sont adonnes a des travaux de pisciculture. Les precedes a suivre pour obtenir les ceufs et la laitance destinee a les feconder, devaient ainsi etre avant tout l'objet de remarques speciales. S'emparer de quel- ques Poissons a l'epoque de la maturite des ceufs, est le pre- mier acte a accomplir ; mais, pour operer cette capture en temps opportun, il est besoin d'observations continues, et l'entreprise en est fort difficile. Les Poissons doivent etre saisis 1 Revue des Societes savantes, t. IIF, p. 239; 1863. PRATIQUES DE PISCICULTURE. 003 presque au moment ou ils \ont effectuer leur ponte, et ce mo- ment ne pent jamais etre precise d'nne maniere rigoureuse. Les oenfs ne sont pas parvenus a maturite chez tons les individus d'nne espece, le meme jour ; il y a des variations indrviduelleSj il y a des variations generates d'nne annee a 1'autre, selon la temperature. Afmd'obvier a ccs inconvenients, M. Goste a propose de prendre les Poissons destines a etre employes comrae reproducteurs, un pen avant l'epoque du frai et de les tenir captifs dans des bassins formes oil il devient fa- cile de reconnaitre cliaque jour l'etat de leurs ovaires et de leurs laitances. Jusqu'ici on n'a signale, dans cette captivite, aucune influence facheuse sur les Poissons. Lorsque le moment de la ponte approche, des signes parti- culiers l'indiquent. Les femelles ont les flancs distendus par leurs ovaires, l'orifice gonfle et plus ou moins rouge ; les males sont toujours moins alourdis que les femelles, mais sous la moindre pression du ventre la laitance jaillit au dehors. G'est le moment d'operer. Pour les Salmonides qui pondent en hiver, la temperature la plus favorable pour la fecondation artificielle est entre 5 et 10 degres au-dessus de zero. Une femelle est saisie et maintenue au-dessus d'un vase de verre, de terre ou de bois ; en exercant alors une legere pres- sion d'avant en arriere sur le ventre de l'animal, absolument comme le prescrivait Adanson dans son cours au Jardin du Roi, en l'annee 1772, on determine l'expulsion des ceufs. Apres la femelle, vient le tour du male; on agit a son egard, pour ob tenir l'evacuation de la laitance, de meme qu'avee la femelle. Quand l'eau a pris une apparence laiteuse, la quantite de laitance est jugee suffisante. Le liquide doit alors etre agite et les OBiifs legerement remues, afin que leur surface se trouve 604 H1ST01RE fiCONQMIQUE DES POISSONS. partout exposee au contact dc la matiere fecondante ; aussi est-il necessaire que les ceufs ne soient jamais rassembles an fond d'un vase en masse trop considerable. Pour le raeme usage, M. Millet emploie un tamis double en canevas ou en toile metallique. Dans le but defaciliter l'impregnation des ceufs, M. Coste conseille de placer dans le recipient, avantl'operation, Line cor- beille a mailles fines que Ton eleve et que Ton abaisse successi- vement, en ayant soin de ne pas la sortir du liquide. Apres quelques minutes de repos, les ceufs se trouvent fe- condes, et, s'il s'agitd'ceufsde Salmonides, il faut les transporter sans retard dans des appareils a eclosion, ou dans des boites que Ton place dans des ruisseaux ; pour les ceufs des Truites et des Saumons, une eau bien claire et courante est toujours ne- cessaire. CI 'est pour les Salmonides en particulier, que les feconda- tlons artificielles peuvent rendre de veritables services ; le transport des ceufs etant facile, le transport des Poissons vivants presque impossible. Nous en comprenons moins l'utilite au con- traire pour les Garpes, Tanches, etc., et raeme pour la Perche, que Ton trouve d'ailleurs un peu partout. On objecte, il est vrai, que les ceufs sont ainsi soustraits a la voracite d'une foule d'a- uimaux aquatiques. L'avantage, neanmoins, n'est pas encore tres-demontre. Si Ton opere la fecondation artiticielle des ceufs de Garpe, de Tanche, de Perche, qui s'agglutinent et s'attachent aux corps etrangers, on agit comme avec les Salmonides, mais en pre- nant soin de faire couler les ceufs sur des bouquets de plantes aquatiques ou sur des balayettes de bruyeres que Ton a pris soin de placer dans le recipient. Lorsque l'operateur se trouve PRATIQUES DE PISCICULTURE. 605 en possession d'une quantite suffisante de bouquets charges d'oeufs, ce qui s'obtient aisement avec un petit nombre de Poissons, la fecondite des Gyprins et des Perches etant prodi- gieuse, il ne reste plus qu'a les mettrc dans l'eau qui convient a l'espece. Les pisciculteurs pratiquant la fecondation artificielle, ont a s'occuper du choix d'un appareil pour l'eclosion des oeufs. Les premiers experimentateurs avaient eu recours a un moyen fort simple. Jacobi placait les oeufs fecondes sur une couche de gra- vier dans une boite de bois garnie a ses extremites d'une toile metallique. Laboite etait deposee dans un ruisseau, et les cenfs mis de la sorte dans les conditions qu'ils rencontrent a l'etat de nature et preserves des chances de destruction auxquelles sont exposees en liberte, les pontes des animaux aquatiques. MM. Hivert et Pilachon n'avaient pas d'autre procede ; Remy et Gehin employaient des boites de fer-blanc criblees de trous. Toujours la merae methode ; l'usage de boites, de caisses, plutot que do corbeilles ou de paniers d'osier, n'a aucune importance dans la pratique. Le moyen presente cependant de nombreux inconvenients, surtout pour des operations un pen vastes. G'est la difficulte d'exercer une surveillance continuelle sur les boites ou les paniers immerges dans une riviere, la difficulte d'observer si la condition des oeufs demeure satisfaisante, la difficulte encore, d'extraire des boites, les Poissons nonveau-nes sans les blesser. On s'est apercn, en outre, que souvent les grillages se trouvent obstrues par des corps etrangers, par des sediments cal- caires, etc., qui amenent la perte des ceufs. M. Coste a imagine un appareil a eclosion simple et d'une disposition commode. L'appareil consiste en un assemblage de rigoles ou d'anges 606 II 1ST01 HE ECONOMIQUE DES POISSONS. pourvues d'ime gouttiere pour l'ecoulement de l'eau. Dans line petite experience, une seule auge placee sous un robinet rend tout le service qu'il est permis de desirer. S'il s'agit d'opera- tions considerables, on multiplie les augcs en les plagant sur des gradins. Un seul filet d'eau, arrivant dans le bassin le PRATIQUES DE PISCICULTURE. 607 plus eleve, tombe succcssivcment dans tons lcs autres jus- qu'au dernier, etablissant de la sorte un courant continu. Si Ton dispose les auges comme un double escalier, il est facile d'en avoir un plus grand nombre encore sur un petit espace, pouvant etre alimentees par un seul filet, car il stiffit que la ri- gole superieure soit pourvue d'une gouttiere de chaque cote. Les auges en faience ou en poterie emaillee doivent etre pre- ferees soit aux vases en metal, soitaux baquets en bois, qui out le defaut d'altcrer la purete de l'eau. L'incubation des ceufs de Salmonides s'obtient, du resle, partout avec une extreme facilite. Bien des personnes aujour- d'hui s'amusent a faire eclore des Saumons et des Truites dans leur appartement. Une assiette plaeee sur la cheminee ou sur une table contient les ceufs. En ayant soin de renouveler l'eau de Tassiette, trois ou quatre fois par jour, revolution s'ef- fectue sans plus de difficulte. Cependant, lorsqu'on opere sur des quantites d'ceufs un pen considerables, il y a des precautions a prendre pour empecher la mortalite. Les experimentateurs sonttombes d'accord sur les avantages de la suspension des ceufs. D'abord on a fait usage de claies d'osier ; des inconvenients ont oblige a y renoncer. M. Millet a adopte des chassis en toile metallique gahanisee, et il affirme qu'en aucune circonstance le metal prepare n'a exerce d 'influence facheuse sur les embryons. M. Coste a ima- gine des claies en baguettes de verre. Le verre ne pent etre suspect d'etre nuisible aux ceufs ; sa fragility seule pourrait devenir parfois une cause d'embarras. Un inconvenient d'une autre nature a pourtant ete attribue aux claies formees de ba- guettes de verre ; les jeunes Poissons au moment de leur nais- sance laisseraient aisement passer la partie la plus mince de COS 111STOIH1-; ECONOM1QUE DCS POISSONS. ' leur corps entre les baguettes et se trouveraient souvent pris de la sorte sans parvenir a se degager. Ge sont la, au reste, des pratiques d'ordre secondaire, sur la valeur desquelles les ope- rateurs devront etre bientot fixes. Pour obtenir de bons resultats dans rincubation des ceufs, il est utile de se preoccuper de la temperature convenable et du degre d'intensite de la lumiere. Dans la connaissance acquise de l'epoque du frai de chaque espece de Poisson, on trouve une excellente indication de la temperature moyenne dont il est essentiel de pen s'ecarter. Avec la raeme connaissance, on arrive a estimer dans quelle mesure la lumiere doit etre distri- bute. Les ceufs des especes qui pondent en ete, supportent une vive lumiere. 11 en est autrement des especes qui pondent en hiver au milieu des graviers. Si 1'eau employee dans les appareils a eclosion est d'une grande purete et s'ecoule avec rapidite, on voit peu d'ceufs s'al- terer ; mais cette double condition n'etant pas satisfaite, les per- tes augmentent et il est rccommande d'enlever avec une pince ou une pipette les ceufs gate's, afin de ne jamais laisser les oeufs sains en contact avec ces derniers. Souvent aussi des byssus se developpent a la surface des ceufs et amenent la mort des embryons. Dans tous les cas, il est conseille de faire disparaitre a Taide d'un pinceau tous les corps etrangers qui s'attachent aux ceufs, en un mot-, de maintenir la proprete la plus ri- goureuse. Les jeunes Poissons eclos, l'eau claire leur suffit pendant une pcriode variable selon les especes; periode dont le terme est toujours annoncc par la disparition de la vesicule ombilicale. C'est seulement apres la resorption complete de cette vesicule, quo les jeunes Poissons commencent a manifester le besoin de PRATIQUES DE PISCICULTURE. 609 se nourrir ; il devient necessaire alors de leur donner des ali- ments, si Ton tient a attendre qu'ils aient acquis une certaine force, avant de les abandonner dans les cours d'eau. Ce qui eonvient aux Truites et aux Saumons nouveau-nes, ce sont de jeunes Poissons plus faibles, de petites larves d'insectes, etc. La chair pilee on hachee, les p&tees, dont on a fait usage avec plus ou moins de succes, offrent une multitude d'inconvenients faciles a concevoir. Les fecondations artificielles etant particulierement utiles dans les circonstances ou il s'agit de propager des especes dans des eaux ou elles n'existent pas, il a ete essentiel de s'oc- cuper des conditions dans lesquelles le transport des ceufs pou- vait avoir lieu, avec le moins de danger possible. Pour des transports a courte distance, les ceufs laisses dans l'eau arri- vent en general a destination sans accident, si Ton ne leur fait subir un ballottage' trop violent. 11 n'en est pas de meme dans les cas ou les ceufs doivent etre envoyes an loin. Les observateurs ecossais avaient bien reconnu la possibility de sortir de l'eau les ceufs de Saumons et de les conserver assez longtemps avec un peu d'humidite. Ce n'etait pas tout encore, neanmoins ; il fallait s'assurer du moment de l'incuba- tion ou le transport aurait lieu avec les plus faibles chances de perte, et les personnes qui en France se sont efforcees de din- ger la nouvelle pisciculture, ont acquis la preuve, apres des essais et des tatonnements inevitables, que Tinstant a choisir pour les expeditions, est celui ou l'embryon commence a deve- nir bien distinct au travers de la coque de l'ceuf ; c'est alors, l'ceuf embryonne, suivant l'expression aujourd'hui admise par les praticiens. Le moment de Fexpedition arrive, on prend une boite et? Bl.ANCHARH. 3 9 610 HIST01KE ECONOMIQUE DES POISSONS. d'apres l'avis de M. Coste, on forme, pour les ceufs de Salmo- nides, un lit de sable fin mouille au fond de la boite. Une cou- che d'oeufs est placee sur ce premier lit, puis un nouveau lit de sable et une nouvelle couche d'ceufs, et ainsi de suite. Une cer- taine quantite de mousse humide, associee au sable, a l'avan- tage, a cause de sa legerete, d'empecher que des pressions trop fortes ne soient exercees sur les ceufs. M. Millet recommande, comme moyen plus simple et preferable a l'usage du sable, l'emploi de linges mouilles qui maintiennent les ceufs sans ja- mais les ecraser. § 7. — Des conditions necessaires a la propagation des Poissons. Si Ton vent s'en rapporter avec une confiance entiere aux ecrits deja nombreux, ou les avantages de la fecondation artifi- cielle des ceufs sont presentes avec un accent qui temoigne d'une intention bien arretee de n'admettre aucune contradic- tion ; si Ton prend la peine de parcourir l'enumeration des suc- ces qui se repetent depuis quinze ans, il sera difficile de ne pas croire jusqu'a nos plus petits ruisseaux peuples par des legions de Truites, tous nos fleuves visites chaque printemps par d'im- menses troupes de Saumons. Gependant les Truites et les Sau- mons n'arrivent pas sur les marches des villes de France en quantite notoirement plus considerable que par le passe; on ne rencontre guere encore de pecheurs assurant que les rivieres, depeuplees il y a quelques annees, possedent aujourd'hui une nombreuse population. Les fecondations artificielles ont ete pratiquees sur une vaste echelle; l'etablissement d'Huningue a pu satisfaire avec une extreme liberalite aux demandes qui iui ont ete adressees de CONDITIONS DE LA PROPAGATION DES POISSONS. 01! tous les points de la France en ceufs de Saumons. Et neanmoins, tons les succes obtenus jusqu'ici se boment, croyons-nous, a' quelques resultats heureux, clans un tres-petit nombre de pro- priety particulieres, offrant des conditions favorables pour la multiplication de la Truite. Dans la plupart des rapports des experimentateurs qui se sont occupes le plus ardemment de la pisciculture, on voit que chacun se felicite de ses succes, car les ceufs de Saumons, de Truites, de Feras, etc., presque toujours fournis par l'etablissement de Huningue, out donne des milliers de jeunes Poissons ; les pertes ont ete insignifiantes, meme jusqu'au moment ou a ete entiere- ment effective la resorption de la vesicule vitelline. Mors des milliers de jeunes Poissons ont ete jetes dans une riviere, dans un lac ; tout s'est passe de facon a faire concevoir de belles esperances. Pourtant, de ceux qui sont interroges au bout d'un certain temps, sur le degre de prosperity de leur exploitation, n'en regoit-on pas a peu pres invariablement cette reponse : Les Poissons sont morts; ils ont disparu? lis sont morts, en effet, et, dans la plupart des circonstances, ils devaient mourir d'apres toutes les previsions possibles. Que penserait-on d'une personne ayant l'idee de propager les Lievres sur un sol entierement nu? Les Lievres nepeuvent vivre dans un desert, remarquerait chacun, et, generalement, l'on ne re- marque pas que Ion a fait le desert dans nos cours d'eau. Dans son rapport de 1851, M. Milne Edwards indiquait la necessite de beaucoup d'etudes, si Yon voulait reussir a multi- plier les Poissons ; etudes indispensables dans chaque localite oil l'onseproposait d'agir. On a cru pouvoir se passer deces etudes. M. de Quatrefages, de son cote, a fait la remarque suivante, qui merite bien d'etre rapportee : « Une foule de pisciculteurs, ne 0,2 HISTOIRE SCONOMIQUE DES POISSONS. s'attachant qu'aux meilleures espfeces, sement exclusivement de « la Truite et du Saumon . . . , c'est- a-dire des espies car nassieres « et tres-voraces, qui, une fois lachees dans un cours d'eau, ne c< trotivent pas a s'y nourrir ; ces especes en sont reduites a « s'entre-devorer et disparaissent. Ilfaut, dans les memeseaux, « multiplier les especes herbivores, sinon il sera impossible de « les peupler l . » Rien de plus vrai, mais ce n'est pas tout encore. II ne suffit pas que des Poissons, meme des herbivores, soient mis dans l'eau pour qu'ils vivent et grandissent, et, dans une infinite de rivieres, il n'y a plus de nos jours que de l'eau claire ou bourbeuse. G'est le desert. Les herbes ont ete arrachees, aneanties au prejudice des especes herbivores. La disparition des herbes a entraine la disparition des mollusques fluviatiles, Limnees, Planorbes, Paludines, des insectes, des vers, qui, dans les conditions ordinaires, entrent pour une part enorme dans l'alimentation de nos meilleures especes de Poissons. La dispa- rition des herbes a enleve aux Poissons dont les ceufs s'aggluti- nent les moyens de deposer leur ponte dans les seules conditions ou les ceufs puissent se developper; elle a enleve aux jeunes Poissons les retraites, les refuges centre les atteintes de leurs ennemis. Attribuer, uniquement a une peche trop active la rarete, ac- tuelle de certains Poissons dans des cours d'eau, ou ces Poissons vivaient autrefois en abondance, c'est beaucoupsetromper. Les ravages produits par des peches inintelligentes sont, certes, bien reels ; mais ce n'est pas, sans doute, sur une foule de points, la seule cause de la diminution des Poissons. La cause principale « Bulletin de la Soc. zool. d'acclimatulion, t. IX, p. 65; 18fc2. CONDITIONS DE LA PROPAGATION DES POISSONS. 613 est due au enrage des rivieres, a l'enlevement des herbes, et avec les herbes, d'une masse d'animaux et souvent de frai de Poissons. Le jour ou Ton vent faire vivre des Truites ou d'autres Sal- monides dans une riviere, il est indispensable de s'assurer, avant tout, si dans la riviere vivent des insectes, des vers, des mol- lusques, de petites especes de Poissons, comme des Vairons, des Chabots et des Loches, et, dans le cas ou leur absence est constatee, de commencer par introduire de ces animaux, ainsi que la vegetation qui leur est necessaire. II y a peu d'annees, je \isitais, aux environs de Montivilliers (Seine-Inferieure), une propriete dans laquelle couraient une riviere et des ruisseaux limpidea, offrant une belle vegetation pres de leursbords; on s'emerveillait en voyant l'abondance des Truites, grosses et pe- tites, qui se jouaient dans ces eaux pures. C'est qu'en cet endroit etaient reunies toutes les conditions favorables a la ponte et a l'alimentation de la Truite. Remy et Gehin, qui avaient eu des succes pendant plusieurs annees, etaient obliges de nourrirleuvs Truites, de leur apporter du frai et des tetards de grenouilles, de petites especes de Pois- sons, etc. ; il arriva que les eaux du voisinage furent mises a contribution d'une maniere excessive ; les deux pecheurs con- staterent avec chagrin que ,1a nourriture manquait a leurs Truites. Eh, disaitGehinal'un de ses parents, de quije tiens ce renseignement , savez-vous que nous ne trouvons plus assez d'animaux pour nourrir nos Truites ; elles se mangent les lines les autres ; bientot nous n'en aurons plus. Bientot, en eff'et, il n'en restait guere. En essayant de propager en un lieu une espece animale, on n'est en droit d'esperer un succes que si Ton a acquis une con- 614 HIST01RE ECONOMIQUE DES POISSONS. naissance exacte des conditions necessaires a la vie et a la repro- duction de l'espece, que si Ton s'est assure ensuite de l'existence de ces conditions dans la localite. Si les conditions font defaut, il est indispensable avant tout d'arriver a les produire. II est entre dans la croyance d'une infinite de personnes qu'il suffisait de semer du poisson, a peu pres indifferemment dans toutes les eaux, pour avoir de bonnes recoltes. De la, de continuelles de- ceptions, capables de jeter le plus regrettable discredit sur la valeur des indications de ia science relativement aux applications a l'industrie et a l'agriculture. En procedant a l'aventure, il faut s'attendre a voir, presque toujours, les resultats se tra- duire par des pertes de temps et d'argent ; en procedant d'une maniere scientifique, c'est-a-dire appuye de la connaissance profonde des conditions necessaires a la vie et au developpe- ment des etres que Ton desire multiplier, on n'agira qu'avec les plus grandes chances de succes. Les echecs sans nombre, les pertes considerables, l'experience du passe, doivent etre aujourd'hui un enseignement pour l'avenir. Ghacun a eu confiance dans les promesses de l'ostreiculture, et la confiance a ete trompee. Les huitres semblaient pouvoir etre multiplies a profusion sur toutes les cotes, parce que la faculte procreatrice de ces animaux est immense, et, depuis qu'on s'oc- cupe de cette branche d'industrie, les huitres sont devenues chaque annee plus rares que l'annee precedente 4. Voici, au reste, 1 M. Robert de Massy {Des halles et des marches, etc., p. 316) constate la diminution annuelle de l'approvisionnement des huitres a Paris de 1853 a I860, en mtae temps que l'616vation du prix. Nombre de cents d'Huitres Prix du cent d'Haitres en 1853, en 1 800, en 1853, en 18fi0, 97«,700 is4,706 2 fr. 27 4 fr. 58 CONDITIONS DE LA PROPAGATION DES POISSONS. 615 ce qu'on pent lire dans un document officiel, encore recent, emane du Ministere de la Marine: « Pendant I'annee 1864, « 1,501 etablissements, destines au rapide developpement ou a « la fixation des huitres ont ete crees. Partout l'Administration « s'efforce de faire apprecier aux riverains I'avantage de trans- it former en lieux de production les plages sur lesquelles vient « echouer le naissin, les pares du rivage etant le complement « necessaire des huitrieres sous-marines, dont elles augmentent « et ameliorent les produits ; enfm des essais recents permettenl « de mieux augurer de l'avenir, en ce qui concerne le repeuple- « ment, mfructiieiisement tenle jusqiCa ce jour, des huitrieres « sous-marines1. » Pourquoi ce repeuplement a-t-il ete tent6 infructueusement d'une maniere aussi generate ? Parce que Ton a attendu le succes de la bonne chance. On a onblie de proceder a\ant toute ope- ration a une etude complete des conditions d'existence et de developpement de l'huitre. II y aurait eu profit, cependant, a observer des huitres a tons les ages, dans les conditions natu- relles ou elles prosperent. Animaux fixes bientot apres la nais- sance, ces mollusques se nourrissent de corpuscules flottants, qu'ils attirent a l'aide de leurs palpes ; la nature de ces corpus- cules n'a pas etc exactement determinee. II etait utile de cons- tater leur degre d'abondance dans les eaux ou les huitres se developpent le mieux, et ensuite, de s'assurer s'ils existaient dans les eaux ou Ton se proposaitde creer des bancs artificiels, s'ils n'avaient pas disparu des localites ou ils venaient autrefois en abondance; on ne s'en est point preoccupe. D'autres faits meritaient encore d'etre observes, comme l'influence du fond, 1 Expose de la situation de I'Empire presente au Senat el au Corps U- (jhlalif. Marine, p. 103. — Moniteur universel. Fev. I860. 616 H1ST01RE ECONOMIQUE DES POISSONS. des abris, de la profondeur ; on s'est passe de toutes ces obser- vations et Ton a opere infructueusement. Si l'Administration de la Marine, animee des plus excellentes intentions, eut de- mands a un natnraliste, exerce a ces sortes de recherches, line etude bien complete de l'hiiitre; avec une semblable etude pour guide, il est permis de le croire, on aurait depense moins d'ar- gent infructueusement . Je cite ce fait en dehors de mon sujet, comme un exemple saisissant de la necessite d'une connaissance scientifique tres- parfaite des animaux que Ton desire multiplier pour proceder avec avantage a des essais induslriels. En agissant au hasard, un succes fort limite n'est pas absolument impossible; mais c'est tout. Pour les Poissons des eaux douces, et en particulier pour les Sal- monides, les memes errements ont ete suivis. LaTruiteetaitl'es- pece la mieuxconnue dansses habitudes ; a l'egardde celle-ci, des resultats avantageux ont pu etre obtenus en quelques endroits, mais, a l'egard des autres, qui dira ce qu'ont produit les millions d'oaufs de Saumon, d'Omble-Ghevalier, de Fera, etc., expedies paiTetablissementd'Huningue?L'histoiredu Saumon etaitfoite, au moins en grande partie ; ilsemble que personne en France n'ait songe a la lire. Gette lecture eut refroidiles esperances que l'on fondait surlelac du bois de Boulogne, sur l'etang de Saint- Gucufa aux environs de Paris, surle lac Pavin en Auvergne, etc. La seduction a ete immense en voyant avec quelle facilite on obtient l'eclosion de jeunes Poissons, et cependant une plainte energique s'est elevee a l'occasion d'une recherche trop active des ceufs de Salmonides dans les cours d'eau et les lacs de la Suisse. Entierement degage de tout interet personnel dans la question, voulant rendre hommage a tous les efforts dont le but CONDITIONS DE LA PROPAGATION PES POISSONS. 017 est cTaugmenter le bien-etre des populations, dcsirant qu'on ne s'abandonne pas au deeouragcment, parce qu'on s'est trop aise- ment abandonne a l'esperance, je dois, pour l'instruction gene- rale, rappeler cette plainte. Dans un Congres de pisciculture qui eut lieu a Lausanne, en 18o9, il a ete dit que «les nou- « velles methodes de pisciculture, appliquees par quelques sa- (( vants et quelques ingenieurs, au lieu d'apporter chez eux la « richesse et l'abondance, n'avaient eu d'autre effet, jusqu'a « present, que d'amener la penurie et presque la disette. » M. H. Costaz rapporte que l'etablissement d'Huningue faisant ses approvisionnements d'ceufs par rintermediaire de pecheurs qui rei,ein des eaux de la France. — Actes de I' Academic de Bordeaux; 18ii6. 2 Coste, Voyage d' exploration, etc., p. 234; IS61. — Coumes, Notice sur la pisciculture et la piche fluviale en Angleterre, en Ecosse et en Ir- lande; 1 SCO. 622 HISTOIRE ECONOMIQUE DES POISSONS. monter, il est a craindre que cela ne suffise pas toujours pour les autres Poissons migrateurs; il serait done a desirer qu'on ouvrit des passages, comme il en a ete ouvert quelques-uns dans des barrages, places pr&s des embouchures de rivieres, par les soins du commissariat de la marine. Ces passages peuvent etre fort utiles pour la descente des Saumonneaux. En resume, pour arriver au repeuplement des eaux de la France : II importe que l'Administration superieure interdise d'une maniere absolue tout ce qui fait entierement obstacle au passage des Poissons migrateurs ; qu'elle prenne des mesures pour in- terdire l'ecoulement dans les rivieres des residus des fabriques et de toutes les matieres capables de nuire aux etres vhants; qu'elle empeche, sur tous les cours d'eau, la destruction com- plete de la vegetation aquatique. Maintenant, toutes les fois qu'il s'agira de propager une es- pece, il ne faudra pas perdre de vue la necessite de connaitre d'avance les habitudes de l'espece et de constater , si dans l'endroit ou Ton desire la multiplier elle rencontrera les condi- tions neeessaires a son existence et a sa propagation. Avec ces etudes preliminaires, les particuliers, operant dans des limites etroites, trouveront assures les elements du succes. M. Millet a eu l'idee toute scientifique d'analyser les eaux d'une infinite de rivieres, et de determiner ainsi celles qui pa- raissent le plus particuli^remcnt favorables a nos differents Poissons. G'est un travail que je regrette de ne pouvoir faire connaitre avec detail. Au reste la presence ou l'absence de plantes et d'animaux dans les rivieres et les ruisseaux sera toujours une indication de la plus haute valeur. M. Coste aura rendu un service considerable, croyons-nous, CONDITIONS DE LA PROPAGATION DES POISSONS. 623 en determinant 1' Administration superieure a prendre en main une (buy re anssi importante que le repeuplement des eaux, en excitant le zele et l'interet d'un grand nombre de particuliers pour cette cause, en montrant a tous aYec quelle facilite naissent les jeunes Poissons. En presence de certaines dificultes a les faire vivre indifferemment dans toutes les conditions, nous de- sirous aujourd'liui que le decouragement ne succede pas a des esperances fondees sur des promesses chimeriques. Le succes appartiendra a ceux qui poursuivront leurs travaux de piscicul- ture, non plus en procedant a pen pres a l'aventure, mais en agissant ainsi, d'apres les indications fournies par la science ; c'est-a-dire, d'apres une connaissance acquise des habitudes, des conditions d'existence et de developpement des especes que Ton veut multiplier. Si Ton seme du Poisson dans l'attente d'une recolte, il faut agir, comrae agissentles agriculteurs ; ils sement dans le terrain propice et surtout dans le terrain soi- gneusement prepare pour recevoir la graine. Jeter de jeunes Poissons dans une riviere deserte, autant vaudrait semer du fro men t dans de la craie ou dans du sable. HISTOIRE DE LA LEGISLATION RELATIVE A LA PECHE ET AU COMMERCE DES POISSONS DES EAUX DOUCES. § 1. — Les anciennes ordonnances royales depuis les pre- miers siecles de la Monarchic francaise jusqu'en 1669. L'extreme facilite avec laquelle on peut s'emparer des Pois- sons, dans les fleuves et les rivieres, a oblige les rois et les gou- vernements des peuples de 1'Europe, depuis une epoque fort i ancienne, a soumettre la peche a des restrictions, au moins dans les eaux du domaine public. D'apres le droit romain, toutes les rivieres, meme celles qui n'etaient ni navigables ni flottables, etaient reputees publiques, non pas, dit M. Troplong, qu'elles fussent communes comme l'air, l'eau, la mer, et qu'elles n'appartinssent a personne; car elles etaient la propriete du peuple romain ; l'usage seul en ap- partenait a tous. Ghaque citoyen pouvait y pecher, y puiser de l'eau, s'y baigner, etc. En France, on suivait d'autres regies; les rivieres non navi- gables appartenaient, presque partout, au seigneur haut-justi- cier, comme indemnite pour les charges qui pesaient sur lui pour l'administration de la justice. Depuis I'abolition de la feodalite, le silence de la loi sur la propriete des cours d'eau non navigables et non flottables, a donne lieu a des dissidences sur la question de savoir a qui ils appartiennent 1. La question n'a pas ete tranchee. 1 Troplong, Be la prescription, n° !4o. PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 625 D'apr&s un avis du Conseil d'Etat, en date du 2~ pluvidse an XIII, approuve par 1'cmpereur Napoleon, I'abolition de la feodalite ayant ete faite, non an profit dcs communes, mais bien au profit des vassanx, la peche des rivieres non navigables ne pent, en ancun cas, appartenir aux communes, mais les pro- prietaires riverains doivent en jouir, et pcrdre cet a vantage, senlement par la suite, la riviere devenant navigable. En France, comme en Angleterre, comme en Allemagne, comme dans la plnpart des antres Etats, on a vn la necessite cVinterdire la peche dans la saison on les Poissons se livrent a Facte de la reproduction, d'empecher qu'on ne s'emparat des Poissons trop jeunes et surtout qu'on ne se servit d'engin> prupres a ravager les cours d'eau. Interdire la peche au temps du frai ; aucune mesure n'est plus justifiee; mais les curieuses meprises commises a toutes les epo- ques fournissentdes preuves multipliees que le legislateur commet une grave faute, lorsqu'en ces sortes de matieres, il croitpouvoir se passer des lumieres du naturaliste. Ainsi l'Ordonnance royale de 1669, qui, pendant cent soixante annees, a ete le code de la peche, dans le but d'empecher la destruction delaTruite, en interdit la capture « depuis le Ier fevrier jusqu'a la mi-mars, » et comme la Truite fraye pendant les mois de decembre ou de Janvier, les pecheurs avaient eu le loisir de s'emparer de tous les individus charges d'oeufs et de laitances. Dans le siScle actuel, il a ete habituellement reserve aux prcfets de suspendre la peche par un simple arrete aux epoques ou les Poissons doi- vent frayer dans les eaux du departement confie a leur admi- nistration, et nous savons quebeaucoup de prefets, ne pouvant s'imaginer que la saison des amours, pour tous les ctres, Cut Blanch aud. 4 0 026 HISrOiRE DE LA LEGISLATION. autre que le printemps, prenaient grand soin d'interdire la peche des Truites au mois d'avril. Au moyen age, les Poissons avaient pour l'alimentation pu- blique line importance que Ton ne soupconne plus de nos jours; les abbayes, les monasteres, recevaient une foule de re- devances et de donations en Poisson et surtout en Anguilles et en Harengs. Ge qui est clairement demontre par tous les actes emanes de I'autorite royaledepuis six cents ans,c'est la diminution constante de la population des rivieres de la France. Les premiers rois de la monarchie ne se preoccuperent en aucune fa^on de cette matiere. D'apres les plus grandes probability, Charlemagne fut le premier de nos souverains qui songea au parti a tirer des eaux douces. Dans un capitulaire de 1'an 800, il prescrivit d'entretenir en bon etat les etangs et les rivieres de ses maisons de campagne, d'en creuser de nouveaux dans tous les lieux on il serait possible d'en etablir, et de faire vendre au profit de son tresor le Poisson qui en proviendrait l. On le voit, en homme qui comprend la eharite, le grand empereur pensait ici plus a lui-meme qu'a son peuple. Pendant des siecles, l'Esturgeon appartenait au roi dans plu- sieurs monarchies de l'Europe. II en etait ainsi en Suede d'apres les lois du pays ; et lorsque les Normands se furent empares de la Neustrie, ils consacrerent ce privilege en faveur de leurs dues. Geux-ci en firent souvent alors des concessions aux sei- gneurs servitoriaux des fiefs situes sur les cotes ou vers l'em- bouchure des fleuves. Le sire de Tancarville fut de la sorte mis en possession du droit d'Esturgeon dans la Seine, depuis son chateau fort jusqu'a Harfleur. Combien y aurait-il lieu de 1 Baluze, Capil. Regum Francice, t. I, p. ,881. PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 627 donner aujourd'hui d'un pareil droit? Un Esturgeon peche dans la basse Seine, si ce n'est pas preeisement un phenomene, c'est au moins line assez grande rarete. Rol)ert, comte d'Eu, le fondateur de l'abbaye du Treport en 1057, fit don a Saint-Michel de tons les Esturgeons que pren- draient les pechcurs, hommes on vassaux dece monastere. Les religieux de l'abbaye de Fecamp faisaient pecher les Esturgeons a 1 'embouchure de la Dive, comrae l'apprend un acte passe vers 1100 entre Guillaume, abbe de Fecamp, et Gilbert, abbe de Saint-Eticnne de Caen l. Beaucoup de religieux jouissaient du merae droit, ainsi que celui sur les meilleures especes : le Saumon, l'Alose, la Lamproie, reputes Poissons francs (Pisces franci). On cite, entre autres, l'abbessc de la Trinite de Caen, Teveque de Dol, en Bretagne, l'archeveque d'Arles. Des peches particulieres de l'Esturgeon etaient pratiquees a Tarascon sur le Rhone en 1063, a Fronsac sur la Gironde en 1273; mais, comme on pent le constater par les Ordonnances des rois de France, ces peches etaient exercees en vertu d'une alienation du domaine. Les dues de Bretagne, de Gascogne, etc., ne pos- sedaient le droit d 'attribution qu'en leur qualite de feudataires de la couronneA Les Anguilles devaient etre autrefois en prodigieuse abon- dance dans les eaux de la France. On en a la preuve par ce fait que, pendant le xue siecle, il y eut une foule de donations de ce Poisson aux monasteres. II y eut meme des baux a rente qui s'acquittaient seulement en milliers d 'Anguilles 3. 1 Cartular. abb. Sancti Stephani deCadomo, fol. 54. 2 Ordonnances des Rois de France, t. VI, p. 47, ol. — Noel, Histoire generale des peches, p. 346, 347. 3 Noel, Histoire yenerale des peches, p. 351. 628 H1ST0IRE DL LA LEGISLATION. A dater du xnf siecle, on avait deja constate evidem- ment rappanvrissement de la population de nos eaux douces, car, a partir de cette epoque, les ordonnances des rois de France relatives a la peche et a la vente du Poisson se succedent a de courts intervalles; beaucoup d'entre elles sont motivees sur la diminution et sur le rencherissement progressifs du Poisson. Une ordonnance de Louis IX, de l'an 1258, a pour objet de reglementer la vente du Poisson d'eau douce a Paris. II n'y avait pas alors d'economistes pour precher la liberte du commerce et s'en tier a la concurrence pour le plus grand avantage des acheteurs. Une ordonnance de Philippe le Bel de 1312 montre jusqu'a quel point etait deja reconnue la necessite de veiller a la protec- tion des Poissons trop jeunes. « Sachez, clit cette ordonnance aux maitres des eaux et forets, que, par nostre grand conseil et par noz barons, nous avons fait certaines ordonnances sur les pecheurs et sur la maniere de pescher en toutes rivieres, grandes et petites, en la maniere qui s'ensuit. » Cette maniere qui s'ensuit, c'est qu'on ne puisse « pescher d'engin, de quoi < la maille ne soit de moulle d'un gros tournois d'argent, que ( Ton ne prenne Brochetaux (petits Brochets) qui ne valient ( deux deniers, la Vandoise et le Ghenevel (Chevaine), s'ils ( n'ont cinq poulces de long,le Barbel (Barbeau), dont les deux ( ne valient un denier tournois, le Carpel (Garpe), dont les ( deux ne valient un denier, les Anguilles, dont les quatre ne valient un denier tournois. Nous deffendons la blanche Rosse (Gardon) si elle n'a cinq poulces de long et qu'on ne la puisse prendre avant demy-avril jusqu'a demy-mai... Nous deffen- < dons que marchand de Poissons n'achete Poissons qui ne ( soit de l'ordonnance dessus dite : et s'ils estoient repris PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 629 « soustrayans ou vendans, ils payeront autant comme ceux qui « l'ont pesche l. » Gette ordonnance est instructive a plus d'un titre. Nous sa- vons par cette piece que la Garpe etait repandue en France au commencement du xiv" siecle. On remarque l'absence de toute mention de la Truite ou du Sanmon. On y voit que nos legislateurs de I860 ont ete de longtemps precedes dans Fidee de defendre le colportage du Poisson dont la peche es1 prohibee. Cinq annees plus tard, c'est-a-dire en 1317, une ordonnance de Philippe V, en date du 3 mai, regie la police de la peche dans la riviere d'Yonne, et determine de quelles sortes de filets il sera permis de se servir. Un document du meme genre, emane de Charles IV, le 26 juin 132G, ayant pour objet d'apporter unenouvelle rigueur dans la defense d'engins trop destructeurs et dans la protection des jeunes Poissons, fournit la preuve que la devastation com- meneait a faire sentir ses facheux effets. « Comme les fleuves, dit 1 'ordonnance de Charles IV, et « chacun par soi et les rivieres grandes et petites de nostre « royaume, par malice et par engins pourpensez des pescheurs, <( soient aujourd'hui sans fruit et par eulx sont empeschez les <( Poissons a croistre en leur droict estat, ni ne sont de nulle « valeur, quand ils sont pris d'eux, et neprofitent pas a en user <( en leurs mains, aingois qu'ils sont plus chers qu'ils n'ont (( accoutume ; laquelle chose tourne au grand dommage tant des « riches comme des pauvres gens de nostredit royaume, et de « nous et de nostre droit royal, a qui appartient curer et penser « du bon estat et profit comme de nostredit royaume. » 1 Onlonnances des Rois de France, L I, p. oil. 630 HIST01RE DE LA LEGISLATION. Les poissons plus chers qu'ils riont accoutume; ce sera l'exclamation continuellement repetee pendant la duree de cha- que siecle. Remarquons encore que les especes designees pour une pro- tection speciale en 1326, sont : Barbel, Carpe, Ta?iche, Breme, Label (Brochet), Anguille. C'est bientota Philippe VI (1328) a s'occuper deprohiber une foule d'engins et a interdire la peche a certaines epoques. Des Poissons qui paraissent aujourd'hui en quantite tene- ment insignifiante sur le marche de la capitale , qu'on n'y porte presque aucune attention, etaient encore bien certaine- ment d'une abondance extreme au xive siecle. C'est la con- clusion inevitable a tirer, pour la Lamproie, des termes d'une ordonnance du roi Jean, de 1350, qui interdit les revendeurs. Le fleau des intermediaires entre les producteurs etlesacheteurs date deloin. « Nul n'ira contre les marchans de Lemproyes, achepter pour « revendre; et qui autrementle fera, il l'amendera a volonte. « Toutcs manieres de marchans de Lemproyes, des qu'ils « seront partis de leurs hotels pour venir a Paris, feront ap- « porter leurs denrees et descendre aux boutiques et aux Pierres- « le-Roy, et ne pourront entrer en la ville de Paris, si ce n'est « en plein jour, sur peine de perdre le Poisson et d'amende « volontaire l. » On songeait toujours a la necessite d'interdire la peche a I'epoque du frai, quitte a se tromper aussi gravement que pos- sible sur I'epoque veritable; car une autre ordonnance de la merae date que la prccedente present : a que nulz ne preigne 1 Ordonnances des Rois de France, 1. II, p. 350. PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 631 Bechet (Brochct) d'avant la feste do Saint-Laurent ; et s'il le fait, il doit soixante sols. » Pendant le malheureux regne de Charles VI, malgr6 les plus douloureuses preoccupations, on ne pout oublier l'utilite du Poisson, et les ordonnances se succedent, dans l'espoir d'en assurer la conservation. En 1387, on fixe la longueur et le prix des Poissons qui seront peches dans la riviere de Somme. En 1402, on fixe de nouveau la dimension des mailles des filets et le prix des Poissons qui pourront etre peches. En 1413, on reglemente encore la vente du Poisson d'eau douce a Paris * . En 1 153, une ordonnance de Charles VII portc sur les pri- vileges et statuts des maitres pecheurs et marchands de Pois- sons d'eau douce a Paris. En 147G, ces m6mes privileges et statuts sont confirmes par une ordonnance de Louis XI. Des le commencement de son regne, Francois Ier, par or- donnance renduele II fevrier 1516, defend de nouveau tons les engins trop destructeurs et particuliercment ceux qui permet- tent de s'emparer des jeunes Poissons. Cette prohibition deju tant de fois repetee se fonde toujours sur les memes conside- rations. « Comme les fleuves et les rivieres grandes et petites de nostre « royaume, par malice et engins pourpensez des pescheurs, « soient aujourd'hui comme sans fruit, et par eux soient les t( Poissons empeschez a croistre leur droit estat, soient de « nullevaleur quand sont prins par eux, et ne profite pas a en « user en leurs mains ; aincois montrent qu'ils sont plus chers <( qu'il n'est accoutume. Laquelle chose tourno en grand 1 Ordonnances desRois de France, t. VIII el t. X. 632 IIISTOIRE DE LA LEGISLATION. « dommage, taut des riches corame des pauvres de nostre « royaume l. » Le meme mal continue a se faire sentir, malgre les edits et lesordonnances. Les defenses sontpeu de chose, si, faute d'une surveillance active, il est aise de s'y soustraire sans grave peril. On s'apercut que la prohibition de certains engins, demeurait illusoire, etl'on pensa alors a empecher les pecheurs deseservir des filets qui n'auraient pas recii une marque del'autorite. Cette prescription est nettement formulee dans une ordon- nanee de Henri TV, du mois de mai 1597. « Afin aussi, dit « cette ordonnance, de remedier etpourvoir aux fraudes, astuces <( et tromperies des pescheurs, lesquels avec un nombre infini « d'engins prohibez et deffendus par les ordonnances, pes- <( client indifferemment toutes sortes de Poissons, en depeu- <( plant toutes nos dites eaues, fleuves, rivieres et estangs, et <( causent en ce faisant la cherte d'iceux ; nous avons inhibe et m deffendu ; inhibons et deffendons a tons pescheurs d'u- « ser d'aucuns engins, bien que licites et permis par lesdites « ordonnances, qu'ils n'ayent este au prealable marquez de « I'ordonnance de nos officiers, etc. 2. » La depopulation des eaux de la France ne cessait de s'ag- graver; l'autorite royale s'en preoccupait, sans reussir aarreter le mal. Tout le prejudice, jusqu'a la fin du xvie siecle, est attribue uniquement a l'emploi d'engins avec lesquels les jeu- nes Poissons « sont prins etempechez de croistre a leur droict estat. » Ce devait etre, en effet, la cause principale de la dimi- nution du Poisson dans les rivieres, et si d'autres causes exis- 1 Ordonnances des Rois de France. — Baudrillart, Traile general des eaux et fore Is, chasses et peches, t. I, p. 1 1 ; 1829. 2 Ibid. — Baudrillart, ibid., p. 29. PECI1E ET COMMERCE DES P01SSONS. 633 taient, corame des curages et la destruction dcs plantes aquati- ques, on ne s'en apercevait pas. II est permis de se douter d'a- pr&s les plaintes continuelles au sujet des engins prohibes, que la surveillance des autorites etait pen active on fort difficile. §2. — La legislation depuis 1669, jusqu'en 1829. En 1669, une ordonnance, beaucoup plus ctendue que toutes les precedentes qu'elle devait abroger, devint et resta lc code des pecheurs jusqu'au xixe siecle. Voici les principales dispositions de cette celebre ordon- nance. 1° — Dcfendons a toutes personnes , autres que maitrcs pecheurs recus es-sieges des maitrises par les maitres particu- liers ou leurs lieutenans , de pecher sur fleuves et rivieres navigables, a peine de cinquante livres d'amende et de confisca- tion du Poisson, filets et autres instruments de peche pour la premiere fois, et pour la seconde, de cent livres d'amende, outre pareille confiscation, meme de punition plus sevi re s'il y echet. 2° — Nul ne pourra etre regu maitre pecheur, qu'il n'ait au moinsl'age de vingt ans. 3° — Les maitres pecheurs de chacune \ilie ou port, ou ils seront au nombre de huit et au-dessus, eliront tous les ans, aux assises qui se tiendront par les maitres particuliers ou leurs lieutenans, un maitre de communaute qui aura 1'ceil sur eux, avertira les officiers des maitrises des abus qu'ils commettront ; et aux lieux ou il y en aura moins que huit, ils convoqueront ceux des deux ou trois plus prochains ports ou villes, pour tous ensemble en nommer un d'entre eux qui fera la meme charge, 634 HIST01UE DL LA LEGISLATION. le tout sans frais, et sans exaction de deniers, presens ou Festins, a peine de punition exemplaire et d'amende arbitraire. 4° — Defendonsatouspecheursdepecheraux jours dedimanche et de fete, sous peine de quarante livres d'amende ; et, pour cet effet, leur enjoignons expressement d'apporter tons les samedis et veilies de fetes, incontinent apres le soleil couche, au logis du niaitre de communaute, tons leurs engins et harnois, lesqtiels ne leur seront rendus que le lendemain du dimanche ou fete apres soleil leve, a peine de cinquante livres d'amende et d'in- terdiction de la peche pour un an. o° — Leur defendons pareillement de pecher en quelques jours et saisons que ce puisse etre, a autre heure que depuis le lever du soleil jusques a son coucher, sinon aux arches de ponts, aux moulins etaux gords ou se tendent des dideaux ; auxquels lieux ils pourront pecher tant de nuit que de jour ; pourvu que ce ne soit a jour de dimanche ou fete, ou autres defendus. 6° — Les pecheurs ne pourront pecher pendant le tems de fray ; scavoir, aux rivieres ou la Truite abonde sur tous les autres Poissons, depuis le premier fevrier jusques a la mi-mars; et aux autres, depuis le premier avril jusques au premier de juin, a peine, pour la premiere fois, vingt livres d'amende et d'un mois de prison, et du double de L'amende et de deux mois de prison pour la seconde, et du carcan, fouet et bannissement du ressort de la maitrise pendant cinq annees, pour la troi- sieme. 7° — Exceptons toutefois de la prohibition contenue en ['article, la peche aux Saumons, Aloses et Lamproyes, qui sera continuee en la maniere accoutumee. 8° — Ne pourront aussi mettre bires ou nasses d'osier a boul des dideaux, pendant le tems de fray, a peine de vingt PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 635 livres d'amende, et de confiscation du harnois pour la premiere fois et d'etre prive de la peche pendant un an pour la seconde. 9° — Leur permettons neanmoins d'y mettre des chausses ou sacs du moule de dix-huit lignes en quarre, et non autre- raent, sur lesmemes peines; mais apres le temps de fray passe, ils y pourront mettre des hires ou nasses d'osier a jour, dont les verges seront eloignees les unes des autres de douze lignes an moins. 10° — Faisons tres-expresse defense aux maitres pecheurs de se serxir d'aucuns engins et harnois prohibes par les anciennes ordonnances sur le fait de la peche, et en outre de ceux appelles giles, tramail, furet, eperxier, chaslon et sabre, dont elles ne font point de mention, et de tons autres qui pourront etre in- ventus an depeuplement des rivieres ; comme aussi d'aller an barandage, et mettre des bacs en rixiere ; a peine de cent lixres d'amende pour la premiere fois, et de punition corporelle pour la seconde. 11° — Leur defendons en outre de bouiller axec bouilles ourabots, tant sous les cheverins, racines, sanies, osiers, terriers et arches, qu'en autres lieux, ou de mettre lignes axec echets et amorces xives, ensemble de porter chaines et clairons en leurs batelets, et d'aller a la fare, ou de pecher dans les noues axec tilets, et d'y bouiller pour prendre le Poisson etle fray qui a pu y 6tre porte par le debordement des rivieres, sous quelque pre- texte, en quelque terns et maniere que ce soit ; a peine de ciu- quante livres d'amende contre les contrevenans, et d'etre bannis des rivieres pour trois ans, et de trois cents lixres contre lis maitres particuliers ou leurs lieutenans, qui en auront donne la permission. 12° — Les pecheurs rejetteront en rixiere lesTruites , 636 HISTOIHE DE LA LEGISLATION. Garpes, Barbeaux, Bremes et Moiiniers qu'ils auront pris, ayant raoins tie six ponces entre l'ceil et la queue ; et les Tanches, Perches et Gardons qui en auront moins de cinq ; a peine de cent livres d'amende, et confiscation contre les pecheurs et raarchands qui en auront vendu on aehete. Dans les articles suivantsil est dit : Voulons qu'il y ait en cha- cune maitrise un coin, dans lequel lYcusson denos armes sera grave et autour le nom de la maitrise, duquel on seservira pour harnois on engins des pecheurs, qui ne pourront s'en servir ({lie le sceau n'y soit appose. — Defendons a toutes person nes de jeter dans les rivieres aucune clianx, noix yomique, coque du Levant, mommie, et autres drogues ou appats, a peine de Munition corporelle. Puis viennent la defense de la peche aux flambeaux sur les etangs glaces, les prescriptions relatives a la faille des Poissons destines a l'empoissonnement des etangs, etc. Gette ordonnance du mois d'aout 1669, revetue de la signa- ture de Louis XIV et de Colbert, qui en realite n'ajoutait rien de tres-important aux precedentes Ordonnances, denote a un singulier degre la pretention des legislateurs de l'epoque. On sent qu'ils etaient parfaitement convaincus d'avoir produit une cenvre parfaite, ou tout etait prevu et devait ainsi donner pleine satisfaction aux interets du pays. Comme en effet tout est judicieux ! voyez plutot. II n'est perrais a personne de prendre un Poisson, s'il n'est regu mai- tre peche ur, et le maitre pecheur doit deposer son filet le sa- medi soir et ne le reprendre que le lundi matin, de facon a ne pas inquieter le Poisson pendant la journee du dimanche. La p6che est interdite an temps du frai. C'estpour lemieux. Mais les pecheurs peuvent s'emparer a loisir des Truites qui frayent en deeembreeten Janvier. Ouant aux Poissons migrateurs, les PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 637 Saumons, les Aloses, les Lamproies, les especes qui comptent parmi les plus productives et les plus estimees, i! n'v aaucun menagement a conserver a leur egard. Une pareille ordon- nance est signee du grand nom de Colbert. L'ordonnance de 1669 n'avait eu en vue dans la prohibi- tion de certains engins que les rivieres navigables et flottables, un arret du Gonseil du Roi, en date du 27 novembre 1701 etendit la prohibition a la peche sur les rivieres qui ne sont ni navigables ni flottables. De son cote, le due de Lorraine, Leopold I", faisait une de- claration (23 juin 1708), contre les abus qui se commettaienl dans l'exercice de la peche de la Truite et de l'Ombre '. Dans ces temps de privilege, les gentilshommes ne s'imagi- naient pas aisement qu'une prohibition quelconque put les concerner ; un arret fut rendu le 27 novembre 1731, pour leur apprendre que la defense des filets et engins prohibes s'appli- quait a toutes les rivieres, « quand meme la propriete en ap- « partiendrait a des seigneurs particuliers. » Les sentences ne manquerent pas contre les individus pris avec des engins de la nature de ceux qui etaient interdits, mais ayant re^u certaines modifications et surtout des noms nou- veaux ne figurant pas dans la grande ordonnance. Apres cha- que saisie, se renouvelerent les prescriptions du grand-maitre des eaux et forets de France pour la marque des bateaux et des filets, pour les visites chez les pecheurs, les cabaretiers, etc., afin de constater si Ton n'a pas pris de Poissons au-dessous de la jauge fixe'e par les ordonnances et reglements. Une declaration du roi, en date du 14 aout 1773, portant qu'il n'a pas ete possible d'inserer, dans l'ordonnance de 1660, 1 Recueil des edits et ordonnances de Lorraine, t. I, p. 037-638. 638 HiSTOIRE DE LA LEGISLATION. des dispositions particulieres et propres a chaque pays et a chaque riviere, il est de justice d'en modifier les dispositions suivant l'exigence des eas « prohibe la peche dans cer- taines rivieres qui se rendent a la Manche et ou la Truite abonde, depuis le IS decembre jusqu'au ler fevrier, et interdit sur ces rivieres les barrages de toute nature « pouvant empe- cher la Truite de remonter librement dans l'etendue desdites rivieres et d'y frayer. » A cote d'une mesure sage, apparait une disposition au moins etrange. Un arret du Gonseil des eaux et forets, du 25 mars 1777, maintient les habitants de Montherme dans le droit de pecher le Saumon et l'Alose dans les rivieres de Meuse et de Semoy en tout temps, lant de jour que de nuit et avec touies especes d'engins et de filets N'eut-il pas ete preferable d'ordonner mu au moins de conseiller franchement la destruction du Sau- mon et de l'Alose? Peut-etre la destruction des plus precieuses especes dePoissons eut-elle ete empechee par un esprit d'oppo- sition de la part des interesses. Les droits feodaux et les privileges ayant ete supprimes le 25 aout 1792 par le fameux decret de l'Assemblee nationale, tous les citoyens eurent la pleine liberte de pecher dans les rivieres navigables et flottables. On pent supposer si, dans ce temps de malheur et de desordre, beaucoup d'individns son- gerent a se procurer leur subsistance en mettant a contribu- tion les rivieres et les etangs. La devastation des cours d'eau fit en quelques annees les progresses plus inquietants. Les pouvoirs publics s'en emurent et un arr^te du Directoire en date du 28 messidor an VI (16 juillet 1798), « considerant « que la suppression du droit exclusif de la peche, en don- PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. t!39 « nant a chacun la faculty de pGcher dans les rivieres na\iga- ( bles et flottables, n'entralne point l'abrogation des regies (( etablies pour la conservation des differentes especes de Pois- « sons les articles de l'ordonnance de 16G9 doivent « continuer d'avoirleur execution. » Les pecheurs restaient sans doute bien nombreux et le mal en devint manifeste, comme lc prouve la loi votee le 14 floreal an X (4 mai 1802), declarant que « nul ne pourra pecker dans <( les rivieres navigables, s'il n'est muni d'une licence, ou s'il « n'est adjudicataire de lapeche. » « L'interet public, disait, a la suite, Line circulairedu 28 prai- se rial (19 juin 1802), demandait depuis plusieurs annees que <( de telles dispositions remissent en vigueur le regime conser- « vateur de la peche qu'avait etabli l'ordonnance de 1669. » « II faut reparer, dans la masse des subsistances, levide qu'a <( opere l'abus de cet exercice et restituer au Tresor public une u branche de revenu. » « Ge double resultat exigeait, pour l'obtenir, l'affermissement ( du principe qui a constamment place clans le domaine de ( l'Etat les fleuves et les rivieres navigables et la prohibition « d'y pecher sans etre muni d'une licence ou bail a ferme... » Sous l'ancienne monarchie, les cours d'eau de la France avaient sans doute ete deja bien depcuples, mais l'autorite n'a- vait cesse de faire des efforts pour empecher la devastation. Pendant la revolution, les degats de toute nature n'avaient pas manque d'etre commis, et ce n'est probablement qu'a partir de cette epoque, que nos grands fleuves et nos rivieres com- mencerent a couler dans un lit souvent degarni de toute vege- tation, sur un fond ou la vie animale avait presque entierement disparu. 040 HISTOIRE DL LA LEGISLATION. Le 3 novembrc 1803, tin arrete du gouvernement declara queles fleuves et rivieres navigables de divers arrondissements forestiers seraient divises en cantonnemenis de peche. L'interpretation de l'article dela loi du 14 floreal, « permet- « tant de pecher tant a la ligne flottante qua la main, » avait paru douteuse. Un arrete du gouvernement (27 Janvier 1 804), le Gonseil d'Etat entendu, determina que, « tout individu autre « que les fermiers de la peche on le ponrvu de licence, ne « pourra pecher sur les fleuves et rivieres navigables, qiiavee (t une li'jne flottante tenue a la main. » Certaines difficultes entre les Administrations des eaux et t'orets et des ponts et chaussees \inrent a se produire des le commencement du siecle actuel et, le 5 octobre 1804, une cir- culaire ministerielle constatant qu'il s'est eleve des difficultes aux adjudications des gords et pecheries etablis sous les arches des ponts et dans les lits des rivieres navigables ; qu'il a etc observe que ces etablissements pouvaient nuire a la navigation, declare en consequence qu'il a etc decide, quCd Vavenir ces ad- judications riauraient lieu que de concert avec les ingenieurs des ponts et chaussees. On s'en tenait toujours strictement a l'exccution des articles de l'ordonnance de 1669. Des particuliers ayant ete trouves pechant apres le coucher du soleil avaient ete absous par les tribunaux. La Cour de cassation par un arret du 8 novem- brc 1805 cassa les jugements. Apres le retablissement de l'autorite, les cantons de peche avaient ete affermes pour la courte periode de trois ans. Par une circulaire du 18 juin 1806, 1'administration temoigna qu'il semblerait con ven able de fixer a six annees la duree des nou- veaux baux, et ce tenne hit adopte par une decision ministe- PECHE ET COMMERCE DES POISSO.NS. 641 rielle (23 aout 1806). En merae temps, on renouvelait les prescriptions de l'ordonnance de 16G9 relatives aux engins prohibes, aux marques des filets, a la defense de pecher en temps de frai, excepte pour les Saumons, les Aloses et les Lam- proies. Pourquoi s'inquietait-on si peu des Saumons et des Aloses? D'apres la jurisprudence adoptee par la Cour de cassation, il n'y a pas lieu a poursuite contre ceux qui pechent en temps non prohibe et sans engins defendus dans les rivieres qui ne sont ni navigables ni flottables, si les proprietaries ne se plai- gnent pas ; mais il demeure indifferent pour l'application des peines aux delits de peche, que les debts aient ete commis dans des rivieres navigables ou non navigables par des pecheurs ou des individus etrangers a, cette profession. L'acte le plus important de la fin de cette periode est le decret du 23 decembre 1810, par lequel le service de la peche dans les canaux et les rivieres canalisees est attribue a l'Administration des ponts et chaussees. § 3. — La legislation actuelle. II y avait cent soixante ans que l'ordonnance royale rendue par Louis XIV etait a peupr&s tout le code de la peche, lorsqu'on s'aperQut que plusieurs dispositions de ce code avaient besoin d'etre modifiees. On reconnaissait la necessite de modifier un peu le fond et de changer surtout la forme qui avait vieilli. Alors intervint une loi a la date du 15 avril 1829, promulgu6e le 24 du meme mois, qui n'a subi encore que de legeres atteintes par suite d'ordonnances plus recentes, et d'une loi speciale votee, depuis, par le Corps legislatif. Voici les principales dispositions de cette loi de 1829 : Blanchard. 41 642 H1ST0IRE DE LA LEGISLATION. Article premier. — Le droit de peche sera exerce au profit de l'Etat. 1° Dans tousles fleuves, rivieres, canaux et contre-fosses navigables ou flottables avec bateaux, trains ou radeaux, et dont l'entretien est a la charge de l'Etat ou de ses ayants cause. 2° Dans les bras, noues, boires et fosses qui tirent leurs eaux des fleuves et rivieres navigables ou flottables dans lesquels on peut en tout temps passer ou penetrer librement en bateau de pecheur, et dont l'entretien est egalement a la charge del'fitat. Sont toutefois exceptes les canaux et fosses existants ou qui seraient creuses dans les propri6tes particulieres et entretenus aux frais des proprietaires. 3° Dans toutes les rivieres et canaux autres que ceux qui sont designes dans l'article precedent, les proprietaires riverains auront, chacun de son cote, le droit de peche jusqu'au milieu du cours de l'eau, sans prejudice des droits contraires etablis par possessions ou titres. 4° Des ordonnances royales, inserees au Bulletin des lots, determinent, apres une enquete de commodo et incommodo, quelles sont les parties des fleuves et rivieres et quels sont les canaux designes dans les deux premiers paragraphes de l'ar- ticle ler oil le droit de peche sera exerce au profit de l'Etat. De semblables ordonnances fixeront les limites entre la peche fluviale et la peche maritime dans les fleuves et rivieres affluant a la mer. Ges limites seront les memes que celles de rinscription maritime; mais la peche qui se fera au-dessus du point ou les eaux cesseront d'etre salees sera soumise aux regies de police et de conservation etablies pour la peche fluviale. Dans le cas ou des cours d'eau seraient rendus ou declares navigables ou flottables, les proprietaires qui seront prives du PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 643 droit de peche auront droit a une indemnity prealable, qui sera reglee selon les formes prescrites par les articles 1 6, 1 7 et 1 8 de la loi du 8 mars 1 810, compensation faite des ajutages qu'ils pom- raient retirer de la disposition prescrite par le gouvernement. 5° Les contestations entre r Administration et les adjudica- taires relatives a Interpretation et a l'execution des condi- tions des baux et adjudications, et toutes celles qui s'eleve- raient entre l'administration ou ses ayants cause et des tiers interesses a raison de leurs droits ou de leurs proprietes, seront porte"es devant les tribunaux. 6° Tout individu qui se livrera a la peche sur les fleuves et rivieres navigables ou flottables, canaux, ruisseaux ou cours d'eau quelconques, sans la permission de celui a qui le droit de peche appartient, sera condamne a une amende de 20 francs au moins, etde 100 francs au plus, independammentdes dom- mages-interets. II y aura lieu, en outre, a la restitution du prix du Poisson qui aura ete peche en delit ; et la confiscation des filets etengins de peche pourra etre prononcee. Neanmoins il est permis a tout individu de pecher a la ligne flottante tenue a la main, dans les fleuves, rivieres et canaux designes dans les deux premiers paragraphes del'article lcr de lapresente loi, le temps du frai excepte. Le titre II de cette loi de 1829, est relatif a l'administration et a la regie de la peche; le titre III, aux « adjudications des cantonnements de peche ; » le titre IV, a la « conservation et police de la peche. » II est interdit de placer aucun barrage ou appareil de peche pouvant empecher entierement le passage du Poisson. Une amende de 30 a 300 francs et un emprisonnement d'un mois a trois ans, doivent frapper « quiconque aura jet6 644 HIST01RE DE LA LEGISLATION. « dans les eaux des drogues ou appats qui sont de nature a a enivrer le poisson ou a le detruire. » L'article 26 de la loi abandonne le soin de determiner les temps, saisons et heures pendant lesquels la peche sera interdite dans les rivieres et cours d'eau quelconques, a des ordonnances royales ainsi que la « prohibition des precedes de peche capables de nuire au repeuplement des rivieres. Le titre V precise comment doi- vent etre exercees les poursuites au nom de l'administration et dans l'interet des fermiers de la peche et des particuliers. Le titre VI fixe les peines et condamnations ; le titre VII a pour objet l'execution des jugements l. Par ordonnance du 15 novembre 1830, les filets trainants et divers autres engins de peche sont prohibes. En meme temps, sont autorises pour la peche des petites especes, Goujons, Ablettes, Loches, etc., les filets dont les mailles ont 15 milli- metres de largeur. Aucune restriction, ditcette ordonnance, ni pour le temps de la peche, ni pour l'emploi des filets « ou engins, ne sera imposee aux pecheurs du Rhin. » Etrange privilege I Dans chaque departement, le prefet doit determiner, sur l'avis du Conseil general et apres avoir consults les agents forestiers, les temps oula peche doit etre interdite. Par une decision du ministre des finances du 26 decem- bre 1831, les dispositions du decret du 23 decembre 1810 rela- tives a la mise en ferme de la peche dans les canaux, furent etendues aux rivieres canalisees. Par une nouvelle decision du 13 septembre 1832, « Lorsqu'une riviere aura ete rendue navi- gable par suite d'ouvrages d'art, la location de la peche sera confiee a l'Administration des ponts et chaussees. » 1 Code foresticr suivi de I'ordonnance re'glementaire du code de la ■peche fluviale el du code de la chasse, publie par les soins de la Direction gene- rate des for6ts. — Paris, 1860. PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 045 Une ordonnance du 10 juillet 1835 est venue determiner les parties des fleuves et rivieres et des canaux navigables et flottables, sur lesquellcs la peche doit etre exercee an profit de l'Etat. Un tableau annexe a precise le point ou s'etend l'inscrip- tion maritime. Gette limite a ete modifiee par decret, le 4 juil- let 1853, pour les fleuves, rivieres et canaux compris dans les quatre premiers arrondissements maritimes (Cherbourg, Brest, Lorient et Rochefort). Le 22 decembre 1840, une ordonnance royale fut rendu e pour homologuer deux arretes des prefets du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, ayant pour objet d'interdire dans le Rhin : 1° La peche du Saumonneau pendant les mois de mars, avril et mai de chaque annee ; 2° La peche et la destruction de la femelle du Saumon pen- dant les mois de novembre et de decembre. — Singuliere pre- voyance ! Comme si les males n'etaient pas aussi indispensables que les femelles pour la reproduction de 1'espece. Une ordonnance du 22 fevrier 1842 reduit a 8 millimetres la largeur des mailles des filets destines a la peche des Ablettes et donne aux prefets le soin de determiner dans quels lieux et a quelles conditions ce mode de peche pourra etre exerce. On n'a dit nulle part, si Ton determinait d'abord, comme le voudrait la plus simple logique, la capacite de MM. les prefets sill- ies questions ichthyologiques. Par un decret du 8 mai 1861, la police, le curage et Ame- lioration des cours d'eau non navigables ni flottables furent reunis a l'Administration des ponts et chaussees. On a \u comment peu a peu s'etait agrandie la part du corps des Ponts et chaussees dans le service de la peche. Ge service se trouvait done partage depuis le decret du 23 decembre 1810, 6*6 HISTOIRE DE LA LEGISLATION. er\ations, a des etudes indispensables, qui leur sont toujours de- meurees etrangeres. Deux ou trois exceptions que Ton peut invoquer ne font point disparaitre le fait general. Comment d'ail- leurs ne pasredouter que les ingenieurs, dont le but et le desir sont de faire de belles routes, parfaitement propres, songent peu a menager les frayeres, les refuges, la subsistance des pois- sons et s'inquietent moins encore de suppleer par des moyens artificiels a ce qui manque aujourd'hui? Ce sera peut-etre plus qu'une crainte, si Ton examine chaque jour les travaux en voie d'execution sur nos cours d'eau. 648 H1ST01RE DE LA LEGISLATION. On s'est apergu que les Truites et les Saumons ne devenaient pas tres-communs, malgre les fecondations artifieielles, et le gouvernement a songe a un autre moyen. Le moyen est simple, il consiste a laisser ces especes se propager toutes seules, et a empecher simplement qu'oH ne les inquiete pendant un temps assez long. Une loi a ete presentee au Corps legislatif ; cette loi a ete votee le 15 mai 1865. En voici les principals dispositions. 1° Des decrets rendus en Conseil d'Etat, apres avis des Con- seils generaux des departements, determineront : Les parties des fleuves, rivieres, canaux reserves pour la repro- duction, et dans lesquels la peche des diverses especes de Pois- sons sera absolument interdite pendant l'annee entiere; Les parties des fleuves, rivieres, canaux et cours d'eau dans les barrages desquels il pourra etre etabli, apres enquete, un passage appele echelle, destine a assurer la libre circulation du poisson. 2° L'interdiction de la peche pendant l'annee entiere ne pourra etre prononcee pour une periode de plus de cinq ans. Cette interdiction pourra etre renouvelee. L'article 3 a pour objetles indemnitee aux proprietaires rive- rains ; l'article 4, les decrets a intervenir pour les epoques d'in- terdiction de la peche. 5° Dans chaque departement, il est interdit de mettre en vente, de vendre, d'acheter, de transporter, de colporter, d'ex- porter et d'importer les diverses especes de Poissons pendant le temps oil la peche en est interdite. L'article 6 fait une exception pour le Poisson destine a la reproduction ; l'article 7 est relatif aux penalites ; l'article 9 laisse a des decrets ulterieurs a determiner le mode de verifica- PECHE ET COMMERCE DES POISSONS. 649 tion des filets; l'article 10 precise les conditions de recherche des infractions. Voici pourtant oii en est en France la legislation relative a la peche en 1866. Rien de precis, des lois appelant des ordon- nances ou des decrets pour corriger tout ce qu'elles laissent de vague. Bien des lacunes, bien des fautes ont deja et6 signalees. On n'en a pas tenu compte. En premiere ligne apparaitle soin abandonne al'administra- tion prefectorale de fixer le temps ou la peche doit etre inter- dite, d'autoriser l'etablissement des barrages sur les cours d'eau,etc. l. On comprend aisement les fautes graves quidoivent se commettre. Les prefets en general se montrent assez indiffe- rents auxactes de la vie des Poissons. On interdit dejeter dansles rivieres des drogues, comme dela coque du Levant, dansle but d'enivrer le Poisson , et le croirait-on ? la vente des drogues n'ayant pas d'autre objet se fait dans toutes les communes sans la moindre difficulte, malgre des reclamations plusieurs fois renouvelees 2. A l'egard des engins, des prohibitions sont faites avec toutes sortes de designations, et a l'aide de quelques changements et d'un nom nouveau, on echappe a la loi. G'est en vain que Ton ademande qu'il futdit : Tout ce quirt est pas nominativement permis est defendu 3. Aucune interdiction n'existe, de prendre 1 11 appartient aux prefets, sous l'approbation du ministre de l'lnte- rieur et sauf tout recours des parties interessees devant ce ministre : d'ordonner le curage des canaux et rivieres navigables et flottables, de regler les emplaceuaents des usines, etc. Cormenin, Droit adminis- tratis Cours d'eau. 2 Rapport sur la peche fluviale dans le department de I'Aube. — Soc. d' agriculture, des sciences, arts et belles-lettres de I'Aube, 1851 . 3 Millet, Pisciculture pratique. — Recueil des actes de I'Acade'mie de Bordeaux, 1S56. «50 HISTOIRE DE LA LEGISLATION. les oeufs de poissons, de bouleverser les frayeres, de degarnir les rives de leurs arbres et de leurs arbustes, etc. N'est-il pas temps de songer a donner dans nos ecoles quel- ques-unes de ces notions capables de faire comprendre achacun I'interet de tous? N'est-il pas temps de renoncer a ces arretes, a ces mesures prises dans un departement, negligees dans nn autre, c'est-a-dire a un arbitraire dont les consequences sont faeheuses ? Aujourd'hui nos connaissances scientifiques sur les Poissons des eaux douces de la France sont avancees et seraient bientot tout a fait suffisantes apres certaines etudes locales pour «pie Ton fasse une loi sur la peche, ou tout serait prevu et com- pletement fixe. Oui ; mais qui done redigerait le projet deloi? Nous ne sommes plus au temps ou le Gonseil d'Etat avait dans son sein un naturaliste eminent, qui repandaitdeslumieres dont le souvenir n'est pas entitlement perdu. Ge qui manque pour ameliorer le code de la peche, e'est ce qui [manque aussi pour ameliorer tous les codes concernant les productions na- turelles de notre pays, l'absence d'une connaissance du sujet, chez ceux qui sont charges de preparer les lois. FIN. TABLE ALPHABETIQUE DES INOMS DES P01SSONS A Abbe 365 Ablette (genre) 362 Ablette commune 364 Ablette alhurnoide 366 Ablette hachetle 375 Ablette mirandelle. 369 Ablette spirlin . 37) Abramis (genre) 350 Abramis abramo-rutilus 361 Abramis bjcerkna 359 A bramis blicca 359 A bramis brama 351 Abramis Buggenhagii. 357 Abramis Gehini 355 Abramis Heckehi 357 Abramis Leuckartii 357 Acanthopte'rygiens 125 Acerina (genre) 149 Acerina cernua J51 Acerina vulgaris 151 Acipenser igenre) 50+ Acipenser sturio 505 Acipenseridce (famille) 503 Acipenserides 503 Aiguillon 485 Alburnus (genre) 302 Alburnus a/ but noldes 366 Alburnus bipuncfatus 371 Alburnus dolabratus 375 Alburnus Fabrai 370 Alburnus lucid us 3G4 Alburnus mirandella 3C9 Alosa (geere) 479 Alosa communis 479 Alosa Finta, 481 Alosa vulgaris 479 Alosaou 480 Alose ( genre) 479 Alose commune 479 Ammocete 520 Ammocete lamprillon 520 AmmoccBtes branchial is 517 Amoutelle 282 Anguilla igenre) 490 Anguilla acuiirosiris 497 Anguilla mediomsfris 496 Anguilla latirostris i95 Anguilla obtongirostris 496 Anguilla vulgaris 491 A- guille (genre) 490 Anguille a bee oblong }9<; Anguille ci mmune 491 Anguille a long bee aigu 197 Anguille a bee large 495 Anguille a bee plat 495 Anguille a bee moyen 496 Anguille pimperneau 495 Anguille verniaux 49G Apron (genre) 142 Apron commun 143 Arlequin 411 Aspro (genre) 142 Aspro vulgaris 143 Assee 400 Aubour 400 Aucon iH It Barbarin 303 Barbe 303 Barbeau igenre) 30 1 ISarbeau commun 302 Barbeau meridional 3i3 Barbel 303 Barbet 303 Barbette 281 Barbillon 303 Barbo 303 Barbotle 273, 281, 303 Barbus (genre) 30 1 Barbus caninus 313 Barbus fluviatilis 302 Barbus meridionalis 313 Baitgrundel 282 Bavard 103 Baveuse 255 Becard 451 Bee de-canard 485 Bec-de-canne 485 Becot 485 Becquet 485 Bisgurre 289 Bitterling 347 Blageon 391 Blageon commun 406 1 Les noms frangais et tous les noms vulgaires sont en caractere romain, les noms sciemi- fiques en italique. oo2 TABLE ALPHABET1QUE Blanchaille 365 Blanchct 365 Blennie (genre) 254 Blennie alpestre , 261 Blennie cagnette 255 Blenniidce (famille) 253 Blenniides (famille) 253 lilennius alpestris 2(il Blemv'us cagnota 255 lilennius sujefianus 255 B/ennius vulgaris 255 Blicca 359 Blickes 359 Boroche 372 Botto 103 Bouyeroun? 501 Bouviere (genre) 345 Bouviere commune 340 Breme (genre) 350 Breme bordeliere. . .• 359 Breme de Buggenhagen 357 Breme commune 351 Breme de Gehin 355 Breme Bosse 36 1 Brochet (genre) 482 Brochet commun 483 Biirratschel 337 Brocheton 485 iirouches 485 Buirons 501 «J Cabot 162 Cagnette 255 Cagnetto 255 Cagnota 255 Carassche , 335 Carassin 336 Carassius Gibe/ to 340 Carassius vulgaris 336 Carausche 536 Carousche blanche 331 Carousche noire 336 Carpe (genre) 32 1 Carpe bossue 330 Carpe commune 322 Carpe a cuir 330 Carpe dauphin. 330 Carpe de Hongrie 330 Carpe de Kollar. 331 Carpe a miroir 330 Carpe reine 330 Car j e a tete de dauphin 330 Carpio Kollarii 331 Carreau 331 Cliabaou 153 Chabot (genre) 160 Chabot " .. . 3 161 500 343 277 277 335 343 336 343 340 321 3 50 364 DES NOMS DES .POISSONS. 653 Cyprinus amarus 34 G Cyprinus aurutus 313 Cyprinus Bar bus 302 Cyprinus bipunctatus 3*1 Cyprinus bjacrkna 269 Cyprinus lirarna 35 1 Cyprinus Carassius . . 33G Cyprinus C'irpio , 322 Cypn'nus cephalus 392 Cyprinus coriaceus. , 330 Cyprinus erythrophthalmus 37'/ Cyprinus elatus 330 Cyprinus Gobio 293 Cyprinus GibeHo 340 Cyprinus hungaricus 330 Cyprinus elatus 389 Cyprinus jeses 389 Cyprinus Kollarii 331 Cyprinus leuciscus. 401 Cyprinus macrolepidotus 330 Cyprinus nasus 413 Cyprinus orfus 387 Cyprinus nudus 330 Cyprinus phoxinus 4 1 0 Cyprinus Regina 330 Cyprinus Rex Cyprinorum 330 Cyprinus rutilus 382 Cyprinus specularis 3S0 Cyprinus Tinea 317 Cyprinus toxostoma 413 D Dard 402 Dorade de la Chine 344 Doree 344 Dormille 282 Durgan 315 E Echarde 178 Ellercher 410 Emoutelle 282 Endonnille 282 Endromille 282 Entrecri 1 52 Eperlan (genre) 441 Eperlan commun „ 441 Eperlan de Seine 372 Epinarde 1 78 Epinaude 178 Epinoche (genre) 17 7 Epinoches 213 Epinoche aiguillonne'e 214 Epinoche a queue lisse 225 Epinoche argente'e 232 Epinoche de Baillon. . . 231 Epinoche demi-arme'e 224 Epinoche demi-cuirassee. 222 Epinoche elegante 234 Epinoche neustrienne 220 Epinochettes 23G Epinochette a tete courte 245 Epinochette bourguignonne 240 Epinochette lisse 242 Epinochette lorraine 244 Epinochette piquante 238 Epinglotte 178 Epinocle 178 Erlmg 410 Esocidce (famille) 482 Esocides (famille) 482 Esox lucius 483 Esquale 163 Estanclin 178 Esteclin 178 Estiioun 505 Esturgeon (genre) 504 Esturgeon commun 505 Fario argenteus 468 Fario lemamis 460 Fario Marsiglii 466 Fera 429 Finte 481 Flet 267 Flondre 267 U Gadidce 270 Gadides 270 Ganoides (ordre) 503 Gardon (genre; 38 1 Gardon 383 Gardon blanc 383 Gardon a ailerons rouges 378 Gardon commun 382 Gardon jesse 386 Gardon pale 386 Gardon rouge 37 8 Gardon de Se'lys 386 Gardon rutiloide 385 Gasterosteidce (famille) 1 74 Gasterosteides (famille) 174 Gasterosteus (genre) 177 Gasterosteus aculeatus 214 Gasterosteus Bailloni 231 Gasterosteus argentatissimus . . . . 232 Gasterosteus breviceps 215 Gasterosteus burgundianus 240 Gasterosteus elegans 234 Gasterosteus leiurus 2;' 5 Gasterosteus Iwvis 242 Gasterosteus lotharingus 244 Gasterosteus neustrianus 220 Gasterosteus pungitius 238 Gasterosteus serniarmafus 224 Gasterosteus semiloricatus 222 Gibele 340 Gobio (genre) 293 Gobio fluviaiilis 293 Gobio obtusirostris 298 Goeifon 295 654 TABLE AI.PHAHKTIQUE GoilTbn 295 Goffi 295 Goujon-Perchat 1 51 Goujon (genre) 293 Goujon de riviere 293 Goujon a tete obtuse 298 Grande-Moutelle 28G Gravelet 402 (Jravenche 432 Gravier 411 Gremeuille .. 151 Gremille (genre) 149 (iremille commune 151 Gressling 595 Grilse 452 Grundel 282 (iriindlin..' ' 282 II llachette 375 llautin , 435 I'otu 414 "outing 433 Me (genre) 3S8 Me melanote 389 Idus igenre) '..'..'.'. 388 Jdus melanotus 389 .luene 393 Karausche 33g Kaulbarsch _ 152 Kautzenkopf K,3 £elt .'.'.' .'.".' 463 K<>PPe 163 Koppen 163 Kressen 295 Kutt. Lamprillon 51 Lamproie (genre, ... Lamproie fluviatile Lamproie marine .. Lamproie de Planer ..'..' Lamproyon Lanceron Lauch '_'/.', Lauge Lava ret Leuciscus (genre) Leuciscus Agasstzii Leuciscus uphya ...... 152 l,5:0 510 515 512 517 511 282 305 365 425 381 406 406 364 405 359 37 5 293 392 37 7 386 406 386 386 385 382 386 401 372 3,282 285 289 28(1 281 41J 37 2 271 272 281 271 272 372 372 Leuciscus alburnus Leuciscus burdigalensis Leuciscus blicca Leuciscus dolabratus. . ...... Leuciscus gobio Leuciscus ctobula ...'.'. Leuciscm erythroph thalm us. ', Leuciscus j'eses Leuciscus muticellus . '. Leuciscus pal/ens '.'.' '. Leuciscus prasinus ' . , Leuciscus rutiloides ........ Leuciscus rutilus Leuciscus Se/i/sii ..*.."..' Leuciscus vulgaris Lignotte.. Linotte ......Vie Loche de riviere Loche d'e'tang ..." Loche tranche .. . . Lochou . Loque Lorette lota (genre) '.'..'.'. Lota vulgaris \\ Lotcho "m\ ' Lote (genre) ' . . ...... Lote commune '.'. Lugnotte '.'..'.'. Lurette .........'. II Malacopte'rygiens (ordrcj 26 i Me'saigne 372 Me'seine ,' 37.1 Meunier 393 Mirandelle .'.'..'. 369 Missgurne 289 Moteuille '.'..'.'.'.'.'.'.' 282 Moteulle 282 Moustache 281 Moutelle '.'.'.'.'.'.'.'.'.'.'. 282 M"ge 247 Muge cipiton 248 Muge cephale ... .'. 251 Mugil (genre' 247 Mugil capilo 248 Mugil cephalus 251 Mugilidee (famille) 246 Mugilides (famille) 246 Mullet 4|(, Murenidce (famille)..,! ...... 489 Murenides (famille) 489 Murcena Anguilla 491 Murgrundel ... 289 Mustele ....'.' 273 Mustelle 282 1% £abl° 365,37 1 Nase '4,3 DES NOMS DUS POISSONS. 655 o Og'er KS-2 Omble-Chevalier 444 Ombre (genre) 430 Ombre commune 437 Osmerus 4 4 j Osmerus Eperlanus 441 Outil 436 Parr ,52 Perca (genre) 129 I'erca fluviatilis 130 Perche (genre) 1 29 Perche goujonnee 151 Perche de riviere 130 Perche des Vosges 140 Perchettes 133 Percidce (famille) 1 2C Percides (famille) 12C Pe'teuse 340 Petit Barbot 281 Petromyzon (genre) 510 Petromyzon fluviatilis 515 Petromyzon marinus 612 Petromyzon Planeri 617 Petromyzonidce 510 Petromyzonides 510 Phoxinus (genre) 409 Phoximus Icevis 410 Picaud 2C7 Picot 178 Pimperneaux 495 Platet 372 Pleuronecte (genre) 2CG Pleuronectidce (famillei 205 Pleuronectides (famille) 265 Pleuronecte Flet 207 Pleuronectes flesus 257 Poignard 485 Poisson rouge 343 Poissonnet 404 Poissons cartilagineux 503 Poissons osseux 125 Quappe 273 It Rhodeus (genre) 345 Rhodeus amarus 34(3 Roche 378, 38.1 Ronzon 404 Rosse 378, 383 Rossette 378, 383 Rostre 404 Rotengle (genre) 370 Rotengle 378 Rotengle commune 377 Rothauge 378 nottel 383, 4„2 Rousse 38.{ Rnllblk. 272 Rutte 273 S Salar Ausonii Solar Baillonii Salar lacustris Salar Schiffermiilleri, Salmo (genre) Salmo E/terlanus Salmo hamatus Salmo Lavaretus Salmo lemanus Salmo oxyrhynchus... Salmo Salar Salmo Salmo Salmo salvelinus Salmo Thymallus . . . . Salmo Trutta Salmo Umbla Salmo Wartmannii . . Sa Imonidce ( fa m i 1 1 e) . . Salmonides (famille). . Samlet Sammling Sardine Satouille 280, Saumon (genre) Savetier Scardinius (genre) Scardinius erytlirophthalmus. . . . Schiff Schlambeisser Schneiderkarpfchen Scie Sechot Sergent Setge Seuffle 305, Seuffre Seufle.. Seyche Siege Schroll Smolt Soafe Soffi Soflio Sorcier 149, Spinarella Spinobe Spirlin Spirlin Spissert Squad m (genre) Squalius Ayussizii .... Squalius bearnensis Squalius burdigalensis Squalius cephalus 473 475 460 406 443 431 451 426 460 433 448 448 444 437 40(1 4)4 425 422 42V 4r-0 450 309 517 443 179 370 377 4 1 i 289 347 419 105 378 419 414 414 421 118 419 152 i52 421 408 421 163 178 178 371 371 178 390 406 400 405 392 656 TABLE ALPHABETIQUE Squalius chalybceus 404 Squalius clathraius 398 Squalius dobula 392 Squalius lepusculus 401 Squalius lancastriensis 404 Squalius leuciscus 40 1 Squalius majalis 404 Squalius meridionalis 39G Squalius rorlens 404 Squalius rostvatus 404 Steinbeisser 286 Sucet 517 Suiffe 402 Trogou 295 Truite (genre) 464 Truite de Baillon 47 5 truite commune 472 Truite des lacs. 465 Truite de mer 468 Truite saumonnee 468 Trutta (genre) 464 Trutta argentea 4C8 Trutta fario 472 Trutta lacustris 465 Trutta Trutta 468 T Tanche (genre) 316 Tanche commune 317 Telestes , 391 Telestes Agassizii 406 Telestes Savignyi 408 Testard 163 Testu 163 Tele d'ane 163 Thymallus (genre) 436 Thymallus gymnothorax 437 Thymallus vexil lifer 437 Thymallus vulgaris 437 Tinea (genre) 316 Tinea vulgaris 317 Tregou 295 Trigan 295 Vairon 388 Vairon (genre) 409 Vairon commun 410 Vandeze 402 Vandoises 391, 401 Vandoise Aubour 400 Vandoise bordelaise 405 Vandoise commune • 401 Veiroun 410 Vergnole 410 Viroun 410 Vengeron 386 Verniaux 496 \eron 402 Vilain 393 Vilna 393 Vilnachon 393 FIN DE LA TABLE ALPHABETIQUE. ERRATA. Page 431, ligne IS. II fraye sur les herbes. Lisez : 11 fraye sur les graviers. Page 597, ligne 28. Note. Lisez : Journal d'agricullure pratique, annexe 1858, t. I, p. 15* C.orbeil, typogr. et ster. de CnfiTfi. Date Due 3 2044 072 193 048