Bibliothèque de Culture générale LOUIS ROULE Professeur au '.lusénm national d'Histoire naturelle Les poissons migrateurs leur vie et leur pêche UN IMPORTANT PROBLÈME D'HISTOIRE NATURELLE OCÉANOGRAPHiaUE ET ÉCONOMiaUE «AR 19 1953 QL 639 ^ .R6 l\ PARIS NEST FLAMMARION, ÉDITEUR 26, BOE RACINE, 26 niile f-£BTF^^'•'«' '^IRIAX r~ eO 3- /HOI MBL/W a □ m a □ — (î) 1930 6ift of Richard H. Backus May, 1988 Les poissons migrateurs leur vie et leur pêche PUBLICATIONS GÉNÉRALES DU îiEME AUTEUR COURS DE ZOOLOGIE GÉNÉRALE ET MÉDICALE, rCCUeilli par MM. A. Suis et L. Jammes ; Toulouse, Ed. Privât, 1'* et 2' éditions, 1889-1894. COURS d'embryologie générale [Bibliothèque des Sciences con- temporaines) ; in-12, Paris, C. Reinwald et C", 1893. COURS d'embryologie comparée, avec 1014 figures dans le texte ; in-8, Paris, C. Reinwald et C'% 1894. COURS d'ANATOiMIE comparée des ANI3IAUX BASÉE SUR l'eMBRYOLOGIE [les formes des Animaux, leur début, leur suite, leur liaison), avec 1202 figures dans le texte ; in-8, Paris, Masson et C", 1898. bulletin de la station de PISCICULTURE ET d'bYDROBIOLOGIE DE l'université DE TOULOUSE, sulvi du Bulletin populaire de la pisciculture et des améliorations de la pêche (avec la colla- boration de M. D. de BouviUe) ; Paris-Toulouse, Baillièrc- Privât, 1904-1910. traité raisonné de la PISCICULTURE ET DES PÊCHES, aVGC 301 figures dans le texte ; in-8, Paris, J.-B. Baillière, 1914. IMPRIMERIE DE LAGNY Bibliothèque de Culture générale. LOUIS ROULE PROFESSEUR AU MUSÉUM NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE Les poissons migrateurs leur vie et leur pêche UN IMPORTANT PROBLÈME D'HISTOIRE NATURELLE OCÉANOGRAPHIQUE ET ÉCONOMIQUE BîOlGGiCAL LUU,r\RY \ WDODc; HGLt, MASS. l ■ VI H. 0. I. l ..__^.J PARIS ERNEST FLAMMARIOiN, ÉDITEUR 26, RUE RACINE, 26 Tous droits de traduction, de reproJuctioa et d'adaptatioa réservés \,1 pour tous les pays. ihK 19 1953 Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays. Copyright 1922, by Ernest Flammarion. INTRODUCTION Il est en histoire naturelle des problèmes dont l'attrait, plus vif que celui de beaucoup d'autres, ou plus sensible à des personnes plus nombreuses, éveilla de tout temps une attention constante et sou- tenue. Tel est celui des poissons migrateurs. Que sont ces voyageurs du monde aquatique, que l'on voit apparaître par bancs et disparaître à des époques fixes, se montrer un temps, puis partir sans retour jusqu'à l'année d'après? D'où viennent-ils, et dans quel but se déplacer ainsi? Qui les pousse et les conduit? Pourra-t-on toujours puiser en eux sans réserves un aliment dont nous profitons? Autant de questions qui intéressent à la fois le naturaliste, l'économiste, lo pêcheur. Il n'est pas jusqu'aux juristes et aux socio- logues qui ne se sentent touchés par la considération des anciennes associations de pêche. Même le grand public s'intéresse volontiers au récit de ces migra- tions remarquables, dont certains épisodes, en sus de la curiosité satisfaite et de l'enseignement reçu, figu- reraient aisément parmi des relations de voyages ou d'aventures. Je m'occupe depuis longtemps de ces questions importantes, ou du moins de celles que le naturaliste VI INTRODUCTION peut étudier et traiter. A mon point de vup, le pro- blème des migrations se présente comme un enchaî- nement sérié, régulier, d'habitats successifs, dont il s'agit d'établir les limites et de trouver la raison. C'est dans ce sens que j'ai dirigé mes recherches. Je les ai exposées en détail dans plusieurs publications spéciales. Je l<-s ai résumées et mises à leur place dans mon Traité raisonné de pisciculture et de pêche, paru au début de 1914. Mais je ne les avais pas encore rassemblées en un corps doctrinal, les envisageant seules pour tirer d'elles leur substance principale. C'est à cet objet que le présent ouvrage est destiné. J'ai rédigé ce petit volume de manière à le rendre accessible à tous. Un livre de culture générale nedoii rebuter, ni par une langue trop technique, ni par une exposition trop minutieuse et détaillée. Il lui faut, à chaque page, s'ouvrir sur la science entière, et entraîner avec lui l'esprit de son lecteur. J'ai donc éliminé le secondaire pour ne retenir que l'essentiel, où peu de lignes souvent suffisent à l'expression entière. Une liste bibliographique, à la fin de l'ou- vrage, donne les indications nécessaires aux per- sonnes désireuses d'approfondir ou de compléter. Ses références sont doubles : les unes s'adressent à des travaux de techniciens, les autres à des œuvres de biologie générale, ou même de philosophie naturelle. Les deux, ainsi juxtaposées, montrent nettement, par cette alliance, toute la grandeur du problème envisagé, qui, sur ses bases de patientes recherches, se dresse au plus haut des conceptions actuelles sur l'histoire des êtres vivants. Février 11)22. Les poissons migrateurs leur vie et leur pêche CHAPITRE PREMIER Considérations préliminaires sur les migrations chez les poissons. 1. Poissons sédentaires et poissons migrateurs. — II. Notions déjà acquises sur les migrations. — III. Notions à acquérir et plan de l'ouvrage. I POISSONS SÉDENTAIRES ET POISSONS MIGRATEURS 11 est de connaissance usuelle que les espèces de poissons, dans la mer comme dans l'eau douce, ne se comportent pas de la même façon. Les unes se montrent en tout temps, et en chaque saison, pendant l'année entière; on peut donc les qualiiîer de sédentaires ou de permanentes. Les autres, par contre, n'apparaissent qu'à de certaines époques et en certains lieux ; se montrant par intervalles, et non de manière continue, elles méritent les termes de périodiques, ou de migratrices, ou encore de sai- sonnières, dont on se sert souvent à leur égard pour 8 LES POISSONS MIGRATEURS mieux accaser leur allure de poissons voyageurs et intermittents. Ces dernières diffèrent donc des précédentes avec netteté. Tandis que les poissons sédentaires demeu- rent avec constance dans leurs lieux ordinaires d'habitat, les poissons voyageurs n'y restent que pour un temps parfois assez court. Les industries de pêche à l'égard de ceux-là peuvent s'exercer avec continuité pendant l'année entière, ou pendant sa plus grande partie, alors qu'elles n'ont capacité d'ac- tion sur ceux-ci que durant une période limitée et ne dépassant guère une saison. De plus, ces espèces saisonnières se présentent habituellement par bandes considérables, formant ce que l'on nomme souvent des bancs ou des radeaux de poissons, et peuplent en abondance, lorsqu'elles y sont, des eaux presque désertes avant leur venue comme après leur départ. Il y a là, grâce à ces afflux momentanés, une sorte de rendez-vous de pêche, auquel les pêcheurs s'em- pressent d'accourir. Leur travail prend, de ce fait, une disposition qui lui est propre, et qui se modèle sur l'objet auquel il s'applique. La pêche aux pois- sons sédentaires est permanente comme eux ; par contre, celle des poissons voyageurs est saisonnière à leur image. Elle a lieu à des époques fixes, régu- lières, toujours les mêmes chaque année dans leur ensemble, et ne saurait, dans les circonstances natu- relles en cause, avoir lieu d'autre façon. Par surcroît, ces venues périodiques sont celles d'individus fort nombreux. Elles amènent en fouie aux engins des pêcheurs un gibier de pêche abondant, souvent réputé. Il suffit de rappeler les principales espèces qui le composent suivant les époques et les pays : Morues, Harengs, Sardines, Maquereaux, Thons, Saumons, Anguilles, pour souligner leur importance, qui est extrême. Ces poissons ont, dans l'alimentation CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 9 de tous les peuples, une valeur prépondérante. Les industries de pêche montées pour leur capture emploient dfs moyens qui dépass-ent de beaucoup ceux des autres formes de l'exploitation piscicole. Les barques armées à leur intention s'évaluent par milliers, les marins par dizaines de mille, les rende- ments par centaines de millions de francs. La pêche à la Morue, l'une des plu.s fortes, occupe annuellement, dans les seuls parages de Terre-Neuve, près de 6,000 navires montés par 200.000 pêcheurs. La pêche au Hareng ne lui est guère inférieure. Dans notre pays, plusieurs ports de la côte, Concarneau, Les Sables, Douarnenez,et bien d'autres, tirent leurs principales ressources de la pêche de quelques espèces saison- nières, la Sardine et le Thon. Leur vie s'anime, à ces époques, de l'entrée et de la sortie des barques, des scènes de la capture et de la vente du poisson, alors qu'elle reste, dans les intervalles, plus calme et moins affairée. L'importance économique des espèces périodiques ne s'arrête pas à leur pêche seule, ni à leur marché. La quantité parfois énorme des individus capturés en peu de temps dans un même lieu dépasse tellement les besoins de la consommation courante que l'on a été conduit, de longue date, à tenter de conserver, par l'aide de procédés convenables, la plus grande masse d'un tel produit de l'exploitation des eaux. Cette industrie des conserves de poissons, entièrenvent consacrée aux espèces périodiques qui seules sont capables de la fournir en suffisance, est actuellement, dans bien des pays, l'une des plus riches -et des plus florissantes qui soient. Les Morues salées, les Harengs fumés, les boîtes de Thon, de Saumon, de Sardine, donnent à l'alimentation usuelle, sur le globe entier, une contribution toujours appréciée. Ces venues saisonnières exercent au surplus, sur 10 LES POISSONS MIGRATEURS l'existence et le genre de vie des pêcheurs, une action des plus fortes. L'année se divise pour eux en un certain nombre de parties, dont chacune s'emploie à un labeur déterminé, pour lequel on prépare d'avance les barques et les engins. Dans la Manche, sur nos côtes, l'hiver est la saison de la pêche du Hareng, l'été celle de la pêche du Maquereau. On connaît l'embarquement, à dates fixes, pour les pêches de la Morue et du Hareng, de pêcheurs nom- breux à Paimpol, à Saint-Malo, à Fécamp, à Bou- logne, qui partent chaque année dans les mois de la pêche, et reviennent ensuite au pays. Le rythme régulier des apparitions et des disparitions du pois- son poursuivi détermine celui du travail de ses pour- suivants, et le règle en conséquence, donnant ainsi à l'existence des gens de mer une allure spéciale, que les autres métiers ne connaissent pas, ou connaissent moins. Il en est de même pour les espèces des eaux douces, avec ce caractère propre, et supplémentaire, que les individus suivent chaque année le même chemin en deux sens différents. Dans l'un, ils remontent la rivière contre le courant ; ils le descendent dans l'autre. Le Saumon, arrivant de la mer dans un fleuve, com- mence par effectuer sa montée, et se dirige vers les régions hautes du bassin fluvial, où il pond ; après quoi, la ponte accomplie, il effectue le même trajet en sens inverse, et fait sa descente pour retourner aux eaux marines. L'Alose agit de même. Ces dépla- cements en directions opposées ont lieu à des époques fixes. L'Alose, dans un très grand nombre de dialectes d'Europe, est dite le «Poisson de Mai » parce qu'elle remonte au printemps. Certaines catégories de Sau- mons sont nommés des « Madeleineaux », ou des « Saumons de Saint-Barthélémy », ou encore des « Poissons de Saint-Jacques », parce que leurs dates CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 11 habituelles d'apparition sont aussi celles de ces fêtes du calendrier. II NOTIONS DÉJÀ ACQUISES SUR LES MIGRATIONS Comme je l'ai exposé dans mon Traité de la 'pis- ciculture et des pêches, plusieurs circonstances s'as- semblent, dans ces voyages au sein du monde aqua- tique, pour impressionner et pour frapper l'esprit : d'abord la venue en grand nombre de poissons d'une même espèce dans un lieu qui, jusque-là, en était privé ; ensuite la succession de ces troupes, ou bancs, selon un ordre constant ; enfin la régularité de ces apparitions et de ces disparitions. La pensée humaine procède volontiers par association et par compa- raison. Aussi lui semble-t-il acceptable, au premier abord, d'admettre queces bandes successives provien- draient du morcellement d'une troupe considérable, qui effectuerait un long voyage en se scindant et se subdivisant à mesure. Chaque année, les espèces voyageuses entreprendraient une migration à longue portée. Elles franchiraient les mers, et suivraient une route fixe, de manière à se montrer aux mêmes époques dans les mêmes localités. Chemin faisant, elles diviseraient leurs bandes en colonnes qui se morcelleraient à leur tour; et les pêcheurs tendraient leurs engins sur le chemin ainsi parcouru, pour tirer parti de ces formidables assemblages d'individus par millions et par milliards. Cette notion de migration lointaine, vers laquelle on incline en s'arrètant au premier aspect des choses, a séduit l'esprit depuis l'antiquité. L'attrait du mer- veilleux exerce ici son action. La pensée évoque 12 LES POISSONS MIGRATEURS volontiers le spectacle de ces bandes multiples qui parcourent les mers ; elle tâche de se le représenter et de lo suivre dans son ampleur. 11 lui suffit de se rappeler ce que l'on voit directement chez les Mam- mifères et les Oiseaux voyag^^urs ; puis de l'amplifier, de le hausser au degré où s'élève l'immensité marine avec la pullulation des êtres qu'elle entretient ; et de construire ainsi une image présumée ressemblante de ce que nous cache le monde aquatique, et qu'il contient pourtant. Aussi n'est-il pas étonnant que l'on ait voulu dresser un relevé de ces voyages et la carte du parcours effectué. Plusieurs naturalistes du xviii* siècle ont même construit sur ce sujet des théories complètes, s'appli- quant à tous les cas. D'après eux, quelques espèces, comme les Morues et les Harengs, passeraient l'hiver sous les glaces de l'Océan arctique ; puis, au prin- temps, leurs bandes descendraient vers le Sud, se morcelleraient chemin faisant, se diviseraient en un certain nombre de troupes secondaires qui suivraient des directions diverses ; finalement elles arriveraient, pour s'y faire prendre, sur les côtes occidentales de l'Europe et sur les rives orientales de l'Amérique du Nord. Inversement, d'autres espèces, comme les Sar- dines et les Thons, hiverneraient dans les régions tropicales de l'Océan Atlantique ; après quoi, toujours au printemps, leurs bandes remonteraient vers le Nord en jetant des essaims dans la Méditerranée. C'est ainsi que tous les pays de pêche recevraient chaque année, aux époques fixées, leur provende habituelle. Nombre de praticiens et de naturalistes adoptent encore, sinon entièrement, du moins de façon impli- cite, cette notion migratrice, et cette idée d'un long voyage partant d'un centre unique pour s'étendre peu à peu au loin tout en s'éparpillant. Pourtant, les CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 13 études océanographiques récentes, depuis une ving- taine d'années, ont peu à peu détruit l'édifice de jadis. Ces études sont difficiles et délicates ; mais leurs résultats, quoique incomplets parfois, ont toute- fois leur valeur, qu'il est aisé d'ores et déjà de brièvement résumer. Les déplacements sellent souvent aux étapes delà croissance des individus, depuis les jeunes nouvelle- ment éclos jusqu'aux adultes. Pour avoir une con- naissance suffisante de ce phénomène, il faut employer des moyens spéciaux d'investigation, dont il serait superflu de se servir chez la plupart des animaux terrestres que l'on a directement sous les yeux. Ainsi de l'examen des écailles pour connaître l'âge des poissons. Ces dernières, qui grandissent en même temps que l'individu qu'elles recouvrent, le font par l'apposition successive de couches concentriques, comme il en est pour le bois des troncs d'arbres. On peut donc, en comptant ces couches, en considérant leur taille ou leur disposition, acquérir sar l'âge, et sur les épisodes de la croissance, des renseignements souvent exacts. Quant aux déplacements en eux-mêmes, s'il est nécessaire de connaître leur ampleur réelle et leur véritable direction, on peut y arriver par le marquage d'individus-témoins. On prend, sur les lieux de pêche d'une espèce déterminée, plusieurs individus en bon état de vie, et on les marque en fixant sur certaines parties pouvant supporter la blessure sans inconvé- nient, comme les nageoires, une plaque de métal ou d'ébonite, portant un numéro d'ordre ; après quoi, on les remet à l'eau, et on les abandonne à leur sort naturel, en avisant du fait les pêcheurs de la région, ceux des pays limitrophes, et les priant de renvoyer à l'auteur des recherches les poissons marqués qu'ils pourraient capturer. Ces expériences ont donné d'ex- 1-4 LES POISSONS MIGRATEURS cellents résultats. Si des individus-témoins ont dis- paru sans laisser de traces, on a pu cependant on recueillir quelques-uns, après plusieurs mois ou même plusieurs années d'intervalle, et obtenir par eux sur les voyages des poissons, sur leur étendue et leur durée, des renseignements précieux et assurés. La liaison de ces études spéciales aux recherches ordinaires des naturalistes sur l'organisation, le développement, la biologie des espèces considérées, permet dès aujourd'hui d'aboutir à des conclusions certaines. L'investigation scientifique, avec sa préci- sion, a mis de l'ordre où il n'en existait point. Les partisans des théories migratrices se basaient autre- fois, et se basent encore, sur la présomption d'une succession régulière des dates et des lieux d'appari- tion, où les circonstances semblent s'offrir comme si la colonne en migration suivait uae direction déter- minée, et se montrait successivement de place en place selon l'ordre de marche. Or, les faits réels ne s'accordent guère avec cette supposition. Fréquem- ment les bancs d'une même espèce se montrent à la fois dans des localités éloignées les unes des autres, et assez distantes pour les empêcher de se joindre si rapidement. Beaucoup d'espèces périodiques com- prennent plusieurs races distinctes, établies dans des régions déterminées, qu'elles ne quittent point, où elles accomplissent tous leurs voyages. Les grandes migrations complètes de l'espèce entière n'ont donc aucune raison d'exister. On sait aujourd'hui qu'un bon nombre de poissons voyageurs se bornent à se déplacer, sur les lieux de pêche ou non loin d'eux, de la profoi'hdeur de l'eau vers la surface, et du large vers la côte. Un natura- liste des Etats-Unis, Brown Goode, a déterminé, depuis près d'un demi-siècle, et qualifié, les deux sortog de cette translation. Il a nommé balhyque ou CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 15 verticale celle qui conduit verticalement l'individu du fond de l'eau vers la côte ou inversement; il a dési- gné l'autre, qui va du large vers la côte ou vice- versa, par les termes de lillorale ou horizontale. Tantôt les deux sont séparées et distinctes l'une de l'autre; tantôt elles s'associent à divers degrés. A cela seul se bornent souvent les voyages ordinaires de la pla- part des espèces, comme les Sardines et les Maque- reaux, dont toute la capacité de déplacement se dé- pense dans un espace assez limité. Ailleurs les voyages principaux sont destinés à assurer la reproduction et la ponte, qui ont lieu en mer dans des lieux déterminés ; tel est le cas dos Gades et des Thons. Les individus accourent parfois de loin vers ces localités, et s'y ass.'mblent en grand nombre : c'est la migration de rassemblement, ou de concentration. Puis, la ponte accomplie, les bancs se morcellent, les poissons se séparent et s'éparpillent en retournant isolément aux lieux d'où ils étaient partis : c'est la migration de dispersion. III NOTIONS A ACQUÉRIR ET PLAN DE l'ODVRAGE Tel est, résumé dans ses grands traits, l'état pré- sent des données générales acquises à la science sur les poissons voyageurs. Il contient encore des incon- nues nombreuses. Quelle est, au juste, cette qualité spéciale, cette faculté de déplacements réguliers que montrent ces poissons, et que les autres n'ont pas, ou possèdent moins? Qui la déclanche au moment voulu, et détermine son apparition ? Qui la règle et la conduit d'une façon aussi peu variable, chaque 16 LES POISSONS MIGRATEURS espèce ayant en cela sa nature propre? Quelles sont ses limites dans le temps et dans l'espace? Enfin, ces êtres ayant une valeur considérable pour notre éco- nomie alimentaire, comment nous comporter à leur égard afin de les utiliser au mieux sans leur nuire, et quelle doit être notre règle de conduite personnelle vis-à-vis d'eux ? Le problème des poissons voyageurs se trouve ainsi posé dans ses termes divers. II contient une part océanographique, qui concerne ces poissons mêmes, et une part économique qui regarde la méthode des pêches à eux adressées. II peut différer par ses détails d'une espèce à l'autre, mais sa posi- tion est identique chez toutes. Ses solutions, telles qu'elles me semblent s'affirmer aujourd'hui, sont exposées dans les chapitres suivants. On reconnaît, dans l'ensemble, trois catégories principales de ces poissons. L'une d'elles, la plus caractéristique, a pour type le Saumon. Ses espèces partagent leur existence entre les eaux douces et les eaux marines, se rendent des unes aux autres en effectuant des voyages à longue portée. Elles pondent leurs œufs dans les eaux douces, mais effectuent dans la mer leur croissance presque entière. L'Alose, l'Es- turgeon, la Lamproie font comme le Saumon. J'ai désigné ces espèces par le terme qualificatif de Poia- motoques (de TtoTapLoç, eau douce, et toxo;, enfante- ment) destiné à souligner leur qualité spéciale à cet égard. Une deuxième catégorie, tout aussi remarquable^ est celle de l'Anguille. On retrouve en elle cette vie en partie double dans la mer et l'eau douce, et ces voyages étendus, mais avec une distribution diffé- rente : la ponte a lieu dans les eaux marines, et la croissance de l'individu dans les autres. En consé- quence, j'ai choisi pour elle le terme de Thalasso- CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES 17 toque (de OaXxaca, mer, et to-/.o;, enfantement), afin de préciser cette disposition caractéristique. La troisième catégorie, la plus nombreuse mais la moins complexe, est celle des espèces voyageuses dont les déplacements s'accomplissent dans le même milieu, soit la mer, soit l'eau douce, et qui effectuent leur ponte et leur croissance dans ce milieu unique sans jamais le quitter. Le va-et-vient des potamo- toques et des thalassotoques, se dirigeant de la rivière à l'Océan, ou inversement, leur fait défaut d'entière façon. Certains de ces poissons d'un seul milieu vivent en eau douce, comme les Gorégones des grandes nappes lacustres. La plupart habitent la mer, où leur capacité de déplacements a moyen de s'étendre tout à son aise. C'est parmi eux que se trouvent le Thon, le Maquereau, la Morue, le Hareng, la Sardine, et plusieurs autres, dont la pêche compte au premier rang des grandes industries maritimes. Ils apparaissent chaque année, dans les mêmes lieux, à des intervalles périodiques observés aussi par les pêcheurs pour leur travail. Leur venue est saison- nière en somme. Le rythme des saisons règle celui de leur apparition et celui des occupations qu'elle entraîne. Le terme de poissons Saisonniers, que leur appliquent souvent les praticiens de la pêche, mérite donc de les désigner. Les chapitres successifs de ce livre sont consacrés, dans leur ordre, à ces trois catégories, pour étudier en chacune d'elles les divers termes du problème général. Le Saumon ouvre la série. Son cas étant l'un des plus compliqués et des mieux connus, il permet d'élucider les premières données, qui con- duisent aux autres. Il peut servir de mesure pour évaluer ce que l'on constate ailleurs. Ceci terminé, les deux derniers chapitres expose- ront, du point de vue océanographique d'abord, du 18 LES POISSONS MIGRATEURS point de vue économique ensuite, les solutions géné- rales qui, sur cet important problème posé depuis l'antiquité, méritent désormais d'être prises en con- sidération. CHAPITRE lï Le Saumon, ses migrations et les migrateurs potamotoques. I. Le Saumon. — II. Les Salmonidés. — 111. La montée et la ponte. — IV. L'alevin et la descente. — V. La croissance en mer. - VI. Diversité de la montée — VU. Truite de mer et Truite des lacs. — VIII. Les Aloses. — IX. Esturgeons et Lamproies. I LE SAUMON Le Saumon offre le type accompli de ce que l'on nomme d'habitude un poisson migrateur, c'est-à-dire astreint à des voyages étendus, réguliers, détermi- nés. Il nait en eau douce, où ses parents ont pondu l'œuf dont il provient. Il passe aux lieux de sa nais- sance une première période juvénile de sa vie, où il n'est encore qu'un alevin. Il descend ensuite à la mer, effectuant ainsi un premier voyage dirigé des eaux douces vers les eaux marines. Il habite alors ces dernières pendant une durée variable, toujours longue, et trouve en elles seules le moyen de subve- nir aux demandes de son prodigieux appétit. Après 20 LES POISSONS MIGRATEURS quoi, repu, prêt à la ponte, il fait un second voyage en sens inverse du premier, et quitte l'Océan pour la rivière. Ce nouveau déplacement, dont le but est la reproduction, l'astreint à remonter le cours des fleuves pour parvenir dans les plus petits affluents, où il installe enfin ses frayères. Son existence, sou- vent, se termine alors. Ces deux voyages ainsi disposés, comportant une descente et une remonte des cours d'eau, sont le propre des Saumons, et des espèces migratrices qui, comme eux, pondent en eau douce tout en s'alimen- tant et en grandissant dans la mer. Leur vie est divi- sée en deux parts : l'une, réservée à la croissance principale de l'individu, se passe dans les eaux marines ; l'autre, vouée à la reproduction, n'a lieu que dans les rivières. Le résultat en est cette nécessité de migrations obligeant l'être à se déplacer d'un lieu dans un autre, afin de trouver à chaque fois le régime convenable. Les Saumons ne sont pas les seuls dans leur catégorie. A côté d'eux figurent certaines variétés de Truites, les Aloses, les Esturgeons, les Lamproies, et quelques autres. Ainsi le cas du Saumon, tout remarquable qu'il paraisse, n'est pas unique. Mais il tire une considéra- tion particulière de ce qu'il accentue grandement ce que l'on observe par ailleurs. Dans le tableau de la migration, il pose des touches plus nettes et plus fortes. 11 pousse sa montée jusqu'aux petits ruisseaux de tête des bassins fluviaux, où il s'introduit, alors que les Aloses, les Esturgeons, les Lamproies, s'avancent moins loin. Au lieu de borner cette montée à une durée de quelques semaines, il lui fait embras- ser plusieurs mois, ou même l'année presque entière. Les jeunes alevins, après leur éclosion, loin de des- cendre hâtivement à la mer, séjournent en eau douce pendant deux années parfois. Enfin la croissance en LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 21 eau marine, d'une rapidité et d'une intensité inouïes, dépasse la moyenne habituelle de la plupart des autres poissons. Du reste, l'individu ne se borne pas à croître ; il accumule en outre, dans ses tissus, d'abondantes réserves nutritives, qu'il assimilera plus tard, pen- dant son séjour en rivière. L'Océan, pour lui, n'est pas seulement un habitat, mais encore un garde-man- ger bien garni, dont il profite pour se gaver, pour s'entretenir dans le présent, et se ménager l'avenir. Aussi le problème de la migration est-il posé par là d'une manière plus nette et moins confuse qu'ailleurs, tellement chacune des périodes se détache des autres et se précise dans son état. 11 LES SALMONIDÉS Le Saumon, Salmo salar Linné de son nom scienti- fique, appartient au genre Salmo et à la famille des Salmonidés. Il représente, dans cette dernière, l'un des typt's principaux d'une tribu, celle des Salmoni- diens, caractérisée par les grandes dimensions de la bouche, et par l'ampleur de la mâchoire supérieure, souvent aussi longue que l'inférieure, ou même débordante. Cette bouche, fortement armée de dents solides, explique la voracité de ces poissons et leurs mœurs rapaces. Le Saumon doit être dans la mer comme est la Truite dans les eaux douces : un chas- seur émériteet une bête de proie. Cette comparaison se présente d'elle-même à l'es- prit, car la Truite, ou plutôt les diverses variétés de la Truite, appartiennent, comme le Saumon, au genre 22 LES POISSONS MIGRATEURS Salmo. Les ressemblances entre ces êtres sont fort étroites. La Truite ordinaire d'Europe {Salmo fario Linné) présente volontiers, selon son âge et ses lieux d'habitat, des dispositions différentes. Une de ses variétés, la Truite des lacs {Salmo fario lacusiris L.), parvient, dans les eaux lacustres, à une taille presque égale à celle du Saumon. Une autre variété, la Truite de mer {Salmo fario trutta L,), descend à la mer comme le Saumon, lorsque les circonstances s'y prêtent. Il paraît en délinitive que Truites et Saumon, ou que le genre Salmo dans son ensemble, ne composent qu'un seul groupe, où voisinent plusieurs formes capables de modifier leur allure générale selon les conditions de milieu, et valant plutôt comme variétés d'impor- tances inégales, que comme espèces égales, distinctes, tranchées. Le Saumon fréquente les rivières des régions tem- pérées et froides de l'ancien continent; il étend en outre ^on aire de dispersion au versant atlantique de l'Amérique du Nord, et justifie ainsi l'expression (( Saumon atlantique » dont plusieurs auteurs se servent pour le désigner. Il est remplacé, sur le ver- sant pacifique du continent américain septentrional, par les nombreux représentants d'un autre genre de Salmonidés, le genre Oncorhynchus Stick, qui a les mêmes habitudes migratrices que lui. Une espèce de ce genre, V Oncorhynchus tschawytscha Mitchill, nommé « Saumon de Californie » en raison de sa provenance, ou encore « Saumon quinnat », est bien connue des pisciculteurs européens, qui ont tenté de l'acclimater pour repeupler les rivières de nos pays. C'est à ces Saumons du Pacifique, aux Oncorhynchus, fréquents en Amérique et en Asie orientale, que l'on doit la plu- part des conserves de Saumon en boites répandues et vendues dans le monde entier. Le vrai Saumon d'Eu- rope est trop rare à notre époque, et trop recherché, LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 23 pour se prêter avec avantnge à une telle industrie; on le consomme surtout à l'état frais, ou à celui de fumaison. Ces deux genres ne sont point les seuls, dans la famille des Salmonidés, qui habitent les eaux douces, fût-ce temporairement. Il convient de n'y pas oublier ces excellents poissons à petite bouche, les Corégones (Lavarets, Feras, Gravenches, etc.), répandus dans les eaux douces pures des lacs de montagne, en Europe et aux Etats-Unis. 11 en est d'autres encore, aussi connus, aussi réputés dans l'alimentation, qui, tout en faisant partie d'une autre tribu, offrent de l'intérêt en ce qu'ils effectuent également des migra- tions : tel est l'Eperlan [Osmerus eperlanus Linné), espèce marine de Salmonide, capable de se déplacer à l'époque de la ponte, pour déposer ses œufs dans les estuaires des fleuves. Ainsi le Saumon, considéré du point de vue zoolo- gique, possède-t-il de nombreux congénères, les uns d'eau douce, les autres d'eau marine. Ceci explique ses habitudes mixtes, qui le font aller et venir du domaine des premiers à celui des seconds. Ses affi- nités zoologiques s'étendent même jusqu'aux zones profondes de l'Océan, où vivent, à côté de Salmonidés véritables, les représentants de familles affines. Ce fait éclaire plusieurs des exigences vitales du Sau- mon lui-même, qui paraît parfois se souvenir de sa parenté. Dans la mer, il vit loin des côtes, en eau pro- fonde. Dans les fleuves, il recherche volontiers les lieux sombres et obscurs. Certaines de ses habitudes sont celles d'un autre monde que celui des poissons fluviatiles ordinaires; il les transporte avec lui. II représente, dans la faune aquatique des fleuves et des lacs, celle des abîmes de l'Océan. 24 LES roissoNS migrateurs III LA MONTÉE ET LA PONTE Les Saumons, quand ils pénètrent dans les rivières en revenant de la mer, sont de magnifiques poissons, dont la longueur dépasse parfois un mètre, et dont le poids peut atteindre une quinzaine de kilogrammes; certains géants de l'espèce, mesurant i m. 30 et plus, pèsent 25 à 30 kilogr. Leur forme régulière, robuste et élancée tout à la fois, l'éclat de leurs teintes, la succulence de leur chair, contribuent à faire d'eux un gibier de pèche fort réputé. On ne les prend tou- tefois qu'en eau douce, lorsqu'ils viennent pour pondre. Ils sont, quand ils arrivent, dans toute la plénitude de leur développement. Leur chair pénétrée de substances grasses, leurs, principaux viscères enveloppés de masses graisseuses, dénotent en eux une surabondance de réserves vitales, que l'organisme exploitera désormais, et dont il subsistera jusqu'à l'époque de la reproduction. Ils prennent, dès leur entrée dans l'estuaire du fleuve où ils arrivent, les attitudes et les habitudes qu'ils con- serveront jusqu'à l'accomplissement de l'acte pour lequel ils sont appelés. Tous sont destinés à prendre part à la ponte, qui représente pour eux le but exclusif de leur migration, et tous se conforment à celte dis- position qui les pousse vers les frayères. Ils eftectuent leur montée, comme tendus uniquement dans ce but. Ils remontent le fleuve à contre-courant, pénètrent dans les affluents latéraux qu'ils remontent de même, se dispersent dans le bassin hydrographique, et, par- tout, effectuent leur nage vers l'amont avec conti- LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 25 nuité. Leur force musculaire leur permet de lutter contre la rapidité des eaux, et d'en triompher, comme de franchir, en sautant par-dessus, les obstacles et les barrages dontla hauteur ne dépasse points ou 3 mètres. Les sauts des Saumons sont connus et célèbres; ils représentent, dans leur cas, une figure caractéristique et impressionnante de cette impulsion remontante entraînant le poisson toujours plus loin et plus haut. Parfois les Saumons s'arrêtent dans leur course, et s'abritent dans des trous profonds de la rivière. Par- fois, ils interrompent leur élan et se laissent dériver quelque peu au fil de l'eau; toujours ils se reprennent ensuite, et continuent à monter. C'est leur voyage de noces, et ils l'effectuent jusqu'au bout. Cet élan, en effet, a sa raison d'être, qui est la repro- duction. Les frayères des Saumons ne sont point placées indifféremment dans des parties quelconques des rivières ; elles sont situées presque toutes dans les régions les plus élevées du bassin hydrographique, dans les petites rivières et les ruisseaux qui forment les têtes de ce dernier. Le migrateur est donc tenu, pour parvenir sur son lieu de ponte, de parcourir ce bassin entier, depuis l'embouchure où il accède en arrivant de la mer, jusqu'aux zones lointaines et montagneuses où se trouvent les origines des cours d'eau. Ladistanceest souvent grande, et considérable le trajet franchi. Si les petits fleuves côtiers de la Bre- tagne, de la Normandie, de la Picardie, montrent parfois des frayères de Saumons à 25 ou 30 kilomètres de la côte, en revanche la Loire, et son affluent prin- cipal l'Allier, placent les leurs à 700 ou à 800 kilo- mètres de l'embouchure. Les migrateurs doivent donc remonter l'eau sur un aussi long trajet avant de tou- cher à leur but. L'organisme ne reste pas inactif pendant un aussi grand voyage. Il élabore les éléments sexuels. Quand 26 LES POISSONS MIGRATEURS les Saumons, arrivant de la mer, entrent en rivière, les testicules des mâles et les ovaires des femelles ont déjà un certain volume, mais sont loin de possé- der les fortes dimensions qu'ils acquerront par la suite. Les œufs, sur les ovaires, ne mesurent guère que un à deux millimètres de diamètre. 11 leur faudra grossir, et s'élaborer progressivement, pour atteindre leur état définitif. Une élaboration similaire est néces- saire aux glandes mâles. Ce travail intime s'accom- plit pendant la montée. Il débute avec elle, et s'achève sur les frayères, où les migrateurs, quand ils y parviennent, se trouvent dans leur pleine maturité sexuelle, et sont aptes à la reproduction. Il exige une longue durée, plus forte que celle de la plupart des autres poissons. Les Saumons qui entrent en hiver ne participsront à la ponte qu'au début de l'hiver sui- vant; ils consacrent à leur montée, et à l'élaboration sexuelle qui l'accompagae, une année entière. D'autres, entrant au printemps ou en été, sont plus rapides, mais un délai de plusieurs mois leur est encore indispen- sable. Pendant ce laps de temps, où le poissson fait effort afin de gagner ses frayères pendant qu'il mûrit au-dedans de lui ses éléments fécondants, il ne prend aucune nourriture, ou, s'il en saisit une, entraîné par un réflexe coutumier, il ne l'assimile pas. Tout son organisme se voue à son double travail, celui de la montée et celui de l'élaboration sexuelle, sans inci- dents d'autre sorte. Voué à l'acte reproducteur, il ne s'attache qu'à lui. Ce travail excessif ne va pas sans dépenses, car l'individu est obligé tout ensemble, non seulement de continuer à subsister, non seulement de produire la force musculaire qui lui permet de remonter, mais aussi d'engendrer les substances nouvelles des élé- ments sexuRls. Les œufs parvenus à maturité mesurent 5 à 6 millimètres de diamètre, et chaque femelle en LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 27 pond 1.500 à 2.000 par kilogramme de son corps. C'est à cet état et à ces dimensions que doivent aboutir les ovaires relativement minuscules du débu.t de la montée. Privé d'une alimentation suffisante et réparatrice pendant qu'il s'astreint à un tel labeur, l'organisme tourne la difficulté en se nourrissant à ses propres dépens. Le Saumon arrivant de la mer est riche en réserves nutritives, en principes gras épars dans son corps entier. Il les consomme pendant sa montée, sans avoir besoin . d'aliments nouveaux venus du dehors, et les emploie à son entretien comme à son élaboration sexuelle. Il les reporte, par métabolisme, à celles de ses parties qui les exigent, et les leur dis- tribue selon les nécessités. Tout un travail considé- rable et intime d'assimilation s'effectue dans le corps parallèlement au travail extérieur de la remonte. Les réserves disparaissent de la chair où elles étaient accumulées, se transforment, s'affectent ensuite d'autre façon. L'animal, vivant de sa graisse, s'amaigrit progressivement. Le Saumon, montant vers ses frayères, perd de sa consistance et de son poids; ses chairs deviennent molles; des produits d'excrétion pigmentés se montrent dans sapeau; certains appareils modifient leur forme. Les mâchoires des mâles gros- sissent en devenant crochues. L'être prend peu à peu une allure différente de celle qu'il avait, change ses couleurs et son aspect, acquiert d'autres caractères dépendant de la sexualité, revêt en quelque sorte une livrée de noces, dont il accentue les particularités pendant qu'il approche des frayères auxquelles il se rend. Parvenus désormais au terme de leur voyage, les Saumons procèdent à la reproduction. Cet acte a lieu, habituellement, à une époque fixe, la lîn de l'automne et le début de l'hiver. Dans notre pays, les pontes les 28 LES POISSONS MIGRATEURS plus fréquentes sont effectuées pendant les semaines du mois de décembre, sauf parfois quelques avances en novembre, ou quelques retards jusqu'en janvier. Les frayères, c'est-à-dire les régions recherchées par les poissons pour accomplir leur ponte, consistent en emplacements où l'eau courante coule sur un fond de menu gravier. Les femelles, dont l'abdomen est distendu par la masse des œufs arrivés à maturité, passent et repassent sur le lit de petits cailloux, se frottent fortement contre lui, et le creusent à chaque passage. Ces contacts répétés ont pour effet d'exciter peu à peu les muscles abdominaux, qui, finalement, se contractent, pressent sur les œufs amassés, et les expulsent. Les mâles suivent de près les femelles dans ces opérations, et passent après elles sur les rigoles creusées. L'expulsion des œufs amène chez eux un réflexe identique. Ils rejettent leur sperme sur ces œufs fraîchement pon- dus. La fécondation se produit ainsi. Pendant cette fraie, les participants se consacrent entièrement à l'acte qu'ils consomment ; ils multiplient leurs courses sur place et leurs évolutions, chaque femelle s'accom- pagnant souvent de plusieurs mâles grands et petits; ils les activent progressivement jusqu'à la détente finale, seule capable de les arrêter. La ponte accomplie, les reproducteurs qui vien- nent de l'effectuer subissent une crise profonde de déchéance vitale. Leur organisme, jusqu'à elle, s'était employé à élaborer, à ses propres dépens, les éléments sexuels; ceux-ci expulsés, il reste comme vidé, privé de ce qui le soutenait et l'excitait. Ayant consommé les réserves nutritives qu'il possédait,^ ayant affecté ses dernières forces à l'acte de la fécon- dation, il reste amaigri, émacié, à peine capable de mouvement. Le terme pittoresque de « charognards », employé dans plusieurs provinces de notre pays, LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 29 désigne avec justesse les Saumons en cet état. Beau- coup finissent par périr, comme si la reproduction marquait chez eux le terme de l'existence. Les plus avantagés réussissent à prendre le fil de l'eau dans le ruisseau où ils ont pondu, s'y maintiennent d'affluent en affluent jusqu'au fleuve principal, et peuvent retourner à la mer d'où ils étaient partis. Ceux-là seuls, les moins nombreux, retrouveront leur pleine capacité vitale, et reviendront plus tard pour pondre une autre fois. IV l'alevin et la descente Les œufs pondus et fécondés demeurent au fond de l'eau après la disparition de leurs géniteurs. Ils reposent sur le menu gravier et sous l'eau courante du ruisseau où la fraie s'est accomplie. Globuleux, plus lourds que l'eau, libres de toute adhérence, à peu près transparents, ils ont l'aspect, quand on les examine, de grains sphériques et translucides, égaux, mesurant en moyenne six millimètres de diamètre. Disséminés sur le fond, parmi la pierraille et le sable qui les recouvrent parfois, ils contiennent en eux et trouvent autour d'eux tout ce qui est nécessaire à leur développement. Chacun renfermant une masse de substance.3 nutritives composant son vitellus, le jeune embryon qui prend naissance, et se façonne progressivement, puise en elle les matériaux alimen- taires dont il a besoin. Sa nutrition étant ainsi assurée du dedans de l'œuf, il reçoit par osmose, à travers sa mince coque, de l'eau courante extérieure sans cesse remplacée, l'oxygène nécessaire à sa respiration. 30 LES POISSONS MIGRATEURS Malgré son isolement, son immobilité sur un lit de gravier, tout se dispose en lui comme autour de lui' pour assurer son développement et le conduire à sa fin. Cette incubation, pendant laquelle l'organisme embryonnaire se façonne dans l'intérieur de l'œuf, dure plusieurs semaines. Cette durée varie, du reste* selon la température de l'eau environnante; elle diminue si cette température s'élève; elle augmente dans le cas contraire. Habituellement, à s'en tenir aux conditions ordinaires de nos rivières, elle prend deux mois et demi et trois mois. La ponte normale et la fraie ayant lieu en décembre, la plupart des éclo- sions s'effectuent vers la fin du mois de février et le début de mars. Pendant toute cette période, l'incuba- tion automatique sous l'eau, la rivière servant de couveuse, a pour effet de parfaire peu à peu l'embryon, et de le mener au terme où il va éclore grâce à la destruction de l'enveloppe de l'œuf. Celle- ci, jusque-là, le contient et l'enserre, ne laissant dis- cerner que les deux minuscules taches noires des yeux {œufs embryonnés dans le langage des pisciculteurs). A son éclosion, le jeune Saumon, encore fort petit* mesure au plus, en s'étalant et perdant l'attitude recourbée qu'il avait dans l'œuf, deux centimètres de longueur. A peu près transparent, incapable de mou- vement, il repose sans bouger sur le fond du ruisseau. Son corps rudimentaire montre seulement les ébauches des appareils futurs. Il porte, appendue à son ventre, une volumineuse vésicule qui contient les restes non absorbés du vitellus nutritif. La masse en est assez considérable ; elle suffit à l'embryon pour continuer à vivre et à perfectionner son organisme, car il ne peut prendre encore ni assimiler aucun aliment venu du dehors. L'incubation sous l'eau, sur le fond de la rivière, se prolonge en somme par cette immobilité, bien que le petit être se trouve dégagé de l'enveloppe LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 31 qui l'entourait. Mais la libération approche. La vési- cule vitelline se rapetisse sans cesse, en perdant à mesure les matériaux qu'elle renferme et qui sont uti- lisés par l'embryon. Celui-ci précise les contours de son corps, commence à s'agiter, à effectuer quelques mouvements de nage. Ces impulsions deviennent bien- tôt plus fréquentes, plus durables. Finalement, la vési- cule ayant été résorbée complètement et n'alourdis- sant plus, le jeune Saumon se trouve converti en un petit alevin, déjà pourvu c'e ses traits essentiels, capable de nager et de se dégager du fond pour avancer en pleine eau. Cette préparation progressive de l'individu est à son tour d'assez longue durée, tout en variant en ce sens, comme l'incubation dans l'œuf, selon la tem- pérature de l'eau. Dans nos rivières, c'est seulement vers la fin d'avril, ou en mai, que les alevins de Sau- mons sont enfin démunis de leur vésicule, et peuvent se mouvoir librement, en happant dès lors dans l'eau comme aliments les proies menues qu'ils ren- contrent. Les alevins, à cette époque, mesurent près de trois centimètres de longueur. Leur corps a perdu sa trans- parence; il se couvre de menues ponctuations pig- mentaires et de taches qui lui donnent une teinte foncée. Les écailles no vont pas tarder à naître et à recouvrir les téguments. La croissance progresse avec rapidité. Dès le plein été, l'alevin de Saumon, âgé de cinq à six mois depuis sonéclosion (ou de sept à huit mois depuis la ponte de l'œuf dont il est né), est devenu un petit poisson rapide, long de quatre à cinq centimètres, de couleur brun foncé sur le dos et les flancs, occupé en plein courant, dans la région des frayères où ses parents l'ont engendré, à pourchasser sans trêve les êtres minuscules dont il fait sa nourri- ture. Malgré sa petitesse, il est déjà grand chasseur, 32 LES POISSONS MIGRATEURS et gros mangeur. Réuni à ses semblables, de la même ponte que lui, tous forment, dans ces régions élevées des rivières à Saumons, quelques troupes pillardes, que l'on voit se tenir à contre-courant, se lancer avec prestesse sur les proies passant à portée, et se cacher en hâte, dès que l'on approche, dans les lieux obscurs et écartés. Cette existence va durer encore pendant un an et demi, du moins chez la plupart. Quelques-uns l'inter- rompent plus tôt; d'autres la prolongent ; la majorité reste souvent, depuis l'éclosion, deux années entières dans les localités où elle est née. Les alevins gran- dissent dans l'intervalle ; ils continuent à croître, bien que leur croissance s'atténue ou s'arrête en hiver pour reprendre au printemps et s'exalter en été. Un an après leur éclosion, ils mesurent six à huit centi- mètres de longueur ; une année de plus, et cette lon- gueur atteint dauze à quinze centimètres. Ils arrivent alors au terme normal de leur vie en rivière, et pré- parent le premier temps de leur migration, qui est la descente à la mer. Cette descente se précède d'un singulier change- ment d'aspect, et d'un éclaircissement très accentué de la teinte du corps. Jusqu'à lui, l'alevin était brun foncé, presque noirâtre, couvert de ponctuations et de taches pigmentaires. Quand il s'effectue, ces der- nières s'atténuent ou disparaissent, de manière à rendre d'un blanc nacré toute la face ventrale du corps et une partie des flancs. Le dos seul reste teinté, mais d'une manière différente, car il devient d'un bleu d'acier au lieu de garder sa teinte brune antérieure. En outre, une dizaine de grandes taches, d'une même couleur bleutée, se montrent sur les flancs, qu'elles garnissent en file de l'avant du corps à l'arrière. En somme le petit Saumon, par l'effet de cette remarquable transposition et modification de LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 33 so.n pigment, a complètement transformé son état. Cette métamorphose l'a mué en un être nouveau, qui a non seulement changé son apparence, mais aussi son allure. A dater du moment où ceci se termine, il cesse de se maintenir dans les régions élevées des frayères, et il obéit à la poussée du courant. Uni à ses semblables, formant des troupes en nombre variable, il se laisse dériver vers l'avai, et suit en sens inverse le trajet accompli jadis par les grands Sau- mons de montée qui l'ont engendré. Ce trajet, pour l'alevin actuel, est celui d'une des- cente qui aboutit à la mer. C'est à cette dernière que l'alevin va se rendre, et dans elle qu'il ira s'établir. Sous sa livrée nouvelle, aussi différente de celle qu'il avait revêtue d'abord que de celle qu'il aura plus tard à l'époque de sa montée future, il paraît appartenir à une espèce spéciale. On le nomme Tacon et Tocan, termes dérivés du vieux mot gaulois Tekko qui le désignait jadis. Les Tacons ne sont autres que des alevins de Sau- mons, nés en rivière, ayant accompli en elle une première croissance, puis, celle-ci terminée, ayant pris leur livrée de descente et se dirigeant vers la mer. Parvenus à l'estuaire du fleuve, dans ce voyage qu'ils entreprennent, ils se laissent aller et venir au flot pendant quelques marées, comme pour s'habi- t uer à leur prochaine patrie ; puis tous ensemble, et d'un trait, ils vont assez loin au large comme en profondeur pour que les pêches dans l'Océan soient incapables d'en ramener un seul. 34 LES POISSONS MIGRATEURS V LA CROISSANCE EN MER Le jeune Saumon, dans la mer, échappe donc à la capture et à l'étude directe. Mais, malgré cette diffi- culté qu'il oppose aux recherches, on a pu connaître de son existence riiarine, sinon toutes les particula- rités, du moins les épisodes principaux. On y est arrivé en marquant des Tacons à leur descente, et en retrouvant plus tard ceux d'entre eux qui ont pu revenir, les différences entre les deux états donnant la mesure des changements accomplis. On s'est aidé en outre des investigations sur la croissance et la structure des écailles, dont les modifications dévoilent celles de l'organisme. Grâce à ces moyens combinéSy la science actuelle est capable, sur ce sujet, de con- naître le principal. On savait déjà, depuis longtemps, que le Saumon grandit en mer, puisqu'il y arrive petit Tacon pesant une quarantaine de grammes, et qu'il en retourne grand Saumon pesant au moins trois à quatre kilos. Mais on ignorait la durée de cette croissance, et son intensité. On sait maintenant, sur cette dernière,^ qu'elle est considérable, et on a pu l'évaluer. Les Saumons, dans les eaux marines, augmentent en moyenne de deux à trois kilogrammes par an, par- fois quatre. Cette capacité de croissance, supérieure à celle de la plupart des autres Poissons, aboutit à son plein effet grâce aux facilités d'alimentation données par le milieu marin. Les Saumons, dans la mer, conservent leurs habi- tudes prédatrices d'alevins, et continuent à se mon- LE SAUMON,. SES MIGRATIONS... 35 trer gros mangeurs. Seulement ils trouvent à se satisfaire plus aisément, plus amplement, que dans les eaux douces. L'Océan leur prodigue des proies de toutes sortes, de toutes tailles ; il répond aux appétits des plus petits comme des plus forts. A en juger d'après leur allure, comme d'après le fait que les engins de la pêche marine ne les capturent pas, les Saumons, selon toutes probabilités, fixent leur habitat en mer loin au large et à une profondeur assez grande. Ils y mènent une existence bathypéla- gique, et trouvent autour d'eux, parmi les animaux de mêmes habitudes, surtout Poissons et Crevettes spéciales, souvent assemblés en bancs nombreux et pressés, les proies abondantes dont leur gloutonnerie a besoin. On peut se représenter cette existence d'après celle, plus restreinte, de l'une de ses proches parentes, la Truite des lacs. Celle-ci, dans la nappe d'eau lacustre, s'écarte volontiers des rives et de la surface, et d'au- tant mieux qu'elle est plus grosse. Elle s'installe en pleine eau, épie ce qui l'entoure, se précipite sur tout aliment passant à portée, et reprend ensuite sa garde à l'affût. Que l'on reporte à l'immensité de l'Océan ce qui est du lac, que l'on augmente la masse des êtres pouvant servir de proies, et l'on aura l'idée de la situation du Saumon dans la mer, les différences ne tenant qu'aux proportions différentes des milieux. Une croissance si active et si intense n'est pas éga- lement continue. Comme chez tous les poissons, elle varie avec le taux d'alimentation, augmente si la nourriture absorbée et assimilée est plus abondante^ se restreint si cette dernière diminue. Elle subit, chez le Saumon en mer, des variations saisonnières, car les bancs d'êtres alimentaires sont plus fréquents, et plus nombreux en été qu'en hiver. La croissance du Saumon s'en ressent, devient plus forte pendant la 36 LES POISSONS MIGRATEURS saison estivale, plus faible pendant l'hivernale. Ce balancement régulier s'inscrit sur les écailles du poisson. Les écailles couvrant le corps sont en nombre fixe et constant. Elles sont donc obligées de grandir avec le corps lui-même, et dans la même proportion que lui, afin de garder leur rôle de recouvrement. Leur croissance se fait par la périphérie, qui s'élargit saRS cesse grâce à l'apposition d'étroites bandes concen- triques, dont les plus récentes entourent les plus anciennes. Ces bandes, séparées par des intervalles, sont visibles au microscope sur des écailles pré- parées. Si la croissance a été intense, leur largeur est plus forte que daRS le cas contraire. Aussi celles de la saison estivale sont-elles plus larges que leurs similaires de la saison hivernale, et peut-on discer- ner, sur l'écaillé ainsi examinée, les groupes des premières et ceux des secondes. Il en résulte que cet examen donne l'âge du Saumon, puisque l'on peut compter le nombre des unes et des autres, comme, dans une coupe de tronc d'arbre, le chiffre des couches concentriques du bois révèle l'âge du végé- tal. Ce procédé d'investigation permet ainsi de con- naître, sur tout individu qui remonte, le nombre des années passées en mer, et de savoir avec exactitude son âge entier. On peut encore davantage. Les Saumons de montée, qui tous vont frayer, ne s'alimentent point durant cette période de leur vie ; ils arrêtent leur croissance de CG fait. Non seulement ils l'arrêtent, mais encore ils s'émacient, et, comme conséquence de cette déchéance physiologique, les bords de leurs écailles se fragmentent, deviennent irréguliers. S'ils réus- sissent à redescendre en mer après leur ponte, la croissance normale reprend chez eux, et de même celle des écailles avec leur apposition de nouvelles LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 37 bandes. Ces dernières se placent donc autour d'un bord fragmenté, dont les contours irréguliers se trouvent ainsi maintenus et conservés. A l'examen d'une écaille de cette sorte, on aperçoit ces contours, et l'on se rend compte, par ce moyen, que le posses- seur de cette écaille a effectué précédemment, à une époque aisée à évaluer, une montée reproductrice, et qu'il a frayé. L'ensemble de ces contours irréguliers forme donc ce que l'on nomme justement la « ligne de ponte ». Ainsi l'examen des écailles permet-il de connaître l'âge du poisson, et de savoir s'il a, ou non précédemment pondu. On comprend que cette sorte d'investigations, adressée également à un certain nombre d'autres poissons, ait pu rendre à la science d'éminents services. VI DIVERSITÉ DE LA MONTÉE L'activité nutritive du Saumon dans la mer n'a pas seulement pour conséquence la croissance rapide de l'individu, mais aussi la production de réserves nutritives, riches en principes gras, accumulées dans les tissus. Il en résulte pour l'organisme un état de réplétion physiologique, qui conduit à diminuer la poursuite alimentaire, lorsque l'ensemble de ces réserves devient considérable. Il en résulte aussi le début de l'élaboration sexuelle. L'individu commence à façonner alors ses glandes de la reproduction, et se prépare à venir en eau douce pour effectuer la fraie. Les mâles se montrent en cela plus précoces que les femelles. L'état de réplétion physiologique et 38 LES POISSONS MIGRATEURS d'élaboration sexuelle commençante peut se mani- fester chez eux après quatorze ou quinze mois de vie de croissance en mer. Les Tacons de sexualité mâle, qui descendent au printemps d'une année déter- minée, sont déjà capables de revenir en rivière dès l'été de l'année suivante. Dans l'intervalle, ils ont sensiblement gagné en longueur et en poids, car ils mesurent au retour 50 à 60 centimètres, et pèsent souvent 3 kilogrammes, parfois davantage. On les nomme des Castillons, ou des Madeleineaux. Leur livrée est celle de l'adulte, gris-bleu foncé en dessus, blanc rosé sur les côtés et au-dessous, quelques mou- chetures et ponctuations brunâtres se montrant çà et là, principalement vers le dos ; les taches des flancs, caractéristiques du Tacon de jadis, ont com- plètement dispara. Les femelles sont plus tardives. Les plus empres- sées à remonter consacrent néanmoins deux années entières à leur vie marine de croissance. Parties comme Tacons au printemps, elles reviennent deux ans plus tard, au printemps ou en été. Elles mesurent alors 70 à 80 centimètres de longueur totale, et pèsent 4 à 6 kilos en moyenne. Ces chiffres sont aussi ceux des individus mâles du même âge, qui n'ont point participé à la remonte des Madeleineaux, et qui sont restés en mer un an de plus que ces derniers. Ces poissons des deux sexes, dits Saumons de prin- temps ou Saumons d'été, en raison des dates de leur venue en eau douce, donnent à la pèche, d'habitude, son plus grand rendement. On les nomme encore petits Saumons reproduc- teurs, pour les distinguer des pièces de plus forte taille, qui mesurent 1 mètre et plus de longueur, pèsent 12 à 15 kilos ou davantage, et comptent plu- sieurs années, trois, quatre, cinq, plus parfois, de vie de croissance en mer, la longueur et le poids LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 39 augmentant à mesure que cette vie se prolonge. Gelles-là sont dites grands Saumons reproducteurs, ou grands Saumons d'hiver, parce que l'époque de leur montée se place en pleine saison hiver-uale. Elles appartiennent aux deux sexes, et doivent séjourner en rivière toute l'année, afin de prendre part à la fraie dans l'hiver qui suit celui de leur venue. Ainsi le retour des Saumons n'est point uniforme, puisque ces poissons peuvent monter et frayer à des âges différents, dont le moins avancé est celui des Madeleinaux. Pourtant, un certain ordre se mani- feste dans cette diversité, car les individus de même taille et de même poids remontent à la même époque, les grands Saumons en hiver, les moyens et les petits au printemps, et les Madeleineaux, plus petits encore, en été. Ces catégories dissemblables ne diffèrent donc que par les dimensions et les dates d'apparition, car elles s'accordent sur le principal, à savoir la montée et la fraie. Les divers individus, malgré leurs dissemblances, sont tous des reproduc- teurs ; tous font effort pour accéder aux frayères, et pour frayer. Leur montée successive, avec ses épi- sodes réglés, représente une migration de rassem- blement, ayant la ponte pour bu.t, qui s'opère en eau douce, au vois'inage des têtes des bassins hydrogra- phiques, et, semble-t-il, nulle part ailleurs. La migration complète du Saumon, ou son cycle migrateur, comprend donc deux temps, et deux impulsions inverses sur un même trajet. Le premier temps, celui de la descente, appartient aux Tacons, aux alevins qui se dirigent vers la mer en partant des zones de leur éclosion. Le deuxième temps, celui de la montée, est le fait des adultes reproducteurs de divers âges et de diverses tailles, qui partent de la mer pour entrer dans les rivières, les remonter, et s'élever aux régions à frayères afin d'y pondre. Ces 40 LES POISSONS MIGRATEURS deux mouvements contraires sont ceux du cycle migrateur principal et habituel. Il est en effet des mouvements complémentaires, qui consistent en descentes et en montées d'adultes reproducteurs surajoutées au cycle principal. C'est le cas des individus qui, après la fraie, ont eu la chance de survivre, de retourner à la mer, et d'y mener une nouvelle période de croissance. Ceux-là, refaits et accrus par l'action de l'habitat marin, ont moyen de revenir plus tard en eau douce et d'y frayer à nou- veau, deux ans au moins après la fraie précédente dont ils avaient fait partie. Quelques-uns, privilé- giés, sont même capables, après un autre intervalle de vie marine, d'y revenir une troisième fois. On admettait jadis que cette sorte de va-et-vient des adultes reproducteurs représentait la règle normale^ constante, et s'opérait chaque année pour chaque individu. On sait aujourd'hui qu'elle n'appartient qu'à une minorité, dont le retour fécondant n'est ipossible que de deux ans en deux ans au moins. Selon la règle habituelle, celle de la majorité, le Saumon ne fraie qu'une fois dans son existence ; puis, soit de lui-même et par suite de sa déchéance physiologique après la ponte, soit à cause des cir- constances extérieures et de la difficulté de retourner à la mer, la mort marque pour lui la terme de l'acte reproducteur. Ainsi la vie du Saumon comprend-elle obligatoi- rement, dans la nature, trois périodes successives : la première, celle de l'alevin en eau douce, et de sa croissance juvénile; la deuxième, celle du séjour en mer, et de la croissance excessive, conduite jus- qu'à l'état de réplétion ; la troisième, celle du retour en eau douce pour y frayer, et pondre les œufs des- tinés à fournir les alevins qui recommenceront le cycle. Chacune de ces périodes se passe dans un LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 41 milieu approprié où l'être doit se rendre, il lui faut donc se déplacer. L'ensemble de ces voyages succes- sifs, nécessaires, réglés, constitue sa migration. VII TRUITE DE MER ET TRUITE DES LACS Le Saumon n'est pas le seul dans sa famille, ni même dans son propre genre, à se comporter de la sorte. La Truite de mer, assez fréquente sur nos côtes de la Manche, plus abondante encore dans les régions plus septentrionales, accomplit également des migrations rappelant en petit celles du Saumon. Son cycle bio- logique est de même qualité, sinon de portée iden- tique. Il comprend les trois périodes successives : celle de la croissance juvénile en rivière, celle de la croissance active en mer, celle de la fraie en eau douce, avec déplacements obligatoires pour se rendre d'un milieu dans l'autre. La seule différence tient à l'ampleur moindre de la migration, et à son carac- tère moins régulier. La Truite de mer, considérée par plusieurs natura- listes comme formant une espèce distincte, est en réalité une variété delà Truite commune. Son nom scientifique est Salmo fario Irutta L. Elle naît en eau douce, dans les rivières où ses géniteurs ont pondu, et descend à la mer quand les circonstances s'y prêtent, car il peut lui arriver de séjourner à demeure dans son cours d'eau natal. Les individus qui vont à la mer s'y rendent habituellement pendant la saison chaude, lorsque les rivières sont basses, et retournent dès les premières crues de l'automne ou du début de l'hiver. Ils ne s'écartent pas trop du littoral, car on 4:2 LES POISSONS MIGRATEURS les capture parfois au voisinage des côtes. Ils gran- dissent en eaux marines plus vite et plus fortement qu'en rivière; et, lorsqu'ils reviennent, ils procèdent à leur élaboration sexuelle pour frayer au début de l'hiver, plus tôt que les Truites n'ayant pas quitté les eaux douces. Leur existence marine a exercé sur leur organisme une action intense, en favorisant la croissance, et hâtant la genèse des éléments repro- ducteurs. Cette Truite montre ainsi, sous une forme moins ordonnée, moins accentuée, le début de ce qui existe chez le Saumon avec une régularité et une activité plus grandes. On peut estimer d'elle qu'elle offre en cela le commencement. Sa migration marine la classe parmi les potamotoques, puisque sa vie de crois- sance se passe en mer, et sa ponte en rivière. Sa bio- logie, dans l'ensemble, ressemble donc à celle du Saumon. Mais d'autre part, comme on va le voir, elle rappelle aussi celle de la Truite des lacs, en repor- tant au milieu marin ce qui est des nappes lacustres pour cette dernière. La Truite des lacs, Salmo fario lacusîris L. de son nom scientifique, très polymorphe selon les régions, comprend de nombreuses variétés, dont on a voulu faire souvent des espèces spéciales. Toutes ont le même cycle vital, limité au lac qu'elles habitent et à ses affluents. Si certains individus pondent dans les eaux lacustres de manière à établir un cyele ne dépassant pas la cuvette du lac, en revanche la majo- rité va frayer dans les affluents, ou parfois les émis- saires, en tout cas dans l'eau courante d'une rivière. L'époque venue de l'élaboration sexuelle, les repro- ducteurs s'introduisent dans un affluent, et le remontent jusqu'aux lieux ou ils établissent leurs frayères. Ils y pondent, et ensuite reviennent au lac. Leurs œufs, comme ceux des Saumons, éclosent LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 43 ainsi dans un cours d'eau. Les alevins y naissent, y grandissent quelque temps, puis descendent aux eaux lacustres où ils accompliront leur vie de crois- sance, où ils la prolongeront jusqu'à la date de la reproduction qui les ramènera adultes, aptes à la ponte, dans une nouvelle eau courante. Il y a là un cycle migrateur complet, calqué sur celui du Saumon, où le lac remplace la mer. Ce cycle se déroule tout entier en eau douce ; il embrasse, il est vrai, un périmètre plus restreint, mais, considéré du point de vue biologique, à l'égard des phases de la croissance et des déplacements, il se montre iden- tique. Il comprend de même les trois périodes : éclo- sion et alevinage en rivière, croissance active en nappe aqueuse, maturation et ponte finale dans un cours d'eau. D'autre part, il accentue, en intercalant un lac dans la série des habitats successifs, ce qui est de la Truite commune ou Truite des ruisseaux, dont on voit les individus descendre vers l'aval des rivières pour mieux s'alimenter, et remonter vers l'amont alin d'y déposer leurs œufs. Ainsi la migration du Saumon, pour complexe et étrange qu'ells paraisse, ne s'isole point, et ne repré- sente pas un cas trop spécial. Elle se borne à déve- lopper, et à régulariser, les inclinations habituelles des autres espèces du genre. En partant des brefs déplacements de la Truite commune, en continuant par ceux de la Truite des lacs et par ceux de la Truite de mer, on parvient jusqu'à elle dans ses essentielles dispositions. 44 LES POISSONS MIGRATEURS VIII LES ALOSES La catégorie des poissons migrateurs potamotoques, ayant vie de croissance en mer et fraie obligatoire en rivière, ne se borne pas à ces représentants de la famille des Salmonidés. Elle embrasse davantage et contient aussi des représentants d'autres familles. Les Aloses, avec quelques genres voisins, se placent au premier rang de ces derniers. Les Aloses et leurs congénères potamotoques appar- tiennent à la famille des Clupéidés, qui renferme en outre certains migrateurs strictement marins, comme l'Anchois, la Sardine, le Hareng. La France et l'Eu- rope occidentale en possèdent deux espèces. Ces der- nières, tout en s'accordant sur le fond, diffèrent quelque peu entre elles sur les particularités de leur migration. Les Etats-Unis d'Amérique en ont une troisième, le « Shad », fort estimée au point de vue comestible, comme l'indique son nom scientifique {Alosa sapidissima Shaw), originaire du versant atlan- tique, et que les efforts des pisciculteurs ont réussie acclimater sur le versant pacifique. L'espèce française la plus importante est l'Alose commune {Alosa alosaLinné). Elle remonte les rivières au printemps, en venant de la mer, cette montée ayant la ponte poui"' but. Les premiers individus commencent à se montrer en février et mars ; ce sont pour la plu- part des mâles, dont les écailles marquent habituel- lement trois à quatre années d'âge. Aux mâles se joignent des femelles, plus grosses, souvent plus âgées, marquant cinq ou six années ou davantage, atteignant LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 45 50 à 60 centimètres de longueur, ou même plus. Ces individus des deux sexes sont en état d'élaboration sexuelle, leurs éléments reproducteurs arrivant à maturité dans le courant de juin. La fraie a lieu en pleine rivièpe, après quoi les géniteurs, comme chez le Saumon, épuisés par laccomplissement de l'acte, subissent une crise de déchéance physiologique à laquelle certains succombent, les autres pouvant retourner à la mer en se laissant aller au fil de l'eau. Les œufs des Aloses, petits, mesurent seulement un millimètre et demi à deux millimètres de diamètre ; aussi chaque femelle peut-elle en pondre un chiffre considérable, jusqu'à 100.000 et 150.000. Abandonnés par leurs géniteurs sur le fond de la rivière comme ceux des Saumons, ils se développent cependant, car le milieu représenté par l'eau douce courante suffit à assurer leur évc«lation. L'incubation, rapide, ne dure guère plus de trois à quatre jours dans les circons- tances naturelles. A l'éclosion, l'œuf laisse sortir un petit alevin, à caractères larvaires, au corps étroit et allongé, mesurant à peine 6 à 7 millimètres de lon- gueur. Peu après son éclosion, cet alevin, déjà agile et pourvu des rudiments de ses nageoires, commence à poursuivre dans l'eau les proies microscopiques dont il fait sa nourriture. La ponte et l'éclosion ayant eu lieu en juin, en juillet au plus tard, c°s premières phases de la croissance se déroulent au début de l'été ; ensuite, et progressivement, les alevins grandissent, et se laissent entraîner à la mer par le courant de la rivière, les passages ayant lieu en automne, soit dans l'année de la ponte, soit, pour les retardataires, dans celle qui suit. Les alevins parvenus en mer y effectuent leur vie de croissance. Ils se nourrissent de proies flottantes, seuls aliments que leur petite bouche édentée soit capable de saisir. Ces proies cependant, menus Crus- 46 LES POISSONS MIGRATEURS tacés surtout, sont assez abondantes pour suffire aux exigences de l'organisme. Les Aloses, dans les eaux marines, mènent une existence semblable à celle des autres représentants de leur famille. Sardines et Harengs. Elles ne s'écartent pas trop du plateau con- tineatal, et vivent volontiers dans les zones super- ficielles de la mer. La saison hivernale marque chez elles, comme chez les autres Clupes de nos régions, un arrêt presque complet de l'alimentation et de la croissance, qui s'inscrit sur les écailles, et permet de connaître les âges des individus. Elles reprennent leur activité vers la fm de l'hiver, lorsque les eaux deviennent moins froides ; alors celles qui se trouvent capables de frayer commencent leur élaboration sexuelle, se dirigent vers les embouchures des fleuves, quittent la mer, et remontent les cours d'eau. C'est, pour les riverains, la bonne saison de pêche, les Aloses avant la fraie ayant leur chair en pleine succu- lence et d'excellent goût. La deuxième espèce française d'Alose, dite la i^dn^e {Alosa finla Linné), dont le mâle porte plus spéciale- ment le nom de Caluyau, tout en donnant à la pêche un rendement assez fort, se met pourtant au second plan par rapport à la précédente. Ses dimensions sont moindres ; sa chair est moins estimée. Son séjour en rivière pour la fraie est de durée plus brève ; il n'embrasse guère, chez la majorité, que les mois de mai et juin. Son trajet de montée est plus court ; il s'écarte peu des régions basses du fleuve, où le cou- rant est tranquille et ralenti. Quoiqu'il en soit de cette différence, les deux espèces d'Aloses offrent ceci de commun, que leur existence comporte la naissance en rivière et la croissance en mer. Elle se divise donc, comme celle du Saumon, en trois périodes successives, accomplies dans des milieux différents : d'abord l'éclosion et LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 47 l'alevinage dans l'eau douce ; ensuite la croissance dans les eaux marines ; enfin l'élaboration sexuelle et la fraie dans un cours d'eau. Les individus, obligés de se déplacer selon ces exigences pour se rendre d'un milieu à l'autre, accomplissent ainsi des migra- tions calquées sur celles des Saumons, Ja ressem- blance portant sur toutes les dispositions d'un tel phénomène. Il y a bien à cela quelques atténuations. Le séjour d'élaboration sexuelle en eau douce est moindre chez les Aloses que chez les Saumons, moindre aussi le temps normal de l'alevinage en rivière, moins éloigné des côtes le lieu de l'habitat en mer. Mais le principal concorde, et classe les deux dans la même catégorie migratrice. IX ESTURGEONS ET LAMPROIES Les Saumons et les Aloses, dans notre pays, ne sont pas les seuls poissons capables d'avoir des migrations potamotoques. lien est encore deux autres, fort diffé- rents comme organisation, mais semblables comme conduite en ce sens, les Esturgeons d'une part, de l'autre les Lamproies. Les Esturgeons (genre Acipenser) représentent, dans la nature actuelle, l'un des groupes principaux d'une classe fort ancienne de Poissons, fréquemment dési- gnée par le nom de Ganoïdes. Leurs espèces peuplent les régions tempérées et froides de l'ancien continent, ainsi que celles de l'Amérique du Nord. Leur grande taille fréquente, la succulence de leur chair, font de 3 48 LES POISSONS MIGRATEURS ces êtres, clans tous les pays où ils vivent, un gibier de pêche réputé. Leur capture s'opère ordinairement en eau douce, plus rarement en mer. Les Esturgeons, en effet, remontent les rivières pour y frayer. La fécondité des femelles, souvent citée, est considérable : chacune d'elles peut pondre plusieurs millions d'œufs, jusqu'à 3.400.000 chez un individu pesant 150 kilogrammes, 4.800.000 chez un autre pesant 180 kilogs, 5.700.000 chez un troisième du poids de 225 kilogs. Ces œufs, petits, mesurent environ 2 millimètres de diamètre ; adhérents et non pas libres, contrairement à ceux des Saumons et des Aloses, ils s'attachent aux objets immergés. Leur éclosion, assez rapide, s'effectue près d'une semaine après la ponte et la fécondation. Le petit alevin éclos, d'abord inerte, commence par se nourrir aux dépens de sa vésicule vitelline et la résorbe progressivement. Devenuplus agile, ilséjourne pendant quelque temps dans sa rivière natale, puis se laisse entraîner à la mer par le courant. Parvenu dans les eaux marines, il y effectue sa croissance, comme celui du Saumon et de l'Alose, pour revenir aux rivières adulte prêt à frayer. Seulement son habitat en mer lui est spécial ; au lieu de nager en pleine eau avec continuité et d'y happer sa proie, il vit non loin de la côte sur les fonds vaseux du plateau continental, et s'y nourrit sur place des êtres qui y sont attachés. La position de sa bouche, ouverte sur la face inférieure du museau et non pas terminale, entourée de lèvres capables de s'allonger en se joi- gnant pour former une sorte de trompe tubuleuse, lui facilite cette sorte d'alimentation. Ainsi s'ac- complit chez l'Esturgeon la croissance du corps, exclusivement dévolue à l'habitat marin, la ponte seule appartenant à l'eau douce avec le premier alevinage. LE SAUMON, SES MIGRATIONS... 49 Croissance en mer, fraie et premier alevinage en rivière, telle est aussi l'histoire biologique de la Lamproie marine [Petromyzon mariaus L.) Celle-ci appartient, dans la classification, à un groupe infé- rieur de l'embranchement des Vertébrés, celui des Cyclostomes, caractérisé par la structure élémentaire de son squelette. La bouche, nullement soutenue par des maxillaires puisque ceux-ci font défaut, consiste en une ouverture circulaire contractile, fonctionnant à la façon d'un suçoir. Les Lamproies, comme les Esturgeons, ayant accompli leur croissance en eaux marines, parvenues à l'état adulte et capables de reproduire, entrent en rivière au printemps ; c'est là par conséquent, dans notre pays, l'époque habituelle de leur pêche. Elles fraient dans les eaux douces, leurs œufs s'y développent, éclosent, donnent des alevins, qui descendent ensuite à la mer pour recom- mencer le cycle. Ainsi les bassins fluviaux de notre pays, et do l'Europe occidentale, reçoivent régulièrement, chaque année, un peuplement de poissons nouveaux, venus de la mer, qui se rendent en eux pour frayer, les jeunes issus de leurs œufs retournant à la mer par la suite. Cette population d'importés donne annuelle- ment un complément notable au peuplement perma- nent des espèces sédentaires; elle modifie le statut des faunes locales, et fournit à la pêche un important revenu. Elle se compose d'espèces différentes, appar- tenant à des groupes distincts, fort éloignés dans l'échelle de la classification; mais, malgré de telles dissemblances de structure, elle offre une conduite identique dans la migration, montrant ainsi que la présence de cette dernière n'a aucun rapport avec la parenté zoologique. Son représentant le plus typique, autant par l'étendue que par la netteté du cycle migrateur, est le Saumon. 50 LES POISSONS MIGRATEURS C'est donc à lui qu'il faut s'adresser pour tâcher de saisir, si possible, la raison de ces dispositions et celle de ces impulsions qui entraînent de façon identique des êtres aussi différents. CHAPITRE III Les tropismes migrateurs du Saumon. J. Recherche de l'inOuence migratrice. — II. Rivières à Sau- mons et leur teneur en oxygène dissous. — III. Situation des frayères. — IV. Branchiotropisme à la montée des reproducteurs. — V. Phototropisme négatif à la descente des alevins. — VI. Branchiotropisme en général et Action terripète. I RECHERCHE DE l'iNFLUENCE MIGRATRICE Un tel sujet exige d'être posé nettement, en se représentant d'abord l'étal du Saumon dans la mer avant qu'il n'entreprenne sa migration, puis dans son trajet de montée en eaux douces vers les frayères. Le Saumon, dans les paux marines, s'alimente aisé- ment et copieusement. Il trouve à y satisfaire toutes les exigences de son appétit. Il y trouve aussi la quié- tude au sujet de sa conbervation personnelle, l'am- pleur du milieu et sa propre puissance corporelle lui permettant à son gré de se dérober ou d'attaquer. Or, malgré cette facilité d'existence, le Saumon ne reste pas dans la mer pour s'y reproduire. Tout au con- 52 LES POISSONS MIGRATEURS traire, et le moment venu, il entreprend un long et pénible voyage, souvent dangereux pour sa sécurité, dans le seul but de procéder à cette reproduction qui lui permettra de perpétuer son espèce. Il délaisse les lieux où il avait tout à satisfaction sans peine ni fatigue, pour se lancer sur une route semée d'em- bûches et la parcourir à grands eiforts. Ce contraste saisissant forme, aux yeux de l'observateur, le pre- mier terme de la question, destiné à amorcer et à pré- parer les autres. Le Saumon passe sans difficultés des eaux marines aux eaux douces. Le changement de salure, ou plutôt la privation de salure qui résulte de ce passage, ne l'affecte nullement. 11 est un être euryhalin parfait, et ne s'attarde même point aux embouchures, ni dans les estuaires, afin de s'habituer progressivement à son nouveau milieu. Il entre d'emblée dans son domaine, qu'il avait quitté depuis longtemps, et se met en devoir de le parcourir pour remonter jus- qu'aux régions des frayères d'où il était parti jadis. Cette facilité d'accès, cette aisance à suivre la route fluviale pour retourner aux lieux de la naissance ont conduit à présumer que le Saumon était guidé par un instinct de maternité préventive. Puisque les -œufs, pense-t-on, ne peuvent éclore que dans une rivière, et puisque les alevins sont tenus de subir dans cette dernière leur croissance initiale, les Saumons repro- ducteurs, obéissant à cet appel qui prévoit le futur, quittent la mer où la ponte ni l'alevinage ne sont pos- sibles, et se rendent dans les rivières où la reproduc- tion peut seulement avoir lieu. Cette raison ne saurait s'accepter. Elle considère de notre point de vue la fin du phénomène, en admet- tant implicitement que tout soit réglé d'avance pour y aboutir. Or, rien n'autorise, loin de là, une telle présomption. Le Saumon étant établi en mer à une LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON 53 grande distance des côtes et des fleuves, comment peut-on penser qu'il délaissera son habitat si nulle impulsion fonctionnelle dominante ne l'y pousse, ou qu'il trouvera sa route au travers des eaux marines si rien ne le guide? Plusieurs auteurs ont parfois fait allusion à cette mémoire d'ordre spécial, transmise héréditairement, qui permettrait aux futurs repro- ducteurs de repérer à l'avance et pendant la descente leur prochain trajet de retour. Cette hypothèse com- plémentaire n'améliore pas davantage celle qu'elle voudrait étayer. Où sont ces repères dans la masse aqueuse océanique, et en quoi consistent-ils pour agir avec une telle puissance et pour conduire avec une telle sûreté? L'explication téléologique des phé- nomènes naturels par leur aboutissant final ne mérite pas plus d'être acceptée ici qu'ailleurs; il y a, dans toute chose de cette sorte, une cause pré- sente, et un déterminisme, qu'il s'agit de chercher. Une autre raison a été donnée. On a estimé, en se basant sur l'euryhalinité du Saumon, et sur son indifférence à l'eau douce ou à l'eau de mer, que sa migration en rivière ne possède aucune importance de premier rang. L'individu étant capable de vivre dans un milieu comme dans l'autre, il irait et se déplacerait à son gré selon les circonstances passa- gères de son existence, de telle manière que sa pré- sence dans les rivières résulterait simplement d'une course fortuite, sans préparation ni conséquence obligées. Il suffit de se rappeler les conditions de la montée, leur liaison étroite à la reproduction, leur série pro- gressive jusqu'à la ponte et à la fécondation sur les frayères, pour se rendre compte que rien de tel ne puisse être accepté. Depuis la vie de croissance en mer et l'accès aux embouchures jusqu'à la fraie sur le haut des bassins fluviaux, tout se tient et tout s'en- M LES POISSONS MIGRATEURS chaiiie dans la suite des phases du phénomèna migra- teur; aucun individu ne se tient à l'écart, et ne se détourne, sauf sous l'action de circonstances indé- pendantes de lui. Le phénomène est continu d'un bout à l'autre ; tous y sont astreints. Il y a en lui dépendance complète, et obligation, par rapport à la reproduction ; nul ne saurait s'y dérober. La solu- tion du problème doit donc être cherchée dans l'étude des conditions mêmes de la montée, de leurs varia- tions possibles, et de leur agencement muty^el, afin de voirsic'est àelles, ou non, qu'il convient de s'adresser pour connaître ce qui guide vraiment le Saumon dans sa course reproductrice. Cette action guidante prend l'individu au plein du milieu marin; elle le conduit d'abord vers les embouchures des fleuves; puis elle le pousse vers les frayères, où elle s'interrompt brusque- ment après la reproduction accomplie. Durant cette longue période, elle se maintient avec continuité, et ne cesse d'exister. C'est de son côté, et pour tenter de la déceler, que les études doivent s'orienter. Il RIVIÈRES A SAUMONS ET LEUR TENEUR EN OXYGÈNE DISSOUS Une observation fort ancienne, toujours justifiée, est celle que les praticiens de la pêche ont faite sur l'emplacement habituel des frayères à Saumon. Les reproduct urs ne vont pas partout d'une manière indifférente. Loin de là, les régions de ponte sont toujours placées par eux dans des eaux courantes, fraîches, aérées, leurs préférences allant jusqu'à les établir parfois dans des ruisseaux étroits, et conte- nant à peine la quantité d'eau suffisante pour couvrir LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON 55 leur corps. On est donc en droit d'estimer que ces qualités de l'eau conviennent à la fraie, et même qu'elles lui sont indispensables, puisque les repro- ducteurs les recherchent de si exclusive façon. D'autre part, mes investigations ont montré que cette question préliminaire de convenanc»^ ne se borne pas à la seule situation des frayeras, mais s'étend aux bassins fluviaux entiers. En notre pays, le Saumon ne s'introduit pas dans tous les fleuves, grands ou petits, du versant atlantique, mais seulement dans quelques-uns, à l'exclusion des autres. Ayant pénétré dans un fleuve, il le remonte ainsi que ses affluents, mais non pas tous ces derniers; il entre seulement dans quelques-uns pour les parcourir, encore à l'ex- clusion des autres. Une telle exclusion est d'ordre permanent, en dehors de toute considération tenant aux modiflcations accidentelles des cours d'eau par l'industrie humaine. Si l'on suit avec régularité, pen- dant plusieurs années consécutives, les passages des Saumons dacis nos rivières, on voit qu'ils ont toujours lieu dans les mêmes régions, et qu'ils manquent avec constance dans les régions déflcientes. La distribution du Saumon en rivière pendant la montée n'est pas indéterminée, ni générale; elle comprend seulement certains cours d'eau, qui seuls portent des frayères dans leurs zones d'amont, et laisse complètement à part tous les autres, cette admission et cette exclu- sion se trouvant d'ordre constant. Ainsi le Saumon, parmi les fleuves côtiers de la Bretagne, entre dans la Laita où il possède des frayères, alors qu'il ne pénètre point dans la Vilaine, où les frayères font défaut; il entre dans l'Aven, et non dans le Belon, bien que les deux rivières aient une embouchure commune. De nou- veaux exemples, pris dans la montée fluviale, mon- treront en Loire le Saumon s'introduisant dans les 56 LES POISSONS MIGRATEURS affluents de la rive gauche comme la Vienne, l'Al- lier, et ne s'avançant pas dans ceux delà rive droite; dans l'Adour, au confluent du fleuve avec les Gaves réunis, les Saumons pénètrent dans ces derniers, et délaissent le fleuve lui-même qu'ils ne parcourent pas pour y pondre. Une telle opposition, avec son caractère de perma- nence, rappelle celle de la situation des frayères. Il semble que cette dernière ne soit vraiment qu'une modalité d'un phénomène général, touchant à la nécessité pour le Saumon de suivre certaines eaux, où il rencontre ce qui lui convient, et de se détourner d'eaux de qualités différentes, où cette convenance n'existe point. Le point le plus frappant eu ce sens, au sujet des frayères, étant celui qui touche à la pré- sence constante d'une eau bien aérée, c'est-à-dire pourvue d'une proportion élevée d'oxygène dissous, j'en suis venu à présumer qu'il pouvait en être de même ailleurs. J'ai donc orienté mes études dans cette direction, et tenté de vérifier si le fait naturel s'accordait, ou non, avec cette présomption. Une telle pensée, du reste, s'impose déjà à l'esprit par la considération des méthodes habituelles de la pisciculture. Si la respiration principale des poissons s'exerce uniformément par les branchies aux dépens de l'oxygène dissous dans l'eau, les besoins à cet égard diffèrent selon les groupes, les uns demandant une forte proportion de cet oxygène, et les autres moins. Les Salmonidés comptent parmi les plus exi- geants. On voit, dans les bassins d'élevage de la Truite, les individus se porter en nombre dans les zones où l'eau est la plus vive, la plus battue, s'y tenir avec constance, et n'aller ailleurs que pour happer leur nourriture. Cette exigence vis-à-vis de l'oxygène dissous est caractéristique ; elle joue un rôle primordial dans la conduite des pisciculteurs LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON 57 envers leurs élèves. On pouvait donc en inférer qu'il en était de même dans la nature pour les Saumons, proches parents des Truites, et que leurs habitudes de localisation dépendaient d'un cas analogue. J'ai donné ailleurs, dans mon Étude sur le Sau- mon des eaux douces de la France, le détail de ces constatations et de la méthode observée. II suffira de mentionner ici les résultats, qui ont concordé avec les prévisions. Les cours d'eau où le Saumon ne pénètre point, où il n'établit aucune frayère, sont plus pauvres en oxygène dissous que ceux où il entre et où il pond. Les premiers dépassant rarement la proportion de 5 à 6 centimètres cubes d'oxygène dissous par litre d'eau, les derniers la dépassent, et montent jusqu'à 7 et 8 centimètres, parfois davan- tage. Les Saumons dans les bassins fluviaux, comme les Truites des établissements de pisciculture, se tiennent dans les zones où leurs exigences respi- ratoires trouvent à se satisfaire pour le mieux. Ces zones ont un caractère permanent, car elles dépendent de la topographie du pays. Toutes autres choses égales d'ailleurs, l'eau des rivières et des fleuves se trouve d'autant plus riche en oxygène dis- sous qu'elle a un cours plus rapide, et qu'elle se renouvelle plus souvent, de manière à augmenter l'ampleur du contact avec l'air atmosphérique, et celui du brassage permettant la dissolution de l'oxygène emprunté à l'atmosphère. En Bretagne, la Laita et la Vilaine ont leurs sources à des alti- tudes peu différentes; mais le cours de la première, jusqu'à la mer, ne dépassant guère une cinquan- taine de kilomètres, alors que celui de la seconde atteint 225 kilomètres, il en résulte une opposition sensible entre ces deux fleuves côtiers quant à l'état de leur courant. Ce contraste permanent, puisqu'il résulte de la topographie même, retentit sur la qua- 58 LES POISSONS MIGRATEURS lité des eaux au sujet de l'aération, la Laita étant, par la force des choses, mieux pourvue avec constance que la Vilaine. Or, la première reçoit des Saumons, et porte des frayères, quand rien de semblable ne se pré- sente pour la seconde. Une ^opposition de même sorte, donnée à titre de nouvel exemple, est celle de l'Adour et des Gaves Réunis. Les deux ont leurs sources et celles de leurs affluents de tête à des altitudes presque semblables. Mais, des sources au confluent, l'Adour mesure 300 kilomètres environ, alors que les Gaves Réunis ne dépassent pas 160 kilomètres. La même consé- quence que précédemment, et également permanente, se manifeste donc; l'eau des Gaves Réunis est, sauf de brefs accidents passagers, plus fraîche et plus riche en oxygène dissous que celle de l'Adour. Or, ici encore, à partir du confluent, les Saumons se tiennent dans les Gaves Réunis, et ils y pondent, tandis qu'ils s'écartent de l'Adour. Il faut donc admettre que l'habitat des Saumons pendant leur montée migratrice, avec ses localisations si exclusives et si remarquables, a sa raison d'être; et qu'il la trouve dans la teneur de l'eau en oxygène dissous. III SITUATION DES FRAYÈRES Du reste cet habitat, et la situation en lui des poissons de la montée, offrent une particularité com- plémentaire, qui confirme et précise la donnée précé- dente. Les Saumons reproducteurs n'y restent pas en place ; ils le parcourent dans une direction déterminée^ allant d^ l'embouchure à la tête du bassin. Ce faisant. LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON 59 et dans les circonstances normales, hors de tout détournement occasionné par une cause étrangère, et, toutes autres conditions égales, ils vont successi- vement vers des eaux de plus en plus riches en oxy- gène dissous. Les eaux marines du large, d'où viennent les Sau- mons reproducteurs, dépassent rarement la propor- tion de 5 centimètres cubes d'oxygène dissous par litre. Les migrateurs, en approchant des côtes, trouvent déjà un taux un peu plus élevé. Celui-ci augmente dans l'estuaire du fleuve, où l'apport d'eau douce, dont le pouvoir de dissolution d'oxygène est supérieur à celui de l'eau chlorurée marine, introduit une teneur plus forte. Puis, et progressivement, au fur et à mesure de la montée en rivière, les eaux se montrent de mieux en mieux pourvues d'oxygène dissous, la culmination en ce sens se trouvant atteinte sur les zones à frayèresvers l'époque de la ponte, où la pro- portion peut dépasser le taux de la saturation et parve- nir à 8 et 9 centimètres cubes par litre. Ainsi, en trans- portant son habitat vers les régions élevées du bassin fluvial, le Saumon se transporte lui-même dans des eaux de plus en plus aérées, et de plus en plus char- gées d'oxygène dissous. L'indication donnée par ce transfert dans les rivières que fréquentent les migra- teurs confirme donc celle de leur répartition entre les divers affluents d'un même bassin, la propor- tion d'oxygène dissous donnant la condition for- melle. Si l'on totalise ces divers termes pour en obtenir la somme, on s'aperçoit que la conséquence dernière consiste à placer les Saumons, au moment de leur ponte, dans le milieu aquatique le plus oxygéné qui soit. Leur habitat flnal, où ils s'installent pour frayer, se caractérise essentiellement par cette qualité. Ceci explique, dans tout bassin hydrographique soumis à 60 LES POISSONS MIGRATEURS la montée, la situation des frayères et leur localisa- tion, ainsi que l'effort des migrateurs pour parvenir jusqu'à elles. Non seulement la plupart de ces frayères sont situées fort loin de l'embouchure du fleuve, et de la mer, mais encore elles occupent un espace restreint dans la superficie du bassin entier. Celles des Sau- mons qui remontaient la Seine, avant la construction des barrages qui arrêtent aujourd'hui toute migra- tion régulière, se trouvaient dans le Morvan : les reproducteurs, en remontant, passaient devant l'Oise et la Marne sans y pénétrer, arrivaient au confluent de l'Yonne, entraient dans cette dernière, puis pas- saient dans la Cure pour y pondre. Celles des Sau- mons, encore nombreux à notre époque, qui re- montent la Loire, sont situées aux abords du Plateau Central, dans les régions élevées de la Loire elle- même, de l'Allier, de la Vienne, Elles se localisent, poui'le bassin de l'Adour, dans les Pyrénées basques, aux têtes des affluents des Gaves Réunis, à l'exclu- sion de l'Adour lui-même et de ses parties hautes. Partout, elles se placent dans des lieux riches en eaux contenant une forte proportion d'oxygène dissous, et disposés de telle sorte que leur accès soit également bien pourvu à cet égard, les cours d'eau plus pauvres étant exclus du trajet habituel. La carte de ponte du Saumon, montrant les empla- cements des lieux où le poisson se rend pour frayer, ne comprend donc que de petits espaces limités, loin de comporter des localités nombrt^uses comme on pourrait le présumer d'après la longueur des dis- tances parcourues pendant la montée. La position de ces espaces n'est pas variable ni indéterminée ; comme elle dépend rigoureusement des conditions topogra- phiques agissant sur la qualité de l'eau en tant qu'oxygénation, elle est fixe, et permanente, ou ne LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON 61 subit que des changements locaux et peu prononcés, selon l'état des eaux. Les Saumons, chaque année, remontent aux mêmes endroits pour s'y reproduire, et déposer leurs œufs. Leur course annuelle se répète de façon identique, et c'est l'une des particularités les plus remarquables de cette migration que de la voir toujours s'établir de même, emprunter avec cons- tance certains cours d'eau pour délaisser les autres, et aboutir exactement, chaque année, aux emplace- ments qui avaient servi à la ponte l'année d'aupara- vant, ou à leur voisinage immédiat. Ces lieux servant de frayères servent aussi à l'ale- vinage, les qualités qui leur permettent de faciliter la reproduction leur permettant en outre de favoriser le développement des œufs pondus, et la première crois- sance des alevins. Les œufs fécondés, abandonnés au fond du ruisseau parmi les grains de menu gravier, ont besoin pour se développer d'une eau très aérée et renouvelée avec continuité : conditions que les frayères leur offrent d'elles-mêmes, comme elles les ont offertes aux reproducteurs qui ont pondu ces œufs. Grâce à ces circonstances, l'incubation naturelle se poursuit sans difficultés, pour aboutir à l'éclosion. Ensuite, les mêmes qualités des eaux continuant à exercer sur les alevins leur action favorable, ceux-ci trouvent, sur les frayères elles-mêmes et dans les localités avoisinantes, tout le nécessaire de leur res- piration et de leur alimentation. Ils y demeurent donc. Ils ne les quittent qu'à l'époque où, devenus Tacons, ils descendent à la mer. Ordinairement, et pour le plus grand nombre chez les Saumons, les lieux à frayères servent donc d'alevinières. Des dispositions aussi spéciales méritent d'être considérées, en raison même de leur spécialisation, pour tout ce qui touche à l'exploitation économique du Saumon, soit dans la pèche, soit à l'égard du repeu- 6à LES POISSONS MIGRATEURS plement. Le meilleur emplacement des pêcheries sera choisi dans les parties basses du fleuve, ou aux confluents des rivières faisant partie du trajet normal, car les migrateurs y arrivent peu de temps après leur sortie de la mer, alors qu'ils possèdent encore toute leur chair pleine et grasse. Les immersions des alevins destinés au repeuplement artiliciel feront fait'is sur les frayères naturelles, ou dans leur voisi- nage, ou dans des lieux offrant les mêmes qualités, afin de procurer aux jeunes individus les con litions favorables à leur existence. Le Saumon a ses exi- gences vitales, et il faut en tenir compte pour tirer de lui le meilleur parti. IV BRANCHIOTROPISME A LA MONTÉE DES REPRODUCTEURS Ces exigences règlent la montée, et en assurent le résultat. La première d'entre elles, qui domine les autres, est celle des fonctions respiratoires. Le Saumon, comme la Truite et les autres Salmonidés de son groupe, ayant une respiration active et de grands besoins d'oxygène, ceux-ci augmentent à l'époque de la reproduction, car il lui faut procéder, dans l'inté- rieur de son organisme, à la transformation des matériaux de réserve accumulés dans sa chair, et à leur report aux éléments reproducteurs. Les phéno- mènes d'oxydation qui accompagnent ce métabolisme expliquent pareil accroissement des besoins respira- toires, car l'individu doit trouver dans le milieu qui l'entoure un taux d'oxygène dissous supérieur à celui dont il se contentait jusque-là. Aussi, dans ce milieu LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON 63 extérieur hétérogène, se dirigo-t-il vê.rs les parties où ce taux est le plus élevé. II quitte les eaux marines pour les eaux douces, en raison de l'oxygé- nation plus forte de ces dernières ; parvenu aux con- fluents, dans les bassins fluviaux, il pénétre exclusi- vement dans les rivières les mieux pourvues en oxygène dissous ; il va progressivement, en sa montée, vers les affluents de tète, qui sont les plus lointains mais les plus avantagés ; enlin, il ne s'arrête que dans les lieux où le taux d'oxygénation des eaux se trouve porté au plus haut, et il y installe ses frayères. Une action guidante continue, déterminée par la proportion d'oxygène dissous, le pousse donc dans sa migration jusqu'au terme final, action qui entraîne l'être avec constance du côté où la propor- tion se trouve la plus élevée. D'après cela, il semble que la migration de montée des Ç.aumons doive se classer parmi les phénomènes du groupe des tropismes. On ne saurait considérer d'autre façon ces déplacements collectifs, ces mouve- ments toujours tendus dans le même sens malgré les circonstances contraires, leur arrêt brusque suivi de réaction après la crise finale de la fraie, démontrant qu'il s'agit en cela d'impulsions où le choix volon- taire n'entre pour rien, où l'accord entre l'état de l'organisme et les conditions du milieu ambiant jouent le rôle principal. Il y a là un déterminisme migrateur, déclanché par l'action directe des circons- tances environnantes, réglé par les variations de cette dernière perçues diirérentieliement, et condui- sant l'individu v^rs son but. L'organisme du Saumon, pendant la vie de crois- sance en mer, assimile avec intensité ; il accumule dans ses tissus de nombreuses réserves, et parvient à l'état de réplétion physiologique qui précède l'éla- boration sexuelle. Il lui faut modifier et dépenser ces 64 LES POISSONS MIGRATEURS matériaux accumulés. Les échanges respiratoires entrent alors en jeu, si la rencontre fortuite d'une eau contenant une proportion plus grande d'oxygène dissous facilite les réductions et les oxydations de cette dépense. Le tropisme est alors déclanché, dans l'intérieur même des eaux marines. L'individu, grâce à cette circonstance nouvelle, et malgré qu'elle soit encore peu prononcée, en éprouve une aisance fonc- tionnelle qu'il n'avait pas auparavant. Il se conduit alors, si l'action difFérentielle du milieu continue à s'exercer, vers les zones où la quantité d'oxygène dissous devient encore plus forte ; il gagne progres- sivement le voisinage des embouchures des fleuves, puis ces embouchures elles-mêmes, pénètre dans les estuaires, et s'introduit enfin dans les bassins fluviaux» Le tropisme migrateur, lié à la respiration, se trouve désormais dans son plein. L'individu est capable, grâce à cette respiration plus active, de pro- duire des efforts musculaires intenses, d'utiliser ses réserves, d'entreprendre son élaboration sexuelle. L'action du milieu continuant à s'exercer, il remonte progressivement vers des zones où une satisfaction respiratoire plus grande encore lui est donnée. Il par- vient ainsi jusqu'aux têtes du bassin hydrographique,^ où le taux d'oxygène dissous est au plus haut point ; il mûrit alors ses éléments reproducteurs. Puis, à l'époque où ce taux arrive à son ultime degré, après la période estivale, au début de la saison froide, la vitalité du Saumon touche à son comble ; les mâles et les femelles, dont les produits sexuels ont mûri, se recherchent, se poursuivent, creusent leurs frayères au fond des ruisseaux où ils ont remonté, et, finale- ment, toute cette excitation s'achève par l'accomplis- sement de l'acte reproducteur. De son début à sa fin,, cette suite de phénomènes migrateurs offre un carac- tère saisissant de tropisme respiratoire, ou de bran- LES TROPISMES MIGRATEaRS DU SAUMON 65 chiolropisme pour tout exprimer d'un seul mot ; elle a, en ce sens, son déterminisme rigoureux. Gomme je l'ai déjà fait remarquer ailleurs, on pour- rait critiquer l'expression « tropisme » en observant qu'il est difficile de l'employer à l'égard d'un être élevé dans la série animale, et qui, pourvu d'organismes sensitifs complexes, de centres cérébraux spécialisés, fait preuve par ailleurs de facultés psychiques évi- dentes et de réactions volontaires. Mais il faut con- sidérer que l'automatisme, en son cas, est indépen- dant de la complexité organique; il réside stricte- ment dans la réponse constante d'une réaction vitale déterminée à une action également déterminée du milieu. Qu'il s'agisse d'un être inférieur aux réactions simplifiées, ou d'un être plus élevé à réactions com- plexes, le résultat est le même, et la règle identique. Aussi, puisque les déplacements du Saumon en montée sont déterminés et conduits par l'action directe du milieu et relèvent essentiellement d'une sensibilité générale et différentielle, ils entrent dans la catégorie des tropismes, sans nécessiter l'intervention d'un ins- tinct spécial ni d'un psychisme particulier. V PHOTOTROPISME NÉGATIF A LA DESCENTE DES ALEVINS La fraie accomplie, les Saumons reproducteurs, devenus des charognards, retournent à la mer lorsque les circonstances s'y prêtent, et lorsque leur orga- nisme n'est pas irrémédiablement frappé par la dé- chéance physiologique qui suit la ponte. Go retour est une descente, opérée par le même chemin que la montée, mais en sens inverse; seulement, l'individu 66 LES POISSONS MIGRATEURS y est passif pour la majeure part. Se laissant aller au gré du courant et emporter par la rivière, il ne mani- feste aucune réaction, sauf, quand il le peut, celle de happer les objets passant à sa portée. Rien de sem- blable à l'impulsion ni à l'entraînement de lamentée ne s'observe en lui. Le cas n'est plus le même pour les Tacons ou ale- vins de descente, c'est à dire pour les petits Saumo- neaux venant d'achever leur période d'existence juvé- nile en eau douce, et allant à la mer pour leur vie de croissance. Ceux-ci, dans leur course inverse de la montée des reproducteurs, se servent bien du courant pour la faciliter, comme les charognards, mais ils montrent par surcroît une activité inconnue à ces derniers. Ils vont souvent par bandes, s'arrêtent parfois dans quelques localités favorables, poursuivent avec avidité les menus êtres pouvant servir de proies qu'ils rencontrent dans l'eau. Ils obéissent cependant à un entraînement qui les conduit, car leur descente, ayant lieu à une époque constante, intéresse à la fois tous les individus en cause, et ne laisse pas de traî- nards. Ayant la mer pour but, elle y va directement et entièrement. Cette impulsion conductrice peut donc, à son tour, être considérée comme un tropisme, dont le sens est contraire à celui des reproducteurs en montée. Selon toutes probabilités, ce tropisme de la des- cente des Tacons se subordonne à l'influence des radiations lumineuses. Avant qu'il n'entreprenne sa course, le jeune alevin portait dans ses téguments, sur son corps presque entier, des points et des taches d'un pigment gris-brunàtre, qui lui donnaient une teinte foncée, et jouaient par leur ensemble, vis-à- vis de la lumière, le rôle d'un écran protecteur, utile dans les eaux vives et claires des alevinières. La transposition pigmentaire, qui convertit en Tacon LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON 67 le petit individu, ayant détruit cet écran, le Saumo- neau se trouve démuni. Il cherche les eaux plus pro- fondes, où les radiations lumineuses auront une action amoindrie. Il se laisse donc aller à quitter les zones des frayères, où l'épaisseur d'eau est faible et la luminosité intense ; progressivement, il gagne les affluents principaux, et finalement il arrive à la mer. Sa descente serait le résultat d'un phototropisme négatif, qui ne le touchait pas lors de son ancienne pigmentation, et dont il subit désormais l'influence. Cet état se maintient ensuite, pendant la vie de croissance en mer. Le Saumon vit au large, dans les profondeurs, à l'abri de la lumière. Il ne subit de changements qu'au début de l'élaboration sexuelle, où le besoin d'une respiration plus active modifie le sta- tut organique. Le branchiotropisme entre alors en jeu, contrarie le phototropisme négatif qui avait con- duit jusque là le principal de l'action vitale, et prend la prépondérance. Il dirige l'individu, et le ramène aux frayères d'où il était parti comme alevin. Pour- tant, même dans celte montée et tout en obéissant à son entraînement dominant, le Saumon, dans la mesure du possible, évite la lumière trop vive et son action prolongée; il se déplace surtout la nuit; il se tient volontiers à couvert dans des creux, sous des rochers, sous des troncs immergés. Ce ne sont guère, dans la migration reproductrice, que des épisodes secondaires. Mais, bien que le principal soit dans la reproduction seule, poussant le migrateur vers les lieux de ponte et l'astreignant à obéir, jusqu'à la fraie finale, au branchiotropisme qui surtout l'assu- jettit, leur présence dénote pourtant une disposition fondamentale dont l'organisme éprouve toujours les effets. 68 LES POISSONS MIGRATEURS VI BBANCHIOTROPISME EN GÉNÉRAL ET ACTION TERRIPÈTE Le cas du Saumon peut servir d'exemple. Sa netteté et sa précision lui valent d'établir exactement le sta- tut de la migration des poissons potamotoques, qui accomplissent en mer leur vie de croissance, fraient dans les eaux douces, et se déplacent nécessairement pour les besoins de leur reproduction. D'une part, cette migration se lie à la genèse des éléments sexuels, qui exige une respiration plus active ; et, d'autre part, ce surcroît d'exigences respiratoires entraîne l'individu vers des eaux de plus en plus riches en oxygène dissous, en le guidant par l'action directe du milieu. Le branchiotropisme reproducteur représente ici la cause déterminante. A son tour, cette impulsion qui entraîne vers les eaux marines littorales, et éventuellement vers les eaux douces continentales, des animaux situés au large dans la mer, n'est pas le propre des seuls reproducteurs potamotoques allant frayer en rivière. On constate également sa présence chez un certain nombre d'autres espèces, dont les jeunes individus se rapprochent des côtes pour y effectuer leur première croissance juvénile. Leurs besoins respiratoires étant alors supérieurs à ceux de l'adulte, on est conduit à admettre que le branchiotropisme joue également un rôle en leur sens, tout en n'étant pas lié à l'accom- plissement de la fonction reproductrice. La notion du Branchiotropisme dans la biologie océanographique prend, selon ces considérations, une ampleur extrême. Elle dépasse le groupe des migra- LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON 6!) leurs potamotoques, pour s'adresser à l'ensemble des êtres marins dont les déplacements habituels se dirigent vers les eaux côtières et continentales^ L'un des problèmes les plus importants de l'his- toire naturelle est celui de l'origine des groupes d'animaux qui peuplent actuellement les eaux douces, les terres émergées, et de l'influence, dite parfois Action terripèie, qui leur fît quitter la mer pour leur nouvel habitat. Ces groupes diffèrent les uns des autres, comme valeur, comme situation dans la série animale, comme époque probable de leur accession continentale. Il faut donc qu'une impulsion commune, constante, les ait également entraînés. Sans doute, la mystérieuse action terripète n'est-t lie autre que le branchiotropisme ; c'est lui, probablement, qu'il faut invoquf^r pour se rendre compte de l'origine de la faune terrestre. Quoiqu'il en soit, et pour en revenir au Saumon ainsi qu'aux migrateurs potamotoques, la démons- tration est acquise que leurs déplacements, déter- minés et régis par l'action directe du milieu extérieur, appartiennent à la catégorie des tropismes. Il convient donc d'examiner désormais si ces données peuvent s'appliquer aux autres sortes des poissons migra- teurs, et si cette démonstration est capable d'acquérir par là son caractère de généralité. CHAPITRE IV L'Anguille et les migrateurs thalassotoques. I. L'énigme de la reproduction de l'Anguille. — II. Voyage nuptial à travers l'Océan. — III. Larves d'Anguilles, leur métamorphose et leur retour. — IV, La montée d'Anguilles, -- V. Vie de croissance et puberté. — VI. Comparaison de l'Anguille et du Saumon. — VII. Tropismes migrateurs de l'Anguille. — VIII. L'Anguilliculture. I l'Énigme de la reproduction de l'anguille Les migrateurs thalassotoques effectuent, comme le Saumon et les potamotoques, des déplacements dirigés des eaux marines aux eaux douces, ou des secondes aux premières, selon les exigences de leur vie de croissance et de leur reproduction ; mais ces voyages, et les habitats aux âges correspondants, sont inversés. La croissance principale des thalasso- toques a lieu dans les eaux continentales, et leur fraie dans la mer ; d'où leur nom. Aussi leur premier déplacement migrateur, celui de leur jeunesse, est-il dirigé des eaux marines vers la terre ; et l'autre. l'anguille et les migrateurs thalassotoques 71 celui dp leur ponte, va-t-il des eaux terrestres au milieu marin. Leur conduite générale s'acconlant avec celle des potamotoqufs sur la nécessité des chan- gements d'habitats, elle en diffère quant aux époques choisies fi aux directions suivies. Lf^s moins prononcés des thalassotoques, qui pré- sentent leurs migrations sous la disposition la plus simple et la moins étendupi, consistent en quelques espèc'S de poissons habitant les eaux saumâtres des estuaires et des étangs littoraux, d'où elles s'avancent parfois aax confins des affluants d'eaux douces, comme les Mug^s ou Mulets (gpnreil/w^i/), les Dorades (genre Chnjsoplirys),les Bars ou Loups (genre Loômar). €es êtr-'S, quand ils sont établis parfois dans un étang pour leur vie de croissance, — car ils peuvent aussi passer leur existence entière en mer, — ne fraient point datis les eaux saumâtres, et retournent aux eaux marines lorsque survient l'époque de leur reproduc- tion. Ils pondent donc dans la mi-r; leurs œufs y éclo- sent, et donnent des alevins, dont un certain nombre retourne aux étangs pour y grandir. D'iiabitude, l'exode reproducteur des adultes prêts à frayer a lieu vers la fin de l'été ou en automne, et l'accession aux «aux continentales des alevins nés en mer se passe à la fin de l'hiver ou au printemps. Il y a ainsi, dans ces espèces et pour les individus temporairement installés on étangs ou en estuaires, deux déplacements alternatifs, l'un juvénile de la mer aax eaux ter- restres, l'autre reproducteur de ces dernières à la mer. Ces voyages sont brefs et courts, ne portant d'ordinaire que sur de faibles distances, lis n'en règlent pas moins l'existence de l'individu, grâce à la nécessité de la fraie dans les eaux marines, et pré- sentent donc la migration de ponte en mer sous sa disposition la plus élémentaire. Par contre, le migrateur tlialassotoque le mieux ■^Sî LES POISSONS MIGRATEURS caractérisé, aussi accentué dans sa catégorie que le Saumon l'est dans la sienne, et le plus important comme le plus net en cela, est l'Anguille commune de notre pays {Anguilla anguilla, Linné). Le genre Anguilla constitue à lai seul la famille des Anguillidés, dans l'ordre des Apodes parmi les poissons. On connaît sa forme allongée, qui l'oblige à ramper sur le fond, à fouir la vase, à nager en ondulant. Sa peau, épaisse et gluante, contient dans sa substance des écailles incluses, dont l.^s lignes de croissance peuvent, par leur nombre, donner approxi- mativement le chiffre des années et l'kge de l'indi- vidu. Cette famille, ainsi caractérisé.», diffère de celle des Congéridés, qui contient le C|ongre (genre Conger) ou Anguille de mer, par cette possession d'écaillés incluses dans les téguments, par le fait d'avoir une mâchoire inférieure plus longue que la supérieure et la débordant, par plusieurs autres particularités tenant surtout aux dents et aux nageoires, enfin par l'existence divisée entre deux habitats successifs, l'un des eaux marines, l'autre des eaux continentales douces ou^saumâtres. Son unique genre renferme plusieurs espèces, dont les deux plus connues sont l'AnguillH commune [Anguilla anguilla, Linné) qui se trouve dans l'Europe entière sauf les bassins dépen- dant le la Mer Noire et de la Mer Caspienne, et l'An- guille d'Amérique {Anguilla chrysipa, Rafinesquej, qui vit aux Etats-Unis sur le versant atlautique. L'Anguille de notre pays fréquente les eaux de toutes qualités. On la pèche aussi bien dans les eaux salées ou saumâtres des ports, des embouchures, des étangs littoraux, que dans les eaux douces cou- rantes ou stagnantes. On la prend dans les régions de plaine comme dans des ruisseaux de montagne. Elle dépasse même les altitudes où s'arrête la majorité des poissons de nos rivières, et s'élève jusqu'aux l'anguille et les migrateurs tualassotoques 73 hauteurs où ne fréquente guère que la Truite. Mal- gré celle diversité d'habitat, ell''abondn presque par- tout. Grâce à un heureux contrasta avec la plupart des autres espèces de nos poissons coin 'stibli\s, elle n'offre aucun signe de dépeuplement. Cette grande facultéde pullul^tion étantconnuede longue date, c'est à elle que commence ce que l'on pourrait nommer l'énigme de l'Anguille. On voit, en effet, cette espèce toujours fréquentt^r les rivières et les étatigs ; on en trouve constamment, malgré ce que l'on capture ; et l'on n'aperçoit pas comment elle peut se repro- duire et se propag r. 11 est aisé de se rendre compte de ce dernier fait chez les autres poissons ; on discerne dans leur corps, à de c Ttaines époques, les œufs tout prêts pour la ponte prochaine ; on connaît leur fraie. Rien de tel n'a lieu pour l'Anguille. Aussi de nombreuses légendes, df^puis l'antiquité, ont-elles tenté d'expliquer ce que l'observation ne pouvait résoudre. Les unes font naître les Anguilles de la vas(^ des étangs. D'autres les font éclore dans le corps de divers poissons d'eau douce, tanches ou goujons. On a supposé qu'elles étaient hermaphro- dites, et qu'elles se fécondaient elles-mêmes. On a admis qu'elles étaient vivipares, et qu'elles mettaient au monde leurs petits tout vivants. On a inventé d'autres hypothèses encore plus extraordinaires, et tout aussi errimées. S'il est exact que certains pois- sons, et les Anguilles elles-mêmes, portant parfois dans leur corps des petits animaux filiformes, on sait que ces derniers sont des vers parasites, et non des embryons. Par contre, on connaît depuis longtemps plusieurs habitudes régulières de l'espèce, tendant à montrer que sa vie complète dépasse le domaine des eaux douces continentales et des eaux saumâtres littorales 74 • LES POISSONS MIGRATEURS pour empiéter sur celui des eaux marines du large. A l'automne s'effectue, dans nos rivières, l'épisode dit de la descente ou de V avalaison ; les grosses anguilles, souvent pelotonnées à plusieurs, descen- dent les cours d'eau jusqu'aux embouchures, puis disparaissent dans la mer. Les rivières, de ce fait, se dépeuplent annuellemvmt. Mais, par une disposition inverse, en hiver et jusqu'au printemps, le littoral est envahi par une prodigieuse quantité d'anguilles minuscules venant de la haute m r, et cherchant à se glissor dans les eaux saumàtres des étangs litto- raux, des estuaires, ou dans les eaux douces des fleuves, pour y pénétrer effectivement. Cet épisode contraire est désigné sous le nom de montée. Aussi régulier que celui de la descente, et revenant chaque année à la même date, il a pour résultat de com- penser la perle causée par le voyage à la m. r, et de remplacer les grandes anguilles disparues par de petites anguilles beaucoup plus nombreuses, qui ne deman lent qu'à grandir à leur tour. L'un dépeuple, l'autre repeuple. Consiiiérant ces deux actes inverses et s'équilibrant, le célèbre abbé Spallanzani, naturaliste et physicien du xvui'' siècle, inclinait à penser que l'Anguille, si elle ne fraie pas en eau douce, devait se reproduire en mer, puisque l'on voit ainsi, tous les ans, de grosses anguilles partir des eaux continentales pour aller dans les eaux marines, et, inversement, de petites anguilles sortir de celles-ci pour se rendre dans celles-là. Il lui semblait probable que les pre- mières allaient pondre, et que les secondes représen- taient les produits de cette ponte. Les études modernes ont démontré la réalité de cette présomp- tion. Les principales d'entre elles, dues à un savant naturaliste danois, le Docteur J, Schmidt, ont pu suivre les voyageuses dans leur trajet au sein de la l'anguille et les migrateurs thalassotoques 75 mer, trouver leurs frayeras en plein Océan, et recon- naître les phases de leur vie larvaire ainsi que leurs métamorphoses. On sait aujourd'hui, par l'observation directe et non par l'hypothèse, que l'existence complète de l'Anguille comprend trois étapes successives : la pre- mière larvaire, au large, dans la mer; la deuxième de croissance, dans les eaux continentales, saumâtres et douces ; la troisième reproductrice, exclusivement située en mer, oà l'individu est obligé de retourner pour frayer. Les déplacements auxquels il se livre pour se prêter à ces exigences vitales constituent sa migration. II voyage nuptial a travers l'océan Les Anguilles, quand est venue l'époque de leur reproduction, vont donc à la mer. Elles quittent les eaux continentales et se dirigent vers le large, comme les Saumons qui, dans un but identique, reviennent du large vers la terre. Les deux migra- tions, quoique de sens inverses, paraissent donc s'équivaloir, et, en effet, se correspondent dans leur ensemble ; mais celle de l'Anguille est encore plus compliquée, pius étendue, plus variée dans ses détails, que celle du Saumon. Le départ pour la fraie a lieu en automne. Jusque là, les Anguilles pouvaient compter parmi les espèces sédentaires de nos poissons ; à partir de cette date, elles deviennent migratrices. Cet exode, qui intéresse seulement les individus ayant achevé leur vie de croissance et rendus adultes, ne s'accomplit pas éga- lement chez tous. Ceux d'entre eux qui habitaient ieis 76 LES POISSONS MIGRATEURS eaux saumâtres des estuaires, des lagunes, des étangs littoraux, n'ont qu'un court trajet à franchir pour gagner la mer voisine ; mais ceux dfs rivières et d'^s étangs ont à parcourir une route plus longue. Ils la suivent cependant, s'aident du courant, se pelo- tonnent à plusieurs pour se laisser rouler par l'eau, et Unissent ainsi par toucher à leur but. G''S différences ne sont point les seules. Les Anguilles qui descendent les eaux douces sont, pour la plupart, des femelles. Tout en suivant leur route, elles produisent dans {pin- corps des ovaires volumi- n(-ux, découverts en 1777 par un naturaliste du nom de Mondini; ces organes prennent l'aspect d'épais cordons plissés, où les œufs s'ébauchent en nombre considérable. Par contre, les habitants des eaux sau- mâtres littorales sont en majorité des mâles; plus pistils que les femelles, ayant un museau plus long et plus pointu, ils façonnent en eux-mêmes des testi- cules, décrits pr»ur la première fois par Syrski en 1874, ayant la forme de cordons subdivisés et seg- mentés. Ces dissemblances des sex^s sont rendues plus sensibles, et plus apparentes, par les modilica- tions de teintes et d'allures qui frappent les Anguilles reproductrices en épargnant les autres. Celles-ci ne changent point, tandis que les premières élargissent leurs y^mx, qui prennent une orientation latérale, et rendent plus claire, blanche et nacrée, la couleur de leur ventre, en donnant des tons roussâtres ou oran- gés au pigment brun-vert de leur dos. Elles revêtent vraiment une livrée de noces, plus vive, plus écla- tante que celle d'autrefois, et qui caractérise leur état présent d'élaboration sexuelle. Elles se préparent à la ponte prochaine, et signalent leur nouvel état par ce changement de leurs couleurs, qui justifie l'expression « d'Anguilles argentées » qu'on leur accorde à ce moment. A dater de cette époque, et l'anguille et les MIOr^ATEURS TIIALASSOTOQUES 77 comme les Saumons reproducteurs, elles ne s'ali- mentent plus. Ainsi, à l'automne, les régions littorales se peuplent-elles d'Anguilles prêtes à frayer, qui se rendent aux eaux marines, et y pénètrent en nombre. S'accommodantsansdiflicultés cIh l'eau douce comme de l'eau salée, leur nature euryhaline n'empêche point ce passage. Mais elles ne sont encore qu'au début de leur course migratrice. Au lieu de se reproduire au plus près, sur les côtes voisines des lieux où elles ont touché la mer, elles vont entreprendre un longvoyage, qui doit durer des semaines et des mois, les conduire fort loin des pays dont elles proviennent, et ne s'ar- rêter qu'à son terme obligé, eu plein Océan Atlan- tique intertropical, auprès des lies Bermudes, où toutes les Anguilles d'Europe semblent se donner rendez-vous pour frayer. Cette course surprenante a pu être suivie. Les croi- sières et les investigations du Docteur J. Schmidt l'ont jalonnée et repérée, en resserrant peu à p>.u et précisant ses limites. Les observations ont d'abord consisté à marquer des Anguilles reproductrices en leur accrochant une petite plaque, et à les relâcher en prévenant du fait les pêcheurs des régions voi- sines, afin d'examiner celles que le hasard aurait laissé reprendre. Il fut ainsi démontré que les Anguilles de la Mer Baltique se rendent dans la Mer du Nord, en parcourant jusqu'à vingt et trente kilo- mètres par jour. Puis, la piste fut suivie de la Mer du Nord aux abords de l'Océan Atlantique. Alors, pour continuer, les recherches prirent une autre disposi- tion. Elles consistèrent à pêcher, dans l'Océan, les larves d'Anguilles qui le parcourent, et à se diriger progressivement vers les zones où ces larves se montrent de plus en plus pUites et plus jeunes, plus proches par conséquent de leur éclosion et du lieu où 78 LES POISSONS MIGRATEURS elle s'est effectuée. Recherches des plus difficiles, des plus délicates dans le vaste Océan, que le Docteur J. Schmidt a pourtant réussi à effectuer, en donnant au vifux problème de la reproduction de l'Anguille sa solution naturelle, plus extraordinaire encore que les hypothèses et les légendes dont on l'avait entourée. Les Anguilles d'Europe ont un rendez-vous nuptial, un lieu de ponte, où elles vont toutes, Cfdles des m; rs sept! ntrionales comme celles de la Méditerranée sans doute, afin d'accomplir leur reproduction. Elles fran- chissent des kilomètres par milliers, et parcourent, afin d'y parvenir, une vaste étendue de l'Océan Atlan- tique. Le rendez-vous est situé auprès de la mer des Sargasses et des Bermudes. Là, au début du printemps, quand toutes sont rassemblées après un périlleux voyage auquel l'hiver entier a été consacré, où beau- coup ont disparu sans doute, les femelles pondent leurs œufs, que les mâles féconlent en pleine eau. Cette migration merveilleuse est alors terminée. Que deviennent ensuite, la ponte accomplie, ces époux, qui ne se sont recherchés qu'après un tel voyage, semé d'obstacles et de dangers, et que tous entreprennent cependant? On l'ignore. Le seul fait certain est qu'ils ne retournent plus. Meurent-ils après la fraie, ainsi qu'il en est souvent pour le Sau- mon et pour l'Alose? Gontinu^nt-ils à vivre dans les profondeurs atlantiques, et à pouvoir s'y repro- duire? La nature, en cela, n'a pas encore dévoilé son secret. m LARVES d'anguilles, LEUR MÉTAMORPHOSE ET LEUR RETOUR Les jeunes Anguilles, comme les autres poissons de leur groupe, n'ont pas, dans leur jeune âge, la l'anguille et les migrateurs tiialassotoques 79 forme ni l'allurp qu'elles posséderont plus tard. Elles sont plates, relativement larges, et d'aspect foliacé, au lieu d'être cylindriques. Leur corps transpa- rent, laissant discerner en lui-même ses principaux organes, se termine en avant par une pi-titetête dont la bouche porte des dents solides. Au lieu de chercher à ramper, elles se tiennent en suspension dans l'eau, et se laissent entraîner par les courants marins. Par rapport aux Anguilles adultes, ces jeunes êtres sont des larves, qui devront subir une métamor- phose complexe avant de devenir des adultes à leur tour. La dissemblance est telle entre les deux formes que l'on a considéré ces larves, pendafit longtemps, comme constituant une famille particulière de pois- sons. On leur donnait le nom de Leptocéphales, qui leur est resté. On distinguait parmi ellos des espèces nombreuses. Le travail p.ctuel des spécialistes con- siste k rapporter ces dernières à celles des adultes dont elles déppnient. La larve spéciale de l'Anguille d'Eu- rope avait été nommée Lepiocephahis brevirostris. Les observations effectuées à Messine, voici une trentaine d'années, par deux naturalistes Italiens, Grassi et Calandruccio, démontrèrent que cette sorte de Lep- tocéphale appartient au cycle du développement de l'Anguille A leur époque, elles firent grand bruit. L'iiistoire larvaire de l'Anguille, ou de son jeune âge, encoreignorée récemment, est maintenaiitconnue dans ses traits importants, grâce, pour la majeure part, aux investigations du Docteur J. Schmidt. Les reproducteurs ayant frayé en pleine eau, leurs œufs fécondés flottent dans l'Océan, et, après un temps d'incubation, éclosent en donnant des petites larves du type Leptocéphale. Les circonstances de la ponte font que ces œufs, et les larves qui en proviennent, se trouvent d'emblée suspendus dans la masse des 80 LES POISSONS MIGRATEURS eaux atlantiques, vers les parages des Il<^s Bermudes, de la Mer des Sargasses, et à l'origine du Gulf- Stream. Leur quantité prodigieuse dépasse toute évaluation, chaque femelle étant capable d'engendrer plus d'un million d'ovules. Tous ces produits, entraî- nés par le courant du Galf-Stream, sont donc emportés à travers l'Océan Atlantique, et, comme le courant lui-même, cheminant de l'ouest vers l'est, en appro- chant progressivem.'nt des côtes de l'Europe occi- dentale et de l'Afrique du Nord. Cheinin faisant, ces larves, d'abord minuscules, grandissent tout en gardant leur forme plate et la transparence de leur corps. Elles mesurent, quand ce premier état approche de sa (in, 6 à 9 centimètres de longueur. Elles arrivent alors à la hauteur des côtes europé unes. Mais, avant de touch. rau lilt -rai, elles subissent une métamorphose compliquée, dont le résultat est de les convertir en petites Anguilles. Elles pordent leur aspect aplati et deviennent cylin- driques; elles s'eflilent, et se raccourcissent quelque peu; certains de leurs organes, notamment leur tube digestif, se modifient de façon sensible. Elles se trans- forment, et revêtent la constitution définitive de l'Anguille, tout en conservant encore leur transpa- rence et leurs tons hyalins. Cette métamorphose s'accomplit dans l'Océan, au large. Quand elle est terminée, les essaims de Leptocé- phales, tenus en suspension dans les eaux marines, se trouvent changés en bandes de nombreuses Anguilles filiformes, transparentes, qui continuent à rester suspendues dans la mer, et qui se laissent ainsi dériver vers la côte. Puis, dès qu'elles y par- viennent, elles se dirigimt vers les embouchures des lagunes et des fleuves, y pénètrent, et y demeurent désormais. Marines jusque-là, elles changent de milieu pour peupler les eaux continentales. l'anguille et les migrateurs thâlassotoques 81 Une telle invasion du littoral s'accomplit réguliè- rement chaque année, en hiver et au printemps. Les riverains la connaissent et l'attennt dans le golfe de Gascogne, approchent des Iles Britanniques, s'introduisent dans la Mer du Nord, 82 LES POISSONS MIGRATEURS dans la Mer Baltique, et de là, se répandent sur la majeure part de l'Europe. La partie océanique du voyage des jeunes ayant pris fin, la partie continen- tale va commencer. IV LA MONTÉE d'ANGUILLES Les Anguilles de montée ont r-'çu, selon nos pro- vinces, des noms différ<'nl^. Les principaux sontceux de Givelles et de Piballes pour nos côtes atlantiques, de Rouirons pour notre littoral méiiterranéen. En quelques pays de France et d'Espagne, notamment sur les bords du Golfe de Gascogne, on les pêche pour les manger en friture ou en omelette. Leur nombre prodigieux, la facilité de leur capture, car il suffit de passer dans l'eau une poche de lilet emmanclié pour en saisir à chaque fois plusieurs dizaines et même plusieurs centaines ensemble, expliquent un tel usage alimentaire de ces menus alevins. Il est impossible d'avoir, sur cette invasion pullu- lante et la quantité d'individus qui s'y livrent, des renseignements numériques précis, mais on peut obtenir sur elles quelques approximations, tiré'S de cet emploi, qui fait des Givelles un objet de consom- mation et de transport. Les gares du seul départe- ment des Landes ont expédié, en 1906, si l'on totalise les poids des colis d'emballage, 73.000 kilos de ces alevins. D'autre part, un kilogramme de Givelles comprend en moyenne :2. 000 individus. Si l'on ramène le poids précédent à 50.000 kilos pour en déduire la matière des emballages, le total des expéditions représente environ cent millions déjeunes Anguilles. l'anguille et les migrateurs titalassotoques 83 Or, ces chiiîros ne se rfipportent qu'aux expé'lition& faites par la voie ferrée; ils ne mentionnent pas ceux des envois d'autre sorte, ni de la consommation locale, ni ceux, plus élevés encore, des individus qui échappent aux pêcheurs. II faudrait, pour approcher de la vérité, les majorer dans une proportion consi- dérable. Ils ne s'appliquent en outre qu'au seul lit- toral d'un département français. On peut juger, d'après cela, de l'extraordinaire pullulation des Anguilles, et de leur puissante capacité de repro- duction. Le premier efîort de la montée, de cette sortie de la mer pour entrer dans les eaux continentales, se fait surtout pendant la nuit, et par grosse mer. Alors les Civelles quittent plus volontiers les lieux battus par les vagues, et pénètrent dans l'eau tranquille des chenaux d'étangs et des bras fluviaux. Ace moment, elles ont encore toute leur transparence, mais ne vont pas tarder à la perdre. L'accession aux eaux sau- mâtres et douces entraîne, chez elles, le dépôt pro- gressif de substances pigmentées dans leurs tégu- ments ; peu à peu, quoique petites et flu^ttos encore, elles deviennent opaquf^s, plus foncées sur le dos, moins sous le ventre, et revêtent les couleurs qu'on leur connaît. Leur entrée en eaux douces se répartissant sur plusieurs semaines, et même sur plusieurs mois, les individus diffèrent de taille selon les époqu s, et, pour notre pays, diffèrent aussi d'une mer à l'autre. Les Civelles atlantiques, qui mesurent souvent près de 8 centimètres de longueur, sont plus fort» s que celles de la Méditerranée, dont les dimensions prin- cipales se tiennent habituell ment au-dissmis de ce chiffre. En outre, les Civelles les plus précoces, qui arrivent les premières, sont plus petites que les retar- dataires et dernières venues. La taille augmente avec 84 LES roissoNS migrateurs le retard. Ce choix naturel, établi de lui-même, se complète d'autre façon par les dispositions futures d'habitat, du moins chez le plus grand nombre. Les petites Civelles du début s'arrêtent, pour la plupart, dans les eaux saumàtres des estuaires, des lagunes, des étangs du littoral. Elles ne poussent pas davantage l'effort de leur montée, et s'installent à demeure; beaucoup d'entre elles, quand leur sexua- lité se développera, deviendront des individus mâles. Les autres, plus tardives et plus fortes, qui seront des femelles pour la plupart, continuent leur route. Elles recherchent de préférence les bras fluviaux et les eaux franchement douces; s'inlroduisant en elles, elles remontent le fleuve d'un élan continu. Assem- blées en troupes rampant sur le fond, se suivant à la file en un long cordon mobile, passant d'habitude par les mêmes endroits, elles avancent toujours de plus en plus loin vers l'amont. Chemin faisant, elles s'épar- pillent, pour se répartir entre les divers affluents de droite et de gauche. Le cordon s'amincit, et se dis- loque, tout en cheminant. Les petites Anguilles se répandent à mesure sur des espaces sans cesse plus vastes, élargissent sans discontinuité le périmètre des zones qu'elles peuplent ; elles flnissent par prendre possession de tou^leur domaine terrestre, représenté par l'ensemble des eaux douces continentales, cou- rantes ou stagnantes. Le caractère envahissant et progressif d'un tel peu- plement se révèle ainsi de façon plus nette chez les femelles que chez les mâles. La cause, sans doute, en est due à la sexualité même, qui, dès les phases lar- vaires et l'état de Leptocéphale, imprime déjà ses dispositions à l'organisme, bien que les organes repro- ducteurs ne soient pas encore développés. Les larves de sexualité mâle se métamorphosent plus tôt, et donnent, par suite, des Civelles de petites dimensions, l'anguille et les migrateors thalassotoques 85 qui se dirigent les premières vers le littoral. La métamorphose, par contre, a lieu plus tarri chez les larves de sexualité femelle, d'où résultent une taille plus forte et une montée plus tardive. De plus, ces dernières, problablement sous le besoin d'une respi- ration plus active, recherchent les eaux courantes et douces plus riches en oxygène dissous, et les remon- tent, alors que les premières, moins exigeantes, s'ar- rêtent souvent aux eaux saumâtres côtières, dont elles se contentent. V VIE DE CROISSANCE ET PUBERTÉ Toutes ces petites Anguilles, ainsi parvenues dans les eaux continentales, y accomplissent donc leur vie de croissance. Encore fluettes et minuscules, mais ayant déjà leur forme et leur structure complètes, elles n'ont qu'à grandir. Les étapes de leur accrois- sement se marquent, d'une manière assez nette, sur les petites écailles incluses dans leur épaisse peau gluante; à chaque hiver, époque d'engourilissement et d'arrêt décroissance, lasubstance de l'écaillé cesse de se produire, et, lorsque son dépôt recommence au prin- temps, ses nouveaux éléments se laissent distinguer de ceux qui les avaient précédés et qu'ils entourent. Chaque année possède souvent sa ligne. En comptant ces dernières, on peut connaître ainsi, avec une approximation suffisante, l'âge de l'individu. Il a été possible de se rendre compte, grâce à ce procédé, que les deux sexes diffèrent encore sur ce point. La croissance habituelle, commune à tous, consistant en une élongation annuelle de huit à dix centimètres, les mâles s'arrêtent plus tôt que les »b LES POISSONS MIGRATEURS femelles. Parvenus à 40 ou 50 centimètres de lon- gueur, vers leur quatrième année de vie continen- lale, ils arrivent au terme de leur croissance parti- culière, et H'' grandissent pas davantage; l'élaboration sexuelle commence à ^e manifester en eux, la livrée de accès à apparaître sur leur corps, et ils sont prêts à retourner aux eaux marines pour entreprendre leur voyage nuptial. L'âge de puberté est plus tardif chez les femelles; il ne se montre gtière que da,ns la sep- lîème ou la huitième année do la vie continentale. A cette date seulement, qui correspond à une longueur de corps égalant 80 cesitimèlres à 1 mètre, débutent l'élaboration sexuelle avec le changement de livrée, et se préoare la descente pour le v^)yage en mer. Un tel accroissement, car l'élorigation du corps s'accompngne d'un élargissement correspondant, ïiécessite une alimentation copieuse. L'Anguille la trouve et la prend dans les eaux où elle vit. Elle est Carnivore, et franchemi nt prédatrice; elle traque les petits poissons, les grenouilles, les épie à l'affût, et ne fait aucun choix; toute chair animale lui est bonne. Elle opère de préférence la nuit, et se lient volontiers en repos pendant la journée, soit «infoncée dians la vase, soit enroulée et.pelotonnée dans un trou de rocher ou une anfractuosilé. Tout en s'alimentant et en grandissant, l'Anguille se déplace, va et vient dans l'eau, et même hors de Feau, Une remarquable conformation de ses crganes respiratoires, la petitesse et la mobilité de ses ouïes, c'est-à-dire des orifices qui font commu- niquer ces organes avec le dehors sur bs côiés du cou, lui permettent d'emmagasiner de l'humiiiité, et, ainsi munie, dp sortir de son milieu aqueux ordi- naire pour progresser sur le sol en rampant à la manière d'un serpent. Les Anguilles agissent de la sorte pendant les nuits pluvieuses, lorsque la terre l'anguille et les migrateurs thalassotooues 87 trempée, battue par l'eau, leur offre des facilités qu'un sol desséclié ne leur donnerait pas. Il n'est pas rare, dans la belle saison, d'en trouver au malin parmi les prés arrosés et les gucrets humides, arrêtées par le jour dans cette course à travers champs qu'elles comp- taient reprendre la nuit d'après. Elles vont ainsi de ruisseau en ruisseau, et de mare en mare. Elles ampli- fient sans cosse l'étendue de leur domaine terrestre et pénètrent partout, grâce à cette singulière facilité de déplacement et à leur propriété de résistance vitale. C'est par ce moyen que certaines réussissent à s'introduire dans des flaques d'eau isolées, dans des puits, et non^point, comme on l'a admis, par un procédé ignoré de reproduction sur place. Elles y sont venues en partant du ruisseau le plus proche, et, s'y trouvant bien, elles y sont restées. Le froid de l'hiver arrête cette activité, et engourdit l'animal. Les Anguilles s'enfoncent dans la vase, y restent à l'état de léthargie, dont elles ne sortent qu'aux premières tiédeurs du printemps. Tel est bien le cas habituel au cours de la vie de croissance, mais non plus aux approches de la puberté. Alors leur activité ne diminue point; elle augmente même en se dirigeant d'autre façon, vers les préparatifs du voyage nuptial. A l'automne, en ce cas, au lieu de chercher un gîte pour hiverner, elles restent en pleine eau, et tentent de se diriger du côté où elles trouvent des profondeurs plus grandes. De proche en proche, elles gagnf^nt ainsi le fleuve principal, qui les conduit vers son embouchure et vers la mer. C'est, pour lt>s Anguilles des rivières, la descente ou l'avalaison. Arrivées dans la zone des estuaires et des étangs littoraux, elles y rencontrent les mâles pubères, plus petits qu'elles, mais également prêts à partir pour leur commun voyage de noces. Tous ensemble attendent le moment propice. C'est, ob LES POISSONS MIGRATEURS ordinairement, pendant la nuit, par mauvais temps d'orage, qu'a lieu le départ en mer, par troupes nom- breuses. Certains étangs littoraux se vident en quelques heures de la majorité de leurs habitants. Alors com- mence la grande migratinnent en deux directions opposées. Ce sont par conséquent ces deux obligations contradictoires qu'il s'agit de connaître et de préciser, pour obtenir la réponse aux questions posées. Cette réponse est celle que le Saumon a déjà donnée.^ et ne saurait être différente. L'indivi.lu, chez ces deus. espèces migratrices, modilie ses manifestations vitales selon les besoins successifs de son organisme, et se déplace dans son milieu de manière à satisfaire chaque fois aux plus impérieux de ces derniers. Il se dirige à chaque instant vers ce qui l'attire le plus. Ses migrations ne sont autres que les déplacements tentés pour trouver ce qui lui convient surtout. 11 suii 92 LES POISSONS MIGRATEURS un tropisme en sommo, et, guidé par sa sensibilité différentielle à l'action du milieu, il se dirige de proche en proche vers le point où il rencontrera la condition voulue par le besoin présent. Comme ses besoins changent au cours de l'existence, les direc- tions se modifient, et les résultats se montrent par les migrations. Le cas de l'Anguille, malgré sa complexité, doit donc s'examiner selon celui du Saumon, et se considérer de la même façon. VII TROPISMES MIGRATEURS DE l'aNGUILLE Ainsi faut-il, selon toutes probabilités, rattacher îes changements succossifs d'habitat de l'Anguille à des phénomènes de tropisme. La démonstration directe échappe en ce qui les concerne, mais les circonstances qui les entourent se disposent de telle sorte, et s'orit'ntent de telle façon, qu'elles éveillent dans l'esprit une conviction formelle. Cet entraînement général et obligatoire, sauf l'ex- ception d'impossibilité matérielle, des individus vers la mer à la venue de leur puberté; cette descente continue qui aboutit à la mer pour s'y prolonger par un voyage à travers l'Océan ; cette impulsion si forte qui se saisit de l'organisme pour l'intéresser seule au point de restreindre et d'annihiler les autres appétits, comme celui de l'alimentation; ces conditions si nettes et si caractérisées rappellent exactement celles des Saumons migrateurs, qui, à l'époque de leur reproduction, traversent aussi les mers et les rivières pour parvenir jusqu'à leurs frayères. L'état des uns l'anguille et les migrateurs thalassotooues 93 donne la mesure de celui des autres. Dans les deux cas, le déterminisme est identique. Seulement, l'influence déterminante, chez l'An- guille, ne peut plus être celle du Saumon, Si les effets s'accordent quant à la réaction des individus, il y a dissemblance dans les causes. L'action guidante, chez celui-ci, est celle de l'oxygène dissous et dt^s besoins respiratoires. Ces derniers sont moindres ciiez celle- là, comme elle le montre par ses séjours dans les étangs et les man^s, où la proportion d'oxygène dis- sous, fort restreinte, sufiit pourtant à son entretien, alors qu'elle en serait incapable à l'égard des Salmo- nidés. Du reste, la descente des eaux douces vers les eaux marines, d'un milieu plus riche en oxygène vers un milieu généralement plus pauvre, prouve également que la fonctijn respiratoire n'est point la principale intéressée, et que la cause prépondérante se trouve ailleurs. L'influence prédominante chez l'Anguille, dans la mesure où il est permis d'évaluer en pareil cas, est probablement celle de la température. L'exode à la mer a lieu tn automne, saison où les eaux continen- tales se refroidissent plus vite et plus fort -ment que les eaux marines. De même, la descente vers les rivières et les fleuves, l'abandon des ruisseaux et des étangs d'altitude, relèvent de ce fait. La sortie hors des estuaires et des étangs littoraux, habitufdlement opérée par grosse mer du large, conduit dans des eaux tièdes que les courants de poussée dus au vent et aux vagues amènent à portée. Du début à la fin, la descente et la sortie en mer ont pour effet de con- duire en des lieux où la température estivale s'est le mieux conservée, en éloignant des lieux où la tempé- rature hivernale commence déjà à se manifester. De proche eu proche, les Anguilles pubères, qui cessent de s'alimenter, et manquent par conséquent des 94 LES POISSONS MIGRATEURS calories de nutrition, s'écartent de ceux-ci pour se rapprocher de ceux-là; progressivement, elles vont vers des eaux de plus en plus profondes, d'où, le courant aidant, elles descendent à la mer. Cet t^ntraînoment continue à se manifester dans la mer elle-même. Les filets dérivés du Gulf-Stream venant baigner les côtes occidentales de l'Europe et pénétrer dans leurs mers, les Anguilles reproductrices ■tâchent de s'y maintenir. Comme les Saumons dans les rivières, où ils cherchent une proportion toujours plus élevée d'oxygène dissous, il fautadmettre qu'elles cherchent également une température toujours plus tiède; elles remontent le Gulf-Stream jusqu'aux parages voisins de son origine. Ce courant se montre d'autant plus chaud qu'on le prend plus près «le ces derni'rs; il se refroidit progressivement en traver- sant l'Atlantique. Les Anguilles, en le remontant, se rr>nd"nt ainsi dans des eaux d'une température de plus en plus élevée, et poussent Lur voyage jus- qu'au bout, jusqu'aux approches de la m -r des Sar- gasses, des B-rmudes, où, parvenues à leur maturité sexuelle, trouvant réalisées autour d'elles les condi- tions nécessaires, elles procèdent à leur fj-aie. Ct4te migration de rassemblement reproducteur relèverait donc d'un phénomène de thermutropisme. De son commencement à son achèvement, les indivi- dus qui l'accomplissent se placent dans des habitats succcessifs à températures croissantes, et se meuvent de manière à s'y placer progressivement. Les relations sont telles, et si étroites, que l'on doit conclure, comme dans le cas du Saumon, à une action directe de ces divers milieux. L'Anguille, pour son élabora- tion sexuelle et sa fraie, a besoin d'une température supérieure à celle que pourraient lui procurer, à cette époque, les lieux où s'est passée sa vie de croissance. Elle se dirige en conséquence, quitte ces derniers, va l'anguille et les MIGRATEJRS TilALASSOTOQUES 95 vers des eaux mieux pourvu^^s. Grâce à son euryha- linité, qui lui permet de subsisterégalerûent dans les eaux marines et les eaux douces, comme de passer avec aisance des unes aux autres, elle peut retourner à la mer d'où elle est venue jadis, et prolonger son voyage, sous l'influence thermique qui la guide et la conduit, pour arriver finalement sur sa frayère en plein Océan. La fraie accomplie, et les œufs éclos, les larves, emportées par le Gulf-Stream, sont entraînées vers l'Europe. On doit admettre que leur métamorphose en Civelles, produisant un organisme nouveau, amène aussi des besoins nouveaux. La vie de croissance qui comm.^nce demande, comme chez la plupart des poissons étudiés à ce sujet, une respiration active. Cette nécessité s'atténue à mesure que l'individu grandit, mais s'affirme pourtant au jeune âge. Le branchiotropisme juvénile exercerait ici son action; il pousserait les Civelles à s'introduire dans les eaux continentales, et, plus prononcé chez les futures femelles, il les conduirait à remonter les rivières pour installer leur habitat en eau douce. L'Anguille serait donc soumise, comme le Saumon, à deux influences déterminantes quant à l'habitat, successives et cunlraires, qui nécessito-nt des dépla- cements pour s'y prêter, en s'aidant au mieux des circonstances environnantes. Pendant sa jeunesse et sa vie de croissance, celle de l'activité respiratoire occupe la première place; d'abord impérieuse au point d'obliger à un changement de milieu, elle s'atténue ensuite. Puis, avec la puberté et le début de l'élaboration sexuell.^, celle de la température prédomine ; c'est à elle qu'il faudrait attribuer l'exode h la mer et l'extraordinaire voyage nuptial. Ces deux impulsions opposées, successives, s'a- joutent à une disposition permanente, qui les rend 5 96 LES POISSONS MIGRATEURS parfois plus évidentes. L'Anguille fuit la lumière; elle fait preuve en toutes circonstances d'un photo- tropisme négatif des plus nets. C'est pendant la nuit qu'elle se meut, qu'elle accomplit ses déplacements, soit pour s'alimenter, soit pour émigrer. Elle garde, dans les eaux continentales, les habitudes des autres représentants marins de son groupe, qui vivent volon- tiers auprès des grandes profondeurs obscures, s'ils ne s'y établissent point à demeure. Peut-être cette disposition, en s'exaltant à l'époque de la puberté, facilite-t-elle la descente à la mer, comme elle facilite celle des alevins du Saumon. Le changement de pigmentation, et la production d'une livrée de noces, en donneraient les raisons apparentes. Pourtant l'action prépondérante, tout au moins dans la traversée de l'Océan, semble bien être celle de la chaleur dont l'Anguille aurait besoin pour son élaboration sexuelle, cette dernière, par surcroît, ne pouvant, dans les circonstances naturelles, s'accomplir ailleurs qu'en milieu salin. 11 y a là matière à d'intéressantes expé- riences, qui pourraient donner sur ces points des précisions faisant encore défaut. Vin l'anguilliculture Les deux voyages obligatoires de l'Anguille, sa grande puissance de reproduction, la longue durée de sa vie de croissance, font de ce poisson l'une des espèces les plus abondantes, comme des plus aisées à capturer. Au voyage juvénile d'aller, on pèche la montée dans les embouchures des fleuves et dans les chenaux des étangs littoraux ; les engins même l'anguille et les migrateurs thalassotoques 97 les plus simples, troubles et épuisettes, suffisent pour la capturer. Au voyage nuptial de retour à la mer, on pêche les grandes Anguilles pubères dans des filets tendus sar leur passage, où, entraînées par leur impulsion dominante, elles se laissent prendre auto- matiquement. Pendant la vie de croissance, dans les rivières et les étangs, on les saisit par des moyens nombreux et variés, dont le plus fréquent est celui des lignes de fond mouillées la nuit. 11 est difficile d'évaluer, même approximativement, le rendement de ces pêches dans notre pays. Les statistiques officielles portant sur la zone maritime de nos eaux continentales (étangs littoraux, ports, embouchures fluviales) accusent annuellement un chifTre presque toujours supérieur à un million de kilogrammes. Celui de la pèche en eaux douces, sur toute l'étendue de notre territoire, doit lui être égal sans douté, sinon le dépasser. Ce serait donc à deux millions de kilos en moyenne qu'il conviendrait d'évaluer le poids total des anguilles livrées en France, par année, à la consommation : ressource de haute valeur pour l'alimentation générale, et d'au- tant plus intéressante qu'elle est acquise à l'aide d'engins peu coûteux. Cette ressource peut augmenter encore, en utili- sant mieux les précieuses qualités vitales de l'espèce, en facilitant et guidant l'effort de la montée, comme en aménageant des étangs et des pièces d'eau pour donner toute son extension à la vie de croissance. Il s'agit en cela d'une sorte d'élevage, qui mérite son nom d'Anguilliculture, et qui permet d'accroître le rendement des pêch s comme de le stabiliser. Il est possible de peupler avec des Civelles de montée, aisées à conserver vivantes pendant plu- sieurs jours et à transporter au loin, des étangs qui ne contiennent comme poissons que de la blanchaille. 98 LES POISSONS MIGRATEURS Les Anguilles se noarrissaDt de cette dernière pen- dant leur vie do croissance, produisent une chair utili, able, alors que rion de tel ne pourrait être demandé aux menues espèces de poissons blancs. On doit se garder toutefois d'en faire autant pour les étangs à pisciculture réglée, soit de Carpes, soit de Truites. L'Anguille étant Carnivore, et grosse man- guise, détruirait bientôt l'espoir du pisciculteur, car elle prélèverait pour sa nourriture une part trop forte. Le déficit ainsi causé dépasserait le bénéfice donné par sa propre pêche. Ces transports et ces immersions de Civelles ne sont profitables que dans des rivières ou des étangs abanilonnés, en économi- sant aux jounes Anguilles l'rffjrt de la montée, et les dispensant des pertes qu'elles pourraient subir pendant leur voyage. Une autre sorte d'Anguilliculture est celle des étangs littoraux et des lagunes côtières. D'une part, on facilite l'entrée des Civelles arrivant du large, d'autre part, on installe des pêcheries sur le trajet suivi par les Anguilles pubères de manière à les cap- turer. Cette forme d'exploitation piscicole est très développée en bien des pays, l'Italie, la Hollande, l'Espagne, notre littoral médit rranéen. On pourrait l'améliorer encore, soit en rendant l'entrée plus aisée, soit en tâchant de favoriser l'alimentation du poisson penilant sa vie de croissance, soit en déve- loppant l'industrie des conserves. La puUulation de l'Anguille, son existence régu- lière, la bonté de sa chair, créent en sa faveur une réelle primauté dont on n'use encore que faiblement, et qui mériterait pourtant de s'utiliser davantage. CHAPITRE V Le Thon et les Poissons saisonniers. I. Thon rouge et Germon. — II. La pêche des Thons. — i;i. Variations de cette pèche. —IV. Tiiéorie migratrice du Thon et objections. — V. Voyage nuptial du Thon et ses déplacements annuels inverses — VI. Sensibilité àla salinité et à la température. — VII. Habitat océanographique des Thons. — Vlli. Tropisme halothermique du voyage nuptial. — IX. Les Poissons saisonniers et leurs tropismes. THON ROUGE ET GERMON On désigne communément sous le nom de Thons un certain nombre de Scombres de grande taille, qui, recherchés pour les qualités de leur chair, donnent lieu en plusieurs pays d'Europe à une flo- rissante industrie de conserves. Ces espèces sont sai- sonnières et périodiques; elles apparaissent chaque année sur les lioux de pèche à des époques régu- lières, et disparaissent de même. On les capture de préférence, en ce qui concerne les mors dEurope, dans la Méditerranée, et dans la partie de l'Océan 100 LES POISSONS MIGRATEURS Atlantique qui îjaigne la France avec la péninsule Ibérique. Deux espèces fréquentent surtout nos côtes. L'une d'elles est le Thon proprement dit [Orcynus ihynnus L.), ou Thon commun, ou encore Thon rouge à cause de la teinte écarlate de sa chair à l'état frais ; on le reconnaît à ses nageoires pectorales courtes, n'attei- gnant pas de îeur pointe le niveau de l'anus. L'autre est le Germon, ou Albacore, ou Alalongue [Germo alalunga Gm., ou germo Lac), ou encore Thon blanc, car sa chair est d'une teinte moins vive que la précé- dente; elle se caractérise par ses pectorales fort longues, qui dépassent en arrière la région anale. Le Thon rouge, dans nos ^-aux, est principalement péché en Méditerranée, le Germon dans l'Atlantique. Le Thon est un superbe poisson, dont les beaux exemplaires, atteignant 1 mètre 50 à 2 mètres de longueur, pèsent 200 à 300 kilogrammes; le Germon lui ressemble en plus petit, car il dépasse rarement un mètre. Leur bouche, relativement étroite, porte des dents assez courtes, mais nombreuses et aiguës. Ils sont des chasseurs déterminés, des poursuivants acharnés de poissons plus petits qu'eux, maquereaux, sardines, anchois, ou des espèces bathypélagiques qui peuplent la haute mer. Parfois, dans la belle saison, ils remontent, principalemfmt le Thon, jusque dans la Manche et la Mer du Nord ; on en a même signalé sur h'ë, rivages de la Norvège. Ces espèces, toutefois, préfèrent et fréquentent les eaux tièdes. L'habitat de prédilection du Thon est dans la Méditerranée, ou dans les régions intfrtro- picales de l'Océan Atlantique; celui du Germon est dans ces dernières. Elles ne s'en écartent guère qu'en été, lorsque les zones d'eaux chaudes s'étendent vers le nord ; elles les, accompagnent. Leur ponte a lieu dans la seconde moitié du printemps. Les œufs, LE THON ET LES POISSONS SAISONNIERS 101 petits, sont pondus par les femelles en quantité con- sidérable ; ceux du Thon commun ne mesurent guère plus d'un millimètre de diamètre. Ils flottent librement dans les eaux marines, et se développent tout en flottant. II LA PÊCHE DES THONS La pêche des Thons s'effectue, chaque année, à deux époques, ou à deux saisons. L'une d'elles, prin- tanière, se place en mai et juin. La seconde s'ouvre en juillet, pour durer tout l'été, et se prolonger par places en automne ^'i en hiver. La première n'a lieu qu'en certaines localités, et par un seul moyen ; la seconde, d'ordre plus général, utilise divers engins différents. La pêche de printemps est dite du « Thon de course », ou du « Thon d'arrivée. » Ces poissons, à cette époque, se montrent en nombre sur plusieurs points : la côte des Algarves et celle de Cadix, dans la Baie d'Espagne, pour les Thons et les Germons de l'Atlantique; la région d'Alicante et de Carthagène, la Sardaigne, la Sicile, la Tunisie, pour les Thons de la Méditerranée. Ils n'y paraissent point avant la date de leur apparition habituelle, qui s'accorde souvent avec la Un d'avril et la première quinzaine de mai; ils en disparaissent vers la fin de juin ou le début de juillet. Ils passent par troupes, et vont tou- jours, dans une même localité, selon une même direction. Leur trajet régulier se plaçant parfois à proximité du rivage, la méthode de pêche consiste à utiliser ce passage et cette régularité en installant une pêcherie fixe sur la route suivie par eux. 102 LES rOISSONS MIGRATEURS Ces pêcheries, nommés des madragues [lonnari en Italien, almadrabas en Espagnol, armaeoès en Por- tugais), sont de véritables châteaux de filets tendus dans les eaux marines, et mesurant jusqu'à 150 et 200 mètri^s de longueur. On peut les comparer à des verveux gigantesques, divisés en plusieurs compar- timents, ou chambres, communiquant entre eux. Les pêcheurs les mouillent à une certaine distance du rivage, sur des fonds de 20 à 30 mètres, et les orientent parallèlement, ou presque parallèlement au rivage même. Ils barrent ensuite le chenal, laissé entre l'engin et la côte, par un filet tondu transver- salement, dit la queue, que l'on prolonge, dans cer- tains pays, de l'autre côté de la pêcherie et vers la haute mer. Puis ils ouvrent la chambre contiguë à cette barrière, pour permettre aux poissons d'entrer librement. Le travail de celte installation est consi- dérable. Les Thons, dans leur course régulière, vont buter contre la queue qui s'oppose à leur passag ;. Ils ne reviennent pas sur leur route, no cherchent pas à contourner' l'obstacle, mais se maintiennent contre la queue en la suivant. Ils arrivent ainsi sur la madrague, rencontrent l'ouverture laissée béante, et s'introduisent dans la chambre qui lui correspond. Ils vont ensuite de chambre en chambre, jusqu'au dernier compartiment, où ils se réunissent sans pou- voir en sortir. Ce compartiment est dit à juste titre la chambre de mort. Fermé en dessous par un plancher horizontal de filet, il ne laisse aux Thons aucune issu^. Souvent, une journée suffit pour qu'il s'y amasse plusieurs centaines d'individus. Lorsque leur nombre est jugé suffisant, on procède à l'opération ultime, qui est l'abattage. Le plancher de iilet est peu à peu sou- levé, comme on ferait d'une énorme épuiselte. Les LE THON ET LES POISSONS SAISONNIERS 103 Thons, qui so cachaient dans les profondeurs de la chambre, sont ainsi mis à portée. On les assomme, on les accroche avec des harpons, on les sort de l'eau, on les entasse dans les barqups. La mer, • autour de ce massacre, se teinte de rouge par l'abondance da sang versé. Les grands poissoiss, qui agonisant et se débattent dans les batf^aiix où on les a jetés, sunt emportés finalement à l'asiae de con- serves, où ils vont être sur l'heure dépecés et pré- parés. Chaque madrague comporte en effet, à proximité, une usine à conserves avec son matériel et son per- sonnel. Pendant la durée de la pèche, le travail est constant et la rotation continue da lilot à l'usine. Le personnel des pêcheurs et des ouvriers dépasse sou- vent une centaine d'hommes par exploitation. La pêche à la madrague est une grande industrie, qui exige des capitaux considérables el une furte main- d'œuvre. La pêche des autres saisons prête moins à des éta- blisserat'nts d'une telle importance, bien que sa durée soit plus longue, que soient plus vastes les espaces où l'on puisse l'exercer, et plus variés les procédés mis en usage. En quelques régions, les Algarves principalement, et jadis le littoral provençal, on dressait à cet effet des madragues qui capturaient des Thons allant et venant en divers sens, souvent inverses de celui de la pêche printanière : d'où l'ex- pression « Thons de retour » employée à leur égard. On so sert encore, dans certaines occasions propices, de pêcheries mobiles, dit^s sinches, qui cernent les poissons avec un cercle de iilets rapidement teiidus. Nos pêcheurs méditerranéens utilisent principale- ment un tilot dérivant, nommé par eux courantille, dans lequel les Thons s'emmaillent et s'enveloppent. Mais le procédé le plus usité, et le plus rémunéra- 104 LES POISSONS MIGRATEURS teur, est celui de la ligne à traîner, où le poisson s'enferre sur un hameçon garni d'un appât. C'est avec lui que l'on prend le Germon dans l'Atlantique, au large. III VARIATIONS DE CETTE PÊCHE Les pêches aux poissons saisonniers marins, tout en s'exerçant régulièrement aux mêmes époques, et dans les mêmes lieux, varient toutefois d'année en année au sujet de leur rendement. Il est des années fertiles, qui, sans raison apparente, donnent un revenu considérable; il est des années stériles, qui rendent peu. Cette fertilité et cette stérilité com- portent, à leur tour, des degrés. Mêmp une seule sai- son de pêche montre également des périodes de plus ou de moins. Pourtant, dans'ces divers cas, les choses extérieures ne semblent point avoir changé ; la pêche seule, ou plutôt l'affluence des poissons, se trouve incriminée. Les Thons, mieux que les autres espèces saisonnières, offrent des variations de cette sorte, car elles sont chez eux plus apparentes, et plus sensibles, par suite du dénombrement plus aisé des résultats de la pêche ; en outre, la régularité fort nette de leur cycle d'allées et de venues permet de serrer de plus près les causes possibles de ces chan- gements, et de laisser discerner, pour eux comme pour leurs similaires, ce qui règle toutes ces alter- natives. Un exemple permet de poser la question. L'une des plus impurtantHS madragues de la Tunisie, celle de Sidi-Daoud, près du Gap Boq, a pris en 1911, pendant les deux mois de mai et de juin qui com- LE THON ET LES POISSONS SAISONNIERS 105 posent la saison de pêche, 12.859 Thons, posant ensemble 64^.950 kilogrammes. L'année suivante, en 1912, son tableau do pêche porte seulement 5.071 pièces, pesant 354.970 kilos. La production diminue encore en 1913 ; elle tombe à 4.604 pièces et 253.220 kilos. Par contre, en 1910, cette produc- tion, se rapprochant de celle de 1911, s'élevait à 8.800 pièces et à 440.000 kilos. De même, celle de 1909 comportait 7.640 pièces et 458.400 kilogs. La courbe de rt ndement de cette madrague a donc subi une ascension de 1909 à 1911, est parvenue à son apogée dans cette dornière année, puis a décliné jusqu'à 1913. Toutes les madragues, dans tous les pays où l'on emploie ces pêcheries, montrent à cet exemple des variations de même sorte, que les praticiens con- naissent bien, et dont ils tiennent compte dans les évaluations de leur industrie. Un autre exemple, relatif à la pèche journalière, peut encore être pris dans les documents officiels fournis par une madrague quelconque. Ainsi, pen- dant les cinq premières journées de juin 1911, la madrague d'Isola Piana, en Sardaigne, a pris 217 Thons le 1" juin, 981 le 2, 724 le 3, et seulement 123 le 4, puis 216 le 5, Certaines régions, jadis riches en Thons, n'en cap- turent aujourd'hui qu'un nombre restreint. Le Golfe de Marseille renfermait autrefois, jusqu'au milieu du XIX* siècle, dix madragues florissantes ; elles sont supprimées aujourd'hui, ou peu s'en faut, car les revenus se montraient inférieurs aux dépenses de l'exploitation. Jadis, et jusqu'au xviii° siècle inclusi- vement, les côtes du Roussillon recevaient, chaque année, les visites de Thons nombreux. Ces venues étaient si régulières, si profitables, que certaines bourgades de pêcheurs, comme Collioure, avaient institué à cet effet tout un personnel officiel de gw^t- 105 LES POISSONS MIGRATEURS leurs ot de marins. Aujourd'hui ces passages n'existent presque plus, et se font aussi rares que clairsemés; les liions ne manquent point, mais ils se tiennent en hauts mor, et n'apprc»c!ient plus autant de ces côtes. Une diversité semblable se révèle aussi d'un centre de pêche à un autre. Tel d'entre eux est habituelle- ment avantagé par les passages do Thons, alors que tel antre l'est beaucoup moins. Ceci revient à dire que ces poissons ne fréquentent pas indifféremment toutes l;^s localités, et qu'ils ont leurs préférences. Pendant l'année 1911, les sopt madragues de la Tuni- sie ont pris ensemble 'ÈoA'll Thons, per-ant au total 1.985.z^l7 kilogrammes. La même année, 1ns côtes algéri!>nnes, voisinas pourtant des tunisiennes qu'elles prolongent à l'ouest, n'ont donné, malgré leur éten- due, que 50.800 kilos, soit le quarantième environ de la Tunisie. En cette même année, les côt<«s françaises méditerranéennes (Provence, Languedoc, Roussiilon) ont produit 483.100 kilos de Thons, presque dix fois plus que les régions algériennes, mais quatre fois moins que les tunisiennes. Enfin, pour terminer, la pêche du Germon dans l'Atlantique, en ce qui con- cerne l'armement français, a donné, en 1911, d'après les statistiques officielles, 5.830. 653 kilogrammes de poissons. Ces chiffres et c^s données montrent combien cette pêche au Thon est active et variable à la fois. En ce qui concerne l'Europe, et en sus du bassin occidental de la Méditerranée, elle est pratiquée en Algarve sur les côtes du Portugal, et en Espagne auprès de Cadix. Le bassin méditerranéen oriental, la m r Egée, le B >sphore, reçoivent chaque année des visites de Thons nombreux, que l'on capture dans des madragues. Le port de Constantinople a gardé, depuis l'ancienne Byzance, son vieux nom de Corne d'Or dont il fut LE THON ET LES POISSONS SAISONNIERS 107 qualifié jadis d'après l'opnîonc ; de ses antiques pos- sesseurs, qui s'enrichissaient avec la pêche du Thon. De telles alternatives, qu'elles soient locales, jour- nalières, ou annuelles, ont leur raison d'être. Les praticien les expliquent en se référant aux habitudes qu'ils attribuent aux Thons. Selon eux, ces poissons, étant migrateurs et voyags ant par bandes, vont et viennent de façons diverses, cette diversité d'allures entraînant cidle des rendements. Il faut donc exami- ner ce que vaut cette théorie migratrice, la première en date de celles qui ont été proposées pour les pois- sons saisonniers, et la plus acc»^ptahle en apparence, puis évaluer le degré de considération qu'elle mérite. Cette étude critique étant effectuée, il sera possible, si l'opinion précédente ne s'accorde pas avec les faits, d'examiner ailleurs pour discerner la conduite réelle des choses. Les Thons donneront ainsi le modèle et la base d'appréciation. iV THÉORIE MIGRATRICE DU THON ET OBJECTIONS La pêche au Thon est pratiquée de toute antiquité dans la Méditerranée entière, et, à ses portes, dans la Baie d'Espagne. Les moyens usités jadis diffèrent à peine de ceux dont on se sert aujourd'hui. Les des- criptions données par les anciennes halieutiques permettraient encore de suivre les manœuvres des praticiens contemporains. Or, les pêcheurs grecs et latins d'autrefois étaient de fins marins et de bons observateurs. S'étant rendu compte de l'alternance périodique des apparitions du Thon, ils en avaient cherché l'explication. Les constatations faites par eux 108 LES POISSONS MIGRATEURS servant.de base, leur penchant pour la fiction et le merveilleux donnant le complément, ils en avaient conclu à la migration du Thon autour de tOute la Méditerranée, co voyage se compliquant d'un va-et- vient de la Méditerranée elle-même dans TOcéan Atlantique. Cette théorie migratrice, aussi célèbre qu'antique, adoptée et propagée par Aristote et par Pline, s'est maintenue sans changer jusqu'à notre époque. Les praticiens et nombre d'ichthyologistes l'acceptent encore comme allant de soi, sans la cri- tiquer, ni la contester. Ses principaux arguments sont tirés des appari- tions et des disparitions périodiques des bandes de poissons, et des directions constantes que ces bandes semblent suivre. Chaque année, en avril et au début de mai, on voit, dans la Baie d'Espagne, des troupes nombreuses qui, paraissant venir de l'ouest et du sud des régions atlantiques, convergent du côté des Algarves, de Cadix, et de l'entrée du détroit de Gibraltar. A une époque un peu plus tardive, on voit, de l'autre côté de ce détroit et dans le bassin occi- dental de la Méditerranée, d'autres troupes de Thons qui se dirigent vers l'est, ou le sud-est, comme si elles se portaient uniformément vers la Méditerranée orientale. Enfin, dans cette dernière, et à la même époque ou un peu plus tard, des Thons passent en abondance autour des îles de la mer Egée pour s'in- troduire dans la mer de Marmara. Tous ces poissons rassemblés fournissent alors aux pêcheurs l'occasion de nombreuses captures, tandis qu'ils manquent presque entièrement dans les mêmes lieux, avant comme après cette période d'assemblage. Aussi les anciens auteurs, et les praticiens de tous les temps, liant entre eux ces phénomènes pourtant distincts, en ont conclu que le Thon a son principal habitat dans l'Océan Atlantique ; que ses bandes s'intro- LE THON ET LES POISSONS SALSONNIERS 109 (luisent chaque année, au printemps, dans la Médi- terranée en franchissant le détroit de Gibraltar ; qu'elles parcour^mt la Méiliterranée entière, de l'ouest à l'est, et traversent le Bosphore afin de pénétrer dans la mer Noire, où elles pondent; enlin, qu'elles retournent à l'Atlantique pour ne se montrer à nou- veau que l'année d'après. Un naturaliste distingué de la Sardaigne, Cetti, qui vivait au xviii" siècle, a rectifié sur un point cette théorie, tout en acceptant pleinement I"S autres. Il estimait que l'acte fécondateur ne doit pas s'accom- plir dans la m t Noire seule, puisque les Thons péchés au printemps sur les côtes de Sardaigne portent des œufs parvenus à maturité, et montrent les indices d'une fraie prochaine. Malgré l'acceptation qu'il en donnait d'autre part, Cetti portait ainsi un premier coup à l'antique théorie migratrice. Selon l'esprit de cette dernière, le périple méditerranéen a pour objet la ponte dans la mer Noire ; si cet acte pouvait s'accomplir en cours de route, on ne compre- nait plus la raison de continuer un voyage aussi long. Des objections nouvelles furent faites ensuite par d'autres autours. En 1816, un seigneur Sicilien, Charles d'Amico, duc d'Ossada, constata que les Thons, non seulement fraient dans les eaux qui baignent son pays, mais encore que les jeunes ale- vins nouvellement éclos y séjournent et y gran- dissent. Aussi Georges Cuvier, résumant plus tard, en 1831, le pour et le contre de la théorie, incline-t-il à penser que les migrations du Thon, moins vastes qu'on ne le supposait, se réduiraient à des voyages beaucoup plus limités. Les derniers coups furent portés, vers la fin du siècle dernier, par le naturaliste italien Pavesi et par le roi Carlos de Portugal. Pavesi, considérant les habitudes du Thon, fait LES POISSONS MIGRATEURS remarquer que l'espèce ne quitte point la Méditer- ranée pour se porter ailleurs, puisqu'on l'y pêche pendant toute l'année. II ne pourrait on êlrii ainsi au cas où elle quit'erait cette mer, la ponte acci»mplie, pour se rendre à l'Océan. A son avis, la population thonnière de la Méditerranée serait autochtone, et indépendante de celle de l'Atlantique ; ses déplace- ments se borneraient à se diriger du large vers les côtes, ou des profondeurs v.?rs la surface, et n'au- raient pas d'autro, raison. Mais, tout en a Imitant avec Pavesi que le Thon de la Méditerranée demeure dans cotte m-r, une réserve dans cette discussion s'établissait du fait des bandes qui, au printemps dans l'Océan Atlantique, se portent vers l'entrée du détroit de Gibraltar. Que deviennent ces troupes, et franchissent-elles le détroit, ou s'éparpillent-elles sans y pénétrer? Le roi Carlos s'est livré avec méthode, sur ces questions, à des investigations compiètos. Ses observations mantront qu'aucune pciiéiralion n'a lieu, que les Thons venus au print mps dans la Baie d'Espagne y séjournent pendant quelques semaines, puis, retournant à l'Océan, repassent, à 50 ou 5:2 jours d'intervalle, par les lieux où ils avaient passé auparavant, et s'épar- pillent. Il se pourrait que certains isolés s'engagent dans \>' détroit et parviennent dans la Méditerranée, mais la masse principale reste atlantique. Le roi Car- los prouve on outre que les circonstances météorolo- giques loc.tles, tenant aux vagues, à la direction ou à la force des vents, à la pression barométrique, n'exercent aucune influence sur les déplacemi^nts de ces bandes en mouvement. Les Thons vont et vi. nnent avec régularité, à dates fixe^, sans paraître touchés par les circonstances variables du climat local. Sous ces efforts répétés, la théorie migratric^'adonc vécu. Du reste, elle n'avait jamais existé scientifique- LE THON ET LES POISSONS SAISONNIERS 111 ment. Elle consistait en une hypothèse permettant de relier entre eux certains faits, mais à la condition de négliger tous les autres. Seulement, les auteurs qui l'ont renversée n'ont rien mis à sa place. Ils ne donnent aucune explication rationnelle du phéno- mène essentiel, constitué par les apparitions et les disparitions périodiques, régulières, annuelles, du Thon. L'opinion de Pavesi sur la nature bathypéia- gique de ce poisson, celle de M. le professeur BounhioL de rUniversilé d'Alger, sur la subordination de ses déplacements aux courants de poussée créés par les vents, se rapportent à des dispositions locales, non pas à l'allure générale de l'espèce. La question doit se traiter en sa totalité. Il est certain que l'oscillation périodique du Thon a sa cause déterminante. Chaque année, au prin- temps, la pêche principale se localise en certaines régions de la Méditerranée, pais, après quelques semaines d'exercice, s'y interrompt pour ne renaître que l'année d'après, aux mêmes dates, par l'apparition de nouvell s bandes. Dans l'intervalle, qui embrasse les autres saisons, on capture des Thons en d'autres parages plus nombreux, plus disséminés, plus éten- dus, où ces poissons font défaut au printemps. Il semble que la pêche se localise en quelques points pendant la saison printanière, pour s'étendre pen- dant l'été et se maintenir avec des variantes de plus ou de moins, jusqu'au printemps suivant où la localisation recommence. Tel est le fait principal, général, qu'il s'agit d'étudier, et d'expliquer. 112 LES POISSONS MIGRATEURS V VOYAGE NUPTIAL DU THON ET SES DÉPIACEME TS ANNUELS INVERSES Le bassin occidental de la Méditerranée, en ce qui concerne le Thon commun, fournit à ce sujet un cha mp excellent d'observations. Encadré par le littoral français au nord, par l'Algérie et la Tunisie au sud, par l'Italie et l'Espagne sur les côtés, sufti^amment vaste pour ne prêter à aucune variation irrégulière, et cependant assez borné pour ne rien laisser à l'écart il offre à l'étude les meilleures conditions qui soient.' Riche en Thons, la pêche y est fructueuse, et l'état dé ses rendements, comme les variations qu'ils subissent, donnent sur la conduite du poisson les plus complètes indications. Les Thons, pendant la belle saison, à partir du mois de juillet, se montrent dans le bassin entier, aussi bien au large qu'au voisinage des côtes. Groupés en bandes plus ou moins nombreuses, ils fréquentent volontiers certaines régions où ils trouvent en plus grande abondance qu'ailleurs les proies, sardines, anchois, maquereaux, et autres, dont ils se nourris- sent. Le golfe du Lion, sur notre littoral, est plus par- ticulièrement choisi par eux pour ce motif. Les Thons, à cette époque, sont des individus erratiques entièrement livrés à la poursuite alimentaire; gros mangeurs et grands chasseurs, ils traquent leurs proies en pleine eau, et suivent de près les bancs flot- tants d'êtres plus petits qu'ils exploitent pour leur con- sommation. Aux approches de la mauvaise saison, ce régime se LE THON ET LES POISSONS SAISONNIERS 113 maintient encore, mais avec des intermittences. Les zones superlicielles de la mer se refroidissent, et sont plus souvent agitées; les proies possibles descendent en profondeur, ou se retirent au large. Les Thons font de même; mais ils restent assez nombreux dans les zones de pêche pour donner en automne, et même en hiver, des rendements rémunérateurs. Parfois, dans les périodes de beau temps, ils remonti^nt jusqu'à la surface comme en plein été. Leur puissance muscu- laire, leur vélocité de nage, qui les classent parmi les poissons les plus rapides, leur permettent d'accomplir aisément, et promptement, des voyages étendus, aussi bien en profondeur que dans le plan horizontal. Tout change au printemps. En avril, et bien que les belles journées soient plus fréquentes qu'en hiver, bien que les bancs flottants servant de proies recom- mencent à se montrer, les Thons diminuent en nombre, et finissent par disparaître entièrement. Leur pêche, sur notre littoral, s'interrompt de façon complète pendant le mois de juin, malgré toutes les facilités qui s'offreut à elle, car son obji4 a cessé d'être. Les Thons sont partis; et leur absence ne présente aucune rémission, aucun retour momen- tané. Elle dure environ deux mois à deux mois et demi; puis, en juillet, les Thons reviennent, et le régime normal de la pêche reprend jusqu'au prin- temps suivant. Le rythme périodique, saisonnier, régulier, de l'apparition et de la disparition s'accuse avec netteté, et d'autant mieux qu'il ne présente aucune atténuation. Ceci ayant lieu dans les diverses parties du bassin entier, un phénomène similaire, mais inversé quant aux époques, se manifeste en certaines zones spé- ciales, toujours les mêmes, représentées actuellement par les parages de la Sardaigne méridionale, de la Sicile, et de la Tunisie, groupés dans la région par 114 LES roissoxs migrateurs où le bassin occidental de la Méditerranée s'unit au bassin oriental. Ces parages, pondant lété, l'automne, l'hiver, reçoivent parfois quelques Thons erratiques, mais en nombre trop réduit pour donner lieu à une pêche convenable. Par contre, au printemps, dès la fin d'avril et lo début de mai, ils d<;viena'mt le siège d'un rassemblement de Thons fort nombreux, qui s'y présentent en foule considérable, s'y maintiennent jusqu'au milieu du mois de juin, et s'y prêtent à une pêche rémunératrice faite au moyen de madragues. Puis, dans la seconde quinzaine do juin, ces indivi- dus disparaissent entièrement, de nouvelles troupes semblables ne revenant se montrer qu'au printemps d'après. Tous ces Thons sont des reproducteurs. lis'agitenc la, dansces parages, d'un rendez-vous nuptial, où viennent chaqu.i année les Thons en état de frayer. Ces individus, à cette date, méritent d'être désignés par le terme de génétiques, contrairement à celui d'erratiques qui leur convenait précédemment. Leurs glandes sexuelles, fort volumineuses, atteignent leur maturité. Ils ne se livrent à aucune poursuite alimentaire, ne chassent aucune proie; leur estomac et leur intestin sont vides. Tout leur organisme ne s'att'iche qu'à l'accomplissement des fonctions repro- ductrices. Pendant l'hiver qui précède la fraie printa- nière, on pouvait suivre, sur les individus capturés à des époques successives, les degrés du grossissement progressif des glandes et de leur élaboration. Cette évolution parvient à son terme à l'époque et dans les lieux de la fraie. La ponte, alors, a lieu en pleine eau. Les femelles rejettent leurs œufs flottants, que les mâles fécondent. Après quoi, tous ces individus grou- pés en nombre, ayant accompli l'acte qui l'S avait amenés, se dispersent en tous sens pour s'alimenter, poursuivent à nouveau des proies, et reprennent leur allure erratique d'auparavant. LE TUON ET LES POISSONS SAISONNIERS 115 Un balancement aussi net, entre les doux phéno- mènes alternatifs d'apparition et de disparition, pré- cise à la f is leur nature et leur valeur. Ce rendez- vous nuptial en des localités déterminées représente le terme et l'aboutissant d'un voyage de rassemble- ment qui appelle les individus reproducteurs pour les unir. Tous ceux qui peuvent jouer un rôle dans la fraie quittent les régions où ils se trouvent, pour aller dans celles où ils doivent pondre ; leur dispari- tion dans los unes fait le pondant de lour apparition dans les autres. Puis, la fraie accomplie, le contraire se manif;'ste. Au voyage de rass mbiemont fait suite un voyage de dispersion, ou plutôt un éparpillcment des intéressés, qui, reprenant la chasse à l'aliment, se répandent à nouveau dans le bassin entier. Ce rythme régulier explique celui de la pêche, tel qu'il est précédemment décrit. L'industrie du pêcheur se dispose d'après la conduite du poisson,. Les parages de l'aire de ponte, où se fait le rendez-vous nuptial, sont le siège de la pêche aux Thuns génétiques de printemps, dits Tlions de course ou Thons d'arrivée par les praticiens. Partout ailleurs, pendant la dis- persion et la longue période erratique, la capture s'effectue par d'autres façon,s. Dans leur renvoi après la fraie, hïs individus reprennent en sons inverse le trajet qu'ils avaient d'abord suivi, et justifient l'ex- pression (( Thons de retour » que les praticiens leur accordent. C'est eirectivcment le début du r .tour à la vie erratique, qui va se maintenir jusqu'à l'autre période de fraie, et jusqu'au nouveau r.mdez-vous. Ainsi les Thons, dans le bassin occidental de la Méditerraiiée, cffjclu^nt annuellemont deux déplace- ments inverses, la roproduction donnait ici l'impul- sion fondamentale. Ils se rassemblent ou s'épar- pillent, salon le cas. Il en est de même pour le Germon dans l'Océan Atlantique, du moins dans la 116 LES POISSONS MIGRATEURS partie touchant à l'Europe et à l'Afrique du Nord. Cette espèce possède une aire de ponte dans la Baie d'Espagne, et s'y rend au printemps pour frayer, dans un voyage de rassemblement reproducteur grande- ment exploité par des madragues. La ponte terminée, elle retourne à l'Océan, et s'y éparpille en devenant erratique. Le champ est plus vaste que celui de la Méditerranée, mais les circonstances sont les mêmes. VI SENSIBILITÉ A LA SALINITÉ ET A LA TEMPÉRATURE Les Thons erratiques, tout en se livrant avec achar- nement à la poursuite de leurs proif^s, et se disper- sant dans leur domaine entier d'habitat, présentent, dans cet éparpillement, une diversité et une mobilité de distribution qui leur donnent souvent une allure d'apparence désordonnée, et rendent leur pêche fort irrégulière comme rendement. Après s'être montrés avec persistance en un lieu déterminé, il leur arrive de disparaître brusquement, pour reparaître ailleurs dans une région où ils avaient fait défaut, sans qu'au- cune cause présente, tenant aux circonstances météo- rologiques ou aux convenances alimentaires, puisse justifier de telles variations, qui déroutent les pêcheurs. Les recherches que j'ai consacrées à ce sujet m'ont prouvé, cependant, l'existence d'une cause, et sa loca- lisation dans certaines conditions d'état des eaux de la mer. Ces conditions sont celles de la température et de la salinité. Le Thon est un poisson sténotherme et sténohalin ; il recherche les zones marines portant des degrés thermiques et salins élevés; il s'écarte des LE THON ET LES POISSONS SAISONNIERS 117 autres. Gomme ces zones changent d'emplacement selon l's courants, les vents, ou diverses dispositions des massifs littoraux, les Thons les suivent dans ces fluctuations, vont et viennent, partent et retournent selon leurs modalités. Les rendements 'le la pêche se modifient en conséquence; ils augmentent en un lieu donné, lorsque les zones marines formées d'eaux tièdes à forte salinité peuvent en approcher et s'y établir pour un temps ; ils diminuer.t lorsqu'elles s'en éloignent. La sténothermie du Thon, dans la Méditer- ranée, le conduit à fréquenter des eaux dont la tem- pérature approche le plus de '20°, chiffre qui parait représenter pour lui l'optimum thermique, le mini- mum en cela étant celui du chiffre de 13°, la tempéra- ture moyenne des eaux profondes méditerranéennes. Sasténohalinité l'astreint à se tenir surtout dans des eaux dont la proportion de sels dissous approche de 38 grammes par litre, ou même la dépasse. En défi- nitive, le Thon possède une sensibilité halo-thermique manifeste, dont il suit les exigences dans ses déplace- ments, quelles que soient les conditions d'autre part. Le Germon, dans l'Océan Atlantique, agit de même, et sa conduite copie celle du Thon méditerranéen, du moins quant à la sensibilité thermique. Les obser- vations du roi Carlos de Portugal ayant noté jadis que ce poisson ne se montre pas si la température de la mer s'abaisse au-dessous de 13", de nouvelles cons- tatations plus récentes, dues à M. Le Danois, ont prouvé que ce point doit s'élever au-dessus du chiffre 14 pour donner à la pêche sa pleine capacité de ren- dement. Gette sensibilité halo-thermique s'exalte à l'époque de la reproduction, lorsque les Thons, après leur existence erratique, deviennent génétiques. Les varia- tions journalières de rendement, accusées par les madragues, en donnent la démonstration lorsqu'on 118 LES POISSONS MIGRATEURS les suit parallèlement à celles de la température et de la salinité des eaux marines. La nappe d\ au bai- gnant une madrague ne demeure pas immuable; elle change selon Ips courants, et selon les apports venus du rivage voisin. Les inflexions variables des courants marins agissent sur sa température, les épanchements des fleuves côtiers et des .sources sous-marines, plus ou moins abondants selon le régime des pluies, , influent sur sa salinité. Ses qualités en ces deux sens se modifient à plusieurs reprises et de diverses quantités pendant la saison de pêche. Ces change- ments, qui tiennent à l'eau seule et sont indépen- dants des circonstances météorologiques, qui ne se décèlent que par l'usage du thermomètre et l'analyse des sels dissous, se répercutent sur le rendement des madragues. L'augmentation de tt^mpérature et de salinité correspond à une pêche meilleure, la diminu- tion à une pêche moindre, ^ Comme ces rt^ndemonts dépendent à leur tour de l'affluence des Thons, ou de leur détournems à la mer sont parcourus par des courants allernés qui vont des uns à l'autre, ou inversement. Tantôt l'eau de l'étang suit le chenal pour aller à la mer, et tantôt l'eau marine fait le même trajet en sens contraire pour entrer dans l'étang. Or les Muges reproducteurs ne quittent ce dernier, pour se rendre à la mer, que dans le cas où le courant marin parvient jusqu'à eux; il leur faut être touchés par lui pour les faire obéir à leur impulsion, déjà présente mais non eflVctive. Le milieu homogène représenté par l'eau de l'étang ne donnait lieu chez eux à nulle réaction; ils demeuraii^t en place. Par contre, dès que le milieu environnant devient hétéro- gène grâce à la venue de l'eau de la mer, immédiate- ment ils manifestent leur activité et leur impulsion eu se portant vers cette eau nouvelle, s'introduisant dans son courant, et le remontant jusqu'à la mer où la ponte devra s'effectuer. D'après ce cas typique, qui peut servir d'exemple général, le déterminisme migrateur laisse connaître ses modes essentiels. Non seulement il exige l'action directe du milieu environnant sur l'organisme, mais encore il lui faut que cette excitation et sa perception soient différentielles. Son rôle ne commence qu'à cette condition. Puisj ainsi déclanché, il continue à guider l'individu dans la direction où conduit l'exci- tation, et l'accompagne jusqu'à son terme. L'action immédiate du milieu extérieur, perçue différentielle- ment, devient le principe même de toute migration. Le déterminisme migrateur, chez ces poissons, appartient donc à la catégorie des tropismes. On ne LE PROBLÈME OCÉANOGRAPHIQUE 14^9 saurait l'envisager d'autre sorte. Ces déplacements périodiques, orientés avec constance, subordonnés à l'action directe d'un milieu hétérogène et guidés par elle, ne peuvent être autrement considérés. Toutefois ils offrent avec les tropismes, tels qu'on les décrit habituellement, plusieurs différences manifestes. Ils dépendent de la sensibilité générale, plutôt que de per- ceptions sensorielles spécialisées. L'excitation pre- mière, s'adressant à l'organisme entier et non à l'une do ses moitiés, est donnée par un changement d'état dans le temps. Il serait utile à la compréhension de ces phénomènes d'élargir la notion ordinaire du tro- pisme, en la complétant, conformément à la pensée de M. G. Bohn, par celle des mouvements polarisés. Dans la limite où la complexité vitale permet une telle comparaison, la migration équivaut en effet à une polarisation, à un entraînement selon une direc- tion fixe et constante. L'ampleur des choses natu- relles, la grandeur des causes et de leurs effets, l'allure propre de ces derniers, ne doivent point masquer la donnée essentielle, qui réside dans cet entraînement même et dans sa raison immédiate : l'action du milieu extérieur en accord avec les be- soins du milieu intérieur. Cette conclu,sion suffit au naturaliste, car elle donne une solution rationnelle au problème océanographique de la migration. Cette dernière ne se présente plus comme le résultat d'un acte psychique, conscient ou non, qui, propre à l'individu, serait indépendant des circonstances environnantes. Tout au contraire, elle se subordonne à ces dernières, débute par leur entre- mise, se maintient et se conduit sous leur action con- tinue. Cette sérialion d'habitats successifs, que la migration représente, a donc sa règle et son ordon- nance tirée du milieu extérieur. Son déterminisme principal ne saurait être cherché ailleurs. 150 LES POISSONS MIGRATEURS VU LEUPHORiE ET LE MÉLIORISME DES MIGRATIONS Des doux parties de lacté migrateur, l'extéri'ure et l'inlérieure, si la première détermine la conduite, la seconde a pourtant son rôle et son jeu. C'est par elle que s'exprime l'impulsion venue du dehors. L'organisme, grâce aux modifications qu'il subit en lui-même, permet au milieu ambiant de l'influencer, et, par les déplacements qu'il accomplit, lui permet aussi de prolonger la durée de cette influence. On ptîut se demander dès lors si cette condition indivi- duelle est assez assurée, assez bien réglée, pour se prêter à l'état périodiq:ie des migrations, et si, tout en étant subordonnée et conduite, elle ne pourrait point d'elle ssmle modifier, dans certains cas, les données océanographiques du problème. La première notion à envisager est celle de la con- dition profonde du migrateur pendant sa migration. L'organisme ayant rencontré dans le milieu extérieur telle circonstance convenable, s'attache à elle pour ne point la quitter; il se déplace avec elle pour continuer à en profiter. Il est comme un automate d'une nature spéciale, à la fois dépendant et indépen- dant, qui accomplit des mouvements volontaires liés à des p^Tceptions sensorielles, mais dans la mesure seule où ils se subordonnent à l'entraînement princi- pal dirigé par le déterminisme migrateur. Cet entraînement le conduit. Il a pour résultat de maintenir autour de lui la circonstance favorable dontla présence a déterminé le phénomène. Le fonction- nement général de l'organisme en est facilité, et c'est LE PROBLÈME OCÉANOORAPHIQUE 151 le maintien de cette aisance que l'organisme persévère à réaliser. La migration produit chez l'individu, dans la condition spéciale où il se trouve à cette époque, un état d'euphorie, dont la réalisation présenta devient à son tour laraison même de sa réalisation future et de la continuité de l'action. Il y a, dans cet échange entre l'être et le milieu ambiant, une recherche constante du mieux, un méliorisme naturel, qui représente, par rapport à l'individu et à son milieu intérieur, la cause profonde du déplacement migrateur. C'est de ce côté, et non ailleurs, qu'il faut chercher l'instinct de la migration, si l'on veut employer ce terme pour désigner de façon commode, et sans trop préciser, l'ensemble des actions et dos réactions qui interviennent dans ce phénomène. Cet instinct n'est pas psychique, mais somatique et général. Il appar- tient à l'organisme entier; il consiste en un accord entre les conditions internes de cet organisme à un moment donné, et les conditions extérieures du milieu environnant à ce même moment. Sans ces der- nières, les premières ne joueraient pas et n'abouti- raient point. La réalisation n'a lieu que si cd accord s'accomplit, et elle ne se poursuit que s'il se main- tient. L'instinct migrateur serait donc une sympathie d'intuition, qui suit les directions naturelles des choses. La pénétrante définition de l'instinct général, donnée par M. Bergson, est la seule vraiînent qui puisse convenir à ce cas particulier. On doit conclure de là que la nature ne saurait offrir à l'individu aucune raison efficiente pour ne point se prêter à l'action déterminante du milieu extérieur. Il n'est, dans son cas, aucune prise pour le hasard. Les directions naturelles et présentes étant réglées, les résultats surviennent sans nulle rémis- sion. Ils peuvent varier de quantité, ou de position, mais non pas de qualité essentielle. Les organismes, lf)2 LES POISSONS MIGRATEURS suivant avec régularité les phases de leur vie de croissance et de leur vie de reproduction, subissant en concordance avec elles les changements de leur nutrition générale et de leur sensibilité, sont tenus par cela même de se prêter aux conditions offertes par le milieu où ils vivent, qui les contient, et dont ils reçoivent l'action excitatrice. La solution princi- pale du problème océanographique, chez les poissons migrateurs, est bien celle du déterminisme lié à l'action directe du milieu extérieur. Cette action doit se considérer tout d'abord et comme raison prin- cipale, les autres ne venant qu'ensuite. Aussi les études futures sur les poissons migra- teurs ne devront-elles pas se borner à des recherches les concernant seuls. On n'obtiendrait ainsi qu'une part de la solution, et la plus restreinte. Il leur faudra s'attacher en outre à des investigations minutieuses sur le milieu aquatique, et sur ses divers états, considérés par rapport aux phases suc- cessives de la vie individuelle, comme aux dispositions de l'organisme. Ces études seront à la fois dynamiques et statiques, océanographiques et morphologiques. C'est bien ainsi, du reste, que les effectuent la plu- part des naturalistes contemporains. Ils ne séparent nullement l'hyirobiologie de l'anatomie ni de l'embryo- logie; ils ne la considèrent point comme un domaine à part, dont ils n'auraipnt pas à se préoccuper. Bien au contraire, s'attachant à elle, ils se font naviga- teurs et pêcheurs ; ils app dlent h leur secours toutes les notions utiles de la physique et de la chimie; et, ne négligeant aucune des données du problème, ils ont déjà obtenu d'importants résultats, gages certains des résultats futurs. CHAPITRE Vil Le problème économique des poissons migrateurs. I. Le poisson, gibier de pêche. - II. Le poisson, transforma- teur alimentaire. — III. Périodes d'abondance et périodes de disette. — IV. Piscit'acture et immersions d'alevins. — V. L'Océanograoiiie et le progrès de l'industrie des pêches. I LE POISSON, GIBIER DE PÊCHE Le problème économique consiste à rechercher les moyens d'obtenir le meilleur rendement de la pêche aux migrateurs, sans nuire à leur production natu- relle. La chair de ces êtres, et les substances que l'on retire d'elle, représentent une ressource considérable, dont il est utile d'user largement, et le plus possible, mais sans abuser. La solution de ce problème, envi- sagée du côté de l'histoire naturelle, c'est-à dire de la production elle-même, nécessite donc d'être serrée du plus près. L'industrie des pêches n'est autre qu'une exploita- tion du monde aquatique à notre usage, comme les ^54 LES POISSONS MIGRATEURS chasses le sont pour le monde terrestre. Le poisson est un gibier de pêche. Mais une différence très nette s'établit entre les deux parties du monde vivant, quant à l'emploi que nous en faisons. Nous trouvons à cet égard, dans le milieu terrestre, des animaux sauvages et des animaux domestiques ; nous obte- nons de lui du gibier et du bétail. L'un et l'autre nous servent également sous le rapport alimentaire, mais avec une différence sensible du point de vue économique. Le gibier échappe presque entièrement à notre action, et s'entretient de lui-même ; par contre, nous tenons le bétail sous notre dépendance, et, l'ayant toujours à portée, pouvant disposer de lui à notre gré, l'accroître ou le diminuer selon notre désir, nous en tirons un usage extrême, dont rien n'approche par ailleurs, sauf chez les plantes culti- vées. L'élevage du bétail constitue une science com- plète, la zootechnie, qui a ses méthodes, ses règles, ses lois. Rien de tel n'existe pour nous dans le monde aquatique, soit parmi les poissons migrateurs, soit parmi les sédentaires. Il n'est d'exception que pour le petit nombre d'espèces, Truites et Carpes, élevées dans des bassins de pisciculture ou des étangs, et suivies pendant leur croissance entière depuis l'éclo- sion jusqu'à la ponte ou à la vente marchande. Celles- ci, qui représentent vraiment un bétail, c'est-à-dire un groupement d'animaux soumis à un élevage con- tinu, ne composent qu'une minorité. Partout ailleurs, dans les eaux, il n'y a que du gibier, que des êtres qui nous échappent, qui s'entretiennent d'eux-mêmes, sans notre concours ni notre secours. Nous ne les touchons qu'au moment de leur capture par 1rs moyens de la pêche. Le gibier aquatique, dont tous les poissons migra- teurs font partie, nous échappe bien plus que celui LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE 1-^^ du mon'le terrestre. Ce dernier peut être vu et en- tendu, car nous vivons dans le même milieu que lui, et ses sensations participent des nôtres ; mais il n'en est pas de même pour le premier, qui se dérobe dans la profondeur des eaux, où notre structure nous interdit de le suivre. Il se tient loin de la main comme hors de la vue. On le pêche et on le prend souvent sans le voir. Les engins seuls, dont on se sert pour sa capture, descendent jusqu'à lui. Souvent faits de matières banales et communes, ils ont une apparence simple, et pourtant ils expriment mieux que tout autre outil la puissance de l'ingéniosité humaine. Car la tentative n'est pas petite, do construire et d'employer ces engins, qui s'attachent à la barque d'où on les lance, mais qui traA^aillent sans être con- duits ni tenus de près, et souvent dans des conditions difficiles ou même dangereuses de navigation. Tout ce que l'observation et la réflexion ont eu moyen de disposer s'y trouve rassemblé. Plusieurs de ces outils, pour être conçus et créés, ont exigé l'effort successif de nombreuses générations, qui toutes ont donné leur appoint. Jadis exigus et restreints, certains d'entre eux se sont perfectionnés à l'extrême ou amplifiés à l'excès, comme les grands chaluts à pla- teaux dont la poche mesure plusieurs dizaines de mètres de longueur, ou les immenses filets à harengs qui déploient en pleine eau leur muraille de treillis sur 6 à 8 kilomètres de portée. L'ancienne barque à rames et à faible voilure est devenue le chalutier à vapeur ou le fort bateau mixte avec mâts et moteur. La pêche, autrefois petite industrie locale à rayon d'action limité, est aujourd'hui une industrie puis- sante, accompagnée de filiales tirant d'elle leur entretien, dont l'exploitation majorée exige des capi- taux par millions. C'est surtout au sujet des poissons migrateurs que 156 LES POISSONS MIGRATEURS cette augmentation, caractéristique des temps mo- dernes, prend une importance considérable. La pêche à leur égard ayant pour objet de fournir en matière première les usines de conserves, plutôt que de ravi- tailler les halles en chair fraîche, la demande peut s'étendre à l'excès, car la capacité de consommation a dans le monde entier de très larges limites, et l'offre tente de l'équilibrer. La capture en masse de ces êtres, grâce aux moyens dont dispose aujourd'hui l'industrie des pêches, devient chose habituelle, dont nombre de pays tirent leurs principaux revenus. On doit donc se demander, en présence d'une exploita- tion aussi forte de ce gibier, dont nous ne pouvons régler l'entretien, si l'on n'a pas atteint la mesure extrême, ou si même on ne commence pas à la dépasser. L'étude du problème économique est ainsi tenue de se préoccuper de ces craintes, de rechercher si elles sont vaines ou justifiées, et d'examiner com- ment faire pour exploiter le domaine aquatique sans l'épuiser. Il en est pour elle comme pour l'usage d'une forêt, que l'on voudrait maintenir tout en s'en servant. Les mêmes règles vont aux deux cas, et l'on pourrait aisément trouver entre elles, malgré les différences des objets à quoi elles s'appliquent, bien des com- paraisons et des ressemblances. La pêche a sa mesure de rendement. Il LE rOISSOX, TRANSFOHMATEUR ALIMENTAIRE Cette étude a d'autant plus d'importance que les poissons migrateurs nous donnent un moyen détourné et puissant d'utiliser à fond le monde aquatique. Ces LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE 157 êtres valent, non seulement par eux-mêmes et par ce qu'ils sont, mais encore, et surtout, par leur rôle dans l'économie générale de la vie des eaux. Ils représentent, par rapport à nous, d'autres êtres dont ils apportent le tribut nutritif, et dont nous serions privés sans leur concours. Ce moyen est celui de la transform.ation alimen- taire, dont une comparaison banale permettra d'ap- précier tout ensemble la grandeur et la portée. — La viande de boucherie, le laitage, sont au nombre de nos principaux aliments. Ces produits employés à notre nourriture sont donnés par le bétail, qui s'en- tretient à son tour en mangeant l'herbe des prairies. Il forme sa viande, son lait, en se servant des ma- tières nutritives que cette herbe lui procure, et que nous serions incapables d'utiliser ainsi. Il est, par rapport à nous et à nos besoins, un trg-nsformateur alimentaire. Ces prairies ne seraient d'aucun profit si le bétail ne s'employait comme interméiiaire. Grâce à lui, l'humanité bénélicie pour sa nourriture de ce qui échapperait sans cette aide. Il suffit de reporter cette notion au monde vivant des eaux, et de l'y appliquer, pour saisir sa haute valeur. Les engins de pêche, malgré l'ingéniosité de leur construction et de leur métier, ne peuvent tout saisir ni tout capturer ; et les êtres qu'ils négligent sont nombreux. Les uns sont trop peiits, minuscules ou microscopiques, et no sauraient avoir d'utilité immédiate. Les autres sont trop gros, trop forts, et ne se lais^sent prendre que par accident. Certains habitent des zones profondes, où les outils de la pêche habituelle ne parviennent pas. D'autres encore se tiennent loin au large, où les barques ne se risquent pas aisément. Pour tous ces motifs, les pra- ticiens de la pêche se trouvent désarmés devant eux, et obligés de ne s'adresser, pour leur industrie, qu'à i5S LES POISSONS MIGRATEUaS un certain nombre d'espèces plus facilement acces- sibles. Or, les pr.issons migrateurs, placés au premier rang parmi elles, s'adressent justement, pour leur entretien, à ce gibier qui échappe. Ils façonnent leur chair en s'aidant de la sienne, et, l'ayant ainsi pro- duite, ils l'amènent d'eux-mêmes aux filets du pê- cheur. Ils sont des transformateurs alimentaires, comme le bétail par rapport à la prairie, et nous donnent, sous formo d'aliment, le fruit de leur tra- vail naturd d'entretien. Les Harengs, les Sardines, Is Maquereaux se nour- rissent des organismes menas, Diatomées, Crustacés, larves, dont les essaims peuplent par myriades les eaux de la mer ; ils utilisent h leur profit ces êtres minuscules dont nous ne saurions tirer directement aucun avantage, et les ayant employés à se parfaire, ils viennent nous apporter la chair qui en est résultée. Les Saumons, capturés dans les rivières, ont accom- pli leur vie do croissance dans les eaux profondes du large; ils s'y sont abondamment nourris des pois- sons et des grandes crevettes bathypélagiques qui s'y tiennent en permanence ; ils ont ainsi produit leur chair en plein Océan, loin des zones habituelles de la pêche, et ils nous l'amènent dans les rivières, pour ainsi dire à portée de la main. Le cas des Thons est de même sorte ; nourris eu pleine mer aux dépens d'êtres nombreux mais inaccessibles, ils font avec ces aliments leurs grands cjrps que les pêcheurs peuvent saisir. Les Morues à leur tour s'entretiennent de poissons variés, dont beaucoup n'ont aucun emploi direct, et que nous utilisons grâce à leur intermé- diaire. Il n'est pas jusqu'aux Anguilles qui n'aient dans les eaux douces un avantage comparable, car elles assimilent des aliments dont nous n'aurions sans elles aucun profit. La pêche aux poissons migrateurs fait donc LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE 1S9 pénétrer, pour notre bénéfice, au plus profond des ressources vivantes des eaux. Sans son secours, ces dernières nous manqueraient presque toutes, et une masse considérable do chair, une pullulation immense d'êtres, dépenseraient leur vie intense sans permettre à l'humanité d'en bénéficier. En cela se révèle sa supériorité économique. La nature étant ainsi dis- posée que nous puissions tirer avantage, par inter- médiaire, même de ce que nos yeux ne voient pas et que nos mains ne sauraient prendre, nous avons pouvoir d'f ntrer, pour la satisfaction de notre de- mande alimentaire, dans un monde que notre struc- ture nous interdit, et nous l'utilisons jusque dans ses parties les plus secrètes. Le monde vivant des eaux, tout entier, de près ou de loin, de façon directe ou indirecte, est de notre domaine ; la pêche, do mieux en mieux, s'ingénie à l'exploiter. La comparaison avec le bétail des prairies, quant à la transformation alimentaire, prend chez les pois- sons migrateurs une acuité plus grande. Le bétail .est fait de troupeaux, que l'on surveille, que l'on con- duit, qui donne à époques fixes les produits attendus. Sauf cette surveillance d'élevage, les poissons migra- teurs, jusqu'à un certain point, font de même dans la vie des eaux, et dans ses échanges. Ils viennent par bancs, par immenses troupeaux, à des époques déterminées, dans les lieux où l'on sait pouvoir les saisir; comme le bétail, ils donnent alors les pro- duits désirés. Nous n'exerçons sur lui aucune sur- veillance, et nous n'avons aucun moyen de lui pro- curer une aide quelconque dans la plupart des manifestations de son existence, mais la Nature se substitue à nous, et fait ce que nous ne pouvons faire. Les conditions naturelles des choses produisent et règlent des venues dont nous nous servons. Le pois- son migrateur est bien un gibier par rapport à nos 160 LES POISSONS iMIGRATEURS moyens. En revanche, et par rapport à la Nature, il est comme un bétail, qu'elle élève, qu'elle entretient, qu'elle conduit, et qu'elle établit d'elle-même à notre usage selon notre capacité. !li PÉRIODES d'abondance ET PÉRIODES DE DISETTE Les moindres changements de l'ordre migrateuf prennent dès lors une importance extrême. Si chaque année, aux époques normales et dans les lieux accou- tumés, les poissons revenaient en nombre égal ou peu différent, la règle naturelle paraîtrait immuable, et l'industrie de la pêche n'aurait qu'à recevoir le tribut habituel sans chercher à faire davantage, ni à améliorer ses moyens d'action. Ceux-ci proportionnés à leur but une fois pour toutes, rien ne mériterait ensuite d'être changé. Mais la réalité est différente. Les explorations océanographiques accusent la pré- sence de bandes migratrices dans des régions aux- quelles la pêche ne s'est pas encore étendue. Eu outre, et le fait a plus d'importance encore, dans celles où elle a coutume d'aller, on constate, d'année en année, ou de groupes d'années en groupes d'années, des différences considérables entre ses rendements. Il est, dans la pèche aux poissons migrateurs, des périodes d'abondance et dos périodes de disette. Les années se suivent souvent sans se ressembler. A l'une qui a donné satisfaction en succède une autre, ou plusieurs autres, dont on peut se plainrire à bon droit. On accueille volontiers les passes d'abondance, et on bénéHcie d'elles sans insister à leur égard. Mais on ressent de façon plus vive les périodes contraires, en LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE 161 raison des pertes qu'elles occasionnent, et des crises qu'elles entraînent. Ces dernières, parfois très intenses, causent des apprétiensions légitimes qu'il est nécessaire de calmer. Ces variations font partie de l'ordre normal. Les conditions physico-chimiques qui déclanchent et règlent le déterminisme migrateur ne se refont pas avec exactitude, au môme degré chaque année, dans chaque localité. Le milieu fluide où elles se présentent entraine nécessairement chez elles, dans leur appari- tion comme dans leur maintien, un certain flottement, qui se retrouve à titre de conséquence dans les circons- tances migratrices. Il peut y avoir déplacements do dates, et précocité ou r(4ard dans la venue ordinaire; il peut y avoir aussi interruption momentanée, suivie d'une reprise ultérieure plus ou moins forte ; il peut y avoir enfin détournement local. On observe souvent des faits de ces diverses sortes, des venues retardées ou avancées, des atténuations ou des arrêts de pas- sage, des renvois au large de bandes qui se tiennent d'ordinaire plus près du littoral. Cette diversité ne doit pas être prise en elle-même pour ce qu'elle ofl"re à son point le plus haut ni au plus bas ; elle doit se considérer dans sa moyenne, et cette dernière change peu, ou ne subit que des changements à longue portée. Il faut envisager les périodes de grande abondance et celles de forte disette pour ce qu'elles valent dans la réalité, c'est-à-dire pour des extrêmes. Les unes pas plus que les autres n'expriment la rai- son naturelle et continue. Les poissons migrateurs ne pourraient diminuer en nombre, ou augmenter, que par des causes dépen- dant de leur reproduction et de leur alimentation. Or, sur la première, ils comptent parmi les espèces dont la capacité génétique est la plus élevée. Les moins bien pourvus d'entre eux, comme les Salmo- 162 LES POISSONS MIGRATEURS nides, pondent cependant plusieurs milliers d'œufs par femtdle ; les plus avantagés, comme les Morues et les Esturgeons, les pondent par millions. Dans un cas commiî dans l'autre, le pouvoir reproducteur est assez puissant pour suffire à toutes les exigences. 11 en est de même au sujet de la nourriture. Les études nombreuses et détaillées poursuivies depuis une tren- taine d'années sur la quantité des êtres flottants dans l'eau, dont beaucoup servent d'aliment aux poissons migrateurs, sont unanimes à prouver son excessive abondance. Pratiquement et par rapport à l'industrie des pêches, la mer, qui représente la partie prépon- dérante du milieu aquatique, est une nourrice iné- puisable ; nous ne retirons encore d'elle qu'un frag- ment exigu du tribut que nous pourrions exiger. Il est donc inutile de s'inquiéter, au sujet de la produc- tion naturelle, des crises qui peuvent survenir par- fois ; elles s'atténuent d'elles-mêmes, et disparaissent. Mais il faut envisager leur possibilité, et leur retour toujours à craindre, afin de se préserver de leurs con- séquences, et des pertes même momentanées qu'elles entraînent. Deux moyens pour cela sont au pouvoir de l'homme. L'un consiste à aider la nature, pour accroître, si possible, son rendement ordinaire ; l'autre à tirer parti des circonstances présentes, en portant tout l'effort sur la technique des pêches et celle des indus- tries qui en dépendent. Par rapporta notre usage du monde aquatique, et par comparaison avec celui du monde terrestre, le premier correspond à une exploi- tation aidée et augmentée par l'élevage, le second à une exploitation méthodique et réglée sans appoint d'autre part. On peut estimer, en effet, que l'on pourra déve- lopper le rendement des pêches, et tout au moins éviter les crises trop prononcées, si l'on donne avec LE PROBLEME ECONOMIQUE ÎG3 régularité au peuplement naturel un peuplement com- plémentaire obtenu d'ailleurs. Il en serait ici comme des chasses gardées, que l'on entretient en leur ajoutant chaque année. iMais on peut admettre aussi qu'une exploitation conduite avec logique, comme celle d'une forêt bien tenue, pourrait donner égale- ment d'excellents résultats. D'autre part, les espèces migratrices diffèrent entre elles, et ce qui convien- drait aux unes peut se rendre inutile aux autres, ou inversement. Le problème économique des pois- sons migrateurs exige donc l'étude de ct.'s données diverses, afin de trouver dérmitivem^nt sa principale solution. Quel que soit le cas, la méthode est la même. L'histoire r.aturelle sert de guide exclusif, par l'exa- men des êtres vivants durant leur vie entière, en eux- mêmes et dans ce qui les entoure. La pêche et la pis- ciculture doivent être biologiques pour prospérer. IV PISCIFACTURE ET IMMERSIONS d'aLEVINS Les moyens employés par l'exploitation aidée sont ceux de la piscifacture et de l'immersion d'alevins. On commence par obtenir, pour chaque espèce en cause, des œufs fécondés ; on les soumet à l'incuba- tion dans les laboratoires ; on les fait éclore ; puis, les alevins devenus libres et suffisamment vivaces sont immergés dans les eaux que l'on veut peupler. Cette opération évite les pertes naturelles, souvent considérables, et, comme elle augmente le peuple- ment normal, son avantage paraît évident. La piscifacture se base sur la fécondation artifi- cielle. Cette manipulation, connue et pratiquée pour 164 LES POISSONS MIGRATEURS les Traites depuis assez longtemps, régularisée et pré- cisée dans sa technique, au siècle dernier, par le célèbre Coste, mais encore limitée aux Salmonidés, a été étendue depuis à d'autres espèces, comme le Maquereau et la Morue. Sa méthode est uniforme. Les opérateurs se procurent des reproducteurs en bon état, parvenus à leur maturité sexuelle ; ils extraient, par pression manuelle sur l'abdomen, les éléments de la reproduction, les font tomber dans un récipient où la fécondation s'accomplit. Puis les œufs fécondés sont placés dans des bacs pleins d'eau, où divers pro- cédés, souvent fort ingénieux, impriment à cette der- nière un état le plus voisin possible de celui de la nature. Les œufs, dans ces conditions qui leur con- viennent, subissent les phases de leur développement, éclosent, et donnent des alevins que l'on immergera ensuite avec précaution. Si les détails, dans ces opé- rations, diffèrent selon les espèces, en revanche les moyens essentiels sont les mêmes partout. Cette méthode rend des services éminents lorsqu'on l'applique aux migrateurs passant une partie de leur existence dans les eaux douces continentales, et notamment aux potamotoques, comme le Saumon et l'Alose. Ceux-ci, partant de la mer pour pondre dans les rivières, sont tenus de parcourir ces dernières, et de les remonter. Leur déplacement dépend, pour sa commodité ou ses difficultés, de l'état du cours d'eau. Si celui-ci n'oppose aucun obstacle, la montée s'ef- fectue sans inconvénients, et la ponte s'accomplit sans incident. Mais, dans le cas contraire, si le cours d'eau, par exemple, est coupé de barrages, la montée s'interrompt, et la ponte n'a pas lieu, car les repro- ducteurs ne trouvent point autour d'eux les circons- tances qui la favoriseraient. Il y a donc déficit de production. On peut y remédier, toutefois, et l'on y remédie effectivement, en utilisant la piscifacture. LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE 165 C'est par ce moyen que l'on conserve ces espèces malgré leur diminution, et que les Etats-Unis ont même acclimaté l'Alose dans des rivières qui n'en contenaient point auparavant. La simple immersion déjeunes et d'alevins recueillis dans les lieux qu'ils fréquentent naturellement, et transportés artiliciellement dans d'autres lieux' où ils ne parviendraient qu'avec difticulté, après avoir subi des pertes nombreuses, procure parfois certains avantages, quoique plus restreints de beaucoup que ceux de la grande piscifacture des Saumons et des Aloses. Ainsi la montée d'Anguilles, composée des jeunes individus récemment introduits dans les fleuves en venant de la mer, recueillie et transportée ensuite dans des étangs auxquels elle n'accéderait que difiicilement par ses seuls moyens, peut servir à peupler des eaux dont on n'obtiendrait autrement aucun avantage. Les succès de la piscifacture chez les Truites, les Saumons, les Aloses, ont porté à agir de même sur divers migrateurs marins, en espérant y trouver des bénéfices semblables. On a surtout compté d'éviter ainsi les crises et les périodes de petits rendements. La Morue, principalement, en a été l'objet. Plusieurs établissements à elle adressés, fondés en divers pays, ont fourni, par année moyenne, quelques dizaines de millions d'œufs fécondés, dont les alevins furent immergés. Mais aucun résultat sensible continu ne s'est manifesté, contrairement à ce que l'on constate des et^pèces migratrices d'eaux douces. Du reste, il ne pouvait en être autrement. Si l'un calcule la valeur de l'appoint ainsi donné par ces immersions, on voit que ce complément, obtenu à grands frais dans des laboratoires, compte à peine dans l'ensemble do la nature. Que valent ces alevins immergés devant les myriades de leurs congénères 166 LES POISSONS MIGRATEURS naturels? La piscifacture marine n'a aucune portée réelle; elle ne «rend » pas, dans le sens économique du mot, à l'égal de ce quo Ton y dépenserait. 11 faut envisager d'autres moyens pour les migrateurs du monde marin. Leur nombre considérable, l'ampleur de leur habitat, conseillent de négliger des procédés trop faibles, et de chercher ailleurs, pour fournir à l'industrie des pêches ce rendement élevé, constant, sans crises, qu'elle demande pour prospérer. V L OCEANOGRAPHIE ET LE PROGRES DE L INDUSTRIE DES PÊCHES La solution du problème économique des poissons migrateurs marins sera donnée par l'emploi d'une méthode réglée de l'exploitation des ressources natu- relles, et conduite selon les indications de l'Océano- graphie. J'ai déjà noté sur ce sujet, dans plusieurs de mes publications antérieures, notamment dans mon Traité, les considérations qui méritent, à mes yeux, de se retenir entre toutes. Il suffira de les reprendre ici, pour la fin du présent ouvrage, et de les exposer en les résumant. L'industrie des pêches doit se conformer aux exi- gences industrielles du temps présent. Elle augmen- tera d'autant plus son rendement qu'elle perfection- nera davantage les engins dont elle se sert, qu'elle amplifiera l'étendue des zones parcourues par ces derniers, qu'elle améliorera le transport, la conserve, la vente du poisson sous toutes ses formes comes- tibles. Son progrès n'aura pas d'autre raison. La piscifacture et l'élevage piscicole, qui procurent aux LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE 167 eaux douces des avantages certains, n'en ont presque pas dans les eaux marines. La mer, d'elle-même inépuisable, se suffit; elle entretient et renouvelle par ses seules forces ses propres ressources, où la pèche n'a qu'à puiser. L'exploitation directe étant la seule qui convienne, il faut consacrer le princi- pal effort à son amélioration, en la rendant raisonnée et raisonnable. On prend toujours, et l'on n'ajoute jamais ; il faut donc veiller à ne point outrepasser la capacité de production, et à éviter soigneusement tout ce qui pourrait la diminuer. Aussi les observations et les expériences sur la structure et la biologie des Poissons, sur celles des êtres qui vivent auprès d'eux, les explorations océa- nographiques avec leurs dragages, leurs sondages, leurs mesures de diverses sortes, les collections assemblées à grands frais et à grand travail, ont-elles leur haute importance quant aux pèches. Tout se tient dans le milieu marin ; chaque chose, même la plus minime, se relie à ses voisines. Rien, en somme, n'y est indifférent. Même les données les plus loin- taines en apparence, mises un jour en leur place, finissent par avoir leur utilité. Mais, spécialement appliquée aux êtres tributaires de la pêche, cette technique scientifique a déjà rendu d'immenses ser- vices ; elle en rendra de plus grands encore, en se perfectionnant elle-même et se généralisant. Les bancs de poissons migrateurs fournissent un revenu assuré, qu'il faut conserver, et même accroître si possible. La nature, en cela, offre tout, le champ et la récolte ; l'homme borne son travail à prélever bur cette dernière sa part. Comme ces déplacements sont déterminés et réglés par un certain nombre de conditions, dont on ne peut disposer il est vrai, mais qu'on a moyen de connaître, la méthode rationnelle consiste à rechercher ces dernières, pour les évaluer, 168 LES POISSONS MIGRATEURS et les utiliser dans la pratique, leur présence dénotant celle du poisson. Quant à la diminution progressive du fait d^ la pêche, rien ne la démontre. L'homme a beau puiser en eux depuis plusieurs siècles, les bancs de Morues, de Harengs, de Sardines, reviennent aussi nombreux, s'entretiennent et se renouvellent toujours sans pertes apparentes. Ils se détournent parfois, et cessent de se montrer en un lieu donné, entraînés sans doute par des influences ignorées dans leurs détails, et précisément celles qu'il s'agit de connaître, mais ils restent toujours aussi pressés qu'auparavant. Tous ces poissons voyageurs sont sensibles à de légères variations dans l'état des eaux où ils vivent ; ils se déplacent en conséquence. Chacune de leurs espèces se tient de préférence, et en plus grande abondance, dans des zones pourvues de conditions spéciales. Les préparatifs d'une opération de pèche, au lieu de se faire au juger, doivent s'attacher à reconnaître d'abord les plus marquantes de ces der- nières. Un essai rapide, effectué avec un instrument de modèle simplifié, donnera souvent des indications plus précises que tout autre moyen. Il en est de ces pêches maritimes comme de l'agri- culture et de la sylviculture. Des études prélimi- naires leur sont également indispensables. De même qu'on étudie le sol arable pour savoir ce qu'il est capable de produire, de même faut-il examiner les eaux et le fond de la mer pour connaître l'ampleur des ressources qu'ils sont en état de fournir. 11 con- vient d'aller prudemment, avec circonspection, en tenant compte des intérêts présents comme des avantages futurs. La méthode essentielle consiste à assurer un rendement aussi constant et aussi continu que possible ; sa règle est d'observer la nature, puis de se prêter à ses exigences, et de l'aider pour mieux l'utiliser. LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE 169 Lorsque seront connues en entier les habitudes des poissons migrateurs et les conditions qui les déter- minent, on pourra se dégager de la routine où l'on est encore, et bénéticier du travail accompli. Le terme, pour éloigné qu'il paraisse, approche sûrement. Un jour viendra où l'homine suivra dans leurs déplace- ments ces bandes flottantes ; favorisant leur ponte ou protégeant leurs jeunes, connaissant avec précision leurs routes et leurs besoins, il les exploitera avec continuité, avec régularité, en se portant au-devant d'elles et ne se bornant pas à les attendre. La mer est comme un immense vivier, où la pêche rémuné- ratrice est plus souvent au large qu'à la côte. Pour en user, l'industrie du pêcheur rapportera d'autant plus que la science l'aidera davantage, et, par sur- croit, que les intérêts particuliers s'associeront mieux pour agir avec- entente. BIBLIOGRAPHIE La bibliographie des Poissons migrateurs est considé- rable. Aussi ne seront cités dans la liste suivante que les ouvrages généraux et ceux qui traitent spécialement de la migration. Consulter, pour les références complètes, « A Bibliography of Fishes », par Dean et Eastman, New- York, 1916-17. Amico (F. G., duca d'Ossada). 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Truite de mer et Truite des lacs; VIII. Les Aloses; IX. Esturgeons et Lamproies , 19 174 TABLE DES MATIERES CHAPITRE III LES TROPISMES MIGRATEURS DU SAUMON I. Recherche de l'influence migratrice; II. Rivières à Saumons et leur teneur en oxygène dissous; JII. Situa- tion des frayères; IV. Branchiotropisrae à la montée des reproducteurs; V. Phototropisme négatif à la des- cente des alevins; VI. Branchiotropisrae en général et action terripète gj CHAPITRE IV l'anguille et les migrateurs thalassotoques I L'énigme de la reproduction de l'Anguille; II. Voyage nuptial à travers l'Océan; III. Larves d'Anguilles, leur métamorphose et leur retour; IV. La montée d'An- guilles; V. Vie de croissance et puberté; VI. Compa- raison de l'Anguille et du Saumon ; VII. Tropismes migrateurs de l'Anguille; VJIl. L'Anguilliculture . . CHAPITRE V LE THON ET LES POISSONS SAISONNIERS I. Thon rouge et Germon; II. La pêche des Thons ; III. Variations decette pèche ; IV. Théorie migratrice du Thon et objections ; V. Voyage nuptial du Thon et ses déplacements annuels inverses; VI. Sensibilité à la salinité et à la température; VII. Habitat océanogra- phique des Thons; VIII. Tropisme halo-thermique du voyage nuptial; IX. Les poissons saisonniers et leurs tropismes 99 TABLE DES MATIÈRES 175 CHAPITRE VI LE PROBLÈME OCÉANOGRAPHIQUE DES POISSONS MIGRATEURS I. Caractère spécial des migrations chez les Poissons; II. Classement des Poissons migrateurs ; III. Classe- ment des migrations; IV. L'habitat des migrateurs; V. La qualité migratrice: VI. Le déterminisme migra- teur; VII. L'euphorie et le méliorisme des migrateurs. 1;10 CHAPITRE VII LE PROBLÈME ÉCONOMIQUE DES POISSONS MIGRATEURS 1. Le poisson, gibier de pêche; II. Le poisson, transfor- mateur alimentaire ; III. Périodes d'abondance et périodes de disette; IV. Piscifacture et immersion d'alevins ; V. L'Océanographie et le progrès de l'in- dustrie des pêches -153 Bibliographie ^70 E. GREVIN — IMPRIMERIE DE LACNY rrr.ro, f-' mm, fM. BIBLIOTHÈQUE DE CULTURE GÉNÉRALE BERTRAND (L.), professeur de Géologie à la Faculté des Scicnres de Paris et à l'Ecole des Arts et Manufactures Histoire de la formation du sous-sol de la France : I. Les ancieanes Mers de la France et leurs dépôts i25 fig.; '4« m ) . 1 vol. BLARIXGHEM ^L.), chargé de cours à la Sorbonnc Le Perfectionnement des Plantes (30 illustrations) (4« m.). . 1 vol, BOHN (^Georges), directeur de Laboratoire à la Sorbonne La forme et le mouvement (15 figures) (4^ i^ille) 1 vol. _ BRUNSCHVICG (Léon\ de l'Institut Nature et Liberté (4« mille) 1 vol. COR.XETZ (VicToi;,, iiigoiiieui ci\il Les Explorations et les Voyages des Fourmis ,83 fig.) \4e m. ; 1 vol . COSTAiXTIN (J). delTn&titut La Vie des Orchidées (4*= mille) _ 1 vol. DAUZAT i^Ai.BKRT), docteur es lettres La géographie linguistique (4« mille) 1 vol. DEONNA ^W.) Les Lois et les Rythmes dans l'Art (4« mille) 1 vol. GAUDEFROY-DEMOMBYNES, prol> à l'École des langues orientales Les Institutions musulmanes (4« mille) 1 vol. GUIGN^EBERï (Charles), professeur à la Sorbonnc» Le Problème de Jésus ^6« mille) 1 vol . La vie cachée de Jésus {4« mille) 1vol. LECLERC DD SABLON, profr à la Factilic des Sciciicts de Toulouse Le rôle de l'Osmose en Biologie (20 figures) (4'- mille) . . . 1 vol. LE DANTEC (Fhlix), chargé du cours du Biologie générale à la Sorbonne La '-Mécanique" de la Vie {5'^ mille I vol. Le Problème de la Mort et la Conscience universelle ^e-" m. ) l vol. MARTONNE (Emmanuel dk), prcfr do Géographie à la Sorbonne Les Régions géographiques de la France 1 vol. NICEFORO .Alfrkdo) f Les Indices numériques de la civilisation et du progrés, l vol. ROULE (Loiis). professeur au Muséum d'Histoire naturelle Les poissons migrateurs, leur vie et leur pêche v4» mille). 1 vol. SAGERET (J.) La Vague Mystique (4* mille) 4 vol. Chaque ouvrage forme un volume m-18 Jésus 3015. - Paria. — Imp. Hemmerlé, Petit et C". — 5-22. |i,^LUB1l^^^ ,^m ^^Q^^' ^^^^' I.