SEP 30 1910

Division -g ^ Section

LES QUATRE

CONCORDATS.

T. IL

DE L'IMPRIMERIE DE J.-L. CHANSON,

EUE DES GRANDS— AUGTJSTINS , Iï° IO.

mt.tià. . <U

LES QUATRE

'fi/CAL Sltf#

CONCORDATS,

suivis

de considerations sur le gouvernement de l'église en général, et sur l'église de erance kh particulier, depuis i5i5;

s

Par M. DE PRADT ,

ANCIEN ARCHEVÊQUE DE MALINES.

TOME SECOND.

A PARIS,

CHEZ F. BÉCHET, LIBRAIRE,

QUAI DES ÀUGUSTIIfS, 57. I8l8.

Digitized by the Internet Archive in 2014

https://archive.org/details/lesquatreconcord02prad

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TABLE DES CHAPITRES

CONTENU»

DANS LE SECOND VOLUME.

Page».

ChapitreXXI. Clergé pendant la révolution jusqu'à la déportation. L'abbé Maary. Mirabeau l

Chap. XXII. Clergé depuis la déportation jusqu'à la restauration religieuse. Trois

clergés. Sërmens 57

Chap. XXIII. Dix-huit brumaire ; son esprit. Restauration religieuse; son esprit. Eloges. Parallèle de la con- duite du clergé acceptant et dissi- dent 66

Chap. XXIV. Concordat de 1801. Ses avantages ,

ses défauts 120

Chap. XXV. Tableau historique des injustices com- mises à légard des titulaires, soit par le refus des bulles régulières ,

(vj)

soit par le refus de leur délivrance

fait par le gouvernement 144

Chap. XXVI. Motifs et droits du pape dans les refus

directs ou indirects des bulles 1 57

Chap. XXVII. Querelle du pape et de Napoléon. Explications préalables. La cour

de Rome 167

Chap. XXVIII. Pie VII i93

Chap. XXIX. Voyage du pape en France 204

Chap. XXX. Dispositions personnelles de Pie VII et de Napoléon à l'égard l'un de l'au- tre. 227

Chap. XXXI. Dispositions de Napoléon à l'égard du clergé, et du clergé à l'égard de ' Napoléon 237

Chap. XXXII. Faits relatifs à la querelle du pape avec Napoléon. Bulle d'excom- munication. — Premier degré de captivité. Nouveaux actes du pape. Second degré de capti-

vité 287

Chap. XXXIII. Examen de la conduite du pape et de

Napoléon 369

Chap. XXXIV. Examen de la bulle d'excommunica- tion 394

( vij )

Chap. XXXV. De l'auteur de la captivité du pape. . . 412

Chap. XXXVI. Affaire des cardinaux 423

Ch. XXXVII. Commissions ecclésiastiques. Pre- mière députation à Savone 44°"

C*. XXX VIII. Concile de 1811 473

Ch. XXXIX. Seconde députation à Savone 5o6

FIN DE LA. TABLE PU SECOND VOLUME.

LES

QUATRE CONCORDATS.

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CHAPITRE XXI.

Clergé pendant la révolution jusqu'à la déportation. L'abbé Maury. Mirabeau.

La. voilà donc arrivée cette grande époque de la révolution et de l'assemblée consti- tuante (i)î Jamais le monde n'avait rien vu de pareil. Depuis trois cents ans , comme on l'a déjà dit, cette révolution se préparait : les élémens épars existaient partout. Leur donner un centre , un foyer commun , c'était donner

(i) On entend dire quelquefois : l'assemblée prétendue constituante , soi-disant constituante. Cette locution s'est rencontrée dans la dernière session , dans la bouche d'un député qui fut membre de l'assemblée constituante.

Je voudrais bien savoir ce que l'on entend par ces mots, prétendue, soi-disant ? . . . Est-ce le droit que l'on conteste , est-ce le fait que l'on veut nier , obscurcir? . . . Il y a quelque sous-entendu ; c'est une barbarie véri- table que de ne pas nous faire jouir de tout l'esprit que couvre cette réticence.

Il me semble que c'est une assemblée bien et duement T. II. 1

la naissance même à la révolution ; depuis long-temps elle n'attendait que cela pour écla- ter : quinze jours de plus, et les notables la faisaient, tant elle était pour ainsi dire à fleur de terre. Est-ce donc que les propositions de M. de Calonne aux notables étaient autre chose que la révolution (i) ? Est-ce que la révolution n'était pas faite depuis que le roi et les parlemens ne cessaient de se refuser mutuellement le droit d'imposer, depuis que

constituante que celle qui après avoir donné à la France la première constitution qu'elle ait eue, est devenue le principe de toutes les constitutions modernes qui existent déjà en Europe , et qui ne peuvent manquer d'y être établies.

L'assemblée constituante est aux assemblées délibé- rantes de l'Europe, ce que Cybèle fut aux divinités de la fable : Lœta Deûm partu.

(i) La proscription des abus, une répartition plus juste et plus égale des impôts , l'établissement des assemblées provinciales étendu à toutes les provinces qui n'avaient pas d'États particuliers; la conversion de l'impôt des •vingtièmes en subvention territoriale proportionnée aux produits , partie perçue en argent, partie prélevée en na- ture; le clergé assujéti à cet impôt comme les autres, en remplacement de ses dons gratuits; l'aliénation des domaines de la couronne , les forêts exceptées; une meil-

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les nobles de Bretagne disaient aux soldats du régiment de Bassigny, rangés en bataille sur la place de Rennes : Vous êtes citoyens avant d'être soldats? Oui, depuis long-temps la révolution était faite; il ne lui manquait que de se montrer : aujourd'hui personne ne veut avoir été de la révolution ; alors c'était à qui la ferait.

L'action de la révolution était tellement forte , tellement indépendante , tellement d'elle-même, qu'elle a trompé les vues de tous ceux qui s'en mêlaient; qu'elle a échappé éga- lement à tous ses directeurs, pour ne faire que ce qui était dans son essence propre ; qu'elle a usé des millions d'hommes , de pro- jets, de factions, de renommées, pour revenir toujours au même point, celui nous nous trouvons, c'est-à-dire la réhabilitation des institutions sociales par l'établissement du

leure administration de ces forêts; la liberté du com- merce des grains ; le reculement des barrières aux fron- tières du royaume; l'abolition de la corvée personnelle, et son remplacement par une prestation pécuniaire plus justement répartie; tel fut le plan que présenta le con- trôleur général. ( Salicr, p. 53 ).

I.

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gouvernement représentatif, avec l'exclusioiï des régimes anciens devenus incompatibles avec ce qu'elle a établi. Cela est si vrai, que la révolution a trompé également et ceux qui demandaient les états généraux, et ceux qui n'en voulaient point ; et ceux qui se présen- taient pour les diriger, et ceux qui voulaient s'arrêter après avoir fait quelques pas; et ceux qui, partis du fonds de leurs bailliages avec des vues bien droites et des cahiers bien in- nocens, trouvèrent, en arrivant à Paris, une révolution au lien d'une réformation d'abus, une assemblée nationale au lieu des trois ordres des États de Bîois, un tiers conquérant et dominateur au lieu de ces humbles éche- vins qui parlaient à genoux devant Philippe- le-Bel. Bon gré , malgré , tout le monde a suivre le torrent (i). Si, lorsque l'assemblée

(i) M. Necker y a passé comme M. de la Fayette , M. Mounier comme M Bailly, Péthion comme celui-ci, Mirabeau comme l'abbé Maury, Tallien comme Robes- pierre, le directoire comme la convention, l'empire comme la république. Pourquoi.... ? c'est que ce n'étaient point les hommes, mais les choses qui poussaient, et que celles-ci retiraient leurs forces dès que I on se sépa- rait d'elles. Napoléon lui-même , qui avait mis à profit

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constituante s'ouvrit , la surprise dut élra grande pour tant d'hommes qui trouvaient ce qu'ils n'étaient pas venus chercher, et qui avaient à chercher ce qu'ils croyaient trouver, elle le fut encore davantage pour le clergé appelé aux états généraux. Consacré par état

avec tant d'art et de succès les circonstances qui appe- laient un homme capable d'arrêter l'anarchie, et qui a\ait reçu d'elles la force avec laquelle il a fait tant de choses, est tombé lorsque par une autre combinaison, il s'est trouvé destitué de leur secours. L'orsqu'il a voulu s'assujétir les choses, au lieu de les suivre, il est resté tout seul. Il avait relevé la civilisation , mais il n'a pu réussir à la maîtriser. A mesure qu'il l'avançait par le* arts, par lesmonumens, par tous les véhicules don- nés à la culture de l'esprit et au développement de l'industrie, elle devenait son ennemie, à cause des vio- lences qu'il lui faisait subir sous d'autres rapports. Il ht fendait comme un vaisseau fend la mer, comme une trou- pe en perce une autre; mais cette mer se refermait der- rière lui, mais cette troupe se reformait après son passa- ge, chargeait ses armes et tirait sur lui, de manière à lui interdire le retour.

Il n'est rien sur quoi l'on ait plus mal écrit que sur cet étrange événement de la chute de Napoléon. Cependant la chose valait la peine d'être examinée: c'est un lait uni- que dans 1 histoire.

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à des occupations purement ecclésiastiques, disséminé, pour la plupart, dans les campa- gnes, à la suite d'une éducation étrangère aux affaires publiques, le clergé devait être encore plus loin que la noblesse de soupçon- ner l'état véritable des choses. Ceux mêmes de ses membres qui, par leur position per- sonnelle , approchaient davantage de la cour et deParis,étaientcependantretenus à quelque distance des cercles académiques ou politiques dans lesquels s'élaborait la révolution , et fer- mentait le levain qui allait bientôt aigrir toute la masse du corps de l'État. L'esprit de corps, la confiance dans la stabilité de l'ordre établi, étaient propres à détourner leurs regards de ce qui se préparait. Le parlement et le haut clergé se trouvèrent sur la même ligne de surprise et d'éloignement de l'esprit qui se manifestait alors. Le parlement qui avait tant contrarié le roi, qui l'avait amené au bord des états généraux , dès qu'il reconnut la longueur des pas qu'il avait faits , recula épou- vanté : mais il était trop tard. Pris dans les filets qu'il avait jetés sur la cour, il voulut sortir d'embarras en demandant des états généraux à sa mode; il entendit répondre que la nation

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les aurait à la sienne. C'est le premier exemple de pas rétrogrades faits dans la révolution , et l'essai ne fut pas heureux. Le parlement perdit dans un jour le fruit de ce qu'il avait fait de- puis dix ans; d'Epresménil vit flétrir sa cou- ronne, et, d'un seul mot, le parlement se fil plus de tort dans l'opinion publique que n'a- vaient pu lui en faire tous les édits de la cour plénière. Il était revenu de celle-ci, il ne revint point de l'autre.

Le clergé arriva aux états généraux avec une grande réputation d'habileté dans les affaires, et cette opinion fit concevoir contre lui des soupçons de dextérité qu'il ne méri- tai* point. On eut été plus juste en disant que le clergé était plus apte qu'habile. Les affaires publiques , connues seulement de quelques évèques, soit de la cour, soit des pays d'État, étaient ton t-à fait étrangères au reste du corps. Ses études comme ses occupations habituelles l'en tenaient éloigné. Les écrits qui avaient pu lui eu donner l'idée n'arrivaient guère jusqu'à lui, Le clergé avait, pour les affaires, comme pour tous les autres genres d'occupa- tions, l'aptitude q le donne l'habitude du tra- vail et de l'application , mais il n'avait pas été

m

initié dans les affaires générales. Comme jus- que-là le clergé était le seul corps de l'État admis à s'assembler, comme il présidait les Etats de province dont la plus grande partie se passait en festins et en cérémonies , on s'imaginait qu'il possédait des lumières supé- rieures à celles des ordres qui ne jouissaient pas du même avantage. Chez lui il y avait des renommées toutes faites, antérieures à celles qui, du sein des états-généraux, s'élevèrent avec une abondance et un éclat si honorable pour la France. Deux espèces de divisions eurent lieu dans le clergé pendant l'assemblée constituante :

i°. Par la politique,

20. Par le serment.

L'archevêque de Sens disait trop vrai y lorsqu'il annonçait le projet de faire écraser le clergé par les communes. La menace regar- dait le haut clergé, comme on disait alors. Pour l'effectuer on rechercha les communes du clergé comme on avait recherché les communes contre la noblesse, et bientôt, au moyen de perfides suggestions , on parvint à rompre la barrière du respect que le temps avait reli- gieusement maintenue entre les différens,

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degrés de la hiérarchie. Le clergé de France s'était toujours distingué par son attachement à la monarchie et au monarque, et par l'exacte observation de la révérence entre ses divers ordres. Il régnait une grande et comme natu- relle subordination entre les inférieurs et les supérieurs, facilitée presque toujours par la dignité et la douceur du gouvernement ecclé- siastique; car en lui tout était paternel, et retraçait l'état de famille. Pour rompre cet accord qui faisait la force du clergé, il fallut soulever des soupçons , comme de fausses espérances. Quelques manquemens en furent la suite dans les assemblées des bailliages,* un observateur aurait reconnu une révolution imminente dans cet unique changement sur- venu dans la manière d'être du clergé , tant il était contraire à ses mœurs, et l'on ne peut mieux juger les changera en s survenus dansFes- prit des hommes queparlechangementdeleurs mœurs. C'était un égarement, il fut court; qui n'a pas eu les siens, et en combien de manières n'a-t-il pas été racheté ? Le clergé parut aux états-généraux au nombre de trois cents mem- bres: parmi eux quarante-quatre évèques seu- lement, douze ecclésiastiques non cures, et

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deux cents quarante-quatre curés. Il n'y avait évidemment aucune proportion entre les dif- férentes parties de l'ordre ecclésiastique, et il était clair que la première ne pouvait pas manquer de succomber sous la seconde. Les curés étaient à cette partie du clergé ce que le tiers était relativement au clergé et à la noblesse réunis ensemble. L'ouverture de l'assemblée à Versailles donna lieu à une scène propreà mon- trer le changement déjà opéré dans les esprits. Fendant :e discours prononcé par M. d La Fare, alors éveque de Nancy, on se permit des applaudissemens à la peinture que fit l'o- rateur des maux occasionnés par la gabelle. On était dans une église, le saini sacrement exposé, et le roi présent. Je ne fus pas moins frappé d'un propos que S. A. le prince de Conti, devant lequel je me trouvai placé par le rang de mon bailliage, tint à M. deGrima- loy , évèque de Noyon, pair de France. Le clergé rentré dans sa chambre , d'après le mode de délibération par ordre , se trouva divisé, Une majorité très-prononcée se montra moins en laveur des nouveautés que Ton n'avouait pas encore, et dont elle n'avait pas l'idée, que contre le haut clergé. Plusieurs

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fois quelques-uns de ses membres eurent à souffrir des interpellations directes et des apostrophes dures. Il faut mettre cet oubli des devoirs et des convenances sur le compte des circonstances. La bonne foi du plus grand nombre , son désir du bien était sincère , et sûrement il avait fallu lui montrer un grand but d'utilité publique pour l'arracher à ses anciennes habitndes de respect envers ses chefs , auxquels d'ailleurs il ne tarda pas en grande partie de revenir. Un instant le clergé, comme ordre, se porta pour médiateur entre la noblesse et les communes. Cela était bien illusoire , car avec quoi pouvait-il appuyer sa médiation? On supposa qu'il cherchait à se faire valoir, e!: à préparer son avenir. Ces suppositions étaient bien gratuites, car il était tout aussi embarrassé que les autres. Divisé dans son sein , en butte au peuple de Paris , insulté, menacé journellement, de quel poids cette médiation pouvait -elle être pour lui- même ou pour autrui? Il y parut, lorsque le torrent s'étant grossi, tout fut entraîné à la fois, roi, nobles, clergé, états-généraux, et lorsque, de trois corps séparés par des bar- rières contemporaines de la monarchie > ou

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vit se former un corps unique , centre et maître de l'État. Ce fut que le clergé dut recon- naître le sort qui l'attendait , et la nouvelle vie à laquelle il était appelé. Dans un instant, tout ce que les siècles lui avaient donné et confirmé de prérogatives et de richesses s'é- vanouit- il s'était endormi dans la pourpre , il se réveilla dans le dénuement. En vain offrit- il, par l'organe de l'archevêque d'Aix, M. de Boisgélin , une somme de 400,000,000 fr. La rançon parut insuffisante, ou plutôt il n'était plus question de rançon, mais de la vie même. Dans le fait, ce prélat, avec une offre qui, dans tout autre temps, aurait fait reculer de sur- prise, tressaillir de joie, et graver en lettres d'or le nom du clergé, ne put se faire écou- ter , et montra qu'avec tout son esprit , il ne connaissait pas son terrain , et ne jugeait pas les circonstances. Il avait été dit : le déficit est notre trésor. Cet arrêt contenait aussi celui du clergé. En effet, quelque grande que fût la somme offerte , le don ne changeait pas l'état essentiel du clergé, et cependant c'était l'on voulait en venir. Qu'il eût quelques pro- priétés de plus ou moins, en quoi cela tou- chait-il à la question principale, celle del'exis-

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tence même! Jusqu'ici il avait fait corps, il était le premier ordre de l'Etat, il jouissait d'immenses propriétés. Eh bien, c'est de cela même que l'on ne voulait plus. On voulait bien des prêtres, chefs de l'ordre religieux et sesministres,maison ne voulait plus d'un corps de clergé, chef de l'ordre politique. Voilà ce qui a fait dépouiller le clergé, et non pas seule- ment l'envie de le pilier, comme l'ont dit mille fois des hommes bornés, et qui se sont arrêtés à la superficie de cet acte. A la vérité, on a trouvé les dépouilles opimes, mais le lucre n'était que l'idée secondaire. L'idée primaire était la destruction de l'état politique du clergé. Dans cette grande expropriation, il est entré plus de politique que d'avidité. Tout était calculé contre cet état politique du clergé. Lui oter la dime, était armer la nation contre lui j prendre ses biens, était le compromettre avec tous ceux qui en acceptaient quelques parties. Lorsque l'abbé Syeyes, clans son style acre et provocateur, quelques jours après le 4 août , disait : Après avoir dépouillé les p êtres , vous avez oublié une chose, de les égorger, il était loin de la pensée de conseiller une action aussi abominable : seulement il

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entendait qu'on avait mis les prêtres dans le cas d'être égorgés à chaque instant L'événe- ment prouva qu'il avait trop raison.

Arrivé à ce terme fatal, le clergé dut dé- couvrir d'un coup-d'œil la vie nouvelle qui lui était réservée. Il dut s'apercevoir qu'au moment tout l'échafaudage sur lequel l'ancienne civilisation avait élevé l'édifice de ses grandeurs se dérobait sous ses pieds, il entrait dans une civilisation nouvelle qui n'admettait plus rien de son ancienne exis- tance. Il dut voir que, pour lui, il ne s'agis- sait plus de commander, mais de tolérer pour être toléré lui-même ; que pour Lut il n'exis- tait plus de palais, mais seulement des tem- ples; que son mélange dans l'ordre politique avait cessé pour être remplacé par l'exercice de ses seules fonctions ; que parmi lui il ne se trouvait plus de grands du monde , mais seulement des prêtres. Si la nation entière avait pu prendre la parole, voila la pensée qu'elle aurait exprimée ; si le clergé eût été plus at- tentif, et mieux conseillé, voilà la parole qu'il aurait entendue, malgré sa dureté. Le clergé se croyait encore de la force et des principes de vie, et je crois qu'à aucune époque il n'en

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eut moins. Alors, tout Tordre social , et celui du monde était dressé contre lui. 11 est bien plus fort aujourd'hui que tout le monde veut de la religion, au lieu qu'alors tout Je monde n'en voulait pas. Il était plus fort sous le di- rectoire, et sous Napoléon , qu'il l'était alors : c'est l'époque de sa plus grande faiblesse connue. Aux deux époques citées plus haut, il avait la force de ses fonctions, et I on n'est jamais faible avec cela ; à l'époque de l'assem- blée constituante, il avait contre ses fonctions tous les inconvéniens de ses autres attribu- tions, lesquelles étaient la source des haines qui le poursuivaient. Il ne pouvait pas cher- cher sa force hors de ses fonctions : c'est le plus sur moyen d'en manquer. 11 ne lui en restait donc d'aucune espèce, et, chose étrange mais vraie, pour reprendre quelque force , il fallait qu'il subit un changement total. Le clergé pouvait-il donc croire q^e le peuple français fût fort attaché à la dime , aux abbayes, à toutes les prérogatives dont il ne retirait aucune utilité, et ne ressentait aucun avantage? Tout cet attirail qui importait beau- coup au clergé, à ceux qui eu jouissaient , ne faisait rien du tout à ceux qui n'en jouissaient

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pas, et moins que rien à ceux qui le payaient Dans ses prêtres la nation ne voulait plus voir des directeurs de ses affaires politiques, mais seulement des directeurs de sa conscience. Aussi, dans ce temps, le clergé n'eût pas, avec toute sa fortune, réuni quatre hommes pour sa défense.

C'est de l'assemblée constituante que date, pour le clergé, non seulement de la France, mais du monde catholique , la nouvelle exis- tence qui peut encore lui appartenir, et qui ne lui échappera point , s'il a le bon esprit de s'y tenir : celle d'être prêtre dans le monde et avec le monde,maishors des affaires du monde; s'il y rentre jamais à d'autres titrés, il verra....

Ce qu'alors le clergé ne conçut point , la nation le concevait fort bien. Le premier, at- taché comme le sont tous les hommes à leurs corps et à leurs attributions , s'imaginait sans fondement que la nation prenait la même part que lui à la conservation de ses attributs. Il ne dut point tarder à se détrom- per , lorsqu'il vit avec quelle ardeur fut ac- cueillie la demande de son dépouillement, le peu de pitié que trouvèrent ses douleurs, et le petit nombre de ceux qui venaient lui

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payer les tributs dont les lois nouvelles les

affranchissaient. Combien , parmi les oppo- sans à la révolution , et même parmi les cheva- liers de L'autel et du trône, en vit-on faire por- ter la dime dans les greniers de leurs curés? Il ne faut pas le dissimuler : le clergé arriva aux états-généraux, isolé, sans racines dans l'esprit ni dans le cœur de personne, et si l'accord entre la noblesse et les communes avait pu être cimenté par son sacrifice, le traité n'eût pas tardé à être signé par elles (i). Dans la suite, quelqu'uns se réunirent au

(i) Ceci n'est point une supposition gratuite. J'étais dans l'assemblée, et dans le monde, et j'ai assez vu c# qui se passait dans tous les deux. Dans les familles on ne regardait les biens donnés à leurs membres, que com- me un moyen de les soutenir elles-mêmes, et les titulaire* tomme leurs prête-noms. La société retentissait de cria contre le clergé, et dans l'assemblée ce sont les membres des familles qui y occupaient les premiers rangs, qui ont frappé les premiers et le plus fort. J'ai entendu cent fois des noblesdu haut parage dire dans l'assemblé© qu'il ne tiendrait à rien que tout ne s'arrangeât avec le» communes, s'il ne s'agissait que du clergé: il y avait long-tems qu'ils en avaient fait leur sacrifice. Leur rési- gnation à cet égard était admirable.

T. II. 3

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clergé comme des naufragés se rassemblent après la tempête, comme des haines et des craintes communes réunissent contre un en- nemi commun, contre qui opprime. Ceux qui seplacerent auprès de lui, plutôt qu'ils ne s'y réunirent, cherchaient un auxiliaire et non point un ami.

Quel malheur que des circonstances aussi graves n'aient pas changé entièrement la di- rection du clergé! Quel malheur qu'au lieu de resserrer son faisseau , pour se soutenir , il l'ait rompu de ses propres mains, et réduit à rien la force de ses parties éparses! Quel malheur que l'assemblée constituante, douée de tant de perspicacité , quelquefois de gran- deur, et toujours de talens, n'ait fait que la moitié de son ouvrage ; qu'elle se soit arrêtée sous le coup des reproches que l'on pouvait lui adresser trop légitimement pour la partie dure de sa conduite, à l'égard du clergé, et qu'au lieu de passer de la publication de ses principes à leur application franche et complète, elle se soit abaissée à régenter les prêtres, à leur fabriquer des constitutions; qu'elle soit descendue des hauteurs de la philosophie aux petitesses des empereurs

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çrecs , et qu'au nom de la tolérance elle ait décrété des persécutions! On peut me croire quand j'accuse l'assemblée constituante. Je l'ai assez louée pour avoir le droit de la blâ- mer (i); je l'ai suivie d'assez près pour la connaître.

Le clergé était divisé en arrivant à l'as- semblée. Cette première division se dirigeait contre le haut clergé : beaucoup revinrent à à lui après le !\ août et le 5 octobre. Les écailles étaient tombées des yeux, l'abîme é était là, on le voyait distinctement. Etait-ce donc pour nous y précipiter que vous veniez,

(i) Le plus grand tort peut-être de l'assemblée cons- tituante fut, comme nous l'avons déjà dit, de vouloir créer un clergé dans sa dépendance, ainsi que l'ont fait plusieurs souverains absolus : elle provoqua la conscience des ecclésiastiques à résister. Or les amis de la liberté s'é- garent toutes les fois qu'on peut les combattre avec des sentimens généreux : car la vraie liberté ne saurait avoir d'opposans que parmi ceux qui veulent usurper ou ser- vir; et cependant le prêtre qui refusait un serment théo- logique, exigé par la menace, agissait plus en homme libre que ceux qui voulaient le faire mentir à son opinion. ( Extrait de l'ouvrage de madame De Sta*el. vol. prem. p. 407. )

2.

(âo)

au nom d'un Dieu de paix, nous adjurer de nous réunir à vous , s'écria , dans la nuit du 4 août , un curé qui avait marqué par son ardeur , dans les premiers mois de la révolution! Ces douloureuses paroles peignaient la situation d'esprit d'hommes abusés , et recueillant des fruits amers pour les espérances auxquelles ils avaient prêté l'oreille.

L'imprudente affaire du serment aggrava le mal, le rendit incurable, et du sein de l'assemblée propagea la discorde sur toute 4 l'étendue de la France.

Ici la prudence m'interdit de continuer. Dans cinquante ans, lorsque tous les hommes de ce temps seront descendus dans la tombe, on pourra tout dire sans craindre de rouvrir ou d'aigrir des blessures. Qu'aujourd'hui le silence contribue à affermir la paix qui s'éta- blit ; ce serait un crime que de toucher à cette tige sacrée, ou d'en retrancher un seul fruit. Si quelque sacrifice peut paraître pénible , ce ne peut être que celui des hommages qu'on serait heureux de rendre à des hommes qui les ont si bien mérités. Mais il faut savoir s'en abstenir dans la crainte que l'éloge des uns

(ai )

ne passât pour une censure aux yeux de9 autres (i).

Il est des circonstances dans lesquelles on semble ne combattre plus que de fautes. C'est ce qui, alors, eut lieu entre l'assemblée et le clergé. Ils eurent l'air de n'entendre pas plus l'un que l'autre , leur véritable position.

Le clergé dépouillé, dénoncé au public; ne pouvait plus se faire entendre. Par ce dé- pouillement même le langage de la nation à lui, comme de lui à la nation, était devenu double. Ils ne parlaient plus la même langue. Le clergé invoquait-il la religion, on répon- dait : la clime. Parlait-il pour la monarchie, on répondait : le premier ordre de l'État, l'ancien régi/ne. Rappelait-il les droits de la propriété, il entendait répéter : vous voulez vos biens. Voilà de ces situations dans les- quelles il est impossible de se faire écouter, et le clergé en était là. Lorsqu'on marche sur un sable mouvant , chaque pas que l'on fait

(i) Quelqu'uns écrivent pour montrer qu'ils ont eu raison : personne ne leur dit qu'ils aient eu tort.

C'est avoir un tort que de vouloir en tout temps prou- ver que l'on a eu raison.

( " )

pour s'en dégager, ne sert qu'à s'enfoncer davantage. Or , tel était le terrain sur lequel le clergé manœuvrait ; il s'enfonçait à chaque pas. La pire des préventions est celle qui est produite par un grand intérêt , et le plus fort de tous les intérêts est celui qui s'étend à toute une contrée. Or , le clergé avait à faire à des préventions de cette nature qui s'éten- daient à toute la France. L'intérêt de celle-ci les maintenait et lui donnait des ennemis partout. Dans cette affreuse position , toute résistance de sa part était donc inutile, et seulement propre à aggraver sa situation. Frappé par la révolution que la France ché- rissait, en s'opposant il avait l'air de s'op- poser à la France même ; c'est ce qui explique cet éréthisme de haine qui se manifesta tout- à-coup contre le clergé opposant, et qui, pour la première fois depuis la création du monde, montra une nation naguères très-respectueuse envers ses prêtres, les massacrant, sans avoir changé de religion. Cela ne s'était jamais vu. Partout le culce protégea ses ministres : en France, il les perdait. Pourquoi cette dif- férence ? C'est qu'alors le culte n'était consi- déré que comme un moyen d'opposition.

( 23 )

C'est ce qui sauva les prêtres dits constitution nels; leur serment ni leur théologie ne les eussent guéri de rien; mais ils vivaient sous la protection de l'ordre que leur adhésion favorisait, dont elle était une reconnaissance habituelle , tandis que leurs adversaires se montraient en état de protestation conti- nuelle contre lui. Ce n'était pas seulement des prêtres que la France voyait dans les deux partis, comme tous les deux Font cru et l'ont dit , c'était des amis ou des ennemis de la révolution. Elle traita en ennemis ceux qui se déclaraient ses ennemis à elle-même. Les prêtres constitutionnels respirèrent sous cet abri, jusqu'au moment l'on se crut assez fort pour se passer de tous également, jus- qu'au temps des aveugles furieux égor- gèrent tout le monde et se déchirèrent entre eux. Si le clergé, embrassant d'un coup d'oeil sa position, renonçant à des espérances qui ne devaient jamais se réaliser , fut sorti ouver- tement de l'ordre politique pour se renfermer chais l'ordre religieux, s'il se fut haté d aban- donner les dehors des temples pour se re- tirer dans leur enceinte, et sj barricader en quelque manière , il est vraisemblable qu'il eût

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évité de grands malheurs, et qu'il fût arrivé, sans autre secousse, au terme l'on le voit, celui qu'il voulait fuir et qu'il n'a pu éviter. Hors de ses temples tout était naufrage ; la planche salutaire ne se trouvait qu'au de-r dans.

De nobles et généreux sentimens ,un grand amour de la monarchie et du monarque, un grand attachement aux choses que l'on re- garde comme un dépôt sacré, une vive hor- reur pour l'injustice, une indignation légi- time contre des procédés avec lesquels on n'était pas encore familiarisé, peuvent trouver place à côté de fautes politiques fort graves : le clergé s'égara, il est vrai ; mais son erreur eut les motifs les plus honorables, s'ils n'é- taient pas les plus judicieux. On ne peut être fondé à lui en attribuer d'autres, et c'est avec douleur qu'on lui en a vu impuler d'in- dignes de lui, dans des écrits publiés récem- ment : sa résistance eut un principe honora- ble, quoiqu'il fût bien évident, qu'impuissante à changer la position de ses affaires et de celles du public, elle ne fût très-propre à les aggraver toutes les deux, comme cela n'a point manqué d'arriver.

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Une espèce de fraternité a toujours régne entre le clergé et la noblesse: cette affection était naturelle entre le haut clergé et la der- nière. Il y avait de plus entr'eux une ému- lation d'attachement et de respect pour le monarque et pour la monarchie. H ne faut pas croire que les événemens des dernières années eussent effacé ou oblitéré ces senti- mens ; le fonds même de ces affections n'avait point été altéré: seulement on voulait redresser l'administration , et obtenir des garanties pour l'avenir. Pendant l'assemblée, le malheur était devenu commun entre le clergé et la noblesse; l'avenir présentait des dangers communs, il n'en fallait pas davan- tage pour cimenter une liaison intime : Corn- munibus odiis sociati, a dit Tacite, qui savait bien que le lien formé par la communauté des haines a bien plus de force que celui qui résulte de la tiède amitié. Mais en participant aux affections, et à la direction delà noblesse, le clergé se condamnait aussi à prendre sa partdes haines dont celle-ci était l'objet, et l'on ne peut se dissimuler qu'elles ne fussent fort grandes : il assumait ainsi les haines qui pesaicn{ sur les autres, comme s'il n'y en

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avait point assez avec celles qui lui étaient personnelles.

Dans ce temps le clergé se plaça par choix comme on l'a vu le faire encore depuis 1 8 r 4 •' il fit la faute de s'attacher à des auxiliaires dont il ne pouvait ressentir que le fardeau , qui ne pouvaient lui rien porter , auxquels lui-même n'avait rien à donner, et qui, dans cette société de malheur , ne pouvaient que l'entraîner avec lui dans l'abîme qui s'élar- gissait tous les jours. Lorsque les nobles eu- rent émigré, il fallut bien que le clergé fut déporté : l'un était la conséquence naturelle de l'autre; car tout prêtre opposant ne devaifc passer que pour un correspondant ou bien un soupirant de Coblentz. Depuis lors on n'en- tendit que ces reproches adressés au clergé , et on le vit traiter en conséquence. Les affaires du clergé et de la noblesse n'étaient pas les. mêmes, leur confusion ne pouvait avoir pour lui que des suites funestes : chacun doit s'oc- cuper des siennes, et les faire à part.

Dans ces momens suprêmes, le clergé dut ressentir avec douleur les funestes effets de la liaison du spirituel avec le temporel. La main d'Héliodore venait de ravir les vases du tein-

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pie; le moment arrivait auquel, par une coi>- tradiction manifeste avec la nature des choses, le sanctuaire allait recevoir des lois impor- tées du dehors.

Est-il donc écrit que jamais , dans notre Europe , le pouvoir ne saura résister à la manie de s'ingérer dans l'église, et qu'il sera toujours travaillé de la maladie qui perdit l'empire grec? Si jamais pouvoir fut en mesure de s'exempter de cette intrusion, sûrement ce fût l'assemblée constituante : qu'il est étonnant et malheureux tout à la fois, que si différente de lui sur tous les points, elle ait consenti à lui ressembler sur celui-ci l Qui a pu pousser des hommes qui venaient de donner à leur ouvrage une base aussi large que celle des droits de l'homme en société, à finir par une constitution civile du clergé ? Comment l'alliage bizarre de ces mots n'a-t-il point suffi seul pour détourner de s'en occuper les mêmes hommes qui se met- taient journellement en communication avec les hautes pensées, et les premiers génies de leur siècle? Conçoit-on qu'un homme tel que Mirabeau ait pu descendre jusqu'à se rendre le lecteur du discours d'un abbé La m ou*

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rette (i), à la même tribune d'où tant de fois il avait fait rouler sur un auditoire captivé les flots d'une éloquence souvent incorrecte , mais toujours entraînante ? Quel scandale présentait une réunion occupée d'immenses travaux, en s'en détournant pour sanctionner les systèmes de quelques hommes érudits et vertueux , il est vrai , mais imprégnés de cette âcreté de caractère , et de cette pertinacité qui produisent et maintiennent les sectes î Àh ! ce n'est point ainsi que l'on conduit les hommes. Après les avoir poussés à l'extrême du malheur, il ne reste plus qu'un seul droit à exercer sur eux , celui de les protéger. Tel était le devoir de l'assemblée envers le clergé. Elle lui avait fait tant de mal, que désormais elle ne pouvait plus lui faire du bien : elle l'avait tellement discrédité par ses spolia-

(i) J'ai lu ce discours, écrit de la main de l'abbé La- mourette. Mirabeau était une espèce de tronc beau- coup de personnes déposaient leurs productions: il n'a- ▼ait pas de temps pour tout. Ce discours parut si peu satisfaisant, que Mirabeau , malgré tous ses avantages de tribune , ne put en conduire la lecture que jusqu'à la moitié : c'était un triste factum.

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lions, quelle ne pouvait plus lui rendre la confiance. Après avoir soulevé mille ombra- ges contre lui, que pouvait-elle faire pour en dissiper un seul? Il fallut l'espace d'une année pour effacer l'impression produite con- tre son auteur, par un seul mot échappé en faveur du clergé ^-à-M. l'abbé Syeyes. Ils veu- lent être libres , et ils ne savent pas être justes. Après avoir amené les choses à ce point , il ne restait à l'assemblée qu'à consacrer tous ses soins, et à employer toutes ses forces à la protection du clergé. L'ennemi abattu n'est plus qu'un homme à secourir. Après l'avoir précipité du trône dans l'obscurité, de l'opu- lence dans la pauvreté, de la considération publique dans un état de suspicion générale, il ne restait plus qu'à couvrir d'une égide im- pénétrable sa personne et ses fonctions. La tache de l'assemblée se divisait en deux par- ties : sauve-garde efficace et éternelle pour les individus, tolérance générale pour tous les cultes. A eux de se défendre, de se main- tenir, de se pourvoir. Voilà le seul rôle qui convint à une assemblée qui se piquait de procéder par des principes élevés ; voilà la magnifique occasion que le sort lui avait mé-

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oagée pour s'flisurer une gloire immortelle, > en résolvant le grand problème qui depuis tant de siècles agile si péniblement le monde i celui du mélange du spirituel avec le temporel. Deux fois dans le cours de la révolution cette même occasion a été manquée par rassem- blée constituante et par Napoléon. Tous deux n'ont pas eu lieu de s'applaudir de l'avoir laissé passer. En suivant cette marche vrai- ment grande , à combien de malheurs n'au- rait-on pas obvié ? on n'aurait pas eu la Vendée, et mille autres sujets de douleur: on n'aurait pas vu une guerre pitoyable de mandemens et de décrets se heurtant d'un bout de la France à l'autre, et nous transport tant de Paris à Byzance : on n'aurait pas vu le vénérable cardinal de La Rochefoucauld 1 chargé de tous les honneurs de l'Eglise et de l'Etat, et de quatre-vingts ans des plus douces vertus (r), impliqué dans une procédure cri-

(i) M. le cardinal de la Rochefoucauld avait écrit au vicaire du lieu nommé Triel, qu'il l'interdisait. Ce prêtre ordonné, institué par lui, l'ayant toujours reconnu pour supérieur, était évidemment soumis à sa jurisdiction spi- rituelle» M. le cardinal ne prétendait pas autre chose ,

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minelle pour une cause dont aucun tribunal régulier n'aurait voulu connaître ! Noble et généreux, sincère et fidèle, comme était le clergé, il aurait écouté des voix généreuses et sincères qui lui auraient fait apercevoir de la sécurité pour la seule chose sur laquelle il ne peut transiger, sa religion et son minis- tère. Au lieu de cela, l'assemblée constituante fit un code, et établit des principes d'après lesquels, au moyen de commodes sophismes,* elle restait la maîtresse dans l'Église, et sub- juguait ses ministres. En s'y refusant, le clergé lit à la fois un acte de religion et de lumières, de devoir et de raison; car, d'après l'ordre

tout se passait entreux dans Tordre spirituel. La lettre , déférée au comité des recherches, valut un décret d'ac- cusation à M. le cardinal. L'absurdité était palpable. Je voulus le défendre par les principes; j'allais le perdre. M. de Cazalès le défendit contre les principes, mais par des considérations personnelles, et le sauva. Cela m'ap- prit qu'en révolution les principes sont une chose ex- cellente à alléguer quand on a la force. En révolution, il n'y a que des procès politiques; le plus fort fait des lois pour lui, il a des tribunaux à lui qui appellent cela do la justice. . . Il y aurait une économie à faire, . - colle des juges.

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établi par l'assemblée, toute indépendance était ôtée au ministère : le clergé devait suivre le gouvernement, changer avec lui et autant que lui, et ne s'arrêter que lorsque celui-ci aurait jugé convenable de s'arrêter, et trouvé 3e prêtre le plus complaisant. Si jamais les inconvéniens de la liaison du spirituel avec le temporel ne se firent mieux sentir , jamais aussi la prétention n'en fut portée plus loin, Ce fut une grande erreur, et que j'ai souvent entendu déplorer par des membres distin- gués de cette assemblée. Dans cette occasion, contre la nature des choses, des considéra- tions d'un ordre secondaire remportèrent sur des considérations d'un ordre supérieur, qui seules devaient arrêter l'attention d'un corps délibérant, tel qu'était l'assemblée cons- tituante ; tomber plus bas était déroger. Le clergé publia une déclaration de ses principes. Cette démarche se trouvait dans la plus juste mesure; car il ne pouvait se permettre une protestation directe contre l'œuvre de l'as- semblée, sans compromettre le malheureux Louis XVI, que celle-ci n'eût pas manqué d'armer aussitôt contre lui, non plus que sans courir le risque d'ajouter aux animosités*

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soit calculées, soit aveugles qui le poursui- vaient. Cette pièce , ouvrage de l'archevêque d'Aix, honorable dans le fonds, médiocre dans la forme, d'après la manière d'écrire entortillée de ce prélat, fit peu d'impression dans le public. Le clergé s'était adressé et rap- porté de tout au pape; celui-ci, après plusieurs mois d'attente, répondit par un bref, plus chargé d'érudition scholastique et de cita- tions théologiques que de raisonnemens. On dit dans le temps que cet écrit était l'ouvrage direct de Pie VI. Il obtint peu de faveur dans le clergé même, et dans le cours de la pre- mière lecture qui s'en fit chez le cardinal de La Rochefoucauld , l'évèque de Limoges , M. d'Argentré, s'écria , il faut ente'rrer cette bulle. M. Camus, député , reprocha publique- ment au clergé de ne pas oser la montrer : cela était prudent , car il n'y avait rien à gagner à son exhibition.

11 est un fait sur lequel je n'ai pu acquérir des renseignemcns munis de cette espèce de certitude qui commande la conviction , sa- voir, quelle fut la proportion du nombre des prêtres sermentés avec celui des insermentés. Un calcul approximatif est la seule chose que

T. II. 3

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j'ose présenter au public. Les cathédrales et les cures furent desservies ; celles-ci existaient au nombre de quarante-cinq mille ; les vica- riats ne demeurèrent point vacans pour la plupart. On peut calculer que soixante mille prêtres furent alors employés. LEglise de France était composée de cent cinquante-neuf mille personnes des deux sexes, et serviteurs des Églises. On comptait vingt-huit mille re- ligieuses ; environ dix mille serviteurs d Eglise. Il resterait donc soixante-deux mille prêtres qui n'auraient pas été employés, et restés hors de l'exercice du culte d'alors j par con- séquent le partage aurait été égal. Si des états dressés dans le temps ne m'ont point induit en erreur, je dirai, d'après eux, que le nom- bre des prêtres déportés séleva à vingt-huit mille ; en y joignant deux mille émigrations volontaires parmi les prêtres, l'on a un nom- bre total de trente mille prêtres sortis de France. Il en serait resté autant en France parmi les ecclésiastiques non sermentés; ainsi les deux portions du dedans et du dehors auraient été égales. En Angleterre , lors de l'abolition du catholicisme, on remarqua que quatre évêques seulement se refusèrent au

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changement: en France ce fut tout le con- traire ; quatre seulement y accédèrent.

On eut lieu de remarquer alors à quel point des institutions, qui avaient rendu de grands services à la religion et à lEtat, étaient usées, même dans l'esprit de leurs propres mem- bres, par l'empressement que les réguliers * mirent à sortir des cloîtres , à renoncer à la jouissance de la fortune que ces établissemens possédaient , à leur part dans les honneurs qui appartenaient à ces congrégations célè- bres La considération publique s'étant retirée de l'état monastique , les moines se retirèrent de cet état avec alacrité; et comme ce n est point la richesse qui inspire l'attachement, on remarqua que les moins fortunés furent les plus fidèles, et les plus mendians les moins relâchés. On remarqua aussi que le clergé du nord et de l'est de la France , moins la Fran- che-Comté, opposa moins de résistance que le clergé de l'ouest et du midi : dans la Basse- Bretagne, la Vendée, la Lozère, l'Aveyron, et le Languedoc, la résistance fut presqu'una- nime , tandis que la condescendance suivit les mêmes proportions dans le nord, et dans Test. Il ne faut pas oublier le trait le plus

3.

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îionorable de ce tableau. Si , dans la révolu^ tion, les femmes ont en général montré dans les fers, et sur l'échafaud, encore plus de fermeté dame que ne l'ont fait les hommes > si elles les ont vaincus en constance et en sa- crifices, elles n'ont pas été moins héroïques en religion, et de leur côté les religieuses l'ont emporté de beaucoup sur les réguliers. Les exemples de défection , et comment en eût-il manqué dans le nombre, furent bien rares ; la conduite des religieuses fit paraître dans tout son éclat l'admirable fermeté de personnes qui, n'écoutant que la voix du de- voir, fermèrent l'oreille à toutes les séduc- tions , refusèrent de rentrer dans le monde qui se rouvrait pour elles, et démentirent par la plus inviolable fidélité tout ce que l'on pu- bliait sur la contrainte de leurs vœux, et sur la force des barrières qui les empêchaient de les rompre.

Près de deux années s'écoulèrent depuis la constitution civile jusqu'à la déportation , dans un état équivoque de tolérance légale et de persécution locale et administrative , entre deux clergés , Tun reconnu par l'État, et jouis- sant, l'autre méconnu par l'Etat, et réclamant y

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places l'un à côté de l'autre , et cherchant mutuellement à s'exclure : état trop violent, pour être durable. Bientôt le trône s'écroula, la persécution éclata, et la déportation vint pour diminuer le nombre des victimes.

Oh! vous, qui le fûtes clans ces temps cruels, vous qui étiez nos frères, nos amis, les com- pagnons de nos travaux, souffrez que ceux que vous avez laissés derrière vous, couvrent vos tombes de fleurs, et les entourent de leurs hommages ! Une vertu divine s'élève de ces tombes sacrées ; puissent-elles protéger à jamais notre patrie, et détourner d'elle le retour des fléaux qui vous enlevèrent à la terre pour vous donner au ciel ! . . ..

Je terminerai cet article par quelques ob- servations que je ne crois pas étrangères à cet écrit, parce qu'elles rentrent dans le do- maine de l'histoire, à laquelle il doit fournir des matériaux. On a beaucoup écrit sur le clergé de l'assemblée constituante : c'est la dernière fois que le clergé a paru en corps; c'est la dernière fois qu'il aura pu le faire. On ne reverra plus ce grand corps du clergé do France : l'étranger , la génération actuelle ne Font point connu. Peut-être, ne sera- ton»

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pas fâché de savoir ^comment il s'y mon- tra?

La composition de la députation était fau- tive, eu égard à la discussion des affaires publiques; c'était un synode, et non point une assemblée politique. S'il pouvait se ren- contrer quelques connaissances analogues aux sujets dont la discussion était annoncée, c'était parmi le haut clergé, et dans les degrés qui le suivaient de plus près qu'il fallait les chercher. Des hommes nourris daus des idées plus élevées, accoutumés à manier des affaires plus grandes, vivant dans des cercles plus étendus, sont plus en mesure pour traiter des affaires importantes, que ne peuvent l'être ceux auxquels leurs occupationshabituelles ont refusé les mêmes avantages. Aussi, parmi les ^44 curés qui parurent aux états-généraux, un seul, M. Grégoire, montra quelque facilité à s'exprimer, ainsi que quelques connais- sances dans le droit, et les affaires publiques. Son langage avait plus d'ardeur que de feu, plus d'impétuosité que de vivacité. Il se trou- vait presque toujours dans ce qu'il disait quelque chose de provocateur, et Ton sentait un homme qui se défend comme les autres

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attaquent. Cela n'empêche point que dévastes connaissances, acquises par un travail infati- gable, n'appartiennent à M. Grégoire, et que dans toute sa carrière il n'ait montré un ar- dent amour de la liberté, avec une confor- mité parfaite de principes, chose honorable dans tous les temps, dans tous les pays, et dans tous les hommes.

Les curés de Souppes et du Vieux Pouzan- ghes , Thibault et Dillon , celui d'Argilliers , Gouttes, ne se distinguèrent par aucun ta- lent. De l'emportement, par fois de la bru- talité , voilà tout ce qui se fit remarquer en eux. Au 'contraire , dans le clergé du second ordïe, sur quatorze membres dont il était composé , il s'en trouva deux qui , dans tout pays et dans toute assemblée au- raient jeté beaucoup d'éclat, et deux au- tres qui, quoique à une grande distance de ceux-ci, méritaient cependant une juste con- sidération.

Les abbés Maury et de Montesquiou étaient les premiers : les abbés de Ilastignac et de Bonneval étaient les seconds. On ne peut parler de l'abbé Maury, sans rappeler son rival Mira- beau, pas plus qu'on ne peut faire l'histoire de

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Charles XII et du Czar Pierre, sans que Tune ne rentre dans celle de l'autre.

Si l'on veut se faire une idée de vrais talens d'assemblée, si Ton veut connaître ce qu'en sens opposés , peuvent deux rivaux clans la même carrière,on n'a qu'àse représenter l'abbé Maury et Mirabeau. Long-temps ils ont fixé les regards du monde, essayons de rappeler les jours de ces combats mémorables et de les peindre. Tous deux ont à se plaindre de leur renommée; tous deux ont à réparer et à re- conquérir; tous deux ont à justifiter la voix publique qui les a désignés, qui semble les provoquer, et leur demander de répondre à son attente. Ils s'élancent, ils se saisissent, quel sera le vainqueur, lequel des deux ter- rassera son adversaire ? L'un, fort d'un amas immense de richesses acquises par le travail, doué d'une mémoire, vaste réservoir rempli par l'étude, pourvu d'un sang-froid que rien ne trouble, puissant par l'enchaînement des idées qu'il a l'art de présenter toujours liées ensemble, tranchant par l'à-propos d'une ironie sanglante, aguerri contre les provo- cations, élevant avec assurance sa tête vers la multitude qui tonne au-dessus de lui, et

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comme Neptune ayant l'air d'adresser à ses flots mutines, l'imposant quos ego; semblable à ces généraux toujours repoussés, mais ja- mais rebutés, que les champs de bataille voient reparaître, comme si leurs habits n'é- taient point souillés de sang et de poussière, comme si leurs fronts n'étaient point sillonnés par les traces de la foudre; toujours clair dans ses idées, correct dans son style, peut-être le seul parmi tous ceux qui parurent dans cette .ti eue, sous la dictée duquel on eût pu re- cueillir un discours conforme aux règles sé- vères du langage, fécond et varié dans ses discussions, traitant également tous les sujets, et fournissant à plusieurs carrières dans le même jour; mais plus rhéteur qu'homme d'Etat, plus jaloux des succès de la tribune que du résultat des affaires, riche en fleurs et eu ornemens académiques, pauvre en con- clusions politiques, plus fait pour bien dire ce que les autres auraient fait, que pour bien faire lui-même, manquant de flexibilité et d'adresse, enfonçant un cuisant aiguillon, élargissant et envenimant des blessures, il aurait fallu verser du heaume. L'autre, assemblage informe de talens et de vices,

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flétri plus que mûri par les orages de la jeu- nesse et les rigueurs de la fortune, portant dans son esprit l'audace qui éclatait sur son front, dans son style l'incohérence qui était dans ses traits, hideux lorsqu'il escaladait la tribune, entraînant par les accens dont il la faisait retentir, impétueux lorsqu'il s'agissait de soulever les flots, hahile à les diriger, à les calmer par la douce voix de la syrène qu'il laisait succéder aux mugissemens du mino- taure, profond dans ses combinaisons, plus soigneux du résultat des affaires que des succès de l'éloquence; si elle fut tout pour son rival, pour lui elle n'était qu'un moyen : Quintilien aurait attribué la palme à Maury, Démosthènes l'aurait offerte à Mirabeau. Si l'art déparier n'est que celui défaire passer ses idées et presque son ame dans les esprits dont on veut s emparer, si la puissance de la persuasion fait le fonds rie l'orateur, Mirabeau l'emporte sur un rival étranger à ces mou- vemens subits, à ces inspirations inattendues, à ces mots heureux et quelquefois impérieux, à cet art d'amener par des gradations insen- sibles une pensée dominatrice, qualités qui ont appartenu à Mirabeau dans un degré

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presqu'exclusif , et qui lui ont donné un pou- voir d'entraînement dont son rival plus mé- thodique ne possédait aucun élément. Maury plus savant faisait bien valoir ce qu'il savait, Mirabeau encore plus habile excellait à cacher ce qu'il ne savait pas- le vernis dont il avait l'art de recouvrir son ignorance l'emportait sur le savoir que possédait l'autre. Maury pouvait être l'orateur et l'interprète d'un parti, Mi- rabeau en aurait été le créateur et le conduc- teur; Maury aurait discuté avec éclat sur un plan, Mirabeau l'aurait conçu et exécuté; Maury ne voyait dans les hommes qu'un auditoire, Mirabeau dans un auditoire ne voyait que des hommes, et ses machines de guerre. Voilà l'homme d'État ! . . .

Tels furent ces rivaux célèbres, dont la renommée dépassera la gloire, qui en ont valu à la France et à l'assemblée constituante plus qu'ils n'ont su en garder pour eux- mêmes, Mirabeau mourut au moment il venait de vouer à la monarchie l'appui dit bras qui lavait ébranlée (i) : celui de Maury

(i) J'ai vu dans les temps l'accord fait par Mirabeau avec la cour, et le plan qu'il proposait: il y entrait du

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ne put la soutenir , et il n'a pu être soutenu lui-même par celle à laquelle il avait fini par se donner. Les temps à venir s'entretiendront toujours de ces deux hommes, leurs noms ne seront jamais séparés de leur époque; il n'en sera pas de même de leurs écrits : produits des circonstances, manquant par-là de cet intérêt général qui est le seul gage de la durée , déjà ils n'ont pu résister à l'épreuve du temps, et n'arriveront point à la postérité (i).

Visir; je doute qu'il eut réussi, ses adversaires étaient trop vigilans et trop habiles. Il n'y avait pas de milieu entre un succès entier, et une ruine complette. M. Malouet avait beaucoup contribué à ramener Mirabeau. Les préliminaires de cette négociation furent fort sin- guliers. On pourra les faire connaître quelque jour.

(1) L'abbé Maury était à Vauréas, dans le Comtat Vénaissin ; son père était un riche fermier, mais chargé d'une famille nombreuse.

L'abbé Maury se proposait d'entrer aux Jésuites, au. sortir de ses études , qu'il avait faites d'une manière bril- lante. La suppression de la société s'opposa à l'accom- plissement de ce dessein.

Il vint à Paris, fit une éducation, et s'attacha à l'état ecclésiastique, carrière sûre pour un homme de talent et appliqué.

M. de Fénclon , évèque de Lombez, lui donna une place

Tout ce que les agrémens de la figure, la douceur du langage, l'urbanité des manières, la modération des opinions peuvent prêter à un orateur de charmes et d'avantages , se

dans sa cathédrale. Il se fit prédicateur, prêcha à Ver- sailles, et devant l'assemblée du clergé. Celle-ci fut si contente de son panégyrique de saint Augustin , qu'elle sollicita les grâces du Roi en sa faveur. Cette recom- mandation lui valut l'abbaye la Frénade , au diocèse de Limoges. Il se lia avec les membres de l'académie : il le devint lui-même, et reçut de son ami, l'abbé De- boismond , le riche prieuré de Lyons, qui lui donna l'entrée au bailliage de Péronne , dont il fut député. Il avait travaillé sous plusieurs ministres qui connaissaient son aptitude au travail ; cela lui donna les moyens de puiser aux sources , et d'acquérir des connaissances aussi sûres que variées. Il avait travaillé aux édits de la cour plénière, avec M. Dupaty, ce qui fit parodier le mot de sainte Thérèse :

Aut pati , ciut mori.

Il parla très-peu dans la chambre du clergé, et y mon- tra de la timidité. Effrayé par les menaces qui lui fu- rent faites à la suite d'un discours violent, il quitta l'as- semblée après le 14 juillet. Il fut arrêté à Péronne; il faut lire dans le journal politique national de Rivarol le récit de cette aventure. Après le 5 octobre, il se déposait encore à partir; M. Malouet le retint : c'est

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trouvait réuni dans M. l'abbé de Montesquiou. Chargé de la défense du clergé comme son agent, il fut, dans cette carrière, le dernier des Romains. Si le clergé avait pu encore être défendu avec efficacité, sans doute ce dif-

qu'il débuta dans la carrière, car il n'y avait pas en- core paru. Sa santé et sa force lui permettaient un tra- vail excessif, et de se contenter d'un sommeil de quelques heures pris sur une cîiaise longue. Hélait plein de sang-froid et desaillies: le peuple haïssait sa cause, mais aimait son courage, il le provoquait plus qu'il ne le menaçait; il voulait le faire parler. Je l'ai vu passer de la menace à des applaudissemens bien vifs , l'orsqu'en se promenant aux Thuileries, il répondit à des femmes qui criaient derrière lui: "L'abbé Mauiy a la lanterne ; eh bien! quand je serai à la lanterne:, en verrez-vous plus clair? Un. bon mot lui valait un mois de sécurité. Pie VI le fit archevêque de Nicée, et l'envoya comme nonce au cou- ronnement de l'Empereur à Francfort. Il n'y eut pas de succès : il ne réussit pas davantage à Rome ; l'homme était très-différent de l'orateur. Confiné dans son petit diocèse de Montefialcone, il perdit dans un séjour prolongé dans ce village une partie des qualités qui distinguaient son esprit.

Après l'avènement à l'Empire , par Napoléon , il lui écrivit , ainsi que tous les cardinaux sont dans l'usage de le faire aux têtes couronnées, dans certaines occa- sions. On a cru que cette lettre était venue de lui seul ;

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ficile succès .eût appartenu à un homme qui, avec de grandes connaissances de ses intérêts, avait eu l'art d'intéresser les ennemis de sa cause à ses succès personnels, et qui aurait désarmé la haine. Mais il avait affaire à la politique, cette froide ennemie qui fait d'au- tant plus sûrement le mal qu'elle le décore du nom de sacrifice, et que toute pitié n'est pas bannie de ses calculs. Plusieurs fois ,

elle lui avait été commandée. Napoléon la reçut à Aîx- la- Chapelle ; il me dit le même jour: J'oi reçu une lettre du cardinal Maury, il me dit les plus belles choses du monde, mais je sais à quoi m'en tenir. Il fut pré- senté à Napoléon, à Gènes, en i8o5, et vint en France en 1806; sa présence excita une vive curiosité : le peuple se rassemblait pour le voir , et suivait sa voiture.

Son discours à l'académie fiançaise ne répondit point à l'attente du public; il en fut de même pour un sermon qu'il prêcha à Notre-Dame le vendredi-saint.

Son débit n'avait jamais été bon , il était devenu très-fatiguant.

Les indécisions de M. le cardinal Fesch ayant fati— gur Napoléon, il nomma le cardinal Maury à l'arche- vêché de Paris. J'ai la certitude que Napoléon se pro- posait de l'en retirer.

Revenu en Italie, il fut arrêté, et enfermé à Rome : on a cru que cet acte de rigueur avait été la suite de

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M. l'abbé de Montesquiou occupa le fauteuil qui avait servi d'écueil à tant d'autres, et se montra supérieur dans l'art de diriger avec calme , impartialité , comme avec la plus gra- cieuse urbanité, une assemblée dans laquelle les flots se soulevaient fréquemment, et se choquaient à grand bruit. Sa voix pénétrante et douce savait se faire jour au milieu de leurs retentissemens et les calmer. Si le clergé eût remis le soin de ses intérêts à M. l'abbé de Mon- tesquiou , accoutumé à porter des appaise- mens dans les esprits, il aurait détourné des rigueurs qu'appelaient les provocations de M. l'abbé Maury, qui, trop confiant dans la montre du courage, agaçait le lion qu'il fallait

quelques mécontentemens provenus de sa conduite poli- tique ; il avait un autre motif. On avait persuadé au pape que dans le nombre de ses mandemens, il s'en trouvait qui renfermaient des hérésies. Le premier acte d'autorité du pape , en rentrant dans ses Etats , fut d'or- donner son arrestation, et la saisie de ses revenus.

J'ignore si les mandemens de M. le cardinal Maury contenaient des hérésies politiques, mais il est vrai- semblable qu'il s'était fort peu occupé des autres.

Il est* mort dans l'exercice des fonctions attachées à sa dignité.

I

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carresser pour rendre sa griffe moins déchi- rante.

L'abbé de Montesquiou et l'abbé Maury auraient entr'eux deux renouvelé les effets de la lance d'Achille. La modération de l'un aurait guéri les blessures que faisait l'impé- tueuse violence de l'autre.

Le premier était plus homme d'affaires que le second... , il concluait.... Maury ne concluait jamais... Il ne lui est arrivé qu'une seule fois de conclure , et ce fut contre lui, dans l'affaire de la régence.

Il parla pour établir le droit des reines, et cita des faits en place de raisons. 11 ne peut pas s'en trouver d'admissible dans ce système. 11 finit par adopter les conclusions du rappor- teur qui, séparant avec justesse les droits de la mère d'avec ceux de l'Etat , et voulant pour- voir à la sûreté du mineur, attribuait la garde de sa personne à la mère, ou bien à la plus proche parente, et remettait le gouvernement de L'État au prince le plus près dans la ligne de la succession. Cela conciliait tout. U est évident que Maury n'avait pas voulu perdre les frais de son discours ; ce n'est pas son meilleur.

T. u. 4

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Il existe, dans la charte actuelle, une lacune sur cet article important, et ce n'est point la seule.

M. l'abbé de Iiastignac touchait au terme d'une carrière longue et honorable : il publia plusieurs écrits pleins d'une érudition éten- due, mais trop vieille pour le temps auquel ils étaient destinés. Toujours appuyé sur Hinc- mar, et les capitulaires, il aurait pu être l'o- racle des pairs de la cour de Charlemagne, ou des chevaliers de la table ronde ; mais il ne pouvait trouver que des sourds, parmi des hommes qui se replaçaient dans le berceau des sociétés et du monde. Son erreur prove- nait de ce qu'il croyait être entendu. On par- lait une autre langue.

M. l'abbé de Bonneval, membre du chapitre de Paris, précédé de la réputation qui s'atta- chait naturellement à ceux qui avaient l'avan- tage de faire partie de la société de M. le duc de Nivernois, aurait pu paraître avec distinc- tion sur le théâtre de l'assemblée , si des infir- mités n'eussent exigé de bonne heure qu'il s'en retirât. C'est lui qui adressa à monsieur l'archevêque de Vienne, Le Franc de Pompi- gnan, ce mot piquant dans sa vérité et dans

( àl )

sa précision : Monseigneur, après avoir passé votre vie à eombaltre les -philosophes % vous vous êtes fait leur exécuteur testamentaire.

Le corps cpiscopal de l'assemblée ne comp- tait pas un seul orateur. M. de Boisgéjin , ar- chevêque d'Aix, porta quelquefois la parole, mais seulement sur des matières ecclésias- tiques : orateur compassé dans une élégance purement académique, mais dont l'éloquence manquait de reins, comme dit Cicéron.

M. l'archevêque de Vienne, Le Franc de Pompignan, frère de l'académicien, désigné dans sa jeunesse comme le successeur de Bos- suet, imposant par ses cheveux blancs, par la renommée de ses vertus, sortit d'une car- rière consacrée à combattre la philosophie , par se ranger sous ses drapeaux. Cette anti- conversion frappa beaucoup , et devait le faire. M. de Pompignan était loin d'être élo- quent, il était trop cassé par l'âge pour pouvoir se faire entendre. 11 n'aurait pu suivre l'as- semblée dans les hautes discussions auxquelles elle ne tarda point à se livrer. C'était un théo- logien de la grande force , et rien au-delà. Devenu ministre après le 1 4 juillet, il ne tarda pas à se séparer de l'assemblée et à mourir.

4-

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Le désaccord entre le cours de sa vie et son terme lui fut vivement reproché. La considé- ration de son âge aurait le faire ménager.

Il en fut de même pour M. de Cicé , arche- vêque"de Bordeaux. Ce prélat s'était fait con- naître avantageusement dans l'administration de la Haute-Guyenne. Il possédait de vastes connaissances, un grand usage des affaires et des hommes, il était très-capable de diriger les uns et les autres. Malheureusement encore il était étranger aux qualités qui constituent l'Qrateur,et sans orateur il n'y a point d'homme d'assemblée. La nomination de M. de Cicé au ministère priva bientôt l'assemblée de sa pré- sence. Il est à regretter que M. Dillon , arche- vêque de INarbonne, n'ait point paru dans cette arène. Il eût été curieux de voir comment s'y serait soutenu ce prélat qui si long-temps avait maîtrisé autant que présidé les états de Languedoc, et c'était alors la première prési- dence politique de la France, homme pour le- quel la nature auait fait beaucoup , en le douant d'un extérieur imposant , d'une élocution haute , facile, énergique et souvent éclatante par d'heureux à-propos, devant tout à la na- ture, et rien à l'art. L'assemblée et la révolu-

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tion ont été les tombeaux de beaucoup de renommées. Si M. Dillon eût grossi la liste des naufrages qu'elles ont vu faire, il aurait complété la démonstration de l'insuffisance de l'éducation et des occupations des ecclé- siastiques pour les rendre propres aux affaires publiques. Les mêmes hommes qui sur leur terrein avaient brillé dans les assemblées du clergé , n'ont pu proférer une parole dans cette assemblée. M. Dulau, archevêque d'Arles, avait fourni sa carrière d'agent du clergé avec la plus grande distinction ; il ne put pas sou- tenir la tribune, et ne l'affronta qu'une fois; et néanmoins ce prélat dont la vie avait été si vertueuse, et dont la mort fut si héroïque, était doué de beaucoup de talens, et pourvu de vastes connaissances; mais elles ne por- taient pas sur les objets qui vinrent en dis- cussion. On parlait à ces hommes de choses qu'ils ne savaient pas , et sur lesquelles ils n'avaient point de provisions faites d'avance. Ils ressemblaient aux chevaliers, lorsqu'avee leurs lances ils rencontrèrent des fusils. C'est ce qui réduisit à un si petit nombre les mem- bres du clergé qui parurent avec éclat dans l'assemblée. Ils avaient perdu terre en en-

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trant dans la discussion de Tordre social ou pôlitique(i); ils savaient très-bienautre chose, mais ils ignoraient celles-là, et c'étaient celles qu'alors il importait de savoir. Tel est le résultat inévitable d'une éducation et d'occupations qui n'ont qu'un but unique , fixe et déter- miné, il est vrai, mais très-restreint dans son étendue : on sait très-bien cela, mais aussi ne sait-on que cela? arrive un déplacement, on ne sait plus rien. Le clergé de l'assemblée constituante, comme les nobles du côté droit, n'eut jamais ni chefs ni plans, et n'était pas susceptible d'en avoir. Ceux qui parlaient parmi eux , îe fesaient pour leur compte pro- pre, jamais en vertu d'un concert ou d'un plan. Il ne fut jamais possible de les tenir ensemble pendant quatre jours. J'ai assisté à une réunion, en 1789, au mois de novem-

(1) Je suis la preuve de ce que j'avance. Quinze an- nées d'éducation ecclésiastique ne m'avaient rien appris de ce que l'on traitait dans l'assemblée ; j'y apporlai de bonnes intentions, mais une ignorance politique com- plets : il fallut recommencer l'éducation à trente ans. Je me tus dans tout le cours de l'assemblée, quaurai-jo pu dire? je ne savais pas.

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bre, dans laquelle il fut convenu d'essayer du silence, et de livrer le coté gauche aux divisions que l'absence de toute opposition de notre paît ne pouvait manquer d'y pro- duire. Le lendemain les parleurs montèrent à la tribune deux ou trois fois. On tenta des réunions publiques annoncées à grand bruit : cela n'était bon qu'à se faire lapider, ce qiu ne manqua pas d'arriver. Dans les temps de parti, ces réunions ne sont permises qu'à ceux qui tiennent le haut du pavé. Le coté droit s'opposait en vociférant, en opposant des outrages à des injustices et à des violences; n'osant protester ouvertement, il déclinait le principe d'autorité de l'assemblée lorsqu'il lui était contraire, il le réclamait lorsqu'il lui était favorable ; chevaleresque et intolérant, sortant sans réflexion , rentrant sans dignité, incapable de se discipliner, plein d'honorables sentimeus et d'inconvéniens en affaires. Les curés étaient impropres à les traiter. Arrachés à leurs habitudes, étrangers à la vie de Paris,, fatigués delà longueur des séances, de la pro- longation de la session, d'écouter ce qu'ils n'entendaient pas, ils ne pouvaient manquer de former des auxiliaires faibles pour la cause

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qu'ils soutenaient d'ailleurs avec la plus grande rectitude d'intentions. La longueur des séances contrariait les habitudes de toute leur vie, de manière à les faire sortir de l'assemblée aux heures auxquelles la mêlée devenait la plus chaude : alors rien ne pouvait les retenir. Il en était de même pour les nobles, dans la belle saison rien ne les eût empêché daller à la campagne tous les samedis. Le côté opposé , qui le savait, attendait ces absencespour porter ses coups. C'est ainsi que presque tous les nobles du côté droit, partis de Paris le samedi soir du jour Ton supprima la noblesse , apprirent le lundi suivant, à leur retour, l'échec que leur absence avait permis de faire éprouver à leurs titres et à leur blason. Ce corps était ingouvernable, et l'exemple qu'il a laissé prouve que , dans la direction des affaires publiques, l'habileté doit servir de compagne et d'auxiliaire à la vertu. Il y avait beaucoup de cette dernière dans le côté droit, mais bien peu de la première. On disait que si le côté gauche faisait bien le mal, le côté droitfaisait mal le bien.

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CHAPITRE XXII.

Clergé depuis la déportation jusqu'à la restauration religieuse. Trois clergés. Sermens.

Par la déportation et le serment de rassem- blée constituante il se trouva trois clergés : deux au dedans, un au dehors; et, pour compléter l'imbroglio, les deux clergés du de- dans ne s'entendaient point entr'eux, mais un des deux s'entendait avec le clergé du dehors. Des machines disposées dans un sens aussi contraire ne peuvent pas jouer , aussi le dé- sordre était fort grand.

L'émigration, comme j'ai déjà eu lieu de le dire, avait forcé la déportation par les dan- gers auxquels la correspondance établie entre la conduite, les intérêts, les sentimens et les voeux des prêtres et des nobles exposaient les premiers. Lorsque de toute part on court aux armes et que l'on égorge, que peuvent faire ceux qui n'ont point d'armes , et qui sont évi- demment dévoués au sacrifice. Or, tel était alors l'état des prêtres. Le 10 août on corn-

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mença de les saisir, d'en remplir les cachots; au premier moment d'alarme, ils ne pou- vaient manquer d'être égorgés, comme cela arriva le deux septembre. La déportation était donc leur seule ressource. La France était devenue un champ de bataille, et des prêtres n'ont rien à faire là. Si cette épouvantable mesure de l'émigration n'avait pas eu lieu , en transportant sur le sol dont ils ne dispo- saient pas ceux qui devaien t défendre la France sur le sol français, si par l'absence de ceux qui furent inconsidérément deman der aux étrangers de rouvrir un pays dont ils avaient eu l'imprudence de remettre les clefs à leurs ennemis, lecombatnes'étaitpasengagé hors de la terre de France,laquestionchangeaitdeface; les camps seraient devenus l'asile des prêtres , comme ceux de la Vendée le furent pour un grand nombre d'entreux; alors il y aurait eu quelques moyens de salut: mais lorsque le théâ- tre de l'action fut transporté au-delà des fron- tières, les prêtres restés dans l'intérieur , aban- donnés à leurs ennemis, se trouvèrent sans asiles et sans ressources. Il fallut rentrer en terre; l'ordre d'un district suffisait pour enle- ver tous les prêtres d'un canton; pour les vouer

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a la réclusion ou à la mort. Dès-lors la fuite volontaire on l'expulsion étaient les seuls moyens de salut. Hélas î sans elles le nombre des victimes aurait encore été grossi.

C'est une cruelle mais inévitable liaison que celle qu'ont entr elles certaines actions : les unes commandent les autres: elles ont la désastreuse propriété d'envelopper dans les mêmes malheurs des hommes qui n'ayant pas des principes communs d'actions, ne devraient pas en ressentir les effets. Tel fut cependant le sort du clergé par la faute de l'émigration: il n'avait rien de commun avec une mesure dont le but était une prise d'armes , et il fal- lut qu'il s'y associât et qu'il en subit toutes les conséquences. L'émigration n'a servi qu'à ses ennemis : elle leur a donné une influence immense en France , elle leur a attribué des dépouilles opimes qui ont servi à fournir t tus les moyens d'en tenir les portes fermées aux émigrés: c'est une des plus hautes fautes qui aient jamais clé commises en politique. A quoi a-'l-il tenu qu'il ne rentrât pas un émi- gré , et c est-il donc à leur force propre qu'ils ont du de pouvoir le faire? Si l'on veut bien j ug er de la nature de cette mesure, il n'y

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a qu'à voir avec quel empressement les en- nemis des émigrés cherchaient à l'étendre, indice certain de sa juste valeur , car souvent nos ennemis apprécient mieux que nous la nature de nos démarches.

Le clergé déporté trouva des contrées hospitalières , et des ames sensibles aux in- fortunes causées par l'accomplissement du devoir. En Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, partout enfin des se- cours, des témoignages d'estime , des conso- lations lui furent prodiguées. On vit le roi de la Grande Bretagne , chef de l'église angli- cane, oubliant l'accueil qu'avaient reçu en France les prêtres catholiques ennemis de sa dynastie , abaisser en faveur de ces victi- mes de leur dévouement , les barrières que la différence du culte élevait entr'eux et lui , et consacrer un de ses palais à leur servir d'a- sile { admirable alliance de la générosité avec le discernement, qui dansles malheureux sépare l'homme souffrant de l'homme atta- ché à une autre croyance!

Il faut dire aussi que si l'Europe accorda de la bienveillance au clergé déporté, celui- ci à son tour se montra à l'Europe sous des

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rapports dignes d'estime. Il justifia les bien- faits dont il était l'objet. C'était un beau spectacle que celui que présentaient trente raille ecclésiastiques jetés sur des terres étran- gères , sans autre frein que celui de leurs devoirs , et ne manquant à aucun. Le clergé français n'a point à regretter le temps passé hors de la France , parce qu'il a servi à le faire connaître ; même en éprouvant toutes les ri- gueurs de sa patrie, il n'a point cessé de la servir , car il faisait des conquêtes à sa littéra- ture et à son langage dont il a propagé la connaissance et le goût.

Un décret de l'assemblée frappée par le 18 fructidor , donna au clergé la faculté de rentrer en France. Le Directoire retarda l'ac- complissement de quelques formalités néces- saires pour sa mise à exécution , et cette fa- tale journée le rendit illusoire.

Cependant , à cette époque, un grand nom- bre d'ecclésiastiques rentrèrent en France.

Ceux qui y étaient restés 'se trouvaient di- visés , comme je l'ai déjà dit.

Peu de jours après le 10 août, l'assemblée qui avait fait cette journée décréta un ser- ment sur lequel on se divisa de nouveau. La

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Sorbonne ou plutôt ce qui restait de Sorbori- nistes présens à Paris, le déclarèrent admis- sible. Pendant quelque temps le clergé dit constitutionnel exerça son ministère sous la protection des loixdu moment: mais bientôt les fureurs sanguinaires et le délire anti-re- ligieux n'ayant plus de bornes , il eut à souf- frir è-peu-près autant que ses adversaires; divisés d'opinions, ils se trouvèrent réunis par les mêmes malheurs.

Pendant la durée de cette tourmente , les voies ordinaires de l'administration ecclé- siastique avaient été détournées. Les com- munications avec Rome ne pouvaient plus avoir lieu comme pur le passé. Il n'y avait plus de sûreté dans les rapports avec les su- périeurs habitans d'autres contrées. L'admi- nistration se faisait pour ainsi dire de la se- conde main , par des délégués, mode qui a préparé les voies ace que depuis on a appelé la petite église. Des hommes sensibles à l'exercice du pouvoir, aux charmes de Tin- dépendance, trouvaient doux de cesser de dépendre, et de devenir à leur tour des centres d'autorité. L'amour propre de l'homme s'at- tache à tout , et il ne lui coûte que de décheoir.

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Aussi, à la restauration religieuse , se trouva t-il un esprit de presbytéranisme qui n'avait jamais paru clans l'église de France : on compta ainsi un petit nombre de troupeaux voués à des directeurs particuliers. Mais cette déviation partielle ne doit point priver l'en- semble du clergé resté en France du juste tribut d'éloges qui lui est pour le cou- rage qu'il a montré ainsi que pour les services qu'il a rendus en bravant tous les dangers de ces désastreuses époques. S'il a été ramené aux persécutions des premiers siècles de l'é- glise, il en a aussi fait revivre les vertus. C'est une des plus belles époques du clergé de France.

Lorsque le fort de la tempête fut passé , le clergé constitutionnel reprit ses fonctions , et si je n'ai pas été trompé , il fournit au Service de la presque totalité des églises de France. Depuis le serment exigé par l'assem- blée constituante les mêmes exigences se mul- tiplièrent. Chacun, dès qu'il était le maître, décrétait des sermens , en inventait pour tous ses besoins. C'est ainsi qu'on vit deman- der un serment de haine à la royauté que l'on ne put ou ne voulut jamais définir.

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Ces malheureux sermens produisaient beau- coup de mal, car ils produisaient beaucoup de division. Les écrits pleuvaient, mille dis- tinctions étaient apportées; le pape, les évè- ques,les docteurs, tout était consulté à chaque instant. Que voulait dire cela? Qu'y avait-il de commun entre la sainteté et la dignité du serment, et les exigences d'un quart-d'heure dont les fabricateurs étaient les premiers à se moquer, ainsi que de tout cet appareil de disputes , qui donnaient à ces sermens une importance qui ne leur appartenait pas ? Au lieu de tant disputer , il fallait déclarer qu'il n'y avait pas matière à serment, et qu'ils ressemblaient à ceux qu'une troupe exige dans l'endroit qu'elle traverse, ce qui n'en- gage pas du tout les habitans à les suivre. Mais ce qui se faisait le plus remarquer dans tous ces sermens , c'était la lâcheté de ceux qui les imposaient: car il y a une lâcheté vé- ritable à imposer à d'autres une obligation qui renferme un danger que l'on ne par- tage pas soi-même. Des hommes religieux d'un côté, des hommes irreligieux de l'autre, ne sont point sur la même ligne, lorsqu'il s'agit d'une chose aussi sacrée que le serment.

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L'un approche en tremblant, l'autre en se jouant: le ciel est devant les yeux de l'un, une dupe ou bien une victime devant ceux de l'autre. L'un sent sa chaîne et la respecte, l'autre s'en rit ou s'en affranchit. Cette hor- rible position dans laquelle des hommes , dans un lieu de sûreté, pour leurs intérêts propres , ne craignent point de placer leurs victimes, fait trembler pour celles-ci, et rem- plit d'indignation contre les odieux inventeurs de ces pratiques. Les choses étaient là, lors- que le 18 brumaire arriva.

r. if.

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CHAPITRE XXIII.

Dix-huit brumaire ; son esprit. Restauration religieuse; son esprit. Eloges. Parallèle de la conduite da clergé acceptant et dissident.

Le i8 brumaire fut fait contre l'anarchie, comme le 5 septembre Ta été contre l'exa- gération: on périssait par toutes les deux: aux deux époqties il fallut chercher un remède, et la France a accepté l'un et l'autre avec la même joie. Par conséquent, le dix- huit brumaire, restaurateur de l'ordre social, fut fait au profit de Tordre religieux, qui dut y trouver sa place , comme toutes les autres parties de Tordre public. Le 18 brumaire ne fut fait ni pour ni contre personne, ni pour Buonaparte ni contre les directeurs ré- gnans. Une nation ne se remue jamais que dans une vue générale et pour un intérêt commun : dans ces mouvemens, les hommes peuvent être des nominatifs, mais ce n'est point à eux que le fonds des choses se rap- porte. C'est dans cette direction que fut fait

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îe 18 brumaire. Il fallait donner un ancre au vaisseau qui dérivait et faisait eau .le de toute part, il fallait arracher la France à la partie basse de la révolution qui ten- dait à s'en emparer de nouveau. Un homme accoutumé à faire retrouver dans ses com- phmens tout l'esprit qui manquait à ceux des autres, s adressant un jour à Napoléon, lui d.t qu il avait détrôné l'anarchie. Il avait parfaitement raison. Au 18 brumaire, il n'é- ta.t pas encore question de la place que de- puis il a remplie.

Pourjugerde ce que l'on se proposait, et de ce qu, allait arriver, ilsuffisait de considérer la composition du nouveau gouvernement; chefs et ministres, c'était l'élite de la France d'alors Comment avec eux, comment avec un chance- nKntdesjstèmetelquecclu, dont leur promo- fonetait le gage , la religion eût-elle conti- nué detre persécutée brutalement, comme elle letau depuis dix ans. Cela était contre a nature des choses. Aussi , dès ce moment lav.t-on respirer, les prêtres rentraient, des' .mutfcres de surveillance restaient seuls Le premier pas du gouvernement nouveau' fat vers la Vendée. C'étaient autant de pUS

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faits vers la religion. Il était infiniment eu ri eu x d'observer comment on allait procé- der. La cruelle fille d'Henri VIII, la reine Marie avait employé le fer et le feu pour défaire l'ouvrage de son père , heureuse que la mort ne lui donnâtpas le temps de res- sentir les effets de son imprudence. Jacques II avec ses jésuites et sa présomptueuse tyran- nie, pour avoir bravé l'esprit de l'Angleterre , s'était fait chasser. Renverser un culte éta- bli est une grande affaire : le relever après sa chute peut n'en être pas une moindre. Voilà celle qui pesait sur le premier consul. Jeune , élevé dans les camps , succédant à un temps d'irrévérence religieuse; étranger aux questions de cette nature , n'ayant ja- mais approché des prêtres et de leurs débats, nourri au milieu des scènes qui avaient ame- né d'abord la dépréciation, ensuite la des- truction du culte catholique , sa position était singulière et difficile ; il s'était proposé à lui-même la solution d'un problême dont les élcmens lui étaient inconnus. C'est ce qui l'absout de la faute immense qu'il fit alors, et que depuis il s'est reproehée si amèrement. Il avait commencé avec le plus judicieux

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discernement, il finit par un acte d'aveugle. La plus magnifique occasion de s'affranchir à jamais de toute contestation religieuse s'of- frait à lui; il fut entraîné par la routine dans les voies il devait les rencontrer tontes.. Comment cela se fit-il? Comment un homme d'un génie si transcendant, d'un coup-d'œil si juste et si prompt, dont la force consistait en partie à ne rien voir et à ne rien faire comme les autres, qui venait de prendre la route du Saint lïernard pour arriver àMarengo, comment, di>-je, un pareil homme a-t-il repris l'ornière tracée par François Ier, en ne con- sultant ni lui même ni son temps, et en re- nonçant à tous les avantages de gloire et de tranquillité que les circonstances venaient, pour ainsi dire, mettre à ses pieds? Je vais tacher de l'expliquer.

La restauration religieuse faisant partie de la restauration politique , dut être con- çue et dirigée sur le même plan : il ne pouvait pas y avoir à la fois deux plans agissant en sens contraires. Depuis dix ans , on ne travaillait qu'à diviser ; alors on ne travailla qu'à réunir. Un système dit '''fusion ha adopté et maintenu dans toutes

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les parties. Il était le seul raisonnable, car 7 avec des exclusions ou des préférences , la division était maintenue, et c'était qu'était le mal. Cette première partie fut admirable- ment conduite. Les fruits ne se firent pas at- tendre ; par suite de cette sage combinaison, trois mois après le 18 brumaire, la France n'était plus reconnaissable. Le clergé était fort divisé: les restés, les rentrés étaient opposés aux constitutionnels. Ceux-ci avaient des appuis dans les chefs de la révolution : ils pouvaient en trouver dans les intérêts créés par elle. Une seule maladresse de la part de leurs ennemis, et ils étaient fort riches en ce genre, pouvait les perdre. Les mots de dîme, de restitution , d'ancien ordre, des re- prochesou des exigeances mal placés suffisaient pour les compromettre. 11 n'en fallait pas da- vantage; on Fa vu au 20 mars. D'un autre cô- té, les prêtres constitutionnels occupaient les édifices religieux, exerçaient le culte officiel. C'est dans cet état que le premier c onsul trouva les choses et ce clergé. Que faire... ? le brusquer, l'éliminer? élever au-dessus ou bien à coté de lui ceux qui croyaient avoir le droit de s'en plaindre, peut-être même

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de lui adresser des reproches ? le livrer aux vents opposés des doctrines contraires , faire deux églises et deux clergés? Tout cela était directement contraire au but que l'on se pro" posait, celui de la réunion. Effacer toutes les nuances , réunir les parties divergentes en un seul corps était bien plus sage, et c'est ce que l'on fit. Je sais que dans celte restauration on s'est attaché à ne voir et à ne montrer que l'intérêt personnel de SÔu auteur; cela est commode et abrège beaucoup les frais de la reconnaissance : mais quand on se fait ingrat par système, on s'expose à voir la bienfaisance tarir par principes. L'église ne demanda pas à Cons- tantin pourquoi il se faisait chrétien.

Ici l'éloge doit s'étendre et se partager sur plusieurs tètes. Rendons à la fois hommage au chef de l'église et au clergé constitution- nel , et que ce rapprochement ne choque point , car quiconque a contribue à la paix, en mérite. Le pape apporta dans ce plan de rapprochement des esprits, et de l'effacement du passé, tout re qui était propre à accélé- rer et à cimenter ce désirable résultat. Mien éloigné de ces maximes de rigorisme qui

n'invoquant que les vengeances de l'église r et qui dans leurs provocateurs annonçaient aussi peu d'esprit que de charité, ee pontife plein de mansuétude , étendit également «on manteau sur les plaies de tous ses enfans, leur ouvrit tous les trésors d'indulgence dont il tenait les clefs , et remettant au ciel et au temps tout ce que l'un et l'autre avaient vu et souffert, il ne s'occupa que de réunir tous les esprits et tous les cœurs dans le ser- vice commun de l'église, et dans le maintien de la paix, Quels ana thèmes auraient pu faire autant de bien ? Quelle main armée d'une im- prudente sévérité aurait pu guérir autant de blessures? Et comment, après tout ce qui s'était passé , oser appliquer ces lois rigou- reuses destinées pour les temps calmes, qui laissant à l'homme la pleine disposition de .ses facultés, lui laissent aVec elle la pleine disposition de ses actions , et l'entière res- ponsabilité qui en est la suite. Loin, loin cette vertu insociable et sauvage qui ne sait rien accorder à l'humanité , qui ne veut pardonner qu'avec des flétrissures ou des humiliations , qui exige de même de l'homme suspendu sur un abîme , et de l'homme re-

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posant sur un lit de roses ! S'il faut admirer ceux qui ne cèdent à aucune épreuve, il faut savoir compatir à ceux qu'elles entraînent.

Dans cette occasion il ne s'agissait point du passé, auquel des hommes haineux ou bor- nes veulent toujours remonter, mais de la tranquillité du présent et de l'avenir. C'est à ce but si désirable que le pape concourut avec une facilité qui honore autant son discer- nement que sa charité. Les foudres de Rome auraient trouvé des rebelles, et troublé la France; son indulgence n'y trouva que des enfans soumis et reconnaissans , et donna la pai\.

De son coté , le clergé constitutionnel n'opposa aucune résistance à cette invita- tation , et ne défendit pas un seul instant le terrain qifil occupait. Peu de jours après on aurait cherché ses traces , elles avaient dis- paru. Il faut le louer de cette prompti- tude dans la résignation, surtout lorsque l'on se rappelle ce qu'en d'autres temps et d'autres pays, il en a coûté pour dompter, pour étouffer, ou pour réduire au silence ta secte la plus mince, car rien ne s'extirpe plus difficilement: et non-seulement ta réu-

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nlon fut prompte, mais encore elle fut sincère i car on n'a pas vu un seul des membres de-ce clergé se détacher de ses nouveaux collègues, pendant que trop souvent on a vu d'autres prêtres, animés d'un zèle plus ardent que cha- ritable , séloigner également des deux clergés réunis , comme si leur présence souillait la pureté de l'air qu'ils respiraient. Chose singu- lière , et contre nature, c'est le très petit nombre que l'on a toujours vu s'éloigner de celui qui , moins cette fraction , formait la totalité. En toute autre chose c'est le con- traire qui a lieu.

Le premier consul , décidé à intervenir léga- lement dans la restauration du culte inter- rompu depuis dix ans , dut en chercher les moyens. Ils étaient de deux espèces: les hommes et les choses.

j°. Il lui fallait des hommes dont les con- naissances dans ces matières pussent sup- pléer à celles qui ne pouvaient pas se trou- ver chez, lui.

i°. Il lui fallait arrêter un mode pour ce rétablissement. Tout était détruit dans l'ordre religieux , par conséquent tout était à refaire, et pour cela l'intervention du pape devenait

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indispensable. On a beaucoup écrit pour montrer qu'alors la pragmatique sanction devait être rétablie, et qu'il fallait réintégrer les anciennes libertés avec Tordre qui en suivait Ces pensées, louables dans leur prin- cipe, pèchent par le fondement. 11 ne s'agis- sait poiut de savoir si la pragmatique était une bonne chose, si cet ordre appartenait à l'ancienne discipline, avait été statué par le concile de Nîcée; tout cela pouvait être très -bon en soi-même , mais ne cadrait en aucune manière avec les circonstances, parce qu'on ouvrait un champ illimité aux dis- putes , et qu'au contraire c'était la fin des disputes que l'on voulait : on ne sentait qu'un seul besoin , celui d'un ordre fixe, générale- ment reconnu de tous, propre à donner la paix , et à mettre fin aux discussions. Les érudits en théologie sont de terribles gens, et Lien éminemment impropres aux affaires. Ils ne voient jamais que leurs livres, et ce qu il y a dedans: on dirait qu'avec eux le monde est fait pour les livres, et non pas les livres pour le monde. C'est ce qui donna au premier consul un si grand avantage sur M, Grégoire, dans la conversation que celui-ci

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eut à ce sujet avec le premier consul, et qu'il rapporte dans son ouvrage. C'est un monu- ment curieux qui constate la supériorité de l'homme d'Eiat sur l'homme de la théologie: celui-ci fait un grand étalage d'érudition an- cienne et moderne, son interlocuteur ne fait, comme il était dans son rôle , que de la politique. Le consul ne demandait pas ce qu'on avait fait au temps passé, et dans d'au- tres climats , mais ce que l'on pouvait faire utilement en France , et dans son temps.

Le premier Consul ayant pour la première fois de sa vie à traiter d'affaires religieuses , et cela avec des hommes habiles tels que la cour de Rome est dans l'usage d'en employer, crut devoir s'appuyer d'hommes qu'il sup- posait versés dans ces matières. Il donna pour chef à la négociation son frère Joseph : son choix tomba ensuite sur M. Crétet, conseil- ler-d'état , et sur M. l'abbé Bernier , plus connu par le rôle qu'il avait joué dans la guerre de la Vendée, que que par sa qua- lité de professeur de théologie d'A.ngers. On a de ceux-ci tant que l'on veut, au lieu qu'un aumônier général de la Vendée est une chose fort rare. Cette dernière qualité en fai-

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sait un homme à part dans le clergé , ce fut la vraie cause de sa nomination : la politique la dicta: on voulut, en choisissant le chef re- ligieux de la Vendée, donner un gage de ses dispositions personnelles, et des garanties à tout le monde. Cela était fort bien calculé. Le vulgaire voyait le docteur en théologie, l'homme d'Etat apercevait la branche d'oli- vier offerte à tous les partis.

Les négociateurs de Rome furent les car- dinaux Consalvi , Spina et Cazelli. Rome , l'Italie , la chrétienté entière connaissent et honorent l'administration du premier. Les hommes exagérés que la libéralité de ses principes contrarie, disent dans leur dépit, qu'il est à Rome ce que M. de Cazes est à Paris. Le cardinal Spina avait été le confes- seur de Pie VI. Le cardinal Cazelli est un des plus savans hommes du clergé catholique. Les négociateurs apportèrent dans la con- fection de l'acte préparatoire de la restaura- tion religieuse , les dispositions les plus con- formes aux sentimens qui avaient porté leurs comettans à les réunir. Bientôt tout fut con- clu, et l'on eut en France un concordat et un légat a latere. C'était un spectacle fort nou-

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veau. (Voyez ce concordat à la fin du cha- pitre). Ils ne sont pas encore assez loin pour être oubliés, ces jours alors si nouveaux et si sereins ; si innattendus et si consolans, dans lesquels, après tant d'années d'interruption et d'outrages^ on vit le culte catholique ramené en pompe dans le même temple ou il avait reçu les plus graves insultes, par la main d'un jeune guerrier qui semblait jusque aussi étranger aux choses religieuses, qu'il était fa- miliarisé avec la victoire. On se souvient en- core des acclamations qui accompagnèrent la promulgation de cet acte éminent en so- ciabilité , autant que hardi de la part de celui qui osa le tenter: acclamations qui, interprètes sincères de l'opinion publique , étouffèrent les cris des mécontens, et les fureurs con- centrées que le rétablissement de la religion fit naître dans quelques cœurs.

De tous les actes de Napoléon celui-là est celui qui lui a le plus concilié les sentimens de la nation , parce que c'était celui qui en- trait le plus avant dans la civilisation, parce que la privation de la religion qu'elle voulait , était ce qui la blessait le plus; comme in- justice ; 20 comme opposition à la raison : car,

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comment faire entendre à des hommes poli- cés que Ton peut concilier l'absence, bien plus, le refus d'une religion, et de la religion qu'ils veulent avec la civilisation ! Faire le contraire, c'est pousser les hommes au fana- tisme , ou bien à la rébellion, comme on ne cessait de les voir éclater depuis dix ans.

La nomination desévèques, l'organisation générale de l'ordre religieux suivirent immé- diatement et sans secousses 7 dans la ligne tracée par le concordat et pnr les lois de 1 É- tat. Ce concordat devint le centre d'où comme autant de rayons partirent toutes les lois ren- dues successivement pour le rétablissement complet du culte , tel que nous le voyons en vigueur. Quelques-uns voulaient que ces lois fussent faites en masse et à la même heure, comme si déjà ce n'était pas avoir beaucoup fait que de poser des principes féconds en résultats inévitables. Qu'en diront les philo- soj)hes de mon Conseil d État , me répondit Napoléon , un jour. C était à Mayence , en septembre 1804, qite je lui parlais de quelque déficit qui se faisait ressentir dans l'administra- tion ecclésiastique. Y avait-il quelque justice à exiger d'un jeune homme qui, dansjie pays

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le plus trouble de la terre , et le plus rempli d'élémens de factions, se trouvait porté à la tête du gouvernement, ce qu'on eût été fondé à attendre d'un prince affermi par le temps et par l'habitude du commandement? Alors tout le monde n'était pas de l'avis de Napoléon : il ne l'ignorait pas; et c'est parce qu'il le savait bien qu'il a usé de cette sage circonspection, pour assurer ses pas qu'une accélération intempestive ne pouvait manquer de perdre. La restauration religieuse fut à la fois un trait de génie dans sa conception , et un tour de force dans son exécution , le ré- sultat d'une haute pensée et d'une adminis- tration très-judicieuse. Mais, pendant que la France et l'Europe catholique et sociale re- tentissaient d'applaudissemens , des cris accu- sateurs se faisaient entendre au dehors, et des scissions se formaient au dedans. Des prêtres accoutumés pendant l'interrègne re- ligieux à se diriger par eux-mêmes, se crurent fondés à se séparer des compagnons de leurs travaux et de leurs souffrances, et à contes- ter au chef même de l'Église le droit de fer- mer ses plaies, et sûrement l'état religieux de la France tel qu'il était alors; devait être

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considéré comme une plaie véritable pour 1 église ; on disait vulgairement de ces prêtres, qu'ils voulaient être plus catholiques que le p pe. Heureusement, le nombre des dissi- dens était trop petit pour produire beaucoup d'effet, et pour prévaloir contre la masse du clergé de France. Ces prêtres se trouvaient principalement dans les contrées de l'ouest , qui avaient subi les horreurs de la guerre. Ce souvenir entretenait leur autorité , et on pouvait regarder lesdissidens de cette espèce comme un reste de la vendée , et des partis opposés à la révolution. J'en ai connu plu- sieurs dans le diocèse de Poitiers. Je n'ai rien à leur contester du côté des vertus et des in- tentions ; mais j'ai bien peu de chose à dire en faveur de leurs lumières. Quelques-uns correspondaient avec les évèques du dehors. Ceux-ci s'étaient établis dans une opposition directe avec le nouvel ordre religieux ; ils ménageaient peu leurs confrères qui , dociles à la voix du souverain pontife et à celle de la France qui implorait leurs secours , n'avaient point balancé à s'attacher au nouvel ordre, en cela d'autant plus recommandables qu'ils avaient eu à vaincre la douleur d'une sépa- t. n. 6

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ration avec des confrères de dignité et d'infor- tune, et de s'exposer an blâme d'hommes dont le suffrage leur avait toujours été pré- cieux. Lorsque MM. de la Tour-du-Pin Mon- tauban, de Fontanges, Daviaux, de Mercy, de Belloy, de Noè, de Beausset(i), recon-

(i) M. de la Tour-du-Pin M ontauban, ancien arche- vêque d'Auch, évêque de Troyes.

M. de Fontanges, ancien archevêque de Toulouse, évêque d'Autun.

M. Daviaux , ancien archevêque de Vienne , archevê- que de Bordeaux.

M. de Mercy , ancien évêque de Luçon , archevêque de Bourges.

M. de Belloy , ancien évêque de Marseille , archevê- que de Paris.

M. de Noë, ancien évêque de l'Escars , évêque de Troyes.

M. de Beausset, ancien évêque d'Alais, maintenant pair de France et cardinal.

Il faut observer que MM. de la Tour-du-Pin et Fontanges ne crurent point déroger en acceptant des sièges inférieurs à ceux qu'ils avaient occupés; ils ne considéraient que le bien et point eux-mêmes. M. de Fontanges termina sa carrière par un dévoue- ment héroïque au service des prisonniers de guerre, faits à la bataille d'AusterliU. M. de Dampierre , ancien

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naissaient la légitimité du nouvel ordre, lors- que le reste de la chrétienté applaudissait et se tenait attachée à l'église de France et au pape qui venait de L'enfanter, qui pouvait se croire fondé à démentir par son opposition individuelle le témoignage rendu parle monde chrétien au nouvel ordre religieux de la France? Loin de moi la prétention de blâmer même l'excès des scrupules, de violer l'asile delà conscience de qui que ce soit, de prêter à personne dans ses actions d'autres motifs que les plus saints et les plus honorables. Ce- pendant, puis-je balancer entre les services rendus à l'église par ceux qui, pour tout tra- vail , se contentaient de lancer des anathèmes des lieux de sûreté qu'ils occupaient , et les services de ceux qui, chargés du poids de la

vicaire-général de Paris, M. Dubourg ancien vicaire-gé- rîéral de Toulouse , acceptèrent les évèchés de Clermont et de Limoges. L'éminente piété de ces deux prélats est Assez connue, et leur vertu pouvait servir de garantie à la pureté des motifs qui les portèrent à accepter le far- deau de Tépiscopat, et alors il en était un fort pesant, ainsi qu'à rassurer tous ceux qui marchaient sur leurs traces; je pourrais pousser plus loin cette énumération , mais ceci me parait suffire.

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chaleur et du jour, ont eu à travailler si pé- niblement pour recueillir les restes dispersés d'Israël ,

Et de David éteint , rallumer le flambeau !

Qui mérite le mieux de la religion, ou de celui qui dit qu'elle ne peut être servie que d'après certaines formes , et périsse la re- ligion plutôt que nos formes et nos principes , ou bien celui qui regardant les formes comme la chose secondaire, et la religion comme la chose primaire, essentielle , à laquelle tout doit se rapporter, court d'abord au secours de la religion , comme à la chose la plus pres- sée ? et le fait à la voix et sous l'autorité du chef de cette même religion? car, voilà se trouvait le noeud véritable de l'affaire. Le clergé du concordat n'est pas venu de lui- même refaire une église en France ; il ne s'est point ingéré dans l'église de sa propre autorité ; l'eût-ii fait, il n'aurait encore que rempli un devoir dans un cas de nécessité aussi urgente. Mais ici, il s'est borné à ré- pondre à la voix du souverain pontife, par- iant au nom de la religion éplorée, et invo- quant son secours. 11 était bien superflu d'allé-

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guer des craintes pour les libertés de l'église, il fallait commencer par la relever de son naufrage; on avait ensuite tout le temps de s'occuper de ses libertés. Ce n'est point lors- que le vaisseau succombe sous les coups de l'orage que les matelots ont à contester sur leurs rangs et sur les droits du pilote : alors il ne faut s'occuper que de la manoeuvre ; après l'orage tout reprend sa place. Il en était de même pour le concordat; l'église de France périssait ; le pape était le pilote, il n'a penser qu'à la sauver, il l'a fait : grâces lui en soient rendues ! Qu'avait de commun un pareil cas avec les règles ordinaires qui sont laites pour les temps ordinaires ( i ). L'église

(i) L'aveu si général et si involontaire qui échappe à ceux mêmes qui ont le plus souffert , qu'on a mérité ses mallieurs, qu'on a été injuste par l'excès même du bon- heur, qu'on a été entraîné au malheur et à la révolte par caprice, par amour propre, par légèreté, par esprit de mode ; cet aveu seul dénote la justice de la providence, qui a voulu étendre sa vengeance sur tous , parce que ions ont été plus ou moins coupables. Il ne b'agit point, dans un temps de trouble et au milieu de bouleverse- menti peut-être sans exemple, d'aller iVoidemcnt r 'clamer dt l Gonaçi et des lois faites pour un temps de pujbc et de

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serait -elle donc la seule société dans l'uni- vers qui fût privée de la faculté de recourir à ces grandes lois de salut public, auxquelles l'excès des maux force quelquefois de se ré- signer ; la seule qui fût condamnée à périr , à défaut d'avoir dans son sein les moyens de conservation qui appartiennent à toutes les autres? Ecartons une pareille idée. La société qui a pour auteur le père des lumières et la promesse d'une durée éternelle, ne peut se conduire ni à l'aveugle , ni dans le chemin de la perdition. Elle possède tous les moyens de se conserver, et de modifier ses propres lois suivant ce qu'exige le soin de sa conservation , à laquelle tout doit se rapporter; car, avant tout , il faut que l'église ne périsse point. Etait- ce raisonner conséquemment ou conformé- ment aux exigences du temps que d'invo- quer des règles de discipline faites pour d'autres temps, et de s'obstiner à représenter

calme, et de prétendre appliquer des remèdes ordinaires à des maux extraordinaires. Peut-on douter, si l'on veut être de bonne foi avec soi-même et avec les autres, que la religion ne fût en proie au danger le plus imminent ? ( Lettre pastorale de M. le cardinal de Beausset. )•

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le pape comme toujours prêt à envahir les églises, à bouleverser Tordre religieux , parce que dans la circonstance la plus urgente qui fut jamais, il a usé de la plénitude du pou- voir des clefs, et que de supposer que lui, chel de l'église, s'oublierait au point de faire, poursa destruction, ce que dans ce moment il se trouvait forcé de faire pour sa conservation? Était-ce donc pour son bon plaisir, et de lui- même, qu'il se portait à cet acte d'autorité extrême? Sans doute, si dans un temps tran- quille, il plaisait au pape de demander aux évèques d une contrée leur démission, d'es- sayer des changemens dans l'ordre qui la ré- git , une résistance générale l'avertirait des inconvéniens attachés à cette manière de procéder , et réprimerait très-légitimement des prétentions qui , ne partant point de la religion , ne se rapportant point à elle , ne mériteraient par même aucune considéra- tion. Mais, de bonne foi, ce caractère se fai- sait-il remarquer ici? Pouvait-il être reproché avec justice dans l'acte d'autorité que le salut de l'église commanda alors au pape? Il faut le dire , cette opposition fut plus politique que religieuse. Elle était plus dirigée contre le

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mode de gouvernement, que vers le bien de l'église ceux dont elle partait étaient les ennemis de la révolution et les serviteurs de ses ennemis : ils craignaient plus l'effet du concordat pour la consolidation de cet ordre détesté que pour les libertés de l'église galli- cane. Les hommes ne se méprennent point sur l'estimation véritable des motifs d'une action, et dans cette occasion ils étaient si sensibles, si patens, qu'ils ne pouvaient échapper aux regards les moins clairvoyans, à plus forte raison, à des yeux aussi péné- trans que l'étaient ceux du premier consul. C'est ce qui rendit indispensable la demande des démissions, avec l'annonce qu'il serait passé outrera leur refus. Celui d'un seul des opposans, s'il avait fallu attendre son con- sentement, suffisait pour tout arrêter ; de plus, il n'était que trop visible que la suite naturelle de cette manière de procéder était de mettre en question le gouvernement lui- même, et c'est qu'on l'attendait. 11 sentit: le piège y il l'évita, et fit bien.

A cette époque, les polémiques ne man- quèrent pas plus que dans tous les débats re- ligieux. Ouvrez une discussion , les livres

pour et contre vont pleuvoir; dans cette oc- casion, on put reconnaître la vanité de ces scientifiques disputes. De part et d'autre on citait, ou compihil, on opposait l'orient à. l'occident, le nord au midi, l'Asie à l'Afrique; on faisait combattre ensemble les quatre par- ties du monde : un peu de raison eût conduit plus sûrement au but. Le défaut de toutes ces citations est le même, c'est de ne s'appli- quer jamais à lespèce. Une histoire aussi étendue que l'est celle de l'église offre un océan de faits souvent opposés , comme de nuances dansées faits, dans leurs circons- tances et dans leurs motifs. Prenez dans tout cela ce qui cadre avec les circonstances et la teneur du concordat de i8or. L'un attaquera par un concile; l'autre se défendra par un autre concile : voilà la carrière des disputes ouverte, et quand se ferme-t-elle ! Tout ce qui intéresse la foi et concerne la discipline générale et essentielle , est fixé. Nul doute à cet égard ; mais les modifications passagères ou permanentes que les circonstances com- mandent ne le sont point, et ne sont pas sus- ceptibles de l'être. Dans quel concile, dans quel article de discipline avaient puisé leur

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autorisation les cardinaux qu'un zèle aussi éclairé que courageux porta , malgré leur pe- tit nombre , à former le concile de Pise pour aviser aux moyens de ramener la paix dans l'église désolée par le grand schisme d'occi- dent? J'ai assisté à beaucoup de discussions de cette nature; j'ai vu citer et apporter beau- coup de gros livres, quand il fallait venir à l'application : autant valait du papier blanc. Maintenant examinons quelle fut la faute commise par le premier consul , et que j'ana- lyserai avec d'autant plus de liberté, qu'il a semblé m'en donner le droit en se la repro- chant plusieurs fois à lui-même devant moi.

Lorsqu'il se sentit enlacé dans les querelles religieuses toujours croissantes ; lorsqu'après avoir travaillé en vue de tout pacifier, il se trouva avoir semé des germes de discorde; lorsqu'après avoir compté sur l'appui du clergé , il le trouva hérissé d'ombrages contre lui, il chercha d'où provenait un résultat aussi différent de celui qu'il croyait avoir pré- paré; et recueillant les tristes fruits de son inexpérience, il reconnut avec douleur la faute qu'il avait faite en se mêlant de la reli- gion, autrement que comme garant de la li-

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berlé de tous les cultes. Souvent il m'a dit : La plus grande faute de mou règne est d'avoir fait le concordat ; mais il était trop tard pour se repentir. Serré par ses premiers engage- mens comme entre deux barrières , il fallait suivre la route qu'ils lui avaient tracée; trop d'antécédens l'y pousssaient, et ne lui per mettaient plus d'en sortir. À défaut de moyens de libération, il chercha des correclifs, et trouva les seuls raisonnables dans le concile de 1 8 1 1 et dans le concordat de i 8l3, comme je le montrerai.

Oui, Napoléon avait raison de se plaindre de lui-même, pour s'être oublié au point de faire un concordat qui immisçait le vainqueur de l'Italie et de l'Egypte dans des discussions théologiques; ce n'était pas son métier. Oui, il devait ne pas se reconnaître dans un acte qui n'avait pas plus d'analogie avec la trempe de son esprit qu'avec l'esprit de son temps, qui lui donnait des points de contact avec une chose qu'il ne pouvait, ni ne devait connaître, et qui devait finir nécessairement paren faire un persécuté ou bien un persé- cuteur. Napoléon arriva au gouvernement de la France avec une iguorance complète du

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gouvernement de l'église. en aurait-il puisé la connaissance à son âge, et avec la suite de ses autres travaux. Il entendait aussi bien la partie politique de la restauration reli- gieuse, qu'il en connaissait peu la partie reli- gieuse. Il fut donc obligé de s'en rapporter pour toute cette partie. Ses négociateurs n'é- taient pas des aigles. Soit ignorance, soit pré- cipitation , soit désir très-louable de contri- buer au rétablissement si désiré de la religion et d'attacher leur nom à cet heureux événe- ment, ils signèrent sans connaître le principe vital de leur acte, sans se douter qu'au nom de la paix , ils allaient donner la guerre. Beau- coup de choses dignes d'éloges, et que je fe- rai remarquer lorsqu'il en sera temps, se trouvaient dans cet accord; mais la chose es- sentielle, celle dont l'absence suffit pour vi- cier le reste , ne s'y trouvait pas plus qu'elle ne se rencontre dans tous les concordats pas- sés ou présens qui ont suivi le sien, à l'excep- tion de celui de Fontainebleau qui, par le correctif qu'il apporta à cet oubli , est le seul bien assorti aux besoins de l'Église et de l'État.

Parmi ces négociateurs, aucun n'était de

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force à faire sentir à Napoléon l'imprudence delà démarche dans laquelle il s'engageait, à lui indiquer le correctif de la clause vicieuse de son concordat, et encore moins à lui dire que le temps était arrivé de sortir des routes battues; que n'y étant jamais entrë par lui- même, il lui convenait moins qu'à tout autre de ne pas les suivre ; que l'esprit de son temps ainsi que toutes les circonstances dont il était environné, ne lui laissaient pas le choix de son rôle, et que son gouvernement ne devait at- teindre les cultes que pour les protéger tous également, en s'interdisant jusqu'à l'ombre de l'influence sur eux. Napoléon n'avait que cela à faire, et tout lui en faisait la loi. Je ne doute pas qu'il ne s'y fut porté de lui-même, si l'on l'avait mis sur la voie.

Sa position était bien meilleure que celle de l'assemblée constituante.

Elle avait agi d'une manière sévère à l'égard du clergé; elle lui avait tout ravi. Napoléon ne lui avait fait aucun mal; au contraire, il l'avait garanti toutes les fois qu'il l'avait ren- contré à la tête de ses armées. Il avait facilité au pape la rentrée dans ses États. Il avait lais- sé les biens aux églises de la Lombardie et du

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Piémont. Il laissait les prêtres rentrer et rési- der paisiblement en France. L'assemblée cons- tituante, en proclamant la tolérance, faisait descendre le clergé du poste qu'il occupait , et d'où il dominait ; Napoléon , sans lui rendre ses postes, lui rendait la liberté. L'as- semblée constituante avait fait l'ordre existant: Napoléon le prenait tel qu'il était et qu'il le trouvait. Le clergé de l'assemblée consti- tuante, encore exempt de persécutions, ne pouvait être aussi maniable que le clergé que Napoléon trouvait après en avoir essuyé toutes les rigueurs. H y a loin des dispositions de celui qui sort d'un abîme à celles de l'homme qui n'est jamais descendu dans ses noires pro- fondeurs. Eh bien ! c'était de cet abîme que Napoléon tirait le clergé pour lui faire respirer un air libre , et pour lui permettre de se mon- trer au grand jour : que l'on se rappelle que depuis six ans il habitait des tombeaux, et ne se montrait qu'avec le plus grand danger. Dans cet état, la liberté pour le culte et pour lui-même lui aurait paru un immense bienfait. Que le premier consul y eût joint la rest- itution du matériel de tout ce qui avait ap- partenu à l'ancien culte, tel que tous les

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temples et les autres édifices , évêchés , presby- tères, séminaires; qu'il y eût ajouté la faculté d'acquérir et de posséder ; qu'il eût donné pour garant de la sincérité de ses dispositions personnelles l'exemple de l'exercice du culte catholique dans son palais; que son pouvoir eût été employé à faire jouir les prêtres de la liberté la plus inviolable comme citoyens et comme ministres du culte, j'ose affirmer que les suffrages de l'Europe pensante , et ceux-là seuls sont à compter, se seraient attachés à cette seconde manière de procéder autant qu'ils avaient pu le faire à la première (i).

(i) Je trouve dans l'ouvrage de Mme la baronne de Staël ces paroles, vol. 3 , à la page 273 ; je ne les connais- sais point lorscrue j'écrivais ce chapitre de mon ou- vrage.

Si quelque chose pouvait me donner confiance dans mon opinion personnelle, ce serait sûrement de la voir partagée par Mmt de Staël.

«A l'époque de l'avènement de Bonaparte, les parti- sans les plus sincères du catholicisme, après avoir été aussi long-temps victimes de l'inquisition politique, n'as- piraient qu'à une parfaite liberté religieuse. Le vœu gé- néral de la nation se bornait à ce que toute persécution cessât désormais contre les prêtres, et que l'on n'exigeât

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Dans cet ordre de liberté protectrice et non directrice, telle qu'elle Test devenue , le clergé n'aurait pas eu à dire ce que l'on n'a cessé de lui entendre répéter , que sa restauration , fruit de la politique , n'avait pour but que d'en faire un instrument que Ton briserait après les momens du besoin. La tolérance ne donnait prise à aucune suspicion, ni à aucune allégation de celte nature ; on n'aurait pas vu les rôles chargés de manière à ce que ce fût Napoléon qui eût l'air de demander au clergé l'appui que celui-ci recevait de lui. Les paroles descendues des chaires n'auraient pointété reprochées aux prêtres ou comme ex- cessives, ou comme différentes du fonds même de leurs pensées ; l'Etat aurait été moins agité ; il n'y aurait pas eu de victimes , et la religion ne serait pas en deuil depuis dix ans. Il suffi- sait de connaître Napoléon et les prêtres pour apercevoir du premier coup d ceil qu'ils de-

plus d'eux aucune espèce de serra en s , enfin que l'auto- rité ne se mêlât en rien des opinions religieuses de per- sonne. Ainsi donc le gouvernement consulaire eût con- tenté l'opinion, en maintenant en France la tolérance telle qu'elle existe en Amérique ».

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\ .uent finir par se combattre ; c'est pour cela qu'il fallait les tenir séparés.

Napoléon, loin d'eux, ne leur eût point fait sentir sa dure main ; les prêtres moins courtisés auraient moins fait les importans. Il ne se présente contre ce système qu'une seule objection avec une apparence plausible ; celle de l'existence parallèle des deux clergés, l'assermenté et l'insermenté. Cette crainte est vaine :1e culte constitutionnel n'avait point de racines en France. Il était trop récent, on l avait trop vu faire; il tenait à des temps trop malheureux et trop haïs. Etranger au chef de l'Église, il l'était par même à la France ; car c'est à tort que l'on penserait qu'un culte méconnu ou repoussé par le pape pût devenir le culte de la France. Le clergé constitution- nel lui-même se trompait , et l'on se trompe facilement dans sa propre cause, en rappor- tant à lui-même l'attachement que l'on montrait au culte qu'il exerçait, tandis que c'était le culte seul qui en était l'objet. Plus on s'éloignait du principe de la création du clergé, qui était le désordre révolutionnaire, plus aussi l'on s'éloignait de lui , et il était aussi étranger et même antipathique au consulat, qu'il avait t. il 7

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été lié avec le directoire. Les Français n'en- tendaient point du tout être et rester privés de tout culte : les points de division entre les deux parties du clergé ne portant sur aucun dogme intéressant directement la foi , ne con« cernant point des objets apparens, et tom- bant, pour ainsi dire, sous les sens, ne cho- quaient point la multitude. Le principe de la scission avait été habilement calculé pour pou- voir n'être représenté que comme un point de controverse entre des docteurs. Le peuple re- trouvait tout ce qu'il était accoutumé de voir} il ne voyait faire , il n'entendait dire que ce qu'il avait toujours vu faire et entendu dire; la scission tombait sur une chose dont le peuple ne peut jamais être juge , un droit que le nouveau ministère s'efforçait de tirer à lui i tandis que l'ancien n'avait qu'à montrer sa possession prescriptive : c'était ce qui distin- guait les deux clergés. L'un envahissait, l'autre conservait ; l'un avait toujours à prouver son droit; l'autre avait ses preuves faites depuis long-temps , et n'avait jamais eu à parler de ses droits, parce qu'ils n'avaient jamais été l'objet d'une contestation. Tant que les prêtres constitutionnels avaient exercé seuls en

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France, ils avaient pu se maintenir; mais du moment que l'ancien clergé reparaissait li- brement, il n'était pas dans la nature des choses que Ton tînt à son compétiteur; car, en faisant les mêmes choses que le clergé constitutionnel, de plus que lui, il était hors de doute. Les hommes aiment à voir clair dans les affaires, et surtout dans celles de leur religion.

L'on eut la preuve de la faiblesse des liens qui unissaient la nation au clergé consti- tutionnel, lorsque le concordat fut publié.

De toute part on revint sans effort, sans commandement extérieur au clergé rentré , les peuples et lui se rejoignirent comme une famille séparée par l'orage , l'obstacle qui les tenait éloignés était lévé , on n'entendit pas un seul murmure sur cette réunion , pas une discussion sur les pouvoirs d'aucun de ses membres , tout se réunit autour de lui comme autour du centre naturel, accoutu- mé, incontestable. A toutes ces considérations il faut ajouter Le poids que l'exemple du pre- mier consul aurait porté du coté du clergé catholique; on sait avec quelle autorité cet exemple commandait alors.

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Ainsi fut perdue la seconde occasion de tracer une démarcation irrévocable entre la religion et l'Etat, entre le spirituel et le tem- porel. Maintenant il faut tourner les yeux vers l'Amérique pour retrouver le consolant spec- tacle de cette séparation, et cette perte est d'au- tant plus déplorable que rien ne semble se pré- parer pour la réparer. Les fautes de l'Assemblée constituante et celles de Napoléon resteront comme des signaux inutiles sur les écueils de la liaison du spirituel avec le temporel (i).

(i) Je n'ai point à me reprocher de n'avoir pas travaillé à faire embrasser le parti que je viens d'exposer : lors de ma rentrée en France, 1801 , je fus trouver un conseiller d'état qui alors avait part à la confiance du premier consul; je l'avais connu dans l'assemblée constituante.

L'entretien que j'eus avec lui conduisit à parler de ce que le consul se proposait de faire pour la religion. Je me recriai quand j'entet:dis parler de concordat, j'ex- posai de mon mieux les vices de ce système, et je recla- mai vivement l'établissement de la tolérance , tel que je l'ai analysé dans ce chapitre. Je ne balançai pas à lui an- noncer qu'au moyen du concordat, dans dix ans TSapo- léon et le clergé seraieut aux prises ; cela me paraissait inévitable,.. Dans la plus grande chaleur des débats entre lepape et Napoléon, ce même homme, passé depuis

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Je passe à l'examen du concordat de 1 8or , en suivant la méthode employée dans l'exa- men de celui de i5i5. On appliquera suc- cessivement les mêmes principes aux autres concordats. Ils serviront de pierre de touche pour chacun.

a dautres fonctions, rappela en présence des personnes qui remplissaient un des salons des Thuileries , ce que je lui avais dit alors.

A l'époque du serinent de l'assemblée constituante, j'a- vais fait la même proposition à des membres principaux de cette assemblée, tant la position du clergé me parais- sait dangereuse dès ce temps , tant je lui voyais peu de moyens d'y échapper. La persécution à venir était évidente, il fallait fermer les yeux pour ne pas la voir; c'était au point que toute la puissance de l'assemblée , dans l'état ou elle avait amené les choses, suffisait à peine pour suspendre les coups. Le premier devait être suivi de mille autres, comme on la vu; il ne s'agissait que de commencer, et il était impossible que l'on ne com- mençât point.

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CONVENTION

ENTRE SA SAINTETÉ PIE VII ET LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS.

Le gouvernement de la république reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité des citoyens fran- çais.

Sa Sainteté reconnaît également que cette même religion a retiré, et attend enc ore en ce moment le plus grand bien et le plus grand éclat de rétablissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu'en font les consuls de la république.

En conséquence , d'après cette reconnaissance mutuelle , tant pour le bien de la religion que pour le maintien de la tranquillité intérieure, ils sont convenus de ce qui suit :

Art. Ier. La religion catholique, apostolique et romaine, sera librement exercée en France. Son culte sera public, en se conformant aux règlement de police que le gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique.

IL II sera fait par le saint- siège, de concert avec le gouvernement , une nouvelle circonscription des diocèses français.

III. Sa Sainteté déclare aux titulaires des évêchés français , qu'elle attend d'eux , avec une ferme con-

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fiance, pour le bien de la paix et de l'unité, toute espèce de sacrifice, même celui de leurs sièges.

D'après cette exhortation , s'ils se refusaient à ce sacrifice commandé par le bien de l'église (refus néanmoins auquel Sa Sainteté ne s'attend pas) , il sera pourvu, par de nouveaux titulaires, au gou- vernement des évéchés de la circonscription nou- velle de la manière suivante :

IV. Le premier consul de la république nommera, dans les trois mois qui suivront la publication de de la bulle de Sa Sainteté , aux archevêchés et évéchés de la circonscription nouvelle. Sa Sainteté conférera 1 institution canonique suivant les formes établies par rapport à la France, avant le changement de gouvernement.

A . Les nominations aux évéchés qui vaqueront dans la suite, seront également faites par le premier consul; et l'institution canonique sera donnée par le samt-siége , en conformité de l'article précédent.

VI. Les évêques , avant d'entrer en fonctions, prêteront directement, entre les mains du premier consul , le serment de fidélité qui était en usage avant le changement de gouvernement , exprimé dans les termes suivans :

«Je jure et promets à Dieu, sur les saints évan- giles, de garder obéissance et fidélité au gouverne- ment établi par la constitution de la république

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française. Je promets aussi n'avoir aucune intelli- gence, de n'assister à aucun conseil, de n'entre- tenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors , qui soit contraire à la tranquillité publique; et si , dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose au préjudice de l'Etat , je le ferai savoir au gouvernement ».

VII. Les ecclésiastiques du second ordre prête- ront le même serment entre les mains des autorités civiles désignées par le gouvernement.

VIII. La formule de prière suivante sera récitée à la fin de l'office divin, dans toutes les églises ca- tholiques de France :

Domine, salvam Jac rempublicam. Domine, salvos fac consules.

IX. Les évêques feront une nouvelle circonscrip- tion des paroisses de leurs diocèses , qui n'aura d'effet que d'après le consentement du gouverne- ment.

X. Les évêques nommeront aux cures. Leur choix ne pourra tomber que sur des personnes agréées par le gouvernement.

XI. Les évêques pourront avoir un chapitre dans leur cathédrale , et un séminaire pour leur diocèse , sans que le gouvernement s'oblige à les doter.

XII. Toutes les églises métropolitaines , cathé-

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drales , paroissiales et autres non aliénées , néces- saires au culte , seront mises à la disposition des évêques.

XIII. Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l'heureux rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle, ni ses successeurs, ne trouble- ront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés, et qu'en conséquence la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés demeureront incommutables entre leurs mains ou celles de leurs ayant-cause.

XIV. Le gouvernement assurera un traitement convenable aux évéques et aux curés dont les dio- cèses et les cures seront compris dans la circons- cription nouvelle.

XV. Le gouvernement prendra également des mesures pour que les catholiques français puissent, s'ils le veulent, faire en faveur des églises, des fon- dations.

X'S I. Sa Sainteté reconnaît dans le premier consul de la république française, les mêmes droits et prérogatives dont jouissait près d'elle Tancien gou- vernement.

XVII. Il est convenu entre les parties contrac- tantes, que dans le cas quelqu'un des succes- seurs du premier consul actuel ne serait pas catho- lique, les droits et prérogative» mentionnés dans

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l'article ci-dessus, et la nomination aux évêchés, seront réglés, par rapport à lui, par une nouvelle convention.

Les ratifications seront échangées à Paris , dans l'espace de quarante jours.

Fait à Paris, le 26 messidor de l'an IX de la république française.

ARTICLES ORGANIQUES.

Art. ier. Aucune bulle, bref, rescrit, décret, mandat, provision, signature servant de provision, ni autres expéditions de la cour de Rome, même ne concernant que les particuliers, ne pourront être reçues, publiées, imprimées ni autrement mises à exécution , sans l'autorisation du gouvernement.

2. Aucun individu se disant nonce , légat , vicaire ou commissaire apostolique, ou se prévalant de toute autre dénomination, ne pourra, sans la même autorisation , exercer sur le sol français ni ailleurs, aucune fonction relative aux affaires de l'église gal- licane.

3. Les décrets des synodes étrangers, même ceux des conciles généraux, ne pourront être publiés en France, avant que le gouvernement en ait examiné la forme, leur conformité avec les lois, droits et franchises de la république française, et tout ce

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qui, dans leur publication , pourrait altérer ou in- téresser la tranquillité publique.

4- Aucun concile national ou métropolitain , aucun svnode diocésain, aucune assemblée délibé- rante, n'aura lieu sans la permission expresse du gouvernement.

5. Toutes les fonctions ecclésiastiques seront gra- tuites, sauf les obligations qui seraient autorisées et fixées par les réglemens.

6. Il y aura recours au conseil d'état dans tous les cas d'abus de la paî t «les supérieurs et autres personnes ecclésiastiques : les cas d'abus sont l'usur- pation ou l'excès du pouvoir, la contravention aux lois et réglemens de la république, 1 infraction des règles consacrées par les canons reçus en France, l'attentat aux libertés, franchises et coutumes de l'église gallicane, et toute entreprise ou tout pro- cédé qui, dans l'exercice du culte, peut compro- mettre l'honneur des citoyens, troubler arbitraire- ment leur conscience , dégénérer contre eux en oppression ou en injure, ou en scandale public.

7. Il y aura pareillement recours au conseil d'état, s'il est porté atteinte a lexenice public du culte, et à la liberté que les lois et les réglemens garantis- sent à ses ministres.

8. Le recours compétera à toute personne inté- ressée; à défaut de plainte particulière, il sera exercé d'olfice par les préfets. Le fonctionnaire public ,

( io8 )

ecclésiastique , ou la personne qui voudra exercer ce recours, adressera un mémoire détailé et signé, au conseiller d'état chargé de toutes les affaires con- cernant les cultes , lequel sera tenu de prendre , dans le plus court délai , tous les renseignemens conve- nables , et , sur son rapport , l'affaire sera suivie et définitivement terminée dans la forme administra- tive, ou renvoyée, selon l'exigence de cas, aux autorités compétentes.

SECTION PREMIERE.

Dispositions générales.

g. Le culte catholique sera exercé sous la direc- tion des archevêques et évêques dans leurs diocèses, et sous celle des curés dans leurs paroisses.

10. Tout privilège portant exemption ou attribu- tion de la jurisdiction épiscopale est aboli.

11. Les archevêques et évêques pourront avec l'autorisation du gouvernement , établir dans leurs diocèses des chapitres cathédraux et des séminaires ; tous autres établisseinens ecclésiastiques sont sup- primés.

12. Il sera libre aux archevêques et évêques d'a- jouter à leur nom le titre de citoyen ou celui de monsieur-, toutes autres qualifications sont inter- dites.

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SECTION IL

Des archevêques ou métropolitains,

i3. Les archevêques consacreront et installerons leurs suffragans ; en cas de d'empêchement ou de refus de leur part, ils seront suppléés par le plus ancien évêque de l'arrondissement métropolitain.

i4- Us veilleront au maintien de la foi et de la discipline dans les diocèses dépendans de leur mé- tropole.

15. Ils connaîtront de réclamations et de plaintes portées contre la conduite et les décisions des évê- ques suffragans.

SECTION III.

Des évêques , des vicaires-généraux et des séminaires,

16. On ne pourra être nommé évêque avant l'âge de trente ans , et si on n'est originaire français.

17. Avant l'expédition de l'arrêté de nomination , celui ou ceux qui seront proposés , seront tenus de rapporter une attestation de bonne vie et mœurs, expédiée par l'évêque dans le diocèse duquel ils au- ront exercé les fonctions du ministère ecclésiaatique, et ils seront examinés sur leur doctrine par un évê- que et deux prêtres, qui seront commis par le pre- mier consul , lesquels adresseront le résultat de leur

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examen au conseiller d'état chargé de toutes les affaires concernant îes cultes.

18. Le prêtre nommé par le premier consul fera ses diligences pour rapporter l'institution du pape. Il ne pourra exercer aucune fonction avant que la huile portant son institution ait reçu l'attache du gouvernement, et qu'il ait prêté en personne le ser- ment prescrit par la convention passée entre le gou- vernement français et le saint-siége. Ce serment sera prêté au premier consul : il en sera dressé procès- verbal par le secrétaire d'état.

19. Les évêques nommeront et institueront les curés; néanmoins, ils manifesteront leur nomina- tion, et ils ne donneront l'institution canonique qu'après que cette nomination aura été agréée par le premier consul.

20. Ils seront tenus de résider dans leurs diocèses; ils ne pourront en sortir qu'avec la permission du premier consul.

21. Chaque évêque pourra nommer deux vicaires généraux, et chaque archevêque pourra en nommer trois; ils les choisiront parmi les prêtres ayant les qualités requises pour être évêques.

22. Ils visiteront annuellement et en personne une partie de leur diocèse , et, dans l'espace de cinq ans, le diocèse entier. Èn cas d'empêchement légi- time , la visite sera faite par un vicaire-général.

23. Ceux qui seront choisis pour l'enseignement

( ta )

dans les séminaires souscriront la déclaration faite par le clergé de rYance, en 1682, et publiée par un édit de la même année; ils se soumettront à y enseigner la doctrine qui y est contenue; et les évêques adresseront une expédition en forme de cette soumission au conseiller d'état chargé de toutes les affaires concernant les cultes.

24. Les évêques enverront toutes les années à ce conseiller d'état le nom des personnes qui étudie- ront dans les séminaires, et qui se destineront à l'état ecclésiastique.

2J. Ils ne pourront ordonner aucun ecclésiasti- que, s'il ne justifie d'une propriété produisant au moins un revenu annuel de trois cents francs , s'il n'a atteint l'âge de vingt-cinq ans, et s'il ne réunit les qualités requises par les canons reçus en France. Les évêques ne feront aucune ordination avant que le nombre des personnes à ordonner ait été soumis au gouvernement et par lui agréé.

SECTION IV.

Des Curés.

Les curés ne pourront entrer en fonctions qu'après avoir prêté, entre les mains du préfet, le serment prescrit par la convention passée entre le gouver- nement et le saint-siège. Il sera dressé procès-verbal de cette prestation, par le secrétaire général de

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la préfecture , et copie collationnée leur en sera délivrée.

Il seront mis en possession par îe curé ou le prêtre que l'évêque désignera. Ils seront tenus de résider dans leurs paroisses. Les curés seront immédiate- ment soumis aux évêques dans l'exercice de leurs fonctions.

Les vicaires et desservans exerceront leur minis- tère sous la surveillance et la direction des curés. Ils seront approuvés par 1 evêque et révocables par lui.

Ancun étranger ne pourra être employé dans les fonctions du ministère ecclésiastique sans permission du gouvernement. Tonte fonction est interdite à tout ecclésiastique , même français qui n'appartient à aucun diocèse.

Un prêtre ne pourra quitter son diocèse pour aller desservir dans un autre, sans la permission de son évêque.

SECTION V.

Des chapitres cathêdraUx , et du gouvernement des diocèses pendant la vacance du, siège.

Les archevêques et évêques qui voudront user de la faculté qui leur est donnée d'établir des chapitres , ne pourront le faire sans avoir rap- porté l'autorisation du gouvernement, tant pour 1 etablisement lui - même , que pour le nombre

( *ï3j

et le choix des ecclésiastiques destinés à les for- mer.

Pendant la vacance des sièges, il sera pourvu par le métropolitain, et à son défaut, par le plus ancien des évêques suffragans, au gouvernement du diocèse.

Les vicaires-généraux de ces diocèses continue- ront leurs fonctions , même après la mort de l'évê- que et jusqu'à son remplacement.

Les métropolitains, les chapitres cathédraux se- ront tenus, sans délai, de donner avis au gouverne- ment de la vacance des sièges, et des mesures qui au- ront été prises pour le gouvernement des diocèses vacans.

Les vicaires-généraux qui gouverneront pendant la vacance, ainsi que les métropolitains ou capiluiaires, ne se permettront aucune innovation dans les usages et coutumes des diocèses.

TITRE lit

Du Culte,

Il n'y aura qu'une liturgie et un catliéchisme pour toutes les églises catholiques de France.

Aucun curé ne pourra ordonner des prières pu- hliques extraordinaires dans sa paroisse, sans la per- mission spéciale de l'évêque.

Aucune fête, à l'exception du Dimanche, ne t. ir. 8

( ti4 )

pourra être établie sans la permission du gouverne- ment.

Les ecclésiastiques useront, dans les cérémonies religieuses, des habits et ornemens convenables à leur titre : ils ne pourront, dans aucun cas, ni sous aucun prétexte , prendre la couleur et les marques distinctives réservées aux évêques.

Tous les ecclésiastiques seront habillés à la fran- çaise , et en noir ; les évêques pourront joindre à ce costume la croix pastorale et les bas violets.

Les chapelles domestiques , les oratoires particu- liers ne pourront être établis sans une permission expresse du gouvernement, accordée sur la demande de l'évêque.

Aucune cérémonie religieuse n'aura lieu hors des édifices consacrés au culte catholique , dans les villes il y a des temples destinés aux différens cultes.

Le même temple ne pourra être consacré qu'à un même culte.

Il y aura, dans les cathédrales et paroisses, une place distinguée pour les individus catholiques qui remplissent les autorités civiles et militaires.

L'évêque se concertera avec le préfet pour régler la manière d'appeler les fidèles au service divin par le son des cloches. On ne pourra les sonner pour toute autre cause, sans la permission de la police locale.

Lorsque le gouvernement ordonnera des prières

( ,i5 )

publiques , les évêques se concerteront avec le préfet et le commandant militaire du lieu, pour le jour, l heure et le mode d'exécution de ces ordonnances.

1. Les prédications solennelles, appelées sermons , et celles connues sous le nom de stations de l'Avent et du Carême, ne seront faites que par des prêtres qui en auront obtenu une autorisation spéciale de levêque*

2. Les curés, aux prônes des messes paroissiales, prieront et feront prier pour la prospérité de la ré- publique française et pour les consuls.

3. Ils ne se permettront, dans leurs instructions, aucune inculpation directe, ou indirecte, soit contre les personnes , 6oit contre les autres cultes autorisés dans l'Etat.

4. Ils ne feront, au prône, aucune publication étrangère à l'exercice du culte, à moins qu'ils n'y soient autorisés par le gouvernement.

Ils ne donneront la bénédiction nuptiale qu'à ceux qui justifieront, en bonne et due forme, avoir contracté mariage devant l'officier civil.

Les registres tenus par les ministres du culte, n'étant et ne pouvant être relatifs qu'à l'administra- tion des sacremens, ne pourront, dans aucun cas, suppléer les registres ordonnés par la loi pour cons- tater 1 état civil des Français.

1

Dans tous les actes ecclésiastiques et religieux , on sera obligé de se servir du calendrier d'équinoxe,

8.

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établi par les lois de la république; on désignera lei jours par les noms qu'ils avaient dans le calendrier

des solstice?.

Le repos des fonctionnaires publics sera fixé au dimanche.

SECTION I".

De la Circonscription des Archevêchés et des Evêchês.

Il y aura en France dix archevêques ou métro- poles et cinquante évêques,

La circonscription des métropoles et des diocèses sera faite conformément au tableau ci-joint.

SECTION II.

De la Circonscription des Paroisses.

Il y aura au moins une paroisse dans chaque jus- tice-de-paix.

Il sera, en outre , établi autant de succursales que le besoin pourra l'exiger.

Chaque évêque, de concert avec le préfet, réglera îe nombre et l'étendue de ces succursales; les plans arrêtés seront soumis au gouvernement, et ne pour- ront être mis à exécution sans son autorisation.

Aucune partie du territoire français ne pourra être érigée en cure ou en succursale sans l'autorisation expresse du gouvernement.

Les prêtres desseryans les succursales sont nom- més par les évêques.

( «7 )

SECTION III.

Du Traitement des Ministres.

Le traitement des archevêques sera de i5,ooo fr.

Le traitement des évêques sera de 10,000 fr.

Les cures seront distribuées en deux classes.

Le traitement des curés de la première classe sera porté à i,5oo fr. ; celui des curés de la seconde classe à 1,000 fr.

Les pensions dont ils jouissaient en exécution des lois de l'assemblée constituante seront précomptées sur leurs traitemens.

Les conseils - généraux des grandes communes pourront, sur leurs biens ruraux ou sur leurs octrois, leur accorder une augmentation de traitement, si les circonstances l'exigent.

Les vicaires et desservans seront choisis parmi les ecclésiastiques pensionnés en exécution des \o\S de l'assemblée constituante.

Le montant de ces pensions et le produit des ob- lations formeront leur traitement.

Les évêques rédigeront les projets de réglemens relatifs aux oblations que les ministres du culte sont autorisés à recevoir pour l'administration des sacre- mens. Les projets de réglemens rédigés par Les évo- ques ne pourront être publiés ni autrement mis à

( "«)

exécution , qu'après avoir été approuvés par le gou- vernement.

Tout ecclésiastique pensionnaire de l'Etat sera privé de sa pension , s'il refuse , sans cause légitime, les fonctions qui pourront lui être confiées.

Les conseils-généraux de département sont auto- risés à procurer aux archevêques et évêques un loge- ment convenable.

Les presbytères etles jardins attenans, non aliénés, seront rendus aux curés et aux desservans des suc- cursales : à défaut de ces presbytères , les conseils- généraux des communes sont autorisés à leur pro- curer un logement et jardin.

Les fondations qui ont pour objet l'entretien des ministres et l'exercice du culte , ne pourront con- sister qu'en rentes constituées sur l'Etat : elles seront acceptées par levêque diocésain, et ne pourront être exécutées qu'avec l'autorisation du gouverne- ment.

Les immeubles , autres que les édifices destinés au logement, et les jardins attenans, ne pourront être affectés à des titres ecclésiastiques , ni possédés par les ministres du culte , à raison de leurs fonctions.

SECTION IV.

Des Edifices destinés au Culte.

Les édifices anciennement destinés au culte catho-. lique , actuellement dans les mains de la nation , à

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raison d'un édifice par cure et par succursale, seront mis à la disposition des évêques par arrêté du préfet du département. Une expédition de ces arrêtés sera adressée au conseiller-d'Etat chargé de toutes les affaires concernant les cultes.

Il sera établi des fabriques pour veiller à l'entre- tien et à la conservation des temples , à l'administra- tion des aumônes.

Dans les paroisses il n'y aura point d'édifice disponible pour le culte, l'évêque se concertera avec le préfet pour la désignation d'un édifice convenable.

( )

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CHAPITRE XXIV. Concordat de 1801. Ses avantages , ses défauts.

Ce concordat était-il nécessaire ?

Oui y dans le système de la continuation du mélange du spirituel avec le temporel.

3Non, hors de ce svstème, et dans celui de la seule observation de la tolérance.

Ce concordat était-il religieux?

Le seul religieux qui ait encore été fait ; car il n'avait en vue que la religion, il la ré- tablissait. Il était étranger à la matière béné- ficiai. Il donnait à la religion ce dont elle a besoin , il ne lui attribuait pas ce dont elle n'a pas besoin , et qui avait causé sa ruine. Le concordat de 180 1 n'a rienôté à la religion: il ne lui a pas donné ce qu'elle avait eu , mais il ne le lui a point enlevé.

Ce concordat était-il national?

Oui, puisqu'il rendait son culte à la nation, et la paix avec lui : non, puisqu'il introduisait au sein de l'État un pouvoir étranger, propre à le troubler, et qui , par le fait, l'a troublé.

( )

Ce concordat a-t-il maintenu l'égalité entre les con trac tans ?

Non, car il a assigné au prince temporel un terme pour nommer , et il n'en a point assigné au pape pour instituer.

Ce concordat a-t-il pourvu à la justice , à l'égard des églises et des titulaires?

Non; il a exposé les églises à manquer du service auquel elles ont droit, et les titulaires à rester privés des places auxquelles les lois de l'Eglise et de l'Etat leur donnaient droit.

D'où cela est-il provenu 1

De l'ignorance ou de 1 inadvertence des né- gociateurs , de l'habitude du mélange du spi- rituel avec le temporel, habitude qui préci- pita Napoléon dans le concordat , sans en soupçonner les suites , et qui l'empêcha de se borner à la tolérance.

Développemeîis.

io. Le concordat de \&oi était nécessaire dans le système étranger à la tolérance.

Tout l'ordre religieux était détruit en France. La division était partout : hommes et choses, tout était à refaire, à replacer, à pacifier. 11 n'en était point de ce concordat

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comme de ceux de i5i6 et de 1817 que Ton a été chercher, pour ainsi dire ; puisque dans le premier cas , c'est la guerre d'Italie qui l'a rendu nécessaire, et que dans le second il n'y avait qu'à continuer ce qui existait ; au lieu qu'en 1 801 , on ne trouvait rien, ou bien on trouvait tout brisé. En i5i6, en 1817 tout allait, tout marchait; en 1801 rien n'allait, rien ne marchait , et par une bonne raison , c'est que tout était détruit. Par conséquent, hors du système de la tolérance, ce concor- dat était d'une absolue nécessité. On ne pou- vait pas laisser les choses dans l'état elles se trouvaient, car on voulait l'ordre, et il n'y avait que du désordre : on voulait la réunion, et il n'y avait que des collisions : on voulait la paix , et il n'y avait que des combats et des combattans. Il fallait donc à-la-fois et détruire les principes de la division, et poser les bases de la réunion, ce que l'on effectua avec le concordat. Sous ce rapport, cet acte est irré- prochable. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à faire attention aux suites qu'il eut, au mo- ment même il parut.

Ce concordat était entièrement religieux. Il n'était pas le fruit de la politique , ainsi

( »? )

que l'avait été celui de i5i6 , occasionné par les guerres d'Italie, et par le besoin que l'on croyait avoir du pape. Il n'était pas comme celui de 1 8 1 7 , le produit d'anciens souvenirs, ou le rappel d'anciens droits. Il n'était pas mélangé de vues de retour à un ordre an- cien , et que l'on pourrait appeller person- nel , comme celui de 1 8 17. Le gouvernement de 1801, n'avait pas dans l'ordre religieux plus d'antécédens que dans l'ordre politique. Il n'avait besoin de remonter ni à aucun temps , ni à personne , pour renouer le fil des traditions , ou des droits anciens. Il ne tenait à la cour de Rome ni par la politique de François 1er ni par les titres religieux dont s'honoraient les rois de France. Le gouverne- ment jouissait donc de sa pleine et entière indépendance , par conséquent , en traitant de la religion , il pouvait ne traiter que pour elle-même. De plus , le gouvernement était étranger à l'ordre bénéficiai de France, il ne l'avait pas détruit , il ne le retrouvait pas , il n'en avait été ni le fondateur ni le protec- teur comme les anciens rois , il n'en était pas non plus le destructeur, comme l'Assemblée Constituante : placé ainsi hors des intérêts,

( "4 )

des souvenirs et des reproches , n'avait point à s'en occuper. Restait donc la religion, comme seul objet digne de son attention.

S'en est-il occupé sous ce rapport? Telle est la chose à examiner.

Quels sont les besoins de la religion ?

La liberté et la sûreté dans l'exercice du culte; des temples et des ministres suivant l'ordre de la hiérarchie.

Tout cela se trouvait dans le concordat de 1801.

Sûrement on ne dira point que par lui et d'après lui, la liberté et la sûreté du culte n'aient été entières ; qu'aucun de ses ministres ait été troublé dans l'exercice de ses fonc- tions, comme aussi que toutes les promesses du concordat n'aient été religieusement ob- servées et dépassées de beaucoup. Ici, je n'en- trerai dans aucun détail; ils pourront trouver place ailleurs. Je me bornerai à faire une ob- servation générale qui rentre parfaitement dans mon sujet. C'est que pendant toute la durée du concordat de 1801, on n'a vu repa- raître aucun de ces signes insultans que par une imprévoyance aveugle, comme par une contradiction manifeste avec ses professions

( fcrf )

publiques , l'ancien gouvernement avait laissé le théâtre, la peinture et l'imprimerie libres de multiplier contre le clergé. On n'a vu rien de tout cela depuis 1801 jusqu'à 1 8 1 4 . Le nouveau gouvernement a mieux défendu le clergé que l'ancien ne l'avait fait sous ce rap- port. Quelles que soient les imputations que Ton puisse se croire fondé â adresser à ce gou- vernement, on ne lui reprochera pas de n'avoir point su raisonner et de s'être contredit, et il en savait trop pour appeler ou tolérer la dérision sur son propre ouvrage.

Tout le matériel du culte existant à l'époque de 1801 , lui fut rendu : églises, presbytères, évèchés , séminaires ; depuis il a été acquis un grand nombre des uns et des autres. Toute donation faite aux églises fut autorisée ; l'en- tretien des édifices et des locaux destinés au culte, fut assuré; la subsistance des ministres du culte mise sur le même pied que celle de tous les fonctionnaires publics.

On aurait remarquer avec éloges , au lieu d'en faire un sujet de reproches , avec quelle sage circonspection on procéda dans cette occasion. Sûrement il eût été fort heu- reux de pouvoir dès le principe porter la sub-

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sistance assignée au point le plus convenante pour les ministres et pour le ministère. Le gouvernement lui-même ne pouvait pas mieux demander ; il n'en coûtait rien per- sonnellement à celui qui l'aurait donnée. Il avait intérêt à faire trouver au clergé un sort meilleur; mais cet intérêt même n'était point le seul à ménager ; car, il ne faut point oublier les circonstances dans lesquelles on se trou- vait. Pouvait-on avec quelque prudence pro- poser à des hommes deshabitués d'un culte, de commencer par payer pour lui d'immenses impôts. N'était-ce pas aussi mal servir le clergé que le gouvernement? Un clergé rétribué comme le demandaient des amis imprudens , aurait absorbé au moins 60 millions. N'était- ce pas s'exposer à tout perdre que débu- ter ainsi? Il fallait commencer par fonder, et passer delà aux améliorations successives auxquelles ont eu part trente mille succur- salistes , cinq cent trente chanoines , cent trente vicaires-généraux. Des augmentations de traitemens furent votées par les dépar- temens, en faveur des évêques, des chapitres, et de tous les curés. Si l'on s'y fût pris autre- ment, et que l'on eût accueilli des vœux in-

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tempeslifs qui eussent fait trop sentir une charge dont il fallait alléger et comme dégui- ser le fardeau en le divisant sur plusieurs points , on s'exposait à ne faire regarder la reli- gion et ses ministres que comme des charges; ce qui était rendre à tous les deux le plus cruel service. L'indigence temporaire du clergé était au nombre de ses sauvegardes; il était utile pour lui de remettre à la dimi- nuer au temps lui-même aurait fait sentir son utilité propre , et reconcilié par elle tous les esprits avec lui. Telle était la marche qu'in- diquait la raison ; des hommes qui trouvent à quereller sur tout s'indignaient et s'indignent encore de la modicité de la fortune du clergé. Qui les a empêchés d'y remédier, et de parta- ger la leur avec lui? Ils parlent de la réinté- gration de ses droits ! quelle loi leur a inter- dit de faire porter dans ses greniers les tri- buts accoutumés de leurs champs? On a beau- coup répété les mots de dignité, d'indépen- dance, d'incertitude : tout cela ne signifie autre, sinon qu'il est au-dessous du clergé d'être salarié par l'État , c'est-à-dire, qu'il est au-dessous du clergé d'être citoyen. Quel malheur qu'une pareille idée pût approcher

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de lui ! Est-ce donc que depuis le trône jus- qu'au dernier emploi de la société , tous ne sont pas rétribués par les tributs publics. Le magistrat sent-il dans la distribution de la justice sa conscience liée par la rétribution attachée à ses fonctions? Le guerrier croit-il ses lauriers flétris, et son sang méprisé par l'affectation d'un salaire à son grade? L'admis nistrateur regarde-t-il les soins qu'il donne aux intérêts publics comme dégradés par le traitement attaché à ses fonctions? La société paye par sentiment d'honneur, parce qu'é- tant au-dessus du tout , elle ne doit rien re- cevoir de personne. Elle paye par sentiment de justice, parce qu'elle n'a pas le droit de faire servir les uns gratuitement par les autres, et qu'on ne peut arracher un homme à ses travaux sans lui donner un dédommagement; elle paye, parce qu'elle sait que l'argent n'est point un but, mais un moyen nécessaire, et que Von ne fait pas pour de l'argent ce que cependant on ne peut point faire sans argent» Bien vil qui j attache une autre idée ! le clergé fut donc rétribué par le concordat de 1801 , comme il était dans son intérêt et dans la nature des choses qu'il le fût. Il se trouva

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assimilé aux autres serviteurs de l'État, et dut s'en applaudir. S'il faut des dotations particu- lières au clergé, pourquoi n'en faudrait-il pointa la couronne, à l'armée, aux tribu- naux? Si l'on veut donner un état indépen- dant au clergé, pourquoi n'en pas donner un de même nature à tous les autres services pu» blics? S'il y a incertitude pour ceux-ci , pour- quoi le clergé ne partagerait-il point les mêmes chances, pourquoi ne participerait-il point à toutes les vicissitudes de la fortune de l'État dont il fait partie ? Pourquoi se trouve- rait-il des garanties pour lui seul, et des in* certitudes pour tous les autres. Le clergé doit s'honorer de partager tous les dangers de la patrie et de ses concitoyens : aussi , lorsque dans ces derniers temps on a combattu opi- niâtrément pour faire attribuer au clergé des propriétés foncières, les bois, dont les reve- nus paraissent destinés à doter les évèchés, à la vue de ce don auquel le corps du clergé ne peut prendre part, formant des vœux bien contraires , je me demandais si les maréchaux de France accepteraient une dotation faite expfrèfi pour eux, en laissant au reste de l'ar- mée à courir les hasards de la solde. Ceux qui t. n. 9

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reprochaient au concordat de 1801 de n'avoir rendu ni la dîme, ni les biens , ni donné d'autres propriétés, devraient bien dire com- ' ment on aurait rétabli la première, fait rendre les seconds, et avec quoi l'on aurait payé les troisièmes. 11 fallait commencer par débour- ser un milliard.

Sans doute, si la dîme et les biens du clergé eussent existé en 180 1 , il eût été très-con- damnable de ne pas les affecter aux besoins du culte ; mais alors, se trouvaient-ils? Il ne faut jamais demander que ce qui est pos- sible.

Par le concordat de 180 1 , le nombre des fêtes, au-delà de l'observance du dimanche, fut réduit à la célébration de celles qui ont rapport aux principaux mystères de la reli- gion, et aux grandes solemnités de l'église. Cette réduction, très-conforme à l'intérêt pu- blic , n'a rien de nouveau. Beaucoup de dio- cèses, comme celui de Paris, en avaient donné l'exemple. Par , si le nombre des fêtes se trouva réduit à cinquante- six jours, ou la septième partie de l'année, il s'élevait aupa- ravant à soixante-dix jours , ou un peu plus que la cinquième partie de l'année. Des plaintes furent portées contre les lois orga-

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niques dans l'allocution de S. S. au milieu d'un consistoire, tenu en 1802; elles ont été rappelées dans le concordat de 18 17.

En examinant ces lois , on y trouve six ar- ticles qui ont donné lieu à ces plaintes; mais, parmi eux , un seul est véritablement repro- <:hable, celui qui confère aux vicaires-géné- raux l'exercice de la jurisdiction épiscopale, le siège vacant. Par le droit canonique , elle appartient aux chapitres. L'article lui est contraire, il est vrai; mais il faut observer, i°qu il aétéconçu d'après l'ordre, qui, à la vé- rité, donnait la faculté d'établir des chapitres, mais qui ne les supposait pas nécessairement existans ; l'article du concordat qui les con- cerne n'est que facultatif; 20 qu'il doit être imputé aux négociateurs , et non point à Na- poléon qui ne connaissait guères le mode de transmission canonique de la jurisdiction épiscopale ; qu'il n'avait aucun intérêt à ce que cette jurisdiction fût exercée par les vi- caires-généraux plutôt que par les chapitres: et ce qui tranche toute difficulté , c'est qu'il donna satisfaction sur cet article , dès qu'on lui montra en quoi il péchait contre les règles de l'église. Il en fut de même pour l'article

9-

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qui rejetait à a5 ans l'âge auquel on pourrait être engagé dans les ordres sacrés. Les au- teurs de ce règlement avaient regardé l'ordi- nation comme un engagement irrévocable , de la nature de ceux qui exigent la majorité , comme le mariage , parce que des actes de cette nature, renfermant une disposition irré- vocable de la personne , ne peuvent être ad- mis qu'à 1 âge l'on suppose que l'homme a la pleine jouissance de ses facultés, de manière à bien connaître toute l'étendue de ses engagemens. La loi était bonne en elle-même, ainsi que celle qui exigeait un revenu de 3oo francs pour chaque ordinant; le but de la dernière était défaire prendre les clercs dans les familles aisées, chose excellente en elle-même, mais inexécutable dans l'état de la France et du clergé. Quoiqu'il en soit , les deux articles furent réformés, dès qu'on eut lait sentir leurs inconvéniens. Dans les deux cas, Napoléon céda aux premières observa- tions; et s'il y eut encore des plaintes , il faut en chercher les motifs ailleurs; les voici :

lisse trouvent aux articles 10 , i-j , -i3 , ain- si que dans l'article qui prohibe la célébra- tion du mariage religieux avant la représen- ta Lion de l'acte civil.

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L'article 10 abolit toute exemption de ta jurisdiction épiscopale. L'article 17 ordonne les informations pour les évèques nommés, par devant V ordinaire du lieu de leur rési- dence. L'article ordonne l'enseignement des quatre propositions du clergé , et l'attache- ment à ces mêmes articles. Voilà se trou- vaient le mal et la cause véritable de l'oppo- sition de la cour de Rome. Par ees articles , elle se retrouvait vis-à-vis de cet enseigne- ment qu'elle avait tant redouté, qu'elle avait tant combattu, qu'elle avait réussi à faire abandonner par Louis XIV, et faire ainsi tomber en désuétude. Elle se trouvait donc en présence de ce rival odieux, et voilà ce qui la choquait. Il en était de même pour l'in- terdiction des exemptions de la jurisdiction de l'ordinaire; la cour de Rome en a toujours beaucoup usé , toujours beaucoup étendu l'usage. C'est un des ressorts de sa puissance et de sa politique: elle ne pouvait voir sans douleur ce moyen puissant échapper de ses mains. Le même motif lui dictait ses plaintes relatives aux informations; il blessait ses plus chères prétentions. Après de longs débats sur cette matière, il s'était établi que les infor-

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mations se feraient pardevant le nonce du pape en France. En voici la raison. Rome se prétend la source de l'épiscopat ; l'institution des évèques est le lien avec lequel elle maî- trise le monde chrétien. Tout ce qui se rap- porte à cette institution doit donc être vu avec jalousie par elle; par conséquent, l'ar- ticle des lois organiques qui la tenait en dehors de l acté préparatoire à l'institution ca- nonique devait lui déplaire beaucoup. Rome se plaignait aussi de l'acte civil du mariage, antérieur à l'acte religieux, comme on s'en est plaint depuis, et avec tout aussi peu de fondement. Elle alléguait les conséquences que cette antériorité pouvait avoir, sans faire assez d'attention à la diversité des cultes exercés sur le territoire français d'alors , non plus que sur ce que l'État se bornant à l'état civil des contractans , seul objet de sa juris- diction , n'ordonnait rien à personne dans l'ordre religieux, et laissait ensuite à chacun de juger ce qu'il avait à faire d'après les prin- cipes de sa religion. La ligne de démarcation entre les droits de l'État et ceux de la cons- cience était très-bien tracée ; malheureu- reusement trop de personnes ont encore de la peine à s'y accoutumer. L'expérience a

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prouvé en favenrde cette loi; car, qui voit-on se marier sans l'église, ou changer de religion pour se marier ? Dans tout ceci , il faut re- connaître défaut de lumières ou mauvaise foi, et que l'on avait fait plus de bruit qu'il n'y avait de mal.

Le concordat de 1801, dégagé de tout ce qui est en dehors de la religion, comme on vient de le montrer , était donc un acte essen- tiellement religieux ; car il se rapportait ex- clusivement à la religion. Il était exempt de tout mélange de matière bénéficiale qui abonde dans le concordat de i5i6, qui en fait le fonds, et dont on retrouve quelques vestiges dans celui de 1817.

Ce concordat assurait à la religion tout ce dont elle a besoin , et ne lui donnait rien de ce dont elle peut se passer, deux immenses services qu'il lui rendait à la fois, deux gages certains de sa stabilité.

Quels sont les besoins de ta religion?

Au premier degré : la liberté , la sûreté dans l'exercice du culte, l'union avec le chef vi- sible de 1 église , l'épiscopat dans les divers degrés de la hiérarchie , des pasteurs du se- cond ordre, et des moyens de perpétuité du ministère par la faculté de renouveler le sacer-

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doce; avec cela le culte catholique est com- plètement organisé. En cent lieux, il n'en a pas davantage, et prospère. Au second degré: des temples et une subsistance légalement as- surée à ses ministres, de quelque nature qu'elle soit.

Or, tout cela et plus que cela se trouvait dans le concordat de 1 80 1 . Il avait donc donné à la religion tout ce que son existence , comme ses besoins essentiels réclament; etdeplus,en ne lui donnant que cela, il l'avait mise à l'a- bri du renouvellement des attaques sous les- quelles elle venait de succomber. Car, ce n'étaitpas au culte même que s'étaient adres- sées ces attaques ; ce n'était point par ses fonctions essentielles , nécessaires , senties et reconnues comme telles par tout le monde, que le clergé avait été attaqué, mais bien par cette matière bénéficiale si chère au concor- dat de j5i6, et si heureusement étrangère au concordat de i8o[.

Le clergé, ramené à l'esprit de son insti- tution, borné à des fonctions dont tout le monde sent l'utilité, est désormais à l'abri dans ses temples moins richement ornés, il est vrai, mais plus solidement fondés que les premiers. les Voltaire, les Diderot et mille

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autres qui , à leur exemple , n'ont point cessé d'appeler la haine, l'envie, la dérision sur le clergé à cause de son opulence, trouveraient- ils à se prendre dans un ordre qui pourvoit au nécessaire, et exclut le superflu? Or, voilà le service que le concordat de iSor a rendu au clergé; d'ailleurs , s'il lui a donné peu, il ne lui a rien interdit: il n'a fermé à ses membres les portes ni de la fortune, ni des honneurs, pas plus dans l'Eglise que dansl'É- tat. Le clergé n'a, par le fait, été exclus de rien de ce à quoi les autres citoyens ont pu parvenir. Tout a dépendu du mérite person- nel; par conséquent, l'avancement n'étant ni des fonctions, ni du corps, ni de la lot, ne mo- tivait aucun sentiment haineux: il plaçait les membres du clergé sur la même ligne que les autres citoyens , toute carrière restant ou- verte pour tous, d'après leur mérite person- nel, llien ne peut être plus juste.

Le concordat de 1801 était national, car la France était privée de la liberté d'exercer son culte. Cette violation de ses droits lui était infiniment pénible. Elle entretenait au milieu d'elle le plus grand des maux, qui est la division. Lui donner un terme était donc faire la chose qui entrait le plus avant dans

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les intérêts de l'Etat. Or, c'est ce qui eut lieu par le concordat de i8or. La paix fut réta- blie , les discordes cessèrent , les esprits se rapprochèrent. Sous ces rapports , le con- cordat de 1801 fut un acte éminemment natio- nal. Pour s'en convaincre , qu'on se reporte au temps de cet événement. Que l'on se rap- pelle les sentimens qu'il fit éclater non-seu- lement en France , mais dans toute l'Europe. Cet acte non-seulement était français , mais européen , parce qu'il était éminemment so- cial. La réconciliation de la France avec la religion de ses pères , hâta la réconciliation de l'Europe avec la France ; elle ne craignit plus de tendre la main à une nation dont les membres pouvaient unir les leurs avec la sienne sur les mêmes autels. Dès-lors une partie des barrières qui séparaient l'Europe de la France s'abaissèrent. On la voyait ren- trée avec la religion dans l'ordre social. Quel- ques semaines après le concordat de 1801 , ou vit Lord Cornwallis venir au nom d'un pays très-religieux, la Grande-Bretagne, signer la paix d'Amiens. Tout se pacifia au dehors et au dedans, et l'opinion plaça le signataire du concordat au-dessus du vainqueur de Ma-

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rengo. C'est qu'une victoire n'est qu'un intérêt particulier, au lieu que la religion est un in- térêt général. Ceux qui se rappellent ce qu'était l'Europe d'alors peuvent dire si je charge le tableau. Elle était affamée de paix et de repos; et comme rien n'y conduit mieux que la reli- gion, comme rien n'est plus de l'ordre social que l'ordre religieux, le rétablissement de lare- ligionenFrance parut à l'Europe le rétablisse- ment même de l'ordre social parmi les français : elle vit dans cette restauration toutes les garan- ties que la religion porte avec elle. C'est la viva- cité de ce sentiment qui inspira les locutions exagérées et presque orientales dont l'usage s'introduisit alors. Rome en avait donné le signal, il fut répété par toute l'Europe; je trouve que quelques années après, un écrivain célèbre par ses talens et par son opposition à Napoléon, comme tous les autres, recon- naissait dans lui l'homme réservé par Dieu morne pour accomplir ses desseins (i).

(i) Au premier Consul le général Buono parte. Géslral ,

« "\ ous avez bien voulu prendre sous voire protection cette édition du Génie du Christianisme ; c'est un nou-

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Tout ce que l'on pourrait ajouter pour éta- blir que cet acte était national serait superflu.

Mais il s'en fallait de beaucoup qu'il ren- fermât les mêmes propriétés sous le rapport important de l'indépendance et de la tranquil- lité de l'État. Comme le concordat de i5i6, il ne contenait aucun correctif contre les relus de bulles , que la cour de Rome pou- vait faire sans alléguer des motifs canoniques. Dans ce dernier concordat comme dansle pre- mier , le gouvernement de France doit nonK

veau témoignage de la faveur que vous accordez à l'auguste cause qui triomphe à l'abri de votre puissance. On ne peut s'empêcher de reconnaître dans vos destinées la main de cette providence qui vous avait marqué de loin , pour l'accomplissement de ses desseins prodigieux. Les peuples vous regardent ; la France agrandie par vos victoi- res, a placé en vous son espérance, depuis que vous ap- puyez sur la religion les bases de l'État et de vos prospé- rités. Continuez à tendre une main secourable à trente millions de chrétiens qui prient pour vous aux pieds des autels, que vous leur avez rendus. Je suis avec un profond respect, Général ,

Votre très-humbie et tvèâ- Gbéissant serviteur. »e édition, cliez Aligner*, i8o3). CHATEAUBRIAND.

( <4t 5

mer dans un terme fixe ; le pape n'a point de terme pour instituer : il n'y a donc point d'égalité entre les eontractans. Gomme en 1 5 1 6 , si le pape se tait ou refuse directement les bulles, ou bien encore en donne d'irrégulières dans la forme, nul moyen n'est indiqué pour suppléer à ces actes arbitraires, dérogatoires au concordat, et pour le ramener à son exécution. Sous ce rapport, le concordat de i8oiest incomplet, et ren- ferme le principe d'un grand dommngc pour la nation ; comme on peut en juger par tout qui s'est passé depuis 1 808, jusqu'en 1818, temps pendant lequel la France s'est trouvée privée de la jouissance de son ordre religieux, par l'interruption de l'épiscopat. Ce concor- dat n'a pourvu à l'accomplissement de la jus- tice, ni a l'égard des églises, ni à celui des individus. Les églises ont droit d'être servies toutes les fois qu'elles ne s'écartent point des règles canoniques : alors elles sont aux droits delà religion même, car c'est elle qu'elles servent. Or, par l'effet de ce concordat, plu- sieurs églises ont été exposées à manquer de la partie de leur service, la première en élé- vation et la source des autres, qui est l'épisco- pat. Elles en sont restées privées sans aucune

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faute de leur part; elles étaient étrangères aux débals qui avaient lieu entre Napoléon et le pape : ees débats étaient personnels, de l'ordre politique, de prince à prince; les églises ne pouvaient s'y trouver comprises, sans violer la justice. Leur droit avait une origine et un but spirituels, elles deman- daient les moyens d'un service spirituel; à qnel titre les faire entrer dans ce différend , leur en faire subir les conséquences , et ven- ger le temporel d'autrui par leur spirituel ? Concevra-t-on jamais un pareil ordre de choses? La justice était également violée à l'égard des titulaires, et n'a point cessé de l'être jusqu'à ce jour. Car sans délit de leur part, sans allé- gation d'aucun empêchement canonique , ils sont restés privés des places auxquelles l'ac- complissement des lois de l'Eglise et de l'État leur donnait droit. Je donnerai dans un mo- ment les exemples et les suites de cette viola- tion de la justice, à l'égard des particuliers.

Tous ces inconvéniens sont provenus:

i°. De l'ignorance ou de l'inadvertence des négociateurs.

2°. De l'habitude du mélange du spirituel avec le temporel.

3°. De ce que Napoléon , novice dans ces

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matières, a été obligé de s'en rapporter et de voir par les yeux d'autrui. Pour peu qu'il eût vu par les siens , le vice radical de cet acte eût été découvert, et il y eût été remédié.

4°. De la précipitation et de l'empressement avec lequel le concordat fut conclu. Tout le monde voulait un remède au mal; rien ne paraissait beau que de finir. Cela est malheu- reusement trop commun, surtout après de grands malheurs : on ne songe qu'aux embar- ras du moment, on s'en prépare d'autres pour l'avenir, et l'on gâte les affaires avec la (meil- leure envie de les arranger.

5°. On a pu reprocher aux concordats de 1 5 1 (5 et de 1817 d'être faits à part de l'église et de transformer un acte diplomatique en constitution religieuse. Ici, quoique l'effet soit le même, cependant le reproche ne trouve point son application; car il s'agissait de rétablir l'église de France , et l'on ne pou- vait pas la consulter avant qu'elle n'existât : au lieu qu'en i 5 16, en 181 7, cette église était en place, et présentait tous les moyens de conseil et de coopération dont on pouvait avoir besoin.

( '44 )

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CHAPITRE XXV.

Tableau historique des injustices commises à l'égard des titulaires , soit par le relus des bulles régulières , soit par le refus de leur délivrance fait par le gouverne- ment.

Nota. Il ne fant pas perdre de vue que ces injustices ont été commises envers des titulaires qui ont rempli toutes les condi- tions canoniques et civiles.

Le refus des bulles de la part du pape peut, comme on Fa déjà observé , être de deux es- pèces, direct ou indirect.

Dans le premier cas, le pape n'institue pas, et se tait, ou bien déclare qu'il n'instituera pas.

Dans le second, il donne des bulles , mais dans une forme irrégulière, qui empêche leur acceptation.

Les bulles peuvent être supprimées par le prince. Il intercepte ainsi un pouvoir spiri- tuel , en retenant l'acte qui en est la preuve, et sans lequel ce pouvoir ne peut être exercé. Le titulaire a la certitude que le lien spirituel

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entre son église et lui est formé. Tous les fi- dèles de son diocèse en sont informés comme lui ; le pasteur et le troupeau ne pourront se rejoindre qu'au moment il plaira au prince temporel de remettre le titre d'une mission spirituelle.

Historique de ces refus et injustices.

Les contestations du pape avec Napoléon datent de la fin de i8o5; j'en dirai la cause ailleurs. Pendant qu'elles duraient jusqu'en mil huit cent-neuf, des bulles furent données à plusieurs évéques dans la forme ordinaire. Les différends s'aggravant , le pape commen- ça à omettre le nom de Napoléon dans ses huiles : une bulle fut délivrée dans cette forme. Sur l'observation qui en fut faite au conseil-d Etat , Napoléon ordonna de passer outre , et de publier la bulle. Il s'exprima avec légèreté sur cette omission . en disant que son nom y fut ou n y fût point , la bulle n'en était pas moins bonne, et que cela ne lui fai- sait rien du tout. En quoi il avait tort ; car ici, il ne s'agissait point de lui personnellement, mais d'un droit de souveraineté , chose qui ne doit jamais être traitée légèrement. t. n 10

( îtf )

En 1 808 , Napoléon se trouvant à Toulouse , une députation de la ville de Montauban vint lui demander de se rendre dans ses murs. Frappé de l'importance de cette cité qu'il ne connaissait pas , Napoléon dit à l'audience donnée aux autorités locales : C est la seconde ville du midi , il faut ici un évêque et un préfet. La circonscription du département et du dio- cèse fut faite, la bulle d'érection demandée à Rome.

En 1808, j'avais été nommé à l'archevêché de Malines. Je donnai la démission civile et canonique de l'évèché de Poitiers ; l'une et l'autre furent reçues. Dès-lors, je cessai d'a- voir des droits sur ce siège. Dix mois après, à la suite de beaucoup de sollicitations dans le consistoire tenu à Ste-Marie-Majeure , le 29 mars 1809, le pape érigea l'évèché de Mon- tauban , et me préconisa pour l'archevêché de Malines, ainsi qu'un grand nombre d'autres évêques pour les diverses parties de la chré- tienté.

En 1809, Napoléon fit proposer au pape, alors à Savone , de donner des bulles aux évêques nommés, sans son nom propre. II consentait que le pape les adressât au conseil

( '4? )

d'État, ou bien au ministre des cultes. Cette démarche était de la nature la plus pacifique; et Napoléon faisait plus qu'aucun souverain n'avait encore fait , et peut-être même n'au- rait fait. Pour disposer plus favorablement l'esprit du pape , on emprunta le canal de la personne propre à lui inspirer le plus de confiance, son ancien légat à Paris, M. le cardinal Caprara. Le pape, chose étrange, re- jeta avec dureté cette proposition. Ce fait pa- raîtrait incroyable, siia collection dont je me suis servi et qui est de toute authenticité , ne nous avait conservé la réponse du pape ,dans sa lettre à M. le cardinal Caprara. Il faut y voir les motifs qu'il allègue. Cette lettre est à la date du 26 août 1809 : on la trouvera avec les pièces justificatives placées à la suite du cha- pitre trente-cinquième.

Dans la bulle d'érection de l'évêché de Montauban , le pape énumérait les sujets de plainte qu'il avait contre Napoléon , et termi- nait la déduction des torts de celui-ci par ces mots, sed despicimus. Ces paroles qui, dans le sens littéral, veulent dire, mais nous les méprisons, et qui, dans le sens intentionnel du pape , ne pouvaient signifier autre chose ,

10.

( '48 )

sinon, nous nous élevons au-dessus , parurent choquantes. La bulle ne contenait pas non plus la mention ordinaire du nom du prince qui demandait l'érection de ce siège , de ma- nière à ce quelle parût être faite par le pape, motu proprio.

Les bulles pour l'archevêché de Mali nés portaient la même omission du nom de Na- poléon , de manière à ce que je parusse être archevêque de Malines , motu proprio , du pape.

, se manifesta le système de la cour de Rome, de pourvoir, il est vrai, aux sièges épiscopaux , et aux autres besoins religieux de l'église , mais de le faire sans l'interven- tion du prince ; chose inadmissible et sans exemple dans l'église.

L'agent français à Rome, car depuis quel- que temps il n'y avait plus de ministre accré- dité , crut ne devoir pas envoyer à Paris la bulle qui me concernait , dans la persuasion qu'elle ne serait pas admise. Il se borna à adresser au ministre des cultes une copie de cette bulle certifiée à la daterie , et revêtue de toutes les formalités propres à constater sa -teneur.

C '4o )

Le ministre des cultes me montra cette pièce , mais ne put me la remettre.

Napoléon venait de partir pour la guerre d'Autriche, 12 avril 1809.

La forme de la bulle pour l'évêché de Montauban n'avait point disposé les esprits à recevoir une seconde fois des bulles dans les- quelles le nom du prince se trouverait retran- ché. Les choses en restèrent là! Montau- ban avec son évêché érigé, et non rempli, et moi, entre un évéché et un archevêché, sans pouvoir toucher à l'un plus qu'à l'autre.

En 18 11, à Savone, lorsque nous eûmes réussi à rapprocher le pape et Napoléon , S. S. consentit à réparer l'omission faite dans ma bulle du nom de Napoléon, et ordonna qu'il en fut fait une nouvelle expédition, qui por- terait ce nom. Elle fut terminée par ces mots, quâpropterhas huilas adhanc formam redac- tas ab omnibus recipi et fîdeliter exsequi man- dàmus et prœcipimus. Cette bulle fut signée par le cardinal Rovarella , faisant les fonctions de data ire.

On voit que le pape ne donne pas une bulle nouvelle , mais qu'il se borne à corriger la forme de l'ancienne, parce que le lien spiri-

( i5o )

tuel , dont la première bulle était le témoi- gnage, formé par la préeonisation solennelle qui avait eu lieu le 29 mars , n'était point de nature à être renouvelé.

Cette seconde bulle , ainsi que la première, est dans mes mains. Je les ai dues à l'obligeance de M. le comte Beugnot , qui, sur la repré- sentation que par la perte de la Belgique, je devenais archevêque en pays étranger, vou- lut bien me les remettre en 1 8 1 4 Avec un

homme moins accessible à la raison et à la justice , je restais sans moyens de faire valoir mes droits sur le siège de Malines , et de me légitimer auprès du nouveau gouvernement des Pays-Bas. Pendant le même séjour à Sa- vone, nous fîmes donner des bulles à MM. les abbés de St. Sauveur, Déjean, le Jéas et Jaubert, nommés aux évêchés de Poitiers, d'Albi, de Liège et de St. Flour. Ces évêchés étaient vacans par mort, ou libres par démis- sion. Outre la justice que nous désirions faire rendre aux titulaires, nous pensions qu'il était bon de reprendre l'ordre ordinaire , et de faire continuer l'accord des bulles. De son côté, le pape avait cessé d'y opposer au- cun obstacle.

v )

Mes bulles corrigées et ces quatre nou- velles furent adressées au gouvernement français.

Napoléon fut détourné par quelques obser- vations des membres de son conseil d'Etat chargés par lui d'examiner ces bulles, de tes accepter. Il ressentait aussi quelque mécon- tentement de la manière dont la négociation de Savone avait été conduite. Il remit à faire usage de ces bulles, à l'arrangement général qu'il avait en vue pour les affaires de l'Église. Il sentait dès-lors, et avec raison, qu'elles ne pouvaient plus être faites en détail. Dans le moment , toute son attention était captivée par ses plans sur la Russie.

Voilà donc les bulles ajournées jusqu'après l'accomplissement de tous les projets poli- tiques. Observez l'effet de la liaison du tem- porel avec le spirituel! Il s'agissait d'évêchés, et il fallait attendre la fin des plans politiques; de bulles, et il fallait attendre la conclusion de la guerre avec la Russie En continuant ainsi, pour avoir des évèques en France, il fallait être d'accord avec le grand turc; nous étions échappés des mains du pape, nous retom- bions sous celles de Napoléon : nous avions

( i5* )

accompli toutes les conditions civiles et cano- niques, les bulles ne manquaient ni en quan- tité , ni en qualité , le lien spirituel entre les Eglises et nous était formé on croit que cela suffit, et qu'il n'en faut pas davantage pour être bien et duement éveque: point du tout. La réunion entre les Églises et nous ne pou- vait se compléter que lorsqu'il plairait au prince d'ouvrir les archives dans lesquel- les il tenait renfermé le titre de notre mission.

Nous n'avions par nous-mêmes aucun rap- port avec les contestations du pape et de Na- poléon. Celui-ci s'est en allé, et nos bulles avec lui. Le pape est remonté sur son trône, et s'est fort peu occupé de nous et de nos siè- ges ; en quoi il a manqué à son devoir : car nous étions évêques comme lui, et c'était par son fait que nous souffrions (j). Mais

(i) Le pape , rentré à Rome , devait s'occuper des évê- ques qui depuis plusieurs années souffraient pour lui; cela valait mieux que de s'envelopper dans le silence, ou dans les formes de la chancellerie romaine. Du temps donné à réparer des malheurs ou des injustices l'aurait autant honoré que des bulles avortées pour rétablir des,

( * 53 )

voilà ce qui arrive dans les querelles des grands , à l'égard des petits : cest la toile de l'araignée ,

la mouche a passé , le moucheron demeure.

Nous avons perdu nos premières places, nous n'avons pu jouir des secondes ; les an- nées se sont écoulées dans l'amertume, dans

Jésuites. La justice passe avant toute autre considération, et surtout aux yeux de ceux qui exercent un ministère sacré : c'est à eux à donner l'exemple. A quoi bon habi- ter des temples, lorsqu'on ne s'y fait poiut précéder par la justice ? Je le répète avec assurauce, le pape a manqué à la justice envers les évêques que, pour ses intérêts par- ticuliers , il a privés des sièges auxquels les lois de l'Eglise et de l'Etat leur donnaient droit. En pareil cas, il n'y a j >aa de milieu; faire le procès ou instituer. ... Il y a eu injustice pendant que le combat durait entre le pape et Napoléon -, il y a eu injustice depuis 1814, dès-lors le pape avait les moyens de réparer le mal qu'il avait fait. S'il existait un tribunal auquel une pareille cause pût être portée, le pape y serait condamné. Entre deux particu- liers, cela ne ferait pas l'ombre d'une difficulté. Est-ce donc que les papes ne sont pas tenus d'être aussi justes, et plus justes que les individus? A défaut d'autre tribu- nal, je porte cette cause à celui de l'opinion publique, et je suis bien sûr de son jugement.

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l'attente d'une justice lointaine : des vexations outrageantes ont eu lieu à l'égard de M.Dé- jean et de M. Jaubert, et ceux parmi ces messieurs qui n'ont pas eu le bonheur de rencontrer des gouvernemens aussi pé- nétrés des sentimens de l'équité que celui des Pays-Bas, se sont vus soumis pour le reste de leur vie à un état fort triste. Quel était notre crime? Les débats du pape et de Napo- léon. Ces deux contendans se sont battus sur notre dos, comme Von dit vulgairement; nous avons eu V honneur de leur servir de champ de bataille. Il y a dans cette histoire quelque chose de cette fable , dans laquelle un lion, grand dévorateur de moutons, joue un rôle principal , tel que le lion le fait par- tout.

Je le demande à tout homme impartial, que penser d'un pareil ordre de choses, et qui voudrait prendre pour son compte le dommage qui s'ensuit pour autrui? Et ce qu'il y a de plus curieux, c'est d'entendre appeler tout cela, de la religion !

Il est des hommes, on le sait, portés à se consoler des malheurs d'autrui , et qui sont pourvus d'un fonds inépuisable de patience

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pour supporter les maux dont ils ne sont que spectateurs. Cela part sans doute d'un excellent naturel et d'une sensibilité à toute épreuve. D'autres tiennent à compensation , et presqu'à bonheur, un modique traitement jeté presqu'autant qu'attribué à ceux que l'on a plongés dans l'infor tune. On se bornera à souhaiter à ces ames sensibles d'avoir à re- cevoir des bulles dans les temps heureux le pape et le prince ne s'entendent pas , et l'État vient à changer de face. Par-là ils seront mis à portée de juger de tous les charmes attachés à cette expectative, ainsi qu'à l'état que cela assure dans le monde.

On voit dans ce moment le même bonheur s'étendre aux évèques nommés en vertu du concordat de 18 r 7.

Pour peu que cela dure, la félicité n'aura plus de bornes , et les heureux mêmes trou- veront leur nombre trop grand.

Nous avons été victimes des deux concor- dats imprévoyans de 1 5 1 G et de 1801. Les nouveaux prélats le sont du concordat de 181 7. Puissent ces exemples servir de leçon pour faire redresser l'ordre qui nous a valu

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nos malheurs , et les épargner à ceux qui nous suivront dans la même carrière! C'est pour eux que cet écrit a été composé , puis- sent-ils en recueillir les fruits ! Cette pensée me consolera de ce que j'ai eu à souffrir moi-même par suite de cet ordre.

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CHAPITRE XXVI.

Motifs et droits du pape dans les refus directs ou indirects des bulles.

Par le devoir de sa place le pape doit pour- voir au service des églises. C'est-Là le but de l'institution. Il ne peut pas plus refuser le ser- vice à l'Eglise que le prince ne le peut à l'égard de l'État. Que dirait-on d'un prince qui entre- prendrait de régler le mouvement de l'État sur les degrés de sa satisfaction propre, qui arrêterait le gouvernement quand il serait mécontent, et qui le remettrait en jeu, lors- que la satisfaction serait rentrée dans son cœur? Le pape n'est pas le chef de l'église pour lui, mais pour elle, parce que si elle peut se passer de tel chef, elle ne peut jamais se passer d'un chef. Tout ce qui entre dans l'intérêt de l'église en général, et dans celui de chaque église en particulier, ne peut donc se présenter aux yeux du pape que sous les rapports du devoir et par conséquent indé- pendamment de toute considération person- nelle. Par les concordats, les papes ont le

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droit et par conséquent le devoir d'instituer(i) les évèques nommés par les princes. Ceux-ci en accordant au pape la faculté d'instituer, lui ont accordé une fort grande chose, et fort intéressante pour leurs États; Car le maintien de l'ordre religieux qui au premier chef a lieu par le maintien de Tépiscopat, et qui ne peut aller sans lui, est une chose fort inté- ressante pour les princes. Quand ils ont con- senti à introduire le pape dans leurs États, ce n'est point inruinam, (mais,) in œdifica- tionem. Ils ont voulu et entendu se conformer à des règles certaines et fixes et non point s'exposer eux et leurs États au jeu des passions, des fantaisies, ou des intérêts.

Les concordats sont des traités avec les papes : mais des contestations et des débats "n'annulent point les traités, ne suspendent pas leurs effets, surtout à l'égard des parties qui par la nature de ces contrats s'y trouvent intéressées. Les concordats n'ont jamais dit

(i) Je parle dans le sens de l'ordre établi par les con- cordats: on ne me soupçonnera pas, je l'espère, après tout ce que j'ai dit dans cet ouvrage, d'attribuer à un pou- voir temporel la dispensation d'un pouvoir spirituel.

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que les bulles cesseraient d'être données, que les églises cesseraient d'être servies, et que les titulaires cesseraient de jouir de leurs droits, lorsque le pape croirait avoir à se plaindre d'un prince. Encore si la contestation même tombait sur quelque point qui par sa nature affectât la concession des bulles ou la rendit létigieuse, on apercevrait quelque fondement dans cette manière de procéder! mais lorsqu'il n'en est nullement question, à quel titre les y faire entrer? Les traités doi- vent s'exécuter dans l'esprit qui les a dictés. Or, c'est pour un service durable, et non passible d'interruption que le prince doit nommer aux évèchés, et par conséquent que le pape doit instituer. Ce n'est pour le pouvoir ou le plaisir d'aucun des deux que cette pré- rogative leur est conférée, mais pour assurer la perpétuité du service de l'église. Ainsi il a été réglé que si le prince laisse passer un terme fixé sans nommer, le pape est aussitôt saisi du droit de nomination. Pourquoi cela? C'est qu'on a senti que l'intention comme le besoin de l'église était que le ministère ne fut jamais interrompu. Par conséquent, quelle que soit la position relative du pape à l'égard du

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prince, et celle du prince à l'égard du pape, celui-ci a le devoir d'instituer parce que ce n'est pas au prince seul qu'il refuse un évêque, mais à l'église qui ne peut point s'en passer.

On a contracté à Rome une singulière ha- bitude : celle de considérer les actes afférens à la religion comme des grâces. Des bulles sont des grâces î l'érection d'un évêché utile à l'église est mise au nombre des grâces! Quelle étrange confusion d'idées ! il faudrait inviter, remercier, et l'on fait grâce!

Dans le cas actuel , Napoléon érigeant un évêché dans une grande ville comme Mau- tauban le protestantisme est encore en vi- gueur, faisait certainement une chose utile par elle-même pour la religion. Cet acte n'at- teignait le pape chef de la religion catholique, que sous le rapport de l'utilité de l'église. Un siège épiscopal servant de contrepoids à un culte opposé, et très-nombreux dans une ville importante, ce siège placé dans une contrée les sièges épiscopaux sont fort distans les uns des autres, présentait un avantage incon- testable pour la religion. Il semble que le pape ne devait y voir que ce qui s'y trouvait, c'est-à-dire un bienfait pour la religion. La

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demande de ce siège ne renfermait pas le rappel d'aucun des griefs que de son côté Napoléon croyait avoir contre le pape; car enfin , en toute contestation, chacun croit avoir quelque chose à alléguer. Il semble donc que la réponse devait correspondre à la demande, et que l'accord pur et simple de la bulle était la chose de convenance comme de devoir. Au lieu de cela qui était si simple , que fait-on ? Après une énumération étudiée de griefs étrangers à l'objet de la demande, on l'ac- corde, mais d'une manière offensante person- nellement pour le prince, et de pluscontraire aux droits de l'Etat. Il eût été plus conve- nable de refuser ouvertement. L'effet eût été le même; car en donnant une chose que l'on sait ne devoir point être acceptée, on fait la même chose que si l'on ne donnait pas. Seu- lement on met de son côté des apparences qui trompent le vulgaire, ou servent les mal- intentionnés, mais qui n'en imposent pas plus aux esprits éclairés qu'elles n'échappent aux yeux elairvoyans. Il en était de même pour les bulles des évêques nommés. Le pape, en les conférant d'une manière irrégulière, ne les donnait pas du tout. 11 eût été plus franc, et t. ir. il

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même il eût été plus juste de les refuser; carr en acceptant une démission, et en accor- dant une bulle irrégulière, le pape dépouil- lait régulièrement du premier siège, pour- voyait irrégulièrement à l'occupation du second, et par exposait le titulaire k manquer de l'un et de l'autre, comme cela m'est arrivé. En acceptant ma démission de î'évèché de Poitiers, et en pourvoyant irrégulièrement à mon passage à l'arche- vêché de Matines, il faisait que je n'étais plus rien pour le siège de Poitiers, et que je ne pouvais être mis en possession de celui de Matines; par conséquent, d'un coté, il con- tribuait à me priver de mon premier siège, et de l'autre, il ne contribuait pas à m'assurer le remplacement par la jouissance du second. Cependant à Rome se font toutes les trans- lations de siège, on sait bien que l'on ne quitte pas un siège sans remplacement; mais il y a des momens dans lesquels les choses les plus simples sont celles qu'on a l'air de n'avoir jamais sues.

C'est en cela, que consiste le défaut de justice du pape à 1 égard des évêques nommés. Il les expose à perdre à la fois la place dont

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ils se sont démis d'après toutes les règles de l'Eglise et de l'Etat, comme à manquer de celle à laquelle ces mêmes lois leur donnent droit. Le pape est le chef des évêques; à ce titre, ceux-ci Lui doivent le plus grand respect : mais il est éveque comme eux, et à ce titre aussi, il doit aux évoques la plus tendre sollicitude, et le plus grand respect pour leurs intérêts. Il n'y a point de maître dans l'Eglise; il y a encore moins de victimes des prétentions des uns, ou des intérêts des autres. La ju«ti( e y réside auprès de la charité, et son plus bel attribut est de s'y confondre avec elle. La justice extrême , rigoureuse, est pour les tri- bunaux humains, la justice de la charité siège dans les temples. C'est donc entièrement contre la justice de la charité que Ton se conduit, lorsque dans les affaires qui inté- ressent les membres de l'Église, à plus forte raison ses premiers pasteurs, le pape se conduit de manière à compromettre griève- ment leurs intérêts, comme il nous est arrivé.

Lorsque sous Louis XIV le pape refusait les bulles à trente-cinq évêques, à cause de la régale, de l'abbaye de Charonne, des quatre

1 1.

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propositions du clergé, qu'avait tout cela de commun avec les bulles en général, avec chaque église vacante en particulier, avec les nommé saux évêchés ? Quel était l'article de foi , ou la règle de mœurs attaquée en gé- néral, ou transgressée par les nommés, et qui put leur être imputée? On voyait distincte- ment le défaut de liaison et par conséquent 4e raison entre le refus des bulles, et les causes de ce refus. On touchait, on palpait en quelque sorte l'injustice commise à l'égard des églises et des titulaires.

Dans cette circonstance les papes refusèrent ouvertement de pourvoir aux églises. Le temps comportait cette manière de procéder.

Aujourd'hui elle ne prendrait pas , et c'est parce que l'on s'en est aperçu, qu'on a eu recours à une autre méthode. On a senti que des ménagemens pouvaient être nécessaires, qu'il ne fallait pas s'exposer au reproche de laisser manquer directement les églises, mais que pour arriver au même résultat, il suf- fisait de donner des bulles inacceptables par le prince : qu'en le mortifiant autant que par un refus direct, on parviendrait à lui causer les mêmes embarras, parce que des bulles

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non acceptées auraient le même effet dans l'Etal que des bulles refusées, et que de plus, elles feraient tomber les reproches sur le prince, et les détourneraient du pape, qui aurait toujours à alléguer pour sa justification, qu'il avait pourvu aux églises, autant qu'il était en lui. Cette tactique, toute subtile qu'elle fût, n'était pas propre à échapper à des yeux aussi pénétrans que ceux de Napoléon, non plus qu'à le ramener à des sentimens plus pacifiques; il entrait peu dans ses habitudes de céder. Entre up pontife sur le retour de l'âge, et un jeune guerrier, les armes étaient inégales : le pape était au-dessus de la plainte, au-dessus de la vaine satisfaction de faire ressentir une mortification à Napoléon, au-dessous de l'espoir de le ramener par des rigueurs: le pape avait fait une chose si grande, si religieuse, si honorable pour lui en joignant son pouvoir à celui de Napoléon pour rétablir la religion en France, qu'il est bien à regretter qu'il ait délaissé son propre ouvrage , et laissé une lacune dans i'épiseopat qu'il avait concouru à rendre à L'église galli- cane. Les choses religieuses, grandes, propres v. rappeler les douces idées de la bienveil-

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lance et'de la paternité évangélique, sont celles qui se mettent le mieux en harmonie avec le caractère divin des fonctions qu'exerce le chef de l'église, comme en particulier avec la douceur angélique du caractère de fie VIL

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CHAPITRE XXVII.

Querelle du pape et de Napoléon. Explications préalables. La cour de Rome.

Nous voilà arrivés à une époque bien dif- férente de celle dont le tableau vient d'être exposé. Les pouvoirs unis pour ramener en France la paix sur les pas et sous les auspices de la relig:on vont se diviser, se heurter, se terrasser. La noire discorde va semer ses ombrages dans tous les cœurs; la main qui avait placé une couronne sur le front de Na- poléon, va lancer contre lui l'anathème. Dans cette lutte d'un vénérable pontife, contre un guerrier jeune et bouillant, il semble voir le vieux Priam lançant contre le fils d'Achille le trait que le poète représente suspendu sans force au bouclier de Pyrrhus. L'histoire rétro- grade, et nous reporte au temps Charles- Quint retenait le pape captif à la vue de sa Rome saccagée. D'où ce grand changement est-il provenu ? Pourquoi ces combats etcett^ suit* de violences qui ont tant contribué à faire revenir la France et l Lurope des senti-

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mens que toutes les deux avaient professés pour Napoléon?

Cette partie de notre histoire n'a pas encore été touchée , et je regarde comme un devoir de faire tourner au profit de mes contempo- rains et de l'histoire, les connaissances que ma position m'a procurées, ainsi que les ob- servations personnelles que cette même po- sition m'a mis à portée de faire. Le lecteur im- partial jugera s'il peut se fier à mes récits, et adopter mes conclusions. Je ne serais pas entendu par une simple exposition des faits; je sens le besoin de la faire précéder par plu- sieurs explications qui donneront le fil de cette affaire , en faisant connaître la position et le caractère des acteurs, les mobiles se- crets auxquels ils ont obéi et obéir, en as- signant les diverses époques de ces mêmes actions , ainsi que les modifications que la marche du temps a y apporter.

Tâchons d'échapper au défaut qui rend un grand nombre d'histoires inintelligibles. Des faits bruts, sans généalogie, sans ascendans comme sans descendans, s'y trouvent présen- tés à un lecteur qui ne sait à quoi se rapporte ce qu'il voit se passer sous ses yeux ; autant

( '«g )

vaudrait l'apparition de ces fantômes qui s'é- yaporent, pour ainsi dire, et vont se perdi e dans la coulisse opposée à celle par laquelle ils ont fait sur le théâtre une apparition aussi inattendue que fugitive! Ce n'est point ainsi que l'on parle à l'esprit, et que l'on peut se flatter d'y déposer des souvenirs.

Il faut donc que je présente ,

i°. Les dispositions réciproques du pape et de Napoléon, l'un à l'égard de l'autre;

2°. Le tableau de la cour de Rome ;

3°. Le caractère du papePie VII, caractère absolument défiguré jusqu'ici, et tracé à contre-sens;

4°- I^es deux époques de la captivité du pape , chose qui n'a pas encore été indiquée, comme les deux époques de sa conduite;

5°. La conduite personnelle et comme indé- pendante de Napoléon dans les affaires de la religion, et celle qu'il suivit après avoir pris conseil : deux choses très-différentes et en- core inobservées ;

6°. Les dispositions mutuelles de Napoléon et du clergé, à l'égard l'un de l'autre.

Ces préliminaires épuisés , je rentrerai dans le récit des laits , dont alors l'intelligence

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ne coûtera plus aucun effort. Le chemin sera un peu plus long, mais plus sûr; et lorsqu'on est arrivé , qu'importe quelques pas de plus? Je me voue avec d'autant plus de confiance à l'indulgence du lecteur , que je ne sais pré- senter aux autres que ce que j'entends bien, et que j'ai cherché scrupuleusement à m'ex- pliquer à moi-même tout ceci , avant de venir le lui présenter.

Il s'agit de l'histoire et non point de logo- griphes.

De la Cour de Rome.

L'ordre naturel de cette exposition, et pour ainsi dire, de l'instruction de cette affaire, parait exiger de commencer par le tableau de la cour de Home.

Il faut la considérer, sous le double rap- port de la religion et de la politique. L'ie est le centre de la religion , il est vrai ; mais elle estime Cour, par conséquent, une aggréga- tion d'hommes qui se régissent d après des principes de conduite analogues à leur na- ture propre et àleur position politique. Car , dès qu'il y a cour, religieuse ou autre, il y a politique. Il n'en exista jamais sans ces règles de conduite que l'on appelle la politique.

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a* Il faut dire quelle a été la direction de Rome dans le cours varié de la révolution.

Loin , loin d'ici , loin à la fois deux choses que l'on rencontre toujours, lorsqu'il est question de la cour de Rome, l'irrévérence ou la superstition! Tenons- nous à distance égale des esclaves, avec leurs fronts abaissés et leurs yeux fixés en terre } comme des hommes irréligieux, avec leurs regards provocateurs ou effrontés.

Dans tous les cultes qui ont successivement rempli l'univers, aucun n'a présenté rien de pareil à la cour de Rome.

Quel autre pourrait montrer cette chaîne dont le premier anneau se rattache à une chapelle de hameau, et le dernier auCapitole? Jamais tant de grandeur n'appartint à aucun culte ! Pour excuser à la fois les excès des maîtres de ce trône , et les excès d'adoration qu'il obtint, il suffit de montrer son éléva- tion et sa splendeur. En le représentant comme l'ouvrage de Dieu même dans l'intérêt de la religion, les papes ont parlé le langage qui convenait à eux-mêmes et à leur temps: il suffit à l'homme pensant de se borner à s assurer de ses proportions véritables, sans

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rechercher la première origine, pas plus que ses effets dans un long cours de siècles. A cet égard, les apologies comme les critiques n'au- raient pas d'utilité. Qu'importe quelle ait été l'ancienne papauté, et les papes du dixième siècle? Ce sont des sujets de déclamations, sans instruction, et rien de plus. Partons d'un fait : la souveraineté religieuse et politique réuniedans lacourde Rome. On voit de suite deux intérêts et deux directions. Le premier de tous les sanctuaires, et le dernier des pou- voirs mondains : le chef de la religion toujours commandant, et le prince politique presque toujours réduit à supplier ; une Cour et des prêtres, des intérêts terrestres et des mains désarmées pour les défendre. Tout cela est fort singulier en soi-même, mais tout cela existe. Il a fallu d'un côté beaucoup de talent pour soutenir cet édifice fragile , et de l'autre beaucoup de complication dans la politique pour qu'il fût toléré ; car si depuis six cents ans, l'Europe n'avait compté que trois à quatre grandes puissances, si même l'Italie n'eût été partagée qu'en deux souverainetés, de- puis long-lemps il en serait fait de la cour de Home. On l'a vu , quand Napoléon a été le

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maitre de roccident de l'Europe. Cette cour na son maintien qu'au morcélement de de l'Italie en petites souverainetés, et aux jalousies que les grandes puissances ont tou- jours eues entr'elles. Les papes ont profité avec art de l'appui des uns contre les autres , ils ont été maintenus non pas pour eux, mais contre d'autres. Pour compléter l'imbroglio, c'est à Rome, au siège de la religion, que le centre de la politique se trouvera établi.

Lorsque la cour de Rome était la première du monde en lumières, elle devait au nom de ces mêmes lumières dirigerl'Europe,carlalumière a eu et aura éternellement le privilège de diri- ger: mais depuis que la lumière brille d'un éclat égal dans l'humanité, comme dans le firma- ment, on ne voit plus à quoi se rapporte cette suprématie politique attribuée à Rome. Le pouvoir lui a encore plus échappé que la lumière, car pour celle-ci elle n'a perdu que le privilège ; à quoi donc revient cette attri- bution de la politique à une cour qui n'a plus aucun moyen particulier d'y influer? Les clercs dirigeaient les tribunaux français, lors- qu'eux seuls en France savaient lire : depuis que tout le monde lit comme eux, ces tribu-

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naux sont redevenus la propriété de l'ordre civil, comme le demandait la raison.

A Rome paraît une monarchie élective, absolue par le principe, tempérée par les mœurs nécessaires du souverain. L'Évangile et l'opinion interdisent à un pape de vouloir tout ce qu'il a le droit de pouvoir. , les mœurs forment le contrepoids qu'ailleurs les lois établissent contre l'excès du pouvoir.

Une cour placée sur les débris de Rome, nourrie dey souvenirs de la grandeur de la ville éternelle, comme de ceux de sa propre puissance, affectera la grandeur, s'appellera la Cour, comme l'ancienne Rome s'appellait la ville; elle employera un langage imposant, qu'elle saura rendre altier, lorsque les cir- constances en permettront l'usage ; elle sera fière avec les faibles, soumise avec les forts. Un monarque grand par une opinion con- venue, faible par la réalité, se soutiendra, se dirigera à l'aide de maximes et d'usages, comme la Chine se gouverne par les céré- monies.

Un Etat désarmé, en contact avec beaucoup d'autres qui sont armés, aura continuelle- ment besoin de négocier ; il le fera pour lui,

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il le fera encore pour les autres, pour ne pas rester effacé. même il ne peut inter- venir activement, il voudra se faire consulter à défaut de pouvoir se faire redouter : cet Etat ayant un grand nombre d'intérêts à mé- nager, clans des pays divers, aura besoin de nourrir dans son sein une multitude d'agens studieux, subtils, souples, héritiers du dieu au double visage, qui, dans Rome antique, ou- vrait et fermait à la fois Tannée. Ces agens devront s'exercer à assouplir leurs membres pour pénétrer plus facilement dans tous les détours de la politique.

Une cour qui a des intérêts communs avec ùn grand nombre d'autres cours, sentira con- tinuellement le besoin d'une impartialité au moins apparente, propre à la faire rechercher partout. Siège du père commun des fidèles, elle étalera les sentimens de tendresse que la nature commande au père envers tous ses enfans. En satisfaisant ainsi au devoir de la nature, elle soignera ses intérêts qui lui pres- crivent de ne point se priver de l'appui d'aucun des membres de sa famille adoptive. Une cour qui n'a de force que par l'opinion, de sauve garde que dans la tradition du rcs-

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pect, qui parle peu, qui peut avoir à craindre de faire parler, qui discute moins qu'elle ne commande, qui s'enveloppe dans les ombres du passé pour se défendre des prismes dé- compositeurs du présent, une telle cour doit être immuable, pour faire croire qu'elle est infaillible. Que tout change autour d'elle, l'immutabilité , semblable à ces pierres an- tiques destinées de tout temps à fixer les dé- marcations des territoires, arbitres certains et témoins inébranlables delà propriété, l'im- mutabilité, dis-je, est toujours pour raf- fermir sa propriété, et consolider son auto- rité. Elle est comme l'axe sur lequel tourne la roue du monde, sans que lui - même éprouve aucun ébranlement. C'est sur ce ferme pivot que la cour de Rome a traversé les siècles, et bravé leurs vicissitudes. Elle se complait dans les profondeurs d'un silence religieux, elle en sort avec l'autorité des oracles, et quelquefois avec leur ambiguïté; elle attend beaucoup du temps et sait se con- fier dans cet auxiliaire favorable dont elle a tout reçu; mais lorsqu'enfin elle a parlé, sa parole n'est plus seulement empreinte dans la mémoire, comme l'est celle de l'homme,

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mais de plus elle est gravée sur l'airain; ce qu'elle revêt de sa signature est scellé de sept sceaux; toujours immuable et fixe, rappor- tant tout à la durée, comme le dieu Terme, clic laisserait tout l'Olympe changer de place et conserverait la sienne. Rome ne recule pas: 1 dites ce quelle fût devenue , si elle avait reculé nue fois, avec un seul, avec les changemens d'intérêts, d'opinions 3 ou de position de cha- cun. Rome nerecuïe pas, parce qu'elle veutdu- rer, et qu'elle veut vivre. Rome ne recule pas , parce qu'elle sait que derrière elle se trouve toujours un abîme, et devant elle mille mains prêtes à l'y pousser. Son immobilité fait sa sta- bilité. Rome ne recule pas. Eh bien ! retenez ce mot; et lorsque vous aurez à transiger avec elle, gravez en tète de vos contrats: Borne ne recule pas. Si vous oubliez de le faire ; un jour ou l'autre vos embarras vous en feront souvenir; mais gardez qu'alors il ne soit trop tard.

Lorsque la monarchie est élective, et que les degrés pour arriver au premier rang sont comme assignés par la hiérarchie des places, l'ambition est avertie de meilleure heure, et tout le monde appelé également à la satisfaire

T. II. 11

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peut, dès l'entrée de la carrière, se croire, comme le pâtre de Montalte, destiné à de- venir un autre Sixte-Quint. La perspective de la papauté et du chapeau, ouverte à tout le monde, a rendu les Italiens ambitieux en corps de nation, en masse. Tout le monde peut de- venir pape. Il n'est enfant de l'Italie qui , une f fois inscrit dans la milice ecclésiastique, à quelque titre que ce soit, ne puisse répéter ce mot de Sixte-Quint, auquel, dans l'humilité de sa première condition, une bouffée d'or- gueil avait attiré la demande : si donc il préten- dait devenir pape ? Eh! pourquoi pas, répondit- il , du fonds de cette ame altière qui semblait s'essayer et trahir son secret dans l'éruption imprévue de cette fierté native. A Rome, tout est de commencer, de se placer auprès d'un prélat accrédité, d'atteindre à la prélature qui y est fort multipliée. Alors la route est devant vous, un poste mène à l'autre; mais à la différence des autres carrières dans les- quelles c'est le dernier pas qui coûte le plus, à Rome c'est le premier. C'est ce qui fait que si les talens sont communs à Rome, ils n'y sont pas fort éclatans. Une certaine connais- sance des hommes, des choses, et surtout

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du terrain est seule requise, et suffit pour taire aboutir. L'ambition qui ailleurs com- mande le développement des talens et leur exposition au grand jour, à Rome, au con- traire, suggère de les tenir voiles, en quelque sorte, pour que leur éclat mitigé ne blesse pas trop les yeux de l'ombrageuse envie. J /ambition qui partout ailleurs renverse les remparts, à Rome, préfère la mine, et n'a- vertit que par son explosion. C'est un ennemi qui s'introduit dans la place par une route souterraine, et qui, après avoir mis son art à cacher sa marche, ne se découvre qu'en arrivant. Aussi, cette obligation de se dé- guiser , soutenue pendant des siècles , et passée en usage général, a-t-elle donné au caractère italien , et particulièrement à celui des Romains modernes, cette apparence de fausseté que la profondeur des révérences , la prodigalité des protestations , les caresses du regard, redoublent plutôt qu'elles ne la dissipent, qui commandent les précautions, et qui font que l'on ne sent point de sincérité dans la main qui serre la votre. Depuis Sylla et Tibère on a travaillé à la dégradation du caractère romain. La franchise, comme à l'or-

i 2.

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dinaire, s'est enfuie avec la liberté : la sou- plesse a remplacé la droite attitude des anciens maîtres du monde, et dès qu'ils ont cessé de dominer leurs semblables, ils ont désappris à les regarder en face. La noble ingénuité de l'ancienne Rome a fléchi sous les fardeaux redoublés de despotismes tour-à-tour insensés ou furieux; sous celui des variations de maîtres donnés par tous les périples jadis esclaves de Rome, des combats des factions bannissant toute sûreté, exposant à de longs et impla- cables ressentimens, de souverainetés trop partagées pour avoir rien d'élevé ; sous celui de superstitions sans nombre, devenues les seules institutrices des peuples; et de plus, au faîte de toutes ces causes de dégrada- tion, sous celui d'une cour forcée de vi- vre de précautions, et de se recruter d'in- trigues. A Rome, la prélatine et la pourpre sont tout; elles ont comme effacé Tépis- copat. La partie mondaine de cette cour a ainsi surmonté la partie religieuse ; la préia- ture est la route des grands honneurs et du pouvoir, avec quelques degrés supérieurs des ordres monastiques dont Rome est comme la métropole. La cour de Rome a affaibli sys

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témaîiquement l'épiscopat pour le dominer plus facilement; elle a multiplié les sièges , parce qu'un grand nombre de faibles n'équi- valent point à quelques forts; elle a traité les évêques comme les rois traitèrent les grands vassaux. La prélature faisant partie du gou- vernement de Rome, est, à l'égard des évèques, comme les anciens premiers commis, jadis si puissans et si impérieux à Versailles, étaient à l'égard des militaires de terre et de mer, ou des financiers de province.

Une grande souveraineté, telle que celle dont Napoléon avait donné l'ébauche à l'Italie, est seule capable de remédier au mal invétéré dont on a tracé le tableau. Affaibli, oblitéré par les gouvernemens, le caractère italien ne peut se redresser qu'à l'aide de la même cause qui l'a affaibli, par les gouvernemens : mais pour cela il faut que ceux-ci aient de la gran- deur. Avec de petites souverainetés, les en- fans de Romulus ne seront jamais rien de plus que les italiens de Rome ; comment se flatter de récréer de grands peuples avec dix souverainetés surmontées d'une cour cauteleuse et monastique ? L'arbre ne peut pas porter des fruits étrangers à la sève

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que la greffe fait circuler dans ses diveis canaux.

Je ne me pardonnerais pas à moi-même de faire entrer dans un tableau de la cour de Rome, aucune de ces odieuses imputations que l'ignorance, la haine, ou bien l'irréflexion se sont complues à lui prodiguer (i). Il n'est point de cour qui ait été plus noircie , et c'est avec douleur comme avec scandale que Ton a vu des chrétiens parler de la cour de Rome, comme souvent ils n'auraient pas fait de celle de Constantinople. Le sentiment des conve- nances n'est pas celui qui domine dans la majeure partie des gens qui se mêlent d'écrire.

(ï) On verra plus bas la lettre de M. l'abbé Salomon, évêque in partibus d'Otliosia, envoyé à Rome en 1814, en qualité d'auditeur de R.ote ,. quoique la place ne fût point vacante. Par on sera à portée de juger les suc- cès que l'on est fondé d'attendre d'hommes qui se pré- sentent à des cours, sous des auspices aussi favorables que ceux que ne peuvent manquer de produire des expressions telles que celles dont ce négociateur se ser- vit à l'égard de la cour de Rome , lorsqu'elle a eu connaissance des gracieuses couleurs sous lesquelles M. l'aspirant à la rote la dépeignait.

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La cour de Rome a ses vices parce qu'elle est composée d'hommes, parce qu'étant une Cour elle doit avoir les vices des Cours : se trouve celle qui en est exempte ? Mais il faut observer à l'honneur de celle de Rome, que si les vices des autres cours sont pour ainsi dire de leur création et de leur choix, les siens sont de son institution même , et de sa position contrainte au centre d'un monde dans lequel elle est à la fois la première et la dernière, la plus faible et la plus forte, la plus mobile dans les chefs et la plus fixe dans les choses, la plus accessible à l'ambition, comme la plus attrayante dans le but de cette ambi- tion qui cependant s'y trouve la plus circons- crite dans les moyens d'en obtenir le but. Voyez et prononcez : mettez à sa place les cours et les courtisans de tous les pays, et dites si vous trouverez ailleurs beaucoup d'hommes pluséminens en savoir et en vertus, plus de souverains qui, avec des mains désar- mées, aient su mieux garder leurs frontières; qui , avec des moyens aussi bornés et des règnes aussi fugitifs , aient fait d'aussi grandes. choses,et élevé des monumens plus imposons ? Dites si nulle part la politique fut plus fidèle

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à ses maximes? enfin, si pendant que les grands règnes du dernier siècle illustraient les trônes de Russie, de Prusse et d'Autriche, Home ne défendait pas seule le midi de l'Eu- rope de l'éclipsé de la royauté, en soutenant son éclat par la manière dont régnaient les Benoit XIV, les Clément XIV, les Pie VI? Avec des princes tels que ceux-là, Rome peut se présenter avec assurance aux yeux de l'Eu- rope, et braver les comparaisons.

Dans le cours de la révolution , il en a été de la cour de Rome comme de toutes les autres cours. On s'y divisa sur la manière de la considérer , de s'en défendre et de la combattre. Comme dans tous les cabinets, deux partis se formèrent; l'un pour le ri- gorisme et un éloignement absolu de tout ce qui se rapportait à cette révolution maudite, fille d'une mère détestée, la philosophie: l'autre pour une modération et une condes- cendance commandées par les circonstances, en sachant obéir au temps. Ainsi, pendant que dans les cours que Ton pourrait appeller militaires, il n'était question auprès d'un parti , que d'extirper par le fer et par le feu, à Rome un semblable parti ne parlait que

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d'anathèmes : d'autres plus modères , c'est-à dire plus éclairés, car qui dit modération dit lumières , jugeant que les anathèmes n'opèrent que sur ceux qui commencent par s'y soumettre, et glissent sur les boucliers de l'incrédulité ou de la désobéissance . vou- laient en retenant ces armes incertaines dans les arsenaux de Rome , leur substituer des mesures plus indulgentes et plus voisines de la conciliation , en n'exposant pas des en- fans égarés à déchirer le sein de leur mère. On implorait le secours de ce temps dont tant de fois on avait éprouvé l'heureux appui. Fie VI marcha sur cette ligne. Sûrement, de son temps , il ne manquait point de vapeurs propres à grossir les foudres que ses mains auraient pu lancer. Il les retint prudemment et lit bien. Car qui auraient-elles frappé? qui auraient-elles contenu? et si,jw malheur, elles fussent tombées au milieu d'un peuple contempteur, encore plus qu'effrayé, comme cela ne pouvait manquer d'armer, c'était les perdre à jamais dans l'esprit des hommes. Les adversaires de la cour de Rome ne de- mandaient pas mieux que de la voir hasarder sa dernière ressource , par cette démarche ré-

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trograde dans l'esprit du temps. C'eût été un singulier combat que celui des foudres de Rome, et des décrets philosophiques d'une assemblée aguerrie contre les antiques frayeurs qui subjuguaient ses pères. Tel le navigateur parcourant l'Océan d'un vol hardi , ne craint point d'assaillir par les détonations redou- blées des foudres dont l'art a garni les flancs de son vaisseau , la nue qui le menace, et la faitfuir devant lui après lui avoir fait lâcher les feux qu'elle recélait clans son sein entr'ou- vert. Pie VI sentit le danger , et l'évita avec une sagacité de prudence qui n'est pas une des choses qui honorent le moins à la fois son caractère et son esprit. Lorsque , d'embûche en embûche, il fut tombé à la discrétion de ses ennemis, son discernement et sa dou- ceur ne se démentirent point : il sût conte- nir également son ressentiment propre et des conseillers imprudens. Les blessures faites à son cœur n'égarèrent point sa raison qui lui montrait distinctement que, pour con- server aux armes de Rome quelque considé- ration , il fallait les laisser reposer, et en re- mettre l'usage à des temps meilleurs. Rien n'était plus judicieux que cette manière de

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voir. Elle contrariait beaucoup celle du parti immodéré , auquel était réservé un funeste triomphe, lorsqu'il réussit à engager Pie VI dans la ligue italienne qui se forma contre la France en 1796. Depuis long-temps et dans tout le cours de la guerre, les agens anglais n'avaient point cessé de parcourir l'Italie pour l'ameuter contre la France. En 1793 , ils avaient interdit la neutralité aux petits Etats de cette contrée : on n'a point oublié de quelle nature étaient les ordres qu'à cette époque ils intimaient au nom de leur cour à Gènes et à Florence. Lorsqu'en 1796 l'année française envahit l'Italie supé- rieure et menaça le reste decette contrée, l'oc- casion parut trop belle pour être négligée ; à la voix de l'Angleterre, au nom des dangers de la commune patrie, on poussa sur le champ de bataille des guerriers bien peu faits pour y paraître, comme bien étonnés de s'y voir. I ne cohue de petits princes, de pauvres soldats, de chefs plus pauvres encore, osè- rent descendre dans oette arène inégale, et braver l'épée puissante qui venait de trancher les nœuds qui unissaient Vienne et Turin ^ cette épée devant laquelle fuyaient épouvan-

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tés, ou tombaient captifs avec leurs légions, les chefs que l'Autriche dirigea successive- ment contre Napoléon. Envisager ces faibles adversaires et les renverser fut une seule et même chose : jours de grandeur et de gloire, jours d'audace et de génie, de perspicacité et de politique, destinés à consoler la riante Ausonie de sa longue servitude , et à lui pré- parer un rang parmi les nations ! espoir trompeur, aurore d'un bonheur trop tôt éva- noui, auquel de mauvais calculs devaient faire succéder un retour pénible à un nou- vel assujétissement rendu plus cruel par la jouissance de quelques instans de liberté! Pie VI expia par le traité de Tolentino sa condescendance à des conseils qui n'étaient point à la hauteur de son génie. Ses conseil- lers lui coûtèrent la perte des trois légations, les trésors gardés depuis Sixte Quint, avec une partie des ornemens du Capitole,et n'en demandèrent pas moins le salaire de leurs bons offices, appelant comme à l'ordinaire leur déraison des principes , et leur malen- contreuse maladresse de la fidélité.

se marquèrent deux choses aux yeux de tout observateur. La première que la cour

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de Rome rloit vivre dans la séparation amo- llie de toute autre puissance. Avec une exis- tence à part de toutes, elle ne doit entrer dans l'action d'aucune, et se borner à La sienne propre. Trop faible pour rien empê- cher, aucun veto politique ne pouvant lui ap- partenir en propre, incapable de fortifier au- cun parti , que Lui reste-t-il à faire, sinon de s'occuper de sa préservation seule , loin de tonte connexion avec autrui, et de toute col- lision entre les autres : car en cas de dépouilles à partager, que peut-elle attendre? en cas de dépouillement à subir , que peut-elle éviter ? C'est ce qu'elle éprouva et dut bien recon- naître à cette époque désastreuse. Ceux qui l'avaient mise dans l'embarras ne l'en tirèrent point, ne lui rendirent ni Ses provinces ni s m argent, ni ses monumens. Trois semaines d une guerre ridicule lui coûtèrent ce que sa sagesse avait conservé pendant plusieurs siècles.

La seconde réflexion qui se présenta alors fut suggérée par le résultat du mélange du spirituel avec le temporel. Rome s'était année, la guerre avait été faite, on était battu, on fuyait de toute part, les murs sacrés allaient

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être envahis, il fallait arrêter le vainqueur; on mit à ses pieds trois provinces pour rançon. Tel est la force de la guerre , c'est au vaincu à payer les frais; il semble que l'on ne vient pas sur les champs de bataille pour invoquer la religion. Eh bien! dès que cela fut fait, les cris s'élevèrent contre le dépouillement de la religion ; on répétait des allégations vulgaires contre l'inaliénabilité des biens con- sacrés, contre le sacrilège commis en touchant à ces terres sacrées. Cette méthode a constam- ment été suivie, en cas d'attaques ouvertes ou cachées. Quel égarement ! quel étrange langage ! Et que prétendait - on faire en s'adressant avec cette confusion intéressée d'idées, à des hommes qui ne pouvaient y voir que les cris de la faiblesse malveillante, et par conséquent un sujet de risée! A l'époque du concordat de 1801 , le parti exagéré s'op- posa fortement ; il eût laissé la religion périr en France, comme voulaient le faire les évêques français , qui , bien à couvert par le pas-de-Ca- lais,deLondresanathématisaient Paris, bornant tous leurs secours pour la religion, à ce chari- table appui : car les exagérés de tous les pays ne font qu'un, Ce parti ne compte qu'une tète,

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qu'un cœur et qu'une voix. M. le cardinal Brancadoro m'exposait à Paris, que si le con- cordat de 1801 eût été négocié à Rome, il n'eût pas été adopté : en ce cas , il faut bénir le choix du lieu de la négociation ; car Rome perdait à la fois un beau titre de gloire et un beau fleuron de sa couronne.

On dut ce choix, du côté de Rome, aux lumières supérieures de M. le cardinal Con- salvi , de ce prélat qui était réservé pour rendre encore à Rome et à la chrétienté , d éminens services. Ce même parti s'opposa tant qu'il put au voyage du pape en France. Il reprit alors de l'influence par les mobiles qui seront exposés plus tard. C'est lui qui , au retour de France, fit adopter au pape cette ligue d'opposition directe qui le perdit, et d'après laquelle , sans la guerre de Russie, les funérailles de la cour de Rome étaient sonnées à jamais. C'est ce même parti, car on retrouve partout sa fatale influence, qui, au retour de sa captivité, arracha au pape la mesure menaçante pour le monde entier du rappel avorté des Jésuites; mesure qui annonçait à l'Europe la reprise d'un système éloigné de l'esprit pacifique qui appartient

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au pape, d'un système perturbateur, incom- patibleavec l'esprit du temps, et par-là même menaçant pour la tranquillité des États et la paix des esprits; car le repos des uns est in- séparable de celui des autres. Heureusement la sentinelle n'était point endormie; le car- dinal Consalvi veillait , et à sa voix les nou- veaux assaillans du Capitole ont été dispersés. La paix est revenue sur les pas de sa com- pagne ordinaire, la raison. Puissent-elles y rester long-temps au timon des affaires !

Dans tout ce qui va suivre, relativement à la cour de Rome, il faut ne pas perdre de, vue les distinctions qui viennent d'être éta- blies, pour savoir à quoi Faction se rapporte , et rendre à chacun suivant ses œuvres.

Je passe maintenant au chef même de cette Cour.

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CHAPITRE XXVIII.

Pie VII.

L'astre qui avait éclairé la cour de Rome dans le long cours d'un règne qui égalait en durée celui même du prince des apôtres, ve- nait de s'éteindre. Pie VI n'était plus; une terre étrangère gardait sa cendre dont l'ab- sence redoublait le deuil de Rome. Quelque- fois un doux crépuscule succède à ces jours dans lesquels le soleil a prodigué tous ses feux : ainsi, la constante séréuité des douces vertus de Pie VII vint remplacer les brillantes qualités de Pie VI : par lui, la religion et Rome virent à la fois leurs bonneurs varier et s'accroître. La nature avait répandu sur la personne du premier tout ce qui peut mettre le mieux en barmonie la dignité de l'homme avec la majesté du trône, le caractère divin du pontife avec l'extérieur imposant du sou- verain. La personne du second est empreinte du charme dune douceur ingénieuse et attrayante. Pie VII portait avec lui quelque

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chose de la grandeur des anciens maître* du Capitole ; on sentait en le voyant que sa place eût été marquée au milieu des triom- phateurs comme à la tète du sacré col- lège.

Pie VII, moins imposant, montre le repré - sentant de celui qui a dit à tous les hommes d'apprendre de lui qu'il est doux et humble de cœur. Pie VI avait plus l'air d'un souverain, Pie VII a plus l'air du père des chrétiens, et si la figure pouvait se substituer comme la dignité, on voudrait que celle de Pie VII devînt l'effigie constante de la papauté. La stature de Pie VII est moins haute que celle de son prédécesseur. Mais, qui a empreint ses regards de cette expression céleste qui n'appartient qu'à lui? Par fois un doux sou- rire épanouit son visage; un charme inexpri- mable s'y répand alors, et s'épanche sur tout ce qui l'entoure. J'ai souvent eu l'honneur de l'approcher. Je n'ai jamais rencontré sur un autre front ce qui se passe sur le sien, lors- qu'il se livre à des récits qui semblent lui plaire , qu'il aiguise du sourire le plus lin, et qu'il anime de regards qui en disent plus que toutes les paroles dont ils pourraient être

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accompagnés (i). Ses yeux doucement levés vers le ciel semblent s'animer de ses feux, et se teindre de ses rayons, et dans cette déli- cieuse position, il pourrait fournir au peintre un modèle pour l'extase.

Je craindrais d'être accusé de plaisanter, si je m'amusais à louer un pape sur sa piété. 3e ne parlerai donc de celle de Pie VII que pour faire remarquer que la sienne, quel- que grande qu'elle soit, n'a rien d'affecté, de dur, d'exclusif, et qu'il enseigne par elle ce que la piété personnelle doit être pour chacun sans en incommoder les au- tres.

(i) Le pape narre à merveille, il se délecte à racon- ter quelques anecdotes sur des personnages ou sur des faits de Rome, d'Imola. . Savone il se plaisait à parler du général Hullin qui avait commandé à Iraola, ainsi qu'à peindre les frayeurs que faisaient éprouver alterna- tivement aux liabitans d'Imola les troupes françaises et autrichiennes. Surtout il rappelait avec plaisir les offres que le capitaine d'une frégate turque lui avait faites de le convoyer de Venise à Ancône , lorsqu' après son élection il se rendit par mer dans ses Etats. ... Si la personne du pape est infiniment vénérable, sa société doit être très- gracieuse.

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Pie VII, nourri dans les cloîtres, a conservé la simplicité et la modération des goûts qui convient à un état d'abnégation du monde et de retraite. Professeur de théologie dans un couvent de bénédictins dont il est membre, et cet ordre a généralement fait porter ses travaux sur des recherches savantes, plus que sur la théologie proprement dite, sa science scholastique a prendre la teinture de ren- seignement qu'il avait reçu, et qu'il a donné. Sur le siège d'Imola, il préluda aux vertus douces et bienfaisantes qu'il a développées sur le trône pontifical. C'est une de ces ames dont le changement de condition n'altère point la sérénité, et que les grandeurs envi- ronnent, sans les troubler. Lorsque la guerre eut donné son diocèse à la nouvelle répu- blique italienne, et que le pape Pie VI eut cédé cette portion de ses Etats par le traité de Tolentino, Pie VII ne s'amusa pas à discuter, ni à incidenter sur la nature de cette tran- saction, mais occupé uniquement de la sû- reté et de la régularité de son troupeau, laissant le monde à qui de droit, il adressa à ses brebis une instruction dont une double malveillance, comme une épée à deux tran-

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elians, a cherché à tirer parti contre lui (r), tandis que l'on n'y rencontre que des maximes parfaitement conformes aux règles de la reli- gion et de la raison. Dans cet écrit, Pie VII ne s'occupant point d'un changement politique dont il n'est point l'auteur, et qui n'est pas de sa compétence, se borne à rappeler son troupeau à l'observation des règles et des verdis qui, dans le nouvel ordre, sont propres à assurer son bonheur; et, chose remarquable, 1 mandement de l'évèque d'Imola est parfai- tement d'accord avec l'esprit des lois, et comme Montesquieu , il assigne la vertu pour principe à la république naissante. Pie VII, donna les soins les plus généreux à la con-

(i) Cette instruction est intitulée Homélie du citoyen cardinal Chiaramonti , éveque d 'lmola , adressée au peu- ple de son diocèse, dans la république cisalpine , le jour de Noël 1797.

J'invite à lire cette pièce: elle est infiniment honorable pour Pie VII. On a cherché à jeter du ridicule sur le titre de Citoyen; on doit se rappeller l'époque de la publica- tion de cette lettre. Les autres titres étaient interdits. Le concordat de 1801 laisse aux évêques de France l'option enfre les titres de Monsieur ou celui de Citoyen: cela n'est fait pour arrêter personne.

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servation des mil S 'aires français que les chances de la guerre laissaient dans Imcla, exposés à beaucoup de dangers. Cette humaine conduite, malheureusement trop nouvelle dans ces con- trées, fut le principe du premier rapproche- ment entre lui et Napoléon. Celui-ci fonda de l'espoir snr un cœur qui se montrait généreux. Par là, il fut disposé à lui faciliter la rentrée dans ses Etats, après son élection qui venait d'avoir lieu à Venise. Très-peu de temps après, les négoeiationspour leconcordatfureni enta- mées. Tant qu'il régna de l'accord entre Pie VII et Napoléon, il ne manqua point d'hommes, qui en haine du second accusaient le premier de connivence avec lui, heureux lorsqu'ils con- sentaient à s'arrêter aux qualifications d'aveu^ glement ou de faiblesse; mais en revanche, dès qu'ils furent ennemis, les acclamations n'eurent plus de bornes : alors tout fut porté aux nues, un héros seul resta, le pape dis- parut, on en fit un mur d'airain, chacun s'empara de Pie VII comme de sa propre machine de guerre contre Napoléon. Voilà bien le langage des passions; avec elles nulle composition, tout extrême : à les entendre le pape ne céderait jamais, ni sur rien ^

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plutôt tout braver, tout souffrir, laisser tout périr 3 même un peu de martyre, à condition de ne faire qu'y assister, paraissait à ces nar- rateurs un trait fait exprès poi:r compléter leurs tableaux. Ainsi, l'on a entendu appeler à des déchiremens intérieurs , prononcer le nom affreux de guerre civile, par des hommes qui avaient pris leurs sûretés contre leurs atteintes. Eh bien! rien de tout cela n'existait que dans l'imagination des peintres de ce tableau. Ils ne s'apercevaient point qu'ils prêtaient au pape un caractère passionné et irréfléchi qui est précisément l'opposé du sien: ils ne s'apercevaient point qu'ils lui prêtaient un héroïsme faux dont il n'a nul besoin, et qui est fait pour dénaturer le caractère de rectitude du jugement de Pie VII. Le pape n'a été ni dur ni complaisant; ce qu'il a re- connu être faisable dans la ligne de ses de- voirs sacrés, dans celle que les circonstances traçaient devant lui, et qui menaient au bien, il Ta fait. Il a combattu, quand il fallait com- battre , il a cédé lorsque le combat lui a paru manquer de signification, et l'avoir perdue. \insi procède la raison. Pie Y1I fût mort mille fois avant d'accepter rien qui fût inae-

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ceptable; Pie VII a eu le bon sens d'accepter ce qui pesé dans la balance des avantages et des inconvéniens , a paru renfermer plus des uns que des autres. Quelle bizarre loi font - des hommes à des chefs d'administration , en leur prescrivant de commencer par fermer les yeux et les oreilles, et de se constituer en état de surdité et d'aveuglement permanens ! en serait-on, grands dieux, si de pareilles maximes pouvaient prévaloir ! En analysant les actes de Pie VII, on trouve que depuis 1 80 1 jusqu'en 1817, il ne s'est refusé à rien, du moment qu'on lui a montré un bien à faire, ou du mai a éviter. La religion a besoin de lui pour se rétablir en France. Il se fait un devoir sacré de contribuer à ce précieux ré- sultat d'un acte qui restera à jamais le trait distinctif, et le plus honorable entre tous les antres actes de son pontificat. Napoléon l'in- vite à se rendre en France pour le couronner. encore, Pie VII cédant aux grandes consi- dérations que les circonstances exposaient sous ses yeux, après de longues délibérations, comme avec l'assurance de grands avantages, se résout à faire ce qui lui est demandé par un pouvoir sur la force de laquelle il ne s'a-

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basait pas. Ce pouvoir disposait d'objets bien précieux pour la religion, et il était du devoir du pape de chercher à le lui concilier. En 1 8o3, lie VII conclut avec la république d'Italie un concordat semblable presqu'en tout à celui de 1801.

En i8o5, il ordonna à l'archevêque de Turin de remettre la démission dcj son siège, qu'aucune considération n'avait pu réussir à faire céder par ce prélat.

En 18 ri , à Savone, Pie VII accepta les propositions de la première députation qui lui fut envoyée, ainsi que le décret du con- cile qui lui fut présenté par la seconde. Alors même il n'opposa aucune résistance pour se dispenser d'adresser à Napoléon une lettre propre à effacer les traces de leurs divisions : initiative honorable et digne du premier mi- nistre d'un culte de réconciliation.

En i8i3 , à Fontainebleau, il signa le con- cordat qui changeait entièrement l'état tem- porel des papes, qui les séparait à jamais de Rome, et qui faisait participer les métropo- litains au pouvoir de l'institution canonique des évéques. Ce n'est point Pie VII qui a annulé ce traité , mais l'épée de la coalition ; ce n'est pas Pie VII qui est revenu de lui-

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même à Rome, mais le mouvement général de l'Europe qui , en rentrantdans son ancienne assiette , la rétabli dans la sienne.

En 1817, après une longue résistance f Pie VII a signé avec le Roi de France un concordat qui abolit celui qu'il avait signé avec Napoléon, et toujours au même nom , celui du bien de la religion dont il est le curateur ici-bas. Ce n'est pas lui qui change, ce sont les circonstances qui demandent de nouvelles choses; il ne recule pas, comme le disent quelques-uns ; au contraire , il avance avec son temps. Qu'auraient dit dans rette nouvelle circonstance , les auteurs phantas- tiques de son caractère de fer, s'il avait eu cette roideur inflexible et intraitable qui faisait dans d'autres temps l'objet de leur admiration? Dans tout ce qui s'est passé à ces diverses époques, je vois un homme pénétré de ses devoirs, cherchant le bien dans la simplicité de son cœur et hors des regards des hommes, éclairé de lumières véritables, s'accommodant au temps qu'il n'a pas fait, et subordonnant ses intérêts, ses goûts personnels à la conser- vation de la chose dont le dépôt lui est confié. Dites si ce n'est pas ce qui caractérise la véritable fermeté de la volonté, celle par la~

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quelle on ne veut que ce que Ton doit vouloir, celle qui se formesous l'influence des lumières. Ne cherchez point de lumières chez les aveu- gles, ils n'en ont point par-là même qu'ils, n'ont pas d'yeux.

Une modération raisonnable et éclairée forme donc le fonds du caractère de Pie VIL Cette précieuse disposition semble avoir été placée dans le cœur et dans l'esprit de Pie VII, pour ménager à la religion la douce et salu- taire influence des tcmpéramens dont depuis tant d'années sa position fait son premier besoin. Si cette vertu était bannie du reste de J t terre, elle devrait se retrouver dans le cœur d'un Pape, comme la vérité dans le cœur d'un roi.

Tel nous parait être Pie VIL Si notre voix ne peut que se réunir à celles qui célèbrent ses vertus , notre pinceau ne peut que se refuser à se teindre des couleurs avec les- quelles on a , comme à l'envi , défiguré son portrait. Celles que j'ai employées n'ont point été altérées par le ressentiment du mal qu'il m'a fait éprouver personnellement, quoique sans intention de sa part , ni motif de la mienne.

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CHAPITRE XXIX.

Voyage du pape en France.

Napoléon sortait facilement des routes battues, et pour le rencontrer, il ne fallait pas le chercher dans le chemin des autres. Tout s'élargissait dan* cette tète, tout y pre- nait une teinte nouvelle et souvent orientale. Porté sur le trône par un des coups les plus étranges que le sort se fut permis et que la fortune eût admis dans ses jeux, il imagina de faire sceller son nouveau caractère d une empreinte inusitée parmi ceux dont il occu- pait la place , et de remonter encore plus haut dans Tordre adopté pour consacrer les souverains. Régnant à un titre différent de celui des rois de France, il voulut être frappé à un autre coin. Il fallait couvrir ses nou- veautés personnelles sous la plus haute sanction connue sur la terre, pour élever dans les mêmes proportions le respect des peuples. Au lieu du chemin de Rheims , il prit donc celui de Rome. Napoléon attachait

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beaucoup d'importance au sacre fait par le Pape. Il s'était rempli de l'idée que cette cé- rémonie l'avait beaucoup relevé aux yeux des français. Très-souvent je l'ai entendu mettre son sacre au nombre des causes qui le fai- saient considérer par la nation. J'ai toujours pensé que c'était une illusion, un véritable enfantillage, indignes de son génie; que par le pape avait baissé, et que lui-même n'a- vait pas haussé. Nous ne sommes plus dans le temps de ces espèces de prestiges : les peuples veulent du solide : une bonne loi fait plus de plaisir à ceux-ci, et plus de bien réel aux princes que tous les sacres du monde. La plus grande partie des rois de l'Europe, parmi les plus catholiques, n'est point assu- jétie à la cérémonie du sacre. Après ce qui est arrivé des derniers sacres de Rheims et de Paris, faits par des mains de cardinal ou de pape . il semble que l'on peut se calmer sur cette idée. Il est des choses qu'il ne faut pas rompre lorsqu'elles sont entières , mais qu'il ne faut pas relever lorsqu'elles sont tombées. Dans les diverses parties de la France, que des voyages mes fonctions m'ont mis à portée d'observer, je n'ai point

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rencontré de traces favorables à Napoléon , laissées par cet acte, au lieu que j'ai pu fa- cilement en distinguer d'autres très-peu fa- vorables au pape. Napoléon ne m'a jamais paru avoir été sacré que par son épée. Je le lui dis un jour qu'il était revenu sur ce sujet, il ne m'en a plus reparlé.

C'était sans doute une singulière proposition à faire à Rome, et bien propre à frapper cette cour méthodique , qui a de son côté à ré- pondre à beaucoup de princes, que celle de demander à son chef de descendre du Capitole pour aller à Paris consacrer le nouveau sou- verain de la France. Il fallait une étrange révolution pour avoir amené un pareil ordre de choses. Il ne faut plus désespérer de rien , disait-on vulgairement à Paris, si l'on voit le pape sacrer Napoléon. Quel pas immense fait depuis la mort de Pie VI , à Valence, au mi- lieu des angoisses , et l'avènement de Pie VII à Paris , pour sacrer le nouveau souverain !

Lorsque des propositions de cette nature ne sont pas repoussées de toute la hauteur du sentiment on cède : dès que Ton délibère, l'intérêt s'empare du conseil. C'est ce qui eut lieu alors. Le parti ennemi de la France ?

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comme chef-lieu de la révolution , s'opposa a ce voyage, à l'abri des maximes de la dignité et de la politique romaine. Au contraire, le parti politique crut apercevoir l'occasion de rétablir et de fortifier Rome. Ce parti n'avait point oublié que par le traité de Tolentino, Rome avait perdu les trois légations. Le plus affectionné de tous les propriétaires à ses pos- sessions , est assurément la Cour de Rome. L'histoire ne permet point le moindre doute à cet égard. Car si elle a fait beaucoup pour acquérir, elle n'a pas moins fait pour con- server. Ce parti crut donc que le moment de tout récupérer était arrivé, et bénit le Ciel d'avoir iuspiré à Napoléon ce pieux dessein dont le fruit véritable allait revenir à lui seul. Trois provinces pour un voyage à Paris, certes , ce n'étaient point des pas perdus.

De bien honnêtes gens se figurent, dès qu'ils voyent le pape et la Cour de Rome en mouvement, qu'il s'agit inévitablement et presqu'exclusivement de religion. Eh bien! dans cette occasion , il n'en fut nullement question. La politique seule fit la résolution; et a le bien prendre , on ne voit point ce qu'il y avait alors dans l'ordre religieux de la

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France qui fût seul capable de motiver une démarche aussi éclatante que celle du dépla- cement du pape. Aucun nuage ne s'était en- core élevé entre le pape , le clergé, et Napo- * léon ; le concordat suivait son cours, le sort du clergé était amélioré graduellement, un concordat pour la république italienne avait été conclu en i8o3 , sans aucune difficulté. Il n'existait donc aucun motif puisé dans les intérêts de la religion, pour attirer le pape en France. Si Ton admet que le pape puisse se déplacer pourde médiocres intérêts , alors sa vie sera exposée à devenir un pélérinage con- tinuel dans toutes les parties de la chré- tienté. Il est donc évident qu'il faut rap- porter cette grande résolution à un autre motif qui ne peut être que celui qui vient d'être indiqué, la politique dirigeant ses vues vers le rétablissement de Rome dans ses an- ciens domaines.

Le combat entre les deux partis dura long- temps. Ce fut pour le décider que Napoléon envoya à Rome le comte de Caffarelli, son aide de camp. Rome se sentant recherchée, s'était créé un échafaudage immense de pré- tentions , comme salaire de cette démarche

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qu elle se complaisait à regarder comme au dessus de toute récompense. 11 paraît par des allocutionsdu pape,prononcéesen consistoire, qu'alors il lui fut fait des promesses, propres à faire regarder comme certaine la remise de l'objet qu'il avait en vue, sans qu'il y eût ce- pendant rien de positif ni de signé à cet égard. Le voyage du pape à Paris fut donc adopté et exécuté.

Ici, je vais parler de ce que j'ai vu, et de ce qui m'a trop frappé pour qu'il puisse jamais sortir de ma mémoire. Napoléon s'était rendu à Fontainebleau pour y recevoir le pape. L'entrevue eut lieu au n ndez-vous assigné dans la superbe foret qui fait le charme de ce séjour, d'ailleurs fort attristé par l'aridité du sol, et le noir aspect des édifices. Après les démonstrations d'empressement et de cor- dialité usitées en pareille circonstance, le pape et Napoléon arrivèrent au palais dans la même voiture. Qui pourrait oublier ce spec- tacle après en avoir été témoin ? La joie rayonnait sur le front de Napoléon, et lors- qu'il monta les degrés avec le pape en lui donnant la main, chacun de ses regards en- core plus animés qu'à l'ordinaire semblaient t. u 14

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dire, voilàma conquête. Par une inadvertence singulière , la marche du cortège était ouverte par le corps des mameluks. L'aspect des vi- sages de ces circoncis transportait à la Mecque, et faisait croire à la présence d'un grand prêtre de Mahomet autant qu'à celle d'un pape. La figure de celui-ci pésentait l'image de l'embarras qu'éprouve tout homme trans- porté dans un pays tout est nouveau pour lui : on voyait que son pied, quoique baisé par beaucoup de monde, ne reposait pas avec une entière confiance sur ce sol. Le mélange d'une cour toute ecclésiastique, dans laquelle des hommes, qui n'étaient pas même tonsurés, ne se trouvaient pas moins revêtus du costume épi-copal, ce qui occasionnait par fois des méprises, ce mélange avec une autre cour toute militaire, resplendissante de l'éclat que le luxe peut donner aux armes , formait un contraste singulier. On pouvait se croire au Japon au moment l'empereur séculier et l'empereur ecclésiastique se rendent visite. Depuis bien des années les prêtres et les mili- taires ne s'étaientpasrencontrés, et cependant, je puis attester que pendant tout le temps que dura ce rapprochement, les attentions

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les plus recherchées, comme les égards les plus soutenus régnèrent des deux cotés. Chargé de faire les honneurs du palais à une partie de la cour du pape, j'ai pu tout voir, et ce que je dis est bien ce que j'ai vu. Après quel- ques instans de repos, le pape donna audience aux ministres et à tout les corps qui s'étaient rendus à Fontainebleau. Le ministre Fouché lui ayant demandé comment il avait trouvé la France : Béni soit le ciel! répondit le pontife avec attendrissement; je l'ai traversée au mi- lieu d'un peuple à genoux : que j'étais loin de la croire dans cet état! et il était vrai qtuj ce spectacle satisfaisant n'avait pas cessé de s'offrir aux regards étonnés du pape et de sa cour depuis son entrée en France , comme il l'accompagna à son double retour en Italie. Le pape accueillit tout le monde avec cette noble et paternelle bienveillance qui le caractérise. Il semblait voir un père au milieu d une famille dont il a été lon£- temps séparé. Il n'était cœur si dur dont son regard céleste n'eût percé la cuirasse; je n ai encore rencontré personne qui lui ait échappé , et si les yeux sont le miroir de l'ame, celle de Pie VII doit être la plus

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céleste qui ait été accordée à un simple mortel.

Le séjour de Fontainebleau se prolongea pendant le temps nécessaire pour terminer les préparatifs de la cérémonie du 2 décem- bre 180/f. Je n'en dirai qu'une seule chose, abandonnant aux mémoires du temps les détails d'une pompe et d'une magnificence qui n'eurent jamais d'égales : c'est que j'au- rais voulu que tous les ambitieux fussent à ma place. Maître des cérémonies du clergé, je ne quittai point Napoléon d'un seul pas, et je remarquai avec étonnement que, soit fatigue ou bien mauvaise disposition de sa santé, dans tout le cours de la cérémonie, il ne fit que bâiller. J'éprouvai quelque peine à ar- ranger tout cela avec ce qui se faisait, comme avec tout ce qui nous avait amené là.

Paris était évidemment la grande épreuve du voyage du pape. Un pape à Paris, après tout ce qui s'y était passé depuis quinze ans, au milieu d'un peuple d'humeur joyeuse, encore fortement impreigné de philosophie, certes cela était scabreux. Si un seul rire eût donné le signai, nous courions le risque de tomber dans le rire inextinguible des dieux

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d'Homère. L'écueil était ; heureusement le ministre Fouehé avait pourvu à tout : cet homme ne dormait pas toujours, et Paris garda son sérieux. Les mêmes soins et les mêmes préeau lions accompagnèrent tous les pas du pape depuis son entrée en France jus- qu'à sa sortie; il 'ne s'est montré mi public qu'au milieu d'hommages préparcs. Des mots heureux ont été créés exprès pour lui; ce n'est pas le seul prince pour lequel on ait eu cette attention; tous les signaux de la vénéra- tion et du respect jouèrent et correspondirent constamment entr'eux. On avait affaire à des gens qui savaient leur métier, et qui ne lais- saient pas défaire d'un côté ce qu'ils avaient fait de l'autre. On se rappelle que dans les premiers jours le pape habita le pavillon de Flore, des acclamations qui n'étaient pas dépourvues de commandement se faisaient entendre sous les fenêtres de ses appartenons au coup de deux heures, et semblaient exiger de lui qu'il se montrât. Elles ne tardèrent pas d'être réprimées, et ce ne fut plus qu'au milieu des acclamations empressées et respec- tueuses que le pape parut, soit dans la ville, soit dans les temples sa présence attirait

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toujours un peuple avide de le voir, et de lui renouveler les expressions de sa vénération. Ces sentimens se rapportaient autant à sa personne qu'à sa dignité , et par même ils étaient plus propres à se faire ressentir par lui , car ils ne s'étendirent à aucune partie de sa cour. Les chefs, les cardinaux ne parurent que très-peu ; ils avaient l'air d'être venus à Paris pour se mettre en retraite. Les ecclésias- d'un ordre inférieur, fortement entachés de l'incurie italienne pour tout ce qui concerne la j^ropreté, ainsi qu'affublés de costumes antiques et maussades, fort négligés dans leurs manières, n'en imposaient point. Lorsque le clergé romain et le clergé français se trou- vèrent en présence dans l'église Notre-Dame, le premier fut éclipsé dans le moment même; et soit bizarrerie et mauvais goût des orne- mens, soit absence complète de dignité dans la manière de faire les cérémonies, il tomba 1out de suite dans l'opinion. Quelques-uns des usages accrédités à Rome ne firent pas non plus cette impression que l'on doit at- tendre de tout ce qui tient au chef auguste du culte catholique, et que l'on doit désirer trouver toujours auprès de ce qui émane de

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lui. J'ai vu à Milan et à Paris le clergé romain et italien, et dans les deux endroits, ce clergé ne m'a point paru égaler le clergé français.

La vie d'un pape se passe dans une retraite absolue, et dans la ségrégation complète avec le monde. Du moment qu'on est pape, le voile tombe et l'on reste au fond du sanctuaire. Il en fut de la vie du pape à Paris, comme il en était à Rome. On avait fait tout ce que les localités permettaient pour lui rappeler son séjour de Rome. Il ne mangea que deux ou trois fois avec Napoléon et sa famille, et assista une seule fois à un concert de quelques instans. Je note ces détails, non comme ins- truction positive pour mes lecteurs, cela n'en vaut pas la peine, mais comme préservatif contre l'instruction fausse qui pourrait leur venir d'ailleurs. Le devoir de l'histoire nest pas seulement de dire ce qui est vrai, mais encore de prémunir contre ce qui est faux Je reviens au but, les affaires.

Le voyage du pape avait été déterminé dans un but purement politique, la restitution des trois légations. Rome avait mis idéalement sa condescendance à ce prix. Il lui échappa; Le pape ne put l'obtenir; il ne fut question

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de solliciter des avantages en faveur de la re- ligion, que dans le courant du mois de février. Plusieurs prélats qui se trouvaient à Paris, MM. les archevêques de Tours , d'Aix, les les évêques de Troyes, d'Autun , de Nantes et quelques autres prélats attentifs aux inté- rêts de la religion , et justement étonnés du silence prolongé du pape à cet égard , s'a- dressèrent à lui, et par l'organe de M. La- Tour-du-Pin, alors évêque de Troyes , le pres- sèrent de leur prêter de l'appui auprès de Napoléon ; cette intervention porta sur quel- ques objets de si peu d'importance , qu'ils n'ont laissé aucune trace, et qu'on ne pour- rait dire aujourd'hui quels ils étaient ; c'est à quoi se borna toute l'action du pape re*- lativement à la religion, pendant son séjour en France. Je défie qui que ce soit d'en assi- gner une autre.

Ce n'est point une chose facile que de pé- nétrer les détours de la Cour de Rome. Il y a 6ecret ou plutôt mystère dans le conseil , ministère patent et connu, et à côté de lui des influences secrètes qui, dans le fait, sont les maîtresses véritables de tout. C'est la suite naturelle du gouvernement absolu d'un seul.

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Tel était l'état de la Cour que le pape avait amenée à sa suite. La partie éminente de cette Cour était en grande partie logée chez M. le cardinal Caprara, et vivait chez lui. Ce prélat que la noblesse de son caractère , la modération de son esprit, l'urbanité de ses manières , une vie passée dans les Cours auprès desquelles il avait rempli diverses missions, rendait éminemment propre aux affaires, et surtout à celles de son temps, ré- sidait à Paris depuis plusieurs années. Il s'était acquis la bienveillance du maître et la faveur des hommes influens, ainsi que la considération du public. Chez lui un grand nom et une fortune très-ample prêtaient de l'éclat à sa manière de vivre , chose assez rare chez les envoyés de Rome qui, en gé- néral, sont peu pourvus des dons de la fortune; eh bien! ce prélat d'une piété éminente, d'un accueil constamment gracieux et facile, qui, depuis quatre ans gérait avec succès les affaires de Rome , ne fut point , pendant tout le séjour du pape, admis à la participation de ce qui se traitait. Elles furent exclusivement dirigées parles conseillers amenés de Rome. Tout passait devant les yeux de M. le cardinal

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Caprara , sans se découvrir à lui. Tout se fai- sait chez lui, et il n'était admis à rien voir, ni à rien faire. La direction principale était confiée au cardinal Di Pietro. Comme on va retrouver ce directeur dans toutes les crises qui suivront , dans toutes les aberrations compagnes et mères des violences dont on tracera le tableau, il est bon de le peindre. M. le cardinal Di Pietro ne peut manquer d'être compté parmi les personnages pieux et érudils ; mais un attachement exclusif aux règles de la chancellerie romaine, à des for- mules surannées, aux prétentions ultramon- taines, en font un agent dangereux en affaires qui exigent plus de liant et de ménagement qu'il n'en entre dans les habitudes de ce prélat. Lorsque les affaires portent déjà beau- coup d'épines avec elles , les négociateurs doivent mettre leurs soins à les arracher dou- cement , et bien se garder d'en apporter de leur crû.

Les rapprochera ens entre le haut clergé français et le clergé romain furent rares , froids, compassés. Les visages de celui-ci manquaient d'invitation et de ce qui constitue la grâce et la confiance de l'accueil. On sentait de*

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hommes qui se regardaient comme trans- plantés , soupirant toute la journée après l'Italie, et agissant à contre-cœur. Aussi tout entiers aux affaires d'au-delà les monts, ils ne donnèrent aucune attention aux nécessités de l'église de France , et partirent sans lais- ser des traces de considération ou d'utilité , pas plus que de regrets. M. le cardinal Borgia que l'on disait doué d'un rare mérite, mourut à Lyon dans un âge avancé. Napoléon lui fit rendre de fort grands honneurs. Il peut très- bien se faire que ses collègues survîvans ne lui cédassent en rien; on ne" peut juger que de ce qui paraît; mais en accordant à ces personnages éminens tous les titres imagi- nables au respect, ils s'étaient tenus telle- ment éloignés des regards, que l'on aurait pu inscrire au bas des images de chacun, Deo ignolo.

Il est rare que la prolongation du séjour d'une cour auprès d'une autre cour, ajoute à leur affection mutuelle. Philippe de domines en fait la judicieuse observation, à-propos des entrevues de quelques princes de son temps, dont il avait été témoin. Les premiers momens passés, les comparaisons, les jalousies, les

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animosités s'établissent; on se sépare moins bons amis qu'on avait eu l'intention de l'être, et qu'on ne l'était avant la confrontation. Les entrevues des princes sont comme les longs voyages dans la même voiture ; c'est que les inconvéniens de chacun se font sentir dans toute leur étendue. Il en fut ainsi du voyage du pape. 11 durait depuis cinq mois: on s'ennuyait à Paris, on se voyait loin de Rome, on craignait que les chemins ne res- tassent fermés autrement que par les Alpes et leurs neiges , on sollicitait , on faisait valoir la complaisance , on en réclamait le prix. Il était cher, ce prix, et Napoléon le trouvait tel. Si les engagemens positifs avaient bien de la peine à le lier , à plus forte raison les promesses facultatives ne lui paraissaient-elles point un joug auquel il ne pût se soustraire. Fécond et subtil tout-à-la-fois, mettant la fé- condité de son esprit au service de la subti- lité de ce même esprit qui lui présentait à chaque instant les objets sous des faces dif- férentes, ce qui, par l'extrême mobilité de ses résolutions, lui a donné souvent l'air de la préméditation dans la perfidie , il finit par ne pas manquer de prétextes ou de raisons

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pour éluder les demandes du pape , et pour garder ses provinces. Il garda donc les trois légations et se borna à distribuer dans cette Cour les présens d'usage. Avec Napoléon , ce qui n'était pas fait d'emblée, ou consigné au Moniteur , courait de grands risques d'é- chouer. Un jour quelconque se présentait à son esprit , il le suivait, il se complaisait dans ses nouveaux rapports ; ils le captivaient, en oubliant ceux qui l'avaient frappé aupara- vant, ou bien en préférant les derniers aux premiers, car , tant qu'il n'avait pas signé, et même quelquefois après l'avoir fait, il ne se regardait pas comme tout-à-fait engagé. Par le premier mouvement, il commençait par ouvrir largement la main; par le second, il la resserrait en comptant. Cent fois je l'ai vu débuter par des attributions immenses af- fectées en idée à certains emplois; quand il venait à signer , il y avait toujours à décompter. Rien encore n'était plus difficile que de se soutenir quelque temps sur une ligne égale, auprès de lui. Mocqueur et pénétrant comme ces substances qui s'insinuent dans les veines des plus durs métaux pour les dissoudre, il dissolvait de même et décomposait à Tins-

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tant tout ce qui se trouvait à sa portée, par des plaisanteries ou par des similitudes qui détruisaient toute magie : avec lui l'homme élevé en dignité, frappé de ses caustiques, bientôt n'était plus que cet oiseau déplumé que le philosophe jetta dans l'école, en di- sant au sophiste, voilà votrehomme. Napoléon aimait à déplumer les grandeurs, à décom- poser les masses, à mettre les hommes à nud, à les prendre un à un, à tout réduire à l'in- dividualité. Cette qualité de l'esprit, ou plutôt ce travers, est infiniment dangereuse dans les affaires. Elle a été une des causes de sa perte, en le portant à tailler les affaires sur la me- sure vraie ou fausse qu'il s'était faite des in- dividus. Ils feront ou ne feront pas telle chose, disait-il, et il agissait sur cette donnée primitive. Je connais un jugement de lui de cette nature, qui soutenu avec opiniâtreté, est devenu la base de sa plus grande entreprise et le principe véritable de sa ruine. Cela est bien singulier , mais n'en est pas moins vrai. Quand on observe les hommes de près, et qu'on écrit d'eux avec sincérité, quelles choses étranges n'a-t-on pas à rencontrer et à raconter ?. Te voudrais pouvoir communiquer

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au lecteur le sentiment dont je suis moi-même pénétré, en écrivant ce qui suit. Ces senti- mens restent en dehors de mes récits , et ne sont point altérés par eux. Ce sont les faits d'un autre que je rappelle : je n'y mets rien du mien.

Le peu de considération que la Cour de Rome inspira à Napoléon , fut une des causes du dé-* faut de succès de son voyage. Dès qu'il cessait de considérer, il méprisait ; le passage de l'un à l'autre était insensible, et dès qu'il mépri- sait, il perdait ou rejetait. Avec lui tout con- sistait à garder sa place d'opinion. Il était évident qu'une cour de cette espèce ne pou- vait aller loin avec Napoléon : les classes in- férieures étaient bien basses, les supérieures bien loin, et toutes en cérémonies, en pro- testations, en révérences, aux rares occa- sions dans lesquelles elles se laissaient aper- cevoir. Leurs personnes étaient sans dignité, leurs paroles sans éclat, et leurs factura sans -les qualités propres à faire impression sur un esprit tel que celui de Napoléon. 11 y a plus, car il faut tout dire ; le pape , incité sûrement par ses conseils, avait beaucoup insisté sur les lois organiques, surl'enseignemcnt des quatre

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propositions ; il avait insisté , la lettre de Louis XIV à la main; plusieurs fois il avait présenté à Napoléon les gros volumes de Beliarmin , sur les droits et l'infaillibilité du pape. Napoléon, toujours railleur, lui ré- pondit un jour: Très-Saint Père, me prenez- vous donc pour Charles IV, roi d'Espagne? Ce fait paraît singulier : je le tiens de la bouche de Napoléon qui me l'a répété plu- sieurs fois, et comme la mobilité et l'abon- dance de son imagination me tenaient en garde contre les ornemens de ses récits , dont cependant le fonds était toujours vrai, car il n était point menteur (i) , j ai cherché et j'ai trouvé la confirmation de celui-ci chez un homme d'une véracité inaltérable , placé long- temps dans la position la plus favorable pour tout voir et tout connaître, et qui sûrement n'avait pas plus d'intérêt à me tromper, qu'il n'eût été capable d'en avoir l'intention , feu le grand-maréchal du palais, le général Duroc, cet homme que ses excellentes qualités et sa rare modestie avaient, pendant sa vie, rendu

(i) Napoléon brodait , mais ne supposait pas,

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l'objet de l'estime publique, et qu'à sa mort déplorable elles rendirent celui des regrets

universels ; il m'a dit souvent avoir été

témoin de ce qui vient d'être rapporté.

De tout cela il s'était formé dans l'esprit de Napoléon une disposition moins favorable que celle qui préexistait à l'entrevue et au long rapprochement avec le pape. La considéra- tion s'était affaiblie, le sentiment de l'obli- gation s'était amorti, la fugitive reconnais- sance s'était éloignée en redoublant la rapidité de sa fuite ordinaire : on se sépara poliment, mais froidement. Le pape n'aurait jamais rester à Paris plus de huit jours. Tout avait été arrangé pour que les relais qui condui- saient Napoléon à Milan servissent au pape. Peut-être la considération d'un grand mou- vement dans les postes , ainsi que celle du pass.ige des Alpes au cœur de l'hiver contri- bua-t-elle à faire prolonger le séjour du pape. Ces grands déplacemens sont toujours péni- bles et chers. Enfin toute cette cour partit, et €e fut avec la joie d'exilés qui voient les portes de la patrie se rouvrir. Le pape sortit des Thuileries à travers la foule d'un peuple à genoux. 11 arriva à Lyon le jour même t. n. i5

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que Napoléon en partait pour se rendre ;t Turin. Il fut reçu dans Lyon encore plus chaudement que ne l'avait été Napoléon. J'y étais, je l'ai vu. Il arriva à Turin dans le cours même de la journée Napoléon y fit son entrée. Cette grande cité parut ébranlée jus- que dans ses fondemens par la rencontre sans exemple de ces deux astres.

Ce fut que le pape ordonna à l'archevêque de Turin de remettre son siège à Napoléon, On n'avait encore pu l'obtenir de ce prélat. Il eut beau s'en défendre, le pape l'exigea, et il fallut céder. Napoléon et le pape dînè- rent ensemble, et se séparèrent. Le pape reprit le sur-lendemain le chemin de Rome. Ils ne se sont plus revus qu'à Fontainebleau en i8i3=

Mais pendant que cette cour déchue de son espoir regagnait tristement ses foyers, une barrière plus forte que les Alpes s'éle- vait entre le pape et Napoléon , celle du dépit et du regret d'avoir perdu ses pas, et manqué son objet. Le levain fermentait, et portant son aigreur dans toute la masse du sang de la cour de Ptome, il préparait la ca- tastrophe qu'il reste à raconter.

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CHAPITRE XXX.

Dispositions personnelles de Pie VII et de Napoléon à l'égard l'un de l'autre.

Voïci deux hommes qui sans se haïr , au contraire en se considérant mutuelle- ment sous beaucoup de rapports, se sont cependant fait tout le mal qu'ils ont pu se faire. Le pape a lancé contre Napoléon jusqu'à sa dernière arme, il l'a excommmunié; Napo- léon a retenu le pape en prison, il l'a dépouillé de ses domaines : des deux côtés on ne pou- vait pas se faire plus de mal que cela. Voici un singulier contraste dans la conduite respective des combattans. Tant que le pape n'a suivi que son impulsion personnelle, tout a bien été; dès qu'il s'est livré à celle d'autrui , tout a péri. Au contraire , tant que Napoléon a marché seul , il a été de vio- lence en violence, de chute en chute ; dès qu'il a pris conseil , tout a été redressé , et remis dans la ligne de la raison , et des vrais intérêts de la religion et de l'Etat.

Les discussions qui ont régné entre le

i5.

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pape et Napoléon , sont d'autant plus déplo- rables qu'il n'a jamais existé entr'eux aucun éloigneraient ou inimitié personnelle; de paît et d'autre on se rendait justice, de part et d'autre on prisait les qualités récipro- ques. Ainsi le pape a toujours parlé avec la plus grande considération des talens su- périeurs de Napoléon, des services qu'il avait rendus à la France, à la religion, et à la so- ciété, en opposant une barrière invincible à l'anarchie qui dévorait la France avant le 18 brumaire. Son affection pour lui, car il en avait une véritable, s'était, comme il est na- turel de l'imaginer, fort attiédie par les mau- vais traitemens qu'il avait éprouvés ; mais cette ame inaccessible au ressentiment, ne s'était jamais élevée jusqu'à la haine contre Napoléon. Lorsqu'ap^ès l'arrangement des affaires ecclé- siastiques à vSavone, nous proposâmes au pape d'écrire à Napoléon, de manière à dis- siper tous les ombrages et à rétablir la bonne harmonie entre deux personnages, dont le éort de l'église dépendait alors, harmonie qui nous paraissait de la plus haute importance, Pie VII n'opposa pas une objection à cette proposition, et ne balança pas à prendre cette initiative de réconciliation, si conve-

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nable à son caractère religieux et personnel. De son coté Napoléon portait personnelle- ment à Pie VII de vrais sentimens de consi- dération et d'affection : je lui ai des obli- gations.... il m'a sacré.... c'est un agneau.... un ange de douceur.... Voilà ce que cent fois j'ai entendu sortir de sa bouche!.... La ma- nière de voir d'un pape et celle d'un jeune conquérant sur des matières religieuses con- cernant, non les dogmes, mais des usages ou quelques parties de la discipline et même quelques prétentions de la cour de Rome, pouvait bien n'être pas la même des deux côtés, et cela n'a rien d'étonnant; mais ces légères nuances n'altéraient pas le fond des sentimens qu'ils avaient l'un pour l'autre. Jusqu'à la fin, Napoléon n'a pas cessé de s'ex- primer sur le caractère du pape avec toute la considération qu'il commande. Dans la der- nière audience qu'il donna aux évèques re- venus de Savone, au moment de son départ pour la Russie, il répéta plusieurs fois en parlant de Pie VII, c'est un agneau...; il m'a forcé à lui faire du mal, j'en suis fâché; et il accorda sans résistance, tout ce qui lui fut demandé pour les personnes attachées au

f *3o )

service du pape, et qui ne l'avaient pas aban- donné. C elait à lui que se rapportaient ces récompenses.

Pour ma part, je puis attester que dans les nombreuses conversations que j'ai eues avec Napoléon, je lui ai souvent entendu dire avec l'accent de la conviction, qu'il n'avait jamais pensé à attaquer le pape, et que c'é- tait lui qui l'avait forcé à lui faire du mah C'étaient ses expressions habituelles ; un jour surtout il l'affirma avec une force et dans des termes qui me surprirent et me donnèrent lieu de rechercher, comment on pouvait mettre d'accord des paroles et des actions qui semblaient se démentir mutuellement. Je sens que Ton va dire qu'il me trompait ; à quoi il est facile de répondre : à quel propos aurait-il voulu me tromper? Qu'a- vait-il à gagner en me trompant? Trompait- il celui qui si souvent jettait avec profus- sion et sans aucun ménagement, ce qu'il aurait réserver pour lui seul avec la plus stricte discrétion ? Enfin, s'il m'est permis de parler de moi, croit-on que mon oreille ne fût pas susceptible de distinguer, ni exercée à discerner les sons qui rendaient sa pensée 9

( >3. )

ou seulement son rôle. Je demande que l'on veuille bien croire que j'ai eu le diapazon de Napoléon , au moins autant que beaucoup de ceux qui se mêlent d'en parler. Cette ex- pression si vive, si animée de k pari de Na- poléon , me frappa de manière à me faire rechercher ce qui produisait en lui cette con- viction des torts du pape à son égard, et j'ai cru devoir la rapporter à deux causes.

i°. A quelque mauvais génie qui s'était glissé entre lui et le pape et qui avait déna- turé la conduite du dernier de manière à pro- duire de l'irritation dans l'esprit de Napoléon.

La confrontation de quelques-uns de ses discours, avec certaines allégations, faites de- vant moi contre le pape par d'autres person- nages, me mit sur la voie et me fit remonter facilement aux auteurs des divisions.

i°. A cette partie singulière du caractère de Napoléon par laquelle un objet qui le frappait, acquérait dans le moment même à ses yeux, un corps et une consistance réelle, par les rapprochemens que la mobilité de son imagination lui fournissait avec abondance et lui faisait saisir avec une inconcevable rapi- dité.

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Alors la satisfaction de l'esprit opérait la conviction, et le château qu'elle venait de lui bâtir, eût-il été de cartes, acquérait pour lui l'apparence de la solidité. Tel était chez lui Y effet de l'imagination et son danger. J'ai été à portée d'en remarquer plusieurs fois les effets ; et souvent par il a paru peu sin- cère, quoiqu'il parlât alors comme il était affecté.

L'impression du moment était la plus forte chez lui : de naissaient des orages qui se formaient dans un clin-d'œii et qui se dissi- paient de même. Dans ces cas les apparences étaient contre Napoléon ; il paraissait faux, il n'avait été que mobile. On n'était frappé que de ce qui paraissait au dehors, et l'on ne faisait pas attention à la singulière disposition de son esprit, qui faisait trouver ses paroles en contradiction avec ses actions. Cela est singulier dira-t-on. Mais qui dit que tout ce qui s'est passé depuis trente ans ne soit fort singulier, et que Napoléon ait été fait comme un autre? Je reviens à ce que j'ai écrit ailleurs, c'est que de tous les personnages historiques Napoléon est peut être celui qui a été le plus mal observé, et le moins fidèlement peint.

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Il ne Ta été par personne, il ne le sera point : son portrait toujours commencé ne sera ja- mais achevé, et peut être n'est-il pas suscep- tible de lètre. Les siècles s'entretiendront de ce sujet et ne l épuiseront point. Quiconque ne Fa pas approché de très-près et long-temps, n'a pu saisir la variété infinie des nuances dont se composait son caractère. S'il avait pu être donné à quelqu'un de triompher de cette difficulté, ce privilège aurait appartenu à un peintre qui réunit autant de sagacité et de finesse dans l'observation que d'éclat dans le coloris. On sent que je veux parler de ma- dame la baronne de Staël. Eh bien ! la série de tableaux que présente son ouvrage, ne forme pas encore le portrait véritable de Napoléon. Elle lui prête, elle lui ôte tout à la fois : la partie mobile de son caractère , qui a fait sa destinée, lui a tout -à-fait échappé. Elle a toujours vu un aeteur et des plans, très-souvent il n'v avait ni l'un ni l'autre. Napoléon riait lui-même des pensées, des propos, de l'importance (i), et des plans que

(i) Je me souviens qu'un jour, après avoir long-tems. parlé des événenaens du temps, Napoléon me dit : une

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le public lui prêtait dans ses suppositions contemplatives. C'est l'homme de la terre qui a -le plus réuni des illusions systématiques au sentiment naturel le plus juste sur la valeur véritable des choses; ce qui souvent le portait à les mépriser, et à n'en pas tenir le compte nécessaire aux affaires. Mais la domination morale qu'il exerçait avait tellement pénétré tous les e-prits; qu'on le voyait il n'é-

partie de ce qui est arrivé, est venu de ce que quel- ques hommes se sont crus trop importans ; c'est la ma- ladie des princes, ils se croyent nécessaires: c'est une erreur, il n'y a pas d'homme nécessaire. Tenez, moi par exemple , on dit partout que je suis nécessaire , que si je n'y étais pas on ne saurait ce que l'on deviendrait: alors il disait vrai ( c'était le i5 mai 1806 ); eh bien ! c'est une sottise; si je n'y étais pas, le cours de la nature ne serait pas interrompu pour cela, le soleil continuerait de se marier avec la terre et de mûrir les moissons. . . , Alexandre et César sont morts , et le monde a été son train; à ces mots il rentra précipitamment dans son cabinet , en me laissant à mes réflexions sur cet étran- ge propos, et ne me doutant pas plus que tout autre ne l'eût fait à ma place que tant de sagesse couvrît tant d'il- lusions, et qu'il fit d'avance son histoire. Cette sagesse en donnant de fausses garanties faisait un danger auprès de lui. ...

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tait pas, qu'on l'entendait lorsqu'il ne parlait pas, qu'on le supposait méditant et agissant, il dormait. On ne pouvait pas le con- cevoir sans pensée ni sans action. J'ai entendu des hommes qui l'avaient combattu à la guerre, dire que souvent il les avait embarrassés par son inaction qu'ils avaient regardée comme faisant partie d'un plan, tandis que l'événe- ment subséquent prouvait qu'elle avait été une faute. La préoccupation produite parce qu'il avait fait, prêtait des sons à son silence, et des pièges à son sommeil.

Combien -de fois en sortant de converser avec lui, ai-je eu lieu de remarquer la dis- tance qui se trouvait entre ce que l'on sup- posait avoir été dit, et ce qui l'avait été réel- lement. Souvent il n'avait fait que ce que l'on appelle vulgairement tuer le temps, et l'on rapportait ces longs entretiens aux choses les plus graves, ^Napoléon a encore plus perdu de temps qu'il n'en a employé. Il y a dans l'esprit de l'homme une disposition admira- tive pour tout ce qui est grand. Il est enclin à changer les fauteuils en théâtre.

J'ai toujours été frappé du mol de Cromv. el à ses familiers. Il était à table avec eux. Le

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bouchon d'une bouteille était tombé sous la table : on le cherchait. Une députation des frères rouges demande à être introduite: Dites-leur que nous cherchons le Seigneur, ré- pond Cromwel, en usant d'une formule du temps, et en riant avec ses convives de l'ap- plication de ce langage mystique à l'objet dont ils étaient occupés dans le moment.

A combien de choses graves en apparence ne pourrait-on pas faire l'application de cette bouffonnerie ?

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UÏ\V\V\\VVVV\VVH\V VV VVWWV VWVVV WVWV VW «.W VVVWWW U\VV\ vwwww vvvvvw

CHAPITRE XXXI.

Dispositions de Napoléon à l'égard du clergé , et du clergé à l'égard de Napoléon.

Voici le restaurateur et les restaurés en pré- sence, Eh bien! par suite de ce désastreux mélange du temporel avec le spirituel que cet ouvrage signale tant de fois, il est arrivé que des hommes que la nécessité avait rap- prochés, que la bienveillance devait tenir unis, que la reconnaissance semblait en- chaîner les uns aux autres n'ont pas cessé de s'observer, de se craindre, et finalement de se combattre. En retrouvant sans cesse Na- poléon au milieu des prêtres, on se demande comment il s'est fait que le vainqueur de l'Italie et de tant d'autres lieux ait fini comme un empereur grec. Trop souvent les Thuile- ries ressemblèrent par lui au palais de Cons- tanlinoplc.

Je trouve avec douleur comme avec sur- prise, dans l'ouvrage d'ailleurs si distingué de madame la baronne de Staël, un jugement et

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des expressions qui ne conviennent pas plus à l'esprit qu'au goût de cet illustre écrivain , pas plus au clergé qu'à Napoléon, et encore moins à l'histoire. C'est un de ces lestes pro- noncés de jugement dont les salons peuvent s'accommoder et se réjouir, mais que la bien- séante raison réprouve. Il est échappé à ma- dame de Staël de dire que Napoléon avait voulu avoir un clergé comme il avait voulu avoir des chambellans. Madame de Staël ou- bliait dans ce moment qu'un clergé n'est point un meuble de palais. La religion est le premier besoin des sociétés humaines : ses ministres sont par même au nombre de leurs besoins et non point de leurs hochets. Les dates sont ici contre l'assertion de ma- dame de Staël : le clergé date de la fondation des sociétés, de celle des monarchies, et les

chambellans de je ne sais qu'elle année (i). i

(i) Ceci ne concerne que l'époque de la création des chambellans. Je n'ai jamais bien compris ce qu'il y avait de spirituel dans ce qui se disait des chambellans; l'Alle- magne en est pleine , et personne n'en rit. Les chambel- lans de France étaient comme la cour de France, les pre- rnierç àc l'Europe par leurs noms, par leur tenue person-

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Les officiers personnels du souverain en quel- que grade, en quelque nombre, sous quel- que nom qu'ils existent , peuvent être des parties plus ou moins nécessaires de la dé-

nelle : ils étaient l'objet de l'envie de ceux qui affectaient d'en rire. MM. de Montmorency, de Morteinart, de Montesquiou . n'étaient pas plus risiblcs sous un habit de chambellan, que ne le sont mille autres sous mille autres espèces d'uniformes. On s'est obstiné à confondre le ser- \iced'un homme, avec la décoration de la cour qui alors dominait sur l'Europe , et l'entourage de celui qui la ré- gentait.. . . L'histoire ne dit pas qu'à Rome on rit des chambellans de César: ils étaient les premiers de la ville, comme les chambellans de Napoléon étaient les premiers de Paris.

La cour de Napoléon n'existe plus: ce que l'on en peu-: dire n'a donc aucune application fâcheuse pour personne, ni pour rien; ainsi l'on peut dire aujourd'hui qu'un des fléaux de la société du temps était tout ce que l'on avair à entendre dire par une multitude de personnes qui fai- sant des portraits avant de connaitre les visages, con- fondaient tout, brouillaient tout, et remplissaient les salons de propos qui auraient du rester à la porte.

Ce supplice équivalait à celui que fait subir aujourd'hui une autre classe qui parle des hommes et des choses de ce temps comme leurs devanciers le faisaient des chambel- lans ; puisque le nom des chambellans a amené sous ma plume un nom que je ne cherchais pas , celui de lu cour

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coration et de l'entourage dont la souverai- neté ne peut point se passer, mais ils ne constitueront jamais un élément social, tels que l'ont été et le seront toujours les ministres de la religion. Les chambellans sont bons quand il y a des palais, mais les prêtres sont indispensables, dès qu'il y a des sociétés. Il y a eu beaucoup de pays sans palais et sans chambellans, on ne s'y apercevait pas de ce déficit , mais il n'y en a jamais eu sans prêtres. Pour ce déficit là, on s'en serait bientôt aperçu. Ceci suffit pour remettre chaque chose à sa place.

C'est sous le rapport d'éiémens sociaux

de Napoléon , je dirai que Madame la baronne de Staël s'est encore trompée dans l'estimation des motifs qu'elle prête à Napoléon dans l'érection d'une cour. Elle en fait une cour d'ostentation et de vanité: c'était une cour de politique et de luxe national. Il avait cru que le pays le plus puissant de l'Europe devait avoir la plus grande cour, que la cour et son luxe devait effacer la rudesse des mœurs précédentes, appeller l'étranger, confondre les dissidens dans un même centre, faire fleurir les arts, et ramener la politesse. Une cour était comme toute autre chose, un instrument dans la main de Napoléon: liors de là. un embarras.

que Napoléon considérait les ministres du culte. Son esprit était tout entier à la tolérance, base excellente, sans laquelle tout porte à faux (i). Gouvernant des pays de culte mé-

(i) Partout Napoléon a porté ses armes , il a con- duit avec lui la tolérance . comme par la main. Dans toute l'Allemagne et la Suisse calviniste ou lu'herieune, il a lait mettre sur la même ligne les deux cultes, catholique et protestant ; surtout il a fait abolir la domination de l'un sur l'autre. En Hollande , il a relevé le catholicisme de trois siècles d'ilotisme : s'il eût pénétré en Angleterre , quatre millions de catholiques d'Irlande , et cinq cent mille catholiques Anglais étaient émancipés. La Hollande, Bremen, Hambourg, Lubeck allaient recevoir des évê- ques catholiques; ils étaient accordés par l'arrangement de Savone et par le concordat de Fontainebleau.

De bonne foi tout cela compensait bien quelques écarts commis sur d'autres articles; mais la haine ne tient pas ses comptes en parties doubles , celle du bien et du mal.

Napoléon n'imitait pas l'Espagne que l'on a vue refuser les offres des industrieux Hollandais qui lui demandaient de venir défricher les déserts de l'Andalousie: on a craint pour la pureté de la foi des vieux chrétiens.

Dans ce moment le gouverneur de la Havanne vient d'inviter les colons étrangers à s'établir dans cette ile , mais avec la condition qu'ils seraient catholiques. Il y a des pays dans lesquels on demande aux laboureups de montrer leur charrue, en Espagne on leur demande leur T, II. 16

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langé, la loi comme son instinct le fixait sur ctite ligne : abandonnant ensuite à qui de droit toute la partie de Tordre purement spi- rituel, chose qui ne le concernait en rien, et sur laquelle il ne pouvait qu'errer, il ne con- sidérait les prêtres, ainsi que doit faire tout chef de nation , que sous les rapports de leur influence dans l'ordre social, comme garantie de sa stabilité par leur coopération au main- tien de la morale qui est le principe de cette stabilité. Jusque - la tout est dans l'ordre le plus parfait , et personne ne peut avoir le droit d'en exiger davantage. La conscience particulière du prince est à lui seul, comme celle de chaque particulier n'appartient qu'à

credo ; pauvre Espagne ! le bon sens aurait-il fait divorce avec toi, et vas-tu devenir la risée du monde , après en avoir été l'admiration !

Un beau zèle religieux dicta à Louis XIV de refuser les protestans qui lui demandaient d'aller peupler les bords sauvages du Mississipi ; il préféra de les voir gros- sir les trésors et les rangs de ses ennemis. Il fut à la veille d'être chassé de Versailles par ceux qu'il n'avait pas voulu laisser peupler les déserts de la Louisiane. A quel aveugle, ment le fanatisme porte t-ii les hommes, et que ne finit-il point par leur coûter l

lui : s'il peut paraître curieux de lire dari9 celle des princes, il est aussi interdit d'y porter des regards téméraires que dans celle de tout autre. 11 ne s'agit donc point de rechercher ce que Napoléon était personnellement dans le culte dont il faisait une profession publique; qui pouvait avoir le droit de l'interroger sur cela ? Ce n'étaientpoint ses sentimens d'homme mais ses actes de prince en matière reli- gieuse que l'on avait le droit de juger; ce n'était pas ce qu'il pensait de la religion, mais ce qu'il lui faisait ressentir qu'il impor- tait de connaître. Mille fois j'ai entendu sur cet article des dissertations qui montraient bien peu de jugement dans leurs auteurs ([).

(i) Je n'ai jamais entendu Napoléon parler de L'im- mortalité de l ame sans l'accent d'une profonde convic- tion... . Quelqu'un* s'amusent à dire, sans trop savoir en quoi cela consiste, qu'il était Fataliste. J'aimerais autant dire que Machiavel l'était. Eh ! non, il n'était pas fataliste; il était politique et voilà tout ... Un demandait pas mieux que les antres fussent fatalistes . car rien ne dispose mieux à l'obéissance : il n'élait pa* fâché que l'on crut à son étoile, mais il y croyait à -peu- près comme Mahomet croyait à sa colombe, et Numa à la nvmphe Égérie.

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dans une époque d'irrévérence religieuse, nourri au milieu du déchaînement dont le clergé était l'objet depuis cinquante ans, élevé dans l'étude de la guerre, la tête rem- plie des soins de la restauration de la France, de celui de son propre établissement, les épaules chargées du fardeau du monde , Na- poléon pouvait -il avoir donné aux choses religieuses cette application qui les fait con- naître et qui conduit à les aimer? Rendons à chaque chose ce qui lui appartient. Napoléon n'était en religion ni plus ni moins que ne doivent l'être les militaires et les jeunes gens, tous à peu près également lestes sur cet ar- ticle, soit pour s'exempter de ses contraintes, soit recherche de bon ton. Mais de plus que le vulgaire, il était politique et observateur. Il savait qu'un grand corps de clergé n'est pas une chose indifférente dans un grand État, et que lorsqu'il n'aide point au mouvement , il l'entrave beaucoup. Ouvrier principal , di- recteur d'une immense machine, il n'était tenu qu'à s'occuper du jeu de ses rouages. Son rôle se bornait là.

En France, comme en Italie, Napoléon a donné au clergé plus qu'il n'avait promis. Il

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ne s'est refusé à aucune des demandes qui lui ont été faites en sa faveur. Il Ta admis au partage de tous les honneurs de l'Etat. Et comme il ne s'agit ici ni de critique, ni d'a- pologie, mais de vérité historique, il faut ajouter qu'il entendait trop bien l'art du gou- vernement, pour avoir toléré un acte offen- sant contre le clergé. Dans tout le cours de son administration , le théâtre , la peinture, aucun des arts n'eût osé reproduire une image capable d'affaiblir la considération du clergé, comme l'ancien gouvernement l'avait laissé faire depuis soixante ans. II a frappé des membres du clergé individuellement ; jamais il n'a laissé échapper rien d'attentatoire au corps même du clergé. Dans les éruptions de sa co- lère, trop souvent il s'est permis dans son inté- rieur ce qui ne peut jamais être dit avec bien- séance, lorsqu'il s'agit de la religion : jamais aucun de ses actes ou de ses discours publics n'a porté d'autre empreinte que celle de la bienveillance et du respect. Un propos incon- sidéré sur la religion l'aurait choqué; il se permettait et ne permettait pas : un défaut de conduite aurait perdu dans son esprit le prêtre qui en aurait été convaincu. Par le

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tact exquis dont il était doué, il voulait natu- rellement que chaque chose fût à sa place, et toute difformité le blessait. Je ne L'ai vu qu'une seule fois, c'était à Anvers, s'oublier dans son audience publique à l'égard du clergé. Encore l'oubli ne concernait-il que la partie des prêtres de ces contrées dont il était mécontent, et non point le corps même du clergé. Il avait arrangé cette scène pour l'ef- frayer. Dans toutes les autres occasions il accueillait le clergé avec bienveillance, il écoutait, interrogeait, répondait, et finissait presque toujours par des choses gracieuses et obligeantes. En passant à Bordeaux, en 1808, au retour de Bayonne, il demanda à M. l'ar- chevêque s'il avait une maison de campagne; et sur sa réponse négative, il dit, c'est dans les mœurs d'un archevêque d'avoir une maison de campagne pour se délasser. Je vous donne soixante mille francs pour en acheter une.

Napoléon n'a jamais balancé sur la nécessité de remettre l'instruction publique au clergé. J'ignore si c'est un bon système, mais je suis bien sûr que c'était le sien. C est-là son mé- tier, cela leur appartient, disait-il souvent. Il en a été détourné par les tracasseries que

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n'ont point cessé de lui susciter des institu- tions religieuses. Il savait que dès qu'il y avait une institution de cette nature, il y avait un ennemi de plus contre lui. M. Je cardinal Fesch, avec ses Pères de la foi, avec ses Sul- piciens, a fait manquer au clergé cette su- perbe dotation de l'enseignement public. Ces pieux maladroits ne se doutaient pas du mai qu'ils faisaient, et pourvu qu'ils eussent des frères ignorantins, ils croyaient à un triomphe. Quant aux contestations qui pou- vaient s'élever dans la jurisdiction religieuse, il n'a jamais varié sur la convenance d'en faire l'affaire des tribunaux supérieurs. Entre vous autres gens de plume vous vous airan- gérez et je rien entendrai plus parler, lui ai- je entendu dire cent fois. Il y était arrivé par le concordat de Fontainebleau et dans le fait, il ne cherchait qu'à s'en débarrasser. Il sentait fort bien que la dotation du clergé était in- suffisante. Je ne puis pas tout faire à la fois disait-il souvent. Vieil a mis sept jours à faire le monde. Je ri ai pas deux récoltes par an. Il faut qu'il y en ait pour tout le monde. Parmi les ecclésiastiques du premier ordre, il évaluait très-juste le mérite relatif, et sai-

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saisissait des nuances qui auraient échappé à beaucoup d'autres. C'était son fort. Il vé- nérait M. Emery supérieur de St.-Sulpice : il fut très-affecté de la morî du cardinal de Belloy : il décréta un monument en son hon- neur. Les preuves de respect et d'affection que le peuple de Paris donna à son pasteur mourant, le firent réfléchir profondément : il avait une idée très-élevée de la dignité du siège de Paris. Je parle de ce que j'ai vu et entendu. Il portait une hante estime aux évéques de Vannes et de Nantes. Un homme tel que ce dernier me ferait faire tout ce qu'il voudrait , et peut-être plus que je ne devrais, a-t-il dit plusieurs fois. En général Napoléon aimait les prêtres, se plaisait à s'entretenir avec eux, à les questionner, et finissait assez ordinairement ses entretiens par quelque plai- santeri é. Un de ses ministres, homme d esprit, disait qu'il était plus prêtre qu'on le pensait. Napoléon s'était formé systématiquement une conviction intime de l'attachement du clergé pour lui. Je l'ai rétabli, je le maintiens , je fais tout pour lui, il est impossible quil ne me soit pas attaché. Voilà ce qu'il disait habituel- lement % et le jugement eût-il été faux, le

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principe n'en était pas moins honorable pour le clergé, puisqu'il se rattachait à celui de sa reconnaissance présumée. Napoléon , ma- thématicien, avait l'habitude de réduire tout en système. Il posait quelques données comme un algébriste pose son X, et puis après avoir dégagé son inconnue, il tirait des conséquences invariables, qui acquiéraient dans sa tète la consistance d'une véritable démonstration, d'un corps complet de sys- tème. Il en faisait ensuite une règle de con- duite, méthode infiniment dangereuse.

Il faut distinguer dans sa carrière d'affaires religieuses deux époques diverses, et si j'ose parler ainsi, deux éducations différentes.

La première fut celle dans laquelle il agit par lui-même, indépendamment de tout con- seil éclairé dans cette matière. La seconde, celle dans laquelle il consulta, et forma un conseil ecclésiastique.

C'est à la première époque que se rap- portent ces demandes bisarres adressées à la cour de Rome, que je rapporterai plus bas, ainsi que les actes de violence qui Font tant déconsidéré. S'il eût commencé par i! a fini, c'est-à-dire par s'entourer d'hommes con-

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naissant ces matières, le pape n'aurait jamais été inquiété à Rome.

C'est dans la seconde époque que furent formées les commissions des années 1810 et 181 1. Par elles furent élaguées toutes les pré- tentions provenues de l'ignorance et de l'ar- deur de la jeunesse; il rentra alors dans la bonne route qu'auparavant il ne connaissait pas. Il avait attaqué St. Pierre de Rome, comme Brennus et ses Gaulois attaquèrent jadis le Capitole.

De tous les hommes qui ont manié la puis- sance souveraine , aucun n'a donné la direc- tion plus exclusivement que ne l'a fait Na- poléon. En tout, diriger , conduire en chef, faire des autres les instrumens de sa pensée , telle était son essence. Il lui était aussi im- possible de se borner à suivre, qu'il l'est à d'autres de marcher les premiers. La distri- butrice des dons , la nature l'avait fait ainsi. Il commença donc par diriger seul le clergé , comme il réglait toutes les autres parties de l'administration; mais ici l'étoffe était diffé- rente. La force des choses avait amené un rapprochement entre lui et les principaux membres du clergé. Ils se divisèrent sur la

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manière de le considérer et de le diriger, ou plutôt d'en tirer parti , car il faut bien re- connaître que toute direction de prince n'a point d'autre objet.

A la tète de ceux-là seuls qui formaient une espèce de parti, se trouvait M. le cardinal Fesch. Oncle de Napoléon, d'un homme sur lequel les affections de famille avaient beau- coup d'empire, il ne pouvait manquer d'être très-influent dans cette cause, et d'y paraître en première ligne. La volonté de le faire pour le plus grand avantage de la religion, n'a jamais varié chez M. le cardinal Fesch. Elle allait jusqu'à une obstination à la fois aveugle et funeste. La régularité de sa conduite ne s'est point démentie un seul instant; il vivait dans une retraite absolue , étranger au monde et borné à sa famille. Jamais il ne fut acces- sible qu'aux ecclésiastiques. Auprès de lui se sont formés plusieurs membres de l'épis- copat ancien et nouveau. Les évêques de Gand, de Troyes, eurent la plus grande part à sa faveur; les evèques de Nantes, de Trêves, et M. Emery , à sa confiance. Il se montra iné- branlable dans son attachement pour le pape; et pour le défendre, il ne craignit pas de se

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compromettre avec son neveu , que son op- position irritait. Sa libéralité envers les églises et le séminaire de Lyon était fort grande. Ferme et rigide observateur des observances légales, M. le cardinal Fesch était devenu le héros du parti opposé à Napoléon, et qui était ravi de trouver un appui dans sa propre fa- mille. Par la bonne odeur qu'exhalaient ses vertus ecclésiastiques, il régnait sur le fau- bourg St. -Germain, qui , après l'avoir consi- déré comme sa machine de guerre contre Napoléon , fidèle à sa gratitude ordinaire , Fa abandonné au dénouement de la pièce , et ne s'informe pas il vit. Le spectacle de cette opposition permanente , de cette dis- corde dans la famille, avait égaré beaucoup de monde. M. le cardinal Fesch a beaucoup contribué à la ruine de sa famille et à la sienne propre ; exemple à jamais mémorable d'un zele qui n'est pas suivant les lumières. Ce prélat n'écoutant que ce zèle, aurait voulu, dès l'abord, faire de son neveu un chrétien aussi prononcé que lui-même. Le néophite était loin de l'esprit de son missionnaire, et ne se serait pas plié facilement au joug qui aurait suivi de son acquiescement aux re-

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montrances de cet apôtre. Il irritait Napo- léon, il le prenait à contre sens , il le fatiguait d'instances et d'observations bien peu à la mesure d'un esprit aussi transcendant que celui de Napoléon. Il le portait à des accès de colère qui gâtaient tout. M. le cardinal Fesch faisait sur Napoléon , à part le talent , le même effet que l'abbé Maury produisait sur le côté gauche de l'assemblée constituante. Vingt fois j'ai entendu Napoléon dire après de violens transports de colère, il me fait dire ce que je ne devrais jamais dire, et ce que je ne pense pas. M. le cardinal avait l'art de faire aboutir à des scènes fâcheuses des conversations com- mencées à l'amiable. Il était à la fois plein de bienveillance et d'inconvéniens pour le clergé, rempli de bonnes intentions et de la mala- dresse propre à les rendre inutiles. Porté par tous les avantages de sa position à la tète du clergé, il se trouva en arrière de sa place par les retards d'une éducation qui n'avait point été mesurée sur cette élévation imprévue. Aussi se tira-t-il très-mal de la présidence duconcile. Ce fut son dernier écueil auprès de Napoléon , qui lui attribua le mauvais suc- cès; chose injuste, car il était lui-même le

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coupable, comme je le montrerai. Il acheva alors de s'en détacher; le mal était fait, la hrouiilerie ne servait plus à rien. Elîe devint sérieuse : M. le cardinal voulut remettre la grande aumônerie ; sa famille l'en détourna, et Napoléon se borna alors à lui en retirer l'administration qu'il me remit à l'époque de de son départ pour la Russie, et qu'il m'ôla à son retour.

Lorsque Napoléon nomma M. le cardinal Fesch à l'archevêché de Paris , il regarda à la fois la dignité de cardinal qu'il considérait comme inhérente à ce siège, et le rang que M. le cardinal occupait dans l'État , par les liens qui l'unissaient à lui. Ce choix fut tout d'honneur et de révérence pour ce grand siège. Les hésitations de M. le Cardinal l'ayant irrité , Napoléon se porta à l'extrême opposé, et fut y chercher M. le cardinal Maury. C'é- tait, chez lui, l'effet ordinaire de la contra- diction. D'un autre côté, se trouvaient des hommes d'un jugement plus sain, qui prenant les choses comme elles étaient, sachant ap- précier le caractère véritable de Napoléon , ce caractère qu'avant tout il faut calculer dans les affaires, calculant aussi le besoin de le

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ménager, de le conduire pas à pas dans la carrière que d'autres voulaient lui faire fran- chir, s'appliquèrent à le ramener à des idées justes sur les matières religieuses ; à lui pré- senter la religion sous les rapports de la com- patibilité avec tous les gouvernemens; à le rassurer sur la fidélité du clergé , ce qui était l'article essentiel à ses yeux; en un mot à lui présenter tous ces objets sous le point de vue de la vérité et de la raison. MM. l'arche- vêque de Tours, les évêques de Nantes, de Trêves et d'Evreux, furent les agens princi- paux de cette œuvre de raison. Ce fut à leurs sages conseils que l'on dut l'adoption des mesures propres à finir les troubles de l'é- glise, en rapprochant Napoléon et le pape, et en faisant admettre par celui-ci le décret du concile qui terminait les refus arbitraires des bulles, et qui empêchait qu'ils ne fus- sent renouvelés.

Me demandera-t-on ce que Napoléon vou- lait, ce qu'il se proposait; rien n'est plus simple que la réponse à cette demande. La séparation du spirituel avec le temporel. C'est ce mélange qu'il n'a jamais pu concevoir. Le but était clair et distinct dans son esprit. Les

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moyens d'y parvenir n'étaient pas au même degré de clarté. Il cherchait la route , il tâ- tonnait comme un homme qui marche dans les ténèbres; repoussé sur un point, il se re- pliait sur un autre, souvent avec aussi peu de succès , en raison de son ignorance de ces matières , qui lui interdisait un bon choix dans ses mesures. Peut-être qiravant d'avoir auprès de lui un conseil propre à lui faire connaître la profondeur des racines que le catholicisme a jetées dans l'esprit de la plus grande partie des habita ns de 1 empire , par une débauche d'esprit et de pouvoir, aurait-il cru pouvoir renouveler en France ïes scènes d'Henri VIII ou du Czar Pierre , en se dé- clarant le chef extérieur et le protecteur de la religion catholique : mais cette idée n'avait point laissé de traces dans son esprit. Il l'a- vait conçue en s'appuyant sur la confianceque lui inspirait rattachement des Français. Elle allait jusqu'à l'infini. Je l'admettais avec lui pour les champs de bataille , mais je le niais absolument pour les autels. Ces deux choses ne se ressemblent point.

Napoléon s'était proposé de fixer le séjour du pape à Paris ; il avait devant les yeux

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l'exemple de Constantin, et Je souvenir des malheurs qu'avait entraîné le trop grand éloi- gnement de ces deux pouvoirs. Il lui parais- sait aussi convenable que le chef du culte ca- tholique résidât auprès du souverain de la plus grande partie de la catholicité , i<> pour pré- venir les malentendus que la séparation pou- vait faire naître ou favoriser ; 20 pour faciliter les rapports que les besoins de la religion ren- daient indispensables. C'est dans cette vue qu'il avait fait orner avec grandeur l'archevê- ché de Paris , et venir le pape à Fontainebleau.

Lorsque la catastrophe de Russie , chan- geant la fortune de Napoléon , l'eut averti que le pouvoir de disposer des sceptres lui avait échappé , et q'uà son tour il pouvait avoir à défendre le sien propre, ses prétentions bais- sèrent, et il se rabattit au séjour d'Avignon et aux autres stipulations du concordat de Fon- tainebleau.

Il faut bien distinguer ces gradations dans les intentions de Napoléon, pour avoir le fil vé- ritable de sa conduite dans cette affaire. Na- poléon avait dans l'esprit une singulière té- nacité. L'idée une fois conçue, revivait sui- vant les circonstances, et je ne doute point

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que si la fortune lui eût rendu, avec ses fa- veurs, ses anciens moyens de suprématie, il n'en eût profité pour fixer irrévocable- ment le séjour du pape à Paris; celui d'Avi- gnon était visiblement un intérim.

Napoléon avait fini par se calmer sur les affaires du clergé. A force de nous entendre répéter qu'il n'y avait pas d'intérêt, que la fidélité du clergé ne souffrait point des cir- constances ; que le temps suffirait pour amener tous les redressemens désirables, il avait fini par se le persuader lui - même : aussi, pen- dant tout l'hiver qui précéda l'expédition de Russie, comme à l'audience qu'il donna aux: évêques revenus de Savone, Napoléon ne cessa de dire que le clergé était fidèle , que tout cela ne lui faisait rien du tout; que ce né* tait plus une affaire pour lui; que les grands* vicaires et les chapitres administraient aussi bien que les évêques; quil avait des répon- dans dans les uns comme dans les autres , et mille choses semblables qui suffisaient pour faire connaître, à qui le connaissait, la nou- velle direction de son espritll voulait dès-lors que toutes les affaires du clergé devinssent Fob- jet d'un arrangement général qui l'en délivrât

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à jamais. Il en était excédé. J'en eus la preuve dans le cours de cet hiver de 1811 à 1812: car un jour que j'insistais sur la miseen liberté de quelques prêtres du diocèse de Malines, il me répondit avec le ton du maître, ne me parlez plus de cela, je rendrai tout à la fois. Ce fut le trait de lumière.

Napoléon a appesanti sa main sur un grand nombre de membres du clergé, surtout en 181 3. Les mémoires de Ste. -Hélène que je crois sincères sur cet articie, articulentqu'il y a eu plus de cinq cents captifs parmi le clergé. Sûrement cela est bien déplorable : un seul serait trop. Mais est - ce seulement sur des prêtres ou sur deshommes pris en flagrant dé- lit de contraventions à leurs engagemens et aux lois de leurs pays, que les coups sont tombés? En quel pays cela serait-il toléré, ou resterait-il impuni? Ici la vérité force à des aveux pénibles.

Des hommes dont l'état répond à deux fins différentes, se croyent permis de suivre une ligne double; ils sont citoyens et prêtres : ils veulent agir en sens opposé, à l'abri d'un de ces deux titres; un je ne sais quel zèle dé- nature tout à leurs yeux, et leur montre tout

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licite, pourvu que leur conviction ecclésias- tique et leurs règles théologiques soient sa- tisfaites et accomplies : alors tout est bien. Ils trouvent des applaudissemens, des exci- tations sincères ou intéressées, et ces dernières forment le grand nombre. C'est ce qui est ar- rivé dans le temps de Napoléon. Une trop grande quantité de prêtres se sont établis dans le monde comme les ennemis et les dis- solvans de l'ordre politique qui existait alors, ainsi que comme les agens de correspondances, de menées et d'intrigues dirigées contre lui. La révolution a rendu fort savant dans ce genre, et fait embrasser ce métier à beaucoup de gens qui n'y étaient point appelés. On a dissous des congrégations très - respectables dans l'esprit de leur institution. De bonne foi qu'y faisait-on dans le temps de Napoléon? Un souverain est-il tenu de caresser qui le dé- truit ? ne peut- il qu'être attaqué? [lui est-il in- terdit de se défendre,d'opposer des armes à des armes ? est-il astreint, par quelques lois, d'as- sister froidement aux préparatifs de sa des- truction ? Une chouannerie religieuse , c'est le mot propre, avait été organisée contre Na- poléon : il en connaissait tous les fils, et il

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s'est reconnu impuissant à réprimer le* mains opiniâtres et cachées qui les renouaient sans cesse. Malheur aux princes qui ont à faire avec ces ténébreux ennemis ! A la fin , l'opposition avait gagné partout , plus ou moins ouvertement ; dans la Belgique elle était complète en i8i3, et ce pays avait, sous ce rapport, échappé à l'obéissance de Napoléon. En voulant lui appliquer la pierre infernale, il ne fit qu'augmenter le mal.

Napoléon, harcelé par les prêtres, se re- tournait contre eux comme le lion le fait contre les chasseurs. Les moins craintifs étaient blessés , et s'en retournaient en criant à la violence, lorsqu'ils n'auraient accuser que leur téméraire imprudence.

Du temps de Napoléon, la mauvaise foi à son égard était devenue une espa ce de dogme. Il l'a rencontré également au dedans comme au dehors (i). Je ne crains point de répéter ici ce que j'ai avancé dans mes mémoires sur

(1) Cette assertion veut être prouvée. Au dehors , la guerre d'Autriche , celle de Prusse , et la première de Russie provoquées évidemment par

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la révolution d'Espagne : c'est que si Napo- léon a trompé beaucoup, on a encore plus voulu le tromper. Il a constamment vécu au milieu d'observations hostiles sous forme d'adulations et d'hommages ;il s'est sans cesse

l'étranger; Napoléon u'avait rien fait contre aucune de ces puissances.

Naples fait un traité , et quinze jours après se réu- nit à la coalition dissoute à Austerlitz. Le prince de la Paix , à la nouvelle de la guerre de la Prusse , fait un armement général contre Napoléon, et dit ensuite qu'il regardait l'Empereur de Maroc. l'Autriche fait la guerre de Wagram, sans aucune provocation personnelle. Voyez son manifeste. Après Austerlitz elle s'était engagée à ne plus faire la guerre. Un envoyé en résidence auprès de Napoléon et dans sa familiarité depuis plusieurs années s'enfuit, pendant qu'on fusille le malheureux qui lui a livré le secret de J État.

En i8i3, les troupes allemandes passent à l'ennemi sur le champ de bataille , il faut se faire jour à travers l'armée d'un Roi allié, à la bataille de Hanau, Murât se joint aux ennemis de Napoléon.

Dans l'intérieur , madame la marquise de la Roche- Jaquelin,n'a rien négligé pour convaincre à cet égard les plus incrédules : elle a pris la peine de donner les noms , et ses soins se sont étendus sur ceux que leurs places au service de Napoléon font rencontrer avec cruelqu'étonnement dans cette route , plus lucrative sans

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retrouvé au milieu de coalitions renaissantes, d'inimitiés ouvertes ou cachées, de déprécia- tions personnelles : il ne s'est point écoulé un seul jour sans qu'il n'eût la certitude que la nécessité ou sa force propre ne fussent ses seules sauve gardes. Il a pu reconnaître de la résignation , mais point de bonne foi. L'Au- triche fut sincère depuis le mariage jusqu'à la catastrophe de Russie : parmi les souverains de la famille, un ou deux suivirent le chemin de la reconnaissance clairvoyante ou de l'hon- neur : tout le reste fut plus ou moins ennemi ou perfide. Il en a été de même dans l'inté- rieur, et je le dis à regret, parmi quelques membres du clergé, la bonne foi s'est trouvée bannie. On s'était fait, à l'égard de Napoléon, un code de morale semblable à celle que les théologiens de certaines écoles avaient pro- pagé à l'égard des hérétiques, envers lesquels

doute qu'honorable. Depuis la chute de Napoléon , com- bien se sont parés de ces titres d'intrigues, et en ont demandé le salaire. J'avais donc raison de dire qu'en fait de tromperie, on ne se devait rien de part et d'autre.

L'envie de nui.~e à Napoléon avait démoralisé le* particuliers comme les Étals: si cela eût duré, on ne sait pas ce qu'il en fût résulté.

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ils dispensaient de l'obligation d'observer îa foi donnée , comme si la foi se rapportait à l'homme qui la reçoit , et non pas à l'homme qui la donne , et primitivement à la foi elle- même , comme principe de toute obligation. Ces casuistes-là n'auraient pas accompagné Regulus à Carthage.

Ces manœuvres sourdes, ces petites et vi- laines pratiques avaient irrité Napoléon et le portèrent à une déplorable sévérité. Violent et fort comme il était, accoutumé à tout atta- quer et renverser de front, les petits moyens, les attaques détournées l'enflammaient, moins encore par leur importance que parce qu'elles avaient d'antipathique avec son caractère. Il en méprisait les auteurs, et le mépris, chez les hommes armés d'un grand pouvoir, n'est pas séparé du sacrifice par de grandes distances. C'est ce qu'ignoraient les hommes imprudens qui se livraient à ces pratiques. Quand ils étaient pris, ils venaient susciter des commi- sérations peu courageuses, ou soulever des oppositions peu généreuses. Maisalors comme il ne s'agissait que de saper et détruire, tous les moyens paraissaient bons.

Dans ce même temps se faisait remarquer

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aussi une disposition dont mon devoir d'his- torien ne me permet point d'omettre la men- tion. Des hommes tout-à-la-fois veulent et ne veulent pas, avancent et reculent, ne s'en- tendent pas eux-mêmes. Ils sont placés au- près de Napoléon \ ils ont beaucoup reçu de lui, ils l'ont beaucoup exalté ; ils persévèrent sur cette ligne d'utilité personnelle, et sur d'autres points ils crient, se séparent, s'op- posent, s'ameutent. La légion d'honneur de- vient la décoration briguée de l'Europe. Elle brille sur la poitrine de tous les souverains, de tous les chefs des armées et des conseils de l'Europe; le sacré collège, tout le clergé la porte sans trouver matière à une objection. Un prélat d'un grand nom, d'une piété émi- nente, d'un esprit très-aimable, découvre dans cette décoration des taches qui ont échappé à tous les yeux ; il est attaché au service per- sonnel de Napoléon ; il en a reçu des mar- ques honorables et profitables de bienveil- lance, il s'obstine à ce que son refus soit porté à la connaissance de Napoléon. Celui- ci l'interroge en riant sur ses scrupules. Une réponse séminaristique provoque une répli- que de mépris. Puis une explication sur les

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suites de ces directions particulières de cons- cience; puis une apostrophe sur la nécessité de se bien entendre soi-même; puis l'offre de faire rendre par le souverain qui l'avait donné , le poste qu'on occupait dans ses États. De quel côté était la raison? Les opposans appelaient cela du caractère. Il faut en avoir de reste pour le placer sur de pareils sujets.

Les ambiguïtés, les subtilités étaient les antipodes du caractère de Napoléon. Aussi les avait-il en horreur. Esprit lumineux et tran- chant, porté au grandiose , occupé de soins immenses, l'ambiguïté et la tortuosité étaient ce qui devait lui convenir le moins. Je sais sur quel ton il parlait de ce qu'il appelait les petits prêtres et lagent dévote : il se sentait rongé par la dent de ces ennemis invisibles. Napoléon n'a jamais pu concevoir comment les membres de sa chapelle étaient toujours à la tête de l'opposition contre lui : qu'ils en sortent et qu'ils s'opposent après, disait-il î Dans le fait il était assez singulier que depuis îe grand aumônier jusqu'au dernier clerc, moins deux ou trois qui marchaient avec simplicité et droiture, tout le monde y fût contre lui. Chez quel souverain cela serait-il

souffert? et cependant il le connaissait et le tolérait. Aussi lorsqu'un jour je lui proposai des nominations, men répondez-vous, me dit-il devant beaucoup de monde : car, ajouta- t- il sur le ton de l'ironie, au moins faut- il que dans le clergé je puisse compter sur ma chapelle. C'est à cet imbroglio , à ce défaut de se bien bien entendre soi-même, que MM. les évoques de Gand et de Troyes durent les sévices qu'ils eurent à éprouver; ils avaient irrité Napo- léon, et comme la maladresse se glissait par- tout pour tout gâter, ce fut encore une lour- dise de M. le cardinal Fesch qui détermina l'explosion contre ces prélats. Je dirai com- ment et à qu'elle occasion.

On a vu sous Napoléon des hommes qui avaient pris les engagemens les plus formels de s'abstenir de toute correspondance avec les diocèses qui leur avaient appartenu , leurs dé- missions données, ayant cimenté de toute manière l'abdication de leurs droits, et puis, par des distinctions jésuitiques, continuant ces mêmes correspondances pour contrarier l'action même à laquelle ils s'étaient engagés de coopérer. On saisssait leurs agens plastron- nés de raandemcns et d'autres actes. Alors

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arrivaient des redoublemens de sévices. Le public les voyait sans en connaître le prin- cipe ; il les attribuait à barbarie , à mépris de la religion de la part de Napoléon , et celui-ci de son côté restait convaincu qu'il y avait une classe d'hommes avec lesquels il n'y avait ja- mais rien de fini. On ne saurait croire le mal que cela a fait, et ce qui avec un homme de cette trempe en fût advenu , s'il fût resté le plus fort.

Les événemens ont absous les auteurs de cette irritation des suites qu'elle aurait eues ; mais ils peuvent se tenir pour convaincus d'avoir fait courir de grands dangers à la chose que sûrement ils avaient envie de servir. Les événemens peuvent être une apologie plus profitable que glorieuse. Ils avaient totale- ment dégoûté Napoléon du clergé ; ils lmi avaient donné regret à ce qu'il avait fait pour lui , et il est très-probable quaprès l'avoir mis aux prises avec les cours impériales, comme il le fit par le décret du 2 3 mars i8i3 , il se se- rait borné à le laisser végéter. Tel était le ré- sultat préparé par une conduite sur laquelle aucune représentation n'avait pu mordre. C'était comme avec le côté droit de l'assemblée

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constituante, d'honorables maladroits , et des aveugles incurables. Leur cataracte n'a pas encore été levée.

On s'affligeait et on riait tout-à- la-fois du spectacle qu'offrait la maladresse avec laquelle on s'y prenait pour agir religieusement sur l'esprit de Napoléon. Que l'on me pardonne des détails qui souvent peignent mieux les hommes que les actions destinées pour la scène du monde. Napoléon portait partout son esprit investigateur. Il se faisait rendre compte de tout ce qui se passait sous ses yeux dans le cours de l'office divin ; il par- courait rapidement les livres que l'on lui remettait; s'il en goûtait la lecture, il s'y atta- chait, et demandait fréquemment des expli- cations. Il avait paru bon de profiter de cette disposition pour lui faire connaître nos clas- siques religieux, tels que Massilion, Bossuet, Bourdaloue dont il n'avait encore fait qu'en- tendre parler. Par on tendait à lui faire concevoir de la considération pour le génie religieux, car avec lui l'estime était la base de tout. Sûrement ce plan était calculé dans l'in- térêt de la religion. D'autres au contraire s'attachaient à mettre sous ses yeux des ou-

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vrages très-pieux à la vérité , mais qui eussent été mieux placés dans les mains de novices de couvent, que dans les siennes. Il les rejetait au bout de deux minutes. Un jour, c'était à Lyon , lors de son voyage en Italie , on lui remit un livre de cette espèce. Le moment d'après, il me le rendit en me disant, il ny a que des bêtises dans votre livre. Le malheur voulut qu'il se trouvât être l'ouvrage d'un de ses chapelains. C'était une bien pauvre ma- nière de diriger un homme tel que Napoléon.

On avait fort désiré de voir renouveler de- vant lui l'usage de la prédication : on y voyait à la fois bon exemple et encouragement pour cette partie du ministère, qui a toujours été un des titres de gloire du clergé français et de la France (r). encore on vint échouer, et lui faire prendre en aversion ce qu'il au- rait goûté sous une forme mieux calculée.

(1) Si j'avais conservé l'administration de la grande aumonerie, les places de la chapelle et les secondes places du chapitre de St. Denis, auraient été attribuées aux prédicateurs soit comme retraites , soit comme moyen de se former. Cela paraissait plus utile que des nominations vagues ou qui ne se rapportaient qu'à la faveur.

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M. de Boulogne, évèque de Troyes, parla de- vant lui à Noire-Dame au retour de la bataille de Wagram. Après avoir employé des figures de rhétorique semblables en tout à celles dont il use aujourd'hui, pour montrer dans Napo- léon ï homme de la droite, il tomba dans des écarts qui l'irritèrent beaucoup, ainsi qu'une partie de l'auditoire. Il s'abandonna à des re- montrances bien hors de saison : ce n'était pas le lieu. A l'arrivée dosa nouvelle épouse, Napoléon voulant lui retracer l'image de ce qu'elle aurait vu dans le palais de ses pères, consentit à ce que l'on prononçât un discours le jour du vendredi saint : c'était à Com- piègne. L'orateur plus pieux que judicieux fit subir à cet auditoire novice la souffrance d'une heure et demie d'assistance au débit d'un discours dont la forme était très-peu propre à faire oublier la longueur. On se re- cria, et Napoléon jura qu'on ne l'y repren- drait plus. Voilà comme quelques personnes entendaient le gouverner, et la suite des pieuses maladresses avec lesquelles on le dé- tournait de la route dans laquelle des calculs mieux appropriés à son genre d'esprit l'au- raient fait entrer et l'auraient fixé. C'est un

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grand supplice que celui d'avoir à marcher de conserve avec d'aussi mauvais manoeuvriers : je l'avais éprouvé dans toute son étendue avec le côté droit de l'assemblée constituante et l'émigration, autres vaisseaux qui portaient très-mal la voile.

De tout cela il s'était formé dans l'esprit de Napoléon un éloignement pour le clergé, qui donnait fort à faire à ceux qui pensaient que sa direction devait être calculée sur son caractère propre , et non point sur des abs- tractions mystiques qui lui étaient tout-à-fait étrangères.

Maintenant , si l'on me demande quelles étaient les dispositions générales du clergé à l'égard de Napoléon , je répondrai qu'il n'y a jamais eu parmi le clergé une opposition , soit directe, soit générale. Il était trop puissant pour que l'une ou l'autre pût avoir lieu. Le clergé a toujours eu de hauts principes de fidélité à l'égard des souverains; ils l'ont di- rigé à l'égard de Napoléon. Il lui a été fidèle, pour ne pas cesser d'être fidèle à ses propres principes: mais il n'y a jamais eu amour ni confiance. Cela n'était pas dans la nature des choses; il était philosophe, et jamais clergé

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n'a aimé un philosophe. L'affection plutôt que la conduite du clergé s'est plus composée de nuances que de laits positifs. La joie de sa résurrection, la reconnaissance, la décevante espérance l'animaient après le concordat. Le terme de ces sentimeus arriva bientôt, mais la fidélité resta toujours dans l'ensemble du corps : quelques exceptions ne font pas loi pour un corps. Lorsque l'état du pape fut de- venu très -douloureux, il était dans la nature des choses que le clergé le ressentît vivement. Il a rempli ce devoir. Il s'arrêta peu à la bulle d'excommunication; mais le spectacle de cette captivité le refroidit beaucoup, d'autres actes de violence achevèrent de lui inspirer de la défiance et de le détourner de lui. Elle était fort grande cette défiance, lorsque le concile fut rassemblé : Napoléon y avait donné lieu; il est difficile de se conduire avec moins d'art qu'il le fit alors, comme je le montrerai. Dès ce temps, le clergé faisait comme tout le monde. Il supportait Napoléon , quoiqu'il fût devenu insupportable ; il y ^partit, lorsqu'il tomba; dans ce moment le clergé rappelait les juifs à la fin de la captivité

Il était arrivé ce qu'il était bien naturel de T. II. i$

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prévoir. A l'époque du concordat,le clergé ren du àses temples, àlaliberté, Napoléon de son côté comptant sur l'appui du clergé, ne pou- vaient manquer de présenter cette apparence d'accord qui se fait toujours apercevoir entre des contractans réunis par des intérêts com- muns et fort vivans. Mais aussi entre des con- tractans de nature si diverse , le ciment véri- table de toute liaison, la confiance, la foi manquait, et ne pouvait pas même se ren- contrer. D'un côté étaient des prêtres et de l'autre des soldats et des philosophes : d'un côté on ne croyait pas , de l'autre on n'entendait pas: pouvait se trouver l'accord? Ils avaient l'air d'être embarqués dans le même vaisseau : loin de , ils étaient placés sur deux vaisseaux distincts que des vents et des pilotes différens devaient séparer tous les jours, jusqu'à ce qu'ils en vinssent à se combattre. Le résultat était évident, le jour même du concordat : comment des prêtres qui venaient de voir leurs autels renversés par la philosophie, qui tremblaient encore pro aris et pro focis. au- raient-ils pu avoir foi à des philosophes armés? Comment ceux-ci auraient -ils pu suivre les prêtres dans tous les circuits, et

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détours de leurs pratiques? Ils prenaient les choses en bloc pour ainsi parler. Tout ce qui n'atteignait pas le gros de la chose ne les affec- tait pas, ou leur échappait naturellement : les prêtres au contraire ne pouvaient en juger de même, et veillaient avec une égale in- quiétude sur chaque partie du dépôt confié à leur garde. Il était donc évident qu'on n'était pas destiné à s'entendre long-temps. C'est ce que Napoléon, malgré sa prodigieuse saga- cité, n'avait point assez bien conçu. Il ne s'é- tait pas assez dit à lui-même que sa qualité de philosophe amortirait chaque jour l'effet de ce qu'il ferait pour la religion, aux yeux d'hommes qui voyaient dans Ja philosophie l'ennemi principal, et qui aimaient à lui rap- porter tout ce que la religion et eux avaient eu à souffrir. Napoléon soupçonné de peu de foi avait à faire davantage pour s'établir dans l'esprit du clergé, et compenser ce qui lui manquait de ce côté : son titre de philo- sophe annulait la moitié de ses bienfaits. Voilà ce qu'il fallait bien entendre, ce qu'il s'est dissimulé à lui-même, car il avait le germe de cette vérité comme de toutes les autres, ce qui aurait le fixer à la tolérance. Dans l'im-

18.

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possibilité d'être cru , il n'avait de ressource que de tolérer. Quand on traite d'affaires, il faut commencer par bien discerner les élé- mens qui entrent dans leur composition.

On sent qu'il n'a point manquer d hommes qui ont beaucoup répété au clergé qu'il n'était qu'un instrument dans les mains de Napoléon , et qui n'aient cultivé avec soin les dispositions personnelles qu'il avait à le croire Parmi ses membres, il n'a pas en manquer non plus qui partaient de ce qu'ils retrouvaient pour regretter ce qu'ils n'avaient plus, et que la vue du second temple ne fissent rappeller vivement de la splendeur du premier. Il n'en faut accuser personne en particulier : la même chose se retrouve dans tous les grands déplacemens , et sur cet article le clergé a été encore plus tempérant que l'émigration.

Napoléon avait formé une institution nou- velle, celle du ministère des cultes. Cette division ministérielle était supérieure à l'an- cien ordre dans lequel le clergé dépendait à la fois du ministre de la feuille et de celui de la maison du Roi. On ne voit pas ce que !e clergé avait à faire avec la maison du

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Roi tRamener cette institution à l'unité était un bien réel pour la chose. La multiplicité des affaires auxquelles mille causes donnent lieu, ne permettait point de se passer d'une administration spéciale pour le clergé. La placer au rang des ministères était relever le clergé lui-même.

On parut quelque fois désirer que ce mi- nistère fût confié à un ecclésiastique. Sûre- ment il eût été beau de voir un ecclésias- tique faire jouir avec impartialité tous les cultes de la protection de l'Etat. Mais d'un autre coté, il faut aussi considérer que le temps seul aurait pu établir la confiance parmi beaucoup d'hommes chez lesquels le soupçon de partialité n'était pas écarté par la nature des choses ; de plus , ce ministre devant faire partie du conseil des ministres , aurait , par état, été très-souvent plutôt té- moin qu'acteur, dans un lieu se traitaient beaucoup de questions purement politiques. Dans le fait, il n'eût été ministre qu'à demi, en comparaison de ses collègues. Au reste, un eclésiastique occupant ce ministère , n'au- rait pu apporter plus d'empressement pour le bien des églises , comme pour la salisfac-

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tiôn personnelle des membres du cleagé , que ne l'ont fait 1< s deux hommes qui ont rempli cette place , MM. Portalis et Bigot de Préameneu. La vaste science , les lumières , l'urbanité et la bienveillance que le clergé a toujours trouvées en eux , ont puissam- ment contribué à soutenir son courage, à alléger ses souffrances et ses peines, à améliorer son sort , à le préserver du mal; jamais l'autorité ne put être remise entre des mains plus douces, plus conciliantes, ni exercée d'une manière plus analogue aux mœurs même du clergé ; jamais celui-ci n'eut à s'apercevoir qu'il n'était pas dirigé par un des siens.

Je dois répondre à ceux qui reprochent au clergé d'avoir prodigué les éloges à Na- poléon. Je touche une corde délicate, et pour le défendre , on m'a réduit à attaquer.

Le clergé a-t-il seul , exclusivement loué beaucoup Napoléon ? Ta-t-il loué plus que le reste de l'Europe, que le pape et la cour de Rome ne Font fait ? a-t-il tenu un autre lan- gage que celui qu'en tout temps l'église a parlé aux princes ? J'en appelle à tout homme de bonne foi. Pendant j6 années, hors le

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duc de Bassano , Napoléon n'a pas eu de flatteurs particuliers; il n'en a eu qu'un, le monde. Pendant seize ans, il n'a pas eu d'ad- mirateurs particuliers ; il n'en a eu qu'un, le monde. Pendant ces seize ans , quel est le potentat, le corps, le particulier qui l'ait abordé autrement qu'avec le langage de l'ad- miration , et dans une autre attitude que celle de la soumission? On s'est redressé depuis qu'il est loin , mais pendant long- temps on s'exerça à rester courbé devant lui. Qu'on ouvre les procès-verbaux du cler gé, et que l'on compare avec ce qui a été écrit dans ces derniers temps ! L'bistoire universelle de Bossuet n'est pas exempte de suppositions flatteuses pour Louis XIV, et d'une étrange nature. Le clergé a toujours parlé au pouvoir et du pouvoir avec beau- coup de respect , non à cause du pouvoir même, comme on le lui impute à tort, mais à cause de l'origine du pouvoir dans lequel il a toujours vu le droit divin : idée fausse assurément , bien démentie par le peu de ressemblance d'un trop grand nom- bre de ces images avec leur modèle sup- posé; mais qui étant sa doctrine, tout en ae-

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disant son jugement, absout sa dignité. Quelque chose qu'ait dit le clergé moderne, aucun de ses discours n'est descendu aussi bas que les épîtres dédicatoires de Corneille et de Boileau, et quelles qu'aient été les phrases de mauvais goût et de mauvais sens qui soient échappées à des membres du clergé, ce n'est point à un ecclésiastique , mais à un préfet gentilhomme qu'appartient ce mot, qui est sûrement le nec plus ultra du sot bel esprit flatteur : Dieu fit Bonaparte et se reposai Depuis 1 8 1 4 , que n'a-t-on pas eu à entendre de la façon des parleurs publics? Il faut plaindre plutôt qu'accuser des hommes qui trouvant toutes les formules épuisées, sont tombés dans le ridicule , en voulant faire du neuf ou de l'esprit. Ces observa- tions malveillantes sont toujours l'ouvrage de gens qui, bien protégés par le délaisse- ment dans lequel on a eu le bon sens de les laisser , mettent aujourd'hui leur inno- cence à l'abri de leur nullité. Il eût été cu- rieux de voir ce qu'ils auraient fait , si on les eût admis à agir.

Que l'on cesse ces allégations haineuses. C'est mettre en action la fahle des animaux

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malades de la peste. Attaquer de grandes associations d'hommes , c'est attaquer l'hu- manité même. tous ont péché , per- sonne n*a péché , a dit Saint Augustin. Cette maxime vraiment chrétienne renferme plus de sens et d'utilité qu'une bibliothèque de reproches.

Je regarde comme un devoir de repous- ser les reproches adressés avec irréflexion et dureté à des membr es distingués duclergé, et particulièrement à M. le cardinal de Bois- gelin. Depuis long temps il n'est plus, je n'ai eu aucun rapport avec lui ni avec ses pré- dications. La vérité et la justice guideront seules ma plume. On a voulu opposer à eux-mêmes ce prélat et d'autres encore , et les montrer tombés dans des contradictions qui, par-là même que ces hommes ont été revêtus d'honneurs, ou mis en possession de places , déposent sur leur caractère une teinte toujours fâcheuse d'intérêt personnel. La justice exige de bien distinguer le temps et les circonstances. Lorsque M. de Bois- gelin parlait à Londres des droits de la maison de Bourbon , et de son attachement pour elle , la question était concentrée entre

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cette maison et la république. L'affreux ré- gime de la terreur , l'effacement complet de la religion , la séparation avec toutes les parties de l'association européenne , même avec le monde entier, formaient l'état de la France. Voilà le point de vue saisi par ces orateurs. Ils parlaient de ce qu'ils voyaient et de ce qui existait.

Lorsqu'ils parlaient à Paris , rien de tout cela n'existait plus. L'Europe et l'Angleterre à Amiens , avaient reconnu la république et le premier Consul. L'ambassadeur de celui- ci était à Londres, comme celui d'Angleterre était à Paris; et ce dernier en valait bien un autre, car c'était le plus grand personnage de l'Angleterre , Lord Gornwallis.

L'Autriche , la Prusse, la Russie sous Paul , avaient leurs représentans à Paris. Et ce qui était décisif, les princes de la maison de Bourbon - Espagne , étaient les plus anciens en date , comme les plus avancés dans l'amitié de la république française, et de son premier Consul. On venait de voir la fille du Roi d'Es- pagne et l'Infant de Parme, de la maison de Bourbon , recevoir à Paris la couronne d'E- trurie. Depuis long-temps l'Espagne avait

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cessé toute réclamation pour la famille de France 5 depuis j 796 elle était en alliance avec la république. Qu'ont à faire les parti- culiers en face de pareilles autorités? De son côté, la France était rentrée dans Tordre de la religion et des sociétés. Comment imposer à des hommes pensans , à des évèques, des devoirs semblables, dans des positions si différentes? Comment vouloir les enchaîner par des paroles, à des choses variables, comme si les choses étaient immuables et éternelles, et les juger dans un temps, par les choses d'un autre?

Ces évêques se sont conduits en citoyens et en prêtres éclairés et courageux. Us ont fait passer avant tout , même leur renommée, la religion et la patrie. Leur conduite est un hommage véritable rendu aux principes sur lesquels reposent la sûreté et la tranquillité des sociétés.

Ces principes exigent invariablement de s'abstenir de toute attaque contre Tordre établi dans l'État, de tout sacrifier plutôt que de consentir à le troubler, et même pour le défendre j ces évêques l'avaient fait. Nous Ta- foustous fait comme eux: ce devoir accompli,

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lorsque le changement est devenu irrévocable, lorsque tout espoir de retour est perdu, alors le devoir change , non pas de nature, mais d'objet. Il reste toujours la patrie pour le ci- toyen, et la religion pour le prêtre : c'est st cela qu'il doit s'attacher. Tout ce qu'il a fait sur cette ligne est parfaitement conforme à la raison et au devoir. Voyez ce qu'en pensait l'amiral Blake. Le contraire n'est plus qu'une ténacité aveugle, souvent intéressée , que des événemens inouïs peuvent faire prévaloir, mais ne justifient pas. Des hommes sensés ne prennent point pour base de leur con- duite ce qui est hors de la nature , ce qui dépend des coups du sort ou des caprices d'un homme. Si la paix se fut faite, comme elle a pu l'être cent fois, que devenait cette pertinacité? Lorsque le fils de Napoléon na- quit au milieu de la résignation de l'Eu- rope, lorsque celui-ci marchait en Russie, les opposans ne passaient - ils point pour des insensés, et l'on sait l'on aurait en- voyé faire ses observations celui qui , en 1810, aurait, au bout de sa lunette, montré les événemensMe i8i4- Parce qu'un homme a rendu la sagesse folie , et la folie sa^

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gesse, il ne faut pas jouer ses actions au

dez.

Le reproche adressé à M. de Boisgelin et autres, eût été fondé , s'ils avaient laissé échap- per le moindre mot contre ceux envers qui ils avaient proclamé leur attachement, s'ils avaient foulé aux pieds ce qu'ils avaient adoré, et adoré ce qu'ils avaientfoulé aux pieds; alors ils auraient ressemblé à ces hommes qui, après avoir servi Napoléon dans toutes sortes de postes , aujourd'hui ne parlent que d'u- surpation et de légitimité , sans s'apercevoir que par-là ils montrent que la fidélité ou l'instruction leur sont venues un peu tard. Mais on n'a rien de pareil à objecter aux premiers ; ils se sont bornés à être les servi- teurs de la patrie et de la religion, sans être les détracteurs de leurs anciens maîtres.

Ce chapitre est une nouvelle et frappante preuve des inconvéniens du mélange du spi- rituel avec le temporel. Considérez - en les effets. Voyez en étaient , en 1801 , les au- teurs des scènes qui ont été retracées, et ils en étaient venus en 1808. Quelles peines ne se seraient - on pas épargné de part et d'autre en s'en tenant à la tojérance, comme

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tout conviait à le faire; à cette source de paix et de droiture, parce qu'elle l'est de li- berté; au lieu qu'avec toutes les religions officielles on court le risque de n'avoir que des visages d'hypocrites et des cœurs de ré- voltés !

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VV V W iVV»VVlVVl\VlVV VW IIV VW IWUV WV V W WV WV V W i.'VV

CHAPITRE XXXII.

Faits relatifs à la querelle du pape avec Napoléon. Bulle d'excommunication. Premier degré de capti- vité. — Nouveaux actes du pape. Second degré de captivité.

Ce titre montre l'intention du récit qui va suivre.

Une querelle s'allume. Les combattanssont de nature différente. L'un a des armes , et l'autre des titres au respect, et les droits que donne la vertu. Tous les cœurs généreux vont être pour lui. L'un est très-faible et l'autre très-fort. A ce titre, l'intérêt ne peut appar- tenir à celui-ci : le cœur humain ne lui accorde que les droits à la justice. Lapolitique agitseule et en liberté d'un côté. De l'autre, se trouve un bisarre assemblage de la politique avec la religion. Des mécontentemens antérieurs, des excitations étrangères, une grande igno- rance du caractère de l'ennemi, que l'on sert en voulant le combattre, des conseils à contre- sens de tout ce qui existait et de tout ce qu'il

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y avait à Faire, tels sont les mobiles qui ont décidé de tout ce qu'on va voir.

Il est arrivé dans cette querelle ce que l'on remarque dans beaucoup d'autres. D'un côté le mécontentement aigrissant les esprits, avait préparé la division : l'étranger était venu l'augmenter et en profiter. Des hommes, or- ganes d'un parti très - honnête , sûrement, mais très-ignorans du monde et des affaires , faisaient suivre un plan contraire à ce que demandait la nature des choses. Le pape mettait sa vertu et son courage à le soutenir. Les injures s'aggravaient, les blessures s'en- venimaient, il était clair que l'on courait à une catastrophe.

De l'autre côté, le défaut de considération pour ceux avec lesquels on traitait, le senti- ment de la force , son usage et son succès habituel , l'ignorance ou plutôt le mépris le plus complet de toute affaire religieuse dont alors on ne connaissait pas la portée , enfin la direction de ces mêmes affaires remplie au hasard et exclusivement par Napoléon, libre de se livrer aux aberrations de sa pré- somptueuse ignorance surles matières ecclé- siastiques , tels ont été les principes de sa

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conduite qui, sous beaucoup de rapports, a inspiré de l'horreur, et éloigné beaucoup de lui. D'après cet exposé, il a existé des torts de part et d'autre , quoique dans une mesure bien inégale , sans doute, les torts de la fai- blesse ne pouvant jamais être évalués comme ceux de la force. On s'est conduit, à Rome, comme les aristocrates l'avaient fait en France. Rome était devenue un autre Coblentz ; on aurait dit le coté droit de l'assemblée consti- tuante^ transporté à Rome; à l'exemple des aristocrates français , on vit alors les aristo- crates romains faibles et provocateurs , sans défense et assaillans, opposant des protesta- tions à des armes , des subtilités à des batail- lons , appelant à la fois au combat et à la pitié , parlant à leurs ennemis un langage qu'ils n'entendaient pas , campés sur un sable mou- vant et se croyant sur un rocher; de pareils hommes font éprouver un supplice bien pé- nible, celui d'être forcé à partager pour ainsi dire en deux le même homme dont on re- chercherait l'un pour ses qualités estimables, et dont on fuyerait l'autre dès qu'il s'agit d'affaires. Comment, en effet, s'y embarquer avec des esprits faits de cette sorte ! C'est un

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des tourmens les plus cuisans que l'on ait eu à sujiporter depuis trente ans que celte classe d'hommes a fait irruption dans les affaires; on souffre de ne pouvoir accorder un grain de confiance à qui, sous d'autres rapporis , on ne peut refuser beaucoup d'estime ; de ne pouvoir converser pendant l'espace d'une se- conde , avec qui l'on se sentirait porté à passer sa vie , d'avoir à traiter avec des hommes à la fois estimables et insupportables, propres à honorer beaucoupde choses, mais à en gâter encore davantage.

Cette malencontreuse disposition des es- prits va éclater dans le récit qui suit. Je marche les preuves à la main. Le temps des passions , c'est-à-dire celui l'on immole tout au désir de satisfaire une affection, à quel- que prix que soit cette satisfaction, ce temps, dis -je, est passé. Celui de l'histoire, c'est- à-dire celui du sang-froid et de la juste ap- préciation des choses l'a remplacé. A cette époque, comme il s'agissait de nuire à Na- poléon, tout ce qui venait de Rome était saint, admirable , divin : car tel est le cres- cendo des jugemens passionnés , les passions empruntent leur langage à l'extase. Mainte-

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naut que les temps sont calmes , que Napoléon est loin, et que le pape jouit en paix de son trône révéré, le tour du jugement et de la "vérité est revenu. On a eu le loisir de se ré- froidir, d'examiner, de lever bien des voiles, on a été mis à portée de reconnaître ce qui revient à chacun, et de le lui assigner. Je traite des matières délicates , embrouillées; j$ connais l'étendue de matâche: si je dis d'autres choses que ce que les autres ont dit, le public ju- gera si ce sont eux ou moiquiFontlemieuxin- formé. J'ose croire qu'il ne me reprochera point d'avoir déposé, sur aucun des jugemcns portés dans cet ouvrage, l'empreinte de l'in- térêt, de la crainte, de la flatterie ou de l'ir- révérence.

La cour de Rome était sortie de France peu considérée par Napoléon , et même , hormis le pape, par les Français. Ils avaient peu aper- çu les cardinaux. Les seconds rangs avaient paru abjects. Le pape, à lui seul, faisait toute la cour de Rome. Elle avait repassé les monts fort mécontente, se regardant comme jouée, et des Romains pris pour dupes éprouvent II- dépit de gens qui voyent leurs rôles pris par d'autres. Sur cet article , ils trouvaient que

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Napoléon était leur usurpateur : les Romains sont peu réputés pour la facilité à oublier les injures, et ils croyaient en avoir une fort grande à venger. La déconsidération d'un coté, le mécontentement de l'autre, furent les vrais principes de la querelle , et prépa- rèrent les esprits au choc qui suivit. Dans plusieurs circonstances, et particulièrement dans la bulle d'excommunication, le pape se plaint de grandes espérances trompées : dans cette pièce, le pape dit : on nous avait fait souvent et long-temps concevoir de grandes espérances , surtout lorsque notre voyage de France fut désiré et sollicité. Bientôt on corn- mença à éluder nos prières et nos demandes par des tergiversations astucieuses , par des faux fuy ans ^ et par des réponses dilatoires ou perfides. On conçoit quelle dut être la con- fusion du parti qui, dans cet espoir, avait pro- voqué le voyage de France, et les regrets de l'avoir accompli, sans en retirer le salaire. Dès- lors toute confiance dut s'éloigner et passer du côté des ennemis de Napoléon. Ils ne tardèreut point à en profiter.

Napoléon s'était fait Roi d'Italie ; il avait réuni Gênes, donné Lucques: il gouvernait

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à Florence, par un envoyé affidé, le gênerai Clarke, devenu depuis son ministre , en at- tendant de devenir celui de Louis XVIII : par il régnai! sur toute l'Italie supérieure. Ce nouveau voisinage faisait trembler l'Au- triche dans sa nouvelle possession de Venise. La frayeur tenait Naples et Rome interdites. L'occupation de la plus grande partie de l'I- talie, par le souverain de la France accrue de la Belgique, ne pouvait pas convenir à la cour de Rome; elle revoyait sa tète menacée de nouveau par les mêmes fers que depuis tant de siècles elle en avait si laborieusement détournés , en tenant cette contrée morcelée en petites souverainetés : elle retrouvait de nouveau les Gaulois à ses portes. La peur avait la prendre; c'est son état naturel, et dans ce moment elle était très-légitime. Si l'Autriche eut été à la place de Napoléon, elle aurait fait la même chose contre cette puissance, car ici il ne s'agissait pas du no- minatif de l'ennemi, mais du danger qu'il faisait courir. Dans cette position, la cour de Rome appartenait donc à qui partageait ses ombrages contre Napoléon. Ses enne- mis devaient y trouver l'accès ouvert pair

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la crainte , l'intérêt commun et le mécon- tentement du voyage de France. Naples, l'An- gleterre et l'Autriche s'offrirent pour en pro- fiter, et promirent de servir. Depuis soixante ans Naples est une espèce de fief de l'Angle- terre. Cette cour avait à cette puissance son rétablissement en 1799. Alors Nelson régnait à Naples ; Hamilton l'avait précédé depuis vingt-cinq ans. La Reine de Naples avait trop de sujets de haine personnelle contre la France, pour que toute occasion de lui nuire ne fût pas précieuse à ses yeux. L'Angleterre en guerre avec la France , depuis i8o3 , par la rupture du traité d'Amiens, ne pouvant l'at- teindre directement, allait, la bourse à la main, lui chercher des ennemis par- tout. Elle en trouvait de tout faits à Rome ; elle ne les laissa point échapper. Depuis Lord Hervey, à Flo- rence, en X 793, jusqu'à LordBentink eni8[4, l'Angleterre n'a pas cessé un seul instant de remuer le midi de l'Europe contre la France. Mais la plus puissante de ces influences , l'in- fluence décisive, était celle de l'Autriche. Elle avait eu de la peine à reconnaître l'Empire dans la personne de Napoléon. Elle céda à la menace de la giferre,car en cas de refus»

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Napoléon allait donner Tordre à l'armée de Boulogne de faire volte face , et de marcher contre elle. Alors les blessures reçues dans les guerres précédentes étaient trop fraîches pour que l'Autriche s'exposât à la recom- mencer. Le cabinet de Vienne était partagé, comme il n'a point cessé de l'être jusqu'à la reprise de la guerre, en i8i3. Le comte de C )bentzel, signataire du traité de Lunévilie , et le marquis Manfrédini voulaient la paix : le baron de Thugut qui avait si malencon- treusement dirigé les guerres précédentes, ministre qui ne savait faire ni la paix ni la guerre , enveloppant sa médiocrité dans les ombres mystérieuses de la retraite et du si- lence , voulait la guerre ; Napoléon s'étaut fait roi d'Italie, l'Autriche se fixa à la guerre. Si Joseph Bonaparte eût accepté la couronne d'Italie, comme il en avait été pressé par Na- poléon, cette guerre n'aurait pas eu lieu. Ses hésitations décidèrent son frère. Il se fit roi de cette contrée, à son défaut. C'était un ef- frayant voisinage pour l'Autriche : elle vou- lut s'en débarrasser à tout prix, e fit la guerre d'Austerlilz. Là, ainsi qu'à W«gram, la guerre est entièrement veouo d'elle. On

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peut voir les manifestes qu'elle publia alors.

Lorsque les intérêts sont très- sensibles par leur similitude, les rapprochemens sont bien- tôt faits. C'est ce qui eut lieu en Italie , dès que Napoléon s'en fut déclaré roi. Tout se réunit contre lui : la communauté d'intérêt forma le ciment de l'alliance, et Rome devint le quartier - général des intrigues contre la France. La guerre avec l'Autriche éclata et fut bientôt terminée. Naples venait de signer un traité avec la France. Dès que l'Autriche se montra, cette cour s'empressa de le déchirer. Marcher sur Naples et rejeter de nouveau en Sicile cette Cour sans foi, fut l'affaire d'un jour. Joseph fut assis sur ce trône (i). Pie VII

(i) C'est une chose bien amusante que ce que l'on publie à Naples sur les usurpateurs de ce trône.

Voici la filiation véritable des idées :

On signe un traité parcequ'on a peur ;

On le déchire quinze jours après parceque l'on se croit soutenu ;

On est battu, on fuit parce que Ton est le plus faible.

On est remplacé par le vainqueur.

On crie à l'usurpalion , comme si la guerre et la

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n'avait pas recommencé les tristes arméniens dont la montre impuissante avait suffi pour faire perdre à Pie VI les trois légations que le voyage de France n'avait pu faire restituer. Mais tout ce que la confiance de la mauvaise volonté peut se permettre, avait paru au jour. Les cœurs étaient sur les visages, on y lisait la haine de la France. Le ministre autrichiennes agens anglais dominaient à Rome : les réfu- giés de iSaples y abondaient ; les soldats fran- çais se rendant a Naples, étaient exposés à tou- tes sortes de dangers: cette interposition des Etats du pape au centre de l'Italie , la coupant en deux, a toujours rendu difficiles les com- munications entre les deux parties de ce pays, ainsi qu'onéreuses aux papes. On sent bien que ce n'est point à un homme tel que Napoléon, que cette mauvaise volonté pou- vait échapper. En matière d'ombrages, il était plus sujet à ajouter qu'à retrancher. Le mi- nistère romain avait échappé au sage cardinal

mauvaise foi étaient destinées à n'avoir aucune suite...

V usurpation d'un poste perdu dans une guerre que l'on a provoquée! Vatel, Grotius, Puffcndorff, Montes- quieu n'ont jamais dit un mot de cela.

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Consalvi : le cardinal Caprara, négligé pendant le séjour du pape en France, n'était plus à Paris que pour la forme. Le parti anti-français éfait tout. Napoléon ne l'ignorait pas, et comme dans les gouvernemens absolus et cachés, le ministère est tout, en voyant le ministère de Rome se déclarer son ennemi , il conclut que Rome l'était aussi, et se déclara lui - même celui de Rome. Ce résultat était inévitable, et Ton ne pouvait assez admirer la folie de gens qui, n'ayant pas un soldat à leurs ordres, manquaient de jugement au point de braver l'épée qui venait de frapper les coups d Ulm et d'Austerlhz.

Il s'est passé chez les ennemis de Napoléon une chose bien singulière , c'est qu'avec l'homme du monde qui voyait le plus clair, ils se conduisaient comme devant un aveugle; c'est que devant l'homme du monde qui tour- nait le plus facilement au tragique, ils agis- saient comme s'il suffisait de quelques ex- cuses balbutiées plus ou moins distinctement, pour tout excuser et pour solder tous les comptes. Cela s'est retrouvé chez [les parti- culiers comme chez les chefs des nations. On se conduisait à l'égard de Napoléon comme

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s'il était pour tout endurer, et que ce fût un corps insensible qui vînt s'offrir à des expériences. On lui faisait la guerre, comme si la guerre n'était pas du profit pour le fort, et de la perte pour le faible; de la conquête pour l'un , et du détronement pour l'autre : puis quand on s'était fait battre et chasser, on criait à l'usurpation , à l'ambition , à la violation des droits. C'est ce qui arriva alors à Rome (i). Voilà une cour religieuse mêlée

(i) Les inconvéniens de cette manie de faire servir la religion à la politique se représentent partout: c'était en France comme à Rome, la maladie du temps. Les mêmes résultats eurent lieu dans les deux endroits; cette question est si majeure que son importance m'en- gage à y revenir.

Napoléon a dissous S. Sulpice, les Pères de la foi, la Trappe, fermé la bouche à M. de Freyssinous. Que l'on soit sincère; que faisait-on dans ces maisons, que disnit ce prédicateur? quelles étaient leur tendance, leurs liai- sons, leurs correspondances, leurs vœux bien distincts, bien connus? Ces maisons n'étaient-elles point les canaux de tout ce qui venait de Rome ; ne regarderait-on pas comme stupide un gouvernement qui verrait froide- ment une suite de manœuvres tramées et suivies contre lui? Aujourd'hui même cela serait il souffert; tolérerait-

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dans les intrigues politiques, et s'y conduisant à contre-sens : elle s'y perd, et tombée par sa faute dans un abyme, elle crie du fond du tombeau creusé par sa maladresse , à la violation de la religion. Eh! laissez-là votre

on un prédicateur qui, réunissant autour de lui un trou- peau affîdé , déclamerait à jour fixe contre tout ce qui se fait en France ? Prenait-on les gouvernans de ce temps pour des imbécilles, des aveugles ou des sourds?

Des hommes s'établissent sur une terre sacrée, ils prennent la religion pour écriteau : entre leurs mains elle devient un drapeau. De là, comme d'une citadelle, ils font pleuvoir des traits sur leurs ennemisj; les y va-t-on chercher, ils crient à la profanation, au sacrilège: n'est- ce point une moquerie véritable , et s'il y a profanation, n'est elle point leur ouvrage ? Lorsque des assiégés se retirent dans une église et tirent des coups de fusil par les fenêtres, y a-t-il impiété à les débusquer? Ne changez point les temples en postes de guerre, si vous voulez les tenir à l'abri de la guerre. Comment se réu- nir dans les temples contre les gouvernemens ? Vous tous mettez en état de guerre avec le gouvernement, tous subirez les effets de la guerre. Voyez ce qui est arrivé à M. l'abbé Vinson.

Je n'ai pas voulu être seul dans Paris à ne pas entendre M. de Freyssinous. Ce qui s'en publiait , m'avait préparé d'avance à ce que j'allais voir. Son auditoire était une

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politique, si vous ne voulez pas en supporter les charges et les suites!

Renfermez- vous dans la religion, chassez les agens anglais et autrichiens, et il ne vous arrivera point d'encombre. Alors on ne viendra

véritable assemblée contre-révolutionnaire tenant ses séances à S. Sulpice; il fallait être aveugle pour y voir autre chose. Le parti se réunissait , croyant y trouver une sûreté qui lui manquait ailleurs. Des déclamations continuelles contre la philosophie , contre la révolution , des allusions toujours saisies contre le gonvernement , formaient le fonds des discours. L'esprit de parti applau- dissait, la raison gémissait de ce déplorable spectacle qui montrait une église transformée en théâtre pour un parti, et en arène pour un autre. L'orateur, confiant parce qu'il se sentait appuyé , débitait avec un air de triomphe, mais en style bien vulgaire, des pensées bien commîmes , telles quelles se trouvent dans tous les cahiers de théolo- gie, s'embarrassant par fois dans des questions plus fortes que lui vil m'a fait trembler dans celle des miracles), et au total , il était loin de satisfaire par l'absence absolu© du talent. L'esprit de parti en crée, mais le goût n'admet pas toujours ses créations. On peut être à la fois un ecclésiastique zélé et respectable et un génie très mé- diocre. Les ecclésiastiques de cette espèce étaient en religion ce que le faubourg S. Germain était au civil. A Pétcrsbourg la centième partie de ce qui s'est fait ou dit

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pas vous chercher à Rome , et vous la garderez; sans contestation. De bonne foi, si Napoléon eût succombé, qu'eussiez vous fait ? Vous vou- liez le chasser de l'Italie, il le savait ; il a été le plus fort, il vous a chassé : la loi du talion peut paraître dure, mais est-elle injuste? Il faut s'entendre bien soi-même, c'est malheu- reusement ce qui manque à presque tout le monde : il faut savoir ne pas se mêler de po- litique, ou lorsqu'on a eu la maladresse de le faire sans moyens de le soutenir, ne pas venir après le malheur crier que la religion est at- taquée. Ce langage peut encore tromper quel- ques dupes, convenir à quelques hypocrites; mais il irrite, il éloigne les gens sensés, ceux qui aiment la raison, la clarté dans les dis- cours et dans les actions, la sincérité, et le bon ordre qui fait que chaque chose est à sa place. Vous vous liez aux vaincus d'Austerlitz,

au faubourg S. Germain, aurait peuplé la Sibérie. On ne l'eût souffert dans aucun pays de l'Europe. Dans l'église comme dans le monde la fronde était devenue le bon ton, car on en est venu au point que dans l'église il faille aussi du bon ton. . . .

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et quand vos mauvais amis occupés deux seuls vous laissent vis-à-vis d'un vainqueur dont l'œil a pénétré jusqu'au dernier replis de votre cœur, alors vous invoquez le respect à la religion , vous proclamez que les bien- heureux apôtres sont indignés ! à quel signe l'ont- ils fait connaître? quel langage! dans quel temps, et à quels hommes l'adressez- vous! Invoquez ces glorieux princes du col- lège apostolique, lorsque les dogmes sacrés qu'ils nous ont transmis et qu'ils ont scellé de leur sang seront attaqués; alors nous ae- courerons tous à votre voix, parce quelle parlera son langage naturel, celui de la reli- gion : langage inséparable de la raison, sans laquelle il n'y eut jamais de religion, langage père rie l'ordre dont la religion est le premier garant. Mais quand il s'agira de la Romagne, des légations, les apôtres n'en ont jamais entendu parler. Ce n'est pas de la religion cela, ce sont des provinces : eh bien! qu'elles suivent les lois applicables par la politique aux provinces et aux territoires qui sont les enfans naturels de la politique comme le spi- rituel est celui de la religion. La politique sacrée n'est tolérable que dans Bossuet; dan*

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Home au temps de Napoléon , elle n'est propre qu'à vous en faire chasser.

Quelques-uns s'imaginent qu'à Rome, on ne fait que de la religion; ils sont toujours prêts à tomber à genoux : qu'ils lisent l'his- toire , et qu'ils apprennent à distinguer entre le chef de la religion qui est toujours occupé d'elle, et la cour de Rome qui est très-souvent occupée d'autre chose. Cette cour a tou- jours su bien partager son temps.

Quelques autres se figurent qu'il ne s'agit que de prendre une certaine attitude, et de s'établir sur des principes à soi, en argumen- tant de tout ce que l'on peut tirer de vieux arsenaux décrédités. Quelle chimère! quelle illusion ! avec un homme tel qu'était Napo- léon , c'était précisément ce qu'il fallait pour se perdre. Il était plus subtil que ceux qui voulaient l'embarrasser, il était plus fin que les ergoteurs de Rome, il était plus fort qu'eux ; il avait en horreur les pointilleries, les tor- tuosités : l'attaquer par des embûches était le reporter sur son terrein propre; prétendre l'arrêter avec des subtilités théologiques ou diplomatiques était oublier qu'il était porteur d'une épée en possession de couper tous les

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nœuds gordiens : se montrer à la fois en en- nemi et en ennemi faible, était le moyen in- faillible de l'attirer chez soi. Napoléon avait pour habitude de regarder faire son ennemi, et puis de faire son plan sur ses fautes : avec Rome il n'eut que l'embarras du choix : car il est impossible d'assembler plus de contre- sens qu'on ne faisait à Rome. Si les cardi- naux Consalvi et Caprara avaient continué de diriger, rien de tout cela ne serait arrivé. La cause première des malheurs se trouve dans les conseils aveugles qui prévalurent au re- tour de France : il n'y a rien de plus dange- reux que la faiblesse qui s'abandonne à la violence. C'est elle qui a amené la lutte entre le pape et Napoléon; il eut le malheur de se livrer aux ultrà de son pays : ils firent ce qu'ils font partout. Un 5 septembre en per- manence devrait les attendre partout ils tentent de s'établir.

Cette lutte engagée sans jugement fut sou- tenue par Rome avec gaucherie, par Napo- léon avec violence ; on vit d'un côté les excès de la maladresse, et de l'autre ceux de la force : il Huit à la fois beaucoup mépriser les premiers, et beaucoup haïr les seconds. t. n. 20

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Je supplie le lecteur de ne point perdre de vue les causes efficientes de la rupture entre le pape et Napoléon, qui viennent d'être exposées. Je lui demande de plus de fixer son attention sur la date des faits qui restent à passer sous ses yeux, comme aussi de se rappeler que dans ce premier période de la querelle, Napoléon agit seul et sans conseil. Ces distinctions sont essentielles à retenir.

J'ai laissé cette querelle à la fin de l'année i8o5, après la bataille d'Austerlitz et la paix de Presbourg. La puissance de Napoléon était augmentée, Naples était conquise, et TÉtat de Rome entouré par la puissance fran- çaise : on était donc plus mal qu'auparavant : c'était tout ce que l'on avait gagné. Le bon sens exigeait donc de revenir franchement : ce fut le contraire que l'on fit. Il fallait rappeler les organes de conciliation, les canaux par les- quels les paroles de paix et de conciliation avaient coutume de circuler. On fut s'attacher à ce que Rome avait de plus animé, de plus repoussant, de plus intraitable , les cardinaux Casoni, Gabrielii , Doria , Pacca , et finalement Dipietro qui vint clore cette liste infortunée d'hommes faits exprès pour tout gâter. C'était

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les antipodes de ce qu'il fallait, ce que l'on appelle des hommes de l'autre monde. Celui- ci n'était pas disposé à changer pour leur faire plaisir. Dès lors commença une guerre de notes diplomatiques : on sait ce que c'est. Un procès commencé par la politesse et fini par le canon , dès que la modération ne tient pas la plume. Or, il y avait très-peu de dis- positions à modération de part et d'autre. Rome avait trop sur le cœur le mauvais succès de son voyage de France, et trop de frayeur de son nouveau voisin, dont la paix de Pres- bourg avait affermi la domination en Italie, aux lieux même d'où l'on avait voulu le bannir. Il eût été bien à désirer que la cour de Rome eût connu la seule sauve-garde qui existât avec Napoléon : c'était quand on n'a- vait pas la mer devant soi , ou la glace à ses ordres, de n'avoir rien de commun avec lui. I ne fois entré dans ses eaux , on n'en sortait plus. Il est arrivé de Rome comme de la Prusse , qui après plusieurs années de liaison , s'étant laissé percer par la pénétration de Napoléon, passa des années dans des échanges de notes qui la conduisirent à Jéna. Avec lui il fallait éviter tout abordage, ou baisser pa-

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Villon. Il était en politique ce que Rousseau est en logique. Accordez lui un principe , il faut le suivre jusqu'au bout. Observons la marche de Napoléon et voyons s'il en savait; autant que Rome.

La guerre éclate avec l'Autriche i8o5. Na- poléon se tait avec Rome. La guerre finit, alors, il a du loisir : la guerre des notes com- mence, mais ce ne sont encore que des notes. En 1806 la guerre a lieu avec la Prusse. Voila Napoléon en Prusse, en Pologne, en Russie. C'est autant de temps de gagné pour Rome. En Espagne, le prince de la paix ordonne un ar- mement général ; il est décidé dans le cœur de Napoléon, sur-le-champ de bataille de Jéna, cette proclamation lui parvint, que ces préparatifs de perfidie seront punis.

Pendant ce temps Rome poursuivait le cours de ses maladresses sourdement hostiles : les intrigues étrangères, les refuges de bri- gands napolitains, des opposans italiens, des Anglais, les assassinats des Français se confi- naient sur toutes les routes; c'étaient des coups d'épingles qui allaient attirer des coups d i pée, 11 fallait être dépourvu de toute espèce is pour ne pas le voir. Napoléon, em-

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harqué au loin , laissait faire. Il était patient parce qu'il se sentait fort, et qu'il sentait aussi que la vengeance ne pouvait pas lui échapper. Il sortit victorieux de sa lutte avec la Prusse. Il revint en France en août 1807; dès le mois de novembre delamème année , s'étant rendu en Italie pour enlever l'Étrurie à la famille de Bourbon-Espagne , prélude de ce qu'il se pro- posait à l'égard de l'Espagne même , il fait éclater l'orage qu'il avait laissé former tout à loisir. Depuis long-temps il savait à quoi s'en tenir : depuis long-temps il ne voyait plus dans la cour de Rome qu'un ennemi caché et toujours prêt à éclater, dès qu'il pour- rait le faire avec sûreté. En pareil cas, qu'au- rait fait Frédéric, que fit-il à Dresde? Or, rien n'était plus anthipatique à son caractère comme à ses habitudes, que de laisser des ennemis derrière lui. Je l'ai entendu dire à 1 archevêque de Turin qui, à Stupinis, lui pro- posait de prêter serment de fidélité : Je veux vous épargner un parjure; je ne laisse pas sur le 5 un homme prêt à soulever le Piémont, lorsque mes armées seront atta- quées à Mantoue. Ce mot lumineux est de Son bon temps. Voilà ce qui l'a dirigé dans

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sa conduite avec Rome; il s'y est conduit comme avec la Prusse, comme avec tous ceux qui l'ont provoqué par de sourdes ma- nœuvres, comme il fit avec l'Espagne qu'il n'avait jamais songé à attaquer, avant que l'agression du prince de la paix lui eût montré qu'il avait à faire à des hommes sans foi, comme sans lumières, et toujours prêts à l'étouffer en ayant l'air de l'embrasser. Les perfidies des autres ont fait souvent à ses yeux l'excuse de sa perfidie propre. On n'a cessé de parler d'ambition , de dissimulations irréligieu- ses. Il est plus commode d'accuser que d'expli- quer, de supposer que d'examiner, de noircir qui on a l'habitude et le besoin de noircir, que de rechercher avec la peine que coûte toute recherche, ce qui est entré dans la compo- sition véritable des actions que l'on reproche. Il n'y a tant de calomniateurs que parce que la calomnie ne coûte rien : elle est toute faite pour ainsi dire , et n'est pas plus chère à in- venter qu'à répéter.

C'est ce qui a eu lieu dans tout ce qui a été écrit sur cetle question. Je n'ai trouvé nulle part une explication raisonnée, ni une généalogie des faits. C'est odieux , c'est hor-

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rible, c est admirable, c'est divin ! voilà les deux colonnes sur lesquelles est écrite toute cette histoire. Nous sortons, il faut le dire , d'une époque dans laquelle on semblait avoir renoncé à la raison , toutes les fois que l'on écrivait ; il n'y avait plus que des mots d'ordre et des jugemens vulgaires transmis, répétés sans examen, et qui forment un supplice journalier pour qui ne se repaît pas de sem- blables alimens. Il ne s'agit point d'absoudre Napoléon; mais il ne s'agit non plus de lui prêter ce qu'il n'a pas fait, et de faire en tout et partout de ses adversaires, des agneaux, des anges, pour avoir la facilite d'en faire un montre.

Dans tout ce qui s'est passé, je n'ai pas plus rencontré de monstres que d'anges : quelque peu de sang froid m'a montré des hommes se combattant avec ce que les passions et les intérêts produisent toujours. La vérité force à reconnaître que Napoléon, eût-il raison au fonds, s'était mis dans la position la plus dé- favorable. Sacré par le pape et le retenir captif, après le concordat de 1801 faire la prison de Savone, renouveler pour Pie VÏI les angoisses éprouvées par Pie VI, placer ces

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actions à la suite de ce qui venait de se passer à Rayonne , on ne peut pas entasser plus de fautes, ni rassembler plus de charbons sur sa tête: il les a tous retrouvés, il a eu le temps d'en ressentir les ardeurs; mais les torts im- menses de Napoléon n'effacent point ceux de la cour de Rome, et ne l'absolvent pas de s'être d'autant plus mal conduite qu'elle avait a faire à un ennemi d'un caractère plus me- naçant.

Le premier soin de tout homme avisé est de reconnaître le caractère de son ennemi: c'est une des premières maximes de la poli- tique , qu'on ne transgresse jamais sans le plus extrême danger. Autre chose est d'avoir à faire avec Attila ou bien avec Henri IV. La cour de Rome n'en tint compte; au contraire, elle semblait se complaire à agacer son en- nemi. Des hommes qui datent tous leurs ju- gemens du matériel des laits, répondront à cela que cependant le pape est à Rome. Oui, mais il y est revenu par le chemin de Moskow , et non point par celui que lui avaient fait suivre ses conseillers qui n'avaient réussi qu'à le conduire à Avignon il serait resté sans la campagne de Russie. A Savone, le

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pape témoignait assez qu'il ne comptait plus revoir Rome. Détrôné par les conseils du sacré collège, le pnpe a été rétabli par l'épée de quatre princes hérétiques avec lesquels il n'avait jamais eu rien de commun. La famille catholique l'avait délaissé , la famille étran- gère, en se raffermissant elle-même, la ré- tabli en son lieu et place. 11 s'est trouvé compris dans le mouvement générai qui a remis chacun au poste d'où il était tombé : l'ancien édifice s'est remontré lorsque la clef de la voûte du nouveau a manqué.

Voilà ce qu'il faut bien retenir pour se di- riger avec sûreté dans cette question.

Maintenant que la position respective des personnages est bien constatée , je reprends mon examen.

En 1807, l'Autriche et la Prusse soumises, l'Espagne déjà envahie en idée , la reine d'Étrurie élimnée , Napoléon libre de se mou- voir était à Milan ; c'était au mois de no- vembre. Il semble voir un ouvrier se mettre à l'ouvrage après avoir déblayé son terrain. Ee parti du pape était pris de résister à tous risques et périls. Le système de pousser tout à l'extrême, était embrassé : on y voyait de

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la gloire. Le parti infatué du système de pessimisme, qui avait fait tant de mal à la France et à l'Europe, avait prévalu. Attendre le remède de l'excès du m «1, voilà en quoi il consiste, et ce que Ton implorait à Rome, comme on l'avait fait ailleurs. Ici je dois rap- porter un fait dont la connaissance est propre à expliquer beaucoup de choses.

Les marques de respect et les preuves de re- ligion que le pape avait reçues et reconnues en France, lui avaient inspiré une grande con- fiance dans la force des influences religieuses sur le peuple français. M. Alquier,aneien mem- bre de l'assemblée constituante, avait résidé à Rome pendant plusieurs années, comme am- bassadeur auprès de Pie VII. Je le retrouvai à Paris, après une longue séparation. Il m'a paru que c'était un des hommes que les évé- nemens avaient le plus mûri. Plusieurs fois il m'a dit que dans soixante et seize confé- rences qu'il avait eues avec le pape, celui-ci lui avait souvent répété, j'ai traversé la France à genoux : qu'il avait souvent ajouté beau- coup de choses sur la solidité des sentimens religieux des français, de manière à lui per- suader que la résistance du pape s'appuyait

3 15 )

sur cet espoir. Il est bon de savoir que M Alquier était dans ce moment le martyre de cette opinion, et par conséquent un témoin irrécusable, puisqu'il se trouvait en disgrâce pour n'avoir pas surmonté la résistance du pape, et pour avoir annoncé qu'elle ne serait pas vaincue. C'était l'usage* de Napoléon : comme avant tout, il avait besoin du succès, il y rapportait tout et il rendait responsable du caractère d'autrui qui l'avait empêché. 11 n'aimait pas non plus les fâcheux pronostics. M. Alquier ne m'a jamais parlé du pape qu'a- vec la vénération la mieux sentie. Il était homme d'honneur et de raison. J'ajoute donc une foi pleine et entière à son récit. Je trouve de plus dans tous les actes du pape, soit brefs, bulles, allocutions, la preuve de l'adoption d une espèce de conviction qu'on rencontrait souvent en France, surtout parmi le clergé: c'est qu'aucune foi ne devait être ajoutée aux paroles de Napoléon; que chez lui tout était masque, supercherie, et que tout ce qu'il fai- sait pour la religion, n'avait pour but que de la détruire. Lorsque les hommes ont une fois conçu une pareille disposition, il est superflu de leur parler, ils ne sont plus susceptibles d'entendre.

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On va en juger par l'exposé suivant. Tout ce qu'il renferme est extrait du recueil des actes émanés de Rome, dans la contestation du pape avec Napoléon. Il est imprimé à Londres , et dans les intentions les plus hos- tiles contre lui : il mérite donc une entière confiance.

Voici la série de ces actes.

5 novembre 1807. Lettre du général fran- çais Lemarrois , gouverneur des légations 7 pour demander des informations sur les re- venus de la province de Macerata.

a3 janvier 1808. Billet de M. Alquier au secrétaire d'État du pape, pour lui commu- niquer l'itinéraire d'une colonne de 6000 hommes commandée par M. le général Miollis , pour se rendre à Naples.

1 février. Déclaration affichée dans Rome, par ordre du pape , sur l'entrée des troupes françaises.

4 février. Lettre de M. Alquier sur cette déclaration , et plainte sur ce qu'elle porte la qualification du gouvernement français , substituée au nom de Napoléon par exclusion, à l'imitation du gouvernement anglais.

5 février. Circulaire du pape adressée aux cardinaux, avec l'exposition de sa con-

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duile, des motifs de son voyage en France, et celle des demandes de Napoléon. C'était ,

i°. D'établir un patriarche en France;

i°. D'adopter le code civil;

3°. La liberté des cultes ;

4°. La réforme des évéchés , trop nombreux en Italie;

5°. Que les bulles pontificales pour les évêehés et pour les paroisses d'Italie, soient abolies;

6°. L'abolition générale des ordres religieux;

7*. L'abolition du célibat des prêtres;

8°. Le sacre de Joseph Buonaparte , comme roi de Naples.

28 février 1808. Lettre de M. Alquier, qui explique que le séjour des troupes à Rome a pour objet d'assurer la communication avec l'armée de Naples : il demande l'éloignement et la dissolution des rassemblemens napoli- tains, l'arrestation des agens de l'Angleterre, et l'envoi à Naples des cardinaux napolitains pour prêter le serment au nouveau toi.

25 février 1808. Le cardinal Doria succède au cardinal Casoni.

28 février. Le cardinal Doria écrit aux

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cardinaux pour leur défendre de se rendre à INaples.

5 mars. Le cardinal Doria défend aux car- dinaux de répondre à l'invitation que le gé- néral Miollis leur avait adressée pour diner chez lui.

i3 et 16 mars 1809. Lettres du cardinal Doria sur l'incorporation des troupes du pape dans les troupes françaises.

a3 mars. Défense notifiée par le cardinal Doria , aux cardinaux sujets du royaume d'I- talie, de continuer leur route, s'ils ne sont pas contraints par la force.

27 mars. Bref comminatoire d'excommuni- cation adressée nominativement par le pape à Napoléon. Voyez cette pièce, à la fin du chapitre.

3o mars. Le cardinal Gabrielli succède au cardinal Doria. Il notifie aux ministres étran- gers l'éloignement forcé des cardinaux.

3o mars 1808. Invitation adressée par un billet du pape , au ministre d'Espagne , pour être spectateur et témoin de tout ce qui va se passer. Ce sont les termes du billet. 2 avril 1808. Décret de Napoléon pour la

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réunion au royaume d'Italie des trois léga- tions et de la marche d'Ancone.

5 avril. Note du ministre des relations ex- térieures, au cardinal Caprara, sur la notifi- cation de la cessation de ses pouvoirs, et la demande de ses passeports. Cette demande considérée comme une rupture et une décla- ration de guerre.

19 avril. Réponse du cardinal Gabrielli à cette note.

19 avril. Notification de la note et de la réponse aux ministres étrangers.

19 avril. Passeports demandés par le chargé d'affaires de France à Rome.

19 mai. Lettre du cardinal Gabrielli à M. Alberti , chargé d'affaires du royaume dltalie, dans laquelle il apprend que Napoléon avait demandé que le tiers des places du sacré col- lège fussent données à des Français.

23 juin. Le cardinal Pacca succède au car- dinal Gabrielli.

17 juillet. Lettre du cardinal Pacca aux mi- nistres étrangers , relativement à la nouvelle gazette de Rome.

a août. Déclaration par le pape que tout

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enrôlement de ses sujets soit regardé comme un acte de Félonie et de rébellion.

28 août. Notification des événemens sur- venus dans les états du pape aux ministres étrangers. Envoi de la relation de ces événe- mens aux gouverneurs des provinces, avec ordre de les faire afficher partout le même jour.

6 septembre. Notification aux ministres étrangers de la tentative de l'enlèvement du cardinal Pacca et de la résistance du pape.

21 novembre. Ordre donné aux cardinaux de ne pas répondre à l'invitation d'assister au baptême du fils d'un général français, tenu sur les fonds, au nom des nouveaux souve- rains de Naples.

22 novembre. Réponse par le cardinal Pacca, avec notification aux ministres étran- gers du discours prononcé par le ministre de l'intérieur de France, à l'ouverture de la ses- sion du corps législatif de 1809.

18 décembre. Déclaration du pape pour empêcher les mascarades et les réjouissances indiquées suivant l'usage. Notification de cette défense aux ministres étrangers.

2 1 décembre. Lettre du cardinal Pacca pour

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annoncer que le pape refuse de recevoir le général Miollis et le corps d'officiers français qui demandaient de lui offrir l'hommage de leurs félicitations, au sujet de son couronne- ment.

5 janvier 1809. Notification du pape aux ministres étrangers, sur la défense des réjouis- sances du carnaval.

10 mars. Lettre du cardinal Pacca pour ré- clamer contre l'érection d'un corps de gen- darmerie clans l'État romain.

17 mai 1809. Décret de réunion des Etats du pape. Nomination d'une consulte pour les régir. Décision du pape adressée aux évèques des pays réunis au royaume d'Italie, pour leur défendre de laisser précéder le ma- riage religieux par le mariage civil.

10 juin. Protestation du pape contre l'in- vasion de ses États, et déclaration qu'il rejette, avec la resolution la plus ferme et la plus ab- solue , toute rente ou p.ension faite à lui ou - bien au sacré collège, par Xapoléon, et qu'il se couvrirait d opprobre ainsi que lui , s'ils consentaient à tirer leur subsistance des mains de l'usurpateur.

10 et 11 juin 1809. Bulle d'excommunica-

T. Jf. 2 1

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tion, notification aux excommuniés, à tous ]es fidèles, précautions pour en donner con- naissance au public.

6 juillet. Enlèvement du pape.

12 août. Arrivée du pape à Sa voue.

20 septembre. Arrivée à Savone de M. de Salmatoris, conservateur des domaines de la couronne dans le Piémont , pour former et diriger la maison affectée au pape ; 100,000 fr. par mois y sont destinés.

Refus du pape.

28 septembre. Arrivée à Savone du général César Berthier, frère du prince de Neuchâtel, avec le titre de maître du palais du pape. La cathédrale de Savone est érigée en chapelle papale. L'archevêque d Edesse , aumônier du pape, un prélat Doria,le médecin du pape^ le docteur Porta, et d'autres serviteurs sont auprès de lui. Il occupe l'évèché.

Première époque de sa captivité , ou plutôt de sa translation à Savone.

26 août. Le pape écrit de Savone au car- dinal Caprara, pour se refuser à donner des bulles dans lesquelles Napoléon consentait que son nom ne fût point mentionné, pourvu qu'elles ne continssent rien de propre à faire

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supposer que la nomination fût faite par le pape ,prop rio motu. D'ailleurs Napoléon con- sentait qu'elles fussent adressées au conseil d'État, ou bien au ministre des cultes. Voyez cette pièce.

5 novembre 1810. Lettre du pape au car- dinal Maury , pour lui défendre d'accepter l'archevêché de Paris et l'administration de ce diocèse. Voyez cette pièce.

1 décembre 1810. Lettre du pape à l'archi- diacre de Florence , pour défendre de recon- naître comme administrateur, l'archevêque nommé. Voyez cette pièce.

5 novembre. Bref du pape au père Fontana et au prélat Grégorio, résidans alors à Paris, pour leur ordonner de signifier son bref au cardinal Maury. Ordre donné par le pape à M. l'abbé d'Astroz, vicaire-général de Paris, de ne pas donner sa démission. Établissement du gouvernement des vicaires apostoliques.

Seconde époque de captivité.

Napoléon irrité de ces démarches, fait dis- soudre la maison du pape. Il reste avec son médecin et quelques serviteurs,

21-

( 3.4 )

28 avril 1811. Envoi de la première dépu- talion à Savone.

19 mai 1 8 1 t. Acceptation par le pape des articles proposés par les députés sur l'insti- tution des évèques.

5 août lSiï. Décret du concile.

icr septembre 1811. Arrivée de la seconde députation à Savone.

xo septembre. Bref du pape adressé aux évequesdu concile, approbatif de leur décret. Bulles données à plusieurs évêques. Lettre de réconciliation adressée par le pape à Na- poléon.

i4 juin 1812. Translation du pape à Fon- tainebleau.

irj janvier 181 3. Concordat de Fontaine- bleau , rompu quelques jours après.

Tel est la série des actes qui ont rempli ce long drame. Il a paru convenable de les pré- senter de suite dans un même tableau, pour faciliter à l'œil du lecteur la vue de leur en- semble, et à son esprit la connaissance de l'origine, de la nature et de la liaison d^s faits. Dans cet exposé , tout s'enchaîne , depuis le premier. acte jusqu'au dernier. L'histoire ressemble au théâtre sur lequel on suit la gra-

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dation de l'action, depuis son principe jus- qu'au dénouement. On intrigue à Rome, les troupes françaises entrent sur son territoire; elle montre un esprit hostile, elles l'occupent; le pape menace d'excommunication, ses Etats lui sont otés; il lance sa dernière arme, il est enlevé; il sort de son silence à Savone, pour troubler l'ordre reconnu à Florence, à Paris, pour établir le régime des vicaires apostoli- ques ; sa captivité est resserrée. Ainsi, dans ce déplorable combat, on voit les adversaires eu présence; on compte les pas qu'ils font à f en- contre l'un de l'autre : il semble assister à ces jeux dans lesquels chacun avance et dirige une partie de son échiquier en opposition à cha- que mouvement de celui de sou adversaire. Comme dans toutes les querelles on voit l'a- nimosité s'accroître; comme dans toutes les tempêtes, on voit les vagues monter, de même ici chaque opposition provoque un nouveau coup, jusqu'au moment le redou- blement des injures et des vents provoque le dernier sévice et soulève le dernier Col qui engloutit tout.

Cette querelle a eu trois périodes distinctes.

De la fin de i8o5, à l'oceasion de la guerre

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d'Austerlitz, jusqu'au 5 novembre 1807, épo- que de l'entrée des troupes françaises.

Du 5 novembre, jusqu'au 6 juillet, époque de l'excommunication et de l'enlèvement.

Du 6 juillet 1809, jusqu'au départ de Fon- tainebleau, en 18 1 4-

La première époque fut remplie par des notes diplomatiques.

La seconde par l'occupation de l'Etat papal de Rome.

La troisième, par la captivité.

Cette classification est essentielle à retenir,

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BREF DE N. S. P. LE PAPE PIE VII ,

A NOTRE CHER FILS NAPOLEON.

Depuis que par une disposition divine, nous avons été , sans aucun mérite de notre part, élevé au suprême pontificat , vous avez été témoin de nos désirs pour la paix de tous les peuples , et pour la paix de l'église catholique ; vous avez été témoin de nos soins pour la paix spirituelle du peuple fran- çais et de notre condescendance paternelle; vous avez été témoin de nos faveurs à l'égard de l'Eglise Gallicane et de vos sujets ; vous avez été témoin que nous nous sommes prêté , en toutes circonstances , jusqu'où pouvait s'étendre le pouvoir de notre mi- nistère, dans les concessions, et les concordats avec l'empire Frinçais et le royaume d'Italie; enfin vous avez été témoin des sacrifices immenses que nous avons faits et supportés pour le bien être et le re- pos de la nation Française et Italienne, au préjudice de notre peuple , quoique déjà réduit à la disette et à l'impuissance , par les viscisitudes qu'il avait souffertes.

Cependant , malgré tant de faveurs signalées , vous n'avez pas cessé de déchirer notre cœur, et de nous réduire ^ sous de vains prétextes , dans un état d'af- fliction la plus profonde , et de mettre à l'épreuve

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nos devoirs sacres et notre conscience., En compen- sation du concordat ecclésiastique , vous ne nous avez rendu que la destruction de ce même concor- dat , par les lois séparées , dites organiques. Vous nous avez fait des propositions étudiées à dessein, inconciliables avec la morale évangélique , avec les maximes de l'église universelle. En compensation de la paix et de nos faveurs, depuis long-temps le domaine du saint siège a supporter la charge énorme de vos troupes , et les vues ambitieuses de vos commandans, en sorte que, depuis 1807 jusqu'à présent, elles ont consommé à peu'près cinq millions d éçus romains , sans maintenir la promesse solem- nelle du remboursement du royaume d'Italie. En compensation de ces sacrifices , vous nous avez dé- pouillé du duché de Bénévent et de Ponte Corvo , tout en promettant au saint siège les récompenses les plus généreuses. Pour complément , vous avez présenté quelques articles à notre sanctiomcontraires au droits des gens, à l'unité et aux canons de l'é- glise catholique , et au bien-être des catholiques dispersés dans les rovaumes étrangers, destructifs de notre indépendance et de la liberté ecclésiasti- que ; pour complément et compensation , vous avez envahi hostilement nos domaines qui furent donnés par la munificence et la piété des monarques, prin- cipalement français, au saint siège apostolique, et consacrés à l'indépendance et à la liberté des suc-

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censeurs tîe Saint Pierre , et confirmés depuis plus de dix siècles jusqu'à présent, par tous les princes catholiques ; afin qu'il pût demeurer au milieu des enfans premiers nés, dans une liberté et une indé- pendance absolue. Enfin vous avez envahi hostile- ment la capitale même, et vous avez rendu rebelle la milice; vous avez occupé les postes et les imprime- ries ; vous avez arraché de notre sein les conseillers intimes pour la direction des affaires spirituelles de léglise,les ministres de l'état, et vous nousavez cons- titués nous mêmes prisonniers dans notre résidence apostolique, en pesant militairement sur notre peu- ple. Nous en appelons pour la décision de cette ma- nière d'agir de votre part, au droit de tousles peuples; nous en appelons à vous même, comme à un fils con- sacré et assermenté , pour reparer les dommages , et pour soutenir les droits de l'église catholique ; nous en appelons enfin h. la justice du très-haut. Vous abu- sez de la force, foulant aux pieds tous les devoirs sa- crés , et principalement au préjudice de l'église; vous nous forcerez ainsi, à ce que nous f issions dans l'humilité de notre cœur, usage de cette force que le Dieu tout puissant à mise en nos mains, si par la suite vous nous donnez des motifs ultérieurs de faire connaître à l'univers ta justice de notre cause ; car les maux qui pourront en résulter, tomberont sur votre responsabilité.

Contresigné au secrétariat de l'ambassade , le 27 mars 1808.

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Lettres apostoliques en forme de bref, par lesquelles sont déclarés excommuniés , et de nouveau excommuniés , Buonaparte et tous les auteurs, exécuteurs , et fauteurs de V usur- pation de l'État de Borne , et des autres États appartenant au saint-siège.

PIE VII, PAPE,

POUR EN PERPÉTUER LE SOUVENIR.

Lorsque dans la mémorable journée du i février, les troupes françaises après avoir envahi les plus ri- ches provinces de l'Etat pontifical, ont fait une irrup- tion soudaine dans Rome même, il nous a été impos- sible d'attribuer un pareil attentat uniquement aux raisons politiques et militaires que les usurpateurs mettaient en avant ; c'est-à-dire de se défendre dans cette ville , et d'éloigner leurs ennemis du territoire de la sainte Eglise Romaine : nous n'y avons vu au contraire que le désir de tirer vengeance de notre fermeté et de notre constance à refuser de nous sou- mettre aux prétentions du gouvernement français. Nous avons vu sur-le-champ que cet attentat avait un objet bien plus étendu que de simples précau- tions militaires et momentanées , ou une simple dé- monstration de mécontentement envers nous. Nous avons vu revivre, renaître de leurs cendres , et re-

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paraître au grand jour les complots impies , qui sem- blaient sinon reprimés, au moins assoupis, de ces hommes trompés et trompeurs qui voulaient intro- duire des sectes de perdition , par le secours d'une philosophie vaine et fallacieuse, et qui tramaient ainsi depuis long-temps la destruction de notre sainte religion. Nous avons vu que dans notre per- sonne, on attaquait, on circonvenait, on combattait le saint siège du bienheureux Prince des apôtres, (huis l'espoir que sa chute, si toutefois elle était possible , entraînerait nécessairement avec elle la ruine de l'église catholique, fondée par son divin auteur sur ce siège, comme sur une pierre inébran- lable.

Nous avions pensé, nous avions espéré naguères , que le gouvernement Français instruit par l'expé- rience des malheurs dans lesquels cette puissante na- tion s'était vue entraînée pour avoir lâché la bride à l'impiété et au schisme , et convaincu par le vœu unanime de la grande majorité des citoyens, s'était enfin véritablement et profondément pénétré de l'importance extrême dont il était pour la sûreté, ainsi que pour le bonheur public de rétablir de bonne foi le libre exercice de la religion catholique, et de le prendre soussa protection particulière. Mus par cette opinion, animés par cette espérance, nous qui , tout indignes que nous sommes, tenons sur la terre la place de celui qui est le Dieu de paix, à peine nous fûmes-nous aperçus qu'il s'ouvrait une

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perspective de réparer les désastres de l'église en France, l'univers entier nous est témoin de l'em- pressement avec lequel nous nous sommes prêtés à des traités de paix, et combien il nous en a coûté , et à nous et à cette même église, pour conduire ces traités à la fin qu'il a été possible d'obtenir.

Mais grand Dieu! à quoi notre espoir a-t-il abouti? quel a étéle fruit définitif de notre condescendenceet de notre libéralité ? Depuis le moment cette paix a été promulguée , nous avons été réduits à faire en- tendre la plainte du prophète : voici que dans la paix mon amertume devient encore pics amère, nous n'avons pas dissimulé cette amertume à l'église, ni à nos frères les cardinaux de la sainte église romaine dans l'allocution que nous leur fîmes en consistoire le 24 de mai de l'an 1802, pour leur signifier que dans cette promulgation on avait ajouté à la con- vention que nous avions faite , quelques articles ignorés de nous, que nous improuvâmes dès qu'ils nous furent connus. En effet, par ces articles , non- seulement ou anéantit dans l'exercice de la religion catholique, dans les points les plus graves et les plus importants, la liberté qui avait été assurée verbale- ment, convenue, et solemnellement promise dans le préambule même de la convention , comme en étant la base et le fondement ; mais encore dans quelques uns de ces articles la doctrine même de l'è- vangile se trouve attaquée de près. Le résultat de la convention que nous fîmes avec le gouvernement

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de la république Italienne, fut à-peu-près sembla- ble : ces mêmes articles que nous avions pris tant de soins degarantir de toute interprétationarbitraire et équivoque , ayant été précisément interprétés d'une manière absolument arbitraire et la plus ou- vertement frauduleuse.

Après avoir vu ainsi violer et dénaturer les con- ditions de l'une et de l'autre de ces conventions, qui avaient été stipulées en faveur de l'église, et la puis- sance spirituelle ayant été ainsi soumise à la volonté de La puissance laïque, bien loin queles effets salutaires que nous nous étions promis de ces conventions, eussent été obtenus , nous eûmes au contraire la douleur de voiries malheurs et les désastres de l'é- glise de Jésus-Christ s'accroître et s'étendre chaque jour.

Nous ne nous arrêtons pas ici à rappeler et à énumérer, l'un après l'autre , ces maux et ces dé- sastres , ils sont assez publiquement connus et dé- plorés de tous les gens de bien ; nous les avons d'ail- leurs suflisament exposés dans deux allocutions i onskstoriales que Tious fîmes, l'une le iôde mars delà même année 1808, et que nous avons cherché à faire connaître publiquement , autant que l'a permis l'état de contrainte dans lequel nous sommes placés. Par ce moyen , le monde saura , et la postérité verra , quels ont été nos sentimens au sujet de ces si nom- breux et si grands attentats du gouvernement

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français sur les objets relatifs à l'Eglise : on recon- naîtra quelle patience et quelle longanimité il nous a fallu pour nous taire si long-temps ; parce qu'ayant la paix à cœur, et ayant conçu le ferme espoir d'appor- ter un remède et de mettre une fin a tant de maux, nous avons de jour en jour différé d'élever la voix en public. On verra quelles ontété nos peines et nos sollicitudes , et combien par nos actions, nos priè- res , nos vives sollicitations et nos gernissemens , nous nous sommes efforcés, sans rèlàchè de guérir les plaies faites à l'Eglise , et d'empêcher qu'il ne lui fût porté de nouvelles atteintes. Mais c'est en vain que nous avons épuisé toutes les ressonrces de l'humilité, de la modération , et de la douceur avec lesquelles nous nous sommes étudié jusqu'à présent à défen- dre les droits et les intérêts de l'Eglise , auprès de celui qui s'était associé aux conseils des impies pour la détruire de fond en comble; de celui qui , à ce dessein , avait feint de lui être attaché, afin de la trahir plus aisément ; et qui avait semblé lui accor- der protection , afin de l'opprimer plus sûrement.

On nous avait souvent et long-temps fait conce- voir de grandes espérances, surtout lorsque notre voyage en France fut désiré et sollicité. Bientôt on commença à éluder nos demandes et nos prières , par des tergiversations astucieuses , par des faux- fuyans et par des réponses ou dilatoires ou perfides ; en un mot, il n'en fut tenu aucun compte, parce

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que le temps approchait de mettre eu ûîiivre les tra mes contre ce Saint-Siège et contre l'Eglise de Jésus-Christ ; et l'on commença à nous attaquer et à nous accabler de demandes toujours nouvelles ou exorbitantes , ou captieuses , et dont la nature in- diquait suffisamment et abondamment qu'on avait en vue deux objets également fnnestes et désastreux pour le Saiut-Siège et pour l'Eglise ; c'est-à-dire, de nous faire trahir honteusement notre ministère si nous y consentions ; ou , si nous nous y refusions , de faire de notre refus un motif pour nous déclarer une guerre ouverte.

Mais comme notre conscience ne nous permettait pas d'accéder à ces demandes, on fit aussitôt de notre refus un motif de détacher d'une manière hostile des troupes contre cette ville sacrée ; on s'empara du château Saint-Ange ; on posa des détachemens dans, les rues et dans les places ; et même le palais quiri- nal que nous habitons , fut entouré avec menaces par de nombreuses troupes d'infanterie et de cava- lerie et avec du canon. Mais avec l'aide de Dieu , par qui nous pouvons tout, et forts de l'importance de nos devoirs , nous ne nous sommes point laissé intimider , ni ébranler dans notre résolution par cette terreur subite, ni par cet appareil de guerre. Nous avons, paisiblement et avec calme , ainsi que nous le devions , célébré les cérémonies sacrées et les mystères divins qui convenaient à la solemnité

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de cette très-sainte journée, et nous n'avons omis ni par crainte, ni par oubli , ni par négligence, rien de ce que notre devoir exigeait de nous dans ces conjonctures critiques.

Nous nous rappelions avec Saint- Ambroise (de Basilic, tradend. n°. 17) que le saint homme Na- both, propriétaire de sa vigne , sommé de la donner au Roi , parce que celui-ci voulait y faire planter des légumes , avait répondu : Dieu me garde de cé- der ainsi l'héritage de mes pères. Bien moins avons- nous jugé qu'il nous fût permis de céder à autrui un héritage aussi ancien et aussi sacré ,' nous vou- lons dire la souveraineté temporelle de ce saint- siége , possédée depuis une si longue suite de siè- cles par les pontifes Romains nos prédécesseurs , d'a- près l'ordre évident de la divine Providence^, ou de consentir tacitement à ce que qui que ce soit se mît en po:session de cette capitale dn monde chrétien; dans laquelle, après avoir renversé et détruit la très- sainte forme de gouvernement , qui a été laissée par Jésus-Christ à sa sainte église, et réglée par les ca- nons sacrés établis par l'esprit divin , on substitue- rait à sa place un code contraire non-seulement aux canons sacrés, mais même incompatible avec les préceptes de l'Evangile ; et qui introduirait, ainsi qu'il a déjà fait , un nouvel ordre de choses , qui tend manifestement à associer et à confondre toutes les sectes et toutes les superstitions avec L'église ca- tholique.

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Naboth défendit sa vigne au prix de son sang. /. 'Amhv. ib.). Pouvions-nous , quelque chose qui dût en arriver , ne pas défendre les droits et les pos- sesions de la sainte église romaine que nous nous sommes obligés , sous. serment , et ne pas revendi- quer la liberté du siège apostolique , qui est telle- ment liée avec la liberté et les immunités de l'église universelle? Eh j de quelle importance, en effet , n'est pas cette principauté temporelle, et île quelle nécessité n'est-elle pas pour assurer au chef suprême de 1 Eglise le libre exercice delà puissance spirituelle que Dieu lui a accordée sur le monde entier? Si l'on manquait de preuves pour le démontrer , ce qui se passe maintenant ne le prouverait que trop claire- ment. Quoique nous ne nous soyons jamais complus ni dans les honneurs ni dans les revenus , ni dans la puissance de cette principauté souveraine , dont le désir est bien éloigné et de notre caractère etdu très saint institut que nous avons embrassé et toujours chéri dès nos plus jeunes ans , nous avons néanmoins senti qu'il était de notre devoir indispensable, a da- ter dudit jour, i lévrier 1808, quelque critique que fut la position nous nous trouvions , de faire par le canal du Cardinal, notre secrétaire d'Etat , une protestation solemnelleà l'effet de rendre publiques les causes de tribulations auxquelles nous sommes livrés , et notre intention de maintenir dans leur intégrité les droits du saint-siége.

T. II. 11

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Voyant cependant que les menaces ne leur ser- vaient de rien , les usurpateurs résolurent d'adopter envers nous un autre système : ils tentèrent par un certain genre de persécution plus lent , mais qui n'en était que plus fâcheux et plus cruel , d'ébranler peu- à-peu notre constance qu'ils s'apercevaient n'avoir pu abattre par une terreur subite. C'est pourquoi depuis le 2 février, dans ce palais nous avons été détenus comme prisonnier , il s'est à peine écoulé un jour qui n'ait été marqué par quelque in- sulte au saint-siége , ou par quelque tribulation qui nous ait été infligée.

Tous les soldats qui nous servaient au maintien de l'ordre et de la discipline civile , nous ont été enle- vés, et incorporés aux troupes françaises ; nos gardes- du -corps, tous hommes choisis et de l'ordre de la noblesse, ont été envoyés à la citadelle de Rome ; ils y ont été détenus plusieurs jours , et enfin licen- ciés et dispersés ; on a mis des gardes aux portes et aux principaux endroits de la ville ; on s'est emparé militairement de la poste aux lettres, de toutes les imprimeries, surtout de celle de notre chambre apostolique et de la propagande ; on nous a encore enlevé la faculté de faire imprimer l'expression de nos volonté set celle de proclamer nos ordres. L'ad- ministration et la justice publique ont été troublées et arrêtées. Sollicités par la fraude, parla ruse , par toutes sortes d'artifices à former ce qu'on appelle des gardes nationales , nos sujets sont devenus rebelles

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envers leur légitime souverain. Les plu* audacieux et |es plus corrompus d'entre eux., portant la co- carde tricolore française et italienne , et protégés par ce signe de la révolte comme par un bou- clier, se sont répandus de tous cotés, tantôt en trou- pes , tantôt seuls , et se sont portés à tous les excès contre les ministres de l'église , contre le gouverne- ment , contre tous les gens de bien , soit qu ils en eussent Tordre ou la permission tacite. On a com- mencé , malgré nos réclamations , à imprimer dans Home , et à répandre dans le public et dans l'étran- ger, des journaux, ou comme on dit, des feuilles pé- riodiques, pleines d injures, de sarcasmes, même de calomnies contre la puissance et la dignité pontifi- cale ; quelques déclarations de notre partou signées de notre main ou par notre ministre, et affichées par notre ordre aux lieux accoutumés, en ont été arra- chées parles plus vils satellites, mises en pièces et fou- lées aux pieds, malgré l'indignation et les gémisse- mens de tous les hommes de bien. Des jeunes gens imprudens et d'autres citoyens ont été invités , élus et inscrits dans des conventicules suspects, prohibes avec la plus grande sévérité par les lois civiles et ecclésiastiques , même sous peine d'excommunica- tion par nos prédécesseurs Clément XII et Be- noit XIV ; plusieurs de nos ministres et officiers , tantde Rome que des provinces, hommes de la plus grande intégrité et fidélité , ont été on vexés ou

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jetés en prison . on exilés an loin. On a fait à main armée des recherches de papiers , ainsi que d'écrits de tout genre dans les bureaux des magistrats del'E- tat pontifical, sans exception , et jusque dans le cabi- net de notre premier ministre : trois fois nous avons remplacé notre premier ministre secrétaire d'Etat ; trois fois il a été enlevé de notre propre palais avec violence ; enfin la plupart des cardinaux de la sainte- église romaine qui restaient près de nous, comme nos coopérateurs , ont été à main armée , arrachés de notre sein et déportés au loin.

Toutes ces choses , et d autres attentats non moins indignes et audacieux , exécutés au mépris de tout droit divin et humain , sont si connus du public, qu'il est inutile de les retracer et de les énu- mérer. Et nous n'avons pas négligé , conformément aux devoirs de notre place , de faire de vives repré- sentations sur chacun de ces actes , afin de ne ja- mais paraître y avoir connivé ou donné notre assen- timent. Ainsi déjeà dépouillés de presque tout l'é- clat de notre dignité, et des soutiens de notre auto- rité, et privés de tous les secours nécessaires pour remplir les fonctions de notre ministère, et surtout partager notre sollicitude entre toutes les églises, et enfin accablés, opprimés, tourmentés par tous les genres de terreur, d'injures, et de vexation , et en- través chaque jour davantage dans l'exercice de no- tre double puissance temporelle et spirituelle, si nous en avons encore conservé jusqu'à ce moment

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quelque ombre , quelque apparence , nous ne le de- vons , après le Dieu tout puissant dont la provi- dence nous a donné tant de marques de protection, nous ne le devons qu'à notre fermeté , à ln pru- dence de nos officiers Ç comme à celle du clergé ; l'assujétissement de la puissance sncrée des évèques au pouvoir laïc, les violences de tous les genres faites à leurs consciences , et finalement leur expulsion de leurs propres sièges, leur déportation, et d'autres attentats sacrilèges de ce genre contre la liberté , les immunités et la doctrine de réglise,commis aussitôt dans nosltats, ainsi que dansles autres pays qui étaient tombés antérieurement au pouvoir de ce même gouvernement... Voilà, voilà les brillans gages, les monumens illustres de cet attachement merveil- leux à la religion catholique , qu'il ne cesse pas même encore aujourd'hui de vanter et de promettre!

Pour nous, depuis long-temps abreuvés de tant d'amertumes par ceux- mêmes dont nous devions moins les attendre, et tourmentés de toute manière, nous nous affligeons moins de notre sort présent que du sort futur de nos persécuteurs. Cependant si la colère du Seigneur s'est légèrement allumée contre nous , il se réconciliera de nouveau avec ses servi- teurs. Mais celui qui a cherché à nuire à l'église, comment pourra-t-il éviter la main de Dieu ? Non Dieu n'exceptera personne, et il ne respectera la grandeur de qui que ce soit; car c'est lui qui a fait

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le peut et le grand, et c'est au plus fort qu'est réservé le plus fort châtiment. Et plût à Dieu que nous puis- sions, à quelque prix que ce fût, même à celuijde notre vie, détourner la perdition éternelle et opérer le salut de nos persécuteurs que nous avons toujours chéris, et que nous ne cesserons jamais d'aimer de tout notre cœur ! Plût à Dieu qu il nous fût permis de ne jamais nous départir de cet esprit de charité et de douceur que la nature nous a donné , et que notre volonté a mis en pratique ; et que nous puis- sions à l'avenir, comme nous l'avons fait jusqu'ici , nous abstenir d'employer la verge qui nous a été donnée en même temps que la garde de tout le trou» peau de Jésus-Christ, dans la personne du bien- heureux Saint Pierre , par le prince des pasteurs, pour la correction des brebis égarées et obstinées , et pour l'exemple et la terreur salutaire des autres.

Mais le moment de l'indulgence est passé. Certes il n'y a que ceux qui veulent être aveugles qui puis- sent ne pas voir tendent des attentats aussi nom- breux, et quel en sera le résultat , si on n'y met op- position à temps, de la manière qu'il est possible de le faire. D'un autre côté , il n'est personne qui ne voie qu'il ne reste absolument plus d'espérances que leurs auteurs puissent être fléchis par les représentations x }es conseils, les prières , ni les supplications /ni deve- nir plus favorables à l'église. Us ne laissent plus d'ac- cès à ces moyens j ils y sont sourdâ^ ils n'y répondent

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qu'en accumulant injures sur injures. Il ne peut plus se faire qu'ils prêtent l'oreille et qu'ils obéissent à l'église comme des enfans à une tendre mère, et comme des disciples à leurs maîtres, ces mêmes hommes qui ne méditent rien , qui ne font rien , qui n'entreprennent rien si ce n'est pour se l'asservir comme une servante ù son maître , et pour la renver- ser ensuite de fond en comble.

Que nous reste-t il donc maintenant à faire si nous voulons ne pas encourir le reproche de négligence et d'inertie , et peut-être même celui d avoir déserté honteusement la cause de Dieu! Que nous reste t-il à faire, disons-nous, si ce n'est de faire taire toute considération humaine , d'abjurer toute prudence de la chair , et de mettre à exécution ce précepte de l'Evangile: « Que celui qui n'écoute pas l'Eglise, soit pour toi comme le payen et le publicain. ( Matth , XV1I1. ) Qu'ils apprennent encore une fois qu'ils sont soumis par la loi de Jésus Christ à notre trône et à notre commandement. Car nous exer- çons, aussi , nous, une souveraineté « et une souve- raineté bien plus noble; à moins qu'il ne faille dire que l'esprit doive céder à la chair et les choses du ciel à la terre. » ( Saint Grég. de Naz. or. XVII ad rnaur.) Tant de grands pontifes, illustrés par leur doctrine et leur sainteté , en sont venus autrefois à ces extrémités pour défendre ainsi la cause de l'église contre des Rois et des Princes endurcis, tantôt pour

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l'un, tantôt pour l'autre de ces crimes que les saints canons frappent d'ana thème ! Craindrons-nous donc de suivre leur exemple, après des forfaits si nom- breux , si énormes , si atroces , si sacrilèges , si con- nus partout, si manifestes aux yeux de l'univers'. N'avons nous pas bien plus à redouter d'être accusés avec raison de l'avoir fait trop tard , au lieu de l'a- voirfait témérairement et avec précipitation! surtout lorsque parce dernier attentat , le plus grave de tous ceux qu'on ait commis jusqu'ici contre notre souve- raintté temporel!e, nous sommes avertis qu'il ne nous sera plus libre désormais de remplir ce devoir si important et ri nécessaire de notre ministère !

C'est pourquoi , par l'autorité du Dieu tout puis- sant, par celle des saints apôtres Saint Pierre et Saint Paul . et par la. notre , nous déclarons que tous ceux qui, après l'invasion de cette ville et des Etats ecclésiastiques, après la violation sacrilège du patri- moine du bienheureux Saint Pierre, prince des apôtres, commise par les troupes françaises (atten- tats qui ont excité nos justes plaintes dans les deux allocutions consistoriales déjà mentionnées ainsi que dans plusieurs protestations et réclamations qui ont été publiées par notre ordre) ont agi dans ladite ville et dans les provinces de l'Etat de l'Eglise contre les immunités ecclésiastiques et les droits temporels de l'Eglise et du saintsiége, nous déclarons, disons-nous, que ceux qui ont commis quelques un de ces atten-

( tyô ')

tnts, ou qui les ont ordonnés, favorises , conseillés , ou y ont adhéré, rinsi que ceux qui les ont t'ait exé- cuter, ou qui ont servi eux-mêmes à les exécuter , ont encouru l'excommunication majeure, et les autres censures et peines ecclésiastiques fulminées par les ca- nons sacrés, par les constitutions apostoliques , et les décrets des conciles généraux , notamment par celui de Trente, fsess. XX II, cap. X/., de réforme.) (i)et se

(i) Concile de Trente, Session 11 , Chapitre onzième.

Si quelque ecclésiastique , ou laïque de quelque digni - té qu'il soir, fût- il même Empereur ou Roi, a le cœur assez rempli d «-narice qui est la racine de tous les maux, pour oser convertir à son propre usage et usurper par soi-même, ou par autrui, par force, ou par menaces , même par le moyen de personnes interposées soit ecclé- siastiques soit laïques, par quelque artifice, et sous quelque couleur et prétexte que ce puisse être , les ju- 1 isdictions, biens, cens, et droits même féodaux et ain- philhéotiques , les fruits , émolumens , et quelques revenus que ce soit, de quelqu'église , ou quelque béné- fice séculier ou régulier , monts de piété et de quelques autres lieux de dévotion que ce puisse être qui doivent être employés aux nécessités des pauvres et de ceux qui desservent; ou pour empêcher par les mêmes voies que les dits biens ne soient perçus par ceux auxquels de droit ils appartiennent : qu'il soit soumis à l'anatlième, jusqu'à ce qu'il ait entièrement rendu et restitué à l'église et «à

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besoin est, nous les excommunions et les anathématisons de nouveau , et déclarons qu'ils ont également en- couru la perte de tous privilèges quelconques, grâces et induits qui leur ont été accordés , de quelque ma- nière que ce soit , tant par nous que par les pontifes Romains nos prédécesseurs; et qu'ils ne pourront être absous et libérés des censures ainsi encourues par qui que ce soit , si non par nous , ou par le pontife Romain existant dans le temps (excepté à l'article de la mort , et alors en retombant sous le poids des mêmes censures aussitôt qu'ils seront hors de danger) et de plus, les déclarons inhabiles et incapables d'ob- tenir le bénéfice de l'absolution, jusqu'à ce qu'ils aient rétracté publiquement, révoqué, cassé et aboli tous les effets quelconques de leurs attentats, et jus- qu'à ce qu ils aient rétabli pleinement et efficacement toutes choses dans leur ancien état ; et qu'ils aient d'ailleurs fait à l'Eglise, à nous, et au saint siège , la juste satisfaction qu'ils nous doivent sur les chefs ci- dessus énoncés. C'est pourquoi, par les présentes, nous ordonnons pareillement que tous ceux déjà

s-on administrateur, ou au bénéficier, les dites jurisdic- tions, biens, effets, droits, fruits et revenus, dont il se sera emparé ou qui lui seront avenus, de quelque manière que ce soit, même par donation de personne supposée ; et qu'il en ait ensuite obtenu l'absolution du souverain pontife.

I

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mentionnés, même ceux qui méritent une mention spéciale , et leurs successeurs en office , ne pourront jamais, sous aucun prétexte quelconque, se croire exempts et dispensés de rétracter, révoquer, casser et annuler tous leurs attentats ; ni de satisfaire réel- lement et effectivement au préalable et comme il convient, à l'Eglise, au saint-siège et à nous; nous voulons au contraire que pour le présent et pour l'a- venir cette obligation conserve sa force, si jamais ils veulent obtenir le bénéfice de l'absolution.

Cependant lorsque nous sommes obligés de tirer ainsi du fourreau le glaive de la sévérité de l'Eglise, nous n'oublions pas que nous tenons sur la terre, quelqu'indigne que nous en soyons , la place de ce- lui qui , même lorsqu'il exerce sa justice , n'oublie pas de pardonner ; c'est pourquoi nous comman- dons et ordonnons , d'abord à nos sujets , puis à tous les peuples chrétiens, en vertu de la sainte obéis- sance , que personne, à l'occasion ou sous le prétexte de nos présentes lettres apostoliques , ne présume apporter dommage , injure , préjudice, ou tort quel- conque aux biens , aux droits, aux prérogatives , de ceux contre qui les présentes lettres sont dirigées,, car en les punissant du genre de peine que Dieu a mis en notre pouvoir , et en vengeant tant et de si graves injures faites à Dieu et à la sainte Eglise, nous nous proposons , par dessus tout , que ceux qui nous tourmentent maintenant , se convertissent,

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et de même soient couronnés avec nous ( St. Ausr. in ps. 54., l.)> Sl heureusement Dieu leur accorde la pénitence; afin de connaître la vérité. ( 1 1 ad ïim. , cap. 11, v. 25).

C'est pourquoi , devant nos mains au ciel dans l'humilité de notre cœur , tandis que nous remettons et recommandons à Dieu la juste cause que nous dé- fendons, qui est plutôt la sienne que la notre, et tandis que nous confessons qu'avec le secours de sa grâce , nous sommes prêts à boire jusqu'à la lie , pour la cause de son Eglise , le calice qu'il a daigné boire le premier pour elle , nous le prions et le conjurons par les entrailles de sa miséri- corde , de ne point mépriser ni rejeter les oraisons et les prières que nous faisons jour et nuit pour leur repentir et leur salut. Qu'il sera beau et consolant pour nous le jour nous verrons, par la grâce de la miséricorde divine , les mêmes enfans qui nous causent aujourd'hui tant de douleurs et de tribula- tions, se réfugier dans notre sein paternel, et s'em- presser de revenir au bercail.

Nous voulons que les présentes lettres apostoli- ques et toutes les choses qu'elles contiennent , ne puissent, en aucun temps eut» attaquées, combattues, ( même sous le prétexte que ceux qui y sont désignés et tous ceux qui ont , ou prétendent avoir intérêt au contenu desdites lettres ,J en quelque manière que ce soit, de quelque état, grade, ordre, préé-

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minence et dignité qu'elles puissent être , ou quel- que dignes d'ailleurs qu'on les suppose d'une men- tion ou dénomination spécifique et individuelle, n'y auraient pas consenti ; ou quay »nt été appelés, cités et entendus , ils n'auraient pas été suffisamment con- vaincus de la vérité et de la justice de la cause pour laquelle les présentes ont été rendues; ou pour tout autre cause, couleur ou prétexte que ce soit.) Ces mêmes lettres ne pourront, en aucun temps, être considérées comme entachées du vice de subreption, d'obreption, de nullité, de défaut d intention de notre part ou de défaut de consentement des per- sonnes qui y sont intéressées, ni de tout autre dé- faut quelconque; et sous ce prétexte elles ne pour- ront être attaquées, annulées, rétractées, mises en controverse ou réduites aux termes de droit; et l'on ne pourra alléguer contre elles, ni le droit de ré- clamation verbale, ni celui de restitution en entier dans son premier état, ni tout autre remède de droit, de fait, ou de grâce ; ou que ce remède après avoir été sollicité, ayant été accordé, ou étant émané même de notre propre mouvement, science et pleine puissance, il ne puissse servir d'aucune manière à qui que ce soit en jugement ou hors de jugement : mais décrétons, que ces présentes lettres doivent toujours demeurer fermes, valides et effi- caces, avoir et obtenir leur plein et entier effet , et être inviolablement et inébranlablement observées

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par tous ceux ceux qu elles concernent et pendant tout le temps qu elles les concerneront : et qu'elles doivent être ainsi et non autrement jugées soit par les juges ordinaires, soit par les juges délégués, même parles auditeurs des causes du palais aposto- lique et les cardinaux de la sainte €>glise romaine ? même les légats à latere et les nonces du saint-siége et tous autres quelconques qui jouissent et jouiron^ de quelque prééminence et puissance que ce soit^ leur ôtant à eux, et à chacun d'eux, la faculté et l'autorité de les juger et de les interpréter différem- ment; déclarant finalement nul et non avenu tout ce qui pourrait être fait et tenté contre elles, sciem- ment ou par ignorance, de la part de quelque auto- rité que ce soit.

Et malgré ce que dessus; et, en tant que de be- soin , nonobstant notre règle, et celles de la chan- cellerie apostolique sur la conservation des droits acquis , et les autres constitutions et ordonnances apostoliques, et tous les autres statuts et coutumes corroborés par serment, autorisation apostolique, ou toute autre confirmation ; nonobstant tous usages et styles même immémoriaux, tous privilèges, in- duits, lettres apostoliques publiées précédemment, et accordées à toutes autres personnes quelconques , de quelque haute dignité ecclésiastique ou séculière qu'elles puissent être revêtues, et quelque qualifi- cation qu'elles puissent avoir, et quand même elles '

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prétendraient avoir besoin d'une désignation ex- presse et spéciale , sous quelque teneur et forme que ce soit; nonobstant encore toute autre cause déro- gatoire, insolite, et irritante, et tous autres décrets qui sembleraient émanés du propre mouvement, ' science certaine , et pleine puissance, soit en con- sistoire, soit de toute autre manière, et qui serait en opposition à ce qui est énoncé ci-dessus, quand même ils auraient été rendus publics et réitérés plu- sieurs fois, et quelque nombre de fois qu'ils puissent avoir été approuvés, confirmés et renouvelés; nous déclarons que nous dérogeons par ces présentes, d'une façon expresse et spéciale, et pour cette fois seulement, à ces constitutions, clauses, coutumes, privilèges, induits et actes quelconques, et nous entendons qu'il y soit dérogé, quoique ces actes ou quelques-uns d'eux n'aient pas été insérés ou spé- cifiés expressément dans les présentes, quelque di- gnes qu'on les suppose d'une mention spéciale, ex- presse et individuelle, ou d une forme particulière en pareil cas. Voulant que les présentes aient lu même force, que si la teneur des constitutions à sup- primer, et celle des clauses spéciales à observer y étaient nommément et de mot à mot exprimées, et qu'elles obtiennent leur plein et entier effet, no- nobstant toutes eboses à ce contraire ; et comme ces présentes lettres ne peuvent être publiées en sû- reté partout, et principalement dans les lieux il

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serait plus nécessaire qu'elles le fussent, ainsi qu'il conste notoirement, nous voulons que ces lettres? ou leurs exemplaires , soient affichés et publiés aux portes de l'église deLatran,et delaBasilique du prince des apôtres , ainsi qua la chancellerie apostolique et dans la grande cour au mont Gitorio , et à l'entrée du Champ-de-Flore de celte ville , comme il est d'u- sage ; et qu'étant ainsi affichées et publiées, elles fussent loi pour tous et chacun de ceux qu'elles concernent, comme si elles étaient intimées à chacun d'eux nominalement et personnellement,

Voulons de plus qu'à des copies transcrites ou imprimées des présentes lettres, signées par quelques notaires publics et munies du sceau de quelques personnes constituées en dignité ecclésiastique, foi soit ajoutée en tous lieux et dans tous les pays , soit en jugement soit ailleurs, ainsi qu'à l'original.

Donné à Rome, près Sainte-^VIarie-Majeure, sous 'anneau du pêcheur , le dix juin dix-huit cent neuf, 'an dix de notre pontificat.

Signé y Pie vu , pape.

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NOTIFICATION.

PIE VII, PAPE.

Par l'autorité du Dieu tout-puissant, des saints apôtres Pierre et Paul, et par la nôtre, nous décla- rons que vous et tous vos coopérateurs , d'après l'at- tentat que vous venez de commettre, avez encouru l'excommunication (comme l'ont annoncé nos bulles apostoliques qui, dans des occasions semblables, s'affichent dans les lieux accoutumés de cette ville). Nous déclarons avoir aussi encouru l'excommunica- tion, tous ceux qui, depuis la dernière invasion violente de cette ville, qui eut lieu le 2 février de l'année dernière, ont commis soit dans Rome, soit flans l'Etat ecclésiastique, les attentats contre lesquels îious avons réclamé, non-seulement dans le grand nombre des protestations faites par nos secrétaires d'Etat, qui ont été successivement remplacés, mais encore dans nos deux allocutions consistoriales des i4 mars et 1 1 juillet 1808. Nous déclarons égale- ment excommuniés tous ceux qui ont été les man- dataires, les fauteurs, les conseillers, et quiconque aurait coopéré à l'exécution de ces attentats ou les aurait commis lui-même.

Donné à Home , à Sainte-Marie-Majeure, le 11 juin 1809, et l'an dixième de notre pontificat, A la Place du sceau,

Pie vu, pape.

T. II. 23

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Lettres de iV. S. père le pape Pie VU, écrites de sa prison de Savone , concernant les élections capitulaires.

PREMIÈRE LETTRE.

A M. le cardinal Caprara, Archevêque de Milan

Monsieur le cardinal,

J'ai reçu ici le 19 du courant, votre lettre datée du 20 juillet, par laquelle, comme Archevêque de Milan , vous me dites que S. M. l'empereur des Français désire que j'accorde l'institution canonique aux évêques désignés pour remplir les sièges vacans dans ses Etats. Vous ajoutez que S. M. consent à ce que, dans mes bulles, je ne fasse aucune men- tion de sa nomination, pourvu que, de ma part, je supprime la clause proprio motu, ou toute autre équivalente.

Pour peu , M. le cardinal que vous réfléchissiez sur cette proposition, il est impossible que vous ne voyiez pas que je ne puis y acquiescer sans recon- naître le droit de nomination de l'empereur, et la faculté de l'exercer. Vous dites que mes bulles se- ront accordces, non à lui, mais à l'instance du conseil «t du Ministre des cultes ; d'abord la chan- cellerie apostolique n'admet pas de telles instances de la part des laïques : et puis, ce conseil, ce mi-

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nistre, ne sont-ils pas l'empereur lui-même, sont-ila autre chose que les organes de ses ordres et les ins- rrumens de ses volontés? Or, après tant d'innova- tions funestes à la religion, que l'empereur s'est per- mises, et contre lesquelles j'ai si souvent et si inuti- lement réclamé ; après ces vexations exercées contre tant d'ecclésiastiques de mes Etats; après la dépor- tation de tant d évêques et de la majeure partie des cardinaux; après l'emprisonnement du cardinal Pacca à Fenestrelles ; après l'usurpation du patri- moine de St.-Pierre; après mètre vu moi-même assailli à main arnaée dans mon palais, traîné de ville en ville sous une garde si étroite, que les évê- ques de plusieurs lieux qu'on m'a fait traverser, n'avaient pas la liberté de m'approcher et ne pou- vaient pas me dire un seul mot sans témoin; après tous ces attentats sacrilèges et une infinité d'autres qu'il serait trop long de rapporter , que les conciles généraux et les constitutions apostoliques ont frappé d'anatlième, qu'ai-je fait! qu'obéir à ces conciles et à ces constitutions, ainsi que l'exige mon devoir. Comment donc aujourd'hui pourrais-je reconnaître dans l'auteur de toutes ces violences le droit en question, et consentir à ce qu'il l'exercàt ? le ponr- rais-je sans me rendre coupable de prévarication, sans me contredire moi-même, et sans donner avec scandale aux fidèles, lieu de croire, qu abattu par les maux que j'ai soufferts, et par la crainte de plus

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grpiuls encore, je suis assez lâche pour trahir ma Cûnseienée et pour approuver ce qu'elle me force de proscrire? Pesez ces raisons, M. le cardinal, non à la balance de la sagesse humaine, mais au poids du sanctuaire, et vous en sentirez la force.

Dieu sait cependant, au milieu de ces cruelles agitations, combien vivement je désirerais pour- voir aux sièges vacans de cette église de France que j'ai toujours chérie de prédilection ! avec quelle ardeur j'adopt6rais un expédient qui me permettrait de remplir mon ministère sans blesser mes devoirs! Mais comment, seul et fans secours, puis-je prendre un parti dans une affaire de cette importance? On m'a enlevé tous mes conseillers, on les a éloignés de moi ; on m'a mis dans l'impuissance de communiquer li- brement avec aucun d'eux; il ne me reste personne, qui dans une discussion si épineuse puisse m'aider de ses lumières ; on ne m'a pas même laissé la res- source d'un secrétaire. Mais si l'empereur a un vé- ritable attachement pour l'Eglise catholique , qu'il commence par se réconcilier avec son chef,* qu'il abroge ses funestes innovations religieuses contre lesquelles je n'ai cessé de réclamer ; qu'il me rende ma liberté, mon siège, mes officiers; qu'il restitue les propriétés qui formaient, non mon patrimoine, mais celui de St.-Pierre; qu'il replace sur la chaire de St.-Pierre son chef suprême , dont elle est veuve depuis sa captivité; qu'il ramène auprès de moi

C 357 )

quarante cardinaux que ses ordres en ont arrachés; qu'il rappelle à leurs diocèses tous les évêques exilés, et sur-le-champ l'harmonie sera rétablie. Au milieu de toutes mes tribulations, je ne cesse d'adresser mes plus ferventes prières au Dieu qui tient tons les cœurs en sa main , et de l'invoquer pour 1 auteur de ces maux ; je croirai* mes prières pleinement exau- cées s il plaidait aii Tout-Puissant de lui inspirer de plus salutaires conseils : mais si par un secret juge- ment de Dieu , il en arrive autrement, en déplorant tous ces malheurs, on ne pourra du moins me les imputer : je ne négligerai rien de ce qui sera en mon pouvoir pour les éviter et j'y apporterai toute l'at- tention et tous le> ménagemens possibles. Quant à ce qu'on affecte de répandre , que je compromets les choses spirituelle* pour des intérêts purement tem- porels , c'est une calomnie qu'il vous est aisé de con- fondre, M. le cardinal, qui jour par jour avez su tout ce qui s'est passé ; vous savez très-bien que quand il ne serait question que de l'usurpation du patrimoine de St. -Pierre , je ne pourrais en aban- donner la défense sans manquera un devoir essentiel, et me rendre parjure.

A votre lettre en était jointe une de M. le cardinal Maury, et on m'en a remis en même temps une troisième de M. I evèque de Cazal , tous trois pour le même objet. Accusez-en , je vous en prie , la récep- tion à ces messieurs, et communiquez leur cette

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réponse; je me réserve d'écrire plus amplement à M. le cardinal Maury , dès que j'en aurai le loisir; en attendant assurez-les de mes sentimens et recevez ma bénédiction paternelle et apostolique.

Savone le 26 août 1 809.

Pie xiiipape.

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Au vent table frère le cardinal Jean Maurjr , évêque de Montejiascotie et de Corneto, à Paris.

Vénérable frlke , salct et bénédiction* apos- tolique ,

Il y a cinq jours que nous avon> reçu la lettre par laquelle vous nous apprenez votre nomination à l'archevêché de Paris, et votre installation dans le gouvernement de ce diocèse. Cette nouvelle a mis le comble à nos autres achetions, et nous pé- nètre d'un sentiment de douleur que nous avons peine à contenir, et quil est impossible de vous exprimer. Vous étiez parfaitement instruit de notre lettre au cardinal Caprara, pour lors archevêque de Milan , dans laquelle; nous avons exposé les mo- tifs puissants qui nous faisaient un devoir, dans l'état présent des choses , de refuser l'institution canonique aux évèques nommés par l'Empereur : vous n'ignoriez pas que non seulement les circons- tances sont les mêmes, mais qu'elfes sont devenues et deviennent de jour en jour plus alarmantes par le souverain mépris qu'on affecte pour l'autorité de l'Eglise; puisqu'en Italie on a porté I audace et 11 témérité jusqu'à détruire généralement toutes les communautés religieuses de l'un et de l'autre sexe, supprimer des paroisses , des évêchés , les réunir t

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les amalgamer, leur donner de nouvelles démarca- tions, sans en excepter les sièges suburbicaires ; et tout cela s'est fait en vertu de la seule autorité impériale et civile; car nous ne parions pas de ce qu'a éprouvé le clergé de l'église Romaine, la mère et la maîtresse des autres églises, ni de tant d'autres attentats. Vous n'ignoriez pas, avons-nous dit, et vous connaissiez dans le plus grand détail, tous ces événemens: et d'après cela nous n'aurions jamais cru que vous eussiez pu recevoir de l'Empereur la nomination dont nous avons parlé , et que votre joie en nous l'annonçant fût telle que si c'était pour vous la chose la plus agréable et la plus conforme à vos vœux.

Est-ce donc ainsi qu'après avoir si courageusement et si éloquemment plaidé la cause de l'église catho- lique dans les temps les plus orageux de la révolu- tion Française, vous abandonnez cette même église, aujourd'hui que vous êtes comblé de ses dignités et de ses bienfaits, et lié étroitement à elle par la religion du serment? vous ne rougissez pas de pren- dre parti contre nous dans un procès que nous ne soutenons que pour défendre la dignité de l'église ? Est-ce ainsi que vous faites assez peu de cas de notre autorité pour oser , en quelque sorte, par cet acte public, prononcer sentence contre nous à qui vous deviez obéissance et fidélité ? Mais ce qui nous af- flige encore davantage , c'est devoir qu'après avoir

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mendié près d'un chapitre l'administra tion d'un archevêché, vous vous soyez de votre propre auto- rité, et sans nous consulter, chargé du gouverne- ment d'une autre église ; bien loin d'imiter le bel exemple du cardinal Joseph Fesch, archevêque de Lyon , lequel ayant été nommé avant vous au même archevêché de Paris, a cru si sagement devoir ab- solument s'interdire toute administration spirituelle de cette église, malgré l'invitation du chapitre.

Nous ne rappelions pas qu'il est inoui dans les annales ecclésiastiques qu'un prêtre nommé à un évêchc quelconque, ait été engagé par les vœux du chapitre à prendre le gouvernement du diocèse avant (l avoir reçu l'institution canonique : nous n'exami- nons pas ( et personne ne sait mieux que vous ce qu'il en est ) si le vicaire capitulaire élu avant vous, a donné librement et de plein gré la démission de ses fonctions, et s'il n'a pas cédé aux menaces, à la crainte ou aux promesses, et par conséquent si votre élection a été libre, unanime et régulière; nous ne voulons pas non plus nous informer s'il y avait clans le sein du chapitre quelqu'un en état de remplir des fonctions aussi importantes; car enfin, veut-on en venir? on veut introduire dans l'église un usage aussi nouveau que dangereux, au moyen duquel la puissance civile puisse insensiblement parvenir à n'établir pour l'administration des sièges vacans , que des personnes qui lui seront entièrement ven-

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dues : et qui ne voit évidemment que c'est non- seulement nuire à la liberté de l'Eglise, mais encore ouvrir la porte au schisme et aux élections invalides? Mais d'ailleurs qui vous a dégagé de ce lien spirituel qui vous unit à l'église de Montefiascone ? ou qui est- ce qui vous a donné des dispenses pour être élu par un chapitre, et vous charger de l'administration d un autre diocèse ? Quittez donc sur le champ cette ad- ministration, non seulement nous vous l'ordonnons, mais nous vous en prions, nous vous en conjurons , pressés par la charité paternelle que nous avons pour vous; afin que nous ne soyons pas forcés de procéder malgré nous et avec le plus grand regret, confor- mément aux statuts des SS. Canons: et personne n'ignore les peines qu'ils prononcent contre ceux qui préposés à une église, prennent en main le gouvernement d'une autre église r avant d'être déga- gés des premiers liens. Nous espérons que vous vous rendrez volontiers à nos vœux, si vous faites bien attention au tort qu'un tel exemple de votre part ferait à l'église et à la dignité dont vous êtes revêtu : nous vous écrivons avec toute la liberté qu'exige notre ministère ; et si vous recevez notre lettre avec les mêmes sentimens qui l'ont dictée, vous verrez qu'elle est un témoignage éclatant de notre ten- dresse pour vous.

En attendant, nous ne cesserons d'adresser au Dieu bon, au Dieu tout-puissant, de ferventes

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prières pour qu'il daigne appaiser par une seule pa- les vents et les tempêtes déchaînés avec tant de fureur contre la barque de Pierre; et qu'il nous con- duise enfin à ce rivage si désiré nous pourrons librement exercer les fonctions de notre ministère» Nous vous donnons de tout notre cœur notre béné- diction apostolique.

Donné à Savone , le 5 novembre 1810, la on- zième année de notre pontificat.

Pie vu , pape.

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J notre fils chéri, Evrard Corboli , drchidia- cre de V église métropolitaine de Florence , et vicaire capitulaire pendant la vacance du siège archiépiscopal , à Florence.

Notre cher fils, salut et rénédiction aposto- lique.

Il nous est très facile de répondre aux questions qui nous ont été faites tant en votre nom qu'en celui du chapitre métropolitain de votre ville. Toutes ces questions se réduisent à celles ci: le vénérable frère évêque de Nancy, nommé depuis peu à l'ar- chevêché de Florence, en vertu de quelle autorité l'a t-il pu être légitimement? car c'est un privilège dont ne jouissaient pas même les grands ducs de Toscane , auxquels nos prédécesseurs, en recon- naissance des services signalés qu'ils avaient rendus à l'Eglise, avaient seulement accordé la faveur de proposer pour chaque église" vacante, trois sujets parmi lesquels le souverain pontife en choisissait un à son gré; ( faveur que nous n'avons pas hésité d'ac- corder aussi nous mêmes au dernier Roi d'Etrurie et à la Reine régente, à cause de leur tendre piété. )

2°. Le susdit évêque peut-il être, par le chapitre métropolitain de Florence , délégué, et élu comme vicaire capitulaire ou administrateur de cette église, après votre démission? peut-il, en vertu de cette

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délégation ou élection , être revêtu validement de quelque faculté, pouvoir, ou juridiction ?

Nous avons d'abord un célèbre canon du saint con- cile œcuménique II, de Lyon, lequel dans sa pré- voyance , défend que celui qui a été choisi pour une église, puisse avant l'institution canonique, se charger de l'administration ou gouvernement de cette église, sous le nom d'économe ou procureur, ou sous toute dénomination en aucune manière, soit en tout soit en partie, du gouvernement tant spirituel que tem- porel; qu'il puisse enfin régir et se charger de cela ou par lui -même ou par tout autre. Ces paroles sont si générales et si claires, quelles excluent toute exception et toute interprétation. A l'appui de ce canon , nous citerons les décrétales de Boniface V1IT. ( injuncta, insérée dans les extravag. comm.) , et les constitutions des souverains pontifes Alexandre V , Jules II, Clément Vil, Jules III, lesquelles confir- ment et donnent une nouvelle force à ce canon ; les- quelles, enfin , ont été reçues par l'église universelle avec tant de respect, quelles sont devenues la sanc- tion et la base de cette discipline salutaire, qui a été en vigueur jusqu'à présent dans toute 1 église.

Or le concile de Trente qui a déterminé et fixé les devoirs des chapitres cathédraux, lors de la vacance du siège, bien loin de déroger en rien au canon de Lyon et à tant de décrets des souverains pontifes, au contraire les suppose évidemment, quand il déclare

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que les chapitres n'ont d'autre fonction , et par con- séquent d'autre pouvoir que celui de choisir dans la huitaine, un ou plusieurs économes avec un officiai ou vicaire capitulaire. Il déclare ensuite que ces mêmes économes et officiaux ou vicaires , une fois élus, ne dépendent plus du chapitre, mais de l'évê- que futur, à qui après sa promotion au gouverne- ment de l'église vacante, il est ordonné d'exiger d'eux le rendement de compte de leur conduite y jurisdiction , administration et fonction quelconque, et de les punir s'ils avaient commis quelques fautes; quand même ils auraient obtenu du chapitre l'ab- solution et l'entière décharge desdites fautes. D'où découlent deux conséquences évidentes : la première que les officiaux une fois établis, l'exercice du gou- vernement ecclésiastique ne réside plus entre les mains du chapitre, mais entre celles des premiers: la seconde, que cet officiai capitulaire doit nécessai- rement être une personne distincte de l'évêque qui sera promu.

Ainsi donc, d'après les sanctions canoniques et pontificales, d'après la discipline qui est en vigueur dans l'église, et contre laquelle il ne peut exister aucune délégation légitime, le vénérable frère évê- que de Nancy, dont il est question, est absolument inhabile aux fonctions de vicaire ou officiai capitu- laire de l'église métropolitaine de Florence, par même qu'il a été nommé archevêque de cette église.

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Mais ce qui le rend surtout inhabile à cette élec- tion, c'est qu'il a contracté avec une autre église, un mariage spirituel , qui ne peut être dissous que par une dispense expresse du siège apostolique, ce qui fait que l'évêque d'une église ne peut être trans- féré à une autre, sans une faveur spéciale du saint siège, faveur que l'on n'accorde jamais que pour des raisons graves et légitimes.

Puisqu'il en est ainsi, vous comprendrez sans doute que vous vous rendriez coupable de témérité et d'une très grande faute, si vous vous démettiez de vos fonctions, pour ouvrira un autre une entrée que 1 église lui a fermée; vous comprendrez que toute délégation de ce genre , faite par le chapitre , non seulement est blâmable, mais encore qu'elle serait nulle et invalide: comme aussi, pour plus grande précaution, autant que besoin soit, nous la déclarons aujourd'hui et pour lors nulle et invalide, en vertu de notre autorité; pareequen cela on atten- terait aux plus saintes loix de l'église et à sa disci- pline ordinaire, et que ce serait tendre évidemment à obscurcir et détruire les principes de la mission légitime, à mépriser et anéantir l'autorité du siège apostolique.

Voila ce que nous avons cru devoir vous écrire en peu de mots, uniquement parceque vous nous avez demandé notre sentiment, et non point que nous soupçonnions que rien Je semblable put arriver,

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soit de votre part, ou de celle du chapitre métropo- litain de Florence, soit de la part de notre vénérable frère 1 evêque de Nancy. Nous avons de vous une si haute idée, que non seulement nous ne craignons pas que vous méprisiez les réglemens des SS. ca- nons, mais au contraire nous sommes très-persua- dés, que vous serez toujours prêts à les observer, à les faire connaître et à les défendre malgré les menaces et la flatterie.

C'est pourquoi , en notre nom et par notre ordre, vous ferez part de cette déclaration de nos senti- mens à nos chers fils les dignitaires et les chanoines de l'église métropolitaine de Florence; et nous vous donnons à tous , du fond de notre cœur, notre bé- nédiction apostolique.

Donné à Savone , le 2 décembre 1810, la on- zième année de notre pontificat.

Pie vu , .pape.

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CHAPITRE XXXIII.

Examen de la conduite du pape et de Napoléon.

Je sens que clans une pareille matière beaucoup d'hommes, et surtout parmi les ec- clésiastiques, sont encore plus portés à re- chercher la pensée personnelle de l'auteur, que le fond même des faits. Il faut avoir du temps de reste pour faire de pareilles de- mandes; au contraire, il faudrait être persua- dé que le public n'en a point à donner à ces petites choses. J osé croire que La manière dont jusqu'ici j'ai présenté ce débat, ne prèle à aucun soupçon de partialité. Que l'on voye es positions. Napoléon est bien loin : le pape est à Rome : je n'attends pas plus de l'un que je ne crains de l'autre. Reste donc mon devoir d'historien, et mon indépendance personnelle pour le remplir, attribut précieux, indispen- sable dans quiconque parle ou agit pour le public.

Toute contestation avec le pape est embar- rassante, eu raison de son double caractère ; t. 11 24

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le mélange du spirituel avec le temporel arrive tout de suite : le mot de religion est aussi- tôt prononcé , les expressions de paternité se mêlent au débat , il n'y a point comme dans les contestations purement politiques un per- sonnage simple, homogène , et de même na- ture que la partie adverse. Les augustes fonc- tions du pape, sa faiblesse même commandent des ménagemens et des égards qui ne sont pas également requis envers des adversaires plus robustes et moins sacrés. il n'y a d'atteint que les intéressés ; au contraire , les querelles avec les papes remuent toute la famille ca- tholique, et la font intervenir par un senti- ment qui ne peut appartenir de même aux contestations entre des princes qui ne pré- sentent pas le même caractère. Les contesta- tions avec les papes sont donc très embar- rassantes par leur nature , et sont destinées à le devenir davantage par les progrès de la ci- vilisation; Piome qui en a tant de frayeur, comme tout le monde aura sa part de ses bienfaits.

De tout temps, la guerre en Italie et sur- tout au royaume de Naples a compromis les papes et Rome. Voyez l'histoire depuis lin-

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ra ion de Naples par Charles Ce princt et ses successeurs Louis XII, François Ier. Henri II, avec leurs guerres d Italie se sont trouvés sans cesse vis à-vis des Jules II, des Alexandre VI, des Léon X et autres. Ces princes n'ont pas mieux traité les papes que ne l'a fait Napoléon, et s'ils ne les ont pas mis en prison, c'est qu'ils ne leur sont pas tombés sous la main. Quand ils se trouvèrent sous celle de Charles-Quint, qu'arriva-t-il ?

La position de Rome au centre de l'Italie supérieure, la séparant de l'Italie inférieure, compromet les papes dès que Naples fait partie de la guerre, comme il arrivait lorsque les monarques d'Espagne ou d'Allemagne occu- paient ce trône, lorque les rois de Naples ont pris parti pour ou contre la France. Dans la guerre d'Espagne, l'empereur Joseph Ir r. vou- lant enlever le royaume de Naples au roi d'Espagne Philippe V, traita le pape avec beaucoup de hauteur. Le nom de Joseph dans les empereurs d'Allemagne ne porte pas bon- heur aux papes. Louis XIV, dans l'affaire de la garde corse et dans celle des franchises, eu usa avec immod eration envers le pape, saisit Avignon; son aml.asi-adur de Lavrrdin

a4«

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Lrava le pape et les censures de l'église avec un éclat que les mœurs modernes ne compor- teraient point

Dans l'affaire de Parme en 1768 (1), le pape Clément XIII eut à subir des procédés qui du- rent lui paraître bien amers, de la part des gouvernemens de Venise, de Portugal, d'Es- pagne et de France. Xouis XV fit saisir Avi- gnon : le réquisitoire que publia alors M. de Castilion, avocat-général du parlement d'Aix, ne le cède en virulence à rien de ce qu'a

(1) Clément XIII en 1768 déclara, un beau jour, que le duché de Parme lui appartenait , cassa les édits du Prince , déclara les ducs usurpateurs des droits de l'Eglise, et excommunia le duc régnant; on sent le bruit que dut faire cette entreprise, et pour ainsi dire ce réveil des pré- tentions Romaines.

En 1707 le pape avait fait une déclaration de supério- rité sur ce territoire , pour l'opposer aux effets du traité conclu entre le Duc et Joseph Il avait lancé l'excom- munication ; l'empereur le maltraita vivement , et , dans une réponse publique , déclara au pape que les excommu- nications injustes ne sont à craindre que pour ceux qui les prononcent.

On peut appliquer à la cour de Rome ce que Voltaire a dit de l'Autriche : qu'elle n'abandonnt jamais entièrement ce quelle a possédé une fois.

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dit Napoléon sur la même cour. On disait dans le temps que c'était l'ouvrage de l'abbé Maury, et qu'il n'avait été si savant en J790 pour défendre le pape, que par ce qu'il avait appris en 1770 pour l'attaquer.

Il s'était établi par l'usage, de la part de quelques puissances, une espèce d'arbitraire et d'empire sur les États d'Italie. L'amiral Mathews, dans la guerre de r 744? força leroide JNaples à se détacher de la France et de l'Es- pagne, en lui montrant la flotte anglaise prête à bombarder sa capitale. Ce prince devenu roi d'Espagne, sous le nom de Charles III, en avait conservé un profond ressentiment contre les anglais qu'il détestait.

En 1793 , les ministres anglais à Florence et à Gênes déclarèrent qu'ils ne souffriraient point de neutralité avec la France; le mauvais arrangement des souverainetés de l'Italie est à la fois dans ce pays l'écueil de la politique et de la morale.

Dans toute contestation, il est à propos d'entendre les deux parties. En exposant les faits qui sont le sujet des chapitres précédens, je n'ai eu , pour me guider , que les récits de Home. Elle a dit ce qu'elle a jugé à propos, et

n'a sûrement pas manqué de parlera son avan- tage, comme cela se pratique partout. Il serait également nécessaire d'avoir sous les yeux les allégations de Napoléon , car enfin, en toute cause chacun a les siennes, et prétend avoir raison; autrement il n'y aurait pas de que- relles. Loin d'ici, loin encore une fois, cette manière de juger d'après laquelle tout est ad- mirable d'un côté, et tout est abominable de l'autre. Voyons ce que chacun a fait.

Le pape et sa cour étaient sortis de France fort mal satisfaits. Napoléon était maître de l'I- talie supérieure. La guerre d'Austerlitzavait eu lieu. Naples s'en était mêlée pour son malheur. Un roi français en occupait le trône. Rome se trouvait entourée par la nouvelle puissance française, bien plu s formidable que l'ancienne. Les Anglais, les Russes, les Autrichiens chas- sés de Naples, de Gênes, de toute l'Italie, s'étaient réfugiés à Rome. Ils étaient pour y attacher le fil des intrigues qui remuaient l'Italie contre Napoléon : qui connaît l'Italie et les Italiens, ne le révoquera pas en doute. Il est vrai qu'en cela ils faisaient leur métier, mais Napoléon, en les y allant chercher, fai- sait aussi le sien. Toute atlaquc donne droit

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à une défense équivalente, el si les ennemis de Napoléon avaient droit de choisir Rome pour leur quartier-général, comment trouver mauvais qu'il fut les en chasser. Il faut laissera ce qu'on appelle les béats, à penser que Rome était entièrementexempte et incapablede cette connivence avec les ennemis de Napoléon. Effectivement on n'a jamais trouvé Rome dans aucune ligue, ni dans aucune intrigue. On s'y est toujours tenu seulement au spirituel et à la théologie. Parlons du monde réel et laissons le monde idéal. La guerre ayant lieu h la fois dans la haute Italie, et à Naples, une escadre russe étant maîtresse d'Ancone et de l'Adria- tique, les Anglais appuyant le roi retiré en Sicile, et voltigeant sur les cotes de l'Italie, des troupes françaises durent être stationnées sur le littoral de l'Adriatique, formé par les Etats du pape, pour empêcher qu'un débar- quement ne vint interposer des ennemis entre les armées de Milan et celles de Naples. Cet état dura deux ans; de la fin de i8o5 au 28 janvier 1808, époquedela marche de la première colonne des troupes françaises sur Home.

Tout ceï etpacc de temps s'était passé dan^

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un état ie guerre diplomatique, c'est à-dire tang< notes , prélude certain d'une guerre plû£ sérieuse.

I parïi de ilome était pris, celui si cher à C lents, d attendre le redressement du mal del'excès des maux: système éclairé, humain, au fond duquel se trouvait l'apologie de Ro- bespierre, et qui faisait de ce monstre le mé- decin désiré. Loin de craindre un éclat, on le provoquait.

De son côté , Napoléon était convaincu de l'inimitié de la cour de Rome. En pareil cas, il ne se pressait point: sûr de sa force , il lais- sait faire son ennemi et grossir le catalogue des reproches. Pendant ce temps, il faisait son thème à loisir , il observait les fautes et les mettait à profit; subtil et sophiste, il argumen- tait tout aussi bien que ses ennemis, et quand la mesure lui paraissait comblée , il éclatait , en joignant à l'emploi de la force le reproche de s'être refusé à la raison. Il n'a jamais pro- cédé autrement ; et si la cour de Rome eût été plus avisée ou plus sincère, elle aurait vu, dès l'ouverture des débats, que telle en serait inévitablement la fin, et ne s'y serait point exposée, Napoléon avait la conviction que la

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Cour de Rome, trop faible pour agir ouver- tement contre lui, l'attaquait sourdement. Il a eu la démonstration qu'une multitude d'ec- clésiastiques et d'autres personnes soit-disant pieuses , travaillaient contre lui , qu'elles étaient les agens et les correspondais de Rome; des milliers de lettres interceptées par tous les moyensqui mettent les secrets du pu- blie dans les mains desGouvernemens , ne lui ont pas permis le plus léger doute à cet égard: la pertinacité de Rome augmentait avec les embarras de Napoléon , elle se combinait avec la guerre de l'Epagne et celle de l'Au- triche en 1809. Ce fut après la bataille d'Es- ling, époque à laquelle on crut un moment voir la fortune de Napoléon chanceler, que le pape plaça son excommunication. Ce rap- prochement blessa infiniment Napoléon, et il faut reconnaître qu'il était fait pour cela. A eette époque, l'opposition de quelques par- ties du clergé et des dévots, monta Le pape établissait le régime (les vicaires apostoliques. Il se formait un ministère clandestin en op- position avec le concordat de i8or, comme avec les lois de l'État; le cardinal di Pietro était le centre de toute cette distribution de

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bulles, brefs et autres pièces de Rome L'ex- communication avait pour but évident de détacher le clergé et les peuples sur lesquels, d'après 1rs observations faites en voyageant en France, on croyait pouvoir compter. Elle avait obtenu son effet dans la Belgique : car je puis attester que les prières pro imperatore tarirent à cette époque dans le pays, et qu'elles ne recommencèrent à couler que lorsque le triomphe de Napoléon eut été constaté par la paix de Vienne; tant qu'on vit les Anglais devant Anvers , les chants avaient cessé; quand ils eurent le dos tourné, ils reprirent : tant il est vrai que toute cette opposition religieuse était calculée sur les po- sitions politiques ! tant il est encore vrai que ceux qui accusaient Napoléon de ne faire de la religion qu'un instrument de politique, n'en faisaient pas eux-mêmes un autre usage! Triste destinée de celle-ci qui , depuis dix siè- cles, n'a vu que des hommes appeler sans cesse ce qu'il y a de plus sacré à l'aide de leurs pas- sions; suite affreuse et inévitable du mélange impur et corrupteur du spirituel ave le tem- porel , mélange d'après lequel des hommes chassés d'un poste temporel, vont se réfugier

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dans un poste religieux, mon trant ainsi un dou- ble visage et parlant un double langage. Un pareil ordre n'est bon qu'à bannir toute sincé- rité du cœur de l'homme. Ne renferme-t-il pas déjà assez de causes propres à le dégrader ?

Madame de Staél a dit avec un sens admi- rable, on accuse amèrement les fiançais d'être irréligieux ; mais Vune des principales causes de ce funeste résultat, c'est que les diffé- rens partis* depuis vingt-cinq ans, ont tou- jours voulu diriger la religion vers un bât politique, et rien ne dispose moins à la piété que cl employer la religion pour un autre objet qu elle-même. Plus ses sentimens sont beaux par leur nature , plus ils inspirent de répu- gnance quand T ambition et V hypocrisie s'en emparent. Dans ce cas, qui est celui que nous examinons , ceux qui échappent à l'hypo- crisie vont s'abimer dans l'incrédulité , beau résultat de toute cette conduite.

C'est avec douleur que l'on contemple le triste* tableau de ce qui se fit alors, les écarts réciproques de tout ce qu'il y avait de plus vé- nérable sur la terre, comme ceux du maître du plus puissant empire qui existât en Europe. L'un use de toute sa force , l'autre de tons les

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petits moyens qu'implore la foiblesse. A tra- vers quelques propositions raisonnables, Na- poléon en fait d'insensées. On répond aux unes comme à des choses illicites j aux autres comme à des choses réelles , tandis que la mobilité de ces propositions, et la rapi- dité avec laquelle elles se succédaient, de- vaient suffire pour bien faire connaître leur nature véritable. Napoléon consent à ce que son nom ne soit plus mentionné dans les bulles ; le pape s'y refuse en apportant des distinctions subtiles sur l'identité du conseil d'Etat et des ministres avec Napoléon lui- même, comme s'il s'agissait d'une influence personnelle de ces individus sur la nomina- tion des évêques, et non pas seulement d'un expédient adopté pour éviter de prononcer le nom de Napoléon qui était devenu la pierre d achoppement. Devait-on voir autre chose qu'un moyen d'arriver à donner des bulles, d'en faciliter la concession au pape, et de mettre un terme aux maux de l'église ? H est évident que c'était un parti pris de ne point traiter. Qui ne gémirait en voyant le pape s'abaisser à répondre à Rome, au discours que le ministre de l'intérieur avait jugé à-pro-

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pos de prononcera Paris, à défendre d'aller dîner chez Je général Miollis, d'assister à un baptême, de célébrer le carnaval et de don- ner des cocardes! Quelle était la tendance de ces appels continuels aux ministres étrangers à Home, à tous les catholiques? Que signifiait le billet écrit par le pape même , au ministre d'Espagne, pour l'inviter à revenir être témoin de tout ce qui allait se passer? Que signifiait le langage du bref monitorial par lequel le pape dit à Napoléon qu'il est un fils consacre et assermenté pour* soutenir les droits des églises? prétendait -on arriver avec ces réclamations journalières sur les actes pri- vatifs de chacune des autorités françaises? Comment le pape n'avait-il point calculé les suites du rappel de son légat à Paris, et de la demande de ses passeports? Quelle est,entre les puissances, la signification habituelle de ces demandes? Comment Rome, qui était la plus faible, s'exposait-elle aux interprétations qu'il plairait au plus fort d'y donner, et com- ment, dans ce cas, lui démontrer que la con- clusion était erronée? A quoi servait d'invo- quer sans cesse l'esprit de lumières, de parler de sa mansuétude , du bien de la religion, de

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se dire uniquement occupé d'elle, lorsque tous les actes officiels ne parlent que de la cocarde , des trois légations, de l'invasion de Rome, des promesses faites pour le voyage en France? La bulle d excommunication ne porte pas autre chose. Il n'y a rien de positif, encore moins de prouvé, sur ce que l'on appelle at- tentats contre l'Eglise : il n'est question que des articles organ iques qui, depuis long-temps étaient réformés en ce qu'ils avaient de vi- cieux, qui n'importaient en rien à Napoléon, comme je l'ai déjà démontré , qu'il ne défen- dait pas, qui, depuis six ou huit ans, n'empê- chait point de donner des bulles , et qui étaient plus que compensés par tout ce que Napoléon avait fait pour le culte, au-delà de ce à quoi il était tenu par le concordat. Il faut être jute ; de son coté, il était dépassé de beaucoup : le pape avait établi une forte opposition sur l'éloignement des cardinaux. Est-ce donc une chose décidée et reconnue par les souverains, que la pourpre romaine ait la faculté de détacher un homme de sa patrie , pour le donner entièrement à Rome? Dans cette circonstance, les cardinaux avaient un devoir à remplir à l'égard des souverains

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éiablis par Napoléon , et leur séjour à Rome renfermait un refus de reconnaissance dont les conséqnenees se faisaient ressentir à ces princes. L'archevêque de Naples, le cardinal J. Ruffo, n'avait jamais pu être amené à reconnaître le roi Joseph. 11 avait résisté au pape lui-même qui le lui ordonnait : il se te- nait à Rome. Comment un archevêque peut- il , parce qu'il est cardinal, se croire exempt de tout devoir à L'égard du souverain des lieux son siège est situé? Tout cela est înintelli- gible. C'est vouloir avoir les bénéfices de la société sans les charges. Ce point de vue échappe continuellement à ces hommes; ils se font des principes commodes pour eux, offensifs pour les autres; et ils s'imaginent que les autres s'en accommoderont et s'y tiendront. En pareil cas, donner sa démis- sion et rester à Rome, est la seule chose à faire : mais rester à Rome comme cardi- nal, et refuser la reconnaissance du prince, comme évêque dans ses États, on ne voit au- cun moyen de concilier tout cela. Le pape dé- clare que lui et le sacré collège seraient cou- pables de parjure et se couvriraient d'op- probre, s'ils acceptaient à Rome, ce qu'ils ont

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accepté en totalité à Fontainebleau. Le devoir est-il donc différent à Rome et en France? Quant à tout ce qu'il dit contre la philosophie et la liberté des cultes, ces argumens-là ont dix siècles de date. Enfin, il est évident , par le contexte de toutes ses publications, qu'il était tout-à-fait tombé dans le système des personnes qui avaient pris leur parti de re- garder tout ce qui venait de Napoléon comme mensonges, déceptions', souillures. Alors il faut commencer par le dire, et puis se taire; car parler, ne rémédie plus à rien. De son côté, Napoléon manque à la loyauté en fai- sant occuper Rome par des troupes qu'il dit ne devoir y être qu'en passage : il manque aux devoirs, à l'égard des souverains , par ses violences personnelles contre le pape, par celles qu'il tolère de la part de ses agens, par l'impunité d'un acte aussi inexcusable que l'est l'enlèvement du pape, car il ne l'a pas ordonné. Il manque à la raison en deman- dant l'abolition du célibat ecclésiastique, qui ne le concernait pas , en exigeant du pape de lui prêter serment, de faire avec lui une ligue offensive et défensive , en faisant re- monter ses droits à Charlemagne, de l'empire

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d'occident; c'était bien décela dont il s'agis- sait: que faisait Charlemague? belle ma- nière, en vérité, de renouer le fil de la pro- priété, que de la rattacher à des droits frap- pés d'une prescription de mille ans ! Il faut le reconnaître, ce drame déplorable a été, de part et d'autre, un combat de fautes; de part et d'autre on avait loute une autre marche à tenir. Napoléon ne devait jamais se permettre d'attaquer le pape : il devait penser que la seule disproportion des forces renfermait sa condamnation : que surtout après l'affaire de Bayonne, qui venait de lui valoir la guerre de Wagram, quelque chose qu'il se permît, il aurait tort dans l'opinion. Que les reproches de perfidie, d'ingratitude, de contradiction, avec ce qu'il faisait d'un autre côté , éclateraient de toute part, et qu'il se précipitait dans le besoin d'une persécution : que ses allégations earlovingiennes et ses prétentions philoso- phiques contre le célibatecclésiastique, paraî- traient un galimathias astucieux , propre à la fois à faire rire l'Europe et à l'indigner : que dans cette position, une seule chose lui con- venait; contenir Rome, et ne pas abaisser sa force jusqu'à la faiblesse de celle-ci.

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De son côté , le pape, après avoir rempli le devoir que lui imposait son titre de déposi- taire des droits de l'église, aurait paru bien plus grand, s'il se fut borné à une protesta- tion générale et solemnelle contre tout ce qui blessait les intérêts dont il se regardait comme le gardien, se renfermant, pour tout le reste, dans sa dignité et dans sa vertu. Par-là, des souffrances lui auraient été épargnées, et l'on aurait eu un mauvais exemple de moins. Sur- tout il était indispensable d'éviter le scandale d'une bulle d'excommunication, pour s'épar- gner de voir

Ces foudres impuissans se perdre dans les airs. Le pape n'avait pas osé y nommer Napoléon: celui-ci ne faisait qu'en rire ; tousles cardinaux n'en venaient pas moins tous les dimanches à sa chapelle; il n'en a plus été question ni à Sa- vone, ni à Fontainebleau, tant cette pièce était morte en naissant. Elle n'avait de vie que dans la partie basse du clergé et de la gent dévote. Il est bien à regretter que le pape ait aggravé sa position comme à plaisir. Il était à Savone depuis à-peu-près un an, lors- qu'en 1810 , il écrivit les brefs sur les vicaires capitulaires , brefs qu'il fit porter sur des as-

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sortions insoutenables. Depuis son amvée dans cette ville, aucun débat c'avait eu lieu entre Napoléon et lui , pas plus qu'entre les diverses parties du clergé; cetteéruption inat- tendue alluma le courroux de Napoléon. Il se voyait à la veille d'avoir un fils; il vit dans ces actes l'intention de perpétuer les troubles, il jura d'y mettre ordre à jamais , et resserra les liens du pape. Assurément cela était bien triste : mais aussi pourquoi des provocations avec un homme aussi irritable, comme avec aussi peu d'espoir de réussir ? C'était une grande imprudence. Les hommes passionnés appellent cela du caractère : oui, parce qu'ils n'ont pas à en ressentir les conséquences.

Rien de tout cela n'aurait eu lieu , si comme on l'a déjà dit, le pape avait eu auprès de lui des hommes tels que les cardinaux Con- salvi et Caprara , comme si de son coté, Napoléon avait été guidé par la commission ecclésiastique. Elle fut appelée trop tard : le mal était consommé. La prison du pape date du 6 juin 1809, et la commission désignée en décembre de cette année, n'entra en fonctions qu'en janvier 1810.

Napoléon livré à l'intempérance de ses

*5.

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idées, à l'effervescence de ses passions irritées par la cour de Rome, ne prenant conseil que de lui-même, n'attachant pas auxaffairesecclé- siastiques plus d'importance que nelefont d'or- dinaire la jeunesse et les gens de guerre , avan- çait vis-à-vis d'un ennemi méthodique et sa- vant des assertions que celui-ci n'avait pas de peine à détruire, car il faut reconnaître que la discussion de Rome était plus forte que celle de Paris. Repoussé d'un côté, Napoléon était porté naturellement à se rejeter vers celui il sentait sa supériorité , la force : son triomphe était toujours sûr.

Les conseils du pape, s'ils eussent été éclairés de lumières véritables, comme animés d'un sincère esprit de conciliation, auraient se régler sur le caractère de Napoléon , et ne pas faire attention à ce qui provenait de la fougue de son caractère, de son ignorance et de ses fantaisies du moment. Les cardinaux Consalvi et Caprara ne s'y seraient point mépris. Tout devait être rapporté au bien solide et durable qui résultait du maintien de la bonne intelligence entre ces deux grandes autorités. Mais c'est-là ce que ne voulait point le parti dominant alors; un arrange-

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ment amiable l'aurait tout à fait désapointé. Lue rupture ouverte , irréparable était le fond de sa pensée , comme on l'avait vu à Coblentz, comme on le voit encore en quel- ques parties de la France.

Un caractère tel que celui du pape , auprès duquel la vertu est toujours au service du devoir, devient un instrument terrible dans la main de pareils séducteurs. Il ne s'agit plus que de montrer le devoir; la vertu le fait em- brasser, soit réalité, soit fantôme; le cou- rage fait endurer ce qu'il a de pénible, la conscience soutient, riionoeur stimule, et beaucoup de mal se trouve fait par la plus belle vertu , placée dans une fausse direction. Ainsi un art pernicieux peut composer des sucs mortels avec les substances les plus suaves. Exemple à jamais mémorable des suites funestes que peut avoir une fausse direction ; car enfin, quel qu'ait été le résultat définitif, il n'est pas la suite de cette direc- tion, il n'appartient pas à ces conseillers quoi- que peut être ils en soient aussi fiers que s'il leur avait coûté beaucoup de sueurs; mais il est en totalité à des causes étrangères ; car le pape avait fini par renoncer à toutes ses

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oppositions: il avait cédé sur l'institution ca~ nonique, il avait accepté Avignon, le mal- heureux prince avait ses souffrances de plu& et son troue de moins. Le triomphe de Napo- léon était complet, il tenait Rome, le pape avait accepté ie remplacement par le concor- dat de Fontainebleau. Dès !$fï, à Savone il se bornait à demander de lui épargner le dé- sagrément d'apposer son nom à la cession de Home. Finalement les conseillers du pape après avoir abymé leur trop confiant souve- rain, se trouvaient n'avoir travaillé que pour Napoléon. Il a fallu Moscow et les champs de Leipsick pour réparer leurs lautes, et relever le trône renversé par leurs passions et par leur impéritie.

O gens dignes de tous maux.!

Le pape est fondé à dire de ses conseillers ce que dans son testament Louis XVI dit de ceux qui par un zèle mal entendu lui ont fait beaucoup de mal.

On entend toujours parler de ce zèle, et trop souvent il n'y a qu'à s'en défendre.

Ce qui vient d'être dit est propre à produire un double effet sur les esprits raisonnables.

n9r )

de la douleur pour le passé ; i* des vœux pour que des limites sagement mais fermement tracées entre les trônes et les autels garantissent les yeux des générations à venir du spectacle qui a affligé les nôtres.

Avant de finir cet article, je ne dois pas oublier de faire remarquer que la fâcheuse direction que Napoléon suivit dans cette af- faire provint en grande partie du singulier système qu'il avait embrassé, celui d'enve- lopper du plus profond secret tout ce qui tenait aux affaires de l'église. Jamais il ne fut possible d'obtenir de lui quelque publication à cet égard; je les regardaiscomme indispensa- bles, je les lui ai demandées cent fois; jamais il ne voulut consentir à ce que rien transpi- rât. On encouragea des écrits plus chauds que forts, leur défaut de mesure choqua. L'é- cueil était là, toujours on allait s'y briser. Je n'ai pu pénétrer le motif de ces réticences, elles me paraissaient entièrement contraires à ses intérêts. Les publications du pape étant les seules connues, pouvaient seules exercer une action sur l'opinion. Par Napoléon cédait à son adversaire un avantage qu'il aurait partagé avec lui ; car enfm il avait

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Lien aussi quelque chose à dire, et il savait parier.

Napoléon eut tout lieu, lors du concile, de reconnaître l'étendue de sa faute : car il se trouva en présence de préjugés formés parle silence, et d'hommes préoccupés, qui ne con- naissant toute cette querelle que par les pièces de Rome, redoutaient des pièges partout, et craignaient d'en trouver dans la simplicité même des propositions qui leur furent sou- mises, ne pouvant se figurer que ce fût pour cela seul qu'on les eût rassemblés. Cette con- centration des plans et des affaires dans une seule tête est le résultat nécessaire du gou- vernement absolu et caché. Un seul sait tout: les autres ignorent. Cette partie de l'exercice exclusif du pouvoir est peut-être une de celles qui en fait le plus sentir les charmes, et qui flatte le plus l'amour propre ; mais si elle flatte, elle met aussi la flatterie à un bien haut prix, celui de l'erreur que ne peut manquer de fa- voriser une longue interception des lumières. Pendant que Ton se complaît dans la jouis- sance puérile de savoir tout seul ce que les autres ignorent, la triste vérité vient vous assaillir, et presque toujours c'est au fond

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d'un abyme qu'elle vous trouve. ou a tout le temps de se repentir de n'avoir admis que ses clartés tardives. Les princes absolus, en possession d'effrayer tout le monde ressem- blent tous plus ou moins à ce sultan auquel les médecins n'osèrent parler de sa maladie , effrayés qu'ils étaient par la peine capitale prononcée par lui contre quiconque annon- cerait la mort du souverain : un quart d'heure avant son trépas, ils l'assuraient officiellement qu'il se portait à merveille. Au moral comme au physique , un roi absolu jouit toujours de la meilleure santé. . . . dans sa salle des gardes.

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CHAPITRE XXXIV.

Examen de la bulle d'excommunication.

Parmi toutes les singularités qui forment une partie si considérable de l'histoire des trente dernières années , aucune peut-être n'a présenté des caractères aussi frappans que dut le faire une bulle d'excommunication lancée contre le prince le plus puissant de son temps. Après une si longue interruption , l'apparition de ce fantôme dut paraître étrange. Il y avait mille ans d'intervalle entre la der- nière et celle-ci, et Rome dut passer pour avoir bien peu consulté l'Art de vérifier les Dates.

Lorsque les anciens papes recouraient à l'usage de cette arme, ils faisaient ce qui était dans l'esprit du temps ; alors l'excommunica- tion était tout ce qu'il y avait de plus redou- table dans la main qui en était armée , et le pire des maux pour ceux qui en étaient at- teints. Par conséquent, il y avait de l'harmo- nie entre le principe de l'action et son résul-

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tat , et dans ce cas on peut agir. Mais il n'en est pas de même, lorsqu'une autre disposi- tion des esprits a créé un autre ordre de choses , lorsque par lui le glaive qui perçait les plus fortes cuirasses se trouve émoussé , et lorsque ce qui était le plus redoutable a cessé d'être redouté. Alors par le même prin- cipe qui faisait agir dans un temps, il faut s'abstenir dans l'autre. Par conséquent les papes ont cesser d'excommunier , par les mêmes motifs qui jadis les invitaient à le faire, la crainte qu'inspiraient alors ces fou- dres, et l'effacement actuel de cette même crainte. Quand des armes de cette espèce ne tuent pas sur la place, il faut les laisser dans le fourreau; quelque considération peut s'atta- cher à leur repos, et quelque vertu à l'incer- titude de leur effet, car enfin on ne peut jamais répondre de l'effet d'une machine dont on n'a point fait l'essai, au lieu que la déconsidéra- tion la plus complette est le résultat inévita- ble d'une tentative avortée: alors on se tue soi même par ce que l'on destinait à tuer son ennemi. C'est ce qu'a éprouvé le pape, lors- que de mauvais conseils triomphans de sa douceur naturelle, l'eurent porté à un acte

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qui ne pouvait devenir profitable qu'à Na- poléon. Cet acte était dans une telle opposi- tion avec Tes prit du temps, il séparait telle- ment Napoléon avec la partie vieille et suran- née des pratiques religieuses, il présentait des côtés si défavorables pour la cour de Rome, et démentait tellement sa renommée de prudence, source véritable de sa considé- ration , que beaucoup de personnes, et je dois reconnaître que j'étais de ce nombre , ne pouvaient consentir à croire à l'existence de cette pièce, et la regardaient comme une supposition hostile contre le pape, tant ses résultats étaient clairs. En effet elle partageait les torts entre le pape et Napoléon : elle en- levait au premier ce qui lui avait appartenu jusqu'alors, l'intérêt combiné de ses fonctions et de sa faiblesse, de son caractère et de ses malheurs. Mais lorsqu'on le vit recourir à des moyens écartés depuis long-temps des mœurs de l'Europe, comme des usages mêmes de la cour de Rome ; lorsque la lecture de la bulle ne présenta qu'un mélange incohérent et bizarre d'objets temporels confondus sans discernement avec des objets spirituels , qui n'entrent que pour la plus petite partie dans

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cette bulle ; lorsqu'on vit un acte de cette importance, basé sur des suppositions d'in- tentions, et sur des allégations dont on n'ap- portait aucune preuve, alors l'intérêt d'un côté, et l'odieux de l'autre, diminuèrent dans nne proportion parallèle. On commença à croire que Napoléon pouvait avoir moins de torts qu'on le supposait jusque ; alors on se rapprocha de Lui comme de l'objet d'une attaque offensante pour l'esprit humain ; il eut pour lui l'intérêt qu'inspire cet esprit, et celui-là est grand; et peu s'en fallut que de persécuteur qu'on l'accusait d'être, il ne pa- rût persécuté. Pour obtenir les honneurs de la persécution, il ne lui fallait qu'un peu de forces de moins. La cour de Rome avait trouvé le secret de gâter une belle cause. Tel est l'effet inévitable des mesures qui bles- sent L'esprit du temps, et sûrement celle-là était du nombre, et même en première ligne. C'est une des plus grandes fautes que Rome ait jamais faites, car elle lui a enlevé sa der- nière ressource. En effet , quel moyen de revenir aux excommuniealions contre les souverains, lorsque ceux-ci n'ont fait que i ire, et que le reste du monde n'a pas eu seu-

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îement Fair de voir : lorsque Napoléon n a fait que plaisanter de son excommunication , lorsque tout le sacré collège et le clergé avec tous les fidèles n'ont pas hésité à suivre celui qu'il leur était enjoint, par la bulle, de fuir comme un payen et comme un publicain , non plus qu'à continuer de communiquer avec lui in divinis ; lorsqu'on a vu ce foudre destiné à produire tant d'éclat, météore déco- loré , passer en silence sur la France , et re- tourner s'amortir clandestinement dans la main de celui qui l'avait lancé : car le pape n'en a jamais réparlé, ni à Savone, ni à Fon- tainebleau. Il ne s'était pas aperçu qu'il faisait de la cause de Napoléon celle des souverains et des peuples, qu'il lui rendait ainsi ceux qui le combattaient, et dont l'alliance faisait la force de lui pape. La somme des fautes renfermées dans cet acte est incalculable. On s'était beaucoup étonné que le pape fût venu sacrer Napoléon, il était bien plus étonnant qu'il l'eût excommunié : car il pouvait y avoir quelque chose à gagner dans le premier cas ; il ne pouvait y avoir qu'à perdre dans le second.

Je me hâte de dire que ces observation»

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sur l'opportunité d'une excommunication, ne tombent que sur l'espèce actuelle : elles n'at- teignent en aucune manière le respect aux censures de l'Eglise. Celle-ci forme une so- ciété pourvue comme le sont toutes les au- tres, des moyens propres à agir sur ses mem- bres par les récompenses et par les peines dont elle dispose , par la concession ou par le retrait de ses grâces. En participant aux unes, le fidèle se soumet aux autres, comme en toute société , on adopte à-la-fois les charges et les avantages. S'il en était autrement , l'église serait une société caduque, impuis- sante à gouverner : elle a donc une jurisdic- tion complètement organisée ; mais cette ju- risdiction ne doit pas s'écarter de son apanage naturel, qui est le for spirituel. Dès qu'elle en sort, elle n'est plus rien; elle a cessé d'exister.

C'est d'après ces principes qui mettent en harmonie Les droits respectifs de l'ordre re- ligieux et ceux de l'ordre civil, et qui tiennent chaque chose à sa place, que cet examen va être poursuivi : il faut dire

quel était l'esprit et le but de celte bulle ;

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i°. Commenf elle fut reçue ;

3°. Ce qu'il fallait en penser.

Le parti qui à Rome voulait un éclat, et faire de la religion le moyen et le prétexte de cet éclat , avait préparé ce coup de longue main. On en trouve la preuve dans plusieurs lettres de divers ministres du pape , particu- lièrement dans l'instruction adressée par le cardinal Pacca auxévèques des Etats du pape,

en date du 29 mai 1 808 dans le bref mo-

nitorial à ]Napoléon , en date du 29 mars 1808. Cet acte était préparé par une foule d'allé- gations dénuées de preuves, et démenties par le fait , comme il conste de cette même ins- truction. Voyez la pièce ci-jointe (r). On voit

(1) Instruction adressée aux évéques des Etats du pape, par le cardinal Pacca.

Si ce qu'on vient de dire, se trouvait être vrai dans tout autre cas d'une invasion étrangère, il le serait bien plus dans celui-ci, il ne s'agit pas seulement de substi- tuer au gouvernement des États de l'église, un gouverne- ment quelconque, mais un gouvernement notoirement envahisseur de la puissance spirituelle dans tous les lieux il s'étend , et protecteur de toutes les sectes et de tous les cultes. La formule de ses sermens, ses constitutions ,

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dans d'autres actes que le pape traite tout ce que Napoléon fait en matière religieuse , de pièges et d'embûches pour la religion. Il est évident pour qui sait lier les laits ensemble, que ceci était un parti pris depuis long-temps, et ce coup réservé pour le dénouement. 11 ne

son code, ses lois, ses actes respirent en tout, au moins l'indifférentissimc pour toutes les religions , sans en ex- cepter la juive essentiellement ennemie implacable de Jésus-Christ; et ce système d'indifférentissime , qui ne suppose aucune religion, est ce qu'il y a de plus injurieux et de plus opposé à la religion catholique , apostolique et romaine; laquelle, parce qu'elle est divine, est nécessaire- ment seule et unique , et par même , on ne peut faire d'alliance avec aucune autre; de même que le Christ ne peut s'allier avec Bélial, la lumière avec les ténèbres , la ■vérité avec l'erreur, la vraie piété avec l'impiété. La protection jurée, et si vantée du souverain des Français pour tout les cultes, n'est autre chose qu'un préiexte et qu'une couleur pour autoriser la puissance séculière à s'immiscer dans les affaires spirituelles; puisqu'en mon- trant du respect pour toutes les sectes avec toutes leurs opinions, toutes leurs coutumes et toutes leurs supersti- tions , le gouvernement français ne respecte , en effet , aucun droit, aucune institution, aucune loi de la religion catholique. Sous une telle protection cependant se cache et se déguise la persécution la plus dangereuse et la plul T. Ui 26

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faut point perdre de vue que l'excommuni- cation fut lancée le 6 juin 1809, peu de jours après la bataille d'Esling , à la suite de laquelle un parti entrevoyait très-joyeusement la perte de Napoléon. Rien n'explique mieux la na- ture d'un fait que sa date , et sa liaison avec d'autres actes.

La bulle d'excommunication a presqu'ex- clusivement le temporel pour objet : le spirituel n'y occupe que la plus petite place. Aucune des allégations de fait ou d'intention dans l'ordre spirituel n'est prouvée. Par un mé- lange bizarre et dont la difformité a sûre- ment échappé à l'attention du rédacteur, chaque phrase relative au spirituel est immé- diatement suivie de plusieurs qui se rappor- tent entièrement au temporel. La mention de celui-ci revient à chaque ligne. On y trouve des mots que l'on ne s'attendait guères à rencontrer dans un acte religieux de cette

astucieuse qu'il soit possible d'imaginer contre l'église de Jésus-Christ, et malheureusement la mieux concertée pour y jeter la confusion, et même la détruire , s'il était possible que la force et les ruses de l'enfer pussent jamais prévaloir conti'elle.

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gravité. Les noms de cocarde, de gardes du Corps tirés de l'ordre de la noblesse, de gazettes s'y montrent au grand étonnement du lecteur qui s'attend à toute autre chose. On y revient sans cesse sur les articles organiques qui étaient redressés depuis long-temps, dans le peu de points qui fussent reprochantes ; on y renouvelle les plaintes touchant les espéran- ces déchues à la suite du voyage de France ; c'était le vrai mot de l'énigme. On y paile de ce q'ue l'on a fait pour le rétablissement de la religion en France, comme d'une grâce et d'une libéralité : la religion rétablie par grâce ! L'exemple de Naboth y est cité plu- sieurs fois. Les citations de rEcrilure sont infiniment respectables , surtout lorsqu'elles ont une juste application. Naboth n'avait aucun différent politique avec Achab : celui-là était un simple particulier, et le roi d'Israël un ravisseur injuste qui voulait enlever ce que les juifs prisaient au-dessus de tout, l'héritage de leurs pères, non pour un objet d'utilité publique , mais pour sa convenance person- nelle. 11 y a loin de au pape et à Napoléon, soin trains U mporels, en discorde pour des objets temporels, et soutenant leurs droits

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respectifs par des moyens de souveraineté temporelle. Il est évident que JNaboth n'avait rien à voir dans cette affaire, et qu'on ne s'attendait guères à le trouver dans une bulle* d'excommunication contre le souverain ré- gnant à Paris. C'est abuser de la faculté de citer. Le pape allègue l'envahissement de ses provinces, celui des biens de l'église, et beau- coup de choses encore qui toutes ont de même rapport au temporel. Mais depuis deux cents ans, le saint-siége avait vu envahir plu- sieurs fois ses domaines, sans que pour cela les papes eussent excommunié lès princes qui se portaient à ces saisies. Louis XIV et Louis XV avaient fait saisir Avignon , sans être excommuniés , et Rome n'est pas plus sa- crée qu'Avignon, seulement elle est plus près du pape. Joseph II avait supprimé une grande partie du clergé de ses États , l'assemblée cons- tituante avait porté les plus rudes coups au clergé, le clergé constitutionnel avait bien peu ménagé Rome, la guerre avait enlevé à Pie VI. les trois légations , les trésors de Sixte-Quint et les monumens de Rome , sans que tous ces actes l'eussent décidé à pro- céder contre leurs auteurs par voie d'ex-

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communication, réserve prudente et qui fait un honneur infini à ce pape. Cependant les constitutions apostoliques , et le décret du concile de Trente existaient pour Pie VI comme pour Pie VII. On pourrait dire que le pape lui même était soumis à ees censures dont il frappait les autres, car il avait connivé à toutes les suppressions ecclésiastiques , abandons , et autres concessions que Na- poléon lui avait demandées soit en France soit en Italie : pourquoi tant de facilité dans un temps , et tant de rigueur dans un autre ? La bulle n'exprimait pas le nom de celui contre lequel elle était dirigée, mélange visible de faiblesse avec la violence... La moitié de llta- lie se trouvait excommuniée, avec une foule d'hommes qui n'ont qu'à obéir, et qui ne sont jamais les juges des débats que leurs chefs peuvent avoir avec ceux contre lesquels on les dirige. Aussi se trouvait-il quelque raison à frapper d'anathème les bataillons et lesagens envoyés à Rome par Napoléon! Par le vague de ces censures , voilà en même temps tout le monde et personne excommuniés. H faut le dire, cette bulle est un manifeste et pas du tout un acte religieux. Tout chrétien air*

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rnant et connaissant sa religion , n'a pu qiw déplorer l'existence de cette pièce, comme tout homme aimant la raison a souffrir d'y voir le spirituel appelé contre la nature des choses à venger le temporel. Que l'on ne s'y méprenne point ; si Ton veut faire honorer sincèrement la religion , qu'on ne la fasse jamais sortir de sa sphère , la spiritualité ; tout ce qui en sort lui nuit et affaiblit le res-* pect à son autorité légitime et nécessaire , chose affligeante et toujours à éviter.

La signification de la bulle ne porte aucun nom. Chacun peut la prendre pour soi ou la laisser, puisqu'elle ne désigne personne. La religion, exempte de crainte comme de pas- sion , ne fait planer les ombrages que sur les tètes coupables , et dans la confiance que lui inspire sa force, elle ne craint point de nom- mer celles qu'elle veut frapper.

En revanche, on trouve dans la circulaire adressée à tous les fidèles les sentimens et le sty le du chef de la religion. C'est vraiment Pie VIL

Mais ce qui achève de rendre cette bulle intolérable, ce sont les paroles suivantes. Par leur fierté , par leur ton de commandement

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elles reportent à des temps bien éloignés de nous , et qui ne peuvent revivre. Le pape y dit : Que les souverains apprennent encore une fois qu'ils sont soumis par la loi de J. C. à notre trône, et à notre commandement ; car nous exerçons aussi une souveraineté : mais une souveraineté bien plus noble , à moins qu'il ne faille dire que V esprit doit céder à la chair, et les choses du ciel à celles de la terre. Voila du Grégoire Vil et du Boniface FUI. Voilà les anciennes prétentions de Rome dans toute la pureté de leur hauteur , et la supré- matie de Tordre religieux établie sur Tordre civil. Il est malheureux que le pape ait cru pouvoir emprunter ce texte à St. Grégoire de Nazianze. Trop de distance de temps et de mœurs nous séparent de ce docteur , pour que ce qu'il croyait pouvoir adresser à quel- que empereur grec qui s'était fait théolo- gien, fût proféré sans inconvéniens à la face des rois de l'Europe , qui ne se piquent pas de tenir école de controverse comme faisaient les mai très de Rizance. La bulle ne fut point publiée en France : les copies étaient fort rares ; elles étaient colportées et distribuées clandes- tinement par le petit troupeau ecclésiastique

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on laïc qui s'était déclare contre Napoléon^, et qui servait de canal à tout ce qui venait de Rome. Le cardinal DiPietro était le centre de toutes ces correspondances. Napoléon s'amu- sait de voir tout le sacré collège à la messe d'un excommunié du pape. Tout Paris a pendant deux ans été témoin de ce démenti donné à la bulle par ceux qui semblaient être au pre- mier rang pour la soutenir. Napoléon sut très- mauvais gré au clergé de n'avoir pas pris fait et cause pour lui. Souvent il m'en a parlé- avec amertume : en quoi il avait tort: car , il n'était point nommé ; la bulle n'avait point été publiée en France , ni adressée aux évèques par l'autorité compétente. De quel droit, dans une matière aussi grave , les évè- ques français auraient-ils pris l'initiative ? et Napoléon n'eùt-il pas été fondé à leur repro- cher d'avoir pris sur eux de donner de la publi- cité à un acte qu'il pouvait regarder comme offensant ou comme dangereux de faire con- naître , sans son autorisation, comme sans Tac- com plissement des lois de l'Etat pour la publi- cation des actes émanés de Rome? La conduite des évoques fut dans la ligne de leurs devoirs, comme leurs sentiments furent sans doute

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dans celle des lumières. Si le clergé eût été appelle , il aurait fait comme ses devanciers firent à Tours, lorsque Jules II eul excom- munié Louis XII, comme la commission ec- clésiastique déclara qu'il fallait le faire.

La bulle était nulle de fait et de droit. Elle n'avait que le temporel pour objet; elle ne portait point d'indication personnelle et cer- taine ; elle n'était ni signifiée, ni publiée lé- galement; les bulles contre les souverains n'étaient point admises en France , des trou- bles civils auraient pu s'ensuivre : c'est donc une pièce qui ne peut faire éprouver qu'un sentiment à tout homme sensé, le regret qu'elle ait existé. Maintenant que l'ennemi est loin, que les passions sont au repos , que le désir de nuire n'aiguillonne plus, il est fort à pré- sumer que dans cette situation calme si favo- rable à la raison, on juge à Rome de cette pièce comme on le fait ici , et que dans la ligne des regrets, on ne lui refuse pas une place auprès de ceux que fait éprouver de son coté la judicieuse bulle qui a rétabli les Jésuites.

Je finis par une observation qui me paraît bonne à faire, parce qu'elle marque les pro-

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grès de la civilisation , de cet agent que l'on retrouve partout. La bulle d'excommunication de 1809 produisit aussi peu d'effet réel que la comète de i8ri : dans d'autres temps elles auraient rencontré de la colère ou de la ter- reur; dans le nôtre, tout s'est passé entre la raison et les télescopes, aussi loin de l'empor- tement que de la frayeur. Le silence ne fut troublé par aucun scandale , et le mépris même resta muet. On ne vit rien de pareil à ce que dans un siècle encore plus attaché aux observances et aux formes religieuses que pénétré d'un véritable esprit de religion, l'ambassadeur de France à Rome se permit dans l'affaire des franchises. Le pape interdit l'église de Saint-Louis ; il excommunia M. de Lavardin : celui-ci choisit le jour de Noël pour aller faire ses dévotions dans cette église. De nos jours , un acte aussi sacré fait exprès pour soutenir une bravade , car ce n'était pas autre chose, et une bravade contre le chef de l'E- glise, soulèverait tous les esprits (1).

Au temps de la régence, le duc d'Orléans s'arrachait des bras de la débauche, à la face

(t) Ouvrage du président Hénault , vol. 3,

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de Paris, pour aller solennellement remplir les grands devoirs du catholicisme. De nos jours , on fuirait à l'aspect d'un pareil scan- dale, ou plutôt on n'oserait se le permettre. La civilisation veille à l'empêcher: elle est as- sise aux portes des églises comme à celles des particuliers , elle garde les unes comme les autres elle publie partout que ce n'est point à la préenee des profanateurs dans les tem- ples , mais à leur absence que la religion .aspire, et qu'elle a quelque chose à gagner.

( 4i2 ;

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CHAPITRE XXXV.

De l'auteur de la captivité du pape.

Du temps de Charles Quint, on ne demanda pas qui avait mis le pape en prison , et qui F y retenait : la chose était claire. Dans le nôtre, on ne jouerait pas l'irréligieuse et outrageante comédie crue se permit ce prince, en faisant prier pour la délivrance de celui auquel il ne tenait qu'à lui d'ouvrir les portes de son cachot. Cela serait pris pour une in- sulte au bon sens de l'Europe. On ne voit pas que la considération dont Charles-Quint jouit dans son temps et dans l'histoire, ait souffert de cet acte à-la-fois violent et dérisoire. Bé- nissons la civilisation qui a créé la douceur des mœurs modernes , par laquelle nous sommes devenus si sensibles sur la violation du droit, comme sur celle des convenances. La garantie de chacun se trouve dans ce sen- timent général qui attache à la justice, et qui fait détester ce qui la viole. Ce sentiment a été le plus puissant auxiliaire du pape dans ses débats avec Napoléon , et le plus redou-

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table adversaire de celui-ci. Tels sont les heu- reuxfrmts de la communication des peuples entre eux : par elle, la société entière est reun.e dans un même faisceau pour défendre tons ses membres; elle le fait sous n„ même drapeau qui est celui de la justice. On touche donc enfin à cette perfection qui fait ressem Merle corps social au corps humain, dans lequel aucune partie ne peut souffrir sans que les autres ne s'en ressentent. En tout temps, en tous lieux, il y a eu quelque chose de sacré dans le ministre de la religion , d'a. bord par ses fonctions, ensuite par sa fai- blesse. Les unes entachent l'assaillant de profanation , l'autre de lâcheté. Les armes perdent leur honneur contre un ennemi dé- sarmé. J'ai toujours pensé que sous ce double rapport, parmi les violences de Napoléon ceDe-1, avait le plus irrité l'Europe , et rompu' le charme qu'il avait jeté sur elle. Il avait rai- sou, lorsqu'à Fontainebleau il disait Je ne puis me rétablir, j ai choqué les peuples.

Il est assez singulier que les deux souve- rains qui ont emprisonné des papes, eussent commencé parleur avoir «les obligations Le captif de Charles-Qu.ut avait été sou précep-

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teur ; celui de Napoléon, son consécrateur. Nogaret souffleta Boniface VIII , pour le compte de Philippe-le-Bel. Ce soufflet, donné par procureur, ne fit alors de mal qu'à celui qui le reçut. Philippe de Valois écrivait au pape Jean XXII, qu'il le ferait ardre. La cor- respondance de Boniface VIII et de Philippe- le-Bel n'offre pas non plus des monumens d'urbanité et de convenances. Heureusement ces procédés, aussi indignes de la tiare que du trône, avaient disparu pour faire place a ceux-là seuls qui conviennent à des rangs aussi élevés , faits pour servir de modèles et d'enseignement aux autres. Les Protestans eux-mêmes avaient renoncé , avec la cour de Rome, à l'emploi des figures empruntées de l'Ecriture-Sainte,par lesquelles ils désignaient Borne sous des noms odieux, et des couleurs souvent grotesques, à force d'être chargées. C'était le langage en honneur à l'époque de la réformation. Celui des peuples policés avait pris sa place ; cela n'empêchait pas que cha- cun ne restât sur son terrain , mais sans insulte mutuelle. Car enfin ce n'est pas tout que de tenir à tel culte, il faut encore être hon- nête.

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Il importe peu , pour le fonds de la chose , quel ait été l'auteur de l'enlèvement du pape. De quelque main qu'il soit parti, il n'en est pas moins odieux. Ici tout l'intérêt est du coté de l'histoire.

Les apparences donnent cet acte à Napo- léon ; Crimen cui prodest : la conclusion est légitime. Il était en querelle avec le pape , ses troupes occupaient Rome , il l avait enva- hie , le pape était renfermé dans son palais à sa pleine et entière connaissance, il n'a pas désavoué ni puni les exécuteurs, il n'a pas rendu le captif à son habitation ; le corps des preuves morales paraît complet, et qui en aurait autant contre lui devant un tribunal régulier , courrait de grands dangers. Eh bien! ces apparences, toutes plausibles, bien plus, toutes concluantes qu'elles paraissent, sont fautives. Ce coup fut l'œuvre de Joachim, alors roi de Naples, exécuté en première ins- tance par le général de la gendarmerie Radet, sous les ordres du général Miollis, alors gou- verneur de Rome. Pour bien entendre ceci, il faut remonter plus haut. L'éloignement de Paris avec l'Italie, l'état de ce pays morcelé en plusieurs souverainetés, les unes réunies

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fraîchement à la France, les autres enlevées récemment à leurs anciens maîtres, devenues l'objet des menées de l'Angleterre, du roi de Sicile et de l'Autriche; les querelles subsis- tantes avec Rome reconnue comme le foyer des inimitiés personnelles et étrangères contre Napoléon ; toutes ces considérations l'avaient engagé à confier à Joachim de grands pou- voirs sur Rome et sur l'État romain. Joachim était ambitieux, tout homme l'est: il n'était pas homme à être fort arrêté par la considé- ration de la cour de Rome ; il convoitait la Marche d'Ancône, dont postérieurement il a fait le prix de sa défection , et de son alliance avec les ennemis de Napoléon. Celui-ci était alors occupé de la guerre contre l'Autriche i en 1809. Il était campé sous les murs de Vienne ; cela donnait de la confiance , on croyait pouvoir tout oser. Joachim avait plu*- sieurs fois insisté auprès de la consulte, pour faire éloigner le pape de Rome : elle s'y était refusée. Une lettre écrite dans ce sens par elle à Joachim , peut exister encore dans les mains de M. de Balbe, alors auditeur au conseil d'État, et membre de cette consulte. Joachim donna Tordre : il fut exécuté , comme on sait

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Il ne se trouva aucune disposition faite sur la routé du pape. La grande- duchesse de Tos- cane ignorant à quoi cela se rapportait, fit continuer le voyage vers Turin. A son tour, le gouverneur du Piémont, aussi surpris et tout aussi peu informé , fit de son côté conti- nuer le voyage, qui se prolongeait sans but fixe comme sans terme indiqué. Le pape sé- journa à Grenoble, du a i juillet au i r août, jour de son départ pour Savone. Le temps écoulé depuis le 6 juillet, jour de l'enlève- ment, jusqu'au ier août, avait été assez long pour que la nouvelle parvînt à Napoléon, et pour qu'il pût envoyer à Paris les ordres rela- tifs à la translation à Savone. Nulle part, depuis Rome jusqu'à Grenoble, on n'aperçut une ombre de préparatifs pour la réception d'un hôte aussi illustre. Il y en aurait eu, s'il eût existé , de la part de Napoléon, un ordre ou bien une préméditation. Il n'était pas homme à faire une faute telle que celle-là. Napoléon apprit à Schœnbrun , il résidait alors, cet événement, et ce ne fut pas sans de violens mouvemens de colère contre des hommes qui , disait il, gâtaient tout.

Au mois d'octobre 1 809, Napoléon envoya t, ir 27

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à Anvers le maréchal Bessières, pour relever le maréchal Bernadotte qui venait de défendre cette ville contre lord Chatam. Quel fut mon étonnement, lorsque ce brave et loyal mili- taire me fit le récit que je viens d'exposer, récit qui changeait complètement mes idées sur la nature et l'auteur de cet enlèvement ! Le maréchal me peignit très-vivement le mé- contentement éprouvé par Napoléon , et me rendit les paroles par lesquelles il l'exhalait contre les auteurs d'un acte dont il mesura dans l'instant les conséquences. Mais cet évé- nement était trop grave , l'opinion contre Napoléon trop prononcée , d'après les appa- rences, pour que je ne dusse pas chercher de nouveaux éclaircissemens auprès des per- sonnes qui, d'après la nature des fonctions qu'elles exerçaient alors à Rome, ainsi que par la dignité de leur caractère personnel, étaient faites pour fixer mon opinion. Je les ai trouvés parfaitement d'accord avec M. le maréchal Bessières, et cette concordance entre des hommes qui n'avaient eu aucun rapport entre eux, et dont le plus apparent n'existait plus à l'époque je me suis adressé à ces derniers, m'a paru un sur garant delà vérité.

( )

Le général Miollis, interpellé sur l'existence de l'ordre de Napoléon pour exécuter cet acte, s'est borné à répondre : Il ne m'a pas désa- voué; genre de dénégation bien insuffisant aux yeux de quiconque considérera que jamais Napoléon n'a désavoué un seul de ses agens : il les a molestés, mais jamais désa- voués. Il aurait cru affaiblir par son auto- rité, ainsi qu'en acceptant des démissions : il en a donné beaucoup, il n'en a jamais reçu. Mille personnes disent, comme le général

Miollis : Il n'a pas désavoué, donc il a

continué la captivité, donc Toutes ces

manières d'argumenter sont bien pauvres, et bien à l'usage d'esprits vulgaires. Est-ce donc que ne pas désavouer, soit avoir fait ? N'a-t-on jamais vu tirer le fruit d'un acte fait par un autre ? Est-ce que les hommes n'envisagent pas les choses sous des rapports différens ou contraires, suivant leurs caractères, leurs in- térêts , leur pouvoir et leur position ? Pour savoir au juste pourquoi Napoléon n'a pas désavoué ses agens, il faudrait être Napoléon lui-même ; et il y a beaucoup à parier que le motif qui l'a dirigé, est celui que Ton soup- çonne le moins. Qui sait quelles idées nais-

27.

( 4aO )

saient et se croisaient dans cette tète que chacun veut absolument juger d'après la sienne propre? Qui sait ce qu'il aurait fait, s'il eût été moins puissant? Mais, vainqueur de l'Autriche, était-il assez maître de lui pour ne pas profiter même de ce qui d'abord avait soulevé sa colèpe? Son second mouvement ne ressemblait presque jamais au premier : la nature faisait ceîui-ci, comme chez tous les hommes emportés ; la calculante politique faisait le suivant. Désavouer l'enlèvement du pape, par une conséquence nécessaire , for- çait de le ramener à Rome : il ne pouvait pas l'y remettre sur le trône , qu'il avait pris de- puis six semaines, encore moins l'y remettre en prison ; si le \oyage ne devait avoir que ce résultat, encore mieux valait-il lui en éviter la peine : on peut trouver des prisons partout. Avoir fait mal est souvent la cause de ne pou- voir plus bien faire, et ce dernier est le châ- timent du premier. Napoléon se trouvait dans un mauvais pas dont il ne savait com- ment sortir ; à-peu-près aussi embarrassé qu'il le fut à Bayonne , par la résistance du prince des Asturies qu'il était loin d'avoir prévu , et auquel il ne supposait que la force nécessaire

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pour changer la couronne d'Espagne contre celle cTÉtrurie, qu'il était venu lui offrir.

Il est probable qu il était tout aussi embar- rassé avec le pape qu'il l'avait été à Bayonne, etqu'après avoir exhalé suffisamment sa colère, ne sachant par ou sortir, il finit par le séjour de Savone , comme mezzo termine, et comme un lieu de dépôt en attendant un arrangement général des affaires de l'Eglise qui était son objet principal. L'exactitude de cette manière de juger dans cette occasion sera reconnue par tous ceux qui font approché. Ils savent combien il entrait dans ses habitudes de cou- per court dans les plus grandes affaires, et de passer à autre chose , en se bornant à établir un provisoire; alors il avait fair de les rejeter , comme pour se débarrasser d'un fardeau et se donner le temps d'aller se dé- lasser avec d'autres affaires. Beaucoup d'écri- vains, et madame de Staël est du nombre, se sont figuré que Napoléon n'avait pas été un instant sans tendre vers un but déterminé ; que toutes ses actions ont été calculées , et préparées, comme les gestes et les intonations d'un acteur sur le théâtre. Bien n'est plus faux que cette manière de voir : jamais homme

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n'a plus obéi à l'impulsion du moment , n"a plus donné au vague et au hasard. Il a perdu plus de temps qu'il n'en a employé. Les cau- series dévoraient une partie de ses journées. Presque toujours, courtisan de la fortune, il attendait les chances de sa libéralité éprou- vée; observateur de la marche de son enne- mi, il se réglait uniquement sur ses fautes, espèces de mines qu'il exploitait avec un art admirable. Alors son coup-d'œil et sa rapi- dité lui donnaient l'air de l'invention des choses mêmes dont il ne faisait que profiter. Souvent plus le sommeil s'était prolongé , plus le réveil avait de rapidité ; il pressait la marche du temps, pour en réparer la perte. Comme il a prodigieusement agi, on a cru qu'il n'était jamais sans action, Combien de fois l'ai-je trouvé au repos ! Je le répète , quiconque n'a pas beaucoup approché Napo- léon, surtout quiconque cherche son modèle dans les autres hommes , est incapable d'en parler avec exactitude ; et pour ne pas trom- per les autres après s'être trompé lui-même, il n'a rien de mieux à faire qu'à s'en taire. Comment et pourquoi parler lorsque l'on ignore ?

( 4a3 1

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CHAPITRE XXXVI.

Affaire des Cardinaux.

La querelle de Napoléon avec le pape amena des sévices de plusieurs espèces sur les mem- bres de la congrégation la plus auguste de l'univers, le sacré collège.

i °. Les cardinaux sujets des royaumes d'Ita- lie et de" Naples reçurent l'ordre de rentrer dans leur patrie, et de prêter serment de fidélité aux gouvernemens de ces pays.

i°. Sur leur refus, ils furent contraints de quitter Rome.

3°. Ils furent appelés en France. 4°, Quatorze dentreux furent exilés et re- légués clans diverses villes de France , dé- pouillés des marques de leur dignité et privés de leurs biens, quant à la jouissance. Il faut distinguer ces divers degrés de sévices; ils donnent lieu à des questions entièrement dif- férentes.

Quant aux traitemens personnels, aux pro- cédés dont les cardinaux ont été l'objet, il ne peut y avoir deux manières de les considérer.

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Tout se réunit pour faire regretter que des personnages éminens , consacrés pour ainsi, dire par le respect de l'Europe, aient pu se trouver sujets à des traitemens. dont leur di- gnité, 1 âge et la vertu du plus grand nombre auraient les préserver à jamais. Quelqu'eût été l'aveuglement, l'entêtement, et même la mauvaise volonté de plusieurs, cependant ils n'étaient point déchus par du haut rang qu'ils occupaient; ils -n'étaient pas criminels, ni jugés j ils pouvaient voir autrement que Napoléon , et même voir mal , ce qui n'est dé- fendu par aucune loi; ils défendaient d'autres intérêts que les siens, ainsi ils ne pouvaient être responsables que de leurs actes privés et personnels, et sûrement ceux-là ne prêtaient à aucun reproche. Au milieu de leurs fautes comme hommes publics , ils ne restaient pas moins des objets de vénération en raison de leur rang dans l'église et dans le monde , comme de leurs vertus personnelles.

La question est donc de savoir: i°. si le pape, comme il n'a cessé de le faire, avait raison de se plaindre de l'éloignement des cardinaux, et de le représenter comme la vip* latiou d'un droit reconnu par toute l'Europe.

C 4*5 )

2°. Si Napoléon avait droit d'exiger que îe quart du sacré collège fût composé de sujets Français.

3°. Si les cardinaux ont pu refuser d'assis- ter au mariage religieux de Napoléon, ce qui alluma sa colère contr'eux.

Les privilèges et l'état du sacré collège ont suivi les dégrés de l'élévation de la cour de Rome, comme il était indispensable que cela fût. Au temps de la grande puissance de Rome, un cardinal marchait presqu'à l'égal des rois, et au-dessus des princes d'un rang inférieur (i). Avec la diminution du pouvoir deRome,le cardinalat baissa , mais cependant en restant toujours très-considéré et et très- considérable. Il était loin le temps auquel un roi tel que Henri IV prenait la peine d'aller à cheval jusqu'à Chartres pour voir l'entrée du cardinal de Medicis, Légat à latere, qui lui apportait uni* absolution moins flatteuse pour son amour propre que favorable à raf- fermissement de son trône; aujourd'hui on ne recourrait pas à cet appui ponr régner,

( i ) Voyez le récit do l'entrevue de Léon X et do François > tom. 3.

( 4*6. V

les temps sont changés. Jadis on faisait des entrées publiques aux cardinaux dans les villes qu'ils traversaient, comme cela se pra- tiquait pour les souverains. On a vu des car- dinaux avoir recherché cette dignité pendant leur ministère pour se ménager un abri con- tre la défaveur de leurs maîtres. Les cardinaux de la Valette, de Retz, de Bouillon, dans leurs démêlés avec leurs souverains , s'étaient ap- puyés de la cour de Rome. Le cardinal Albéroni avait fait de même; l'on a été jasqu'à dire que le cardinal Dubois avait désiré le chapeau, au cas prévu et prochain de la fin de la ré- gence. Dans la trop fameuse affaire du collier, le pape trouva très-mauvais que Mr. le cardinal de Rohan eut consenti à reconnaître la juris- diction du parlement de Paris; il le menaça de lui ôter la pourpre, (i) Louis XVI dans

(i) Extrait des Mémoires de M. Cabbé Georgel.

Dans ces entrefaites , le pape instruit par le roi de la captivité du cardinal , des motifs qui avaient nécessité ce coup d'autorité , et du parti qu'il avait pris d'en référer au parlement, en marqua en termes très-énergiques son mé- contentement. Il reprochait au cardinal d'avoir compro- mis la dignité et les droits du sacré collège, d'avoir a\iii la pourpre romaine en recourant à un tribunal sécu-

un moment cT humeur produit par ces conflits de jurisdiction , déclara un instant qu'il n'y aurait plus de. cardinaux en France. D'autres

lier, plutôt que de s'en être rapporté à la clémence du roi, comme ce monarque le lui avait offert avec bonté. Le souverain pontife ajoutr.it qu'une pareille atteinte donnée aux augustes prérogatives du cardinalat, pourrait bien le mettre dans la nécessité de lui en ôter la décora- tion. Cette menace répandit la consternation dans la mai- son de Hohan : si elle avait son effet, c'était une dégrada- tion qui devenait une tache pour un nom depuis si long- temps révéré dans le sacré collège; c'était un préjugé fâcheux pour l'issue d'un procès qui allait décider de l'honneur, de la fortune et peut-être de la vie du cardi- nal. Ce prince en fut profondément peiné, sans marquer néanmoins le moindre regret sur le parti qu'il avait pris. Dans la balance de sa vie, le chapeau de cardinal ne pou- vait entrer en compensation avec son honneur entaché ; la clémence du Iloi le laissait pour le reste de ses jours sous le glaive à deux tranchant de l'opinion publique : vivre ainsi c'était demeurer dans l'abjection , tandis qu'il y avait du courage d'affronter tous les périls d'une procédure criminelle, pour percer le nuage trop épais qui dérobait son innocence aux yeux de l'Europe étonnée et attentive.

M. le cardinal ne manquait pas de raisons puissantes pour justifier sa conduite I Rome. L'attribution donnée au parlement pour le jugement du procès n'était pas de son fait; les lettres patentes qui commettaient ce tribunal pour connaître de la plainte rendue au nom du roi, étaient l'ouvrage du monarque. S. M. aurait pu, lors de l'aller-

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réflexions changèrent sa résolution , et M. cî<* Montmorency, évéque de Metz, fut promu à cette dignité. Les cardinaux jouissaient en France du rang des princes étrangers : ils étaient reçus une première fois en cette qua- lité par une espèce d'entrée publique dans le lieu même de la résidence du roi. Ils fai- saient les premiers une visite aux princes du

native proposée, indiquer un tribunal ou une commission ecclésiastique, et le cardinal lui aurait donnée la préfé- rence; mais pouvait-il, par respect même pour la pourpre romaine, hésiter entre la clémence qui laisse toujours après elle la présomption du crime, ou le seul tribunal offert à son choix, devant lequel il espérait faire triom- pher sa cause et venger l'éminente dignité dont il était revêtu, de l'opprobre qu'on voulait faire retomber sur elle. Forcé de céder à l'autorité souveraine qui le tradui- sait au parlement, il avait judiciairement réclamé les privilèges du sacré collège ; il fit des protestations con- servatrices de ses droits comme évêque , comme cardinal et comme prince souverain en Empire. On crut que, sur ce simple exposé, le pape ne passerait pas outre, ou qu'il ferait des instances auprès du Roi pour donner au prince Louis des juges ecclésiastiques , afin de mettre à couvert les prérogatives du cardinalat. Il fut d'abord question de m'envoyer à Piome pour y plaider cette cause et prévenir les insinuations qui pourraient y pénétrer ,

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( fcè )

sang, qui la leur rendaient aussitôt. Une très grande fortune avec une immense considéra- tion était l'apanage de cette dignité; en France un cardinal était un homme à part. Le nom- bre des cardinaux Français était fixé à six.

afin de calmer l'âme de Pie VI , et d'éclairer sa religion surprise. Je devais y arriver muni d'un mémoire rédigé avec force par nos plus célèbres canonistes, appuyé du suffrage de la Sorbonne , et le parti pris par le cardinal était représenté comme une démarche forcée , nécessaire, commandée par les règles de la prudence et de l'honneur : les conseils et les païens du cardinal pensèrent que ma présence pouvait être plus utile à Paris. Une conférence particulière que j'eus sur cet objet important avec le comte de Vergennes, tranquillisa la maison de Rohan et le cardinal : ce ministre s'offrit d'envoyer lui-même le mémoire à Rome , et de l'appuyer de ses bons offices ; cette voie parut préférable. On suppliait à tout événement le pape de vouloir bien suspendre son jugement jusqu'à ce qu'on pût faire parvenir à sa sainteté une apologie satisfaisante ; qu'il était de sa justice et de sa bienfaisante sollicitude de ne rien préjuger dans une affaire aussi déli- cate, sans que sa religion eût été parfaitement éclairée sur le pour et le contre. Le pape ne répondit pas à la lettre touchante que lui écrivit le cardinal en lui envoyant son mémoire; mais sa Sainteté le dédommagea de ce si- lence en donnant un sursis au rapport qui devait être fait de celte affaire au sacré collège.

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On regrettera toujours pour le sacré collège que les noms de Bossu et et de Fénélon n'y soient pas inscrits : ils en valaient bien d'au- tres qui s'y trouvent. De pareils hommes font plus d'honneur aux dignités qu'ils n'en re- çoivent d'elles, et le pape en leur conférant le chapeau aurait reçu de l'opinion publique une couronne; il eût même été bon de se mettre en fonds d'honneur pour avoir de quoi payer pour les chapeaux des Dubois, des Tencin. Le cardinal de Bernis est le dernier cardinal français qui ait eu un grand éclat; à la différence du cardinal Maury qui avait bien commencé et qui a mal fini , le cardinal de Bernis avait mal commencé, et a noble- ment fini: le chapeau fut la conquête du premier > la considération publique fut celle du second.

Napoléon maître de l'Italie exigea que les cardinaux de ce pays et de INaples se rendissent dans leurs diocèses respectifs. En cela il se proposait, d'éloigner du pape des hommes sur lesquels il comptait fort peu; de les forcer à reconnaître les souverains de ces pays. Le cas était tout neuf. Dans létat ordi- naire de l'Europe, la succession au trône

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n'est point un objet de eon testa tion , la re- eonnaissance du souverain par les cardinaux n'est pas plus requise que par tout autre ordre de citoyens. Mais ici il en était autre- ment; les cardinaux qui occupaient des sièges dans les royaumes d'Italie et de Naples, dans les trois légations, se trouvaient vis-à-vis de souverainetés nouvelles, litigieuses, recon- nues par les uns, contestées par les autres. Leur séjour obligé à Rome était fort commode pour les dispenser de se prononcer entre les contendans. Mais plus cela faisait leur compte, moins Napoléon y trouvait le sien. Il y a eu erreur dans la manière dont on a évalué sa conduite. Ce n'était pas leur séjour à Rome, mais sa reconnaissance propre qu'il deman- dait aux cardinaux; il attaquait par leurs de- voirs de sujets comme natifs et évêques de son territoire, des hommes qui se défendaient par leurs devoirs de cardinaux. Comme on voit , le débat provenait de cette éternelle confusion de deux hommes dans un seul, un ëvëque dépendant et un cardinal indépen- * dant. Comment le même homme peut-il être à la fois sujet et non sujet? Voilà ce que Na- poléon ne pouvait concevoir, et ce que le

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pape entendait maintenir. Il argumentait de la seule qualité de cardinal, et laissait à l'écart celle de sujet au double titre de la naissance «t de l'épiscopat. Dans tout le cours de cette contestation, on retrouve le même imbroglio , deux hommes et deux fonctions incompa- tibles : aussi y a-t-il eu deux langages qui ne se sont jamais confondus dans une acception commune.

ï)ans un pareil ordre de choses , il est iné- vitable que les querelles ne deviennent éter- nelles, parce qu'à la fois tout le monde a tort et raison, en faisant son choix dans la question , en s'appuya nt sur une partie vraie, à laquelle l'adversaire en oppose une autre qui a aussi son côté de vérité. Or, tel a été l'état de la question entre le pape et Napo- léon , relativement aux cardinaux. Ils trai- taient deux questions différentes. L'un de- mandait ses sujets et ses évêques; l'autre, ses cardinaux et ses conseils : comment se serait- on entendu, en ne convenant pas des mêmes principes ? Je voudrais savoir s'il existe en Europe un souverain qui tolérât que les évê- ques de ses Etats fussent s'établir à Rome, en leur qualité de cardinal, pour de -là lui re*

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fuser le premier devoir du sujet, qui est la reconnaissance du souverain, surtout lorsque ce refus de reconnaissance peut, en raison de l'exemple, avoir pour lui les plus graves con- séquences. Or, voilà Napoléon se trouvait à l'égard des cardinaux ; il se souciait fort peu qu'ils fussent loin ou près ; il les aurait laissés à Rome pendant cent ans , si leur sé- jour dans ce lieu n'avait pas eu pour lui le double inconvénient d'agir sur l'esprit du pape et sur celui des sujets qu'il supposait fort attentifs , et avec raison , à l'exemple de ces cardinaux. Leur éloignement pouvait être considéré comme une protestation, et le sou- verain a bien le droit de prévenir les pro- testations contre ses droits. Le prince ne peut laisser aucun doute planer sur son droit au gouvernement qu'il exerce; cela attaque di- rectement la tranquillité des États, chose plus précieuse encore que les prérogatives des car- dinaux. Napoléon se bornait à dire aux car- dinaux : Éloignez-vous de mon ennemi , et reconnaissez-moi. Cela n'était pas être trop exigeant. Un cardinal qui ne voulait pas se soumettre à ce devoir , pour mettre de l'ac- cord dans sa conduite, aurait commencer t. ii. 28

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par remettre son siège : alors il était libre de ne plus considérer que son titre de cardi- nal. Mais tant qu'il occupait ce siège, il semble qu'il ne pouvait refuser les devoirs de l'évé- que et du sujet. Il ne faut pas vouloir réunir des choses incompatibles : rien ne fausse plus l'esprit , n'altère davantage la droiture , sans laquelle il n'y a jamais de paix à attendre dans le monde.

Le point de droit en faveur des prétentions de Rome n'est fixé par aucune loi, et la rai- son est évidemment contr'elles. On n'aper- çoit pas aussi clairement en vertu de quel titre Napoléon exigeait que le tiers des cardi- naux fût composé de sujets français. Il exci- pait du calcul de la population catholique de son empire , qui correspondait au tiers de celle de la catholicité même. Mais la base de cette demande était fausse : la composition du sacré collège n'est point calculée sur la po- pulation de la catholicité ; on n'y compte point par tètes de catholiques, mais on a voulu que chaque puissance catholique y comptât quelques membres , pour y avoir toujours présent un défenseur de ses intérêts , une espèce de représentant. 11 ne suit pas de-là

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que le partage du sacré collège, conseil na- turel du pape , doive être réglé sur les de- grés respectifs de la force des puissances : lorsqu'elles y comptent des cardinaux de leur choix ou de leur domination , elles y sont suf- fisament représentées ; leurs droits sont i em- plis ; elles ont tout ce qu elles peuvent être fondées à demander, comme tout ce dont elles ont besoin. De son coté, le pape a le droit d'avoir un conseil , de le choisir- il ne peut se passer de son secours dans une admi- nistration aussi vaste et aussi variée que Test celle de toute la catholicité dans laquelle on compte par centaines de millions d ames. Le sacré collège, pour fournir à cette immense gestion, est partagé en congrégations qui ré- pondent aux divers ministères des autres pays. Tout est fait , ou censé fait en conseil : il n'y a point de conseil-, il n'y a pas liberté de choisir les conseillers; la réclamation du pape était donc également fondée en droit et en raison, et la prétention de Napoléon ne portait sur aucun principe soutenable.

Vers la fin de 1810, après que le pape eut, rouvert, pour ainsi dire, la contestation qui paraissait assoupie depuis son séjour îi $a-

28.

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vone , par ses brefs au cardinal Maury et au chapitre de Florence, Napoléon ordonna aux cardinaux de se rendre à Paris. Ils s'y trou- vèrent réunis au nombre de vingt -huit. se compléta l'œuvre de déconsidération com- mencée à l'époque du voyage du pape. Dans tout ce période de temps, un clergé étranger ne pouvait manquer de paraître étrange au milieu d'une ville telle qu'était alors Paris : cette ville avait à moitié l'air d'une ville de guerre , conquise et gardée par des militaires; il y avait quelque chose des camps à la cour, dans la tenue générale, et jusque dans les costumes : au milieu de cet appareil, un sacré collège avait nécessairement un air un peu emprunté. Il est des situations embarrassantes dont un grand usage du monde peut seul tirer; et ce tact ne pouvait être l'apanage de ces cardinaux, qui, pauvres pour la plupart, peu versés dans la connaissance de la langue, perdus, pour ainsi dire, dans le tourbillon de Paris , errans comme des ombres, délaissés comme des rois détrônés, étaient réduits à vivre entre eux , au milieu d'étiquettes qui surpassent les besoins de l'urbanité, ou qui fatiguent la légèreté française. Leur présence

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rappelait involontairement à la mémoire le fameux majoré loiiginquo reverentia: l'ennui de Paris et le regret de Rome se faisaient lire sur leurs visages. Ils paraissaient quelquefois aux Thuileries : les dimanches et fêtes , ils assistaient régulièrement à la messe du châ- teau. On rencontrait quelques-uns d'eux dans les grandes réunions qui avaient lieu dans ce temps: du reste, isolés du monde, ils se voyaient et se concertaient ensemble Ils n'é- taient pas plus d'accord qu'on ne l'était par- tout ailleurs. Les uns tenaient pour la modé- ration j et les autres pour le rigorisme le plus strict. Cette division d'opinion éclata à l'oc- casion du mariage de Napoléon. Les cardinaux de l étroite observance , les yeux fixés sur les archives de la chancellerie romaine, préten- daient qu'il appartenait au pape seul de pro- noncer sur la dissolution du mariage de» souverains. Les modérés, au contraire, con- sidérant les princes comme les autres fidèles, soutenaient qu'il en était du mariage comme des autres sacremens, le baptême, la confirma- tion , la pénitence , pour la participation des- quels les princes n'ont pas besoin de recourir à Rome. Ils alléguaient qu'il n'y a point de

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prince in dwims ; que l'on est diocésain et paroissien quoique l'on soit prince , et qu'il ne peut pas y avoir pour les princes des règles religieuses privatives , différentes de celles qui régissent les autres fidèles; que dans le cas contraire , ce ne serait plus la religion qui réglerait les princes , mais au contraire les princes qui régleraient la religion, puisqu'il en faudrait une tout exprès pour eux. Cette opinion parait sage, et s'entend .mieux que relie qui lui est opposée. La commission ec- clésiastique avait émis la même opinion. Elle fut suivie , et la séparation poursuivie par- devant l'officialité de Paris..

La différence d'opinion qui régnait entre les cardinaux avait amené des conférences entr'eux chez M. le cardinal Fesch. On put croire un instant qu'ils marchaient d'accord, lorsqu'à Saint-Cloud on les vit tous paraître ensemble à la cérémonie du mariage civil. M. le cardinal Caprara, retenu par une grave incommodité , était seul absent. Le surlen- demain quatorze cardinaux crurent devoir s'absenter de la cérémonie religieuse.

Ici je demande à faire connaître ce que j'ai vti et entendu : peut-être qu'après l'avoir lu,

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le lecteur ne me saura pas mauvais gré de lui avoir exposé ce qui va suivre.

Pendant toute la cérémonie de son mariage je me trouvai placé, par le devoir de ma charge, auprès de Napoléon , et je ne l'ai pas quitté un instant. Il s'était occupé de tous les détails des nrnenicns de la chapelle , qui d'abord l avait favorablement frappé, et qu'il finit par trouver dépourvue du caractère im- posant qui convient aux lieux religieux. 11 venait de parcourir des yeux la foule dorée que l'élite de l'Europe , dans ses intérêts ou dans sa curiosité , avait fournie à la décora- tion des galeries qui remplissaient les con- tours du lieu se célébrait cette cérémonie, lorsque tout-à-coup ses regards s'arrétant sur les banquettes destinées aux cardinaux : sont les cardinaux , me dit-il? Les voilà , ré- pondisse : ils étaient au nombre de treize. Eh! je n'en vois point; ils ne sont pas ici, continua-t-il. Un grand nombre s'y trouve, répliquai-je, le temps a été mauvais ce matin, il y a parmi eux des vieillards, et d'ailleurs l'entrée de la chapelle est difficile à trouver. Ah! les sots, dit-il, d'un ton irrité. Et le mo- ment d'après, reportant ses regards vers le

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même lieu : Mais non, dit-il, ils n'y sont point; ah! les sots, répéta-t-il d'une voix courroucée , en lançant de ce coté un regard foudroyant, accompagné d'un mouvement de tète se peignait l'annonce de la vengeance. Je jugeai qu'il se formait un gros orage.

Au moment auquel Napoléon revenait de l'autel , après avoir donné l'anneau à sa nou- velle épouse , lorsqu'il fut remis dans son fau- teuil, s'adressant à moi, il me dit: J'ai donné un anneau à ma femme , elle ne m'en a pas donné de son côté ; pourquoi cela ? Je lui donnai une explication. Il passa un instant dans cette espèce de rêverie qui lui était fa- milière, lorsqu'il n'avait pas reçu satisfaction sur une question , et au bout d'une minute il me dit : J'ai donné un anneau à l'impéra- trice , parce que la femme est l'esclave de l'homme. Regardez chez les Romains, les esclaves portent tous un anneau.

Je crus, dans ce moment, que je venais d'entendre ce qui était sorti de sa bouche de plus propre à peindre son caractère. Je vou- drais pouvoir transmettre au lecteur l'impres- sion que me firent ces paroles ; je les lui rends telles qu'elles furent proférées. Pour bien juger

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ce propos, il faut se remettre le lieu , l'acte, les spectateurs , et le manteau de cette femme esclave porté par cinq reines, arraclièe elle- même , la foudre à la main , au trône des Césars , servant à la fois, à V Autriche et à la France de gage mutuel de stabilité i Voilà les traits propres à donner la mesure véritable d'une tète que de pareilles circonstances ne détournaient point de la poursuite d'une idée dominante, ainsi que celle de la force avec laquelle cette même idée devait agir, pour que son action ne fut point amortie par un concours de laits aussi propres à l'absorber.

Le lendemain du mariage, les cardinaux se présentèrent aux Thuileries, pour prendre part à une cérémonie à laquelle toutes les per- sonnes constituées en dignité ou dans les fonctions publiques avaient été invitées. Un moment avant son ouverture, Tordre fut in- time aux cardinaux absens la veille , de se reti- rer, et dans le courant de la nuit suivante, ils furent arrêtés. Les marques de leur dignité leur furent interdites, et le séquestre apposé sur leurs biens. Le coup était rude, il faut le reconnaître. Napoléon attribuait sa nécessité à celle de la punition d'une démarche qu'il

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regardait comme la suite d'un plan dirigé dans l'intention de faire naître des doutes sur la validité de l'union qu'il venait de contrac- ter; intention qui, dans une matière aussi grave, entraînait suivant lui les plus graves conséquences pour lui et pour l'État. Napo- léon n'était pas homme à mettre en balance la légitimité de sa descendance avec celle des prétentions de la chancellerie romaine ; et , dansle fait, d'après la place qu'il occupait alorsy il faut convenir que l'une étaitplus importante que l'autre. Mais il paraît aussi qu'il s'était fait une trop haute idée de l'importance de la démarche des cardinaux ; que lui seul s'était aperçu de leur absence; et que dans l'état des choses de ce temps, avec la mince considéra- tion que le public leur accordait, tout ce qui venait de leur côté étant sans vertu, n'était bon qu'à être négligé. Tout le monde ne s'ex- pliquait pas non plus comment les mêmes hommes qui n'avaient pas trouvé d'obstacles à leur présence daus la cérémonie du mariage civil, pouvaient en trouver à cette même pré- sence dans la cérémonie religieuse, qui était la conséquence de l'autre ; comment on pouvait séparer deux actes aussi étroitement liés en-

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semble, et qui dans le fait n'en font qu'un ; comment ils avaient pu prendre sur eux , en vertu d'on ne sait quelle subtilité scholasti- que, sujets et dignitaires dans les Etats de Napoléon, de déposer sur un acte aussi im- portant, une tache de réprobation propre à produire, dans un temps ou dans l'autre, les conséquences les plus dangereuses, et le tout en vertu de prétentions qui n'ont d'existence légale que dans la chancellerie romaine, qu'aucun code de droit public ou privé , sécu- lier ou ecclésiastique, n'a admis. C'était une grande entreprise et à-la-fois une insigne maladresse, que cette séparation tranchante d'une partie des cardinaux avec leurs con- frères , dans une circonstance aussi grave. La séparation, en rendant leur droit probléma- tique, mettait tout sur le compte de leur volonté ; car un droit certain aurait entraîné l'unanimité du collège sacré. On devait savoir à qui l'on avait à faire, et ne pas le blesser précisément le coup devait se faire res- sentir plus vivement. Lorsque l'imprudence eut amené la vengeance, et elle lut sévère, alors de crier au martyre , au persécuteur, à l'héroïsme, à l'atrocité, dans le temps qu'il

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n'y avait pas plus d'héroïsme d'un coté que de persécution de l'autre ; qu'il ne se trouvait aucune étoffe de martyre , qui est la religion , mais seulement grande imprudence d une part, et violent ressentiment de l'autre, pour une injure faite dans une cause purement temporelle : car ce n'était pas le sacrement de mariage que Napoléon défendait , mais la tranquillité de sa descendance présumée. Il serait curieux de savoir ce qui se passerait dans un pays des grands de l'État se con- duiraient de manière à désapprouver publi- quement les actes du prince, dans la circon- tance la plus solennelle, jusqu'au point de jetter des lueurs défavorables à la légitimité des droits de sa descendance au trône; et cela en vertu d'un code reconnu par eux seuls. Dans le cas actuel, le manquement était d a: - tant plus grave aux yeux de Napoléon, qu'il s'agissait de l'établissement d'une nouvelle dynastie, ce qui comporte des précautions dont les anciennes peuvent se passer. Si les cardinaux ont eu des intentions contraires à l'établissement de celle-là, si l'épée de la coa- lition a justifié la prose qu'ils faisaient sans le savoir -, on peut les féliciter .des récompenses

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que le temps actuel a leur procurer; mais du moins faudra-t-il convenir que ce n'était pas à Napoléon à les leur distribuer.

Cet événement, comme mille autres, est déjà loin de nous : il n'en reste qu'une seule chose, la preuve de la nécessité de connaître enfin les droits de la cour de Rome, et d'en convenir une fois pour toutes. Fut-il jamais chose plus singulière, qu'une puissance éta- blie au milieu du Monde, sans droits recon- nus et limités d'un accord commun, en pos- session de pouvoir tirer de ses arsenaux, au moment l'on s'y attend le moins, quelque arme toute neuve à force de vétusté, et dont l'usage embarrassant pour tous entrave les uns, surpris de son apparition, et fait blesser les autres par les moyens que le ressentiment sait employer. La chancellerie romaine est un phénomène au milieu de l'Europe ; elle vou- drait diriger le Monde avec ses rubriques, comme la vraie Rome le dirigea avec son épée. 11 y a pourtant quelque différence entre ces deux instrumens.

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». ivvvvvvvWjvvvv^<v\yvvvvvvwvvvvvvvvvvvv\ vwwvwvwvvwwvwx vxwmuiwn*

CHAPITRE XXXYII.

Commissions ecclésiastiques. Première députation à Savone.

Il y a eu deuxcommissious ecclésiastiques; i°. En 1809 et 1810. 2°. En 1 8 ri.

La première fut créée au fort des querelles de Napoléon avec le pape : alors la captivité de Savone avait lieu Le pape par sa lettre du 26 août 1809 avait témoigné à M. le car- dinal Caprara son éloignement pour accepter l'arrangement proposé par Napoléon, d'après lequel les bulles devaient être délivrées sans la mention de son nom, adressées soit au conseil d'Etat, soit au ministre des cultes, qui par le consentement tacite des parties, au- raient eu l'air d'avoir nommé ; cette pièce a été rapportée plus haut: il faut convenir que c'était en soi même un pauvre expédient, et fort dépourvu de dignité. Napoléon tout en montrant le désir de tout pacifier, cependant dérogeait beaucoup comme chef de l'Etat. Lorsqu'il s'agit des droits de celui-ci , il n'y a

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pas à capituler; dès qu'ils sont reconnus, ils doivent être maintenus , aucune affection pei sonnelle ne doit être écoutée. Avec une coin aussi attentive qne l est celle de Rome à trans- former tout fait en droit, aucune déclinaison de la ligne directe des principes ne peut être admise, sans les plus graves conséquences , pareeque Rome inscrit tout dans ses archives en caractères ineffaçables. Napoléon n'avait pas assez pesé ce qu'il faisait en adoptant cette proposition ; une lueur de paix l'avait frappé et séduit : si à cette époque la commission eût été réunie, elle l'aurait rappelé au maintien des principes et à celui de ses droits.

Les embarras dans lesquels Napoléon s'en- fonçait tous les jours davantage, donnèrent naissance à cette commission. Il était à bout de voies. Après s'être retourné en tous sen:- ? il se retrouvait à son point de départ , la même résistance se représentait toujours, et les coups venaient s'amortir sur un roc vif, im- pénétrable, et qui avait l'air de se raffermir par l'ébranlement même que l'on voulait lui imprimer: car telle est la nature des résistan- ces que L'autorité civile rencontre toujours dès quelle se mêle de religion.

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Ne sachant pins comment avancer , ne vou- lant pas reculer, Napoléon finit par il au- rait dû commencer, c'est-à-dire par appeler des guides qui le dirigeassent sur cette terre dont il se fatiguait à parcourir les profondeurs vagues et inconnues de Lui.

Telle fut l'origine des commissions ecclé- siastiques.

Dès qu'elles parurent, elles fixèrent tous les regards, par plusieurs raisons.

i°. La nouveauté de la chose. A cette épo- que cela était, neuf.

20. L'importance de la chose elle-même.

3°. L^ mouvement que les affaires religieu- ses ont donné à la France depuis trente ans , mouvement curieux à observer i surtout par l'espèce de petit peuple qui s'en est le plus mêlé. Il y a eu une grande influence, et il y a bien paru , car il y a tout gâté. Pendant la révolution , la religion a presque toujours été un moyen d'opposition politique. Les chevaliers de l'autel et. du trône, dont la ré- volution fit tout-à-coup une si ample pro- motion , et qui avaient besoin de toute leur mémoire pour se rappeler leur catéchisme, étaient à la religion ce que les chevaliers des

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ordres religieux et militaires étaient devenus pour le célibat; ce n'était qu'un parti profé- ra Fit un nom nouveau pour se conserver en jouissance des choses anciennes. Cette même disposition d'opposition ultra religieuse était fort marquée clans le temps de Napoléon; le parti tremblait que les affaires ne prissent un terme , et surtout il avait peur des missions à Savone. En sa qualité de parti d'opposition, tout ce qui en diminuait l'aliment , ne lui convenait pas. Salamandre politique , pour vivre il lui fallait le feu de la diseorde. C'est ce qui , à l'époque de l'arrestation des trois évéques du concile, faisait dire à un person- nage connu par sa persévérance dans ce genre d'opposition : tout va bien, la persécution va commencer.

4°. Par le choix des prélats qui formèrent cette commission. Elle ne fut pas composée tout-à-fait de même dans les deux années.

M. le cardinal Caselli ne fit point partie de la première. Je n'en étais pas.

M. l'évèque de Verceil mourut dans l'in- tervalle de la première à la seconde. I^e père Fontana , général de Tordre des lîarnabites > ne fut pas membre de la seconde*

r> u, 39

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La première fut composée ainsi qu'il suit: MM. les cardinaux Fesch et Maury ; MM. l'archevêque de Tours, les évêques de Nantes, de Trêves, de Verceil, dÉvreux, et M. l'abbé Émery , avec le père Fon- tana.

La seconde fut formée de

MM. les cardinaux Fesch, Maury, Caselli;

MM. les archevêques de Tours, de Malines;

MM. les évêques de Nantes , de Trêves , d'Évreux, et M. l'abbé Émery.

M. le cardinal Fesch présidait. On s'assem- blait chez lui. Plusieurs fois il fit des efforts, mais sans succès, pour faire entrer dans cette commission des prélats qu'il affectionnait particulièrement , tels que MM. les évêques de Troyes, de Metz et de Montpellier, alors membres de la Chapelle impériale. En géné- ral ce n'est point par le nombre que les con- seils sont sujets à manquer. De tous les défi- cit , voilà le plus facile à combler.

Comme il est juste de faire rendre à chacun ce qui lui appartient ; comme cette commis- sion n'a pu échapper à la versatilité des opi- nions qui a régné depuis t8t4, et dont on s'est glorifié sur les mêmes choses et à l'égard

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des mêmes hommes ; comme on a fini par être injuste envers quelques-uns de ses mem- bres , dont on avait commencé par priser beaucoup le mérite; comme cette commission est inconnue à beaucoup d'hommes, et qu'elle a été traitée peu respectueusement par d'au- tres que leur éloignement des lieux ou des affaires a fait incliner vers Terreur , j'ai re- gardé comme un devoir de présenter:

i°. Le portrait des membres de cette com- mission ;

i°. Son esprit ;

3°. La direction qu'elle donna aux affaires; 4°. Ses actes.

J'ai déjà eu occasion de parler de M. le cardinal Fesch. Il se montra } dans la commis- sion . tel que je l'ai toujours vu être; très- assidu, très-zélé, très-pieux, très-courageux à l'égard de son neveu , auprès duquel la pétulance de son zèle et l'indiscrétion de ses aveux gâtaient nos affaires , et souvent dé- faisaient en un jour ce qui nous en avait coûté plusieurs. Le neveu , plus fin que l'on- cle, le faisait parler, et nous n'en étions pas mieux. C'était un des plus dangereux talens que possédait Napoléon : il était pourvu d'un

2Q.

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aimant qui attirait les secrets des autres du fond de leurs cœurs. M. le cardinal , comme les gens qui raisonnent peu, aimait les gros livres \ et ne s'en faisait faute. Ce n'est pas la centième fois que j'ai eu lieu de remarquer que le supplément ne valait pas le prin- cipal.

M. le cardinal Maury se serait, dans la commission, cru volontiers à l'Académie. Il a fallu quelquefois le lui rappeler. Ce prélat possédait une vaste érudition en beaucoup de genres; mais la science ecclésiastique n'a- vait pas formé le fond de ses occupations.

Cette science se retrouvait dans toute son étendue auprès de M. le cardinal Caselli, et des prélats de Tours, de Nantes, de Verceii et de Trêves: il suffit de nommer M. Émery pour rappeler tous les genres de mérite ec- clésiastique; esprit fin , varié, accessible à la raison, dépassant par son étendue les quatre murailles de Saint - Sulpice , entre lesquelles il avait passé sa vie; chef distingué dans un corps respectable , en ayant imposé même à Napoléon qui connaissait tout son valoir , et qui demandait souvent : quen pense , qu'en dit M. Émery? En ] 8 1 1 , Napoléon tint un

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conseil prive sur les affaires du clergé ; (a commission y fut appelée : c'est qu'il prit la résolution d'envoyer à Savone. Il se fit un plaisir de provoquer, d'agacer même M. Emery , et ils se séparèrent fort satisfaits l'un de l'autre.

On ressentit vivement la perte de M. l'évè- que de Verceil. C'était un prélat aussi éclairé qu'édifiant.

M. l'archevêque de Tours avait acquis, par des études de toute sa vie, un grand fonds de science ecclésiastique : il connaissait très-bien l'hisioire du clergé de France, dont il avait été agent , ainsi que la tradition , dont il avait fait une étude particulière. Peut-être en fai- sait-il un usage trop fréquent dans ses rédac- tions qui avaient fini par fatiguer Napoléon y qui lisait tout. On sent en effet que Vange de f Ecole t le Maître des sentences, le grand L es de Chartres y tout vénérables qu'ils sont , ne pouvaient pas être fort à l'usage d'un jeune conquérant que tout portait à trouver ces noms-là bien nouveaux.

Mais brillait le mérite ecclésiastique dans toute son étendue et dans toute sa pureté , c'était auprès des évèqucs de Nantes , de-

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Trêves et dEvreux , réunion rare et respec- table de tout ce qu'il y a de plus éclairé , de plus vertueux et de plus gracieux. A la téte paraissait M. l'évëque de Nantes, un des meil- leurs esprits des temps modernes. Élève , docteur et professeur de Sorbonne, sa supé- riorité en tout genre mettait toujours cent places d'intervalle entre lui et celui qui le suivait immédiatement , oracle du conseil d'une société qui était elle-même l'oracle de la France ecclésiastique. Les sciences sacrées n'avaient plus de secrets pour lui; ses écrits sur les principales vérités du christianisme sont devenus classiques : judicieux et clair , sa parole portait toujours sur le vrai ; calme et méthodique, il donnait à t<>us les sujets l'air de la raison ; modéré par caractère comme par réflexion, il usait des hommes et des choses comme ils sont, sans s'irriter de leurs défauts, ni se prévaloir de leurs forces ; aussi bien placé dans le monde que sur sa chaire épis- copale ou doctorale. Avec des hommes de cet esprit dans les affaires , la paix régnerait éternellement sur la terre.

M. l'évëque de Nantes fût l'idole de son diocèse et l'oracle du clergé jusqu'à l'époque

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du concile, l'esprit de parti et de vertige ayant pénétré partout, dénaturé tout, versa beaucoup d'amertume sur les derniers jours de ce vénérable et savant prélat. Napoléon lui décerna un monument : celui-ci familier à-peu-près avec tout le monde , ne s'émancipa jamais à l'égard de M. l'évèque de Nantes, et souvent au milieu même des paroles peu mesurées qui suivaient ses emportemens, il lui est arrivé de dire à M. l'évèque de Nantes, ne croyez pas que ce soit pour vous que je parle.

Pour moi , placé au milieu d'hommes dont quelques uns avaient été mes maitres, et qui tous auraient pu le devenir, je n'avais qu'à profiter d'un rapprochement qui sous tous les rapports ne pouvait être plus heureux pour moi.

Je n'ai rien à dire du père Fontana, ne l'ayant pas connu. Les intérêts de la religion comme ceux du clergé ne pouvaient être con- fiés à de plus fidèles dépositaires ; je fournirai bientôt la preuve qu'ils ont été fidèles à leurs devoirs.

Chaque profession a une espèce de langage à part, et qui la caractérise : ainsi les parle-

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mens, le barreau, le clergé, les ministres, français protestans , et jusqu'aux réfugiés français ont chacun un style particulier et qui sent le terroir. Pour peu qu'on en ait l'habi- tude et que l'on y apporte attention, on les reconnaît tout de suite.

Le clergé a toujours eu son langage à lui: on retrouve dans toutes les parties du travail de la commission le style grave, solemnel, nombreux, nourri des citations de l'écriture, des pères,et des auteurs ecclésiastiques, qui de tous temps a fait le fonds du langage du cler- gé de France. On pourrait attribuer les écrits de la commission au siècle de Louis XIV au- tant qu'à nos jours; qu'on les compare avec les procès-verbaux du clergé , et que l'on assigne si l'on peut la différence

Le clergé a toujours parlé au prince avec le plus grand respect, et du pape avec la plus, profonde vénération. Le même ton de révé- rence se retrouve encore dans les mémoires de la commission. Long-temps on crut que la commission était investie de pouvoirs, et que ses décisions seraient rendues publiques et proposées au reste du clergé. Rien n'était moins fondé que cette opinion. Napoléon

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s'était explique sur sa vraie nature : il l'avait bornée à celle d'un simple conseil pour lui- même et pour lui seul , sans condition d'ac- cepter ni publier rien qui vînt d'elle. Il n'a- vait voulu que s'éclairer , et point du tout se lier.

La position ecclésiastique de Napoléon se trouva changée du moment qu'il eut formé un conseil. Jusque-là il n'avait écouté que sa fougue ou son imagination : il avait marché au hasard , en obéissant tantôt à l'une, tan- tôt à l'autre , ou bien encore à toutes les deux à la fois. Du moment qu'il eut un conseil , il fallut s'arrêter, et marcher de conserve avec ceux qu'il avait appelés ; autrement autant valait s'en passer: les conseils, même les plus limités, sont toujours une autorité et un point d'arrêt. Il était encore sans exemple que Na- poléon se fût donné un frein à lui-même : une fois accepté, il fallait lui obéir. Dès lors il commença à se livrer à l'étude des matières ecclésiastiques, qu'auparavant il décidait tout seul et pour lui seul ; ce que dans l'école ou appelle à priori. Il se mit à lire bossuet et d'autres auteurs. « Je deviens théologien , di- sait-il en riant, j'ai déjà lu bossuet ». 11 se

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plaignait de n'y rien rencontrer de relatif aux affaires actuelles du clergé. « Il n'y a rien dans vos quatre propositions dont vous faites tant de bruit », disait-il souvent. Le discours que Bossuet prononça à l'ouverture de rassemblée de 1682, qui fit les quatre propositions, n'a- vait pas porté plus de satisfaction dans son esprit, par la double balance dans laquelle cet orateur pèse le pape; balance dont un bassin le porte trop haut , l'autre le fait trop descendre, et laisse le lecteur incertain sur la place qui lui convient. Napoléon avait rai- son de se dire propre à l'étude de la théolo- gie : sophiste et subtil , très-enclin à parler le premier et le dernier , il avait tout ce qu'il faut pour faire un théologien fort em- barrassant dans la dispute. Il aurait occupé une place distinguée dans ce temps où, comme dit Montesquieu , les esprits subtils sont les beaux esprits. C'était un plaisir de le voir retourner une question sous mille faces , y découvrir des rapports inattendus et inaper- çus par tout le monde , et puis s'élancant tout-à-coup hors du cercle de la question, parcourir à vol d'aigle une carrière nouvelle pour aller se reposer dans des régions de sa

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création. C'étaient ces créations et ces dépla- cemens subits des objets qui donnaient à sa conversation un mouvement plein d'attraits et de souvenirs. Il possédait moins l'art de remplir le cadre de la causerie, toujours un ,peu étroit pour un génie de cette espèce, que la puissance d'en faire un champ immense d'idées, de réflexions et d'occupations variées pour l'esprit. Avec lui il s'agissait moins des satisfactions ordinaires de l'esprit que de sa forte occupation. Sûrement Napoléon est de tous les hommes celui qui ayant le plus agi pour son compte, a le plus remué les autres: eh bien ! il a encore plus agité son esprit que son corps , et remué leur esprit que leurs bras. C'était un magasin inépuisable d'idées.

Pour bien apprécier la conduite de la com- mission, il faut savoir évaluer sa position. Elle était difficile Rien n'est plus commode, plus commun, mais aussi plus fautif que la méthode déjuger en bloc une action fort com- pliquée. Celle de la commission était de cette nature. On peut en juger par l'exposé suivant.

Les plus grands sévices avaient eu lieu en- tre Napoléon et le pape. Celui-ci était captif: son détenteur aimait à rendre à-peu-pres ru-

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tant que l'enfer avare. La commission n'élatt point un parlement investi du droit de remon- trance. C'était un simple conseil répondant sur un sujet donné, et rien de plus. S'ingérer à toucher des points délicats, était s'exposep à perdre le bien que l'on pourrait faire. Il fal- lait fonder la confiance sur la discrétion. On nedisposait pas plus de l'esprit de Napoléon que de celui du pape. Celui-ci lança dans ce temps , et ne lui demanda pas conseil pour cela, les brefs de Florence et de Paris, qui firent beaucoup de mal \ d'abord à lui , ensuite à la chose elle-même, et puis à MM. D'Astroz, Fontana et Portalis, qu'ils firent emprisonner ou exiler. Car voilà tout ce que l'on y gagna. La commission avait à agir sur l'esprit de- Napoléon, terrain bien neuf pour cette se- mence j et pour les mains qui devaient l'y répandre. Elle avait à réparer le mal que fai- saient à chaque instant les opiniâtretés zélées de M. le cardinal Fesch, et les démarches inconsidérées d'un grand nombre de prêtres qui ne se contenaient plus. Pour surcroît de maux, la commission se trouvait entre Napo- léon et les philosophes de son conseil-d'Etat ^ ainsi qu'il s'amusait à le dire , entre les prêtres,

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anli-cortcordatistes et les prêtres plus catho- liques que le pape : car le clergé offrait toute» ces nuances, et la voie au milieu d'elles se trouvait fort embarrassée. Mais ce qui était le pire de tout, c'est que chaque membre de la commission avait à veiller au maintien de sa considération personnelle dans son clergé propre , clergé déjà obsédé des terreurs et des préventions qui depuis ont formé l'esprit du clergé. On ne peut se dissimuler que le petit esprit ne s'en fût déjà emparé, et que les pe- tits prêtres et la gent dévote n'y eussent ob- tenu beaucoup trop d'empire.

Une pareille position est une des plus déli- cates dans laquelle des hommes qui connais- sent leurs devoirs puissent se trouver placés : c'était celle de la commission. Aussi, souvent nous est- il arrivé de dire , en songeant de com- bien d'envies nous étions l'objet :

Ailleurs on nous envie, ici nous gémissons.

Le bon esprit de la commission la condui- sit à travailler sur l'esprit même de Napoléon ; tout dépendait de là; à bannir tout préjugé défavorable à l'ordre religieux , à ramener sur lui des idées vraies, et à faire naître la

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confiance. Elle s'établit. La commission rap- portait tout à deux objets principaux égale- ment conformes au devoir et à la raison :

i°, La fin des contestations avec le pape, et le terme des souffrances de celui-ci. Elle savait que ce serait la fin des premières qui amènerait la fin des secondes ; c'est pourquoi elle y tendait avec persévérance. Son inten- tion n'était nullement d'élever le pape au- dessus du prince , non plus que faire perdre le pape, que déjà elle ne jugeait pas être trop fort. Elle n'avait pour but que de régu- lariser l'action des deux pouvoirs l'un à l'égard de l'autre , et conformément au bien de la religion et de l'Etat : son travail aurait été aussi utile sous Louis XIV que sous Napoléon, dans un temps que dans un autre ; et cette généralité dans son application est le sûr garant de l'excellence de son principe. Aussi la commission ne voulut-elle jamais entrer dans les plans que Napoléon énonçait sur Rome, et sur lesquels ses instructions l'auto- risaient à traiter. Elle a toujours voulu s'en tenir à la partie religieuse de l'accord pro- posé par Napoléon , lui abandonnant de dé- battre avec le pape toute la partie temporelle.

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Ici je dois rendre justice au secours qui nous fut prêté par M. Regnault de Saint-Jean-d'An- gély : sa position, loin de devoir l'en priver, est un motif de plus pour la publier. Con- naissant L'influencé qu'il avait dans les affai- res , je crus devoir l'aboucher avec M. l'évèque de Vantes , pour lui foire bien entendre notre position. Nous le trouvâmes très-disposé à nous servir, et pénétré du même sentiment que nous sur les inconvéniens de toutes les querelles religieuses. M. l'évèque de Nantes produisit sur ce ministre-d'État l'effet qu'il obtenait partout. Deux hommes d'autant d'es- prit ne pouvaient pas manquer de s'entendre. 'M. Regnault s'engagea à retarder par tous les moyens en son pouvoir, même par des pré- textes de maladie , l'émission des actes pour lesquels son ministère pourrait être requis , et il tint parole : il fit gagner du temps pour arrêter la publication d'un sénatus-consulte que Napoléon avait ordonné, d'après lequel toute espèce de communication avec le pape était interdite. Nous en sentions les redouta- bles conséquences. Un jour Napoléon , igno- rant la cause de ce retard, qui le contrariait beaucoup, s'en prit à moi, et me dit : Voui

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m'avez empêché de faire mon sénatus-con- sulte, tout serait fini. Il fallut lui montrer que tout aurait été perdu. Peu de jours après, il reçut un mémoire de la commission sur ce sujet, et se calma. C'était ainsi qu'il fallait procéder avec lui ; et ceux qui, pour éviter des malheurs, usaient d'adresse, servaient mieux la religion et la France, que ceux qui ne savaient que l'enflammer avec leurs pieuses gaucheries.

Maintenant que ces préliminaires ont bien fait connaître la position des choses, on peut passer avec assurance à l'exposition des tra- vaux de la première commission.

Elle eut à répondre, car il ne faut pas per- dre de vue que son rôle se bornait là, et Napoléon n'était pas homme à l'en laisser sor- tir, à trois séries de questions :

La première, sur des objets qui intéressent toute la chrétienté ;

La deuxième, sur des objets relatifs à la Fi an ce ;

La troisième, sur la position actuelle des affaires.

Le lecteur trouvera les questions avec les réponses, à la fin de cet ouvrage On lui de-

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mande de se rappeler le temps auquel les unes et les autres furent faites, et de les juger uniquement par ce qui existait alors.

Seconde commission, en \ S 1 1

Depuis la séparation de la première com- mission, les circonstances étaient devenues plus graves. Le pape avait fait l'éclat de l'é- mission des brefs relatifs aux vicaires capitu- laires de Paris et de Florence. De s'était ensuivie la nouvelle rigueur de sa captivité. Les troubles causés par mille incitations pré- tendues religieuses, augmentaient Napoléon se voyant au moment de devenir père, ne cessait de dire qu'il ne voulait point laisser son fils en proie à tous les hasards de la bonne ou de la mauvaise volonté de Rome. Je n\ii point oublié sur quel ton il m en parlait, et quelle suite de résolutions menaçantes son courroux déroulait devant moi. En attendant, rien n'avançait, et des contrariétés de tous les instans étaient tout ce qu'il y avait de plus propre a précipiter Napoléon dans l'exécution soudaine de ses funestes résolutions.

Dans le courant de janvier 181 r , la com- mission fut réunie de nouveau.

t. h. 3o

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On trouvera à la fin de l'ouvrage les de- mandes qui lui furent présentées, et les ré- ponses qu'elle donna.

On verra par elles qu'elle se proposait trois objets principaux :

i°. Prévenir l'interdiction des communica- tions avec le pape ;

2°. Faire adopter une mesure relative à l'institution canonique ;

3P. Faire rendre la liberté au pape, le rap- procher de Napoléon , et terminer ces affli- geantes dissensions.

Les séances de la commission furent termi- nées à la fin du mois de mars 1 8 r i . Les mem- bres reçurent l'ordre de ne pas s'éloigner de Paris. Vers la fin du mois d'avril, M. l'arche- vêque de Tours, les évéques de Nantes et de Trêves, furent envoyés à Savone. Le patriar- che de Venise, évêque de Faënza, leur fut adjoint.

Les députés reçurent les instructions sui- vantes tracées par Napoléon :

Annoncer la convocation d'un concile pour le g juin.

Le concordat cle 1801 n'existe plus, puisque le

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Saint- père, une des parties contractantes, refuse d'en observer les clauses essentielles.

Les évêques devront à l'avenir être institués, comme avant le concordat de François Ier. , selon la forme qui sera réglée par le concile et approuvée par l'Empereur.

Cependant nous vous envoyons auprès du pape, avec des pouvoirs de traiter, etc. Vous ne vous en servirez qu'au cas que vous trouviez le pape dans des dispositions de conciliation.

Il y a deux conventions a faire, indépendantes finie de 1 autre, et par aetes séparés.

L'une qui est relative à l'institution des évêques. L'Empereur consent à revenir au concordat de 1801, à deux conditions :

i°. Le pape instituera les évêques déjà nommés ; 20. Pour l'avenir, les nominations seront com- muniquées au pape, dans les formes ordinaires, afin d'en obtenir l'institution canonique. Si, au bout de trois mois, le pape n'a pas institué, la no- mination sera communiquée au métropolitain, qui devra instituer son suffragant , lequel instituera également, s'il s agit de l'archevêque.

L'autre convention aura pour but de régler les alla ires générales.

Bases. Retour du pape à Rome, s'il consent à prêter le serment prescrit par le concordat.

Si le pape refuse ce serment, il pourra résider a

3o.

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Avignon. , il aura la liberté d'administrer tout le spirituel , et même d'avoir des résidens des puis- sances chrétiennes. Il jouira des honneurs sou- verains. — Il aura deux millions pour son entretien. Le tout, pourvu qu'il promette de ne rien faire dans l'Empire qui soit contraire aux quatre articles de 1682.

Les évêques députés doivent être de retour au premier juin.

Ces deux conventions faites, l'empereur est dis- posé à s'entendre avec le pape pour tout le reste.7— Pour établir des évêchés à Bois-le-Duc, à Amster- dam , à Rotterdam, à Hambourg, à Brème n y à Monta uban , etc. Pour accorder la protection de la France aux religieux de la Terre-Sainte. Pour la reconstruction du Saint-Sépulcre. Pour les Missions. Pour la Daterie. Pour les Arc' .- ves Pontificales. - En général , sur tout ce qui est nécessaire au pape pour le libre exercice de ses fonc- tions spirituelles.

Les députés , connaissant la situation des choses, il est inutile de leur parler de la Bulie du 10 juin 1809 , des pratiques qui ont eu lieu pour exciter du désordre dans l'Empire , pour anéantir la jurisdic- tion épiscopale , pour accréditer des vicaires aposto- liques à l'insu du gouvernement et des évêques, etc.

Ordre formel de prévenir le pape qu'il ne rentre- ra pas dans la souveraineté temporelle de Rome.

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I.c prévenir aussi de la convocation du concile, et de ce qu'il est possible que fas^e l'église de France, d'après les exemples des temps antérieurs, vu la né- cessité de pourvoir au salut des ames et au bien de la religion.

La députât ion arriva à Sa voue le 9 niai 18 1 1 : il faut remarquer qu'elle n'était censée faite qu'au nom des évèques résidans alors à Paris, avec la permission de Xapoléon. Le pape l'admit à sou audience des le lendemain de son arrivée. Il parut d'abord s'èlre fait une fausse idée de la nature de la députation, s'étant imaginé qu elle venait en quelque sorte pour lui parler du jugement que les évèques de France portaient de sa personne et de sa conduite. Les témoignages de respect et d'affection dont il reçut sur le champ l'as- surance dissipèrent bientôt cette inquiétude : il se borna à représenter la nécessité de son concours aux décrets du concile national qui apporterait des changemens dans l'institution des évèques, ou sur quelqu'autre point de la discipline générale.

La seule résistance soutenue qu'il opposa, concernait l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de donner des bulles ou de faire

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d'autres fonctions dans la privation absolue de conseil, et même du matériel nécessaire pour l'expédition des actes , annonçant d'ail- leurs être disposé à embrasser tous les moyens de conciliation , aussitôt que la liberté lui se- rait rendue.

Enfin après quelques jours employés à faire des progrès dans son esprit, le 19 mai, c'est-à-dire dix jours après l'arrivée des dé- putés , la note ci-jointe fut rédigée dans le cabinet du pape, acceptée et consentie par lui.

Sa sainteté, prenant en considération les besoins et le vœu des églises de France et d'Italie, qui lui ont été présentés par l'archevêque de Tours , et par les évêques de Trêves , de Nantes et de Faènza , et voulant donner à ces églises une nouvelle preuve de son affection paternelle , a déclaré aux archevêques et évêques susdits :

i°. Qu'elle accorderait l'institution canonique aux sujets nommés par sa majesté impériale et royale , dans la forme convenue à l'époque des concordats de France et du royaume d'Italie ;

2°. Sa sainteté se prêtera à étendre les mêmes dispositions aux églises de la Toscane , de Parme et de Plaisance , par un nouveau concordat ;

3°. Sa sainteté consent qu'il soit inséré dans les concordats une clause , par laquelle elle s'engage

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à faire expédier des halles d'institution aux évoques nommés par sa majesté , dans un temps déterminé que sa sainteté estime ne pouvoir pas être moindre de six mois; et dans le cas elle différerait plus de six mois pour d'autres raisons que l indignité personnelle des sujets , elle investit du pouvoir do donner en son nom les bulles, après les six mois expirés, le métropolitain de l'église vacante, et à son défaut le plus ancien évéque de la province ecclésiastique ;

4°. Sa Sainteté ne se détermine à ces concessions que dans l'espérance que lui ont fait concevoir les entretiens qu'elle a eus avec les évéques députés , qu'elles prépareraient les voies à des arrangement qui rétablissent l'ordre et la paix de l'église, et qui rendent au saint-siége la liberté, l'indépendance et la dignité qui lui conviennent. Savone, le 19 mai 1811.

Il faut observer que cette note ne fut point signée. Cette remarque se rattache au parti que, dans le concile, on chercha à tirer de l'absence de cetlè signature ;

. Qu'elle renfermait tout ce que le concile demanda ;

3°. Que le pape n'avait point contesté au concile le droit de changer la discipline géné- rale, lorsque son concours aurait lieu ;

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4°. Qu'il consentait à signer le premier article des quatre propositions du clergé , de 1682, et qu'il n'opposait sur les autres que des difficultés de formes faciles à lever;

5°. Qu'il n'insistait pas sur la bulle d'ex- communication en elle-même, de manière à en exciper comme d'un point de droit , mais qu'il paraissait seulement chercher à en sauver l'honneur ;

6°. Qu'il avait renoncé à tout espoir de re- tour à Rome, et qu'il ne tenait plus qu'à la nomination des évèchés suburbicaires ;

70. Que la députation trouva auprès de lui cet accueil gracieux, la sérénité, et la riante douceur dont quelques mois après il fit de nouveau contempler à la seconde députation le spectacle propre à inspirer à la fois l'atten- drissement et le respect.

Les articles qui viennent d'être indiqués résultent de la correspondance journalière des députés avec le ministre des cultes, la- quelle se trouve dans l'ouvrage dont nous avons extrait les détails ci-dessus. Ce sont les fragmens pour servir à l'histoire ecclésiasti- que du dix-huitierae siècle.

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CHAPITRE XXXVIII.

Concile de 1811.

Depuis le commencement des différends entre le pape et Napoléon, on allait de sin- gularités en singularités , tant les affaires ecclé- siastiques sont épineuses. L'enlèvement et la captivité du pape formaient déjà des scènes bien étranges, et que l'on ne devait guère s'a l tendre à rencontrer dans ce temps : on avait vu une excommunication, il n'y man- quait qu'un concile. On l'eut en juin 181 r. La marche de cet ouvrage me dispense d'en donner les détails : ils peuvent se trouver ail- leurs. La connaissance de l'esprit des faits importe plus à l'histoire que celle même du matériel des faits : réside la partie vraiment substantielle de l'histoire. On a vu assembler et dissoudre un concile : Pourquoi cette as- semblée et cette dissolution? Voilà ce qu'il est important de connaître, et qui seul peut tout expliquer.

Les évêques de la commission ; comme il a

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été dit plus haut, sentaient la délicatesse cΣ leur posilion. L'ordre religieux était troublé et arrêté : le pape, captif et obstiné, tirant des moyens de résistance de sa captivité mê- me, et blessant son ennemi par l'intérêt qu'ins- piraient ses malheurs : Napoléon irrité, pres- sant, menaçant : tous les yeux fixés sur cette commission, assemblée depuis deux ans, efe muette pour le public; car d'après le système de Napoléon, rien de ce qu'elle faisait ne pa- raissait au-dehors. Or rien n'est plus propre à remuer les esprits que la prolongation du silence sur une action continuée aux yeux du public qui n'en voit rien sortir. C'est le plus sûr moyen d'ouvrir la carrière à tous les gen- res d'aberrations. Aucun objet fixe n'étant présenté, l'inquiétude avait gagné les esprits ; bien plus, elle s'était élevée jusqu'aux mem- bres de la commission , qui sentaient qu'ils avaient à conserver leur considération dans leurs propres diocèses, dans lesquels l'opinion n'était pas plus rassise que partout ailleurs. Comme on voit, on serait embarrassé à moins. Cependant il fallait venir au secours de l'église de France, et à celui du pape, même à son insu ; car nous sentions très-bien que l'un ne

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pouvait pas aller sans l'autre. Ce fut pour parer à la fois à tous ees inconvéniens, que la commission proposa d'assembler le concile et d'envoyer à Savone.

Par-là on ne sortait d'aucune règle ni de l'église, ni des bienséances ; on rendait à la fois aux besoins de l'église de France, et à la dignité du souverain pontife tout ce qui leur était également.

La commission ne voulut point prendre sur elle de proposer la décision d'une question aussi délicate que L'était celle du changement du mode de l'institution, non plus que de pressentir celle qui pourrait émaner du con- cile; elle se borna à indiquer la marche que Ton pourrait suivre pour effectuer cette me- sure et pour remplir à la fois tous les devoirs.

Voyez, dans les extraits joints à la fin de l'ouvrage, la réponse à la seconde question proposée par Napoléon.

Mais cette question du concile n'était pas même sans difficultés. 11 s'agissait d'un droit positif généralement reconnu dans l'Eglise, l'institution canonique donnée par le pape. Pour apporter des ehangemens à cet ordre , le concours du pape était nécessaire; s'il le

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refusait, il restait la ressource du concile général. Comme la convocation cle ces assem- blées appartient au pape, ainsi que leur pré- sidence par lui ou par ses légats , c'était encore à lui qu'il aurait fallu revenir. C'est une chaîne dont il tient les deux bouts. La commission le sentait, et d'après le sentiment de ces difficultés, elle disait que dans le cas de nécessité extrême, une grande église, telle que celle de France, se trouvait fondée, par le malheur des circonstances, à pourvoir à son propre salut : décision infiniment sage , basée sur la nature même des choses , c'est- à-dire sur celle des sociétés, qui toutes ren- ferment dans leur sein le principe de conser- vation qu'elles ont reçu de la même main qui leur donna l'existence. L'église n'est pas une société d'une condition pire que les au- tres. Elle ne peut donc manquer des moyens de conservation qui appartiennent à toutes. Lorsque des divisions éclatent dans son sein , une partie notable de l'église ne peut pas res- ter abandonnée : elle ne peut pas davantage consentir à sa perte, en restant dans une inaction mortelle : ainsi, après avoir employé tous les moyens avoués par la raison et par

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le devoir, pour amener la fin du désordre , il lui reste alors un autre devoir à remplir, et ce devoir est vis-à-vis d'elle même. Il lui fait une loi de songer à sa conservation, en se renfermant dans l'emploi des moyens légaux, tel que le retour, au moins momentané, aux auciens canons, et à la discipline que les droits positifs ont abrogée. Ceux-ci ne pou- vant être observes dans le moment, sont, pour le temps, comme s'ils n'existaient pas. On rentre alors dans ces lois de nécessité des temps, comme dit saint Cvpricn , que Dieu permet et que l'homme ne commande pas. Ces principes , aussi justes que simples, sont éminemment propres à mettre un terme aux contestations. Or c'est à eux que la commis- sion demandait de recourir.

Le concile fut donc convoqué pour le g juin 1 8 r t . 11 devait être formé de tout 1 é- piscopat de la domination de Napoléon, en France, en Italie, en Allemagne. Le prince- primat, ainsi que des évêques titulaires ou suffragans d'Allemagne, furent appelés. Le nombre total des évéques présens dépassait cent. On prépara pour la tenue du concile, l'archevêché de Paris , qui était magnifique-

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trient réparé. M. le cardinal Fesch présida. Les ministres des cultes de France et d'Italie assistèrent comme commissaires de Napoléon,

Tout était neuf dans cette circonstance. La tradition ne fournissait aucun document po- sitif qui lui fut applicable. Il faut tenir pour certaines deux choses :

i°. Que le gouvernement de l'Église étant en grande partie le résultat des traditions, les faits étant très-nombreux, très-divers dans leur nature, on ne trouve rien de fixe ni de déterminé pour les conciles nationaux. Celui- ci, par la réunion des deux clergés de France et d'Italie, ne formait pas un concile natio- nal proprement dit , et , par l'étendue des deux, il dépassait le volume ordinaire d'un concile national. Il était moins qu'un concile œcuménique, mais plus qu'un concile privé, national ou autre. A ce sujet j'ai entendu beaucoup citer , surtout j'ai vu s'appuyer beau- coup sur le concile dit national de Francfort, tenu devant Charlemague, et l'on pourrait presque dire par lui. C'était peut-être remon- ter un peu haut : mais il ne faut pas disputer contre le bien qui se présente; et le meilleur <$st de l'accepter , quelque date qu il porte. Je

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recherchai donc ce concile, et j'eus lieu de reconnaître que lui, pas plus que les autres , n'avait de rapport avec le sujet qui nous occupait. Les assemblées de ce temps reculé étaient mi-parties religieuses et politiques, formées à la fois des grands de la cour et des membres du clergé. Aussi voit-on qu'une partie des décrets de ce concile concernent la révolte de Taxillon , duc de Bavière , comme aussi la fixation du prix de certaines denrées. On y trouve encore que Charlemagne y dis- cute autant qu'un père du concile aurait pu le faire , et que ce prince prit la peine d'écrire à févèque de Tolède, dont la fausse doctrine avait motivé la réunion de cette assemblée. Dans tout cela , il n'y avait rien pour nous. On resta donc sans autres boussoles que le bon sens et la nécessité, et celles-là en valent bien d'autres.

L'objet unique et exclusif du concile était de régulariser l'ordre de l'institution cano- nique, et de pourvoir à ce que désormais elle ne pût être arrêtée par aucune autre cause que les empêchemens canoniques op- posés par le pape aux impélrans. La question élevée, entre le pape et les princes était

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toute entière. Le reste ne comprend que des accessoires. Cette réduction des prétentions de Napoléon était le résultat des représenta- tions réitérées de la commission, qui avait enfin réussi à lui faire entendre qu'il n avait point d'intérêt à aucune autre chose.

Je demande que 1 on fasse bien attention à cet article , parce qu'il est essentiel pour dis- siper mille bruits répandus sur l'objet et sur la tendance de ce concile. Il n'y a jamais été question que de l'article porté à Savone , rela- tivement à l'institution , et je défie qui que ce soit de montrer une seule ligne de proposi- tions faites dans celte assemblée qui dépasse cette limite.

Soyons vrais, et quels que soient les temps, rendons hommage à qui le mérite. La de- mande de Napoléon était puisée dans la na- ture des choses; elle mettait fin à l'arbitraire , à l'injustice envers les Eglises et les titulaires, à l'inégalité entre le pape et les souverains ; elle statuait, enfin , un ordre fixe et raison- nable. Par lui, les querelles entre le sacer- doce et l'empire , après tant de siècles de dé- bats , avaient acquis un terme : ce n'est pas pour la France seule que cela était fait , mais

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pour le monde chrétien , qui ne pouvait manquer de s'y conformer, et qui peut déjà avoir commencé de ressentir ce qu'il a perdu avec lui.

Ce n'était pas ses affaires seules que faisait Napoléon, avec cet accord; c'était encore celles de tous les souverains , auxquels il épargnait, par cet exemple, les embarras qui les attendent. Ainsi se trouvait résolu le problème que Louis XIV avec Bossuet , et ses parlemens , s'était reconnu impuissant à ré- soudre, et le monde avait ainsi été rendu témoin d'un speclacle bien nouveau , celui d'un jeune souverain militaire qui voulait que l'Eglise ne pùt jamais manquer de pas- teurs, et celui d'un pape qui combattait pour qu'elle pût en manquer : car tel était le sin- gulier contraste des deux rôles , à la vue desquels il est bien naturel de se demander de quel côté était-on le plus catholique?

C'est de cette hauteur qu'il faut considérer cet acte, parce que c'est à cette élévation qu'il fut conçu.

A peine le concile fut-il réuni, que Napo- léon put découvrir un horison très différent de celui dont il s'était créé pour lui-même la

T. II. °>ï

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perspective, et qu'il put commencer de re- connaître l'étendue de la faute qu'il avait faite, en gardant depuis deux ans le silence sur ce qui se passait dans l'Église.

Napoléon comptait fermement sur rattache- ment du clergé. La commission avait fortifié cette conviction, peut-être au-delà de la mesure réelle. Elle ne pouvait l'excéder pour tout ce qui concernait la fidélité; car le clergé défendu par ses principes est incapable d'y manquer : mais en allant jusqu'à l'affection , on pouvait s'engager beaucoup. Quelqu'atta- ché que je fusse, j'allais dire soumis aux opi- nions de mes collègues, cependant je me per- mettais de m'en écarter sur quelques points relatifs à la direction générale de cette affaire. Ainsi j'envisageais les dispositions du clergé d'une autre manière qu'ils ne le faisaient. Je croyais connaître son esprit ; il me semblait que l'anxiété l'avait gagné, que l'état du pape le faisait souffrir, le détachait de celui qui en était Fauteur; que les ennemis, la frayeur, l'incertitude avaient pénétré dans ses rangs, et que, dans cette disposition, toute réunion conduirait à l'échauffer par toutes les causes qui font fermenter les corps que I on rap-

( m )

proche. Il me semblait inévitable que quel- ques sentimens humains ne se glissassent point parmi un grand nombre d'hommes j que des influences détournées, invisibles , in- téressées, ne s'insinuassent parmi eux, et ne finissent, même à leur insu, par les diriger. Le clergé , placé entre le pape et Napoléon , penchait vers le premier de tout le poids de ses inclinations et de la conformité de son état : les malheurs de Pie YIl ne pouvaient qu'avoir ajouté à l'attachement et au respect qui sont l'état naturel du clergé à l égard du pape, et qui ont toujours fait partie des ha- bitudes de celui de France. D'ailleurs, entre un pape et un prince temporel, surtout quand il est un peu suspect de philosophie , quel clergé balancera jamais ; quel clergé croira jamais tout-à-fait au prince qu'il suppose ne pas croire tout-à fait en lui ? Napoléon se conduisait là, comme il était légitime que le fit Louis XIV : mais il était loin d'être dans la même position.

D'un autre coté , le clergé ignorait tout qui s'était passé ; il ne connaissait que les actes patens , portés à la connaissance du public. Il se voyait appelé pour une chose aussi neuve

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qu'un concile; on lui proposait la chose du monde la plus simple ; ce fut sa simplicité même qui l'effaroucha. 11 ne pouvait se ré- soudre à croire que l'intention véritable fût de s'arrêter là, et toutes ces considérations réunies le portaient à redouter des pièges et des arrière - pensées. Cette disposition dans les esprits est une des plus propres à faire manquer toute affaire, comme elle est la suite inévitable de l'irréflexion , qui fait que I on s'adresse à des hommes non préparés, et qui, ne sachant pas l'on veut les conduire, re- fusent de marcher, ainsi qne l'aveugle qui dans les ténèbres avance un pied mal assuré. Le clergé était obsédé de craintes et de ter- reurs pour l'avenir. Personnellement il con- naissait peu Napoléon; il n'entendait parler que de philosophes et de philosophie ; peut- être avait-il trop cédé l'influence de l'opi- nion qui le représentait comme un instru- ment dont la main qui le maniait en ayant l'air de le caresser, trouverait bien le moyen de se défaire à son jour et à son heure. Mais ce que l'on ne peut méconnaître , c'est qu'à cette époque une classe de prêtres et d'hom- mes qui les suivaient, tous également faits

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pour être diriges , et non point pour diriger les autres, avait acquis beaucoup plus d'em- pire que la nature des choses ne leur en ad- juge. Lorsque les esprits en sont là, il faut renoncer à les conduire ; il n'y a plus de prise, et l'on se défend des réalités par des fantômes. Or tel était l'état du clergé lors- qu'il fut réuni. Beaucoup de membres du concile, dans le doute d'un retour , avaient fait des testamens, pris des précautions pour les cas de persécution, de contrainte, ou d'interruption de leur gouvernement. Tout cela n'avait pas l'ombre de réalité : mais on était frappé , et l'on se conduisait en consé- quence. Cette fâcheuse disposition était en grande partie le fruit de la conduite de Na- poléon, à l'égard du pape ; par l'obsti- nation de son silence sur les affaires de l'Église, silence auquel il mettait un prix dont je n'ai jamais pu constater le principe, comme je n'ai jamais pu en obtenir le terme. Il me pa- raissait si déraisonnable, si contraire à la na- ture des choses, que je fis tout ce qu'il était en mon pouvoir pour l'en faire départir, mais toujours sans succès. Ébranler les résolutions de >T;ipoléon n'était pas toujours chose facile

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Quant à la position du pape, il allait de l'hon- neur du ciergé de la ressentir vivement ; et Napoléon , en le maltraitant à la vue de ce même clergé , avait l'air d'oublier à la fois deux choses : la première , qu'il existât en France un grand corps de clergé; la seconde, que lui-même attachait une fort grande im- portance à ce corps, en quoi il pensait sage- ment. Mais alors il ne fallait pas se conduire contradictoirement avec soi-même , priser le clergé, et faire tout ce qui était le plus propre à le choquer; rassembler un corps effaré par de longues appréhensions, et se flatter qu'il ne ferait que consentir à tout ce qu'on lui présenterait. Tout cela est hors de la nature, et par conséquent ne peut produire que du désordre.

Je suis resté convaincu que si Napoléon avait fait précéder la réunion du concile par la publication successive des actes du pape, des siens propres, des travaux si modérés, si raisonnés de la commission , cette commu-. nication préparant les esprits, aurait fait dis- paraître les fermens qui ont tout gâté. Une proposition aussi simple, aussi éminemment catholique qu'était celle qui fut présentée au

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concile, aurait été admise a la première lec- ture. Le concile n'aurait pas eu besoin de res- ter en place plus de vingt-quatre heures. Pour la première fois, depuis qu'il existe des con- ciles, on aurait vu faire autant, en aussi peu de temps. Mais pour avoir négligé cet appel à l'opinion , pour avoir voulu s'en passer, Napoléon trouva la masse entière de l'opinion dressée contre lui , et ne put la faire mouvoir à son gré : digne résultat de tout acte basé sur la fuite de l'opinion. Aujourd'hui que l'on est de sang-froid, la même proposition n'ar- rêterait pas un quart d'heure.

Les lettres de convocation du concile étaient de la teneur suivante :

M. l'Archevêque de M. l'Evèque de

Les églises les plus illustres et les plus populeuses de 1 empire sont vacantes. Une des parties contrac- tantes du concordat Ta méconnu. La conduite que l'on a tenue en Allemagne depuis dix ans a presque détruit l'épiscopat dans cette partie de la chrétienté; il n'y a aujourd'hui que huit évèques , grand nombre de diocèses sont gouvernés par des vicaires aposto- liques.

On a troublé les chapitres dans le droit qu'ils ont de pourvoir, pendant La vacance des sièges à l ad-

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ministràtion des diocèses, et Ton a ourdi des ma- nœuvres ténébreuses , tendantes à exciter le désordre et la sédition parmi nos sujets; les| chapitres ont rejeté des brefs contraires à leurs droits et aux saints canons.

Cependant les années s'écoulent, de nouveaux sièges viennent à vaquer tous les jours ; s'il n'y était pourvu promptement, l'épiscopat s'éteindrait en France et en Italie comme en Allemagne.

Voulant prévenir un état de choses si contraire au bien de la religion, aux principes de l'église gallicane et aux intérêts de l'Etat, nous avons résolu de réunir au 9 juin prochain dans l'église de Notre- Dame de Paris , tous les évêques de France et d'I- talie en concile national.

Nous desirons donc qu'aussitôt que vous aurez recula présente, vous ayez à vous mettre en route afin d'être arrivé en notre bonne ville de Paris , dans la première semaine de juin. Cette lettre n'é- tant à autre fin

Le concile fut ouvert le 11 juin. C'était une singulière nouveauté au milieu de Paris ; plus de cent prélats marchant en procession , présentaient un spectacle fort imposant : Tor- dre parfait et la dignité des cérémonies frap- pèrent tout le monde, Le discours d'ouverture fut prononcé par M. de Boulogne évêque de

C ffg )

Troyes. Ce prélat dont la plume acre Liesse comme une épée, qui a parcouru beaucoup de chaires plus en rhéteur qu'en orateur, plus en homme du métier qu'en homme de l'art , dont la mémoire impartiale fournit au temps actuel ce qu'il adressait au temps passé, ett cousant quelques passages neufs à un discours suranné, d'un fruit de deux saisons en fit un qui n'était d'aucun temps. Un ministre étran- ger, h (Dme de goût et d'esprit, qui l'avait en- tendu, disait en sortant belle occasion man- quèe. Il arriva alors une chose fort piquante par sa singularité. Le clergé italien, et celui des contrées germaniques attachées à la Fran- ce n'étaient point atteints des terreurs et des ombrages qui obsédaient le clergé fiançais; les rôles se trouvèrent donc changés. Les ita- liens étaient gallicans, et les gallicans étaient italiens : cela amena quelques méprises entre des hommes qui croyant se faire un mérite de leur gallicanisme ; étaient fort étonnés d'j voir répondre par des assurances d'ultramon- tanisme. 11 y a un sort attaché à ce mot ultra , et delà comme deçà les monts, il porte mal- heur. On voyait l'esprit d'opposition croître à vue d'ceil; la commission avait perdu crédit

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«t devenait le sujet indique des ombrages. Le nouvel esprit qui prévalait se montra à découvert , lorsqu'on vint au choix du bureau, et de la congrégation qui devait faire le rap- port. Il était clair que cela finirait mal. Napo- léon , inébranlable dans ses' illusions , se flat- tait d'un triomphe complet. La veille du jour le rapport devait être fait, après d'assez longues discussions , tout paraissait terminé. M. l'évèque de Nantes en prévint Napoléon : pendant ce temps un changement était sur- venu. Dans la matinée de ce jour, Napoléon me parla de la conclusion prochaine avec la confiance d'un plein succès : je revins aux doutes que je n'avais cessé de lui exprimer : il s'en étonna, et fut au moment de s'en irri- ter. Je lui demandai quelques heures pour la décision de la chose , et au bout de ces quel- ques heures, il avait dissous le concile.

Je dois quelques aperçus sur cet événe- ment.

J^a fermentation croissait insensiblement : le parti travaillait avec succès à détourner les esprits et à les alarmer. Les influences de la société qui ont été si fortes sous Napoléon, se faisaient ressentir; les évêques étrangers

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éprouvaient ce qui frappait tout voyageur ar- rivant à Paris, qui , laissant chez lui l'admi- ration pour Napoléon, ne rencontrait que de l'opposition en France, et, parti de feu de son pays, ne savait comment expliquer pourquoi il trouvait tout de glace à Paris. De tout cela , il s'était formé une disposition générale très- prononcée contre tout ce qui venait du coté de Napoléon. On y voyait toujours des pièges et des arrière - pensées. Les allégations qui portent sur des choses lointaines, en se cou- vrant des ombres de l'avenir, donnent l'air de la prévoyance : l'amour propre ne se trouve pas compromis lorsqu'il n'a à faire qu'aux temps à venir. De plus , le contact avec une terre réputée sacrée , raffermit les pieds les plus timides, et c'est alors la nature du champ de bataille qui fait les braves. On a vu que la note rédigée à Savone , sous les yeux du pape, et acceptée par lui y n'avait point été signée.

La commission des évèques proposait de de déclarer le concile compétent pour statuer sur l'adoption du mode d'institution par le métropolitain, le cas de nécessité existant.

La commission du concile qui d'abord avaU

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accédé à celte proposition , après quelques jours de discussion, s'en éloigna dans la nuit du 9 au 10 juillet. La majorité ne fut que d'une voix Elle l'exprima dans son rapport qui por- tait le nom de sommaire. Elle s'attacha à faire valoir des défauts de formes, en exposant i°. qne la concession de Sa Sainteté n'était pas dans les formes j

20. Que l'addition relative à l'institution donnée par Les métropolitains, n'était pas exprimée textuellement dans les concessions faites par le pape.

On sent que ces allégations étaient, comme elles sont toujours en pareil cas, l'œuvre d'un parti qui , ne pouvant attaquer le fond , cherche dans les formalités les moyens d'ar- river au même résultat, qui est d'entraver et d'arrêter , par des voies détournées , ce que l'on n'oserait pas attaquer de front. On sait qu'on peut faire manquer les affaires par des difficultés, comme par des Veto absolus. Ici il n'y avait pas autre chose. Il ne s'agissait point d'un acte en forme dont la position du pape n'avait point permis l'existence , mais teulement d'un témoignage de ses intentions, assez authentique pour donner un fondement

t 4«j3 )

solide à la décision du concile. Or, comment se refuser à reconnaître la réalité de ce té- moignage , dans dans celui même des évoques députés à Savone : le doute n'était pas dé- pourvu d'injures pour eux. Cet engagement du pape rentrait dans la classe des projets convenus et arrêtés, qui n'ont plus besoin que de la rédaction, et qui constatent suffisam- ment la volonté des parties. Il devait ètrejugé par l'esprit et non par la lettre.

La déclaration de la non compétence du concile équivalait à sa dissolution. Qu'est un concile sans compétence ? Qu'aller faire auprès du pape, en commençant par lui déclarer . qu'on était les députés d'une assemblée sans pouvoir? C'était déclarer au pape que lui seul était le maître dans l'église,et qu'il n'y avait pas de remède possible à ses maux , vinssent-ils de lui,quepar lui-même. Cela était-il concevable? Cela pouvait - il entrer un seul instant dans les idées que présente toute organisation de société; et quelle société doit être mieux or- ganisée que celle de l'église, que la société qui , étant destinée à surpasser en durée toutes les autres, doit aussi porter dans son sein de plus sûrs moyens de conservation^

( 494 )

M. l'évêque de ïournay fit le rapport. Ce pré- lat était furt livré aux conseils d'un âpre théo- logien de Louvain , nommé l'abbé Duvivier, homme de troubles et de manœuvres souter- raines, qui, pendant l'insurrection belgique, avait beaucoup contribué à égarer M. le car- dinal de Frankenberg, alors archevêque de Malines.

A peine ce rapport eût-il été entendu , que le feu prit partout. Le suffragant de Munster, Baron de. Drost, prélat d'une éminente piété, parla le premier sur la captivité du pape II fut suivi par un ancien évêque constitution- nel. La discussion s'engagea , l'excommunica- tion fut allégnée, les quatre propositions de Bossuet furent citées, rejetées; M. l'archevêque de Bordeaux , prélat vénérable , se levant à demi , jeta sur la table du bureau il sié- geait, comme secrétaire ^ un exemplaire du concile de Trente , ouvert à l'article de la ses- sion qui donne au pape le droit d'excommu- nier les souverains, de quelques rangs qu'ils soient, s'ils viennent à toucher aux droits et privilèges de l'Église , en disant d'une voix cassée,condamnez l'Église.... Cette scène vivra éternellement dans ma mémoire. Deux heures

( 4<p )

après, leconcile était dissous, et il était temps. C'est bien que je crus reconnaître toute l'importance du talent. Si au lieu d'un vieillard sourd, sans organe pour se faire entendre , sans action pour vivifier son débit , il s'était trouvé un homme qui eût joint aux titres qu'on ne peut contester a M. l'archevêque de Bordeaux , la puissance de la parole , l'éclat de la voix , l'usage des expressions vives et pour ainsi dire dardées, celui des images vi- vantes et animées par lesquelles on remue une masse d'hommes et on l'enlève de son assiette ordinaire pour latransporter l'onveut, je ne doute pas que l'assemblée en corps n'eût marché sur les pas de ce chef, donné par le sentiment du moment, et qu'elle n'eût offert un spectacle inoui au monde, celui de cent évoques se rendant à St.-Cloud pour implorer | la délivrance du pape. Le mouvement était sublime et immanquable dans d'autres mains. Ce n'est pas la seule occasion que j'aie vu manquer. L'absence du talent détruisit le pres- tige et rabattit l'élan au niveau des murmures. C était tomber de haut. Mais le mal était fait, l'esprit d'opposition avait éclaté, le voile ve- nait d'être déchiré ; les yeux de Napoléon son-

( 49G )

vraienl; enfin il reconnaissait sa faute, et i'a- byme dans lesquels ses illusions l'avaient en- traîné.

Je poursuis ce récit, non point parce qu'il m'est personnel, mais parce qu'il est historique. L'histoire ne se fait pas toute seule ; il vaut encore mieux qu'elle soit écrite par ceux qui Font faite,que par ceux quil'ont apprise comme ils ont pu.

Le lendemain de la dissolution du concile, je me rendis à Trianon : je n'avais pas été partisan d'une convocation de concile im- promptu. Je l'étais encore moins de sa disso- lution ex abrupto. Les précipitations et les violences ne m'ont jamais paru fort utiles en affaires, et surtout en affaires d'église, les plus difficiles de toutes les affaires. Souvent j'en avais fait des représentations au ministre de la police d'alors, le duc de Rovigo (i). Il

(i^l Je dois à M. le duc de Rovigo la justice de dire que dans toutes les occasions je l'ai imploré pour des ecclésiastiques du diocèse de Malines , il s'est prêté avec empressement à venir à leur secours , comme à adoucir leur position. Dix fois il a voulu faire relâcher ceux qui étaient arrêtés. J'ai conservé ses lettres remplies de re-

( 497 )

était avec moi à Tria non. Dès que Napoléon nous aperçut, il vint à grands pas; Ah! que vous les connaissiez bien, dit-il : je marchais surun abyme, sans m'en apercevoir. La plus grande faute que j'aie faite, c'est le concordai (je le savais depuis long-temps ) ; ils m'ont gâté mes Italiens. Ne pas vouloir des propo- sition s d e Ross u et ! ... e t m i 1 le au très choses sac- cadées qu'il proférait de moment en mo- ment, en se promenant avec activité. Il était placé entre le duc de Rovigo et moi. Nous suivions avec peine ses pas pressés par l'agi-

commandations en faveur de la modération dans le gou- ■vernement des ecclésiastiques. J'ai la pleine et entière connaissance que dans les rigueurs exercées contre un grand nombre d'eux , il n'a été que L'exécuteur d'ordres impératifs, venus souvent du milieu des camps , et que fréquemment il les a tempérés par le mode d'exécution. J'en atteste M. 1 evèque de Gand et MM. de Polignac. La clameur publique décide souvent de la renommée , et même du sort d'un homme ; on sait de quoi se compose cette clameur. Klle a eu une grande part dans la destinée de M. le duc de Rovigo; on n'aurait pas oublier le service vraiment immense qu'il a rendu à la France et à la ville de Paris , en luttant pendant plusieurs mois pour empèclier que Paris ne fût changé en ville de guerre , et la garde nationale forcée d aller à l'ennemi.

T. II. 3i

( 49* ;

ration de son esprit, enfin lorsqu'il eut assez répété ses Italiens; son Bossnet, son abyme, son concordat, prenant mes avantages sur lui, je lui dis que c'était lui-même qui était l'auteur de tout cela, et parcourant la manière dont le clergé avait été dirigé depuis douze ans, je lui demandai s'il avait pu se flatter d'un autre résultat en l'abandonnant à l'exemple de l'opposition journalière de M. le cardinal Fesch, à la débilité séculaire de M. le cardinal de Belloi, au dévergondage du cardinal Maury, en l'aigrissant par sa conduite envers le pape, en le laissant s'effaroucher tout à loisir par le silence qu'il avait gardé, et en le faisant présider par un homme inepte : je conclus ma mercuriale en prononçant très-ferme- ment : on ne recueille jamais que ce que l'on a sémé. Il y a des circonstances qui font parler les uns et taire les autres. Napoléon, qui ordinairement parlait le premier et le dernier , pendant ce temps ne disait mot : la tète baissée , l'air attentif, il recevait la grêle de mes remontrances sans aucun signe d'im- patience. Le duc de Rovigo me lançait par dessus la tete de Napoléon des regards de sur- prise. Celui-ci rompit son silence en répétant

( 499 )

plusieurs Fois : on ne recueille que ce que l'on a semé, le concordat est la plus fraude faute.de ma vie.

Ceci peut paraître étrange, inventé, sur- tout à qui n'a pas connu Napoléon : eh bien , â la vie et à la mort, en la présence comme en l'absence de Napoléon, je n'en retranche- rais pas une syllabe.

Une maladresse de M. le cardinal Fesch causa l'arrestation des trois évêques. Napoléon était irrité de la manière dont il avait présidé le concile, et dans le fait il n'y avait pas brillé. Il lui en attribuait le mauvais succès; ru ant compté sur l'annonce que tout était arrangé, ne pouvant concilier cette opposi- tion avec les idées qu'il s'était faites du clergé, il en demanda l'explication au cardinal , qui, par une de ses inadvertences ordinaires , lui désigna comme chefs de cette opposition les trois prélats qui furent arrêtés dans la nuit même de cette belle révélation. ( i ) Voilà

(i) Au mois de janvier 181 5 , M. l'évêque de Gand et le duc de Rovigo s'étant rencontrés chez moi, le dernier, après avoir donné au premier des éclaircissements sur quelques circonstances de sa captivité, lui demanda s'il

3a.

f 000 )

fîomme ces maladroits gâtaient tout. Dès que cet acte fut connu , le parti inscrivit les patiens sur son martyrologe. Jamais on ne vit martyrs plus embarrassés de leurs palmes, ni plus dé- sintéressés ; car ils en auraient fait part à qui aurait voulu s'en charger. Dans tout cela , il n'y avait pas une ombre de ce qui fait le mar- tyr , mais seulement maladresse d'un côté et abus de la force de l'autre. Ces évèques avaient fait rejeter ce qu'ils auraient s'empresser de faire accepter pour le bien de la religion, et Napoléon appesantissait son bras sur eux pour un fait dont il n'était pasjuge. Quesignifie d'assembler un concile pour emprisonner ceux qui ne sont pas de notre avis. Interroger les hommes , c'est reconnaître en eux jusqu'au droit d'errer.

Mais ce n'était pas tout que de dissoudre le concile; les embarras n'étaient point dis- sous avec lui , au contraire ils redoublaient : le parti de l'opposition triomphait. Le coup

en connaissait la cause véritable; et sur sa réponse néga- tive, il lui fit le récit que Ton vient de lire. C'est par lui que nous apprîmes tous les deux à quoi avait tenu cet enlèvement de> trois évêques , que nous ignorions éga- lement.

( 5°' )

frappé, Napoléon ne se trouva que plus em- barrassé : il chercha à revenir, et au bout de 2j jours les membres du concile ayant clé de nouveau reunis, le décret ci -joint fut adopté à l'unanimité , et quelques jom s apn s la seconde députation envoyée à Savone.

Décret. 5 août. Le concile national est compétent pour statuer sur 1 institution des évèques, en cas de nécessité

Autre décret. 5 août, i.

Les sièges épiscopaux, d'après l'esprit des canon?, ne peuvent rester vacans plus d'un an, pendant le- quel la nomination, l'institution, et la consécration doivent avoir lieu.

2.

Le concile suppliera l'empereur de continuer à nommer aux évêchés , d'après les concordats. Les nommés aux évêchés s'adresseront au pape pour ob- tenir l'institution canonique.

ô.

Six mois après la notification de la nomination faite dans la forme ordinaire, S. S. sera tenue de donner l'institution d'après la forme des concordats.

Les 6' mois écoulés, sans que le p ipe ait accordé l'institution, le métropolitain y procédera, et à dé-

( 5oa- ; 4-

faut du métropolitain, le plus ancien évêque de la province, qui fera la même chose , s'il s'agit de l'institution du métropolitain.

5.

Le présent décret sera soumis à l'approbation du pape: à cet effet l'empereur sera supplié de per- mettre à une députatiun de six évêques de se rendre auprès du pape, pour en obtenir la confirmation d'un décret qui peut seul mettre un terme aux maux des églises de France et d'Italie.

Je vais laisser M. l'abbé de Fraissynous faire l'apologie de ce concile , cependant en faisant remarquer que cet écrivain, tant est grande la force des préjugés et de l'irréflexion d'habitude, qualifie de décret favorable à d'in- justes prétentions, le seul article raisonnable qui eût été jusque inséré dans un concor- dat : décret qui, au lieu d'élever des préten- tions injustes, au contraire, mettait ordre à jamais aux injustes prétentions de Rome. Voilà comme l'on confond tout.

« Tandis que tout tremblait devant celui » qui se trouvait le maître de la France , un » concile est convoqué à Paris, en 1811 : on » veut s en servir comme d'un instrument con-

( 5o3 3

» //e fe pape ; on lui demande un décret fa- » vorable à d injustes prétentions. Le concile » arrête des dispositions nouvelles, il est vrai; » mais il a le courage de les terminer par un » article qui les sauve de tout reproche de » schisme. Il y est dit : le présent décret sera 9 soumis à l'approbation de notre Saint-Père » le pape. Ainsi , les évéques de l'intérieur se » montraient fidèles aux saines doctrines, en )> même temps que ceux dont ils occupaient yj les sièges fi) , après avoir illustré l'église galli- » cane, aux yeux du monde entier, par la » plus généreuse résistance, continuaient de 9 l'édifier par leur résignation. »

Voici comme M. l'abbé de Fraissynous juge les effets du concordat de 1801.

» Si je finis par considérer le concordat » de 1801 dans ses suites et ses effets, j'ob- » serve qu'il a rendu au culte public plus » d'éclat , plus de régularité , et par-là même » plus d'influence pour le bien de tous; que » renseignement de la religion , de la morale, » de tous les devoirs, est devenu plus uni-

(i) Ces mots sont ambigus, et ce n'est ]>as sans dessein. H. T rayssinous, dans une autre partie de son ouvrage, laisse entrevoir des doutes sur la légitimité de ces évoques, et les accepte, comme chose plus probable , dans un cas douteux.

( 5o4 )

» verscl et plus populaire; a répandu , fortifié * les senthnens de justice , d'ordre et de su- » bordination; redonné au mariage, et par-là a) même à la famille , cette dignité qu'il avait » perdue; et réparé, du moins en partie, les j> ravages de douze années de licence et d'im- » piété : qu'on a vu s'ouvrir des écoles ecclé- » siastiques pour les élèves du sanctuaire, se » rétablir des sociétés précieuses, telles que » celles des Frères des Ecoles chrétiennes, » des Filles de Saint-Vincent de Paul, et bien » d'autres semblables, qui ne faisaient que •» languir, et qui étaient menacées d'une corn- » plète destruction : que , pour l'édification » des peuples, il était entré dans le nouvel » épiscopat des hommes dignes de leur res- » pect et de leur confiance. Rappelons , à sa » louange, qu'à une époque périlleuse, sa » conduite ne fut pas sans courage et sans » gloire. » ( Ouvrage de M. Frayssinous , pag. 161 j 63. )

C'est avec peine que l'on trouve dans le premier morceau qui, comme le second, est fort judicieux , cette étrange assertion : Ainsi, dans V intérieur, les évoques se montraient fidè- les aux saines doctrines , en même temps que ceux dont ils occupaient les sièges , après avoir

( 5o5 )

illustré F église gallicane aux yeux du monde entier par la plus généreuse résistance, conti- nuèrent à l'édifier par leur résignation.

Si la généreuse résistance de ces évéques faisait le lustre de l'église gallicane, quel lus- tre apportait à l'église universelle la conduite du pape, contre lequel cette généreuse résis- tance était dressée? Dans une lutte pareille, un des deux cotés a tort.. . . Je laisse cela à décider à M. Fravssi nous ; je voudrais aussi qu'il eut indiqué en quoi consistait l'édifiante résignation des évéques opposans au concor- dat de i8or. La majeure partie était en An- gleterre, où leur résignation ne s'est jamais manifestée que par la plus violente opposi- tion; à sa rentrée en France, elle était fort peu remarquée par cette vertu de résignation.

M. Frayssinous a sans doute oublie, et cependant la date était fraîche, que cesévèques , ont écrire au pape une lettre qui se trouve à la suite du concordat de 1817. pour lui té- moigner leur douleur de cette généreuse résistance qui les a illustrés aux yeux de l'Eu- rope. Jusqu'ici on ne savait pas que les ex- cuses fussent le chemin de l'illustration. C'est une découverte réservée à M. de Frayssinous.

( 5o6 )

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CHAPITRE XXXIX.

Seconde députation à Savone.

On a vu dans le récit de la première dépu- tation, que le pape avait allégué, comme motif de son refus pour accorder des bulles, la privation de tout conseil , sans lequel il disait ne pouvoir rien faire. La plainte était trop fondée pour n'en pas faire disparaître la cause. En conséquence cinq cardinaux lui furent envoyés.

Ce furent MM. les cardinaux

de Bayanne ,

Fabrice Ruffo,

Roverella ,

Doria ,

Dugnani.

M. l'archevêque d'Édesse , aumônier dur pape , leur fut adjoint.

La députation du concile fut composée de MM. les archevêques de Tours, de Pavie et de Malines ; de MM. les évêques de Nantes , de Trêves, d'Évreux, de Plaisance, de Feltre, de Faenza, nommé au patriarchat de Venise.

( ™7 )

Les conférences commencèrent le premier septembre.

Dès le 20, toutes les difficultés, si Ton peut appeler difficultés les observations et les allégations qui furent présentées 3 comme pour n'avoir pas Tair de n'avoir rien du tout à dire, se trouvèrent levées. Le pape accéda à tout ce qui lui fut proposé. Il sanctionna le décret du concile ; il répondit de la manière la plus affectueuse à la lettre que les membres du concile lui avaient adressée (1); et comme

(1) Bref de N.S.P. le pape, cc.njirmat:/ 'du décret du con- cile national , du 5 août 181 1, en date du 10 septembre 1811.

Pif. VII, Souverain Pontife ,

A nos chers fils les Cardinaux de la sainte église ro- maine, et à nos vénérables frères les archevêques et évêques assemblés à Paris, salut et bénédiction en notre Seigneur.

Depuis le moment où. malgré l'insuffisance de nos méritas, la providence nous a élevés à la dignité de Souverain Pontife, nous avons toujours cherché avec une sollicitude paternelle à donner de dignes et bons pasteurs aux églises qui avaient eu le malheur de perdre leur évèque. Nous regrettions, et nous éprouvions une gran- de anxiété de cœur de n'avoir pu, dans ces derniers temps,

( 5o8 )

il était nécessaire de donner à cet acte un commencement d'exécution , et de reprendre le fil trop long-temps interrompu des relations ordinaires avec Rome, on jugea à-propos de

pour des raisons qu'il est inutile de rapporter ici, remplir entièrement nos vœux , comme nous l'aurions désiré.

Dieu, dans sa bonté , a permis qu'avec l'agrément de notre très-cher fils , Napoléon Ier, Empereur des Français et Roi d'Italie, quatre évêques vinssent nous visiter et nous supplier respectueusement de pourvoir aux églises de France et du royaume d'Italie, qui sont privées de leurs propres pasteurs, et de fixer nous-mêmes le mode et les conditions convenables pour arriver à la conclusion d'une affaire si importante.

Nous avons reçu ces vénérables frères avec la bienveil- lance et l'affection paternelle qu'ils avaient droit d'atten- dre de notre part ; nous leur avons fait connaître nos in- tentions, et nous les avons laissé partir d'auprès de nous dans l'espoir que , de retour à Paris, ils pourraient, en se conformant à nos instructions , ménager un accommode- ment général.

Nous rendons d'humbles actions de grâces au Dieu tout-puissant qui a daigné exaucer nos prières, et favo- riser, dans sa miséricorde, l'heureux accomplissement de nos vœux. D'après une nouvelle autorisation de notre très- cher fils Napoléon Ier, cinq cardinaux de la sainte église romaine, et notre vénérable frère, l'archevêque d'Edesse , notre aumônier , se sont rendus auprès de nous. En outre^

( 5°9 )

demander à S. S. de faire corriger mes bulles pour Malines, en ce qui concernait l'omission du nom de Napoléon, et d'en faire délivrera quelques évêques nommés. Ce furent ceux de

trois archevêques et cinq évêques, députes par vous, nous ont remis la lettre que vous nous avez écrite le cinq des ides du mois d'août de la présente année, laquelle était signée par un grand nombre de cardinaux de la sainte église romaine, d'archevêques et d'évèques. Ils nous ont rendu un compte exact de ce qui s'est passé dans l'assemblée générale, tenue à Paris le 5 août 1811, et nous ont respectueusement supplié d'y donner notre ap- probation.

Après un mûr examen, nous avons éprouvé une véri- table joie, en voyant que d'un commun accord vous vous étiez conformés à nos vues et à nos intentions, et que ■vous aviez renfermé en cinq articles ce que nous avions précédemment approuvé et déterminé. A l'exemple de tant d'illustres évêques qui vous ont précédés et qui étaient dignes de vous servir de modèles, vous nous avez adressé de nouvelles prières, soit dans votre assemblée générale , soit par vos députés , pour nous engager à con- firmer le tout (1 une manière solennelle.

On ne peut douter de vos sentimens , en lisant la lettre que nous venons de citer. Vous êtes entrés avec nous dans les plus grands détails sur toute l'affaire, en nous témoignant avec une affection filiale votre inviolable at- tachement à la chaire de Pierre et au Saint-Siège , et

( s.o ) m

Poitiers, de Saint-Flour, d'Asti et de Liège, Le pape s'y prêta avec la plus gracieuse com- plaisance, et les actes furent délivrés : enfin, pour mettre le sceau à ce rapprochement, la

respectueux dévouement que vous ont transmis, comme à titre d'héritage, vos plus anciens prédécesseurs.

Nous trouvons convenable de transcrire ici littérale- ment ces cinq articles que vous nous avez soumis, et dont la teneur suit :

Article premier. « Les archevêchés et évêchés , con- « formément aux saints canons , ne pourront rester vacans « plus d'une année, dans lequel espace de temps la no- « mination , l'institution et la consécration devront avoir v leur pleine et entière exécution.

Art. II. « Le concile suppliera l'empereur de conti- « nuer, en vertu des concordats, à nommer aux sièges va- « cans ; et les évêques nommés par l'empereur auront re- « cours, dans la forme accoutumée , au souverain pontife « pour obtenir l'institution canonique.

Art. III. « Dans les six mois qui suivront la notifica- « tion faite, selon l'usage ordinaire, au souverain pon- « tife, sa sainteté donnera l'institution, conformément « aux concordats.

Art. IV. « Si, au bout des six mois , sa sainteté n'a pas « donné l'institution, le métropolitain sera chargé d'y « procéder; et à son défaut, le plus ancien évêque de la « province ecclésiastique. Ce dernier, s'il s'agit de l'insti- ft tution d'un métropolitain , la donnera également.

Réputation crut devoir proposer au pape d écrire à Napoléon. On retrouva, dans cette occasion, la placidité d'âme qui caractérise Pie Vit La lettre fut écrite par le pape, et

Art. V. « Le présent décret sera soumis à l'approbation « de sa sainteté, et en conséquence, sa majesté Tempe- « reur et roi sera humblement suppliée d'accorder à six éveques qui seront députés , la permission de se rendre « auprès du saint père, pour lui demander respectueu- « sèment la confirmation d'un décret qui offre le seul « moyen de remédier aux maux des églises de France c et d'Italie. »

Voulant donc venir au secours de l'église, et éloigner autant qu'il est en notre pouvoir, et avec l aide de Dieu, les grandes calamités qui la menacent, après en avoir mûrement délibéré avec nos vénérables frères, les cinq cardinaux de la sainte église romaine , et notre vénérable frère l'archevêque d'Edesse , notre aumônier, et en nous a'tachant à la teneur des concordats, en vertu de notre autorité apostolique , nous approuvons et nous confir- mons les articles Apportés ci-dessus, lesquels, comme nous venons de le remarquer , sont conformes à nos vues et à notre volonté.

Mais dans le cas après l'expiration des six mois , et en supposant qu il ne se trouvât aucun empêchement canonique, le métropolitain, ou l'évèque le plus ancien de la province ecclésiastique, aurait à procédera l'institu- tion, conformément a l'article IVj nous voulons que le

( 5t* )

toute entière de sa main : elle est à la date du 1 3 septembre 1 8 1 1 . EHe ne nous fut point communiquée. M. le cardinal de Bayanne , qui en eut connaissance, nous assura qu'elle

dit raétopolilain , ou le plus ancien évêque de la province ecclésiastique, fasse les informations d'usage, qu'il exige de celui qui doit être institué et consacré , la profession de foi, et tout ce que l'on a coutume de demander, en ob- servant les règles ordinaires, et ce qui est prescrit par les canons; enfin, qu'il l'institue expressément en notre nom, ou au nom du souverain pontife alors existant , et qu'il ait soin de transmettre le plutôt possible au saint-siége, les actes authentiques qui constatent que toutes ces choses ont été fidèlement accomplies.

Nous avons déjà , nos très-chers fils et nos vénérables frères, donné des éloges à votre conduite et à vos sen- timens; mais nous ne pouvons nous empêcher de vous louer de nouveau, de ce que, dans une affaire aussi im- portante, où il s'agit entre autres choses de matières qui regardent la discipline universelle, vous nous témoignez, comme il convient, à nous et à l'église romaine, qui est la mère et la maîtresse de toutes les autres, une soumis- sion filiale et une véritable obéissance.

11 nous reste, nos très-chers fils et nos vénérables frères, à vous exhorter et à vous conjurer, parla grande miséricorde de notre Dieu, de donner tous vos soins et de faire tous vos efforts pour continuer à édifier l'église de. Jésus-Christ par vqs bonnes moeurs , vos bons exem-

( ii3 )

était conçue dans les termes les plus conve- nables ; et Ton ne peut pas raisonnablement supposer le contraire. Dès-lors tout paraissait terminé, les concordats étaient rétablis, le

pies, et la pratique de toutes les vertus, et de tâcher, à l'aide d une foi agissante par amour , de diriger, de soutenir, et de rendre de plus en plus parfait le peuple fidèle.

Dieu vous accordera, sans doute, les grâces nécessai- res pour parvenir à un si noble but; car le même Dieu quia jeté en vous le fondement dune aussi bonne œuvre, daignera la perfectionner, afin que les progrès du saint troupeau, dans la voie du salut , deviennent pour les pas- teurs le sujet d une récompense éternelle.

Continuez aussi, nos très chers fils et nos vénérables frères, continuez à donner à la sainte église romaine, au siège apostolique, de nouvelles preuves de votre amour et de votre respect filial, à le consulter, à lui être sou- mis et inviolablement attachés. «C'est à lui», pour termi- ner par les paroles de saint-Irénée, la plus brillante InnVière de l'église de Lyon et même de toutes les églises de la Gaule, « c'est à lui qu'à raison de sa supériorité « én inente, doivent recourir toutes les églises, c'est à « dire, 1rs fidèles de tous les pays, comme ayant toujours « conservé la tradition qui vient des apôtres. » En tenant une pareille conduite, et en vous attachant à la pierre immuable , -sous serez utiles à l'assemblée des fidèles , à la

t. n. 33

(5r|)

cours de la délivrance des bulles avait repris, les conseils du pape étaien* auprès de lui, sa captivité, comme celle de tous les ecclésias- tiques, avait atteint son terme; nous nous félicitions de cet heureux résultat. Napoléon, qui alors parcourait la Hollande, sur les assu- rances de cet arrangement, avait donné l'or- dre du retour des membres du concile dans leurs diocèses, et permis le nôtre de Savone. Mais l'homme ennemi veillait ; il avait déjà semé la zizanie.

Nos instructions (i) portaient sur plusieurs

société civile, et à S. M. l'empereur et roi, auquel nous souhaitons en notre Seigneur Jésus-Christ toute sorte de biens, et vous recevrez dans les Cieux , pour avoir digne- ment rempli votre ministère, la couronne éternelle.

Pleins d'amour pour vous , nos très chers frères , nous vous bénissons, et avec les sentimens d'une affection pa- ternelle, nous donnons également notre bénédiction apos- tolique , au clergé et aux fidèles confiés à vos soins.

Donné à Savone, le 20 septembre 1811, la douzième année de notre pontificat. Signé , Pie VII, S. P.

(1) Instructions données à la seconde députation envoyée à Sacone. Monsieur l'archevêque de IVous vous avons nommé pour porter au pape le dé-

points que des considérations de prudence engagèrent la députatîon à ne point toucher. Elle s'estimait heureuse d'avoir obtenu la re- prise du concordat, et celle de l'accord des

cret du concile et lui demander son approbation. Cette approbation doit être pure et simple. Le décret s'étend sur tous les évêchès de l'Empire , dont Rome fait partie , et sur tous les évéchés de notre royaume d'Italie, dont Ancône, l rbin et Ferrao font partie ; il comprend éga- lement la Hollande, Hambourg , Munster , le grand duché <le Berg, 1 Illyrie et tous les pays réunis à la France et qui y seraient réunis. Vous refuserez de recevoir l'appro- bation du pape , si le pape veut la donner avec des réser- ves, hormis celles qui regarderont l'é\cché de Rome qui n'est point compris dans le décret. Nous n'accepte- rons non pins aucune constitution ni bulle , desquelles il résulterait que le pape referait en son nom ce qu'a fait le concile.

Nous avons déclaré que le concordat a cessé d'être loi de l'Empire et du Royaume , nous y avons été autorisés par la violation de cet acte pendant plusieurs années de la part du pape.

Nous sommes rentrés dans le droit commun des canons qui confèrent au métropolilain le droit d'instituer les èvêques. Nous rentrons donc dans le concordat; nous approuvons le décret du concile à condition qu'il n'aura éprouvé ni modification ni restriction ni réserve quelcon- que , et qu'il sera purement et simplement accepté par sa

33.

( M )

bulles. Dans le fait, c'était la chose intéres- sante , parce que , d'abord , elle avait été l'objet du concile, et puis, c'était elle dont l'église pour son service, et l'État pour sa tranquillité , a- vaient le plus de besoin. La commission avait

Sainteté à défaut ,de quoi vous déclarerez que nous sommes rentrés dans l'ordre commun de l'église et que l'institution canonique est dévolue au métropolitain , sans l'intervention du pape , comme il était d'usage avant le concordat de François Ie* et de Léon X. Aus- sitôt que sa sainteté aura approuvé le décret sans ré- serve ni modification , nous nous entendrons pour la circonscription des diocèses des départemens de Rome et de Trasimène , de la Toscane, de Hambourg, de la Hollande , du grand duché de Berg et de l'Il- îyrie.

Nous n'entendons pas conserver plus d'un évêehé par cent mille ames de population dans les départements de Rome et de Trasimèue ; dans le reste de la France , il y a un évêehé par 5oo,ooo ames. Vous pouvez d'ailleurs , si le pape est disposé à faire cesser les querelles qui existent, lui faire connaître que nous sommes animés des mêmes principes qui nous ont dicté les instructions données aux évêques lors de leur dernière mission. Aussitôt que le pape aura donné son approbation au décret , vous l'en* verrez par estafette à notre ministre des cultes; et vous resterez à Savone jusqu'à nouvel ordre pour servir au

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cru devoir s'en tenir pour éviter de se

compromettre avec les théologiens de Rome, qui fort, peu contens de ce qui se passait, pou- vaient chercher quelque dédommagement, en nous suscitant des embarras tels que ceux qui fussent sortis de la difficile question de l'au- torité du pape sur les conciles. Il y en avait pour disputer pendant cent ans, et nous vou- lions mettre fin aux disputes. La commission estimait que les questions ultérieures sur les sièges épiscopaux de Rome et des Elats du pape, sur le nouveau séjour de celui-ci, ne la

pape de conseil dans les affaires ultérieures que nous aurions à traiter.

Si le pape refuse l'approbation pure ét simple du dé- cret , vous lui déclarerez que les concordats ne sont plus loix de l'Empire et du Royaume qui rentrent daus le droit commun pour l'institution canonique des évèques, c'est-i dire , qu'il y sera pourvu par les synodes et par les métro- politains. Nous nous reposons sur votre zèle pour la reli- gion , pour noire service et pour le bien de votre pays: nous comptons que vous ne montrerez aucune faiblesse et que vous n'accepterez rien que nous n'accepterions pas et qui serait contraire à la teneur des présentes, ce qui embarasserait les affaires au lieu de les arranger et de les simplifier.

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regardaient point , et devaient être décidées entre le pape et Napoléon. Cela ne faisait pas le compte de celui-ci, quelque sage que fût cette manière de voir. Les instructions por- taient qu'il n'accepterait aucune bulle ou bref d'où il résulterait que le pape aurait fait en son nom ce que le concile avait fait, ce qui eût été infirmer le principe d'autorité de ce^ lui-ci. Il était donc naturel d'en conclure que le bref étant une réponse à la lettre du con- cile , le nom de celui-ci devait s'y trouver mentionné, et par son action sur le décret reconnue. Je trouve dans le mémorial que j'écrivais à Savone après chaque séance, que cet objet fut débattu pendant quelques jours. Le pape avait rédigé son bref d'après les prin- cipes de suprématie , de manière à ce que l'on pût en inférer que le concile n'avait agi que par son inspiration et sous son autorité. La commission se refusa à adopter cette rédaction : plusieurs amendemens furent pro- posés par elle. Le désir de la paix fit accéder à celle que le pape avait adoptée en dernier lieu.

Le bref adressé à Paris fut renvoyé par Na- poléon à l'examen de quelques conseillers

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d'État. Ils furent frappés du défaut de la men- tion du concile , et n'eurent pas de peine à re- marquer ce qu'il y avait d'incomplet dans l'ac- complissement de ce que nos instructions prescrivaient. En ayant référé à Napoléon, celui-ci révoqua l'ordre de notre retour de Savone, et comme il savait que nous nous y ennuyons beaucoup, il se proposa de nous y faire passer l'hiver pour nous punir. Plusieurs d'entre nous étaient partis avant l'arrivée de l'ordre fatal. L'archevêque de Tours, les évè- ques de Nantes et de Trêves , se trouvant à peu de distance de Savone, purent être at- teints, et revinrent passer leur quartier d'hy- ver à Savone.

Napoléon refusa de faire usage des bulles données dans ce temps. On les a trouvées dans les bureaux du ministère , depuis son départ pour File d'Elbe. 11 s'abstint de répon- dre à la lettre du pape. Lorsqu'il revint d'Hol- lande , il me parla avec quelqu'humeur de la manière dont on avait négocié. Il se plaignait qu'on ne l'eût pas entendu. Je jugeai par son discours que dès- lors il avait en vue un ar- rangement général pour toutes les affaires de l'église et du pape. Ce fut qu'il répondit

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aux instances que je lui adressai pour la li- berté de quelques prêtres du diocèse de Maîines : JSe me parlez pas de cela ; je ren- drai tout à la fois. Il était clair qu'il avait un parti pris.

L'hyver de 1811 à 18 12 se passa sans évé- nement marquant dansFordre religieux. Alors Napoléon était tout entier aux préparatifs de son expédition de Russie ; les évêques hyver- nés à Savone revinrent au commencement, du printemps. Dans l'audience que Napoléon nous donna à cette occasion, il jeta en riant quelques mots sur la direction donnée à la négociation : plus il ajouta ce que j'ai rap- porté de cette séancè dans V ambassade de Varsovie, sur la sécurité que lui inspirait le clergé, comme sur ses sentimens personnels sur le pape.

Quelques semaines après, sur la nouvelle de l'apparition d'une escadre anglaise dans la rade de Savone, il ordonna la translation du pape à Fontainebleau. C'est ainsi qu'il l'a- cheminait successivement vers le siège de Paris.

La commission avait été fortement secon- dée par M. le comte Chabrol alors préfet de

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Montenotte. Ce jeune magistrat, doné d'une prudence consommée, dune aménité de mœurs qui avait l'air d'avoir été faite pour cor- respondre à celle même du pape , avait su captiver son esprit par le ciiarme particulier que fait toujours trouver l'harmonie de l'ac- complissement du devoir avec l'observation des égards et du respect dus aux rangs et aux, dignités. Des fonctionnaires tels que M. Cha- brol affermissaient les conquêtes de la Fran- ce en lui conciliant l'affection des peuples con- quis, et moins de haines auraient pesé sur elle , si tous les administrateurs placés au- dehors lui avaient rassemblé. Le pape qui avait parlé du défaut de liberté à la première députation, n'allégua rien de semblable à la seconde. La position était changée; il avait demandé des conseils, il en avait; il y avait une discussion établie, et par même, liber- té. Il est bien singulier que l'on ait rencontré des hommes qui aient excipé d'un défaut de liberté, dont le pape, qui devait le sentir mieux que personne, ne croyait pas avoir a se plaindre. Ceux-là qui parlent de défaut delibcr- avec un caractère tel que celui de Pie VIT , me paraissent lui faire une grave injure, comme

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s'il pouvait y avoir défaut de liberté, le devoir seul est écouté. La bulle d'excommu- nication ne fut rappelée en aucune manière : nulle difficulté sérieuse sur le fonds de notre demande ne fut opposée. On sentait qu'elle n'en était pas susceptible. Le pape ne parut arrêté quelques instans que par des scrupules attachés à une conscience craintive \ on sen- tait les derniers efforts de la rupture de liens anciens, et la crainte qui attend toute en- trée dans un ordre nouveau. Il y eut quelques allégations de formalités, chose habituelle avec des Romains, mais cela n'eut aucune im- portance.

S. S. recevait la dépuration toutes les fois qu'elle lui en témoignait le désir : elle ad- mettait de même en particulier tous ses mem- bres dès qu'ils se faisaient annoncer. Lorsque le pape recevait la députation, il se plaçait dans un fauteuil en tête des députés qui se rangeaient sur deux lignes parallèles. Il n'y était point question d'affaires, ou seulement en passant. Elles se traitaient avec les cardi- naux par l'intermédiaire de M. le cardinal de Bayanne, La conversation du pape était fort enjouée, nourrie d'anecdotes qu'il narrait

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très-bien. Il habitait Tévêché de Savone, et dans cette demeure, il paraissait rentré dans le genre de vie de son ancien état, ne ressen- tant de douleur véritable que pour l'Eglise et ayant oublié les siennes propres.

TIX DU TOME SFCOND.

Errata du second volume.

Pag. 7 lig. 21 , avaient; lisez: auraient. **t ii 6 , son désir ; £rez •* comme son désir.

22 2/* , protégea ; : protège.

39 . i5, quatorze ; lisez: douze.

71 1 , n'ivoquant ; lisez: n'invoquaient.

77 90 j les négociateurs; lisez: ces négociateurs. . 78 23, la civilisation ; lisez : sa civilisation*

90 9 , après application, menez virgule.

93 8 L ne pas les suivre ; effacez ne pas.

97 25 , du clergé; lisez: de ce clergé.

121 16 , dans le ; lisez: dans ce.

123 «— 20 , le gouvernement ;lis.: ce gouvernement.

127 23, autre ; lisez : autre chose. 182 23, servit ; lisez: servait.

jS6 25 , à des; lisez: pour des.

2o5 25 , ; lisez: ou.

206 1 , rencontré; lisez : reconnu.

244 12 et i3, ne doivent; lisez: ce que l'on voit

être.

252 19 , mémorable d'iin; lisez: des dangers d'un* . 258 12, lui-même ; lisez: à lai-même.

a58 . 16 , cessa ; lisez: cessa-t-il.

263 10 , la famille ; lisez : sa.

285 4, s'ils avaient ; lisez: s'ils eussent.

285 25 , seraient ; lisez: serait.

_ 3G3 24 , eu/ans ; Usez : enjeux.

3j3 20, élimnée ; lisez : éliminée.

32o 19, du discours; lisez: au discours.

490 22 , insensiblement; lisez : sensiblement.

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BX1528.P89V.2

Les quatre concordats : suivis de

Princeton Theological Semmary-Speer Library

1 1012 00039 8513

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