RENE ch" ‘ Li je “ts RE nt ! 2 5 2, Me ME br RENE Re SRE ER e Se Les Théories de l’'Évolution OUVRAGES DE M. Y. DELAGE DANS LA MÊME COLLECTION La Parthénogénèse naturelle et expérimentale 1 vol. in-18 CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS : Évolution de la Sacculine, crustacé endoparasite de l'or- dre nouveau des Kentrogonides (1884). Études expérimentales sur les illusions statiques et dyna- miques de direction pour servir à déterminer les fonc- tions des canaux demi-circulaires de oreille interne. (Arch. de xool. expérim., 1836) Embriogénie des Éponges. (Arch. de zool. expérim., 1892.) La conception polyzoïque des êtres. (Revue scientifique, 1896.) Études sur la mérogonie et sur l'interprétation de la fécondation mérogonique et sur une théorie nouvelle de la fécondation. (Arch. de zo0l. expérim., 1899.) Les idées nouvelles sur la parthénogénèse expérimen- tale. (Revue des Idées, 15 Février 1908.) Essais sur la théorie du rêve. (Revue scientifique, 1891.) L’Hérédité et les grands problèmes de la biologie géné- rale. (Ed. Schleicher, 1re éd. 1895, 2° éd. 1903.) L'Année Biologique, comptes rendus annuels des travaux de biologie générale, publiés avec la collaboration d'un comité de rédacteurs. Traité de Zoologie concrète, publié en collaboration avec E. Hérouard, maître de conférences à la Sorbonne. Etc., etc. L A A Bibliothèque de Philosophie scientifique YVES DELAGE : M. GOLDSMITH MEMBRE DE L'INSTITUT, DOCTEUR PROFESSEUR A LA SORBONNE, ÈS SCIENCE Les Théories de l'Évolution | PARIS ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR 26, RUE RACINE, 26 1920 Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction réservés pour tous les pays. L ‘42 LA ke 4% e M Te 5 Le Nix NCA Le. | "4 CA ë 8 à "by Eur N ul * t4 À ag : ; MONTE" L l'A LA | PA | es Théories de l’Évolution - INTRODUCTION La notion de l'évolution. — Son application à la nature inor- ganique, aux êtres organisés, à l’origine de l’homme, à sa vie psychique. — Son avenir dans l'éthique et les sciences sociales. — Le domaine propre de l'idée évolutiouniste : les sciences naturelles. Notre génération, élevée sous l'influence des penseurs modernes, s’est si bien habituée à l’en- semble des conceptions qui constituent notre credo scientifique, et surtout à son idée fondamentale, l'idée de l’évolution, qu’elle oublie complètement à quel point cette idée est récente et au prix de combien de luttes elle a pénétré dans la science. La notion d'évolution est devenue une des généra= { lisations les plus vastes — sinon la plus vaste — de notre temps; elle dépasse de beaucoup les _ Jimites des sciences au sein desquelles elle a surgi | et embrasse tout l’ensemble des conceptions hu- maines, jusqu'aux problèmes philosophiques les: nempneté plus obscurs et les plus difficiles. Prise dans son sens le plus large, l’idée de l’évo- Jution est intimement liée à celle de la causalité : rien ne peut se produire sans cause, rien ne peui Le sh de. à 1 VE L n de ce qui précède et engendre ce qui suit. La loi de la conservation de l’énergie n’est qu’une façon différente d'exprimer la même vérité. La notion de causalité a une portée scientifique et philosophique immense, et cela tout d’abord parce qu’elle éli= « mine Je la pensée humaine toute idée de merveil- leux et de surnaturel et l’habitue à chercher des explications dans lesquelles seuls les phénomènes naturels interviennent. Elle l’oblige à créer des. conceptions du monde où aucun acte de création miraculeuse, de création aux dépens du néant, ne peut trouver place. Elle l’obligea jadis à renoncer d’abord à l’erreur géocentrique dans la conception de notre système planétaire, ensuite à l’erreur an- thropocentrique dans l’étude de la nature vivante. Elle l’oblige maintenant à repousser les explications si faciles, suggérées par le point de vue téléolo- gique, et à ne reconnaitre pour satisfaisantes que les seules explications causales. Notre esprit est encore loin d’avoir appris à tirer de l’idée de causalité toutes les conséquences qu’elle comporte : l’héritage qu’il a reçu du passé est encore trop lourd, et les obstacles à sa rapide éducation dans cette voie trop nombreux. On neut considérer cependant que dans certaines branches de nos connaissances, dans l’étude du monde inor- . ganique notamment, la victoire de cette idée est complète. C’est, d’ailleurs, celle qui fut remportée la première. Le pas suivant devait être fat en étendant au monde des êtres organisés les mé- ER \ PS EME ee ETES 2% UPS PPT VOCAL d'a re TL v. VA CEP rm 0 ÿ À ee T4 7 Te à. # es Fra | : { M ER + Los ‘ - u à Le TO nr < LS INTRODUCTION 3 D hodes et les généralisations p-opres à l’étude de la nature inorganique. La tâche était difficile, d'autant plus difficile que l'insuffisance des connaissances acquises et la complexité plus grande du problème là où il s’agit d’être vivants étaient loin de consti- tuer le plus grand obstacle : la nouvelle tendance voyait se dresser devani elle toute la puissance des préjugés, des idées profondément enracinées et de l'inertie intellectuelle. Les représentants de la tra- dition religieuse et les autorités reconnues de la science se coalisaient pour la combattre, car elle renversait toutes les idoles que, pendant des siècles, l'humanité avait appris à vénérer. C’est ici, dans l’étude de la vie, que s’est déve- loppée l’idée de l’évolution au sens strict, c’est-à- dire d’un processus dont les différents stades ne sont pas seulement rattachés par un lien de causa- lité, mais présentent une série ininterrompue et irréversible, dans laquelle un retour en arrière, une répétition exacte de ce qui est devenu du passé est impossible. C’est dans ce sens que nous parlons de l’évolution d’un être vivant au cours de son déve- loppement embryonnaire (et c’est même à ce déve- loppement que ce terme a été appliqué tout d’abord), . et c’est dans ce sens aussi que nous parlons de l’histoire de tous les êtres vivants pris dans leur ensemble. Ici, l’idée de l’évolution devient l’idée de la descendance de toutes les formes organiques les unes des autres, celles plus compliquées se déve- loppant des plus simples, et ainsi à travers toute l’histoire du monde organique, en remontant jus- 4 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION qu’à l’origine même de la vie. C’est l’idée transfor- miste, la seule qui nous apparaisse maintenant comme capable de fournir une réponse satisfaisante à la question de l’origine des êtres vivants qui peu- plent la terre. Que les espèces soient nées les un e£ des autres, ce n’est pas là seulement une déduc- tion qui s’appuie sur des faits, car les faits peu- vent être contestés et surtout interprétés d’une façon différente, mais une notion qui s'impose à notre esprit comme la seule acceptable, dès le moment où nous avons abandonné la théorie de la création surnaturelle. Après avoir, enfin, conquis son droit de cité dans la question de l’origine des espèces animales et végétales, la pensée évolutionniste se vit conduite à faire un nouveau pas en avant et à se préoccu- per de l’origine de homme. Dans les conceptions du sauvage primitif, l'homme ne se sépare pas du reste de la nature : tout est envisagé au point de vue humain, la nature est peuplée d’êtres sem- blables à l’homme et menant une vie analogue à la sienne ; l’origine de l'humanité n’est donc pas plus mystérieuse que celle de toute la nature. Plus tard, les conceptions religieuses plus raffinées et les 5hilosophies métaphysiques creusent un abime entre eux; les destinées de l’homme sont élevées bien an déstus des phénomènes de la nature, hors de l’atteinte des sciences qui s’occupent de PRET. Cet abîime n’arrive à être comblé qu’au moment où la pensée transformiste moderne se voit obligée d'appliquer ses déductions à l’homme, d’englober A ENTRER INTRODUCTION 5 _ l'homme et la nature dans une même généralisa- tion, de se servir des mêmes méthodes d’étude pour l’un et l’autre. Mais avant que ce résultat ne fût atteint, le transformisme eut à vaincre une résis- tance formidable; c’est là que la lutte entre l’idée traditionnelle et l’idée nouvelle fut le plus achar- née. On peut même dire que si toute la controverse de l’origine des espèces a pris un caractère si aigu, c’est parce que la conclusion nécessaire sur l’ori- gine de l’homme était au bout de la question. C’est en vue d’elle, de cette question la plus brü- lante, la plus douloureuse, que combattaient les deux camps ennemis, et c’est pour cela que leur victoire a coûté tant d'efforts aux transformistes. Mais cette victoire fut définitive : l’homme était désormais irrévocablement considéré comme le dernier chaînon de l’évolution du monde animal, produit par des causes aussi naturelles que celles _qui ont présidé à la naissance d’autres espèces. Cependant, après cette nouvelle conquête, d’au- tres questions surgirent, provoquées inévitable- ment par celles qu’on venait de résoudre. Quelle est l’origine de notre vie psychique ? Les nouvelles théories cherchaient à rattacher les phénomènes psychiques à ceux relevant de la physiologie ner- - veuse, de celle du cerveau spécialement ; or, notre cerveau étant un produit du perfectionnement gra- duel de cet organe dans la série animale, la pensée humaine n’apparait-elle pas, elle aussi, comme un aboutissant perfectionné de la psychologie ani- male? On comprend à quel point cette façon de À re! + m7: tiré 1 Dé à is Fr Cé -4 [4 PNA AR ART + CR % de” + d NY v vs … \ D ? tr La 2 pet 20 (LAPS > VOTES 0 TION PAC: ra } & | £ VIA LES THÉORIES DE L'ÉVOLU guide pour la conduite humaine si on renonçait à la conception spiritualiste ? Il était naturel que la victoire de l’idée évolu- _ tionniste fût ici plus difficile que dans tous les autres domaines. Est-elle, d’ailleurs, complète, même maintenant ? Partout où il s’agit des ques- tions qui touchent de près à l’existence de l’homme, à ses besoins matériels et moraux, cette idée, en- core de nos jours, se fraye son chemin à grand’'peine. En psychologie, en morale, nous nous heurtons _ toujours à des conceptions spiritualistes, à des tendances héritées de la philosophie métaphysique. _ Ilen est de même dans les sciences sociales, dans _ l'histoire, le droit, l’économie politique, et les questions pratiques qui s’y rattachent : là, on est obligé partout de combattre des points de vue su- rannés, dérivant des méthodes de pensée depuis longtemps rejetées hors des sciences naturelles. Et, cependant, la marche de l’idée évolutionniste ne s'arrête pas et, là aussi, elle est sûre de rem- _ porter la victoire, comme elle l’a remportée dans ses combats successifs du passé. Les obstacles sont ici infiniment plus nombreux encore que partout ailleurs : on a à lutter non seulement contre le poser la question heurtait toutes les idées reçues, toutes les conceptions qui paraissaient non seule- ment indiscutables, mais nécessaires même pour que l’homme fût vraiment l’homme. Que devenait, en effet, si l’on acceptait le nouveau point de vue, _ l'idée de libre arbitre, base soi-disant indispen- _ sable de toute morale? Et où chercherait-on un à | INTRODUCTION 7 :JÈR À ‘défaut naturel d’audace dans la pensée, mais aussi … > contre la résistance consciente de ceux qui tiennent » 1 à s’opposer à la marche progressive de l'humanité. ! De plus, l'application ferme et logique des notions de causalité et d'évolution à des connaissances qui sont encore toutes jeunes et peu élaborées, offr2 par elle-même beaucoup de difficultés : l'esprit humain est depuis trop peu de temps en posses- Le sion de ces notions pour savoir les manier sans # hésiter. 0) Il n’entre pas dans notre tâche, d’ailleurs, de - parler de ces questions dans lesquelles l’applica- | tion de la méthode évolutionniste est encore pres- que tout entière dans l’avenir. Nous avons simple- ._ ment tenu à les indiquer, pour marquer la portée : 4 immense de l’idée de l’évolution. C’est aux sciences | naturelles que la pensée humaine en est redevable; même les sciences exactes n’auraient pu donner naissance à cette idée et lui assurer le triomphe. C’est dans le domaine des sciences naturelles, son x domaine propre, que nous l’envisagerons dans les ; chapitres suivants. Ici, elle règne de nos Jours sans 1 conteste, et les seules questions qui se posent, les seuls points en discussion ont trait aux voies et moyens de l’évolution des êtres vivants, aux fac- ieurs ayant présidé aux transformations st sives des espèces. jamais, en effet, la philosophie transcendante, ni A) 7) 7 + à / , ‘4 4 ne È 4 LS à A 1 * CHAPITRE I L'idée de l’évolution avant Darwin. Les débuts de l'idée évolutionniste. — Le réveil des sciences naturelles aux xvu® et xviue siècles. — Linné, Cuvier, Buf- fon. — Les premiers transformistes : Gœthe, Erasme Dar- win. — Lamarck, fondateur de la doctrine transformiste. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire; ses débats avec Cuvier. Les philosophes de la nature : Oken. — Période d'arrêt dans les idées. — Le transformisme moderne. Lyell; les déccuvertes géologiques et paléontologiques. H. Spencer. La publication du livre de Ch. Darwin. C'est à la fin du xvi* et au commencement du xx° siècle seulement que la pensée évolution- niste a commencé à poindre dans les sciences naturelles. Avant cette époque il n’y a presque rien à relever, si nous voulons nous en tenir à ce point de vue spécial et ne pas faire l’histoire de l’étude de la nature en général. On pourrait, il est vrai, en remontant aux philosophes grecs, cons- tater chez quelques grands esprits des lueurs de _ l'idée transformiste; mais les siècles suivants n’ont pas fait germer cette semence, et entre la pensée des anciens et celle qui, tant de siècles + L ; à bé 10 LES THÉORIES DE L’ÉVOLUTION plus tard, a repris l’étude des mêmes problèmes, on ne peut guère constater de filiation directe. On peut faire dater le réveil des sciences natu- relles du xvu* siècle; nous avons entre autres à cette époque l'invention du microscope et la décou- verte de la circulation. — Le xvim: siècle a vu se développer l'étude de l’embryologie, en même temps que des travaux sur des sujets spéciaux; les descriptions de faits particuliers de tout genre devenaient de plus en plus nombreux. Le moment était venu de mettre un certain ordre dans cette accumulation de descriptions. Ce fut l’œuvre de Linné qui, par sa classification, artificielle il est vrai, mais méthodique et com- mode, rendit un service que tous les naturalistes jusqu'à nos jours s'accordent à reconnaitre. Il délimita les espèces, les groupa en genres et attri- bua à chaque espèce deux noms, dont le premier désigne le genre à laquelle elle appartient et le second est propre à l’espèce. Les doubles noms latins employés encore aujourd’hui pour les espè- ces en zoologie et en botanique procèdent de là. La notion d'espèce prenait ainsi une importance considérable, d'accord avec la conception générale de l’époque que Linné a formulée dans ces termes : il y a autant d'espèces diverses qu’il y eut de formes distinctes créées dès le début par l’Etre Infini. L'espèce était ainsi délimitée par l’acte même de la création; elle ne pouyait donc que rester à jamais fixe et immuable. D’ailleurs, la conception de l’origine des êtres vivants était, chez Lirné, L'IDÉE DE L'ÉVOLUTION AVANT DARWIN 11 _ exactement ce qu’elle est dans la Bible ; et s’il a apporté un certain appoint à l'apparition des idées - transformistes à venir, c’était bien incidemment, en assignant, dans sa classification, à l'homme une place non seulement parmi les autres animaux, mais même dans un genre qui comprenait, avec . Jui, les singes antkropomorphes, l’hommo n'étant - qu'une des espèces de ce genre. L'idée de la fixité de l'espèce prit une importance plus grande encore avec Cuvier : elle fut érigée par lui en principe indispensable et devint le pivot de toutes les connaissances de l’époque. Les servi- ces rendus à la science par Cuvier sont bien connus. En groupant les espèces de Linné en catégories ou types caractérisés chacun par l’unité de plan d’or- ganisation, il jeta les bases de l'anatomie comparée; 1l fonda la paléontologie des vertébrés et montra, par l’étude des faunes distinctes dans les couches géologiques successives, que ces faunes diffèrent d'autant plus de celles de notre temps qu’elles ap- partiennent à un niveau plus inférieur. Mais ces grandes découvertes reçurent, chez Cuvier, une interprétation erronée qui aiguilla les recherches dans une direction fausse. La disparition totale de chacune des faunes successives était attribuée par lui à des catastrophes subites; depuis la plus haute antiquité, d’ailleurs, toute l’humanité, influencée peut-être par le spectacle des inondations, trem- _ blements de terre, etc., avait.cru à ces catastrophes . générales dans l’histoire de la terre. Ces révolutions . du globe, comme les a appelées Cuvier, catastro- MES ALAN ENT NC LE TE, © ; CP a OT 4 0 SLT RS r NU LA) APR tete F 1% 2C RP: Lx à n Nr | L- dei EAN A" y APE À A +, EU, LÆ gi EG AU Le C F, g. BA M SE AT Le À Lry ra get > te ee LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION | à phes géologiques d'un caractère très violent et ne 4 À embrassant des régions considérables, . étaient la . À cause de l’anéantissement des faunes et de leur 14 À de remplacement par d’autres, venues d’ailleurs par CC Le 4 migration, disait-il, créées à nouveau sur place, disaient certains de ses élèves. LA SR Les grands services rendus par Cuvier à la science ont fait pendant de longues années une loi de ses à opinions, et cette grande autorité dont il jouissait 4 a réussi pendant longtemps à empêcher les progrèe 4 de la pensée transformiste. Il lui opposait des faits, toutes les connaissances exactes de son temps, É: toute son autorité de savant reconnu, et elle, l’idée Un 1 LS nouvelle qui venait à peine d’éclore, que pouvait % elle lui répondre ? Des étincelles éclatantes d’unë #4 : grande idée surgie dans des esprits venus trop : “3 | tôt, des hypothèses géniales que les hommes dd ÿ savoir positif traitaient avec dédain? C'était trop 1 à peu pour la victoire. 54 # Les notions transformistes commencèrent à se : faire jour dès le xvin* siècle. Nous en trouvons 2 des germes déjà chez Buffon, contemporain de on ve Linné. L'étude des différentes faunes lui a suggéré 4 l’idée de leur variation sous l'influence des condi- ù 2 tons climatériques et géographiques; en même % temps, la comparaison des différents organismes entre eux au point de vue de leur constitution _ l’amenait à conclure à l’existence d’une sortede _ plan général commun à tout le règne animal, sans 53 en excepter l’homme. — Gœthe fit un pas bien . plus décisif dans cette voie. Dans son travail sur 4 “a # es L'PEHE EUR des plantes, paru en 1790, il exprime cette idee éminemment transformiste, qu'il faut, dans l'étude des organes, les comparer entre eux, trouver ce qui leur est commun, leur forme originelle, et envisager ensuite toutes les formes observées comme résultats de ces modifi- cations, de ces « métamorphoses ». Ainsi, tous les organes de la plante proviennent de la métamor- phose d’un seul — de ja feuille. En zoologie, il appliqua cette conception en créant, en mêmetemps qu'Oken, et indépendamment de lui, la théorie vertébrale du crâne : il considérait la boîte cra- nienne comme une continuation de la colonne ver- tébrale, composée aussi de vertèbres, mais de ver- tèbres ayant subi des modifications particulières. Cette idée de l’origine de tous les organes aux dépens d’autres, modifiés, était, en somme, la même que celle de l’origine de toutes les espèces les unes des autres. C’est ainsi que la comprit Gœthe, et il indi- qua même que cette transformation devait avoir pour raison l'influence du milieu. « Toutes les par- ties, dit-il, se modèlent d’après les lois éternelles, et toute forme, füt-elle extraordinaire, recèle en soi le type primitif. La structure de l’animal déter- mine ses habitudes, et le genre de vie, à son tour, réagit puissamment sur toutes les formes. Par là se révèle la régularité du progrès, qui tend au chan- gement sous la pression du milieu extérieur »i. Quelques années après la publication des Méta- 1. Cité par Hæckel dens l'Histoire de la création naturelle, éd. Reinwald, 1874, p. 79. Lie L | L'IDés DE \L ARR AVANT DARWIN 13: Fe del QU at CPAS: p ." ANG Te M EE EME LE morphoses des plantes, en 1794, Erasme Re Er LES THÉORIES DE L "ÉVOLUTION grand-père de Charles Darwin, - émettait dans un livre intitulé Zoonomia des vues analogues, en insistant davantage encore sur l'idée que les homologies observées du bras de l’homme, par exemple, et de l'aile de l'oiseau, sont l’expression d’une parenté réelle entre ces espèces. 2 Mais c’est Lamarck qui le premier donna à l'idée transformiste son expression précise. Ce qui, chez ses prédécesseurs, comme Gœthe, avait été une idée un peu vague et peut-être même métaphy- sique (car il n’est pas sûr que par la «forme primi- 4 tive » à laquelle il rapportait les différentes modi- fications observées, Gœthe eût entendu une forme ; à To ancestrale véritable et non une entité n'ayant qu’une existence idéale), devint chez Lamarck une généralisation concernant les faits réels. (02 Né en 1744, Lamarck publia d’abord des travaux sur les différentes branches de la zoologie et dela = botanique. C’est lui qui introduisit le premier la di- vision des animaux en vertébrés et invertébrés, les ÿ quatre types fondamentaux de Cuvier (vertébrés, mollusques, articulés et rayonnés) n'ayant été con- çus que plus tard. Ce sont surtout les animaux 1 inférieurs qu'il étudia, dans son enseignement au Muséum d'Histoire naturelle et dans son grand 4 travail sur les Animaux sans vertèbres. Mais son œuvre capitale, qui est en même temps la première profession de foi du transformisme, c’est la Philo- sophie zoologique parue en 1809. Lamarck montre là tout ce qu’il y a de relaüf et d’artificiel dans la LL — mr SL AU D'AEREN aa à | à ie d'H8 TU MON A CT: cat é + _ = L'IDÉE DE L'ÉVOLUTION AVANT DARWIN 15 notion absolue de l’espèce, conception contraire à ce qui s’observe réellement dans la nature. Les espèces ne nous paraissent fixes, dit-il, que parce que nous les considérons pendant un temps très court : pendant la durée de notre existence. En réalité, elles changent constamment sous l’in- fluence du milieu, du genre de vie, du climat, de la température, de l’atmosphère, du milieu vivant constitué par les espèces voisines, etc... « Ce ne sont pas les organes, c’est-à-dire la nature et la forme des parties du corps d’un animal qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés parti- culières, mais ce sont, au/contraire, ses habitudes, sa manière de vivre et lies circonstances dans les- quelles se sont rencontrés les individus dont il pro- vient qui ont, avec le temps, constitué la forme de son corps, le nombre et l’état de ses organes, enfin les facultés dont il jouit »1. Les espèces descendent ainsi les unes des autres par la trans- mission héréditaire de ces variations dues à des causes naturelles et visibles pour tous. L'homme lui-même provient d’une transformation des qua- drumanes, et ses facultés mentales n’ont pas plus que celles des autres animaux une origine supé- rieure et surnaturelle. Entre lui et eux il n’y a, sous ce rapport, qu’une différence quantitative et non qualitative. Nous voyons là l’idée tout entière de l’évolution, avec son principe de causalité appliqué à toutes les branches de connaissances. 4. Recherches sur les corps vivants, p. 50, cité dene ls Philosophie zoologique, p. 237-238. HV oh ES Ads TENTE D ANNE Ge ts à, + 3 . Ed FX à ef =. 16 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Les idées de Lamarck sur le processus même par lequel s'effectue cette évolution : sur l’in- fluence du milieu et de l’usage des organes, ont reçu par la suite, au xix° siècle et à notre époque, un développement très considérable. Toute une école de naturalistes modernes — les néo- lamarckiens — en procède. Nous consacrerons à cette tendance du transformisme un chapitre spé- cial ; les vues de Lamarck y seront examinées avec plus de détails. Pour le moment, qu’il nous suffise de dire que c’est à lui que nous devons faire re- monter l’idée transformiste moderne, sous sa forme /complète et avec toutes ses conséquences logiques. ‘Elle n’a pas rencontré d’écho au temps de Lamarck ét n’a triomphé qu'avec Darwin, un demi-siècle plus tard, lorsque la pensée scientifique de l’Eu- rope fut prête à la recevoir, mais c’est à Lamarck que revient l'honneur de l'avoir, le premier, pro- clamée. _ Parmi ses contemporains, Lamarck trouva, en France, un disciple dans la personne d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire. C’est lui qui soutint contre Cuvier, au sein de l’Académie des Sciences, en 4830, la controverse célèbre qui dura presque six mois et fut un duel entre l’idée transformiste et celle de la fixité de l’espèce. Le bruit de cette discussion se répandit dans tout le monde scientifique de l’époque ; Gœthe, alors âgé de quatre-vingt-un ans, y prit l’intérêt le plus vif, et le dernier de ses ouvrages, achevé en 1832, peu de temps avant sa mort, fut consacré à ce débat, dont il indiqua la L 1) PTE 7 170: sue de cette discussion retentissante ne fut cepen- dant pas favorable aux nouvelles idées : aux yeux de la majorité, la victoire resta à Cuvier qui écrasa son adversaire sous le poids de faits à l'interprétation desquels son autorité donnait la valeur d’argu- ments incontestables. En Allemagne, les idées évolutionnistes étaient _ défendues par les philosophes de la nature. Cer- tains, parmi eux, furent des naturalistes remarqua- bles : tel Oken, par exemple, qui formula, avec SN . Gœthe, la théorie vertébrale du crâne, et eut aussi, avant la découverte de la cellule, l'idée prophé- * tique que tous les êtres proviennent d’une sorte # de substance colloïde primitive (Urschleim), se “ présentant dès l’origine sous la forme de « vésicu- les ». Les animaux les plus simples ne sont rien de plus : tous les autres sont formés d’agrégats de Le ces vésicules. ‘4 D’autres philosophes avaient signalé dès cette poque le caractère changeant de toute organisation A _ vivante (comme Tréviranus, qui avait publié un _ travail dans ce sens en 1802). Mais ces idées étaient, noyées au milieu de spéculations nuageuses et . . s , y À aboutissaient à des conclusions absurdes, ré- ar. sultat inévitable de la méthode même adoptée’ à par cette école philosophique qui, au lieu de FE remonter des faits observés aux généralisations a” _ théoriques, partait, au contraire, de ses concep- me _ tions abstraites pour conclure que le monde exté- ‘ie à a 4 À * $ 18 LUTI N ms, ze À f + rieur est réellement ce que ces conceptions veulent +4 qu’il soit. Ces spéculations, contraires à l’esprit des sciences naturelles, ne pouvaient inspirer aucune confiance ; aussi les idées transformistes, mal représentées par ces philosophes, furent- elles délaissées par le public scientifique. 1l y eut même une réaction contre toutes les idées géné- rales, et la période suivante, qui dura presque trente ans (depuis 1830, année des débats célè- bres entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, jusqu’à l'apparition du livre de Darwin), fut empreinte d’un esprit terre à terre, exempt de toute recherche | philosophique. Il y eut cependant des exceptions, et même très importantes. En 1830, Lyell publia ses Principles of Geology, qui faisaient entrer la géologie dans la voie de l’évolutionnisme. L'auteur se dressait contre l’idée cuvierienne des grandes catastro- phes et proclamait que toutes les transformations subies par notre terre dans le passé sont parfai- tement explicables par les phénomènes les plus ordinaires, semblables à ceux que nous voyons de n0S jours. Les géologues, s’engageant dans cette voie, cons- tatèrent des traces de pluie dans les formations carbonifères, étudièrent l'influence des fleuves sur la configuration de leurs rives, la destruction subie par les côtes sous l’influence de la mer, l’action des glaciers, etc. Tout confirmait l’idée que l'écorce terrestre s’est formée graduellement, par l’action - des causes actuelles, etque point n’est besoin d’une Ne P'TIT RL PE de: an Ÿ on DRE PP AT ER ce pe LR ERRe" Free à ES CRE PRE RTE À n 24 ‘os créatrice tie pour opérer tous ses chan- gements. En même temps, des découvertes paléontolo- giques donnèrent un démenti à certaines affirma- tions catégoriques de Cuvier relativement à l’origine de l’homme. Jamais, avait-il dit, on ne trouvera ua lien entre les hommes et les autres animaux, jamais on ne découvrira des restes fossiles de l’homme primitif ou dessinges anthropomorphes. Or, après sa mort, on trouva d’abord des restes fossiles de ces derniers, ensuite des outils de silex de l’homme préhistorique et enfin des crânes hu- mains paraissant inférieurs aux crânes modernes. De plus en plus, les traces de l’homme préhisto- rique apparaissaient, de plus en plus souvent on trouvait des objets témoins de la période où l’ancêtre de l’homme se transformait petit à petit en homme véritable. Dans un autre ordre d'idées, au point de vue philosophique, Spencer venait montrer, en 1852, la nécessité de la doctrine transformiste. Peu à peu, les esprits avancés arrivaient à se convaincre de la réalité d’une transformation graduelle des êtres; la question se posait seulement du pro- cessus qui préside à cette transformation. Cependant, malgré les aécouvertes scientifiques, telles que celle de la cellule, malgré les progrès} énormes faits par certaines sciences, l'embryologie, par exemple, les anciennes idées, ou plutôt l’hos- tilité contre toute idée générale, régnaient encore sans partage dans l’enseignement universitaire. + # NE TRÉ 3 LE L …. ire à PS RE © IE 4 . D à % PA Tes ve <+* AR" st * L+ de > æm ts ee D Sn AN x L ou ce % té it Ÿ rS BE LT L2R pe M, er ST 0 2 ce Le Ari : APE. "+ +Eih AS ‘ D SEAT S CARESS ef D er La 7: ET NOR . tv 20 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Voici comment Weismann, qui a vu de près €et état d'esprit, caractérise cette époque dans ses Vorträge über Descendenztheorie : « On ne peut pas se faire une idée de l'influence du livre de Darwin... si on ne sait pas à quel point les biologistes de ce temps s'étaient désin- téressés de tous les problèmes généraux. Je peux seulement vous dire que nous, jeunes gens qui avons fait nos études entre 1850 et 1860, nous igno- rions complètement qu’une doctrine de l’évolution ait jamais été énoncée, car personne ne nous en parlait et aucune leçon n’en faisait mention. C'était comme si tous les professeurs de nos Universités avaient bu l’eau du Léthé et avaient complètement oublié qu’il y ait jamais eu quelque discussion sur une chose semblable, ou bien, comme s'ils avaient honte de ces écarts philosophiques des sciences naturelles et voulaient préserver la jeunesse de ces erremenis {. » On comprend quelle impression a dû produire dans ce milieu le livre de Darwin sur l’Origine des espèces, paru en 1859. 1. Vorträge über Descendenztheorie, 2902, I, p 32. CHAPITRE II Darwin et F « Origine des espèces ». Caractère double des théories darwiniennes : transformisme et sélection naturelle. — La naissance des idées transfor- mistes chez Darwin ; le voyage du « Beagle ».— La théorie de Malthus et la sélection. — L’ « Origine des Espèces ». — Les arguments empruntés à la géologie, à la géographie, à l’'embryologie, à la classification. — L'origine de l’homme. — La lutte entre les nouvelles et les anciennes idées. — La victoire du transformisme et l'influence de cette vic- toire sur les autres sciences. Les théories de Darwin sont, à l’heure actuelle, très connues ; elles ont exercé une influence trop profonde et ont eu une portée trop étendue pour ne pas être devenues familières au public lettré. Il est donc superflu de les exposer ici avec tous les dé- tails et toutes Les preuves à l’appui ; il ne manque pas d’ailleurs d'ouvrages excellents où le lecteur ‘pourra trouver facilement cet exposé. Ici nous nous bornerons seulement à rappeler les points les plus essentiels, ceux qu’il faut toujours avoir pré- sents à l'esprit pour se reconnaître dans les théo- ries venues plus tard et pouvoir y distinguer l’héri- D] L 2 ANS. NA UES THÉORIES DE ve rien tage de Darwin de ce qui, sous le même no x | * N&y « darwinisme », est venu s’y surajouter. he Le français. Rien, en effet, n’était plus opposé que ces à x sn, Le “d'à P, À : ke TE ; 2 # L Ci LATE H PIX ANT LS, ME SU à V ART L s AP te. : M " nr Ce qu’on a appelé le « darwinisme » est une dote. x trine complexe dans laquelle il faut distinguer deux ME parties à peu près indépendantes ;. l’idée fonda-. mentale, l’idée transformiste générale — la même a que celle formulée autrefois par Lamarck— et l'idée qui fait l’originalité de Darwin et quiatrait au procédé à l’aide duquel s’accomplissent e 5. iransformations des êtres. Il faut dire cependant que, bien qu’énoncée avant lui, la théorie de la descendance a été conçue par _ Darwin en dehors de l'influence directe de ses pré- _ décesseurs, de Lamarck notamment. On est même en droit de s’étonner que Darwin n’ait pas reconnu dans la conception de Lamarck l'idée transformiste qui est la base de sa propre théorie. Sans doute faut-il voir la raison de cet aveuglement dans la différence profonde entre sa mentalité et celle du zoologiste ? deux grands esprits : Lamarck allant rapidement À aux grandes généralisations, et Darwin ne craignant rien tant que les conclusions hâtives et s’entourant minutieusement de faits qu’il ne jugeait jamais assez nombreux. Darwin est donc arrivé à sa théorie d’une façon tout à fait indépendante, non pas par des raisonnements philosophiques, mais par Pob- servation d’un nombre très considérable de faits, ce qui a donné à ses conclusions une force de 14 persuasion extraordinaire. Un voyage autour du monde fut le point de dé. 4 4 ue K . Ko RS ot | PARWIN ET L’ & ORIGINE DES ESPÈCES »n 23 part de ses recherches. Tout jeune encore, à peine * âgé de vingt-deux ans, Darwin s’embarqua, en 1831, sur le navire portant le nom de « Beagle » (Limier), envoyé par le gouvernement anglais pour explorer, dans des buts scientifiques et pratiques, les parties méridionales de l’Amérique du Sud. Le voyage. dura cinq ans, et au retour, la théorie de la des- cendance était déjà prête dans l’esprit de Darwin. Voici comment il raconte la chose dans une lettre à Hæckel, écrite bien plus tard : « Dans l'Amérique du Sud, trois classes de phénomènes firent sur moi une vive impression : premièrement, la ma- nière dont les espèces, très voisines, se succèdent et se remplacent à mesure que l’on va du nord au sud ; deuxièmement, la proche parenté des espèces qui habitent les îles du littoral de l’Amérique du Sud et de celles qui sont propres à ce continent ; cela me jeta dans un profond étonnement, ainsi que la variété des espèces qui habitent l'archipel des Galapagos, voisin de la terre ferme ; troisième- ment, les rapports étroits qui relient les mammi- fères édentés et les rongeurs contemporains aux espèces éteintes des mêmes familles. Je n’oublierai jamais la surprise que j’éprouvai en déterrant un débris de tatou gigantesque analogue au tatou vivant ». | En réfléchissant à ces faits et à d’autres sem- blables qu’il put observer, Darwin arriva à cette conclusion que les espèces voisines pourraient 4. Le 8 octobre 1864. Cette lettre est citée par Hæckel Gans l'Histoire de la création naturelle, éd. 1874, p. 119. Mer TU UE CS céeNe à Ce CS Li PAST ù PR Fe RME TRE " Hs SA «EE { NEIL À re dir a > 4 + 144 4 ANA AR D , AL RS TRES Pa Me 1408 24 7 lots TRÈORIES DE L'ÉvoLuTIon "4 Le pi Far ee 4 RAT PACA | ee. n’être que des descendants d'une ER iorme | F3 ancestrale, modifiée par son adaptation à des habitats différents et à des changements dans les | % # vonditions de vie. La variabilité de tous les êtres vivants lui parut la règle générale ; cette variabilité à et le fait que les modifications survenues se trans- _ ‘mettent par l’hérédité lui firent concevoir la possi- bilité d’une transformation générale. Mais ce qui _ yn’était pas encore clair dans son esprit, c'était Ps 3 - PPT RE ED LE Le Vorigine de ces variations et la façon dont elles —_ peuvent fournir aux êtres les éléments de leur de adaptation aux conditions du milieu qui les entou- à À rent. 1 4 C’est à réfléchir à ces questions et à accumuler “4 _ le plus grand nombre de faits possibles pour les 5% résoudre que Darwin consacra les longues années 4 noi qui s’écoulèrent entre son retour du voyage, en . LA 7% 1835, et la publication de son livre. Ne voulant pas 4 4 émettre des conclusions d’une portée sigrandeavant k * de. pouvoir les appuyer sur des preuves irréfu- D tables, il ne publia même pas le plus petit exposé de ses idées. Il collabora au vaste rapport sur le voyage du « Beagle», publia son travail sur les récifs coralliens, sa monographie sur les cirripèdes, mais la grande question restait toujours réservée. Lon- guement et patiemment, Darwin étudia les animaux domestiques et les plantes cultivées, laissées jusque- là dans l’ombre, leurs variétés, la façon dont elles sont obtenues. Il aperçut quelle force Poe #3 pouvait être le choix opéré par l’homme. ‘4 Le Traité de la Popuiation de Malthus, tombé 3 SD Aie + 14 D Ag! ï (ts PEN AE En PE UN ST ven CNT | Fo A a A SACS ÉRRUMREE se éd 7 LE ref MS Lg es. È À af D" 1 PÉTER P7S | | PARWIN ET L’ & ORIGINE DES ESPËCES » 25 2 | _ accidentellement entre ses mains, lui suggéra l’idée d’une sélection analogue dans tout le _ monde animal et végétal, La population augmente en proportion géoméirique, disait Malthus, tandis que la quantité de moyens de subsistance n’aug- | mente qu’en proportion arithmétique ; de là une compétition qui doit entraîner la disparition de certains individus moins bien doués que les autres. Il doit en être de même dans la nature, pensa Dar- win; il naît à chaque moment beaucoup plus d'êtres qu’il n’en peut survivre, et ceux qui sur- vivent sont les mieux adaptés aux nécessités de leur existence. C’est là la clef tant cherchée du fait étonnant de l'adaptation générale des êtres à leur milieu. Nous aurons encore à parler bien plus longue- ment de cette idée célèbre de la sélection natu- relle; pour le moment, nous voulons montrer . seulement à quel point Darwin tenait à appuyer ses théories sur des preuves solides, à répondre à toutes les questions qui peuvent se présenter. _ Nous trouvons, en effet, dans son livre toutes les _ objections qu'il pouvait prévoir à son époque, . exposées dans toute leur force et réfutées à l’aide À de tous les faits que les diverses branches de con- Aaissances pouvaient lui fournir. Non content de _ lire tous les iravaux qui pouvaient jeter quelque _ lumière sur ces questions, Darwin se mettait en relation personnelle avec les hommes de science et _ les praticiens, éleveurs et horticulteurs, dont les _ recherches spéciales étaient capables d’éclairer ; | ! d k, 4 x Ka “ . + LA 7 A: Se PE is ve À ES ) a . gs #* LAS A La He N—. pe D. eee ORNE RE MINE En 4 SAS DA US Per en So PR Dr STI rh dans le même sens. Les grandes différences que 1. 26 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION 548 ET pour lui quelque point obscur. Aussi, dans son. argumentation, put-il passer en revue les grandes généralisations de toutes les branches des sciences naturelles et constater que toutes elles condui- saient à la même conclusion : la descendance des espèces les unes des autres à la suite de transfor- mations successives. ä Sés principaux arguments lui sont suggérés par la paléontologie et l’embryologie. Un fait capital fourni par la paléontologie, dit-il, c’est l’affinité étroite qui existe entre les restes fossiles de deux formations consécutives ; seule une parenté directe peut l’ex- pliquer. Il en est de même de la ressemblance entre les représentants des différentes faunes d’une même région, puis de ce fait très important que plus une forme est élevée en organisation, plus son appari- tion est récente. Cela n'implique pas, d’ailleurs, une idée de progrès continu, car s’il en était ainsi les êtres les plus simples seraient disparus depuis longtemps. En réalité, rien n'empêche leur conser- Er vation, puisqu'ils peuvent être adaptés aussi 4 parfaitement à leur milieu que les êtres les plus $ différenciés. Mais cela prouve seulement que les. : formes supérieures n’ont pu se développer que successivement et graduellement aux dépens d'an- cêtres ayant eu avec eux une ressemblance étroite. 4 La distribution géographique des êtres parle. :. montrent entre elles les faunes de régions dont les conditions géographiques et climatériques sont loin d’être différentes au même degré, par exemple a A 35 RER DARWIN ET L’ ( ORIGINE DES ESPÈCES » 27 entre celles du nouveau et de l’ancien monde. ne s’expliquent que par l'hypothèse du développement de ces faunes sur place. Inversement, le fait que la présence de certaines formes animales entraine elle d’autres formes bien déterminés (ce qui donne à la faune sa physionomie caractéristique) ne peut non plus s’expliquer que par leur parenté réelle. Les barrières, les différents obstacles à la migra- tion sont un facteur très important; ainsi dans les îles un peu éloignées des côtes peuvent manquer les ordres entiers d'animaux. Aucune ile éloignée de plus de 500 kilomètres du continent, ne possède dans sa faune indigène de batraciens ni de mam- mifères terrestres. En général, la faune des îles peut donner, pour la question de la descendance, des indications précieuses : ainsi on voit toujours, sauf de très rares exceptions, que la population ani- male d’une ile ressemble, tout en ayant certains caractères propres, à celle du continent le plus proche; de même, plus les îles sont rapprochées entre elles, plus leurs faunes sont concordantes. Mais les preuves les plus décisives de la théorie de la descendance sont, aux yeux de Darwin, four- nies par l’embryologie. Le grand fait ici, c’est la ressemblance beaucoup plus étroite entre les em- bryons des différents animaux qu'entre ces mêmes animaux adultes; ainsi les embryons d’un mammi- fère, d’un oiseau et d’un serpent ne se laissent pas distinguer les uns des autres aux premiers stades de développement. Un autre fait est la ressem- blance, chez l’embryon, des parties homologues 28 LES TRÉORIES DE L'ÉVOLUTION destinées à se différencier plus tard. Tout cela me peut s’expliquer que d’une seule façon : l'embryon représente l’état de l'ancêtre commun à plusieurs groupes d'animaux; les variations qui ont déterminé leur différenciation ne sont apparues qu’à un mo- ment relativement tardif de la vie embryonnaire et ont été héritées de façon à réapparaître approxima- tivement au mème âge. De même la persistance des organes rudimentaires ne peut trouver une explica- tion dans aucune autre théorie que celle de la des- cendance. Il n’est pas jusqu’à la classification, fondée pour- tant sur des idées traditionnelles et anti-transfor- mistes, qui ne vienne appuyer l’idée transformiste. Sur quoi se base-t-on pour distinguer les différents groupes? Non pas sur les organes d’adaptation, les organes analogues (car alors on classerait la ba- leine parmi les poissons) mais sur les homolo- gies et les organes rudimentaires. C’est là ce qui constitue l’unité de type, le grand principe des morphologistes. Or, cette unité de type n’est que l’expression de la parenté réelle entre les espèces considérées. Armé de tous ces arguments, Darwin publie en- fin son célèbre ouvrage. On connaît les polémiques qu’il suscita, l’enthousiasme des uns, l’hostilité violente des autres. Tout ce qu’il y avait dans la science de jeune, d’assoiffé de progrès, s’est rangé autour des nouvelles idées que combattaient l'erreur, la tradition religieuse, la réaction. Dans ce premier livre, Darwin laissa entièrement de QE De. ei 14 + 1] C1 "Le : RAS ET L’ ( ORIGINE DES Lots » 29 " ou, intentionnellement, la question de l’origine _ de l’homme ; mais la conclusion qu’il ne voulait, pas tirer, d’autres, Huxley en Angleterre, Hæckel en Allemagne, la tirèrent pour lui; lui ne se décida à faire de même que dans l’Origine de l'homme et la sélection sexuelle, ouvrage paru beau- coup plus tard, en 1871. Mais la portée de son idée fut immédiatement comprise par tous, sans qu’il ait eu besoin de l'indiquer, et les accusations de maté- rialisme, d’athéisme, d’immoralité constituèrent, dès le début, le principal argument dirigé contre lui. On peut même dire que ses adversaires étaient, _ au fond, poussés tous, consciemment ou inconsciem- | ment, par un de ces deux mobiles : l’esprit théologi- que ou la haine de toute idée générale en science. Ces années de lutte donnèrent un essor merveil- É leux à toutes les branches de connaissance; elles resteront à jamais mémorables dans l’histoire es de la science. Pas un domaine de la pensée qui Ko n'ait subi l'influence de la nouvelle conception, désormais définitivement implantée. Sans même a parler de la biologie dont les différentes parties à furent absolument bouleversées par l'introduction CE _ « de la méthode comparée, des sciences entières, nouvelles, surgirent. L’anthropologie, l’étude de S Vhomme primitif et des peuplades sauvages, ia ; - psychologie comparée, inaugurée par H. Spencer, la ce ._ philologie transformée, la sociologie poussée dans | une nouvelle direction, ce sont là autant de con- quêtes dont nous sommes redevables à la vic- de, toire de l'idée transformiste. LÉ CHAPITRE III Darwin et la sélection naturelle. L'idée de la sélection naturelle comme facteur nécessaire de la victoire du tranformisme. — La sélection naturelle et la sélection artificielle. La multiplication des êtres vivants et la lutte pour l'existence. — La divergence des carac- tères. — L'action directe du milieu. — Les objections prévues. — L'idée de la sélection naturelle comme argu- ment décisif en faveur du transformisme. C’est le fait d’avoir proposé, pour la transforma- tion des espèces, une explication claire, naturelle et s'appuyant sur des faits connus qui décida de l'issue de la lutte entre Darwin et ses adversaires. L'idée évolutionniste sortait ainsi du domaine des hypothèses et devenait une déduction appuyée sur l'observation et l'expérience. La victoire fut rem- portée par tout l’ensemble des idées darwiniennes : la grande idée de l’évolution et l’idée secondaire, subordonnée, du mécanisme même qui préside à cette évolution. Mais si la lutte eut lieu et si elle fut si chaude, c’est parce qu’elle se poursuivait non pas autour de cette dernière idée particulière, _ DARWIN ET LA SÉLECTION NATURELLE 31 7 _ mais autour de la grande idée fondameniaie, avec toutes ses innombrables conséquences, théoriques et pratiques. Qu'importait le moyen par lequel les espèces dérivent les unes des autres, pourvu que ce moyen fût naturel et n’exigeât aucune interven- tion miraculeuse lorsqu'il s'agissait d'établir Le principe même de la descendance! L’idée de la sé- lection naturelle était précieuse parce qu’elle indi- quait ce moyen, et, quelles que dussent être ses destinées futures, düût-elle même être remplacée dans l’avenir par une autre explication, ce sera le mérite éternel de Darwin, qui rendra son nom à jamais immortel, d’avoir donné de l'adaptation paraissant si merveilleuse des êtres une expli- cation basée sur le seul jeu des forces naturelles, | n’exigeant ni intervention divine, ni hypothèse) finaliste ou métaphysique quelconque. Voyons maintenant d’un peu plus près ce qu'est cette « sélection naturelle », cette « lutte pour l'existence » devenues si célèbres et dont on a tant abusé, surtout en dehors des limites biologi- ques. Le nombre d'êtres vivants qui naissent étant, d’après la loi de Malthus, supérieur à ce que la terre peut nourrir, il doit se produire entre eux une compétition pour la recherche de la nourriture et des meilleures conditions de vie, une lutte dont l'issue dépendra des avantages que tels ou tels _ individus possèdent sur d’autres. Ces avantages existent nécessairement, car même les descendants d’un même couple de parents présentent toujours * F" » 4 ur DATE . AR : , : Fe : CPS » LP LR « i « À 2. A (+ 18 (#7 7 peer $ Dh de fee Fa le par RSS AT e ST E FE pe’ .. a 2 L - . < RSR ot pd dE + 14 NS Pie 6 TRE Fret LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION entre eux certaines différences, et il en est ainsi à plus forte raison entre individus de la même espèce mais n'ayant pas de parenté aussi proche. Ces ca- ractères distinctifs sont généralemeni légers et peu saillants, mais ils n’en sont pas moins utiles ou nuisibles à l’être qui les possède. S'ils sont utiles, cela lui donne une supériorité sur les autres et lui permet de survivre là où les autres périssent. C'est ce que Spencer a appelé la « persistance du plus apte ». Darwin donne, comme nous l’avons vu, à ce phénomène le nom de sélection naturelle : la na- ture choisit parmi les différents individus, comme les éleveurs choisissent parmi les animaux domes- tiques ou les cultivateurs parmi les plantes culti- vées, les individus présentant au plus haut degré le caractère qu’ils tiennent à conserver. Ils font reproduire ces individus à l’exclusion des autres, les croisent entre eux, et il arrive que le caractère voulu s’accentue de plus en plus, pour devenir enfin tout à fait fixe et héréditaire. Une nouvelle race ou variété est ainsi créée. Darwin étudia de très près les transformations subies par les différentes races domestiques sous Vinfluence de cette sélection artificielle. Son atten- tion fut attirée par un groupe d'animaux par- ticulièrement propices à ce genre d'étude : les pigeons domestiques. L'élevage des pigeons est un art très ancien, connu depuis l’ancienne Égypte; il était également répandu dans l’empire romain où l’on tenait soigneusement des registres spéciaux de leur généalogie. Dans certaines cours des princes EUR Gun t Ne à Bree Len ET DARWIN ET LA SÉLECTION NATURELLE 33 asiatiques, on élevait, de même, des milliers de pigeons. De cette façon, depuis des siècles et par des modes d’élevage les plus divers, on est par- venu à créer des races et des variétés très nom- breuses qui présentent entre elles des différences beaucoup plus marquées que certaines espèces. Tout diffère chez elles : forme, couleur, dimen- sions, instincts. Tout le monde connaît les pigeons- voyageurs, avec leur instinct topographique spé- cial; il y a aussi les pigeons-culbutants qui ont l'habitude de se retourner dans l’air, où ils s’élè- vent en troupe, et de se lajsser tomber ensuite; les pigeons-paons, dont la queue ressemble, par la disposition de ses plumes, à celle de cet oiseau; d’autres ont des touffes de plumes, des replis divers de la peau, des transformations du bec et des pieds, etc. Darwin se procura toutes les races qu’il lui fut possible de trouver; on lui expédiait des échantillons de tous les pays du monde. Il se mit en rapport avec les éleveurs et les amateurs les plus célèbres, s’affilia à des sociétés colombophiles et, après des années d’étude, parvint à montrer que toutes ces races si diverses (que les éleveur croyaient dériver d’autant d'espèces sauvages) avaient pour ancêtre une seule espèce, le pigeon bleu des rochers (Columba livia). Ce que les éleveurs font d’une façon consciente, la nature le fait inconsciemment, et son outil dans _ cette œuvre, c’est la lutte pour l'existence : lutte 4 D des animaux et des plantes contre les conditions du monde inorganique (froid, chaleur, séche- s'éirdact : ; À ET LA AG Yi FRE PURE be “. D TMC 3 es _ 84 Les pars DE L'évoLuTIon __ resse, etc.), lutte contre des êtres f'Ésntosd un # rentes dont l'être se nourrit ou dont il peut, au contraire, devenir la proie, lutte contre les indivi- dus de la même espèce pour la place au banquet de la nature. Darwin donne dans son livre quelques exemples de l’envahissement de la terre par cer- «A tains êtres, ci ne manquerait pas de se produire ‘si quelque c4 se ne venait en supprimer un grand nombre {. Nos animaux domestiques, lorsqu'ils L redeviennent sauvages et que les conditions sont favorables, se multiplient avec une rapidité remar- quable, comme par exemple les chevaux et les bestiaux dans l’Amérique du Sud et en Australie. _ Ilen est de même des plantes : dans certaines iles, les plantes importées ont envahi tout le pays en moins de dix ans. Dans les plaines de La Plata, de ls LÉ dh + À D HT » 4 MIRE ET RES ; + + APE FES 5 FL ” Ro et GS VAT LATE REP + très grands espaces sont recouverts par une ou deux g. espèces de plantes, importées d'Europe. De tous les animaux, l’éléphant se reproduit, semble-t-il, le plus lentement; or, Darwin a calculé qu’en ad- É _ mettant que chaque éléphant puisse donner, dans L _ sa vie, naissance à six petits, les descendants d’un a seul couple seraient dans sept cent cinquante ans b. au nombre de 19.000.000! Et si tous les autres êtres se reproduisaient au même taux, on voit c@ que serait la population de la terre : aucun pays 4 ne serait capable de la nourrir. 14 Mais la multiplication des êtres est loin d’être aussi facile : leur existence dépend de mille con _ditions, de mille autres êtres vivants. Chacun de 1. Origine des Espèces, trad. Barbier, p. 10 et suiv. | LR ARE RZ: AL ès LT PEUT + + * LR DARWIN ET LA SÉLECTION NATURELLE 35 _ nous pourrait en trouver des exemples autour de lui; mais voici quelques-uns de ceux donnés par Darwin : Dans une lande stérile, on a enclos une portion du terrain que lon à plantée de pins: d'Écosse; cette plantation a changé du tout au tout le caractère de la végétation à l’intérieur des clôtures, si bien qu’on croirait passer d’une région à une autre. Douze éspèces de plantes, qui n’exis- tent pas autour, arrivent à prospérer là; pour les autres, les proportions relatives sont tout à fait différentes. Il en est de même de la vie animale : on trouve dans l’espace enclos six espèces d’oiseaux qu’on ne voit jamais autour, et comme ces oiseaux sont insectivores, cela influe sur le nombre d’in- sectes. Un autre exemple : Certains insectes sont néces- saires pour la fécondation de certaines plantes; ainsi, le trèfle a besoin d’abeilles et le trèfle rouge est spécialement visité par les bourdons. Qu'arr verait-il si les bourdons disparaissaient ou deve- naient très rares en Angleterre? Le trèfle rouge dont la reproduction en dépend deviendrait aussi rare ou disparaîtrait. Or, le nombre de bourdons dépend dans une grande mesure du nombre des mulots qui détruisent leurs nids, et le nombre des _mulots dépend de celui des chats. C'est ainsi que le nombre de chats peut agir sur la quantité du trèfle rouge dans le pays! Il y a donc partout interdépendance étroite et lutte, lutte non seulement pour l'existence individuelle, mais aussi pour la possibilité de se reproduire. Ce > 1 * LR | { HET THE j is: & à: Fe Lee AU ne : en fi Un : RA LES rnéontes de. L'évozurion | * + #, nS NOÉ AT autel E qui importe surtout dans cette lutte et ce qui. nn E. met à la sélection naturelle de s'exercer, c’est à pe concurrence entre individus de la même espèce, qui a pour résultat le triomphe des mieux armés. C’est là que la lutte est la plus acharnée, car les individus vivent ici dans les mêmes conditions, se disputent la même nourriture, envahissent le 3 Fe même sol. Et qu'est-ce qui décide de l'issue de __ cette concurrence? De petites différences indivi- É: duelles que présentent les êtres, des caractères D Ni très légers qui peuvent aider leurs porteurs à 4 | l'emporter sur leurs compétiteurs. Supposons (exem- 4 ple cité par Darwin) des loups qui se nourrissent de d différents herbivores dont ils s'emparent des uns par Re | la ruse, des autres par la force, d’autres, enfin, par Vagilité. Supposons, d’autre part, que parmi ces herbivores, une espèce devienne beaucoup plus “ répandue que Îles autres, que les daims, par exemple, ; se soient particulièrement multipliés ou que le nom- "2 bre des autres herbivores ait diminué dans le pays * pour une raison quelconque. L'existence des loups 4 dépend maintenant de la réussite de leur chasse au daim, l'animal le plus rapide de tous ceux : dont ils peuvent faire leur proie. Dans ces condi- n. tions, ce sort les lo’1ps les plus rapides et Îes plus _ agiles qui auront le plus de chances de survivre et É __ de laisser des descendants, auxquels ils transmet- _ tront leur agilité. r NS Voici un autre exemple, emprunté au règne végétal. Certaines plantes sécrètent une liqueur sucrée, très recherchée par les insectes. Les o a A DUR d Æ 1 'P"4 à ] | DARWIN ET LA SÉLECTION NATURELLE 37 glandes correspondantes peuvent se trouver sur différents organes de la plante . à l’aisselle des sti- pules, sur la feuille, etc. Supposons que chez une espèce certains individus présentent ces glandes à l’intérieur des fleurs au lieu de les avoir sur la feuille : les insectes qui viendront cueillir le nectar dans l’intérieur de la corolle emporteront avec eux _ du pollen et contribueront à la fécondation croisée de la plante, tandis que les individus chez lesquels _ les nectaires auront été situés d’une façon moins favorable pourront rester stériles. La disposition avantageuse se transmettra à la génération sui- vante; puis, au sein de cette dernière, les planies dont les nectaires seront plus développés et sécré- teront une quantité de liquide plus considérable se trouveront de même favorisées, et ainsi de suite, jusqu’à ce que, à un moment donné, une nouvelle espèce se trouve créée, caractérisée par Îles glandes sécrétrices du nectar dans l’intérieur des fleurs. Mais cela ne veut pas dire que les individus ne présentant pas tel caractère particulier avantageux soient nécessairement condamnés à périr : ils peu- vent posséder un autre avantage, une autre arme dans la lutte pour l’existence, qui pourra compen- ser l’absence de la première. « Prenons, par _ exemple, dit Darwin, un quadrupède carnivore et y _admettons que le nombre de ces animaux a atteint, il y a longtemps, le maximum de ce que peut nour- rir un pays quel qu'il soit. Si la tendance naturelle de ce quadrupède continue à agir, et que les con- ditions actuelles du pays qu’il habite ne subissent Avr FE ICT ER CNP EE PL OU RU ME MR PAU ANNE CIAA NS is, RES RNA RUE b va s : Pa” : à 2 2h A We r+ ve 2 &E FR LÉ € Lo” DAS + ès NES ue à ; à Eee À ASE. fer pu F4 PAL TS. PE ENT CRT RE à, ET 2. er re L'T eNY | « LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION aucune modification, il ne peut réussir à s’accroître en nombre qu’à condition que ses descendants variables s'emparent de places à présent occupées par d’autres animaux : les uns, par exemple, en devenant capables de se nourrir de nouvelles es- pèces de proies mortes ou vivantes; les autres en habitant de nouvelles stations, en grimpant aux arbres, en devenant aquatiques; d’autres enfin, peut-être, en devenant moins carnivores. Plus les descendants de notre animal carnivore se modi- fient sous le rapport des habitudes et de la struc- ture, plus ils peuvent occuper de places dans la nature. » C’est là ce que l’on appelle la diver- yence des caractères, et plus l’espèce manifeste cette divergence, c’est-à-dire mieux les individus qui la composent savent s’adapter aux conditions de vie différentes, plus elle a de chances de réussir dans la lutte pour l'existence. La divergence des caractères, ainsi que l’extinc- tion de certaines espèces, autre facteur très général et très important dans l’histoire des êtres orga- nisés, trouvent l’une et l’autre leur explication dans la sélection naturelle et constituent, dit Dar- win, une forte présomption en sa faveur, même malgré l’absence de preuves manifestes. La sélection naturelle n’est cependant pas aux yeux de Darwin ce qu’elle est devenue plus tard pour ses disciples, les néo-darwiniens : le facteur unique et exclusif de l’évolution. Il reconnaît toute l'importance de l'influence directe du milieu exté- 1. Ibid., p. 19. L ES QT an A, ” ENFEPIGG PE US ET SAR ASS UN y ee Li CS + Qrél'ait es + 4 . sa ñ "24 À LA QE \ | Me , WE } RENE 4 DARWIN ET LA SÉLECTION NATURELLE 39 rieur et dit, expressément qu'il faut éviter de tout attribuer à la sélection, même lorsque l’action du milieu apparaît comme plus probable. Il reconnait de même l’hérédité des caractères acquis sous l'influence de ce milieu ou par l’usage ou le défaut d'usage des organes. Il n’en est pas moins vrai cependant que la nature de l’organisme lui appa- raît toujours comme plus importante que les condi- tions qui l’entourent, et que ces autres facteurs ne jouent pour lui un rôle qu’autant que la sélection naturelle peut s’exercer sur les structures produites par eux, qu'autant, c’est-à-dire, que ces structures sont utiles ou nuisibles. Darwin prévoit lui-même les objections qui peu- vent être faites à sa théorie et dont quelques-unes ont déjà été formulées de son temps. Un des cas les plus difficiles à expliquer par l’action de la sé- lection naturelle, est l’apparition d’organes très compliqués et très perfectionnés, formés de nom- breuses parties et ne pouvant fonctionner utilement que si toutes ces parties sont très exactement adaptées entre elles. Tel est, par exemple, l’œil des animaux supérieurs. Sans résoudre cette dif- ficulté, Darwin fait une remarque générale en disant que, vu l'existence d’organes de la vision très rudimentaires chez certains animaux et, d'autre part, l'existence de différentes formes de transi- tion, il n’est pas impossible d'admettre que l’œil le plus compliqué se soit formé par une succes- sion de variations (d'autant plus que des varia- tions de l’œil ont été constatées) dont chacune se _ * Re UN ROBE MED UE PART VE PAIE DU 8 0. A UIRE sat TE né 4e et, EN LN Ce L'MEET «1 i ? FCHÇOURE 44 _ F \ È DA RO TANT S: Là NS TU TISMAETS LES RM DE L'ivozenon * Li ME RER F (FE 2 trouvait être utile à l'espèce. Dans tousles as @Ù "0 x il, on ne peut pas montrer d'exemples d'organes complexes ne pouvant pas se former par une suc- 4 de cession de modifications légères et graduelles. Les ra é formes detransition peuvent manquer, mais il serait : erroné d’en conclure qu’elles n’ont jamais pu exister. # On peut objecter de mème que beaucoup d’or- 4 ganes semblent trop peu importants ou trop peu n utiles pour que la sélection naturelle ait pu être la cause de leur conservation. À quoi peut servir, par exemple, la queue de la girafe, avec sa forme spé- ciale, sinon à chasser les mouches, but évidem- ment trop minime? Il faut cependant tenir compte de notre ignorance des multiples facteurs qui inter- viennent dans la vie des êtres. Il se peut que l’inu- tilité ne soit là qu'apparente et que dans les pays chauds les moustiques jouent dans la vie des grands mammifères un rôle que nous ne leur supposons pas (mais qu’on connait pourtant pour le bétail en Afrique). Il se peut aussi que la queue de la girafe _ Jui soit léguée par ses ancêtres aquatiques qui se servaient de cet organe pour nager, et qu’elle se % soit ensuite graduellement transformée et adaptée Er à son nouvel usage. Dans tous les cas, le principe d'utilité est incontestable, et il n’y a pas, il ne peut y avoir d'organes nuisibles pour l'espèce. Nous pou- vons aussi nous tromper en attribuant à la sélection naturelle tel organe qui peut être dû à Faction du milieu, à la tendance au retour à une forme depuis __ longtemps perdue, à la corrélation, à la sélection sr” _ sexuelle, etc. s- gré TERRE } (es, nt s 4 LD SA Fu : 1% 22 She z SE Re er à À: Fran D ML ee Enr 2 Eee + cz Ten ” > me A Las < “- ®.? La à gr "# NP ÉS RTS de 0 PE og LE À + Eu a È EEE Nate ignorance est de même pour beaucoup dans une autre objection qu’on peut faire à Fhypo- thèse de la sélection naturelle : celle d'organes qui ne peuvent être utiles que lorsqu'ils sont complète- ment développés : ainsi la même girafe se sert de son long cou pour brouter les feuilles des arbres, mais si, au temps où iss ancêtres des girafes ac- tuelles n'avaient pas encore acquis ce caractère, il était arrivé à l’une d’entre elles d’avoir le cou de quelques centimètres plus long que chez ses congé- nères, quel avantage aurait-elle pu en retirer? Il est possible pourtant, répond Darwin, qu'au temps de la disette l'aptitude à brouter un peu plus haut que les autres puisse devenir une question de vie ou de mort. Il est possible aussi que son long coa permettant à l’animal de voir de loin lui soit très précieux au point de vue de Ia défense contre les bêtes fauves. Les avantages, en un mot, peuvent _ être multiples, et nous pouvons les ignorer. ke En lisant dans l’ouvrage de Darwin cette discus- sion des différentes objections possibles, on s’aper- çoit immédiatement que ce que l’auteur de l’Origine des Espèces tient à prouver, c’est que les différentes formes observées dans le monde organisé peuvent _ provenir les unes des autres, mais non pas qu’elles MU naissent au moyen de la sélection naturelle plutôt que de tel autre facteur. Il s’agit pour Darwin, sur- ri : * » . 4 ‘,4 tout et avant tout, de montrer que, quelles que € soient les invraisemblances qui se peuvent ren- Le _ contrer dans son hypothèse, celle de l’origine indé- 34 _ pendante des formes, au moyen d’actes de création ; ! unie te > At À a « HA ANT y LINE f à aa 1? 42 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION séparés, est bien plus invraisemblable encore. Les objections contre la sélection naturzlle se con- fondent pour lui (et il en a été ainsi presque pour tous à son époque) avec celles que les partisans de : la fixité des espèces peuvent faire contre la théorie de la descendance elle-même; le dilemme se pose pour lui ainsi : fixité des espèces, ou bien leur des- cendance les unes des autres par la sélection! na- turelle. Il ne prévoit aucune autre théorie trans- formiste possible. 0, TEREGS 0 < k ù “1: + “g les divers facteurs qui régissent la descendance CHAPITRE IV La sélection naturelle après Darwin. La discussion de Îl2 sélection naturelle. — A.-R. Wallace le sélectionnisme exclusif. — Les néo-darwiniens ; A. Weis- mann. La théorie de la panmixie. — Critiques de la sélec- tion. La lutte contre la nature et la lutte entre individus. — La sélection rigoureuse est-elle un facteur de progrès? — Le rôle des conditions favorables. — Le hasard et les par- ticularités individuelles. — Les caractères isolés et l’en- sermble des caractères. La discussion de la théorie de la sélection natu- relle ne put être entreprise et menée à bonne fin qu'après que la victoire des idées transformistes eut été complète et définitive. Il fallait cette vic- toire de l’idée la plus générale qui inspirait toute la campagne darwiniste pendant les premières années de lutte ardente, pour qu’on püt, dans les années suivantes, aborder les questions subsi- diaiïres soulevées par Darwin. Il fallait d’abord déblayer le terrain; on a pu ensuite, sans avoir à se préoccuper des arguments pris en dehors du domaine scientifique, discuter entre transformistes ta, Ê / SAT 574 AE Ge VEN la TA As s | à 71 ext Fr RÇIE 3 LES A DE L' RL. cg 11 | des-espèces.) La sélection naturelle se trouvait au _ premier rang de ces facteurs, car l’œuvre de Darwin avait, au début, absolument éclipsé les travaux de | ses prédécesseurs, tels que Lamarck, qui avait mis C7 » ‘YrAnr. en avant d’autres facteurs de ce même processus. Déjà A.-R. Wallace, qui conçut lidée de la sélection naturelle en mème temps que Darwin et indépendamment de lui, oppose nettement cette idée aux conceptions de Lamarck. Dans ses Æssais! dont les deux premiers ont été écrits avant que l’auteur ait pu connaître les idées de Darwin, et les suivants sous l'influence des idées darwiniennes, il parle de la lutte pour l'existence et de la survi- vance du plus apte comme du facteur unique de l’évolution. Ces Æssais sont, pour la plus grande partie, consacrés à montrer comment la sélection naturelle a pu produire certains caractères, tels que la coloration protectrice des animaux et les faits du mimétisme, et nulle part nous n’y trou- vons aucune mention d’autres facteurs, même secondaires. Plus tard, les naturalistes de la génération sui- vante exagérèrent encore, comme cela n’arrive que trop souvent pour toute idée nouvelle, le rôle de la sélection naturelle qui prit pour eux des formes 4. A.-R. WaLrace, La Sélection naturelle. Essais, trad. L. de Candolle, 1872, Paris. Le deuxième Essai, qui a pour titre : « De la tendance des variétés à s'écarter indéfiniment du type primitif », a paru en 1858. C'est là que l'auteur expose pour la première fois ses idées sur l& sélection natu- relle ; une rubrique de cet Essai porte le titre : « Que l'hypo- thèco ici présentée diffère beaucoup de celle de Lamarcks. .?, Be eo "en 2 Re JON ? LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS bARWIN 49 bien différentes de celle qu’elle avait chez l’auteur de l’Origine des espèces. Les idées lamarckiennes étant rejetées en bloc, l’action directe du milieu sur l’organisme et la réaction de ce dernier au moyen de l'usage ou de non-usage de ses organes ne semblaient plus avoir de l'importance. Et si, pour Darwin, la sélection naturelle agit en main- tenant et en développant soit ces caractères d’adap- tation directe, soit d’autres caractères individuels, dus au hasard, dans l'esprit de ceux qu’on appelle les néo-darwiniens tout se réduisit à ces der- niers. L'influence directe du milieu se trouva d’auiant mieux reléguée au second plan que ses effets parais- saient, dans les conceptions des néo-darwiniens, être transitoires et ne pas dépasser les limites d’une seule génération. Weismann, fondateur et principal représentant de cette école, concluait, en effet, par sa théorie de l’ontogénèse et de l’hérédité (théorie que nous examinerons dans un des chapitres sui- vants) à la non-hérédité des caractères acquis au cours de l’existence individuelle et enlevait ainsi à ces caractères toute importance pour les destinées de l’espèce. La sélection naturelle des variations innées et dues au hasard reste ainsi la seule cause de toutes ces transformations. La toute-puissance de la sélection naturelle, titre significatif d’un des ouvrages de Weismann!, est le point de vue général et absolu auquel il envisage tous les phénomènes 1. Die Allmacht der Naturzüchtung. Eine Erwiderung an Herbert Spencer, 1893. 3 . * logiques sans exception et ue il 1 ramè D » * xt DA mi Ne Été. t A À PS LES néons ve L'é tous, souvent à l’aide de constructions logiques a. lon sent trop l’idée préconçue, volontairement ré. 1) trécie, de leur auteur. Sans : Depuis ses premiers travaux, Weismann, me Fe ‘influence des discussions nombreuses et appro- fondies qui sont venues ébranler un grand nombre 4 d’affirmations de l’école néo-darwinienne, a fait un certain nombre de concessions, et des concessions 4 importantes ; il a introduit dans son système quel- a ques notions par lesquelles l’idée de l'influence du ‘10 milieu, la tant persécutée idée lamarckienne, y ce insensiblement. Mais toutes ces notions ‘4 nouvelles, tous ces perfectionnements de l'édifice 1 y primitif se rattachent de quelque façon à l’idée de. lutte pour l’existence et de sélection. Dans le der- à nier en date des ouvrages de Weismanni, qui est comme le résumé de toute son œuvre scientifique, | nous retrouvons intacte l’idée unique de sélection naturelle appliquée précisément à tous les phéno- mènes biologiques, et à ceux-là surtout où son action a été le plus contestée : coloration des ani- maux, mimétisme, développement desinstincts, etc. L'action directe du milieu, le principe lamarckien de l’usage et du non-usage continuent à être réso- lument rejetés ; en même temps le principe de l'utilité de tous les caractères existants, mêmelors- que cette utilité nous échappe, est proclamé}: l’action de la sélection naturelle apparaît non ma + unique, mais infaillible. 1. Vortrüge über Descendenztheorie, 1, 1902. LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIK 47 On remarque en même temps que la «lutte pour l'existence » et la «sélection » qui, dans l’Origine des espèces, ne sont qu'une façon de présenter des faits très connus, très familiers et très concrets, devien- nent ici peu à peu de véritables abstractions, des sortes d’entités métaphysiques. Les diverses parties du vaste système de Weismann (car il embrasse toutes les questions de développement de l'individu et de l’espèce) se rattachent entre elles par cette idée de sélection et de lutte pour l'existence, mais appliquée dans des conditions si différentes et comprise dans des sens si variés qu’elle semble grouper sous une étiquette commune les choses les plus diverses. Qu’ont de commun, en réalité, la sélection darwinienne, la sélection « histonale » (lutte des parties de l'organisme de Roux) et la « sélection germinale » de Weismann ? Rien que le mot, destiné à en faire l’expression d’une même tendance. Nous aurons à parler plus loin des théo- ries mêmes de Weismann; ici nous voulons sim- plement indiquer que c’est chez lui qu’il faut cher- cher l’expression la plus complète des idées de tions en faveur de l’inné au détriment de l’acquis, de la prédétermination au détriment de l’action du milieu; avec sa schématisation extrême de la marche de l’évolution, avec la lutte pour l'existence, schématisée aussi, pour seul facteur. Pour résoudre, en la rattachant à la sélection naturelle, une question à laquelle Darwin n'avait l’école néo-darwinienne, avec toutes sos ri, | pas réussi à donner une réponse précise, celle ALI ed = ("2 e - . RS DE SL Le ns enr en à m É LL n." des organes rudimentaires, Weismann propose une Ve théorie spéciale : celle de la panmixie. ( Les organes rudimentaires sont très Ba dans le règne animal : yeux dégénérés des animaux vivant sous terre, membres des cétacés, appendice vermiforme et vertèbres caudales chez l’homme, et beaucoup d’autres dont chacun pourrait trouver des exemples autour de soi. Ces organes sont des restes d'organes plus développés qui étaient autre- fois utiles aux ancêtres de l’animal et qui, main- tenant, sont devenus superfius ou même nuisibles. Comment s'effectue leur disparition? Il peut y avoir là différents cas : quelquefois l’organe, si d’utile il devient nuisible, peut disparaître par le processus ordinaire de la sélection naturelle, _ dirigée en sens contraire : ce sont les individus qui ont cet organe le moins développé qui survivent et transmettent leur particularité aux descendants. Mais si l’organe est simplement inutile et si sa disparition ne peut présenter aucun avantage sé- rieux, il faut chercher à sa dégénérescence une autre cause. Elle réside, d’après Weismann, dans le fait de la suppression de la sélection par rapport à lui. La sélection ne fait pas seulement développer un organe, mais C’est elle aussi qui ie maintient à un certain niveau. Lorsqu'elle ne s’exerce plus, les individus qui possèdent l’organe considéré et ceux qui ne le possèdent pas ont des chances égales de survivre et de laisser des descendants. Tous participent également à la génération : de là, le nom de panmizie. Le niveau moyen s’abaisse | LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN 49 sinsi à chaque génération jusqu’à ce que l'organe 3'atrophie, ou même disparaisse complètement. La théorie de la panmixie a été la première des théories auxiliaires formulées par Weismann en vue d’une application logique du principe sélec- tionniste à ‘ous les phénomènes. Elle a le défaut de ne pas expliquer l’abaissement d’un organe au- dessous d’un certain niveau et de garder le silence sur le processus physiologique par lequel se fait _ cette régression. Une théorie créée ultérieurement et que nous examinerons plus loin, celle de la sélection germinale, est venue combler cette lacune. En abordant l'exposé des critiques adressées aux théories sélectionnistes, nous devons d’abord poser une première question essentielle : la com- pétition entre membres d’une même espèce est-elle un fait aussi général que le suppose Darwin? Cette lutte qu’il invoque existe-t-elle telle qu’il nous la représente, lutte aiguë, rigoureuse, une lutte à _mort? Beaucoup de naturalistes, surtout parmi les savants russes qui ont étudié les régions où les animaux ont à lutter contre des conditions natu- relles défavorables, pensent que cette dernière lutte dépasse de beaucoup en importance celle qui peut se produire entre individus de la même espèce. Un auteur qui, pour des raisons théoriques que nous verrons plus tard, a particulièrement insisté sur cet argument, P. Kropotkinei, a eu l’occasion 4. P. KroPOTkINE, L'Entr'aide, un facteur de l'esolution, trad. française, 1906. A Cal es d'observer la vie animale dans des régions au climat très rigoureux, à la nature pauvre et inclé- mente, dans l'Asie septentrionale. La lutte pour l'existence y est acharnée, mais elle se poursuit contre cette nature environnante qui exerce des ravages terribles et constitue un obstacle à la sur- population autrement grand que la concurrence entre les individus. Les zoologistes russes Menzbir et Brandt aboutissent, à la suite de leurs propres observations, aux mêmes conclusions. D’ail- leurs, un des darwiniens de la première heure, G. Seïdlitz, a indiqué, dès 1871, la distinction à faire entre la lutte à l’intérieur de l’espèce et celle contre les obstacles naturels et les ennemis communs. Certains naturalistes affirment même n’avoir jamais constaté de concurrence entre individus adultes. V.-L. Kellogg, par exemple, qui a patiem- ment observé la vie des insectes et étudié leurs variations, dit qu’en examinant deux lots d'insectes adultes : l’un composé d'individus ayant vécu en toute liberté et, par conséquent, soumis à toutes les rigueurs de la lutte présumée pour l’existence; l’autre comprenant des individus pris au moment juste où ils ont acquis la maturité, mais n’ont pas encore eu le temps de subir les effets de la con- currence, il a constaté exactement autant de variations dans la coloration, les dessins des ailes, etc., dans un cas que dans l’autre. Et il en 4. Die Darwinsche Theorie. 41 Vorlesungen, 1871. "3 + Rs sde Cha ar 0 E aga À | LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN O1 conclut qu'une sélection naturelle rigoureuse, basée sur ces variations, sélection telle que l'exige la théorie, n’est pas intervenue icif. La deuxième objection faite à la théorie sélec- tionmiste est celle-ci. Darwin dit très justement qu’ «une grande diversité de structure peut main-\ tenir la plus grande somme de vie? », mais est-il vrai que cette diversité soit obtenue par une lutte très vive entre individus, par une sélection très rigoureuse ? N’est-il pas plus juste de penser que ? Ce sont, au contraire, les conditions favorables, une vie relativement facile, qui font apparaitre et protègent les variations nouvelles? Plusieurs auteurs pensent ainsi. Kropotkine que nous venons de citer fait remarquer, en parlant des régions pauvres du nord de l'Asie, que la vie y est rare et iorsqu'une période particulièrement difficile survient, lorsque la nourriture manque, on voit les animaux (les chevaux et les bestiaux à demi-sauvages de la Transbaïkalie, les ruminants, ïes écureuils, etc.) sortir tous si affaiblis de l'épreuve qu'aucune évolution progressive de lespèce ne saurait prendre pour base la concurrence entre eux. Certains résultats de la statistique humaine parlent dans le même sens. Les mauvaises conditions non seulement éliminent les plus faibles, mais altèrent la santé de ceux qui restent; à cet égard, elles ne peuvent jamais être utiles. Ainsi, dans un travail . 4. V.-L. Kerocc, Darwinism to-day, p. 82-83, 1908. 2. Origine des Espèces, 0. 121, # Ar adle PT liren d 234 2 N'LANT re 0 e RAI £4 d … NLE : N 2 (y AVE _ sur la mortalité des nourrissons!, Kœppe ME N que les années de sélection sévère, les années où, de par suite d’une température trop rigoureuse, ÿ 4 4e d’épidémies, etc., il meurt beaucoup d’enfants, il x naît une génération plus faible, donnant ultériew … , rement une mortalité plus élevée. ENS 2 Deux naturalistes surtout se sont placés à ce ‘1 ni point de vue, et ce qui est très significatif, c’est * que leurs points de départ et le genre de leurs F5 études sont absolument différents et même op- F: posés entre eux. L'un est le botaniste russe A Korschinsky, dont la théorie de l’hétérogénèse a bé précédé de quelques années celle, toute récente, D de de Vries, dont nous parlerons plus loin. L'autre j ‘4 est non pas un théoricien, mais un savant faisant | ces œuvre pratique; c’est Luther Burbank, un culti- 4 “ :: vateur de Californie, devenu célèbre. Son œuvre “94 est très considérable et ses conclusions d'autant ss ___ plus précieuses qu’il à eu la possibilité de faire de 1 # l’expérimentation sur la plus grande échelle jus- 0 qu’à présent connue dans ces sortes d’études?. Et 4 bien, Luther Burbank affirme avoir toujours cons- a taté qu’un sol riche et des conditions générales | ‘4 _ favorables déterminent l’apparition de nouvelles. nrÉ variations, tandis que la pénurie d’alimeñts, ou ‘2 leur surabondance excessive, conduisent à la. 4. Münch. Med. Wochenschrift, t. Il, p. 1541. CP 2. Voir l'article publié à ce sujet par V. L. Kellogg dans Popular Science Monthly, 1906, vol. LXIX, p. 363-374. Des ' 4 eo ".eN 5€ extraits en sont reproduits dans l'ouvrage déjà cité du même ‘ol 1 auteur : Darwinism to-day, p. 310 et suiv. 16592 M: 4 : < om ÈO t > L | LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN 93 Plus ces conditions seront avantageuses pour lui, : HONTATA - +4 14 ñ £ ÿ ñ f régression. Burbank s’abstient d’en tirer des argu- ments théoriques, mais ceux-ti en découlent d’eux- mêmes : les nouvelles variations apparaissent non pas là où la lutte pour lexistence est la plus vive, c’est-à-dire dans les conditions les plus défavo- rables, comme le supposait Darwin, mais au con- traire là où cette lutte est la plus atténuée, où les besoins des êtres sont satisfaite. C’est également la conclusion de Korschinsky, conclusion qui, à linverse de celle de Burbank, semble découler chez cet auteur de considérations plutôt théoriques. Les nouvelles formes, dit-il, n'apparaissent pas dans des conditions d’existence rigoureuses, Ou, si elles apparaissent, elles s’étei- gnent rapidement. Leurs débuts sont liés à cer- tains troubles dans l'organisme, surtout dans ses fonctions reproductrices, et pour qu'il puisse donner des descendants, il ne doit pas avoir à. lutter contre des conditions par trop inclémentes. plus ces variations se trouveront protégées et mieux lespèce pourra évoluer. Or, c’est au con- traire dans les conditions défavorables que la lutte pour l'existence et la sélection sont le plus vives. Ce sont donc des facteurs qui, loin de pousser, ralentissent l’évolution, en restreignant les variations et en.éliminant les nouvelles formes en train de se constituer t, 1. Korscamnsxy. Hétérogenèse et évolution. Contribution à la théorie de l'origine des espèces. (Mém. Acad. Saint-Pétersb., IX, 1899). A AR de ASS Ne Et can à Ë 4 d in: De 4 Ur ’ 6 : 3, VA VU "1 # À da 7 Doha 2 RS RU ARE Ta RU Ne etes Ta ne SE CENT … = â F ‘ + LES THÉÔRIES DE L'ÉVOLUTION L'idée de Korschinsky sur Je rôle plutôt négatif et conservateur de la sélection naturelle et de la lutte pour l'existence est juste dans une grande mesure; malheureusement, lorsqu'il s’agit de pro- : poser une autre explication de l’évolution (de laquelle Korschinsky distingue soigneusement l'adaptation, cette dermière pouvant prendre une forme régressive), il la cherche dans l'existence d’une tendance interne au progrès, inhérente aux êtres, et s'éloigne ainsi dans le domaine des spé- culatrons métaphysiques. En continuant d'exposer les objections faites à la théorie sélectionniste par ordre de généralité, nous trouvons ensuite cet argument bien des fois for- mulé : est-ce vraiment à quelques particularités dans l’organisation qui donneraient à un individu plus de chances qu’à un autre dans la concurrence universelle, que certains êtres doivent de survivre à l’exclusion des autres? Si des êtres innombrables périssent sous l’action de l’inclémente nature, est- ce bien parce qu'ils étaient mal adaptés à la Jutte? Il faut remarquer que ce qui est surtout sacrifié dans la nature, ce ne sont pas les êtres adultes capables de lutter et d’entrer en concur- rence entre eux, mais bien plutôt les œufs et les larves, Et qu'est-ce qui décide de leur vie ou de teur mort? Ce ne sont pas leurs caractères indivi- duels, mais des conditions indépendantes de ces caractères. C’est généralement grâce au hasard qu’ils ne sont pas dévorés par un autre animal, +R —— LA SA 2. 4: | qu “ls voi us ou moins bien abrités par des objets . environnants, plus ou moins visibles, etc.; il s’agit donc des conditions qui ne dépendent nullement des particularités de chaque œuf particulier. Dans la survie des adultes, le hasard joue, d’ail- leurs, aussi un rôle très considérable. « Lorsqu'une grosse baleine, demande Kellogg, ouvre la bouche au milieu de myriades de petits copépodes flottant dans les eaux pélagiques des mers aléoutiennes, ‘qu ‘est-ce qui décide quels sont les copépodes qui disparaîtront à jamais? C’est surtout, nous pouvons le dire, le hasard de la situation. Qu'ils aient la taille un peu plus grande ou un peu plus petite, qu’ils soient un peu plus ou un peu moins vigou- reux, qu'ils soient un peu plus rouges, un peu plus jaunes ou un peu plus excitables, qu’ils possèdent tel ou tel autre trait de structure ou de fonction, tout cela ne pèse que peu lorsque l’eau se préci-’ pite dans la gueule béante. » Il en est de même lorsque l’été dessèche les cours d’eau et les lacs américains : des milliers de poissons et d'insectes aquatiques y périssent sans que les légères différences qu’ils présentent entre eux leur soient de moindre secours. On pourrait trouver autant d’autres exemples que l’on voudra ‘ qui montreront de même que ce n’est pas tant le plus apte qui survit, mais celui qui, par un hasard heureux, se trouve au moment critique loin de l’ac- tion de la cause destructive qui fait périrles autres. 4. Darwinism tr-day, p. 80-81. 56 LES THÉORIES BE L'ÉVOLUTION Cet argument montre bien que le champ d’ac- tion de la sélection naturelle n’est pas aussi vaste que le croient les darwiniens purs et que, dans tous les cas, elle ne peut pas être le seul facteur agissant. Et dans les limites où elle ‘agit, son ac-. tion peut-elle s'exercer de la façon dont les sélec- : tionnistes se la représentent? Non, disent leurs adversaires, on aous peint les choses d’une façon trop schématique : pour simplifier, on suppose qu’un seul caractère varie chez un être et que c’est sur ce caractère qu’agit la sélection naturelle, tan- dis que tous les autres caractères restent immua- bles; or, les variations, surtout les variations telles que les suppose Darwin, et encore plus les néo- darwiniens, étant accidentelles et spontanées et non produites par une cause déterminée et unique, il n’y a aucune raison de croire qu’elles ne se ma- “nifesteront pas dans toutes les directions et n’iront pas se compenser mutuellement. H. Spen- cer imagine à l’appui de cette objection l’exemple suivant, déjà cité par l’un de nous dans un autre ouvrage {. Supposons que des ST OR habitent un pays au climat peu clément, hanté par de nombreux fauves. « Ceux qui ont l’ouie la plus fine enten- dront de plus loin l’arrivée du fauve, mais ceux qui ont la vue plus perçante ou l’odorat plus par- fait seront avertis aussi tôt qu'il est temps de fuir. Et que leur servira de s’enfuir plus vite ? D’autres, 1. Yves Derage. L'Hérédité et les grands problèmes de la biologie générale, 2° édit., p. 406. :34 __ LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN 97 24 plus rapides à la course, quoique partis au dernier moment, n’en échapperont pas moins. Survient la neige et un froid rigoureux. Ces individus plus ra- pides ou doués de sens plus parfaits n’ont pas en même temps la toison la plus chaude ni l'instinct le plus sûr pour trouver un abri, et le climat déci- A mera ceux qu'une première sélection avait proté- 4 gés. Après le froid, la disette arrive. Ceux qui 4 avaient eu jusqu'ici l’avantage seront peut-être les moins capables de trouver à s’alimenter ou de sur- 7 vivre à une alimentation insuffisante. » e Ainsi, aucun individu ne possède, à cause des (2 avantages portant sur un seul caractère, de supé- # riorité réelle et complète qui garantisse son succès À dans toutes les phases de la lutte pour lexis- “< tence : les avantages sont disséminés et compensés par les défauts. Ceci est un argument d’une valeur très réelle et montrant bien qu’il ne faut pas, dans 3 ces questions, chercher à trop simplifier les don- | nées du problème et raisonner à la façon mathé- | matique, en supposant toutes conditions égales d’ailleurs, ce qui ne peut être vrai, et encore, que dans une expérience bien organisée et conduite 14 avec toutes les précautions nécessaires et non dans- | un phénomène que nous observons tel quel dans la nature. . vtt à v | . 4 | L CHAPITRE V ReCr" F4 2 ds" mi La sélection naturelle après Darwin (Suite). L'apparition des variations : leur foree numérique; la loi de Delbœuf. — L'accumulation des variations. — Leur na- ture; l'utilité et le degré de développement d'un caractère. — Le cou de la girafe et le fémur de la baleine. — Le développement excessif d’un caractère. Les papillons imitant les feuilles. — Les adaptations parallèles. — Les organes trop parfaits. — Analogie entre la sélection naturelle et la sélection artificielle. — Les critiques d'ordre secondaire. — Le véritable rôle de la sélection. De ces objections concernant le mode d’action de la sélection naturelle, passons maintenant à deux autres, très importantes, parce qu’elles visent la base même sur laquelle cette sélection doït opé- rer : l’apparition des variations et leur transmis- sion héréditaire. La première est celle-ci : les causes de variation étant plus faibles que les causes de fimité, celle-ci doit nécessairement l'emporter sur celle-là. Cet argument a été longuement discuté ailleurs, à propos de la loi de Delbœuf, mais CS OÙ e CR CRE VOTE 4. L'Hérédité et Les grands problèmes de la biclogie géné- rale, 2° édit. 1903, p. 398 et suiv. D, ne om Le octo fe 4 I UE PR SOA RENE HOME ee AIT TRS RE à L on ÿ 4 LA on NATURELLE APRÈS DARWIN 59 comme il s’agit là d’une question de toute im- portance, nous allons la reprendre ici. Ce qu’on appelle la loi de Delbœuf, c’est cette affirmation que quelque faible que soit le nombre des individus variés par rapport à celui des non-variés, le nombre des variés ira toujours en croissant et finira par dépasser celui des individus restés invariables. Cette affirmation se base sur le calcul suivant, Désignons par À la forme initiale d’une espèce, et par À +1, A Æ 2, etc., les individus, variés à différents de- grés par rapport à un même caractère qu'ils pré- sentent en plus ou en moins. Supposons aussi que, dans chaque génération, chaque individu donne naissance à n individus semblables à lui et à deux individus variés d’undegré, l’un dans lesens positif, l’autre dans le sens négatif. A la seconde génération, nous aurons donc : nA + 1(A+L1)+1(A —1) ensuite, si nous prenonsla descendance de A + 1, par exemple, nous aurons dans cette toifétie génération : n(A+1)+1(A+2)+1 24 Et, quel que soit le nombre de ces généra- tions, les individus variés finiront toujours par l'emporter sur les non variés. En effet, le rapport entre les variés et les non variés est, au début, de 2/n ; si les deux variés (A + 1) et les n non variés ne produisaient que des individus semblables à eux-mêmes, ce rapport persisterait ; mais il n’en est pas ainsi. LT PR L AAUELAI ‘" dir ‘4 ace. He LES raéontes DE cer Free Considérons, en effet, séparément la PS des non-variés et celle des variés. Si, à une géné- ration donnée, le nombre des non-variés est # et celui des variés 2, les n non-variés donneront, d’après l'hypothèse de Delbœuf, n? individus sem- blables à eux-mêmes et 2>x LR 7 . 2: “ »- = > » - PF ; : + NPC E Nr dia n HS 1 eZ des — 7 PS Lu cd th SAN UE orme Len 2e " *v Ce « : .4 variés, la plupart resteront différents dela forme initiale et continueront à grossir le nombre des $ .variés et une petite proportion seulement fera 10 retour à la forme initiale et ira augmenter le 1 nombre des non-variés. Mais même s'ils faisaient ‘à À ‘tous retour à la forme initiale, le rapport primitif #4 2/n des variés aux non-variés augmenterait, car on ; a: 2/n os Gr, on sait que quand on ajoute, À à dans une fraction plus petite que l’unité, un même À 2% . nombre au numérateur et au dénominateur, la #3 fraction augmente ; a fortiorien est-il de même si 74 on ajoute au numérateur un nombre plus grand qu’au dénominateur, ce qui est le cas ici, puisque 4 n>2. DE. # * Cela est une conséquence inévitable de la for- ‘8 . mule posée par Delbœuf, mais c’est seulement une Ta conséquence mathématique. % 1 | Dans la réalité, il en est autrement. Il n’est pas # vrai du tout que si,àla première génération, il y & k ». ds : QU RÉ te LS nn ®. | LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN 61 n non variés et 2 variés, à la deuxième chacun de ces derniers produira n dividns semblables à lui. Les | variations individuelles sont loin d’être si fidèle- : ment transmises à un aussi grand nombre de descen- dants. S'il en était ainsi, les formes nouvelles apparaîtraient avec une facilité beaucoup plus _ grande que cela n’a lieu en réalité, et toutes les petites anomalies, par exemple, doigts surnumé- raires, becs-de-lièvre, etc., seraient depuis long- temps devenus les caractères de races entières. L'observation montre, au contraire, que le retour au type normal devient de plus en plus fréquent, à mesure que la variation s’accentue. Les éleveurs et les cultivateurs ont bien constaté que, s’il est relativement facile de fixer par sélection certains caractères au début, cela devient de plus en plus difficile aux générations suivantes et à mesure que le caractère donné se rapproche de la limite natu- relle qui semble lui être assignée. Galton, un naturaliste qui s’est occupé de recherches sta- tistiques sur les variations et les lois qu’elles suivent, et qui a été un des créateurs de cette nouvelle branche de la science biologique qu'est la. biométrie (application des méthodes statistiques aux études biologiques), a formulé à cet égard une loi qui dit que lorsque les parents varient d’une certaine façon, en s’écartant du type moyen (ou « mode », en langage des biométriciens}, leurs descendants varient dans le même sens, mais à un degré moindre, de sorte qu’au bout de plusieurs générations, l'espèce aulieu d’engendreruneespèce = 5 EST 2 %. + CA +. z y ?, LA 2e à .* _ r2k ( Er ce ABLE FF LA BA DE 47 nd = RES CL] es ET hr LT #2 > RAC! re Le MCE ns -d tmassmepeeEdeserencRn ae Rare Vie 24 ES à PER RS ASUS Be ETUI A ONE ANT J'ORTTE ST COR CAE RP EU PA) LAN . "47 ? ) AD 2h les: 2 MS LS dé ri dt TRS ES on En) 102 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION f _ aouvxelle, revient, au contraire, au type moyen, 3 primitif. à Il faut remarquer aussi que dans l’amphimixie, dans le mode de reproduction où le concours de deux parents est nécessaire à la naissance du nou- | vel être, les caractères hérités des deux côtés se mélangent et la variation se trouve le plus souvent effacée dès la première génération où elle se montre. : - La loi de Delbœuf ne serait vraie que si les varia- tions étaient dues à une cause modificatrice per- manente qui agirait de façon à n’atteindre qu’une partie des individus de l’espèce et à garder toute à son influence sur ceux qu’elle a déjà atteints. Or, on ne voit guère d'exemples d’une action sem- blable. Dans la discussion de l’argument que nous ve- nons d'exposer, il s’agissait de savoir si, avec le temps, une espèce devient plus variée dans ses représentants ou si, au contraire, les influences conservatrices prédominent et maintiennent le type uniforme primitif. Mais, même lorsqu'une variation se fait jour, il faut, puisqu'elle est, par définition, légère et tout individuelle au début, qu’elle arrive | à s’accentuer dans la série des générations et à ; N M4 IE LP EPS PE LA APR TT NP PTS OU US US DRE 0 mr sus à is L De Gé e . ti i A prendre assez d'importance pour caractériser une nouvélle espèce. C'est bien ainsi que Darwin se représente les choses : les petites variations acci-, : : dentelles doivent s’accumuler à mesure que croît le : 4 nombre des générations qui se les transmettent. | Cette accumulation est absolument suus-entendue ke, 4 PORNNES PT URNUe ECO R ON CAEN WE SO VEP 2 8 'e 1 CR L * UT ÉU39 î Vo: 7e EUR . en ; Ÿ 4 à LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN 63 dans la théorie sélectionniste, et ne semble faire de doute pour aucun de ses critiques mêmes. Cependant, quelle raison y a-t-il pour qu’un carac- tère donné, si utile qu’il soit, soit plus accentué chez un descendant que chez un parent? À moins d'invoquer l’hérédité des effets de l'usage et du non-usage, ce qui serait sortir des cadres de la sélection naturelle et faire intervenir un principe lamarckien, on ne voit pas pourquoi il en serait ainsi. Supposons que, parmi les ancètres du cygne, au cou encore peu développé, quelques individus se soient rencontrés ayant un cou un peu plus long, comptant une vertèbre de plus, et que cette parti- cularité ait été avantageuse pour l’espèce, de façon à ce que seuls les individus ainsi favorisés aient pu survivre et transmettre leur particularité à leurs descendants. Ces derniers auront donc le même nombre de vertèbres cervicales, c’est-à-dire dépas- sant d’un le nombre primitif. Mais pourquoi, de ce fait, le dépasserait-il de deux et, à la génération suivante, de trois? Au contraire, quel que soit le nombre de générations successives, le caractère se transmettra toujours égal à lui-même et le cou conservera toujours (même en laissant de côté toute cause possible de réversion et toutes les conséquences de croisements avec les individus moyens) le nombre initial des vertèbres. Cela parait évident, et il semble même incom- préhensible que, parmi tant d’objections à la sélec- tion naturelle, celle-là n'ait pas été faite au pre- Fa LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION “1 : ‘ mier chef. Cela ne peut s'expliquer que par une _ seule raison : c’est que, dès le commencement, la. n. _ théorie de la sélection était discutée plutôt à l’aide _ d’abstractions qu’à l’aide des faits. On semblait n. supposer que ce qui se transmet, ce n’est pas tel 6 _ ou tel trait de structure, mais une tendance à va- _ rier dans un sens défini : dans le cas du cygne, M # _ par exemple, la tendance à l’allongement du cou, k en raison de laquelle le nombre des vertèbres aug- mente à chaque génération. Mais, en réalité, une _ tendance n'existe pas par elle-même : c’est une 26 abstraction dont nous nous servons pour constater que quelque chose se développe dans telle ou telle direction. Une tendance ne peut donc pas s’hériter, pas dis quenepeut s’hériteraucune autre abstraction : ce qui | s’hérite, c'est une certaine constitution chimique, 4 une certaine structure morphologique, et ces carac- | tères se transmettent tels quels et non pas à un degré ‘4 plus considérable. 4 L'action de la sélection naturelle peut donc expli- À quer la persistance d’un caractère utile à travers * les générations, mais non le développement gra- ; duel de ce caractère. Pour ce dernier, on estobligé d’invoquer d’autres facteurs : hérédité des effets de l’usage et du non-usage ou action ininterrompue du milieu environnant, toujours dans la même direc- tion. RL 1 SA DIET A TRADE PR TP ee MNT n à es F#- ; = 0er v a ,. GES È DT NE re > rh, = ondrm A SE dl sh.‘ 4 a à 2 ee, mt ou ES eu REP à < De ces critiques d'ordre très général passons 4 maintenant aux objections plus spéciales. Elles sont nombreuses, formulées à des points de vue très différents et de valeur très inégale; il serait fastidieux de les exposer ici toutes. Prenons seule- ment deux catégories de ces objections, les plus: importantes : celles qui se rattachent à la nature, des variations pouvant donner prise à la sélection F ET A fu "1 | . . 1 CT URS à “4 de < ç € 1 LA à ‘ FT, ANNEE vw” » Va À dt MX LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN 6 naturelle et celles qui concernent, d’une part, la comparaison de la sélection naturelle avec la sélection artificielle et, d'autre part, le lien étroit qui la rattache à la sélection sexuelle. A quelles conditions, d’abord, doivent satisfaire les différents caractères que peut présenter un être animal ou végétal, pour que la sélection natu- turelle puisse le favoriser en raison de ces carac- tères? Ils doivent, évidemment, être utiles. Or, parmi les caractères qui distinguent les espèces les unes des autres, bien peu ont une utilité quel- conque, la plupart étant indifférents. Darwin admet bien cela, mais il répond que, dans certains cas, l’utilité nous est cachée et que, dans d’autres, les caractères en question sont dus soit à l’in- fluence directe des conditions ambiantes, soit à certaines corrélations découlant de ce qu’il appelle ies lois de la croissance. Mais c’est là une expli- cation qui dépasse les limites de la sélection natu- relle et sert plutôt à montrer son impuissance. Des exemples très nombreux de ces caractères indifférents (qui se trouvent en même temps être les caractères les plus stables de l’espèce) ont été cités : disposition opposée des feuilles chez les Labiées et une disposition en spirale chez les L A ME NE 2 PR IT VO PAM DFE es LE LUE TT FORT T UNS MMS LEP TU RTE ET AL - 4 <2 k 66 LES THÉORIES DE L ÉVOLUTION Borraginées (Nægeli); dessins très variés qui existent sur les élytres de certains insectes, mais qui sont si fins que pour les voir il faut se servir d’une loupe et qui pourtant servent à différencier Ces espèces entres elles (Kellogg et Bell); callosités aux jambes de tous les membres de la famille des Équidés, mais au nombre de quatre chez le cheval et de deux seulement chez l’âne (Conn); l’enrou- lement de la spire dans les coquilles des mol- lusques dans un sens ou dans un autre, Carac- tère également spécifique; coloration de certaines parties cachées du corps des oiseaux, etc. Le dernier exemple a été cité par Romanes, et son témoignage est pour nous d'autant plus précieux qu’il appartient à un des principaux darwiniens, un des premiers en date. Les partisans extrêmes de la théorie sélection- niste (Wallace et les néo-darwiniens) se placent, pour la défendre, au même point de vue que Darwin en affirmant que tous les caractères spéci- fiques sont utiles par quelque côté et que seule notre ignorance de la vie et des mœurs des ani- maux nous empèche de nous rendre compte de cette utilité. Il est vrai que beaucoup de travaux faits dans cet esprit viennent nous montrer une utilité qui nous échappait de prime abord, mais on peut se méfier à juste titre de l’influence de l’idée préconçue sur ces recherches et de l'explication anthropomorphique que nous sommes toujours poussés, si nous n’y prenons garde, à donner aux phénomènes de la nature environnante. 1 VA x SX + « |. LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN O7 C’est ainsi que, pour là coloration des animaux, par exemple, Weismann cherche à démontrer que non seulement la teinte conforme à celle du milieu (animaux blancs des régions polaires, animaux aquatiques transparents, animaux de couleur verte vivant dans l’herbe ou parmi les feuilles, etc.), mais même les détails si variés des dessins des ailes des papillons ont leur utilité, servant soit à ei protéger l'animal en le dissimulant, soit en le fai- sant ressembler à une autre espèce, mieux proté- gée (mimétisme proprement dit), soit en effrayant ses ennemis. Les taches ocellées sur les ailes, par exemple, sont très fréquentes chez les papillons; quelle est leur raison d’être? Elles peuvent servir d’épouvantail ; c’est le cas des grosses taches bleues et noires sur les ailes postérieures du Smerinthus ocellata, un papillon du soir. Lorsque le papillon est dans l’attitude de repos, ces taches ne sont pas visibles, mais aussitôt qu’on le dérange, il dresse ses quatre ailes, et alors les deux yeux appa- raissent soudain sur_le fond rouge, épouvantant l’agresseur, auquel, nous dit Weismann, le pa- pillon semble être maintenant la tête d’un animal beaucoup plus grosi. Et il en est ainsi partout : il n’y pas de structure, pas de fonction que Weis- mann n'arrive à expliquer en supposant telle utilité qui lui apparait comme la plus probable. _ Or, ces suppositions sont nécessairement faites au point de vue anthropomorphique; un: homme “ 4, Vorträge tiber Descendenztheorie, 1, p. 18-19. + D'ERS d - , - LE »€ % Vas # , 4 Ces ' don Ty , a UE à = L LU de fe 4 RAIDE TRE AE (1 AE, a : FI RS RARE PERDUE ER D AE ENTER RTE ee EL FRA HAS Fr S re SA à Pt 4 * te ? RAT TE ST Le er TT PS î : . CrYÉ ja Lcù Ye NE ART rs a ESS For : sn + = ee “| safe < n. vi À ae 7 7 Lu L 1] Le Le P_ » | ee …. Æ h L 20e « x 68. LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTISN aurait peut-être peur de voir surgir tout d’un coup : la tête d’un gros animal inconnu, mais l’ennemi supposé du papillon éprouverait-il, en raison de sa vie et de sa mentalité, le même sentiment? Les causes de la peur peuvent être très différentes . pour lui et pour nous. Pourquoi un oiseau aurait- il peur, par exemple, d’un diable avec ses cornes? Les dangers de cette tendance sautent aux yeux : c’est la conception finaliste réintroduite par con- trebande là où précisément le but et le mérite de l’idée darwinienne était de la remplacer par une conception purement causale. Un autre dan- ger, indissolublement lié d’ailleurs aux interpré-\ tations de cette sorte, c’est que, fournissant des explications faciles et donnant une satisfaction factice à notre pensée, elles la dispensent de cher- cher plus loin. Mais prenons les caractères vraiment et incon- testablement utiles : l'utilité à un degré quel- conque suffit-elle pour faire de la présence ou de l'absence de tel ou tel trait d'organisation une question de vie ou de mort? A cette question se rattache une autre critique adressée à la théorie sélectionniste. Comme il s’agit de variations peu considérables, les cas où elles peuvent avoir cette gravité doivent être rares. On a souvent cité l'exemple célèbre du cou de la girafe. Il a été discuté par Darwin lui-même, et nous avons vu qu'il süppose qu'en temps de disette quelques centimètres de plus ou de moins permettant de brouter un peu plus haut les feuilles des arbres L L : | 4 è ! 4 He qi Fa ge RE F4 Dr à LA SÉLECTION NATURELLE APRÈS DARWIN 69 _ peuvent effectivement être une question de‘ vie ou de mort, et que, de plus, la longueur un peu plus grande du cou a pour l’animal d’autres avantages qui peuvent être sensibles même lorsque les diffé- rences sont peu importantes. À cela Nægeli objecte que l’accroissement en longueur au cours d’une génération ne peut guère être suffisant pour cons- tituer un avantage et que, d’ailleurs, cet avantage serait-il réel, il n’est pas exact que les animaux qui en sont dépourvus devraient nécessairement mourir en temps de disette : il est plus probable qu’ils s’affaibliront simplement. Il s’agit là d’une partie du corps qui s’accroit. Il doit en être de même des organes qui disparais- sent : à moins d’invoquer l’hérédité des consé- quences du non-usage et si on veut tirer une explication de la seule sélection, il faut que la diminution de ces organes ait, à chacun de ses degrés, une utilité décisive. La réduction du fémur de la baleine est un autre exemple devenu célèbre. Il est cité par Spencer dans sa polémique contre Weismann au sujet de l'importance relative de la élection naturelle et de l’hérédité des caractères acquis comme facteurs de l’évolution (nous ver- rons cette polémique plus loin, avec plus de dé- tails). Chez les différentes espèces de la baleine qui vivent actuellement, les membres postérieurs manquent, comme on le sait; mais il en reste des traces sous forme de certains os (os du bassin, chez les unes, fémur chez les autres) qui subsis- tent, cachés sous la peau. Leur poids ne dépasse % ru. Le _ 4 LE Le FR ENTRE Fe x 4 D. | . HT à IT CAP, HOT ny h t ? rh me = 7 Cu d (A DTTs L nc"? Re or nef - 4 d J ‘ > GA pi L he QUO à pa À * un ” « x : A e L dd - . - - Ê sultat. Et il serait, à plus forte raison, tout à fait nt Et comme les baleines proviennent des Lo mammifères terrestres, il a dû se produire chez elles une réduction graduelle des membres. Cette ie réduction a-t-elle eu pour cause la sélection natu- relle? A-t-il été, aux différents stades de cette évo- lution, utile pour l'animal que les os devenus sans usage se réduisent? C’est possible, si nous suppo- sons qu’il en résultait une économie de nourri- ture. Or, dit Spencer, lorsque l'ancêtre terrestre de la baleine évoluait pour devenir cette dernière, il y avait un accroissement énorme de la masse du | corps, supposant un excès habituel de nourriture. Dans l'embryon comme dans l’animal en voie de croissance, il a dû y avoir pléthore chronique. Pourquoi donc ces parties inutiles n’ont-elles pas profité de l'excès de matériaux nutritifs? Et d'ail- leurs, à supposer même que l’économie de nourri- (€ ture était devenue nécessaire à un moment donné, cet avantage ne pouvait être sensible que dans les premiers stades de cette réduction progressive. AcC- 4 tuellement, le fémur de la baleine pèse À once; quel avantage peut avoir l'individu chez quiilest réduit à ce poids sur un autre chez qui il pesait un peu plus, 2 onces par exemple? Il suffit de penser combien petite, en regard de la masse totale du corps, pouvait être ici l’économie pos- sible de nourriture, pour voir que la sélection naturelle n’a pas pu produire, à elle seule, ce ré- absurde de supposer que ce minime avantage n° ; À sa skcecrion NATURELLE APRÈS DARWIN LS puisse devenir pour l'animal une question de vie et de mort. H. Spencer en conclut que seule la perte de l’usage de l'organe et la transmission héréditaire de la régression consécutive peutent fournir une interprétation raisonnable du phéno- mènef. A cette objection s’en rattache étroitement une autre, déjà formulée au temps de Darwin. Certains caractères ne peuvent être utiles à l'individu et donner prise à la sélection quelorsqu'ils sont com- plètement développés, ou, au moins, ont atteint un certain degré. Ainsi, il ne servirait à rien à un animal vivant dans les glaces polaires d’avoir une petite tache blanche ou un pelage un peu plus clair : pour pouvoir vraiment se dissimuler, il faut qu’il soit complètement blanc. Il en est ainsi dans tous les cas de coloration protectrice et de mimétisme : les premiers stades, où la ressemblance n'existe pas encore, ne peuvent rendre aucun service’ à l'animal. Kellogg dit que ses observations sur les insectes confirment cette manière de voir. Il a eu pendant longtemps à s’occuper de deux papillons américains : l’Anosia plexippus, qui porte aussi le - nom de Monarque, et le Basilarchia archippus, ‘ qu’on appelle Vice-Roi. Le premier de ces papil- lons à un goût désagréable pour les oiseaux qui, après l’avoir saisi une fois, le rejettent et ne s’at- taquent plus à aucun papillon qui le leur rappelle. Les deux papillons appartiennent à des groupes 1. À rejoinder to professor Weismann. (Contemporary Review, déc. 1893 ; tirage à part, p. 24-26.) SR AL. F > ri , VE | “4 À ze great Ne, 2 « L es Nr te 4 3: Re à RSS HE << D ee a eh DT 28 2e 1 2] nn. à 7 +] | | ALT ï dont les représentants typiques n’ont eu res- 4] semblance dans la disposition des dessins et dans 4 la coloration; seul, parmi les Basilarchia, le Vice- Roi ressemble aux Anosia et on peut supposer que cette ressemblance est constamment maintenue par la sélection. Mais de quelle utilité était pour lui la première strie ou la première tache rappe- Jant celles du Monarque sur des ailes d’une couleur toute différente? Des exemples analogues pour- raient être cités en grand nombre : la sélection naturelle apparaît plutôt comme un régulateur un peu vague des adaptations existantes que comme un facteur pouvant les créer et les développer1. L’utilité d’un caractère paraît être en somme limitée à certains degrés seulement de son déve- loppement : au-dessous, elle n’a pas encore pu s'établir, au-dessus, le développement va trop loin, la dépasse et semble quelquefois aller à son encontre. Nous venons de voir des exemples où une ressemblance insuffisante ne peut rendre au cun service; il y a des cas où elle paraît être trop fidèle, au contraire, avec un luxe de détails qui semble être superflu. Ainsi, un très grand nombre de papillons de l’Amérique du Sud et des Indes, qui vivent dans les furèts, imitent, avec la plus grande fidélité, les feuilles des différents ‘ arbres. Cette imitation, très remarquable comme | coloration, l’est encore plus par la forme générale du corps et la disposition des nervures. Les ailes 4, Darwinism to-day, p. 42-50. PTE ras Meet AN asnése par 000 au COTpPS ème qui, à l’état de repos, est à peine visible. L'extrémité des ailes est effilée en un « pétiole », leurs nervures sont fines et cachées par des espèces de fausses nervures beaucoup plus grosses, stries simulant les nervures d’une feuille. La ressemblance n'existe d’ailleurs qu’à l’état de repos, car le dessin ne se continue pas sur la par- tie de l’aile qui est cachée dans cette attitude : il semble être fait d’un coup de pinceau sur les ailes ployées. Parmi les nombreux exemples de ces res- _semblances, il est facile de choisir; voici deux des plus frappants. 4 Chez le Cænophlebia Archidona, un papillon de Bolivie, le pétiole est formé par les extrémités des deux ailes antérieures; une grande nervure médiane avec deux latérales traverse l’ensemble des deux ailes (fig. 1). Chez le Æallima parallecta, un papillon de l’Archipel de Malaisie souvent cité comme exemple d’un mimétisme parfait, la res- semblance est encore plus extraordinaire. Dans l'attitude de repos, les ailes pliées, ce rapillon figure tous les détails de l’aspect des feuilles sèches parmi lesquelles il vit. Les nervures propres des ailes deviennent presque invisibles. de même que la tête et le corzs; les nervures de la feuille, au contraire, sont très exactement dessinées (fig. 2). La ressemblance ne s'arrête même pas là et devient pour ainsi dire raffinée : les ailes présentent sou- vent des taches rougeâtres ou jaunâires imitant des moisissures et des points transparenis, sans EE | F y : 2: » vit + , \. pp à VA se a « ie , fe) | - A à CE HE 2 + | ‘& ; » e: 74 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION RUES Et À, N - # > j par tra ps v PAS s Bei: écailles, rappelant exactement les perforations pr pro- __ duites sur la feuille par les vers ou les insectes! > Cela semble vraiment être une exagération de au } x cautions, et il est tout à fait probable que dans ces 4 de “és hab re “ En pe v Fic. 4. — Cœnophlebia Archidona. : + RS pe Es le \4- p, extrémité de l'aile formant pétiole ; — nr, raie simulant la nervure | médiane (d'après Weismann). de * LE ee RE 0 " descriplions nous subsiituons nos propres impres- sions à celles que doivent percevoir les ennemisde ces papillons. Il est certain en effet que, peur s8 cacher parmi les feuilles, il suffirait d’une ressem- RES Dr % " # ER 2 je Fra He À NATURELLE pa DARWIN d 5 Ve 4 f v | blance Me comme coloration et comme _ forme, beaucoup plus grossière. © 12 s Fig. 2. — Æallima parallecta. LE tête; — p, paltes ; — p 4, extrémité de l’aile formant pétiole ; — pé, points transparents; — ff, taches foncées (d'après Weismann), Il en est de même d’autres exemples de dévelop- à e 16 Ai) ; + \ sen | \ ÊTES Lu © TR pement exagéré, tel que les défenses du B. pu »lles-mêmes, ne peuvent plus servir à l’animal (sanglier des Moluques) qui, étant enroulées s sur 76 - LES THÉORIES DE > L'évoLeron | se bd. M à | pour la lutte. Pour ces faits aussi, il “ar évidem- b ment chercher une autre explication 7 la seule sélection naturelle. Dans les arguments que nous avons exposés, on 14 1 e, ‘4 à À ‘à #4 envisageait les diverses variations comme isolées, à indépendantes de tout le reste de l’organisation. En réalité, cependant, il en est rarement ainsi et les modifications d’un organe sont étroitement liées à d’autres, portant sur toutes les parties qui coopè- rent avec lui dans le fonctionnement physiologique. De là une nouvelle objection contre la toute-puis- sance de la sélection naturelle, objection que Spencer a formulée ainsi : « S’il survient une modi- fication d’un organe, un accroissement de sa taille par exemple, qui l’adapte mieux au besoin de l'être en question, on peut admettre que si, comme cela : arrive souvent, l’usage de cet organe exige la coopération d’autres organes, le changement opéré en lui ne sera d'aucune utilité tant que les parties coopérantes ne seront pas modifiées corrélative- menti». Si, par exemple, chez un rongeur, la queue se transforme de façon à donner par accroissement graduel la queue aplatie du castor, il n’en résul- tera aucun avantage pour lui tant que certaines transformations n’auront pas lieu dans les vertèbres voisines, les muscles qui s’y attachent et proba- 1. The inadequacy of natural selection. (Contemporary Review, fév. et mars 1893, p. 22 du tirage à part.) «0 * { “ À LA a 218 0 ‘4 74 si ta ahrerron 5 NATURELLE APRÈS DARWIN 77 v blement les membres postérieurs, transformations qui leur permettraient de supporter les réactions les coups donnés par la queue. De même, un cer- lain mode de locomotion exige la coopérationet la coadaptation des membres antérieurs et postérieurs. Mais comment cette coadaptation pourrait-elle pro- renir de la seule sélection naturelle? Il n’y a aucune raison de supposer que la variation accidentelle et peu importante soit toujours et forcément accom- agnée d’autres variations qui la rendent utile; or, il n’en est pas ainsi, la variation isolée peut devenir non seulement inutile, mais même nui- sible. . Si, continue Spencer, les bois puissants d’un cerf 1e s’accompagnent pas du développement particu- ier du crâne et des muscles de la tête et du cou, ils »veuvent être plutôt une gêne pour l’animal. Spencer léveloppe cette idée longuement, à l’aide de nom- >reux exemples, et il en conclut que, quelle que soit la marche supposée des modifications parali- èles (accroissement ou décroissement simultanés, le façon à ce que les anciennes proportions entre es différentes parties soient maintenues ; accroisse- nent ou diminution indépendants, modifiant ces roportions, ou variations diverses, mais telles qu’à la fin les diverses structures soient adaptées à in but nouveau), on ne peut en trouver une expli- ‘ation dans l’action de la seule sélection naturelle. A moins d'admettre un ordre de £hoses prééta- li, on est obligé, conclut Spencer, de s’arrêter à a seule interprétation vraisemblable : les modifi- Le PINS LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION cations de structure produites par les modifications de fonctions dans chaque individu et transmises dans une certaine mesure à ses descendants. Alors, toutes ces coadaptations, depuis les plus simples jusqu'aux plus complexes, deviennent compréhen- sibles. Dans certains cas, l’hérédité des caractères .… acquis suffit pour expliquer les faits ; dans d’autres, elle les explique en se combinant avec la sélection des variations favorables. Certains cas d’adaptaiions parallèles sont plus difficiles à expliquer encore : ce sont ceux où les variations doivent porter en même temps sur deux individus différents, où, par exemple, l’appareil copulateur du mâle doit être exactement adapté à celui de la femelle, sous peine de rendre la fécon- dation impossible, ou bien les organes et les ins- tincts d’un insecte qui assure la fécondation d’une plante correspondent étroitement à la forme et au mode de reproduction de la plante, et bien d’autres cas d'adaptation réciproque encore. Beaucoup de naturalistes, dès l’apparition même de l’Origine des Espèces, ont formulé des critiques analogues, en citant des exemples d’organes trop compliqués, tels que l’œil des vertébrés pour la formation desquels de nombreuses variations con- comitantes ont été nécessaires. Nous avons vu la réponse générale qu'y faisait Darwin, réponse « qui ne porte que contre les arguments des parti- sans de la fixité des espèces. Wallace, lui, invoque un autre argument : ces changements parallèles, « dit-il, peuvent parfaitement être produits par la : LECTI DN Ms a sans ann ie RUES séle (int Mierelle; puisque nous les voyons pro- _duits par la sélection artificielle. Cela nous amène à parler de l’analogie entre ces deux facteurs de l’évolution. Cette idée, fondamentale pour Darwin et admise par lui sans discussion, n’a pas rencontré d’objec- tions dans les premières années qui ont suivi l’ex- tension des idées darwiniennes. Nous n’en trouvons la critique que beaucoup plus tard, dans les arti- ME cles de Contemporary Review, de Spencer, en 1895. L’analogie, dit Spencer, ne se justifie que dans cer- taines limites étroites, et, dans lagrande majoritédes cas, la sélection naturelle est absolument incapable de faire ce que fait la sélection artificielle 1. La prin- cipale différence entre les deux, c’est qu’un éle- veur peut prendre un seul caractère à son choix et faire abstraction des autres, de façon à faire varier l'espèce par rapport à ce caractère seul. La nature ne peut pas choisir ainsi, Car, si un individu est doué d’un caractère utile à un point de vue, un autre peut l’être à un autre point de vue. Pour qu'un caractère puisse se développer seul dans l’état de nature, il faut qu’il soit très prééminent ; or, ce n’est pas ce que l’on suppose lorsqu'on parle de légères variations individuelles. — Tout ce que la sélection naturelle peut faire alors, c’est de maintenir toutes les facultés à un certain niveau. en supprimant les individus qui se trouveraient au- dessous de lui. 1. Inadequacy of natural selection. (Contemp. Review, fév., mars et mai; tirage à part, p. 10.) n'a ad , EN ÿ RAT « », és du 80 LES TRÉORIES DE L ia jé de Dans les années suivantes, d’autres naar Ma ch (Morgan, Plate, de Vries, etc.) ont examiné de près _ ies analogies et les différences entre ces deux modes de sélection et ont abouti également à cette conclu- sion qu’en réalité il y a entre eux moins de traits communs que ne l'avait cru d’abord Darwin. La différence la plus importante qu’ils trouvent, c'est que, dans la sélection artificielle, les races ou variétés produites sont instables et font retour au type ancestral aussitôt qu’on les abandonne à elles-mêmes, tandis que les nouvelles formes pro- duites par la sélection naturelle restent constantes, tant que les conditions de leur existence ne chan- gent pas. De Vries va même plus loin et pense que tout ce qui est produit par sélection de petites variations individuelles, que ce soit par sélection naturelle ou par sélection artificielle, est inévita- blement condamné à cette instabilité, et que, par conséquent, les variétés naturelles, fixées, ne peu- vent pas être produites par le même facteur que les variétés cultivées, dues à la sélection pratiquée par l'homme. Il a même basé sur cette différence une nouvelle théorie de l’origine des espèces, théo- rie que nous allons examiner dans un des chapitres suivants. Quelle est maintenant la conclusion générale que nous pouvons tirer de ce long exposé des critiques diverses, adressées à la théorie darwinienne ou plutôt néo-darwinienne? Nous sommesloin de les avoir énumérées toutes : nous n’avons choisi, parmi PAT LA Muecrion NATURELLE APRÈS DARWIN 81 elles, que celles qui nous paraissaient avoir quelque poids et auxquelles les réponses ne sont pas toutes trouvées. Un reproche fréquemment fait à la sélec- tion naturelle est, par exemple, celui de ne pas expli- quer l’origine même des diverses _vañalions, de les -prendre pour données,-tandis que c’est-cette origine 0 este point le plus difficile. A cela, on peut répondre qu’on ne peut demanñdér à une théorie que la solution des problèmes qu’elle se propose, et pas celle des autres, et que, ces problèmes, elle est libre de les choisir. Darwin suppose les varia- tions déjà présentes, et, sans approfondir la ques- tion de leur origine, les appelle accidentelles. Son explication ne commence que là, et c’est dans les limites assignées par lui-même que nous devons le critiquer. D’autres arguments sont tirés du temps (trop long suivant les uns, trop court suivant les autres) qu’exigerait le développement du monde orga- nique, s’il se poursuivait au moyen de la sélection des petites différences individuelles. Des milliers de millions d'années, nous dit-on, auraient été nécessaires au monde organique pour se dévelop- per dans ces conditions, tandis que, d’après les calculs des physiciens, l'existence de la terre elle- même ne compte qu’un petit nombre de millions d'années. W. Thompson (lord Kelvin) a été, dès 1862, amené à estimer l’âge de la terre (en se ba- sant sur les calculs relatifs au refroidissement de l'écorce terrestre et l’élévation de la température dans les profondeurs) à un nombre d’années ne PERDUE de he LES THÉORIES RG “ FA Le 1% dr rie Rs, __ dépassant pas quarante AP Geikie a éva ; YEAR _iPexistence de la croûte solide du globe terrestre PE cent millions d’années au maximum ; d’autres cal- culs, faits par d’autres physiciens, on! abouti à des chiffres voisins. Mais on ne peut s'empêcher de remarquer ie caractère arbitraire de ce raisonne- ment :les physiciens peuvent peut-êtrefaire de ces Fi calculs, car ils possèdent des unités telles quelere- 208 froidissement dans un temps donné, mais sûr quoi se baserait le biologiste qui ne voit pas se former d'espèces devant lui et ne peut se représenter, FE même approximativement, le temps que cela ex # gerait ? ‘4 BEC Ce que nous pouvons, semble t-il, conclure de a toute la discussion, c’est que le sens des termes 14 « lutte pour l’existence » a été à tort rétréci et _ réduit à la seule concurrence entre les individus. La lutte se poursuit sur une échelle beaucoup plus _ grande entre les espèces, de même qu'entre les | êtres vivants et le milieu inorganique qui lesen- * à toure. Les particularités toutes individuelles ne (AA suffisent pas, dans un très grand nombre de cas, $ ‘4 à donner dans ce combat des chances de victoire: pi: il faut pour cela des variations plus générales, por- Fi tant sur un grand nombre d'individus à la fois et : # devenant la source d’adaptations nouvelles. La sé- à lection naturelle existe incontestablement; mais, fr: lorsqu’elle a lieu au sein d’une même espèce, elle a plutôt pour résultat d'éliminer ce qui est au à dessous du niveau moyen que de faire évoluer plus haut encore ce qui est au-dessus. Sox rôle g L: ; à À =! 2, A7} él être plutst vaguement sé qe | CA & “ Li La théorie Mi its À Dash a été une. sorte de vue d’esprit rendue nécessaire par l’état de ï 5 la science de son temps. Les travaux ultérieurs de- au _ vaient réduire à une valeur plus juste l’hypothè se | ! a, _ primitive, trop schématique ; elle n’en a pas moin | 7 _ rendu à la science un service dont il est difficile ! :# _ même d’apprécier toute l’étendue. PE A la notion de la sélection naturelle se rattache 1 ; (et surtout se rattachait dans l'esprit de Darwin) ke, une autre, auxiliaire : celle de la sélection sexuelle. 1 Nous allons l’examiner brièvement. 74 CHAPITRE VI ‘3100 La sélection sexuelle. de Darwin; les critiques formulées contre elle. Le rap- _ port numérique entre les mâles et les femeiles. — Le sens “. _ des animaux à fécondation externe. — Les nouvelles ET , hypothèses : les signes de reconnaissance, le désir d’ef- | ca 8 | frayer l'adversaire, l'excès d'énergie des mâles, la sécrétion A interne des organes génitaux. « ‘ eu 1” kb à _ Certains caractères des animaux avaient frappé à _ l'esprit de Darwin par ce fait qu’ils ne se laissent pas expliquer par la sélection naturelle, ne pré- AY: _ sentant aucune utilité pour la conservation de l’es- 4 _ pèce. Tels sont les nombreux caractères qui, chez les étres les plus variés, créent des différences É extérieures entre les us des deux sexes, sans _ être directement utiles pour l’acte de la reproduc- he, tion ou l’élevage des jeunes. Quelquefois ces carac- _ tères tiennent à la différence du genre de vie du #1 __ L'origine des caractères sexuels secondaires. — L'hypothèse _ esthétique des femelles. — Les caractères ornementaux _ mäle et de la femelle, l’un, par exemple, menant _ une vie libre, l’autre une vie fixée, comme chez ‘ = r À D. Ne \ x ** mn LE EVER 1 ñ + Ay PPT fs * TA 2:13 2 s? ‘A8 ‘% = | LA SÉLECTION SEXUELLE 85 certains crustacés parasites; ie dimorphisme sexuel s'explique alors par la sélection naturelle ordinaire. Mais les couleurs éclatantes de beau- coup d'oiseaux (perroquets, paons, colibris), de papillons, de poissons; les crinières, les touffes de poils diverses de beaucoup de mammifères; le chant des oiseaux, leurs danses et leurs parades ; les ornementations de toute sorte qu’on observe chez tant d'êtres, ne semblent servir à aucun usage. Le fait qu’ils se rencontrent ordinairement dans un des sexes seulement, chez le mâle, tandis que la femelle en est dépourvue, et que souvent même ces caractères particuliers n’apparaissent que pendant la saison de la reproduction, a sug- géré à Darwin l’idée qu’ils doivent avoir une utilité relative à cetie fonction et s’être développés grâce à une sélection d’un genre spécial. Cette sélection qui s’est exercée en raison des caractères sexuels a reçu de Darwin le nom de sélection sexuelle. Elle a pour résultat non plus de permettre aux plus aptes de survivre, mais de donner à certains indi- vidus un avantage sur d’autres, du même sexe, soit en leur fournissant la possibilité de se repro- duire à l’exclusion des autres, soit, pour des rai- sons qui seront indiquées plus loin, en assurant à cette reproduction des conditions meilleures au point de vue du nombre et de la vigueur des ‘descendants. Et comme ce sont les mâles qui se disputent les femelles, la sélection sexuelle agit entre eux, et ceux qui ont les meilleures armes dans cette lutte pacifique: couleurs vives, voix " è et do de PRÉ CR ANR d LE ARS TU LE VE 219 Me Ur MERE 71} #1 ÿ LS GT LE L “+ CN ' Le A 1 * v 2e D Lies VU Vers LE PRE RE Te 7,2 mélodieuse, etc., seront choisis par les femelles de préférence aux autres. Mais ces caractères de luxe ne déterminent pas seuls quels sont les mâles qui pourront s’assurer les possessions des femelles : il y a, à côté d’eux, de vrais armes de combats tels qu’ergots des coqs, bois des cerfs, etc. Bien que ces organes puissent être également utiles dans la lutte pour l'existence, Darwin les confond avec les précédents et leur accorde, dans la sélection sexuelle, une place au moins aussi importante. Ici une question se pose. Chez les animaux où les mâles sont plus nombreux que les femelles, la façon dont la sélection sexuelle s’exerce se com- prend d’elle-même : les mieux doués ou les plus forts trouvent seuls des femelles et transmettent leurs avantages à leurs descendants. Darwin cons- tate qu'il en est réellement ainsi chez quelques mammifères, beaucoup d'oiseaux, certains pois- sons et certains insectes; la polygamie produit le même résultat, car si chaque mâle prend plusieurs femelles, beaucoup de mâles resteront non appa- riés. Mais chez la plupart d'animaux la proportion numérique des deux sexes est sensiblement la même; voici comment, d'après Darwin, la sélection sexuelle agit alors pour produire le même résultat. Chez les oiseaux migrateurs, par exemple, on voit toujours les mâles arriver dans le pays où la repro- Auction a lieu avant les femelles; ils peuvent donc se disputer les premièies d’entre elles qui viennent. De mème, chez les insectes, les premiers individus ” y » LA é N'FTELINUES l'urt à AA RL Te VAT ET ES “7, A ER LA RE PET OR te \ w, N Li TA Le ( À À qui {  F ne LE _ 4 AT 4 Der Et AE { e7 LA SÉLECTION SEXUELLE . sortis de la pupe à l’état d’imago sont générale- ment des mâles. D’autre part, parmi les femelles, les plus vigoureuses et les plus fortes sont prêtes à se reproduire avant les autres, et comme les mâles se les äisputent, les vainqueurs, plus forts ou mieux ornés, prendront ces premières femelles, jes meilleures. Les suivantes, plus faibles, auront en partage les mâles vaincus; leur descendance sera donc moins nombreuse et moins bien douée que celle des premiers couples. « Et il y a là tout ce qu'il faut, conclut Darwin, pour, dans le cours des générations successives, soit ajouter à la taille, la force et le courage des mâles, soit améliorer leurs armes défensives 1. » Mais dans beaucoup de cas, la femelle semble exercer elle-même un choix, en préférant le mâle le plus richement coloré, le plus orné, le meilleur chanteur, etc. Darwin cite un très grand nombre d'exemples (chez les oiseaux surtout) où le mâle cherche réellement à séduire la femelle. Ainsi, les rossignols ne vont pas vers les femelles, mais se met- tent à chanter plusieurs en même temps et les femel- les, attirées, viennent choisir entre eux. D’autres oiseaux exécutent des danses et parades d'amour diverses. « Dans l'Amérique du Nord, raconte Dar- win, un grand nombre d'individus d’une espèce de Tetras (7. phasaniellus) se rassemblent tous les ma- tins pendant la saison de reproduction, sur un endroit ie DE 1. Cn. Darwin, La descendunce de l'homme et la sélection sexuelle, t. I, p. 283 (Ed, Reinwald. 1872, trad. J.-J, Mou- linié). 88 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION choisi, uni, où ils se mettent à courir dans un cercle ve: # » de quinze à vingt pieds de diamètre, dans lequel, en tournant toujours, ils finissent par dégazonner la piste. Dans ces danses de perdrix, comme les chas- seurs les appellent, les oiseaux prennent les aîtitudes les plus baroques, faisant leurs tours les uns à droite, les autres à gauche. » Voici quelques autres exemples où les mâles cherchent à charmer les femelles par l’étalage de leurs ornements. « Chez les oiseaux de paradis, une douzaine ou plus de mâles en plumage complet se rassemblent sur un arbre pour leur partie de danse, comme l’appellent les indigènes; et se mettent à voleter ça et là, élevant leurs ailes, redressant leurs plumes si élé- gantes et les faisant vibrer en produisant, selon l'observation de M. Wallace, l'illusion que l’arbre est rempli de plumes oscillantes (p. 90). » Le paon, lorsqu'il veut se faire voir, « étale et redresse sa queue dans le sens transversal, car il se place en face de la femelle et exhibe en même temps sa gorge et sa poitrine si richement colorées en bleu ». Un autre oiseau dont l’ornementation res- semble à celle du paon, le Polyplectron, prend une attitude un peu différente. 11 a «le poitrail sombre F et les ocelles ne sont point circonscrits aux rec- trices. En conséquence, le Polyplectron ne se tient pas en face de la femelle; mais il redresse etétale ses rectrices un peu obliquement, en abaïissant l’aile du même côté et relevant l’aile opposée. Dans cette position, il expose à la vue de la femelle 4. Ibid., t. IL, p. 70. 2 CRAN EEE Dre LA SÉLECTION SEXUELLE RE admiratrice l'étendue totale de la surface de son corps parsemée de ces ocelles (p. 92) ». Et il y a toute une série d'exemples analogues d’oiseaux exotiques ou de nos pays (bouvreuils, pinsons, linottes, chardonnerets, etc. etc.) où les mâlescher- chent à charmer les femelles en prenant des atti- tudes où leurs ornements, qu’ils soïent riches ou peu abondants, sont le mieux vus. Ce sont ces caractères, attrayants ou utiles aux mâles pour les combats entre eux, qui, transmis à leurs descen- dants et accumulés de la même façon que sous l’action de la sélection naturelle, produisent à la fin cette grande diversité de caractères extérieurs qu’on constate entre les mâles et les femelles. La théorie de Darwin, émise pour compléter celle de la sélection naturelle, trouva immédiate- ment un bon accueil parmi les naturalistes et pen- dant longtemps fut admise par eux sans discussion. Elle l’est encore par certains sélectionnistes exclu- sifs, tels que Weismann. Cependant, Weismann y introduit quelques modifications et quelques réser- ves : ainsi, il délimite plus nettement ce qui, selon lui, peut trouver une explication dans la sélection naturelle ordinaire (comme, par exemple, les armes de combat entre les mâles), et restreint ainsi le champ d'application de la sélection sexuelle; de plus, ë! ne suppose pas toujours de la part de la femelle un choix conscient, guidé par les. mobiles esthétiques, mais pense que certaines. manifestations de l’excitation sexuelle chez le mâle peuvent simplement influencer la femelle de façon CT +" re “ 2 or 22 ie : LT EU an + hé ve QE n NL LS tee Dos » Te dd A : * 4 st Re VE Te à produire en elle une excitation analogue. C'est LeS THÉORIES DÉ L'ÉVOLUTION 0 D LR ainsi que pourraient agir certaines odeurs. En mème temps, Weismann attire l'attention sur cette considération que les caractères sexuels secon- daires qui apparaissent d’abord chez un sexe | seulement peuvent, par la suite, se transmettre héréditairement aux deux sexes et devenir des caractères différentiels d’une nouvelle espèce. La sélection sexuelle apparaîtrait ainsi comme un ° facteur plus puissant encore qu’on ne le croyaiti. _# Cependant, à l'heure actuelle, cette hypothèse de | Darwin est soumise à de nombreuses critiques et ; mème rejetée par la plupart des naturalistes. Nous 4 allons exposer, en quelques mots, les principales ‘4 objections qui ont été élevées contre elle par divers 4 auteurs. VENT Certaines de ces objections s'adressent à l'hypo- thèse de la prédominance numérique des mâles, hypothèse qui serait nécessaire à la théorie de la sélection sexuelle. Et comme dans la plupart des espèces, au moins parmi les vertébrés, les deux i sexes sont approximativement égaux en nombre, les possesseurs des caractères attractifs, disent ces critiques, ne 56 reproduisent pas seuls à l’exclu- sion des autres : même s’ils sont les préférés, les autres finissent aussi par trouver une femelle. Et dans ces conditions, il est difficile qu’un carac- tère se développe et se fixe, car le nombre d'in= dividus qui le possèdent ne Sera pas plus consi= 4. Vorträge über Descendenztheorie, 1, ch. xl. : ao SENS un SEXUELLE : dans s la deuxième que dans la première _ génération. Nous avons vu que Darwin lui-même est loin de prendre l'inégalité numérique originelle entre les sexes pour base de ses déductions et qu’il fait plutôt intervenir une inégalité numérique créée par des ee ., : - : MeV AE | : conditions temporaires. Que la solution donnéepar lui soit satisfaisante ou non, cette objection n’en porte pas moins à faux. Ç On pourrait, il est vrai, supposer, dit-on encore, que les mâles pourvus de caractères ornementaux sont, en même temps, plus vigoureux et produisent une descendance plus nombreuse ou plus résis- tante, mais une pareille corrélation n’a pas été .observée et cette supposition serait arbitraire. À supposer même que, pour une raison Ou pour . une autre, les résultats de la sélection sexuelle arrivent à se maintenir et que tous les mâles qui sont dépourvus de caractères d’ornementation soient réellement éliminés par les femelles au moment de la reproduction, ce serait là, disent ceux qui font valoir cet argument, un processus non seulement inutile, mais même nuisible au point de vue du bien de l'espèce; il devrait alors tomber sous l’action de la sélection naturelle et disparaître. Le fait de la sélection par les femelles n’a _ pas été constaté expérimentalement, disent d’au- tres. Darwin a accepté par avance cette critique. Il donne de nombreux exemples des efforts du * _ mâle à séduire la femelle, mais très peu où l'on RES OENEES ;a N = . : À à, Aie GA PE Ê V v'hS 92 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION . … voie directement le choix exercé par cette dernière. Aussi conclut-il à sa réalité pour des raisons d’ordre général : on sait que les animaux distinguent les couleurs, les sons, les odeurs ; on peut donc leur supposer des préférences, des rudiments de goûts esthétiques, d'autant plus que ces derniers ont bien dû se développer graduellement pour devenir ce qu'ils sont chez l’homme. C’est certainement très vrai, mais il est vrai aussi que nous nous exposons à des erreurs nombreuses en attribuant aux ani- maux, surtout aux animauxinférieurs, un sentiment esthétique analogue au nôtre.Chez certains (les arai- gnées par exemple), la vue est même trop imparfaite pour saisir les différences dont il s’agit. Certaines manifestations des mâles, telles que les danses des LE insectes, qu’on attribue à la sélection sexuelle, se passent dans des conditions où elles ne peuvent produire aucune impression sur les femelles : le tourbillon dansant est composé exclusivement de mâles, sans aucune femelle dans le voisinage. Et lorsque les oiseaux chantent, la voix d’un mâle qui se trouve plus près peut parfaitement paraitre à la femelle plus forte, sans qu’il soit véritablement meilleur chanteur!. Les caractères ornementaux ne sont pas d’ailleurs toujours limités à un sexe; c’est bien le cas le plus fréquent, mais non pas une règle absolue, et la théorie ne nous explique qu’avec peine les exemples où les deux sexes possèdent ces caractères au 1. Ces deux derniers exemples sont mis en avant par V. L. Kellogg, Darwinism to-day, p. 115. F s ? 2 cel NÉRPTER SO NES, ES TA 14 L - CTI JANET TS FAR c YU { r il Hi LA SÉLECTION SEXUELLE | 93 même titre, ou même les femelles plus que les mâles. Mais ce qui parle surtout contre elle, ce sont les couleurs vives des mâles pendant la saison de la reproduction chez les animaux tels que les pois- sons, où la fécondation est externe et la femelle pond les œufs dans l’eau, sans jamais voir le mâle qui viendra les féconder. Ici, il ne peut évidem- ment être question d'aucune sélection, et si on réussit à trouver une explication différente de ces faits, elle sera peut-être également valable pour tous les autres, et la théorie de la sélection sexuelle | deviendra inutile. Certaines expériences, faites sur des insectes, | fournissent également contre elle des arguments À à | ; | \ | k intéressants. Ainsi, Mayer et Soule colorent arti- ficiellement les ailes des mâles d’un papillon, Porthetria dispar, et le changement de colora- tion ne produit aucune différence dans l'attitude des femelles; par contre, elles se montrent sen- sibles à la présence ou l'absence d’ailes et oppo- sent une certaine résistance aux mâles auxquels les ailes ont été arrachées!. Le caractère orne- mental reste donc en dehors de l’action de la sélec- tion sexuelle qui s’exerce sur un caractère (la pré- sence d’ailes) dont personne ne lui attribue l’origine. Mayer a fait une autre expérience curieuse, plus décisive encore peut-être : chez un autre papillon (Callosamia promethea), où le mâle possède une coloration noirâtre et la femelle est rouge-brun, il 4. A. G. Mayer and C. G. Soue : Some reactions of Cater- pillars and Moths. (lourn. exper. Zool., III, 1906.) n L CS. _T.-H. Morgan? en énumère vingt; les plus importan- ‘une explication naturelle et exempte de toute con- _coupait les ailes et collait aux mâles des ailes de " . femelles et réciproquement : aucune perturbatiôn dans l'attitude des insectes n’en résultait{. Même l'absence totale d’ailes ne produisait sur eux aucune impression; en même temps, les expériences faites sur ces papillons et sur le Porthetria ont montré que les mâles sont guidés par une certaine odeur émanant des femelles. D’autres objections encore ont été formulées. tes sont celles que nous venons d’exposer. La con- clusion qui semble s’en dégager c’est qu’il faut, en effet, chercher, pour la majorité du moins de ces faits, une autre explication. Celle de Darwin, ici encore, a rendu un service très grand en fournissant sidération finaliste; elle s’est maintenue autant qu’il a fallu pour habituer les esprits à ne se contenter que , de ce genre d'explications ; elle peut maintenant faire place à une autre, plus conforme aux faits expéri- mentaux etappuyée sur les recherches faites depuis. Les hypothèses ne manquent pas sur cette ques- tion. Certains naturalistes émettent l’idée que les caräctères de coloration des mâles sont des signes de reconnaissance, mais cela ne nous explique pas pourquoi les mâles seuls ont besoin de ces signes : il semblerait, au contraire, que les femelles étant 1. Cette dernière expérience est citée par Kellogg, L. c., p. 122. 2. T.-H MorGan, Evolution and adaptation, 1903, p. 1617- 221 \ L Ca L'EFFET LA SÉLECTION SEXUELLE . 95 S généralement passives et recherchées par les mâles, k ce sont elles qui auraient besoin d’avoir des carac- a tères distinctifs pour que les mâles puissent les '@ù reconnaître. ‘ Il existe aussi une explication, d’après laquelle v, certains caractères sans utilité peuvent résulter du «La désir des mâles de paraître à leurs rivaux plus cffrayants qu’ils ne sont en réalité (les bois com- 2 a pliqués des vieux cerfs, par exemple); mais c’est ï là une supposition au moins aussi, sinon plus, arbi- traire que celle de la sélection par les femelles. | À Une autre hypothèse, plus probable, semble-t-il, ‘#4 et déjà indiquée légèrement par Darwin lui-même, LE c'est que les mâles des espèces où les caractères ornementaux sont présents possèdent un excès d'énergie, et que c’est cet excès qui se manifeste dans certaines structures (pigmentation plus accen- tuée, plumage plus abondant); les différents mou- S vements spéciaux (danses, etc.), sont les conséquen- LA ces d’une excitation sexuelle plus grande. Cependant | cette explication reste un peu vague tant que nous ne savons pas comment cet excès d’énergie agit pour produire, par exemple, une coloration plus vive. F. Une dernière hypothèse qui nous paraît indi- É quer la bonne voie à suivre dans cette question et qui d’ailleurs a certains points communs avec la précédente, est celle d’après laquelle les carac- tères sexuels secondaires résulteraient d’une cause tenant directement à l’état des organes sexuels, telle qu’une sécrétion interne qui agit sur les tissus _de l'organisme, C’est Emery qui a le premier pro- » FRNX TS WA ds hé Ke 4 4 < Le | ae | , # è "Er on MER < “ NE | gh AURAS Ke AVS TN ARTTS 4 NEC Lee d'in à ‘ à : AB F? AE, “3 4 | A de j | * AP R. 96 LES TUÉORIES DE L "ÉVOLUTION | 1r° 408 + posé cette explication; depuis beaucoup d'expé- riences variées ont confirmé que la suppression de ces organes ou de certaines de leurs parties . amène la disparition de ces caractères. Il faut citer surtout les recherches de Bouin et Ancel sur la . glande interstitielle du testicule des mammifères, dont la conclusion est que c’est bien la sécrétion de . cette glande qui détermine les caractères sésuelail secondaires et mêmes l'instinct sexuel. En même « temps, d’autres recherches ont montré que des « modifications chimiques spéciales se produisent … dans les tissus de certains animaux (des poissons, par exemple) à l’époque de la reproduction. Mais si la théorie dela sélection sexuelle est desti- \ née à disparaitre, il ne faut pas exagérer l'importance « que cela peut avoir pour lesthéories darwiniennesen M général. Certains naturalistes la considèrent comme une auxiliaire si indispensable de la théorie de la sélection naturelle qu’ils croient celle-cicompromise « parce que celle-là semble être condamnée. Nousne voyons pas du tout pourquoiilenseraitainsi: Darwin n’a pas pu expliquer parlasélectionnaturellecertains . faits pour lesquels il s’est vu obligé de créer unethéo- rie spéciale. Une autre théorie spéciale peut la rem- placer sans que pour cela les faits explicables par la . sélection naturelle cessent de l’être. La fausseté, « même pleinement reconnue, de l’idée de la sélection » sexuelle ne peut donc aucunément servir d'arme . aux mains des adversaires de la sélection naturelle. » k 4. Gedanken zur Descendenz-und Vererbungtheorie. (Bio logisches Centralblatt, 1903, p- 397-420.) ; CHAPITRE. Yil Les théories de l’hérédité. — Les « unités physiologiques » de Spencer. Lien entre les théories de l'évolution et celles de l'hérédité. | — Hypothèses sur la structure du protoplasma. — Les microméristes et les organicistes. — Les particules unifor- mes et les particules représentatives. — Les «unités phy- siologiques » comme type des premières. Leurs propriétés ; explication des phénomènes biologiques. — Le principe de la conservation de la force et celui de l'instabilité de l'homogène. — Autres hypothèses analogues. * Par tout ce qui précède, nous avons pu voir à quel point la question de l’évolution paylogéné- tique des êtres était liée à celle de leur développe- ment individuel, de la transmission de leurs carac- _ tères aux descendants et de l’apparition en eux de caractères nouveaux. Et il n’en peut être autre- | ment, car c’est l’hérédité des variations produites qui les rend non pas individuelles et momentanées, . mais constantes et caractéristiques de l’espèce. Aussi certaines théories de l’évolution sont-elles _indissolublement liées à certaines conceptions dé- terminées de la transmission héréditaire. (C’est Fe UC lt éd or LE voue LYS D LS NE Che Re PUS ROSE T EURE Cr U “ > PAM EN PRICES VRAIS OR PRE ORNE CHEMIN 1 ; ki LH = 9 t h AT A r ra Ps QU AU Lee #52 Let À VA Me . 4 : LE" ei 9 NE, PR rh NS LES Sd | 7 OPUS VA « k ce LE SA 98 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION ue à S RE à pourquoi un exposé au moins des principales US | régnantes sur ce sujet doit naturellement trouver place ici. Ve Ce qu’on remarque tout d’abord, quand on envi- sage les différentes hypothèses formulées, c’est que « deux questions, en réalité distinctes, y sont exa- w minées ensemble et résolues ensemble, la réponse à l’une dépendant étroitement de celle/donnée à l’autre. C’est, d’une part, l’hérédité même, c’est-à- dire l'explication de la ressemblance entre parents et enfants et celle du mécanisme même de la trans- mission des différents caractères. C’est, d'autre part, la question du développement embryonnaire. Comment d’une cellule-œuf apparemment si simple peuvent Gériver toutes les différentes parties d’un organisme compliqué? Quels sont les facteurs de la différenciation ontogénétique? C’est surtout la première de ces deux questions qui doit #ôus occuper ici, mais comme toute théorie répondant à l’une donne nécessairement une réponse, ne serait-ce qu'incomplète, à l’autre, nous sommes obligés de les envisager ensemble. À Nous n’allons pas faire ici l'historique des . différentes vues sur la génération et la trans- … mission héréditaire. La discussion entre sperma- tistes et ovistes, la théorie qui portait le nom d’ « évolutionniste », nom qui sonne maintenant tout à fait autrement à notre oreille, et qui croyait à la préformation dans l’œuf ou dans le spermatozoïde de l’animal tout entier, n’ayant en- a Ê FÉ 6. LES THÉORIES DE L'HÉRÉDITÉ 99 ‘suite qu’à se dépouiller de son enveloppe et gran- dir, la théorie opposée de l’épigenèse, tout cela n’a plus pour nous qu’un intérêt historique. Il faut pourtant avouer que les idées actuelles ne sont pas si entièrement étrangères à ces vues jurannées, et que dans certaines théories de l’hé- rédité en vogue aujourd'hui on constate un état d'esprit incontestablement parent de celui des an- ciens « évolutionnistes «. Weismann ne dit-il pas lui-même que, parmi les anciennes écoles, c’est au sein de cette dernière qu’il trouverait les premiers protagonistes de ses doctrines ? Quoi qu’il en soit, actuellement la clef de l’héré- dité ne peut être cherchée que dans une certaine conception de la matière vivante constituant la cellule, du protoplasma. Ses propriétés, hérédi- taires ou non, doivent nécessairement résulter de sa constitution physico-chimique. Mais la chi- mie des albuminoïdes et les propriétés des corps colloïdes, dont l’étude se développe de plus en plus et semble devoir nous donner certaines expli- cations des phénomènes observés dans la cellule vivante, ne sont que très imparfaitement connues encore. Nous avons, d’une part, les molécules chi- . miques, d’autre part, des organes déjà compliqués que l'étude histologique nous montre dans la cel- Jule; mais quel est le groupement des molécules et iquel est l’arrangement spécial qui distingue le complexe d’albuminoïdes qui constitue la sub-- stance vivante de cette même substance lorsqu'elle est morte? Qu'est-ce qui, dans la constitution du er — Lo _protoplasma, détermine son caractère de vie? Là, à nous sommes entièrement réduits aux hypoliésent Elles ne sont pas directement vérifiables et ne peu” vent être jugées par nous qu’à ce point de vue seul : telle concention donne-t-elle une explication vraisemblable des différents PheRer vilaux: ontogénèse, hérédité, variation, etc.? Ces hypo- “ thèses sont nécessaires, car nous ne pouvons nous « résigner à n’avoir aucune idée sur ces questions » qui noue passionnent plus que toutes les autres. De | plus, seule une hypothèse qui guide le chercheur : peüt faire avancer l’étude de ce problème; c’est elle qui éclaircira les faits particuliers, les mettra M en valeur et montrera la direction à suivre pre 4 loin. Cependant, à l'hypothèse aussi nous devons poser certaines conditions. Sans parler de cette condition essentielle, qu'il faut qu’elle ne contredise Rs fait connu, elle doit n’être pas trop artificiellement bâtie et ne pas multiplier à l'infini le nombre des « suppositions arbitraires. Elle ne doit pas permettre de se contenter d’une solution imaginaire là où, dans l’état des connaissances, il est du devoir d'un savant de rester sur le terrain des faits positifs. Il y a des hypothèses auxiliaires indispensables et des généralisations vivifiantes ; telle est la grande idée fondamentale de la bidloié : la conception méca- k nisie, physico-chimique de la vie, qui stimule les « recherches dans toutes les directions, et ilyena « d’autres (comme telles théories de l’hérédité que . nous aurons l’occasion d'examiner) qui donnent if £ ( PARTIE Mer pra LES THÉORIES DE L'HÉRÉDITÉ 101 une satisfaction trop facile à notre esprit, qui em- _brassent tout, expliquent tout et, si une difficulté se présente, la résolvent en construisant à chaque pas une nouvelle hypothèse adjuvante. La grande majorité des théories créées en vue d’une explication des phénomènes de la vie, et par conséquent de l’hérédité, repose sur cette supposition qu'entre les molécuies chimiques et les organes de la cellule visibles au microscope il se place encore une catégorie d'unités : des parti- cules protoplasmiques initiales qui, par leurs carac- tères et leur mode de groupement déterminent les diverses propriétés de la matière vivante. Cette idée, bien qu’elle ne soit pas entièrement nouvelle et qu’on puisse la faire remonter jusqu’à Buffon, avec ses particules immortelles se dissociant : après la mort, mais pouvant reformer de nouvelles combinaisons vivantes, triomphe actuellement dans les doctrines les plus en vogue et semble trouver un argument en sa faveur dans les recherches, déjà anciennes, de Mendel sur lesquelles l’attention des savants à été récemment attirée. | Les partisans de cette sorte de théories ne règnent cependant pas sans partage, bien qu'ils soient de beaucoup les plus nombreux : certains naturalistes pensent, au contraire, que la forme du corps et les propriétés de ses différentes parties ne dépen- dent pas d’une fraction quelconque de la cellule qui lui à donné naissance, mais du tout, et qu’elles résultent du jeu et de la lutte réciproque de tous les éléments. cellules, tissus, organes, qui vivent cha- . APP MAÉ V7 NEA R M dat à Nr Ve 4 vs NS 3 a MONTE CR Er à RAA : TNT CNET ne ANS CN UE à 7 “e/ L'an LIT Ve rs J + K , + { à % VA, A k A7 21 ' "AC k « v à \ . 102 LRS THÉORIES .DE LÉO É TNT ds À 4 à La PERS de x HIT He, | 2 | | 113 pas + 32 ji FES 2 tu: Al LA cun leur vie propre et arrivent à la fin à LORS ce É tout qui paraît être la manifestation d’une harmonie , préétablie et qui n’esten réalité qu’une résultante de. phénomènes indépendants. Leurs conceptions re-, montent assez loin, jusqu’à Descartes, mais elles se sont si profondément modifiées que rien, en « somme, ne subsiste des anciennes idées et qu’ac- tuellement nous avons affaire, chez les « organi- cistes », représentants de cette tendance, à des théories toutes modernes. Commençons par la première catégorie de sys- . tèmes. Ils ont été longuement décrits, sous le nom de théories microméristes, dans un travail précé-. dent, beaucoup plus détaillé et que nous avons « déjà eu l’occasion de citer. Ici, où nous ne traitons pas spécialement des questions d’hérédité, nous ne : pouvons qu'indiquer les représentants les plus « typiques et les plus influents de ces théories. | En opérant un classement parmi ces théories, » nous voyons tout d’abord que certaines consi- \ dèrent les particules hypothétiques du protoplasma comme identiques entre elles, les mêmes pour tous les organes et toutes les parties d’un même organisme; les différences ne résultent, que du. mode d’agencement, des forces attractives agis- santes, du mode de mouvement de ces parti-… cules. Voici, par exemple, comment se figure les . choses Spencer qui formula le premier une théorie w 1. Yves DeLaGe, L'hérédité et les grands problèmes de la biologie générale. L Fa) | nes mm THÉORIES DE Ana fE 103 | basée sur les particules protonlasmieues et peut, à juste titre, être considéré comme l’initiateur, le père de cette idée qui s’est montrée si féconde par la suite. Spencer donne aux plus petites particules de la matière vivante le nom d'unités physiologiques. Ces unités seraient d’un ordre intermédiaire entre les unités chimiques (molécules) et les unités mor- phologiques (cellules); elles seraient composées de molécules et elles-mêmes constitueraient les cel- Jules. La forme de l’organisme résulterait de leur arrangement, et celui-ci tiendrait à la forme des particules elles-mêmes : Spencer admet autant de catégories de ces unités élémentaires qu’il y a de races d’êtres vivants, chacune de ces catégories fournissant une forme donnée d’organisme. Pour mieux faire comprendre leurs propriétés, Spencer compare les unités physiologiques aux substances cristalloïdes. Comme ces dernières, elles seraient douées de polarité, et, de même que les molécules chimiques d’une substance cristal- loïde se groupent toujours en un cristal de forme définie (cube, prisme, rhomboèdre, etc.) de mème les unités physiologiques se grouperaient toujours de façon à constituer un organisme d’une forme qui peut être très compliquée, mais qui est tou- jours la même pour un être d’une espèce don- née. Du seul jeu de cette polarité, chaque unité serait forcée de prendre la forme de l’espèce à laquelle elle appartient : un oiseau aurait des plumes, un bec, des organes internes de telle forme, ; 2 4 # { CR Ten ds 11 TENTE : z + dt. - nc à Ç 4 £” A + NÉ 0 e PAT ": PAR D Sr LE "+ N De SRE TE Se Le . ROUEN re : = nu Los UE 8 D NN ARE cet as: Les” CP LBREZ Da * à er" CN Te LAS d à À Le 104 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION , comme le cristal corre8pondant à une substance | déterminée aura toujours des faces formant entre elles des angles donnés et reproduisant une forme fixe. | Cependant Spencer voit une différence : l'agré- gat que présente la substance vivante esl plus complexe qu'aucune autre combinaison de molé- cules chimiques; aussi est-il plus instable et plus plastique et son équilibre est-il plus facilement rompu sous l'influence des diverses forces inci- . dentes. Dans la cristallisation, la forme obtenue est toujours rigoureusement la mème, et rien ne peut faire qu’une substance qui se cristallise en prisme droit fournisse un prisme un peu oblique ou à faces pas tout à fait parallèles. La polarité des unités physiologiques est plus délicate, plus sensible; elle exige, poûr se manifester, des conditions très pré- cises et se plie à certaines influences. Ces influences peuvent apporter de légères modifications à l’édi- fice, sans le détruire et sans que le plan général de la disposition se trouve altéré. Il en résulte que, bien qu’il n’y ait qu’une sorte d'unités physiolo- giques par espèce, les individus d’une même espèce peuvent présenter de légères différences entre eux; _ cette malléabilité relative explique la possibilité des variations individuelles sans nous obliger à imaginer autant de sortes d’unités qu’il y a d’indi- vidus. Mais les différences entre les individus ne sont pas les seules qui existent : il y a aussi celles entre A ARRET | DT, +4 rare LR , A LES THÉORIES DE L’HÉRÉDITÉ 105 les caractères histologiques. Elles résultent de ce que les unités, identiques entre elles au point de vue de leur polarité (caractéristique de l’espèce) et des légères variations de cette polarité (earac- tères individuels) éprouvent diversement, au cours du développement embryonnaire, l’action des forces incidentes (ne serait-ce qu’en raison de la situation différente des cellules dans l’espace), et subissent certaines modifications dans leur nature. Les unités qui constituent le muscle ne sont pas tout à fait identiques à celles du tissu osseux. 'Elles ont bien la même forme, mais sont comme des cris- taux de deux substances différentes, revêtant le même type cristallin. Ces différences de nature n’atteignent d’ailleurs pas les caractères anatomi- ques des organes : dans toute l’étendue du corps les unités physiologiques d’un même tissu sont iden- tiques. L’hérédité s'explique ainsi d’une façon toute simple : l'élément reproducteur, œuf ou sperma- tozoïde, est en somme un petit amas d’unités physiologiques, douées de la polarité caractéris- tique de l’espèce; lorsque ces unités se trouvent dans les conditions qui permettent leur dévelop-. pement, elles s’arrangent tout naturellement de la même façon que chez les parents. Cela explique l'hérédité des caractères spécifiques; quant aux traits individuels qui résultent de certaines diffé- rences dans les unités physiologiques des deux pa- rents (lorsqu'il s’agit d’amphimixie), il se produit entre ees unités une espèce de conflit qui se ter- \ » \ Fe < AI ü F Mas *ep ; rie is je ' V RS tal: A: WA ee ses: fE: | ie AE | LES rnéonEs DE L'ÉVOLUTION De RE vw Ad; mine par l’attribution au descendant d’un mélange | F1 ; des caractères des deux parents. | Il est moins facile d’expliquer la transmission des caractères non pas innés, mais acquis au Cours de l’existence sous l’influence des conditions exté- rieures. Comment une modification ainsi produite _ chez l’être adulte peut-elle retentir sur ses unités physiologiques de façon à atteindre les produits sexuels et, par eux, l’être futur? Voici comment Spencer conçoit les choses. Un organisme est une combinaison de parties qui, toutes ensemble, cons- tituent un équilibre mobile; si cet équilibre est troublé en un point, la modification s’étend à tout l'organisme et l’être que donnera cet organisme modifié ne pourra plus être identique à celui qu'il aurait donné avant la modification survenue. « Comme, d’une part, dit Spencer, les unités phy- siologiques se disposent, en vertu de leurs proprié- tés polaires spéciales, pour former un organisme d’une structure spéciale, d'autre part aussi, si la structure de cet organisme est modifiée par la fonction modifiée, elle imprimera une modification correspondante aux structures et aux propriétés polaires de ses unités. Si des actions incidentes 4 font prendre à l’agrégat une nouvelle forme, ses forces doivent tendre à remodeler les unités d’une façon harmonique à cette nouvelle forme. » Et alors, « ces unités, lorsqu'elles seront séparées sous forme de centres de reproduction, tendront à s’édifier en un agrégat modifié dans la même direction ». 4, Principes de Biologie, t. I, p. 311. (Trad. Cazelles, 1888.) D 1 ut … "1 d Ven Fr. RerLe ÉTRLE. AT CUT + fe an TOOL AM NA a UC POan LE EÉ Re RSR ? VA ; “! S À { r 4 LES THÉORIES DE L'HÉRÉDITÉ 107 L’explication est, comme on le voit, toute théo- rique, Spencer s’efforçant moins de montrer par quel processus physiologique exact s'opère cette répercussion, que de la mettre en accord avec cer- tains principes généraux (les « premiers prin- cipes » fondamentaux), tels que la conservation de la force. Dans un même individu, au cours de son existence, « toutes les divergences fonctionnelles et structurales que nous voyons se produire sous l'influence d’une force incidente nouvelle, conti- nueraient nécessairement de croître jusqu’à ce que la nouvelle force incidente fût contre-balancée ». Mais rien ne se trouve changé du fait du « rempla- cement d’un individu continuellement existant par une succession d'individus naissant chacun de la substance modifiée de son prédécesseur. la per- sistance de la force s’opposant à toute autre con- clusion! ». Un autre principe général, très important pour le mm 007 SN toute la philosophie de Spencer, celui de linsta- bilité de l’'homogène, donne la raison de la varia- tion. Ce principe a pour conséquence que deux cellules germinales, deux individus d’une même espèce, fussent-ils à l’origine identiques, doivent devenir, à un moment donné, différents entre eux, par le seul fait qu’ils occupent des points différents dans l’espace et se trouvent sous l'influence de forces non identiques. Car des causes différentes, agissant sur des objets semblables doivent néces- sairement produire des conséquences différentes, 4. Ibid., p. 521. ARC AT Ge PATES PE SN ne USA I TETE se ” RENE DRS HE à : 4 108 LES TNËCRIES DE L'ÉVOLUTION sous peine de manquer au principe de la conser- vation de la force. | _ La théorie de Spencer fut formulée en 1864, et, depuis, toutes les autres, y compris la pangenèse de Darwin, y puisèrent. C’est elle qui traça la voie à ceux qui, plus tard, vinrent l’approfondir et la dé- velopper davantage. Son côté faible, c’est d’avoir souvent mis en avant des principes d’ordre géné- ral, tels que la conservation de la force ou l’insta- bilité de l’homogène, là où l’on souhaiterait une explication physiologique précise. Lorsque Spencer dit, par exemple, qu'aucune influence exercée sur l'organisme ne peut se perdre, mais doit se réper- _ cuter sur ses descendants. on peut lui faire cette - objection que la force appliquée peut aussi bien __ trouver à se dépenser ailleurs et sous une autre forme et que, se füût-elle manifestée nécessaire- ment dans une modification des descendants, rien ne prouve que cette modification doive être du même ordre que celle éprouvée par le parent. Tous les faits de L: transformation de l’énergie démontrent que cela n’est pas du tout nécessaire, l'énergie mécanique, par exemple, se transformant en cha- leur, ia chaleur en lumière, etc. Quant à l'idée mème des unités physiologiques, on peut tout d’abord lui opposer cette objection . que ces unités ne possèdent pas dans leur pola- rité, seul caractère spécifique que Spencer leur - reconnaît, des possibilités de produire des formes _ aussi compliquées que celles des organismes. De _ plus, le problème de l’hérédité lui-même ne reçoit LES THÉORIES DE L'HÉRÉDITÉ 109 une solution que dans la mesure où nous concé- dons aux unités tout ce que Spencer leur attribue, ;* 72410 et cela seulement pour les caractères innés; l’héré- dité des caractères acquis reste inexpliquée, le À % principe de la conservation de la force étant mani- Le 3 festement insuffisant. | L'idée des particules initiales identiques entre elles comme nature a formé la base d’un certain nombre d’autres théories que nous n’examinerons pas ici. Les uns atiribuent leurs diverses proprié- tés à une certaine forme géométrique des parti- * FL; cules, d’autres à leur mode de mouvement (Haacke, Dolbear, Hæckel, Cope, etc.), mais aucune ne fait faire un pas notable à la question après Spencer, a et dans toutes nous avons, en somme, la même À explication de l’hérédité : l’être ressemble à ses parents parce qu’il procède d’une cellule de ces 4 derniers et que les particules dont cette cellule est formée (unités biologiques, plastidules, etc.) pos- té sèdent des propriétés (polarité, forme de mouve- _ EX _ ment) caractéristiques de l’organisme donné et ne peuvent produire qu’un organisme semblaule. | Enire le tout et la partie il y a non seuleraent un lien, mais une identité profonde, les différences n'étant que purement quantitatives. AT Si intéressantes que puissent être ces théories pour la question de la constitution du protoplasma et la nature du phénomène vital, elles sont obli- gées, pour l'explication des caractères héréditaires, #4 de rester dans le vague. Los ire re $ #4 110 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Pour obtenir des explications plus précises, nous devons nous tourner vers les systèmes où les par- ticules hypothétiques ne sont plus seulement douées de forces moléculaires ou de propriétés très géné- rales, mais sont supposées représenter différentes parlies ou différentes propriétés de l’organisme. . C’est dans cette catégorie que nous trouvons les théories de l’hérédité les plus complètes, les plus précises et les plus influentes à l’époque actuelle. | Nous trouvons là, surtout, la théorie ancienne, ancêtre de toutes les autres, de Darwin et les théo- ries modernes de Weismann. | mm CHAPITRE VIII Les théories de l’hérédité de Darwin, Nes de Vries. Les théories basées sur les particules représentatives. Le pangenèse de Darwin; les gemmules représentant les cel- lules de l'organisme, leurs migrations. Objections. — Lea particules représentant les propriétés de l'organisme. La théorie de Nægeli; les micelles et leur groupement, les deux sortes de protoplasma, les caractères élémentaires. Critique du système. La théorie de de Vries ; les pangènes, leur migration à l'intérieur des cellules. La théorie de Darwin fut émise peu d'années après celle de Spencer (en 1868). Elle suit aussi de très près tous les travaux qui ont fait connaître la constitution cellulaire des tissus. Les différentes cellules de l’organisme devraient leurs propriétés uniquement à certaines petites particules auxquelles Darwin donne: le nom de gemmules. Ces particules, dont il y aurait autant d'espèces différentes qu’il existe dans le corps de catégories de cellules, seraient extrèmement pe- tites, capables de traverser les membranes et auraient la propriété de se multiplier par division. "AR 15 s différentes cellules les recevraient nd leur _ développement embryonnaire; puis, elles se multi- __plieraient en elles pendant tout le temps que les î cellules n’ont pas encore acquis une différen- | ciation définitive. Cette formation de gemmules __ durerait ainsi une grande partie de la vie et pour- _ rait recommencer même après que la différencia- __ tion est achevée, dans certaines circonstances par- _ ticulières : toutes les fois, par exemple, que la cellule subit une modification quelconque, physio- _ « Jogique ou pathologique. Toutes les cellules du corps. et pendant tout le temps que les gemmules se forment en elles, _ enverraient une partie de ces gemmules aux cel- __… lules sexuelles. Et il en serait ainsi non seulement ÿ des cellules de l’organisme développé définivement fixées, mais de toutes les cellules éphémères qui se forment pendant l’ontogénèse et disparaissent ensuite; la même chose aurait lieu lorsqu'un changement quelconque survient dans les cellules adultes. Les produits sexuels recevraient donc, Ë sous forme de gemmules, tous les caractères anatomiques et physiologiques des cellules qu’elles de” représentent. Eu Ces gemmules resteraient inactives dans l'œuf 4 tant que celui-ci ne se développe pas; mais dès le début de la segmentation elles se distribueraient _ dans les cellules-filles de tous les stades et, grâce à une force attractive spéciale très précise, fini- _ raient par arriver exactement aux cellules aux- # : quelles elles étaient destinées. Elles serviraient là A | [a P'e 6 4 r " Ÿ f : 3 | > __ THÉORIES DE DARWIN, NÆGELI, DE VRIES 113 à les vivifier, à féconder par elles, pour ainsi dire, tout l’organisme. De là le nom de pangenèse donné à la théorie. À chaque cellule, les gem- mules imprimeraient un caractère identique à celui qu'avait la cellule dont elles proviennent au moment exact où elle leur a donné naissance et les a envoyées aux produits sexuels. L'hérédité se comprend ainsi d’elle-même, et c’est ce que la théorie de Darwin explique le mieux. Il en est de même de l’hérédité des caractères acquis : puisqu’au moment où une modification se produit dans l’organisme sous une influence quelconque les cellules modifiées envoient aux produits sexuels des gemmules reflétant cette modification, ces gemmules, en pénétrant dans les cellules corres- pondantes du nouvel organisme devront forcément lui imprimer le même caractère. Cette théorie, si on accepte sa base : l’existence des gemmules et les propriétés que Darwin leur suppose, donne une explication très simple et très satisfaisante de tous les grands phénomènes biolo- giques : hérédité, variation, régénération, généra- tion sexuelle, etc. Elle le fait même si bien qu’on peut dire que toutes les théories modernes qui lui ont emprunté l’idée de particules représentatives z’ont rien ajouté d’essentiel aux explications pro- posées par elle. Mais cette base est-elle accep— table? Malheureusement non, et voici pourquoi. Même en admettant leur existence et toutes leurs propriétés hypothétiques, on est arrêté par Ia question de leur mode de transmission d’une cel- Ps an xs Je * <= » cd Nr + rue RSA 0 « m Qué nn et ET, — . IAE 114 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION lule à l'autre. Comment s'effectue cetie migration des gemmules, guidées par une attraction à dis- tance d’une extrémité du corps à l’autre, en tra- versant des séries innombrables de cellules aux- quelles elles ne doivent pas s'arrêter? On ne peut expliquer cela que de deux façons : la transmission peut avoir lieu soit par le sang, soit par le courant nerveux; Or, Darwin, n’admet pas la première idée, et, d'autre part, on sait que le courant ner- veux ne transporte aucune particule matérielle, La deuxième onjection est celle-ci. Même en supposant l'existence d’un mode de circulation encore inconnu, reste la question de savoir com- ment s'exerce l'attraction des gemmules par les cellules? Darwin suppose qu'avant l’arrivée des gemmules les cellules sont toutes identiques entre elles; mais alors comment peuvent-elles exercer des attractions différentes? D'autre part, si le pouvoir électif appartient aux gemmules mêmes, . pourquoi iraient-elles plutôt vers une cellule que vers une autre, puisqu'elles sont identiques? On est donc obligé de supposer qu'entre les diverses cellules il y a certaines différences très délicates qui font qu’elles choisissent plutôt certaines gem- mules que d’autres. Mais d’où viennent ces diffé- rences? Évidemment, pas des gemmules qui sont encore absentes. Et, s’il existe une autre cause pouvant produire ces différences, elle peut aussi bien produire toute la différenciation histologique, et les gemmules deviennent superflues. C’est là la grande lacune du système, et c’est ce | | | | 1 | D AGE ENS NE ‘ CN D FE YA "en AA it RO ù « _ THÉORIES DE DARWIN, NÆGELI, DE VRIES 145 qui fait la supériorité des systèmes qui ont suivi. Ils auraient tort, d’ailleurs, de s’en attribuer tout le mérite, car, sans la théorie première et originelle de Darwin, ils ne posséderaient même pas cette base qu’ils sont venus perfectionner. Là comme ailleurs, il faut rendre cet hommage à Darwin qu'il fut surtout et en tout un grand initiateur. Il serait fastidieux d’exposer ici toutes les théo- ries basées sur le même principe de la représen- tation, par des particules spéciales, des cellules des corps, et qui sont venues perfectionner ou, en tout cas, modifier la théorie de la pangenèse de Darwin. Aucune d'elles n’est arrivée à égaler, en impor- tance, cette dernière. En même temps, d’autres hypothèses ont surgi, dans lesquelles les particules représentent non plus les cellules de l'organisme, majs ses proprié- tés (Nægeli, Kælliker, de Vries, O. Hertwig, etc.), ou bien des hypothèses mixtes, où ces particules sont représentatives à la fois des cellules du corps et de ses divers caractères. A cette dernière caté- gorie d’hypothèses se rattache surtout le système de Weismann. Mais avant de l’aborder, examinons, parmi les théories de la première catégorie, celle de Nægeli, la plus importante et la plus vaste, et celle de de Vries qui a également introduit quelques éléments nouveaux et qui a acquis, dans ces der- nières années, une grande notoriété par sa nouvelle hypothèse sur l’origine des espèces. | Voyons d’abord le système de Nægeli qui a pré- 116 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION _ cédé de quelques années celui de de Vries. Il a été F4 formulé en 1884. Les particules élémentaires dont part Nægeli sont des sortes de cristaux organiques, se formant à la facon des véritables cristaux au sein d’un liquide aqueux et fixant autour d’eux, chacun, une couche d’eau qui fait partie du protoplasma ainsi constitué comme l’eau de cristallisation fait partie du cristal. Nægeli donne à ces particules le nom de micelles. Nous laissons de côté ici tous les détails de leur mode de précipitation, de leur multiplica- tion, etc., en nous bornant à ce qui est essenticl pour l'intelligence de la théorie. Orientés d’abord en tous sens, les micelles, en vertu de l’action de leurs forces moléculaires, se grouperaient ensuite de façon à être orientés parallèlement, ou plutôt, un certain nombre d’entre eux se grou- peraient ainsi, tandis que les autres resteraient non orientés. Les premiers, se serrant davantage les uns contre les autres, formeraient un ensemble plus dense, moins aqueux; les seconds constitue- raient un plasma plus fluide, plus imbibé d’eau. L'ensemble des micelles orientés prend le nom d'idioplasma, celui des non orientés, de plasma nutrihf. Cette séparation des deux plasmas est d’unei impor- tance capitale dans le système de Nægeli; elle a été introduite aussi par Weismann dans sa théorie commeun point fondamental. C’est l’idioplasma qui, sous un nom ou sous un autre, constitue la source de tous les phénomènes vitaux dans ces deux systèmes, 1 | | Lt UNSS VS, su 1 j NE. te unir 4 she à « _ TRÉCRIES DE DARWIN, NÆCEBLI, DE VRIES 117 L c’est à lui que tiennent tous les caractères des êtres, c’est lui qui est la seule base de l’hérédité. Voyons comment il nous apparaît dans le système de Nægeli. L’idioplasma forme d’abord, au sein du plasma nutritif, des îlots épars; s’accroissant ensuite, ces tlots se 7 de façon à former des sortes de filaments, des cordons se disposant en un réseau continu; ce réseau s’étend à travers tout le corps de l’animal ou de la plante, passant d’une cellule à l’autre, traversant les pores microscopiques de leurs parois et se répandant aussi bien dans le noyau que dans le cytoplasma. C'est cet idioplasma qui, en agissant sur les différents tissus et les diffé- rentes substances de l’organisme, leur imprime leurs divers caractères, forme, couleur, etc. Là une première difficulté surgit : comme rien n'’in- dique que les micelles aient des caractères diffé- rents, à quoi tiennent ces différences? Nægeli a recours, pour résoudre cette question, à l’hypo- thèse de certaines forces moléculaires qui ont leur source dans les micelles, non pas dans les mi- celles isolés qui sont impuissants, mais dans un ensemble de micelles groupés d’une certaine façon. C'est de ce mode de groupement des micelles que dépend la vie. Chaque groupe de micelles formant un ensemble synergique détermine ainsi un caractère de l'être, mais n’en détermine qu'un seul. Il devait y avoir donc, semble-t-il, autant de groupes spéciaux de micelles qu’il y à de caractères; mais le nombre ü 118 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION | TL TER de ces derniers est beaucoup trop grand pour que . l'idioplasma puisse contenir tous les groupes les représentant. La difficulté est résolue par une nou- elle hypothèse, très ingénieuse : il suffit de la présence de groupes déterminant certains carac- tères, en nombre relativement restreint, qui sont les caractères élémentaires: tous les autres sont des caractères complexes, constitués par des com- binaisons variées des premiers et réalisés par Vaction simultanée des groupes micelliens corres- pondants à leurs différents éléments. Mais comment ces divers groupes sont-ils dis- posés dans le cordon idioplasmique continu s’éten- dant à travers tout le corps ? La réponse à cette question est dictée à Nægeli par la nécessité d’ex- pliquer ce fait qu’un fragment d’un animal ou d’une plante (un œuf, un spermatozoïde, une spore, un bourgeon, un rameau détaché) peut reproduire l’être tout entier, avec tous ses caractères. Cela amène à supposer que ce fragment contient en lui tous les groupes micelliens déterminant ces carac- tères. Or, avant de s’être détaché du corps, ce fragment était, comme les autres, traversé par le réseau des cordons micelliens. Il faut donc que ces cordons soient constitués d’une façon telle qu’ils contiennent partout les groupes micel- liens de tous les caractères. Et cela, on ne peutse le figurer que d’une seule façon : ces groupes doivent être des sortes de files micelliennes compo- sées d’un seul rang de micelles identiques placés bout à bout. Pour déterminer un caractère élémen- ER ET IT ET SERRE CRT Jin di. : ‘utà "ps di Lt. a « tes loin 2 A Nr à Donne ot nt cd THÉORIES DE DARWIN, NEGELI, DE VRIES 119 taire, ces files se groupent en faisceaux; pour les caractères complexes plusieurs faisceaux sont réunis ensemble, et le tout constitue le cordon micellien continu. Ce cordon possède ainsi sur toute sa longueur une structure identique et cha- cune de ses sections transversales montre tous les groupes de faisceaux, et tous les faisceaux de tous les caractères. Telle est la constitution pré- cise que Nægeli est amené ainsi à attribuer à son idioplasma. D’autres hypothèses suivront celle-ci à mesure que les diverses questions surgiront. Ainsi, il semblerait dans ces conditions que l'action du cordon idioplasmique devrait être par- tout la même et ne pourrait pas donner naissance à des caractères différents en des points différents. Comment expliquer qu'il n’en soit pas ainsi en réalité? Tous les faisceaux, repond Nægeli, ne sont pas également en état d'activité dans chaque point : ils présentent, chacun, dans sa longueur, des par- ties actives séparées par des parties à l’état passif. Suivant les cellules qu'ils traversent, certains fais- ceaux, ou groupes de faisceaux, entrent en activité à l'exclusion des autres, et les caractères qui leur correspondent apparaissent. La cause qui détermine ces états d'activité et de repos réside, d’après lui, dans la plus ou moins grande excitabilité et la plus ou moins grande ten- sion des différents faisceaux : ceux, dont le nombre de micelles augmente plus rapidement aux dépens du plasma environnant, s’allongent davantage et tirent sur les autres. Plus tard, il arrive qu’eux- nt. J'EN Red 1, RME OUTRE . + 4 à: | / A XX LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION | mêmes finissent par s'arrêter dans leur accroisse= ment et leurs micelles par se tasser; l’adjonction de nouveaux micelles cesse et ils passent à l’état HA de repos, cédant leurinitiative à d’autres faisceaux ñ voisins qui, en raison de leur situation ou de leur cà irritabilité plus grande, ont été le plus excités et 4 commencent maintenant à manifester leur activité en s’accroissant rapidement par l’intercalation de _ nouveaux micelles et en exerçant leur influence L È sur le plasma nutritif environnant. ; Rien n’est plus facile. à expliquer, dans cette hypothèse, que la ressemblance héréditaire : puis- que n’importe quel fragment de l’idioplasma con- tient tous les faisceaux de tous les caractères, ils doivent nécessairement réapparaître dans l’orga- | nisme auquel la cellule qui les contient donnera Di naissance. Lorsque deux éléments sexuels se réu- ; _ nissent pour donner un œuf fécondé, cet œuf ren- k ferme les micelles des deux parents; ces micelles | se réunissent dans une même file et, soit parce que les nouveaux micelles qui se forment prennent désormais un caractère intermédiaire, soit parce qu’eux-mêmes subissent une influence réciproque, finissent par donner naissance à des caractères | intermédiaires entre les deux parents. LE Dans l’œuf fécondé, la nature des micelies, leur. | mode de groupement et la succession des états de | tension et de relâchement, d’activité et de repos | 1 * . ‘ « = « LA < sat age Ubu tale 9) Le RS EN A à de % qui provoqueront l'apparition des différents carac- 3 _ tères au moment et à l'endroit voulus, tout cela | ds est prédéterminé d'avance etne pourra être influencé. ÿ (A 4 +: N_d x RTE tr Le NS Vs PAS ‘ V3 ft ; | THÉORIES DE DARWIN, NÆGELI, DE VRIES 121 que fort peu par les conditions- externes. Cepen- dant, ces dernières pourront modifier l’état de tension des différents faisceaux qui seront, par exemple, fortifiés par l’usage, de façon à devenir plus excitables ou affaiblis, au contraire, par l’inac- tion jusqu’à passer à l’état de repos. Ces modifica- tions, s'étendant de proche en proche, pourront arriver aux cellules germinales et se transmettre à la génération suivante. Telle est l'explication aussi peu précise, d’ailleurs, que possible et susceptible de nombreuses objections, que donne Nægeli de l'hérédité des caractères acquis. Il attribue à ces caractères la propriété d’êire quelquefois adaptatifs, mais la raison qu’il en donne est purement finaüsie: l’orgänisme produit la modification nécessaire pour répondre à un besoin provoqué par influence subie. Cela, bien entendu, n’explique rien. Toute sa conception de l’évolution des êtres est, d’ailleurs, empreinte du même esprit. Dès la pre- mière origine des organismes vivants, leur idio- plasma possédait certaines tendances évolutives internes qui ont déterminé tout le développement phylogénétique qui a suivi. Dans chaque espèce, l'idioplasma, non seulement contient les faisceaux micelliens qui la caractérisent, mais contient aussi, en puissance, ceux qui caractériseront la ou les espèces auxquelles elle donnera naissance. Les conditions extérieures concourront avec les ten- dances internes pour adapter les organes et les fonctions aux besoins de Fexistence, mais elles ne provoqueront par elles-mêmes aucune évolution. ; +1 LÈS THÉORIES DE L'ÉVOLUTICN Celle-ci a sa seule source danslatendance interneau -progrès; au perfectionnement. Sans cesse, au Cours de la phylogénèse, de nouvelles files micellien- nes se joindront aux anciennes, la structure s2 compliquera, les caractères et les fonctions se dif- férencieront, les êtres deviendront de plus en plus parfaits. Les conditions externes imprimeront à ces divers perfectionnements les modifications néces- saires pour les rendre utiles ; elle seront la source de l’adaptation, mais n’agiront que sur ce que cette évolution progressive aura déjà créé. Le système de Nægeli, vaste et compliqué, a apporté avec lui deux nouvelles idées qui ont été développées et utilisées par les théories venues à sa suite : c’est l’idée de deux sortes de protoplasmas dont l’un seul est porteur des différents caractères de l’organisme, et l’idée des caractères élémen- taires, donnant par leur combinaison les propriétés les plus variées. Cette dernière idée surtout a . rendu un grand service à la conception des parti- . cules représentatives, la dispensant de la nécessité de supposer ces particules en nombre immense. Sans elle, jamais cette conception n'aurait pu se développer, comme elle l’a fait, et trouver le crédit qu’elle a trouvé. Nous réservons pour plus tard la critique de la notion même d’une représentation des caractères; cette critique trouvera mieux sa place après l’exposé du système de Weismann. Pour le moment, nous ne voulons parler que de ce qui es: propre à Nægeli, et surtout de ses micelles, avec leur mode spécial de groupement. CT 2 id + RS * er 1/4: LT de > | #4 7 | , __ THÉORIES DE DARWIN, NÆGELI, DE VRAIES 123 Ve ai ÿ 274 L y x ; TA Ce mode de groupement, avec ses files et ses faisceaux, avec ses détails si précis et si minutieu- _ sement décrits par Nægeli, est une construction, non seulement arbitraire, n’ayant aucune base dans les structures véritablement observées, mais encore telle qu'aucune modification ne peut y être apportée sans faire crouler tout l'édifice. Ce qu’elle contient de plus incompréhensible, c’est ce passage … des différents faisceaux de l’état de repos à l’état ac- tif se produisant à des momentsdifférents dans les différents points d’un même faisceau. Un faisceau micellien étant par définition identique à lui-même sur toute sa longueur, sous l'influence de quelles … conditions change-t-il d’état ici plutôt que là? Nægeli rejette l’action des causes externes ; l’allon- gement et la tension doivent nécessairement por- ter sur le faisceau tout entier et ne peuvent être - cause de différences locales; l’état d’excitabilité pourrait l’expliquer, mais il doit lui-même tenir à » des différences dans la nature du faisceau aux + différents niveaux, ce qui est contraire à l’hypo- . thèse fondamentale. Tout le système de Nægeli repose sur cette con- ception de faisceaux : sans eux, ni le développe- ment ontogénétique, ni l’hérédité, ni la variation ne sont expliquées. Aussi cette impossibilité fon- damentale arrive-t-elle à vicier toute la théorie. Î Nous ne parlerons pas de son explication de … l’évolution phylogénétique : les « tendances évolu- tives internes » ne peuvent même pas passer pour “à RPM DD PPT TN LE MC TS RIT PE + PAR Een ES og Bo EC SEA | Cet v eo Arr nt x f ’ ». re, : ù | : ) à une explication tant qu’on ne nous aura pas indi- Re" CO > nn an 7" * » Ares ARE Rs" A es ARS ce, ARR het ee RU L” «À miné, cela est dû à ce que les pangènes correspun- CE 124 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION qué dans quelle propriété connue des organismes elles ont leur source. | +4 Passons maintenant à la théorie de de Vries. Il lui donne le nom de pangénèse et la fait dériver di- rectement de celle de Darwin. Cependant, tandis que les gemmules de Darwin représentent les dif- férentes cellules de l’organisme, les unités élémen- taires de de Vries, les pangènes, sont des particules représentatives des différents caractères et se rap- prochent ainsi beaucoup plus des faisceaux micel- liens de Nægeli. Nous ne nous arrêterons pas longuement à ce sys- tème : il n’a apporté que peu d'éléments nou- veaux à la solution des questions qui nous occupent en ce moment. Comme les gemmules et les faisceaux micelliens, les pangènes sont des particuies dont dépendent les caractères des cel- lules, mais, à l’inverse des gemmules, ils ne cir- culent pas dans l’organisme et ne sont pas, comme les faisceaux de Nægeli, formés pax des unités plus petites. Les pangènes résident dans le noyau; chaque noyau d’une cellule en contient un lot OL L'été LT -NTUD ES SORT LA PT NT NN VTT NN Tr SU Ve PT aile mia 2 2 de SE complet, représentant tous les caractères latents ou exprimés, de l’organisme. Lorsqu'une cellule se divise, les pangènes de son noyau se multiplient au préalable par division, pour que chacune des cellules-filles puisse en recevoir de même un lot | complet. Et lorsqu’unc cellule se différencie dans un sens quelconque et acquiert un caractère déter- LR 0 Se LE LÉ SR SA on RE di 12 se ‘ent. ra " | THÉORIES DE DARWIN, NÆGELI, DE VRIES 125 dants sortent du noyau, se multiplient dans le cyto- plasma et lui impriment le caractère en question. Le noyau n’en conserve cependant pas moins un lot complet, grâce à une multiplication préalable des pangènes précédant leur sortie. Les mouve- ments qu’effectuent les pangènes se limitent done à leur migration du noyau au cytoplasma, c’est ce que de Vries appelle la pangénèse intracellulaire. _ L’hérédité est ainsi facilement expliquée : les : noyaux des cellules germinales contenant les pan- gènes de tous les caractères des parents, et les ca- ractères des descendants devant résulter de la multiplication et de la sortie de ces mêmes pan- gènes, la ressemblance héréditaire devient inévi- table. Quant à l'hérédité des caractères acquis, elle ne s'explique pas et n’a pas besoin d’être expliquée dans l'esprit de de Vries, car il nie absolument sa réalité. | La variation peut provenir de la multiplication des pangènes. Un seul pangène suffit pour repré- senter un caractère, mais non pour l’exprimer : il faut pour cela que les pangènes se multiplient, et plus leur nombre sera grand, plus le caractère correspondant sera accentué. Et comme cette mul- tiplication peut être plus ou moins active, il y à là une source de variations individuelles. Mais les variations individuelles légères ne sont pas les seules qui existent : il y en a d’autres, plus im- portantes et surtout persistantes, qui peuvent immédiatement donner naissance à une nouvelle espèce, ces variations auxquelles plus tard de RAR A 1% F2" * Vries a donné le nom ‘de mien et eur les- L quelles il à basé sa nouvelle théorie. Elles doivent résulter d’une modification non plus quantitative, | mais qualitative des pangènes : il peut arriver qu'à un moment donné un pangène se partage en deux moitiés non identiques, donnant deux pangènes- filles différents qui, en se multipliant, feront ap- paraître un caractère nouveau. Nous nous arrêterons là dans notre exposé de l'hypothèse de de Vries. Les critiques qu’on pourrait _lui adresser sont en partie les mêmes que nous avons déjà formulées au sujet des théories précé- dentes : quelles sont les causes qui déterminent l'attraction par telle ou telle cellule des gemmules de Darwin, qui excitent tel ou tel faisceau micel- liens de Nægeli, qui font sortir du noyau les pan- gènes de de Vries? Aucune de ces théories n’y donne une réponse satisfaisante, et nous verrons qu’il en sera de même pour le plus achevé des sys- tèmes analogues, celui de Weismana. St CHAPITRE IX Les théories de Weismann. Les deux sortes de protoplasma ; le plasma germinalif. — * La constitution du noyau; ides, idantes, déterminants, biophores. — La différenciation ontogénétique. — La dis- sociation des déterminants et la sortie des biophores du noyau. — La continuité du plasma germinatif. — La res- semblance héréditaire. — Les déterminants de réserve. Ce qu’on a appelé la doctrine weismannienne est un édifice très vaste et très compliqué, compre- nant des théories qui se tiennent et constituent un tout harmonique, capable de répondre à toutes les grandes questions biologiques : hérédité, variation, reproduction sexuelle, adaptation, évolution phylo- génétique, régénération, etc. Son système n’a pas été créé en une seule fois ni tout d’une pièce :ila subi des modifications variées et profondes à me- sure que se développait, sur un espace de plus de vingt ans, la pensée de son auteur. Le lecteur pourra trouver dans le travail que nous avons déjà cité l'exposé détaillé et en quelque sorte histo- du Yves Derace. L'hérédite et les grands pros de la biologie générale. . . . le: e | | Ë ES rique des différentes vues de Weismann; ici, où la place est limitée, nous ne pouvons suivre ainsi sa pensée. Nous n’exposerons donc la théorie weis- mannienne que dans sa forme actuelle, telle qu’elle apparaît, par exemple, dans le dernier travail d'ensemble de Weismann, dans les Vorträge über : Descendenztheorie, parus en 1902 et constituant, comme l'auteur le dit lui-même, une espèce de récapitulation de son œuvre scientifique. Au mo- ment où ie système était exposé dans l’Hérédité, l’auteur de ce dernier livre a pu dire que « la théo- rie a traversé une période de formation, une de perfectionnements et atteint son apogée; nous allons voir qu’elle donne maintenant quelques signes de déclin ». Ces signes, c’étaient certaines restrictions et certaines concessions importantes qui, à ce moment déjà, venaient entamer ses bases mêmes et rompre son harmonie. Nous pouvons dire maintenant que cette appréciation s’est com- plètement vérifiée par la suite. Mais exposons d’abord ce qu’il y a dans ce système de fonda- mental, de constant et d’immuable. in part de la notion introduite par Nægeli des deux sortes de protoplasmas : le morphoplasma (plasma nutritif de Nægeli) et l’idioplasma. Le pre- mier joue un rôle subordonné : il peut se nourrir, s’accroître, se diviser, mais ne peut subir par lui- même aucune modification qualitative. Le cyto- plasma de la cellule est formé par lui. Le second, au contraire, est la substance importante qui, d’une part, constitue la « substance héréditaire » et, de ARE 52 EE ES Re NE ND RES D tesc UNE) ERese fn > + > LES THÉORIES DE WEISMANN 129 l’autre, détermine toutes les propriétés qui distin- guent les cellules entre elles. A cette conception, Weismann apporte cependant une modifiation importante qui constitue un grand progrès sur celle de Nægeli : il s’efforce d'adapter son hypo- thèse aux structures réelles que nous montre le microscope. C’est pour cela qu'il localise sa « sub- stance héréditaire » dans le noyau, et plus spécia- lement encore dans cette substance chromatique qui devient visible au moment de la division cellulaire : elle se condense alors pour former les amas de substance chromatique appelés chromo- somes et reproduire toutes les figures bien connues . de la caryocinèse. Cette substance héréditaire existe dans toutes les cellules de l’organisme; dans les cellules germinales, elle présente une composition particulière et prend le nom de plasma germinatif. La constitution complexe du noyau cellulaire est expression d’une constitution héréditaire plus complexe encore. Dans une cellule sexuelle, le noyau se compose d’un certain nombre de parti- cules auxquelles Weismann donne le nom d’ides. Les ides coïncident quelquefois avec les chromo- somes, lorsque, par exemple, ces derniers sont simples et ne se décomposent pas en un certain nombre de parties semblables (ainsi, chez Arfemia, il y a 168 chromosomes sphériques correspondant chacun à un ide). Mais chez la plupart des animaux les chromosomes sont en forme de bAtonnets qu’on voit se décomposer en granulations plus petites ; ARE Le x r.. : alors, ce sont ces BA FAT qui rende les ;: | ides, et les chromosomes constituent des unités d'ordre supérieur appelés idantes. Chaque ide est composé d’une portion de plasma germinatif con- me tenant tout ce qu’il faut pour donner un être » complet ; les ides sont ainsi des ébauches d’indivi- dus (Personen-Anlagen). Il y a ici (Weismann le reconnait lui-même)un trait de ressemblance avec l’ancienne théorie évo- lutionniste de lemboîtement des germes. C’est, dit-il, la théorie évolutionniste moderne, tandis que l’épigénèse moderne consiste à représenter la substance germinative comme composée de parties homogènes (Spencer, O. Hertwig). Mais, naturellement, il n’existe chez Weismann aucun homünculus, et si chaque ide contient tout ce qu'il faut pour former un individu complet, il n’y a | cependant aucune ressemblance entre l’ébauche É d'une partie et cette partie à l’état développé. 3 Un organisme se composant de parties dissem- "20 blables, Weismann est amené à supposer que ces différences se retrouvent dans l’ide qui lui donne naissance. Il conclut donc que l’ide se décompose en unités encore plus petites, dont la coopération est nécessaire pour former l’être futur et dont cha- cune tient sous sa dépendance tel ou tel de ses organes. Autrement dit, chaque partie du corps de l'être qui va se développer sera déterminée dans son existence comme dans sa nature par une * particule correspondante du plasma germinatif. # Aussi ces particules prendront-elles le nom de ; f 4 a h LL. th td. a amant el Eee à ed Ce à Se à dé né dE te rt ÉD Ré 6. à à ON Le duvet UC vus t » déterminants et les parties déterminées celui de déterminats (ou « Vererbungsstücke »). Ici une difficulté se présente. On pourrait croire qu'il doit y avoir dans le plasma germinatif autant de déterminants qu’il y aura de cellules à déter- miner dans l’animal adulte et pendant tous les stades de son développement. Mais ce n’est pas nécessaire : 1 doit seulement y avoir autant de déterminants qu'il y a, dans l'organisme adulte et dans ses stades de développement, de régions capa- bles de varier indépendamment l’une de l'autre et d’une, façon héréditaire. On sait, en effet, que les caractères les plus différents peuvent varier d’une façon indépendante. Chaque point de laile du papillon, par exemple, peut varier indépendam- ment de ses voisins, comme le prouvent les varia- tions de coloration ; chacun de ces points doit donc être représenté dans le plasma germinatif par un élément variable indépendant, un déterminant spécial ; en même temps, l’ide de ce papillon devra contenir aussi les déterminants de toutes les régions variables de sa chenille. Et d’autre part, tous les globules rouges du sang ou toutes les cellules hépatiques du foie varient toujours ensemble; il suffit donc, pour les représenter, d’un seul déter- minant. | Les déterminants doivent nécessairement exister (c’est toujours Weismann qui parle), car il doit y avoir quelque chose dans le plasma qui cause la présence ou l’absence de telle ou telle structure ou caractère. Dans ce sens, on peut dire qu'ils ne sont LES TEÉORIES DE WEISMANN 134 NCA és” eat avions vus de nos propres yeux. L'hypothèse ne commence que là où il s’agit de décrire comment ils sont faits. Cependant, là aussi, on peut affirmer certaines choses : on peut dire d’abord, que ce ne sont pas des tableaux en miniature {dans le sens de l’ancien évolutionnisme de Bonnet), ni des parti- cules de matière inerte, car s’ils n'étaient pas des unités vivantes, capables de se nourrir, de s’ac- croître et de se diviser, ils n’auraient pas pu sub- sister à travers toutes les différentes phases de développement et résister à l'échange des matières qui les aurait anéantis. Mais comment ces déterminants arrivent-ils à _ donner aux. cellules et aux tissus les caractères propres qui les distinguent ? Weismann répond à cette question en supposant que les déterminants ne sont pas encore les unités ultimes constituant la matière vivante. Ils se décomposent à leur tour en biophores (véhicules de vie) qui sont les unités fondamentales, immédiatement supérieures aux _ molécules chimiques dont elles sont formées. Ces unités élémentaires sont douées de tous les attributs de la vie (nutrition, croissance, multiplication par division); comme dimensions, ils sont bien au delà des limites du visible: les plus petites granulations protoplasmiques que nous pouvons voir à l’aide des plus forts grossissements en contiennent des masses. Ils sont pourtant plus grands que les molé- cales chimiques, puisqu'il les renferment. Les unités des ordres supérieurs (ides et dé- pas hypothétiques, mais aussi réels que si nous les” 1 terminants) représentaient .les unes, l'individu . total, les autres ses différentes parties, cellules, parties de cellules ou groupes des cellules, en tout cas, des structures réelles et concrètes. Les biophores, eux, représentent des caractères, et il y a, dans la cellule germinative, autant d'espèces de biophores que l'être qu’elle doit donner aura de caractères élémentaires indivisibles (les caractères complexes étant formés par les diverses combinai- sons des caractères élémentaires). Chaque biophore peut varier indépendamment, de façon à produire la modification correspondante dans le caractère qu’il représente et qu’il détermine; chacun possède la propriété de se nourrir, de s’accroître et de se multiplier par division. Toutes ces diverses unités ne sont pas mélangées dans le plasma germinatif d’une façon désordon- née, mais constituent une espèce d’architecture dans laquelle chacune occupe une place précise. Cette place dépend non pas du hasard, mais en partie des déterminants ancêtres, en partie de cer- taines forces internes hypothétiques, que l’on peut appeler afinités vitales, par opposition aux affinités chimiques. Que se passe-t-il maintenant lorsque l’œuf se divise et que le développement commence ? Chaque déterminant se trouvant, &ans l’œuf, dans un cer- tain rapport de situation vis-à-vis des autres, la marche du développement doit être telle que ce déterminant arrive, à travers d'innombrables divi- sions cellulaires, jusqu’à la cellule qu’il doit déter- _ LES TBÉORIES DE WEISMANN 133 Sa FEU RE ELA OR AT | L'AR ÿ x Le fl | ‘cé Uy + L'ile ere _— ME PPT SEE ant EU ; RÉ R 434 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION miner. Pour que cela puisse se faire, on doit admettre que, dès les deux premières cellules qui apparaissent dans la première division de l'œuf, la division est qualitativement inégale, quoi qu’il en puisse paraitre : une moitié peut contenir par exemple tous les déterminants de la partie droite et l’autre tous ceux de la partie gauche du corps. ou bien l’une les déterminants de l’ectoderme et de tous les organes qui en proviendront, l’autre ceux de J’entoderme avec tous ses dérivés. En- suite, à la division suivante, le blastomère qui ren- ferme les déterminants de tous les organes ectoder- _ miques se divisera en deux autres, dont l’un recevra les déterminants des téguments et l’autre ceux du système nerveux, et ainsi de suite. Toute l’onto- génèse repcse sur ce fait que jamais, dans les divi- sions, les deux cellules-filles ne sont identiques, et ces différences, s’accentuant dans la même direc- tion, arrivent à créer des structures absolument indépendantes, dues à des causes exclusivement internes. Abandonnant ainsi en route des déterminants de plus en plus nombreux, à mesure qu’organes et tissus se différencient, le plasma germinatif perd de plus en plus de sa complexité, devient plus uni- forme et, dans les tissus complètement différenciés, se transforme en cet idioplasma que l’on trouve dans toutes les cellules, et qui ne contient que des déterminants de cette cellule ou de ses parties. Il arrive alors ceci : les déterminants se dissocient en leurs biophores qui traversent la membrane nu- i © st: LES THÉORIES DE WEISMANKX 135 ‘cléaire et se répandent dans le corps cellulaire, donnant ainsi à la cellule ses caractères distinctifs. Lorsqu'il s’agit non pas d’une cellule définitive, mais d’une cellule qui doit, dans la suite du déve- loppement, se transformer en une autre, les déter- minants qu’elle renferme peuvent être les uns actifs (ce sont ceux qui déterminent les caractères propres de cette cellule), les autres passifs (ce sont ceux qui, pour le moment, n’exerceront aucune action et ne serviront que plus tard). Les premiers seuls se dissocieront en biophores. En ce qui concerne la façon dont les biophores font apparaitre les différents caractères dans les cellules où ils se répandent, il n’est pas nécessaire, dit Weismann, que ces biophores soient munis d’avance, comme le sont les pangènes de de Vries, des propriétés précises qui donneront à la cellule le caractère, ici d’une cellule musculaire, là d’une cellule nerveuse. Par son action sur les éléments du corps cellulaire, un biophore spécifique de la substance musculaire va faire naître cette subs- tance lorsqu'il pénétrera dans le corps de la cellule qui y est destinée, sans être pour cela un élément contractile par lui-même. Les biophores trans- forment bien le caractère général d’une cellule embryonnaire indifférente en cellule spécifique d’un tissu, mais ils n’ont pas, par eux-mêmes, des caractères histologiques spécifiques et n’effec- tuent cette transformation qu’avec la collaboration, toujours nécessaire, du corps cellulaire. En somme, les biophores ne sont pas porteurs de caractères, is, FR PC A 136 LES raéoRIEs DE L 'évouvrion | mais facteurs (au sens algébrique du mot), 'nta Ÿ de facteur étant le cytoplasma de la cellule. Il est évident que, durant le développement em- bryonnaire, les déterminants graduellement semés enroute ne peuvent plus être récupérés par la cellule qui les a une fois perdus. Comment se fait-il alors que l'organisme adulte possède des produits sexuels dont chaque cellule contient de nouveau tous les déter- minants et peut recommencer le même cycle? Nous trouvons la réponse à cette question dans la théorie 4 de la continuité du plasma germinatif. La voici : L'auteur a supposé jusqu’à présent que lorsque l'œuf se divise, il partage le lot total de ses déter- | minants en deux, puis en quatre, puis en huit, etc. portions, toujours inégales; mais les choses se passent en réalité un peu autrement : la totalité du plasma germinatif ne se détruit pas par division hétérogène pour fournir les idioplasmas successifs, mais à chaque division une minime portion de ce plasma germinatif reste inaltérée et passe ainsi dans l’une des deux cellules, tandis que l’autre cellule (et toutes celles qui descendront d’elle) en restent privées et ne pourront jamais en contenir. | La parcelle du plasma germinatif intact se transmet É ainsi de cellule en cellule jusqu’à ce qu’elle arrive à celle destinée à former les éléments sexuels. Cette cellule-mère donne alors, par division homogène, les nombreuses cellules sexuelles du nouvel être, et chacune de ces jeunes cellules reçoït une portion minime du plasma germinatif du parent, ainsi transmis à travers toutes les segmentations. II y a | LES TAÉORIES DE. WEISMANN 137 l ainsi dans l'organisme deux parties tout à fait indépendantes : les tissus différenciés qui consti- tuent le soma et ne peuvent plus revenir à l’état indifférencié des cellules germinales, et les élé- ments sexuels, le germen, qui ont reçu intact le plasma germinatif des parents et sont capables de fournir un nouveau développement. Il en est ainsi de génération en génération, et il en résulte que chaque être contient dans ses cel- lules sexuelles non seulement le plasma germinatif de ses parents, mais celui de ses grands-parents et de tous ses ancêtres; il est donc formé d’une quan- tité énorme de plasmas ancestraux, représentés pâr autant d’ides qu’il a eu d’ancêtres. L’hérédité, de mème que l’atavisme, se trouve ainsi naturellement expliquée par la transmission fidèle de ces plasmas parentaux et ancestraux. Il en découle aussi nécessairement une autre consé- quence : un être ne peut hériter qu’un caractère qui a été 2nné chez son parent, car la transmission se fait uniquement de cellule germinative à cellule germinative, et seul ce qui était présent dans l'œuf ayant donné naissance au parent peut se retrouver dans celui qui donnera l'enfant. Les tissus différenciés, les cellules du corps sont, dès le début de chaque ontogénèse, absolument sépa- rés du germen, et rien de ce qui touche les pre- . miers ne pourra retentir sur le second. Les ca- . ractères acquis au cours de l'existence indivi- duelle ne peuvent donc aucunement être transmis. : C’est là une des conséquences les plus importantes … “ 158 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION de la théorie de Weismann : elle détermine toute son attitude à l’égard de l’idée lamarckienne et constitue la principale caractéristique de cette école néo-darwinienne dont il est le représentant le plus autorisé. Mais quelle est alors la façon dont peut s’effec- tuer l’évolution des espèces? Nous avons vu que Weismann et son école se basent exclusivement, pour l'expliquer, sur l'existence de variations innées, conservées et développées par la sélection naturelle. Mais comment peuvent se produire ces variations dans cette transmission fidèle, exempte de toute influence extérieure, des plasmas ances- traux ? D'après l’auteur, c’est la génération sexuelle qui en est la source, car elle combine les plasmas germinatifs des parents (et les plasmas ancestraux qu’ils contiennent), de façon différente chez les différents produits, et c’est cette diversité qui offre le matériel nécessaire à la sélection naturelle. Lorsque la fécondation réunit dans une même cellule deux plasmas germinatifs, forcément un peu différents, ils se conservent tels quels, avec leurs différences, dans la cellule sexuelle du pro- duit. Or, dans cette dernière, intervient d’abord, lors de la maturation, un phénomène qui change la constitution de ce plasma : c’est l’émission des globules polaires, qui, en expulsant certains chro- mosomes, expulsera au hasard avec eux certains ides, en laissant subsister les autres. Ceci est une première source de variation. Il se produit ensuite | ua conflit entre les différents ides, déterminants et » | | | biophores, et, suivant que tel ou tel sortira vain- queur de la lutte, les caractères de tel ou tel an- cêtre apparaîtront à l'exclusion de ceux d’un autre. Supposons, par exemple, que le carac- tère À puisse revêtir quatre formes différentes et que les déterminants correspondants soient a',a n a”, 8”; Supposons ensuite que dans le plasma germinatif du père, pour une raison que nous laiïs- sons de côté, les déterminants du type a” triom- phent sur les autres et constituent 80 °/ du nom- bre total, les 20 ‘/ qui restent étant distribués ainsi : 5 °/, de a’, 10 °/, de #”’ et 5 ° de 8”. Le type exprimé sera donc A”. Supposons, d'autre part que, chez la mère, ce même caractère soit re- présenté par 60 °/, de déterminants du type a”, 30 °/, du type a” et5 °/, de chacun des types a” et a”; le type exprimé chez elle sera le type A’”. Dans le produit, après l’émission des globules po- laires, les déterminants du type a” seront dans la proportion de 1/2 (80 + 30) — 55 °/2; tandis que ceux du type maternel a” seront dans la proportion de 1/2 (60 + 10) —35 °/,. Le fils aura donc le type exprimé A” et ressemblera à son père. Cependant, les déterminants des autres types n’en subsisteront pas moins chez lui et pourront devenir cause d’une ressemblance avec un grand-père. Voici un petit - Schéma qui permet de voir comment peut se pro- duire cette ressemblance. Les lettres grasses dési- gnent les idantes correspondant aux caractères ex- primés, celles en italique, les idantes contenant les caractères vaincus mais existant à côté, les lettres : a ÿ re: 4 Qu Ur LES TRÉORIES DE WEISMANN 129 Ru +4 140 entre parenthèses les idantes éliminés par l’'émis- + sion das globules polaires. à GRAND-PÈRE GRAND'MÈRE abcd (efgh) mnop (grst) SR FILS FEMME DU FILS abcd (mnop) vxzyz (aBy5) EE , J PETIT-FILS abcd (vxyz) Le petit-fils ressemblera donc à son grand-père, sans avoir de ressemblance avec son père. # On pourrait multiplier ces exemples, mais ce serait inutile. Ce qu’il faut en retenir, c’est que la variation résulte ainsi de cause tout interne, du fait même de l’amphimixie. C'est sur ces caractères qu’agit la sélection na- turelle, sans avoir besoin ni d’influence du milieu pour produire les changements, ni de caractères acquis héréditaires, ni d'aucune autre idée lamarc- kienne. C’est là la seule source de ces variations de hasard, innées et individuelles, qui sont à la base des idées de Darwin, C’est ainsi que les explications de détail décou- lent, dans ce système, avec une logique inévitable l’une de l’autre. Cependant, Weismann n’a pas pu maintenir sa conception absolument intacte, et certains faits en contradiction avec elle ont exigé de lui des additions, des remaniements, des conces- sions et même l’adjonction à son système primitif d'une nouvelle théorie — celle de la sélection ger- TT NN OP POP VIP FAN Û 4 Mr x nos . {uns momies : DE Vodlie 7" A41 nina. Nous ne parlerons pas ici de toutes ces additions et modifications diverses, mais seule- ment de celles qui ont une importance pour les explications possibles de l’évolution : au premier rang ce qui a trait aux rapports entre le plasma somatique et le plasma germinatif, question étroi- tement liée à celle de la transmission héréditaire des caractères acquis. La théorie pure veut que chaque cellule de l’ani- mal développé ne contienne que les déterminants correspondant à ses caractères à elle. Cependant, les faits de reproduction asexuelle montrent qu’il n’en est pas ainsi. La cellule terminale d’un bour- geon, par exemple, doit contenir la totalité des déterminants de la plante, car il naîtra d’elle des rameaux portant différents organes, y compris les fleurs avec les cellules sexuelles. Un fragment de la feuille de Begonia, planté dans le sable humide, reproduit la plante tout entière. Le bourgeonne- ment des animaux est un phénomène analogue. Il y à aussi les faits de la régénération : le bras amputé d’une salamandre est reformé par le moi- gnon, avec sa forme et sa structure normales; chez certains vers, un fragment du corps régénère de même la tête avec tous ses organes, etc. Pour expliquer ces faits, Weismann admet l'existence dans les cellules correspondantes de deux ou plu- sieurs sortes de déterminants, dont certains sont des déterminants de réserve, inactifs dans les con-: ditions ordinaires et réveillés sous l’influence de certaines excitations. Pour la détermination du 7 Css du FRA A TELNES nm” à LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION | ue » sexe, par exemple, dit Weismann, il y: 1 | l'œuf et le spermatozoïde des déterminants ‘des: 1 deux sexes, mais ceux d’un seul deviennent actifs. Il en est de même des caractères sexuels secon- daires; ainsi, lorsqu'un fils hérite de la barbe noire de son grand-père maternel, cela montre que les déterminants correspondants existaient dans la cel- lule germinale de la mère, mais à l’état latent. De même, les différentes formes qu’on observe chez les insectes sociaux ne peuvent tenir qu’à l’exis- tence de plusieurs sortes de déterminants. Dans son dernier ouvrage, Weismann fait même de cela une règle générale. Ne vaut-il pas mieux, dit-il, admettre qu’il n’y a pas décomposition des ides au cours de l’ontogénèse, mais qu’une excitation spé- cifique rend actifs certains déterminants à l’exclu- sion des autres. Chaque cellule contient tout le complexe des déterminants, tout comme la cellule germinative initiale, mais à chaque stade du déve- loppement, c’est-à-dire dans chaque cellule, ceux- là seuls sont réveillés par un excitant spécifique qui ont à déterminer les cellules suivantes. A nous de faire remarquer que cela est très important. Chaque cellule étant ainsi virtuelle- dv #, Le Xe c *, L'Or : F2 4 Apr AN LE NE Te net A 4 à | + à ment une cellule germinale, la séparation entre le 3 plasma germinatif et le plasma somatique perd, :'40% tout ce qu’elle avait d’essentiel. 4 ‘4 Nous avons vu que cette séparation était oppo- y sée par Weismann comme une fin de non-recevoir | de catégorique aux idées lamarckiennes. Toute l’école __ weismannienne considéra le lamarckisme comme PL Fr, ; | GERS réfuté et lhérédité des caractères _ acquis comme définitivement enterrée. Nous examinerons cette question très complexe dans un chapitre à part, où trouveront place les arguments pour et contre. Ici, nous devons noter une seule chose : tout en continuant à nier réso- lument cette hérédité, Weismann s’est vu obligé à reconnaître certains faits incontestables prouvant que les modifications dues à des influences exté- rieures se retrouvaient dans la ou les générations suivantes. Cela est dû, dit-il, à ce que l’action se produit simultanément sur le soma et le germen; lorsque le froid, par exemple, change la colora- tion des ailes des papillons, il agit en même temps sur les déterminants des cellules pigmen- tées des ailes et sur les déterminants correspon- dants contenus dans les cellules sexuelles. C'est possible, peut-on lui répondre, mais cela ne concerne que le mécanisme de la transmission; le fait de la transmission elle-même subsiste, et cela fait revivre intacte l’idée lamarckienne trop tôt enterrée. D’autre part, l’influence des facteurs externes, que la théorie pure réduit à zéro, reprend ici ses droits, car Weismann la reconnaît pour une des causes capables de réveiller certains déter- minants, et c’est elle aussi qui intervient comme cause des modifications acquises se reproduisant . dans la génération suivante. _ Mais l'addition la plus importante faite par Weis- mann à son système est la théorie de la sélection _ germinale. se rattache surtout à la question de la sélection CHAPITRE X La Sélection germinale. — Critique | de la théorie weismannienne. Théorie destinée à fournir un appui à la sélection naturelle. — La lutte des parties (W. Roux); la lutte des déterminants. — Avantages de la nouvelle hypothèse. — L'idée de 1£ sélection appliquée à tous les degrés. — Critique de la sélection germinale. — Critique du système de Weismann dans son ensemble : la théorie du plasma germinetif, ls. représentation des caractères, la migration des biophores. 1 k 4 La dernière en date des théories de Weïsmann naturelle. Elle a pour but, comme dit Weismann lui-même, de réhabiliter la sélection naturelle, d’écarter les nuages que les nombreuses critiques semblent amasser sur sa tête. A ce titre, cette théorie aurait dû être examinée avec les autres arguments concernant la sélection naturelle, mais nous avons été obligés de la reporter ici, parce qu’elle est basée sur la théorie des déterminants et ne peut être comprise en dehors d’elle. Les critiques de la sélection naturelle ont raison, . avoue Weismann, sur beaucoup de points : les variations se suivant dans un certain sens déter- \ 4 _ miné, le développement des organes complexes à \] v des variations utiles au moment nécessaire, l’ac- cette lutte, dit-il, a lieu non seulement entre or- PEN PROUT Ces tps 4 0 La LA SÉLECTION CERMINALE 4145 nombreuses parties corrélatives, la présence même croissement ou la régression des organes (même en tenant compte de la panmixie), sont autant de difficultés que la sélection naturelle seule est im- puissante à résoudre sans l’aide d’un autre fac- teur. Ce facteur, il le trouve dans la sélection ger- minale qui le dispense, ainsi qu’il le reconnait lui-même, de la nécessité de se jeter dans le lamarckisme, ce qui n’eût pas manqué d'arriver si une nouvelle théorie n’était venue à temps étayer l’ancienne. L'idée de la sélection germinale repose sur celle de la lutte entre les parties de l'organisme, intro- duite par W. Roux. Weismann étend l’idée de Roux: ganes, tissus et cellules, mais aussi entre unités vitales invisibles, non seulement dans les cellules somatiques, mais aussi dans les cellules germi- nales. Ainsi, lorsque les déterminants se reprodui- sent par division, les descendants d'un même déterminant ne sont jamais tout à fait identiques comme grosseur et force d’assimilation, car il se produit entre eux, de même qu'entre cellules, tissus et organes, des différences dues à l’apport de nourriture. Or, la nutrition n’est pas un acte purement passif : un élément non seulement assimile la nourriture, mais l’attire à lu:, et cela d'autant plus puissamment qu’il est plus fort et doué d'une faculté assimilatrice plus grände, és | 4 , À 4 S A . * ‘ 3 A * 4 fe. Ée + Tea € ta GP. 4 LL ‘#4 " - LE pa x 64 sé "+ À + (à k (G; dr : FR ; AN INR CNP - + À % V'e £ ns At, tra DANS AE ( < t 1971 ET TA à RAR, Î ME Nic: ; ; È Ve TE ie Lo 2 574 | à PKR CORTE 146 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION 7 A Dans le germe, les déterminants plus forts atti= reront donc davantage la nourriture et en devien- M dront plus forts encore. D’autres, plus faibles, en À seront privés, se développeront plus lentement et laisseront des descendants moins vigoureux. Il en résultera qu’à la deuxième génération les parties del’organisme qui étaient représentées dans : Pœuf par des déterminants plus forts seront plus développées. Et comme la cellule germinative de la deuxième génération recevra le plasma germina- tif du parent, avec toutes ses inégalités, la lutte entre déterminants reprendra en elle à partir d’un niveau plus élevé (pour les déterminants plus forts), et à la génération suivante les caractères correspondants seront plus développés encore. Ainsi s'explique l'accumulation des caractères (sim- plement sous-entendue dans la théorie darwi- nienne) et le fait qu’il semble y avoir des directions déterminées de développement où certaines modi- fications s'accumulent à l'exclusion des autres. Ces variations ne sont cependant pas prédestinées dans le sens de celles de Nægeli, mais simple- ment provoquées et conduites par les conditions extérieures. | Lorsque certains organes ou parties sont favori- sés par la sélection naturelle, les déterminants cor- respondants se nourrissent mieux et laissent des descendants plus forts. Le degré d'utilité déter- . mine lui-même la direction de la variation, et 4 cest là la raison pour laquelle nous voyons que # les variations utiles sont toujours présentes : eiles u " fé | LA SÉLECTION GERMINALE 147 s’accentuent d’elles-mèmes. La seule chose qui reste obscure, continue Weismann, c’est l’utilité des premiers stades, des commencements : la théorie exige que ces stades aussi soient utiles, car sans cela la sélection naturelle ne peut pas entrer en jeu et rien n’assurera la première vic- toire des déterminants utiles. Ne pouvant juger de Vutilité, nous avons autant de raisons de l’admettre que de la nier; il nous est donc loisible de lad- mettre, d'autant plus qu’elle nous permet de com- prendre l’origine de l’adaptation. Weismann revient ainsi à son idée favorite de la conformité au but qui, grâce à la survivance des seuls bien adaptés, règne partout dans la nature, depuis les premiers commencements de la vie. La lutte entre déterminants explique aussi, dit Weismann, les adaptations complexes portant sur des parties différentes coopérant au même travail (nerfs et muscles, œil et centres visuels, coloration protectrice et instincts correspondants), adapta- tions que les lamarckiens ont opposées à la sélec- tion naturelle. Celle-ci est, en effet, impuissante à les expliquer, mais la sélection germinale nous fait comprendre {?] que les déterminants en marche ascendante correspondent à ioutes les parties qui, chez les individus favorisés, contribuent à assurer le fonctionnement d’un organe. Il en est de mème de la dégénérescence des or- ganes inutiles : la panmixie en explique bien les oremiers stades (les individus chez lesquels ils sont plus développés étant préservés au même titrs 2 Re RP TL Rte EN TE ee ER. M I A > ae ie ST DE 2 Tia Ne Fe re e— = _ SES _ + + ST s SL, SOS CAT Ua UE d'or sur LE 4e RE 7: x OP ARS À à SAN K TN ” $ \ÿ ER sh * Mi D ' L'HATN VA Due n { À ‘ { ï L d AU \ " . 148 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION que les autres); mais le reste ne se comprend pas sans l’aide d’un autre facteur, la sélection germi- nale. Un être qui avait l'organe moins développé de naissance aura dans son plasma germinatif les … déterminants correspondants un peu plus faibles. Étant plus faibles, ils attireront moins la nourri- ture qui ira à leurs voisins; à la génération sui- vante ils se retrouveront plus faibles encore, et ainsi de suite jusqu’à la disparition complète de l'organe. Ainsi, la panmixie a été une condition préliminaire indispensable de cette décadence; la lutte pour la nourriture entre déterminants a fait le reste. La sélection germinale vient, dit l’auteur de la théorie, prendre place à la base de la sélection naturélle et montrer comment la conception des déterminants devient nécessaire à cette dernière. La grande idée de la sélection doit être étendue à tous les degrés des unités vivantes; la lutte pour l'existence, c’est-à-dire pour la nourriture et la reproduction, se poursuit depuis les biophores hynothétiques jusqu'aux individus et même aux ligaées entières. Mais les trois stades principaux de la sélection sont : 1° Sélection entre individus (sélection de Darwin et Wallace); 2° Sélection histonale (lutte des parties de Roux), et, enfin, 3° Sélection germinale, formant la base de\tout et étant la dernière conséquence de l’application de la loi de Malthus à la nature vivante. « Cette application du principe de la sélection à tous les degrés des unités vivantes, dit à ce sujet Weis- ” sniié LA SÉLECTION CERMINALE 119 mann dans son dernier livre {, est le noyau même Ale mes opinions. » Telle est cette dernière théorie de Weismapn, proposée, comme il le dit lui-même, pour remé- dier à la faiblesse du sélectionnisme exclusif. Quel est le jugement que nous devons porter sur elle? On ne peut manquer de s’apercevoir des nom- breuses concessions qu’elle fait aux idées non dar- winiennes. C’est, d’abord et surtout, une théorie d’orthogénèse, mettant en avant, au premier plan, la direction définie du développement. Nous au- rons par la suite à nous occuper des théories or- thogénétiques; celle de Weismann est peut-être une des mieux fondées d’entre elles, car elle donne une explication, hypothétique, il est vrai, comme sont hypothétiques les déterminants eux-mêmes, de ces variations définies. C’est un essai d’expli- cation causale et mécanique de l’orthogénèse. La théorie de la sélection germinale prétend expliquer pourquoi les variations utiles apparaissent tou- jours; en réalité, elle explique seulement pourquoi elles s’accentuent une fois apparues. Elle va même plus loin, et elle explique aussi bien pourquoi n'importe quelle variation (à moins d’être si nui- sible que l’organisme doit en périr), peut se déve- lopper. Dans ce sens, elle va mème à l’er contre du but poursuivi. On y voit en même temps les influences exté- rieures, soigneusement éliminées dans les pre- 1. Vorträge über Descendenztheorie, p. vu. RAT UP TRS PER AP 2 PENSE ETUI FA AREA FAO APRES TRS OUR ee Née RAT DUT ECRIRE , | DS A OELE A ee 404 ‘# We} te é, dis: ES 4: he LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION _ mières théories, les vraies théories weisman- __.niennes en somme, s’introduire très visiblement. La plus ou moins grande abondance de nourriture ne peut manquer de jouer un rôle dans la lutte des déterminants : la pénurie, par exemple, doit faire périr les déterminants particulièrement faibles et laisser subsister les plus forts seulement. Weis- mann admet, d’ailleurs, lui-même, que les diffé- rences initiales entre déterminants peuvent tenir à Pa la plus ou moins grande quantité de nourriture “af apportée. Le mode d’alimentation aura donc une er importance évidente pour le développement de : l'organisme futur, et, ce qui est plus grave en- aa core, les modifications introduites par l’alimen- tation seront nécessairement héréditaires, car, en _ vertu‘de la continuité du plasma germinatif, les é déterminants faibles, vaincus et disparus chez le 3 parent, ne pourront plus reparaître chez le descen- ; dant, le complexe entier de déterminants se trans- RS: mettant tel quel. Et voilà s’introduisant dans la +. théorie, la notion lamarckienne de l’hérédité des h caractères acquis ! | u De plus, la lutte des parties de Roux est une idée 3 intimement liée à celle du développement d’un A organe par son fonctionnement, comme nous le 4 verrons en examinant sa théorie de l'excitation à. fonctionnelle; s’en servir, comme le fait Weis- #4 mann, c’est ouvrir une autre porte à l’idée lamar- ckienne. En somme, la théorie de la sélection germinale n’est sélectionniste que de nom, et seule la forme LA SÉLECTION GERMINALE 151 sous laquelle les choses nous sont exposées nous fait penser à la sélection naturelle de Darwin. Un lamarckien pourrait parfaitement admettre la lutte entre déterminants, et il l’exposerait dans un langage qui ne différerait de celui de Weismann que parce qu'il laisserait de côté les différences initiales. Il pourrait dire, par exemple : placés dans des conditions de nourriture plus favorables, les déterminants s'accroissent et se multiplient acti- vement; les parties de l'organisme qui en résultent reçoivent un développement plus grand et trans- mettent leurs variations à leurs descendantes, ia même idée se rattacherait aussi bien au système lamarckien. Et la grande généralisation de Weis- mann sur la portée universelle du principe de Malthus est plutôt le résultat d’une habitude de l'esprit qui lui fait voir les choses sous l’angle de la sélection : un autre, habitué à s'exprimer en langage lamarckien, pourrait aussi bien parler de l'influence universelle du milieu et des conditions de vie sur les espèces, les individus et même les déterminants. Nous nous sommes bornés jusqu’à présent à exposer le système de Weismann avec les diverses modifications que son auteur y a successivement introduites. Le moment est venu de voir si ce sys- tème est réellement satisfaisant et si sa base même est acceptable. Weismann a cumulé les avantages des théories de tous ses prédécesseurs : l’idée des particules représentatives de Darwin, la séparation # FAX Re ue PAS + Fr 4 _ théorie proprement dite avec tous ses caractères 152 LES THÉORIES DE £'ÉVOLUTION entre les deux sortes de plasmas et les caractères | élémentaires de Nægeli, la migration des particules du noyau au cytoplasma de de Vries. En les combi- nant dans un système de particules hiérarchisées à plusieurs degrés, il a pu créer un ensemble expli- quant ce que les propriétés d’une seule catégorie quelconque d’unités seraient impuissantes à expli- quer. Jl a éliminé en même temps ce que les théories précédentes avaient de plus invraisem- blable : la circulation des gemmules de Darwin et la constitution partout la même des faisceaux micelliens de Nægeli. Il a, de plus, développé l’idée du plasma germinatif, dont l’ébauche seule existait chez d’autres (Jæger, Nussbaum) et l’a élaborée si complètement qu’elle est devenue sienne en quel- : que sorte. La théorie du plasma germinatif a été formulée par Weismann en premier lieu, avant toutes les autres. Il y a en elle deux parts, dont l’une est une SUR CORAN TS hypothétiques, tandis que l’autre n’est qu’un fait, banal même, présenté d’une certaine façon qui permet d’en tirer des conséquences particulières. C’est la distinction entre le plasma somatique et le plasma germinatif, le premier mourant avec l’or- ganisme, le second revivant dans ses descendants et par conséquent immortel et continu. Weismann fait de ce second plasma quelque chose de tout & fait spécial et indépendant, et c’est ainsi qu'il arrive : à la seconde part de la théorie, non seulement très critiquable, mais conduisant, si on voulait s’y RE LS So SE né dé à 2 > LA SÉLECTION GERMINALE 153 tenir strictement, à des conséquences tout à fait inacceptables. Aucune influence ne peut passer de la portion somatique de l’organisme à sa partie germinale, les deux étant séparées dès le début de l’ontogé- nèse : telle est l’idée fondamentale de la théorie. : Le plasma germinatif du descendant se compose donc uniquement du plasma germinatif du parent, sauf les modifications apportées par l'expulsion des globules polaires et la fécondation. Mais ces modi- fications ne résultent que du remaniement des élé- ments ayant déjà existé dans la lignée ancestrale; elles ne peuvent donc rien apporter de nouveau pour l’espèce. D’où viendraient, dans ces condi- tions, les variations, aussi légères que l’on vou- dra mais nouvelles, qui donneront naissance à une nouvelle espèce? L'évolution, l’apparition des animaux supérieurs ne se comprend pas du tout et paraît même impossible, car il n’y a pas de raisons pour que notre plasma germinatif soit différent de celui de nos ancêtres les Protozoaires. , En admettant plus tard l’action des conditions extérieures sur la constitution des cellules germi- nales, Weismann a, il est vrai, ouvert une issue, mais de nature telle qu’elle mine la théorie elle- même, car elle fait tomber tout le système de pré- détermination rigoureuse. Si nous nous tournons vers les agents de cetto prédétermination, de nouvelles objections sur- gissent. D'abord, que sont les biophores porteurs des caractères héréditaires? La notion de caractèrs p, or Ô € QE PATES CL pe ES è _ Lg + € be Ta one VTT ce es 4 rRRese Ê = ee e 3 - we VIS SRE CPI RE RE F7 Car m< >< + Se NUIT ES 2 1] ee CRE NRPN ed L- re Fe LÀ Ste astes x de bis pal x" di LAS ds F ; © # PTT | "7 té de ve .. : ÿ ; Fe Av FA TE k ke | ÿ . 4 AA SE : “Eu à v] | * 4; 19 +. n 4 RUE EAN à , Lo PL) K 154 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION a Ls D est une notion abstraite dérivée du fractionnemen _ que nous faisons subir mentalement aux sensa- tions produites sur nous par les objets. Un objet aura pour nous autant de caractères que nous serons capables de faire de généralisations d’im- pressions particulières. Ils n’ont aucune existence par eux-mêmes et ne peuvent, par conséquent, s’incarner dans aucune particule matérielle. D’ail- leurs, le fait d’avoir, à nos yeux, certains carac- tères est commun à tous les objets de l’univers, et les êtres organisés ne présentent, à cet égard, rien de particulier. Faudrait-il donc supposer que les corps inertes doivent aussi leurs propriétés à des espèces de biophores? Et d’où leur viendraient-ils dans ce cas? Dans la façon même dont ces biophores sont censés opérer dans le système de Weismann il y a des impossibilités. Ainsi, chaque cellule est déter- minée par les biophores sortis de son noyau et passés dans son cytoplasma. Mais d’où viennent ces biophores ? Ils viennent des ides du noyau; or, dans le noyau, il n’y a pas qu’un seul ide, mais une quantité considérable, chaque ide représentant un ancêtre et l’ensemble représentant la totalité des ancêtres de l’animal. Tous ces ancêtres coopéreront donc à la foisàl’expression des caractères de la cel- lule. De plus, il y aura dans le cytoplasma de chaque cellule les biophores de toutes les cellules de la lignée ascendante. Tout cela se surajoute, et à la fin de l’ontogénèse les cellules devront posséder tous ces caractères accumulés. Elles ne seront donc M | LA SÉLECTION GERMINALE 155 déterminées dans aucun sers. Pour qu’elles le soient, pour que les caractères se succèdent au lieu de se surajouter, il faudrait qu’à chaque fois les bio- phores de la cellule précédente mourussent, mais 11n’y a place nulle part dans le système de Weis- mann pour la disparition des biophores parlamort. Il y à aussi un autre point : pourquoi les bio- phores sortent-ils du noyau? C’est la même ques- tion et la même impossibilité de réponse que pour les gemmules de Darwin : pourquoi étaient-elles attirées par les cellules? Weismann invoque un cer- tain degré de maturation, mais on ne voit pas, lorsqu'il s’agit de biophores, en quoi cette matura- tion peut consister et pourquoi cette maturation se produit dans telle ou telle cellule et plutôt dans les cellules somatiques que dans les cellules germi- nales? On ne pourrait l’expliquer que d’une seule façon : par la différence des conditions dans les- quelles ils se trouvent. Mais ce sera une explica- af En ER LC SPAS Er AS Te Rd à tion contraire à l’esprit même de tout le système; 1 recourir à elle, c’est rendre inutile toute la hiérar- | & chie des particules représentatives, destinée préci- te + gi ", M + DR a st Lg à LV L sément à tout prédéterminer et à ne rien laisser à l’action du milieu. L'examen de la théorie la plus parfaite de celles créées dans cet ordre d'idées nous montre ainsi que toutes, elles sont condamnées à aboutir à une impasse. C’est ailleurs, en dehors de toute idée de représentation, qu’il faut chercher la véritable voi . \ ét SES SFR NY SEE ‘ Éd de es Li TA ne, A e Re F LAS ou. à RC NE a EVE DT PS CHAPITRE XI La théorie de Roux. La conception organiciste et ses traits distinctifs. — Impor- tance attribuée aux facteurs extérieurs. — Les représen- tants de la tendance : O. Hertwig, Herbst, J. Lœb, Driesch. — Tropismes et tactismes. — W. Roux et la biomécanique. — La théorie de la mosaïque; la lutte des parties de l'or- ganisme; l'excitation fonctionnelle.— Exemples à l'appui : formation de la partie spongieuse de l'os, pseudarthroses. — Critique de la théorie de Roux; ses mérites. — Ses rapports avec le sélertinnnisme et le lamarckisme. n ? CT 8 La tendance que nous allons exposer mainte- nant n’a pas fourni de systèmes aussi élaborés, de théories aussi complètes que le courant d'idée. contraire, basé sur l'existence de particules proto- plasmiques spéciales, représentatives des carac- tères et parties de l’organisme. Nous avons déjà dit, en définissant cette tendance, qu’elle n’a pas recours à ces hypothèses et opère avec les seules notions de cellule, tissu et organisme entier. Mais cette caractéristique toute négative est, cependant, trop vague et trop générale : il faut noter à côté un autre trait, plus précis : la place importante L a PR M4 à SL D PL L A Lie lie bé Ca EUX à VITE CNET NS DOTE MONNIER DS PALERME AR Cl ICE FN ISTAURTE aps RER EU DS RE à FRE ENT EE 14 CA ' , LA LA THÉORIE DE ROUX 157 qu’elle accorde dans l’explication de l'ontogénèse aux influences extérieures et au fonctionnement des divers organes. À cet égard, l’organicisme forme la contre-partie exacte du weismannisme ; de même } que celui-ci se rattache à l’ancien évolutionnisme et à l’école néo-darwinienne, celui-là a une parenté : évidente avec l’ancienne épigénèse et le transfor- misme lamarckien. Il faut noter d’abord que l’organicisme est bien moins une théorie de l’hérédité qu’une théorie de de l’ontogénèse; ce sont surtout les facteurs de l'évolution individuelle qui occupent W. Roux et les biologistes qui partagent la même tendance. La question principale est ici celle des causes de la différenciation ontogénétique, anatomique et histologique. Nous avons vu que Weismarn et son école considèrent les cellules comme différenciées (potentiellement) dès leur naissance et en raison des causes qui leur sont intrinsèques. Les biolo- gistes du camp opposé, 0. Hertwig, Herbst, J.Lœb, Driesch (ce dernier dans ses premiers travaux seu- lement, ses idées vitalistes actuelles l’ayant amené à d’autres conceptions) et d’autres encore, pla- cent les facteurs de la différenciation en dehors de la cellule. Ainsi, Hertwig considère les divisions succes- sives de l’œuf comme toutes homogènes et pense que le sort de telle ou telle cellule dépend surtout de la situation dans laquelle elle se trouve placée vis-à-vis de ses voisines. La différenciation, dit-il, est « fonction du lieu », « Dans la gastrula, ce n’2st | | F # j à L | CA Le # 1 40 Le , : fn + RAP LP A A NE el ei TT : L ME Û . + ce” li « A6 A Ne A'UNE Le Ni UE à # ST VA! . + ‘ Li à 7 ER RL NT :'e PMSRISE7 i PORT PE PRE A CREUSE NA ANT RUES MRer TE SAR: Et 7e pic FU FR £ 158 LES THÉORIES D£ L'ÉVOLUTION a Ù pit 2% Fi 4 , pas l’'endoderme qui s'invagine, mais c’est ce ES HE: _ s’invagine qui devient endoderme », c’est-à-dire c’est le fait de constituer la paroi interne du sac qui fait apparaître dans les cellules leurs caraueE _ de cellules endodermiques. _ D'autres (Hartog, Roux, Kopsch, etc.) invoquent à l’action des différents tropismes et tactismes : tels 3 que l'attraction réciproque des blastomères et, à plus tard des cellules, attraction que Roux a appe- F: lée le cytotropisme et Hartog l’adelphotazie, et à 7 laquelle l’un et l’autre ont essayé de donner une }: explication chimique. Pour démontrer l’action du à cytotropisme, Roux isole au sein d’un liquide indif- | ce férent des blastomères d’un œuf en segmentation, Es les observe et constate que, si l'intervalle qui les à sépare ne dépasse pas le quart de leur diamètre, ils se meuvent les uns vers les autres et finissent par s’accoler. vs Herbsi attribue les déplacements des cellules, Es depuis les premiers blastomères et pendant tout le PE cours de l’ontogénèse, à une espèce d'attraction Ke chimique, le chimiotactisme. Cest cette action chi- _ mique qui uttire certaines cellules vers la surface “ du corps où eues deviendront des cellules cuta- | nées, et d’autres vers les régions internes où elles } serviront à constituer l’appareil digestif. De même, _ lorsqu'un nerf se forme, c’est d’abord le prolonge- ment cylindraxile qui s’insinue dans les tissus environnants; les cellules mésodermiques qui con- 3 stitueront la gaine de Schwann viennent ensuite se grouper autour de lui, attirées probablement | LA THÉORIE DE ROUX par une force qui esi due à la nature chimique du cylindraxe. De même, le périmysium se forme autour des muscles, les couches successives de la aroi des vaisseaux autour de la simple gaine endothéliale à l'intérieur de laquelle se meut le sang, etc. Une cellule conjonctive, d’abord indiffé- rente, sera ainsi déterminée comme cellule de la “gaine de Schwann, du périmysium, du périoste, etc., ‘ suivant qu’elle sera attirée par tel ou tel tactisme. En dehors de ce tactisme spécial dont la nature physico-chimique n’est pas encore éclaircie et qu’on a appelé le biotactisme, il y à encore l’action mor- phogène de tous les agents connus — chaleur, lu- mière, électricité, pesanteur, courant liquide, pres- sion, etc. Le nombre de travaux qui sont venus, dans l’espace d’une vingtaine d’années, prouver l'importance de ces facteurs dans le développe- ment est si grand qu'il est absolument impossible de les citer. Tous les ans, de nouveaux mémoires paraissent sur ces questions et un périodique spé- cial fondé par Roux, PArchiv für Entwickelungs- mechanik, est consacré à l'étude de cetie branche * x: de la biologie à laquelle on a donné le nom de 1 mécanique de développement ou mieux, de biomé- canique. | | Il ne faudrait pas croire, cependant, que ces divers travaux soient unis par une idée théorique commune et que leurs auteurs soient tous des repré- sentants de l’école organiciste. Loin de là : un grand nombre d’entre eux n’ont formulé aucune conception d'ensemble; d’autres ont même émis Set NL , xt ti te TS Que } À nn à ep) | STRESS 160 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION ÿ pi Le: des idées tout à fait différentes. Ainsi, Herbst pense "4 pouvoir parfaitement concilier ses conclusions avec celies de Weismann (ce qui, d’ailleurs, nous semble fort douteux) et Hertwig, le principal représentant Ÿ de l’école épigéniste, a même créé une théorie de particules, facteurs matériels des propriétés élémen- taires de la cellule, sa théorie des idioblastes; cette théorie est, cependant, pour son système, une espèce de superfétation dont il ne se sert guère | pour lexplication de l’ontogénèse. » D'autre part, Roux, celui qui, en partant de ce Ÿ? point de vue a construit une théorie d’ensemble, He: . mettant surtout en avant l'influence du fonction- nement sur la formation des organes, occupe, dans la question de la préformation et de l’épigénèse, une position beaucoup moins intransigeante que Hert- wig, par exemple. Il a émis sur la constitution de l'œuf une théorie dite de la mosaïque, d’après laquelle le noyau de l’œuf serait formé de maté- % riaux qualitativement différents, disposés côte à k côte à la façon des pièces d’un travail de mosaïque, se et destinés à fournir les différentes parties du futur organisme. Cette conception, d’ailleurs en contra- diction avec sa théorie principale, ne fait pas partie intégrante du système qui nous occupe. Dans celui-ci, nous pouvons distinguer la théorie de ia ‘4 lulie des parties de l'organisme et celle de l’exci- “4 tation fonctionnelle. Nous allons les exposer suc- Ro cessivement. Le protoplasma de Ja cellule est formé de molé- cules chimiques de différentes sortes se groupant LA THÉORIE DE ROUX 161 en lbéou substances qui, au cours de l'as- similation et de la désassimilation de la cellule, subissent, chacune pour son compte, des modifi- . cations. Tel ou tel liquide nutritif eztourant la cel- lule favorise la multiplication des molécules de certaine catégorie plus que d’autres, rompant l'équilibre et donnant la prépondérance à telle ou telle substance. De même, les agents physiques et chimiques exercent leur action sur des substances inégalement sensibles aux excitations de l'agent donné : celle qui réagit davantage se dépense plus qu’une autre, et inversement. Les substances dont l'assimilation est favorisée se développent davan- tage, mais comme l’espace n’est pas libre, la capacité de la cellule étant limitée, il se produit entre elles une lutte dans laquelle l’une refoule l’autre et finit par devenir prépondérante. C’est cette prépondérance de certaines substances, dif- férentes suivant les cellules parce que d’une part leur état initial n’était pas partout le même et que, d'autre part, les excitations diffèrent suivant la situation des cellules dans l’organisme, qui est la cause première de la différenciation ontogéné- tique, chimique et fonctionnelle à la fois. Une lutte semblable existe de même entre les cellules, car elles aussi réagissent différemment aux excitations, et, pour elles aussi, la place est limitée dans l’organisme. Ce sont les plus capables de se multiplier qui prennent le dessus sur leurs voisines. La différenciation s’accentue alors davan- tage, car, parmi les cellules du même ordre, carac- = RE CO: edf » Pa Le RU EAN RES à RCE #; + Lo: Ë LE F- él RES ro VOTES . ; ONE get « | SNA ci L' + Map 27 <. : RER Ér +5 CES EE pe. NT A rie ’ La" D Lo te Réag rs 2 ræ « de”! ee re ns St ST NE io Re on | DÉS Te 07 RUE L 2 ‘ Cr: « qe" A Ye LUS v" Et œ DO UE CURE, CU | 162 LES THÉORIES vs L MA Se _térisées par la prédominance d’une même subs | tance, ce sont celles où cette prédominance sera ATP ENT PJ ci: RÉ ARS TTe DudE (+ - PR LA V7, 24:05 POINT 7 AA Fr At 2 7% à " ST PAR ï pic t ie | MS AE - : la plus forte qui se multiplieront le plus. La lutte se poursuit de même entre tissus et entre organes, avec cette différence qu'ici certaines limites lui sont tracées par les exigences de l’orga- pisme : une prédominance trop forte de certains tissus ou de certains organes pourrait lui être nui- sible et le faire éliminer par la sélection naturelle. La lutte ne se poursuit donc que dans la mesure où elle contribue à l’utilisation économique de la nourriture et de l’espace. Au moment où la différenciation des cellules s'établit, un autre facteur de l’ontogénèse intervient: l'excitation fonctionnelle. Elle est, d’ailleurs, indis- solublement liée à la différenciation cellulaire elle- même, car lorsqu'une excitation donnée a favorisé dans la cellule lassimilation d’une substance quel- conque aux dépens des autres et que toutes les autres sont peu à peu éliminées, la cellule se trouve n’être adaptée qu’à ce genre spécial d’excitation. Sa réponse à cette excitation constitue dorénavant sa fonction propre, et lexcitation elle-même lui ‘est nécessaire pour vivre. Le fonctionnement de la cellule, du tissu, de l’organe devient ainsi la cause qui détermine leur degré de développement et leur forme. Pour la forme anatomique des or- ganes, c’est là un fait très connu; mais cela est vrai aussi pour leur structure histologique. Roux a dé- veloppé un exemple devenu classique depuis : la structure de la substance spongieuse de l'os. On a QE # Kre : qd bus tienne que les trabécules de cette substance sont dirigés de façon à résister le, mieux possible aux efforts que l’os a à supporter at ab L0 ti he SOS PUR PNR LP à Fa F V2 : 163 La sélection naturelle n’a pas pu produire cette dis- position, incontestablement utile. En effet, si au début, lorsque les trabécules osseux étaient dispo- sés dans toutes les directions, certains d’entre eux avaient pris une orientation utile, cette variation légère aurait été insuffisante pour donner prise à la sélection ; si nous supposons, au contraire, que la variation a porté sur un grand nombre de trabé- cules à la fois, outre que ce ne serait plus là de la variation fluctuante ordinaire, il aurait fallu que ce grand nombre fût la grande majorité pour que l’uti- lité se fit sentir; or, dans ce cas, on ne s’explique pas pourquoi la transformation ne se serait pas arrêtée là au lieu d'aboutir à l’orientation analogue de tous les trabécules, ce qui est superflu. La sélec- tion naturelle ne peut pas produire le développe- ment d’une structure utile au delà du nécessaire; l’excitation fonctionnelle peut seule le faire. L’excitation fonctionnelle de l'os, c’est l’action mécanique qu’il supporte en résistant aux efforts qui, dans les différents mouvements, tendent à détruire sa rigidité. C’est dans la direction de cet effort que l’excitation est la plus énergique; c’est, par conséquent, dans les trabécules orientés dans ce sens que la nutrition se fait le plus activement. Ce sont donc eux qui se développent le plus, tandis que ceux orientés différemment dépérissent et s’atrophient. La cavité intérieure des os creux est SE less ere prés na Eee PE à CES ee te pp COR Ra A px PEN EE NT NE nn: ; SNA dE 55 PE à DE C D : VAT TRS ÿ Peas à iv 13 Nr + gén ae LES THÉORIES DE Na ex. Fa à FA n CGæ à | due précisément à ce que les parties ai se tr veraient au centre n’auraient pas été Rhone à ; S. « atteintes par l'excitation fonctionnelle pour se conserver. De nombreuses observations servent à Roux pour appuyer cette manière de voir. On a vu que dans les fractures imparfaitement réparées, où les deux portions sont jointes par un segment qui n’est pas dans leur prolongement direct, les trabé- cules prennent une direction particulière qui est précisément celle du plus grand effort, Un autre phénomène, plus frappant encore, se produit dans es fractures mal consolidées : sous l'influence des mouvements des deux fragments, il se forme entre eux une pseudarthrose, c’est-à-dire une articu- lation avec du cartilage et des ligaments, en un endroit où cette formation n’a pas pu être prévue par l’hérédité. On a cité, après Roux, d’autres cas où le cartilage disparaît là où le frottement cesse et apparaît là où il s'établit. On a vu aussi un os, appelé à résis- ter à des efforts plus grands que normalement prendre, par suite de l'excitation fonctionnelle, un développement beaucoup plus considérable. Un garçon de sept ans avait presque complètement perdu, à la suite d’une ostéomyélite, la partie mé- diane de son tibia dont il ne restait plus qu’une sorte d’aiguille de quelques centimètres de longueur formant un prolongement de lapophyse supé- rieure; Poirier essaya de remplacer le tibia par le . 1 péroné, en pratiquant une section de ce dernier et nf dn, A PAL: QU EUR : 1 L £ à a à DTA 4 Æ à Lt à F'atap Ve CPR pi PATTES LES | ; ; » 4 ‘4 465 : en le éiicnnt à A inférieure du tibia ni manquant. Quinze mois après, le péroné a triplé _ de volume et est arrivé à remplacer parfaitement le tibia!. Dans un autre cas, un phénomène ana- logue s’est présenté chez un homme adulte, d’une façon naturelle : à la suite d’une maladie dontle tibia avait été atteint dans l’enfance, il s’était pro- duit une séparation entre la tête de cet os etsadia- physe, la tête étant allée se souder au péroné. Ce dernier a grossi, et, à l’âge où le malade a été exa- miné (cinquante-cinq ans), les deux os avaient les mêmes dimensions?. Cope cite deux exemples analogues (l'un chez : lhomme, l’autre chez le cheval) de luxation de cubitus. Le frottement a éliminé le tissu osseux au point de contact, puis une surface articulaire s’est produite $. il en est, d’ailleurs, de même de toutes les au- tres parties de l’organisme : les organes passifs règlent leur forme et leur structure d’après la direc- tion du plus grand effort qu’ils ont à supporter; les _ organes actifs (les muscles, par exemple) se déve- loppent en raison directe de l'intensité de leur fonctionnement. | Ainsi, beaucoup de structures, que d’autres théo- 1. Porter. Rapport au 10° Congrès de Chirurgie (1896) sur le Remplacement d'une diaphyse tibiale détruite par l'ostéo- . myélite par la diaphyse péronière. 2. Communiqué par S. Leduc au directeur de l'Année Biologique et exposée dans le volume II de ce recueil. { 3. Proceed. of the Amer. Philos. Soc., 1892, cité dans son ouvrage fondamental : Primary factors of Organic evolution. 8 DS AGE VE Cu An Un NC 7 42 : ” D D Yes ELA PAR ü LA + 4: LS PAR 166 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION OURS ries attribuent à l’hérédité, sont dues, dans la con- ception de Roux, à cette cause actuelle, l'excitation fonctionnelle. Le fonctionnement des tissus et or- ganes commence, dit-il, bien avant la naissance; les muscles se forment de bonne heure; les os, les aponévroses, les ligaments sont obligés de bonne heure à résister à des tractions, extensions, etc. Cependant, le fonctionnement dans leslimites d’une existence individuelle ne serait pas capable de pro- duire des organes tant soit peu compliqués; il a fallu, pour cela, d'innombrables générations pen- dant lesquelles les effets du fonctionnement se sont accumulés. Or, cela n’est possible que si les modi- fications dues à l’excitation fonctionnelle peuvent se transmettre héréditairement. Roux reconnait ainsi, comme une chose nécessaire, l’hérédité des caractères acquis; mais il n’en propose aucune ex- plication physiologique, sauf en ce qui concerne les modifications chimiques qui peuvent, dit-il, avoir pour cause l’état général de la nutrition de l'organisme retentissant sur ses cellules sexuelles. Pour les caractères morphologiques, il se borne à émettre cette eupposition qu'ils sont peut-être accompagnés de modifications chimiques dont l’ac- tion est capable de s’étendre aux éléments repro- ducteurs. On peut faire à le théorie de Roux un grand nombre d’objections, portant sur presque tous les points de son argumentation. Nous avons déjà dit _ que sa théorie était très peu une théorie de l’héré- à Hbéllonineile ne CR expliquer que l'apparition des caractères histologiques et anatomiques très généraux qui peuvent être et sont, en effet, com- muns au moins à tous les individus d’une espèce, _ sinon à toute une famille, tout un ordre, etc. Elles n’expliquent pas la ressemblance héréditaire individuelle. D’autre part, l’hérédité des caractères acquis est affirmée comme une nécessité logique pour la théorie, mais aucune explication de son mécanisme n’est proposée. De mème, lorsque Roux dit que la lutte des cellules pour l’espace et la nourriture a pour conséquence d’accentuer leur spécialisation, il ne nous explique pas pourquoi il en est ainsi : c'était clair lorsqu'il s'agissait des proportions relatives des différentes substances chimiques dans une même cellule, car il est natu- rel, ici, que la plus favorisée augmente; mais il n’est pas certain que les mêmes causes produisent la multiplication des cellules. On pourrait faire beaucoup d’autres objections encore : comme le fait Plate, opposer aux cas où le fonctionnement déve- loppe un organe, des cas où il l’use, au contraire (les dents, par exemple), montrer des cas de fatigue non compensée (organes de sens), d’hypertrophie spontanée, etc. Et, cependant, malgré toutes les lacunes, malgré toutes les questions non résolues, Roux conserve ce grand mérite d’avoir mis en avant un facteur incontestablement réel et aussi important que l'excitation fonctionnelle, et d’avoir montré que ce —— \ Ed ti VOTE PAPE PTE is modifications produites par ce facteur, nous apparait ainsi comme une théorie à tendance lamarckienne, SCT FARAE FIMAR Fe Ven A. 168 LES rakokss! DE : L'évoLurIon V2 Fr A ; a L. facteur suffit pour expliquer un grand LR faits de première importance. La théorie de Roue est, sous ce rapport aussi, exactement contraire - au système de Weismann : chez celui-ci, tout est expliqué, prévu, presque aucune objection de 4 détail n’est possible, mais la base mème est fausse ; chez celui-là, les détails manquent, la plupart des questions restent sans solution, mais l’idée géné- rale est juste et capable de conduire les recher- : ches dans la bonne voie. 4 L’'excitation fonctionnelle n’est certainement pas une idée neuve : elle découle du principe lamarckien de la formation de l’organe par la fonction. Mais en la précisant, en montrant le comment de son application, en l’appliquant aux organes même passifs, en la faisant pénétrer jusqu'aux phéno- mènes de la vie cellulaire, Roux a fait faire un pas très marqué à la question. La théorie de l'excitation fonctionnelle, avec son corollaire, l’hérédilé des malgré l’idée, vraie aussi d’ailleurs, de la lutte des parties de l’organisme qui lui donne une vague teinte de sélectionnisme. Mais elle ne peut apporter aux - sélectionnistes aucun appui réel, comme le prouve … la tentative infructueuse qu'est la lutte des déter- minants dans la sélection germinale de Weismann. Par contre, un néo-lamarckien aussi typique que « Cope put très logiquement voir dans les travaux et . | les idées de Roux le pendant embrrologique de ses ” théories PARIpE RENE et les prendre nour base. M CHAPITRE XII La lol de Galton et les lois de Mendel. Un autre point de vue dans l'étude de l’hérédité.— Les études statistiques de Galton: la Loi de l'hérédiié ancestrale. — Les travaux de Mendel. — L'étude des hybrides; la Loi de La dominance et la loi de La disjonction des caractères. — Exem- ples de l'application de ces lois. — Conséquences théori- ques des résultats mendeliens. Dans toutes les théories de l’hérédité que nous avons envisagées jusqu’à présent, la question à ré- soudre était celle du processus physiologique par lequel un organisme en voie de développement de- vient semblable à ceux qui lui ont donné naissance. Mais on peut aussi poser la question autrement : ne pas s'occuper des phénomènes intimes qui se passent dans l’œuf fécondé et dans les différents tissus, mais, prenant la ressemblance qui en est le résultat comme un fait acquis, étudier cette res semblance même, ses différents degrés et ses variations dans les séries des générations. C’est dans cette voie qu’ont été faites les recherches et formulées les lois que nous allons exposer main- tenant. paru en 1869, et Natural Inheritance, qui date de « Ici encore, il faut établir une ATEN division, ‘4 car l'emploi de méthodes différentes a amené des. conclusions très dissemblables et même contra- dictoires. F Il y a d’abord l’étude des manifestations de Vhé- rédité par les méthodes statistiques, pour déduire à de l’observation des faits, pris en grand nombre, « certaines lois générales. C’est à Francis Galton qu’on doit l’idée d’avoir appliqué cette méthode : aux questions biologiques, spécialement aux phé-. nomènes de variation ; il a jeté les bases d’une - nouvelle science, la « biométrique », dans ses deux célèbres ouvrages sur l’hérédité, Zereditary Genius, 1889. Il a été suivi par de nombreux savants, tels \ que son continuateur immédiat K. Pearson,| et par Weldon, Bateson, Darbishire et bien d’autres encore, dont les tendances sont exprimées par une : revue spéciale, la Biometrika. È La première grande généralisation que Galton ait déduite de ses vastes études statistiques (il a étu- dié des documents concernant 150 familles, et rela- ” tifs aux caractères les plus différents, physiques et psychiques) est celle-ci. Lorsqu'on considère : les variations d’un caractère ou d’une faculté, il. semble qu’il y ait, pour chaque génération, une. moyenne constante et que les écarts se compen- sent réciproquement. Ainsi, par exemple, si le. père dépasse de beaucoup la moyenne, en plus ou. en moins, le fils aura une tendance à varier en. sens contraire. On a scuvent observé que les. LA LOI DE GALTON ET LES LOIS DE MENDEL 171 enfants des grands hommes sont médiocrement doués et qu’au contraire, les hommes très remar- quables ont des parents au-dessous de la moyenne. Plus un parent est doué, moins il a des chances de donner naissance à un fils qui le sera autant que lui, et, à plus forte raison, davantage. L’hérédité du talent, des qualités supérieures n’est ainsi rien moins qu’assurée, mais il en est de mêm, en revanche, des différentes tares individuelles. Un caractère saillant, quel qu'il soit, ne se transmet jamais en entier, mais se trouve toujours atténué dans la génération suivante. C’est le retour à la moyenne, qui tient en partie à ce que cette moyenne représente l’état d'équilibre le plus stable, en partie à ce qu'on n’hérite pas de ses seuls parents, mais aussi de ses grands-parents, de ses ancêtres, etc. Cela nous amène à la seconde grande généralisa- tion de Galton, connue sous le nom de Loi de l'hé- rédité ancestrale. L'idée de l’hérédité ancestrale de Galton ren- ferme, outre la constatation implicite de la conti- nuité du. plasma germinatif, un calcul de la con- tribution de chaque génération à la constitution d’un être donné. L'héritage d’un ancêtre rapproché se fait sentir dans cette constitution plus que celle d'un ancêtre éloigné. Galton détermine ainsi ces parts relatives : les deux parents ensemble déter- minentun caractère hérité pour une moitié ou chacun pour un quart ; les quatre grands-parents contri- buent ensemble pour un quart, chacun pour un seizième, etc., " somme de toutes ces fractions Et 7 #8 Ted L Boéet à e SOS D | PV CU EL" PS SE on an er Let. MR CELL : de CPL LAVER TX PTE 14 00 6 d gi D "M y us AS Ta r ” RARES "y d NE NAS ; k A A4 1 NS 1 m2 PT PR + : Mr AYAIrES N \ “ 172 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION donnant l'unité, le caractère de l'individu envisagé. Cette loi de l'hérédité ancestrale (que ce soit \ avec les proportions proposées par Galton ou sous « ure autre forme plus ou moins modifiée, telle qu’elle apparaît chez d’autres biométriciens) nous montre tout ce qu’il y a d’inévitable dans l’atté- nuation des effets de l’hérédité et la disparition graduelle des variations abandonnées à leur propre sort. Elle constitue, envisagée ainsi, un des argu- ments contre la fixation définitive des variations fortuites, nées en dehors de l'influence directe du milieu ambiant. Et elle a, comme nous l’avons vu, joué ce rôle dans la polémique soulevée autour de la sélection naturelle, fournissant des armes contre ses partisans exclusifs. Actuellement, la redécou- verte des travaux de Mendel, dont nous allons par- ler plus loin, semble saper la croyance à l’exacti- tude de la loi de Galton, au moins comme loi universelle, et le départ n’est pas encore fait entre les cas où elle est toujours considérée comme seule applicable et ce qu’on a appelé les « cas mende- liens ». D'une façon générale, il semble que la loi de Galton s'applique plutôt à la reproduction au sein d’une même race ou variété, tandis que les lois de Mendel, qui ont eu pour point de départ des expériences de croisement, visent surtout les caractères des hybrides. (À Les travaux de Mendel sont déjà anciens. Gré- » goire Mendel était un moine qui, pendant des : années, s’est livré, dans le jardin du cloître de Brünn, à des expériences de croisement sur des plan- : Ra: LA LOI DE GALTON ET LES LOIS DS MENDEL 173 tes. C’est en 1866 qu’il publia, dans un recgeil peu connu que faisait paraitre la Société d’histoire naturelle de Brünn, les résultats de ses expérien- ces, mais is restèrent sans aucun écho et furent redécouverts en 1900 par les botanistes Correns, de Vries et Tschermak. En croisant de différentes façons 22 variétés ou sous-espèces de pois (Pisum sativum), Mendel suivait certains caractères, tels que la forme et la couleur des graines, celle des gousses, la taille de la plante, etc., à travers les générations successives, en étudiant chaque fois un seul caractère, à l’exclu sion des autres. Ainsi, en envisageant uniquement la couleur des graines, il croise la variété à pois jaunes avec celle à pois verts, et il constate que les descendants montrent uniquement le caractère de l’un des parents, sans mélange aucun : ils ont tous des pois jaunes. Il donne au caractère qui apparaît chez eux le nom de caractère dominant et au caractère qui semble ne pas s’hériter celui de caractère récessif. La constatation de ces faits fournit la première loi de Mendel, la loi de la dominance. Voyons maintenant ce qui se produit dans la génération suivante. On croise entre eux ces hybri- des qui ressemblent tous à un des parents (qui ont tous, par exemple, des pois jaunes) et on constate que, parmi leurs descendanis, les uns sont à pois jaunes, les autres à pois verts, dans la proportion, en moyenne, de trois individus por- tant le caractère dominant contre un à caractère DATA OP MN Re AN TOR UMR \ : ‘ ‘» » RAT 7x nr A" 2 ‘ Tr 2 x . ie + 174 LES TUÉORIES DE L'ÉVOLUTION 4, os um, ER récess#. La disparition du caractère « graines vertes » n’était donc qu’apparente dans la première génération d’hybrides, puisque ce caractère réap- paraît dans la deuxième, à laquelle chacune des deux variétés initiales semble avoir transmis son Aéritage séparément. C’est la disjonction des carac- tères que constate la seconde loï de Mendel. La descendance de cette deuxième génération fournit des résultats curieux et permet certaines Ÿ prédictions en ce qui concerne le nombre d’indi- vidus de chaque catégorie. Voici ce que l’on 7 observe. Les individus « récessifs » (on les appelle vs ainsi par abréviation), les individus à pois verts, > par exemple, donnent, en se reproduisant entre : eux, des « récessifs » pendant un nombre indéfini à de générations ; les « dominants », lorsqu'ils se reproduisent entre eux, donnent des descendants : À de deux sortes ; un tiers de ceux qu’on a appelé Cr « dominants purs », parce que, en se reproduisant x entre eux, ils donnent indéfiniment des individus 8 identiques à eux, et deux tiers de « dominants », tels que leur reproduction fournit de nouveau un mélange de « dominants » et de « récessifs » dans : la proportion de trois à un. Ceux-ci Se comportent À comme ceux de la deuxième génération, et ainsi A de suite. Le schéma suivant aidera peut-être à mieux | comprendre cette répétition de résultats identiques. F 100 A la base, D et FR représentent les premiers parents, 3 individus appartenant aux deux variétés qu’on ; _ croise. D est l'individu exclusivement pourvu du 4 caractère dominant; R, celui pourvu de caractère te ‘ti RQ Ft SM Los et v £, x LE, F4 , 2 74 rd # LE k Va FIN DA LOI DE GALTON ET LES LOIS DE MENDEL 479 4, ; L ge | . F3 1® ‘4 ‘récessif; Dr, celui à caractère dominant pronou2# et à caractère récessif à l’état latent. A . Î Î ‘| nt | ik v+ Î H Ÿ D R fe She f CUS ? | LS | | ’ M à Dr “ Le NR é Les expériences de Mendel furent reprises et ses résultats contrôlés par un grand nombre de bota- nistes et de zoologistes. Correns, expérimentant sur le poiset le maïs surtout, Tschermak, de Vries, Bateson et ses collaborateurs, sur des objets diffé rents; Darbishire et Cuénot, sur les souris; Hurst, sur les lapins ; Toyama, sur les vers à soie; Daven- port, sur les poules, etc., constatèrent que les lois de Mendel se justifiaient, approximativement au moins, dans la plupart des cas étudiés. Certains exemples sont frappants par l'exactitude avec laquelle les prévisions découlant de ces lois se réa- a MS LEON pr ‘ > ei 7 ee” x. #, 11 LS bo . ee Lg t 4 ALES SE. RS EN , ” 2e, “ + + 6 5 Le 2 ne À + Le Je a : + cé. ge ds re Ps > < Lei ‘ . à Ds ÿ x Eee P* aps de ARR LA ACL c Lee ARR et RS Te = hr + > . Le TR a” ” Lio à + Papi » -: à à Là ; = sa: 0 2: gd & LE LT LS 4 te re EN Le : ru € en Ep T0 2EGeneration Re Pa es EL _ és 7 ot d hybrides STE ROM LES se PT DE : % 178 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION lisent. C’est ainsi que Lang croise deux formes d’'Heliz hortensis, le colimaçon ordinaire : l’une à coquille unie, l’autre à coquille striée. Les hybrides de la première génération ont tous des coquilles lisses (caractère dominant); dans la suite, la dis-" tribution des caractères antagonistes est, comme on peut s’en assurer par la figure 3, exactement celle prévue par la loi de Mendeli. Un autre exemple, choisi entre beaucoup : Correns croise deux variétés d’orties, l’Urtica pilu- lifera et l’'Urtica dodartiü, qui ne diffèrent entre elles que par les bords de la feuille, dentelés chez l’une et presque arrondis chez l’autre, etobtient des résultats aussi exactement conformes à la loi de Mendel. (Voir fig. 4.) Outre ces cas simples, divers auteurs ont étudié les caractères corrélatifs, les caractères réagissant l'un sur l’autre, les types où il y a deux caractères dominants et deux caractères récessifs liés entre eux, les croisements entre les dominants « purs » et « impurs », etc. Nous laissons de côté ces com- plications d’une nature trop spéciale, et nous pas- sons au côté de la question qui nous intéresse le plus : à la portée théorique des lois de Mendel. L'existence de caractères indépendants ne se mélangeant pas et susceptibles de varier isolé- ment, de saractères-unités, est une conclusion que 1. A. Lan. Ueber die Mendelschen Geselze, Art und Va- rietütenbildung, Mutation und Variation, insbesondere bei unsern Hain-und Gartenschnecken. (Verb. schweiz. Naturf. Ges’ 1905, Luzern.) LA LOI DE GALTON ET LES LOIS DE MENDEL 179 Mendel lui-même a tirée de ses expériences. Ces caractères possèdent, a-t-il dit, dans les cellules germinales des représentants matériels qui, au moment de la fécondation croisée, se combinent, mais de façon à ce que ceux d’un caractère seu- DD D(R) 4ù 4580 s086 00 Fig. 4. — Résultais du croisement chez YOrtie (d'après J.-A. Taowsox : Heredity). Pt, feuilles des deux parents : D, Urtica pilulifera; R, Urtica dodartit. h Fi, feuille de l'hybride provenant de leur croisement; F? et F3, feuiies de la 2* et 3° générations d'hybrides. D, parent à caractère dominant, R, parent à caractère récessif, D (R), individus à caractère dominant prononcé et caractère récessif latent; DD, dominants purs; RR, réces- sifs purs. lement deviennent actifs. La présence des repré- sentants de l’autre dans les cellules germinales de l’hybride ne se révèle que dans la descendance de ce dernier. L’hybride produit deux sortes de cellules germinales, en nombre égal, représentant _ 180 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION en puissance les deux caractères « antagonistes ». C'est ainsi que s’exrlique la « disjonction des caractères ». À cette idée ancienne de Mendel, Correns a proposé de substituer une autre : la dis- jonction aurait sa source daus la division réduc- trice lors de la maturation. Mais quelle que soit sa cause, l’existence même de cette disjonction cadre parfaitement avec les théories actuelles des par- ticules représentatives; elle constitue un argument en faveur de la conception weismannienne du développement et de l’hérédité. La seconde conséquence des lois de Mendel concerne la question de la sélection naturelle, spécialement l’argument anti-sélectionniste basé sur la disparition nécessaire des effets de la sélec- tion naturelle dans la série des générations, sur- tout dans les cas de croisement. Les observations de Mendel et de ses continuateurs prouvent, en effet, que les caractères peuvent se perpétuer tels quels, sans s’atténuer; l’argument, qui s’appuyait surtout sur la loi de Galton, tombe par conséquent. Telle est la conclusion qu’en tirent les néo-darwiniens, dont ce second point favorise également la thèse. Le troisième point, le fait que les nouveaux caractères apparaissent brusquement et non par accumulation de petites variations darwiniennes, ! constitue un argument en faveur de la variation | discontinue et fournit un appui à la théorie de la mutation de de Vries, dont nous aurons à nous occuper plus loin. Voyons maintenant comment envisagent la LA LOI DE GALTON ET LES LOIS DE MENDEL 181 ‘portée de ces lois les représentants de la tendance opposée, de la tendance lamarckienne. Dans son livre récent, La crise du transformisme, le plus dé- cidé des lamarckiens français, Le Dantec, examine longuement la théorie de la mutation et consacre un chapitre aux faits de l’hérédité mendelienne. Son idée essentielle, c’est que l& continuité de l’évolution est le point central de tout le transfor- . Phenom , 4 - misme ; l’auteur est en même temps un adversaire résolu de laconception des particulesreprésentatives et du langage weismannien. Or, il s’agit ici de varia- tion essentiellement discontinue et des caractères qui semblent bien se comporter comme des enti- tés. Voici, dans ces conditions, comment Le Dantec interprète les faits. Il y a, dit-il, chez les êtres, deux sortes de carac- tères : les « caractères de mécanisme », caractères essentiels, adaptatifs, nécessaires à la vie; ils sont les produits de la seule évolution lente et ne montrent rien qui autorise l’usage du langage weismannien; d'autre part, des « caractères d’or- nementation », des particularités de forme qui peu- vent être soumises à des lois différentes. Ce sont des caractères sans importance pour l’évolution de . lPespèce. Or, tous les caractères « mendeliens » sont de ce nombre, et les cas « mendeliens », loin d'être une règle générale, sont une exception. Dans ces cas exceptionnels, les caractères sont bien réellement représentés par quelque chose et il y a bien réellement discontinuité. Mais « cette nou- velle cause de discontinuité se réduit à la présence ÈS Ase RL : Pr rx te ! SPA ND lu 2 PE TU 0 te NE PONTS de 182 LES THÉORIES DE L’'ÉVOLUTION e “ou à l'absence d’un microbe symbiotique détermi- nant des caractères qui équivalent à des dia- thèses »1. Les « particules représentatives » ne sont autre chose que des êtres indépendants, des microbes, qui manquent dans les cas ordinaires, lorsqu'il s’agit de caractères de mécanisme, maïs qui viennent se surajouter à l'œuf dans d’autres cas, créant par leur présence des caractères d’ornementation, des caractères descriptifs. Décrire les choses ainsi, c’est, dit Le Dantec, substituer simplement le langage de Pasteur à celui de Weis- mann, sans rien altérer de la nature des faits, car la définition de la particule représentative et les propriétés qu’on lui attribue sont identiques à celles du microbe. La seule différence, c’est que, au lieu d’être parasitaires comme les microbes, les particules représentatives vivent avec l’orga- nisme en une espèce de symbiose. Mais les carac- tères provoqués par elles n’ont aucun intérêt pour la formation des espèces. Voici comment Le Dantec interprète, en em- ployant le langage adopté par lui, les faits de l’hé- rédité mendelienne. On croise deux individus de ia même espèce, mais de variétés différentes, se distinguant entre elles en ce que l’une est carac- térisée par la diathèse a, l’autre par la dia- thèse b. L'œuf qui donnera naissance à l’hybride est composé de : 1° l’œuf proprement dit de l’es- pèce considérée, et deux microbes, l’un déter- 4, La crisc du transformisme, p. 214. 4 4 1 | vi san “ie nt Lois DE MR TR 483 SKA je (diathèse a, l’autre débris la dia- 4: thèse 6. L'individu qui sortira de cet œuf sera donc de la même espèce que ses parents, mais muni en outre des deux diathèses; ce sera un hybride de diathèse, un hybride Abd: Dans certains cas, les deux diathèses existeront côte à côte; dans d’autres (cas surtout étudiés par les mendeliens), une seule arrivera à se manifester, de même que cela se passe dans les cas d’antagonismes miCro- biens. La discontinuité dans l’évolution tiendrait tou- jours ainsi à la présence ou à l’absence d’un microbe symbiotique, déterminant tel ou tel carac- tère-diathèse. C’est ainsi qu’on pourrait, continue l'auteur, expliquer la mutation : le changement morphologique brusque peut s’interpréter comme l'apparition d’une diathèse causée par un microbe symbiotique introduit fortuitement. « Si ces mi- crobes existent dans les pays où poussent les plantes mutantes, s’ils sont surtout parasites ex- ternes de ces plantes, on conçoit facilement qu’un traumatisme ou une fécondation par un tube polli- nique ayant traversé un stigmate pollué, détermine l’inoculation, dans les bourgeons ou dans l’œuf, de ce nouveau facteur d’action1. » Il faut toutefois faire remarquer que Le Dantec ne propose pas cette hypothèse comme une véritable explication de la mutation dont il cherche les causes ailleurs : ë il ne l’émet qu’à titre d'exemple, 4. Ibid., p. 212. Le à ii 1e RE TE nn ap, 184 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Pour nous, nous ne croyons pas avoir besoin d’une interprétation aussi spéciale pour tirer des conclu- fLes faits de l'hérédité mendelienne sont incontestables, et nous n’avons, jusqu’à preuve du contraire, aucune raison pour les considérer comme produits par une symbiose ou comme constituant un phénomène anormal. Les lois de Mendel s’ap- pliquent à un grand nombre de cas; un grand nombre d’autres, sinon plus grand encore, restent en dehors d’elles et obéissent à d’autres lois. Les cas mendeliens, de même que les expériences de de Vries sont une preuve manifeste de l'existence d’une variation discontinue; nous pouvons discuter l'étendue de son application, son rôle dans l’évo- lution des espèces, etc., mais nous ne pouvons pas la nier pour sauver une opinion théorique. Et, d’ailleurs, nous ne voyons uoi elle contredit la conception transformisie qui, eee même, ne préjuge en rien du mode de variation (lente ou brusque) par lequel la transformation des espèces s’opère. C'est pourquoi nous ne parta- geons pas les craintes de Le Dantec à cet égard, et ni les lois de Mendel, ni la théorie de la mutation ne nous apparaissent comme des espèces d’hérésies dangereuses. Les observations de Mendel montrent en même temps, contrairement aux idées de Galton, qu'il existe dans certains cas (les cas « mendeliens ») des caractères qui ne s’effacent pas; c’est aussi très vrai, mais il n’en est pas ainsi pour tous les cas et pour tous les caractères. Les carac- A 4 8 à peine perceptibles d’abord et ne devant s’accentuer que par la suite {les plus intéressants, par conséquent, au point de vue darwinien) se prêtent mal aux expériences de croisement où il faut, pour tirer des conclusions, avoir affaire, au contraire, à des caractères bien tranchés; aussi ne pouvons-nous rien dire sur la possibilité d’une application générale des conclusions mendeliennes. En ce qui concerne le troisième point, l’idée des particules représentatives, nous repoussons cette idée a priori, pour des raisons que nous avons indi- quées pius haut. Le principe même de ces parti- cules, savoir la représentation d’une notion abs- traite par une particule matérielle, est une impossibilité logique. C’est pour cela que les | auteurs de ces théories n’ont jamais fourni une ê expérience ou une observation à l’appui de leurs . conceptions, et nous sommes en droit de supposer F1 qu’il en sera éternellement ainsi. C’est pot À il faudra chercher ailleurs l'explication de l’'appa- { rition indépendante des caractères, comme on doit 7 chercher ailleurs l'explication de tous les autres ! 3 faits particuliers que nous montre l'étude de l’héré-! a . dité pour lesquels les « particules représentatives » | * semblent à première vue fournir une explication fl si commode, É 4 tn PU r A CHAPITRE XIII L'hérédité des caractères acquis : Discussions théoriques. Dance de la question. — Les faits d'observation quoti- dienne. — L’hérédité des caractères acquis chez Darwin. — Discussions actuelles. — Les définitions du caractère acquis : ce de Montgomery, de Le Dantec, de Weismann.— Cas consi- __ dérés par l’école weismannienne comme non valables.®— 2. Difficulté de résoudre la question. — Controverse entre Ke Spencer et Weismann; les papilles de la langue, le sens du 4 tact, la réduction du petit orteil, le dimorphisme saisonnier #à Ÿ4 des papillons, les neutres des fourmis et des abeilles. + de 124 ; é _ Parmi toutes les questions que soulève le pro- ‘14 _blème de l’hérédité, la transmission des caractères acquis sous l'influence des conditions de vie est _ celle qui se rattache le plus directement aux diffé- rentes théories sur l’évolution phylogénétique. Sé- __ Jection naturelle des variations innées ou hérédité _ . des caractère acquis, telles sont les deux solutions _ possibles que l’on prévoit actuellement au problème essentiel de la biologie : l'explication du fait général _ de l'adaptation. La divergence d'opinions est ici très _ profonde et dépasse les limites du problème lui- même : suivant le point de vue agopté, on inter- * Lt 8 D x. Li 2 a ge 0 St SLR SR +. * cé: 7e LES : Æ si SE PET TO RE | L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 187 prétera différemment les processus de l’ontogénèse, | les faits de la régénération, l’hérédité, etc. On peut ! même dire que, sous sa formé la plus générale, le | dilemme : caractères innés ou action du milieu, trouve son application bien au delà de la bio- logie, même dans le domaine moral et social. L'hérédité des caractères acquis est ainsi devenue le point capital, la question la plus brülante du transformisme. Et on comprend aisément qu’il en soit ainsi : si les modifications acquises par l’orga- nisme sous l'influence des nécessités de son exis- tence se transmettent aux descendants, l’évolution de l’espèce s’explique d’elle-même, sans construc- tions compliquées, hypothèses adjuvantes ou sub- terfuges logiques. C’est une hypothèse que tous les faits connus relatifs aux effets de l’usage ou du non-ysage des organes, à l'influence du milieu sur la structure des êtres, etc., suggèrent naturellement. Le fait que les parties du corps qui fonctionnent davan- * tage deviennent plus développées et qu’au con- traire les organes qui ne s’exercent pas s’atro- phient est &G’observation quotidienne. Les forts muscles des bras du forgeron, les « mains calleuses » des ouvriers manuels, les mains plus petites dans les familles où on n'avait jamais fait aucun travaii physique, le développement des aptitudes les plus différentes par l’usage, le cachet qu’imprime à l’exté- rieur d’un homme la profession qu’il exerce, etc., sont des faits très familiers et, bien que ne repo- sant sur aucune observation précise, l’idée de leur D RA M ne Re RS Et RE 188 (LES TUÉORIES DE L'évOLt uTIo: transmission était de tout ue NS | par él tous comme absolument naturelle. Dans le monde animal, les longues jambes des oiseaux échassiers, le cou de la girafe, la dégradation causée par le non-usage, dans les cas de parasitisme, la dégéné- rescence des yeux chez les animaux vivant dans l'obscurité, la régression des os des membres pos- térieurs de la baleine sont autant d'exemples qui semblent prouver que les particularités déterminées par les conditions de vie sont héréditaires. C’est cette idée qui forme la base du transfor- misme de Lamarck et c’est encore à elle que Darwin a recours toutes les fois que la sélection naturelle ne lui semble pas fournir une explication suffisante des faits. Car, il ne faut pas l’oublier, Darwin reconnait explicitement l’hérédité des ca- ractères acquis, et c’est un peu abusivément que les négaieurs s systématiques de cette hérédité pren- nent le nom exclusif de darwinistes. L’Origine des espèces nous fournit un grand nombre de passages qui le prouvent, dont voici un très clair : « Le changement des habitudes produit des effets héré- ditaires; on pourrait citer, par exemple, l’époque de la floraison des plantes transportées d’un climat dans un autre. Chez les animaux, l’usage ou le non- usage des parties a une influence plus considérable encore. Ainsi, proportionnellement au reste du squelette, les os de l’aile pèsent moins et les os de la cuisse pèsent plus chez le canard domestique que chez le canard sauvage. Or, on peut incontestable- ment attribuer ce changement à. ce que le canard ré a } Lg * 2 LE QE # : n a SPACE vaénéor 1TÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 189 LES SRE vole moins et marche plus que le canard sauvage. Nous pouvons encore citer, comme un des effets de l’usage des parties, le dot pement considérable, transmissible par hérédité, des mamelles chez les vaches et chez les chèvres dans les pays où l’on a l'habitude de traire ces animaux, comparativement à l’état de ces organes dans d’autres pays. Tous les animaux domestiques ont, dans quelques pays, les oreilles pendantes ; on à attribué cette particularité au fait que ces animaux, ayant moins de causes d’alarmes, cessent de se servir des muscles de l’oreille, et cette opi- nion semble très fondée 1. » D'ailleurs, dans sa forme générale, l’hérédité des caractères acquis a été reconnue par presque tous les naturalistes jusqu’à une époque relative- ment récente où Weismann, en partant de considé- rations théoriques que nous avons exposées plus haut, a remis les choses en question. Dès lors, les naturalistes se divisèrent en deux camps, et c’est de ce moment que datent les discussions entre néo-darwiniens et néo-lamarckiens. Pour le mo- ment, la balance semble pencher du côté de la non-hérédité, surtout depuis que la nouvelle théo- rie des « mutations » de de Vries (dont il sera ; question plus loin) a fourni une nouvelle hypo- / thèse acceptable à ceux que la sélection darwi-W mienne des petites variations n’arrivait pas à satisfaire pleinement. Cependant, la croyance à 1. L'Origine des Espèces, trad. E. Barbier, p. 43. à MR , L | QrE p. RS At TRE ES LT LES à Re ie TN UE SE 14 SR NAT re cr Ç é Nes £L ÉCRNE g RME: LATE M'EST 1 ù me PCR 3 FAR « AU A, Qt LISA | 190 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION rh È 4 l’hérédité des caractères acquis se maintient malgré toutes les critiques et la question semble loin encore d’être tranchée. La discussion porte en somme sur deux questions bien distinctes : d’une part, la réalité et l’interpré- tation exacte des faits cités par les néo-lamarckiens comme preuve de l’hérédité des modifications ac- quises ; d'autre part, la possibilité ou l’impossi- bilité de cette transmission héréditaire, c’est-à-dire l'existence ou non d’un mécanisme par lequel une modification survenue sous l'influence du milieu extérieur ou comme réaction à ce milieu, dans une partie du corps, puisse être transmise aux cellules germinales et réapparaitre sous la même forme dans leur produit. Voyons d’abord la discussion des faits et expériences. | Cette discussion, avec toutes les critiques et toutes les polémiques qu’elle a soulevées a conduit à mieux définir ce qu’on entend par caractères innés et acquis et à mieux distinguer les différents cas de transmission et de non-transmission. C’est là un grand mérite de Weismann, d’avoir, par ses critiques, provoqué un examen plus approfondi de la question et un contrôle plus sévère des faits. Par caractère acquis, il faudrait entendre un caractère qui, chez un individu, est non seulement nouveau par rapport à ses parents (car toutes les variations innées seraient dans ce Cas), mais qui ne tient ni à l’œuf ni au spermatozoïde. On peut, d’autre part, donner à ces mots un sens beaucoup plus large, comme le fait Montgomery, par exem- L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 191 plei, où un sens beaucoup plus restreint, comme le fait Weismann. La question est mal posée, dit Montgomery. Il faut demander non pas : « les caractères acquis - sont-ils héréditaires ? » mais : « quels sont, parmi les caractères acquis, ceux qui sont héréditaires ? » « Dans tous les faits de la transformation des espèces, à chaque stade des changements subis par elles au cours de leur existence, nous avons des exemples incontestables de la transmission héréditaire des caractères acquis au cours de l’his- toire de la race. Car chaque pas en avant dans cette transformation est un nouveau caractère qui a été acquis. » De deux choses l’une : ou bien nous devons supposer que tout le développement des êtres a été prédéterminé dès le début par la nature du plasma germinatif ancestral, de sorte que la phylogénèse n’a été que la réalisation de ce plan primitif, et alors nous admettrons que les variations apparaissent dans le plasma germinatif automatiquement; ou bien ces variations sont « l’expression des énergies du plasma germinatif combinées avec les influences du milieu. » C’est à cette dernière solution que nous devons nous arrêter, car d'une part le plasma germinatif n’est pas isolé, anatomiquement et physiologiquement, du reste de l’organisme, et, d'autre part, admettre la possibilité de variations sans cause serait aussi 4. Ta. H. Monrcomery. The analysis of racial descent in unimals (1906, New-York), ch. v : Variations and Mutations, D: 140-150, k Ai: 2 te. ; at La A 7 CARE Ale À ON CORRE DE RP EL tof tte 6, Pa ‘LAN, Eat 4 Ver OS TR LP LES UT TONI ENS PET , , : ne % + \ LA LA : , € \ À 192 LES TAÉORIES DE L'ÉVOLUTION absurde que d’admettre la génération spontanée. Toutes les variations sont donc acquises, et il n’y a pas de raison pour réserver ce nom à celles-là seules qui apparaissent à une période plus ou moins tardive de l’existence et dont l'apparition a lieu sous nos yeux. Un autre auteur néo-lamarckien, Le Dantec, donne, de son côté, une définition des caractères acquis qui semble rendre inutile toute discus- sion au sujet de leur transmission héréditaire. « Il faut réserver, dit-il, le nom de caractères acquis aux modifications définitives, à celles qui ne disparaissent pas avec la cause qui les a pro- duites. C’est seulement pour ces caractères vérita- blement acquis que se pose la question de savoir s’ils sont susceptibles d’être transmis héréditai- rement. » Ces caractères véritablement acquis ne restent jamais purement locaux, car « l’organisme ne peut éprouver que des modifications d’en- semble » et toute influence locale provoque néces- sairement un trouble dans l'équilibre général, trouble qui s'étend jusqu'aux éléments reproduc- teurs et, par conséquent, jusqu'aux êtres futurs auxquels ils donneront naissance. La modification acquise est ainsi nécessairement « inscrite au patrimoine héréditaire » et, par conséquent, transmise. Comment expliquer, pourtant, ce fait qu'il existe des modifications acquises purement locales et non transmissibles, telles que les mutilations? Le Dan- tec s'efforce de sortir de cette difficulté à l'aide du 193 raisonnement suivant. Supposons qu’on coupe le bras à un homme. « Il pourrait donc y avoir, chez l'homme, un caractère acquis réellement local ? » « Pas le moins du monde, si l’on y réfléchit bien » … et il nous explique que ce qui est cause de la nouvelle forme prise par l’organisme après l’ablation du bras, ce n’est pas l’acte de celte ablation même, mais la forme qu’a acquise après cet acte le squelette. Or, cette forme persiste. « Si donc la propriété d’être manchot est un carac- tère local, ce n’est pas un caractère acquis au sens que nous avons défini plus haut. Nous appelions, en effet, caractère acquis un caractère réalisé par l'influence directe d’une cause étrangère à l’homme et persistant après que cette cause a cessé d’agir; or, dans l’homme manchot, la cause de la mutila- tion persiste; c’est l’ablation du squelette du bras. On ne peut donc pas dire qu’en devenant manchot, l'homme a acquis un caractère local. » D’une façon générale, continue Le Dantec, « nous ne pouvons plus concevoir qu’un caractère soit réelle- ment acquis s’il n’est pas inscrit dans le patrimoine héréditaire », autrement dit s’il n’est pas transmis- siblet.. La différence entre la manière de voir habituelle et celle de Le Dantec, est celle-ci. La cause de l’état du manchot est, pour le commun des mortels, le coup de hache qui à supprimé le segment infé- rieur du membre, et l'effet est l'absence de ce 1. Le Dantec. L'Unité dans l'être vivant, 1902, p. 57-64. 4 KT TE 08 PAIE Sur 194 LES THÉURIES DE PU | XEN segment, en sorte qu’il y a là un caractère ayant survécu à sa cause, par conséquent acquis au sens de Le Dantec, et qui cependant est resté localet n’est pas devenu transmissible. Le Dantec, lui, déclare, pour sortir de cette difficulté, que la cause de l’état du manchot est l'absence de l'os du seg- ment amputé et l’eflet est la conformation que prennent les parties molles autour du moignon. La | cause se trouve ainsi persistante aussi longtemps \ que l’eflet lui-même et le caractère du manchot n’est plus un caractère acquis, puisqu'il ne survit pas à sa cause; il est donc, de droit, non trans- missible. 4 C’est une manière bien artificielle de résoudre la difficulté. En dehors même de la question qui a une allure bien scholastique de savoir qu'est-ce qui est véritablement la cause de linfirmité du man- chot : l’acte unique et limité dans le temps de l’ablation du bras ou l’absence de ce bras, état durable, toute cette tentative de démontrer à l'aide de constructions logiques l’hérédité des caractères acquis ne fait faire aucun pas à la question : introduire, pour définir un terme, la notion qui, précisément, est l’objet de la discussion, c’est résoudre la question d’une façon purement ver- bale. Supposons même que Îa définition de Le Dantec soit juste et que le nom de caractères acquis ne doive désormais être appliqué qu'aux modi- fications héréditairement transmissibles ; la ques- tion n’e: subsiste pas moins tout entière, avec cette seule différ2nce qu’il faudra maintenant créer Ve \ un terme nouveau pour désigner tous les caractères, transmis ou non, auxquels on “pere maintenant le nom d’acquis. La définition de Montgomery a, certainement un sens beaucoup plus profond. Il est à se demander, en effet, si entre les modifications produites pen- dant le développement des cellules germinales et celles survenues plus tard la différence est si essen- tielle. Weismann lui-même, en introduisant la sélection germinale comme facteur de développe- ment, à dû, comme nous l’avons vu, admettre que la victoire des déterminants dans leur lutte pour Pexistence est liée à l’apport de substances et à la nutrition, idée qui se rapproche de celle de Mont- gomery. S1 le terme de « caractère acquis » prend dans la conception, plutôt lamarckienne, de Montgomery un sens très large, exigé d’ailleurs par l’inter- prétation que donne l’auteur du mécanisme même de la transmission héréditaire de ces carac- _tères, Weismann et ses partisans en donnent, de leur côté, une définition par trop étroite et par trop exclusive, rendue, elle aussi, nécessaire par l’idée directrice : l'indépendance du plasma germinatif de tout le reste du corps. Weismann n’envisage comme véritables caractères acquis que ceux-là 195 seulement qui, apparus d’abord dans une certaine région du corps, sous l'influence de quelque-condi- tion extérieure, exercent ensuite une influence sur des cellules germinales. Il exclut ainsi tous les cas où l’action est exercée simulianément sur les cel - rie a 4 " T'ES À ts ner SE CARRE PR DE Vs ». È A En L. ’ + jee Se É rs à CAR ie CET < ES > | PE Le l t (+ + :: CSS CE Eh RS PP DER QUO EN OP à = ! : 196 LES TBRÉORIES DE L'ÉVOLUTION lules somatiques et les cellules germinales, et de- mande aux lamarckiens de prouver que cette con- dition est réalisée dans les cas allégués par eux. Voici un exemple : Paul Bert a essayé de faire vivre des Daphnies dans l’eau salée, en ajoutant graduellement du sel à l’eau de leur aquarium. Au bout de quarante-cinq jours, lorsque la teneur de l’eau en sel eut atteint 1,5 °/,, toutes les Daphnies ont péri, mais les œufs contenus dans leurs chambres incubatrices ont survécu. Ils ont donné naissance à une nouvelle génération de Daphnies qui, elles, ont prospéré dans ce milieu, néfaste pour ia première génération. Le lamarckien Pac- kard qui a cité ce cas d’après Cuénot, y voit une preuve de l’hérédité d’une modification acquise, tandis que Thomson, un weismannien, le récuse absolument, disant qu'il s’agit là d’une modifi- cation directe des cellules germinales ou même de l'embryon. La distinction est, dans la plupart des cas, très difficile à établir et la preuve exigée des lamarckiens difficile à faire, la dissociation des deux actions n'étant pas d’une réalisation aisée dans la pratique. Et d’ailleurs, le pourrait-on, que cela n’aurait qu’une importance toute théorique, pour les vues particu- lières de Weismann relatives au plasma germinatif, et ne changerait rien à la question de l’hérédité des caractères acquis considérée comme facteur de l’évolution des espèces. Ceci ne constitue un 4. J.-A Ffnouson. Heredity, p. 189. : 4 de Con . 4 "TRS, ( 197 ‘argument véritable que lorsqu'il s'agit de carac- tères produits par l'usage et te non-usage qui sont généralement nettement localisés. IL est vrai que ce sont, pour les lamarckiens, des cas très im- portants auxquels ils ne sont pas parvenus jusqu’à û présent à donner une explication. Mais pour tous les autres cas, qu'importe à ce point de vue que la modification soit produite directement et simul- tanément dans les cellules germinales et dans les cellules somatiques, ou bien dans ces dernières d’abord et dans les premières ensuite? 4 Une autre distinction, non moins subtile et tout aussi inutile pour l'explication de l’évolution est celle, faite par certains weismanniens, entre la ee transmission d’une modification Dablieuliére et celle des résultats indirects ou des changements corré- latifs de cette modification. Ainsi, par exemple, la 4 profession des parents peut exercer une influence sur leurs enfants, mais tant que les modifications structurales ne seront pas identiques à celle des parents, on ne parlera pas de la Re de _ caractères acquis {. Les weismanniens exigent encore qu’un carac- tère acquis soit transmis totalement, tel quel, d’un parent à un descendant; si ce dernier manifeste un trait non pas identique, mais seulement portant sur ie même tissu ou le mème système que celui du parent, ce trait tombe dans la catégorie des 1. Ibid., p. 190. L'auteur accorde jusqu'à un certain point F' la trensmissibilit” de cette dernière catégorie de caractères. 22 | 1 sd , ba. À: (] 4 n ms d À 13e A Y So: X dé os 4! HINE g ER PERS À 74% U TA F (2 f Pa Fous ; h 3 # : { / | ’ 1 | À LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION et | ESPN caractères corrélatifs et le fait de sa transmission ne perd toute valeur. | Le débat se trouve ainsi de plus en plus cir- conscrit, mais circonscrit artificiellement et un peu arbitrairement; ces restrictions ne le rendent guère plus clair, mais entourent de difficultés presque insurmontables toute expérience qui vou- drait être concluante. Comment, en effet, créer des conditions telles qu’on ne puisse classer le caractère envisagé dans aucune de ces catégo- ries, et comment, surtout, interpréter les phéno- mènes qui ne sont pas provoqués par nous, mais que nous rencontrons tels quels dans la nature et au sujet desquels nous ne pouvons pas connaître toutes les conditions qui ont entouré leur origine ? Weismann et les autres adversaires systémati- ques de l’idée lamarckienne récusent de même tous les cas de transmission où il s’agit d'organismes unicellulaires, tels que cultures bactériennes mo- difiées par certaines influences extérieures, dont on a, par exemple, réussi à atténuer la virulence, qui transmettent leurs nouveaux caractères à des centaines de générations. Ces expériences, disent- ils, ne prouvent rien, car chez les êtres unicellu- laires la différence entre le plasma germinatif et le plasma somatique n’est pas encore parvenue à s'établir. Mais là aussi on peut faire observer, comme l’a fait un de nous dans un précédent ouvrage { que la différence n’est pas si considé- 1. Yves Decace. L'Hérédité, ete., p. 238 (éd. 1903). IT CTP VER UE PR, . ï de bé dé … “0 A : a L rh: 4 14? Pa) mA n L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 199 rable et que ce qu'il faut comparer, ce n’est pas la reproduction d’un protozoaire à celle d’un mé- tazoaire, mais la division d’un organisme unicel- lulaire à celle de l’œuf de l'organisme pluricellu- laire. Chez ce dernier, d’une génération à l’autre il y a une multitude de divisions cellulaires, et non pas une seule comme chez l’unicellulaire, et il se peut qu’au cours de l’ontogénèse une modification soit transmise, à partir de l’ovule, à un grand nombre de générations de cellules, mais qu’elle arrive à se perdre avant d’atteindre au terme du développement. De cette façon, une modification peut parfaitement être héréditaire et transmise, de même que chez les bactéries, bien que nous n’en apercevions pas de traces dans l’organisme adulte. Ces restrictions et ces réserves rendent la dis- cussion des exemples cités à l’appui de la thèse de la transmissibilité extrêmement difficile et confuse. En somme, ses adversaires systématiques décla- rent, toutes les fois que la transmission d’un carac- tère est prouvée, que ce caractère n’est pas un « véritable » caractère acquis, et ne considèrent comme exemples probants que ceux où la trans- mission d’un caractère ne peut pas être prouvée et où on peut le supposer inné. Et c’est peut-être cette difficulté de satisfaire à toutes les conditions exi- gées qui est la raison de ce fait étrange que, loin d’être innombrables, comme on pourrait s’y attendre si la théorie lamarckienne est juste, les exemples : cités en sa faveur par les différents auteurs st : relativement peu nombreux et toujours les mêmes. Lo fe de NS ESS NE RES APE à ERNEST, » 12 a 4 RICE AL PEN bus. PAUVRE , : « VARIE NE ve ; deg Ni, 200 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Les partisans de l'hérédité des caractères acquis citent des cas qui peuvent être expliqués par leur hypothèse; leurs adversaires en citent d’autres qui peuvent l'être également par la leur. Il faut aussi remarquer que ce qui rend également la discussion et la preuve difficiles, c’est que les uns et les autres doivent prouver une négative : les néo-lamarckiens, que telle modification ne peut pas être l’œuvre de la sélection naturelle; les néo-darwiniens, qu’elle ne peut pas, au contraire, être produite par la trans- mission héréditaire des caractères acquis. Or, on sait à quel point il est difficile de prouver une pro- position négative. Spencer, qui a toujours considéré l’hérédité des caractères acquis comme aussi incontestable que toute autre transmission héréditaire de caractères de la race ou de la famille, indique dans ses Principes de Biologie !, une de ses œuvres les plus anciennes (1864), la raison suivante, tenant non pas au mode de Ïa discussion, mais à la nature des phénomènes eux-mêmes, pour laquelle les exem- ples de cette hérédité qui devraient être si nom- breux, ne sont en réalité qu’en petit nombre. Les changements dans le volume des parties dus à. l'usage ou au non-usage, dit-il, sont généralement peu apparents. Quand un muscle a augmenté de volume, on ne le voit guère généralement, à moins que l’exagération du volume ne soit excessive. On ne voit pas non plus les modifications produites 1. Principes de biologie, vol. 1, p. 296 et suiv. (Paris, 8° édition, trad. M. E. Cazelles, 1888.) " se sh le at & | L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 204 sous l'influence du fonctionnement dans la distri- bution et le degré de développement des nerfs ou dans la structure de quelque autre partie: interne. Et s’il est difficile de constater ces change- ments sur l'individu même soumis à l'influence. des conditions modificatrices, la difficulté est. encore bien plus grande pour son descendant où la modification peut facilement être masquée par: d’autres, provenant d’autres conditions et d’autres habitudes, ou bien produite par la sélection natu- relle ou artificielle. L’'hérédité des caractères acquis est pour Spencer, comme nous l'avons vu, une: nécessité théorique et logique, de même que Fhy- pothèse contraire l’est pour Weismann. C’est entre ces deux esprits remarquables, entre- Spencer et Weismann, que s’est poursuivie la polé- mique la plus précise, la plus vaste et la plus caractéristique au sujet de la question qui nous occupe{. La controverse a débuté par la critique, de la part de Spencer, du principe de la sélection naturelle comme unique facteur de l’évolution des espèces. Nous avons exposé, en parlant de cette question, les plus importantes de ses critiques. Ici * nous ne nous OCCuperons que de ce qu’on pourrait 4. H. Srencer. Inadequacy of natural selection (Contem- porary Rewiev, février, mars et mai, 1893); À Reyoinder to prof. Weismann (Ibid., décembre 1893); Weismannism once more (Ibid., octobre 1894); Weismann : The All-Sufficrency of Natural Selection (Ibid., septembre 1893); The Effect of External Influences upon Development (The Romanes Lecture, 4894); Neue Gedanken zur Vererbungsfrage. Eine Antwort. an Herbert Spencer (1895), NI POER DOM POMIR TT ! s LORD E 4" a A - Mid: : 202 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION "SE RS } appeler la contre-partie de cette argumentation, de l’hérédité des caractères acquis, c’est-à-dire d’un facteur qui, pour lui, sans s’opposer à la sélec- tion, joue un rôle au moins aussi important que celle-ci. La sélection naturelle agit presque seule, dit Spencer, dans le monde végétal et chez les animaux inférieurs. Mais à mesure qu’on s'élève dans l’échelle, à ses effets s’ajoutent de plus en plus ceux produits par l’hérédité des caractères acquis; enfin chez les animaux les plus complexes, cette _ dernière devient une cause importante, sinon prin- cipale, de l’évolution. L'hérédité des caractères acquis agit donc tou- jours, seule ou en se combinant avec la sélec- tion naturelle; sans elle l’évolution devient incom- _préhensible, « ou bien il y a eu transmission héré- ditaire des caractères acquis, ou bien il n’y a pas eu d'évolution du tout »t. Et lorsqu'on demande quels sont les faits prouvant l’hérédité des carac- tères acquis, on peut répondre que puisque beau- coup de modifications qui surgissent dans l’orga- nisme sont héréditaires, on peut légitimement supposer que toutes peuvent l'être, et c’est à ceux qui affirment que certaines seulement le sont, à exclusion des autres, de prouver leur thèse. II est vrai que tous les caractères acquis ne se trans- mettent pas, mais cela tient à ce fait que les ca- ractères sont, en général, d'autant mieux enra- cinés qu’ils sont plus anciens et disparaissent 4. Inadequacy of natural selection, p. 30. d'eutaét de vite qu’ils ont existé depuis moins longtemps. C’est pourquoi un caractère dont l’ac- quisition a duré de longues générations s’hérite plus facilement qu'un caractère récent, lequel e en outre disparaît plus vite. Spencer cite ensuite un certain nombre de faits qui ne peuvent être expliqués ni par la sélection naturelle ni par la panmixie, et où l’hérédité des caractères acquis a seule pu agir. Aïnsi, prenons l’origine des nombreuses papilles de la langue. Elles se sont multipliées non parce qu’elles sont utiles Ou nécessaires à la vie, mais parce que cet organe, pendant l'alimentation et dans l'usage de la parole, vient constamment en con- tact avec les différents points de la paroi buc- cale. Toute la distribution de la sensibilité tactile sur la surface du corps montre que les corpuscules du tact sont le plus nombreux non pas là où ils pourraient être le plus utiles (car ils seraient alors plus nombreux sur la face dorsale du corps, où ils pourraient mieux avertir du danger que sur la face ventrale), mais là où le corps vient le plus | fréquemment en rapport avec les objets extérieurs. D'ailleurs, on sait à quel point le sens du tact se développe par l’usage chez les aveugles, les com- positeurs typographes, etc. Un autre exemple : la réduction du petit orteil chez l’homme est une pro- priété acquise et devenue héréditaire ; elle est due à l'habitude de la marche bipède qui, pour maintenir le corps en équilibre, développe exclusivement le côté interne du pied. A cela Weismann fait cette ob- 204 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Mat jection que la sensibilité de la langue, si elle n’est pas utile chez l’homme, a pu l’être chez ses ancêtres et avoir ainsi donné prise à la sélection; Spencer lui répond que c’est bien là que la panmixie, si active ailleurs, aurait dû agir et ne pas laisser cette sen- sibilité subsister chez l’homme. Pour la réduction du petit orteil, Weismann répond à l’hypothèse de Spencer par une autre hypothèse : cette réduction, dit-il, est une variation innée et non acquise. La réaction des organismes au milieu, est, pour Weismann, dans une certaine mesure, prédéter- minée longtemps à l’avance, car, dans la lutte entre les déterminants, la sélection germinale a laissé subsister ceux d’entre eux qui étaient pourvus d’une sensibilité plus grande à leur exci- tant spécifique, et c’est cette sensibilité qui déter- mine les réactions ultérieures de l’organisme. Ce ne sont pas les changements somatiques sur- venus à la suite de l’accomplissement d’une cer- taine fonction qui sont primaires : Ce SOnt, au COn- traire, les modifications du plasma germinatif qui précèdent les changements somatiques. Le chan- gement de la forme, résultat de la lutte entre partics, entraine et précèue dans le temps le changement de la fonction; c’est la contre-partie Ë absolue de l’adage lamarckien « la fonction fait l'organe ». L'action du milieu extérieur 23 peut être qu'in- directe. Lorsque certains animaux changent de couleur à la suite d’un changement de milieu, lorsque, par exemple, un papillon tel que le Vanessa L'IÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 205 présente deux pigmentations différentes suivant la saison, ou que certains animaux du nord blanchis- sent en hiver, il s’agit là non d’une action immédiate des conditions externes, mais d’un processus plus compliqué dans lequel la sélection naturelle, aidée de la sélection germinale, produit une variation pro- tectrice. On peut même donner de ces faits une expli- cation plus précise. Certains insectes produisent deux générations par an : l’une en été, l’autre en automne, et leurs chenilles prennent une coloration différente dans les deux saisons. C’est ainsi que chez un papillon américain, le Lycæna pseudargiolus, les chenilles d’été vivant sur les boutons blancs des fleurs de Cimicifuga racemosa, sont blanches, tan- dis que celles d'automne qui vivent sur les boutons . d'Actinomeris squamosa portant des fleurs jaunes sont vertes ou d’une couleur vert-jaune. Weismann se sert ici des mêmes « déterminants de réserve » qu’il a créés pour tous les cas de dimorphisme en général (dimorphisme saisonnier, dimorphisme sexuel). « Le germe, dit-il, contient toutes les ébau- ches (Anlagen) des différentes formes, et un excitant, la qualité des aliments, la lumière, la chaleur ou quelque autre influence extérieure, arrive tôt ou tard à provoquer le développement de telles ou telles de ces ébauches et à décider lesquelles se développeronti ». Mais ce qui permettra à ces exci- tants d’agir, c’est l’existence préalable de diffé- . The effect of External Influences, etc., p. 52-53. rences individuelles entre ces ébauches, 0) #44 tions préformées, due à la sélection naturelle. La détermination du sexe chez les abeilles et les fourmis offre à Weismann un bon exemple. La stérilité des ouvrières est due non pas directement à linsuffisance de la nourriture que reçoivent leurs larves, comme le croient les lamarckiens, mais à la présence dans l’œuf, par suite de la sélection, de déterminants d'un ovaire rudimentaire et d’autres, correspondant à un ovaire parfait, les premiers se développant précisément lorsque les jeune larves sont moins bien nourries. La quantité de nourriture joue certainement un rôle, mais un _ rôle indirect : une nourriture moins abondante est Pexcitant qui fait sortir les déterminants correspon- -dants de leur état latent et provoque non seule- ment le développement des caractères d’un ovaire rudimentaire, mais celui de tous les caractères sexuels secondaires qui distinguent l’ouvrière de la reine. Il est inutile de faire ressortir à quel point l’au- teur est amené à des hypothèses arbitraires (les déterminants d’un ovaire stérile ayant pour exci- tant l’absence de nourriture) pour faire cadrer coûte que coûte la théorie avec les faits. Le dimorphisme sexuel chez les fourmis et les abeilles et les caractères des neutres ont fourni le principal exemple, le plus longuement discuté, __ dans la controverse entre Weismann et Spencer. La dégénérescence de l’ovaire et les divers carac- tères qui y sont liés ne peuvent pas être une consé- nt nés. mé ARC RE D 7% SX ARE rh L'nénéoé à DES CARACIÈRES ACQuIS 207 çaence de son dtonctionneinent dit Weismann, car les neutres ne se reproduisent pas et ne laissent pas d’héritiers auxquels ces caractères auraient pu être transmis. A quoi Spencer répond que les à * neutres ne sont que des femelles ayant subi un arrêt de développement. Et la preuve, c’est que la + communauté d’abeilles ou de fourmis produit, en. < cas de besoin, des reines en suralimentant des à larves destinées, dans les conditions ordinaires, à F donner des ouvrières. Quant à leurs autres carac- ê tères, y compris les instincts, le développement graduel de la vie sociale chez les insectes permet ; de supposer que ces caractères ont été acquis k avant l’établissement des castes, lorsque ces in- Ni sectes vivaient encore isolément, ou bien dans une É+ société homogène. ÿ. Bien d’autres exemples ont été cités encore par # les deux champions de cette controverse que 4 nous sommes loin d’avoir exposée ici complète- Ke ment. Quelle est la conclusion qui peut s’en dé- gager ? Ni Spencer, ni Weismann n’ont remporté <2 une victoire réelle; plus encore : en employant trop souvent comme argument ce mode de rai- sonnement : «pourquoi ne supposerait-on pas telle À ou telle chose? » Weismann a donné à la discus- sion le caractère d’un tournoi logique et verbal qui devait rester sans résultats. d: à - re A 3 de ac de à à On 17: AAVENE | è ue » , e F k é £ “ CHAPITRE XIV L'hérédité des caractères acquis. — Expose et critique des observations et expériences. Expériences faites pour vérifier la transmission héréditaire des caractères acquis. — Les mutilations et les maladies. — Les cobayes de Brown-Séquard. — Adaptation des êtres aux conditions externes — Variations des papillons sous l'influence de la température et du régime : expériences de Kellogz et Bell, de Pictet, de Fischer. — actions pro- L duisant des modifications locales; faits cités par Cunnin- gham, Hyatt, Cattaneo. — Transmission des caractères psychiques, le talent musical. — Mécanisme possible de l'hérédité des caractères acquis. — Conception chimique ; idées de A. Gautier, de Le Dantec, de Montgomery. — Voie à suivre. Les expériences faites en vue de démontrer l’hé- rédité des caractères acquis et les exemples cités à l’appui sont nombreux, d’une valeur très inégale et susceptibles d’objections à des degrés variés. Pev sont probants, peut-être pour des raisons dont nous avons parlé plus haut : difficultés d’expéri- mentation et surtout difficultés d’interprétation. Nous allons en faire connaître quelques-uns, en commençant par les plus discutables pour finir par les plus démonstratifs. L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 209 Unc des expériences les plus simples et les plus commodes à faire est celle qui consiste à produire une mutilation et à en observer, s’il y a lieu, les effets héréditaires. Ce sont les faits de cet ordre qui ont surtout servi d'arguments aux partisans de la non-transmissibilité, car les mutilations, même répétées pendant plusieurs générations, n° sont pas héritées par les descendants. Dans beaueoup de pays on a l’habitude de cou- per la queue aux chiens ou aux chats sans que leurs descendants soient privés de cet organe. Weismann a fait la même expérience sur plu- sieurs générations de rats sans plus de résultats. On sait de même très bien que les amputations, les conséquences d’açcidents, telles que fractures, cicatrices, etc., ne se transmettent pas; il en est de même des mutilations en usage chez certains peuples (telles que la çcirconcision chez les Israé- lites et les Musulmang, la déformation du pied chez les Chinoises, la percement du nez ou des oreilles chez certaines peuplades sauvages, etc.) qui, bien que continuées pendant d'innombrables générations, ne sont pas devenues héréditaires. Peut-être ne pourrait-on pas tirer des conclu- sions aussi catégoriques relativement à des muti- lations ou lésions capables d’entrainer des troubles dans tout l’organisme, surtout dans le système nerveux, mais, somme toute, on peut dire que tou- tes les expériences faites jusqu’à présent montrent que les mutilations en général ne sont pas héré- ditaires. Sur ce point spécial, les antilamarckiens Dei PAR EE da La 9 Pas p 71 Ke Fa ps 21 Ve Lt | L À b. < nu u ' et A N'# Lo #2 à ' tr Î \ 7 210 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION ont donc facilement gain de cause; on pourrait cependant leur faire remarquer que la thèse de la transmissibilité des caractères acquis n’exige nullement que fous ces caractères le scient : il suffit que la possibilité de la transmission de cer- tains caractères soit démontrée. Il semblerait que les maladies non congénitales mais acquises, doivent fournir des arguments dé- cisifs en faveur de lune ou l’autre opinion. Il n’en est rien cependant, et tous les faits cités sont sus- ceptibles d’interprétations très diverses. Sans parler de la difficulté qu'il y a à déterminer si la maladie est innée ou acquise au cours de l’exis- tence, il faut considérer que dans les maladies microbiennes il peut y avoir transmission directe du microbe pathogène par le germe, ce qui ne cons- titue évidemment pas la transmission d’un carac- tère par hérédité ; or, parmi les maladies dont nous ignorons actuellement les causes, beaucoup se révé- leront peut-être un jour comme maladies micro- biennes. D'autre part, là où la maladie s’accom- pagne de production d’une certaine toxime ou se trouve déterminée par une cause d'ordre chi- mique, la substance correspondante pourra de même passer directement de l'organisme du parent à celui du descendant. Sanson cite l’exemple d’un troupeau de moutons qui a contracté une mala- die des articulations par suite du séjour dans un climat humide; on a transporté ensuite ce trou- 1. Sansox. L'Hérédite normale et pathologique (1893). . L'HÉRÉDITÉ DE3 CARACTÈRES ACQUI 211 peau dans un pays sec, mais pendant plusieurs _ générations encore les moutons ont continué à souffrir de cette maladie, jusqu’à ce qu’on ait remplacé tous les individus malades par d’autres de la même race, mais n'ayant pas subi les mêmes influences. Un caractère acquis a bien été transmis, mais comme il s’agit là d’une maladie d’origine chimique (et peut-être microbienne), ce cas est passible de l’objection dont nous avons parié plus haut. Un exemple classique, cité et discuté dans tous les écrits concernant cette question, est celui des cobayes de Brown-Séquard. Pendant de longues années (de 1869 à 1891) et expérimentant sur des milliers de cobayes, il déterminait chez eux, au moyen de certaines lésions nerveuses (hémisec- tion transversale de la moelle épinière ou section du sciatique), une certaine forme d’épilepsie, et …l a observé des cas où les petits des parents ayant subi cette opération présentaient la même forme d’épilepsie. Ces expériences ont été depuis confir- mées par certains, mises en doute et discutées par d’autres; Weismann leur a opposé précisément cette objection que l’épiiepsie peut être une maladie microbienne inoculée aux parents pendant l’opéra- tion et directement transmise par le germe. Il est vrai qe c’est là une supposition que nous n’avons aucun droit, pour le moment, d’avancer comme une certitude, mais on a fait d’autres objections encore, telles que la facilité avec laquelle les co- bayes, en général, deviennent épileptiques (les écoliate de Brown-Séquard pourraient ainsi n'être ds qu'une simple coïncidence) ou l’hypothèse de kB transmission d’une substance chimique. C’est cette dernière hypothèse que suggèrent Voisin et Péroni qui expliquent ces expériences par la production, dans l’épilepsie, d’une toxine qui vient influencer les cellules sexuelles. Quoi qu’il en soit, ces expé- riences très discutées doivent être considérées comme douteuses au point de vue des conclusions et ne constituent pas d’argument décisif dans la controverse qui nous intéresse. Passons aux exemples dans lesquels certaines modifications incontestablement produites par une influence extérieure se retrouvent aussi incontes- tablement chez les descendants; tels sont les faits d'adaptation des plantes aux différents climats. On voit les rejetons de ces plantes présenter d’emblée les modifications que leurs ancêtres n’ont acquises que progressivement, en un grand nombre de géné- rations ; tel est le cerisier qui, transporté à Ceylan, y devient un arbre à feuilles persistantes (exemple raconté par Detmer). Mais dans tous les cas sem- blables les causes modificatrices continuant à agir, il est impossible de déterminer la part de l’hérédité dans la fixation des nouveaux caractères. Il y a cependant d’autres cas où les plantes mo- difiées, retransportées dans le pays d’origine, conservent pendant quelques générations les carac- 4. Archives de Neurologie, 1892-93, et Voisin : L'Épilepsie (Paris, 1897, p. 125-133), cités par J.-A. Thomson : Heredity, p. 235. rs °u L'aénémré DES VERRE ACQUIS 213 res acquis sous AE du précédent chan- gement de climat. ; Pour le règne animal, nous avons cité plus haut l'exemple analogue de la transmission héréditaire : des effets d’acclimatement chez les Daphnies; : en voici un autre. En expérimentant l’action des différents degrés de salure de l’eau sur les ani- maux, Ferronièrei transporte un oligochète, le Tubifex de l’eau douce dans l’eau saumâtre, L’ani mal s’acclimate et présente certaines modifications (perte des soies) qui vont s’accentuant dans les géné- rations suivantes. Mais ce qui est plus important, c'est que, après plusieurs générations, il devient absolument incapable de vivre dans ses conditions primitives. L'influence du milieu semble donc avoir eu des effets plus durables qu’elle-même. Voici maintenant des expériences plus suivies et plus probantes qui ont eu pour objet les variations produites sous l'influence des conditions environ- nantes chez les chenilles de certains papillons. Les papillons offrent à cet égard un sujet d’étude commode; aussi de nombreux expérimentateurs se sont-ils appliqués à placer des chenilles dans des conditions diverses, à faire varier la tempéra-" ture, l’éclairage, l'alimentation, etc., et à observer, le retentissement de l’action de ces agents sur l'être adulte et ses descendants. Kellogg et Bell, par exemple, soumettent à des régimes alimentaires différents les chenilles 1. Études biologiques sur la faune supralittorale de la Loire-Inférieure, 1901. 10 du Bombyx mori, le ver à ess en faisant varier la quantité de feuilles de mürier qui leur sont données en pâture ou en remplaçant le mürier par la laitue!. L'insuffisance de la nourriture produit d’abord une réduction de la taille de l’imago, réduction qui persiste jusqu’à la troisième génération, biez que les larves des descendants soient soumises au régime normal. Si la nourri- ture insuffisante est continuée pendant trois, ou même deux générations, il se produit une race naine de vers à soie dont les papillons ont les dimensions des microlépidoptères. La pénurie d'aliments ou le remplacement de la nourriture habituelle par une autre, moins favorable, en- trainaient en même temps un retard dans les différents processus physiologiques, mues, méta- morphose, etc., et une diminution de la fertilité; tous ces caractères ont été hérités jusqu’à la troi- sième génération, à laquelle s’arrêtent les obser- vations, les vers à soie ayant péri au bout de trois ans. L'influence héréditaire est évidente dans cet exemple, mais on pourrait faire cette objection qu’il s’agit là d’une action d'ordre trop général, d’un simple affaiblissement de l’organisme et que ce ne sont pas certains caractères dus à l’action du milieu qui ont été transmis, mais que des parents affaiblis ont donné des descendants affaiblis doré 1. Variations induced in larval, pupal and imaginal stages | of Bombyxz mori by controlled varying food supply. (Science, XVIII, 4993, p. 741-748.) co at it D a dé Le ph nd L L'RÉMÉDNrÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 215 l’état ne pouvait se manifester que, précisément, par ces caractères. Les expériences suivantes, dues à Pictet, sont analogues, mais à conclusions plus précises, car il s’agit là non d’un état général plus ou moins flo- rissant, mais d’un caractère physiologique déter- miné. Pictet étudie l’influence sur les papillons, des divers modes d’alimentation et de l’humidité1. Les chenilles de chaque espèce de papillons se nourrissent exclusivement de certaines feuilles et s’habituent difficilement à d’autres. A celles qui, habituellement, ne mangent que des feuilles de . chêne, Pictet donne des feuilles d’autres plantes, laitue, noyer, etc.; elles ne s’y adaptent qu'avec peine, mais, une fois adaptées, donnent des pa- pillons dont les descendants-chenilles consom- ment cette nouvelle nourriture sans difficulté. Il y a donc eu là une modification, chimique probable- ment, qui s’est transmise d’abord au papillon, puis à l’œuf de celui-ci et à la nouvelle génération des chenilles. Dans lespèce Ocneria dispar les chenilles se nourrissent habituellement de feuilles de chêne ou de bouleau ; Pictet leur fait manger des feuilles de noyer auxquelles elles finissent, non sans diffi-. culté, par s’habituer. Les papillons que donnent ces chenilles présentent certains changements dans‘ 4. ArnoLD Picrer. Influence de l'alimentation et de l'humi- dité sur {x variation des papillons. (Mémoires de la Société de physique et d'histoire naturelle de Genève, XXXV, fase. 1, 1905). 7" SONG Le 291 LA vs. | à, | 4 % Fr. , « “{ 1, RUE PAS PRE SL Pr RO PO) ER PORT MP DD RSR TE CURE 7 a br NRA re FEVRC ee + A AT D r * 216 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION es dessins et la coloration des ailes, qui s’accen- tuent si on continue le même régime pendant plu- ‘sieurs générations. Ainsi, à l’état nor- mal, le mâle estgris- cendré ou brunâtre, avec quatre lignes noires transversales en Zigzag aux ailes supérieures(voir Fi. 5. — Mâle normal d'Ocneria. fig. 5); la femelle est plus claire, d’un blanc grisâtre ou jaunâtre, avec des dessins moins marqués (voir fig. 6). En nourrissant les chenilles de ce papillon avec des feuilles de noyer, on ob- tient, à la première génération, des individus de taille plus pe- tite, de teinte plus pâle, aux dessins moins accentués ; la femelle devient presque trans- parente (voir fig. 7 et 8). A la génération sui- vante, la même Pic. 6. — Femelle normale d'Ocueris. nourriture COn- tinuant, les mêmes caractères persistent. — Voici une autre expérience, dans laquelle l'effet héré- ditaire se montre malgré le retour à la nourriture Un “—— ALLER É A RPC L'RÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 217 _ normale (sixième expérience de Pictet). La pre- À mière génération est nourrie de feuilles de noyer et manifeste les caractères que nous venons de décrire; la deuxième et la troisième sont uourries de feuil- les de chène, mais les caractères dus au noyer persis- tent, La figure 9 représente le mâle de la troisième génération; Pictet Fic. 7. — Femelle modifiée. (1° génération.) ne donne pas de figure pour la femelle, mais la décrit comme ayant des ailes transparentes, avec quelques indi- cations de retour au type normal (accentuation de : ( = (Certaines lignes). PE Comment pouvons-nous interpréter ces expérien- ces? Pictet a observé quelques cas oh l’accou- Re tumance au noyer était Mu el Tea devenue si complète qu’un retour à la forme primi- tive avait lieu à la fin. Ceci semblerait indiquer qu'il s’agit, là aussi, d’un état général défectueux de l'organisme, résultat d’une adaptation impar- faite, et que les caractères observés sont des manifestations générales de cet état affaibli. Le fait que les feuilles du noyer ont pour effet do ,” 218 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTIOR à Ki diminuer l'intensité de la coloration et d'effacer les dessins semble parler dans le même sens. Cependant, d'autres expériences montrent que le changement de nourriture n’a pas toujours cette influence : quelquefois il a au contraire pour effet de rendre la coloration plus toncée et les lignes plus accentuées. C'est ce que Pictet a observé en nour- rissant ses chenilles avec de l’esparcette et de ia dent du lion. Il combinait aussi Fin 9.— Méle modifié et resté ; ÿ tel malgré le retour à lanour- les différentes nourritures IL ale. (3: génération. mi." normale. (3' génération.) 4 ormales, en donnant aux chenilles d’abord du noyer, puis, pendant deux générations, de l’esparcette : les caractères dus au noyer persistaient malgré son remplacement par l’esparcette. Nous pouvons supposer, dans ces con- ditions, qu’il s’agit là de quelque chose de plus que d’un simple affaiblissement général de l'organisme. Les p'euves nous manquent pour laffirmer caté- goriquement, mais il n’en reste pas moins là un doute pour la validité de la théorie. Les expériences de Fischer, sur les papillons également, ne prêtent pas le flanc à cette objection. Il a étudié spécialement l’action de la température. Des pupes de l’Arctia caja ont été soumises par lui à des refroidissements considérables (8°); le papillon adulte montrait certaines anomalies 1. Cité par Kellogg. Darwinism to-day, p. 296. pe édit dd mien ie. 1. ons > ioathe : à M SE 219 comme dessins et comme coloration et même des différences d'ordre morphologique : des change- ments de forme des ailes et des pattes. On effec- tuait alors des croisements, en replaçant les pupes des générations suivantes dans les conditions nor- males ; malgré cela, on retrouvait chez un grand nombre de produits de ces croisements les carac- itères autrefois provoqués par le froid. Ici, nous avons bien des caractères précis, transmis aux descendants tels quels, car une forme modifiée de l’aile par exemple, est plus qu’une manifestation d’un état général précaire. C’est bien là un exemple de transmission héréditaire d’un caractère acquis sous l'influence du milieu. Cependant, aux yeux des anti-lamarckiens intran- sigeants, lui non plus ne trouverait peut-être pas grâce, car rien ne prouve que l’action du froid ne se soit exercée simultanément sur les cellules somatiques et les cellules germinales. Nous avons déjà dit que cette objection ne nous paraissait pas avoir de l'importance pour la recherche des facteurs de l’évolution, mais comme elle en a une au point de vue des théories de l’hérédité, et qu’elle est toujours mise en avant dans les polé- miques sur cette question, cherchons d’autres exemples encore, auxquels même ce reproche ne pourra pas être adressé. Ces exemples existent. Une des expériences les plus précises et les plus remarquables est celle de Cunningham. Tout le monde connaît les Pleu- rorectes, ces poissons plats sole, turbot, etc.) re 220 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION { qui sont asymétriques, un côté du corps coloré, l’autre incolore et les deux yeux du même côté. Cette organisation si spéciale tient au mode d’existence de ces poissons : symétriques et bilatéraux dans leur jeune âge, ils se laissent ensuite tomber au fond de l’eau et restent dans cette position. Le côté sur lequel ils sont couchés, privé de lumière, reste incolore; en même temps se produit Le dépla- cement de l'œil correspondant. Cunningham fait l'expérience suivante {. Il prend une quinzaine de petits poissons de 11 à 12 millimètres de lon- gueur, encore symétriques comme forme, mais ayant déjà commencé leur métamorphose, c’est- à-dire pris l'habitude de se coucher sur le côté gauche; une pigmentation assez abondante était déjà apparue sur le côté droit, le côté gauche res- tant incolore. Ces poissons sont alors placés dans un aquarium éclairé par en bas à l’aide d’un miroir et recouvert d’un couvercle opaque pour empé- cher la lumière de venir d’en haut. De nombreux témoins, pris dans le même lot, sont placés dans les conditions ordinaires. Un mois et demi après, Cunningham compare les deux lots et ne trouve entre eux que peu de différence : le côté gauche est chez les uns comme chez les autres d’un blanc opaque. Le pigment n’est donc pas apparu chez les poissons en expérience bien qu’ils aient été placés dans des conditions qui auraïent dû le faire n ns dde “motos sn nid, Éd és été, se 1. J. T. CUXNINGHAM. An experiment concerning the Absence of Colour from the lower side of Flat-fishes (Zoologischer dnzeiger, 1891, n° 354, p. 27-32), 1 % WeqyBuruunr) op Soouarmadxe sop ed UOSSI04 — ‘OT ‘a 222 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION naître : une distribution déterminée du pigment, causée dans la série des ancêtres, par les condi- tions extérieures, a subsisté ici grâce à l’hérédité. Dans la suite, cependant, les conditions actuelles semblent avoir pris le dessus : deux mois après (époque à laquelle l'expérience prit fin, les poissons ayant péri) Cunningham aperçut chez un certain nombre d'individus, quelques chromatophores noirs et jaunes à la base des nageoires dorsales et deux bandes colorées longitudinales sur la face inférieure du corps, s'étendant jusqu’à la tête (voir fig. 10); d’autres exemplaires restèrent incolores. Les té- moiris ne présentaient sur la face intérieure du corps aucune trace de pigmentation. Cette expérience paraît concluante. Il ne peut être question ici ni d'un état général vague, ni de substance chimique transmise, ni même d’action simultanée sur les cellules germinales et les cel- lules somatiques : comment les cellules germinales pourraient-elles être directement atteintes par l'absence de lumière ? Il y a bien là transmission d’un caractère incontestablement acquis et exclu- sivement somatique. Il faut cependant dire, non pas parce que les arguments invoqués seraient convaincants, mais parce qu’il est bon de mon- trer jusqu'où peut aller le parti pris, que là aussi les anti-lamarckiens trouvent des raisons pour ne pas admettre cette conclusion. C’est ainsi que Mor- gan{ fait à Cunningham cette objection étrange : 1. Th. H. Morcan. Evolution and adaptation p. 258-259. L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 223 « Il n’est pas démontré que si la perte de la couleur sur le côté inférieur avait été le résultat de la transmission héréditaire d’un caractère ac- quis, les phénomènes seraient ce qu’ils sont dans l'expérience de Cunningham ». Pour que cet argu- ment ait quelque valeur, Morgan devrait nous montrer comment, à son avis, les choses auraient dû se passer dans ce cas. Tant que ce n’est pas fait, nous ne pouvons que conclure dans le même sens que Cunningham, aucune autre interprétation ne paraissant possible. On pourrait aussi, dit Morgan, fournir une autre explication qui, for- mellement au moins, serait parfaitement accep- table : on pourrait aussi bien supposer que la différence de coloration entre les deux côtés est, : chez ces poissons, le résultat d’une variation ger- minale consistant en ce que, d’un côté du corps, le caractère « coloration » était resté à l’état latent ; au moment où un facteur extérieur, la lumière, est venu agir, il y a eu simplement réveil de ce caractère latent. Mais on pourrait objecter qu’il est bien difficile de comprendre pourquoi cette variation germinale, par conséquent indépendante de l’action directe du milieu, a coïncidé précisé- ment avec l’absence de lumière, facteur qui géné- ralement produit la décoloration, et pourquoi, de plus, cette variation accidentelle a porté sur le groupe tout entier de ces poissons. C’est, encore une fois, proposer une interprétation compliquée et tout arbitraire et fermer les yeux sur celle que les faits suggèrent naturellement. L 224 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Comme un des meilleurs exemples de transmis- sion héréditaire d’un caractère acquis on peut citer aussi les coquilles fossiles étudiées par A. Hvatt, un paléontologiste américain et un des principaux représentants de l’école néo-lamarckienne. Il s’agit de ces céphalopodes dont il ne reste actuellement qu’un seul représentant vivant, le Nautile. Depuis les terrains primaires, leurs coquilles ont pris suc- cessivement différentes formes : d’abord en cônes allongés droits (coquilles orthocératiques), elles prennent ensuite une forme recourbée (cyrtocéra- tique) qui s’accentue de plus en plus et aboutit à une forme spirale, à tours de spire d’abord lâches, ne se touchant pas (coquille gyrocératique), puis plus serrés, en contact les uns avec les autres (coquille nautilienne). Plus tard, ces coquilles suivent une évolution inverse : par une sorte de dégénéres- cence, les tours de spire redeviennent plus lâches et vers le moment de l’extinction de ces animaux on revient à la forme simplement recourbée ou même droite. Mais pendant la partie ascendante de cette évolution la spire se serrant de plus en plus, il arrive que le tour de spire externe s’imprime sur celui qui est à l’intérieur de lui et produit un sillon caractéristique. Hyatt démontre par toute une série de preuves que l'origine de ce sillon est bier mécanique; on voit d’ailleurs les surfaces se mouler exactement l’une sur l’autre. Or, ce sillon dorsal, qui apparait d’abord chez l'adulte où il est dû ainsi à des causes mécaniques, se retrouve ensuite dans la coquille larvaire 4 un stade où aucune pression L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 2235 effective n’existe encore et qui est d'autant plus précoce qu'il s’agit de terrains plus récents1. C'est bien là un exemple d’action purement locale retentissant sur la descendance, exemple que le grand nombre et la précision des faits cités par Hyatt rend indiscutable. Le Dantec, qui s’est servi des recherches de Hyatt pour prouver l’hérédité des caractères acquis, nous dit dans son exposé que le sillon produit par la pression des tours de spire l’un sur l’autre subsiste dans les formes dégénérées redressées ; nous trouvons même chez lui un schéma qui le. montre très bien?. Or, nous venons de voir que ce n’est pas là-dessus que Hyatt base son argumen- tation; il dit même, au contraire, en décrivant les. coquilles dégénérées, qu’elles deviennent « défor- mées, plus petites, à spire plus cylindrique, plus lisse et perdent leur zone d’empreinte » (d’un tour de spire sur l’autre)$. Dans un autre passage, Hyatt parle de la ressemblance absolue entre les coquilles adultes dégénérées et les coquilles droites primi- tives, ce qui évidemment exclut l'existence, chez les premières, de ce sillon. Cela ne rend pas son argumentation moins probante, et si nous avons tenu à relever cette erreur de Le Dantec, c’est parce que les faits qu’on apporte comme argu- ments dans la discussion d’une question aussi 1. À. Hyarr. Phylogeny of an Acquired Caractsristic. (Proe- ceed. Amer. Philos. Soc., vol. XXXII, 1893, p. 349-616.) 2. Le Danrec. Traité de biologie, p. 296-297. 3. À. Hyarr, loc. cit., p. 311. | RAR E TO NE ASP ST ANG RC Ee CLONES AT ETUI 4 1 ' r “ Les ne) at ANT 226 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION complexe et aussi controversée que celle-ci doivent, dans l'intérêt mème de l'opinion qu’on défend, être très exacts. Citons enfin un dernier exemple, emprunté cette fois aux effets de l’usage et du non-usage des or- ganes. Cattaneo a eu l’idée d’étudier des animaux domestiqués depuis la plus haute antiquité : les chameaux et les dromadaires, et a émis l’hypothèse, déjà formulée par Buffon, que leurs bosses et les callosités de leurs genoux doivent leur origine aux charges qu'on a l'habitude de leur faire porter et à l'attitude spéciale qu’on leur fait prendre en les forçant à s’agenouiller. Il rapporte que le célèbre voyageur Prjevalsky a tué, en Asie centrale, deux chameaux sauvages, ou plutôt redevenus sauvages, qui n'avaient pas de callosités et dont la bosse était moitié moins grande qu'habituellement. Or, les bosses et les callosités sont héréditaires et non acquises par chaque génération à nouveau. De même, un autre auteur, Ritter, a décrit sur la foi d'un géographe turc du xvu° siècle, des chameaux devenus sauvages dont la bosse était à peine visible. — Certains dessins relatifs à Ninive et à Babylone représenteraient de même des chameaux avec des bosses plus petites que celles des chameaux actuels. — Un autre fait du même ordre est rapporté par Fogliata, cité également par Cattaneo. Une änesse avait longtemps été employée au service du bâti; elle présentait sur la région dorsale une forte saillie adipeuse ressemblant, comme forme et comme étendue, à l'empreinte d’un bât et due à la pression _ L'RÉRÉDITÉ DES CARACTÈnES ACQUIS 227 exercée par lui. Or, unie à un âne ordinaire, elle donna naissance à un jeune qui avait exactement la même particularité {. — Pour frappantes que soient ces observations isolées, il faut dire qu’elles sont beaucoup moins démonsitratives que les observations générales du genre de la précédente, car elles sont toujours explicables par une simple coïncidence. À certains de ces exemples aucune des objec- tons habituelles des anti-lamarckiens irréductibles ne peut s'appliquer: il n’y a là ni infection directe par le germe, ni passage possible d’une substance chimique du parent au descendant, ni même action simultanée d’un facteur extérieur sur le germe et le soma. Ii s’agit bien ici de caractères exclusive- ment somatiques, strictement localisés, produits par des influences qui ne peuvent agir directement _sur les organes reproducteurs. Et ce sontces exem- ples surtout qui démontrent que certains caractères acquis au moins peuvent être transmis. Parmi les caractères acquis par l’usage. citons P ge, encore les caractères psychiques, les instincts, etc., qui occupent une place un peu à part et semblent être héréditaires d’une façon plus évidente que les autres. Spencer a longuement développé l’exemple de la faculté musicale. Il est douteux, dit-il, que jamais le talent musical ait pu être d’une impor- tance capitale pour la conservation de l'individu; il n’a donc pas pu avoir donné prise à la sélection. 4. G. CaTraneo. Le gobbe e le callosità dei Cammelli in rapporto colla questione dell ereditarietà dei carratteri ac- guisiti. (Rend. Ist. Lombardo, XXIX, 1896.) AN PE AT OR TEE D Re D ee NA) EDR BE TE Ph : “ | h ‘y * 7 À LA FANMTAR TON 7 & 228 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION PA 2 La faculté musicale, d’abord rudimentaire, a dû s'être développée tout autrement. Une association entre un certain rythme de langage et certaines: émotions s’est peu à peu établie dans lesprit de l'homme; ces rythmes, combinés, ont donné la mélodie, et les hommes, de plus en plus habitués à les entendre et à les exécuter, ont acquis et trans- mis aux descendants une sensibilité musicale de plus en plus avancée. On a d’ailleurs fréquemment vu des cas de talent musical, non seulement héré- ditaire, mais plus considérable chez le fils que chez le père, à eause, certainement, de l'exercice du père, car on pourrait plutôt s’attendre à un amoin- drissement, la mère n'étant pas forcément douée sous ce rapport. C’est le cas de beaucoup de musi- ciens célèbres : Mozart, Beethoven, Bach, Haydn et d’autres. Weïismann, qui a répondu à Spencer sur ce point, - reconnaît que le talent musical ne peut donner prise à la sélection naturelle; mais il cherche à échapper à la nécessité de voir là un cas d’hérédité des carac- tères acquis en niant l’évolution progressive du genie musical. Il admet que ce talent est aussi développé chez les sauvages les mieux doués sous ce rapport que chez nos compositeurs modernes les plus raffinés et que la seule différence entre eux réside dans le développement de l’art musical chez les peuples civilisés et peut-être une sensibilité générale plus aiguisée chez certains sujets. | É ! 4. Principes de biologie, vol, I, p. 302-304 "nl Le oEe 1 Ste Pal a) le A ÉRIC AU ES rt Es ne br UE Li REA ROME #: LT AT ON ét 7 HTC à En a S } 4 L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 229 Aux différents faits allégués en faveur de la thèse lamarckienne, Weismann et ses disciples opposent, d’eilleurs, non pas une interprétation différente, &i une critique des observations et des expériences, mais leur point de vue général, l’im- possibilité théorique de la transmission héréditaire des caractères de cet ordre. Nous avons vu com- ment l’idée de la séparation absolue entre le plasma germinatif et le plasma somatique entrainait cette impossibilité comme conséquence nécessaire. Il est certain que tout ce que nous connaissons à l'heure actuelle du mécanisme de l’hérédité ne nous donne aucun moyen de répondre victorieu- sement à l'objection de Weismann. Comment par exemple, le développement des callosités du cha- meau par le frottement peut-il influencer la celiule germinale de façon à produire chez le descendant une modification identique? Nous avons vu, en parlant des théories de l’hérédité, les différentes tentatives faites dans ce sens. Ici, nous ne pouvons que répéter, à propos de cette question spéciale, ce que nous avons déjà dit : ce qu'il faudrait opposer au système de Weismann, ce n’est pas un nouveau système analogue : c’est une théorie partant d’une conception tout à fait différente des droits et des levoirs du théoricien. C’est peut-être la chimie du protoplasma, encore bien mal connue, qui nous donnera un jour la solutio Ce res questions. Pour le moment, nous n: XC:70us que formuler des considérations très geztr.lcs, peut-être même un peu vagues; mais 230 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION ce qu'il y a d’essentiel, c’est d'indiquer la méthode à suivre. Nous ne pouvons, à cet égard, que reprends: ‘ne idée qui a déjà été émise! et qui avait été en partie suggérée à son auteur par celle des « subs- tances formatives » de Sachs. En quoi l'œuf se distingue-t-il des autres cellules de l’organisme? En ce que, pendant le développement embryogé- nique, les cellules auxquelles il donne naissance, d'abord semblables entre elles, arrivent à se diffé- rencier et à se spécialiser dans certaines fonctions, et deviennent incapables, tant qu’elles sont ainsi différenciées, de donner naissance à un organisme tout entier, tandis que la cellule germinale conserve cette faculté. C'est cette différence qui semble rendre impossible le retentissement sur l’œuf des modifications subies par les parties spécialisées de l’organisme et l'explication de la transmission hé- réditaire des caractères acquis. En l’examinant de près, cependant, on voit qu’elle n’est pas aussi profonde ni aussi fondamentale qu’on pourrait croire. La différenciation ontogénétique consisteen grande partie en ce que certaines substances se trouvent être prédominantes, par rapport aux autres, dans les différentes cellules. De ces substances, certaines prennent naissance de novo dans ces cellules, d’au- tres leur viennent de l’œuf dont elles dérivent. Aïnsi l'œuf, comme toute cellule, possède une cer- 1. Yves Derace. L'Hérédité, eve., p. 829-843 (éd. 1903). 18} TA __ L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 251 taine contractilité, une certaine excitabilité qui, lorsqu'une cellule musculaire ou une cellule ner- veuse se différencie, se développent considérable- ment dans ces cellules, au détriment d’autres pro- priétés. Et, si l’on admet que cette contractilité ou cette excitabilité sont dues à quelque substance ou à quelque disposition structurale spéciales, il s’en suit que cette substance ou cette disposition doivent exister également dans l'œuf qui pré- sente à un degré moindre ces propriétés. Il peut en être de même d’un certain nombre d’autres caractères, moins saillants, sans qu’on puisse le dire de tous les caractères, car alors on tomberait dans la même erreur que celle des particules re- présentatives avec toute leur complication et toute leur invraisemblance. Ce ne sont, d’ailleurs, pas des substances qui « représentent » les diverses fonctions de lorganisme, ni des substances qui restent dans l'œuf en vue d’un développement ulté- rieur : cesont simplement celles dont l'œuf a be- soin pour sa vie et ses fonctions propres. Supposons maintenant que l’on introduise dans l'organisme une substance chimique quelconque ou qu’on change son mode d’alimentation. La résis- tance de l’organisme aux modifications provenant de cette source est très grande ; cependant, la com- position de son sang peut à la longue s’en ressentir dans une certaine mesure. Nous en voyons certains exemples dans l’action aes poisons et des médica- ments, mais il en est de même, quoique à un moindre degré, de l'alimentation ordinaire et normale. RP TR PR EAP GNT ut À FRERES « va NUE ur "4 *y Le YA CA { . 232 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Ces substances qui, introduites dans le sang, modifient d’une façon spécifique chaque catégorie de cellules de l'organisme, doivent exercer égale- ment leur action sur les cellules sexuelles. Pour- quoi, en effet, feraient-elles seules exception à la règle générale? Mais si l’œuf contient, comme nous l’avons supposé, certaines substances qui se retrouvent dans d’autres cellules de l’organisme, äl séra influencé par les mêmes agents que ces der- nières. Ceux qui auront une action excitante et favoriseront le développement de certains organes, en y déterminant la formation d’une certaine sub- sitance en plus grande abondance, augmenteront aussi la quantité de cette substance dans l’œuf, et, par conséquent, dans l’organisme auquel ce der- nier donnera naissance, et qui, de ce fait, aura l’organe correspondant plus développé. L’inverse aura lieu avec une substance produisant la dimi- nution, la déchéance de tel ou tel organe ou tissu. Cette hypothèse générale, ou plutôt cette inter- prétation des faits observés, permet d’admettre la possibilité de la transmission des caractères acquis, et en même temps de comprendre la grande variété des cas que l’observation et l’expé- rimentation nous offrent à cet égard. Certains caractères acquis peuvent être transmis : ce sont ceux qui correspondent à une substance pré- ‘sente non seulement dans lorgane considéré, mais également dans l’œuf. Il n’est pas nécessaire que ce soient des caractères très importants, saillants ou indispensables à la vie de l’organisme déve- FF _ L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS 233 loppé : il suffit qu’ils soient sous la dépendance de substances qui lui sont communes avec l'œuf. D'autres, tout aussi importants peut-être, mais | déterminés par des substances qui n’existent pas dans l’œuf et ne se développent qu’au cours de l’ontogénèse, ne seront pas transmie. Il en sera de même des modifications qui, tout en étant très marquées, n’amènent pas de changements quali- tatifs dans la constitution du sang. Cela explique les résultats contradictoires des différentes expé- riences, suivant qu’ on aura affaire à une modifica- tion somatique de telle ou telle catégorie. Il est très naturel, par exemple, que les muti- lations, lorsqu'il s’agit d'organes formés de tissus qui se retrouvent ailleurs dans l’organisme {queues coupées, membres amputés, etc.) ne soient pas héréditaires, aucun changement qualitatif dans le sang ne les accompagnant. Il peut en être autre- ment lorsqu'on extirpe un organe qui renferme la totalité d’un tissu donné. On prive alors l’orga- nisme de la substance caractéristique de ce tissu et les produits sexuels seront, au moment de leur formation, privés de la source où ils puisaient cette substance. Elle se trouvera donc, en eux, absente ou tout au moins en quantité inférieure. Et lorsque l’œuf se développera, les organes dont cette substance est caractéristique se trouveront à l’état de déchéance dans le produit. On peut appliquer le même raisonnement aux modifications dues à l’usage ou au non-usage des organes, ainsi qu’à l’hérédité de certaines consé- RC" 284 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION quences de maladies, de celles qui fratielt, pour un temps plus ou moins long, la constitution du protoplasma cellulaire. Telle est, par exemple, la transmission de l’immunité : les substances immunisantes agissant sur certains constituants chimiques des différentes cellules de lorganisme et sur les substances correspondantes de l'œuf qui, dans l’organisme futur, entraineront Je même caractère d'immunité. Voyons maintenant les caractères acquis sous l'influence des conditions de vie. Parmi ces der- nières, l'alimentation est une des plus importantes. Ici notre explication du mécanisme de la trans- mission paraît s’appliquer tout naturellement, car action de l'alimentation sur la constitution du sang est incontestable. Par l'intermédiaire du sang, les substances alimentaires agissent sur les œ cellules sexuelles et sur les substances qu’elles | renferment et qui deviendront, lors du dévelop- pement, celles de l’organisme futur. Telle est, en somme, la façon dont il est pos- sible de comprendre sinon le mécanisme par lequel les cellules somatiques agissent sur les cel- lules germinales, du moins celui par lequel les unes et les autres sont influencées simultanément et corrélativement par certains agents extérieurs. Cette conception, avec la place prépondérante qu’elle accorde aux modifications d'ordre chi- mique, se trouve corroborée par des recherches d'ordre spécial. Tous les travaux récents sur les antitoxines et les anticorps et toutes les théories sd Diet à) 2e. nl) tds AY: | base ire, fournissent des Hp us De Le (7 s À % A mème sens. C’est ainsi que A. Gautier conclut de l'étude des matières colorantes des vins et des différentes essences hydrocarbonées que les maté- riaux des plasmas vivants sont, au point de vue r chimique, différents entre eux suivant l'espèce ou même la race que l’on considère, et que c’est la variation chimique qui est la source des varia- tions morphologiques. Les albumines du même groupe chimique, mais appartenant à des espèces animales différentes se distinguent les unes des autres. De même, l’hémoglobine du sang diffère d’une espèce à l’autre, comme on le voit par les. caractères des cristaux de l’hématine qui en dérive, et l'action des divers sérums dans l’immunisation montre entre eux des différences de nature consi- dérablesf, La définition chimique de l’espèce est aussi à la base de tout le système de Le Dantec. Elle le conduit à reconnaître, comme nous l'avons fait plus haut, que si l’œuf n’a ni muscles, ni nerfs, ni os, il possède cependant à un degré plus ou. - moins marqué certaines particularités qui, se développant dans des sens différents, conféreront à chaque tissu différencié les caractères qui lui sont propres?. 4. ARMAND GAUTIER. Les mécanismes moléculaires de ls pa- riation des races et des espèces. (Revue de viticullure, 1901 } 2. Le Dantec. Éléments de philosophie biologique, p. 191. La mème idée est exposée d'ailleurs dans presque tous les autres ouvrages de l'auteur. “ + 4 es CA « A D PT TT Carr. APR US eo" à EN et À Ju # ARR ñ AA M _ Un autre auteur à tendances lamarckiennes que nous avons déjà eu l’occasion de citer, Th. Mont- gomery, insiste principalement sur la relation étroite entre la cellule germinative et les autres” éléments du corps qui constituent le milieu dans & lequel elle vit. Elle est incapable, dit-il, de vivre et d'agir d’une facon normale si elle est soustraite à l’influence des autres substances cellulaires. Sa nourriture, l’eau, l’oxygène, tout lui vient du de- hors, et cet ensemble constituant son ambiance a subi auparavant l’action du plasma somatique. Le plasma germinatif est donc sous une dépendance étroite du reste de l’organisme et, par l’intermé- diaire de ce dernier, du milieu environnant. « Les résultats de l’observation et de lexpérience nous apprennent que le plasma germinatif n’est pas un petit dieu, capable d’exister sans souci des in- \ fluences extérieures, mais est très intimement lié _ à ces dernières. » D’ailleurs, il est impossible, ajoute . l’auteur, qu'il y ait, à cet égard, un abime entre les cellules germinales et les cellules somatiques. Toute cellule différenciée provient, en effet, d’une cellule germinale et garde en elle une certaine | quantité de plasma germinatif; cette similitude de constitution fait que l’une et l’autre doivent inévita- blement présenter les mêmes réactions générales 1. C'est ainsi qu'une tendance se fait jour actuel- lement de chercher des explications des faits de 4. Ta. Monrcomery. Racial Descent in animals, p. 138-141. ne 2. explications, si elles sont moins précises et moins _séduisantes que celles de l’école weismannienne, “ le née de or Ces | ont au moins l'avantage d’être dans la voie qui conduit à la vérité. C’est par l'emploi de cette mé- thode que trouvera probablement sa solution la question si controversée de l’hérédité des carac- tères acquis. Ce qu’on peut espérer, c’est qu’en examinant à la lumière des observations sur l’hé- rédité les phénomènes de tout ordre (physiolo- giques, histologiques, physico-chimiques, etc.) qui ‘accompagnent l’ontogénèse, on arrivera tôt ou tard à la découverte du mécanisme permettant la transmission de ces caractères. En tout cas, l’igno- rance où nous nous trouvons actuellement de ce mécanisme ne préjuge en rien contre la théorie qui «& cette transmission pour base. 11 CHAPITRE XV Le Lamarckisme. » Les darwiniens et les lamarckiens. — L'idée essentielle du lamarckisme. — Lamarck et la Philosophie zoologique. — Le mode d'existence et les habitudes des animaux. — Les deux grandes lois de Lamarck. — La tendance lamar- ckienne actuelle, ses traits essentiels, l'attitude des lamar- ckiens dans les grandes questions biologiques. — Les progrès de la tendance. Nous avons vu que le transformisme et le darwi- nisme sont deux idées qui ne se confondent pas et que la seconde n’est en somme qu’une des parties, üne des formes, la plus connue peut-être, de la première, celle qui a seule triomphé pendant presque un demi-siècle. Mais deux grands courants se manifestent dans la philosophie évolutionniste appliquée aux sciences naturelles : le darwinisme (ou plutôt le néo-darwinisme) et le néo-lamar- ckisme, dont les conceptions, avec, bien entendu, toutes les modifications apportées par le progrès de nos connaissances, se rattachent au nom de Lamarck. Toutes les autres théories et interpréta- _ tions proposées se groupent autour de ces deux pôles de la pensée naturaliste, se rapprochant de | HN A | LE LAMARCRISME Jun ou de l’autre. Toutefois, il est à remarquer que les appellations de « darwiniens » et « lamar- ckiens » ne doivent pas être prises au sens strict : les darwiniens ne sont pas seuls à utiliser les conceptions de Darwin, tous les transformistes, les lamarckiens y compris, faisant de même dans une certaine mesure; d'autre part, Darwin invoque souvent dans ses ouvrages des interprétations lamarckiennes. Les néo-lamarckiens, de leur côté, ne se rapprochent de Lamarck que par certaines tendances générales et non par le détail des idées, en raison du progrès des connaissances accompli depuis la mort du fondateur du transformisme. En somme, comme nous l'avons vu au cours de la discussion des théories sélectionnistes, ce qui distingue les néo-darwiniens, c’est la tendance à mettre au premier plan les variations innées, les modifications prédéterminées dans le germe et dues au hasard, avec, comme facteur presque exclusif de l’évolution, la lutte pour l’existence entre indi- vidus de la même espèce et entre espèces voisines et la sélection naturelle qui s’en suit. Le néo-dar- winisme a trouvé son expression la plus complète dans les théories de Weismann, dont les adeptes sont nombreux et représentent toute une école groupée autour d’un ensemble de conceptions har- moniques, concernant la structure même de la matière vivante, l’ontogénèse, l’hérédité, l’évolu- tion des espèces, etc. Plus haut, en parlant des différentes théories de lhérédité, nous avons ex- posé ce système en entier. De même, l’idée cen- nel 78 CT DORA TU UT A LA pe Sd” 4 Ps e* y « (1 LEE EE PR. 22 È AL ÉTE « l >" 240 | LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION … trale de ce système, le sélectionnisme exclusif, a été discutée dans un des précédents chapitres. Nous n’y reviendrons donc pas. Il est beaucoup moins aisé d'exposer le lamar- ckisme. L'œuvre de Lamarck est trop éloignée de nous et ne renferme que les traits généraux du : lamarckisme actuel : les acquisitions modernes lui ont trop ajouté pour que, dans sa forme primitive, elle puisse fournir une profession de foi à la doc- trine. La Philosophie zoologique, œuvre capitale de Lamarck, nous présente les raisonnements sous | une forme trop vague et trop schématique pour * nos exigences actuelles. N’en est-il pas ainsi tou- jours, d’ailleurs, lorsqu'une nouvelle idée est for- mulée pour la première fois? Elle ne fait que s’ébaucher dans ses traits les plus généraux, et jamais celui qui l’a conçue le premier ne peut l’élaborer dans les détails. Les adeptes qui vien- nent après le fondateur et qui auront reçu de lui l’idée toute faite sans y avoir employé le meilleur de leurs efforts, peuvent à loisir la discuter, la compléter, la développer. L'idée de la lutte pour l'existence, de la sélection Laturelle, de l’évolution des espèces n’est, malgré le nombre immense ‘de : faits cités à l’appui, exprimée chez Darwin qu’en termes très généraux. Elle s’est précisée dans la suite, et nous avons vu qu’une discussion détaillée a réussi à y faire le départ de ce qui est incon- testable et de ce qui ne supporte pas un examen . plus minueux. Il en est à plus forte raison de | LE LAMARCKISME 241 même de Lamarck, esprit beaucoup plus synthé- tique qu’analyste, et d’un demi-siècle plus éloigné de nous que Darwin. Et quel demi-siècle! A son: début, les esprits étaient si peu mûrs pour recevoir les idées transformistes que les vues de Lamarck ne rencontrèrent de la part des représentants de la  / science de l’époque qu’un dédain unanime, tandis qu’à la fin, le terrain était déjà tout p'éuêss pour/ | 7$ S la réception des idées de Darwin. à Il serait trop long d’exposer ici le rôle de La- Ë marck dans l’histoire des idées transformistes et d'évaluer la part qui lui revient. Pour le moment, : | nous voulons voir surtout ce qui, dans son œuvre, L a servi à fonder non pas le transformisme en | k général, mais spécialement sa branche lamarc- kienne. L. On s’est tourné vers Lamarck après que la vic- toire du transformisme eut été définitive. Le grand prédécesseur de Darwin avait d’abord été traité par les transformistes mêmes avec un certain dé- dain, l’œuvre de Darwin ayant éclipsé celle des pré- curseurs; mais au fur et à mesure des discussions, les exagérations des néo-darwiniens aidant, on considéra les choses avec plus de justice. Un exa- % men plus approfondi des différents facteurs de l’évolution attira l’attention sur les idées lamar- ckiennes. L'idée spécifique du lamarckisme, c'est l'in- fluence du milieu et du mode d’existence sur les-- êtres vivants. Pour les animaux comme pour les végétaux, dit Lamarck, « à mesure que les cir- 1 ES ” “ y VAE NE Te ed ad ee AE Der so AO PRES RUN arrondies et simplement lobées. Si quelques pieds Less + 24 CR | 7 a PRRQRE HT R 14 ONE hp y Fe 07 ÈS RCE 0 ORNE TRE EP RERRIRRRES ds. LP A ATP AURER tax der L- re NAS 7 À fi LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION constances d'habitation, d'exposition, de climat, de. 2 nourriture, d’habitudes de vivre, etc., viennent à changer, les caractères de taille, de forme, de: | proportion entre les parties, de couleur, de consis-, tance, d’agilité et d'industrie, pour les animaux, changent proportionnellement! ». Les races et les: variétés obtenues par la domesticité et la culture en. sont une preuve bien connue. La façon dont le mi- lieu opère sur les animaux et les végétaux n’est: pas d’ailleurs exactement semblable. C’est chez les végétaux que l’action immédiate des facteurs exté- rieurs se fait particulièrement sentir et produit entre les individus d’une même espèce des diffé- rences très remarquables. « Tant que le Aanun- culus aquatilis est ‘enfoncé dans le sein de l’eau, ses feuilles sont toutes finement découpées et ont leurs divisions capillacées; mais lorsque les tiges de cette plante atteignent la surface de Peau, les: feuilles qui se développent dans l’air sont élargies, * à de la même plante réussissent à pousser, dans un, sol seulement humide, sans être inondé, leurs tiges. alors sont courtes, et aucune de leurs feuilles n’est partagée en découpures capillacées ; ce qui donne lieu au Ranunculus hederaceus que les botanistes regardent comme une espèce, lorsqu'ils la rencon- trent? ». | D'une façon générale, chez les végétaux tout est dû aux « changements survenus dans la nutrition 1. La Philosophie zoologique, t. I, p. 227, éd. 1873. 2. Ibid., p. 231. _ du végétal », tandis que chez les animaux cela a _ lieu d’une façon moins directe, par l'intermédiaire de ce que Lamarck appelle les habitudes. « De grands changements dans les circonstances amè- nent pour les animaux de grands changements dans leurs besoins, et de pareils changements dans les besoins en amènent nécessairement dans les actions. Or, si les nouveaux besoins deviennent constants ou très durables, les animaux prennent alors de nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les ont fait naître... Or, si de nouvelles circonstances devenues permanentes pour une race d'animaux ont donné à ces animaux de nouvelles habitudes, c’est-à-dire les ont portés à de nouvelles actions qui sont devenues habituelles, il en sera résulté l'emploi de telle partie par pré- férence à celui de telle autre, et, dans certains _ cas, le défaut total d'emploi de telle partie qui est devenue inutile ». | Ÿ Ceci amène des changements dans l’organisation de l’animal. « Le défaut d'emploi d’un organe, devenu constant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit graduellement cet organe, et finit par le faire disparaître et même l’anéantir ». « Les ani- maux vertébrés, dont le plan d'organisation est dans tous à peu près le même, quoiqu’ils offrent beaucoup de diversités dans leurs parties, sont dans le cas d’avoir leurs mâchoires armées de dents; cependant, ceux d’entre eux que les circons- 4. La Philosophie zoologique, p. 223-224. FT. 4 ? ne 2? 2 Lfjtoi à T7 PAL À l'OFELIT. $ «+? SAMEUR pa til gen A0 ue ni Ge ge 431 à 2 t A & té (a es A Le « , ‘ PA ! v « . PET HO n +74 ER Ke A À TL CRRICRES ‘ CPL A me F { CPR 0. FL) ‘ ; LATE 244 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUIION tances ont mis dans l’habitude d’avaler les objets dont ils se nourrissent, sans exécuter auparavant aucune masficalion, se sont trouvés exposés à ce que leurs dents ne reçussent aucun dévelop- pemert. Alors ces dents, ou sont restées cachées entre les lames osseuses des mâchoires, sans pouvoir paraître au dehors, ou même se sont trouvées anéanties jusque dans leurs éléments ». Lamarck signale l’exemple du fourmilier dont l’habi- tude de-n’exécuter aucune mastication a provoqué la disparition des dents. Il en est de même de la baleine que l’on avait cru complètement dépourvue de dents et chez laquelle elles ont été retrouvées au stade embryonnaire. « Des yeux à la tête sont le propre d’un grand nombre d'animaux divers, et font essentiellement partie du plan d’organisation des vertébrés. Déjà néanmoins la taupe, qui par ses habitudes fait . très peu d'usage de la vue, n’a que des yeux très petits et à peine apparents, parce qu’elle exerce né latitatie dt tte tt nd. nd dance très peu cet organe. L'Aspalar… qui vit sous terre comme la taupe et qui, vraisemblablement, s'expose encore moins qu’elle à la lumière du jour, a tota- lement perdu l'usage de la vue : aussi r’offre-t-il | plus que des vestiges de l’organe qui en est le . siège; et encore ces vestiges sont tout à fait cachés sous la peau et sous quelques autres parties qui les recouvrent et ne laissent plus le moindre accès à la lumière ». De même, le protée qui habite dans les cavités profondes et obscures. « Enfin, ilentrait dans le plan d'organisation des reptiles, comme Ye LE LAMARCKISME TX . LR” des autres animaux vertébrés, d’avoir quatre pattes dépendantes de leur squelette... Cependant, les serpents ayant pris lhabitude de ramper sur la terre, et de se cacher sous les herbes, leur corps, par suite d’efforts toujours répétés pour s’allonger afin de passer par des espaces étroits, a acquis une longueur considérable et nullement proportionnée à sa grosseur. Or, des pattes eussent été très inu- tiles à ces animaux, et conséquemment sans em- ploi : car des pattes allongées eussent été nuisibles à leur besoin de ramper, et des pattes très courtes, ne pouvant être qu’au nombre de quatre, eussent été incapables de mouvoir leur corps. Ainsi le défaut d'emploi de ces parties ayant été constant dans les races de ces animaux, a fait disparaitre totalement ces mêmes parties, quoiqu’elles fussent réellement dans le plan d'organisation des animaux de leur classe ». Et il en est ainsi non seulement dans l’évolution phylogénétique des différents ordres d'animaux, mais aussi chez un même être pendant la durée de son existence. « On sait que les grands buveurs, ceux qui se sont adonnés à l’ivrognerie, prennent très peu d’aliments solides, qu’ils ne mangent pres- que point, et que la boisson qu'ils prennent en abondance et fréquemment, suffit pour les nour- rir. Or, comme les aliments fluides, surtout les boissons spiritueuses, ne séjournent pas longtemps, soit dans l’estomac, soit dans les intestins, l’esto- mac et le reste du canal intestinal perdent l’habi- tude d’être distendus dans les buveurs, ainsi que ei à 1 ro L.. v 4 7 L dans les personnes sédentaires et cons appliquées aux travaux d’esprit, qui se sont habi- tuées à ne prendre que très peu d'aliments. Peu à . peu, et à la longue, leur estomac s’est resserré, et leurs intestins se sont raccourcis » 1. Au contraire, « l'emploi fréquent d’un organe | devenu constant par les habitudes augmente les facultés de cet organe, le développe lui-même et lui fait acquérir des dimensions et une force d’ac- tion qu’il n’a point dans les animaux qui exercent moins ». « L'oiseau que le besoin aitire sur l’eau pour y trouver la proie qui le fait vivre, écarte les doigts de ses pieds lorsqu'il veut frapper Peau et se mouvoir à sa surface. La peau qui unit ces doigts à leur base, contracte, par ces écartements des doigts . sans cesse répétés, l'habitude de s’étendre; ainsi avec le temps, les larges membranes qui unissent les doigts des canards, des oies, etc., se sont for- : _mées telles que nous les voyons. Les mêmes efforts faits pour nager, c’est-à-dire pour pousser l’eau, afin d'avancer et de se mouvoir dans ce liquide, ont étendu de même les membranes qui sont entre les doigts des grenouilles, des tortues de mer, de la loutre, du castor, etc... De même l’on sent que l'oiseau de rivage, qui ne se plaît point à nager, et qui cependant a besoin de s'approcher des bords de l’eau pour y trouver sa proie, est continuelle- ment exposé à s’enfoncer dans la vase. Or, cet oiseau, voulant faire en sorte que son corps ne 4. La Philosophie zoologique, p. 240-241. j 2 /A ASIE LE LAMARCKISME 247 _ plonge pas dans le liquide, fait tous ses efforts | pour étendre et allonger ses pieds. Il en résulte que la longue habitude que cet oiseau et tous ceux de sa race contractent d'étendre et d’allonger con-: tinuellement leurs pieds, fait que les individus de | # cette race se trouvent élevés comme sur des ne échasses, ayant obtenu peu à peu de longues pattes | nues, c’est-à-dire dénuées de plumes jusqu'aux 3 cuisses, et souvent au delà »f. f Lamarck mentionne dans le même ordre d'idées ÿ la langue du fourmilier, les yeux des poissons, | placés latéralement chez la plupart et asymétriques chez ceux qui, nageant sur un côté, reçoivent une quantité plus grande de lumière du côté opposé, les yeux des serpents qui, rampant à la surface de à la terre ont besoin surtout de voir au-dessus d’eux. ; Il cite encore un grand nombre d’autres exemples We: empruntés aux animaux les plus divers : l’épaissis- he sement du corps des herbivores sous l'influence de . leur attitude, les griffes, rétractiles ou non, des 4 animaux de proie, la conformation spéciale de Ÿ lautruche et du kanguroo, etc. Et voici l'exemple h: classique de la girafe : « Relativement aux habi- HI tudes, il est curieux d’en observer le produit dans g la forme particulière et la taille de la girafe JL (camelo-pardalis) : on sait que cet animal, le L plus grand des mammifères, habite l'intérieur Ke de l'Afrique; et qu’il vit dans les lieux où la terre, À presque toujours aride et sans herbage, l’oblige de 4. Ibid., p. 248 et suiv. 1e dre À BLURTE, ‘0: r Ma macar Es A es brouter le feuillage des arbres et de s’efforcer con- CE tinuellement d'y atteindre. Il est résulté de cette habitude, soutenue depuis longtemps, dans tous les individus de sa race, que ses jambes de devant sont devenues plus longues que celles de derrière, et que son col s’est tellement allongé, que la girafe, sans se dresser sur les jambes de derrière, élève sa tête et atteint à six mètres de hauteur »f. De tout cela découle la première loi de Lamarck : « Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme de ses développements, l'emploi plus fréquent et sou- tenu d'un organe quelconque, fortifie peu à peu cet organe, le développe, l’agrandit, et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi; tandis que le défaut constant d'usage de tel organe, l'affaiblit insensiblement, le détériore, diminue pro- gressivement ses facultés, et finit par le faire dis- paraître ». Ces modifications n'auraient cependant aucune importance pour les destinées de l’espèce si elles ne se perpétuaient pas dans la postérité. Mais elles sont héréditaires, et c'est ce qui est énoncé dans la deuxième loi : « Tout ce que la nature a fait acqué- rir ou perdre aux individus par l’influénce des cir- constances où leur race se trouve depuis longtemps exposée, et, par conséquent, par l'influence de l'em- ploi prédominant de tel organe, ou par celle d’un défaut constant d'usage de telle partie, elle le con- serve par la génération aux nouveaux individus qui 4. La Philosophie zoologique, p. 254-255. LS. net as PS Le Le 5 he ee: de ds en proviennent, pourvu que les changements acquis soient communs aux deux sexes, ou à ceux qui ont produit ces nouveaux individus »1. Comment se réalisent les phénomènes que cons- tatent ces deux grandes lois, comment l'organe _ se développe par l’usage et comment les caractères acquis peuvent s’hériter, les connaissances phy- siologiques d’alors ne donnaient pas à Lamarck la moindre possibilité de l'expliquer. Il ne faut donc pas nous étonner si nous ne trouvons chez lui que des explications de son temps. Il en est de même de tout le contenu du deuxième volume de la Philosophie zoologique, traitant de phénomènes nerveux, sentiment, sensibilité, psychologie. Tout cela n'offre d'intérêt qu’à un autre point de vue qui r'est pas celui auquel nous nous. sommes placés. Ces deux grandes lois, fondées sur lobservation, mais plutôt encore pressenties par intuition, sont, de l’ensemble de son œuvre, ce qui est resté pour la science future, formant la base de toutes les con- ceptions de l’école lamarckienne. La er a jamais cons tifué une véritable école. Les idées qui le caracté- risent n’ont été systématisées par aucun théoricien, il n’a créé aucun dogme. Il n'est pas un système, mais bien plutôt un point de vue, une tendance qui se fait jour à propos de toutes les grandes questions biolugiques. C’est pourquoi nous ne pouvons guère en donner un exposé doctrinal : il se manifeste de 1. Ibid, t. I, p. 235-236. fl £ HT s Ke RATE ATEN DATE lui-même dans la discussion d’autres questions. Tout ce qui accorde la première importance à l’action du milieu et à l’adaptation directe des êtres "11 | _ [Là ce milieu, tout ce qui donne aux causes actuelles . Ja prédominance sur la prédétermination relève de la tendance lamarckienne. Dans la discussion du darwinisme, les lamarckiens (tels que Spencer, par exemple), sans nier nullement la réalité de la sélection naturelle, chercheront à circonscrire son rôle et, dans la marche de l’évolution, à placer à côté et même avant elle d’autres facteurs — ceux qu’on a appelés les facteurs lamarckiens. . Dans les questions que soulèvent l’ontogénèse et l’hérédité, la tendance lamarckienne s’opposera à toutes les théories de prédétermination exclusive, à tous les systèmes qui considèrent l’œuf fécondé comme portant en lui fous les caractères de l’être futur. Elle se manifeste chez ceux qui, ne recon- naissant à la prédétermination qu'une valeur rela- tive, chercheront la clef de l’ontogénèse et de l’héré- | dité dans les conditions internes et externes que É l'œuf rencontre au cours de son développement; | elle sera contre la préformation, pour l’épigénèse. | Dans la question de l'hérédité des caractères acquis, qui est la question vitale pour le lamarckisme, : toutes les recherches qui en montreront Ja réalité par des expériences, comme toutes les considéra- _ tions théoriques qui tendront à expliquer son mé- || canisme, relèveront de la tendance lamarckienne. \ On peut dire que toutes les recherches de zoologie expérimentale qui se multiplient de plus en plus de nn. LE LAMARCKISME | 251 notre temps, les études de biomécanique inaugurées -par les travaux de Roux, la parthénogénèse expé- rimentale, la tétatogénèse expérimentale, les nom- breuses recherches sur linfluence de la tempéra- ture, de la lumière, etc., sur l'organisme, tout cela est empreint de l’esprit lamarckien et tout cela, tout, en cherchant, en fin de compte, l'explication méca- niste des phénomènes de la vie, contribue à ré-| soudre le problème du processus PER par lequel se produit la réaction de l’organisme aux influences qu’il subit. Il serait cependant exagéré de croire que ces recherches sont poursuivies exclusivement par les néo-lamarckiens et au point de vue lamarckien. Cela est loin d’être exact. Weismann lui-même n'’a- t-il pas trouvé une explication lamarckienne en établissant que les formes du papillon Vanessa (VW. levana et V. prorsa) qu’on avait considérées auparavant comme deux espèces distinctes sont des cas de dimorphisme saisonnier dus à des dif- férences de température? Les néo-darwiniens ont | fait dans cette voie presque autant que les néo- | lamarckiens, mais la voie elle-même n'en est pas | | /, moins lamarckienne. À hill. MU di Des deux camps de biologistes, les néo-darwiniens et les néo-lamarckiens, quel est celui qui semble avoir la prépondérance actuellement? Il est difficile de répondre à cette question. Peut-être ne serons- nous pas éloignés de la vérité en disant que les bio- logistes qui se proclament néo-lamarckiens sont moins nombreux que ceux qui se réclament exclu- | | + % Vs | mi L°4 LA "t £ 17 D: À 1 C2 a .} te . 20 K 0 : "4 | A : ÿ 2 #1 x: VA de VA 4 En, NU 7 t Ua: Le é A ral ‘ 2 4 ‘4 À r$ KA \ int ral sdées Pas a na! is que | Ne lamarckienne n’en est pas moins ent { l] Dore Si on fait à dénombre officiel des dar _ -winiens et des lamarckiens, ceux-ci paraissent en- core beaucoup moins nombreux que ceux-là, mais nu à à notre avis, bon nombre de ceux qui marchent ‘A sous la bannière du darwinisme sont en réalité des ti | _ lamarckiens honteex. | | th it © CHAPITRE XVI Les représentants modernes du lamarckisme. Le système de Cope. La physiogénèse et la cinétogénèse. L'origine mécanique des diverses structures : le tissu mus- culaire, la columelle de la coquille des gastéropodes, l'articulation du pied, la colonne vertébrale. La difiéren- ciation ontogénétique; le « bathmisme ». Le point de vue énergétique. — Les théories de Le Dantec. L'assimilalion fonctionnelle ; l'unité de l'être vivant ; la transmission héréditaire. — Les lamarckiens vitalistes. — Comparaison entire le lamarckisme et le darwinisme. L'absence de dogmatisme qui caractétise la ten- dance lamarckienne et son état de dispersion par menus fragments dans les œuvres les plus diverses font qu’il est difficile d’en indiquer les représentants sans en omettre. Un des premiers naturalistes ayant envisagé les problèmes de l’évolution au point de vue lamarc- kien est Spencer qui, dès ses premiers travaux, a attribué une grande importance aux influences du milieu et a placé la fixation par l’hérédité de leurs effets à côté, sinon au-dessus, de la sélection natu- relle. Il reconnait lui-même dans son Autobiogra- phie avoir subi l'influence des idées lamarckiennes RE A RE PE CIE 80 1) eu ñ P L2 L Ag v K { En, LE \? Ve ?e 254 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION par l'intermédiaire de Lyell; celui-ci, en effet, parle de Lamarck dans ses Principles of geology et aussi dans certaines de ses lettres 1. Il faut ensuite citer Hæckel qui, tout en étant partisan con- ” vaincu de la sélection naturelle, a rendu justice à Lamarck dans son /istoire de la création natu- relle, dont la première édition date de 1868. « A lui, dit-il, revient l’impérissable gloire d’avoir, le premier, élevé la théorie de la descendance au rang d’une théorie scientifique indépendante et d’avoir fait de la philosophie de la nature la base solide de la biologie tout entière... Cette œuvre admirable, la Philosophie zoologique, est la pre- mière expression raisonnée et strictement poussée jusqu’à ses dernières conséquences, de la doctrine généalogique. En considérant la nature organique : à un point de vue purement mécanique, en éta- blissant d’une manière rigoureusement philoso- phique la nécessité de ce point de vue, le travail de Lamarck domine de haut les idées dualistiques en vigueur de son temps, et, jusqu’au traité de Darwin, qui parut juste un demi-siècle après, nous ne trouvons pas un autre livre qui puisse, sous ce rapport, se placer à côté de la philosophie zoolo- gique © ». «. Citées, d'après Huxley, par Marcel Landrieu dans 803 ouvrage récent sur Lamarck : Lamarck, le fondateur ds; transformisme (ouvrage publié par la Société de Zoologie ê3 France à l'occasion du centenaire de la Philosophie z0ol5- 7X gique, 1909). a 2, HæcxeL, Histoire de création naturelle, traductior fran- çaise 1874, p. 99. | L 4 1 4 Le RP ET | BEPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 255 Mais, pour que les tendances lamarckiennes pussent se faire jour, il ne suffisait pas de rendre justice à Lamarck, comme premier transformiste. % Il fallait qu’au fur et à mesure des discussions on a: s’aperçüt des exagérations de l’idée sélectionniste &. pour juger les choses avec plus de justice. Il est intéressant de noter la grande supériorité, à cet 6 égard, de Darwin sur ses adeptes néo-darwiniens. N: Dans la sixième édition de l’Origine des Espèces, qu’il considérait comme définitive, il est amené à À reconnaitre, dans les termes suivants, le rôle joué | par Lamarck dans l’histoire de l’idée transformiste : (1 « Le premier, il rendit à la science l’éminent ser- vice de déclarer que tout changement dans le j monde organique, aussi bien que dans le monde (4 inorganique, est le résultat d’une loi et non d’une ‘A intervention miraculeuse », et il expose ensuite en + quelques lignes les vues de Lamarck sur les fac- &e teurs ayant présidé aux transformations des fi espèces {. Il faut noter aussi que, dans cette dernière édition de son travail, il reconnait au milieu et à aux conditions de vie une influence plus grande que celle qu’il leur avait attribuée précédemment. Voici, ti d'autre part, un passage significatif d’une lettre adressée par Darwin en 1876 à Moritz Wagner et reproduite dans l’ouvrage de ce dernier : De La A formation des espèces par la ségrégation3. 4 EN à 1. Origine des Espèces, trad. Barbier. Notice historique, é page 12. ; 2. Traduction française 1882, p. 22; citée par Marcel ln. Landrieu, 1. c., p. 436. € , À Ni \ pe CEA mn AK ‘ À f - e : Pt CINE OS a RAT TRE ES URSS EEE ARR TEE RS ES AT ET PR EE à CE de 45 137 L ed à PAC g« OT FRANS IN PL A 256 LES TUÉORIES DE L'ÉVOLUTION « La plus grande erreur que j'ai commise, c’est de n’avoir pas tenu suffisamment compte de l’action directe du milieu, c’est-à-dire de l’alimentation, * du climat, etc., indépendamment de la sélection naturelle. Lorsque, il y a quelques années, j'ai écrit l'Origine des E'spèces, je n'avais pu rassembler que très peu de preuves de l’action directe du milieu : aujourd’hui il y en a beaucoup ». D'autre part, un courant d'idées lamarckien s’est formé de très bonne heure chez les natura- listes américains, indépendamment, dans une cer- taine mesure, de l'influence de Lamarck dont l’œu- vre ne leur était que peu connue. Un des premiers représentants de ces néo-lamarckiens, celui-là même qui a introduit ce terme, Packard, nous raconte dans son livre sur Lamarck (qui a servi de point de départ pour l’ouvrage de Marcel Landrieu que nous avons cité plus haut) { l’histoire de leurs travaux et de leurs idées. La sélection naturelle ne , leur paraissant pas une explication suffisante parce | qu’elle n'indique pas la cause des variations sur 4 lesquelles elle opère, ils cherchèrent cette cause f dans l'influence immédiate du milieu. Toute une | série de travaux d'anatomie comparée et surtout de paléontologie furent orientés dans cette direc- tion. En 1866 déjà, A. Hyatt publia un mémoire sur les céphalopodes fossiles, où il attribuait leurs transformations successives à l'action des facteurs primaires de l’évolution, fixée par l’hérédité des 4. Pacxan». Lamarck, the founder of evoluton; his life and work (1901). REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 257 caractères acquis. La même année parut le travail de Cope, Origin of Genera conçu dans le même esprit; quelques années plus tard, en 1871, il complèta sa conception lamarckienne en faisant intervenir, à côté de l’action directe du milieu, celle de l’usage et du non-usage des organes. Mais c’est dans son travail fondamental, The pri- mary factors of organic evolution, paru en 1896, qu’on trouve l'exposé complet de son système ; nous en parlerons plus loin avec plus de détails. En 1870, Packard adopta à son tour, à la suite d’études sur les arthropodes, les vues lamarckiennes qu'il n’a cessé de développer depuis. « Le néo- lamarckisme, dit-il dans un travail postérieur i, réunit et reconnaît les facteurs de l’école de Saint- Hilaire et ceux de Lamarck, comme contenant les causes les plus fondamentales de variation; il y ajoute l'isolement géographique ou la ségrégation (Wagner et Gulick), les effets de la pesanteur, des courants d'air et d’eau, le genre de vie, fixée, sédentaire ou, au contraire, active, les résultats de tension et de contact (Ryder, Cope et Osborn), le principe du changement de fonction comme ame- nant l'apparition de nouveiïles structures (Dohrn), les effets du parasitisme, du commensalisme et de la symbiose, bref du milieu biologique, ainsi que la sélection naturelle et sexuelle et l’hybridité. » Les néo-lamarckiens ne négligent pas la sélection 1. On the Inheritance ef Acquired Characters in Animals wilh a complete melamorphosis, cité dans Lamarck, a foun- der of Evolution, p. 398. _ naturelle, dit encore Packard; ils la considèrent. comme un principe directeur qui commence à 258 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION agir dès l’apparition des êtres vivants sur la terre, mais cherchent à lui assigner son rôle véri- table. C’est en Amérique que la tendance lamarckienne compte jusqu’à présent ses adeptes les plus nom- breux, surtout parmi les paléontologistes ; c’est là seulement qu’ils sont groupés en quelque chose qui ressemble à une école. Partout ailleurs elle n’a que des représentants épars (nous ne parlons, encore une fois, que de ceux qui se disent tels et non des très nombreux naturalistes dont les recher- ches sont inspirées de cette tendance). En France, A. Grard qui, de bonne heure, s’est fait le propagandiste du transformisme, a, en même temps, beaucoup contribué à l’extension des idées lamarckiennes. Sans être un lamarckien exclusif, il a, dès 18881, mis en avant l’action du milieu, les facteurs primaires de l’évolution, et ra cessé, au cours de sa carrière scientifique, d'in- sister sur leur importance. : Pour donner une idée plus exacte des différents aspects que peut prendre la tendance Jlamarckienne, nous nous arrêterons un peu longuement à deux de ses représentants, les plus typiques, un Amé- ricain et un Français, Cope et Le Dantec. La théorie de Cope comporte une partie tout à 4. Leçon d'ouverture du cours de l'Évolution des êtres organisés. (Rev. Scient. 1889, N° 21, p. 641-649). Eu REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCRISME 209 fait spéciale, propre à lui, son archæstéthisme. En laissant de côté cette idée particulière qui est plu- tôt une idée d’orthogénèse (voir chap. XIX), voici comment Cope envisage l’évolution !. Il se propose d'expliquer l'apparition même des variations, ce que le darwinisme ne fait pas. Elles résultent, d’après lui, de l’action modificatrice directe des influences extérieures et peuvent être de deux sortes : certaines sont nhysico-chimiques, produites par l’action directe du milieu environnant; ainsi, on sait que les coquilles des gastéropodes d’eau douce diminuent de taille lorsque la masse d’eau dans laquelle ils se trouvent devient plus petite; que le degré de salure de l’eau transforme l’Arfemia salina en une autre forme; que la chaleur et la lumière changent la coloration des papillons; qu’en modi- fiant la nourriture on peut influencer la couleur des plumes des oiseaux (serins rendus rouge-orange par l'addition à leur nourriture du poivre de Cayenne), etc. C’est à ces phénomènes que Cope donne le nom de physiogénèse. Elle est fréquente chez les animaux, mais domine surtout chez les plantes (c’est ce que Lamarck comprenait sous le nom d'infiuence directe sur la nutrition). La deuxième catégorie est plus importante pour la vie animale; elle se rattache à l'influence de l’usage et du non-usage des organes et comprend les variations produites par les mouvements qu'ils 4. E. D. Coprs. Te Primary facters of organic evolution, Chicago, 1896. 260 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION | exécutent en réponse aux excitations du milieu extérieur. C’est la cinétogénèse. C’est sur elle que Cope insiste surtout, et c’est, d’ailleurs, l’idée Jlamarckienne par excellence. Il a le grand mérite de ne pas s’être borné à une discussion théorique, mais d’avoir apporté à l’appui de sa conception de nombreux faits. Il les cherche en partie chez les animaux inférieurs (tissu musculaire qu’il considère comme s’étant développé chez ies protozoaires su- périeurs aux dépens des filaments protoplasmiques occupant la même place chez les inférieurs; plis de la columelle de la coquille des gastéro- podes, formés par suite de l’insertion et du tra- vail des muscles, etc.), mais ce sont surtout les vertébrés, et en particulier leur squelette, qui fournissent à Cope, grâce à ses vastes connais- sances paléontologiques, ses principaux docu- ments. Il est impossible de citer ici même les plus typiques de ses exemples. Nous trouvons là l’his- toire des articulations du pied et de la main chez les mammifères, formées par les influences méca- niques. Celle du pied, qui est très résistante, pré- sente deux saillies de l’astragale, premier os du pied, entrant dans deux fossettes correspondantes du tibia, et une saillie de ce dernier os pénétrant dans une fossette de l’astragale. Cette structure n'existe encore ni chez les vertébrés inférieurs, : comme les reptiles, ni chez les mammifères ancé- tres de chacune des grandes branches actuelles ; elle s’est formée peu à peu grâce à un certain ont rlit à den ca re rs US, ee = REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 261 æ mode de mouvement et à une certaine attitude de l'animal. Les parois externes des os étant formées de matériaux plus résistants que leurs parties centrales, voici ce qui à dû se produire. L’astra- gale est plus étroit que le tibia qui repose sur lui; aussi les parties périphériques, plus résis- tantes, du premier os se trouvaient-elles en face non des parties également résistantes du second (qui étaient en dehors d’elles), mais de ses parties relativement dépressibles; celles-ci, soumises à cette pression, ont subi une certaine résorption de leur substance, et des fosseites, correspondant aux deux bords de l’astragale, se sont formées. C’est exactement ce qui se produirait si on dispo- sait d’une façon analogue quelques matières inertes plus ou moins plastiques et qu’on exerçât sur elles une pression continue. La fossette du milieu du bord supérieur de l’as- tragale tient à une cause du même genre. Ici, l'extrémité inférieure, relativement peu résistante, du tibia repose sur une région aussi peu résistante de l’astragale; ce qui agit, ce sont les secousses continuelles. La conséquence de ces secousses doit ètre de faire prendre aux parties malléables de l'os la forme indiquée par la direction de la pesanteur : il se formera une protubérance en haut et une excavation en bas. C’est exactement ce qui s’est produit pour le tibia et l’astragale. Depuis Fépoque tertiaire jusqu’à nos jours, nous pouvons suivre la formation de cette articulation : d’'abordun astragale plan (chez le Periptychus rhabdodon du Mexique, 42 / 262 par exemple), puis une petite concavité qui s’ac- 14 ; centue peu à peu pour former une véritable fos- sette (chez le Pæbrotherium labiatum du Colorado), enfin, une protubérance pénétrant dans une conca- vité du tibia venant compléter cette articulation (elle apparaît chez le Prothippus sejunctus, ancêtre du cheval actuel). Cope décrit de même la formation d’autres arti- culations du squelette des mammifères (celle entre les métatarsiens et les phalanges, l’articu- lation du coude, etc.), puis l’évolution du pied des digitigrades et des plantigrades suivant leur mode d'existence et la nécessité de marcher sur un so} sec ou humide, la réduction du nombre des doigts chez les premiers, la constitution des diffé- rents types de dentition en rapport avec la mastication, etc., etc. Nous nous arrêterons à un seul exemple encore : la formation de la colonne vertébrale. Elle a commencé, comme la formation de tout squelette, interne ou externe, par le dépôt, dans les tissus, de substances minérales; les mouve- ments de l’animal, nageant ou rampant, interrom- pent ces dépôts en différents points, suivant les courbures du corps; il se forme, là où ces inter- ruptions se produisent, des articulations, et comme les mouvements sont généralement symétri- ques, elles se trouvent être à égale distance entre elles. Nous en avons la preuve dans le mode d’ossification de la corde dorsale chez les pois- sons et les batraciens primitifs : cette ossification REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 209 *: a suivi une espèce de here en zigzag, exacte- ment semblable à celle qu'or peut observer sur la manche d'un vêtement qui forme des plis à la suite des mouvements de flexion du bras. Nous avons là une succession de dépressions et de plis sail- lants dont les angles sont di- rigés en sens contraire : les pils correspon- dent aux sutures et les dépres- sions aux seg- ments OSseux (voir fig. 11-13). La seule diffé- rence, c’est que, surune manche, les plis ne se produisent que d’un côté, tandis que sur la colonne vertébrale primitive ces structures se reproduisent des deux de la colonne vertébrale rachitomique des poissons primilifs Fic. 11. — Fragments (Mérospondyliens). — ic, intercentres ; — n, neurapophyses; — sp, apaphyses épineuses ; e, ple, centres; — ct, côtes (d'après Cope)s ‘(edon soude p) [unuea p199 np en ‘g — {quoid ep on4 ‘y “UAUAOT NP 211de4 un ‘snjeydoouSou sdo,p anbrwopyons 2041q91408 2UU0)079 — ‘GE “O1 ï em mm mn ON Tee VAN \/ U “ thLoeusessd ‘Stassuens n { ss nn nn — mm mme nn LEP A TER) Pas . _ MEPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMAncxIsmz 265 côtés, l'animal pouvant se courber dans les deux directions. C’est la structure à laquelle Cope donne le nom de rachitomique. Elle donne naissance à deux lignes généalogiques différentes; pour les comprendre, il faut se tourner de nouveau vers la comparaison avec la manche plissée. On y voit, en effet, deux sortes d'espaces délimitées par des crêtes : les espaces de forme vaguement rhom- boëdrique, clos de tous côtés [que Cope appelle centres ou pleurocentres (p)] et les espaces triangu- Fic. 13. — p, pleurocentres ; — À, intercentres; — n, meurapophyses (d'après Cope). laires dont les sommets s’enfoncent entre ces centres et qui sont placés inférieurement par rap- port à ces derniers [ce sont les intercenires (1)]. Il - faut y ajouter aussi l'espèce de prolongements, de crêtes, que nous voyons en haut des centres et qui figurent les neurapophyses (n). L'évolution ulté- rieure diffère suivant que ce sont les centres ou les intercentres qui se développent. Les poissons et les batraciens possèdent des vertèbres «intercentrales»; les vertébrés supérieurs, les mammifères, des ver- tèbres « centrales ». 266 LES THÉORIES . L’ ÉVOLUTION En ce qui concerne le mode d’articulation io ss vertèbres, il dépend, lui aussi, du mode de mou- vement. Chez les reptiles, où la colonne vertébrale est très flexible et tous les mouvements s’exécu- tent avec son aïde, il y a la plus grande variété à cet égard ; c’est au sein de cette classe que s’effec- tuent les transformations successives : d’abord les vertèbres primitives biconcaves (amphicæles), puis les deux types principaux, le type plan (amphiplan), et le type où l’articulation présente une protu- bérance d’un côté et une fossette de l’autre, articu- lation « en bilboquet » (procœle ou opisthocæle, #à suivant que la cavité est en avant ou en arrière). Le premier type est réalisé chez les animaux dont le corps, supporté par des membres assez développés, ne se trouve jamais en contact avec le -sol; le second, chez ceux qui, comme les serpents, progressent en rampant et n’ont que des membres peu développés ou rudimentaires. Chez les pre- miers, en effet, le tronc reste relativement immo- bile, les membres accomplissant tout le travail de la progression, tandis que les mouvements vermi- formes des seconds rendent toute immobilisation des vertèbres impossible. Que Farticulation « en bïl- ? boquet » soit réellement un résultat du mouve- ment, on le voit par l’exemple des vertèbres cer- vicales qui, chez les mammifères à long cou, conservent le type « en bilboquet », tandis que les vertèbres dorsales deviennent planes et les plus immobiles finissent par perdre tout à fait leurs articulations, corame dans le sacrum. S > REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 207 Nous nous bornerons à ces quelques exemples dans notre exposé des preuves que Cope apporte à ses vues théoriques. Son chapitre sur la cinétogé- nèse est un des essais les plus complets qui aient été faits de l'application des principes lamarckiens à l'explication des différentes structures; à ce titre, le travail de Cope est caractéristique : il montre comment on pourrait construire une ana- tomie comparée physiologique, basée sur la fonc- tion, une anatomie comparée dynamique. L'idée énergétique constitue le fil conducteur de tout le système de Cope, au total assez complexe et toufu, qu'il nous est impossible d’exposer ici complètement. Dans l’ontogénèse, c’est un mode de mouvement des molécules protoplasmiques, l'énergie de croissance, qui détermine pour lui toute la différenciation ; cette énergie, à laquelle Cope donne le nom de « bathmisme » (de faué, qui veut dire «degré »), produit, ense localisant diverse- ment, les plissements, les invaginations, etc. Dans lhérédité (des caractères innés comme des carac- tères acquis, les premiers n'étant que des carac- tères acquis autrefois), c’est une énergie spéciale qui se transmet des tissus du corps aux cellules germinales. Cette énergie se combine là avec l’énergie héritée et produit l'énergie de l’évolution, l'énergie de la croissance, le « bathmisme ». Ce qui se transmet ici, c’est un mode de mouvement, peut-être par l'intermédiaire du système nerveex qui emmagasine les impressions des parents. C’est l’idée d2 l’hérédité-mémoire de Hering, reprise % 42 : LA STAY “ EUR Le PF L2 ” 7) a. € L) ET LOTS FAagVPr \ SP pa Li #1 ae 4 VA » " « 7 = ET L7 ’ ê : cs ré F et KR à TE ’ <. 7 sh A. 4 2 | G: L G mt à eh NX 1€ à: 268 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION récemment par Semon. [Cet exposé des idées de Cope sur l’ontogénèse et l’hérédité, en particulier en ce qui concerne le « -bathmisme », paraîtra, - sans doute, un peu vague; mais il n’est pas plus précis dans le texte de l’auteur. Ce qui nous sémble s’en dégager, c’est la substitution du point de vue énergétique au point de vue matériel dans la con- ception de l’hérédité.] Le point de vue dynamique n’est pas spécial à Cope : il est plus ou moins le propre de tous les lamarckiens. La proposition de Lamarck que la fonction fait l’organe est à la base de cette concep- tion, et on ne peut s'empêcher de remarquer qu’elle est devenue on ne peut plus moderne avec la phi- losophie énergétique actuelle. Il est possible qu'il _ - m'y ait là qu'une certaine façon de s’exprimer, de décrire les choses ; mais cette façon de s'expri- ‘mer peut suggérer un mode de penser et une direction nouvelle des recherches. Dans la personne de Le Dantec, principal re+. présentant du lamarckisme français, nous avons affaire à un esprit, à une méthode de raisonnement tout à fait différents, méthode qu'on pourrait ap- peler spéculative. Les ouvrages de Le Dantec sont bien connus du public français et il n’est pas\né- cessaire de les exposer ici en détail; sur certains points spéciaux, il nous est déjà arrivé, d’ailleurs, | de citer ses opinions. Ici, nous voudrions seule- ment mettre en relief la façon dont il conçoit le … lamarckisme, en laissant de côté ses idées d'ordre * | plus général sur la nature du phénomène vital, la 1 L "à ” } +4 00 +. | à er'rt REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 269 définition chimique de l'espèce, la méthode en biologie, etc. Le darwinisme et le lamarckisme ne sont pas, pour Le Dantec, deux points de vue opposés, mais plutôt deux manières différentes d’envisager une même question. Le darwinisme, dit-il, procède à la façon des sciences physiques, qui établissent une loi approchée. On prend un être vivant à l’état d’ « assimilation pure et simple », c’est-à-dire un être qui ne varie pas et se borne à maintenir par l'assimilation l’état où il se trouvait auparavant. On envisage ensuite les différentes perturbations apportées à cet état (ce sont les variations), sans se préoccuper de leur origine, et on juge du résultat produit après coup, quand les individus ont été passés au crible de la sélection naturelle. Le lamarckisme, au contraire, ne sépare pas la variation de la vie elle-même, c’est?à-dire de l’assi- milation. Ce n’est pas l’ « assimilation pure et simple » qui l’intéresse (le cas d’ailleurs n’existant guère en réalité), mais l’assimilation qui est le résultat de l’activité de l’organisme, de son fonc- tionnement. Ici Le Dantec arrive à l’idée qui est le pivot central de son système, l'assimilation fonc- tionnelle. La physiologie a toujours affirmé, depuis Claude Bernard, que la substance vivante se détruit lors du fonctionnement et est récupérée pendant les périodes de repos. C'était une vérité qui parais- sait évidente, mais elle n’a jamais été, dit Le Dan- tec, sérieusement discutée entre physiologistes. Or, ce n’est là qu’une idée préconçue résultant \ } | LE 4 LONDON GAL ER EE NL RRETOAET VPITER EI 270 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION d’une certaine conception dualiste et mystique de la vie, dont Claude Bernard lui-même n’avait pas pu s'affranchir. Il lui semblait que le fonctionne- ment que nous pouvons étudier dans nos labora- toires ne peut pas être la partie essentieile de la vie et que la vraie construction de la matière vivante devait se faire mystérieusement, au repos. En réalité, cependant, ce qui se dépense pendant le fonctionnement, ce n’est pas la matière vivante elle-même, mais des substances de réserves, des matières mortes. Si un muscle qui travaille mai- grit, c’est parce qu'il consomme sa graisse, sa substance de réserve; mais sa substance propre, la substance musculaire, se développe au contraire. Le principe de F’ « assimilation fonctionnelle » est, pour Le Dantec, la “clef de voûte de tout le problème, de toute la question pendante entre lamarckiens et darwiniens. La première loi de La- marck en découle directement, et c’est la même notion qui permet de comprendre l’adaptation, résultat direct et immédiat de l’assimilation fonc- tionnelle. Que le darwinisme et le lamarckisme soient sim- | plement deux méthodes différentes, Le Dantec le montre en racontant successivement en langage darwinien et en langage lamarckien le même : exemple : la contamination du mouton par la bac- téridie charbonneuse. Voici la description darwi- nienne : 4. La crise du transformisme, p. 261 et suiv.; Éléments de philosophie biclogique, p. 66-69. A RU va æ Æ - REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 271 « Prenons. une culture quelconque de bactéri- dies, culture dans laquelle se seront produites, sans que nous sachions comment, des variations dans divers sens. Injectons cette culture à un mou- ton. Voilà un cas vraiment darwinien, car les con- ditions dans lesquelles ont varié les bactéridies dans les milieux morts précédents, n’ont aucun rapport direct avec l'aptitude à vivre dans le mouton », et les variations qu’elles y ont subies sont bien des variations quelconques par rapport au nouveau fnilieu. « Le mouton jouera ici le rôle d’un crible. Celles des bactéridies qui, par hasard, après les variations subies, se trouvent être virulentes pour le mouton, c’est-à-dire aptes à se conserver dans le mouton, se développeront dans le milieu intérieur de l'animal. Au contraire, celles qui, par hasard, après les variations subies se trouvent ne pas être virulentes pour le mouton, mgurront dans le mi- lieu intérieur de l’animal, puisque, par définition de la non-virulence, elles ne sont pas aptes à se multiplier dans ce milieu intérieur. » Finalement, les bactéridies virulentes tueront le mouton et se retrouveront seules dans son sang; ce sera la « persistance des plus aptes » à la suite de la sélection opérée par le corps du moutont. Voyons maintenant comment peut se produire une évolution adaptative de cette bactéridie. On sait par la célèbre expérience de Pasteur, Cham- berlans at Roux qu’une bactéridie charbonneuse , 4. Éléments de philosophie biologique, p. 136-137. ÿ ve LR , d 272 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION PAG Te WE VS sr 4 + ” SUR LA RATER FI ES « { insuffisamment virulente pour tuer un mouton, 1 peut cependant tuer une jeune souris, d'un jour, après quoi elle devient capable ce tuer une souris d'une semaine, après cette souris une souris adulte, après la souris adulte, un cochon d’Inde et après le cochon d’Inde, un mouton. Voici com- ment on peut raconter cette évolution en langage darwinien : _* « La bactéridie passant à travers les souris nou- veau-née, âgée, adulte rencontre toujours, pendant ces péripéties, le mème crible souris, crible de plus en plus fin et précis à mesure que la souris avance en âge; elle se multiplie dans ces conditions en subissent des variations désordonnées, en tout sens. Mais parmi les bactéridies qui se multi- plient ainsi, toutes celles qui ont, par hasard, subi une variation dans le sens de la diminution de virulence sont arrêtées par le crible souris qui les détruit, tandis que celles qui, également par ha- sard, ont subi une variation dans le sens de l’aug- mentation de la virulence, passent à travers le crible souris et sont conservées. Et ainsi la viru- lence augmente à mesure que se poursuivent les générations de bactéridies à travers les souris, c’est-à-dire en présence du même crible réalisant sans cesse la même sélection.» Voici maintenant comment l’auteur raconte Îles mêmes faits dans le langage lamarckien : On inocule des bactéridies à un mouton. « Ce 4. Ibid., p. 139-140. pré 1720 Ç (te | REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 272 mécanisme protée qu'est la bactéridie, ou toute cellule vivante qui continue de vivre, oriente toute son activité contre les conditions extérieures qui. «+ l’environnent. Dans le cas où elle se trouve dans (l'intérieur d’un mouton, elle est orientée dans le sens de la lutte contre le mouton. » Dans tout être. vivant, un grand nombre de fonctions sont pos- sibles, et c’est l’ensemble des circonstances exté-, rieures qui détermine ‘le développement des unes. ou des autres; ici c’est la fonction de lutte contre. le mouton (ou l” « organe de lutte contre le mou- ton », suivant l’expression de Le Dantec) qui se- > développera le plus et il se produira une augmen- tation de virulence des bactéridies: elles tueront maintenant un second mouton plus facilement que- ni le premier. Et lorsqu'une bactéridie insuffisam- ment virulente pour le mouton le devient grâce au passage par les animaux successifs, c’est par: 7 suite du dévoloppement graduel de cet «organe » | ë, par le fonctionaement. ne Mais quelle que soit la façon dont les faits sont. | 73 décrits, le résultat sera le même : ce sera l'aug- % mentation de la virulence, c’est-à-dire l’adaptation. ” C’est donc la méthode darwinienne que ke Dantec Rs gi critique surtout; pour le fond des idées, il recon- À nait toute l’importance de la sélection naturelle et à le seul doute qu’il émette à son sujet c’est que les à variations sur lesquelles elle s'exerce soient des D variations de hasard : ces variations sont, dit-il, ; à # 1. Ibid., p 95. 5% Fe d LA 6 se M ba re De 274 ê directement provoquées par le milieu etadaptatives.' L'idée de la « lutte des parties » de Roux a exercé © sur Le Dantec une influence visible; nous entrou- vons la trace dans son exposé de la vie des plastides, 8 unités vivantes élémentaires: elles rivalisent pour des meilleures conditions d’assimilation, le milieu | n’agissant pas sur toutes également, et les plus aptes seules persistent. Une sélection naturelle s'exerce ainsi entre les ultimes parties de l’orga- nisme,amenant comme résultat l'adaptation directe de l’organisme à son milieu : l’idée darwinienne transportée dans la profondeur des tissus aboutit à la fin à une conclusion lamarckienne. Sous certains rapports même, Le Dantec est un darwinien très orthodoxe, notamment en ce qui concerne les variations lentes, qu’il reconnaît seules; nous avons _ déjà vu l'accueil fait par lui aux théories qui admettent la possibilité de variations discontinues. Mais si Le Dastec covcilie volontiers les deux points Ge vue, il r’en est pas moins résolument hostile à l’égard des néo-darwiniens, en raison autant de l’idée weismannienne des particules représentatives que de la question de l’hérédité des caractères acquis, À Contrairement à la façon habituelle d'envisager les choses, l’hérédité des caractères acquis est pour Le Dantec un phénomène beaucoup plus général 1: que celle des caractères innés. « L’hérédité sans s modification aucune du patrimoine héréditaire qui se transmet des parents aux enfants n’est, dit-il, _ -qu'un cas particulier et très restreint du cas vrai- É- je hé ET OUR Fée 2 À! ‘ PUNTO CAR TO LIFE: D'LA ! OP ANA, L4 MENT 8,4 1 Pd Lu 0 pet LIENS 108 18% EDEN pes AL DAS NAT" ALAN AN ETES ji d4 » “Ÿ; 07? d MY Ce BIAC | : 1 6 8 4 D à 5 De 4 niv, : x AA a . ( 14 ie (es er L* à 4. er _ … REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 275 ment général de l’hérédité des caractères acquis {. » . Presque tous les caractères des êtres sont acquis; ‘ cependant, pour qu'ils soient fixés, il faut que l’ac- tion se soit suffisamment prolongée et ait pénétré jusqu’à la constitution chimique de l’organisme. Alors, elle retentira sur la descendance. Nous avons vu que Le Dantec envisage cette transmis- sion comme une conséquence nécessaire de l’idée de l’unité de l’organisme, dans lequel aucune mo- dification ne peut, à proprement parler, être locale. Voici maintenant comment lui apparaît le méca- nisme de cette transmission. C’est, sous une forme très théorique et très générale, une tentative d’ex- pliquer non seulement la répercussion d’une influence sur les éléments reproducteurs, mais la réapparition, chez les descendants, des modifica- tions identiques à celles du parent. Il y aurait, dans les phénomènes naturels, des séries différentes qui se distingueraient entre elles parce qu'elles sont pour ainsi dire incommensu- rables; c’est ce que Le Dantec exprime en disant qu’il y a là des phénomènes de « dimensions » dif- férentes. Ainsi, on peut distinguer dans une même série les vibrations sonores, les vibrations lumi- neuses et encore un autre mouvement réalisé sous une forme bien différente : le mouvement pério- dique dans les révolutions planétaires. Dans un autre ordre de phénomènes, qui ont un intérêt direct pour l'étude de la vie, il y aurait de même :, a 4. Éléments de philosophie biologique, p. 241, / ù 216) LES THÉORIES DE L’ÉVOLUTION plusieurs séries structurales. 11 y a d’abord les atomes, siège des phénomènes chimiques qui sont ainsi «de l’ordre de grandeur des atomes ou, au moins, de l’ordre de grandeur des distances qui séparent les atomes dans les molécules ou les molécules entre elles ». 11 y a ensuite la structure colloïidale qui a un intérêt particulier pour les biologistes, la substance vivante ayant cette structure ; les particules colloïdales sont beau- coup plus grandes que les molécules chimiques dont elles contiennent un grand nombre. « La chimie est de dimension atomique; l’état colloïdal est, au contraire, relatif à des activités d’une dimension très supérieure à celle des réactions moléculaires »; quant aux phénomènes biologi- ques qui comprennent des phénomènes chimiques, ils se passent « pour ainsi dire en même temps, à deux échelles différentes ». Or, l'étude des col- loïdes, si peu qu’elle soit avancée encore, montre que les réactions chimiques qui ont lieu dans un colloïde sont capables d’influencer son état col- loïdal, et, réciproquement, « si des actions directes modifient l’état colloïdal, il peut en résulter des variations chimiques, des réactions moléculaires entre les particules suspendues et le solvant ». En montant d’un degré encore, on trouve, après les phénomènes « à l'échelle colloïde », ceux qui se passent « à l’échelle anatomique » (les phéno- mènes généralement visibles pour nous dans la vie des êtres, tels que mouvements et autres). Les phénomènes de ces trois degrés peuveln 1 eu, VW, Ps |REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCFISME 277 retentir les uns sur les autres. Ainsi, « l’activité colloïdale peut, conséquemment, être impression- née par des phénomènes extérieurs d’un ordre de grandeur tel que, directement, ils n’eussent pas eu de retentissement sur les activités chimiques; mais il y a répercussion des variations colloïdales sur les activités chimiques, et réciproquement, des phénomènes extérieurs agissant directement sur les phénomènes chimiques peuvent, secondai- rement, retentir sur les activités colloïdales. » D'autre part, «les actes des animaux peuvent reten- tir par l'intermédiaire du mécanisme colloïde des protoplasmas, sur l’équilibre chimique de leurs substances constitutives elles-mêmes.» Autrement dit, une modification produite dans l'animal par suite de l'usage qu'il fait de tel ou tel organe, par exemple, pourra influencer sa constitution chi- mique tout entière, y compris celle de ses celiules reproductrices. Ensuite, en vertu de la réversibilité de l’action des phénomènes colloïdaux sur les phé- nomènes chimiques, ce nouvel état chimique des cellules germinales retentira à son tour sur la structure elloïdale de l’organisme auquel elles L k te AT A 177 DE VE PRE LUS " Eh F2 of VAT en” La e 17.0 LL * Ve Vrai tips > RER ET | Te LPS à * \# LY. + ? a L ro + Last L- : : 1,0 eo " Pr donneront naissance. On voit immédiatement la conséquence de ce raisonnement : les caractères acquis peuvent être héréditairement transmis 2. Ce raisonnement est évidemment intéressant et ingénieux, mais il li manque une chose essen- 4. Jbid., p. 29-30. 2. Pour toute cette question, voir Éléments de philesophie diclogique, ch. 111, IV et v. en PS A Re TT rh RE ou 2 : à no me À +6, T7 + Fun" ALT Ln RC NES O0 re, ; Rem 278 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION tielle : c’est de montrer comment se produit cette répercussion des différents phénomènes les uns sur les autres. Nous aurons beau accepter la pos- ‘sibilité de cette sorte de répercussion, le problème pe sera pas résolu tant qu’on n’en aura pas indi- qué le processus. Nous avons essayé d’extraire autant que possible de ces théories ce qu’elles contiennent d’essentiel. En lisant les ouvrages de Le Dantec, on est séduit par ses vastes généralisations, ses conceptions souvent audacieuses, ses aperçus nouveaux, mais cette première impression passée, on s'aperçoit que la question n’a pas fait un pas. Toutes ces discus- sions nous apparaissent alors plutôt comme une sorte de gymnastique intellectuelle, une manière scholastique de jongler avec les difficultés. Nous voyons les choses présentées sous un jour inattendu, de manière à frapper l’esprit, mais cela ne suffit pas pour fournir la solution des questions posées. C’est là, d’ailleurs, la faute moins des concep- tions propres de l’auteur que de la méthode même qu’il à choisie : l’introduction du raisonnement mathématique dans la biologie a pour effet de don- _ ner l'illusion de la rigueur absolue et de la solidité inébranlable des conclusions là où, en réalité, tout est complexe et variable et où les propositions comportent à chaque pas les réserves les plus expresses et les plus nécessaires. Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent, sur l’idée lamarckienne et sur ses représentants SON ON RS PR JE A RSR eNE Mers MODERNES DU LAMARCKISME 979 nous la montrait comme un point de vue stricte- ment mécaniste, plus capable peut-être qu'aucun autre avec la prépondérance qu’il accorde à l’action Ke du milieu d'appuyer cette conception philosophique #4 de la vie. Et il en est ainsi dans l'esprit de presque ‘3 tous les néo-amerckiens. Il existe cependant (sur- {|}. « tout en Allemagne) une certaine forme du lamarc- D. kisme assez spéciale, qui a pris à la lettre les % paroles de Lamarck sur l'effort que fait l'être vivant à pour s’adapter à ses besoins, et l’a compris comme un effort conscient, résultat d’un jugement. Cette conscience se manifesterait, d’après les adeptes È . de cette école (Pauly par exemple), non seulement à dans l'adaptation des organes aux différents be- à soins nouveaux (la transformation des membres PL. chez les crustacés, par exemple), mais même dans ie les modifications des caractères histologiques, la Ne conscience étant une propriété non seulement de fi + l'organisme, mais même des éléments. Pauly attri- F3 bue, d’ailleurs, la même faculté aux corps inor- ë ganiques, espérant combler ainsi l'ancien abime | L entre la matière vivante et la matière brute. 3 C’est un lamarckisme vitaliste et téléologique, et À c’est celui que les adversaires des idées de Lamarck ë \ peuvent combattre avec le plus de succès. Rien n’est aussi contraire, pourtant, à l’esprit de La- marck, avec sa conception mécaniste de Pévolution e et sa méthode éminemment positivistei. On a 4. Le biographe de Lamarck que nous avons déjà eu «# l'occasion de citer, Marcel Landrieu, le montre très bien 74 dans les chapitres xxIr et xxur de son livre. ne CPOLIT #4 La. EL ; pre? 174 Po SOS, ba os Dar RC A RE OP a CE ce — ’ 4 > * Ü | X s 280 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION altribué à Lamarck quelques idées ridicules, | comme celle, par exemple, que, si la girafe a un long cou, c’est qu’elle s’y est appliquée consciemment. Lamarck ne l’a jamais dit ainsi, mais il est incontes- . table que les connaissances psychologiques d’alors lui permettaient de donner à son explication de la manière dont la « volonté » de l’animal intervenait dans l’exercice de telle ou telle partie de son corps, une forme que n’autoriserait plus une psychologie moderne plus fouillée. Aussi est-il étrange d’en- tendre parler, de nos jours, en se réclamant de Lamarck, du « jugement » émis par les éléments des tissus! Mais nous pouvons laisser de côté ce « lamarc- kisme » trop spécial : il n’a emprunté aux idées de Lamarck que leur forme et certains détails inac- ceptables maintenant, c’est-à-dire précisément ce qu’elles avaient de périssable; ce n’est certaine- ment pas par lui qu’elles arriveront à triompher. Voyons maintenant, après avoir exposé la ten- dance lamarckienne, si on esten droit de l’opposer à l’idée darwinienne, surtout telle que celle-ci appa- rait chez son fondateur. Il est facile de voir que non, et cela, non seulement parce que nous trou- vons chez Darwin des conceptions lamarckicnnes, mais en raison du fond mème des idées dont il s’agit. Même, en laissant de côté leur base transformiste commune, nous voyons que les facteurs mis en avant par les deux écoles ne sont nullement con- tradictoires. Darwin ne s'arrête pas à la question ll REPRÉSENTANTS MODERNES DU LAMARCKISME 281 de l’origine des variations ; Lamarck s’occupe sur- tout de cette origine qu’il attribue à des causes dont Darwin, non plus, ne nie pas l’action. L'idée maitresse de Darwin, la sélection naturelle, ne s'oppose en rien aux idées lamarckiennes ; aucun, d’ailleurs, des lamarckiens actuels ne à rejette, tous lui attribuant un rôle important, quoique non exclusif. L'opposition n’apparait que lorsque de Darwin nous passons aux néo-darwiniens, avec le dogmatisme qui caractérise certains d’entre eux. Mais là aussi les faits obligent à faire certaines concessions, et ces concessions sont, comme nous l'avons déjà vu, en faveur du point de vue lamarckien. D'ailleurs, pas plus que la sélection naturelle seule, l'interprétation lamarckienne ne donne la clef de tous les phénomènes. Beaucoup de ques- tions restent ouvertes. D'abord, aucune théorie de l'hérédité n’a donné jusqu’à présent une explication complète de la transmission des caractères acquis ; ensuite le processus physiologique lui-même, par lequel un organe s’accroit par son fonctionnement, n’est pas encore élucidé, Spencer, par exemple, disant, pour l’expliquer, qu’ « une usure considé- rable, donnant une faculté considérable d’assimi- lation, est plus favorable à l'accumulation des tissus que n’est le repos avec son assimilation rela- tivement faible {, tandis que Le Dantec nie, comme nous l'avons vu, l’existence de cette usure lors du L _4. Principes de biologie, vol. I, p. 224. bel E té Le N k = a : fonctionnement, et croit ce dernier accompagné, : UP ITANUNN NY IVe La » CE Éd D NEA AO AU 7 ne L HE re MA Z se": VAR PER 282 LES THÉORIES DE L ÉVOLUTION au contraire, d’assimilation de réserves nutritives. De plus, certaines objections faites à la théorie sélectionniste subsistent entièrement, lorsqu'il s’agit de la théorie lamarckienne : ni l’une, ni l’autre n’expliquent, par exemple, l’apparition des organes particulièrement compliqués, tels que l'œil des vertébrés ; elles n’expliquent pas non plus Vexistence de certaines directions déterminées de développement (orthogénèse), ni celle de certaines adaptations passives, mais compliquées, telles que les faits de mimétisme. Pour toutes ces questions pendantes (et pour bien d’autres encore) nous ne pouvons, pour le moment, que regarder de quel côté semblent nous orienter les découvertes des travailleurs actuels. Certaines questions très com- pliquées, comme celle du mimétisme par exemple, paraissent devenir moins obscures à la lumière de Vidée lamarckienne. Ainsi, la couleur blanche, pro- tectrice, des animaux des régions polaires, dont on a demandé longtemps lexplication à la sélection naturelle résulterait, d’après les recherches récentes de Metchnikoff, de l’action directe du froid qui, dans les conditions artificielles d’une expérience, produit de même le blanchiment des poils et des plumes. Et il est à prévoir, vu le grand développe- ment des recherches expérimentales de ce genre, que d’autres phénomènes trouveront une explica- tion analogue. CHAPITRE XVII La sélection organique. Une théorie intermédiaire entre le darwinisme et le lamar- ckisme. — Les varialions acquises coïincidant avec les variations germinales. — Les adaptations parallèles, les instincts complexes. — La conception de Baldwin et celle d'Osborn. — Avantages'et défauts de la théorie. A côté des théories néo-darwiniennes ou sélec- tonnistes pures et des conceptions lamarckiennes, il faut noter l'existence de certaines autres, qui n’ont pas l’extension de ces deux conceptions fon- damentales et typiques, ne jouent pas un rôle aussi considérable dans les débats que soulèvent les questions essentielles de la biologie et ne peuvent être classées ni dans l’une ni dans l’autre de ces grandes catégories. Certaines se placent plus ou moins en dehors d'elles, d’autres prennent à tâche de les combiner. La théorie que nous allons briè- vement exposer maintenant appartient à ces der- nières. L'idée de la sélection organique a été formulée à peu près en même temps, et avec des modifica- tions peu importantes, par Baldwin et Osborn en Amérique, et Lloyd Morgan en Angleterre. C’est 284 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION ANS QUES PET . La A LR RAR En * % A TENRE ts © 114 % À hr 4e une tentative qui a pour but de concilier le rôle prédominant de la sélection naturelle avec l’héré- ne. dité des caractères acquis, ou plutôt de répondre à certaines objections graves faites à la sélection naturelle en lui donnant comme auxiliaire l’adap- tation individuelle directe. Cette théorie a reçu aussi les noms de sélection ontogénétique, d’ortho- ælasie, de sélection coïncidente, ou de théorie des variations coïncidentes; c’est peut-être ce dernier titre qui lui convient le mieux, car c’est lui qui indique le plus exactement son trait caractéris- tique. Voici, en quelques mots, le résumé de cette conception qu’on peut appeler intermédiaire. Une des principales objections faites à la théorie sélectionniste, c’est que les variations insensibles, les fluctuations, ne sont pas à leur début d’une efficacité suffisante pour que la sélection naturelle ait prise sur elles. Il faut donc expliquer pourquoi ces premiers stades se conservent et se trans- mettent par l’hérédité. On sait qu’au cours de son existence chaque être vivant s’adapte continuelle- ment à son milieu et acquiert de ce fait certaines structures utiles. C’est une adaptation ontogéné- tique, en prenant le nom d’ontogénèse dans son sens large, en l’appliquant non seulement à la vie embryonnaire, mais à la durée totale de Pexistence individuelle. Si la variation que tendent à produire les condi- ‘ions ambiantes se rencontre dans lorganisme avec une variation innée similaire, les effets de ces deux ordres de variations ont plus de chances de ve. TN LU 7 Cr PU ONCE PDA Pin ' LE. D TT LA PA da TA SEM UNS AT PRE + PAT és ‘ <« 4 AE 4 4 M » - _ LA SÉLECTION ORGANIQUE 285 se manifester que si chacun existait seul. Il arrive “ ainsi que la petite variation innée, trop faible par À elle-mème pour être utile, s’amplifie en quelque # sorte par la variation acquise, semblable, qui vient se greffer sur elle, et les deux variations combinées deviennent suffisantes pour donner prise à la. sélection naturelle. Celle-ci préserve les individus ainsi favorisés à l'exclusion des autres et la varia- tion innée se trouve conservée et transmise par l'hérédité grâce à l’utilité de la variation acquise. & Ensuite les choses se passent comme le repré- s sente Darwin pour le cas des variations innées 4 utiles : elles s'accumulent par addition progres- Fe sive et le caractère en question se trouve de plus 1 en plus développé. Darwin a d’ailleurs lui-même cité certains caractères qui, sans utilité par eux- mêmes, peuvent profiter, pour se maintenir, de £ l'utilité d’autres caractères, corrélatifs des pre- miers. Il s'agissait là de deux caractères également innés ; ici l’un des deux caractères, celui qui joue | le rôle protecteur vis-à-vis de l’autre, est un carac- É tère acquis. | De cette façon se trouverait résolue, d’après ces auteurs, la question difficile des débuts des variations utiles, et cette autre, non moins embar- rassante, de l’hérédité des caractères acquis : cette hérédité ne serait qu'une apparence, car ce qui Ÿ est hérité, ce n’est pas la variation somatique è visible, mais la variation innée coïncidente qui ne s'apercevait pas. Peu à peu, dans la série des générations, cette coïncidence deviendra de plus A 13 r * * M5 LACET + à | que c’est celle-ci qui a été directement transmise. VE «EE €: Ÿ E L à 0 : Ep LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION en plus complète, car elle est avantageuse et la sélection naturelle arrive à éliminer graduellement les individus chez lesquels la variation adaptative n’a pas rencontré la variation innée correspon- dante. Ce sont bien les variations germinales qui se transmettront par l’hérédité, mais comme elles offriront des facilités pour l'adaptation ontogéné- tique qui ne manquera pas de s’établir, il semblera La théorie des variations coïncidentes répond aussi à cette autre objection contre la sélection naturelle fondée sur le cas des adaptations paralk lèles, dont chacune, prise séparément, ne peut avoir aucune utilité : par exemple, les bois du cerf qui ne peuvent lui servir que si la musculature du cou et des épaules est développée en proportion. Get argument est, comme on sait, un des princi- paux mis en avant par Spencer dans sa polémique contre Weismann, comme preuve de l’hérédité des caractères acquis. Mais là aussi cette hérédité n’est qu’apparente : en réalité, c’est par suite d’une variation innée que, chez certains individus, les bois se sont trouvés un jour plus developpés que chez d’autres; ensuite, l’adaptation ontogénétique a amené chez eux l’accroissement correspondant des muscles du cou et des épaules qui a rendu utile la variation innée des bois. Inversement, dans une des générations suivantes, il peut arriver qu’une variation innée qui renforce les muscles surgisse; elle aurait été inutile et se serait effacée ‘si le développement préalable des bois, variation *J NEA CR CR ee EN OR ee | LA SÉLECTION ORGANIQUE 287 _ innée conservée grâce à une variation acquise, ne, lui avait pas assigné d’avance sa place dans le fonc- tionnement de l’organisme. La sélection naturelle . la protège donc, et les deux variations continuent 2 ainsi à s’accroitre parallèlement. 8 Cette adaptation simultanée et exacte est parti- 4 culièrement frappante et difficile à expliquer par la L seule sélection naturelle lorsqu'il s’agit d’instincts complexes; là aussi l'adaptation ontogénétique personnelle développe chacun des instincts parti- . Culiers qui, pris isolément, n'auraient aucune uti- lité. Dans ce cas d’ailleurs, il y a une autre circonstance qui contribue à donner l'illusion de s: l’hérédité des instincts acquis : c’est l'éducation ‘4 des jeunes par les parents. Tout ce qu’une généra- | tion a acquis par l’adaptation ontogénétique, elle le transmet à la génération suivante qui se meut et se développe-dans le cadre créé par la première et 4 imite l'exemple donné par elle. C’est là un résultat à: de la sélection organique, qui donne Flillusion 54 d'une transmission héréditaire directe. Baldwin Fa donne à cette sorte d’hérédité le nom d’hérédité KA sociale. ne La théorie de la sélection organique explique D surtout pourquoi les variations peuvent se suivre | dans une direction déterminée. Cette détermina- tion réside, d’après Baldwin, non dans les varia- tions germinales, mais dans l’action sur elles des modifications acquises; par là, la théorie prend une certaine ressemblance avec celle de l’orthogénèse, mais, pour distinguer cette conception d’une véri- table théorie SUOMI ut a, des x varia- Ve: tions germinales, comme le fait d’ailleurs un autre ï représentant de la sélection organique, Osborn), ‘à il donne à cette évolution déterminée le nom 140 ’ e4 À d’orthoplasiei. $ ) La théorie que nous venons d’exposer atteint- ne elle son but qui est, comme celui de la selection à germinale de Weismann, de réfuter certaines D objections graves des antisélectionnistes, tout en re leur faisant quelques concessions? Il nous semble LT que oui, mais dans une certaine mesure seulement. ;, Et d’abord, les théories qui s'appuient soitsurles À seules variations innées, soit sur les seules modi- 1 Fi fications acquises, pèchent, les unes comme les __ autres, par excès d’exclusivisme. Enfaisant sapart à l’une et à l’autre de ces deux conceptions fonda- es mentales, la théorie de la sélection organique __ semble moins exclusive et plus proche de la vérité. “4 Elle peut, d'autre part, nous donner l'explication à de ce fait d'observation banale que lorsqu'un er- : 1 semble d'individus est soumis à une variation du ] À k milieu, ils ne répondent pas tous au même degré ; à l’excitation nouvelle. Pour prendre un exemple, si la fourrure sombre des animaux transportés ÉY dans un climat polaire vient à blanchir, elle ne 122 blanchira pas chez tous en même temps au même 4 degré, et ceux qui auront montré une sensibilité A 4. M. BazmwiN. Development and Evolution (New-York et 15% London, 395 p., 1902), et LI. Morgan: On modification and F wariation. (Science, 18917, p. 133.) 4 LÉ k (Le É * ‘ LA LAVER RENE RAS ROUE EDP OR RE PR AD Ne MU Hébert; Ra EUTE | Per V | +R des" Le NU - | LA SÉLECTION ORGANIQUE 289 fe plus grande à l'égard du changement de climat À le devront sans doute à une particularité germinale. . 54 Mais cette théorie donne-t-elle une solution com- Dan plète du problème? D'abord la théorie de la sélection organique n'échappe pas au reproche général qu’on peut +: adresser à toutes les conceptions basées sur l’accu- mulation des variations innées : l’impossibilité de donner une explication physiologique de cette ac- cumulation, que nous avons eu à montrer en par- ‘A lant de la sélection naturelle (p. 62-64). Ensuite, en ce qui concerne l’ « illusion » de l'hérédité des caractères acquis, si même nous : VE admettons que l'explication est valable pour les adaptations utiles, comment nous ferait-elle com- prendre la transmission des particularités qui sont à cet égard complètement indifférentes, telles que la £ à coloration des papillons, l’absence de pigment dans EE les tissus privés de lumière ou le sillon produit “À par la pression d’un tour de spire de coquille sur 5 l’autre? Or, c’est dans cette catégorie-là que sont 71e pris les exemples les plus nets de cette tronsmis- LP sion, et c’est tout naturel parce que, dans les adap- | 52 tations utiles, il est souvent difficile de distinguer Let l’action directe exercée par le milieu et le mode 4 d'existence des conséquences de la sélection natu- relle. | ‘4 Enfin, une dernière objection que soulève la 152 théorie. Si la variation innée est trop peu marquée au début pour présenter quelque avantage ct si 213 c’est à l'adaptation ontogénétique que revient, 2 de. We } F2 SCAN Y LUS LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION dans la constitution définitive de l'animal, le plus | grand rôle, cette adaptation se produit aussi bien 4 chez les individus présentant la variation innée en _ * question que chez ceux qui en sont dépourvus. 4 D Alors l’appoint apporté par la variation germinale Ce suffira-t-il pour assurer la survie des uns au détri- + ment des autres? Il est plus probable que non, car, s’il en était autrement, cette variation aurait suffi à elle seule. Ne. La théorie de la sélection organique est inté- ressante surtout comme symptôme d’un état d’es- prit, comme une théorie sélectionniste qui éprouve le besoin de suivre le courant et d’accorder une ty lanis PONS EAP. MUR t … AS NT , - + À >” r ‘ Ne. à) , * _ nable à chacune d’elles, risque d’être infructueuse. _ Elle ne peut être efficace que si elle introduit une LUE vaste généralisation nouvelle ou quelque facteur M: auxquels on n'avait point songé encore. 53 place de plus en plus grande à l’action du milieu. 4 Mais toute tentative faite pour concilier deux théo- à ries, avec la préoccupation principale de donner : satisfaction à l’esprit en faisant une part raison- ur ER : ” - Di Let D ee ci RL vo 3 40 Lil L CHAPITRE XVIH «+ La Ségrégation. L'isolement géographique et l'isolement physiologique. — Moritz Wagner et sa « théorie de la séparation ». — Wal- lace, la distribution des papillons américeins et les faunes insulaires. — Gulick et Romanes. — Les deux modes de séparation dans l'espace. — D. Jordan. — La sélection physiologique. — La théorie de la divergence reproductrice de Vernon. — Objections. Nous avons déjà dit qu’à côté des grands sys- tèmes, lamarckien et darwinien, des théories embrassant la question tout entière de l’évolution des êtres, 1l s’est élaboré un certain nombre de sys- tèmes secondaires, admettant les prémisses de l’une ou de l’autre de ces conceptions fondamen- tales, mais les corrigeant ou les modifiant par la mise en avant de tel ou tel facteur, considéré comme secondaire par les fondateurs du trans- formisme. Parmi ces systèmes pour ainsi dire additionnels, nous commencerons par le premier en date, celui qui est né presque en même temps que le darwinisme lui-même, par les théories d'isolement, de ségrégalion. Len . LS sé . Ce + MANS 1 LL » nr ñ LR Can Te PRET £ 2 + Dee, Gin La 4 à “ we: WA L Lu Eu at% VA ri LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION FER Leur idée fondamentale est que les variations a _ fortuites ne sauraient donner naissance à une 4 . espèce distincte, que si un obstacle quelconque 4 empêche les porteurs de ces variations de se repro- 4 duire avec les non variés, que s’il s’établit entre 4 eux une séparation, s'ils sont isolés les uns des d autres. Cet isolement, différentes causes peuvent le À produire : des migrations peuvent conduire une 0) portion de l’espèce dans une autre région; une A barrière géographique peut surgir, séparant la à région habitée par l’espèce en deux parties qui ne À communiquent plus (ségrégation géographique); é enfin, une variation peut se présenter qui créera L- un obstacle physiologique quelconque au croise- É: ment (ségrégation physiologique). Les conceptions 4 varient suivant qu’on invoque l'influence de la dis- ‘3 tribution géographique ou celle des variations 548 d'ordre physiologique; elles sont cependant, dans 42 la plupart des cas, proposées par les mêmes au- 10 teurs, s’occupant du fait de l'isolement dans son #. _ acception la plus générale. 64 La ségrégation géographique fut pour la pre- 3 mière fois mise en avant par Moritz Wagner, natu- ë raliste allemand qui était en même temps un ex- À plorateur célèbre. A la suite d’un grand nombre 2 de voyages dans toute l’Amérique, en Asie et en 70 Afrique, Wagner arriva à cette conclusion que si k la sélection naturelle peut imprimer certaines mo- Le : difications à l’espèce, elle est cependant impuis- Der : sante à différencier les espèces les unes des autres, _à créer des espèces nouvelles. La séparation dans + FRA td AU LUE EPT L'UT, A4 MERE” ÿ 2 4 1% ka Æ à ie lou l'an" sub * < cu ; IX \ “ - - LA SÉGRÉGATION 293 _ l’espace peut seule, d’après lui, produire des nou- velles formes qui deviennent fixes. Une séparation durable de ce genre amène toujours une différen- ciation, car les modifications imprimées par le changement d'habitat ‘sont sûres de se perpétuer par la reproduction exclusive entre individus qui tous ont varié dans le même sens. Or, les change- ments d'habitat sont un phénomène absolument général, car la surpopulation et l'insuffisance de nourriture font naître dans toutes les espèces animales une tendance naturelle à émigrer, à se disperser de plus en plus sur la surface de la terre. C'est en 1868 que Moritz Wagner formula pour la première fois sa « théorie de la séparation » dans son travail : Die Darwinsche Theorie und das Migrahionsgesetz der Orqanismen, et depuis, jusqu’à sa mort (survenue en 1887), il n’a cessé de la défendre en l’opposant à la sélection naturelle. En réalité, cependant, il n’y a rien dans la conception de Wagner qui soit en contradiction avec les idées de Darwin, à moins de prendre ces dernières chez les néo-darwiniens. Il est vrai que Darwin n’envisage pas la distribution des êtres comme un facteur indispensable de la formation des espèces et ne parle de « races géographiques » et des affi- nités des différentes faunes que pour appuyer sa thèse fondamentale : l’origine commune des espèces en général. Mais il reconnaît toute l’importance des barrières naturelles, et nous trouvons chez lui des exemples nombreux de différences entre les faunes, RELEE er . et, où ÿ _ 2 RARNRCCE fe Ede PARENT 294 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION proportionnées à la facilité plus ou moins grande de franchir ces barrièresi. D'autre part, un darwinien tel que Wallace a mis en avant un peu plus tard, au congrès de l’Asso- ciation Britannique en 1876, toute l'importance des conditions locales. Il cite l’exemple des papillons de l’Amérique du Sud : plusieurs sous-familles (les Danainæ, les Acræniæ et les Heliconinæ) présen- tent là des dessins et une coloration analogues, mais variant suivant les régions du continent. Ainsi, les espèces des Andes du Sud (Pérou et Bo- livie) ont une coloration orange et noir; chez celles des Andes du Nord, l’orange est remplacé par une teinte jaune. Il ne peut y être question de mimétisme, car toutes ces espèces sont également protégées par une sécrétion répugnante contre les oiseaux insectivores. En Afrique tropicale, deux groupes de papillons appartenant à deux familles différentes ont une coloration bleu-verdätre qu'on ne voit nulle part ailleurs, et sans qu'il y ait, chez un de ces groupes, un moyen de protection quelconque. Il en est de même des différences de coloration entre les papillons des îles et leurs parents conti- nentaux. Les insulaires sont généralement plus pâles et quelquefois de plus grande taille. Aïnsr, aux îles Andamans, les papillons se distinguent par leur teinte claire, et non seulement les papil- lons, mais aussi les oiseaux. Il arrive, d’ailleurs, 4. Origine des Espèces, trad. Barbier, p 112 et 425-426. À ‘ + | | < HE à ie SA AQU x ki À : | LA SÉGRÉGATION 295 souvent qu’une teinte soit localisée dans un pays : on ne trouve, par exemple, des perroquets rouges qu'aux Moluques et dans la Nouvelle-Guinée. Gest incontestablement à leur mode de distribution géographique que ces espèces doivent les diffé- rences qu’elles présentent. Cependant, il faut re- marquer que, pour Wallace, ce qui crée ces diffé- rences, ce n’est pas le fait même de l'isolement, mais les conditions nouvelles qui modifient le mode d'action de la sélection naturelle. La question fut plus tard étudiée de plus près par deux savants qui travaillèrent et arrivèrent à leurs conclusions simultanément et indépendam- ment l’un de l'autre : Romanes!, un des darwi- niens les plus remarquables et un des disciples immédiats de Darwin, et Gulick?, missionnaire des iles Sandwich qui avait poursuivi pendant quinze ans des études sur les gastéropodes ter- restres et d’eau douce de ces îles. La principale différence entre ces deux naturalistes est que Gulick s’est occupé de tous les modes d'isolement, qu'ils soient géographiques ou biologiques, tandis que Romanes s’est attaché surtout à la sélection physiologique, qui est une notion introduite par lui dans la science. | Les travaux de Gulick sont postérieurs à celui de 4. J. T. Rowanes. Physiological selection (1885), et Darwin and after Darwin. (London, 1892-1897.) 2. J. T. Guuicx. Divergent evolution through cumulative segregation (J. Linn. Soc., XX, 189-274), et Intensive segre- gation. (Ibid., XXII, p. 312-380.) 2° Ale à NE AE # ERA 4% à it “ Lea " à CE UT ETS TER »L KL Hé ae 296 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION Romanes sur la sélection physiologique, mais anté- rieurs à Darwin and after Darwin, ouvrage dans lequel Romanes, tout en développant ses idées propres, s'associe aux vues de Gulick. Les deux théories se confondent ainsi, là du moins où il s’agit d'isolement géographique. L’isolement, de quelque forme qu’il soit, disent les partisans de cette conception, est ur principe très général, plus général même que la sélection naturelle, un principe du même ordre que ceux d’hérédité et de variation avec lesquels il consti- tue les trois supports de toute évolution des êtres. En vertu de ce principe, la transforma- tion du type ne pourra avoir lieu que s’il s’établit une impossibilité de croisement entre une partie de l’espèce et le reste de cette espèce. Là où la repro- duction ne rencontre aucun obstacle dans toute l’aire d'extension d’une espèce, les conditions auront beau être très différentes, elles ne provoqueront pas l’ap- parition de formes nouvelles. La sélection natu- relle seule sera impuissante à produire la diver- gence de caractères, contrairement à ce que. croyait Darwin. Au contraire, là où une barrière géographique, par exemple, existe, il apparaîtra facilement des types nouveaux, d’autant plus dis- tants entre eux que la séparation aura été plus longue, l'éloignement plus grand et les conditions d'existence plus différentes. ‘4 Ainsi, chez les gastéropodes des iles Sandwich | il y a un nombre de variétés très considérable localisées chacune non seulement dans une île ne MOT Mt a ARE TORRES ECS à ne: * HT #4) L ntf gas \ * LA SÉGRÉGATION 297 spéciale, mais dans une vallée spéciale ; plus en- core : les variétés de ces vallées sont d’autant plus différentes entre elles que ces vallées sont à une distance plus grande, de sorte que Gulick arrive à évaluer assez exactement, d’après le degré de cette divergence, la distance en milles qui sépare deux vallées données. Wallace ayant objecté qu’il peut s’agir ici de l’influence directe des conditions de vie, Gulick fait remarquer, qu’on ne constate à cet égard aucune différence entre les vallées et que, de plus, cela n’expliquerait pas la progression régulière des variations. Ici, la ségrégation semble avoir agi au hasard : un Certain nombre d'individus, semblables aux autres d’ailleurs, se sont trouvés séparés du reste de l'espèce par une barrière géographique et là, par le fait même de l'isolement, des caractères nouveaux sont apparus chez eux. Et il doit en être ainsi, en dehors même de toute influence du milieu, car lorsqu'on divise au hasard un ensemble d’indi- vidus en deux fractions, la moyenne des variations individuelles ne sera jamais la même d’un côté et de l’autre. Cela donnera un point de départ pour des variations. Ensuite, l’action des conditions ambiantes s’ajoutant, la divergence s’accentuera de plus en plus. À côté de cette première forme de ségrégation dans l’espace, dans laquelle le groupe d'individus isolés est tout à fait hétérogène et qui a reçu de Romanes le nom d’apogamie, il en existe une autre qui favorise bien plus encore la création de types € PT TEE = » : nt ds * AE L'a 298 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION F7 nouveaux : c’est l’homogamie. ici, les individus sé- parés possèdent tous un certain caractère qui les dis- tingue des autres : ils peuvent avoir adopté un genre de vie nouveau, une nourriture différente, posséder des modifications physiologiques ou psychologiques. La sélection naturelle et la sélection artificieile ne sont en somme qu’une des formes de cette sépara- tion entre individus hétérogènes : entre les adap- tés et les non adaptés, entre ceux qui présentent la particularité désirable et ceux qui en sont dépourvus; ces deux principes généraux rentrent ainsi dans la conception plus générale encore d'isolement. Parmi les naturalistes qui ont accepté cette manière de voir, celui qui insiste le plus sur la ségrégation géographique est D. Jordan, savant américain connu par ses travaux sur la distribu- tion et la classification des poissons. Lorsque nous discutons, dit-il, sur la valeur des petites variations qui doivent, en s’accumulant, donner naissance à une espèce nouvelle sous l'influence de la sélection naturelle, ou sur la formation de ces espèces en blocs par mutation, nous oublions qu’en réalité la situation ne se présente jamais ainsi : dans la nature, une espèce étroitement apparentée à une autre n’occupe jamais exactement la même aire qu’elle : elle se trouve toujours à quelque distance, et la différence entre elles est d'autant plus grande que la barrière naturelle qui sépare la forme jeune de la forme parente est plus importante et plus constante. L'étude l@ À RONA NET OT EN AE DE, ge 1 RE REC DFE e-P mn = _ LA SÉGRÉGATION 299 de certaines faunes locales, des migrations et de la distribution de certaines espèces de poissons et d'oiseaux montre que dans les régions où il n’y a pas de barrières géographiques notables, on trouve des espèces à large extension, homogènes, ne pré- sentant que des variations individuelles ou liées directement à l’action du climat; là, au contraire, où une région est coupée par de nombreuses bar- rières, on rencontre un nombre d’espèces considé- rable dont chacune a une étendue restreinte. Et il aboutit à cette conclusion générale : « Les carac- tères adaptatifs qu’une espèce peut présenter sont dus à la sélection naturelle et se développent en rapport avec les exigences de la compétition. Les caractères non adaptatifs, ceux qui distinguent principalement les espèces entre elles, ne résultent pas de la sélection naturelle, mais d’une forme quel- conque d’isolement géographique et de la ségré- gation des individus qui en est la consé- quence{ ». Ajoutons que pour contrôler ses idées, Jordan a adressé à un certain nombre d’ornithologistes des États-Unis une sorte de questionnaire dont une des questions les plus importantes était celle- ci : arrive-t-il jamais que deux ou plusieurs sous- espèces bien distinctes habitent la même région? — La réponse a été généralement négative, confir- mant ainsi les vues de Jordan. Passons maintenant à l’isolement physiologique, 4. The Origin of species through lsclation. (Science, 3 nov. 1905, p. 557.) D M POIL OR QU PEN FR * 4 300 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION X He 4 auquel Romanes, qui l’a surtout mis en avant, donne ‘à | le nom de sélection physiologique. On peut trouver, & . dit-il, à un moment donné, au sein d’une espèce, <— des variations qui rendent impossible la repro- ‘14 duction entre tous les individus et la limitent à une er certaine catégorie : variations de structure dans 3 l'appareil reproducteur, époques de maturité diffé- 14 rentes des produits génitaux, modifications de l’ins- F tinct sexuel, etc. Il cite à l'appui les faits recueillis par Gulicketles observations du botaniste A. Jordan sur des variétés de plantes qui, tout en présentant des différences morphologiques très faibles, donnent. 4 généralement des résultats négatifs quand on essaye de les croiser entre ellesi. Voici, d’autre part, un autre exemple très clair cité par Kel- logg?. Dans beaucoup d’espèces de papillons, il y a plusieurs générations, naissant aux différents ; moments de l’année et se distinguant entre elles ï par la couleur. Ces différences ne tiennent pas, ( comme on pourrait le croire, aux variations indivi- duelles des parents : elles dépendent uniquement du moment d’éclosion des œufs. Parmi les œufs d’une même femelle, certains éclosent au printemps, d’autres en été, les derniers en automne, et à chaque lot correspond une coloration particulière. Cette particularité entraine un isolement physiologique au sein de l’espèce : à chaque saison, il n’y a donc qu’une sorte de papillons, et le croisement entre les trois sortes est rendu impossible, SE pl: DONS ANSE" 4, Darwin and after Darwin, t. I. 2, Darwinism to-day, p. 243-244. \ ee ta rt Le LL | LA MANS 30” De même, parmi les plantes, il peut arriver (exemple cité par Romanes d’après Darwin) que i# pollen de deux variétés différentes vienne tomber sur un même pistil, mais que ce pistil exerce une sorte de pouvoir électif entre les deux; il s’établit ainsi un croisement exclusif qui finit par donner un nouveau type. On pourrait citer bien d’autres cas encore de répulsion sexuelle entre variétés d’une : même espèce, de modifications légères dans la structure ou le fonctionnement des organes, etc. Vernon a proposé une variante à lui de las théorie de la ségrégation physiologique. Son idée fondamentale est celle-ci : il admet qu’au sein de chaque espèce les individus plus ressemblants sont plus féconds entre eux que les individus moins ressemblants; il en résultera que les formes extrêmes finiront par l'emporter sur les formes moyennes et il se produira une divergence de caractères à laquelle il donne le nom de divergence reproductrice. Si, par exemple, il y a, au sein d’une espèce, des individus grands et des indi- vidus petits et que les grands soient plus féconds entre eux qu'avec les petits (et les petits aussi), il arrivera que les moyens, produits de croisement entre les petits et les grands, disparaïitront peu à peu et l’espèce se trouvera divisée en deux variétés : la grande et la petite. La théorie de Vernon repose sur une ve 4. H.-M. Vernon. Reproductive divergence : An additional factor in Evolution. (Nat. Sc., 1897, p. 181.) sd RS Sn PRE UPS 302 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION cition arbitraire : la fécondité plus grande des parents semblables. Or, depuis Darwin la supé- riorité des produits de croisement sur ceux de la reproduction entre semblables est une notion uni- xersellement admise, et les quelques exemples que cite Vernon à l’appui de sa thèse sont insuffisants pour l'infirmer. Sa théorie comporte aussi une dé- monstration mathématique, dont les conclusions se rapprochent de celle de la loi de Delbœuf dont nous avons parlé ailleurs, et sont passibles des mêmes critiques. Pour en revenir à la sélection physiologique typique, celle de Romanes, disons qu'elle est loin d’avoir acquis beaucoup d’adeptes parmi les natu- ralistes. On lui reproche les nombreuses coïnci- dences qu’elle exige (les variations de l’appareil sexuel, par exemple, devant nécessairement se produire chez les individus des deux sexes et en _ même temps), l'insuffisance de cette sorte de variations pour produire une race nouvelle (pour- quoi, objecte-t-on, les descendants des individus variés sous ce seul rapport se distingueraient-ils par d’autres caractères encore du reste de l’es- pèce?), l'impossibilité pour ces variations sexuelles de s’accumuler sans le secours de la sélection naturelle, laquelle, si elle intervenait, aménerait au contraire la disparition de cette stérilité au sein d’une espèce, etc. Ce qui est certain, c’est que, si la variation sexuelle porte ici sur un nombre d'individus restreint, si en d’autres termes, elle reste une variaiion individuelle telle que se la F … D LA SÉGRÉGATION 303 figure Darwin, il y aura pour ces individus beau- coup plus de chances de périr sans laisser de postérité que de faire souche d’une forme nouvelle. Et si cette variation est générale, elle donnera peut-être naissance à un polymorphisme (comme dans l’exemple des papillons de Kellogg), mais on ne voit pas pourquoi la divergence s’accentuerait au point d'aboutir à une différence spécifique. Cette dernière objection, nous pouvons d’ail- leurs l’adresser à toute théorie de ségrégation en général, qu'il s'agisse de l'isolement topogra- phique ou de lisolement physiologique. Une espèce est scindée en deux parties par l'inter- vention d’une barrière naturelle. Il y a, dès le début, entre les deux parties, certaines différences que la séparation empêchera de disparaître par le croisement; elles subsisteront donc, mais quelle est la cause qui les rendra plus accentuées dans la génération suivante? Leurs destinées uliérieures dépendront peut-être, suivant les conditions du milieu, de caractères n'ayant absolument rien de commun avec ces caractères différentiels {il doit, en particulier, en être ainsi dans tous les cas d’apo- gamie de Romanes); et s’il en est autrement, si la division a eu lieu en raison de quelque carac- tère de valeur spécifique, la question se pose de l’origine même de ce nouveau caractère, et la cause qui nous l’expliquera expliquera en même temps la formation de la nouvelle espèce, en pas- sant par-dessus le fait intermédiaire de la ségré- gation. PE ins PEU MT Ro AU Ne REC ET en #4 de TA si NEA : des diffé- % sl rences entre les êtres vivants des deux côtés d'u ” _ barrière est due à une différence des conditions. “e _ Ici encore, çe qui importe, c’est le mode d’ac ion tion _ de ces conditions et non la circonstance qui a fait ï tomber les individus donnés sous leur influence. S L’isolement, géographique et physiologique, peut Me as ___ incontestablement jouer un rôle important dans la _ différenciation des espèces, mais il ne peut être un facteur indépendant et, à plus forte raison, exclusif. Au point de vue théorique, il ne sera jamais qu'un auxiliaire, offrant un champ nou- à la sélection naturelle ou _ introduisant un CHAPITRE XIX L’Orthogénèse. Variations se suivant dans un ordre déterminé, — Dévelop- pement exagéré de certaines structures : les reptiles géants, les défenses du Mammouth et du Babyrussa, les bois de l'élan fossile d'Irlande, la coloration protectrice du Kat- dima. — L'orthogénèse d’Eimer, ses lois de la croissance organique. — L'’archæsthétisme de Cope; le rôle de la conscience. — La conception de Nægeli. Parmi les objections adressées à la théorie de la sélection naturelle comme facteur principal de l’évolution, une des principales est celle ayant trait à la nature même des variations initiales. Ces variations sont supposées, comme nous l'avons vu, être très diverses, dirigées dans les sens les plus différents, accidentelies; elles n’aboutissent à cer- tains résultats déterminés que sous l’action de la sélection naturelle qui favorise les plus utiles. Or, un grand nombre de faits semblent indiquer que le développement de certains organes et de certaines structures suit une marche bien définie, indépendante des services qu’ils peuvent rendre: dans certains cas même on voit un organe, utile à un certain moment de son évolution, arri- RD 306 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION ver, en continuant à se développer dans la même à direction, à être nuisible et à conduire l’espèce à sa perte au lieu de contribuer à sa prospérité. C'est l’idée que l’étude des organismes fossiles a suggérée à certains paléontologistes (c’est Koken, un géologiste et un paléontologiste qui a surtout fait valoir cet argument); ils citent, comme exemples, les grands reptiles du Crétacé dont les proportions. mêmes, la lourdeur et le peu d’agilité ont fini par devenir incompatibles avec la conti- nuation de leur existence; de même, les dimensions exagérées des bois de l’élan fossile d'Irlande, les défenses trop développées et contournées du mam- mouth, n’ont pu aboutir qu’à l'extinction des groupes d'animaux correspondants. L’exagération de certaines structures au delà de ce qui pourrait être utile ne se rencontre pas seu- lement chez les animaux disparus : nous en voyons beaucoup d'exemples actuellement. Nous avons déjà cité, au cours de la discussion de la sélec- tion naturelle, la coloration protectrice trop par- faite du Kallèna et les défenses extraordinaire- ment développées du Babyrussa. Il en est de même des yeux de certains crustacés, placés à l’extrémité de pédoncules trop longs, et de bien d’autres cas encore. Il semble ici que le développement, une fois commencé, se soit poursuivi comme par irer- tie, suivant une certaine direction déterminée, sans pouvoir s'arrêter au moment où la sélection natu- relle aurait dû non seulement cesser de le soutenir, mais mème l'empêcher. 307 | L'ORTHOGÉNÈSE Il peut en être de mème des caractères tout à fait indifférents au point de vue de l'utilité, tels que les dimensions et proportions de certaines struc- tures non actives, les détails de coloration, ete, qui n’apparaissent pas accidentellement, mais sem- blent montrer une tendance à s’accentuer dans certaines directions. L’étude des dessins et de la coloration des ailes des insectes a fourni un grand nombre de ces exemplesi. On constate, d'autre part, que les variations ne sont pas illimitées et quelconques : elles semblent être réduites à un certain nombre de possibilités, déterminées pour chaque groupe d'organismes. - «Par le fait même, dit Plate?, qu’un animal appar- tient à un certain groupe, les possibilités de varia- tions se trouvent restreintes et dans beaucoup de Fi re Ÿ CEA LR cas réduites à des limites très étroites ». On en a à cité de nombreux exemples : jamais, à en croire les … partisans de cetie idée, on ne pourra obtenir un F. muguet bleu, une herbe à feuilles divisées, un De chien à taches ocellées comme celles du léopard, FR une poule domestique à teinte bleue ou verte, un ‘4 serin bleu ou rouge. CM | D’autres considérations eucore ont amené un | certain nombre de biologistes à concevoir l’évolu- ke , * [M tion comme se poursuivant dans une ou plusieurs directions bien définies. Ce sont ces conceptions ler Wat £ ET Ie Ne ». Ci pate TA 7 1. Travaux de Kellogg, Eimer et autres. 2. PraTe. Ueber die Bedeutung der Darwin'schen Selections< princip., cité par Kellog ; Darwinism {o-day, p, 281, En de A de he lé 4 Ve LT TR" (70 AR, us “Sd 308 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION f qu’on désigne sous le nom des théories de l’ortho- génèse. Elles sont, en somme, assez différentes entre elles et quelquefois contradictoires, sui- vant les causes que tel ou tel auteur assigne aux ._ directions de ces variations orthogénétiques. +. La plus typique des théories orthogénétiques est celle d'Eimer. Adversaire passionné des idées weis- manniennes, Eimer ne reconnait à la sélection naturelle qu’un rôle très restreint : elle ne peut agir, d'après lui, que sur un matériel ayant acquis un degré de développement suffisant pour lui donner prise. Elle ne crée pas d'espèces nouvelles, mais préserve les espèces existantes. La cause principale de la transformation des espèces réside dans l’exis- tence d’une direction définie de l’évolution, qui n’a rien à voir avec l'utilité. Cette direction ne tient non plus à aucune cause mystérieuse ou méta- physique dans le genre du principe de perfection de Nægeli. « Les causes de l’évolution dirigée dans un sens déterminé sont contenues, à mon sens, dit Eimer, dans les effets produits par les circonstances et influences extérieures, telles que le climat et la nourriture, sur la constitution de l'organisme donné. » L'organisme, cependant, ne reste pas passif : il réagit d’une façon qui lui est propre et con- forme à son individualité; c’est là la cause interne de l’évolution. «Le développement ne peut avoir 4, Tu. Ermer. On Orthogenesis and the impotence of natural selection in Species-forming (1898), p. 22. L'ORTIOGÉNÈSE | 309 lieu que dans un petit nombre de directions parce que la constitution, la composition matérielle du corps détermine nécessairement ces directions et empêche les modifications dans tous les sens. » L'ensemble de ces causes externes et internes agit sur la croissance, individuelle ou phylogénétique, des organismes; à cette dernière Eimer applique le terme de croissance organique (organophysis ou mor- phophysis). Il reconnait l’hérédité des caractères acquis comme un facteur nécessaire, mais déclare se séparer du lamarckisme proprement dit (qu’il comprend d’une façon trop étroite) en ce qu’il s’agit pour lui non pas de caractères acquis adaptatifs, dus à l'usage ou au non-usage des parties (la cinétogé- nèse de Cope) mais de caractères indifférents, pro- duits par les conditions extérieures, sans rapport aucun avec l'utilité (la pkysiogénèse). Tels sont par exemple les divers caractères de colora- tion des ailes des insectes, des coquilles de mol- lusques, etc., caractères qui, suivant l’expression d'Euner, ne leur sont pas plus utiles que n’est la coloration brillante de l’or pour ce métal ou ne le sont pour la bulle de savon ses reflets irisés. Ces caractères qui ont débuté par de petits changèments à peine perceptibles, l’évolution les développe en- suite de plus en plus, et cela non pas dans toutes les directions possibles autour d’une moyenne, comme le pensent les sélectionnistes, mais en ligne droite, en avant ou en arrière. Dans cette marche en ligne droite, il y a des pauses : certaines formes s'arrêtent en chemin, tan 1 310 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION dis que d’autres, plus sensibles à telle ou telle, influence externe agissant à ce moment, continuent leur mouvement en avant. Il se produit ainsi entre . les unes et les autres une lacune, et la chaine con- tinue des êtres se trouve rompue. C’est à ce phéno- mène, auquel il donne le nom de génépistase, qu’Ei-, mer attribue le rôle principal dans le fait de la, séparation des espèces entre elles, même sans le secours de la ségrégation géographique. Les dis- tinctions entre les espèces sont encore augmentées du fait que les différences du degré de développe- ment sont inégales pour les différents organes (phé- nomène d’hétéropistase). La séparation géographique, la séparation phy-. siologique (kyesamechanie), c’est-à-dire impossi-., bilité de croisements par suite de quelques modi- fications de l'appareil reproducteur, et enfin l’ap- parition soudaine de variations brusques (sous, l'influence du milieu) viennent se joindre à ces causes de création d'espèces nouvelles. Telles sont les conceptions phylogénétiques, d'Eimer. A côté de ces considérations d’ordre très. général, il a formulé un certain nombre de con- clusions, déduites pour la plupart de ses études personnelles et appelées par lui lois de la croissance organique. Ces lois, de valeur et de portée très, inégales, sont destinées à compléter l’idée d’ortho-, génèse en montrant quelles sont ces règles géné-, rales auxquelles l’évolution des êtres est soumise. Nous trouvons là, sous forme de lois, l'affirmation que le développement peut subir un arrêt ou reve-, TRLTENS Vi LL QE ES NES SEE DE tr si Sa w Fra L'ORTHOGÉNÈSE 311 _nir en arrière, la constatation du fait de la conver- gence de caractères entre êtres n'ayant aucune parenté immédiate, et quelques autres analogues: d’autre part, on y trouve des lois très particulières, comme celle des colorations, d’après laquelle, dans * les classes les plus diverses d'animaux (mollusques, oiseaux, reptiles, mammifères et certains insectes)il apparaît tout d'abord des bandes longitudinales de couleur; ces bandes se fragmentent ensuite entaches, lesquelles se fondent en raies transversales, pour donner enfin, en s'étendant de plus en plus, une teinte uniforme. D’autres lois encore sont formulées, mais il serait oiseux de les énumérer toutes. Telle est cette théorie orthogénétique. Beaucoup, parmi les idées émises par Eimer, semblent être justes, mais le tout ne donne pas une satisfaction complète à l’esprit. Ses lois sont des constatations qui n’iuvoquent aucune causalité : les raisons pour lesquelles les caractères, une fois le développement commencé, continuent leur marche ascendante ou descendante, sans s’écarter de la direction déter- minée, restent pour nous obscures. Eimer déciare qu’il n’assigne à l’organisme aucune propriété mys- térieuse pour expliquer sa tendance au développe- ment dans une direction déterminée et que la part principale y appartient aux conditions ambiantes. Mais comme celles-ci sont infiniment variables, il ne peut trouver en elles le facteur nécessaire et est . obligé, malgré ses déclarations de principes, d’en . revenir à placer dans l’organisme la cause du déve- - loppement orthogénétique. Or, cette cause reste | 312 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION mystérieuse et même métaphysique, puisque Eimer ne la rattache à aucune condition histologique ou physiologique et ne donne sur elle de renseigne- ments d'aucune sorte. | Nous trouvons un autre représentant des ten- dances orthogénétiques dans la personne de Cope! dont nous avons déjà eu à parler comme d’un des adeptes les plus marquants des théories lamarc- kiennes. Mais, indépendamment de ses tendances lamarckiennes, nous trouvons chez lui une théorie qui lui appartient en propre : celle de l’archæsthé- tisme. C’est surtout cette théorie qui ouvre une place au système de Cope dars la rubrique BÉR6S rale de l’orthogénèse. Ce qu’il faut expliquer et ce que le darwinisme n’explique pas, dit Cope!, c’est la source des varia- tions. Elle est dans les mouvements -produits par l’être pour la satisfaction de ses besoins. La sensa- tion semble exister depuis les animaux unicellu- laires les plus simples; elle seule peut expliquer les divers mouvements que nous observons chez les protozoaires. Ces mouvements, résultats de la sensibiliti, peuvent être envisagés comme conscienis (il faut remarquer que Cope dit volontiers : cons- cience ou sensation, sans tracer entre les deux la limite nécessaire). La conscience se trouve à l’ori- gine de la vie. Les mouvements automatiques et involontaires du cœur, des intestins, des organes reproducteurs, etc., sont dus à des états de cons-| 1. E.-D. Core, The primary factors of organic mn ch X, The function of consciousness. / LA 7 # trot "ss re ed ai Ë A A D rt à 37 vor (# “{ MR L ? « L'ORTHOGÉNESE | 313 cience qui ont stimulé des mouvements volontaires : on peut se représenter, par exemple, que la circu- lation s’est établie parce que l’estomac surchargé causait, une souffrance et exigeait des efforts pour distribuer son contenu; c’est ainsi qu'a pu appa- raître la vésicule contractile de certains protozoai- res. Ensuite, par un fréquent usage. à la longue, cette manifestation de la conscience devient auto- matique. Ce sont les mouvements réflexes qui sont des produits des actes conscients, el non inverse- ment, comme on le eroit généraleinent. Nous pou- vons affirmer, dit Cope, que non seulement « /a vie a précédé l’organisation, mais que la conscience coïn- cide avec l'aurore de la vie ». Le processus de l’évolution consiste ainsi en pas- sages successifs des actes conscients à l'état incons- cient, automatique; c’est donc un mouvement rétrograde, auquel l’auteur de la théorie donne le nom de catagénèse. Mais il ne faudrait pas croire que ce caractère rétrograde soit celui de l’évolu- tion tout entière : au contraire, les êtres progres- sent et se développent, au point de vue intellectuel, et c’est aux plus intelligents qu'appartient la vic- toire. Car à mesure que les anciennes acquisitions tombent dans le domaine de l'inconscient, de nou- velles, conscientes et volontaires, se montrent. À ‘eur tour, elles sont destinées à devenir automati- tiques et à servir de plate-forme pour les acquisi- tions futures. Telle est la marche générale de l’évolution. Des lois d’un caractère plus spécial viennent ensuite SORT TER EUR RPC ALES PTPTPERNEES ‘ « r“e FES A : EX » 2" DRE à E : È CE pr id à fs #: * pe per + vs: ae * er 314 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION "047 OR TT ve, M, "ER Zn _ +. DES lui imprimer des directions déterminées : loi de à l’'homologie, qui est une constatation de ce fait que tous les êtres organisés sont formés de parties * correspondantes, les différences portant unique- ment sur leurs proportions et leur degré de com- plexité ; loi de succession, établissant que lorsque les espèces se classent en séries d’après l’ordre d’accroissement d’un caractère quelconque, les à _ autres caractères se montrent ordonnés Gans le même sens; par exemple, une espèce à trois orteils se placera sous tous les rapports entre l’espèce à un et l'espèce à quatre orteils. A ces deux lois, Cope i ajoute la loi biogénétique fondamentale relative au | parallélisme entre l’ontogénèse et la phylogénèse, et la loi générale de l’adaptation au milieu. Les deux théories que nous venons d’exposer, a celle de Cope et celle d’Eimer, ont, en dehors de æ leur point de vue plutôt lamarckien, encore ceci à de commun qu’elles cherchent toutes les deux l'explication de la direction définie imprimée à = l'évolution dans les faits observables et vérifiables : action du milieu ambiant ou réaction consciente à ce milieu. Cette dernière idée n’est liée chez Cope à aucune conception de force vitale mysté- rieuse; c’est simplement une généralisation psy- FE chologique. D’autres théories orthogénétiques ont quitté ce terrain scientifique pour recourir aux % entités métaphysiques. Telle est la conception de Nægeli qui, nous l’avons vu, cherche le facteur dominant de l’évolution et la cause de l’ortho- génèse dans une tendance interne des organismes * * — ’ Vébral SE : CPE cire nn > © L'ORTHOGÉNÈSE 315 vers le pzrfectionnement, dans le principe de déve- loppement progressif. D’autres auteurs ont suivi la même voie, en créant, sous des noms divers, des entités métaphysiques analogues. Elles n’apportent rien à la science; nous ne nous en occuperons donc pas. ù CHAPITRE XX La Mutation. Le variauon continue et la variation discontinue. Exemples À de cette dernière. Les théories basées sur elle. — L'hétéro- É génèse de Korschinsky. — Les travaux de de Vries; Le 4 théorie de la mutation. Son importance théorique aux yeux A de son auieur. — Formation &@e nouvelles variétés et 1 espèces. — Les mutations d'Œnothera. — Les lois de la ne mutation. — La sélection individuelle et la sélection entre 1% espèces. — L'origine des mutations. — Partisans et adver- QE, . , : - . ° SN pes saires de la théorie. — Sa signification véritable. ‘4 *à 5 $ Nous avons vu qu'à la base de la théorie pure- 42 ment darwinicnne de la sélection naturelle se trou- D” vent des variations individuelles, des « fluctua- 4 tions », qui ont ceci de caractéristique qu’elles sont 1 réparties sur {ous les individus et que ces derniers A ne présentent ainsi, par rapport au caractère \ ‘He envisagé, que des différences de degré, souvent 3 minimes. Si on rangeait (ous les individus d’une D. même génération par ordre de développement de Losd ce caractère et si on exprimait par des ordonnées Ge le degré de développement correspondant, on obtiendrait, en joignent leurs extrémités, une courbe D « I - LA MUTATION 317 sans sauts brusques. Ce mode de variation a reçu le nom de variation lente ou continue, lente parce qu'il faudrait une longue accumulation de ces caractères peu saillants pour produire une nouvelle race ou une nouvelle variété, continue — à cause de ces gra- dations insensibles, de ces intermédiaires nom- breux entre les individus extrèmes. On l’appelle aussi variation darwinienne, parce que c’est en rai- son des caractères créés par elle que, dans l'esprit de Darwin, les individus survivent ou sont éliminés dans la lutte pour l’existence. Ces variations ont une existence presque universelle. C’est d’elles que iirent parti les éleveurs et les horticulteurs, en choisissant les individus qui présentent la particu- larité désirable au plus haut degré et en les faisant reproduire à l'exclusion des autres. C’est également à ces variations lentes qu'appartiennent la plupart des modifications dues au climat, aux conditions de vie, à l'alimentation. Aussi, ce sont elles éga- lement qui sont à la base des théories ue kiennes. Mais, en dehors de ce mode de variation, il en existe un autre auquel on a donné le nom de varisa- tion brusque ou discontinue. Il s’agit ici de modifi- cations qui surgissent soudainement et sont assez prononcées pour constituer au moins des anoma- lies. Le caractère nouveau qu’elles apportent n’est pas forcément très saillant : la différence entre Pindividu qui en est pourvu et l'individu normal peut ne pas dépasser celle qui existe entre les ex- trèmes dans la variation fluctuante; mais ce qui “SR J Ca distingue ce mode de variation, c’est l'absence de | formes de passage. Il en résulte que les caractères d’une race ou d’une variété peuvent ainsi se trou-. ver modifiés tout d'un coup, sans accumulation lente de modifications minimes. La variation discontinue était connue depuis | | L L | longtemps; on en avait décrit de nombreux exem- : ples sous le nom de « sports », ou comme anomalies diverses. Darwin lui-même en a cité un grandnom- bre : variété de paons à épaules noires, provenant de paons exceptionnellement apparus parmi d’autres, ordinaires, et se distinguant non seulement par leur coloration, mais aussi par la taille, le degré de force et de fécondité; race des moutons-ancons, présentant les mêmes particularités que les bassets parmi les chiens; les chiens bassets eux-mêmes; moutons de Mauchamp, bétail sans cornes du Para- guay et bien d’autres encore. Depuis, de nouveaux exemples de variations brusques devenues héréditaires ont été cités en grand nombre, aussi bien dans le règne animal que dans le règne végétal : bœufs fatos (camus), race caractérisée par le raccourcissement des os na- saux et intermaxillaires, le nez et la lèvre supé- rieure entrainés en arrière (on les appelle aussi bœufs-bouledogues); cochons solipèdes; axolotis albinos; dans le règne végétal, il y a les fleurs striées, les feuilles panachées, les fleurs doubles _et divers autres caractères qui, une fois apparus, deviennent, en se transmettant, le point de départ de nouvelles variétés (pied d’'alouette à feurs . PAPIER PET PNR UP C4 1e . LA MUTATION 319 _striées, trèfle à cinq feuilles, etc.). Ces variétés . d’origine accidentelle sont surtout nombreuses , parmi les plantes cultivées : Ja sélection faite par l’homme a maintenu l’hérédité du nouveau carac- ière en Fempêchant de s’effacer par le croisement. Ces variations brusques, quoique bien connues de Darwin, n’entrent pas dans la construction de sa théorie et sont considérées par lui comme un facteur sans grande importance, le phénomène en . Question étant rare et même exceptionnel, comparé à la fréquence, à l’universalité des variations indi- viduelles continues. Il y eut, cependant, dès l’époque de Darwin et jusqu’à nos jours, des naturalistes qui essayèrent, au contraire, d'en faire la base d’une . théorie de l’évolution : Kôllicker en 1864, Dall en 1877, Korschinsky plus récemment encore, en 1901, développèrent cette idée que c’est à ces sauts brus- ques, à ces variations sans formes de passages (phénomène qui reçut le nom d’hétérogénèse) que sont dues les transformations de l’espèce à l’exclu- sion de toutes les minimes fluctuations andivi- duelles. | Cette théorie, érigée en système complet et ap- puyée sur de très nombreuses expériences ayant duré pendant des dizaines d'années, a été énoncée récemment, en 1901-1903, par le botaniste hollan- dais de Vries sous le nom de théorie de la muta- tion ; elle semble actuellement se frayer une large voie parmi Les biologistes et recruter un nombre de plus en plus grand d’adeptes. Parmi les pré- curseurs de de Vries, un seul, Korschinsky, a eu 320 LES TRÉORIES DE L'ÉVOLUTION A une conception assez précise qu'il est intéressant ù de rappeler. L'évolution des espèces a lieu, d’après lui, par suite de l'apparition brusque de certaines modifications qui sont transmises aux descendants, : surtout dans la reproduction par boutures, mar- . cottes, etc. Ces modifications ont leur source dans les cellules germinales et sont, en ce qui concerne l'individu lui-même, indépendantes des conditions extérieures; cependant, le milieu environnant est un facteur très important pour leur sort ultérieur. La théorie de l’hétérogénèse de Korschinsky ne s'appuie pas sur un très grand nombre de faits et de recherches personnelles, et c’est peut-être ce qui l’a empêchée d'attirer l’attention du monde biologiste comme l’a fait plus tard la théorie ana- logue, mais plus solidement basée et mieux déve- loppée de de Vries. L'œuvre de de Vries est le résultat de longues années d'expériences (commencées en 1886) eflec- # tuées au jardin botanique de l’Université d’Amster- dam sur des plantes sauvages transplantées et sur différentes plantes cultivées; avant de faire con- naître ses conclusions au public, l’auteur de la théorie de la mutation avait attendu ainsi d’avoir accumulé le plus grand nombre possible de faits d'expérience. Cette œuvre d’expérimentation a, à ses yeux, une importance primordiale, non seule- ment parce qu’elle apporte des preuves à sa con- ception théorique, mais en elle-même, au point de vue méthodologique. Les faits de mutation, qui se passent sous l’œil LA MUTATION 321 de l'observateur, introduisent, dit de Vries, la mé- thode expérimentale dans l’étude de l’origine des espèces et comblent ainsi une lacune qui a tou- jours été très préjudiciable aux idées transfor- mistes. L'hypothèse des variations lentes rendait l'observation directe impossible et par là empèé- chait de faire une démonstration évidente de la naissance de nouvelles espèces. La nou- velle théorie répond également à une autre objec- tion formulée contre le darwinisme : celle du temps trop long qu’exigeraient, pour produire l’évolution phylogénétique, les changements im- perceptibles, graduellement accumulés. Dans l’hy- pothèse de la mutation, cette objection tombe : les variations brusques pouvant donner naissance à une nouvelle espèce dès la deuxième génération, l’évolution des êtres n’exige plus un temps si dé- mesurément long. Mais là ne se borne pas l’appoint que la nou- velle théorie doit, dans lesprit de son auteur, apporter à la doctrine transformiste. Un des côtés faibles de cette dernière a été, dit-il, la nécessité pour les transformistes de nier absolument la constance et la fixité des caractères spécifiques, malgré certains faits qui démontrent le contraire. L'idée de l’ « espèce fixe » était radicalement oppo sée à celle de F « espèce variable » et résolument bannie des conceptions transformistes. La théorie de la mutation est exempte de cet inconvénient : elle concilie les deux manières de voir. Une espèce n’est pas, en effet, toujours également variable, Pr: à Rue RE FAN CR NEA PET. FAP PINS 7 ‘ LE! sa A. PATEUEE CHERE | ET à 4 HA (en, \ NERO y 322 ! LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION ou, plus exactement, également mutable, car de Vries réserve le nom de variabilité au phénomène des fluctuations individuelles. La mutabilité est un phénomène périodique et non pas un état constant. Une plante peut, pendant quelque temps, donner naissance à des descendants présentant de nou veaux caractères et faisant souche de nouvelles espèces; elle peut ensuite rester invariable pen- dant de longues séries de générations. Tous les rameaux de l’arbre généalogique présentent ainsi successivement des espèces mutantes et des es- pèces stables; une même lignée peut être d’abord mutante, ensuite retourner à l’état stable. Quelles sont les causes qui, à un moment donné, déter- minent le commencement d’une période de muta- tion? Elles sont inconnues jusqu'à présent, mais doivent résider dans l’action de quelque facteur . extérieur qui reste à découvrir. En partant de cette idée que toutes les espèces sont formées par variation brusque et qu’il y a entre elles véritablement discontinuité et non ex- tinction de formes de passage, de Vries fut conduit à supposer qu'il doit se former actuellement des variétés et des espèces nouvelles. Il chercha donc à prendre le phénomène sur le vif, et, après huit ans d'expériences, réussit enfin à constater une première mutation sur la Zinaria vulgaris qui donna naissance à une nouvelle variété. Mais c’est une autre plante, du genre (Ænothera, qui lui fournit des résultats décisifs et permit de formuler quelques lois générales. ; HS Aa LA MUTATION 323 L'OEnothère est une plante qui a été introduite d'Amérique à différentes époques dans les jardins d'Europe ; elle pousse aussi, s’échappant des jar- dins, dans le voisinage des habitations, On en connait plusieurs espèces; celle que de Vries choi- sit pour son étude porte le nom d’OEnothère à grandes fleurs ou ŒÆnothera lamarckiana, nom qui lui vient de ce fait que, cultivée au jardin du Mu- séum de Paris, elle fut remarquée par Lamarck qui l’étudia et la décrivit le premier. De Vries la trouva, en 1886, à Hilversum, dans les environs d'Amsterdam, et, ayant constaté qu’elle présentait la particularité, depuis si long- temps cherchée, de produire chaque année un certain nombre de nouvelles formes, en transplanta plusieurs pieds dans son jardin. Là, elle fut repro- duite par semis et donna une douzaine de types nouveaux dont la plupart sont considérés par de Vries éomme de nouvelles variétés et quatre comme de véritables nouvelles espèces. L'espèce originelle, l’'Ænothera lamarckiana, est une plante de grande aille, souvent de plus de 1,60 de hauteur, ayant l’aspect général d’un buis- son touffu, à grandes fleurs d’un jaune brillant ne s’ouvrant que le soir. Les nouvelles espèces pro- duites sont : O. gigas, O. rubrinervis, O. oblonga et O. albida; elles sont immédiatement devenues tout à fait stables, transmettant fidèlement leurs caractères aux descendants. L’OEnothère géante n’est pas sensiblement plus haute qu’O. lamar- chiana, mais beaucoup plus vigoureuse : ses tiges 324 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION ont un diamètre double, son feuillage est plus épais, les fleurs plus grandes et plus serrées (à cause du raccourcissement général des entre- nœuds); les fruits sont plus courts; mais plus larges, les graines en nombre moindre, mais très grosses. L’O. rubrinervis est, comme aspect géné- ral, la contre-partie de la première : elle est plus grêle et, comparativement à la plante originelle, a certaines parties (les feuilles et les bractées) plus allongées et plus étroites. Son caractère principal, ce sont les nervures et les bandes rouges des fruits, la teinte rougeâtre du calice, une couleur jaune plus foncée des pétales et, chez les jeunes plantes, les nervures moyennes rouges des feuilles. Les feuilles sont plus päles et donnent des rosettes moins fournies que chez O. gigas. Ces deux nouvelles espèces sont toutes les deux stables et vigoureuses; il en est autrement des deux autres qui sont si faibles qu’elles n’ont au- cune chance de pouvoir se maintenir à l’état sau- vage. L'O. albida se distingue surtout par la cou- leur blanchâtre de ses feuilles et par une grande faiblesse de tous les organes. L'‘). oblonga est ca- ractérisée par ses feuilles très étroites, charnues, d’un vert brillant ei formant des rusettes très touf- fues; la taille de la plante est à peu près la moitié de celle d’O. lamarckiana. L'étude de ces différentes espèces et variétés d'OEnothères a amené de Vries à formuler plu- sieurs lois générales de mutabilité qui sont les sui- vantes : | 1 (AE fé PATES AN, | 4 : . = _ LA MUTATION 325 Première loi: Les nouvelles espèces élémentaires apparaissent brusquement, sans formes de passage. Cette conclusion, tirée du fait même des modifica- tions observées sur (Ænothera, constitue un énoncé du principe fondamental de de Vries. Deuxième loi : Les nouvelles branches prennent naissance et se développent latéralement par rap- port au tronc principal. Dans le conception cou- rante, les espèces se transforment une dans l’autre en bloc, tous les individus variant dans la même direction et l’amphimixie maintenant un certain niveau commun, sans qu’un individu puisse le dé- passer d’une façon notable. De cette façon, il sem- ble que lorsqu'une nouvelle espèce naït, ancienne doive disparaître. Or, dans les mutations de l'ŒÆno- thera, c’est le contraire qui se passe : le change- ment porte non pas sur tous les individus, mais sur un petit nombre seulement, tandis que la ma- jorité reste sans modification et répète fidèlement tous les ans le type originel, à l’état sauvage comme à l’état cultivé. C’est ainsi que la même espèce, l'Ænothera lamarckianc, a fourni latérale- ment des formes nouvelles et n’ez subsiste pas moins elle-même comme par le passé. Un autre poiat encore, sur lequel les faits don- nent un démenti aux idées courantes, c’est qu'il naît non pas un seul nouveau type par localité, mais plusieurs nouvelles espèces en même temps, provenant d’une mème forme parente. Troisième loi : Les nouvelles espèces élémentaires deviennent immédiatement stables, c’est-à-dire trans- A * Aciaels | PEN TT RU TE ELU DRTESS , tu 7 4, x « * { À L l Xi "+" 326 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION mettent fidèlement leurs caractères aux descen- dants, indépendamment de toute condition exté- ricure. Quatrième loi : Parmi les formes oblenues, Les unes sont des espèces élémentaires évidentes, d'au- tres, des variétés régressives. Ceci demande quel- ques explications. De Vries apporte beaucoup de soins à la définition et à la délimitation de l’idée de lespèce. L'espèce, telle qu’elle est admise dans la classification, l’espèce de Linné, dit-il, est une unité trop vaste, qui correspond à un ensemble com- plexe de formes et se subdivise, dans la plupart des cas, ex un certain nombre d’unités d'ordre secon- daire qu’on appelle en général variélés et qu'il est préférable d’appeler espèces élémentaires, en réser- vant le nom de variétés à leurs subdivisions plus petites encore. Les espèces nouvelles que de Vries obtient dans ses expériences avec les OEnothères sont donc de ces « espèces élémentaires », et ses « variélés » sont des variétés de ce second ordre. Ceci n’est pas pour de Vries une simple ques- tion de noms conventionnels à donner à tel ou tel groupement d'individus : la définition de Flespèce correspond pour lui à quelque chose de très réel, car de Vries est, comme nous l’avons vu, au nombre des biologistes qui considèrent que les caractères des êtres ont pour source et véhicules des parti- cules matérielles. Ces particules, auxquelles :l donne le nom d’ « unités spécifiques », peuvent être tantôt actives, tantôt passives, et le caractère correspondant peut se manifester ou bien rester à - LA MUTATION 327 l'état latent. « La latence est un des phénomènes les plus communs de la naturs, dit-il. On peut regarder tous les organismes comme formés, dans leur structure interne, d’une foule d’unités qui sont en partie actives et en partie inactives. Ces unités, qui sont extrêmement petites et dont le nombre est si grand qu’on peut à peine l’imaginer, doivent être représentées par des particules maté- rielles qui sont les éléments les plus intimes des cellulesi ». Les espèces élémentaires se distinguent, d’après de Vries, les unes des autres par l'acquisition des qualités nouvelles, tandis que les variétés ne dif- fèrent entre elles que par la mise en latence ou, au contraire, la mise en activité d’un ou plusieurs caractères?. Les mutations peuvent être progres- sives ou régressives, suivant qu'il s’agit d'acquisition (ou réveu) ou de perte (ou mise en latence) de ca- ractères. Parmi les formes obtenues par de Vries, les unes ont apparu, envisagées à l’aide de ce cri- térium (et c’est ce que constate sa quatrième loi), comme de véritables espèces, d’autres comme des variétés régressives, c’est-à-dire ne présentant d'autre trait nouveau que la mise en latence d'un certain caractère. Cinquième loi : Les mêmes espèces élémentaires peuvent provenir d'un grand nombre d'individus. C'est là un fait remarquable : il peut se produire 1. H. pe Vies. Espèces et variétés, leur naissance par mutation, trad. L. Blaringhem, 1909, p. 418. 2. Ibid., p. 141. LE M'A TS AV TARN PT EN NON 2 TUE; d- RER. 'i a it fa “ OVER LQ * A: # gist 21 à #e fon pe - F3 À À : ’ j &, ps < . 328 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION dans la mème année beaucoup de mutations qui se _ répéteront ensuite pendant plusieurs générations successives dans le même sens. Il doit y avoir là quelque cause commune agissante. Sixième loi : L'exposé de cette loi constitue un paragraphe où il est question des rapports entre la mutation et la variation fluctuante. C’est le poini le plus important. L’OEnothera lamarchkiana a montré les deux sortes de variations, mais les variations brusques ont seules fourni de nouvelles espèces. Les fluctuations gravitent toujours autour d’une moyenne; dans la mutation il n’y a pas de moyenne, mais seulement des extrêmes, sans intermédiaires. avec le type originel. La mutation n’est pas, comme on pourrait le croire, une fluctuation plus accen- tuée que les autres : elle ne se ramène à aucune des fluctuations observées et en diffère par sa na- ture même. Les descendants de la nouvelle espèce présentent des fluctuations autour d’une nouvelle moyenne qui sera celie de la nouvelle espèce. Septième loi : Les mutations se produisent dans les directions différentes. Les mutations les plus variées surgissent, sans rapport aucun avec Puti- _ lité de tel ou tel caractère nouveau; dans la suite, la sélection naturelle intervient pour protéger celles qui sont utiles. Tout en opposant sa théorie de Forigine des espèces par variation brusque à celle de l’impor- tance presque exclusive des variations lentes accu- mulées, de Vries est loin de refuser un rôle consi- Cut PC EE LA MUTATION 329 dérable à la sélection naturelle. Mais cette sélec- tion, il l’envisage surtout comme agissant entre les espèces et non pas entre individus de la même espèce. La sélection intra-spécifique, dit-il, n’a qu’une importance secondaire; elle ne peut pro- “duire que des races locales qui s’éteindront aussitôt que la sélection aura cessé d'agir. Mème dans la sé- lection intra-spécifique artificielle, on atteint bientôt un certain niveau maximum qu’il est ensuite impos- sible de dépasser ; toute l’expérience des hortieul- teurs le prouve. Les nouvelles améliorations ne peuvent alors. être obtenues qu’en modifiant les méthodes mêmes de sélection. Dans la nature, cela peut arriver lorsqu'il survient une migration ou un changement de climat. La sélection entre espèces est beaucoup plus importante, dans la nature comme dans la cul- ture ; c’est elle qui constitue le crible que certaines espèces seulement arrivent à traverser et dont l’existence suffit pour expliquer les structures, même les plus compliquées, les formes les mieux adaptées. C’est elle qui choisit entre les différentes mutations (et, par conséquent, entre les différentes nouvelles espèces) celles qui doivent subsister. La sélection naturelle et la sélection artificielle sont absolument analogues à cet égard, et leur rappro- chement, tant critiqué par certains auteurs, est, au contraire, parfaitement légitime. C'est le milieu extérieur qui agit sur l’évolution des êtres par l’intermédiaire de cette sélection; c'est ce milieu aussi qui détermine probablement 2 + : \ ST US LE see LR el NME 7 PARENT dit EN LAS x RETIENS Æge RE 43 ! { 330 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION le début d’une période de mutations. Mais à cela se borne son action : la nature de la mutation elle- même ne dépend en aucune façon des agents exté- rieurs, elle est d’origine toute germinale, congéni- tale, et tient à un changement survenant dans les cellules sexuelles mêmes. L'apparition de nouveaux caractères, le réveil des caractères latents ou, au contraire, leur mise en latence, tout cela ne tient qu’à des causes d’origine interne, inconnue, agis- sant dans les cellules germinales. Ce point de vue, qui relègue au second plan les facteurs extérieurs et leur action, rapproche de Vries des weismanniens, malgré l’opposition où sa théorie se trouve en général vis-à-vis de la théorie classique de la sélection naturelle, et éloigne réso- lument de la tendance lamarckienne. La théorie de la mutation a reçu auprès des natu- ralistes un accueil plutôt favorable et semble gagner sensiblement du terrain. T.-H. Morgan! surtout s’en montre un chaud partisan. Voici les avantages que la nouvelle conception présente d’après lui : 4. Les mutations surgissant spontanément et telles quelles nous dispensent de chercher les pre- miers stades du développement d’un organe; elles peuvent persister même si elles n'ont aucune valeur pour la race, se maintenir dans les généra- tions suivantes et, dans certains cas, présenter un degré de développement suffisant pour conférer un avantage sérieux. 4, T.-H. Morcax. Evolution and adaptation, p. 298-299. LA MUTATION 331 2. Les nouvelles mutations peuvent apparaître un grand nombre de fois, et avoir ponr points de départ un grand nombre d'individus ; ainsi se trouve écarté. le danger du croisement qui aurait inévita- biement effacé les traces d’une variation toute indi- viduelle. 3. Le croisement devient de même impossible si l’époque de la maturité sexuelle de la nouvelle forme diffère de celle de l’ancienne. 4. Le même résultat peut être atteint si la nouvelle espèce est adaptée à vivre dans des condi- tions différentes et se trouve ainsi dès l’origine isolée. 9. C’est un fait que les différences entre espèces voisines portent généra ‘ent sur des caractères peu importants. C'est ià une difficulté pour la théorie de la sélection naturelle, mais non pour celle de la mutation qui s’en accommode parfaitement. 6. Des caractères nouveaux inutiles et même un peu nuisibles peuvent apparaître et persister s’ils n’affectent pas trop la vie de la race. _ À ces arguments, Plate, qui a donné la critique la plus complète de la théorie de la mutation, répond point par pointi : 1. La théorie de de Vries n’explique pas plus ja naissance de caractères utiles que la théorie dar-. winienne, car les caractères différentiels légers n’atteignent pas, comme le reconnaît Morgan lui- même, dès le début, le degré d'utilité nécessaire. 4. L. PLate. Darwinismus contra Mutationstheorie, cité dans Kellogg : Darwinism to-day, p. 368-372. «à. PUS \ roi 140 LI SPA PATES TAN | si 7. at PAT, 4 TrAR PE AN MAO ARE ENTRE PET ENORME , ATV. Li PA TATT) + 0: * + Leu Le A A LA 0 + 5 L à «7 SD a be à 26 'ATE UNS, COS ot Are MEN St + AS nl dt À + À # 1N- x vr Le) | ; SA Solde rART A > A b / 832 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION n A. 4 IL faut pour cela un grand nombre de mutations se ÿ: suivant dans un ordre déterminé de manière à am- | plifier un même caractère. | 2. L’apparitior simultanée de la même muta- tion chez un grand nombre d’individus est un fait très rare, et l’autofécondation étant exceptionnelle dans la nature, le croisement est inévitable. Les points 3 et 4 de Morgan indiquent des obstacles à ce danger de croisement qui peuvent se produire aussi bien dans la variation fluctuante que dans la mutatiou. Les points 5 et 6 (caractères indifférents ou même un peu nuisibles) établissent un fait qui reste aussi peu explicable dans i hypothèse de la mutation que dans celle de la sélection naturelle. Toutes les deux sont incapables d’expliquer Pori- gine des variations et sont obligées de les prendre comme données. D'ailleurs, d’après Plate, ni dans les fluctua- tions ni dans les mutations une variation isolée ne joue aucun rôle : il faut pour cela des variations généralisées (Pluralvariationen), et ces variations généralisées sont en tout cas plus probables dans les fluctuations que dans les mutations. _ Beaucoup d’autres arguments ont été avancés encore par différents auteurs, pour et contre, peut- être plutôt pour que contre. Il serait fastidieux de les exposer ici. Ce que l’on peut dire, en con- clusion, c’est que la nouvelle doctrine a peut-être été présentée à tort comme une explication générale de l’évolution phylogénétique, pouvant remplacer les | w” A 4 Fi ; Vs . . 2! Déc LA MUTATION 333 autres hypothèses existantes : elle indique simple- ment une des voies possibles de cette évolution, A voie dont la réalité est démontrée par les nom- breuses et exactes expériences de Vries. La nouvelle théorie nous paraît insuffisante en ceci qu’elle ne fournit pas une explication quel- à conque du fait général et important de l’adaptation; | cette question semble être tout à fait en dehors. des préoccupations de de Vries. Une autre raison L qui fait hésiter à l’accepter comme une explication générale, c’est la rareté des cas observés. Il est vrai que, depuis que le travail de de Vries a paru, les observations se sont multipliées et de nouveaux exemples ont été signalés ; mais de Vries lui-même reconnaît qu’ils sont encore trop rares. Il en donne des raisons qui paraissent être assez | justes, mais qui seraient d’ailleurs applicables à 3 toute autre théorie analogue : lorsqu'une mutation se présente à l’état sauvage, le naturaliste la prend _ pour une variété déjà ancienne et ne la relève pas. Des milliers de mutations peuvent ainsi se produire et disparaître, sans que nous arrivions à les découvrir. D’autre part, la lutte pour l’exis- tence cause la mort prématurée de tous les indi- vidus qui s’écartent trop de la moyenne et sont incapables de se développer dans les conditions d'existence données. Il en est ainsi dans la muta- tion comme dans la variation fluctuante, et comme les mutations utiles sont rares, nombreuses doivent être celles qui disparaissent ainsi. De Vries n’a pu en constater un certain nombre que parce qu’il a 15 334 LES THÉORIES DE E’ÉVOLUTION pris toutes les mesures que la culture rend pos- sibles pour les préserver. Quoi qu’il en soit, les travaux de de Vries ont eu le mérite de montrer expérimentalement, d’une façon tangible, la formation des nouvelles espèces, et de prouver que leur formation peut avoir lieu autrement que par changements lents et graduels. D, CHAPITRE XXI Résumé, L'état de la question. — La différenciation et l'adaptation. — ‘Les théories envisageant la première : mutation, ortho- génèse, ségrégation. — Les théories de l'adaptation : dar- winisme et lamarckisme. — La sélection naturelle, la trane- mission des caractères acquis. — Les limites réelles de l'adaptation. — La structure et la fonction. — Les varia- tions non adaptatives. — Les variations déterminées. — La complication graduelle des êtres. — La solution probable des questions posées. Les questions que nous avons eu à examiner sont si nombreuses et si variées, les théories et les opinions émises si différentes et souvent si contra- dictoires, qu’il devien£ nécessaire de revenir main- tenant en arrière et de résumer la situation pré- sente des grands problèmes à résoudre. Nous nous trouvons, en somme, devant deux grands phénomènes qui caractérisent l’évolution du monde organique : d’une part, l’apparition des différentes espèces, la différenciation dans tous les groupes que nous offrent les classifications des ani- maux et des végétaux, la complexité croissante des D LA dé 1 ' À N'a Mact ee à NN ES PAS AS L. " er NOT PER orient ll . . LE Re ne 7 LR + x Fe ? LH RE Re Te goals om = 2 4e 4 We LL omtre 336 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION organismes, leur évolution des formes les plus à inférieures aux plus élevées ; d’autre part, l’adap- ‘ation. des êtres vivants aux conditions et aux né- cessités du milieu qui les entoure. Ces deux pro- cessus ont lieu simultanément, mais ils sont tout à fait différents par leur nature et ne se super- posent nullement. Lorsque, en effet, nous parlons d'animaux supérieurs et inférieurs, nous n’enten- dons aucunement par là que les premiers soient mieux adaptés que les seconds aux conditions de leur existence : il est certain, au contraire, qu’un protozoaire vit dans son milieu aussi bien qu’un vertébré supérieur dans le sien, et que le parasite le plus dégradé n’a rien à envier sous ce rapport à un animal supérieur obligé, dans sa vie libre, à exercer toutes ses facultés pour préserver son exis- tence contre les dangers qui la menacent. Lorsqu'une espèce vient en remplacer une autre ou prendre place à côté d’elle, il serait erroné de croire qu’elle est nécessairement mieux adaptée à sa vie que celle qui lui a donné naissance. Il suff* d’ailleurs, de considérer tous les critériums utilisés dans nos classifications pour voir que les distinctions des espèces, des genres, etc. ne sont nul- lement basées sur le caractère adaptatif des struc- tures. Bien plus, c’est de ces dernières qu’on tient le moins compte dans l’établissement de la parenté des espèces, car la ressemblance chez celles-ci est très souvent le résultat d’une convergence, de l'identité de la fonction à remplir, tandis que ce que l’on recherche, c’est l’origine commune, Pour RÉSUMÉ 337 trouver l’origine phylogénétique d’un organe on recherche non pas ce qui, chez les êtres placés plus bas dans l'échelle, remplit la mème fonction, mais ce qui y à la même origine embryogénique. Ainsi, ce n’est pas dans l'aile de l’insecte qu’on cherchera l’origine de celle de l'oiseau, mais dans le membre antérieur du reptile, malgré le mode bien différent de locomotion chez cet animal. Et si nous rapprochons la baleine «es autres mammi- fères et non pas des poissozs, c’est parce que nous nous guidons sur tout autre chose que son adap- tation au milieu. Il y a donc là deux questions bien distinctes qu’une théorie qui prétendrait embrasser toute la marche de l’évolution devrait résoudre l’une et l’autre. Nous ne voyons, pour le moment, aucun système d'ensemble, du moins aucun système suf- fisamment élaboré, qui soit capable de le faire. Tous donnent des solutions partielles, tantôt de Vun tantôt de l’autre côté du problème. Certaines conceptions laissent absolument de côté la question d’adaptation : telles sont la théorie de la mutation de de Vries, l’orthogénèse d’Eimer et de Nægeli, la « séparation dans l’espace » de Moritz Wagner, la « sélection physiologique » de Romanes. Au pôle opposé, nous trouvons la théorie de Darwin qui est exclusivement une théorie _ de l’ädaptation : la sélection naturelle ne tire parti “que ue des variations utiles et croit, en montrant le mode de développement de ces variations, montrer en même temps le mode de différenciation des 338 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION espèces. La théorie lamarckienne est présentée, en général, comme une théorie d'adaptation, mais, à notre avis, elle doit, sous ce rapport, être divisée en deux parties : elle est strictement une théorie d'adaptation lorsqu'il s’agit de réactions actives de Forganisme, de l'usage ou du non-usage dés 0r- ganes;-fais lorsqu'il est question de l'influence exercée directement par les conditions de climat, ; température, d'alimentation, etc., elle devient ; À ne explication des variations quelconques ou, ‘hdu moins, l'adaptation, si on veut l’invoquer, NW /\Lest-ellé ici beaucoup plus obscure et problé- Up | Mn ue. A ‘0 Prenons d'abord la question d’adaptation et voyons si, dans les divers systèmes que nous avons env Minés: elle reçoit une explication satisfaisante. Les critiques adressées à l’idée de la sélection na- turelle agissant sur les petites variations indivi- duelles et amenant, sans le secours d’aucun autre facteur, toute l’évolution phylogénétique, sont si sé- rieuses et basées sur des preuves siirrécusables qu’il est impossible désormais de lui reconnaitre ce rôle exclusif. Elle peut, incontestablement, éliminer les variations nuisibles, surtout si elles sont très accen- tuées, mais on s’accorde de plus en plus à reconnaitre qu’elle ne peut faire développer les variations utiles. Le progrès desorganesutiless’explique,aucontraire, très bien par leur fonctionnement même qui pro- voque leur plus grand développement, mais cela n’est évident que dans les limites de la vie de l'individu et cesse de l’être aussitôt que nous pas- ne | _ — RÉSUMÉ 339 sons à ses descendants. Pour que ceux-ci puissent bénéficier du résultat heureux de l’exercice d’un organe chez le parent, il faut que ce résultat ait pu leur être transmis. Or, la difficulté de concevoir le mécanisme de la transmission des caractères ac- quis s'applique surtout aux caractères d'usage et de non-usage, c’est-à-dire à ceux qui conduisent le plus directement à l’adaptation. Seule, la théorie d’excitation fonctionnelle de Roux, pour les organes où elle commence dès la vie embryonnaire, peut nous apporter quelque lumière à ce sujet, et encore plutôt comme indication que comme explication véritable. La question reste donc ouverte. D'ailleurs, lorsqu'il s’agit d'adaptation, il n’est pas inutile de poser une question préjudicielle : est-elle aussi! parfaite en réalité qu’on le croit ordi- nairement? L’harmonie miraculeuse, l’adaptation exacte qu’il nous semble voir partout n’est-elle pas souvent une illusion due à ce que nous ne perce- vons que le résultat brutal : l’animal ou la plante vit, et nous ne pouvons estimer la somme d’efforts employés, de défaites subies, d’actions nuisibles supportées en vue d'assurer cette vie. Ce que nous voyons, c’est l’excédent du bien sur le mal, etilne peut en être autrement, car si le résultat était opposé, l’organisme aurait péri. De plus, partant de ce point de vue a priori que tout est adapté, nous faisons intervenir notre imagination et trou- vons forcément ce que nous cherchons. Il faut dire aussi qu’un animal ne reste pas à subir pas- sivement les conditions qui l'entourent : si elles 340 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION sonttrop contraires à sa nature, s’il n’y est pas du tout adapté, il cherchera des conditions nouvelles et souvent y réussira. Le voyant dans ce nouveau milieu, nous croirons alors qu'il a été fait spéciale- ment pour lui. Il n’est pas difficile de citer des organes non seu- lement inutiles, mais nuisibles, et qui subsistent néanmoins; Metchnikoff en cite un grand nombre d'exemples dans ses Études sur la nature humaine : les poils du corps de l’homme dont les follicules donnent asile aux microbes, l’appendice du cœcum, siège de l’appendicite, le gros intestin, facilement attaqué par les maladies, etc. Il y a d’autres, « désharmonies », plus graves encore : ainsi la disproportion entre la douleur ressentie par l’or- ganisme et la gravité de la lésion qui Patteint. « Souvent des causes insignifiantes, dit Metchnikoffi, et des maladies sans importance, comme certaines névralgies, provoquent des douleurs insuppor- tables. Un phénomène physiologique, comme l'accouchement, est le plus souvent accompagné de douleurs extrêmement violentes et absolument inutiles comme « avertisseur du danger ». D'un autre côté, certaines maladies des plus graves, . comme les cancers et la néphrite, évoluent pen- dant longtemps sans provoquer la moindre sensa- tion douloureuse, ce qui a pour résultat de n’attirer l'attention du malade que quand il est déjà trop tard pour y remédier. » 4.E. Mcrcunxorr. Études sur la nature humaïne, 248-249. Las eh GIE Nous FAR Rap RUts ÿ 1, t j L L RÉSUXÉ 341 Jl y a aussi le défaut d'adaptation des instincts : ainsi, les insectes volent à la lumière de la lampe et périssent, les animaux les plus différents ne savent pas reconnaître le poison dans leur nourri- ture, les lapines mangent quelquefois leurs petits ou les abandonnent, un grand nombre d’animaux gardent leur nid, bien qu'il n’y ait plus à aucun œuf, etc., etc. £ Il ne s’agit là que des organes ou des instincts nuisibles; ceux qui sont indifférents sont beau- coup plus nombreux, et les deux, pris ensemble, font peut-être la majorité chez les êtres vivants, et déchargent d'autant toute théorie phylogénétique incapable d'expliquer lPadaptation. Dans les limites où cette dernière est réelle, nous axons, à côté de la question de la continuation de ses effets dans les descendents, celle qui divise les bilogistes en deux grands camps, les lamarc- kiens et les darwiniens : la question de savoir si lacaptation débute par la fonction ou par la struc- ture, si la taupe a une patte fouisseuse parce qu’dle a eu à fouir ou si elle s’est mise à fouir parce qu’ele avait une patte qui était douée d’une con- formtion particulière utilisable de cette façon? La quesfon n’est pas susceptible d’une démonstration directe, expérimentale ; elle ne reçoit sa solution que de la conception générale qu’on adopte. Et il nœus semble ici que tout ce que nous savons mainenant de l'insuffisance de la sélection natu- relle gui part de la strücture) doit nous pousser à chercier une réponse, d’une part, dans l’excita- 342 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION tion fonctionnelle, étendue à toute la durée de la vie de l'organisme, d’autre part dans l’action qu’exercent sur sa physiologie les différents fac- teurs externes. Avec ces derniers nous sortons du cadre des phénomènes adaptatifs. On ne perçoit pas encore nettement comment un facteur tel que le climat, la température, l’alimentation, etc., pourrait pro- duire, en agissant sur un animal ou une plante, des modifications telles qu’elles lui facilitent l’existence dans les conditions données. Si le froid rend plus foncée la coloration des ailes chez les papillons, et si la chaleur provoque, au contraire, / la pigmentation plus accentuée de la peau chez l'homme on ne voit pas en quoi ces changements peuvent être utiles. [Il peut y avoir des cas ol il en est ainsi : le froid, par exemple, Sur fait blanchir les poils et les plumes, peut fn même temps rendre service aux animaux des - gions polaires en les aidant à se dissimuler. Mais ce sont là de pures coïncidences sur D nous ne pouvons rien fonder. Le champ d’action de ces facteurs non adæta- tifs est très vaste et sa portée d’autant plus gnnde que, dépendant des conditions d’existence quisont dans la nature communes à un grand nombre d'individus à la fois, ils provoquent une varütion. générale qui ne s’efface pas comme les variaions individuelles. Cette variation, pour être un fæteur de la transformation des espèces, doit êtrehéré- Gitaire; or, c’est bien parm les faits ï cette ( {3 À 4 700 71% : M CET AN PR RÉSUMÉ 343 catégorie que nous avons trouvé les exemples les plus probants de l’hérédité des caractères acquis, et c’est à eux que s'applique surtout la tentative d'explication que nous avons proposée de cette hé- rédité. Nous pouvons doncadmettre que cela donne une réponse à peu près suffisante à la question de savoir comment ces variations peuvent naître, être fixées et devenir des caractères distinctifs d’es- pèces ? | Immédiatement après, deux autres questions se présentent. La première constitue la raisou d’être des théories orthogénétiques : pourquoi, dans histoire de la vie des êtres, certaines for- mes, certains caractères suivent-ils une direction déterminée, se succédant, dans la branche qui évolue, sans répétition, sans retour en arrière? Aucune réponse satisfaisante n’a été fournie à cette question ; il est à croire que l’état de nos connais- sances actuelles ne le permet pas encore. Peut- tre l'influence de certains facteurs se prolonge- “lle au delà de l’action que nous observons immé- diatement et provoque-t-elle des changements corré- latifs dont le lien avec les premiers nous échappe. Peut-être la constitution chimique de l’organisme imprime-t-elle à ces facteurs, d’une façon que nous ignorons encore, un mode d’action précis et n’en permet aucun autre? C’est ainsi que l’œil, par exemple, réagit à {outes les excitations d’une même manière qui est la sienne propre. Nous ne pouvons que faire des suppositions à cet égard et, la « ten- dance évolutive interne » ou toute une autre expli- EXC R RTS e ant à Pr") - + NOTE LL \ 344 LES THÉORIES DB L'ÉVOLUTION cation verbale de ce genre étant manifestement insuffisante, nous devons avouer que la question _ reste ouverte. Il en est une autre, celle de la différenciation graduelle, du progrès dans l’organisation des êtres. - Car, sans exagérer la régularité du processus, nous . constatons cependant que les formes supérieures sont apparues après les formes inférieures et aux dépens d’elles, et que cette évolution a été irréver- sible. Ne coïncidant pas avec les progrès de l’adap- tation, elle n’a d’explication à attendre ni de la sélection naturelle, ni des idées lamarckiennes. On ne peut essayer de la comprendre qu’en remon- tant à la source de la vie : à la constitution phy- sico-chimique de la cellule. A mesure que la vie des êtres se poursuit, de nouvelles substances chimi- ques sont constamment introduites dans la cellule et de nouvelles actions physiques sont éprouvées par elle. Aucune de ces influences ne passe sans laisser de traces; leurs effets s'emmagasinent et la constitution chimique du contenu cellulaire se complique ainsi de plus en plus. Le nombre de snbstances chimiques différentes y devient de plus en plus grand, permettant des différenciations histologiques nouvelles et contribuant ainsi à la complexité croissante de l’organisation. C’est là, £ évidemment, une explication trop générale; la véritable réponse ne nous sera donnée que quand: nous pourrons constater cette complication crois, sante et comprendre comment tels processus chi- miques font naître telle structure histologique. RÉSUMÉ r. * 845 La question d2 la différenciation amène inévita- blement une autre question encore. On sait que plus un être est différencié, moins il est plastique. et que dans chaque groupe d’animaux ce sont les moins élevés, les moins spécialisés qui donnent naissance à des rameaux nouveaux. Il en résul- terait donc qu’une différenciation très accentuée s’oppose à l’apparition de nouvelles variations et que, d’une façon générale, la variabilité doit dimi- nuer dans le monde organique. Telle est, en effet, l'opinion de certains biologistes, tels que Rosa. La question est très complexe, car nous n’avons aucun critériurñ sûr pour juger du degré de plasticité des organismes. On pourrait objecter, par exemple, que les organismes inférieurs ne sont pas disparus en donnant naissance aux organismes supérieurs et que rien ne les empêche donc de faire souche de types nouveaux. Mais, d'autre part, il est possible que les êtres inférieurs aient acquis une différen- ciation suffisante pour épuiser leur plasticité, car différenciation et complexité ne sont pas seule et même chose, et il serait raisonnable d'admettre qu’une Vorticelle par exemple est aussi différenciée dans sa structure simple que tel autre animal plus élevé dans l’échelle. S'il en est ainsi, cela nous expli- querait pourquoi presque tous les grands groupes d'animaux et de végétaux se sont formés depuis l'âge le plus reculé et que de nouveaux n’ont pas surgi depuis. Que pouvons-nous conclure de tout ce qui pré- cède ? Quoique aucun des systèmes examinés ne IPN COMT 346 LES THÉORIES DE L’ÉVOLI LION fournisse une solution générale al solument satis- faisante du problème de l’évolutio à, il n’en est pas moins vrai que les facteurs auxquels ils font appel jouent certainement un rôle. Mais leurs actions sont si complexes, interfèrent d’une façon si com- pliquée qu’il est extrêmement difficile de faire à chacun sa part. Et c’est en partie pour cela sans doute que les auteurs des différents systèmes ont cédé à la tentation d’attribuer à tel ou tel de ces facteurs un rôle prépondérant, en mécon- naissant la participation des autres. C’est dans cette attitude trop absolue que réside le vice de leur conception. On peut se demander quelle forme revètira la solution finale du problème que nous réserve l'avenir. Surgira-t-il un Newton de l’évolution qui, “d’un coup, par une idée géniale, fournira la solu- tion par la découverte d’un facteur nouveau et inattendu, dont l’évidence sera si éclatante qu'il forcera toutes les convictions et qu’on se deman- dera comment on était resté si longtemps sans songer à lui? Darwin, quand il a fait connaître le | principe sur la sélection naturelle, a paru être \ ce Newton. Malheureusement, sa conception n’a | pas résisté à la critique. Une autre sera peut-être plus heureuse. On a plaisir à caresser cette idée, mais il est possible qu’il ny ait rien à découvrir de si neuf et de si frappant et que la solution réside simplement dans l’attribution rigoureuse à chacun des facteurs déjà connus de la part exacte qui lui revient. RÉSUMÉ 847 Pour nous, nous serions assez enclins à croire qu'il en sera plutôt ainsi, sauf qu’il reste à trouver, nous en sommes convaincus, quelque mode de transmission de caractères acquis qui viendra donner la réponse aux plus embarrassantes des objections. dd | 2) #10 Æ AE 7 TA A . a UMR? 7 dl } £ ” } y CONCLUSION Toute idée scientifique, dès qu’elle dépasse les mites étroites des questions particulières, trouve, directement ou en passant par les autres sciences, une application aux domaines qui touchent de plus près à l'existence matérielle de l’homme et aux questions philosophiques, morales et sociales pour lesquelles il se passionne. Inversement, les exigences de la vie sociale, les opinions morales, les idées philosophiques ou religieuses reten- tissent toujours sur les théories scientifiques du moment, non seulement dans les sciences qui trai- tent directement de ces questions, mais même dans celles qui paraissent être absolument objec- tives, comme la géologie ou la biologie. Nous n’avor. pas ici à traiter dans son ensemble et avec tous L:s développements qu’elle comporte la question de la portée philosophique et sociale des idées lamarckiennes et darwiniennes; mais nous voudrions attir r l'attention sur certaines applications qui ont déjà été faites de ces idées. CONCLUSION 349 La pensée dominante du lamarckisme, l'influence | du milieu, semble avoir définitivement conquis, au cours du dernier demi-siècle, dans nos conceptions |! (À - psychologiques, morales et sociales, une place qui | devient toujours de plus en plus importante. Ici aussi, l’idée d’innéité cède peu à peu la place à l'idée d'acquisition. Il est inutile de citer des . exemples : chacun peut en trouver immédiatement en comparant l’état d'esprit de nos contemporains à ce qu'il était il y a un demi-siècle. L’idée du libre arbitre à laquelle tend à se substituer la no- tion du déterminisme est, parmi ces exemples, un des plus saillants et des plus importants au point de vue pratique. Car si c’est le milieu qui fait l'homme, toutes nos idées sur la société, sur l’éducation, sur les méthodes à suivre pour réaliser ce qui nous paraît être le bien, subissent un changement radical. Il peut sembler étrange de parler à propos de ces tendances toutes modernes d'idées lamarc- kiennes, car il est bien certain que l’influence de Lamarck a été ici absolument nulle. Nous trouvons cependant en germe chez lui la négation du libre arbitre et l’idée de l’irresponsabilité personnelle de l’homme, produit de son milieu {. (était pour lui la conclusion naturelle de son système transfor- miste. Mais si les hommes de son temps n'étaient pas mürs pour adopter sa conception transformiste, 1. La Philosophie zoologique et le Système analytique des connaissances posilives de l'homme. Voir l'ouvrege déjà cité de Marcel Landrieu, ch. xxu et xxiu. La acte LÉ 2 # 350 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION encore moins pouvaient-ils en tirer toutes ces conclusions. C’est, encore une fois, à Darwin, à l'agitation générale des esprits, au travail profond de la pensée provoqué par son œuvre qu’il faut attribuer l’origine et les progrès rapides de ces idées nouvelles. Cependant, ici aussi, il faut tracer une ligne de démarcation entre le côté transformiste des idées larwiniennes et leur côté sélectionniste. Si le trans- formisme darwinien a rendu à l’émancipation de l'esprit humain le service le plus grand peut-être dont on ait jamais été redevable à une théorie- scientifique, l’idée de la sélection naturelle n’a pas, | bien au contraire, les mêmes titres à notre recon- naissance. Universellement acceptée par les biologistes, la | théorie de la sélection naturelle et de la lutte pour l'existence pénétra, comme on le sait, avec une rapidité très grande dans le public et trouva dans les autres sciences des applications extrêmement variées auxquelles son fondateur était certainement loir de penser. L'idée première de Darwin qui entendait par « lutte pour l'existence » au sens large toute la lutte que les êtres vivants ont à soutenir contre les conditions environnantes, qu’elles soient repré- sentées par le climat, le sol, les êtres de la même espèce ou des espèces voisines, s’est trouvée ré- trécie : on n’envisageait plus désormais que la lutte des être vivants entre eux, et plus spécialement . encore entre individus de la même espèce. SiDarwin mettait cette idée au premicr plan, certains darwi- : 301 niens et, à leur suite, le grand public l'envisagère.# d’une façon exclusive : tout se réduisait pour eux à la compétition individuelle. En mème temps, l'idée primitive non seulement se trouva sché- matisée, réduite à certains de ses traits les plus importants (ce qui était peut-être inévitable) mais devint pour ainsi dire plus grossière. On la prit dans son sens le plus simple, le plus littéral : c'était une lutte à mort, unguibus et rostro, dans laquelle rien n’intervenait en dehors de la force brutale. Quel devait être le sort ultérieur de cette idée dans Le publie, il est facile de le deviner. Dans toute idée, scientifique ou autre, l’homme cherche tout 'abord la solution des questions qui le touchent de plus près, qui sont pour lui les questions essen- tielles, morales et sociales. Or, dans notre société où la lutte entre les hommes est un fait si général et où les avantages de ceux à qui le hasard a fourni les armes nécessaires à cette lutte sont si évidents, la théorie de la sélection naturelle et du triomphe du plus apte devait être accueillie comme la bienvenue : n'était-elle pas une justification toute prête de l’état social actuel et une réponse, basée sur les données de la science, à toutes les reven- dications égalitaires et humanitaires? Ceux que gênait, de loin en loin, l'apparition dans leur conscience d’un vague remords trou- vaient dans ce point de vue nouveau une justificas tion scientifique de leur attitude : si les faibles étaient écrasés, n'était-ce pas, comme dans le culture, pour le bien final de la race? Je doute de ces interprétations abusives ne SES LÉ Lier Dh TS Dr à. PR # NS "0, IN LPO TO PL s "] L a L Lil Ye S 3 + 352 LES THÉOPIES DE L'ÉVOLUTION retombe pas entièrement sur le grand public : les naturalistes les plus éminents n’y ont-ils pas aidés? Hæckel parla à plusieurs reprises de la loi inéluc- table faite pour l’humanité par la lutte pour l’exis- tence, et présenta la théorie de l’évolution commé le meilleur argument contre les aspirations égali- taires (surtout dans sa polémique contre Virchow au congrès des naturalistes de Munich, en 1887). Un autre adhérent de la première heure des idées darwiniennes, Huxley, alla aussi très loin dans la voie de cette sorte d'applications sociales, notam- ment dans une conférence faite par lui en 1888 et ayant pour titre : « La lutte pour l'existence et sa signification pour l’homme ». L'abus qu’on à fait du principe darwinien est général; quelques-uns n’ont-ils pas poussé l’exagération jusqu’à condamner même les œuvres d’assistance, destinées à soutenir les malades, les infirmes, les vieillards, ete., jusqu’à | répudier toute solidarité sociale, à prêcher un mod: | de vie qui, Si jamais il était réalisé, nous raméneraiït, sous prétexte de progrès scientifique, à un niveau inférieur à celui des peuplades sauvages. On était pris ainsi dans un dilemme angoissant : d’un côté les meilleurs sentiments, les meilleures aspirations de lhumanité, auxquelles aucun de nous, s’il n’est aveuglé par ses intérêts égoïstes, ne peut renoncer; de l’autre, la vérité scientifique, à laquelle non plus ne peut renoncer celui qui a acquis le besoïn et Fhabitude de la pensée scien- tifique. Où trouver une issue ? Et d’abord, nous devons dire que l'individu a le droit absolu de suivre la voie qu’il croit être la Je + PAT LH LE OT | - ds al ER ATEN CR Le) L DA ei : LE He , re” , CONCLUSION 353 meilleure, même si son action n'est pas justifiée au point de vue scientifique. Ce dernier d’ailleurs v’est pas immuable, et ce qui paraît aujourd’hui une conciusion rigoureusement conforme à la science peut devenir demain, à la lumière de nou- veaux faits ou de nouvelles conceptions, une erreur. Et en serait-il autrement, la vérité absolue existe- rait-elle, qu’on ne pourrait pas persuader à un homme de devenir une bête de proie foulant - aux pieds la vie et le bien-être de ses semblables, si cela répugne à son sentiment intérieur. Il se- rait absurde de nous obliger de prendre pour modèle la vie des animaux, puisque Pévolution nous à amenés à un degré où nous leur sommes supérieurs sous tant de rapports et a créé pour nous un mode d'existence infiniment plus complexe. Autant vaudrait nous priver de tous les bienfaits de la civilisation sous prétexte qu’elle manque dans le règne animal. Cela dit, hâtons-nous d’ajouter que nous venons de nous placer dans l’hypothèse la plus défavorable et qu’en réalité l’idée de l’évolution et les vérités acquises des sciences naturelles sont loin de justifier l'emploi qu’on en fait. Les grands transformistes, d’ailleurs, n’ont jamais pensé qu’on se servirait de leurs conceptions pour rabaisser le niveau moral de l’homme. Au contraire : Lamarck, par exemple, mettait la solidarité à la base de la vie sociale. « Dans les relations qui existent, dit-il dans son Système analytique des connaissances positives de l’homme, 1. Cité par Marcel Landrieu, ch. xxn : Préoccupations métaphysiques, sociales et morales de Lamarck. y PES Du. 20 LU MAT 77 VUE LL RAA. 2. LEA TE LE? FA ACL fe ae it, à Ko» BALE CE ; ÿ > ‘ % Lab QE dE E 394 LES THÉORIES DE L'ÉVOLUTION soit entre les individus, soit entre les diverses sociétés que forment leurs groupements, la con- cordance entre les intérêts réciproques est le princive du bien, comme la discordance entre ces mêmes intérêts est celui du mal. » Et il s’insurge contre les inégalités existantes créées par l’institu- tion de la propriété et contre l’oppression de la masse par la minorité. Darwin se place sur un autre terrain. Si l’homme est une espèce animale descendue des autres espèces, pense-t-il, sa vie psychique doit avoir une histoire phylogénétique au même titre que sa cons- titution physique, et nous devons trouver dans le règne animal des rudiments de nos sentiments moraux et sociaux {. Et les faits lui montrent qu’ii en est réellement ainsi, qu’il n’y a aucune diffé- rence fondamentale entre l’homme et les animaux supérieurs au point de vue des facultés mentales, des sentiments, des émotions, et aussi des instincts sociaux et du sens moral qui est « fondamentale- ment identique avec les instincts sociaux » (p. 103). Or, « les instincts sociaux poussent l’animal à trou- ver du plaisir dans la société de ses camarades, à éprouver une certaine sympathie pour eux, et à leur rendre divers services » (p. 75.) Ces instincts et la vie en commun qui les déve- loppe sont, d’ailleurs, avantageux pour lespèce. « Chez les animaux pour lesquels la vie sociale était avantageuse, les individus qui trouvaient le 4. La descendance de l'homme et la sélection sexuelle, vol. 1, trad. J.-3, Moulinié. { CONCLUSION 355 plus de plaisir à être réunis ensemble pouvaient mieux échapper à divers dangers, tandis que ceux qui s’inquiétaient moins de leurs camarades et vivaient solitaires devaient périr en plus grande quantité » (p. 84). Darwin cite, d’après Brehm et d’autres natura- listes, toute une série de faits montrant l’extension de l’aide mutuelle dans le règne animal. Beaucoup d'animaux placent des sentinelles pour avertir le troupeau du danger ; dans les troupeaux de rumi- nants, les individus les plus forts, les mâles, se mettent en avant lorsqu'il s’agit de défendre les autres; les loups chassent en commun, les péli- cans pêchent de concert, etc., etc. « Les hamadryas renversent les nierres pour y chercher les insectes, etc. ; et quand ils en rencon- trent une grande, ils se mettent autour tant qu’il en peut aller pour la soulever, la retournent et se partagent le butin » (p.79). Et voici un curieux récit emprunté par Darwin à Brehm : « Un jeune cercopithèque saisi par un aigle s'étant accroché à une branche ne fut pas enlevé d'emblée, et se mit à crier au secours ; les autres membres de la bande se précipitèrent avec beaucoup de tapage, entou- rèrent l'aigle et se mirent à lui arracher tant de plumes, qu'il oublia sa proie et ne songea plus qu’à s'échapper. Comme Brehm le fait remarquer, il est certain que cet aigle n’attaquerait plus jamais un singe en troupe» (p. 79). | Le sentiment de sympathie et même de compas- sion se manifeste quelquefois très clairement. Ps < ". ce 356 LES THÉORIES DÆ L'ÉVOLUTION Darwin raconte que les singes, tant mâles que femelles, adoptent toujours les orphelins de leurs compagnons et les entourent de beaucoup de soins, qu’on a vu des corbeaux et des pélicans nourrir leurs confrères aveugles, etc. Les exemples de ce genre cités dans la Descendance de l’homme sont très nombreux. Suivant son habitude, Darwin s’entoure de tous les renseignements possibles avant de tirer une conclusion. Cette conclusion, c’est pour lui l’origine animale de l’homme prouvée par l’histoire des sentiments moraux et sociaux. Pour nous, ce qui nous paraît significatif, c’est qu’en établissant la communauté psychique entre l’homme et les animaux, il leur fait une loi commune non de la lutte inexorable, mais de la solidarité et de l’aide mutuelle. On voit ainsi que les darwiniens ultérieurs se sont laissés entrainer dans une voie qui est loin d’être celle de Darwin lui-même. Il est même difficile de comprendre que des naturalistes tels que Wäaliace aient cru devoir chercher la solution de ces questions dans l’établissement précisément d’une ligne de démarcation très nette entre l’homme et le reste du monde animal. Depuis que l’espèce humaine s’est constituée comme une espèce spé- ciale du règne animal, dit-il, aux armes de lutte des autres espèces se sont joints chez l’homme les instincts de solidarité et de sympathie. C’est sur eux désormais et non sur les caractères physiques que s’exercera la sélection naturelle; les adapta- tions sont chez l’homme d'ordre moral et intei- ROUE TS RE TOC CNRS Léna dt Léa \ Le Ch A cn ES RD sn se ae Lé CONCLUSION 357 lectuel et non corporel. Il sous-entend donc que la lutte sans merci règne seule dans le reste du monde organique et que les sentiments de solidarité et de sympathie que nous observons chez l’homme n’ont aucune racine phylogénétique. Wallace est persuadé que l’homme échappe à l'influence des | lois qui agissent dans le règne animal par la supé- : à riorité de son intelligence et de ses sentiments moraux. « L'homme est réellement un être à part», dit-il, et il aboutit à la fin de son volume à des conclusions absolument spiritualistes en ce qui] concerne le genre humain !. | La question posée ainsi ne pouvait pas recevoir | de solution satisfaisante, et c’est l’absence de cette solution qui a rendu possibles les abus de l’idée gélectionniste dont nous avons parlé plus haut. À Heureusement, certains penseurs ont repris la L direction indiquée par Darwin et se sont mis à cher- cher une solution inspirée non plus des traditions métaphysiques et des tendances spiritualistes, mais des seules données de l’observation et de l’expé- rience, comme il doit en être de toutes les conclu- sions biologiques. Des psychologistes essayaient de découvrir dans le règne animal la racine des différents sentiments de l’homme et fondaient la psychologie comparée * qui est dans son enfance encore, mais qui nous indique la voie à suivre. À Ainsi, Ribot défendait l’idée que le sentiment | 1. À. R. Wazzace. La Sélection naturelle, p. 332 et suiv. ‘à 16 WW + ©: L' PRO Dee L où rs cree e D MR NN Eve 7 = | à à PU de Æ D Ne es SSM naît de la vie en commun et que 1e | senti- : 4 ments sociaux apparaissent déjà au sein des socié- tés animales. Abordant la question par un autre côté, il indiquait une origine toute tangible de notre sentiment moral et de nos tendances: altruistes dans la tendance inéluctable de notre organisme à étendre le champ de notre activité, à dépenser son énergie, et la dépenser non pas dans une action: destructive qui laisse un sentiment de malaise. mais dans une activité créatrice, bienveillante, qui s'accompagne d’un plaisir sans mélange !. C'est, cette même conception qui est préconisée, au point, de vue philosophique, par Guyau dans son essai de création d’une morale scientifique2. Et, chez l’un comme chez l’autre de ces deux auteurs, on voit lin- fluence directe des idées de Darwin dont ils donnent, dans leurs ouvrages, des citations nombreuses. Des sociologues ont suivi la même voie et, en cherchant à créer l’histoire comparée et l’étude. comparée des institutions humaines ont abouti à Ja nécessité de rattacher leur jeune science à la biologie. Certaines de leurs tentatives furent inspi- rées d’une idée radicalement fausse. Telle est la théorie de Spencer, basée sur l’analogie entre la société et l’organisme et empreinte d’un esprit métaphysique. Son principal défaut c’est de con fondre la division du travail physiologique et la .. 4. Ta. Risor, La psychologie des sentiments, ch vi; Les sentiments moraux et sociaux. 2. M. Guyau, Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction. > L CONCLUSION 359: division du travail social, et d’être inspirée autant par.la préoccupation de trouver coûte que coûte un point d'attache avec la biologie que par des soucis de caractère politique et social, le désir de légitimer l’ordre social existant. D'autres penseurs ont vu plus juste : ce sont ‘ceux qui cherchent des leçons pour motre vie sociale non plus dans l’existence d’un individu isolé, mais dans les associations animales. Ils ont abouti à formuler, à ce point de vue, contre l’abus. du principe de la sélection naturelle, des criti- ques très importantes et d’une portée très géné- rale. C’est P. Kropotkine, un auteur que nous. avons déjà eu l’occasion de citer, qui, dans son livre sur l’£ntr'aidet, a le plus complètement syn- thétisé ce point de vue qu’il rattache aux concep- tions de certains auteurs russes surtout à celles : d’un zoologiste, le professeur Kessler. Partout où les conditions naturelles sont défavo- rables, dit Kropotkine, le climat par trop inciément, la nourriture par trop rare, où la vie n’arrive que difficilement à triompher des causes de destruction, ce n’est pas la lutte entre individus de la même espèce que l’on observe, mais au contraire l’appui mutuel qui devient un trait important pour le main- tien de la vie et l’évolution de l’espèce. L'étude du monde animal montre que la vie sociale est partout: chez les fourmis, les termites, les abeïlles, même chez les animaux où les sociétés ne sont pas aussi 1. P. Kroporxine, L'Entr'aide, un facteur de l'évolution. Trad. française, 1906, PP AS RM PH LA 0 D PR (2 VAR are A de RERUE 1 és at D ni | k + F'. 4 : % x D '?- US n MAS eye La Re: Le TETE es fécondation et se transmettent aux générations. L ultérieures sous cette forme mélangée (hérédité | ‘24 mixte). La transmission des anomalies a mo F communavecl’hérédité mendélienne :elle comporte … des disjonctions, mais les chiffresobservés ne sont ns pas les chiffres mendéliens. ï * D'autre part, l’hérédité mendélienne est loin de « ; se manifester dans la généralité des fécondations : - on ne l’observe ni dans le cas normal, le plus « fréquent, de fécondation « légitime », se produi- sant dans les limites d’une même variété, ni dans | le cas de croisement entre espèces différentes. Elle « estlimitée aux croisements entre variétés-de la même espèce, lorsque ces croisements sont féconds. Entre ces divers modes héréditaires, la diffé- » rence n’est pas seulement, selon la conception " de M. Blaringhem, dans les résultats wisibles dans la distribution des caractères, maïs aussi dans l’essence même des phénomènes. Et cela P amène l’auteur à formuler une nouvelle théorie de « E l’hérédité, basée sur l’analogie avec les phénomènes he physiques et chimiques; « analogie » est, d’ail- leurs, un terme qui ne s'applique pas ici, çar il M ÉE s’agit pour l’auteur de quelque chose de plus : « # d’une véritable assimilation à des phénomènes soit al physiques, soit chimiques. #4 Dans la reproduction entre individus de la + même race ou variété, qui aboutit à l’hérédité SE normale, les deux éléments sexuels ont la même 4 ; constitution chimique, qui se transmet au produit. 1 k | Avant la fécondation, ils constituent un système M en équilibre, analogue à une solution saline sursa- F % PLROUAT: x #1) y L : Rire LT Bases é. * * vas | D 24 UE 2 APPENDICE AUX CHAPITRES VII À XI 385 turée; la fécondation change leur état physique, en les faisant passer dans une autre phase, ana- logue à la cristallisation. | Lorsque le croisement a lieu entre deux variétés d’une même espèce, les deux éléments sexuels pré- sentent, tout en ayant la même constitution chi- mique, des différences d'ordre physique, dans leur état de condensation. Telle est, par exemple, la diffé- rence entre la variété du Maïs à grains sucrés et la variété à grains amylacés : elle dépend unique- ment du mode de condensation des hydrates de carbone. Pour mieux faire comprendre le phéno- mène, l’auteur le compare à ce qui se passe dans la cristallisation de certains sels, le sulfate de soude par exemple, qui peut se présenter, sans changer de nature chimique, sous trois formes : anhydre, cristallisé à 7 molécules d’eau et cristal- lisé à 10 molécules d’eau. Le mode de cristallisation dépend des conditions extérieures (soit qu’on . chauffe le sel anhydre en vase clos ou à air libre) ou du cristal que l’on jette dans une solution sur- saturée : suivant qu'il appartiendra au système à 7 molécules ou au système à 10 molécules d’eau, la solution se cristallisera en conséquence. Ce der- nier phénomène a son analogue dans la reproduction du Maïs : si dans un épis de Maïs sucré on pollinise certains ovules avec du pollen emprunté à la même variété, d'autres avec du pollen de Maïs amylacé, d’autres encore avec un mélange des deux, on voit les premiers donner une plante à épis à grains sucrés, la deuxième à épis à grains amylacés, la troisième à épis en mosaïque. Les ovules se dote 7 pt > De rs nnler d' " LE pot A \f OT RTE QU vire, EP En DE de 3 RAT FA des FA #5 a 70 74 { LA RER 4 bee Rs a it LAN ST AR AL PE pi res de pu à OT Ps Qi CNE PROD PRE à MU 1 * É 2 VA RL D 1e LA # MAL. e * A pe. y 1) : AE , ft ai 4 pat x à S à L f te F A 1] Ce 508 +27 4 3 Su “ 1es PT F sd F' 386 APPENDICE AUX CHAPITRES VII A xn Ne 14 4 Ps à comportent comme des solutions satire Que ce " n’est pas là une simple analogie, le microscope le. montre : on voit bien une différence de mode de condensation entre l’amidon lamellaire des grains M amylacés et l’amidon amorphe des grains sucrés. N: C’est à ce mode de transmission que correspond l’hérédité mendélienne, ou alternative; les croise- ments qui lui donnent naissance sont appelés par. 4 l’auteur croisements équilibrés. La dominance peut trouver son explication dans £ les mêmes phénomènes : l’état de condensation ‘1 qui donnera naissance à la plus forte tensioninterne dans les molécules sera plus stable, de mêmequ'en « Li physique l’état d’un même sel est d'autant plus stable qu’il dégage plus de chaleur en cristallisant. À L'état le plus faible à cet égard deviendra récessif. . Lorsque le croisement a lieu entre deux espèces 7 4 tn mé. ‘ L LA Le TE CR le RC ET "7 Vo #4 x = Vos » d 44 DT P ) | différentes, on passe à une catégorie de faits tout h: autres; ici, il y a entre les deux gamètes une 7 différence de constitution chimique. Ce sont les | croisements déséquilibrés, avec échange de subs- | tances. Lorsque les substances différentes des deux D gamètes sont telles qu’elles peuvent former entre . elles une combinaison chimique nouvelle, une … 2 espèce nouvelle, le produit offre un caractère A intermédiaire entre les deux parents; c'est l'héré- _ dité mixte. La nouvelle combinaison chimiqueest, contrairement aux changements physiques, peu influencée par les actions extérieures; elle est … déterminée par les propriétés des corps mis en … 4 _ présence, par leur affinité. Et la stabilité du nou 4 veau composé (ainsi que la facilité avec lequel il n _— APPENDICE AUX CHAPITRES VII À XII 387 est obtenu) sera d’autant plus grande que sera plus grande la quantité de chaleur dégagée dans sa for- mation. Ainsi, le croisement entre le blé et l’Ægi- lope donne une espèce intermédiaire à caractères fusionnés, stable et infiniment féconde ; par contre, les différentes espèces de Linaires ou de Datura montrent après le croisement, à côté des carac- tères fusionnés, des caractères « en mosaïque » : les combinaisons effectuées paraissent peu stables; elles persistent (et avec elles, les caractères mixtes) pendant la vie végétative de l’hybride, mais se dissocient lors de la formation des organes sexuels dans ces organes et dans les gamètes ; il en résulte une ségrégation et le retour aux espèces parentes. Ainsi, l'hybride de Drosera longifohia (espèce à 20 chromosomes) et de Dr. rotundifolia (espèce à 10 chromosomes) renferme, dans ses cellules végé- tatives, 30 chromosomes, mais les produits sexuels mürs renferment les uns 20 chromosomes, les autres 10, et à la génération suivante l’hybride se trouve dissocié en les deux formes originelles. Sur la nature des échanges qui, dans ces condi- tions, ont lieu dans les gamètes, l’auteur émet quelques idées se rattachant à nos connaissances sur les échanges entre la cellule et son milieu en général. C’est dans les recherches du genre de celle d’Overton sur la solubilité des diverses subs- tances dans l’eau et les graisses, leur facilité de pénétration dans la cellule et leur action sur la tension du protoplasma, en rapport avec cette solubilité, qu’il voit la clef de ses problèmes. PILE LP : Le TS M pl EE à ci À 2 DAT + e. a nn ET LA : : x r . F Le grand nombre d’expériences sont venues ajouter APPENDICE AU CHAPITRE XI I. Depuis l’édition précédente de ce livre, #n des faits nouveaux à ceux exposés dans ce chapitre. Entourées de toutes les précautions possibles contre les erreurs, répétées, dans certains cas, pendant de nombreuses générations d’êtres — animaux et végétaux — la plupart de ces expériences parlent en faveur de la réalité de la transmission aux des- cendants des caractères acquis par les parents — sinon de tous les caractères et toujours, du moins de certains d’entre eux et dans certaines condi- tions, lesquelles d’ailleurs n’offrent le plus souvent rien d’exceptionnel et sont assez fréquentes dans la nature. Il est impossible de citer ici toutes ces expériences, mais nous devons en indiquer au moins quelques-unes. Celles de Kammerer, sur les Salamandres, sont les plus précieuses et les plus probantes, tant par leur nombre que par leur ré cisioni. 4. Les résultats définitifs de ces expériences, commencées il y a plus de ving ans, ont été exposés, dans ces dernières années, dans plusieurs périodiques allemands, surtout dans 8 Archiv für Entwickelungsmechanik et Zeitschr. für induktiss Abstammungs-und Vererbungsiehre. EE | APPENOICZ AU CHAPITRE {li 389 Parmi les rombreuses espèces de Salamandres, il en existe deux qui diffèrent radicalement entre elles par le mode de reproduction et l'aspect exté- rieur des larves : c’est la Salamandre tacheté: (Salamandra maculosa) et la Salamandre alpine Salamandra atra), La Salamandre tachetée est ovipare ; elle pro- ‘uit chaque année de 15 à 70 larves ; ces larves. qui naissent et se développent dans l’eau, respi- rent par les branchies ; c’est au bout de quelques mois seulement que les poumons apparaissent et les larves, sortant de l’eau, se transforment en Salamandres adultes. Cette espèce habite les endroits humides ; elle est caractérisée extérieure- ment par des taches jaunes. La Salamandre alpine, complètement noire, habite les régions sèches; elle est vivipare et donne naissance à deux jeunes seulement, de taille relativement grande et ayant déjà la respira- tion pulmonaire, c’est-à-dire complètement évo- lués. Kammerer modifie les conditions d'existence des deux espèces, en plaçant la première dans le milieu propre à la seconde, et réciproquement. Et il obtient les résultats suivants. Si l’on place la Salamandre tachetée dans un milieu plus sec, qui ne lui permette pas de déposer les œufs dans l’eau, on voit les larves parcourir à chaque génération une partie de plus en plus considérable de leur développement dans le corps de la mère; à la fin, les petits ont, à leur naissance, l'aspect de petites ÉERET CP AMEN TONER NA SN AT CE ee | ADN EAN fe ne on pe Par ET LE OA TEEN | , TAN TES ddr t # , Ne VERT * RNA TA te ES sd | IN — x ... v Ÿ t £ ” Ave ‘ è : ue CPE P, FAC OS ’ D NS RC EE DAT PAR LS | # 390 APPENDICE AU CHAPITRE XII Salamandres à respiration pulmonaire, comme celz __ ælieu chez la Salamandre alpine; enmêmetemps, leur nombre se réduit (2à 7).Ilest remarquable qu'un changement se produit corrélativement dans leur coloration : les taches jaunes deviennent moins nombreuses et l’aspect général se rapproche de celui de la Salamandre alpine. Si, maintenant, on replace ces Salamandres dans un milieu plus humide, en mettant à leur disposition la quantité d’eau nécessaire, on voit ces nouveaux caractères se maintenir jusqu’à un certain degré : les jeunes, à leur naissance, n’ont pas, il est vrai, l'aspect _ exact des Salamandres adultes, mais montrent, en tout cas, un degré de développement beaucoup | plus élevé que celui des larves ordinaires de la 4 même espèce : pour se transformer en animaux &dultes, il leur faut non pas plusieurs mois, comme à celles-ci, mais plusieurs jours seulement. Un phénomène analogue, mais se produisant dans le sens contraire, s’observe chez la Sala- mandre alpine : ses larves, à l'humidité, viennent au monde à un stade plus précoce; elles ont des branchies et, quelquefois, présentent les taches jaunes caractéristiques de la Salamandre tachetée; ces caractères se transmettent à la génération sui- vante, malgré le retour dans le milieu normal. Kammerer a fait sur les Salamandres une autre série d’expériences encore, portant spécialement sur leur coloration. Si l’on maintient des Sala- mandres tachetées pendant un nombre notable de mois sur de l’argile jaune, la coloration jaune s’é- 4 ; LS a ‘+. ) APPENDICE AU CHAPITRE XHNI 391 tend aux dépens de la noire ; l'humidité contribue au même résultat. Le contraire s’observe si on les maintient sur un fond noir et dans un milieu rela- tivement sec. L'observation desjeunes des animaux _ ainsi expérimentés montre que la modification acquise se maintient même en l'absence de l’action du milieu inducteur. Le nombre d'expériences de cette sorte fait par Kammerer est trop considérable pour qu’on puisse les citer toutes ici; elles ont porté sur la colora- tion des Grenouilles, des Crapauds et des Lézards, sur le cycle de la reproduction du Crapaud-accou- cheur et de plusieurs espèces de Lézards, sur des Limaces et des Escargots, avec leur coquille, etc. Dans toutes ces expériences, les caractères acquis dans des conditions artificielles se sont transmis, à un degré plus ou moins accentué, aux descendants malgré le retour au milieu neutre. Ces expériences sont si variées, vérifiées par des expériences de contrôle si sévères qu'aucun doute sur leur portée n’est permis. Il faut citer encore une expérience due au même auteur et qui est particulièrement intéressante en ce qu'il s’agit d’un caractère provoqué par une mutilation, c'est-à-dire un agent dont les effets ne sont généralement pas héréditaires. Kammerer _ coupe les deux siphons d’une Ascidie (Ciona intesti- nalis); les siphons régénèrent et les nouveaux se _ montrent notablement plus longs que les normaux. Les descendants de ces Ascidies qui ont régénéré leurs siphons ont, de même, ces organes plus qi * L > de D SE RE Re, 229 er, +. " md RS Lee petite, poils moins fournis ; chezles mâles, certaines si è #4 a : FA ds rt : OU 1 ŒUANO 4 f, » fi SIA x : | 4e RQ % s à x Fr d 392 APPENDICE AU CHAPITRE XI 4 longs que normalement. Il faut dire cejendanttl J ce qui est hérité ici, ce n’est pas le défaut provoqué par la mutilation, mais l'aptitude d’une partie du | corps à une croissance exagérée, attitude parfaite M ment applicable si l’on se place au point de vue « chimique que nous avons invoqué comme suscep- « tible de fournir la solution de ces problèmes. ‘#0 De pareils résultats frisent de bien près la for- mation expérimentale d'espèces nouvelles sous « l'influence du milieu. 1 Parmi les expériences récentes relative à la. même question il faut citer également celles de : Przibram sur des Rats blancs se développant à des » températures différentes. Une température élevée | fait apparaitre certains traits nouveaux : tailie plus | parties des organes sexuels plus développés; tous ces traits se transmettent aux descendants. Des. É résultats analogues ont été obtenus par Sumner « chez ies Souris blanches. ee 4 II. La question de l’hérédité des caractères ac- « quis forme l’objet d’un travail important de Semon « (Das Problem der Vererbung erworbener Eigen- « schaften), paru en 1912. A côté de l’examen critique des faits, les conclusions générales de l’auteur sont intéressantes. 4 On doit parler, dit Semon, non pas de l'hérédité des caractères acquis, mais de l’hérédité des pro=. cessus au moyen desquels l'organisme réagit aux. influences qu'il subit. Cela exclut, dès le Men à 5 Ne LA Ne PRE L'Frr PLAT IrI TU IE AA EE PATES 7É +. 26" > PE UN: \# t _ ra - APPENDICE AU CHAPITRE XI 303 toute possibilité de la transmission des mutila- tions, des effets detraumatismes de toute sorte, etc.; d’un autre côté, cela fait entrer dans la catégorie envisagée tous les faits où l’influence subie par l’organisme ne produit sur lui aucun effet visible, mais retentit cependant sur sa descendance. Semon classe en trois groupes les excitations qui peuvent agir sur l’organisme et y provoquer diffé- rentes réactions : | 1. Excitations morphogénétiques ; 2. Excitations fonctionnelles ; 8. Excitations ectogénétiques (produites par les influences extérieures). 1. Le premier groupe comprend toutes les ac- tions qui modifient la forme des parties de l’orga- nisme ; en règle générale, leurs effets ne se trans- mettent pas aux descendants, peut-être, suppose Semon, parce que l'excitation est trop faible pour retentir sur ies cellules sexuelles. 2. Le deuxième groupe est très important, car il comprend toutes les conséquences de l’usage et du non-usage des organes, ce qui a une importance _ primordiale pour l’explication de l’adaptation dans le monde organique. Les expériences qui y ont trait donnent des résultats contradictoires, ce qui, _ d’après Semon, s’explique par ce fait que, lorsqu'il s’agit des excitations faibles, elles doivent être répétées pendant de nombreuses générations pour qué leurs résultats se fixent et deviennent hérédi- taires. Mais là où les conditions naturelles assu- rent cette action durable, les résultats sont positifs, 18 el LP . CR ES: ANA CAL Ê t . RS Ne rt ANT TE T AE TORRES TS PER PT OR OTPES TU j si ue. LRU TE NNRE ER AIRE DV TU É "1 + LV ex ONE FU pr. ren tr ; LE we Grx Ce de 1h te. ÿ MEN è F 3114 APPEN APTE ENDICE AU CHAFITRE sn 4 comme le prouvent de nombreux faits païéontAlé- 3 giques, et aussi des phénomènes tels que la RES | d'organes visuels chez les animaux des cavernes, etc. Semon lui-même a fait des expériences sur certains phénomènes périodiques qui intervien- nent dans la vie des plantes et qui sont dus à = l'alternance des jours et des nuits; sa conclusion est que les modifications correspondantes des pro- cessus physiologiques sont héréditaires. “4 3. Les modifications de cette dernière catégorie " sont l’objet de la plupart des expériences montrant directement la transmission héréditaire. Les cas denon-transmission s’expliquentici, d’après Semon, soit par quelque particularité de telle ou telle exci- tation, soit par des conditions physiologiques telles que la sensibilité plus ou moins grande des cellules sexuelles qui (comme l’ont montré beaucoup d’au- teurs, Tower principalement) peut varier d’une façon périodique. Quoi qu'il en soit, c'est danscette catégorie que nous trouvons les faits les mieux « établis et les plus incontestables démontrant la possibilité de la transmission aux descendants des … effets dus aux influences extérieures. (Rappelons que ce sont précisément là les caractères qui jouent le rôle le plus PHROrnt dans la différenciation des espèces.) 7m Se fondant sur tous ces faits, Semon conclut que cette hérédité ne peut plus être mise en doute et 1 que les objections qu’on lui oppose sont dues princi- - palement à la connaissance insuffisante des condi- 4 tions dans lesquelles ont été faites les expériences: | # d hu nice prises, du fait de la répétition des LE expériences pendant de nombreuses générations, + des expériences de contrôle, etc. A la fin, Semon RAR la question du mécanisme de cette transmis- sion : un agent extérieur influence-t-il simultané- . mentlescellulessomatiquesetles cellules sexuelles, * ou bien les premières seulement, lesquelles, à leur 4 tour, transmettent l’excitation aux dernières? Le $ premier mode d’action lui semble, dans beaucoup - de. cas, peu probable car, lorsqu'il s’agit par Ras exemple de l’action de la lumière sur la coloration … de la Salamandre, ou de l’action de la tempéra- 3 Ï ture sur des animaux à sang chaud, l’excitation ne à peut atteindre les éléments sexuels d’une façon directe. Il s’arrête donc à la seconde hypothèse, 1 qui suppose l’existence de rapports récipraques | 1 _ étroits entre les parties somatique et germinale . de l’organisme. Re res AS + hi # "à SG y < 7 HAS Mur LA i, ; l rtogoe Sgen SE » LR d LT ph de EE + L'A L: 4 . 3 W x DER RCE rod AL +. RAS A Jos _« constantes cellulaires » en particulier, not comme du cyfoplasma : les chromosomes ne sor En dépit du règne presque universel des concep- : à JRonS mendéliennes, conceptions qui se rattachent - à tout l’ensemble des systèmes admettant l'exis- _tence des particules représentatives et aussi à l'idée de la prédétermination contre celle de l'ac- tion du milieu, la tendance larmarckienne ne # s’éteint pas. C’est d'elle que s’inspirent tous ceux … que la théorie mendélienne ne satisfait pas. Nous ji devons citer à cet égard le livre nouvellement paru d’un lamarckien français, M. E. RaBaup : 4 Lecherches sur l'hérédité et la variation. ; 24 L'auteur prend pour point de départ une certaine … conception de la cellule, cellule quelconque où - cellule reproductrice, indifféremment. Les recher- 4 ches récentes, celles de Mayer et ScHAEFFER sur les SAS le protoplasma comme étant constitué d’un grand … nombre de substances colloïdales différentes … (« substances plastiques » de l’auteur) associées … EN _en proportions définies mais pouvant PSC # dans certaines limites. Il en est ainsi du noyau _ que des groupements individualisés de ces ma: ses “olloïdales, et rien, si ce n'est les apparences pure | à AA Là - me à APPENDICE AU CHAPITRE XVI 997 ment morphologiques, n'autorise à leur attribuer un rôle prédominant dans la fécondation et l'hérédité. Aussi, dans sa conception de la fécon- dation, l’auteur s’abstrait-il complètement des phénomènes nucléaires. La fécondation est pour lui une union des substances plastiques des deux gamètes, qui a pour résultat un brassage amenant un complexe nouveau. Dans ce complexe, certaines substances se ‘trouvent dans des conditions plus favorables, d’autres dans des conditions moins favorables que dans le gamète auquel elles appar- tenaient par leur origine. Elles joueront donc un rôle plus ou moins important dans la constitution de l'être futur et donneront l’aspect d’une « domi- nance » de tel ou tel caractère, paternel ou mater- nel. Dans les croisements hétérogènes, certaines substances peuvent être rendues inactives ou même éliminées (comme c’estle cas du noyau mâle dans certaines fécondations croisées qui devien- nent de ce fait des parthé nogénèses). Dans l’œuf fécondé, aucun rapport ne lie telle ou telle subs- tance plastique à un organe ou à un caractère de l'être futur : chacun de ces organes où de ces caractères résulte du fonctionnement de l’en- semble de l’œuf. Les échanges au sein de ces subs- tances plastiques ont lieu pendant toute la durée de l’ontogénèse, et ils ne font apparaitre les nou- veaux caractères qu'au fur et à mesure. Dès les premiers blastomères, de nouvelles conditions d'échanges, de tension superficielle, etc. sont créées; la cavité centrale de la blastula introduit Tr HOUR 166 GRACE, RUES PIE ve 1 LUS h PHARE L'rEUT ANAE ® NOT AT Re +. de ga TT Gt red RS ; Se ‘ ; 0 398 APPENDICE AU CHAPITRE XV 4 une complication considérable, en créant un milieu | intérieur qui se transforme par la suite en un ts grand nombre de milieux de plus en plus compli- 4 qués. Les corrélations d’ordre physico-chimique s’établissent entre les diverses parties de l'embryon, à même à distance (formation du Cristallin, action Ê des sécrétions internes). C'est là l'explication des caractères « enchaînés entre eux » ües mendéliens. L’ontogénèse se poursuit ainsi par action de proche en proche des causes actuelles, et si elle est iden- tique pour une même espèce, c’est parce que la $ constitution initiale identique rencontre des condi- ‘à tions identiques. | | Il n’y a dans cette conception aucune place pour __ leSparticules représentatives, soit morphologiques, j soit chimiques, de caractères; ceux-ci se trans- _ mettent parce que se transmet la constitution physico-chimique globale de l’organisme parent. Quant au mode de leur transmission (hérédité alternative, intermédiaire, dominance, ségréga- tion etc.), il dépend de l'interaction des deux gamètes, amenant tel ou tel mode de mélange des substances, suivant les conditions auxquelles l’or- ganisme est soumis avant, pendant ou après la fécondation. Cette conception épigénétiste amène logique- ment l’auteur à attribuer un rôle important aux d. conditions du milieu environnant. La variation \ qui, en fait, n’existe pas pour les mendéliens, tout ÿ se réduisant à un remaniement de caractères pré- À 9 existants, est dans la conception de l'auteur, très APPENDICE AU CHAPITRE XVI 399 réelle, amenant la création de caractères entière- ment nouveaux, par une interaction réciproque entre l’organisme et son milieu. Que cette variation soit une fluctuation ou une mutation, elle se réduit toujours à une oscillation des rapports entre les diverses substances plastiques de l’organisme, oscillation faible et réversible dans un cas, oscil- lation plus forte, amenant l'établissement d’un nouvel équilibre dans l’autre. De même pour la question de continuité et de discontinuité des varia- tions : morphologiquement, tout nouveau carac- tère marquera toujours une discontinuité, mais lorsqu'on pense aux processus physico-chimiques qui en sont la base, on ne peut les concevoir que comme continus. La conception lamarckienne de l’évolution en découle naturellement. Qu'est-ce que les « carac- tères acquis »? Tout nouveau caractère congénital est le résultat d'une certaine interaction entre les gamètes des parents et les influences extérieures ; il est donc acquis à un moment donné. D'autre part, un caractère acquis par l'être adulte peut résulter d’une action plus ou moins forte sur les échanges de l’organisme ; cette action peut s'étendre où ne pas s'étendre aux cellules germinales, s’hé- riter ou ne pas s’hériter : ce sont là des cas indi- viduels qui ne changent pas la question de principe. L'évolution se fait par acquisition et transmission de nouveaux caractères, et ceux-ci ne peuvent résulter que d’une action du milieu sur les échanges de l’organisme. Aussi l’auteur rejette-il comme oiseuse la distinction entre le soma et le germen, LPRETA is AE : STEAM LE | dns + + 4: 400 | APPENDICE AU cHaP - La comme aussi entre une véritable transmi 0 à; | caractères acquis et une « induction parallèle », | 72 introduite par WEISMANN au cours d’une discussio M | purement verbale. PO <: Pour notre part, nous sommes d'autant plus enclins à accepter cette manière de considérer les 4 choses qu’elle est tout à fait conforme à celle qui 1 a été développée par un de nous dans un _ antérieuri. £ E : Le point de départ, pour l’ouvrage de M. E. Ra Fa __ baud, ayant été fourni par des recherches métho- nt. diques et laborieuses sur les divers modes d de 54 transmission chez les Souris, il comprend une cri- Ë tique détaillée des conceptions mendéliennes, aussi bien de la conception générale des facteurs que des hypothèses adjuvantes qui sont venues # expliquer la diversité des résultats observés. L'es- prit général de cette critique est essentiellement le même que celui qui nous a inspirés dans notre - Appendice au chapitre sur le Mendélisme. “# ee % FF 7 A sn es 158. ‘ ds. ee + > MT re en ARE AE d L 4 + 1. Yves Derace. L'Hérédité et les grands problèmes de ue % Biologie générale. à 28 Re as be, RP ; ‘ei Fe É | à