^Kp? c <: .cç«5| ~~ jïr" >c^- '^- — ^^ — i ^--^g"»,^"^: "_^ ^ ce. *tT^ {f «r~ ml >* *£-• ^5C cE MGK TURINAZ ÉVÊQUE DE NANCY ET DE TOUL ANCIEN ÉVÊQUE DE TARENTAISE LETTRES PASTORALES >TOME PREMIER PARIS rktaux-bra'îv libraire-éditeur 82, RUE BONAPARTE, 82 1890 Tous droits réservés. DEC Î8 7 1958 '■ AVIS AU LECTEUR Les Lettres pastorales contenues dans ce premier volume et dans une partie du second ont été publiées pour le diocèse de Tarentaise que Mgr Turina\ a administré pendant un peu plus de neuf ans. Les autres ont été publiées pour le diocèse de Nancy et de Tout. Nous avons placé à la fin de chacun de ces deux volumes et dans une section spéciale, des publications qui traitent des Universités catholiques, de l'Ensei- gnement de la Théologie, de la Philosophie, de l'Archéologie, etc., afin que ces publications n'inter- rompent pas, dans le cours des volumes, la série des Lettres pastorales. J Mgr TURINAZ ÉVÊQUE DE TARENTAISE < LETTRE PASTORALE MGR L'ÉVÊQUE DE TARENTAISE A l'occasion de son entrée dans son diocèse. 1er juin 1873. Nos Très Chers Frères, Bientôt la plénitude du sacerdoce nous sera conférée par des cérémonies augustes ; la voix du Pasteur suprême, du Vicaire de Jésus-Christ, s'est fait entendre ; elle nous envoie vers vous. En présence de ce fardeau de l'épiscopat, qui serait redoutable aux anges eux-mêmes '. à la pensée des sépa- rations douloureuses auxquelles nous allions être con- damné, nous avons hésité longtemps. Il nous eût été doux de poursuivre dans la paix de cette sainte maison 2, où nous avons passé dix années 1 Ohms quippe angelicis humeris formidandum. (Concil. Trid., sess. 6, de Refor., c. 1.) 3 Le grand séminaire de Chaœbéry où l'autour a enseigné pendant dix ans et simultanément la théologie et le droit canon. - io — heureuses, les études qui nous étaient chères et de nous consacrer à ces œuvres . 2 Multli., .xxiv, 6. — 29 — haut sommet de la civilisation, où l'autorité a perdu son prestige parce que Dieu en est absent, où les doctrines avilissantes et subversives montent chaque jour comme une marée de boue, où la jouissance est le bien suprême, et la force, l'arbitre sans appel de tous les droits foulés aux pieds. Elle n'habite pas le cœur de l'homme qui devient l'es- clave humilié de ses passions, et le foyer de la famille qui méprise les lois divines et les grandes traditions chré- tiennes. La paix est l'œuvre de la justice : Erit opus justitiœ pax\ Elle est l'œuvre de Jésus-Christ, le fruit béni de son règne; car, au jour où il viendra, dit le Psalmiste, la jus- tice apparaîtra et avec elle l'abondance de la paix : Orie- tur in cliebus ejus justitia et abundantia pacis2 . La paix a été annoncée au monde parce qu'il est le maître et le Sei- gneur de tous3. Les Anges ont chanté sur le herceau du Sauveur cette paix accordée aux hommes de bonne volonté1' . Le bien précieux que le Fils de Dieu a laissé à ses dis- ciples n'est pas la paix incertaine, troublée, imparfaite et douloureuse que donne le monde, mais la paix que lui seul peut donner par son Evangile, sa puissance et son amour. Quand il apparaît au milieu d'eux vainqueur de la mort, la première parole qu'il leur fait entendre est le souhait de la paix : Pax vobis 5 / Et lorsqu'il leur confie son autorité, lorsqu'il les envoie comme son Père l'a envoyé, lorsqu'il leur donne avec l'Esprit-Saint le pouvoir de remettre les péchés, il leur répète ce souhait de la paix parfaite, parce qu'elle est tout à la fois une condition nécessaire et un des fruits les plus célestes de cette mission divine6. Cette mission des Apôtres, l'Eglise l'accomplit encore. 1 lsaiœ, xxxii, 17. -' Psalm., lxxi, 7. ' Act. Apost., x, 36. * Luc, ii, 14. s Joann,, \x, Î9. 6 Joann., xx, 21 et 22. — 30 — Noua devons fnire régner la paix, la paix des passions soumises et domptées, la paix des familles régénérées par L'amour, l'obéissance et la pureté, la paix des nations par la miséricorde, la vérité et la justice. C'est là une des grandes obligations de l'épiscopal, à cette époque de divisions, de luttes et d'angoisses. Déjà, vers le milieu du siècle dernier, le Pape Clément XIII, dans une encyclique où il trace avec une clarté et une force admirables les devoirs de l'épiscopat, place au premier rang cette obliga- tion de faire régner la paix entre les fidèles '. Et le Pape Pie IX, répondant, il y a quelques semaines, à l'adresse des pèlerins français, prononçait ces belles et touchantes paroles : « Les pèlerinages, les prières, la fréquence des sacre- ments, la bonne volonté qui se manifeste en France, sont un gage,, une preuve que Xotre-Seigneur se manifestera de nouveau à la France : Modicum et vidébitisme*. « Oh î puisse-t-il, en se manifestant à ce pays de prédi- lection, lui apporter le salut qu'il apporta aux apôtres : Pax vobis ! Qu'il nous donne à tous cette paix qui accom- pagne les enfants de Dieu, même au milieu des tribulations et des combats auxquels ils sont condamnés; cette paix qui, en nous conservant notre liberté d esprit, même an milieu des circonstances les plus difficiles, nous porte à agir avec fermeté, quoique sans précipitation, et à mar- cher dans la voie qui conduit à la vie! 3 » Nous voudrions nous-mêmc, nos très chers frères, rem- plir auprès de vous cette grande mission; nous voudrions /{ne, nous voyant venir à travers vos vallées et sur les som- mets de vos montagnes, vous puissiez nous saluer avec joie comme V ambassadeur de la paix, du règne de Jésus- 1 Encycl. A quo nabis, 27 sept. 1778. 2 Joan., \\i, i6. 3 Réponse du Souverain-Ponlife à l'adresse lue par M. le comte de Damas, le 5 mai 1873. — 31 - Christ, du salut, des biens célestes et des espérances divines '. Nous avons été toujours l'apôtre de la paix, nous vou- lons l'être partout. Est-ce qu'il n'y a pas sur cette terre assez de froissements nécessaires, de divisions inévi- tables et de luttes cruelles? Est-ce qu'il n'y. a pas assez de larmes amères, de sang versé par la haine et d'incon- solables douleurs?... Sans doute, nos très chers frères, nous ne pouvons être étrangers aux questions vitales de la société dont nous sommes les membres et qui touchent à chaque instant aux intérêts que nous sommes chargés de protéger et de défen- dre. Nous sommes, nous aussi, citoyens d'une patrie que nous aimons et que nous voulons servir; nous avons, nous aussi, nos opinions et nos préférences ; c'est notre droit et souvent notre devoir; mais nous ne sommes point les esclaves des partis; nous les dominons de toute la hau- teur de la Croix sur laquelle le Fils de Dieu est mort pour tous les hommes. Ministre de la miséricorde sans limite et de l'amour infini, envoyé surtout pour diriger ceux qui s'égarent et sauver les brebis perdues, nous sommes le pasteur de tous ; notre porte et notre cœur sont ouverts à tous. Et si, au milieu de ces dissensions qui déchirent notre malheureux pays, vous nous demandez de quel parti nous sommes, nous vous répondrons comme saint Vin- cent de Paul au milieu des luttes sanglantes de la Fronde : Nous voulons être du parti de Dieu et des pauvres ! Catholiques, enfants soumis de l'Eglise notre mère, ne nous affaiblissons pas par des divisions qui deviendraient criminelles ! Unissons-nous dans l'humilité de l'obéis- sance parfaite et dans les liens d'une charité qui soit forte, douce et patiente! Ne nous divisons pas en pré- sence des ennemis qui marchent sous une seule impulsion 1 0 quam pulchri super montes, pedes annuntiantis pneem, preedicanlis salutem, dicentis Sion .- regnabit Deus luus. Isai.e, lu, 7. — :tt - et (jiii triomphent par notre inertie et nos dissensions bien plus que par leur propre puissance! Et vous, qui hésitez encore au sein de ces clartés qui vous enveloppent de toutes parts, vous qui comprenez que tout ce qui est humain ne peut nous sauver, nous tous qui voulons arrêter nos sociétés éperdues sur le bord des abîmes, cherchons tows ensemble un terrain sur lequel nous puissions nous unir et centupler nos forces pour combattre le mal qui nous envahit et qui demain nous écra- sera! Unissons-nous ainsi en attendant que les révélations des faits, l'expérience de la vie, l'impuissance toujours plus évidente de la sagesse humaine, vous poussent sur les hauteurs de la vérité chrétienne et qu'enfin vienne ce jour heureux où la paix de Jesus-Christ fera tressaillir lous les cœurs, cette paix dans laquelle nous sommes appe- lés à nous unir comme les membres de son corps divin : Pax Christi exultet in cordibus oestris, in qua et, vocati estis in uno corpore1. V Mais, en présence de cette mission sublime de l'Épis- copat, nous avons senti encore une fois notre courage défaillir, et cherchant quelque part une consolation, un appui, une lumière et une espérance, nous avons dirigé nos pas vers cette ville de Rome, dont le séjour avait laissé dans notre cœur de si doux et de si grands souve- nirs, vers l'héroïque Pontife qui fait l'admiration de la terre, la joie du Ciel et la terreur de l'enfer. Faible, nous sommes aile à celui auquel il a été dit : Affermis tes frères : Confirma [retires tnos2. Appelé dans ces temps malheureux à prendre une part au gouvernement des âmes, nous sommes allé à celui 1 ColoSS . ni. 15. a Luc, xxn, 32. auquel il a été dit : Pais mes agneaux, pais mes brebis : Pascc agnos meos, pasce oves meas\ Nous avons compris que nous ne pouvions rien par nous-même dans ces luttes de toutes les forces humaines conjurées contre la Sainte Eglise, et nous sommes allé vers celui auquel il a été dit : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de V enfer ne pré- vaudront jamais contre elle 2. Nous sommes allé rattacher le grain de sable de notre vie au roc immobile qui porte l'Eglise de Dieu. Comme l'apôtre saint Paul, nous sommes allé voir Pierre et nous avons demeuré près de lui, près de son cœur pour éclairer, consoler et fortifier notre âme : Veni videre Pelrum et mansi apud eum3. Mais, au sein de cette Rome nouvelle de la révolution et de la conquête, notre regard cherchait en vain dans la foule agitée, pareille à la foule de toutes les grandes cités, les milliers de pèlerins pieux et recueillis qui accouraient autrefois de tous les rivages du monde aux fêtes de Rome chrétienne. Le 7cj Deum de l'action de grâces, que nous avions entendu chanter par soixante mille voix, aux jours de la glorification des martyrs et des saints, ne faisait plus retentir les voûtes attristées de l'immense basilique: mais le Vatican gardait encore la dernière grandeur vivante de l'Italie et l'espérance du monde. Nous avons repris avec une indicible émotion les che- mins que nous avions parcourus tant de fois, il y a dix années ; et, au moment où nous franchissions le seuil de la cour intérieure du palais pontifical, nous avons tres- sailli tout à coup en entendant un italien fidèle s'écrier avecun accent que nous ne pourrions oublier : « Ah! ici, on respire un autre air, un air qu'on ne respire nulle part ailleurs sur la terre! » Il avait raison ! il y a là, dans le 1 Joan., xxi, lo, 17. i Math., xvi, 18. ■ Ad «ial.it., i, 18. — 34 — silence même de la demeure du Souverain dépouillé, du Pontife persécute, une majesté que la prospérité et la gloire ne connaissaient pas. Il y a là. sur ces hauteurs sereines où le Vicaire de Jésus-Christ a place ses pensées et son cœur, une atmosphère de lumière et de paix qui saisit l'âme tout entière et qui émeut jusqu'aux larmes. Que vous dirons-nous de notre bonheur lorsque nous nous sommes prosterné aux pieds du Pontife qui nous accueillait avec une si touchante bienveillance, aux pieds du Père universel qui nous bénissait avec tant d'amour? 11 nous a été donné de contempler dans le Vicaire de Jésus-Christ, si ferme et si bon, si vaillant et si doux, la réalisation admirable de ce texte des livres saints que nous avons placé devant nous comme le phare qui doit diriger notre vie. .Nous avons vu la miséricorde qui ne se lasse jamais de plier., de pardonner et de bénir. Quelle douceur au milieu des persécutions! Ouelle inépuisable condescendance dans les audiences particulières et publiques! Avec quel accent de paternelle affection, le bon Pasteur rappelle aux hérétiques eux-mêmes le grand devoir de leur sanctifica- tion, de la recherche sincère et persévérante de la vérité qui ne leur sera pa^ refusée, et l'amour infini de Dieu qui veut sauver leurs âmes ! Il nous l'a dit lui-même, il faut opposer une poitrine de bronze aux ennemis de la foi : mais il faut aussi, partout et toujours, rester fidèle à la modération, à In prudence et ;i la douceur. Avec quelle sollicitude il parle des nations qui E rent, de la France surtout, de la France pour laquelle il a des tendresses privilégiées el des espérances que rien ne peut détruire ! .Nous avons vu le gardien infaillible, le témoin et, le martyr de la vérité sur la terre, le docteur universel, le Vicaire de Jésus-Christ, le maître et le roi iU'> àm'ès. Vais avons vu le centre vivant de l'unité catholique, le — 35 — rempart élevé par la main de Dieu contre toutes les erreurs, la puissance qui, depuis dix-neuf siècles, a abattu, dans l'impuissance et dans la honte, la science et le génie, quand ils ont voulu porter la main sur l'arche sainte et sur le trésor des doctrines révélées. Nous avons vu la justice sans défaillance, la justice qui défend les droits éternels sur lesquels reposent toute société humaine et la liberté sacrée des consciences catholiques; la justice qui maintient les droits incontes- tables que la conquête ne peut effacer et que dix siècles d'oppression ne détruiraient pas. Nous avons contemplé ce spectacle dont la philosophie païenne avait pressenti la grandeur ; nous avons vu le juste aux prises avec V ad- versité. Nous avons vu le pontife qui peut redire à la terre, étonnée de ses luttes, de ses résistances et de ses malheurs, les paroles d'un de ses plus vaillants et de ses plus illustres prédécesseurs mourant dans l'exil : « J'ai aimé la justice et j'ai haï V iniquité \ » Nous avons vu la paix qui ne peut venir que du cœur même de Dieu, la sérénité de ce front sur lequel ont passé tant de douleurs, ce visage dont les années n'ont point altéré la beauté. Nous avons vu ce vieillard seul debout et calme d'une sécurité surhumaine, au milieu de toutes les autorités qui s'abaissent, de toutes les dynasties qui s'en vont et de toutes les puissances incertaines de leur chemin. Dans la terreur qui saisit les plus forts et les plus habiles, cet octogénaire désarmé, vaincu, abandonné, seul ne se trouble, point. Menacé de toutes parts, il ne recule pas et il n'hésite jamais. Les ténèbres n'ont pu obscurcir son regard, les persécutions n'ont point aigri son cœur. Les orages qui ont emporté son trône, ont affermi dans la vénération et dans l'amour sa chaire éter- nelle. Les avertissements de sa sagesse ont été des pro- phéties que les événements réalisent avec un éclat qui frappe le monde d'épouvante, et, de ses deux mains 1 Paroles de saint Grégoire VII, moumut a Saleruo. — 36 — débiles., il couche tôt ou tard au tombeau tous ceux qui se sont levés contre lui. Comme les Papes des premiers siècles, comme les Léon et les Grégoire, il commente, dans de ravissantes allocutions, le texte de l'Evangile. Sa parole est éloquente, son auditoire c'est l'humanité. Au loin comme auprès de lui, par-dessus les frontières, les montagnes et les océans, cent cinquante millions d'hommes, prosternés dans l'amour et l'admiration, lui disent: 0 Père ! 0 saint Père t Bénissez-nous, nous sommes avec vous dans vos luttes et dans vos prières, dans vos douleurs et dans vos espérances ! Le schisme et l'hérésie s'étonnent de cette sublime audace, et la révolution, frémissante jusqu'aux portes de son palais, se demande d'où viennent à ce vieillard celte confiance que rien ne déconcerte et cet indomptable cou- rage? Elle annonce sa mort, et tout à coup elle entend avec stupeur la parole de ce captif qui ne veut pas se taire, de ce vieillard qui ne veut pas mourir Du haut du grand escalier du Vatican, au pied duquel veillent encore quelques serviteurs fidèles de la papauté, l'àme tout inondée des clartés de cette grande vision, nous avons cherché au loin et autour de nous, par delà les sept collines, par delà les Apennins et les Alpes, jusqu'aux' extrémités du monde, dans quelle région régnaient la misé- ricorde, la vérité, la justice et la paix en dehors des ensei- gnements etde l'autorité du Vicaire de Jésus-Christ. Nous avons entendu les murmures de la révolte, les cris delà haine à laquelle les ruines ne suffisent plus et qui veut raser jusqu'au sol tout ce qui existe. Nous avons vu les conspirateurs qui veillent dans l'ombre et les incendiaires qui s'apprêtent. Nous avons vu l'erreur marchant de con- quête en conquête, la vérité devenue importune aux rois et importune aux peuples. Nous avons vu la justice bannie et la force brutale partout triomphante, les con- quérants hésitante remettre leur épée au fourreau. Nous avons entendu, plus haut que les protestations d'une sécurité menteuse, le son du clairon et le cliquetis des armes : ils nous disaient que celte paix inquiète et fié- vreuse n'est qu'une trêve entre deux luttes sanglantes. Sur la voie triomphale de la vieille Rome, devenue la voie sacrée des triomphateurs pacifiques de l'Évangile, qui portaient à toute la terre des paroles de vie, nous avons vu passer les machines de guerre qui multiplient la mort. Mais tout à coup nos regards aperçurent la splendide coupole sur laquelle nous avions lu tant de fois ces pro- messes immortelles qui expliquent le passé comme le présent et qui illuminent l'avenir : Tu es petrus et super hanc pelram œdificabo Ecclesiam meam et portœ inferi non prœvalebunt adversus eam : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de V enfer ne pré- vaudront jamais contre elle l. Et devant nous, au milieu de la place immense, l'obélisque de granit, élevé par le bras de fer de Sixte-Quint, nous redisait L'hymne de l'es- pérance et delà victoire : Voici la croix du Seigneur! fuyez, puissances ennemies ! Le lion de Judas a vaincu ! Le Christ est vainqueur, le Christ règne, le Christ commande : que le Christ défende son peuple de tout mal - ! Alors, éclairé, consolé, fortifié, le cœur plein d'espoir, nous avons repris notre chemin. Nous avons compris que nous devions nous aussi travailler, combattre et souffrir pour vaincre le mal par le bien, pour les victoires de Dieu et de la Sainte Eglise! VI C'est dans ces sentiments, sous l'impression profonde des conseils et des bénédictions du vicaire de Jésus-Christ, c'est avec un cœur soumis sans réserve à son autorité 1 Matth., xvi, 18. 2 Ecce crue Domini ! fugile, parles adverses I Vieil leo de tribu Judal Christus vincil, clvistus régnai, Christus imperat ; Chrislus ab omni malo plebem suam Uefendat ! - 38 — suprême, avec un attachement inébranlable à ces doctrines romaines que nous avons reçues pendant trois années dans les universités catholiques, au pied de la chaire de Pierre, et que nous avons répandues par la prédication et par l'enseignement des sciences théologiques; c'est avec ces désirs, ces lumières et ces forces que nous venons au milieu de vous. Les grands et saints évêques qui ont illustré l'antique église de Tarentaise nous protégeront. Nous comptons sur le concours dévoué d'un clergé dont nous connaissons la piété, la science et le zèle, et pour lequel nous ne sommes ni un étranger, ni un inconnu. Nous appartenons depuis plusieurs années au chapitre de votre cathédrale ; élève externe du Petit-Séminaire de Moûtiers, nous avons habité ce palais épiscopal où la Providence nous ramène par des voies qu'elle seule pouvait ouvrir devant nous ; nous retrouverons avec joie parmi les prêtres de notre diocèse des condisciples qui peut-être ne nous ont point oublié. Nous comptons, N.T. C. F., sur votre foi qui est restée active et puissante et sur votre fidélité aux pratiques les plus touchantes de la piété. Nous savons que les visites pastorales ont été jusqu'à ce jour, pour vos évêques, la plus douce consolation de leur ministère, et aussitôt que nous le pourrons, nous visiterons le diocèse, afin d'at- teindre par nous-même toutes les âmes qui nous si ml confiées. Nous aurons, pour nous protéger, les bénédictions du saint Cardinal dont la bienveillance si affectueuse et si constante a été la première cause de notre élévation à Pépiscopat... 0 Père, nous avions espéré, et vous aviez espéré aus^i. que \os mains répandraient sur nous l'huile sainte au jour de aotre consécration ! G'eûl été pour nous un si grand, un si doux souvenir parmi tant d'autres qui nous viennent de vous ! .Nous avions espéré, pour guider et soutenir notre faiblesse, les lumières de votre longue - 39 - expérience, les conseils de votre haute sagesse., le secours de votre main toujours si vaillante et si ferme et l'appui de votre cœur. Du moins, protégez-nous du haut de ce séjour de la paix et de la gloire où Dieu a couronné vos vertus! Que votre exemple nous encourage et nous anime ! Vous avez combattu, pendant près d'un siècle, sans vous donner un jour de repos, les bons combats du Sei- gneur, dans l'humilité et la pauvreté, par l'ascendant de la science, par la vénération qu'inspire la sainteté, par cette vie tout entière si noble et si simple, si austère et si belle. Bénissez-nous ! Bénissez ce diocèse qui a eu la gloire de vous donner à l'Eglise ! Nous aurons, pour nous soutenir, les vœux et les prières de notre vénérable prédécesseur. Notre première enfance a connu sa touchante bonté ; notre jeunesse a apprécié sa piété, son zèle pour toutes les bonnes œuvres. Il nous a choisi pour lui succéder dans ce diocèse auquel il n'a pu consacrer que quelques années de sa vie, et nous savons qu'il restera toujours avec nous par sa pensée et par son cœur. Pourrions-nous oublier ce pieux évêque auquel nous unissaient les liens du sang et dont nous voulons suivre les traces vénérées? Lorsque, vaincu par les souffrances et par les défaillances de la vieillesse, il s'éloigna de vous, il voulut partir sans prononcer une parole d'adieu: «Je « n'ai pas, disait-il plus tard, je n'ai pas un cœur de « bronze et je ne voulais pas m'exposer à l'émotion de « cette dernière entrevue. » Mais quand il eut franchi, dans un morne silence, les limites de son diocèse, quand la dernière église eut disparu à ses regards, le vieil évoque ne put contenir ses larmes... Aussi il a voulu reposer au milieu de vous ; vous avez fait de ce retour attristé un véritable triomphe, et aujourd'hui encore son tombeau est gardé par la vénération, la reconnaissance et l'amour. Il nous semble que sa voix nous appelle, que sa main elle-même nous conduit vers vous et que son énergique - 40 - et ardente parole nous demande de vous aimer comme il vous a aimés. Mais cette heure du départ, qui va nous rapprocher de vous, est aussi l'heure des séparations... Ce n'est pas sans un profond regret que nous quittons le diocèse de Chambéry auquel nous avions espéré, dans notre situation plus humble, consacrer notre vie tout entière, ce chapitre métropolitain qui nous avait accueilli dans ses rangs avec bienveillance, ce clergé parmi lequel notre cœur cherche, en ce moment, tant de jeunes prêlres qui ont été nos élèves et qui resteront toujours nos amis. Ce n'est pas sans une vive douleur que nous franchis- sons le seuil de ce Séminaire où nous avons voulu habiter jusqu'au dernier jour et où nous avons rencontré des amitiés dévouées et fidèles. Ce n'est pas sans une vive douleur que nous abandonnons l'enseignement des sciences sacrées qui avait eu pour nous ses fatigues sansdoule, mais aussi ses récompenses et ses joies, et ces jeunes gens, dont la confiance et l'affection nous étaient si précieuses. 0 Séminaire de Chambéry I nous reviendrons souvent vers toi par nos plus chers souvenirs! 0 ville de Chambéry ! Est-ce quenous pourrions t'oublier à cette heure douloureuse des adieux? Nous sommes un de tes enfants ! C'est dans ton enceinte que nous som- mes né à la vie périssable du temps et à la vie divine dans les eaux saintes du baptême. Tu as entouré notre jeunesse de si nombreuses et de si vives sympathies l Tu nous as donné dans les travaux du ministère les seules vraies joies du prêtre 1 D'autres ont pu douter de toi!... nous, nous avons espéré toujours I Nous avons vu de près le cœur de tes riches ouvert pour toutes les bonnes œuvres et à toutes les nobles inspirations; nous avons vu tes ouvriers et tes pauvres, malgré le malheur des temps et les efforts de toutes les haines aveugles, heureux dans leur travail et reconnaissants des secours de la bienfaisance... Con- - il — grégation pieuse, dont la direction a ete si consolante et si douce1, associations de chanté qui nous avez demandé si souvent le concours de nos conseils et de nos exhor- tations, communautés religieuses qui nous avez édifié par votre zèle et votre piété, foules attentives et recueillies sous cette parole dans laquelle vous reconnaissiez, non point les séductions de l'éloquence, mais l'accent des con- victions profondes et les élans d'un cœur qui vous aime ; population affectueuse et bonne, au milieu de laquelle, pendant dix années, nous n'avons rencontré que des visa- ges amis! o ville de Chambéry! nous te devons une grande part de nos premières bénédictions ! Ceux vers qui la Providence nous envoie ne s'étonneront point de ces regrets, car que pourraient-ils attendre d'un cœur oublieux et ingrat? Et maintenant, N. T. G. F., nous nous tournons vers vous et nous vous offrons notre meilleure volonté et notre plus complet dévouement. Notre arrivée au milieu de vous a été retardée par la maladie et la mort de Son Ëminence le Cardinal-Arche- vêque et ensuite par la difficulté de réunir NN. SS. les Évèques, retenus, à celte époque de l'année, dans leurs diocèses, par les visites pastorales. Notre sacre aura lieu le 11 juin. Le lendemain, nous consacrerons l'autel de la chapelle du Grand-Séminaire de Chambéry, et le vendredi 13, nous partirons par le Irain de six heures du matin ; nous passerons quelques heures à Albertville et à Conflans," et nous espérons faire notre entrée dans notre ville épis- copale entre cinq et six heures du soir. Le premier dimanche après la réception de notre pré- sente Lettre pastorale, la lecture en sera faite dans toutes les églises du diocèse, et, à la fin de la messe principale, on chantera le Veni Creator, avec le verset et l'oraison 1 La Conpréaation des Dames de Marie composée de Dames et de Demoiselles qui secourent de leurs aumônes et de leur travail les eufauts pauvres des salles d'asile de Chambéry. — 42 — de Spiritu Sancto, et l'antienne Sûb tuum Praesidium. Pendant quinze jours, Unis les prêtres ajouteront à la messe la collecte pro Episcapo. Nous invitons nos chers diocésains à prier d'une manière spéciale pour nous et nous demandons aux âmes pieuses de l'aire une commu- nion selon nos intentions. Donné à Chambéry, au Grand-Séminaire, sous notre seing et le sceau de nos armes, le jour de la fête de la Pentecôte, 1er juin 1873. LETTRE PASTORALE PRESCRIVANT UNE NEDVAINE PRÉPARATOIRE AUX PRIÈRES PUBLIQUES votées par 1 Assemblée nationale. 24 octobre 1873. Nos Très Chers Frères, Les représentants de la France se réuniront dans quel- ques jours et décideront de son avenir. A cette heure des solutions définitives, nous nous sentons plus que jamais dans la main toute-puissante de Dieu. Au-dessus des cal- culs de l'habileté, des efforts des partis, au-dessus des politiques qui s'agitent et de la nation qui attend dans l'anxiété, Dieu seul reste l'arbitre suprême. L'avenir de notre chère Patrie sera l'avenir qu'il lui fera dans la jus- tice qui frappe et qui punit ou dans la miséricorde qui pardonne et qui sauve. Nous devons donc, au pied des autels et même dans le silence de nos demeures, faire monter vers le Ciel les accents d'une prière ardente. L'Assemblée Nationale a compris la nécessité du - 44 - secours divin; et, dan s sa séance du ii) juillet. elle a adopte la résolution suivante : « Le premier dimanche, qui suivra la rentrée, des prières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et les temples pour appeler ses secours sur les travaux de l'Assemblée. » Oui, si Dieu n'a pitié de nous, si l'union ne se fait pas entre tous les hommes de cœur, s'ils ne foulent pas aux pieds les intérêts personnels pour ne songer qu'au bonheur de la France, s'ils n'écartent pas avec générosité les souve- nirs douloureux du passé, sJils n'imposent pas silence aux inspirations des passions aveugles, si la liberté n'est pas garantie par une autorité respectée de tous, la France est menacée, non pas seulement dans sa puissance et sa gloire, mais dans son existence elle-même. Affaiblie déjà par une guerre lamentable, sans allié, livrée aux horreurs de la guerre civile, elle sera écrasée en quelques jours par l'ennemi qui veille sur ses frontières ouvertes: elle sera divisée en tronçons meurtris et sanglants, elle deviendra la Pologne de l'Occideut. En priant pour la France, en demandant à Dieu qu'elle reste, maigre ses fautes et ses malheurs, la grande nation catholique, nous demandons qu'elle reste l'espérance de toutes les faiblesses opprimées, le soldat de toutes les nobles causes; nous prions pour l'Eglise dont la France est, au point de vue humain, le seul et dernier appui. Ce qu'il faut demander à Dieu dans ces supplications universelles, c'est la lumière pour les hommes auxquels est imposée la responsabilité de ces solutions redoutables: c'est l'indépendance de leurs âmes, afin qu'ils s'élèvent plus haut que les préjugés et l'obstination des partis, plus haut que les défaillances de la faiblesse et les illusions de l'enthousiasme irréfléchi. 11 faut demander qu'ils ne ser- vent que la vérité et la justice, et que, en présence de cette nation qui les regarde, devant Dieu et la postérité qui les jugeront, ils méprisent les hésitations de la pusil- lanimité et aussi les entraînements de l'audace qui nie tous les obstacles et qui brave tous les périls. Ce qu'il faut demander pour ce pays si profondément agité et toujours disposé à osciller entre le despotisme et l'anarchie, c'est qu'il soit capable de fixer enfin ses destinées et de fonder un ordre stable dans la justice pour tous et la vraie liberté. Pour Nous, quelles que soient la sérénité ou les tem- pêtes des jours qui vont venir, Nous n'oublierons pas notre mission surnaturelle, Nous ne trahirons pas les engagements que Nous avons pris en face de ce diocèse la veillé de notre consécration épiscopale. La main sur les livres qui contiennent, avec la parole inspirée de l'Esprit-Saint, la règle suprême de notre apostolat et de notre vie ; le cœur soumis à tous les ordres de l'Église notre mère et du vicaire de Jésus-Christ; le regard fixé sur le Fils de Dieu, le seul maître et le seul Sauveur: les pieds, quoique faibles et tremblants, dans les sentiers que les saints ont suivis, Nous redirons sans hésitation et sans crainte aujourd'hui, demain et toujours les vérités qui ne passent pas et qui dominent de toute la hauteur du ciel les ténèbres et les passions de la terre. Nous ferons entendre, sans nous lasser jamais, les paroles de la cha- rité et de la paix, et Nous défendrons les droits de l'auto- *rité qui vient de Dieu. Heureux et forts de l'affection que vous Nous avez donnée, sentant bien dans les profondeurs de notre i.me que Nous sommes l'ami et le pasteur de tous, Nous comp- tons sans réserve sur la modération, la prudence de ces populations si honnêtes, si paisibles et, dans leur immense majorité, si profondément chrétiennes. LETTRE PASTORALE SUR LE MATÉRIALISME ET LA SPIRITUALITÉ DE L' 30 janvier 1874. Nos Très Chers Frères, Dans la première lettre pastorale que nous vous avons adressée au moment de franchir le seuil de ce diocèse, nous énumérions, parmi les obligations imposées à notre faiblesse, le grand et rigoureux devoir d'enseigner la vérité. Les évêques, disions-nous, sont responsables devant Dieu de l'ignorance des peuples, responsables des erreurs qui pénètrent dans le bercail du Seigneur. Le droit ecclésiastique leur donne l'autorité de condam- ner ces erreurs. Ils doivent, avec une sollicitude infati- gable, surveiller toutes les doctrines que répandent et la parole, plus puissante que jamais, et la presse qui cem tuple partout sa prodigieuse inlluence. - »i8 - Or, parmi les doctrines acharnées à la destruction de la vérilé, il en est une plus menaçante à l'heure où nous sommes, et qui atteint dans leurs bases premières tontes les croyances qui sont la lumière et l'espoir 'de l'huma- nité. Elle descend des rangs élevés de la société, de la chaire où enseignent les maîtres de la science ; elle s'adresse à l'ouvrier des grandes villes, au cultivateur courbé sur ses sillons, au pâtre de nos montagnes. Sous des formes diverses, mais toujours perfides, elle pénètre jusqu'au sein des populations les plus fidèles. Les pas- sions mauvaises lui ouvrent les chemins ; les livres et les journaux la propagent par le sarcasme et par le blas- phème. Elle se nomme le Matérialisme, parce qu'elle est la glorification de La matière. « La matière, dit-elle, est le principe unique de tout ce qui est '. La toute-puissance créatrice n'est que l'affinité delà matière2. Dieu estime hypothèse désormais inutile et réduite à la nullité, à un office purement nominal et surérogatoire '. L'àme est l'ensemble des fonctions du cerveau et de la moelle épi- nière*, une machine aussi mathématiquement construite qu'une montre5, la résultante de l'organisme qui périt avec lui. comme l'harmonie d'une lyre périt avec la lyre6. La science n'a pu constater un fait quelconque de vie après la mort. Les morts n'ont qu'une existence idéale dans notre souvenir. » Ainsi, l'existence et la spiritualité de l'âme, son immor- talité, l'existence de Dieu, sa justice, sa providence, toutes ces grandes et augustes croyances sont rejetées avec mépris par cette science orgueilleuse. Et le peuple résume toutes ces honteuses erreurs dans ces désolantes paroles : // faut jouir de la vie; quand on est mort, tout est mort. 1 Bu iiMn. Force cl Matière, 2 Molesci Mouvement circulaire de la vie. :i I.1TTRÉ. i Taine. 5 Renan. I UNE. — 49 — Notre devoir, Nos Très Chers Frères, est de dénoncer, avec l'autorité de notr? ministère, ces négations auda- cieuses, cette doctrine funeste; de l'attaquer sur le terrain qu'elle-même a choisi, sur le terrain de la raison, de l'expérience, des conséquences pratiques, au point de vue de son influence sur la moralité ou la dépravation de l'homme, sur le progrès ou la décadence des peuples, sur la marche ascendante ou l'abaissement de nos sociétés. Nous démontrerons qu'elle n'est pas seulement impuis- sante pour le bien, mais qu'elle outrage la raison, qu'elle se contredit elle-même, et qu'elle est la négation radicale de tout ce qui a fait, jusqu'à ce jour, notre consolation, notre force et notre grandeur. Nous n'ignorons pas que cette démonstration ne peut avoir une sérieuse valeur si elle n'est appuyée sur des preuves qui présentent, par leur nature même, d'incon- testables difficultés. Mais nous nous adressons à des populations intelligentes, parmi lesquelles l'instruction, et surtout l'instruction religieuse, a acquis depuis long- temps un développement remarquable ; nous confions ces paroles au zèle et à la science d'un clergé qui saura les commenter et les mettre à la portée de tous. La réfutation du matérialisme établira l'existence et la spiritualité de l'àme, et, sur cette vérité fondamentale, nous pourrons élever peu à peu, si Dieu nous le permet, une démonstration complète de la doctrine catholique. I La raison, Nos Très Chers Frères, est le glorieux apanage de l'homme, l'instrument de sa souveraineté sur les créatures inférieures. Puissance merveilleuse, elle parcourt l'immensité des cieux, pénètre aux entrailles de la terre; elle a soif de la vérité; elle se développe 4 - 80 - par In science; et, à travers les splendeurs de la création, elle s'élève jusqu'à Dieu. Toute doctrine qui attaque la raison, qui contredit, le témoignage du bou sens universel, l'expérience de tous, la voix intime de la conscience, doit être repoussée comme une erreur funeste. Aucune philosophie humaine ne proclame, comme l'Église catholique, la dignité de notre raison. Selon ren- seignement admirable des Saintes-Écritures commentées par les Pères et les Docteurs, la raison est une partici- pation de la lumière éternelle, l'illumination de Dieu, du Dieu qui est la lumière : Deus lux est. Car en lui est la vie et la lumière deshommes1. Cettelumière éclaire tout homme rcnant en ce monde'2. La raison est le reflet du visage de Dieu imprimé dans notre àme. Signatum est super nos lumen vultus tui, Domine 3. La foi ne contredit pas la raison ; elle l'enrichit de clartés nouvelles, elle la perfec- tionne et lui ouvre de plus vastes perspectives. Elle démontre, par une autorité divine, les vérités établies par les sciences naturelles. Plus haut que la foi, la raison arrive à la contemplation de la lumière dans sa source. Dans la lumière elle voit la lumière". Elle voit Dieu face à face, comme il est : sicutiests. Et ces visions seront le ravissement éternel de l'intelligence humaine. Telles sont, dans l'assentiment universel de tous les peuples et «le tous les hommes, et telles sont, selon la doctrine catholique, la valeur, la puissance et la gloire de la raison humaine. C'est cette valeur, cette puissance el cette gloire qui condamnent les doctrines honteuses du matérialisme. Et d'abord. N. T. G. F., quand nous descendons en bons-même, quand nous suivons d'un regard attentif Ifi 1 JOAN., I, 4. - Joan., ibid. S PS. 1Y. » PS. XYXV, 1(1. 5 1, JOAN., III, i. — Si — mouvement de notre vie, quand nous revenons par le travail de la réflexion sur nos propres actes, nous consta- tons avec la dernière évidence que, au-dessus des faits qui ont leur origine dans nos facultés physiques, il est une multitude de faits supérieurs à la matière, et qui ont nécessairement un principe plus élevé. Ces souvenirs qui peuplent notre solitude, ces pen- sées qui nous emportent vers un avenir encore inconnu, ces images si vives des objets que nous avons autrefois contemplés, les émotions de notre joie et de notre tris- tesse, tout ce monde supérieur qui s*agite et qui vit en nous, n'appartient pas à la matière. Et cependant, la réa- lité de ces faits s'impose à nous comme la réalité des mouvements de notre corps, comme la réalité de notre propre existence. Ce que je sais d'une certitude absolue, c'est que je ne connais pas ces faits par le témoignage des sens, c'est qu'ils ne sont pas le résultat d'une sensa- tion produite sur les organes de mon corps par les objets matériels. Je sens que ces idées, ces actes intérieurs, se succèdent, disparaissent et reviennent sans que mon corps y ait aucune part. Je sens qu'il y a en moi une puissance supérieure qui les fait naître, les multiplie, les dirige à son gré, dans l'inaction la plus complète de toutes les facultés physiques. Je sens qu'il y a en moi un principe qui n'est pas le corps. Ma conscience, cette voix qu'on a bien nom- mée le sens intérieur, le sens intime, dont l'autorité s'inir pose à l'enfant et à l'ignorant comme au savant le plus illustre, ma conscience atteste la distinction profonde, essentielle entre les faits qui ont leur principe, leur ori- gine dans les facultés physiques et les faits qui ont une cause supérieure, un principe immatériel qui est mon àme. Mais, si nous examinons de plus près ce témoignage de la conscience, si nous comparons la nature de ces faits et la nature de la matière, nous arrivons à une démons- tration plus rigoureuse* Nous ne pouvons admettre que la — o2 - matière puisse s'élever à une connaissance guelconqueet qu'elle soit capable de produire la pensée. Admettez-vous, en effet, que eette représentation que nous appelons une idée, par exemple, l'idée de justice, existe tout entière dans chaque partie de la matière, dans chaque partie d'un organe de notre corps, comme l'ensei- gnent les matérialistes contemporains? Mais la matière est essentiellement composée, elle est essentiellement un ensemble de parties. Quelque subtiles que vous supposiez les parties de la matière, vous pourrez les diviser encore; poussez l'analyse aussi loin que vous le voudrez, vous trouverez toujours devant vous une division absolument possible. Il y aurait donc en nous un nombre indéfini de princi- pes de nos idées, de principes de nos connaissances. Mais le témoignage de la conscience, en attestant l'unité du prin- cipe qui connaît et qui pense, et le simple bon sens repous- sent une pareille doctrine. Pourquoi d'ailleurs ce nombre indéfini, puisqu'une partie de la matière suffit à percevoir les objets et à produire la pensée? Admettez-vous que chaque partie de la matière possède une part de celte idée ? Mais alors, où est l'unité de l'idée elle-même ? Quel est le principe, quelle est la force qui rapproche et coordonne ces fractions! Cette idée, l'idée de justice, n'est pas dans l'ensemble des parties de la matière, elle est moins encore dans chacune, et par con- séquent elle n'existe pas. D'ailleurs, nos idées et surtout les idées les plus éle- vées, par exemple, l'idée d'être, L'idée de vérité, sont essentiellement simples. Vous pouvez les écartçr, vous ne les diviserez point : elles sont ou elles ne sont pas. Dircz-vous qu'une seule partie de la matière, qu'une seule parcelle de notre corps produit cette idée et la pos- sède.' Mais pourquoi les autres parties sont-elles exclues de cet admirable privilège ? Pourquoi sont-elles incapables de connaître, incapables de produire lapensée?Et encore — 53 — celle partie, quelque imperceptible que vous la supposiez, peut être divisée, et les mêmes difficultés renaissent tou- jours. Ou bien, si vous osez affirmer que cette partie ne peut subir ni décomposition ni division, elle n'est plus la matière : elle est l'âme dont nous affirmons Fexistence. Aucune autre hypothèse n'est possible, et par consé- quent la matière est absolument incapable de produire la pensée, et par conséquent il existe en nous un principe immatériel de nos connaissances : l'âme spirituelle. Le phénomène de la sensation démontre la même vérité. Nous éprouvons en même temps des sensations différentes ou contraires. Une de nos mains, par exemple, peut souffrir du froid et l'autre être exposée à un foyer ardent. Nous entendons des sons harmonieux et nous res- pirons des parfums ; nous voyons d\in même regard des objets divers. Nous rapprochons ces objets, ces sensa- tions dans un centre intérieur ; nous les comparons, nous en apprécions les différences. Il y a donc en nous un principe unique qui sent, qui compare et qui juge. Car, évidemment, cette comparaison n'est possible que par la puissance d'un principe unique qui saisit en même temps ces objets, qui éprouve ces sensations différentes et les résume, pour ainsi dire, en lui-même. Si ce principe était composé de deux parties seulement, aussi subtiles que vous les supposiez, elles resteraient étrangères l'une à l'autre : chacune éprouverait une de ces sensations ; mais nous ne sentirions pas en même temps ces deux impres- sions différentes et nous ne pourrions les comparer ni les juger. Le langage confirme d'une manière évidente cette unité et cette simplicité de notre âme. Nous disons : Je pense, je juge; nous ne disons pas : Nous pensons, nous jugeons. L'intelligence est si peu le résultat de la sensation, l'effet de l'organisme; la pensée est si essentiellement dis- tincte de l'impression physique, que l'intelligence rectifie cette impression et que l'idée dépasse de beaucoup la sen- — 5'i — satioD produite sur les organes du corps. « Il nous sufli- rait, a dit, dans une savante réfutation du matérialisme, un savant et brillant écrivain '. il nous suffirait de signaler ce fait important. L'image qui se dessine dans mon œil n'a aucun rapport de grandeur avec la réalité ou l'objet extérieur qu'elle reproduit. Y a-t-il égalité entre la mon- tagne qui est là, en face de moi, et l'image microscopique peinte dans mon œil .' .Nullement. Et cependant je ne me trompe pas. Je vois et j'affirme, malgré mes yeux, la vraie hauteur de cette montagne. Et non seulement je supplée à l'impuissance de ma vue. non seulement je la complète; mais, dans certains cas, je redresse ses écarts et je cor- rige ses erreurs. Ce n'est donc pas mon œil qui voit, juge. affirme et sent ; c'est une puissance qui en est distincte et qui est d'un ordre plus élevé. » L'intelligence saisit les objets matériels eux-mêmes avec une puissance qui ne peut venir des facultés physi- ques Elle saisit, dans ces objets, des idées de vérité, de beauté ; elle les applique à d'autres objets qui ne sont point actuellement soumis à l'action des sens. Elle cons- tate entre ces objets des relations de dépendance, de similitude: elle reconnaît l'ordre, la succession, l'harmo- nie, et pourtant rien, dans la sensation, dans l'impres- sion physique, ne peut expliquer l'existence de ces hautes idées. Parmi nos idées, il en est qui échappent complètement aux facultés physiques, et dont les objets ne peuvent être atteints par les organes matériels. Nous ne pouvons voir de nos veux ni toucher de nos mains la justice, le droit, le devoir, la vérité, l'éternité! Car la matière ne peut atteindre que la matière et les corps ne peuvent saisir que les corps. Et ces hautes pensées, si uécessaires à l'intelligence humaine, elles ne résident pas dans le corps qui se dis- 1 L'abbé Méric. LU Yte dans l'esprit et la matière, cbap.vu. - 55 - sout, dans los organes qui s'affaiblissent et qui bientôt deviennent impuissants. Elles habitent une région plus élevée. Le corps peut être mutilé par la force matérielle, ces idées restent intactes. Elles subsistent quand la main ne peut agir, lorsque les yeux ne peuvent recevoir la lumière, lorsque l'oreille est fermée à tous les bruits delà terre. Et quelquefois alors elles s'élèvent, elles s'illu- minent de nouvelles clartés, dans l'impuissance du corps, t dans la solitude, le silence et la nuit. Tandis que les organes physiques s'affaiblissent sous l'action violente des objets qui leur sont propres, tandis que l'œil peut être ébloui par une trop vive lumière, tandis que l'oreille se fatigue et devient insensible par l'intensité prolongée des sons, l'intelligence au contraire se dilate, elle prend un essor plus sublime, elle accroît sa puis- sance et sa fécondité dans la contemplation assidue des plus hautes doctrines, par la possession plus complète de la vérité. Mais la volonté nous offre des preuves plus éclatantes encore. Si l'âme n'est, comme l'affirme le matérialisme, qu'un offet de l'organisme, un produit de la matière, d'où lui viennent ces aspirations supérieures à la matière? Pour- quoi a-t-elle des ailes qui rélèvent au-dessus de la boue de cette terre, au-dessus de toutes les voluptés des sens, vers les régions de l'idéal, de la beauté parfaite? D'où lui vient ce mépris si profond de tout ce qui passe, de tout ce qui meurt? Pourquoi poursuit-elle d'un irrésistible élan les félicités qui ne passent pas, les lumières qui n'ont pas d'ombres et qui ne s'éteignent jamais ? D'où viennent à cette matière, quelque parfaite que puisse être son orga- nisation, ces vues sublimas ? Pourquoi ces regards jetés sur l'intini qui la sollicite, qui la séduit et qui l'entraîne? Où donc puise-t-elle ces espérances qui résistent à toutes les tristesses, à tous les malheurs, et que ne peuvent détruire ni les déceptions les plus cruelles ni l'expérience - 56 — multipliée de la mort? Le bien qu'elle désire, ce ne sont pas les jouissances physiques, les sensations de la vie ani- male : c'est un bien infiniment au-dessus de la matière, infiniment au-dessus de la terre et du temps : ce sont les visions, sans nuages, de la vérité ; ce sont les extases d'un amour éternel. Quelle est donc cette matière supérieure à la matière, cette matière qui méprise la matière ? Faut-il admettre, par une absurde contradiction, que la matière est au-dessus d'elle-même? Ou bien devons-nous affirmer, contre les lois du bon sens, que les effets dépassent leurs causes : en d'autres termes, que ces effets sont sans causes ? Mais pourquoi ne pas reconnaître, pour expliquer ces faits sans outrager la raison, pourquoi ne pas reconnaître qu'il y a en nous une substance supérieure à la matière, qui est le principe de ces phénomènes immatériels, de ces aspirations généreuses'? Et ce qui démontre encore la supériorité incontestable de ce principe, de notre volonté, c'est qu'elle se perfec- tionne et développe sa puissance en échappant à la domi- nation des sens ; c'est qu'au contraire elle perd son essor, son activité, sa fécondité, quand elle se plonge dans les voluptés sensuelles, quand elle accepte la servitude du corps, quand elle s'abaisse jusqu'à la matière. Oui donc nous expliquera celte influence funeste des plaisirs sensuels sur notre volonté, cet abaissement, celte impuissance qu'elle subit quand elle s'unit à la matière:* Qui nous dira comment la volonté, si elle est le produit de la matière, l'effet de l'organisme, peut être affaiblie, presque anéantie en s'unissant à son principe, en remon- tant, pour ainsi dire, à sa source nécessaire .' Ah ! vous parlez des mystères de la foi catholique! Ici ce ne sont pas des mystères, ce sont des contradictions palpables que vous ne résoudrez jamais! Les êtres d'une même nature s'appellent et s'unissent; h's êtres d'une nature opposée se repoussent toujours dans une certaine mesure. Et c'est pourquoi nous affirmons qu'entre la nalure de l'âme et la nature du corps, entre l'esprit et la matière il y a un abîme. Mais ici, à un autre poiot de vue, les impossibilités éclatent avec une plus complète évidence. Car, si la volonté n'est pas une faculté de l'âme spirituelle, si elle vient du corps, si elle est un résultat de l'organisme, elle en dépend, comme le fruit dépend de l'arbre qui le produit, la branche du tronc qui la porte, la chaleur du foyer d'où elle rayonne; elle est complètement soumise à l'orga- nisme, elle est l'esclave du corps ; elle ne peut rien Contre lui. Mais qui ne le sait par le témoignage irrécusable de sa conscience? Qui ne le constate par une expérience de chaque instant :} La volonté domine le corps, elle lui impose ses ordres, elle le gouverne comme une souveraine. Elle comprime les révoltes incessantes de la chair sous la loi de l'esprit ; elle fait subir au corps des travaux qui le fatiguent, des luttes qui l'épuisent; non seulement elle résiste à toutes les sollicitations de la volupté, mais elle brave toutes les puissances matérielles, elle triomphe de la force brutale et de l'horreur des supplices. Broyez le corps dans les tortures, brisez ses membres, faites les tom- ber sous la hache du bourreau: la volonté n'est pas sou- mise, elle n'est pas vaincue. Elle poussera ce corps mutilé au devant de la mort, parce qu'elle croit à sa vie spiri- tuelle. Elle ira au supplice, comme le remarque Bossuet, pour attester une vérité qui n'est pas la matière. C'est en vain que le matérialisme essaie de détruire la valeur de ces preuves en affirmant que l'intelligence subit toutes les vicissitudes de l'organisme, que le développe- ment et l'exercice des facultés mentales sont essentiel- lement liés aux conditions des facultés organiques, que l'intelligence vieillit et s'affaiblit avec le corps ; car, en nous-mêmes et sous nos regards, l'expérience contredit les affirmations du matérialisme. Est-il vrai que la vieil- lesse atteigne l'Ame dans la même mesure qu'elle affaiblit — 58 - le corps.' Oui donc n'a admiré, sous l'enveloppe de corps usés par les travaux et courbés sous le poids des années, des intelligences vives, actives et fécondes, acquérant chaque jour de nouveaux trésors, produisant des œuvres immortelles, dominant les multitudes par les accents de la plus haute éloquence, et étendant le royaume de la vérité par les conquêtes de la science ? Qui donc n"a admiré des âmes de feu dans des corps épuisés par la maladie et déjà atteints par le froid de la mort? Est-ce que le travail de la pensée, les veilles laborieuses de la science, les élans de la parole, n'usent pas en quelques années les santés les plus vigoureuses, tout en laissant aux âmes leurs ardeurs généreuses et quelquefois leur incomparable fécondité? Est-ce que le développement excessif du corps, les soins exagérés qui lui sont donnés, ne produisent pas, presque toujours, le sommeil profond et lourd, l'affaiblissement de l'intelligence ? Nous ne le contestons pas : dans une certaine mesure, l'exercice des facultés de L'âme dépend des organes du corps. Le corps et ses organes, dans des conditions nor- males, sont les instruments nécessaires à l'exercice com- plet de nos facultés intellectuelles, qui elles-mêmes réagis- sent sur l'organisme. La philosophie catholique donne de cette influence réciproque une raison profonde : c'est qu'entre l'àme et le corps il n'y a pas une juxtaposition, une union imparfaite, mais une union substantielle, de ielle sorte que l'âme de l'homme, à elle seule, n'est pas une nature complète, une nature dans sa parfaite intégrité. Sa destinée est d'être unie au corps. L'àme se sert des sens pour acquérir les idées. Après avoir saisi les objets matériels, elle parvient à des objets plus élevés. Sans doute, lorsqu'un organe important, le cerveau, par exemple, est lèse, un trouble existe dans les pensées. Cette lésion est un obstacle à l'exercice de nos facultés intellectuelles. Nous devons en conclure que le cerveau est un instrument nécessaire à l'exercice de ces facultés. — m - Mais qui donc pourra conclure que le cerveau lui-même produit la pensée? Qui donc affirmera que l'instrument dont se sert le musicien est la cause première des sons qu'il fait entendre, parce que, si l'instrument est lésé, ces sons subissent une altération incontestable? Qui donc affirmera que la cloclie est la cause première des joyeuses volées qu'elle jette à l'écho de nos montagnes, parce que, si cette cloche est brisée par le marteau ou atteinte par la foudre, elle donne des sons que vous ne reconnaissez plus ? « La matière, quelle qu'elle soit, a dit un savant illus- tre, un des hommes qui possède au plus haut degré la science du corps humain \ la matière est toujours, par elle-même, dénuée de spontanéité et n'engendre rien. Elle ne fait qu'exprimer, par ses propriétés, l'idée de celui qui a créé la machine qui fonctionne. De sorte que la matière organisée du cerveau, qui manifeste des phénomènes de sensibilité et d'intelligence propres à l'être vivant, n'a pas plus conscience de la pensée et des phénomènes qu'elle manifeste, que la matière brute d'une machine inerte, d'une horloge, par exemple, n'a conscience des mouve- ments qu'elle manifeste ou de l'heure qu'elle indique ; pas plus que le caractère d'imprimerie et le papier n'ont con- naissance des idées qu'ils retracent. Dire que le cerveau sécrète (ou produit) la pensée, cela équivaudrait à dire que l'horloge sécrèle (ou produit) l'heure ou l'idée du temps... Il ne faut pas croire que c'est la matière qui a engendré la loi d'ordre et de succession qui donne le sens ou la relation des phénomènes : ce serait tomber dans l'erreur grossière des matérialistes. » Nos adversaires prétendent, avec aussi peu de succès, que nous ne pouvons juger de l'opposition essentielle qui existe entre la matière et la pensée, entre le corps et les faits que nous appelons immatériels, spirituels, sans con- 1 M. Claude Bernard, Rapport au Mnistre de l'Instruction publique sur l'Exposition de 1867. — 60 - naître parfaitement et l'essence de la matière, et l'essence de la pensée. S'il en était ainsi, si une connaissance com- plète, parfaite, était nécessaire pour porter un jugement sur la distinction des objets et affirmer leur nature diffé- rente, cette objection, retournée contre toutes les sciences, en serait la destruction absolue. Si les matérialistes pré- tendent nous arrêter en demandant le dernier mot des choses, nous leur demanderons de nous expliquer les mystères du corps lui-même, de la matière universelle et éternelle. Nous leur demanderons pourquoi eux-mêmes établissent des distinctions entre les objets matériels, et nous démontrerons que leur prétendue science ne ren- ferme pas seulement des ténèbres épaisses, mais des con- tradictions manifestes. Il nous suffit évidemment de saisir entre la matière et la pensée, entre notre corps et les actes que nous attri- buons à un principe immatériel, des oppositions profondes, certaines, incontestables, affirmées par la conscience, par l'expérience de tous, des oppositions qui s'imposent au langage lui-même et dont la négation en contredisant le témoignage de l'humanité détruit toute moralité et tout- ordre social. S'il est, en effet, une démonstration qui résume en elle- même ces preuves et cette autorité de la raison contre le matérialisme, c'est la croyance de l'humanité tout entière. Les adversaires du matérialisme, ce ne sont pas seule- ment les écrivains immortels de l'Eglise catholique, les générations innombrables que le christianisme a élevées dans la vérité et dans la vertu ; ce sont, partout et tou- jours, les hommes de la vraie science, ces hommes que le grand orateur romain a nommés les patriciens de V intelli- gence humaine. Les doctrines qui repoussent ces négations audacieuses, ce ne sont pas des systèmes nés hier et qui mourront demain : ce sont les notions fondamentales, les traditions universelles qu'un philosophe prolestant, Leib- nitz. appelait la philosophie éternelle, perennisphilosophia» - 61 — Le témoignage qui les condamne, c'est la voix de tous les peuples civilisés ou sauvages, la grande voix de l'humanité qui s'élève de toutes les législations antiques et de toutes les civilisations modernes, de tous les jours des siècles et de tous les rivages du»monde. Repousser ce témoignage, cette autorité du genre humain, c'est repousser, condamner et détruire la raison elle-même. « Quoi ! a dit un éloquent apologiste, quoi ! éternels jouets d'un rêve éternel, misérables victimes de la fatalité, poussés et repoussés en tout sens comme une. vile écume, dédaigneusement brisée par le caprice des flots, nous serions tombés à cet excès d'indigence et de mépris, d'être rivés par notre raison, par notre conscience, par nos mœurs, par nos lois, par nos institutions, par toutes nos espérances et tous nos souvenirs, par tous nos instincts de vérité, de grandeur, de perfection, que clis- je ? par toutes les fibres de notre existence, par tous les battements de notre cœur, au plus grossier des paralo- gismes, au plus insensé des rêves, à la plus niaise des absurdités ! L'humanité, prise dans son ensemble, ne serait dans ses manifestations les plus élevées, dans ses œuvres les plus saintes, qu'un prodige d'hallucination, une perpétuelle et incorrigible aberration ! Ah I rendons grâce à Dieu d'avoir voulu que la ruine de toute croyance dans Tàme fût en même temps la ruine de tout principe et de toute logique dans la raison \ » Mais la preuve la plus écrasante contre le matérialisme, c'est la démonstration de ses contradictions perpétuelles. Se contredire soi-même, poser un principe et le détruire par des négations opposées, proclamer la toute-puissance delà raison et repousser bientôt ce qui a été établi comme une donnée essentielle de la raison, élever un système et renverser de ses propres mains ce système dans sa base ; en un mot, affirmer et nier en même temps : tel est le I Gothlin, Les Doctrines positivistes en France. - 62 - dernier outrage fait au bon sens par le matérialisme et aussi le châtiment suprême que Dieu inflige à l'orgueil de cette prétendue science. Les matérialistes repoussent toutes les hypothèses : ils veulent des démonstrations claires, certaines et, pour ainsi dire, palpables. Ils affirment cependant que la pen- sée est le résultat de la matière, le produit du cerveau. Mais, par quelle expérience, par quel procédé delà science, ont-ils vu un cerveau pensant, ont-ils découvert cette matière subtile, cette partie privilégiée du cerveau qui produit la pensée? Ils disent: nous n'avons pas vu l'âme, nous ne l'avons pas découverte dans le corps humain, nos mains ne l'ont pas touchée, nos instruments n'ont pu la saisir. Je le crois bien : s'ils avaient pu la voir, la toucher, elle ne serait plus l'âme, elle ne serait plus une substance spirituelle. Mais ont-ils vu la pensée produite par un organe matériel? Vous démontrez, leur dirons-nous, que le cerveau est nécessaire à l'exercice de l'intelligence; nous ne le nions pas. Mais là n'est pas la question. « Dé- montrez qu'il produit la pensée : Démontrez que l'intel- ligence et la raison dérivent de la matière aveugle et in- consciente, c'est-à-dire du néant de toute raison et de toute intelligence ; que la liberté, la moralité, la justice, la vertu. émergent d'une masse inerte, soumise aux lois d'une Inexo- rable fatalité, c'est-à-dire du néantde toute liberté, de toute moralité. » Vous ne l'avez jamais fait, vous ne le ferez ja- mais : votre système repose donc sur une hypothèse : vous vivez de suppositions et non pus de démonstrations. Et ainsi vous renversez par sa base l'édifice que vous prétendez con- struire. Voire science se résume dans une contradiction. Les matérialistes nous disent : Toutes nos connaissances viennent des organes du corps, il n'\ a rien que nous ne constations par les sens. C'est un principe de leur doc- trine. Eh bien! nous leur demandons par quel sens ils connaissent la pensée, par quel organe ils la saisissent et- déterminent sa place dans la catégorie des corps. Par les - 63 - sens je vois, j'entends, je touche les corps ; je subis l'im- pression des objets matériels ; mais je ne vois pas, je ne touche pas, je n'entends pas mes pensées, dont la réalité pourtant est incontestable. Si donc les matérialistes nient la réalité de nos idées et de nos connaissances, ils outragent la raison et sup- priment, avec toutes les sciences et toutes les doctrines, la doctrine et la science matérialistes. Si, au contraire, ils affirment la réalité de nos pensées, ils rejettent, par celte seule affirmation, le matérialisme tout entier en affirmant que toutes nos connaissances ne nous viennent pas parles sens. Nous pouvons rendre cette contradiction plus saisissante encore. Les vérités premières: il n'y a pas d'effet sans cause; nul phénomène qui n'ait une raison suffisante de son existence, et d'autres semblables, sont admises par les matérialistes ou rejetées par eux contre l'autorité du bon sens universel. S'ils admettent ces principes essentiels, ils reconnaissent des vérités qui sont au-dessus des sens, qui ne tombent pas directement sous une démonstration expé- rimentale ; et ainsi, une fois encore, ils détruisent le fon- dement de leur propre système. Bien plus, ces vérités une fois admises, nous élevons sur elles l'édifice de la vraie philosophie, la démonstration de l'existence de l'àme, de l'existence de Dieu, la démonstration de tous les dogmes outragés par l'école matérialiste. Ces vérités une fois admises, la logique inexorable étreint dans ses serres cette science orgueilleuse et conduit nécessairement la raison à la condamnation du matérialisme. Si, au contraire, ils rejettent ces vérités premières, s'ils en nient la réalité et la valeur, il n'y a plus de démonstra- tion à établir, il n'y a plus de raisonnement possible. Aucune démonstration n'existe sans un raisonnement, aucun raisonnement n'existe sans ces premiers principes; et tout jugement suppose ces vérités fondamentales. Et ainsi il n'y a plus d'affirmation ni de négation, il n'y a plus — ^ — de raison humaine: il ne nous reste que l'abîme du doute absolu, des ténèbres sans clarté et sans espoir. En un mot, s'ils admettent ces vérités premières que les sens ne peuvent saisir et dont les conséquences néces- saires les condamnent, pourquoi se disent-ils matéria- listes? Et s'ils rejettent ces vérités, ils sont incapables d'essayer une démonstration, d'exprimer un jugement, et ainsi ils se contredisent encore. Les mêmes contradictions se retrouvent à un autre point de vue dans les écrits des matérialistes, dans leurs paroles, dans leur vie tout entière. Ce qui manque essentiellement à la matière, c'est la liberté. Et pourtant notre volonté est libre. Nous le savons : la conscience et l'expérience, que nous reprodui- sons à chaque instant, nous l'attestent dans une irrésis- tible clarté. Nous choisissons entre plusieurs motifs qui nous sollicitent, entre plusieurs actes que nous pouvons produire, entre plusieurs objets qui se présentent à nous. La matière, au contraire, est régie par une nécessité inexorable. C'est sur l'uniformité invariable des lois qui la dominent, que les sciences physiques, mathématiques, appuient toutes leurs démonstrations. Si donc notre intel- ligence, notre pensée, toutes nos actions, sont le produit de la matière, nous ne possédons pas la liberté, nous sommes soumis à la nécessité, comme la pierre que nous soulevons avec effort, comme la poussière emportée par lèvent. Et ainsi, non seulement nous opposons aux maté- rialistes le témoignage de leur conscience et de leur expé- rience personnelle, mais nous leur demandons pourquoi ils essayent de nous démontrei leurs doctrines, puisque nous sommes soumis à une nécessité inexorable. S'ils admettent la liberté, pourquoi enseignent-ils le matéria- lisme? et s'ils sont matérialistes, pourquoi en appellent- ils, par leurs écrits et par leur parole, à une liberté qui n'existe pas ? Aussi, pressés par la raison elle même ou entraînés sur — 6o - une pente fatale par la puissance de Terreur, ces apôtres de la science, ces prédicateurs de la religion future de l'humanité, en sont venus à nier la contradiction elle- même. Ils ont écrit : « Une assertion n'est pas plus vraie que l'assertion opposée. — Nous admettons jusqu'à l'iden- tité des contraires1. — A le bien prendre, l'homme ne se contredit jamais \ » A ce point, toute discussion serait superflue ; c'est la haine de la vérité poussée jusqu'à la folie, c'est l'orgueil de la science aboutissant à l'absurde. Il Nous devons considérer le matérialisme non pas seule- ment au point de vue de la raison théorique, mais dans la pratique de la vie. dans ses relations avec la morale essentielle, fondamentale, qui est une participation de la lumière divine, de la loi éternelle, et dans son influence sur le progrès. Cette loi morale est inscrite dans la conscience, dans le cœur de tous les hommes, comme nous renseigne le grand Apôtre par ces admirables paroles : « Lorsque les nations qui n'ont pas la loi, font naturellement les choses de la loi, ces peuples qui n'ont pas la loi sont à eux-mêmes leur loi. Ils montrent que V œuvre de la loi est écrite dans leurs cœurs, leur conscience leur rendant témoignage , leurs pensées secrètes les accusant ou même les défendant \ » Cette loi, toute l'humanité la reconnaît et la proclame, Le vice craint de se montrer au grand jour, et le méchant se cache sous l'apparence de la vertu. Partout, même aux époques de la plus lamentable décadence, même au sein des nations les plus corrompues, la réprobation univer- 1 Schérer, Hegel et Hégélianisme. 5 Rom., ii, 14 et 15. - 66 - selle a poursuivi les grands coupables. Laforcc a pu cour- ber quelques jours devant euxles esclaves de la peur, mais le mépris est reste au fond de toutes les âmes, et la postérité les a flétris par des stigmates ineffaçables. Par- tout et toujours la vertu, la générosité, le sacrifice, le dévouement, ont obtenu l'admiration. Aussi, toucher à cette règle fondamentale des actions humaines, en amoin- drir l'autorité, la nier dans ses principes, eVsl détruire toute moralité et atteindre dans ses hases l'ordre social lui-même. Mais le matérialisme n'a pas respecté cette distinction immuable, absolue, essentielle, entre le juste et l'injuste, en Ire le vice et la vertu, entre le bien et le mal. La loi morale, en effet, qu'est-elle autre chose qu'une obligation imposée aux actions de l'homme? Et quelle obligation est possible si la liberté n'existe pas? La néga- tion de la liberté est la conséquence manifeste, nécessaire des doctrines matérialistes. Elle est. d'ailleurs, formulée dans les ternies les plus clairs par les maîtres de cette école: «L'esprit, disent-ils, est une machine aussi mathé- matiquement construite qu'une montre. L'impulsion don- née nous emporte. Nous allons Irrésistiblement dans la voie tracée1- En un mot, les forces qui gouvernenl l'homme sont semblables à celles qui gouvernent la nature2. » Et ailleurs : « ïl n'y a point dans l'homme de puissance distincte et libre. » Mais si la liberté n'existe pas, la responsabilité disparaît \ ei -,uis responsabilité, la loi est tout simplement insen- sée. Est-ce que nous parle/ de responsabilité au cocher qui vous atteint et vous brise dans sa chute, au feu qui dévore vos habitations, à la foudre (fui vous frappe, au torrent débordé qui renverse les digues (pie \ousa\ez éle- vées pour contenir ses Ilots :' Et vous parles de responsa- bilité li l'homme qui n'a pas même des instincts, dans le sens vulgaire du mot. qui n'a que des impulsions qui le 1 Taini . Estais >i< critique, p. 339. - Tainb, Les philosophes du dix-neuvième * — 67 - pressent et le dominent, et dont la conscience est un mécanisme dirigé par une force aveugle t Si la liberté est niée, la responsabilité détruite, le devoir n'existe pas. Le devoir, dont l'accomplissement coûte souvent tant d'efforts, tant de luttes et de larmes; le devoir, que la loi impose, que la conscience rappelle, donl la violation crée dans toutes les âmes un remords qui ne se tait plus ; le devoir, que toute sagesse humaine a pro- clamé ; le devoir n'est qu'une chimère. Plus haut que le devoir, il y a la vertu, la pratique cons- tante du devoir; la lutte victorieuse contre les passions mauvaises, contre les entraînements de l'orgueil, contre toutes les insinuations perfides de l'égoïsme. La vertu, quel être abaissé, souillé, ne l'a rencontrée sur le chemin de sa vie et ne lui a décerné l'hommage d'une sincère admiration ? Elle est la vraie grandeur de l'homme, la per- fection de notre nature, la lutte courageuse et persévé- rante contre le courant qui nous emporte vers le mal et qu'il faut remonter toujours. Aussi, nier la vertu, la faire descendre de ce piédestal sur .lequel la contemple l'huma- nité tout entière, lui ravir cette auréole qui fait briller dans les ombres de la terre un rellet de la lumière du ciel, abattre dans une rage folle toutes les barrières qui séparent le vice et la vertu, rejeter ces distinctions qui sont Tévidence de la morale universelle, confondre la vertu la plus héroïque et la plus ravissante avec le vice le plus dégradant, affirmer l'identité du bien et du mal : voilà où conduit inévitablement le matérialisme, la doc- trine la plus abjecte, peut-être, qui ait jamais souille l'in- telligence et les lèvres de l'homme. On aurait pu croire que, devant ces conclusions mani- festes de leur système, les maîtres de la science nouvelle auraient hésité. Mais non, la logique inexorable les pous- sait, et il fallait cette preuve éclatante de la divinité des dogmes qu'ils outragent. Ils ont dit : « L'homme est un produit comme toute chose et, à ce titre, il a raison d"èlr0 — 08 — comme il est. Son imperfectioD innée est dans l'ordre. Ce qui nous semblait le renversement d'une loi est l'accom- plissement dune loi. La raison et la vertu humaine ont pour matériaux les instincts et les images animales Quoi d'étonnant si la vertu ou la raison humaine comme la matière organique, parfois défaille ou se décom- pose ' ! » Ils ont dit que la femme qui se dohonore par le \ict' « est préférable à la plus fidèle épouse, qu'elle vaut la sœur de charité. » Us ont dit que « la jouissance es! divine comme la conscience ; qu'il y a une morale puni' chaque siècle et pour chaque race, et des mesures diffé- rentes pour la sincérité; qu'il faut livrer la sainteté du mariage aux entraînements des êtres à affections vives et passagères ; que le divorce doit être justifié et sanctifie, que la morale nouvelle est la réhabilitation de la chair. » Ils ont ditque « le vice et la verlu sont des produits comme le sucre et le vitriol ~. » Et que deviennent, sous l'influence de ces doctrines funestes, les plus nobles aspirations du cœur de l'homme, ces affections profondes qui sont notre force et notre joie ? L'amitié, que PEsprit-Saint appelle un remède de vie et d'immortalité, la tendresse des époux qui se donnent la main pour traverser ensemble les mêmes épreuves et arri- ver à la réalisation des mêmes espérances : le dévouement fraternel; la pieté filiale; l'amour des mères, l'amour le plus pur et le plus puissant de tous, ne sont plus que les tressaillements de la chair, les mouvements inconscients de la matière. Aussi, le matérialisme n'est pas seulement incapable de produire le moindre dévouement, il est le plus cruel outrage jeté à toutes les affections désolées, à toutes les angoisses, à tous les brisements du cœur. En présence des prodiges de la charité catholique, en présence de cette cha- 1 Taine. Revue des Deux-Mond* s, \:> octobre 1801. 2 Celte dernière phrase <.-.-! encore de .M. Taine, — m — rite qui panse toutes les plaies, qui console tous ies mal- heurs, qui essuie toutes les larmes, la science nouvelle n'offre à toutes les douleurs humaines que l'abîme du désespoir. Elle met la main sur la poitrine du mourant qui est votre père, votre époux, votre enfant, et elle vous dit : Ces cris arrachés par les étreintes de la maladie, ces derniers adieux, ces recommandations suprêmes, ces prières de la dernière heure, ces secousses de l'agonie, c'est le bruit des rouages qui se brisent, c'est le mouve- ment de la matière qui se dissout, de la poussière qui retourne tout entière à la poussière. Il n'y a pas d'âme, il n'y a pas d'amour, il n'y a pas d'espérances... N'allez pas demain prier sur la tombe de ceux que vous avez perdus. Ne pleurez pas et n'espérez plus : quand on est mort, tout est mort. Au juste opprimé, aux victimes écrasées par la force, aux défenseurs héroïques des grandes causes abandon- nées, à tous les martyrs du droit, aux infortunés torturés par l'indigence et la faim, à cette humanité, qui depuis six mille ans, fait monter vers le ciel les cris de ses douleurs et les gémissements de sa prière, le matérialisme répond : Souffrez et mourez. La terre est sombre et le ciel est vide. La justice, c'est le fait accompli ; la loi, c'est l'intérêt ; la vertu, c'est la jouissance ; le droit, c'est le succès; Dieu, c'est le mal. Souffrez et mourez; car votre seul refuge, c'est le néant. Ainsi le matérialisme a tout abaissé, tout souillé, tout corrompu. Sa morale est la négation sans pudeur de toute morale ; c'est l'avilissement érigé en système, élevé à la hauteur des dogmes ; c'est le code de la dépravation uni- verselle. 11 faudrait, pour flétrir ces doctrines, emprunter à un philosophe païen, à Platon, les énergiques paroles qu'il adressait aux corrupteurs de la morale dans Athènes : « Retirez-vous, et ne venez pas nous dépraver!... « Nous faisons une grande œuvre... Nous cherchons, - 70 - nous ions qui voulons rire vertueux, à représenter en nous-mêmes, et dans le drame de la vie humaine, la loi divine et la vertu... « Ne comptez donc pas que nous vous laissions entrer chez nous sans résistance, dresser votre tribune sur la place publique, adresser la parole à nos femmes, à nos enfants, à tout le peuple, et leur débiter des maximes dis- solvantes de toute vertu. * Un philosophe incrédule du dernier siècle disait avec toute la force de la vérité : « Fuyez ceux qui, sens pré- texte d'expliquer la nature, sèment dans les cœurs des hommes de désolantes doctrines... Renversant, détruisant, foulant aux pieds tout ce que les hommes respectent, ils ôtent aux affligés la dernière consolation de leur misère, aux puissants et aux riches le seul frein de leurs passions. ils arrachent du fond des eœursle remords du crime, l'es- poir de la vertu, et se vantent encore d'être les bienfaiteurs du genre humain. Jamais, disent-ils, la vérité n'est nuisible aux hommes. Je le crois comme eux; et c'est à mon avis une grande preuve que ce qu'ils enseignent n'est pas la vérité1. » Mais comment le matérialisme répond-il aux aspirations généreuses de notre siècle ? Parmi les mois qui excitent, à l'heure où nous sommes, un enthousiasme universel, et dont la prodigieuse influence a été souvent l'instrument de révolutions terribles, il n'en est pas de plus puissant que ce mot : le progrès. Le pro- grès est le désir de tous, l'ambition qui nous domine et la passion de notre siècle. Ce désir, celte ambition, celte passion, Je christianisme ne les maudit pas: ils sont un témoignage irrécusable i]^^ grandeurs de notre nature et de nos destinées qui onl pour terme l'infini. « Le mot progrès, a dit un illustre orateur, signifie une marche en avant. Considéré dans sa notion lapins univer- 1 Rov?$F.uf' Emile, liv.'JV. — 71 — selle et dans son idée la plus élémentaire, le progrès désigne un accroissement. Le progrès, c'est le mouve- ment vers le mieux ; c'est le passage de ce qui est moins parfait à ce qui est plus parfait, de ce qui est plus petit à ce qui est plus grand ; c'est tout à la luis une expansion, une élévation et un perfectionnement; c'est, enun mot, un agrandissement de l'être. » Et qu'a produit le matérialisme pour répondre à celte tendance universelle, pour réaliser le progrès que poursuit notre siècle ? A-t-il réalisé le progrès de la raison, de l'intelligence humaine? Mais, nous l'avons démontre, il en rejette les notions fondamentales, les principes essentiels. A-l-il réa- lisé le progrès de la philosophie que tous les siècles ont nommée l'étude de la sagesse, la science des causes pre- mières, cette science quia illustré les plusnohles génies? Mais qui ne le voit au premier regard? Le matérialisme est la négation ahsolue de toute philosophie, Serait-ce le progrès dans les sciences naturelles? Mais le matérialisme outrage la science elle-même. Il rejette le témoignage de l'expérience qu'il proclame pourtant comme la seule source certaine des connaissances humaines. Serait-ce le progrès de la science qui guérit le corps? Mais la médecine, qui méconnaît dans l'homme le prin- cipe de la vie, qui traite le malade confie à ses soins comme le plus vil animal, ou plutôt comme l'arhre insen- sihle que le cultivateur frappe de sa hache, ou comme les rouages d'une machine que le mécanicien répare ou brise à son gré : cette science est-elle un progrès ? Est-ce à celle science qui méconnaît l'action de l'âme, de ses désirs et de ses souffrances sur le corps, à cette science athée qui ne croit ni à Dieu, ni à la vertu, ni à la liberté, ni à la responsabilité humaine, que vous confierez votre vie, la vie et souvent l'honneur de ceux que vous aimez? - 7-2 - Le matérialisme peut-il réaliser le progrès dans les arts et l'éloquence ? Il ferme tous les horizons de la pensée, il éteint dans leur source première l'inspiration et l'enthou- siasme. Il ne peut être que l'agent fatal d'une irrémédiable décadence. Ce qui fait la vraie puissance de l'artiste, ce qui l'inspire, c'est l'idéal : l'idéal de la vertu, l'idéal de la perfection, l'idéal de la beauté suprême, infinie, entrevue par le regard du génie. Nulle part, même dans les œuvres qui ne sont que la reproduction de la nature, comme dans l'homme lui-même, la beauté n'est purement matérielle. Ce qui fait la beauté du visage de l'homme, ce n'est pas la régularité des lignes et la correction des traits, c'est surtout l'expression, la physionomie, c'est la manifestation de ce qui ne se voit pas. « c'est ce qui parle par les yeux sans être le regard, ce qui parle par le sourire sans être les lèvres, » c'est un rayonnement qui vient du dedans et qui éclaire le front de l'homme, c'est l'àme elle-même appa- raissant à travers le voile du corps devenu transparent sous l'éclat de cette flamme intérieure. Bans la parole, comme dans la musique, c'est comme une vibration de l'àme, l'expression de ses douleurs el de ses joies, quelque chose qui ne se peut analyser, mais qui saisit et subjugue les natures les plus vulgaires et qui, partout et toujours, excite une irrésistible admi- ration. Et par conséquent, ce qui fait l'inspiration du génie dans les arts, ce sont les sentiments nobles et généreux, ee sonl les élans vers tous les sommets illumines par les saintes croyances et les espérances immortelles; ce sont ces bonds du cœur, dont parle saint Augustin, ces bonds du cœur, qui donnent des ailes à la pensée et qui l'emportent dans les régions resplendissantes de l'infini. Que devient l'éloquence sous l'influence de ces doc- trines abjectes0 Cherchez dans les souvenirs de l'histoire et dans la reconnaissance des peuples un grand orateur qui n'ait pas défendu de sa parole ces dogmes sacres et - 73 — qui ne leur doive l'inspiration et la puissance «le son génie. Cherchez un grand orateur qui n'ait pns échappé à la servitude honteuse du matérialisme pour faire entendre un seul accent de véritable éloquence. L'éloquence, c'est une âme qui parle. La grande élo- quence, c'est le son que rend une âme passionnée. On l'a dit admirablement : « Plus une parole ressemble à one pensée, une pensée à une âme, et une âme à Dieu, plus tout cela est beau. » Mais le matérialisme a dit : Plus une parole, une pensée et une âme se confondent avec la matière, avec la boue, plus tout cela est beau. Comment le matérialisme serait-il le progrès dans l'élo- quence et dans tout ce qui fait la puissance et la gloire de l'homme? A la place des sentiments, il a mis les sensa- tions ; à la place des croyances sublimes, les négations et les blasphèmes ; à la place des visions célestes de la pureté, les dégradations qui font frémir; à la place des ardeurs généreuses, les convoitises animales ; à la place des hori- zons de l'infini, les barrières étroites d'un réalisme abject; à la place de la beauté qui est un reflet de la splendeur de Dieu, les triomphes d'une chair deshonorée. Il a fait plus encore. Il a passé des opinions dans les mœurs ; il est allé jusqu'aux âmes, il les a corrompues. Il a flétri le talent, tué le génie dans son germe, usé dans les plaisirs des activités fécondes, éteint dans les voluptés dégradantes des paroles qui auraient éclairé leur siècle et peut-être sauvé la patrie. Artistes, descendus des contemplations de l'idéal dans l'admiration et le culte de la matière; poètes, dont les hymnes inspirés avaient enthousiasmé les premières géné- rations de ce siècle et qui êtes tombés des hauteurs de la gloire, comme des aigles blessés ; orateurs, appelés à la souveraineté de l'éloquence sur les foules ravies : orateurs, qui avez profané et dissipé les dons de Dieu et qui êtes devenus des tribuns exaltés ou des rhéteurs impuissants; écrivains, qui faites la nuit dans le monde après l'avoir - 74 ~ faite dans vos âmes : apôtres de la négation et du blas- phème, ouvriers de In comiptiOD qui nous envahit de toutes parts, pionniers de la barbarie qui mais menace. ah! montrez-nous les progrès réalisés par ces doctrines de mort! Et où donc sont les désastres et les ruines, si ce ne sont pas là les désastres et les ruines sur lesquels il faut pleurer ? Le matérialisme peut-il réaliser le progrès dans la famille; puisque la loi qui la gouverne, ce n'est pins l'amour, la reconnaissance, le respect, la soumission à l'autorité qui vient de Dieu; mais l'intérêt, l'cgoïsme qui n'a plus de frein, la révolte et l'abjection? Et s'il en est ainsi de la famille, que sera-ce de la patrie? La patrie, c'est-à-dire, le sol qui nous a vus naître et qui a porté nos premiers pas, le ciel qui a étendu son azur et ses nuages sur nos tètes, les collines que nous avons gravies, les montagnes dont nous avons foulé les sommets resplen- dissants aux derniers feux du jour, les souvenirs de notre première enfance, les traditions des ancêtres, la tombe où reposent ceux que nous avons aimés: la patrie, e'est-à- dire, le pays qui nous a légué le fardeau de ses défail- lances, de ses grandeurs et de ses infortunes, la chaîne non interrompue des dévoùments qu'il a inspirés, la cons- tance d'un amour qui domine tous les malheurs et qui grandit au sein de toutes les défaites ; c'est la voix du passé, les tristesses et les angoisses du présent, l'espoir indestructible d'un meilleur avenir. La patrie, c'est l'en- semble merveilleux et doux, le trésor sacre de tous les sentiments qui émeuvent les âmes et qui font battre le CCBUr de l'homme. Mais faut-il le démontrer encore? Si les souvenirs qui remplissent notre vie ne sont que les rêves d'une nuit dou- loureuse ; si ceux qui nous ont précèdes et qui ont mis dans l'édifice glorieux delà patrie leur force, leur génie, leurs soulfrances, leur gloire et leur sang, n'ont -eu ni mérite ni vertu : s'ils ont péri pour jamais, comme nous -75- périrons demain; si le mouvement d'un grand peuple à (envers les siècles n'est que le cours d'un fleuve qui va, poussé par une force aveugle, porter sur son passage la fécondité ou la vie, le ravage ou la mort; si les généra- tions actuelles ne sont rien pour celles qui vont les suivre ; si nous ne sommes tous que des grains de sable reunis par la fatalité ou dispersés par elle : il n'y a plus de tra- dition, il n'y a plus d'héritage d'honneur, il n'y a plus de drapeau national, il n'y a plus de patrie. La patrie, elle n'est pas même la tanière que défend contre ses ennemis la bête des forêts; elle n'est plus qu'une poussière ensan- glantée que nous foulons aux pieds et dans laquelle nous irons bientôt dormir le sommeil de la mort avec le seul espoir du néant. Le matérialisme peut-il réaliser le progrès dans la vie civile et dans l'organisation de nos sociétés? De pareilles doctrines ont infailliblement leur contre-coup dans l'ordre social tout entier. Les chefs du matérialisme le proclament assez haut. « Une croyance, dit l'un des plus célèbres d'entre eux *, une croyance qui a gagné les esprits cul- tivés d'une société, est sûre, ou plus tôt ou plus tard, à moins que la force ne l'écrase, de parvenir à la multitude. Cette opinion... dissipe les illusions qu'on se fait quel- quefois, quand on croit que sur le domaine historique, philosophique ou scientifique, les recherches peuvent demeurer encloses dans les livres ou dans les écoles. Non, quelque intention qu'on ait, elles vont inévitablemenl porter coup à l'ancien ordre intellectuel, moral et social. » M. de IJonald a dit avec une haute raison: «Il y a toujours de grands désordres là où il y a de grandes erreurs, et de grandes erreurs là où il y a de grands désordres. » Ces conséquences, (railleurs, sont de la dernière évidence, Si un matérialiste, traduit devant des juges qui seraient eux-mêmes les disciples de ces funestes doctrines, élevait 1 M. M»ll, La Philosophie positive. -* 70 - la voix et leur disait : Vous prétendez me condamner, vous ne le ferez pas sans vous condamner vous-mêmes. C'est la nécessité qui m'a place le poignard dans la main ; c'est elle qui m'a pousse à ces actes que vous appelez des erimes. S'il n'y a pas de liberté, de responsabilité, si la fatalité nous domine, pourquoi m'interrogez-vou s? Pour- quoi voulez-vous me punir? Vos lois sont absurdes: vos tribunaux, vus réquisitoires, vos condamnations sont absurdes. L'organisation de votre société est plus absurde encore, et nous êtes ici, vous-mêmes, la contradiction vivante. Il n'y a pas d'échafaud et de supplice capables d'arrêter la logique inexorable des dogmes nouveaux. Il n'y a pas d'autre souverain que le nombre, d'autre droit que la force: elle m'opprime aujourd'hui, elle vous écra- sera demain. Les juges pourraient condamner ce criminel : ils ne sauraient lui répondre. Croyez-vous que la liberté civile soit possible au sein d'une nation qui admet les doctrines matérialistes ? La liberté civile est-elle possible sans la liberté personnelle, sans la liberté morale ? Cette nécessité qui régit la matière et à laquelle rien n'échappe, n'est-elle pas la justification de tous les attentats, de toutes les oppressions cruelles, de toutes les tyrannies sans entrailles? Qu'est-ce que la liberté civile sans la justice, sans l'autorité, sans le respect et l'accomplissement des lois ? Si l'homme n'est qu'un animal plus ou moins perfectionné, pourquoi ne serait-il pas conduit par le bâton, muselé comme la bête fauve qui veut échapper à ses gardiens, et frappé sans pitié parle glaive? Si nous ne sommes tous que des machines empor- tées par le mouvement qui leur est donne, pourquoi une machine plus puissante ne pourrait-elle nous broyer sur son passage? Si tout ici-bas est l'œuvre d'une fatalité inexorable, que signifient les protestations du patriotisme contre l'ennemi qui a incendie nos cités et ravi nos pro-' vinces ° Que signifient les limités, les droits des peuples. le respect de la faiblesse, l'ordre social entin ? Non, il n'y a plus sur cette terre que la tyrannie J'en haut et la révolte d'en bas, et le règne qui se prépare, c'est le règne de l'anarchie universelle. Un apologiste, que nous avons déjà cité, a résumé les conclusions du matérialisme dans ces éloquentes paroles : « Dieu ne serait qu'une hypothèse ou une abstraction. Le néant de Dieu serait seul notre père, notre loi, notre espé- rance et notre suprême rémunérateur 1 Et la prière qui s'élève des lèvres tremblantes de tout homme; et la foi qui courbe l'humanité de tous les temps devant les sym- boles de la majesté divine : et les lois éternelles de la morale, qui retentissent, sans que rien puisse les abolir, au fond de toutes les consciences; et les législations immortelles qui se sont abritées, partout et toujours, sous le nom sacré de Dieu ; et les magistratures vénérées qui, au nom de la justice éternelle, ont frappé le crime insolent et vengé la vertu outragée; et les souverainetés glorieuses qui, sons la mitre du pontife, comme sous la couronne des rois, ont emprunté leur prestige et leur autorité de « celui qui règne dans les deux et de qui relèvent tous les empires » ; et la flamme divine de l'héroïsme, de l'abné- gation, du sacritice ; les saints transports du patriotisme et de l'humanité ; la conscience invincible de la liberté de nos âmes; l'inviolabilité de nos droits; la responsabilité de nos actes ; les élans de la piété; les inspirations de la poésie ; les obstinations de l'espérance et les consolations célestes de la douleur ; le mépris du plaisir et de la souf- france, de la vie et de la mort; le sublime dédain de tout ce qui passe et l'amour inénarrable de ce qui ne passe point; touteequi nous arrache aux bassesses del'égoïsme ; tout ce qui nous élève au-dessus de la poussière ; tout ce qui donne du prix à la vie, un ressort à la vertu, des ailes à notre pensée, un but à notre existence, une solution à l'énigme de notre passé et de notre avenir; tout ce qui peut mettre un frein aux ruses de la cupidité, aux débor- — 78 - déments de ta licence au* attentats de la fçffce, aux inso- lences de ta forlun, . 8UI fureurs de la tyrannie, tout Ceci m' sefail qu'une contradiction tirante, un éternel sophisme I Tout ceci ne sérail, depuis six mille ans. que le produit d'une illusion, la réalité d'un mensonge, le résultat force d'une incorrigible déraison ! Tout ceci serait la généfation universelle, perpétuelle et nécessaire d'une incompréhensible erreur ^ ou. pour* parler plus exactement, d'un incompréhensible néant '. » Mais qui arrêtera dans sa marche envahissante cette barbarie nouvelle? Qui défendra contre les attaques du matérialisme toutes les croyances nécessaires et loulesles grandeurs humaines? (Test l'Eglise Catholique, .lésas- Christ, son Évangile et ses saints. Les plus monstrueuses cireurs sont bientôt Victorieuses, quand elles ne rencon- trent pas sur leur chemin la puissance du Fils île Dieu, le seul vainqueur du monde. Les philosophies qui ne sont que de la terre et du temps, ne peuvent rien Contre de pareilles doctrines. De nos jours, comme dans les siècles liasses, elles ont essayé en vain de les combattre. Conservez doue. N; T. C. F., la foi chrétienne qui a été jusqu'à ce jour votre honneur et votre force : conservez ses consolations et ses immortelles espérances. Luttez avec une infatigable énergie contre les apôtres du maté- rialisme et rejetez a\ec mépris les li\res et les journaux qui propagent ces désolantes doctrines. 1 Oum.iv Les Doctrines pùsiitùistei en France. LETTRE PASTORALE A L'OCCASION DES GRANDS PELERINAGES DIOCESAINS 12 juin 1874. Nos TrèsJGhers Frères, La France catholique reprend, dons l'élan de sa foi, la série glorieuse de ses pèlerinages. Le Vicaire de Jésus* < 11 ii" i s t béoit de nouveau ces grandes manifestations de la piété catholique et ouvre pour elles les trésors des indul- gences les plus pivcieuses. Les tristesses de l'heure pic- sente, les craintes de l'avenir, les luttes douloureuses de la sainte Eglise sous tous les cieuv et sur tous les rivages du monde, tous les événements qui se précipitent et qui entraînent nos sociétés vers les destinées que nul re-anl humain ne peut découvrir, nous imposent le devoir de faire éclater au grand jour notre foi et aussi notre espé- rance dans le 'fout-Puissant, de qui seul vient le salut et a qui seul appartient la victoire. L'année dernière, le diocèse de Tarentaise a pris une noble part à ces grandes manifestations. Sans tenir — 80 — compte des pèlerins qui sonl allés à Paray-le-Monial, à Myans et aux Allinges, nos trois principaux pèlerinages oui réuni près du tiers de la population totale du diocèse. Nous ne pensons pas que, dans un autre diocèse de France, l'ardeur des fidèles pour les pèlerinages ait atteint une proportion aussi élevée. Les fêtes de Notre-Dame de Tamie, de Notre-Dame de la Vie, de Notre-Dame des Châteaux, resteront comme des dates resplendissantes dans les annales de cette antique Église ; et il n'est pas un seul des témoins de ces fêtes qui n'en conserve le plus doux et le plus précieux souvenir. Nous reverrons dans quelques semaines, Nos Très Chers Frères, ces magnifiques spectacles qui ont excité notre enthousiasme, ces processions sillonnant nos val- lées profondes dans Tordre le plus parfait; nous reverrons ces grandes multitudes réunies dans le recueillement et la prière, au sein d'immenses prairies, sous le dôme du ciel, dans ces temples qui ont pour enceinte nos forêts majes- tueuses et les rochers de nos plus hautes montagnes. Nous entendrons ces chants répétés par tous les échos et s'élevant vers Dieu comme une prière ardente et comme un grand cri d'espérance. Votre évêque sera heureux de se retrouver au milieu de vous ii la fin de ses visites pastorales, et il pourra redire ces paroles du pasteur de l'Évangile : Je connais mes brebis èl mes brebis me connaissent \ VA puisque nous vous avons parlé do nos visites pasto- rales, nous ne pouvons résister au désir de vous expri- mer les joies qu'elles nous ont données. Une indisposi- tion persistante et les instances réitérées qui nous ont été faites de toutes paris nous ont empêché de parcourir toutes les paroisses où nous étions annonce. .Nous avons dû nous résigner ainsi à un douloureux sacrifice'. Mais. « J"AY, X, 14. - 81 - dans toutes les paroisses que nous avons visitées, nous avons été reçu avec le plus touchant empressement: par- tout nous avons reconnu le ministère fécond d'un clergé intelligent et dévoué; partout ce clergé nous a donné des témoignages de la plus sincère affection; partout les enfants avaient été préparés avec soin à la réception du sacrement de la Confirmation. Nos avis ont été accueillis avec une docilité parfaite, et dans aucune paroisse nous n'avons rencontré la moindre résistance, ni de la part des conseils municipaux, ni delà part des conseils de fabrique. C'est pour nous un acte de justice et un vrai bonheur de rendre ici à la bonne volonté de tous un éclatant témoi- gnage. Aussi, Nos Très Chers Frères, vous répondrez avec plus d'élan que jamais à l'appel de votre évêque. Cette année, comme l'année dernière, aucune préoccupation politique ne troublera la paix de ces belles fêtes. Nous \ous l'avons dit, Nos Très Chers Frères, et nous voulons le redire, non pour les pieux pèlerins, mais pour ceux qui s'obstinent à répéter toujours des accusations invraisem- blables et insensées; nous voulons le redire : une mani- festation politique quelconque dans un pèlerinage serait un malheur et une profanation. Nous savons, d'ailleurs, que des étrangers et même des protestants, qui ont assisté l'année dernière à nos pèleri- nages, ont été frappés et émus de leur caractère essen- tiellement religieux. Nous nous élèverons donc. Nos Très Chers Frères, dans ces régions sereines où les divisions et les luttes (k^ partis n'arrivent pas. Nous nous réunirons dans les clartés de la foi, dans les émotions des espérances surnaturelles, dans les ardeurs de la charité ; nous nous réunirons sous la protection du Cœur sacré de Jésus et du Cœur imma- culé de Marie; nous prierons pour le Vicaire de Jésus- Christ, pour l'Eglise, pour la France, pour ce diocèse, pour tous ceux qui nous sont chers, pour tous ceux qui 6 - S2 — souffrent, pour tous ceux qui pleurent, pour tous les éga- rés qui cherchent leur chemin et qui vont aux abîmes. Nous prierons surtout pour les infortunés qui nous accusent et qui ne comprennent pas ces joies pures que la religion peul verser dans le cœur de l'homme. . LETTRE PASTORALE A L'OCCASIOM DES PRIERES VOTEES PAR L'ASSEMBLEE NATIONALE Sur le sacrifice généreux et l'action énergique. 4 novembre 1874. Puissent les louanges que nous adressons à Dieu apaiser son indignation. . . Recueillons le fruit de nos réflexions, qui doit être com- pris dans ces deux mots : agere et pâli. .. (Allocution de Pie IX, du 20 septembre 1874.) IN os Très Cliers Frères, L'Assemblée nationale, à laquelle sont confiées, dans ces temps malheureux, les destinées de la France, reprendra dans quelques jours ses travaux interrompus. Convaincue elle-même de l'impuissance des hommes à conjurer les périls qui nous menacent, elle a demandé que des prières montent de la France entière vers le Dieu qui seul tient dans ses mains l'avenir des peuples, qui les élève dans la force et la gloire, ou qui les brise dans sa justice. Convaincue de sa faiblesse pour résoudre les problèmes que lui impose sa redoutable mission, pour apaiser l'agitation des partis, unir toutes les forces - 8'. - divisées, rendre à colle nalion frémissante In joug de l'autorité, les joies de la paix, la sécurité de la force el l'éclat de la gloire, cette grande Assemblée a tourné ses regards vers la Lumière du monde, vers la Sagesse éter- nelle, de qui viennent le conseil et Vêquité, ht prudence et la force, par qui régnent les rois et parquiles législateurs ordonnent ce qui est juste '-. Vous vous associerez, Nos Très Chers Frères, dans raideur de votre piété el de voire patriotisme, à ces supplications solennelles et à cette grande manifestation religieuse. La goutte de rosée et l'océan, le grain de sable que nous foulons aux pieds et l'astre qui resplendit dans les espaces, le dernier des hommes et les sociétés elles- mêmes, ne peuvent échapper à la domination souveraine de Dieu. Les Saintes Écritures, à chaque page, affirment ou supposent l'existence de sa Providence toujours active °t partout présente : et la raison nous enseigne que le •réateur n'a pu abandonner au hasard les êtres qu'il a irés du néant, et l'homme surtout, le chef-d'œuvre de sa puissance et de sa bonté. La philosophie antique atteste dans un magnifique lan- gage c^s grandes vérités que l'incrédulité contemporaine méconnaît et repousse après dix-neuf siècles écoules dans les splendeurs du christianisme. « Si je voulais, dit Platon, ramènera la vérité celui qui croit des Dieux, mais des Dieux aveugles et indifférents au bien et au mal: Mon lils, luidirais-je..., ni toi ni per- sonne ne pourra se vanter d'échapper à la justice divine : elle te surveille. Le législateur suprême en a fait la plus vénérable, la plus sacrée des lois. En vain, tu pourrais cacher ta petitesse dans les profondeurs de la terre, ou sur des ailes rapides l'envoler dans les cieux : tu satisferas toujours à la justice divine, ou dans ce inonde ou dans l'autre... 0 jeune téméraire, ignorer cette condition de la 1 Meum est eonsilium el œquitas, mea est prndentia el fortiludo . pur me reges régnant el legum conditores ]ttsta décernent. (Prov. vm, 15. 15. — 8o - vie, c'est ignorer la vie elle-même... G mon fils, puissé-je avoir persuadé à ton cœur ces trois vérités : l'existence de Dieu, la Providence et la justice divine1. » « La Providence gouverne le monde et les choses humaines, le monde entier et chaque créature, » dit Gicéron8. Et Sénèque ajoute : « Le premier devoir de l'homme, c'est de croire en Dieu ; le second, c'est de croire qu'il gouverne le monde, que sa Providence veille sur le genre humain et prend soin de toutes choses3. » « >7ous voyons, dit encore Platon, nous voyons les Grecs comme les Barhares, dans le malheur comme dans le honneur, se prosterner et adorer la Divinité, sans que jamais aucun peuple Fait révoquée en doute4. » Et si ces traditions universelles ne suffisaient pas, nos désastres ne sont-ils pas une évidente manifestation de la puissance et de la justice de Dieu? Jamais la faiblesse et l'imprévoyance n'expliqueront ces surprises fatales, ces combats toujours malheureux, cette absence du génie de la guerre, cette conjuration des élé- ments et des hommes, pour achever notre perte et rendre inutiles tant de sacrifices héroïques et tant de sang répandu. Jamais le bon sens populaire et la philosophie de l'histoire n'admettront que ces revers inouïs, ces ruines accumulées, cet écrasement enfin, n'aient pas été un châ- timent de Dieu. N'est-ce pas un icrivain protestant -°. employé par la Délégation de Tours, qui achevant le récit de cette défense lamentable, laissait échapper, en termi- nant, cet aveu arraché par l'évidence: « Le doigt de Dieu est ici. Digitus Dei est hic. » La France, il ne faut jamais se lasser de le redire, la France avait oublie sa mission providentielle dans les 1 Des Lois. 2 De Divin. 3 Epist. 95. ' Des Lois. i M. DE FREYCI.NfT. - 80 — rêves de son orgueil, dans l'ivresse des plaisirs, dans la soif dos richesses, dans l'éclat des progrès matériels. Sur cette terre illuminée par les saints, consacrée par leurs travaux : au sein de celte France on tant de charité. d'infatigable zèle et d'œuvres admirables apparaissaient encore, el dont l'histoire tout entière est la perpétuelle révélation de la honte divine, les superbes se disaient, en jetant le défi à la Providence et à la Justice éternelle : a Nos lèvres sont à nous, qui sera nôtre maître1? C'est notre puissante main '/ni a fait ces choses, et non pas celles du Seigneur2. Ce fleuve de richesses vient (le moi, et c'est moi qui me mis fait moi-même3. » Mais Dieu s'est. lassé, il a envoyé sa justice : elle a passe sur nus bataillons écrases, sur nos drapeaux jetés à terre et tombés par faisceaux aux mains de l'ennemi, sur nos remparts abattus, sur nos cités conquises; elle a passé sur notre orgueil, sur nos richesses, sur notre gloire. Et maintenant elle est là, attendant le signe de Dieu et lui demandant s'il faut mettre an fourreau son glaive terrible ou s'il faut frapper encore. « 0 glaive du Seigneur, jusques à quand seras-tu sans tepos! 0 muero Domini, usquequo non requiescest — Oglaive du Seigneur, rentre dans Uni fourreau, refroidis-toi et fuis silence, ïngredere in vaginam nanti, refr'ujcrurc et sile' . » Oui. il faut prier, puisque nous sommes coupables, puisque, aujourd'hui comme toujours, les ressources humaines, la politique de la terre, l'habileté des sages, ne suffisent point à nous sauver. -Mais ce n'est pas assez, de prier. Dieu ne nous sauvera pas sans notre coopération généreuse, et le Vicaire de Jésus-Christ nous dit : « // faut agir et souffrir. Agere etpati6. » Il faut agir avec une ardeur vaillante, une per- 1 Ps. xi, 4. - Deut., xxxu, '27. :î Ezech., \\i\, 'A. Jerem., \i.vii, 6. Paroles de Pie IX, prononcées le v2e septembre 1874. - 87 - éyérance que rien ne déconcerte; i] faut agir dans les limites de la légalité et sous l'inspiration de l'honneur, de telle sorte que la loyauté des défenseurs de la vérité soit au-dessus de toute atteinte. Il faut que vous agissiez, Nos Très Chers Frères, par votre influence, par vos con- seils, même quand vous n'auriez l'espoir d'éclairer qu'une seule âme. Il faut veiller à ce que le droit soit respecté de tous et ne vous laisser arrêter par aucun obstacle, décou- rager par aucune déception. Il faut agir par les votes, puisqu'ils portent avec eux, à cette heure, les décisions suprêmes. Que la question à résoudre soit l'avenir de la France entière, d'un département ou d'une pauvre com- mune, le simple bon sens vous dit qu'il y a ici pour tous un grand devoir à remplir. Les conséquences de votre activité ou de votre inertie, de votre clairvoyance ou de votre aveuglement, ce sont les conditions de l'impôt qui pèse si lourdement sur tous, l'instruction et l'éducation de vos enfants, la liberté, la possibilité même des fonc- tions religieuses, la moralité publique, tout ce qui fait, en un mot, dans un simple village ou dans une grande cité, pour une province comme pour tout un grand peuple, le progrès ou la décadence, la prospérité ou la ruine, le salut ou la mort. Personne ne peut décliner devant les hommes et devant Dieu cette responsabilité redoutable ; et tous ceux qui, endormis dans une indifférence dont aucun désastre n"a pu troubler le lourd et stupide sommeil, ceux qui, para- lysés par la peur, bercés dans leurs rêves ou déconcertés par le moindre sacritice, se taisent et ne font rien, n'ob- tiendront que le mépris universel; et l'anarchie, qu'ils auraient dû combattre, devenue victorieuse par leur faute, ne les épargnera pas. Il faut agir dans l'humilité vraie, dans l'obéissance de la foi, dans la soumission complète à l'autorité de l'Église et du Vicaire de Jésus-Christ, quand cette autorité s'est fait entendre et qu'elle a averti les peuples en ces jours - 88 - troublés où souvent le devoir lui-même est incertain. Il faut agir dans la charité, éclairer ceux qui s'égarent, soutenir ceux qui chancellenl , ne méconnaître ni les bonnes intentions, ni les efforts même stériles, ni le dévouaient malheureux. La charité ne s'élève pas dan-- les hantes régions des théories sublimes, elle ne se réfugie pas dans l'absolu pour n'avoir point à compter avec les réalités douloureuses et inévitables de la vie pratique. Elle croit qu'il est peu généreux de regarder de loin le champ de bataille et, parce qu'il y a, dans cette armée qui défend les droits et les espérances de tous, une erreur ou une fausse manœuvre, de jeter l'injure aux guerriers qui com- battent aux premiers rangs et quinedevraienl être atteints que par les coups de l'ennemi. Oui. l'humilité et la charité nous sont nécessaires, parce que nous devons, à tout prix, arriver à l'union qui fait la force et bannir ces divisions qui renaissent toujours et qui sont plus que jamais notre suprême péril. Mais un des grands obstacles à l'activité des défenseurs des bonnes causes, ce sont des illusions que rien ne jus- tifie et qui conduisent au mépris de la prudence elle-même. El pourtant . entendons les leçons de l'Esprit-Saint : « Marche: dans les roies de la prudence. Àmbulate per rias prudentiœ \ — Celui qui est fidèle à la prudence t ro tirera les biens qu'il désire. Qui custos est prudentiœ, inreniet bona2. — Acquérez la prudence, clic est plus précieuse que Vargent. Acquire prudentiam, quia pretio- sior est argento3. — La sagesse bâtira la maison, mais la prudence l'affermira. Sapientia œdijicabitur domus et prudentia roborabitur \ » Le Fils de Dieu lui-même, la Sagesse éternelle, nous a donné cet enseignement de la prudence : « Quel est 1 Prov. ix, 6. - Prov. \i\, 8. 3 Prov. xvi, [6. * Prov. sxiv, a. - 89 — celui d'entre vous, dit le Sauveur, qui, voulant bâtir une tour, ne s'assied auparavant et ne compte les dépenses qui seront nécessaires afin de savoir s'il pourra l'achever, de crainte que s'il pose les fondements de cet édifice et qu'il ne puisse l'achever, tous ceux qui le verront ne se moquent de lui en disant : Cet homm3 a commencé à bâtir et il n'a pu achever? Ou quel est le roi qui, se dispo- sant à aller combattre un autre roi, ne s'assied aupara- vant pour examiner s'il peut, avec dix mille hommes, marcher à la rencontre de celui qui vient à lui avec vingt mille? Autrement, tandis que ce dernier est encore éloi- gné, il envoie une ambassade faire des propositions de paix l. » Les maîtres les plus illustres de la théologie catholique nous enseignent que la prudence est non seulement une vertu, mais encore la plus noble des vertus morales. Elle dirige les autres vertus, elle leur ouvre la voie, elle leur indique les moyens de parvenir à leur lin particulière, elle les contient dans les limites qu'elles ne doivent pas fran- chir 2. Parmi les conseils qu'il donne à son ancien disciple le pape Eugène III, saint Bernard rappelle ces vérités in- contestables et il ajoute : « Vous voyez que la prudence est mère de la force et que toute entreprise à laquelle la pru- dence ne donne pas le jour n'est pas de la force, mais de la témérité 3. » D'ailleurs, cette prudence, que personne ne méprise dans la direction de s:4s affaires personnelles et dans les questions d'une importance tout à fait secondaire, pour- quoi donc la repousser quand il s'agit des plus graves intérêts de la France et de l'Eglise? La raison et l'expé- rience de chaque jour ne suffisent-elles point à nous 1 Luc, xiv, 28 et seq. 2 Saint Thomas, Summ. Theol., i, h, q. 66, art. 3, adterlium. — u, il, q. 67, art. 6, ad tertium : « Unde relinquitur quod pruàenlia sit nobitiur tnter virtutes morales et moveat eas. — lbid , art. 7 et 8. ! De Considérations, liv. >' : « Vides forlitudinis matrem esteprudeu- liam ; nec fortitudinem, sed temerttalem esse quemlibel ausum quem non parturivit prudentia. ■ — 90 - prouver qu'il est insensé de demander à des moyens ce qu'ils sont absolument impuissants à produire, el de jouer le sort de tout un peuple sur des illusions dontl'ina- nité a été démontrée jusqu'à l'évidence? Nous devons, au contraire, tenir compte des hommes, des temps, des cir- constances, dt's obstacles inévitables. Mais colle prudence, dont nous rappelons l'obligation rigoureuse, elle n'esl pas la prudennede la chair qui'est la mort, mais la prudence de Vesprit qui est la vie et la paix '. La conciliation sur les principes incontestés, Mu- les u rites certaines, sur les devoirs démontrés, nous la condamnons de tonte l'énergie de notre âme. La concilia- lion qui cède le terrain à l'ennemi, qui recule par lâcheté. qui sacrifie les intérêts de la vérité et de la justice, el l'obstination qui ne veut rien voir et rien entendre, qui marche en avant sans se soucier des obstacles el des abîmes, sont Tune et l'autre criminelles et funestes. Sans doute, le désir aveugle de la conciliation est un de nos grands périls : mais il est. à cette heure, un péril peut- être -plus pressant et plus menaçant encore : ce sont ces illusions fatales qui peu à peu pénètrent partout, paraly- sent les courages, divisent les légions du bien déjà si affai- blies et produiront inévitablement une complète inertie. Il en est qui demandent à Dieu le miracle qui doit les sauver, et, s'endormant dans cette espérance, ils esti- ment qu'il est inutile d'agir, inutile surtout de songer aux résistances et de prêter f oreille aux conseils de la sagesse; Tous les sacrifices qu'exigent la charité, l'union, la pru- dence, sont pour eux superflus ou coupables : plus les forces nous manqueront, disent-ils, plus nos ressources seront affaiblies, plus les moyens de salut qui nous restent seront impuissants, plus l'action directe et merveilleuse de la Providence sera évidente et prochaine. Pour atteindre le but, il suffit de lancer un convoi à toute vapeur, avec la 1 Prudentia carnis mors est ; prudentia spiritût, lita el pax. Rom., Mil, 6. — 91 - rapidité de la foudre, sans se demander si la voie es! ouverte ou mémo si elle existe. Ce navire de la patrie, battu par les tempêtes, pourquoi songer à le sauver par les efforts de tous ? Abattez les mâts, ouvrez ses lianes à la fureur toujours croissante des (lots, et Dieu nous sau- vera... Et il en est qui, conduits jusqu'aux conclusions extrê- mes de cette étrange doctrine, rêvent un bouleversement universel d'où sortira l'âge d'or, une révolution qui jettera à terre tout ce qui reste encore debout et fera ainsi la place libre à des constructions incomparables, qui surgi- ront par enchantement de la poussière où tout aura été confondu. Il faut des ruines, disent-ils; eh bien! soit : laissons accumuler les ruines. Il faut des leçons terribles : quelles aillent jusqu'à l'anéantissement. Il faut des châtiments : qu'ils viennent le plus tôt possible et qu'ils frappent de terreur toutes les générations humaines. Descendons dans la mort afin que bientôt nous ressuscitions dans la vie. Mais qui donc vous a dit que cette révolution formi- dable laissera subsister une seule institution et qu'elle respectera une seule tête ? Qui vous a dit que cet océan de l'anarchie sociale, une fois ses digues rompues, s'ar- rêtera avant d'avoir submergé jusqu'à la dernière épave dans un naufrage universel ? Qui vous a promis que cet incendie infernal, qui se déchaînera parce que vous l'avez voulu, ne dévoiera pas jusqu'au dernier débris de ce passé, que vous espérez pourtant retrouver dans une gloire sans tache et une puissance incontestée sur des cendres encore fumantes? Où donc avez-vous vu que, pour régénérer un peuple, il faut laisser l'erreur et le mal le dominer sans entrave; que les honnêtes gens doivent tomber par hécatombes sous la hache des bourreaux, sous les balles des assas- sins, afin de multiplier leur nombre et d'obtenir, quand ils ne seront plus, une influence sans limites ? Qui donc - 92 — pousse un malade jusqu'aux portes du tombeau, le livre sans défense à toutes les expérimentations stupides et bar- bares, et le laisse saturer de pois m pour rendre à son corps déjà épuisé une santé florissanl • et une vigueur nouvelle.' Est-ce dans la nature humaine, est-ce dans le bons sens, est-ce dans l'histoire r;uc vo :s ;.\«.z puisé celle espérance de prodiges inouïs :' La révolution qui se préparc et qui passera sur nous. si elle n'est arrêtée dans sa marche, sera la plus terrible que la terre ait jamais vue : et pourtant, la révolution de la tin du dernier siècle n'a été dominée que par l'épée d'un conquérant et plus tard par l'invasion de l'étranger. Si la Commune de Paris n'avait été contenue parla guerre, si ( lie avait pu dominer la France entière, je ne dis pas pendant une année, niais pendant trois mois, pendant un mois peut-être, je le demande à quiconque est capa- ble de voir la lumière du jour, la Fiance existerait-elle encore :' Et qui donc, je vous en supplie, qui donc arrêtera ces démolisseurs et ces barbares du dix-neuvième siècle? Qui pourra leur dire: «Vous irez jusque-là » ? Ce qu'ils veulent, vous le savez bien, ils le proclament assez haut : ce qu'ils veulent, c'est frapper tous ceux qui possèdent, anéantir l'ordre social tout entier, les institutions, les monuments, la propriété, jusqu'aux actes de l'état civil, afin que rien ne subsiste de ce qui rappelle un passé ei une société qu'ils abhorrent. Eh quoi ! c'est le jour de leur complet triomphe, c'est l'heure du silence et de l'anéantissement que vous attendez pour la résurrection ! Quoi ! alors les bourreaux rechercheront leurs victimes, s'il en est qui aient échappé à la mort, les placeront sur le pavois et les salueront de leurs acclamations enthousiastes! Quoi! alors l'autorité retrouvera enfin son prestige et inclinera tout à coup devant elle les hordes hideuses de la révolte I Alors les \ices triomphants seront transformés en vertus. et les vainqueurs, les pieds dans le sang, s'embrasseront - 9.3 - comme des frères ! Quand les autels auront été brises, les croix abattues, les ég'ises rasées jusqu'au sol ; quand les prêtres seront traqués commes des bêtes fauves et massacrés sans pitié, alors la foi rayonnera sur la France et reconquerra à jamais son empire !... Je l'avoue, la rougeur me monte au fro.it et l'angoisse me brise le cœur quand je songe qu'une telle doctrine peut séduire des âmes honnêtes et que l'on peut, sur ces rêves insensés, jouer. le sort de mon pays. Mais au point de vue chrétien, que sont donc ces rêves ? Que font-ils ces hommes qui, au lieu d'agir, attendent des prodiges que Dieu ne nous a pas promis et que nous ne méritons pas? Que font-ils, sinon commettre le péché que la théologie catholique appelle la tentation de Dieu ' et outrager la majesté suprême que nous devons apaiser ? M'avons- nous pas commis assez de fautes et faut-il, p°r cetie confiance aveugle et cette inaction criminelle, attirer sur nos têtes des châtiments qui seront sans remède et sans espoir? Oui, nous devons agir et souffrir, agere et pati ; souf- frir, c'est-à-dire supporter les froissements de l'amour- propre, mépriser les insinuations perfides de la jalousie, marcher avec résignation au second rang et, s'il le faut, au dernier ; dompter enfin sous toutes ses formes l'or- gueil qui nous a perdus et qui est une des causes les plus fécondes de nos dissensions; souffrir, c'est-à-dire braver sans défaillance non seulement les angoisses intérieures auxquelles nul n'échappe à certaines heures dans ces luttes formidables, mais braver avec un courage plus dif- ficile encore les soupçons injustes, les attaques pas- sionnées et quelquefois les outrages sans nom. Souffrir, c'est sacrifier ses désirs les plus ardents et ses espérances les plus chères au bien de la patrie, porter le joug douloureux de la patience qui réfléchit, qui prévoit et « S. Thom . Sttffli», TkeoL, II», III . q. 07 — Scarez, de Rel., lib. I, ea _«. ii. — Lessics, Lathan, S. Ai.pii. de Lig., lib. III, an. 29 etseq. - 94 - qui saisit l'heure favorable; c'esl contenir les impatiences aveugles, travailler sans repos, traverser la nuit en atten- dant l'aurore, lutter contre l'orageen espérant le calme de la terre et la sérénité du ciel; c'est, être doux malgré les violents, ferme lorsque plusieurs hésitent et se troublent, prudent quand l'audace est acclamée ; c'est aller sans hési- tation et sans faiblesse à un 1 >n 1 juste et nécessaire, accomplir son devoir dans la fidélité et dans l'honneur, compter sur la justice qui vient tôt ou tard, et, si elle ne venait pas. tomber sans reproche et sans peur. Souffrir, c'est expier les fautes, réparer les égarements, retrouver les chemins de la vertu, toucher la Miséricorde infinie: c'est opposer le remède souverain à la langueur des volontés et à l'abaissement des âmes, retremper dans la virilité le caractère national, rendre possibles désormais la d'frCipline, Tordre, le respect de l'autorité : souffrir, enfin, c'est remettre dans le creuset, pour les purifier, le cœur, le génie et la gloire de la France. Mais si ces enseignements du Pontife suprême, si les leçons terribles du passe, ne sont point entendus*, si les angoisses du présent et les terreurs de l'avenir ne nous éclairent pas, il ne nous restera bientôt qu'à nous courber sous la malédiction, puis à descendre dans le tombeau que la France aura creusé de ses propres mains Et sur ce tombeau la postérité viendra ; elle y gravera clans son indi- gnation cette juste sentence : La France a péri, parce que ses fils dégénérés du dix-neuvième siècle n'ont su ni prier, ni agir, ni souffrir. Mais non. il n'en sera pas ainsi. Sans doute, il est des égarés qui s'obstinent, des aveugles que l'éclat de la foudre vengeresse n'a pas éclairés : sans doute, le mal redouble ses efforts, ses légions marchent sous une seule mpulsion, tandis que les divisions se multiplient parmi nous, tandis (pu1 les illusions égarent plus d'une âme sin- cère et que le découragement gagne parfois les cœurs les plus vaillants. - 9S - Et pourtant, il faut espérer : les œuvres de la charité sont admirables, les associations chrétiennes sont douées d'une fécondité merveilleuse. Dans les classes élevées de la société et dans les derniers rangs du peuple, il y a comme un réveil de la foi. J'entends les cantiques des pèlerinages que tous nous avions crus impossibles ; des foules immenses se pressent au seuil de tous les sanc- tuaires vénérés et gravissent les montagnes consacrées par les bienfaits de Dieu. Nos humbles Frères et nos Religieuses héroïques sont partout et atteignent toutes les ignorances, toutes les dégradations et toutes les douleurs. Le Clergé est aux premiers rangs dans les combats du Seigneur. Il n'a jamais été plus zélé et plus pur, plus honoré et pluspauvre.il se presse autour de ses Evoques, et les Évêques entourent de leur soumission, de leur admi- ration et de leur amour le Pasteur suprême dont le front serein et la triple couronne dominent toutes les puissances humiliées de cette terre. A genoux donc : à genoux devant Dieu, le Maître sou- verain, le Tout-Puissant, l'Arbitre des peuples : à genoux devant Dieu qui nous a frappés dans sa justice, mais qui \ eut nous sauver dans sa bonté infinie ; à genoux devant la Vierge Immaculée, la Mère de la miséricorde, la Reine de la France ; devant les autels des saints protecteurs de la patrie; à genoux, pour implorer le pardon, pour obtenir à l'Assemblée nationale la lumière qui montre à tous les chemins du salut et le courage d'y marcher sans défail- lance. Puis, debout pour L'action prudente, généreuse, vail- lante, infatigable: debout pour la lutte, puisque, hélas ! il faut lutter encore ; debout dans l'énergie que rien ne décon- certe, dans la force que rien n'abat, pour accepter tous les sacrifices, pour nous donner la main, oublier des intérêts secondaires et contestables, et nous unir enfin pour le salut de tous. Et que désormais, de nos grandes cités au plus humble de nos hameaux, des montagnes de la Savoie - 96 - ,hi \ rivages de la Bretagne, de nos provinces perdues jusqu'aux frontières au-delà desquelles un grand peuple nous donne le spectacle d'une guerre fratricide, il n'y ait plus sur la terre de France que les inspirations d'une foi éclairée, d'une charité ardente et du vrai patriotisme. LETTRE PASTORALE SUK LA GRANDEUR & LA PUISSANCE DE L'AME 6 janvier 1875. Nos Très Chers Frères, A l'approche du saint temps du Carême, nous" devons vous adresser de nouveau la parole et remplir auprès de vous, par l'enseignement de la vérité, une des fonctions les plus importantes de notre ministère. L'année dernière, dans notre Instruction pastorale, nous avons, en réfutant le matérialisme, démontré l'existence et la spiritualité de l'âme ; nous voudrions aujourd'hui vous dire ce qu'est Tàme considérée dans sa puissance et dans sa grandeur, et poser ainsi une des bnscs premières et nécessaires de toute apologie de la foi chrétienne. Nous n'avons pu démontrer la spiritualité de l'âme sans invoquer le témoignage de ses facultés, de la raison, de la volonté libre et aussi des plus nobles aspirations de notre nature. Mais il faut que nous pénétrions plus profondé- ment dans l'étude des grandes vérités que nous n'avons pu qu'indiquer rapidement. 7 - 98 - Il est incontestable que toute apologie de la foi exige la démonstration préliminaire de plusieurs vérités natu- relles. 11 esl évidenl que la croyance à la divinité de Jésus- Christ, à l'autorité de l'Église, on un mot, à tous les dogmes chrétiens, est absolument impossible pour qui d "a dm et pas la spiritualité et l'immortalité de l'âme, la liberté de l'homme et l'existence de Dieu. Et, d'ailleurs, ce ne sont pas les preuves les moins puissantes et les moins accessibles à tous les esprits, que l'harmonie de la raison et de la foi, la transformation de la volonté de l'homme par la morale chrétienne, la perfection de la doctrine et de la loi évangéliques, qui répondent admira- rablement à toutes les aspirations de l'âme, qui satisfont l'intelligence et le cœur de l'homme, les agrandissent et les élèvent dans les splendeurs de la lumière, de la vie et de la félicité surnaturelles. Mais, une fois encore, ces preuves supposent évidemment les vérités fondamentales que nous avons démontrées ou que nous démontrerons bientôt. En réfutant ainsi les erreurs contemporaines, nous suivrons fidèlement le plan que nous nous sommes trace. Mais notre bu! ne peut être de considérer dans les détails ce sujet immense; nous voulons seulement étudier l'âme el ses facultés au sujet des principales erreurs de la phi- losophie antichrétienne, dans l'intention d'établir connue les premières assises d'une apologie de la foi: et notre pensée esl assez clairement exprimée par le titre que nous donnons ;'i celte lettre pastorale : De la puissance et de lu grandeur de Vâme '. 1 L'enchaînement des sujets que nous nous sommes proposé de trai- ter el qui, touchant à toutes nos luttes et à tous nos malheurs, nous paraissenl appartenir à La parole opportune dont parle l'Esprit-Saint, sermo opportunus es! optimus (Prov. xv, 23), nous oblige a résoudre des questions qui présentent, par leur nature même, de nombreuses difficultés, el ne, au poinl de vue de la démonstration, que deux partis à choisir. »Jous pouvons, renonçant à toutes les preuves vraiment rigoureuses, diminuer de beaucoup ces difficultés ; m prétendrait alors que notre démonstration n est pas s el peut- être nous contribuerions ainsi à faire mépriser et repousser les véri- 99 - Pour toute intelligence qui suit d'un regard attentif la marche de l'erreur parmi nous, la cause première des progrès de la libre pensée, des luttes contre la vérité chrétienne et contre l'Eglise de Dieu, est dans les outrages faits à la raison humaine. C'est là, au point de vue doc- trinal, notre grand péril; et, il ne faut pas l'oublier, les défaites de la vérité sur la terre sont inévitablement les défaites de la vertu, de la moralité et de la vraie civili- sation. La haine qui se manifestait au dernier siècle contre la religion et contre les dogmes chrétiens, s'est attaquée de nos jours aux vérités naturelles et aux données fonda- mentales de la raison elle-même. C'est le résultat néces- saire de l'entraînement des esprits dans ces luttes sacri- lèges ; c'est le règne de ces ténèbres qui deviennent plus épaisses à mesure que les intelligences descendent, des hauteurs de la révélation divine et des saintes croyances, dans l'abîme. de la négation et de Terreur. C'est aussi une nécessité imposée par la haine aux ennemis du christia- nisme. Ils savent bien que si la raison conserve son auto- rité et ses droits, les âmes et les sociétés peuvent revenir aux doctrines chrétiennes ; ils savent bien que tant que la conscience et la raison sont puissantes et respectées, lés que nous vouIods défendre. Nous pouvons exposer, avec toute la clarté dont nous sommes capable, 1rs preuves les plus puissantes, et eu confier le commentaire à l'intelligenee et à la prudence de nos zélés Coopérateurs, qui sauront les mettre ;ï la portée des fidèles, dont la capacité et l'instruction varient nécessairement avec les différents auditoires. Ci: dernier parti nous a paru présenter moins d'inconvé- nients et plus d'avantages. — 11)11 — Dieu peut rentrer dans les esprits et dans les cœurs, qui restent ainsi ouverts aux célestes lumières. ('/est donc sur ce terrain que se concentrent, en ce moment, les combats de la vérité et de Terreur ; c'est cette base de la raison qu'il faut relever et affermir ; c'est cette doctrine qu'il faut défendre contre toutes les atta- ques et venger de tous les outrages. « Les croyances les plus nécessaires vacillent, écrivait naguère un des hommes qui ont étudie de plus près et avec plus de pénétration l'état des esprits à notre époque, les croyances les plus nécessaires vacillent parce que le .fond qui les porte, c'est-à-dire la raison, n'a ni solidité ni profondeur. Plus j'avance dans l'étude des âmes, plus je vois que, dans la plupart, ce qui manque, ce sont les premières bases. La foi en Dieu, la foi en l'immortalité de l'ame, sont les points que le doute entame plus que le reste. Longtemps j'ai cru que ces deux vérités, qui sont articles de raison aussi bien qu'articles de foi, étaient intactes dans la plupart des âmes. ( Test une erreur, sur- tout depuis la dernière invasion des barbares, les sophistes athées. J'ai vu des âmes tenir à la foi catholique avec bonne volonté, mais chanceler sur le point radical, Dieu et Tàme... Il est vrai que, Dieu étant donné, pour qui n'éteint pas la conscience et la raison, la foi chrétienne envahit l'esprit et le cœur avec une facilité toute divine. Il est bien vrai enfin que l'extinction presque totale de la conscience et de la raison dans une multitude d'âmes est l'obstacle à Dieu, au progrès du monde, au bonheur des hommes, au salut de chaque âme et au salut des peuples. La sérénité des croyances et les inébranlables certitudes nécessaires a la vie du genre humain sont impossibles tant que l'homme ne raisonne, ne pense ni ne médite, et reste lout entier corps et sens, matière et inertie. » Comme le disait Fénelon, « nous manquons plus encore de raison que de religion », et notre société contempo- raine méritera bientôt cetle énergique sentence de Bossuet : — 101 — « Plus do raison ni de parties hautes, tout est sens, tout est abruti et entièrement à terre. » Déjà elle réalise cette sombre prévision du génie de saint Augustin : « Il est vraiment à craindre qu'on n'en vienne à se défier de la raison et à la détester au point de ne plus admettre même la vérité évidente \ » Nous l'avons démontré dans notre réfutation du maté- rialisme : la philosophie incrédule est arrivée, d'erreurs en erreurs, à nier la contradiction elle-même et à procla- mer, comme la découverte la plus merveilleuse de la science, l'absurde érigé en système. Mais nous devons eu ce moment insister sur cette doctrine et en faire aperce voir les conséquences funestes dans une clarté qui s'im- pose à toutes les intelligences. Les écrivains qui se sont faits dans notre patrie les apôtres de cette étrange philosophie, ne sont que les disciples d'un homme célèbre qui, pendant vingt ans, dans la première chaire philosophique de l'Allemagne, a ensei- gné l'identité des contraires. Il a affirmé l'identité de l'être et du néant : « l'être et le néant sont une même chose » : l'identité des ténèbres et de la lumière : « la lumière pure, c'est la nuit pure » ; l'identité du fini et de l'infini : « le fini a deux sens : premièrement, il est seulement le fini rela- tivement à l'infini; secondement, il est également le fini et l'infini » ; l'identité de Dieu et de l'homme : « Dieu n'est Dieu qu'en tant qu'il se connaît; la connaissance qu'il a de lui-même, c'est la conscience qu'il a de lui dans l'homme » ; l'identité de la liberté et delà nécessité : « l'es- prit dans sa nécessité est libre, et c'est dans la nécessité seule qu'il trouve la liberté, de même que sa nécessité repose sur sa liberté'2 ». Mais qu'est donc cette philosophie, sinon l'absurde 1 Melus est ne in tanturn odium vel timoremrationis incidamus ut ne ipsi quidem perspicuw verilati fides habenda videatur de magistro. - Il faut lire dans la Logique du P. Gratry, t. ["', 2" partie. Logique du Panthéisme, p. 273 et suiv., édit. 18(>8, ces citations et bien d'antres eucore avec les textes à l'appui. On a peine à croire que de telles aber- — 102 - dans sa forme la plus évidente, la négation absolue de la raison humaine? « Évidemment, le caractère essentiel do l'absurde, sa forme visible, c'est ce qu'on appelle la con- tradiction dans les termes, comme quand on dit : le oui c'est le non, le pour c'est le contre, le bien c'est le mal, l'être c'est le néant. Voilà la formule générale de l'ab- surde1. » Il y a. en effet, à la base et, si je puis ainsi dire, dans l'essence -de la raison humaine, des vérités éternelles, indiscutables, tellement évidentes, que quiconque est capable d'entendre quelque chose les saisit, et que qui- conque ne les saisit pas sort de la race humaine par la plus funeste et la plus navrante de toutes les folies. Il y a, au fond de toutes les connaissances humaines, de toutes les démonstrations, un fait premier, le fait de notre propre existence: une condition première, la faculté de notre intelligence d'arriver à la vérité, et un principe premier, le principe qui exclut la contradiction et qui affirme que le oui et le non ne peuvent être confondus. Tout homme, en effet, qui affinne une seule vérité, ne fut-ce que le fait de sa pensée, affirme en même temps sa propre existence par cette formule : Je pense. Quiconque essaye d'établir une démonstration, admet par ce seul fait que son intelligence peut atteindre la vérité; et quiconque affirme ou nie, admet évidemment que l'affirmation n'est pas la négation, que ce qu'il nie n'est pas ce qu'il affirme, et que, par conséquent, le oui et le non ne sont point identiques. Ces vérités sont donc si intimement liées à l'âme humaine et à la nature des choses, elles sont si essen- tielles à la raison, que tout homme qui essaye de les atteindre par la négation, les admet et les démontre par celte' négation elle-même; et ainsi cette philosophie superbe est le suprême outrage fait à la raison humaine, et ainsi rations soient possibles, et surtout qu'elles aient pu obtenir à son auteur la réputation 'l'un philosophe de génie. Ces citations du p. Gra- try n'ont pu être contestées. 1 P. Gratrt, Connaissance de Dieu, t. Ier, Introduction, § 3. - 103 - elle tourne éternellement dans le cercle fatal de la folie et de l'absurde. Mais, pour échapper à ces conclusions inévitables, ses disciples se sont réfugiés dans le doute universel. Aussi bien, quand tout est nié, quand une audace qui ne res- pecte rien a effacé toutes les distinctions et abattu toutes les barrières, quand le oui et le non, l'être et le néant, le bien et le mal, sont confondus, la certitude est impossible. Et d'ailleurs, pressées par les conséquences désastreuses de leur doctrine, ces intelligences dévoyées ne peuvent trouver le repos; on dirait que jusque dans ces ténèbres, jusque dans ces abîmes sans fond, la lumière les poursuit encore; et, pour échapper à ces clartés importunes, elles se réfugient dans le scepticisme universel. Alors, à toutes les réfutations qui les accablent, elles répondent : Que parlez-vous de vérité? Nous ne savons rien. N'essayez pa de nous démontrer vos doctrines ; il n'y a pas de preuve possible, parce quJil n'y a pas de certitude, et vos démons- trations impuissantes ne sauraient nous atteindre. Et, sous l'influence de ces négations qui pénètrent par- tout, le doute a multiplié ses victimes. Qui donc n'a entendu des hommes, d'ailleurs doués de qualités pré- cieuses, mais dominés par ces* doctrines de mort et sacri- fiant les notions fondamentales de la raison après avoir rejeté les dogmes de la foi chrétienne, se défendre contre toutes les sollicitations de Dieu par ces théories insensées : Je ne sais pas; toutes les religions sont bonnes ; qui sait où sont la vérité et l'erreur? Le peuple lui-même se laisse ébranler par ces blasphèmes qui outragent toutes les saintes traditions. Il ne sait que croire, et bientôt il ne croit plus. Mais avec les croyances il perd les vertus; et, à la suite du scepticisme qui étend ses conquêtes, nous le démontrerons bientôt, l'anarchie et la barbarie nous envahissent. Mais c'est en vain que la philosophie nouvelle essaye d'échapper par le doute au simple bon sens qui lui ferme - 104 — toutes les issues; ici, comme partout, elle se heurte à des contradictions évidentes, elle se détruit de ses propres mains. Le disciple du scepticisme affirme qu'il ne peut con- naître aucune vérité, ou du moins il affirme qu'il ignore s'il peut en connaître une seule. Mais le bon sens lui répond que s'il affirme son ignorance, s'il affirme qu'il ne sait rien et ne peut rien savoir, il a au moins une certi- tude; car, pour affirmer, qui ne le sait et qui ne le voit, la certitude est absolument nécessaire. « Tout homme qui comprend qu'il doute, dit saint Augustin, comprend quelque chose de vrai et possède la certitude de cette vérité qu'il comprend ; il a donc une certitude de la vérité, et, par conséquent, cet homme qui doute de la vérité a en lui-même une vérité dont il ne peut douter, et par cela même il confesse la vérité1. » L'apôtre du doute universel affirme que l'usage de la raison est trompeur, qu'elle ne peut conduire à la vérité, et c'est pourquoi il doute de toutes ses connaissances et ne peut s'appuyer sur aucune de ses pensées. Mais qui le conduit à cette affirmation et sur quoi repose-t-elle. si ce a'est sur l'usage de cette même raison qu'il déclare com- plètement impuissante? Il va plus loin: il rejette la certitude du témoignage du sens intime, de la voix intérieure de la conscience qui lui affirme l'existence de ses propres pensées. C'est pourquoi il admet la nécessité du doute universel, c'est pourquoi il affirme qu'il ne sait rien. Mais sans ce témoignage de la conscience, le sceptique ne peut affirmer sa propre existence ni l'existence du doute lui-même. « Qui rejette le témoignage de la conscience, a dit un philosophe moderne, ébranle, il est vrai, toute philosophie, mais en même temps le scepticisme lui-même. Car où est le droit de douter.' Douter c'est supposer au moins qu'on doute, 1 Dr verâ Religione, cap. xxxix. - m — par cet unique motif qu'on en a conscience ; et cette cons cience que le scepticisme ne peut ne pas reconnaître pour s'autoriser lui-même, en l'autorisant, le renverse1. » Mas ce n'est pas une seule vérité fondamentale, c'e^t un grand nombre de vérités qu'affirme nécessairement le disciple du scepticisme. Il doute parce qu'il craint de tom- ber dans l'erreur, s'il donne son assentiment aune propo- sition quelconque; et cependant, en exprimant ce doute et le motif par lequel il prétend le justifier, il affirme qu'il connaît, et avec certitude, ce qu'est le doute, ce que sont Teneur et la vérité et ce qui les distingue. Il affirme qu'il peut se tromper, qu'il craint et qu'il doute, il connaît les motifs de cette crainte et de ce doute, il sait qu'il doit douter, et ce qu'il sait avant tout, ce qu'il affirme ainsi nécessairement, c'est sa propre existence. « Si je me trompe, je suis, dit saint Augustin ; car celui qui n'est pas ne peut se tromper2. » Il y a plus, la vie entière des apôtres du scepticisme est une perpétuelle réfutation de leur doctrine. En effet, en est-il un seul parmi eux qui ne parle de la vérité, qui ne prétende la défendre, qui ne proteste contre l'injustice, qui ne flétrisse le crime et qui n'admire d'un cœur sincère l'héroïsme du courage et du dévouement? En est-il un seul qui consentirait à laisser pénétrer sous son toit et régner auprès de son foyer cette doctrine qui, nous le dé- montrerons bientôt, détruit nécessairement toute vertu et toute morale ? Que dis-je ? Ils ne peuvent rejeter un dogme, attaquer nos croyances, prononcer une parole, faire un signe intelligent ou concevoir une pensée, sans formuler une affirmation et, par conséquent, sans se contredire et se réfuter eux-mêmes? Honteux mystère de notre nature déchue, aveuglement obstiné de l'orgueil, châtiments de l'iniquité qui se ment à 1 V. Cousw, Leçons sur la philosophie de Kant. - Si fatlor, sum ; nam gui non est, nec falli potest. | De Civil. Dei, lib. XI, cap. xxvi.) — 106 - elle-même! C'est armes de ces contradictions palpables, c'est au nom de ces doctrines qui se détruisent en s'affir- maiil. c'est dans cette impuissance absolue, que ces écri- vains, ces littérateurs, ces philosophes superbes, insultent chaque jour aux traditions les plus augustes, aux croyances qui font les vierges, les martys et les saints, au génie età la science des docteurs de l'Eglise, à ce Credo delà foi catholique qui a illumine et sauvé l'humanité, à ces géné- rations innombrables qui, depuis dix-neuf siècles, font reculer devant l'éclat de leurs vertus et de leur gloire toutes les ténèbres, toutes les corruptions et toutes les barbaries. Et ce qui périt ainsi sous les coups des apôtres de la science, c'est la science elle-même: car la condition indispensable de toute science, c'est la certitude, et elle a pour base des principes incontestables. Ce qui constitue la science, le mot lui-même l'indique et le bon seps du dernier des hommes le proclame, c'esl savoir, c'est con- naître la vérité, c'est la posséder dans son intelligence. D'ailleurs, que fait la science, sinon aller du connu ià l'inconnu, d'une vérité déjà acquise à une vérité que l'in- telligence veut découvrir ? Que fait-elle, sinon réunir ces vérités, les fortifier par de mutuelles démonstrations, transmettre par l'enseignement ses trésors obtenus au prix de tant de veilles laborieuses et parvenir à de nou- velles découvertes? Mais, une fois encore, tout cela est insensé si nous ne savons rien, si nous ne pouvons rien savoir, si la raison est absolument impuissante, si la vérité n'existe pas. Vous parlez de l'enseignement de la science, el \ous ne savez rien, et vous ne pouvez affirmer votre propre pensée et votre propre existence ! Vous par- lez de preuves, et il n'y a pas de Certitude I Vous parlez de démonstration, et le raisonnement est impossiblet Vous parlez de perfectionnement et de progrès, mais pouvons-nous marcher sur le vide et perfectionner ce qui n'existe pas:' Vous élevez, dites-vous, l'édifiié merveilleux — 107 - de la science nouvelle, et vous voulez bâtir avec la néga- tion absolue ! Vous mettez le vide sur le vide et le néant sur le néant! Vous conviez l'humanité à admirer votre œuvre, vous vous proclamez les révélateurs, les réforma- teurs, les apôtres de la science; mais l'humanité demain passera en souriant de pitié et vos clameurs audacieuses seront, devant l'affirmation des siècles, « ce qu'est le sifflement du pâtre à côté du bruit de l'Océan. » D'ailleurs, le doute et la négation ne sont que le témoi- gnage de l'ignorance et par conséquent un signe d'impuis- sance, de décadence et d'abaissement. « L'histoire de la négation est depuis longtemps écrite dans la vie de l'hu- manité, a dit un grand orateur; on la reconnaît presque toujours à l'un de ces deux signes: faiblesse de l'intelli- gence, lâcheté du cœur. Mer est la chose la plus facile du inonde, il n'y a rien à faire pour soutenir une négation, et c'est ce qui explique pourquoi elle va si bien a l'orgueil du cœur et à la médiocrité de l'esprit. » Le doute universel et la négation de la raison n'anéan- tissent pas seulement la science, ils aboutissent fatalement à la destruction de la morale... Quand l'absurde, en effet, règne sans entrave, le vice et toutes les dégradations obtiennent nécessairement une liberté sans limite. Quand toutes les bases des connaissances humaines et la valeur de toutes nos pensées sont supprimées avec toute certi- tude, la loi et le devoir deviennent évidemment impos- sibles. Est-il nécessaire de le démontrer? La loi morale repose sur des distinctions fondamentales, elle repose sur des notions exactes et certaines. Pour imposer un joug douloureux aux passions frémissantes, pour dompter les instincts avilissants, il faut savoir quelque chose, il faut posséder des convictions profondes, il faut s'incliner devant la certitude du devoir. Mais, si toujours la vérité nous échappe, ou plutôt si la vérité n'existe pas, « si une assertion n'est jamais plus vraie qu'une assertion oppo- sée », où donc est l'obligation, où donc est le devoir, où - 108 — do :c esl la loi, où donc se trouvenl le vice du la vertu, la grandeur morale ou l'abjection, la gloire ou le déshonneur? Et, avec la notion do lé loi morale/ ce qui disparaît, c'est l'autorité qui en est la source, el la sanction qui seule est capable de la faire respecter. Si le doute est le dernier effort de l'intelligence, si. la raison est impuissante ou anéantie, devant quelle autorité, devant quelle puissance ferez-vous reculer les désirs de la volupté, les calculs iniques de l'ambition, les succès qui s'achètent par l'infa- mie, et tous les crimes heureux? Quoi ! ce que n'obtiennent pas toujours les dogmes les plus terribles affirmes par les traditions universelles, ce que n'obtiennent pas toujours la puissance de la foi dans les âmes les plus convaincues et la crainte des supplices que tous les peuples ont appe- lés sur la tête des grands coupables, vous pensez l'obtenir en rendant absolument impossibles toute autorite, toute, récompense et tout châtiment ! Aussi faut-il s'étonner que les contempteurs de la rai- son, que les propagateurs de celte nouvelle philosophie, aient été conduits fatalement à des conclusions honteuses? Écoutez cette étrange morale : « L'bomine fait la sainteté de ce qu'il croit, comme la beauté de ce qu'il aime1.» Entendez un des apôtres les plus ardents de ces négations sacrilèges, un des littérateurs les plus vantés de notre époque : « Refuserez-vous de reconnaître le divin, parce qu'il apparaît dans l'art de la jouissance, et non pas seule- ment dans la conscience et l'action ? Il y a un monde à côté du vôtre, comme il y a une civilisation à côté de la nôtre. Vos règles sont étroites et votre prédication tyran- nique.... La plante humaine pense se développer autre- ment que dans vus compartiments et sous vos neiges, et les fruits qu'alors elle portera ne seront pas moins pré- cieux'2. » Ainsi, nous n'avons d'autres règles de la sainteté 1 Henan, Revue des Deux-Mondes, octobre lsi;-_>. - Tainb, Rente des Deux-Mondes, octobre 1862, à propos d'un pas- gage immoral d'une poésie de Lord Byron. — 10!) — et de la beauté que nos opinions changeantes et nos pas- sions aveugles, et la jouissance est divine. Ils avaient cru peut-être que ces doctrines ne franchi- raient pas le seuil des académies, qu'elles ne passeraient pas, des sanctuaires de la science, dans l'âme des multi- tudes. Ils se sont trompés. Le peuple a écouté, il a lu, il a compris; il s'est dit que le saint et le scélérat ne sont séparés que par les rêves d'une morale à jamais condam- née. Il s'est dit qu'entre Robespierre et saint Vincent de Paul, entre la Sœur de charité et le forçat qui l'insulte, entre le magistrat et l'assassin qu'il condamne, entre Jésus-Christ et Satan, les distances doivent disparaître, puisque la différence n'exisle plus. Il s'est dit que la force est la loi suprême ; le succès, une justification sans appel; le fait accompli, la décision dernière des événements humains. Cette doctrine de la barbarie et de l'anarchie est montée jusqu'aux hauteurs sociales ; elle a dit aux puissants, aux conquérants ivres d'orgueil : Vous pouvez tout. Elle est descendue aux dernières profondeurs du malheur et de la misère; elle a dit à l'ouvrier, au travailleur : Tu as tes bras et ta force ; uni à tes frères dans l'abjection, inspiré par la haine, tu seras tout-puissant; va, frappe et détruis. La vérité et l'erreur, le bien et le mal, la justice et l'ini- quité, ne sont que des formules sonores ou des supersti- tions insensées. Et voici que les résistances légitimes et Hères ont disparu. Devant le succès et la force, toutes les ressources ont manqué, parce que les croyances se sont éteintes. « L'incrédulité, a dit un homme éminent de notre époque, l'incrédulité est la grande route du despotisme. Pour résister à quelqu'un, il faut croire à quelque chose. » Mais, à la place des résistances justes et nécessaires, désinté- ressées et généreuses, patientes et fortes, la révolte est apparue sous ses formes hideuses; et la victoire, devenue le droit, a partout écresé la faiblesse. Ce sera la honte - 110 — ineffaçable de cette philosophie, qui voulait être grande et qui, soumise à l'influence de ces théories de l'absurde que 'Allemagne nous a envoyées comme l'avant-garde des légions qui ont humilié et écrasé notre pairie, a osé glo- rifier le succès et la moralité de la victoire. Il faut redire à la France, aux jours sombres de ses défaites, ces paroles qu'elle avait entendues sans trop d'émotion en des temps plus heureux : « Une sympathie honorable nous entraîne vers le vaincu; j'espère avoir montré qu'accuser le vain- queur et prendre parti contre la victoire, c'est prendre parti contre l'humanité, contre le progrès de la civili- sation. Je prouverai que le vaincu a mérite de l'être, que le vainqueur est meilleur, plus moral que le vaincu et que c'est pour cela qu'il est vainqueur '. » Sous l'impulsion fatale imprimée à la pensée, ces théo- ries se traduisent dans les faits contemporains, et leurs conclusions deviennent le code de l'anarchie sociale. C'est un des disciples de cette école, un disciple admire pour la vigueur de son esprit et l'énergie inflexible avec laquelle il a poussé sa doctrine jusqu'aux dernières conclusions logiques, qui disait : « Notre principe à nous, c'est la négation de tout dogme. C'est, en vertu de cette méthode négative que nous avons été conduits à poser en principe: en métaphysique, l'athéisme; en politique, l'anarchie: en économie, la non propriété 2. » La raison existe, nous l'avons démontré ; elle est une faculté capable d'atteindre la vérité; nul ne peut le nier sans tomber dans les abîmes du scepticisme, sans détruire la science, la loi morale, toute civilisation, sans ensevelir l'humanité dans la nuit la plus profonde. Mais quelles sont les limites de la puissance de la rai- 1 Cousin, Introduction à l'Histoire Je la Philosophie, 9' leçon. — 11 Tant ajouter, puni- être juste, que .M. Cousin a fait, pendant les der- nières i -a vie, di lants vers la vérité philoso- phique et même vers la religion chrétienne. * Proi dhon. — 111 - son ? Est-elle renfermée dans les principes premiers, dans les vérités essentielles; ou bien peut-elle, par elle-même et par elle seule, arriver à découvrir et à démontrer d'autres vérités? La nature de la raison, sa tendance invincible, l'étude attentive de ses déductions, répondent à cette question d'une si haute importance. La raison est uns faculté de l'âme, une faculté active qui a pour objet la vérité. Or, serait-elle une faculté, une puissance active, si elle restait éternellement immobile dans le cercle étroit des premiers principes, des vérités évidentes qu'elle saisit sans démonstration, sans recherche et sans effort, comme le regard aperçoit le soleil qui res- plendit à l'horizon? La raison serait donc condamnée à l'inaction, à la stérilité, à l'impuissance de la mort, si elle ne pouvait aller au delà de ces vérités essentielles. D'ailleurs, la raison humaine tend naturellement et invinciblement à posséder la vérité. L'enfant la réclame dès le premier éveil de son iutelligence, et, jusqu'à la der- nière heure, l'esprit de l'homme est avide de savoir. L'ignorant le plus accablé sous la servitude des sens, le plus profondément enseveli dans l'inertie de la pensée, possède quelques vérités et veut savoirencore. Aucune in- telligence ne s'arrête sur les frontières étroites des notions fondamentales et évidentes. Mais que démontrent ces dé- sirs, cette tendance universelle, indestructible, et par con- séquent essentielle, de la raison, si ce n'est la puissance, essentielle, elle aussi, de connaître, un certain nombre de vérités? Serait-ce là, en effet, une tendance sans but, un désir sans réalité, une faculté sans résultat, une puis- sance incapable de produire? Si la moindre faculté phy- sique peut atteindre l'objet que lui assigne sa nature, comment cette noble faculté de l'âme serait-elle éternel- lement impuissante ? L'intelligence de l'homme serait-elle ieu et le fait de la révélation. Mais qui donnera à l'homme la connaissance de l'autorité infaillible de Dieu, qui démontrera le fait de la révélation, si ce n'est la raison elle-même ? Nous opposera-t-on que la connaissance de ces deux vérités fondamentales repose sur le témoignage de la révélation et sur la foi/ Mais c'est reproduire la même difficulté sans la résoudre; car norjs demanderons quelles sont les preuves de cette nouvelle révélation. D 'ailleurs, comment démontrerez-vous à un incrédule l'obligation d'admettre les dogmes chrétiens, sipon en lui démontrant que ces dogmes doivent être crus avec une invincible certitude, si ce n'est par ces preuves du fait de la révélation que la théologie catholique appelle les préambules de la foi et les motifs de crédibilité :; « Per- sonne ne croit, dit saint Augustin, une vérité quelconque, à moins qu'auparavant il ne juge qu'il doit croire1. » Et saint Thomas d'Aquin ajoute : « L'homme ne croirait pas s'i} ne voyait qu'il faut croire ou à cause de l'évidence des signes ou pour tout autre motif a. » 1 Nemo crédit aliquid, niti prias cogilet esse credendiun, 2 H» ÏI«, q. ï, art. 4. f — 119 — Que fait l'Église par la science et le génie de ses doc- teurs et de ses apologistes? Que fait-elle depuis saint Jus- tin, saint Irénée et Terlullien jusqu'à saint Bernard, et de saint Thomas dJÀquin à Chateaubriand, Gerdi), de Maislre et Lacordaire? Que fait-elle partout et tous les jours dans l'enseignement de ses plus humbles apôtres, sinon établir par les forces de la raison la divinité de la foi chrétienne et l'obligation de soumettre toutes les intel- ligences à sonjoug glorieux et doux? Que sont les ouvrages immortels du docteur angélique, du prince des théolo- giens, que sont les Sommes théologique et philosophi- que de saint Thomas d'Aquin, sinon l'invocation perpé- tuelle de la raison pour démontrer son harmonie avec toutes les vérités de la foi, et les placer ainsi dans de telles clartés que la raison ne peut les mépriser qu'en s'insultant elle-même ? L'incrédulité nous dit que l'Église catholique outrage et abaisse la raison humaine, et partout l'Église catholique fait plus que défendre la raison et venger son autorité : elle proclame sa divine origine. Les vérités premières et nécessaires ne relèvent point des individualités intelligentes; chaque intelligence les perçoit isolément et, pour ainsi dire, à son insu. Hier nous n'étions pas encore, et la vérité existait. Demain nous ne serons plus, et la vérité n'en sera ni moins vivante ni moins belle. Il est certaines vérités que tous les hommes perçoivent et qui s'imposent à tous avec une autorité supérieure. Ils ne se sont point entendus, ils n'ont pu s'entendre. A'y aurait-il aucun esprit qui pût les affirmer ou les connaître, qu'elles n'en subsisteraient pas moins, nécessaires, immuables, éternelles. Donc, il y a une raison supérieure et universelle, source où s'abreuvent toutes les intelligences. Ce fait réel doit avoir un principe réel; ce phénomène universel, une cause universelle; ce phénomène indépendant de toutes les intelligences finies, une cause plus élevée que toutes les intelligences. Donc, — 120 — il existe une raison origine de toutes les raisons finies, source de toutes vérités, lumière des intelligences, lien commun de tous les êtres : c'est la raison universelle *. Mais quelle est cette raison supérieure et universelle ? Écoutez : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes... Il était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde 2. » « Nous comprenons, dit saint Augustin, qu'il y a quelque chose qui remplit et réalise parfaitement l'idée de cette unité que nous retrouvons dans toutes les existences, quelque chose qui est cette unité elle-même ; et cette unité, c'est la vérité, c'est le Verbe dans le principe et Dieu en Dieu3. » — « La lumière de la raison, dit saint Thomas d'iVquin, par laquelle nous connaissons les prin- cipes de la vérité, est une lumière que Dieu répand en nous. C'est une image de la vérité incréée qui se réfléchit en nous \ La certitude de la raison vient d'une lumière que Dieu nous donne intérieurement et par laquelle Dieu parle en nous 5. La lumière de la face de Dieu rayonne sur nous, dit le prophète ; c'est la lumière de la raison naturelle qui est l'image de Dieu 6, La lumière naturelle mise dans notre âme est l'illumination de Dieu 7. » C'est la même doctrine que Bossuet expose, avec la puissance de son génie, dans son traité de la Connais- sance de Dieu et de soi-même6, et Fénelon, dans des pages immortelles qu'il faudrait citer tout entières. Après avoir distingué deux raisons : l'une, imparfaite, prévenue, précipitée, sujette à s'égarer : l'autre, supérieure, par- faite, éternelle et immuable? Fénelon s'écrie : « Où est 1 Balmès, Philosophie fondamentale, liv. IV, eh. n et xxv, 2 .Ioan., 1, 1, 4, 9. 8 De Vera Relig., c. xxwi. 4 De Veritate. q. 2, art. 1 . s lbid. 6 Comment, in Paulum. 7 Ia II», q. 9, art. t. 8 Ch. iv, Q»' 5 et 9. — 121 — cette raison parfaite qui est si près de moi et si différente de moi? Où est-elle? Il faut qu'elle soit quelque chose de réel, car le néant ne peut être parfait ni perfectionner les natures imparfaites. Où est-elle cette raison suprême? N'est-elle pas le Dieu que je cherche 1 ? » Mais cette vue de la lumière de Dieu n'est pas la vue directe de l'essence divine 2. Saint Thomas l'appelle, d'après saint Paul, vision dans un miroir 3. Elle est donc absolument distincte de la vue de la lumière de Dieu en Dieu, qui est la vision par essence \ ou la vision du ciel. « Sans doute, dit saint Thomas d'Aquin, quand on voit, par la raison, des vérités certaines, immuables, éternelles, qui dès lors sont au-dessus de nous, on peut dire qu'on les voit en Dieu, puisque nous ne connaissons rien que par sa lumière et que la raison est une participation de cette lumière; car, dit saint Augustin, ces spectacles intelligibles ne nous deviennent visibles qu'illuminés par leur soleil qui est Dieu. Mais, de même que dans le monde du corps, pourvoir les objets sous le soleil, il n'est pas nécessaire de voir la substance et le globe du soleil, de même, pour cette vision intellectuelle par la raison, il n'est pas nécessaire de voir l'essence de Dieu 5. » II Comme la raison, la volonté est une des plus nobles facultés de l'âme. Elle est cet attrait, cette inclination, ce 1 Traité de l'existence de Dieu, I et V. 2 La doctrine que nous repoussons ici est la doctrine de Malebranche, renouvelée par les ontologistes. — Cette doctrine a été jugée par lu sacrée Congrégation du Saint-Office, le 18 septembre 1861, et la même Congrégation, par ordre de notre Saint-Père le Pape Pie IX, a repoussé, le 7 avril 1870, une fausse interprétation de cette décision. — Voy. l'ou- vrage du P. Liberatore, Delta conoscenza mtellettuale, et la brochure du P. Kleutgen, ['Onlulugisme jugé par le Saint Siège. — Il n'est pas inutile peut-être d'observer que liossuet et même Fénelon n'ont pas toujours échappé complètement à l'influence de Malebranche. '■' Visio specularis. 4 Cognitio per essentiam. 6 Ia, q. 12, urt. 11. — 122 — mouvement, qui nous portent vers tout ce qui est bon, désirable, au point de vue intellectuel et moral. L'homme affirme son intelligence quand il dit : Je pense, je con- nais ; il affirme sa volonté quand il dit : Je veux, je désire, j'aime. L'intelligence produit la pensée, la connaissance. la science ; la volonté produit l'amour, et la volonté esl par l'amour la grande impulsion de toute vie. Aveugle par elle-même, elle est raisonnable sous l'inlluence de l'intel- ligence qui lui montre les biens qu'elle peut désirer, lui indique la voie qu'elle doit suivre et les règles qu'elle doil observer. La volonté, à son tour, agit, sur l'intelligence ; elle l'arrête, la fait reculer devant la vérité souvent dou- loureuse, lui impose les entraves et les ténèbres des passions, ou bien elle la presse, la rend plus active et plus puissante et la fait pénétrer, par des efforts généreux, au sein des plus célestes clartés. Si la grandeur et la puissance de l'intelligence humaine se mesurent aux vérités qu'elle découvre et qu'elle démon- tre, la vraie grandeur et la plus haute puissance de la volonté est d'atteindre, par delà tous les biens passagers, imparfaits et périssables, le bien suprême, éternel, infini. La volonté tend à l'union avec le bien qu'elle désire ; et plus ce bien est élevé, plus la volonté elle-même s'élève et se perfectionne. L'âme tout entière s'abaisse, s'obs- curcit et se dégrade quand la volonté l'entraîne vers les êtres placés au dessous d'elle; mais elle s'illumine, elle se transfigure, quand elle monte vers le bien infini qui est sa fin suprême et le lieu de son repos dans le bonheur. La grandeur de la volonté humaine réside surtout dans le don de la liberté. Mais la liberté a été niée, comme la raison, par la philosophie incrédule. L'année dernière, en réfutant le matérialisme contemporain, nous avons donne de ces négations les preuves les plus claires. Nous pourrions multiplier les citations ; mais toute cette hon- teuse doctrine peut se résumer dans ces paroles: « Le langage et le style, les bonnes actions et les crimes sont — 123 — des conséquences nécessaires, en proportion directe avec des causes inéluctables \ Dans les grands courants his- toriques, il n'y a, comme partout, que des problèmes de mécanique 2. » Pt pourtant, que ja liberté soit un des plus nobles attributs de l'âme, qu'elle soit la condition nécessaire de la grandeur morale, c'est ce qui n3est pas contestable. «La liberté, a dit saint François de Sales dans son profond et naïf langage, la liberté, c'est la vie du cœur, c'est la plus noble pièce que l'homme possède 3. » Cette faculté est entourée d'une telle clarté qu'elle est placée par son évidence même au-dessus d'une démonstration rigoureuse. « Je soutiens, dit Fénelon, que notre libre arbitre est une dp ces vérités dont tout homme qui n'extravague pas a une idée si claire que l'évidence en est invincible... Yoilà, dit saint Augustin, une vérité pour l'éclaircissement de laquelle on n'a aucun besoin d'approfondir les raisonne- ments des livres ; c'est ce que notre nature crie, ce qui est empreint au fond de nos cœurs par la libéralité de la nature; c'est ce qui est plus clair que le jour; c'est ce que tous les hommes connaissent depqis l'école où les enfants apprennent à lire jusqu'au trône du sage Salomon; c'est ce que les bergers chantent sur les montagnes, ce que les évoques enseignent dans les lieux sacrés et ce que le genre humain annonce dans tout l'univers *, » Qui donc, en effet, n'enlend le témoignage irrécusable de sa conscience? Qui ne constate, par une démonstration de chaque jour et de chaque instant, qu'il peut choisir entre; tels ou tels actps?Qui ne reconnaît la différence profonde, essentielle: entre les actes réfléchis et libres, et d'autres actes qu'il ne peut ni prévoir ni diriger, et qui échappent par conséquent à toute responsabililé? Qui donc ne déli- 1 lyioLESCHOTT, La circulation de la vie, tome II. 2 Taine, Histoire de la littérature anglaise. 3 Sermon pour ja tête de saint Augustin. 4 FÈNôLdtf, Lettres sur divers sujets de métaphysique, lettre II, ctap- in. - 124 - bère et n'apprécie attentivement les motifs qu'il a d'agir ou de ne pas agir? Quel homme ne recourt aux lumières ot à l'expérience de ses frères pour résoudre ses doutes et incliner enfin sa volonté vers le parti qui paraît préfé- rable ? Ici encore, les adversaires les plus audacieux de la liberté sont condamnes à une perpétuelle contradiction. En effet, aucun d'entre eux n'admet que ces négations de la liberté justifient l'épouse qui le trahit, le fils qui se révolte et qui imprime à son nom le stigmate du déshon- neur, l'ami qui l'abandonne, le puissant qui lui ravit l'hé- ritage de ses pères ou la fortune qu'il a acquise par les' travaux de sa vie entière. Mais pourquoi insister sur une vérité éclatante comme la lumière du jour? bailleurs, tontes les preuves que nous avons opposées au matérialisme établissent avec la même force l'existence de la liberté morale. Nous l'avons dit avec le simple bon sens: si la liberté n'existe pas. il n'y a ni responsabilité, ni droit, ni devoir, ni loi, ni mora- lité, ni liberté civile, ni société, ni civilisation possibles. Si la liberté n'existe pas, le remords est une faiblesse d'esprit et la plus absurde de tontes les superstitions; toute législation, toute magistrature, toute organisation sociale, deviennent une tyrannie sacrilège; l'affection, l'honneur, la vertu, le mérite, des formules qui n'ont plus de sens; le témoignage de tous les peuples et de tous les siècles, un perpétuel mensonge. L'avenir appartient au règne abrutissant d'une dégradation universelle, et il n'y a plus sur cette terre que les petits et les faibles, victimes sans mérite et sans espoir, et les forts et les heureux, qui peuvent les broyer sans hésitation et] sans pitié sous le char de leur fortune. Aussi l'Eglise catholique a flétri de ses condamnations et foudroyé de ses anathèmes toutes les erreurs qui se sont attaquées à ce dogme fondamental de la liberté humaine. Dès les premiers siècles, elle repoussait de son sein les hérétiques, qui expliquaient toutes les actions - 125 — humaines par l'influence de deux principes, le principe du bien et le principe du mal. Elle condamnait, au cin- quième siècle dans les conciles d'Arles et de Lyon, au onzième dans le concile de Mayence, au douzième par la voix de saint Bernard et l'autorité du concile de Sens, les hérétiques qui enseignaient que Dieu ne veut sauver que les prédestinés et que l'homme ne peut résister à la grâce. Elle a frappé de ses sentences le protestantisme, qui nie l'existence du libre arbitre1. Elle a condamné, dans des temps plus rapprochés de nous, les Jansénistes, qui repro- duisaient les mêmes doctrines. Elle combat aujourd'hui encore ces antiques erreurs (fui renaissent de leurs cendres. L'Eglise seule maintient, au milieu de toutes les varia- tions de la philosophie humaine, la notion fondamentale de la liberté. Elle affirme que la liberté morale n'est pas, dans son essence, la faculté de faire le mal, mais qu'elle est la faculté de choisir les moyens d'accomplir la loi imposée par la raison et par l'autorité de Dieu, et de par- venir ainsi à la fin dernière de l'homme. Comme la perfec- tion de l'intelligence ne consiste pointa déduire, des prin- cipes, des conclusions illégitimes ; de même le choix des moyens qui éloignent l'homme de sa fin nécessaire est une imperfection de sa liberté morale2. L'Église enseigne que les efforts constants de l'homme •doivent le rapprocher sans cesse de la perfection de sa liberté et le faire parvenir, par la vérité et la justice, à ces victoires dont parlait le Fils de Dieu quand il disait : « Si vous demeurez dans l'observation de ma parole, vous serez véritablement mes disciples : et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres 3. » * Concile de Trente, ses?. 6, can. 5 et 6. Voy. le livre de Luther intitulé : Du Serf Arbitre, De Servo Arbitrio, dans lequel se trouve cette phrase qui résume sa doctrine: Tout a que nous faisons est fait, non par le libre arbitre, mais par une pure nécessité : Quidquid fit a nobis, non libero arbilrto. sed mera necessitate fieri. 2 Saint Thomas, ïa, q. 82, art. 8. - Q. 87, art. 2, et alibi. 3 Joan., VIII, 3i et 32 : Si vos manseritis in sermone meo, vert disci- puli mei eritis : et cognoscetis verdatem, et verilas liberabit vos. — itfl — Elle seule, sur celle terre, combat sans merci cl sans tiêve les passions qui amoindrissent la liberté, les défail- lances honteuses qui détruisent la virilité des caractères, l'énergie des âmes, et courbent l'homme sous des chaînes plus lourdes et plus funestes que tous les fers forges par la main des tyrans. Mais l'âme humaine possède encore d'autres facultés admirables. La mémoire lui rappelle les connaissances et les faits du passé ; l'imagination parcourt tous les temps, pénètre dans l'avenir le plus lointain; elle groupe les images sombres ou brillantes que l'intelligence a contem- plées, trace de merveilleux tableaux et souvent entraîne à sa suite l'âme tout entière vers des mirages qui la séduisent1. Au-dessus de ces régions inférieures et obscures où l'âme touche, pour ainsi dire, de plus près au corps et h la matière, et où elle subit toujours, dans uhe certaine mesure, la domination des sens, quelle clarté, quelle beauté, quelle puissance! L'àme est un monde plus vaste et plus noble que cette terre que nous foulons aux pieds, plus étendu et plus admirable que les cieux où la science découvre ces astres et ces soleils que seul le regard dé Dieu a pu compter. C'est un monde où tout vit. ou lout s'émeut, où tout s'ébranle au moindre souffle qui passe, sous l'influence d'une parole, sous le rayonnement d'un regard, devant un sourire ou sous une larme. Ce monde de l'âme humaine, c'est en vain que vous essayerez de l'explorer de telle sorte que pour vous il n'ait plus de secrets. Tout à coup, voici des espaces immenses que vous ne soupçonniez pas, des descris arides sur les- quels passe le vent du désespoir, ou des régions douées d'une fécondité merveilleuse ; voici dt^ barrières qui vous 1 Dans le langage rigoureusement philosophique, la mémoire est la faculté de reproduire et de reconnaître les connaissances antérieures. L'imagination est la faculté de retenir, de reproduire et de reconnaître les images des objets sensibles et d'en composer des images nouvelles d'objets qui n'ont pas été perçus par les sens. - 127 - arrêtent et des abîmes que vous ne pouvez franchir; voici les flots amers de la tristesse et les sources intarissables des joies que vous n'espériez plus ; voici des horizons nou- veaUx, sombres ou resplendissants, qui s'étendent devant votre regard ébloui ou désolé. Mais si vous voulez connaître la grandeur de l'àme, étu- diez ses désirs et ses aspirations. De même que le fils des nobles races conserve dans le travail obscur et dans la pau- vreté un souvenir et comme un reflet de la gloire de ses pères, ainsi l'àme de l'homme a, dans ses profondeurs mystérieuses, des désirs insatiables, des aspirations sans limites, des espérances que toutes les déceptions, que toutes les abjections et les douleurs ne peuvent éteindre. Prêtez l'oreille, entendez les regrets de la philosophie antique, les accents attristés des plus hautes intelligences. Ecoutez, à travers les bruits de l'histoire, les vœux impa- tients des peuples; mettez la main sur le cœur du dernier des hommes, écoutez les gémissements de toutes les âmes : elles désirent ce qui est grand, ce qui est beau, ce qui est éternel. demandez à votre Ame ce qu'elle veut, car elle veut quelque chose; ce qu'elle attend, car elle attend toujours ; ce qu'elle espère, car elle espère même contre toute espé- rance. Quoi f ni le plaisir, ni la fortune, ni la gloire, ni les acclamations de la foule, ne sauraient la satisfaire ! Don- nez-lui plus encore ; répondez à toutes ses aspirations et réalisez tous ses vœux : elle a les richesses, donnez-lui la gloire; elle a le talent, donnez-lui les illuminations du génie ; elle a les trésors de la science, donnez-lui l'entraî- nement et le prestige de la parole ; elle a les joies des affections fortes et pures, donnez-lui l'éclat de la renom- mée. Epuisez la terre et le temps; jetez dans cet abîme tous les trésors et tous les bonheurs de ce monde, c'est en vain : évidemment, l'infini seul peut le remplir, parce que l'âme est faite pour l'infini. Ces aspirations et ces désirs ont été de tous les temps : - lâs - la poésie et la philosophie païenne l'attestent, comme l'his- toire de tous les peuples. Mais jamais ils n'ont été aussi universels, aussi ardents, aussi insatiables qu'à notre époque. Jamais les cœurs n'ont fait entendre des protes- tations plus émouvantes sur la vanité de tout ce qui passe, de tout ce qui meurt; jamais le cœur de l'homme n'a fait entendre de tels gémissements ; jamais la terre n'a paru si étroite, les cieux aussi vides et aussi sombres, jamais les jouissances n'ont été aussi impuissantes et aussi amères. L'âme de l'homme va plus vite que les convois qui dévorent l'espace, que la foudre qui porte sa parole aux extrémités du monde ; elle va plus loin que les astres dont elle soup- çonne l'existence, mais dont la lumière n'est point arrivée jusqu'à nous, et notre siècle peut s'écrier avec un de ses plus grands poètes : « Malgré moi, IHnfini me tour- mente. » La vanité de nos joies n'affirme pas seule la grandeur et les destinées de nos âmes; ce qui les révèle plus mani- festement encore, c'est le témoignage et la puissance de Ja douleur. Bien des douleurs, en effet, s'ajoutent à ce désenchantement qui saisit le cœur tout entier quand il a louché aux rivages qui apparaissent de loin si brillants et si fortunés, et quand il atteint en quelques jours ou eu quelques heures les limites extrêmes de tout bonheur fini. Mais la douleur, qui devrait éteindre toutes nos espérances et nous écraser dans la poussière, cette douleur, au con- traire, ranime et enflamme tous nos désirs; elle illumina notre vie ; elle agrandit les âmes, les élève, les purifie et les transfigure. Cette verge de la douleur, mille fois plus puissante que la verge du prophète, fait jaillir dans les angoisses du patriotisme, dans l'oppression de la vérité, de la liberté et de la justice les hautes pensées, les senti- ments héroïques et les flots d'une incomparable éloquence. Elle est la condition de la vertu, L'instrument et le signe providentiel de toutes les grandes missions. Nul cœur n'est vraiment pur et vraiment fort s'il n'est marqué de — 129 - son sceau ; mille tête n'est vraiment féconde et glorieuse si elle n'est couronnée de son auréole. C'est la douleur qui appelle l'àme au-dessus de l'escla- vage des sens, au-dessus de la domination des passions mauvaises. Elle lui dit, comme cette voix qui parlait au patriarche sous le ciel de l'Orient: Egredere, egredere; sors de la poussière de ce monde, des ombres qui l'enve- loppent, de cette famille humaine qui marche au fond des basses vallées; sors de la maison de tes pères, de cette maison qui tremble comme la tente du pasteur sous le vent du désert; egredere, sors de cette patrie étroite du temps ; sors de ce qui est naturel, humain, périssable, et va dans la terre que je te montrerai, dans la terre de la lumière, du sacrifice et de la vraie grandeur. Qui donc n'a entendu cette voix? Oui n'a tressailli à cet appel divin de la douleur? Et qui donc alors n'a pas com- pris et la noblesse de son âme et la grandeur infinie de ses destinées? Cette transfiguration des âmes par la douleur, la philo- sophie antique l'avait pressentie, et l'humanité la contem- ple, depuis dix-neuf siècles, sur le front du Fils de Dieu et sur le visage de ses saints. Une expérience de chaque jour lui révèle que tout ce qui fait descendre l'âme des hauteurs de la vertu, de la générosité et du sacrifice, détruit cette beauté divine; et que toute âme qui oublie ses destinées pour s'ensevelir dans la boue de cette terre, est au regard de la raison elle-même, abaissée, obscurcie et souillée. Car nous n'invoquons pas, en ce moment, le témoignage de la vérité révélée: nous interrogeons le cœur de l'homme et l'éclat des faits qui s'imposent à toute intelligence. Mais, en présence de ces grandeurs attestées par tous les battements du cœur de l'homme, par tous les efforts incessants de sa peilsée ; en présence de ces témoignages de l'humanité entière, que fait l'incrédulité contemporaine, que nous otï're-t-elle pour satisfaire ces désirs et réaliser ces espérances ? « Ceux-là seuls arrivent à trouver le y — 130 — rel de la vie, dit-elle, qui sa^ enJ étouffer leur tristesse et se passer d'espéeaneie '• " Que sont les faculté- de l'âme selon cette science du progrès et cette philosophie de la dignité humaine? « Perception se dit de toute modi- fication éprouvée par les masses centrales du système nerveux" ». L'amour « est un ensemble de phénomènes cérébraux3 ». L'homme est abaissé au rang des animaux, « car il va passage eolreles deux raisons, la raison humaine et la raison animale4 » : et la plus grande découverte de la science moderne est « que I 'homme descend des grands singes : leurs facultés sont de même nature et ne diffèrent que par le degré5 ». Il faut citer encore ce texte vraiment prodigieux, qui démontre en même temps et l'élévation d>>> pensées et la charité de ces étranges philosophes : « Plu- sieurs des assertions de nos adversaires, dit Hackel, attestent d'une manière étonnante un manque d'idées naturelles, claires et nettes, en même temps que de liaison dans la pensée; et elles placent ainsi positivement leurs auteurs au-dessous des chiens, des checaux, des élé- phants les plus intelligents ; car ceshêtes, roua la plupart, n'ont pas leur horizon borné par toutes ces hautes monta- gnes de dogmes et de préjugés qui, chez le plus grand nombre de* hommes, vicient, dès la jeunesse, les lois de la pensée; en sorte que nous trouvons souvent dans les bêtes des jugements plus justes et plus naturels qu'on n'eu ren- contrerait même chez les savants''. » Qu'il est doux, qu'il est consolant d'entendre, après de tels blasphèmes, l'enseignement de la foi chrétienne ! Non seulement l'Église catholique repousse avec mépris toutes ces doctrines abjectes, non seulement elle répond parle bonheur et les visions du Ciel à toutes les aspirations de 1 Renan, Livre de Jb&, préface. -' Littré, Dictionnaire de Médecine, art. Perception. 1 Ibidem, art. Amour. 4 Ibidem, art. Raison. 3 Aboot, Progrès, pag. 17. 6 Hackel, Gm. morphologie, t. II, p. 436; Berlin. 1866, cité paf Mgr Bougaïul, dans son ouvrage : Le Christianisme et les temps présents. — 131 — l'àme; mais elle voit dans cette àme le rellel Je la beauté divine et l'image de la Trinité adorable. Comme Dieu est un acte infini, un acte unique et éter- nel, d'une fécondité et d'une puissance qui ont créé tous les êtres et qui les gouvernent, ainsi l'àme est une puis- sance active et féconde: elle agit, elle dirige et gouverne le corps tout entier: elle en est la lumière, l'ordre et la vie. Comme Dieu, l'àme est spirituelle et inaccessible aux sens; elle est présente partout dans le corps qu'elle informe et qu'elle anime. L'àme a dans ses facultés une image de l'immensité de Dieu; par le souvenir, elle est présente dans le passé : elle est dans ce moment imperceptible du temps qui nous échappe ; elle pénètre dans les vérités éternelles, immuables, qui sont comme la source de sa raison ; et nulle époque, si éloignée qu'elle soit dans les ombres de l'avenir, ne peut arrêter son essor. Enfin, sous ses actes multiples, sous ses pensées et ses désirs qui passent, l'àme reste, image du Dieu qui est immuable dans la manifestation perpétuelle de sa puissance créatrice. Elevons-nous encore sur les ailes de la théologie catho- lique et admirons dans notre àme l'image de la Trinité : « Je voudrais, dit saint Augustin, je voudrais que les hommes apprissent à voir en eux-mêmes ces trois choses : l être, la connaissance et la volonté. Je suis, je sais, je veux. Je suis un être qui sait et veut. Je sais que je suis et aussi que je veux ; et je veux être, et je veux savoir. Quelle inséparable vie en ces trois ! une seule vie, une seule àme, une seule essence en ces trois distinctions... Ces trois termes sont inséparables, et cependant chacun des trois est ma substance, et les trois sont une seule substance.... Lorsque l'âme counait et aime, son verbe tient à elle par l'amour. Et parce qu'elle aime sa connais- sance et connaît son amour, il s'ensuit que le cerbe est dans son amour, et l'un et l'autre dans celui qui aime et qui parle1. » 1 Conf., lib. Xlll, cap. xi. — De Trinit., lib. IX, cap. v et x. — 132 - « L'éternelle et bienheureuse Trinité, ajoute saint Bernard, le Père, le Fils et l'Esprit-Saint, Dieu unique, a la fois puissance suprême, suprême sagesse, suprême bonté, a crée à son imago cl à sa ressemblance une tiinite qui est l'âme raisonnable/ mettant en elle celte trace de la souveraine Trinité: la mémoire, la raison et la volonté '. » • « Les trois personnes divines, dit encore saint Tho- mas, sont distinctes, en ce que le verbe est engendré par le principe qui parle, et que \'ur procède du verbe et du principe, comme lien des deux. Dans la créature rai- sonnable, où le verbe s'engendre dans l'intelligence, et où l'amour procède de la volonté..., où se trouve le prin- cipe du verbe, et. le verbe, et Y amour..., on peut dire qu'il y a l'image de la Trinité incréée3. » Mais que font le christianisme et l'Eglise pour répondre à ce sublime enseignement :' Ouvrez l'Evangile : c'est le livre des âmes, c'est le chant le plus doux, le plus éton- nant, itour célébrer cette grandeur, cette noblesse des âmes rachetées au prix d'un sang divin. Le christianisme et l'Eglise ont révélé à l'humanité l'amour des âmes, amour supérieur, évidemment surhumain et qui ne peut descendre que du cœur même de Dieu. Nous pouvons dire que l'amour des âmes est, dans le christianisme, le centre de la doctrine, le but de tous les efforts, l'inspira- tion de toutes les œuvres. Ouvrez l'Evangile: qu'il s'agisse <\r> petits enfants dont les anges voient la face du Père qui est dans les cieu\. des pécheurs que le Fils de Dieu appelle de préférence aux justes, du scandale qu'il frappe de ses anathèmes; ce sont toujours les âmes que poursuit le divin Pasteur, le Rédempteur, l'adorable Maître. Pour- 1 Serin., parv. I. i . q. '.'.'S, art. 7 ■•. — Tous les saints Pères oui développé celte haute doctrine. Non- pouvons citer : saint Irénée, liv. Y, cap. vi et svç; sainl Atbanase, orat. IV Contra Arianos; saint Grégoire de Nysse, i rat. \ \ 1 ; saint Grégoire de Nazianze, orat. XII: saint Jean Chrysos- tôme, liomil. MU . Pierre Chrysologue, serni. 128. - 133 - quoi ces abaissements ineffables à Bethléem, cet exil sur la terre de l'idolâtrie, les concerts des anges, l'appel des bergers, l'adoration des rois de l'Orient? Pourquoi ces prodiges de la parole et de la puissance divines, et ces prodiges plus étonnants encore de la miséricorde et de l'amour infinis? Pourquoi ces outrages et ces douleurs, cette couronne d'épines et celte croix sanglante, les angoisses de la dernière heure et cette mort infâme, sinon pour éclairer, appeler, toucher et sauver les âmes:* Et les apôtres vont prêcher, souffrir et mourir pour accomplir la mission de leur maître, pour annoncer l'Evangile à toute créature, pour enseigner toutes les nations. Et dans l'Eglise qu'ils ont fondée par leur parole et par leur sang, sa hiérarchie, son autorité, les sacre- ments qui lui ont été confiés, ses défaites et sa gloire, le sang de ses martyrs et le dévouement de ses vierges, les luttes de ses pontifes et les travaux immortels de ses (lecteurs, l'apostolat héroïque de ses missionnaires et les œuvres incomparables de sa charité, tous ces trésors, toutes ces forces divines, ont-ils d'autre but que le salut des âmes rachetées par le sang du Fils de Dieu ? Enlevez a l'Évangile, au christianisme, cette doctrine de la grandeur des âmes ; éteignez, au sein de l'Église, le feu de cet amour, et l'Evangile, l'Église, le christianisme sont anéantis. La sainte Église, placée sur des hauteurs que la philo- sophie humaine n'atteindra jamais, nous enseigne que tout ici-bas est pour les Ames, tout pour donner à Dieu des élus, tout, dans l'existence des hommes, dans la vie des peuples et dans l'histoire de l'humanité. Le malheur qui frappe à toutes les portes et qui fran- chit le seuil de toutes les demeures, les amitiés qui s'en vont, les joies qui s'évanouissent, les espérances qui s'éteignent, les séparations déchirantes qui laissent après elles le vide, le froid et la nuit, les gémissements de tous les cœurs brisés, que nous veulent toutes ces douleurs, - 134 — sinon élever, purifier nos mues. lès détacher de cette terre pour les éclairer et les saiiver ? Et dans los mystères douloureux de notre époque, pour- quoi ces désastres qui ne s'étaient jamais vus, ces ruines encore fumantes, ces victoires de l'erreur et du mal, ces frémissements des peuples qui mugissent sous le souffle de la révolution, comme l'océan sous l'ouragan déchaîné, ces défaillances honteuses, ces illusions qui, à chaque ins- tant, menacent de nous jeter aux abîmes, ces haines qui s'agitent dans les bas-fonds, cet aveuglement dès multi- tudes enivrées du vin de la colère et prises de je ne sais quelle rage de détruire, ces liens si faibles et toujours prêts à se briser, cette union que tous appellent de leurs vœux et que tous repoussent par leurs paroles et par leurs actes :' Pourquoi cet égoïsme incapable de sacrifier ses ressentiments ou ses préférences au salut de la patrie, cette hésitation des conducteurs des peuples, qui sonlent que tout échappe de leurs mains tremblantes, celte histoire lamentable d'hier, ces incertitudes qui pèsent sur Imites les âmes, ces terreurs d'un avenir que nul ne peut pré- voir et que tous interrogent d'un regard troublé, ces infor- tunes, enfin, que nous veulent-elles et pourquoi sommes- nous écrasés sous leur poids:' Descendons-nous sans espoir au tombeau.' Et sommes-nous les victimes d'une puissance sans pitié:1 .Non, mille fois non. Maigre Imites ces ténèbres, par les CÔÙps de foudre de sa justice et par toutes les révélations (le son autorité souveraine, Dieu cherche les âmes, il les aime, il veut les sauver; et en sàuvanl lés mues, il saine les nations et les sociétés. Ah ! je comprends avec ma raison, je comprends avec mon cœur qu'il doit en être ainsi ! .l'entrevois ces clartés, je comprend- que Dieu est infiniment puissant et infini- ment bon, qu'il veut ainsi ramener à la vérité la volonté libre de l'homme, qu'il veuï ramener à la régénération ef au salut les nations qui s'égarent. Je comprends que cette admirable doctrine de l'Eglise catholique, c'est la - 135 — vraie et grande philosophie de l'histoire, c'est la force dans nos luttes et l'espérance dans nos malheurs Mais c'est assez. C'est assez pour toute intelligence qui ne veut point opposer à l'éclat de la vérité une criminelle obstination. Nous avons établi par des preuves irrécusables la puis- sance et la grandeur de l'âme humaine. Nous avons émontré que l'âme est grande et puissante par la raison, par la volonté libre, par sa ressemblance avec Dieu, par ses aspirations qui bravent la douleur et la mort, qui épui- sent d'un trait toutes les joies périssables et qui vont spon- tanément et invinciblement à l'immuable et à l'infini. En face des négations de la libre pensée, nous avons fait entendre les affirmations du bon sens et de la foi chré- tienne. Toutes ces puissances et toutes ces grandeurs, l'erreur les nie avec une audace satanique; toutes ces puissances et toutes ces grandeurs, l'Eglise les proclame et les défend avec une foi sans défaillance et un invincible amour. Et maintenant, je nie retourne vers les adversaires de la sainte Eglise, j'oublie un instant que je suis chrétien, je m'adresse à leur intelligence, à leur conscience, à leur bonne foi : je leur demande où est la dignité, où est le progrès, où est le principe capable de régénérer les peu- ples et de sauver nos sociétés qui périssent; je leur demande où est la doctrine qui mérite l'adhésion de tous et à laquelle nous devons soumettre notre intelligence, notre cœur, notre vie tout entière. Mais qui ne le sent dans les profondeurs de sa cons- cience? Qui ne le sait par l'inspiration du simple bon sens? La vérité n'abaisse pas, la vérité ne déshonore pas, la vérité ne dégrade pas, la vérité ne peut pas être la négation uni- verselle et l'inévitable abjection ; la vérité éclaire, elle purifie, elle élève, elle anoblit ; la vérité transfigure, dans la gloire et la force, les hommes et les nations. El cette vérité, qui pourra le contester? elle est dans le — 136 — christianisme; elle est dans l'Eglise catholique qui esl restée depuis dix-neuf siècles l'apôtre sublime ei l'héroï- que défenseur de toutes les grandeurs humaines. La vérité est là, elle n'est nulle part ailleurs. Ali! je vous en supplie, disciples et propagateurs de la science matérialiste et athée ou de la philosophie spiri- tualiste et manifestement impuissante, sur ce terrain de la sincérité, de la loyauté et de l'honneur, sur ce terrain où je descends avec vous, je vous en supplie, répondez- nous.... Laissez-moi vous le dire, vous n'échapperez pas aux étreintes de la vérité... Nierez-vous ce contraste frappant, cette opposition éclatante entre les doctrines que nous repoussons et les enseignements de la foi catholique ? Mais notre démonstration tout entière, les textes évidents, les faits de l'histoire contemporaine, vous répondent et vous apportent des témoignages dont vous n'amoindrirez jamais la valeur. Vous retournerez- vous vers l'autre pôle de la question ! .\ierez-vous les caractères inaliénables, essentiels, évi- dents de la vérité? Mais le bon sens universel, le cri de toutes les consciences, condamneraient cette suprême folie. Que reste-t-il donc, sinon reconnaître la vérité, l'em- brasser, la proclamer et la défendre, et offrir à l'Eglise catholique une soumission filiale et un dévouement sans limite? Vous, Nos Très Chers Frères, vous qui jusqu'à ce jour, peut-être, avez montré trop d'indifférence en présence de ces doctrines corruptrices, repoussez-les avec indignation. Ne leur permettez pas d'aller jusqu'à l'intelligence et au cœur de ceux que vous aimez ; ne permettez pas aux journaux, aux brochures ou aux romans qui les propa- gent, de franchir les défilés de vos montagnes ou le seuil de vos demeures, dont les saintes croyances, les fortes vertus et les espérances immortelles sont la lumière, l'honneur et la joie. — 137 — Et vous, Nos Très Chers Frères, qui allez habiter nu milieu des grandes cités, restez fidèles, malgré tous les blasphèmes de l'erreur, malgré toutes les sollicitations des plaisirs qui ouvrent le chemina l'impiété, restez fidèles à la foi et à l'innocence de vos premières années : rapportez dans vos villages ces trésors mille fois supérieurs à toutes les richesses de la terre et transmettez à vos fils ce glo- rieux héritage que vous avez reçu de vos pères. LETTRE PASTORALE A L'OCCASION' DU JUBILÉ UNIVERSEL 29 janvier 1875. Nos Très Chers Frères, C'est dans un sentiment de profonde reconnaissance envers la miséricorde divine que Nous vous annonçons la grâce insigne d'un Jubilé universel, accordé par la Lettre encylique de notre Saint-Père le Pape Pie IX, du 20 décembre 1874. Le Souverain Pontife ouvre ainsi, «dans toute sa largeur, le céleste trésor formé des mérites, des souffrances et des vertus de Notre-Seigneur Jésus-Chrisl, de la Vierge sa Mère et de tous les Saints, trésor dont l'auteur du salut des hommes lui a confié l'administra- tion. » La Lettre apostolique elle-même vous dira, avec l'auto- rité et la majesté de son langage, les motifs de cette con- cession précieuse. Elle vous dira que non seulement les traditions de l'Eglise catholique indiquaient cette année comme Vannée sainte, mais que le malheur des temps exige « que la foi, la religion et la piété se fortifient et se — 140 — raniment, que l'esprit de prière se répande et s'accroisse, que tous ceux qui sont tombés soient excites à là péni- tence du cœur et à la réforme iU>* mœurs, et ce sonl là les fruits principaux que doil produire un grand Jubilé. » Par une faveur unique,*réservée, comme tant d'autres, à ce pontificat glorieux, c'est la seconde fois que le Pape Pie IX publie l'Indulgence de l'année sainte, et ce Jnhilé sera le vingt-et-unième des grands Jubilés dont l'histoire a conservé le souvenir. Le premier fut célébré en 1:300, sous le pontificat de Boiiiface VIII '. Tous les voyageurs qui ont visité Saint- Jean de Latran ont admiré la magnifique mosaïque qui représente ce Souverain Pontife ayant à ses côtés deux cardinaux, dont l'un fait la lecture solennelle de la bulle apostolique qui ordonnait la célébration de ce premier Jubilé. Celte indulgence extraordinaire n'était d'abord accordée que tous les cent ans ; Clément VI décida qu'elle serait accordée tous les cinquante ans, en souvenir du Jubilé prescrit par la loi mosaïque, et Urbain VI, en mémoire de la vie mortelle du Sauveur, en lixa la concession à tous les trente-trois ans: et enfin Paul II, en 1470, à tous les vingt-cinq ans. Cette dernière décision a été maintenue, depuis lors, pour les grands .Jubilés de l'année sainte, bien que les Papes accordent, dans les premières années de leur pontificat et dans les grands périls de l'Église, des indulgences plénières en forme de Jubilé. Les magnifiques cérémonies qui doivent s'accomplir à Rome, au commencement étala tin du Jubilé universel, pour l'ouverture et la fermeture de la jtorte sainte des grandes basiliques, porte qui ne s'ouvre que dans cette circonstance solennelle, sont évidemment impossibles au milieu des épreuves lamentables que subit l'Église romaine. 1 Cependant, déjà avant cette époque, on accordait à Itmiie de grandes indulgences aux fidèles qui allaienl visiter les églises de Saint-Pierre et de Saint-Paul, ainsi que Bonifaee VI11 le dit dans ÏExlrav. coin, de iiœnitentia et revtissione : A.\tk Quorum. — 141 - Mais, dans tout l'univers chrétien, la pieté des fidèles et le zèle des pasteurs suppléeront sans doute à ce qui man- quera ainsi aux fêtes de la Mère et de la Maîtresse de tou- tes les Églises. Nous avons là ferme confiance, N. T. G. F., que vous profiterez, avec toute l'ardeur de votre foi, de ces jours de salut, de ces temps m riches en faveurs célestes : « Ecce mine tempus acceptabile, ecce nunc dies sala Us \. » Vous répondrez avec empressement à l'appel de vos pasteurs ; vous remplirez de vos foules recueillies les temples du Seigneur; vous entourerez les autels du Dieu vivant; vous ccouterez avec docilité la parole sainte qui vous sera annoncée ; vous méditerez dans le silence les grandes vérités de la foi; vous examinerez, sous les regards du Souverain Juge, les replis de votre conscience, et vous accomplirez avec courage les œuvres de la pénitence chré- tienne. L'ange du Seigneur va descendre, il agitera ces eaux salutaires où lésâmes guérissent leurs infirmités : « Ange- las descendebal secundum tempus et morebat aquas2. » Il fera venir jusqu'à nous ce fleuve impétueux des grâces célestes : « Fluminis impetus lœtificat civitatèm Bel 3 » , ces Ilots de bonheur et de vie qui jaillissent du cœur ado- rable de Jésus, « Haurietis aquas cum gaudio de fonlibus Salcatoris \ » Jésus lui-même, le seul Rédempteur, le seul Sauveur, le divin Maître, va passer au milieu de vous pendant celte année. Vous le bénirez; car il vient visiter son peuple dans son amour et lui apporter la rédemption et le salut '. « Car c'est par les entrailles de sa miséricorde qu'il nous visite, se levant dans les hauteurs des deux, comme le 1 H Cou., VI, 2. « JOA.N., V. 4. 3 Fs. 45, B. * Isau-:, XII, 13. 5 Benediclus Dominas Deùs Israël, quia visilavit et fecit redemplionem plebis suœ. (Luc, I, 68 ) - 142 — soleil, pour illuminer ceu.r qui sont assit dans 1rs icnrbrcs el les ombres de la mort et pour diriger nos pus dans la voie de la pai.r 1. » Oui, N. T. C. F., la concession du Jubiljé est déjà une lueur d'espérance dans la nuit de nos malheurs. Dieu qous a frappés pour nous éclairer et nous ramener à lui 2. Et maintenant il vient lui-même à nous dans sa miséri- corde infinie. Que cette année soit donc pour nous tous une année sainte, une année de repentir, de réparation et de salut! Qu'une prière ardente, persévérante, s'élève de nos cœurs humilies; qu'elle pénètre à travers ces nuées qui semblent porter dans leurs lianes, avec des tempêtes plus terribles que celles qui ont passe soi' nous, les fou- dres d'une justice qui bientôt peut-être sera sans pilie : « Qratio linmilianlis se nubes jicncirahii 3. » Comme Xous vous le disons dans Notre Lettre pas- torale, prions pour l'église persécutée, prions pour le Souverain Pontife, afin que Dieu lui accorde les joies du triomphe après de si longues et si cruelles épreuves. Prions enfin pour notre patrie infortunée. Invoquons l'Esprit divin qui domine, du sein de sa gloire et dans la splendeur de la lumière, ces torrents de l'adversité qui nous enveloppent de toutes parts, ces ombres épaisses qui couvrent la profondeur des abîmes où nous descendons, ce chaos où tout paraît près de se confondre dans des désastres gui ne se sont jamais vus*. Qu'il vienne cet Esprit créateur, cet Esprit sanctifi- cateur; qu'il vienne et qu'il renouvelle, dans l'ordre, dans la soumission et le respect de tous les droits sacrés, qu'il renouvelle par les victoires du bien et , l'ascendant de la vertu, la face de cette terre dominée par le mal et sans 1 Per viscera misericordiœ Dei noslri in quibus visilavit non oriens ex alto,illuminare his qui in tenebrisetin timbra mortissedent ad diri- gendospedes noslros in viarn pacis. Ibid., 78, 79. 2 CasUgatu» sum et erudilus sum. Un., XXXI, 18. 3 Ecci.es., XXXV, 21. 4 SpMtu Dei ferebalur super aquas et tenebrœ erani super faciem. abyssi. Gen. 1, 2. - 143 - cesse bouleversée par des révolutions sataniques. « Emitte spiritum tuum, et creabiintur et renovabis faciem terrœ1. » Qu'il vienne cet Esprit divin, qu'il pénètre au sein des peuples pour les purifier, les relever et les conduire dans les voies de la civilisation chrétienne, des vrais progrès et de la vraie liberté t Qu'il pénètre dans tous les cœurs pour les unir enfin par les liens d'un amour surnaturel, et les donner à Dieu : « Trahani eos in vinculis caritatis2 ! » Que les prévarications sans nombre soient consumées dans les feux de la charité et disparaissent devant la satis- faction des œuvres saintes! Que les péchés des sociétés et des nations aient eniin un terme! Que l'iniquité de tous soit effacée par une pénitence universelle, et que la justice arrive et règne à jamais : « Ut consiimmetur prœvaricatio, et fînem accipiat peccatum, et deleatur iniquitas et addu- catur justitia sempiternel3. » Qu'elle règne cette justice, seule capable de nous don- ner la paix, que tous les cœurs appellent : « Et eril opus justitiœ pax\ » 1 p*. cm, 30. - Osée, XI, 4. 3 Dam. IX, 24. 4 Isai*;, XXXII, 17. LETTRE PASTORALE SUR l_ E DOUBUE ANNIVERSAIRE DE L'APPARITION DE M. H- A LA BIENHEUREUSE MARGUERITE-MARIE ET DE L'ÉLECTION DE PIE IX 16 mai 1875. Nos Très Chers Frères, Le 16 juin de cette année sera pour l'Eglise universelle un doux et glorieux anniversaire. Il y a deux siècles, le H) juin 1075, notre divin Maître apparaissait à la bienheu- reuse Marguerite-Marie, lui montrait son Cœur en lui disant : « Voici ce Cœur qui a tant aimé les hommes, » et demandait qu'une fête fût célébrée chaque année, le ven- dredi après l'octave du Saint Sacrement, en l'honneur de ce Cœur sacré. C'était comme l'inauguration solennelle du culte du Sacré Cœur dans l'Eglise catholique. Le 16 juin 1846, notre Saint-Père le Pape Pie IX était élu au pontificat suprême dont il porte depuis 21) années 10 — 146 - le glorieux fardeau au milieu des orages el des persécu- tions, visiblement soutenu par la puissance de Dieu et aussi par la soumission, l'admiration et l'amour de ses enfants. Ce sont ces deux grands souvenirs que nous célébrons le 16 juin. Pour ajouter aux saintes émotions de ce double anniversaire, le Souverain - Pontife a ûxé à cette même date l'acte de consécration de tous les fidèles de l'univers catholique au Cœur de Jésus. Le décrel quela Sacrée Congrégation des Rites a publié à cette occasion et la formule de consécration qu'elle a approuvée indiquent le motif de cette décision et le but de cet acte solennel. Vous serez heureux, de prendre part à cet acte public de la piété catholique. Vous offrirez au Cœur adorable de Jésus vos cœurs purifies par la pénitence et la prière, vos actions, votre vie. vos personnes, vus familles, tout ce qui vous est cher, afin que l'amour du divin Maître règne à jamais sur nous, qu'il suit votre inspiration, votre for ce votre espérance, votre bonheur. Vous remarquerez, nos très chers frères, que l'acte de consécration approuvé par la Sacrée Congrégation des Elites sollicite delà miséricorde du Cœur de Jésus la con- version des pécheurs, la victoire sur l'indifférence qui retient tant d'âmes loin de Dieu, la soumission de tous les catholiques aux décisions du Saint-Siège, le triomphe et la paix de l'Égliàe et du Souverain Pontife. Ce sont là (\r^ Intentions auxquelles nous devons mais unir, des ensei- gnements que nous devrons recueillir et méditer. Deux fois cet acte de consécration vous rappelle l'obli- gation de sanctifier les jours de dimanches et de fêtes et « de les faire sanctifier par toutes les personnes sur les- quelles vous avez de l'influence ou de l'autorité. » Bien plus, l'observation fidèle de ce grand précepte doit être le signe publie de votre consécration au Cœur de Jésus. Que ce signe soit donc éclatant parmi vous ; que cette inanile<- - 147 - ation de votre piété envers le Cœur du fils de Dieu soit universelle dans ce diocèse, où la sanctification du dimanche a été, dès les premiers jours de notre élévation à l'épisco- pat, l'objet de notre constante sollicitude. Nous recom- mandons surtout instamment aux habitants de la campagne de ne pas venir le dimanche acheter ou vendre dans les villes ou les bourgs sans y être obligées par des raisons graves et pressantes. Pour nous conformer aux intentions du Souverain Pon- tife, l'acte de consécration que nous venons de citer sera lu dans toutes les églises de notre diocèse, le 10 juin avant la bénédiction du Saint Sacrement que nous autorisons à donner ce jour-là. Nous engageons vivement les fidèles de notre diocèse à remplir les conditions exigées pour gagner l'indulgence plénière accordée à l'occasion de cette con- sécration. Dans les paroisses où, à raison des travaux de la saison ou pour tout autre cause, une réunion nombreuse ne serait pas possible le jour de la fête du Sacré Cœur et le 16 juin, la consécration du diocèse ordonnée par notre vénérable prédécesseur dans son mandement du 1er novembre 1870, et la consécration des fidèles de l'Église catholique pour- ront être faites le 1C juin à la même cérémonie. — Nous laissons à MM. les Curés le soin de décider ce qui con- vient le mieux aux conditions particulières de chaque paroisse et à la piété de leurs paroissiens. LETTRÉE PASTORALE SUR L'EMIGRATION RURALE SES CONSÉQUENCES DÉSASTREUSES 2 février 187(5. Nos Tkès Chers Frères, En méditant, à l'approche de cette sainte Quarantaine, sur les devoirs que nous impose notre sollicitude pas- torale, il nous a paru que nous devions appeler voire atten- tion sur l'émigration qui dépeuple nos vallées et nos mon- tagnes, et qui devient pour ce pays un fléau de plus en plus redoutable. Dans le cours de nos visites pastorales, que nous consa- crons à étudier, à tous les points de vue, les intérêts des populations que Dieu nous a confiées, nous avons cons- taté avec une profonde douleur que cette émigration exagérée, imprudente, aveugle, compromet la prospérité matérielle, la foi, la moralité, le bonheur de nos dioeé- ; Cette lettre pastorale et celle qui la suit ont été publiées en un volume in-16 de 176 pages chez Gaume. Paris. 1 franc - 150 - sains, et qu'elle est clans ce pays, comme dans la Franco entière, un grand péril social. Ce sont ces vérités, d'une si évidente importance, que qous voudrions vous démontrer dans le plus simple laogage. Nous vous supplions, .Nos Très Chers Frères, d'écouter, avec une docilité filiale, ces accents d'un cœur qui vous aime, cette parole de votre évèque qui veut défendre, avec la franchise et l'énergie du vrai .dévoue- ment, vos intérêts les plus chers. Nous ne contestons pas la dignité et la puissance de l'industrie. Jamais elle n'a réalisé de tels progrès, jamais elle n'a ainsi étendu les frontières dé son empire, jamais l'homme n'avait, par les forces conjurées de la science, courbé ainsi suus sa domination la création matérielle. Mais il faut le reconnaître : ce n'est pas ordinairement à celte puissance de l'industrie, dans ses plus hautes mani- festations et ses merveilleuses complètes, que les fils de nos montagnes consacrent leurs travaux et leurs efforts. Quelques-uns sans doute arrivent, par leur probité, leur intelligence, leur persévérance, à des travaux où l'esprit a une plus large part, et où la dignité de l'artisan grandit avec le succès. Mais comhien végètent dans l'obscurité et dans les travaux les plus humbles I Et pourtant nous je- tons un regard d'estime et d'affection sur ces obscurs et vaillants travailleurs. Qu'ils.soient des serviteurs dévoués, des commissionnaires infatigables, de pauvres artisans, nous nous inclinons devant ces enfants de Dieu: nous appelons les bénédictions du Ciel sur ces rudes labeurs qui ont leur grandeur, leur dignité, et dont la valeur esl incontestable aux veux de la foi. Mais il nous sera permis, sans doute de leur rappeler — 151 - les travaux qui ont été ceux de leur enfance, et de leur dire la dignité plus haute et la grandeur incontestée de La culture des champs. Tous les peuples ont accordé leur estime à cette noble profession de l'agriculture. Partout et toujours les légis- lateurs, dignes de leur grande mission, Font favorisée par leurs décrets; et les hommes de génie, appelés au gou- vernement des peuples, lui ont prodigué leurs encourage- ments. Les philosophes ont proclamé son efficacité incomparable pour maintenir la pureté des mœurs et don- ner à la patrie de robustes et vaillants défenseurs. Les poètes ont redit dans des chants immortels sa gloire pure et ses enseignements pleins de lumière et de charmes. Dans la Grèce antique, un philosophe qui fut en même temps un historien et un guerrier, Xénophon, place l'agriculture au-dessus de tous les arts, et « il n'admet pas qu'un homme libre puisse trouver une occupation plus digne de lui que le travail des champs. » — « Parmi les arts productifs, a dit le plus grand des orateurs romains, il n'y a rien de meilleur que l'agriculture, rien de plus fécond, rien de plus agréable, rien de plus digne d'un homme libre '. » Rome, aux jours de sa grandeur, allait chercher au milieu des travaux des champs ses généraux et ses dicta- teurs. Elle les voyait retourner à leurs charrues après avoir repoussé les ennemis, multiplié les victoires et rendu la paix à leur patrie par leur courage et. leur génie. « L'agriculteur a été pour les sociétés humaines le principal moyen de multiplication, d'indépendance et de progrès moral, a dit un observateur profond de notre époque. Plus que toute autre branche d'activité, ellecarac- térise la vie nationale. Elle est, dans l'ordre matériel et dans le régime du travail, la force qui complète le mieux 1 Cicéron, De O/J-iciis, liv. I, chap. xi.in. - 152 — l'œuvre de la création. Au reste, ia prééminence de l'agri- culture sur les autres arts a été si souvent proclamée chez les anciens et les modernes, qu'elle peul être érigée en axiome1. » Le nom même que porte l'habitant des campagnes atteste sa dignité, paysan, c'est-à-dire l'homme du pays, l'homme qui aime son pays -et qui luireste fidèle, l'homme en qui se résument la force, l'espoir et la grandeur natio- nale. Mais interrogeons sur cette dignité des travaux des champs les Saintes-Écritures, qui, si elles n'étaient la parole de Dieu, seraient encore la parole la plus sublime. la plus autorisée, la plus digne de respect que la terre ait entendue. Chez le peuple de Dieu, les hommes appelés à des mis- sions providentielles se sont livrés à ces nobles travaux. Moïse conduit pendant quarante ans les troupeaux de Jéthro, son beau-père, avant de devenir le sauveur des Hébreux et le législateur de l'Ancien Testament. Gédéon battait son blé, quand l'ange du Seigneur lui apparut et l'envoya combattre pour la délivrance d'Israël. Saûl cher- chait les ànesses de son père, lorsque Samuel répandit sur son front l'huile qui le fit roi. David gardait les trou- peaux, lorsque Dieu l'appela à remplacer Saûl prévari- cateur, et à régner sur son peuple. Il y a plus : le travail de la terre fut la part accordée au premier homme aux jours de son innocence. Dieu le plaça dans le Paradis terrestre, dans ce séjour du bon- heur, afin qu'il consacrât ses forces et ses facultés à ce travail de la terre : Posait in paradiso Doluptatis ut ope- raretur illum -. Selon d'antiques traditions, le Fils de Dieu s'occupa des travaux des champs à Nazareth; et. dans les premiers 1 Le Play, l.n Réf. sociale, lom. II, chap, xxxiv. 2 Gen. 11, 15. — 153 - siècles de l'Église, les chrétiens se souvenaient des char- rues qu'il avait failes de ses mains divines. Et, ce qui est plus admirable encore, c'est à la vie des champs, aux objets les plus familiers aux habitants des campagnes, que l'adorable Maître emprunte sans cesse ses paraboles, ses comparaisons, les images simples et touchantes qui éclairent sa doctrine. Comme le laboureur de nos vallées et le pâtre de nos montagnes, il connaît les pronostics du temps : « Le soir vous dites : Le jour sera serein, car le ciel est rouge ; et le matin : Aujourd'hui, il y aura de l'orage, car le ciel se colore d'une rougeur sinistre \ » Il parle du lever et du coucher du soleil, du vent et de l'orage, des tonnerres, des étoiles et de la nuit, de réclair qui brille et qui disparaît, des saisons qui se succèdent et des travaux qui leur conviennent, des fleuves et des tor- rents, des sources et des lacs, des œufs et des cailloux, du sable mouvant et de la pierre ferme. 11 parle des laboureurs et des vignerons, des champs et des vignes, du terrain fécond et du terrain stérile, du bon grain et du mauvais, des greniers, de l'aire dans laquelle le cultivateur vanne son blé, et de la paille qu'il jette au feu. de la semence qui est la parole de Dieu, de l'ivraie et de la zizanie, des gerbes et des moissons, du vin nou- veau et du vin vieux, de la farine et de l'huile, des ampho res, des outres et des tonneaux. Il montre les arbres et leurs fruits, leurs feuilles, leurs bourgeons et leurs branches. Il maudit le figuier stérile, il parle du sycomore et du roseau agité par le vent, de l'herbe des champs, des sentiers et des haies. Il com- pare l'Eglise à une vigne, à un grain sénevé qui croit et devient un grand arbre. « Considérez, dit-il, les lis des champs, et de quelle manière ils croissent; ils ne travaillent point et ils ne filent pas. et je vous déclare 1 Matth. XVI, 2 et 3. - 154 - que Salomon dans sa gloire n'a pas été vêtu comme l'un d'eux \ » Il nomme les animaux l«s plus connus de ses auditeurs, les loups et les renards, les bœufs ei les ;mes et les pour- ceaux eux-mêmes, les aigles et les passereaux, les cor- beaux et les petits oiseaux du ciel 2. Il parle de la pru- dence du serpent et de la. simplicité de la colombe, des vipères, des vermisseaux et des moucherons, des agneaux, de la bergerie et de la brebis perdue. Dans un des élans les plus touchants de sa miséricorde, il se compare lui- même à la poule qui veut rassembler ses poussins : Jéru- salem, s'écrie-t-il, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui sont envoyés vers toi. combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes, el tu ne l'as pas voulu 3 ! » Il rappelle souvent les devoirs des maîtres, des servi- teurs el (\iv< ouvriers, la journée du travail (fui esl l'image de la vie et le salaire qui en est la récompense, les instru- ments île l'agriculture, la hache et la cognée, la charrue el la bêche. 11 se compare lui-même au cep et ses disciples aux brandies. Tl est la tige et la sève qui donne la fécondité, el hors de lui personne ne peut porter des fruits '. Il esl le semeur qui répand la bonne semence, la semence de l'Evangile et de la grâce : Qui séminal bonum semen, hic est filins 5. Il est le père de famille qui sort de grand matin pour louer des ouvriers et les envoyer travaillera sa vigne. 11 est le bon pasteur qui connaît ses brebis el de lois, plus d'auto- rité, plus de gouvernement, et si la force leur appartient enfin, ne fût-ce que dans un jour de surprise. Ce qui s'est fait, nous le savons : ce qui se prépare pour le jour où l'anarchie serait triomphante, qui pourrait nous le dire :' Tandis que la France était écrasée sous les pieds de ses ennemis et que les étrangers campaient sur les rem- parts .de sa capitale conquise, nous avons vu l'incendie dévorer les monuments de notre gloire nationale et les dtages massacres: nous avons vu l'assassinat des soldats et des prêtres, le sang français coulant à flots sous des halles françaises, et l'univers épouvanté de cette rage sata- nique qui n'a pas hésita devant les malheurs et le deuil de la patrie. Et celte œuvre du mal, vaincu par l'énergie du pouvoir, par la fidélité et la valeur de l'armée, est reprise tous les jours dans ses sources premières. Il s'est trouvé des i cri- vains pour justifier, pour glorifier les crimes les plus mons- trueux de la Commune : il s'est rencontre des orateurs politiques pour insulter à l'armée française et plaider la cause des assassins et des incendiaires frappés par la jus- tice. Et, remarquez-le bien, ce n'est pas contre les prêtres seulement, contre l'Eglise catholique, contre les riches et les puissants, c'est contre le propriétaire et le magis- trat, contre le patron et le bourgeois, contre tous ceux qui possèdent: c'est contre toutes les hases de l'ordre social que retentissent ces cris de guerre, et que, bon gré malgré, s'avancent chaque jour les légions de la révolu- tion universelle et de la destruction sans pitié. Qui s'ëtonnerail de la faiblesse des ouvriers soumis à toutes ces influences perverses? Qui s'étonnerait de ces progiès et de ces conquêtes de la révolte et de l'anarchie, quand l'autorité de Dieu est rejetée, quand les enseigne- ments de la foi sont méprisés, quand la raison elle-même — 177 - est outragée dans ses vérités premières et que la voix de la conscience, proclamant les devoirs les plus évidents, est étouffée dans les ténèbres et dans la boue? Com- ment voulez-vous que ces ouvriers ne succombent pas* Les journaux impies, les romans profondément immo- raux, les paroles qui retentissent chaque jour à leurs oreilles justifient tous les crimes, exaltent toutes les jouis- sances, outragent toute autorité, et ne laissent dans leurs âmes d'autre espérance que celle des satisfactions gros- sières de la vie présente et du triomphe prochain de la force brutale. Que voulez-vous qu'opposent à ces doctrines, à ces entraînements de l'exemple, à ces sollicitations perpé- tuelles, des infortunés auxquels on a enlevé tout ce qui les faisait chrétiens et honnêtes? A ces sollicitations, il faut ajouter les conseils de la misère, les angoisses de l'ouvrier sans travail, ces souf- frances qui ouvrent le cœur à toutes les fureurs, à toutes les convoitises et au désir d'un bouleversement social. Il faut ajouter encore l'influence des sociétés secrètes, des associations politiques qui organisent dans l'ombre l'armée du désordre, dont les agents poursuivent partout l'ouvrier, et attendent quelquefois nos émigrants à l'heure même de leur arrivée pour leur imposer des chaînes que, plus tard, ils n'oseront briser. Aussi, qui ne comprend que fatalement cette émigration exagérée, imprudente et insensée donne des soldats à l'anarchie, des bras pour nos révolutions futures? Et ce n'est pas de nos jours seulement que cette con- séquence funeste de l'émigration a été signalée par les hommes appelés au gouvernement des peuples. Déjà au seizième siècle, l'empereur Charles-Quint écrivait au roi de France, François Ie' : « Mon frère, craignez d'amoin- drir les corporations marchandes et industrielles qui, aux yeux louches du vulgaire, passent innocemment pour exclusives, mais qui font dans la réalité du génie les plus 12 — 178 — solides battages aux Bots écumeux de vos provinces, ([ni. sans elles, envahiraient Paris et briseraient votre tronc. *> Et il terminait par ces paroles que nous pourrions appeler prophétiques : « N'oubliée pas celle vérité, mou frère, les capitales où le-; classes nécessiteuses dominent parlé nombre, deviendront immanquablement le tombeau des royautés el des grandes nations '. » • « Tous mes soins, toutes mes veilles, disait le grand Golbertj tendront à traduire fidèlement le système que sa Majesté vient d'adopter, el qui consiste à favorise!* par de bonnes institutions,, par des avantages particuliers le sort des cultivateurs, qui sont 1rs pères nourriciers du royaume, mais qui deviennent dangereux lorsqu'ils abandonnent leur- campagnes pour venir à Paris échanger leur bêche contre le marteau de l'ouvrier. » « 11 ne faut pas que Paris ait à craindre le sort des plus puissantes villes, disait Louis XIV, inspire par Colbert. Si Paris s'étend outre mesure, il pèse sur la France, parce qu'il enlève chaque jour à nos villes secondaires les ouvriers^ el à nos campagnes les laboureurs. » Dès 17'i0 Montesquieu écrivait à un de ses amis : « 11 n'\ a en France que Paris et les provinces éloignées, parce que Paris n'a pas encore eu le temps de les dévorer. » Eu 1750, le marquis de Mirabeau, espril chimérique, mais parfois profond, disait, en parlant de Paris sans le nommer. « Les capitales sont nécessaires ; mais si la tête devienl trop grosse, le corps devient apoplectique et tout pé- ri t ■ . » • Davila, Hisl. d'Esp., tome VI, pag. 88. - «•Sire, disait Sully à Henri IV, n'augmentez pus, vray Dieu, le nombre du populaire dans l'.n is, » - Ces Jeux citations, de Montesquieu el du marquis de Mirabeau, sont Urées de 1 ouvrage ['Ancien itéyime et la Révolution, cliap. vu. par M. A. de Ïocqceville, qui, après avoir rappelé que les nus de France ont publie principalement dans le dix-septième et le diX-hUitiéme" siècle un grand nombre d'ordonnances pour arrêter l'accroissemoul de paris, termine ainsi : î On tombe assez d'accord aujourd'hui, renie semble, que ia centralisation administrative et L'omnipotence de Pans sonl pour beaucoup dans la chute de tous les gouvernements u.ue nous avons vus se succéder depuis quarante .ms. Je ferai voir sans — 179 — « Il faut à Paris, dans L'intérêt du pouvoir et pour le repos de la France, écrivait l'empereur Napoléon I ' an préfet le la Seine, une organisation commerciale, indus- trielle et municipale, qui force le laboureur à rester dans sacampagne et l'ouvrier dans sa ville secondaire... Car si l'on s'endormait dans une fausse sécurité, dans moins d'un demi-siècle, Paris compterait plus d'un million d'ha- bitants sur lequel on subirait huit cent mille ouvriers : alors gare l'explosion' I » « En 1840, dit M. de Falloux, c'est-à-dire à une époque pleine de sécurité gouvernementale, un bureau de la Chambre des députés avait à nommer son commissaire du budget. La discussion allait se fermer sur quelques bana- lités politiques, lorsqu'un députe d'un visage imposant, d'un accent convaincu, se mit à déclarer qu'il avait une recommandation expresse à faire au commissaire qu'on allait élire, c'était d'insister de toutes ses forces contre 1 'aiïluence de plus en plus effrayante de la population ouvrière de tous les points de la France à Paris. « Depuis « longtemps, dit-il, membre du conseil municipal pari- " sien, je vois le Ilot monter, le péril grossir; nous nous « endormons au sein dune tranquillité trompeuse, etnous « serons reveillés quelque matin par une formidable catas- « trophe... » Ce député était un homme que sa prédiction accomplie allait bientôt porter au pouvoir, c'était François Arago 2. Ajoutons à ces prévisions si remarquables le portrait que M. Le Play trace d'une partie des ouvriers parisiens. « Profondément imbus de l'esprit révolutionnaire, portant envie à toute supériorité sociale, ils n'admettraient pas que le patron pût intervenir par des conseils bienveillants peiue qu'il faut attribuer au même l'ait une grande part dans la ruine soudain.: et violente de l'ancienne monarchie, et qu ou doit le ranger parmi les principales causes de celte révolution première qui a eulaulé toutes les autres. » 1 Lettre au comte Frochet. 2 Ce fait est cite par M. l'abbé Tournissoux dans sou livre intitulé ; Ne /ayons pas les campagne-. — 180 — pour provoquer un emploi plus judicieux du salaire. Rarement même ils consentent à s'affilier à une société de secours mutuels, et plutôt que de renoncer à une partie de leurs débauches, ils s'exposent à toutes les privations qui accompagnent la maladie : mais, en même temps, ils critiquent avec amertume l'organisation sociale qui les laisse dans le dénûment quand viennent le chômage et la vieillesse. Leur thème favori est de blâmer l'égoïsme des classes supérieures, auxquelles, par une singulière inconséquence, ils voudraient imposer le devoir d'assis tance en leur refusant le droit de direction et de con- trôle1. » Sans doute cet esprit de révolte n'atteint pas tous les emigrants. Le respect de l'autorité qui est la tradition constante de nos populations, les principes de la foi qui ont pénétré profondément dans leurs cœurs, les conseils qui leur viennent de leurs familles, une répugnance native pour tout ce qui est nouveau, une prudence qui veut tou- jours voir de près et réfléchir, et qui ne marche qu'à pas comptés, les préservent dans une certaine mesure des entraînements les plus funestes. Il en est aussi qui. de retour dans nos montagnes, cèdent peu à peu aux influences salutaires de la religion et de la vertu et re- viennent aux pratiques de la foi et au respect de l'au- torité. Mais, il faut le reconnaître, un certain nombre de nos emigrants ne résistent pas à ces périls : et, après leur re- tour dans leurs familles, les conversions ne sont pas universelles. Il en est qui, restés dans les grandes villes ou revenus dans leurs villages, se constituent les apôtres des doc- trines les plus subversives. Les journaux les plus pervers sont envoyés aux habitants de nos montagnes par des parents, des compatriotes ou des amis. Ils sont recueillis 1 Réforme sociale, liv. VI, chap. xlix. — 181 — à la fin de la semaine dans les restaurants et les cafés de bas étage, dans les cabarets fréquentés par la partie la plus égarée de la population ouvrière, et ils pénètrent jusque dans nos hameaux les plus reculés. Ils sont lus pendant les longues soirées d'hiver et les jours de dimanche dans bien des réunions de famille. Nous vous supplions, Nos Très Chers Frères, au nom de vos intérêts les plus chers, de repousser avec énergie ces journaux impies et ces romans licencieux, nous vous supplions de ne jamais laisser arriver jusqu'à vos enfants ces écrits dont la lecture les aurait bientôt pervertis. Faut-il donc d'autre* preuves pour démontrer avec toute la clarté de l'évidence que l'émigration est un grand péril social, un péril qui menace les grandes villes et qui se propage jusqu'au sein de nos campagnes? Ne savez-vous pas que des émigrants de tous les départements ont donné des soldats aux légions de la Commune et que les ouvriers, venus de toutes les parties de la France, ont fourni des victimes aux horreurs de la guerre civile ? Tout ce que nous avons dit jusqu'à ce moment démontre avec une pleine évidence que la question de l'émigration est d'une importance suprême pour l'avenir de notre pays. La puissance d'un peuple est manifestement liée à sa prospérité matérielle; et la prospérité matérielle de la France, nous l'avons démontré, dépend avant tout des produits et des progrès de l'agriculture. Un peuple épuisé, un peuple appauvri, un peuple qui est condamné à demander aux pays voisins les produits nécessaires à sa subsistance, n'est pas complètement indépendant. Dans les jours de lutte, la possibilité de la résistance et son existence elle-même peuvent être gravement compromises. Un peuple qui se suffit par la variété et l'abondance des produits de l'agriculture a dans le sol lui-même d'inépui- sables ressources, et il peut traverser sans périr les plus redoutables épreuves. — 182 — Mais si l'émigration est à ee point de vue un péril pour l'indépendance et la grandeur de la France, que sera-ce de l'influence funeste de l'émigration sur la religioD, sur la moralité cl l'ordre social ? Quels peuvent être en effet la puissance, la grandeur et l'avenir d'un peuple au sein duquel disparaissent les vérités religieuses et les fortes vertus, au sein duquel, chaque jour, toutes les forces sociales sont menacées par les légions toujours plus nombreuses de l'anarchie ! Ce peuple est condamne à perdre son rang parmi les nations, et ses ennemis n'au- ront qu'à le laisse]' se détruire de ses propres mains. Mais l'émigration menace encore la grandeur et la puis- sance de notre pays par la diminution de la population et l'affaiblissement des forces physiques. Dans l'air corrompu des villes, sous l'influence des tra- vaux de l'usine et de l'atelier, la taille française diminue, et il faut tous les quinze ans abaisser le niveau fixé pour le recrutement de l'année. Le sang se décolore, il s'ap- pauvrit, et il ne transmet plus qu'une vie déjà épuisée tjans ses sources. Dans les rues des grandes villes, vous ne reconnaîtrez plus dès la seconde génération, et peut-être même après un séjour de quelques années, les races fortes descendues, des montagnes ou venues des plaines où leurs bras robustes remuaient la terre et conduisaient la charrue sous les ardeurs du soleil. Voyez ces eorps fatigues, ces \ images pâlis par les pri- vations, ces fronts sillonnes de rides prématurées. Géné- rations débiles, qui bientôt ne pourront plus remuer l'epee que brandissaient leurs pères., et qui n'auront plus dans leurs cuirs. a\ee un sang généreux et fécond, les nobles inspirations et 1rs clans du courage et du patriotisme ! (ieneraliou> dchiles. que les premières épreuves de la guerre, [es, privations et les maladies décimeront avant qu'elles aient pu aHïuiiter une seule fojs le feu de l'en- nemi ! — 183 — Dans les campagnes, où la contagion des villes n'a point été apportée par l'émigration, se conservent, avec la vigueur du corps et les ardeurs d'un sang pur. des âmes plus saines et plus pures encore. Là, toujours, notre pays menace trouvera des soldats vigoureux et vaillants, formés à !a sobriété, rompus à toutes les fatigueSj et capables de supporter les plus dures privations. Quanti retentira l'ap- pel de la patrie, de tous les villages, de toutes les chau- mières, de tous les sillons accourront des défenseurs généreux: et les ennemis de la France apprendront une lois de plus ce que peuvent, pour la défense et la. gloire de leur pays, les races fortes et pures des laboureurs et des paires. Mais, helas I le courant de rémigration entraîne les habitants des campagnes, et la population agricole diminue dans des proportions effrayantes. D'après le rapport fait, en 1875, à l'Assemblée natio- nale, par la Commission d'enquête parlementaire sur les conditions du travail en France, depuis 1866, c'est de 11,000, de 13,000, de 15.000, de 18,000, et même de 23,000 et de 27,000 habitants que la population agricole a diminué dans certains départements. Dans quelques autres, la diminution est moins considérable. Pour un certain nombre de départements, le rapport, sans indi- quer de chiffre, atteste que la population agricole diminue, qu'elle se porte de plus en plus vers les villes. Un très petit nombre forment l'exception. La population du département de la Savoie, qui était en 1861, de 275,039 habitants, n'était plus, à la tin de 1876, que de 269.361 habitants : d'où résulte pour 15 années une différence de (5.678 habitants. Dans l'arrondissement de Mou tiers, qui est la partie du diocèse de Tarentaisect de la Savoie où l'émigration est la plus nombreuse, la population qui était, en 1861, de 38,910 habitants, était réduite à la lin de 1876 à 35. 030 habitants: d'où résulte une différence de 3,871 : et, par conséquent, - 184 — en quinze années, la diminution de la population a été, à quelque chose près, d'un dixième \ L'émigration est encore, à un autre point de vue, une des causes les plus désastreuses de la faiblesse de la France. Non seulement la population qui émigré des campagnes dans les grandes villes, est plus rapidement décimée par la mort, mais les familles sont moins nom- breuses. Les enfants, qui sont pour le lab tureur une joie et un secours dans son travail, sont souvent considérés comme une charge par l'ouvrier. Il s'effraie des difficultés que présente l'éducation d'une famille nombreuse et des entraves qu'elle peut mettre à son travail. L'incrédulité et la corruption rendent plus lourds et plus redoutables les devoirs imposés aux pères et aux mères. Et l'émigration transmet jusque dans les campagnes ces traditions funestes. Le patriotisme éclairé envisage avec terreur l'avenir que de telles mœurs réservent à notre pays. Cette stéri- lité de la famille, cette diminution de la population, est un signe manifeste de décadence. La vertu et. la fécondité du sang s'en vont d'un même pas- L'égoïsme, les défail- lances des âmes et la faiblesse des corps préparent pour la servitude les peuples épuisés et vieillis. De 1817 à 1864 la population de la Prusse s'est accrue de 82 pour 100; la population en France n'a augmente que de 25 pour 100. En France autrefois la moyenne était de cinq enfants par famille, en 1800 elle était de quatre, aujourd'hui elle est de trois, et à Paris de deux seulement. La différence est plus frappante encore si on compare la France avec la Russie et les Etats-Unis. Aussi voyez : l'Allemagne va multipliant ses formidables armées : elle tiendra bientôt dans sa main de fer les des- tinées de l'Europe. La Russie s'avance lentement au centre de l'Asie, elle élève ses forteresses au milieu des peu- 1 Ces chilires sont tirés des statistiques officielles. - 185 - plades vaincues, et bientôt eile aura ouvert les chemins à ses légions jusqu'aux extrémités de l*immense continent. La voilà qui touche aux murs de Constantinople. Que sera- ce quand elle jettera sur l'Occident ses hordes innom- brables? Le peuple américain des États-Unis défriche ses forêts, envahit ses savanes désertes ; il élève avec une rapidité prodigieuse de grandes et magnifiques cités ; et. déjà, il prétend prendre part aux luttes de l'Europe. L'Angleterre , malgré sa faiblesse militaire , couvre encore de ses riches colonies l'Océanie et les Indes. Mais la France, affaiblie par ses divisions funestes, par les luttes des partis politiques, menacée par toutes les fureurs de l'anarchie, voit ainsi sa puissance s'abaisser par la diminution de sa population et par toutes les con- séquences désastreuses de l'émigration rurale. Que faire donc en présence de ces progrès et de ces conséquences funestes de l'émigration? Vouloir la sup- primer complètement serait injuste et impossible : elle s'impose dans une certaine mesure aux populations de ce diocèse; mais il est nécessaire, il est urgent de la res- treindre dans de justes limites : il est nécessaire, il est urgent de conjurer les périls qui attendent nos émigrants dans les grandes villes. Il faut que de loin nous veillions encore sur eux et que nous les entourions de tous les secours de la plus active et de la plus affectueuse solli- citude. LETTRE PASTORAL!; SUR L'EMIGRATION RURALE SES CAUSES ET SES REMÈDES [è jauvier 1877. Nos Très Chers Frères. L'année dernière, Notre lettre pastorale a été consacrée à combattre le fléau de l'émigration. Tous les renseigne- ments qui Nous sont parvenus, les témoignages que Nous, avons recueillis dans le cours de Nos visites pastorales, Nous ont démontré que Nous avions traité une question de la plus haute importance pour Notre diocèse, et que les conseils que Notre cœur Nous avait inspirés, ont été acceptés avec docilité et avec reconnaissance. Après avoir considéré ^émigration dans ses conséquences funestes, Nous voudrions aujourd'hui en rechercher les causes, en indiquer les remèdes et préciser ainsi les con- clusions pratiques de Notre première lettre pastorale. Nous ne pourrons sans doute, embrasser ce sujet dans toute son étendue : mais il est nécessaire que Nous met- - 188 - tions de nouveau dans une vive lumière des vérités trop oubliées ; et il ne suffit pas de signaler les périls, il faut encore les conjurer. Ne vous étonnez donc pas. Nos Très Chers Frères, si Nous appelons de nouveau voire attention sur cette émi- gration que déplorent tous les hommes intelligents qui connaissent la situation de ce pays et le sort de nos émi- grants. Nous accomplissons un grand devoir de Notre charge pastorale. Le soldat qui veille sous les armes et qui voit avancer l'ennemi. 'ne se lasse pas de jeter le cri d'alarme; et le pâtre de nos montagnes multiplie ses efforts pour conduire son troupeau menacé par l'orage, vers les abris qu'il a préparés. 1 L'orgueil et l'esprit d'indépendance sont incontestable- ment, à l'heure présente, une des causes les plus puis- santes de l'émigration. Depuis la chute du premier homme jusqu'au dernier des jours où la justice de Dieu viendra confondre pour jamais les dernières révoltes de l'huma- nité, l'orgueil multipliera ses victimes. Mais le souffle de la Révolution qui pénètre partout, ses attaques inces- santes contre l'autorité humaine et contre l'autorité divine, qui en est la source, portent dans toutes les âmes l'impa- tience de tout frein, de toute supériorité, de toute loi. L'autorité paternelle a été amoindrie, les liens de la famille se détendent ou se brisent. Les enfants trouvent trop lourd le joug de l'obéissance et du respect. Les ouvriers et les serviteurs, dont la cupidité est excitée parles gains plus considérables offerts dans les grandes villes, fuient nos campagnes. Sans doute, ces défaillances de notre nature humaine ont existé toujours : et il serait injuste et puéril d'admirer sans restriction le passe. Mais il faut reconnaître que les — 189 — antiques traditions de l'obéissance, du respect et de l'atta- chement à l'humble condition des aïeux ont subi de déplo- rables atteintes. Il faut reconnaître, avec le simple bon sens, que tant d'outrages jetés par la parole et par la presse à tout ce qui est respectable et sacré, que l'enthou- siasme aveugle pour une liberté sans limite, ne peuvent passer impunément sur les âmes et sur les peuples- Devant ces flots montants du mépris, de l'orgueil et de la révolte, toute autorité s'abaisse, toutes les conditions sociales sont bouleversées, tandis que les doctrines les plus subversives pénètrent même au sein des populations les plus chrétiennes. Les parents eux-mêmes, aveuglés par l'orgueil, rêvent pour leurs enfants des positions plus brillantes. Au prix de sacrilices écrasants pour leur modeste fortune, ils poussent leurs tils à des études dont les résultats trahis- sent souvent toutes leurs espérances. Ils veulent, pour leurs jeunes filles, une instruction qui n'est point en rap- port avec la situation de leur famille et avec les travaux qui leur sont réservés. Sous l'influence de l'ambition des pères et des mères, sous l'influence aussi des regrets qu'ils expriment dans leurs travaux et leurs épreuves, les enfants se prennent à regarder avec pitié l'humble condi- tion de leurs ancêtres, cette profession de l'agriculture si noble pourtant au regard du vrai patriotisme, dans l'es- time de tous les peuples et dans les enseignements de la foi. Quelles déceptions cruelles cette ambition n'a-t-elle pas apportées à tant de familles dont le bonheur avait été longtemps si complet! Quelles humiliations profondes, quelle douloureuse servitude, succèdent presque toujours à ces rêves de l'orgueil ! Vous avez voulu la liberté : mais quelle liberté aurez- vous? Ici, la culture des champs et le soin des troupeaux varient avec les saisons qui se succèdent; dans les villes, c'est toujours le même cercle étroit et sombre dans lequel — ion — Se meut votre pamre vie. Liberté et indépendance, dite? vous : et vous n'aurez même pas l;i liberté de votre cons- cience de chrétien, la liberté de vos devoirs religieux, la liberté de sanctifier le joui* du Seigneur et de relever votre àme dans le repos et diins In prière. La semaine entière vous serez courbés' sous vos travaux, et la liberté du lundi ne sera pOUrVOûs que la liberté du cabaret, de la débauche et de toutes les dégradations morales. Au village, dites-vous, je travaillerai avec ma famille et il faudra obéir. Mais (buis ces grandes \illes. dans ces ate- liers et dans ces usines, à qui donc obeircz-vons? Troti- verez-vous dans vos patrons et dans vos maîtres cette incomparable tendresse qui a entoure votre berceau et qui a veille sur votre enfance? Vous refusez de servir dans une maison honorable où les serviteurs sont, considérés comme les enfants de la famille. Vous serez condamnés peut-être à servir, comme des esclaves, des maîtres sans pilie. Fatigues, brisés par vos travaux nous chercherez en vain un secours et une consolation : seuls, abandonnés dans une froide et pauvre mansarde, vous verrez la mala- die et le desespoir épuiser rapidement vos forces et vos dernières ressources. Vous méprisez la culture des champs, cette vie qui s'écoule sous le soleil qui resplendit, au sein de l'air pur des montagnes, dans ces vallées où le regard monte des moissons qui se penchent dans leur fécondité, jusqu'aux massifs sombres de nos grandes forets, des vignobles qui s'étalent sur nos coteaux rapides, jusqu'aux neiges éter- nelles qui ferment l'horizon. Tout ici pourtant vous parle de pureté, de foi. de grandeur morale et d'espérance. Vous fuyez ces spectacles incomparables et ces sublimée enseignements, [tour vous condamner a des travaux que vous rougiriez d'accomplir dans \otre village, pour vivre dans de> ateliers malsains ou des réduits infects. Vous laissez venir jusqu'à Vos âmes les doctrines imp.es, ces influences funestes, tons ces souilles de mort qui désho — 191 — norent, qui avilissent et qui tuent les âmes. Et vous par- lez de bonheur, de fortune et de liberté! C'est là en vérité le plus étrange aveuglement et le plus erucl châtiment de l'orgueil. À ces inspirations mille fois funestes de l'orgueil, s'unissent la soif des plaisirs et les attraits de la vanité. Pourquoi ces jeunes lîlles songent-elles à quitter leurs vil- lages0 Ah ! c'est que dans les grandes villes les édifices sont splcndides, les toilettes brillantes, la vanité satisfaite, les plaisirs plus faciles et plus nombreux. Mais qui rece- vra cette jeune fille à son arrivée dans une grande ville, qui veillera sur elle, qui protégera sa vertu, qui pourra conjurer les dangers qui l'environneront de toutes paris0 Ce sont là des questions importunes. L'orgueil a saisi cette pauvre enfant; et si les attraits du luxe et des plaisirs la captivent ainsi avant son départ, que sera-ce après quel- ques mois, après quelques années passées loin de son vil- lage ? Kt si les jeunes tilles les plus réservées, les plus prudentes, les plus vertueuses succombent quelquefois au milieu de tant de sollicitations perverses, quel sort est réservé aux âmes faibles, aux jeunes filles légères, qui, dans leurs villages, absorbées parles travaux des champs, sous les regards de leurs familles, n'ont pas résisté à toutes les tentations de la vanité et des plaisirs 1 La cupidité est une des causes de l'émigration. Sans doute il est juste, il est nécessaire d'accroître par le tra- vail son bien-être et sa fortune. Sans doute, c'est une légitime ambition pour un chef de famille de laisser à ses enfants une situation rendue plus heureuse par des spécu- lations que Dieu a bénies. Mais la fièvre des fortunes rapi- dement acquises pénètre partout. On ne veut plus de cette modeste aisance que la simplicité de nos pères jugeait si honorable et si précieuse. Remettre à ses enfants un com- merce dont les bénéfices ont suffi à l'éducation d'une famille nombreuse, étendre de quelques parcelles de terre, peut-être de quelques hectares, la propriété [de ses - 192 — ancêtres, au prix du travail de toute une vie, était autrefois la suprême ambition. Aujourd'hui, c'est en quelques années qu'il faut arriver à la fortune; car, après avoir acquis les richesses, il faut pouvoir en jouir. Et l'on vend à vil prix l'héritage paternel, la maison toute remplie de si douv et de si grands souvenirs, pour aller demander à l'industrie, au commerce, aux travaux des grandes villes, le secret de la fortune ou le principe d'une ruine qui sera sans remède et sans espoir. Qu'importent les traditions du passé qui apportent à toutes les aines tant de douceur, de consolation et de force? Qu'importe le langage de ce sol lui-même, que tant de générations ont foulé de leurs pas et fécondé de leurs sueurs? Rien ne peut lier les cœurs que la cupidité domine. Et les parents sacrifient à ces entraînements funestes l'avenir et la vertu de leurs enfants. Aux causes que nous venons d'indiquer se rattache évi- demment l'espérance de gains plus considérables et de salaires plus élevés. Mais, nous l'avons démontré, sou- vent ces espérances ne sont que des rêves. Ce n'est pas la fortune avec son éclat et ses jouissances, c'est la misère et les angoisses qui deviennent la part d'un grand nombre de nos émigrants. La différence des salaires n'est pas aussi considérable qu'on le pense généralement, et la supériorité en faveur des villes « n'est qu'apparente, parce que, en fin de compte, l'ouvrier des campagnes peut économiser plus facilement que l'ouvrier des villes '. » Voici d'ailleurs, d'après le rapport fait à l'Assemblée nationale, en 1875. par la Commission d'enquête parle- mentaire sur les conditions du travail en France, voici le taux des salaires des ouvriers et des ouvrières dans les chefs-lieux de département et à Paris. 1 Ce sont les paroles de la Chambre de commerce de Laval, dans le rapport fait à l'Assemblée Nationale, et que nous allons citer bien sou- vent. — 103 — Dans les chefs-lieux de département, le salaire le plus élevé est de 4 fr. 80. Quelques ouvriers plus habiles reçoivent jusqu'à 6 fr. 50. D'autres ne gagnent que 3 fr. 58. Le salaire le plus faible est de 1 fr. 94. La moyenne des salaires des ouvriers est de 2 fr. 90. Le salaire des femmes dépasse à peine la moitié de celui des hommes. Les ouvrières qui obtiennent le salaire le plus élevé, gagnent 1 fr. 70 et 1 fr. 71. Le salaire le plus faible est de 1 fr. 29. La moyenne du salaire est de 1 fr. 48. « Mais en somme, ajoute le rapport, il y a peu de différence entre les divers états ; et ce n'est guère qu'à titre d'employées ou d'entrepreneuses que les femmes peuvent gagner un salaire suffisant pour leurs be- soins \ » A Paris, les salaires sont plus élevés ; mais la propor- tion des dépenses est plus considérable encore. Comme en province, ce sont les ouvriers sculpteurs qui touchent le plus fort salaire, qui est de 7 fr., et môme, pour quel- ques-uns, de 8 fr. 60. Les salaires les plus faibles sont de 4 francs et 3 fr. 50, etc. La moyenne est 4 fr. 99. A Paris, le salaire des femmes s'élève, pour un nombre très restreint et pour un seul genre de travail, à 4 francs. Le plus grand nombre ne gagnent que 3 francs ou 2 francs par jour. La moyenne des salaires est de 2 fr. 78. Et, ne l'oublions pas, il faut que ces salaires suffisent à toutes les dépenses de l'ouvrier et de l'ouvrière, non seulement pour les jours qu'ils consacrent au travail, mais pour les jours de repos, comme pendant le temps de chô- mage complet. Il faut qu'avec ces faibles ressources ils payent leur loyer, leur nourriture et leurs vêtements. Toutes ces dépenses sont bien lourdes, à Paris surtout. Et si l'ouvrier a une famille, si les soins des enfants 1 Rapport fait au nom de la Commission d'enquête parlementaire sur les conditions du travail en France, p. 328 et 329. Ces salaires sont indiqués pour l'année 1871. Si quelques-uns, depuis lors, ont légère- ment augmenté, il est certain que les dépenses des ouvriers ont aug- menté au moins dans une proportiou égale. 13 — 19'i — retiennent la femme au logis, si des craintes politiques ou les crises du commerce et de : l'industrie arrêtent le travail, si la maladie vient à l'atteindre, quelles ressources peuvent lui rester? Nous entrons dans ces détails et qui pourrait s'en plaindre? Les protestations les plus énergiques sont impuissantes, si elles ne reposent sur des preuves mani- festes. Il faut bien que nous confirmions nos affirmations par des démonstrations irrécusables, que nous placions sous les regards des habitants des campagnes, dans la clarté de l'évidence, le fléau que nous voulons combattre et que nous rendions palpables par des chiffres et par des faits les erreurs qui les perdent. Mais nous voulons citer, sur la misérable situation des ouvriers dans nos villes manufacturières, un ouvrage dont les affirmations n'ont pas été réfutées et dont les tableaux navrants, s'ils étaient tracés par une plume catholique, seraient certainement accusés d'exagération. « Comptez les places dans l'asile, et comparez-les au nombre des enfants dont l'âge varie de deux ans à cinq ans. Ouvrez les registres de l'hospice, et vous frémirez en voyant combien il y a de candidats pour chaque lit, combien de surnuméraires attendent que la mort leur fasse une place... » Et, après avoir parle des enfants errant à demi nus, aussi orphelins que si leurs pères ou leurs jnères étaient morts, aussi abandonnes dans les pues d'une ville que dans un désert, le même auteur poursuit ainsi : « En ouvrant au hasard une chambre d'ouvrier (on ne ferme jamais ses chambres à clef, il n'y a rien à voler), on rencontre quel- quefois trois ou quatre petits enfants, confiés à la garde d'une fille de sept ans. Ils se tiennent tous debout tout le jour autour du poêle éteint, immobiles, mornes. Leur fai- blesse, plutôt que l'ordre de la mère, les retient à la mai- son. La première pensée qui vient en les voyant, c'est qu'ils n'ont jamais souri... Tour l'école c'est une autre — 195 — difficulté. Il faut être riche pour aller à l'école gratuite. Un enfant de six ans peut bobiner; à huit ans, il peut entrer dans une fabrique. Supposez deux, trois, quatre enfants, entre six et douze ans, comment les nourrir avec le salaire d'un seul homme? Il faut qu'ils rapportent, qu'ils aient leur semaine, comme le père et la mère. Avec quelle impatience on attend l'âge tixé pour entrer dans la manu- facture! Est-ce du mauvais cœur? Est-ce du dédain pour l'instruction? Non : c'est la faim... » « Oui, alors même que les ateliers marchent, et que les patrons payent de bons salaires, plus de la moitié des femmes d'ouvriers sont dans la gêne ; elles n'ont ni pain, ni vêtements pour leurs enfants ; elles sont logées dans des chambres plus étroites et plus nues que des cachots; si un de leurs enfants tombe malade elles ne peuvent ni lui acheter des médicaments, ni lui donner un lit, ni lui faire un peu de feu. Les médecins des pauvres avouent que, dans la moitié des maladies, le meilleur remède serait une bonne alimentation; mais ils ne peuvent pas le dire à la famille des malades : ils ne l'osent pas. Voilà quel est l'état de la moitié de nos villes manufacturières en pleine paix, en pleine prospérité de l'industrie. Retour- nez dans ces ruelles infectes quand la crise a sévi, et vous ne les reconnaîtrez plus ; vous n'y rencontrerez plus que des spectres. Vous verrez une transformation qui vous fera horreur; car s'il y a quelque chose de plus affreux que le travail sans pain, c'est le besoin, la capacité, et la volonté de travailler, sans le travail. « Eh bien ! toute cette misère n'est rien, ce manque de pain, ces haillons , ces chambres nues, ces cachots humides, ces maladies repoussantes, ne sont rien quand on les compare à la lèpre qui dévore les Ames. Ces pères dont les enfants meurent de faim, passent les nuits en orgies dans les cabarets ; ces mères deviennent indiffé- rentes aux vices de leurs filles...; ni le père ni la mère ne tentent un effort pour arracher leurs enfants inno- — 196 — cents au gouffre qui les a eux-mêmes engloutis 1 ! » Une autre erreur, malheureusement trop répandue, et qui favorise l'émigralion, est que les émigrants rapportent de l'argent dans leur pays. L'auteur d'un remarquable travail sur les Émigrations de la Savoie, publié en 1847, après avoir apprécié le nombre approximatif des émigrants, la valeur de leur travail, et la somme des épargnes qui leur sont possibles, et après avoir, d'autre part, apprécié la valeur des journées de travail que l'absence des émi- grants enlève à la Savoie, les bénéfices que se réservent leurs patrons, le prix des travaux faits par les ouvriers qui nous viennent de l'étranger, conclut par ces paroles : «Les émigrations appauvriraient donc la Savoie, plutôt qu'elles ne l'enrichiraient. « Il faudrait aussi conclure que plus est grand le nom- bre des émigrants, moins il y a de bras pour le travail des terres; que, par conséquent, plus la culture des champs souffre, moins ils produisent, plus la vie coûte cher, plus la pauvreté s'étend. « Ne serait-ce pas ce qui arrive en Savoie? « Mais on est persuadé que l'émigration rapporte de l'argent : c'est un préjugé si universellement répandu et si enraciné dans les mœurs, que je cours risque d'avancer un gros paradoxe en prétendant que les émigrations nom- breuses tendent à appauvrir la Savoie au lieu de l'enri- chir 2 . » Enfin, il faut reconnaître, parmi les causes de l'émi- 1 L'Ouvrière, par M. Jules Simon, deuxième partie, chap. iv, p. 18 n , » i » t ^ * i . » m il'i'inini-i* narlt-m «ninîr.- m r lee COBdltioBt . 103. — 217 — habitants . des campagnes que les erreurs peuvent être combattues, les préjugés détruits, et qu'une heureuse impulsion peut être donnée à l'agriculture, Le paysan est lentà accepter lesini ovations ; souvent les raisonnements les plus clairs le touchent peu : il faut que les résultats soient palpables. Puis, il examinera, il discutera, et enfin il sera ébranlé. Quelquefois l'agriculteur est convaincu, il admet que tel genre de culture est préférable, il en appré- cie la valeur; mais tout changement lui est pénible, et il répond : Nous avons toujours fait ainsi. Il redoute les dépenses que souvent il exagère; puis, il est si commode de marcher dans le même sentier sans songer à l'élargir ou à le rendre moins rapide ! Et puisque cette comparai son nous est venue à la pensée, quelles sont les popula- tions qui n'ont pas protesté contre les routes si nombreuses ouvertes ou améliorées depuis quelques années? Bientôt cependant, en présence des avantages de ces voies faciles, après avoir constaté L'économie du temps et des moyens de transport, en un mot, devait les résultats manifestes, les préjugés sont tombés. Il semble parfois que, sur ces semences répandues par des mains généreuses au sein des meilleures populations, l'indiflérence et l'ingratitude ont jeté, comme l'hiver, un linceul de neige et déglace: mais le soleil se rapprochera, le grain aura germé dans les ténèbres. Un jour des mois- sons abondantes se lèveront et couvriront le sol qui paraissait stérile. Nous croyons devoir reproduire ici les conseils éner- giques adressés, il y a quelques années, par M. le préfet des Basses-Pyrénées aux maires de son département, au sujet de l'émigration vers les pays étrangers. Si, pour nos émigrants, le terme du voyage est différent, les résultats sont absolument les mêmes : « À diverses reprises, dit M. le préfet, l'administration a du appeler votre attention sur les résultats fâcheux que produit dans ce département l'émigration toujours croissante de la population valide de - 218 — nos campagnes vers l'Amérique iln Sud. Vainement mes prédécesseurs, secondés par vus efforts, ont tenté d'arrê- ter ce courant : nos cultivateurs trompés par les brillantes promesses qui leur sont faîtes, séduits par les récits, trop souvent mensongers, d'une fortune rapidement acquise, entraines par l'exemple des rares privilégies rentrant au pays avec une certaine aisance, abandonnent une exis- tence que le travail pourrait rendre facile et heureuse, pour aller chercher au loin les déceptions et la misère. « On ne peut, sans porter atteinte à la liberté indivi- duelle, mettre un ternie à ce fatal entraînement par des mesures coercilives. Mais le devoir qui vous incombe à Ions, c'est d'éclairer les populations sur leurs véritables in- térêts, de faire en sorte qu'on n'abuse pas de leur crédulité et qu'on n'exploite pas une situation de gêne passagère. « Joignez donc vos efforts aux miens. Messieurs, pour faire comprendre a vos administrés les inconvénients •'! les dangers de l'émigration. Usez de tous les moyens de persuasion et d'influence dont vous pouvez disposer poul- ies attacher au sol qui les a vus naître : montrez-leur que là est pour eux la plus sûre garantie de bonheur, puisque, par leur travail, ils peuvent acquérir, sinon la fortune illusoire qu'on leur promet sur des plages lointaines, au moins une aisance honnête qui leur permette de vivre et de mourir dans leur patrie, au milieu de leur famille, et de remplir ainsi leurs devoirs de lils et de citoyen '. » Mais, pour réaliser ces espérances, pour que les familles qui étaient autrefois puissantes par leur fortune, par l'éclat des services rendus, par l'honorabilité et la gloire de leurs ancêtres, puissent reconquérir celle influence salutaire, il faut ({ne ces familles habitent an sein de- populations des campagnes. 1 Cette circulaire est citr-e dans l'ouvrage de M. l'abbé Toi rhissoi \,' qui a pour titre : \e fuyons pas les campagnes, p. 173, 174} l~'-> ' • ouvrage contient, au sujet de l'émigration, des documenté et des. con seils utiles. - 219 — Une des grandes erreurs et des fautes les plus lamen- tables de la monarchie française, a été d'attirer, loin de leurs terres et de leurs manoirs, les familles nobles et de les perdre dans les plaisirs, les folles dépenses et la cor- ruption de la cour. Dans le commencement du dix-sep- tième siècle, Henri IV se plaignait de ce que les nobles abandonnaient les campagnes. Ses successeurs furent moins intelligents des vrais intérêts de la noblesse et de la France. Richelieu et Mazarin voulurent à tout priv réduire à l'impuissance les races des grands propriétaires, leur enlever la possibilité de défendre les libertés provinciales et privées, et établir sur les dernières ruines de la féoda- lité l'autorité absolue de la monarchie. Louis XIV ajoutait à ces motifs politiques l'orgueil du grand roi qui voulait entourer de satellites le soleil de Versailles. Il écrivait à Colbert : « Nous voulons que les grands de notre royaume quittent leurs châteaux pour venir chaque année habiter Paris au moins pendant si\ mois... Faites-leur bien entendre, et à tous, que les récal- citrants encourront notre déplaisir ; mais ceux qui vou- dront ajouter par leur présence à l'éclat de la royauté, auront part à nos largesses et distinctions... Nous n'ai- mons pas les grands seigneurs qui thésaurisent dans leurs vieux donjons. Ils sont inutiles au roi et dangereux à l'Etat. Nous entendons que ces richesses, qu'ils tiennent de la munificence de nos prédécesseurs, encouragent les beaux-arts, les sciences, le commerce et l'industrie qui sont les perles fines de notre couronne royale K » Au milieu du dix-septième siècle, cette désertion était devenue presque générale. Tous les documents du temps la signalent et la déplorent, les économistes dans leurs livres, les intendants dans leurs correspondances, et les sociétés d'agriculture dans leurs mémoires. 1 Voyez Lettres à Colbert. 220 Il ne restait guère dans les campagnes que les nobles pauvres qui n'avaient ni l'influence de la fortune, ni l'in- fluence du dévouement, et qui subissaient en murmurant la triste condition à laquelle les condamnait leur pau- vreté '. « Parmi les questions adressées aux intendants, se trouve celle-ci : Les gentilshommes de votre province aiment-ils à rester chez eux ou à sortir? On a, dit Tocque- ville, la lettre d'un intendant répondant sur ce sujet. Il se plaint de ce que les gentilshommes de sa province se plai- sent à rester avec les paysans, au lieu de remplir leurs devoirs auprès du roi. Or, remarquez ceci. La province dont on parlait ainsi, c'était l'Anjou : ce fut depuis la Vendée. Ces gentilshommes qui refusaient, dit-on, de rendre leurs devoirs au roi sont les seuls qui aient défendu. les armes à la main, la monarchie en France, et qui soient morts en combattant pour elle; et ils n'ont du cette glo- rieuse distinction qu'à ce qu'ils avaient su retenir autour d'eux ces paysans parmi lesquels on leur reprochait, d'ai- mer à vivre 2. » Si les familles influentes, si la noblesse à laquelle appar- tient encore, dans une grande partie de la France, la richesse territoriale: si la bourgeoisie qui a de la fortune et des traditions, au lieu de donner l'exemple de l'émigra- tion, voulaient accomplir leurs devoirs, les populations des campagnes auraient des guides et des chefs tout dési- gnes à la confiance, au respect, à l'affection de tous. Cette influence grandirait par les travaux communs, par les progrès réalisés, par les services réciproques qui uniraient étroitement le riche propriétaire, l'ouvrier, le fermier et le petit cultivateur. Le paysan serait toujours sûr de trou- ver dans les demeures hospitalières des familles influentes un conseil dans toutes ses difficultés, un secours dans toutes ses épreuves. Ces maisons puissantes et honorées 1 \ oyez Tocqi'eville, L'Ancien Régime et la Révolution, ch. xn. 1 TOCQUBVILLE, ibid. — 221 - seraient le centre de la population, et dans un certain sens, la maison de tous; et le peuple, comme autrefois, les appellerait dans sa reconnaissance les maisons du bon Dieu'. On a prétendu, il est vrai, que pour transformer le* méthodes de culture et pour faire réaliser à l'agriculture de véritables progrès, il fallait que les travaux fussent accomplis par de très riches propriétaires au prix de dépenses considérables. Xous répondrons que ce n'est pas là le seul genre de service que les familles influentes puissent rendre aux populations des campagnes et à l'agriculture. Nous croyons d'ailleurs que plusieurs hom- mes ne possédant qu'une fortune médiocre, mais intelli- gents, actifs et vivant au milieu des paysans, peuvent plus eflicacement transformer la culture d'un pays qu'un seul grand propriétaire qui ne passerait à la campagne qu'une faible partie de l'année. De plus la transformation de quelques propriétés accomplie avec habileté et avec prudence est une excellente spéculation, et nous connais- sons dans notre Savoie des propriétaires qui, sans tou- cher à leurs capitaux, ont doublé les revenus de leurs terres, et dont l'exemple a produit autour d'eux les plus heureux résultats. Les maîtres et les maîtresses d'école chargés de l'ins- truction et surtout de l'éducation de la jeunesse, ont aussi, au point de vue de l'émigration, une mission à rem- plir. .Nous avons insisté sur la nécessité de renseigne- ment de l'agriculture dans les écoles primaires. Mais on a objecté contre cet enseignement et contre l'espoir de trouver dans l'influence des instituteurs un remède contre l'émigration, on a objecté que cet enseignement et cette influence étaient des moyens sans proportion avec la puissance du mal que nous voulons combattre. Mais quoi! faut-il rejeter tels ou tels moyens, parce qu'à eux seuls ils 1 Li. Play, Réf. soc, liv. IV, cli. vxxiv. — 222 — ne sauraient suffire à atteindre le but désire ! Quoi! pafee que quelques pierres suiit impuissantes à contenir le luirent qui bondit du liant de nos montagnes, il faudrait renoncer ii élever les digues qui arrêteront ses Ilots mena- çants ! Ouoi ! parce «pie ces légions dispersées seront écrasées mie à une par l'ennemi, il faudrait refuser d'unir leurs forces et leur valeur pour obtenir la virluire ! Et (l;ins l;i nilture de vos champs, il faudrait négliger, un produit utile, parce qu'à lui seul il ne pourrait suftire à tous nos besoins ! Mais que deviennent ici la prudence et le simple bon sens ? Oui, nous acceptons avec reconnais- sance, nous sollicitons tous les concours et nous croyons que l'espérance que nous inspire la bonne volonté des maîtres et des maîtresses d'école ne sera pas deeue. Mais ce n'est pas seulement par renseignement de l'agriculture que les instituteurs peuvent combattre l 'émi- gration ; ils doivent s'efforcer de la détruire dans ses causes. Qu'ils ne parlent point avec admiration auv enfants de nos villages du séjour des grandes villes et des salaires ele\és qu'on peut y obtenir: mais qu'ils fassent connaître à leurs élèves, dans leur douloureuse réalité, les épreuves des émigrants et les dangers qui les environnent. Il faut que les instituteurs qui, pour le plus grand nombre, sont nés dans nos campagnes, s'attachent aux populations nu milieu desquelles ils sont destinés à vivre, qu'ils s'inté- ressent aux travaux des champs qu'ils ont eux-mêmes accomplis dans leur enfance, et que, dans leurs relations de chaque jour avec les cultivateurs, ils leur donnent des encouragements et d'utiles conseils. Les institutrices ont peut-être plus d'influence sur les jeunes tilles que les instituteurs ne peuvent en obtenir sur les jeunes gens. Qu'elles n'oublient jamais qu'elles doi- vent, avant tout, former des chrétiennes, des ouvrières de nos campagnes, de bonnes ménagères et des mères dévouées. Qu'elles s'efforcent d'inspirer aux enfants qui leur sont confiées, une estime profonde de leur humble 223 condition et des devoirs que la Providence leur imposera, En faisant pénétrer dans les âmes des jeunes filles les hautes pensées de la foi et l'abondance des vertus surna- turelles, elles doivent leur apprendre à redouter le péril des grandes villes, à apprécier les joies pures de la vie des champs et à mettre au-dessus de tout cette innocence si facile à conserver dans la simplicité de leur village et sous les regards de leurs mères. Il faut enlin qu'elles combattent avec la plus grande énergie la vanité, le luxe, l'amour des plaisirs, l'esprit d'indépendance, qui condui- sent à leur perte, loin de nos campagnes, tant d'infor- tunées jeunes filles '. Nos Très Ghers Frères, nous vous avons dit avec l'auto- rité et la liberté de notre ministère nos pensées, nos craintes et nos espérances sur cette grande et importante question de l'émigration. Il nous reste à vous demander de méditer avec un cœur docile ces paroles qui vous rap- pellent vos intérêts les plus chers et vos devoirs les plus sacrés. 1 Nous recevons au dernier moment, un rapport t'ait, en 1874, à l'as- semblée générale des agri:ï4 — .Nous ne Minions pas insister en ce moment sur la néces- sité de l'instruction religieuse, et, par conséquent, de l'étude du catéchisme. « S'il est vrai, a dit un de nos prédécesseurs dont la mémoire est encore vivante parmi nous, s'il est vrai que la foi est le principe unique de la sainteté el la source féconde de toutes les vertus, il est par là même certain que l'ignorance ou l'oubli (\c* vérités qu'elle enseigne, sont la première cause de toutes les erreurs et de tous les vices. L'histoire ancienne, l'histoire moderne, celle des peuples connue celle des particuliers, rendent sur ce point un témoignage aussi constant qu'unanime, et nous montrent partout le désordre croissant en proportion de l'affaiblissemeni des croyances; la paix dc> familles et l'ordre public s 'affermissant à mesure que la religion reprend son empire. D'où il faut conclure que le premier et le plus efficace remède à employer, soit pour prévenir, soit pour reparer les maux de la société, c'est l'instruction religieuse l. » (le n'est pas seulement aux prêtres de notre diocèse que nous demandons un véritable zèle pour l'instruction religieuse; nous le demandons aux parents, nous le demandons aux instituteurs et institutrices chargés de la direction des écoles. C'est là incontestablement un de leurs plus grands devoirs ; et. s'il est oublié ou méconnu, les intelligences ne seront pas véritablement éclairées et les cœurs Cormes à la vertu. Dans ers âmes ignorantes de- vérités et des lois surnaturelles, livrées à la tyrannie des passions et à tous les vents de l'erreur, l'instruction ne serait qu'un péril et, un instrument de perversion. Il ne faut pas oublier que le ministère des prêtres ne peut suflire à l'enseignement du catéchisme : tous les efforts de leur zèle échoueraient inévitablement contre l'indifférence ou le mauvais vouloir que les enfants rencontreraient dans 1 Instruction pastorale de Mgr Jean- Franc. -M. Ti rinaz, 9 fév. 1863. - 23o — l'école ou au soin de leurs familles. Les parents, les insti- tuteurs doivent donc exiger que 1rs enfants récitent exac- tement le texte du catéchisme; ils doivent leur laisser le temps d'assister aux catéchismes qui sont faits dans leur paroisse et les encourager à profiter de cet enseignement. Ajoutons que les efforts (les parents, des maîtres et des maîtresses d'école obtiendront peu de résultats, s'ils ne sont confirmés par l'exemple d'une vie chrétienne. Nous désirons que le nouveau catéchisme soit adopté le plus tôt possible dans les paroisses, les communautés, les établissements d'instruction primaire et secondaire de notre diocèse. Nous laissons cependant à la prudence de MM. les curés, de décider quel sera le moment opportun pour le faire adopter à tels ou tels enfants.— L'uniformité a certainement de précieux avantages, mais il faut dimi- nuer autant que possible les difficultés que présente un changement de catéchisme. LETTRE PASTORALE ANNONÇANT UN PÈLERINAGE A ROME ET ORDONNANT DES QUÊTtiS POUR L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LYON 2 février 1877. Nos Très Chers Frères, Nous avons à vous faire deux communications impor- tantes. Nous voulons vous annoncer notre prochain pèle- rinage à Rome et la fondation d'une Université catholique à Lyon. I Les Constitutions des Souverains Pontifes prescrivent aux évoques de faire tous les quatre ans un pèlerinage au tombeau des saints Apôtres, et de soumettre au Pape, le pasteur des pasteurs, un rapport sur l'état de leur dio- cèse. Nous allons donc à Rome accomplir ce grand devoir, nous prosterner aux pieds du Vicaire de Jésus- Christ et recevoir, avec ses conseils, ses paternelles béné- dictions. — 238 — Mais d'autres motifs nous attirent vers la Ville Éternelle. L'année 1877 est fertile en précieux anniversaires pour les enfants dévoues de Pie IX. Le 13 mai scia le 86e anni- versaire de sa naissance; le 21 mai. le 50° anniversaire de sa préconisation épiscopale : le 3 juin, le 50e anniver- saire de sa consécration épiscopale ; le 17 juin, le ^anni- versaire de son élévation au souverain pontificat. Aussi, nous espérons qu'un grand nombre de prêtres et de fidèles nous accompagneront dans ce pieux pèlerinage. Quelle consolation pour vous, Nos Très Chers Frères3 de contempler le Yicaire de Jésus-Christ, le saint et illustre Pontife, d'entendre son ardente parole, de vous incliner sous ses bénédictions et de prendre part aux fêtes qui se préparent à Rome pour célébrer ces glorieux anniver- saires ! Après le pèlerinage en Terre-Sainte, aucun autre pèle- rinage n'offre aux cœurs catholiques autant d'attraits que celui de Rome. Là, tous les souvenirs du passé s'uuissenl aux douleurs du présent, aux cruelles épreuves du Vicaire de Jésus-Christ pour émouvoir les âmes. Des premiers monuments de notre foi, des catacombes et de la terre consacrée par le sang des martyrs, jusqu'aux basiliques élevées par le génie chrétien, des reliques sacrées de la sainte Crèche et de la sainte Croix, de la prison Mamer- tine où saint Pierre et saint Paul furent captifs, jusqu'au Vatican où triomphe, dans la majesté de son autorité el de ses vertus, le Pontife qui seul reste debout au milieu de toutes les défaillances et de toutes les ruines, quelles lumières, quels enseignements capables d'élever et de fortifier tous les cœurs ! Et encore, Rome ne sera pas le seul but de ce pèleri- nage : Lorelte, Assise et tant d'autres villes illustres par leurs grands souvenirs seront visitées par les pèlerins. I n groupe de pèlerins dirigés par des guides expérimen- tes, qui se mettent en relation avec les Sociétés catholi- ques d'Italie, a incontestablement des ressources excep- - £39 - tionnelles pour visiter les monuments, les églises et les reliques insignes. Ce pèlerinage n'exige guère de plus grandes dépenses que celui de Lourdes, et il impose beaucoup moins de fatigues. Ce qui ajoutera encore aux attraits de ce pèlerinage, c'est que nous ne serons pas seuls. Mgr Gros, notre vénéré prédécesseur, nous fait espérer qu'il s'unira à nous pour diriger nos pèlerins, et il nous donnera ainsi une nouvelle preuve de sa fidèle et précieuse affection. Mgr l'Évêque de Saint- Jean-de-Maurienne sera à la tête des pèlerins de son diocèse. Des prêtres, des laïques, de pieuses chrétiennes des diocèses de Chambéry et d'An- necy ont déjà manifesté le désir de prendre part à ce pèle- rinage. Nous suivrons les traces de nos compatriotes qui se sont rendus à Rome, il y a quelques mois. Nous pro- fiterons de leur expérience et nous imiterons l'exemple de leur piété. Nous demandons à ceux qui ne pourront nous suivre, de nous accorder le secours de leurs prières ; et leur sou- venir nous accompagnera aux pieds du Vicaire de Jésus- Christ et dans tous les sanctuaires que nous aurons le bonheur de visiter. Après avoir bien réfléchi, nous nous sommes décides à nous rendre en Italie dans les derniers jours d'avril, afin d'être à Rome le 5 mai, fête de N. S. P. le Pape Pie IX, et le 13 mai, 86e anniversaire de sa naissance. Nous ferons connaître plus tard l'époque précise du départ et tous les renseignements utiles. Le comité romain qui prépare les grandes fêtes du mois de mai et du mois de juin, engage les pèlerins à ne pas se rendre tous à Rome à la même époque. En partant à la fin d'avril, MM. les Curés puni- ront être de retour pour la fête de la Pentecôte. Nous leur accorderons l'autorisation du binage et toutes les autres autorisations qui seront en notre pouvoir pour leur faci- liter le pèlerinage. Nous espérons qu'un grand nombre de - 240 laïques s'uniront à nous : ils n'auront peut-être jamais une occasion aussi favorable de visiter Rome et l'Italie, de voir l'auguste Pontife Pie IX dans ces grandes manifes- tations catholiques, que les siècles passés iront pas cou nues et qui ne se reproduiront peut-être jamais. Quelque petit qu'il soit par le nombre de ses habitants, le diocèse de Tarentaise doit se montrer digne de ses glorieuses traditions et grand par l'ardeur de sa foi. Le diocèse de Saint-Pierre de Tarentaise, qui fut au douzième siècle, le défenseur intrépide des droits du Saint-Siège, et que ses contemporains ont appelé le « miracle de l'uni- vers, miracuïum orbis », le diocèse du Pape Innocent V et de tant de vaillants serviteurs de la sainte Eglise, doit avoir sa place dans ce mouvement de l'univers chrétien vers le Pontife de Rome. Nous savons que nous pouvons compter sur vous. Les difficultés ne vous arrêteront pas. Vous avez répondu à notre appel avec un admirable élan dans ces pèlerinages diocésains qui ont étonné et ravi les étrangers qui en ont été les témoins. Vous nous avez suivi dans nos belles vallées, sur les hauteurs de nos montagnes, vers les sanctuaires vénérés par vos pères. Ainsi, quoique moins nombreux sans doute, vous nous suivrez vers la Ville Eternelle. Nous dirons au Vicaire de Jésus-Christ votre foi, votre piété, votre attachement à l'Église maîtresse et mère de toutes les églises, votre dévouement, votre sou- mission filiale et sans réserve à la Chaire infaillible de Pierre. Nous lui offrirons l'obole de notre pauvreté. Plus que nulle part ailleurs, nous sentirons cette union si douce de tous les cœurs catholiques, nous chanterons sous les voûtes splendides de Saint-Pierre, de Saint-Paul et de Saint-Jean-de-Latran ; nous chanterons, avec nos frères venus de toutes les parties de l'univers chrétien, le cantique de la foi, de la charité et de notre invincible espé- rance. Il ne suffit pas a noire piété filiale de visiter, dans se- — 241 — douleurs, le Père commun des fidèles ; nous devons encore célébrer ses noces d'or, le cinquantième anniversaire de sa consécration épiscopale. Ce grand anniversaire, qui tombe le ){ juin, se rencontre avec la solennité de la Fête- Dieu. MM. les Curés useront de toute leur influence pour que cette double fête soit dignement célébrée. Ils enga- geront vivement les fidèles à demander à Dieu, par de ferventes prières, d'accorder au saint et illustre Pontife les joies de la victoire et de la paix. La bénédiction du Saint-Sacrement sera précédée du chant du Te Deum. Dans les paroisses où la bénédiction du Saint-Saerement ne pourra être donnée le soir, le Te Deum pourra être chanté pendant la procession. Le Te Deum sera suivi immédiatement de l'oraison Pro gratiarum aclione. II Nous nous faisons un devoir et une joie, Nos Très Chers Frères, de vous communiquer la lettre pastorale publiée par vingt-cinq archevêques et évoques réunis à Lyon pour fonder une université catholique dans celle ville, illustre entre toutes par sa foi, par sa piété et par ses œuvres admirables. Nous ne pouvons songer à traiter en ce moment cette grande question de la fondation des universités catholiques en France. Mais cet appel, qui vous vient avec une telle autorité et une telle solennité, touchera vos cœurs et vous dira la nécessité de cette noble et généreuse entreprise. Il nous suffira de vous faire remarquer que le droit des catholiques de garantir par un enseignement chrétien l'âme de leurs enfants a ete enfin reconnu, et que les évêques de France auraient trahi leur mission et la con- fiance des pères de famille s'ils ne s'étaient empressés d'user de cette liberté si précieuse et si longtemps refusée. Rien en effet n'est plus précieux aux regards de la foi et 16 — 242 - même de la simple raison q'âo l'âme des jeunes gens. Et qui oserait prétendre que, sans les croyances chrétiennes et sans les secours divin s Je la religion, ces âmes peuvent rester fortes et pures, fidèles aux affections de la famille et capables de marcher, sans fléchir el sans dévierjamais, dans la probité, dans l'honneur et dans l'accomplissement généreux de tous les devoirs de la vie privée et de la vie publique .' Le succès des universités catholiques est d'un intérêt évident même pour les familles dont les enfants ne sont pas destinés aux études supérieures. L'avenir sera ce que nous l'aurons fait, surtout par l'instruction et l'éducation de la jeunesse. Les jeunes gens qui entrent aujourd'hui dans nos écoles auront entre leurs mains, dans quelques années, les destinées de notre pays. .Nous vous avons parlé, -Nos Très Ghers Frères, de- dangers des ouvriers dans les grandes villes: mais les dangers des jeunes gens qui fréquentent les universités ne sont ni moins nombreux ni moins redoutables. Plu- sieurs d'entre vous, peut-être, ne soupçonnent pas ces dangers, mais l'expérience universelle les affirme : et, pour les comprendre, il suffit de réfléchir un instant à la situa- tion de ces jeunes gens, jetés à dix-huit ans, à vingt ans, avec une liberté complète, au milieu de toutes les séduc- tions des plaisirs, et quelquefois au milieu des sollicita- tions les plus audacieuses de l'impiété et de la volupté. 11 ne suffit pas que l'enseignement respecte nos croyances : il faut qu'il les affirme et qu'il les fasse pénétrer dans les intelligences. Il faut que ces révélations divines régnent sur les cœurs, qu'elles inspirent et domi- nent la vie tout entière. L'avantage inappréciable des universités catholiques ne sera pas seulement de donner un enseignement irrépro- chable au point de vue doctrinal et. de démontrer l'alliance de la foi avec les .ut-, les sciences et les lettres ; ce — 243 — sera peut-être plus encore, d'entourer les jeunes gens de tous les secours nécessaires pour protéger et affermir leur ver lu. Vous ne voudrez pas, Nos Très Chers Frères, que notre diocèse reste étranger à cette œuvre d'une suprême importance. Votre adhésion sera une nouvelle manifes- tation de votre foi, et votre concours sera un acte de la charité la plus précieuse devant Dieu, puisqu'elle a pour objet le salut des âmes et l'avenir de la France catho- lique. LETTRE PASTORALE SUR LES PÈLERINAGES A ROME 27 mai 1877. Nos Très Chers Frères, Nous avons accompli notre pèlerinage au tombeau des Saints Apôtres. Comme nous le disions dans notre der- nière lettre pastorale, le diocèse de Tarentaise s'est mon- tré digne de ses glorieuses traditions et grand par l'ardeur de sa foi. Le clergé et les fidèles ont répondu à notre appel avec un admirable élan. Le nombre des pèlerins a dépassé toutes nos espérances, et nous avons été heureux et fier de les présenter aux bénédictions du Souverain - Pontife. Nous n'avons pas la pensée de vous faire le récit com- plet de ce pèlerinage ; mais il nous a paru utile d'en résumer d'une plume rapide les principaux événements, de réunir les adresses des évoques et du clergé au dis- cours que le Saint-Père a prononcé à l'audience solen- nelle qu'il a daigné nous accorder. Ces documents doivent — 2'*6 — rester dans les archives du diocèse, dans les archives de chaque paroisse, comme tous les cœurs doivent garder la mémoire ineffaçable de cette grande manifestation catho- lique. D'ailleurs, ces quelques pages ne seront pas sans enseignement et sans intérêt pour ceux qui n'ont pu par- tager noire bonheur ; et elles rappelleront aux pèlerins de deux el précieux souvenirs. Après vous avoir parlé des joies de notre pèlerinage, neiis vous parlerons , Nos Très Chers Frères, des épreuves de la Papauté et de l'Église. 1 Le lundi, 23 avril, après avoir entendu la sainte messe, que nous avions tenu à célébrer nous-mème dans notre cathédrale, les pèlerins quittaient Moùtiers à six heures du matin. Une foule respectueuse et sympathique assis- tait à notre départ. A Albertville, les autres groupes des pèlerins du diocèse s'unissaient à nous. Nous trouvions à Chamousset les pèlerins de Chambery et d'Annecy. A Saint-Jean-de-Maurienne. Mgr lîosset, suivi d'un groupe nombreux de ses diocésains, prenait place dans le train qui nous emportait vers l'Italie. Le pèlerinage ne s'arrêta qu'une nuit à Turin. L'n grand nombre de pèlerins connaissaient cette ville. et quelques autres se proposaient de la visiterai! retour. Une inesse fut cependant, célébrée pour les pèlerins, le mardi matin, dans la cbapelle du Saint-Suaire, et le même jour, à midi et demi, nous étions à Gênes. l'n de nos compatriotes, (pie l'affection d'un savant et aimable archevêque, une des gloires de notre diocèse, axait fixe depuis bien des années dans cette ville \ voulut i M. l'abbé Jorioz, ancien secrétaire de Miir Charvaz archevêque de Oriip*, chanoine titulaire de la métropole de Gênes et chanoine hono- raire de la cathédrale de Tarentaise. — 2i7 — bien nous servir de guide, avec le concours de quelques- uns des membres dé la Jeunesse catholique. Le trésor de la cathédrale nous fut ouvert, et, parmi les objets précieux qu'il renferme, la piété distingue entre tous le Sacro Catino, ou le vase dans lequel, d'après une antique tradition, le Fils de Dieu mangea l'agneau pascal, et le disque sur lequel Hérodiade présenta à Hérode la tète du saint Précurseur. Les riches églises de Gênes, le grand hôpital où repose le corps de sainte Catherine et où elle consacra trente années aux œuvres les plus admi- rables de la charité, le magnifique hospice appelé l'hôtel des pauvres '. avec ses salles immenses, ses escaliers et, ses vestibules qu'ornent les statues des bienfaiteurs de cette œuvre qui suffirait à la gloire de cette noble cité, les rues étroites, mais bordées de somptueux palais, les gra- cieuses promenades d'où l'on domine la ville et le port, rien de ce qui pouvait être vu pendant ces quelques heures, n'échappa à nos pèlerins, grâce à l'intelligente direction de notre aimable guide. A minuit et demi, nous nous dirigions sur Pise et Ernpoli, où, abandonnant la ligne de Florence, nous prenions le chemin de fer qui conduit à Sienne. Le ciel était sans nuage, la nuit sereine et lumineuse ; et les regards des pèlerins ne se lassaient pas de contempler les montagnes, les collines gracieuses, les ilôts de la mer qu'agitait à peine une brise légère, puis les plaines et les vallons fer- tiles de la Toscane. Quelques-uns des pèlerins avaient hésité à nous suivre jusqu'à Sienne : mais, quand après avoir gravi la colline sur les pentes do laquelle est assise l'antique rivale de Pise et de Florence, ils s'arrêtèrent devant, la splendide façade de la cathédrale, tous se déclarèrent émerveillés. Cette admiration ne lit que s'accroître, quand ils eurent parcouru cette vaste basilique, dont les murailles àl'exté- 1 Alberyo dei poveri. — 248 — rieur comme à l'intérieur, sont revêtues de marbres précieux, son parvis, te plus beau peut-être qui soit au monde, les peintures des voûtes, les riches vitraux du seizième siècle, la chaire sculptée avec tant d'art, la bibliothèque bâtie par Pie II, avec ses livres de chœur, incomparables manuscrits brillants de vignettes d'or et d'azur. Parmi les grands souvenirs de Sienne, nous ne pou- vions oublier l'humble demeure qu'a sanctifiée et illustrée au quatorzième siècle cette jeune tille, qui fut la conseil- lère des Rois et des Papes, l'ambassadeur de la paix au sein de l'Italie désolée par des luttes sanglantes et qui, unissant à la gloire de la science théologique, l'apostolat le plus fécond pour la conversion des âmes égarées, fut une des manifestations les plus merveilleuses de la puis- sance surnaturelle dans l'Eglise de Dieu. Les pèlerins eurent donc le bonheur de visiter la mai- son de sainte Catherine de Sienne, la chapelle bâtie dans le jardin de sa famille, celle qui a remplacé l'humble bou- tique où son père exerçait le métier de teinturier, la chambre qu'elle a habitée et où Ton voit encore la petite fenêtre par laquelle elle distribuait l'aumône aux pauvres. Ils vénérèrent avec une profonde émotion la pierre qui servait d'oreiller à la généreuse servante de Dieu, son voile de tierçaire de saint Dominique, la partie supérieure de son bâton et la petite lanterne dont elle se servait lors- qu'elle parcourait la nuit les rues de Sienne pour aller secourir les pestiférés. Dans ce sanctuaire, une douce surprise nous était réservée. Le pieux aumônier qui en est charge, voulut nous adresser quelques paroles. Dans un langage tout parfumé de piété, tout vibrant d'enthousiasme, il nous dit son admiration pour les pèlerinages, son amour pour la France « qui aime beaucoup sainte Catherine de Sienne », et sa joie de voir la maison de la Sainte remplie par cette foulé recueillie. .Nous avons essaye d'exprimer _ 249 — a cet excellent aumônier notre reconnaissance pour ce témoignage si inattendu et si touchant qui était allé au cœur de tous, et notre profonde vénération pour la Sainte dont il garde si pieusement le sanctuaire. Les pèlerins purent ensuite visiter rapidement l'église de Saint-Dominique, où est conservée la tête de sainte Catherine, l'églisg de Fonte-Giusta, qu'ornent les ex-voto offerts par la piété de Christophe Colomb, et le même jour, à huit heures et demie du soir, nous arrivions à Florence. Le lendemain, jeudi, à sept heures, les deux évêques présidents du pèlerinage célébrèrent la sainte messe dans la cathédrale de Florence, que domine un gracieux cam- panile, et dont le dôme est plus vaste que celui de Saint- Pierre de Rome. Quelques-uns des membres du chapitre voulurent nous diriger dans la visite de la cathédrale. A Florence, comme à Turin et à Gênes l'association de la Jeunesse catholique se montra admirable de dévouement. Guidés par elle, les pèlerins purent vénérer le corps de sainte Madeleine de Pazzi dans la chapelle des Carmélites, le bâton de saint Joseph dans la chapelle des religieux camaldules, et voir les belles églises de Sainte-Croix, de Saint-Laurent, et de Santa-Maria-Novella. Laissés à leur liberté à midi, il purent visiter le palais Pitti, le Palais- Vieux et les musées. A cinq heures, tous étaient lîdèles au rendez-vous indique dans l'église de YAnnunziata. La foule qui remplissait cette église nous prodigue les témoi- gnages de son respect et de ses sympathies. La bénédic- tion du Saint-Sacrement est donnée solennellement par Monseigneur l'évêque de Saint-Jean de Maurienne. Les chants du Tantum ergo, de Y Ave maris Stella, du can- tique Je suis chrétien, font retentir les voûtas du sanc- tuaire. Après avoir évoqué les souvenirs ' que Florence 1 Le souvenir du Pape Nicolas II, qui naquit dans la paroisse de Chevron, au liocèse île Tareutaise, et qui fut archevêque de Florence, le souvenir d'Innocent V, Pierre de Tarentaise, qu'Anaelico de Fiesola a représenté dans une des fresques du couvent de Saint-Marc. - 250 — offrait aux pèlerins de la Savoie, nous les exhortons à re- mercier Dieu des grâces accordées à notre pèlerinage, à prier pour l'Eglise, pour cette villequi nous fait un si gra- cieux accueil, et pour la Jeunesse catholique, si admirable dans son dévouement. Au sortir 'ii m autre côté se multiplient les troupes de pèlerins catholiques venant de toutes les parties du monde, armes du bouclier de la foi, du feu de la charité et de ^espérance du triomphe. Celte année pacifique et innocente s'avance tout doucement, demandant à Dieu la liberté pour l'Eglise et la paix pour le monde. Oh! mes chers Fils, si j3. ignore laquelle des deux puis sauces triomphera, l'infidèle ou la schismatique. je suis cependant certain du triomphe de l'armée chrétienne catholique, parce que mon assurance est forte de la pro- messe de Jésus-Christ: Porlœ inferi non prœvalébunt. Vous-mêmes qui formez autour de moi comme une cou- ronne, vous entendrez dans vos cœurs l'écho de cette parole infaillible de Jésus-Christ : Ecce ego vobiscum sum iisque ad consummalionern sa>culi. Oui, Jésus-Christ est avec nous, âmes chères, il est avec nous avec le bras tout- puissant de la force divine ; il est avec nous avec sa lumière céleste, par laquelle il daigne diriger son peuple dans les combats contre l'impiété et l'ingratitude de certaines âmes vendues au démon, et pires que l'enfer même. Jésus- Christ est avec nous dans la vie et dans la mort, et nous espérons qu'il sera encore avec nous comme récompense dans l'éternité. Ah! mes chers Fils, unis à Jésus-Christ, soyons sans crainte et continuons à combattre vaillamment jusqu'à la lin : et, pour augmenter nos forces et obtenir la victoire, continuons à prier, continuons à nous mortifier et à deman- der ;i Dieu la conversion de nos ennemis, afin que, eux ;mssi. tombent au pied de la croix, nouveau triomphe de la divine miséricorde ! Que la bénédiction de Dieu descende sur vous et sur tous les pèlerins du monde catholique : qu'elle descende sur les vénérés pasteurs de Tarentaise et de Saint-Jean- de-Maurienne, sur la Savoie entière, et qu'elle y accroisse avec la foi antique, la paix, la concorde et la constance; que cette bénédiction vous accompagne dans la vie et a — 2fil — l'heure de la mort, et qu'elle soit l'éternel sujet dos béné- dictions que vous adresserez à Dion dans le ciel. Benedictio Dei. ■ -L'auguste Pontife avait cessé de parler et nous écou- tions encore. Son visage était transfiguré; sur ses traits dont l'âge a respecté la beauté, passaient toutes les émo- tions de sa grande âme. Avec quelle force il parlait des luttes de l'Église ! Avec quelle tendresse il nous appelait ses enfants ! Avec quelle onction pénétrante il faisait des- cendre sur nous, sur nos familles, sur notre Savoie, les bénédictions de Dieu ! Les larmes étaient dans tous les yeux, personne dans cette foule qui ne vît dans une clarté manifeste la mission et la puissance divine de ce sublime vieillard. « Il y a évidemment dans Pie IX, nous disait un pèlerin, qui, quelques jours auparavant, ne soupçonnait pas un pareil bonheur, il y a dans Pie IX quelque chose de sur- humain, et l'assistance de Dieu est là. » 0 pèlerins de la Savoie., vous n'oublierez jamais cette incomparable fête, et ces visions qui font descendre, dans les tristesses et les ombres de cette terre, quelque chose des lumières et des félicités du ciel. A la fin de l'audience, nous pûmes remettre au Saint- Père l'adresse suivante des prêtres de notre diocèse, qui n'avaient pu prendre part au pèlerinage : « Très Saint- Père, « Combien ils envient le sort de leurs heureux con- frères, les prêtres de Tarentaisequi ne peuvent, avec eux, faire cortège à leur évoque, au moment où il va déposer aux pieds de Votre Sainteté le tribut de son respectueux et filial dévouement ! « Tous, du moins, par l'esprit et par le cœur, cha- noines de la cathédrale, professeurs des grand et petit séminaires, eurés et vicaires du diocèse, nous voulons — 262 - prendre part aux grandes frics romaines de cette mémo- rable année : tous, nous voulons remercier Dieu et félici- ter le digne Pontife qu'il a préparé et Conservé dans sa miséricorde pour les rudes combats des temps présents. « C'est pourquoi, Bienheureux Prie, nous qui n'avons pas le bonheur, en cette solennelle circonstance, de con- templer Votre auguste visage et d'entendre Votre douée et puissante parole, nous avons voulu atténuer la douleur de cette privation, en priant notre bien-aimé Pasteur et nos chers confrères de Vous porter l'expression de nos sentiments. « Pour nous, comme pour eux, ils Vous diront. Très Saint-Père, quel est notre invincible attachement au siège de Pierre, avec quel amour le nom de Pie IX est pro- noncé dans nos catholiques montagnes, avec quel soin nous pratiquons l'unité de foi et de doctrine dans la par- faite soumission aux enseignements de la sainte Eglise romaine. « Daignez nous bénir, Très Saint-Père, comme si nous étions présents; bénissez nos paroisses, notre ministère. nos confréries, nos écoles, toutes nos œuvres. Bénissez ces hautes montagnes de la Centronie, où la piété s'est toujours gardé un asile assuré, depuis que saint Jacques d'Assyrie, disciple et compagnon de saint Honorât d'Arles, les a soumises à l'empire de la Croix. » Avec un zèle qui ne se ralentit pas un seul instant, les jouis suivants furent consacres à la \isite de Rome. Chaque matin, la sainte messe était célébrée successive- ment parles deux évêques dans la belle église de Sainte- Marie de la Minerve, mise à notre disposition par les \{\{. PP. Dominicains avec une bienveillance et une cha- rité que nous sommes heureux de reconnaître par un témoignage public de notre gratitude. Puis, les pèlerins' partaient par groupes: ils se reposaient quelques heures — 263 — vers le milieu du jour et reprenaient leurs courses jus- qu'aux premières ombres de la nuit1. Quelques-uns des membres de la Jeunesse catholique curent la boute d'accompagner les pèlerins dans toutes leurs courses, après avoir obtenu les autorisations néces- saires pour visiter les monuments et même les reliques. Aussi les deux évoques directeurs du pèlerinage ne vou- lurent pas quitter Rome, sans s'être rendus à une dos réunions de cette admirable association et lui avoir ex- primé leur vive gratitude. A la fin de cette semaine si bien remplie, tous s'éton- naient d'avoir vu tant de chefs-d'œuvre de l'art chrétien, tant de reliques insignes et tant de splendides églises. De Saint-Pierre et du Vatican à la prison Mamertine, de Sainl-Paul-hors-les-murs et de Saint-Paul-trois-fontaines à Saint-Pierre-aux-Liens, où Pie IX recevait, il y a cin- quante ans, la consécration épiscopale, jusqu'aux cata- combes de Saint-Calixte et de Sainte-Agnès, aucune des grandes basiliques, aucun des lieux illustrés par des grands souvenirs n'échappa à l'ardeur de nos pèlerins. Quelles reliques précieuses furent offertes à leur véné- ration ! A Sainte-Croix de Jérusalem, la croix du Sauveur, le titre qui la surmontait, Jes clous de la passion, les saintes épines ; à Saint-Jean-de-Latran, la table de la sainte Cène, les tètes de saint Pierre et de saint Paul, et auprès de la basilique, la Scala Santa que les pèlerins gravirent à genoux ; à Sainte-Marie-Majeure, le bois de la sainte crèche ; à Sainte-Praxède, la colonne de la flagella- tion ; puis, dans tant de sanctuaires chers à la piété catholique, les corps des Saints, des Apôtres, des Mar- tyrs, des Confesseurs et des Vierges, ces dépouilles mor- 1 Monsieur le chanoine Rullier, un des membres du comité formé pour le diocèse de Tareutaise, avait été chargé par les évoques, pré- sidents et directeurs du pèlerinage, de cni'er les pèlerins dans la visite des monuments de Hume qu'il a habitée pendant plusieurs années. M. Rullier s'est acquitté' de cette mission avec beaucoup de zèle. — 26't — f.elles qui ont été les temples privilégiés de L'Esprit-Saint et dont le parfum embaume La Ville Éternelle, les cham- bres qu'ont habitées les serviteurs de Dieu, les objets consacrés par leur usage et les instruments de leur héroï- que pénitence. Enfin, an milieu des splendeurs de la Rome chrétienne, nous avons vu la Rome païenne qui, elle aussi, a ses en- seignements et ses révélations : le Capitole, les mines du Forum et du Palatin, le Colysée dont on a enlevé la croix de bois comme un souvenir importun des victoires du Christ sur les puissances humaines, les arcs -de- triomphe, la Voie-Sacrée par laquelle passaient autrefois les conqué- rants souillés de sang, chargés des dépouilles des peuples vaincus et par laquelle passent depuis dix-neuf siècles les prédicateurs de la parole de vérité et de vie, les apôtres du Dieu de la charité. Le 5 mai, fête de Pie IX, fut pour le pèlerinage un jour de joie et de bénédiction. Nous avions obtenu la faveur de célébrer la sainte messe dans la crypte de la Confession de saint Pierre et d'y faire descendre tous les pèlerins. même les femmes qui ne peuvent pénétrer dans ce sanc- tuaire sans une autorisation spéciale du Saint-Père. La communion générale eut lieu à la première messe, et, à l'évangile de la seconde messe, Mgr Rosset prit la parole. Dans une allocution vivante et énergique, où se pressaient les pensées les plus élevées, il exposa la vocation du pêcheur de Génésareth, établi comme la pierre fondamen- tale de l'Église et le pasteur des pasteurs. Il montra dans cette vocation transmise aux pontifes romains La source première de la gloire et de la grandeur de PielX: et, déduisant de ces hautes vérités des conclusions pratiques, il rappela aux pèlerins les sentiments qui devaient les ani- mer pendant le pèlerinage età leur retour dans leur patrie. Le même jour vers midi, les pèlerins de la Savoie péné- trèrent, non sans quelque peine, dans la grande salle ducale pour assister à l'audience nationale. Après que — 2fiS — M. le vicomte de Damas eut donné lecture d? l'adresse, le Souverain Pontife prononça en français un admirable discours; vers la lin, échappant aux difficultés que lui présentait la langue française, il invoqua, avec, toutes les ressources et les beautés de la langue italienne, la pro- tection de saint Pie V, et la foule attendrie tomba à genoux sous les bénédictions du Pontife. Nous eûmes le bonheur d'être admis à Une audience par- ticulière du Saint-Père. Avec quelle bienveillance il nous a accueilli! avec quel empressement il nous accorda les grâces que nous lui demandions ! Avec quelle bonté il accepta notre offrande du denier de Saint-Pierre 1 Rien ne peut exprimer cette bonté si douce et si aimable de Pie IX, qui met le dernier des évoques et le dernier des fidèles à l'aise devant le Vicaire de Jésus-Christ, la plus grande autorité qui soit sur la terre. Le dimanche 7 mai, à dix heures trente minutes du soir, nous quittions Rome et nous nous dirigions sur Ancônc et Lorette. Quelques pèlerins purent, entre deux trains el au prix de grandes fatigues, jeter un regard rapide sur les pieux monuments d'Assise. Les membres de la Jeu- nesse catholique d'Ancône se multiplièrent pour nous rendre tous les services qui étaient en leur pouvoir : et dans la matinée du lendemain, le pèlerinage arrivait à Lorette. Deux fois, les pèlerins parcoururent en procession et en chantant des hymnes et des cantiques la basilique qui entoure la Santa Casa. Le R. P. Rossignoli, religieux conventuel et pénitencier français, leur raconta, dans une allocution pleine d'intérêt, l'histoire de cette maison si chère à la piété et de ses quatre translations. Quelques objets qui ont servi à l'usage de la Sainte-Famille furent offerts à leur vénération. Les deux évêques célébrèrent la sainte messe à l'autel de l'Annonciation, qui s'élève contre le mur occidental de la sainte maison, et sur lequel le regard du célébrant lit ces paroles écrites en lettres d'or; — 266=: Hic Vèrbum caro factura est, ici le Verbe s'est fait chair. Le langage humais ne peut exprimer l'émotion qui saisi! le pèlerin quand il baise ces murailles <|iii mil abrite Jésus, Marie el Joseph, quand il parcourt a genoux l'en- ceinte de cette humble demeure où s'est accompli le plus grand des prodiges, l'incarnation du Fils de Dieu, venu pour régénérer et sauver l'humanité par l'humilité, la pau- vreté, le travail et la douleur. Los lias-reliefs et les statues qui ornent la basilique, ses magnifiques portes de bronze n'attirent même pas un regard, le pèlerin n'a plus d'admiration pour les chefs-d'œuvre de la main des hom- mes devant ces merveilles de la toute-puissance et de la miséricorde de Dieu, el tous les fronts s'inclinent dans la reconnaissance et l'adoration. Le mercredi malin, nous descendons le* pentes de la colline sur laquelle Lorette est bâtie: nous saluons en passant le champ de bataille de Castelfidardo : nous prions pour les héros qui sont tombés sur ce sol à jamais illustre, pour la défense du Saint-Siège, et un trajet de douze heures nous amène à Bologne. Le lendemain, à 7 heures, Mgr l'archevêque de Bolo- gne ! voulut bien célébrer la sainte messe pour le pèle- rinage savoisien, au grand autel de sa cathédrale, sur lequel, depuis quelques jours, la Madone de saint Luc était exposée à la piété des fidèles. Le choeur avait été réservé à nos pèlerins; nos chants furent exécutés en présence d'Une foule nombreuse et recueillie. Avant de distribuer la sainte communion, Monseigneur l'archevêque prononça en français une touchante allocution. Rappelant d'abord l'application que saint François de Sales fait de ces paroles du psaume Allidet parvulos tuos ad petram , à l'obéissance filiale et complète envers le Souverain Pontife '. il tira lui-même de ces paroles de pieux ensei- ' Mgv Parocchi. - ps. r.xxxvi. o :' Œuvres de saint François de Sales Sermon pour le jour de sainl Piètre. - 267 -- gnémcnts ot de délicates allusions. Il félicita les enfants «le la Savoie de leur artiour pour l'Eglise et pour Pie 1\ et les remercia du bon exemple qu'ils donnaient à son peuple. Ces éloquentes paroles, ce témoignage de la bienveil- lance du jeune et illustre prélat, l'amabilité avec laquelle il accueillit les deux évèques de la Savoie, comptent cer- tainement parmi les précieux souvenirs de notre pèle- rinage. Les pèlerins purent, en quelques heures, voir la grande église de Sainte-Pétronne, l'église de Saint-Dominique, où le saint Patriarche repose dans un magnifique tom- beau, et vénérer sainte Catherine de Bologne, dont le corps a été préservé de la corruption, et qui, depuis quatre siècles, est assise sur un trône, un diadème sur la tète et vêtue d'étoffes précieuses. Quelques-uns purent même parcourir rapidement le ("awpo-Sauto, la bibliothèque et les musées. Nous avions eu d'abord le projet, en nous dirigeant ce même jour sur Venise, de nous arrêter quelques heures à Padoue. Mais les avis reçus à Rome et renouvelés pen- dant le voyage nous décidèrent à renoncer à ce projet. Les étudiants de l'université nous préparaient la manifes- tation qu'ils avaient faite air grand pèlerinage français. Ils ont découvert ce moyen ingénieux d'écarter de Padoue les pèlerinages et de priver ainsi les habitants de for et de l'argent qu'ils auraient acceptés avec le même empres-' sèment que les habitants des autres villes de l'Italie. C'est ainsi que l'incrédulité entend partout et toujours la fra- ternité, la liberté et le patriotisme. Cette intelligente jeu- nesse s'était d'ailleurs trompée dans ses calculs, et quand le lendemain elle vint à la gare attendre le pèlerinage savoisien, nous étions à Venise. Le premier aspect de cette ville, qui ne ressemble à aucune autre, les courses en gondole, le grand canal bordé de palais, la place Saint-Marc, liront tout d'abord - 268 — mu' vive, impression sur nos pèlerins. Le lendemain, jour • le l'Ascension, les messes du pèlerinage furenl célébrées ;i l'autel principal de la basilique sur le tombeau de saint Marc. Puis, après avoir visite le palais dos doges, les pèlerins, sous la direction des membres de la Jeunesse catholique et de son vénérable aumônier, Mgr Piamonte visitèrent l'église de Saint-Pierre, l'église de Saint- Joseph, où ils purent vénérer le cœur de saint François de Sales, l'église de Saint-Georges, où se réunit, en 1801, le con- clave qui élut le Pape Pie VII, l'église de Notre-Dame de la Sainte, et enfin l'église de Saint-Jean et de Saint- Paul, magnifique monument national orné des mausolées des grands hommes de la République. Avant de quitter Venise, les deux évoques, présidents du pèlerinage, se rendirent à la réunion générale de la Jeunesse catholique, et Mgr Rosset exprima à ces généreux jeunes gens notre vive reconnaissance. A onze heures du soir, nous nous dirigions sur Milan, où nous arrivions le lendemain à dix heures quarante- trois minutes du malin. Notre première visite fut pour le Dôme, admirable édifice que domine la statue dorée de la Mère de Dieu, placée à cent huit mètres de hauteur. Le moyen-âge avait les grandes inspirations de la foi, et même après les magnificences de Saint-Pierre de Home. il est impossible de ne pas être frappe d'admiration devanl le génie qui a élevé ces arceaux si légers, ces voûtes majes- tueuses, qui a dressé ces colonnes, et reproduit les traits de l'Evangile et delà vie des Saints sur ces vitraux etince- lants. L'âme monte dans le recueillement et la prière au sein de ces temples, qui sont tout à la fois des symboles et des poèmes, et dont les pierres elles- mêmes font entendre une voix puissante ' et s'élancent vers le ciel. Les pèlerins voulurent monter jusqu'au faîte du dôme, 1 Lapides clamabunt : Luc, XIX, 40, — 269 — Partout, on gravissant ces hauteurs, lo regard s'arrête sui- tes statues si nombreuses, sur les clochetons que termi- nent les fleurs les plus variées, sur les galeries travaillées avec un art merveilleux et qui dessinent les grandes lignes, du temple, pareilles à des dentelles de marbre blanc. Les pèlerins purent descendre dans la crypte de la cathédrale et prier auprès du tombeau de saint Charles Borromée, un des plus sublimes modèles du clergé et de l'épiscopat. Le corps du saint archevêque est renferme dans une châsse d'argent aux panneaux de cristal de roche et aux moulures de vermeil. Il est revêtu des ornements pontificaux, et sa tête, ornée de la mitre, repose sur un coussin d'or. Ils se rendirent à l'église de Saint- Ainbroise, où sont exposés le corps du grand docteur, les corps de saint (lervais et saint Protais découverts en 18G4 par le zèle et la science de Mgr Biraghi. C'est sur le seuil de cette église que saint Ambroise arrêta l'empereur Théodose et lui reprocha, avec l'autorité et l'indépendance de son ministère, le massacre de Thcssa- lonique. Le même jour, à huit heures du soir, nous étions à Turin, où nous retrouvions dans les membres de la Jeu- nesse catholique le même zèle, le même dévouement qui .nous avaient si profondément touchés à l'époque de notre départ. Nous aurions désiré que tous les pèlerins arrivassent en même temps à Albertville et à Moùtiers, où une céré- monie religieuse eût dignementeouronné notre pèlerinage. Mais ce désir ne pouvait être réalisé. Plusieurs pèlerins poursuivirent leur voyage par le train qui part de Turin à onze heures du soir. Le plus grand nombre attendit jus- qu'au train de neuf beures et demie le lendemain matin. A Albertville cependant, comme à Sainl-Jcan-dc-Mau- rienne, à l'arrivée de Mgr Hosset, la population tout entière attendait les pèlerins, et la bénédiction du Saint- — 270 - Sacrement fui donnée solennellement à l'église parois- siale. Mais le groupe principal des pèlerins de la Taren- taise n'arriva à Moûtiers que le dimanche, à deux heures du matin. Malgré ce regret, ils sont rentrés dans leurs foyers conservai)! de ce pèlerinage les plus précieux sou- venirs et remerciant Dieu avec une vive reconnaissance des bénédictions dont il nous avail comblés '. .Nous vous avons dit, Nos Très Chers Frères, dans un langage bien décoloré et bien impuissant, les joies et les grâces si abondantes de notre pèlerinage. .Nous vous devons l'aveu de nos craintes et de nos douleurs. Ce Père bien-aimé, dont vous célébrerez avec un pieux empressement les noces d'or, cet auguste vieillard dont vous avez admiré la bonté et les vertus, ce Pontife dont la noble et douce figure dominera ce siècle tout entier, ne jouit pas de l'indépendance de son divin ministère. Non pas qu'on ait osé mettre une main sacrilège sur sa personne vénérée, non pas que des sbires armes veil- lent à la porte de son palais pour s'opposer à ce qu'il en franchisse le seuil, non pas qu'on ait essayé par la force d'imposer silence à cette parole qu'admirent ses ennemis 1 Ni an accident, ni une indisposition sérieuse, ni une manifeslati m hostile de la part de la population italienne n'ont troublé ce long pèle- rinage. Ainsi ont été démenties par l'éclat des faits et par le témoignage unanime des pèlerin?, les sinistres nouvelles qu'avaient répandues dans ee diocèse des hommes qui tiennent à démontrer jusqu'à l'évi- dence qu'ils sont les ennemis de la vérité, puisqu'ils ne se servent que du mensonge. Nous devons un témoignage spécial de reconnaissance à M. l'abbé .Martin, secrétaire de l'évêché de Maurienne, dont, le dévouement n'a pas été utile seulement aux pèlerin- de ce dioeèse, mais dans bien de circonstances à tout le pèlerinage, à M. Thomas, de Chamoux, doi : l'activité et le zèle onl été si appréciés de tous les pèlerins, aux commis- saires qui nous onl précédés dans les villes où nous devions nous arrê- ter, au comité du diocèse de Tarentaise, et en particulier à M. Collin, dont les fonctions de trésorier du pèlerinage, compliquées du change dont il roulait bien se charger pour un grand nombre de pèlerins, èxi geaient une bonne volonté à toute épreuve. - 271 — eux-mêmes et qui émeut la terre entière : mais le Sou- verain Pontife ne peut mettre le pied dans Rome qui ne lui appartient plus et son autorité est chaque jour con- damnée à de nouvelles entraves. Ecoutons-le lui-même dans son allocution du 12 mars 1877 : « En vérité, Ton peut dire que l'œuvre de destruction et de renversement de tout ce qui touche à l'édifice et à Tordre ecclésiastique, est déjà presque consommée, sinon quant aux désirs et à la haine des persécuteurs, au moins quant aux ruines très funestes qu'ils ont jusqu'à ce jour accumulées. 11 suffit, en effet, de jeter les yeux sur les lois et les décrets promulgués depuis le commencement de la nouvelle domination jusqu'à aujourd'hui, pour s'aper- cevoir clairement qu'on Nous a enlevé en détail, peu à peu, de jour en jour et les uns après les autres, les moyens et les ressources dont Nous avons ahsolument hesoin pour diriger et gouverner, comme il convient, l'Eglise catho- lique. C'est ainsi que l'iniquité qui s'est accomplie dans la suppression des ordres religieux, Nous a malheureusement privé de vaillants et utiles auxiliaires, dont faction Nous est ahsolument nécessaire pour l'expédition des affaires des congrégations ecclésiastiques et pour l'exercice de tant d'autres devoirs de Notre ministère. » Et après avoir énuméré les ordres religieux disperses, les collèges des Missions injustement frappés, les biens ecclésiastiques envahis, les maisons religieuses, les égli- ses, les édifices bâtis par la générosité des fidèles de l'uni- vers catholique, enlevés à leurs légitimes possesseurs, le Saint-Père rappelait la loi sur le service militaire dont le résultat évident est la destruction du clergé en Italie, et la loi sur les abus du clergé qu'avait adoptée la Chambre des députés, mais qu'a repoussée depuis lors le Sénat italien. 272 .Nous ne pouvons pas oublier qu'il ne faudrait aujourd'hui ou demain qu'un nouveau succès des sectes anti-chrétiennes. si puissantes en Italie, on l'audace sacrilège d'un ministre, pour livrer tous les actes du pouvoir spirituel du Souve- rain Pontife, et par conséquent le gouvernement même de l'Eglise, à l'arbitraire du pouvoir civil. Si une démonstration était nécessaire pour faire admet- tre aux esprits les moins clairvoyants, la suprême impor- tance du pouvoir temporel, que la sagesse des siècles avait accordé aux Pontifes romains, cette démonstration s'impose en ce moment avec une irrésistible évidence. L'Italie elle-même, échappée un jour à cette lièvre de la révolution qui la domine et qui l'aveugle, comprendra que la souveraineté temporelle du Vicaire de Jésus-Christ csl réclamée par la justice et par la sécurité des nations catholiques, par la liberté des consciences et du gouver- nement de l'Eglise dans l'univers entier. Puisse cette nation que les Papes et l'Église ont faite si grande par les merveilles des arts, par les œuvres de la foi et de la charité, reconnaître ses erreurs et son iniquité ! Puisse-t-elle ne pas attendre les châtiments qui n'ont épargné jusqu'à ce jour aucune des puissances humaines, qui se sont heurtées contre la pierre placée par la main de Dieu, puisse-t-elle s'incliner avec un respect sincère devant cette autorité qu'un illustre patriote italien a appe- lée la dernière grandeur vivante de l'Italie ! Que les descendants des princes valeureux qui, pendant tant de siècles, portèrent avec gloire la croix dans leurs éten- dards, que les fds des héros et des saints se souviennent des traditions de leur famille, qu'ils obéissent enfin aux inspirations d'une foi qui n'est pas éteinte et recon- naissent avec les droits imprescriptibles de la justice, la vraie et complète indépendance du Vicaire de Jésus- Christ ! El pourtant cette situation douloureuse de Pie IX n'est pas la seule épreuve de l'Église, et nous vous dirons avec - 273 — la franchise à laquelle vous êtes habitués notre pensée tout entière. Vous pouvez nous rendre celte justice, Nos Très Chers Frères, que nous n'avons point abaissé notre ministère devant les passions politiques et les luttes des partis, que, si nous avons voulu être le pasteur de tous nos diocé- sains, si notre porte et notre cœur ont été ouverts à tous, nous avons été plus empressé et plus heureux d'être utile à ceux qui se déclarent les adversaires du clergé et de l'Église. Mais nous avons à cette heure le droit et le devoir de repousser les calomnies dirigées contre le Sou- verain Pontife, les évoques et tous les catholiques de France, avec une audace et une obstination vraiment sataniques. Ce droit accordé au dernier des accusés, devant le dernier des tribunaux de la terre, nul n'osera le contester à l'Eglise catholique, cette grande société des Ames, devant l'opinion publique indignement égarée. On a dit et on répète chaque jour et sous toutes les formes dans nos villes et jusqu'au sommet de nos monta- gnes, que le Pape, les évêques, les catholiques appellent la guerre de tous leurs vœux. La guerre ! Mais est-ce que nous n'en avons pas souffert autant et plus peut-être que ceux qui nous accusent? Est-ce que les familles catholiques n'ont pas donné leurs enfants pour la défense de la patrie? Est-ce que des prêtres, des religieux, d'humbles sœurs n'ont pas succombé dans les hôpitaux et sur les champs de bataille? Est-ce que nous ne savons pas ce que la guerre, même quand elle est juste, nécessaire et couronnée par la victoire, apporte à tous les foyers et à tous les cœurs de douleurs inconsolables, ce qu'elle fait verser de larmes et de flots de sang ? La guerre, mais où, mais quand, mais dans quelle forme ratons-nous demandée ? Quoi ! parce que le Souverain Pontife, pour prévenir de nouveaux malheurs, appelle l'attention des peuples catholiques sur la situation déplo- rable qui lui est faite, est-ce donc qu'il appelle la France 18 - 274 — aiy; armes, ou bien soulève-t-il contre elle la vengeance de ses ennemis? La guerre, nous ne l'avons pas voulue, nous ne la voulons pas, nous ne pouvons pas la vouloir. Nous vous demandons, Nos Très Cbers Frères, de suivie avec attention les preuves que nous allons donner de ces affirmations si importantes. Ce qui est manifeste, incontestable, c'est que le Pape, les évêques, les catholiques savent que la France veut la paix, qu'elle a besoin de la paix, et qu'une guerre quel- conque, dans l'état actuel de l'Europe, pourrait exposer notre patrie aux plus formidables périls. Cette volonté de la France, cette nécessité de la paix, on la connaît à Rome aussi bien que dans le dernier de nos villages, et nul n'osera supposer que le Pape, les évêques, les catholiques ignorent ce que tout le inonde sait en France. Mais ce qui n'est pas moins démontré, incontestable, évident, c'est qu'au point de vue humain, la France est la grande espérance, le plus ferme appui de la Papauté et de l'Église catholique. La France est, aujourd'hui comme toujours, la lille aînée de l'Eglise ; elle donne au Saint- Père les plus admirables témoignages de son dévouement: plus que toutes les autres nations, elle fonde et elle sou- tient de son or, de son zèle, de son prosélytisme ardent, les grandes œuvres catholiques. Nous ne craignons pas de l'affirmer, si la France était vaincue, si de nouvelles pro- vinces lui étaient ravies, si unerançon écrasante pesait de nouveau sur elle, si elle devenait affaiblie et impuissante. la Papauté et l'Eglise subiraient au point de vue humain la plus redoutable épreuve. Et vous croiriez^ Nos Très Cbers Frères, que le Pape, que les évêques voudraient exposer la France qui leur est si chère, cette France qui est leur espoir, à une lutte plus terrible que jamais, et la jeter tète baissée dans des abîmes dont nul regard ne peut mesurer la profondeur. ALI ici ce n'est |»;is seulement notre patriotisme qu'on outrage, on nous refuse la plus- vulgaire prudence, et l'intelligence de nos intérêts les plus - 275 — élevés. Oui ! ceux qui affirment que le Pape, les évêques, les catholiques veulent la guerre, affirment que nous voulons, dans une rage insensée, dans un aveuglement qui dépasse toutes les limites de l'absurde, nous com- battre de nos propres mains et anéantir nous-mêmes nos plus chères espérances. Mais cela est impossible, absolument impossible. Non, nous n'avons pas voulu la guerre, nous ne la voulons pas, nous ne pouvons pas la vouloir. Ces calomnies, Nos Très Chers Frères, sont pour vous un outrage : car vous aussi vous êtes catholiques ; et ceux qui vous les font entendre supposent que vous êtes capa- bles d'approuver l'iniquité affirmée par l'ineptie. Mais si malgré les efforts les plus sincères et les plus ha- biles pour écarter ce terrible lléau, la guerre venait à écla- ter, qui donc devrait en porter la responsabilité? qui donc l'aurait provoquée par des manifestations imprudentes? Dieu nous est témoin, Nos Très Chers Frères, que nous ne voulons pas exciter dans notre cher et malheureux pays et surtout parmi les populations qui nous sont confiées les divisions funestes qui désolent notre patriotisme et notre cœur d'évêque. Mais nous sommes condamnés par l'ini- quité qui nous poursuit à retourner contre nos accusateurs les calomnies dirigées contre nous. Quoi! leur dirons-nous, vous parlez d'imprudences criminelles, vous affirmez que nous trahissons les intérêts sacrés de la patrie! Nous avons à notre tour, nous avons le droit de vous inter- roger. Est-il donc bien habile, bien prudent, bien digne de cœurs français d'exciter contre votre pays les défiances de Tétranger? Vous osez affirmer que les catholiques de France qui sont encore une imposante majorité (vos ter- reurs le disent assez haut), que quiconque, des hauteurs du pouvoir jusqu'au plus obscur des citoyens, veut que Je Pape et l'Église soient respectés, que la liberté de la Reli- gion et de la conscience ne soit pas un vain mot, que qui- conque n'applaudit pas aux succès de l'anarchie, que tous — 276 - ceux enlin qui ne veulent pas être condamnes à tendre tôt ou tard une main fraternelle aux incendiaires et aux assassins de la Commune, appellent la guerre de tous leurs vœux et la rendront inévitable ! Et vous ne voyez pas, si vous êtes capables de voir quelque chose, que ces affirmations qui retentissent sans cesse au delà de la frontière, appellent sur notre pays le lléau de la guerre? Vous ne voyez pas qu'il est bien diffi- cile à ceux que vous désignez comme les ennemis de la France, de rester impassibles devant ces accusations que des Français portent contre des Français, et devant ces menaces d'une lutte que vous déclarez inévitable. Et pour arriver plus sûrement à votre but, pour semer avec plus de succès la terreur dans nos populations, vous exagérez la faiblesse de la France et les périls de la guerre, abaissant ainsi devant l'Europe qui nous regarde la dignité de votre patrie et appelant sur elle les convoitises de l'étranger. 0 accusateurs audacieux, ù sauveurs de la France, ô tiers patriotes, écoutez et répondez. De deux choses Tune: ou bien vous n'avez pu vous élever jusqu'à comprendre les conséquences funestes de ces manifestations hostiles et de ces calomnies dirigées contre nous, et alors il faut renoncer à l'espoir de diriger les affaires de notre pays, car vous n'êtes pas même capables d'administrer le der- nier de nos villages ; ou bien (mais notre cœur se refuse absolument à admettre cette douloureuse hypothèse), ou bien ces conséquences inévitables ne vous auraient point échappé, et alors nous aurions le droit et le devoir de nous retourner contre nos accusateurs et de les marquer au front par cette protestation indignée : s'il est des traîtres à la patrie dont les pieds souillent le sol de la France, ils ne sont pas parmi nous. C'est ainsi, Nos Très Chers Frères, que l'iniquité se ment à elle-même1 et que le simple bon sens suffit à 1 Ps. XXVI, 12. Mentita eut iniquitai sibi. — ->77 — anéantir ces accusations propagées par des hommes qui se sont faits les instruments aveugles de quelques ambi- tieux qui les exploitent. Vous n'oublierez pas, Nos Très Chers Frères, les réponses énergiques que nous opposons à ces calomnies obstinées, et vous les opposerez vous-mêmes avec l'indé- pendance, la fermeté et la loyauté de votre caractère à tous ceux qui oseraient les reproduire en votre présence. Ces épreuves, Nos Très Chers Frères, ne sauraient ébranler votre foi et déconcerter votre courage. C'est à l'heure des luttes décisives que se manifestent les âmes généreuses. Non seulement au grand jour des noces d'or de Pie IX, mais bien souvent, vous demanderez à Dieu, par de ferventes prières, de réaliser encore pour le saint et bien-aimé Pontife les paroles prononcées, il y a cinquante ans, dans la cérémonie de sa consécration épiscopale : Ad multos annos, qu'il vive de nombreuses années pour la gloire de la sainte Eglise et pour le bonheur de ses enfants. Vous demanderez pour la France l'union si évidem- ment nécessaire de tous les hommes de bien, de tous ceux qui ne veulent pas livrer notre patrie aux fureurs de l'anarchie. Vous demanderez que tous comprennent enfin que les illusions, les intérêts secondaires, les passions des partis doivent disparaître en présence de ce devoir sacré, et que toute tentative de division, de quelque part qu'elle vienne et de quelque prétexte qu'elle se couvre, serait un crime que doit flétrir le mépris de tous les hommes de cœur. Vous demanderez pour notre cher et malheureux pays les seules victoires que nous puissions ambitionner, les victoires de la religion, de la moralité et de la vertu, les victoires de l'agriculture, de l'industrie et des arts, ces victoires qui élèvent les peuples dans l'union, la prospé- rité, la paix, et qui les font puissants, heureux et res- pectés de l'étranger. LETTRE PASTORALE A L'OCCASION DES ELECTIONS DU 14 OCTOBRE 1877 7 octobre 1877. Nos Très Chers Frères, Notre intention était de garder le silence au milieu des luttes qui s'annoncent à l'occasion des prochaines élec- tions. Nous désirions ne toucher ni de près ni de loin aux questions qui vont être résolues par les votes du 14 octo- bre. Mais des calomnies odieuses sont répandues chaque jour contre les catholiques, contre le clergé, contre les évèques, parmi les populations contlées à notre sollici- tude pastorale. Ces calomnies troublent les consciences, détruisent le respect dû à l'autorité ecclésiastique ; sou- vent elles s'attaquent directement à la religion elle-même. Et si nous restions indifférent ou muet en présence de pareilles calomnies, nous porterions, devant les hommes Nota. Les prêtres de notre diocèse n'oublieront pas la défense que nous leur avons faite pendant la dernière retraite pastorale de parler des élections eu chaire, et par conséquent, ils liront cette lettre sans faire aucun commentaire. 280 — et devant Dieu, la responsabilité des malheurs qu'elles nous préparent. Si donc nous sommes condamné à sortir de la réserve que nous nous étions imposée, nos accusateurs ne peu- vent s'en prendre qu'à eux-mêmes. Ils prétendent que le clergé doit rester étranger à toutes les luttes politiques : mais pourquoi mêlent-ils eux-mêmes le clergé à toutes ces luttes ? Pourquoi leur haine redouble-t-elle à l'approche des élections? Et pourquoi alors multiplient-ils contre le clergé les accusations les plus absurdes? Pourquoi ont-ils déposé dans la dernière assemblée des lois qui atteignent les droits essentiels du clergé et de l'Eglise catholique? Et pourquoi nous menacent-ils de ces mêmes lois si le succès répond à leurs espérances? Auraient-ils le droit, ne respectant ni les personnes ni les croyances, de nous accabler de leurs menaces, de leurs mensonges et de leurs outrages, et de nous dire : « Vous ne pouvez pas vous défendre, parce que vous ne pouvez pas toucher aux questions politiques. Tout nous est permis contre vous, à vous rien n'est permis, même pour repousser les plus iniques accusations. Vous n'avez d'autre droit que celui de vous courber sous nos coups comme des victimes ; c'est ainsi que nous entendons la liberté des consciences, l'égalité de tous les citoyens devant la loi et la justice ; c'est ainsi que nous entendons la loyauté dans les luttes politiques. » Il faudrait en vérité désespérer du bon sens public si un tel degré d'audace ne soulevait l'indignation de toute àme honnête. Mais ne craignez pas, Nos Très Chers Frères, que nous dépassions les limites d'une défense nécessaire. Nous vou- lons rester sur le terrain où nos droits ne peuvent être contestés. Nous voulons rester complètement étranger aux questions de partis et de personnes. Nous vous rap- pellerons dans le plus simple langage, en quelques mots et au point de vue des principes, les devoirs que les cir- - 381 - constances présentes nous imposent, et nous répondrons aux calomnies les plus odieuses dirigées contre nous. Et d'abord, Nos Très Chers Frères, il y a pour tous les électeurs un devoir rigoureux de prendre part aux élections. Moins que jamais l'abstention pourrait être justifiée. Personne d'entre vous n'ignore que ces élections décideront de l'avenir de la France, de ses intérêts reli- gieux, comme de ses intérêts matériels ou politiques. Personne d'entre vous n'ignore que l'abstention de quelques électeurs peut changer le résultat du scrutin. Une voix de moins pour tel candidat, c'est évidemment une voix de plus pour son adversaire. Et nous avons vu une seule voix décider de la forme du gouvernement dans nos dernières assemblées. Bon gré mal gré, ceux qui ne votent pas ont une influence incontestable sur les résultats des élections et contribuent ainsi aux triom- phe des hommes et des doctrines qu'ils repoussent. Reculer devant les légers sacrifices que peut imposer l'obligation de voter, se laisser dominer par l'inertie ou l'indifférence, c'est s'exposer à livrer le pays tout entier aux plus audacieux et aux plus violents. Lorsque les élections seront faites, les regrets et les protestations seront inutiles. Elles ne pourront ni réparer les fautes commises, ni en prévenir les conséquences funestes. Et, remarquez-le bien, Nos Très Chers Frères, les élections ne décideront pas seulement des intérêts géné- raux du pays, de la sécurité et delà paix, elles décideront encore des intérêts de chacun d'entre vous, de l'avenir de vos enfants, de votre maison, de vos propriétés. Elles auront une influence puissante sur les intérêts de la reli- gion elle-même, de la religion catholique qui est votre force, votre honneur et votre consolation, et que tous vous- voulez conserver et défendre contre les attaques de l'impiété. Donc ne pas voter, c'est trahir vos intérêts les plus éle- vés, c'est exposer aux plus grands malheurs ce que vous - 282 — ne/ de plus cher : donc tous les électeurs doivent voter. Mais pour qui doivent-ils voter '.' Ici nous tenons à évi- ter lout ce qui pourrait avoir l'apparence de questions personnelles ; nous vous disons : votre devoir est de voter suivant les inspirations de votre conscience pour ceux que vous croyez les plus capables et les plus dignes. Si votre jugement n'est point suffisamment éclairé, exami- nez avec attention les paroles et les actes des candidats qui sollicitent vos suffrages ; consultez les hommes qui par leur intelligence, leur loyauté, leur probité, la parfaite honorabilité de leur vie vous inspirent une confiance com- plète. .Nous vous avons exposé vos devoirs, il nous reste à répondre aux calomnies par lesquelles on cherche à vous ('■garer. On a osé affirmer que l'élection des candidats catho- liques nous entraînerait inévitablement à la guerre et que les évêques la demandaient. Voici ce que nous lisons dans un écrit répandu dans toutes les paroisses de ce diocèse et reproduit dans le Journal d'Albertville du 22 septem- bre : « On se rappelle avec quelle ardeur, au commence- « ment de cette année, les évêques se mirent tout à coup « à prêcher et à écrire, demandant qu'on fit la guerre en « faveur du pape pour lui conquérir un royaume. » Or, Nos Très Chers Frères, ce sont là d'odieux mensonges et d'indignes calomnies. Aucun évèque, aucun, entendez-le bien, n'a demandé qu'on fît la guerre pour conquérir un royaume au Pape ou pour tout autre motif. Vous ne pou- vez ignorer que nous n'avons pas laissé échapper une seule occasion d'affirmer notre désir de la paix et notre horreur pour le fléau terrible de la guerre. L'année der- nière, dans le pèlerinage qui a eu lieu à Villette, nous vous demandions de prier afin que la France put réparer ses desastres au sein de la paix; et dans notre dernière lettre pastorale, que nous avons publiée à noire retour de Rome, et qui a été lue, il \ a quelques mois, dans toutes - 283 — les églises de ce diocèse, nous vous avons démontré que les catholiques, les évêques, le Pape, s'ils demandaient la guerre, compromettraient eux-mêmes leurs plus chers intérêts. Nous vous l'avons dit et nous vous le répétons : nous n'avons pas voulu la guerre, nous ne la voulons pas et nous ne pouvons pas la vouloir. Et d'ailleurs les faits ne suflisent-ils pas à vous rassurer contre ces terreurs et à réfuter ces audacieuses affirma- tions ? Malgré les sinistres prédictions que vous avez en- tendues il y a quelques mois, la paix a été maintenue ; les relations de la France avec les nations étrangères sont excellentes et le commerce n'a pas été compromis. VA pour invoquer des preuves qui soient palpables pour chacun d'entre vous, est-ce que jamais le commerce du bétail, le plus important pour ce pays, s'est fait dans des conditions plus favorables que pendant ces dernières se- maines ? On vous dit encore, Nos Très Chers Frères, que les prêtres veulent dominer partout, que le clergé veut enva- hir les droits de l'autorité civile, et c'est cette tendance que nos ennemis appellent le cléricalisme. « Le clérica- « lisme, disent l'écrit et le journal cités plus haut et que « nous reproduisons textuellement, le cléricalisme, c'est « la folie dangereuse de quelques hommes qui veulent que « le curé ait un pouvoir souverain dans les affaires de la « commune, que les évoques aient un même pouvoir dans « les affaires de la France, et que le pape enfin dirige « en maître toutes les affaires du monde. » Et cet écrit et ce journal indiquent très clairement que les hommes auxquels ils attribuent cette dangereuse folie sont inspires et dirigés par le clergé, que par conséquent c'est le clergé qui en est responsable. Nous protestons de toute l'énergie de notre âme contre cet odieux mensonge. Rien n'est plus clair, rien n'est mieux établi dans la doctrine catholique que la distinction de l'autorité civile et de l'autorité religieuse et l'indépen- — 284 - dance de chacune de ces autorites dans les attributions qui leur sont propres et dans les actes qui se rapportent à leur fin spéciale. Sans doute les hommes auxquels l'auto- rité civile est confiée doivent obéir aux lois de Dieu et de l'Église s'ils veulent rester catholiques, de même que les prêtres et les évoques doivent donner l'exemple de la sou- mission aux lois de l'Etat qui ne sont pas un outrage pour leur conscience. La fin directe et immédiate de l'autorité religieuse est la sanctification des hommes, la fin directe et immédiate de l'autorité civile est la prospérité temporelle. Ces deux fins distinctes et nécessaires démontrent tout à la fois la dis- tinction, la nécessité de ces deux autorités et leur indépen- dance dans le domaine qui est indiqué à chacune d'entre elles par sa fin particulière. Par cela*seul que l'une de ces deux fins ne peut être supprimée, l'une de ces deux auto- rités ne peut être absorbée ou supprimée par l'autre. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même a enseigné cette distinction et ces droits des deux autorités, l'obligation d'obéir à l'une et à l'autre. «Rendez, dit-il, à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Reddite quœ sunt Cœsaris Cœsari, et quœ sunt Dei Deo '. César, c'était l'empereur romain, l'autorité civile à l'époque où \i\;iit Notre-Seigneur Jésus-Christ. Or évidemment si le clergé usurpait les droits de l'autorité civile, il ne rendrait point à cette autorité ce qui lui est dû, mais il s'efforcerait de la détruire : il mépriserait par conséquent l'enseigne- ment de Notre-Seigneur Jésus-Christ ". • 1 Matth. xxii, 21. - Les textes si nombreux île la sainte Écriture qui enseignent que l'autorité civile vient de Dieu et qu'il y a une obligation de conscience ■le lui obéir, démontrent avec la plus cran. le clarté que les droits de l'autorité civile ne peuvent être usurpés par qui que ce soit, mais qu'ils doivent au contraire être maintenus et respectés. « C'est par moi que les rois régnent, a dit Dieu lui-môme dan» le livre des Proverbes, et que les législateurs ordonnent ce qui est juste (Prov. vin, 15). Toute âme. dit l'apôtre saint Paul, doit être soumise aux puissances supé- rieures, car il n'y a pas de puissance qui ne vienne de Dieu Doue • celui qui résiste aux puissances, résiste à l'ordre de Dieu, et ceux qui y résisteut, attirent sur eux la condamnation. 11 est donc néces- - 283 - Le pape Pie IX, dans une de ses récentes constitutions, a condamné ceux qui prétendent que « la distinction et l'indépendance du pouvoir ecclésiastique ne peuvent être maintenues sans que* l'Eglise envahisse et usurpe les droits essentiels du pouvoir civil' ». Or qui ne voit que par cette condamnation le pape Pie IX, en affirmant l'in- dépendance du pouvoir ecclésiastique, affirme en même temps que ce pouvoir n'usurpe pas et qu'il ne peut pas usurper les droits de l'autorité civile? Nous pourrions multiplier les citations : mais. voici les paroles qu'un des évêques les plus vénérés de France, le cardinal archevêque de Cambrai, adressait aux prêtres de son diocèse, il y a quelques semaines : « Vous aurez, dit léminent prélat, des relations obligées et un contact nécessaire avec vos administrations communales. Vous éviterez de vous immiscer dans les affaires dont la gestion leur appartient. Vous prêterez aux magistrats municipaux votre concours pour le bien commun ; vous recommanderez, autant que possible, le respect de leurs actes ; vous ne leur demanderez que la protection à laquelle a droit votre ministère, l'acquit bienveillant des charges que la loi impose aux communes pour assurer la digne célébration du culte divin, et les mesures de police nécessaires pour sauvegarder les intérêts moraux et reli- gieux de vos paroisses. » Tel est, Nos Très Chers Frères; l'enseignement cons- tant, unanime, des papes, des conciles, des évêques et des saire que vous soyez soumis non seulement par la crainte du châti- ment, mais aussi pour obéir à votre conscience. » (Rom. vin, i et seq.) Ecoutez le pape saint Gèlase s'adressant à l'empereur Anastase : « 11 y a, disait-il, deux principales puissances par le?quelles ce monde est uouverné : l'autorité sacrée du Pontife et la puissance royale.... Dans l'ordre politique et temporel, les évêques obéissent à vos lois, parce que vous avez reçu d'en haut votre puissance ; avec quel zèle et quelle affection ne devez-vous pas leur obéir dans les choses d? la religion, puisqu'ils sont chargés de dispenser nos redoutables mystères ? » (Labbe, concil. tom. IV, col. 1182.) 1 Constitution Quanta cura du 8 décembre 1864. — 286 — prêtres. Us ne nient pas les droits de l'autorité civile, ils n'usurpent pas ces droits, ils les défendent ; ils n'atta- quent p;is celte autorité, ils enseignent qu'elle doit être respectée et obéie parce qu'elle vient de Dieu. Mais en dehors dé toutes ces preuves, en dehors de cet enseignemenl si précis et si clair, ce qui suffirait à détour- ner le clergé de toute tentative d'usurpation, c'esl l'intérêt de la religion et de l'Eglise. Il est incontestable en effet (jue toute tentative d'usurpation de l'autorité ecclésias- tique sur l'autorité civile ou de raulorite civile sur l'auto- rité religieuse ne peut que susciter les luttes les plus déplorables et créer au sein de l'Eglise et de l'Étal les perturbations les plus terribles. Mais examinons les faits. On vous parle des empiétements du clergé sur l'auto- rité civile, et où donc, dites-moi, sont ces empiétements .' Où donc sont les preuves de cette tendance:' Car enfin il faudrait, quand on perte de pareilles accusations, les jus- tifier du moins par quelques preuves. Le clergé, les catholiques ont-ils envahi les droits île l'autorité civile quand ils ont réclamé et obtenu, après tant d'efforts, la liberté de l'enseignement supérieur:' Mais cette liberté, mais la fondation des universités catho- liques n'est que la destruction de l'empiétement de l'Etat sur l'autorité religieuse et sur la liberté des pères de famille. Les pères de famille ont-ils le droit incontestable de faire élever leurs enfants dans leurs croyances, les pères de famille catholiques, de les faire élever dans les principes de la religion catholique :' Oui. mille fois oui. Eli bien! c'est l'usurpation de ce droit une nous avons com- battue, c'est l'exercice de ce droit (pie nous avons demandé et obtenu. Dans les conseils d'instruction publique, nous réclamons énergiquement pour les pères de Famille le droit de choisir dans toutes les communes les instituteurs de leurs enfants. Ici encore nous n'usurpons pas les droits de l'Etat, mais nous défendons les droits de — 287 — l'Église et des familles, vos droits à tous contre des empiétements funestes. On vous parle de la suppression du budget des cultes, c'est-à-dire de la suppression du traitement des curés et de tous les prêtres employés dans les travaux du minis- tère, de la suppression de tous les secours donnés par le gouvernement en faveur des édifices religieux. Ici encore, est-ce le clergé qui usurpe les droits de l'autorité civile, ou bien est-ce le clergé qui est menacé de l'usurpation la plus inique ? La suppression du budget des cultes serait la plus criante injustice. A la fin du dernier siècle, la Révo- lution s'est emparée des biens du clergé, et. quand l'ordre a été rétabli, le gouvernement s'est engagé, comme com- pensation de ces biens et à titre de restitution, à payer le traitement du clergé et à donner des secours pour les édi- lices religieux. Donc la loi pour la suppression du budget des cultes, loi qui devait être proposée à la dernière assemblée et qui sera certainement votée par la nouvelle assemblée si elle est composée d'hommes anti-religieux, cette loi serait la violation du droit évident du clergé et de l'Église catholique. Il y a plus. Cette loi une fois "votée, ce sont les communes, c'est vous qui supporterez le poids de toutes les dépenses du traitement des curés et des vicai- res, de toutes les dépenses de construction, de réparation et d'entretien des églises, des presbytères et des cime- tières. Ici encore, ce n'est pas nous qui usurpons les droits de l'autorité civile ; nous défendons nos droits et les vôtres contre les menaces des usurpations les plus déplo- rables. Ouvrez les yeux et regardez autour de vous. Où donc sont les empiétements du clergé sur l'autorité civile :' Voilà quatre ans que nous dirigeons ce diocèse et nous l'avons visité tout entier. Dans cliaque paroisse nous avons réuni le conseil de fabrique et le conseil municipal, nous leur avons laisse la liberté complète de nous exprimer leurs — 288 — vœux ou leurs plaintes : mais aucune plainte ne nous a été adressée au sujet des empiétements du clergé. Et si quelques difficultés ont surgi, difficultés très rares, mais inévitables dans l'ensemble d'un diocèse, malgré les meil- leures intentions de l'autorité civile et de l'autorité ecclé- siastique, nous nous sommes efforcé de résoudre ces difficultés et de rétablir partout la paix et l'union. Nous vous en supplions, Nos Très Chers Frères, ne vous laissez pas égarer par ces accusations absolument insensées ; repoussez avec indignation l'audace de ces hommes qui nient l'évidence, qui, tandis que le soleil res- plendit à l'horizon et vous inonde de ses clartés, osent vous affirmer que vous êtes envahis par les ténèbres et que vous marchez dans la nuit. Non, nous ne voulons pas attenter aux droits de l'au- torité civile. Ce que nous voulons, c'est l'union des deux autorités partout et toujours pour le bien de tous, c'est l'union du Pape avec tous les gouvernements dans le monde entier, l'union des évèques avec les gouvernements de leurs pays et les administrateurs civils à tous les degrés, l'union des curés avec les maires et les conseils munici- paux de chaque commune. Rien n'est plus juste, plus utile, plus patriotique qu'un pareil désir. Nos accusateurs vous disent encore : nous respectons la religion, mais nous combattons le clergé. Ils combattent le clergé, mais pourquoi? Est-ce que ce clergé, ces prêtres qui sont vos compatriotes, vos amis ou vos enfants ne valent pas mieux que ceux qui les accusent? Ces prêtres, quel mal vous ont-ils fait, ou plutôt quels services ne vous ont-ils pas rendus et ne vous rendent-ils pas chaque jour? Est-ce que vos pères ne vous ont pas dit ce qu'était devenu ce pays à la fin du dernier siècle quand les prêtres étaient chassés, les églises fermées et les clochers abat- tus? Voulez-vous retourner sous la domination de l'im- piété et de la révolution, à ces temps lamentables, à ces désastres et à ces crimos ? — 289 — Mais pourquoi invoquer les souvenirs du dernier siècle .' Il y a sept ans nous avons vu les horreurs de la Commune, l'incendie des monuments les plus magnifiques, un arche- vêque, un des présidents de la cour de cassation, des prêtres, de pauvres soldats lâchement assassinés. Paris tout entier aurait été détruit par les barbares de la Com- mune, si l'armée dirigée par le Maréchal de Mac-Mahon ne les avait vaincus ; et la France serait condamnée à périr clans les mêmes horreurs, si pendant quelques jours seulement elle était en leur pouvoir. Ils respectent la religion, disent-ils, mais ils combattent le clergé. Ils respectent la religion I et pourquoi n'accom- plissent-ils pas les devoirs qu'elle impose? Pourquoi l'ou- tragent-ils dans les journaux qu'ils répandent chaque jour par milliers dans nos villages? Et si l'un de ces journaux parait au premier regard plus modère, il tend néanmoins au même but, il est rédigé par les ennemis déclarés de l'Église et il cache sa haine sous toutes les perfidies tic l'hypocrisie. Ils respectent la religion, mais ils combattent le clergé ! Osent-ils donc prétendre que la religion peut exister sans le clergé? C'est comme s'ils disaient : nous respectons la justice, mais nous ne voulons ni juges ni tribunaux; nous voulons l'agriculture, mais nous combattons les laboureurs ; nous sommes partisans de l'instruction, mais nous combattons les instituteurs et nous détrui- sons les écoles. Oui, évidemment ceux qui combattent le clergé com- battent la religion et ils veulent la détruire. Mais, nous en avons la confiance, les populations intel- ligentes de ce pays repousseront ces accusations absurdes que dément l'évidence même. Votre avenir, Nos Très Chers Frères, l'avenir de votre pays est entre vos mains ; il sera ce que vos suffrages l'auront fait. Votre évêque pourra du moins se rendre le témoignage 1e — preuves nombreuses et incontestables, presque toujours sur les témoignages et les aveux de la Franc-Maçonnerie elle-même. Nous citerons des documents très récents, et nous en indiquerons les sources1. Nous avons voulu que cette démonstration fût essen- tiellement populaire; nous l'avons donc resserrée dans des limites étroites, et en lui donnant, autant qu'il a été en notre pouvoir, avec la clarté et la précision, le mou- vement et la vie. Nous aurions pu, en supprimant une partie des docu- ments contenus dans cette lettre pastorale, imprimer à cette démonstration une marche plus rapide: mais il importe, avant tout, dans ce genre de travail, d'appuyer toutes les affirmations sur des preuves nombreuses et irréfutables. D'ailleurs, ces aveux, ces textes empruntés aux adeptes de la Franc-Maçonnerie, seront, pour la plu- pari des lecteurs, de vraies révélations ; et cette suppres- sion eût fait perdre à notre démonstration une grande part de sa valeur, de son intérêt et de sa puissance. Nous avons cru utile d'écarter de cette étude tout ce qui pourrait donner lieu à des contestations, et tout ce qui n'est pas indispensable au but que nous voulons atteindre. Nous ne dirons donc rien des origines et de l'histoire de la Franc-Maçonnerie. Ces origines et cette histoire ne sont pas sans quelques ombres, maigre des travaux récents, dont nous ne contestons pas le mérite. 1 Outre les documenta qui viennent de lu Franc-Maçonnerie elle- même, les principaux ouvrages que nous avons consultés sont : /.a Franc- Maçonne ie el la Révolution, par le P. Gautrelet ; La Franc- Maçonnerie dans sa véritable signification, on son organisation, sou bnl el son histoire, par M. Eckert, avocat à Dresde, tra luit par M. l'abbé Cyk ; L'Eglise rouanne en /are île ta Révolution, par .M Crétineau-Joi/ï ; Les Francs- Maçons el les .S'o> iélés secrètes, par M. de Saint-Albin ; Les Sociétés secrètes el la Soiieiè, par l'auteur du Monopole universitaire; L'Elude sur la Franc Maçonnerie, par Mur Dupanloup, évêque d'Or- léans; La Franc-Maçonnerie, par Mot Dechamps, archevêque ' de Malines; La Franc- Maçonnerie, Révélations d un Rose-Croix, Les Sociétés secrètes et la Société, ou Philosophie de l'histoire contemporaine, ouvrai publié d'abord par le F. Deschamps et dernièrement, avec des modi- fications importantes, par M. Claudio-Jannet, etc* — 297 — Ce récit et les preuves qu'il réclame auraient imposé à cette étude des développements trop considérables pour le but que nous nous proposons. Il peut être intéressant de. savoir quelle a été la source de ces sociétés maudites, et quelles om été leurs œuvres dans les siècles passés ; mais il est nécessaire de dire, dans un écrit court et substantiel, et avec une clarté qui ne laisse aucun refuge à la bonne foi, ce qu'elles font, à cette heure, au milieu de nous, et quel avenir elles préparent à notre pays, à l'Europe et au monde. Mais, avant d'entreprendre cette douloureuse démons- tration, nous voulons soulager notre cœur. Nous sommes condamné à prononcer des paroles sévères : ces paroles s'ndressent aux doctrines et aux actes. JNous le démontrerons, la Franc-Maçonnerie fait sur- tout des dupes et des viclimes; ces dupes et ces victimes, nous voudrions, — Dieu sait à quel prix, — les éclairer et les sauver. La Franc-Maçonnerie compte sans doute des chefs habiles, obstinés dans la lutte et pour lesquels la surprise et l'ignorance ne peuvent être une excuse. Et cependant pour ces chefs aussi, nous nous sentons au cœur une profonde tendresse. Les miséricordes divines sont infinies, et les fêtes qui célèbrent le retour des âmes égarées sont les plus belles fêtes du ciel. Si quelques-unes de nos paroles fermaient devant une seule de ces âmes les chemins de la vérité et du repentir, nous ne saurions nous en consoler. Mais qui donc pourrait s'étonner que nous repoussions avec énergie les attaques cruelles dirigées sans cesse conlre toutcequi nous est cher et sacré? L'émotion et l'indignation d'un fils qui défend les droits et l'honneur de sa mère peuvent n'être pas de la haine : elles ne sont pas de la haine quand cette mère est l'Eglise, l'épouse du Dieu qui est charité. — 298 OU EST-CE QUE LA FRANC-MAÇONNERIE ? 1 La Franc- Maçonnerie est nue société fortement et ha- biîeqienl organisée. Toutes (es preuves que nous apporterons dans le cours de celte élude, établiront cette notion fondamentale. Il suffira de citer en ce moment quelques témoignages précis et irrécusables. « Malgré sa vénération pour la trinité démocratique de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, dit la Revue mafânniq:ue, la Franc-Maçonnerie est cobftloriiiée et orga- nisée avec la plus grandi1 sagesse, possède un corps d'of- ficiers entourés de la plus grande vénération, enfin est féllëmenl assujettie au Maître de la Loge, (pie rien ne peut se faire sans sa volonté'. Dans chaque réunion on com- pare le Vénérable au soleil : il doit éclairer et gouverner les frères, comme le soleil éclaire et gou\erne le monde1. » « La Franc-Maçonnerie, dit le F.-. Ragon -, n'est d'aucun pays. Elle n'est ni française, ni écossaise, ni américaine. Elle ne peut pas être suédoise à Stockholm, prussienne à Berlin, turque à Constantinople, si elle y existe3. » « En étudiant les variétés que présente la Franc- Maçonnerie, dit-il encore, on est surpris de trouver au fond de celle diversité de rites, dégrades, de symboles, de formules, une seule doctrine et un seul but*. » 1 Revue maçonnique, juillet 1850. 2 Le F.". Rasron, nue' nous citerons souvent, est Vendeur sacré de la Franc-Maçonnerie. Ce n'est pas seulement le F.'. Louis Blanc qui lui donne ce nom. c'est toute la Franc- Maçonner' e. 11 à révisé et corrigé* tous les rites francrmaçonniquea, comme le ehetd'uue religion pourrait seul le faire. Il faut voir dans M. de Saint-Albin i 1rs Francs-Maçons et les Sociétés secrètes, '2 élit., préface, p. 7 et suiv.J, les approba lions officielles données par le Grand-Orient à quelques-uns des ouvrages du F. . Rason. 3 Cours philos., p 40. 4 Orth. maçminique, p. 14 — 299 — « La Franc-Maeonnerie, disent les articles \ et S des Constitutions Maçônnicjùes, la Franc-Maeonnerie, aspirant à étendre à tous les membres de l'humanité les liens fra- ternels qui unissent les Frètés-Maçôns sur toute la surface du globe, la propagande maçonnique par la parole, les écrits cl le bon exemple est recommandée a tous les Maçons. « Il est prescrit au Maçon, en toute circonstance, d'aider, d'éclairer, de protéger son frère, même au péril de sa vie. et de le défendre contre l'injustice. » La Franc-Maçonnerie, malgré la multiplicité de ses rites et de ses formes, possède donc l'unité de doctrine, les mêmes règles, la même influence et le même esprit. Celte unité est resserrée par les serments imposés à ses membres, par les emblèmes, les signes et le langage spé- cial, au moyen desquels les adeptes de la Frânc-Maçôrï- nërie se reconnaissent partout et toujours sans se trahir aux yeux des profanes. Cette unité est resserrée surtout par la hiérarchie de ses chefs invisibles, par l'autorité absolue qui leur est accordée et par l'obéissance aveugle qui leur est promise. Ainsi, cette société puissante, con- tenue par des chaînes de fer. reçoit, sur tous les points du monde, la menu1 et irrésistible impulsion. 2° La Franc-Maçonnerie n'est pas une société de bien- faisance. C'est une erreur généralement répandue que la Franc- Maeonnerie a pour but de secourir ceux de ses membres qui sont dans l'indigence : mais la bienfaisance n'est qu'un voile jeté par cette secte funeste sur ses projets et sur son véritable but. « La Franc-Maçonnerie est une institution essentielle- ment philanthropique, » dit l'article l'r de ses Constitu- tions. Et encore : « L'ordre des Francs-Maçons a pour objet la pratique de la bienfaisance, l'étude de ia morale universelle et la pratique de toutes les vertus. » Voilà le programme destine au public, mais entendons les aveux. — 300 — « La bienfaisance n'est pas le but, mais seulement un des caractères, et des moins essentiels, de la Franc- Maçonnerie » , dit le F.*. Favre '. En 1861, un membre du gouvernement français, M. de Persigny, crut reconnaître dans la Franc-Maçonnerie une institution charitable et la compta parmi les associations de bienfaisance qui méritent toute la sympathie du gou- vernement pour les bienfaits qu'elles répandent dans le pays. La Maçonnerie a repousse cette qualification, bien- veillante sans doute, mais qui donnait une fausse idée de son véritable esprit. « Nos pères, écrit-on au ministre pour rectifier ses idées, nos pères, il y a bien des siècles, se sont réunis sous d'anciens rites, non pour exercer la charité, mais pour chercher la vraie lumière... Votre Excellence, j'en suis sûr, ne nous fera pas un reproche de poursuivre un tel dessein ; mais enfin, il y a loin de là à une société de bienfaisance. La charité est la conséquence de nos doc- trines et non le but de nos reunions 2. » Ces mêmes aveux attestent que la Franc-Maçonnerie est absolument incapable de combattre la pauvreté, de consoler l'infortune, d'accomplir en un mot une œuvre de bienfaisance. Le F.'. Accary, parlant au Grand-Orient de France, dans la séance de 1851, s'exprimait ainsi: « La Franc- Maçonnerie, d'après l'article 1er de la Constitution, a pour objet l'exercice de la bienfaisance. Cependant, à l'excep- tion de notre maison de secours (dont les ressources sont si exiguës que je m'étonne qu'elles soient mentionnées dans les fêtes solsticiales), je ne vois rien qui atteste la manière dont la Franc-Maçonnerie exerce la bienfaisance .. La Franc-Maçonnerie a pour objet la pratique de toutes les vertus. Ici encore que fait notre institution ? Quels sont 1 Documents maçonniques, p. 267, note. 2 La Franc- Maçonner te et la liévolution, par le P. Gaitiuxet, p. 1D7, 168. - 301 - les actes que nous offrons aux profanes ? Quelle fondation est due à la Maçonnerie ! Quelles vertus publiques ou privées l'institution a-t-elle récompensées ? » « Enfants de la grande famille maçonnique, s'écrie douloureusement le F.*. Lamoureux, où sont les abris que vous avez construits? Où sont les asiles de vos vieil- lards malheureux, les établissements destinés au soulage- ment de vos malades et de vos affligés ? Rien, rien. Le sol maçonnique de la France est partout en friche : les vieil- lards soutirent, les veuves sont dans l'indigence, et les orphelins de vos frères sont obligés d'aller frapper à la porte de l'institut des Ignorantins pour apprendre à lire, et demander à l'assistance publique un secours de quelque valeur 2. » « Ne présentez jamais dans l'ordre, disait le F.'. Beur- nonville, que des hommes qui peuvent vous présenter la main et non vous la tendre 3. » « Ce n'est pas sur des bannières, dit le F.', liebold, qu'il faut inscrire le précepte pour les Francs-Maçons, de s'entr'aider ; mais il devrait être gravé dans le cœur de tous les Maçons, afin qu'il se manifestât dans toutes leurs actions et à chaque instant de la vie. Or, il nous en coûte de le dire, ce devoir est le plus souvent foulé aux pieds \ » Et où donc la Franc-^Maçonnerie pourrait-elle puiser les sentiments de l'amour, de la pitié et du dévouement ? Elle n'a que les inspirations de l'orgueil, de l'égoïsme et de la haine. Elle n'édifie pas, elle détruit; elle ne console pas, elle désole. Si elle accorde des secours au pauvre et à l'ouvrier, c'est qu'elle veut en faire les instruments de ses haines implacables. Elle les enlève à leur travail, à leurs familles, et elle les pousse, comme des victimes 1 Le Globe, rev. men., t III, p. 153. a Teuue meusuelle rifl la Loge La Franc-Maçonnerie, 21 juin 186-2. :t Cours philos., p. 368. 4 Histoire des Irois grandes Loges, p. 491. — .'502 - aveugles, dans les grèves fatales, dans les clubs révolu- tionnaires et jusque dans les combats sanglants de la guerre civile. .Non seulement elle est cruelle et impitoyable pour qui- conque s'oppose à la réalisation de ses desseins, — nous le démontrerons bientôt jusqu'à l'évidence, — mais sa vengeance est sans pitié- pour ceux qui l'abandonnent ou qui ne se soumettent point à ses ordres. Les formules ides serments qu'elle impose à ses adeptes en font foi. Mais écoutez les menaces de Mazzini : « Ceux qui n'obéiront point aux ordres de la Société secrète ou qui en dévoileront les mystères seront poignar- dés sans rémission ; même châtiment pour les trailres... Si le coupable s'échappe, il sera poursuivi sans relâche en tous lieux, et il devra être frappe par une main invisible, fùt-il sur le sein de sa mère ou dans le tabernacle du Christ '. » Plusieurs faits ont démontré que ces menaces ne sont pas toujours de vaines paroles L>. :j° La Frànc-Maçohncrie est une société essentiellement politique. .Nous démontrerons bientôt qu'elle est la grande puis- sance révolutionnaire dans sa lutte acharnée contre toutes les forces sociales; en ce moment, nous voulons simple- ment établir, par quelques témoignages, que la politique est son but premier et essentiel. Ici encore, entendons d'abord ses protestations men- songères. « Dans la sphère où elle se place, la Franc-Maconne- rie respecte les opinions politiques de chacun de ses membres; elle interdit formellement toutes discussions 1 Organisation de la Jeune Italie, art. ."SU et 33. - Voyez le fait rapporté dans ['Histoire des Sociétés secrètes de 1830 ri 1848, par Luciek de i \ Il sfBruxelles, 1830), p. 79 fà, et reproduit par \è I'. Gai ikku.i dans son ouvrage La Franc- Maçonnerie et la Révo- lulioh, 4'.»': lettre; et le fait cité par M-t Dechâmps, arch. de .Maliue^ daus sa brochure huit. La Frâhc-Mâçonnerie, c-h. i, p. 17. — 303 - en matière politique, qui auraient pour objet la critiqué des actes de l'autorité civile et des diverses formes de gouvernement '. Elle rappelle à tous ses adeptes qu'un de leurs premiers devoirs, comme Maçons et comme citoyens, est de respecter les lois des pays qu'ils habi- tent 2. » « Les Loges ne peuvent, dans aucun cas, s'occuper de matières politiques 3. » « On s'engage à ne jamais parler ni traiter, dans les Loges ou dans les comités, d'aucune question politique4. » Ecoutez maintenant, dans les aveux les plus clairs et les plus irrécusables, la contradiction manifeste de ces auda- cieuses affirmations. « Lorsqu'il s'agit de la liberté, de-la vie intellectuelle de tout un peuple dont les droits sont foulés aux pieds du pouvoir, alors le devoir du Maçon est tout tracé, dit le F.'. Rebold. La conscience de citoyen et la mise en pra- tique des principes de la Maçonnerie doivent l'emporter sur les restrictions réglementaires 5. » En 18'i8, le F.*. Bertrand félicitait, au nom de la Franc-Maçonnerie française, le gouvernement provisoire; et le F.'. Cré mieux répondait au nom du gouvernement : « La Maçonnerie n'a pas, il est vrai, pour objet la poli- tique: la haute politique, la politique d'humanité, a tou- jours trouvé accès au sein des Loges maçonniques... La République est dans la Maçonnerie, et c'est pour cela que, dans tous les temps, la Maçonnerie a trouvé des adhérents sur le globe. La République fera ce que fait la Maçonnerie. Elle deviendra le gage éclatant de l'union des peuples sur tous les points du globe et sur tous les côtes de notre triangle 6. » 1 Constitutions maçonniques, art. 2. 8 Ibid. 3 Art 135 du réel, 'les Grands-Orients de Belgique. '" Statut 'le la Loee nationale suisse. :> Histoire des trois grande* Loa&s, 15 Le P. Gutuki.ki, ht Frunr-Maconni'rif, ut la Réoolution, [». 18(i. — 304 — « Il est vrai, a dit M. Louis Blanc, dans son Histoire de la Révolution, que les institutions maçonniques por- taient soumission aux lois, respect aux souverains. Il est vrai encore que, réunis à table, les Maçons buvaient au roi dans les Etats monarchiques et au magistrat suprême dans les Républiques ; mais de semblables réserves, com- mandées par la prudence d'une association que mena- çaient tant de gouvernements ombrageux, ne suffisaient pas pour annuler les influences naturellement révolution- naires, quoique en général pacifiques, de la Franc- Maçon- nerie. » Ecoutez encore cette protesta! ion décisive d'un des grands dignitaires de l'ordre. « On dira que nos statuts nous interdisent toutes discussions politiques et reli- gieuses. Mais ceci doit, une fois pour toutes, être sérieu- sement examiné Constatons d'abord qu'en maintes circonstances la Franc-Maçonnerie a unanimement méconnu cette.restriction. Elle s'est activement mêlée aux lutles politiques; et, quand le triomphe de sa cause, salué par la nation entière, démontrait combien elle est sympa- thique au pays, qui donc oserait la blâmer? Ce serait calomnier l'histoire, nier l'immense service rendu au pays... « Que ceux-là se rassurent donc qui croiraient la loi maçonnique transgressée par la déclaration que je viens de faire. Quand j'interroge le passé de noire insti- tution, n'y vois-je pas que la Maçonnerie a toujours ete la vigie attentive qui veille à la marche du vaisseau poli- tique ' ? » « Il importe, dit encore M. Louis Blanc, dans son Histoire de dix ans, à propos de la Franc-Maçonnerie, il importe d'introduire le lecteur dans la mine que creusaient alors sous les trônes, sous les autels, de révolnlionnaires bien autrement puissants et agissants que les encyclopé- 1 Paroles du F.'. Veraephen, au Grand-Orient de Belgique, fNVi. - 30o - (listes. » Et M. Henri Martin ' a résumé le vrai caractère et le but de la Franc-Maçonnerie dans ces paroles : « La Franc-Maçonnerie est le laboratoire de la révolution : » et M. Félix Pyat~, dans cette formule claire et précise ; « La Franc-Maçonnerie est l'église de la révolution \ » rt° Mais il y a plus. Cette Société essentiellement poli- tique et révolutionnaire, est une société secrète, mysté- rieuse, qui s'efforce de se cacher à tous les regards. « Le but de l'ordre doit être son premier secret ; le monde n'est pas assez robuste pour en supporter la révé- lation. » Ces paroles furent prononcées dans la grande loge d'Allemagne peu d'années avant la révolution de 1780. « La durée de notre existence maçonnique, disait le F.'. Dufresne en 18i0, dépend de la conservation rigou- reuse de nos secrets *. » « Aucun grade connu n'enseigne ni ne dévoile la vérité, seulement il désépaissit le voile. Les grades pratiqués jus- qu'à ce jour ont fait des Maçons et non des initiés 5. » « Partout, dit. le F.'. Ragon, on voit des emblèmes présentant un sens physique et recevant une double inter- prétation, l'une naturelle, et en quelque sorte matérielle, l'autre sublime et philosophique, ne se communiquant qu'aux hommes de génie, qui, pendantle compagnonnage, avaient pénétré le sens caché des allégories 6. » Dans une circulaire que les chefs de l'association ma- çonnique allemande, sous la grande maîtrise du duc de Brunswick, adressaient en 17ÎM, aux arrière-loges de leur obédience, nous lisons ces paroles: «Vos Maîtres devaient vous dire, comme nos pères nous l'avaient appris, que les secrets de l'association ne peuvent être connus que par quelques Maîtres : car, que deviendraient des secrets qui 1 //«.st. de France, t. XVI, p. 585. J Le Rappel cité p.ir le Monde maçonnique, mai 1870. En 1876, le F.". Vielle, député du Doubs (voir Défense, 18 m.ii 1S78, ~2c p 2<" colonne). '■ Paroles prononcées à la Lope le Travail, à Bruxelles. '• Rituel du grade du Maître, p. 29. 6 Cours pliilos., p. 121-2. 20 — 306 — seraient connus d'un trop grand nombre? La pierre de touche particulière et infaillible de l'aptitude d'un postu- lant pour notre ordre, a toujours été d'enehainer sa curio- sité sous la sage direction de ses supérieurs l. » Dans un discours qu'il prononça à la Loge de Brème, en 1849, un des membres influents de la Franc-Maçon- nerie affirme ce caractère de la secte: « 11 y a tel Maçon, dit-il, qui ne parviendra jamais à connaître notre secret, pas même par les Loges et nonobstant tous ses grades : ce n'est qu'un profane, fùt-il assis à l'orient du temple et fût-il revêtu des insignes du Grand Maître 2. » Et ces secrets sont placés sous la garde des serments es plus terribles, sous les menaces d'une vengeance inexorable. « A la réception d'un chevalier Kadosch, le Grand Maître dicte au candidat le serment suivant que celui-ci répète: «En présence de Dieu notre père et de cette auguste victime, je, N..., jure et promets solennellement sur ma parole d'honneur de ne jamais rien révéler des mystères du chevalier Kadosch et d'obéir à tout ce qui me sera prescrit par les règlements de l'ordre. Je jure en outre de punir le crime et de protéger la vertu 3. » Yoici l'engagement que prennent les adeptes de la société franc-maçonnique de la Jeune Italie : « Je promets d'obéir aveuglément aux supérieurs de r Association italienne, de me conformer en tout et pour tout à leurs ordres, sans jamais prendre sur moi de hâter ou de retarder les événements, le progrès et le service de la société ; de mettre ma confiance sans limite dans la Jeune Italie, de même que je la mets en toi, mon livre convertisseur, sans réserve et sans limite Dans ce but. à partir de cet instant jusqu'à ma mort, je m'oblige volon- tairement et pour toujours à suivre en tous lieux les chefs ' V. de Sainî-Àlbin, p. 406. ' Discours du F.*. Draesk, cité dans tes tiêtiêiatiotts d'un RosthCrota , p. :59. 3 Hitnel il » F.'. Lafum m Laudebat. - 307 - et les supérieurs de la Jeune Italie et à observer scrupu- leusement tous les devoirs prescrits par le catéchisme de la Jeune Italie. » A ces mots, il brandit un poignard, et le candidat, après l'avoir présenté à son convertisseur, lui dit : « Si j'étais assez vil, assez misérable pour oublier ces serments sacrés et ces augustes promesses, frappe- moi alors, frappe sans pitié le parjure *. » La formule du serment pour l'admission aux grades d'Apprenti et de Compagnon est plus terrible encore : « Je jure au nom de l'Architecte suprême de tous les mondes de ne jamais révéler les secrets, les signes, les attouchements, les paroles, les doctrines et les usages des Francs-Maçons, et de garder là-dessus un silence éternel. « Je promets, je jure a Dieu de n'en jamais rien trahir, ni par la plume, ni par signe, ni par paroles, ni par gestes ; de n'en jamais rien faire écrire, nililhographier, ni graver, ni imprimer; de ne jamais publier ce qui m"a été confie jusqu'à ce moment et ce qui le sera encore à l'avenir. Je m'engage et je me soumets à la peine suivante, si je manque à ma parole : « Qu'on me brûle les lèvres avec un fer rouge, qu'on me coupe la main, qu'on m'arrache la langue, qu'on me tranche la gorge, que mon cadavre soit pendu dans une Loge pendant le travail de l'admission d'un nouveau Frère, pour être la lletrissure de mon infidélité et l'effroi des autres; qu'on le brûle ensuite et qu'on en jette les cendres au vent, afin qu'il ne reste plus aucune trace de la mémoire de ma trahison ". » « Cette formule du serment, ajoute le traducteur d'Ec- kert, est usitée en Angleterre, en Ecosse, en Allemagne, en France, dans les Loges qui suivent le rite écossais. Dans les autres, elle est tantôt plus courte, tantôt plus dètëloppêe, selon les rites divers, toujours l;i même dans le fond. » 1 Le P. Gai ■iiiMM. La h Hinc-Muçonnerie elii llevolultun, p. 19S. - Eckeht, La Franc-Maçonnerie, t. I, p. 33, 34. — 308 — Un des hommes <|iii ont étudie avec le plus de perspica- cité et de persévérance l'organisation et les œuvres de cette secte maudite, résume ainsi en quelques paroles énergiques ce caractère distinctif de la Franc-Maçonnerie : « Elle est née dans les ténèbres, elle vit dans les ténè- bres; mystérieuse dans son but final . qu'elle n'ose avouer publiquement et dont le monde n'est pas capable de porter la révélation : mystérieuse dans sa doctrine et son ensei- gnement, qui est essentiellement double et dont une partie doit rester cachée : mystérieuse dans les engagements qu'elle fait prendre à ses membres, car ils ne savent à quoi ils s'obligent; mystérieuse dans ses chefs réels, qui restent inconnus ; mystérieuse dans ses initiations pro- gressives, où l'on n'avance que pas à pas, successivement, où l'on ignore toujours plus qu'on ne sait, parce qu'elle sait plus qu'elle ne dit ; mystérieuse dans son action et son travail, la plupart des Maçons n'étant que de simples manœuvres, qui n'ont pas la première idée de l'édifice auquel ils travaillent : Ecce jam mysterium operatur ini- quitatis ' ; mystérieuse par le secret qu'elle exige et le serment qui la garantit : c'est le sceau placé sur le puits de l'abîme, et qui le tient inexorablement fermé. Ses membres doivent rester inconnus aux profanes ; ses réu- nions se font dans le secret, le plus soin eut pendant la nuit. Nul autre que le Maçon ne peut pénétrer dans la Loge. Ses déterminations et le résultat de ses réunions restent enveloppés de ténèbres 2. » Mais pourquoi ces ombres et ces mystères ? Avant tout, la Franc-Maçonnerie veut l'aire des dupes, et. en faisant des dupes, elle fait des instruments aveugles et des vic- times. Si elle se révélait telle qu'elle est, telle qu'elle apparaît dans sa hideuse réalité à ceux qui l'ont étudiée de près, elle soulèverait l'indignation universelle : toute Ame honnête reculerait devant ce travail obstiné de l'im- i 11 Thess, ii, 7. - Le P. G vctrei ex, La Franc- Maçonnerie et la Révolution, p ' — 309 - piété et de l'anarchie, et ies gouvernements, même les plus faibles, n'hésiteraient pas à la frapper. Aussi, i! faut qu'elle ouvre ses chemins dans les ténèbres, qu'elle les creuse dans les profondeurs du sol, qu'elle attire à elle, en les trompant, les ambitieux et aussi les simples et les faibles pour les envelopper dans les liens qu'ils ne pour- ront plus briser. Yoici d'abord le rôle que la Franc-Maçonnerie réserve aux princes et aux hommes influents par leur situation ou leur fortune. « Le bourgeois a du bon, mais le prince encore davan- tage. La Haute Vente désire que, sous un prétexte ou sous un autre, on introduise dans les Loges maçonniques le plus de princes et de riches que l'on pourra. Il n'en man- que pas en Italie et ailleurs qui aspirent aux honneurs assez modestes du tablier et de la truelle symboliques. Flattez tous, ces ambitieux de popularité, accaparez-les .pour la Maçonnerie. La Haute Vente verra plus tard ce qu'elle pourra en faire pour la cause du progrès. Un prince qui n'a pas de royaume à attendre est une bonne fortune pour nous. Il y en a beaucoup dans ce cas-là ! Faites-en des Frères-Maçons. Ils serviront de glu aux imbéciles, aux intrigants, aux citadins, aux besoigneux. Ces pauvres princes feront notre affaire en croyant ne travailler qu'à la leur. C'est une magnifique enseigne l. » « Grâce au mécanisme habile de L'institution, dit le F.*. Louis Blanc, la Franc-Maçonnerie trouva dans les princes et les nobles moins d'ennemis que de protecteurs. Il plut à des souverains, au grand Frédéric, de prendre la truelle et de ceindre le tablier. Pourquoi non ? L'existence des hauts grades leur étant soigneusement dérobée, ils savaient seulement de la Franc-Maçonnerie ce qu'on pouvait en montrer sans péril. Ils n'avaient point à s'en occuper, retenus qu'ils étaient dans les grades inférieurs, où ils ne 1 Lettre à la Vente piémontaise. — V. Les Francs-Maçons, par Mtfr de Séguk. — 310 — voyaient que dos banquets joyeu?, que dos principes lais- sas et repris au seuil dos Loges, que des formules sang application à la vie ordinaire, en un mot, qu'une comédie de l'égalité- Mais, en ces matières, la comédie touche au drame ; et les princes et les nobles furent amenés à cou- vrir de leur nom, à servir aveuglément de leur influence les entreprises latentes dirigées contre eux-mêmes \ » Voici ce que la Franc-Maçonnerie pense des bourgeois crédules qui se soumettent à ses initiations et à ses chaînes. Un des principaux membres de la Haute Vente italienne écrivait, le 18 janvier \$%%, aux agents supé- rieurs delà Vente piéniontaise: « Cette vanité du citadin ou du bourgeois à s"inféoder à la Franc-Maçonnerie, a quelque chose de si banal et de si universel que je suis toujours en admiration devant la stupidité humaine : je m'étonne de ne pas voir le monde entier frapper à la porte de tous les Vénérables et demander à ces Messieurs l'hon- neur d'être l'un des ouvriers choisis pour la reconstruction du temple de Salomon. Le prestige de l'inconnu exerce sur les hommes une telle puissance, que l'on se prépare avec tremblement aux fantasmagoriques éprouves de l'ini- tiation et du banquet fraternel. Se trouver membre d'une Loge : se sentir, en dehors de sa femme et de ses enfants, appelé à garder un secret qu'on ne vous confie jamais, est, pour certaines natures, une volupté et une ambi- tion 2. » « Laissez-moi là les brutes, les grossiers et les imbé- ciles, écrit un des législateurs de la Frane-Maconnerie dans le chapitre : Des exclusions des hauts t/nn/cs. \\ est cependant une espèce d'imbéciles à qui il ne faut pas le dire, parce qu'on peut tirer quelque avantage de leur sottise. Sans avoir de l'esprit, ils ont au moins des ecus. Ce sont de bonnes gens, que ces gens-là, et il nous en faut. Ces bonnes gens font nombre et ils remplissent notre 1 Histoire de la Rév. franc, t. II. p. 82, 83. - Cbîêtinead-Jolt, l'Eglise toni. en face de la /}<%., t. II. — 311 — caisse: Aiigent numerum et œrarium. Mettez-vous donc à l'œuvre, il faut bien que ces messieurs mordent à l'hame- çon. Mais gardons-nous bien de leur dire nos secrets. Ces sortes de gens doivent toujours être persuadés que le grade qu'ils ont est le dernier l. » Pourquoi ces ténèbres si profondes ? Ecoutons encore les aveux du F.'. Louis Blanc : « L'ombre, le mystère, un serment terrible à prononcer, un secret à apprendre pour mainte épreuve courageusement subie, un secret à garder sous peine d"être voué à l'exécration et à la mort, des signes particuliers auxquels les Frères se reconnais- saient aux deux bouts de la terre, des cérémonies qui se rapportaient à une histoire de meurtre et semblaient cou- vrir des idées de vengeances : quoi de plus propre à for- mer des conspirateurs ? » A la fête centenaire, célébrée à Marseille par la Loge La Parfaite Sincérité, un Franc-Maçon influent, le F.'- Brcmond, disait: « Comment ne pas admirer la persévé- rance de ceux qui, au dix-huitième siècle, bravaient les préjugés religieux et se préparaient dans l'ombre et le silence ? Ils conspiraient, a-t-on dit; c'est possible. » Et, en effet, « lorsque du fond des Loges sortirent ces trois mots : liberté, égalité, fraternité, la Révolution était faite 2. » Et qui ne le comprend ? Une organisation si puissante, dérobée à tous les regards, échappant à toute surveillance sérieuse dans tous les pays du monde, est une menace perpétuelle, formidable pour les gouvernements et pour les peuples. Aucune constitution ne peut offrir une garan- tie efficace et défendre l'indépendance de l'autorité contre cette puissance mystérieuse qui enlace un Etat tout entier, qui fait circuler d'une extrémité à l'autre d'un grand pays des ordres secrets dictés par des chefs invisibles et exécu- 1 Weisiiaupt. Ecrits originaux, 3e instruction d'un chevalier illuminé ou écossais, n°* 1, 9, 12, 13 et premières lettres à Ajax et à Calon. 2 Le Monde Maçonnique, fév. 1807, p. 613. — 312 — tes avec une obéissance aveugle. Cette puissance, elle peut dominer les assemblées, s'emparer de la haute admi- nistration et de tous les rouages de l'administration infé- rieure, s'asseoir sur le siège des magistrats dans le sanc- tuaire même de la justice, pénétrer dans les rangs de l'armée et tenir ainsi dans sa main toutes les forces vives d'un grand peuple. Il faut le reconnaître avec le protestant Eckert, «Tordre (franc-maeonnique) est donc un Etat universel dans les États particuliers. Il tient dans ses mains toutes les auto- rités du gouvernement, il renverse les bases de la religion. de TÉtat et de la société. Il proclame l'égalité des droits de tous les citoyens, tandis qu'il aune préférence marquée pour ses membres. 11 distribue à ses conjurés toutes les places de l'Église (protestante), de l'État, des écoles et des communes. Ainsi, les Églises (protestantes) et les États sont minés dans leurs fondements ; ainsi, l'égalité des droits de tous les citoyens n'est qu'un leurre. » Et il ajoutait: « Après cela, la dissolution de l'ordre (maçon- nique) n'est-elle pas un devoir dont l'impérieuse nécessité n'a plus besoin d'être démontrée 1? » En effet, si, comme nous le démontrerons bientôt, la Franc-Maeonnerie est l'ennemie implacable de toute religion et de toute morale; si elle détruit les bases pre- mières de l'ordre social; si la liberté, l'égalité et la frater- nité ne sont pour elle que d'odieux mensonges; si elle prépare la révolution la plus satanique qui se soit jamais vue : tolérer cette puissance occulte, lui permettre de s'envelopper de ténèbres, c'est incontestablement de tous les actes de la folie humaine, le plus criminel et le plus insensé. Que signifie d'ailleurs, en présence des lois qui pros- crivent les sociétés secrètes, ce privilège, ce monopole accordé à la Franc-Maçonnerie et aux sociétés dont elle 1 La Franc-Maconnrrie dans su, véritable signification, t. I, liv. II,' p 140. — 313 — est la source première et le centre d'action? Vous parlez d'égalité et de droit commun, vous protestez avec indigna- tion contre toutes les distinctions et tous les privilèges, vous faites entendre chaque jour les cris de votre haine sauvage contre les classes sociales que leur fortune, leur influence, les souvenirs d'un passé honorable ou illustre, placent au-dessus de la foule. Mais pourquoi donc, ô apô- tres de l'égalité, conservez-vous ce privilège et ce mono- pole qui vous accusent? Ce privilège est une criante iniquité, et ce privilège, il est accorde à cette puissance infatigable de la Révo- lution qui organise dans les ténèbres le règne de l'anarchie universelle. Mais pourquoi accumuler les preuves qui démontrent l'influence fatale de la Franc-Maçonnerie ? Ce caractère seul de l'obscurité et du mystère suffit à tout. La Franc- Maçonnerie est atteinte et condamnée par cette parole de la Vérité éternelle : « Quiconque fait le mal, hait la lu- mière, et il ne s'approche point de la lumière, de peur que ses œuvres ne soient condamnées : Omnis enim qui maie agit, odit lucem, et non venit ad lucem, ut non arguàntur opéra ejus1. » De deux choses l'une, dirons-nous aux adeptes de la Franc-Maçonnorie. Si vous êtes une société de bienfai- sance, une association dont le but est grand, généreux ou utile, à un degré quelconque, si nos accusations sont injustes, montrez-vous au grand jour, arrachez ces voiles, écartez ces ombres, rentrez dans le droit commun, repous- sez ce privilège qui, à lui seul, est une accusation et un déshonneur. Croyez-le bien, l'humanité en dehors de vous n'est point assez pervertie pour ne pas applaudir à toute œuvre généreuse, grande et utile. Elle sera pour vous et avec vous. Mais si vous refusez de sortir des ténèbres, si vous ne 1 JOAN, lij, 1. - 314 — pouvez supporter la lumière de la publicité, vous ries jugéSj vous ries condamnés : la prudence la plus vulgaire et le simple bon sens, affirment que vos mystères sont des mystères d'iniquité. Une fois encore, de deux choses l'une : si vous faites le bien, pourquoi vous cachez-vous, et, si vous ne le faites pas, pourquoi seuls êtes-vflus tolérés? Il n'y a pas de protestation, il n'y a pas de défense pos- sible contre l'évidence de cette démonstration : vous n'échapperez pas à ce cercle de fer qui vous etreint. et à ce t'ait qui vous écrase. Etrange contradiction, inévitable châtiment de l'iniquité qui se ment à elle-même ! Les adeptes et les défenseurs de la Franc-Maçonnerie osent accuser les associations catholiques d'être des sociétés secrètes et leur reprocher d'être soumises à des chefs étrangers. Us réclament contre ces associations pacifiques et bienfaisantes des mesures de rigueur, ds réclament une impitoyable proscription. Mais les règles de ces associations, leur organisation, leurs chefs, leurs circulaires, leurs manuels, comme leurs ( envies sont sous vos regards. Ces associations, elles sont nées, elles vivent, elles agissent au grand jour. « Combien diffèrent de l'association de la Franc-Maçonnerie les pieuses sociétés des fidèles qui fleurissent dans l'Eglise catholique, a dit le Pape Pie IX. Chez elles, rien de caché. pas de secret. : les règles qui les régissent sont sous les yeux de tous, et tous peuvent voir aussi les œuvres de charité pratiquées selon les doctrines de l'Evangile ' ». Oui, nous sommes les fils de la lumière. ///// lucis 2. L'Église catholique, bâtie sur la montagne, ne peut être cachée à aucun regard : Xon potest civitas absçondi stwfa montera posita \ Et notre doctrine, nous la prêchons, non pas en secret, mais en public et sur 1rs toits *. 1 Allocution du 23 septembre 1865. 2 Joan.. XII, 30; Ephks., v, 8. J Matth.. v, 14. ; Lie... \ii, 3. — :ji5 — Lorsque, en 1861, la Société de Saint- Vincent de Paul fut officiellement accusée d'être une société secrète et politique, aucune preuve, absolument aucune, n'a pu être produite à l'appui d'une si étrange accusation, et, depuis lorsr ses accusateurs ont été dans l'impuissance de relever le défi qui leur était porté par cette société et par l'épiscopat français. Ce défi, nous l'avons porté nous- même dans des conversations particulières et du haut de la chaire ; il n'a jamais été relevé. Nous le renouvelons aujourd'hui. L'admirable Société de Saint- Vincent de Paul n'a à redouter ni les enquêtes, ni les révélations ; elle n'a qu'une ambition, l'ambition de la charité ; elle n'a qu'un drapeau, la croix de Jésus-Christ ; comme le grand Saint dont elle porte le nom, elle est du parti de Dieu et des Pauvres. *)" Mais la Franc-Maçonnerie, cette société si fortement organisée, cette société politique et mystérieuse, elle a un caractère qui la rend plus formidable encore : elle est /mi- rerselle. La Franc-Maçonnerie est universelle dans ses ten- dances et son ambition. « Que nos édifices s'élèvent dans tous les coins du monde, disait, en 1820, un de ses chefs les plus influents ; que l'Ordre s'établisse solidement dans le cœur de chaque pays. Quand, dans tout l'univers, bril- lera le temple maçonnique, que l'azur des cieux sera son toit, les pôles ses murailles, le Trône et l'Église ses colon- nes, alors les puissants de la terre devront eux-mêmes s'incliner, abandonner à nos mains la domination du monde et laisser aux peuples la liberté que nous leur aurons préparée. Que le Maître du monde nous accorde encore un siècle, et nous aurons atteint le but si ardemment désiré, el les peuples ne chercheront plus leurs princes que parmi les initiés. Mais pour cela, il est nécessaire que le travail ne se ralentisse jamais, et que chaque jour la construction de l'édifice fasse des progrès ! Plaçons insensiblement les pierres une à une : c'est ainsi que — 316 — le mur s'élèvera invisiblement, mais plus solidement ' ». Et, dans la fête célébrée le 15 juin 1845, un orateur disait : « La Maçonnerie possède, par ses affiliations, des ressources immenses. » Et il la représentait comme un corps robuste, un colosse à mille tètes, à cent mille bras, un grand instrument de réforme sociale un laboratoire d'i- dées nouvelles et. enfin, le précurseur de cel espril démo- cratique qui s'avance. Et il ajoutait : « Les cadres de notre sainte milice s'étendent de jour en jour, nos liras se multi- plient, et bientôt nous pourrons étreindre tout le pays -. » La Franc-Maçonnerie existe dans l'Europe entière, elle est puissante dans le Nouveau-Monde, et, dans des pro- portions diverses, elle est répandue dans tout l'univers. Enfin il ne faul point oublier les Sociétés secrète- telles que les Sociétés du Carbonarisme italien, des Solidaires, \W* Libres-Penseurs, des Saint- Simoniens, de ['Internatio- nale et bien d'autres encore dépendant de la Franc-Maçon- nerie 3. Mais ce que croiront avec peine ceux qui n'ont point étudie la marche, les progrès et la puissance de cette secte funeste, c'est qu'il existe une Franc-Maçonnerie des femmes '. 1 Discours prononcé par le F.'.Bluwenhaïïeii dans saLope, le 2 novem bre 1820, V. Eckbrt, p. 232. - Cité par M. A. Neuf, dans son ouvrage : La Franc- Maçonnerie sou- mise au grand jour de la publicité ci l'aide de documents authentiques, t. i. p. 290. '■ On trouvera une statistique très complète de la Maçonnerie en Is7i. dans un ouvrase intitulé : L'idole de l'humanité, etc. D'après cette sta- tistique, le nombre les grandes Loges s'élevait, en 1874, à 110, et les ■ ■il dépendant dépasseraient 11,000. L'auteur fait remarquer que, dans ce chiffre, ne sont pas comprises les associations populaires dépendant de la Maçonnerie et qui eu sont les formes simplifiées. On trouvera lans ce volume des détails très précis si, r ces dépendances populaires le a Franc-Maçonnerie, telles que les ordres des Old-F des Druides, les Samaritains, etc., qui sont très répandus en Alle- magne, eu Suisse, en Angleterre et aux Etats-Unis, ('/est par millions qu'il faut compter les malheureux égarés ou coupables, qui sont sous la dépendance de- sociétés secrètes. 4 L existence de la Franc Maçonnerie des femmes est attestée par la Manuel couplet d l'adoption, publié par le F.*. Ra?on. par le Rituel de l'Apprenti et le rituel du Compagnon, par ['Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie du F.'. Clavel, par le Manuel des Franches- Maçonnes ■ ou la vraie Maçonnerie d'adoption, par un chevalier de tous les ordres maçonniques.— V. M. di Saint-Victor, 1877 etc. — 31" — Les Loges destinées aux femmes sont appelées les Loges d'adoption. Elles ont leur manuel, leur organisa- tion, leurs grades, leurs rites particuliers, leurs signes d'ordre, leurs serments qui ont pour objet principal la garde inviolable des secrets de la Franc-Maçonnerie. Voici le serment imposé à la femme qui est admise au grade d'Apprentie : « En présence du grand Architecte de l'univers et devant cette auguste assemblée, je promets de garder tidèlement tous les secrets qui vont m'être con- lies, sous les peines d'être déshonorée et méprisée. » Et voici le serment que prête la Parfaite Maîtresse: « Je jure, je promets de tenir fidèlement dans mon cœur les secrets des Francs-Maçons et de la Franc-Maçonnerie. Je m'y oblige, sous peine d'être coupée en pièces par le glaive de l'Ange exterminateur. » Le but de cette Franc-Maçonnerie des femmes n'est autre que le but de la secte entière. Il est clairement indi- qué dans ces paroles que le Grand Maître adresse à la parfaite Maîtresse dans la cérémonie de sa réception : « Une tâche ardue, mais sublime, vous est dorénavant imposée. La première de vos obligations sera d'aigrir le peuple contre les rois et les prêtres. Au café, au théâtre, dans les soirées, partout, travaillez dans cette intention sacro-sainte l. » Nous avons étudié jusqu'ici la Franc-Maçonnerie dans ses caractères principaux, clans sa notion essentielle ; mais il faut la voir à l'œuvre dans sa lutte acharnée, implacable contre tout ce qui est respectable et sacré. Et d'abord, voyons comment elle s'efforce de détruire la religion elle- même. 1 Cette allocution «lu Grand Maître a été publiée par le journal Vara- Buona Novella et reproduite par la (Correspondance de Rome, 1er février 1862. — :{ls - n I. A FRANC-MAÇONNERIE ET LA RELIGION. 1° tjrï Fraiir-Miiinii tiêpeut être catholique. Ici encore les têîtioighâges des Ffâncs-Maçofiâ sont innombrables, et nous n'avons qu'à choisir : « Maçonnerie et catholicisme s'excluent mutuellement. Supposer une Maçonnerie clirelienne serait supposer un cercle carré, un carre rond. » « Le Catholicisme est une formule usée, répudiée par tout homme qui pense sainement..., un édifice vefttiotilu. Au bout de dix-huit siècles, la conscience humaine se retrouve en présence de cette religion bâtarde formulée par les successeurs des Apôtres. » « Ce n*est point la religion menteuse des faux prêtres du ChHst qui guidera nos pas. » Et, selon le même Franc- Manm. les Ministres de l'Evangile sont un parti qui a entrepris d'enchaîner tout progrès , d*étouffer tonte lumière, de détruire toute liberté pour régner avec quiétude sur une population abrutie d'ignorants et d'es- claves '. » L'Église catholique est. pour la Franc-Maeonnerie, {'in- fâme qu'il faut écraser à tout prix. « L'Eglise, disait un Franc-Macon. il y a quelques années. l'Eglise ayant sa tète à Rome et ses bras partout, si formidable par sa dis- cipline el ses richesses, Yinfchne renaît plus vigoureuse, plus intolérante, plus rapaee et plus affamée (pie jamais. » La haine de la Franc-Maeonnerie est clairvoyante; c'est Home, c'est la Papauté, c'est la pierre éternelle qui porte l'Église de Dieu qu'elle veut combattre avant tout. Et, par cette lutte môme, elle rend à l 'Eglise et à la Papauté le plus magnifique témoignage. Ecoutons les instructions données aux Sociétés secrètes de l'Italie : 1 Discours do IV. Lacombléj piand orateur «le la loue l'Espérance. — Voyez .M. Nei t, t. 1. p. 142. - m - « Notre but final est celui de Voltaire et de la Révolu- tion française, l'anéantissement à tout jamais du catholi- cisme et même de ridée chrétienne, qui, restée debout sur les ruines de Rome, en serait la perpétuation plus tard. » Et, après avoir parlé avec mépris de quelques-uns des moyens employés contre l'Eglise, cette instruction ajou- tait : « Le catholicisme a la vie plus dure que cela II a vu de plus implacables et de plus terribles adversaires, et il s'est souvent donné le malin plaisir de jeter de l'eau bénite sur la tombe des plus enragés. » Et, après avoir indiqué les moyens que les Sociétés secrètes devaient employer pour dominer l'Eglise, le même manifeste ajoutait : « Le plan des sociétés secrètes s'ac- complira par la plus simple des raisons; c'est qu'il est basé sur les passions de l'homme. Ne nous décourageons donc ni pour un échec, ni pour un revers ni pour une défaite ; préparons nos armes dans le silence ; dressons toutes nos batteries ; ilattons toutes les passions, les plus mauvaises comme les plus généreuses, tout nous porte à croire que tout réussira un jour au-delà même de nos cal- culs les plus improbables '. » 1 11 faut lire ea entier dans l'ouvrage intitulé l'Eglise romaine en face de la Révolution, par Ckéti.\eai'-Joly, toua. Il, p. 82 et suiv., cette instruction que la Vente suprême 'l'Italie adressait aux autres Ventes, et qui indique la méthode hypocrite, perfide, satanique qu'elles doivent suivre pour dominer l'Église, la Papauté, pour pénétrer dans les col- lèges, les universités, les séminaires. En 1804, lors de la tenue plénière de la Maçonnerie belge à la loae d'Anvers, un dignitaire d'une lase bruxelloise, M. Van Humbeeck, actuellement ministre de l'instruction publique en Belgique, pronon- çait les paroles suivantes : « Oui, un cadavre est sur le monde ; il barre la route du progrès ; ce cadavre du passé, pour l'appeler par sou nom, carrément, sans péri- phrase, c'est le catholicisme. « Oui, le catholicisme est un cadavre, non pas dans certains préceptes d'une morale sublime dont les maximes lui sont communes avec les autres sectes chrétiennes et se confondent avec celles de la morale universelle, mais dans ses dogmes oppresseurs qui paralysent partout le libre examen et ne veulent permettre au citoyen de penser que par l'intermédiaire des prêtres. « 11 est cadavre aussi dans cette organisation astucieusement com- binée par des pontifes habiles, pour uu but de domination universelle, et, si nous ne l'avons pas jeté dans la fosse^ nous l'avons soulevé du moins de manière à l'en rapprocher de linéiques pas. ■> - 320 — C'est une gloire pour le catholicisme d'être combattu par de tels ennemis. G'esl une gloire pour la Papauté d'avoir si souvent et avec tant d'énergie averti les souve- rains et les peuples des dangers formidables dont les menace la Franc-Maçonnerie, et d'avoir frappé toutes ces Sociétés secrètes de la foudre de ses anathèmes. Ces condamnations portées par les Souverains Pontifes démontrent, à elles seules, qu'entre les catholiques et les Francs-Maçons un abîme infranchissable est creusé, et que s'affilier à la Franc-Maçonnerie, c'est sortir, par le fait même, de l'Eglise catholique. En 1738, le pape Clément XII ' condamna toutes les sociétés des Francs- Maçons, sous quelque nom qu'elles fussent désignées, et défendit à tous les fidèles sous peine d'excommunication encourue par le fait même et réservée au Saint-Siège, d'entrer dans ces Sociétés ou de les favo- riser d'une façon quelconque. Benoit XIV 2 confirma la huile de son prédécesseur. Vu dix-neuvième siècle, le pape Pie Vil n renouvelait les mêmes condamnations et les dirigeait d'une manière spéciale contre les Francs-Maçons et les Carbonari. Le pape Léon XII ;' enveloppa dans la même réprobation tou- tes les Sociétés secrètes présentes et futures, hostiles à l'Église et au pouvoir civil. Pie IX condamna de nouveau les Sociétés secrètes et révolutionnaires dans son allocu- tion du 25 septembre 1865 ; et, par sa Constitution Apos- tolicœ sedis 6 , il étendit ces condamnations à toutes les Sociétés secrètes ou publiques dont le but est de combattre l'Eglise et les pouvoirs civils légitimement constitués , r, 1 Constitut. In Eminenti, 28 avril 1736. - Constitut. Providas, 18 mai 1751. Constitut. Ecclesiam a Jesu Chri$to,l% eptembre 1821. Constitut. Quo graviora, 13 mars 1823 ■• 12 octobre 1869. ~'j Nous n'avons pas indiqua plus haut l'obligation 'If dénoncer les chefs de Sociétés secrètes, d'abord parce que cette obligation eesse il. m- certaines circonstances que dous ue pouvons discuter ici, et aussi parce que, d'après plusieurs théologiens, 1 oblicatiou cesse quand il n'y a aucun espoir de punit les coupables, car personne n'est tenu à un - Sâi — 11 importe de remarquer que le texte de la Constitution Apostolicce sedis atteint même les sociétés qui ne sont pas secrètes ou qui ne s'engagent pas par serment à gar- der le secret. La même excommunication atteint aussi tous ceux qui favorisent d'une manière quelconque ces associations. Il faut donc considérer comme excommuniés par le fait même ceux qui travaillent à l'extension de ces Sociétés, qui les prennent sous leur protection, qui assistent aux reunions, les autorisent ou les facilitent, qui fournissent les édifices destinés à ces réunions, qui engagent d'autres personnes à y assister ou à s"affilier à ces associations, etc., en un mot, qui, sous forme de conseils ou de secours, les favorisent directement ou indirectement, en public ou en secret, par eux-mêmes ou par d'autres I. Les principales conséquences pratiques de ces condam- acte iuutile. D'où il faudrait conclure que dans no^ pays cette obliga- tion n'existe pas, de même que l'obligation de dénoncer les hérétiques cesse là où l'hérésie et civilement tolérée. Telle est l'opinion du P. Hallerini qui cite Bonacina, Scaviui et un* décret de la Congrégation de l'Inquisition (édil. 1876, tum. II, p. 996). Telle e^ aussi l'opinion emek'iiée au sujet des hérétiques pur Ferraris, etc. Nous ferons cepen- dant observer qu'une décision du Saint-Uftice, ru datç lu 15 juin 1870, et qui affirme l'obligation de dénoncer les chefs des Sociétés secrètes dans les pays de mission, ne parait pas s'accorder avec l'opinion que nous veuous de rappeler. D'ailleurs, il ne nous parait pas démontré que la dènonciaiion des chefs des Sociétés secrètes soit complètement sans résultats utiles la où ces Sociétés fout civilement tolérées et où l'auto- rité ecclésiastique ne peut pas procéder contre eux. Utile episcopo et auclontali ecdtsiasticœ setnper erd pro pascendis fidelibus suce curœ commissts coynoscere occultos hœreticus rel seclarios, uliosque denuntian- dos, dit Avauzini. De plus, la raison que nous venons d'exposer, ne s'applique pas à la dénonciation qui e^t l'objet du décret ne ['Inquisi- tion invoqué ci-de:sus et que cite Giraldi (Exposit. jur. can., part. I, sect. 809) 1 Des journaux impies, dans ces derniers temps, avaient osé affirmer que Pie IX avait été affilié a la Franc-Maçonnerie, en Peusylvanie. Le journal le Monde maçonnique demanda un rapport officiel au Grand-Orient de Peusylvanie, « afin, disait il, de fermer la bouche aux feuilles redeieuses. » Voici la réponse qu'il reçut, en date du 30 no- vembre 1868, du grand secrétaire de la grande Loce de Peusylvanie : « J'ai examiné les registres, suivant votre requête, et n'ai pas trouvé le nom de Jean-Marie Ma.-taï Ferretti comme membre d'aucune Lo?e de celte juridiction, ou ayant éié reçu maçon dans aucune d'elles. Le nom le plus approchant que j'y trouve est celui de Martin Ferrely, lequel fut reçu maçon en 1819, mais a la Havane (Cuba). » Le tribunal de Lyon a condamné pour diffamation, en décembre 1876, un journal qui ressassait encore cette odieuse ineptie de « Pie IX Franc-Maçon. » — Y. M. de Viu.ki h anche : Vie de Pie IX. 21 — :\n — nations portées par les Souverains Pontifes, sont les sui- vantes : 1° Le Franc-Maçon, ayant encouru l'excommunication, cesse d'être membre de l'Église, il n'a plus aucun droit à ses biens spirituels et ne peut recevoir ses sacrements. 2° Dors le danger de mort, il ne peut être absous qu'en vertu des pouvoirs spéciaux accordés par le Souverain Ponlife. Ces pouvoirs sont ordinairement délègues aux évoques. ;»° L'absolution sacramentelle ne peut être accordée vali- dement aux membres des sociétés secrètes qu'à la condi- tion de rompre toute relation avec ces sociétés, d'en détruire les livres, les manuscrits, les insignes. Après avoir rappelé dans la dernière encyclique Huma- num gentts les condamnations portées par ses prédéces- seurs contre les Francs-Maçons et les motifs de ces condamnations, Léon XIII ajoute : « Pour tous ces motifs, à peine avions-nous mis la main au gouvernail de l'Église, (pie nous avons clairement senti la nécessite de résister à un si grand mal et de dresser contre lui, autant qu'il serait possible, notre autorité apostolique. — Aussi, profitant de tontes les occasions favorables, nous avons traite les principales tbèses doc- trinales sur lesquelles les opinions perverses de la secte maçonnique semblent avoir exercé la plus grande influence. C'est ainsi que dans notre encyclique Quod apostoiici iiinris, nous nous sommes efforce de combattre les monstrueux systèmes des socialistes et des communistes. Notre autre encyclique Arcanum, nous a permis de mettre en lumière ej de défendre la notion véritable et authenti- que de la société domestique, dont le mariage est l'origine et la source. Dans l'encyclique D'mlnruinn, nous axons fait connaître, d'après les principes de la sagesse chré- tienne, l'essence du pouvoir politique et montre ses admi- rables harmonies avec l'ordre naturel, aussi bien qu'avec le salut des peuples et des princes. — 323 — « Aujourd'hui, à l'exemple de nos prédécesseurs, nous avons résolu de lixer directement notre attention sur la société maçonnique, sur l'ensemble de sa doctrine, sur ses projets, ses sentiments et ses actes traditionnels, afin de mettre en une plus éclatante évidence sa puissance pour le mal, et d'arrêter dans ses progrès la contagion de ce funeste fléau. » 2° Un Franc-Maçon ne peut être chrétien. « Lorsqu'on attaque le côté religieux de l'ordre (franc- maçonnique), dit le F.-. Fischer, on combat une chi- mère. A l'exception de quelques Loges particulières, la majorité de l'Ordre non seulement n'admet pas le chris- tianisme, mais le combat à outrance; la preuve s'en trouve dans la mission des Juifs aux Loges anglaises, françaises, américaines, belges, et, depuis peu, dans les Loges de toute l'Allemagne \ » Le protestantisme n'est pas toléré parla Franc-Maçon- nerie. « Maçonnerie et catholicisme s'excluent réciproque- ment, ce sont les antipodes», dit un homme d'État, ancien dignitaire de la Franc-Maçonnerie. Et il ajoute : « Si le protestantisme et le catholicisme ne peuvent se concilier ni s'unir dans leurs principes fondamentaux, à plus forte raison ne peuvent-ils ni se concilier ni s'en- tendre avec la Franc-Maçonnerie, qui, n'étant qu'une doc- trine humaine, n'envisage Dieu et l'homme que par la seule raison... Une telle idée n'est-elle pas forcément ennemie du catholicisme:' pareillement n'est-elle pas opposée à l'orthodoxie protestante - ? » Jésus-Christ lui-même est directement atteint par les blasphèmes de la secte. .D'après l'interprétation donnée officiellement dans ses rituels, l'inscription placée au haut de la croix du Sauveur ne signifie pas : Jésus Nazarenus rex Judœorum (Jésus de Nazareth, roi des Juifs), mais 1 Revue maçonnique, janv. 184s, citée par Eckkht, p. 2"i7. a Du présent et de l'avenir des Francs-Maçons en Allemagne, p. 116, trud. de A. Nelit. — 324 — bien : Jésus, Juif de Nazareth, fut conduit par le Juif Raphaël en Judée pour être justement puni de ses crimes1. Et, au mois de juin 1877, dans la grande réunion tenue à Saint-Malo, un Franc-Maçon s'écriait: « La véritable foi, en combattant le fanatisme, détruit les vieilles supers- titions ; le miracle s'en va: le positivisme, par ses savantes démonstrations, détruit l'incertain, l'arbitraire, comme un jour la liberté chassera du monde entier l'infâme tyrannie. En un mot, c'est la vieille société qui croule, sapée par la loi naturelle du progrès 2. » C'est donc avec raison que l'auteur franc-maçon de VHistoire populaire de la Maçonnerie3 établissait celte conclusion : « Lorsque la Maçonnerie accorde l'entrée de son temple à un juif, à un mahométan, à un catholique, à un protestant, c'est à la condition que celui-ci deviendra un homme nouveau, qu'il abjurera ses erreurs, qu'il dépo- sera les superstitions et les préjugés dont on a bercé sa jeunesse. Sans cela que vient-il faire dans nos assemblées maçonniques? » 3° Mais il y a plus. La Franc-Maçonnerie est la négation et la destruction de toute religion. Telle est la marche fatale de toutes les intelligences qui repoussent les vérités révélées. La raison humaine, aban- donnée à sa faiblesse, aveuglée par l'orgueil, essaye de constituer une religion naturelle, de réunir quelques-unes des vérités qu'elle acceptait autrefois. « Mais ce n'est là, comme le disait Proudhon, qu'un pied-à-terre nécessaire à ceux qui abandonnent la religion de leurs pères. » Bientôt, les intelligences descendent jusqu'au fond de l'abîme du scepticisme et de la négation absolue. La Franc-Maçonnerie ne pouvait échapper à ce châtiment et 1 V. le F.-. Rago.n, Cours philo*. 2 Ce discour?. irè- important au poiut fie vue religieux, coumie au poii t île vue politique, s été publié d'abord par un journal anplais, la Chronique de Jersey, el ensuite repro luit par Les journaux catholiques, entre autres par le M onde, 11 juillet. 1S77. 1 Goffin, Histoire populaire de la Maçonnerie, p. 517, — 325 — à cette marche fatale ; elle est allée jusqu'à ces profon- deurs désolées et ténébreuses où, sous le poids de la jus- tice de Dieu et dans les fureurs de la haine vaincue contre la vérité triomphante, il y a des pleurs et des grincements de dents. « Nous ne voulons pas de religion, dit l'Internationale; car les religions étouffent l'intelligence. » La Franc-Ma- çonnerie se place au-dessus de toutes les religions. « La Maçonnerie se trouve au-dessus des religions et des chartes, quelles que soient leurs formules. Que la Franc- Maçonnerie soit pour nous la religion vraie et sublime que notre cœur appelle! Initions à ses mystères tous ceux que leurs aspirations poussent à apprendre et à con- naître \ » Dans le discours de clôture de la session du Convent du Grand-Orient de France — discours imprimé par le F.". Louis Hugonis (6, rue Martel, à Paris) et distribué depuis peu à tous les Francs-Maçons de France — le F.'. Bla- tin, professeur à l'Ecole de Médecine de Clermont-Fer- rand s'exprime ainsi : « Les conceptions métaphysiques d'un autre âge, que les religions du passé étendent encore, comme un voile, devant les yeux des populations ignorantes, s'évanouiront promptement devant l'étonnant spectacle des évolutions naturelles de la matière et la complexité infinie des résul- tats produits par l'action constante et fatale des forces qui sont l'essence même de la nature... « C'est la Maçonnerie qui doit se faire la grande vulga- risatrice de cet esprit scientifique moderne « Ce jour-là, notre œuvre aura véritablement accompli ses destinées. Dans les édifices élevés de toutes parts depuis des siècles aux superstitions religieuses et aux suprématies sacerdotales, nous serons appelés à notre 1 Paroles du F.*. Franz-Faider et du F.*. Lacom page 143. — :m — tour à prêcher nos doctrines, et au lien des psalmodies cléricales quj y résonnent encore, ce seronï les maillets, les batteries et les acclamations de notre ordre qui en feroni retentir les larges voûtes et les \astes piliers. » La Franc-Maçonnerie repousse la religion de partout, Elle la repousse du berceau du nom eau-né, de l'union des époux, du lit de mort et de la tombe. Selon la Franc- Maçonnerie, « Tentant est venu au monde innocent: il n'a donc aucune faute à expier.» Et, cependant, la Franc- Maçonnerie a son baptême ridicule et impie. Ecoutons encore: « Non seulement nous devons mourir sans prêtres ', mais encore nous devons donner l'exemple du mariage purement civil et de la naissance de nos enfants sans le baptême du piètre. » Ces projets ne sont pas restes à l'état de lettre morte; bien des faits lamen- tables l'ont démontré surtout pendant ces dernières années. Et naguère encore, dans le mois de février 1S77. un journal franc-maçonnique, les Droits de Vhomme, publiait la convocation suivante: « Ceux de nos lecteurs qui appartiennent à In Maçonnerie, sont prévenus de l'im- portante tenue de la Loge la Ruche libre, qui aura lieu le vendredi prochain 9 février, au Grand-Orient de France, rue Cadet, 10, temple n° 4, sous la présidence de M. Ber- nard, vénérable. On y procédera à plusieurs initiations. ML Lepelietier parlera ensuite de la Ubre-pensèe, de ses moyens pratiques, et développera l'idée d'une association pour l'organisation à Paris de cérémonies laïques: nais- sances, mariages, enterrements, à l'instar de la puissante société la Solidarité de Bruxelles". » D'ailleurs, toute religion est impossible sans la croyance •i l'existence de Dieu, et la Franc-Maçonnerie nie l'exis- tence de Dieu. Il est vrai, la Franc-Maçonnerie appelle Dieu le Grand 1 Préambule des statuts de la société des Libres- Penseurs, foudéeflà Bruxelles eo 1805. 2 Reproduit par la Défense, le 7 février 1877. — 327 — Architecte de l'univers ; mais ces paroles sont devenues une vaine formule. En 1866, l'historien franc-maçon Henri Martin, avait osé affirmer que « effacer du programme maçonnique le Grand Architecte de l'univers, c'est effacer la Franc-Maçonnerie elle-même ; — ùtez l'Architecte, il n'y a plus ni temple ni Maçons; — et que les orthodoxes de la Franc-Maçonnerie sont dans leur droit en refusant le titre de Maçon à ceux qui rejettent l'Architecte et abattent le temple \ » Ces paroles soulevèrent une tempête dans la Maçonne- rie. Un orateur d'une des Loges parisiennes, M. Henri Bris son, accusa M. Henri Martin d'avoir parlé un langage de sectaire intolérant, et il ajoutait : « Si la reconnaissance de ce Grand Architecte était, comme M. H. Martin le dit par erreur, primordiale en Maçonnerie, il n'y aurait chez les Maçons ni liberté de conscience ni liberté d'opi- nions 2. » Cette formule fut discutée dans l'assemblée générale de la Franc-Maçonnerie du 3 juin 1867, et combattue avec violence. Elle fut pourtant maintenue. Mais quel sens peut-elle avoir, et quelle influence ? « Nos devanciers avaient la prescience des discussions qui surgiraient un jour parmi nous, dit la revue le Monde maçonnique \ Ils ont adopté deux formules avec lesquelles tous les hommes de .bonne volonté peuvent s'entendre : Dieu, le Grand Architecte de l'univers, dénominations génériques que, depuis Platon, tout le monde peut accep- ter pour le Dieu qu'il révère, même ceux qui ne croient pas en Dieu. » Voici d'ailleurs des professions publiques d'impiété applaudies dans de grandes assemblées maçonniques : « Je dirai que le nom de Dieu est un mot vide de sens 4. » 1 Dans le Siècle, octobre 1866. 2 Le Temps. 4 novembre 1866. 3 Tome IV, pacro 6o7. 4 Lo?e de Liège* 1865. — A. Neut, t. 11, p. 287. — 328 — « Il ne faut pas seulement, nous placer au-dessus des différentes religions, mais au-dessus de toute croyance en un Dieu quelconque \ » « Seuls, les imbéciles parlent et rêvent encore d'un Dieu 2. » Voici encore une déclaration qui est claire et décisive : On lit dans un journal maçonnique : « Le convent de la Franc-Maçonnerie française s'est terminé par une résolution importante. « On sait que la Maçonnerie était divisée depuis long- temps sur la fameuse question de savoir si, oui ou non. la croyance « au Grand Architecte de l'univers » devait être un dogme maçonnique. « Avec la grande majorité, la réponse du convent a été : Non ! » Sur le rapport de M. Desmonts, membre du conseil de l'Ordre, le deuxième paragraphe de la Constitution qui était ainsi conçu : « La Franc-Maçonnerie a pour principes : l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme. » A été modifié ainsi : « La Franc-Maçonnerie a pour principes : la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n'ex- clut personne pour ses croyances :t. » Nous n'entreprenons pas de démontrer cette vérité évidente que, sans la croyance en Dieu, nulle religion n'est possible. La religion, en effet, dans sa notion pre- mière, indiquée par le mot lui-même, est l'ensemble des relations, l'ensemble des croyances et des devoirs qui unissent l'homme à Dieu. La religion naturelle est l'en- semble de ces croyances et de ces devoirs enseignes et imposés par la simple raison en dehors de toute révéla- tion. Mais si Dieu n'existe pas, quelles peuvent être avec 1 A. Neot, t. II, p. 223. 2 lbid. :1 La Lanterne, reproduit par la Défense du 21 septembre 1877 • - 329 — lui les relations de l'homme ? Quelles croyances et quels devoirs peuvent nous être imposés? L'homme, dans sa solitude désolée, est abandonné à sa faiblesse, à ses erreurs et à ses crimes. Sans la croyance à la spiritualité et à l'immortalité de l'âme, aucune religion n'est possible. En effet, si l'âme n'est pas immortelle, si elle n'a rien à espérer après les épreuves douloureuses de cette vie : si Dieu n'a rien fait pour satisfaire ce désir ardent de la vérité et de la lumière, celte soif inextinguible de félicités qui torturent et dévorent le cœur de l'homme; si lésâmes et les peuples peuvent être impunément opprimés par l'iniquité; si, au delà du tombeau, il n'y a que la nuit éternelle et le vide affreux du néant, Dieu n'est ni bon, ni juste, ni puissant. Mais si Dieu n'est ni bon, ni juste, ni puissant, il n'existe pas ; et, une fois encore, toute reli- gion est impossible. D'ailleurs, si l'âme est spirituelle, elle est immortelle. Si l'âme nJest pas spirituelle, si elle n'est qu'un ensemble de rouages qui se briseront demain, une machine aveugle ou l'effet des mouvements de la matière, il n'y a plus dans l'homme ni liberté, ni responsabilité, ni vérité, ni devoir, ni vertu, et toute religion, comme toute morale, est impossible. Ce qui reste à l'homme, c'est la direction avilissante des instincts, le joug inexorable de la fatalité et le règne ignoble de la force. Et voilà le progrès reli- gieux et moral vers lequel nous conduisent la Franc- Maçonnerie et la libre-pensée; car la Franc-Maçonnerie ■ nie la spiritualité et. l'immortalité de l'âme. Ecoutez le F.*. Ragon : « Nous regardons comme chi- mérique, dit-il, l'existence des purs esprits. Un pur esprit et le néant sont pour nous une même ebose, et nous ne concevons pas la matière sans l'esprit ni l'esprit sans la matière. » A cette question : Qu'est-ce que l'âme ? il répond : « Demandez-le à l'électricité \ » 1 Globe, t. II, p. 271). — 330 — « Qu'est-ce que la mort ? demande encore le F.'. Kagon. La mort de l'homme, répond-il gravement c'est la déper- sonnificaUori de l'individu, donl les éléments matériels se décomposent, s'unissent à des éléments analogues et con- courent aux transformations infinies de la matière toujours animée 1. » Entendez encore les paroles du F.". Destriveaux, pro- fesseur de l'Université de Liège : « C'est, dégagée de notre enveloppe matérielle, dit-il, que notre intelligente va se rejoindre à l'intelligence suprême répandue dans tout l'univers, intelligence résidant partout, dans une piaule comme dans un arbre 2. » .Nous pourrions multiplier à l'infini ces citations: mais nous les croyons inutiles. Le 18 janvier 1S7S. le F.'. Duportàl écrivait dans le journal le Républicain « que l'àme de Raspail était allée rejoindre le grand réservoir des êtres, ? C'est là toute la consolation, toute l'espérance et tout l'avenir des adeptes de la Franc-Maçonnerie et de la libre-pensée. Aucune religion n'est possible sans la soumission à la volonté suprême de Dieu; et, par conséquent, l'indépen- dance complète de la raison et de la conscience est la destruction de toute religion comme de toute morale. Si vous avez la liberté de tout croire et de tout nier selon les caprices de votre volonté et sous l'influence de vos passions, si vous pouvez rejeter à votre gré les croyances qui ont été acceptées par tous les peuples H qui sont le patrimoine du genre humain, si vous pouvez admettre aujourd'hui ce qui vous paraissait, hier une erreur ou un crime et mépriser demain ce que vous accep- tez aujourd'hui, si tout ce que vous croyez est le vrai, si tout ce que \ous faites est le bien, la religion et la loi morale n'existent plus; ou si vous conservez ces mots, ils sont vides de sens et n'expriment qu'une contradiction 1 Cours philos., t. II p. 627. 2 F. Gaotrelet, ].. 100. — :m - manifeste. Donc, il faut reconnaître que l'indépendance complète de la raison et de la conscience est condamnée par la raison comme le comble de l'absurde. Et pourtant, tel est le principe proclamé par la Franc- Maçonnerie. « La libre-pensée est le principe fondamental de la Maçonnerie. ' » « Chaque homme est son prêtre et sonroi,son pape etson empereur, » dit le F.'. Ch. Potvin2. Et le F.*. Lacroix ajoute : « Nous ne répondons de nos actes qu'à nous-mêmes ; nous sommes nos propres prêtres et nos propres dieux 3. » « La liberté de conscience est supérieure à toutes les croyances religieuses, » disait le F.'. Parrot à l'assemblée du Grand-Orient 4. « L'indépendance de la raison de l'homme, la liberté d'examen veulent qu'aucun dogme, aucun texte, aucun pouvoir ne puisse nous arrêter dans nos investigations. Elles ne peuvent vouloir non plus qu'aucune révélation soit acceptée comme limite imposée à l'action de la pensée 5. « La liberté réclamée par la Franc-Maçonnerie n'est pas la liberté restreinte, mais complète6, la liberté absolue, illimitée dans toute son étendue. La liberté absolue de la conscience est l'unique base de la Maçonnerie7. » Enfin, il n'y a pas de religion possible sans enseigne- ment des vérités religieuses donné à l'enfance. Or, la Franc-Maçonnerie repousse toute instruction religieuse. La fameuse formule : renseignement laïque, gratuit et obligatoire est l'œuvre de la Franc-Maçonnerie. « C'est vers cet enseignement que doivent se concentrer tous les efforts de la Franc-Maçonnerie, » disait le Monde Maçon- 1 A. Neut. t. I, p. 408. a lbid. 3 Ibid. t Juin, 1865. '- V. . Van llumbeek, A. Nk.it, t. I, p. 2l4. •'• Le Moii'ic faâçpnniqhè, Qovembre 1866, p. l'i'i. 7 Ibid. alliai ISlili, p. ±2. — 332 — ?tiquei du mois d'octobre 1866. Et la réunion maçonnique de 1870 prit, à l'unanimité, la décision suivante : « La Maçonnerie française s'associe aux efforts faits dans noire pays pour rendre l'instruction gratuite, laïque et obliga- toire 2. » Mais ne l'oublions pas, la Franc-Maçonnerie entend par l'enseignement laïque, l'enseignement d'où les vérités religieuses sont absolument bannies. En 1870, la Loge les Amis de l'ordre, de Paris, a posé la question suivante : « Quelle éducation un Maçon doit-il donnera ses enfants :' » Tous les orateurs se sont montrés partisans d'une éducation libre, laïque, indépendante de l'étroilesse de l'enseignement religieux. El un de ces orateurs disait : « Plus de cette instruction bâtarde, faussée, basée sur des dogmes surannés!... Cette méthode d'élever nos enfants a trop dure, il est temps, grand temps qu'elle finisse3. » Déjà, en 1864, le Grand-Orient de Belgique mettait la même question à l'ordre du jour de toutes les Loges de l'obédience. Et la Loge d'Anvers répondait par ces affir- mations où l'impiété le dispute à l'absurde : « L'enseigne- ment du catéchisme est le plus grand obstacle au déve- loppement des facultés de l'enfant. L'intervention du prêtre dans l'enseignement prive les enfants de tout enseignement moral, logique et rationnel4. » La suppression de l'instruction religieuse dans les croies a réalisé un des projets formules depuis longtemps par la Franc-Maoonnerie. Le but des pénalités rigoureuses que réclamait la Franc- Maçonnerie, pour rendre l'instruction obligatoire, est d'imposer à tous l'instruction séparée de la religion, i en- seignement sans Dieu. 1 P. 358. - Le Monde maçonnique, mai 1870, p. 202. 3 Le Monde maçonnique, mai Ks7o, \>. lu et suiv. — Otte décision est renouvelée par l'assemblée maçonnique, le 10 septembre IS72 — C'est la Franc-Maçonnerie qui établit l'œuvre du Sou des écoles laïques. * Journal de Bruxelles, 28 novembre loG4, cité par M. A. Neut, t.I, p. 347. - 333 - Le Grand-Orient de Belgique, après avoir reçu les réponses envoyées par les Loges de son obédience, pro- posait, il y a vingt ans, un projet de loi en vingt- trois articles, parmi lesquels nous trouvons les suivants : obli- gation* pour le père ou la mère veuve de conduire de force ses enfants à l'école ; suppression de toute instruction religieuse. Et, après avoir proposé plusieurs peines rigoureuses contre les parents, le projet ajoutait comme dernier moyen « la soustraction de l'enfant à la direction des parents. » Cette dépravation de l'enseignement doit atteindre les femmes elles-mêmes. « Par l'instruction, disent-ils, les femmes parviendront à secouer le joug clérical et à se débarrasser des superstitions qui les empêchent de s'oc- cuper d'une éducation en rapport avec l'espnt mode. ne. Pour n'en donner qu'une preuve, quelle est la femme anglaise, allemande ou américaine qui, aux deux questions religieuses que peuvent leur adresser leurs enfants ; Qui est-ce qui a créé le monde? existe-t-on après la mort.' osera répondre qu'elle n'en sait rien et que personne n'en sait rien? Eh bien ! cette audace, la femme française ins- truite l'aurai L '. » Et voilà ce que cache aux regards des crédules et des simples la fameuse formule : Vinstruction laïque, gratuite et obligatoire. Le zèle pour éclairer et instruire le peuple, n'est que l'ardeur de l'impiété, qui veut le dépouiller, par Ja force, de ses croyances et de ses vertus. C'est la plus criminelle tyrannie, c'est la plus odieuse conjuration contre la liberté sacrée des âmes et des familles. Ecoutez les énergiques paroles que M. Ledru-Rollin prononçait du haut de la tri- bune française : « Y a-t-il une souffrance plus grande pour l'individu que la déportation de ses fils dans les écoles qu'il regarde comme des lieux de perdition, que cette 1 Discours de F.-. Massol dans la Loae Bienfaisance et Progrès, à Bouloirue, 19 juillet 1867. — Le Monde maçonnique, août 1867, p. 205. — 334 - conscription de l'enfance traînée violemment dans un camp ennemi et pour servir l'ennemi;? » III L A F 15 A NC-M A Ç 0 N N 1 : 1U E I : T L A M ORAL I '. . La Franc-Maçqpnefie a la prétention d'être une École de morale. Nous lisons en effet dans l'article l';' de ses Constitutions : « La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique et progressive, a pour objet la recherche île la vérité, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts et l'exercice de la bienfaisance?. » « A eux (aux prêtres du Christ > la morale facile el per- yersp, à eux le fanatisme, disait un chef de la Franc- .Maeonnerio. A nous la morale pure, le désintéressement, le dévouement3. » Mais voyons si les doctrines et les actes répondent aux prétentions et à l'audace de ce programme. Et d'abord, la morale est impossible sans la religion, sans la croyance en Dieu. Qui dit inorale, dit loi supé- rieure aux erreurs de l'intelligence, aux caprices de la volonté, à la perversion du cœur de l'homme, et, par con- séquent, loi divine; et qui dit loi divine, dit obligation, soumission et dépendance. Donc, la morale sans Dieu, la morale indépendante n'est qu'une contradiction dans les tenues; elle est la négation el la destruction de la morale. D'ailleurs, nous l'avons démontre, sans la croyance à la spiritualité et à l'immortalité de l'âme, croyanpe rejetée par la Franc Alacomierie, \g liberté, la responsabilité et, 1 Cité par M. A \m i. i. I, p. 3o0. - Constitution ré li ée et volée par l'assemblée générale du Grand - Orient de France et reproduite en tête île l'Avenir maçonnique. 3 Le i'V. Franz Faider, à l'occasion de son iostaUatipn çqmme Véné- r |J)le de |a Loue la Fidélité de G-and. - 386 — par conséquent, le devoir, la vertu, la morale ne sont que des mots vides de sens. C'est l'évidence, c'est aussi l'aveu de la Franc-Maçon- nerie elle-même. « Une fois Dieu supprimé, disait un Franc-Macon dans le congrès maçonnique de 1873, ne pensez pas qu'on puisse s'arrêter en si beau chemin. Un jour l'argumentation négative s'attaquera à l'idée de vertu, comme elle s'est attaquée à l'idée de Dieu, et je m'écrierai : puisqu'aujourd'hui c'est l'idée de vertu qui nous divise, et que la tolérance est surtout ce qui dis- tingue les Maçons des autres hommes, supprimons la vertu, et parlant toute morale '. » Pour le Franc-Maçon, le but suprême de l'homme ci; sont les jouissances brutales. « Lorsque l'homme, dit un Franc-Maçon, considère que lui seul, de toutes les créa- tures, est doue d'intelligence, lui est-il permis de douter que cette intelligence lui a été accordée pour se livrer entièrement aux plaisirs qui lui sont communs avec la bête? Que l'homme cesse de chercher, hors du monde qu'il habite, des êtres qui lui procurent un bonheur que la nature lui refuse! Que l'homme s'aime lui-même et cherche à se conserver2. » « Les passions sont nécessaires et doivent être obéies.... Il n'en est aucune qui ne puisse être tournée au bien social.... Rien n'est plus déplace que de déclamer contre les passions.... La violence des passions leur sert d'excuse, et dire à l'homme colère de ne point se mettre en fureur, c'est dire au fiévreux de ne point avoir la lièvre 3 . » Telles sont les instructions données aux néophytes de la Franc-Maçonnerie. Nous avons déjà vu que, d'après l'aveu de la Franc- Maçonnerie, son succès est basé sur les passions de rhomme, que pour réussir elle flatte toutes les passions, 1 A. Neut, t I, p. 192. 2 Cour, de l'Escaut, juin 1868. :J Rituel iln grade de l'apprenti; p. 'M et ;J8. — 330 - les plus mauvaises comme les plus généreuses, et qu'elle organise la corruption universelle '. Est-ce pour le progrès de la moralité que la Franc- Maçonnerie a admis les femmes dans ses réunions:' Non, elle l'avoue: c'est précisément parce qu'elle ne fait pas une vertu de la chasteté. Ecoutez: « Cette aimable insti- tution fut établie dans le but de disculper les Maçons du reproche qu'on leur faisait de repousser de leurs reunions les femmes, à l'instar des anciens initiés qui se faisaienl une vertu de la chasteté. Observons (c'est toujours un .Franc-Maçon qui parle), observons que les dames ne s'assemblent jamais seules, elles sont toujours aidées dans leurs travaux par des Maçons. 11 en resuite que les oflices sont doubles, c'est-à-dire qu'à côté de chaque Sœur dignitaire est un Frère de la dignité correspon- dante 2. » Aussi ne faut-il pas s'étonner d'entendre un Franc- Maçon avouer, dans son Histoire de la Franc- Maçonnerie, que dans ces reunions les convenances et les mœurs ne laissent pas que de recevoir de graves atteintes J. JNous pourrions multiplier les levies. Mais entende/ cet aveu dont l'audace est sans pudeur : « Pour .abattre le catholicisme, il faut commencer par supprimer la femme. Le mot est vrai dans un sens ; mais puisque nous ne pouvons supprimer la femme, corrompons-la... Le but est assez beau pour tenter des hommes tels que nous. Ne nous en écartons pas pour quelques misérables satisfac- tions de vengeance personnelle. Le meilleur poigLard pour frapper l'Église au cœur, c'est la corruption. A l'œuvre donc jusqu'à la lin 4 ! » (/est l'éternel honneur de l'Église catholique, c"est la 1 Instruction de la Vente suprême citée plus haut. 2 F.'. Kagon, Manuel complet de <« Franc- Maçonnerie d'adoption, p. 16. 3 i' l'. U m i m iii , |i. 121. '; Discours du cordoubier Pellerin et discours du typographe Brimée centrés international de Lièpe-Bruxelles, compte rendu par La Gazette de Liège, 3* édition. Lièsre 1865, p. 74, 7.">... 78. Cité par lu i BAMPS, t . 1, p. 107. :i Ibidem. - 341 - aboli, et cette abolition est une des conditions les plus indispensables de l'affranchissement du travail1. » Nous avons déjà démontré qu'un des moyens employés parla Franc-Maçonnerie, pour réaliser ses projels, était d'isoler l'homme de sa famille, de lui en faire perdre les mœurs, d'insinuer dans les âmes le dégoût de la famille et de la religion. Mais ce n'est point assez, il faut anéantir la famille. « Quant à la famille, disent les sectaires, nous la repoussons de toutes nos forces au nom de l'éman- cipation du genre humain. C'est à la famille que nous devons l'esclavage de la femme. L'enfant appartient à la société et non à ses parents ; à la société de l'instruire, de l'élever, d'en faire un citoyen... Nier la famille, c'est affir- mer l'indépendance de l'homme dès le berceau, c'est arra- cher la femme à l'esclavage où l'ont jetée les prêtres et une civilisation pourrie a. » Ici encore il nous serait facile de multiplier les citations, mais il en est dont les âmes honnêtes ne pourraient sup- porter la lecture. D'ailletirs, notre démonstration est sura- bondante. Qu'est-ce qu'une société sans religion, sans loi morale, sans autorité ? Où donc susbsisteront les derniers vestiges de l'ordre social quand les gouvernements, les armées permanentes, la magistrature, la propriété, le droit d'hérédité et la famille elle-même auront été suppri- més, anéantis par ces démolisseurs insensés ? L'avenir qu'ils nous préparent ne peut être que le règne de la plus effroyable et de la plus inepte barbarie. Nous pourrions, si les limites de cette lettre pastorale nous le permettaient, nous pourrions suivre la Franc- Maçonnerie, surtout depuis la fin du dernier siècle3, à la trace de ses crimes et sur les ruines qu'elle a accumulées 1 19 septembre 1869. 2 Paroles prononcées par Venizier dans nue réunion tenue à Charing- Ooss, Londres 1868, citées par In Décentralisation, 19 juin 1871. g V. dans la Reouedes Questions historiques, livraison d'octobre 1875, ifes documents intéressants sur la situation et le rôle de la Frauc- Maçonnerie au sièch; dernier, publiés par M. Cu. Guérin, sous ce titre: Les Francs Maçons ei la magistrature française au dix-huitième siècle. — 342 — dans l'ordre politique et social. Nous pourrions la montrer préparant le révolution Française, rendant stériles les efforts sincères el généreux de la monarchie pour réaliser les reluîmes nécessaires, décrétant a t'avance, dans ses réunions secrètes, la mort de Louis XVI1, et organisant les massacres de 93. .Nous pourrions la montrer pré- parant et accomplissant tous les bouleversements poli- tiques dont la France a été la victime. Ce n'es! pas seulement la France, c'est l'Europe, c'est le monde civilisé qui sont mines par le travail souterrain et révolutionnaire des sociétés secrètes. La Russie est menacée par la secte des nihilistes, quia pour but de ren- verser le gouvernement et d'établir l'égalité entre toutes les classes sociales. Des hommes et des femmes, des jeunes tilles appartenant à des familles riches et illustres, entrent dans cette société, se mêlent aux ouvriers et au 1 Un document très récent et d'une cranté autorité confirmé oette affirmation. 11 s'agit d'une lettre du car Hnal Mathieu; elle est adressée a un ami du prélat : « Besançon, 7 avril 1875. .le suis a m'interroger péniblement et u savoir comment il se fait que les puissants de ee siècle ne regardent pas même autour d'eux, et si près d'eux, ce qui les mine ei qui lés ronge, en atten lanl leur renf- versenient complet. Je suis très persuadé que la plupart des grands et sinistres événements j rs onl été préparés, et consommés par c-Màçbnnerïe. Il va, daîis nos pays, on détail que j'j puis don- ner comme, certain. Il y eut a Francfort, eu I7st>. une assemfa Francs-Maçons où furent convoqués deux homnîes blés de I :bn qui faisaient partie le cette société : M de Raymou '. inspec- teur des postes, et M. .Maire île Boulisrney. président du Parlement. « Dans cette réunion, roi de Suède el celui île Louis XVI furent résolus. MM. île Raymond et de Bouligney revinrent consternés, en se promettant de ne jamais remettre les pieds dans une loge etde se garder le secret. Le dernier survivant l'a dit a M. Bourcon, qui est mort a près Je quatre-vinst-dix ans, poss Les ses fai lu en entendre p •• réputation bité, île droiture ei de fermeté parmi nous : je l'ai beaucoup . et pendant bien Longtemps, car je suis 8 Besançon depuis quarautn-deux ans. et il e~t. mort assez récemment. Il a raconté sou- vent le fait, el à moi et a d'antres. Vous voyez qui- la l'avance, monter ses coups : c'est là, en leux mots, son histoire. ii Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments très distingués et très dévoue-- . Si ni k. Card. Areh . de Besançon . /'. S.— M. Bourgon était président de chambre honoraire i la Cour. — 343 — peuple, en adoptent le genre de vie, les usages et le cos- tume i. En septembre 187G, le premier ministre d'Angleterre signalait, dans un discours qui lit une profonde impres- sion,, la grande part qu'avaient les Sociétés secrètes aux agitations qui, en Orient, préparaient la guerre entre la Russie et la Turquie 2. Mais pour démontrer jusqu'à l'évidence Faction anti- sociale de la Franc-Maçonnerie, il nous suffira d'établir son union intime avec V internationale et la Commune. Le F.". Assi, dans le manifeste qu'il adressait, comme président des grèves du Cieusot, à tous les afliliés de ("Internationale, ne craignait pas de leur dire : « Au nom de la démocratie républicaine sociale..., nous proclamons hautement notre adhésion à la grande association inter- nationale des travailleurs, cette sublime Franc-Maçonnerie 1 Correspondance du Journal des Débats, reproduite par le Journa des Villes et des Campagnes, du 24 mars 1877. — Tous les jouis les journaux nous rapportent les assassinats, les incendies qui désolent la Russie et les répressions terribles du gou- vernement. Voici quelques extraits des journaux du nihilisme ; ils disent clairement le sort que cette secte effroyable prépare à la Russie. o La propagande socialiste russe ne manque certainement pas de franchise t Voici quelques extr..its de ses organes plus ou moins ;-ecrets, tels que les a reproduits la K) ymski-Listok (la Feuille de la Crimée) : Le Vpered (En Avant) : •• Les idées républicaines ne sont que des chimères. Garibaldi et Félix Pyat ne sont plus de notre temps. »... >< L'incendie de Paris par la Commune jette un rayon de lumière sur l'avenir: mais la Commune ne fit aucun pas décisif. Elle se borna à imposer à la révolution sociale la tâche qu'elle ne sut pas accomplir elle-même. »... « La nouvelle école sociali.-te ne s'arrêtera pas aux demi-mesures de la Commune; elle ne reculera devant aucune sévérité; elle fera à la société une guerre implacable, la guerre de l'incendie, .du pillage et de l'assassinat. » Le Nabat (le Tocsin) prêche « l'anéantissement des classes bourgeoises et l'ensevelissement du vieux monde sous ses propres ruines. » ... ■• L'institution de la famille doit être détruite, la propriété' abolie, la religion ignorée, et la liberté elle-même doit être repoussée comme une vaine formule. » La Ninnd lia >/(i RaspraÏHH la Justice du peuple) . « Les socialistes vien- dront les armes a la main et ils exécuteront les bourreaux, les com- merçants et les propriétaires. » ... «Ils répandront la terreur parmi tous beug qui no partagent pas leurs opinions. » ... « IL détruiront tout ce qui s'opposera a leur œuvre »... « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous, et il faut qu'ils tombent sous les balles île nos revolvers. » 2 Discours de M. Disraeli au banquet d'Aglesbury. — .;n — de tous les prolétaires du monde, cet espoir de l'avenir de l'égalité '. » Et \<>ilà pourquoi Fribourg, un des fondateurs de l'In- ternationale à Paris, annonçant les progrès de cette asso- ciation dès les premiers débuts en 1865, affirmait « que. par son intermédiaire, l'Internationale pénétrait dans la Franc-Maçonnerie parisienne, où elle recrutait force sym- pathies, et qu'enfin, la Suisse, la Belgique et l'Amérique annonçaient la création de groupes franchement socia- listes ". » «Le 29 avril 1871. sur un appel fait à toutes les Loges de l'Orient de Paris, une foule immense de Francs- Maçons, déployant soixante-deux bannières maçonniques, se rendit de la cour du Louvre à l'Hôtel de Ville, précédée par cinq membres de la Commune. La Commune tout entière se présenta au balcon d'honneur pour les recevoir. La statue de la République était là. ceinte d'une écharpe rouge et entourée par les trophées des drapeaux de la Commune : les soixante-deux bannières maçonniques vinrent se placer successivement sur les marches de l'escalier. Les Francs-Maçons se massèrent dans la cour. « Dès que la cour fut pleine, dit le Journal officiel, les cris de Vive la Commune ! Vive la Franc-Maçonnerie ! Vive la République universelle ! » se tirent entendre de tous côtés. « Puis, après un échange de discours, dans lesquels fut proclamée V Union inséparable de la Commune et de la Maçonnerie, et après que le F.'.Tïrifocq eut fait la décla- lion suivante : Si nous échouons dans notre tentative de « paix, tous ensemble nous nous joindrons aux compa- « gnies de guerre pour prendre part à la bataille... ». les députations de la Franc-Maçonnerie, accompagnées des membres de la Commune, sortent de l'Hôtel de Ville : l'orchestre joue la Marseillaise. 1 L'Internationale, journal de Bruxelles, 34arril 187i>. Issoeiation internationale p -'M. — .i'iÙ — « Dix mille Francs-Maçons étaient là, se rendant de l'Hôtel de Ville à la Bastille: descendant ensuite toute la ligne des boulevards et montant à travers les Champs- Elysées, cette immense colonne arrive aux remparts, y plante les soixante-deux bannières maçonniques, parle- mente avec les généraux à l'effet d'obtenir une paix basée sur le programme de la Commune. « Et après le nécessaire insuccès d'une telle démarche, un appel aux armes fut lancé au moyen de ballons, par la fédération des Francs-Maçons et des Compagnons île Paris, à tous les Francs-Maçons des départements. Cet appel aux armes se terminait par ces cris : Vive la Repu- bliqùel Vivent les communes de France, fédérées arec cède de Paris f « Un tel fait n'a pas besoin de commentaires. « Il est vrai que le Grand-Orient, sans avoir un mol de Maine pour la manifestation, déclara que celte manifesta- tion n'engageait que les Maçons qui y avaient person- nellement adhéré. Mais d'abord, ils étaient di.r mille. Et ensuite, qu'Importe ? Et qui peut, après de tels faits, dou- ter de l'esprit qui anime les Loges ' ? » Nous ne rappellerons pas les crimes odieux de la Commune, la guerre civile en présence des Prussiens campes sous les remparts de Paris, le massacre des otages, l'incendie des monuments nationaux : mais ce que nous ne pouvons laisser ignorer, ce qu'il importe de dire bien haut, c'est que l'œuvre de la Commune se poursuit a cette heure encore avec une satanique obstination, et que les sauvages du dix-neuvième siècle attendent avec une fié- vreuse impatience l'heure favorable à leurs sinistres pro- jets. Déjà en 1871, un journal qui heureusement ne put se soutenir (pic quelques mois. V Indépendance de la Savoie, manifestait les mêmes espérances. Voici, en effet, com- 1 Ce récit ">i emprunté à ['Étude île lu Franc- Maçonnerie i>.ir MsrDc- PANI.ÔW, |». 7(J et 80. — 346 — ment il appréciait la mort des chefs de la Commune de Paiis : « Ta mort, Longuet, et la mort des nôtres ne seront point perdues. Votre sang- fécondera l'idée pour laquelle \ons avez Inlle. « Cette idée, jeune encore et trop incomprise, a pour elle l'avenir. En cinq ans elle a conquis Paris ; avant dix ans, elle aura conquis la France. « L'Internationale compte dans le monde environ deux millions cinq cent mille membres. « L'échec qu'elle vient d'essuyer à Paris, ne lui ôte en rien sa confiance dans l'avenir. « Nous serons.bannis deFrance pendant cinq à six ans, disait devant nous un futur député, et, dans dix ans, nous serons plus nombreux, plus forts et mieux disciplinés. « L'Internationale ne menace pas seulement la France, elle menace le inonde entier '. » Ecoulons encore ces cris dé la haine et de la vengeance. Il faut bien (pie les indifférents et les naïfs sachent ce que leur prépare la Révolution, si elle est triomphante 2. 1 Voyez la Décentralisation de Lyon, 6 juin 1871. 2 « An mois de juin 1874, au moment où l'on allait voter la Consti- tution actuelle, les communards réfusriés a Londres formaient un gfdupe sous le titre : « La Commune révolutionnaire, » et lançaient ce mani- feste a leurs partisans : « Nous sommes athées, disaient-ils, parce que l'homme ne éera jamais libre, tant qu'il n'aura pas chassé Dieu de son intelligence et de sa raison " Nous sommes communistes, parce que nous voulons que lu terre, que les richesses naturelles ne soient plus appropriées par quelques- uns, niais qu'elles appartiennent a la eoiumunaut '■. « Cet état sera le prix de la lutte, et nojiS voulons celte lutte sans compromis ni trêve, jusqu'à la destruction de la bourgeoisie, jusqu'au triomphe définitif. « Nous sommes communistes, parce que le communisme e?tla néga- tion la plus radicale de la société que nous voulons renverser... « Nous sommes révolutionnaires, autrement dit communeux, parce que, pour réaliser le but de la Révolution, nous voulons renverser par la force une société qui m' se maintient que par la force, parce que nous savons que la faiblesse, connut' la léijalilc, lue les révolutions que l'énergie &&uve « La Commune, c'est le prolétariat révolutionnaire armé de la dicta- ture par l'abéantissen eut des privilèges et l'écrasement de la bour- geoisie « La Commune, ne l'oublions pas non plus, nous qui avons reçu — 347 — On lit dans Y Ami du Peuple, organe officiel de l'Inter- nationale, numéro du 14 octobre 1874 : « Ce que nous pouvons ? « Marat a demandé cent mille têtes, vous les avez prises à sa- place. Nous, nous ne vous les demanderons pas ; mais, si le salut de l'humanité et de la Révolution l'exige, nous vous les arracherons. » « Remarquez, citoyens, disaitdlatigny, le 1er mars 1875, que toutes les insurrections triomphantes de la Révolution sont celles où l'on a immole les coupables. Et celles où le peuple nJa fait que de menacer, les républicains ont été égorgés. Enlin, faire du modérantisme dans une insurrec- tion, c'est de Vimbêciiité, de ht décadence ou de la trahison. « Rappelons-nous que nulle institution nouvelle ne peut être solide et durable qu'autant que ses ennemis seront anéantis. Nous sommes donc arrivés à cette horrible extré- mité d'être exterminateurs pour n'être pa? exterminés. » Et le 21 février 1875 : « Eh ! messieurs 1 le jour où nous répondrons à vos criminelles provocations, ne comptez plus sur un vieux reste d'humanité du peuple, il se souviendra comment vous lui avez fait grâce en mai 1871 dans les rues de Paris, au plateau de Satory et en Calédonie. » Et le 10 septembre 187G : « La société actuelle est mauvaise et fera le malheur de l'humanité, si toi, prolétaire, tu ne restes pas uni à les frères par le dévouement, les liens de la solidarité, et si charae de la mémoire et de la vemreauce des assassinés, c'est aussi la KEYANCHE. « Oubliant qu'une société ne périt que quand elle est frappée aussi bien dans ses monuments, ses symboles, que dans ses institutions et ses défenseurs, les çomniunalistes veulent décharger la Commune de l'exécution des otaoes, de la responsabilité des incendies Ils ignorent ou feignent d'ignorer que c'est par la volonté du peuple et de la Com- mune, unis jusqu'au dernier moment, qu'ont été frappés les otagis, prêtres, pendarniës, bourgeois, el allumés les incendies. « Pour nous, nous revendiquons notre part de responsabilité dans ces actes justiciers qui ont frappé les ennemis du peuplé, tlepuis Clé- ment Thomas et Leçomte jusqu'aux Dominicains d'Arcueil ; depuis Bonjëab jusqu'aux gendarmes de la rue Haxo, depuis Darboy jusqu'à Cbaudey. » - :i',s - /// ne fais pas passer la charme dans toutes nos institu- tions. » Le Qui Vive de Genève, disait an mois de mars 1 S 7 i : « Sacluv. s'écriaient les réfugiés <|iii rédigeaient cette feuille, que nous n'avons qu'une seule pensée : la ven- geance! Et nous l'aurons terrible, exemplaire. Un jour viendra, vous ne l'ignorez pas, où uous serons les maîtres. Alors il n'a aura pas de pardon, pas de miséricorde poul- ies assassins de 1848 et de 1871. Quevos tries soient blan- ches ou non, noas les faucherons de sang-froid. Nous ne respecterons ni mis femmes ni vos filles, nous serons sans pitié pour elles : nous ne leur devons rien que la mort. La mort sera a l'ordre du jour jusqu'à ce que votre race maudite ait disparu. A bientôt, messieurs les bourgeois! le jour est proche ! » « Riches bourgeois, écrit le communard Georges Lebrun, le 26juillet 1875, vous avez voulu le combat à outrance : snit. nous y répondons. Nous allons voir comment vous en sortirez. Braves prolétaires, plus de faiblesse, plus de pitié pour ces lâches qui vous ont abandonnés et trahis. Saisisse: la hache et le fusil et à bas les têtes! Il faut en finir, préparez-vous. Si \ous ne portez pas le dernier coup à celte bourgeoisie lâche et criminelle, nous allez la voir bientôt encore lever sa tête hideuse. Le combat à mort entre les hommes du peuple et les ennemis Au peuple est engagé, il ne peut finir que lorsque l'un des deux partis aura anéanti l'antre ! « Travailleurs, prenez garde à \<>us ! » Déjà l'on spécule sur le triomphe de l'insurrection. « Ce jour-là, dit VAmi du Peuple du 25 janvier 1874, ce jour-là, bourgeoisie égoïste, tu crieras grâce et pitié à ceux que lu as dépouillés et foules aux pieds. Mais le peuple emploiera la justice avant la clémence, et te criera ces mots terribles : trop tard .' » _ Aux patrons, la Commune promet le même sortqu'actx prêtres, aux soldats et aux juges. - 310 — « Et vous, dit Y Ami du Peuple du ï23 octobre, patrons, qui avez pressuré pendant si longtemps vos ouvriers, qui leur avez imposé des règlements dégradants, qui en avez fait des esclaves à côte desquels ceux de l'antiquité étaient heureux Parvenus, à la chaudière! » Le 20 septembre 1875, Y Ami du Peuple termine la pro- fession de foi d'un athée par ces mots : « Mort à la monarchie 1 « Mort au gouvernement despotique 1 « Mort au clergé 1 « Mort à l'armée permanente ! « Mort à l'aristocratie ! « Mort à la bourgeoisie ! « Mort au patronat ! « Vivo la Commune ! « Vive le prolétariat!... » Un grand banquet de proscrits de la Commune a eu lieu le 18 mars 1879 à Londres. Jules Vallès présidait. A la lin du repas, Vallès a révélé la signification de ce banquet par la phrase suivante : « J'ai eu I honneur de présider, à Paris, la dernière séance de la Commune. C'est une bonne fortune pour moi que d'avoir à présider le premier banquet où il est permis de parler d'elle avec confiance et espoir. » Deux autres proscrits, Theisz et Joiïrin, ont développe cette pensée ; on peut résumer leurs discours par cette phrasecourle, mais effrayante par sa précision : « la Com- mune revient. » Jules Vallès a porte un toast « à la réorganisation du parti socialiste, marchant seul à Tassant de la société actuelle, sans concession, sans compromis, sans allian- ces. » Autour du président, avec quelques « dames de la Com- mune », on voyait les personnages suivants, dont les 350 — noms, encore présents à la mémoire de tous, rappellent les journées horribles de mars et d'avril 1871 : Longuet, le gendre de Karl Marx, qui exerçait les fonc- tions de directeur du Journal officiel sous la Commune : Paschal Grousset, Jourde, Theisz, directeur des postes sous la Commune : Lângèvin, Boursier, du comité Central de l'insurrection ; Combault. Joffrin, etc Mais notre âme se soulève en présence. de telles hor- reurs, et notre plume se fatigue à les reproduire. En vérité, ne sommes-nous point les témoins des séductions et des triomphes de la Bête dont parle l'apôtre sainl Jean ? « Et ils adorèrent le dragon qui avait donne sa puis- sance à la Bête, dit le prophète de Patmos ; et ils adorèrent la Bête en disant : Qui est semblable à la Bête et qui pourra combattre contre elle:' « Et il lui fut donné une bouche qui se glorifiait inso1 lemiiient et qui blasphémait ; et. elle reçut le pouvoir de faire la guerre durant quarante-deux mois. « Et elle ouvrit la bouche pour blasphémer contre Dieu, pour blasphémer son nom, son tabernacle et ceux qui habitent dans leciel. « Et il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre; et la puissance lui fut donnée sur les hommes de toute tribu, et de tout peuple, et de toute langue et de toute nation. « Et elle fut adorée de tous ceux qui habitent la terre, dont les noms ne sont point écrits dans le livre de l'Agneau qui à été immole dès la Création du monde '. » En effet, ce qui est plus étrange encore et plus inexpli- cable qUe ces prodiges de la haine et de la barbarie, c'est la sécurité insensée de laid, d'hommes qui s'obstinent à ne pas voir ces formidables périls; c'est l'aberration des gouvernements menacés les premiers, quelles que soient 1 Apoc. mu, i, 5, G, 7 el H. - 351 - leurs constitutions politiques, par ces menées souterraines et ces complots de l'anarchie ; c'est l'aveuglement de cette bourgeoisie, de ces capitalistes et de ces patrons, contre lesquels les sociétés secrètes, l'Internationale et la Com- mune, préparent le pillage et l'incendie, le niveau sanglant de d'.\ et les massacres sans pitié; c'est l'aveuglement de ce peuple, de ces ouvriers de nos villes, toujours dupes et toujours victimes de ceux qui les flattent et qui les exploitent. Mais vous, Nos Très Chers Frères, vous fuirez ces sociétés funestes et criminelles, vous apprendrez à vos enfants à redouter les liens qu'elles imposent aux crédules et aux faibles. Vous repousserez loin du foyer de votre famille, les écrits, les journaux inspirés par les Sociétés secrètes et les hommes qui les propagent ou les défen- dent. Vous garderez vos âmes et les âmes de tous ceux qui vous sont chers dans la vérité catholique, dans la soumission à l'Eglise, dans le respect de la religion et de l'autorité, et dans la sainte liberté des enfants de Dieu. DEUXIÈME EKTTIŒ PASTORALE LA FRANC-MAÇONNERIE ■l'.l janvier 1879. Nos Très Chers Frères, .Nous venons, pour la seconde fois, vous signaler un des grands périls de notre époque et combattre le fléau terrible de la Franc-Maçonnerie \ Plus les anxiétés de l'heure présente sont douloureuses, plus les ennemis de l'Eglise et de Dieu se croient assurés de leur triomphe, plus la puissance de ces sociétés mau- dites devient formidable, plus notre conscience nous impose d'élever la voix et d'avertir les fidèles confiés à notre sollicitude. D'ailleurs Notre S. P. le Pape Léon XIII, dans l'admirable Lettre encyclique qu'il vient de publier, nous presse d'accomplir ce grand devoir. Après avoir rap- pelé les condamnations portées par ses prédécesseurs contre les sociétés secrètes, «il faut, dit le Souverain Pontife en s'adressant aux Evèques, il faut que vous fas- 1 V. la lettre pastorale pour le carême 1878. 23 354 — siez tous vos efforts pour que les enfants de l'Eglise ne se permettent, sons aucun prétexte, de s'enrôler dans quel- qu'une de ers sectes abominables et de la favoriser en aucune manière. Insuper adlaboretis oportet ut Ecclesiœ catholicœ filii neque nomen dare, nequœ abominâtes sectœ favere ulla rations audeant. » Dans une pretflière lettre pastorale, nous vous avons dit ce qu'est la Franc-Maçonnerie, el nous avons établi qu'elle esl une société fortement et habilement constituée, qu'elle n'est pas une 'société de bienfaisance, mais une société essentiellement politique s'étendant à l'univers entier et embrassant tontes les classes sociales. Nous avons dit ce que la Franc-Maçonnerie est pour la religion, et nous avons démontre qu'uti Franc-Maçon ne peut être catholique, qu'il ne peu! être chrétien et peuples, en transformant dans la verit \ la justice et l'amour, le pouvoir, les lois, les institutions. Et, malgré les défaillances auxquelles notre nature déchue ne peut échapper, il a fonde par la lidelité à la parole donnée, par la protection des faibles et le respect du droit, uni; civili- sation à laquelle la civilisation païenne ne peut être com- parée. Les constitutions chrétiennes dn moyen-âge, ainsi (pie le démontrent les grands théologiens catholiques, étaient des contrats entre les rois et les peuples. La Papauté, investie, par le droit public de cette époque, d'une auto- rité suprême, veillait a l'accomplissement de ces obliga- tions sacrées. Les attentats contre Jésus-Christ et son Lglise ont été toujours le principe de 1 oppression des peuples et de l'anarchie sociale. Il y a des libertés nécessaires, il y a des excès de pou- voir qui se retournent contre le pouvoir lui-même ; mais — 356 - il y a aussi, nous ne le savons que trop, la licence, le désordre, la tyrannie du nombre et de la multitude. tyran- nie souvent plus inique, plus hypocrite et plus funeste que la tyrannie d'un seul. Nulle liberté n'est possible sans la religion, sans la vertu et sans les pouvoirs qui soutiennent, qui dirigent, font mouvoir et vivre les nations et les sociétés. .Nous pourrions donc nous arrêter ici et conclure des démons- trations contenues dans les premiers chapitres de cette étude, que la Franc-Maçonnerie est l'ennemie fatale de toute liberté. Mais considérons de plus près, et à la lumière de ses aveux et de ses actes, cette prétention de la Franc-Maçonnerie. Oue fait-elle de la liberté religieuse, de la liberté de la foi et de la conscience? Nous l'avons démontré, elle est non seulement l'ennemie acharnée de la religion catho- lique, de la religion chrétienne, mais elle est la négation et la destruction de toute religion. Toutes les religions sont pour elles de vieilles supers- titions qu'il faut détruire. Le juif, le mahométan, le catho- lique, le protestant sont admis dans la Franc-Maçonnerie, à la condition de devenir des hommes nouveaux, d'abju- rer leurs erreurs, les préjugés et les superstitions dont on a bercé leur jeunesse *. L'Église catholique est Vinfâme qu'il faut écraser à tout prix. Le but final de la Franc-Maçonnerie « est l'anéantis- sement à tout jamais du catholicisme et de l'idée chré- tienne » 2. Pour opprimer l'Eglise catholique, rien n'a coûté aux adeptes de la Franc-Maçonnerie, ni les calomnies les plus perfides, ni les attentats les plus iniques, ni les lois qui violent les principes éternels de la justice. Lisez les écrits et les journaux de la Franc-Maçonnerie, écoutez ses adeptes, recueillez leurs aveux, étudiez leurs 1 V. 1" lettre pastorale sur la Franc-Maconnerie. II. 2 Ibid. - 357 - actes clans le gouvernement de tout un peuple ou dans l'administration du dernier de nos villages, au sein des assemblées législatives, comme dans l'enceinte d'un con- seil municipal, partout et toujours vous connaîtrez la volonté arrêtée, obstinée, d'opprimer l'Eglise et de susciter une persécution ouverte ou dissimulée contre toutes les œuvres catholiques. Au congrès de Liège, en 1865, un des orateurs s'écriait : « Frappons-nous la poitrine, en attendant l'heure de la vengeance. Je propose de déclarer que la religion catho- lique est impossible en fait d'enseignement, et de deman- der l'exclusion complète de tout individu qui représente l'idée religieuse '. » Les faits qui viennent de jeter le trouble dans plusieurs de nos grandes villes disent assez haut que la Franc- Maçonnerie n'admet pas la liberté des processions, des fêtes catholiques et de toutes les manifestations religieuses. Personne n'ignore la haine des sociétés secrètes contre les ordres religieux et les décrets de proscription qu'elles réclament partout. Nous pourrions multiplier les citations, nous citerons seulement les paroles suivantes de l'un des orateurs de la Franc-Maçonnerie, dans une des grandes fêtes de la secte : « Lorsque, ainsi que nous le voyons malheureusement, le pays se couvre d'établissements qu'on appelle religieux, que moi je qualifie de fainéants, je dis, moi, que nous avons le droit et le devoir de nous occuper de la question religieuse des couvents, de l'atta- quer de front, de la disséquer, et il faudra bien que le pays entier finisse par en faire justice, dùt-il même employer la force pour se guérir de cette lèpre 2. » Si, en ce moment, la Franc-Maçonnerie ne réalise pas tout son programme de persécution religieuse, c'est que quelques lois actuelles s'y opposent encore ; c'est que 1 Discours de M. Casse. 2 Discours du F.'. Boulard, a la fête solsticiale nationale célébrée par le Grand Orient de Belgique, en 1854. 358 — l'autorité et la force ne sont point encore coiûplètemenl etllre ses mains. Mais si Dieu, pOUr châtier la France, permet le triomphé complet des sectes maçonniques, si les barrières qui nous protegenl encore tombent sous les coups qui leur sont, portés chaque jour, le règne de la Franc-Maçonnerie sera la domination sans frein et sans limite de la plus sacrilège tyrannie. La Franc-Hfâçohnerie parie de liberté, mais quelle liberté laisse-t-elle à ses adeptes dans tout le cours de leur vie:' Liés Serments qui les lient pour jamais les sou- mettent sans réserve à dr> chefs inconnus qui peinent leur imposer l'exécution de tous les crimes. Lis s'etïgàgëtlt à repousser le baptême chrétien, le mariage religieux et à interdire aux prêtres l'accès du lit di'> mourants. Pour consacrer cette servitude saCrilège, les membres de quel- ques-unes des sectes maçonniques donnent mandat à leurs confrères d'intervenir entre eux et leurs familles, alin d'écarter à tout prix de leur dernière \\rni'{^ et de leur dgb- ni" les consolations relaie;; es, et de rendre impuissant le cri de leur conscience devant les révélations de la mort et de l'éternité. A cette heure suprême où l'âme regarde de haut les choses de la terre et du temps, où elle retrouve souvent la liberté que lui avaient ravie le respect humain, les pré- jugés et les jiassions : à celle heure où la famille a dos droits plus sacrés" ■ a cette heure où l'émotion gagne les cœurs les plus endurcis, et tandis que l'on voit Quelquefois des impies réclamer eux-mêmes pour (\^> êtres chéris les consolations de la pieté et les célestes espérances, la an c- Maçonnerie vient armée de son mandat. Elle dit à ce père, à cette; mère, brises par la d'tuleur; elle dit à cille épouse, à ces enfants éplorés : Ce iini/inn/l nous appartient. .11 ne lui est pas permis d'écouter les conseils de votre tendresse : il ne lui est pas permis de se repentir : retirez-vous, au nom de la Libertél Les sectes maçonniques suppriment jusqu'à la liberté - 359 - du tombeau. Voici le dixième article des statuts d'une Logo de Paris, appelée VArenir : « Le libre-penseur pouvant êlre empêché, au moment de la mort, pâf des inlluences étrangères (les influences de la famille I), de remplir ses obligations vis-à-vis du Comité, remettra h (rois do ses frères, pour faciliter leur mission on ce cas, un mandat fait au moins en triple ampliation, donnant plein droit aux Frères de protester bâillement; dans le cas où, pour quelque raison que ce soit, on ne tiendrait pas compte de sa volonté formelle d'être enterre en dehors de toute espèce de rite reli- gieux î. i Bien souvent, dans ces dernières années, des luttes douloureuses se sont engagées entre les familles qui vou- laient accomplir les dernières volontés d'un mourant, et la tyrannie de ces sectes impies, qui ne s'arrêtent pas devant la majesté de la mort et qui poursuivent la liberté jusque dans le tombeau. Le Grand Maîlre, il est vrai, s'est effrayé des consé- quences de ces décrets, qui révoltent les consciences honnêtes, et il a suspendu, pendant six mois, la Loge de V Avenir. Mais combien de fois, depuis lors, ces principes odieux n'ont-ils pas été affirmés et mis en pratique par d'autres Loges maçonniques? Une fois encore, quelle liberté respecte la Franc - Maçonnerie? Serait-ce la liberté de renseignement? Mais nous avons prouvé que la fameuse et hypocrite formule de l'instruction laïque, gratuite et obligatoire était l'œuvre des sectes maçonniques, et que, dans leur pensée, elle doit avoir pour effet de déchristianiser la France, en bannissant de l'enseignement toutes les notions, toutes les croyances religieuses. Ce n'est point assez, pour ces apôtres, de la liberté, de. demander la suppression des universités catholiques et les 1 dite, dans Le Monde maçonnique, t. IX. — 360 - mesures les plus iniques contre 1rs écoles congréganistes, il faut proscrire les congrégations enseignantes elles- mêmes et imposer de force aux familles chrétiennes, à la France catholique, un enseignement sans Dieu. La liberté que viole ici audacieusement la Franc-Maçon- nerie, c'est la liberté des âmes, la liberté de la famille; c'est le droit évident, indiscutable du père de famille d'élever ses enfants dans ses croyances et. par consé- quent, de choisir librement les maîtres auxquels il confiera leur instruction. Dans les débats sur la loi de la liberté de l'enseigne- ment, en 1847, M. Thiers disait : « La vraie liberté de l'ense:gnement repose sur le droit des pères de famille »: et M. de Lamartine appelait l'atteinte portée à cette liberté « un sacrilège contre la religion, contre la raison, contre le père de famille, contre l'enfant à la fois. » La Franc-Maçonnerie respecte-t-elle la liberté poli- tique? Mais, faut-il le redire encore, ia liberté politique n'existe pas, sans les principes éternels de la morale, sans le respect de l'autorité et des lois, et par conséquent sans l'influence des vérités religieuses. « L'éducation morale et religieuse est plus nécessaire encore dans les pays libres qu'ailleurs, disait M. Guizo! en 1872. Elle consiste principalement dans les principes et la discipline inculques aux âmes dans l'enfance. Pour accomplir une telle œuvre, la présence et l'influence de la religion sont indispensables; elle est intimement unie à la morale, car elle seule donne à la morale une sanction et un but au-dessus et au delà de la vie terrestre \ » D'ailleurs, le principe d'indépendance absolue, proclamé par les sectes maçonniques, est la négation de toute auto- rité : il conduit fatalement au despotisme de la foule, qui, lui même, conduit tôt ou lard au despotisme d'un seul. L'histoire l'affirme : le despotisme de la foule soulève 1 Discours à la Société (l'enseignement primaire parmi les protestants ■ le FraLC •. — 361 - l'indignation et compromet, les intérêts les plus sacres: alors la terreur saisit les peuples, et tous les vœux appellent une autorité, quelle quelle soit, qui donne la sécurité et la paix, fût-ce au prix de toutes les liber- lés. , Dans les desseins de la Franc-Maçonnerie, cette indé- pendance tant vantée, à laquelle elle donne le nom de liberté et qui n'est que l'anarchie universelle, il faut l'éta- blir par la force. Toutes les violences doivent être applau- dies, tous les moyens sont légitimes pour fonder cette étrange liberté. On dirait vraiment un défi jeté à la raison humaine, au plus vulgaire bon sens ; on dirait que dans ces intelligences dévoyées et ces volontés perverties, il existe un parti pris de se réfuter elles-mêmes par les con- tradictions les plus insensées. Ecoutez les orateurs et les écrivains de la Franc-Maçon- nerie : « Les princes, les bigots, la noblesse, ces ennemis implacables du genre humain, doivent être anéantis et leurs biens assignés à ceux qui, par leurs talents, leur science et leurs vertus, ont seuls le droit et le pouvoir de gouverner les autres. Tout est permis pour les anéan- tir : la violence et la ruse, le feu et le fer, le poison et le poignard; la tin sanctifie le moyen l. » « Si le pouvoir s'obstine a maintenir une chose que l'esprit de l'époque repousse et qui est usée par le temps, il faut, d'après les lois de la dynamique, qu'un pouvoir plus fort s'élève et fasse e.récnter les lois de kl fatalité... Si l'humanité doit progresser selon la volonté du 'Grand- Maître, il faut que les vieux échafaudages s'écroulent, quand bien même toutes les puissances du monde s'efforce- raient de les sauver de la ruine. Cest par la violence qu'ils sont alors renversés V» 1 F.n F. •.-M.-. Fichte, cité par Gautrelet. (La Franc Maçonnerie, p. 130,) - l .Vstrée, citée par Gautrelet, ( LamFraitc- Maçonnerie, p. 129.) — 362 — Kl l'orateur du Congrès de Liège que nous avons cité, disaii encore : « L'Etat, quel qu'il soit, esl ipcompétenl : je rie recon- nais pas d'autorité, puisque je rie reconnais pas là seule autorité vraie, celle de Dieu. Je ne Deux plus d'autorité, je Deux ht [on'c. « La force est un principe humain, il faut l'employer, pour l'aire progresser l'humanité. Quand dn ne l'emploie pas à cette lin. on entendre la haine... la haine, ce sal- pêtre qui fait sauter tous les gouvernements. « .le veux la force pour arriver à la liberté. Caton répé- tait tous lés jours, au Sénat de ftorçfe, qu'il fallait détruire Cartjirige : répétons tous les jours de notre vie qu'il faut détruire l'autorité : l'autorité doit être nôtre Carthage, elle doit disparaître '. » II i.a l'u am:-ma<:()Nm:i'.ii:. i.a ruATi.itMTi:. i. i;i;ai.i ri: ET LE PROGRÈS. Nous avons démontré. 2 que la Franc-ltyaepnrçerie n'est pas upe société de bienfaisance; que la fraternité n'est qu'un voile jeté sur les vrais projets et le but essentiel de la secte. Les œuvres très rares qu'elle a entreprises pour donner des secours à ses adeptes, quoique restreintes dans des limites étroites, ont été frappées de stérilité et d'impuis- sance, (le qui est parfaitement démontré., c'est qu'elle sacrifie les intérêts du travailleur et du pauvre, qu'elle les pousse à la révolte et qu'elle conduit les peuples à des luttes fratricides et à la jwbarie la plus sauvage. (Miellé égalité reelanie la Franc-Maçonnerie :' L'égalité de la fortune, de l'influence, de l'autorité est aussi impos- sible que l'égalité de l'activité et des talents, des forces 1 Discours de M. Casse, cité par la Défense, 23 mai 1876. 2 V. 1" Lettre pastorale sur lu Franb Maçonnerie, I. - 36;^ — physiques et morales. Si les richesses étaient divisées entrfe tous, la part de chacun serait un lut stérile, et les ressources feraient défaut pour la moindre entreprise. Tout encouragement au travail, à l'industrie, au commerce serait évidemment supprime: et il faudrait revenir bien- tôt, pai1 un noineau partage, à l'égalité première. Il y a plus ; eette égalité ne pourrait subsister un seul jour; car, le partage achevé, le plus grand nombre serait obligé d'aliéner une pari des biens qu'il aurait reçus pour obtenir le concours des plus actifs, des plus forts, des plus babiles. C'est par de pareilles utopies que les peuples se laissent séduire, c'est par ces rêves insensés que l'ouvrier est détourne de son travail, son unique ressource, et pousse à toutes les violences et à tous les crimes. Cf. tandis que la Franc-Maçonnerje proclame l'égalité entre tous les hommes, elle consacre toutes ses forces, toutes ses ressources à obtenir pour ses adeptes, au détriment de tous ceux qui ne subissent pas son escla- vage, ^influence, le pouvoir, les traitements les plus éle- vés et la fortune \ « Pour nous, a dit le savant évoque de Mayence. Mgr Ketteler, nous le disons dans toute la sincérité de notre âme, nous croyons avoir constaté souvent de telles influences; nous croyons avoir remarqué que, dans maints endroits, plusieurs emplois importants, sans avoir égard uniquement aux capacités, sont donnés de préférence, à des Maçons : que l'on tâche, même assez souvent, de con- fier des postes publics hors des villes, à des hommes insi- gniliants, afin d'agrandir \&WT influence et de leur donner une apparence de capacité et un semblant d'honorabilité exceptionnelle Ces hommes sont honores des notabilités maçonniques, admis dans leur compagnie et deviennent les instruments aveugles de la Maçonnerie. C'est, en 1 Chaîne d'union, ï;it,.V par Le Monde, l?, avril 1829. — 364 - outre, une conviction fort répandue, qu'un excellent moyen d'arriver aux places les [tins importantes et d'être appuyé, c'est d'appartenir à la Franc-Maçonnerie. .Nous ignorons ce qu'il en est ; mais nous savons bien que cette crainte est légitime et qu'elle le sera tant que la Franc- Maçonnerie restera secrète et échappera au contrôle de la publicité '. » « La Maçonnerie, dit M. Eckert, hisse ses adeptes à toutes les places de l'administration et écarte tous ceux qui ne sont pas initiés. Le Maçon qui occupe une position civile est sommé de se rappeler le serment qu'il a fait de venir en aide à son frère, et celui qui est initié au grade supérieur protège ses simples frères, selon que le com- mande l'intérêt de l'Ordre: c'est ainsi que celte société parvient à faire entrer ses adeptes dans toutes les places. Ainsi, par le fait, la Franc-Maçonnerie parvient à dominer le pouvoir et le gouvernement, et tandis qu'elle proclame V égalité des droits de tous les citoyens, elle a une préfé- rence marquée pour ses membres : elle leur distribue les places de l'Etat, des écoles et des communes et sape les fondements mêmes du gouvernement 2. » La Franc-Maçonnerie affirme qu'elle est l'ouvrière du progrès. Mais de quel progrès parlé-telle ? Serait-ce le progrès dans la vérité, le progrès dans les croyances con- solantes et saintes qui soutiennent, sur le chemin attristé de cette vie, le cœur défaillant de l'homme, le progrès dans les espérances immortelles, qui sont le trésor de tous, mais surtout le trésor du travailleur et du pauvre, et qui amènent les rayons d'en haut sur son front et sur son âme, dans sa chaumière ou sa mansarde? Mais ces sectes impitoyables combattent toutes ses croyances: elles se rient de cet espoir divin: elles disent à l'infortuné, écrasé sous le poids de son travail et de ses douleurs: Va, tra- 1 Un catholique peut-il être Franc- Maçon? Dissertation, Muyence, 1865. 2 La Franc- Maçonnerie dans ja véritable signification, t. I, p. 139. - 365 - vaille, souffre et pleure, il y a là-bas, dans une terre qui ne connaîtra pas les bénédictions de Dieu et les prières de ceux qui t'aiment, il y a des vers qui t'attendent et qui mangeront ton cadavre. C'est assez pour toi; et de quoi donc te plaindrais-tu ? Serait-ce le progrès moral? Mais, nous l'avons dit, la Franc-Maçonnerie est la négation absolue de ce progrès. Tandis que les légions des âmes dociles aux enseigne- ments de l'Évangile, tandis que les âmes formées par l'autorité et la tendresse de l'Eglise multiplient, dans la chasteté parfaite, la pauvreté volontaire, l'obéissance géné- reuse, l'humilité sans réserve, les œuvres les plus héroïques de la charité; tandis que les croyances catho- liques inspirent, dans les familles chrétiennes, au foyer domestique, et même au milieu des périls du monde, d'admirables vertus, la Franc-Maçonnerie ne peut inspi- rer ni une vertu, ni un dévouement. Dans quelle portion, même infime de l'humanité, a- t-elle réalisé le progrès moral? Où donc est le père de famille qu'elle a rendu plus digne du respect de ses enfants, la mère qui, par son influence, est devenue plus dévouée, la jeune fille plus pure, le jeune homme plus soumis, plus généreux, plus fort contre lui-même et contre le mal? Serait-ce le progrès matériel? Mais quelle influence peuvent avoir sur le progrès matériel, les sociétés anti- chrétiennes et antisociales que nous combattons, leurs serments, leurs négations, leurs blasphèmes, leurs attentats, leurs cérémonies puériles et absurdes dont nous parlerons bientôt? Dans quelle mesure, de telles asso- ciations peuvent-elles être utiles à l'agriculture, au com- merce, à l'industrie, à la prospérité matérielle d'un peuple? Bien plus, il est évident que ces sociétés compromettent le progrès matériel lui-même. En présence de cette marche toujours ascendante de l'iniquité, de ces attaques — :{<)<; - sauvages contre tdut cd qtii es| respectable cl sacré, an présence de ces outrages jetés sans cesse à toutes Les \ érités et à tous les devoirs, à imites les autorités et à tous les droits, la sécurité disparaît, et op sent passer (la i > s tout uo grand peuple comme le frisson d'une teneur d'abord latente, mais qui bientôt se manifeste par des catastrophes et des mines. Alors, tout à coup l'industrie languit, le commerce s'arrête, lJor se cache, les projets les plus heureux sont renvoyés à d'autres temps, les entreprises qui paraissaient prospères sont paralysées, les fortunes s'écroulent, l'in- certitude est partout et l'effroi saisit tous les cceurs. Ce progrès matériel tant vanté, devient alors, par son essor lui-même, la source des plus effroyables désastres. C'est le glaive. dans les mains de la trahison et qui se retourne contre ceux qu'il -devait défendre, ('/est une force d'autant plus redoutable qu'elle est plus active el plus puissante, pareille à ces convois qui dévorent l'espace et qui, jetés tout à coup hors de la voie par une main cri- minelle, causent des désastres proportionnés à Pjmpétqo- site de leur marche et au nombre des voyageurs qu'ils emportent. Kl pourtant, il faut le reconnaître, il y a un progrès que la Franc-Maçonnerie s'efforce de réaliser, c'est le progrès de s. 's adeptes dans la richesse, l'influence et le pouvoir : c'est b» succès effrayant de toutes les sociétés secrètes. qui bientôt s'empareront des gouvernements, frapperont les rois ou les renverseront de leurs troues, entraîneront les populations égarées et deviendront ainsi Les arbitres du monde. III I.A FRANC-MAÇONNERIE ET LA PATRIE. On pourrait croire que la fureur des sociétés secrètes s'arrête devant l'amour de la patrie. i >n pourrait croire que - 3fi7 — eut amour qui embrase, à certaines heures, aux heures des périls et des épreuves, les âmes les plus vulgaires et qui fait tressaillir d'espérance ou d'effroi les cieurs qui paraissent les plus endurcis et les plus abaissés, on pour- rait croire que cej amour fait recaler devant ses séductions et sa puissance les hordes de la barbarie. Mais non, la Franc-Maçonnerie ne respecte rien. C'est aux sentiments les plus élevés et les plus généreux qu'elle s'attaque de préférence, et l'amour de la patrie, comme tous les nobles sentiments, est un obstacle à son œuvre d'abaissement et d'impiété, de décadence et d'anarchie. Ici encore, les preuves et les aveux ne nous manquent pas. La Franc-Maconnerie nous affirme qu'elle n'est pas nationale, mais universelle et cosmopolite. « Les différents noms sous lesquels s'enrôlent ses adeptes nous continuent la même vérité, : Confédération maçonnique universelle, Alliance chrétienne, Alliance chré- tienne universelle. C'est ce que pose nettement en principe l' Internationale. Selon cilo, la question sociale ne pou- vant trouver sa solution définitive et réelle que sur la hase de la solidarité universelle et internationale des tra- vailleurs de tous les pays, F Alliance repousse toute poli- tique fondée sur le soi-disant patriotisme et sur la rivalité des nations '. » Voici un témoignage plus décisif encore : « Quant à la patrie, a dit un des chefs de la Franc- Maçonnerie, nous la répudions, parce que nous n'accep- tons pas que l'on puisse faire égorger des hommes au nom des nationalités. Tous les travailleurs, tous les pro- létaires sont frères ; l'ennemi, c'est la société telle qu'elle est organisée. « La société est mauvaise : donc il faut la changer. « Travailleurs de tous pays, à l'œuvre! Guerre impi- toyable au capital, à la propriété, aux gouvernements qui 1 Cité pur (j\mt.ki.ut (La Franc-Maçonnerie et la Révolution, p. 158;. — 368 — la protègent! Le droit au travail pour tous, l'atelier à tous : voilà notre but. « Pour y arriver, nous n'épargnerons rien; nous com- battrons, s'il le faut, à l'ombre du drapeau rouge, étendard du socialisme et de la Commune '. » Et un autre orateur des Loges s'exprimait ainsi : « A V instant où les hommes se réunirent en nations, ils cessèrent de se reconnaître sous un nom commun comme si, en ayant chacun un nom propre, les hommes cessaient d'être des citoyens et des hommes. Le nationalisme ou l'amour national prit la place de l'amour gênerai : avec la division du globe et de ses contrées, la bienveillance se resserra dans des limites qu'elle ne devait plus franchir. Alors ce fut une vertu de s'étendre aux dépens de ceux qui ne se trouvaient pas sous notre empire ; alors, il fut permis, pour obtenir ce but, de mépriser les étrangers, de les tromper et de les offenser. Cette vertu fut appelée patriotisme. « Diminuez, retranchez cet amour de la patrie, détruisez ces communes, ces provinces, cet esprit de famille, ce localisme, en un mot, les hommes de nouveau apprennent à se connaître et à s'aimer comme des hommes ; il n'est plus de partialité, le lien des cœurs se déroule el s'étend...2. » « La société civile, dit Lessing, un des écrivains que la Franc-Maçonnerie estime le plus, ne saurait unir les hommes en corps sans les repartir, ni les repartir sans occasionner de profondes scissions entre eux... De lit. le droit de reagir contre de semblables séparations. Pour cet effet, il serait grandement à désirer qu'il y eût dans chaque Étal «1rs hommes dépouillés des préjugés de natio- nalité qui sachent bien à quelle limite le patriotisme cesse d'être âne vertu..., des hommes que la grandeur civique 1 Discours de Venizier daus une réunion tenue a Channu-Cros.-- (Londres) en 1800 . Cité par lu Décentralisation du 19 juin 1871. 2 Discours de l'orateur du izrade de Grand Élu de la Carbonaro. - 369 — n'aveugle pas Je me ligure les Francs-Maçons, ajoute- t-il quelques lignes après, comme des gens qui ont pris sur eux la charge de travailler contre les maux inévitables de l'État1. » Le but avoué de Y Internationale , dont les liens intimes avec la Franc-Maçonnerie ne sauraient être contestés, n'est-ce pas la révolution sociale universelle, par l'union et les efforts communs des ouvriers de toutes les nations? D'ailleurs, en accumulant les ruines, en s'efforçant de détruire la morale, la foi chrétienne, les assises premières de tout gouvernement et de toute société, la Franc- Maçonnerie ne conspire-t-elle pas contre la prospérité, la grandeur, la gloire et l'existence même de la patrie, surtout quand cette patrie est la France? La Franc-Maçonnerie n'a ni le même but, ni les mêmes moyens d'action, ni la même organisation, ni les mêmes principes, ni la même vie qu'une nation quelconque ; elle est comme une nation distincte, hostile, au sein de toute nation qui l'accueille. Cette société si fortement, si habilement, si mystérieu- sement organisée, elle est un État dans l'État, un pouvoir tout à la fois au-dessus et au-dessous de tous les pou- voirs, un gouvernement obéi avec une soumission aveugle et qui échappe à la surveillance, aux lois, à la répression de tous les gouvernements. Et, si nous ne craignions de profaner ce nom si doux et si sacré de la patrie, nous di- rions que la Franc-Maçonnerie est la patrie des impies, des conspirateurs et des révoltés, la patrie de la révo- lution satanique établie au cœur même de la noble et glo- rieuse patrie française. Entre ces deux nations, entre ces deux patries, l'une la plus belle, la plus riche des dons du ciel, et malgré ses fautes, la plus aimée de Dieu qui soit sur cette terre, et l'autre la plus criminelle, la plus hideuse, la plus redou- 1 Ecrits originaux des éliminés, t. H, p. 2, cités par Deschamps. (Les Sociétés secrètes et la Société, t. Il, p. 214.) — 370 - lablc qui soit sortie de l'enfer, la lutte n'est-elle pas iné- vitable, acharnée, incessante, jusqu'au jour où l'une ou l'autre aura péri ? L'histoire de nos derniers desastres démontre ce qu'est la France pour les sociétés secrètes. C'est en présence des vainqueurs campés sous les remparts de notre capi- tale conquise; c'est dans cette France humiliée, écrasée sous les pieds de ses ennemis ; c'est à cette heure d'in- comparables angoisses où la patrie doit trouver dans l'âme du dernier de ses enfants la fidélité et L'amour poussés jusqu'à l'héroïsme ; c'est à cette heure que la Franc-Ma- çonnerie a prêté son appui à la Commune fondée par l'In- ternationale. Pour l'infortuné qui subit l'esclavage des sociétés secrètes, la Republique universelle doit absorber tous les peuples, la patrie n'existe plus, ses frontières sont sup- primées, son drapeau estsans prestige, son gouvernement, ses lois, ses traditions sont méprisés. Qu'elle apparaisse dans la majesté de ses douleurs ou dans l'éclat de sa gloire, la patrie disparait devant la puissance de la Franc- Maçonnerie. Le patriotisme n'est plus même un mot vide de sens, il est un sentiment coupable. Donc, s'il faut que la France périsse pour le triomphe de la Franc-Maçonnerie et de l'Internationale, eh bien ! périsse la France ! C'est le mot d'ordre, c'est la loi, et quiconque prête son concours aux sociétés secrètes prend une part à cette œuvre mille fois criminelle, quiconque appartient aux sociétés secrètes est l'ennemi de la patrie, il est l'ennemi de la France. - 371 - IV LA FRANC-MAÇONNERIE, LA DIGNITE DE L HOMME ET LE RON SENS. Nous l'avons dit, la Franc-Maçonnerie s'attaque à tous les sentiments qui honorent et qui élèvent l'homme. Ecoutez les aveux et les plaintes d'un Franc-Maçon. « L'élément de la frivolité se montre partout : dans la légèreté et l'étourderie avec laquelle, depuis 1713 jusqu'à ce jour, on a admis les hommes les plus misérables, les plus abjects, les plus vils; dans la faiblesse avec laquelle on les a tolérés dans les Loges, après la certitude acquise de leur indignité; dans l'opposition décidée de la majorité à une occupation plus noble et plus instructive ; dans les cérémonies des Loges de table et la conduite des Frères pendant les banquets ; dans le soin empressé que l'on a pris de transformer le sanctuaire de la Maçonnerie, cet objet de tous les vœux et de tous les efforts, ce temple auguste consacré solennellement à la sagesse et à la fra- ternité, en auberge, eu club, en casino, en lieu de débauche *. » Mais nous nous demandons s'il est possible de faire à la dignité de l'homme et au bon sens des outrages plus cruels que ceux que leur inflige la Franc-Maçonnerie par son organisation ridicule, son langage étrange, ses céré- monies absurdes et ses puérilités odieuses. La Franc-Maçonnerie a ses insignes et ses bijoux dis- tinctifs : le tablier, la truelle, le maillet, le compas. L'équerre, les cordons en sautoir, le soleil d'or et bien d'autres; elle a sa hiérarchie de dignitaires dont nous n'osons reproduire, par respect pour la majesté de la chaire chrétienne, les titres inintelligibles et grotesques. 1 Critiques des Loges, par Fksslek (1847, p; 321)). Cité dans le Jour- nul maçonnique, par Fischer, p. 2.j:i. — 372 - Les objets les plus vulgaires, les actes les plus ordinaires de la vie, les ustensiles de table reçoivent des noms qui excitent le sourire et la pitié. Ces hommes, qui rejettent avec tant de dédain les céré- monies de l'Église catholique et de toutes les religions, subissent avec une docilité aveugle des rites bizarres et insensés. Leur temple, qui est, disent-ils, le temple de Salomon, a son chandelier à sept branches, ses banquettes, ses tapisseries, ses inscriptions mystérieuses, son autel, ses tentures funèbres et ses emblèmes. L'initié se soumet à des épreuves nombreuses, à des marches et à des contremarches, et à trois voyages qui ne le conduisent même pas hors de l'enceinte où il est ren- fermé. Pendant ces voyages, il se baisse pour pénétrer dans un souterrain imaginaire ; il franchit des fosses qui n'existent pas; il lève le pied pour gravir une butte qui n'a de réalité que dans le rituel absurde de la secte ; il monte une échelle sans fin et il ne s'élève pas au-dessus du sol ; il croit tomber du haut d'une montagne et il n'est pas tombé de la hauteur d'un mètre. La grêle et le tonnerre qui se font entendre ne sont même pas des jeux d'enfant. Il fait son testament en face d'un squelette de bois. On lui annonce qu'il va recevoir la glorieuse empreinte d'un sceau rougi au feu et il ne reçoit, sur la partie du corps indiquée et frottée avec un linge, qu'un glaçon ou un corps froid. L'élu au grade de chevalier Kadosch, celui dont les doc- trines, dit le F. ,.-M.". Ragon, « forment le complément « essentiel de la Franc-Maçonnerie, » traverse quatre appartements recouverts de tentures de couleurs diffé- rentes, ornés d'autels, de lampes triangulaires, de trois ou de douze bougies de cire jaune, d'urnes pleines d'esprit de vin. de réchauds auprès desquels on place de l'encens; il monte et descend une échelle mystérieuse. Les emblèmes de ce grade sont une croix avec un serpent à trois têtes. Dans les cérémonies funèbres, le Grand Maître, devant — 373 - l'autel où brûle le feu sacré, offre à l'ombre vénérée des libations ; il offre l'eau, le vin et le lait '. La Franc-Maçonnerie a un baptême, une confirmation et une cène. L'enfant qui est présenté au baptême est appelé Loiweton 2. Du pain, dos fruits, du vin, du lait, du miel servent aux cérémonies de l'initiation et au repas des parrains. Le Vénérable termine la cérémonie en bénissant l'enfant. Les cérémonies de la confirmation et de la cène maçon- niques ne sont ni moins ridicules ni moins sacrilèges s. Ainsi donc, ces hommes qui insultent à nos croyances, à nos rites augustes, aux sacrements qui donnent la lumière, la force et la vie de Dieu, ces adversaires impi- toyables de toutes les superstitions, ces ennemis acharnés du clergé, ils sont prêtres, ils sont pontifes, ils baptisent, ils confirment, ils communient, ils bénissent, ils s'in- clinent devant ces fables ineptes, ils subissent et ils accom- plissent ces rites puérils et grotesques. En vérité c'est la plus terrible vengeance que la justice de Dieu puisse 1 Fêtes maçonniques célébrées en l'honneur de Léopold Ir, roi de Belgique. 2 Etudes sur la Franc-Maçonnerie, par Mgr Dlpanloup, p. 58. « Le parrain tient de la main droite le fil d'un aplomb, de manière t que l'extrémité inférieure de l'aplomb soit en face du cœur du Louve- « ton (l'eafant) ; le premier surveillant toucbe de la main droite le côté « du cœur du Louveton et dit : « Que la ligne verticale de l'aplomb « t'enseigne à marcher droit. » Histoire de la Franc- Maçonnerie, par DUBRELIL, t. II, p. 109.) 3 Etudes sur la Franc- Maçonnerie, par Mar Dipanloup, p. 59. Je reproduis ici textuellement le récit d'un baptême tel qu'il est donné dans le Monde maçonnique ; « La Lo^e de la Parfaite Union, à l'Orient de Rennes, célébrait, le « lundi 13 décembre 18o8, ce que les anciens appelaient un Baptême « maçonni ne... . Le F.'. Guillet, Vénérable, présidait cette céiêmouie « avec l'expérience que lui donnent trente-cinq ans de Maçonnerie... « Les portes du temple s'ouvrent... Le Vénérable fait approcher l'enfant « de l'autel. Sur une table placée au milieu du temple brillent, dans « l'argent et le cristal, le pain, les fruits et le vin, le miel et le lait « qui doivent servir aux cérémonies de l'initiation... Le Vénérable, en « partageant aux parrains ce repas, qui rappelle les agipes des pre- « miers chrétiens, leur adresse quelques mots heureux, empreints « d'une douce murale ; il termine en bénissant l'enfant. » (Le Monde moçonnique, juillet 1872, p. 102.) Voici maintenant la confirmation. Après les épreuves préliminaires, on entend le bruit du tonnerre, précédé d'éclairs, et ou semble aussi entendre des murs s'écrouler avec fracas. « Le bruit et le fracas que — 374 — infliger à l'orgueil de ces blasphémateurs, à ces prétendus esprits forts, qui sacrifient en même temps et le sentiment de la dignité humaine et la lumière du simple bon sens. Peut-être aussi il y a sous ces puérilités un but que rend possible la faiblesse de ces hommes qui se disent si tiers et si indépendants. « En apprenant tout cela aux Francs-Maçons, a dit un révolutionnaire italien, on s'em- pare de la volonté, de l'intelligence et de la liberté d'un homme, on en dispose, on le tourne, on l'étudié... Quand il est mûr pour nous, on le dirige vers la société secrète, dont la Franc-Maçonnerie n'est que l'antichambre '. » V LES OBJECTIONS. En présence de tant de démonstrations accumulées, on se demande comment des hommes intelligents et honnêtes peuvent conserver quelque illusion sur le but, les ten- dances et les crimes de la Franc-Maçonnerie. vous avez entendus, dit le Vénérable, accompagnent ordinairement les premiers pas de ceux qui commencent à marcher dans la carrière maçonnique... » « Alor.-ï, un cliquetis d'armes et des détonations d'armes à feu se « font entendre au loin « Le préparateur fait ensuite marcher l'initié à reculons, pour qu'il " apprenne par là qu'on n'a rien sans peine. « On lui fera boire ;ius«i le calice d'amertume, symbole de la peine « qu'il y a à confesser ses défauts ; car on a commencé par lui deman- « der cette confession. » (Dubreuil, t. H, p. 139 ) Quelques détails maintenant sur la cène maçonnique : « Au fond de la Loge, vers l'orient, est un triangle en forme de « idaive, avec le nom deJéhovah en caractères hébraïques; du côté du " midi, dans un transparent, un soleil qui s'élève au-dessus d'un tom- « beau. Près de ce transparent on place une table sur laquelle il y a un « agneau eu pâtisserie, un couteau, une coupe et un vase de vin... Un « chandelier a trois branches est sur l'autel... « Le Véuérable encense difiei enter- fois le chandelier à trois branches... « Alors le maître des cérémonies découpe l'agneau .. Le Vénérable « prend le plat sur lequel se trouve l'agneau découpé et le présente au « Frère qui est à sa droite en disant : » Prenez et mangez !... ■> En>uit'- « il prend la dupe, il huit et la présente au Frère qui est a sa droite en « disant : « Prenez et buvez ! » Et il donne le baiser de paix. » (Di bheuil, t. II, p. 339.) } Lettre du Petit Tigre à la Vente piémontaise citée par l'auteur 'de l'Église romaine en face de la /(évolution, t. II, p. 121. - 375 - Héals ! des entraînements déplorables, des sollicita- tions pressantes, des habitudes invétérées, des objections enfin qui, toutes vaines qu'elles sont, offrent un prétexte à la faiblesse et à la lâcheté, voilà ce qui n'explique que trop ces étranges et lamentables contradictions. Quelques-uns, en effet, nous répondent : Nous condam- nons la Franc-Maeonnerie qui répand de telles doctrines, qui accomplit de tels crimes et qui pousse à de tels excès ; mais nous n'appartenons pas à cette Franc-Maçon- nerie ; vos démonstrations ne nous atteignent point, et même nuus y applaudirons, si vous le voulez. Mais pour que cette objection eût une valeur, il faudrait démontrer d'abord qu'il existe deux Franc-Maçonneries : Tune utile, bienfaisante ou du moins inoffensive et .qui ne peut être confondue avec la société secrète dont nous venons de tracer le hideux tableau. Cette démonstration, on ne l'a pas faite, on ne la fera jamais. Sans doute la Franc-Maçonnerie a des Loges indépendantes les unes des autres, des catégories, des rites divers ; mais elle forme une société unique, com- pacte, puissante, universelle. Toutes les preuves que nous avons données l'établissent jusqu'à l'évidence, et nulle part nous n'avons rencontré un témoignage qui puisse nous être opposé. La Franc-Maçonnerie tout entière cherche les ténèbres, obéit au même mot d'ordre, est sou- mise au même chef suprême ; partout ses adeptes se reconnaissent à des signes mystérieux, se soutiennent les uns les autres ; partout ils marchent la main dans la main. On nous dit encore que la Franc-Maçonnerie compte parmi ses adeptes un grand nombre d'honnêtes gens qui prétendent ne faire aucun mal. Sans doute, la Franc- M.-içonnerie compte un grand nombre de dupes et de vic- times. Mais quand la lumière est faite, quand les ten- dances et les conséquences funestes de cette société anti- chrétienne et anti-sociale sont établies, est-il permis de - 376 - résister à cette lumière? Nous dirons à ces aveugles et à ces obstinés : Aon, vous ne pouvez pas vous réfugier dans votre prétendue honnêteté; non, vous n'êtes pas inno- cents. La responsabilité de tous ces actes, de tous ces crimes pèse sur vous. Vous donnez votre argent, votre influence, vos efforts pour la propagation de ces sociétés maudites. Vous ne frappez pas, mais vous armez le bras qui frappe; vous ne conspirez pas, mais vous payez les conspirateurs et les révollés. Votre réputation elle-même, cette honorabilité que vous nous opposez, se retournent ici contre vous. Et ne voyez-vous pas que cette réputation et cette honorabilité couvrent et protègent la perversion des sectaires qui agissent, et les desseins des chefs qui commandent? Ne voyez- vous pas qu'elles sont un secours puissant pour l'exécution de ces forfaits et qu'elles sont la cause première des illusions et des erreurs favorables à la Franc-Maçonnerie? Et à ces catholiques, plus nombreux qu'on ne le croit généralement, et que tant de démonstrations ne peuvent éclairer, nous disons : Vous approuvez la Franc-Maçon- nerie, vous la défendez, vous protestez contre les accusa- tions qui l'accablent, vous prétendez qu'elle est une société inoffensive, et votre conscience ne vous reproche rien, et vous prétendez rester catholiques? Mais quel compte faites-vous des enseignements de la sainte Eglise? Vous approuvez ce qu'elle réprouve, vous louez ce qu'elle con- damne, vous protégez les sociétés qu'elle maudit et qui sont ses ennemies acharnées, vous bravez ainsi, dans votre orgueil obstiné, les décisions et les anathèmes du Vicaire de Jésus-Christ. Non, vous n'êtes pas catholiques. Mais des adeptes de la Franc-Maçonnerie, plus auda- cieux .ou plus sincères, nous font ces tristes aveux : La Franc-Maçonnerie est puissante, et l'avenir est aux socié- tés secrètes. Nous nous enrôlons dans leurs légions innombrables, parce que nous voulons arriver à la for- tune, aux honneurs et au pouvoir. — Il est vrai, et nous — 377 — l'avons reconnu, les affiliés des sociétés secrètes se prêtent un mutuel secours ; mais combien de Francs- Maçons dont la fortune s'effondre tout à coup, combien dont les entreprises, d'abord prospères, aboutissent subi- tement à des catastrophes qui atteignent un grand nombre de victimes. Oui oserait prétendre que, dans l'industrie et le commerce, les influences puissantes et les secours matériels même considérables peuvent remplacer la pro- bité, une réputation intacte, la vigilance et le travail, la confiance qu'inspire une vie de droiture et d'honneur? Les sociétés secrètes, d'ailleurs, jettent leurs adeptes dans des luttes politiques auxquelles ils sacrifient souvent la direction de leurs affaires, la surveillance de leurs inté- rêts. Elles imposent à quelques-uns des dépenses consi- dérables pour étendre leur influence, elles sèment parmi les ouvriers des germes d'insubordination et de révolte, elles détruisent les sentiments de l'honnêteté et de la fidé- lité qui seuls peuvent donner la sécurité. Et si quelques affiliés des sociétés secrètes réalisent les rêves de leur ambition, combien de malheureux restent dans la foule, obscurs et pauvres, artisans aveugles et méprisés de la fortune et de la gloire de ces privilégiés ? La Franc-Maçon- nerie enfin exige l'esclavage le plus complet de ceux qu'elle conduit aux honneurs et au pouvoir ; elle les con- - traint à accomplir des actes que la conscience et la justice réprouvent. Et quand il serait vrai que ce chemin conduit à la fortune et à tous les succès, quel est l'homme de cœur, quel est l'honnête homme qui consentirait à les acheter à un tel prix? Mais, en réalité, qu'a fait la Franc-Maçonnerie pour le bien-être de l'ouvrier et des pauvres ? A quel infortuné a-t-elle donné l'aisance et le bonheur? A quel ouvrier a-t-elle inspiré l'amour du travail, la soumission envers ses patrons, le dévouement à sa famille? Ce qu'elle a fait depuis des siècles pour le malheur des classes ouvrières, pour le malheur de tant d'égarés qu'elle a poussés à la - 378 — ruine, qu'elle a conduits à une capthité honteuse ou à la mort des révoltés, nous ne le savons que trop. Le bien ({d'elle a accompli, qui pourrait le dire? Nous entendons des affiliés des sociétés secrètes et des âmes simples et abusées nous dire: Mais il n'y a pas de Francs-Maeons parmi nous ou ils sont bien peu nom- breux. Pourquoi adresser à des populations comme les nôtres, publier et répandre des écrits contre les sociétés et combattre un péril imaginaire ? Prodigieuse audace des uns ! prodigieuse naïveté des autres! Vous croyez que nous avons entrepris, sans être pressé par les motifs les plus graves et les preuves les plus certaines, ce douloureux travail? Nous affir- mons, parce que nous le savons bien, que la Franc- Maçonnerie a, dans la France entière, des adeptes et des apôtres, et que ce fléau terrible pénètre dans nos villages les plus recules et parmi nos populations les plus chrétiennes. Ecoutez le Vicaire de Jésus-Christ, le grand Pape Léon Xlll signalant les progrès effrayants du mal qu'il combat dans l'Encyclique Humanùm Genus: « Dans l'es- pace d'un siècle et demi, la secte des Francs-Maçons a l'ait d'incroyables progrès. Employant à la fois l'audace et la ruse, elle a envahi tous les rangs de la hiérarchie sociale et commence à prendre, au sein des États modernes, une puissance qui équivaut presque à la sou- veraineté. De cette rapide et formidable extension sont précisément resuites pour l'Eglise, pour l'autorité des princes, pour le salut public, les maux que nos prédéces- seurs avaient depuis longtemps prévus... » Et de plus, quel péril ne créent pas ces associations funestes pour les émigrants qui, chaque année, aban- donnent nos campagnes :' Au sein des grandes villes vers lesquelles les poussent la cupidité, l'orgueil et la soif des plaisirs bien plus que la pauvreté et les espérances de la fortune, dans les ateliers, dans les réunions, et souvent à - 379 — la gare même où ils arrivent, ils sont sollicités par les agents des sociétés secrètes. Parents chrétiens, qui avez conservé et qui voulez léguer à votre famille les traditions et les pratiques de la foi, poùvez-vous ne pas révéler à vos enfants ces dangers qui menacent leurs croyances, leur liberté, leur honneur0 Nous vous supplions, avec l'autorité de notre ministère, et dans l'élan de notre dévouement, de repousser loin de vous et de vos fils, ces chaînes honteuses et fatales, cet esclavage déshonorant des sociétés secrètes. Enfin, quelques-uns répondent avec tristesse : Nous sommes entrés dans les rangs de la Franc-Maçonnerie et nous ne pouvons en sortir. • Mais pourquoi, répondrons-nous, pourquoi ne pas accomplir ce devoir rigoureux que votre conscience affirme ? On exagère souvent les difficultés qui s'opposent à ce que les adeptes de la Franc-Maçonnerie échappent à ce triste esclavage. Quelques-uns lui ont échappé et n'en sont pas plus malheureux : leurs intérêts n'en sont point lésés. Mais si l'accomplissement de ce devoir est difficile et dangereux, qu'importe, puisque la conscience parle et que le salut de votre àme esta ce prix. Pouvez-vous affir- mer que rester fidèle à la Franc-Maçonnerie n'est pas plus difficile et plus dangereux encore ? Savez-vous àquels actes coupables, à quels crimes vous pouvez être con- duits, à quelles œuvres d'iniquité vous pouvez contribuer demain? Et, s'il faut un jour résister à cette tyrannie, mieux vaut briser aujourd'hui ces chaînes que de les voir devenir chaque jour plus nombreuses et plus lourdes. La simple prudence vous conseille de sortir sans retard de cet engrenage de fer qui vous saisit et auquel bientôt vous ne pourrez plus échapper. - 380 — VI CONCLUSION LES CRIMES RÉCENTS DES SOCIÉTÉS SECRÈTES. — LES LETTRES ENCYCLIQUES DE NOTRE SAINT-PÈRE LE PAPE LÉON XIII. — UNE DÉMONSTRATION DE LA DIVINITÉ DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE. Oui, nous l'affirmons en achevant ce douloureux tra- vail sur les sociétés secrètes, la réalité enrayante s'impose à toute intelligence capable de comprendre et à toute conscience honnête ; oui, ces sectes maudites sont le grand péril de notre époque. Nous nous adressons non seulement aux catholiques, mais à tout homme qui n'a pas sacrifié à l'erreur et au mal, la dernière lueur de sa raison, et nous disons : Pou- vez-vous nier les tendances, les projets, le but, les crimes des sociétés secrètes? Mais, avec nos démonstrations, vous avez ici sous vos regards dans des textes authentiques, dans des témoignages irrécusables les aveux des secles elles-mêmes. Nierez-vous les résultats que doivent pro- duire ces insinuations perfides, ces doctrines sacrilèges, ces sollicitations adressées sans cesse à toutes les pas- sions, à la cupidité, à la haine et à la vengeance? Mais vous niez les faits qu'attestent l'histoire de notre temps et l'histoire de tous les temps. On dirait que Dieu lui-même a voulu opposer à ces négations insensées des preuves évidentes comme la lumière du jour. Après tant d'eutres crimes, voici que des attentats se multiplient contre la vie des princes : ni la gloire des conquérants, ni la jeunesse des souverains, ni la reconnaissance et l'amour des peuples n'ont fait hésiter le bras des assassins. Mais qui avait armé ce bras? Oui avait inspiré de tels forfaits? On ne peut plus le contester, - 381 — ce sont les sociétés secrètes, dont la Franc-Maçonnerie est le centre et la tête. Ces malheureux d'ailleurs ont été égarés comme l'affirme Notre Saint-Père le Pape dans son admirable Encyclique Quoi Apostolici muneris, « par les « opinions monstrueuses que les partisans du socialisme « publient dans leurs réunions, dans les brochures, par « la nuée de leurs journaux, et qu'ils répandent ainsi dans « la foule. » Il fallait une telle révélation pour éclairer et émouvoir enfin les chefs du peuple et leur montrer l'abîme vers lequel nous poussent depuis si longtemps les complots des sociélés secrètes. Opposeront-ils des mesures efficaces à ce fléau mille fois plus terrible que la peste qui apparais- sait naguère sur les frontières de la Russie et qui jetait l'épouvante dans l'Europe entière ? Arrêteront-ils ce fléau contre lequel toute lutte sera impossible'? Celui qui, menacé par des ennemis sans pitié et déjà victime de leurs attaques, attendrait pour prévenir de nouveaux attentats que le poignard soit levé sur lui, que sa demeure soit envahie et livrée aux flammes, celui-là serait tenu pour un insensé. Et quand il s'agit de la sécu- rité des peuples, de l'existence de nos sociétés, de l'avenir de l'Europe et du monde, les conseils de la plus vulgaire prudence ne sont point écoutés ! C'est l'habileté 1 c'est la politique des hommes ! c'est la sagesse de la terre et du temps I Mais, grâces immortelles en soient rendues à Dieu ! dans ce sommeil fatal de l'indifférence, au sein de ces ténèbres d'un aveuglement obstiné, dans ce silence de la peur ou de la folie humaine, une lumière est apparue, une voix s'est fait entendre, un enseignement souverain affirme la vérité et le devoir. Cette voix, elle vient de la Rome catho- lique, cette lumière a jailli des hauteurs du Vatican, cet enseignement est la doctrine du Vicaire de Jésus- Christ. Bien des fois depuis son élévation au Pontificat suprême, — 382 — Léoo XIII a parlé au monde, el toujours le monde l'a écouté dans le ravissement. Ces pages des encycliques pontificales, si saisissantes par la majesté du langage et l'élévation de la pensée, nous révèlent la tendresse du Père, l'autorité du Pontife, la fermeté vaillante et inébran- lable, la mesure exacte du jugement et de la parole en présence des plus formidables périls, la sainte liberté qui les dénonce aux peuples el aux rois, la prudence enfin qui ménage la faiblesse et qui ouvre les voies au repentir, à l'union et à la paix. Mais que nous enseigne le Père universel, le Pontife suprême ? Il nous montre, dans l'oubli des vérités reli- gieuses, dans le mépris des enseignements de l'Eglise, dans la puissance des sociétés secrètes tant de fois con- damnées par ses immortels prédécesseurs, la source pre- mière de tous les désordres, de tous les crimes el des derniers attentats qui ont jeté l'effroi parmi de grandes nations. Il montre le véritable et unique remède à tant de maux dans les doctrines catholiques, qui révèlent leurs devoirs aux peuples et aux rois, à ceux qui obéissent et à ceux qui gouvernent, et qui seules peuvent établir dans la paix, dans la prospérité, dans le bonheur, la société civile et la société domestique. Mais ici. en présence de ce solennel enseignement du Pontife romain, Une démonstration nous apparaît, et il est de notre devoir de la recueillir et de l'exposer dans toute sa force. Oui, il va dans cette lutte courageuse, incessante, de l'Eglise catholique, et de l'Eglise catholique seule, contre les sociétés secrètes, il y a une grande et lumineuse démonstration de sa divinité. Vousavez dit. u>us avez répète tous les jours, è> s. o puissants de ce monde, philosophes, publicistes, poli' tiques et législateurs, princes et rois, vous avez répète que l'Eglise catholique était aveuglée par ses préjuges, incapable désormais de conduire les peuples comme elle - 383 — l'avait fait autrefois au sortir des langes de leur enfance et de la nuit de la barbarie et de l'ignorance. Vous avez affirmé qu'elle n'était plus de notre temps, qu'elle ne comprenait rien aux aspirations de ce siècle et que, ensevelie dans ses doctrines, dans l'obstination de sa cupidité, dans les illusions de son orgueil, elle restait immobile depuis des siècles sur le chemin où les peuples ont marché dans la lumière, la prospérité et le progrès. Et l'Église seule dénonce depuis des siècles à la solli- citude des gouvernements et à l'attention des peuples ces sociétés perverses ! Seule elle a prévu et signalé ces périls! En vain on lui a dit : Vous êtes la victime de Terreur, vous poursuivez d'une haine aveugle des sociétés utiles et bienfaisantes, vous soulevez contre vous l'opinion publique, vous poussez à la vengeance ces associations puissantes, vos condamnations et vos malédictions se retourneront contre vous. Résignez-vous du moins au silence de la crainte et de la prudence, si vous ne pouvez vous résigner au silence que déviait vous imposer la certitude de votre erreur. Jamais l'Eglise ne s'est troublée, jamais les Pontifes romains n'ont cédé devant ces supplications et ces menaces; mais, avec une audace héroïque, ils ont redoublé leurs avertissements, multiplié leurs anathèmes et bravé tous les outrages. Et, — merveilleux dessein de la Providence ! impuissance manifeste de toutes les ressources humaines! — l'Eglise, les Pontifes romains ont eu raison contre tous ! Pas une de leurs prévisions qui ne soit justifiée, pas un des résul- tats funestes, pas un des desastres prophétisés par les Vicaires de Jésus-Christ qui ne se soit réalisé pour le châ- timent des rois et des peuples. Et voici qu'à cette heure, devant la double clarté qui s'échappe des derniers attentats commis par les sociétés secrètes et des lettres encycliques de Léon XIII, les rois - 384 - les plus hostiles à l'Église catholique remercient le Pon- tife romain de ses courageux et salutaires enseignements; ils reconnaissent que les peuples ne peuvent vivre, que les sociétés ne peuvent subsister sans l'influence des vérités religieuses. Voici que, même en Italie, des publi- cistes qui ont jeté jusqu'à ce jour tous les outrages à la majesté des papes persécutés, s'inclinent devant cette autorité qui vient au secours de leur sagesse éperdue. Il y a donc, sur cette terre, une société supérieure à tous les pouvoirs humains, une autorité qui domine de bien haut les défaillances, les hésitations, l'impuissance des prudents et des sages ; il y a donc sur cette terre une succession de vieillards qui voient plus loin que les con- quérants les plus heureux, que les législateurs les plus vantés, les politiques les plus habiles et les philosophes ^es plus illustres. Ces vieillards seuls possèdent donc, dans le trésor de leur doctrine et de leur autorité, la solu- tion des problème? les plus redoutables de notre temps et les secrets de l'avenir. C'est à eux seuls, à l'Eglise catho- 1 ique, dont ils sont tout à la fois le fondement, la tête et le cœur, que tous, peuples et rois, gouvernements et légis- lateurs, vainqueurs et vaincus de la politique, des luttes sociales ou des champs de bataille doivent demander la sécurité, la paix et le salut. Cette société unique au monde, cette Eglise catholique est donc divine. Jésus-Christ, le Fils de Dieu, le Verbe illuminateur. le rédempteur de l'humanité, le vainqueur des siècles, le prince de la paix, est toujours vivant en elle ; il lui donne sa lumière, sa direction et sa puissance. Donc, ô rois, ô législateurs, ô peuples abusés, il faut courber le front, vous soumettre et adorer. A cette con- dition, et à cette condition seulement, l'espérance est permise et le salut est encore possible. LETTRE PASTORALE SUR LA LETTRE ENCYCLIQUE DE NOTRE TRÈS SAINT PÈRE LE PAPE LÉON XIII lïsSCRUTABILI DEI CONSILIO 28 juin 1878. Nos Très Chers Frères, Le Vicaire de Jésus-Christ, le successeur de Pie IX, vient de faire entendre sa voix; et c'est avec un cœur heureux et emu que nous vous communiquons cette première lettre encyclique de Notre Saint Père lePape Léon XIII. Ce grand et lumineux enseignement répond à tous les désirs des en- fants de l'Église, et il inspire, pour le Pontificat qui vient de s'ouvrir sous la protection manifeste de Dieu, les plus douces espérances. Les ennemis de l'Église eux-mêmes se sont inclinés avec respect devant la majesté sereine et la 25 — 386 — vigueur apostolique de cette parole qui domine de si haut les incertitudes, les luttes, les angoisses et les ténèbres de nos temps troublés. La lettre pontificale s'ouvre par la peinture éloquente des maux qui affligent l'Église et l'humanité, et elle en indique la cause. « Nous sommes convaincu, dit le Sou- verain Pontife, que ces maux ont leur principale cause dans le mépris de cette sainte et très auguste autorité de l'Église, qui est la sauvegarde et l'appui de toute autorité légitime. » Puis Léon XIII réfute les accusations dirigées contre l'Église au nom d'une fausse civilisation ; il justifie cette Mère si éclairée des nations chrétiennes, par ses actes, par les fruits admirables qu'elle a produits et à la splendeur des bienfaits que les Pontifes romains ont répandu sur tous les peuples et, en particulier, sur l'Italie, aujourd'hui oublieuse et ingrate. Il indique les remèdes qui doivent être opposés à ces maux. Tout d'abord, il affirme la nécessité du pouvoir temporel des Papes pour défendre et conserver leur pouvoir spirituel, et, en faveur de ces droits inaliénables, en faveur de ce pouvoir que la Providence divine et la sagesse des siècles ont accorde aux Souverains Pontifes, Léon XIII renouvelle les décla- rations et les protestations de Pie IX. Le second remède à ces maux, le second moyen de salut qu'indique la lettre encyclique, est la soumission complète à tous les ensei- gnements de l'Église: le troisième, l'éducation chrétienne de la jeunesse. Et enfin, pour que cette éducation soit possible, le respect dû à la sainteté du mariage et l'accom- plissement de tous les devoirs qu'il impose. Notre Saint l'ère le Pape exprime, en terminant, les espérances que lui inspirent l'union de l'épiscopat avec le Siège Aposto- lique, l'amour du clergé et des fidèles pour le Vicaire de .Jésus-Christ et les prières qui sollicitent la miséricorde divine. Cette lettre, si ferme et si douce, si noble et si vaillante est bien la révélation de l'âme du Père que Dieu nous a — 387 — donné. Elle répond admirablement à la vie tout entière de Léon XIII et à tous les actes de son administration depuis qu'il a été élevé sur la chaire de saint Pierre. Tous ceux, d'ailleurs, qui ont eu l'insigne bonheur de se prosterner aux pieds, du nouveau Pontife, ont été ravis par cette dignité si haute, cette attitude si noble et si simple, par cette parole si vive et si pénétrante, par cette intelligence si profonde des intérêts de l'Église et des nécessités de notre époque, par cette force qui est sûre d'elle-même, par cette bonté qui ouvre les chemins à la vérité et à la justice, par cette prudence consommée que l'Esprit divin lui-même a appelée la science des saints, scientia sanctorum, pru- dentia*. Et, de tout l'univers catholique, cette acclama- tion s'est fait entendre : C'est bien là le serviteur qui, unissant à la fidélité inébranlable et vaillante toutes les ressources de la prudence surnaturelle, a été choisi de Dieu lui-même pour gouverner la grande famille catho- lique, pour distribuer à tous, dans ces temps difficiles et orageux, avec la mesure de la sagesse, la nourriture divine des vérités célestes et des préceptes de la justice éter- nelle : Fidelis dispensator et prudens quem constituit Do- minas supra familiam suamt ut det Mis in tempore tritici mensuram 2. . Recueillons donc, Nos Très Chers Frères, dans l'émo- tion de la plus vive reconnaissance, cet enseignement qui ouvre un grand Pontificat ; suivons avec une obéissance parfaite les conseils du Pasteur des pasteurs ; travaillons de toutes nos forces, et par nos œuvres et par nos prières, au triomphe de la sainte Eglise ; contribuons à élever, sous la direction du Pontife suprême, l'édifice glorieux, incomparable de la vraie civilisation chrétienne. Réalisons toutes les espérances, tous les désirs du Père universel, et nous lui donnerons ainsi, dans ses tristesses et ses épreuves inévitables, les consolations les plus douces à son cœur. 1 Pkov., ix, 10. — - Luc, xii, 42. LETTRE PASTORALE A L'OCCASION DU JUBILÉ UNIVERSEL 22 février 1879. Nos' Très Chers Frères, Une grande et précieuse faveur vient d'être accordée à tout l'Univers chrétien par le Vicaire de Jésus-Christ, la faveur d'un Jubilé universel. C'est à l'approche du jour anniversaire de son élection que Notre Saint Père le Pape Léon XIII promulgue cette indulgence tirée des trésors divins confiés au successeur de Pierre. « Les Souverains Pontifes nos prédécesseurs, dit-il ; ont toujours, d'après l'antique usage de l'Église romaine, ouvert avec une libéralité paternelle, dès les premiers temps de leur con- sécration au service apostolique, les trésors des faveurs célestes à tous les fidèles et prescrit des prières générales dans UEglise afin d'offrir aux fidèles l'occasion de s'en- richir des biens spirituels et de les exciter à obtenir par la prière, les œuvres expiatoires et le soulagement des pauvres, le secours du Pasteur Éternel. Nous comprenons en effet parfaitement, ajoute l'auguste Pontife, combien l'abondance des grâces divines est nécessaire à notre — 390 — faiblesse, dans le difficile ministère qui nous est impose. Nous savons par une longue expérience combien est lamentable la condition des temps que nous traversons et par quels flots l'Église est battue à l'heure présente. De plus, les affaires publiques qui se précipitent de mal en pis, les conseils, les projets funestes des hommes impies, les menaces elles-mêmes de la vengeance céleste qui en a déjà atteint sévèrement quelques-uns, nous font redouter des maux de jour en jour plus graves. » Ce Jubilé sera donc, Nos Très Chers Frères, par ses grâces insignes, par ses lumières plus vives, ses prédi- cations plus nombreuses et plus touchantes, le remède puissant aux maux que déplore le pasteur universel. Croyez vous en effet, que i'oubli des vérités chrétiennes, le mépris de la religion et de toutes les lois divines, les manifestations audacieuses de l'impiété, les attaques in- cessantes contre le clergé et l'Église catholique, puissent rendre les peuples heureux ? Les bénédictions de Dieu sont-elles descendues plus abondantes sur vos champs et vos moissons, le commerce et l'industrie sont-ils plus prospères et vos ressources plus nombreuses, la paix règne-t-elle autour de vous, auprès de votre foyer et dans vos âmes? Les journaux qui sont répandus avec une infer- nale habileté jusque dans nos villages les plus reculés et qui outragent tout ce que vos pères respectaient et aimaient, tout ce que l'immense majorité d'entre vous respecte et aime encore, ces journaux apportent-ils avec eux la mo- ralité, l'union et le bonheur:' Nierez-vûUS (pie sous l'in- fluence de cette propagande impie, les lois de la morale, les principes de la justice, les droits de l'autorité à tous les degrés, les obligations qu'impose la raison elle-même sont audacieusement violes :' Autour île vous encore une fois, dans vos paroisses, dans vos familles, dans vos âmes elles-mêmes est-ce le progrès de la vertu et du bonheur que \ous constatez, ou bien est-ce l'agitation, le désordre el l'angoisse :' Examinez - 391 — les faits, interrogez votre conscience, mettez la main sur votre cœur et répondez avec loyauté. Sachez-le bien, les doctrines qui sauvent les âmes sont aussi les doctrines qui sauvent les peuples ; le secret de la prospérité et de la paix publique n'est autre que le secret du progrès dans la vertu et de la paix de la conscience. Les doctrines qui pervertissent les cœurs, qui outragent la loi éternelle, qui abaissent les caractères, qui ouvrent la voie libre à toutes les passions, qui admettent la doctrine avilissante de l'intérêt, qui nient l'autorité divine, principe essentiel de tout pouvoir humain, ces doctrines ne peuvent rendre les familles honorables et heureuses, les peuples prospères, forts et respectés. Aussi les maux qui nous accablent et les périls qui nous menacent nous rappellent cette parole des Livres Saints : La justice élève les nations et le péché rend les peuples malheureux i , et cet enseignement du Sauveur : Cherchez cV abord le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroit 2. Oui, si ce temps de sanctification et de salut était mis à profit avec un zèle vraiment sincère par tous les fidèles de ce diocèse et par les enfants de l'Église dans l'univers entier ; si les consciences étaient purifiées, les âmes guidées par les vérités saintes de la foi, les cœurs unis par les liens de la charité, si la prière montait vers Dieu chaque jour du sein de chaque famille devenue comme un sanctuaire, et chaque semaine dans l'observation fidèle du jour consacré au Seigneur, si les doctrines impies étaient repoussées avec indignation, si Jésus-Christ enfin était le maître obéi , aimé et adoré de tous, quelle sécurité! quelle paix! quelle félicité! Pour un grand nombre de paroisse», les exercices du Ju- bilé auront lieu pendant le Carême, ce sera donc un temps deux fois saint et deux fois propice pour votre salut. 1 Pkov. xiv, 34. - Matth., vi, 33. — :m — Nous en avons la ferme confiance, Nos Très Chers Frères, vous profiterez avec empressement et reconnais- sance de ces jours si favorables aux saintes pensées, aux actes de la pénitence et à la ferveur de la prière. Vous ne mépriserez pas ces faveurs célestes, vous ne repousserez pas la miséricorde infinie de Dieu qui va frapper à la porte de tous les cœurs.. Nous vous en supplions, Nos Très Chers Frères, n'atta- chez pas vos cœurs aux biens qui périssent, à ces plaisirs qui ne laissent après eux que l'amertume et le remords. Assez longtemps vous avez porté le triste fardeau de vos espérances déçues, ne demandez pas à la terre et au temps ce qu'ils ne peuvent vous donner, et à l'égoïsme de l'homme, la paix et la félicité qui ne peuvent venir que du cœur même de Dieu. A l'heure de votre mort, sur le seuil de l'éternité, à l'approche des jugements terribles de Dieu, vous regret- terez d'avoir méprisé cette grâce du Jubilé, ces sollici- tations pressantes de la bonté divine. Et ne l'oubliez pas, vous tous qui hésitez devant l'œuvre de votre conversion qui vous paraît si difficile et si dou- loureuse, n'oubliez pas qu'il ne faut pour apaiser les remords de la consciene, pour effacer toutes les fautes dune longue vie, pour reprendre avec la robe blanche du baptême les joies de l'innocence perdue, il ne faut qu'un cri du cœur, un acte de repentir et l'aveu de vos égare- ments aux pieds du prêtre qui est le ministre de la miséricorde et du pardon. Levez-vous donc, ne résistez plus aux désirs qui depuis si longtemps peut-être s^agitent au fond de vos cœurs, ne restez pas dans ces régions désolées, où à l'esclavage si dur et si désolant du péché, s'ajoute la faim qui torture vos âmes : comme le prodigue repentant, levez-vous et allez vers le père de famille, vers Dieu, qui vous attend pour vous combler des dons de sa bonté et de son amour. LETTRE PASTORALE SUR LÉON XIII ET SA MISSION PROVIDENTIELLE1 6 janvier 1880. Nos Très Chers Frères, C'est de la Ville éternelle, tout embaumée du souvenir des saints, ornée des monuments splendides du génie et de la foi chrétienne, c'est de cette terre faite de la pous- sière des empires vaincus par le Christ, consacrée par le sang et les ossements des martyrs, c'est de Rome que nous vous adressons cette lettre pastorale. Nous sommes venu voir Pierre dans la personne de son successeur ; notre cœur s'est approché de son noble cœur, notre âme s'est illuminée au contact de sa grande âme, et nous sommes reste auprès de lui dans les émo- tions de notre reconnaissance et de notre bonheur. Veni vider e Petrum et mansi apud eum 2. Nous devons à celte heure vous redire nos impressions et verser, s'il se peut, dans vos âmes une part des lumières ' * Noire Saint Père le Pape Léon X1JI a approuvé cette lettre par un Bref que nous reproduisons à la fin du volume, a (ÎALAT., i, 18. - 394 — ci des joies qui nous ont été données avec tanl d'abon- dance. Quels que soient l'amour et la vénération de tous les cœurs catholiques pour l'auguste Pontife. Léon Mil n'est point assez connu : ses hautes et admirables qualités, comme les desseins de sa sagesse, ne sont point appréciés encore à leur juste valeur. Aussi nous ne vous parlerons pas seulement de la personne du Vicaire de Jésus-Christ, de son intelligence si élevée, de son cœur si généreux, de sa bonté et de sa bienveillance, de sa vie de travail et de dévouement; nous voudrions vous dire, autant (pie notre faiblesse nous le permet, quelle est sa mission provi- dentielle. .Nous réaliserons ainsi, nous ne l'ignorons pas, les désirs de mis cœurs fidèles, nous obéirons aux inspirations de notre piété filiale, et nous accomplirons un grand devoir de notre ministère. Nous serions bien coupable si nous avions la prétention d'exposer nos propres pensées. Nous ne citerons que des faits incontestables et, à chaque page de cette lettre pas- torale, nous reproduirons le texte des encycliques, des lettres et des discours du Souverain Pontife. Nous ne pouvons être, nous ne voulons être que l'écho fidèle de sa parole, de son enseignement : ou plutôt, c'est le Pape lui-même, c'est Léon XIII que vous allez entendre. Depuis notre arrivée à Rome, nous avons visité plu- sieurs fois l'incomparable basilique de Saint-Pierre: nous nous sommes agenouillé sur le tombeau des Apôtres : nous avons prié auprès du tombeau de Pie IX qui avait daigné nous donner tant de preuves de sa bienveillance. Le vendredi 12 décembre, nous étions admis à l'au- dience particulière du Saint-Père. En pénétrant dans le cabinet de travail de Léon XIII, nous nous sommes pros- terné à ses pieds : il nous a relevé avec bonté el nous a - m — fait asseoir auprès de lui. Le Saint- Père a bien voulu rap- peler lui-même que, il y a quelques mois, lorsqu'on insis- tait vivement auprès de nous pour nous faire accepter lï'vèché d'Annecy avec l'administration du diocèse de Tarenfaise, après avoir fait par nous-même tout ce qui nous était possible pour résistera ces projets, nous avions, avec une soumission sans réserve, remis à sa décision souveraine notre diocèse et notre personne. Nous avons offert au Saint-Père, avec les hommages de notre piété filiale, les hommages, les sentiments et les vœux de nos diocésains. Il nous a interrogé avec un vif intérêt, sur le clergé, les congrégations religieuses, la direction des études dans notre Grand et notre Petit Séminaire. Nous n'avons oublié auprès du Pape aucun des grands intérêts qui nous sont confiés, et nous lui avons ouvert notre âme tout entière. Après une demi-heure écoulée dans cet entretien qui nous laissera d'impérissables souvenirs, nous nous sommes retiré, pénétré de reconnaissance et remerciant Dieu, dans l'émotion de notre cœur, d'avoir donné à son Eglise un tel Pontife, un tel Pasteur et un tel Père. Plusieurs fois depuis lors nous avons eu le bonheur d'être admis auprès du Saint-l'ère. Nous avons assisté à l'audience solennelle accordée aux représentants des comités catholiques d'Italie, le jour de la fête de l'Imma- culée Conception, dans cette grande salle du Consistoire où, il y a trois années bientôt, nous conduisions un grand nombre d'entre vous aux pieds de Pie IX, dans ce pèleri- nage dont le souvenir n'est point effacé dans vos cœurs et à Kome même. Le Pape a répondu par un magnifique discours à l'adresse des comités. Léon XIII parle avec lenteur, mais avec énergie ; son style est d'une précision, d'une correction et d'une pureté admirables. La voix ne manque ni de force ni d'éclat; elle se faisait entendre jusqu'aux extrémités de cette vaste salle qui contenait sept à huit cents pèlerins. — 396 — Les acclamations, les cris de Vive le Pape l Vive Léon XIII t ont éclaté à la lin de ee discours. Le Pape prépare avec soin ses discours, mais ordinai- rement il ne les écrit pas. et, après les avoir prononcés, il en dicte le texte très exact. ?sous avons eu le bonheur d'accompagner le Saint- Père pendant toute la durée de deux audiences publiques. Il parcourut quatre grandes salles, autour desquelles étaient rangées plusieurs centaines de pèlerins venus de toutes les parties du monde. Le Pape s'arrêtait devant chacun des pèlerins, il l'interrogeait et il Pécoutait avec bonté: il caressait et bénissait avec plus d'affection les petits en- fants. Protestants, schismatiques, hommes du monde, ve- nus par curiosité bien plus que par un sentiment religieux, tous s'inclinaient avec respect sous les bénédictions du Pontife, tous étaient séduits par sa dignité, par sa vive in- telligence et par son exquise bienveillance. Une dame protestante demandait avec instance une bénédiction spé- ciale pour sa vieille mère, protestante aussi : « Elle y tient beaucoup, disait-elle: j'y tiens beaucoup moi-même; cette bénédiction nous portera bonheur. » Nous avons vu des hommes du monde émus jusqu'aux larmes et incapables de répondre quand le Pape leur a adressé la parole, et, quoique l'impression de tous les pèlerins fût vive et profonde, nous n'avons remarqué dans aucune femme une pareille émotion. Nous espérons avoir le bonheur d'être admis plusieurs fois encore auprès du Saint-Père, et nous lui demanderons pour notre diocèse et pour tous ceux qui nous sont chers les plus abondantes bénédictions. Léon XIII est grand et élancé; ses traits sont caracté- risés, mais sa physionomie est extrêmement mobile. Plus on voit le Pape, plus on reconnaît qu'aucun de ses por- traits, aucune de ses photographies ne rendent complète- ment l'expression si remarquable de cette physionomie. (le qui frappe tout d'abord dans le Pape, c'est l'intellî- - 397 — gence et l'énergie. Le regard est vit' et pénétrant; le front haut et découvert porte comme le reflet de la sérénité de l'àme et de la puissance de la pensée. La bouche, un peu sévère dans le silence et le recueillement, devient gra- cieuse et souriante quand le Pape parle, et alors l'en- semble du visage a comme un rayonnement de bonté et de bienveillance. A première vue le Pape paraît faible: mais quand il marche et quand il parle, on reconnaît bien vite qu'une àme vaillante anime ce corps si frêle, le gouverne et le domine. Ce qui est incontestable, c'est que la santé du Pape s'est fortifiée depuis son élection. Il n'a pas souffert du séjour du Vatican, môme pendant les grandes chaleurs de l'été, si pénibles pourtant, et parfois si dangereuses dans celte partie de la ville de Rome; et il porte sans fai- blir le poids d'un travail incessant, qui épuiserait les santés les plus vigoureuses. Ce n'est pas sans une vive admiration que vous appren- drez#quelles prières, quelles préoccupations et quels tra- vaux remplissent la journée de Léon XIII. Le pape se lève vers six heures, et il fait ses exercices de piété. A sept heures et demie il se rend à sa chapelle, où il célèbre la sainte messe; il assiste ensuite à une messe d'action de grâces célébrée par un de ses chapelains. Les jours ordinaires, il dit la sainte messe dans une petite chapelle qui est près de la salle du trône. Les jours de dimanche il se rend dans une chapelle plus vaste : il admet ordinairement une trentaine de personnes à assister à sa messe, et il leur distribue la sainte communion. Après la seconde messe, le Pape fait un déjeuner très sobre et très rapide, et il se met au travail. Tous les jours à neuf heures et demie il reçoit le Cardinal Secrétaire d'État, il reçoit les cardinaux préfets des congrégations, puis le Secrétaire des lettres latines et le Secrétaire des brefs aux princes. Enfin il admet à l'audience particulière les personnes qui ont obtenu cette faveur. - 398 — Le lundi, et quelquefois le jeudi, le Pape accorde des audiences publiques et ensuite quelques audiences parti- culières. A deux heures et demie il diue, et sa table est servie avec la plus grande simplicité. Après un quart d'heure de repos, il récite l'office divin, fait sa lecture spirituelle et se remet au travail. Vers cinq heures, il admet les évoques en audience particulière et il reçoit les secrétaires des congrégations. Les audiences terminées, le Pape reprend son travail jus- qu'à dix heures ou dix heures et demie : il soupe alors et ne se couche jamais avant onze heures. Le travail du Pape est vraiment prodigieux. Il se fait remettre le dossier des affaires les plus graves soumises aux congrégations. Il examine par lui-même les questions les plus importantes, surtout celles qui concernent les re- lations du Saint-Siège avec les gouvernements. Il rédige lui-même des dépêches et des lettres, il en modifie un grand nombre de sa propre main. Le Pape poursuit sou- vent son travail même pendant ses repas. Il nous ;i dit lui-même, pendant la première audience qui nous a été accordée, qu'il avait parcouru la veille, pendant son sou- per, trois volumes de philosophie et de théologie qu'un évêque lui avait oflerts. Léon XIII a imprimé tout autour de lui cette impulsion d'un travail actif et incessant, et les Romains disent en souriant : on ne se repose pas au Vatican. Après plusieurs heures données aux audiences et au travail, le Pape se promène quelquefois à grands pas, pen- dant un quart d'heure, dans une des salles de son palais. Pendant l'hiver, quand le temps est favorable, et très souvent pendant la belle saison, Léon XIII se promène dans les jardins du Vatican. Use fait descendre, dans une chaise à porteurs, à travers les Loges de Raphaël et par le grand escalier. Il monte ensuit»; en voiture et fait plu- sieurs fois le tour des jardins, accompagné d'un seul — 399 - camérier et suivi à distance de quelques gardes nobles. Pendant cette promenade, souvent il récite son bréviaire ou il travaille encore. Il descend de voiture, se promène à pied pendant quelques instants, et remonte en chaise à porteurs dans ses appartements. Il La mission de Léon XIII est de répandre les lumières surnaturelles et de donner une impulsion puissante à l'é- tude des sciences sacrées. Jamais, il. faut le reconnaître, la science n'a été plus nécessaire au prêtre. Tous les gouvernements multiplient leurs efforts et ajoutent chaque année aux dépenses de leurs budgets déjà si lourds, pour répandre l'instruction jusque dans les derniers rangs de la société. La foi naïve du passé disparaît peu à peu, et les plus ignorants réclament des démonstrations. La libre-pensée prétend au monopole de la science ; elle traite avec un superbe dédain la théo- logie et la philosophie catholiques. Elle affirme l'antago- nisme essentiel, absolu, entre la raison et la foi. Il faut donc que le prêtre soit puissant par les démonstrations d'une science exacte et profonde; il faut qu'il soit capable de confondre toute contradiction qui s'élève contre la doc- trine dont il est le dépositaire, le défenseur et l'apôtre. Ut potens sit exhortari in doctrina sana et eos qui contra- dicunt arguere \ Aucune des découvertes de la science moderne, aucune des conquêtes de l'esprit humain, aucune des grandes questions religieuses et philosophiques de notre temps, aucun des problèmes qui émeuvent nos sociétés ne peuvent être étrangers au prêtre dont les lèvres gardent le trésor de la science, et auquel les peu- ples demandent la démonstration et le commentaire de la loi divine, parce qu'il est l'ange, l'envoyé du Seigneur. 1 Tit., i, 9. — 400 - Labia saccrdotis custodiunt scientiam et legem requirunt ex ore ejas, quia angélus Domini exercituum est '. Personne n'a mieux compris que Léon XIII ces grands devoirs du sacerdoce catholique. Il avait fondé à Pérouse, pour les prêtres occupés aux travaux du ministère, une Académie placée sous le patronage de saint Thomas d'A- quin, et qui donna aux études philosophiques et théolo- phiques une puissante impulsion. Les élèves ecclésias- tiques de Pérouse, expulsés de leur Séminaire, ont reçu l'hospitalité dans son palais : il partageait quelquefois leurs récréations et les invitait à sa table. « Il faut avoir vu de près le cardinal Pecci vivant au milieu des clercs de son Séminaire, pour se faire une idée de sa grande bienveillance et de son grand esprit de foi. Je l'ai vu un soir, dit le correspondant de V Univers, présider person- nellement une sorte de répétition des cérémonies que ses . plus jeunes séminaristes accomplissaient avec une exacti- tude à laquelle l'évèque de Pérouse attache un grand prix. » La première Encyclique du nouveau Pontife affirmait la nécessité d'une bonne et forte philosophie puisée dans les écrits immortels des grands docteurs catholiques et surtout de saint Thomas d'Aquin. « Plus les ennemis de la religion, disait le Pape, s'ap- pliquent activement à fournir, de préférence aux hommes et aux jeunes gens inexpérimentés, des enseignements de nature à égarer les esprits et à corrompre les mœurs, plus il importe de s'opposer avec zèle non seulement à ce que la méthode de l'enseignement soit convenable et solide, mais aussi à ce que les enseignements de la foi catholique elle-même fleurissent partout également, dans' les écrits et dans les paroles, surtout dans la philosophie, de laquelle dépend en grande partie l'intelligence exacte des autres sciences, et qui, loin de viser à renverser la 1 Mu. m. h., ii. 7 — 401 - • révélation divine, se félicite de lui frayer la voie et de la dé- fendre contre ceux qui l'attaquent, ce que nous enseignent l'exemple et les écrJts du grand Augustin, du Docteur angé- lique, et des autres docteurs de la sagesse chrétienne l. » Et dans le discours adressé le 13 juin 1878 aux élèves du Séminaire romain et du Séminaire Pie, le Souverain Pontife renouvelait cette affirmation : « Il faut, disait-il, peut-être plus que jamais, une grande habileté littéraire, une grande étendue et une grande pro- fondeur de science, soit sacrée, soit profane, dans les ministres de l'Église. 11 importe extrêmement que les jeunes gens qui doivent être élevés dans le Séminaire, s'at- tachant aux exemples et suivant les traces des meilleurs écrivains, cultivent leur esprit par l'étude des humanités et se forment à une bonne méthode de parler et d'écrire. « En outre, il est nécessaire que vous donniez vos soins à la philosophie, sur laquelle la solidité et la bonne méthode des autres sciences s'appuient, et que vous l'appreniez selon la méthode très bien appropriée et les principes très sûrs que les maîtres les plus renommés de la sagesse chrétienne, et surtout le Docteur angélique, ont adoptés et ont laissés en exemple à la postérité. » Dans l'Encyclique Mterni Patris, le savant Pontife proclame la puissance et les droits de la raison; il lui' trace d'une main assurée ses limites, il lui enseigne ses devoirs; il affirme l'alliance nécessaire des sciences natu- relles et des sciences sacrées, et montre dans le Docteur angé'ique la réalisation merveilleuse de cette alliance. Le Souverain Pontife affirme que cette haute et incom- parable philosophie est seule capable de ramener à la vérité les âmes, hélas ( si nombreuses de notre temps, qui ne croient qu'à l'autorité de la raison et qu'il faut com- battre sur leur terrain et avec leurs propres armes. « Un grand nombre de ceux qui, éloignés de la foi, 1 Encyclique Inscrulabili Dei consilio, du 21 avril 1878. 20 • — 402 — haïssent les institutions catholiques, prétendent ne recon- naître d'autre maître et d'autre guide (|iie leur raison. INmr les guérir et les ramener à la grâce, en même temps qu'à la foi ealholiipie, après le secours surnaturel de Dieu, nous ne voyons rien de plus opportun que la solide doctrine des Pères et des seolasiiques, lesquels, âîh si que nousravons dit, mettent sous les yeux les fondements inébranlables de la foi, sa divine origine, sa vérité certaine, ses motifs de persuasion, les bienfaits qu'elle procure au genre humain, son parfait accord avec la raison, et tout cela avec plus de force et d'évidence qu'il n'en faut pour fléchir les esprits les plus rebelles et les plus obstines. » Il y a plus: cette philosophie et cette théologie des grands docteurs du moyen-âge nous donnent la solution des problèmes qui décideront de l'avenir de nos sociétés. L'opposition faite aux doctrines de saint Thomas d'Aquin a une cause politique aussi bien qu'une cause philoso- phique. Les défenseurs de l'absolutisme royal du dix- septième siècle, et de nos jours les partisans plus ou moins avoués de ce système politique, aussi bien que les esprits séduits par les erreurs de la démocratie, ne peuvent méconnaître qu'ils ont pour adversaires les grands théolo- giens catholiques, de saint Augustin à saint Thomas et de SÙàrez à Balinès. Cette importance de la vraie philosophie au point de vue politique est signalée en ces termes par le Saint-Père lui- même dans son Encyclique : « Si l'on fait attention aux conditions critiques du temps où nous vivons, si l'on embrassé par la pensée la situation des choses tant publiques que privées, on découvrira sans peine que la cause des maux qui nous oppriment, comme de ceux qui nous menace!]1, consisté en ceci, que des opinions erronées sur les choses divines et humaines, sorties des écoles de philosophes, se son! peu à peu glissées dans tous les rangs de la société, et sont arrivées à se faire accepter d'un grand û'onlbi ■ d esprits — 403 — « Tous nous voyous dans quelle situation critique la contagion des opinions perverses a jeté la famille et la société civile. Certes, l'une et l'autre jouiraient d'une paij plus parfaite et d'une sécurité plus grande, si, dans les académies et les écoles, on donnait une doctrine plus saine et plus conforme à l'enseignement de l'Eglise, une doctrine telle qu'on la trouve dans les œuvres de saint Thomas d'Aquin. Ce que saint Thomas d'Aquin nous enseigne sur la vraie nature de la liberté, qui de nos jours dégénère en licence, sur la divine origine de toute autorité, sur les lois et leur puissance, sur le gouvernement paternel et juste dos souverains, sur l'obéissance due aux puis- sances plus élevées, sur la charité mutuelle qui doit régner entre tous les hommes; ce qu'il nous dit sur ces sujets et d'autres de même genre a une force immense, invincible pour renverser tous ces principes du droit nou- veau, dangereux, on le sait, pour le bon ordre et le salut public1. » Le Saint-Père a fondé l'année dernière à Rome une Académie historico-juridique, où les questions les plus élevées du droit, dans ses relations avec l'histoire, sont traitées, devant un auditoire d'élite, par des hommes de la plus haute valeur. Il a fondé à l'Université de l'Apollinaire 1 Nous pouvons nous rendre ce lémoi?nàse que nous n'avons pas attendu les prescriptions de Léon X11I pour apprécier la doctrine de saint Thomas l'Aquin jet la répandre selon notre pouvoir. Nous nous sommes elï'orcé de rendre éo&fotmë à cette doctrine l'easeianeinent de laThéoloirie, dont nous avons été chargé pendant dix ans. En 187;i, quelques mois après notre élévation à l'épiscopat, nous adressions dans une lettre nos féliciuLions a notre vénéré collègue Mprl'évêque de Saint-Jean de il aurieune, alors professeur au pran I Séminaire de Gliaiubèry, au sujet de la publication de la seconde édition de son savant traité de philosophie selon la doctrine et la méthode au Doc- teur ànsélïqnè. En 1875, nous félicitions M. Vives d'avoir suivi nos con- seils en publiant la Théologie de Contcnson et celle de Gouuet, et nous appréciions les œuvres de deux disciples de saint Thomas. En décembre 1878, nous aVéns adressé à M. l'abbé Gorriol, traducteur des ouvrages de Sanseverino. une Lettre dans laquelle nous avons loué les traités, du savant et illustre philosophe napolitain. Enfin M. Xavier Houx publiait, dans là livraison du moi d'octobre des Annales dà phi- losophie chrétienne, une lettre qui à pour Litre De l'étude de la philoso- phie et qui exprime notre adhésion chaleureuse à l'Encyclique .Ktemi l'alfis Ces lettres ont été publiées par plusieurs journaux catholiques de France. _ 401 — un cours de philosophie supérieure, et il l'a coolie a l'éminent professeur Talamo, l'élève le plus distingue de Sauseveriuo, et qui enseigne la philosophie du droit à l'Académie historico-juridique '. Aussi le peuple romain a donné au nouveau Pontificat un nom qui est un magnifique éloge, il Fa appelé le Pontificat des savants 2 1 Mais l'instruction du peuple préoccupe le Souverain Pon- tife autant que l'instruction du cierge etdes classes élevées. Il a établi à Rome, et à ses frais, un grand nombre d'é- coles primaires ; il a nommé pour la fondation et la direc- tion de ces écoles une commission composée de quatre pré- lats et de quatre laïques distingues, et il en a donne la pré- sidence au vénérable Vice-Gérant de Rome, Mgr Lenti3. 1 Programme des matières traitées dans les conférences de l'Acadé- mie historico-juridique, et noms des professeurs appelés à Ips traiter : I. Droit public Ips Romains (Premières période de la République). Professeur, M. Joseph Gatti, docteur eu droit. II. Pandectes (Testaments). Professeur, M. Odoard Ruggieri, doc- teur en droit. III. Philosophie du droit (Droit social privé). Professeur, l'abbé Sal- vator Talamo. IV. Histoire du droit privé romain selon l'ordre des Institutions de Gaïus (Troisième commentaire). Professeur, AI. Vincent Nata- lucii, docteur eu droit. V. Procédure judiciaire selon le droit romain (Actions de loi et for- mules). Professeur, Al. liilaire Alibrandi, docteur en droit. VI. Droit ecclésiastique (Législation matrimoniale). Professeur, Al. le chanoine De Augelis. VII. Législations civiles comparées, ou législations modernes compa- rées au droit romain (Succession ab intestat). Professeur, Al. Camille Ré, docteur en droit. VIII. Origine et progrès du droit commercial en Italie (Actes et con- trats de commerce). Professeur, Al ehilippe Cortelli, docteur en droit. IX. Institutions d'épipraphie latine (Inscriptions sacrées). Professeur, Al. le chevalier Charles-Louis Visconti. X. Epigraphie juridique. Professeur, Al. Joseph Gatti, docteur en droit. XL Topographie et monuments de Rome antique (Des diverses enceintes «h: la ville). Professeur, AI. le chevalier Charles-Louis Visconti XII. Antiquités chrétiennes. Professeur, M. le commandeur Jean-Rap- tiste de Rossi. XIII. Etude comparée du droit étrusque avec les antiquités orientales, le droit romain sacré et civil (Droits de guerre). Professeur, AI. le chanoine Henri Fabiani. 2 // Pontificato dei dolli. :i Léon XIII est un des esprits les plus lettrés et les plus cultivés que l'on puisse rencoutrer. Il est notamment très enthousiaste de Dante 405 - La lettre que Léon XIII a adressée au Cardinal- Vicaire au sujet des écoLçs catholiques restera comme un monu- ment de sa sollicitude pour l'instruction et les intérêts les plus sacrés des classes populaires1. III La mission providentielle de Léon XIII est de rétablir la paix dans nos sociétés, si profondément divisées et troublées. Ce pontificat, qui s'est annoncé comme le pontificat de l'illumination des intelligences, est aussi le pontificat de la réconciliation des cœurs. La lutte entre les sciences naturelles et les sciences sacrées, entre les gouvernements et la Papauté, entre les peuples et la sainte Église, est évidemment une épreuve douloureuse et funeste; elle pourrait devenir un irréparable malheur. L'union de la raison et de la foi, l'union des nations et (lu Chef suprême de la chrétienté, l'alliance de* deux pouvoirs, voilà le but vers lequel aspirent tous les esprits éclairés et vers lequel doivent tendre tous les efforts. Aussi, dès son élévation sur la chaire de Pierre,* Léon .villa poursuivi, avec la plus haute sagesse et la plus invincible constance, cette grande ouvre de pacifi- cation. Il veut donner au monde la paix que Jésus-Christ est venu lui apporter et que les anges chantaient sur le et sait rie mémoire toute la Divine Comédie. 11 y a quelques jours, un de ses camériers secrets lui présenta une édition très ancienne et très rare du prand poète florentin qu'il venait d'acquérir poui la Bibliothèque Vaticane. Léoi; XIII le félicita 'le cette acquisition, puis lui dit e' sou- riant : « Je puis réciter d'un bout a l'autre toute la Divine Comédie ; essayez de me prpudre en défaut ! ■> Le prélat indiqua de nombreux passâmes pris au hasard dans les divers chants ^u poème. Le P.^pe n'hésita pas une seule fois. De temps a autre, il s'arrêtait pour faire remarquer la beauté de certains vers, puis il continuait sans efl'ort la récitation. Nous tenons ce fait du pélat lui-même. 1 Lettre i\a cardinal Monaco la ValletU du 28 juin 1878. Le cardinal- vicaire est le cardinal qui remplace le Pape pomme évéque de Rome. Le vice-fèrant est un é\êque ou un archevêque ayant un titre in par- tants et qu' aide le cardinal-vicaire dans l'administration et les fonc- tions épiscopales à Rome. — 406 - berceau de Bethléem \ la pais dont l'adorable paître recommandait à ses disciples d'exprimer le souhait en franchissant le seuil de toutes les demeures qu'ils visitaient2, et qu'il donnait lui-même à ses apôtres, après sa résurrection, comme le fruit de sa mort et de son triomphe 3. L'Encyclique par laquelle Léon XIII a inauguré son règne affirmait cette noble pensée et ce généreux des- sein. « Nous élevons en même temps notre voix vers les princes et les chefs augustes des peuples, et nous les conjurons de nouveau, au nom du Dieu suprême, de ne pas dédaigner, en un temps si malheureux, les secours offerts par l'Église, mais de reunir amicalement leurs efforts auprès de cette source de l'autorité et du salut. « Dieu veuille qu'après avoir reconnu la vérité des paroles .ne nous venons de faire entendre et après s'être. convaincus que, comme le dit saint Augustin, la doctrine de Jésus-Christ est le salut de l'Etat, et que dans la té de l'Eglise et l'obéissance envers elle sont com- prises leur propre sécurité et l'obéissance envers eux •' Dieu veuille, disons-nous, qu'ils consacrent leurs pensées et leurs soins à reparer les maux dont soutirent l'Eglise, c! ou chef visible, et qu'ainsi les peuples qu'ils gouvernent jouissent, sous le lègue delà justice et de la paix, d'une ère de prospérité et de gloire. » Et dans l'admirable lettre adressée au cardinal Nina, le Pape précisait en ces termes son programme de pacifi- cation : « puisque l'extrême habileté des ennemis de l'Église, 1 Gloria :,i allissimis Ueo et in terra pax hominibus bonœ voluntatis. (Luc, ii, l'j in quamcumque domum intraverilis, primum tlicit1 : Par Imir. Et si ibi (ucrii filins paçis, req,uie$cei super Mu m pur vestj a . sin :>. h ! vos, reaei tetur. (Li c, x, S, 6.) ; Dicii ris : l'ti.r vobis : ego sum, nolite limer e. Luc, sxiv, 36 i Ducii erqo ris iterum : Pur vobis. El stt til in me Un, et dixit : Pax vobis (Jo \\\ ch. xx, 21, 26.) - 407 - afin d'exciter contre elle les devances et les liâmes du monde, ne cesse de répandre contre elle les plus graves calomnies, .nous serons toujours les premiers à dissiper les préjugés et à repousser les accusations, certains que les peuples, quand ils connaîtront l'Église telle qu'elle est réellement et sa bonté, seront de toutes parts portés à se jeter dans son sein. « C'est dans cette pensée que nous avons voulu faire entendre notre voix à ceux qui ont entre leurs mains les destinées des nations, les engageant vivement à ne pas repousser, dans un temps où ils en ont si grand besoin, l'appui si fort que leur offre l'Eglise. C'est animé par la charité apostolique que nous nous adressions à ceux qui ne nous sont pas unis par les liens de la religion catho- lique, désireux que leurs sujets jouissent aussi des bien- faits de cette divine institution. « Ces brèves indications vous feront suffisamment connaître, monsieur le Cardinal, notre dessein de porter largement l'action bienfaisante de l'Eglise et de la Pa- pauté dans toutes les parties de la société contempo- raine. » Ce dessein arrêté du Souverain Pontife d'aller au- devant des gouvernements et des peuples éloignes de l'Eglise, de leur offrir le bienfait inappréciable de la paix, et sa résolution de poursuivre l'accomplissement de ce dessein, malgré toutes les difficultés et tous les obstacles, sont exprimes par ces paroles si élevées et si touchantes adressées par Léon XIII à l'archevêque de Cologne dans sa lettre du 2i décembre 1878 : « Yous le savez, en effet, Vénérable Frère (et souvent nous l'avons affirmé publiquement), c'est notre convic- tion que ces périls lamentables, qui menacent la société, doivent être surtout attribués à ce que de toutes parts l'autorité de l'Eglise a clé combattue, afin qu'elle ne pût exercer sa salutaire influence pour le bien de la société, à ce que sa liberté a ete entravée de telle sorte qu'il lui est iS - 'i08 - à peine permis de pourvoir en particulier an\ besoins et au bien des individus. «Cette persuasion étant en nous depuis longtemps déjà, il était urgent que, dès les commencements de notre pontificat, nous fissions tous nos efforts pour ramener les princes et les peuples à la paix et à l'amitié avec l'Eglise. El vous avez bien compris, Vénérable Frère, que nous nous sommes sérieusement appliqué à ce que la noble nation d'Allemagne, apaisant ses dissensions, pût jouir, les droits de l'Église étant sauvegardés, des biens et de fruits d'une paix durable. Nous croyons aussi qu'il ne vous a pas échappé qu'en ce qui nous regarde, nous n'avons rien négligé pour atteindre un but si considérable et si digne de notre sollicitude. Ce que nous avons ainsi tenté, ce que nous avons voulu faire aura-t-il enfin un résultat heureux? Celui-là le sait qui est l'auteur de tout bien et qui nous a mis au cœur un zèle et un désir si ardents de la paix. « Mais de quelque façon que tournent les choses, et en adhérant aux desseins de la volonté divine, nous persévé- rerons, tant que durera notre vie, dans l'accomplissement du devoir qui nous est confie. 11 n'est pas permis, en effet, d'écarter ou de négliger une affaire de cette impor- tance, lorsque nous voyons l'ordre religieux, politique et social si gravement compromis par les mauvaises doc- trines et les conseils audacieux d'hommes perfides <|ui s'attaquent à tout frein venant de la loi. Nous croirions manquer aux obligations de notre ministère apostolique, si nous ne préparions pour la société humaine entraînée aux bords extrêmes de l'abîme, ies remèdes efficaces qu'elle trouvera dans l'Église. Aussi, Vénérable Frère, ouïs obstacles, de quelque part qu'ils viennent, ne nous détourneront de ce dessein de veiller au salut commun et par suite au salut de voire nation. i Car jamais notre cœur ne pourra se tenir en repos tant que nous verrons, au grand préjudice des âmes, les — 409 — pasteurs des églises condamnés ou exilés, le ministère sacerdotal embarrassé dans des épreuves de tout genre, les confréries religieuses et les congrégations dissoutes, enfin l'éducation de la jeunesse, sans en excepter les clercs eux-mêmes, soustraite à l'autorité et à la surveil- lance des évêques. » Et il y a quelques jours encore, le 24 décembre 1870, le Pape répondait aux vœux du Sacré Collège, dont le cardinal di Pietro a été l'éloquent interprète, par un magnifique discours, qui n'a point été assez remarqué, et qui révèle avec la clarté de l'évidence les pensées et les désirs de l'auguste Pontife. « Ils me sont agréables entre tous, monsieur le Cardinal, les souhaits que, cette année encore, en cet anniversaire de la fête de Noël, vous me faites au nom du Sacre Col- lège, en vous inspirant des sublimes pensées de la paix chrétienne, Oui, certes, nous ne pourrions recevoir une plus agréable nouvelle, ni un souhait plus approprié à cet anniversaire divin, ni plus conforme aux besoins de notre temps que ce souhait de la paix. En effet, le divin Rédemp- teur, qui est appelé par excellence le Roi pacifique et le Prince de la paix, a choisi pour sa nativité, dans la suc- cession des temps disposés avec une admirable sagesse, le moment où, les tumultes de la guerre ayant cessé, la terre se reposait tranquille, et c'est en ce moment qu'il fit annoncer par les célestes phalanges sa venue dans le monde comme une messagère de paix. Or, si on a senti vivement, en d'autres circonstances, ce besoin de la paix, aujourd'hui on le sent plus vivement encore, ainsi que vous le rappelez si opportunément. « Aujourd'hui, en effet, l'Église est cruellement com- battue dans ses doctrines, dans son autorité, dans sa mission providentielle à travers le monde. Aujourd'hui la société civile, après qu'on a ébranle jusqu'au fond les bases premières de tout ordre, est travaillée par des dis- cordes intestines et profondes, et se trouve menacée d'une — '.10 — ruine complète par 1" tes oiqçhant? et pleins çl'audsce; aujourd'hui enlin la famille sent se relâcher les ;i el de la concorde entre les époux., et de la soumission chez les enfants. « D.ana ces circonstances, c'est une bojnue pensée et une chose très opportune de raffermir nos esprits inquiets et de raviver nos communes espérances par le souvenir de celle nativité de Notre-Seigneur qui, selon l'oracle pro- phétique, devait faire apparaître sur la terre là justice et L'abondance de la paix : Qrientur in diebus Ejm jmtitia et t sortie en flots intarissables, de forti egressa est dulcedo ; et en admirant cette alliance intime de l'énergie et de la chanté, l'Eglise catholique et ses ennemis eux-mêmes se demandent : Qu'y a-t-il de plus doux que le miel de cette charité, et de plus fort que ce lion 1 Quid dulcius melle, et quid fortius leone1 ? Il n'y a pas, en etfet, de vraie sagesse, fille du Ciel, de sagesse inspirée par l'Evangile et venue du Cœur de l'adorable Maître, cet Agneau divin envoyé pour con- quérir la terre par la douceur et par l'amour : Emitle Agnuin, Domine, dominatorem lerrœ2; il n'y a pas de vraie puissance de régénération et de salut sans ce rayon- nement et ces séductions de la charité. C'est par la charité que les âmes et les peuples sont attirés dans le sein de l'Église et jusque sur le cœur de Dieu : Traham eus in vinculis charitalis3. Cette charité dirige tous les actes de l'auguste Pontife, et il ne se lasse pas d'en redire la nécessité pressante. Ce désir ardent de l'union et de la paix est manifesté admira- blement dans les lettres que Léon XIII adressa aux chefs des gouvernements pour leur annoncer son élévation sur le trône pontifical. Quelle dignité souveraine dans le langage du Pontife ! Mais aussi quelle délicate charité ! Il ne remonte pas dans l'histoire de ces derniers temps pour rechercher les causes qui ont amené les conflits. II constate les faits, il déplore l'interruption des rapports entre certains États et le Saint-Siège, et il conclut par des paroles d'espérance qui trouveront un écho dans tous les cœurs chrétiens. Là où l'oppression a été plus violente, là où les cœurs sont plus aigris, le Chef de l'Église veut se placer entre les .Iri.ic, xiv, 8, \'t. 18. - K. xvi, 1. 3 OsEE, XI, 4. - 420 - oppresseurs et les opprimés, pour les reconcilier dans la charité et dans la justice, et pour mettre fin à cette situation violente qui fait souffrir les faibles, mais qui ue profite pas aux forts. Dans les différentes, lettres du nou- veau Pontife, les ennemis de l'Eglise eux-mêmes auraient de la peine à trouver un seul mot d'irritation, une seule expression tant soit peu blessante; la plainte elle-même, pourtant si justifiée, a uri caractère paternel et confiant. et laisse entrevoir un meilleur avenir. Dans plusieurs pays de l'Europe, l'Église a été dépouillée et opprimée, et pourtant c'est elle qui, dans la personne de son Pon- tife suprême, fait aujourd'hui le premier pas vers cette société agitée et infirme qui a besoin de l'Église dont elle s'est séparée, et qui semble avoir bonté de l'appeler à son secours. C'est un grand et beau spectacle que celui de ce Pape qui annonce son avènement aux souverains de la terre en formant uniquement des vieux de paix. Déjà l'archevêque de Pérouse avait recommande en termes touchants aux fidèles de son diocèse la nécessite de la charité dans la lutte chrétienne. « La lutte chrétienne n'est point une arène où s'entre- choquent les passions terrestres, où se croisent les intérêts de ce monde. La charité évangelique doit modérer sans cesse les sentiments et les émotions du combattant chrétien : c'est la charité qui ne témoigne à l'adversaire aucun sentiment de haine, qui ne répond point à l'injure par l'injure, et qui dans la personne même de l'égaré sait reconnaître toujours un membre de la famille du Christ qu'il s'agit de gagner au Père qui est au ciel. Cette cha- rité intelligente et infatigable, qui ne s'inspire que de la préoccupation de l'amour de Dieu et du bien du prochain, qui se montre sans cesse douce et modérée dans sa manière d'agir, toujours généreuse et empressée à l'égard de tous, combien de conquêtes glorieuses pour l'Eglise ne ait-elle point dans les rangs mêmes de ses persécuteurs ! — 421 — Combien d'autres ne fera-t-elle point au milieu même des luttes actuelles, .alors que parmi tant de tils égarés qui combattent contre leur mère, tous ne sont pas poussés par une haine impie, mais plutôt entraînés, en majeure partie, par le torrent impétueux du ma! ou aveuglés par de funestes erreurs ! Jamais il ne faudra désespérer du salut de ceux-là, et il restera toujours vrai que la charité évangelique, lors même qu'elle n'est point payée de retour, n'agit jamais en vain (non agit perperam), du moins à cause du mérite qui revient à ceux qui la prati- quent, et de l'honneur qui en rejaillit sur la Religion qui l'inspire '. » La première Encyclique du Pape, datée du 21 avril 1878, porte, comme toutes celles qui l'ont suivie, ce caractère de modération, de douceur et de charité. Dans son admirable discours aux journalistes catho- liques, Léon XIII recommandait avec instance cette grande loi de la charité chrétienne. « Bien que les écrivains catholiques ne puissent se servir de ces procédas et de ces. appâts dont usent sou- vent leurs adversaires, dit le Souverain Pontife, ils peuvent du moins les égaler facilement par la variété et l'élégance du style, par la sûreté et la promptitude des informations, et même les surpasser par la science des choses utiles, surtout par la vérité, que l'esprit désire naturellement connaître, et dont la force, la supériorité et la beauté sont telles que, dès qu'elle apparaît à l'esprit, elle arrache sans peine l'assentiment même de ceux qui lui sont contraires. Pour atteindre cette fin désirable, il faut user d'un genre de langage digne et mesuré, qui ne blesse pas l'esprit des lecteurs par une amertume exces- sive ou intempestive de paroles et qui ne serve pas les intérêts de parti ou des avantages particuliers de préfé- rence au bien général. Nous pensons que vous devez vous 1 Lettre pastorale sur la lutte chrétienne. Scella di atti episcopali del cardinale Gioacchino Pecci, p. 156, n. 7- — 422 — appliquer par-dessus tout, selon l'avertissement de l'Apôtre, « à dire tous de même et à n'avoir point de « schismes parmi vous, et à vous tenir parfaitenienj dans « le même sentiment et le même esprit ». adhérant avec, un ferme assentiment de vos cœurs aux doctrines et aux décisions de l'Eglise catholique '. » Ces conseils de douceur et de charité, le Pape les adresse spécialement aux prêtres, qui doivent être au milieu des peuples, maigre les luttes et les orages de de l'heure présente, les apôtres de l'amour clivin et de la miséricorde infinie. Le Cardinal Pecci, archevêque de Pérouse, disait à ses prêtres dans sa lettre pastorale sur la conduite du clergé dans les temps actuels : « A aucun de vous les occasions ne manqueront de se montrer patient et plein de man- suétude envers ceux qui l'insultent, de faire preuve de longanimité et débouté à l'égard de ceux qui se troinenl dans l'erreur, courtois et empresse dans les devoirs de la vie sociale vis-à-vis de tous. Qui ne voit combien le bon exemple ainsi compris est. facile à tous, combien il répond aux conditions de notre temps, et combien il se trouve conforme à la recommandation de l'Apôtre : « Nous vous « exhortons h ne jamais vous laisser vaincre par le mal, « mais à vaincre le mai par le bien 2. » Et dernièrement encore, le 14 décembre 1879. répon- dant au Cardinal-Vicaire qui avait remercie le Pape, au nom du clergé de Home, du décret par lequel Sa Sainteté avait reconnu la certitude de deux miracles éclatants proposés pour la procédure canonique du Bienheureux de Rossi, chanoine de la Basijique de Sainte-Marie m Cos- medin, Léon Xi 11 prononçait ces remarquables paroles : « Oh! si les ministres de Dieu se conformaient, fidèle- ment à des modèles aussi parfaits, combien l'Église aurait 1 Discours prononcé le 22 février 1870, dans l'audience solennelle accoedée aux représentants de La presse catholique. - Siètta di htti episcopali, p. 111. — 423 — lieu de s'en réjouir, combien plus heureuses et plus tran quilles seraient la religion et la société civile ! « Car, ainsi que l'expérience le démontre, par la puis- sante vertu de l'esprit du Seigneur, lorsqu'il se manifeste dans "les paroles et. dans les œuvres de ses fidèles ser- viteurs, tôt ou tard le cœur humain est forcé de se rendre aux exemples de charité, de douceur, de désintéresse- ment, de sacrifice, et Ton voit la confiance envers le prêtre catholique succéder à la méfiance et aux soupçons, la haine faire place à l'amour, et le mépris à l'estime la plus respectueuse. La grâce de Dieu ne s'arrête pas seulement à ces heureuses dispositions des âmes : la foi détruite ou affaiblie se ravive dans les cœurs, les mœurs corrompues se réforment, l'heureuse influence de la religion se fait sentir plus large et plus bienfaisante. Alors Dieu s'apaise; alors, dans les familles chrétiennes, dans les cités et les royaumes, on voit refleurir l'ordre, le calme, la paix. « Puisse le clergé de Rome se rendre digne de cette protection, s'inspirer toujours de ces exemples de zèle sacerdotal et de charité apostolique, et se souvenir de la sublimite et de la sainteté de sa vocation, en se confor- mant à la condition malheureuse des temps que nous traversons. » VIII Cette sagesse du Vicaire de Jésus-Christ n'est pas la sagesse de la terre et du temps, la prudence de la chair qui est la mort, mais la prudence de l'esprit qui donne la vie et la paix. Prudentia camis mois est, prudentia spiri- tus vita et pax \ Oui, elle est bien la sagesse surnaturelle inspirée par la foi la plus vive et par la charité la plus ardente. 1 ROM., vin, 6. — 424 — Ce que veut l'auguste Pontife, ce qu'il veut avant tout, au-dessus de tout, au prix de tous les efforts et de tous les travaux, et, s'il le fallait, au prix de tous les sacrifices, ce sont les âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ : Da mihi animas, cœtera toile tibi \ Aussi un des plus vénérables évêques de France nous disait en sortant de la première audience que le Pape lui avait accordée : « Ce qui distingue Léon XIII, ce qui apparaît tout d'abord en lui, ce qui est le caractère sail- lant de sa personnalité, c'est qu'il est avant tout un saint évêque. C'est par le grand cote, par le côté surnaturel du salut des âmes qu'il faut traiter avec lui les questions les plus humbles comme les plus élevées. » Il est difficile de rien ajouter à un pareil témoignage. A un catholique éminent de France, qui lui parlait des difficultés que rencontraient les négociations ouvertes avec l'empire d'Allemagne, Léon XIII repondait par ces admirables paroles : « Oui, cela est vrai : mais quand j'aurai fait tout ce qui m'est possible, quand j'aurai épuisé toutes les ressources, si. après tant de démarches, d'efforts et de négociations, une seule âme est sauvée en Allemagne, j'aurai fait mon devoir ; le devoir du Pape est. de sauver les âmes. » Grandes el sublimes paroles qui révèlent Léon XIII tout entier ! Lorsque le Souverain Pontife fit appeler auprès de lui, quelques jours après son élection, le Cardinal Franchi pour lui confier la Secrétairerie d'Etat, les premières paroles qu'il lui adressa furent celles-ci : « Je veux faire une grande politique. » La grande politique de Léon Mil. c'est la politique de la lumière et de la vérité, la politique de la paix et de la réconciliation, de la modération el de la sagesse, de l'énergie et de la charité; c'est la politique qui ramènera la société dans les bras de L'Église, qui 1 fiE-VE-:.. XIV, Si. - 425 - sauvera les âmes et les peuples : car c'est la politique qui a sauve le monde. Ah ! nous voudrions que les hommes qui se déclarent les ennemis de l'Eglise et de la Papauté, qui affirment que toute réconciliation est impossible entre les doctrines catholiques et les aspirations des générations présentes, entre l'Église et nos sociétés ; qui prétendent que nous n'avons plus, pour ce monde qui nous repousse, que les préjugés de l'aveuglement et les malédictions de la haine; nous voudrions qu'ils pussent approcher, ne fût-ce que pendant quelques heures, de la haute intelligence et du noble cœur de Léon XIII ! IX Mais nous devons étudier de plus près celte sagesse de Léon XIII, à la lumière des faits, dans l'accomplissement de sa grande mission. L'Archevêque de Pérouse s'était montré supérieur à tous les partis et s'était concilié, malgré le malheur des temps et la violence des luttes politiques, l'estime et la vénération de tous. A l'époque de son élection, le correspondant d'un des grands journaux de Paris, peu favorable à l'Église, après avoir fait l'éloge du nouveau Pontife, ajoutait : « J'aurais voulu mettre quelques ombres à ce portrait si flatteur; mais j'ai eu beau chercher des renseignements parmi les personnes les plus hostiles à l'Eglise, je n'ai pas réussi à entendre formuler la plus légère critique 1. » L'attitude de Léon XIII sur le trône pontifical, ses rela- tions avec les gouvernements, sa modération, sa loyauté et sa prudence n'ont fait qu'accroître son prestige et son influence dans l'univers entier. Le nouveau Pape a rencontré surtout des difficultés 1 Journal de? Débats. — 'i2(i — sérieuses dans ses relations avec la Belgique et avec l'Al- lemagne. Le Pape a tenu à séparer de la question si graye de l'enseignement en Belgique le devoir des catholiques belles de respecter la constitution de leur pays. « Léon XIII a ajouté, écrivait le secrétaire de la Léga- tion belge près le Saint-Siège, que lui-même, en différentes circonstances, avait recommande aux catholiques le res- pect et ['obéissance aux lois de leur pays; (piécette recommandation, il l'avait faite d'une manière spéciale aux catholiques belges, parce que leur régime politique est des plus favorables au développement des intérêts de la religion '. « Je désire l'apaisement en Belgique, a dit le Pape, et « récemment encore j'ai eu occasion de m'exprimer dans « ce sens auprès des délègues d'un groupe de la presse « catholique belge. « (les messieurs, à peine arrivés à Borne, ont instam- « ment sollicité d'être reçus par moi: ils désiraient un « conseil du Pape au sujet des discussions que soulèvent « certains articles de la constitution. « J'ai accédé à leur demande, et voici ce que je leur ai « dit, après avoir fait ressortir les avantages qu'assure au « Saint-Siège l'œuvre du Congrès belge de 18:j() : « Les œuvres des hommes ne sont pas parfaites : le « mal se trouve à côté du bien, l'erreur à côté de la vérité. « Il en est ainsi de la constitution belge : elle consacre « quelques principes que je ne saurais approuver comme « Pape; mais la situation du catholicisme eu Belgique, « après une expérience d'un demi-siècle, démontre due, « dans l'état actuel de la société moderne, le syslèi le « liberté établi dans ce pays est le plus favorable à l'Iv « glise. « J'ai profité de la circonstance, a ajouté Léon XIII, 1 Dépêche de la Légation beljie près le Saint-Siège, du 20 août 1878. _ ',27 — « pour renouveler à ces messieurs les conseils que j'avais « donnés dans mon discours à la presse en général. Ne « sortez pas de la voie constitutionnelle et ne vous écar- « tez pas des limites de In modération, leur ai-je dit; les « causes justes et vraies ne gagnent rien à être défendues « parla violence ou les excès de langage ». » Mais il y a plus : deux dépêches du cardinal Nina résu- ment la même pensée à l'égard de la constitution belge : « Votre Seigneurie pourra donner à M. Frère-Orban l'as- surance que le Saint-Siège, qui jusqu'ici n'a pas cessé d'exercer son influence pour circonscrire la lutte dans les limites de la modération, en mettant même un terme à certaines controverses d'une plus grande importance, comme celles qui se rapportent à la constitution du royaume, n'a pas manque et ne manquera pas encore en cette circonstance de faire des démarches opportunes afin de prévenir, sur le terrain pratique, toute mesure extrême, autant que le lui permettront les procédés de l'autorité civile. » (Lettre du 1er juillet 1879.) Et le 29 octobre 1879, le Cardinal Secrétaire d'Etat écrivait au nonce de Belgique : « Le Saint-Siège ne loue ni ne favorise les libertés indiquées ci-dessus; mais, inté- ressé plus que tout autre à la paix des consciences et à la prospérité de la société civile, il déplore et réprouve en général toute violence dans les idées ou dans le lan- gage. « Les déclarations que je viens de formuler ci-dessus sont propres à persuader tous les gouvernements du vif désir qui anime le Saint-Siège de voir la paix et la tran- quillité de plus en plus assurées dans le sein des États, sans distinction de leurs formes constitutives, ni des per- sonnes qui président successivement à leur gouverne- ment. Je laisse donc pleine liberté à Votre Seigneurie de communiquer ces déclarations à Son Excellence. » 1 PépAche dfl 3 mars 1870. — 428 — Personne n'ignore avec quelle persévérance Léon XIII s'efforce d'amener l'empire d'Allemagne à une entente si désirable pour le salut des âmes. Ses projets ont trouve un auxiliaire dans l'impression profonde produite par les projets et les menées du parti socialiste et par les atten- tats contre l'empereur Guillaume et tant d'autres princes. Le sage et vaillant Pontife poursuit son œuvre avec cette prudence qui saisit toutes les circonstances favorables, qui sait attendre et agir, s'arrêter et marcher en avant. Nous avons vu dans la lettre adressée à l'archevêque de Cologne, comment le Saint-Père lui-même exposait ses projets de réconciliation. Les hommes jugent surtout les œuvres par le succès; et, il faut le reconnaître, Dieu a protégé les généreux desseins de son Vicaire. Malgré le malheur des temps et des obstacles exceptionnels dans l'histoire des luttes de l'Église, la grande politique de Léon XIII a obtenu des résultats qui sont pleins de consolations et d'espérances. En Belgique, les catholiques sont plus unis que jamais, sous la direction suprême du Saint-Siège. Le Gouver- nement et les Chambres ont compris, comme le disait le premier ministre, que rappeler la légation belge auprès du Saint-Siège serait non seulement une faute politique, mais une action malhonnête. En Allemagne l'opinion publique se montre de plus en plus favorable à une entente avec le Snint-Siège, et. si les négociations, qui viennent d'être reprises, devaient être abandonnées, toute espérance ne saurait être perdue. Déjà rinllueneede cette conduite de l'Allemagne s'est fait sentir en Suisse et en Italie. Le choix d'un des prélats les plus éminents de la Cour romaine pour la nonciature de France doit nous inspirer de fermes espérances. En Orient, le schisme arménien s'est terminé par la soumission si ediliantede Mgr Kupélian, et le Saint-Siège se prépare à envoyer un représentant auprès de la Cour ' - 429 — de Constanlinople, dont les dispositions à l'égard des catholiques ont mérité le témoignage de la satisfaction du Souverain Pontife l. En Russie, les dangers qui menacent non seulement la vie du Czar, mais peut-être l'existence du grand empire, ont aidé les désirs conciliants de Léon XIII. Il y a quelques mois, le ministre des cultes assistait à l'inaugu- ration solennelle d'un Séminaire catholique à Saint- Pétersbourg et répondait avec bienveillance aux paroles que lui avait adressées le directeur du Séminaire. En Angleterre, le catholicisme réalise d'incontestables progrès. Le gouvernement se montre favorable aux droits des catholiques ; l'élévation de l'illustre Newmann aux honneurs de la pourpre romaine a produit, même dans les régions officielles, la plus heureuse impression, et la hiérarchie épiscopale a été rétablie en Ecosse. En Italie, les passions politiques paraissent se calmer sous l'influence de l'estime et de la vénération qu'inspire le Souverain Pontife, et il se pourrait que la grande poli- tique de Léon XIII préparât peu à peu la meilleure solution de la question romaine et de la question du pouvoir tem- porel. « On sait que la capitale de l'Italie a été installée à Rome sous la pression des influences démagogiques : les hommes d'Etat les plus éclairés de l'Italie étaient absolu- ment contraires à ce projet. Cavour l'avait adopte pour attirer à sa politique les sectes révolutionnaires; mais il disait à ses intimes : « 11 faut beaucoup parler de Rome et ne jamais y aller. » Massimo d'Azeglio s'exprimait avec énergie contre une entreprise qu'il n'hésitait pas à qualifier de foiie. Le comte Sclopis, le marquis Capponi, pour ne citer que les noms les plus illustres, s'étaient toujours déclarés absolument contraires à la spoliation du Pape. Ces jours derniers, un homme politique distingué, M. Jacini, 1 Pendaut que ces pa,res s'impriment, nous apprenons que Mpr Van- nutelli, aucien sous-secrétaire d'Etat, est nommé Délégué apustnlique à Constantinople - yd - sénateur italien, dans une brochure qui a produit une grande sensation dans la Péninsule, n'hésitait pas à déclarer qu'on ne pouvait pas considérer la question romaine comme résolue. C'est pourquoi ceux qui s'efforcent de répondre aujourd'hui à la pensée de Léon XIII, en taisant pénétrer dans les âmes la conviction (pie la meil- leure garantie de l'indépendance de l'Italie, c'est la resti- tution au Pape des conditions nécessaires à l'indépendance de son pouvoir spirituel, trouvent des auxiliaires dans les patriotes italiens les plus estimes et les plus intelligents. Pot un étrange hasard, un écrivain très connu en Italie et en Europe pour sa haine féroce contre la Papauté, M. Petruccelli délia tlattina. développe depuis quelque temps avec insistance la thèse de la nécessite pour le gouvernement italien de renoncera la possession de Rome, qui n'offre aucune des conditions voulues pour être la c a p ita 1 e d u r o y a urne1. » Enfin le parti de l'anarchie et de l'Impiété se demande si cette influence toujours grandissante du Souverain Pon- tife n'arrivera pas à l'isoler au milieu de l'Europe. X Mais cette mission de Léon XIII impose aux catholiques de grands devoirs, et d'abord le devoir d'une soumission parfaite aux enseignements du Vicaire do Jesus-C-hrist, le devoir d'une conformité complète de nos désirs et de nos espérances avec ses désirs et avec ses espérances. jNous qui sommes à tous les degrés de la hiérarchie catholique les ministres de Dieu, nous qui sommes les guides, les apôtres et les pasteurs des peuples, nous leur devons l'exemple d'une docilité filiale et d'un dévouement sans bornes. Partout et toujours nous devons être les échos i Léon Xlll et l'Allemagne, par le comte Cokesi abile . — 431 - fidèles de la grande voix qui enseigne le monde du haut du Vatican. C'est surtout ^et avant tout parmi les catholiques que Léon XIII désire établir le règne de la paix, la puissance et la félicité d'une union parfaite. Comment pourrions- nous en effet répandre autour de nous des biens que nous ne posséderions pas? Ah f nous vous en supplions, ne déchirons pas les pages de l'Evangile. Ne supprimons pas dans la religion chré- tienne ce qui en est tout à la fois le plus divin enseigne- ment, la démonstration la plus éloquente et l'irrésistible puissance, l'amour que Jesus-Christ est venu apporter sur la terre et qui doit l'embraser tout entière '. N'espérons pas attirer les âmes et les sauver par des rigueurs inexorables; n'oublions pas que nous sommes envoyés pour consoler et pour bénir. Que la sagesse, la man^ suétude et la charité divines touchent, rapprochent et unissent tous les cœurs. Que la paix soit le fruit de la justice, et que la miséricorde ouvre les chemins à la vérité. Misericordia et verilas ubciaverunt sibi : justiùa et pax osculatœ sunt2. Qu'aucune lâche défaillance, qu'au- cune concession coupable ne sacrifient le trésor inviolable de la foi et ne compromettent la dignité et l'efficacité de l'apostolat catholique. Mais aussi que nulle parole amère n'éloigne de nous les âmes que nous devons sauver et les peuples qu'il faut ramener dans les bras de l'église. Soyons sans peur, mais soyons sans reproche. Que les fidèles vaillants, généreux, et il en est un grand nombre sur cette noble terre de France, marchent à la suite de leurs pasteurs, guidés eux-mêmes par leurs évêques sous la direction du Pasteur des pasteurs, du Vicaire de Jésus-Christ. Qu'a cette heure des luttes décisives, aucun soldat de l'Eglise et de Dieu ne recule ou n'hésite sur ces 1 lynem venl milUre in lerram, el quid volo nisi ut accoidatur f (Luc», mi, 49.) - PS. LXX&1V, 11. - 432 - champs de bataille, de la doctrine où se joue le sort de l'Europe et du monde; mais qu'aucun ne sorte des rangs pour compromet re par des entraînements aveugles la vie :o ire et l'avenir des causes sacrées que nous voulons défendre. Quand, dans une armée, l'autorité n'est plus respectée; quand les liens de la discipline sont relâches ou brisés; quand les ordres des chefs, et surtout les ordres du chef suprême, sont discutés par le soldat, en vain cette armée aurait pour elle le nombre, la vaillance, les illuminations du génie de la guerre, et derrière elle cent victoires ; demain les légions de l'ennemi, unies par une discipline de fer et marchant sous une seule impulsion, passeront sur ses bataillons écrasés. Mais ce n'est point assez. 11 faut encore donner au Souverain Pontife l'offrande généreuse de notre pieté filiale et secourir son auguste détresse. Ses charges se multiplient; plusieurs évèques d'Italie sont sans ressource, les universités et les écoles catholiques de Rome, le Sacré Collège, les tribunaux ou les congrégations nécessaires à l'administration de l'Église universelle lui imposent des dépenses considérables. Ah ! nous ne souffrirons pas que les offrandes du denier de Saint Pierre diminuent et que le Vicaire de Jésus- Christ, notre maître et notre père, soit condamné à l'im- puissance et aux angoisses de la pauvreté. Ce serait l'éternel deshonneur de ces chrétiens qui, malgré tant d'œuvres qui reclament leurs secours, malgré les inénar- rables tristesses de ces temps malheureux, jettent l'or à pleines mains, pour satisfaire les exigences d'un luxe abso- lument insensé et pour traîner dans les fêtes mondaines le désœuvrement de leur vie et la dégradation de ces âmes que ne peuvent éclairer et toucher ni les souffrances des pauvres, ni les angoisses de la société, ni les malheurs de l'Église. Ecoutons, sur Pimportance et la nécessité du denier de — 433 — Saint-Pierre, et sur les récompenses promises à ceux qui sont fidèles à cette grande œuvre, écoutons la parole de Léon XIII : « Nous avons reçu avec votre lettre un exemplaire du mandement spécial que vous avez publié pour donner aux fidèles de votre diocèse un nouvel élan pour secourir le Saint-Siège dans ses détresses ; c'est vraiment là un sujet digne de votre zèle et de toute la vigueur de votre élo- quence, d'autant plus que les ennemis de l'Église ont accumulé sans scrupule tous leurs artifices, pour faire dépérir cette œuvre de la piété catholique. Ils le voient bien, eux aussi : c'est l'œuvre capitale, sans laquelle il n'y aurait pour le Saint-Siège, ni liberté, ni dignité, ni moyen assuré d'exercer son divin ministère. Aussi est-ce pour lui arracher cette dernière sauvegarde qu'ils ont cru devoir réunir leurs attaques et leurs communs efforts. « Il est donc très heureux qu'une voix épiscopale reten- tisse au loin pour défendre ces grands intérêts, et nous nous réjouissons que vous ayez eu à cœur de bien faire comprendre aux catholiques qu'il s'agit de la cause non seulement de l'Église et du Siège apostolique, mais même de ceux qui donnent ainsi généreusement une part de leur fortune à l'Église : ces largesses leur vaudront certai- nement les trésors delà bonté et de la miséricorde divine. Le zèle que vous venez de montrer est une preuve écla- tante de votre amour pour le Saint-Siège1. » Mais sous l'impression de ces touchantes paroles, un sentiment douloureux nous saisit, un souvenir nous pour- suit et nous oppresse ; nous ne pouvons pas, nous ne devons pas les contenir dans notre âme indignée. Nous avons entendu dire que les ressources du denier de Saint-Pierre pourraient diminuer dans des proportions .considérables, si le Souverain Pontife ne suivait pas une igné de conduite qu'on daignait lui indiquer, et quelques 1 Bref adressé à Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, le 11 septembre 1878. - 434 — oiirnaux révolutionnaires d'Italie ont affirmé que ces insi- nuations perfides avaient pénètre jusqu'au Vatican. Cette insanité de l'orgueil et ces audaces sacrilèges soulèvent notre àme de dégoût. 11 ne s'agit pas seulement ici de révolte contre l'autorité lu Vicaire de Jésus-Christ;- il s'agit du dessein de lui imposer, si cela était possible, par des moyens mille fois odieux et mille fois criminels, des pensées qui ne sont pas les siennes, et des tendances qu'il ne peut approuver. Ce qu'il y a ici, ce n'est pas seulement l'obstination du sectaire, c'est la fureur du parricide. Nous nous deman- dons si jamais la Papauté a subi un pareil outrage : si jamais, depuis dix-neuf siècles, l'esprit de Satan s'est manifesté sous une face aussi hideuse. Quoi! il y aurait sur cette terre des âmes assez avilies pour croire que la conscience d'un Pape pourrait être prise par la famine comme on saisit dans son dernier refuge un ennemi obs- tiné? Quoi! la grande àme de Léon XIII capitulerait devant les épreuves de la pauvreté et de l'abandon? Mais qui donc êtes-vous pour infliger de telles injures à ee qu'il y a de plus respecte, de plus vénéré, de plus auguste sur celte terre? Et, ajoutant l'outrage à l'outrage, vous avez cru que les catholiques subiraient l'influence de ces insinuations cri- minelles et qu'ils pourraient être entraînés dans celte conjuration de la révolte et dans cette croisade du parri- cide. Ah! vous vous trompez; en présence de la simple tentative de pareils forfaits, il en est, nous le savons, qui donneraient jusqu'à leur dernier morceau de pain. Mais non: il y a ici une erreur funeste qui pourrait dés- honorer la cause catholique; ce sont des rêves, mais leur manifestation devait être flétrie. \<>us protestons au nom de l'honneur catholique. Non. cela n'est pas vrai; non. cela n'est pas possible. \ défaut de tout sentiment hon- néie, h seul instinct de l'intérêl personnel suffirait à écarter de telles tentations de l'aine la plus dégradée, CM — 133 — celui qui les subirait se verrait poursuivi, jusqu'à son dernier jour, par le mépris des hommes et les malédictions de Dieu. XI Et maintenant, ô Pontife, ô Vicaire de Jésus-Christ, ô Saint-Père, laissez-nous vous offrir le témoignage de notre admiration, vous faire entendre la prière de notre fai- blesse et de notre indignité, et l'accent de nos plus chères espérances. O Docteur des peuples, Apôtre des doctrines surnatu- relles, faites rayonner la lumière dans la nuit de ce monde. Enseignez la vérité, la charité, la vraie sagesse. Donnez la paix à tous. La définition de l'infaillibilité pontificale et les deux années bientôt écoulées de votre glorieux pontificat ont affermi votre autorité. L'épiscopat, toujours fidèle, redira dans une soumission sans réserve, dans un dévouement sans limites, les enseignements de la chaire de Pierre. Parlez, et vous serez entendu ; ordonnez, et nous irons au-devant des prescriptions de votre autorité souveraine et des désirs de votre cœur. Dissipez les préjugés qui retiennent loin de nous de nobles intelligences ; mettez un terme aux anxiétés de bien des cœurs généreux. O pasteur suprême, ô bon pasteur, vous n'oubliez pas les brebis qui s'égarent. Comblez les abîmes que creusent chaque jour des malentendus funestes. Abattez les bar- rières élevées parl'ignorance et par les passions aveugles. Poursuivez vos nobles desseins, votre mission providen- tielle. Indiquez aux âmes qui cherchent et appellent la vérité, un terrain où nous puissions les rencontrer dans la sincérité et dans l'honneur, un terrain où toute politique loyale et juste peut proposer à l'Église ou accepter un accord qui ferait le bonheur et la prospérité des peuples, un terrain sur lequel sera scellé le contrat d'une alliance — 436 - qui affermira les bases de tout ordre social dans la fidélité inviolable, dans la sécurité et dans la paix. Ramenez dans le sein de l'Eglise les peuples qui s'en éloignent et qui ont été pourtant pendant tant de siècles son appui, sa force et sa gloire. Développez encore par votre modération et votre sagesse, par les séductions de votre charité, par l'affirmation des doctrines qui res- pectent tous les droits, le prestige et l'ascendant de la Papauté. 0 Père, ô Saint-Père, nous vous en supplions, ne vous lassez pas ; revenez chaque jour sur les chemins par lesquels ont fui, loin du bonheur de la maison paternelle, ces nations qui dissipent les trésors des croyances augustes, des traditions sacrées et des glorieux sou- venirs. Non, on ne résiste pas toujours à la vérité et à la justice présentées par la miséricorde et par l'amour. Bientôt les prodigues reviendront dans les bras de votre tendresse. Alors la fête du retour, qui sera la plus belle fête de la terre, sera aussi la plus belle fête du ciel. Et s'il ne fallait, ô Père bien-aimé, pour obtenir de Dieu la réalisation de vos nobles desseins, et pour hâter ces grandes victoires de la paix, de la miséricorde et de l'amour, s'il ne fallait que le sacrifice de notre pauvre vie, nous la donnerions, non pas avec regret, mais avec joie, mais dans l'élan d'une reconnaissance qui serait éter- nelle. LETTRES SUR LES ÉTUDES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES LETTRE A M. LE CHANOINE ROSSET AU SUJE1 DE SON TRAITÉ DE PHILOSOPHIE L'ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE Monsieur le chanoine, Les deux volumes de votre traité de philosophie me sont parvenus au moment où je quittais ma ville épis- copale pour prendre part au grand pèlerinage des Allinges. Je viens de rendre hommage à la mémoire vénérée de notre illustre compatriote M. l'abbé Martinet, et de bénir le tombeau qui lui a été élevé dans sa paroisse natale. Je tiens cependant, malgré le îlot de mes occupations inces- santes, je tiens à vous dire, du moins d'une plume rapide, ma pensée sur le savant ouvrage que vous avez bien voulu m'ofîrir. En appréciant votre travail, je toucherai à une question delà plus haute importance, à la question de l'enseignement de la philosophie et de la théologie. Un mouvement heureux ramène les études philoso- 1 Aujourd'hui évoque de Saint- Jeau de Maurienne. — 440 — phiques et théologiques à leurs sources véritables, aux grandes traditions de l'école chrétienne, et votre traité imprimera à ce progrès une puissante impulsion. Pendant près de dix ans vous avez consacré à l'enseignement de La philosophie dans un grand séminaire, et à la composition de cet ouvrage, les lumières d'une haute intelligence, les ardeurs d'une àme désireuse de posséder la vérité, et la puissance d'un travail infatigable. Le titre que vous avez choisi indique par lui-même les sources où vous avez puisé vos doctrines, la pensée principale et le mérite essentiel de votre œuvre : Prima principia scientiarum, seu philosophia catholica juxta Divum Thomam ejusque interpretatores, respectn habito ad hodiernam disciplina- rum ration em l. Et d'abord je vous loue sans réserve de présenter sous une forme simple et élémentaire la doctrine du grand doc- teur saint Thomas d'Aquin, cette philosophie des plus grands génies de l'antiquité païenne, illuminée de rayons plus purs, établie sur des bases plus certaines, étendue sous des horizons nouveaux par les travaux successifs des Pères de l'Église et des maîtres de lascolastique. Ensemble vraiment admirable, édifice merveilleux où tout se tient et s'enchaîne dans une ravissante harmonie, édifice sur lequel la théologie s'élève à des vérités plus hautes et termine par ses constructions divines le couronnement de toutes les sciences que Dieu a soumises à l'empire de l'in- telligence humaine ! Contre cette philosophie sont venus se briser les pre- miers efforts des ennemis de la vérité, car elle est le bou- levard extérieur de cette enceinte où repose, sous une garde infaillible, le trésor des doctrines révélées. Cette philosophie, Luther la déclarait l'œuvre de Satan ; il s'ef- forçait de la livrer au mépris avant de s'attaquer aux dogmes catholiques, et il en brûlait les monuments prodi- 1 2 vol. in-12, chez Vives. — 441 - gieux avec les bulles des Papes et le droit canon sur les places profanées de Wittemberg. Egaré par l'orgueil, banni du sein de J'Eglise où il avait goûté les joies de l'in- nocence et de la vérité, et qu'il cherchait à déchirer dans les emportements de sa haine, il rencontrait sans cesse devant lui le glaive inexorable de l'archange de la doc- trine catholique aux portes de cet Eden à jamais perdu. L'un de ses adeptes les plus ardents et les plus cou- pables, Bucer, a prononcé à ce sujet des paroles dont l'exagération elle-même témoigne de l'admiration pleine de terreur que le Dominicain apostat avait conservée des études de son cloître et du maître de sa jeunesse : « Enlevez Thomas, disait-il, et je détruirai V Église. Toile Thomam, et dissipabo Ecclesiam. » Cette doctrine de saint Thomas d'Aquin, l'es Souverains Pontifes Font déclarée miraculeuse, les Conciles l'ont cou- ronnée de leurs louanges, bien des hommes de génie s'en sont faits les commentateurs fidèles, les plus savantes Universités, les ordres religieux les plus illustres l'ont adoptée comme la règle suprême de leur enseignement. Le P. Liberatore le premier, il y a bien des années déjà, avait travaillé avec un incontestable talent à ramener les études philosophiques à cette source si longtemps abandonnée. Parmi les propagateurs de cette haute et pro- fonde philosophie, nous ne pouvons oublier le P. Ton- giorgi, qu'une mort prématurée enlevait, il y a quelques années, dans la fleur de son âge, à l'enseignement du Collège-Romain, à l'affection de ses élèves, aux souvenirs émus de tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître et de l'entendre1. Vous êtes plus fidèle que le P. Tongiorgi au maître que vous avez accepté sans réserve. Je pourrais citer à ce point de vue la question de la matière et de la forme où 1 Cependant le P. Tongiorgi a été moins fidèle aux. doctrines ae saint Thomas que le P. Liberatore. — 442 — vous embrassez le système scolastique soutenu avant saint Thomas par Platon, Aristote et saint Augustin ; la dis- sertation sur la nature des accidents, où vous admettez leur entité réelle et la possibilité des accidents absolus, doctrine qui appartient à la philosophie, tandis que la théo- logie établit par des arguments positifs l'existence de ces accidents dans le sacrement de l'Eucharistie. Je pourrais rappeler encore la distinction réelle de l'essence actuelle et de l'existence actuelle dans les créatures, que vous défendez avec saint Thomas contre Suarez, dont le P. Tongiorgi a embrassé le sentiment ; ou bien la distinction réelle des facultés de l'âme, que saint Thomas démontre contre Scot (1 part. q. 77, art. 1, 1 sentent., disl. 3, q. 4, art. 2), distinction parfaitement conforme aux conclu- sions théologfques sur la distinction réelle des différentes vertus repondant aux diverses facultés de l'âme. Néanmoins, en restant constamment fidèle à la doc- trine de saint Thomas, vous n'avez point négligé les erreurs contemporaines et vous les combattez avec les armes que vous avez reçues de votre Maître, justifiant ainsi les paroles que Lacordaire adressait au Docteur Angélique : « Lors môme que vous n'avez pas prévu, vous avez encore tout dit. » Je trouve en effet dans votre ouvrage une réfutation succincte de l'athéisme, du pan- théisme dans ses différentes transformations. Nous sui- vons avec le plus vif intérêt les grandes controverses sur l'origine des idées, sur le traditionalisme, sur le système de l'illustre abbé Rosmini, et enfin sur l'ontologisme, auquel le jugement des congrégations romaines portait il y a quelques années un coup mortel. . Ainsi donc, avoir résumé dans un abrégé substantiel la philosophie de saint Thomas d'Aquin et avoir appliqué les principes de cette haute philosophie aux controverses de notre temps, c'est le premier mérite de votre œuvre. Mais ce mérite en suppose un second. Yous ne vous êtes pas contenté d'étudier la doctrine de saint Thomas dans quel-. — 443 - ques ouvrages élémentaires, vous êtes remonté aux écrits du grand docteur, vous en avez médité le texte, rapproché les principes et4as conclusions ; etcomme un tel ensemble de vérités profondes ne peut être parfaitement saisi sans le secours des plus illustres commentateurs, vous avez consulté au prix d'un travail que je serais tenté d'appeler prodigieux, leurs ouvrages immortels. Vous vous êtes attaché avec plus de fidélité aux interprétations de Suarez, que le Pape Paul V appelait Doctor eximius, et qui restera à jamais au premier rang des princes de la théologie et de la philosophie chrétiennes. Dans l'examen des controverses d'une majeure importance, par exemple, dans la question du composé humain et de l'unité du principe vital dans l'homme, vous avez interrogé les écrits de saint Augustin, qui a été un des maîtres de saint Thomas, comme il le fut plus tard de Bossuet. Je ne puis refuser mes éloges les plus sincères à votre méthode vraiment scientifique, de nos jours surtout où quelques théologiens renferment leurs études dans les limites étroites des compendiums, fermant ainsi devant eux les sources intarissables et les grands horizons de la vérité. Je suis convaincu que cette marche désastreuse conduirait infailliblement les études à une décadence rapide et peut-être irrémédiable. Le meil- leur abrégé ne sera jamais parfaitement compris par lui- même dans son ensemble et ses diverses parties ; souvent même il ne pourra laisser soupçonner les difficultés que présente la doctrine qu'il expose. Avec le secours de quel- ques compendiums, un professeur restera incapable d'in- diquer avec précision et clarté les relations des traités entre eux, des principes et des conclusions, il sera incapable de remonter aux bases premières des démonstrations. Quels que soient d'ailleurs ses efforts et son influence, il n'aura saisi de la science que des fragments, et encore des frag- ments mutilés. Sa doctrine, renfermée tout entière dans des ouvrages élémentaires, échouera contre la première difficulté, et lorsqu'une erreur nouvelle ou revêtue de — 444 — formes jusqu'alors inconnues apparaîtra et séduira les âmes dans l'Eglise de Dieu, ce n'est point parmi ces hommes pour qui les écrits des grands docteurs sont restés lettre close, qu'elle pourra trouver les défenseurs puissants et invincibles de la vérité. Il y a plus. Cette philosophie admirable de saint Tho- mas et de ses commentateurs, que vous exposez avec tant de science et de clarté, est d'une nécessité absolue non seulement pour le progrès, mais pour l'existence mémo de la vraie théologie. Que l'étude de la théologie soit impos- sible si on ne lui donne pour base l'étude de la philoso- phie, c'est ce qui n'est pas contestable. Comment saisir, en effet, dans les traités de l'Incarnation et de la Trinité la valeur des démonstrations et même la signification des termes sans des définitions exactes de la nature et de la personnalité, sans l'intelligence de leurs rapports et de leurs différences ? Comment sans cette même définition de la nature, comprendre ce qu'est l'ordre surnaturel auquel se rattache immédiatement non seulement le traité de la Grâce, mais la religion chrétienne tout entière? Les notions de la matière et de la forme se retrouvent dans les traités des Sacrements, comme dans tous les traités de dogme et de morale. Comment, sans des notions psychologiques, démontrer que les dons accordés au premier homme : l'immortalité, la science, l'exemption de la concupiscence, etc., ne sont pas des dons purement naturels ni stricte- ment surnaturels, mais des dons pneternaturels, perfec- tionnant la nature humaine sans l'élever infiniment au- dessus d'elle-même, mais, comme parlent les théologiens, inter latissimum perfectibilitatis ejus ambitiim. Et i\ en est ainsi de l'ensemble de ces deux sciences, et elles se rap- prochent sans cesse par des relations mutuelles et néces- saires. D'où il faut conclure que sans la connaissance de ces doctrines philosophiques, il est inutile de conserver dans nos bibliothèques de Lugo et Suarez, Vasquez et Kipalda, les docteurs de Salamanque, Gonet, Billuart et - 445 — Contenson. Mais, il ne faut pas l'oublier, la philosophie catholique seule prépare les intelligences aux doctrines théologiques. Où vont les plus grands et les meilleurs esprits lors- qu'ils abandonnent les traditions du passé, le secours divin de la révélation, la direction infaillible de l'autorité de l'Eglise, où vont-ils sinon aux rêves insensés, aux contra- dictions palpables du panthéisme allemand ou aux ténèbres honteuses du positivisme contemporain ? Où vont encore les âmes plus élevées ou plus sincères, sinon aux doutes, aux angoisses, au désespoir de Joufïroy, ou bien, et c'est la meilleure part, à la marche lentement progressive de Maine de Biran, qui ne touche aux rivages de la vérité que vers sa dernière heure et comme poussé par la main de la mort. La philosophie cartésienne elle-même, malgré les inten- tions sincères de son fondateur, ne peut offrir à la théolo- gie une base inébranlable. Comment, par exemple, conci- lier sa négation de la distinction réelle de l'accident et de la substance avec l'existence dans l'âme humaine du ca- ractère surnaturel, qui est cependant une réalité distincte du sujet qu'il orne et quJil perfectionne? Comment encore concilier sa théorie sur le principe vital dans l'homme avec la doctrine du Concile de Vienne, du cinquième Concile de Latran, sess. vin, can. Apostolici regiminis soUicitudo, doctrine confirmée par Pie IX dans sa lettre à l'arche- vêque de Cologne, lo juin 1857, et dans une autre lettre adressée à Tarchevêque de Breslau, 30 avril 1860? Nous devons conclure qu'il n'y a qu'une philosophie vraiment catholique, c'est la philosophie de saint Thomas. Tous les efforts tentés depuis trois siècles en dehors de ce système incomparable ont abouti non pas à l'unité, mais à la divi- sion, non pas à la lumière, mais aux ténèbres, non pas au progrès, mais à la décadence, et bien souvent ils ont cou- vert le sol sacré de l'Église de débris informes et de ruines désolées. — 446 — Saint Thomas est le philosophe et le théologien de ions les temps, mais il est surtout le philosophe et le théolo- gien de notre siècle. Quel est aujourd'hui le but suprême de Terreur, sinon la démonstration d'un antagonisme radical et indestructible cuire la raison et la foi? 11 ne suffît donc pas d'établir par l'autorité de l'Ecriture-Saiflte et de la tradition les croyances chrétiennes, il faut prou* ver encore qu'elles se concilienl admirablement avec les principes de la raison humaine. Or, dans ce travail de conciliation, nulle œuvre de génie ne peul être comparée aux sommes philosophique et théologique de l'Ange de l'Ecole. — On a dit que de nos jours, la théologie était, pour l'orateur appelé à instruire de grandes assemblées, plutôt une barrière qui indiquait le chemin qu'un arsenal où il puisait ses armes. C'est une erreur. Sans doute la théologie abrégée, disséquée, pulvérisée de quelques auteurs, n'est souvent qu'une barrière, barrière impuis- sante, que le premier choc de l'ennemi peut jeter à terre et qui tremble au moindre soufflé. Mais la grande, la haute, la véritable théologie, qui descend aux assises der- nières de nos dogmes chrétiens et qui plane au-dessus des démonstrations partielles, soutenue par la double puis- sance de la raison et de la foi, qui conduit jusqu'aux profondeurs de l'essence de Dieu, ah 1 celle théologie, elle est plus et mieux qu'Une barrière ! Nulle erreur ne peut lutter contre elle, elle imprime à la parole l'im- pulsion qu'elle puise dans des convictions profondes au sein de ses veilles laborieuses, elle répand sur les multi- tudes toutes les clartés du Sinaï el du Thabor, et quel- quefois aussi tontes les saintes émotions de Bethléem et du Calvaire. Mais cette grande théologie, c'esl la théologie de saint Thomas et de ses Commentateurs : elle a pour base essentielle leur système philosophique, qui est lui- même la substance de votre savant ouvrag On a reproche, et on reprochera à ce traité élémentaire de renfermer un grand nombre de questions dont la pro- — 447 — fondeur et les difficultés surpassent l'intelligence des élèves auxquels il est adressé, et ce reproche atteint prin- cipalement la partie consacrée à l'ontologie. Qu'on veuille bien le remarquer d'abord : la plupart des notions que nous rappelions il y a quelques instants comme indispen- sables à la connaissance de la théologie, les notions de nature, de personnalité, de matière et de forme appar- tiennent à l'ontologie, et ne sont pas sans contredit les moins ardues. Bien plus, ces notions ontologiques sont non seulement du domaine de la théologie, mais de toutes les sciences : elles entrent même dans le langage vulgaire aussi bien que celles de la vérité, du bien, du beau, de l'espace et de la durée. Il faudra donc appro- fondir la valeur de ces termes si universellement usités, ou se condamner à les employer sans les comprendre jamais. On dira que cet ouvrage est trop étendu pour être mis entre les mains des élèves dans nos écoles françaises qui ne consacrent qu'une seule année à l'étude de la philoso- phie. Il est vrai que ce traité est destiné à un cours de deux ans, tel qu'il existe au grand séminaire de Chambéry et dans tous les grands séminaires ou les petits séminaires de la Savoie; et pour un cours semblable il offre bien moins de difficultés que le Compendiiun du Père Tongiorgi, dont les démonstrations très, abrégées exigent des explications plus nombreuses de la part du professeur. Vous avez d'ailleurs indiqué par des astérisques les thèses moins importantes, qui peuvent être lues plutôt qu'étudiées. Il me semble enfin que, même pour un cours d'une seule année, il serait plus avantageux de prendre les thèses fon- damentales dans un traité d'une valeur incontestable, que de les puiser à des sources douteuses. A entendre les expressions de défiance et de terreur qui échappent à quelques-uns en présence de tout enseignement qui dépasse certaines limites fatales, on serait tenté de conclure que plus un traité sera sérieusement pensé et sérieusement — 448 — écrit, moins il sera acceptable. L'expérience que j'ai ac- quise dans renseignement de la théologie et du droit ecclé- siastique m'a démontre que généralement on exagère la faiblesse des élèves. Sous prétexte que l'étude de la langue latine a été négligée, l'usage de cette langue est à peu près banni des cours de philosophie et de théolo- gie ; sous prétexte que l'étude de la philosophie a été rapide et incomplète, celle de la théologie se réduit quelquefois à des notions superficielles : et l'enseignement théologique pourrait ainsi descendre peu à peu au niveau d'un caté- chisme de persévérance. Une seule année, dont une large part est prise par les sciences naturelles, ne peut suffire à l'étude de la philosophie, et trois années ne peuvent suffire à l'étude de la théologie, du moins dans les diocèses où les vocations sont assez nombreuses pour satisfaire aux besoins les plus pressants. Cette question des études ecclésiastiques me paraît une question vitale. Sur elle reposent en partie l'avenir de l'Eglise et des sociétés, et "aussi la puissance et la gloire de ce clergé français privé de l'incomparable ressource des universités catholiques, et au sein duquel cependant se trouvent, comme dans la nation elle-même, tant de trésors d'intelligence et de pro- digieuse activité. Aucune question ne me semble plus digne d'appeler sur elle la vigilance et les sollicitudes de l'épiscopat. ( >n vous a reproché enfin l'usage de termes inusités et même inconnus parmi nous. Mais ces termes ont été employés par les maîtres de la scolastique. la philosophie et la théologie ont 'leur langue spéciale comme toutes les sciences, et il n'est point permis à chacun de La modifier à son gré. Je vous remercie pour ma part de nous rame- ner à cette langue limpide et concise de l'époque la plus féconde et la plus glorieuse de la science sacrée. Car une fois encore sans la connaissance de cette langue, sans l'intelligence de ces termes que les docteurs catholiques emploient presque à chaque page, leurs œuvres peuvent — Ul) - être livrées aux flammes, et la vraie théologie esta jamais perdue. D'ailleurs vous ne vous servez pas d'une seule expression que vous n'ayez définie et expliquée dans les thèses précédentes. Si cette réponse ne pouvait satisfaire vos accusateurs, je leur rappellerais l'éloge que le Pape Innocent VI a décerné au style même de saint Thomas (TÂquin : « D. Thomœ doctrina prœ cœleris, excepta cano- nica, habet proprietalem verborum, modum dicendorum, vrritatem seiitentiarum, ita ut nunquam qui eam tenuit, invenialur a veritatis tramite déviasse, et qui eam impu- gnaverit, semper fuerit de veritate suspectas. » Votre première édition avait obtenu la haute approba- tion du Souverain Pontife, et votre traité a été admis dans plusieurs séminaires de France, d'Italie et d'Espagne. Vous avez su, dans cette seconde édition, profiter des observations qui vous ont été faites et des lumières de votre propre expérience. Vous avez donné plus d'étendue à vos dissertations sur la loi naturelle, sur la théodicée; vous avez réduit à la forme syllogistique un grand nombre de textes de saint Thomas et de Suarez, vous avez ajouté des clartés nouvelles à quelques-unes de vos démonstra- tions. J'applaudis donc de toute mon âme et dans l'émo- tion d'une reconnaissance profonde à votre grand et beau travail. Vous n'êtes pas, Monsieur le Chanoine, de ces hommes qui arrivent en quelques jours, parje ne sais quelle conjuration d'amis enthousiastes, à une réputation que rien ne justifie. Vous êtes de la race de ces humbles et vaillants ouvriers qui tracent dans le silence des sillons vraiment féconds. Vous êtes de la race des écrivains qui arrivent lentement et comme malgré eux à une renommée qui reste toujours inférieure au mérite incontestable de leurs œuvres. Que Dieu bénisse cet ouvrage, qui rendra aux éludes des sciences sacrées d'éminents services ! Qu'il bénisse vos travaux actuels dans l'enseignement de la théologie, car j'ai la ferme espérance que vous publierez un jour un 29 — loi» — traité théologique qui sera le couronnement de l'œuvre à laquelle j'applaudis aujourd'hui. Laissez-moi vous dire en finissant que je suis heureux de pouvoir vous donner dès la première année île mon épiscopat un témoignage public de ma très haute estime et de ma plus sincère affection. f Charles-François, Évèque de Tarentaise. Moutiers, 24 septembre 1873, fête Je Nolie-Damc-de-la-Merci. LETTRE à Son Eminence LE CARDINAL ARCHEVÊQUE DE PARIS SDR LA UNIVERSITÉS C4IH0LIÛD1S EN FRANCE Eminence, Une question d'une suprême importance s'impose en ce moment à tous les esprits et réclame toutes les sollicitudes de l'épiscopat français. Le temps parait venu où la liberté de l'enseignement supérieur nous sera enfin accordée. La nécessité de cet acte de justice ne peut plus être contes- tée, et l'Assemblée nationale n'hésitera pas à sanctionner par ses décrets des droits imprescriptibles et si longtemps méconnus. Mais en attendant que ces espérances soient réalisées, il faut que nous songions sans retard à établir des universités ou des facultés catholiques. L'est sur la fondation de ces grandes écoles, qui doivent ressusciter parmi nous la puissance et les traditions glorieuses des universités du moyen-âge; qwe je voudrais, en me plaçant pour ainsi dire sous le patronage de Votre Éminence, appe- ler l'attention et le zèle éclairé de mes vénérables collègues de l'épiscopat. Le plus jeune de tous et un des derniers venus dans leurs rangs, je ne puis avoir d'autre ambition que de sou- mettre mes doutes, mes craintes, mes désirs à ceux qui sont mes pères et mes maîtres. En adressant à Voire Éminence ces pages que m'ont inspirées l'amour de l'Eglise et l'amour de la France, je leur donne une autorité qui ne leur peut venir de ma faiblesse et de mon obscurité. Dans cette si grave question de la fondation des univer- sités catholiques, je retrouve, comme partout et toujours, cette générosité, cette ardeur de notre nature française . impatiente de toute mesure, méprisant tous les obstacles, désireuse d'arriver au but d'un seul bond, et incapable de se contenir longtemps dans les limites de la modération et de la prudence. Il y a quelques années, c'est à peine si nous pensions à établir des universités catholiques. Les facultés placées sous la direction de l'Etat, malgré leurs imperfections et l'absence de toute autorité canonique et de privilèges reconnus par le Saint-Siège, paraissaient nous suffire. Et en ce moment, on dirait que les universités vont surgir de toutes parts comme par enchantement. Chaque province ecclésiastique, et bientôt chaque ville importante par sa population et par ses souvenirs, récla- mera une université. C'est dans cet entraînement que j'aperçois un grand péril, une erreur qui pourrait nous conduire à des résultats funestes et irréparables. Ma conviction profonde est. qu'une seule université catholique doit être destinée en ce moment à l'enseigne- ment des sciences sacrées. J'entends par sciences sacrées non seulement la théologie dogmatique et morale, l'Ecri- ture-Sainte, le droit-canon, l'histoire ecclésiastique, etc., mais la philosophie catholique, qui est une préparation absolument nécessaire à l'étude de la théologie. Cette uni- — 453 — versité doit Aire complète et comprendre l'enseignement des sciences profanes, qui seraient d'abord réservées à d'autres universités libres, à l'exclusion des études ecclé- siastiques. Ces dernières universités feraient concurrence aux facultés de l'Etat et offriraient aux tils des familles chrétiennes un enseignement qui affermirait dans leurs âmes les croyances de leurs premières années. Ce qui manque évidemment au clergé français, ce n'est pas la science commune, la science qui peut sufiire dans les travaux ordinaires du ministère pastoral ; ce qui lui manque, c'est une science supérieure. Il faut multiplier sur cette terre de France les prêtres savants, les théolo- giens consommés, les apologistes toujours prêts à pour- suivre l'erreur partout où elle cherche à séduire les âmes, et capables de la vaincre par la puissance de la doctrine et de l'éloquence. Ce que réclament donc en ce moment le clergé et les catholiques de France, c'est un enseigne- ment vraiment supérieur, un enseignement dont la valeur, l'autorité, l'influence ne puissent être discutées, et qui fasse de nouveau apparaître au milieu de nous ces écoles illustres vers lesquelles accouraient autrefois les élèves de toutes les nations. Mais le premier obstacle qui s'oppose à la fondation de plusieurs universités capables de réaliser de si hautes espérances, ce sont les difficultés de l'enseignement lui- même : car nous ne pouvons nous le dissimuler, les pro- fesseurs nous feront défaut. Certes, ce n'est pas moi qui contesterai la vivacité d'intelligence, la pénétration et l'ac- tivité qui distinguent le peuple français. Si le clergé de cette grande et noble nation avait eu à sa disposition les trésors de science que possède le clergé de tel- ou tel peuple, il aurait accompli des prodiges. Ce qui m'étonne, c'est qu'il ait produit et produise encore tant d'hommes et tant d'ouvrages remarquables, bien qu'il manque des res- sources les plus nécessaires pour les hautes études. Quoi qu'il en soit de ces qualités précieuses et, j'oserai dire, - iS4 - incomparables, les professeurs des cours universitaires ne s'improvisent nulle part, et généralement ils ne se forment pas dans le silence de leur cabinet, mais sous la chaire de maîtres illustres dont ils recueillent la doctrine, la méthode et les traditions. Qui ne saisit en effet, au premier regard, la différence qui existe entre la mission d'un professeur d'université et la mission d'un professeur de grand séminaire.' Celui-ci peut répondre dans une mesure suffisante à la confiance de son évêque, en interprétant avec précision et clarté les traites mis entre les mains de ses élèves et en les complé- tant sur certains points. Sans doute il ne pourra se borner à l'étude de quelques compendiums, il devra consulter les ouvrages immortels des grands docteurs. Mais enfin, ce qu'on lui demande surtout, c'est d'être un commentateur intelligent de traités élémentaires. Il n'en est point ainsi d'un professeur d'université ; il doit avoir pénétré dans t mites les profondeurs de la science, il doit être remonté jusqu'à ses sources les plus élevées, il doit dominer tout l'ensemble de la doctrine dont il est le représentant et le maître. Ces dons, si nécessaires toujours, sont plus nécessaires que jamais à l'heure présente. Nous ne pouvons l'oublier, il ne s'agit point en et4 moment de soutenir une réputation déjà acquise ou de continuer des traditions transmises sans interruption ; il s'agit de fonder des écoles nouvelles, ou plutôt, ce qui est plus difficile encore, il s'agit de res- susciter des universités célèbres. La gloire de ces univer- sités pèsera sur nous, et ce n'est pas avec, des professeurs condamnés à la médiocrité que nous pourrons porter sans faiblir le fardeau d'un tel héritage. Et puis, qui ne le sait? Au moyen-àge, l'Église seule enseignait. La lutte sans doute existait au point de vue doctrinal : mais incontestablement elle était moins géné- rale ei souvent inoins ardente qu'elle ne l'est de nos jours, et l'écho des luttes de la pensée ne pénétrait pas aussi rapidement jusqu'aux derniers rangs du peuple. Aujour- d'hui la presse touche avec une incroyable audace aux questions les plus ardues et même aux principes les plus essentiels de la raison et de la foi. Elle n'hésite ni devant les sonhismes, ni devant les négations, ni devant les blasphèmes. L'opinion publique elle-même demandera beaucoup aux professeurs de nos universités, surtout aux professeurs des sciences sacrées, et à ce point de vue l'opinion publique est dans le vrai. Les sciences naturelles ont accompli des progrès mer- veilleux, et on croirait les voir a chaque instant se heurter dans leur marche contre les dogmes chrétiens. L'archéo- logie et l'histoire, en étudiant les ruines des cités antiques et en remuant les cendres des nations éteintes, soulèvent des problèmes qui touchent aux textes de nos Saintes Écritures et aux traditions les plus augustes. La philoso- phie s'égare dans mille systèmes que condamnent la révé- lation et le lion sens, mais qui passionnent et aveuglent les multitudes. Les communications s'établissent entre les peuples avec une rapidité que nos pères ne soupçon- naient pas ; et ce n'est plus à quelques centaines d'élèves seulement que s'adressera, à certaines heures, l'enseigne- ment de nos universités, mais à la France entière et même aux nations les plus lointaines, lorsqu'il se placera sur le terrain brûlant de nos controverses religieuses. Il est donc absolument nécessaire que les professeurs ne soient étrangers à aucune des découvertes des sciences contem- poraines, à aucun des problèmes qui émeuvent les âmes, à aucune des aspirations de notre époque, et que partout et toujours ils puissent opposer aux affirmations de l'er- reur les démonstrations victorieuses de la vérité catho- lique. Mais pour atteindre ce but, la science elle-même ne suffit pas, la méthode est d'une souveraine importance. Or, la vraie méthode catholique est la méthode scolas- tique. Elle seule forme les intelligences aux luttes de la — 456 — pensée; olle seule leur donne la précision, la vigueur et celle pénétration à laquelle les moindres nuances n'échappent pas. Elle seule ferme à l'erreur toutes les issues et l'étreint dans les serres d'une logique inflexible. Elle seule a formé les grands docteurs du moyen-âge. Il est, je pense, inutile d'insister sur la nécessite de cette méthode. Les plus éminents théologiens ont démontré sa valeur, les Souverains Pontifes l'ont recommandée dans les termes les plus pressants ' : et partout des efforts généreux s'accomplissent pour la ramener dans l'ensei- gnement de nos séminaires. 11 faut donc que les professeurs eux-mêmes soient for- més à cette méthode si longtemps méprisée. Il faut qu'ils rétablissent ces argumentations serrées qui, chaque semaine, soumettent les thèses à l'épreuve des objections, et que, plusieurs fois pendant l'année scolaire, ils dirigent des discussions plus solennelles auxquelles assisteront les professeurs et les élèves de tous les cours. Il faut donc qu'ils possèdent cette méthode à un degré supérieur et qu'ils soient capables de soutenir les attaques de quelque part qu'elles viennent. Or, qu'on nous permette de le dire, ce n'est point par un travail solitaire que s'acquiert cette habileté, ce n'est même pas dans l'enseignement de nos séminaires tel qu'il est resté généralement jusqu'à ce jour, à moins qu'il ne s'agisse de quelques intelligences d'élite qui auraient consacré bien des années à l'étude de cette méthode. Ce n'est pas moi qui contesterai le mérite des profes- seurs de nos grands séminaires dans l'accomplissement de leur grande mission, et ce n'est pas moi qui leur demanderai l'impossible. Sans doute l'enseignement et les traditions d'une université catholique auraient été pour 1 On peut voir, sur l'excellence et la nécessité de la méthode scolas- tique, les autorités citées par .Mcrr Capri dans sa brochure intitulée : Quelques observations soum ses à XN. SS. les Evëques concernant les études des séminaires en France. — 457 — eux un secours d'une incomparable puissance. Plusieurs ont , le 11 août 187 i. - 474 — ifforts, l'influence de tous ne sont pas de trop pour réa» User de si grandes œuvres... Dans quelques mois, Eminence, les évoques de France seront réunis autour de vous pour la bénédiction de In pre- mière pierre de l'église que la France repentante élèvera en l'honneur du Sacré-Cœur de Jésus. Ne serait-ce point une occasion favorable pour soumettre à cette auguste assemblée la fondation deiios universités libres? La France catholique tout entière applaudirait à cette union; elle s'associerait dans un élan admirable à la réalisation de ces grands desseins. Kt un jour, bientôt peut-être, sous la direction du Vicaire de Jésus-Christ, sous l'action éclairée, vigilante, incessante de Fépiscopat, sous l'influence des prières et des aumônes du clergé et des fidèles, nos univer- sités catholiques ressusciteront parmi nous la gloire, la puissance, la fécondité merveilleuse des écoles célèbres du moyen âge. Veuillez, Eminence, en bénissant ces pages, et en leur donnant ainsi une autorité qu'elles n'ont point par elles- mêmes, m'accorder un témoignage de votre précieuse bienveillance, et veuillez agréer l'hommage de ma profonde vénération. f CuAi;i.i:s-FriANÇOis, Évèque de Tarentaise. Moulier?, 8 septembre 1874. Fête de la Nativité it[vn que, à l'époque ou il écrivait, la 1 Discours pour la translation pénitence; quoiqu'ils ne méritent que les rigueurs de la justice, elle paraît ignorer leurs crimes. 1 Toui. 111, lib. X, dissert. VI. Marialogia seu de incomparabilibus Deiparœ Marice Virginis dotibus. 2 Tome 1, paae3 194 et suiv. 3 Ps. XXIV. — 481 — selon la parole de la Sagesse : « Dissimulans peccata ho- minum propter pœnitentiam1 ; » elle les frappe avec une profonde douleur, elle reçoit avec amour ceux qui revien- nent et les comble de bienfaits ; elle invite enfin toute la cour céleste à célébrer la joie de leur retour. 4° La misé- ricorde divine éclate dans les œuvres de la nature, de la grâce, de la gloire et de l'Incarnation ; 5° dans les châti- ments qu'elle inflige ; 6° dans la manière dont elle dis- tribue ses dons, car elle les répand libéralement, liberali- ter, sans en retirer aucun avantage; elle les répand sur tous, et ce qui est plus généreux encore, sur ceux qui en sont indignes, et ce qui est plus admirable, sur les ingrats et sur les pécheurs qui les repoussent ; et, ce qui est vraiment divin, après tous ces dons elle se donne elle-même, elle donne le Saint-Esprit ; et Contenson ajoute : Ire ulterius nonpotest divina misericordia nisi àliqiiid quœramus post omnia. Dieu répand ses dons avec magnificence, magni- fiée, selon cette parole : « Quam magnificata sunt opéra tua Domine2; » promptement. cilo, comme il les a accordées au larron repentant; enfin, avec profusion, « Dat dbundanter et non improperat. » Je ne sais si je me trompe, mais il nie semble que cette analyse, quelque aride et quelque froide qu'elle soit, offre bien plus de richesses doctrinales qu'un grand nombre de discours restés célèbres. Je pourrais citer encore la dissertation pleine de lumière, de consolation et d'espérance sur le bonheur de la souffrance et qui a pour titre : « Beatitudo christiana in tribulatione et cruce potissimum percipitur3. » Les réflexions qui suivent chaque thèse font jaillir des dissertations les plus ardues, les applications les plus heu- reuses et les plus nobles inspirations. J'indiquerai celles qui suivent la réfutation des objections contre le dogme de 1 Sap., xi. a Ps. XCI. 3 Tome I, pape o."î9 et suiv. 31 la sainte Trinité \ Mais je ne puis résister au désir de citer textuellement dans le beau traité de la fin dernière ou de la béatitude et dans celte thèse: « Animai» huma- namsolus Deus tinus et trinus implere et heure potest, » une page qui donnera l'idée de la méthode et du style de Contenson. Après avoir énuméré les quatre désirs qui agitent le cœur de l'homme, désir de la vérité, désir du bonheur, désir de la perpétuité, désir de la dignité et de la gloire, il poursuit ainsi : « Atqui hœc quatuor desideria cumulatissime et juxta lioneslissiiiie complet Deus clan' visus et possessus. Tune enim apparet veritas sine œnig- mate, sicuti est. Tune torrente voluptatis potatur animus, quando perfectum objectant perfectœ potentiœ perfectissime uniiur, quœ est triplex conditio delectalionis . Tarie attol- litur nostra vililas ad divinilatis consortium, qao ni h il sublimais. Tune inamissibilem oblinet perseuerantiam bo- norum, et interminabilem perfectœ vitœ possessiouem. Quam doctus, qui omnia scit, et nidentem oinuia videt? Quam, lœtus, qui intrat in gaudium Domini mi, quod non limitât capiendo, sed quo inundatur inlrando ! Quam ex- cusas, cul disposuit Filins ut edat et bibat super mènsam suam in regno Patrissui! Quam securus, eut • > i n I de vue de L'ail ou de l'auli(|uité ont. été détruits, donnes ou \eiidusu vil prix ! Combien de monuments de l'architecture du Qioyea-àge ont été horriblement transformes par un vandalisme stupide? car il > a. comme on l'a très bien dit. deux van dalismes également désastreux, un \anda!isine destructeur et un vandalisme restaurateur. Oui donc n'a vu des fenêtres ogivales formées par une hideuse maçonnerie pour former des fenêtres en demi- cercle1 qui ne seraient pas tolérées sur la façade de la plus modeste demeure ? Oui n'a vu des voûtes élancées et des arceaux élégants abattus au prix d'efforts et de dépenses considérables et remplacés par des voûtes que reprouvent toutes les règles de l'art? Oui n'a vu un affreux badigeon couvrir d'antiques murailles et des essais de perspective tracés par les pin- ceaux les plus inhabiles? Et, pour nous servir des expres- sions énergiques d'un vénérable archevêque, qui n'a mi « de prétendus peintres, exploitant le goût des habitants des campagnes pour les couleurs vives, salir de rouge, de aune et de bleu, les murs du sanctuaire 2 ? » « Les dégradations de ce genre opérées dans nos églises, dit .Mgr André, leur ont été aussi funestes que les mutilations des iconoclastes et des huguenots du seizième siècle3. » — « Le vandalisme qui s'attaque aux vieux monuments, et qui, sous prétexte de les rajeunir, de les conserver, les regratte, les farde et les badigeonne de haut en bas, est une brutalité, dit M* Dieulin, une sottise et un attentai qui a presque les caractères d'un sacrilège ' . » 1 Le nom gui conviendrait à ces fenêtres esl celui «le (jueules-de-four. 2 Lellre-Circulairr de Mgr l'archevêque de Tours, 10 août 1n7.">. :1 Cour* alphabétique, théorique ri pratique de la Légi lotion civile eclésiastique, art. Badiyronnage. * Guide des curés. 499 - IV En traitant ce sujet d'une si haute importance et en combattant ce vandalisme funeste, nous ne pouvons ne pas insister d'une manière spéciale sur l'aliénation des meuble-; antiques ou des objets d'art qui appartiennent aux églises. Yoici les principales décisions du droit canonique en cette matière : Tout prélat est l'administrateur et non pas le maître des biens et des cboses ecclésiastiques. Tout prélat doit améliorer la condition de son église et ne doit pas la rendre moins bonne. « Fraternitateni suam credinius non latere quod cum episcopus et quilibet prœlatus ecclesiasticarum rerum sil procurator, non dominas, con- ditioneni ecclesiœ meliorare potest, facere vero deteriorem non débet i. » Les ecclésiastiques chargés du soin d'une paroisse et les prêtres auxquels une église est confiée, ne peuvent aliéner quoi que ce soit des choses appartenant à ces églises. L'aliénation de toutes les choses, de tous les biens ecclésiastiques, ou tout pacte ou contrat hors des cas spéciaux déterminés par le droit, sont absolument interdits sous des peines très graves, entre autres, sous peine d'excommunication et avec obligation de restituer. « Diaconi vel presbyleri in parochia constituti de rébus ecclesiœ sibi credilis nihil audeant connu mare, cendere, vcl donarc, quœ res sacratœ Deo esse noscuntur. Simili ter et sacer dotes nihil de rébus ecclesiœ sibi Cômini'ssœ alienarc prœsumant, quod si fecerint, convicti in concilio et ab onere depositi, de sno alind tanlum restituant, quantum- visi sunt desiimpsisse". » — tu Si qui* contra luijtis nosfrcè prohibition is sérient de bonis et rébus eisdem quidquam ! De Donalionibus, cap. Fraternitalum, Ub. III Drcrctnlium, tit . XXIV. — Vide Epi$t. G Agapili, anno 53o; — Concil. Aurelian. III,anno 538 ; — Concil. Tolelan. III, an. 589, cap. III ; — Concil. Aurelian. IV., anno. 344 ; — Concil. Parisien. VI, anno 82«J. - Causa XII, qiKest. il, cap. xxxv. - 500 — alienareprœsumpserit, alienatio, coiicessto hujusmodi nullius oMnino sitroboris vel momenti, et tam quialienat, quam is qui alienatas res et bona prœdicta recepit, senten- tit/m excommunicationis incurrat \ » La constitution Ambitiosœ de Paul II comprend dans cette défense les choses et les biens ecclésiastiques sans exception. Elle désigne même expressément les immeubles et les meubles précieux consacrés à Dieu, immobilia et pretiosa mobilia Deo dicata. « Sous le nom de meubles précieux, dit Fcrraris, il faut entendre tout ce qui appartient au trésor de l'église, ou tous les objets qui, en raison de l'art, de leur rareté, de leur antiquité, donnent de l'éclat à l'église, tels que les vases d'or, d'argent, les vêtements précieux, etc. 2. » Toutes ces aliénations accomplies contre les prescrip- tions des saints canons, sont nulles et de nul effet :i. Au. sujet de l'ornementation des églises, nous devons rappeler encore des règles souvent oubliées ou mécon- nues. Le Concile de Trente, après avoir exposé la doctrine catholique sur l'invocation, la vénération des reliques des saints et des images pieuses, et rappelé ces paroles du Psalmisle : la sainteté convient à la maison de Dieu, s'exprime ainsi : « Or. afin que ces choses soient plus fidèlement observées, le saint concile décide qu'il n'est permis à personne de placer ou de faire placer dans un lieu quelconque, ou dans une église, quelque exempte qu'elle puisse être, aucune image extraordinaire 4 à moins qu'elle ne soit approuvée par l'evêquc. » Ces questions d'une si haute importance n'ont pas 1 Const. Pauli II. Ambitiosœ. — Conr.il. Trid.,sess. 22 de reform., cap. xi. 2 Fkrhauis, Bibliolhera canoiùcu,\?vb. Alienatio, art. I. mua. 7. 3 Quidquid parochiarum presbyter de ecclesiastici juris possessionede- t ru. revit, inane habeatur et vacuum vindicatione cumparantis et actione vendentis. Cuis XII, quest. 2, ch. xxxvi. 1 Insolitam : qui n'a pas encore été vu, qui n'est pas conforme aux usages et aux traditions. ■ Hœc ut fidelius observentur statuit S. Syno- dus, nemini licere ullo in loco vel ecclesia, etiam quomodolibet exempta^ ullam insolitam ponere vel pomndam curarj imaginem, nisi ab episcopo approbata fuerit. » Sess. XXX. — 501 — échappé à la sollicitude de l'autorité civile. Une première circulaire de M. le ministre de la justice et des cultes, sous la date du 20 mai 1831., déplore les préjudices portés aux édifices religieux par l'ignorance ou la négligence dos architectes chargés des travaux de restauration ou de consolidation, et il arrête que désormais aucun secours ne sera accordé par le gouvernement pour des travaux de cette nature, si les projets n'ont été préalablement approuvés soit par les préfets, soit par le ministre de l'intérieur. Deux autres circulaires, l'une du 20 décembre 1834. adressée aux préfets, l'autre du 29 du même mois, adres- sée aux archevêques et évêques, rappellent la circulaire que nous venons de citer et provoquent d'une manière toute spéciale leur attention sur des abus déplorables. « Des faits nombreux me donnent à connaître, dit M. le « ministre, que, dans une multitude de localités, des « monuments entiers tirés des églises ou des portions de « décorations supprimées sont abandonnés aux intem- « pérics en forme de décombres ou convertis en moël- « Ions qu'on emploie dans les nouveaux travaux, que « d'autres fois des amateurs adroits ou des spéculateurs « obtiennent la cession de ces objets à vil prix ou par de « simples échanges contre une quantité équivalente de « moellons neufs; que souvent des vitriers, par calcul ou « par l'etlet d'une ignorance secondée par celle des fabri- « ciens ou des autorités locales, remplacent avec du verre « blanc, sous le prétexte frivole de donner plus de jour à « l'édifice, d'anciens vitraux peints qu'ils laissent ensuite « dépérir ou dont ils tirent un profit illicite. Toutes ces « spoliations, également affligeantes, quels qu'en soient « les motifs, concourent avec les ravages du temps à « multiplier les pertes que déplorent les amis des arts, « pertes préjudiciables à l'intérêt du pays, qui doit comp- « ter les monuments au nombre des richesses dont l'esprit « national a le droit de s'enorgueillir — 502 - « Les anciennes boiseries dos églises ne sont pas res- o peetécs; les richesses que possèdent certains amateurs, « celles que l'on voil exposées journellement chez lesbr.O- « canteurs de la capitale en sont une preuve. Presque « partout eiilin, les tahleaux qui existent sont .abandonnés « aux ravages du temps. » ['ne circulaire du ^7 avril 1839 décide que ni les fabri- ques, ni les curés ne peuvent changer ou vendre des objets d'art qui se trouvent dans les églises et qui peuvent offrir de l'intérêt. Les fabriques ne sont pas pro- priétaires, mais seulement usufruitières du mobilier religieux confié à leurs soins. Elles sont mineures devant l'Église et devant l'Llat : il leur faut donc généralement l'autorisation de vendre. Un marche, surtout s'il avait pour objet des meubles rares et précieux, pourrait être déclare nul s'il n'avait le consentement du tuteur, qui est l'evè-que. Plusieurs jugements des tribunaux ont continué ces décisions. Pour prévenir les abus que nous avons signalés el obtenir les résultats que nous nous proposons en publiant cette Lettre pastorale, nous avons ordonné ce qui suit : 1° MM. les curés veilleront à ce que désormais aucun travail de quelque importance ne s'exécute dans leur église, même au point de vue de l'ornementation, sans l'avis de personnes compétentes et sans notre approbation par écrit. 2° Ils protégeront leurs églises contre les prétendus embellissements proposes par des peintres incapables, et s'opposeront energiquenienl à ce que. sous prétexte de réparation, on n'altère ou on ne détruise des objets précieux, tels que sculptures, boiseries, armoiries. Ils préféreront les teintes unies aux peintures représentant des personnages presque toujours exécutés d'une façon déplorable. - 503 - l)° Un musée diocésain est fondé à l'évêché, et placé sons la direction de l'Académie de Lnval-d'Isère. Nous recommandons instamment de placer des inscrip- tions commémoratives, en français ou mieux en latin, dans les églises, chaque fois qu'elles auront été reconstruites en tout ou en partie et consacrées. .Nous nous réservons l'approbation de ces inscriptions qui devront être, autant que possible, rédigées conformément aux règles de l*épiuraphie. 4° Nous défendons d'aliéner ou d'échanger, sans notre autorisation écrite, les meubles antiques ou les objets précieux appartenant aux églises. 5° Nous désirons obtenir un inventaire de tous les objets importants d'art et d'archéologie que possède le diocèse, afin d'en garantir la conservation. 6° Tout objet inutile, hors d'usage, mutilé, sera réservé pour le musée. Ces objets isolés n'ont presque toujours aucune valeur; réunis, ils comblent une lacune, com- plètent une série et peuvent être étudiés plus facilement. Si quelques objets de ce genre avaient une sérieuse valeur et étaient cependant exposés à être détériorés ou détruits dans les sacristies ou les églises où ils sont pla- cés, les fabriques devraient les céder au musée diocésain, après avoir rempli les formalités (pie nous avons rappelées plus haut. 7* Nous recueillerons tous les objets qui ont de l'inté- rêt au double point de vue du progrès ou de la décadence de l'art et de l'histoire du diocèse : pierres sculptées, inscriptions, épitaphes, armoiries, reliquaires, meubles. coffrets, statues et statuettes, ustensiles religieux et vases sacrés, anciennes étoffes, broderies et ornements sacres, portraits, surtout portraits des archevêques de Tarentaise, leurs armoiries et leurs sceaux, etc., anciens papiers ou parchemins, bulles, brefs, titres, etc.: anciens ouvrages imprimés, surtout ceux qui sont relatifs au diocèse ou dont les auteurs sont originaires du diocèse, livres litur- - 504 — giques, mandements, ordonnances, édits des anciens archevêques de Tarentaise. 8° Nous verrions avec plaisir MM. les curés rédiger des noies sur l'histoire de leurs paroisses et signaler leur ori- gine, Fétymologie de leur nom, les fêtes patronales, les souvenirs historique», les traditions locales, les pèleri- nages, les documents relatifs aux seigneuries ou à l'admi- nistration temporelle. 9° Nous déclarons que les ohjets suivants appartiennent au trésor de notre cathédrale et qu'ils sont inaliénables. En conséquence, le chapitre sera tenu de nous les montrer à chacune de nos visites pastorales. 1° Bâton abbatial, à poignée d'ivoire sculptée, qui servit à saint Pierre II, archevêque de Tarentaise, lors- qu'il était abbé de Tamié (douzième siècle). 2° Coffret en vermeil avec filigranes, cristal de roche gravé, perles fines, camées et pierres précieuses (fin du douzième siècle). 3" Châsse en émail champlevé, de Limoges (trei- zième siècle). 4° Gants pontificaux en soie blanche, avec orfroi d'or, provenant de la châsse de saint Pierre II de Taren- taise (fin du quinzième siècle). Donné à Moùtiers, en notre palais épiscopal, le 10 octobre de l'an de grâce 1875. f C H A R L E S-F R A N Ç 0 1 S Évêque de Tarentaise. : ;. - LETTRE A M. LEON GAUTIER SUR L'OUVRAGE QUI A POUR TITRE: LETTRES D'UN CATHOLIQUE Monsieur, Vous avez bien voulu m'adresser vos Lettres d'un Catholique, que vous venez de réunir en un délicieux volume. En vous remerciant à la hâte de ce précieux envoi, je vous disais que j'allais relire ces pages, que j'avais déjà appréciées lorsqu'elles ont paru dans le journal le Monde. Je voudrais vous dire en ce moment l'impression que m'a laissée cette seconde lecture, et avec quel bonheur j'applaudis à vos paroles si nobles, si élevées et si chré- tiennes. Vous avez dédié ce volume à votre ami si regretté, M. Armand Ravelet ; il était digne de cet hommage. C'était un chrétien vaillant et miséricordieux, savant et humble, capable de faire resplendir la vérité et de la faire aimer. Ce devoir de servir la vérité dans la charité et la misé- corde, et dans la soumission filiale à tous les enseigne- ments de la sainte Eglise, vous le démontrez avec une douceur inaltérable. 11 n'y a pas dans ce volume une page, une parole qui puisse blesser ceux que vous combattez, et surtout les catholiques qui ne partageraient pas toutes vos convictions. Vous ajoutez ainsi à vos conseils la lumière - 506 — plus vive et plus puissante du bon exemple, et vous réa- lisez ce précepte divin que vous avez choisi pour épigraphe de cet ouvrage : Veritalem facientes iri charitate crescarnus in illo per omnia qui est caput Christus*. 11 est impossible, d'ailleurs, de mettre au service du bon sens, si l'are et si méconnu au milieu de nos troubles et de nos ténèbres, au service de la prudence éclairée, de la bu ardente et forte, de l'amour de la vraie science, un esprit plus français, un cœur plus chrétien, une verve plus aimable et souvent plus étincelante. Vous avez mille fois raison. Nous, catholiques, nous devons parler et écrire pour éclairer et pour sauver les âmes. Or, on ne les éclaire pas par des paroles cruelles; on ne les entraîne pas jusque sur le cœur de Dieu en les repoussant parle sarcasme ou en les écrasant danslahonte. Vous avez mille fois raison : nous ne devons pas con- fondre, la cause sacrée de Jésus-Christ, la cause de son Église universelle et immortelle, seul moyeu de salut, pour tous, avec les causes toujours imparfaites, toujours res- treintes et toujours passagères de la politique humaine. Vous avez mille fois raison : il faut écarter sans pitié de nos (envies catholiques et de nos publications populaires tout élément et toute inspiration politique. Nous le dites admirablement: « Notre premier devoir « est celui d'une sincérité absolue. Quels que soient les « scandales que l'historien catholique rencontre dans [es e longues annales des siècles chrétiens, quelles que soient « les contradictions que le savant catholique puisse être « amené à constater entre les sciences et la foi, le premier « devoir de l'historien et du savant est de tout dire à très « haute el très intelligible voix. Il serait déshonoré dans le « sens le plus strict de ce mot, s'il atténuait la gravité d'un « témoignage, d'un texte ou (Tune expérience qui lui « paraîtrai! contraire à sa croyance. » 1 Eph. IV, 18. — 507 — Avec quelle joie profonde j'approuve ces loyales et cou- rageuses paroles ! avec quelle ardeur je demande qu'elles soient entendues et respectées de tous ! Enlevez, en effet, à nos adversaires cette conviction que les apologistes, les écrivains catholiques ne disent pas avec une franchise com- plète la vérité, rien que la vérité, toute la vérité : enlevez- leur cette autre conviction que nous voulons tout dominer, tout écraser sous un pouvoir sans restriction et sans pitié, et j'affirme que des multitudes immenses feraient sans retard les premiers pas vers la foi que nous défendons et que nous aimons. Pourquoi donc ne pas détruire ces con- victions? Pourquoi ne pas abattre ces barrières? Pourquoi ne pas nous rappeler sans cesse ces paroles de notre grand De Maistre, paroles qu'il appliquait aux Papes, mais que nous devons entendre de toutes les causes que n us voulons servir : « Ils n'ont besoin que de la vérité. » Les conseils que vous donnez aux fondateurs de nos universités catholiques sont de la plus haute sagesse : « Fondez le moins d'universités possible ; le moins de facultés possible dans chaque université; le moins de chaires possible dans chaque faculté. Mais que les profes- seurs soient partout excellents, et que leur enseignemeni soit partout irréprochable. » Et vous ajoutez : « Nos universités ne vivront que si « nous y distribuons un enseignement scientifique d'une « haute valeur et d'une éclatante supériorité. Si nos pro- « fesseurs sont des hommes médiocres, c'en est fait, nos « universités sont mortes. » J'ai donné moi-même ce conseil; j'ai demandé qu'on ne fondât d'abord qu'une grande université, dans laquelle on réunirait, avec toutes les ressources, toutes les conditions d un succès assuré. Demandons de toute notre âme que les universités déjà fondées résistent à l'orage qui les menace et qu'elles dépassent toutes les espérances. Vos lettres sur les classes ouvrières, sur « quelques — 508 — réformes dans l'enseignement », sur l'instruction des jeunes filles, et contre certaines images religieuses, sont de petits chefs-d'œuvre d'esprit délicat, de bon goût et de bon sens. Les paroles que vous adressez à la noblesse sont les plus nobles qu'elle puisse entendre. Vous lui rappelez que sa mission peut encore, de nos jours, être grande et féconde. Vous conseillez au clergé, sous une forme aimable et séduisante, un travail actif et persévérant. Vous lui indi- quez les voies qu'il doit suivre et les ressources qu'il peut trouver, même dans la solitude à laquelle le condamne le ministère paroissial. Je ne doute pas que vos conseils ne soient entendus. Le clergé français est admirable par l'activité et le dévouement; mais il Test aussi par l'intelli- gence et le désir de la vraie science. Plus que jamais peut-êtee, il a de nos jours l'enthousiasme de tout ce qui est grand et beau ; plus que jamais peut-être il aime l'Eglise catholique, et il veut la bien servir. Vous louez avec l'autorité que vous donnent vos grands travaux, mais avec une extrême indulgence, la Lettre pas- torale que j'ai adressée au clergé de mon diocèse sur V Étude de l 'archéologie, sur la restauration des églises et la conservation des objets d'art. Vous protestez souvent contre le zèle aveugle et injuste qui attaque ce pays qui est la France, et ce temps qui est le nôtre, et qui n'a d'enthousiasme que pour le passé. Je proteste comme vous contre cette tendance funeste. On dirait vraiment que le moyen-âge n'a produit que des héros et des saints. De bouleversements politiques, de pillages, de ruines et de crimes, de luttes sanglantes et sacrilèges, il n'en est pas question. À entendre ces catho- liques, on croirait que le dix-huitième siècle lui-mêmeaété de tous points admirable. Ils oublient et l'absolutisme quia supprimé les libertés des constitutions chrétiennes, et les résistances hypocrites du pouvoir civil contre l'Eglise de - 509 - Dieu ; et les persécutions subies par les fils de saint Ignace ; et la corruption débordant de la cour sur la noblesse, la bourgeoisie et le peuple; et la situation du clergé et des ordres religieux, évidemment inférieure à ce qu'elle est de nos jours; et les sarcasmes de la philoso- phie incrédule dominant l'opinion publique; et le silence ou la faiblesse de l'éloquence et de l'apologie catholiques. Non, il y a cent ans et au-delà, tout était grand, sublime, parfait. Depuis lors et aujourd'hui, tout est digne de répro- bation et de malédiction. Et on nie ainsi l'évidence de l'histoire et l'évidence des faits contemporains. D'ailleurs, quels sont les résultats inévitables et mani- festes de ces exagérations? Elles multiplient les malen- tendus funestes ; elles surexcitent la haine de ceux-ci, elles fortifient les préjugés de ceux-là; elles égarent quel- quefois les meilleures volontés; elles jettent le découra- gement dans les âmes les plus vaillantes ; elles perdent les forces les plus précieuses à la poursuite de mirages qui ne seront jamais atteints. Le passé a eu ses forces et ses gloires, il a eu ses faiblesses et ses hontes, et l'avenir ne nous donnera point un âge d'or qui n'a jamais été et qui ne sera jamais. Mais ici, j'invoque le simple bon sens: ce n'est pas au passé qui n'est plus, ce n'est pas à un avenir qui ne nous appartiendra pas, que Dieu nous a envoyés pour annoncer sa parole, pour publier ses miséricordes, pour faire rayonner son amour. Ce n'est pas pour ces sociétés qui dorment leur sommeil dans un sépulcre à jamais scellé qu'il nous a faits écrivains, apôtres ou pasteurs. Non, non, je l'ai dit ailleurs et je veux le redire ici: c'est à notre pays, c'est à notre temps qu'il nous a envoyés. Les erreurs de notre pays et de notre temps, nous les connaissons, mais nous voulons les combattre, Leurs périls, nous les sentons dans les angoisses de notre amour, mais nous voulons les conjurer. Leurs plaies, nous les voyons d'un regard attendri et nous les touchons - 510 — d'une main émue, mais nous voulons les guérir. Leurs nobles aspirations, nous voulons les élever et les transfi- gurer sur les hauteurs divines de l'Evangile. Ces forces merveilleuses de l'industrie moderne, nous voulons les atteler aux «-bars de feu qui porteront jusqu'aux extrémités du monde, avec Jesus-Ehrist el son Église, la vraie civili- sation, le vrai progrès, la vraie libelle. L'éloquence qui s'échappe en (lots intarissables des lèvres et. du cœur de la France, nous voulons la consa- crer au service de toutes les grandes causes et, avant tout, au service de la paix et de Funion de tous les cœurs. La science orgueilleuse qui blasphème, nous voulons, non par des paroles amères. mais par des démonstrations victorieuses, la courber dans l'adoration devant le Dieu des scienrrs. L'art, nous voulons l'arracher aux ténèbres età la boue d un réalisme abject, et faire descendre sur lui les inspi- rations du génie chrétien et les visions de la pureté. « Etrange ambition, diront quelques-uns, rêves insensés de l'enthousiasme 1 Qui donc êtes-vous pour de pareilles œuvres?» Ah! qui nous sommes.' Nous sommes cette race immortelle qui renaît de ses cendres et qui a vaincu et sauvé le monde par la vérité et par l'amour. Qui nous sommes? Si seulement nous étions unis, si nous apaisions enfin nos divisions criminelles, si nous nous donnions la main, ces œuvres nous les aurions déjà accomplies. Si nous placions au-dessus de lout l'Église et la France, la vérité et la justice: si l'égoïsme, les misé- rables intérêts personnels et la jalousie qu'ils inspirent, la jalousie aveugle, inexorable et sans entrailles comme la rage des damnes, ne reparaissaient point partout et toujours pour souiller, pour compromettre, pour perdre les plus grandes œuvres, ah ! nous serions vainqueurs, et, pendant ces cinq dernières années, nous aurions régé- néré el sauvé la France. - 511 — Mais que le découragement n'arrive pas jusqu'à nus cœurs. Notre devoir n'est pas de réussir; notre devoir est de travailler, d'agir et de souffrir, agere et pâli. Le succès ne nous appartient pas : Dieu nous le donnera si nous savons le mériter. Peut-être aussi mourrons-nous à la peine. Qu'importe ! D'autres viendront après nous. Un jour, heureux et triomphants, ils passeront sur nos tombes: ils passeront en chantant les cantiques delà Justice, delà Vérité et de la Charité immortelles, et alors nos osse- ments tressailliront dans leur poussière: Et exullabunt ossa humilia la. Recevez, Monsieur, l'assurance de ma haute estime et de mes sentiments bien dévoués en Noire-Seigneur. f Charles-François. Évèque de Tarentaise. Moutiers, 14 mars 1876. LETTRE A MONSIEUR L'ABBÉ COR R 1.0 L TRADUCTEUR DES ŒUVRES DE SANSEVERINO Monsieur l'abbé, Je suis vraiment désolé de réaliser si tard votre désir de connaître mon opinion sur les Eléments de la philoso- phie chrétienne de Sanseverino et sur la traduction que vous venez de publier de ce grand et important ouvrage. Mais la vie des évêques est traversée, à chaque instant, par tant de devoirs imprévus et tellement dominée par le cours des occupations quotidiennes, qu'il faut leur pardonner de ne pas accomplir toujours exactement les promesses qui leur tiennent le plus au cœur. Le mérite premier, et je dirai essentiel, des Éléments de la Philosophie chrétienne est de nous présenter l'exposé fidèle de la doctrine de saint Thomas d'Aquin. Il serait inutile d'insister sur cette vérité incontestable, que l'étude de la théologie est absolument impossible, sans une connaissance approfondie de la philosophie et de la philosophie chrétienne. En dehors des notions philo- sophiques puisées dans les traditions des grandes écoles catholiques, les définitions et le langage même de la théo- logie ne sauraient être compris. Les difficultés que présente l'étude de la théologie, ont 33 presque toujours leur origine (Lins les difficultés de la philosophie elle-même. Ce sont dos notions imparfaites, obscures, inexactes dos données fondamentales do la phi- losophie, qui ont élé la principale cause dos erreurs théo- logiques et même d'un grand nombre des hérésies qui ont désole l'Eglise. C'est aux définitions et aux principes de cette philoso- phie que les grands théologiens reviennent sans cesse dans leurs ouvrages immortels, et, sans une connaissance approfondie de cette science première, ces ouvrages restent à jamais lettre close. Mais quel est le système de philosophie qui a conservé une alliance inviolable avec les dogmes de notre foi? quel est le système de philosophie qui prépare les intelli- gences à l'étude de la théologie, et que HOUS retrouvons dans les écrits des théologiens les plus illustres? quelle est, en un mot, la doctrine philosophique qui peul être appelée vraiment chrétienne et catholique .' Je n'hésite pas à l'affirmer* c'esl la doctrine philosophique de saint Thomas d'Aquin. En dehors de ce vaste et magnifique système, toutes les tentatives, mémo colles du génie* ont etc. pour les éludes théologiques, non pas un secours, mais une entrave et un péril, car elles ont livre les intelligences a l'erreur, à la confusion et à l'impuissance. Il y a lit. évi- demment, au point de vue de la supériorité de la doctrine du Docteur angelique. une lumineuse et irrésistible démons- tration. Un mouvement heureux se produit en France en faveur de l'étude (\c< sciences sacrées, et les universités catho- liques ouvrent leurs ('acuités de théologie; c'est donc plus que jamais l'heure opportune de faire connaître la philo- sophie de sainl Thomas d' Sqnin '. 1 Avant de citer le ;= paroles /<■ lu Congrégation dit ConeiU de Trente a Myr de Nantes, 36 janvier is75). — 516 — « fourni des armes capables de la terrasser. C'est pour- « quoi la résolution que vous ave/ prise d'employer tous « vos soins à soutenir, à enseigner et à propager cette « doctrine, sera non moins agréable, croyons-nous, au « Docteur angélique qu'utile à la religion, à la vérité, à la « science et à la société civile elle-même l. » Depuis son élévation au Souverain Pontificat, Léon Mil n'a pas laissé échapper une occasion favorable de recom- mander, dans les termes les plus pressants, la fidélité aux doctrines de saint Thomas d'Aquin. Voici comment s'exprime le Souverain Pontife, dans un Bref adressé le il septembre 1878 à deux KH. PP. Jésuites, professeurs de théologie au collège du Très Saint Cœur de Jésus à Woodstocq aux États-Unis : « 11 est de la plus grande importance, surtout à notre « époque, de pénétrer profondément le clergé de pures et « solides doctrines. C'est ce qui aura lieu certainement, si « la doctrine de saint Thomas fleurit dans vos écoles, ■ comme nous en avons reçu la nouvelle avec grande joie. « Cela, d'ailleurs, convient parfaitement à ceux à qui il est « ordonne de suivre entièrement, dans la théologie scolas- « tique, la doctrine de saint Thomas, de l'avoir lui-même «pour leur propre docteur, et défaire tous leurs efforts « pour que les auditeurs soient impressionnés le plus « favorablement possible à son égard a. » 1 « Quod vos praestare proposuistis, dilecti filii, i*l Nos per Litteras « Nostras saepe couiineniiavhuus. Sicut euiui oinuia quibus premiuiur « inala nianare perspiciinusat. \x\ii, q. J. ail. i. sol. -J. *d 1. ' - Epist. ad Gregor. Honf . Clêmexi d'Alex., Strom., lib. i, paesim., <'t -mm Justin, Exhortât, ad (Jentes, u. ;}-G. - 523 — C'est vous dire une fois encore, Monsieur fabbé, le ser- vice éminent que vous avez rendu, par votre publication, au progrès des études philosophiques, à la direction des sciences naturelles et à la restauration des éludes ecclé- siastiques en France. C'est vous dire le succès qu'un évoque doit souhaiter, de toute l'ardeur de son âme, à votre grand et beau travail. Recevez, Monsieur l'abbé, l'assurance de ma haute estime et de mes sentiments bien dévoués en N.-S. v Charles-François, Évoque de Tareotaise. Moutiers, 1 ' décembre 1878. LETTRE A M. XAVIER ROUX DIRECTEUR DES ANNALES DE PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE SUR LA NÉCESSITE DE LA PHILOSOPHIE CHRÉTIENNE ET LA MÉTHODE QU'ELLE DOIT SUIVRE Monsieur, J'aurais voulu vous envoyer le témoignage de ma haute estime et l'expression de mes termes espérances, dès le jour où vous avez bien voulu m'annoncer que vous étiez appelé à recueillir la succession du regretté M. Bonnetty, et à prendre la direction des Annales de philosophie chré- tienne; mais je n'aurais pu alors vous adresser que quel- ques lignes écrites à la hâte. I) m'a paru plus utile, plus conforme à vos désirs comme à mes sentiments person- nels, de vous exposer, avec quelques détails, ma pensée sur l'œuvre que vous allez entreprendre. Je saisis d'ail- leurs avec empressement l'occasion favorable qui m est offerte de démontrer la nécessité de l'étude de la philoso- phie chrétienne, et d'indiquer la méthode qu'elle doit suivre à l'heure présente, dans les luttes de la doctrine, pour ramener les âmes à la vérité. — 826 I L'importance et le but de votre œuvre sont révélés par le I titre de voire Revue : AriHales de philosophie chré- tienne. Et d'abord, c'esi une revue de philosophie à laquelle vous allez consacrer vos talents, vos travaux et l'ardeur de votre jeunesse. La philosophie est une science dans le sens le plus rigoureux de ce mot, car elle étudie les causes suprêmes des choses, et la science esL la connaissance des choses par leurs causes, ou p;ir leurs raisons, comme parle l'école. La philosophie est, après la théologie, la science la plus élevée, puisqu'elle a pour objet les lois de l'esprit humain, les principes, les vérités supérieures, auxquelles se rat- tachent nécessairement les objets de toutes les sciences. L'objet de la philosophie, c'est Dieu, l'homme et le monde. Elle est la grande et indispensable culture de l'esprit. Elle le forme, elle lui impose des lois rigoureuses pour chercher et connaître la vérité ; elle impose l'habitude de la réflexion, elle reclame des preuves, elle en examine la valeur, elle saisit le sophisme sous les voiles d'une parole brillante et malgré les nuages accumulés par la passion ou par l'ignorance. Dans toute élude elle apprend à préciser l'objet du travail de la pensée, elle le divise, elle va du connu a L'inconnu, elle met de l'ordre dans les vérités déjà découvertes. Qu'il s'agisse; (rétablir un point de doctrine, de remon- ter a un principe contesté ou méconnu, d'éoarter un doute, de réfuter une erreur, la philosophie est le guide nécessaire de toute démonstration vraiment puissante. Elle présente dans des formules claires, nettes, d'une — 527 — précision mathématique, le résumé d'une vérité, ou d'une doctrine, l'enchaînement des propositions, et elle révèle ainsi la valeur ou la faiblesse des preuves. Elle est la grande école de la correction du langage : elle approfondit les notions les plus élevées et les plus communes, elle détermine le sens des mots, elle repousse le vague de la pensée, cause première de l'obscurité de la parole. Quiconque n'a pas été formé sous la direction de la philosophie, quiconque n'a pas étudié et mis en pratique ses règles et sa méthode, n'acquerra jamais toute la fécondité et toute la vigueur de son intelligence. Gette intelligence restera, dans une certaine mesure, superfi- cielle et vide, incapable d'atteindre le fond des choses, et de manifester la vérité dans toute sa force et dans tout son éclat. La philosophie transporte l'esprit humain sur des som- mets resplendissants, elle le place continuellement en face des vérités les plus sublimes, au-dessus de ce qui est contingent, passager, inférieur, en présence de l'immuable, de l'éternel et de l'infini. Que dirai-je de la suprématie de la philosophie sur toutes les autres sciences naturelles? Elle leur ouvre la voie, elle les dirige dans leurs investigations, elle groupe les faits, en déduit les lois, elle remonte aux causes pre- mières j en un mot, sans la philosophie, il n'y a pas de vraie science. Ce qui manque a:ix sciences contemporaines, c'est la philosophie, c'est la science première, la méthode supérieure, qui unit les sciences elles-mêmes et les fait converger vers le môme but. Aussi, malgré des efforts prodigieux, malgré des con- quêtes glorieuses, les sciences contemporaines n'arrivent souvent qu'à des affirmations audacieuses, à des erreurs lamentables et à des révoltes sacrilèges. « Il faut, a dit un philosophe de notre temps, il faut que la philosophie, science général*', sorte de son isolement, et - o28 — qu'elle regarde en face les sciences spéciales qui La méprisent. 11 faut, comme l'a dit un auteur judicieux, que la philosophie passe la frontière, qu'elle entre dans le domaine des sciences et s'en empare. Il est juste que toutes ces sciences qu'elle a créées lui soient soumises; ou plutôt il est juste que l'esprit humain ne soit pas plus longtemps partagé en régions inconnues l'une à l'autre, el que les sciences diverses, reprennent leurs naturels rap- ports, dans l'unité de la philosophie'. » Il y a non seulement une philosophie générale de- sciences, mais il y a une philosophie du droit, une philo- sophie de l'art. La philosophie du droit expose les lois de l'éternelle Justice, les principes immuables, sans lesquels les lois humaines n'ont ni force, ni autorité, et ne sont plus que l'expression de la volonté changeante et impuissante de l'homme. La philosophie de l'art ou l'esthétique, étudie les prin- cipes communs à tous les arts, elle dirige les facultés humaines vers le beau, qui est le rayonnement de la beauté divine dans les créatures, comme la logique dirige les facultés humaines vers le vrai, et la morale vers le bien. Elle étudie le beau en lui-même et les sentiments qu'il fait naître dans l'âme de l'homme, ce qui est la théo- rie philosophique de l'art : elle fait ensuite, à chacun des arts en particulier, l'application de ses principes et de ses règles. La philosophie apporte aux belles-lettres, à la littéra- ture sous toutes ses formes, un concours précieux. Elle retient le littérateur dans les limites de son sujet, elle le lui fait pénétrer tout entier, elle lui en révèle les cotes les plus lumineux. Elle perfectionne le goût littéraire par l'habitude de la réflexion, par la connaissance exacte des choses et de la signification des mots. Elle est par con- 1 Gratry, De la Connaissance de Dieu, lutroductioD, p. 41. - 529 sequent l'auxiliaire indispensable de la grande éloquence. Elle la soutient et la dirige par sa méthode, elle rend la parole plus forte, plus concise, plus naturelle. Elle enflamme l'éloquence par les hautes pensées qu'elle lui inspire, elle donne des ailes à l'intelligence et à l'imagi- nation, dans la contemplation des plus sublimes vérités. La philosophie a, sur les actes de la vie publique et pour la solution des problèmes de la politique, une influence incontestable, non seulement par cette grandeur et cette autorité que je viens de démontrer, mais parce qu'elle étudie ces problèmes eux-mêmes, et qu'elle résout dans ses traités de morale les questions fondamentales de la fin de l'homme, de la moralité des actes, de la loi naturelle et du droit des gens, du droit et du devoir dans leurs notions générales, du droit de propriété, de la constitution de la société, de l'origine du pouvoir, de la liberté et de ses limites. Ecoutons, sur ce rôle de la phi- losophie, le Pape Léon XIII, dans sa dernière et admi- rable encyclique : « Si l'on fait attention aux conditions critiques du temps où nous vivons, si l'on embrasse par la pensée la situation des choses tant publiques que pri- vées, on découvrira sans peine que la cause des maux qui nous oppriment comme de ceux qui nous menacent, con- siste en ceci, que des opinions erronées sur les choses divines et humaines, sorties des écoles de philosophie, se sont peu à peu glissées dans tous les rangs de la société, et sont arrivées à se faire accepter d'un grand nombre d'esprits... « Tous nous voyons dans quelle situation critique la contagion des opinions perverses a jeté la famille et la société civile. Certes, l'une et l'autre jouiraient d'une paix plus parfaite et d'une sécurité plus grande, si, dans les aca- démies et les écoles, on donnait une doctrine plus saine et plus conforme à renseignement de l'Eglise, une doctrine telle qu'on la trouve dans les œuvres de saint Thomas d'Aquin. Ce que saint Thomas nous enseigne sur la vraie 34 — 830 -- nature de la liberté, qui de nos jours dégénère en licence, sur la divine origine de toute autorité, sur les lois et leur puissance, sur le gouvernement paternel et juste des sou- verains, sur l'obéissance due aux puissances plus élevées, sur la charité mutuelle qui doit régner entre tous les hommes; ce qu'il nous dit sur ces sujets et d'autres de même genre, a une force immense, invincible, pour ren- verser tous ces principes du droit nouveau, dangereux, on le sait, pour le bon ordre et le salut public. » Je ne puis songer à démontrer en ce moment ce que la philosophie est pour la théologie. Qu'ajouter, d'ailleurs, à la démonstration de l'union nécessaire de ces deux nobles sciences, démonstration qui est l'objet principal de l'en- eu'lique que je viens de citer:' Mais ce que je ne puis ne pas dire, du moins en quelques mots, c'est la nécessite des éludes philosophiques pour les chrétiens qui veulent se rendre raison de leurs croyances, et être capables de les défendre contre des attaques aujourd'hui si perfides e| si nombreuses. Etudier les preuves de la religion, c'est affermir sa foi ; devenir les apôtres convaincus et habile de la vérité, c'est servir l'Église et la France. Combien d'hommes, même parmi ceux qui respectent l'autorité de l'Église, et qui sont appelés à la défendre dans les luttes de la vie publique, n'ont de sa constitution, de ses dogmes, de ses préceptes et de ses droits, que des notions superficielles et peut-être erronées. Et parmi tant d'autres, dont l'indifférence paralyse les facultés et qu'elle relient loin des combats de la vérité, comme parmi les adversaires ardents du christianisme, combien seraient des chrétiens généreux et vaillants, si des études philosophiques sérieuses les avaient préservés de la domination des sophistes, éloignes des erreurs que la raison elle -même condamne, en leur ouvrant les chemins qui conduisent à la foi catholique. D'ailleurs, quel sujet d'étude plus élevé, quel plus noble but peuvent être offerts « tant déjeunes hommes, admirablement doues, élevés dans le sanctuaire - s:jl - de familles pieuses, portant le fardeau de traditions hono- rables ou illustres, et dissipant, dans l'oisiveté et les plaisirs, les plus riches dons du ciel:' Qu'ils songent à ce qu'attendent d'eux l'Église et la France, et qu'ils méditent celte prédiction terrible de nos Livres saints : La faction des hommes d'oisiveté et de plaisir sera balayée par le mépris de la terre et par la jUëtice de Dieu: nuferetur factio lascioientium '. Il Mais ce n'est pas seulement une revue de philosophie, dont vous avez accepté la direction, c'est une revue de philosophie chrétienne, et il y a là pour vous, pour votre œuvre, une gloire, une force et une espérance. La philosophie chrétienne a recueilli les traditions de la sagesse humaine, du génie de Socrate, de Platon et dWristote; elle s'est enrichie par les travaux et par les trésors du génie chrétien, elle a illuminé cet ensemble incomparable des splendeurs de la doctrine divine. La philosophie chrétienne est la philosophie des Pères des premiers siècles, coordonnée, développée et présentée sous une forme plus rigoureusement scientifique par les Docteurs du moyen -âge. Les Pères de l'Église empruntèrent aux philosophe* païens, et surtout à Platon, les données de la raison, pour les faire servir à fa démonstration du christianisme. Us exposèrent cette philosophie dans leurs discours, dans leurs œuvres apologétiques, et aussi dans quelques traites spéciaux. Les Docteurs du moyen-à-e s'attachèrent sur- tout à la philosophie d'Aristote, parce que, seule, elle forme un ensemble complet de doctrine, et parce qu'Ai is- 1 Amus. W, 7. — 532 — tote a étudié avec une p.nalration admirable l'origine des connaissances humaines et Les lois ou les moyens par lesquels ces connaissances sont acquises. Ce sont les solutions données à ces questions fondamentales, qui constituent le caractère fondamental et, on peut dire, l'es- sence de tout système philosophique. Aussi la philosophie du moyen-âge fut appelée aristotélicienne, ou péripatéti- cienne, et les docteurs seolastiques désignèrent souvent Aristote sous le nom de philosophe. Malgré cette admiration pour Aristote, les docteurs du moyen-àge comhaÙirent sur plusieurs points ses doc- trines, par exemple sur l'éternité du monde, sur la néces- sité des opérations divines, sur la providence. Ils adoptè- rent contre l'opinion d' Aristote la doctrine de Platon, par exemple, sur les exemplaires divins, telle du moins que cette doctrine était exposée par saint Augustin et d'autres Pères de l'Église. Cette philosophie, — dont les représentants les plus illustres sont, dans les premiers siècles, saint Justin, saint Irénée, Clément d'Alexandrie, Urigène, Tertullien. saint Alhanase, saint Jean Chrysostome, saint Grégoire, saint Basile et au-dessus de tous, par retendue de ses travaux, la profondeur, l'élévation et la pénétration de son génie, saint Augustin : et au moyen-àge : Boëce, suint Anselme, Albert-le-Grand, saint Bonaventure et saint Thomas d'Aquin, le plus grand des philosophes et le plus grand des théologiens ; — cette philosophie, est la vraie philosophie chrétienne. Elle est la vraie philo- sophie chrétienne, parce que, seule, elle est l'auxiliaire tidèle et puissant de la foi; seule, elle prépare à l'étude de la théologie : seule, elle fournit des armes invincibles pour la réfutation des erreurs opposées à la doctrine révélée; seule, enlin, elle expose les principes et jusqu'à la signification des termes qui se retrouvent à chaque page dans les écrits immortels des grands théologiens. La nécessité de l'étude de cette philosophie, pour ' e;- - m - position et la défense de la doctrine catholique à notre époque, est affirmée. en ces termes par N. §. Père le Pape Léon XIII : « Nous ne souhaitons rien tant que de voir les évoques fournir largement et copieusement à In jeunesse studieuse les eaux très pures de la sagesse, telles que le Docteur angélique les répand en Ilots pres- sés et intarissables. « Plusieurs motifs provoquent en Nous cet ardent désir. En premier lieu, comme à notre époque la foi chrétienne est journellement en butte aux manœuvres et aux ruses d'une certaine fausse sagesse, il faut que tous les jeunes gens, ceux particulièrement qui sont élevés pour lé service de Dieu, soient nourris du pain vivant et robuste de la doctrine, afin que, pleins de force et revêtus d'une armure complète, ils s'habituent de bonne heure à défendre la religion avec vigueur et sagesse, prêts, selon l'avertisse- ment de l'Apôtre, à donner la raison à quiconque la demande, de V espérance qui est en nous i ; ainsi qu'à exhorter dans une doctrine saine et convaincue ceux qui contredisent 2. Ensuite, un grand nombre de ceux qui. éloignés de la foi, haïssent les institutions catholiques, prétendent ne reconnaître d'autre maître et d'autre guide que leur raison. Pour les guérir et les ramener à la grâce, en même temps qu'à la foi catholique, après le secours surnaturel de Dieu, Nous ne voyons rien de plus opportun que la solide doctrine des Pères et des scolas- tiques, lesquels, ainsi que Nous l'avons dit, mettent sous les yeux les fondements inébranlables de la foi, sa divine origine, sa vérité certaine, ses motifs de persuasion, les bienfaits qu'elle procure au genre humain, son parfait accord avec la raison, et tout cela avec plus de force et d'évidence qu'il n'en faut pour fléchir les esprits les plus rebelles et les plus obstinés 3. » 1 1 Pet. m, 15. 2 Tit. 1,9. 3 Encyclique JEterni Patris, déjà citée. — 534 Nous pourrions, en comparant la philosopha scolastique aux divers systèmes philosophiques, démontrer qu'elle est non seulement la seule philosophie chrétienne, mais la seule vraie philosophie. La philosophie allemande, maigre ses prodigieux tra- vaux et ses promesses si séduisantes, o plu? haut. - 537 - d'Aquin la réalisation merveilleuse de cette alliance, et il présente le Docteur angélique comme le maître de tous les siècles chrétiens et le maître providentiel du dix- neuvième siècle. Les universités catholiques de France viennent d'ou- vrir leurs facultés de théologie, dans lesquelles la philo- sophie a son rôle si important, etelles s'apprêtent à lutter contre l'orage qui les menace. L'Église trouve parmi les laïcs des défenseurs zélés de ses doctrines et de ses droits, ils veulent unir l'autorité de la science à l'ardeur de la foi. Le clergé français surtout est avide de science, et si les facultés de théologie pouvaient répondre, par un enseignement vraiment supérieur, aux désirs du Souverain Pontife et de l'épiscopat, aux espérances de la France catholique, notre patrie produirait encore des théologiens, des canonistes, des philosophes éminents, et un jour peut-être elleressusciterait la gloire de nos grandes écoles du moven-àge. HT Enfin votre revue porte le titre d'Annales de Philoso- phie chrétienne. Ce titre indique que votre but n'est pas seulement d'exposer les doctrines de cette philosophie, mais d'en retracer l'histoire et de recueillir les faits, les traditions, les preuves de tout genre qui peuvent en con- firmer les démonstrations ; et ici je touche à la question si importante de la méthode que doit suivre le philosophe chrétien dans la défense de la raison et de la foi. Votre revue donnera donc une analyse exacte des nouveaux ouvrages de philosophie, elle jugera avec fermeté et indé- pendance les doctrines, elle sera charitable et bienveil- lante pour les personnes. Elle comparera aux doctrines de la philosophie chic- - 838 - tienne les divers systèmes philosophiques anciens ei modernes. Cette étude démontrera la supériorité de cette philosophie, les services qu'elle a rendus à toutes les sciences, et aussi, la nécessite de la révélation et d'une autorité doctrinale infaillible pour préserver la raison hu- maine des plus lamentables erreurs. Vous trouverez pour ce travail d'un si haut intérêt, des données précieuses dans les Eléments de la philosophie chfétiennê de Sanseverino et aussi dans l'ouvrage du même auteur, intitule : Philoso- phie! christiana cutn antiqttaetnovacomparata, quoique l'illustre philosophe nap.olitain ail été arrêté par la mort dans la publication de ce grand ouvrage, et que les sis volumes in-8 qui ont paru ne renferment que les traités de logique et des facultés de l'àme1. Votre revue sera, dans le champ si vaste de la philoso- phie, une apologie de la doctrine catholique, et comme un arsenal où vous réunirez chaque jour des armes puissantes pour la défense de la vérité. Vous soumettrez à l'autorité de la philosophie les prétentions des sciences, révoltées contre la foi et contre la raison elle-même. Vous démon- trerez que leurs affirmations audacieuses ne sont rien moins que scientifiques, et que soumises à l'épreuve d'une logique inflexible, elles se réduisent bien souvent à de simples hypothèses ou à des objections sans Valeur. Comme votre prédécesseur. M. Bonnetty. vous trouvé- rez. dans les travaux et les découvertes île l'archéologie, dans l'étude des langues anciennes et des traditions des peuples, dans tout ce que les sciences naturelles nous offrent de démontré et de certain, des confirmations mer* veilleuses du récit de nos Livres Saints et de leur divine philosophie. Vous défendrez surtout les doctrines que Cicéroti appe- 1 La traduction des Eléments de Philosophie chrétienne de Sanseverino a été publiée par M. l'abbé Corriol 3 furts volumes in-8\ — Coriolano, Avignon), qui doua a fait espérer la traduction phia chrlstlanû cnm antiaua et nova comparait — 539 — lait la philosophiejîternelle : « Est perennis quœdam phi- losophia, » contre ces systèmes où l'impiété le dispute à l'absurde, à ces systèmes nés d'hier et qui outragent le bon sens, suppriment toute moralité, et ne vivent que de contradictions manifestes. Vous défendrez les grandes et nécessaires vérités : l'existence de Dieu, la spiritualité et l'immortalité de l'âme, la liberté morale, vérités sans les- quelles la responsabilité, le devoir, la vertu ne sont que des mots vides de sens. A cette méthode de Yexpérmentalisme , qui se restreint à l'observation des faits et à l'étude de la matière, et qui repousse avec dédain la métaphysique, vous opposerez la méthode scientifique qui remonte aux causes et aux causes premières. En défendant ainsi la philosophie dans ce qu'elle a de plus noble et de plus élevé, je pourrais dire dans son essence même, vous répondrez à la question que se pose toute intelligence devant le moindre phénomène et devant la moindre parcelle de la matière. Votre revue contiendra donc l'histoire pour ainsi dire quotidienne, de la philosophie, l'histoire des travaux et des efforts de l'esprit humain dans les plus hautes sphères qu'il puisse atteindre au-dessous des sphères spécialement réservées à la théologie. C'est donc une grande mission qui vous est confiée, c'est une noble et vaste carrière qui s'ouvre devant vous. Vous entrez dans cette carrière avec les ardeurs de la jeunesse, animé par votre amour de l'Église et de la France, dési- reux de servir la cause de la vérité et de lui consacrer votre vie, aidé par le concours d'écrivains qui ont déjà fait leurs preuves dans l'étude des questions philoso- phiques. Je demande à Dieu de vous soutenir, de vous récompenser de vos intentions si droites et si généreuses et de bénir vos travaux. Je suis convaincu que voire revue trouvera auprès du clergé et des catholiques de France, auprès de toutes les âmes qui s'intéressent aux luttes de la — S 40 — vérité et aux progrès des sciences, l'accueil le plus favo- rable, et que le succès couronnera vos efforts. Je vous offre avec mes félicitations et mes vœux, l'as- surance de mes sentiments les plus dévoués en Notre-Sei- gneur. f Charles-François, Évêque de Tarentaise. Moutiere, 23 septembre 1879 APPENDICE BREF DU SOUVERAIN PONTIFE EN RÉPONSE A LA LETTRE PASTORALE SUR LÉON XIII ET SA MISSION PROVIDENTIELLE LÉON XIII, PAPE. Vénérable Frère, salut et bénédiction apostolique. .Nous avons reçu avec plaisir vos lettres, et en mémo temps l'opuscule que vous avez publie dernièrement sous ce titre : Léon XI II et sa mission providentielle. Pour nous, sachant fort bien quelle est notre faiblesse personnelle, nous comprenons que ce que vous dites dans cet ouvrage se rapporte plutôt à l'Eglise catholique et au Pontificat romain qu'à Nous- même. Yenerabilis F rater, saluteni et Apostolieain benediclionem. Tuas litteras libeoter excepimus, simulqueopusculum nuper a te \ulgatum cui titulus : Léon XIII et sa mission providentielle. — Equidem cum probe noverimus quanta sit virium nostrarurn inlirmitas, intelligi- mus ea quae ibi disputas potius ad Ecclesiam catholicam Romanum- que Pontilkatuin, quaiu ad iN'os pertinere. - 542 - Jésus-Christ, en effet, par qui il a plu au Père éternel de réconcilier toutes choses, a eu pour but en fondant son Eglise sur la terre de ramener à Dieu les hommes éloignés de lui. et cela, soit par les enseignements d'une doctrine toute céleste, soit par le secours de la grâce surnaturelle. Aussi, suivant la volonté de son Auteur, tels sont le caractère et la nature de l'Église catholique, que, plus elle sent qu'il faut combattre avec fermeté, lorsqu'il en est besoin, pour la foi et pour la justice, plus elle est portée à la bénignité et à la miséricorde envers les hommes égarés. Et comme rien n'est plus propre à procurer aux hommes la tranquillité de la vie présente et l'éternelle béatitude que le mutuel accord des deux autorités spirituelle et civile, l'Église n'a rien tant à cœur que d'inviter les chefs des États à entrer avec elle dans des rapports d'amitié et de concorde. Les Pontifes Romains, nos prédécesseurs, ayant -toujours visé ce but selon que le conseillaient les circonstances des temps et des lieux, Nous avons jugé qu'il ne fallait pas Nous-même Nous écarter de cette ligne de conduite. Que s'il découle de là quelque avantage pour la société humaine, il faut tout rapporter à l'honneur et à la gloire de Celui qui a communiqué une telle vertu à son Église. Pour vous, Vénérable Frère, continuez à célébrer les bienfaits de l'Église et du Siège apostolique et les services Cbrislus enim, per quem *terno Palri placuit omnia rezonciliare, eo spectaret eum Ecclesiam in terris constiluit. ut homincs a Deo aversos ad Deum revocaret, tuin cœlestis doctrinœ documentis, tu m supernaturalis gratin* pnesuliis. kleoijue ex Auctoris sui voluntate ea est Ecclesiœ catholicse indoles et natura, ut quanto firmius, cum opus est, pro fide et pro justifia sentit sibi esse propugnaruhun, tanto magis erga homines devins si l ad benignitaleni et mi-ericordiam propensa. Cumque prasentis vitae tranquillitati et sempileni.e beati- tudini honrinibus para nd te nihil sil aptius quâm ntriusque aucton- tatis, sacra; nimirum et civilis, ainica coiispifâtio, ÈôCîesl* ni! tain curdi est quam regnoruin principes ad amicitiam eteoncordiam sectttti — 343 — éminents qu'ils ont rendus aux sociétés ; appliquez- vous à leur concilier l'amour de tous, surtout dans ces temps où tant d'autres cherchent à les rendre odieux et suspects. Gomme gage du secours céleste et de Notre particulière bienveillance envers vous, Nous vous accordons, Véné- rable Frère, avec une grande affection dans le Seigneur, Notre bénédiction apostolique. Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 2 février 1880, la seconde année de Notre Pontificat. LÉON XIII. jungendam invitare. Id autem cum R. P. prœdecessores nostri, prout temporum locorumque ratio suaderet, semper spectarint, judicavi- mus ab ejusmodi agendi ratione neque Nobis esse recedendum. Qua ex re si quid utilitatis et commodi in liumanam societatem proma- nare contigerit, id omne necesse est in ejus laudem decusque unice cedere, qui talem Ecclesiœ suae virlutëm effudit. Tu vero, Yen. Fiater, Ecclesiœ et Apostolica? Sedis benefacta necnon egregia in res publicas mérita celebrare perge ; studeasque amorem ab omnibus eidem conciliais, his maxime temporibus quibus in invidiam et suspicionem a pluribus vocatur. Auspicem autem cœlestis auxilii, et pnecipuae Nostrae in te benevolentiae pignus, apostolicam benedictionem tibi, V. Frat., peramariter in Dno impertimus. Datum Romœ apud S. Petrum die 2 februarii 1880 Pontif. Nostri anno secundo. Léo PP. XIII. TABLE DES MATIERES Pages , A VIP AT LECTEUR LETTRES PASTORALES Lettre pastorale de Mgr Turinaz, 'évêque de Tarentaise, à l'oc- casion de son entrée dans son diocèse. Commentaire de sa devise épiscopale : « La miséricorde et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont embrassées. » (1er juin 1873)... Lettre pastorale prescrivant uneneuvaine préparatoire aux prières publiques votées par l'Assemblée nationale (2i octobre 1873).... 4 Lettre pastorale sur le matérialisme et la spiritualité de l'âme (30 janvier 1374) i Lettre pastorale à l'occasion îles grands pèlerinages diocésains (12 juin 1874) 7 Lettre pastorale a l'occasion des prières votées par l'Assemblée nationale, sur le sacrifice généreux et l'action énergique (i no- vembre 1874) , Lettre pastorale sur la grandeur et la puissance de l'âme (fi jan- vier 1875) '.)7 Lettre pastorale à l'occasion du Jubilé universel (29 janvier 1875). 13 Lettre pastorale sur le double anniversaire de l'apparition de N.-S. J.-C. à la bienheureuse Marguerite-Marie et de l'élection . de Pie IX (10 mai 1875) 145 Lettre pastorale sur l'émigration rurale et ses conséquences désas- treuses (2 février 1 S7G) ) i'.' Lettre pastorale sur l'émigration rurale, ses causes et ses remèdes (lf, janvier 1877) 187 Lettre pastorale à l'occasion d'une nouvelle édition du catéchisme diocésain (4 novembre 1876) 227 Lettre pastorale annonçant un pèlerinage à Rome el ordonnant des quêtes pour l'Université Catholique de L.von (2 février 1877). 237 Lettre pastorale à l'occasion d'un grand pèlerinage savoisien à Rome. Récit du pèlerinage (27 mai 1877) 343 - 516 - Paye» . èttre pastorale à l'oGcasiôn des élections du 11 octobre 1 s77 (7 oc- tobre 1S77 27!» Première lettre pastorale sur la Franc-Maçonnerie (29 janvier 1878) 291 Deuxième lettre pastorale sur la Franc-Maçonnerie (2!) janvier 1879) 353 Lettre pastorale sur la Lettre encyclique de N. S. P. le. Pape Léon XIII : « Inscridabili Dei consilio » (28 juin 1878) .'iS.ï Lettre pastorale à l'occasion du J.ubilé universel (22 février 1879).. 389 Lettre pastorale sur Léon XIII et sa mission providentielle (6 jan- vier 1880) 393 LETTRES SUR LES ÉTUDES PHILOSOPHIQUES ET THÉOLOGIQUES Lettre a M. le chanoine Roseet, au sujet de sou traité de philoso- phie et de renseignement de la philosophie (21 septembre 1873). t'M Lettre, à Sou Éminençe le Cardinal-Archevêque de Paris, sur la fondation d'universités catholiques en France (8 septembre 1874). 451 Lettre à M. Vives sur la Théologie de Contenson et la Théologie de Gonet (16 mai 1875) 175 Lettre pastorale, sur l'étude de l'archéologie, la restauration des églises et la conservation des objets d'arl (10 octobre 1875) i87 Lettre à M. Léon Gautier sur l'ouvrage quia pour titre : Lettres d'un catholique 1 1 1 mars 1876) 505 Lettre à M. l'abbé Corriol, traducteur des œuvres de Sanseverino (11 décembre 1878) 513 Lettre à M. Xavier Houx, directeur des Annales de philosophie chré- tienne, sur la nécessité de la philosophie chrétienne et la mé- thode qu'elle dofl suivre 1 25 septembre I S7ii) 525 Appmndigk. Bref du Souverain Pontife, en réponse à la lettre pas- torale sur Léon XIII et sa mission providentielle S3P2. — M-.RKY.I.I.Vj t\I\ II -T1 i: - \. l;!'\i\. — IS.S'I. ^ > us> :>:> > » >^ > ->► &~^> ■J> ~> yy 7- >3 ^ > x3^ % 5* ^> ° > ^> ^> ^ >- » j> > j> ->)> 5 ^>i>_>^ > >3* 3 » , > » >3 o*> *>>~">VT > > TUR] Le BX 4705 .T788L4 1890 v.l SMC Turinaz, Charles Francis, 1838-1918. Letters pastorales / >3> > g > > > > . AKH-0912 (mcsk) m