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. LETTRES '-?J

ECRITES * '^

D'EGYPTE ET DE NUBIE^ '

EN 1828 ET 1829^ Par CHAMPOLLION LE JEUNE.

«OLLFCTTON COMPLETF. , ACCOMPACINKF, DE TROIS MFMOTRES JNF.DITS F.T PK PIANr.HFS.

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PApas,

FIKMIN DIDOT FRERES, LIBRAIRES

BUE JACOB, n" 24-

1833.

PREFACE

DE L'ÉDITEUR.

Un voyage en Egypte fut pour Champol- lion le jeune le premier projet qu'il forma dès l'âge de quinze ans (i) ; il a été le terme de sa carrière à quarante et un. Elle a commencé et fini pour lui avant le temps marqué par les lois de la nature ; elle lui a suffi néan- moins pour mériter et obtenir une durable renommée. .

Après avoir publié en 1822 son Alphabet des hiéroglyphes phonétiques (2), en 1824 7 le Précis du système entier des écritures

(i) Il présenta , en 1806, a l'Académie de Grenoble, une Carte d'Egypte divisée par nomes, avec les noms égvptiens des provinces et des lieux , tirés des auteurs classiques et des livres des Coptes : c'est la base même de TÉgypte sous LES Viif'.^^o^'i, partie géographique, ouvrage en 1 vol. in-8°, public en 1814.

(2) Lettre à M. Dacier, etc.

VJ PHliFACE

égyptieiJiies, il voulut voir tous les monu- ments égyptiens transportés en Italie , et il consacra trente mois à les étudier. Durant ce "v oyage , les deux Lettres relatives au Musée de Turin furent publiées à Paris, et une nouvelle édition du Précis^ plus ample, plus développée en certains points, mais en tout conforme à la première dans ce qui touche aux principes de la science, y fut aussi mise sous presse ; elle parut en 18128.

Dès 1 826, des collections importantes avaient été acquises ])ar la liste civile ; le Musée royal égyptien du Louvre était fondé ; une façade entière de ce grand palais lui avait été assi- gnée; dans l'espace d'une seule année, ses vastes salles avaient été magnifiquement dis- posées, les collections classées , leurs descrip- tions méthodiques publiées, et le roi avait visité, en 1827, un admirable Musée, décoré à l'envi des chefs-d'œuvre de tous les arts, une année auparavant des murailles toutes nues if annonçaient fju'une vaste solitude.

DE L ÉDITEUR. vij

L'approbation publique fut la juste récam- pense des administrateurs et des conserva- teurs qui avaient su faire si vite et si bien; et cet assentiment universel était à la fois une récompense et un encouragement.

Dès le mois d'avril 1827, le plan du voyage en Egypte était arrêté dans la pensée de Cliampollion; il y avait mis à profit et les fruits de ses propres études sur l'esprit et les mœurs des orientaux, et les conseils qu'il avait sollicités des voyageurs nationaux ou étrangers qui avaient vu l'Egypte.

Le Vice-Roi lui-même, Mohammed -Ali , avait été pressenti sur ce projet; il avait pro- mis, sans hésiter, toute sa protection. 11 ne restait plus au savant français qu'à obtenir celle de son gouvernement et le concours de l'administration publique à une entreprise dont les dépenses étaient au-dessus de la fortune du voyageur.

Un mémoire contenant le Plan et les Mo- tifs du voyage fut rédigé, communiqué, ap-

Viij PRÉFACE

prouvé, admiré; mais ajourné. Le mot sinis- tre et banal de Budget fut aussi prononcé en cette mémorable circonstance : d'une part , on n'avait à s'occuper que des découvertes nautiques; de l'autre, quelques raisons par- ticulières empêchaient de contribuer en rien à une telle entreprise; ailleurs on ne le pou- vait que faiblement; la liste civile seule mon- trait de bonnes dispositions : M. le duc de DouDEAUviLLE cu avait alors l'administra- tion.

Ces obstacles ne détournèrent pas Cham- pollion de ses résolutions ; il voulait les ac- complir seul à tout hasard, bieu convaincu que ce ne serait pas sans quelque avantage marquant pour les études historiques et l'ar- chéologie ; il le voulait toutefois à certaines conditions, et sacrifiant aux convenances les plus honorables des avantages de plus d'un genre , il rejeta un projet proposé par quel- ques capitalistes , parce que ce projet ne pouvait échapper aux apparences d'une spé-

DE L ÉDITEUR. ix

culation mercantile sur les dieux et les arts de l'antique Egypte.

Il recourut alors à une intervention d'une efficacité souvent éprouvée , et dont l'histoire des arts, de l'archéologie, celle surtout des études égyptiennes en France, proclamera hautement, si elle est équitable, l'active et trop courte influence. En 1828 , M. le duc de Blacas, ambassadeur de France à Naples, vint passer quelques mois à Paris : il connais- sait dans ses détails le projet de voyage en Egypte; il s'y intéressait vivement, comme il le faisait à tout ce qui pouvait être utile aux sciences historiques , accroître leur pro- grès, accroître ainsi la gloire littéraire de la France, et il encourageait le voyageur autant que le lui permettaient l'affectueux intérêt dont il lui avait donné tant d'hono- rables marques, et l'idée des périls d'une telle. entreprise. Sur les instances de Cliam- pollion, M. le duc de Blacas s'occupa de tout concilier, remit le plan du voyage au Roi,

X PRÉFACE

prit ses ordres , vit ses ministres, et bientôt des fonds suffisants et le passage sur les vais- seaux de l'Etat furent mis à la disposition du voyageur français. Ces décisions sont du mois de juin 1828.

Chanipollion ne songea plus dès lors qu'aux détails d'exécution. Un succès com- plet en a prouvé suffisamment la parfaite convenance en tous les points ; aucune cir- constance n'a mis ses prévisions en défaut.

Il ne fut pas moins heureux dans le choix de ses collaborateurs; tous ont répondu di- gnement à sa confiance, et ceux qui lui ont survécu le regrettent comme un père et comme un ami.

Des approvisionnements de toiit genre furent faits à Paris pour tous les travaux qui étaient projetés; les armes, les moyens sanitaires, les objets pour présents, des instruments d'optique, des outils de di- verses professions , les ustensiles de ménage firent partie de ces approvisionnements : les

DE L ÉDITEUR. xj

provisions de bouche ne turent faites qu'à Alexandrie.

La corvette l'Eglé^ commandée par M. Cos- mao-Dumanoir, fut désignée pour le voyage, et reçut l'ordre de se disposer à partir du port de Toulon à la fin de juillet 1828.

Le grand -duc de Toscane ayant désiré qu'une commission, désignée par M. H. Ro- sellini , fît aussi le voyage d'Egypte avec la commission française, ce projet fut agréé, et sur la demande de ChampoUion , les voya- geurs toscans fnrent reçus gratuitement sur l'Eglé , au même titre que les voyageurs français. Rendez- vous leur fut donné à Tou- Ion pour le 25 juillet.

Tel fut le résultat des mesures prises de concert par MM. de La Ferronnais, ministre des affaires étrangères; de Martignac, mi- nistre de l'intérieur; Hyde de Neuville, mi- nistre de la marine , et de IjA Bouillerie , intendant général de la maison du Roi , M. le vicomte de Larôchefoucauld ayant le département des beaux-arts.

XIJ PREFACE

M. ramiral de Rigny donna aussi des or- dres à tous les vaisseaux du Roi dans le Levant , en faveur des voyageurs en Egypte. Ils reçurent également de M. le préfet mari- time de Toulon , M. le vice-amiral Jacob , le meilleur accueil et les marques de la plus honorable bienveillance.

Champollion partit de Paris le i6 juillet 1828, arriva à Lyon le 18, à Toulon le 24, et prit la mer sur l'Églé le 3i du même mois, après avoir échappé de quelques heures seu- lement à une lettre de M. Drovetti qui l'en- gageait à remettre son voyage, et à une dépêche télégraphique de Paris qui sus- pendait son départ.

Il avait associé à ses travaux MM. A. Ri- bent, architecte; Nestor Lhote, Salvador Cherubini, Alexandre Duchesne, Rertin fils, et Lehoux , comme dessinateurs.

Il fréta à iVlexandrie deux maascit ou grandes barques du Nil , qu'il appela \ Isis et \Ath6r, du iiom de deux déesses égyp-

DE LÉniTKUR. xilj

tiennes. Il prit aussi dans ce port les hommes du pays nécessaires à l'expédition , les reis et matelots, l'interprète, les gens de service, et deux janissaires chargés par le Vice-Roi d'E- gypte de protéger en son nom les voyageurs et leurs travaux.

On trouvera dans ce volume , comme in- troduction naturelle aux Lettres écrites d'E- ^ypie, le Mémoire remis au roi par M. le duc de Blacas. Ce mémoire pourra être utile à d'autres voyageurs, et donner à leurs re- cherches une direction fructueuse. Il est suivi de V Extrait des lettres écrites depuis le départ de Paris jusqu'au débarquement à Alexandrie : cet extrait a paru nécessaire pour l'histoire complète du voyage.

Les dix-neuf premières Lettres écrites d'E- gypte ont été imprimées en tout ou par fragments dans divers recueils littéraires, et dans le Moniteur ; quelques exemplaires d'épreuves tirées à part ont été conservés par des mains bienveillantes : on reproduit

XIV PRÉFACt

ici ces luêmes lettres avec quelques correc- tions dans les noms propres; la vingtième lettre et les suivantes n'avaient pas encore été publiées. Les sept planches qui ornent ce volume ne ])euvent qu'ajouter encore à l'intérêt de l'ouvrage ( i).

Ti'appendice aux Lettres se compose de

(i) Si quelqu'un demandait à qui ChampoUion adressa ces lettres , et si les originaux existent ou non , le question- neur trouvera ici une réponse : le voyageur lui-même l'a- vait faite d'avance dans une lettre de Thèbes, i8 mai 1829, dans laquelle il dit à son frère :

« J'apprends par ta dernière qu'on veut bien faire quel- « qu'attention à mes lettres, et croire que j'aurais bien fait « de les adresser successivement à diverses personnes con- « nues. Je trouve fort inutile d'emprunter des noms tout-à- '< fait étrangers aux matières archéologiques dont je ni'oc- '< cupe; d'ailleurs mes lettres contiennent des résultats « entassés; ce sont des notes pures et simples, des espèces « d'annonces, et non des lettres à effet telles qu'il les fau- te drait pour ces personnes; elles sont pour les savants « et non pour les grands seigneurs. Je pense que tu seras « de mon avis, et si tu avais eu la précaution d'y mettre « ton nom, puisqu'elles te sont adressées, personne n'eût « prétendu y glisser le sien. C'est presque un tort que ta « réserve.

Quant aux lettres autographes , aucun soin ne sera épar- gné pour leur parfaite conservation.

DE L ÉDITE U 11. XV

trois objets : Mémoire sommaire sur l'his- toire d'Egypte, rédigé par Champollionpoiir le Vice-Roi Mohammed -Ali qui l'avait dé- siré; les bons usages des temps anciens sont rappelés dans ce mémoire comme de bons conseils pour les temps modernes ; 2^ d'une Notice ésralement remise au Vice-Roi dans l'objet de prévenir la destruction toujours imminente des monuments de l'Egypte et de la Nubie; 3^ de quelques lettres d'un des principaux agents de l'administration égyp- tienne. Des extraits de \ Itinéraire ou Jour- nal du voyageur devaient entrer dans ce vo- lume ; le lecteur y aurait ainsi trouvé réunie aux notions archéologiques une série d'ob- servations variées sur l'Egypte moderne; l'é- tendue des Lettres a fait réserver ce Journal pour une autre publication : on y retrouvera à la fois l'homme et le savant à qui la science et l'amitié ont voué d'unanimes et d'éternels regrets.

C. F.

MÉMOIRE

UN PROJET DE VOYAGE LITTERAIRE EN EGYPTE,

PRÉSENTÉ AU ROI EN 1827 (l).

PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE.

On peut considérer comme un fait positif, lorsqu'il s'agit de nos connaissances réelles sur l'ancienne Egypte, que les recherches des sa- vants et des voyageurs n'ont produit jusqu'ici de résultats complets, de documents certains qu'à l'égard du seul système à^ architecture suivie pendant une si longue série de siècles, dans ce pays les arts ont commencé; encore est- il juste de dire que les travaux qui fixeront irré- vocablement nos idées à cet égard ne sont point encore publiés, et qu'il reste, de plus, à reconnaître les règles qui déterminaient le choix

(i) Ce Mémoire, comme tous les autres ('crits de Cham- pollion , réunis dans ce volume, sont publiés sur les origi- naux autographes. C. F.

I

2 PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE.

des ornements et des décorations , selon la desti- nation donnée à chaque genre d'édifice. Ce point important pour la science ne peut être éclairci que sur les lieux et par des personnes versées dans la connaissance des symboles et du culte égyptiens, caries plus simples ornements de cette architecture sont des emblèmes parlants; et telle frise , qui ne semble contenir que des arabesques ou une composition calculée pour l'œil seulement, renferme un précepte, une date, ou un fait historique.

Les doctrines les plus généralement adoptées sur Vart égyptien^ et sur le degré d'avancement auquel ce peuple était réellement parvenu, soit en sculpture, soit en peinture, sont essentielle- ment fausses; les nouvelles découvertes ont pu jeter de grands doutes sur leur exactitude; mais ces doctrines ne peuvent être ramenées au vrai et assises sur des fondements solides, que par de nouvelles recherches faites sur les grands édifices publics de Thèbes et des autres capitales de l'Egypte. C'est aussi l'unique moyen de dé- cider clairement l'importante question que des esprits , diversement prévenus, agitent encore si vivement, celle de la transmission des arts de l'Egypte à la Grèce.

Nos connaissances sur la religion et le culte des Égyptiens ne s'étendent encore que sur les

PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE. 3

parties puremenl: matérielles; les monuments de petites proportions nous font bien connaître les noms et les attributs des divinités principales; mais comme ces mêmes monuments provien- nent tous des catacombes et des sépultures , nous n'avons de renseignements détaillés que pour les personnages mystiques protecteurs des morts , et présidant aux divers états de l'âme après sa séparation du corps. La religion des hautes classes, qui différait de celle des tom- beaux, n'est retracée que dans les sanctuaires des temples et les chapelles des palais : sur ces édifices couverts intérieurement et extérieure- ment de bas-reliefs coloriés , charges de légendes innombrables , relatives à chaque personnage mythologique dont ils retracent l'image , les divinités égyptiennes de tous les ordres, hié- rarchiquement figurées et mises en rapport, sont accompagnées de leur généalogie et de tous leurs titres, de manière à faire complète- ment connaître leur rang, leur filiation, leurs attributs, et les fonctions que chacune d'elles était censée remplir dans le système théologique égyptien. Il reste. donc encore à reconnaître sur les constructions de l'Egypte, la partie la plus relevée et la plus importante de la mythologie égyptienne.

Toutes les branches si variées des arts, et

I.

4 PLA.N KT MOTIFS DU VOYAGE.

tous les procédés de l'industrie égyptienne sont encore loin de nous être connus. On a bien re- cueilli quelques tableaux et des inscriptions re- latives à un certain nombre de métiers, tels que la charpenterie , la menuiserie, la tannerie, la construction navale, le transport des masses, la verrerie, l'art du charron, du forgeron, du cor- donnier, de l'émailleur, etc., etc. , etc. ; mais les voyageurs qui ont dessiné ces tableaux ont, pour la plupart, négligé les légendes explicatives qui les accompagnent, et aucun d'eux n'était en état de lire sur les monuments ces tableaux ont été copiés, les dates précises de l'époque ces divers arts furent pratiqués. Nous ignorons donc si la plupart de ces arts sont vraiment .d'o- rigine égyptienne, propres à l'Egypte, ou s'iFs ont été introduits par l'influence des peuples anciens qui, comme les Perses, les Grecs et les Romains , ont tenu ce pays sous leur domina- tion. C'est donc encore ici une question très-im- portante à éclaircir pour l'histoire de l'industrie humaine; et cependant il en est beaucoup d'au- tres encore et d'un intérêt bien plus relevé.

« Si l'historien s'enqiiiert d'abord des bas-reliefs a historiques et ethnographiques , des scènes « domestiques qui peignent les mœurs de la na- « tion et celles des souverains, etc. , il demande « précisément les objets qui sont le moins éclaircis.yi

PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE. 5

Ainsi s'exprimait il y a douze ans un des hommes les plus distingués de l'Allemagne (i); et tout ceqii'on a publiédepuis, loinderemplircette importante lacune, n'a pu qu'augmenter encore les regrets des savants qui apprennent seulement par des dessins pris au hasard au milieu de sé- ries immenses de bas-reliefs, que les grands édifi- ces de l'Egypte offrent encore sculptée dans tous ses détails l'histoire entière de ses plus grands souverains, et que des compositions d'mie im- menseétenduey retracent les époques les plus glo- rieuses de l'histoire des Egyptiens; car ce peuple a voulu qu'on pût lire sur les murs des palais l'histoire de ses plus illustres monarques, et c'est la seule nation qui ait osé sculpter sur la pierre de si grands objets et de si vastes détails.

L'Europe savante coiuiaît l'existence de cet amas de richesses historiques : son ardent désir serait d'en être mise en possession. Elle a jugé que nos progrès dans les études égyptiennes de- mandent qu'un gouvernement éclairé se hâte d'envoyer enfin en Egypte des personnes dé- vouées à la science et convenablement préparées, pour recueillir, tant qu'ils subsistent encore, les innombrables et précieux documents que la ma- gnificence égyptienne inscrivit jadis sur les édi-

(i) M. de Heercn.

6 PLAN f:ï MOTIFS DU VOYAGE.

fices dont les masses imposantes couvrent les deux rives du Nil. L'Europe, sachant aussi que la barbarie, toujours croissante, détruit systé- matiquement ces respectables témoins d'une an- tique civilisation, hâte de tous ses vœux le mo- ment où des copies fidèles de ces iuscriplions et de ces bas-reliefs historiennes lui donneront le moyen de remplir avec certitude les plus an- ciennes pages des annales du monde, en perpé- tuant ainsi les témoignages si nombreux et si authentiques tracés sur tant de monuments dont rien ne saurait remplacer la perte. Un voyage littéraire en Egypte est donc aujourd'hui l'un des plus utiles qu'on puisse entreprendre.

Mais ce n'est point à l'histoire seule de l'Egypte que le voyage proposé dans ce Mémoire doit fournir des lumières qu'on chercherait vainement autre part que dans les palais de Thèbes : c'est qu'existent également, et nous en avons la certitude, des notions aussi désirables qu'ines- pérées, sur tous les peuples qui, dès les pre- miers temps de la civilisation humaine, jouaient im rôle important en Afrique et dans l'Asie oc- cidentale. Les principales expéditions des Pha- raons contre les nations qui, dans cet ancien monde, pouvaient lutter de puissance avec l'E- gypte ou lui inspirer des craintes, sont sculptées sur les monuments éiigés par les triomphateurs:

PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE. J

on y lit les noms de ces peuples, le nortibre des soldats, les noms des villes assiégées et prises, les noms des fleuves traversés , ceux des pays soumis, la quotité des tributs imposés aux peu- ples vaincus; et les noms des objets précieux enlevés à l'ennemi sont écrits sur des tableaux qui représentent ces trophées de la victoire. Ces bas-reliefs, entremêlés de longues inscriptions explicatives, sont d'autant plus utiles à connaître, que les artistes égyptiens ont rendu avec une admirable fidélité la physionomie , le costume et toutes les habitudes des peuples étrangers qu'ils ont eu à combattre. Nous pourrons donc apprendre enfin, par l'étude directe de cette im- mense galerie historique, quelles nations pou- vaient balancer, à des époques sur lesquelles l'histoire est encore muette, le pouvoir des Pha- raons en rivalisant avec l'Egypte, pour lui dis- puter l'empire de cet ancien monde que nous n'apercevons encore qu'à travers mille incerti- tudes, mais dont la réalité, déjà démontrée, n'en est pas moins surprenante; toutefois en rappor- tant le temps de ces grandes scènes à des épo- ques beaucoup plus rapprochées de nous que ne le voulait un esprit de système plus hardi que raisonné.

On ne saurait fixer l'importance des décou- vertes historiques que peut amener une étude

8 PLAN rr MOTIFS DU VOYAGE.

approfondie des bas-reliefs qui décorent les édi- fices antiques de l'Egypte , et surtout ceux de Thèbes, sa vieille capitale. Ce pays s'est en effet trouvé en relation directe avec tous les grands peuples connus de l'antiquité : si ses vénéra- bles monuments nous montrent une foule de peuples à demi sauvages du continent africain, vaincus et déposant aux pieds des Pharaons l'or, les matières précieuses , les oiseaux rares et les animaux curieux dt' l'intérieur d'un pays encore si peu connu, nous trouvons d'autre part le tableau des luttes sanglantes des Egyptiens , soitsur terre , soit sur mer, avec diverses nations asiatiques (les Assyriens , les Bactricns et les Hindous peut-être), nations qui combattent avec des armes égales et des moyens tout aussi avancés que ceux des Egyptiens leurs rivaux. Nous savons, à n'eu point douter, que les temples et les palais de l'Egypte offrent les images et des inscriptions con- temporaines des rois éthiopiens qui ont conquis l'Egypte, au milieu des monuments des Pharaons dont ils ont monientanément interrompu la lon- gue et brillante succession. On y recueillera les annales des rois égyptiens les plus renommés, tels que les Osymandyas, Amosis, les Ramsès , les Thouthmosis; ailleurs celles des pharaons Séson- chis , .Osorchon , Sevéchus, Tharaca, Apriès et Néchao, que les livres saints !ious peignent en-.

PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE. 9

trant dans le cœur de la Syrie à Ja tête d'armées innombrables. On réunira les copies du peu de monuments éievés sous la tyrannie des rois per- sans, les Darius et les Xerxès; on notera les lieux se lisent encore le grand nom d'Alexan- dre, celui de son frère, de son jeune fils, et ceux des successeurs de cet homme qui releva l'Egypte foulée par le gouvernement militaire des Perses. On éclaircira toute l'histoire des La- gides : et cet examen des inscriptions monumen- tales se terminera en recueillant, sur les mêmes édifices qui ont précédé tant d'empires , leur ont survécu, et qui ont vu passer tant de gloires, les noms les plus illustres de Rome gouvernée par les empereurs. Ainsi les monuments de l'Egypte conservent des inscriptions qui se lient à l'his- toire ancienne tout entière, et en recèlent une grantle partie que les écrivains ne nous ont point conservée : c'est donner une idée de l'immense moisson de faits et des documents qu'un gouver- nement protecteur des sciences utiles peut assu- rer aux études solides, en ordoimant l'exécution d'un voyage auquel sont directement intéressés les progrès de toutes les sciences historiques. Ajoutons enfin que ce voyage , l'on pourra étudier et comparer entre elles le nombre im- mense d'inscriptions qui couvrent tous les mo- numents de l'Egypte, avancerait avec une mer-

lO PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE.

veilleuse rapidité nos connaissances sur l'écriture hiéroglyphique, et qu'il fournira, sansaucun doute à cet égard, des lumières qu'on ne pourrait peut- être point obtenir d'une étude de plusieurs siè- cles faite en Europe sur les seuls monuments égyptiens que le hasard y ferait transporter à l'avenir. Sous ce point de vue seul, les résultats du voyage projeté seraient inappréciables.

Les travaux des Français qui firent partie de l'expédition d'Egypte n'ont fait que préparer l'Europe savante à de tels résultats, en lui mon- trant, par le trop petit nombre de dessins pris sur les monuments historiques , tout ce qu'elle doit désirer encore, et tout ce qu'on peut attendre d'un examen approfondi et d'un voyage dont ces monuments seront l'objet principal. Ces re- cherches, qui doivent produire tant de fruits et jeter tant de lumières sur l'obscurité des temps antiques, étaient impossibles alors. On n'avait en effet, à la fin du siècle dernier et dans les pre- mières années du siècle présent, aucune donnée positive sur le système des écritures égyptiennes ; aussi les membres de la commission d'Egypte, et la plupart des voyageurs qui ont marché sur leurs traces, persuadés peut-être qu'on n'arrive- rait jamais à l'intelligence des signes hiérogly- phiques , ont-ils attaché moins d'intérêt à copier avec exactitude les longues inscriptions en ca-

PLAN ET MOTIFS DU VOYA.GE. I I

ractères sacrés qui accompagnent les figures mises en scène dans les bas-reliefs historiques; ils les ont presque toujours négligées, et sou- vent même, en copiant quelques scènes de ces bas-reliefs, on s'est contenté de. marquer seu- lement la place occupée par ces légendes. C'était cependant, sinon pour cette époque, du moins pour l'avenir, la partie la plus intéressante d'un tel travail. Mais enfin on doit beaucoup de re- connaissance à ces voyageurs pour nous avoir appris, à n'en pouvoir douter, qu'il ne dépend plus que de notre volonté de recueillir , par exemple , dans le palais de Rarnac à ïhèbes , l'histoire des conquêtes de plusieurs rois, et probablement aussi celle de la délivrance de l'Egypte du joug des Pasteurs ouHvkschos, évé- nement auquel se rattachent la venue et la capti- vité des Hébreux; dans les sculptures de Ka- labsché, le tableau des conquêtes de Ramsès II àlintérieiu- de l'Afrique; dans les galeries du pa- laisde Médinet-Abou, les expéditionsdeRamsès- ]Meïamoun contre les peuples de l'Asie; dans divers temples de la Nubie, des hauts faits des Pharaons Mœris,Osortasen, AménophisII; dans le palais de Kourna, ceux de Maudoueï et Ou- sireï, etc. ; enfin dans les palais de Louqsor, les édifices (ribsamboul et le palais dit d'Osyman- dyas , les détails les plus circonstanciés sur les

12 PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE.

conquêtes du grand Sésostris , tant en Asie qu'en Afrique.

De nos jours, des dessins de la totalité de ces grandes scènes historiques, qui s'éclairent les unes par les autres , et surtout dos copies exactes des inscriptions hiéroglyplii(|ues qu'on y a mêlées en si grand nombre, acquerraient un prix infini et réaliseraient, sinon en totalité, du moins en très-grande partie, les hautes espé- rances qu'y rattachent les sciences historiques. Les notions positives sur le mécanisme de l'é- criture hiéroglyphique sont assez avancées, et l'on a reconnu le sens d'iui nombre de carac- tères assez considérable, pour retirer sur-le- champ, avec une certitude entière, les faits prin- cipaux et les plus précieux contenus dans ces bas-reliefs ou dans ces inscriptions, et tous les docunients utiles qu'ils renferment; enfin avec les connaissances nouvellement acquises sur les' écritures de l'ancienne Egypte, un voyage .en- trepris maintenant sin- cette terre classique , par nu petit nombre de personnes bien préparées, produira inconlestablement des résultats scien- tifiques tels qu'on eût en vain osé les espérer dans le temps même que l'Egypte, au pouvoir tl'une armée française, était livrée aux recherches d'une foule de savants qui ont beaucoup fait pour les sciences physiques, naturelles et mathématiques,

PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE. l3

mais qui manquaient de l'instrument essentiel et indispensable pour exploiter convenablement la mine si riche de documents historiques que la fortune des armes livrait à leur examen. La France guerrière a fliit connaître à fond l'Egypte moderne , sa constitution physique , ses produc- tions naturelles , et les différents genres de mo- numents qui la couvrent : c'est aussi à la France, jouissant de la faveur de la paix si propice au progrès des sciences et de la civilisation nou- velle, à recueillir les souvenirs gravés sur ces monuments témoins dune civilisation primi- tive et des efforts progressifs des sciences sur une terre qui en fut le berceau : elles en sor- tirent pour éclairer l'Europe encore à demi sauvage lorsque l'Egypte était déjà déchue de sa première splendeur : l'Europe remontera donc ainsi vers ses plus antiques origines.

Après cet exposé sommaire des motifs géné- raux du voyage, il reste à indiquer l'ordre détaillé des travaux que doivent exécuter les personnes chargées de cette entreprise littéraire.

i** Visiter un à un tous les monuments anti- ques de style égyptien, en faire dessiner l'ensem- ble ^çX lever le pian du petit nombre de ceux que les vt)yageurs ont négligés ou n'ont point suffisamment étudiés.

j4 plan et motifs du voyage.

2*^ Rechercher sur chaque temple les inscrip- tions déclicatoires donnant l'époque précise de leur fondation, et celles qui indiquent toujours l'époque ont été exécutées les différentes parties de la décoration. C'est, en d'autres ter- mes, recueillir les éléments positifs de l'histoire et de la chronologie de l'art en Egypte.

Copier avec soin, dans tous leurs détails et avec leurs couleurs propres, les images des différentes divinités auxquelles chaque temple était dédié. Recueillir les inscriptions religieuses relatives à ces divinités, et tous les titres divers qui leur sont donnés.

l\^ Copier surtout les tableaux mythologiques plusieurs divinités sont mises en scène.

Dessiner les bas-reliefs représentant les di- verses cérémonies religieuses, et tous les instru- ments de culte.

Ces divers travaux auront pour résultat de faire connaître à fond l'ensemble du ctdte égyp- tien, source de toutes les religions païennes de l'Occident, et serviront à démontrer les nom- breux emprunts que la religion des Grecs fit à celle de l'Egypte. On terminera ainsi les dissi- dences qui partagent les savants sur une ma- tière mise en discussion avant de posséder les éléments indispensables pour en éclaircir les dif- ficultés.

PLAN KT MOTIFS DU VOYAGE. 1 5

Prendre dans les temples, des calques exacts des figures représentant les divers sou- verains de l'Egypte, et avec tous les détails de costume, afin de former ainsi V iconographie des rois et des reines ; ces bas-reliefs , surtout ceux de l'époque la plus ancienne, offrant le portraitâes Pharaons, de leurs femmes, et de leurs enfants.

7" Rechercher dans les palais de Thèbes, d'A- bydos , de Sohleb, et dans tous les genres d'é- difices, tous les bas-reliefs historiques ; les des- siner avec soin, figures et légendes, et copier les longues inscriptions historiques qui les sui- vent ou les séparent.

Recueillir dans les palais et les tombeaux des rois tout ce qui se rapporte à la vie publique et privée des Pharaons.

Dessiner dans les catacombes de Thèbes ou des autres villes égyptiennes, les tableaux et les inscriptions relatives à la vie civile des di- verses classes de la nation , surtout ceux qui re- tracent les arts, les métiers et la vie intérieure des Égyptiens; faire le recueil des costumes des diverses castes , etc.

10° Copier les inscriptions votives, gravées sur la plate-forme des temples, sur les rochers environnants et dans les catacombes, toutes les fois que ces inscriptions porteront une date clai- rement exprimée.

l6 PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE.

ii'^ Recueillir toutes les légendes royales^ sculptées sur les édifices, avec leurs diverses va- riantes, et préciser le lieu elles se lisent, pour déterminer ainsi l'ancienneté relative de chaque portion d'un même édifice, et l'état soit progressif, soit rétrograde de l'art.

12^* Rechercher et faire dessiner avec soin tous les bas-reliefs et tableaux astronomiques ^ prendre les dates exprimées soit sur ces mêmes sculptures, soit dans leur voisinage, pour dé- montrer sans réplique l'époque assez récente de ces compositions, que l'esprit de système s'ob- stine encore, malgré des démonstrations palpa- bles, à considérer comme remontant à des siè- cles fort antérieurs aux temps véritablement historiques. On fixera également ainsi l'opinion encore incertaine des savants à l'égard du point réel d'avancement auquel les Égyptiens avaient porté la science de l'astronomie.

iS'^ On devra recueillir avec un soin scrupu- leux tous les caractères hiéroglyphiques de formes différentes, en notant les couleurs de chacun d'eux, afin de former le tableau le plus approximativement complet qu'il sera possible, de tous les caractères employés dans l'écriture sacrée des Égyptiens.

i4° On dessinera toutes les inscriptions qui peuvent conduire soit à confirmer , soit à éten-

PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE. l'J

dre nos connaissances, relativement à la langue et aux diverses écritures de l'ancienne Egypte.

i5" Il est du plus pressant intérêt pour les études historiques et philologiques, de chercher dans les ruines de l'Egypte des décrets bilin- gues^ semblables à celui que porte la pierre de Rosette. Ces stèles existaient en très-grand nom- bre dans les temples égyptiens des trois ordres. Des fouilles seront donc dirigées dans l'enceinte de ces temples, pour découvrir de tels monu- ments, par le secours desquels le déchiffre- ment des textes hiéroglyphiques ferait im pas immense.

16" Le directeur du voyage ferait aussi exécu- ter i\e?> /bailles sur les points il serait possible de rencontrer des monuments historiques de di- vers genres : ceux des objets trouvés et qui mé- riteraient quelque attention, seraient emportés pour être placés au Musée royal du Louvre, si ces objets étaient d'ancien style égyptien , et au Cabinet, des antiques de la Bibliothèque rojale , si ces objets étaient des médailles et des pierres gravées, ou autres monuments de style grec ou romain. Les statues grecques ou romaines appartiendraient aussi au IMusée des antiques du Louvre.

1-7° On pourrait faire également à Thèbes et dans toutes les autres parties de l'Egypte, des

2

l8 PLAN KT MOTIFS DU VOYAGE

achats d'objets intéressants pour les collections royales; on pournùt compléter ainsi avec avan- tage les diverses séries de monuments antiques qui existent dans ces établissements.

i8° On désire depuis long-temps que des per- sonnes instruites dans les langues orientales vi- sitent les couvents de la vallée des lacs de Natron et de la Haute-Egypte , et examinent les livres coptes ou autres que renferment les biblio- thèques des moines chrétiens ^ lesquelles peuvent contenir des ouvrages importants. Cette visite pourrait être faite avec soin pendant le voyage, et il serait facile peut-être d'acquérir des manu- scrits intéressants à peu de frais.

19° Quelques voyageurs en Egypte ont parlé d'inscriptions en caractères inconnus , tracées ou gravées sur quelques monuments; on s'attache- rait à les recueillir, précisément parce qu'elles sont considérées comme inconnues. 11 en serait de même des manuscrits ou inscriptions en phénicien , dont il n'existe encore qu'un très- petit nombre en Europe , ainsi que des inscrip- tions en caractères persépolitains ou cunêifor- meSy dont l'alphabet n'est pas encore entière- ment connu , quoique les monuments ils sont employés ne soient pas très-rares. La découverte des hiéroglyphes phonétiques a concouru à ac- croître cet alphabet au moyen d'une courte in-

PLAN ET MOTIFS DU VOYAGE. I r)

scription en caractères cunéiformes et en ca- ractères égyptiens. On peut en trouver d'autres qui seraient soigneusement copiées.

•20*^ Il manque à la Bibliothèque du Roi quel- ques-uns des plus utiles ouvrages de la littérature arabe. On aurait peut-être l'occasion de les ac- quérir à un prix convenable.

Tels sont le but, le plan et les motifs d'un voyage en Egypte.

Pour l'exécuter, M. Champollion n'attend plus que les ordres du Roi.

EXTRAITS

DES LETTRES ÉCRITES PA.K CHAMPOLLION LE JEUNE , PENDANT SON VOYAGE DE PARIS A ALi:XANDRIE.

Lyon , le i8 juillet 1828.

Me voici arrivé à Lyon en très-bonne santé. J'ai trouvé notre ami M. Artaud prêt à me re- cevoir, et je me suis établi dans son musée.

J'ai trouvé dans celui de la ville, entre autres morceaux curieux, une statuette en bronze, de 7 pouces de hauteur, représentant le dieu Nil, morceau d'un excellent travail. Je la fais dessi- ner pour mon Panthéon : c'est, jusqu'ici, une chose unique et que je suis bien aise d'avoir ren- contrée,

M, Artaud a écrit aujourd'hui à M. Sallier d'Aix, pour l'informer de mon prochain passage par <:ette ville. Je m'attends donc à faire une bonne récolte dans cette nombreuse collection, et j'y consacrerai deux jours s'il le faut.

Toulon , 25 juillet 1828.

Je suis arrivé ici hier au soir en parfaite santé et après un voyage moins pénible que la saison

EXTRAITS DR LETTRES. ai

d'été et le ciel de Provence ne pouvaient le faire supposer. Partis d'Aix à trois heures du matin, nous étions à Toulon sur les six heures du soir; je me suis à peine aperçu de la chaleur pen- dant la route, grâce aux fourrures en laine dont je suis couvert; ce qui me fait croire que le proverbe vulgaire : Qui parc le froid pare le chaud, doit être émané comme tant d'autres de la sagesse des nations.

Il m'a été impossible d'écrire d'Aix comme j'en avais le projet : ïe cabinet de M. Sallier m'a occupé pendant les deux. jours que j'ai passés dans cette vieille ville. J'y ai trouvé quelques pièces importantes que j'ai copiées ou fait des- siner. Ce ne fut que le soir du second jour que M. Sallier me mit dans les mains un paquet de papyrus égyptiens non funéiaires, dans lequel j'ai trouvé, i'' un long papyrus en fort mauvais état, qui m'a paru renfermer des observations astrologiques, le tout en belle écriture hiératf- que;2°-deux rouleaux contenant des espèces d'odes ou litanies à la louange d'un Pharaon ; un rouleau dont les premières pages man- quent, mais qui contient les louanges et les ex- ploits de Ramsès-Sésostris en style biblique, c'est-à-dire, sous la forme d'une ode dialoguée, entre les dieux et roi.

Cette affaire-ci est de la plus haute impor-

17. l'XTHAITS DE LETTRES.

tance , et le peu de temps que j'ai donné à son examen m'a convaincu que c'est un vrai trésor historique. J'en ai tiré les noms d'une quinzaine de nations vaincues, parmi lesquelles sont spé- cialement nommés les Ioniens , louni, lai^ani^ et les Lyciens, Louka^ ouLouki; plus les Éthio- piens, les Arabes, etc. Il est parlé de leurs chefs emmenés en captivité, et des impositions que ces pavs ont supportées. Ce manuscrit a plei- nement justifié mon idée sur le groupe qui qualifie les noms de pays étrangers, et ceux de personnages en langues étrangères. J'ai relevé avec soin tous ces noms de peuples vaincus, qui, étant parfaitement lisibles et en écriture hiéra- tique, me serviront à reconnaître ces mêmes noms en hiéroglyphes sur les monuments de Thèbes, et à les restituer, s'ils sont effacés en partie.

Cette trouvaille est immense, et ce manuscrit hiératique porte sa date à la dernière page. Il a été écrit (dit le texte) l'an IX au mois de Paoni , du règne de Ramsès-le-Grand. Je me propose d'étudier à fond ce papyrus, à mon retour d'Egypte.

M. SaUierm'a promis de me donner l'empreinte en papier des trois pierres qui portent les frag- ments du décret romain relatif an prix des denrées et marchandises; je l'aurais faite moi-même, mais

EXTRAITS DE LETTRES. 2.'6

malheureusement on a rempli en plâtre durci les lettres du texte: on les fera laver et nettoyer.

Toulon, le 2g juillet.

J'ai reçu la première lettre de Paris, attendue déjà avec impatience. Ma série de n°' ne com- mencera qu'après l'embarquement, et ma pre- mière sera datée des domaines de Neptune , car j'espère que nous rencontrerons en route quel- que bâtiment revenant en Europe, et qu'il sera possible de le charger d'un billet pour France. Mais si par hasard nous sommes seuls sur le grand chemin du monde, vous n'aurez de mes nouvelles que dans deux mois au plus tôt, les départs d'Alexandrie pour France étant ex- trêmement rares. Notre corvette, destinée à convoyer les bâtiments marchands, ne con- voiera personne. On n'ose plus se mettre en mer, non qu'il y ait danger de perte de corps ou de biens, mais parce que le commerce avec l'Egypte est dans un état complet de torpeur ; l'Egypte elle-même n'envoie plus de coton. L'a- miral m'assure , toutefois , que nos relations avec le pacha sont sur le pied le plus amical. Je vais avoir (ki reste des nouvelles positives sur notre position à l'égard de l'Egypte, car je recois à l'instant un rendez vous au lazaret, de

a4 EXTRAITS DE LETTRES.

la part de M. Léon de Laborde , arrivant d'A- lexandrie en trente-trois jours. Il me dira cer- tainement ce qu'il faut craindre ou espérer; le ton de sa lettre est d'ailleurs très-rassurant, et je n'en augure que de bonnes nouvelles.

Nos Parisiens sont arrivés ce matin; et nos Toscans le soir, après un voyage de quinze jours. Us ont eu toutes les peines du monde à tra- verser le cordon sanitaire établi à la frontière du Piémont par IcM'oi deSardaigne qui, trompé par les exagérations d'un capitaine marchand de Marseille, débarqué à Gènes, s'est imaginé que la peste ravageait la Provence; les régiments ont marché pour occuper tous les débouchés des Alpes, et les lettres et journaux venant de France sont tailladés et passés au vinaigre. Il est connu en Italie que nous mourons ici et à Marseille par centaines: tandis que le temps est superbe, grâce à une brise d'ouest qui rafraîchit l'air et nous jettera en pleine mer en moins d'une heure.

La mer promet d'être excellente. J'ai déjà es- sayé mon estomac, et je le crois assez bien amariné, ayant couru la rade en barque par une mer assez grosse.

3o juillet. Il m'a été impossible de voir M. de Laborde;

EXTRAITS DE LETTRES. 2 5

la brise était trop forte pour pouvoir sans danger communiquer avec le lazaret dans une petite embarcation; il m'indique un nouveau rendez- vous pour demain à une heure : mais à cette heure-là, je serai déjà loin de Toulon, puisque notre embarquement aura lieu entre neuf et dix heures du matin. Nos gros effets sont à bord, et nous sommes prêts à dire adieu à la terre ferme. On me fait espérer de toucher en Sicile. J'ai demandé à l'amiral qu'il permît au comman- dant de nous débarquer quelques heures à Agri- gente; cela est accordé. C'est à la mer à nous le permettre maintenant. Si elle est bonne, j'écri- rai à l'ombre d'une des colonnes doriques au temple de Jupiter.

Adieu; soyez sans inquiétude, les dieux de l'Egypte veillent sur nous.

En mer, entre la Sardaigne et la Sicile, 3 août 1828.

Je vais essayer d'écrire malgré le mouvement du vaisseau qui, poussé par un vent à souhait, marche assez rapidement vers la côte occiden- tale de Sicile, que nous aurons ce soir en vue, selon toute apparence. Jusqu'ici la traversée a été des plus heureuses, et le plus difficile est fait : mon estomac a subi toutes ses épreuves, et je me trouve parfaitement bien maintenant. Le repos forcé dont on jouit sur le bâtiment , et

l6 EXTRAITS DE LETTRES.

l'impossibilité de s'y occuper avec quelque suite, ont tourné au profit de ma santé , et je me porte à merveille.

Je ne parlerai point des deux jours passés , n'ayant eu sous les yeux que le ciel et la mer. Le tableau, quoique varié par quelques évolutions de marsouins et la lourde apparition de deux cachalots, présenterait trop d'uniformité. La sèche désolation des côtes de Sardaigne, pays bien digne de l'aspect de ses anciens Nuraghes, n'offre rien non plus de bien intéressant.

Je parlerai donc de l'espoir plus attrayant de débarquer au milieu des temples de la vieille Agri- gente. Notre commandant nous le promet pour demain au soir , si Eole et Neptune veulent bien nous octroyer cette douceur.

Du 4.

Nous avons tourné, pendant la nuit, la pointe ouest de la Sardaigne, et couru la côte méridio- nale, vraie succursale de l'Afrique. Ce malin nous ne voyons encore que le ciel et la mer. Vers le soir on aperçoit l'île de Maritimo,le point le plus occidental de lU Sicile, mais un calme malencon- treux nous empêche d'avancer.

Du 5. Après une nuit passée à louvoyer, nous avons revu Maritimo de bon matin, à deux ou trois

EXTRAITS DE LETTRES. 27

lieues de nous. Le vent s'étant enfin levé, le vaisseau a passé devant les îles de Favignana et Levanzo; nous avions en perspective Trapani (Drepanum), l'ancien arsenal de Sicile, et le mont Eryx si vanté dans l'Enéide. L'après-midi, nous avons passé devant Marsalla et salué dé- votement ses excellents vignobles: il s'est mêlé à mon salut une teinte fort respectueuse, lors- qu'on a dépassé cette ville qui fut la vieille Li- lybée, le principal établissement carthaginois en Sicile. Cette côte méridionale est d'ime beauté parfaite.

Du 6.

Je n'ai pu saluer les ruines de Sélinonte, nous les avons rasées de nuit. La côte est ici un peu plus sèche, quoique pittoresque, et d'un ton africain à faire plaisir. On a jeté l'ancre dans la rade d'Agrigente (Girgenti); sont une foule de monuments grecs que nous désirons visiter et étudier. Mais il est probablement décidé que nous aurons le déboire d'être venus à quatre cents toises de ces temples sans pouvoir même les apercevoir. Nous payons chèrement la sottise du capitaine marseillais qui a répandu à Gênes la nouvelle de la fameuse peste de Marseille. Étant allés au lazaret d'Agrigente avec le com- mandant , on nous a répondu que des ordres

u8 EXTRAITS DE LKTTKliS.

de Palerme, arrivés la veille, défendaient ex- pressément qu'on donnât pratique à aucun bâ- timent venu des ports méridionaux de France. J'ai soutenu que Toulon était un port du JSord; le bon Sicilien a répondu qu'il le savait très-bien, mais que, n'ayant aucune instruction sur les ports du Nord, il ne pouvait nous permettre de débarquer sans l'autorisation de Tintendant de la province d'Agrigente. On nous a promis une réponse pour demain à huit heures; et nous avons regagné la corvette, la mort dans l'âme et sans l'espérance d'admirer le temple de la Concorde. C'est bien jouer de malheur, et je comprends enfin le supplice de Tantale.

Du 7 , à 6 heures du matin.

Aucune nouvelle de terre ne nous est encore parvenue. Je perds tout espoir. Je vais fermer cette lettre pour l'envoyer dans une heure et demie d'ici à terre, pour tâcher de la faire met- tre à la poste à travers toutes les fumigations d'usage. Nous nous portons tous à faire plaisir, bon appétit, l'œil vif, des teints superbes, et on veut absolument nous traiter en pestiférés! Je rouvrirais ma lettre, si j'avais à vous annoncer qu'on nous permet de voir Agrigente autrement qu'à deux milles de distance ; je serais si heureux

EXTRAITS DE LETTRES. 'ig

de débarquer au milieu de ces vénérables ruines! mais je n'ose y compter.

Si nous n'avons pas l'entrée à huit heures, nous mettrons immédiatement à la voile, pour courir sur Malte. - «

Alexandrie, le aa août 1828.

Je hasarde ces lignes par un bâtiment toscan qui part demain ponr Livourne. Comme il est fort douteux que cette lettre parvienne en France aussitôt que celle dont veut bien se charger notre excellent commandant de VEglé, lequel retourne en Europe et met à la voile mardi prochain, je mets un i provisoire à celle-ci, réseivant tous les détails pour la seconde, qui sera le véritable numéro premier.

Je suis arrivé le 18 août dans cette terre d'E- gypte, après laquelle je soupirais depuis long- temps. Jusqu'ici elle m'a traité en mère tendre, et j'y conserverai, selon toute apparence, la bonne santé que j'y apporte. J'ai pu boire de l'eau fraîche à discrétion , et cette eau-là est de l'eau du Nil qui nous arrive par le canal nommé Mahmoudiéhen l'honneur du pacha, qui l'a fait creuser.

J'ai pu voir M. Drovetti le soir même de mon arrivée, et j'ai appris qu'il m'avait écrit et conseillé d'ajourner mon voyage. Depuis la date

3o EXTRAITS DE LETTRES.

(le cette lettre, heureusement arrivée trop tarda Paris , les choses sont bien changées. Vous de- vez connaître déjà les conventions pour l'éva- cuation de la Morée, consenties le 6 juillet par Ibrahim Pacha et signées il y a une douzaine de jours par le vice-roi Mohammed -Aly. Mon voyage ne rencontrera aucun empêchement; le Pacha est informé de mon arrivée, et il a bien voulu me faire dire que j'étais le bienvenu; je lui serai présenté demain ou après-demain au plus tard. Tout se dispose au mieux pour mes travaux futurs; et les Alexandrins sont si bons, que j'ai déjà secoué tous les préjugés inspirés par de prétendus historiens.

J'occupe dans le palais du consulat de France un petit appartement délicieux donnant sur le bord de la mer; l'ordre d'exécution de nos projets sur Alexandrie et ses environs est déjà réglé; ils comprennent les obélisques dits deCléo- pâtre, dont nous aurons enfin une copie exacte, et ensuite la colonne de Pompée; il faut savoir enfin à quoi s'en tenir sur son inscription dédi- catoire, et si elle porte le nom de l'empereur Dio- clélien : nous en aurons une bonne empreinte.

Notre jeunesse est émerveillée de ce qu'elle a déjà vu.... A ma prochaine les détails: la série de mes lettres d'observation commencera réellement avec elle.. ..Adieu.

LETTRES

ÉCRITES D'EGYPTE ET DE NUBIE,

EN 1828 ET 1829.

NOTE PRELIMINAIRE

EXTRA.ITE DU MONITEUR UU I I AOUT 1828.

Les journaux français et étrangers ont parlé diversement du voyage littéraire en Egypte, que des savants et des artistes exécutent en ce mo- mentsousladirection deM.Champollion lejeune. Nous devons à nos lecteurs quelques détails exacts sur cette intéressante entreprise. Hâtons- nous de dire qu'elle est un nouveau bienfait du Roi envers les sciences historiques et les beaux- arts.

S. M. ayant donné son approbation au plan de ce voyage, ses ministres de l'intérieur, des affaires étrangères , de la marine , et le ministre d'état intendant de la maison du Roi , furent

3a NOTE PRÉLIMINAIRE.

chargés d'en assurer l'exécution ; elle a trouvé dans leurs lumières le concours le plus actif et le plus bienveillant.

Le but même du voyage ne pouvait manquer d'exciter l'intérêt des ministres du Roi, puisqu'il était l'objet des vœux de toutes les sociétés sa- vantes de l'Europe, On est assez avancé , en effet, dans la connaissance des écritures égyp- tiennes : les monuments égyptiens transportés dans les musées publics et les collections par- ticulières, ont fourni déjà d'assez nombreuses notions sur l'histoire civile et militaire, sur le système religieux et les personnages mytholo- giques, sur la vie sociale, les mœurs, les usages, la pratique des arts techniques et des arts du dessin en général, dans l'antique Egypte, pour savoir combien il reste encore à apprendre sur ces sujets divers, et combien d'importantes la- cunes restent à remplir dans l'histoire du peu- ple le plus célèbre de l'antiquité, qui, aux plus anciennes époques de ses annales , se trouve déjà mêlé à des nations de l'Orient et de l'Occi- dent, dont les premiers temps ne nous sont pas encore connus. L Egypte peut donc nous rendre, par le témoignage de ses monuments, plusieurs pages qui nous manquent dans sa propre his- toire et dans l'histoire universelle des sociétés primitives. Cette conquête ne sera pas trop chè-

NOTE PRKLIMINAIRK. 33

rement payée de quelques dépenses, de quel- ques fatigues et de quelques hasards.

Ce sont ces mêmes vues qui ont animé nos voyageurs français , et qui ont excité leur zèle et leur dévouement. Préparés de longue main à celte exploration scientifique , se confiant avec toute raison aux lumières et au caractère de leur chef, protégés partout par le nom vénéré de leur Roi , ils ont quitté la côte de France, le 3i juillet dernier, sur la corvette l'Eglé^ qui doit toucher d'abord à Agrigente en Sicile, et les porter ensuite à Alexandrie. A M. Champol- lion le jeune se sont réunis MM. A. Bihent, ar- cliitecte, connu par ses importants travaux sur Pompéi; et comme dessinateurs, Nestor Lhote, employé à la direction générale des douanes; Salvador Cherubini et Alexandre Duchesne , Bertin fils et le Houx, élèves de M. le baron (iros. M. Lenormant , inspecteur au départe- ment des beaux -arts, a profité de cette pré- cieuse occasion pour visiter les monuments de l'Egypte.

Une association non moins heureuse pour les voyageurs français, est celle que leur a assurée S. A. T. et R. le Grand-Duc de Toscane. Animé de cette protection déclarée pour les sciences et pour les arts, qui est héréditaire dans sa fa- mille, ce prince a désigné plusieurs savants ita-

3

34 NOTE PRÉLIiMlNAIRE,

liens pour se joindre à M. Champollion le jeune, et les a placés sous sa direction pour seconder ses recherches, et travailler en commun au ré- sultat général de cette mémorable exploration. M. Hip. Rosellini, professeur de langues orien- tales à Tuniversité de Pise, chargé plus spéciale- ment des ordres de son Altesse, aura avec lui MM. Gaëtano Rosellini, comme naturaliste ; le doc- teur Alexandre Ricci, qui a déjà habité l'Egypte; l'habile dessinateur Angelelli , et le professeur Raddi , connu par ses belles recherches d'his- toire naturelle au Brésil.

Telle est la réunion de savants et d'artistes unis d'intentions et d'efforts pour accomplir une des plus nobles entreprises de notre époque. Si les circonstances ne sont pas trop défavora- bles, l'Europe savante lui sera redevable d'im- portants documents pour l'histoire et les beaux- arts, et les annales littéraires de la France signa- leront ce voyage avec reconnaissance ; il sera pour elles une occasion de plus de célébrer le nom du Roi, protecteur de toutes les gloires.

PREMIÈRE LETTRE (i).

Alexandrie, du 18 au 29 août 1828.

Ma lettre d'Agrigente contenait mon journal depuis le 3i juillet, jour de notre départ de Toulon sur la corvette du roi l'Eglé, commandée par M. Gosmao-Duraanoir , capitaine de frégate, jusqu'au 'j août que nous avons quitté la côte de Sicile après une station de ^4 heures, et sans avoir pu obtenir la pratique du port , vu que, d'après les informations parvenues de bonne source aux autorités siciliennes, nous étions tous en proie à la gra/ide peste qui ravage Mar- seille , à ce qu'on dit en Italie. J'ai vainement parlementé avec des officiers envoyés par le gouverneur de Girgenti, et qui ne me parlaient qu'en tremblant, à trente pas de distance; nous

(r) Les dix-neuf premières lettres conservent ici leliumcro d'ordre sous lequel chacune d'elles a déjà été mentionnée ailleurs. ( N'oie de l'Éditeur. )

3.

H() pRFMikRr: lettre.

avons été déclarés bien et dûment pestiférés, et il nous a fallu renoncer à descendre à terre au milieu des temples grecs les mieux conservés de toute la Sicile. Nous remîmes donc triste- ment à la voile, courant sur Malte, que nous doublâmes le lendemain 8 août au matin , en passant à une portée de canon des îles Gozzo et Cumino , et de la Cité-Valette , que nous avons parfaitement vue dans ses détails extérieurs.

C'est après avoir reconnu successivement le plateau de la Cyrénaïque et le cap Rasât, et avoir longé de temps à autre la côte blanche et basse de l'Afrique, sans être trop incom- modés par la chaleur, que nous aperçûmes en- fin , le 18 au matin, l'emplacement de la vieille Taposiris , nommée aujourd'hui la Tour des Arabes. Nous approchions ainsi du terme de notre navigation , et nos lunettes nous révé- laient déjà la colonne de Pompée, toute l'éten- due du Port-Vieux d'Alexandrie , la ville même dont l'aspect devenait de plus en plus imposant, et une immense forêt de mâts de bâtiments, au travers desquels se montraient les maisons blanches d'Alexandrie. A l'entrée de la passe , un coup de canon de notre corvette amena à notre bord un pilote arabe qui dirigea la ma- nœuvre au milieu des brisants, et nous mit en toute sûreté au milieu du Port-Vieux. Nous nous

PREMIÈRE LETTRE. Sy

trouvâmes entourés de vaisseaux français, anglais, égyptiens , turcs et algériens , et le fond de ce tableau, véritable macédoine de peuples, était occupé par les carcasses des bâtiments orientaux échappés aux désastres de Navarin. Tout était en paix autour de nous, et voilà, je pense , une preuve de la puissante influence du vice-roi d'Egypte sur l'esprit de ses Égyptiens. . Nous en avions donc fini avec la mer, dès le i8 à cinq heures du soir: il ne nous restait qu'un seul regret, celui de nous séparer de no- tre commandant Cosmao-Dumanoir, si recom- mandable à tous égards, et des autres officiers de la corvette, q?ii, tous, nous ont comblés de prévenances et de soins , et nous ont procuré par leur instruction tous les charmes de la plus agréable société ; mes compagnons et moi n'ou- blierons jamais tout ce que nous leur devons de reconnaissance.

A peine mouillés dans le port , plusieurs of- ficiers supérieurs des vaisseaux français vinrent à notre bord , et nous donnèrent d'excellentes nouvelles du pays : ils nous apprirent la pro- chaine évacuation de la Morée par les troupes d'Ibrahim , en conséquence d'une convention récente. On attend dans peu de jours la ren- trée de la première division de l'armée égyp- tienne.

38 PHEMIÈRE LETTRE.

M. le chancelier du consulat-général de France voulut bien aussi venir à notre bord , nous com- plimenter de la part de M. Drovelti, qui se trou- vait heureusement à Alexandrie , ainsi que le vice-roi. Le soir même, à six heures, je nie rendis à terre , avec notre brave commandant et mes compagnons de voyage, Ilosellini, Bi- bent , Ricci, et quelques autres: je baisai le sol égyptien en le touchant pour la première fois,, après l'avoir si long-temps désiré. A peine dé- barqués , nous fûmes entourés par des conduc- teurs d'ânes (ce sont les fiacres du pays), et, montés sur ces nobles coursiers, nous entrâmes dans Alexandrie.

Les descriptions que l'on peut lire de cette ville ne sauraient en donner une idée complète ; ce fut pour nous comme une apparition des antipodes , et un monde tout nouveau : des couloirs étroits bordés d'échoppes , encombrés d'hommes de toutes les couleurs , de chiens en- dormis et de chameaux en chapelet ; des cris rauques partant de tous les côtés et se mêlant à la voix glapissante des femmes, ou d'enfants à demi-nus; une poussière étouffante, et par-ci par~là quelques seigneurs magnifiquement ha- billés , maniant habilement de beaux chevaux richement harnachés , voilà ce qu'on nomme une rue d'Alexandrie. Après une demi- heure;

PREMIÈRE LETTRE. 89

de course sur nos ânes et une infinité de de- tours , nous arrivâmes chez M. Drovetti , dont l'accueil empressé mit le comble à toutes nos satisfactions. Surpris toutefois de notre arrivée au milieu des circonstances actuelles, il nous en félicita cependant, et nous donna l'assurance que notre voyage d'exploration ne souffrirait aucune difticulté ; son crédit, fruit de sa con-. diiite noble, franche et désintéressée, qui n'a jamais pour objet que le service de notre mo- narque dont le nom est partout vénéré , et l'honneur de la France, est une garantie suffi- sante de ces promesses. M. Drovetti ajouta encore à ses prévenances, en m'offrantun loge- ment au palais de France, l'ancien quartier-gé- néral de notre armée. J'y ai trouvé un petit appartement très-agréable, c'est celui de Klé- ber, et ce n'est pas sans de vives émotions que je me suis couché dans l'alcove a dormi le vainqueur d'Héliopolis.

Du reste, le souvenir des Français est par- tout dans Alexandrie, tant notre influence y fut douce et équitable. En arrivant, j'ai entendu battre la retraite par les tambours et les fifres égyptiens sur les mêmes airs qu'à Paris. Toutes les anciennes marches françaises pour la troupe ont été adoptées par le Nizam-Gedid , et de vieux Arabes parlent encore en français. H y a trois

46 PREMIÈRE LETTRE.

jours, allant de grand matin visiter l'obélisque de Cléopâtre, et au milieu des collines de sables qui couvrent les débris de l'antique Alexandrie, je rencontrai un Arabe aveugle et âgé, conduit par un enfant: j'approchai, et l'aveugle informé que j'étais Français, me dit aussitôt ces propres mots en me saluant de la main: Bonjour^ ci- toyen ; donne-mol quelque chose; je n'ai pas encore déjeuné. Ne pouvant ni \m voulant ré- sister à une telle éloquence , je mets dans la main de l'Arabe tous les sous de France qui me restaient; en les tâtant il s'écria aussitôt: Cela ne passe plus ici, mon ami. Je substituai à cette monnaie française une piastre d'Egypte : ^h! voilà qui est bon., mon ami , ajouta-l-il; je te remercie , citoyen. De telles rencontres dans le désert valent un bon opéra à Paris.

Je suis déjà familiarisé avec les usages et cou- tumes du pays; le café, la pipe, la siesta , les ânes, la moustache et la chaleur; surtout la sobriété, qui est une véritable vertu à la table de M. Drovetti, nous nous asseyons tous les jours, mes compagnons de voyage et rnoi.

J'ai visité tous les monuments des environs; la colonne de Pompée n'a rien de fort extraordi- naire ; j'y ai trouvé cependant à glaner. Elle re- pose sur un massif construit de débris antiques, et j'ai reconnu parmi ces débris le cartouche de

PREMIÈRE LETTRE. 4'

Psammetichiis IL Je n'ai pas négligé l'inscrip- tion grecque qui dépend de la colonne, et sur laquelle existent encore quelques incertitudes. Une bonne empreinte en papier les fera cesser, et je serai heureux d'exposer sous les yeux de nos savants cette copie fidèle qui doit les mettre enfin d'accord sur ce monument historique. J'ai visité plus souvent les obélisques de Cléopâtre, toujours au moyen de nos roussins , que les jeunes Arabes nomment un bon c<2^«/ (dénomi- nation provençale). De ces deux obélisques, ce- lui qui est debout a été donné au Roi par le pacha d'Egypte , et j'espère qu'on prendra les moyens nécessaires pour faire transporter cet obélisque à Paiis. Celui qui est à terre appar- tient aux Anglais. J'ai déjà copié et fait dessiner sous mes yeux leurs inscriptions hiéroglyphi- ques. On en aura donc , et pour la première fois, je puis le dire, un dessin exact. Ces deux obélisques , à trois colonnes de caractères sur chaque face, ont été primitivement érigés par le roi Mœris devant le grand temple du Soleil à Héliopolis. Les inscriptions latérales sont de Sésosîris, et j'en ai découvert deux autres très- courtes, à la face est^ qui sont du successeur de Sésostris. Ainsi , trois époques sont marquées sur ces monuments ; le antique en granit rose, sur lequel chacun d'eux avait été placé.

[\1 PREMIÈRE LETTRE.

existe encore ; mais j'ai vérifié , en faisant fouil- ler par mes Arabes dirigés par notre architecte M. Bibent , que ce repose sur un socle de trois marches qui est de fabrique grecque ou romaine.

C'est le i[\ août, à huit heures du matin, que nous avons été reçus par le vice-roi. S. A. ha- bite plusieurs belles maisons construites avec beaucoup de soin dans le goût des palais de Gonstantinople ; ces édifices , de belle appa- rence, sont situés dans l'ancienne île du Phare. Nous nous y sommes rendus en corps, pré- cédés de M. Drovetti, tous habillés au mieux, et les uns dans une calèche attelée de deux beaux chevaux conduits habilement à toute bride dans les rues étroites d'Alexandrie par le cocher de M. Drovetti , et les autres montés sur des ânes escortant la calèche.

Descendus au grand escalier de la salle du divan, nous sommes entrés dans une vaste pièce remplie de fonctionnaires , et nous avons été immédiatement introduits dans une seconde salle, percée à jour: dans nn de ses angles, entre deux croisées, était assise S. A , dans un costume fort simple, et tenant dans ses mains une pipe enrichie de diamants. Sa taille est ordi- naire , et l'ensemble de sa physionomie a une teinte de gaîté qui surprend dans un persou-

PftEMiÈRK LETTRE. 4^

nage occupé de si grandes choses. Ses yeux ont une expression très-vive , et une magni- fique barbe blanche couvre sa poitrine. S. A., après avoir demandé de nos nouvelles, a bien voulu nous dire que nous étions les bienvenus, et me questionner ensuite sur le plan de mon voyage. Je l'ai exposé sommairement , et j'ai demandé les firmans nécessaires ; ils m'ont été accordés sur-le-champ , avec deux tchaous du vice-roi, qui nous accompagneront partout. S. A. a ensuite parlé des affaires de la Grèce, et nous a fait part de la nouvelle du jour, qui est la mort d'Ahmed-Pacha, de Patras , hvré à des Grecs introduits dans sa chambre par des soldats infidèles soudoyés. Quoique fort âgé , Ahmed s'est vigoureusement défendu, a tué sept de ses assassins, mais a succombé sous le nom- bre. Le vice-roi nous a fait donner ensuite le café, et nous avons pris congé de S. A., qui nous a accompagnés avec des saints de main très- bienveillants. C'est encore une grâce de plus dont nous sommes redevables aux bontés in- épuisables de^'M. Drovetti.

La commission toscane, conduite par M. Hip. Eosellini , a été reçue aussi le lendemain, aS août, par le vice-roi, présentée par M. Ro- setti , consul-général de Toscane. Elle a reçu le même accueil, les mêmes promesses et la même

44 PREMIÈRE LETTRE.

protection. L'Egypte , disait S. A. , devait être pour lious comme notre pays même; et je suis persuadé que le vice-roi est très-flatté de la con- fiance que nos gouvernements ont mise dans son caractère, en autorisant notre entreprise dans les circonstances actuelles.

Je compte rester à Alexandrie jusqu'au 12 septembre : ce temps est nécessaire pour nos préparatifs. Les chaleurs du Caire, et une ma- ladie assez bénigne qui y règne, baisseront en attendant. Le Nil haussera en même temps. J'ai déjà bu largement de ses eaux que nous apporte le canal construit par l'ordre du pacha, et nom- mé pour cela le Mahmoudiéh. Le fleuve sacré est en bon état; l'inondation est assurée pour le pays bas ; deux coudées de plus suffiront pour le haut. Nous sommes d'ailleurs ici comme dans une contrée qui serait l'abrégé de l'Europe, bien reçus et fêtés par tous les consuls de l'Occident, qui nous témoignent le plus vif intérêt. Nous avons été tous réunis successivement chez MM. Acerbi, Rosetti, d'Anastazy et Pedemonte, consuls d'Autriche, de Toscane, de Suède et de Sardaigne. J'y ai vu aussi M. Méchain, consul de France à Larnaka en Chypre , Irès-recom- mandable sous tous les rapports , et l'un des anciens de l'expédition française en Egypte.

Nous sommes donc au mieux , et nous en

PREMIÈRE LETTRE. 4^

rendons journellement des grâces infinies à la protection royale qui nous devance partout, et aux soins inépuisables de M. Drovetti , qui ne se font attendre nulle part.

Je suis rempli de confiance dans les résultats de notre voyage : puissent-ils répondre aux vœux du gouvernement et à ceux de nos amis! Je ne m'épargnerai en rien pour y réussir. J'écrirai de toutes les villes égyptiennes , quoique les bu- reaux de poste des Pharaons n'y existent plus : je réserverai les détails sur les magnificences de Thèbes pour notre vénérable ami M. Dacier; ils seront peut-être un digne et juste hommage au Nestor des hommes aimables et des hommes instruits. J'ai reçu les lettres de Paris de la fin de juillet par le lyîsus, arrivé en onze jours. Adieu.

DEUXIEME LETTRE.

Alexandrie, le i4 septembre 1828.

Mon déjDart pour le Caire est définitivement arrêté pour demain , tous nos préparatifs étant heureusement terminés , ainsi que ce que je puis appeler l'organisation de l'expédition , chacun ayant sa part officielle d'action pour le hien de tous. Le docteur Ricci est chargé de la santé et des vivres ; M. Duchesne, de l'arsenal; M. Bi- bent, des fouilles, ustensiles et engins; M. Lhôte, des finances; M. Gaëtano Rosellini , du mobilier et des bagages, etc. Nous avons avec nous deux domestiques et un cuisinier arabes; deux autres domestiques barabras; mon homme à moi , So- liman , est un Arabe, de belle mine, et dont le service est excellent.

Deux bâtiments à voile nous porteront sur le

DEUXIÈME LETTRE. 47

Nil; l'un est le plus grand maasch du pays, et il a été monté par S. A. Mehemed-Ali : je l'ai nommé Visis; l'autre est une dahabié , cinq personnes logeront assez commodément ; j'en ai donné le commandement à M. Duchesne , en survivance du bon docteur Raddi, qui doit nous quitter pour aller à la chasse des papillons dans le désert libyque. Cette dahabié a reçu le nom di Athyr: nous voguerons ainsi sous les auspices des deux déesses les plus joviales du Panthéon égyptien. D'Alexandrie au Caire, nous ne nous arrêterons qu'à Kerioun^ l'ancienne Chereus des Grecs, et k Ssa-el-Hagar ^ l'antique Sais. Je dois ces politesses à la patrie (Su rusé Psammé- tichus et du brutal Apriès ; enfin, je verrai s'il reste quelques débris de Siouph à Saouafé , naquit Amasis, et à Sais, quelques traces du collège oii Platon et tant d'autres Grecs allèrent à l'école.

Notre santé se soutient, et l'épreuve du cli- mat d'Alexandrie, qui est une ville toute libyque, est d'un très-bon augure. Nous sommes tous enchantés de notre voyage , et heureux d'avoir échappé aux dépêches télégraphiques qui de- vaient nous retarder. Les circonstances de mau- vaise apparence ont toutes tourné pour nous ; quelques difficultés inattendues sont aplanies (i):

(i) A la veille du départ, les (iimans étaient presque re-

48 DEUXIÈME LETTRE.

nous voyageons pour le Roi et pour la science; nous serons heureux partout.

Je viens à l'instant (8 heures du soir) de pren- dre con£[é du vice-roi. S. A. a été on ne peut pas plus gracieuse; je l'ai priée d'agréer notre gratitude pour la protection ouverte qu'elle veut bien nous assurer. Le vice-roi a répondu que les princes chrétiens traitant ses sujets avec dis- tinction, la réciprocité était pour lui un devoir. Nous avons parlé hiéroglyphes , et il m'a de- mandé une traduction des inscriptions des obé- lisques d'Alexandrie. Je me suis empressé de la lui promettre , et elle lui sera remise demain matin , mise en langue turque par M. le chan- celier du consulat de France. S. A. a désiré sa- voir jusqu'à quel point de la Nubie je pousserai mon voyage, et elle m'a assuré que nous trouve- rions partout honneurs et protection : je lui ai exprimé ma reconnaissance dans les termes les plus flatteurs, et je puis dire qu'il les repoussait d'une manière fort aimable ; ces bons musul- mans nous ont traités avec une franchise qui nous charme. Adieu.

fuses ; le commerce des antiquités redoutait un concurrent. Une lettre vigoureuse, écrite par ChampoUion au ministre <lu vice-roi, détruisit bien vite les effets de cette machina - lion : les firmans furent délivrés le lo septembre. C. F.

TROISIEME LETTRE.

Au Caire, le 27 septembre 1828.

C'est le i4 de ce mois, au matin, que j'ai quitté Alexandrie, après avoir arboré le pavillon de France. Nous avons pris le canal nommé le Mahmoudiéh, auquel ont travaillé MM. Coste et Masi ; il suit la direction générale de l'ancien canal d'Alexandrie, mais il fait beaucoup moins de détours, et se rend plus directement au INil, en passant entre le lac Maréotis, à droite, et celui ù'EdkoUf à gauche. Nous débouchâmes dans le fleuve, le 1 5 de très-bonne heure, et je conçus dès lors les transports de joie des Arabes d'Occident, lorsque, quittant les sables libyques d'Alexandrie , ils entrent dans la branche cano- pique , et sont frappés de la vue des tapis de ver- dure du Delta , couvert d'arbres de toute espèce,

30 TROISIÈME LETTRE.

au-dessus desquels s'élèvent les centaines de mi- narets des nombreux villages qui sont dispersés sur cette terre de prédilection. Ce spectacle est vé- ritablement enchanteur, et la renommée de la fer- tilité delà campagne d'Egypte n'est point exagérée.

Le fleuve est immense , et les rives en sont délicieuses. Nous fîmes une courte halte kFouah, nous arrivâmes à midi. A 7 heures et demie du soir, nous dépassâmes Desouk; c'est le lieu le respectable Sait a expiré il y a quelques mois. Le 16, à 6 heures du matin, je trouvai, en m'éveil- lant, le maasch amarré dans le voisinage de Ssa- el-Hagar, j'avais recommandé d'aborder pour visiter les ruines de Sais, devant lesquelles je ne pouvais passer sans respect. ( Voyez les plan- ches if I et 1.)

Nos fusils sur l'épaule, nous gagnâmes le vil- lage qui est à une demi-heure du fleuve; nos jeunes artistes chassèrent en chemin, et firent lever deux chacals^ qui s'échappèrent à toutes jambes à travers les coups de fusils. Nous nous dirigeâmes sur une grande enceinte que nous apercevions dans la plaine depuis le matin. L'i- nondation, qui couvrait une partie des terrains, nous força de faire quelques détours, et nous passâmes sur une première nécropole égyp- tienne , bâtie en briques crues. Sa surface est couverte de débris de poterie, et j'y ramassai

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quelques fragments de figurines funéraires : la grande enceinte n'était abordable que par une porte forcée tout-à-fait moderne. Je n'essaierai point de rendre l'impression que j'éprouvai après avoir dépassé cette porte, et en trouvant sous rnes yejix des masses énormes de 80 pieds de hauteur, semblables à des rochers déchirés par ia foudre ou par des tremblements de terre. Je courus vers le milieu de cette immense circon- valiation , et reconnus encore des constructions égyptiennes en briques crues, de i5 pouces de long, "7 de large et 5 d'épaisseur. C'était aussi une nécropole ^ et cela nous expliqua une chose jusqu'ici assez embarrassante , savoir ce que fai- saient de leurs momies les villes situées dans la Basse-Egypte, et loin des montagnes. Cette se- conde nécropole de Sais, dans les débris colos- saux de laquelle on reconnaît encore phjsieurs étages de petites chambres funéraires (et il de- vait y en avoir un nombre infini) , n'a pas moins de i4oo pieds de longueur, et près de 5oo de large. Sur les parois de quelques-unes des cham- bres, on trouve encore un grand vase de terre cuite, qui servait à renfermer les intestins des morts, et faisait l'office des vases dits canapés. Nous avons reconnu du bitume au fond de l'un d'entre eux.

A droite et à gauche de cette nécropole exis-

4.

St. m TROISIÈME LETTRt:.

tent deux monticules , sur l'un desquels nous avons trouvé des débris de granit rose, de granit gris, de beau grès rouge et de marbre blanc, dit de Thèbes. Cette dernière particularité in- téressera particulièrement notre ami Dubois, qui a tant travaillé sur les matières employées dans les monuments de l'antiquité; des légendes de Pharaons sont sculptées sur ce marbre blanc, et j'en ai recueilli de beaux échantillons.

Les dimensions de la grande enceinte qui renfermait ces édifices sont vraiment éton- nantes. Leparallélogramme, dont les petits côtés n'ont pas moins de i/i4o pieds, et les grands 2160 , a ainsi plus de 7000 pieds de tour. La hauteur de cette muraille peut être estimée à 80 pieds, et son épaisseur mesurée est de 54 pieds: on pourrait donc y compter les grandes briques par millions.

Cette circonvallation de géant me paraît avoir renfermé les principaux édifices sacrés de Sais. Tous ceux dont il reste des débris étaient des nécropoles ; et , d'après les indications fournies par Hérodote , l'enceinte que j'ai visitée renfer- merait les tombeaux ^Apries et des rois Salles ses ancêtres. De l'autre côté de ceux-ci , serait le monument funéraire de l'usurpateur ^w^^w. La partie de l'enceinte, vers le Nil, a pu aisé- ment contenir le grand temple de Néith , la

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TROISIÈME LETTRE, 53

grande déesse de Sais; et nous avons donné la chasse à coups de fusil à des chouettes, oiseau sacré de Minerve ou Néith, que les médailles de Sais et celles d'Athènes sa fille portent pour armes parlantes. A quelques centaines de toises de l'angle voisin de la fausse porte , existent des collines qui couvrent une 3* nécropole. Elle était celle des gens de qualité : on y a déjà fouillé , et j'y ai vu un énorme sarcophage en basalte vert, celui d'un gardien des temples sous Psammétichus II. M. Rosetti , son possesseur ,, m'avait permis de l'emporter; mais la dépense serait trop considérable, et le monument n'est pas assez important pour la risquer. A mon retour en Basse-Egypte , je ferai faire des fouilles sur ce point-là et sur quelques antres, si l'état des fonds me le permet. Cette dernière remarque est importante; avec peu de fonds on peut faire beaucoup, et je serais affligé de quitter ce pays sans avoir pu assurer, à peu de frais, l'acqui- sition de monuments de choix, les plus propres à enricher nos collections royales , et à éclairer les travaux historiques de nos savants. J'ai l'es- poir qu'on voudra bien m'aider pour l'accom- plissement de ces vues d'une utilité incontes- table.

Cette première visite à Sais ne sera pas la dernière; je quittai ce lieu à 6 heures du soir^

54 TROISrÙMfc: LIiTTKt.

I.e lendemain, 17 septembre, nous passâmes de- vant Schabour. Le 1 8 , à 9 heures du matin, nous fimes halte à Nader, des Almèh nous donnèrent xm concert vocal et instrumental , suivi des gambades et des chants grotesques habituels aux baladins. A midi et demi , nous étions devant Tharranéh ^ je vis des monti- cules de natron , transportés des lacs qui le pro- duisent. Le soir nous dépassâmes Mit-Salamêh, triste village assis dans le désert libyque;et, faute de vent, nous passâmes une partie de la nuit sur le rive verdoyante du Delta, près du village ôi A schmoun . Le 19 au matin, nous vîmes enfin les Pyramides, dont on pouvait déjà ap- précier les masses, quoique nous fussions à 8 lieues de distance. A une heure trois quarts , nous arrivâmes au sommet du Del ta ( Balhii-el-Bcikaïah^ le Ventre-de-la- Vache), à l'endroit même le fleuve se partage en deux branches, colle dello- sette et celle deD.imiette.La vue est magnifique, et la largeur du Nil étonnante. A l'occident, les Py- ramides s'élèvent au milieu des palmiers; una multitude de barques et de bâtiments se croisent dans tous les sens; à l'orient, le village très-piUo- resque de5c/?o/Y{/lV/, dans la direction d'Héli opo- lis : le fond du tableau est occupé par le mont Mokaltam^ que couronne la citadelle du Caire, et dont la base est cachée par la forêt de minarets

TROfSliîME LETTRE. 55

de cette grande capitale. A 3 heures, nous vîmes le Caire plus distinctement : c'est que les ma- telots vinrent nous demander le bakschis de bonne arrivée. L'orateur était accompagné de deux camarades habillés d'une façon très-bizarre: des bonnets en pain de sucre , bariolés de cou- leurs tranchantes; des barbes et d'énormes mous- taches d'étoupe blanche; des langes étroits, ser- rant et dessinant toutes les parties de leur corps; et chacun d'eux s'était ajusté d'énormes acces- soires en linge blanc fortement tordu. Ce cos- tume, ces insignes et leurs postures grotesques, figuraient au mieux les vieux faunes peints sur les vases grecs d'ancien style. Quelques minutes après , notre maasch donna sur un banc de sa- ble, et fut arrêté tout court ; nos matelots se je- tèrent au Nil pour le dégager, en se servant du nom ^ Allah , et bien plus efficacement de leurs larges et robustes épaules; la plupart de ces ma- riniers sont des Hercules admirablement taillés, d'une force étonnante, et ressemblant , quand ils sortent du fleuve, à des statues de bronze nouvellement coulées. Ce travail d'une demi- heure suffit pour dégager le bâtiment. Nous pas- sâmes (\e\?kuX. Embabch^ et après avoir salué le champ de bataille des Pyramides , nous abor- dâmes au port de Boulaq y à 5 heiu'es précises. La journée du 20 se passa en préparatifs de dé^

56 TROISIÈME LETTRK.

part pour le Caire , et plusieurs conTois d'àues et de chameaux transportèrent en ville nos lits, malles et effets, pour meubler la maison que j'avais fait louer d'avance. A 5 heures du soir , suivi de ma caravane , et enfourchant nos ânes, bien plus beaux que ceux d'Alexandrie, je partis pour le Caire. Le janissaire du consulat ouvrait la marche, le drograan était avec moi, et toute la jeunesse paradait à ma suite : je m'aperçus que cela ne déplaisait nullement aux Arabes, qui criaient Fransaouï (Français) avec une cer- taine satisfaction.

Nous arrivions au Caire au bon moment; ce jour-là et le lendemain étaient ceux de la fête que les musulmans célébraient pour la naissance du Prophète. La grande et importante place à'Ezbékiéh, dont l'inondation occupe le miUeu, était couverte de monde entourant les baladins, les danseuses, les chanteuses, et de très-belles tentes sous lesquelles on pratiquait des actes de dévotion. Ici, des musulmans assis lisaient en cadence des chapitres du coran; là, 3oo dé- vots , rangés en lignes parallèles, assis, mouvant incessamment le haut de leur corps en avant et en arrière comme des poupées à charnière, chan- taient en choeur, La- Allah- EIV Allah (Il n'y u point d'autre Dieu que Dieu) ; plus loin , 5oo énergumènes, debout, rangés circulairement

TROISIÈME LETTRE. 57

et se sentant les coudes , sautaient en cadence , et poussaient , du fond de leur poitrine épuisée, le nom (^ Allah , mille fois répété, mais d'un ton si sourd , si caverneux , que je n'ai entendu de ma vie un chœur plus infernal : cet effroya- ble bourdonnement semblait sortir des profon- deurs du Tartare. A côté de ces religieuses dé- monstrations , circulaient les musiciens et les filles de joie; des jeux de bagues, des escarpo- lettes de tout genre étaient en pleine activité : ce mélange de jeux profanes et de pratiquas re- ligieuses, joint à l'étrangeté des figures et à l'ex- trême variété des costumes, formait un specta- cle infiniment curieux , et que je n'oublierai jamais. En quittant la place, nous traversâmes une partie de la ville pour gagner notre loge- ment.

On a dit beaucoup de mal du Caire : pour moi , je m'y trouve fort bien ; et ces rues de 8 à lo pieds de largeur, si décriées, me paraissent parfaitement bien calculées pour éviter les trop grandes chaleurs. Sans être pavées , elles sont d'une propreté fort remarquable. Le Caire est une ville tout-à-fait monumentale: la plus grande partie des maisons est en pierre , et à chaque instant on y remarque des portes sculptées dans le goût arabe : une multitude de mosquées , plus élégantes les unes que les autres , couvertes

58 TROISIÈME LETTRE.

d'arabesques du meilleur goût, et ornées de mi- narets admirables de richesse et de grâce, don- nent à cette capitale un aspect imposant et très-varié. Je l'ai parcourue dans tous les sens, et je découvre chaque jour de nouveaux édi- fices que je n'avais pas encore soupçonnés. Grâces à la dynastie des Thouloumides , aux califes Falhimites ^ aux sullans Ajouhites ^ et aux mamelouks Baharites , le Caire est encore une ville des Mille et une Nuits, quoique la barbarie ait détruit ou laissé détruire en très-grande par- tie les délicieux produits des arts et de la civi- lisation arabes. J'ai fait mes premières dévotions dans la mosquée de Thoidoiim , édifice du IX"" siècle, modèle d'élégance et de grandeur, que je ne puis assez admirer, quoique à moitié ruiné. Pendant que j'en considérais la porte, un vieux scheïkxne fît proposer d'entrer dans la mosquée: j'acceptai avec empressement , et, franchissant lestement la première porte, on m'arrêta tout court à la seconde : il fallait entrer dans le lieu saint sans chaussure ; j'avais des bottes , mais j'étais sans bas ; la difficulté était pressante. Je quitte mes bottes , j'emprunte un mouchoir à mon janissaire pour envelopper mon pied droit, un autre mouchoir à mon domestique nubien Mohammed, pour ^lon pied gauche, et me voilà sur le parquet en marbre de l'enceinte sa^

TROISIÈME LETTRE. 5c)

crée; c'est sans contredit le plus beau mo- nument arabe qui reste en Es^ypte. La dé- licatesse des sculptures est incroyable, et cette suite de portiques en arcades est d'un effet charmant. Je ne parlerai ici ni des autres mosquées, ni des tombeaux des califes et des sultans mamelouks, qui forment autour du Caire une seconde ville plus magnifique encore que la première; cela me mènerait trop loin , et c'en est assez de la vieille Egypte, sans m'occu- per de la nouvelle.

Lundi 22 septembre, je montai à la citadelle du Caire , pour rendre visite à Habid-Effendi , gouverneur, et l'un des hommes les plus estimés par le vice-roi. Il me reçut fort agréablement, causa beaucoup avec moi sur les monuments de la Haute-Egypte , et me donna quelques conseils pour les étudier plus à l'aise. En sortant de chez le gouverneur , je parcourus la citadelle , et je trouvai d'abord des blocs énormes de grès, por- tant un bas-relief, est figuré le roi Psammé- ticlius // , faisant la dédicace d'un propylon: je l'ai fait copier avec soin. D'autres blocs épars, et qui ont appartenu au morne monument de Memphis d'où ces pierres ont été apportées, m'ontoffert une particularité fort curieuse. Cha- cune de ces pierres, parf^iitement dressées et taillées, porte uwç, marque constatant sous quel

6o TROISIÈME LETTRE.

roi le bloc a été tiré de la carrière ; la légende royale , accompagnée d'un titre qui fait con- naître la destination du bloc pour Memphis , est gravée dans une aire carrée et creuse. J'ai re- cueilli sur divers blocs les marques de trois rois: Psammétichus 11^ Apriés , son fils, et Amasis, successeur de ce dernier: ces trois légendes nous donnent donc la durée de la construction de l'édifice dont ces blocs faisaient partie. Un peu plus loin , sont les ruines du palais royal du fa- meux Salahh-Eddin (le sultan Saladin), le chef de la dynastie des Ayoubites ; un incendie a dé- voré les toits, il y a 4 ans, et depuis quelques mois, on démolit parfois ce qui reste de ce grand et beau monument: j'ai pu reconnaître une salle carrée, la principale du palais. Plus de 3o colonnes do granit rose, portant encore les traces de la dorure épaisse qui couvrait leur fût, sont debout , et leurs énormes chapiteaux de sculpture arabe , imitation grossière de vieux chapiteaux égyptiens, sont entassés sur les dé- combres. Ces chapiteaux, que les Arabes avaient ajoutés à ces colonnes grecques ou romaines, sont tirés de blocs de granit enlevés aux ruines de Memphis , et la plupart portent encore des traces de sculptures hiéroglyphiques: j'ai même trouvé sur l'un d'entre eux , à la partie qui

TROISIÈME LETTRE. 6l

joignait le fût à la colonne, un bas-relief repré- sentant le roi Nectanèbe , faisant une offrande aux dieux. Dans une de mes courses à la cita- delle , je suis allé plusieurs fois pour faire dessiner les débris égyptiens, j'ai visité le fameux puits de Joseph , c'est-à-dire le puits que le grand Saladin (Salahh-Eddin-Joussouf) a fait creuser dans la citadelle, non loin de son palais; c'est un grand ouvrage. J'ai vu aussi la ménagerie du pacha, consistant en un lion, deux tigres et un éléphant ; je suis arrivé trop tard pour voir l'hippopotame vivant : la pauvre béte venait de mourir d'un coup de soleil, pris en faisant sa siesta sans précaution; mais j'en ai vu la peau empaillée à la turque, et pendue au-dessus de la porte principale de la citadelle. J'ai visité avant- hier Maharnmed- Bej ^ defterdar (trésorier) du pacha. Il m'a fait montrer la maison qu'il con- struit à Boulaq sur le Nil , et dans les murailles de laquelle il a fait encastrer, comme ornement, d'assez beaux bas-reliefs égyptiens , venant de Sakkarah ; c'est un pas fort remarquable, fait par un des ministres du pacha, assez renommé pour son opposition à la réforme.

J'ai trouvé ici notre agent consulaire , M. Der- che, malade, et, parmi les étrangers, lord Prud- hoe, M. Burton et le major Félix, Anglais, qui

6-2 TROISIÈME LETTRF.

s'occupent beaucoup d'hiéroglyphes, et qui me comblent de bontés. Je n'ai encore fait au- cune acquisition : je présume que notre arrivée a fait hausser le prix des antiquités ; mais cela ne peut durer long-temps. Je pars demain ou après pour Memphis ; je ne reviendrai pas au Caire cette année ; nous débarquerons près de Mit-Rahiné (le centre des ruines de la vieille ville), je m'établirai ; je pousserai de des reconnaissances sur Sakkarah^ Dahschour ettoute la plaine de Memphis ^ jusqu'aux grandes pyra- mides de Gizéli , d'oii j'espère dater ma pro- cliaine lettre. Après avoir couru le sol de la se- conde capitale égyptienne, je mets le cap sur Tlîèbes, je serai vers la fin d'octobre, après m'être arrêté quelques heures à Abydos et à Dendéra. Ma santé est toujours excellente et meilleure qu'en Europe ; il est vrai que je suis un homme tout nouveau: ma tête rasée est cou- verte d'un énorme turban ; je suis complète- ment habillé à la turque, une belle moustache couvre ma bouche, et un large cimeterre pend à mon coté: ce costume est très-chaud, et c'est justement ce qui convient en Egypte; ony sue à plaisir et l'on s'y porte de même. Les Arabes me prennent partout pour un naturel; dans peu je pourrai joindre l'illusion de la parole à celle des

TROISIÈME LETTRE. 63

habits ; je débrouille mon arabe , et à force de jargonner, on ne me prendra plus pour un dé- butant. J'ai déjà recueilli des coquilles du Nil

pour M. de Férussac J'attends impatiemment

des lettres de Paris Adieu.

QUATRIEME LETTRE.

Sakkarah, le 5 octobre 1828.

Nous sommes restés au Caire jusqu'au 3o sep- tembre, et le soir du même jour nous avons couché dans notre maasch^ afin de mettre à la voile le lendemain de bonne heure pour gagner l'ancien emplacement de Memphis. Le i" octobre, nous passâmes la nuit devant le village de Massarah^ sur la rive orientale du Nil, et le lendemain, à six heures du matin , nous courûmes la plaine pour atteindre des grandes carrières que je voulais visiter, parce que Memphis, sise sur la rive op- posée, et précisément en face, doit être sortie de leurs vastes flancs. La journée fut excessivement pénible ; mais je visitai presque une à une toutes les cavernes dont le penchant de la montagne de Thorrah est criblé. J'ai constaté que ces carrières

gÙATRIK.MF LETTRE. 65

de beau calcaire blanc ont été exploitées à toutes les époques, et j'ai trouvé une inscription datée du mois de Paoplii de l'an IV de l'empereur .Au- guste ; i'^ une seconde inscription de Tan VII, même mois, d'un Ptolémée, qui doit être Solerl"^ puisqu'il n'y a pas de surnom ; une inscription de l'an II du roi Acoris^ l'un des insurgés contre les Perses; enfin deux de ces carrières et les plus vastes ont été ouvertes l'an XXII du roi Amosis ^ le père delà 1 8^ dynastie, comme portent tex- tuellement deux belles stèles sculptées à même dans le roc, à coté des deux entrées. Ces mêmes stèles indiquent aussi que les pierres de cette carrière ont été employées aux constructions des temples de Phtha, d'Apis et à'Ammon à Mem- phis, et cette indication donne la date de ces mêmes temples bien connus de l'antiquité. J'ai trouvé aussi, dans une autre carrière, pour l'é- poque pharaonique , deux monolithes tracés à l'encre rouge sur les parois , avec une finesse extrême et une admirable sûreté de main ; la corniche de l'un de ces monolithes, qui n'ont été que mis en projet, sans commencement d'exé- cution , porte le prénom et le nom propre de Psammétichus 1". Ainsi , les carrières de la mon- tagne arabique, entre Thorrah^i Massarah , ont été exploitées sous les Pharaons, les Perses, les Lagides, les Romains et dans les temps modernes:

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66 QllATRifîME LETTRE.

j'ajoute que cela tient à leur voisinage des capi- tales successives de l'Egypte, Memphis^ Fosthat et le Caire. Rentrés le soir dans nos vaisseaux, comme les Grecs venant de livrer un assaut à la ville de Troie, mais plus heureux qu'eux, puisque nous emportions quelque butin , je fis mettre à la voile pour Bédrécliéin^ village situé à peu de distance sur le bord occidental du Nil. Le lende- main , de bonne heure , nous partîmes pour l'im- mense bois de dattiers qui couvre l'emplacement de Memphis : passé le village de Bédréchéin^ qui est à un quart d'heure dans les terres, on s'aper- çoit qu'on foule le sol antique d'une grande cité, aux blocs de granit dispersés dans la plaine, et à ceux qui déchirent le terrain et se font encore jour à travers les sables, qui ne tarderont pas à lesrecouvrir pour jamais. Entre ce village et celui de Mit-Rahinéh , s'élèvent deux longues collines parallèles, qui m'ont paru être les éboulements d'une enceinte immense, construite en briques crues comme celle de Sais, et renfermant jadis les principaux édifices sacrés de Memphis. C'est dans l'intérieur de cette enceinte que nous avons vu le grand colosse exhumé par M. Caviglia. Il me tardait d'examiner ce monument, dont j'avais beaucoup entendu parler, et j'avoue que je fus agréablement surpris de trouver un magnifique morceau de sculpture égyptienne. Le colosse,

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Portrait de SllSOSTRlS . Colosse renversé «le Mempliis

QUATRIÈME LETTRE. 67

dont une partie des jambes a disparu , n'a pas moins de 34 pieds et demi de long. Il est tombé la face contre terre , ce qui a conservé le visage parfaitement intact. Sa physionomie suffit pour me le faire reconnaître comme une statue de Sésostris, car c'est en grand le portrait le plus fidèle du beau Sésostris de Turin ; les inscriptions des bras, du pectoral et de la ceinture, confir- mèrent mon idée, et il n'est plus douteux qu'il existe, à Turin et à Memphis, deux^or/zw//^ du plus grand des Pharaons. J'ai fait dessiner cette tète avec un soin extrême (P/. 3.), et relever toutes les légendes. Ce colosse n'était point seul; et si j'obtiens des fonds spéciaux pour des fouilles en grand à Memphis, je puis répondre, en moins de trois mois, de peupler le Musée liu I^ouvre de statues des plus riches matières et du plus grand intérêt pour l'histoire. Ce colosse, devant lequel sont de grandes substructions calcaires , était, selon toute apparence, placé devant une grande porte et devait avoir des pendants : j'ai fait faire quelques fouilles pour m'en assurer, mais le temps me manquera. Un peu plus loin et sur le même axe, existent encore de petits co- losses du même Pharaon, en granit rose, mais en fort mauvais étal. C'était encore une porte.

Au nord du colosse exista un temple de Vénus illathôf)^ construit en calcaire blanc, et hors de

5.

68 QUATRIEME LETTRE.

la grande enceinte, du côté de l'orient: j'ai con- tinué des fouilles commencées par 'Caviglia ; le résultat a été de constater dans cet endroit même l'existence d'un temple orné de colonnes-pilastres accouplées, et en granit rose, et dédié à Phtha et à Hathôr{yu\c'A\r\ et Vénus), les deux grandes divinités de Memphis, par Ramsès-le-(jrand. L'en- ceinte principale renfermait aussi, du côté de l'est, une vaste nécropole semblable à celle que j'ai reconnue à Sais.

C'est le 4 octobre que je suis venu camper à Sakkarah^ car nous sommes sous la tente; une d'elles est occupée par nos domestiques : tous les soirs, sept ou huit Bédouins choisis d'avance font la garde de nuit et les commissions le jour; ce sont de braves et excellentes gens, quand on les traite en hommes.

J'ai visité ici,à Sakkarah, la plaine des momies, l'ancien cimetière de Memphis, parsemé de py- ramides et de tombeaux violés. Cette localité, grâces à la rapace barbarie des marchands d'an- tiquités, est presque tout-à-fait nidle pour l'étude: les tombeaux ornés de sculptures sont, pour la plupart, dévastés, ou recomblés après avoir été pillés. Ce désert est affreux, il est formé par une suite de petits monticules de sable produits des fouilles et des bouleversements, le touj parseuié d'ossements humains, débris des vieilles généra-

QUATRIÈME LETTRE, 69

tions. Deux tombeaux seuls ont attiré notre at- tention, et m'ont dédommagé du triste aspect de ce champ de désolation. J'ai trouvé , dans !'un d'eux, une série d'oiseaux sculptés sur les parois, et accompagnés de leurs noms en hiéroglyphes ; cinq espèces de gazelles avecleurs noms; et enfin quelques scènes domestiques, telles que l'action de traire le lait, deux cuisiniers exerçant leur art, etc. Nos portefeuilles se grossissent du fruit de ces découvertes.... Adieu.

CINQUIEME LETTRE.

Au pied des pyramides deGizéh, le 8 octobre 18-28.

J'ai transporté mon camp et mes pénates à l'ombre des grandes pyramides, depuis hier que, quitlantSakkarah pourvisiter l'une des merveilles du monde, sept chameaux et vingt ânes ont transporté nous et nos bagages à travers le désert qui sépare les pyramides méridionales de celles de Gizéh , les plus célèbres de toutes, 'et qu'il me fallait voir enfin avant de partir pour la Haute- Egypte. Ces merveilles ont besoin d'être étu- diées de près pour être bien appréciées; elles semblent diminuer de hauteur à mesure qu'on en approche, et ce n'est qu'en touchant les blocs île pierre dont elles sont formées , qu'on a une idée juste de leur masse et de leur immensité. II y a peu àfaire ici , et lorsqu'on aura copié des scènes

CINQUIÈME LETTRE. '] X

de la vie domestique, sculptées dans un tombeau voisin de la deuxième pyramide, je regagnerai nos embarcations qui viendront nous prendre à Gizéh , et nous cinglerons à force de voiles pour la Haute-Egypte , mon véritable quartier-général. Thèbes est là, et on y arrive toujours trop tard. Sauf un peu de fatigue de la journée d'hier, nous nous portons fort bien. Mais point encore de nouvelles d'Europe! Adieu.

SIXIEME LETTRE.

Béni-Hassan, le 5,et à Monfalouth, le 8 novembre 18-28.

Je comptais être à Thèbes le 1" novembre ; voici déjà le 5, et je me trouve encore à Béni- Hassan: C'est un peu la faute de ceux qui ont déjà décrit les hypogées de cette localité, et en ont donné une si mince idée. Je comptais expé- dier ces grottes en une journée ; mais elles en ont pris quinze, sans que j'en éprouve le moindre regret; je vais reprendre mon récit de plus haut.

Ma dernière lettre était datée des grandes py- ramides , je suis resté campé trois jours, non pour ces masses énormes et de si peu d'effet lorsqu'on les voit de près, mais pour l'examen et le dépouillement des grottes sépulcrales creu- sées dans le voisinage. Une, entre autres, celle d'un certain Eimaï, nous a fourni une série de

SIXIÈME LETTRE. ']'^

bas-reliefs très-curieux pour la connaissance des arts et métiers de l'ancienne Egypte, et je dois donner un soin très-particulier à la recherche des monuments de ce genre, qui sont aussi bien de l'histoire que les grands tableaux de bataille des palais de Thèbes. J'ai trouvé autour des pyra- mides plusieurs tombeaux de princes (fils de rois) et de grands personnages, mais peu d'inscrip- tions d'un très-grand intérêt.

Je quittai les pyramides le 1 1 octobre , pour re- venir sur mes pas et gagner notre ancien campe- ment de Sakkarah , à travers le désert , et de notre flotte^ mouillée à Bédréchéin^oii nous ar- rivâmes le soir même , grâce à nos infatigables baudets et aux chameaux qui portaient tout notre bagage. Nous mîmes à la voile pour la Haute- Egypte, et ce ne fut que le 20 octobre, après avoir éprouvé tout l'ennui du calme plat et du manque total de vent du nord, que nous arri- vâmes à Miniéh^ d'où je fis repartir de suite, après une visite à la filature de coton , montée en machines européennes, et après l'achat de quelques provisions indispensables. On se dirigea sur Saouadéh pour voir un hypogée grec d'ordre dorique^ déjà décrit. De nous cinglâmes vers Zaoïijet-el-Maïetin y nous fûmes rendus le 20 même au soir ; existent quelques hypogées dé- corés de bas-reliefs relatifs à la vie domestique et

^4 SIXIÈME LETTRE.

civile ;i'ai fait copiertout ce qu'il y avait d'intéres- sant, et nous ne les quittâmes que le ^3 au soir , pour courir à Béni-Hassan à la faveur d'une bourrasque, à laquelle nous dûmes d'y arriver le môme jour sur les minuit.

A l'aube du jour, quelques-uns de nos jeunes gens étant allés, en éclaireurs , visiter les grottes voisines, rapportèrent qu'il y avait peu à faire, vu que les peintures étaient à peu près effacées. Je montai néanmoins , au lever du soleil , visiter ces hypogées, et je fus agréablement surpris de trouver une étonnante série de peintures par- faitement visibles jusque dans leurs moindres détails, lorsqu'elles étaient mouillées avec une éponge , et qu'on avait enlevé la croûte de poussière fine qui les recouvrait, et qui avait donné le change à nos compagnons. Dès ce mo- ment on se mit à l'ouvrage, et par la vertu de nos échelles, et de l'admirable éponge, la plus belle conquête que l'industrie humaine ait pu faire, nous vîmes se dérouler à nos yeux la plus ancienne série de peinturesqu'on puisse imaginer, toutes relatives à la vie civile, aux arts et métiers, et ce qui était neuf, à la caste militaire. J'ai fait, dans les deux premiers hypogées , une moisson immense, et cependant une moisson plus riche nous attendait dans les deux tombes les plus re- culées vers le nord : ces deux hypogées, dont

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SIXIÈME LETTUK. yO

l'architecture et quelques détails intérieurs ont été mal reproduits, offrent cela de particulier (ainsi que plusieurs petits tombeaux voisins), que la porte de l'hypogée est précédée d'un portique taillé à jour dans le roc, et formé de colonnes qui ressemblent, à s'y méprendre à la première vue, au dorique grec de Sicile et d'Italie. Elles sont cannelées, à base arrondie, et presque toutes d'une belle proportion. L'intérieur des deux der. niers hypogées était ou est encore soutenu par des colonnes semblables : nous y avons tous vu le véritable type du vieux dorique grec , et je l'affirme sans craindre d'établir mon opinion sur des monuments du temps romain, car ces deux hypogées, les plus beauxde tous, portent leur date et appartiennent au règne iVOsortasen, deuxième roi de la aS^ dynastie (Tanite), et par conséquent remontent au IX^ siècle avant J.-C. J'ajouterai que le plus beau des deux portiques, encore intact, celui de l'hypogée d'un chef administrateur des terres orientales de l'Heptanomide , nommé IVé- hôthph^ est composé de ces colonnes doriques SAKS BASE , comme à Pœstum et dans tous les beaux temples grecs-doriques. (/*/. 4-)

Les peintures du tombeau de Néhôthp/i sont de véritables gouaches^ d'une finesse et d'une beauté de dessin fort remarquables : c'est ce que j'ai vu de plus beau jusqu'ici en Egypte; les ani-

■76 SIXIÈME LETTRE.

maux, quadrupèdes, oiseaux et poissons, y sont peints avec tant de finesse et de vérité, que les copies coloriées que j'en ai fait prendre ressem- blent aux gravures coloriées de nos beaux ou- vrages d'histoire naturelle : nous aurons besoin de l'affirmation des quatorze témoins qui les ont vues, pour qu'on croie en Europe à la fidélité de nos dessins, qui sont d'une exactitude parfaite. C'est dans ce même hypogée que»j'ai trouvé un tableau du plus haut intérêt : il représente quinze prisonniers, hommes, femmes ou enfants, pris par un des fils de IVéhothph, et présentés à ce chef par un scribe royal, qui offre en même temps une feuille de papyrus, sur laquelle est re- latée la date de la prise, et le nombre des captifs, qui était de 37. Ces captifs, grands et d'une phy- sionomie toute particulière, à nez aquilin pour la plupart, étaient blancs comparativement aux Egyptiens,puisqu'on a peint leurs chairsenjaune- roux pour imiter ce que nous mommons la cou- leur de chair. Les hommes et les femmes sont habillés d'étoffes très-riches , peintes (surtout celles des femmes) comme le sont les tuniques de damesgrecquessurlesvasesgrecsdu vieux style: la tunique , la coiffure et la chaussure des femmes captives peintes à Béni-Hassan, ressemblent à celles des grecques des vieux vases, et j'ai re- trouvé sur la robe d'une d'elles l'ornement en-

SIXIEME LETTRE. ^y

roulé si connu sous le nom de grecque , peint en rouge, bleu et noir, et tracé verticalement. Ces détails piqueront la curiosité et réveilleront l'in- térêt de nos archéologues et celui de notre ami M. Dubois (i), que j'ai regretté, ici plus qu'ail- leurs , de n'avoir pas à mes côtés , parce que notre opinion sur l'avancement de l'artenÉgypte y trouve des preuves archi- authentiques. Les hommes captifs, à barbe pointue, sont armés d'arcs et de lances, et l'un d'entre eux tient en main une Ijre grecque de vieux style. Sont-ce des Grecs? Je le crois fermeme«t, mais des Grecs ioniens, ou un peuple d'Asie-Mineure, voisin des colonies ioniennes et participant de leurs mœurs et de leurs habitudes : ce serait une chose bien curieuse que des Grecs dulX^ siècle avant J.-C, peints avec fidélité par des mains égyptiennes. J'ai fait copier ce long tableau en couleur avec une exactitude toute particulière : pas un coup de pinceau qui ne soit dans l'original.

Les quinze jours passés à Béni-Hassan ont été monotones, mais fructueux : au lever du soleil , nous montions aux hypogées dessiner, colorier et

(i) M. Duboià fait partie de la commission de savants et d'artistes envoyés en Morée par le gouvernement. Il est charge de diriger la partie archéologique des recherches qui seront faites dans ces contrées. ( Note de l'Éditeur.)

^O SIXIÈME LETTRE.

écrire, en donnant nne heure au plus à un mo- deste rej3as, qu'on nous apportait des barques, pris à terre sur le sable , dans la grande salle de l'hypogée, d'où nous apercevions, à travers les colonnes en dorique primitif , les magnifiques plaines de l'Heptanomide ; le soleil couchant, admirable dans ce pays-ci, donnait seul le signal du repos; on regagnait la barque pour souper, se coucher et recommencer le lendemain.

Cette vie de tombeaux a eu pour résultat un portefeuillede dessins parfaitement faits et d'une exactitude complète, qui s'élèvent déjà à plus de 3oo. J'ose dire qu'avec ces seules richesses, mon voyage d'Egypte serait déjà bien rempli, à l'ar- chitecture près, dont je ne m'occupe que dans les lieux qui n'ont pas été visités ou connus. Voici un péti^ crajon mes conquêtes: cette note sera divisée par matières, alphabétiquement rangées comme l'est mon portefeuille pendant le voyage, afin d'avoir sous la main les dessins déjà faits, et de pouvoir les comparer vite avec les monuments nouveaux du même genre.

Agriculture. Dessins représentant le la- bourage avec les boeufs ou à bras d'hommes ; le semage, le foulage des terres par les béliers, et non par les porcs ^ comme le dit Hérodote; cinq sortes de charrue; le piochage, la moi^on du blé ; la moisson du lin; la mise en gerbe de

SIXIÈME LETTRE. 79

ces deux espèces de plantes ; la mise en meule, le battage, le raesnrage, le dépôt en grenier; deux dessins de grands greniers sur des plans différents; le lin transporté par des ânes; une foule d'autres travaux agricoles, et entre autres la récolte du lotus; la culture de la vigne, la vendange, son transport, l'égrenage, le pressoir de deux espèces, l'un à force de bras et l'autre à mécanique, la mise en bouteilles ou jarres, et le transporta la cave; la fabrication du vin cuit, etc.; la culture du jardin, la cueillette des bamieh, des figues, etc.; la culture de l'ognon, l'arrosage, etc.; le tout , comme tous les tableaux suivants , avec légendes hiéroglyphiques explicatives; plus V intendant de la maison des champs et ses se- crétaires,

'jP Arts et Métiers. Collection de tableaux, pour la plupart coloriés, afin de bien déterminer la nature des objets, et représentant: le sculpteur en pierre, le sculpteur sur bois, le peintre de statues , le peintre d'objets d'architecture; meu- bles et menuiserie ; le peintre peignant un tableau, avec son chevalet; ^q's, scribes et commis aux écri- tures de toute espèce; les ouvriers des carrières transportant des blocs de pierre; l'art du potier avec toutes les opérations ; les marcheurs pétris- sant la terre avec les pieds, d'autres avec les mains; la mise de l'argile en cône, le cône placé

tSo SIXIÈME LETTRl'.

sur le tour ; le potier faisant la panse , le gou- lot du vase, etc.; la i^^ cuite au four, la seconde au séchoir, etc.; la coupe du bois; les fabricants de cannes, d'avirons et de rames ; le charpentier, le menuisier; le fabricant de meubles; les scieurs de bois; les corroyeurs ; le coloriage des cuirs ou maroquins; le cordonnier ; la filature; le tis- sage des toiles à divers métiers; le verrier et toutes ses opérations; l'orfèvre, le bijoutier, le forgeron,

'6° Caste Militaire. L'éducation de la caste militaire et tous ses exercices gymnastiques, re- présentés en plus de 200 tableaux, sont re- tracées toutes les poses et attitudes que peuvent prendre deux habiles lutteurs, attaquant, se dé- fendant, reculant, avançant, debout, renver- sés, etc.; on verra par si l'art égyptien se con- tentait de figures de profil, les jambes unies et les bras collés contre les hanches. J'ai copié toute cette curieuse série de militaires nus, luttant en- semble ; plus, une soixantaine de figures repré- sentant des soldats de toute arme, de tout rang, la petite guerre, un siège, la tortue et le bélier, les punitions militaires, un champ de bataille, et les préparatifs d'un repas militaire; enfin la fa- brication des lances, javelots, arcs, flèches, mas- sues, haches d'armes, etc.

4*^ Chant, Musique et Danse. Un tableau

SIXlisME LETTRE. 8l

représentant un concert vocal et instrumental; un chanteur, qu'un musicien accompagne sur la harpe, est secondé par deux chœurs, l'itn de quatre hommes, l'autre de cinq femmes, et celles- ci battent la mesure avec leurs mains : c'est un opéra tout entier; des joueurs de harpe de tout sexe, des joueurs Aq flûte truK'ersière ^ de flageo- let , d'une sorte de conque , etc.; des danseurs faisant diverses figures, avec les noms des pas qu'ils dansent ; enfin , une collection très-curieuse de dessins représentant les danseuses ( ou filles publiques de l'ancieime Egypte), dansant, chan- tant , jouant à la paume , faisant divers tours de force et d'adresse,

5" Un nombre considérable de dessins repré- sentant I'Education des bestiaux; les bouviers, les boeufs de toute espèce, les vaches, les veaux, le tirage du lait ; la fabrication du fromage et du beurre; les chevriers, les gardeurs d'ânes, les bergers et leurs moutons; des scènes relatives à l'art vétérinaire; enfin la basse-coiu-, comprenant l'éducation d'une foule d'espèce d'oies et de ca- nards,et celle d'une espèces de cigogne (jui était domestique dans l'ancienne Egypte.

6" Une première base du recueil Iconogra- phique, comprenant \es portraits des rois égyp- tiens et de grands personnages. Ce portefeuille sera complété en Thébaïde.

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Sa SIXIÈME LETTRE.

Dessins relatifs aux Jeux , Exercices et Di- vertissements.— On y remarque la moiirre ^ le jeu '^le la paille, une sorte de main-chaude^ le mail, le jeu de piquets plantés en terre ^ divers jeux de force; la chasse à la béte fauve, un ta- bleau représentant une grande chasse dans le dé- sert, et sont figurées i5 à 20 espèces de qua- drupèdes; tableaux représentant le retour de la chasse; le gibier est porté mort ou conduit vi- vant; plusieurs tableaux représentent la chasse des oiseaux au filet ; un de ces tableaux est de grande dimension et gouache avec toutes les couleurs et le faire de l'original; enfin, le dessin en grand des divers pièges pour prendre les oi- seaux ; ces instruments de chasse sont peints isolément dans quelques hypogées; plusieurs ta- bleaux relatifs à la pèche: la pèche à la ligne; à la ligne avec canne; au trident ou au bi- dent\ ail filet; plus la préparation des pois- sons, etc.

Justice domestique. J'ai réuni sous ce titre une quinzaine de dessins de bas -reliefs repré- sentant des délits commis par des domestiques; l'arrestation du prévenu, son accusation, sa dé- fense , son jugement par les intendants de la maison; sa condamnation et Fexécution , qui se borne à la bastonnade , dont procès-verbal est

SJXIÈIME LETTRE. 83

remis, avec le corps du procès, entre les mains du maître par l'intendant de la maison.

Le MÉJVA.GE. J'ai réuni dans cette série, déjà fort nombreuse, tout ce qui se rapporte à la vie privée ou intérieure. Ces dessins fort cu- rieux représentent : î° diverses maisons égyp- tiennes, plus ou moins somptueuses; les vases de diverses formes, ustensiles et meubles , le tout colorié , parce que les coideurs indiquent inva- riablement la matière; un superbe palanquin; des espèces de chambre à portes battantes, portées sur un traîneau et qui ont servi de voi- tures aux anciens grands personnages de l'E- gypte ; les singes, chats et chiens qui faisaient partie de la maison, ainsi que des nains et autres individus mal conformés, qui, i5oo ans et plus avant J.-C, servaient à désopiler la rate des sei- gneurs égy liens, aussi bien que, i5oo ans après, - celle de nos vieux barons d'Europe; les officiers d'une grande maison , intendants, scribes, etc.; ■70 les domestiques portant les provisions de bouche de toute espèce ; les servantes apportant aussi tlivers comestibles; 8'' la manière de tuer les bœufs et de les dépecer pour le service de la maison ; 9" une suite de dessins représentant des cuisiniers préparant des mets de diverses sortes; 10" enfin, les domestiques portant les mets pré- parés à la table du maître.

6.

84 SIXIÈME LETTRE.

I Monuments historiques. Ce recueil con- tient toutes les inscriptions, bas-reliefs et monu- ments de tout genre portant des légendes royales, avec une date exprimée, que j'ai vus jusqu'ici.

1 Monuments RELIGIEUX. Toutes les images des différentes divinités, dessinées en grand et coloriées d'après les plus beaux bas-reliefs. Ce recueil s'accroîtra prodigieusement à mesure que j'avancerai dans la Tliébaïde.

1-2° Na^vigation. Recueil de dessins repré- sentant la construction des bâtiments et barques de diverses espèces, et les jeux des mariniers, tout-à-fait analogues aux joutes qui ont lieu sur la Seine dans les grands jours de fête.

{"5° Enfin Zoologie. Une suite de quadru- pèdes^ d'oiseaux^ de reptiles, d'insectes et de pois- sons , dessinés et coloriés avec toute fidélité d'après les bas-reliefs peints ou les peintures les mieux conservées. Ce recueil, qui compte déjà près de 200 individus, est du plus haut intérêt: les oi- seaux sont magnifiques, les poissons peints dans la dernière perfection , et on aura par une idée de ce qu'était un hypogée égyptien un peu soigné. ISous avons déjà recueilli le dessin déplus de i4 espèces différentes de chiens de garde ou de chasse, depuis le lévrier jusqu'au basset à jambes torses ; j'espère que MM. Cuvier et Geoffroi Saint-Hilaire me sauront gré de leur rapporter

SIXIÈME LETTRE. 85

ainsi l'histoire naturelle égyptienne en aussi bon ordre.

J'espère compléter et étendre dignement ces diverses séries, puisque je n'ai encore vu, pour ainsi dire, aucun monument égyptien ; les grands édifices ne commencent en effet qu'à Abydos, et je n'y serai que dans lo jours.

J'ai passé, le cœur serré, en face à' Aschmou- néin^ en regrettant son magnifique portique dé- truit tout récemment; hier, Antinoé ne nous a plus montré que des débris ; tous ses édifices ont été démolis; il ne reste plus que quelques colonnes de granit, qu'on n'a pu remuer.

Je me suis consolé un peu de la perte de ces monuments, eu en retrouvant un fort intéres- sant et dont personne n'a parlé jusqu'ici. Nous avonsreconnu , dans une vallée déserte de la mon- tagne arabique, vis-à-vis Béni-hassan-el-aamaj\ un petit temple creusé dans le roc, dont la dé- coration, commencée par Thouthmosis //^, a été continuée par Mandouéi de la XVIIF dynastie; ce temple, orné de beaux bas-reliefs coloriés, est dédié à la déesse Pascht ou Pépascht^ qui est la Bubastis des Grecs, et la Diane des Romains: les géographes nous ont indiqué à Béni-hassan la position nommée Speos-Arlemidos (la grotte de Diane), et ils ont raison, puisque je viens de retrouver le temple, creusé dans le roc (le Speos

86 SIXIÈME LETTRE.

de la déesse j: et ce monument, qui ne présente en scène que des images de Bubastis^ la Diane égyp- tienne , est cerné par divers hypogées de chats jû- cT6^.y( l'anima! de Bubastis); quelques-uns sont creu- sés dans le roc, un, entre autres, construit sous le règne ^ Alexandre^ fils d'Alexandre- le -Grand. Devant le temple, sous le sable, est un grand ^fl/zc de momies de chats plies dans des nattes et entremêlés de quelques chiens; plus loin, en- tre la vallée et le Nil, dans la plaine déserte, sont deux très-grands entrepôts de momies de chats en paquets , et recouverts de i pieds de sable.

Cette nuit j'arriverai à Oi^/oi/^A (Lycopolis), et demain je remettrai cette lettre aux autorités lo- cales pour qu'elle soit envoyée au Caire, de à Alexandrie , et de enfin en Europe ; puisse- t-elle être mieux dirigée que les vôtres! car je n'ai rien recii d'Europe depuis mon départ de Toulon. Ma santé se soutient, et j'espère que le bon air de Thèbes m'assurera la continuation de ce bienfait. Adieu.

SEPTIEME LETTRE.

Thèbes , le 24 novembre 1828.

Ma dernière lettre datée i\e Béni-hassan ^ con- tinuée en remontant le Nii et close à Osiouth^ a du en partir du 10 au 12 de ce mois; elle par- viendra par Livourne. Dieu veuille qu'elle arrive plus promptement que celles qui , depuis mon départ de France , m'ont été adressées par ceux qui se souviennent de moi ! je n'en ai reçu au- cune! C'est hier seulement, et par un capitaine de navire anglais qui parcourt l'Egypte, que j'ai appris que le D'" Pariset y était aussi arrivé et qu'il se trouve dans ce moment au Caire : mais je n'en sais pas davantage pour cela sur ma famille. S'il en était autrement, et que je fusse tranquille sur la santé de tous les miens, je serais le plus heureux des hommes; car enfin je suis au centre de la vieille Egypte, et ses plus hautes

88 SEPTiÈiviE lettrj:.

merveilles sont à quelques toises de ma barque. Voici d'abord la suite de mon itinéraire.

C'est le lo novembre que je quittai Osiouth, après avoir visité ses hypogées parfaitement dé- crits par MM. Jollois et Devilliers, dont je recon- nais chaque jour à Thèbes l'extrême exactitude. Le ! ï au matin nous passâmes devant Qaou-el- Kebir (Antaeopolis), et mon maasch traversa à pleines voiles l'emplacement du temple que le Nil a complètement englouti sans en laisser les moindres vestiges. Quelques ruines (}^Aklimin (celles de Panopolis) reçurent ma visite le i a , et je fus assez heureux pour y trouver lui bloc sculpté qui m'a donné l'époque du temple, qui est de Ptolémée Philopator, et l'image du dieu Pan^ lequel n'est autre chose, comme je l'avais établi d'avance, quel'Ammon générateurde mon Panthéon. L'après-midi et la nuit suivante se pas- sèrent en fêtes, bal, tours de force et concert chez l'un des commandants de la haute Egypte, Mohammed-Aga, qui envoya sa cange,ses gens et son cheval pour me ramener, avec tous mes compagnons, à Saouadji , que j'avais quitté le matin, et il fallut retourner bon gré mal gré pour ne pas désobliger ce brave homme, bon vivant, bon convivf , et ne respirant que la joie et les plaisirs. L'air de Mariborough , que nos jeunes gens lui chantèrent en chœur, le fit pâmer

SEPTIÈME LETTRE. 89

déplaisir, et ses musiciens eurent aussitôt l'ordre de l'apprendre. ( Vojez V Extrait de l'Itinéraire et les lettres du mamour,à la fin de ce volume^. Nous partîmes le i3 au matin, comblés des dons du brave Osmanli. A midi , on dépassa Pto- lémaïs, il n'existe plus rien de remarquable. Sur les 4 heures, en longeant le Djebel-el-as- serat ^ nous aperçûmes les premiers crocodiles; ils étaient 4, couchés sur un îlot de sable, et une foule d'oiseaux circulaient au milieu d'eux. J'i- gnore si dans le nombre était le Trochilus de notre amiGeoffroiSaint-Hilaire.Peudetempsaprèsnous débarquâmes à Girgé. Le vent était faible le i5, et nous fîmes peu de chemin. Mais nos nouveaux compagnons, les crocodiles, semblaient voidoir nous en dédommager; j'en comptai 21, groupés sur un même îlot, et une bordée de coups de fusil à balle, tirée d'assez près , n'eut d'autre ré- sultat que de disperser ce conciliabule, lisse je- tèrent au Nil et nous perdîmes un quart d'heure à désengraver notre maascJi qui s'était trop ap- proché de l'îlot.

Le 16 au soir, nous arrivâems enfin àZ^e/zt^ertzA. Il faisait un clair de lune magnifique, et nous n'étions qu'à une heure de distance des temples: pouvions-nous résister à la tentation? Souper et partir sur-le-champ furent l'affaire d'un instant : seuls et sans guides, mais armés jusqu'aux dents.

90 SEPTIÈME LETTRE.

nous prîmes à travers champs, présumant que les temples étaient en ligne droite de notre maasch. Nous marchâmes ainsi , chantant les marches des opéras lés plus nouveaux , pendant une heure et demie, sans rien trouver. On décou- vrit enfin un homme; nous l'appelons, mais il s'enfuit à toutes jambes nous prenant pour des Bédouins, car, habillés à l'orientale et couverts d'un grand bernons blanc à capuchon, nous res- semblions, pour l'Égyptien, à une tribu de Bé- douins, tandis qu'un Européen nous eût pris, sans balancer , pour un chapitre de chartreux bien armés. On m'amena le fuyard , et le plaçant entre quatre de nous, je lui ordonnai de nous conduire aux temples. Ce pauvre diable, peu ras- suré d'abord, nous mit dans la bonne voie et finit par marcher de bonne grâce: maigre, sec, noir, couvert de vieux haillons, c'était une mo- mie ambulante ; mais il nous guida fort bien et nous le traitâmes de même. Les temples nous apparurent enfin. Je n'essaierai pas de décrire l'impression que nous fit le grand propylon et surtout le portique àw grand temple. On peut bien le mesurer, mais en donner une idée, c'est impossible. C'est la grâce et la majesté réunies au plus haut degré. Nous y restâmes deux heures en extase, courant les grandes salles avec notre pauvre falot , et cherchant à lire les inscriptions

SKPTlÈaiE LETTRE. gi

extérieures au clair de la lune. On ne rentra au niaascli qu'à trois heures du matin pour retourner aux temples à 7 heures. C'est que nous pas- sâmes toute la journée du 17. Ce qui était magni- fique à la clarté de la lune, l'était encore plus lorsque les rayons du soleil nous firent distinguer tous les détails. Je vis dès lors que j'avais sous les yeux un chef-d'œuvre d'architecture , couvert de sculptures dedétaildu plus mauvais style. N'en déplaise à personne, les bas-reliefs de Dendérah sont détestables, et cela ne pouvait être autre- ment : ils sont d'un temps de décadence. La sculpture s'était déjà corrompue, tandis que l'ar- chitecture, moins sujette à varier puisqu'elle est un art chiffré^ s'était soutenue digne des dieux de l'Egypte et de l'admiration de tous les siècles. Voici les époques de la décoration : la partie la plus ancienne est la muraille extérieure, à l'ex- trémité du temple, sont figurés, de propor- tions colossales, Cléopdtre et son fils Ptolémée- Cœsar. Les bas-reliefs supérieurs sont du temps de l'empereur Auguste^ ainsi que les murailles extérieures latérales du naos ^ à l'exception de quelques petites portions qui sont de l'époque de Néron. Le pronaos est tout entier couvert do légendes impériales de libère ^ de Caïus , de Claude et de Néron; mais dans tout l'intérieur du naos , ainsi que dans les chambres et les édi-

92 SEPTIEME LETÏRK.

fices construits sur la terrasse du temple, il n'existe pas un seul cartouche sculpté: tous sont vides et rien n'a élé effacé; mais toutes les sculp- tures de ces appartements, comme celles de lout l'intérieur du temple, sont du plus mauvais style , et ne peuvent remonter plus haut que les temps de Traj'an ou à' Jntonin. Elles ressemblent à celle du propylondu sn(\-ouGS>i {dus ad- est? )^ qui est de ce dernier empereur, et qui, étant dédié à Isis^ conduisait au temple de cette déesse, placé derrière le grand temple , qui est bien le temple de //a/^/zo/- (Vénus), comme le montrent les raille et une dédicaces dont il est couvert, et non pas le temple iXisis ^ comme l'a cru la commission d'Egypte. Le grand [)ropylon est couvert des images des empereurs Z>o/72iY/^/z et Trajan. Quant au Tfphonmm , il a été décoré sous Trajan , Hadrien et A nlonin-le-Pieux .

Le 1 8 au matin , je quittai le maasch , et courus visiter les ruines de Coptos {Keftli)\ il n'y existe rien d'entier. Les temples ont été démolis par les chrétiens, qui employèrent les matériaux à bâtir une grande église dans les ruines de laquelle on trouve des portions nombreuses de bas-reliefs égyptiens. J'y ai reconnu les légendes royales de JSectanehe^ <X Auguste ^ de Claude et de Trajan^ et plus loin , quelques pierres d'un petit édifice bâti sous les Ptolémées. Ainsi la ville de Coptos

SEPTIÈME LETTRE. g 3

renfermait peu de monuments de la haute anti- quité, si l'on s'en rapporte à ce qui existe main- tenant à la surface du sol.

Les ruines de Qous (Apollonopolis Parva), j'arrivai le lendemain matin 19, présentent bien plus d'intérêt , quoiqu'il n'existe de ses anciens édifices que le haut d'un propylon à moitié en- foui. Cepropylon est dédié au dieu Aroëris^ dont les images, sculptées sur toutes ses faces, sont adorées du côté qui regarde le Nil, c'est-à-dire sur la face principale , la plus anciennement sculptée par la reine Cléopâtre Cocce^ qui y prend le surnom de Philométore^ et par son fils Pto- lémée Soter II ^ qui se décore aussi du titre de Pliilomét07\ Mais la face supérieure du propylon, celle qui regarde le temple, couverte de sculp- tures, et terminée avec beaucoup de soin, porte partout les légendes royales îX^Ptolémée Alexan- dre P'^ en toutes lettres ; il prend aussi le sur- nom de Philoinétor. Quant à l'inscription grecque, la restitution deililTUPES, au commencement de la seconde ligne, proposée par M. Letronne, est indubitable. Car on y lit encore très-distincte- ment...THPE2, et cela sur la face principale sont les images etlesdédicaces de Cléopâtre Cocce et de son fils Ptolémée Philométor^o/er//.

Mais M. Letronne a mal à propos restitué HAIiîI il faut réellement APiiHPEI , trans-

q4 SEPTIÈME LETTRE.

cription exacte du nom égyptien du dieu auquel est dédié le propylon; car on lit très-distincte- ment encore dans l'inscription grecque, APIÎH- PEI0E£il(i)- J'ai trouvé aussi dans les ruines de Qous une moitié de stèle datée du i*^*^ de paoni del'an XVI de Pharaon Ramsès-Meïamoun ^ et re- lative à son retour d'une expédition militaire; j'aurai une bonne empreinte de ce monument, trop lourd pour penser à l'emporter.

C'est dans la matinée du 20 novembre que le vent, lassé de nous contrarier depuis deux jours et de nous fermer l'entrée du sanctuaire , me

(i) M. Letronne a déjà dit d'où est venue son erreur. (Voir son explication des insciiptions du recueil de M. Vi- dua). On v trouve , quant au nom de la divinité f du temple d'Apollonopolis Parva ), que M. Hamillon l'avait lu APIÎHPEI ; mais comme le dessin fguré dans la Descrip- tion de l'Egypte porte distinctement HAliîI , il avait préférer cette leçon en bonne critique , ne pouvant suppo- ser qu'on eût figuré minutieusement une inscription, pour y insérer un mot cjui n'existe pas. C'est ce qui est arrivé, et il est évident qu'on doit préférer le texte de M. Haniilton, l'original portant sans nul doute la leçon APÎÎHPEI. M. Guigniaut , qui s'est beaucoup occupé de mythologie ancienne, avait depuis long-temps témoigné ses doutes sur la leçon HAliîI ; d'après le nom d'Apollcmopolis que por- tait la ville , il ne balançait pas à croire qu'il n'y eût APÎÎHPEI : le fait a justifié sa conjecture.

( Note de l'Editeur. )

SEPTIÈME LETTRE. qS

permit cVaborder enfin à Thèbes. Ce nom était déjà bien grand dans ma pensée; il est devenu colossal depuis que j'ai parcouru les ruines de la vieille capitale, l'aînée de toutes les villes du monde; pendant quatre jours entiers j'ai couru de merveille en merveille. Le premier jour, je visitai le palais de Kounia , les colosses ôiXxMem- nonium^ et le prétendu tombeau d'Osimandyas, qui ne porte d'autres légendes que celles de Rhainsès-le-G ranci Q\ de deux de ses descendants; le nom de ce palais est écrit sur toutes ses mu- railles; les Egyptiens l'appelaient le Rhamesséioïiy comme ils nommaient Aménophion le Memiio- nium, et Mandouéïon\e-^?i\a.\s de Rourna. Le prétendu colosse d'Osimandyas est un admirable colosse de Rharnsès-le- Grand Çi).

Le second jour fut tout entier passé à Médinet- Hahoii, étonnante réunion d'édifices , je trou- vai les propylées ai Antoniii , (X Hadrien et des Ptolémèes , un édifice de Nectanèbe ^ un autre de l'Ethiopien TA^fracrz, un petit palais de Touth- mosis m (^Mœris) , enfin l'énorme et gigantesque

(i) Ces observations mettent hors de doute l'opinion soutenue par M. Letronne il y a quelques années , et que ce savant a reproduite récemment dans un mémoire spé- cial, où il établit que cet ancien édiiice ne peut être uu tombeau d'Osimandyas décrit par Diodore de Sicile.

( Note de l'Editeur. )

n6 SEPTIEME LETTRE.

palais de PJmmses - Meïamoun y couvert de bas- reliefs historiques.

Le troisième jour , j'allai visiter les vieux rois de Thèbes daus leurs tombes, ou plutôt dans leurs palais creusés au ciseau daus la montagne de Biban-el-Molouk : là, du matin au soir, à la lueur des flambeaux, je me lassai à parcourir des enfilades d'appartements couverts de sculp- tures et de peintures, pour la plupart d'une étonnante fraîcheur; c'est que j'ai recueilli, en courant, des faits d'un haut intérêt pour l'his- toire; j'y ai vu un tombeau de roi martelé d'un bout à l'autre , excepté dans les parties se trouvaient sculptées les images de la reine sa mère et celles de sa femme, qu'on a religieuse- ment respectées, ainsi que leurs légendes. C'est, sans aucun doute, le tombeau d'un roi condamné par jugement après sa mort. J'en ai vu un se- cond, celui d'im roi thébain des plus anciennes époques , envahi postérieurement par un roi de la XIX^ dynastie, qui a fait recouvrir de stuc tous les vieux cartouches pour y mettre le sien, et s'emparer ainsi des bas-reliefs et des inscrip- tions tracées pour son prédécesseur. Il faut ce- pendant dire que l'usurpateur fit creuser une seconde salle funéraire pour y mettre son sar- cophage, afin de ne poiut déplacer celui de son ancêtre. A l'exception de ce tombeau-là, tous les

SEPTIÈME LETTRE. ijfj

autres appartiennent à des rois des XVIII* et XIX^ ou XX^ dynasties : mais on n'y voit ni le tombeau de Sésostris , ni celui de Mœris. Je ne parle point ici d'une foule de petits temples et édifices épars au milieu de ces grandes choses : je mentionherai seulement un petit temple de la déesse H athor (Vénus), dédié par Ptolémée-Épi- phane, et un temple de Thôth près de Mèdinet- Habou, dédié par Ptolémée Évergète II et ses deux femmes; dans les bas-reliefs de ce temple, ce Ptolémée fait des offrandes à tous ses ancêtres mâles et femelles, Epiphane et Cléopâtre, Phi- lopator et Arsinoé, Évergète et Bérénice, Phila- delphe et Arsinoé. Tous ces Lagides sont repré- sentés en pied, avec leurs surnoms grecs traduits en égyptien , en dehors de leurs cartouches. Du reste, ce temple est d'un fort mauvais goût à cause de l'époque.

Le quatrième jour (hier 23), je quittai la rive gauche du Nil pour visiter la partie orientale de Thèbes. Je vis d'abord Zow^i^or, palais immense, précédé de deux obélisques de près de 80 pieds, d'un seul bloc de granit rose, d'un travail ex- quis, accompagnés de quatre colosses de même matière, et de 3o pieds de hauteur environ, car ils sont enfouis jusqu'à la poitrine. C'est encore du Rhamsès-le-Grand. Les autres par- ties du palais sont des rois Mandouei, Horus et

7

g8 SIPTIIvME LETTRK.

Aménophis-Memnon ; plus, des réparations et additions de Sabacon l'Éthiopien et de quelques Ptolémées, avec ini satictuaire tout en granit, à' Alexandre , fils du conquérant. J'allai enfin au palais ou plutôt à la ville de monuments, à Kar- nac. m'apparut toute la magnificence pha- raonique, tout ce que les hommes ont imaginé et exécuté de plus grand. Tout ce que j'avais vu à Thèbes, tout ce que j'avais admiré avec en- thousiasme sur la rive gauche , me parut misé- rable en comparaison des conceptions gigantes- ques dont j'étais entouré. Je me garderai bien de vouloir rien décrire ; car, ou mes expressions ne vaudraient que la millième partie de ce qu'on doit dire en parlant de tels objets, ou bien si j'en traçais une faible esquisse, même fort déco- lorée, on me prendrait pour un enthousiaste, peut-être même pour un fou. Il suffira d'ajouter qu'aucun peuple ancien ni moderne n'a conçu l'art de l'architecture sur une échelle aussi su- blime, aussi large, aussi grandiose, que le firent les vieux Égyptiens; ils concevaient en hommes de loo pieds de haut, et l'imagination qui, en Europe, s'élance bien au-dessus de nos por- tiques, s'arrête et tombe impuissante au pied des i4o colonnes de la salle hypostyle de Karnac. Dans ce palais merveilleux, j'ai contemplé les poitrails de la plupart des vieux Pharaons con-

ROYAUME DE JUDA PERSONJXiriÉ

purnii 'fs peuples vaunuJi fitirSfSClC ( //■ Pharfi/i/i S/:s,m^Â,f.j

SEPTIÈME LETTRE. C)C)

nus par leurs grandes actions, et ce sont des por- traits véritables; représentés cent fois dans les bas-reliefs des murs intérieurs et extérieurs, cha- cun conserve une physionomie propre et qui n'a aucun rapport avec celle de ses prédécesseurs ou successeurs; là, dans des tableaux colossals, d'une sculpture véritablement grande et tout héroïque , plus parfaite qu'on ne peut le croire en Europe , on voit Mandoueï combattant les peuples ennemis de l'Egypte , et rentrant en triomphateur dans sa patrie; plus loin, les cam- pagnes de Rhanisès-Sésostris; ailleurs Sésonchis traînant aux pieds de la Trinité thébaine (Am- mon , Mouth et Khons ) les chefs de plus de trente nations vaincues, parmi lesquelles j'ai re- trouvé , comme cela devait être , en toutes lettres, loudahamalek , le royaume des Juifs ou de Juda. C'est un commentaire à joindre au chapitre XIV du Z^ livre des Rois, qui raconte eu effet l'ar- rivée de Sésonchis à Jérusalem et ses supcès : ainsi l'identité que nous avons établie entre le Scheschonk égyptien, le Sésonchis de Manéthon et le Sésac ou Schéschok de la Bible , est con- firmée de la manière la plus satisfaisante (i). J'ai

(i) Selon la '^W'Aa [j>assage aVe ), Sésonchis attaqua et prit Jérusalem clans la 5"" année du règne de Roboarn.Cest cette victoire que rappelle le bas-relicf de Karnac. Il est re- produit sur la planche ci-jointe (n" V). Le royaume de Juda

lOO SEPTIEME LETTRE.

trouvé autour des palais de Rarnac une foule d'édifices de toutes les époques , et lorsque , au retour de la seconde cataracte vers laquelle je fais voile demain, je viendrai m'établir pour 5 ou 6 mois à Thèbes, je m'attends à une récolte immense de faits historiques, puisque, en cou- rant Thèbes comme je l'ai fait pendant 4 jours, sans voir même un seul des milliers d'hypogées qui criblent la montagne Libyque, j'ai déjà re- cueilli des documents fort importants.

Je joins ici la traduction de la partie chrono- logique d'une stèle que j'ai vue à Alexandrie : elle est très-importante pour la chronologie des derniers Saïtes de la XXVl^ dynastie. J'ai de plus des copies d'inscriptions hiéroglyphiques gravées sur des rochers, sur la route de Cosseïr, qui donnent la durée expresse du règne des rois de la dynastie persane.

J'omets une foule d'autres résultats curieux ; je devrais passer tout mon temps à écrire, s'il fallait détailler toutes mes observations nouvelles. J'écris ce que je puis dans les moments les

y est personnifié, el sans doute avec cette fidélité de phy- sionomie qu'on remarque dans tous les anciens ouvrages d'art des Égyptiens à l'égard des peuples étrangers qu'ils ont représentés sur leurs monuments : on trouve donc sur notre planche la physionomie du peuple juif au X'' siècle avant l'ère chrétienne, selon les Egyptiens. Roboam même en a peut-être fourni le type. (Note de l'éditeur.)

SEPTIEME LETTRE. lOI

ruines égyptiennes me permettent de respirer au milieu de tous ces travaux et de ces jouissances réellement trop vives si elles devaient se renou- veler souvent ailleurs comme à Thèbes.

Ma santé est excellente ; le climat me convient, et je me porte bien mieux qu'à Paris. Les gens du pays nous accablent de politesses : j'ai dans ce mo- ment-ci dans ma petite chambre: un Aga turc, commandant en chef de Kourna , dans le palais de Mandoueï; le Scheik-el-Bélad de Mé- dinet-Habou, donnant ses ordres au Rames- séium et au palais de Ramsès-Méiamoun ; enfin unScheik de Karnac, devant lequel tout se pros- terne dans les colonnades du vieux palais des rois d'Egypte. Je leur fais porter de temps en temps des pipes et du café, et mon drogman est chargé de les amuser pendant que j'écris; je n'ai que la peine de répondre , par intervalles réglés, Thaïbin (Cela va bien), à la question Ente-Thaïeb (Cela va-t-il bien)? que m'adressent régulière- ment toutes les dix minutes ces braves gens que j'invite à dîner à tour de rôle. On nous comble de présents; nous avons un troupeau de mou- tons et une cinquantaine de poules qui, dans ce moment-ci, paissent et fouillent autour du por- tique du palais de Kourna. Nous donnons en retour de la poudre et autres bagatelles. Je vou- drais que le docteur Pariset vînt me joindre \

J02 SEPTlfilME LKTTRK.

nous pourrions causer Europe , dont je n'ai au- cune nouvelle , pas même crz^lexandrie. J'écrirai (leSyène, avant de franchir la première cataracte, si cependant j'ai une occasion pour faire descen- dre mes lettres. J'envoie celle-ci à Osjouth^ j'ai établi un agent copte pour notre correspon- dance. J'ai recueilli à Béni-Hassan beaucoup de fossiles pour M. deFérussac; j'en ai trouvé aussi de très-beaux à Thèbes. J'espère aussi que notre vénérable ami M. Dacier trouvera quelque dis- traction à ses souffrances dans le peu que j'ai pu dire des magnificences de cette Thèbes qui excitait tant son enthousiasme à cause de l'hon- neur qui en revient à l'esprit humain : je lui en dirai encore davantage. 11 ne manque à mes sa- tisfactions que celle de recevoir des lettres de France... Adieu.

HUITIEME LETTRE.

De l'ile de Philai, le 8 décembre 18.28.

Nous voici , depuis le 5 au soir, dans l'île sainte d'Osiris , à la frontière extrême de l'Egypte et au milieu des noirs Ethiopiens ^ comme eût dit ini brave Romain de la garnison de Syène, faisant une partie de chasse aux environs des cataractes.

Je quittai Tlièbes le 26 novembre, et c'est de ce monde enchanté que ma dernière lettre est datée; il a fallu m'abstenirde donner des détails sur celte vieille capitale des Pharaons : comment parler en quelques lignes de telles choses, et quand on n'a fait que les entrevoir! C'est après mon retour sur ce sol classique, après l'avoir étudié pas à pas, que je pourrai écrire avec con- naissance de cause , avec des idées arrêtées et des résultats bien mûris. Thèbes n'est encore

Io4 HUITIÈME LI'TTRE.

pour moi, qui l'ai courue quatre ou cinq jours entiers, qu'un amas de colonnades, d'obélisques et de colosses; il faut examiner un à un les mem- bres épars du monstre pour en donner une idée très- précise. Patience donc, jusqu'à l'époque je planterai mes tentes dans les péristyles du palais des Rhamsès.

Le 16 au soir, nous abordâmes à Hermonthis ^ et nous courûmes le 27 au matin vers le temple, qui piquait d'autant plus ma curiosité, que je n'avais aucune notion bien précise sur l'époque de sa construction : personne n'avait encore dessi- né une seule de ses légendes royales; j'y passai la journée entière, et le résultat de cet examen prolongé fut de m'assùrer, par les inscriptions et les sculptures, que ce temple a été construit sous le règne de la dernière Clèopâtre , fille de Ptolémée-Aulétès , et en commémoraison de sa grossesse et de son heureuse délivrance d'un gros garçon, Ptolémée-Caesarion , le fruit de sa béné- volence envers Jules- César, à ce que dit l'his- toire.

La cella du temple est eneffet divisée en deux parties : une grande pièce (la principale), et une toute petite , tenant lieu ou la place du sanc- tuaire; on n'entre dans celle-ci que par une petite porte ; vers l'angle de droite , toute la paroi du mur de fond de cette pièce (laquelle est appelée

HUITIEME LLTTRE.

io5

le lieu de V accouchement dans les inscriptions hiéroglyphiques) est occupée par un bas-relief représentant la déesse Ritho, femme du dieu Mandou , accouchant du dieu Harphré. La gisante est soutenue et servie par diverses déesses du premier ordre : Y accoucheuse divine tire l'enfant du sein de la mère; la nourrice divine tend les mains pour le recevoir, assistée d'une berceuse. Le père de tous les dieux, Ammon (Amon- Ra), assiste au travail, accompagné de la déesse Soven, rililthya, la Lucine égyptienne, protec- trice des accouchements. Enfin , la reine Cléopâ- tre est censée assister à ces couches divines, dont les siennes ne seront ou plutôt n'ont été qu'une imitation. L'autre paroi de la chambre de l'accouchée représente l'allaitement et l'éducation du jeune dieu nouveau-né; et sur les parois laté- rales sont figurées les 1 1 heures du Jour et les 12 heures de la nuit, sous la forme de femmes ayant un disque étoile sur la tête. Ainsi, le ta- bleau astronomique du plafond, dessiné par la commission d'Egypte, pourrait bien n'être que le thème natal d'Harphré, ou mieux encore celui de Caesarion, nouvel Harphré, Il ne s'agirait donc plus dans ce zodiaque, ni de solstice d'été, ni de l'époque de la fondation du temple d'Hermon- this.

En sortant de la petite chambre pour entrer

Io6 HUITIÈME LETTRE.

dans la grande, on voit un grand bas-relief sculpté sur la paroi à gauche de cette principale pièce; il représente la déesse Ritho , relevant de couches , soutenue encore par la Lucine égyptienne Soven, et présentée à l'assemblée des dieux; le père divin, Amon-Ra, lui donne affectueusement la main comme pour la féliciter de son beureuse délivrance , et les autres dieux partagent la joie de leur chef. I^e reste de cette salle est décoré de tableaux, dans lesquels le jeune Harphré est successivement présenté à Ammon, à Mandou son père, aux dieux P/z/'é?',Phtah, Sev( Saturne) , etc., qui l'accueillent en lui remettant leurs insi- gnes caractéristiques, comme se démettant, en faveur de l'enfant, de tout leur pouvoir et de leurs attributions particulières, et Ptolémée- Caîsarion, à face enfantme, assiste à toutes ces présentations de son image , le dieu Harphré dont il est le représentant sur la terre. Tout cela est de la flatterie sacerdotale, mais tout- à-fait dans le génie de l'ancienne Egypte , qui as- similait ses rois à ses dieux. Du reste, toutes les dédicaces et inscriptions intérieures et extérieu- res du temple d'Hermonthis sont faites au nom de ce Ptolémée-Cœsarion et de sa mère Cléopâ- tre. H n'y a donc point de doute sur le motif de sa construction. Les colonnes de l'espèce de pro- ïiaos qui le précède n'ont point toutes été sculp-

HUITIÈME LETTEE. I O7

tées ; le travail est demeuré imparfait, et cela tient peut-être au motif même de la dédicace du temple : Auguste et ses successeurs , qui ont terminé tant de temples commencés par les La- gides , ne pouvaient être très-empressés d'achever celui-ci, monument de la naissance du fils même de Jules-César, roi enfant dont ils ne respectè- rent guère les droits. Du reste, un cachef a trou- vé fort commode de s'y faire une maison, une basse -cour et un pigeonnier, en masquant et coupant le temple de misérables murs de limon blanchis à la chaux.

Le 28 au soir, nous étions à Esné , avec le projet de ne pas nous y arrêter. Je fis donc faire voile un peu plus au sud, et débarquai sur la rive orientale pour aller voir le temple de Con- tra-Lato. J'y arrivai trop tard, on l'avait démoli depuis une douzaine de jours, pour renforcer le quai d'Esné , que le Nil menace , et finira par emporter.

De retour au maasch , je le trouvai plein d'eau ; heureusement qu'il avait abordé sur un point peu profond, et que touchant bientôt, il n'avait pu être entièrement coulé à fond. Il fallut le vi- der, et retourner à Esné le soir même, pour le radouber et faire boucher la voie d'eau. Toute- fois nos provisions furent mouillées, nous avons perdu notre sel , notre riz , notre farine de maïs.

Io8 HUITIÈME LETTRE.

Tout cela n'est rien auprès du danger qui nous eût menacés, si cette voie d'eau se fût ouverte pendant la navigation dans le grand chenal : nous eussions coulé irrémissiblement. Que le grand Ammon soit donc loué ! Pendant que nous séchions notre désastre dans la matinée du 2g, j'allai visiter le grand temple à'Esné^ qui? grâce à sa nouvelle destination de magasin de coton, échappera quelque temps encore à la destruc- tion. J'y ai vu, comme je m'y attendais, une assez belle architecture, mais des sculptures dé- testables. La portion la plus ancienne est le fond du pronaos, c'est-à-dire la porte et le fond de la cella, contre laquelle le portique a été appli- qué : cette partie est de Ptolémée-Épiphane. La corniche de la façade du pronaos porte les lé- gendes impériales de Claude; les corniches des bases latérales, les légendes de Titus, et, dans l'intérieur du pronaos, parois et colonnes sont couvertes des légendes de Domitien , Trajan, An- tonin surtout, et enfin de Septiine-Sévere, que je trouve ici pour la première fois. Le temple est dédié à Chnouphis , et j'apprends par l'inscription hiéroglyphique de l'une des colonnes du pronaos, que si le sanctuaire du temple existe, il doit remon- ter à l'époque de Thouthmosis III (Moeris). Mais tout ce qui est visible à Esné , est des temps modernes ; c'est un des monuments les plus ré- cemment achevés.

HUITIÈME Î.ETTRE. I OQ

Le 29 ail soir , nous étions à FAéthya (El-Kab); je parcourus l'enceinte et les ruines, la lanterne à la main; mais je ne trouvai plus rien : les res- tes des deux temples avaient disparu ; on les a aussi démolis il y a peu de temps pour réparer le quai cVBsné ou quelque autre construction récente. Avais-je tort de me presser de venir en Egypte?

Je visitai le grand temple d'Ed/ou (Apollo- nopolis-Magna) , dans l'après-midi du 3o. Celui- ci est intact ; mais la sculpture en est très-mau- vaise : ce qu'il y a de mieux et de plus ancien date de Ptolémée-Epiphane : viennent ensuite Philométor et Evergète II ; enfin , Soter II et son frère Alexandre : ces deux derniers y ont pro- digieusement travaillé : j'y ai retrouvé la Béré- nice, femme de Ptolémée-Alexandre, queje con- naissais déjà par un contrat démotique. Le temple est dédié à Aroéris (l'Apollon grec). Je l'étu- dierai en détail, comme tous les autres, en re- descendant de la Nubie.

Les carrières de Silsilis ( Djébel-Selséléh) m'ont vivement intéressé; nous y abordâmes le i^^ Jé- cembre à une heure : là, mes yeux, fatigués de tant de sculptures du temps des Ptolémées et des Romains , ont revu avec délices des bas-reliefs . pharaoniques. Ces carrières sont très-riches en inscriptions de la XVIir dynastie. Il y existe de

IIO HUITIEME LETTRE.

petites chapelles creusées dans le roc par Amé- nophis-Memnon, Horus, Khamsès- le -Grand, Rhamsès son fils, Rhamsès-Meïamoun, Mandoiiei. Elles ont de belles inscriptions hiératiques; j'étu- dierai tout cela à mon retour, et me promets des résultats fort intéressants dans cette localité. Le soir même du i" décembre, nous arrivâmes à Ombos ;je courus au grand temple le i au ma- tin ; la partie la plus ancienne est de Ptolémée- Éphiphane, et le reste, de Pbilométor et d'E- vergète II. Un fait curieux , c'est le surnom de Z'A^^/^<^/^edonné constamment à Cléopâtre, femme de Pbilométor, soit dans la grande dédicace hiéroglyphique sculptée sur la frise antérieure du pronaos, soit dans les bas-reliefs de l'inté- rieur; c'est à vous autres Grecs d'Egypte d'expli- quer cette singularité : j'avais déjà trouvé ce sur- nom dans un de nos contrats démotiques du Louvre, Le temple cVOmbos est dédié à deux divinités : la partie droite et la plus noble, au vieux Sei^e à tête de crocodile (le Saturne égyp- tien et la forme la plus terrible d'Ammon), à Athyr et au jeune dieu Khons. La partie gauche du temple est consacrée à une seconde Triade d'un ordre moins élevé, savoir : à Aroérisfl'A- roéris-Apollon) , à la déesse Tsonénofré et à leur fils Pnévtho. Dans le mur d'enceinte géné- rale des temples d' 0/72^o^, j'ai trouvé une porte

HUITIÈME LETTRF. III

engagée, d'un excellent travail et du temps de Mœris : c'est le reste des édifices primitifs d'0/«- bos.

Ce n'est que le 4 décembre au matin que le vent voulut bien nous permettre d'arriver à Sjene (As-Souan), dernière ville de l'Egypte au sud. J'eus encore de cuisants regrets à éprouver : les {\euy:. temples de l'île iV É léphantine , que j'allai visiter aussitôt que l'ardeur du soleil fut amortie , ont aussi été démolis : il n'en reste que la place. Il a fallu me contenter d'une porte ruinée, en granit, dédiée au nom ai Alexandre (le fils du conquérant), au dieu d'Éléphantine Chnoupbis, et d'une do'uzaine de Proscynemaia (actes d'a- doration) hiéroglyphiques gravés sur une vieille muraille; enfin , de quelques débris pharaoni- ques épars et employés comme matériaux dans des constructions du temps des Romains. J'avais reconnu le matin ce qui reste du temple de Syène; c'est ce que j'ai vu de plus misérable en sculp- ture ; mais j'y ai trouvé , pour la première fois , la légende impériale A^Neiya , qui n'existe point ailleurs, à ma connaissance. Ce petit temple était dédié aux dieux du pays et de la cataracte, Chnou- phis, Saté (Junon) et Anoukis (Vesta).

A Syène, nous avons évacué nos maasch, et fait transporter tout notre bagage dans l'île de

I l 2 HUITIÈME LETTRE.

Philœ, à dos de chameau. Pour moi, le 5 au soir, j'enfourchai un âne, et, soutenu par un hercule arabe, car j'avais une douleur de rhu- matisme au pied gauche , je me suis rendu à Philœ en traversant toutes les carrières de granit rose, hérissées d'inscriptions hiéroglyphiques des anciens Pharaons. Incapable de marcher , et après avoir traversé le Nil en barque pour aborder dans l'île sainte, quatre hommes, soutenus par six autres, car la pente est presque à pic, me prirent sur leurs épaules et me hissèrent jusqu'auprès du petit temple à jour , l'on m'avait préparé une chambre dans de vieilles constructions romai- nes , assez semblable à une prison, mais fort saine et à couvert des mauvais vents. Le 6 au matin , soutenu par mes domestiques, Mohammed le Barabra et Soliman l'Arabe, j'allai visiter pénible- ment le grand temple : au retour, je me cou- chai et je ne me suis pas encore relevé , vu que ma goutte de Paris a jugé à propos de se porter à la première cataracte el de me traquer au passage; elle est fort benoîte du reste, et j'en serai quitte demain ou après. En attendant, on prépare nos barques pour le voyage de Nubie : c'est du nouveau à voir. J'écrirai de ce pays, si j'ai une occasion avant mon retour en Egypte ; tout va très-bien du reste.

HUITIÈME LETTRE. Il3

C'est ici, à Phila3, que j'ai enfin reçu des let- tres d'Europe, à la date des i5 et 26 août, et 3 septembre derniers, voilà tout; enfin, c'est

quelque chose, et il faut bien s'en contenter

Adieu.

NEUVIEME LETTRE.

Oiiadi-Halfa, a^ cataracte, i^"" janvier 1829.

Me voici arrivé fort heureusement au terme extrême de mon voyage : j'ai devant moi la 1" cataracte, barrière de granit que le Nil a su vain- cre, mais que je ne dépasserai pas. Au-delà existent bien des monuments, mais de peu d'im- portance; il faudrait d'ailleurs renoncer à nos barques, se huclier sur des chameaux difficiles à trouver , courir des déserts et risquer de mou- rir de faim; car vingt-quatre bouches veulent au moins manger comme dix, et les vivres sont déjà fort rares ici : c'est notre biscuit de Syène qui nous a sauvés. Je dois donc arrêter ma cour- se en ligne droite, et virer de bord, pour com- mencer sérieusement l'exploration de la Nubie et de l'Egypte, dont j'ai une idée générale ac-

NEUVIÈME LETTRE. Il5

quise en montant : mon travail commence réelle- ment aujourd'hui^ qiioiqne j'aie déjà en porte- feuille plus de six cents dessins; mais il reste tant à faire que j'en suis presque effrayé : tou- tefois , je présume m'en tirer à mon honneur avec huit mois d'efforts: j'exploiterai la Nubie pendant le mois de janvier, et à la mi-février je m'établirai àThèbes jusqu'au milieu d'août que je redescendrai rapidement le Nil en ne m'arrêtant qu'à Dendérah et à Abydos. Le reste est déjà en portefeuille. Nous reverrons ensuite le Kaire et Alexandrie.

Ma dernière lettre était de Philœ. Je ne pou- vais être long-temps malade dans l'île d'Isis et d'Osiris : la goutte me quitta en peu de jours, et je pus commencer l'exploitation des monu- ments. Tout y est moderne , c'est-à-dire de l'épo- que grecque ou romaine , à l'exception d'un petit temple d'Hathôr et d'un propylon engagé dans le premier pylône du temple d'Isis, lesquels ont été construits et dédiés par le pauvre Nectanèbe P"" ; c'est aussi ce qu'il y a de mieux. La sculp- ture du grand temple, commencée par Philadel- phe, continuée sous Evergète P' et Epiphane, terminée par Evergète II et Philométor, est di- gne en tout de cette époque de décadence : les portions d'édifices construits et décorés sons les Romains sont pires , et quand j'ai quitté cette

8.

Il6 WKUVÎKMK LlîTTRK.

île , j'étais bien las de cette sculpture barbare. Je m'y arrêterai cependant encore quelques jours en repassant, pour compléter la partie mytholo- gique, et je me dédommagerai en courant les rochers de la première cataracte, couverts d'in- scriptions du temps des Pharaons.

Notis avions quitté notre maasch et notre da- habié à As-Souan (Syène), ces deux barques étant trop grandes pour passer la cataracte : c'est le i6 décembre que notre nouvelle escadre d'en- deçà la cataracte se trouva prête à nous rece- voir. Elle se compose d'une petite dahabié ( vais- seau amiral), portant pavillon français sur pa- villon toscan, de deux barques à pavillon français, deux barques à pavillon toscan , la barque de la cuisine et des provisions , à pavillon bleu , et d'uïie barque portant la force armée, c'est-à-dire les deux chaous (gardes-du-corps du pacha) avec leurs cannes à pomme d'argent , qui nous accom- pagnent et font les fonctions du pouvoir exécu- tif. J'oubliais de dire que l'amiral est armé d'une pièce de canon de trois, que notre nouvel ami Ibrahim, mamour d'Esné, nous a prêtée à son pas.sage à Philœ : aussi avons-nous fait une belle décharge en arrivant à la deuxième cataracte, but de notre pèlerinage.

On mit à la voile de Philœ , pour commencer notre voyage de Nubie, avec un assez bon vent;

NEUVIÈME LETTRE, Jin

nous passâmes de\ tint Béùoud suns nous arrêter, voulant arriver le plus tôt possible jusqu'au point extrême de notre course. Ce petit temple et les trois propylons sont , au reste, de l'époque mo- derne. Le 17, à 4 heures du soir, nous étions en face des petits monuments de Qa/tas, je ne trouvai rien à glaner. Le 1 8 , on dépassa Taf- fah et Kalabsché , sans aborder. Nous passâmes ensuite sous le tropique, et c'est de ce moment, qu'entrés dans la zone torride, nous grelotâmes tous de froid et fûmes obligés dès-lors de nous charger de bernous et de manteaux. Le soir, nous couchâmes au-delà de Dandour, en saluant seulement son temple de la main. On en fit au- tant le lendemain 1 9, aux monuments de Ghirché, qui sont du bon temps, ainsi qu'au grand tem- ple de Dakkêh, de l'époque des Lagides. Nous débarquâmes le soir k Méharraka , temple égyp- tien des bas temps , changé jadis en église copte. Le 20, je restai une heure à Ouadi-Esséboua on la Vallée des Lions, ainsi nommée des sphinx qui ornent le dromos d'un monument bâti sous le règne de Sésostris, mais véritable édifice de province, construit en pierres liées avec du mor- tier. J'ai pris un morceau de ce mortier, ainsi que de celui des pyramides, etc., etc., pour notre ami Vicat; c'est uue collection que je pense de- voir lui faire plaisir. Nous perdîmes le 11 et le

J 1 8 KKUVIÈME LETTRE.

22 à tourner, malgré vents et calme, le grand coude à'Amada, dont je dois étudier le temple important par son antiquité, au retour de la deuxième cataracte. Nous le dépassâmes enfin le 23 et arrivâmes à Derr ou Derride très-bonne heure. je trouvai , pour consolation , un joli temple creusé dans le roc , conservant encore quelques bas-reliefs des conquêtes de Rhamsès- le-Grand, et j'y recueillis les noms et les titres de sept fils et de huit filles de ce Pharaon.

Le caclief de Derr, auquel on fit une visite, nous dit tout franchement que, n'ayant pas de quoi nous donner à souper, il viendrait souper avec nous ; ce qui fut fait : cela vous donnera une idée de la splendeur et des ressources de la capitale de Nubie. Nous comptions y faire du pain; cela fut impossible, il n'y avait ni fourni bou- langer. Le 24, au lever du soleil, nous quittâ- mes Derri, passâmes sous le fort ruiné A'Ibrim et allâmes coucher sur la rive orientale, à Ghebel- Mesmès ^ P^ys charmant et bien cultivé. Nous cheminâmes le 26, tantôt avec le vent, tantôt avec la corde, et il fallut nous consoler de ne pas arriver ce jour-là à Ibsamboul; de beaux crocodiles prenaient leurs ébats sur un îlot de sable près du lieu nous couchâmes.

Enfin, le 26, à neuf heures du matin, je dé- barquai à Ibsamboul, nous avons séjourné

NEUVIÈME LETTRE. Iig

aussi le 27. , je pouvais jouir des plus beaux monuments de la Nubie , mais non sans quelque difficulté. 11 y a deux temples entièrement creu- sés dans le roc, et couverts de sculptures. La plus petite de ces excavations est un temple ôUHathoT' , dédié par la reine Nofré-Ari, femme de Rhamsès -le -Grand, décoré extérieurement d'une façade contre laquelle s'élèvent six colosses de trente -cinq pieds chacun environ , taillés aussi dans le roc, représentant le Pharaon et sa femme, ayant à leurs pieds, l'un ses fils, et l'autre ses filles , avec leurs noms et titres. Ces colosses sont d'une excellente sculpture; leur stature est svelte et leur galbe très-élégant; j'en aurai des dessins très-fideles. Ce temple est couvert de beaux re- liefs, et j'en ai fait dessiner les plus intéressants. Le grand temple d'Ibsamboul vaut à lui seul le voyage de Nubie : c'est une merveille qui se- rait une fort belle chose, même à Thèbes. Le travail que cette excavation a coûté effraie l'ima- gination. La façade est décorée de quatre colosses assis, n'ayant pas moins de soixante-un pieds de hauteur : tous quatre , d'un superbe travail , re- présentent Rhamsès-le-Grand; leurs faces sont portraits, et ressemblent parfaitement aux figures de ce roi qui sont à Memphis, à ïhèbes et par- tout ailleurs. C'est un ouvrage digne de toute admiration. Telle est l'entrée ; l'intérieur en est

T20 NEUVIÈME LETTRE.

toiit-à-fait digne ; mais c'est une rude épreuve que de le visiter. A notre arrivée, les sables, et les Nubiens qui ont soin de les pousser, avaient fermé l'entrée. Nous la fîmes déblayer; nous as- surâmes le mieux que nous le pûmes le petit passage qu'on avait pratiqué, et nous prîmes toutes les précautions possibles contre la coulée de ce sable infernal qui, en Egypte comme en Nubie, menaCe de tout engloutir. Je me désha- billai presque complètement, ne gardant que ma chemise arabe et un caleçon de toile , et me pré- sentai à plat-ventre à la petite ouverture d'une porte qui, déblayée, aurait au moins 2 5 pieds de hauteur. Je crus me présenter à la bouche d'un four, et me glissant entièrement dans le temple, je me trouvai dans une atmosphère chauffée à 5i degrés : nous parcourûmes cette étonnante exca- vation, Rosellini, Ricci, moi et un de nos Arabes, tenant chacun une bougie à la main. La pre- mière salle est soutenue par huit piliers contre lesquels sont adossés autant de colosses de trente pieds chacun , représentant encore Rhamsès- le-Grand ; sur les parois de cette vaste salle règne une file de grands bas-reliefs historiques, relatifs aux conquêtes du Pharaon en Afrique; un bas- relief surtout, représentant son char de triomphe, accompagné de groupes de prisonniers nubiens, nègres, etc., de grandeur naturelle, offre une

NEUVIEME LETTRE. 121

composition de toute beauté et du plus grand effet. Les autres salles, et on en compte seize, abondent en beaux bas-reliefs religieux , offrant des particularités fort curieuses. Le tout est ter- miné par un sanctuaire, au fond duquel sont as- sises quatre belles statues, bien plus fortes que nature et d'un très -bon travail. Ce groupe, re- présentant Amon-Ra, Phré, Phtah, et Rhamsès- le-Grand assis au milieu d'eux, mériterait d'être dessiné de nouveau.

Après deux heures et demie d'admiration, et ayant vu tous les bas-reliefs , le besoin de respi- rer un peu d'air pur se fit sentir, et il fallut re- 'gagner l'entrée de la fournaise en prenant des précautions pour en sortir. J'endossai deux gilets de flanelle, un bernons de laine, et mon grand manteau, dont on m'enveloppa aussitôt que je fus revenu à la lumière; et là, assis auprès d'un des colosses extérieurs dont l'immense mollet arrêtait le souffle du vent du nord, je me repo- sai une demi-heure pour laisser passer la grande transpiration. Je regagnai ensuite ma barque, je passai près de deux heures sur mon lit. Cette visite expérimentale m'a prouvé qu'on peut rester deux heures et demie à trois heures dans l'intérieur du temple sans éprouver aucune gêne de respiration , mais seulement de l'affaiblis- sement dans les jambes et aux articulations; j'en

122 NEUVIÈME LETTRE.

conclus donc qu'à notre retour nous pourrons dessiner les bas-reliefs historiques, en travaillant par escouades de quatre (pour ne pas dépenser trop d'air), et pendant deux heures le matin et deux heures le soir. Ce sera une rude campagne; mais le résultat en est si intéressant, les bas- reliefs sont si beaux, que je ferai tout pour les avoir, ainsi que les légendes complètes. Je com- pare la chaleur dlbsamboul à celle d'un bain turc, et cette visite peut amplement nous en tenir lieu.

Nous avons quitté Ibsamboul le 28 au matin. Vers midi, je fis arrêter à Ghebel- Addèh ^ est un petit temple creusé dans le roc. La plupart de ses bas-reliefs ont été couverts de mortier par des chrétiens qui ont décoré cette nouvelle sur- face de peinturesreprésentant des saints, et surtout saint Georges achevai : mais je parvins à consta- ter, en faisant sauter le mortier, que ce temple avait été dédié à Thôth par le roi Horus, filsd'A- ménophis-Memnon, et je réussis à faire exécuter les dessins de trois bas -reliefs fort intéressants pour la mythologie : nous allâmes de coucher à Paras. Le 29, un calme presque plat ne nous permit d'avancer que jusqu'au-delà de Serré ^ et le 3o, à midi, nous sommes enfin arrivés à Houadi-Halfa ^ à une demi-heure de la seconde cataracte, sont posées nos colonnes d'Hercule.

NEUVIÈME LETTRE. 123

Vers le coucher du soleil , je fis une promenade à la cataracte.

C'est hier seulement que je me mis sérieuse- ment à l'ouvrage. J'ai trouvé ici, sur la rive occi- dentale, les débris de trois édifices, mais des arases qui ne conservent que la fin des légendes hiéroglyphiques. Le premier, le plus au nord, était un petit édifice carré, sans sculpture et fort peu important. Le second , au contraire , m'a beaucoup intéressé; c'était un temple dont les murs ont été construits en grandes briques crues, l'intérieur étant soutenu par des piliers en pierre de grès ou des colonnes de même matière : mais comme toutes celles des plus anciennes époques, ces colonnes étaient semblables au dorique et taillées à pans très -réguliers et peu marqués. C'est l'origine incontestable des ordres grecs. Ce premier temple, dédié àHorammon (Ammon générateur) , a été élevé sous le roi Aménophis II , fils et successeur de Thouthmosis III (Mœris), ce que j'ai constaté en faisant fouiller par mes marins arabes, avec leurs mains, autourdes restes de piliers et de colonnes j'apercevais quelques traces de légendes hiéroglyphiques. J'ai été assez ^ heureux pour trouver la fin de la dédicace du temple sur les débris des montants de la pre- mière porte. J'ai de plus découvert et fait désen- sabler avec les mains, une grande stèle, engagée

124 îfEUVlEME LETTRE.

dans une muraille en briques du temple, portant un acte d'adoration, et la liste des dons faits au temple par le roi Rliamsès I", avec trois lignes ajoutées dans le même but par le Pharaon son successeur. Enfin , sur les indications du docteur Ricci, nous avons fait fouiller par tous nos équi- pages, avec pelles et pioches, dans le sanctuaire (ou plutôt à la place qu'il occupait), et nous y avons trouvé une autre grande stèle que je con- naissais par les dessins du docteur, et fort impor- tante, puisqu'elle représente le dieu Mandou , une des grandes divinités de la Nubie , condui- sant et livrant au roi Osortasen (de la XVI^ dy- nastie) tous les peuples de la Nubie avec le nom de chacun d'eux, inscrit dans une espèce de bouclier attaché à la figure, agenouillée et liée, qui représente chacun de ces peuples, au nombre de cinq. Voici leurs noms, ou plutôt ceux des cantons qu'ils habitaient : Schamik^ Osaou, Schôal^ l\^ Oschar/cin^ Kôs'^ trois autres noms sont entièrement effacés. Quant à ceux qui restent , je doute qu'on les trouve dans aucun géographe grec; il faudrait avoir le Slrabon de deux mille ans avant Jésus-Christ.

Un second temple, plus grand, mais tout aussi détruit que le précédent, existe un peu plus au sud : il est du règne de Thouthmosis III (Mœris), construit également en briques, avec

NEUVIÈME LETTRE. 1^5

piliers-colonnes doriques primitifs, à montants et portes en grès; c'était le grand temple de la ville égyptienne de Béheni qui exista sur cet emplacement, et qui, d'après l'étendue des dé- bris de poteries répandus sur la plaine aujour- d'hui déserte, paraît avoir été assez grande. Ce fut sans doute la place forte des Égyptiens pour contenir les peuples habitant entre la première et la seconde cataracte. Ce grand temple était dédié à Amon-Ra etàPhré, commela plupart des grands monuments de la Nubie. Voilà tout ce qui reste à Ouadi-Halfa, et c'est plus que je n'attendais à la première inspection des ruines.... C'est de ce lieu que je vous adresse mes souhaits d'heureuse année... Je vous embrasse tous à cette intention.

A M. DACIER.

Ouadi-Halfa , à la 2^ cataracte, i^*^ janvier 1829.

Monsieur ,

Quoique séparé de vous par les déserts et par toute l'étendue de la Méditerranée, je sens le besoin de me joindre, au moins par la pensée, et de tout coeur, à ceux qui vous offrent leurs

laG NEUVIÈME LETTRE.

vœux au renouvellement de l'année. Partant dit fond de la Nubie, les miens n'en sont ni moins ardents, ni moins sincères; je vous prie de les agréer comme un témoignage du souvenir re- connaissant que je garderai toujours de vos bontés et de cette affection toute paternelle dont vous voulez bien nous honorer mon frère et moi.

Je suis fier maintenant que, ayant suivi le cours du Nil depuis son embouchure jusqu'à la seconde cataracte, j'ai le droit de vous an- noncer qu'il n'y a rien à modifier dans notre Lettre sur C alphabet des hiéroglyphes; notre al- phabet est bon : il s'applique avec un égal suc- cès, d'abord aux monuments égyptiens du temps des Romains et des Lagides, et ensuite, ce qui devient d'un bien plus grand intérêt, aux inscriptions de tous les temples, palais et tom- beaux des époques pharaoniques. Tout légitime donc les encouragements que vous avez bien voulu donner à mes travaux hiéroglyphiques, dans un temps l'on n'était pas universelle- ment disposé à leur prêter faveur.

Me voici au point extrême de ma navigation vers le midi. La seconde cataracte m'arrête : d'a- bord par l'impossibilité de la faire franchir par mon escadre composée de sept voiles, et en se- cond lieu, parce que la famine m'attend au-delà.

NEUVIÈMK LETTRE. IIH

et qu'elle terminerait prornpteraeiit une pointe imprudente tentée sur l'Ethiopie : ce n'est pas à moi de recommencer Cambyse; je suis d'ailleurs un peu plus attaché à mes compagnons de voyage qu'il ne l'était probablement aux siens. Je tourne donc dès aujourd'hui ma proue du côté de l'Egypte pour redescendre le Nil, en étudiant successivement à fond les monuments de ses deux rives : je prendrai tous les détails dignes de quelque intérêt, et d'après l'idée gé- nérale que je m'en suis formée en montant^ la moisson sera des plus riches et des plus abon- dantes.

Vers le milieu de février je serai à Thèbes, car je dois au moins donner quinze jours au magni- fique temple ^SUhsamboul^ l'une des merveilles de la Nubie, créée par la puissance colossale de Rhamsès-Sésostris, et un mois me suffira ensuite pour les monuments existants entre la i'^^ et la 1^ cataracte. Philae a été à peu près épuisée pen- dant les jo jours que nous y avons passés en re- montant le Nil ; et les temples d'Ombos, d'Edfou et d'Esné, si vantés au détriment de ceux de Thèbes, m'arrêteront peu de temps, parce que je les ai déjà classés, et que je trouve, sur des monuments plus anciens et d'un meilleur style, les détails mythologiques et religieux que je ne veux puiser qu'à des sources pures. Je me bor-

19.8 NEUVIÈME LETTRE.

nerai à recueillir quelques inscriptions histori- ques, et certains détails de costume qui sentent la décadence et qu'il est utile de conserver.

Mes portefeuilles sont déjà bien riches : je me fais d'avance un plaisir de vous mettre successi- vement sous les yeux toute la vieille Egypte, religion, histoire, arts et métiers, mœurs et usa- ges; une grande partie de mes dessins sont co- loriés, et je ne crains pas d'assurer qu'ils repro- duisent le véritable style des originaux avec une scrupuleuse fidélité. Je serai heureux de ces con- quêtes si elles obtiennent votre intérêt et vos suffrages.

Je vous prie, monsieur, d'agréer la nouvelle assurance de mon très-respectueux attachement.

DIXIEME LETTRE.

Ibsamboul , le 12 janvier 1829.

J'ai revu les colosses qui annoncent si digne- ment la plus magnifique excavation de la Nubie. Ils m'ont paru aussi beaux de travail que la pre- mière fois, et je regrette de n'être point muni de quelque lampe merveilleuse pour les trans- porter au milieu de la place Louis XV, afin de convaincre ainsi d'un seul coup les détracteurs de l'art égyptien. Tout est colossal ici , sans en excepter les travaux que nous avons entrepris , et dont le résultat aura quelque droit à l'atten- tion publique. Tous ceux qui connaissent la lo- calité savent quelles difficultés on a à vaincre pour dessiner un seul hiéroglyphe dans le grand temple.

9

I 3o DIXIT'ME LETTRE.

C'est le i^"^ (le ce mois que j'ai quitté Ouadi- Halfa et la seconde cataracte. Nous couchâmes à Gharbl- Serré , et le lendemain, vers midi, j'abordai sur la rive droite du Nil , pour étu- dier les excavations de Maschakit ^ nn peu au midi du temple de Thôth à Ghêbel-Addeh , dont j'ai parlé dans ma dernière lettre ; il fallut gravir un rocher presqu'à pic sur le Nil , pour arriver à une petite chambre creusée dans la monta- gne, et ornée de sculptures fort endommagées. Je suis parvenu cependant à reconnaître que c'était une chapelle dédiée à la déesse Anou- kis (Vesta) et aux autres dieux protecteurs de la Nubie, par un prince éthiopien, nommé /*o^«, lequel, étant gouverneur de la Nubie sous le règne de Rhamsès-le-Grand, supplie la déesse de faire que le conquérant foule les Libyens et les nomades sous ses sandales ^ à toujours.

Le 3 au matin, nous avons amarré nos vais- seaux devant le temple d'Hathôr à Ibsamboul ; j'ai déjà donné une note sur ce joli temple. J'ajouterai qu'à sa droite on a sculpté, sur le rocher, un fort grand tableau, dans lequel un autre prince éthiopien présente au roi Rhamsès- le-Grand l'emblème de la victoire ( cet emblème est l'insigne ordinaire des princes ou des fils des rois) avec la légende suivante en beaux carac- tères hiéroglyphiques : Le Royal fils d'Ethiopie,

DIXIÈME LETTUK. l3l

a dit : Ton père Amon-Ra t'a doté, 6 Rhamsèsl iVune vie stable et pure : qu'il t'accorde de longs jours pour gouverner le monde, et pour contenir les Libjens , à toujours.

Il paraît donc que , de temps en temps , les no- mades d'Afrique inquiétaient les paisibles culti- vateurs des vallées du Nil. Il est fort remarquable, (lu reste, que je n'aie trouvé jusqu'ici sur les monu- ments de la Nubie que des noms de princes éthio- piens et nubiens, comme gouverneurs du pays, sous le règne même de Rhamsès-le-Grand et de sa dynastie. Il paraît aussi que la Nubie était telle- ment liée à l'Egypte , que les rois se fiaient complè- tement aux hommes du pays même, pour le com- mandement des troupes. Je puis citer en preuve une stèle encore sculptée sur les rochers d'Ib- samboul, et dans laquelle un nommé M aï, com- mandant des troupes du roi en Nubie, et dans la contrée de Ouaou (l'un des cantons de la Nu- bie),chanfe les louanges du ^\idir?(Oi\Mandouëil^^, le 4^ successeur de Rhamsès-le-Grand, d'une ma- nière très-emphatique; il résulte aussi de plu- sieurs autres stèles , que divers princes éthio- piens furent employés en Nubie par les héros de l'Egypte.

Le 3 au soir commencèrent nos travaux à Ib- samboul : il s'agissait d'exploiter le grand temple, couvert de si grands et de si beaux bas- reliefs.

9-

l32 DIXIÈME LETTRE.

Nous avons formé l'entreprise d'avoir le dessin au grand el colorié de tons les bas-reliefs qui déco- rent la grande salle du temple , les autres pièces n'offrant que des sujets religieux; et lorsque l'on saura que la chaleur qu'on éprouve dans ce temple, aujourd'hui souterrain (parce que les sables en ont presque couvert la façade), est comparable à celle d'un bain turc fortement chauffé ; quand on saura qu'il faut y entrer presque nu , que le corps ruisselé perpétuelle- ment d'une sueur abondante qui coule sur les yeux, dégoutte sur le papier déjà trempé par la chaleur humide de cette atmosphère, chauffée comme dans un autoclave , on admirera sans doute le courage de nos jeunes gens, qui bra- vent cette fournaise pendant trois ou quatre heures par jour, ne sortent que par épuisement, et ne quittent le travail que lorsque leurs jambes refusent de les porter.

Aujourd'hui 12, notre plan est presque ac- compli: nous possédons àé]^ six grands tableaux représentant :

I ^^. Rhamsès-le-Grand sur son char, les chevaux lancés au grand galop; il est suivi de trois de ses fils, montés aussi sur des chars de guerre ; il met en fuite une armée assyrienne et assiège une place forte. ,

DIXlfïlME LETTRE. l33

'i". I.e roi à |3ied , venant de terrasser un chef ennemi, et en perçant un second d'un coup de lance. Ce groupe est d'un dessin et d'une com- position admirables.

3^. Le roi est assis au milieu des chefs de l'ar- mée ; on vient lui annoncer que les ennemis attaquent son armée. On prépare le char du roi, et des serviteurs modèrent l'ardeur des che- vaux , qui sont dessinés, ici comme ailleurs , dans la perfection. Plus loin se voit l'attaque des enne- mis, montés sur des chars de guerre et combat- tant sans ordre une ligne de chars égyptiens méthodiquement rangés. Cette partie du tableau est pleine de mouvement et d'action : c'est com- parable à la plus belle bataille peinte sur les vases grecs, que ces tableaux nous rappellent involontairement.

[\. Le triomphe du roi et sa rentrée solennelle Thèbes y sans doute), debout sur un char superbe, traîné par des chevaux marchant au pas et richement caparaçonnés. Devant le char sont deux rangs de prisonniers africains, les uns de race Nègre et les autres de race Barabra , for- mant des groupes parfaitement dessinés, pleins d'effet et de mouvement.

5*^ et 6^. Le roi faisant hommage de captifs de diverses nations aux dieux de Thèmes çï à ceux dilbsamboul.

l34 DIXIÈME LETTRE.

Il reste à terminer le dessin d'un énorme bas- relief occupant presque toute la paroi droite du temple : composition immense, représentant une bataille, un camp entier, la tente du roi, ses gardes, ses chevaux, les chars, les bagages de l'ar- mée, les jeux et les punitions militaires, etc., etc. Dans trois jours au plus, ce grand dessin sera terminé, mais sans couleurs, parce que l'humi- dité les a fait disparaître. Il n'en est point ainsi des six tableaux précédemment indiqués; tout est colorié et copié jusque dans les plus minces détails avec un soin religieux. On aura ainsi une idée de la magnificence du costume et des chars des vieux Pharaons au XVr siècle avant J.-C. ; on pourra comprendre alors l'étonnant effet de ces beaux bas -reliefs peints avec un tel soin. Je voudrais conduire dans le grand temple d'ib- samboul tous ceux qui refusent de croire à l'élé- gante richesse que la sculpture peinte ajoute à l'architecture; dans moins d'un quart d'heure , je réponds qu'ils auraient sué tous leurs préju- gés, et que leurs opinions cl priori les quitte- raient par tous les pores.

Pour tous mes dessins je me suis réservé la partie des légendes hiéroglyphiques, souvent fort étendues , qui accompagnent chaque figure ou chaque groupe dans les bas-reliefs historiques.

DIXiÈfllE LETTRE. l35

Nous les copions sur place, ou d'après les em- preintes lorsqu'elles sont placées à une grande hauteur; je les collationne plusieurs fois sur l'ori- ginal, je les mets au net et les donne aussitôt aux dessinateurs, qui, d'avance, ont réservé et tracé les colonnes destinées à les recevoir; j'ai pris la copie entière d'une grande stèle placée entre les deux colosses de gauche, dans l'inté- rieur du grand temple; elle n'a pas moins de Sa lignes : c'est celle dont notre ami Huyot m'avait parlé, et que j'ai bien retrouvée à sa place; ce n'est pas moins qu'un décret du dieu Phtha, en faveur de Rhamsès-le-Grand, auquel il prodigue les louanges pour ses travaux et ses bienfaits envers l'Egypte; suit la réponse du roi au dieu en termes tout aussi polis. C'est un monument fort curieux et d'un genre tout-à-fait particulier. Yoilà en est notre mémorable campagne d' Isarnboul : c'est la plus pénible et la plus glo- rieuse que nous pussions faire pendant tout le voyage. Nos compagnons français et toscans ont rivalisé de zèle et de dévouement, et j'espère que, vers le i5 , nous mettrons à la voile pour regagner l'Egypte avec notre butin historique. J'ai eu trois jours de goutte en arrivant ici ; mais les bains de vapeur que j'ai pris dans le temple m'en ont délivré pour long-temps, je l'espère.

l36 DIXIÈME LETTRE.

Je n'ai encore reçu que quelques lettres d'Eu- rope... M. Arago m'a-t-il pardonné d'avoir en- trepris mon voyage malgré ses amicales inquié- tudes? Je l'ai pardonné, de mon côté, depuis que j'ai touché à la seconde cataracte... Adieu.

ONZIEME LETTRE.

El-Mélissah( entre Syène et Ombos), le lo février 1829.

Nous jouons de malheur; depuis notre départ de Syène , à laquelle nous avons dit adieu le 8 de ce mois, nous voici au 10, et nous sommes loin d'avoir franchi la distance qui nous sépare d'OmboSj l'on se rend d'Asouan en 9 heures par un temps ordinaire ; mais un violent vent du nord souffle sans interruption depuis trois jours, et nous fait pirouetter sur les vagues du Nil, enflé comme une petite mer. Nous avons amarré, à grand'peine, dans le voisinage de 3Iélissah, est une carrière de grès sans au- cun intérêt; du reste, santé parfaite, bon cou- rage, et nous préparant à explorer Thèbes de fond en comble, si ce n'est pas trop pour nos.

j38 ONZrèME LETTRE.

moyeiis. Nous sommes, d'ailleurs, tous ragail- lardis par le courrier qui nous arriva hier au milieu de nos tribulations maritimes, et qui m'apporta enfin les lettres de Paris du 16 sep- tembre, des 12 et 25 octobre, et du i5 no- vembre. Voilà, en y ajoutant les deux précé- dentes, les seules lettres qui me soient parvenues.

Je remercie bien notre vénérable M. Dacier pour les bonnes lignes qu'il a bien voulu m'é- crire le 26 septembre. J'espère qu'il aura reçu ma lettre de Ouadi-Halfah du i^'^ janvier der- nier, et qu'il voudra bien pardonner à la vétusté de mes souhaits du jour de l'an, déjà caducs lorsqu'ils lui parviendront; mais la INubie, et surtout la seconde cataracte, sont loin de Paris, et le cœur seul franchit rapidement de telles di- stances.

J'écriraideThèbesànotreami Dubois (i), après avoir vu à fond l'Egypte et la Nubie; je puis dire d'avance que nos Égyptiens feront à l'avenir, dans l'histoire de l'art, une plus belle figure que par le passé; je rapporte une série de dessins de grandes choses, capables de convertir tous les obstinés.

Je transmets à M. Drov«tti la lettre que m'a

(1) C'est le chef de la Commission archaeolo^lque envoyée dans la Morée pai' le gouverueiuent français.

ONZIÈME LETTRE. 289

écrite M. de Mirbel, et je suis persuadé qu'elle sera accueillie par S. A. le pacha d'Egypte, qui ne recule jamais devant les choses utiles.

Ma dernière lettre est d'Ibsamboul; je dois donc reprendre mon itinéraire à partir de ce beau monument que nous avons épuisé , au ris- que de l'être nous-mêmes par les difficultés de son étude.

Nous l'avons quitté le 1 6 janvier, et le 17, de bonne heure, nous abordâmes au pied du rocher dilbrim^ la Primis des géographes grecs, pour visiter quelques excavations qu'on aperçoit vers le bas de cette énorme masse de grès.

Ces spéos (je donne ce nom aux excavations dans la roche, autres que des tombeaux) sont au nombre de quatre, et d'époques différentes, mais tous appartenant aux temps pharaoniques.

Le plus ancien remonte jusqu'au règne de Tlîouthmosis I*^; le fond de cette excavation, de forme carrée comme toutes les autres, est oc- cupé par 4 figures (tiers de nature), assises, et représentant deux fois ce Pharaon assis entre le Dieu seigneur d'Ibrirn (Prim), c'est-à-dire une des formes du dieu Thoth à tète d'épervier, et la déesse Saté, dame d' Eléphantine et dame de Nubie. Ce spéos était une chapelle ou oratoire consacré à ces deux divinités; les parois de côté n'ont jamais été sculptées ni peintes.

l4o ONZIÈME LETTRE.

II n'en est point ainsi du second spéos; celui- ci appartient au règne de Moeris, dont la statue, assise entre celles du dieu seigneur d'Ihrim et de la déesse Saté (Junon), dame de Nubie, occupe la niche du fond. Cette chapelle aux dieux du pays a été creusée par les soins d'un prince nommé JSahi, grand personnage, portant dans toutes les légendes le titre de Gouverneur des terres méridionales ^ ce qui comprenait la Nubie entre les deux cataractes. Ce qui reste d'un grand tableau sculpté sur la paroi de droite, nous mon- tre ce prince debout, devant le roi assis sur un trône, et accompagné de plusieurs autres fonc- tionnaires publics, présentant au souverain, à ce que dit l'inscription hiéroglyphique (malheu- reusement très-courte) qui accompagne ce ta- bleau, les revenus et tributs en or, en argent, en grains, etc., provenant des terres méridionales dont il avait le gouvernement. Sur la porte du spéos est inscrite la dédicace que le prince a faite du monument.

Le troisième spéos à'Ibrim est du règne sui- vant, de l'époque d'Aménophis II, successeur de Moeris, sous lequel les terres du midi étaient administrées par un autre prince , nommé Osor- saté. Sur la paroi de droite, ce roi Aménophis II est représenté assis, et deux princes, parmi les- quels Osorsaté occupe le premier rang, présen-

ONZIÈME LETTRE. l4r

tent au Pharaon les tributs des terres méridio- nales et les productions naturelles du pays, y compris des lions, des lévriers et des schacals vii^ants y comme porte l'inscription gravée au- dessus du tableau , et qui spécifiait le nombre de chacun des objets offerts, comme par exem- ple : 4o lévriers et lo schacals vivants; mais le texte est dans un état si déplorable de dégrada- tion qu'il m'a été impossible d'en tirer autre chose que les faits généraux. Au fond du spéos, la statue du roi Aménophis est assise entre les dieux (.Vibrini.

Le plus récent de ces spéos, le 4^, est encore un monument du même genre et du règne de Sésostris, Rhamsès-le-Grand. C'est aussi un gou- verneur de Nubie qui l'a fait creuser en l'hon- neur des dieux d'7Z>n>72, Hermès à tète d'éper- vi<;r, et la déesse Saté, à la gloire du Pharaon dont la statue est assise au milieu des deux di- vinités locales, dans le fond du spéos. Mais, à cette époque, les terres du midi étaient gouver- nées par un prince éthiopien , dont j'ai retrouvé des monuments à Ibsamboul et à Ghirsché. Ce personnage est figuré dans le spéos A'Ibrim , rendant ses respectueux hommages à Sésostris, et à la tC'te de tous les fonctionnaires publics de son gouvernement , parmi lesquels on compte deux hiérogrammates, plus le grammate des

ll\1 ONZIÈME LETTRE.

troupes, le grammate des terres, l'intendant des biens royaux, et d'autres scribes sans désignation plus particulière.

Il est à remarquer , à l'honneur de la galan- terie égyptienne, que la femme du prince éthio- pien Satnouï se présente devant Sésostris im- médiatement après son mari , et avant les autres fonctionnaires. Cela montre, aussi bien que mille antres faits pareils, combien la civilisation égyp- tienne différait essentiellement de celle du reste de l'Orient, et se rapprochait de la nôtre; car on peut apprécier le degré de civilisation des peu- ples d'après l'état plus ou moins supportable des femmes dans l'organisation sociale.

Le 17 janvier au soir, nous étions à Déni ou DeT'T.,\'c\ capitale actuelle de la Nubie, nous soupâmes en arrivant, par un clair de lune ad- mirable , et sous les plus hauts palmiers que nous eussions encore vus. Ayant lié conversation avec un barabra du pays, qui, m'apercevant seul à l'écart sur le bord du fleuve, était venu poli- ment me faire compagnie en m'offrant de l'eau- de-vie de dattes, je lui demandai s'il connaissait le nom du sultan qui avait fait construire le temple de Derri; il me répondit aussitôt : qu'il était trop jeune pour savoir cela , mais que les vieillards du pays lui avaient paru tous d'accord que ce Dirbé avait été construit environ trois cent

ONZIÈME LETTRE, l/|3

mille ans avantrislamisme, mais que tous ces vieil- lards étaient encore incertains sur un point, sa- voir si c'étaient les Français , les Anglais ou les Russes qui avaient exécuté ce grand ouvrage. Voilà comme on écrit l'histoire en Nubie. Le monument de Déni, quoique moderne en com- paraison de la date que lui donnait mon savant nubien, est cependant im ouvrage de Sésostris. Nous y restâmes toute la journée du i8, et n'ep sortîmes assez tard qu'après avoir dessiné les bas-reliefs les plus importants, et rédigé une notice détaillée de tous ceux dont on ne prenait point de copie. j'ai trouvé une liste, par rang d'âge, des fils et des filles de Sésostris; elle me servira à compléter celle d'Ibsamboul. Nous y avons copié quelques fragments de bas-reliefs historiques; ils sont presque tous effacés ou dé- truits. C'est que j'ai pu fixer mon opinion sur un fait assez curieux : je veux parler du lion qui, dans les tableaux d'Ibsamboul et de Derri, ac- compagne toujours le conquérant égyptien ; il s'agissait de savoir si cet animal était placé symboliquement pour exprimer la vaillance et la force de Sésostris , ou bien si ce roi avait réelle- ment, comme le capitan-pacha Hassan et le pacha d'Egypte, un lion apprivoisé , son compagnon fidèle dans les expéditions militaires. Derri dé- cide la question : j'ai lu, en effet, au-dessus du

l44 ONZIÈME LETTRE.

lion se jetant sur les Barbares renversés par Sé- sostris, l'inscription suivante : le lion, seivileur de sa majesté i mettant en pièces ses ennemis. Cela me semble démontrer que le lion existait réellement et suivait Rhamsès dans les batailles.

Au reste , ce temple est un spéos creusé dans le rocher de grès, mais sur une très-grande échelle : il a été dédié par Sésostris à Ammon- Ra, le dieu suprême, et à Phré, l'esprit du So- leil qu'on y invoquait sous le nom de Rha-msès, qui fut le patron du conquérant et de toute sa lignée.

Cette particularité explique pourquoi on trouve sur les monuments d'ibsamboul, de Ghirché, de Derri, de Séboua , etc., le roi Rhamsès présen- tant des offrandes ou ses adorations à un dieu portant le même nom de Rhamsès. On se trom- perait en supposant que ce souverain se rendait ce culte à lui-même. Rhamsès était simplement un des mille noms du dieu Phré (le Soleil), et ces bas-reliefs ne prouvent tout au plus qu'une flatterie sacerdotale envers le roi vivant, celle de donner au dieu du temple celui de ces noms que le roi avait adopté , et quelquefois même les traits du visage du roi et de la reine fondateurs du temple : cela se recannaît même à Philae, dans la partie du grand temple i}ilsis, construit par Ptolémée-Philadelphe.Toutes les /sw du sanctuaire

ONZIÈME LhTTRE. l45

sont le portrait de la reine Arsinoë, laquelle a une tête évidemment de race grecque : mais la chose est bien plus frappante encore sur les an- ciens monuments (les pharaoniques), les traits des souverains sont de véritables portraits.

Le i8 au soir nous descendîmes à Aiiiada , nous restâmes juscju'au 20 après midi. j'eus le plaisir d'étudier à l'aise et sans être distrait par les curieux , vu que nous étions en plein désert, un temple de la bonne époque. Ce mo- nument, fort encombré de sables, se compose d'abord d'une espèce de pronaos, salle soutenue par 12 piliers carrés, couverts de sculptures, et par 4 colonnes, que l'on ne peut mieux nommer que proto-doriques ^ ou doriques prototypes , car elles sont évidemment le type de la colonne do- rique grecque; et, par une singularité digne de remarque, je ne les trouve employées que dans les monuments égyptiens les plus antiques^ c'est- à-dire dans les hypogées de Béni-hassan, à Amada, à Raruac, et à Bet-oualli, oii sont les plus modernes, bien qu'elles datent du règne de Sésostris, ou plutôt de celui de son père.

Le temple d'Amada a été fondé par Thouth- mosis III (Mœris), comme le prouvent la plu- part des bas-reliefs du sanctuaire, et surtout la dédicace, sculptée sur les deux jambages des portes de l'intérieur, et dont je mets ici la tra-

JO

lf\6 ONZIÈME LETTRK.

diiction littérale pour donner une idée des dédi- caces des autres temples, que j'ai toutes recueil- lies avec soin. (V. le texte hiéroglyphique^ pi. VI,

« Le Dieu Bienfaisant, Seigneur du monde, le Roi(Soleilstabiteurderunivers)(i), lefils .So- leil (Thouthmosis) ('^), modérateur de justice, a fait ses dévotions à son père le dieu Phré , le dieu des deux montagnes célestes, et lui a élevé ce temple en pierre dure; il l'a fait pour être vivifié à toujours. »

Mœris mourut pendant la construction de ce temple, et son successeur, Araénophis II, con- tinua l'ouvrage commencé, et fit sculpter les quatre salles à la droite et à la gauche du sanc- tuaire , ainsi qu'une partie de celle qui les pré- cède; les travaux de ce roi sont détaillés dans une énorme stèle, portant une iriscription de 20 lignes que j'ai toutes copiées , à la sueur de mon front, au fond du sanctuaire.

Son successeur, Thouthmosis IV, termina le temple en 'y ajoutant le pronaos et les piliers; on a couvert toutes leurs architraves de ses dédica- ces ou d'inscriptions laudatives. L'une d'elles m'a frappé par sa singularité; en voici la traduction :

« Voici ce que dit le dieu Thoth , le Seigneur

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ONZIÈME LETTRK. I 47

des divines paroles, aux autres dieux qui rési- dent dans Thyri : Accourez et contemplez ces offrandes grandes et pures , faites pour la con- struction de ce temple, par le roi Thouthnrio- sis (IV), à son père le dieu Pliré, dieu grand, manifesté dans le firmament! »

La sculpture du temple d'Amada, appartenant à la belle époque de l'art égyptien, est bien pré- férable à celle de Derri, et même au tableau re- ligieux d'Ibsamboul.

Dans laprès-mididu 20, nos travaux d'Amada étant terminés, nous partîmes et descendîmes le Nil jusqu'à KorosÂo, village nubien, dont je garderai le souvenir, parce que nous y rencon- trâmes l'excellent lord Prudhoe et le major Félix , qui mettaient à exécution leur projet de remon- ter le Nil jusqu'au Sennâr, pour se rendre de dans l'Inde en traversant l'Abyssinie, l'Arabie et la Perse. Notre petite escadre s'arrêta, et nous passâmes une partie de la nuit à causer des tra- vaux passés et des projets futurs; je dis enfin adieu à ces courageux voyage^in^s, et les quittai avec jjeaucoup de regret, car ils' remontent dans une saison très-avancée. Que Dieu veille sur ces intrépides amis de la science!

Le 21 nous étions à OuacU-Esseboua (la vallée des lions), qui reçoit ce nom d'une avenue de sphinx placés sur le dronios de son temple, le-

10,

l48 ONZIÈME LETTRE,

quel est un hénii-spéos , c'est-à-dire un édifice à moitié construit en pierres de taille, et à moitié creusé dans le roclier; c'est, sans contredit, le plus mauvais travail de l'époque de Rhamsès-le- Grand ; les pierres tle la bâtisse sont mal cou- pées, les intervalles étaient masqués par du ci- ment sur lequel on avait continué les sculptures de décoration , qui sont d'une exécution assez médiocre. Ce temple a été dédié par Sésostris au dieu Phré et au dieu Phtha, seigneur de justice : quatre colosses représentant Sésostris debout occupent le commencement et la fin des deux rangées de sphinx dont se compose l'avenue : deux tableaux historiques, représentant le Pha- raon frappant les peuples du Nord et du Midi, couvrent la face extérieure des deux massifs du pylône; mais la plupart de ces sculptures sont méconnaissables, parce que le mastic ou ciment qui en avait reçu une grande partie, est tombé, et laisse une foule de lacunes dans la scène, et surtout dans les inscriptions. Ce temple est pres- que entièrement enfoui dans les sables, qui l'en- vahissent de tous côtés.

Toute la journée du -ii fut perdue pour nous, à cause d'un vent du nord très-violent, qui nous força d'aborder et de nous tenir tranquilles au rivage jusqu'au coucher du soleil. Nous profi- tâmes du calme pour gagner Méharrakah, dont

ONZIÈME LETTRE. l49

nous avions vu le temple en remontant : il n'est point sculpté, et partant, d'aucun intérêt pour moi qui ne cherche que les hadjar-maktoub (les pierres écrites), comme disent nos Arabes.

Le soleil levant du 23 nous trouva à Dakkèh, l'ancienne Pselcis. Je courus au temple , et la première inscription hiéroglyphique qui me tomba sous les yeux m'apprit que j'étais dans un lieu saint dédié à Thoth, seigneur de Pselk : j'accrus ainsi ma carte de Nubie d'un nouveau nom hiéroglyphique de ville , et je pourrais au- jourd'hui publier une carte de Nubie avec les noms antiques en caractères sacrés.

Le monument de Dakkèh présente un double intérêt sous le rapport mythologique; il donne des matériaux infiniment précieux pour com- prendre la nature et les attributions de l'être di- vin que les Egyptiens adoraient sous le nom de Thoth (l'Hermès deux fois grand); une série de bas-reliefs m'a offert , en quelque sorte , toutes les transfigurations de ce dieu. Je l'y ai trouvé d'abord (ce qui devait être) en liaison avec Har-hat (le grand Hermès Trismégiste), sa forme primordiale, et dont lui, Thoth, n'est que la dernière transformation , c'est-à-dire son incarnation sur la terre à la suite iVAmmon-Ba et de Mouth incarnés en Osiris et en Isis. Thoth remonte jusqu'à \ Hermès -céleste (Har-hat), la

l5o ONZIKMK LETTRF.

sagesse divine, l'esprit de dieu, en passant par les formes : de Pahitnouji (celui dont le cœur est bon); a" îK Arihosnofri on Jrihosnoufi (celui qui produit les chants harmonieux); de Meut (la pensée ou la raison): sous chacun de ces noms Thoth a une forme et des insignes parti- culiers , et les images de ces diverses transfor- mations du second Hermès couvrent les parois du temple de Dakkèh. J'oubliais de dire que j'ai trouvé ici Thoth (le Mercure égyptien), armé du caducée^ c'est-à-dire le sceptre ordinaire des dieux, entouré de deux serpents, plus un scor- pion.

Sous le rapport historique, j^ai reconnu que la partie la plus ancienne de ce temple (l'avant- dernière salle) a été construite et sculptée par le plus célèbre des rois éthiopiens, Ergamènes (Erkamen), qui, selon le récit de Diodore de Sicile, délivra V Ethiopie du gouvernement théo- cratique, par im moyen atroce, il est vrai, en égorgeant tous les prêtres du pays : il n'en fit sans doute pas autant en Nubie, puisqu'il y éleva un temple; et ce monument prouve que la Nubie cessa d'être soumise à l'Egypte dès la chute de la XXVF dynastie, celle des Saïtes, dé- trônée par Cambyse, et que cette contrée passa sous le joug des Éthiopiens jusqu'à l'époque des conquêtes de Ptolémée Évergète I" , qui la réu- nit de nouveau à l'Egypte. Aussi le temple de

ONZIÈME LETTRii. l5r

Dakkèh, coinmencé par l'Éthiopien ErgameneSy a-t-il été continué par Evergète Y\ par son fils Pliilopator, et son petit-fils Evergète II. C'est l'empereur Auguste qui a poussé, sans l'achever, la sculpture intérieure de ce temple.

Près (lu pylône de Dakkèh, j'ai reconnu un reste d'édifice, dont quelques grands blocs de pierre conservent encore une portion de dédi- cace : c'était un temple deThoth, construit par le pharaon Mœris. Voilà encore un fait qui, comme beaucoup d'autres semblables, prouve que les Ptolémées, et l'Ethiopien Ergamènes lui- même , n'ont fait que reconstruire des temples il en existait dans les temps pharaoniques, et aux mêmes divinités qu'on y a toujours adorées. Ce point était fort important à établir, afin de dé- montrer qtie les derniers monuments élevés par les Egyptiens ne contenaient aucune nouvelle forme de divinité. Le système religieux de ce peuple était tellement un , tellement lié dans toutes ses parties, et arrêté depuis un temps immémorial d'une manière si absolue et si pré- cise , que la domination des Grecs et des Romains n'a produit aucune innovation : les Ptolémées et les Césars ont refait seulement, en Nubie comme en Egypte, ce que les Perses avaient détruit, et rebâti des temples il en existait autrefois, et dédiés aux mêmes dieux.

Dakkèh est le point le plus méridional j'aie

iSl ONZIÈME LETTRE.

rencontré des travaux exécutés sous les Ptolé- iTîées et les empereurs. Je suis convaincu que la domination grecque ou romaine ne s'est jamais étendue, au plus^ au-delà d'Ibrim. Aussi ai-je trouvé depuis Dakkbh jusqu'à Thehes une série presque continue d'édifices construits à ces deux époques : les monuments pharaoniques sont ra- res, et ceux du temps des Ptolémées et desr Césars sont nombreux et presque tous non ache- vés. J'en ai conclu que la destruction des temples pharaoniques primitivement existants entre Thè- bes et Dakkèh, en Nubie, doit être attribuée aux Perses, qui ont suivre la vallée du Nil jusque vers Sébouâ, ils ont pris, pour se rendre en Ethiopie (et pour en revenir), la route du désert, infiniment plus courte que celle du fleuve, im- praticable d'ailleurs pour une armée, à cause des nombreuses cataractes; la route du désert est celle que suivent encore aujourd'hui la plupart des caravanes, les armées et les vovaijeurs isolés. Cette marche des Perses a sauvé le monument d^Amada , facile à détruire puisqu'il n'est point d'une grande étendue. De Dakkèh à Thèbes on ne voit donc plus que des secondes éditions des temples.

Il faut en excepter le monument de Ghirschê et celui de Betoualli que les Perses n'ont pu détruire, puisqu'il eût fallu abattre \qs mo?îtagnes

ONZIÈME LETTRE. I 53

dans lesquelles ils sont creusés au ciseau. Mais ces spéos ^ et surtout le premier, ont été ravagés autant que le permettait la nature des lieux.

Nous arrivâmes à Ghirsché-hussan ou Ghirf- housseïn le 2 5 janvier. C'est encore ici, comme à Ibsamboul, à Derri et à Sébouâ, un véritable Rhamesseïon ou Rhamseïon ^ c'est-à-dire un mo- nument dû à la munificence de Rhamsès-le- Grand. Celui-ci est consacré au dieu Phtha , personnage dont on retrouve une imitation dé- colorée dans \ Hephœstus des Grecs, et le Vul- cain des Latins. Plitha était le dieu éponyme de Ghirsché qui, en langue égyptienne, portait le nom de Pthahei ou Thyptah^ demeure de Phtha. Ainsi cette bourgade nubienne portait jadis le même nom sacré que Memphis : il paraît que ces noms fastueux furent à la mode en Nubie, puisque les inscriptions hiéroglypbiques m'ont appris, par exemple, que Derri avait le même nom que la fameuse Héliopolis d'Egypte , de- meure du Soleil; et que le misérable village nommé aujourd'hui Sébouâ, et dont le monu- ment est si pauvre, se décorait du nom (}i Amo- nèiy celui même de la Thèbes aux cent portes.

La portion construite de Vhémi-spéos de Girs- ché est, à très-peu près, détruite, et la partie excavée dans le rocher, travail immense, a été dégradée avec une espèce de recherche. J'ai ce-

l54 ONZIÈME LETTRE.

pendant pn relever le sujet de tous les bas-reliefs et une grande portion des légendes. La grande salle est soutenue par six énormes piliers, dans lesquels on a taillé six colosses offrant le sin- gulier contraste d'un travail barbare à côté de bas-reliefs d'une fort belle exécution. Sur les parois latérales sont liuit niches carrées renfer- mant chacune trois figures assises, sculptées de plein rehef : le personnage occupant le milieu de ces niches, ou petites chapelles, est toujours le dieu Soleil Rhamsès, le patron de Sésostris, invoqué sous le nom de Dieu Grand , et comme résidant dans Phthaei, Amonci et Tyri^ c'est-à- dire dans Ghirsché , Sébouâet Derri^ existent en effet des Rhamseïon dédiés au dieu Soleil Khamsès,le même qu'on adore à Ghirsché, comme fils de Phtah et d'Hathôr, les grandes divinités de ce temple. L'étude des tableaux religieux de Ghirsché éclaircit beaucoup le mythe de ces trois personnages.

La journée du 9.6 fut donnée en partie au petit temple de Dandoar. Nous retombons ici dans le moderne; c'est un ouvrage non achevé du temps de l'empereur Auguste; mais, quoique peu im- portant par son étendue , ce monument m'a beaucoup intéressé, puisqu'il est entièrement re- latif à l'incarnation d'Osiris, sous forme humaine, sur la terre. Notre soirée du -25 avait été égayée

ONZIÈME LETTRE. ] 55

par un siiperl)e écho découvert par hasard en face de Dandour nous venions d'aborder. Il répète fort distinctement et d'une voix sonore jusqu'à onze syllabes. INos compagnons italiens se plaisaient à lui faire redire des vers du Tasse, entremêlés de coups de fusil qu'on tirait de tous côtés, et auxquels l'écho répondait par des coups de canon ou les éclats du tonnerre.

Le temple de Kalabschi eut son tour le 27 ; c'est ici cjne j'ai découvert une nouvelle généra- tion de dieux, et qui complète le cercle des formes d'Ammon , point de départ et point de réunion de toutes les essences divines. Ammon-Ra, l'Etre suprême et primordial, étant son propre père, est qualifié de mari de sa mère (la déesse Mouth), sa portion féminine renfermée en sa propre es- sence à la fois maie et femelle, 'Apc£vo6v]>.uç:tous les autres dieux égyptiens ne sont que des formes de ces deux principes constituants considérés sous différents rapports pris isolément. Ce ne sont que de pures abstractions du grand Etre. Ces formes secondaires , tertiaires , etc., établissent une chaîne non interrompue qui descend des cieux,et se matérialise jusqu'aux incarnations sur la terre, et sous forme humaine. La dernière de ces incarnations est celle iVHorus et cet anneau extrême de la chaîne divine, forme sous le nom d'Horammon l'îi des dieux dont Amraon-Horus

l56 ONZIÈME LKTTHE.

(le grand Ammon, esprit actif et générateur) est l'A. Le point de départ de la mythologie égyp- tienne est une Triade formée des trois parties ^Ammon-Ra^ savoir Ammon (le mâle et le père), Mouth(la femelle et la mère), et Khons(lefils enfant). Cette Triade, s'étant manifestée sur la terre, se résout en Osiris, Isis et Horus. Mais la parité n'est pas complète, puisque Osiris et Isis sont frères. C'est à Kalabschi que j'ai enfin trouvé la Triade finale, celle dont les trois membres se fondent exactement dans les trois membres de la Triade initiale : Horus y porte en effet le titre de mari de la mère ; et le fils qu'il a eu de sa mère Isis, et qui se nomme Maloulii}^ MandouU dans les Proscynéma grecs), est le dieu princi- pal de Kalabschi, et cinquante bas-reliefs nous donnent sa généalogie. Ainsi la Triade finale se formait d'Horus, de sa mère Isis et de leur fils Malouli , personnages qui rentrent exactement dans la Triade initiale, xAmmon, sa mère Mouth et leur fils Khons. Aussi Malouli était-il adoré à Kalabschi sous une forme pareille à celle de Khons, sous le même costume et orné des mêmes insignes : seulement le jeune dieu porte ici de plus le titre de Seigneur de Talmis, c'est-à-dire de Kalabschi , que les géographes grecs appel- lent en effet Talmis , nom qui se retrouve d'ail- leurs dans les inscriptions des temples.

OJNZIÈME LETTRE. I 57

J'ai, de plus, acquis la certitude qu'il avait existé à Talmis trois éditions du temple de Ma- louli ; une sous les Pharaons et du règne d'A- iTiénophis II , successeur de Moeris ; une du temps des Ptolémées; et la dernière, le temple actuel qui n'a jamais été terminé, sous Auguste, Caïus-Caligula et Trajan; et la légende du dieu Malouli^ dans un fragment de bas- relief du premier temple , employé dans la construction du troisième, ne diffère en rien des légendes les plus récentes. Ainsi donc, le culte local de toutes les villes et bourgades de la Nubie et d'E- gypte n'a jamais reçu de modification, on n'in- novait rien, et les anciens dieux régnaient encore le jour les temples ont été fermés par le chris- tianisme. Ces dieux d'ailleurs s'étaient, en quel- que sorte, partagé l'Egypte et la Nubie, consti- tuant ainsi une espèce de répartiti'on féodale. Chaque ville avait son patron : Chnouphis et Saté régnaient à Eléphantine, à Syène et à Bé- ghé, et leur juridiction s'étendait sur la Nubie entière ; Phré, à Ibsamboul , à Derri et à Amada ; Phtah , à Ghirsché ; Anouké, à Maschakit ; Thoth , le surintendant de Chnouphis sur toute la Nubie , avait ses fiefs principaux à Ghebel - adheh et à Dakkèh ; Osiris était seigneur de Dandour; Isis reine, à Philae; Hathôr, à Ibsamboul, et enfin Malouli, à Ralabschi. Mais Ammon-Ra règne

l58 ONZIÈME LETTRE.

partout et occupe habituellement la droite des sanctuaires.

Il en était de même en Egypte, et l'on conçoit que ce culte partiel ne pouvait changer, puisqu'il était attaché au pays par toute la puissance des croyances religieuses. Du reste, ce culte, pour ainsi dire exclusif dans chaque localité, ne pro- duisait aucune haine enlre les villes voisines, puisque chacune d'elles admettait dans son tem- ple(comme syntrônes), et cela par un esprit de courtoisie très-bien calculé , les divinités adorées dans les cantons limitrophes. Ainsi j'ai retrouvé à Ralabschi les dieux de Ghirsché et de Dakkèh au midi, ceux de Déboud au nord, occupant une place distinguée; à Déboud, les dieux de Dakkèh et de Philae; à Philae , ceux de Déboud et de Dakkèh Pau midi; ceux de Béghé, d'Eléphan- tine et de Syène , au nord ; à Syène enfin, les dieux de Philae et ceux d'Ombos.

C'est encore à Kalabschi que j'ai remarqué , pour la première fois, la couleur violette em- ployée dans les bas-reliefs peints; j'ai fini par découvrir que cette couleur provenait du mor- dant ou mixtion appliquée sur les parties de ces tableaux qui devaient recevoir la dorure ; ainsi le sanctuaire de K.alabschi et la salle qui le pré- cède ont été dorés aussi bien que le sanctuaire de Dakkèh.

ONZIÈME LETTRE. I OQ

Près de Kalabsclii est l'intéressant monument de Bet-Ouallj, qui nous a pris les journées des 28, 29, 3o et 3( janvier jusqu'à midi. mes yeux se sont consolés des sculjDtures barbares du temple de Kalabsclii, qu'on a fait riches parce qu'on ne savait plus les faire belles, en contem- plant les bas-reliefs historiques qui décorent ce spéos , d'un fort beau style et dont nous avons des copies complètes. Ces tableaux sont relatifs aux campagnes contre les arabes et des peuples africains^ les Kouschi (les Ethiopiens), et les Schari, qui sont probablement les ^àcA^r^ d'au- jourd'hui; campagnes de Sésostris dans sa jeu- nesse et du vivant de son phe^ conjme le dit expressément Diodore de Sicile qui, à cette épo- que ,^Iui fait soumettre en effet les arabes et presque toute la Lihje.

Le roi Rhamsès, père de Sésostris ^ est assis sur son trône dans un naos, et son fils, en cos- tume de prince , lui présente un groupe de pri- sonniers arabes asiatiques. Plus loin , le Pharaon est représenté comme vainqueur , frappant lui- même un homme de cette nation, en même temps que le prince ( Sésostris) lui présente les chefs militaires et une foule de prisonniers. Le roi , sur son char , poursuit les Arabes , et son fils frappe de sa hache les portes d'une ville assié- gée ; le roi foule aux pieds les Arabes vaincus ,

l6o ONZIÈME LETTRE.

dont une longue file lui est amenée en état de captifs par le prince son fils : tels sont les ta- bleaux historiques décorant la paroi de gauche de ce qui formait la salle principale du mo- nument, en supposant que cette portion du spéos ait jamais été couverte.

La paroi de droite présente les détails de la campagne contre les Éthiopiens ^ les Bischari et des Nègres. Dans le premier tableau, d'une grande étendue, on voit les Barbares en pleine déroute, se réfugiant dans leurs forêts, sur les montagnes, ou dans des marécages; le second tableau , qui couvre le reste de cette paroi , re- présente le roi assis dans un naos et accueillant, avec un geste de la main, son fils aîné (Sésos- tris), qui lui présente, i*^ im prince éthiopien nommé Aniénémopli.,fils de Poeri ^ soutenu par deux de ses enfants, dont l'un lui offre une coupe, comme pour lui donner la force d'arriver aux pieds du trône du père de son vainqueur; oP des chefs militaires égyptiens; 3** des tables et des buf- fets couvertsdec/z«iVze5<i'oret avec elles des/?eawje de ^panthère ;des sachets renfermant de Vor en poudre; des troncs de bois d'e^è/ze ; des dents d' éléphant ; (Xqs pi urnes d' autruche; des faisceaux d'arcs et de/lèches; des, meubles précieux, et toutes sortes de butin pris sur l'ennemi ou imposé par îa conquête; l^'^ à la suite de ces richesses, mar-

ONZIÈME LETTRE. l6l

chent quelques Bischaris prisonniers , hommes et femmes , l'une de celles-ci portant deux en- fants sur ses épaules et dans une espèce de couffe ; suivent des individus conduisant au roi des ani- maux vivants^ les plus curieux de l'intérieur de l'Afrique, ielion, les pa/ithhres, l'autruche, desj'//z- ges et la ^/rq/è, parfaitement dessinés, etc. , etc. On reconnaîtra , j'espère, la campagne de Sé- sostris contre les Ethiopiens, lesquels il força, selon Diodore de Sicile encore, de payer à l'E- gypte un tribut annuel en or, en èbène et en dents d' éléphant.

Les autres sculptures du spéos sont toutes religieuses. Ce monument était consacré au grand dieu Ammon-Ra et à sa forme secondaire Chnouphis. Le premier de ces dieux déclare plu- sieurs fois, dans ses légendes, avoir donné tou- tes les mers et toutes les terrés existantes à son fils chéri a le Seigneur du monde ( Soleil gardien de justice) Rhamsès (II)». Dans le sanctuaire, ce pharaon est représenté suçant le lait des dées- ses Anouké et Isis. « Moi qui suis ta mère, la dame d'Éléphantine , dit la première, je te re- çois sur mes genoux, et te présente mon sein pour que tu y prennes ta nourriture, ô Rhamsès « Et moi , ta mère Isis, dit l'autre , moi, la dame de Nubie, je t'accorde les périodes des panégy- ries( celles de 3o ans) que tu suces avec mon lait,

1 1

iGa ONZIÈME LETTRE.

et qui s'écouleront en une vie pure. » J'ai fait copier ces deux tableaux", ainsi que plusieurs autres, parmi lesquels deux bas-reliefs mon- trant le pharaon vainqueur des peuples du Midi et des peuples du Nord. Il ne faut pas oublier que les Égyptiens appelaient les Syriens, les Assyriens, les Ioniens et les Grecs, peuples sep- tentrionaux.

Je dis adieu à ce monument de Bet-Oually avec quelque peine; car c'était le dernier de la belle époque et d'une bonne sculpture, que je dusse rencontrer entre Ralabschi et Thèbes.

Le 3i , au coucher du soleil, nous étions à Kardâssi ou Rortha , j'allai visiter les restes d'un petit temple d'Isis , dénué de sculpture , à l'exception d'un bas-relief sur un fût de colonne. J'avais vu, deux heures auparavant, les temples de Tafah (l'ancienne Taphis), également sans sculptures ni inscriptions hiéroglyphiques. Mais on juge facilement, à leur genre d'architecture, qu'ils appartiennent au temps de la domination romaine.

Le i" février , nous vîmes venir à nous une cange avec pavillon autrichien : c'était du nou- veau pour nous , et les conjectures de marcher ; cependant, la barque avançait aussi vers nous, et je reconnus sur la proue M. Acerbi, consul général d'Autriche en Egypte , qui m'appelait et

ONZIÈME LETTRE. I 63

me saluait de la main. Nous arrêtâmes nos bar- ques et passâmes quelques heures à causer de nos travaux avec cet excellent homme , publi- ciste et littérateur distingué , qui nous avait trai- tés d'une manière si aimable pendant notre séjour à Alexandrie. Nous nous séparâmes, lui pour remonter jusqu'à la seconde cataracte, et moi pour rentrer en Egypte , avec promesse de nous rejoindre à Thèb^^, qui est le Paris de l'E- gypte | et le rendez-vous des voyageurs, n'en déplaise à la grosse ville du Raire et à la triste Alexandrie.

Vers 1 heures après-midi , nous étions à Dé- boud ou Déhoudé : nous étant rendus au tem- ple , en passant sous les trois petits propylons sans sculpture, je trouvai qu'il avait été bâti, en grande partie, par un roi éthiopien nommé Atharramon^ et qui doit être le prédécesseur ou le successeur immédiat de VErgamene de Dakkè. Le temple, dédié à Ammon-Ra, seigneur de Tèbot (Déboud), et à Hathôr , et subsidiairement à Osiris et à Isis, a été continué , mais non achevé, sous les empereurs Auguste et Tibère. Dans le sanctuaire encore non sculpté, gisent les débris d'un mauvais naos monolithe, en granit rose, du^temps des Ptolémées.

Notre ^travail étant terminé, nous rentrâmes dans nos barques , pressés de partir et de pro-

I T.

l64 ONZlÈiME LETTRE.

fiter du reste de la journée pour arrivera Philœ, rentrer ainsi en Egypte, et dire adieu à cette pauvre Nubie, dont la sécheresse avait déjà lassé tous mes compagnons de voyage; d'ailleurs, en remettant le pied en Egypte, nous pouvions espé- rer de manger du pain un peu plus supportable que les maigres galettes azymes dont nous régalait journellement notre boulanger en chef, tout- à-fait à la hauteur du gargotier arabe qu'on nous donna au Kaire comme un cuisinier cordon-bleu.

C'est à neuf heures du soir que nous retou- châmes enfin la terre égyptienne, en abordant à l'île de Phila^ , rendant grâces à ses antiques divinités Osiris, Isis et Horus, de ce que la fa- mine ne -nous avait pas dévorés entre les deux cataractes.

Nous avons séjourné dans l'ile sainte jusqu'au 7 février, terminant les travaux commencés au mois de décembre, et recueillant tous les ta- bleaux mythologiques relatifs à l'histoire et aux attributions d'Isis et d'Osiris, les dieux principaux de Phila? , bas-reliefs qui s'y trouvent en fort grand nombre. Je me contenterai de donner ici les époques des principaux édifices de cette île.

Le petit temple du sud a été dédié à Hathôr, et construit par le pharaon Nectanèbe, le der- nier des rois de race égyptienne, détrôné par la seconde invasion des Perses. La grande galerie,

ONZIKJIK LETTRE. l65

OU portique couvert qui, de ce joli petit édifice, conduit au grand temple , est de J'époque des empereurs ; ce qu'il y a de sculpté l'a été sous les règnes d'Auguste , de Tibère et de Claude.

Le premier" pylône est du temps de Ptolémée- Philométor, qui a encastré dans ce pylône un propylon dédié à Isis par le pharaon Nectanèbe, et l'existence de ce propylon prouve qu'avant le grand temple cVisis actuel il en existait déjà un autre sur le même emplacement, lequel aura été détruit parles Perses de Darius-Ochus. Cela explique les débris de sculpture plus anciens employés dans les colonnes du pronaos actuel du grand temple.

C'est Ptolémée-Pliiladelphe qui a construit le sanctuaire et les salles adjacentes de ce monument. Le pronaos est d'Évergète II, et le second pylône , de Ptolémée-Philométor. Les sculptures et bas- reliefs extérieurs de tout l'édifice ont été exécu- tés sous Auguste et Tibère. , Entre les deux pylônes du grand temple d'Isis, il existe à droite et à gauche deux beaux édifices d'un genre particulier. Celui de gauche est un temple périptère, dédié à Hathôr et à la déli- vrance d'Isis qui vient d'enfanter Horus. La plus ancienne partie de ce temple est de Ptolémée-Epi- phane ou de son fils Évergète II. Les bas-reliefs extérieurs sont du règne d'Auguste et de Tibère.

l66 ONZIÈME LETTRE.

C'est Évergète II qui se donne les honneurs de la construction de ce temple , dans les longues dé- dicaces de la frise extérieure.

Le même roi s'est aussi emparé, par une in- scription semblable, de l'édifice de droite qui, presque tout entier, est de son frère Philométor, à l'exception d'une salle sculptée sous Tibère.

J'ai donné une journée presque entière à une petite île voisine de Pliilae, l'île de Béghé, la Commission d'Egypte indiquait le reste d'un petit édifice égyptien. J'y ai, en effet, trouvé quelques colonnes d'un tout petit temple de très-mauvais travail et de l'époque de Philomé- tor. Mais des inscriptions m'apprirent que j'étais dans l'île de Snem^ nom de localité que j'a- vais rencontré souvent , depuis Ombos jusqu'à Dakké , dans les légendes des dieux , et surtout dans celles du dieu Chnouphis et de la déesse Hathôr. C'était un des lieux les plus saints de l'Egypte, et une île sacrée, but de pèlerinages long -temps avant sa voisine l'île de Philae, qui se nommait Manlak en langue égyptienne. C'est de qu'est venu le copte Pilach, l'arabe Bi- laq, et le grec Philai, sans que, dans tout cela, il soit le moins du monde question de fil ( l'élé- phant), comme l'ont prétendu de soi-disant étyraologistes.

Le temple de Snem (Béghé) était en effet

ONZIÈME LETTRE. 167

dédié à Chnoiiphis et à la déesse Hathôr, et le monument actuel était encore la 2* édition d'un temple bien plus ancien et plus étendu, bâti sous le règne du pharaon Aménophis II, succes- seur de Mœris. J'ai retrouvé les débris de ce temple, et les restes d'une statue colossale du même pharaon , qui décorait un des pylônes de l'ancien édifice. J'ai recueilli dans cette île, en courant ses rochers de granit rose, une vingtaine d'inscriptions, toutes des temps pharaoniques, attestant des visites et des actes d'adoration faits dans Fîle sainte de Siiem par des grands per- sonnages de la vieille Egypte, et entre autres i^ un proscynéma d'un Basilicogrammale commandant les troupes^ sous le pharaon Aménophis III (Mem- non) , grammate nommé Améiiéniopli; une in- scription attestant le pèlerinage d'un grand-prêtre d'Ammon, princedelafamilledeRhamsès;3° ce- lui d'un prince éthiopien nommé Mémosis^ sous le pharaon Aménophis III; L\^ celui du prince éthiopien Messi, sous Rhamsès-le-Grand; ce- \m A' un grand-prêtre d'Anouké, nommé Amé- nothph; un proscynéma conçu en ces termes : « Je suis venu vers vous, moi votre serviteur, vous tous , grands dieux , qui résidez dans Snem ! accordez -moi tous les bienfaits qui sont en vos mains moi) l'intendant des terres du roi sei- gneur du monde Aménophis (III), Amosis : » cet

j68 onzième lettre.

Amosis est représenté à côté de rinscription, levant ses mains en attitude d'adoration -,7° enfin, vers le haut d'une montagne de grands rochers de granit, j'ai copié une belle inscription attes- tant que l'an XXX , l'an XXXIV et l'an XXXIX du règne de Rliamsès-le-Grand (Sésostris), un des princes ses enfants a assisté à la panégyrie de Snem , et l'a célébrée par des sacrifices. Je ne parle point de plusieurs inscriptions pure- ment onomastiques, et de quelques autres qui, ne contenant que les légendes royales , sculptées en grand , des pharaons Psammetichus 1", Psam- metichus 11, Apries et Amasis, semblent avoir eu pour motif de rappeler soit le passage de ces pharaons dans l'île de Snem, soit même de grands travaux d'exploitation dan s les monta- gnes granitiques de cette île , le granit est de toute beauté.

Avant de quitter Philae , j'allai , avec MM. Du- chesne, Lhôte , Lehoux et Bertin, faire une par- tie de plaisir à la cataracte, nous prîmes un modeste repas, assis à l'ombre d'un santh (mi- mosa, fort épineux), le seul arbre du lieu , en face des brisants du Nil, dont le-bruissement me rap- pela nos torrents des Alpes. Au retour, je me fis débarquer en face de Philœ, sur la rive droite du fleuve , pour aller à la chasse des inscriptions dans les rochers de granit qui la couvrent, et

ONZIÈME LETTRE. 1 69

du nombre desquels est le roc taillé en forme de siège , et qu'un de nos doctes amis , M. Letronne , a cru pouvoir être XAbaton nommé dans les in- scriptions grecques de l'obélisque de Philce, Ce n'est cependant qu'un rocher comme un autre , avec cette différence qu'il est chargé d'inscrip- tions fort curieuses , mais qui n'ont aucun rap- port avec les dieux de Philœ; les plus remarqua- bles de ces inscriptions sont les suivantes:

Une stèle sculptée sur le roc, mais à demi effacée , monument qui rappelle une victoire remportée sur les Libyens par le pharaon Thouth- mosis IV ^ l'an 'f de son règne , le 8 du mois de phaménoth ;

2" Une stèle de son successeur Aménophis III (Memmon), assez bien conservée, de \[\ lignes, rappelant que ce pharaon venant de soumettre les Ethiopiens , l'an 5" de son règne, a passé dans ce lieu et y a tenu une panégyrie (assemblée reli- gieuse) ;

Un proscynéma à Neith et àMandou, pour le salut du roi Mandoouthph (Smendès), de la XXr dynastie;

Un proscynéma à Horammon , Saté et Man- dou, pour le salut du roi Néphérothph (Néphé- rites), de la XXIX^ dynastie.

Je ne parle point d'une foule de proscynéma de simples particuliers, à Chnouphis et à Saté, les grandes divinités de la cataracte.

I yo ONZIÈME LETTRE.

Les rochers sur la route de Philœ a Sjhie^ et que j'ai exjDlorés le 7 février, en portent aussi un très-grand nombre, adressés aux mêmes di- vinités: j'y ai aussi copié des inscriptions et des sculptures représentant des princes éthiopiens rendant hommage à Rhamsès-le-Grand,ou à son grand-père (Mandoueï) ; ce sont les mêmes dont j'ai trouvé de semblables monuments en Nubie.

Je rentrai enfin à Syène, que j'avais quittée en décembre. En attendant que nos bagages arri- vassent de Philœ à dos de chameau, et qu'on disposât notre nouvelle escadre égyptienne (car nous avons laissé les barques nubiennes à la ca- taracte, qu'elles ne peuvent franchir), je revis les débris du temple de Syène , consacré à Chnou- phis et à Saté , sous l'empereur Nerva ; c'est un monument de l'extrême décadence de l'art en Egypte; il m'a intéressé toutefois, parce que c'est le seul qui porte la légende hiéroglyphique de Nerva; oP parce qu'il m'a fait connaître le nom hiéroglyphique-phonétique de Syène^ Souan, qui est le nom copte Souan, et l'origine du Syéiié des Grecs et de XOsouan des Arabes; S** enfin, parce que le nom symbolique de cette même ville, représentant un aplomb d'architecte ou de maçon, fait, sans aucun doute, allusion à l'an- tique position de Syène sous le tropique du can- cer, et à ce fameux puits dans lequel les rayons

ONZIÈME LETTRE. I 7 I

du soleil tombaient d'aplomb le jour du solstice d'été: les auteurs grecs sont pleins de cette tradi- tion, qui a pu, en effet, être fondée sur un fait réel , mais à une époque infiniment reculée.

J'ai couru, en bateau, les rochers de granit des environs de Syène, en remontant vers la ca- taracte ; j'y ai trouvé l'hommage d'un prince éthiopien à Aménophis III , et à la reine Taia sa femme; un acte d'adoration à Chnouphis,ledieu local, pour le salut deRhamsès-le-Grand, de ses filles Isénofré , BatJiianthi , et de leurs frères Scha-hem-kame Q\.Mérenphtah; le prince éthio- pien Mémosis (le même dont j'avais déjà recueilli une inscription dans l'île de Snem), agenouillé et adorant le prénom du roi Aménophis III; en- fin plusieurs proscynéma de simples particuliers ou de fonctionnaires publics, aux divinités de Syène et de la cataracte, Chnouphis, Saté, et Anouké.

Je visitai pour la seconde fois File à' Eléphan- tine qui, tout entière, formerait à peine un parc convenable pour un bon bourgeois de Paris , mais dont certains chronologistes modernes ont voulu toutefois faire un royaume^ pour se débar- rasser de la vieille dynastie égyptienne des Elé- phantins. Les deux temples ont été récemment détruits, pour bâtir une caserne et des magasins à Syène ; ainsi a disparu le petit temple dédié à

irjl ONZIEME LETTRE.

Chnoupliis par le pharaon AménophisIII. Je n'ai retrouvé debout que les deux montants des por- tes en granit, ayant appartenu à un autre temple de Chnouphis, de Saté et d'Anouké, dédié sous Alexandre , fils d'Alexandre-le-Grand. Mais un mauvais mur de quai, de construction romaine, m'a offert les débris, entremêlés et mutilés, de plusieurs des plus curieux édifices d'Elé- phantine, construits sous les rois Moeris, Man- doueï et Rhamsès-le-Grand. Dans les restes d'une chambre qui termine l'escalier du quai égyptien, j'ai copié plusieurs proscynéma hiéroglyphi- ques assez curieux, et l'inscription d'une stèle mutilée du pharaon Mandoueï.

Étant allé rejoindre mon escadre, et n'ayant plus rien à voir ni à faire sur l'ancienne limite de r empire romain ^\ç, quittai les rochers granitiques de Syène et d'Eléphantine, et nous nous diri- geâmes sur Oinbos , le vent a juré de nous empêcher d'arriver , puisque , au moment j'écris cette ligne, nous sommes au 12 février ; il est 7 heures du matin, et le Nil mugit à4 pouces de distance du lit sur lequel je suis assis.

Ombos, le 14 février à 2 heures.

Je suis enfin arrivé avant-hier à Ombos vers le milieu du jour. Nous avons repris nos travaux du mois de décembre, et à cette heure-ci, ils sont

ONZIÈME LETTRE. I73

terminés. Tout est encore ici de l'époque grecque : le grand temple est cependant d'une très-belle architecture et d'un grand effet ; il a été com- mencé parEpiphane, continué sous Philométor et Evergètell: quelques bas-reliefs sont même du temps de Clêopâtre-Cocce et de Soter II. Ce grand édifice, dont les ruines ont un aspect très- imposant, était consacré à deux Triades qui se partagent le temple, divisé, en effet, longitudi- nalement, en deux parties bien distinctes, l'une passant presque toujours dans des massifs de la construction. Sévek-Ra (la forme primordiale de Saturne , Kronos) à tète de crocodile ; Hathôr (Vénus), et leur fils Khons-IIôr, forment la pre- mière Triade. La seconde se compose d'Aroèri , de la déesse Tsonénoufré et de leur fils Pnevtho; ce sont les dieux seigneurs d'Ombos , et le cro- codile que portent les médailles romaines du nome Ombite, est l'animal sacré du dieu prin- cipal, Sévek-Ra.

La femme de Philométor, Cléopâtre, porte dans les dédicaces et dans les cartouches sculptés sur la corniche du pronaos, un surnom qui ne peut être que le grec Tryphrcne ou Dropion ; mais la première lecture est plus probable; il est répété trente fois, et il est impossible de s'y tromper.

Le petit temple d'Ombos était, comme l'un de ceux de Philœ, et le temple d'IIermonthis, un

I'74 ONZIÈME LETTRK.

Einiisi on Mammisi^ c'est-à-dire un édifice sacré, figurant le lieu de la naissance du jeune dieu de la Triade locale , c'est-à-dire une image terrestre du lieu les déesses Hathôr et Tsonénoufré avaient enfanté leur fils Rhons-Hôr et Pnevtho, les deux fils des deux Triades d'Ombos.

C'est en me glissant à travers les pierres ébou- lées de ce petit monument, et en visitant une à une toutes celles qui bientôt seront englouties par le Nil, lequel, ayant sapé les fondations, a déjà détruit la plus grande partie du monument, que j'ai trouvé des blocs ayant appartenu à une construction bien plus ancienne, c'est-à dire à un temple dédié par le roi Thouthmosis III (Mœris) au dieu Sévek-Ra, et avec les débris duquel on avait construit une partie à^XEimisi^ sous Ever- gète II, Cocce et Soter II.

Le grand temple d'Ombos n'est donc encore qu'une seconde édition : et c'est au plus ancien temple de Saturne qu'appartenaient les jambages d'un tout petit propylon encastré aujourd'hui sur la face extérieure de l'enceinte en brique qui environne les temples du côté du sud-est. I^es sculptures en sont du temps de Thouthmosis Kl, et le nom hiéroglyphique de ce propjlon , in- scrit au bas des deux jambages, était Porte (ou propylon) de la reine Amensé , conduisant au temple de Sévek-Ra (Saturne). On n'a point

ONZIÈME LETTRE. l'jB

oublié que ce roi -reine est Amensé, mère de Moeris. Le grand propylon voisin du Nil est de l'époque de Philométor, et conduisait au petit temple actuel.

Le vent souffle toujours avec autant de vio- lence; s'il cesse dans la nuit, nous en profiterons pour aller à Ghehel-Selséléh , nous attend une belle moisson des temps pharaoniques. Je ne clos donc ma lettre que conditionnellement.

Toujours Ombos^ le )6. Je me réjouis d'avance en pensant que j'aurai peut-être à Thèbes un nouveau courrier; j'y serai à la fin du mois. Je trouve les lettres de Paris un peu courtes; on oublie que je suis à mille lieues de France, et les soirées sont si longues ! Toujours fumer ou jouer à la bouillotte ! Il nous faudrait une bonne édition des petits paquets de Paris. Qu'on ne me trouve pas exigeant; j'ai presque le droit de l'être sous les auspices des vingt-sept pages que je viens d'écrire, et que je clos au plus vite, de peur qu'on ne dise que les plus grands bavards du monde sont les gens qui reviennent de la seconde ca- taracte Comme nos courriers pour le Kaire

vont à pied , et que le vent ne les arrête pas , je fais partir ce soir même celui qui nous a apporté nos lettres de France. ...Je n'ai pas oublié les notes de M. Letronne ; il apprendra avec intérêt que le listel sur lequel est gravée l'inscription

I-yG ONZIÈME LETTRE.

d'Ombos était doré , et que les lettres ont con- servé une couleur rouge-vif encore très-visible ; je n'ai pu vérifier ce qu'il y avait sur Sérapis à Tafah^ la pierre qui devait porter ce nom n'existant plus. ...Adieu.

DOUZIEME LETTRE.

Biban-el-Molouk ( Thèbes) , le aS mars 1829.

J'ai écrit un mot en courant, le 1 1 de ce mois ou environ, que le consul général d'Autriche, M. Acerbi, quittant la ville royale, m'a promis d'expédier d'Alexandrie par le premier bâtiment partant pour l'Europe. J'annonçais notre arrivée, en très-bonne santé (tous tant que nous sommes), à Thèbes , nous rentrâmes le 8 mars au matin , après avoir heureusement terminé notre voyage de Nubie et de la haute Thébaïde; nos barques furent amarrées au pied des colonnades du pa- lais de Louqsor ^ que nous avons étudié et ex- ploité jusqu'au aS du mois courant. Je tenais à profiter de nos barques pour notre travail de

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Louqsor, parce que ce magnifique palais, le plus profane de tous les monuments de l'Egypte, ob- strué par des cahuttes de fellah, qui masquent et défigurent ses beaux portiques, sans parler de la chétive maison d'un brin-bachi, juchée sur la plate-forme \iolemment percée à coups de pic, pour donner passage aux balayures du Turc, qui sont dirigées sur un superbe sanctuaire sculpté sous le règne du fils d'Alexandre-le-Grand ; ce magnifique palais, dis-je, ne nous offrait aucun local commode ni assez propre pour y établir notre ménage. Il a donc fallu garder notre maasch , la dahabié et les petites barques, jusqu'au mo- ment où nos travaux de Louqsor ont été finis.

Nous passâmes sur la rive gauche le aS, et après avoir envoyé notre gros bagage à une mai- son de Kourna , que nous a laissée un très- brave et excellent homme nommé Piccinini, agent de M. d'Anastasy à Thèbes, nous avons tous pris la route de la vallée de Biban-el-Mo^ iouÂ.) où. sont les tombeaux des rois de la XVIII® et de la XIX^ dynastie. Cette vallée étant étroite, pierreuse , circonscrite par des montagnes assez élevées et dénuées de toute espèce de végétation, la chaleur doit y être insupportable aux mois de mai, juin et juillet; il importait donc d'exploiter cette riche et inépuisable mine à une époque l'atmosphère, quoique déjà fort échauffée, est

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cependant encore sujDportable. Notre caravane s'y est donc établie le jour même, et nous oc- cupons le meilleur logement et leplus magnifique qu'il soit possible de trouver en Egypte. C'est le roi Rhamsès(le rv^de la XIX^ dynastie) qui nous donne l'hospitalité , car nous habitons tous son magnifique tombeau , le second que l'on ren- contre à droite en entrant dans la vallée de Bi- ban-el-Molouk. Cet hypogée, d'une admirable conservation, reçoit assez d'air et assez de lu- mière pour que nous y soyons logés à merveille; nous occupons les trois premières salles, qui forment une longueur de 65 pas; les parois, de 1 5 à 20 pieds de hauteur , et les plafonds sont tout couverts de sculptures peintes , dont les cou- leurs conservent presque tout leur éclat; c'est une véritable habitation de prince, à l'inconvénient près de l'enfilade des pièces; le sol est couvert en entier de nattes et de roseaux; enfin, les deux kaoïias (nos gardes du corps) et les domestiques couchent dans deux tentes dressées à l'entrée du tombeau. Tel est notre établissement dans la vallée des rois, véritable séjour de la mort, puis- qu'on n'y trouve ni un brin d'herbe , ni êtres vivants, à l'exception des schacals et des hyènes qui, l'avant-dernière nuit, ont dévoré, à cent pas de notre palais^ l'âne qui avait porté mou domestique barabra Mohammed , pendant le

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temps que l'ânier passait agréablement sa nuit de Ramadhan dans notre cuisine, qui est établie dans un tombeau royal totalement ruiné. Mais en voilà assez sur le ménage.

Un courrier que j'ai reçu à Thèbes m'a ap- porté les lettres du 20 décembre ; ce sont les plus récentes de toutes celles qui me sont parvenues; je me réjouis des bonnes nouvelles qu'elles me donnent, et surtout du bon état de notre vé- nérable M. Dacier. Je lui présente mes félicita- tions et mes respects ; j'espère que sa santé se sera soutenue, et que mes vœux, partis de la deuxième cataracte le i^^ janvier dernier, seront exaucés pour l'année courante et à toujours.

L'annonce de la commission archéologique pour la Morée, donnée par S. Ex. le ministre de l'intérieur à notre ami Dubois , m'a causé une vive satisfaction; il y a 20 ans que nous rêvions ensemble les voyages d'Egypte et de Grèce que nous exécutons aujourd'hui : ce rêve se réalise enfin! Je puis donc écrire de Thèbes à Athènes : que de temps historiques rapprochés dans un même but! C'est comme une fouille générale que fait la civilisation moderne dans les débris de l'ancienne, et j'espère que ce travail ne sera pas infructueux. Je vois d'ici notre ami sous les co- lonnades du Parthénon , ou dans l'Altis d'Olym- pie , à la tête de 4oo pionniers , ce qui serait en- core mieux.

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J'ai aussi fait commencer des fouilles kKarnac et à Kourna. J'ai réuni dix-huit momies de tout genre et de toute espèce; mais je n'emporterai que les plus remarquables, et surtout les momies gré- co-égyptiennes, portant à la fois des inscriptions grecques et des légendes démotiques et hiéra- tiques. J'en ai plusieurs de ce genre, et quelques momies d'enfant intactes, ce qui est rare jusqu'à présent. Tous les bronzes qui proviennent de mes fouilles de Karnac , et tirés des maisons même de la vieille Thèbes, à i5 ou 20 pieds au-dessous du niveau de la plaine, sont dans un état d'oxi- dation complet, ce qui- ne permet pas d'en tirer parti. J'ai mis à la tête de mes excavations sur la rive orientale, l'ancien chef fouilleur deM. Dro- vetti, le nommé Temsahh (le crocodile), qui me paraît un homme adroit et qui ne manque pas de me donner de grandes espérances. J'y compte peu, parce qu'il faudrait travailler en grand, et que mes moyens ne suffiraient pas. Je tâcherai cependant de donner un peu d'activité à mes fouilles dans les mois de juin, juillet et août, époque à laquelle je serai fixé sur les lieux, soit à Rarnac , soit à Kourna. J'ai 4o hommes en train, et je verrai si les produits compensent à peu près les dépenses, et si mon budget pourra les supporter. J'ai aussi 36 hommes qui fouillent à Kourna de compte à demi avec Rosellini, Il est

jSi douzième lettre.

évident que je ne puis songer à emporter ce qui manque justement au Musée royal , de grosses pièces, parce quele transport seul jusqu'à Alexan- drie épuiserait mes finances et de beaucoup.

Cela dit, je reprendrai le fil de mon itinéraire et la notice des monuments depuis Ombos, d'où est datée ma dernière lettre.

'Parùsd' Ombos le 17 février, nous n'arrivâmes, à cause de l'impéritie du réïs de notre grande barque et de la mollesse de nos rameurs , que le 18 au soir à Ghébel-Selsèléh (Silsilis), vastes carrières je me promettais une ample récolte. Mon espoir fut pleinement réalisé, et les cinq jours que nous y avons passés ont été bien em- ployés.

Les deux^ives du Nil, resserré par des mon- tagnes d'un très-beau grès, ont été exploitées par les anciens Egyptiens, et le voyageur est effrayé s'il considère, en parcourant les carrières, l'im- mense quantité de pierres qu'on a en tirer pour produire les galeries à ciel ouvert et les vastes espaces excavés qu'il se lasse de parcourir. C'est sur la rive gauche qu'on trouve les monu- ments les plus remarquables.

On rencontre d'abord, en venant du côté de Syène, trois chapelles taillées dans le roc et presque contiguës. Toutes trois appartiennent à la belle époque pharaonique, et se ressem-

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blent soit pour le plan et la distribution , soit pour toute la décoration intérieure et extérieure; toutes s'ouvrent par deux colonnes formées de boutons de lotus tronqués.

La première de ces chapelles (la plus au sud) a été creusée dans le roc sous le règne du Pha- raon Ousiréi de la XVIIF dynastie; elle est dé- truite en très-grande partie. Deux bas - reliefs seuls sont encore visibles , et ne présentent d'in- térêt que sous le rapport du travail , qui a toute la finesse et toute l'élégance de l'époque.

La seconde chapelle date du règne suivant, celui de Ehamsès IL Les tableaux qui décorent les parois de droite et de gauche nous font con- naître à quelle divinité ce petit édifice avait été dédié par le Pharaon. Il y est représenté ado- rant d'abord la Triade thébaine , les plus grands des dieux de l'Egypte , Ammon-Ra , Mouth , et Khons, ceux qu'on invoquait dans tous les tem- ples, parce qu'ils étaient le type de tous les au- tres; plus loin il offre le vin au dieu Phré, à Phtha, seigneur de justice, et au dieu Nil, nommé, dans l'inscription hiéroglyphique Hapi-moou, le père vivifiant de tout ce qui existe. C'est à cette dernière divinité que la chapelle de Rham- sès II, ainsi que les deux autres, furent particu- lièrement consacrées; cela est constaté par ime très -longue inscription hiéroglyphique, dont

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j'ai pris copie, et datée de «l'an IV, le lo^ jour de mésori, sous la majesté de l'Aroéri puissant, ami de la vérité et fils du Soleil, Rhamsès, chéri d'Hapimoou, le père des dieux.» Le texte, qui contient les louanges du dieu Nil ( ouHapimoou), l'identifie avec le Nil céleste Nenmoou , l'eau pri- mordiale, le grand Nilus, que Cicéron, dans son Traité sur la Nature des Dieux, donne comme le père des principales divinités de l'Egypte , même d'Ammon,ce que j'ai trouvé attesté ailleurs par des inscriptions monumentales. La troisième chapelle appartient au règne du fils de Rhamsès- le-Grand; il était naturel que les chapelles de Silsilis fussent dédiées à Hapimoou ( le Nil ter- restre), parce que c'est le lieu de l'Egypte le fleuve est le plus resserré et qu'il semble y faire une seconde entrée, après avoir brisé les mon- tagnes de grès qui lui fermaient ici le passage, comme il a brisé les rochers de granit de la ca- taracte pour faire sa première entrée en Egypte. On trouve, plus au nord de ces chapelles , une suite de tombeaux creusés pour recevoir deux ou trois corps embaumés; tous remontent jus- qu'aux premiers Pharaons de la XVIIl^ dynas- tie, et quelques-uns appartiennent à des chefs de travaux ou inspecteurs supérieurs des car- rières de Silsilis. Nous avons aussi copié des stèles portant des dates du règne de divers Rham-

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ses de la XVIir et de la XIX®, ainsi qu'une grande inscription de l'an XXII de Sésonchis.

Le plus important des monuments de Silsilis est un grand spéos , ou édifice creusé dans la montagne, et plus singulier encore par la variété des époques des bas-reliefs qui le décorent. Cette belle excavation a été commencée sous le roi Horus de la XVIIF dynastie; on en voulait faire un temple dédié à Ammon-Ra d'abord, et ensuite au dieu Nil , divinité du lieu , et au dieu Sévek (Saturne à tête de crocodile), divinité princi- pale du nome Ombite, auquel appartenait Silsi- lis. C'est dans cette intention qu'ont été exécu- tés, sous le règne d'Horus , les sculptures et inscriptions de la porte principale, tous les bas- reliefs du sanctuaire, et quelques-uns des bas- reliefs qui décorent une longue et belle galerie transversale qui précède ce sanctuaire.

Cette galerie , très-étendue , forme un véritable musée historique. Une de ses parois est tapissée, dans toute sa longueur, de deux rangées de stèles ou de bas-reliefs sculptés sur le roc, et, pour la plupart, d'époques diverses ; des monu- ments semblables décorent les intervalles des cinq portes qui donnent entrée dans ce curieux muséum.

Les plus anciens bas-reliefs, ceux du roi Ho- rus, occupent une portion de la paroi ouest :

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le pharaon y est représenté debout, la hache d'armes sur l'épaule, recevant d'Ammon-Ra l'em- blème de la vie divine, et le don de subjuguer le Nord et de vaincre le Midi. Au-dessous sont des Éthiopiens, les uns renversés, d'autres levant des mains suppliantes devant un chef égyptien, qui leur reproche, dans la légende, d'avoir fermé leur cœur à la prudence et de n'avoir pas écouté lorsqu'on leur disait ; « Voici que le lion s'ap- proche de la terre d'Ethiopie (Rousch). « Ce lion- était le roi Horus, qui fit la conquête de l'E- thiopie, et dont le triomphe est retracé sur les bas-reliefs suivants.

Le roi vainqueur est porté par des chefs mi- litaires sur un riche palanquin, accompagné de flabellifères. Des serviteurs préparent le chemin que le cortège doit parcourir ; à la suite du pha- raon viennent des guerriers conduisant des chefs captifs; d'autres soldats, le bouclier sur l'épaule, sont en marche, précédés d'un trompette; un groupe de fonctionnaires égyptiens, sacerdotaux et civils, reçoit le roi et lui rend des hommages.

La légende hiéroglyphique de ce tableau ex- prime ce qui suit : « Le dieu gracieux revient ( en Egypte), porté par les chefs de tous les pays (les nomes); son arc est dans sa main comme celui de Mandou , le divin seigneur de l'Egypte; c'est le roi directeur des vigilants , qui conduit

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(captifs) les chefs de la terre de Rousch (l'Ethio- pie), race perverse ; ce roi directeur des mondes, approuvé par Phré , fils du Soleil et de sa race, le serviteur d'Ammon , Hôrus, le vivificateur. Le nom de sa majesté s'est fait connaître dans la terre d'Ethiopie, que le roi a châtiée conformé- ment aux paroles que lui avait adressées son père Ammon. »

Un autre bas-relief représente la conduite, par les soldats, des prisonniers du commun en fort grand nombre ; leur légende exprime les paroles suivantes, qu'ils sont censés prononcer dans leur humiliation : « O toi vengeur ! roi de la terre de Rémé (l'Egypte), soleil de Niphaïat (les peuples Libyens), ton nom est grand dans la terre de Rousch (l'Ethiopie), dont tu as foulé les signes royaux sous tes pieds ! »

Tous les autres bas-reliefs de ce spéos, soit stèles, soit tableaux, appartiennent à diverses époques postérieures, mais qui ne descendent pas plus bas que le 3" roi de la XIX" dynastie. On y remarque, entre autres sujets : i ° Un tableau représentant une adoration à Ammon-Ra, Sévek (le dieu du nome) et Bubastis, par le basilico- grammate chargé de l'exécution du palais du roi Rhamsès-Meïamoun dans la partie occiden- tale de Thèbes (le palais de Médinet-Habou), le nommé Phori^ homme véridique ;

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Trois magnifiques inscriptions en caractères hiératiques, rappelant que le même fonction- naire est venu à Silsilis l'an V% au mois de pas- chons, du règne de Rliamsès-Meïamoun, faire exploiter les carrières pour la construction du palais de ce pharaon (le palais de Médinet-Habou);

Un grand bas-relief : Le roi Rliamsès-Meïa- moun adorant le dieu Phtha et sa compagne Pascht (Bubastis).

Cesmonuments démontrent, sans aucun doute, que tout le grès employé dans la construction du palais de Médinet-Habou à Thèbes, vient de Silsilis, et que ce grand édifice a été commencé au plus tôt la 5^ année du règne de son fondateur.

Une grande stèle représentant le même roi adorant les dieux de Silsilis , et dédiée par le ba- silico-grammate Honi, sur-intendant des bâti- ments de llhamsès-Meïamoun, intendant de tous les palais du roi existants en Egypte, et chargé de la construction du temple du Soleil bâti à Memphis par ce pharaon.

Des tableaux d'adoration et plusieurs stèles, plus anciennes que les précédentes, constatent aussi que Rhamsès-le-Grand (Sésostris) a tiré de Silsilis les matériaux de plusieurs des grands édifices construits sous son règne.

Plusieurs de ces stèles, dédiées soit par des intendants des bâtiments, soit par des princes

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qui étaient venus en Haute-Egypte pour y tenir des panégyries dans les années 3o, 34, 87, 4o et 44 de son règne, m'ont fourni des détails curieux sur la famille du conquérant. Une de ces stèles nous apprend que Rhamsès-le-Grand a eu deux femmes: la première, Nofré-Ari, fut l'épouse de sa jeunesse, celle qui paraît, ainsi que ses enfants, dans les monuments d'Ibsam- boul et de la Nubie; la seconde (et dernière jusqu'à présent) se nommait Isénofré ; c'était la mère i** de la princesse Bathianti, qui paraît avoir été sa fille chérie, la benjamine de la vieil- lesse de Sésostris; du prince Schohemkéiné , celui qui présidait les panégyries dans les der- nières années du règne de son père , comme le prouvent trois des grandes stèles de Silsilis. C'est probablement ce fils qui lui succéda en quittant son nom princier, et prenant sur les monuments celui de Thmeïothph (le possesseur de la vérité, ou bien celui que la vérité possède); c'est le SésoosisII deDiodore, et le Phéron d'Hérodote. Ce fut aussi, comme son père, un grand con- structeur d'édifices, mais dont il ne reste que peu de traces. On trouve dans le spéos de Sil- silis, 1° une petite chapelle dédiée en son hon- neur par l'intendant des terres du nome ombite, appelé Pnahasi; une stèle (date effacée) dé- diée par le même Pnahasi, et constatant qu'on

igO DOUZIÈME LETTRE.

a tiré des carrières de Silsilis les pierres qui ont servi à la construction du palais que ce roi avait fait élever à Thèbes , il n'en reste aucune trace, à ma connaissance du moins. Cette stèle nous apprend que la femme de ce pharaon se nom- mait Isénqfré^ comme sa mère, et son fils aîné Phthamen.

3** Une stèle de l'an II , 5^ jour demésori, rap- pelant qu'on a pris à Silsilis les pierres pour la construction du palais du roi Thmeïothph à Thèbes, et pour les additions ou réparations faites au palais de son père, leRhamsséion (l'édi- fice qu'on a improprement nommé tombeau d'O- simandyas et Memnonium. )

Il existe enfin à Silsilis des stèles semblables relatives à quelques autres rois de la XVIir et de la XIX" dynastie. Deux stèles d'Aménophis- Memnon, le père du roi Hôrus, se voient sur la rive orientale, se trouvent les carrières les plus étendues; ces stèles donnent la première date certaine des plus anciennes exploitations de Silsilis. Il est certain qu'après la XIX*" dynas- tie , ces carrières ont toujours fourni des maté- riaux pour la construction des monuments de la Thébaïde. La stèle de Sésonchis I" le prouve; on y parle en effet d'exploitations de l'an XXII du règne de ce prince , destinées à des construc- tions faites dans la grande demeure d'Ammon :

DOUZIÈME LETTRE. I9I

ce sont celles qui forment le côté droit de la première cour de Rarnac, près du second py- lône, monument du règne de Sésonchis et des roisBubastites, ses descendants et ses successeurs; enfin, il est naturel de croire que les matériaux des temples d'Edfou et d'Esné viennent en grande partie de ces mêmes carrières.

Le 24 février au matin nous courions le por- tique et les colonnades d'^f-^« ( Apollonopolis- Magna.) Ce monument imposant par sa masse porte cependant l'empreinte de la décadence de l'art égyptien sous les Ptolomées, au règne des- quels il appartient tout entier; ce n'est plus la simplicité antique; on y remarque une recherche et une profusion d'ornements bien maladroites et qui marquent la transition entre la noble gra- vité des monuments pharaoniques et le papillo- tage fatigant et de si mauvais goût du temple ô^Esnek, construit du temps des empereurs.

La partie la plus antique des décorations du grand temple à'Edfou (l'intérieur du naos et le côté droit extérieur) remonte seulement au règne de Philopator. On continua les travaux sous Epi- phane, dont les légendes couvrent une partie du fût des colonnes et des tableaux intérieurs de la paroi droite du pronaos, qui fut terminé sous Évergète IL

Les sculptures de la frise extérieure et des

1^2. DOUZIEME LETTRE.

parois de l'extérieur des murailles du pronaos , furent décorées sous Soter IL Sous le même roi, on sculpta la galerie de droite de la cour en avant du pronaos. La galerie de gauche appar- tient à Plîilométor, ainsi que toutes les sculp- tures des deux massifs du pylône. J'ai trouvé cependant, vers le bas du massif de droite, un mauvais petit bas-relief représentant l'empereur Claude adorant les dieux du temple.

Le mur d'enceinte qui environne le naos est entièrement chargé de sculptures; celles de la face intérieure datent du règne de Cléopâtre- Cocce et de Soter II, de Cocce, de Ptolémée- Alexandre V^ et de sa femme la reine Bérénice.

Voilà qui peut donner une idée exacte de VantiquUé du grand temple d'Edfou : ce ne sont point ici des conjectures , ce sont des faits écrits sur cent portions du monument , en caractères de lo pouces, et quelquefois de 2 pieds de hau- teur.

Ce grand et magnifique édifice était consacré aune Triade composée, i*' du dieu Har-Hat, la science et la lumière célestespersonnifiées, et dont le soleil est l'image dansle monde matériel; de la déesse Hathôr , la Vénus égyptienne ; de leur fils Harsont-Tho (l'Hôrus, soutien du monde), qui répond à l'amour (Eros) des mythologies grecque et romaine.

DOUZIÈME LETTRE. IqS

Les qualifications, les titres et les diverses formes de ces trois divinités, que nous avons recueillis avec soin , jettent un grand jour sur plusieurs parties importantes du système théo- gonique égyptien. H serait trop long ici d'entrer dans de pareils détails.

J'ai fait dessiner aussi une série de i4 bas- reliefs de l'intérieur du pronaos, représentant le lever du dieu Har-Hat , identifié avec le soleil , son coucher ^X. ses formes symboliques à chacune des douze heures du jour, avec les noms de ces heures. Ce recueil est du plus grand intérêt pour l'intel- ligence de la petite portion des mythes égyp- tiens véritablement relative à l'astronomie.

Le second édifice d'Edfou, dit le Typhonium, est un de ces petits temples nommés Mammisi (lieu d'accouchement), que l'on construisait toujours à côté de tous les grands temples une Triade était adorée; c'était l'image de la demeure céleste la déesse avait enfanté le S'' person- nage de la Triade , qui est toujours figuré sous la forme d'un jeune enfant. Le Mammisi d'Edfou représente en effet l'enfance et l'éducation du jeune Har-Sont-Tho ^ fils d'Har-Hat et d'Hathôr, auquel la flatterie a associé Evergète II , repré- senté aussi comme un enfant et partageant les caresses que les dieux de tous les orcires pro- diguent au nouveau-né d'Har-Hat. J'ai fait copier

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194 DOUZIEME LETTRE.

un assez grand nombre de bas-reliefs de ce mo- nument du règne d'Evergète II et de Soter II.

Nos travaux terminés à Edfou , nous allâmes reposer nos yeux , fatigués des mauvais hiéro- glyphes et des pitoyables sculptures égyptiennes du temps des Lagides, dans les tombeaux cVÉ- léthya (£l-Kab) , nous arrivâmes le samedi a8 février. Nous fûmes accueillis par la pluie, qui tomba par torrents avec tonnerre et éclairs pendant la nuit du i^'^au 2 mars. Ainsi nous pour- rons dire , comme le dit Hérodote du foi Psammé- nite : De notre temps il a plu en Haute-Egypte.

Je parcourus avec empressement l'intérieur de l'ancienne ville d'Eléthya, encore subsistante, ainsi que la seconde enceinte qui renfermait les tem- ples et les édifices sacrés. Je n'y trouvai pas une seule colonne debout; les Barbares ont détruit depuis quelques mois ce qui restait des deux temples intérieurs , et le temple entier situé hors de la ville. Il a fallu me contenter d'examiner une à une les pierres oubliées par les dévasta- teurs et sur lesquelles il restait quelques sculp- tures.

J'espérais y trouver quelques débris de lé- gendes, suffisants pour m'éclairer sur l'époque de la construction de ces édifices et sur les divi- vinités auxquelles ils furent consacrés. J'ai été assez heureux dans cette recherche pour me

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convaincre pleinement que le temple d'Éléthya, dédié à Sévek (Saturne) et à Sowan (Lucine), appartenait à diverses époques pharaoniques; ceux que la ville renfermait avaient été con- struits et décorés sous le règne de la reine Amensé, sous celui de son fils Thouthmosis 111 (Mœris), et sous les pharaons Aménophis-Memnon et Rhamsès-le-Grand. Les rois Amyrtée et Achoris, deux des derniers princes de race égyptienne, avaient réparé ces antiques édifices, et y avaient ajouté quelques constructions nouvelles. Je n'ai rien trouvé à Eléthya qui rappelle l'époque grecque ou romaine. Le temple à l'extérieur de la ville est au règne de Mœris.

Les tombeaux ou hypogées creusés dans la chaîne arabique voisine de la ville, remontent pour la plupart à une antiquité reculée. Le pre- mier que nous avons visité est celui dont la Com- mission d'Egypte a publié les bas-reliefs peints, relatifs aux travaux agricoles, à la pèche et à la navigation. Ce tombeau a été creusé pour la famille d'un hiéro-grammate nommé Phapé^ at- taché au collège des prêtres d'Éléthya (Sowan- Kah). J'ai fait dessiner plusieurs bas-reliefs iné- dits de ce tombeau, et j'ai pris copie de toutes les légendes des scènes agricoles et autres, pu- bliées assez négligemment. Ce tombeau est d'une très-haute antiquité. Un second hypogée ,

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celui (l'un graiid-prétre de la déesse llythia ou Éléthja (Sowan), la déesse éponyme de la ville de ce nom, porte la date du règne de Pihamsès- Méiamowi; il présente une foule de détails de famille et quelques scènes d'agriculture en très- mauvais état. J'y ai remarqué, entre autres faits, le foulage ou battage des gerbes de blé par les bœufs, et au-dessus de la scène on lit, en hiéro- glyphes presque tous phonétiques, la chanson que le conducteur du foulage est censé chanter , car dans la vieille Egypte, comme dans celle d'aujourd'hui, tout se faisait en chantant, et cha- que genre de travail a sa chanson particulière.

Voici celle du battage des grains, en 5 lignes, sorte d'allocution adressée aux bœufs, et que j'ai retrouvée ensuite, avec de très-légères va- riantes, dans des tombeaux bien plus antiques encore :

Battez pour vous (bis) ô bœufs Battez pour -\ons{bis\ Des boisseaux pour vos maîtres.

La poésie n'en est pas très-brillante ; proba- blement l'air faisait passer la chanson : du reste, elle est convenable à la circonstance dans laquelle on la chantait, et elle me paraîtrait déjà fort cu- rieuse quand même elle ne ferait que constater l'antiquité du Bis qui est écrit à la fin de la i*"* et de la 3^ ligue. J'aurais voulu en trouver la mu- sique pour l'envoyer à notre respectable ami le

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général de La Salette : elle lui aurait fourni quelques données de plus pour ses savantes re- cherches sur la musique des anciens.

Le tombeau voisin de celui-ci est plus inté- ressant encore sous le rapport historique. C'était celui d'un nommé Ahmosis ^ fils de Obschné, chef des mariniers , ou plutôt des nauloniers : c'était un grand personnage. J'ai copié dans son hypogée ce qui reste d'une inscription de plus de 3o colonnes, dans laquelle cet Ahmosis adresse la parole à tous les individus présents et futurs, et leur raconte son histoire que voici : Après avoir exposé qu'un de ses ancêtres tenait un rang distingué parmi les serviteurs d'un ancien roi de laXVF dynastie, il nous apprend qu'il est entré lui-même dans la carrière nautique dans les jours du roi Ahmosis (le dernier de la XVIF dynastie légitime); qu'il est allé rejoindre le roi à Tanis; qu'il a pris part aux guerres de ce temps il a servi sur l'eaw^ qu'il a ensuite combattu dans le Midi, il a fait des prisonniers de sa main; que, dans les guerres de l'an vi^ du même Pharaon , il a pris lui riche butin sur les enne- mis; qu'il a suivi le roi Ahmosis lorsqu'il est monté par eau en Ethiopie pour lui imposer des tributs; qu'il se distingua dans la guerre qui s'ensuivit j et qu'enfin il a commandé des hâtimenls sous le roi Thouthmosis V^. C'est là,

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sans aucun doute , le tombeau d'un de ces braves qui, sous le pharaon Ahmosis, ont presque achevé l'expulsion des Pasteurs et délivré l'Egypte des Barbares.

Pour ne pas trop allonger l'article d'Éléthya, je terminerai par l'indication d'un tombeau pres- que ruiné; il m'a fait connaître 4 générations de grands personnages du pays, qui l'ont gouverné sous le titre de souten-si de Sowan (princes d'E- léthya), durant les règnes des cinq premiers rois de la XVIII^ dynastie, savoir : Aménothph 1^"^ (Aménoftep), Thouthmosis F"^, Thouthmosis II, Amensé, et Thouthmosis III (Moeris), auprès desquels ils tenaient un rang élevé dans leur ser- vice personnel, ainsi que dans celui des reines Ahmosis - A taré et Ahmosis, femmes des deux premiers rois nommés ; et de Ranofré, fille de la reine Amensé et sœur de Mœris. Tous ces per- sonnages royaux sont successivement nommés dans les inscriptions de l'hypogée, et forment ainsi un supplément et une confirmation pré- cieuse de la Table d'Abydos.

Le 3 mars, au matin, nous arrivâmes à Esnéhy nous fûmes très-gracieusement accueillis par Ibrahim-bey, le mamour ou gouverneur de la province; avec son aide, il nous fut permis d'étu- dier le grand temple d'Esnéh , encombré de co- ton , et qui , servant de magasin général de cette

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production, a été crépi de limon du Nil, sur- tout à l'extérieur. On a également fermé avec des murs de boue l'intervalle qui existe entre le premier rang de colonnes du pronaos , de sorte que notre travail a se faire souvent une chandelle à la main , ou avec le secours de nos échelles, afin de voir les bas-reliefs de plus près. Malgré tous ces obstacles, j'ai recueilli tout ce qu'il importait de savoir relativement à ce grand temple, sous les rapports mythologiques et historiques. Ce monument a été regardé , d'a- près de simples conjectures établies sur une fa- çon particulière d'interpréter le zodiaque du plafond , comme le plus ancien monument de l'Egypte : l'étude que j'en ai faite m'a pleinement convaincu que c'est au contraire le plus moderne de ceux qui existent encore en Egypte : car les bas-reliefs qui le décorent, et les hiéroglyphes surtout, sont d'un style tellement grossier et tourmenté, qu'on y aperçoit, au premier coup d'oeil, le point extrême de la décadence de l'art. Les inscriptions hiéroglyphiques ne confirment que trop cet aperçu : les masses de ce pronaos ont été élevées sous l'empereur César-Tibérius- Claudius-Germanicus (l'empereur Claude), dont la porte du pronaos offre la dédicace en grands hiéroglyphes. La corniche de la façade et le pre- mier rang de colonnes ont été sculptés sous les

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empereurs Vespasien et Titus; la partie posté- rieure du pronaos porte les légendes des empe- reurs Antonin , Marc-Aurèle et Commode ; quel- ques colonnes de l'intérieur du pronaos furent décorées de sculptures sous Trajan , Hadrien et Antonin; mais, à l'exception de quelques bas- reliefs de l'époque de Domilien^ tous ceux des parois de droite et de gauche du pronaos por- tent les images de Septime-Sévère et de Géta, que son frère Caracalla eut la barbarie d'assas- siner, en même temps qu'il fit proscrire son nom dans tout l'empire^ il paraît que cette proscrip- tion du tyran fut exécutée à la lettre jusqu'au fond de la Thébaïde , car les cartouches noms- propres de l'empereur Géta sont tous martelés avec soin ; mais ils ne l'ont pas été au point de m'empécher de lire très-clairement le nom de ce malheureux prince : I'ejipereur César - Géta le directeur.

Je crois que l'on connaît déjà des inscriptions latines ou grecques dans lesquelles ce nom est martelé : voilà des légendes hiéroglyphiques à ajouter à cette série.

Ainsi donc, l'antiquité du pronaos d'Esnéh est incontestablement fixée ; sa construction ne remonte pas au-delà de l'empereur Claude; et ses sculptures descendent jusqu'à Caracalla, et

DOUZIEME LETTRE. 20I

du nombre de celles-ci est le fameux zodiaque dont on a tant parlé.

Ce qui reste du naos, c'est-à-dire le mur du fond du pronaos, est de l'époque âe Ptolémée- Epiphane , et cela encore est d'hier, compara- tivement à ce qu'on croyait. Les fouilles que nous avons faites derrière le pronaos nous ont convaincus que le temple proprement dit a été rasé jusqu'aux fondements.

Cependant, que les amis de l'antiquité des mo- numents de l'Egypte se consolent : Latopolis ou plutôt EsNÉ (car ce nom se lit en hiéroglyphes sur toutes les colonnes et sur tous les bas-reliefs du temple) n'était point un village aux grandes époques pharaoniques; c'était une ville impor- tante, ornée de beaux monuments, et j'en ai découvert la preuve dans l'inscription des co- lonnes du pronaos.

J'ai trouvé sur deux de ces colonnes , dont le fût est presque entièrement couvert d'inscrip- tions hiéroglyphiques disposées verticalement, la notice des fêtes qu'on célébrait annuellement dans le grand temple d'Esnéh. Une d'elles se rap- portait à la commémoration de la dédicace de l'ancien temple, faite par le roi Thouthmosis III {Mœris)\ de plus il existe, et j'ai dessiné dans une petite rue d'Esnéh, au quartier de Scheïkh-

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Mohammed- Ebbédri, un jambage de porte en très-beau granit rose, portant une dédicace du pharaon Thouthmosis II , et provenant sans doute d'un des vieux monuments de VEsnéh pharaonique. J'ai aussi trouvé à Edfou une pierre qui est le seul débris connu du temple qui exis- tait dans cette ville avant le temple actuel bâti sous les Lagides; l'ancien était encore de Mœris^ et dédié, comme le nouveau, au grand dieu Har-Hat, seigneur <^'Hatfouh (Edfou). C'est donc Thouthmosis III (Mœris) qui, en Thébaïde comme en Nubie, avait construit la plupart des édifices sacrés, après l'invasion des Hjkschos; de la même manière que les Ptolémées ont re- bâti ceux d'Ombos, d'Esnéli et d'Edfou, pour remplacer les temples /'/Y//2^V/^■ détruits pendant l'invasion persane.

Le grand temple d'Esnéh était dédié à l'une des plus grandes formes de la divinité, à Chnou- phis, qualifié des titres nev-en-tho-sne, seigneur du pays d'Esnéh^ créateur de l'univers , prin- cipe vital des essences divines , soutien de tous les mondes^ etc. A ce dieu sont associés la déesse Neith , représentée sous des formes diverses et sous les noms variés de Menhi, Tnéhouaou^ etc., et le jeune Hâke, représenté sous la forme d'un enfant , ce qui complète la Triade adorée à Esnéh. J'ai ramassé une foule de détails très-

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curieux sur les attributions de ces trois person- nages auxquels étaient consacrées les principales fêtes et panégyries célébrées annuellement à Esnéh. Le aS du mois d'hathyr, on célébrait la fête de la déesse Tnébouaou; celle de la déesse Menhi a.\a.\t lieu le a.5 du même mois; le 3o celle d'Isis, tertiaire des deux déesses précitées. Le i" de choïak, on tenait une panégyrie (assemblée religieuse) en l'honneur du jeune dieuHâke, et ce même jour, avait lieu la panégyrie de Clinou- phis. Voici l'article du calendrier sacré sculpté sur l'une des colonnes du pronaos : « A la néo- ménie de choïak , panégyries et offrandes faites dans le temple de Chnoupliis, seigneur d'Esnéh; on étale tous les ornements sacrés; on offre des pains, du vin et autres liqueurs, des bœufs et des oies ; on présente des collyres et des par- fums au dieu Chnouphis et à la déesse sa com- pagne; ensuite le lait à Chnouphis; (Juant aux autres dieux du temple, on offre une oie à la déesse Menhi; une oie à la déesse Neith; une oie à Osiris; une oie à Khons et à Thôth; une oie aux dieux Phré , Atmou , Thoré , ainsi qu'aux autres dieux adorés dans le temple; on présente ensuite des semences, des fleurs et des épis de blé au seigneur Chnouphis , souverain d'Esnéh, et on l'invoque en ces termes : etc. « Suit la prière prononcée en cette occasion solennelle,

204 DOUZIÈME LETTRE.

et que j'ai copiée, parce qu'elle présente un grand intérêt mj^thologique.

C'est aux mêmes divinités qu'était dédié le temple situé au nord d'Esnéh, dans une magni- fique plaine, jadis cultivée, mais aujourd'hui hérissée de broussailles qui nous déchirèrent les jambes,. lorsque, le 6 mars au soir, nous allâmes le visiter, en faisant à pied une très - longue course du Nil aux ruines, que nous trouvâmes tout nouvellement dévastées; ce temple n'est plus tel que la Commission d'Egypte l'a laissé; il n'en subsiste plus qu'une seule colonne, un petit pan de mur et le soubassement presque à fleur de terre : parmi les bas-reliefs subsistants j'en ai trouvé un d'Evergète 1^^ et de Bérénice sa femme; j'ai reconnu les légendes de Philopa- tor sur la colonne; celles d'Hadrien sur une partie d'architrave; et sur une autre, en hiéro- glyphes tout-à-fait barbares , les noms des em- pereurs Antonin et Vériis. Le hasard m'a fait découvrir dans le soubassement extérieur de la partie gauche du temple, une série de captifs représentant des peuples vaincus (par Ever- gète I" , selon toute apparence) , et, à l'aide des ongles de nos x\rabes, qui fouillèrent vaillam- ment malgré les pierres et les plantes épineuses, je parvins à copier une dixaine des inscriptions onomastiques de peuples, gravées sur l'espèce

DOUZIÈME LETTRE. 2o5

de bouclier attaché à la poitrine des vaincus. Parmi les nations que le vainqueur se vante d'a- voir subjuguées, j'ai lu les noms de X Arménie^ de la Perse ^ de la Thrace et de la Macédoine ; peut-être encore s'agit-il des victoires d'un em- pereur romain : je n'ai rien trouvé d'assez con- servé aux environs pour éclaircir ce doute.

Le 7 mars au matin , nous fîmes une course pédestre dans l'intérieur des terres, pour voir ce qui restait encore des ruines de la vieille Tu- phium, aujourd'hui Taditd, située sur la rive droite du fleuve, mais dans le voisinage de la chaîne arabique et tout près ^ Hermonlhis , qui est sur la rive opposée. Là, existent deux ou trois salles d'un petit temple , habitées par des fellah ou par leurs bestiaux. Dans la plus grande, subsistent encore quelques bas-reliefs qui m'ont donné le mythe du temple : on y adorait la Triade formée de Mandou , de la déesse Hitho et de leur fils Harphré, celle même du temple d'Hermonthis, capitale du nome auquel appar- tenait la ville de Tuphium.

A midi, nous étions à Hermonthis , dont j'ai parlé dans la lettre que j'écrivis après avoir vi- sité ce lieu lorsque nous remontions le Nil pour aller à la seconde cataracte. Nous y passâmes en- core quelques heures pour copier quelques bas- reliefs et des légendes hiéroglyphiques qui de-

206 DOUZIÈME LETTRE.

vaient compléter notre travail sur Erment, commencé à notre premier passage au mois de novembre dernier. Ce temple n'est encore qu'un Mammisi ou Ei-misi consacré à l'accouchement de la déesse Pdtho, construit et sculj)té, comme le prouvent tous ses bas-reliefs, en commémora- tion de la reine Cléopatre, fille d'Aulétès, lors- qu'elle mit au monde Césarion, fils de Jules- César , lequel voulut être le Mandou de la nouvelle déesse Ritho, comme Césarion en fut YHarphré. Du reste, c'était assez l'usage du dictateur ro- main de cherchera compléter la Triade y lorsqu'il rencontrait surtout des reines qui, comme Cleo- pâtre, avaient en elles quelque chose de divin, sans dédaigner pour cela les joies terrestres.

Une courte distance nous séparait de Thèbes, et nos cœurs étaient gros de revoir ses ruines imposantes : nos estomacs se mettaient aussi de la partie, puisqu'on parlait d'une barque de pro- visions fraîches, arrivée à Louqsor à mon adresse. C'était encore une courtoisie de notre digne consul général, M. Drovetti, et nous avions hâte d'en profiter. Mais un vent du nord , d'une vio- lence extrême, nous arrêta pendant la nuit entre Hermonthis et Thèbes, nous ne fûmes ren- dus que le lendemain matin 8 mars, d'assez bonne heure.

Notre petite escadre aborda au pied du quai

DOUZIEME LETTRE. 10']

antique rléchaussé par le Nil, et qui ne pourra long-temps encore défendre le palais de Louq- sor, dont les dernières colonnes touchent pres- que aux bords du fleuve. Ce quai est évidem- ment de deux époques; le quai égyptien primitif est en grandes briques cuites , liées par un ci- ment d'une dureté extrême, et ses ruines for- ment d'énormes blocs de i5 à i8 pieds de large et de 2 5 à 3o de longueur, semblables à des rochers inclinés sur le fleuve au milieu duquel ils s'avancent. Le quai en pierres de grès est d'une époque très-postérieure; j'y ai remarquai des pierres portant encore des fragments de sculptures du style des bas temps, et provenant d'édifices démolis.

Notre travail sur Louqsor a été terminé très-peu-près) avant de venir nous établir ici à Biban - el - Molouk ; et je suis en état de donner tous les détails nécessaires sur l'époque de la construction de toutes les parties qui composent ce grand édifice.

Le fondateur du palais de Louqour, ou plu- tôt des palais de Louqsor , a été le pharaon Aménophis-Memnon ( Aménothph III ) de la XVIII^ dynastie. C'est ce prince qui a bâti la série d'édifices qui s'étend du sud au nord , de- puis le Nil jusqu'aux i4 grandes colonnes de 45 pieds de hauteur, et dont les masses appar-

208 DOUZIÈME LETTRE.

tiennent encore à ce règne. Sur toutes les archi- traves des autres colonnes ornant les cours et les salles intérieures, colonnes au nombre de io5, la plupart intactes, on lit, en grands hiérogly- phes d'un relief très-bas et d'un excellent tra- vail, des dédicaces faites au nom du roi Amé- Jiophis. Je mets ici la traduction de l'une d'elles, pour donner une idée de toutes les autres, qui ne diffèrent que par quelques titres royaux de plus ou de moins.

« La vie! l'Hôrus puissant et modéré, régnant |)ar la justice, l'organisateur de son pays, celui qui tient le monde en repos , parce que, grand par sa force, il a frappé les Barbares; le roi Seigneur de JUSTICE, bien aimé du Soleil, le fils du Soleil Amé- ivopHis, modérateur de la région pure (l'Égyple), a fait exécuter ces constructions consacrées à son père Ammon, le dieu seigneur des trois zones de l'univers, dans l'Oph du mi(li(ij; il les a fait exécuter en pierres dures et bonnes, afin d'ériger un édifice durable, c'est ce qu'a fait le fils du Soleil Aménophis, chéri d'Amuion-Ra. »

Ces inscriptions lèvent donc toute espèce de doute sur l'époque précise de la construction et de la décoration de cette partie de Louqsor; mes

(i) C'est-à-dire la partie méridionale de la portion de Thèbes (Amon-Ei), sise sur la rive droite du Nil.

DOUZIÈME LETTRE. 2O9

inscriptions ne sont pas sans verbe Comme les inscriptions grecques expliquées par M. Le- tronne , et qu'on a chicanées si mal à propos ; je puis lui annoncer à ce sujet que je lui porte- rai les inscriptions détlicatoires égytiennes des temples de Philae , à'Ombos et de Dendéra, le verbe construire ne manque jamais.

Les bas-reliefs qui décorent le palais ^Amé- nophis sont, en général, relatifs à des actes re- ligieux faits par ce prince aux grandes divinités de cette portion de Thèbes, qui étaient Am- mon-Ra, le dieu suprême de l'Egypte, et celui qu'on adorait presque exclusivement à Thèbes , sa ville éponyme; sa forme secondaire, Am- mon-Ra-Générateur , mystiquement surnommé le mari de sa mère, et représenté sous une for- me priapique ; c'est le dieu Pan égyptien , men- tionné dans les écrivains grecs ; la déesse Thamoun ou Tamon, c'est-à-dire Amman Je- melle j une des formes de Neïth , considérée comme compagne d'Amrhon générateur; la déesse Mouth , la grand'mère divine , compagne d'Ammon-Ra; et les jeunes dieux Khons et Harka, qui complètent les deux grandes Tria- des adorées à Thèbes , savoir :

Pères. Mères. Fils.

Ammon-Ra Mouth. Khons.

Ammon générateur. Thamoun. Harka.

14

2 10 DOUZIÈME LETTRE.

Le pharaon est représenté faisant des offrandes quelquefois très-riches , à ces différentes divini- tés , ou accompagnant leurs Bari ou arches sacrées, portées processionnellement par les prêtres.

Mais j'ai trouvé et fait dessiner dans deux des salles du palais une série de bas-reliefs plus in- téressants encore et relatifs à la personne même du fondateur. Voici un mot sur les principaux.

Le dieu Thoth annonçant à la reine Tmau- hemva , femme du pharaon Thoutlunosis IV , qu'Ammon générateur lui a accordé un fils.

La même reine, dont l'état de grossesse est visiblement exprimé, conduite par Chnouphis et Hathôr (Vénus) vers la chambre d'enfante- ment (le tnammisi); cette même princesse pla- cée sur un lit, mettant au monde le roi Améno- phis; des femmes soutiennent la gisante, et des génies divins, rangés sous le lit, élèvent l'em- blème de la vie vers le nouveau-né. La reine nourrissant le jeune prince. Le dieu Nil peint en bleu (le temps des basses eaux), et le dieu Nil peint en rouge (le temps de l'inondation), présentant le petit Arnénophis, ainsi que le petit dieu Harka et autres enfants divins, aux gran- des divinités de Thèbes. Le royal enfant dans les bras d'Ammon-Ra, qui le caresse. Le jeune roi institué par Ammon-Ra; les déesses protec-

DOUZIÈME LETTRE. 1 1 J

trices de la haute et de la basse Egypte lui of- frant les couronnes, emblèmes de la domination sur les deux pays; et Thoth lui choisissant son grand nom ^ c'est-à-dire son prénom royal , So- leil seigneur de justice et de vérité, qui, sur les monuments, le distingue de tous les autres Ainénophis.

L'une des dernières salles du palais, d'un carac- tère plus religieux que toutes les autres, et qui a servir de chapelle royale ou de sanctuaire, n'est décorée que d'adorations aux deux Triades de Thèbes par Aménophis; et, dans cette salle, dont le plafond existe encore, on trouve un second sanctuaire emboîté dans le premier, et dont voici la dédicace qui en donne très-clairement l'époque tout-à-fait récente , en comparaison de celle du grand sanctuaire : «Res- tauration de l'édifice faite par le roi (chéri de Phré , approuvé par Ammon) le fils du Soleil, seigneur des diadèmes, x\lexandre, en l'honneur de son père Ammon-Ra, gardien des régions des Oph (Thèbes); il a fait construire le sanc- tuaire nouveau en pierres dures et bonnes à la place de celui qui avait été fait sous la majesté du roi Soleil, seigneur de justice , le fils du Soleil Aménophis, modérateur de la région pure.»

Ainsi, ce second sanctuaire remonte seule- ment à l'origine de la domination des Grecs en

i4.

212 DOUZIÈME LETTRE.

Égyjîte, au règne d'Alexandre, lils d'Alexandre- le-Grand, et non ce dernier, ce que prouve d'ailleurs le visage enfantin du roi, représenté, à l'extérieur comme à l'intérieur de ce petit édi- fice , adorant les Triades thébaines. Dans un de ces bas-reliefs, la déesse Thamoun est remplacée par la ville de Thèbes personnifiée sous la forme d'une femme , avec cette légende :

«Voici ce que dit Thèbes (Toph), la grande rectrice du monde : « Nous avons mis en ta puis- sance toutes les contrées (les nomes); nous t'a- vons donné Kémé (l'Egypte) terre nourricière. »

La déesse Thèbes adresse ces paroles au jeune roi Alexandre , auquel Ammon générateur dit en même temps : « Nous accordons que les édi- fices que tu élèves soient aussi durables que le firmament. r>

On ne trouve que cette seule partie moderne dans le vieux palais d'Aménophis: car il ne vaut la peine de citer le fait suivant, que sous le rap- port de la singularité. Dans une salle qui précède le sanctuaire, existe une pierre d'architrave, qui , ayant été renouvelée sous un Ptolémée et ornée d'une inscription, produit, en lisant les caractères qu'elle porte , une dédicace bizarre en ce qu'on ne s'est point inquiété des vieilles pierres d'architrave, voisines, conservant la dé- dicace primitive ; la voici :

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\^^ pierre moderne. «Restauration de l'édifice faite par le roiPtolémée, toujoars vivant, aimé de Ptiia. 1^ pierre antique. « Monde, le Soleil seigneur de justice, le fils du Soleil Aménophis, a fait exécuter ces constructions en l'honneur de son père Ammon, etc. »

L'ancienne pierre, remplacée par le Lagide, portait la légende : «L'Aroëris puissant, etc., seigneur du monde, etc.)) On ne s'est point inquiété si la nouvelle légende se liait ou non avec l'ancienne.

C'est aux 1 4 grandes colonnes de Louqsor que finissent les travaux du règne d' Aménophis , sous lequel ont cependant encore été décorées la et la 'f des deux rangées , en allant du midi au nord. Les bas-reliefs appartiennent au règne du roi Hôrus ., fils d'Aménophis, et les 4 dernières au règne suivant.

Toute la partie nord des édifices de Louqsor est d'une autre époque, et formait un monument particulier, quoique lié par la grande colonnade à V Aménophion ou palais d'Aménophis. C'est à Rhamsès-le-Grand (Sésostris) que l'on doit ces constructions, et il a eu l'intention, non pas d'embellir le palais d'Aménophis, son ancêtre, mais de construire un édifice distinct, ce qui ré- sulte évidemment de la dédicace suivante, sculp- tée en grands hiéroglyphes au-dessous de la

2l4 DOUZIÈME LETTRE.

corniche du pylône, et répétée sur les architra- ves de toutes les colonnades que les cahntt es mo- dernes n'ont pas encore ensevelies.

« La vie! l'Aroëris, enfant d'Ammon , le maître de la région supérieure et de la région inférieure , deux fois aimable, l'Hôrus plein de force, Tami du monde, le Roi (Soleil gardien de vérité, ap- prouvé parPhré), le fils préféré du roi des dieux, qui, assis sur le trône de son père, domine sur la terre, a fait exécuter ces constructions en l'honneur de son père Ammon-Ra, roi des dieux. Il a construit ce Rhamesséion dans la ville d'Ammon, dans l'Oph du midi. C'est ce qu'a fait le fils du Soleil (le fils chéri d'Ammon- Rhamsès), vivificateur à toujours (i). »

C'est donc ici un monument particulier, dis- tinct de l'Aménophion , et cela explique très-biea pourquoi ces deux grands édifices ne sont pas sur le même alignement, défaut choquant re- marqué par tous les voyageurs qui supposaient à tort que toutes ces constructions étaient du même temps et formaient un seul tout, ce qui n'est pas.

C'est devant le pylône nord du Rhamsséion de Louqsor, que s'élèvent les deux célèbres obélis-

(i) Les mots entre deux parenthèses indiquent le con- tenu des cartouches prénom et nom propre du roi.

DOUZIÈME LETTRE. 2 I 5

qiies de granit rose, d'un travail si pur et d'une si belle conservation. Ces deux masses énormes, véritables joyaux de plus de 70 pieds de hauteur, ont été érigées à cette place par Rhamsès-le- Grand , qui a voulu en décorer son Rhamesséion, comme cela est dit textuellement dans l'inscrip- tion hiéroglyphique de l'obélisque de gauche, face nord, colonne médiale, que voici : «Le Seigneur du monde, Soleil gardien de la vérité Tou justice), approuvé par Phré, a fait exécuter cet édifice en l'honneur de son père Ammon-Ra, et il lui a érigé ces deux grands obélisques de pierre, devant le Rhamesséion de la ville d'Am- mon. »

Je possède des copies exactes de ces deux beaux monolithes. Je les ai prises avec un soin extrême, en corrigeant les erreurs des gravures déjà connues, et en les complétant par les fouil- les que nous avons faites jusqu'à la base des obé- lisques. Malheureusement il est impossible d'a- voir la fin de la face est de l'obélisque de droite, et de la face ouest de l'obélisque de gauche : il aurait fallu abattre pour cela quelques maisons de terre et faire déménager plusieurs pauvres familles de fellah (r).

(i) Depuis le retour de Champollion à Paris, M. Lebas, ingénieur de la marine française, s'est rendu à Thèbes pour

1l6 DOUZIÈME LETTRE.

Je n'entre pas clans de plus grands détails sur le contenu des légendes des deux obélisques. On sait déjà que, loin de renfermer, comme on l'a cru si long- temps, de grands mystères reli- gieux, de hautes spéculations philosophiques, les secrets de la science occulte, ou tout au moins des leçons d'astronomie, ce sont tout simplement des dédicaces, plus ou moins fas- tueuses , des édifices devant lesquels s'élèvent les monuments de ce genre. Je passe donc à la description des pylônes, qui sont d'un bien autre intérêt.

L'immense surface de chacun de ces deux massifs est couverte de sculptures d'un très-bon style, sujets tous militaires et composés de plu- seurs centaines de personnages. Massif de droite: le roi Rhamsès-le-Grand , assis sur son trône au milieu de son camp, reçoit les chefs militaires et des envoyés étrangers ; détails du camp , ba- gages, tentes, fourgons, etc., etc.; en dehors,

diriger le transport à Paris de l'obélisque de droite sur le bâ- timent le Louxor, commandé par M. de Verninac. Cet habile ingénieur s'est empressé d'envoyer à Paris une bonne copie de la partie de l'inscription hiéroglyphique que le savant français regrette de n'avoir pu prendre lui-même. M. Lebas a envoyé' en même temps le dessin des bas-reliefs qui or- nent les quatre faces du sur lequel pose l'obélisque , et qui sera aussi transporté à Paris. C. F.

DOUZIÈME LETTRE. 2I7

l'armée égyptienne est rangée en bataille; chars de guerre à l'avant , à l'arrière et sur les flancs ; au centre, les fantassins régulièrement formés en carrés. Massif' de gauche :hâtdi\\e sàn^\sinte, défaite des ennemis, leur poursuite, passage d'un fleuve, prise d'une ville; on amène ensuite les prisonniers.

JVoilà le sujet général de ces deux tableaux, d'environ 5o pieds chacun ; nous en avons des dessins fort exacts, ainsi que du peu d'inscrip- tions entremêlées aux scènes militaires. Les grands textes relatifs à cette campagne de Sé- sostris sont au-dessous des bas-reliefs. Malheu- reusement il faudrait abattre une partie du vil- lage de Louqsor pour en avoir des copies. Il a donc fallu me contenter d'apprendre par le haut des lignes encore visibles , que cette guerre avait eu lieu en l'an V^ du règne du conquérant, et que la bataille s'était donnée le 5 du mois d'é- piphi. Ces dates me prouvent qu'il s'agit ici de la même guerre que celle dont on a sculpté les événements sur la paroi droite du grand monu- ment lV /bsamùoul f et qui portent aussi la date de l'an V. La bataille figurée dans ce dernier temple est aussi du mois d'épiphi, mais du 9 et non pas du 5. Il s'agit donc évidemment de deux affaires de la même campagne. Les peuples que les Égyptiens avaient à combattre sont des

2l8 DOUZIÈME LETTRE.

Asiatiques , qu'à leur costume on peut recon- naître pour des Bactriens, des Mèdes et des Ba- byloniens. Le pays de ces derniers est expres- sément nommé (^Naharaïna-Kah ^ le pays de Naharaïna, la Mésopotamie) dans les inscriptions d'Ibsamboul, ainsi que les contrées de Schôt, Robschi, Schabatoun, Marou, Bachoua, qu'il faut chercher nécessairement dans la géographie primitive de TAsie occidentale.

Les obélisques, les quatre colonnes, le py- lône, et le vaste péristyle ou cour environnée de colonnes, qui s'y rattachent, forment tout ce qui reste du Rhamesséion de la rive droite, et on lit paj'tout les dédicaces de Rhamsès-le- Grand, deux seuls points exceptés de ce grand édifice. Il paraît, en effet, que vers le huitième siècle avant J.-C. , l'ancienne décoration de la grande porte située entre ces deux massifs du pylône, était, par une cause quelconque, en fort mauvais état, et qu'on en refit les masses entièrement à neuf; les bas-reliefs de Rhamsès- le-Grand furent alors remplacés par de nouveaux qui existent encore et qui représentent le chef de la XXI V^ dynastie, le conquérant éthiopien Sahaco ou Sabacon, qui, pendant de longues années, gouverna l'Egypte avec beaucoup de douceur , faisant les offrandes accoutumées aux dieux protecteurs du palais et de la ville de

DOUZIÈME LETTRE. 219

Thèbes. Ces bas-reliefs , sur lesquels on voit le nom du roi , qui est écrit Schabak et qu'on y lit très-clairement, quoiqu'on ait pris soin de le marteler à une époque fort ancienne ; ces bas- reliefs, dis-je, sont très-curieux aussi sous le rapport du style. Les figures en sont fortes et très-accusées avec les muscles vigoureusement prononcés , sans qu'elles aient pour cela la lour- deur des sculptures du temps des Ptolémées et des Romains. Ce sont, au reste, les seules sculptures de ce règne que j'aie rencontrées en Egypte.

Une seconde restauration, mais de peu d'im- portance , a eu également lieu au Rhamesséion de Louqsor. Trois pierres d'une architrave et le chapiteau de la i" colonne gauche du péristyle ont été renouvelés sous Ptolémée-Philopator, et l'on n'a pas manqué de sculpter sur l'architrave l'inscription suivante: « Restauration de l'édifice, faite par le roi Ptolémée toujours vivant, chéri d'Isis et de Phtha, et par la dominatrice du monde, Arsinoé, dieux Philopatores aimés par Ammon-Ra roi des dieux. »

Je ne mets point au nombre des restaurations quelques sculptures de Rhamsès-Meïamoun , que l'on remarque en dehors du Rhamesséion , du côté de l'est , parce qu'elles peuvent avoir ap-

aïO DOUZIEME LETTRE.

partenu à un édifice contigu et sans liaison réelle avec le monument de Sésostris.

Je termine ici, pour cette fois, mes notices monumentales; je parlerai, dans ma procliaine lettre, des tombeaux des rois thébains que nous exploitons dans ce moment. ..Adieu.

P. S. 1 avril. Je ferme aujourd'bui ma lettre , le courrier devant partir ce matin même pour le Kaire. Rien de nouveau depuis le aS; tou- jours bonne santé et bon courage. Je donne ce soir à nos compagnons une fête dans une des plus jolies salles du tombeau d'Ousiréi ; nous y oublierons la stérilité et le voisinage de la a^ ca- taracte , nous avions à peine du pain à man- ger, La chère ne répondra pas à la magnificence du local; mais on fera l'impossible pour n'être pas trop au-dessous. Je voulais offrir à notre jeunesse un plat nouveau pour nous, et qui de- vait ajouter aux plaisirs de la réunion ; c'était un morceau de jeune crocodile mis à la sauce piquante, le hasard ayant voulu qu'on m'en ap- portât un tué d'hier matin ; mais j'ai joué de malheur, la pièce de crocodile s'est gâtée: nous n'y perdrons vraisemblablement qu'une bonne indigestion chacun.

TREIZIEME LETTRE.

Thèbes (Biban-el-Molouk), le 26 mai 1829.

Les détails topographiques, donnés par Stra- bon , ne permettent point de chercher ailleurs que dans la vallée de Biban-el-Mouluk ^ rem- placement des tombeaux des anciens rois. I^e nom de cette vallée , qu'on veut entièrement dériver de l'arabe en le traduisant par les portes des rois ^ mais qui est à la fois une corruption et une traduction de l'ancien nom égyption Bi- han-Ourôou (les hypogées des rois), comme l'a fort bien dit M. Silvestre de Sacy, lèverait d'ail- leurs toute espèce de doute à ce sujet. C'était la nécropole rojale , et on avait choisi un lieu par- faitement convenable à cette triste destination, une vallée aride , encaissée par de très-hauts ro- chers coupés à pic , ou par des montagnes en

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pleine décomposition , offrant presque toutes de larges fentes occasionées soit par l'extrême chaleur, soit par des éboulements intérieurs, et dont les croupes sont parsemées de bandes noires, comme si elles eussent été brûlées en partie; aucun animal vivant ne fréquente cette vallée de mort: je ne compte point les mouches, les re- nards, les loups et les hyènes, parce que c'est notre séjour dans les tombeaux et l'odeur de notre cuisine qui avaient attiré ces quatre es- pèces affamées.

En entrant dans la partie la plus reculée de cettevallée, par une ouverture étroite évidem- ment faite de main d'homme, et offrant encore quelques légers restes de sculptures égyptiennes, on voit bientôt au pied des montagnes, ou sur les pentes, des portes carrées, encombrées pour la plupart , et dont il faut approcher pour aper- cevoir la décoration : ces portes , qui se ressem- blent toutes, donnent entrée dans les tombeaux des rois. Chaque tombeau a la sienne , car jadis aucun ne communiquait avec l'autre; ils étaient tous isolés: ce sont les chercheurs de trésors, anciens ou modernes, qui ont établi quelques communications forcées.

Il me tardait, en arrivant à Biban-el-Molouk, de m'assurer que ces tombeaux , au nombre de seize (je ne parle ici que des tombeaux conser-

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vant des sculptures et les noms des rois pour qui ils furent creusés), étaient bien, comme je l'avais déduit d'avance de plusieurs considéra- tions, ceux de rois appartenant tous à des djnas' lies thébaines, c'est-à-dire à des princes dont la famille était originaire de Thèbes. L'examen ra- pide que je fis alors de ces excavations avant de monter à la seconde cataracte , et le séjour de plusieurs mois que j'y ai fait à mon retour, m'ont pleinement convaincu que ces hypogées ont renfermé les corps des rois desXVIU% XIX^ et XX'' dynasties, qui sont en effet toutes trois des dynasties diospolitaines ou thébaines. Ainsi j'y ai trouvé d'abord les tombeaux de six des rois de la XVIlF, et celui du plus ancien de tous, Aménopliis-Memnon , inhumé à part dans la vallée isolée de l'ouest.

Viennent ensuite le tombeau de Rhamsès- Meïamoun et ceux de six autres pharaons, suc- cesseurs de Meïamoun , et appartenant à la XIX^ ou à la XX® dynastie.

On n'a suivi aucun ordre, ni de dynastie, ni de succession dans le choix de l'emplacement des diverses tombes royales : chacun a fait creuser la sienne sur le point il croyait rencontrer une veine de pierre convenable à sa sépulture et à l'im- mensité de l'excavation projetée. Il est difficile de se défendre d'une certaine surprise lorsque ,

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après avoir passé sous une porte assez simple , on entre dans de grandes galeries ou corridors couverts de sculptures parfaitement soignées, conservant en grande partie Téclat des plus vives couleurs , et conduisant successivement à des salles soutenues par des piliers encore plus riches de décorations, jusqu'à ce qu'on arrive enfin à la salle principale, celle que les Égyptiens nom- maient la salle dorée ^ plus vaste que toutes les autres, et au milieu de laquelle reposait la mo- mie du roi dans un énorme sarcophage de granit. Les plans de ces tombeaux, publiés par la Com- mission d'Egypte, donnent une idée exacte de l'étendue de ces excavations et du travail im- mense qu'elles ont coûté pour les exécuter au pic et au ciseau. Les vallées sont presque toutes encombrées de collines formées par les petits éclats de pierre provenant des effrayants travaux exécutés dans le sein de la montagne.

Je ne puis tracer ici une description détaillée de ces tombeaux; plusieurs mois m'ont à peine suffi pour rédiger une notice un peu détaillée des innombrables bas-reliefs qu'ils renferment et pour copier les inscriptions les plus intéres- santes. Je donnerai cependant une idée générale de ces monuments par la description rapide et très-succincte de l'un d'entre eux, celui du pha- raon Rhamsès, fils et successeur de Meïamoun.

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La décoration des tombeaux royaux était systé- matisée, et ce que l'on trouve dans l'un repa- raît dans presque tous les autres, à quelques exceptions près, comme je le dirai plus bas.

Le bandeau de la porte d'entrée est orné d'un bas-relief (le même sur toutes les premières portes des tombeaux royaux), qui n'est au fond que la préface, ou plutôt le résumé de toute la décora- tion des tombes pharaoniques. C'est un disque jaune au milieu duquel est le soleil à tête de bélier , c'est-à-dire le soleil couchant entrant dans l'hémisphère inférieur, et adoré par le roi à genoux; à la droite du disque, c'est-à-dire à l'orient, est la déesse Nephthys , et à la gauche (occident) la déesse Isis occupant les deux ex- trémités de la course du dieu dans l'hémisphère supérieur: à côté du soleil et dans le disque, on a sculpté un grand scarabée qui est ici, comme ailleurs , le symbole de la régénération ou des renaissances successives : le roi est agenouillé sur la montagne céleste, sur laquelle portent aussi les pieds des deux déesses.

Le sens général de cette composition se rap- porte au roi défunt : pendant sa vie, semblable au soleil dans sa course de l'orient à l'occident, le roi devait être le vivificateur , l'illuminateur de l'Egypte et la source de tous les biens physi- ques et moraux nécessaires à ses habitants ; le

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pharaon mort fut donc encore naturellement comparé au soleil se couchant et descendant vers le ténébreux hémisphère inférieur, qu'il doit parcourir pour renaître de nouveau à l'orient et rendre la lumière et la vie au monde supérieur (celui que nous habitons), de la même manière que le roi défunt devait renaître aussi soit pour continuer ses transmigrations, soit pour habiter le monde céleste et être absorbé dans le sein d'Ammon , le Père universel.

Cette explication n'est point de mon cru ; le temps des conjectures est passé pour la vieille Egypte ; tout cela résulte de l'ensemble des lé- gendes qui couvrent les tombes royales.

Ainsi cette comparaison ou assimilation du roi avec le soleil dans ses deux étals pendant les deux parties du jour, est la clef ou plutôt le motif et le sujet dont tous les autres bas-reliefs ne sont, comme on va le voir, que le dévelop- pement successif.

Dans le tableau décrit est toujours une lé- gende dont suit la traduction littérale; «Voici ce que dit Osiris, seigneur de l'Amenti (région occidentale, habitée par les morts): Je t'ai accordé une demeure dans la montagne sacrée de l'Occi- dent, comme aux autres -dieux grands (les rois ses prédécesseurs), à toi Osirien,roi seigneur du monde, Rhamsès, etc., encore vivant.»

TREIZIÈME LETTRE. 22 7

Cette dernière expression prouverait , s'il en était besoin, que les tombeaux des pharaons, ouvrages immenses , et qui exigeaient un travail fort long, étaient commencés de leur vivant, et que l'un des premiers soins de tout roi égyptien fut, conformément à l'esprit bien connu de cette singulière nation , de s'occuper incessamment de l'exécution du monument sépulcral qui devait être son dernier asile.

C'est ce que démontre encore mieux le pre- mier bas-relief qu'on trouve toujours à la gauche en entrant dans tous ces tombeaux. Ce tableau avait évidemment pour but de rassurer le roi vivant sur le fâcheux augure qui semblait ré- sulter pour Jui du creusement de sa tombe au moment il était plein de vie et de santé : ce tableau montre en effet le pharaon en costume royal , se présentant au dieu Phré à tête d'éper- vier, c'est-à-dire au soleil dans tout l'éclat de sa course l'heure de midi), lequel adresse à son représentant sur la terre ces paroles consolantes:

«Voici ce que dit Phré, dieu grand, seigneur « du ciel: nous t'accordons une longue série de « jours pour régner sur le monde et exercer les « attributions royales d'Hôrus sur la terre. »

Au plafond de ce premier corridor du tom- beau, on lit également de magnifiques promesses

faites au roi pour cette vie terrestre , et le détail

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i28 TREIZIÈME LETTRE.

des privilèges qui lui sont réservés dans les ré- gions célestes; il semble qu'on ait placé ici ces légendes , comme pour rendre plus douce la pente toujours trop rapide qui conduit à la salle du sarcophage.

Immédiatement après ce tableau , sorte de pré- caution oratoire assez délicate , on aborde plus franchement la question par un tableau symbo- lique, le disque du soleil Criocéphale, parti de l'Orient , et avançant vers la frontière de l'Occi- dent, qui est marquée par un crocodile , emblème des ténèbres , et dans lesquelles le dieu et le roi vont entrer chacun à sa manière. Suit immé- diatement un très-long texte, contenant les noms des soixante-quinze parèdres du soleil dans l'hémi- sphère inférieur , et des invocations à ces divi- nités du troisième ordre , dont chacune préside à l'une des soixante quinze subdivisions du monde inférieur, qu'on nommait Kellé, demeure qui enveloppe , enceinte ^ zone.

Une petite salle, qui succède ordinairement à ce premier corridor, contient les images sculptées et peintes des soixante-quinze parèdres , précédées ou suivies d'un immense tableau dans lequel on voit successivement l'image abrégée des soixante- quinze zones et de leurs habitants dont il sera parlé plus loin.

A ces tableaux généraux et d'ensemble suc-

TRiaziÈME LETTRE. 229

cède le développement des détails : les parois des corridors et salles qui suivent (presque toujours les parois les plus voisines de l'orient) sont cou- vertes d'une longue série de tableaux représentant^ la marche du soleil dans l'hémisphère supérieur (image du roi pendant sa vie), et sur les parois op- posées on a figuré la marche du soleil dans l'hé- misphère inférieur (image du roi- après sa mort.)

Les nombreux tableaux relatifs à la marche du dieu au-dessus de l'horizon et dans l'hémi- sphère lumineux, sont partagés en douze séries, annoncées chacune par un riche battant de porte, sculpté , et gardé par un énorme serpent. Ce sont les portes des douze heures du jour, et ces reptiles ont tous des noms significatifs, tels que tek-ho, serpent à face étincelante; sa- TEMPEFBAL , scrpcut dout l'ceil lance la flamme ; TAPENTHO, la corne du monde, etc., etc. A côté de ces terribles gardiens on lit constamment la légende: // demeure au-dessus de cette grande porte ^ et l'ouvre au dieu Soleil.

Près du battant de la première porte, celle du lever, on a figuré les vingt -quatre heures du jour astronomique sous forme humaine , une étoile sur la tête, et marchant vers le fond du tombeau, comme pour marquer la direction de la course du dieu, et indiquer celle qu'il faut suivre dans l'étude des tableaux, qui offrent un intérêt d'autant plus piquant que , dans chacune

23o TREIZIÈME LETTRE.

des douze heures de jour, on a tracé l'image détaillée de la barque du dieu, naviguant dans le fleuve céleste sur \e fluide primordial ou Vé- ther , le principe de toutes les choses physiques selon la vieille philosophie égyptienne , avec la figure des dieux qui l'assistent successivement, et de plus, la représentation des demeures cé- lestes qu'il parcourt , et les scènes mythiques propres à chacune des heures du jour.

Ainsi, à la première heure, sa bari^ ou barque, se met en mouvement et reçoit les adorations des esprits de l'Orient; parmi les tableaux de la seconde heure, on trouve le grand serpent Apo- phis, le frère et l'ennemi du Soleil, surveillé par le dieu Atmou; à la troisième heure, le dieu So- leil arrive dans la zone céleste, se décide le sort des âmes, relativement aux corps qu'elles doivent habiter dans leurs nouvelles transmigra- tions ; on y voit le dieu Atmou assis sur son tri- bunal, pesant à sa balance les âmes humaines qui se présentent successivement : l'une d'elles vient d'être condamnée, on la voit ramenée sur terre dans une bari^ qui s'avance vers la porte gardée par Anubis , et conduite à grands coups de verges par des cynocéphales , emblèmes de la justice céleste ; le coupable est sous la forme d'une énorme truie, au-dessus de la- quelle on a gravé en grand caractère gourman- dise ou gloutonnerie , sans doute le péché capital

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du délinquant, quelque glouton de l'époque. Le dieu visite, à la cinquième heure, les Champs-Elysées de la mythologie égyptienne , habités par les âmes bienheureuses se reposant des peines de leurs transmigrations sur la terre: elles portent sur leur tête la plume d'autruche, emblème de leur conduite juste et vertueuse. On les voit présenter des offrandes aux dieux; ou bien, sous l'inspection du seigneur de la joie du cœur^ elles cueillent les fruits des arbres cé- lestes de ce paradis: plus loin, d'autres tiennent en main des faucilles; ce sont les âmes qui cul- tivent les champs de la vérité; leur légende porte: «Elles font des libations de l'eau et des offrandes « des grains des campagnes de gloire; elles tien- « nent une faucille et moissonnent les champs «qui sont leur partage; le dieu Soleil leur dit: «Prenez vos faucilles, moissonnez vos grains, « emportez-les dans vos demeures, jouissez-en et « les présentez aux dieux en offrande pure. » Ailleurs enfin on les voit se baigner , nager , sauter et folâtrer dans un grand bassin que rem- plit l'eau céleste et primordiale, le tout sous l'in- spection du dieu Nil-Céleste. Dans les heures suivantes, les dieux se préparent à combattre le grand ennemi du Soleil , le serpent Apophis. Ils s'arment d'épieux , se chargent de filets , parce que le monstre habite les eaux du fleuve

232 TREIZIÈME LETTRE.

sur lequel navigue le vaisseau du Soleil ; ils ten- dent des cordes; ApojDhis est pris; on le charge de liens; on sort du fleuve cet immense reptile, au moyen d'un câble que la déesse Selk lui at- tache au cou et que douze dieux tirent, secondés par une machine fort compliquée , manœuvrée par le dieu ^é^» (Saturne), assisté des génies des quatre points cardinaux. Mais tout cet attirail serait impuissant contre les efforts d'Apophis, s'il ne sortait d'en bas une main énorme (celle d'Ammon) qui saisit la corde et arrête la fougue du dragon. Enfin , à la onzième heure du jour, le serpent captif est étranglé; et bientôt après le dieu Soleil arrive au point extrême de l'hori- zon où il va disparaître. C'est la déesse JSetphé (Rhéa)qui, faisant l'office de la Thétys des Grecs, s'élève à la surface de l'abîme des eaux célestes; et , montée sur la tête de son fils Osiris , dont le corps se termine en volute comme celui d'une sirène , la déesse reçoit le vaisseau du Soleil, qui prend bientôt dans ses bras immenses le Nil- Céleste, le vieil Océan des mythes égyptiens.

La marche du soleil dans l'hémisphère inférieur, celui des ténèbres, pendant les douze heures de nuit, c'est-à-dire la contre-partie des scènes pré- cédentes, se trouve sculptée sur les parois des tombeaux royaux opposées à celles dont je viens de donner une idée très-succincte. le dieu ,

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assez constamment peint en noir^ de la tête aux pieds , parcourt les 76 cercles ou zones auxquels président autant de personnages divins de toute forme et armés de glaives. Ces cercles sont habités par les âmes coupables qui subissent divers supplices. C'est véritablement le type primordial de \ Enfer du Dante, car la variété des tourments a de quoi surprendre ; et je ne suis pas étonné que quelques voyageurs , effrayés de ces scènes de carnage, aient cru y trouver la preuve de l'usage des sacrifices humains dans l'ancienne Egypte ; mais les légendes lèvent toute espèce d'incertitude à cet égard : ce sont des affaires de l'autre monde, et qui ne préjugent rien pour les us et coutumes de celui-ci.

Les âmes coupables sont punies d'une manière différente dans la plupart des zones infernales que visite le dieu Soleil : on a figuré ces esprits impurs, et persévérant dans le crime, presque toujours sous la forme humaine , quelquefois aussi sous la forme symbolique de la grue, ou celle de Xépervier à tête humaine , entièrement peints en noir^ pour indiquer à la fois et leur nature perverse et leur séjour dans l'abîme des ténèbres ; les unes sont fortement liées à des po- teaux , et les gardiens de la zone , brandissant leurs glaives, leur reprochent les crimes qu'elles ont commis sur la terre; d'autres sont suspen-

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dues la tête en bas ; celles-ci , les mains liées sur la poitrine et la tète coupée , marchent en longues files; quelques-unes, les mains liées derrière le dos, traînent sur la terre leur cœur sorti de leur poitrine; dans de grandes chaudières, on fait bouillir des âmes vivantes, soit sous forme hu- maine, soit sous celle d'oiseau, ou seulement leurs têtes et leurs cœurs. J'ai aussi remarqué des âmes jetées dans la chaudière avec l'emblème du bonheur et du repos céleste (l'éventail), aux- quels elles avaient perdu tous leurs droits. J'ai des copies fidèles de cette immense série de ta- bleaux et des longues légendes qui les accom- pagnent.

A chaque zone et auprès des suppliciés, on lit toujours leur condamnation et la peine qu'ils su- bissent. « Ces âmes ennemies, y est-il dit, ne « voient point notre dieu lorsqu'il lance les rayons « de son disque; elles n'habitent plus dans le monde « terrestre, et elles n'entendent point la voix « du Dieu grand lorsqu'il traverse leurs zones. » Tandis qu'on lit au contraire à côté de la re- présentation des âmes heureuses, sur les parois opposées : « Elles ont trouvé grâce aux yeux du « Dieu grand ; elles habitent les demeures de « gloire, celles l'on vit de la vie céleste; les « corps qu'elles ont abandonnés reposeront à « toujours dans leurs tombeaux , tandis qu'elles

TREIZIÈME LETTRE. 235

« jouiront de la présence du Dieu suprême. » Cette double série de tableaux nous donne donc le système psychologique égyptien dans ses deux points les plus importants et les plus mo- raux, les récompenses et les peines. Ainsi se trouve complètement démontré tout ce que les anciens on dit de la doctrine égyptienne sur V iinmortalitè de Vame et le but positif de la vie humaine. Elle est certainement grande et heu- reuse, l'idée de symboliser la double destinée des âmes par le plus frappant des phénomènes célestes, le cours du soleil dans les deux hémi- sphères , et d'en lier la peinture à celle de cet imposant et magnifique spectacle.

Cette galerie psychologique occupe les parois des deux grands corridors et des deux premières salles du tombeau de Rhamsès F, que j'ai pris pour type de ma description des tombes royales , parce qu'il est le plus complet de tous. Le même sujet, mais composé dans un esprit directement astronomique^ et sur un plan plus régulier, parce que c'était un tableau de science, est reproduit sur les plafonds et occupe toute la longueur de ceux du second corridor et des deux premières salles qui suivent.

Le ciel, sous la forme d'une femme dont le corps est parsemé d'étoiles , enveloppe de trois côtés cette immense composition : le torse se

2 36 TREIZIÈME LETTRE.

prolonge sur toute la longueur clu tableau dont il couvre la partie supérieure; sa tête est à l'oc- cident; ses bras et ses pieds limitent la longueur du tableau divisé en deux bandes égales : celle d'en haut représente l'hémisphère supérieur et le cours du soleil dans les 12 heures du jour; celle d'en bas, l'hémisphère inférieur, la marche du soleil pendant les 12 heures de la nuit.

A l'orient, c'est-à-dire vers le point sexuel du grand corps céleste (de la déesse Ciel), est fi- gurée la naissance du Soleil; il sort du sein de sa divine mère Néith^ sous la forme d'un petit enfant portant le doigt à sa bouche, et renfermé dans un disque rouge : le dieu Méuï (l'Hercule égyptien, la raison divine), debout dans la bar- que destinée aux voyages du jeune dieu, élève les bras pour l'y placer lui-même; après que le Soleil enfant a reçu les soins de deux déesses nourrices, la barque part et navigue sur X Océan céleste y l'Ether, qui coule comme un fleuve de V orient à V occident ^ il forme un vaste bassin, dans lequel aboutit une branche du fleuve tra- versant Y hémisphère inférieur^ d'occident en orient.

Chaque heure du jour est indiquée sur le corps du ciel par un disque rouge, et dans le tableau par \i barques ou bari dans lesquelles paraît le dieu Soleil naviguant sur l'Océan ce-

TREIZIÈME LETTRE. 23'7

leste avec un cortège qui change à chaque heure, et qui l'accompagne sur les deux rives.

A la première heure, au moment le vais- seau se met en mouvement, les esprits de l'O- rient présentent leurs hommages au dieu de- bout dans son naos, qui est élevé au milieu de cette bari; l'équipage se compose de la déesse 5o/y, qui donne l'impulsion à la proue; du dieu Sev (Saturne), à la tête de lièvre , tenant une longue perche pour sonder le fleuve, et dont il ne fait usage qu'à partir de la 8^ heure, c'est-à-dire lorsqu'on approche des parages de l'Occident; le réis ou commandant est Hôrus, ayant en sous- ordre le dieu Haké-Oëris, le Phaéton et le com- pagnon fidèle du Soleil : le pilote manœuvrant le gouvernail est un hiéracocéphale nommé Haou, plus la déesse Neb-Wa (la dame de la barque), dont j'ignore les fonctions spéciales, enfin le dieu gardien supérieur des tropiques. On a re- présenté sur les bords du fleuve, les dieux ou les esprits qui président à chacune des heures du jour; ils adorent le soleil à son passage, ou récitent tous les noms mystiques par lesquels on le distinguait. A la seconde heure paraissent les âmes des rois ayant à leur tête le défunt Rham- sès V, allant au-devant de la bari du dieu pour adorer sa lumière : aux 4^, 5^ et 6^ heures, le même pharaon prend part aux travaux des dieux

•238 TREIZIÈME LETTRE.

qui font la guerre au grand Apophis caché dans les eaux de l'Océan. Dans les 7* et 8^ heures, le vaisseau céleste côtoie les demeures des bien- heureux, jardins ombragés par des arbres de différentes espèces, sous lesquels se promènent les dieux et les amés pures. Enfin le dieu ap- proche de l'Occident : Sei^ (Saturne) sonde le fleuve incessamment, et des dieux échelonnés sur le rivage dirigent la barque avec précaution; elle contourne le grand bassin de Touest, et re- paraît dans la bande supérieure du tableau, c'est-à-dire dans l'hémisphère inférieur, sur le fleuve qu'elle remonte d'occident en orient. Mais dans toute cette navigation des douze heures de nuit, comme il arrive encore pour les barques qui remontent le Nil, la l^ari du soleil est tou- jours tirée à la corde par un grand nombre de génies subalternes, dont le nombre varie à cha- que heure différente. Le grand cortège du dieu et l'équipage ont disparu, il ne reste plus que le pilote debout et inerte à l'entrée du naos ren- fermant le dieu auquel la déesse Thméi (la vé- rité et la justice), qui préside à l'enfer ou à la région inférieure, semble adresser des consola- tions.

Des légendes hiéroglyphiques placées sur cha- que personnage et au commencement de toutes les scènes, en indiquent les noms et les sujets,

TREIZIÈME LETTRE. aSg

en faisant connaître l'heure du jour ou de la nuit à laquelle se rapportent ces scènes symboliques. J'ai pris copie moi-même et des tableaux et de toutes les inscriptions.

Mais sur ces mêmes plafonds et en dehors de la composition que je viens de décrire en gros, existent des textes hiéroglyphiques d'un intérêt plus grand peut-être, quoique liés au même su- jet. Ce sont des tables des constellations et de leurs influences pour toutes les heures de chaque mois de Vannée; elles sont ainsi conçues :

Mois DE TÔBi , la dernière moitié. Orion do- mine et influe sur l'oreille gauche.

Heure j", la constellation à' Orion (influe) sur le bras gauche.

Heure 2% la constellation de Sirius (influe) sur le cœur.

Heure 3" , le commencement de la constella- tion des deux étoiles (les gémeaux?), sur le cœur.

Heure 4^? l^s constellations des deux étoiles (influent) sur l'oreille gauche.

Heure 5% les étoiles du fleuve (influent) sur le cœur.

Heure 6% la tête (ou le commencement) du lion (influe) sur le cœur.

Heure 7^, la flèche (influe) sur l'œil droit.

Heure 8* , les longues étoiles , sur le cœur.

Heure 9*^, les serviteurs des parties antérieures

24o Î'IIEIZIÈME LETTRE.

(du quadrupède), Mente (le lion marin?), (in- fluent) sur le bras gauche.

Heure io% le quadrupède Menié (le lion ma- rin ? ) , sur l'œil gauche.

Heure ii®, les serviteurs du Mente, sur le bras gauche.

Heure 12^, le pied de la truie (influe) sur le bras gauche. \

Nous avons donc ici une table des influences , analogue à celle qu'on avait gravée sur le fameux cercle doré du monument d'Osimandyas, et qui donnait, comme le dit Diodore de Sicile, les heures du lever des constellations avec les in- fluences de chacune d'elles.' Cela démontrera sans réplique , comme l'a affirmé notre savant ami M. Letronne, que \ astrologie remonte, en Egypte, jusqu'aux temps les plus reculés; cette question, par le fait, est décidée sans retour, c'est un petit souvenir que je lui adresse, en at- tendant ses commissions pour Thèbes.

La traduction que je viens de donner d'une des vingt-quatre tables qui composent la série des levers, est certaine dans les passages j'ai introduit les noms actuels des constellations de notre planisphère; n'ayant pas eu le temps de pousser plus loin mon travail de concordance, j'ai été obhgé de donner partout ailleurs le mot à mot du texte hiéroglyphique.

TREIZIÈME LETTRE. ^/[ï

J'ai recueillir, et je l'ai fait avec un soin re- ligieux, ces restes précieux de V astronomie an- tique ^ science qui devait être nécessairement liée à \ astrologie ^ dans un pays la religion fut la base immuable de toute l'organisation sociale. Dans un pareil système politique, toutes les sciences devaient avoir deux parties distinctes : la partie des faits observés^ qni constitue seule nos sciences actuelles; la partie spéculative^ qui liait la science à la croyance religieuse , lien né- cessaire, indispensable même en Egypte, la religion, pour être forte et pour l'être toujours, avait voulu renfermer l'univers entier et son étude dans son domaine sans borne; ce qui a son bon et son mauvais côté, comme toutes les con- ceptions humaines.

Dans le tombeau de Rhamsès V, les salles ou corridors qui suivent ceux que je viens de dé- crire, sont décorés de tableaux symboliques relatifs à divers étals du soleil considéré soit physiquement, soit surtout dans ses rapports purement mythiques : mais ces tableaux ne for- ment point un ensemble suivi , c'est pour cela qu'ils sont totalement omis ou qu'ils n'occupent pas la même place dans les tombes royales. La salle qui précède celle du sarcophage, en géné- ral consacrée aux quatre génies de l'Amenti, con- tient, dans les tombeaux les plus complets, la

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'l[\l TREIZIÈME LETTRE.

comparution du roi devant le tribunal des l\i juges divins qui doivent décider du sort de son ame, tribunal dont ne fut qu'inie simple image celui qui, sur la terre, accordait ou refusait aux rois les honneurs de la sépulture. Une paroi entière de cette salle dans le tombeau de Rliam- sès V offre les images de ces l\i assesseurs d'O- siris, mêlées aux justifications que le roi est censé présenter, ou faire présenter en son nom, à ces juges sévères, lesquels paraissent être chargés, chacun, de faire la recherche d'un crime ou pé- ché particulier, et de le punir dans famé sou- mise à leur juridiction. Ce grand texte, divisé par conséquent en l\i versets ou colonnes, n'est, à proprement parler, qu'une confession négative, comme on peut en juger par les exemples qui suivent :

O dieu (tel)! le roi, soleil modérateur de jus- tice, approuvé d'Ammon, n'a point commis de méchancetés.

Le fils du soleil Rhamsès 7i'a point blas- phémé.

Le roi, soleil modérateur, etc., ne s'est point enivré.

Le fils du soleil Rhamsès na point été pa- resseux.

Le roi, soleil modérateur, etc., n'a point en-^ levé les biens voués aux dieux.

TREIZIÈME LETTRE. ^4^

Le fils du soleil Rhamsès na point dit de mensonges.

Le roi , soleil , etc. , n a point été libertin.

Le fils du soleil Rhamsès ne s'est point souillé par des impuretés.

Le roi , soleil, etc. , n'a point secoué la tête en entendant des paroles de vérité.

Le fils du soleil Rhamsès na point inutile- ment allongé ses paroles.

Le roi, soleil, etc., n'a pas eu à dévorer son cœur ( c'est-à-dire à se repentir de quelque mau- vaise action).

On voyait enfin, à côté de ce texte curieux, dans le tombeau de Rhamsès - Meïamoun , des images plus curieuses encore, celles des péchés capitaux : il n'en reste plus que trois de bien vi- sibles; ce sont la luxure, la paresse et la vora- cité., figurées sous forme humaine, avec les têtes symboliques de bouc, de tortue et de cro- codile.

La grande salle du tombeau de Rhamsès V , celle qui renfermait le sarcophage, et la dernière de toutes, surpasse aussi les autres en grandeur et en magnificence. Le plafond, creusé en ber- ceau et d'une très-belle coupe, a conservé toute sa peinture : la fraîcheur en est telle , qu'il f^aut être habitué aux miracles de conservation des monuments de l'Egypte, pour se persuader que

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244 TREIZIÈME LETTRE.

ces frêles couleurs ont résisté à plus de trente siècles. On a répété ici, mais en grand et avec plus de détails dans certaines parties, la marche du soleil dans les deux hémisphères pendant la durée du jour astronomique, composition qui décore les plafonds des premières salles du tom- beau et qui forme le motif général de toute la décoration des sépultures royales.

Les parois de cette vaste salle sont couvertes, du soubassement au plafond, de tableaux sculp- tés et peints comme dans le reste du tombeau, et chargées de milliers d'hiéroglyphes formant les légendes explicatives; le soleil est encore le sujet de ces bas-reliefs, dont un grand nombre contiennent aussi, sous des formes emblémati- ques, tout le système cosmogonique et les prin- cipes de la physique générale des Egyptiens. Une longue étude peut seule donner le sens en- tier de ces compositions que j'ai toutes copiées moi-même, en transcrivant en même temps tous les textes qui les accompagnent. C'est du mysti- cisme le plus raffiné; mais il y a certainement, sous ces apparences emblématiques, de vieilles vérités que nous croyons très-jeunes.

J'ai omis dans cette description, aussi rapide que possible, d'un seul des tombeaux royaux, de parler des bas-reliefs dont sont couverts les pi- liers qui soutiennent les diverses salles; ce sont

TREIZIÈMK LETTllE. a/jS

des adorations aux divinités de l'Egypte et prin- cipalement à celles qui président aux destinées des âmes, Phtha-Socharis, Atmou, la déesse Mé- résochar ^ Osiris et Anubis._

Tous les autres tombeaux des rois de Thèbes, situés dans la vallée de Biban-el-Molouk et dans la vallée de l'Ouest, sont décorés, soit de la to- talité, soit seulement d'une partie des tableaux que je viens d'indiquer, et selon que ces tom- beaux sont plus ou moins vastes et surtout plus ou moins achevés.

Les tombes royales véritablement achevées et complètes sont en très -petit nombre, savoir : celle d'Aménophis III ( Memnon ) , dont la décoration est presque entièrement détruite; celle de Rhamsès -Meïmoun, celle de Rham- sès V, probablement aussi celle de Rhamsès- le- Grand, enfin celle de la reine Thaoser. Toutes les autres sont incomplètes. Les unes se terminent à la première salle, changée en grande salle sépulcrale, d'autres] vont jusqu'à une se- conde salle des tombeaux complets; quelques- unes même se terminent brusquement par un petit réduit creusé à la hâte, grossièrement peint, et dans lequel on a déposé le sarcophage du roi, à peine ébauché. Cela prouve invincible- ment ce que j'ai dit au commencement, que ces rois ordonnaient leur tombeau en montant sur

'i/^6 TREIZIÈME LETTRE.

le trône; et si la mort venait les surprendre avant qu'il fût terminé , les travaux étaient arrê- tés et le tombeau demeurait incomplet. On peut donc juger à coup sûr de la longueur du règne de chacun des rois inhumés à Biban-el-Molouk , par l'achèvement ou par l'état plus ou moins avancé de l'excavation destinée à sa sépulture. Il est à remarquer à ce sujet , que les règnes d'Aménophis III, de Rhamsès-le-Grand et de Rhamsès V, furent, en effet, selon Manéthon, de plus de 3o ans chacun, et leurs tombeaux sont aussi les plus étendus.

Il me reste à parler de certaines particularités que présentent quelques-unes de ces tombes royales.

Quelques parois conservées du tombeau d'A- ménophis III ( Memnon ) sont couvertes d'une simple peinture, mais exécutée avec beaucoup de soin et de finesse. La grande salle contient en- core une portion de la course du soleil dans les deux hémisphères; mais cette composition est peinte sur les murailles sous la forme d'un im- mense papyrus déroulé, les figures étant tracées au simple trait comme dans les manuscrits, et les légendes , en hiéroglyphes linéaires , arrivant presque aux formes hiératiques. Le Musée royal possède des rituels conçus en ce genre d'écri- ture de transition.

TREIZIÈME LETTRE. 247

Le tombeau de cet illustre Pharaon a été dé- couvert par un des membres de la Commission d'Egypte dans la vallée de l'Ouest. Il est probable que tous les rois de la première partie de la XVIIl^ dynastie reposaient dans cette même vallée, et que c'est qu'il faut chercher les sé- pulcres d'Aménophis P*^ et II, et des quatre Thouthmosis. On ne pourra les découvrir qu'en exécutant des déblayements immenses au pied des grands rochers coupés à pic dans le sein desquels ces tombes ont été creusées. Cette même vallée recèle peut-être encore le dernier asile des rois thébains des anciennes époques; c'est ce que je me crois autorisé à conclure de l'existence d'un second tombeau royal d'un très- ancien style, découvert dans la partie la plus re- culée de la même vallée, celui d'un Pharaon thébain nommé Skhaî^ lequel n'appartient cer- tainement point aux quatre dernières dynasties Ihébaines, les XVI1% XVIIF , XIX^ et XX^

Dans la vallée proprement dite de Biban-el- Molouck, nous avons admiré, comme tous les voyageurs qui nous ont précédés, l'étonnante fraîcheur des peintures et la finesse des sculp- tures du tombeau d'Ousireï F"^, qui, dans ses lé- gendes, prend les divers surnoms de Noubei , d Athothi et cVAmoneï^ et dans son tombeau celui d'Ousiréï; mais cette belle catacombe dé-

248 TRKlZliîME LETTRE.

périt chaque jour. Les piliers se fendent et se délitent; les plafonds tombent en éclats, et la peinture s'enlève en écailles. J'ai fait dessiner et colorier sur place les plus riches tableaux de cet hypogée , pour donner en Europe une idée exacte de tant de magnificence. J'ai fait également des- siner la série de peuples figurée dans un des bas- reUefs de la première salle à piliers. J'avais cru d'abord, d'après les copies de ces bas-reliefs pu- bliées en Angleterre, que ces quatre peuples, de race bien différente, conduits par le dieu Horus, tenant le bâton pastoral, étaient les nations sou- mises au sceptre du pharaon Ousiréï; l'étude des légendes m'a fait connaître que ce tableau a une signification plus générale. Il appartient à la 3^ heure du jour, celle le soleil commence à faire sentir toute l'ardeur de ses rayons et ré- chauffe toutes les contrées de notre hémisphère. On a voulu y représenter, d'après la légende même , les habitants de l Egypte et ceux des con- trées étrangères. Nous avons donc ici sous les yeux l'image des diverses races d'hommes con- nues des Egyptiens, et nous apprenons en même temps les grandes divisions géographiques ou ethnographiques , établies à cette époque reculée. Les hommes guidés parle pasteur des peuples, Horus, sont figurés au nombre de douze, mais appartenant à quatre familles bien distinctes. Les

TREIZIÈME LETTRE. 2/|C)

trois premiers (les plus voisins du dieu) sont de couleur rouge sombre , taille bien proportionnée, physionomie douce, nez légèrement aquilin, longue chevelure nattée, vêtus de blanc, et leur légende les désigne sous le nom de rôt-en-ne- RÔME , la race des hommes^ les hommes par ex- cellence, c'est-à-dire les Egyptiens.

Les trois suivants présentent un aspect bien différent : peau couleur de chair tirant sur le jaune, ou teint basané, nez fortement aquilin, barbe noire, abondante et terminée en pointe, court vêtement de couleurs variées; ceux-ci por- tent le nom de Namou.

Il ne peut y avoir aucune incertitude sur la race des trois qui viennent après; ce sont des nègres ; ils sont désignés sous le nom général de

NAHA.SI.

Enfin, les trois derniers ont la teinte de peau que nous nommons couleur de chair, ou peau blanche de la nuance la plus délicate, le nez droit ou légèrement voussé, les yeux bleus, barbe blonde ou rousse, taille haute et très- élancée, vêtus de peaux de bœuf conservant en- core leur poil, véritables sauvages tatoués sur diverses parties du corps; on les nomme ïam-

HOU.

Je me hâtai de chercher le tableau correspon- dant à celui-ci dans les autres tombes royales,

aSo TREIZIÈME LETTRE.

et en le retrouvant en effet clans plusieurs, les variations que j'y observai me convainquirent pleinement qu'on a voulu figurer ici les habi- tants des quatre parties du inonde^ selon l'ancien système égyptien, savoir : les habitants de VÉgypte^ qui, à elle seule, formait une partie du monde, d'après le très-modeste usage des vieux peuples; les Asiatiques; les habi- tants propres de Y Afrique , les nègres ; enfin (et j'ai honte de le dire, puisque notre race est la dernière et la plus sauvage de la série) les Eu- ropéens qui, à ces époques reculées, il faut être juste, ne faisaient pas une trop belle figure dans ce monde. Il faut entendre ici tous les peuples de race blonde et à peau blanche, habitant non- seulement V Europe^ mais encore VAsie^ leur point de départ.

Cette manière de considérer ces tableaux est d'autant plus la véritable que, dans les autres tombes, les mêmes noms génériques reparais- sent et constamment dans le même ordre. On y trouve aussi les Égyptiens et les Africains repré- sentés de la même manière, ce qui ne pouvait être autrement : mais les JSamou (les Asiatiques) et les Tamhou (les races européennes) offrent d'importantes et curieuses variantes.

Au lieu de l'Arabe ou du Juif, si simplement vêtu dans le tombeau d'Ousireï, l'Asie a pour

TREIZIÈME LETTRE. '2b l

représentants dans d'autres tombeaux (ceux de Bhamsès-Meïamoim , etc.) trois individus tou- jours à teint basané, nez aquilin, œil noir et barbe touffue, mais costumés avec une rare ma- gnificence. Dans l'un, ce sont évidemment des Assyriens : leur costume, jusque dans les plus petits détails, est parfaitement semblable à celui des personnages gravés sur les cylindres assy- riens : dans l'autre, les peuples Mèdes, ou habi- tants primitifs de quelque partie de la Perse, leur physionomie et costume se retrouvant en effet, trait pour trait, sur les monuments dits persépolitains. On représentait donc l'Asie par l'un des peuples qui l'habitaient, indifféremment. 11 en est de même de nos bons vieux ancêtres les Tamhou, leur costume est quelquefois différent; leurs têtes sont plus ou moins chevelues et char- gées d'ornements diversifiés ; leur vêtement sau- vage varie un peu dans sa forme; mais leur teint blanc, leurs yeux et leur barbe conservent tout le caractère d'une race à part. J'ai fait copier et colorier cette curieuse série ethnographique. Je ne m'attendais certainement pas , en arrivant à Biban-el-Molouk, d'y trouver des sculptures qui pourront servir de vignettes à l'histoire des habitants primitifs de l'Europe , si on a jamais le courage de l'entreprendre. Leur vue a toute- fois quelque chose de flatteur et de consolant,

aSa TREIZIÈME LETTRE.

puisqu'elle nous fait bien apprécier le chemin que nous avons parcouru depuis.

Le tombeau de Rhamses 7", le père et le pré- décesseur d'Ousireï, était enfoui sous les décom- bres et les débris tombés de la montagne; nous l'avons fait déblayer : il consiste en deux longs corridors sans sculptures, se terminant par une salle peinte, mais d'une étonnante conservation, et renfermant le sarcophage du roi, en granit, couvert seulement de peintures. Cette simplicité accuse la magnificence du fils, dont la somp- tueuse catacombe est à quelques pas de là.

J'avais le plus vif désir de retrouver à Biban- el-Molouk la tombe du plus célèbre des Rham- ses, celle de Sésostris; elle y existe en effet : c'est la troisième à droite dans la vallée princi- pale: mais la sépulture de ce grand homme sem- ble avoir été en butte, soit à la dévastation par des mains barbares, soit aux ravages des torrents accidentels qui l'ont comblée à très peu près jus- qu'aux plafonds. C'est en faisant creuser une es- pèce de boyau au milieu des éclats de pierres qui remplissent cette intéressante catacombe, que nous sommes parvenus, en rampant et mal- gré l'extrême chaleur, jusqu'à la première salle. Cet hypogée, d'après ce qu'on peut en voir, fut exécuté sur un plan très-vaste et décoré de sculp- tures du meilleur style, à en juger par les pe-

TREIZIÈME LETTRE. 253

tites portions encore subsistantes. Des fouilles entreprises en grand produiraient sans doute la découverte du sarcophage de cet illustre conqué- rant : on ne peut espérer d'y trouver la momie royale, car ce tombeau aura sans doute été violé et spolié à une époque fort reculée, soit par les Perses, soit par des chercheurs de trésors, aussi ardents à détruire, que l'étranger avide d'exer- cer des vengeances.

Au fond d'un embranchement de la vallée et dans le voisinage de ce respectable tombeau, reposait le fils de Sésostris; c'est un très-beau tombeau, mais non achevé. J'y ai trouvé, creu- sée dans l'épaisseur de la paroi d'une salle iso- lée , une petite chapelle consacrée aux mânes de son père, Rhamsès-le-Grand.

Le dernier tombeau, au fond de la vallée prin- cipale, se fait remarquer par son état d'imper- fection; les premiers bas-reliefs sont achevés et exécutés avec une finesse et im soin admirables; la décoration du reste de la catacombe, formée de trois longs corridors et de deux salles, a été seulement tracée en rouge, et l'on rencontre enfin les débris du sacorphage du Pharaon, en granit, dans un très-petit cabinet dont les parois à peine dégrossies sont couvertes de quelques mauvaises figures de divinités, dessinées et bar- bouillées à la hâte.

254 TREIZIÈME LETTRE.

Son successeur, dont le nom monumental est Bliamerri, ne s'était probablement pas beaucoup inquiété du soin de sa sépulture : au lieu de se faire creuser un tombeau comme ses ancêtres, il trouva plus commode de s'emparer de la cata- combe voisine de celle de son père, et l'étude que j'ai faire de ce tombeau palimpseste , m'a conduit à un résultat fort important pour le com- plément de la série des règnes formant la i8^ dy- nastie.

Le temps ayant causé la chute du stuc appli- qué par l'usurpateur Rhamerri sur les sculptures primitives de certaines parties du tombeau qu'il voulait s'approprier, je distinguai sur la porte principale les légendes d'une reine nommée Thaoser, et le temps faisant aussi justice de la couverte dont on avait masqué les premiers bas- reliefs de l'intérieur, a mis à découvert des ta- bleaux représentant cette même reine, faisant les mêmes offrandes aux dieux et recevant des divinités les mêmes promesses et les mêmes as- surances que les Pharaons eux-mêmes dans les bas-reliefs de leurs tombeaux, et occupant la même place que ceux-ci. Il devint donc évident que j'étais dans une catacombe creusée pour re- cevoir le corps d'une reine, et je dois ajouter d'une reine ayant exercé par elle-même le pou- voir souverain, puisque son mari, quoique por-

TREIZIÈME LETTRE. ^55

tant le titre de roi, ne paraît qu'après elle dans cette série de bas-reliefs, la reine seule se mon- trant dans les premiers et les plus importants. Ménéphtha-S iphtha fut le nom de ce souverain en sous-ordre.

Comme j'avais déjà trouvé à Ghebel-Selséléh des bas-reliefs de ce prince qui avait, après le roi Hôrus, continué la décoration du grand spéos de la carrière, j'ai reconnaître alors dans la reine TJiaoser la fille même du roi Horus, la- quelle succédant à son père, dont elle était la seule héritière en âge de régner, exerça long- temps le pouvoir souverain, et se trouve dans la liste des rois de Manélhon , sous le nom de la reine Achencherses. Je m'étais trompé à Turin, en prenant l'épouse même d'Hôrus, la reine Tmauhmot, pour la fîlle de ce prince, mention- née dans le texte de l'inscription d'un groupe. Cette erreur de nom, indifférente pour la série des règnes, n'aurait point été commise si la lé- gende de la reine épouse d'Hôrus eût conservé ses titres initiaux, qu'une fracture a fait dis- paraître. Siphtha ne porte donc le titre de roi qu'en sa qualité d'époux de la reine régnante; ce qui déjà avait eu lieu pour les deux maris de la reine Amensé , mère de Thouthmosis III (Mœris).

Ce fait diminue un peu l'odieux de l'usurpa-

2 56 TREIZIÈME LETTRE.

tioii du tombeau de la reine Thaoser et de son mari Siphtha par leur cinquième ou sixième suc- cesseur, qui ne devait point, en effet, avoir pour eux le respect à des ancêtres, parce qu'il descendait directement de Rhamsès 1*^' , et que, d'après les listes, il était tout au plus le frère de la reine Thaoser Achenchersès, et con- tinuait directement la ligne masculine à partir du roi Hôrus. Mais cela ne saurait justifier le nouvel occupant, d'abord d'avoir substitué par- tout à l'image de la reine , la sienne propre , au moyen d'additions ou de suppressions, en l'af- fublant d'un casque ou de vêtements et d'insi- gnes convenables seulement à des rois et non à des reines ; et en second lieu , d'avoir recouvert de stuc tous les cartouches renfermant les noms de la reine et de Siphtha , pour y faire peindre sa propre légende. Cette opération a dû, toute- fois, s'exéculer fort à la hâte, puisqu'après avoir métamorphosé la reine Thaoser en roi Rhamerri, on n'a point eu la précaution de corriger, sur les bas-reliefs, le texte des discours que les dieux sont censés prononcer , lesquels sont toujours adressés à la reine , et ne sauraient l'être conve- nablement au roi, ni par leur forme, ni par leur contenu.

Le plus grand et le plus magnifique de tous

TREIZIÈME LEÏT1\E. 267

les tombeaux de la vallée encore existants, fut sans contredit celui du successeur de Rhamerri, Rhamessès - Méiamoun ; mais aujourd'hui , le temps ou la fumée a terni l'éclat des couleurs qui recouvrent la plupart de ces sépulcres; il se recommande d'ailleurs par huit petites salles percées latéralement dans le massif des parois du i" et du 1" corridor, cabinets ornés de sculp- tures du plus haut intérêt et dont nous avons fait prendre des copies soignées. L'un de ces petits boudoirs contient, entre autres choses, la représentation des travaux de la cuisine; un autre celle des meubles les plus riches et les plus somptueux; un troisième est un arsenal complet se voient des armes de toute espèce et les insignes militaires des légions égyptiennes; ici on a sculpté les barques et les canges royales avec toutes leurs décorations. L'un d'eux aussi nous montre le tableau symbolique de l'année égyptienne, figurée par six images du Nil et six images de l'Egypte personnifiée, alternées, une pour chaque mois et portant les productions particulières à la division de l'année que ces images représentent. J'ai faire copier, dans l'un de ces jolis réduits, les deux fameux joueurs de harpe avec toutes leurs couleurs, parce qu'ils n'ont été exactement publiés par personne.

17

258 TREIZIÈME LETTRF.

En voilà assez sur Bibaii-el-Molouk. J'ai iiâte de retourner à Thèbes, l'on ne sera point fâ- ché de me suivre. Je dois cependant ajouter que plusieurs de ces tombes royales portent sur leurs parois le témoignage écrit qu'elles étaient, il y a bien des siècles, abandonnées et seulement visitées, comme de nos jours, par beaucoup de curieux désœuvrés, lesquels, comme ceux de nos jours encore, croyaient s'illustrer à jamais en griffonnant leurs noms sur les peintures et les bas-reliefs, qu'ils ont ainsi défigurés. Les sots de tous les siècles y ont de nombreux représentants: on y trouve d'abord des Egyptiens de toutes les époques, qui se sont inscrits, les plus anciens en hiératique, les plus modernes en démotique; beaucoup de Grecs de très-ancienne date, à en juger par la forme des caractères ; de vieux Ro- mains de la république, qui s'y décorent avec orgueil du titre de Romanos ; des noms de Grecs et de Romains du temps des premiers empe- reurs ; une foule d'inconnus du Bas-Empire noyés au milieu des superlatifs qui les précè- dent ou qui les suivent ; plus , des noms de Cop- tes accompagnés de très-humbles prières; enfin les noms des voyageurs européens que l'amour de la science , la guerre , le commerce , le hasard ou le désœuvrement ont amenés dans ces tom- bes solitaires. J'ai recueilli les plus remarquables

TREIZIÈME LETTRE. iSq

de ces inscriptions , soit pour leur contenu , soit pour leur intérêt sous le rapport paléographi- que. Ce sont toujours des matériaux (i), et tout trouve sa place dans mes portefeuilles égyptiens, qui auront bien quelque prix translatés à Pa- ris. .. . J'y pense souvent. . . . Adieu.

(i) A. Béni -Hassan el Qadim , dans le' tombeau du nommé Rotéï( c'est l'hypogée comjjosé d'une seule chambre rectangulaire, ornée dans le fond de deux rangées de trois colonnes, et dont la porte regarde à l'ouest et la vallée de l'Egypte), on remarque sur la paroi méridionale un enfon- cement régulièrement taillé comme pour une armoire, et c'est dans l'épaisseur de cet enfoncement que j'ai trouvé écrite au charbon et presque effacée, cette inscription bien simple: 1800. 3^ Régiment de Dragons. Je me suis fait un devoir de repasser pieusement ces traits à l'encre noire avec un pinceau, en ajoutant au-dessous : j. f. c. rst. 1828. (J.-F. Champollion restUuil). [Extrait des Notices auto- graphes. ) C. F.

'7-

QUATORZIÈME LETTRE.

Thebes, le 18 juin 1829.

Depuis mon retour au milieu des ruines de cette aînée des villes royales, toutes mes jour- nées ont été consacrées à l'étude de ce qui reste d'un de ses plus beaux édifices, pour lequel je conçus, à sa première vue, une prédilection marquée. La connaissance complète que j'en ai acquise maintenant, la justifie au-delà de ce que je devais espérer. Je veux parler ici d'un monu- ment dont le véritable nom n'est pas encore fixé, et qui donne lieu à de fort vives contro- verses : celui qu'on a appelé d'abord le Mem- nonium , et ensuite le Tombeau cVOsimandjas, Cette dernière dénomination appartient à la Com- mission d'Egypte ; quelques voyageurs persis- tent à se servir de l'autre qui, certainement, est

QUA.TORZli^MK LETTRE, 26 I

fort mal appliquée et très-inexacte. Pour moi , je n'emploierai désormais, pour désigner cet édi- fice, que son nom égyptien même, sculpté dans cent endroits et répété dans les légendes des fri- ses , des architraves et des bas-reliefs qui déco- rent ce palais. Il portait le nom de Rhamesséion , parce que c'était à la munificence du pharaon Rhamsès-le-Grand que Thèbes en était rede- vable.

L'imagination s'ébranle et l'on éprouve une émotion bien naturelle en visitant ces galeries mutilées et ces belles colonnades , lorsqu'on pense qu'elles sont l'ouvrage et furent souvent l'habitation du plus célèbre et du meilleur des princes que la vieille Egypte compte dans ses longues annales, et toutes les fois que je le par- cours , je rends à la mémoire de Sésostris l'es- pèce de culte religieux dont l'environnait l'anti- quité tout entière.

11 n'existe du Rhamesséion aucune partie com- plète; mais ce qui a échappé à la barbarie des Perses et aux ravages du temps, suffit pour res- taurer l'ensemble de l'édifice et pour s'en faire une idée très-exacte. Laissant à part sa partie ar- chitecturale , qui n'est point de mon ressort, mais à laquelle je dois rendre un juste hom- mage en disant que le Rhamesséion est peut-être ce qu'il y a de plus noble et de plus pur à Thè-

iGct QUATORZIÈME LETTRE.

bes en fait de grand monument, je me bornerai à indiquer rapidement le sujet des principaux bas-reliefs qui le décorent , et le sens des ins- criptions qui les accompagnent.

Les sculptures qui couvraient les faces exté- rieures des deux massifs du premier pylône construit en grès, ont entièrement disparu, car ces massifs se sont éboulés en grande partie. Des blocs énormes de calcaire blauc restent encore en place; ce sont les jambages de la porte; ils sont décorés, ainsi que l'épaisseur des deux massifs entre lesquels s'élevait cette porte, des légendes royales de Rbamsès-le-Graud , et de ta- bleaux représentant le Pharaon faisant des of- frandes aux grandes divinités de Thèbes, Amon- Ra, Amon générateur, la déesse Mouth , le jeune dieu Chons, Phtha et Mandou. Dans quelques tableaux, le roi reçoit à son tour les faveurs des dieux, et je donne ici l'analyse du principal d'entre eux, parce que c'est que j'ai lu pour la première fois le nom véritable de l'édifice entier.

Le dieu Atmou ( une des formes de Pliré ) présente au dieu Mandou le Pharaon Rhamsès- le-Grand , casqué et en habits royaux; cette der- nière divinité le prend par la main en lui di- sant ; «Viens, avance vers les demeures divines a pour contempler ton père, le seigneur des « dieux , qui t'accordera une longue suite de

QUATOrxZlÈME LETTRE. ^63

« jours pour gouverner le Monde et régner sur « le trône d'Horus. » Plus loin , en effet, on a figuré le grand dieu Amon-Ra assis , adressant ces paroles au Pharaon : « Voici ce que dit « Amon-Ra, roi/les dieux, et qui réside dans le « Rliamesséion de Thèbes : Mon fils bien-aimé « et de mon germe, seigneur du Monde Rham- « ses! mon cœur se réjouit en contemplant tes a bonnes œuvres; tu m'as voué cet édifice; je te « fais le don d'une vie pure à passer sur le trône « de Sev (Saturne) , ( c'est-à-dire dans la royauté « temporelle.

Il ne peut donc, à l'avenir, rester la moindre incertitude sur le nom à donner à ce monument.

Les tableaux militaires, relatifs aux conquê- tes du roi, couvrent les faces des deux massifs du pylône sur la première cour du palais ; ils sont visibles en assez grande partie , parce que l'éboulement des portions supérieures du pylône a eu lieu du côté opposé. Ces scènes militaires offrent la plus grande analogie avec celles qui sont sculptées dans l'intérieur du temple cVll?- samboul et sur le pylône de Louqsor , qui font partie du Rliamesséion ou Rhamséion oriental de Thèbes. Les inscriptions sont semblables , et tous ces bas-reliefs se rapportent évidemment à une même campagne contre des peuples asiati- ques qu'on ne peut, d'après leur physionomie

9.G/i QUATORZIÈME LKTTUE.

et d'après leur costume, chercher ailleurs, je le répète, que dans cette vaste contrée sise entre le Tigre et l'Euphrate d'un côté , l'Oxus et l'In- dus de l'autre , contrée que nous appelons assez vaguement la Perse. Cette natiop, ou plutôt le pays qu'elle habitait, se nommait ChtOy Chéto , Scéhto ou Schto ^ car je me suis aperçu, enfin, que le nom par lequel on la désigne ordinaire- ment dans les textes historiques , et qui peut se prononcer Pscharanschétko , P schaiinschèto ou Pschareneschto ( vu l'absence des voyelles mé- diales), est composé de trois parties distinctes: i°d'un mot égyptien, épi thète injurieuse P^c/ît^re qui signifie une plaie; i"" de la préposition n (dé) que j'avais d'abord crue radicale ; 3" de ChtOy SchtOj Schéto , véritable nom de la contrée. Les Egyptiens désignèrent donc ces peuples ennemis sous la dénomination de la plaie de Schélo , de la même manière que l'Ethiopie est toujours ap- pelée la mauvaise race de Kousch. Ce n'est point ici le lieu d'exposer les raisons qui me portent à croire fermement que c'est de peuples du nord-est de la Perse , de Bactriens , ou Scy thes- Bactriens qu'il s'agit ici.

On a sculpté sur le massif de droite la récep- tion des ambassadeurs scytho-bactriens dans le camp du roi; ils sont admis en la présence de Rhamsès, qui leur adresse des reproches; les sol-

QUATORZIÈME LETTRE. ' '265

dats, dispersés dans le camp, se reposent ou préparent leurs armes , et donnent des soins aux bagages; en avant du camp, deux Égyptiens ad- ministrent la bastonnade à deux prisonniers en- nemis, afin, porte la légende hiéroglyphique, de leur faire dire ce que fait la plaie de Scliéto. Au bas du tableau, est l'armée égyptienne en marche, et à l'une des extrémités se voit un en- gagement entre les chars des deux nations.

La partie gauche de ce massif offre l'image d'une série de forteresses desquelles sortent des Egyptiens emmenant des captifs : les légendes sculptées sur les murs de chacune d'elles, don- nent leur nom , et apprennent que Rhamsès-le- Grand les a prises de vive force, la 8^ année de son règne.

Il manque près de la moitié du massif de droite du pylône ; ce qui reste offre les débris d'un vaste bas-relief représentant une grande bataille, toujours contre les Schéto. Comme j'aurai l'oc- casion d'en décrire une seconde tout-à-fait sem- blable et beaucoup mieux conservée, je passerai rapidement sur celle-ci, disant seulement qu'on y a représenté l'un des principaux chefs bac- triens, nommé Schiropsiro ou Scluropasiro , blessé et gisant sur le bord du fleuve, vers lequel se dirige aussi, fuyant devant le vainqueur, un al- lié , le chef de la mauvaise race du pajs de Schir-

266 QUATORZIÈME LETTRE.

hecli OU Schilbesch. A côté de la bataille est un tableau triomphal : Rhamsès-le-Grand , debout, la hache sur l'épaule , saisit de sa main gauche la chevelure d'un groupe de captifs , au-dessus desquels on lit : « Les chefs des contrées du Midi « et du ISord conduits en captivité par sa majesté. »

Les colonnades qui fermaient latéralement la première cour, n'existent plus aujourd'hui. Le vaste espace compris jadis entre ces galeries et les deux pylônes, est encombré des énormes débris du plus grand et du plus magnifique co- losse que les Egyptiens aient peut-être jamais élevé : c'était celui de Rharnses-le-GrancL Les inscriptions qui le décorent ne permettent pas d'en douter. Les légendes royales de cet illustre Pharaon se lisent en grands et beaux hiérogly- phes vers le haut des bras, et se répètent plu- sieurs fois sur les quatre faces de la base. Ce co- losse, quoique as sis, n avait pas moins de ZS pieds de hauteur, non compris la base, second bloc d'environ 33 pieds de long sur 6 de haut.

Il faut admirer à la fois la puissance du peu- ple qui érigea ce merveilleux colosse, et celle des Barbares, qui l'ont mutilé avec tant d'adresse et de soins.

Ce beau monument s'élevait devant le massif de gauche du second pylône ou mur détruit jus- qu'au niveau du sol actuel : c'est par nos fouil-

QUATORZlÈaiE LKTTRF. 267

les que je me suis assilré que l'on avait aussi couvert ce massif de sculptures représentant des scènes militaires : j'y ai retrouvé le bas d'un ta- bleau représentant le roi, après une grande ba- taille, recevant des principaux officiers le compte des ennemis tués dans l'action, et dont les mains coupées sont entassées à ses pieds. Plus loin, existait une inscription toujours relative à la guerre contre les Schéto; le peu qui reste des dernières lignes, interrompu par de nombreuses fractures, m'a fait vivement regretter la destruc- tion de ces documents historiques abondants en noms propres et en désignations géographiques. Il y est surtout question des honneurs que le roi accorde à deux chefs scy thés ou bactriens , Irosch- toasiro ^ grand chef du pays de Schéto, et Pes- chorsenmausiro , qualifié aussi de grand chef : ce sont, très-probablement, les gouverneurs établis par le conquérant après la soumission du pays. T.es sculptures du massif de droite du i^ py- lône ou mur, subsistent en très-grande partie sous la galerie delà seconde cour à droite en en- trant ; c'est le tableau d'une bataille livrée sur le bord d'un fleuve, dans le voisinage d'une ville que ceignent deux branches de ce fleuve , et sur les murailles de laquelle on lit : la ville forte fFatsch ou Batsch (la première lettre est dou- teuse ). Vers l'extrémité actuelle du tableau, à la

268 QUA.TORZ1ÈWK LETTRE.

gawche du spectateur, l'on voit le roi Rhamsès sur son char lancé au galop, au milieu du champ de bataille couvert de morts et de mourants. Il décoche des flèches contre la masse des ennemis en pleine déroute; derrière le char, sur le ter- rain que le héros vient de quitter, sont entassés les cadavres des vaincus, sur lesquels s'abattent les chevaux d'un chef ennemi nommé Torokani, blessé d'une flèche à l'épaule et tombant sur l'a- vant de son char brisé. Sous les pieds des cour- siers du roi , gisent , dans diverses positions , le corps de Torokato, chef des soldats du pays de ISakbésou^ et ceux de plusieurs autres guer- riers de distinction. Le grand chef bactrien, Schiropasiro ^ se retire sur le bord du fleuve; les flèches du roi ont déjà atteint Tiotouro et Si- maïrosi fuyant dans la plaine et se dirigeant du côté de la ville. D'autres chefs se réfugient vers le fleuve, dans lequel se précipitent les chevaux du cYici Krobschatosi^ blessé et qu'ils entraînent avec eux. Plusieurs enfin, tels que Thotâro et Majerima^frère (allié) de la plaie de Schéto (des Bactriens), sont allés mourir en face de la vifle, sur la rive du fleuve , que d'autres , tels que le Bactrien Sipaphéro , ont été assez heureux pour traverser , secourus et accueillis sur la rive op- posée par une foule immense accourue pour connaître le résultat de la bataille. C'est au mi-

QUA.TORZIÈME LETTRE. 269

lieu de tout ce peuple amoncelé , qu'on aper- çoit un groupe donnant des secours empressés à lui chef que l'on vient de retirer du fleuve, il s'est noyé; on le tient suspendu par les pieds la tête en bas^ et on s'efforce de lui faire rendre l'eau qui le suffoque, afin de le rappeler à la vie. Sa longue chevelure semble ruisseler, et le traitement ne produira aucun effet, si l'on en juge par la physionomie et le mouvement de l'assistance. On lit au-dessus de ce groupe : « Le « chef de la mauvaise race du pays des Schir- « besch , qui s'est éloigné de ses guerriers en « fuyant le roi du côté du fleuve. »

Enfin, au milieu de la foule sortie de la ville par un pont jeté sur l'une des branches du fleuve, on remarque des symptômes d'un pro- chain changement dans l'état des esprits : un individu adresse un discours à ceux qui l'entou- rent; sa harangue a pour but d'encourager ses compatriotes à se soumettre au joug de Rham- sès-le-Grand ; on lit en effet au-dessus du bras de l'orateur , le commencement d'une inscrip- tion ainsi conçue : « Je célèbre la gloire du Dieu

gracieux, parce qu'il a dit )j#ie reste est

détruit.

J'ai voulu, en entrant dans tous ces détails, donner une idée des bas-reliefs historiques dont on décorait les grands monuments de l'Egypte,

•2'JO QUA-TOnzlÈMP. LETTRE.

de ces compositions immenses que je me plais à nommer des tableaux homériques ou de la sculpture héroïque, parce qu'ils sont pleins de ce feu et de ce désordre sublimes qui nous en- traînent , à la lectrure des batailles de Tlliade. Chaque groupe considéré à part sera trouvé certainement défectueux dans quelques points relatifs à la perspective, ou aux proportions, comparativement aux parties voisines; mais ces petits défauts de détails sont rachetés, et au-delà, par l'effet des masses, et j'ose dire ici que les plus beaux vases grecs ^ représentant des com- bats ^ pèchent précisément (si péché il y a) sous les mêmes rapports que ces bas-reliefs égyptiens. Sur le haut de cette grande paroi, on a sculpté un long bas-relief, mutilé au commencement et à la fin , représentant Rhamsès-le-Grand célé- brant la panégyrie du grand dieu de Thèbes, le double Ilorus, ou Amon - Générateur. Comme j'aurai l'occasion de décrire une fête semblable existant, dans tout son entier, au palais de Mé- dinet-Habou, je me contenterai de dire que c'est ici qu'existe une série de statuettes de rois ran- gés par or^e de règne; ce sont : i*^ Mènes (le premier roi terrestre); un prénom inconnu, antérieur à la dix-septième dynastie; Amosis; Aménothph T''; Tliouthmosis T'"; e^Thouth- mosis III; 7" Aménothph II ; 8' Thouthmosis IV;

QUATORZIÈME LETTRE. 'l'J l

Aménothph III; lo" Hôrus; i l'^Rliamsès l"; 12° Ousereï; i3° Rhamsès-le-Grand lui-même. Cette série ne donne que la ligne directe des ancêtres du conquérant; ainsi Thouthmosis II est omis, parce que Thouthmosis III (Mœris) était fils d'une fille de Thouthmosis V^.

De nombreux bas-reliefs représentant des ac- tes d'adoration du roi Rhamsès aux grandes di- vinités de Thèbes, couvrent trois faces des pi- liers formant la galerie devant le pylône; sur la quatrième face de chacun d'eux , on voit , sculp- tée de plein relief, une image colossale du roi, d'environ trente pieds de hauteur. Voici les lé- gendes les mieux conservées des quatre qui sub- sistent encore :

« Le Dieu gracieux a fait ces grandes con- « structions ; il les a élevées par son bras , lui , le «roi soleil, gardien de justice, approuvé par « Phré, le fils du soleil, l'ami d'Ammou, Rham- « ses , le bien-aimé d'Amon-Ra.

« Le Dieu gracieux dominant dans sa patrie, « l'a comblé de ses bienfaits , lui , le roi so- « leil, etc.

« Le bien-aimé d'Amon~Ra , le Dieu gracieux , « chef plein de vigilance, le plus grand des vain- « queurs , a soumis toutes les contrées à sa do- « mination, lui, le roi soleil, etc., le bien-aimé « de la déesse Mouth. »

l'JI QUATORZIÈME LETTRE.

Ainsi , ces inscriptions rappellent tout ce que l'antiquité s'est plu à louer dans Sésostris : les grands ouvrages qu'il a fait exécuter, les bon- nes lois qu'il donna à sa patrie , et la vaste éten- due de ses conquêtes.

Les piliers ornés de colosses qui font face à ceux-ci, et les colonnes qui formaient la se- conde cour du palais du coté droit, se font aussi remarquer par la richesse des tableaux religieux qui les décorent. Les piliers et les colonnades qui formaient la partie gauche de la cour, sont entièrement détruits.

Je ne m'étendrai point sur les intéressants bas- reliefs qui couvrent la partie gauche du mur du fond du péristyle; je me hâte d'entrer dans la salle hypostyle dont environ trente colonnes sub- sistent encore intactes, et charmeraient par leur élégante majesté les yeux même les plus préve- nus contre tout ce qui n'est pas architecture grecque ou romaine.

Quant à la destination de cette belle salle, à la disposition des colonnes, et à la forme des chapiteaux qui les décorent, je laisserai parler, - sur ces divers points, la dédicace elle-même de la salle, sculptée, au nom du fondateur, sur les architraves de gauche , en très-beaux hiérogly- phes.

« L'Haroëris puissant, ami de la vérité, le sei-

QUATORZIÈME LETTRE. 2^3

« gneur de la région supérieure et de la région «inférieure, le défenseur de l'Egypte, le casti- « gateur des contrées étrangères , l'Hôrus res- « plendissant possesseur des palmes et le plus « grand des vainqueurs, le roi seigneur du Monde « (soleil gardien de justice approuvé par Phré), «le fils du soleil, le seigneur des diadèmes, le « bien-aimé d'Ammon , Riiamsès, a fait exécuter « ces constructions en l'honneur de son père « Amon-Ra roi des dieux; il a fait construire la « Grande salle d' Assemblée , en bonne pierre « blanche de grès, soutenue par de grandes co- « lonnes à chapiteaux imitant des fleurs épa- « nouies , flanquées de colonnes plus petites à « chapiteaux imitant un bouton de lotus tron- « que ; salle qu'il voue au seigneur des dieux « pour la célébration de sa panégyrie gracieuse ; « c'est ce qu'a fait le roi de son vivant. »

x\insi donc, les salles hypostyles, qui donnent aux palais égyptiens un caractère si particulier, furent véritablement destinées , comme on le soupçonnait, à tenir de grandes assemblées, soit politiques , soit religieuses, c'est-à-dire , ce qu'on nommait des panégyries ou réunions générales: c'est ce dont j'étais déjà convaincu avant d'a- voir découvert cette curieuse dédicace, parce que, observant la forme du caractère hiérogly- pliique exprimant ïidée panégrrie sur les obé-

i8

274 QCA.TORZ1ÈJVIE LETTRE.

lisqiies de Rome ce caractère est -sculpté en grand , je m'étais aperçu qu'il représentait , au propre , une salle hypostyle avec des sièges dis- posés au pied des colonnes.

C'est à l'entrée de la salle hypostyle du Rha- raesséion , à droite , qu'existe un bas-relief dans lequel on a représenté la reine mère du conqué- rant. Elle se nommait Taoïiaï ; une belle statue de cette princesse existe aussi au Capitole. J'en avais copié les inscriptions, mais des fractures pouvaient donner lieu à quelques incertitudes; elles sont levées par le bas-relief que j'ai sous les yeux.

On trouve-, du même côté, un grand tableau historique décrit ou dessiné par tous les voya- geurs qui ont visité l'Egypte; le seul dessin exact que l'on puisse citer, est celui que M. Cailliaud a publié dans son voyage à Méroè'. J'en ai fait prendre une copie plus en grand , et j'ai tran- scrit moi-même les légendes, qui sont intéres- santes, quoique incomplètes sur plusieurs points. C'est encore ici un grand tableau de guerre, mais qui se partage en deux parties principales ; dans une vaste plaine, le roi Rhamsès vient de vaincre les Schéto, qu'il a mis en pleine déroute. Deux princes sont à la poursuite de l'ennemi; ces fils du roi se nomment Mandouhi Schopsch et Schat-kemkémé. C'étaient le 4' et le 5^ des en-

QUATORZIÈME LETTUK. '2'] S

fants de Rhamsès. Les vaincus sont encore des peuples de Schéto (des Bactriens?); ils se diri- gent vers une ville placée à l'extrémité droite du tableau, s'ouvre une nouvelle scène. Qua- tre autres fils du conquérant, les 7^, 8e, ge et lo*' de ses enfants, appelés Méiainoun, Amenheimva, ISoubtei et Setpanré, sont établis sous les murs de la place; les assiégés opposent une vigou- reuse résistance ; mais déjà les Égyptiens ont dressé les échelles, et les murailles vont être esca- ladées. Une fracture a malheureusement fait dis- paraître la première partie du nom de la ville assié- gée; il ne reste plus que les syllabes apouro.

Des tableaux religieux, exécutés av^c beau- coup de soin, existent sous le fût des grandes et des petites colonnes de la salle hypostyle; on y voit successivement toutes les divinités égyp- tiennes du premier ordre, et principalement celles dont le culte appartenait^^d'une manière plus spéciale au nome diospolitain, annoncer à Rhamsès les bienfaits dont elles veulent le com- bler en échange des riches offrandes qu'il leur présente. Tci, comme dans la sculpture des pi- liers et des colonnes de la seconde cour, repa- raissent en première ligne les divinités protec- trices du palais , auxquelles ce bel édifice était plus particulièrement consacré : celles-ci pren- nent toujours un titre qui se traduit exactement

18.

276 QUATORZIÈME LETTRE.

par résidant ou qui résident dans le Bhames- séion de Tliebes. A leur tête, paraît Amon-Ra, sous la forme du roi des dieux , ou sous celle de générateur; viennent ensuite les dieux Phtha, Phré, Atmou, Meuï , Sev, et les déesses Pascht et Hâthor. Chacune d'elles accorde au Pharaon une grâce particulière. Voici quelques exemples de ces formules donatrices , extraites des gale- ries et des colonnades du Rhamesséion :

«J'accorde que ton édifice soit aussi durable a que le ciel (Amon-Ra).

«Je te donne une longue suite de jours pour « gouverner l'Egypte (Isis).

«Je t'accorde la domination sur toutes les « contrées( Amon-Ra).

«J'inscris à ton nom les attributions royales « du soleil (Thoth).

«Je t'accorde de vaincre, comme Mandou, et « d'être vigilant comme le fils de Netphé (Amon- « Ra).

«Je te livre le Midi et le Nord, l'Orient et « l'Occident (Amon-Ra).

« Je t'accorde une longue vie pour gouver- « ner le Monde par un règne joyeux (Sev, Sa- « turne).

«Je te donne l'Egypte supérieure et l'Egypte « inférieure à diriger en roi (Netphé, Rhéa).

« Je te livre les Barbares du Midi et ceux du

QXJATORZlfeMR LETTBF- ^'J']

«Nord à fouler sous tes sandales (Thméi, la «justice).

«Je t'ouvrirai toutes les bonnes portes qui « seront devant toi (le Gardien des portes cé- « lestes).

« Je veux que ton palais subsiste à toujours « (Meuï).

« Je t'accorde de grandes victoires dans toutes «les parties du Monde (la déesse Pasclit).

« Je t'accorde que ton nom s'imprime dans « le cœur des Barbares (la déesse Pascht). »

La portion des murailles de la salle hypostyle échappée aux ravages des hommes , présente des scènes plus riches et plus développées : sur le mur du fond , à la droite et à la gauche de la porte centrale, existent encore deux vastes ta- bleaux remarquables par la grande proportion des figures et le fini de leur exécution. Dans le premier, la déesse Pascht à tète de lion, l'épouse de Phtha, la dame du palais céleste^ lève sa main droite vers la tête de Rhamsès couverte d'un casque, en lui disant : «Je t'ai préparé le diadème du soleil, que ce casque demeure sur ta corne (le front) je l'ai placé.» Elle présente en même temps le roi au dieu suprême, Amon- Ra , qui , assis sur son trône , tend vers la face du roi les emblèmes d'une vie pure.

Le second tableau représente V institution royale

2-78 QUATORZIÈME LETTRE.

du héros égyptien, les deux plus grandes divi- nités de l'Egypte l'investissant des pouvoirs royaux. Amon-Ra, assisté de Mouth, la grande mère divine, remet au roi Rhamsès la J'aux de bataille , le type primitif de la harpe des mythes grecs, arme terrible appelée schopsch par les Égyptiens, et lui rend en même temps les em- blèmes de la direction et de la modération, le fouet et le pedum, en prononçant la formule suivante :

« Voici ce que dit Amon-Ra qui réside dans (' le Rhamesséion : Reçois la faux de bataille « pour contenir les nations étrangères et tran- « cher la tète des impurs; prends le fouet et le « pedum pour diriger la terre de Kémé (l'E- « gypte.) »

Le soubassement de ces deux tableaux offre un intérêt d'un autre genre: on y a représenté en pied, et dans un ordre rigoureux de primo- géniture, les enfants mâles de Rhamsès-le-Grand. Ces princes sont revêtus du costume réservé à leur rang; ils portent les insignes de leur dignité, le pedum et un éventail formé d'une longue plume d'autruche fixée à une élégante poignée, et sont au nombre de 23; famille nombreuse, il est vrai , mais qui ne doit point surprendre si l'on considère d'abord que Rhamsès eut, à notre connaissance, au moins deux fennnes lé-

QUATORZIEME LETTRE. 2-79

gitimes, les reines Nofié-Ari et Isénofré, etqu'il est de plus très-probable que les enfants donnés au conquérant par des concubines ou des maî- tresses, prenaient rang avec les enfants légiti- mes, usage dont fait foi l'ancienne histoire orien- tale tout entière. Quoi qu'il en soit , on a sculpté au-dessus de la tête de chacun des princes , d'a- bord le titre qui leur est commun à tous , savoir : le fils du roi et de son germe; et pour quelques- uns (les trois premiers et les plus âgés par con- séquent), la désignation des hautes fonctions dont ils se trouvaient revêtus à l'époque ces bas-reliefs furent exécutés. Le premier se trouve ainsi qualifié : porte-éventail à la gauche du roi, le jeune secrétaire royal (basihco-gram- mate), commandant en chef des soldats (l'ar- mée) , le premier-né et le préféré de son germe, Amenhischopsch ; le second, nommé Rhamsès comme son père, était porte-éventail à la gauche du roi et secrétaire royal commandant en chef les soldats du maître du Monde (les troupes composant la garde du roi); et le troisième, porte-éventail à la gauche du roi, comme ses frères (titre donné en général à tous les princes sur d'autres monuments), était de plus secré- taire royal, commandant de la cavalerie, c'est- à-dire des chars de guerre de l'armée égyptienne. Je me dispense de transcrire ici les noms pro-

aBo QUÀTORZIÈMH LETTRE.

près des vingt autres princes ; je dirai seulement que les noms de quelques-uns d'entre eux font certainement allusion soit aux victoires du roi, au moment de leur naissance , tels que Nében- Schari (le maître du pays de Schari), Nébentho- nib (le maître du Monde entier), Sanasclitena- moun (le vainqueur par Ammon), soit à des titres nouveaux adoptés dans le protocole de Rhamsès-le-Grand, comme, par exemple, Pa- tavéamoun (Ammon est mon père), et Septenri (approuvé par le soleil), titre qui se retrouve dans le prénom du roi.

J'observe en même temps dans cette série de princes un fait très-notable : on y a, postérieu- rement à la mort de Rharasès-le-Grand, carac- térisé d'une manière particulière celui de ses vingt-trois enfants qui monta sur le trône après lui; ce fut son i3^ fils, nommé Ménephtha, qui lui succéda. Il est visible qu'on a en conséquence modifié, après coup, le costume de ce prince, en ornant son front de l'ura^us et en changeant sa courte sabou en longue tunique royale; de plus, à côté de sa légende première, se lit le nom de Ménephtha qu'il conserva en mon- tant sur le trône, on a sculpté le premier car- touche de sa légende royale, son cartouche pré- nom (soleil esprit aimé des dieux) que l'on

QUATORZIÈME LETTRE. 28 1

retrouve en effet sur tons les monuments de son règne.

En sortant de la salle hypostyle par la porte centrale, on entre dans une salle qui a conservé ime partie de ses colonnes, et la décoration prend un caractère tout particulier. Dans la portion de palais que nous venons de parcourir, des hommages généraux sont adressés aux principales divinités de l'Egypte, comme il con- venait dans des cours ou des péristyles ouverts à toute la population, et dans la salle hypostyle se tenaient les grandes assemblées. Mais ici commencent véritablement la partie privée du palais et les salles qui servaient d'habitation au roi, le lieu qu'était censé habiter aussi plus particulièrement le roi des dieux auquel ce grand édifice était consacré. C'est ce que prouvent les bas-reliefs sculptés sur les parois à la droite et à la gauche de la porte : ces tableaux représen- tent quatre grandes barques ou bari sacrées, portant un petit naos sur lequel un voile semble jeté comme pour dérober à tons les regards le personnage qu'il renferme. Ces bari sont portées sur les épaules par i[\ on i8 prêtres, selon l'importance du maître de la bari. Les insignes qui décorent la proue et la poupe des deux pre- mières barques , sont les tètes symboliques de

282 QUATORZIÈME LETTRE.

la déesse Mouth et du dieu Chons, l'épouse et le fils d'Amon-Ra; enfin la et la 4^ portent la tète du roi et de la reine, coiffés des marques de leur dignité. Ces tableaux, comme nous l'ap- prennent les légendes hiéroglyphiques, repré- sentent les deux divinités et le couple royal venant rendre hommage au père des dieux , Amon-Ra, qui établit sa demeure dans le palais de Rhamsès-le-Grand. Les paroles que prononce chacun des visiteurs ne laissent d'ailleurs aucun tloute à cet égard : « Je viens, dit la déesse «Mouth, rendre hommage au roi des dieux, ff Amon-Ra, modérateur de l'Egypte, afin qu'il « accorde de longues années à son fils qui le « chérit, le roi Rhamsès. ?>

«Nous venons vers toi, dit le dieu Chons, « pour servir ta majesté, ô Amon-Ra, roi des a dieux ! Accorde une vie stable et pure à ton «fils, qui t'aime, le Seigneur du Monde. »

Le roi Rhamsès dit seulement : «Je viens à « mon père Amon-Ra, à la suite des dieux qu'il « admet en sa présence à toujours, w

Mais la reine Nofré-Ari, surnommée ici Ah- mosis ( engendrée de la lune ) , exprime ses vœux plus positivement; l'inscription porte : «\oici ce «que dit la déesse épouse, la royale mère, la «royale épouse, la puissante dame du Monde, « Ahmosis- Nofré-Ari; je viens pour rendre

QUATORZIÈME Ll-TTRE. 283

«hommage à mon père Amon , roi des dieux; «mon cœur est joyeux de tes affections (c'est- « à-dire, de l'amour que tu me portes); je suis «dans l'allégresse en contemplant tes bienfaits; « f) toi, qui établis le siège de ta puissance dans « la demeure de ton fils le Seigneur du Monde «Rhan)sès, accorde-lui une vie stable et pure; « que ses années se comptent par périodes de « panégyries ! »

Enfin, la paroi du fond de cette salle était ornée de plusieurs tableaux représentant l'ac- complissement de ces vœux, et rappelant les grâces qu'Amon-Ra accordait au héros égyptien : il n'en reste plus qu'un seul, à la droite de la porte. Le roi est figuré assis sur un trône, au pied de celui d'Amon-Ra-Atmou , et à l'ombre du vaste feuillage d'un persea, l'arbre céleste de la vie : le grand dieu , et la déesse Saf qui prési- dait à l'écriture, à la science, traçant sur les fruits cordiformes de l'arbre, le cartouche pré- nom de Rhamsès-le-Grand; tandis que, d'un autre côté, le dieu Thôth y grave le cartouche nom propre du roi , auquel Amon-Ra-Atmou adresse les paroles suivantes: «Viens, je sculpte « ton nom pour une longue suite de jours, afin « qu'il subsiste sur l'arbre divin. »

La porte qui , de cette salle , conduisait à une seconde, également décorée de colonnes, dont

9.84 QUATORZIÈMK LETTRE.

quatre subsistent encore, mérite une attention particulière, soit sous le rapport de son exécu- tion matérielle, soit pour les sculptures qui la décorent.

Les bas-reliefs qui couvrent le bandeau et les jambages, sont d'un relief tellement bas, qu'il est évident qu'on les a usés avec soin pour en diminuer la saillie; j'attribuais ce travail au temps et à la barbarie , qui a certainement agi sur plusieurs points de ces surfaces, lorsque, ayant fait déblayer le bas des montants de cette porte, j'ai lu une inscription dédicatoire de Rhamsès-le-Grand , dans les formes ordinaires pour les dédicaces des portes; mais il y est dit, de plus , que cette porte a été recouverte et or pur. J'ai étudié alors les surfaces avec plus de soin. En examinant de plus près l'espèce de stuc blanc et fin qui recouvrait encore quelques par- ties de la sculpture , je m'aperçus que ce stuc avait été étendu sur une toile appliquée sur les tableaux ; qu'on avait rétabli sur le stuc même les contours et les parties saillantes des figures, avant d'y appliquer la dorure. Ce procédé m'ayant paru curieux, j'ai cru utile de le noter ici.

Mais les deux tableaux qui ornent cette porte, offrent un intérêt bien plus piquant. Le ban- deau et le baut des jambages sont couverts

QUATORZIÈME LETTRE. 285

d'une douzaine de petits bas-reliefs représentant le roi Rhamsès adorant les membres de la triade thébaine : ces divinités tournent toutes le dos à l'entrée de la porte en question , parce qu'elles sont seulement en rapport avec la pre- mière salle et non avec la seconde , à laquelle cette porte sert d'entrée. Mais au bas des jam- bages, et immédiatement au-dessus de la dé- dicace, sont sculptées deux divinités, la face tournée vers l'ouverture de la porte, et regar- dant la seconde salle, qui était par conséquent sous leur juridiction. Ces deux divinités sont , à gauche , le dieu des sciences et des arts, l'inven- teur des lettres, Thôth à tête d'Ibis, et à droite, la déesse Saf, compagne de Thôth, portant le titre remarquable de Dame des lettres q\ présidente de la bibliothèque (mot-à-mot la salle des livres). De plus , le dieu est suivi d'un de ses parèdrcs, qu'à sa légende et à un grand œil qu'il porte sur la tête, on reconnaît pour le sens de la vue personnifié , tandis que le parèdre de la déesse est le sens de l'ouïe caractérisé par une grande oreille tracée également au-dessus de sa tête, et par *le mot sôlem (l'ouïe) sculpté dans sa lé- gende ; il tient de plus en main tous les instru- ments de l'écriture, comme pour écrire tout ce qu'il entend.

Je demande s'il est possible de mieux annon-

286 QUATOIIZIÈME LETTRE.

cer , que par de tels bas-reliefs , l'entrée d'une bibliothèque? Et à ce mot, la controverse qui divise nos savants sur le fameux monument cV Osimandyas ^ si connu par sa bibliolhèque , et sur ses rapports avec le llhamcsséion, se pré- sente naturellement à ma pensée.

Dès les premiers jours, en lisant au milieu des ruines du Rhamesséion la description que Dio- dore nous a conservée du monument d'Osiman- dyas, je fus frappé de retrouver autour de moi et dans le même ordre les parties analogues et presque les menus détails du grand édifice dont Diodore emprunte à Hécatée une notice si complète.

D'abord , l'ancien voyageur grec place le mo- nument d'Osymandyas à dix stades des derniers tombeaux de ce qu'il nomme les IlalT^a/ti^aç toj Aïo'j, les concubines de Jupiter (Ammon.) Nous avons trouvé, en effet, à ime distance à peu près égale du Rhamesséion , une vailée ren- fermant les tombeaux, encore ornés de peintures et d'inscriptions, d'une douzaine de femmes, mais de reines égyptiennes, dont le premier titre dans leur légende fut toujours celui d'e- poitse cV Ammon.

Le monument d'Osimandyas s'annonçait par un grand pylône de pierre variée (7.iOou 77oat).oi.. ) Le premier pylône du Rhamesséion , dont

QUATORZIEME LETTRE. 287

les massifs sont en grés rougeâtres, et la porte en calcaire blanc, a quelque analogie avec cette expression.

Ce pylône donnait entrée dans un péristyle dont les piliers étaient ornés de figures colossa- les; on passait de à un second pylône bien plus soigné que le premier, sous le rapport de la sculpture, et à l'entrée duquel se trouvait le plus grand colosse de V Egypte, d'un seul bloc de granit de Syène. Tout cela se rapproche du Rhamesséion , à quelques différences de mesu- res près; mais l'exactitude des anciens copistes, transcrivant les quantités de ces mesures, est- elle certaine? Là, existent encore aujourd'hui les immenses débris du plus grand colosse connu de l'Egypte; il est en granit de Syène : ce sont des traits remarquables.

Dans le péristyle qui suivait le pylône, dit Hécatée, on avait représenté le roi, qu'on ap- pelle Osjmandjas , faisant la guerre aux révol- tés de Bactriane , assiégeant une ville entourée des eaux d'un fleuve, etc. , etc. C'est la des- cription exacte des bas-reliefs encore existants sous le deuxième péristyle du Rhamesséion; et si l'on n'y voit plus le lion combattant avec le roi contre les troupes ennemies, ni les quatre princes commandant les divisions de l'armée, c'est que les murs du fond du péristyle sont

288 QUATORZIÈME LETTRE.

détruits, et qu'il n'en subsiste pas la huitième partie. Il est vrai qu'on voit ailleurs, sur les monuments d'Egypte, des rois assiégeant des villes entourées par unjleuve: cela existe réelle- ment àibsamboul, à Derri, sur les pylônes de Louqsor et au Rhamesséion; mais tous ces mo- numents sont de Rhamsès-!e-Grand , et repro- duisent les événements de la même campagne.

Sur le second mur du péristyle, dit la des- cription du monument d'Osimandyas , sont re- présentés les captifs ramenés par le roi de son expédition; ils n'ont point Je mains ni de par- ties sexuelles : et sur le mur de fond du péristyle du Rhamesséion , j'ai mis à découvert , par des fouilles, les restes d'un tableau dans lequel on amène des prisonniers au roi, aux pieds duquel sont des monceaux de mains coupées.

Sur un troisième côté du péristyle du monu- ment d'Osimandyas, étaient représentés des sacrifices et le triomphe du roi au retour de celte guerre. Au Rhamesséion le registre supérieur de la paroi sur laquelle est sculptée la bataille, représente la fin d'une grande solennité reli- gieuse à laquelle assistent le roi et la reine , et ce tableau commençait , sans aucun doute , sur le mur de fond du côté droit du péristyle.

On entrait ensuite, dit l'historien grec, dans la salle hypostyle du monument d'Osimandyas

QUATORZIÈME LETTRE. u8{}

par trois portes ornées de deux colosses. Tout cela se trouve exactement au Rliamesséion, im- médiatement aussi après le second péristyle.

Après la salle hypostyle de l'Osimandyéion, venait un espace désigné dans les traductions sous le nom de Promenoir. Dans le Rliames- séion une salle décorée des barques symboliques des dieux, succède à la salle hypostyle.

Ensuite^ a dit Diodore , venait la bibliothèque; et c'est effectivement sur la porte qui, du Pro- menoir du Rhamesséion, conduit a la salle sui- vante, que j'ai trouvé des bas-reliefs si convena- bles à l'entrée d'une bibliothèque.

La salle de la bibliothèque est presque en- tièrement rasée ; il n'en reste que quatre co- lonnes, et une portion des parois de droite et de gauche de la porte : sur ces murailles, on a sculpté des tableaux représentant le roi faisant successivement des offrandes aux plus grandes divinités de l'Egypte , à Amon-Ra, Mouth, Chons, Phré , Phtha , Pascht, Nofré-Thmou , Atmou, Mandou; et en outre, la plus grande partie de la surface de ces parois est occupée par deux énor- mes tableaux divisés en de nombreuses colonnes verticales, dans lesquelles sont trois longues séries de noms de divinités et leurs images de petite proportion; c'est un panthéon complet; le roi, debout devant chacun de ces tableaux

'9

aqo quatorzièmf: lettre.

synoptiques y fait nommément des libations et des offrandes à tous les dieux ou déesses grandes et petites ; et c'est encore ici un rapport avec le monument d' Osymandjas. On voit dans la salle de la bibliothèque , dit en effet la description grecque, les images de tous les dieux de l'E- gypte, le roi leur présente de la même manière des offrandes convenables à chacun d'eux.

Cette comparaison des ruines du Rhamesséion avec la description du monument d'Osimandyas, conservée dans Diodore de Sicile, a été déjà faite, et avec bien plus de détails encore, par MM. Jollois et Devilliers; dans leur Description générale de Thèbes , travail impartant, auquel je me plais à donner de justes éloges, parce que j'ai vu les lieux, et que j'ai pu juger par moi- même de l'exactitude de leurs descriptions ; mais j'ai reproduire rapidement ce parallèle dans cette lettre, par le besoin de mettre à leur vé- ritable place quelques faits nouveaux que j'ai observés , et qui rendent si frappante l'analogie du monument décrit par les Grecs , avec le mo- nument dont j'étudie les ruines. Les deux sa- vants voyageurs que je viens de citer ont mis en fait leur identité , d'autres l'ont combattue : pour moi, voici ma profession de foi toute simple :

De deux choses l'une : ou le monument décrit

QUA.TORZIÈJVIE LETTRF. ^Ql

par Hécatée sous le nom de monument cVOsj- mandyas ^ est le même que le Rhamesséion occi- dental de Tliebes ; ou bien le Rhamesséion n'est qu'une copie, à la différence des mesures près , si Ton peut s'exprimer ainsi, du monument d'O- simandjas ( i ).

Ici se terminent les débris du palais de Sé- sostris; il ne reste plus de traces de ses derniè- res constructions , qui devaient s'étendre encore du côté de la montagne. Le Rhamesséion est le monument de Thèbes le plus dégradé , mais c'est aussi, sans aucun doute, celui qui, par l'é- légante majesté de ses ruines, laisse dans l'es- prit des voyageurs une impression plus profonde et plus durable. J'aurais pu passer encore bien du temps à son étude sans l'épuiser; mais d'au- tres monuments de la rive opposée du Nil, est toujours Thèbes, m'arrachent à ces mer- veilles Et je pense à la France Adieu.

(i) On trouve dans le tome VIII des Mémoires de F Aca- démie des Inscriptions et Belles-Lettres (^noiweUe série), un Examen du texte de Diodore de Sicile relatif au monument d'Osimandyas , par M. Gail; et dans le tome IX, un Mé- moire sur le même monument, accompagne de deux plans, par M. Lctronne. Les additions à ce dernier mémoire ( même volume, page 607) ont été motivées par les observations faites sur les lieux par Champollion le jeune. C. F.

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QUINZIEME LETTRE.

Thèbes , le i8 juin 1819.

En quittant le noble et si élégant palais de Sé- sostris , le Rhamesséion , et avant d'étudier avec tout le soin qu'ils méritent les nombreux édifices antiques entassés sur la butte factice nommée aujourd'hui iïie<ime^-/r<2^0i/, je devais, pour la régularité de mes travaux, m'occuper de quel- ques constructions intermédiaires ou voisines qui, soit pour leur médiocre étendue , soit par leur état presque total de destruction, attirent beaucoup moins l'attention des voyageurs.

Je me dirigeai d'abord vers la vallée ^El-As- sasif^ située au nord du Rhamesséion , et qui se termine brusquement au pied des rochers cal- caires de la chaîne libyque : existent les débris d'un édifice au nord du tombeau d'Osimandyas.

QUINZIÈME LETTlUî. ^^J

Mon but spécial était de constater l'époque encore inconnue de ces constructions et d'en as- signer la destination primitive; je m'attachai à l'examen des sculptures et surtout des légendes hiéroglyphiques inscrites sur les blocs isolés et les pans de murailles épars sur un assez grand espace de terrain.

Je fus d'abord frappé de la finesse du travail de quelques restes de bas-reliefs martelés à moitié par les premiers chrétiens ; et une porte de gra- nit rose, encore debout au milieu de ces ruines en beau calcaire blanc, me donna la certitude que l'édifice entier appartenait à la meilleure époque de l'art égytien.

Cette porte, ou petit propylon, est entière- ment couverte de légendes hiéroglyphiques. On a sculpté sur les jambages, en relief très-bas et fort délicat, deux images en pied de Pharaons revêtus de leurs insignes. Toutes les dédicaces sont doubles et faites, contemporainement, au nom de deux princes : celui qui tient constam- ment la droite ou le premier rang, se nomme Aménenthé ; l'autre ne marche qu'après , c'est Thouthmosis III, nommé Mœris par les Grecs.

Si j'éprouvai quelque surprise de voir ici et dans tout le reste de l'édifice , le célèbre Mœris orné de toutes les marques de la royauté , céder ainsi le pas à cet Aménenthé qu'on chercherait

aQ4 QUINZIÈME LETTRE.

en vain dans les listes royales, je dus m'étonner encore davantage, à la lecture des inscriptions, de trouver qu'on ne parlât de ce roi barbu , et en costume ordinaire de Pharaon , qu'en em- ployant des noms et des verbes au féminin, comme s'il s'agissait d'une reine. Je donne ici pour exemple la dédicace même des propy- lons.

« L'Aroëris soutien des dévoués , le roi sei- gneur, etc. , Soleil dévoué à la vérité ! {Eiie) a fait des constructions en l'honneur de son père (le père cVelle), Amon-Ra, seigneur des trônes du Monde; elle lui a élevé ce propylon (qu'Amon protège l'édifice ! ) en pierre de granit : c'est ce qu'elle a fait (pour être) vivifiée à toujours. »

L'autre jambage porte une dédicace analogue, mais au nom du roi Thouthmosis III, ou Mœris.

En parcourant le reste de ces ruines, la même singularité se présenta partout. Non-seulement je retrouvai le prénom d'Aménenthé précédé des titres le roi souveraine du 3Io/icle , mais aussi son nom propre lui-même à la suite du titre la fille du soleil. Enfin, dans tous les bas-reliefs repré- sentant les dieux adressant la parole à ce roi Aménenthé, on le traite en reine comme dans la formule suivante :

« Yoici ce que dit Amon-Ra, seigneur des trônes du Monde, à sa fille chérie ., soleil dévoué

QUINZIÈME LETTRE. là^S

à la vérité : L'édifice que tu as construit est sem- blable à la demeure divine. »

De nouveaux faits piquèrent encore plus ma curiosité : j'observai surtout dans les légendes du propylon de granit, que les cartouches pré- - noms et noms propres d'Aménenthé avaient été martelés dans les temps antiques et remplacés par ceux de Thouthmosis III, sculptés en sur- charge.

Ailleurs , quelques légendes d'Aménenthé avaient reçu en surcharge aussi celles du pha- raon Thouthmosis II.

Plusieurs autres enfin offraient le prénom d'un Thouthmosis encore inconnu, renfermant aussi dans son cartouche le nom propre de femme Amensé, le tout encore sculpté aux dépens des légendes d'Aménenthé, préalablement martelées. Je me rappelai alors avoir remarqué ce nouveau roi Thouthmosis, traité en reine, dans le petit édifice de Thouthmosis III à Médinet-Habou.

C'est en rapprochant ces faits et ces diverses circonstances , de plusieurs observations du même genre, premiers résultats de mes courses dans le grand palais et dans le propylon de Kar- nac , que je suis parvenu à compléter mes con- naissances sur le personnel de la première partie de la XVIir dynastie. Il résulte de la combinai- son de tous les témoignages fournis par ces di-

296 QUINZliîME LKTTRE.

vers monuments, et qu'il serait hors de propos de développer ici :

Que Thouthmosis V^ succéda immédiate- ment au grand Aménothph l«r^ le chef de la XVIIl^ dynastie, l'une des Diospolitaines;

Que sou fils Thouthmosis II occupa le trône après lui et mourut sans enfants;

'5^ Que sa sœur Amensé lui succéda comme fille de Thouthmosis 1^^, et régna vingt -un ans en souveraine ;

Que celte reine eut pour premier mari un Thouthmosis , qui comprit dans son nom propre celui de la reine Amensé son épouse ; que ce Thouthmosis fut le père de Thouthmosis III ou Moeris, et gouverna au nom d' Amensé j

Qu'à la mort de ce Thouthmosis, la reine Amensé épousa en secondes noces Aménenthé, qui gouverna aussi au nom d'Amensé , et qui fut régent pendant la minorité et les premières années de Thouthmosis III, ou Mœris;

Que Thouthmosis III, le Mœris des Grecs, exerça le pouvoir conjointement avec le régent Aménenthé, qui le tint sous sa tutelle pendant quelques années.

La connaissance de cette succession de per- sonnages explique tout naturellement les singu- larités notées dans l'examen minutieux de tous les restes de sculptures existants dans l'édifice

QUINZIÈME LETTRE. '^97

de la vallée ^El-Assasif. On comprend alors pourquoi le régent Aménenthé ne paraît dans les bas-reliefs que pour y recevoir les paroles gracieuses que les dieux adressent à la reine Amensé, dont il n'est que le représentant; cela explique le style des dédicaces faites par Amé- nenthé , parlant lui-même au nom de la reine , ainsi que les dédicaces du même genre, dans lesquelles on lit le nom de Thouthraosis, premier mari d'Amensé, qui joua d'abord, le premier, un rôle passif, et ne fut, comme son successeur Amé- nenthé , qu'une espèce de figurant du pouvoir royal exercé par la reine.

Les surcharges qu'ont éprouvées la plupart des légendes du régent Aménenthé, démontrent que sa régence fut odieuse et pesante pour son pupille Thouthmosis III. Celui-ci semble avoir pris à tâche de condamner son tuteur à un éter- nel oubli. C'est en effetsouslerègnede ce Thouth- raosis III que furent martelées presque toutes les légendes d'x\ménenthé, et qu'on sculpta à la place soit les légendes de Thouthmosis III, dont il avait sans doute usurpé l'autorité, soit celles de Thouthmosis, premier mari d'Amensé, le père même du roi régnant. J'ai observé la destruc- lion systématique de ces légendes dans une foule de bas-reliefs existants sur divers autres points de Thèbes. Fut-elle l'ouvrage immédiat de la haine

298 QUINZIÈME LETTRE.

personnelle de Thouthmosis III , ou une basse flatterie du corps sacerdotal ? C'est ce qu'il nous est impossible de décider; mais le fait nous a paru assez curieux pour le constater.

Toutes les inscriptions du monument A'El- Assasif établissent unanimement que cet édifice a été élevé sous la régence d'Aménenthé , au nom de la reine Amensé et de son jeune fils Thouthmosis III. Cette construction n'est donc point postérieure à l'an 1736 avant J.-C, époque approximative des premières années du règne de Thouthmosis III , exerçant seul le pouvoir suprême. Ces sculptures comptent donc déjà plus de 3,5oo ans d'antiquité.

Il résulte de ces mêmes dédicaces et des sculp- tures qui décorent quelques-unes des salles non détruites , que l'édifice intérieur était un temple consacré à la grande divinité deThèbes, Amon- Ra , le roi des dieux , qu'on y adorait sous la figure spéciale d'Amon-Ra-Pneb-enné-ghet-en- tho,c'est-à-(l ire, d'Amon-Ra, seigneur des trônes et du Monde ; j'ai retrouvé dans Thèbes plu- sieurs autres temples dédiés à ce grand être, mais sous d'autres titres qui lui sont également particuliers.

Ce temple d'Amon-Ra, d'une étendue assez con- sidérable, décoré de sculptures du travail le plus précieux, précédé d'un dromos et probablement

QUINZIÈME LETTRE. 299

aussi d'une longue avenue de sphinx, s'élevait au fond de la vallée d'El-Assasif. Son sanctuaire pénétrait pour ainsi dire dans les rochers à pic de la chaîne libyque, criblée, comme le sol même de la vallée, d'excavations plus ou moins riches, qui servaient de sépulture aux habitants de la ville capitale.

Cette position du temple au milieu des tom- beaux , et les plafonds, en forme de voûte, de quelques-unes de ces salles, ont récemment trompé quelques voyageurs , et leur ont fait croire que cet édifice était le tombeau de Mœris (Thouth- mosisIII); mais tous les détails que nous avons donnés sur la ^construction et la destination de cet édifice sacré, détruisent une telle hypothèse. Ses divisions et ses accessoires nous le feraient reconnaître pour un véritable temple, à défaut des inscriptions dédicatoires qui le disent for- mellement. Sa décoration même et le sujet des bas-reliefs qui ornent les parois des salles en- core subsistantes, n'ont rien de commun avec la décoration et les scènes sculptées dans les hy- pogées et les tombeaux. On y retrouve, comme dans les temples et les palais, des tableaux d'of- frandes faites aux dieux , ou aux rois ancêtres du Pharaon fondateur du temple. Quelques bas- reliefs de ce dernier genre présentent un grand intérêt, parce qu'ils fournissent des détails pré-

3oO QUINZIÈME LETTRE.

cieux sur les familles des premiers rois de la XYIIP dynastie. Je citerai d'abord, et à ce sujet, plusieurs tableaux sculptés et peints représen- tant Thouthmosis , père de Thouthmosis III , et la Pharaon Thouthmosis II recevant des of- frandes faites par leur fils et neveu Thouth- mosis III ; en second lieu , un long bas-relief peint occupant toute la paroi de gauche de la grande salle voûtée , au fond du temple , dans lequel on a figuré la grande bari sacrée ou arche d'Amon-Ra, le dieu du temple, adoré par le ré- gent Aménenthé, ayant derrière lui Thouthmo- sis III, suivi d'une très-jeune enfant richement parée, et que l'inscription nous dit être sa fille, la fille du roi quelle aime^ la divine épouse Ran- no/ré. En arrière de la bari sacrée, et comme re- cevant une portion des offrandes faites par les deux rois agenouillés, sont les images en pied du Pharaon Thouthmosis F"*, de la reine son épouse Ahmosis et de leur jeune fille Sotennofre^ L'histoire écrite ne nous avait point conservé les noms de ces trois princesses ; c'est que je les ai lus pour la première fois. Quant au titre de divine épouse, donné à la fille de Mœris encore en bas âge, il indique seulement que cette jeune enfant avait été vouée au culte d'Aménenthé,. étant du nombre de ces filles d'une haute nais- sance, nommées Pallades et Pallacides , dont

QUINZIÈME LETTRE. 3o I

j'ai retrouvé les tombeaux dans une autre vallée de la chaîne libyque.

Ce temple d'Amon-Ra , terminant une des val- lées de la nécropole de Thèbes, reçut à diffé- rentes époques soit des restaurations, soit des accroissements sous le règne de divers rois suc- cesseurs d'Aménenthé et de Thouthmosis III. J'ai retrouvé , en effet , dans les pierres prove- nant des diverses portions du temple, et dont on s'est servi dans des temps peu anciens pour la construction d'une muraille contre laquelle appuie aujourd'hui le jambage de droite du propylon de granit, des parties d'inscriptions mentionnant des embellissements ou des restau- rations de l'édifice sous les règnes des rois Hôruâ, Rhamsès- le -Grand et son fils Ménephtha II, comme les fondateurs même du temple.

Enfin, la dernière salle du temple ayant servi de sanctuaire, est couverte de sculptures d'un travail ignoble et grossier; mais la surprise que j'éprouvai à la vue de ces pitoyables bas-reliefs, comparés à la finesse et à l'élégance des tableaux sculptés dans les deux salles précédentes, cessa bientôt à la lecture de grandes inscriptions hié- roglyphiques , constatant que cette belle restau- ration-là avait été faite sous le règne et au nom de Ptolémée Evergètell et de sa première femme Cléopâtre. Voilà une des mille et une preuves

302 QUINZIÈME LETTRE.

démonstratives contre l'opinion de ceux qui sup- poseraient que l'art égyptien gagna quelque per- fection par rétablissement des Grecs en Egypte. Je le répète encore : Tart égyptien ne doit qu'à lui-même tout ce qu'il a produit de grand, de pur et de beau ; et n'en déplaise aux savants qui se font une religion de croire fermement à la génération spontanée des arts en Grèce, il est évident pour moi, comme pour tous ceux qui ont bien vu l'Egypte , ou qui ont une connais- sance réelle des monuments égyptiens existants en Europe, que les arts ont commencé en Grèce par une imitation servile des arts de l'Egypte, beaucoup plus avancés qu'on ne le croit vul- gairement, à l'époque les premières colonies égyptiennes furent en contact avec les sauvages habitants de l'Attique ou du Peloponèse. La vieille Egypte enseigna les arts à la Grèce', celle- ci leur donna le développement le plus sublime: mais sans l'Egypte , la Grèce ne serait probable- ment point devenue la terre classique des beaux- arts. Yoilà ma profession de foi tout entière sur cette grande question. Je trace ces lignes pres- qu'en face des bas-reliefs que les Egyptiens ont exécutés , avec la plus élégante finesse de tra- vail, 1700 ans avant l'ère chrétienne. Que fai- saient les Grecs alors !. . . .Mais cette question exigerait des volumes, et je ne fais qu'une lettre... Adieu.

SEIZIEME LETTRE.

Thèbes, le 20 juin 182g.

3'ai donné toute la journée d'hier et cette mati- née à l'étude des tristes restes de l'un des plus im- portants monuments de l'ancienne Thèbes. Cette construction , comparable en étendue à l'immense palais de Rarnac , dont on aperçoit d'ici les obé- lisques sur l'autre rive du fleuve, a presqu'en- tièrement disparu; il en subsiste encore quel- ques débris, s'élevant à peine au-dessus du sol de la plaine exhaussée par les dépôts successifs de l'inondation, qui recouvrent probablement aussi toutes les masses de granit , de brèches et autres matières dures employées dans la décora- tion de ce palais. La portion la plus considéra- ble étant construite en pierres calcaires, les Bar-

3o4 SKlZiÈME LKTTRE. '

bares les ont peu à peu brisées el converties en chaux pour élever de misérables cahuttes ; mais ce que le voyageur trouve encore sur ses pas, donne une bien haute idée de la magnificence de cet antique édifice.

Que l'on se figure , en effet , un espace d'en- viron 1,800 pieds de longueur, nivelé par les dépôts successifs de l'inondation , couvert de longues herbes, mais dont la surface, déchirée sur une multitude de points , laisse encore aper- cevoir des débris d'architraves , des portions de colosses , des fûts de colonnes et des fragments d'énormes bas-reliefs que le limon du fleuve n'a pas enfouis encore ni dérobés pour toujours à la curiosité des voyageurs. ont existé plus de dix-huit colosses dont les moindres avaient vingt pieds de hauteur; tous ces monolithes, de di- verses matières , ont été brisés , et l'on rencontre leurs membres énormes dispersés çà et là, les uns au niveau du sol, d'autres au fond d'excava- tions exécutées par les fouilleurs modernes. J'ai recueilli, sur ces restes mutilés, les noms d'un grand nombre de peuples asiatiques dont les chefs captifs étaient représentés entourant la base de ces colosses représentant leur vainqueur, le Pharaon âménophis, le j du nom , celui même que les Grecs ont voulu confondre avec le Mem- non de leurs mythes héroïques. Ces légendes dé-

SEIZIÈME LETTRE. Oo5

monlrent déjà que nous sommes ici sur l'em- placement du célèbre édifice de Thèbes connu des Grecs sous le nom de Memnonium. C'est ce qu'avaient cherché à prouver, par des considéra- tions d'un autre genre, MM. Jolloiset Devilliers, dans leur excellente description de ces ruines.

Les monuments les mieux conservés au milieu de cette effroyable dévastation des objets du pre- mier ordre dont il me reste à parler, établiraient encore mieux, si cela était nécessaire, que ces ruines sont bien cellesdu Memnonium de Thèbes, ou palais de Memnon appelé Aménophion par les Egyptiens, du nom même de son fondateur, et que je trouve mentionné dans une foule d'in- scriptions hiéroglyphiques des hypogées du voi- sinage où reposaient jadis les momies de plu- sieurs grands-officiers chargés, de leur vivant, de la garde ou de l'entretien de ce magnifique édifice.

C'est vers l'extrémité des ruines et du côté du fleuve que s'élèvent encore , en dominant la plaine de Thèbes, les deux fameux colosses, d'en- viron soixante pieds de hauteur, dont l'un , celui du Nord, jouit d'une si grande célébrité sous le nom de colosse de Memnon. Formés chacun d'un seul bloc de grès-brèche, transportés des car- rières de la Thébaïde supérieure , et placés sur d'immenses bases delà même matière, ils repré- sentent tous deux un Pharaon assis , les mains

20

3o6 SFizii::\iK letirt.

étendues sur les genoux, dans une attitude de repos. J'ai vainement cherché à motiver à mes yeux l'étrange erreur du respectable et spirituel Denon,qui a voulu prendre ces statues pour celles de deux princesses égyptiennes. Les in- scriptions hiéroglyphiques encore subsistantes , telles que celles qui couvrent le dossier du trône du colosse'duSud et les côtés des deux bases, ne laissent aucun doute sur le rang et la nature du personnage dont ces merveilleux monolithes re- produisaient les traits et perpétuaient la mé- moire. L'inscription du dossier porte textuelle- ment : « L'Aroëris puissant , le modérateur des modérateurs , etc., le roi soleil , seigneur de vé- rité (ou de justice), le fils du soleil, le seigneur des diadèmes , Aménothph , modérateur de la région pure , le bien-aimé d'Amon-lla , etc., l'Hôrus resplendissant , celui qui a agrandi la

demeure.. (lacune) à toujours, a érigé ces

constructions en l'honneur de son père Ammon; il lui a dédié cette statue colossale de pierre dure , etc. » Et sur les côtés des bases on lit en grands hiéroglyphes de plus d'un pied de proportion, exécutés, surtout ceux du colosse du Nord, avec une perfection et une élégance au-dessus de tout éloge, la légende ou devise particulière, le prénom et le nom propre du roi que les colosses représentent :

SEIZIÈME IF.TTllL. 3oy

« Le seigneur souverain de la région supé- rieure et de la région inférieure, le réformateur des mœurs, celui qui tient le monde en repos, l'Hôrus qui , grand par sa force , a frappé les Barbares, le roi soleil seigneur de vérité, le fils du soleil, Aménothph, modérateur de la région pure, chéri d'Amon-Ra , roi des Dieux. »

Ce sont les titres et noms du troisième Amé- nophis de la dix-huitième dynastie, lequel occu- pait le trône des Pharaons vers l'an 1680 avant l'ère chrétienne. Ainsi se trouve complètement justifiée l'assertion que Pausanias met dans la bouche des Thébains de son temps, lesquels soutenaient que ce colosse n'était nullement l'image du Memnon des Grecs, mais bien celle d'un homme du pays, nommé Ph-Aménoph.

Ces deux colosses décoraient, suivant toute apparence, la façade extérieure du principal py- lône de FAménophion; et malgré l'état de dégra- dation où la barbarie et le fanatisme ont réduit ces antiques monuments, on peut juger de l'élé- gance, du soin extrême et de la recherche qu'on avait mis dans leur exécution, par celle dés fi- gures accessoires formant la décoration de la partie antérieure du trône de chaque colosse. Ce sont des figures de femme debout, sculptées dans la masse même de chaque monolithe, et n'ayant pas moins de i5 pieds de haut. La ma-

20.

3o8 SFIZIKME LETTRK.

gnificence de leur coiffure et les riches détails de leur costume sont parfaitement en rapport avec le rang des personnages dont elles rappel- lent le souvenir. Les inscriptions hiéroglyphi- ques gravées sur ces statues formant en quelque sorte les pieds antérieurs du trône de chaque statue d'Araénophis, nous apprennent que la figure de gauche représente une reine égyp- tienne, lanière du roi, nommée Tmau-Hem-Va , ou bien Maut-Hem-Va, et la figure de droite, la reine épouse du même Pharaon , Taîa , dont le nom était déjà donné par une foule de monu- ments. Je connaissais aussi le nom de la femme de Thouthmosis IV , Tmau-Hem-f^a^ mère d'A- ménophis-Memnon , par les bas-reliefs du palais de Louqsor, mentionnés dans la notice rapide que j'ai crayonnée de cet important édifice.

Sur un autre point des ruines de l'Améno- phion, du côté de la montagne libyque, à la limite du désert , et un peu à droite de l'axe passant entre les deux colosses, existent deux blocs de grès-brèche , d'environ trente pieds de long chacun, et présentant la forme de deux énormes stèles. Leur surface visible est ornée de tableaux et de magnifiques inscriptions formées chacune de 24 à sS lignes d'hiéroglyphes du plus beau style, exécutés de relief dans le creux. Il est infiniment probable que ces portions qu'on

SEIZIÈME LETTKE. SoQ

aperçoit aujourd'hui sont les dossiers des sièges de deux groupes colossals renversés et enfouis la face contre terre : j'ai manqué de moyens assez puissants pour vérifier le fait.

Quoi qu'il en soit , les tableaux sculptés sur ces masses effrayantes nous montrent toujours le roi Aménophis-Memnon , accompagné ici de la reine Taïa son épouse, accueillis par le dieu Amon-Ra, ou par Phtah-Socharis ; et les deux inscriptions sont les textes expressément relatifs à la dédicace du Memnonium ou Aménophion aux dieux de Tlièbes par le fondateur de cet immense édifice.

La forme et la rédaction de cette dédicace, dont j'ai pris une copie soignée, malgré une foule de lacunes, sont d'un genre tout-à-fait original et m'ont paru très-curieuses. On en jugera par une courte analyse.

Cette consécration du palais est rappelée d'une manière tout-à-fait dramatique ; c'est d'abord le roi Aménophis qui prend la parole dès la pre- mière ligne et la garde jusqu'à la treizième. « Le roi Aménothph a dit : Viens, ô Amon-Ra, sei- gneur des trônes du Monde, toi qui résides dans les régions de Oph (Thèbes)! contemple la de- meure que nous t'avons construite dans la con- trée pure, elle est belle : descends du haut du ciel pour en prendre possession ! » Suivent les

3lO SEIZIÈMR LlîTTRF.

louanges du dieu mêlées à la description de l'édi- fice dédié, et l'indication des ornements et déco- rations en pierre de grès, en granit rose, en pierre noire, en or, en ivoire et en pierres pré- cieuses, que le roi y a prodigués , y compris deux grands obélisques dont on n'aperçoit plus au- jourd'hui aucune trace.

Les sept lignes suivantes renferment le dis- cours que tient le dieu Amon-Ra, en réponse aux courtoisies du Pharaon. « Voici ce que dit Amon-Ra, le mari de sa mère, etc. : Approche, mon fils, soleil seigneur de vérité, du germe du soleil, enfant du soleil, Aménothph! J'ai entendu tes paroles et je vois les constructions que tu as exécutées; moi qui suis ton père, je me com- plais dans tes bonnes œuvres , etc. »

Enfin, vers le milieu de la souligne commence une troisième et dernière harangue; c'est celle que prononcent les dieux en présence d'Amon- Ra, leur seigneur, auquel ils promettent de com- bler de biens Aménothph, sou fils chéri, d'en rendre le règne joyeux en le prolongeant pendant de longues années , en récompense du bel édi- fice cju'il a élevé pour leur servir de demeure, palais dont ils déclarent avoir pris possession après l'avoir bien et dûment visité.

Ij'identité du Memnonium des Grecs et de l'Aménophion égyptien n'est donc plus douteuse;

SEIZJÈxlIE LETTRE. 3li

il l'est bien moins encore que ce palais fut une des plus étonnantes merveilles de la vieille capitale. Des fouilles en grand, exécutées par un Grec nommé lani, ancien agent de M. Sait, ont mis à découvert une foule de bases de colonnes, un très-grand nombre de statues léontocéphales en granitnoir; de plus, deux magnifiques sphinx colossals et à tête humaine, en granit rose, du plus beau travail , représentant aussi le roi Amé- nophis IIl. Les traits du visage de ce prince, por- tant ici , comme partout ailleurs , une empreinte de physionomie un peu éthiopienne , sont ab- solument semblables à ceux que les sculpteurs et les peintres ont donnés à ce même Pharaon dans les tableaux des stèles du Memnonium , dans les bas-reliefs du palais de Louqsor, et dans les peintures du tombeau de ce prince dans la vallée de l'Ouest à Biban-el-Molouk , nouvelle et millième preuve que les statues et bas-reliefs égyptiens, présentent de véritables portraits des anciens rois dont ils portent les légendes.

A une petite distance du Ramesséion existent les débris de deux colosses en grès rougeâtre : c'é- taient encore deux statues ornant probablement la porte latérale nord de l'Aménophion ; ce qui peut donner une juste idée de l'immense éten- due de ce palais , dont il reste encore de si ma- gnifiques vestiges. Je ne me suis nullement oc-

3l'^ SEIZIKME LETTRE.

cupé des inscriptions grecques et latines qui ta- pissent les jambes du grand colosse du nord , la célèbre statue de Memnon; tout cela est bien moderne : ceci soit dit sans qu'on en puisse conclure que je nie la réalité des harmonieux accents que tant de Romains affirment unani- mement avoir ouï moduler par la bouche même du colosse, aussitôt qu'elle était frappée des pre- miers rayons du soleil. Je dirai seulement que, plusieurs fois, assis, au lever de l'aurore, sur les immenses genoux de Memnon, aucun accord musical sorti de sa bouche n'est venu distraire mon attention du mélancolique tableau que je contemplais, la plaine de Thèbes, gisent les membres épars de cette aînée des villes royales ( i ). Il y aurait matière à d'éternelles réflexions ; mais je ne dois pas oublier que je ne suis qu'un

voyageur passager sur ces antiques ruines

d'autres encore m'appellent plus loin et

puis la France Adieu.

(i) L'histoire de la Statue vocale de Memnon vient d'être écrite dans un mémoire spécial, par M. Letronne ( iJfeV;/. de l'Acad. des Inscript, et Belles-Lettres , nouv. série, toryie X). Ce sujet, curieux seulement en apparence, est devenu, sous la plume de M. Letronne, l'un des plus piquants et des plus utiles à étudier dans la recherche des rapports et du mé- lange des opinions de la Grèce avec celles de l'Egypte. C. F.

DIX-SEPTIEME LETTRE.

Thèbes (rive occidentale), 25 juiu 1829.

Je viens de visiter et d'étudier dans toutes ses parties un petit temple d'une conservation par- faite , situé derrière l'Aménophion , dans un vallon formé par les rochers de la montagne libyque et un grand mamelon qui s'en est dé- taché du côté de la plaine. Ce monument a été décrit par la Commission d'Egypte sous le nom de Petit Temple d'Isis.

Le voyageur est attiré dans ces lieux solitaires et dénués de toute végétation, par une enceinte peu régulière, bâtie en briques crues, et qu'on aperçoit de fort loin, parce qu'elle est placée sur un terrain assez élevé. On y pénètre par un petit propylon en grès engagé dans l'enceinte

3l4 DIX-SEPTIl.ME Li TTKE.

et couvert extérieurement de sculptures d'un travail lourdement recherché. Les tahleaux qui ornent le bandeau de cette porte, représentent Ptolémée Soter II faisant des offrandes , du cô- té droit, à la déesse Hathôr (Vénus) et à la grande triade de Thèbes, Amon-Ra, Mouth et Chons; du côté gauche, à la déesse Thmé ou Thémeï (la vérité ou la justice, Thémis) et à une triade formée du dieu hiéracocéphale Mandou , de son épouse Ritho et de leur fils Harphré. Ces trois divinités, celles qu'on adorait principale- ment à Hermonthis, occupent la partie du ban- deau dirigée vers cette capitale de nome.

Ces courts détails suffisent, lorsqu'on est un peu familiarisé avec le système de décoration des monuments égyptiens, pour déterminer avec certitude, i*^ à quelles divinités fut spécialement dédié le temple auquel ce propylon donne en- trée ; 2" quelles divinités y jouissaient du rang de synthrône; et il devient ici de toute évidence qu'on adorait spécialement dans ce temple le principe de beauté confondu et identifié avec le principe de vérité, de justice, ou, en termes mythologiques, que cet édifice était consacré à la déesse Hathôr, identifiée avec la déesse Thméï. Ce sont, en effet, ces deux déesses qui reçoivent les premiers hommages deSotern;et commel'é- difice faisait partie de Thèbes et avoisinait le neme

DIX-SIiPTlKiMM LI.TTni:. 3l5

(rHermonthis,onyoffraitaussi, d'après une règle de saine politique que j'ai développée ailleurs, des sacrifices en l'honneur delà triade thébaine et de la triade hermonthite. On s'était donc trop hâté de donner un nom à ce temple, d'après des aper- çus reposant sur de simples conjectures.

Les mêmes adorations sont répétées sur la porte du temple proprement dit, qui s'ouvre par un petit péristyle que soutiennent des colon- nes à chapiteaux ornés de fleurs de lotus et de houppes de papyrus combinées; les colonnes et les parois n'ont jamais été décorées de sculptures. Il n'en est point ainsi du pronaos, formé de deux colonnes et de deux piliers ornés de têtes symboliques de la déesse Hathôr, à laquelle ce temple fut consacré. Les tableaux qui couvrent le fiit des colonnes représentent des offrandes faites à cette déesse et à sa seconde forme Thmeï, ainsi qu'aux dieux Amon-Ra, Mandou , Tmouth (EscuJape), et plusieurs formes tertiaires de la déesse Hathôr, adorée par le roi Ptolémée-Epi- phane , sous le règne duquel a été faite la dé(h- cace du monument , comme le prouve la grande inscription hiéroglyphique sculptée sur toute la longueur de la frise du pronaos. Voici la traduc- tion des deux parties affrontées de cette formule dédicatoire :

(Partie de droite.) Première ligne. « Le roi

3j6 dix-septième lettre.

(Dieu Épiphane que Phtah-Thoré a éprouvé, image vivante d'Amon-Ra), le chéri des dieux et des déesses mères, lebien-aimé d'Amon-Ra, a fait exécuter cet édifice en l'honneur d'Amon-Ra, etc., pour être vivifié à toujours, w

Deuxième ligne. « La divine sœur de ( Ptolé- mée toujours vivant , Dieu aimé de Phtah) , chéri

d'Amon-Ra , l'ami du bien ( Pmainoufé ) (le

reste est détruit.^ »

(Partie de gauche.) Première liqne. « Le fils du soleil (Ptolémée toujours vivant, Dieu aimé de Phtah) , chéri des dieux et des déesses mères, bi€n-aimé d'Hathôr, a fait exécuter cet édifice en l'honneur de sa mère la rectrice de l'Occident, pour être vivifié à toujours. »

Deuxième ligne. « La royale épouse (Cléopà- tre, bien-aimée deThmeï), rectrice de l'Occident, a fait exécuter cet édifice. . . ( le reste manque. ) »

Ces textes justifient tout-à-fait ce que nous avions déduit des seules sculptures du propylon relativement aux divinités particulièrement hono- rées dans ce temple; il est également établi que la dédicace de cet édifice sacré a été faite par le cinquième des Ptolémées vers l'an 200 avant J,-C.

Les bas-reliefs encore existants sur les parois de droite et de gauche du pronaos, ainsi que sur la façade du temple formant le fond de ce même pronaos, appartiennent tous au règne

DIX-SKPTIÈME Lr.TTRE. 3 l ']

d'Epiphane. Tous se rapportent aux déesses Ha- thôr et Thmeï, ainsi qu'aux grandes divinités de Thèbes et d'Herraontliis.

On a divisé le naos en trois salles contiguës; ce sont trois véritables sancttiaires : celui du milieu, ou le principal, entièrement sculpté, contient des tableaux d'offrandes à tous les dieux adorés dans le temple, les deux triades préci- tées, et princip:ileii)ent aux déesses Hatliôr et Thmeï, qui paraissent dans presque toutes les scènes. Aussi n'est-il question que de ces deux divinités dans les dédicaces du sanctuaire, inscri- tes sur les frises de droite et de gauche au nom de Ptolémée-Philopator :

« L'Hùrus, soutien de l'Egypte, celui qui a embelli les temples comme Thoth deux fois grand, le seigneur des panégyries comme Phtah, le chef semblable au soleil, le germe des dieux fondateurs, l'éprouvé par Phtah , etc. ; le fds du soleil , Ptolémée toujours vivant, bien-aimé d'isis, l'ami de son père (Philopator), a fait cette con- struction en l'honneur de sa mère Hathor, la rectrice de l'Occident. » ( Dédicace de gauche. )

Presque toutes les sculptures de ce premier sanctuaire remontent au règne de Philopator, qu'on y voit suivi de sa femme Arsinoë adorant les deux déesses; deux seuls tableaux portent l'image de Ptolémée-Épiphane, fils et successeur

3i8 i)!X-SRPTii:?.ii': Lr.TTRi:.

de Philojîator. On lit enfin sur les parois de droite et de gauche l'inscription suivante, rela- tive à des embellissements exécutés sous le règne postérieur, celui d'Evergète 11 et de ses deux femmes :

« Bonne restauration de l'édifice exécutée par le roi, germe des dieux lumineux, l'éprouvé par Phtah, etc., etc., Ptolémée toujours vivant, etc., par sa royale sœur, la modératrice souveraine du Monde, Cléopâtre, et par sa royale épouse , la modératrice souveraine du Monde, Cléopâ- tre, dieux grands chéris d'Amon-Ra. »

C'est à la déesse Hathôr qu'appartenait plus spécialement le sanctuaire de droite; cette grande divinité y est représentée sous des formes variées, recevant les hommages des rois Philopator et Épiphane; les dédicaces des frises sont faites au nom de ce dernier.

Le sanctuaire de gauche fut consacré à la déesse Thmeï, la Dicé et l'Alété de mythes égyp- tiens; aussi, tous les tableaux qui décorent cette chapelle , se rapportent-ils aux importantes fonc- tions que remplissait cette divinité dans l'Amenti, les régions occidentales ou l'enfer des Égyptiens.

Les deux souverains de ce lieu terrible, les âmes étaient jugées, Osiris et Isis, reçoivent d'abord les hommages de Ptolémée et d'Arsinoé, dieux Philopators; et l'on a sculpté sur la paroi

nX-SEPTIKMK LF.TTHF. 3rq

de gauche la grande scène de la Psjchostasie. Ce vaste bas-relief représente la salle hypostyle ( Oskh ) ou le prétoire de l'Amenti, avec les décorations convenables. Le grand-juge Osiris occupe le fond de la salle; au pied de son trône s'élève le lotus, emblème du monde matériel, surmonté de l'image de ses quatre enfants, gé- nies directeurs des quatre points cardinaux.

Les quarante-deux juges assesseurs d'Osiris sont aussi rangés sur deux lignes , la tète sur- montée d'une plume d'autruche, symbole de la justice : debout sur un socle, en avant du trône, le cerbère égyptien, monstre composé de trois natures diverses, le crocodile, le lion et l'hippo- potame, ouvre sa large gueule et menace les âmes coupables : son nom, Téouôm-enement, signifie la dévoratrice de l'occident ou de l'enfer. Vers la porte du tribunal paraît la déesse Thmeï dé- doublée, c'est-à-dire figurée deux fois, à cause de sa double attribution de déesse de la justice et de déesse de vérité: la première forme, qualifiée de Thmeï, rectricede l'Amenti (la vérité), présente l'ame d'un Égyptien, sous les formes corporelles, àlaseconde forme de la déesse (la justice ) , dont voici la légende Thmeï qui réside dans l'Amenti, elle pèse les coeurs dans la balance: aucun mé- chant ne lui échappe. » Dans le voisinage de celui qui doit subir l'épreuve, on lit les mots suivants,

320 DIX-SEPTIÈME LI.TTRK.

« Arrivée d'une ame dans l'Araenti. » Plus loin, s'élève la balance infernale ; les dieux Hôrus , fils d'Isis, à tête d'épervier, et Anubis , fils d'Osiris, à tête de chacal, placent dans les bassins de la balance, l'un le cœur du prévenu, l'autre une plume, emblème de justice : entre le fatal ins- trument qui doit décider du sort de l'ame, et le trône d'Osiris, on a placé le dieu Thôth ibiocé- phale, « Thôth le deux fois grand, le seigneur de Schmoun ( Hermopolis-Magna ) , le seigneur des divines paroles, le secrétaire de justice des au- tres dieux grands dans la salle de justice et de vérité. » Ce greffier divin écrit le résultat de l'é- preuve à laqtielle vient d'être soumis le cœur de l'Égyptien défunt, et va présenter son rapport au souverain juge.

On voit que le fait seul de la consécration de ce troisième sanctuaire à la déesse Thmeï, y a motivé la représentation de la psychostasie, et qu'on a trop légèrement conclu de la présence de ce tableau curieux, reproduit également dans la deuxième partie de tous les rituels funéraires, que ce temple était une sorte d'édifice funèbre qui pouvait même avoir servi de sépulture à des membres très-distingués de la caste sacerdotale. Rien ne motive une pareille hypothèse. Il est vrai que les environs de l'enceinte qui renferme ce monument, ont été criblés d'excavations sépul-

DIX-SEPTiKME LETTRF. 3^ I

craies et des catacombes égyptiennes de toutes les époques. Mais le temple d'Hathôr et de Thmeï n'est point le seul édifice sacré élevé au milieu des tombeaux; il faudrait donc aussi considérer comme des temples funéraires le palais de Sé- sostris ou le Rhamesséion , le temple d'Ammon à El-Assasif, le palais deKourna, etc., ce»quiest insoutenable sous tous les rapports, et formelle- ment contredit par toutes les inscriptions égyp- tiennes qui en couvrent les parois. Mon opinion est fondée sur l'examen attentif et détaillé des lieux. Je n'ai pas encore fini à Tlièbes , si même on peut réellement finir au milieu de tant de monuments... Mais le temps me presse... Je cours à de nouvelles explorations. . . Adieu.

21

DIX-HUITIEME LETTRE.

Thèbes (Médinet-Habou), le 3o juin 1829.

Oiv peut se rendre à la grande butte de Médi- net-Habou, soit en prenant le chemin de la plaine en traversant leRhamesséion , l'emplacement de l'Aménophion (Memnonium), et les restes cal- caires du Ménéphthéion, grand édifice construit par le fils et successeur de Rhamsès-le-Grand ; soit en suivant le vallon à l'entrée duquel s'élève le petit temple d'Hathôr et de Thmeï.

existe presque enfouie sous les débris des habitations particulières qui se sont succédé d'âge en âge, une masse de monuments de haute importance, qui, étudiés avec attention, mon- trent, au milieu des plus grands souvenirs his-

DIX-IIUITIKME LETTRE. 3'^ 3

toriques , Tétat des arts de l'Egypte à toutes les époques principales de son existence politique : c'est en quelque sorte un tableau abrégé de l'E- gypte monumentale. On y trouve en effet réunis, un temple appartenant à l'époque pharaonique la plus brillante, celle des premiers rois de la XVIIP dynastie ; un immense palais de la période des conquêtes, un édifice de la première déca- dence sous l'invasion éthiopienne, une chapelle élevée sous un des princes qui avaient brisé le joug des Perses ; un propy Ion de la dynastie grec- que; des propylées de l'époque romaine; enfin, dans une des cours du palais pharaonique, des colonnes qui jadis soutenaient le faîte d'une église chrétienne.

Le détail un peu circonstancié de ce que ren- fermentdeplus curieux des monuments si variés, me conduirait beaucoup trop loin; je dois me contenter de donner une idée rapide de chacune des parties qui forment cet amas de construc- tions si intéressantes, en commençant par celles qui se présentent en arrivant à la butte du côté qui regarde le fleuve.

On rencontre d'abord une vaste enceinte con- struite en belles pierres de grès, peu élevée au- dessus du sol actuel , et dans laquelle on pénètre par une porte dont les jambages, surpassant à peine la corniche brute qui surmonte le mur

■jt I.

y.

Jt24 DIX-HUITIEME LETTRE.

d'enceinte , portent la figure en pied d'un empe- reur romain dont voici la légende hiéroglyphi- que inscrite dans les deux cartouches accolés : « L'empereur Cœsar-Titus-^lius-Hadrianus-An- « toninus-Pius. »

Le même prince est aussi représenté sur l'une des deux portes latérales de l'enceinte, il est en adoration devant la Triade de Thèbes à droite, et devant celle d'Hermonthis à gauche. C'est en- core ici une nouvelle preuve de ces égards per- pétuels de bon voisinage que se rendaient mutuellement les cultes locaux.

Au fond de l'enceinte s'élève une rangée de six colonnes réunies trois à trois par des murs d'entre- colonnement qui n'ont jamais reçu de sculptures. On trouve encore parmi les pierres amoncelées provenant des parties supérieures de cette construction, la légende impériale déjà citée : l'enceinte et les propylées appartiennent donc au règne d'Antonin-le-Pieux. C'est, d'ailleurs, ce que démontrait déjà le mauvais style des bas- reliefs.

En traversant ces propylées on arrive à un grand pylône dont la porte , ornée d'une cor- niche conservant encore ses couleurs assez vives, est couverte d bas-reliefs religieux; l'adorateur, Ptolémée Soter II, présente des offrandes variées

D1X-HUIT1È1ME LETTRE. SaS

aux sept grandes divinités élémentaires et aux dieux des nomes Thébain et Hermonthite.

Le mur de l'enceinte et les propylées d'Anto- nin, aussi bien que le pylône de Soter II, m'ont offert une particularité remarquable : c'est que ces constructions modernes ont été élevées aux dépens d'un édifice antérieur et bien autrement important. Les pierres qui les forment sont cou- vertes de restes de légendes hiéroglyphiques, de portions de bas-reliefs religieux ou historiques, telles que des têtes ou des corps de divinités, des chars, des chevaux, des soldats, des prisonniers de guerre, enfin de nombreux débris d'un calen- drier sacré; et comme on lit sur une foule de pierres, en tout ou en partie, le prénom ou le nom de Rhamsès-le-Grand, il n'est point dou- teux, pour moi du moins, que ces blocs ne pro- viennent des démolitions du grand palais de Sé- sostris, le Rhamesséion , ravagé depuis long-temps par les Perses, à l'époque où^, sous Ptolémée Soter II et Antonin, on bâtissait les propylées et le pylône dont il est ici question.

Au pylône de Soter succède un petit édifice d'une exécution plus élégante, semblable en son plan au petit édifice à jour de l'île de Philcc ; mais les huit colonnes qui le supportaient sont maintenant rasées jusqu'à la hauteur des murs

3^6 DIX-HUITIÈMK LETTRE.

des entre-colonnements. Tous les bas-reliefs en- core existants représentent le roi Nectanèbe , de la trentième dynastie, la Sébennytique, adorant le souverain des dieux Amon-Ra, et recevant les dons et les bienfaits de tous les autres dieux de Thèbes.

Cette chapelle, du quatrième siècle avant J.-C, avait été appuyée sur un édifice plus ancien : c'est un pylône de médiocre étendue, dont les massifs, d'une belle proportion, ont souffert dans plusieurs de leurs parties. Élevé sous la domination du roi éthiopien Taharaka, dans le septième siècle avant notre ère , le nom , le pré- nom , les titres, les louanges de ce prince avaient été rappelés dans les inscriptions et les bas-reliefs décorant les faces des deux massifs , et sur la porte qui les sépare. Mais, à l'époque les Saïtes remontèrent sur le trône des Pharaons, il paraît qu'on fit marteler, par une mesure gé- nérale , les noms des conquérants éthiopiens sur tous les monuments de l'Egypte.

J'ai déjà remarqué la proscription du nom de Sabacon dans le palais de Louqsor, le nom de Taharaka subit ici un semblable outrage ; mais les marteaux n'ont pu faire que l'on n'en recon- naisse encore sans peine tous les éléments con- stitutifs dans le plus grand nombre des cartou- ches existants. On lit de plus sur le massif de

DIX-HUITIÈME LETTRE. 'd2'j

droite cette inscription relative à des embellis- sements exécutés sous Ptolémée Soter II :

« Cette belle réparation a été faite par le roi seigneur du Monde , le grand germe des dieux grands, celui que Phtali a éprouvé, image vi- vante d'Amon-Ra, le fils du soleil, le seigneur des diadèmes, Ptolémée toujours vivant, le dieu aimé d'Isis, le dieu sauveur (soter, KTNOHEM), en l'honneur de son père Amon-Ra, qui lui a concédé les périodes des panégyries sur le trône d'Hôrus. »

Il n'est pas inutile de comparer cette fastueuse légende des Lagides, à propos de quelques pier- res qu'on a changées, avec les légendes que l'É- thiopien, véritable fondateur du pylône, a fait sculpter sur le bandeau de la porte ; elle ne con- tient que la simple formule suivante : « La vie (ou vive) le roi Taharaka, le bien-aimé d'Amon- Ra, seigneur des trônes du Monde ».

Sur les deux massifs extérieurs du pylône, ce prince, auquel certaines traditions historiques ' attribuent la conquête de toute l'Afrique sep- tentrionale, jusqu'aux colonnes d'Hercule, a été figuré de proportion colossale, tenant d'une main robuste les chevelures , réunies en groupe, de peuples vaincus qu'il menace d'une sorte de massue.

Au-delà du pylône de ïaharaka, et dans le mur

328 DIX- HUITIÈME LETTRE.

(le clôture nord, existent encore en place deux jambages d'une porte en granit rose, chargés de légendes exécutées avec soin et contenant le nom et les titres du fondateur, l'un des plus grands fonctionnaires de l'ordre sacerdotal, Thié- rogrammate et prophète Pétaménoph. C'est le même personnage qui fit creuser, vers l'entrée de la ville d'El-Assasif, l'immense et prodigieuse excavation que les voyageurs admirent sous le nom de Grande-Sjringe.

On arrive enfin à l'édifice le plus antique, celui dont les propylées de l'époque romaine , le pylône des Lagides, la chapelle de Nectanèbe et le pylône du roi éthiopien ne sont que des dépendances ; ces diverses constructions ne fu- rent élevées que pour annoncer dignement la demeure du roi des dieux, et celle du Pharaon , son représentant sur la terre.

Ce vieux monument , qui porte à la fois le double caractère de temple et de palais, se com- pose encore d'un sanctuaire environné de gale- ries formées de piliers ou de colonnes , et de huit salles plus ou moins vastes.

Toutes les parois portent des sculptures exé- cutées avec une correction remarquable et une grande finesse de travail : ce sont des bas-re- liefs de la meilleure époque de l'art. Aussi, la décoration de cet édifice appartient-elle au règne

DIX-HUITIÈME LETTRE. 3.29

de Thouthmosis T'", de Thouthmosis II, de la reine Amensé, du régent Aménenthé et deThouth- mosis III , le Mœris des historiens grecs. C'est sous ce dernier Pharaon qu'on a décoré la plus grande partie de l'édifice ; les dédicaces en ont été faites en son nom : celle qu'on lit sous la galerie de droite, l'une des mieux conservées, donne une idée de toutes les autres ; la voici :

i'^^ ligne. « La vie : l'Hôrus puissant, aimé de Phré , le souverain de la haute et basse région , grand chef de toutes les parties du monde , l'Horus resplendissant, grand par sa force, celui qui a frappé les neuf arcs (les peuples nomades) ; le dieu gracieux seigneur du monde, soleil stabi- liteur du monde, le fils du soleil, Thouthmosis, bienfaiteur du monde, vivifié aujourd'hui et à toujours. »

"1 ligne. « Il a fait exécuter ces constructions en l'honneur de son père Amon-Ra , roi des dieux ; il lui a érigé ce grand temple dans la partie oc- cidentale du Thouthmoséion d'Ammon, en belle pierre de grès : c'est ce qu'a fait le (roi) vivant toujours. »

La plupart des bas-reliefs décorant les galeries et les chambres des édifices, représenlent ce roi, Thouthmosis III , rendant divers hommages aux dieux , ou en recevant des grâces et des dons : je citerai seulement des tableaux sculptés sur la

33o DIX-HUITIKME LETTRE.

paroi de gauche de la grande salle ou sanctuaire. Dans l'un , le plus étendu , le Pharaon casqué est conduit par la déesse Hathôr et par le dieu Atmou qui se tiennent par la main, vers l'arbre mystique de la vie. Le roi des dieux, Amon-Ra, assis , trace avec un pinceau le nom de ïhouth- mosis sur l'épais feuillage, en disant : «Mon fils ^ stahiliteur du monde , je place ton nom sur l'ar- bre Oscht, dans le palais du soleil! » Cette scène se passe devant les vingt-cinq divinités secon- daires adorées à Thèbes et disposées sur deux files, en tète desquelles on lit l'inscription sui- vante : « Voici ce que disent les autres grandes divinités de Toph (Thèbes) : Nos coeurs se ré- jouissent à cause du bel édifice construit par le roi soleil stahiliteur du monde ».

J'ai trouvé dans le second tableau , pour la première fois, le nom et la représentation de la reine , femme de Thouthmosis III. Cette prin- cesse, appelée Rhamaithé, et portant le titre de royale épouse , accompagne son mari faisant de riches offrandes à Amon-Ra , générateur; la reine reparaît aussi dans deux tableaux décorant une des petites salles de gauche au fond de l'édifice.

Les six dernières salles du palais , dans l'une desquelles existe renversée une chapelle mono- lithe de granit rose , sont couvertes de bas-re- liefs de l'époque de Thouthmosis 1" , de Thouth-

DIX-IIUITIÈME LETTRE. 33 1

mosis II , de la reine Amensé , et de son fils Thouthmosis 111, dont les légendes royales sont sculptées en surcharge sur celles du régent Amé- nenthé, martelées avec assez de soin, ainsi que toutes les figures en pied représentant ce prince, dont la mémoire fut aussi proscrite.

La fondation de cet édifice remonte donc aux premières années du XVIIP siècle avant J.-C. Il est naturel , par conséquent, de rencontrer, en le parcourant avec soin, plusieurs restaurations annoncées d'ailleurs par des inscriptions qui en fixent l'époque et en nomment les auteurs ; telles sont :

La restauration des portes et d'une portion du plafond de la grande salle, par Ptolémée Évergète II, entre l'an i46 et l'an ii8 avant notre ère.

Des réparations faites vers l'an 392 avant notre ère, aux colonnes d'ordre protodorique qui soutiennent les plafonds des galeries , sous le pharaon Mendésien Acoris. On a employé pour cela des pierres provenant d'un petit édifice con- struit par la princesse Neitocris, fille de Psam- metichus II.

Toutes les sculptures des façades supérieu- res sud et nord exécutées sous le règne de Rham- sès-Méiamoun , au XV^ siècle avant notre ère.

Ces derniers embellissements, les plus anciens

332 DIX- HUITIÈME Ll-TTRE.

et les plus notables de tous , avaient été ordonnés sans doute pour lier, par la décoration , le petit palais de Mœris avec le grand palais de Rhamsès- Méiamoun , qui , avec ses attenances , couvre presque toute la butte de Médinet-Habou.

C'est ici en effet qu'existent les ouvrages les plus remarquables de ce Pharaon , l'un des plus illustres parmi les souverains de l'Egypte, et dont les grands exploits militaires ont été confondus avec ceux de Sésostris ou Rhamsès-le-Grand , par les auteurs anciens et par les écrivains mo- dernes.

Un édifice d'une médiocre étendue, mais sin- gulier par ses formes inaccoutumées, le seul qui, parmi tous les monuments de l'Egypte, puisse donner une idée de ce qu'était une habitation particulière à ces anciennes époques, attire d'a- bord les regards du voyageur. Le plan qu'en ont publié les auteurs de la grande Description de l'Egypte , pourra donner une idée exacte de la disposition générale de ces deux massifs de py- lônes unis à un grand pavillon par des construc- tions tournant sur elles-mêmes en équerre ; je ne dois m'occuper que des curieux bas-reliefs et des inscriptions sculptées sur toutes les sur- faces.

L'entrée principale regarde le Nil : on tourne d'abord deux grands massifs, formant une espèce

DIX-HUITIÈME LETTRE. 333

de faux pylône , ensevelis en partie sous des buttes provenant des débris d'habitations mo- dernes. Yers le haut, règne une frise anagly- phique composée des éléments combinés de la légende royale du Rhamsès fils aîné et succes- seur immédiat de Rhamsès-Méiamoun, « Soleil, gardien de vérité éprouvé par Ammon », On re- marque de plus sur ces massifs , des tableaux d'adoration de la même époque, et àeu's.fenêtres portant sur leur bandeau le disque ailé de Hat, et sur leurs jambages les légendes royales de Rhamsès-Méiamoun , « Soleil , gardien de vérité et ami d'Ammon. »

La porte qui sépare ces constructions appar- tient au règne d'un troisième Rhamsès, le second fils de Méiamoun, « le soleil seigneur de vérité aimé par Ammon. »

Dans l'intérieur de cette petite cour, s'élèvent deux massifs de pylônes ornés , ainsi que les constructions qui les unissent au grand pavillon, de frises anaglyphiques portant la légende du fondateur Rhamsès-Méiamoun, et de bas-reliefs d'un grand intérêt , parce qu'Us ont trait aux conquêtes de ce Pharaon.

La face antérieure du massif de droite est pres- que entièrement occupée par une figure colos- sale du conquérant levant sa hache d'armes sur un groupe de prisonniers barbus dont sa main

334 DIX-IILITIKiME LETTRE.

gauche saisit les chevelures ; le dieu Amon- Ra, d'une stature tout aussi colossale, présente au vainqueur la harpe divine en disant : « Prends cette arme, mon fils chéri, et frappe les chefs des contrées étrangères! »

Le soubassement de ce vaste tableau est com- posé des chefs des peuples soumis par Rhamsès- Méiamoun , agenouillés , les bras attachés der- rière le dos par les liens qui , terminés par une houppe de papyrus ou une fleur de lotus, indi- quent si le personnage est un asiatique ou un africain.

Ces chefs captifs , dont les costumes et les physionomies sont très-variés , offrent , avec toute vérité, les traits du visage et les vêtements par- ticuliers à chacune des nations qu'ils représen- tent : des légendes hiéroglyphiques donnent successivement le nom de chaque peuple. Deux ont entièrement disparu; celles qui subsistent, au nombre de cinq, annoncent :

Le chef du pays de Kouschi mauvaise race (l'Ethiopie),

Le chef du pays de Térosis,

Le chef du pays de Toroao, et

Le chef du pays de Robou,

Le chef du pays de Moschausch,

Un tableau et un soubassement analogues dé-

en Afrique;

en Asie.

DIX-HUITIÈME LETTRE. 335

corent la face antérieure du massif de gauche ; mais ici tous les captifs sont des chefs asiatiques : on les a rangés dans l'ordre suivant :

Le chef de la mauvaise race du pays de Scheto ou Chéta;

Le chef de la mauvaise race du pays d'Aumôr;

Le grand du pays de Fékkaro;

Le grand du pays deSchairotana, contrée ma- ritime ;

Le grand du pays de Scha (Le reste est

détruit);

Le grand du pays de Touirscha, contrée ma- ritime.

Le grand du pays de Pa . . . ( Le reste est dé- truit). Sur l'épaisseur du massif de gauche, Rham- sès-Méiamoun casqué, le carquois sur l'épaule, conduit des groupes de prisonniers de guerre aux pieds d'Amon-Ra : le dieu dit au conquérant : « Va ! empare-toi des contrées ; soumets leurs places fortes, et amène leurs chefs en esclavage. »

Le massif correspondant, et les corps de logis qui réunissent le pylône au grand pavillon du fond, sont couverts de sculptures qu'il serait trop long de détailler ici. On remarque desye- nêtres décorées extérieurement et intérieurement avec beaucoup de goût, et des balcons soutenus par des prisonniers barbares sortant à mi-corps de ia muraille.

33G UIX-HUITIÈMF, LETTRE.

Ij'intérieur du grand pavillon, divisé en trois étages , fut décoré de bas-reliefs représentant des scènes domestiques de Rhamsès-Méiamoun ; je possède des dessins exacts de tous ces intéres- sants tableaux, parmi lesquels on remarque le Pharaon servijpar les dames du palais, prenant son repas, jouant avec ses petits enfants, ou oc- cupé avec la reine d'une partie de jeu analogue à celui des échecs, etc., etc. L'extérieur de ce pavillon est couvert de légendes du roi ou de bas-reliefs commémoratifs de ses victoires.

C'est en suivant l'axe principal de ces curieuses constructions, qu'on arrive enfin devant le pre- mier pylône du grand et magnifique palais de Rhamsès-Méiamoun. L'édifice que nous venons de décrire n'en était qu'une dépendance et une simple annexe.

Ici, tout prend des proportions colossales : les faces extérieures des deux énormes massifs du premier pylône , entièrement couvertes de sculp- tures , rappellent les exploits du fondateur de l'édifice , non-seulement par des tableaux d'un sens vague et général , mais encore par les ima- ges et les noms des peuples vaincus , par celles du conquérant et de la divinité protectrice qui lui donne la victoire. On voit sur le massif de gauche , le dieu Phtah-Socharis livrant à Rham- sès-Méiamoun treize contrées asiatiques , dont

DIX-HUITIÈME LETTRE. SSy

les noms , conservés pour la plupart , ont été sculptés dans des cartels servant comme de bou- cliers aux peuples enchaînés. Une longue inscrip- tion , dont les onze premières lignes sont assez bien conservées, nous apprend que ces conquê- tes eurent lieu dans la douzième année du règne de. ce Pharaon.

Dans le grand tableau du massif de droite , le dieu Amon-Ra, sous la forme de Phré hiéraco- céphale, donne la harpe au belliqueux Rham- sès pour frapper vingt -neuf peuples du Nord ou du Midi; dix-neuf noms de contrées ou de villes subsistent encore ; le reste a été détruit pour appuyer contre le pylône des masures mo- dernes. Le roi des dieux adresse à Méiamoun un long discours dont voici les dix premières co- lonnes : « Amon-Ra a dit : Mon fils , mon germe « chéri, maître du Monde, soleil gardien de jus- ce tice, ami d'Ammon, toute force t'appartient sur « la Terre entière; les nations du septentrion et « du midi sont abattues sous tes pieds ; je te livre « les chefs des contrées méridionales; conduis-les « en captivité, et leurs enfants à leur suite; dis- cc pose de tous les biens existants dans leur pays : « laisse respirer ceux d'entre eux qui voudront « se soumettre , et punis ceux dont le cœur est « contre toi. Je t'ai livré aussi le Nord (la-

22

338 DIX-HUITIÈME LETÏRF.

u cune); la Terre-Rouge (l'Arabie) est sous tes « sandales, etc., etc.»

Une grande stèle, mais très-fruste, constate que ces conquêtes eurent lieu la onzième année du roi.

C'est à la même année du règne de Rhamsès- Méiamoun que se rapportent les sculptures des massifs du premier pylône du côté de la cour. Il s'agit ici d'une campagne contre les peuples asiatiques nommés Moschausch.

Des masses de débris amoncelés couvrent toute la partie inférieure du pylône, et enfouissent en très-grande partie la magnifique colonnade qui décore le côté gauche de la cour, ainsi que la galerie soutenue par des piliers cariatides for- mant celte même cour du côté droit. Déblayer cette partie du palais serait une entreprise fort dispendieuse , mais elle aurait pour résultat cer- tain de rendre à l'admiration des voyageurs deux galeries de la plus complète conservation, des colonnes couvertes de bas-reliefs, de riches dé- corations ayant conservé tout l'éclat de leurs cou- leurs, et enfin une nombreuse série de grands tableaux historiques. Il a fallu me contenter de copier les inscriptions dédicatoires qui couvrent les deux frises et les architraves des élégantes colonnes , dont les chapiteaux imitent la fleur épanouie du lotus.

DIX-HUITIÈME LETTRE. 339

Au fond de cette première cour s'élève un se- cond pylône, décoré de figures colossales sculp- tées, comme partout ailleurs , de relief dans le creux; celles-ci rappellent les triomphes de Rhamsès-Méiamoun, dans la IX^ année de son règne. Le roi , la tête surmontée des insignes du fils aîné d'Ammon , entre dans le temple d'Amon- Ra et de la déesse jjklouth , conduisant trois co- lonnes de prisonniers de guerre, imberbes, et enchaînés dans diverses positions : ces nations, appartenant à une même race, sont nommées Schakalascha, ïaônaou et Pourosato. Plusieurs voyageurs, examinant les physionomies et le cos- tume de ces captifs, ont cru reconnaître en eux des peuples Hindous. Sur le massif de droite de ce pylône, existait une énorme inscription au- jourd'hui détruite aux trois quarts par des frac- tures et des excavations. J'ai vu , par ce qui en subsiste encore , qu'elle était relative à l'expé- dition contre les Schakalascha , les Fekkaro, les Pourosato , les Taônaou et les Ouschascha. Il y est aussi question des contrées d'Aumôr et d'O- reksa, ainsi que d'une bataille navale.

Une magnifique porte en granit rose unit les deux massifs du second pylône. Des tableaux d'adoration aux diverses formes d'Amon-Ra et de Phtha en décorent les jambages, au bas desquels on lit deux inscriptions dédicatoires at-

0.1.

3/4O DIX-HUITIÈME LETTRE,

testant que Rhamsès-Méiamoun a consacré cette grande porte en belle pierre de granit, à son père Amon-Ra, et qu'enfin les battants ont été si richement ornés de métaux précieux, qu'Am- mon lui-même se réjouit en les contemplant.

On se trouve, après avoir franchi cette porte, dans la seconde cour du palais , la grandeur pharaonique se montre daii^ tout son éclat : la vue seule peut donner une idée du majestueux effet de ce péristyle , soutenu à l'est et à l'ouest par d'énormes colonnades, au nord par des pi- liers contre lesquels s'appuient des cariatides, derrière lesquels se montre une seconde colon- nade. Tout est chargé de sculptures revêtues de couleurs très-brillantes encore : c'est ici qu'il faut envoyer, pour les convertir, les ennemis systématiques de l'architecture peinte.

Les parois des quatre galeries de cette cour conservent toutes leurs décorations : de grands et vastes tableaux sctdptés et peints appellent de toute part la curiosité des voyageurs. L'œil se repose sur le bel azur des plafonds ornés d'é- toiles de couleur jaune doré; mais l'importance et la variété des scènes reproduites par le ciseau absorbe bientôt toute l'attention.

Quatre tableaux formant le registre inférieur de la galerie de l'Est côté gauche , et une partie de la galerie Sud , retracent les principales cir-

DIX-HLIITJÈME LETTRE. 34 1

constances d'une guerre de Rhamsès-Méiamoun contre des peuples asiatiques nommés Robou, teint clair, nez aquilin , longue barbe, couverts d'une grande tunique et d'un surtout transver- salement rayé bleu et blanc : ce costume est tout- à-fait analogue à celui des Assyriens et des Mèdes figurés sur les cylindres dits babyloniens ou per- sépolitains.

i^'^ Tableau. Grande bataille : le héros égyp- tien, debout sur un char lancé au galop, décoche des flèches contre une foule d'ennemis fuyant dans le plus grand désordre. On aperçoit sur le premier plan les chefs égyptiens montés sur dès chars, et leurs soldats entremêlés à des alliés , les Fekkaro , massacrant les Robou épouvantés , ou les liant comme prisonniers de guerre. Ce tableau seul contient plus de cent figures en pied , sans compter les chevaux.

ti^ Tableau. Les princes et les chefs de l'armée égyptienne conduisent au roi victorieux quatre colonnes de prisonniers : des scribes comptent et enregistrent le nombre des mains droites et des parties génitales coupées aux Robou morts sur le champ de bataille. L'inscription porte textuel- lement : « Conduite des prisonniers en présence « de sa majesté; ceux-ci sont au nombre de mille; « mains coupées , trois mille ; phallus , trois « mille.» Le Pharaon, aux pieds duquel on dépose

342 DIX-HUITIÈME LETTRE.

ces trophées, paisiblement assis sur son char, dont les chevaux sont retenus par des officiers , adresse une allocution à ses guerriers ; il les fé- licite de leur victoire, et prodigue fort naïvement les plus grands éloges à sa propre personne. « Livrez- vous à la joie, leur dit-il, qu'elle s'élève « jusqu'au ciel; les étrangers sont renversés par « ma force; la terreur de mon nom est venue, « leurs cœurs en ont été remplis ; je me suis pré- « sente devant eux comme un lion , je les ai « poursuivis semblable à un épervier; j'ai anéanti « leurs âmes criminelles; j'ai franchi leurs fleuves, M j'ai incendié leurs forteresses; je suis pour l'É- « gypte ce qu'a été le dieu Mandou : j'ai vaincu « les Barbares : Amon-Ra mon père a humilié le «Monde entier sous mes pieds, et je suis roi ce sur le trône à toujours.»

En dehors de ce curieux tableau existe une longue inscription malheureusement fort endom- magée , et relative à cette campagne , qui date de l'an du règne de Rhamsès-Méiamoun.

3^ Tableau. Le vainqueur, le fouet en main et guidant ses chevaux , retourne ensuite en Egypte ; des groupes de prisonniers enchaînés précèdent son char; des officiers étendent au-dessus de la tête du Pharaon de larges ombrelles; le premier plan est occupé par l'armée égyptienne, divisée en pelotons marchant régulièrement en ligne et

UIX-HUITIÈME LETTRE. 343

au pas, selon les règles de la tactique moderne.

Enfin Rhamsès rentre triomphant dans Thèbes ( 4*" tableau ); il se présente à pied, traînant à sa suite trois colonnes de prisonniers , devant le temple d'Amon-Ra et de la déesse Mouth; le roi harangue les divinités et en reçoit en réponse les assurances les plus flatteuses.

Une immense composition remplit tout le re- gistre supérieur de la galerie Nord et de la gale- rie Est, à droite de la porte principale. C'est une cérémonie publique qui n'offre pas moins de deux cents personnages en pied ; à cette pompeuse marche assiste tout ce que l'Egypte renfermait de plus grand et de plus illustre : c'est en quelque sorte le triomphe de .Rhamsès-Méiamoun et la panégyrie célébrée par le souverain et son peu- ple , pour remercier la divinité de la constante protection qu'elle avait accordée aux armes égyptiennes. Une ligne de grands hiéroglyphes sculptés au-dessus du tableau et dans toute sa longueur, annonce que cette panégyrie (HBAI) en l'honneur d'Amon-Hôrus ( l'A et l'n de la théo- logie égyptienne) eut lieu à Thèbes le premier jour du mois de paschons. Cette légende contient en outre l'analyse minutieuse du vaste tableau qu'elle surmonte ; c'est pour ainsi dire le pro- gramme entier de la cérémonie.

L'analyse rapide que j'en donne ici ne sera

3/|4 DIX-HUITIÈME LETTRE.

que la traduction de cette légende, ou celle des nombreuses inscriptions sculptées dans le bas- relief auprès de chaque personnage et au-dessus des groupes principaux.

Rhamsès-Méiamoun sort de son palais , porté dans un naos , espèce de châsse richement dé- corée, soutenue par douze oeris ou chefs mili- taires, la tête ornée de plumes d'autruche. Le monarque , décoré de toutes les marques de sa royale puissance, est assis sur un trône élégant que des images d'or de la justice et de la vérité couvrent de leurs ailes étendues; le sphinx, em- blème de la sagesse unie à la force, et le lion, symbole du courage , sont debout près du trône, qu'ils semblent protéger. Des officiers agitent autour du naos les flabellum et les éventails or- dinaires; déjeunes enfants de la caste sacerdo- tale marchent auprès du roi , portant son sceptre, l'étui de son arc et ses autres insignes.

Neuf princes de la famille royale, de hauts fonctionnaires de la caste sacerdotale et des chefs mihtaires suivent le naos à pied, rangés sur deux lignes; des guerriers portent les socles et les gradins du naos; la marche est fermée par un peloton de soldats. Des groupes tout aussi variés précèdent le Pharaon : un corps de musique, l'on remarque la flûte, la trom- pette, le tambour et des choristes, forme la tête

DIX-HUITIÈME LETTKE. 345

du cortège ; viennent ensuite les parents et les familiers du roi, parmi lesquels on compte plu- sieurs pontifes ; enfin \g fils aîné deRhamsès, le chef de l'armée après lui , brîile l'encens devant la face de son père.

Le roi arrive au temple d'Hôrus, s'approche de l'autel, répand des libations et brûle l'en- cens; vingt-deux prêtres portent sur un riche palanquin la statue du dieu qui s'avance au mi- lieu des flabellum, des éventails et des rameaux de fleurs. Le roi à pied, coiffé d'un simple dia- dème de la région inférieure, précède le dieu et suit immédiatement le taureau blanc, symbole vivant d'Ammon-Hôrus ou Amon-Ra, le mari de sa mère. Un prêtre encense l'animal sacré ; la reine, épouse de Rhamsès, se montre vers le haut du tableau comme spectatrice de la pompe religieuse ; et tandis que l'un des pontifes lit à haute voix l'invocation prescrite lorsque la lumière du dieu franchit leseuildeson temple , dix-neuf prêtres s'avancent portant les diverses enseignes sacrées , les vases , les tables de proposition , et tous les ustensiles du culte; sept autres prêtres ouvrent le cortège religieux , soutenant sur leurs épaules des statuettes; ce sont les images des rois ancêtres et prédécesseurs de Rhamsès- Méiamoun, assistant au triomphe de leur des- cendant.

346 DIX-HUITIÈME LETTRE.

Ici a lieu une cérémonie sur la nature de la- quelle on s'est étrangement mépris. Deux en- seignes sacrées, particulières au dieu Ammon- Hôrus, s'élèvent au-dessus de deux autels. Deux prêtres, reconnaissables à leur tète rase et mieux encore à leur titre inscrit à côté d'eux , se re- tournent pour entendre les ordres du grand pontife président de la panégyrie , lequel tient en main le sceptre noiftmé pat, insigne de ses hautes fonctions; un troisième piètre donne la liberté à quatre oiseaux qui s'envolent dans les airs.

On a voulu voir ici des sacrifices humains , en prenant le sceptre du pontife pour un couteau , les deux prêtres pour deux victimes, et les oi- seaux pour l'emblème des âmes qui s'échap- paient des corps de deux malheureux égorgés par une barbare superstition ; mais une inscrip- tion sculptée devant l'hiérograinmate assistant à la cérémonie , nous rassure complètement et prouve toute l'innocence de cette scène, en nous faisant bien connaître ses détails et son but.

Voici la traduction de ce texte, dont je figure aussi la disposition même :

« Le président de la panégyrie a dit :

« Donnez l'essor aux IV oies ;

« Araset

le Midi

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DIX-HUITIÈME LETTRE.

347

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« que Hôrus , fils d'Isis et d'Osiris, s'est coiffe du Pschent,que le roi Rhamsès s'est coiffé du Pschent.» Il en résulte clairement que les quatre oiseaux représentent les quatre enfants d'Osiris : Amset, Sis, etc., génies des quatre points cardinaux vers lesquels on les prie de se diriger pour an- noncer aussi au monde entier qu'à l'exemple du dieu Hôrus, le roi Rliamsès-Méiamoun vient de mettre sur sa tête la couronne emblème de la domination sur les régions .supérieures et infé- rieures. Cette couronne se nommait Pschent; c'est celle que porte ici en effet, et pour la pre- mière fois , le roi debout et devant lequel se

3/(8 DIX-HUITIÈME LETTRE.

passe la fonction sacrée qu'on vient de faire con- naître.

La dernière joartie du bas-relief représente le roi, coiffé du Pschent , remerciant le dieu dans son temple. Le monarque, précédé de tout le corps sacerdotal et de la musique sacrée, est accom- pagné par les officiers de sa maison. On le voit ensuite couper avec une faucille d'or une gerbe de blé, et, coiffé enfin de son casque militaire comme à sa sortie du palais, prendre congé, par une libation , du dieu Ammon-Horus rentré dans son sanctuaire. La reine est encore témoin de ces deux dernières cérémonies; le prêtre invoque les dieux; unhiérogrammatelit une longue prière; auprès du Pharaon sont encore le taureau blanc et les images des rois ancêtres dressées sur une même base.

C'est en étudiant cette partie du tableau que j'ai pu m'assurer enfin de la place relative qu'oc- cupe Rhamsès-Méiamoun dans la série des dy- nasties égyptiennes. Les statues des rois ses pré- décesseurs sont ici chronologiquement rangées, et comme cet ordre est celui même que leur assignent d'autres monuments de Thèbes, aucun doute ne saurait s'élever sur cette ligne de suc- cession, ces statues, au nombre de neuf, por- tant devant elles les cartouches prénoms des rois qu'elles représentent (/^. ci-après pag. 862).

DIX-HUITIÈJIE LETTRE. 349

Rhamsès-Méiamoun, comme Rhamsès-le-Grand (Sésostris), ayant marqué son règne par de grands exploits militaires, ces deux princes ont été con- fondus par les historiens grecs en un seul et même personnage. Mais les monuments originaux les différencient trop bien l'un de l'autre pour que la même confusion puisse avoir lieu désormais. Je me propose de traiter ailleurs de cette impor- tante distinction avec plus de détails. Revenons à la décoration de la magnifique cour de Médi- net-Habou.

On a sculpté dans le registre supérieur de la galerie de l'Est, partie gauche, et dans celui de la galerie du Sud, une seconde cérémonie pu- plique tout aussi développée que la précédente. Celle-ci est une panégyrie célébrée par le roi en l'honneur de son père, le dieu Sochar-Osiris, le i']^ jour du mois Hathôr. Je possède également des dessins fidèles de cette solennité et la copie des nombreuses légendes explicatives qui l'ac- compagnent.

Il faut passer rapidement .sur les scènes de consécration et les honneurs royaux décernés par les dieux à Rhamsès-Méiamoun, et que re- produisent une foule de grands bas-reliefs sculp- tés dans les registres inférieurs des galeries de l'Est , du Nord et du Sud : je dois encore mieux me dispenser de noter ici le nom des divinités

35o UIX-HUITIKiME LETTRK.

auxquelles le Pharaon présente des offrandes variées dans les i44 bas-reliefs peints qui ornent seulement les 16 piliers des galeries Est et Ouest, non compris tous ceux du même genre sculptés sur le fût des trois grandes colonnades qui sou- tiennent, soit les galeries Nord et Sud , soit l'in- térieur de la galerie de l'Ouest.

Sur la paroi du fond de cette galerie ou por- tique formé par une double rangée de piliers cariatides et de colonnes, 24 grands bas-reliefs retracent les hommages pieux du roi envers les dieux, ou les bienfaits que les grandes divinités de Thèbes prodiguent au Pharaon victorieux. Une série de figures en pied ornent le soubas- sement de cette galerie et méritent une attention particulière.

Les légendes hiéroglyphiques inscrites à côté de ces personnages revêtus du riche costume des princes égyptiens, dont ils tiennent en main les insignes caractéristiques, constatent qu'on a représenté ici les enfants de Rhamsès-Méia- moun par ordre de primogéniture. On a seule- ment fait deux groupes distincts des enfants mâles et des princesses. Les princes , dont les noms et les titres ont été sculptés à côté de leurs images, sont au nombre de neuf, savoir :

Rhamsès-Amonmai , Basilico-grammate com- mandant des troupes;

UIX-HUITIKME LETTRE. 35 l

2. Rhamsès-Amonchischopsch , Basilico-gram- mate commandant de cavalerie ;

3. Rhamsès-Mandouhischopsch, Basilico-gram- mate commandant de cavalerie;

4. Phréhipefhbour, haut fonctionnaire dans l'administration royale ;

5. Mandouschopsch, idem;

6. Rhamsès-Maithmou, prophète des dieux Phré et Athmou;

■7. Rhamsès-Schahemkame, grand -prêtre de Phtah ;

8. Rhamsès-Amonhischopsch, sans autre qua. lification que celle de prince ;

9. Rhamsès-Méiamoun, idem.

Les trois premiers , après la mort de leur père Rhamsès-Méiamoun , étant successivement mon- tés sur le trône des Pharaons, leurs légendes ont être surchargées pour recevoir les car- touches prénoms ou noms propres de ces princes parvenus au souverain pouvoir. Il faut remar- quer aussi, à propos de cette liste intéressante, qu'à cette époque le nom de Rhamsès éidUiàevenu. en quelque sorte le nom même de la famille , et que le conquérant avait concentré dans les membres de sa maison les postes les plus importants de l'armée, de l'administration civile et du sacer- doce. Les noms propres des filles du roi n'ont jamais été sculptés.

35'2 DIX-HUITIÈME LETTRE.

Toute cette série de princes et de princesses forme la décoration du soubassement à la droite et à la gauche d'une grande et belle porte s'ou- vrant sur le milieu de la galerie de l'Ouest. On entrait jadis , en la traversant , dans une troisième cour environnée et suivie d'un très-grand nombre de salles : les décombres ont depuis long-temps enseveli toute cette partie du palais existante encore sous les débris entassés des frêles con- structions qui se sont succédé d'âge en âge. Des fouilles en grand mettraient ici à décou- vert des tableaux et des inscriptions d'une haute importance; mes moyens ne me permettant pas de pensera lesentreprendre, je réseçvai les fonds dont je pouvais disposer pour le déblaiement des grands bas-reliefs qui couvrent toute la partie extérieure Nord du palais, à partir du premier pylône , et la presque totalité de la muraille ex- térieure Sud , enfouie jusqu'à la corniche qui couronne l'édifice entier.

La muraille Nord offre une série de bas-re- liefs historiques d'un haut intérêt. Je donnerai ici un court abrégé du sujet de chacun d'eux , en commençant par l'extrémité de la paroi vers l'Ouest.

Campagne contre les Maschausch et les Robou. i^^ Tableau. L'armée égyptienne en marche

DlX-nUITIFM;- LETTRF. 353

sur huit ou neuf rangées de hauteur. Un trompette et un corps d'hoplites précèdent un char que di- rige un jeune conducteur : du miheu de ce char s'élève un grand mât surmonté d'une tête de bé- her ornée du disque solaire. C'est le char du dieu Amon-Ra, qui guide à l'ennemi le roi Rham- sès-Méiamoun , également monté sur un char ri- chement orné et qu'entourent les archers de la garde ainsi que les officiers attachés à sa per- sonne. On lit à côté du char du dieu : « Voici ce que dit Amon-Ra , le roi des dieux : « Je marche devant toi , ô mon fils ! »

o^ Tableau. Bataille sanglante : les Maschausch prennent la fuite ; le roi et quatre princes égyp- tiens en font un horrible carnage.

3^ Tableau. Rharasès, debout sur une espèce de tribune, harangue cinq rangées de chefs et de guerriers égyptiens conduisant une foule de Maschausch et de Robou prisonniers. Réponse des chefs militaires au roi. En tête de chaque corps d'armée, on fait le dénombrement des mains droites coupées aux ennemis morts sur le champ de bataille, ainsi que celui de leurs phallus, sorte d'hommage rendu à la bravoure des vaincus. L'inscription porte à 2,535 le nombre de ces preuves de victoire sur des hommes cou- rageux et vaillants.

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23

354 DIX-ïiriTlÈME LETTHr.

Campagne contre les Fekkaro, les Schakalasclia et peuples de même race à physionomie hindoue.

i^'^ Tableau la suite des précédciitsj. Le roi Rhamsès-Méiamoun, en costume civil, harangue les chefs de la caste militaire agenouillés devant lui, ainsi que les porte-enseignes des différents corps; plus loin, les soldats debout écoutent les paroles du souverain qui les appelle aux armes pour punir les ennemis de l'Egypte : les chefs répondent à l'appel du roi en invoquant ses victoires récentes, et protestent de leur dé- vouement à un prince qui obéit aux paroles d'Amon-Ra. La trompette sonne, les arsenaux sont ouverts; les soldats, divisés par pelotons et sans armes, s'avancent dans le plus grand ordre guidés par leurs chefs; on leur distribue des casques, des arcs, des carquois, des haches de bataille , des lances et toutes les armes alors en usage.

i" Tableau. Le roi, tète nue et les cheveux nattés , tient les rênes de ses chevaux et marche à l'ennemi : une partie de l'armée égyptienne le précède en ordre de bataille; ce sont les fan- tassins pesamment armés ou hoplites ; sur le flanc s'avancent par pelotons les troupes légères de différentes armes ; les guerriers montés sur des chars ferment la marche. Une des inscrip-

DIX-TIUITIÈME LKTTRE. 355

tions (le ce bas-relief compare le roi au germe de Mandon , s'avancant pour soumettre la Terre à ses lois; ses fantassins, à des taureaux terri- bles, et ses cavaliers, à deséperviers rapides.

3^ Tableau. Défaite des Fekkaro et de leurs alliés. Les fantassins égyptiens les mettent en fuite sur tous les points du champ de bataille. Méiamoun, secondé par ses chars de guerre, en fait un horrible carnage; quelques chefs ennemis résistent encore, montés sur des chars traînés soit par deux chevaux, soit par quatre bœufs : au milieu de la mêlée et à une des extrémités, plu- sieurs chariots traînés par des bœufs et remplis de femmes et d'enfants, sont défendus par des Fekkaro; des soldats égyptiens les attaquent et les réduisent en esclavage.

[f- Tableau. Après cette première victoire, l'armée égyptienîie se remet en marche, toujours dans l'ordre le plus méthodique et le plus régu- lier, pour atteindre une seconde fois l'ennemi; elle traverse des pays difficiles infestés de bétes sauvages : sur le flanc de l'armée le roi , attaqué par deux lions, vient de terrasser l'un et combat contre l'autre.

Tableau. Le roi et ses soldats arrivent sur le bord de la mer au moment la flotte égyp- tienne en est venue aux mains avec la flotte des Fekkaro, combinée avec celle de leurs alliés les

356 DIX-HUITIÈME LF.TTRF..

Schairotaiias , reconnaissables à leurs casques armés de deux cornes. Les vaisseaux égyptiens manoeuvrent à la fois à la voile et à l'aviron : des archers en garnissent les hunes, et leur proue est ornée d'une tête de hon. Déjà un na- vire fekkarien a coulé, et la flotte alliée se trouve resserrée entre la flotte égyptienne et le rivage, du haut duquel Rhamsès-Méiamoun et ses fan- tassins lancent une grêle de traits sur les vais- seaux ennemis. Leur défaite n'est plus douteuse, la flotte égyptienne entasse les prisonniers à côté de ses rameurs. En arrière et non loin du Pha- raon on a représenté son char de guerre et les nombreux officiers attachés à sa personne. Ce vaste tableau renferme plusieurs centaines de figures, et j'en rapporte une copie très-exacte. 6^ TableaiLluQ rivage est couvert de guerriers égyptiens conduisant divers groupes mêlés de Schairotanas et de Fekkaro prisonniers ; les vainqueurs se dirigent vers le roi , arrêté avec une partie de son armée devant une place forte nommée Mogadiro. se fait le dénombrement des mains coupées. Le Pharaon, du haut d'une tribune sur laquelle repose son bras gauche ap- puyé sur un coussin , harangue ses fils et les principaux chefs de son armée, et termine son discours par ces phrases remarquables : « Anion- « Ra était à ma droite comme à ma gauche;

DIX-HUITIÈME LETTRE. 357

« son esprit a inspiré mes résolutions ; Amon-Ra « lui-même préparant la perte de mes ennemis, « a placé le Monde entier dans mes mains. » Les princes et les chefs répondent au Pharaon qu'il est un soleil appelé à soumettre tous les peuples dn Monde, et que l'Egypte se réjouit d'une vic- toire remportée par le bras du fils d'Ammon, assis sur le trône de son père.

•f Tableau. Retour du Pharaon vainqueur à Thèbes après sa double campagne contre les Robou et les Fekkaro : on voit les principaux chefs de ces nations conduits par Rhamsès de- vant le temple de la grande triade thébaine, Amon-Ra, Mouth et Chons. Le texte des dis- cours que sont censés prononcer les divers ac- teurs de cette scène à la fois triomphale et reli- gieuse, subsistent encore en grande partie. En voici la traduction :

«Paroles des chefs du pays de Fekkaro et du « pays de Robou qui sont en la puissance de « S. M., et qui glorifient le Dieu bienfaisant, le « Seigneur du Monde , soleil gardien de justice, « ami d'Ammon : Ta vigilance n'a point de bor- «nes; tu règnes comme un puissant soleil sur « l'Egypte; grande est ta force, ton courage est «semblable à celui de Bore (le griffon); nos «souffles t'appartiennent, ainsi que notre vie « qui est en ton pouvoir à toujours. »

3S8 DlX-HUlTlÈME LETTRE.

«Paroles du roi Seigneur du Monde, etc., à « son père Amon-Ra, le roi des dieux: ïu me (c l'as ordonné ; j'ai poursuivi les Barbares ; j'ai « combattu toutes les parties de la Terre; le

« Monde s'est arrêté devant moi; mes

« bras ont forcé les chefs de la Terre, d'après le « commandement sorti de ta bouche. »

« Paroles d'Amon-Ra, Seigneur du Ciel, modéra- « teurdes dieux : Que ton retour soit joyeux! tu as « poursuivi les neuf arcs (les Barbares); tu asren- « versé tous les chefs, tu as percé lescœurs des étran- « gers et rendu libre le souffle des narines de tous «ceux qui... (lacune). Ma bouche t'approuve.»

Ces tableaux qui retracent les principales circonstances de deux campagnes du conquérant égyptien dans la XI^ année de son règne, arri- vent jusqu'au second pylône du palais : de ce point jusqu'au premier pylône, les sculptures n'abondent pas moins; mais plusieurs tableaux sont enfouis sous des collines de décombres. J'ai pu cependant avoir une copie de deux bas-re- liefs faisant partie d'une troisième campagne du roi contre des peuples asiatiques, avec des lé- gendes en très-mauvais état. L'un représente Rhamsès-Méiamoun combattant à pied , couvert d'un large bouclier, et poussant l'ennemi vers une forteresse assise sur une hauteur. Dans le second tableau, le roi, à la léte de ses cliars ,

DIX-HUITIÈJME LETTRE. ^DQ

écrase ses adversaires en avant d'une place dont nne partie de l'armée égyptienne pousse le siège avec vigueur; des soldats coupent des arbres et s'approchent des fossés , couverts par des mante- lets; d'autres, après les avoir franchis , attaquent à coups de hache la porte de la ville; plusieurs, enfin , ont dressé des échelles contre la muraille et montent à l'assaut, leurs boucliers rejetés sur leurs épaules.

Sur le revers du premier pylône existe en- core un tableau relatif à une campagne contre la grande nation de Skhéta ou Chéto : le roi , debout sur son char, prend une flèche dans son carquois fixé sur l'épaule, et la décoche contre une forteresse remplie de Barbares. Les soldats égyptiens et les officiers attachés à la personne du roi marchent à sa suite , rangés sur 4 files parallèles.

Telles sont les grandes sculptures historiques encore visibles dans l'état d'enfouissement se trouve aujourd'hui le magnifique palais de Médinet-Habou , tout entier du règne de Rham- sès-Méiamoun , les successeurs immédiats n'y ayant ajouté que quelques accessoires presqu'in- signifiants. Le nombre considérable de noms de peuples et de nations asiatiques ou africaines que j'y ai recueillis, ouvre un nouveau champ de recherches à la géographie comparée; ce sont

36o DIX-HUITIÈME LETTHE.

de précieux éléments pour la reconstruction du tableau ethnographique du Monde dans la plus antique période de son histoire. Je crois possible de reconnaître la synonymie de ces noms égyp- tiens de peuples avec ceux que nous ont trans- mis les géographes grecs, et ceux surtout que contiennent les textes hébreux et les mémoires originaux des nations asiatiques. C'est un beau travail qui mérite d'être entrepris : il sera faci- lité et par la connaissance positive des traits du visage et du costume de chacun de ces peuples, et encore mieux sans doute par la comparaison de ces noms avec ceux du même genre que j'ai trouvés eu bien plus grand nombre sur d'autres monuments deThèbes et de la Nubie.

Toute la muraille extérieure du palais, du côté du Sud, qu'il a fallu faire déblayer jusqu'au second pylône, est couverte de grandes lignes verticales d'hiéroglyphes, contenant le calendrier sacré en usage dans le palais de Rhamsès ; la portion que nous avons fait excaver à grands frais , contient les mois de thôth , paophi, hathôr, choïac et tobi. Vers l'extrémité du palais est un article du mois de paschon , le 9^ mois de l'année égyptienne. Ce calendrier indique toutes les fêtes qui se célébraient dans chaque mois, et au bas de chaque indication de fête, on a sculpté, en tableau synoptique, le nombre de chaque

DIX-HUITIÈME LETTRK. 3G I

sorte (l'offrande qu'on devait présenter dans la cérémonie. Pour donner une idée de cette sorte de calendrier, je transcrirai ici la traduction de quelques-uns de ses articles :

w Mois de thôih^ néoménie; manifestation de «rétoile de sothis ; l'image d'Amon-Ra, roi des « dieux , sort processionnellement du sanctuaire, (^ accompagnée par le roi Rhamsès ainsi que par « les images de tous les autres dieux du temple. »

a Mois de paophi, le XIX; jour de la princi- « pale panégyrie d'Ammon , qui se célèbre pom- « peusement dans Oph (le palais de Karnac) : « l'image d'Amon-Ra sort du sanctuaire ainsi que « celle de tous ses dieux synthrônes ; le roi « Rhamsès l'accompagne dans la panégyrie de ce «jour,»

a Mois d'Hathôr, le XXVI; panégyrie de Phtah- «Socharis; le roi accompagne l'image du dieu « gardien du Rhamesséium de Méiamoun (le « palais de Médinet-Habou ) de Thèbes sur la « rive gauche, dans la panégyrie de ce jour. »

Cette panégyrie continuait encore le XXVIF et le XXVIll^ jour du même mois ; c'est celle qu'on a représentée dans les grands bas-reliefs supérieurs des galeries de l'Est et du Sud de la seconde cour du palais; du reste, je savais déjà, par un très-grand nombre d'inscriptions , que les Egyp- tiens appelaient Rhamesséium de Méiamoun ,

362 DIX-HUITIÈME LETTRK.

le monument de Médinet-Habou dont je viens de donner une description rapide; car comment entreprendre de tout dire dans une lettre? Je termine ici celle d'aujourd'hui Adieu.

Tableau de la succession des huit règnes antérieurs à Rhainsès - Méiamoun.

1. Aménophis II (Memnon).

2. Hôrus.

3. Rhamsès V^ .

4. Méneplithar*" (Ousireï).

5. Rliamsès-le-Grand ( Sésostris ).

6. Ménephtha IL

7. Ménephtha III.

8. Rhamerré.

g. Rhamsès-Méiamonii. . « Ainsi des monuments de divers ordres m'ayant déjà dé- v( montré que Rhamsès-le-Grand , le Sésostris d'Hérodote « devait être compris dans Ja XVIII^ dynastie et répondait ■1 exactement au Rhamsès dit jEg)'ptus des extraits de Ma- « néthon, nous devons reconnaître dans Rhamsès-Méiamoun " le chef de la XIX^ dynastie, le Rhamsès-Séthos de ces mê- « mes listes de Manéthon. « ( Extrait de la même lettre de ChampoUion.)

DIX-NEUVIEME LETTRE.

Thèbes (environs de Médinet-Habou), le 2 juillet 182g.

Afin de donner une idée générale complète du quartier S.-O. de la vieille capitale pharaonique, voisin du nome à' Hermonthis , il me reste à pré- senter quelques détails sur deux édifices sacrés, qui, bien moins importants, à la vérité, que le palais du conquérant Méiamoun^ présentent toutefois quelque intérêt sous divers rapports historiques et mythologiques.

L'une de ces constructions s'élève au milieu de broussailles et de grandes herbes , en dehors de l'angle S.-E. et à une très-petite distance de l'énorme enceinte carrée , en briques crues , qui environnait jadis le palais et les temples de Mé- dinet-Habou. C'est un édifice de petites propor-

364 DIX-NEUVIÈME LETTKE.

lions, et qui n'a jamais été complètement ter- miné; il se compose d'une sorte de pronaos et de trois salles successives, dont les deux der- nières seulement sont décorées de tableaux soit sculptés et peints, soit ébauchés, ou même sim- plement tracés à l'encre rouge. Ces tableaux ne laissent aucun doute sur la destination du monu- ment, ni sur l'époque de sa construction. Il appar- tient au règne des Lagides , comme le prouvent une double dédicace d'un travail barbare, sculp- tée intérieurement autour du sanctuaire, et les noms royaux inscrits devant les personnages fi- gurant dans tous les tableaux d'adoration.

La dédicace annonce expressément que le roi Ptolémée Éf^ergete II , et sa sœur ^ la reine Cléopâtre, ont construit cet édifice, et l'ont con- sacré a leur père le dieu Thoth^ ou Hermès ibiocéphale.

C'est ici le seul des temples encore existants en Egypte qui soit spécialement dédié au dieu protecteur des sciences, à l'inventeur de l'écri- ture et de tous les arts utiles , en un mot, à l'or- ganisateur de la société humaine. On retrouve son image dans la plupart des tableaux qui dé- corent les parois de la seconde salle, et surtout celle du sanctuaire. Ou l'y invoquait sous son nom ordinaire de Thoth, que suivent constam- ment soit le titre sotem qui exprime la suprême

DIX-NEUVIÈME LETTRK. 365

direction des choses sacrées, soit la qualification Ho-en-Hib , c'est-à-dire qui a une face d'ibis^ oiseau sacré, dont toutes-les figures du dieu, sculptées dans ce temple, empruntent la tète, ornée de coiffures variées.

On rendait aussi dans ce temple un culte très- particulier à Nohémouo ou JScihamouo , déesse que caractérisent le vautour, emblème de la ma- ternité, formant sa coiffure, et l'image d'un petit propylon s'élevant au-dessus de cette coiffure symbolique. Les légendes tracées à côté des nombreuses représentations de cette compagne du dieu Thoth, qui, d'après son nom même, paraît avoir présidé à la conservation des germes^ l'assimilent à la déesse Sa^chf'moué , compagne habituelle de Thoth ^ régulatrice des périodes d'années et des assemblées sacrées.

Ces deux divinités reçoivent, outre leurs ti- tres ordinaires, celui de Résidant k M.s.^t\iow \ nous apprenons ainsi le nom antique de cette portion de Thèbes s'élève le temple de Thoth.

Le bandeau de la porte qui donne entrée dans la dernière salle du temple, le sanctuaire proprement dit, est orné de quatre tableaux représentant Ptolémée faisant de riches offran- des, d'abord aux grandes divinités protectrices de Thèbes , Amon-Ra , Mouth et Chons , géné- ralement adorées dans cette immense capitale,

366 Drx-j\rrviTMK liîttri:.

et en second lieu aux divinités particulières du temple, Thoth et la déesse ISahamouo. Dans l'intérieur du sanctuaire , on retrouve les images de la grande triade thébaine , et même celles de la triade adorée dans le nome d'iiermonthis , qui commençait à une courte distance du tem- ple- Deux grands tableaux , l'un sur la paroi de droite, l'autre sur la paroi de gauche, repré- sentent , selon l'usage , la bari ou arche sacrée de la divinité à laquelle appartient le sanctuaire. L'arche de droite est celle de Thoth-Peho-en- HiB (^Thoth à face cVibis)^ et l'arche de gauche, celle de Thoth Psotem (Thoth le surintendant des choses sacrées^. L'une et l'autre se distin- guent par leurs proues et leurs poupes décorées de tètes d'épervier, surmontées du disque et du croissant, à tète symbolique du dieu Chons^ le fils aîné d'Aramon et de Mouth, la troisième personne de la triade thébaine, dont le dieu Thoth n'est qu'une forme secondaire.

Ici , comme dans la salle précédente , ou trouve toujours le roi Ptolémée, Evergète 11 , faisant des offrandes ou de riches présents aux divini- tés locales. Mais quatre bas-reliefs de l'intérieur du sanctuaire, sculptés deux à gauche et deux à droite de la porte, ont fixé plus particulière- ment mon attention. Ce ne sont plus des divi- nités proprement dites, auxquelles s'adressent

DIX-NFUVIÈME LETTRE. 36'J

les dons pieux du Lagide : ici, Éi^ergète 1I\ comme le disent textuellement les inscriptions qui servent de titre à ces bas-reliefs, brûle V en- cens en l'honneur des pères de ses pères et des mères de ses mères. Le roi accomplit en effet diverses cérémonies religieuses en présence d'in- dividus des deux sexes, classés deux par deux, et revêtus des insignes de certaines divinités. Les légendes tracées devant chacun de ces per- sonnages achèvent de démontrer que ces hon- neurs sont adressés aux rois et aux reines La- gides , ancêtres d'Evergète II en ligne directe : et en effet, le premier bas-relief de gauche re- présente Ptolémée Philadelphe ^ costumé en Osi- ris, assis sur un trône à coté duquel on voit la reine Arsinoé sa femme , debout , coiffée des insi- gnes de Moudi et iX Hathôr. Evergète II lève ses bras en signe d'adoration devant ces deux époux, dont les légendes signifient : Le divin père de ses pères Ptolémée, dieu Philadelphe; la divine mère de ses mères Arsinoé, déesse Philadelphe. Plus loin Evergète II offre l'encens à un per- sonnage également assis sur un trône, et décoré des insignes du dieu Socarosiris , accompagné d'une reine debout, la tête ornée de la coiffure d'Hathor, la Vénus égyptienne; leurs légendes portent : Le père de ses pères , Ptolémée , dieu créateur. La divine mère de ses mères, Bérénice,

368 DIX-NETIVIKME LETTRE.

déesse créatrice. On peut donc reconnaître ici soit Ptolémée Sotej- /", et sa femme Bérénice^ fille de Magas , soit Ptolémée Évergéte I" et Bérénice , sa femme et sa sœur. L'absence totale du car- touche prénom dans la légende du Ptolémée, objet de cette adoration, autoriserait l'une ou l'autre de ces hypothèses. Mais si l'on observe que ces deux époux reçoivent les hommages (XÉvergète II à la suite des honneurs rendus , en premier lieu , a Ptolémée et à Arsinoé Phila- delphe^ on se persuadera que le second tableau concerne les enfants et les successeurs immédiats de ces Lagides , c'est-à-dire É vergeté I" et Bé- rénice, sa sœur. Le titre de Pther-mounk , dieu créateur^ dieu fondateur on fabricateur ^ con- viendrait beaucoup mieux , il est vrai , à Ptolé- mée Soter /", fondateur de la domination des Lagides; mais j'ai la pleine certitude que ce ti- tre est prodigué sur les monuments égyptiens à une foule de souverains autres que des chefs de dynasties.

Deux bas-reliefs, sculptés à droite delà porte, nous montrent Évergète II rendant de sembla- bles honneurs aux images de ses autres ancêtres €t prédécesseurs , et toujours en suivant la ligne généalogique descendante : ainsi, dans le pre- mier tableau , le roi répand des libations devant Je divin père de son père, Ptolémée , dieu Phi-

niX-NtUVlÈME LETTRE. 3G()

LOPATOR , et la divine mère de sa mère , Arsi- NOÉ, déesse Philopator ; enfin dans le second tableau , il fait l'offrande du vin à son rojalpere Ptolémée, dieu Epfphane, et à sa royale mère Cléopatre , déesse Epiphane. Son père et son aïeul sont figurés dans le costume du dieu Osi- ris ; sa mère et son aïeule dans le costume d'Ha- thor. Quant aux titres Philadelphe, Philopator et Epiphane , ils sont placés à la suite des car- touches noms propres, et exprimés par des hié- roglyphes phonétiques (représentant les mots coptes équivalents). Ces quatre tableaux nous donnent donc la généalogie complète d'Ever- gète II, et l'ordre successif des rois de la dynas- tie des Lagides à partir de Ptolémée Philadelplie. C'est toujours ainsi que les monuments natio- naux de l'Egypte servent pour le moins de con- firmation aux témoignages historiques puisés dans les écrits des Grecs; et cela toutes les fois qu'ils ne viennent point éclaircir ou coordon- ner les notions vagues et incohérentes que ce même peuple nous a transmises sur l'histoire égyptienne, surtout en ce qui concerne les an- ciennes époques. L'usage constamment suivi par les Égyptiens de couvrir toutes les parois de leurs monuments , de nombreuses séries de ta- bleaux représentant des scènes religieuses ou des événements contemporains, dans lesquels

2/,

3'jO DIX-NElJVlkMr, LETTRr..

figure d'habitude le souverain régnant à l'épo- que même l'on sculptait ces bas-reliefs; cet usage, disons-nous, a tourné bien heureusement au profit de l'histoire, puisqu'il a conservé jus- qu'à nos jours un immense trésor de notions positives qu'on chercherait inutilement ailleurs. On peut dire, en toute vérité, que, grâces à ces bas-reliefs et aux nombreuses inscriptions qui les accompagnent, chaque monument de l'E- gypte s'explique par lui-même, et devient, si l'on, peut s'ex^primer ainsi, son propre interprète. Il suffit, en effet, d'étudier quelques instants les sculptures qui ornent le sanctuaire de l'édifice situé à côté de l'enceinte de Médinet-Habou , la seule portion du monument véritablement ter- minée , pour se convaincre aussitôt qu'on se trouve dans un temple consacré au dieu Thoth ^ construit sous le règne d'Evergète II, et de sa sœur et première femme Clêopâtre ^ mais dont les sculptures ont été terminées postérieurement à l'époque du mariage d'Evergète II avec Cléo- pâtre, sa nièce et sa seconde femme, mention- née dans les légendes royales qui décorent le plafond du sanctuaire.

Le style mou et lourd des bas-reliefs, la gros- sièreté d'exécution des hiéroglyphes, et le peu de soin donné à l'application des couleurs sur les sculptures, s'accordent trop bien avec les

DÎX-NF.UVIÈME LETTRE. 3^ I

rlates fournies par les inscriptions dédicatoires, pour qu'on méconnaisse dans le petit temple de Thoth , un produit de la décadence des arts égyp- tiens, devenue si rapide aux dernières époques de la domination grecque.

Mais un édifice d'un temps encore plus rap- proché de nous présente aux regards du voya- geur un exemple frappant du degré de corrup- tion auquel descendit la sculpture égyptienne, sous l'influence du gouvernement romain. Il s'a- git ici des ruines désignées dans la Description gé- nérale de Thèbes par MM. Jollois et Devilliers , sous le nom Ait petit Temple situé à V extrémité sud de r hippodrome^ aux débris duquel j'ai donné toute la journée d'hier.

Partis de grand matin de notre maison de Rourna , Salvador Cherubini et moi, nous cou- rûmes sur Médinet-Habou, et passant dans le voisinage du petit temple de Thoth, nous ga- gnâmes la base des monticules factices formant l'immense enceinte nommée ^Hippodrome par la Commission d'Egypte, et que nous longeâmes extérieurement à travers la plaine rocailleuse qui s'étend jusqu'au pied de la chaîne liby- que. Parvenus, après une marche assez longue et très-fatigante, au midi de ces vastes fortifica- tions, qui jadis renfermèrent, selon toute appa- rence, un établissement militaire, espèce de

9./,.

3'J'À DrX-NETTVrÈME LETTRE.

camp permanent qu'habitaient les troupes for- mant la garnison de Tlièbes et la garde des Pha- raons, nous gravîmes un petit plateau peu élevé au-dessus de la plaine, mais couvert de débris de constructions et de fragments de poteries de différentes époques.

Le premier objet qui attire les regards est un ^vànd propj-lon faisant face à l'ouest, mais dans un état de destruction fort avancé, quoique formé primitivement de matériaux d'un assez bon choix. Quatre bas-reliefs existent encore du côté de l'hippodrome; tous représentent l'em- pereur Fespasien ( AYTOKPTwP KAICPC OYCH- CIANC), costumé à l'égyptienne, et faisant des offrandes à différentes divinités; les tableaux qui décorent la face du propylon tournée du côté du temple, montrent l'empereur Domilien ( AYTOKPTwP KAICPC TOMTIANOC PPMNIKOC ) ac- complissant de semblables cérémonies ; enfin neuf bas-reliefs encore subsistants, seuls restes de la décoration intérieure, reproduisent l'image d'un nouveau souverain, figuré soit dans l'ac- tion de percer d'une lance la tortue , emblème de la paresse , soit offrant aux dieux des liba- tions et des pains sacrés : c'est l'empereur Othon (MAPKOC O0wNC KAICPC AYTOKPTP).

Je lisais pour la première fois le nom de cet empereur , retracé en caractères hiéroglyphiques ,

DIX-NEUVIÈME LETTRE. 3^3

et on le chercherait vainement ailleurs sur tou- tes les constructions égyptiennes existantes entre la Méditerranée et Dakké en Nubie, limite ex- trême des édifices élevés par les Egyptiens sous la domination grecque et romaine. La durée du règne d'Othon fut si courte, que la découverte d'un monument rappelant sa mémoire excite tou- jours autant de surprise que d'intérêt. Il paraît, au reste, que l'Egypte se déclara promptement pour Othon, puisque c'est précisément la pro- vince de l'empire furent frappées les seules médailles de bronze que nous ayons de cet em- pereur.

La présence du nom d'Othon établit invinci- blement que la décoration du propylon, à en juger par ce qui reste des sculptures, fut com- mencée l'an 69 de l'ère chrétienne , et terminée au plus tard vers l'an 96, époque de la mort de Domitien.

En avant, et à quelque distance du propylon, se trouve un escalier au bas duquel était jadis une petite porte, décorée de bas-reliefs d'un travail barbare, comparativement à ceux du pro- pylon; et cependant je reconnus dans leurs dé- bris la légende de l'empereur .^wg^«^e( A YTojK FIT KAICPC). Cela prouve qu'à cette époque l'Egypte avait simultanément de bons et de mauvais ou- vriers.

374 DlX-NEUVliîMt; LETTRE.

Sur le même axe , et à soixante mètres envi- ron du grand propylon , s'élève le temple, ou plutôt une petite cella aujourd'hui isolée , et dont les parois extérieures, à peine dégrossies, n'ont jamais reçu de décoration; mais les salles inté- rieures sont couvertes d'ornements sculptés et de bas-reliefs d'une exécution très-lourde et très- grossière. Presque tous ces tableaux , surtout ceux du sanctuaire , appartiennent à l'époque à^ Hadrien. Ce successeur de Trajan comble de dons et d'offrandes les divinités adorées dans le temple; et à coté de chacune de ses images, on a répété sa légende particulière AYTOKPlwP KAICPC TPAINC ATRIANC, V empereur César Tra- j an-Hadrien. J'ai remarqué enfin que la corni- che extérieure du sanctuaire offre parmi ses or- - nements la légende iVAntonin , ainsi conçue : AYTOKPTwP TITOC AIXIOC ATPIANC ANTONIINC EYCBC, l'empereur Titus JËlius Adrianus Anto- ninus-Pius.

L'époque de la décoration du sanctuaire et des autres salles du temple proprement dit, étant clairement fixée par ces noms impériaux, il reste à déterminer quelles furent les divini- tés particulièrement honorées dans ce temple : ce point éclairci, il deviendra facile eu même temps de décider avec certitude si cet édifice appartenait jadis au nome Diospolite , ou à ce-

DIX-NEUVIÈME LETTRE. 3 'y 5

lui d'IIer'monthis : car de l'étude suivie des mo- numents de l'Egypte et de la Nubie, il résulte que la triade adorée dans la capitale d'un nome re- paraît constamment et occupe un rang distin- gué dans les édifices sacrés de toutes les villes de sa dépendance, chaque nome ayant, pour ainsi dire, un culte particulier, et vénérant les trois portions distinctes de l'Etre divin sous des noms et des formes différentes.

Les indications les plus positives à cet égard doivent résulter de l'examen des sculptures qui décorent les sanctuaires, surtout lorsque cette portion principale du temple existe dans tout son entier, comme cela arrive précisément pour les ruines situées au sud de l'hippodrome.

Quatre grands bas-reliefs superposés deux à deux couvrent la paroi du fond du sanctuaire. Les deuxbas-reliefs supérieurs représentent l'em- pereur Hadrien , costumé en fils aîné d'Ammon , adorant une déesse coifféedu vautour, emblème de la maternité, et surmonté des cornes de va- che, du disque et d'un petit trône. Ce sont les insignes ordinaires (ïlsis, et la légende sculptée à côté des deux images de la déesse porte en effet Isis la grande mère dwine qui réside dans la montagne de V Occident. l-,es bas-reliefs infé- rieurs nous montrent le même empereur pré- sentant des offrandes au dieu Monht ou Manthou,

'd']6 DIX-NEUVIÈME LETTRE.

le dieu éponyme crHermonthis, et au roi des dieux y4mon-Ra ^ le dieu éponyme de Thèbes.

Guidés ici par une théorie fondée sur l'obser- vation de faits entièrement analogues, et qui se reproduisent partout et sans aucune exception contraire, nous devons conclure avec assurance que ce temple fut particulièrement consacré à la déesse Isis, puisque ses images occupent sans partage la place d'honneur au fond du sanctuaire; au-dessous d'elle paraissent les grandes divinités du nome de Tliebes et du nome Herinonthite , dieux synthrônes , adorés aussi dans ce même temple. Mais le dieu Manthou occupant la droite, quoique tenant dans ces mythes sacrés un rang inférieur à celui du roi des dieux Amon-Ra, qui occupe ici la gauche, il devient certain que le Temple d'Isis^ situé au sud de l'hippodrome, dépendait du nome à' Hermonthis et non du nome DiospolUe , puisque le dieu Mandou reçoit im- médiatement après Isis et avant Amon-Ra, dieu éponyme de Thèbes, les adorations de l'empe- reur Hadrien.

Ainsi la divinité locale, celle que les habitants de la xtoixrj ou bourgade du nome Hermonthite, qui exista jadis autour du temple , regardaient comme leur protectrice spéciale, fut la déesse Isis , qui réside dans Pt6ou-en-ement ( ou la Montagne de ! Occident). Mais cette qualifica-

DIX-JVECJViÈME LETTRE. 'i'J'-J

lion donne lieu à quelque incertitude : faut-il prendre les mots Ptôou-en-ement dans leur sens général, et n'y voir que la désignation de la montagne occidentale, derrière laquelle, selon les mythes, le soleil se couchait et terminait son cours, montagne placée sous l'influence dilsis, de la même manière que la montagne orientale Ptôou-en-eiebt appartenait à la déesse JSeph- thjs ; ou bien , prenant les mots dans un sens plus restreint, devons-nous traduire le titre d'I- sis Hilem-pt6oii-en-ement par déesse qui réside dans Ptôouenement ou Ptôouement ^ en consi- dérant ici Plôouement comme le nom propre de la bourgade dans laquelle exista le temple? Cette qualification serait alors analogue aux titres Hi- tem Pselk, résidant à Pselchis; Hitem Manlak, résidant à Philce ; Hitem Souan , résidant à Syène ; Hitem Ebôu, résidant à Eléphanti ne; Hitem Snè, résidant à Latopolis ; Hitem Ebot, résidantà Aby- dos, etc., que reçoivent constamment Thoth, Isis, Chnouphis, Saté, Neith, Osiris, etc., dans les temples que leur élevèrent ces anciennes vil- les placées sous leur protection immédiate. Mais comme les mots Plôou-en-ement ne sont pas tou- jours suivis, comme Pselk, Manlak, Souan, etc. y du signe déterminatif des noms propres de con- trées ou de lieux habités , nous pensons , sans exclure absolument celte première hypothèse.

3 7^ DIX-NKUVIÈJME LETïRK.

qu'ils désignent ici plus directement la monta- gne occidentale céleste^ sur laquelle Isis parta- geait avec sa mère Natphé^ la Rhéa égyptienne , le soin journalier d'accueillir le dieu soleil , épuisé de sa longue course et mourant, ce même dieu que la sœur d'isis, Nephthys , avait reçu enfant, et sortant plein de vie du sein de sa mère Nat- phé, sur la montagne orientale. Sous un point de vue plus matériel encore , la montagne occi- dentale désignera la chaîne libyque, voisine du temple sont creusés d'innombrables tom- beaux, et par suite l'enfer égyptien, YAmenthé ^ c'est-à-dire la contrée occidentale ., séjour redou- table où régnaient Isis et son époux Osiris , le juge souverain des âmes.

Les bas-reliefs sculptés sur les parois latérales et sur la porte du sanctuaire, ainsi que ceux qui décorent la porte extérieure du Naos et les res- tes du grand propylon , représentent aussi l'em- pereur Othon ou ses successeurs, faisant des offrandes à Isis, déesse de la montagne d'Occi- dent, en même temps qu'aux dieux synthrônes Manthou et Ritho, les grandes divinités du nome Hermonthite ; de semblables hommages sont aussi rendus aux dieux de Thèbes, Amon-Ra, Mouth et Chons, suivant l'usage établi d'adorer à la fois dans un temple d'abord les divinités lo- cales, ensuite celles du nome entier, et enfin un

DIX-JNEUVIÈME LETTRE. 'Ô'JC)

(lieu du nome le plus voisin : comme poin- éta- blir entre les cultes particuliers de chacune des préfectures de l'Egypte une liaison successive et continue qui les ramenait ainsi à l'unité. Tous les temples de l'Egypte et de la Nubie offrent les preuves de cette pratique, motivée sur de gra- ves considérations d'ordre public et de saine po- litique.

Tels sont les faits généraux résultant de l'é- tude que je viens de faire des dernières ruines de la plaine de Thèbes du côté du S.-O. ; ces deux monuments, l'un le temple de Thoth^ l'autre le temple d'Isis , marquent en outre l'état rétro- grade de l'art égyptien à l'époque des rois grecs comme à celle des empereurs romains; et les sculptures les plus récentes , exécutées sous les règnes d'Hadrien et d'Antonin-Ie-Pieux , portent en effet le type d'inie barbarie poussée à l'ex- trême.

VINGTIÈME LETTRE.

Thèbe^ (palais de Kourna),le 6 juillet 182g.

Le premier monument de la partie occiden- tale de Thèbes que visitent les Européens en ar- rivant sur le sol de cette antique capitale, le monument de Kourna^ situé non loin du beau sycomore au pied duquel s'arrêtent habituelle- ment les canges des voyageurs , est devenu , par une suite de combinaisons indépendantes de ma volonté , le dernier objet de mes recherches sur la rive gauche du fleuve. Appelé d'abord au Rha- messeum par le souvenir des scènes historiques et des tableaux religieux que nous y avions re- marqués en remontant le Nil , les masses de Mé- dlnet-Habou et ses nombreux bas-reliefs mili- taires nous attirèrent ensuite , et je ne dus quit-

VINGTIÈME LETTRE. 38 I

ter ces deux palais qu'après avoir étudié à fond les petits monuments situés dans leur voisinage. Cependant l'édifice de Kourna, quoique très- inférieur en étendue à ces grandes et importan- tes constructions, mérite un examen particulier, puisqu'il appartient aux temps pharaoniques , et remonte à l'époque la plus glorieuse dont les annales égyptiennes aient constaté le souvenir. Son aspect présente d'ailleurs un caractère tout nouveau ; et si son plan général réveille l'idée d'une habitation particulière, et semble exclure celle de temple , la magnificence de la décora- tion, la profusion des sculptures , la beauté des matériaux et la recherche dans l'exécution , prou- vent que cette habitation fut jadis celle d'un ri- che et puissant souverain.

Et , en effet , ce qui reste de ce palais occupe seulement l'extrémité d'une butte factice sur la- quelle existaient aussi jadis d'autres construc- tions liées sans doute avec l'édifice encore de- bout; tous les débris épars sur le sol portent du moins des noms royaux appartenant aux der- niers Pharaons de la XVIIF dynastie , ou au pre- mier de la XIX^

Sur le même axe que ces arrachements de con- structions rasées, au milieu de bouquets de pal- miers et de masures modernes en briques crues, s'élève un portique ayant plus de cent cinquante

38Qt VINGTir.ME LETTRE.

pieds (le long, trente de hauteur et soutenu par dix colonnes dont le fût se compose d'un fais- ceau de tiges de lotus , et le chapiteau des bou- tons de cette même plante tronqués pour rece- voir le dé. Cet ordre, qui n'est point particuher aux constructions civiles, puisqu'on le retrouvait dans le temple de Chnouphis à Éléphantine et dans un temple d'Éléthya, tous deux très-récem- ment détruits par la barbare ignorance des Turcs, appartient, sans aucun doute, aux vieilles épo- ques de l'architecture égyptienne, et ne le cède, sous le rapport de l'antiquité, qu'aux seules co- lonnes cannelées, semblables au vieux dorique grec, dont elles sont le type évident, et que Ton trouve employées presque exclusivement dans les plus anciens monuments de l'Egypte.

Sur les quatre faces du des chapiteaux du portique existent, sculptées avec beaucoup de recherche, les légendes royales de MéntplithaT\ ou celles de Rhamsës-le-Grand. Les noms et les prénoms de ces deux Pharaons sont également inscrits sur le fût des colonnes, mais accolés en- semble et renfermés dans un tableau carré.

Le rapprochement de ces deux noms royaux trouve son exphcation naturelle dans la double légende dédicatoire qui décore l'architrave du portique sur toute sa longueur. Cette inscription f st ainsi conçue :

VINGTIÈME LETTRE, 383

« L'Aréoris puissant, ami de la vérité, le sei- (c gneiir de la région inférieure , le régulateur de « l'Egypte , celui qui a châtié les contrées étran- « gères, l'épervier d'or soutien des armées, le « plus grand des vainqueurs, le roi Soleil gaixlien « de la vérité, l'approuvé de Phré,le fds du Soleil, (c l'ami d'Ammon , Rhamsès, a exécuté des tra- ce vaux en l'honneur de son père Amon-Ra, le « roi des dieux, et embelli le palais de son père, « le roi Soleil stabiliteur de justice, le fils du ic soleil, Ménephtah-Borkï. Voici cju'il a fait éle-

« ver (grande lacune) les propylons

« du palais et qu'il l'a entouré de murailles

« de briques, construites à toujours : c'est ce « qu'a exécuté le fils du Soleil, l'ami d'Ammon,

« RlIAMSÈS.»

Cette dédicace constate deux faits principaux : le palais de Rourna fut fondé et construit par le pharaon Ménephtha J"'; et son fils Rhamsès-le- Grand^ achevant la décoration de ce bel édifice, l'environna d'une enceinte ornée de propylons et semblable à celle qui renferme chacun des grands monuments royaux de Thèbes.

Tous les bas-reliefs qui décorent l'intérieur du portique et l'extérieur des trois portes par les- quelles on pénètre dans les appartements du pa- lais, représentent, en effet, Ménephtha r, et plus souvent encore Rhanisès-le-Grand rendant hom*

384 VlNGTlf-ME LETTRE.

mage la triade thébaine et aux autres divinités de l'Egypte , ou recevant de la munificence des dieux les pouvoirs royaux, et des dons précieux qui devaient embellir et prolonger la durée de leur vie mortelle. Mais il faut particulièrement remarquer une série de vingt petits tableaux dans lesquels sont figurés alternativement les dieux qui président au fleuve du Nil dans ses divers états, et les déesses protectrices de la terre d'Egypte pendant chaque mois, présentant à Rhamsès-le-G ranci tous les produits de la terre et des eaux dans chaque saison de l'année : au- dessus de ces bas-reliefs s'étend horizontalement l'inscription suivante :

« Voici ce que disent les dieux et les déesses « qui résident dans la région d'en-bas , à leur fils « le dominateur des deux régions, le seigneur « àwmoTïàe, Soleil gardien de justice, l'approuvé « de Phré (Rhamsès). Nous sommes venus vers « toi, nous te donnons toutes les productions « destinées aux offrandes; nous mettons à ta ce disposition tous les biens purs, afin que tu « puisses célébrer la panégyrie de la maison de « ton père, puisque tu es un fils qui aimes ton « père comme le dieu Hôrus qui a vengé le V sien. »

Ces bas-reliefs et leur légende se rapportent évidemment à l'assemblée sacrée ou panégyrie

VINGTIÈME LETTRE. 385

solennelle clans laquelle Rharasès-le-Grand fit l'inauguration du palais de iMénephtha I", son père, aussitôt que, par ses soins pieux, la déco- ration intérieure et extérieure fût entièrement terminée. Les seules sculptures de Yéd'iCice posté- rieures à PiJiamsès-le-Grand ^ consistent en quel- ques inscriptions royales onomastiques , placées sur l'épaisseur des portes ou sur le soubassement et qui ne se lient point à l'ensemble de la déco- ration primitive; toutes appartiennent au règne de Méneplitba II, fils et successeur immédiat de Rliamsès-le-Grand , à l'exception d'une seule sculptée au-dessous du bas-relief des offrandes, et. rappelant le nom, le prénom et les titres de Pihamsès IF ou Méiamoun^ cinquième succes- seur de Rhamsès-le-Grand ^ avec une date de l'an VI.

La porte médiale du portique donne entrée dans une salle d'environ quarante-huit pieds de long sur trente-trois de large. C'est la plus consi- dérable d a palais. Six colonnes semblables à celles du portique soutiennent le plafond , subsistant encore en très -grande partie; deux longues in- scriptions, toutes deux au nom de Ménephtha /"", servent d'encadrement aux vautours ailés qui dé- corent ce plafond. L'inscription de droite con- tient la dédicace générale du palais, faite par son

o.'ô

38G VINGTIÈME LETTRE.

fondateur à la plus grande des divinités de l'E- gypte :

u Le seigneur du monde, soleil stabi-

« lUeuT' de justice ^ a fait ces constructions en « l'honneur de son père, Amon-Ra^ le seigneur « des trônes du monde et qui réside dans la « divine demeure du fils du soleil Mènephlha- « Boreï à Tlièbes, sur la rive gauche; il (le roi) a a fait construire \ habitation des J nuées (c'est- « à-dire le palais) en pierre de grès blanche et « bonne, et un sanctuaire pour le seigneur des « dieux. »

Cette inscription nous fait connaître , en pre- mier lieu, le nom que les anciens habitants de Tlièbes donnaient à l'édifice de Rourna. Ils l'ap- pelaient demeure de Ménephtha ou Meneph- theum^ du nom même du prince qui en jeta les fondements et en éleva toutes les masses; elle explique en même temj)s le double caractère de temple et de palais que présente cet édifice , qui , par la disposition même de son plan , paraît des- tiné à l'habitation d'un homme, et rappelle ce- pendant, par toutes ses décorations, la demeure sainte d'une divinité.

La seconde inscription du plafond, celle de gauche, nous apprend que cette grande salle du palais dont elle constate la construction par le roi Ménephtha V\ fut le manôskh^ c'est-à-dire la

VINGTIÈME LETTRE. 387

salle d'honneur, le lieu se tenaient les assem- blées religieuses ou politiques et siégeaient les tribunaux de justice. Cette salle du Meneph- theum répond ici à ces vastes salles des grands palais de Tlièbes, soutenues par de nombreuses rangées de colonnes, qu'on a désignées jusqu'ici sous la dénomination de salles hypostyles; toutes portent le nom de manôskh dans les inscriptions égyptiennes sculptées sur leur plafond ou sur les architraves de leurs colonnades. Mais ce n'est point ici l'occasion de développer les considéra- tions qui motivaient le nom de manoskh (c'est-à- dire le lieu de la moisson, et par suite, le lieu l'on mesure les grains)^ donné par les Égyptiens aux salles les plus vastes de leurs édifices publics. De nombreux tableaux sculptés décorent les longues parois de droite et de gauche de cette salle hypostyle. Dans tous se montre le fonda- teur, le roi Ménephtha /" offrant des parfums, des fleurs, ou bien l'image de son prénom mys- tique, à la triade thébaine, et particulièrement au chef de cette triade, Amon-Ra ^ sous sa forme primordiale et sous celle de générateur : c'était le dieu protecteur du palais qui renfermait un sanctuaire consacré à cette grande divfnité. Mais les petites parois à droite et à gauche de la porte principale sont couvertes de bas-reliefs repré- sentant les membresde la triade thébaine adorés

25.

388 VINGTIÈME LETTRE.

par un Pharaon autre que Ménephtha r\ portant le nom de Bhamsès^ et qu'il ne faut point con- fondre avec Rhamsès lll , dit le Grand.

Une série de faits incontestables, recueillis dans les monuments originaux, m'ont démontré que ce nouveau PJiamsès^ la Rhamsès //du canon royal, succéda immédiatement à Ménephtha /% son père, et fut remplacé, après un règne fort court, par son frère Rhamsès III ou Rhamsès-le- Grand, qui est le Sésostris de l'histoire.

Le bas-relief inférieur, à gauche de la porte, dans la salle hypostyle, rappelle le sacre de Rhamsès II , après la mort de Ménephtha I^'". Le jeune roi, présenté par la déesse Mouth et le dieu Chons, fléchit le genou devant le souve- rain de l'univers, Amon-Ra. Le dieu suprême lui accorde les attributions royales et les périodes des grandes panégyries, c'est-à-dire un très-long règne, en présence de Ménephtha /"", père du nouveau roi, représenté debout derrière le trône d'Ammon, et tenant à la fois les emblèmes de la royauté terrestre qu'il vient de quitter, et l'em- blème de la vie divine dont il jouit déjà dans la compagnie des dieux.

Plus loin on a figuré l'enfance de Rhamsès II, en représentant le jeune roi debout embrassé par Mouth, la grande mère divine, qui lui offre le sein. La légende porte textuellement :

VINGTIÈME LETTRE. 38()

« Voici ce que dit Moiitli , dame du ciel : Mou « fils qui m'aime, seigneur des diadèmes, Rham- « ses chéri d'Ammon, moi qui suis ta mère, je « me complais dans tes bonnes œuvres ; nourris- « toi de mon lait ».

Ce tableau fait pendant à une composition ana- logue, sculptée sur la paroi opposée : la déesse Hath6i\ la Vénus égyptienne, nourrissant le roi Ménephlha 1'% et lui adressant les mêmes paroles.

La frise entière de la salle hypostyle se com- pose des noms et prénoms répétés de ce pha- raon, environnés des insignes du pouvoir sou- verain. On les retrouve aussi sur les dés et dans les ornements de la base des colonnes , mais entremêlés aux cartouches de Rhamsès ÎI. Les architraves portent plusieurs inscriptions dédi- catoires de la salle hypostyle : les unes au nom du fondateur, Ménephtha 1", d'autres au nom de Rhamsès II, qui en acheva la décoration.

Les bas -reliefs sculptés sous le règne de ces deux princes sont remarquables par la simpli- cité du style, la finesse de leur exécution et l'élégante proportion des ligures; ce qui les fait distinguer au premier coup d'oeil des sculptures appartenant à l'époque de Rhamsès-le-Grand : celles-ci, traitées avec bien moins de soins, por- tent déjà des marques évidentes de la décadence de l'art.

390 VINGTIÈME LETTRE.

On sera frappé de cette différence très-sen- sible, en comparant les bas-reliefs de la salle hypostyle avec ceux qui couvrent les parois de la première salle de droite, et, en général, toute la partie du palais à droite de la salle hypostyle, décorée sous Rhamsès- le -Grand, Cette étude n'est pas sans intérêt, et importe beaucoup à l'histoire de l'art en général , surtout quand il s'agit d'époques bien antérieures aux premiers essais des maîtres immortels qu'a produits] le génie inépuisable des Grecs; et ici, j'ai sous les yeux et sous la main des documents de cette importante histoire : je les explore de mon mieux, et j'y pense sans cesse, ne fût-ce que comme sujet de distraction des magnificences de notre château de Rourna , petite bicoque de boue, à un étage, mais dominant majestueuse- ment ces tanières et ces terriers se nichent nos concitoyens les Arabes; nous. y jouissons journellement d'une température de 32 à 38 degrés; mais on s'habitue à tout, et nous trou- vons qu'on respire très-agréablement à 28 de- grés : d'ailleurs, je ne suis au château que la nuit.

Nos explorations à Thèbes avancent vers leur terme; le i*^^ août prochain nous passerons sur la rive orientale, nous attendent les immenses constructions de Karnac et de Louqsor; ces der- nières sont déjà dans nos portefeuilles. Un mois

VINGTIÈME LETTRE. 891

nous suffira pour relever le peu de bas-reliefs historiques encore existants dans le grand pa- lais des rois, et pour noter ce qu'il y a de plus saillant dans les scènes religieuses , si nombreuses dans cette curieuse construction. Je compte donc me mettre sérieusement en route pour Paris au commencement de septembre, époque à laquelle nous dirons adieu à Thèbes notre vieille mère. Nous reverrons Dendéra en descendant, et après une station au Raire, nous nous retrouverons bientôt à Alexandrie.

Si l'on doit voir un obélisque égyptien à Paris, comme vous me l'écrivez, que ce soit un de ceux de Louqsor; Thèbes se consolera de cet enlèvement en gardant l'obélisque de Karnac, le plus beau de tous et le plus digne d'admiration; mais je ne donnerai jamais mon adhésion (dont on saura fort bien se passer, sans doute) au projet de scier en trois parties un de ces ma- gnifiques monolithes : ce serait un sacrilège : tout ou rien. Je ne doute pas qu'on ne puisse mettre sur le Nil et charger sur un radeau proportionné l'un des deux obélisques de Louqsor, et je dési- gne celui de droite pour de très-bonnes raisons, quoique le pyramidion en soit altéré et que le monolithe soit moins élevé de quelques pieds que celui de gauche. Les grandes eaux de l'inon- dation emmèneraient facilement l'embarcation

392 VINGTIÈME LETTRE.

jusqu'à Alexandrie, et la mer ferait le reste : voilà ce qui est possible, et le seul plan que je puisse proposer d'après la connaissance com- plète des localités et des monuments. Paris a besoin d'un ou deux échantillons des grands tra- vaux de l'architecture égyptienne , qui étaient si instructifs pour ceux qui les visitaient dans le temps de leur splendeur; car il est vrai que toute l'histoire nationale y était inscrite, et nos monuments modernes ne sont pas destinés à rendre de tels services à notre postérité. Ce que j'y ai appris est prodigieux; Médinet-Habou a fourni une récolte bien inattendue de noms d'an- ciens peuples d'Afrique et d'Asie : il n'y a vrai- ment qu'à y regarder pour s'enrichir et pour remplir une grande partie des lacunes qui exis- tent encore dans les premières pages de l'histoire générale des hommes. J'espère que je n'aurai pas travaillé sans utilité pour ce grand sujet de mes études dans cette autre terre sainte.

A propos de terre sainte, nous venons d'ap- prendre que M^"" l'archevêque de Jérusalem a jugé à propos de nous décorer très-bénévolement de la croix de chevalier du Saint -Sépulcre; que nos diplômes sont arrivés à Alexandrie , nous pourrons les retirer moyennant les droits d'usage fixés pour nous à cent louis pour cha- cun. Il parait qu'on ignore sur les bords du

VINGTIÈME LETTRE. SqS

Céclron que les érudits des bords de la Seine ne sont pas des Crésus, et que la roue de la fortune ne tourne guère pour eux s'ils ne sont d'ailleurs un tant soit peu industriels: quelle que soit donc notre ardeur d'arborer la croix de chevalier pour combattre les infidèles, je dois renoncer à cet honneur et me contenter d'avoir été jugé digne de l'obtenir : ce n'est pas à la pauvre éru- dition à supporter les charges du siècle, et ce n'est que de sa plume qu'elle peut concourir au triomphe de la sainte Sion.

J'ai enfin les lettres de Paris des 3o janvier, 11 mars et lo avril; j'attends toujours celles auxquelles j'apporterai moi-même les réponses... Adieu.

VINGT-UNIÈME LETTRE.

Sur le Nil, près d'Antinoë, le ii septembre 1829.

Le lien et la date de cette lettre diront clai- rement que mon voyage de recherches est terminé, et que je retourne au plus vite vers Alexandrie pour regagner l'Europe et y trouver à la fois contentement de cœur et repos de corps, dont au reste, quant au dernier point, je n'é- prouve pas un grand besoin ; depuis Dendéra , que j'ai quitté le 7 au matin, j'ai en effet vécu en chanoine; couché toute la journée dans la jolie cange de notre ami Mohammed-Bey d'Akh- mim , qui a bien voulu nous la louer, j'ai mené une vie tout-à-fait contemplative, et mon occu- pation la plus sérieuse a été de regarder , comme on le fait parfois à Paris , de quel côté venait

VINGT-UNIÈME LETTRE. SgS

le vent, et si nos rameurs faisaient leur devoir en conscience. Le vent du nord nous a long-temps contrariés , malgré le courant du fleuve , enflé outre mesure et au-dessus du maximum de sa crue. L'inondation de cette année est maojnifî- que pour ceux qui , comme nous , voyagent en amateurs, et n'ont dans ces campagnes d'autre intérêt que celui du coup d'œil. Il n'en est pas de même des pauvres et malheureux fellahs ou cultivateurs; l'inondation est trop forte; elle a déjà ruiné plusieurs récoltes, et le paysan sera obligé, pour ne pas mourir de faim, de manger le blé que le pacha lui avait laissé pour l'ense- mencement prochain. Nous avons vu des villages entiers délayés par le fleuve, auquel ne sauraient résister de mesquines cahutles bâties de limon séché au soleil ; les eaux , en beaucoup d'en- droits, s'étendent d'une montagne à l'autre, et les terres plus élevées ne sont point sub- mergées , nous voyons les misérables fellahs, femmes, hommes et enfants, portant en toute hâte de pleines couffes de terre, dans le dessein d'opposer à un fleuve immense des digues de trois à quatre pouces de hauteur, et de sauver ainsi leurs maisons et le peu des provisions qui leur restent. C'est un tableali désolant et qui navre le cœur ; ce n'est pas ici le pays des sou- scriptions , et le gouvernement ne demandera

396 VINGT -UNI ii-ME LETTRE.

pas un sou de moins malgré tant de désastres.

C'est avec bien du regret, comme on se l'ima- gine sans doute , que j'ai dit adieu aux magnifi- cences de Thèbes , que j'habitais depuis six mois. Notre dernier logement a été , à Rarnac , le temple de Oph (Rhéa), à coté du grand temple du sud, au milieu des avenues de spliinx, et à la porte du grand palais des rois.

A notre retour à Thèbes, au mois de mars passé , nous avions exploité le palais de Louqsor, et fait dessiner tous les bas-reliefs de quelque in- térêt, en commençant par les immenses tableaux des deux massifs du pylône : c'est donc les seuls édifices de Rarnac que nous avions encore à étudier. Ce travail a été exécuté avec ardeur, et mes portefeuilles renferment, sans exception , la série de tous les bas-reliefs historiques, un peu conservés, du palais de Rarnac, aussi beaux de style et d'exécution que ceux d'Ibsamboul , s'ils ne leur sont même réellement supérieurs. Tous concernent les campagnes de Méneph- tha /'" (Ousireï) en Asie ; j'ai fait prendre , de plus, une cinquantaine de dessins de bas-reliefs qui méritent aussi le titre d'historiques , puisqu'ils représentent des pharaons qui complètent ou enrichissent plusieurs de mes recueils relatifs aux XVIir, XIX% XX% XXr et XXir dynasties. Rarnac est un amas de palais et de temples;

VINGT-UNIÈME LETTRE. 3()7

étonnante réunion d'édifices de toutes tes épo- ques de la monarchie égyptienne, constructions merveilleuses, devant lesquelles tout esprit de sys- tème sur les arts devra se modifier par l'influence de si grandes conceptions complètement réalisées.

Parti de Thèbes le L\ septembre au soir, j'étais le 5 sous le portique de Dendéra , dont l'archi- tecture est aussi admirable que les bas-reliefs de décor sont mauvais et repoussants , par l'em- preinte de décadence qu'ils offrent dans toutes leurs parties; les inscriptions hiéroglyphiques elles-mêmes sont de mauvais goût. Le scribe qui les a tracées a voulu faire le bel-esprit. iProdi- guant les symboles et les formes figuratives , il a visé au lazzi, et même au calembourg. Toutefois la masse de l'édifice est belle, imposante, frappe même les voyageurs qui, comme nous, sont de vieux Thébains , et ont l'œil encore rempli des belles conceptions architecturales de l'époque des pharaons.

Le reste du voy^ige jusqu'à aujourd'hui (n* septembre) n'a rien offert de particulier; j'espère dans la nuit de demain arriver au Caire ; là, rien ne peut m'arrèter plus de quatre ou cinq jours; nous partirons de suite pour Alexandrie, et s'il s'y trouve un bon vaisseau prêt à nous recevoir, je m'embarque de suite pour gagner Toulon.

C'est aussi sur le Nil , entre Dendéra et Haou

398 VIiVGT-UIVlF.ME LETTRE.

(Diospolis parva), que nous ont rejoints par ha- sard deux malheureux courriers, expédiés de Thèbes au Caire depuis la fin de juin; pendant tout ce temps-là, nous sommes restés sans nou- velles d'Europe, et c'est en attendant chaque jour leur arrivée que le temps s'est écoulé sans que nous puissions écrire en France. Du reste, comme nous, vous devez être accoutumés aux lacunes. Ces courriers m'ont apporté les lettres du 12 mai et du 12 juillet; heureusement je suis en chemin d'en avoir de plus fraîches. Nous ve- nons d'apprendre l'arrivée du nouveau consul général de France, M. Mimaut : on nous en dit toute sorte de bien. Ce sera pour nous une nouvelle ressource... Adieu.

YINGT-DEUXIEME LETTRE.

Le Caire, le i5 septembre 1829.

Nous voici de retour dans la capitale de l'E- gypte, où je ne trouve ni lettres ni nouvelles d'Europe. Je me hâterai de descendre à Alexan- drie : je suis retenu au Caire par une visite que je dois faire à Ibrahim pacha, dont je suis dési- reux de faire la connaissance. Je puis, dans une conversation , laisser dans sa tète le germe de quelques bonnes choses (i), et il est capable de les exécuter.

(1) Cette vue, toute d'utilité publique , n'était pas illu- soire. Dans une longue conférence , ChampoUion fit com- prendre àlbiahim combien il se ferait honneur en protégeant efficacement un voyage pour la découverte des sources du Nil. Ibrahim s'attacha vivement à ce projcî; dont il voulait

400 VINGT-DKUXIÈME LETTRE.

Je n'ai pas oublié le Musée égyptien du Louvre dans mes explorations; j'ai recueilli des monu- ments de tout volume, et les plus petits ne se- ront pas les moins intéressants; en objets de gros volumes, j'ai choisi sur des milliers, trois ou quatre momies remarquables par des déco- rations particulières, ou portant des inscriptions grecques; ensuite, le plus beau bas-relief colo- rié du tombeau royal de Ménephtha I" (Ousireï), à Biban-el-]Mokouk; c'est une pièce capitale qui vaut à elle seule une collection : il m'a donné bien du souci et me fera certainement un procès avec les Anglais d'Alexandrie, qui prétendent être les propriétaires légitimes du tombeau d'Ousireï, découvert parBelzoni aux frais de M. Sait. Malgré cette belle prétention, de deux choses l'une : ou mon bas-relief arrivera à Toulon , ou bien il ira au fond de la mer ou du Nil, plutôt que de tomber en des mains étrangères. Mon parti est pris là-dessus.

J'ai acquis au Caire, de Mahmoud -Bey le Rihaïa, le plus beau des sarcophages présents, passés et futurs ; il est en basalte vert et couvert intérieurement et extérieurement de bas-reliefs

s'assurer lout l'honneur : il paraissait très-désireux d'obte- nir, par le succès d'une telle entreprise, les suffrages de l'Europe savante. D'autres vues l'ont aujourd'hui détourné des sources du Nil. C F.

VINGT-DEUXIÈME LETTRE. /|OI

OU plutôt de camées travaillés avec une perfec- tion et une finesse inimaginables (i). C'est tout ce qu'on peut se figurer de plus parfait dans ce genre; c'est un bijou digne d'orner un boudoir ou un salon, tant la sculpture en est fine et précieuse. Le couvert porte , en demi-relief , luie figure de femme d'une sculpture admira- ble. Cette seule pièce m'acquitterait envers la Maison du roi, non sous le rapport de la re- connaissance, mais sous le rapport pécuniaire ; car ce sarcopbage, comparé à ceux qu'on a payés 20 et 3o raille francs, en vaut certainement cent mille.

Le bas-relief et le sarcophage sont les deux plus beaux objets égyptiens qu'on ait envoyés en Europe jusqu'à ce jour. Cela devait de droit venir à Paris et me suivre comme trophée de mon expédition : j'espère qu'ils resteront au Louvre en mémoire de moi à toujours,

(1) Ce sarcophage, ouvrage admirable en effet, ainsi que le bas-relief colorié détaché du tombeau de Ménephtha I*"^, «ont heureusement arrivés au Musée égyptien du Louvre.

C. F-

VINGT-TROISIEME LETTRE.

Alexandrie, le 3o septembre 1829.

Depuis dix jours nous sommes à Alexandrie; nous avons reçu de M. Mimaut , le nouveau consul général de France, l'accueil le plus gra- cieux, et je ne saurais assez me louer des soins et des attentions dont il m'honore depuis que je suis chez lui : j'en suis pénétré de la plus vive reconnaissance. Ma santé et celle de mes com- pagnons est des meilleures; il ne manque à notre bonheur que de voir naître et s'élever de l'ho- rizon la voile du vaisseau que M. le ministre de la marine a bien voulu envoyer pour nous ra- mener en France; mais depuis six semaines la mer est déserte, pas même un vaisseau marchand ! et notre patience s'use par secondes.

Je n'ai quitté le Caire qu'après avoir fait une

VINGT-TROISIÈME LETTRE. 4o3

longue visite à Ibrahim-Pacha, qui nous a reçus au mieux. Je l'ai beaucoujD entretenu d'un voyage aux sources du ISil , et j'ai affermi en lui l'idée qu'il avait déjà , d'attacher son nom à celte belle conquête géographique, soit en favorisant lar- gement les voyageurs qui la tenteraient, soit en préparant lui-même une petite expédition de voyageurs qu'il ferait soutenir par quelques hommes d'armes. C'est une semence jetée en bonne terre pour l'avenir , et le pacha comprend tout l'intérêt de cette entreprise et de son succès.

J'ai aussi présenté mes respects au vice-roi Mohammed-Aly , et lui ai dit toute notre grati- tude pour la protection officieuse qu'il notis a accordée; le vice-roi est toujours bon et aima- ble pour les Français : c'est dire c^u'il l'a été in- finiment pour nous.

Je profite de l'attente à laquelle je suis con- damné pour mettre en ordre mes papiers et dessins. Je dis que c'est immense, et j'espère que vous en jugerez de même.

Mes jeunes gens passent leurs loisirs forcés à peindre des décorations pour un théâtre que des amateurs français vont ouvrir incessamment; un théâtre français à Alexandrie d'Egypte dit bien haut que la civilisation marche : nous serons donc forcés de nous divertir en attendant l'em- barquement.

26.

4o4 VINGT-TROISIÈME LETTRE.

i5 octobre 1829.

Nous sommes aujourd'hui tout aussi avancés qu'au i5 septembre , c'est-à-dire toujours cloués à Alexandrie ; ce qui augmente mes regrets d'a- voir quitté sitôt Thèbes et la Haute-Egypte , et cela pour venir le plus tôt possible perdre notre temps sur les tristes rives de la Méditerranée. Nous savons seulement que la corvette V Astro- labe a fait annoncer qu'elle avait commission de nous ramener en France : elle est commandée par M. de Verninac, un de mes compatriotes quercynois. Cela n'empêchera pas que nous soyons encore à Alexandrie au i5 novembre prochain, V Astrolabe devant préalablement con- duire en Syrie M. Malivoir , consul de France à Alep. Les Toscans ont perdu patience, et se sont embarqués sur un navire marchand. Le voisi- nage de l'Astrolabe m'a détourné de la même résolution, et d'ailleurs je ne voudrais pas me séparer de monbagage archéologique... Me voilà toujours avec la terre de France en perspective... Je la toucherai enfin, mais jamais assez tôt pour mon cœur... Adieu.

VINGT-QUATRIÈME LETTRE.

Alexandrie, le lo novembre 182g.

Le mauvais temps ayant contrarié les projets de VAstJolabe^di. aussi ajourné les miens; je ne pense pas m'embarquer avant le 20 de ce mois; mais je trouverai dans le commandant Verninac un fort aimable homme, très-instruit et de la plus agréable société : c'est quelque chose par- tout, bien plus encore sur mer.

Le beau sarcophage a été mis à bord hier, et fort heureusement; nous continuons l'embar- quement de nos effets; mais je ne suis pas sans quelque crainte en pensant d'avance aux douanes de Toulon : il faut qu'un ordre ministériel nous y précède pour la libre admission : i" des caisses contenant les monuments que je destine au Musée; 2*^ pour les divers objets qui font au-

4o6 v(ngt-quatiu^:me lettre.

jourd'hui partie de notre garde-robe orientale , ou de simple curiosité, tels que manteaux de laine, dits bernous y chaussures pour homme et pour femme, voiles de mousseline brodés eu or, armes, ustensiles domestiques , harnais et autres produits des manufactures d'Egypte ou de Nu- bie, que nous avons recueillis à nos dépens. Je ne pense pas qu'on nous refuse cette faveur , du reste bien gratuite pour nous.

Les décorations du théâtre français d'Alexan- drie sont terminées, et déjà éprouvées; l'ouver- ture du théâtre a eu lieu le jour de la fête du roi, à la grande satisfaction des nombreux spec- tateurs que cette fête nouvelle avait réunis.

28 novembre 1829.

Enfin il m'est permis de dire adieu à ma terre sainte, à ce pays de merveilles historiques; je quitterai l'Egypte comblé des faveurs de ses an- ciens et de ses modernes habitants, vers le 1 ou le 3 décembre. Mon fidèle aide-de-camp, Salvador Chérubiui, ne me quittera pas; MM. Lhôte, Lehoux et Bertin resteront ici après nous, pour avancer un grand travail qu'ils ont commencé, le Panorama du Caire ^ pour lequel ils ont fait sur les lieux toutes les études nécessaires; ils veulent le terminer ici, et ils ont cent fois

VINGT-QUATRIÈME LETTRE. !\0'J

raison, car ce sera une magnifique chose. Pour moi, je pars bien résolu contre les bourrasques et coii)3S de vent qui ne nous manqueront cer- tainement pas clans ce temps-ci; mais la France est à ce prix : je l'accepte.

Cette lettre voguera par les soins obligeants d'un fort aimable et excellent homme, M. Ouder, aide-de-camp de M. le général Guilleminot, qui monte le brick l'Eclipsé , et dont l'arrivée précé- dera la mienne d'une dixaine de jours, son brick marchant bien mieux que notre Astrolabe , cor- vette à l'épreuve de la bombe et des fureurs de l'Océan, qu'elle a bravées plusieurs fois dans ses voyages autour du monde. Je ne serai donc à Toulon que du 10 au 2 5 décembre, et sur pays chrétien que vers le milieu de janvier, à cause de la quarantaine de trois à quatre semaines que je ferai à Toulon, si je ne la fais pas à Malte dans l'intention de gagner quelques jours. Dans tous ces calculs, je crois fermement que la fin de mon drame sera aussi heureuse que les quatre premiers actes : l'idée France en constitue l'unité requise par la vénérable antiquité... Adieu.

VINGT-CINQUIEME LETTRE.

Toulon, le i5 décembre 182g.

« Soj^ez sans inquiétude , tout ira bien : » c'est en ces termes que je dis adieu à mes amis au moment de mon départ de Paris; j'ai tenu parole, et me voici en rade de Toulon, subissant avec résignation le triste devoir de la quarantaine. Ma campage est donc finie, et tous mes vœux et les vôtres sont remplis. C'est le ^3 décembre, dans la rade d'Hières, que l'ancre de V Astrolabe mordit enfin sur terre de France, c'est le jour anniversaire de ma naissance; au i'^'^ janvier vous aurez ma lettre pour vos étrennes; il ne manque donc à ma satisfaction que d'avoir en main vos lettres qui m'attendent sans doute ici ; j'espère pour tout cela dans les bontés habituelles de M. le préfet maritime.

VIJVGT-CINQUIÈME LETTRE. ^Og

Je ferai ma quarantaine à bord de l'Astrolabe^ toutefois en prenant une chambre au lazaret, dans le but de me chauffer et de faire un peu d'exercice. J'y reverrai mon Journal de vojage, et j'y ajouterai ce qui y manque sur mon der- nier séjour au Caire et à Alexandrie. La recon- naissance me fait un devoir de consigner dans ce journal tous les témoignages d'intérêt que j'ai reçus d'Ibrahim-Pacha, et les marques non interrompues de la plus active protection de S. A. Mohammed-Aly , qui, le jour de la fête du roi, a ajouté à toutes ses bonté le présent d'un magnifique sabre.

C'est une tète qui travaille avec activité sur le passé et sur l' avenir : S. A. m'a demandé un abrégé de l'histoire de l'Egypte, et j'ai rédigé un petit mémoire , selon ses vues , qui paraît l'avoir vivement intéressé; je lui ai remis aussi une note détaillée qui a pour objet la conservation des monuments principaux de l'Egypte et de la Nubie. J'espère que ces deux Mémoires porte- ront leur fruit (i).

Je ne saurais dire assez haut tout ce dont je suis redevable aux soins et àl'affection de M. Mi- mant, notre consul général; c'est un homme j)arfait, qui m'est allé au cœur, et n'en sortira

(i) Ils sont imprimés ici à la suite des Lettres. C. F.

4 10 VINGT-CINQUIÈME LETTRE.

jamais. J'ai recommandé de nouveau à ses bon- tés MM. Lhôte, Leboux et Berlin, qui restent après moi à Alexandrie, pour terminer leur pa- norama du Caire et faire les portraits du vice-roi et d'Ibrabim , son fils, qui l'ont désiré.

Le magnifique sarcopbage, le grand bas-relief du tombeau de Méneplitba, toutes mes caisses contenant les stèles , momies et autres objets destinés au Musée, sont chargés surfAstivlabe : j'espère que la douane épargnera ces propriétés nationales, et que je ne serai pas obligé de dé- baller vingt ou trente caisses qui nous ont déjà coûté tant de peine. Ce qu'il faudrait obtenir encore, c'est d'éviter le transbordement de ces monuments, et que M. de Verninac soit chargé de conduire le chargement de l'Astrolabe dans le port du Havre , aussitôt que la saison le per- mettra, vers les premiers jours de mars, je pense, pour être en avril au Havre, d'où un chalan em- porterait le tout par la Seine devant le Louvre. Par ce moyen fort simple , et pour lequel il suffira d'un ordre de M. le ministre de la marine, on ne compromettrait pas, par deux ou trois transbordements , la conservation de ces richesses monumentales, qui serviront à com- pléter les salles basses du Musée.

Après ma sortie de quarantaine je resterai trois jours à Toulon , j'en passerai quatre à Marseille,

VINGT-CINQUIÈME LETTRE. 4l'

d'où je me rendrai à Aix, pour étudier les papyrus de M. Sallier. Ce sera une petite séance égyptienne , et j'espère en reprendre l'habitude journalière à Paris ; c'est un sort, et je m'y ré- signe sans peine... Adieu.

VINGT-SIXIEME LETÏBE.

Au lazaret de Toulon, le 26 décembre 1829.

A M. le baron de la. Bouillerie, Intendant- général de la Maison du Roi.

Monsieur le Baron ,

Mon premier devoir , en touchant la terre de France , est de renouveler l'expression de toute ma gratitude à la main protectrice qui, secon- dant les hautes vues du roi pour l'avancement des études historiques, m'a généreusement fourni les moyens d'accomplir la série des recherches que la science montrait encore à faire dans

VINGT-SIXIÈME LETTRE. ^l3

l'Egypte entière et sur le sol de la Nubie. Je me suis efforcé par mon complet dévouement à l'im- portante entreprise que vous m'avez mis à même d'exécuter, de ne point rester au dessous d'une si noble tâche et de justifier de mon mieux les espérances que les savants de l'Europe ont bien voulu attacher à mon voyage.

L'Egypte a été parcourue pas à pas, et j'ai sé- journé partout le temps avait laissé subsister quelques restes de la splendeur antique : chaque monument est devenu l'objet d'une étude spé- ciale ; j'ai fait dessiner tous les bas-reliefs et co- pier toutes les inscriptions qui pouvaient fournir des lumières sur l'état primitif d'une nation dont le vieux nom se mêle aux plus anciennes tradi- tions écrites.

Les matériaux que j'ai recueillis ont surpassé mon attente. Mes portefeuilles sont de la plus grande richesse, et je me crois permis de dire que l'histoire de l'Egypte , celle de son culte et des arts qu'elle a cultivés, ne sera bien connue et justement appréciée qu'après la publication des dessins qui sont le fruit de mon voyage.

Je me suis fait un devoir de consacrer toutes les économies qu'il m'a été possible de réaliser, à des fouilles exécutées àMemphis, à Thèbes, etc., pour enrichir le Musée Charles X de nouveaux monuments : j'ai été assez heureux pour réunie

4i4 vingt-sixi1:me lettre.

une foule d'objets qui compléteront diverses séries du Musée égyptien du Louvre ; et j'ai enfin réussi, après bien des doutes, à faire l'acquisition du plus beau et du plus précieux sarcophage qui soit encore sorti des catacombes égyptiennes. Aucun Musée de l'Europe ne pos- sède un si bel objet d'art égyptien. J'ai réuni aussi une collection d'objets choisis d'un très- grand intérêt, parmi lesquels se trouve une sta- tuette de bronze d'un travail exquis, entièrement incrustée en or, et représentant une reine égyp- tienne de la dynastie des Bubastites. C'est le plus bel objet connu de ce genre.

Je me hâterai , autant que l'obligation de la quarantaine et l'état de ma santé pourront me le permettre, de me rendre à Paris le plus tôt possible , afin d'avoir l'honneur de mettre sous vos yeux, Monsieur le baron, tous les résultats de mon voyage. Je m'estimerais heureux si vous vouliez bien voir en eux une marque de mon zèle pour le service du roi , et en même temps une preuve de la vive reconnaissance et du respec- tueux dévouement avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur le baron, votre, etc.

VINGT-SEPTIÈME LETTRE.

Toulon, le a6 décembre i8ag.

A M. le vicomte Sosthèjves de La^rochefouc auld , Directeur du département des Beaux-Arts de la Maison du Roi.

Monsieur le Vicomte ,

J'ai l'honneur de vous faire part de mon ar- rivée en France, sur le bâtiment du roi l'Astro- labe^ entré hier au soir en rade après une traversée de dix-neuf jours , et je m'empresse de porter en même temps à votre connaissance les heureux résultats de mon voyage.

4l6 VINGT-SEPTIKME LETTRE.

Sous le rapport des recherches scientifiques qui en étaient l'objet principal , mes espérances ont été pour ainsi dire surpassées : la richesse de mes portefeuilles ne laisse rien à désirer, et les dessins qu'ils renferment éclaicissantune foule de points historiques, donnent en même temps des lumières du plus piquant intérêt sur les formes de la civilisation égyptienne jusque dans ses plus petits détails. J'ai recueilli enfin des no- tions certaines pour l'histoire générale des beaux- , arts , et en particulier pour celle de leur trans- mission de l'Egypte à la Grèce.

C'était un devoir pour moi de m'efforcer d'en- richir la division égyptienne du Musée royal, de * divers genres de monuments qui lui manquent, et de ceux qui peuvent compléter les belles séries qu'il renferme déjà. Je n'ai rien épargné pour atteindre à ce but; tout ce que j'ai pu éco- nomiser sur les fonds que la maison du roi et divers ministères avaient bien voulu m'accorder pour mon voyage, a été employé à des fouilles et à des acquisitions de monuments égyptiens de toute espèce, destinés au Musée Charles X. J'ai fait scier à grand'peine et tirer du fond d'une des catacombes royales deThèbes, un très-grand bas-relif conservant encore presque toute sa peinture antique. Ce superbe morceau, prove- nant du tombeau du père de Sésostris, pourra

VljyGT-SliPTliiME LETTi'F. 4' 7

seul donner une juste idée de la somptuosité et de la magnificence des sépultures pharaoniques. J'ai aussi acquis un monument du premier ordre: c'est un sarcophage en basalte vert, couvert de sculptures d'une admirable finesse d'exécution, et du plus haut intérêt mythologique; cette pièce, la plus belle de ce genre qu'on ait découverte jusqu'ici, appartenait à Mahmoud-Bey , ministre de la guerre de S. A. le vice-roi d'Egypte.

Tous les objets destinés au Musée ont été embarqués à bord de V Astrolabe ^ et sont arrivés avec moi à Toulon ; il ne s'agit plus que de leur transport au Musée royal; et comme il importe extrêmement à la conservation du sarcophage, des bas-reliefs et de quelques peintures antiques, d'éviter le plus possible toute espèce de déplace- ment, il serait très -désirable que la corvette V Astrolabe, sur laquelle sont embarqués ces objets précieux , fût chargée de les transporter de Toulon au Havre aussitôt que la mer sera tenable. En obtenant cette décision du ministre de la ma- rine , vous assureriez à la fois, Monsieur le vicomte, la conservation de ces monuments et leur arrivée à Paris vers le i^"^ avril, époque il est indispensable de les recevoir pour achever enfin l'arrangement des salles basses du Musée égyptien.

D'un autre côté, j'expédierai à Paris, par le

4l8 VllNGT-SKPTlJv>lE LETTRE.

roulage, huit à dix caisses contenant divers objets de petites proportions et qui peuvent sup- porter sans inconvénient le transport par terre. Les autres arriveraient par mer avec les grands objets.

Permettez-moi , Monsieur le vicomte , de vous prier de hâter la décision de M. le ministre de la marine relativement à l'envoi de la corvette r Astrolabe au Havre , elle déposerait les an- tiquités appartenant au Musée royal, afin que je puisse, en sortant de quarantaine, prendre pour leur sûreté toutes les mesures convenables (i).

Je terminerai cette lettre en renouvelant ici l'expression de toute ma gratitude pour votre active bienveillance à laquelle je dois attribuer, en grande partie , le succès de mon voyage ; veuillez agréer en même temps l'hommage du respectueux et entier dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être. Monsieur le vicomte, votre, etc.

(i) L'Aitrolabe fut on effet dirigée sur le Havre, les monuments furent embarqués pour Paris. C. F.

VINGT-HUITIEME LETTRE.

En rade de Toulon, le i4 janvier i83o.

C'est aujourd'hui que JB comptais recouvrer ma liberté, perdre mon titre de pestiféré, dire adieu au lazaret et bonjour aux rues d'une ville française. Le conseil de santé en a jugé autre- ment; considérant que VAstî'olabe^ avant de nous prendre à Alexandrie, était allée mettre M. de Malivoir, consul d'Alep, à Latakié sur la côte de Syrie, un canot l'avait déposé , V Astrolabe ayant de suite mis à la voile pour retourner en Egypte, ledit conseil a augmenté notre quaran- taine de dix jours de plus , en nous considérant comme provenance brute. Cette décision malen- contreuse aura son cours, parce que ces mes- sieurs l'ont jugé ainsi selon leur bon plaisir.

27.

4^0 VINGT- HUITIÈME LETTRE.

L'Egypte depuis cinq ans n'a pas vu de peste; l'état sanitaire de Latakié était parfait ; le canot seul avait touché terre; quarante jours et plus s'étaient écoulés à notre entrée en rade de Tou- lon depuis le départ de VAstTolabe de devant Latakié ; aucune maladie ne s'était montrée à bord; vingt autres jours de quarantaine àToulon, expirés hier i3, ajoutés aux quarante précé- dents, donnent deux mois d'épreuve à la santé de l'équipage : et quand même , on en exige encore dix de plus ! Le plus plaisant , s'il y a le mot pour rire dans un tel acte , c'est que le brick V Éclipse ^ avec les officiers et les passagers duquel nous avons vécu tous les jours bras des- sus bras dessous à Alexandrie , est arrivé trois jours avant nous à Toulon, et n'a été soumis qu'à vingt jours de quarantaine. Si nous avions la peste, les personnes de VÉclipse doivent l'avoir prise de nous; s'ils sont déclarés sains, c'est que nous le sommes nous-mêmes. Tout cela ne m'a pas semblé très rationnel, surtout quand il en résulte un supplément de quarantaine.

Je vais écrire à M. le duc de Blacas , puisqu'il est de retour à Paris. J'espère qu'il aura reçu les deux lettres que je me suis fait un devoir de lui adresser, la première de Thèbes, en remontant le Nil, et la seconde après avoir quitté la seconde cataracte; je donne dans celle-ci une idée gêné-

VINGT-HUITIKME LETTRE. l[l l

raie de mes conquêtes historiques en Nubie, et c'est à M. le duc de Blacas que j'en devais le premier hommage.

Cette lettre-ci te parviendra par M. le ministre de la marine, auquel je viens d'adresser quelques renseignements importants qu'il m'a demandés au sujet du transport de l'obélisque de Louqsor. Dieu veuille que cette belle entreprise s'achève! cela serait glorieux pour tous et pour tout.

Rien de plus. Le lazaret est le pays de l'uni- formité. Ma santé et celle de Salvador sont ex- cellentes , malgré les vents , la pluie et la neige , et l'impossibilité d'avoir du feu à bord ; mais je passe une partie de la journée dans une mau- vaise chambre du lazaret, je puis faire du feu. Quelle opposition que ce mortel hiver avec nos cinquante degrés d'Ibsamboul ! Vous n'êtes pas mieux traités à Paris, et j'en grelotte d'a- vance , mais enfin ce sera à Paris... Adieu.

,Q-C<S^i

YINGT-NEUVÏÈME LETTRE.

Aix, If a<j janvi«i i83u.

Me voici établi chez le bon M. Sallier et gar- dant le coin du feu pour me soustraire au froid piquant qui se fait encore sentir dans ce beau climat de Provence. Je m'effraie de l'idée seule de monter subitement vers le nord et m'ense- velir dans les brouillards de la Seine. Jusqu'ici , la goutte a bien voulu m'épargner sa visite habi- tuelle du premier jour de l'an ; quelques petites douleurs sourdes m'avertissent qu'elle arrivera à la première humidité qui me saisira.

Je suis sorti de la maudite quarantaine le 23

VINGT-NEUVIÈME LETTRE. /|23

du courant, et n'ai passé que deux jours à Tou- lon avec M. Drovetti qui, ayant appris que j'étais en quarantaine , vint m'y voir et prolongea son séjouf jusqu'à ma sortie définitive. Nous sommes partis tous deux au même instant, le 26, lui pour l'orient à Nice, et moi pour l'occi- dent à Marseille, j'arrivai le même jour d'assez bonne heure ; j'y séjournai le 27 et la nuit du 28. J'ai vu tout ce qu'il y a à voir, c'est-à-dire peu de chose en antiquités égyptiennes. Au moment départir, j'ai reçu la lettre de notre ami Dubois, et j'ai traité pour la stèle égyptienne de M. Mayer, qui s'est décidé à la céder; il va l'adresser direc- tement au Musée royal.

J'ai certainement grande envie de me voir à Paris; mais les froids rigoureux que vous éprou- vez sous ce bienheureux ciel m'épouvantent pro- fondément; aussi suis-je décidé à diriger ma route de manière à ne quitter le soleil du midi que le plus tard possible , afin de ménager les transitions. Je ne prendrai donc pas la route de Lyon, difficile par l'accumulation des neiges, surtout entre Lyon et Paris. J'aurai de la besogne à Aix pour sept à huit jours au moins sur les papyrus de M. Sallier; je veux les couler à fond, afin de n'être pas obligé d'y revenir. De je compte aller à Avignon voir le Musée Calvet. Je tournerai sur Nîmes pour visiter les nouvelles

/|24 ViriGT-NEUVlÈME LETTRE,

fouilles; ensuite Montpellier, Narbonne, Tou- louse et Bordeaux; je pousserai de sur Mon- tauban, et à Caliors je prendrai la malle-poste, qui me mettra en deux ou trois jours à Paris... A Paris donc.

TRENTIEME LETTRE.

Toulouse, le 18 février i83o.

Me voici au milieu des troubadours de Tou- louse. J'ai fait partir Salvador presque à notre arrivée; il emporte mes gros bagages , contenant les dessins, et toutes mes notices et descriptions des monuments : ces précieux documents me serviront d'avant-garde et me précéderont de quelques jours à Paris.

Le papyrus de M. Sallier m'a retenu plus que je ne l'avais pensé. Il a fallu prolonger mon séjour, parce que mon excellent hôte m'a témoigné l'envie de rester seul possesseur de son livre et le désir que je n'en prisse point de copie : il a donc fallu me contenter de l'étudier à fond. Je ne l'ai quitté qu'après avoir mis en portefeuille

/\l6 TRENTIÈME LrTTRE.

(les notes complètes sur les parties les plus im- portantes de ce vieux monument. J'ai reconnu qu'il contient le récit dramatique de la guerre de Sésostris contre les Scythes (Schéta), alliés avec la plupart des peuples de l'Asie occidentale. Mais il est extrêmement piquant d'avoir re- connu aussi que ce même texte est gravé en grands hiéroglyphes sur la paroi extérieure sud du palais de Karnac à Thèbes; ce texte histori- que est fort endommagé et presque perdu à Karnac, devais-je m'attendre à le retrouver à Aix dans toute son intégrité ? Le rapprochement de ce double texte me le donnera tout entier.

Continuant à chercher delà chaleur et le beau soleil du midi au travers des neiges qui couvrent la Provence, je me suis rendu à Nîmes, j'ai admiré l'amphithéâtre, et surtout la Maison- Carrée , qui, dans son état actuel, est certainement le mieux conservé de tous les monuments ro- mains existants en Europe.

A Montpellier j'ai retrouvé l'excellent M. Fabre, que j'avais connu en Italie: il m'a fait visiter en détail le beau musée de tableaux et la riche bi- bliothèque dont il a fait don à sa ville natale. C'est un€ chose merveilleuse qu'une telle réu- nion.

Encore des neiges et du froid en quittant Montpellier. Quel démon d'hiver le ci^l nous

TRENTIÈME LETTRE. 4^7

envoie-t-ildonc cette année? J'en souffre beau- coup , et je crains fort de trouver la goutte en arrivant dans l'atmosphère brumeuse de Paris. Cependant il est temps que j'y rentre , et ce sera bientôt... Adieu.

TRENTE-UNIEME LETTRE.

. Bordeaux , le % iDars i8!îo.

Je me trouve enfin en très-bonne santé dans la belle ville de Bordeaux; je vais en courir les monuments pour achever mon éducation et finir mes caravanes, car c'est demain au soir, mer- credi 3 mars, que je monte dans le courrier à dix heures du soir , pour arriver enfin à Paris ven- dredi à la pointe du jour.

Nous nous trouverons donc nous nous sommes quittés, il y aura alors vingt mois et vingt jours (r); ce n'est pas trop pour les résultats que j'ai conquis sur le désert ; on m'en saura un jour, peut-être, quelque gré... Adieu pour la dernière fois.

(i) Deux ans après j jour pour jour , il venait d'expirer !

APPENDICE.

Notice sommaire sur l'Histoire d'Egypte, rédi- gée A Alexandrie pour le Vice-roi, et remise

A S. A. AU MOIS DE NOVEMBRE 1829.

Les premières tribus qui peuplèrent I'Égypte, c'est-à-clire la vallée du Nil, entre la cataracte d'Osouan et la mer, venaient de \ Abjssinie ou du Sennaar. Mais il est impossible de fixer l'é- poque de cette première migration, excessive- ment antique.

Les anciens Egyptiens appartenaient à une race d'hommes tout à fait semblable aux Ken- nous ou Barahras ^ habitants actuels de la Nu- bie. On ne retrouve dans les Copies d'Egypte aucun des traits caractéristiques de l'ancienne

43o APPENDICE.

population égyptienne. Les Coptes sont le ré- sultat du mélange confus de toutes les nations qui, successivement, ont dominé sur l'Egypte. On a tort de vouloir retrouver chez eux les traits principaux de la vieille race.

Les premiers Égyptiens arrivèrent en Egypte dans l'état de nomades et n'avaient point de de- meures plus fixes que les Bédouins d'aujour- d'hui: ils n'avaient, alors, ni sciences, ni arts, ni formes stables de civilisation.

C'est par le travail des siècles et des circon- stances que les Egyptiens, d'abord errants , s'oc- cupèrent enfin d'agriculture, et s'établirent d'une manière fixe et permanente : alors naquirent les premières villes qui ne furent, dans le principe, que de petits villages, lesquels, par le dévelop- pement successif de la civilisation, devinrent des cités grandes et puissantes. Les plus anciennes villes de l'Egypte furent Thèbes (^Louqsor et Karnac)j Esné^ Edfou et les autres villes du Saïd^ au-dessus de Dendéra; l'Egypte moyenne se peupla ensuite, et la basse Egypte n'eut que plus tard des habitants et des villes. Ce n'est qu'au moyen de grands travaux exécutés par les hommes, que la basse Egypte est devenue habitable.

Les Egyptiens, dans les commencements de leur civilisation , furent gouvernés par les pre-

APPENDICi:. 43 1

TRES. Les prêtres administraient cliaque canton de l'Egypte sous la direction du grawd-phêtre , lequel donnait ses ordres, disait-il, au nom de Dieu même. Cette forme de gouvernement se nomme théocratie : elle ressemblait, mais bien moins parfaite , à celle qui régissait les Arabes sous les premiers kalifes.

Ce premier gouvernement égyptien qui deve- nait facilement injuste, oppresseur, s'opposa bien long-temps à l'avancement de la civilisation. Il avait divisé la nation en trois parties distinctes :

J** LES PRÊTRES, LES MILITAIRES, LE PEUPLE.

Le peuple seul travaillait , et le fruit de toutes ses peines était dévoré par les prêtres, qui te- naient les militaires à leur solde, et les em-. ployaient à contenir le reste de la population.

Mais il arriva une époque les soldats se lassèrent d'obéir aveuglément aux prêtres. Une révolution éclata, et ce changement, heureux pour l'Egypte , fut opéré par un chef militaire , nommé Méneï^ qui devint le chef de la nation, établit le gouvernement royal et transmit le pouvoir à ses descendants en ligne directe.

Les anciennes histoires d'Egypte font remon- ter l'époque de cette révolution à six mille ans environ avant l'islamisme.

Dès ce moment, le pays fut gouverné par des ROIS, et le gouvernement devint plus doux et plus

432 APPENDICE.

éclairé, car le pouvoir royal trouva un certain contre-poids dans l'influence que conservait né- cessairement la classe des prêtres, réduite alors à son véritable rôle, celui d'instruire et d'en- seigner en même temps les lois de la morale et les principes des arts. Thèbes resta la capitale de l'État; mais le roi Méneï et son fils et succes- seur Athothi jetèrent les fondements de Mem- PHis, dont ils firent une ville forte et leur seconde capitale. Elle exista à peu de distance du Nil, et on a trouvé ses ruines dans les villages de Menf, Mokhnan^ et surtout de Mit-Rhahinè. Les anciens historiens arabes nom.ïneveï\\. Meinpliis ^ Mars-el- Qadiméh , pour la distinguer de Mars-el-ALiqéh . {Foslhath ou le vieux Caire) et de Mars-el-Qahérah (le Caire), la capitale actuelle.

Une très-longue suite de rois succéda à Méneï: diverses familles occupèrent le trône, et la civi- lisation se développa de siècle en siècle. C'est sous la IIF dynastie que furent bâties les pyra- mides de Dahsckour et de Sakkarah^ les plus anciens 'monuments dans le monde connu. Les pyramides de Ghizeli sont les tombeaux des trois premiers rois de la V dynastie, nommés Sou- phi F' , Sensaouphi et Mankhéri. Autour d'elles s'élèvent de petites pyramides et des tombeaux, construits en grandes pierres, qui ont servi de sépulture aux princes de la famille de ces an-

APPENDICK. /î33

ciens rois. Sous ces dynasties ou familles ré- gnantes qui se succédèrent les unes aux autres, les sciences et les arts naquirent et se dévelop- pèrent graduellement. L'Egypte était déjà puis- sante et forte; elle exécuta même plusieurs grandes entreprises militaires au dehors, no- tamment sous des rois nommés SésoÂhris , Ainénémé et Aménémôf; mais les monuments de ces rois n'existent plus, et l'histoire n'a conservé aucun détail sur leurs grandes actions , parce qu'après le règne de ces princes un grand boule- versement changea la face de l'Asie ; des peuples barbares firent une invasion en Egypte , s'en em- parèrent et la ravagèrent en détruisant tout sur leur passage : Thèbes fut ruinée de fond en comble. Cet événement eut lieu environ 2800 ans avant l'islamisme. Une partie de ces Barbares s'établit enEgypte et tyrannisa le pays pendant plusieurs siècles. La civilisation première égyptienne fut ainsi arrêtée et détruite par ces étrangers , qui ruinèrent l'état par leurs exactions et leurs ra- pines, en faisant disparaître par la misère une partie de la population locale. Ces Barbares ayant élu un d'entre eux pour chef, il prit aussi le titre de Pharaon^ qui était le nom par le- quel on désignait dans ce temps-là tous les rois d'Egypte.

C'est sous le quatrième de ces chefs étran-

-28

434 APPENDICr.

g.-^rs que loussouf\ fils de lakouh ^ devint pre- mier ministre et attira en Egypte la famille de son père, qui forma ainsi la souche de la nation juive.

Avec le temps, diverses parties de l'Egypte supérieure s'affranchirent du joug des étrangers, et à la tête de cette résistance parurent des princes descendants des rois égyptiens que les Barbares avaient détrônés. L'un de ces princes, nommé Amosis , rassembla enfin assez de forces pour attaquer les étrangers jusque dans la Basse- Egypte ils étaient le plus solidement établis, au moyen des places de guerre , parmi lesquelles on comptait en première ligne Aouara^ immense campement fortifié qui exista dans l'emplacement actuel iV Abou-Kecheid ., du côté de Salahiéli.

Les exploits militaires ^Amosis délivrèrent l'E- gypte de la tyrannie des Barbares. Il les chassa de Memphis , dont ils avaient fait leur capitale , et les contraignit de se- renfermer tous dans la grande place d'armes (S'Aouara^ dont le siège fut commen- cé. Amosis étant mort sur ces entrefaites , son fils Améaôf continua le blocus et força les étran- gers à une capitulation en vertu de laquelle ils évacuèrent l'Egypte pour se jeter sur la Syrie, s'établirent quelques-unes de leurs tribus.

Aménôf ^ le premier de ce nom, réunit ainsi toute l'Egypte sous sa domination et releva le

APPENDICF.. 43.^

trône des pharaons, c'est-à-dire des rois de race égyptienne. C'était le chef de la XVIIP dynastie. Son règne entier, et celui de ses trois premiers successeurs, Touthmosis /"' , Toulhmosis II et Méris-Toiillunosi^lll ^inv^nX. consacrés à recon- stituer en EsfVDteun gouvernement régulier et à relever la nation écrasée par les longues années de la servitude étrangère.

Les Barbares avaient tout détruit , tout était par conséquent à reconstruire. Ces grands rois n'épargnèrent rien pour relever l'Egypte dQ son abaissement; l'ordre fut rétabli dans tout le royaume; les canaux furent recreusés; l'agricul- ture et les arts, encouragés et protégés, ramenè- rent l'abondance et le bien-être parmi le sujets, ce qui accrut et perpétua les richesses du gouver- nement. Bientôt les villes furent reconstruites; les édifices consacrés à la religion se relevèrent de toutes parts, et plusieurs des monuments qu'on admire encore sur les bords du Nil , appartiennent à cette intéressante épocjue de la restauration de l'Egypte par la sagesse de ses rois. De ce nom- bre sont les monuments de Semné et cV Ainada^ en Nubie, et plusieurs de ceux de Karnac et de Mèdinet-Hahou ^ qui sont de beaux ouvrages de Touthmosis 1" ou de Touthmosis III qu'on ap- pelle aussi Méris.

Ce roi , qui a fait exécuter les deux obélisques

a8.

436 APPr.îNDlCE.

d'Alexandrie, est celui de tous les pharaons qui opéra les plus grandes choses. C'est à lui que l'Egypte doit l'existence du grand lac du Fayoum. Par les immenses travaux qu'il fit faire, et au moyen de canaux et d'écluses, ce lac devint un réservoir qui servait à entretenir, pour tout le pays inférieur , un équilibre perpétuel entre les inondations du Nil insuffisantes et les inon- dations trop fortes. Ce lac portait autrefois le nom de lac Méris ^ aujourd'hui Birket-Karoun.

Ces rois, et quelques-uns de leurs successeurs, paraissent avoir conservé, dans toute sa pléni- tude, le pouvoir royal qu'ils avaient arraché aux chefs des Barbares; mais ils n'en usèrent qu'à l'avantage du pays ; ils s'en servirent pour corriger et reconstituer la société corrompue par l'esclavage, et pour replacer l'Egypte au pre- mier rang politique qui lui appartenait au milieu des nations environnantes.

Quelques peuples de l'Asie avaient déjà atteint à cette époque un certain degré de civilisation, et leurs forces pouvaient menacer le repos de l'Egypte. Méris et ses successeurs prirent sou- vent les armes et portèrent la guerre en Asie ou en Afrique, soit pour établir la domination égyptienne , soit pour ravager et affaiblir ces états , et assurer ainsi la tranquillité de la nation égyptienne.

APPENDICE. 4^7

Parmi ces conquérants, on doit compter Améiiôf II ^ fils de Méris, qui rendit tributaires la Syrie et l'ancien royaume de Babylone ; Touthniosis IV ^ qui envahit V Abyssinie et le Sennaar ; enfin , Aménof III ^ qui acheva la conquête de l'Abyssinie et fit de grandes expé- ditions en Asie. Il existe encore des monuments de ce roi : c'est lui qui fit bâtir le palais de Sohleb ^ en Haute-Nubie, le magnifique palais de Louqso7\ et toute la partie sud du grand palais de Karnac à Thèbes. Les deux grands colosses de Rourna sont des statues qui représentent cet illustre prince.

Son fils Hôrus châtia une révolte d'Abyssins et continua les travaux de son père ; mais deux de ses enfants qui lui succédèrent, n'eurent ni la fermeté ni le courage de leurs ancêtres; ils laissèrent se perdre en peu d'années l'influence que l'Egypte exerçait sur les contrées voisines. Mais le roi Méiiéphtha I'' releva la gloire du pays et porta ses armes victorieuses en Syrie , à Ba- bylone et jusque dans le nord de la Perse.

A sa mort, les peuples soumis s'étaient encore révoltés Rhamsès-le-Grajid ^ son fils et son suc- cesseur, reprit les armes, renouvela toutes les conquêtes de son père , et les étendit jusque dans les Indes ; il épuisa les pays vaincus et enrichit

4'^8 VPPENPICK.

rÉgypte des immenses dépouilles de l'Asie et de l'Afrique.

Cet illustre conquérant , connu aussi dans rhistoire sous le nom de Sésostris ^ fut en même temj)s le plus brave des guerriers et le meilleur des princes. Il employa toutes les richesses en- levées aux nations soumises et les tributs qu'il en recevait, à l'exécution d'immenses travaux d'utilité publique; il fonda des villes nouvelles, tâcha d'exhausser le terrain de quelques-unes, en- vironna une foule d'autres de forts terrassements pour les mettre à couvert de l'inondation du fleuve; il creusa de nouveaux canaux, et c'est à lui qu'on attribue la première idée du canal de jonction du TNil à la mer Rouge; il couvrit en- fin l'Egypte de constructions magnifiques, dont un très-orand nombre existent encore : ce sont les monuments de Ibsamboul, Deiri, Gnirché- Hanan^ et Ouadi-Essebouâ, enNubie; et en Egypte ceux de Kourna , iVEl-Medinéli , près de Rourna , une portion du palais de Louqsor^ et enfin la grande salle à colonnes du palais de Rarnac, commencé par son père. Ce dernier monument est la plus magnifique construction qu'ait jamais j élevée la main des hommes.

Non content d'orner l'Egypte d'édifices aussi somptueux , il voulut assurer le bonheur de ses

APPENDICr. /i']c)

habitants, et publia des lois nouvelles; la plus importante fut celle qui rendit à toutes les classes de ses sujets le droit de propriété dans toute "sa plénitude. Il se démit ainsi du pouvoir ab- solu que ses ancêtres avaient conservé après l'expulsion des Barbares. Ce bienfait immorta- lisa son nom, qui fut toujours vénéré tant qu'il exista un homme de race égyptienne connaissant l'ancienne histoire de son pays. C'est sous le règne de Rhamsès-le-Grand, ou Sésosti'is^ que l'Egypte arriva au plus haut point de puissance politique et de splendeur intérieure.

Le pharaon comptait alors au nombre des contrées qui lui étaient soumises ou tributaires: j" l'Egypte, -i^ la Nubie entière, 3" l'Abyssinie, 4" le Sennaar, une foule de contrées du midi de l'Afrique, toutes les peuplades errantes dans les déserts de l'orient et de l'occident du Nil, la Syrie, 8"^ Y Arabie , dans laquelle les plus anciens rois avaient des établissements, un, entre autres, près de la vallée de Pharaon , et aux lieux nommés aujourd'hui Djebel-el-Mokatteb, el Magara,Sabouth-el-Kadim,où paraissent avoir existé des fonderies de cuivre ;

Les royaumes de Babylone et de Ninive (Moussoul);

io° Une grande partie de l'Anatolie ou Asie mineure;

44<J A1»PENDICE.

1 r*^ YUie de Chypre et plusieurs îles de l'Ar^ chipel;

1.2° Plusieurs royaumes formant alors le pays qu'on appelle aujourd'hui la Perse.

Alors existaient des communications suivies et régulières entre l'empire égyptien et celui de J'Inde. Le commerce avait une grande activité entre ces deux puissances, et les découvertes qu'on fait journellement dans les tombeaux de Tlièbes, de toiles de fabrique indienne, de meubles en bois de l'Inde et de pierres dures taillées, venant certainement de l'Inde, ne lais- sent aucune espèce de doute sur le commerce que l'ancienne Egypte entretenait avec l'Inde à une époque tous les peuples européens et une grande partie des asiatiques étaient encore tout à fait barbares. H est impossible d'ailleurs d'expliquer le nombre et la magnificence des anciens monuments de l'Egypte, sans trouver dans l'antique prospérité commerciale de ce pays la principale source des énormes richesses dépensées pour les produire. Ainsi il est bien démontré que Memphis et Thèbes furent le pre^ mier centre du commerce avant que Babylone, Tyr , Sidoji ^ Alexandrie y Tadmour (Palmyre) et Bagdhad ^ villes toutes du voisinage de l'E- gypte, héritassent successivement de ce bel et important privilège.

APPENDICE. 44 ï

Quant à l'état intérieur de I'Égypte à cette grande époque, tout prouve que la police, les arts et les sciences y étaient portés à un très- haut degré d'avancement.

Le pays était partagé en trente-six provinces ou gouvernements administrés par divers degrés de fonctionnaires, d'après un code complet de lois écrites.

La population s'élevait en totalité à 5 millions au moins et à 7 millions au plus. Une partie de cette population, spécialement vouée à l'étude des sciences et aux progrès des arts , était chargée en outre des cérémonies du culte, de l'adminis- tration de la justice, de l'établissement et delà levée des impôts invariablement fixés tl'après la nature et l'étendue de chaque portion de pro- priété mesurée d'avance , et de toutes les bran- ches de l'administration civile. C'était la partie instruite et savante de la nation : on la nommait la Caste sacerdotale. Les principales fonctions de cette caste étaient exercées ou dirigées par des membres de la famille royale.

Une autre partie de la nation égyptienne était spécialement destinée à veiller au repos intérieur et à la défense extérieure du pays. C'est dans ces familles nombreuses, dotées et entre- tenues aux frais de l'état, et qui formait la Caste militaire f que s'opéraient les conscriptions et les

44^ APPENDICE.

levées de soldats : elles entretenaient régnlière- nient l'armée égyptienne sur le pied de 180,000 hommes. T.a première, mais la plus petite des divisions de cette armée, était exercée à com- battre sur des chars à deux chevaux , c'était la cavalerie de l'époque (la cavalerie proprement dite n'existait point alors en Egypte); le resle formait des corps de fantassins de différentes armes, savoir : les soldats de ligne, armés d'une cuirasse, d'un bouclier, d'une lance et de l'épée; et les troupes légères , les archers , les frondeurs et les corps armés de haches ou de faux de ba- taille. Les troupes étaient exercées à des ma- nœuvres régulières, marchaient et se mouvaient en ligne par légions et par compagnies; leurs évolutions s'exécutaient au son du tambour et de la trompette.

Le roi déléguait pour l'ordinaire le «ommand e- ment des différents corps à des princes de sa famille.

La troisième classe de la population formait la Caste agricole. Ses membres donnaient tous leurs soins à la culture des terres, soit comme propriétaires , soit comme fermiers ; les produits leur appartenaient en propre, et on en prélevait seulement une portion destinée à l'entretien du roiy comme à celui des castes sacerdotale et

APF^ENDICE. 443

militaire : cela formait le principal et le plus certain des revenus de l'état.

D'après les anciens historiens, on doit évaluer le revenu annuel des pharaons, y compris les tributs payés par les nations étrangères , au moins de 6 à 700 millions de notre monnaie.

Les artisans , les ouvriers de toute espèce, et les marchands, composaient la quatrième classe de la nation; c'était la Caste industrielle y sou- mise à un impôt proportionnel , et contribuant ainsi par ses travaux à la richesse comme aux charges de l'état.

Les produits de cette caste élevèrent l'Egypte à son plus haut point de prospérité. Tous les genres d'industrie furent en effet pratiqués par les anciens Égyptiens, et leur commerce avec les autres nations plus ou moins avancées, qui for- maient le monde politique de cette époque , avait pris un grand développement.

L'Egypte faisait alors du superflu de ses pro- duits en grains ini commerce régulier et fort éten- du. Elle tirait de grands profits de ses bestiaux et de ses chevaux. Elle fournissait le monde de ses toiles de lin et de se; tissus de coton , égalant en perfection et en finesse tout ce que l'industrie de l'Inde et de l'Europe exécute aujourd'hui de plus parfait. Les métaux, dont l'Egypte ne ren-

f\[\[\ APPENDLCIi.

ferme aucune mine, mais qu'elle tirait des pays tributaires ou (Véchan^es avantas:eux avec les nations indépendantes , sortaient de ses ateliers travaillés sous diverses formes et changés soit en armes , en instruments , en ustensiles , soit en ob- jets de luxe et de parure recherchés à l'envi par tous les peuples voisins. Elle exportait annuelle- ment une masse considérable de poterie de tout genre, ainsi que les innombrables produits de ses ateliers de verrerie et d'émail lerie, arts que les Egyptiens avaient portés au plus haut point de perfection. Elle approvisionnait enfin les nations voxsmes'de papyrus ou papier îormé des pellicules intérieures d'une plante qui a cessé d'exister depuis quelques siècles en Egypte. Les anciens Arabes la nommaient berd ; elle croissait principalement dans les terrains marécageux , et sa culture était une source de richesse pour ceux qui habitaient les rives des anciens lacs de Bourlos et de Menzaléh ou Tennis.

Les Egyptiens n'avaient point un système mo- nétaire semblable au nôtre. Ils avaient pour le petit commerce intérieur une monnaie de con- vention; mais pour les transactions considérables on payait en anneaux d'or pw\ d'un certain poids et d'un certain diamètre , ou en anneaux d'argent d'un titre et d'un poids également fixes.

Quant à l'état de la marine à cette ancienne

APPENDICE. 445

époque, plusieurs notions essentielles nous man- quent encore. L'Egypte avait une marine mili- taire, composée de grandes galères, marchant à la fois à la rame et à la voile. On doit présumer que la marine marchande avait pris une certain essor, quoiqu'il soit à peu près certain que le commerce et la navigation de long cours étaient faits, en qualité de courtiers, par un petit peuple tributaire de l'Egypte, et dont les principales villes furent Sour , Saïde , Beirouth et Acre.

Le bien-être intérieur de l'Egypte était fondé sur le grand développement de son agriculture et de son industrie; on découvre à chaque instant dans les tombeaux de ïhèbes et de Sakkarah des objets d'un travail perfectionné, démontrant que ce peuple connaissait toutes les aisances de la vie et toutes les jouissances du luxe. Aucune nation ancienne ni moderne n'a porté plus loin que les vieux Egyptiens la grandeur et la somp- tuosité des édifices, le goût et la recherche dans les meubles, les utensiles , le costume et la dé- coration.

Telle fut l'Egypte à son plus haut période de splendeur connu. Cette prospérité date de l'époque des derniers rois de la XVIII^ dynastie, à laquelle appartient Rhamsès-le-Grand ou Sé- sostris ; les sages et nombreuses institutions de ce souverain terrible à ses ennemis, doux et

446 APPENDICE.

modéré envers ses sujets, en assurèrent la durée.

Ses successeurs jouirent en paix du fruit de ses travaux et conservèrent en grande partie ses conquêtes, que le quatrième d'entre eux, nommé Ii/iaf?isès-3Iémmoun,prmce s^uerner (it ixmhhieuii, étendit encore davantage ; son règne entier fut une suite d'entreprises heureuses contre les na- tions les plus puissantes de l'Asie. Ce roi bâtit le beau palais de Mèdinet - Habou (àThèbes), sur les murailles duquel on voit encore sculptées et peintes toutes les campagnes de ce pharaon en Asie, les batailles qu'il a livrées sur terre ou sur mer, le siège et la prise de plusieurs villes, enfin les cérémonies de son triomphe au retour de ses lointaines expéditions. Ce conquérant paraît avoir perfectionné la marine militaire de son époque.

Les pharaons qui régnèrent après lui firent jouir l'Egypte d'un long repos. Pendant ces temps d'une tranqiiillité profonde, l'Egypte, tout en laissant s'assoupir l'esprit guerrier et conquérant qui l'avait animée sous les précédentes dynasties, dut nécessairement perfectionner son régime in- térieur et avancer progressivement ses arts et son industrie ; mais sa domination extérieure se rétrécit de siècle en siècle, à cause des pro- giès de la civilisation qui s'était effectuée dans plusieurs de ces contrées par leur liaison même

APPfNniCK. 44?

avec rÉgyple, cclie-ci ne pouvant plus les con- tenir sous sa dépendance que par un dévelop- pement de forces militaires excessif et hors de toute proportion.

Un nouveau monde politique s'était en effet formé autour de l'Egypte : les peuples de la Perse, réunis en un seul corps de nation, mena- çaient déjà les grands royaumes unis de Ninive et de Babyione; ceux-ci visant à dépouiller l'E- gypte d'importantes branches de commerce, lui' disputaient la possession de la Syrie et se ser- vaient des peuples et des tribus arabes pour inquiéter les frontières de leur ancienne domi- natrice. Dans ce conflit, les Phéniciens, ces courtiers naturels du commerce des deux puis- sances rivales, passaient d'un parti à un autre, suivant l'intérêt du moment. Car cette lutte fut longue et soutenue; il ne s'agissait de rien moins que- de l'existence commerciale de l'un ou l'autre de ces puissants empires.

Les expéditions militaires du pharaon Chè~ chonk /'% et celles de son fils Osoi^kon /", qui parcoururent l'Asie occidentale, n.aintinrent , pendant quelque temps, la suprématie de l'Egypte. Elle eût pu jouir long-temps du fruit de ces victoires, si une invasion des Ethiopiens (ou Abyssins) n'eut tourné toute son attention du côté du midi. Ses efforts furent inutiles. Sa--

44^ APPENDICE.

bacon, roi des Ethiopiens, s'empara de la Nubie, et passa la dernière cataracte avec une armée grossie de tous les peuples barbares de l'Afrique. L'Egypte succomba aprèsune lutte dans laquelle périt son pharaon Bok-Hor.

La domination du conquérant éthiopien fut douce et humaine; il rétablit le cours de la justice interrompue parles désordres de l'invasion. Son second successeur, Ethiopien comme lui, porta ses armes en Asie, et fit une longue expédition dans le nord de l'Afrique. L'histoire dit qu'il en soumit toutes les peuplades jusqu'au détroit de Gibraltar. Le roi nommé ïaharaka a bâti un des petits palais de Mêdinet-Habou ^ encore existant. Mais peu de temps après lui, la dynastie éthio- pienne fut chassée d'Egypte, et une famille égyp- tienne occupa le trône des pharaons : ce fut la XXVl^ dynastie , appelée Suite , parce que son chef, Stéphinathi, était dans la ville de^oi (au- jourd'hui Sa-el-Hagar), en Basse-Egypte.

Cette dynastie s' étant affermie voulut relever l'influence de la patrie sur les étals asiatiques voisins, et ressaisir ainsi la suprématie commer- ciale. Le roi PsAMMÉTiK 1^' ouvrit aux marchands étrangers le petit nombre de ports que la nature a accordés à l'Egypte, et parmi lesquels on comptait déjà celui d^ Alexandrie ^ qui alors n'é- tait qu'une fort petite bourgade appelée Rakoti.

APPENDICE. 449

Ce pharaon se lia principalement avec les Ioniens et les Cariens, peuples grecs établis en Asie; non-seulement il permit aux négociants de ces nations de s'établir en Egypte, mais il com- mit l'énorme faute de leur concéder des terres et de prendre a sa solde un corps très-considé- rable de troupes ioniennes et cariennes. Les sol- dats égyptiens qui , comme membres de la caste militaire, avaient seuls le privilège de combattre pour l'Egypte, s'irritèrent de ce que le roi con- fiait la défense du pays à des étrangers et à des barbares fort en arrière encore de la civilisation égyptienne. Psainmétik eut, de plus, l'impru- dence de donner à ces Grecs les premiers postes de l'armée. L'irritation des soldats égyptiens fut à son comble. Ourdissant un vaste complot qui embrassa la presque totalité des membres de la caste militaire, plus de 100,000 soldats égyp- tiens quittèrent spontanément les garnisons le roi les avait confinés, et abandonnant leur patrie, passèrent les cataractes pour aller se fixer en Ethiopie, ils établirent un état parti- culier.

Ainsi privée tout-à-coup de la masse presque entière de ses défenseurs naturels, l'Egypte dé- chut rapidement, et la perte de son indépen- dance politique devint inévitable.

Les rois de liabylone connaissant la plaie in-

9_q

45o APPF.NDICF.,

curable de l'Egypte, leur rivale, redoublèrent d'ef- forts. La Syrie devint le théâtre perpétuel du conflit sanglant des deux peuples. Néko II, fils de Psammêtik P" , refoula d'abord les Babylo- niens ou Assyriens dans leur frontière naturelle, et chercha dès lors à donner de nouvelles voies au commerce, en portant tousses soins vers la marine; une flotte sortie de la mer Rouge reconnut et explora tout le contour de l'Afrique, doubla le cap le plus méridional, et faisant voile vers le nord, arriva au détroit de Gibraltar, rentrant ainsi en Egypte par la Méditerranée. Ce roi exécuta aussi de grands travaux pour le ca- nal de communication entre le Nil et la mer Rouge. La fin de son règne fut malheureuse : le roi de Babylone Nebucad-nésar défit les armées égyptiennes et les chassa de la Phénicie , de la Judée et de la Syrie entière.

Psammêtik 11^ son fils, essaya vainement de ressaisir ces provinces détachées de l'empire égyp- tien; son successeur Ouaphré fut plus heureux, il remit sous le joug les peuples de Sour et de Saïde^et l'île de Chypre; mais il échoua en Afrique dans une expédition contre la ville de Cyrène (Grennah). Cette malheureuse campagne porta à son comble l'exaspération de ce qui restait de la caste militaire égyptienne; sa haine contre le pharaon Ouaphré, qui s'entourait de troupes

APPENDICE. 45l

ioniennes ou grecques , malgré la terrible leçon donnée à son bisaïeul Psammétik /", éclata tout- à-coup, et les soldats égyptiens révoltés, mettant la couronne sur la tête d'un courtisan nommé Amasis , marchèrent contre Ouaphré ^ qui fut vaincu et entièrement défait à Mariouth , il combattit à la tête de ses troupes étrangères.

jdmasis gouverna pendant quarante-deux ans. Son règne fut heureux et paisible ; le commerce reprit un grand essor et les richesses affluaient en Egypte, non qu'elle fui forte par elle-même, non qu'elle eut reconquis par les armes son in- fluence au dehors , mais parce que dans ce temps- les rois de Babylone cessaient de menacer l'Egypte pour résister aux peuples de la Perse , réunissons un seul chef, Cynis ^ qui attaqua im- pétueusement l'Assyrie et en fit graduellement la conquête, terminée par la prise et l'asservis- sement de Babylone.

Dès ce vaovciç^wX. Amasis prévit la fin prochaine de la monarchie égyptienne. La dernière guerre civile avait affaibli ce qui restait de l'armée na- tionale, presque entièrement désorganisée par l'impolitique de ses prédécesseurs. Il ne pouvait compter sur la fidélité des troupes grecques, qu'il avait retenues aussi à sa solde; mais heureux en ce qui le touchait personnellement, Amasis mourut après un règne prospère, au moment

9.9. .

452 APPEWniCt

même les armées persanes s'ébr;;nlaient pour fondre sur l'Egypte.

A peine monté sur le trône que lui laissait son père, Psammétik 111 ^ nommé aussi Psam- mènis ^ dut courir à Pélusc ( Tliinéh ou Fa- rcunci)^ la plus forte des places de l'Egypte du côté de la Syrie; il rassembla tout ce qui lui res- tait de la caste militaire égyptienne et les troupes étrangères qu'il avait à sa solde; les Perses, sous la conduite de leur roi Cambjse^ fils de Cjrus ^ favorisés par les Arabes , traversent sans ob- stacle le désert qui sépare la Syrie de l'Egypte ; et cette immense armée se rangea en face des Egyptiens, campés sous les murs de Péluse.

Le combat fut long et terrible; à la chute du jour les Égyptiens plièrent accablés sous le nom- bre; Cambjse vainquit, et l'inuépendance natio- nale de l'Egypte fut à jamais perdue.

Les Perses poursuivirent leurs succès et prirent Memphis d'assaut; cette capitale fut livrée au pillage: la nation persane, encore barbare, porta de tous côtés la destruction et la mort. Thebes fut saccagée, ses plus beaux monuments démolis ou dévastés ; la population , courbée sous un joug tyrannique, fut livrée à la discrétion des satrapes ou gouverneurs établis pour les rois de Perse. Les arts et les sciences disparurent presque en- tièrement de ce sol qui les avait vus naître.

APPKJNDICE. 453

Quelques chets égyptiens, pleius de courage, arrachèrent momentanément leur patrie à la ser- vitude; mais leurs généreux efforts s'épuisèrent bientôt contre la puissance toujours croissante de l'empire persan.

Ce fut Alexandre (Iskander) qui, à la tète d'une armée de Grecs, renversa la domination des Perses en Asie , et l'Egypte respira enfin sous ce nouveau maître. A la mort de ce granti liomme , qui avait fondé la ville ^ Alexandrie^ parce que cette position géographique semblait appelée à devenir le centre du commerce du monde, les généraux grecs partagèrent ses con- quêtes. Ptolémèe , l'un d'eux , se déclara roi d'Egypte, et fut le chef de la dynastie grecque , qui gouverna l'Egypte pendant près de trois siècles.

Sous ces rois, qui tx)us ont porté le nom de Ptolémèe ^ la ville d'Alexandrie accomplit les prévisions d'Alexandre. Elle devint rentre])otdu commerce de l'Asie et de l'Afrique entière avec l'Europe qui, alors, comptait un assez grand nombre de nations civilisées. Mais les débauches et la tyrannie des derniers rois grecs préparèrent la chute de leur domination.

Cette famille fut détrônée par Cksir-Auguste, empereur des Romains, et l'Egypte, perdant pour toujours le nom même de Jiation , devint une

454 APPENDICE.

simple province de4'empire romain et fut gou- vernée par un préfet.

Dès ce moment elle suivit la bonne et la mau- vaise fortune de l'empire dont elle dépendait, jusqu'à ce que les Arabes musulmans en firent la conquête au nom du calife Omar, sous la conduite de son général Amrou Ebn-el-Âs.

N" II, Note remise au Vice-Pioi pour la conservation

DES monuments I)£ l'EgYPTE.

Alexandrie, novembre 182g.

Parmi les Européens qui visitent l'Egypte, il en est annuellement un très-grand nombre qui, n'étant amenés par aucun intérêt commercial , n'ont d'autre désir ou d'autre motif que celui de connaître par eux-mêmes et de contempler les monumentsde l'ancienne civilisation égyptienne, monuments épars sur les deux rives du Nil et que l'on peut aujourd'hui admirer et étudier en toulç

APPENDICE. 4^''

sûreté , grâce aux sages mesures prises par le gouvernement de Son Altesse.

Le séjour plus ou moins prolongé que ces voyageurs doivent faire nécessairement dans les diverses provinces de l'Egypte et de la^ Nubie, tourne à la fois au profit de la science qu'ils en- richissent de leurs observations, et à celui du pays lui-même , par leurs dépenses personnelles, soit pour les travaux qu'ils font exécuter, soit pour satisfaire leur active curiosité, soit même encore pour l'acquisition de divers produits de l'art antique.

Il est donc du plus haut intérêt pour l'Egypte elle-même, que le gouvernement de S. A. veille à l'entière conservation des édifices et monu- ments antiques, l'objet et le but principal des voyages qu'entreprennent , comme à l'envi, une foule d'Européens appartenant aux classes les plus distinguées de la société.

Leurs regrets se joignent déjà à ceux de toute. l'Europe savante qui déplore amèrement la des- truction entière d'une foule de monuments an- tiques, démolis totalement depuis peu d'années., sans qu'il en reste la moindre trace. On sait bien que ces démolitions barbares ont été exécutées contre les vues éclairées et les intentions bien connues de S. A. , et par des agents incapables d'apprécier le dommage que, sans le savoir, ils

456 APPENDICE.

causaient ainsi au pays ; mais ces monuments n'en sont pas moins perdus sans retour, et leur perte réveille, dans toutes les classes instruites, une inquiète et bien juste sollicitude sur le sort à venir des monuments qui existent encore.

Voici la note nominative de ceux quon a ré- cemment détruits :

Tous les monuments de Cheïk-Abadé : il ne reste plus debout que quelques colonnes de granit;

Le temple (X'Aschmouneïfi^ l'un des plus beaux monuments de l'Egypte ;

Le temple de Kaou-el-Kebir : ici le Nil a autant détruit que les hommes;

Un temple au nord de la ville à'Esné ;

Un temple vis-à-vis ^i'/^é,surla rive droite du fleuve ;

Trois temples à El-Kab ou El-Eitz ;

"7° Deux temples dans l'île, vis-à-vis la ville d'Osouan, Geziret-Osonaji:

Ce qui fait une perte totale de treize ou qua- torze monuments antiques, du nombre desquels trois surtout étaient du plus grand intérêt pour les voyageurs et les savants.

Il est donc urgent et de la plus haute impor- tance que les vues conservatrices de S. A. étant bien connues de ses agents, ceux-ci les suivent et les remplissent dans toute leur étendue ; l'Eu-

AI'PJ-NDICE. 4^7

rope entière sera reconnaissante des mesures actives que S. A. voudra bien prendre pour as- surer la conservation des temples , des palais , des tombeaux , et de tous les genres de monuments qui attestent encore la puissance et la grandeur de rÉgypte ancienne, et sont en même temps les plus beaux ornements de l'Egypte moderne. Dans ce but désirable, S. A. pourrait ordonner r Qu'on n'enlevât, sous aucun prétexte, au- cune pierre ou brique , soit ornée de sculptures, soit non sculptée , dans les constructions et mo- numents antiques existants encore dans les lieux suivants, tant de VÉgjpte que de la JSubie :

l" EN EGYPTE,

San, sur le canal de Moez. Basse-Egypte.

Bahheït, près de Samannoud. Basse-Egypte.

Sa-el-Hagaj'd. Basse-Egypte.

Kasr-Kéroun , dans la province de /czioww.

Chéi/i-Abadé , pour le peu qui reste.

El-Arahah ou Madfouné , au-dessus de Girgé.

Kejth.

Kous.

Kourna et environs.

Mediiiet-Hahou et environs.

Loiiqsor (El-Oqsour ).

Karnac et environs.

Medamoud.

458 APPENDICE.

Erment.

Tâoud^ vis-à-vis Erment y sur la rive droite.

Esné.

Edfou.

Koum-Omboa.

Osouan , quelques débris.

Geziret-Osouan , quelques débris.

EN NUBIE, AU-DELA DE LA PREMIERE CATARACTE:

Gez iret-el- Birbé.

Geziret-Béghé.

Gez iret'Séh hélé.

Déboude.

Gharbi-Dandour.

Beit-Ouali^ près de Kalabschi.

Kalabschi.

Ghirsché-Hassan ou Gerf-Hosseïn.

Dak é.

Moharraka.

Ouadi-Essebouâ.

Amada ou Amadou.

Derri.

Ibrim.

Ibsajnboul ou Abou-Sembil.

Ghebel-Addèh.

Maschakit.

Ouadi-Hal/a,qiie\q\.ies débris, sur la rive gauche.

APPENDICE. 4^9

3^ AU-DELA. DE LA SECONDE CATARACTE.

Sennèh, Sohleb , Barkal^ Assour ^ Naga ^ et autres lieux existent des monuments anti- ques jusqu'à la frontière du Sennar, il n'en existe plus.

Les monuments antiques creusés et taillés dans les montagnes , sont tout aussi importants à conserver que ceux qui sont construits en pierres tirées de ces mêmes montagnes. Il est urgent d'or- donner qu'à l'avenir on ne commette aucun dégât dans ces tombeaux , dont les fellah dé- truisent les sculptures et les peintures, soit pour se loger ainsi que leurs bestiaux, soit afin d'en- lever quelques petites portions de sculptures pour les vendre aux voyageurs, en défigurant pour cela des chambres entières. Les principaux points à recommander, sont en particulier,

Les grottes [magarah) des montagnes voi- sines de Sakkaî^a.

Beni-Hassan et environs. Toima-Gébel. El-TelL

Sainowi , près de Manfalouth , el-Eitz ou el-Kab. El-Arabah. Koinna et environs. Biban-el-Molouk ^ près de Kourna. Gébel-Seheleh .

46o APPJÏNDICE.

C'est dans les momiments de ce genre qu'ont journellement lieu les plus grandes dévastations; elles sont commises par les fellah, soit pour leur propre compte, soit surtout pour celui des marchands d'antiquités qui les tiennent à leur solde; je sais même, à n'en pas douter, que des édifices ont été détruits par ces spéculateurs eu- ropéens, sur l'espoir de découvrir quelque ohjet curieux dans les fondations ; .mais les grottes sculptées ou peintes, et que l'on découvre chaque jour à Sa/ikara^ à El-Arabah, à Kourna^ sont à peu près détruites presque aussitôt qu'on en a fait l'ouverture, par l'igrjorance et l'avidité des fouilleurs ou de leurs employés.

Il serait plus que temps de mettre un terme à ces barbares dévastations qui privent à chaque instant la science, de monuments d'un haut in- térêt, et désappointent la curiosité des voyageurs, lesquels, après tant de fatigues, n'ont souvent ainsi que des regrets à exercer sur la perte de tant de sculptures ou de peintures curieuses.

En résumé , l'intérêt bien entendu de la science exige, non que les fouilles soient interrompues, puisque la science acquiert chaque jour, par ces travaux, de nouvelles certitudes et des lumières inespérées, mais qu'on soumette les fouilleurs à un règlement tel que la conservation des tombeaux découverts aujourd'hui, et à l'avenir.

APPENDICE. 4^'

soit pleinement assnrée et bien garantie contre les atteintes de l'ignorance ou d'une aveugle cupidité.

N" m. Lettres écrites par Mohammed, mamoîir ou

PRÉFET DE TaHTA, A ChAMPOLLION.

(Traduites de l'arabe ft annotiVs par M. Reinaiui.)

n" 1. Lettre du mamoiik.

Lui ( Dieu

O le plus cher des amis, le trésor des compaj^notis , notre ami chéri, le très-honoré, le général, le seigneur , le respectable, que le Dieu très-haut le conserve.

Après la présentation de mes salutations avec le plus vif désir (de vous voir), le but de cet écrit est : i" de m'infor- mer de votre glorieuse personne; hier nous convînmes avec votre excellence qu'au jour de la date (de cette lettre) nous resterions ensemble, i)ournous voir, et pour augmenter l'amitié. Au jour de la date nous fîmes les préparatifs conve- nables; mais nous sommes allé le matin à Terrah pour une affaire, et au retour, nous avons vu que vous étiez parti eu

462 APPKNDICE.

bonne santé. Par suite de cela, vous avez une dette à ac- quitter envers nous; mais nos réclamations sont pour l'épo- que de votre heureux retour , lorsque nous vous reverrons dans la plus parfaite santé. Vous recevrez Salanié et Nicolas (deux serviteurs du mamour, l'un arabe, l'autre {;;rec). Que le Dieu très-haut vous ramène sains et saufs, et puissions- nous vous revoir eux et votre excellence doués de la plus parfaite santé; que le Dieu très-haut vous conserve.

Écrit le 3 de djoumadi premier de l'année 44 (ou 1244 de l'hégire, i4 novembre 1828 de J.-C. ).

De la part de l'ami Mohammed, Mamour de Tahta et de Djerdjé.

Le sceau porte : Mohammed son serviteur , c'est-à-dire Mohammed serviteur de Dieu.

Cette lettre qui est la traduction littérale du texte arabe, peut donner une idée du style épistolaire maintenant en usage en Egypte. On a dii remarquer que le mamour donne à M. ChampoUion le titre de général. Sous un gouverne- ment despotique, et la force est tout, les distinc- tions militaires sont les premières de toutes, et il est naturel qu'on les prodigue à toute personne qu'on veut honorer. Voici le texte de la lettre, pour l'usage des orientalistes : nous le reproduisons avec les fautes qui sont dans l'original.

^jSX\ j-}j3^\ LjLsr- ^lsr^>ll^_^.5 j ^Ls^'ilî^t ^^Ixj' iM) <i.J-w /»j^s:-t! j^jlv^Jl .1:^.^!

APPENDICE. 4^3

Uj Jl,^^ V^^XJ^ ^^^>!=iL ,.»v5 à^-i,wju \^^S>.JÎ S\i.X=S.J

Sceau.

n" a. Autre lettre du Mamoue.

Lui ( Dieu ).

O le plus cher des amis, le trésor des compagnons, notre ami chéri, le bey magnifique , que sa vie soit longue.

Après vous avoir présenté mes salutations avec le plus vif désir de vous voir, l'objet de cet écrit est : de m'in- former de l'état de votre glorieuse personne , et de votre tempérament agréable, élégant et fort; de faire par- venir à votre excellence la lettre que vous avez demandée

464 APPFNDIClv.

pour son excellence notre frère chéri , le niamoiir d'Esné. Plaise au Dieu très-haut que vous voyagiez eu bonne saiilè et que vous arriviez de même. Puissions-nous revoir votre excellence comblée de toute sorte de biens; présent*.-?, nos salutations à nos honorables amis qui sont en voire com- pagnie, et envoyez -nous de vos nouvelles; que le Dieu très-haut vous conserve. Écrit le 4 <lf djoumadi pre- iuicr, etc.

Les lettres qu'on vient de lire étaient enfermées dans une enveloppe avec l'adresse suivante :

« Qu'elle parvienne au plus honorable des amis, au tré- sor des compagnons, notre ami chéri, le Français fils de bey (noble), le magnifique , qu'il vive long-temps au sein du bonheur. »

Pour que la lettre arrivât plus sûrement à son adresse , le secrétaire avait écrit au bas les chiffres 2^68. Ces nombres, comme on voit, suivent une proportion arithmétique dont l'exposant est toujours deux, et ont de tout temps servi d'exercice aux calculateurs orientaux ; ils constituent une des principales combinaisons de la science des nombres, jadis tant en crédit chez les pythagoriciens et autres sages de l'antiquité. Les Arabes, chez qui chaque lettre de l'alphabet a une . valeur numérique, convertissent quelquefois les chiffres dans la lettre de l'alphabet qui a la valeur cor- respondante, et au lieu de 2468, ils écrivent b cl v h dont ils font le mot Bcdouh. Mais qu'on lise 2468 ou Bedouh , la valeur superstitieuse attachée à ces signes n'est pas dou- teuse , et on doit les regarder comme une des formules talismantiques les plus estimées des Arabes, des Persans et des Turcs de nos jours. -

APPENDICE. 4^5

N** 3. Lettre de Champollion au Mamoub.

Monsieur cher et unique ami, monsieur Mohammed-Bey, que le Dieu très-haut le conserve !

Après les salutations précieuses et le grand désir de votre agréable présence, le motif de la présente est que, dans ce moment , nous recevons votre chère lettre , et votre discours m'a réjoui, et je remercie le ciel de votre santé dont je désire la continuation , et à laquelle je dois la' lettre dont vous m'avez gratifié pour le commandant d'Esné , de laquelle nous vous sommes infiniment obligé. Or ma présente servira : i" à m'informer de votre chère santé ; si vous désirez des nouvelles de la nôtre, grâce au ciel nous sommes parfaitement bien portant, et nous en désirons autant et plus à vous, et nous ne serions jamais en état de vous manifester le grand chagrin que nous éprouvâmes de votre séparation ; mais nous prions le ciel que comme il nous a séparés il daigne nous réunir de nou- veau , car il est le très-puissant , et aloi's à notre heureux retour s'il plaît à Dieu, et possédant votre chère pré- sence , nous nous acquittei'ons de ce qui est de notre devoir. Cela et rien de plus. Que Dieu alonge votre vie; mes salu- tations à qui vons croirez de convenance.

Votre ami ,

i5 novembre 1828.

CHAMPOLLION.

5o

ORDRE DES PLANCHES.

Pages

W 1. Vue de la nécropole de Sais 5o

IS^ II. Ruines de Sais Sa

jf o jjbis. Restauration des ruines de Sais d'après Hé-

. rodote 52

W III. Portrait de Sésoslris 67

N" IV. Colonnes proto-doriques 75

N** V. Le roi de Jud^prisonnier de guerre 99

1. Dédicace du temple d'Amada 146

2, Chanson pour le battage des grains. . 196

N** VI.

s»&4-{

TABLE DES MATIÈRES.

Pages.

Préface de l'éditeur va xvi

Mémoire sur le projet de voyage littéraire en Egypte. i

Extraits des lettres de Paris à Alexandrie 20

Lettres d'Egypte. Note préliminaire 3i

Lettre I""^. Alexandrie, 18 août 1828. 35

IL Alexandrie 46

IIL Le Kaire A9

IV. Sakkarah 64

V. Pyramides de Gizéh 70

VI. Beni-Hassan et Monfalouth 72

VIL Thèbes 87

VIIL Philce io'5

IX. Ouadi-Halfa , i^"" janvier 1829 ii4

Lettre à M. Dacier ( même date) laS

X. Ibsaniboul 129

XI. El-Melissah l'i'j

XIL Thèbes ( Biban-el-Molouk).. 177

XIIL Thèbes ( Biban-el-Molouk) 221

XIV. Thèbes ( Rhamesséion ) 260

XV. Thèbes ( El-Assassif ) 29*

XVI. Thèbes ( Aménophion ) 3o3

XVII. Thèbes ( rive occidentale ) 3i3

XVin. Thèbes ( Médinet-Habou ) 322

XIX. Thèbes ( environs de Médinet-Habou ). . 363

468 TA.BLE DES MATIÈRES.

Pages .

Lettre XX. Thèbes ( Kourna ) 38o

XXI. Sur le Nil ( Karnac et Louqsor ) 894

XXII. Le Kaire 899

XXIII. Alexandrie 402

XXIV. Alexandrie , 20 et a8 novembre 1829.. 4o5

XXV. Toulon 408

XXVI. Toulon, à M. le baron de La Bouillerie. 412

XXVII. Toulon , à M. le vicomte de Laroche-

foucauld 4 1 5

XXVin. Toulon , 14 janvier i83o 419

XXIX. Aix 42a

XXX. Toulouse 425

XXXr. Bordeaux 4^8

APPENDICE.

N" I. Mémoire sommaire sur l'histoire d'Egypte, ré- digé pour le Vice-Roi Mohammed-Ali 4^9

N** II. Mémoire relatif à la conservation des monu- ments de l'Egypte et de la Nubie, remis au Vice-Roi. 4 ^4

III. Lettres de Mohammed-Bey, mamour d'Esné. 461

Ordre des planches 466

Table des matières 4G7

Table alphabétique des noms de lieux 469

FIN DE LA TABLE DES MATIERES.

TABLE ALPHABÉTIQUE

DES NOMS DE LIEUX.

A

Abaton (dePhilae), p, 169.

Afrique (côte blanche et bas- se ), p. 36, 121.

Agrigente , p. 35.

Aix , p. 21, 422, 425.

Akhmin , p. 88.

Alexandrie , p. 29 , 36, 49, 100, 402, 404, 4<^5.

Amada, p. 118, l!^5, 157.

Aménophion , p. 3o3 à 3i2.

Amonéi. Voy. Esséboua.

Antaéopolis. Voy. Qaou-el- Kébir.

Antinoé , p. 85, 894.

Apollonopolis - Magna. Voy. Edfoii.

Apollonopolis-Parva. Voyez Qoiis.

Arabique (chaîne), igS.

Aschmoun , 64.

Aschmounéin , 85.

As-Souan. Voyez Syène.

B

Bathn-cl-Tiakarah , p. 54. Bédrcchéi» , p. G6, 73.

Béghé, p. i57, 166. Bcheni, p. i25. Béni-Hassan , p. 72, 74, 85,

102, 145, 259. Bét-Oualli , p. i45, i52, 159. Biban-el-Molouk, p. 96, 177,

178, 221 à 25g. Bordeaux, p. 428. Boulaq , p. 55.

Caire , p. 44, 46, 55, 56, 57, 399, 402, 406. Citadelle, p. 59. Palais du sultan Salahh-Eddin , p. 60.

Carrières entre Thorrah et Massarah , p. 65.

Cataracte (2*^), p. 114, 116, 127.— (i^*^), p. 168, 169.

Chércus. Voyez Kerioun.

Citc-Valette , p. 36.

Colonne de Pompée, p. 4o-

Contra-Lato, p. 107.

Coptos , p. 92.

Cosseïr, p. 100.

Ciunino ( île ) , 3G.

Cyrénaïque, p. 36.

470

TABLE ALPHABETIQUE

D

G

Dakkêh,p. 117,149, iSa ,

i57, i58. Dandour, p. 117, i54) i57. Déboud, p. 117, i63. Dendérah, p. 8g, ii5, 397. DeiT, Derri, p. 118, 149., 144,

147 , i53, i54, 157. Desouk, p. 5o. Djebel- el-Asserat , p. 89. Djébel-el-Mokatteb, p. 439. Djébel-Mesmès, p. 118. Djébel-Sélséléh, p. 109, 178,

i8'2, 255.

Edfou, p. 109, 127, 191, 202.

Egypte. Notice sommaire sur son histoire, p. 43o. Sur la conservation de ses mo- numents , p. 454-

El-Assassif , p. 292.

Éléphantine, p. 1 1 1 , iS^, 171, 382.

Élethya. Voy. El-Kab.

î:[-Kab, p. 109, 194? 382.

El-Magara , p. 439.

El-Mélissah , p. i36.

Embabéh, p. 55.

Erment. Voy. Hermonthis.

Esné , p. 107, 108, 109, 127,

191, 198 , 202 Temple

au nord , p. 204.

Ethiopie, p. 127, 186, 264.

Ezbckiéh (place d', au Caire), p. 56.

F

Earas , p. 122. Fouah , p. 5o.

Ghébel-Addeh , p. 122, i3o, 157.

Ghirché , Ghirsché-Hussan , Ghirf- Houssein , p. 117 , i4i , 144} i52, 157.

Girgé , p. 89.

Girgenti, p. 27, 35.

Gizéh , p. 70, 71.

Gozzo ( îles ) , p. 36.

H

Héliopolis, p. i53. Hermonthis (Erment), p. 104, 106, 2o5^ 363.

Ibrim , p. 118, 139, i52.

Ibsamboul , p. 118, 119, 122, 127, 129, i3o, i3i, i35 , 139, ^4i, 143, 144, i47> i57 , 217 , 218 , 263.

K

Kalabsché, p. 117, i55, i56,

i57, i58. Kardassi ou Kortha, p. 162. Karuac,p.98, loi, 181, 191,

396, liiG. Kefth. Voy. Coptos. Kémé , nom de l'Egypte ,

p. 187 , 212. Kerioun , p. 47- Korosko, p. 147. Kourna, p. gS , 101, i45,

178, 181, 38o. Kousch. Voy. Ethiopie.

J.

Latopolis. Voy. Esn»'-.

DES NOMS DE LIEUX.

Libyque (montagne), p, loo,

292, 299, 378. Louqsor , p. 97, 177 , 207 à

220, 203 Ses obélisques.

Voy. ce mot. Lycopolis. Voy. Osiouth. Lyon , p. 20.

M

Malte , p. 36, 407. Manlak. Voy. Pliilae. Manthom, p. 365. Marseille, p. 42 3. Maschakit, p. i3o, 157. Massarah , p. 64. Médinet-Habou , p. 95, 97 ,

lOI, 187, 188, 292, 322 à

362, 392. Ses environs ,

p. 363, 371, 376. Méharraka , p. 117, 148. Memnonium à Thèbes, p. 260,

3o3. I

Memphis, p. 62 , 119, i53,

188. Menephtheum, p. 386. Minieh , p. 73. Mit-Rahinéh , p. 02, 66. Mit-Salaméh, p. 54- Mokattam (mont), p. 54- Montpellier, p. 426.

N

Nader , p. 64.

Nécropole égyptienne de Sais,

p. 5o. Nîmes , p. 426. Niphaiat, les Libyens, p. 187. Nubie, p. 112, 1 14, Il 5, 116,

119, i24j i3i, i5o, 157.

o

Obélisques deLouqsor,p.2 1 4,

471

218, 391. De Cléopâtre,

p. 40, 41, Ombos, p. iio, 127, i37,

172, 178, 182, 202. Oph (du midi), partie méri- dionale de Thèbes, p. 208.

Oph (les), p. 211 , 2i5,

33o. Osiouth, p. 86,88, 102. Osymandyas ( tombeau de ) à

Thèbes, p. 260 à 291. Ouadi-Essébouah (vallée des

lions), p. 117, 144, 147,

iSa , i53. Ouadi-Halfa , p. 114 , 122 ,

123, 125, i3o. Ouest (vallée de 1' ) à Thèbes,

p. 245,

Pallades, Pallacides, leur tom- beau , p. 286, 3oo.

Panopolis. Voy. Akhmin.

Philae, p. io3, 112, ii3, 11 5, X16, 127 , 144, i57 , 164 , 166.

Phthaéi ou Typtah. Voyez Ghirché.

Primis. Voy. Ibrim.

Pselk et Pselcis. Voy. Dakkéh.

Ptolémaïs, p. 8g.

Pyramides, p. 54, 70, 72.

Q

Qaou-el-Kébir, p. 88. Qartas, p. 117. Qous,p. 93, 94-

R

Rasât (cap), p. 36. Rhamesséion à Thèbes, p. 260 à 29 t.

[\'J'i. TABLE ALPHABÉTIQUE DES NOMS DE LIEUX

S

Saboulth-el-Kadim, p. 43o. Sais ou Ssa- cl-Hagar, p. /|7 ,

5o à 53. Sakkarah, p. 61-68. Saouadeh , p. 73. Saouadji , p. 88. Saouafé, p. 47, 32, 53. Schabour, p. 5/(. Schoraféh, p. 54- Sennâr, p. 147. Serré , Gharbi-Serré, p. 122 ,

i3o. Silsilis. Voy. Djébel-Selséléh. Sioiiph. \ oy. Saouafé. Snem. Voy. Béghé. Souan , Osouan. Voy. Syène. Sowan-Kah. Voy. Élethya. Spéos-Artcniidos, p. 85.

Spéos d'Ibrim , p. iSg. Ssa-el-Hagar. Voy. Sais. Syène, p. 102, io3, m, 116,

i37, i57, 170.

T

Taffah, p. 117, 162, 176. Talmis. Voy. Kalabschi. Taôud, p. 2o5. Taphis. Voy. Taffah.

Taposiris ( tour des Arabes ;, p. 36.

Tarranéh, p. 54-

Tébot. Voy. Déboud.

Thèbes, p. gS, loa^ io3, ii5, 119, 127, i37, i53, 177, 190, 206 , 261, 292 , 3o2 , 3 1 3. Voy. Louqsor, Kar- nac , Kourna , Biban- el- Molouk , Rhamesséion , Memnoniiim, Osymandyas ( tombeau de ) , Médinet- Habou, El-Assasif, Palla- des , Amcnophion , Man- thom, Menephtheum.

Thorrah, p. 64.

Thouloum ( mosquée de ) , p. 58.

Toulon, p. 20, 23, 407, 411 > 4i5, 419» 423.

Toulouse , p. 4^5.

Tuphiiwi. Voy. Taôud.

Tyri. Voy. Derri.

V

Vallée des lions. Voy. Ouadi- Essébouah.

Zaouyet-el-Maietin, p. 73.

FIN DE LA TABLE ALPHABETIQUE.

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