SUITE DES LETTRES les IVe. é^yycm DE L5HISTOII^^TURELLE de ^feâ&iP^DU f f o nj; ET SU R LE TRAITÉ DES ANIMAUX de M. l'Abbé de Condillàc. Septième Partie. Jt HAMBOURG M. D C C. L V & tlj ^'xxxxxxxxxxxXxxxxxxxxxx 2? SUIT B DES LETTRES A UN AMÉRICAIN» SEPTIEME PARTIE. XVIIK LETTRE. VOus êtes déjà préparé* Monsieur, par les divers extraits que je vous ai faits du quatrième Volume de Monfieur de Buffon, à recevoir des le- çons que vous trouverez très- nouvelles, fur la nature de l'Homme. Vil. Partie» A Homo duplex. Ceft fon texte qu'il traduit p. s», ainfi. » L'Homme Wrfc«T eft « double. Il eft compofé de deux o> principes difterens par leur na- o> ture, & contraires parleur ac- tion. L'ame , ce principe fpi- » rituel, ce principe de toute » connoiffance , eft toujours en » oppofition avec cet autre prin- » cipe animal & purement ma- tériel. Le premier eft une lu- ^miere pure, qu'accompagne le *> calme & la férénité; une fource » falutaire dont émane la fcien- » ce, la raifon , la fageûe. » Au- cune erreur, aucune méprife par conféquent, ne lui doivent être imputées. «L'autre eft une fauffe » lueur , qui ne brille que par la «tempête, & dans l'obfcurité; m o à un torrent impétueux qui rou- » le & entraîne à fa fuite les paf- û> fions & les erreurs* » Compa- rez, Monfieur, cette pompeufe & éloquente defcription , à ce que vous éprouvez en vous-mê- me ; y trouvez-vous deux vowsj fi je puis parler ainfi f L'un imma- tériel, infenfible , lumineux; l'autre matériel, dont le fond câ ténébreux, mais fenfible. Ên un mot , fi Fêtre qui penfe en vous, ne reconnoît point pour fes mo- difications, la douleur , le plai- fir, les mouvemens des pallions* les impreflions des fens : vous êtes de Tefpece que peint M. de Buffon , compofé de deux moi individuels , qui fe contredifent perpétuellement , qui fehaïflent réciproquement P puifque Top- pofition naturelle qui eft entré eux, «ft celle qui eft entre la lu-i miere Ôc les ténèbres , entre le calme ôcle tumulte : n#is fi la fubftance qui penfe en vous , croit que les couleurs , les fons , les odeurs ., le plaifir , la douleur, font fes propres manières d'être ou agréables ou défagréables , vous rentrez dans l'efpece gé- nérale des hommes, p. 9!>. » L e principe animal , » conti- nue notre Auteur, » fe dévelop- » pele premier : comme il eft pu- » rement matériel , ôc qu'il con- » lifte dans la durée des ébranle- «rnens, & te renouvellement » des impreflions formées dans «notre fens intérieur matériel, «parles objets analogues ou » contraires à nos appétits , il isl S commence a agir dès que le »corps peut feçtir de la douleur > » ou du plaifir ; il nou& détermine » le premier , ôc auŒkôt que nous s» pouvons faire ufage de n»os w fens. » Ces appétits , là dou^ leur&leplaifîr font des modes de la matière, comme nous fa appris M. de Buffon , ce font les façons mêmes de ces ébranle- mens r c?eft-à-dire , leurs vîtef- fes y leurs fortes d'ofcïliationis , feur ton harmonique. Ceil met- tre les Mat érialiftes bien au la> ge : ce que l'Auteur dit enfuite du principe fpirituel ne- les ré^ voltera pas- o> Le principe fpirituel fe ma- lbid^ ^nifefte plus tard, il fe perfec- tionne au moyen deFéducation* * c'eit par la communication des Aiij 161 » penfées d'autrui , que l'enfant » en acquiert , & devient lui- » même penfant & raifonnable ; => & fans cette communication 9 »ilneferoitqueftupide ou fan- » tafque , félon le degré d'inac- * tion ou de ftupidité de fon fens » intérieur matériel. » Sans l'en- thouliafme, Ci familier à Mon- fieur de BufFon , je croirois qu'il penfe que lame eft une ef- peee d'acquifition que fait l'Homme en commerçant avec fes femblables. Comparons cette Defcription à ce qu'il a dit plus haut de l'en- tendement & de. l'imagination. 95. « L'entendement eft non-feule- » ment une faculté de la puiffan- * ce de réfléchir, mais c'eft l'ex- « xercice même de cette puif- [73 fance, ç en eft leréfultat ; c'eft » ce qui la manifefte ; feulement » nous devons diftinguer dans *> l'entendement deux opéra- it tions différentes > dont la « première fert de bafe à la fe- b conde & la précède néceffai- » rement; cette première adion » de la puiffance de réfléchir, eft « de comparer les fenfations ; . » c'eft - à - dire , des modes rj des ébranlemens de certain es par- ties du cerveau , leurs tons d'of- cillation , que perfonne n'a ja- mais ni vu, ni fenti > $i connu ; « & d'en former des idées; &la féconde eft % de comparer les .» idées mêmes , & d'en former *> des raifonnemens. & Et qu eft-ce que l'imagina- tion ? » Elle eft auffî une faculté A iiij m » às l'âme : fi nous entendons « par ce mot > imagination , la n puiffance que nous avons de si comparer des images avec des »idée.s>de donner des couleurs » à nos penfées 9 de repréfenteï » & d'agrandir nos fenfations* 9 de peindre le fentiment v en a> un mot de fâifir vivement les » circonftances, & de voir net- « tement les rapports éloignés 5> des; objets que nous confidé- 4 rons ; cette puiffance de notre * ame en eft même la qualité la o> plus brillante & la plus aftive ; c'eft 1 efprk fupérieur > c eft le » génie : les Animaux en font 3? encore plus dépourvus que *. d'entendement & de mémoire* ^ Mais il y a une autre imagina- un autre principe > qui » dépend uniquement des orga* o> nés corporels , ôc qui nous eft » commun avec les Animaux 1 » c'eft cette a&ionr tumultueufe » & forcée , qui s'excite au-de* » dans de^ nous - mêmes » ( du 000; corporel) ** par les objets a> analogues ou contraires à nos * appétits ; c'eft cette impref- » fion vive & profonde 'dès- ima-. k ges de: ces objets 9 qui r mal- *> gré nous , fë renouvelle à cha- «queinftant, 6e nous contraint d'agir comme les Animaux ^ «.fans réflexion y fans délibéra- ovtion ; cette repréfèntation des « objets plus a&ive que leur pré- sence r exagère tout , falfifie » tout. Cette imagination eft » l'ennemie de notre ame > c'eft £ kfource de Uiltefioai h mer-eu [10] » des partions qui nous maît*- » fent, nous emportent, malgré » les efforts de notre raifon , & » nous rendent le malheureux » théâtre d'un combat conti- » nuel , où nous fommes prefque » toujours vaincus. » Dépouillons cette doctrine de tout l'appareil ébloui/Tant dont elleeft ornée. Le but que Mon- teur de BufFon s'eft propofé dans la partie du Difcours dont nous fommes occupés , eft de bien diftinguer l'Homme de la Bête. L'Homme, félon lui , atout ce qu'on reconnoît dans les Ani- maux i un corps organifé , & dans la tête de ce corps , un or- gane qui fent fon exiftence , le bien-être &la douleur, qui voit les objets , qui entend les fons , qui a des appétits > des deiïrs 6è des partions ; & tout cela n eft qu'un jeu organique , qu'un mo- de de la matière , ce ne font que des ébranlemens fubfiftans. Ain- fi, le corps de l'Homme eft un, individu fenfible , un moi à part r un moi ennemi naturel de l'au- tre moi , Pimbécille n'a point d'autre moi. Mais l'Homme a de plus un autre principe queTAu- teur nous donne , quelque part % pour une fubftance > qui fent auffi fa propre exiftenee , eft un autre moi P lequel affocie ( on ne dit pas comment , ni même de quelle forte il les connoît > les fenfations du moi corporel, forme des idées , unit encore plufieurs idées > & en fait des raifonneniens ; fçak de plus ieomparer des idées à dés ima- ges , & colorer les penfées; L'Homme eft donc compofé de deux individus, de deux moi, auffidifférens par leur fubftance que par leur propriété. L'un eft une lumière pure , incapable d'erreur, ami de la vérité par fa nature; on le prendrait pour cette portion de la Divinité que. les Anciens donnoient à L'Homme 6c refufoient aux Animaux, laquelle après la mort fe réuniffoit à fon tout. L'autre eft aveugle , ou s'il voit , il ne voit que les ténèbres & n'en* fante quel!erreur. On prendrait celui-ci pour une produftion du- mauvais principe , tel que les Manichéens l'ont imaginé; Quand j'ai faim , le moi qui fonge à procurer de la nourriture , èïï la fubftance pure , elle n'a pas faim, elle travaille pour la fubf- tance ténébreufe , de la manière la plusdéfintéreffée.Lorfque je vois un objet , c'eft l'individu corporel qui le voit ) qui defîre de s'en approcher ; & c'eft l'au- tre moi fpirituel qui lui ordonne de marcher pour l'atteindre. Le moi fpirituel ne fent ni le plaifîr , ni la douleur, il eft impaflible , il n'y a que l'individu corporel qui foit fenfible. La fubftance fpirituelle voit dans l'autre fubf- tance, d'une manière à la vérité inintelligible , la douleur & le plaifîr, mais ne lestent point; -cependant elle s'afflige du mal- heur de l'autre , & condamne quelquefois le plaifîr auquel elle C.«4Ï livre Pautre fubftance fon cnne- suie naturelle & pour laquelle elle s'intérefïe quelquefois trop tendrement. Voila l'Homme, Homo duplex. Si vous vous re- connoifTez à ce portrait à vous m'étonnez beaucoup* On voit bien d'où M. de Buf- fon tire fon opinion d un double principe. Ilafaifî ce que Baile a tant fait valoir; je veux dire ces contradiâions que nous éprou- vons en nous-mêmes > ces com- bats de l'homme ipirituel, con- tre Phomme charnel , Poppofi- tion prefque continuelle entre la raifon & les fens y entre la vérité & le menfonge : oppofîtion qui aprécipitéies Manichéens dans les plus grandes erreurs > tant de ipéculation. que de pratique f Auteur rapporte lui-même fa do&rine à cette même origine. » Il eft aifé * nous dit-il en ren- &p; » trant en foi-même > de recon- noître Fexiftence de ces deux ft principes. Il y a des inftans » dans la vie , il y a même des « heures, des jours > des faifons *> où pous pouvons juger , non- « feulement de la certitude de leui^ exiftence , mais auflî de * leur contrariété d'a&iom Je « veux parler de ces tems d'îndo- silence , de dégoût > où nous ne ■ pouvons nous déterminer à »rien , où nous voulons ce que 03 nous ne faifons pas , & où nous faifons ce que nous ne voulons « pas ; de cet état ou de cette * maladie > oùfe trouvent fi fou- » vent les hommes oififs , & mê- mêles Hommes qu'aucun itÊ? «vail ne commande. Si nous »» nous obfervons dans cet état > ^ notre m^i nous paroîtra divifé » en deux perfonnes > dont la *> première > qui repréfente la fa- » culte raifonnable^ blâme ce *> que fait la féconde, mais n'eft pas afTez forte pour s'y oppofer « efficacement j & la vaincre, » Dans ces combats étranges , indices de la corruption de THomme , n'eft - ce pas le mê- me être que la lumière follicite d'un côté, & que les fenfations attirent & occupent de l'autre > qui fe fent déchiré par cette contradiâionf Onreconncît dans bien des occafions la fupériorité des attraits des fens fur notre in- telligence qui fe laiffe vaincre r — * x lâchement,* lâchement : mais l'ame fent-elle ces attraits , ou ne les fent-elle pas ? Si elle ne les feritr pas , -elle n'eft pas follicitée à s'y prêter ; Ci elle les fent > ces mêmes attraits font donc dans des fenfations qui lui font propres * & non pas dans celles d'un être d'une nature tou-* te différente de la fienne. . o> De-là on peut conclure ^p. ioi. » dit M. de Buffon , après quel-* qyes réflexions ajoutées» à ce, que nous venons de voir, » que »le plus malheureux de tous les é- «rtats, efl celui oùces deuxpuiL » fances foaveraines delà nature » de l'Homme *j* ces deux indi- vidus fi divifés d'intérêts ^ » font- » toutes deux en grand mouvez »vement , mais en mouvement *égal â &: qui fkit équilibre* KIL Partie» m tm » C9eft4à le point de l'ennui le *> plus profond > & de cet horri- ble dégoût de foi-même , qui ne nous laiffe d'autre defir , que » celui de ceffer d'être; & ne » nous permet qu'autant d'action o> qu'il en faut pour nous détruire s> en tournant froidement contre nous des armes de fureur. Quel * état affreux , continue-t-il , je * viens d'en peindre la nuance la s* plus noire, *> Je plains fort M. de Buffoni de ce que fon imagination lui re- préfente fi vivement un auffi hor- rible état y connu de peu de perfonnes > même parmi le grand nombre des malheureux..Mais je ne reviens point de mon étonne- ment* quand je vois qu'il fait çonfifter cette noirceur de famé 1 %XML ^ t 19 I dans l'équilibre parfait des paf- fions & de ia raifon. Mais quels font donc ces efforts vioîens que font l'un contre l'autre l'individu intelligent & l'individu fenfible î C'eft fans doute que le principe intelligent condamne les fenfa- tions vives & les attraits qu'é- prouve le principe fenfible, Que fait cette iniprobation à ce der- nier , connoît-il la façon depen- 1er de l'autre , en eft-il choqué ? Il eft trop ftupide, il ne fe Jette point dans l'avenir* il ne fait rien du paffé ; il ne fent que le préfent, & ne le fent que ma- chinalement ; il ne peut être con- tredit par des réflexions qui ne vont point jufqu a lui* & dont il n'eft pas fulceptibîe ; il rr eft done point combattu,: Mais,- dira M> Bij dêBu ..ffon^e fuppofe que famé» a un pouvoir d'étouffer certaines ; fenfations ., de réprimer les appé- tits da l'organe fenfible ; c'eft un effort violent que celui-ci éprou- ve , ôcdont ileftcontrifté* Oui , s'il compare fes appétits avec la : contradi&ion qu'il effuie , s'il regrette une fîtuation dont on le tire ; mais, ce qui-n'a aucune idée du paflfénepeut avoir deregrets f ni craindre que ce qui lui plaît dans le moment > ne paffe , puit qu'iLnecorinoît pas non plus lç futur. Sera-ce lindividu raifonnable . qui fentirale contrecoup des fenfations de fon affocié pure- ment matériel^ qui éprouvera, des fenfations qu'il condamne* qu'il ne youdroit point avoir ^ ô? : on dont il reconnaît le dcïordfe l'r Gela voudrait 4ire, félon M. dé Buffon , que toutes les fenfa*. tions font doubles* La douleur eft dans l'organe matériel 6c dans l'ame, & le plaifir-de même; les couleurs r cette fenfation qui nous fait diftinguer les objets de dehors-, fe trouvent dans l'un & dans l'autre.- Les appétits font doubles auffi ; mais fi l'on com- pare ces- modalités- de l'âme à celles du corps , elles- en diffé- rent autant que la penfée diffère de l'ofcillation d'une fibre. Si cela eft ainfi > je conçois alors que le principe pur foilicité par des fenfations & des appétits à des aaions contraires à fes lu-; mieres , fera violemment agité -, qu'il éprouvera du tsouble %, fi [22] l'amour qu'il a pour Ja pureté de fonêtre, n'eftpasplusfort 1 empire de l'attrait. La guerre intérieure dont il eft affligé, doit être d'autant plus accablante, qu;leftPlusun^ fi je puis parler amli, qu'il eft plus fimple:& ft ce neft que cela que M. de Buf- fonéprouve,ila,commelerefte des hommes, une ame intelli- gente, en qui les lumières ne font pas toujours d'accord avec les appétits & les defirs. Cette efpece de lutte eft d'autant plus cruelle , qu'elle eft dans le mê- me lndividu. Au contraire, G 1 Homme eft le réfultat de l'u- nionde deux fubftances, qui par leur nature, fe contredifent ré- ciproquement, leurs efforts ré- ciproques font-ils en équilibre, [23 3 aucune n'eft vaincue, aucune- ne craint de l'être, c'eft une trê- ve ; c'eft le feul cas où toutes deux peuvent être contentes, ôc tranquilles : car fil'un ou l'autre individu eft fupérieur, il triom- phe de fon ennemi , l'un d'eux eft nécefiairement malheureux» Dans le cas où M. de Bufïorï voudroit foutenir que toutes les fenfations font doubles, mais comme il l'a infinué ailleurs 5. d'un ordre fupérieur dans Pâme; dans le cas, dis-je, oùilyafen- fation de couleur dans l'-ame 9 mais fenfation convenable à 1 ef- prit , & fenfation de couleur dans l'organe , mais fenfation af- fortie à la matière, & qui n'y eft qu'une forte d'ébranlement per- févérant : quel eft celui de ces deuxotdres defenfations fur fe, lueJraifonneJ'efprit phiIof hu que de Mj de Buffon ? Apparent -ent ^ ordrequ'éprouveîUv" d««ifQnnaUc..Erde même, fi: q«e que attrait, pour un plaifiP 1 attrait quefoname éprouve, & **pa. celui qui ne convenant quala matière, feion lui-même* «epeutappatteniràlapuiffance %ituelle;celle-cinepeutavoiC kmaniered'êtrequineconvient qaa un organe corporel. D'où je conclus que quand même 1 Homme feroit dans M.deBuf-, ^nlaffociationdedeuxindivi, dus de difiëre>n+a r ai"erente nature, dont iunferoitfenfible&raifonnable,- l^trefenûble^eirentieWn; privée privé de raifon ; l'efprit , la pïê* miere de ces fiiMances , nefèn- tiroit quefes propres façons d'ê- tre, & non celle de l'organe in- intelligent ; ne raifonneroit que fur ce qu'il éprouveroit, & ne pourroit vérifier par aucune ex- périence, d'une manière dé- monftrative , fi l'autre auroit des fenfations d'un genre matériel , ou s'il n'en auroit pas. Mais l'âme de M. de Buffon ne feroit-elle pas de la trempe de celle des Stoïciens , l'heureufe a- pathie n'en feroit-elle point le ca- ractère ? Seroit-elle une étincelle -delà Divinité que rien ne peut altérer ? Une lueur unie à la ma- tière pour en arrêter les faillies, pour guider la machine dans cer- taines occafions ; pour fe iouer Vil. Partie. * Q [25] de fes affligions comme de fes plaifirs ? Un principe impervertifi fable y celui qui condamne tous nos excès , toutes nos folies. Il femble qu'on dût le penfer. Il veut que nos ames foient impaf- fibles j la Tienne le doit être par conféquent. Il prétend que le corps n'a aucune influence fur fame> dans les imbécilles(ilne peut en avoir davantage dans la folie , dans les délires , dans la première enfance) quelle eft comme nulle dans cet état. En- fin y comme M. de Buffon don- ne toutes nos fenfations, toutes lesimpreffionsdes fensà la pure machine , n'eft on pas autorifé à penfer que le fens fupétieur dans Famé > confifte à voir & non pas à éprouver ces diverfes fenfa- tîons y à les connoître & boa pas à les fentir ; à appareiller y pour ainfî dire , les connoiffan- ces qu'elle a de ces fenfatioms , & non pas à les raiïembler elles- mêmes y ces fenfations qui lui font étrangères y pour en former des idées ? N'eft-ce pas la vraye apathie des Stoïciens ? Vous ad- mirerez fans doute enpaffantj que moins la machine domine fur famé y moinscelle-ci a d'ac- tivité y enforte que dans les im- béciles elle eft nulle ; les Maté* rialiftes l'admireront auffiu M. de Buffon auroit- il crû pouvoir ramener ceux-ci à re~ connoître en nous avec la ma- chine un principe fpirituel, en leurpropofant cette Philofophie de quelques anciens Payens. Ils Cij [28 3 lui fauroientgré defes travaux; Ils s'embarrafleroient fort peu de trouver en eux-mêmes une fubftance indivifible, immaté- rielle , immortelle-même , pour- vu que tout ce qui peut rendre malheureux , je veux dire la fen- fibilité , appartînt à celle des deux fubftances dont l'Homme eft compofé , qui peut être dif- foûte. Pourvu que la fenfation nefoit qu'un jeu organique , qui ne fubfvfte plus après que la mort aura brifé nos organes, ils n'en feront pas moins tranquilles fur l'attente d'une autre vie. Et quel- les affreufes conféquençesn'em- ployeroient-ils pas contre la mo- rale ? Us emprunteroient les mê- mes armes dont s'eft fervi le def- A«g.truaeurdes Manichéens contre t*9l ' Cette Se£te infâme à laquelle il avoit été lié autrefois. Les cri- mes ne font pas du relfort d'une machine > diront -ils à M, de Buffon, elle ne peut rien faire que conformément à fa nature > & par la néceflité même de cette nature : or , tout ce qui eft né~ ceflfaireôc conforme à la Natu- re -y ne peut être un crime. Se- roit-ce l'intelligence unie à TA^ nimal qu'on voudroit rendre reC* ponfable des mouvemens de la machine ? Et quelle part y peut- elle prendre ? Mérite-t-elle d'ê~ blâmée , parce que telle ou telle fibre de fon cerveau a une forte d'ébranlement ou un autre ; Ci cette fibre a tel plaifîr ou tel ap- pétit , pourquoiFame s'y oppo- feroit-elie ? En qualité de cen^ [3° J feur obligé à tenir la machine e» bride ? Oui , fi la fibre étoit ré- préhenfible , fi elle fe rendoit coupable. Mais nous venons de voir qu elle eft incapable d'au- cun mal moral, ni ne peut fe pervertir \ la cenfure ne peut donc ici avoir lieu. Mais l'ame fe corrompt en prenant part aux fenfations, aux appétits du corps, répondra M. de Buffon ; cela ne fe peut , diront les Matérialif- tes , l'ame ne fent rien de ces impreffions , elles font purement machinales,, elles ne peuvent devenir fes façons d'être ; defire- ra-t-elle des affeaions, des fen- fations qu elle ne peut éprouver? Ou deviendroit-elle criminelle , parce qu'elle feroit fpeaatrice des adions d'un Elire d'une tou- te autre efpece qu'elle , furtout lorfque ces a&ions font innocen- tes de la part de cetEftre? Je pourrois aifément pouffer plus loin ces déteftables confé- quences > fi mon but étoit de rendre odieufe la doctrine de M* deBuffon, ôcfijenemebornois pas à prouver qu'elle eft fauffe > contraire à l'expérience , & qu'elle n'a de fondement que dans l'imagination de l'Auteur* Il n'avoueroit pas mêmes ces. conféquences:la foi qu'il profeffe hautement empêche de les lui imputer. Il convient quelque part, que -Famé fe pervertit en felaiffant emporter par les fou- gues de l'Animah II n'explique pas & il ne peut expliquer com- ment l'âme fe rend criminelle C iiij [?2 J dansfonfyftême, comment elle peut recevoir des empreintes des fenfations du corps fon ad- joint, mais illefuppofe. Ilcon- fefïe même que Tame des mé- dians fera punie après la mort. Je dois vous remettre cet aveu fous les y€ux : il avoit dit que l'ame eft impafllble de fa nature, & cette propofition avoit été re- levée fort fagement par la Fa- culté de Théologie de Paris'- * T Auteur l'explique ainfi. » Quand « j'ai dit que Famé étoit impafli- o> ble de fa nature % je n ai préten- * du dire autre chofe > finon que ^ Famé par fa nature n'eft pas * fufceptible des impreffions ex- » térieures^ qui pourroient la dé- truire.» On ne fait quelles font ces impreffions , » ôc je a é C?3J *>pas crû que par la puiflfance de «Dieu , elle ne pût être fufcep- » tible des fentimens de douleur a> que la foi nous apprend devoir » faire dans l'autre vie la peine du péché & le tourment des me- *» chans. » Vous comprenez bien, Monfteur, par tout ce que vous avez vû, pourquoi cet- déclaration effc un peu embarraf- fée ; pourquoi il ne convient pas que Famé fouffire en cette vie $ ôc d'où vient qu'il veut un mi- racle, non pas pour faire fouffrir Famé des médians > mais même pour la rendre fufceptible des fentimens de douleur. Il eft bien clair qu'il ne s'exprime ainfij que parce qu'il attribue toutes- nos fenfations à des ébranlement organiques y auffi bien que tou-* Cî43 tes les impreffions reçues par nos fens ; Se qu'il veut que ces fen- fationsôc ces impreffions foient le partage de l'Animal complet, auquel il lui a plût d'unir notre ame. Mais malgré toutes ces inexactitudes , que ni les Théo- logiens, ni les Pbilofophes ne lui pafferont pas , il oppofera toujours fa profefïion de foi aux Matérialiftes , & arrêtera par-là toutes leurs conféquences ; mais il ne les empêchera pas de les ti- ; rer de fa doctrine, & je fuis obli- gé d'avouer, quoiqu avec peine, qu'elles font très juftes ; mais j'ef- pere de fa foi , comme de fa bon- ne foi , qu'au défaveu qu'il a déjà donné , il en ajoutera un fé- cond touchant fa differtation fur les Animaux, perfuadé qu'une 13$1 foumîflion fans réferve à l'autori- té que Dieu a établie , lui eft plus utile & plus précieufe que toute l'adivité de fes raifonnemens. Je lui prête même la main bien volontiers , en lui prouvant en* deux mots & d'après Fèxpérien- ce y que nos fenfations font des façons d'être de la fubftance in-* telligente : ôc je n employeraï pour cela que l'exemple de la vi- fion. i°. Voir ôc éprouver des fen- fations de couleur , c'eftla mê- me chofe. Cette fenfation porte à notre ame, la figure, le- re- lief, la pofition des corps. Si c'ell un mode de certaines fibres du cerveau y fi c'eft un fiftême de différens ébranlemens , de di- vers jeux de la machine x comniQ Eî & qui ne peut lui convenir , & qu'elle n'en auroic d'autre idée que celle que nous avons des fenfations d'un Chien, que nous voyons évanter les pif tes d'un Liévre,ou fuivre de l'œil la direâion de la courfe de cet animal. La vue de la figure d'un corps ^ de fes dimenfions 9 de fbn relief, feroit dans une fenfa- tion que l'ame n'auroit point > & qu'elle ne peut avoir , parce que cette fenfation eft un mode de la matière. Celui qui voit & celui qiûraifonne fur çe qui eft vu* ferolent deux individus différens» Qui peut allier de pareils para- doxes avec l'ufage qu'il fait a chaque inftant de fes yeux? Qui peut penfer que ce qui apperçoit & qui réfléchit eu lui fur ce qu'il a appercû, font deux êtres d'ef- pece différente? 3°. Enfin, la fenfation delà vue renferme l'ordre des corps , leur pofition refpeaive ôcperfé- vérante , ou le changement con- tinuel & fucceffif de fituation. des unsàl égard des autres. Elle renferme l'idée de lieu & de pofition, de haut , de bas , de divers côtés ; l'idée du tems dans le mouvement fucceffif du corps mû. L'expérience eft ici trop commune, trop confiante & trop précife pour pouvoir être ■■■■■■■ niée. Or > aucune de ces Idées ne peut convenir à une machi- ne ; Monfieur de Buffon l'a- voue , & nous le forcerions d'en convenir , s'il tentoit d'en dou- ter. Il eft donc prouvé que le fens de lavûe, renfermant tou- tes ces idées > qui ne peuvent être un méehanifme > ni un mo- de du cerveau , en eft un de no- tre ame. L'Homme intérieur double eft donc renverféj le Stoïciftne & le Manichéifme font confondus , l'ame rentre dans fon état natu- rel , c'eft un Eftre fufceptible de lumière & de fentiment > où la lumière & le fentiment font fou- vent oppofés:paflive,elle eftfujet te à toutes les impreflions des ob- j ets x ranfmifes par les fens,à tous les changemens que le cours des efprits , décidés par une maœuvre fecrette de la machi- ne, peuvent y caufer. Active, pour défavouer , pour réprimer les appétits quelle fe fent & que fa raifon condamne , pour adopter le vrai , pour rejetter le faux , pour péfer les vraifemblan- ces ï pour douter , pour refufer d'examiner , pour juger avec précipitation ; fufceptible de vé- rité & d'erreur. Voilà fes traits tels que nous les reconnoif- fons en nous-mêmes. Quiofera en faire une portion de la Divi- nité; c'eft-à-dire, d'un Eftre im- muable , eflentieliement ama- teur de l'ordre , incapable de fe tromper ni d'être trompé , infi- niment a&if , infiniment heu- reux 3 C40 feux T infiniment iiBpafïible? C'eft pourtant à cet attentat que font réduits quelque s Matérialif- tes , forcés dans les ténèbres où ils fe réfugient» Voilà la doc- trine qu'ils débitent avec adrelfe t ils en changent fans changer d'in- térêt, & entreprennent de fpî- ritualifer le fpinofifme , & de donner pour élément à la ma- tiere , des parcelles de Dieu; même. Je fuis depuis long-tems- ces Meilleurs , je les entends^ & je tâcherai de le leurprouven, mais Monfieur de Buffon ne les entend point ; loin de fe pricau- tionner contr'eux en croyant les confondre, il leur prête des ar„ mes; ne doit-il pas me fçavok quelque gré, quand j e Pav;erti& dune meprife.fi pernicieufe:,, M VIL Partie W E42Î 'de ce qu'en refpe&ant fes botti- nes intentions , j'empêche , de tout mon pouvoir, qu'il ne pa- roifle favorifer des gens attentifs à profiter de tout? J'ai l'honneur d'être , ficc. XIXe. LETTRE. NOus fommes arrivés < Monfieur, àla doarinede Monfieur de Buffon , touchant les partions de l'Homme & de- Animaux ; appuyés fur des prin cipes tels que vous les avez vus elle doit fubir le fort de fes fon démens. Ainfi, il fuffit de l'ex pofer, Ôc de faire fentir en pal iant les défauts qui lui font prc près. Il palTe à cette matière, e £ 43 | affirmant pofitivement que la fenfibilité à laquelle on doit rap- porter les pallions , aux moins .celles qui font relatives aux be- foins de la machine , eft fap- panage de la machine feule y & n'appartient point à famé, « Se- P'.i**_ « parons de nous tout ce qui « appartient à rame ; ptons-nous » l'entendement g Tefprit & la » mémoire , ce qui nous reliera » fera la partie matérielle parJa~ 9 quelle nous fommes Animaux^ »nous aurons encore des be- '§ foins , des fenfations > des ap^ pétits , nous aurons de la dou- » leur & du plaifîr ,-. nous au- 33 rons même des paflîons , car « une paffiqn eft-elle autre ehafe- » qu'une fenlàtion plus forte que -les autres,, Sc qui fe renoweUe D if [443 w à tout ïnftant.» Cette définition} eft très-peu exafie , nos partions, font plûtat des goûts pour une efpecedëfenfation, ou des de-, firs de certaines fenfatïons. » Or,. « nos fenfations pourront fë rer » nouveller dans notre fens inté- rieur matériel, nous aurons «donc toutes les partions, du » moins toutes les partions aveu- » gles , que rame , ce principt « de laconnoiffance , ne peut n » produire, ni fomenter. » Vou: me demanderez , Monfieur comment , dans les principes d< M. de Buffon , lame peut deve nir criminelle, puifqu'elle n peut ni produire ni fomenter U partions aveugles. Je ne. fai q« vous répondre , Ôc vous veœ feientôt pourquoi.. mi Dans ce partage qu'il fait de nos différentes facultés , de quel côté met-il la volonté ôt la liber- té ? Toutes nos paffions fe rédui- fent au defir d'être feeureux par la pofTeffion d'un objet/ oa d'é^ viter un mal en éloiguant ou en fuyant ce qui peut le eaufer. Eï- îes font toutes relatives au paffé ou au futur y elles naiffent de l'a- mour du bien être : & cet amour eit notre volonté. Il eft étrange: qu'en décrivant ce pui appartient à Famé , ilréduife toutes fes pro- priétés à l'entendement , à l'ef- prit & à la mémoire , ôc qu'il ne falfe aucune mention de la liber- té, dont nous avons certaine- ment le fens intime r & dont Fè- xercicene peut être* un média- îiifme , puifque tout méehanifme; eft l'effet néceffaire d'une caufe^ Pourquoi donc paffe-t-il abfolu* ment fous fdence cette faculté a&ive qui décide du mérite ou du démérite dans l'ufage de tou- tes les autres facultés ? L'ame fût-elle un portion de la Divinité^ voudroit-on qu elle ne fût pas li- bre ? Il faut ici expliquer favora^ blement notre Auteur,, & raf- fembler des demi-mots épars* dans fon difcours ,-pourfuppléer ce qui manque à fa defcriptiom de famé. Si l'on n'avoit pour lui cette attention , on croiroit qu'il ne reconnoîtroit que-l'intel- îigençe , une forte d'imagina- tion ôcla mémoire > dans la fub- âance fpirituelle dont nous fcm- mes animés. Il* fuppofe afluré- mmt partout ailleurs la liberté êc C47] îa diïKngue comme on doit , de la ipon-taneité. Mais où place- t-il l'une ôc l'autre ? C'eft en quoi eonfifte la difficulté. Dans l'amer ou dans le fens matériel, fi je ne me trompe , ilafflgne la liberté àl'ame , &la fpontaneité à fbm fens matériel. Je démêle quelques traces de cette précifion dans l'endroit principalement où il parle de la jeunefle. » Dans la jeuneffe, lorf- p. »que.le principe fpirituel corn- « mence à entrer en exercice , & » qu'il pourrait déjà nous condui- w re, il naît unnouveau fens ma- 3> tériel qui prend un' empire ab- »■ folu & commande fi impétueu- » fement à toutes nos facultés p a> que Famé elle-même femble fe~ * fréter avec plaifir aux pafiioos; » impétueufes qu'il produit. » H y a malheureufement plus que de l'apparence, que dans- plu- fieurs , l'amené fe prête que trop aux premières folli citations delà paflion dont l'Auteur nous parle; Mais au lieu de nous enfeigner que la machine domine alors, il auroit dû admirer l'attention de- la Providence , qui n'a permis à eerte paflion de fe déclarer,qu'a* près que laraifon a été dévelop- pée, que la liberté eft en exer- cice , & que l'éducation a pû prémunir contre les premières atteintes d'un attrait , qui n'eft un défordre , que parce que nous naiflbns dépravés. M. de Buffbn continue. "Leprincipe matériel » domine donc encore ôt peut- -être avec plus- d'avantage que » jamais » » jamais ; car non-feulement I » efface & foumet la raifon , mais *i| la pervertit & s'en fert com- mun moyen de plus ; on ne » penfe& on n'agit que pour ap- » prouver & pour fatisfair-e fa « paflion. « On croiroit entre- voir un art profond dans la def- cription que vous venez de lire, Monfieur , l'on y foupçonnerok des vues, filon n'avoit pas déjà obfervé que l'Auteur ne voit que confufément ces objets, fans en faiiïr ni l'analogie , ni l'oppolî- tàon;on n'y trouve donc qu'une contradidion palpable. Quand le principe fpirituel commence à entrer en exercice , naît un nou- veau fens matériel qui comman- de fi impétueufement à toutes nos facultés , que l'ame femble VU. Partie, E feulement s'y prêter ; ne voilà qu'une apparence , cependant il efface, foumet,& pervertit larai- fon ; on ne penfe , on n'agit que pour approuver , pour fatisfaire fa paffion. Voilà bien plus que des apparences. Si M. de Buffon étoit dans Fhabitude de fe fuivre, on l'aideroit à lever une contra- didion auffi frappante , & l'on y réuffiroit en quelque forte , en fe rappellant ce qu'il enfeigne de l'impaffibilité de l'ame, & ce qu'il dit , qu'à l'exception de l'in- telligence, de l'efprit & de la mémoire, tout ce ^que nous éprouvons en nous-mêmes, ap- partient à la machine. On con- eevroit que la paffion impérieu- fe dont il parle , ne pourroit per- vertir la fource pure de la lumie- re ; Famé ne pouvant recevoir des manières d'être qui ne font propres qu'à la machine : qu elle parbîtroit néanmoins pervertir , en ce qu'elle fuggereroit à la ma- chine les moyens de fe fatisfaire elle-même (machine) dans le fens qu'on prend part . à l'amufe- ment d'un Singe, lorfqu'on lui jette un papier chifonné dont il fe divertir. Enfin quelle paffion eft plus aveugle que celle-là. Or, nous avons vu, il n'y a qu'un mo- ment , que l'ame ne peut ni pro- duire , ni fomenter ces fortes de paflîons. Cette dernière obfer- vation acheveroit de lever la contradiction. Je ne poufferai pas plus loin cette apologies, prife des princi- pes de M. de Buffon, & j'aime m mieux dire nettement, qu'il fe contredit ici lui-même , comme il lui arriv e très-fouvent , que de lui fauver cet embarras en lui fuppofant des vues d'autant plus criminelles , qu'elles feroient préfentées avec plus d'art. D'ail- leurs il me paroît confiant qu'il fuppofeque l'ame devient cou- pable en favc-rifant les pâmons; & par conféquent qu'il accorde la liberté. Pour vous en con- vraincre , lifez , Monfieur , ces beauxmorceaux de fon difcours 4 danslefquels vous verrez avec quelle noblefle, quel feu , quelle énergie, il décrit ce qu'il con- çoit nettement , & combien de chofes il nous dérobe en s'obfti- nantàécrire fur des fujetsfurlek quels il n'a pas certainement af- fez réfléchi. L'extrait fera long f mais les traits brillans dont il eft femé y vous le fera trouver très- court. Il détaille les premiers égaremens de la jeuneffe par rap- port à la nouvelle pafïion qu'elle éprouve;. o> Tant que cette ivrefle durer p. io*. » on eft heureux* les contradic- étions -6c les peines extérieures* =» femblentrefferrer encore Tuni- »^té de l'intérieur > elles fortifient ^la pafTionv, elles en rempliffent w les intervalles languifTans 5 el- * les réveillent f oFgueîi>.£taché- vent détourner toutesvnosvûes* vers le même objet > ôc toutes » nos pallions vers le même but.» ••Mais ce bonheur va) palFerp. 10^ « comme un fonge > le charma ^ difparoît y le, dégoût fuit >, un Eiij/ Cf4J «vuide affreux fuccéde à la pîé- » nitude des fentimens dont on » eft occupé. L'ame au fortir de « ce fommeil léthargique,a peine » à fe reconnoître ; elle a perdu - » par l'efclavage , l'habitude de » commander , elle n'en a plus « la force , elle regrette même «la fervitude, & cherche un o> nouveau maître, un nouvel « objet de paflion , qui difparoît « bientôt à fon tour , pour être » fuivi d'un autre qui dure encore » moins. Ainfi les excès ôc les » dégoûts fe multiplient, les plai- o> firs fuyent , les organes s'u- » fent ; le fens matériel , loin de » pouvoir commander , n'a plus * la force d'obéir. Que refte-t-il « à l'Homme après une telle jeu- 'è neffe ? Un corps énervé ? une fi ame amolie , & l'impuiffance « de fe fervir de tous deux. » La defcription de l'âge moyen, tout aufïi bien frappée > fuit cel- delà jeuneffe. Tout s'y rapporte à la liberté. a Ceft à cet âge p.- 107. ( Tâge moyen) » quenaiflent les « foucis y & que la vie eft la plus 05 contentieufe ; car on a pris un 03 état y c'eft-à-dire * qu'on eft en- 03 tré par hafard ou par choix dans v> une carrière qu'il eft toujours 03 honteux de ne pas fournir , & 03 fouvent très dangéreux de rem- » plir avec éclat» On marche 93 donc péniblement entre deux 33 écueils également formida- 03 bles > le mépris & la haine ; on 03 s'affoiblit par les efforts que 0» Ton fait pour les éviter > &Ton 03 tombe dans le découragement E iiij m l I il! car , lorfque à force d?avok vécu & d'avoir reoonnu,éprou~ vé les injuftices des hommes,, on a pris f habitude d'y comp- ter comme fur un mal nécefc faire : lorfqu'on s'efi: enfin ac- coutumé à faire moins de cas de leurs jugemens que de fon repos > & que le cœur endur- ci par les cicatrices mêmes des coups qu'on lui a portés > eft devenu plus infenfible ; on ar* rive aifément à cet état d'indifr férence, à cette quiétude in- dolente y dont on aurok rougi quelques années auparavant. La gloire, ce puifTant mobile de toutes les grandes ames , & qu'on voyoit de loin comme un but éclatant qu on s'effor- çoit d'atteindre par des aitiônâ [ni *> brillantes ôc des travaux utiles * » n'eft plus qu'un objet fans at- 3> trait pour ceux qui en ont ap- « proché y ôc un phantome vain » & trompeur pour ce ux. qui fon^ » reftés dans Péloignement. La f pareffe prend fa place > & femu. * ble offrir à tous des routes plus » aifées ôc des biens plus folides j » mais le dégoût la précède ÔC 3> l'ennui la fuit ; l'ennui ce trifte »tiran de toutes les. âmes qui penfent , contre lequel la fa- ™ gefTe peut moins que la folie. » On vok bien qu'il s'agit ici de l'ambition, paflion purement fpirituelle ; ôc toute cette des- cription porte l'empreinte de la liberté, l'incertitude , la délibé- ration, un parti pris ôc abandons né* toutes diofes qui ne coa> CtfJ viennent qu'à un agent libre* Mais quel fervice Y ame tire-t- el- le de fa liberté ? Elle procure ap paremment à l'organe fenfible > les moyens de s'amuferinnocenT ment, car fes amufemens ne peuvent être criminels ; mais l'Auteur veut quelle fe perver- tiffe par cette complaifance. Le foin quejeprens de jufti- fier M. de BufFon fur tout ce que la malignité voudroit lui impu- ter, vous convaincra , Monfieur, dudefir fincere que j'aurois de le trouver toujours vrai , ôc du très- fenfible plaifir que j'éprouverois, fi je n avois que des applaudi!- femens à donner à fes Ouvrages. Après avoir montré que l'Au- teur n'a rien de commun avec! ces Philofophes Payens -, qui re- *ardoient notre ame comme une sarcelle de la Divinité , voyons comment il diftingue les partions qu'il veut donner à la machine. [1 nous prévient ainfî. » Ceft ici p- 1 * le point le plus difficile ; corn- » ment pourrons-nous , furtout » avec l'abus que l'on a fait des » termes > nous faire entendre & » diftinguer nettement les paf- * fions qui n'appartiennent qu'à » l'Homme, de celles qui lui » font communes avec les Ani- » maux ? Eft - il certain , eft -il » croyable que les Animaux »puiflent avoir des partions? » N'eft-il pas au contraire con- » venu que toute partion eft une «émotion de Famé ? Doit-on «par conféquent chercher ail- « leurs que dans ce principe fpi- ^rituel , les germes de l'orgueil r *>de l'envie r de l'ambition r de * l'avarice & de toutes les paf- «•fions qui nous commandent. » Il tranche la difficulté , en: ac- cordant au méchanifme du cer- veau y les pafïlons les plus fpiri- tuelles % comme l'orgueil 9 l'am- bition , lajaloufie, l'envie , l'a- varice : elles deviennent alors< propres aux bêtes comme à nous* dansfon fyftême. Mais lorfqu el- les font: réfléchies r alors elles font revendiquées par l'ame > &. elles deviennent fpirituelles. Ecoutons-le s'expliquer lui-mê- ttM. me. « Je ne fai ; mais il me fem~ ^ble que tout ce qui commande si. à l'ame eft hors d'elle. Il me «femble que le principe de la 5* connoiffanceJyn'eft point celui [Si] • du fentiment ; il me fèmble » que le germe de nos partions «■eft dans nos appétits , que les » illufions viennent denosfens, a> & réfident dans notre fens in- » térieur matériel : que d'abord f « l'ame n'y a de part que par fon » fiience ; que quand elle s'y » prête, elle eft fubjuguée, & & pervertie lorfqu'elle s'y com-< « plaît. « L'aveu ne peut être plus précis ; & l'Auteur n'y eft forcé, que parce qu'il fent bien par l'expérience , que toutes nos partions > même les plus fpiri- tuelles , font occafionnées dans notre ame par quelques difpofi^ tion machinale du cerveau. Ce- lui d'un ambitieux^ diffère de celui d'un avare par quelque dit- pofition organique. Par cette: différence , Famé de Fun a de l'attrait pour tout ce qui peut l'é- lever ; Famé de l'autre en a pour toutes les voyes d'accumuler des biens qu'il refpeâera tou- jours beaucoup plus que fes pro- pres befoins : & la crainte de manquer fera que celui-ci man- quera de tout au milieu de fon abondance , tandis que l'autre prodiguera tout > pour arriver au terme de fes defirs. De ces at- traits occafionnés dans Famé par des méchanifmes très fecrets pour nous mêmes > naiffent les defirs & les projets félon les cir- conftances ; ce font ces defirs qui nous commandent. L'Eftre qui penfeen moi travaille pour lui- même , lorfquil fe laifTe èntraî- iier à fes penchans. Le même qui defire, prépare & arrange les moyens pour parvenir à fon ob- jet. Quand on abandonne cette dotlrine d'expérience v quand on veut que les fenfations & les defirs rélident dans la machine , & les délibérations dans l'ame y on ne comprend point comment Pâme peut être pervertie par des manières d'être dune nature dif- férente de la Tienne 3 & aufquel- les elle ne peut par conféquent participer; je ne dois point me laffer de le répéter. M. de Buffon continue. » Dif- p- **** » tinguons donc dans les pallions m le phifique & le moral , Pun eft * la caufe , l'autre l'effet. » Qui peut comprendre que le moral foit l'effet du phifique ou d'un méchanifme > d'un ébranlement [<*4] de quelque fibre du cerveau ? H ■veut dire apparemment que la fenfation , l'appétit, le defir ma- chinal de quelque fibre du cer- veau, opère phifiquement dans l'ame, des fenfations, des ap- pétits , des defirs purement fpi- rituels ; ou qu'une modification purement corporelle, produit phifiquement une manière d'être fpirituélle dans l'ame. Plus on développe les idées de l'Auteur , plus elles deviennent inintelli- gibles. Il ajoute. » La première » motion eft dans le fens intérieur » matériel, l'ame peut la rece- » voir » comme je viens de l'ex- pliquer « mais elle ne la pro- * duit pas. Diflinguons aufli les x :mouvemens inftantanés , des » mouvemens durables , & nous » verrons ^verrons d'abord que la peur, ^l'horreur,, h, colère > l'amour y ^ou plutôt le defîr de jouir , font ^des fentimens qui, quoique "durables , ne dépendent que de. » Timprefliondes objets fur nos »-fens, combinée avec des im- »par conféquent ces paflîons doivent nous être communes, ^-avec les Animaux» ^ A. cette: oecafion , il nous dit que rierî ; n'eft effrayant pour un homme, ou pour un animal , qui voitpour la première fois ^ce qu'oa ne, p£ut concilier avec une de- fes* premières leçons au fujet d'Adam, kquel créé, félon lui , lâche -&> timide.,; a éprouva, d'âutiepaf- lion que la peur dans lespremiers • (S IL Partie* 1661 inftans defon exiftence, & pouf qui fa compagne même fut utt objet effrayant» Il prétend de plus que l'horreur , la colère j P. II4. l'amour dans l'Animai» ne fup- » pofent aucune connoiffance, » aucune idée , ôc ne font fon- » dées que fur l'expérience du » fentiment. » «Amour, defirinné, amede *«- ■ k nature ! <« Quelle harmonie L Quelle Poëfie! C'eft le Philofo- phe moderne qui va chanter. » Princiqe inépuifable d'exiften- »ce i Puiffance fouveraine qui » peut tout , Ôc contre laquelle » rien ne pem} par qui tout agit, » tout refpire Ôc tout fe renou- velle ! Divine flâme ! Germe - de perpétuité , que l'Eternel a » répandu dans tout avec le fou-; 1*11 » fle de vie ! Précieux fentimeilt *> qui peut feul amollir les cœurs 03 féroces & glacés , en les péné- trant d'une douce chaleur! « Caufe première de tout bien % *> de toute fociété ; qui réunis » fans contrainte & par tes feuls » attraits > les natures fauvages 35 & difperfées ! Source unique ôc » féconde de tout plaifir , detou- te volupté ! Amour ! Pourquoi .» fais-tu l'état heureux de tous » les Eftres & le malheur de *> l'Homme !» Quel entoufiaf- me ! Quel feu ! Qu'il eft lyrique ! Ceft une Ariette vraiment digne d'être relevée par les tendres fons de quelque habile compo- fiteur.. Le terme de ce vol (ï brillant » e# néanmoins une très- pefante & très-lourde- chute ; car F: g ■ C C'efî qu'il n'y a » que le phifique de cette paflion w qui fok bon : c'eft que, maî- » gré ce que peuvent dire les gens j mépris y lé moral n'en vaut rien.» Cette réflexion manque abfoliî- ment d exa&itudèi Cette iricÎK nation dans les jeunes gens quîi ne font point pervertis d'ailletirs>A fe montre d?abord fous les de- hors dé l'innocence ; elle n'en eftpas moins périlleufe, quand; elle ne porte pas à une union lé- gitime, ou qu'elle contredit les j égards- & le refpe£tdûs aux pa- rens. Mais elle naît quelquefois ; entre des enfans , dâns Fâge mè- me où ils ignorent lé mal. Pat Qooféquent prétendre générais- ment que le moral vi en vaut rlcrb e'eftvouloir qu'il ne foit jamais permis, de s'unir par des liens qu'on ne puiffe rompre y à une perfonne que Pon aime* ôcdonr on eftîmer tellement là vertu $ que l'idée du crime ne s'offre pas même à l'efprit. Mais ce mor^l mauvais f vous ne devineriez jà-*- mais ce que c'en: > Monfiem* Qu'eft-ce en effet que le moral mai, »de l'araour ? La vanités» C'eft dommage que je ne puiffëtranf* crire le Commentaire de l'Au- teur. » ï Tout ce qu'il y a de bon p. n<% 5> dâns l'amour > appartient donc » aux Animaux tout auffi bien » qu à nous.^ Ceil-à M. de BufFon, ne nous empê- cheront point de prendre pour> une idée > puifque fon objet elL leparallelle que l'Animal fait de. foi-même avec fes rivaux; les, Animaux ont encore y félon >IVL. de BufFon > leur efpece d'amitié^ leur efpece d'orgueil 5 leur es- pèce d'ambition,- Mais l'amitié* des Animaux h efl: comme celle: d'une femme pour fonferin > d'un> Jfc 119. enfant ^omfon jouet > &c. » Tou-* * tes deux font aulïï peu, réflé^ o>chies, toutes deux, ne font: ^ qu'un fenthuent aveugle : ce* ^lui£ r* lui de l'Animal &û feulenfêffc * plus naturel , fcaiSjtfà et jfo&v * de' fur le befoin , tandis ^eê - l'autre n'a pour objet qu un%« - lipide amufement auquel l'a^e - n'a point de part. Ces habita «des ne durent que par le défceu- -vrement^ & n'ont de force que -parle vtiide de la tête;&3e * goût pour les magots & le cul- * te des Idoles ; l'attachement , - en un mot, aux choies inanï. - mées , n'eft-il pas le dernier ^ -gré delà ïtupidité? Cependant * que de créateurs d'idoles & de » magots dans ce monde-! Qm -degens adorent l'argile qu'ils -ont pétrie! Combien d'autres * font amoureux de la glèbe * qu'ils ont remuée!» Je tranfcritcepafTagequepour^ Famé» sQ C74l faire voir avec quel art l'Auteur" fait diftraire fes leûeurs par de très beaux traits de morale, fur lespreuves&lesdémonftrations qu'on attendoit naturellement de lui. Il fait enfuite une diftinc- tion très-déiicate , mais très- jufte, entre l'amitié ôd'attache- „c ment. -Ceft, nous dit-il, lorf- «qu'onpenfeôc qu'on réfléchit ,1e moins, que naiffent laphi- » part de nos attacherons. C eft .encore faute de penfer & de «réfléchir, qu'ils fe confirment * & fe tournent en habitude, i Mais l'amitié fuppofe cette • pmffancc de réfléchir; c eftde i tous les attachemens le plus . digne de l'Homme, ôcle feul .qui ne le dégrade point j la- " initié n'émane que de la ral- »fon, Pimpreffion des feasn'y *> fait rien , c'eft Famé de fou » ami qu'on aime , & pour ai- » mer une ame, il faut en avoir * une , il faut en fçavoir faire » ufage , F avoir connue , Pavoir comparée & trouvée de mi- » veau à ce que l'on peut con- » noître de celle d'un autre. L a- » mitié fuppofe donc, non-feu- » lement le principe de la coa- » noiffancc, mais l'exercice ac- » tuelôc réfléchi de ce principe.» Ce morceau vous donnera cer- tainement une haute idée de lame de Monfieur deBuflonj il faut fentir tout cela pour le peindre aufli-bien. Cependant je ne voudrais pas , comme iï l'a fait, exclure de Famitié toute Sympathie. Gij t7 tru&ion^ du nid ; c'eft qu'ils > l'ont habité ; c'eft qu'ils y ont * eu du plaifir avec leurs femel- » les . . * au lieu que dans les au- * très efpeces d'Animaux... où il » n'y a point de nid rpoint d'ou- 35 vrage à faire en commun , les p. «2 * pères ne font pères que comme » on Tétoit à Sparte -j ils n'ont »■ aucun- foucy deleurpoftérité. « Jamais: Monfieœ de BufFon ne fortira du Dédale ou il entre. Il accorde aux Animaux le fens dè Kexiftence, des appétits , des G iij E?8 1 «Sefirs. Qui verra des Oîfeaœc eonftruire leurs nids & penfera comme l'Auteur vient de pen- fer ^ rapportera leurs travaux au defir d'avoir une poftérké. Ce delîr ne paroîtra point une fen~ fation aveugle. Tant de fages at- tentions prifes par avance dé- montreraient qu il eft éclairé. Que l'on voye, il Ton veut* dans l'attachement des mâles pour leurs petits > la réminifcen- ce du plaifir qu'ils ont eu à con£ truire & à habiter leurs nids , on remarquera dans leurs travaux % dans la forme qu'ils donneront à leurs nids * dans le choix des matériaux propres à réchauffer les œufs y à les dérober aux yeux des curieux , des moyens très- dirigés à la fin que leur indique [793 leur defir naturel , & des idées de l'avenir. Des partions qui n'auroient aucun rapport ni à l'avenir , ni au paffé , ne fe- roient point des partions > ôc des defirs qui ne renferment pas ri- dée d'un bien â venir , ne font nullement des defirs • « L'orgueil ôc l'ambition des p» m » Animaux tiennent à leur cou- *> rage naturel > c'eft-à-dire , au » fentiment qu'ils ont de leur * force & de leur agilité , ôce. **- Mais ces partions renferment aufli la comparaifon de leur for- ce & de leur agilité avec ces mê- mes qualités des Animaux dont ils font les émules > ou qui font les leur. L'avarice qui paroît dans le Chien, à qui il ne man- que rien chez fon maître , ôc qui r§o3 va cacher des os ; dans le Renarcf qui tuera plus de poules qu'il: n'en peut manger pour appaifer fa faim > renferme l'idée d'un be- foin futur & de la crainte de l'in- digence. Point de pafïions fans des rapports apperçus entre des foefoins ou des appétits préfens 3 & des objets qui peuvent -le»- fa- tisfaire ; entre des incommodi- tés préfentes & la fuite des ob- jets qui les caufent. Accorder des pallions, telles qu elles foient à la matière , lui donner mêmes celles qui viei> del'eftime de foi-même , du de- fir d'être préféré aux autres ^ c'eâ donner lieu aux Matérialités , de regarder l'âme fpirituelle dans l'Homme, comme un don qui lui a été fait en pure yemi Mti$î C8iJ que manquerai* * il à l'organe* fenftble inventé par M, de Bué- fon> il? fent fon exiftence > il ai?* me le bien être * il defire les ob* jets qui peuvent le lui procurer;, il. dirige toutes fes vues vers es qui peut lui en faciliter la jouif- fance , il hait ce qui lui nuit, il fait les moyens de l'éviter; il s'aime & s'eftime , & veut être aimé & eftimé : cependant il et incapable de réflexion il n'a point d'idées > il ne faifit aucum rapport. Mais onle dit très grar tuitement h fi l'on fuppofe des paflions dans l'organe fenfible ; puifqu'il fent le rapport de con- venance de l'objet qu'il aime avec lui-même > & Poppoiltioa entre ce qu'il hait &c fbnbiei^ ê&ç... Dès que l'on conçoit qu'ili [82] ne faut que donner un ton cPo£ cillation, une certaine tournure aux fibres du cerveau, pour les rendre fenlîbles à leur exiftence 9 à la douleur y au plaifir, pour qu'elles ayent des paillons, pour- quoi leur refuferoit-on la réflec- tion , l'attention & la médita- tion ? Tout cela eft bien éloigné des penfées de M. de Buffon i maisl'eft-il des prétentions des Matérialiftes , fes ennemis & les nôtres ? C'eft-là ce qu'il faudroit prouver. Je voudrais être en état de le faire , mais j'en fens toute Fimpoiïibilité ; vous la fentez aufïi 9 Monfieur* vous voyez très-bien que je n'avois d'autre parti à prendre que de lui dé- montrer y comme je fais , que les MatériaMes ne peuvent tirer [8?J avantage de fa do&rine, parce qu'elle n'a rien de vrai, qu'elle fe contredit elle-même & toutes nos expériences. J'ai l'honneur d'être, avec des fentimens tou- jours également tendres & refc pe&ueux, &c» XXe. LETTRE. JE penfe à peu près, Monfïeur^ comme M, deBuffon , fur IV mitation fi admirable dans cer- tains Animaux, fi multipliée dans nous-mêmes, » L'imitation , =» nous dit notre Auteur , eft de » tous les réfultats de la machine «animale, le plus admirable > » c'en eft le mobile le pkis délicat » & le plus étendu ; c'eft ce qui jf* copie de plus près la penfée, & » quoique la caufe enfoit dans les » Animaux, purement matériel- *>& mécbaniquerceft par les » effets qu ils nous étonnent da- vantage. Les Hommes n'ont «jamais plus admiré les Singes , « que qi^and ils les ont vu imiter P les aâions humaines ; en effet , « il n'eft pas trop facile de diftin- ^ guer certaines copies de cer- » tains originaux 5 il y a-fi peu de o> gens d'ailleurs qui voyent net- » t^ment combien il y a de dif- « tance entre faire & contrefai- re-, que les Singes doivent être pour le gros du genre humain > *> des Eftres étonnans^humilians ^ au point quk>n ne: peut guéres » trouver mauvais qu'on ait don- ^xié:? fans héfiter > plus d'efprit au » Singe qui contrefait & copie » l'Homme, qu'à l'Homme JS » peu rare parmi nous-, qui ne » fait ni ne copie rien, *> Tout cela eftfort raiîbnnable* Mais ce n'eft pas ce que le le&euc attend d'un Phificien de rëputa^ rion. Onefpere de lui quelque éclair ciffement fur la difpofitioit à imiter , qui eft abfolument ma- chinale ; dans les enfans > pat exemple, qui apprennent à parlet & à exécuter une infinité de cho- fes. Qu'ils ayent le defic de co- pier , à la bonne heure ; mais ce defir n'effeâue rien 5 & on ne dira pas qu'en y ajoutant leurs réflexions , ils le rendent effica- ce. L'Auteur femble à la vérité , vouloir nous expliquer ce myfté- jrede la Nature ^ en rapportant l imitation à la conformité de fi- gure entre le modèle & ce qui limite, mais un pareil dénoue- ment peut-il contenter un bon efpritf ^Cependant (pourfuit-il) les => Singes font , tout au plus , des »■ gens àtalens que nous prenons s> pour des gens d'efprit. * Le pa- p.m.rallelleeft fingulier.» A la véri- » té > dans prefque tous les Ani- » maux ce talent eft borné à l'ef- » pece même, & ne s'étend » point au de-làde l'imitation de e leurs femblables ; au lieu que » le Singe > qui n eft pas plus de » notre efpece que nous fommes de la Tienne , ne lailTe pas » de copier quelques - unes de » nos actions ; mais c'eft parce i> quilnousreffembleàquelques » égards-— Et cette reffemblan- » ce groffiere fuffit, pour qu'il * puiffe fe donner des mouve- » mens , & même des fuites de » mouvemens femfalables aux nôtres, pourquoi puiffe > en un » mot , nous imiter groffiere- * rement; enforte que tous ceux » qui ne jugent des chofes que «par l'extérieur, trouvent ici,; -comme ailleurs, du deffein, « de l'intelligence & de Fefprit f $ tandis qu'en effet , il n'y a que * des rapports de figure , de mou- » vement & d'organifation. H faut bien, par exemple, que la langue du Perroquet ait quelque conformité avec la nôtre , com- me elle en a en effet , afin qu'il puiffe , comme nous , arti- culer des paroles. Mais cette 1883 Conformité n'explique pas la ma- nière dont il nous imite , ni ce ;pafîage fecret de l'endroit du cerveau du Perroquet où frap- pent les fonts-, aux fibres de la langue qui doivent être mis en a£lion pour répéter un mot ou plufieurs mots. Prenons un ex- emple fi-mple y celui d'un Serin qui apprend un air. On peut dire qu'il y a une correfpondance harmonique de conftru&ion entre les fibres que les fons ébranlent dans te cer- veau du Serin & les fibres de fon gofier. Chaque fibre de l'organe Intérieur de l'oùie , eft tendue d'une manière qui la rend propre à un certain ton dofdliation; & dans le gofier ou la langue, elle ® une fibre correfpondante qui (îeufe peut donner à la langue ou au gofier , le mouvementpar lequel lelbn reçu; dans l'oreille, fera rendu au dehors. Il y a. certaine- ment uneeorrefpondanee de cet- te efpece;. entre l'organe de rouie & de. la parole : elle de- mande un. art admirable* qui furpafle probablement toute no- tre intelligence ; mais la fageffe du conftrufteur eft infiniment .fit-» périeureà toutes nos vûes. - Il ne faut pas s'imaginer , comme on, îé croit communément, que cette cortefpondance harmonie que , efl. celle de deux- . cordes montées à llunifïbn dans, deux; îaftrumensdirTérens , dont l'un e, ne peut être pincée & donner,les> afcillations dè font ton., , que. Baotrene le répète-, quoiqu'elle s ML Partie. . /* H m foît point touchée. L'harmo^ nie dont je parle eft toute autre- ment profonde. Le mouvement du gofier ou de la langue qui pro- duit un certain ton, un ttt , par exemple, dans le fyftême d'un air ,. n'a probablement pas plus le ton d'ofcillation qu'il donne à l'air pouffé vers l'oreille, que l'archet qui produit un fon dans une corde, n'a , dans les crins dont il eft compofé , le ton d'of» eillation propre à la corde. Mais quoique l'appareil foit tout formé dans le gofier du Se- ïin , pour répéter les fons dont fon oreille fera frappée ; les fibres deftinées à cet ufage , font en- core empaquetées, pour akifr dire, il faut les défunk , afin que chacune foit fufceptible des t9i j ébranlements convenables. Les mêmes fons répéte's deux ou trois fois, à force de les follici- ter les déprennent peu à peu. D'abord , l'Animal ne fait que bégayer des fons, il fe trompe fouvent, il femble les étudier; enfin, ilréuflît. On peut fe for- mer une idée de ce quec'eft qu'i- mitation par rapport à nous , en regardant attentivement un Ou- vrier en foye travaillant une étoffe à fleurs ; une femme tire certains fils , la navette a fes tours & fes retours, mais le tra- vail eft déterminé par la manœu- vre delà femme, la fleur fe for- me fous les yeux du Speftateur > qui ne démêle point l'artifice de la fabrique. Il voit le modèle &us les yeux du Fabriquant & & là- fleur de Létoffé qui y et; exactement conforme* De mê- me les fons font reçus dans le cerveau , *es efptits* coulenc vers certains mufcles > vers le gozier ou vers la langue > êc l'or* gane de la. voix a dans fonmé* chanifme même ce que le Fa- briquant- emprunte de l'aftion de la femme qui le fert. Il n'y a de tendues que les fibres pro- pres à produire le .ton. Elles fé préfentent aux -efptits arfluans-> ôc le ton fe fait entendre. Je ne prétends point par-là expliquer le myftete de l'imitation , mon but eft uniquement de nous mettre - à portée d'admirer ce myftere-, d'en- recormoîtsre la profondeur , ôc d'avouer , avec connpiffance dé caufe , qu'ileft 193 f ^ fiïperîèur à toute ïzàmté dë: notre imagination^ Dans l'Homme > les effets dé - limitation ne font pas toujours purement méchaniques , ils tiennent au fyftême de l'union de Famé & du corps. La ma* chine eft ordonnée pour PimL* ration ; c'eft par le pur mécha* nifme c'eft; par quelque prépa*- ration dans l'organe qui doit fer* vir à imiter, que l'ame eft follir citée à le faire. Mais ordinaire* ment nous n'imitons que lorfque nous le voulonl, &l les efforts de notre volonté, ajoutent à la difpofition de l'organe , & occa^ fionnent la tenfion des fibres qui doivent joue& Les enfans pren* lient machinalement les manier re&jJes geftes dexeu^caveo qui tP4J Us vivent familièrement : maïs quand ils copient > ils veulent copier. Leur volonté fpontanée ou leur volonté libre entre pour quelque chofe dans les lingeries malignes que nous leur voyons faire. Et c'eft à quoi Monfieur de BufFon n'a pas pris garde. Il rend pour unique raifon de la fa- cilité des Singes à nous imiter f la reflemblance de leurs mem- bres avec les nôtres. Mais ces membres femblables font fuf- eeptibles d'une infinité de mou- vemens ; le bras peut être éten- du vers la tête ou vers le pied- Et lorfque je porte la main au liront & que le Singe me copie * dire qui! le fait parce que fes feras ont de la reffemblance avec le miens j c'eft affurément ne lieadirCo, Z9S 3 Monfieur de Buffon confond deux avions fort différentes , co- pier & imiter. Copier eft quel- quefois machinal , mais non pas toujours , puifque les enfans ne contrefont que quand ils le veu^ lent -, ôc c'eft lorfqu ils veulent rendre quelqu'un ridicule on faire appercevoir fes défauts,. Imiter , c'efl s'approprier laper* fe&ion qu'on croit voir dans un< autre 5 c'efl: un effort pour y par- venir, & cet effort appartient à l'intelligence. «La plupart des jeunes gens yv* * nous dit P Auteur >. les plus » vifs & les moins penfans , qui » ne voyent que par les yeux du corps , faififfent cependant: »■ merveileufement le ridicule » des figures j » c eft par leur toalignîté naturelle qu'ifs y réufc7 fiffent, donnera-t-on cette ma^ lîgnité à leur cerveau ^ou à îeus ame ? » Toute, forme bizarre les s» affeâe toute repréfentatiorb & les flatte , toute nouveauté les » émeut : Fimprelïion en eft fi » forte qu'ils repréfentent ette* mêmes y ils racontent avec » enthoufiafme , ils copient fack s> lement & avec grâce ; ils ont t»- donc fupérieurement le talent »: de limitation qui fuppofe* » Forganifation la plus parfaite » «lés difpofitions du corps les s* plus heureufes , ôt auquel rien, ^n'eft plus oppofé qu'une forte* s> dôfe de bons fens* *> Si , par. exemple , ils -déclament bien ôc de belles chofes r s'ilsrexpriment nablementi de grands fentimens * ce ùe fera donc par un talent oppo^ fé à une forte dôfe de bon fens. Que Mon (leur de Buffon démê- le ce qu'il confond, je veux di- re, qu il faifilfe la différence en- tte imiter & copier, il dira très- bien que les enfans qui ont f&pé- rieurement le talent de contre- faire , ont Tefprit fort borné i pour l'ordinaire, mais que ceux qui aiment & fçavent imiter le beau, peuvent devenir des mo- dèles, après avoir été de bons imitateurs. « Àinfi, conclut-il, parmi les »> Hommes , ce font ordinaire* *> ment ceux qui réfléchilFent le " moins qui ont le plus ce talent « de limitation. =» Mais ne fuf - *>• Us que copiftes, ils le font , par- ce qu'ils le veulent être , & ceft y IL Pank I CP8] à cette volonté y & non au pur méchanifme , qu'il faut rappor- ter leurs lingeries. « Il n'eft donc « pas furprenant qu'on le trouve » dans les Animaux , qui ne ré- » fléchiffent point du tout , ils ^ doivent même Tavoir à un plus » haut degré de perfection , par- « ce qu'ils n'ont rien qui s'y op~ » pofe > parce qu'Hs n'ont au- & cun principe par lequel ils puif- o> fent avoir la volonté d'être dif- » férens les uns des autres. » C'eft précifément ce que PAu- teur avoit à prouver dans fon Difcours. » C'eft par notre ame » que nous différons entre nous > « c'eft par notre ame que nous, *>-fbmmes nous , c'eft d'elle que 05 vient la diverfité de nos ca- » ra&eres & la variété de nos ac- Ï99l tiens : les Animaux m contrat* » re , qui n'ont point d'ame , * n'ont point le moi , qui dt le « principe de la différence , la » caufe qui conftitue la perfon* 05 ne. » Et qu'eft-ce donc, ïî ce n'efî: pas un moi , une perfonne , un individu, qui fefent exifteri qui aime le bien-être , hait la douleur, a des appétits & des defirs , fe diftingue de tout au- tre Eftre , aime les préférences ^ eft jaloux , orgueilleux ^ ambi- tieux ? &c. Car le cerveau de l'Animal eft tout cela , félon Monfieur de Buffom » Ils doî~ » vent donc , lorfqu'ils font de « la même efpece , fe copier « tous , faire tous les mêmes » chofes , & de la même façon , <*> s'imiter, en un mot ^ beaucoup C ioo ] «plus parfaitement que les =? Hommes ne peuvent s'imiter - les uns les autres , & par con- » féquent ce talent d'imitation , o> bien loin de fuppofer de l'ef- » prit & de la penfée dans les » Animaux , prouve au contraire » qu'ils en font abfolument pri- ai vés. » Quel raifonnement pourroit-on former de tout ceci , j ofe vous le demander , Mon- iteur ? Voici une nouvelle induc- tion tout aufli concluante , mais p. i^.bien autrement neuve : » C'elt « parla même raifon que l'édu- » cation des Animaux , quoi- » que fort courte , eft toujours » heureufe : ils apprennent en » très-peu de tems ce que fça- « vent leur pere ôcmere, ôtc'eil [ioi] 5 par lWtatipi^ » nent ; ils ont donfc nonfeule- *> ment rexpéri%j^€^u^%eu- c> vent acquérir par le fentiment , mais ils profitent êncore,par le o? moye^k^^ltati0^ > 'Jmfez* « périerîc^a^ksa^tres ont ac-' » quife. Les jeunes Animaux fe d9 modèlent fur les vieux ; ils w voyent que ceux-ci s'appro- £ chent ou fuyent lorfqu'ils en- * tendent certains bruits > lorf- 30 qu'ils apperçoivent certains ^ objets y lorfquils fentent cer- taines odeurs ; ils s'appro- o> client auffi ou fuyent d'abord ^ avec eux , fans autre caufe dé- y> terminante que l'imitation ; & enfuite ils s'approchent ou ^ fuyent d'eux-mêmes & tout "-feuls y parce qu'ils ont prit; » PÎLabitude de s'approcher ou s> de fuir } toutes les fois qu'ils *> ont éprouvé les mêmes fenfa- » tions. Voilà ce que Ton peut appeî- îer des vues très fécondes, puif- qu'elles font applicables à tout ce que font les Animaux , & qu'el- les en donnent une explication fi naturelle. Mais malheureufe- ^ ment elles font abfolument dé- menties par l'expérience- Il eft très confiant que les Animaux ont leurs arts > leurs procédés > leurs mœurs gravés dans leur cerveau. Qu'un petit chat ait été \ féparé de fa mere > avant que d'en avoir pris les bons ou les mauvais exemples, qu'on l'élevé dans une maifon où il n'ait aucu- ne compagnie de Ton efpece x & Ion vena qu'il fait faire la guerre aux fouris. M. de Buifon a-t-il vû de jeunes hirondelles aller prendre des leçons des anciennes pour conftruire leurs nids ? Nos ferins , que Ton tire de deiïbus l'aîle de leurs mères , prefque aufïi-tôt qu'ils font nés , qu'on accoutume à vivre dans une ca- ge , nefavent-ils pas faire leurs nids fans en avoir vu les modèles? Les chenilles qui écîofent au printems , qui n'ont jamais vu ni pere ni mere , ont-elles appris, par imitation, Part de faire leurs coques ? Le papillon forti de fes enveloppes, cherche -t'il ceux qui lui ont donné le Jour, pour apprendre d'eux l'ufage qu'il doit faire de fa trompe & de fes ai- les l ôcc. Nous aurons dans la I iiij [I04J fuite occaficn de nous étendre davantage fur cet article. Ces réflexions fuffifent pour détruire les affertions de M. de Buffon ( ce mot eft le feul qui exprime bien fon genre de raifon- ner. ) L'imitation fuppofela con- noiffance d'un modèle , & l'en- vie de s'y rendre feniblable. Elle décèle par conféquent une telligence, & bien loin que l'on puiffe prouver que les bêtes n'ont point d'ame, parce que quelques unes ont le talent de copier très fidèlement ; c'eft une objeâionà réfoudre pour ceux qui penfent que les bêtes n ont point d'aine. Adieu , Mon- sieur, &c. C 10? I XXk LETTRE. A Près avoir comparéfHom- me à l'Animal^ l'unôc l'au- tre pris individuellement, M. de Buffon va comparer l'Homme p. »w » en focîété avec l' Animal » en troupe, & rechercher en » même temps quel peut être la « caufe de cette induftrie qu'on » remarque dans certains Ani- » maux } mêmes dans les eîpeces- »les plus viles & les plus nom- « breufes* ** Vous, Monfieur, qui êtes philofophe ( car dans no- tre fiecle bien moins philofophe que le précédent , il eft permis de- donner ce titre à un honnête ÊLomme ) vous ne concevez pas [io afin que vous ne vous y mépre- niez pas , pour lefquelles on té- moigne tant de mépris , & vous verrez bientôt pourquoi elles ont mérité ces trairs de mauvaife hu- meur. jbid. » Nos oblèrvateurs admirent » à l'envi, l'intelligence Ôc les » talens de l'Abeille j elles ont, « difent-iis , un génie particulier, »>un art qui n'appartient qu'à el- s> les, l'art defe bien gouverner : =°il faut favoir obferver, pour » s'en appercevoir ; mais une ru- g che ell une République où cha- C io7 3 » que individu ne travaille que «pour lafociété , où tout eftor- » donné , diftribué, reparti avec «une prévoyance, une équité, » une prudence admirables ï »» Athènes n étoit pas mieux con- » duite, ni mieux policée: plus » on obferve ce panier de mou- ■m ches , & plus on découvre de » merveilles ; un fond de gouver- na nement inaltérable Ûc toujours, «le même; un refpeft profond » pour laperfonne en place , une » vigilance finguliere pour fon «fervice, la plus foigneufe at- P l «tention pour fes plaifirs* un » amour confiant pour la patrie, » une ardeur inconcevable pour », le travail , une afltduité à l'ou- « vrageque rien n'égfte, le plus, « grand défintérefîement joint à [io8] » la plus grande œconomie, la » plus fine géométrie employée à kh plus élégante architeâure&c. »> Je ne finirais point, fi je vou- P> lois feulement parcourir les an- '* nales de cette République & » tirer de l'hiftoire de ces infeo- " tes les traits qui ont excité l'ad- «miration de leurs hiftoriens. M. de Buffon trouvera bon que je regarde ce morceau , non comm eune ironie, mais comme imprécis, auquel il y aurait en- core bien des chofes à ajouter de l'hiftoire de ces petits Animaux. Le grand ne m'en impofe point, &le petit ne me rebute pas. J'admire plus une montre qu'un tourne-broche, quelque difpro- portion qdii y ait entre les volâ- mes de Tune & l'autre machine. [iop] Il dira fans doute de moi comme des hiftoriens des Abeilles » cet iwa. «.quindépendemment de l'en- » toufiafme qu'on prend pourfon * fuj :t t on admire toujours d'au- » tant plus qu'on obferve davan- tage ôc qu'on raifonne moins. « Je répliquerai que moins on ob- ferve , moins on découvre & plus on raifonne au hafard > & je puis bien apporter en preuve du fécond membre de ma réponfe > les quatre gros volumes del'Hill taire Naturelle ■> on fait quel gen- re de raifonnement y domine. Au contraire > pour fe convain- cre du fruit que l'on tire de l'ob~ fervation & des lumières qu'elle procure aux génies fupérieurs 3 j'invite à relire le cinquième vo- lume de l'Hiftoire des Infe&es* [no] Mais ne feroit-ce point cette Hiftoire même qui bleffe M. de Buffon f Et la manière dont on parle des Abeilles ne décéle-t-el- Je point quelque dépit ? Car voi- ci comme on s'exprime. » Y a-t-il » en effet rien de plus gratuit que ®> cette admiration pour les mou- *a ches > & que ces vûes morales * qu'on voudroit leur prêter , que «cetinftinâ fingulier qui équi- » vaut a la géométrie la plus fu- ^blime, inftinâ qu'on leur a « nouvellement accordé > par le* » quel les Abeilles réfolvent fans * héfiter . le problême de &ft/r. « le plus folidement quilefipoJfible9 » Z? moindre ejpace pojfible & » tfiw ^/z/x grande œconomiepof- *>Jible. « On ne peut pas s'y mé- prendre, le cinquième volume [tu] de rHiftoire des Infeftes , eft trop bien cara&érifé. Mais la critique qu'on en fait eft-ellebien fondée ? Car enfin le travail des Abeilles eft-illa folution du pro- blême , ou ne l'eft-il pas? Qu'el- conçoivent le problême , ou qu'elles ne le conçoivent point f font-elles moins admirables que les conftru&eurs ordinaires des moulins à vent, qui donnent aux ailes Pinclinaifon la plus favora- ble pour pro fiter de tous les cou- rans de l'air, & qui exécutent ainfi fans le favoir , un des plus beaux problêmes des méchani- ques ? » Que penfer de Fexcês auquel p, i « on a porté le détail de ces élo- ges ? Car enfin , une mouche » ne doit pas tenir dans la tête r H2 j * d'un Naturalise , plus de place =» qu'elle n'en tient dans la Na- « tùre. » Le cenfeur voudra bien que je lui adreffe ici la parole : & quelle place doit tenir dans la tête d'un Philofophe un Infede qu'on n'apperçoit que par le fe- cours d'une lentille qui groflit fon objet un million de fois ? La place qu'il occupe dans la Natu- re ? Et pourquoi cet Infeâe ovale qu'on trouve dans toutes les in- fufions occupe-t-il un rang fi dis- tingué dans votre tête, que vous en tirez les principes de la Mé- taphifique , & le fyftême général de la reproduction des Animaux? C'eft bien dans cette occafion que vous avez confirmé ma ma- xime, que moins on obfervt , plus mraifonne au hafard. Car, qu'il me Ci 13 J me foit permis de vous le dire , oii vous n'avez pas bien obfervéj.ou votre infiniment , ou vos yeux vous ont trompé. Je ne vous ac- eufe point de mauvaife foi , je vous" en crois incapable ; mais pour vous prouver combien vous vous êtes laine féduire par de faunes apparences Je cite fm> plement cette Ifle enchantée f qu'on vous a fait voir dans l'info- fion de bled broyé , &qui vous a donné lieu , au moins je le foup- çonne, de nous annoncer, de l'air le plus afîuré:, des plantes qui deviennent Animaux, &. qui d'Animaux qu'ils étoient, rede- viennent encore des* végétaux. Ce n'en qu'une mafle. d'infeaes ovales grouppés dans des fédi* mens, & diftribués comme;des fflL Partie^ feuilles attachées à des filets de moufle, ou peut-être même à des fils, que ces petits Animaux filent eux-mêmes.. D'autres Irr fedes venus de l'eau même dont vous vous êtes fervi, vous" ont paru végétaux , tant qu'ils ont été immobiles, Animaux, lors- qu'ils fe font détachés de leur place, Ôc ils font redevenus vé- gétaux pour vous , quand ils fe font fixés une féconde fois. Et de cette prétendue obfervation , ou plutôt de ce que votre imagina^ tion ajoutoit à l'obfervation y vous avez conclu d'un air de triomphe, qu'il y avoir dans la Naturedes Animaux formés de végétaux transformés , ôcquire- prenoient enfuite la forme de; végétaux. N'eft-ce pas-là fe paf- fîonner tellement pour fou fujer, qu'on n'eft plus capable de l'exa- miner, & raifonner d'autant moins, quorr obferve moins > ou moins bien» Je vous cirerais encore pour exemple > votre expérience de jus de viande , dont M- * * * & d'autres font tant de cas. D'ha- biles obfervateurs en Italie, & furtout un Miffionnaire de Tu- rin, fort capable de réveiller dans fa Congrégation le goût des bonnes études , l a répétée fans fuccès. Je l'ai faite en France & en Italie plufieurs fois à diffé; rentes températures d'air mar- quées par deux excellens ther- momètres de comparaifon ja- mais je n'y ai vu d'Infectes , foie queles bouteilles où le jus étok Kij; renfermé y fuflent fcellées oa non. J'avoue que ce défaut de fuccès ne prouve rien , mais de quelle reffource peut être une er- , périence qui ne réufïit qu'entre vos mains? Comment > fur votre feule garantie , pourrois-je en dé- duire des conféquencesauffimii^ verfelles que celles que vous en tirez, & m'en fervir > pour ex- pliquer généralement le grand miftere de la reprodu&ion des^ Animaux? Si votre expérience étoit auffi inconteftable que vous l'affurez> ne devroit-elle pas être fait^ à la face de toute la terre,, & foumife au jugement de l'A- cadémie, fur la fagacité & le té- moignage de laquelle toute l'Eu- rope, compte avec une pleine fé:- [îi7 J Après toutes ces interroga- tions y je reviens à vous } .. Mon- iteur y avec bien du plaifir > pour vous amufer des faillies de notre Auteur, Il continue ainfi le dis- cours que jai interrompu. » Cet* p. \itu » te République.merveilleufe ne » fera jamais aux yeux de1 la rai- » fon, qu'une foule de petites » bêtes, qui n'ont d'autres rap^- » ports avec nous , que celui de 9> nous fournir de la cire & dk ?> miel* * Ce préfent mérite biea notre reconnoiffance ; mais la manière dont elle nous prépare fes tréfors, efttout auiïL intéref- fante pour un Philofophe. «Ce n'eft point la curiofité> w dit-il ^que je blâme ici , ce font û> les raîfonnemens ôc les excla— ?> mations.,. .„ Mais ç c& la mo*~ [îî8 J * raie , c'eft la théologie des Xn> *> fe&es que je ne puis entendre *» prêcher. » Peut-être bien. Tout prêche néanmoins dans la nature*, Il faut avoir une indifférence qui aille jufqu'à l'infenfibilité , pour ne pas voir l'empreinte du Tout- Puiffant dans les Infe&es > dont plufieurs efpeces fervent quel- que fois d'une façon plus terrible la Juftice Divine , que la grêle & le tonnere, C'eft alors que ces bêtes toutes petites quelles font > tiennent bien leur place dans l'Univers ; devenues le fléau de l'Homme , elles ruinent fes ef- pérances > & lui caufent plus de malheurs que les armées les plus nombreufes & les plus cruelles* Voilà de redoutables rapports que d'autres Philofophes ont re~ C np J marqués avant moi, Se entre autres , un Auteur, * qui dit-on rp\w^ s'eft attiré de finguliers remerci- einiens de la part des incrédules > & qui en méritoit de très-férieux- En un mot , M. de Buffon trou- vera ces Infe&es tant vils & ab~ jeftsqu' il lui plaira , il n'en fera pas moins vrai que l'Ouvrier de toutes chofes me paroît auflî grand f quand je confidére le pe- tit corps d'un Coufîn y que lors- que j'admire la taille avantageu- fe d'un Eléphant* ) L'Auteur fuit toujours fa dé- clamation. » Ce font les merveil- m& =» que les Obfervateurs y mettent » qu'il faut examiner ; c'eft cette » prévoyance > cette cornioiffan- ce même de l'avenir qu'on leur accorde avec tant de complai- Z 120 X V wfàn'cei 6c que cependant on* doit leur refufer rigoureufe^ a* ment , que je vais tâcher de ré- 03 duire à fa jufte valeur." Que les Infe&es foient conduits par une intelligence:, qu'on apperçoive. dans leurs procédés des traits de prévoyance , des à propos admi- rables* c'eûcequene peut igno- rer celui qui les aura tant foit peu fui vis. Il faut feulement favoir fi la raifon qui les guide leur appar- tient y ou fi elle leur eft étran- gère. M Les Mouches folitaîres r » n'ont , de l'aveu des Obferva- ^teurs, aucun efprit, en corn- »-paraifon des Mouches qui vi- a» vent enfemble. » Sans contefte* ce fait -, dont d'ailleurs l'Auteur ne pourroit faire aucun ufage > je lui demanderais où il a pris cet aveu. Beaucoup d'Infe&es vi- vans en folitude , les Araignées de toutes les elpeces, font des ouvrages que nous admirons malgré nous ; & s'il eft queftion de Mouches , je le renvoyé au fixiéme volume de l'Hiftc-ire des Infe&es ; il y verra l 'induftrie de cette efpece d'Abeille agrefte, qui creufe un trou dans la terre, yporte des pièces de feuilles de rofier coupées avec beaucoup d'art , dont elle fait une forte d'à- îveole , en forme d'un dé à cou- dre , y dépofe une elpece de rnieï amer , où elle place un ver ; va enfuite couper fur la feuille de Rofier, un couvercle fur les di~ menfions qu'elle a données à l'ouverture de l'alvéole , & F* VU, Partie^ L [122] affujettit ; fortifie ce couvercle en le recouvrant fucceiïivement de deux autres pièces de la for- me de la première ; conftruit en- fuite, fur cet alvéole , plufieurs autres célules à la file & en ligne droite, toujours fur le même modèle, & dont l'aflemblage repréfente alfez bien un étui de poche , ôc que les Jardiniers , admirateurs outre mefure à pro- portion qu'ils obfervent moins, prennent fuperftitieufement pour quelque ouvrage du diable , ou au moins de quelque forcier. Combien de Chenilles folitaires employent des procédés admira- bles dans la conftruaion de leurs coques. On ne fait donc quels font ces Obfervateurs qui relè- vent tant les Mouches fociables aux dépens des Mouches foîitaî- tes. pi Celles qui ne forment que ïbid> *> de petites troupes , en ont « moins ( d'efprit ) que celles qui « font en grand nombre , & les Abeilles qui de toutes , font » peut-être celles qui forment la » fociété la plus nombreufe , font aufli celles qui ont le plus de » génie. Cela feul ne fuffit-il pas pour faire penfer que cette ap- *> parence d efprit ou de génie $ « n eft qu'un réfultat purement méchanique , une combinai- » Ion de mouvemens proportion- » nelle au nombre ; un rapport qui n'eft compliqué que parce- *> qu il dépend de plufieurs mil- *■ liers d'individus. Ne fait - on «pas que tout rapport , tout dé- ifordre même, pourvu qu'il <* fok confiant , nous paroît une «harmonie, dès que nous en » ignorons lescaufes,ôc que delà » fuppofition de cette apparence « d'ordre, à celle de l'intelligent » ce, il n'y a qu'un pas? Les « Hommes aimant mieux admi- » rer qu'approfondir. » Voilà de grandes maximes , Moniteur; à quoi pourroit-on les appliquer l Je ne vois que la dernière , qui étant un peu modifiée , pourroit être de quelque ufage. Plufieurs aiment mieux crier à la merveil- le, qu'admirer, parce que pour admirer, il faut approfondir. L'étonnementeft le fruit de l'i- gnorance. On admire, parce que l'onconnoît. Une autre maxime eft plus univerfellement conftan- tê , c'eft que l'Homme pareffeux aime mieux méprifer qu'admirer; & s'il efl: aufll vain que pareffeux* il dédaigne toutes les connoif fances auxquelles H n'a pas le courage d'afpirer* ou qu'il nefe fent pas capable de faifîr. W On conviendra d'abord qu'à éprendre les Mouches une à «une, elles ont moins de génie »que le Chien x le Sânge & la » plupart des Animaux. » Quand on ôte à ceux-ci tout moyen de faire paraître leur induftrie^ comme on Forte à une Abeille en l'ifolant totalement, je ne crois pas qu'on leur trouve beau - coup de génie. » On conviendra p. -m- ^qu'elles ont moins de doci- » lité 9 moins d'attachement x ^ moins de fentiment > moins > Liij * en un mot , dè qualités relatif ves aux nôtres; dès lors on doit « convenir que leur intelligence » apparente > ne vient que de » leur multitude téunie : cepen- ™ dant cette réunion même ne *>fuppofe aucune intelligence* » ce aeft point par des vûes mo- » raies qu elles fe réuniffent * « c'efl fans leur confentement *> qu elles fe trouvent enfemble.» Les apparences portent le con- traire y & il n eft ici queftion que des apparences. On voit dans les Abeilles un attachement marqué pour la mere ; un concert pour habiter le logement qu'on l eur a préparé , & dans lequel on a mis i'effein , ou pour l'abandonner après avoirparu l'examiner > ôcc. S'il fe trouve deux Reines dans C 127 J une Ruche , tumulte, partages 9 combats ; il faut que Tune des deux cède le domicile à l'autre meure quelquefois ; celle quia pu échapper , fe pofte en quelque endroit où fon parti la fait.» Cette ibid. » fociété n'eft qu'un aflemblage o> phifique, ordonné par.lanatu- » reôc indépendamment de tou- » te vue, de toute connoiffance, ?o de tout raifonnement. » Qu'eft- ce donc que la nature ?, M, de Buffon a promis de l'apprendre dansl'Enciclopédie, Je ne ccn- je&ure point quelle fera fa défi- nition : mais il faut expliquer cet endroit favorablement y ce n'eft pas à la Nature qu'il enlève les vues > les connoifTances 9 le rai- fonnement ^ c'eft aux Abeilles ; il ne fe plaindra pas de cette in- D 28 J fcerprétationque la fuite de foa- difcours n'autorife pas trop. Il le continue ainlL d' " La mere Abeille produit =» iooooindividustout à la fois » & dans un même lieu. » Où a- t-ilpris ce fait ? Elle pond chaque œuf dans une alvéole particuliè- re, &fak placer fes œufs félon î'efpece de ver qu'ils renferment & d'où doit fortir, foit une Abeille ouvrière, foit un mâîe ou une femelle ; chaque efpece d'alvéole a fa deftination. « Ces » i oqoo individus fuflent-ils en- » core mille fois plus flupides qus « je ne les fuppofe, feront obli- «géspour continuer feulement » d'exifter, de s'arranger de quel-- » que façon. Comme ils agiuent « tous les uns contre les autres, « avec des forces égales , eufîent « » ils commencé par fe nuire , ils yy arriveront bientôt à fe nuire le «moins qu'il fera poffible, c'effc- » à-dire , à s'aider. «N'admirez- vous pas ic^Monfieurjles relfour- ces fécondes du génie de M. de BufFon? » lis auront donc l'air de « s'entendre r Sx. de concourir au i même but. » Voilà comme la force d'expenfion , & la force ré~ fiftante, s'entendent à force de fe nuire : ou comment ioooo hommes dépourvus de Com- mandans Ôc de Chefs , à force de s'entre-repouffer > formeront l'or- dre de bataille le plus convena- ble, & au terrain qu'ils occupent* & à lanéceffité defe défendre f * L'Obfervateur leur prêtera «bientôt des.vûes , , 6c tout M* C 130I 55 prit qui leur manque ; il vou- as) dra rendre raifon de chaque ac- 35 tion y chaque mouvement au- » ra bientôt fon motif ; ôc de-là , 30 fortiront des merveilles ou des *i monftres de raifonnement. Celui qu'on nous fait ici n'en fe- roit-il point un ? Mais nous de- vons être familiarifés avec certe efpece demonftre. » Ces 10000 individus* qui ont été tous pro- "duitsàlafois.»M.deBuffon n'a jamais obfervé de ruches. » Qui » ont habité enfemble. » C'eft-à- dire , chacun à part dans fon alvéole , & fans la moindre communication ; car ceft-làle vrai. » Qui fe font tous méta- » morphofés à peu près en même » temps > ne peuvent manquer de faire tous la même chofe. » Ce feroit un beau défordre fi tous faifoient la même chofe. =» Et p« * pour peu qu'ils ayent de fenti- » ment , de prendre des habitu- * des communes, de s'arranger y »de fe trouver bien enfemble> » de s'occuper de- leur demeure 9 »■ d y revenir après s en être éloi- » gnés , &c* »■ fans en avoir le moindre fouvenir. « Et de-là* « Tarchite&ure , la géométrie 9 » Tordre, la prévoyance, Ta* » mour de la patrie , k Républi- « que en un mot ; le tout fondé a comme Ton voit , fur l'admira* « tion de TObfervateur." Que Ton compare cette déclama- tion avec les faits rapportés dans le cinquième volume de THif- toire des Infe&es , & Ton fera révolté de tout le faux qui y tê$ gne* fil*'} On le fera bien davantage, 8c ceci eft plus important , quand enverra qu'en déprifant les A- beilles & leurs Historiens , notre Auteur anéantit la jufte admita- tion due aux ouvrages du Créa- teur^ terme heureux ou l'on ar- rive toujours, quand on a bien approfondi quelque partie de la- Nature. Dieu paroît petit à M. deBuffon, s'il n'eft réduit à la '"•pure inertie. Ecoutons-le. » La » Nature n eft-ellepas aûez éton- «nante par elle-même, fans « chercher encore à nous furpren- »»dre, en nous étourdinant de » merveilles qui n'y font pas, ôc » que nous y mettons ? » Nous, aurions certainement grand tort , puifque tout le fond de notre fa- culté d'admirer , fi je puis parler- [133 3 ainfi , eft bien au-deflbus du merveilleux de la nature. Nous ne fçavGiis ni ne pouvons Ra- voir affez , pour l'admirer au- tant qu'elle eft admirable. «Le&^i *> Créateur n eft - il pas alTez « grand par fes Ouvrages* & o> croyons-nous le faire plus 05 grand par notre imbécillité ? « Ce feroit , s'il pouvoit l'être % ™ la façon de le rabaiffer. » No- tre Philofophe , en formant le Soleil de verre en fufion , en fe chargeant de faire aller le Mon- de à fa manière 9 n'en a-t~il pas beaucoup relevé l'ordre , l'har- monie & le merveilleux ? Ou plutôt , en prêtant des vûes fi bizarres à celui qui en eft le Créa- teur & le Conservateur , pou- voit-il choifir une voye plus fûre 1 134] ftM. pour le dégrader? > Lequel en • effet a de l'Effare Suprême la « plus grande idée, celui qui le «« voit créer l'Univers , ordon- » ner les exiftences , fonder la *> Nature fur des Loix invaria- n bles & perpétuelles , ou celui *> qui le cherche ôc veut le trou- » ver attentif à conduire une ré- » publique de mouches , & fort •* occupé de la manière dont fe doit plier Faîle d'un feara- 3* bée ? Autrement : Lequel penfe plus noblement de Dieu ou celui qui croit que la Pro- vidence embraffe le plan géné- ral de la Nature ôc tous les dé- tails particuliers , ôc que fes Loix portent leur exécution , ou celui qui en borne la capacité à des vues générales, ôc la croit trop foible pour foutenir le dé- tail de l'exécution de Loix mortes 6c inefficaces i Monfieur de BufFon me rappelle certains Hommes fimples qui ne pou- voient feperfuader que Dieu fût préfent aux cloaques & aux é- goûts ; il y avoit , félon eux , de Pindécenceà lepenfer. S'ilétoit un peu plus verfé dans la levu- re de nos Livres Saints, il fçau- roit ce qu'ils nous apprennent, que Dieu tient le compte de nos cheveux , que c eft lui qui don- ne l'éclat aux fleurs de nos Cam- pagnes ; qu'il prend le foin delà fubfiftance des plus petits Oi- feaux. Voilà des follicitudes bien baffes > des détails bien peu dignes , aux yeux de notre Au- teur, de la Majefté Divine ; ce- pendant valent-ils mieux que l'attention à la manière dont fe doit plier l'aile d'un Scarabée? Monfieur de Buffon doute- roit-il que Dieu voye les moin- dres détails de l'exécution des Loix de la Nature , qu'il fuive îe travail d'un ver dans le fein de la terre ? Peut-il même (Dieu ) ne le pas voir ? Or , fi rien ne peut échapper à fa fcience > fi tout lui eft préfent , comment fe rabaifleroit-il en pourvoyant à tout? D'où viennent des idées fi fingulieres ? De trois illufions* La première eft , que l'Auteur croit qu'en fuppofant que Dieu ordonne lui-même les Loix des mouvemens & des méchani-. tpes 3 tant dans les Eftres ani- més * niés y que dans ceux qui ne le font pas x le Phyficien ne pour- ra donner d'autre Solution de tous les phénomènes , que îa volonté de Dieu , & ilfe trompe très-fort. Le Phyficien doit refc ter au - deffous du Métaphyfi- cien ; il doit rechercher à quelle Loi , ou à quelle combinaifon de Loix doit être rapporté le phénomène. Pour expliquer les effets de FEle£kîcité > il faut qu il découvre fila matière élec- trique eft le feu ou quelqu'autre Elément r en que! état eft' cet Elément, quelle caufe le moi en a&ion^ il s'attirerait le mé- pris le plus marqué V fi^ avant; d'avoir fait ces oblervadons y iî; difbk que ces effets. font 'tels ^arce que Dieu Je. veut;» Mm C 138 J s'il entreprend de remonter plus- haut , à la caufe générale des mouvemens , à celle qui appli- que les Loix de la Nature ; il entre dans la métaphyfique : il faut qu'il remonte jufqu'à des Loix vivantes qui portent eit elles-mêmes leur exécution. J'ai démontré cette vérité a priori dans les Elémens de la méta- phyfique. L a féconde illufion a une ori- gine populaire. On croit que nous devons emprunter de l'idée d'un Monarque puiflant , celle que nous devons nous former de la grandeur de Dieu. On trouve danslapuifTance du Monarque une perfeaion.il forme des pro- jets Ôc donne des ordres , il feroit au-deffous de fa grandeur d'exé- C i3P 3- cuter lui-même, il iahTe ce foin à des fubalternes. Mais on ne penfe pas que tout grand, qu'eft un Roy, e'eft un homme ;c'eft parce qu'il n 'eft pas tout puiffant qu'il a befoin d'être obéi , d'être fécondé. Quelque étendu que foit fon génie, il feroit opprimé par les détails ; & la force de fon corps eft bien audeûous de l'ac- tivité de fon génie. U lui faut 200000 bras pour exécuter un delTein, &iln'enaque deux. Il a befoin de canons, de machi- nes, &c. parce que fa volonté n'agir pas immédiatement & fans moyens. Il „'eft au-deflbus de lui de tout faire , que parce qu'il eftfoible, ôcquefa volonré eft absolument impuiffante. Mai* Dieu eft un Roy r dont le you^ Mijf TI4-0Î îbîr fouverain exécute par luî^ même ôt fans aide. La plus petite molécule ne peut exifter que par l'efficacité de fa volonté ; aucu^ ne n'a pûfe donner ni l'être, n1 fa manière d'être; & comme il implique qu'un atome exifte fans manière d'être, il implique auffi qu'il doive l'exiftence au Créateur , & fa manière d'être à quelque autre puiffànce, ou à ki-même. C'eft par cette raifon que Dieu eft Tout-Puiflant-, qu'il agit fans effort & fans tra- vail ; comme il voit tout fans éprouver le moindre degré de ce: que «votre attention renferme de pénible. Qui de M. de Buffoa ou du refte de l'Univers > d'après lequel, je penfe ici a de plus, hautes idées de la Divinité.?. ru*? La troifiéme fource de l*illtï*- fîon de notre Auteur ^ eft plus profonde que les deux premières G'eft le Lookifrne : Mon M*. Loock y nous n'avons aucune idée de l'infini ; Dieu ne doit donc être grand pour ceux qui ne connoiffent que l'indéfini^ qu'autant qu'ils n'ont pas afîe^ d'étendue d'efprit -, pour attein- dre aux limites de fon être. Or> n'eft-on pas autorifé par cette philofophie toute affujettie âus* fens , à comparer Dieu aux Rois t & à ne le trouver heureux y qu'en- lui épargnant des foins & des at^ tentions : ce feroit cependant avoir bien reconnu les bornes de^ fenêtre^ Répondons à tous ces courti- fans de laDiyinité y car ils n'em peuvent être les adorateurs > an moins quand ils philofophent ainfî, que l'Homme ne crée point l'idée de la Divinité y & qu'il n'eft point le maître, ni d'a- jouter à cette idée , ni d'en rien retrancher % & qu'un Dieu que l'imagination a formé % n'eft qu'une idole* Revenons à la fociété des A- nimaux , ôc laiflbns le Lookif- p. 15p. me pour ce qu'il eft. » Dans les » Animaux qui femblent fe réu- ^ nir librement & par convenan- ts ce , elle ( la fociété ) fuppofe & l'expérience du fentiment ; ôt * la fociété des bêtes qui r com- 5j me les Abeilles, fe trouvent ^enfemble, fans s'être cher- * chées ) ne fuppofe rien : quel- a* qu'en puifTent être les réfultats* [ 145 1 » iî efïclair qu'ils n'ont été ni » prévus y ni ordonnés , ni con- « çûs par ceux qui les exécutent > » & qu'ils ne dépendent que du » méchanifme univerfel.*>Qu'efi> ce que le méchanifme univerfel? Cette expreflion eft bien mifté-* rieufe. » ôcdesLoixdu mouve- =>ment établies par le Créateur. »; L'oppofition que l'Auteur trou-* ve entre les Abeilles & les Ani- maux qui naturellement aiment à aller en troupe > comme les Ca£ tors , lesEléphans, &c* ne vient que du peu d'attention qu'il a donnée aux procédés de ces Infeâes ingénieux. Si on l'en croit, il femble que leur fociété n'eft formée qu'à caufe que les. Abeilles naiffent dans un même lieu ; & qu elles ne donnent au- eunfigne de confédération vo* kmtaire. Mais rien n eft moins vrai. Les Abeilles chaffées de leurs Ruches,- fe réunifient en effeins par une confpiration commune, en faveur de la Rei* ne vaincue. Les gens delà cam- pagne logent ces effeins ; mais s ils les négligent , ôc que ces effeins trouvent des lieux où l'on ne fait aucun cas des Abeilles , chacun fe choifit fa demeure , & ces petits Animaux font même affez délicats fur ce choix \ il dé*' pend toujours de la mere qui en> mené la colonie AJnefimpleqùef tion faite à un payfan qui a quel- ques Ruches , auroit épargné cette méprife à M. de-Buffon;- Cpendant ih raifonne conf- ^amment d'après fon erreur 5fc [d'une d'une manière qui vaut au moins faméprife. «Qu'on mette enfem- p. » ble dans le même lieu ioooo » automates, animés d'une force » vive , & tous déterminés par la » reflemblanee parfaite de leur ? forme extérieure & intérieure, » & par la conformité de leurs » niouvemens, à faire chacune la » même chofe dans ce même » lieu ; il enréfultera néceflaire- «ment un ouvrage régulier; les » rapports d'égalité, defimilitu- »de, de fîtuation, s'y trouve. » ront , puifqu'ils dépendent de » ceux du mouvement que nous » fuppofons égaux & conformes; » les rapports de juxta-pofîtion , » d'étendue , de figure , s'y trou- » veront aufîi , puifque nous fup- «pofonsl'efpace donné & cir- kII. Partie. jsj à confcript ; ôcfinous accordons „àces automates le plus petit » degré defentiment , celui feu- lement qui eft nécefiaire pour «fentirfon exiftence, tendre à » fa propre confervation , éviter «les chofes nuifibles , appeter « les chofes convenables, » c'eft- à- dire le degré d'intelligence qui renferme l'idée du bien & du ^ mal, des convenances & des difconvenances;la haine du mal préfent , le defir du bien futur , &c. En un mot, ce qu'il faut de raifon pour fe conduire dans cha- que circonftance. » L'ouvrage } «fera non- feulement régulier, o, proportionné, fitué, fembla- * »ble, égal; mais il aura encore » l'air de la fimétrie , de la folidi- * té de la commodité , &c. au D47] à plus haut point de perfe&ion ? » parce qu'en le formant > cha- »>cunde ces loooo individus a » cherché à s'arranger de la ma- ™ niere la plus commode pour « lui , & qu'il a été en même pe ■p tems forcé d'agir & de fe placer » de la manière la moins incom- « mode aux autres. « Oh ! Sage Reaumur $ venez apprendre l'art amphibologique de décrire les ouvrages de la Nature ; prenez ce langage ampoullé > fonore 9 < cnigmatique , tel qu'il conv'e- noit aux Oracles des anciennes Divinités ; vous êtes bien bon de ne repréfenter que ce que vous voyez, de vous occuper à faire des tableaux reffemblans r vous n'êtes qu'un copifte de la Nature , vous en rendez fervile- Nij [148-3 ment jufqu'aux moindres traits , aux plus petits linéamens. Les grands Peintres ne s'amufent pas aux portraits , ils peignent d'imagination , leur pinceau eft trop hardi pour foufFrir la moin- dre gêne , & celui de Monfieur de BufTon plus hardi encore , quand le feu de fon génie s'allu- me , ne fcair peindre que des Hippogriphes , des Hidres , des Centaures ; mais qu'il les peint bien ! Voici le tableau des travaux jbiâ. des Abeilles. » Dirai-je encore i un mot, « nous dit-on, fatisfait do la Defcription que vous ve- nez de voir ; » ces Cellules des » Abeilles , ces exagônes tant » vantés, tant admirés, me four- » niffent une preuve de plus con- C 149J 9* tre l'enthoufiafme & l'admita- » tion ; cette figure > toute géo- » métrique & toute régulière » qu'elle nousparoît , & qu'elle & eft en effet dans la fpécula- » tion , » qu'eft-ce que cela veut dire? « n'eft ici qu'un réfultat mé- *>chanique, & affez imparfait , 33 qui fe trouve fouvent dans la s» Nature , & que Ton remarque » même dans fes produ£tions les » plus brutes , les criftaux & plu- » fleurs autres pierres > quel- » quesfelsj &c, prennent conf- » tamment cette figure dans leur 35 formation. » Les Criftaux , une des productions les plus brutes de la Nature ! Des vafes dont le dedans 6c le dehors ont la figure exagône > comparés à des folides de la même forme ! Niij r i?o j Voici encore d'autres comparai- fons tout auiïi heureufement f» 141, imaginées. Qu'on obferve les * petites écailles de la peau d'u- ne Rouffette , on verra qu'el- » les font exagones > parce que » chaque écaille croiffant en *> ôcmême tems> fe fait obftacle* » tend à occuper le plus d'efpace ^ qu'il eft pofEble , dans un ef« » pace donné. On voit ces mê- »■ mes figures exagones dans le fécond eftomac des Animaux «cruminans ; on les trouve dans « les graines > dans leurs cap- » fuies y dans certaines fleurs : =» Que n ajoute-il donc > & toutes ces chofes n'ont cette forme f que parce que chacune croiffant en même tems > fe fait obftacle , & tendà occuper plus de plaça I if i-3 qu'il eft poflible dans un efpace donné. Eft il quelque Natura- lifte qui ne fente combien ce rai- fonnemenr eft peu férieux , quand il tentera de l'appliquer à la formation des Criftaux , à celle de certains fels , aux figu- res du fécond eftomac des Ani- maux ruminans > à certaines graines , à certaines capfules 9 certaines fleurs dont la forme eft exagône ? Mais voici du pal- p* pable ; » Qu'on remplifle un 03 vaifleau de pois > ou plutôt de p quelqu autre graine cilindri- ? que y & qu'on le ferme exac- ? tement après y avoir verfé au- « tant d*eau , que les intervalles « qui reftent entre ces graines » peuvent en recevoir ; qu'on » fafle bouillir cette eau , tous N iiij » ces cîlindres deviendrontdes » colonnes à fix pans. On en voit » clairemenr la raifon ^ qui eft » purement méchanique ; cha- » que graine dont la figure efl: » cilindrique , tend , par Ion » renflement , à occuper le plus » d'efpace poflible , dans un ef- » pace donné > elles deviennent » donc toutes néceffairement * exagônes , par la compreffion » réciproque. » Le phénomène n'eft-il pas bien'choifi pour ex- pliquer la conftruâion d'un gâ- teau de cire? » Chaque Abeille » cherche à occuper de même » le plus d'efpace poflible^ dans » un efpace donné. Elles fe gonflent toutes à la fois > comme font gonflées les graines cilin- driques qui bouillent dans une marmite fcelée. » Il eft doac » néceflaire auflî * puifque le » corps des Abeilles eft cilin- « driques ( pas abfo lumen t ) » que leurs cellules foient exa- » gônes > par la raifon des ob£ » tacles réciproques. *> Exami- nons ce dénouement fi heureux. A entendre raifonner ainfi Ma de Buffon y on penferoit que les Abeilles trouvent dans leurs ru- ches une lamme de cire toute préparée, fous les dimenfions que doit avoir un rayon , qu'é- tant diftribuées en defïus & en deffous , ou devant & derrière , fi la lamme eft pofée de champ en deux bandes > elles enfoncent leurs corps dans la cire > la per- cent & y forment des trous de la profondeur convenable à l'alvéQ? le, fe gonflent toutes en même tems, de manière que chacune fente la réfiftance de celles qui travaillent aux environs; tout ce- ci eft d'une extrême fimplicité. Mais encore pour donner aux cé- Iules la figure cilindrique , vu la forme de leurs corps qui ne Feft pas tout-à-fait , faudroit-il beau- coup varier les procédés, & que toutes les changeaflent à la fois? Il faut être bien peu verfé dans FHiftoire Naturelle, pour ofer préfenter au Public une pareille explication, ou fuppofer qu'on ignore totalement les manœu- vres des Abeilles, Peut-on pen- fer que M, de Buffon ait jamais jetté les yeux fur les Mémoires de M. de Reaumur. Je lui con- feilleroisdonc de faire chercher quelque vieux gâteaux , dont la cire eft devenue prefque noire > ôclorfqu ils feront humides, de les mettre , en s'amufant, fur une pelle ; qu'il la tienne quelque temps fur le feu , qu'il levé en fui- te le gâteau , il détachera facile- ment le plan fupérieur des alvéo- les de l'inférieur ; qu'il regarde la figure que forment les fonds des alvéoles , & qu'il imagine, s'il le peut , comment il appliquerait fa théorie à la forme admirable- ment œconomique de ces fonds. Il féparera auffitrès aifément les alvéoles les unes des autres* & s'il y préfente le corps d'une Abeille, il tâchera d'examiner comment la Mouche , en appla- tiffant fon dos ou fon ventre, de manière à former un des plans de f exagône , elle s'entendoit avec celle qui travaillent dans l'alvéo- le voifine; enforte qu'agifTant fortement contre la cire , de l'un & de l'autre côté, elles ont fait un des pans ; celui-ci étant for- mé , qu'elle a travaillé au pan fuivant en fe concertant de mê- me avec une autre Abeille qui conftruifoit une autre alvéole, pour faire un nouveau pan : ou bien iLt entera de fe figurer ,.tous les trous étant préparés dans la cire, que toutes les Abeilles fe placent dans ces trous, & que donnant toutes à la fois, mais dans le même inftant précis x à tout leur corps la forme exa&e d'un exagône , elles ont formé leurs célules telles qu'on les voit. Il ne refteroît plus qu'à donner ti ni les raifons de la conftru£lion des fonds» Je fuis perfuadé qu'il rira lui-même de fon explication , quand il aura confideré attenti- vement Falyéole qu'il aura déta- chée. Qu'il remette les parties féparées du gâteau fur le feu , ce ne fera plus la cire, l'alvéole pri- mitive qu'il admirera , la cire fera fondue , il trouvera fur la pelle plufieurs tentures de tapifferie $ que des vers avoient collé les unes fur les autres / parce que, pour chaque nouvelle transfor- mation, il faut que l'apparte- ment foit tendu de neuf. Qu'il confideré le tilfu ferré de ces ta- pifTeries > la manière dont elles ont été appliquées fi exa£tement contre les parois de l'alvéole , la figure de l'exagone qu'ils çoih fervent > quand ces parois font détruits ; trouvera-t-il qu'il y ait eu de rinduftrie à filer cette ta- pifferie f Et pour en expliquer la fabrique , dira-t-il que 10000 vers , dans un efpace donné > doi- vent néceffairement > par une oppofition réciproque , former un ouvrage qu'aucun de nos Ar- tiftes les plus induftrieux ne pourroit imiter ? Quelle honte pour un Philo- fophe , de parler en légiflateur & en maître , fur des faits qu'il igno- re totalement ! Quelle confiance veut- il que le Public prenne > pour des phénomènes qui ne fe- ront appuyés que fur fon témoi- gnage , lorfqu'on peut lî jufte- ment lui reprocher de donner pour des faits > des imaginations enfantées par la paflîon > & dont le plus petit obfervateur fent la fauffeté ? Je vous exhorte encore, Mon- fieur , ôc tous ceux entre les mains defquels mes Lettres pourront tomber , à relire le cin- quième volume des Infeâes : après avoir lu M. deBuffon., on prendra un nouveau goût à la lec- ture de cet excellent ouvrage , c'eft probablement tout ce que gagnera M. de BufFon ; l'étude & le defir de connoître les Infec- tes fe renouvelleront. On s'ap- percevra combien d'habiles ou- vriers peuvent tirer avantage d'u- ne infinité de conftru&ions admi- rables, de traits de méchanif- me y de charnières > &c. C'eft peut-être à l'étude de certains fcarabées , que les hommes ont dû l'art de fe couvrir de fer , pour fe dérober aux coups de leurs ad* verfaires , & de barder leurs chevaux , & qu'ils ont appris à unir des lammes folides d'acier & d'airain, de manière qu'elles puffent fe prêter à tous les mouvemens des membres qu'eL les défendoient. Enfin > on ver- ra , en lifant les Mémoires des Infe&es > combien de merveilles M. de Buffon fupprirne dans les procédés des Abeilles , qui mon- treraient déplus en plus l'infuffi- fance de fon méchanifme ; ces couvercles dont elles ferment leurs alvéoles , Fend uit qu'elles donnent à leur ruche , la maniè- re dont elles fe grouppent en ef- fein, leur induftrie à retirer de leur Ii6i ] îeur habitation tout ce qui pour- roit l'infe&er, le concert dans les fecours mutuels qu'elles fe donnent dans ces pénibles opé- rations > ôcc. car je ne finir ois jamais. M. de Buffon continue avec la confiance d'un homme qui au^ roit démontré tout ce qu il a dit jufqu'ici. » On donne plus d'e£-p. » prit aux Mouches dont les ou^ » vragesfont les plus réguliers* »Les Abeilles font, dit- on ^ » plus ingénieufes que les Guê- pes , que les Frêlons % ôtc* qui *> favent auflirarchitedure, mais « dont les conftru&ions font plus groffieres & plus irrégulieres « que celles des Abeilles on ne y veut pas voir , ou Ton ne fe » doutepas que cette régularité? FIL Partie* Q s* plus ou moins grande > dépend =» uniquement du nombre ôc de ^ la figure , & nullement de Fin- » telligence de ces petites bêtes j: «-plus elles font nombreufes* » plus il y a de forces qui agiffent « également , & qui s oppofent a* de même y plus il y a par confé- « quent de contrainte méchani- » que , de régularité forcée & de « perfedion apparente dans leurs ^ productions...» Si Ton donne plus d'efprit aux Abeilles y ce n eft pas parce que leur conftru&ion eft plus régu- lière ,> mais parce qu'il y a plus de variétés dans lears procédés. Les ouvrages des Guêpes & des Frelons > ne font pas moins ad- mirables que les leurs. Certaines Mouches font des alvéoles, fur une tige,delagroffeur d une noix,. que Ton prendroit pour une galle , Ci l'on ne voyoir pas les orifices des alvéoles. Certains Frétons aiment à attacher lemrs nids au haut d'une voûte ; ils les font de fcieure de bois; tout Je dehors efl convert de bandes lar- ges de deux doigts > comme s'il étok enveloppé d'un ruban. Les -endroits où ce ruban eft moins bien appliqué > kiffent des ou- vertures comme négligées 6t fort irrégulieres qui font autane de portes ; les céllules n'ont pas beaucoup de fimétrie. J'ai eu à Nantes un de ces nids qui étok delà forme & de la groffeur d'un chou blanc; mais il étoit fi fria- ble, qu'il ne pouvoir être tranf- foité.Les Abeilles cartonnieres^ dont on - voit Fouvrage dansfeè cabinets de M. de Reaumur* font des nids à peu près fembla- bles ; maisles alvéoles en font ré* gulieres.Or la figure desdeux nids dont je viens déparier, vient-el- de ce que les conftruâeurs étant en grand nombre > à force de s'entrepoufler en faifant des trous, par une contrainte me- chamque , & une régularité for- cée y ont fait des alvéoles. Les Frêlons ri avoient-ils pas porté leur fcieure de bois à la voûte du lambris où ils avoient bâti ? N'avoient-ils pas préparé cette fcieure ? Réduite en lammesj ne f avoient-ils pas hume&ée d'une forte de colle ? Avoient-ils trou* vé dans quelque coin de ce lam- bris, un tas de fcieure de bois tout: prêt ^ ou en fe plongeant tout S la fois, à force de fe nuire pat roppofition de leurs gonftemens* avoient-ils, rendu ce tas com- mode pour leur logement ? Les Abeilles cartonnieres , trouvent* elles du carton en bouillie, ovl elles fe placent en le perçant ? Je mefaisunevraye peine de rele^ ver de pareilles imaginations ha- fardées par un Phificien & un Académicien célèbre. «Les Animaux qui reffem-p. x**. « blent plus à l'Homme parleur » figure & par leur organifation , » feront donc, malgré les apolo- » gifles des Infectes , maintenus » dans la pofTelÏÏoni où ils étoient, « d'être fïipérieurs à tous les- au*- » très pour ks qualirés intérieur » res* » On ne foifit pointée que veut dire M. de Buffon ; peut- être prétend - il que l'organifa- tiondu cerveau des Animaux, qui reflemblent plus aux Hom- mes , fent plus fon exiftence , a plus de fenfations , donne plus de preuves de génie & d'in- duftrie, que l'organifation du cerveau des Infedes. Il araifon > tant qu'il fe chargera de réfou- dre pour les Abeilles , le problè- me auquel elles fatisfont Ci exac- tement ; je conviendrai que de tous les Animaux , elles font les plus maladroits. Le peu d at- tention qu'on a eu de faire une ample collection d'Infectes , empêchera que le nombre des volumes de la defcription du Cabinet du Roy, fe multiplie ; & comme on n' aura rien, à dire des ïnfeâes , il faut infirmer au Lec- teur, quon aeu raifon de négli- ger cette partie de rHiftoire Na- turelle, ou comme très- peu in~ téreflante , ou comme infiniment méprifable. Il a befoin de décrier les À- beillespourconferver fa chaîne merveiileufe des Eftres dont il a tant été parlé dans mes premiè- res Lettres. Il faudrait , pour k mettre à l'aife de ce .côté-là f que les Infedes panifient les plus Au- pides des Animaux. lia toujours fort à cœur cette échelle dont il n'eftpas l'inventeur. Voici celle du Règne animal » On peut éta* p< a> blir une échelle pour juger des » degrés des qualités intrinfeques: »de chaque Animal, en pren ant ^ pour premier terme % la partie «matérielle de l'Homme, 8c » plaçant fucceflivement les Ani- » maux à différentes diftances > » félon qu'en effet ils en appro- » chent ou s'en éloignent davan- tage, tant par la forme exté- rieure, que par l'organifatioti »> intérieure ;enforte que le Sin- »ge, le Chien , l'Eléphant ôcles «autres quadrupèdes feront au * premier rang ; les cétacées qui, «comme les quadrupèdes & «l'Homme, ont de la chait & *> du fang , qui font comme eux » vivipares , feront au fécond ; » les oifeauxautroifiéme , parce » qu'à tout prendre , ils différent « de l'Homme plus que les eétar » cées ôcles quadrupèdes. « Vous ©bfervez déjà, Monfieur,dans cette, échelle mitférieufe , OÙ les les rangs font diftribués , pour difcerner les Animaux dont la perfe&ion de conftruâion dans le cerveau , approche plus ou moins de celle de l'Homme , donnent plus ou moins de lignes de génie & d'induftrie ; vous voyez, dis-je , qu'il y a déjà bien du défordre. Car le Loir étant quadrupède auffi bien que la Brebis, il faudra dire que ces deux Animaux font plus près de l'Homme par leurs qualités inté- rieures , comme parle l'Auteur , que le Faucon, l'Hirondelle & tant d'oifeaux qui, foit dans la conUrudion de leurs nids, foit par des procédés très-délicats , donnent certainement plus de marques d'intelligence que le Loir & que la Brebis. Les Poif- Vll. Partie. P 3 i?° 3 fotts n'y trouvent aucun rang; &: quoique nous foy ions afîezpeu au fait de leurs mœurs , plufieurs vivant de rapines > ils ont leurs arts & leurs fineffes. L'Auteur . continue, » Et s'il n'y avoit pas » des Eftres , qui comme les Hui- très ou les Polipes y femblent en différer autant qu ileft pofïï- » ble ( des Hommes) leslnfedes » feroient avec raifon , les bêtes » du dernier rang. » Vous voyez maintenant \ Monfieur , pour- quoi il faut humilier les Infe&es, & que ces Animaux ayant moins de traits de reffëmblance avec l'Homme, dans la figure ôc la ftru&ure extérieure des mem- bres , leurs qualités intérieures , ceft-à- dire , la conftruâion de leur cerveau > doit approcher le t!70 moins qu'il eft poffible , de fart avec lequel le cerveau de l'Hom- me eft ordonné ; fans cela , que deviendroit l'échelle desEftres ? Mais au contraire , il a plû au Créateur de montrer a l'Homme que le grand & le petit peuvent être maniés auffi avantageufe- ment >'un que l'autre, par fa toute-puiffance ; que le volume du cerveau lui eft fort indifférent, & que c'eft pour cette raifon qu'il a ménagé des reffources dans celui de l'Abeille ,<}ue tout le mépris & l'indifférence de M. deBuffon ne nous empêcheront pas d'admirer. La ftupidité qu'il donne aux Polipes , eft encore très-gratuite. Les Polipes à bras favenr cher- cher le jour ; & l'on eft fort éton- Pij [ 172] né, lorfqu'on leur voit ferrer étroitement entre leurs bras , qui ne font que des filets, des vers plus longs qu'eux , qui les fur- paffent en gtofieur, des puce- rons branchus, dont les cornes font redoutables ; on eft frappé , lorfque l'on fuit toutes leurs ma- nœuvres. Combien d'autres Po- lipes ôt de vers , ont une induf- trie propre à attirer à eux leurs proye invifible ! Que de mer- veilles ne pourrois-je pas rappor- ter , s'iln'étoitréfervé à l'Hom- me très-connu , avec qui je les ai fouvent obfervées , de bien peindre ce que je ne fais que voir ! Quel fond inépuifable d'a- mufemens utiles procureroient- ils par leurs procédés délicats aux curieux des bons microfcot -[î75] pes ! Qu'il y a de découvertes à faire parle fecours de cet inftm- ment ! L'ufage en eft un peu pé- nible dans les commencemens ; il faut s'en fervir d'abord avec fobriété , y accoutumer infenft- blement les yeux : on vient enfin à bout , après quelques mois , de fuivre les objets pendant long-tems. Il faut toujours quit- ter cet exercice avant qu'on fe fente la vue fatiguée > & ne l'ex- pofer à cette fatigue que dans des occafions imporrantes. Si cet amufement devenoit^fami- lier, les expériences aufquelles Monfieur de Buifon a pris tant d'intérêt , feroient bien-tôt ré- duites à leur jufte valeur. Je fouhaiterois fort que vous euf- fiez un microfcope de la façon [174] de Monfieur Magnî , vousflous donneriez des idées juftes des Infeâes de votre Continent > àc Fon pourroit compter fur vos Obfervations. Il faut une pro- bité parfaite dans un Obferva- teur y de bons yeux > le talent de difcerner les illufions d'op- tique três-fréquentes > & celles fur-tout de notre imagination* dont nous devons d'autant plus nous défier > que nous l'aimons. Mais ces avis font fort inutiles pour vous > Monfieur , qui réu- nifiez toutes les qualités du cœur & de l'efprit % & qui par-là êtes fi digne des fentimens avec lef- quels , &c. 1*7$ 1 XXIIe. LETTRE. MOnfieur.de Buffon parott , Monfieur > tout autant prévenu contre les fignes de prévoyance que donnent les A- nimaux , qu'il eft embarrafTé de leur induftrie* Sa plus grande re£ fource eft de nier les faits > & de rendre fufpe£te la bonne foi de ceux qui les rapportent* Il fe fait cette longue objection très- bien frappée. « Si les Animaux p. h5. » font dépourvus d'entende- » ment , d'efprit & de mémoire > » s'ils font privés de toute intel- » ligence , fi toutes leurs facul- té tés dépendent de leurs fens, » s'ils font bornés à l'exercice & P iiij » à l'expérience du fentiment » feul , d'où peut venir cette » prévoyance qu'on remarque » dans quelques-uns d'entr'eux ? » Le feul fentiment peut-il faire » qu'ils ramalTent des vivres «pendant l'Eté pour fubfifter « pendant l'Hiver ? Ceci ne '*» fuppofe-t-il pas une comparai- =» fon de tems , une notion de » l'avenir, une inquiétude rai- » fonnée ? Pourquoi trouve- »> t-on à la fin de l'Automne dans =» le trou d'un Mulot afiez de =» gland pour le nourrir jufqu a » l'Eté fuivant ? Pourquoi cette » abondante récolte de cire & » de miel dans les ruches? Pour- =» quoi les Fourmis font-elles » des provifions ? Pourquoi les =» Oifeaux feroient-ils des nids > [177] » s'ils ne fçavoient pas qu ils en » auront befoin pour y dépofer » leur œufs ôc élever leurs pe- » tks ? &c. Et tant d'autres faits « particuliers que Ton raconte » de la prévoyance des Renards* » qui cachent leur gibier en dit » férens endroits > pour le re- » trouver au befoin > & s'en » nourrir pendant plufieurs jours; » de la fubtilité raifonnée des » Hiboux j qui fçavent ména- » ger leur provifion de Souris 9 * en leur coupanr les pattes pour o> les empêcher de fuir ; de la » pénétration merveilleufe des » Abeilles > qui fçavent d'avance que leur Reine doit pondre » dans un tel tems tel nombre » d'œufs d'une certaine efpece , dont il doit fortic des vers de » mouches mâles , & tel autre » nombre d'œufs d une autre ef- » pece qui doivent produire les * mouches neutres , & qui , en » conféquence de cette connoif- «i fance de l'avenir , conftrui- «fent tel nombre d'alvéoles, * plus grandes pour les premie- » res , & tel autre nombre d'al- » véoles plus petites pour les » fécondes ? &c. &c. Ôcc. » Le paffage eft un peu long , mais je n'en pouvois rienfuppri- mer. Ecoutez-en encore patiem- • ment la fuite. Il commence ainfî à réfuter lobjeaion. » Avant que » de répondre à ces queftions , » 6c même de raifonner fur ces «faits, il faudrait être alTuré « qu'ils font réels & avérés ; il «faudroit qu'au lieu d'avoir été D79 3 «racontés par le peuple, ou pu- bliés par des obfervateuts amou- o, veux du merveilleux , ils euffent » été vus par des gensfenfes , & re- » cueillispar des Philofophes : je » fuis perfuadé que toutes les » prétendus merveilles difparoî- «troient, & qu'en y réfléchif- » fant , ontrouveroit la caufe de » chacun de ces effets en parti- » culier. » Remarquez , s'il vous plaît; Monfieur , que tous les faits que l'Auteur a articulés , font conf- tans, fivous en exceptez la pré- caution du Hibou , fi élégament narrée par la Fontaine , & les provifions des Fourmis. La pré- voyance des Renards eft com- mune à plufieurs de nos Chiens grands & petits % ils l'ont dans [i8o] nos maifons. Les diipofitions des Abeilles pour la conftru&ion de différentes alvéoles , pour les mâles y les mulets & les femel- les y ont été décrites par M. de Reaumur. Etc'eftpourfedébar- raffer de celles-là , qu'il defire- roit que les faits dont il eft fati- gué , euffent été vus par des gens fenfés , & recueillis par des Phi- lofophes. Doute-t-ildonc de la bonne foi de M. de Reaumur , Il eft le feul dans l'Univers* Doute- t-il que fon confrère > qui rap- * porte ce qu'il a vu, ne foit un homme fenfé ? Cela pourroit être ; on appelle fens commun celui que l'on a. Doute-t-il que M. de Reaumur ne foit Philofo- phe ? Il a peut-être encore raifon* félon fa manière de penfer > car il fe croit Philofophe > & s'ill'efty aflurémentM. de Reaumur ne l'eft pas. Négligeons tant de traits- odieux & fi mal mafqués, qui ne peuvent obfcurcir la gloire de mon illuftre ami. Mais ne lai£ fons pas échapper une réflexion qui m'intéreffe perfonnellement; Lequel des deux procédés trou- vez-vous plus honnête > Mon- fieur y ou du mien à l'égard de M. de Buffon , ou celui de M, deBuffon à l'égard de fon con- frère ? La façon de raifonner de M, deBuffon m'a encore plus ré- volté que fes hipothèfes : j'ai craint qu'elle ne devînt conta- gieufe , à caufe de la célébrité de fon nom. L'amour de ma patrie & du monde favant > m'ont fait prendre la plume. J'ai prouvé hautement que fes raifonnemens étoient vicieux > qu'il fe contre - difoit fans celfe, que rien ne fe foutenoit dans fes fyftêmes- En- fin y j'ai agi en l'attaquant , finon poliment , du moins avec fran- chife. JVLdeBuffon eft mécon- tent de l'Hiftoire des Infeftes ; il juge que l'Auteur a été féduit par l'attrait pour le merveilleux . il le pointillé , il l'attaque , il le tour- ne en ridicule ; Ôc que n accufe- t-il publiquement M. de Reau- mur d'imbécillité ou de mauvaife foi , que ne tente-t-il de le prou- ver, que n'a-t-il vérifié fes ob- fervations > comme j'ai difcuté les fiennes ( de M. de Buffon. ) Un Ouvrage public eft livré à la cenfure & à la mauvaife humeur de tout homme à qui il déplaira : fi cet homme hafarde une criti- que & qu'elle foit mal-fondée, on fe moquera du cenfeur, &le voilà puni ; s'ilaraifon , tant pis pour FAuteur , tanr mieux pour le Public. Revenons à notre fujet. II prétend que les merveilles dont il a parlé, difparoîtroiçnt , fi un homme fenfé les obfervoit, ce- pendant qu en y réfléchiflant on trouveroit la caufe de chacune* Que peuvent des réflexions con- tre des faits? » Mais , pourfuit-il , admet- p* m» » tons pour un inftant la vérité « de tous ces faits. *> Je n'ai dono pas eu tort de penfer qu'il les ré- voquent en doute. » Accordons > °> avec ceux qui les racontent * [184] p le préffentiment , laprévifion, o> la connoiffance même de l'a- »? venir aux Animaux;en réfultera- « t-il que ce foit un effet de leur » intelligence?^ Et de quoi donc? d'une forte de méchanifme ? Ce- la pourrait être > fi> comme l'affure M. de Buffon > un ton de méchanifme pouvoit rendre la matière fufcçptible 'du fens de Pexiftence ; la rendoit certaine de l'exiftence des corps qui font quelque impreflîon fur les orga- nes extérieurs des fens ; lui fai- foit voir les diftances , diftin- guer le mouvement & le repos des autres corps ; & du fien pro- preilui faifoit naître des defirs re- latifs à un bien-être futur > des appétits dirigés par le fentiment du befoin > vers une nourriture quelconque quelconque & en général. * Si ûid. cela étoit , elle ( cette intelli- » gence) feroit bien fupérieureà » la nôtre ; car notre prévoyance 3>eft toujours conjecturale* nos notions fur Fa venir ne font que v douteufes y toute la lumière de -«notre ame fuffit à peine pour *> nous faire entrevoir les proba- « bilités des chofes futures : dès- * lors les Animaux qui en voyent « la certitude , puifqu ils fe dé- terminent d'avance, & fans m jamais fe tromper , auraient en « eux quelque chofe de bien fu- « périeur au principe de nos con- *> noifTances* Ils auraient une *>ame bien plus pénétrante 6c » bien plus clairvoyante que la » nôtre. Je demande fi cette 3* conféquence ne répugne pas FIL Partir» Q » autant à la religion qu'à la raî- *> fon ? » Tout ceci d'abord pa- roît affez fuivi ; mais auquel des faits que l'Auteur a rapporté f peut-on appliquer fon raifonne- ment ? Amaffer des provifions pour l'hiver, conftruire un nid pour y mettre des œufsenfûreté* coupper les pattes de fa proye^ pour l'empêcher de s'échapper % enterrer fon gibier pour n'avoir pas à chafferle lendemain ; tou- tes ces précautions partiffent-eb les d'une intelligence , qu'y au- roit-il en cela qui furpaffât la nô- tre , qui furpaffât même la foible lueur de raifon qui refte à un im- bécille, ou qui pointe dans un enfant f Les réflexions de IVL de Buffon ne peuvent donc être ap- pliquées qu aux Abeilles > Ôc au C i87 J cas particulier de la conftru&ion des différentes alvéoles ; encore, après cette reftridion r ont-elles l'air d'une pure déclamation. Car premièrement , M. de Reaumut ira pas prétendu que les Abeilles confirai fiffent le nombre précis d'alvéoles corres- pondant à celui des œufs de mâ- les que la mere doit produire ^ on n'a donc pas lieu de conclu- re qu'elles travaillent fur des connoiffances certaines de Fa1 venir. Quelque impreffion ara- logue à celle qui avertit ceux qui ont eu une jambe cafTée, du changement de. teins > pourroir de même faire prefîentir aux A~ beiïle's, la néceffité des diverfes contractions qu'elles auroient h faire. Secondement r la mere [i£8J dépofe à la vérité fes œufs > com- me fi elle connoiffoit Fefpece qu'ils renferment > dans des al- véoles convenables ; mais les œufs des mâles * ceux des femel- les ; ceux des mulets étant diffé- rens x pourraient ,pour ainfi dire, fe faire connoître par la manière dont ils fe préfenteroient pour fortir. Ainfi, l'Abeille dans Phi- pothéfe de ceux qui lui donnent une âme > connoîtroit non le fu- tur y mais le préfent 5 je veux dire la nature de l'œuf prêt à être dé- pofé ; & il n'y auroit plus liera d'intéreiTer ici ni la Religion y ni la raîfon. p. i4s. Notre Auteur continue. » La » fureté avec laquelle on fuppofe ^que les Animaux agifïent, la ^ certitude de leur détermina^ » non 9 fuffiroit feule, pour qu'on » dût en conclure , que ce font »les effets d'un pur méchanif- me. Le eara&ere de la raifon » le plus marqué , ceft le ddu- » te y c'eft h délibération * c'eft » la comparaifon ; mais des mou- » vemens & des a&ions qui n'an- M noncent que la décifion & la « certitude , prouvent en même *> tems le méchanifme & la ftu- *>pidité. o> Au premier coup d'œil, ces réflexions familières aux Cartéfîens , paroiffent déci^ fives ; mais quand on fe rappelle combien les procédés des Ani- maux varient dans les ouvrages où ils femblent faire abfolument la même chofe* on neft plus frappé des raifonnemens qu'on yient de voir, Ea effet, une Araignée paraît conftruîre fa toi- le conftament de la même façon, cependant les diiférens lieux où elle la fait > ne fe reffemblant jamais ni pour la figure ni pour les dimenfions, cet Infe&e a toujours de nouvelles mefures à prendre, quand il change de lieu. Ses toiles font diyerfemene trouées , déchirées ou dérangées par beaucoup d accidens , la ma- nière de les rétablir , de les re- prendre, doit donc varier dans tous ces cas. Tous les ouvriers en foye & en laine , font leur tiflu par le jeu de la navette ; ce jeu paroît uniforme, mais que de variétés dans leurs différens ouvrages. Combien d'Animaux dépendent de nos caprices dans le choix de leur habitation ! Que defïipercheries les obfervateur$ n'ont-ils pas faites aux Abeilles * pour les forcer à travailler fous leurs yeux l M- de Reaumur dé- crit une ruche fort large & fore haute, mais très- peu profonde. Il a fallu que les Abeilles ayent pris* pour y travailler % de toutes autres mefures que celles qui leur font familières. Or f je le demande ; des Animaux qui prennent leur parti > & un parti différent fuivant le local que vous leur afllgnez, ou par fantai- fie , ou par des raifons très-fages* telles que celles qui déterminè- rent M. de Reaumur à faire cons- truire la ruche dont je viens de parler* ne donnent-elles pas des fignes de délibération & de corn- paraifon ? Et combien en don. [ 19* 1 Sient-elles de doute , lorfqtfa- bandonnées à elles-mêmes, el- les cherchent un domicile ! Que de trous examinés & laifîes t Combien faut-il les importuner par des bruits , par des chariva- ris, pour fe déterminer à loger dans une ruche qu'on leur a pré- parée? Enfin, combien de nou- veaux procédés , exigent une in- finité d'événemens cafuels, qui les troublent dans leurs travaux ; combien d'expédiens pour éloL gner des curieux indifcrets î pour chaffer ou pour tuer des animaux qui viennent pour voler le miel ? Les traits d'intelligence ne man- quent pas de la part des Abeilles* mais leur eft-elle propre, leur eft-elle étrangère? Ceft, encore une fois le point de la queflion. Au lieu de leur donner de l'in- telligence , * ne feroit - il pas » moins déraifonnable , fuppofé » qu'on ne puiffe pas douter des « faits ., comme on n'en peut douter , à moins qu'on ne s'ob£ tine à reflifer de les vérifier, » « d'en rapporter la caufe à des ■ loix méchaniques , établies 9 « comme toutes les autres loix » de la Nature , par la volonté du * Créateur ? » A des loix pure- ment méchaniques > non ; à des méchanifmestels que font ceux de ce qui eft en nous occafion d'i- magination , de réflexion , de dé- libération , & qui feroient de fimples caufes occafionnelles, peut-être bien. Nous difcuterons enfemble , Monfieur , cette queftion, quand j'aurai achevé VIL Partie. R [ IP4] l'examen du difcoursfur les Ani- maux. Or , c'eft cette idée-là mê- me } descaufes occafionnelles, que M. de Buffon veut écarter % & voici comment il s'y prend. » Cependant > comme les loix de » la Nature.... n'en font que les » effets généraux » de îa Nature apparemment > cela ne s'entend point , » &que les effets dont il » s'agit y ne font au contraire que »• des effets très particuliers : il =» feroit peu philofophique, & w peu digne de l'idée que nous 3 devons avoir du Créateur, de » charger mal à-propos fa volon- té cie tant de petites loix; ce * feroit déroger à fa toute-puif- » fance , & à la noble fimplicité a* de la Nature , que de l'embar- h rafler gratuitement de cette « quantité de ftatuts particuliers , 05 dont l'un ne ferait fait que » pour les Mouches , l'autre * pour les Hiboux , l'autre pour » les mulots. » Si quelqu'autre que le Créa- teur a formé la Mouche a miel, fi , par exemple , les parties* corrompues d'un veau , comme Font penfé les Anciens, & com- me M. de Bufioti doit être porté à le croire, en partant de fon fif- tême, fi , dis-je, il avoit plu à ces parties altérées de fe group* per de manière à faire un ver d'Abeille ; ôcdans ce ver de pré- parer la Nimphe 6c la Mouche à mieh d'établir dans le cerveau de la Mouche, une fuite de mouvemens correfpondans à tous les événeniens auxquels la mouche devoit avoir part ; d'y mettre , en un mot > une harmo- nie pré-établie > fi ce réfultat de parties corrompues , qui fe fera fait lui-même , fupplée à Peffica- ce de la volonté divine fur toute la matière > je comprendrais que lidée de la toute- puiflance feroit défigurée ; mais il n'y a que ceux qui taillent leur Dieu fur le mo^ dele d'un Monarque mortel > qui puiflent fe forger des images fi baffes de la Divinité. Mais fi le Créateur a formé lui-même la tête de l'Abeille > s'il a décidé de la figure , du ton de tenfion de la moindre fibre du cerveau de cet Infe&e > fi toute l'œconomie de ce cerveau eft l'œuvre de la fageffe Divine ? [îP7] pourquoi le jeu de la machine en feroit-il indépendant ? Vous craignez que Dieu ne fuccombe fous tant de loix, ames foibles > qui tenez plus au néant qu'à l'être ! Dieu ne fera- t-il donc grand > que quand il participera à votre petitefle ? Les moindres détails vous fatiguent , les connoiflances vous furchar- gent, vous généralifez tout $ parce que vous êtes incapables de fuivre les branches & les ra«< mifications d'une diftribution exacte. Ah ! fi vous ne connoif- fez TEftre Suprême que comme un Eftre indéfini > s'il ne vous paroît grand > que parce que vous ignorez les bornes de fon pouvoir & de fes connoiffan- çesjfoyezréfervé en raifonnant fur fes perfections 5 votre ima- gination vous porterait peut- être au-delà des termes de fon intelligence, de fa force, de fa grandeur ; vous le feriez plus puiffant qu'il n'eft , & vous l'of- fenferiez x fi dans la comparai- fon qu'il ferait de ce qu'il eft y avec l'image que vous auriez formée > il fe trou voit au-deiïbus de vos phantômes , il regrete- roît d'être Créateur ? Il eût été avantageux pour lui que vous euffiez eu la toute - puiffance* Eftes-vous auffi œconomes lorf* que vous mefurez la fcience de Dieu ? Je me répète , mais l'Au- teur fe répète aufli , 6c je ne puis crier ni trop fouvent ni trop haut 9 contre l'inertie - qu'on voudrait prêter à la Divinité, C ipp] Oferiez-vous dire que Dieu ne voit pas le mouvement afluel de la plus petite fibre du cerveau d'une Abeille , qu'il ne voit pas les progrès des petits rameaux dontl'entrelaflement fait le tube d'un de jfos cheveux , qu'il ne voit pas comment l'aîle de tel fcarabé fe déployé d'ans Fin ftant préfent ? Si vous le niez , l'im- pie même fe moquera de vous > & celui qui dit dans fon cœur qu'il n'y a point de Dieu > vous dira que s'il en eft un > il fonde les reins & y voit tout , jufques dans le moindre détail , fans confufion comme fans travail & fans étude. Mais fi l'Eftre Suprême voit tout fans fatigue , il opère le grand comme le petit fans ei- R iiij r 200] fort, parCe qu>fj agk -mmédk, tement par la force de fa volon- té ; fes Loix font donc vives & opèrent par elles-mêmes. Nous les appelions générales, & par rapport à nous , le général exclut le détail. Nousn'^tabliffons un ordre général , que pour nous épargner l'embarras & la peine de Penfer à tout le particulier que renferme notre ordre géné- ral. Mais la volonté générale de Dieu embrafle tous les cas fu- turs où l'application d'une de les Loix doit avoir lieu. Cette parole, que la lumière foit faite , donne encore le ton, le mou- vement, la direcïionautraitde lumière qui parvient aduelle- ment à mes veux. C'eft l'ineffi- cacité de notre onté qui nous [201] Fatigue. Ce pouvoir d'emprunt que nous avons fur notre propre corps & fur ceux qui nous envi- ronnent , peut être épuifé ; nos efprits nous font donnés par me- fure , & nons fentons la laffitu- de quand xls> commencent à nous manquer , & lepuifement lorfqu étant trop impétueux , ils tendent trop quelque mufcle, & menacent d'en déranger l'œ- conomie : Mais celui qui opère, parce qu'il le veut , ignore & la fatigue ©d'accablement. Tel eft Dieu , adorez - le. , & gardez- vous de fonder fa Majefté , de peur d'en être accablé. » Voyons donc ( l'Auteur en- p. fin vient au fait) » s'ils font »> inexplicables , s'ils font Ci mer- » veilleux , s'ils font même avé-. [202 } » tés. » [Ces effets qui, de la part des Animaux , indiquent des pre'cautions pour l'avenir. » La » prévoyance des Fourmis n'é- » toit qu'un préjugé ; on la leur »avoit accordée en les obfervant> » on la leur a ôtée en les obfer- » vant mieux ; elles font engour- » diestout l'hiver, leurs provi- » fions ne font donc que des » amas fuperflus , amas accumu- » lés fans vues , fans connoiffan- » ce de l'avenir, puifqueparcet- *.te connoiffance même, elles » en auroient prévû toute l'inuti- » lité. « M. de Buffon réveille ma curiofité en nous parlant des Fourmis. Je fai que leur Hiftoire eft toute prête depuis longtems, & ce que j'ai vû de la part de ces Animaux dans mes différentes [20? 1 promenades , m'a paru fi inté- reffant, que je ne puis m'empê- cher de me plaindre du larcin que l'on fait au Public, enlaif- fant cette Hiftoire dans le cabi- net , & en interrompant celle des Infedes, fi amufante, fiinftruai- ve , fi propre ànous défabufer de nos faufles idées fur le grand & fur le petit, à nous élever vers le Créateur. L'idée que l'on avoit que les Fourmis s'approvifionnoient pour l'hiver, en portant du bled dans leurs fouterrains, n'étoit qu'un préjugé; M. de Reaumur nous en a défabufés : mais ce préjugé étoit univerfel, parce que de tout tems on a admiré da- vantage à proportion qu'on ob- fervoit moins. L'Ecriture iffci [204] voyeleparefleux à ce préjugé, il fuffifoit que les Hommes pen- faffeht , que ce petit animal fai- foit des amas d'alimens , pour oppofer leur indolence , à la vi- gilance & à l'efprit de précau- tion qu'ils attribuoient aux Ani- maux. L'Efprit Saint ne prêt en- doit pas leur révéler ce que font les Fourmis dans leur retraite ; mais les piquer par une oppofî- tion de mœurs, laquelle n etoit pas moins propre à les faire rou- gir , foit que les Fourmis déro- baient fur les biens deftinés à notre fubfiftance, ce qui étoit néceffaireàla leur, foit quel- les ne le fhTent que pour lam- brûTer leur appartement, & pour fe préferver de l'humidité. Il n'eft pas d'ailleurs bien fûr qu'il C 20$ ] n'y ait pas dans l'Orient quelque efpece de Fourmis , qui , obli- gées defe mettre à couvert pen- dant la faifon des pluies , ufent, pour fatisfaire leur appétit , de ce qu'elles n'avoient d'abord ramaffé , que pour prévenir l'en- gourdiflement. Les nôtres nç fe nourriffent pas de bled, mais elles ne laiffent pas de nous don- ner de bons exemples d'induftrie ôcd'aftivité, ôc de prévoyance contre les incommodités de l'hi- ver. M. de Buffon eft donc ré- préhenfible à tous égards , quand il prononce que les provifions des Fourmis , ne font que des amas fuperflus, accumulés fans vues y fans connoiffance de l'a- venir. Qui voit agir, s'échauf- fer, fe tourmenter un grand î>oS] nombre d'hommes > pourra bien s'imaginer qu'ils fe donnent beaucoup de peine pour des riens ; qui voit agir un vil infeâe, comme l'appellent ceux qui ne font pas Philofophes ; qu'il le fuive , & il s'affurera que le ter- me de fon a&ion eft un objet uti- le. C'eft que l'Homme s'occu- pe par le mauvais ufage de fa li- berté, d'une infinité de chofes pour lefquelles il n'efl: pas fait j il fait fe fouftraire à la fageffe , aux follicitations même pater- nelles de fon Auteur : mais l'Xn- fe&e n'a d'autres fins que celles que lui a préfenté le Créateur; il n'y ajoûte rien > il n'en ôte rien : nous ne devons par confé- quent point être furpris qu'il foit il conftamment appliqué aux in- [ 207] duftries pour lefquelleç il a été fait y c eft cependant ce qu'on appelle ftupïdité. L'on fera plus en état d'appré- cier toutes ces déclamations de M. de Buffon, lorfque M. de; E eaumur nous aura décrit la ma- nière dont les Fourmis em- ployer leurs matériaux > leurin- duftrie > leurs fages procédés ; je l'exhorte à fe venger ainfi du mépris que l'on affe&e pour fes travaux dans l'Hifloire Natu- relle ; le Public en fera d'autant plus flatté que fa curiofité doit être piquée par les efforts mê- mes que M. de Buffon fait pour les décrier s'il le pouvoit : s'obf- tinera-r-il donc toujours à écrire fur des matières dont il n'a ja- mais pris la peine de s'inftruire ? [208] À-t-il jamais examiné ces tas de fétus que font les Fourmis pour mettre leurs Nymphes à cou- vert y qu'on trouve par tout, en fe promenant , dans le mois d'Août y que Ton ravage pour nourrir les petits Perdreaux , & qui , dans quelques parties des Indes , font comparables pour le coup d'œil , à des maifons commodes? S'il fe fût jamais amufé à renverfer quelque par- tie de ces petits Edifices y il eût eu moins d'indifférence pour ces petits Animaux. Il en eft une et pece qui profite des petites voû- tes y qu'une pierre dont le def- fbus eft inégal > fait fur la terre. Il plaît à celles-là de placer leurs Nymphes fous ces fortes de voû- tes. Je levai un jour une de ces pierres 3 pierres y je vis plufieurs milliers de ces Nymphes entaffées. En leur ôtant leur abri > je les expo- fois apparemment à quelqu'acci- dent , car je voyois difparoître le monceau à vue d'oeil ; je ne pouvois comprendre ce que de- venoient les Nymphes. Et ce ne fut qu'après que la plus grande partie fut enlevée > que je m'ap- perçus que > fous le tas > étoient trois trous difpofés en triangle 3 & dont le diamètre pouvoir être #de deux lignes : des Fourmis en fortoient > prenoient une Nym- phe avec leurs pinces , ôc la portoient à un des trous ; fou- vent il fe trouvoit-là une autre Fourmi qui fe faififToit de la Nymphe > Fintrodutfoit dans le JVIagafin, & revenoit prompte- Vil. Vante. S [2ÎCj ment en recevoir un autre. D'au* très fois la porteufe ne trouvant point de Fourmi qui l'attendît r elle fe chargeoit elle-même de la Nymphe , la retirait dans le trou y & y reftoit quelque tems. En fept ou huit minutes tout le monceau fut mis à couvert. Que Monfieur de Buffon explique toute cette manœuvre par fon grand principe 9 que l'elpace étant donné > une multitude d'Animaux > doit s'arranger & donner des lignes de concert & de vues y par cela même qu'à force de s'embarraiïer > ils doi- vent fe mettre à Faife & fe nuire le moins qu'il eft poffibîe. Voici un autre principe > tout aufli folide que les précé- dens,. par lequel il s'efforce de [2TÎ] faire difparoître tout le merveil- leux des procédés des Animaux qui pourvoyent à leur fubfiftan- ce par des réferves d'alimens. i N'eft-il pas très - naturel que p- « des Animaux qui ont une de- m meure fixe, où ils font accoû- * tumés à tranfporter les nour- * ritures dont ils ont aâuelle- » ment befoin- & qui flattertt =5 leur appétit , en tranfportent * beaucoup plus qu'il ne leur en » faut , déterminés par le fenti- * ment feul & par le plaifir de m l'odorat y ou de quelqu'autre de leurs fens r & guidés par *» l'habitude qu'ils ont prife » d'emporter leurs vivres pour » les manger en repos l Cela. * même ne démontre- 1- il pas; » qu'ils n'ont que dufentiment ôc S point de raifonnement. » Tout cela , fans doure > eft fort natu- rel y mais fuppofe de l'intelli- gence, bien loin d'en démon- trer la privation, comme on le prétend. Le befoin renferme Tidée d'un fecours abfent dont on puifle ufer, fans détermine** le numérique de la nourriture; c'eft donc une idée générale. Le befoin fenti comprend ledeiïr d'une nourriture qui manque. Il renferme donc l'idée de priva- tion y quoi de plus fpirituel ? Le defir a pour objet un terme à obtenir , il eft donc relatif à l'avenir. Combien d'idées fpiri- tuelles accumulées ! Détachez- les de la faim > il n'y a plus de befoin. L'Auteur veut encore qu'elles emportent leurs vivres pour les manger en repos ; c'efi: une précaution fage , mais elle fuppofe l'idée du repos qu'on cherche , & la crainte d'un trou- ble qui pourroit furvenir. Or, cette prévoyance, dont le ter- me eft la poflibilité du trouble , eft-elle fpirituelle ou non ? Sup- pofe-t-elle une intelligence ou non ? On ne peut héfiter fur ces queftions , la poffibilité étant l'objet le plus fpirituel qu'on puiffe imaginer. Ainfi, bongré malgré , il faut queMonfieur de BufFon m'accorde , que fi la faim ou toute autre fenfation eft un mouvement machinal , un effet méchanique , tous les at- tributs de l'intelligence , des connouTances d'objets pure- ment fpirituels s'y trouvent, on Tient de le voir. La volonté qui fe déployé vers Je bien-être, & fe roidit contre tout ce quiy e û contraire, eft jointe au delïr, à la faim & à toutes les pallions que Monlîeur deBuffon accor- de à la machine. Donc les deux qualités efientielles de notre ame , l'intelligence & la vo- lonté , fe trouveront dans les A- nimaux, & ne feront que des mo- des de parties de la matière en ofcillation. Donc , en fuppofant même que le feul fentiment dé- termine les Animaux à accumu- ler des relfources pour l'avenir, il renfermeroit tous les attributs de l'intelligence. Nous déve- lopperons ces réflexions dans la fuite. « C'eft par la même rai. continue notre Auteur ,, «que les Abeilles ramaflent .» beaucout plus de cire Ôc de miel » qu'il ne leur en faur : ee n'eft » donc poinr du produit de leur » intelligence , c'eft des effets « de leur ftupidité que nous pro- » fïtons. » Stupidité bien avan- tageuse pour nous , ôc qui de- vroit exciter notre gratitude en- vers le Créateur. » Car leur in- » telligence les porteroit nécef- fairement à ne ramafler qua «peu près autant qu'elles ont be- » foin. » H faut que les avares fcient bien dénués d'intelligen- ce, puisqu'ils ne font pas portés néceffairement àn'amaiïer qu'au- tant que l'exige le befoin, » à s'épargner la peine de tout le » refte , fur-tout après la trifte o5 expérience que ce travail eft » en pure perte , qu'on leur en- » levé tout ce qu'elles ont de "trop, qu'enfin cette abondan- » ce eftla feule caufe de la guer- " re qu'on leur fait , & la fource » de la défolation & du trouble • de leurfociété.» J e ferois un raifonnement bien différent. Les Abeilles amalTent dumielaude-là de leur befoin aûuel, donc ce befoin aduel n'eft pas le principe de leurs tra- vaux. Car ce befoin étant borné à une très-petite quantité, ne peut les engager à faire des amas qui vont fi prodigieufement au de-là. D'ailleurs elles recueillent le miel avec leur trompe; elles font tout auffiftupidesqueM. de Buffon les fuppofe, fi elles n'a- valent pas ce que leur befoin ac- tuel tuel leur demande , & elles font bien avares , fi mourans de faim, elles vont dépofer leur récolte dans un endroit commun. Qu'il me foit permis de concentrer pour un moment la haute intelli- gence de M. de BufFon , dans le cerveau d'une Abeille ouvrière* & d'en faire l'Intendante de la ruche. Cette ame , par une fuite de cette union , fera portée au travail, elle fentira de loin io- deur des fleurs > aimera à recueil- lir le miel pour foi-même, pour lamere, pour la communauté, pour les petits qui doivent éclo- re ; autant elle fe trouvera d'in- différence pour avoir une pofté- rité, autant aura-t-elle d'ardeur pour pourvoir à la fubfiftance de la génération que la mere doit V IL Partie. T [218] produire ; elle conftruira av ec fes compagnes des alvéoles de cire y pour les vers qui doivent naître y 6c d'autres pour conferver le miel. Elle a bien des chofes à prévoir ; elle ne fait point le nombre des œufs qui feront fé^ condés ; elle n'ignore pas que des Infedes voleurs peuvent s'intro- duire dans la ruche y y faire une terrible confommation ; comme elle ne devine point où cela peut aller > elle ordonnera des amas tels , que quelque déprédation qui fe faffe , il n'y ait point à craindre de difette. Les mâles font des fainéans , & par confé- quent de grands mangeurs ; l'In- tendante ignore jufqu'oûira leur gloutonnerie , elle ne fait pas non plus combien durera l'hiver , [2ip] nï quelle en fera la température. S'il doit être long & froid , les Mouches engourdies laifferont leurs provifions fans y toucher; s'il eft long, pluvieux & doux, toutes les petites bêtes ranimées, vivront fur les provifions de la ruche , alors toute la récolte de Tété fuffira à peine. Sur ces connoilTances , que fera-t-elle ? D'un côté , elle ne peut fupputer jufqu'où peut aller la dépenfe , il vaut mieux qu'elle excède en précautions ; de l'au- tre , le local borne fon zélé & ne lui permet pas d'entaffer autant de provifions qu'elle voudrait peut-être. Elle diftribuera fon terrain , de manière qu'elle y puiffe pratiquer le plus de loges , le plus de commodités qu'il foit r 220 ] poflîble y avec le moins de cire qui puifte être employée. Elle y réufïira en faifant les gâteaux doubles, de forte que, dans le fond commun de deux plans de cellules y dont un feul gâteau eft compofé, il n'entre que la quan- tité de cire précifément nécef- faire. Les cellules feront déci- dées exagônes ; le fond de cha- que cellule fera de trois pièces romboidales ; l'efpace entre les gâteaux , les paffages pour la commodité des travailleufes , feront ménagés avec habileté. Ce delTein étant une fois conçu > l'Intendante dira-t-elle, livrez- vous toutes aux impreffions que les fleurs feront fur vous ; & de retour à la ruche > remuez-vous fans ordre , à force de vous in- [221] Cômmoder, vous parviendrez à vous incommoder le moins qu'il eftpoiïible, & vous exécuterez le projet que j'ai dans la tête , & dont vous ne favez rien f Non , fans doute, l'amedeM. deBuf- fon ne raifonnera pas ainfi; mais les ayant inftruites de fon pro- jet, desraifonsfurlefquelles il a été formé, elle travaillera de concert avec elles, pour faire autant de cellules que l'entrepri- fe en exige , & une telle provi- fiondemiel, qu'on ne foit point au dépourvu, quelque accident qui furvienne. Or, tout cela s'exécute dans une ruche , com- me fi l'intelligence prévoyante de M. de BufFon y préfidoit , & peut-être encore mieux : & les précautions des Abeilles font Tiij juftifiées par la nécelîïté où elles font de chafler un nouvel efïein 9 pour lequel le lieu qu'elles habi- tent y ne pourroit contenir allez deprovifions. Notre Auteur pourfuit fon r-aifonnement , & toujours avec p. 151. le même hccbs: « Il eft fi vrai «que ce n'eft que parlefenriment «'aveugle qu'elles travaillent, * qu'on peut les obliger à travail- «1er y pour ainfi dire, autant « que Ton veut, tant qu'il y a . * des fleurs qui leur conviennent * dans le pays qu'elles habitent } « elles ne ceflent d'en tirer le » miel & la cire ; elles ne difcon- «tinuent leur travail > & ne fi- « niflent leur récolte, que parce- «qu'elles ne trouvent plus rien » à ramaffer. On a imaginé de les [223] o5 tranfporter & de les faire voya- ger dans d'autres pays où il y a ™ encore des fleurs 5 alors .elles » reprennent le travail ; elles con- tinuent à ramaffer à entafleo » jufqu'àcequeles fleurs de ce » nouveau canton foient épuifées ou flétries ; & fi on les porte dans un autre qui foit encore » fleuri y elles continueront de 3> même à recueillir > à amaffer : » leur travail n'eft donc point » une prévoyance > ni une peine *> qu'elles fe donnent dans la vue w de faire des provifions pour el- ™ les, c'eft au contraire , un mou- » vement dièlé parle fentiment , *•> & ce mouvement dure & fe re- nouvelle autant & aufll long- ea tems qu ilexifte des objets qui « y font relatifs. » Mais M, de Tiiij [224] Buffon ne dit pas que les Hom- mes qui tranfportent ainfi les ruches, mettent ces petits Ani- maux dans la nécefïité de travail- ler , en faifant plufieurs récoltes de miel & de cire ; car ceft dans cette vûe qu'ils les promènent de lieu en lieu. Les Abeilles paroi£ fent donc déterminées au travail parla prévoyance & par l'ejcpé- rience des vols qu'on leur a fait Le fentiment les guide > à la bon- heure ; mais ce fentiment n'eft paslafaimaauelle, ceft la pa£ fion de fe mettre hors de rifque de manquer pour l'avenir. M. de Buffon nous dit qu'il s'eft particulièrement informé des mulots , dont il ne dit qu'un mot, & que ne s5informoit-il plû- tôt des Abeilles , dont il deyoit nous entretenir fi longtems ? Il a »«N obfervé que la provifion des mu- lots^ au lieu d'être proportion- née aux befoins de l'Animal , ne Teft^au contraire , qu'à la capa- cité du lieu ; preuve d'avarice y je le veux bien > de précaution outrée , mais non certainement de défaut de prévoyance* C'eft après les raifonnemens que vous venez d'entendre $ Monfîeur , que M. de Buffdn s'adjuge ainfi la vi£toire. » Voi- » là donc déjà les provifions des » Fourmis , des Mulots , des A- » beilles réduites à des tas inuti- » les difproportionnés ôcramaffés » fans vues : voilà les petites loix » particulières de leur prévoyant » ce fuppofée , ramenées à la loi » réelle & générale du fentiment; »il en fera de même de la pré- voyance des Oifeaux, » c eft-à- dire, que l'Auteur suffira tout auflî bien à nous faire regarder avec indifférence les travaux des Oifeaux , qu'à décrier la Répu- [' blique des Abeilles. » Il n'eft pas ■> néceffaire de leur accorder la » connoiffance de l'avenir, ou de * recourir à lafuppofition d'une ">loi particulière , pour rendre «raifon de la conftrudion de leurs nids. » La loi inventée par M, de Buffon,pour rendre raifon de la régularité de l'architedure des Abeilles , ne vous paraîtra pas, Mor^fieur, fort propre à expli- quer la conftruàion des nids. Vous n'imaginerez certainement pas que le mâle & la femelle, à force de fe nuire, parviendront [227] à conftruire des ouvrages quï nous caufent toujours une nou- velle furprife. » Les Oifeaux font p. 153. od conduits par degrés à les faire » ( les nids ) ils trouvent d'abord » un lieu qui convient.» Ils voyent donc les convenances &ce qui ne convient pas. » Ils » s'y arrangent , ils y portent ce » qui le rendra plus commode. » lis ont donc l'idée de la commo- dité 5 & diftinguent les matériaux qui peuvenr la procurer , fignes d'intelligence. » Ce nid n'eft «qu'un lieu qu'ils reeonnoî- * tront. » Ils fe fouviendront donc de l'avoir connu. » Qu'ils ». habiteront fans inconvénient > » & où ils féjourneront tranquil- » lement. » Ajoutons qu'ils font leurs nids, pour y dépofer leurs oeufs , & pour les y cou- ver ; & c'eft pour cela qu'ils en garnirent le dedans de matiè- res chaudes & molettes. » L'a- » mour eft le fentiment qui les » guide & les excite à cet ouvra- » ge ; ils ont befoin mutuelle- ment l'un de l'autre. » Ce font les fuites prévues de leur amour, & non ces amours qui les déterminent à travailler à leurs nids. » Ils fe trouvent "bien enfemble, ils cherchent » à fe cacher, à fe dérober au » refte de l'Univers, devenu pour » eux plus incommode & plus ,54.» dangéreux que jamais. » Voilà bien des attentions pour des Ef- tres privés de connoifiance. » Ils » s'arrêrent donc dans les en- » droits les plus touffus des ar- »bres, dans les lieux les plus » inacceflibles ou les plus obf- 1**9 \ » curs ; ôc pour s'y foutenir , » pour y demeurer d'une manie- »> re moins incommode > ils en- » taffent des feuilles, ils arran- » gent de petits matériaux, & tra- » vaillent à F envi à leur habita- » tion commune : les uns > moins » adroits , ne font que des ou- vrages groffierement ébauchés, »> d'autres fe contentent de ce «qu'ils trouvent tout fait, ôc » n'ont pas d'autre domicile que » les trous qui fe préfentent ou » les pots qu'on leur offre. Tou- » tes ces manœuvres font relati- ves à leur organifation ôc dé- * pendent du fentiment , qui ne *> peut , à quelque degré qu'il » foit , produire le raifonnement 3 *> & encore moins donner cette » prévifion intuitive > cette con- [230] «noiffance certaine de l'avenir, » qu'on leur fuppofe. » Ou plû- tôt que M, de Buffon fuppofe mal-à-propos ,être attribuée aux Animaux par les Naturalises , qu il fe plaît à tourner en ridicule Mais ce qui eft très- vrai ^ quoi- qu en dife M, de Bvftm3c eft que le nid eft fait pour faire éclo- re des œufs > & élever des petits ; c'eft que la femelle dans plufieurs efpeces, eft nourrie avec atten- tion pendant qu'elle couve 5 c'eft qu'elle eft châtiée fans ménage- ment lorfqu elle n'eft point afli- due auprès de fa famille ; c'eft que dans d'autres efpeces , le mâle & la femelle fe relayent pour couver ; c'eft que toutes les mefures pour la commodité de la famille; font prifes avec beau- 03i J coup de juftefiejc'eft que cha- que efpece fait fon nid fur un plan qui lui eft propre, & employé par préférence certains ordres de matériaux ; enforte que les enfans même > à la vûed'un nid , favent fort bien à quel oifeau il appartient 5 c'eft qu'on les voit s'agiter pour fe procurer tout ce qui doit entrer dans la conftruc* tion du nid ; qu'ils font difficiles fur le choix , qu'ils ont Padreffe de varier leurs procédés yfuivant la longueur delà paille, d'un brin, de foin 5 de forcer les matières ir- régulieres &branchues, comme la mouffe > à concourir à la for- me exade du nid ; c'eft que les nids les plus groffiers font très- admirables y & bâtis avec un art & une élégance qu'on ne fe lalfe [2^2] point d'étudier > tels que ceux qu'on voit fufpendus & qui ref- femblent affez à une petite lam- pe ; c'eft que les Oifeaux étant décidés pour certaines matières propres à former un petit matelas mollet au fond dunid,fi cellesqui leur conviendroient le mieux , leur manquent > ils fçauront en choifir d'autres d'une autre efpe- ce, mais les plus approchantes de celles qu'ils aiment à employer, Ainfi y prétendre que le projet du nidn'eft pas tracé dans le cer- veau de l'Animal , c'eft avancer un paradoxe démenti partout ce qu'on voit d'ouvrages d'Oifeaux dans la Nature. Que M. d Buffon prenne la peine de parcourir les riches ca- binets de M." de Reaumur , fe- roit-il tok-il le feul au monde qui ne voulût pas jouir de ce fpeâacle auffi amufant qu inftru£tif ? Il y verra des nids de plufîeurs efpe- ces différentes, mais de figure confiante pour chaque genre d'oifeaux ; & s'il dit encore qu il n'eft pas néceflaire de recourir à la fuppofition d'une loi particu- lière à chaque efpece pour ren- dre raifon de la conftru&ion des nids & qui leur eft propre , il faudra qu'il avoue qu'il n'y a que l'entêtement qui l'empêche d'en convenir. Quelles impor- tantes leçons d'ordre & d'arran- gement ne pourroit- il pas pren- dre dans le Jardin de M. de Reaumur > en y vifitant plufîeurs fortes de ruches, où il pourroit F Partie. V étudierfans rifqueles arts admi- rables des Abeilles ? M, de Buffon > pour effacer toute idée de prévoyance de la part des Animaux, nous rapporte quelques unes de leurs erreurs. » » Non -feulement ils (les Oi- » féaux ) ne favent pas > dit-il , o> ce qui doit arriver , mais ils o> ignorent même ce qui eft arri- o> vé. Une Poule ne diftingue pas & fes œufs de ceux d'un autre » oifeau > elle ne voit point que ^les petits canards qu'elle vient o> de faire éclore , ne lui appar- » tiennent point ; elle couve des » œufs de craie > dont il ne doit o> rienréfulter , avec autant d'at> « tendon que fes propres œufs; «> elle ne connoît donc ni le paffé 3*3*3 *> ni l'avenir, 6c fe trompe encore w fur le préfent. » Elle fe trom- pe ! Mais l'erreur eft le figne le moins équivoque d'intelligen- ce; tout eft certain dans la mé~ chanique , il n'en réfulte jamais d'erreur. Et quelle eft celle de la Poule ? Elle trouve les tendres rapports de mere & d'etafans entre elle & une famille étran- gère. Son erreur eft encore bien plus marquée, & donne bien d'autres fignes d'intelligence quand 9 conduifant de petits ca- nards qu'elle a fait éclore, elle les voit s'élancer dans l'eau ! Que de cris aigus ! Que d'allées ôc venues ! Que de battemens d'aï- les ! Que de marque de défef- poir ! Qui ne voit pas » dans fon Vij agitation > qu'elle fait que Teau eft pour elle un élément mortel ; que fe trompant fur la nature de fes enfans adoptifs > elle croit cet élément auffi dangereux pour eux : or , l'idée du péril ne ren- ferme-t-il pas un rapport fpiri- tuel ? Enfin y M. de Buffon conclut p. y*. généralement. «Les nids des » Oifeaux, les célulles des Mou- « ches , lesprovifionsdesAbeil- & les, des Fourmis , des Mu- ^ lots , ne fuppofent donc aucu- »ne intelligence dans l'Animal, » & n émanent pas de quelques loix » particulières établies pour chaque ™ efpece > mais dépendent com- me toutes les autres opérations & des Animaux > du nombre , de » la figure > du mouvement ^ de [237 3 » l'organifation & du fentiment,' » qui font les loix de la Nature, » générales Ôc communes à tous » les Eftres animés» » Laiffons-le s'applaudir de fa prétendue vi&oire. Il prend une voyefûre pour triompher de fes ennemis , c'eft de leur prêter des vues ridicules qu'ils n'ont point. Il a bien prouvé que les Animaux n'ont point la vifion intuitive du futur ; les Hommes la poffedent- ils ? Et qui peut l'avoir que Dieu feul ? Il a bien prouvé encore qu'ils n'ont point le don de pro- phétie, qui l'a jamais prétendu? Mais il n'a point démontré, & cela étoit impoflible ; que les Animaux ne donnent aucune preuve d'intelligence , de pré- caution, de délibération , &ç, Et que les arts de chaque ef. pece ne font point tracés dans le cerveau des Animaux par une difpofition pnticuliere. Toute la N ature parle en faveur de l'af- firmative ;& il faut ^ CQn_ noifTeaumpeu les Animaux en général, que les Abeilles en par- ticulier, pour ofer avancer un paradoxe auffi infoutenable. Je nefai, Monfieur, fi VOus trou- verez les Abeilles bienvangées. Vous vous intérelTez à la gloire de ces Infedes induftrieux, & t out homme qui les aura fui vies , S'y intéreffera toujours auffi vi- vement que vous. J'ai l'honneur d'être, &c. Fin de la feptiéme Partie, Fautes à corriger dans ta feptiéme Partie. Page 36. lignes 10 & 1 1. ne peut repréfen- ter la figure fur, ne peut donner la perception de la figure à. 4 y. //g«e 1 3. ce puî , //jfèar ce qui. 52. ligne 11. qu'il accorde , qu'il lui accorde. 130. demonftre, lifez demonflre. soc. ligne dernière 9 onté, lif* volonté» VIL Partit* SUITE DES LETTRES A UN AMÉRÏQU AIN, Sur les IVe. & Ve- volumes DE L'HISTOIRE NATURELLE de M. de Buffon; ET SUR LE TRAITÉ DES ANIMAUX de M. l'Abbé de Condillac Huitième Partie. A HAMBOURG, M. D C C. L V I. cf»3 SUITE DES LETTRES A UN AMÉRICAIN. HUITIÈME PARTIE. XXIIIe. LETTRE, M ONSIEUR/ Après vous avoir expofé par extraits la do£trine de M. de Buffon, il convient d'en réunir les parties , pour vous mettre en état de faifir plus diftin&ement V11L famé. A m le gros de fon fyftême , & les m-; convéniensquiréfultent de faf femblage de tant de contradic- tions. La manière dont M. de Buffon termine fon difcours, fixera Tobjét de cette Lettre, & nous donnera occafion de déve- lopper ce qu'il penfe de notre ame. Vous ferez furpris, Mon- fieur y des méprifes dont cette courte peroraifon fourmille, & de tout ce qu'on y avance de plus contraire aux expériences qui fe renouvellent chaque jour en nous. Voici cet épilogue. » Il n'eft «pas étonnant que l'Homme » quife connoît fi peu lui-même ( & qui cherche fi peu àfe con- noître ) » qui confond fi fou- » vent fes fenfations & fes idées, m ce qui feroit fort naturel > fi nos idées n'étoient que des afforti- mens de fenfations > comme le veut l'Auteur. » Qui diftingue iî » peu le produit de fon ame de » celui de fon cerveau » qu'il ne connoît abfolument point, ce que je ne dois pas craindre de répéter, » fe compare aux Ani- ^maux & n'admette entre eux » & lui y qu'une nuance dépen- sa dante d'un peu plus , ou d'un & peu moins de perfeâion dans a> les organes ; il n'eft pas éton- ™ nant qu'il les faffe raifonner , «s'entendre ôc fe déterminer « comme lui , & qu'il leur attri- » bue, non-feulement les qua- 05 lités qu'il a, mais encore cel- « les qui lui manquent. Mais que » l'Homme s'examine , s'analife Ai; M » & s'approfondifle , il reconnoî- *> tra bientôt la noblefle de fon »> Eftjre i il fentira l'exifîence de »foname, » ne la fent-il pas toujours f » Il cefleca.de s avilir , »& verra d'un coup d'oeil la dif- » tance infinie que l'Elire fuprê- »me a mife entre les bêtes j& =» lui. » Nous verrons dans la fuite, que cette diftance infinie eft nulle dans le fyftême de M. deBuffon. »Dieu feul.... continue-t-il , » eft de tous les tems (il devoit ajouter, & avant tous les tems) »> & voit dans tous les tems, « fans effort, fans fatigue, fans ennui. o> L'Homme dont la du- «réeeft de fi peu d'inftans, ne » voit que ces inftans ; mais une "puifîance vive, immortelle. r n •» compare ces inftans , les diftin- »gue, les ordonne ; ceft par » Elle qu'il c onnoît - le préfent, » qu'il juge du paffé, 6c qu'il » prévoit l'avenir. Otez'à-PHom- » me cettte lumière divine, vous » effacez , vous obfcurfiffez fon » être. Il ne reftera que l'Ani- o> mal, il ignorera le paffé , ne »>foupçonnera pais l'avenir, & » ne faura même ce que c'eft que » le préfent. *> Dans ce long extrait, vous voyez, Monfieur, ce que c'effc que Famé, au jugement de M.- de Buffon, furtout , il vous y joignez quelques phrafes négli- gemment éparfes dans ce que vous avez vu du difcours fur les Animaux. Une fubftence qui fe fent exifter , eft vive, immortel- 161 le, a la puhîance de comparer. C'eû une lumière divine, mais créée capable de dourer, de fe déterminer, de choifir; elle eft impaffibleparfoneflence,quoi- q« elle puhTe être paffible par miracle dans l'autre vie ; elle a cependant le pouvoir infortuné defelaifler pervertir par les af- fedions de la machine, on ne fait comment. Voilà les caradé- res de lame tels que nous avons pu les recueillir du difcours de M.deBuffon, en l'interprétant le plus favorablement qu'il nous aété poffible. Tâchons de dé- ployer cette doarine, pour en concevoir toute l'étendue. i°. Le caradere principal qui diftingue notre ame de l'organe fenfible, danslefiftême de M, deBuffon, eft l'impaflibilité. Il femblequ elle y acquerre le plus haut degré de nobleffe ; car ce fyftême la repréfente toujours comme aaive. Or , pour nous convaincre que Monfieur de Buffon la fuppofe réellement im- pafllble dans cette vie , rappel- ions-nous que toutes les impref- fions des fens , toutes les fenfa- tions agréables & pénibles , tous lesbefoins, les defirs, les paf- fions mêmes , en un mot tout ce qui eft relatif au corps appartient à l'organe fenfible , comme étant fes façons d'être. Ce font des ma- nières d ebranlemens perfévé- rans dans le cerveau , de purs jeux méchaniques. Jettez les yeux fur une corde de Violon- celle, que l'archet vient de tou- C8J cher, vous y voyez des ofcilla- tions, le fens de l'exiftence dans le cerveau a quelqu'analogie avec les ofcîllations de certe corde touchée; un defir, un be- foin, la vue d'un objet, unfon, en un mot une fenfation , tout cela leur eft analogue: or, la- me ne peut avoir d'ofcillations méchaniques , le fens même de fon exiftence doit être tout auflj différent de celui que l'Auteur donne à l'organe fenfible , que lefpritl'eftdelamatiere. L'ame eft donc totalement aveugle, elle n'a la perception d'aucune couleur; elle eft fourde,. elle n'a la perception d'aucun fon. Elle ne fent ni douleur ni plai- fir , & s'il faut prouver que Mon- teur de Buffon penfe ainfi ; ua [p] aveu de fa part le décidera. Il prétend que Timbécille dont Fa- mé eft comme nulle , parce qu'elle eft fans aftion . & qu'elle n'a aucune correfpondance avec le corps > voit des couleurs , en- tend des fons > goûte ce qu'il mange , flaire les odeurs , paffe par toutes les nuances du plaifir ou de la douleur , a des paf- fions, ôcc* Or , tout cela n'eft pas dans l'ame de l'imbécîUe , puifqu'elle eft fans fondions r mais dans la machine. De mê- me dans nos rêves > nous voyons des couleurs > nous entendons des fons y & toutes ces ehofes font machinales y l'ame n'y prend aucune part 9 elle n'eft ni a£tive, ni paftive à cet égard. Cependant } quand nous nous rappelions ces objets colorés, ces fons ; ils nous paroiffent tels que nous les trouvons pendant la veille. Donc , puifqu'ils ap- partiennent uniquement à la ma- dlne > 9uand nous dormons, ces même fenfations font enco- re de fonreffort, & en font uni- quement, lorlque nous femmes éVeile's. Par ia mêmg raifon ^ lamenefent ni le plaifir ni la douleur renfermée dans les fen- dions; elle eft donc dans l'a- pathie la plus complette. Cependant M. de Buffonfup- pofedans plus d'un endroit, que 1 ameauneconnoiifancedesfen. fctions , puifque c'eft , félon lui , en les alfociant , qu'elle forge des idées ; & comme les fenfations ne font que les ébran- [Il] lemensperfévérans du cerveau, les idées , félon notre Auteur , ne doivent être que les affocia- tions des divers ébranlemens de différentes fibres médullaires. Elle connoît les corps , quoi- qu'elle ne les voye pas par la fenfation de la couleur; elle en conferve l'image dans fa mé- moire ; & ces images font en elles fans couleur , ce qui ne peut guéres fe comprendre. Paf- fons-lui donc, puifquil le veut, que l'ame connoît les fenfa- tions , quoiqu'elle n'en ait pas la perception. Mais cette con- noiffance, fe la donne-t-elle ? Ou la reçoit-elle ? On ne peut fuppofer *qu elle fe la donne. Quand nous avons les yeux ou- verts au grand jour , nous ne Cl2 J fommes pas les maîtres de voir ou de ne pas voir les objets qui font vis-à-vis de nous, ni ceux qui pafleut devant nous. Lors donc que;e vois un Homme pour îa première fois , la connoiffance qui m'en refte, ne peut être at- tribuée à l'efficace de mon ame, mais à quelque pouvoir de mes fens fur elle. Il faut donc dire, que l'ame reçoit cette connoif- fance des fenfations, & dès-lors elle eft paffible, ôc fon apathie n'a plus lieu. Cette paOîbilité de 1 ame eft encore bien marquée danslefif- tême de M. de BufFon , quad on obferve l'ame dans l'imbécille , dans les foux, dans l'homme en délire ou qui dort. Car pourquoi l'ame eft-elle fans fondions dans fui tous ces états ? D'où vient "que l'opération du trépan., fufpende- ra la faculté de la mémoire, éteindra le jugement ôc la liber- té ? Pourquoi l'excès du vin troubie-t-il la raifon : ce défordre dans les plus nobles fondions de l'âme, vient-il de fon adivité, ou plûtôt n'eft-il pas vifible , 6c qu'elle pert l'ufage de fon pou- voir, fans qu'elle le veuille, & qu'elle ne le recouvre que pat des caufes qui lui font étrangè- res , comme dans le réveil ? Il y a une féconde contradic- tion aufli palpable dans cette opinion, que l'ame connoît & ne perçoit point les fenfations. Où en prend-elle la connoiflan- ce?Eft-ce dans l'organe fenfi- ble ? Mais qu'il foit fenfible tant Ci4] qu'il plaira à M. de Buffon , il elî certain, comme je l'ai déjà dit tant de fois, que notre ame ne connoît aucune des manières d'être de notre cerveau ; qu'elle ignore quelles font les efpeces d'ofcillations affedées à la fenfa-' tion du verd, du rouge, d'un fon , d'une odeur , d'une faveur ; ou à la douleur ou au chatouille- ment ; qu'enfin le méchanifme lui en eft abfolument inconnu. Donc M. de Buffon fera con- traint d'avouer que lame ne connoit aucune fenfation, n'a aucune perception de fon orga- ne fenfible. 2°. L'ame a le privilège de former fes idées, ceft-à-dire, qu elle eft créatrice > & non fpec- tatrice de la vérité, dans le lif- tême que nous examinons ; ôc elle forme fes idées en aflbciant les fenfations de l'organe fenfi- ble. Ceft-à-dire , qu'en combi- nant les ébranlemens du cer- veau , elle fe fait des tipes uni- verfels > des tipes qui répondent à tout. Cette prétention plus que figuliere eft réfutée d'avan- ce par le raisonnement qui ter- mine l'article précédent. Car fi l'ame ne voit point , ne connoît point les fenfations de Forgane prétendu fenfible , comment les combineroit-elle ? Mais en ac- cordant ce pouvoir de combiner à M . de BufFon > il en réfulteroit de grands inconvéniens. Si les idées font les aifociations des fenfations > aucune idée n eft ni fpirituelle, ni univerfelle. Au- cune n'eft fpirituelle, puifque c'eft une combinaifon d'ébran- îemens de fibres du cerveau : or , une telle combinaifon eft une compoïïtion méchanique. Au- cune n'eft univerfelle , car cha- cune des fenfations étant un certain ébranlement numérique & individuel , il eft évident que la combinaifon des fenfations, fera un compofé de mouvemens aftuels , & par conféquent une compofition numérique. De plus , on demandera; quelles font les fenfations que lame réunit pour former lesidées de l'ordre,des pofïîbles,de l'infi- ni , de l'indéfini même : les prin- cipes de la morale, &c. Com- ment fe donnera-t-elle l'idée dureras f Qu'elle compare, tant qu'elle qu'elle voudra , les fenfations du cerveau y elle ne pourra compa- rer que ce qui y efc ; or , il ne s'y trouve aucun veftige de Tordre des tems félon la doctrine de M. deBuffon. Toutes les fenfations font des ébranlemens qui conti- nuent ; s'il y avok quelque indi- ce de fucceffion de tems > l'or- gane fenfible fentkoit lui-même cet indice , & y prendrait la con- noiflance du tems ; ce que notre Auteur ne peut fouffrir. Donc , quelque combinaifon que l'ame fît de ces fenfations > elle n'y verroit que Yaâualité > comme parlent les fcholaftiques , fans aucune marque ni du paffé ni de Favenir. D'où Ton conclueroit encore que l'ame , en combinant les> ¥111» Partie» B fenfationsde l'organe fenfible/ n'auroit aucune idée du mouve- ment. Car on ne çonnoit qu'un corps fe meut, qu'autant qu'on compare la fituation qu'onlui voit dans le moment préfent , à celle qu'il avoit un inftant auparavant. Mais il n'y a aucune trace de fucceffion dans le cerveau , puif- qu'il fe fent exifter, & qu'il ne fent point en lui l'exiftence fe fucceder, non plus que fes fa- çons d'être. Le même corps y feroit repréfenté tout à la fois en différentes parties du cerveau. L'ame ayant cette perception , pourroit , tout au plus , compren- dre , ou que le même corps eft en plufieurs endroits à la fois , ou queplnfieurs corps parfaitement femblables , exiftent en différens ti9l lieux. J'abrège, Monfieur, le plus que je puis , ces dîfcuflîons métaphiïïques : mais le peu que je dis fur cet article > prouve fuf- fifamment que le fiftême de M. de Buffon fur la nature de notre ame, fuppofe , en même tems y deux chofes contradictoires , Tu- ne que Tante forme fes idées ^ l'autre , qu'elle n'en peut avoir. 3°. M. de Buffon accorde à Tarne la volonté & la liberté ; autre labirinthe dans lequel il s'engage. Car la volonté eft l'at- trait de Tame pour fon bien-être i mais nulle des fenfations agréa- bles ou fâcheufes de l'organe fenfible, n'étant une manière d'être pour elle, ne pouvant même lui appartenir > puifque ce font de purs ébranlemens mé- B ij J Oc} chaniques $ elle ne peut ni s'y plaire , ni les haïr ; ni defirer ni craindre de les avoir $ c'eft un bien ou un mal qui n'eft que dans lia machine ; celle-ci peut le fouhaiter ou le redouter ; mais Famé n'y peut prendre plus de part, que les aveugles de naif- fance n'en prennent au récit des couleurs de l'Arc-en-Ciel y ou à l'admiration de ceux qui les voyent. Elle devroit donc être à cet égard dans l'indifférence la plus entière. Néanmoins M. de Buffon veut qu'elle s'intérefle vivement à procurer à la machi- ne tout ce qui lui convient , tout ce qu'elle defire ; qu'elle ordon- ne des moyens propres à en pro- curer la jouiffance àl'organq feu- fible ; qu'elle fe pervertiffe mê- [21] me enle fécondant-, ou en l'a- bandonnant à Lui-même * qu'elle s'afflige quand il eft mal , fie fe réjouifle quand il eft bien; qu'el- le concoure à l'mdécifion ma- chinale où il le trouve , lorfqu'il eft balancé par deux attraits égaux. Quelle le condamne, fie qu elle fe blâme elle-même, lorfqu'il fe porte à des excès qui ne peuvent être pour notre Au- teur , que dès mouvemens vifs de quelques fibres ou de quel- ques molécules d'efprits ani- maux ; qui , par conféquent , ne font ni des vices ,, ni des vertus, fie ne fçauroient être répréhen- fibles. Dans cette pofition , l'a- me eft aufli injufte , quand elle veut empêcher fon corps de fe livrer à l'objet qui lui plaît , fes Ion toute l'étendue de fon at- trait; qu'elle ert folle lorfqu'elle s y prête, . * Lame, medira-t-on, ne fe pervertit-elle pas par fon goût Pour le plaifirôc pour lesxéjets fenfibles, ou, comme dit le P. Malebranche , par fon amour Pour les corps , dans lefquels elle cherche le fouverain bien? Sans doute elle s'avilit, mais par des plaifirs qu'elle fent elle-mê- me, & qu'elle aime mieux que les devoirs. Sans doute elle aime les corps, lorfqu'elie les regarde comme les caufes des félicités paflageres qu'elle goûte , pen- dant qu'ils n'en font que l'occa- fion. Son adivité ne lui eft don- née que pour écarter tous les objets qui peuvent la diftraire de fes obligations, & pour préférer la juftice & la pureté qui la per- fedionnent à toutes les fenfa- tions agréables, qui ne peuvent la rendre ni meilleure , ni plus eftimable. Si elle aime mieux jouir des corps que du Souve- rain bien , elle devient crimi- nelle. Mais dans le fyftême de Monfieur de Buffon, il faut rai- fonner tout autrement ; il con- vient , que lame ne fe pervertit que par fon goût pour des plai-„ firs quelle ne reflent ni ne peut reffentir. Leplaifir eft certaine- ment dans la fenfation ; celle-ci eft une manière d'Eftre mécha- nique du cerveau ; elle n'appar- tient point à lame, & ne peut êtte un vice moral. L/ame ne fent ni ne connoît le jeu média- r*4j nique de fon cerveau , comment prendrôit-eîle la moindre part en ce qu'elle ne connoît ni ne fent f Qu'on ne dife pas que famé defire les plaifirs du corps, c'eft l'organe fenfible qui les defire , comme fon bien-être. Je parle toujours félon le fiftême que je réfute. L'ame peut avoir des defirs de bienveillance pour cet organe , & fouhaiter qu'il ob- tienne fonob jet, lui qui ne peut abufer de rien ; mais elle ne défi, re jamais de jouir des corps , car elle n'en pourrait jouir que par des fenfations , & toutes les fenfations font des effets mécha- niques d'un organe matériel. 4°. Quelle eft l'union de l'ame ôcdu corps, dans le fifîême de. M. t**3 M. de Buffon , il ne nie jparoît pas qu'il en reconnoiffe aucune j car l'Homme eft compofe% fé- lon lui y de deux individus , fen- tans chacun leur exiftence, cha- cune de ces fubftances eft com- plette, comme on parle dans l'école ; l'imbécille a une ame nulle y tout ce qu'il fent * tout ce qu'il veut, tout ce qu'il defire eft un jeu méchanique; c'eft une forte d'animal qui aune ame, mais comme s'il n'en avoit point. Le corps eft donc une perfonne a&ivedansPimbé~ cile, & l'ame une puiffanee morte ôcre'duite à l'inertie. Dans l'Homme qui jouit de îbn bon fens, il y a en même tems deux perfonnes aftives , l'ame qui fe fent exifter, & le corps qui fe VUL Famé. C [4 que celui qui voit un objet, qui defire de l'ob- tenir y qui prépare les moyens d'y réuffir , eft le même individu ; il ne faut pas beaucoup approfon- dir fon ame > pour reconnoître cette vérité d'expérience. Il réfulte donc de ces quatre Obfervations , que dans le fyftê- me de Monfieur de Buffon , Pâ- me n'eft qu'un compofé d'in- compatibilités & de contradic- tions. Vous conviendrez bien- tôt qu'elle feroit inutile à f Homme , fi l'organe fenfible [28] étroit tel que nous le décrit MotiM fieurde Buffon, puifqu'il auroit toutes les propriétés &: toutes les facultés de famé. Mais ce fera lç fujet d'une autre Lettre > & une nouvelle occafion de vous réitérer , pomme je le fais de tout mon cœur , toutes les pro- teftations de refpeft & d'amitié avec lefquels je ferai toute ma vie; Monfieur, ôcc. XXIV*. LETTRE. T TNe am^ raifonnable , mais M infenfible , unie à une ma- chine fenfible , ferait , Mon- fieur , un Eftre très-infortuné, fur-tout fi elle devenoit coupa- ble par fa tolérance pour les ca- pricesde la fubftance fenfible , avec laquelle elle feroit un tout , quoique ces caprices fuffent des effets méchaniques y néceffaires, exemts de blâme & de louange. Ne participant en aucune façon aux fenfations machinales y elle ne goûteroit aucun plaifir > 6t ne feroit chargée que du foin de cenfurer la fubftance à laquelle elle feroit unie , en concevant cependant que cette fubftance n5eft> ni ne peut être coupable. Mais fi la partie matérielle de l'Homme pouvoir recevoir le fens del'exiftence , éprouver des fenfations, desbefoins, des de- firs , par quelque choc, quelque frottement , quelqtr'engraine- ment > on pourroit légitimement foupçonner qu elle feroit fufcep- [30} tible de vices ou de vertus , de mérite & de démérite. J'ai dé- montré y qu'il étoit impoffible que la matière fentît fon exi£ tence ; ainfi y je puis dévelop- per , fans rifque > la dangereufe conféquence qui fe tire naturel- lement de la do&rine de Mon- fieur de BufFon fur la nature des Animaux. Il eft vrai que lorfque cet Au- teur fait confifter le fens de Fe- xiftence > les fenfations , les de- firs y les paflions * dans un cer- tain jeu méchanique du cerveau* il y met tant de reftri£tions , qu il femble qu'on ne devroit point être allarmé de fon fyftême , 6c que la raîfon doit le laiffer palfer comme tant d'autres hypothè- fes J: aufquelles des Sçavans n'ont C3i] voulu donner qu'un air de vrai- femblance. Il veut que l'organe fenfible fe fente exifter a&uelle- ment , & ne fente point la fuc- ceiïion de fon eftre , comme s'il en avoit la plénitude ; qu'il ait des fenfations > mais, qu'il n'en puiffe rapprocher aucunes ; qu'il ne faififTe aucuns rapports , quoi- qu'il voye les grandeurs & les diftances; qu'il n'ait aucunes notions , aucunes connoifTan- ces 5 qu'il foit même incapable d'en avoir ; qu'il foit privé de mémoire ; qu'il ne connoifle ni le paffé, ni le futur ; qu'il ait néanmoins des befoins > des de- firs, des paflions mêmes que nous jugeons les plus fpirituel- les y & dont l'objet eft le plus immatériel. Mais malheureufe- C iiîj Cj>3 ment, toutes ces reftriâions fone très-gratuites > & n'ont de fon- dement que dans le bon plaifir de F Auteur dufyftême. Un E£- tre, tel qu'il foit,s'il fent Fe- xiftence , s'il s'y intérefle> s'il a des defirs y s'il connoît des Ef- très qui l'environnent > a nécef- fairement toutes les facultés de Famé > (mon en exercice > au moins en puiflance : & c'eft pour cela que j'ai fait remarquer à Monfieur de Bufïbn , dans mes Lettres de 175*1 * que fi la ma- tière fent Fexiftence , elle a tous les fondemens du raifonnement * des abftra&ions mêmes ; elle a une volonté qui peut être né- ceffitée ou ne l'être point. C'eft ce que j# me propofe d'étendre dans cette Lettre ; cependant t33l avec le plus de brièveté qu'il rite fera poffible. Comme nous a- vons un organe fenfible , abfo- lument femblable à celui des A- nimaux, félon que Monfieur de BufFon nous l'enfeigne , il nous fera facile d'examiner ce qui en- tre dans nos fenfations , dans nos defirs relatifs à la confec- tion ou au bon ordre de la ma- chine, & nous y découvrirons, malgré l'Inventeur du nouveau fyftême , toutes les facultés qu'il voudrait refufer aux Animaux , Ôc à la machine avec laquelle il veut que Dieu ait mis une ame pour en faire la perfonne de l'Homme. i°. L'organe dont l'Auteur fait le fiége des fenfations , fuppofé qu'il foit en effet fenfible , fent [34] la fuccefïion de fon eftre 5 car la durée , Texiftence & la fuc- cefïion de l'eftre > étant la même chofe, s'ilfent Pune, il doit fentir l'autre. Mais indépendemment de cette vérité que plufieurs trouve- roient peut-être un peu rnéta- phyfique , nous pouvons tirer, des principes mêmes de l'Au- teur y une indudion à laquelle il ne pourra fe refufer. Il a re- connu que les fenfations ne pou voient être dans un organe , que des modifications de la matière. Il a écarté fagement la figure de l'organe , la contexture inté- rieure de fes parties , & s'eft ra- battu fur les ébranlemens. Il a diftingué ceux de l'organe pré- tendu fenfible des ébranlemens caufés par les objets fur les or- 1351 ganes extérieurs de nos fens , en difant ,» que les premiers étoient perfévérans, & que les féconds ne Tétoient pas ; qu'à raifon de leur perfévérance , ceux - là é- toient desfenfations, tandis que ceux-ci n'en étoient point. Une fenfation ou une forte d'ébranlé- mens qui font fentis perfévé- rans y eft donc la même chofe dans le fyftême de Monfieur de Bufibn. Mais rien ne peut être fenti perfévérant > qu'autant que la fucceffion du tems eft fentie. Il eft donc confiant > qu'en s' attachant aux principes de l'Auteur , on fer oit forcé de convenir, que l'organe prétendu fenfible fent la -fucceffion defon eftre y fent la fuite defes modali- tés > & diftingue fes façons d'ef* tre nouvelles , de celles qu'il avoit eu auparavant > & qui fubfiftent encore, 20. L'organe prétendu fenfi- ble y doit réunir plufieurs fenfa- tions* L'exercice feule de la vue le prouve* Un viiage n eft vû que par l'enfembîe d'autant de points de vifion, d'autant d e- branlemens de points du cer- veau, qu'il y a dépeints dans la phifionnomie que nous confidé- rons ; & par conféqueht > la vue d'un vifage > de notre part , ou de celle des Animaux f eft un af- femblage de fenfations. L'Hom- me entier eft vû de même dans Fenfemble des images de tous fes membres , il eft vû comme un tout, ou il n'eft vù, ni par l'Homme en fon bon fens> ni [37] par rimbécille, ni pat VÂxm niaL Le même organe réunit même desfenfations difparates. Je rap- porte à celui que je vois & qui me parle, les paroles que j'en- tens, L'Animal rapporte de mê- me à fon maître , & l'image que la vue lui en donne, & festons menacansouflatteurs. Un Chien a rapporte de même à celui qui Ta battu , la figure qu'il a vue , les cris qu il a entendu , les coups qu'il a reçu , &c. 3°. L'Eftre prétendu fenfible doit connoître des rapports : rap- ports de lieu & de fituation. Il doit diftinguer ce qui eft à fa gauche > de ce qui efl: à fa droite, ou devant lui ; un objet élevé, de celui qui eft à fes pieds. Rap- ports de diftance , il dîftingue ce qui eft loin de lui > de ce qui en eft près ; ce à quoi il ne peut atteindre qu'avec effort en s'é- iençant en l'air ou en avant , de ce qu'il peut faifîr facilement. Rapports de grandeur ; de deux objets qui lui fontpréfens , il dis- tingue le plus grand du plus pe- tit. Rapports de caufe , il ne fuit un objet , que parce qu'il le craint , & il ne le craint que par- ce qu'il peut lui nuire ; il ne pourfuit un objet que comme caufe d'un bien - être qu'il de- fire. Rapports de fins Ôc de moyens, &c. A ce fujet > il faut que je vous rappelle , Monfieur , ce que j'ai dit tant de fois à M. de Buffon , que ces rapports font indéfinis tîp] pour nous & pour l' Animal > &c j par conféquent > abftraits. Le P* Malebranche nous a prouvé il y alongtems, que nous ne con* noiflîons point la grandeur abfo- lue des corps, mais leurs gran- deurs relatives. Lavûe ne nous préfente point les différences précifes qui font entre deux corps inégaux. Nous voyons deux hommes , nos yeux nous appren- nent bien que l'uneft plus grand que l'autre , mais non de com- bien. M. de Buffon préten- droit-il que les Animaux voyent cette différence exa&e ; qu'ils ont cet avantage au-deffus de nous; , ou bien voudroit-il qu'ils vident tous les objets égaux ? Ce feroit encore un rapport dégalité connu. Et de plus , nous ferions ; t4o] en ëtat de le forcer dans ce re* tranchement s car > dans nos fongesj nous voyons comme dans la veille , des objets plus grands & plus petits , & nous n'en apperçevonspas la différen- ce précife. Les gens en délire , qui fe rappellent les phantômes dont ils étoient effrayés > fe fou- viennent d'avoir vu de même une différence indéfinie entre ces objets. Il en eft de même des imbéciles. Or, dans tous ces états , M. de Buffon foutient que ceft le feul organe prétendu fenfible, qui voit : ainfi * il ell prouvé que dans fon fiftéme , les Animaux ne voyent pas les gran- deurs abfolues des corps , mais leurs grandeurs relatives > & d'u- ne manière indéfinie. Or, eft-il rien rien de plus fpirituel, que la per- ception de rapports indéfinis? Infiftez beaucoup, je vous prie, Monfieur , en méditant fur cette obfervation, & vous convien- drez qu elle fuffit pour remplir parfaitement l'objet de cette Lettre. 40. L'organe prétendu: fenfr î>le, doit avoir des vues géné- rales, des notions fpirkuelles des idées de la nature de celles que M. deBufïbn veut que no- tre ame forme ; & même il de- vrait être fufceptible de vrayes idées y telles que je les ai décria tes dans les élémens de la Méta- phifique*. Commençons par prouver que cet organe chimé- rique y auroit des- notions gé- nérales Ôcfpkkuelles. y ML Partit* D» C4*î Puifque notre Auteur veut que les idées confiflent dans l'af- fociation des fenfations > & que j'ai prouvé il n'y a qu'un mo- ment , que l'organe prétendu fenfible x devoir réunir des fen- fations y rapporter les traits du vifage* les membres d'un hom- me^ un tout; lui rapporter enco- re le sdifférentes imprelfions qu'il fait fur lui par la vue , par l'oûie * par le toucher ; il feroit démon- tré qu'il doit avoir des idées tel- les qu'il a plu à M. de Buffon d'i- maginer qu'elles font dans notre ame. Mais nous pouvons ajou- ter une infinité de preuves tirées des différentes propriétés qu'il accorde à fon organe fenfible r & qui lui aflïireroient un nombre; prodigieux de notions % de vues J« J générales & abfolument fpiri- tuelles. Dans la do£trine de IVL de Buffon , l'organe fenfible a des befoins,commela -faim > foit que nous le confidérions en nous- mêmes^ ou dans les Animaux. Or, toutbefoin excite le défit d'une chofe qui manque, & qui pourroit fatisfaire. La faim en- traîne le defir de chercher & de trouver de la nourriture : mais; quelle efpece de nourriture exi- ge ce fentiment lorfqu il eft pre£ fant ? Eft-ce de la viande, e même un Loup rôde de tous coû- tés , preffé par ta faim , il cher- che quelque proye qui puifle Faf- fouvir : Agneau ,Mouton, Afne, Cheval , Chien , Bœuf, Vache, tout lui eft bon ; fon organe fen- fiblena aucun objet particulier,, le premier qu'il rencontrera ,. ce- lui qui fera le. moins capable de défenfe , fera le plus convenable. S'il ne trouve point de bêtes k égorger , il fouillera la terre , il y cherchera des racines pour ap- paiferfafainu L'Autour qui pla- ne en l'air en y parcourant de grands cercles , ne cherchera toi efpece d'oifeau en particulier , nî tel oifeau individuel: or, eft~il de conception plus fpirituelle que ce defir d'ua objet quelcoifc [4? 3 -que propre à fatisfaire un be~ foin? Lesbefotns fentis, & généra- lement tous les defirs, renfer- ment aufli la notion de privation de ce dont on a befoin ; eft-il rien encore de plus fpiritueliLa notion de la poffibilité de Fofe- tenir , la notion du futur , c'eft- à-dire, d'un tems où l'on pourra feraffafiet: tout cela n'eft-il pas purement fpirituel ? Or, retran- chez, fi vous le voulez, Mon- fieur , dufentiment de befoin> ou de quelque defir que ce foit > la notion, de privation d'u« objet néceflaire, déterminé ou indé- terminé, de la poflibilité de l'ob- tenir ,d'untems qui neft pas, oà l'on pourra en jouir ; vous refte- t-illamoindre idée de befoin & de defir ? Lesfenfations rident dans l'organe prétendu fenfible ; M. de Buffon eft donc forcé de lui accorder toutes ces vues fpi- rituelles, fouvent générales & abftraites» L'organe fenfible fe fent ac- tif &paffif; il a donc la notion de caufe & d'effet. Dans la faim, ïl cherche quelque nourriture ea général ; mais il la cherche com- me caufe de fatisfattion , qai Je délivrera d'un befoin importun , & la notion de caufe eft alors générale ôc indéterminée. Le vrai terme defon defir eft un effet de cette caufe. Dans les épreu- ves des fens, il reçoit les effets des corps quiTaffedem , & qu'il regarde comme caufe de fes fen- dions. Etengénéral, quand [47} defire un objet > c'eft toujours comme caufe d une fenfation qu'il fouhaite de recevoir. Mais il fe fent caufe lui-même f lorfqu'il cherche quelque objet en général , ou qu il en pourfuk un en partculier. On vient déjà d*entrevoir> dans ce que Je viens de dire , que l'organe prétendu fenfible > a l'î- dée du tems préfent & de l'ave- nir. Car nous avons fait voir que tout defir renferme la comparai* fon du tems préfent où nous fen~ tons la privation d'un objet utile ou agréable y à un tems futur * où nous pouvons l'obtenir. Or* dans le plan de M. de Buffon * e'efl: l'organe fenfible qui a le defir d'un objet. Cet organe a encore l'idée du paffé x car on ne f4$3 peut lui refufer la, coniroinance du mouvement, puifqu'il defire defe tranfporter pour atteindre un objet qu'il veut polFéder, L'imbécile chez qui cet organe eft le feul mobile de toutes fes adions , félon la nouvelle phi- lofophie, veut fe mouvoir pour aller chercher de la nourriture ? il veut donc parcourir fuceefïr vementl'intervaîé qui le fépare du terme où il. tend, A chaque pas il fè fent différemment fitué; ilnel'eltpascomme il l'étoit un; inftant auparavant. Il vok , de plus y les autres corps fe mouvoir. Or il ne peut les voir en mouve- ment , s'il ne compare pas la fi- tuation aduelledu mobile, à fa? fituatioa paffée,. car s'il ne voie point de. changement dans le mobile « !#] mobile , îl ne le voit point re- muer ; & s'il ne fe fouvient point des différens efpaces que ce corps a parcourus ; il n'apper- çoit point en lui de changement defituation. Il eft donc démon- tré en rigueur , que , ni dans l'Homme > ni dans la Bête, l'or- gane prétendu fenfible ne peut ignorer le pafle. On peut dire que l'idée du tems a fon principe dans le fens de la continuité de notre exis- tence. Car fe fentir durer > fefen- tir continuer d'exifter fuccefli- vement > & fentir l'écoulement du tems ^ c'eft la même chofe. Mais nous confondons ordinai- rement ce qui nous fert à mefu- rer le tems , avec l'idée même du tems ; je veux dire, la fuc- FUL Partie. E ceffion de nos différentes fenfa- tions y & celle des fituations des corps, ou leurs divers mouve- mens;&nous croyons en tirer une notion du tems > tandis que ces fituations ou ces mouve- niens, ne fervent qu à nous don- ner une idée plus jufte du com- bien de notre durée* Après ces obfervations , il n'eft pas néceflaire de prouver en particulier rque l'organe pré- tendu fenfible doit avoir de la mémoire. Cette çonféquence eft un corollaire naturel de la connoiffance du pafîé , que M. de Buffon fera obligé d'accorder à fon organe fenfible. Mais je ne puis fupprimer une réflexion que ceci me fait naître , quoiqu'elle nous détourne un peu de l'objet no qui nous occupe préfentemeiït j elle eft trop importante ; la voi^ ci. JPai obfervé que la mémoire dans notire ame , dépendoit de la machine , de la conftruâion du cerveau. Si Ton a une mémoire fautive <, ou très-médiocre , tan- dis qu'il s'en trouve de fi vives > de fi fûres & de fi étendues ; c'eft à cette conftruâion qu'il le faut attribuer : mille faits d'expérien* ce le prouvent , ôc il feroit affeE inutile de les détailler. Cela fuppofe qu'une infinité de figiies confervent les images que nous avons reçues par le fens de la vue ; les faits dont nous avons été témoins, ou que nous avons appris par la voye du témoigna- ge ; les paroles ôc les fons que nous avons entendus > nos pro* E. % * près réflexions , nos volontés j nos aâions, nos fenfations, ôc tout cela dans un grand ordre ; enforte que les chofes paffées y foient dans une fuite correfpon- danteà la fuccelïion des tems. Ces fignes & les fuites mécha- niques de leur arrangement , fervent d'occafion à nous rap- pellerle paffé. Mais fi le cer- veau fent fon exiftence & fes fa- çons d'être > ces fignes & leur ordre lui feront toujours pré- fens s enforte que la machine prétendue fenfible , non-feule- ment n'oublieroit rien, mais verroit à tous les inftans, ôcdans l'arrangement le plus exa&, tou- tes les fenfations que la machine auroit éprouvées. Comment donc la Auteur peut-il foutcnit Es? 5 1 que notre organe fenfible , n'au- roit aucune mémoire, puifqu'au contraire il l'auroit fi fûre & fi confiante. Enfin , l'organe prétendu fen- fible , doit joindre à la fenfation de la vue > la notion de l'exiften- ce des objets qui le frappent , 6c même à toutes les autres fenfa- tions. Mais je m'arrête aux épreuves de nos yeux, parce qu'elles donnent lieu à des ré- flexions que je crois très inté- reflantes. Danslefiftême de M, de Buffon, la fenfation de la couleur, imprime les images des corps fur notre cerveau ; c eft dans cet organe que s'opè- re la fenfation de la vifion, foit dans l'Homme, foit dans la Bête. Or, fi cela eft ainfi, il Eiij [?43 faut donc que notre organe feri- fîbîe , fentant , comme F Auteur l'enfeigne > les images peintes fur quelque partie de fa furface y juge qu'il y a au dehors de luî des corps exiftans & femblables* dont ces images ne font que des copies. Car enfin > on ne peut nier , que nous ne voyions des corps à de très-grandes diftanoes hors de notre être* comme les étoiles & les planettes, & dans un éloignement confidérable fur la terre. Or, cette notion de rapport de conformité & de re£ femblance parfaite eft-elle fpî- rituelle, & peut-on la fuppofer matérielle* Quelque difproportion qu'aie l'image de S. Pierre de Rome5 avec le volume de notre corps % encore faut-il que ce point de l'organe prétendu fenfible, où. cette image eft peinte > fâche que cette magnifique Bafilique , une des merveilles du monde , eft prodigieufement plus grande que fon propre corps. Or certai- nement , fe fentît-elle elle-mê- me , cette image , elle ne pou- voit l'apprendre , non plus que l'exiftence de cet objet , que par fa fenfation. D'où reçoit-elle donc ces notions qu'on ne peut refufer à cet organe , fi c'eft lui qui a la fenfation de la vifion ? Comment ces traits , dont l'ima- ge eft empreinte fur le cerveau, qui fe voyent eux-mêmes , puif- qu'on le veut > fauront - ils que leur total reffemble à un objet fort éloigné de l'œil > ôc de di- tm menfions immenfes en compa- raifon de celles de notre propre corps. Il faudra bien dire que Dieu révèle cette diftance & cette différence de volume à no- tre machine , dans la fenfatiori même de la couleur : car M. de BufFonne foutiendra pas appa- remment , que notre ame > à force de raifonnemens , puiffe arriver à ces connoiffances 5 puifque dans la fenfation de cou- leur font renfermées êtPexiften- ce de l'objet , 6c fa grandeur re-r lative à notre corps > & fa diftan- ce du lieu où nous fommes , ce que nos rêves & l'état des infen- fés prouvent évidemment. Il ne dira pas non plus que l'organe fenfible , auquel il attri- bue la yifion? conclut que la lS7l couleur étant en lui uji effet qui ne vient point de fon activité, elle a une caufe au dehors de lui & à une grande diftance , dont elle eft la copie : car > outre que F Auteur ne veut pas que fon organe raifonne , cet organe raifonneroit encore très-mal ; il conclueroit , à la vérité , très- bien de l'effet qu'il reçoit , qu il vient d'une caufe > mais il ne pourroit de même en déduire que l'effet eft le tableau de la çaufe. Voici donc un point impor- tant que nous devons regarder comme décidé > c'eft que l'or- gane fenfible auroitun commer- ce intime avec Dieu , qui lui ré- veleroit l'exiftence des corps au dehors du cerveau ^ & à des dif- tances confidérables. Et ce point nous fervira bientôt à prouver que ce même organe feroit fuf- ceptible d'idées & de raifonne- men-t. Il auroit de même, par une forte de révélation, la connoif- fancede l'exiftence de fon corps & des membres auxquels il pré- fide , ôc duquel il fe diftingue- roit y comme notre volonté fe diftingue du bras & du pied qu'elle remue. Il s'approprieroit ce corps & les organes extérieurs desfens. Il formeroit la notion du mot complet , telle que nous l'avons , comme j'ai prouvé dans les élémens de Métaphifique 9 que nous l'avions. Car > lorf- qu'un imbécille ou un Chien , voit un bâtoa dont on le mena- ce, c*eft, félon M. de Buffoiî , Porgane fenfible qui a peur , non pas que le coup l'atteigne y il eft trop bien muni & défendu 5 mais il appréhende que ce corps qui lui appartient, ne foit bleifé. Enfin > c eft par FaÊtion de Dieu fur lui , qu'il s'intéreffe à la con- fervation de la machine, dont cet organe eft le reifort domi- nant. Ceft cet intérêt qiril prend à tout ce qui arrive de bien ou de mal , à quelque endroit de fon corps que ce foit , qui le rend heureux ou malheureux. Il fe fent plus préfent au pied , quand ce membre eft tourmenté de la goutte y qu a tout autre de fes membres , & par une erreur , il place fa douleur dans le pied : or l'erreur n'eft un vice que dans un Eftre qui peut connoître la vérité. Que manquerait - il done à l'organe prétendu fenfible, pour le rendre fufceptible d'idées, danslefens quejeprensce mot ; c'eft-à-dire, pour comparer les objets de fes fenfations > & fes différentes connoiffances > à la caufe première 5 ou la canfe pre- mière à fes fenfations & à fes no- tions , pour avoir des vûes uni- verfelles. Cet organe fent l'exif- tence > ôc conféquemment l'im- preflîon du Créateur, de qui il reçoit l'être. Il a notion de eau- fes 9 d'effets , d'adif y de pafîif : il connoît en général un objet capable d'appaifer la faim ou la foif; ou de fatisfaire quelqu'un pi] de fes befoins ; fes befoins , fa faim y fes defirs , renferment la notion de la pofïïbilité de trou- ver un objet qui les rempliffe. Il faifit les rapports, ne connoît les corps que fous des grandeurs relatives & indéfinies. Quel- ques unes même de fes paillons ' comme la jaloufie 6c l'orgueil y fuppofent des notions de perfec- tion & de degrés de mérite. Par un commerce intime avec Dieu* il reçoit la révélation de Fexif- tence du corps au dehors de lui , de l'exiftencedu fien propre. lia la notion de propriété dans l'in- térêt qu'il prend à tout ce qui regarde fon corps. Ileft fufcep- tible d'erreur , puifqu il revêt , comme nous , les objets de cou- leurs ; il met la douleur dans la partie du corps affligée. Ses de- fîrs prouvent qu'il a une vôlonté, c'eft-à-dire > un attrait pour le bien-être en général. Que lui nianque-t-il donc encore une fois y pour qu'il foit capable de concevoir des idées univerfellesj depenferÔc deraifonner , & de le déterminer librement ? Le pouvoir de réfléchir, ré- pondra peut-être M. de Buffon. Mais ce pouvoir nous manque fouventdans le fommeil, dans plufieurs autres états , ôc tou$ jours aux enfans., aux imbécilles & aux foux ; & i'ame n'en eft pas moins fpirituelle ? c'eft-à-dire, que dans ces états > elle eft tou- jours fufceptible du pouvoir de réfléchir. 'Ce n'eft donc pas le pouvoir a£tuel de réfléchir , qui E*3] peut diftinguer l'âme , de Por- gane prétendu fenfible. Ce fera, tout au plus > la fufceptibilité de ce pouvoir. La réflexion eft l'at- tention fourenue fur un objet. Il faut donc que M. de Buffon nous prouve que fon organe fen- fible ayant des befoins 9 des de- lirs ; connoiflant ce qui peut les remplir, ne peut être rendu at- tentif par l'efficace de la toute- puilTance, à fes befoifts, à fes defirs y aux objets qu'il pourfuit, aux moyens de les atteindre. Je le prie lie tenter cette voye pour fe tirer d'embarras. D'ailleurs > quelque parti que prenne PAu- teur y il faudra qu'il convien- ne , que la poffibilité de ré- fléchir & de fe déterminer li- brement , dépend, dans l'Eftre penfant , d'un certain état du cerveau , ou de l'organe qu'il plaît à M, de Buffon, de nous donner pour fenfible. L'organe fenfible fentira donc cet état , auquel le plein exercice de la fa- culté de penfer & de délibérer } eft attachée ; la brebis faine , connoîtra Tétat du cerveau qui la diftingue de la brebis folle : 6c pourquoi cette fenfation ne fe- roit-elle pas lefens intime de la liberté dans un organe qui a des defirs , des fins par conféquent , quifaifit des rapports > par là 9 rendre fes notions univerfelles. Pourquoi ne pourroit-il appren- dre de fon Créateur r qull eii créature, quil efl l'effet de là volonté x de la caufe univerfelle» Il apperçoit quelque perfe£tion ^ pourquoi D ieu ne pourroit-il fe manifefter à lui } comme fource de toute perfe&ion y & comme le fouverain bien ? li a un attrait pour le bien-être en général^ Dieu ne pourroit-il lui accorder le pouvoir d'examiner les biens particuliers , de choifir entre ces biens ^ de préférer l'un à l'autre;; de fe déterminer fur différais moyens d'arriver à une mêma FllL Partie» g f$&$ en les comparant ; de fu£ pendre fa décillon, quand tous les motifs d'agir font: égaux ; ou defe déterminer par le feul goût de prendre un parti ? Que pourroit répondre M., de BufFon à toutes ces queftions ï Dira-t-ilque Dieu ne peut pas accorder toutes ces propriétés à un Eftre > à qui il fait fentir com- me rimpreffion de la toute-puif«= fanée, en luifaifant fentir Texif- tence ; à qui il révèle une infini- té d'objets y qui lui donne k pouvoir de les confidérer en gé- néral y ou d'une manière abftrai- te : s'il le difoit, je le prierais encore une fois , de démontre! que c eft fuppofer HmpoiTible j comme j'ai démontré que la fen* fibilité ne peut convenir à h [ ] matière 9 pourroit-il le tenter avec quelque fuccès ? Qu'il juge par là y du pernicieux ufage que pourroient faire de fa do&rine > ceux qui voudroient bien n'être que de pures machines } Ç\ nous ne leur avions pas démontré qu'il efl: impoflible qu'aucune machine 9 qu'aucun organe .Toit élevé au point defentir fa propre exiftence, C'en efi afîez r je penfe , pour prouver que fi quelque efpece d'organifation ou de jeu mécha- nique , produit nos fenfations > nos partions , nos befoins , & les produit dans les bêtes : ce même jeu méchanique feroit ce que nous appelions nôtres a me 5 ce qui feroit d'autant plus vrai , que celle que IVL da Buffon veut [m unir à la machine, pour diftîrî- guer l'Homme de l'Animal, y feroit totalement inutile, dans cefiftême, où les fenfations fe- roient des propriétés de la ma- chine, & où les idées ne feroient que des aflbciations de fenfa- tions^ Je reçois dans le moment une de vos Lettres qui a deux ans de date; ce long-tems me renc excufable fur quelques expref fions que j'ai employées dans mî Lettre du**. Il m'étoit permi de me lailTer aller à quelque foupçons. Toutes vos réflexion, font fort judicieufes. Sï vou aviez vû l'écrit de M. de Buffoi à la Sorbonne, vous vous ei feriez épargné quelques-unes yous les retraitez fans douteô vous ferez édifié , lorfque forî défaveu aura pû pafler jufqu à vous. Vos félicitations furie peu defuccèsde mon ouvrage, me flattent, parce que vous êtes fort capable d'en bien juger: "Vous avez dû recevoir mes Lettres à un Matérialifte , en at- tendant que vous me marquiez l'impreffion qu'elles auront fair tes fur vous , je vous réitère les affurances de l'attachement in- violable , ôcc XX Ve. LETTRE. IL n'étoit pas néceffairej; Monfteur, d'employer, tant d'inftances > pour obtenir de moi des éclairciifemens îm le [70 J ^ principe qui fait agir les Ani- maux ;queftion plus ifolée que vous ne penfez par rapport à la Religion, & que le petit nom- bre de raifonnenrs qui travail- lent à accréditer le Matéria- lifme, n'agite avec quelque con- fiance y que parce qu'ils ne l'ont pas analyfée. C'eft auiïi pour n'avoir pas fait cette analyfe* que Monfieur de Buffon a don- né dans des écarts fi extraordi- naires : il étoit donc dans l'or- dre y après lui en avoir décou- vert la fource > de le remettre fur les voyes de la recherche de: la vérité. Je me propofois de le faire, je commence à remplir ce projet , en parcourant y mais fuccin&ement -, les différentes o- pinions quî fe font élevées fur la. Nature des Animaux y & en éta- bliffant des faits qu'aucune des Se&es Philofophiques divifées ne pourra contefter. On peut les réduire à cinq , là métempficofë > erreur plus phi- lofophique qu'on ne croit , & le plus fupportable des partis qu'ait pu prendre l'Homme abandon- né aux feules reffources de la- raifon dans la queftion deTame des bêtes : mais elle laiffe tou- jours dans l'indécifion y parce qu'elle ne pourroit être reçue * qu'autant qu'il feroit révélé que cette opinion renferme l'œco- nomie des efprits choifiepar le Créateur. Elle eût dû faire fen* tir aux Pytagoriciens la néceflité d'une révélation , ôc c'eft ce dé- faut même > preffenti plutôt que Î7* J connu y par les autres Se£tes quî la leur faifoit trouver ridicule, Mais cette opinion étant claire- ment démentie par la révélation > nous la laiffons à l'écart 5 les Ma- térialiftes d'ailleurs ne s'en ac- commoderaient pas > puifqu'elle fuppofe l'immortalité de l'ame , £c que la certitude de la mé- tempficofe ne peut venir du rai- fonnement , & doit être fondée fur une lumière ajoutée à celle de notre raifon. La féconde opinion eft celle du vulgaire , qui , fans y réflé* chir autrement , conclut de ce que font les bêtes > quelles fentent > qu elles voyent com- me nous-, 6e ne fe demande point fi c'eft la machine qui fent* qm Ci une ame unie àia machine à feule la propriété de fentîr; Ceft l'opinion que M. de Buf- fon a voulu embellir des grâces de fa di£tion ; j'ai cette confiance qu'elle eft fufiifamment détruite par la réfutation que j'en ai faite» La troîfiéme eft celle des Péri- patéticiens. Ils reconnoiffent dans les Bêtes une ame/enfitive, diftinguée de Famé raifonnable par fon elfence particulière. Ma dernière Lettre la combat ; car 9 fi vous vous êtes donné la peine de la méditer, vous aurez com- pris , qu'il fuffit qu'un Eftre foit fenfible à l'exiftence , & qu'il ait des fenfations, desbefoins, des paflîons y pour être de la même nature que notre ame. La quatrième eft le fentiment de Monfieur Defcartes & de Vllh Partie. G C74Î fes difciples. Elle réduit les Ani- maux à de purs Automates ; elle fut d'abord fort mal reçue du Peuple , & de cette efpece de Sçavans , qu'on ne peut guéres en diftinguer, fort bien accueil- lie par les efprits fupérieurs , ôc abandonnée enfuite prefque gé- néralement. Peut-être les efforts qu'ont fait fespartifans pour l'ap- pliquer au détail des a&ions des Animaux , furent - ils la caufe d'un décri fi univerfel ; opinion enfin fouvent mal attaquée , mais aufli fouvent défendue avec trop d'art. Les Cartéfiens n'ont pas compris toute l'étendue de leurs engag'emens. La cinquième opinion eft en- core philofophique. Elle naît des mêmes préjugés , & elle en étend les confëquen ces. Cet- tains Philo fophes voyant , de la part des Animaux, des lignes de fpontaneité & de liberté tout aufïi peu équivoques que ceux de douleur & de plaifir, lepa- roiflent aux Péripatéticiens } ac- cordent aux Animaux une ame libre comme la nôtre , bornée à quelqu'efpece de raifonnemens relatifs aux Arts , aux façons de vivre que le Créateur leur a dé- parti ; ils veulent que TefTence de ces ames des brutes foit to~ talemenr différente de celle de lame humaine. Le refpeft pour la Religion & pour le préjugé qui nous porte à donner des ames aux Animaux , mais qui nous fait regarder ces ames com- me inférieures aux nôtres, les Gij tm retient dans ces bornes, dont la Religion n'eft point allarmée. Ces ames font-elles immortelles de leur nature ? Ils ne répondent rien , mais ils femblent croire qu'elles font anéanties à la mort. Et il faut convenir , que cet anéantiffement ri'eft pas le moin- dre inconvénient de leur fyftê- me. Je l'ai réfuté d'avance, ce fyftême > en détruifant celui de Monfieur de Buffon dans ma dernière Lettre ; Ôc en prouvant que tout Eftre qui fe fent exifter , qui fent des befoins , qui a des fenfations , eft eflentiellement de même efpece que notre ame. Mais ils pourroient fe mettre un peu au large , en difant , que ces ames font faites pour n'a- voir ôc ne connoître d'autres pil rapports entr'elles & le Créa- teur, que ceux de Caufe à Effets* pour la regarder comme Caufe fuprême , enforte qu'elles fe- roient incapables de le confidé* rer comme fouverain modèle de perfe&ion , qu'elles n'auroient aucunes vûes morales , qu'elles ne feraient par conféquent fuf- ceptibles ni de vertu , ni dé vice, & dès-lors pourraient être bornée à la durée de la machi- ne, comme étant hors d'état de mériter d'être éternellement fi- xées dans le bien-être. Elles au* raient des idées , elles délibére- raient furies moyens d'atteindre leurs fins, ou d'éviter quelque péril* elles auraient des fenfa- tions comme nous ; enfin , elles feraient fixées pour toujours dans l'état de la première enfan- ce , par une Loi irrévocable du Créateur. C'eft , je m'imagine , à quoi fe réduit le fyftême de plufieurs de nos Philofophes moder- nes, & c'eft le feul qui me paroît mériter la peine d'être exami- né avec quelque foin. Mais le fyftême en lui-même fera moins l'objet de notre examen > que les $>Mmmkm$ & ks méh^ fur lefquels on prétend Y établir. Commençons à les raffemblerj Quand on examine les Ani- maux un peu en détail , fur-tout les quadrupèdes > on trouve une grande analogie entre leurscorps & le nôtre. Ce font des machi- nes comme nos corps, réglées par l'hydraulique , lapneumati* 1791 que y la flarique & la méchani- que , ôc par certaines Loix par- ticulières y détachées de celles de la communication des mou- vements. Ils ont du fang , des artères % des veines > un cerveau , des nerfs s des mufcles y &c. Ils ont les cinq organes de nos fens, la vifion s'opère en eux comme dans l'Homme. L'ex- périence de l'œil d'un Bœuf tué depuis peu & placé à une petite .ouverture, par laquelle la lu*, miere entre dans un endroit obf- cur> le prouve évidemment. Mais le vrai Philofophe pouf- fe l'analogie plus loin , & bien au de-làde ce que le coup d'œil & l'anatomie fait découvrir dans les Animaux. On leur reconnoît de la mémoire , des traits d'ima- G iiij [8o] gînation y des mouvemens fpoii- tanés, & quelques-uns même qui nous femble venir d'un principe libre. Au lieu d'en con- clure directement , comme font la plupart des Hommes 9 que les Bêtes ont des ames ; ce vrai Phi- lofopheen tire rrois conféquen- ces immédiates. Il en infère 9 premièrement > que ces Ani- maux ont dans le cerveau l'ap- pareil de la mémoire y tel que •celui qui > dans le cerveau de îJHomme , eftune occafîon dP fe rappeller ce qu'il a fû,2°.Qu'Us ont un plan matériel d'imagina- tion fèmblable à celui qui nous fournit de nouvelles images , on un nouvel affortiment d'ancien- nes. Et dans ce plan matériel font contenus > l'art, lesmoeur^ C8i] les procédés propres à chaque efpece d'Animaux ; enforte que fil'onpouvoit voir dans le plus petit détail , le cerveau dune Bête , on y découvriroit les ca- ra&eres & les notes > pour ainlî dire, particulières à chaque principe & à chaque conféquen- ce de fonart. 30. Il conclueroit encore que dans le cerveau de l'Animal , eft un réfervoir pneu- matique x tel que celui qui fert en nous d'occafion à l'état de fpontanéité Ôc de liberté y 6c à nous rendre propres les mouve- mens que nous demandons à nos membres. J'en parlerai ample- ment dans le fécond volume de Elémens delà Métaphifique-. Il partagerait encore dans les Ani- maux les efprits en deux clafles y * [82] dont les uns que j'appelle volon- taires > & qui font peut-être d'une efpece particulière y font renfermés dans l'organe pneu- matique -y pour être diftribués de-là , dans les nerfs qui fervent à mouvoir le corps ou quelqu'un de fes membres , fur des occa- fions prifes de la volonté dans l'Homme* ou des jeux de la machine fur lefquels la volonté eft déterminée* Comme il a vu des brebis fages dans les adions propres à leur efpece > quelques- unes ftupides & imbécilles , &c d'autres folles ; il jugeroit que dans les premières , le réfervok pneumatique aie reffort conve- nable pour recevoir les impref- fions des efprits machinaux > pour tenir en bride les efprits va- 3 [ontaires. Peut-être même qu'il eft dans une fituation ftable , comme il eft en nous , lorfqu'il nous eft permis de réfléchir & de délibérer. Et s'il ne veut pas re- connoître une ame dans les Ani- maux, il ne fe détetminera pas au parti auquel s'eft arrêté Mon- fieur Defcartes , c'eft - à - dire , qu'il ne jugera pas que tout ce que font les Animaux , eft l'effet des impreffions produites fwtek organes, par les objets du dehors , eft une fimple commu- nication de mouvemens par les Loixdu choc;mais en voyant de& ades qui paroiffent délibérés r & n'être point une fuite né-, ceffaire de l'adion des objets fur les organes des fens,ïl foupçone- r a,que le Créateur s'eft fait peut* C84l être fait une Loi d opter entre les différens partis que préfente- fa le plan de l'imagination donné à l'Animal > lorfqu'il y aura des choix à faire , & que l'organe pneumatique fera dans le ton où eft le nôtre , quand il eft occa- lion de notre état de liberté. Il jugera, que dans les Brebis im- béciles y cet organe eft mol , flafque , ayant trè-peu de ref- fort * & que dans les folles > il a des ofcillations prefque con- tinuelles. Le prodige de l'imita- tion neferoitpas oublié. Que les Bêtes ayent des ames ou qu'elles n'en ayent point j les trois conféquences que nous venons de tirer des marques de mémoire ; d'induftrie , de fpon- tanéité > de liberté même , qu et les laifiertt échapper , font direc- tes ôc immédiates. Car fi l'Ani- mal a une ame, ces méchanif- mes font des occafions fur lef- quelles Dieu donneroit certai- nes connoiffances , certaines af- fe£tions à cette ame , & par ces connoiffances & ces affeaionsy l'amour du bien-être feroit dé- terminé à telle volonté. Ainfî, pour remonter des effets qui pa- roiffent fpontanés ou libres dans la Bête à la volonté de celui qu'on lui fuppoferoir , il faut paffer par un milieu , c eft-à-dire, s'arrêter à confidérer , ce qui dans la machine eftl'occafion de fpontanéité ou de liberté , de penféesou d'affe&ions. Or, le préjugé paffé ce milieu. Tel A- nimal fait un a&e fpontané , dit- 6n , donc il eft en lui un prin- cipe de volonté ; cette omif- fion doit nous rendre le préjugé très-fulpe£h Mais qu'il eft puiffant , ce préjugé ! N'en fentez - vous pas la force , Monfieur , fur - tout dans le penchant qu'il nous don- ne à croire les Bêtes fenfibles i Moi-même , j'ai toutes les pei- nes du monde à m'en défendre j il agit toujours quand je vois agir les Animaux. Mais le pré- jugé qui revêt les objets des cou- leurs , n'eft pas moins puiflant < ni moins perfévérant : cepen- dant nous pouvons y renoncer. Nous verrons bien-tôt quels font les fondemens du premier pré- jugé , & peut-être nous en dé- prendrons-nous. Ce fera la ma- [873 tiere d'une autre Lertre. J'aime à me ménager plufieurs entre- tiens avec vous y tant pour vous épargner la fatigue d'une longue le&ure , que pour multiplier les occafions de vous répéter les fentimens > &c. XXVR LETTRE. SI nous nous obfervions bien, Monfieur,dans les douces rê- veries où nous entraîne la beauté du Spe&acle de la Naturer nous remarquerions que tout' nous y paroît animé, ôc fur-tout les corps dont nous fuivons le mouvement. Ceux qui aiment la folitude , ne s'y trouvent pas feuls , toute la Nature leur parle. [88] Un chêne dont un vent Im- perceptible agite légèrement les feuilles , leurs paroît fe re- muer lui-même pour les amufer. Un Ruiffeau paroît prendre à couler leplaifir qu'on relient en le fuivant dans fon cours. L'eau femble jouer dans un jet d'eau, L'a&ion de Dieu anime tout, aucun corps ne fe meut que par une caufe libre qui le tire du re- pos. De-là vient le charme de laPoëfie > qui donnant une ame à tout , nous ramené à ces dou- ces rêveries aufquelles on fe li- vre dans les promenades. Mais en perfonnifiant tout, elle divi- nife tout. Ce qui nous fait fentir la vérité de ce qu'ont dit plu-, fieurs Poètes , que cet Art char- mant eft le fils delà Religion, r sp j & qu'il a été inventé pour ren- dre les Hommes attentifs à l'ac- tivité du Tout-Puiffant, laquelle fe manifefte partout: mais com- bien la Poëfie a-t-elle dégénéré 4e fa première deftination î Dans l'enfance où Ton ad- mire tout , parce que tout eft nouveau } où prefque toutes les caufes font inconnues, les corps* fur-tout ceux qui changent de direâion , comme une bille de de Billard qui paroît décrire une courbe , femblent avoir des a- mes , & agir par un mouvement propre. Or, les préjugés auf~ quels nous fommes habitués dans cet âge tendre , s'étendent à toute notre vie, En effet r lorf- qu'on s'étudie foi-même , lor£ que (ans avoir l'efprit occupé Vllh Partie* H Cpo'J «faucun objet particulier, on re- garde une cafcade , la Mer en fureur , une plume agitée dans l'air , une pendule faifant fes vi- brations, un atome , auquel on voit faire tant de tours & de re- tours fingulïers parmi les traits de la lumière , introduits dans, une chambre obfcure , ces on- dulations de la fumée fi variées 3 par-là fi amufantes pour ceux qui aiment à fumer : fi l'on fe fur- prend , dis-je, dans la douce rê- verie que ces fortes d'objets oc- cafionnent , on s'appercevra qu'ils paroiflent tous animés. (Quelle en peut être la raifon ? Outre les fuites, des ïmpreuions habituelles de l'enfance > c'eft qoenous fentons non-feulement en nous la caufe vraiment ef& cace des mouvemens de nos membres , mais que nous la Ten- tons encore mieux dans tout ce qui paroît fe mouvoir hors de nous. Tout mouvement eft contingent , puifque tout corps eft indifférent par fa nature au mouvement ou au repos, & dès- lors il réveille néceflairement l'i- dée d'une caufe libre. C'eft la vérité que nons entrevoyons dans Terreur naturelle dont je parle >. & tout notre tort eft de regarder ce principe comme in- frétant au corps. Il en eft à peu près de même; des fons & de certains bruits P îls femblent toujours nous dire quelque chofe, ou nous annon- cer quelque violence ibufferte* quelque plaiûr 7> ou quelque douleur. Ils nous font foupçonK ner des principes animés dans les corps qui les produifent» Le vent introduit de force dans une chambre mal clofe, imite des gémiflemens , des cris , des hur- lemens qui réveillent en nous la trifteffe ôcla crainte , ou plutôt qui tendroient à exciter ces paf- fions : carie contrafte d'un fiffle- ment horrible avec la douceur du repos , nous devient agréa- ble &-nous ittvite au fommeil , comme la peinture du danger auquel nous ne fommes point expofés, tend à caufer l'horreur } & ne fait fentir réellement que le plaifir réfléchi d'être en fure- té. Les innrumens de mufîque touchés avec art , nous fembleni exprimer des pâmons en les ré- tP5Î veillant en nous. Enfin nous perfonnifio ns tous les corps qui nous nuifent ou qui nous bief- fent, ils nous donnent des mou- vemens de haine très-déplacés ; je dis déplacés %. parce que les Efiresqui n'ont point de volon- té ne font point haïffables > quel- ques incommodes qu'ils nous foient. Ainll notre impatience retombe fourdement fur le prin- cipe qui les met en mouvement > & ce principe , oeft Dieu. Dans ce que je viens de vous dire > Monfieur , vous voyez les premières racines du préjugé de Famé des Bêtes. Mais il en eft d'autres bien plus fortes encore> & qui pénétrent , pour ainfi dire> dans le plusdntime de notre ame* Commentons par celle que je [P4l trouve la plus vive & la plus ac- tive > & arrêtons-nous quelque tems à la faire bien connoître. La chair des quadrupèdes * îorfque quelque playe nous la fait voir à découvert, ne nous paroît en rien différente de la nô- tre. Elle doit donc faire naître en nous les mêmes idées que nous donne la vue d'une playe dans le corps d'un homme ; ôt elles les réveillent efFeQivement* Or y quelles font ces idées f Cel- les qui fixent la douleur dans la partie meurtrie ou blelfée t car nous ne fommes perfuadés que la douleur eft une modification de notre ame, qu'autant que bous fommes éclairés par une faine philofophie. Autrement y joous la regardons comme u&e qualité, comme un. état de la chair même. De plus, le Phi- lofophe ne philofophe pas tour jours , & dans le cours ordinaire de la vie, ileft entraîné par les. préjugés de l'enfance. Les cou- leurs lui paroiflent confiamment inhérentes aux objets , & la dou- leur au pied gonflé , enflammé ôthiifant d'un goutteux. Ainfi » nous fpiritualifons la chair , era lui accordant tacitement le fens de l'exiftence. Ceft un préjugi dont- M. Defcartes, & le plus grand de fes Difciples , le P. Malebranche, nous ont parfai- tement défabufés, & quant ont ne devroit à ces Philofophes qu& cette importante découvertes, on ne pourrait pas dire cTeux » comme le difent les PhUolbphes petits-Maîtres, qu on n'apprend prefque rien dans la lecture de leurs ouvrages * puifque ce point démontré, jette le plus grand jour fur la Philofophie. Ceft donc un préjugé con- vaincu de faux , que le commun des hommes & quelques nou- veaux Philofophes puifent leur plus formidable argument > en faveur de Famé des Bêtes. Voyez vous, diront-ils > la patte de ce Chien , mordu par une vipère > comme elle eft tuméfiée, enflam- mée , livide ; pouvez-vous vous empêcher, en la voyant dans cet état % de fentir en quelque forte, le retentifTement de la douleur qu'elle fouffre ? Je l'a- voue,, ma compaflion efl exci- tée i mais elle renferme ridée de ïa douleur dans la patte de l'A- nimal ; 6c la Philofophie m'a convaincu que cette idée étoit fauffe. Lorfque j'ai mal à une dent, je ne puis m'empêcher non plus de penfer que la dou- leur eft dans la dent. Mais ma raifon rétracte ce préjugé, tout aufli piaffant, pour le moins, que celui de l'ame des Bêtes. Quand je vois la main d'un gout- teux, j'y vois toutes les appa- rences de la douleur, & je me trompe : car l'enflure , la rou- geur, la lividité, indices fur lefquels porte uniquement mon jugement naturel , ne font ni ef- fets ni caufes proprement dites de la douleur. Pour éprouver combien ce faux préjugé influe dans les idées Vllh Parue. I 1^83 vulgaires, fur la nature des Bê- tes; dites à une femme qu'il n'y a point de douleur dans le pied de ce Chien infeaé du venin de la vipère, vous verrez qu'elle foutiendra le contraire avec la même obftination , qu'elle pré- tend que l'opinion de M. Def- cartes eft ridicule. Pourquoi? C'eft que dans le fond , c'eft l'i- dée faufTe de la réfidence de la douleur dans le membre maltrai- té, qui lui fait juger que le Chien fent dans fon pied le mal le plus cuifant. La reffemblance de la chair des Animaux avec la nôtre, jointe au faux préjugé de l'inhé- rence de la douleur à nos chairs bleffées , eft fi bien le vrai prin- cipe de l'opinion commune fur \ Ï991 Famé des Bêtes,, & de notre compaiïîon pour elles, que l'in- térêt que nous y prenons, s'af- foiblit, à proportion] que cette conformité diminue. Et quand tout rapport difparoît entre la chair de l'Animal &la nôtre, nous fommes très diipofés àrefufer une ame à certaines Bêtes. H fuffit même qu'elles vivent dans Peau» pour que nous les regardions a- vec indifférence. Quelques Poi£ fons ont la chair femblable à celle de plufieurs quadrupèdes s on les voit palpiter , expirer fur le fable dans une pêche fans la moindre émotion. Beaucoup de femmes même font la-deffus auf- fi fortes que nous ; elles avallent une huître toute- en-vie, fans la moindre compaffion. Et fi c'eft ; t ioo] pour les aguérir que M. de Buf- fon ôte le fens de l'exiftence à cette forte de coquillage , en vérité , il a pèrdu fa peine. Cette indifférence de notre part s'étend à tous les Infe&es , nous les écrafonsfansfcrupule. Qui s'a- vifa jamais de donner une ame à une Chenille , à une Moule > à une Etoile de mer , à la grande Etoile rameufe , qui reffemble fi fort à une plante. Telle femme qui ne pourrait voir égorger un poulet fans fe trouver mal, froiffe impitoyablement entre fesdoigts des Infe&es incommodes , parce quelle ne trouve rien dans ces petits Animaux qui la rappelle à la nature de fon corps : elle prend le fang qui fort de rinfefte, pour fon propre fang dont il s'étoit [101] repu. Beaucoup de Phîlofophes même * en accordant des ames aux Animaux > exceptent les In- fe&es ; 6c dans cette claffe font compris ceux qui voudroient re- nouveller l'opinion des Anciens* & qui prétendent qu'au moins certains Infe&es viennent de corruption. En général > le vul- gaire nepenfe point que les In- fe£les ayent des ames ; ils n'ont point de préjugés à cet égard. L'induftrie des Animaux dont ©n fait tant d'éloges , & qui dans beaucoup d'Infe£tes y eft fupé- rieure à celle des Animaux dont les relfemblances avec nous , font plus marquées , ne font au- cune impreflion fur des obferva- teurs éclairés. Ce qui fortifie le plus le pré- 1 102] jugé qui naît de la reffemblance entre notre chair & celles des. quadrupèdes > ce font les cris 6c les fignes de douleur que don- nent les Animaux. . Les lignes de douleur ne font pas un préju- gé à part, ils rappellent celui dont nous venons de parler , foit qu ils viennent de la part des Hommes y ou de celle des Ani- maux. Cependant on en tire un argument métaphifique. Dans nous y dît-on , tous ces fignes annoncent delà douleur, ils font dirigés à cette fin par le Créa- teur; Il nous tromperoit , fi les Animaux ayant les fignes infti- tués pour manifefter la douleur * ils n'en reflent oient aucune. Exa- minons un peu à loifir la deftina- tion & les caufes de ces fignes, qui paroiflent fi décififs à la plu- part des Hommes. i°. La douleur , comme nous l'enfeigne le P. Malebranche , eft deftinée à nous intéreffer à la confection de notre propre corps , & les fignes de la douleur, font établis pour y intéreffer les autres. Or , cette fin fera rem- plie, dans les Animaux, foit qu'ils ayent une ame , foit qu'ils en foient privés , pourvu que ces fignes excitent notre com- paflïon, ou qu'ils montent le cerveau des Animaux, de l'efpe- ee dont nous parlons, au ton méchanique quirépond à celui quifert en nous d'occafion à la eompaffion. Ces fignes pourront être comparés au traquet du Moulin, inventé pour avertit [104] quand il efttemsde remettre du bled , fi les Animaux qui les donnent nom point d'ame. La fin que s'eft propofée le Créa- teur > ne nous annonce donc pas précifément que ces fignes ibnt deftinés à nous faire juger que les Bêtes ont des ames ; mais ànous apprendre qu'il y a quel- que défordre dans leur machine * auquel il faut pourvoir. Si nous portons nos conféquences plus loin , nous allons au de-ià de Vinftitution du Créateur. Obfer- vezj je vous prie, Monfieur^ que lorfquq nous nous trompons nous-mêmes ;nous voulons tou- jours que Dieu foit la caufe de notre erreur* 20. Quand nous entendons ua Homme fe plaindre x vers quel objet notre compaflion fe porte- t-elle l Où eft votre mal , dit-on àquelqu'un qui pouffe des gé- miffemens, ou des cris péné- trans. Vous vous appercevez, Monfieur , que dansce difcours, la compaflion remplit parfaite- ment fa deûination ; & que le préjugé de la réfidence de la douleur dans les chairs, en eft inféparable ; car la première queftion qu'on fait à un malade, prouve: qu'on penfe d'abord au corps. Il eft vrai que par rapport aux Hommes, l'idée de l'affliaion de l'amer eft toujours jointe à celle de la douleur dans le mem- bre affligé, & cette affli&ioneft l'effet de la réflexion dans celui quifouffre : car je ne parle pas I to6 2 de cette efpece d'abbattement dont les grandes douleurs font accompagnées, & dont le prin- cipe eft purement 'machinal. Or, la commifération étant le plus fouvent & le plus vivement ex*- citée par les fouffrances de nos femblables, elle comprend ha- bituellement ces deux objets, le mal dans une partie du corps , êcTaffliftion au fond de rame. Comment ces deux objets font- ils réunis dans notre compafTion pour les Animaux , auxquels on ne fuppofe pas communément de réflexion ? C'eft que notre cerveau eflconftruit de manière, que lorfque de deux manœuvres qui vont enfemble habituelle- ment, & qui font relatives à deux connoifTances > ou à deux [I07J tffeaionsdel'ame , l'une eft en. iaion , l'autre lui répond tou- jours fourdement. La première: idée , ou la première réflexion? étant renouvellée , rappelle tou- jours la féconde. Il doit donc arriver , lorfque notre compaf- fion eft excitée par les gémiiTe- mens des \Animaux , que l'idée de l'affliaion concoure avec cel- le de la douleur inhérente à quek que endroit «le leur corps ; parce que nous fortunes accoutumés à les joindre toutes les deux. L'air abbattu , l'œil troublé Ôc éteinr dans les Animaux, fignes de l'affliaion en nous purement machinaux , néanmoins en bien des cas , nous précipitent encore dans cette méprife. 3 0> Quelle eft la caufe de no? [io8] gemifFemens & des autres fignes de la douleur ? Eft-ce la volonté ? Il n'y a pas d'apparence. Les cris viennent naturellement y quand nous fouffrons beaucoup. Il faut un effort de la liberté pour nous contenir , quand la douleur eft vive ; & il ne faut que fe prêter, pour gémir & pour fe plaindre. Un Homme vient de recevoir un coup de feu, fon vifage pâlit > fes yeux s'éteignent , fa voix: changey il gémit. Eft-ce à fa volonté qu'il faut rapporter tou- tes ces fîtuations de la machirie ? On ne peut le croire ; la volonté ferme d'un brave homme , les kiffe échapper plutôt quelle ne les commande. Il fuffit, pous qu'ils foient produits au dehors * qu elle abandonne le corps à lui- C iop J nême. On ne remonte donc Doint néceflairement de ces li- gnes/jufqu'à l'exiftence d'une mie dans un Animal bleffé. Par rapport aux Hommes > il y acette différence > quand nous les voyons malades ou bleffés 9 que nous favions d'ailleurs ôc très-certainement , qu'ils ont des ames comme les nôtres* Ainfi y nous jugeons , à la vue dune blefïure qu'un homme fouffre , ôc que fon ame eft affli- gée y parce que nous favons très bien que la nôtre le feroit en pareil cas. Nous remontons des lignes de la douleur ôc de l'af- fliftion à l'ame que nous lui con- noiflbns ; mais nous ne nous fer- vons point de ces fignes, pour nous prouver qu'il a une ame* [no] Comment donc ce qui n'eft pas inftituédans les hommes, pour s'affûrer s'ils ont des ames , con- duiroit-il néceflairement à un principe intelligent dans les bêtes. 4.0. Enfin , les lignes de dou- leur font équivoques par eux- mêmes : un mendiant très fain , faura imiter les cris les plus tou- chans > les enfans crient comme fi on les égorgeoit, pour faire croire que la gouvernante, qui leurarefuféunfruit, les a cruel- lement maltraités ; les miaule- mens des chats , dans certains tems , ont des modularions & des accens qui reflemblent aux plaintes des petits enfans. Les fignes de la joye , comme cer- tains éclats de rire, font les fimp- [m 3 tomes les plus fâcheux de la co« lique, qu'on appelle de Poitou; & enfin , je l'ai déjà obfervé , les chofes inanimées forment des fons qui nous émeuvent. Si Ton ne favoit pas que certains gémif- femensfont un effer ou du vent, ou du frottement d'une poulie contre fon axe > on les prendroit infailliblement pour des fignes de douleur. Si les cris & les gé- miffemens ne prouvent pas qu'un Homme , en qui nous recon- noiffonsune ame, fouffre réel- lement : fi les conféquences que l'on tirerait de fes démonftra- tions de douleur, n'eft pas une conféquence néceffaire, com- ment ces cris & ces gémifle- mens prouveront-ils que les Ani- maux ont des ames réellement [112] fenfibles > à moins qu'on ne veuille fe contenter d'une très- mauvaife pétition de principe. Il faut dire la même chofe des Agnes de joye & de plaifir , des marques de la faim & delafoif, des caractères des partions qu'on voit dans les yeux & dans les geftes des Animaux, Tout le méchanifme qui agit en nous , quand nous fommes dans la joye, celui des partions , celui qui ré- pond à la faim & aux defirs , fe trouve aufli dans les Animaux. Les fignes de joye annoncent le bon état de la machine , & les inquiétudes , le befoin de nour- riture ; les fignes des partions, montrent que dans le plan ma- chinal de l'imagination , eft in- diqué quelqu'objet propre à exercer C 113 1 quelque partie du corps. Les organes extérieurs des fens, que les Animaux ont com- me nous , forment encore un préjugé particulier r & il nous paroît décifif en faveur de l'opi- nion de Famé des Bêtes. Nous croyons que nos yeux voyent r que nos oreilles entendent. Ce préjugé eft cependant bien moins fondé que ri eft celui de la dou- leur réfidente dans lés chairs i car nous ne fentons point les couleurs dans nos yeux t ni les fons dans nos oreilles. Il eft vrai que lorfque la lumière ou le bruit' ont trop de force > nos yeux on a nos oreilles fentent de la dou- leur ; mais il y a cette différence entre ces deux organes > que 1/œil ne fem jamais rien ^ quel— Cii4 1 qi^âgréables que foient les ob- jets. Au contraire ^ lorfque des accords touchans f tirés de plu- fleurs ou d'un feul instrument £ par des mains habiles , nous af- fe£tent vivement > une chaleur très-agréable remplit le fond de l'oreille : & fi cette forte de fen- fation étoit familière aux An- ciens y il n'eft pas furprenant qu'ils ayent été fi fenfibles aux. effets de la Mufique > mais cette fenfation n'eft pas le fon, Ce- pendant l'exprefïïon eft reçue r les yeux voyent , les oreilles en- tendent» A cette occafion, un de mes amis me faifoit, en plaifantant * cette objection : » Il faudra donc. «* croire , fi les Animaux n om » point d'ame r que leurs yeu^i » yeux ne font pas faits » pour voir , ni leurs oreilles o> pour entendre. C'eft un facri- o> fice que je fuis prêt de faire à » vos lumières. Je dis un facri- * fice parce qu'il m'en coûte- roit autant pour penfer que « l'œil n'eft pas fait pour une in- & telligence, qui peut voir, que » pour croire qu'une Orgue n'a » pas été inventée pour être tou- ?> chée par un Organifte. »* » Expliquez philofophiquc- » ment l'ufage des yeux, lui ré- *> pliquai-je, en étudiant les vô- | très y & vous verrez ce que de- » viennent &. votre: comparai- »> fon 9: & votre eonféquence^ » Les yeux reçoivent la lumière^ * à l'aide des liqueurs qu'ils con- | tiennent & du criftallin 3 ils [ I 16 » réfra&ent les traits d'un cône » lumineux , partis d'un point » rayonnant de l'objet , & en o> les réunifiant fur la rétine, ils o> y peignent un point du même » objet. Il en eft ainfi de tous les » autres points ,. & l'image fe « trouve tracée au fond de l'œil, ™ mais dans un ordre renverfé* Voilà certainement un mé- chanilme admirable ; mais j o> pour qui eft-il fait ? Qui doit 3> voir cette image f Eft-ce no- tre ame ? Non , Monfieur, ». elle ne voit ni les pinceaux qui » marquent chaque point de l'i- & mage, ni Fimage même-* Dieu feul connoît tout cela., &fu* » cette connoiflknee il impri- * Nota. Ceci fe trouvera plus développé dans le fécond Volume des Bémens demé- îaghyfi^ue , tirés de l'expérience* » me dans lame autant de points- «de vifîon, qu'il rapporte à. » L'ordre des points d'optique r « révélés par lui-même , 6c à l'e- » xiftence des points phyfics de. «l'objet aurdehors i il. révèle » auffi cette exiftence. Ainfi ? »> de ce que vous concluez qu'u- » ne Orgue eft faite pour un Or- » ganifte,. concluez, que l'œil ôt » les images qur y font peintes ? => font faits pour celui qui les » voit , qui les connoit Ôcqui les » dirige à leur fin , en produifant »» lui-même dans la machine les- ». mouvemens propres à Fappro- »*cher ou l'éloigner des ob- » jets. » Mon ami étoit trop au fait Ôè de l'optique > & de la bonne Phi- lofophie , pour contefterfiitm» léponfe; néanmoins, elle ne le: fatisfît pas entièrement. » Au s» moins , me dit-il , cette image » peinte au fond de l'œil, eft *> deftinée à fervir d'occafion au s> Créateur , pour rendre fenfible à norre ame la préfence & l'e- xiftence des objets du dehors0* » Or , cette occafion eft dans: s> les yeux d'un Animal , elle »fuppofe donc en lui une intel- ® ligence fufceptible des révéla- «> tions dont vous parlez. * «■■Péfons, lui répondis-je , la '*> valeur de cette difficulté, qui: » paroît très - raifonnable. Les & connoiffances que les yeux » nous occafîonnent , font-elles -de pure, fpéculation ? Se ter- ^ minent-elles à amufer l/ame^ * par la variété & la beauté des. » couleurs > par la régularité des » figures y ôc par laperfe&ion du » tableau de la. Nature f Si c'eft w là la deftination de l'œil > il ne » paroît pas qu'elle fok remplie «■dans les Animaux r> qui fem^ » blent peu attentifs au Spe&a- o> cle de la Nature > & au torm o> des couleurs* Rien ne paroît * les flatter que Futile ; à F ex* » ception de la verdure , à la- o> quelle prefque tous paroiffent » prendre quelqumtérêt r ils 05 font fort peu occupés des cou- 05 leurs y & point du tout de la 55 beauté des formes & des fi- oogures. Détachons donc de la m fin que Dieu s'eft propofée en 05 faifant l'œil de l'Homme , le 05 plaifir qu'il vouloir nouspro- » curer de contempler la variété J * Fenfemble des parties de PU- & nivers > fi nous voulons retrou- » ver cette même fin dans les » Animaux ; puifque vous êtes »bien convaincu , Monfieur* >y qu'ils ne font pas faits pour ad- » mirer , ni pour aprécier les ou- » vrages du Créateur , ni pour » lui en rendre des a&ions de » grâces. ,»* » Cette diftraâion étant faites » la fin du Créateur , dans Pu- 3>fage de nos yeux r fera fixée à ^ nous faire connoître les objets '» utiles ou nuifiblçs > à nous di~ » riger dans le tranfport de notre » propre corps > à mettre notre » volonté > qui eft fpontanée » dans les fols , ôc libre dans1 ^l'Homme fenfé y à portée de* ^ donner à. nos membres les «-mouvemens. [Î2I ] ^ mouvemens convenables pou£ o> nous faire obtenir les objets & utiles ou agréables > 6c éviter » ceux qui font nuifibles; ou, *> pour parler plus philofophique- *> ment, les yeux nous ont été »> donnés , afin que fur nos dé- » terminations fpontanées ouli- bres , le Créateur dirigeât lui- » même le corps à la recherche o> ou à la fuite de ces mêmes ob- » jets. Or, ce plan fera exécuté « dans les Animaux, je veux dire » la pourfuite des objets utiles & « Féloignement de ceux qui leur » font contraires , foit que Dieu » détermine le mouvement de * l'Animal immédiatement fut 39 des occafions prifes des i» images peintes au fond des « yeux y & du rapport de ces F III. Partie, - L [122] » images avec le plan d'imagî- 35 nation corporelle qu'il a éta- » bli dans le cerveau de cet Ani- mal ; foit qu'ayant uni une » ame à la machine , il fuive les 05 volontés fpontanées ou libres 03 qui feroient déterminées par » les fignes de l'imagination , o> ou par le mouvement des nerfs 05 affectés à telle paflion. Ileft certain que toute ana- lyfe, portée jufqu à la plus gran- de précifion > par rapport aux connoiffances que les Bêtes nous donnent pour décider de leur nature > aboutira toujours à ce problême. » En nous , pour- » fuivis-je y Famé, par fon union » avec le corps , eft vivement - intéreflée à s'éloigner de ce qui » peut nuire à ce corps , & lui 1 123 ] p occafionner la douleur ; à re- *» chercher ce qui peut lui plaire, » ou fatisfaire quelqu'un de fes o> defirs. Cet intérêt femanifefte » dans tout ce que font les Hom- « mes , & il n'eft point équivo- » que à mon égard , parce que *> je fçai d'ailleurs qu'ils ont une » ame comme la mienne. Mais s» quoique cet intérêt femble le «même dans les Animaux , iî » peut me tromper. Car nous » voyons des précautions & des » attentions de la part d'une in- *> telligence , pour pourvoir à la » confervation de PAnimal ; & » dans quelqu'hypothèfe que » Ton choififle > c'eft Dieu qui » ôpere ces procédés de précau- » tion & d'attention. Or, quand *> je vous demanderai fi Dieu Lij I 1243 » fait agir immédiatement les » corps des Animaux fur les 0, occafions que lui fournhTent, » 1 état de l'imagination corpo- » relie de l'Animal , le ton des » nerfs qui défigne tel befoin ou » telle paflion ; ou fileur ayant i donné des ames , il prend ces » occafions des defîrs que l'état du cerveau excitera dans ces » ames , que merépondrez-vous » de précis, & quelles lumières » pourrez-vous tirer & de la ma- » niere dont les images des ob- 0, jets font tranfmifes dans le cer- » veau de l'Animal , & de fes « procédés , qui puhTent vous » dérerminer à l'un oh à l'autre » des deux partis que je vous » propofe ? » J'ajoute , Monfieur, à cette réplique une comparaifon , fort propre, ce mefemble, à faire bien comprendre le problême que j'expofe. Un Homme qui touche le Claveiïin > peut exé- cuter une pièce en fuivant la note fur fon papier^fans entendre dans fa tête,fi je puis m'exprimer ainfi,les tons qui répondent à cet te note & qui en font l'ame. Il peut aufli fuivre l'air dans fa tê- te y en même tems qu'il choifît les touches afFeâées aux notes , en fuivant la mefure & les agré- mens marqués. Or , en lui voyant exécuter une phrafe de Mufîque , tandis qu'il vous en- tretient de toute autre chofe, qui vous demanderait s'il n'a été occupé que de la note, ou s'il a joint dans fa tête à la note le L iij ton qu'elle défigne , que répon- driez-vous ? Le pari ne feroit-il pas affez égal,puifque l'Organifte a pû également exécuter fon air fur la vue feule des notes , ou fur cette vue jointe à l'air qu'iL fuivroit dans fa "tête. ? Combien de jeunes gens jouent de la Flûte , fans être en état d'arti- culer les notes , & apprennent de leur Flûte l'air qu'ils voyent noté fur le papier. Ayant écarté tout ce qu'il y d'odieux Ôc de foible dans toutes les comparaifons où l'on fait en- trer la Divinité , nous concevons que nous avons le même problê- me à réfoudre , quand nous étu- dions les procédés des Animaux» Car dans le fyftême des Philofo- phes qui donnent une ame aux [127] Animaux > & également dans celui de M. de Buffon qui leur enrefufe, on doit penfer qu'à roccafion des images tranfmifes dans le cerveau par l'impreflîon des objets > Dieu révèle à Famé ou à l'organe fenfible* Fexiften- ce des corps repréfentés > leur diftance , leur rapport à la con- fervation ou à la deftruâion de l'Animal. La notte de mufique repréfente les lignes imprimés dans le cerveau, occafion de ces révélations ôc de ces pènfées & conféquemment de quelque defirfpontané ou libre. Ces de- firs font repréfentés par le fon que la notte indique. Or , foit que le Créateur prenne occafion, ou des defirs effe£tifs qu'auroit r Animal , ou des difpofitions L iiij [«8 3 méchaniques du cerveau de PÂ- nimal , les mouvemens qu'il fera produire au corps de cet Ani- mal , pourront être les mêmes : comme le Joueur de claveffin exécutera un air de mufique, foit qu'il ne faffe attention qu'à la notte, ôc aux autres fignes qui caraâérifent la pièce fur le papier, foit qu'il joigne à cette attention les tons défignés par ces caraâeres , en les pronon- çant y pour ainfi dire y dans fa tête. Le Cardinal de Polignac, dans fon élégant Anti-Lucrece r femble vouloir modifier le fen- timentdes Cartéfiens touchant l'ame des bêtes ; en fuppofant que Dieu règle ces machines fur des occafions prifes immédiate^ [i*9 J ïrtent des difpofitions de leur cer- veau > & des images que les ob- jets y joignent. Combien s'efi- on récrié contre ce dénouement? On a dit r comme M. de Buffon, que c'efl: dégrader Dieu , que de le charger de tant de petits foins y pour régler des machines qu'il ne peut faire marcher tou- tes feules. Eh ! Quelles font donc ces machines , demandois-je , qui vont toutes feules y c5eft-à- dire , indépendemment de F ef- ficace fouveraine des loix du mouvement & des méchani- ques. D'ailleurs > quels foins épargnez - vous donc au Créa- teur, en donnant des ames aux Animaux ; toutes leurs a£tions^ ne feront* elles pas une fuite de la force des loix de cette union; C 130 J de Pâme Ôc du corps. Tout ce que Dieu feroit dans ces machi- nes fuppofées fans ame x il le fe- roit dans celles oàon en admet* troitune. Les Bêtes , me répon- doit-on, font dans le fyftême du célèbre Cardinal , comme des marionnettes que Dieu feroit jouer. Cela n'eft-il pas ridicule? Sans doute ; comparer le Créa- teur qui agit par fa volonté, à un joueur de marionnettes qui a be- foin de tirer des fils , pour faire exécuter à fes petites machines tout ce qu'il leur demande , ceft dire quelque chofe , non-feule- ment de très ridicule , mais d'im- pie. Mais dire que les loix effi- caces du mouvement, exécutent réellement ce que veut faire le joueur de marionnettes, ceft L 131 3 parlerenPhilofophequia l'idée convenable delà toute-puiiïan- ce. Dieu fembleroit bien plus dégradé, dans l'afferviffement oùilparoît s'être mis à l'égard des volontés libres humaines^ qu en modérant des machines immédiatement fur les occafions qu'il voit dans leur cerveau. Ce- pendant les loix fouverainement efficaces de l'union de Famé ôc du corps, produifent tout le dé- tail des a&ions corporelles des bons & des méchans. S'il y a. des loix d'une méchanïque qui foit particulière au cerveau de chaque efpece d'Animal, méri- tera t-on d'être taxé d'impiété 9 quand on affûrera que c'eft par leur activité que tout ce qui fe paffe dans une Béte, eft exécuK té > lorfqu il neft pas effe£ué parles loix générales de la com- munication des mouvemens. Cen'eft pas que je veuille em- brafler le fentiment du Cardinal de Polignac. Je prétens feule- ment que la raifon eft balancée néceffairement entre cette opi- nion & celle des Philofophes qui veulent que les Animaux ayent des ames comme les nô- tres, mais indépendantes da l'ordre moral. Les Peripatéti- ciensniM. deBuffon, ne mé- ritent pas d'être écoutés. On op- pofe aux Cartéfiens une infinité de procédés ingénieux pris fur des circonftances cafuelles y qu on ne peut rapporter ni à Tor- dre commun de la méchanique,, ni aux loix du choc. On conclut [15 5 3 très-bien de ces manœuvrés* inexplicables pour lesCartéfiens, qu'on doit remonter jufqu'à quelque occafion inftituée par le ■Créateur, & fur laquelle il fait agir le corps d un Animal > com- me le même Animal agiroit, s'il avoit une volonté : mais cette occafion eft-elle prife immédia- tement de la machine , où tou- tes les connoifîances qui entraî- nent les defirs , qui excitent tel- les pallions , font indiquées par des fignes , & où les manœuvres qui répondent à ces defîrs & à ces pallions, fe trouvent ; voilà l'opinion du Cardinal de Poli- gnac : ou bien eft-elle prife de la volonté d'une ameréfidante dans la machine ? C'eft le parti où le plus grand nombre des Philofo- 1 1343 phes eft revenu. Ainfi, avant de décider quelle eft la nature de cette occafion , il faudroit favoir files Bêtes ont desames, ou Ci elles n'en ont point. Mais dans cette queftion, on a procédé îufqu'ici tout autrement ; on a voulu prouver au contraire , que les Bêtes ont des ames en partant de leurs procédés, comme fi c'étoit l'ame qui remuoit le corps: comme fi de ces effets, on étoit obligé de remonter à une ame , comme à la caufe. Or , cette façon de raifonner eft très-vicieufe , parce que la caufe eft Dieu : mais entre la Caufe fie l'effet, font des occafions infti- tuées par le Créateur, fit arbi- traires, c'eft-à-dire, qu'il n'a choifies par aucune néceffité. Il faudroit donc prouver que ces effets , que ces procédés qui pa- roiflent libres delà part des Ani- maux, font liés néceffairement àdesoccafions prifes d'une vo- lonté créée , pour en conclure que les Bêtes ont des ames ; & c'eft ce que je ne crois pas qu'on démontre jamais, ni en Phifi- que, ni en Métaphifique* Car il me femble que j'ai bien prouvé dans le cours de cette Lettre , que dans le cerveau des Animaux, fe trouvent tous les lignes qui répondent aux penfées propres à leurs arts ; un plan mé- chanique d'imagination ; les ma- nœuvres des nerfs correfpondan- tes auxdiverfespaGions , aux de- firs ; l'organe même qui décide en nous de notre état de liberté* "Voilà bien des occafions furlef- quelles Dieu feroit déterminé à donner à l'ame des Animaux, s'ils en avoient une , telle penfée d'où naîtroit tel defir ; & dans certains cas , la néceflité d'opter entre plufieurs moyens qui fe- ïoientpréfentés , ou entre diffé- rens objets; ou celle de chercher des moyens. A l'égard de tout ce qui feroit fpontané de la part de l'ame, toutes les volontés fe- roient déterminés par l'état de la machine. Le même état fuffiroit donc pour fixer ce que la machi- ne devroit exécuter , fi elle n'a- voit point d'ame ; Dieu y verroit l'occafion de remplir une des fins pour lefquelles la machine eft faite. Il n'y a pas ici la moin- dre dfficulté. Il y en a davantage , pour pour les avions qui ont l'appa- rence de choix, de détermina- tion libre. Mais le cas d'opter, &les partis entre lefquels une ame flotteroit , s'il y en avoir une unie à la machine , font en- core déterminés , & par Fétat de l'imagination corporelle , & parles impreflïons des objets fur les organes des fens. Donc fup- pofé qu'il n y eût point d'ame dans l'Arrimai , l'occafion de choifîr pour la machine , feroit dans la machine même ; & Dieu le feroit conformément à la des- tination de la machine. Ainfi, une Montre , où eft une éguille r pour marquer le quantième du mois, eftfaiteà deffein que dans iemois de Février, celui à qui appartient îa Montre, au dernier VllL Parue* M C i J8 J jour dé ce mois , avance Té* guille, & la remette à minuit au premier nombre , ôcc. J'ai fait voir , de plus , que le préjugé de Famé des Bêtes , por- toit fur un autre dont la fauffeté eû démontrée, fur celui de la réfidence de la douleur dans les chairs ;& il neft queftion* que de favoir, fi les fignes de douleur que donnent les Animaux, font deftinés à nous engager à pour- voir à quelque dérangement de leur machine , ou bien , en foula- géant le corps de F Animal , à délivrer une ame unie à ce corps> de la douleur & de l'affiiaion» Enfin , les fignes de la douleur étant équivoques, on ne remon- te point néceffairement des plaintes de l'Animal à une doix- [139] leur effective qu'il éprouveroit. Il m'a paru que mes réflexions .feraient affez bien employées, fi je plaçois cette queftion parmi les problêmes infolubles , en montrant que l'anal-yfe la plus exa&e de tous les éiémens pro- pres à la décider conduit" à un problême qui nous met dans le .même embarras, où nous laifFe- roitM, Galonde, favant Artif- «te, quia fait une Pendule que Fon monte , en montant feule- ment la fonn.erie; s'il nous mon- troit deux Pendules dont on ne; verroit point le dedans > ni les, poids, qui iroient également bien ;& s'il nous demandoit la- quelle des deux n'a bçfoin d être montée , qu'en montant la fon- aerie %. nous voudrions voir iix> t *¥> 1 térieur des deux machines , Monfieur , en recevant les ca- rènes d'un petit Chien r de lui donner les fentimens de l'ami- tié,- de la reconnoiflance & de îa fidélité ? Vous conviendrez* M.onfreur , & j'en conviendrai auffi, delà force de cepréjugé; mais vous ajouterez qu'on m I i4î 3 peut non plus s'empêcher quand on a mal au pied , d'y fentir de la douleur , ni de voir la verdure fur les arbres. Les préjugés natu- rels ne peuvent être détruits par Je rationnement , & font plus forts que toutes nos démonftra- trations. Le préjugé de l'âme des Bêtes fubfiftera donc tou* jours y ôc fera toujours très-puif- fant ; mais il n'en fera pas moins fufpeâ àla raifon du Philofophe éclairé , & ce qu'il peut faire de plus fage -y eft de iufpendre fon jugement % & de ne contredire perfonne à cet égard. Il eft pour- tant vrai que l'opinion de l'ame des Bètes y{ a fes difficultés parti- culières y & que celle de M. de Polignac ne m'en paroît renfer?- mer aucune, je vous, entretien dratutipeu delà première, dans une autre Lettre, J'ai l'honneur d'être, &c» XXVIK LETTRE. SI l'on e'toit bien afïïïré, Mon-- fieur, qu'en choififfant en- tre deux partis celui qui renfer- me le moins de difficultés , il ne feroit pas poffiblede fe trom- per y un Philofophe n'héfiteroit pas fur la queftion de l'ame des Bêtes ;il fe déclarerait pour l'o- pinion du Cardinal de Polignac^ la feule qu'on a propoféé fur cet- te matière > qui réponde à la plu- part des difficultés y îa feule qui afTûre à l'Homme la prééminen- ce y dont il eft fi jaloux y fur tous C 145 3 les Animaux ;& qui faffe difpa- roître les nuages que les autres opinions répandent fur la nature de notre ame. Mais la queftion fe réduifant toujours à deviner le projet de Dieu , dans la forma- tion des Animaux > on fera tou- jours probablement partagé en- tre les deux opinions ; les uns fe- ront entraînés par le préjugé commun ; les autres s'élevant au deffus , feront occupés à faire fentir les incorwéniens de l'âme des Bêtes , & l'obfcurité équi- voque du préjugé : , fans qu'aucun des deux partis puiffe fe flatter de convaincre l'autre.. Car ce qu'il y a d'obfcur & même de faux dans le préjugé, ne prouve pas qu'il doive être abandonné totalement. Si nous avons, re~ nonce au préjugé de l'adhérence des couleurs fur les objets > & de la réfidence de la douleur dans nos membres r c'eft que dans le fait nous l'avons trouvé faux; mais quelle preuve de fait aurons nous , pour nous affûter fi Dieu fait mouvoir les Animaux fur des occafions prifes immédiatement de leur cerveau , ou fur d'autres occafions tirées de la volonté & des affe&ions d'une ame qui fe> roit unie à la machine ? Aucune; Il ne refteroit donc qu'un point de réunion , c'eft l'indétermina- tion , ou le parti de renoncera faire des recherches fur une queftion interminable s & de la regarder comme une des bornes de l'a&ivké de notre intelligent Cependant r t ] Cependant , comme il eft à craindre que la force du préjugé negrofliflele parti de ceux qui reconnoiflent une ame dans les Bêtes , une ame femblable à la nôtre par fa nature, (car vous avez vu, Monfieur, dans mes Lettres précédentes, qu'on les forcera malgré eux d'en venir-là ) mais différente par fa deftination, parce qu'elle eft bornée à la ma- chine , & aux objets qui peuvent fervir à conferver & à exercer cette machine , je crois qu'il eft à propos d'en faire fentir légère- ment les inconvéniens , dont les uns regardent la Métaphifi- que , j'y infifterai fort peu , & les autres font relatifs à la Phifique. Le premier inconvénient de cette opinion, c'eft qu'elle nous FUI. Partie. N mène aude-làdu préjugé. Car,' par ce préjugé même , nous re- gardons Famé des Animaux, toute fenfible que nous la fuppo- fons , comme d'un ordre diffé- rent de la nature de la nôtre. Nous ne confidérons jamais les Bêtes comme des témoins, comme des cenfeurs de notre conduite ; & fi nous en recher- chons l'amitié, nous ne fon- geons pas même à leur eftime. Les Dames reviendront certai- nement les dernières du préjugé, & comme elles font très-favan- tes dans l'art de répandre le ridi- cule , 6c de le faire valoir, elles fauront toujours retenir dans leur parti un grand nombre de nos Philofophes , qui craignent, plus d'être plaifantés , que d'être foupconnés de mal-raifonner* Cependant , fi on difoit aux Da- mes qu'en fuppofant une ame aux Animaux, il faut qu'elle foit de la nature de la leur , mais unie à des machines différentesde la machine de leur corps; que Famé des Bêtes voit les corps par la révélation que Dieu leur fait del'exiftencede ces mêmes corps , & de leur diftance au leur; qu'à Poccafion de ce qui arrive de favorable ou de nuifible aux nerfs des Animaux , Dieu impri- me afîidûement à leur ame le plaifir & la douleur : qu'àl'occa- fion des volontés fpontanées ou libres de l'ame de l'Animal^Dieu exécute réellement , tous les mouvemens defon corps , & ce- la dans le moindre détail. Ce Nij CHS] commerce intime 6c continuel du Créateur avec l'ame préten- due des Animaux , fcandalife- roit fort celles de ces Dames qui font capables de faifir un raifon- nement, ôcje nefai fi elles ne verroient pas plus de ridicule dans cette opinion, qu'elles n'en trouvent dans celle qui doit toute fa force au préjugé. Le fécond inconvénient eft la finguliere deftination d'une fubf- tance fpirituelle > à ne raifonner, à ne délibérer que fur le rap- port des corps avec le fien , à fentir le bien-être, à s'y plaire, à le recevoir du Créateur , ôc à être dans l'impuhTance de con- noîtreDieu , de l'aimer, d'ado- rer en lui la caufe de tout bien, 6c de lui en rendre des adions de C 149] grace.s On a toujours crû que les devoirs de Partie envers Dieu, étoient néceffaires & naturels , parce que tout ce qui reffent les effets de la puiflance de Dieu, eft fait pour l'adorer , & pour être reconnoiffant. L'attrait pour le bien-être en général, qui eft le fond de la volonté, eft aufli dirigé vers la caufe du bien- être ; cette caufe c'eft Dieu : Il eft donc l'objet de la volonté. Encore, fi l'on pouvoit dire, que l'efpece d'ame qu'on vou- drait admettre dans les Ani- maux, eft incapable de connoî* tre ce que c'eft que caufe , tant en général , qu'en particulier : mais on ne peut hafarder de le dire. Que chercheroit un Ani- mal que le befoin & le defir fe- roientagir, finoti une caufe du plaifir fouhaité, une caufe qui, fatisferoit l'appétit. Souvent , comme je l'ai obfervé , cette caufe eft indéterminée & cher- chée en général : or > il eft très- facile de pafferde la connoiffan- ce d'une caufe en général , à la caufe univerfelle. Niera-t-on , d'ailleurs > que la diftinfltion la plus favorable qu'on puiffe éta- blir y entre l'ame des Animaux & celle de l'Homme , c'eft que la première eft faite pour être conftamment dans la fituation où eft celle d'un homme infenfé? Qu'imagineroit-on de mieux, dès que l'intelligence ne peut être dans les Animaux y d'une au- tre nature, qu'elle eft en nous- mêmes ? Mais dans cette fuppcn 1ml fition favorable , comme l'ame d un infenfé eft naturellement capable de connoître & d'aimer Dieu, quoique fes facultés foient fufpendues, de même l'ame de la Bête aura par fa na- ture, la même capacité, mais irrévocablement fufpendue par le décret de Dieu, Or , que Dieu ait arrêté de créer une infinité d'Animaux compofés de corps & d'ames propres par leur natu- re, à l'aimer, pour être nécef- fairement dans l'impuiflance ab- folue à fon égard, de remplir ce grand devoir , c'eft ce qu'on ne feperfuadera jamais ; l'exemple des infenfés annonçant plutôt un défordre dans la nature, dont Dieu n'eft point Fauteur , qu'un plan particulier choifi par fa fa- gelfe. N iii] Troifiénae inconvénient» Le préjugé ne contredit point ce que nous apprend la foi , que la mort termine àbfolument le fort des Bêtes. Perfonne, fi on ex- cepte les partifans de la métemp.- ficofe y Sede fubfifïante encore dans les Indes , ne s'imagine que l'ame d'une Bête furvit à fon corps > il faudra donc penfer, fi l'on veut àbfolument donne* une ame aux Bêtes , que Dieu en créé une pour chaque Ani- mal naifTant , & qu'il l'anéantit à la mort de cet Animal : car enfin ces ames font indeftruftibles par leur nature. Mais* comment pourroit-on s'arrêter à une pa- reille idée > qui ne porterait fur aucune révélation. On ne croit pas que Dieu anéantifle la moia- C*rr3 dre portion de matière > qui n'a aucun attrait pour Texiftence > &c m l'on penferoit que Dieu créé des ames fenfibles au bien d'exifter , pour les priver de ce bien > quand la machine feroit détruite ! Un efprit tant foit peu métaphificien^ auroit bien de la peine à digérer ces trois inconvéniens > mais le dernier furtout , comparé à cer- tains faits de t'Hiftoire Naturel- le^ paroît infurmontable. On fait combien d'Infe£les pafTent par deux transformations; La Chenille quitte le fyftême des nerfs ôc celui de fon cerveau; quitte fes yeux & fes mufcles propres àlatranfporter > ceux qui lui fervent à brouter les feuilles , ceux qu elle employé dans l'art de filer. Son ame par une forte [15*43 de métempficofe abandonnant tout l'appareil de la forme de Chenille , fera unie à la forme de Crifalide , où elle fera rédui- te à uneftupidité très-ignorante. Elle fe dépouillera encore , elle animera un Papillon plein de vi- vacité ; attachée à un autre cer- veau > elle y trouvera de nou- veaux arts , une nouvelle façon de voir ; elle apprendra tout-à- coup à voler > à fe fervir de fa trompe , à fuccer les fleurs ; & elle penfera à perpétuer fon ef- pece. Quel doit donc être l'é- tonnement de cette intelligen- ce dans des fituations fi différen- tes ? A la vérité , l'état de ftupi- dité où elle fe trouve fous la for- me de Crifalide , lui aura peut- être fait oublier fes premiers goûts > fes premiers penchans f fes premiers arts : mais , d'autres Infe&es pafTent par trois formes fous lefquels ils font très a£tifs * & cela , fans que leur arae ait * pour ain fi dire > fe tems de fe re- connaître. Ce font deux véri- tables métempficofes. Tel eft le Ver aquatique du Coufin. Lorfqu il étoit Ver , il refpiroit par des organes placés à fa queue; il fe dépouille^ & devient Nimphe ; il refpire par deux ef- peces de petites cornes fituées à fa tête y & eft toujours également vif. Il quitte encore ces dehors , & l'âme de ce petit Animal fe trouve logée dans une Mouche à quatre ailes > enrichie de cette trompe admirable que M. de Reaumurnousa fi bien décrite* Ct^3 Elle apprend à s'élever en l'àk j elle cherche à piquer quelque Animal > dont elle puiffe pom- per le fang. Lorfqu'elle habitoit un Ver aquatique > auroit - elle jumais crû pouvoir acquérir , & fi fubitement , tant de talens.El- le feroitaffûrement bonne à fur- prendre dans les premiers rai- fonnemens qu'elle aura dû faire > en prenant fon effort de Peau , ( qu'elle commence à redouter , quoique ce foit fon premier élé- ment) dans Pair auquel elle au- roit craint d'être expofée quel- ques inftans auparavant. Je fup- prime ici > Monfieur , bien des réflexions , que vous pouvez pouffer encore plus loin que moi. Que me répondroient les par- tifans de Pame des Bêtes , Ci je les renvoyois aux très-curîeufeS expériences que M, Tremblai a faites fur les polipes à bras , & qui cara&érifent un grand Fîiifî- cien , dont l'adrefle eft aufli heu- reufe que le génie eft pénétrant & étendu. Il a coupé un polipe à bras en douze tronçons , qui font devenus des polipes parfaits, conformés comme le premier & aufli a&ifs. Nous fixerons l'ame du premier, dans la partie anté- rieure qui repréfente la tête ; mais nous ferons obligé de fup- poferque Dieu a créé onze ames àl'occafiondubon plaifir de M. Tremblai > pour les unir aux on- ze tronçons qui reftent à pour- voir. Cette difficulté , dont on fent toute Fétendue , eft , ce me fçmble, aflez férieufe. Cepen* dant je la néglige volontiers * parce que je conjefture com- ment M. de Buflbn la réfoude- roit en particulier, ou l'élude- roit; d'ailleurs, nosPhilofophes modernes n'aiment pas qu'on les occupe d'objets auffi peu im- portans. Faifons donc voir que des Animaux plus gros , plus fenfibles , plus aifés à fuivre dans le cours de leur vie , font revivre la difficulté. Tels font en particulier ces Vers de terre , que les Jardi- niers croyent détruire en les cou- pant avec leur pelle, & qu'ils ne font que multiplier, comme M. de Reaumur nous l'apprend. J'en coupai trois , il y a 9 à 10 ans , en deux parts , & je les mis dans la terre contenue dans des pots placés fur ma fenêtre > 6c qui y étoient depuis plufieurs an- nées , & je m'étois bien alfûré auparavant qu'il n'y avoit point d'autres Vers. Une feule queue prit une tête , mais les parties an- térieures de mes gros Vers , mi- fes à part , acquirent toutes trois des queues. Le Créateur, fur mon expérience, forma donc une tête pour cette queue , qui devint un Animal complet. Je répétai la même expérience fur un autre de ces Vers , elle eut un fuccès tout différent. Celui- ci étoit allez gros , blanc & long d'un pied. Je le coupai environ à la moitié; je mis la partie où étoit la tête , dans un pot parti- culier , elle reprit une queue. Je voulus tenter de voir la partie poftérieure en travail , quand elle fe donneroit une tête > l'ex- périence étoit folle , mais il eft bon d'en faire de telles. On en tente ainfi beaucoup à pure per- te, mais quelque fois on rencon- tre des phénomènes qu'on n'au- roit pu prévoir , & que le hafard n'auroit pû procurer- Je plaçai donc la queue de ce Ver fur la furface de la terre d'un de mes pots, que j'avois foin de con- server toujours dans un certain degré de fraîcheur , en y entre- tenant un peu d'humidité ; c'é- toit en Eté. Cette queue vécut 1 02 jours, & fut très-vive durant po. Elle étoit fou vent dans des agitations terribles , fe contcmr- noiten S , en lacs d'amour, avec une extrême vîtefle. Quelque- fois on luivoyoitles apparences très fenfibles d'une fueur extraor- dinaire ; mais je ne fai fi ce n'é~ toit point plutôt la manière dont elle fe nourriflbit ; fi ces violens efforts ne tendoient point à ou- vrir fes pores, pour pouvoir pom- per par ces ouvertures, lhumidi- té de la terre. Elle étoit fort fen- fible, lorfque je la furprenois dans le repos : pour peu que je la touchaffe , elle s'agitoit plus brufquement & plus vivement que n'auroît fait le ver tout en- tier. Je lui voyois fouvent des mouvemens convulfifs. Je crois que j, aurais vu la tête fe former fous mes yeux, fi* k trouvant un jour dans une forte de palpi- tation générale, je ne nvétois imaginé lui rendre fervice , en FllL Partie Q 1x62-] îa mettant à couvert de l'aîr £ dans un petit fillon que j'avois tracé, & que je recouvris lé- gèrement de terre. C'étoit le foir. Ce procédé, tout officieux que je le croyois , lui déplût pro- bablement. Elle s étoit débar- raflée la nuit. Le matin je la trou- vai fur la terre , aflez loin du trou qu elle avoit pratiqué pour fe ti- rer de faprifon : c étoit , autant que je m'en fouviens, 34 jourS après que je l'eus féparée de la tête ; faplaye étoit cicatrifée &c féche ; elle vécut longtems après avec toutes les apparences de vigueur, ôc mourut d'une mala- die de langueur qui dura douze jours , pendant lefquels les fueurs ne parurent plus , mais feulement quelques mouvement foibles jufqu'à fa mort. Quoique ce faitfoit finguli'erj. il n'eft pas unique ; j'ai lu dans un ouvrage d'un Naturalifte Ita- lien j qu'il avoit confervé une queue de ver vivante, pendant un très-longtems. Quel parti prendriez-vous , Monfîeur, par rapport à cette expérience ? Si vous croyiez que les Animaux ont des âmes, diriez-vous qu'une ame à été créée pour cette queue dansl'inftantoù elle a été re- tranchée ? Mais cette prétention ne feroit-elle pas tout-à-fak gra- tuite ? Vous déterminerez-vous à penfer que le jeu des efprits continuant dans cette queue y fans Pinterpofitioix d'une ame^ peutfervir à expliquer tous les phénomènes que cette queue IW1 m*a fait voir ; fur quelles raîfbns I vous fonderiez- vous ? Cet Ani- mal imparfait ne donnoit-il pas tous les fignes de fenfibilité > de fpontanéitémême, quand on le touchoit ; Ôcfurtout quand il prit le parti de faire un trou à la fuper* ficie delà terre, pour fe déga- ger de Tefpece de fofle où je Ta* vois enterré , ne donnoit-il pas alors toutes les marques d'impa- tience & de colère? Si "nos ad- verfaires pouvoient me démon- trer qu'un feul Animal a une ame* ils en auroient bientôt générale fë les conféquenees f en les ap- pliquant à tous les Animaux. Quant aux queues de Vers coupées par les Jardiniers, il faudra bien avouer quelles vi- vent fans ame dans ri&texvate qui s'écoule depuis leur accï-î dent, jufqu'à la formation de leurs têtes ; qu'une tête étant eonftruite, Dieu unit une ame à la machine devenue complet- te ; & qu'il fera affujettï à crées des ames pour tous les tronçons qu'il plaira à! un Naturalifte de faire d'un Mille-pied aquatique ; Animal affez vifiblc > pour méri- ter l'attention même de nos Phi- lofophes modernes- Sur combien d'Animaux ne fait-on pas l'épreuve que j'ai faite fur ce gros Ver ? Les reftes de leurs corps r après qu'on en a re- tranché la tête ne vivent- ils pas? A la vérité , ce n'efl: pas fi long- tems que ce Ver, mais ils vivent* & vivent fans ame , au jugement même de ceux qui ea accordent Ii66 3 une aux Animaux avec tant de zélé. Le tems plus long ou plus court y n ote rien à la juftefte de mes conféquences. Il me fuffit qu'une portion d'Animal déta- chée delà tête > que Ton regarde comme le fiége de lame > donne des preuves de fenfibilité & d'im- patiénce pendant quelques heu- res, qu'elle exécute des procé- dés délicats , pour que je fois tenté de conclure , que l'Ani- mal entier n'avoit point d'ame. Or y quelle foule de phénomè- nes ne pourrois- je pas vous pré- fenter. Je me borne à quelques uns que je ne fais qu'indiquer* Des Guêpes , dont on a retran- ché la tête, vivent plufieurs purs, & malheur à celui qui dans les premières heures > ten- \ teroit de les irriter , étant à por* téedeleur éguillon. Des Mou- chés auxquelles on a couppé la tête , s'envollent & fe crampon- nent ànn plancher ou à un mut qu'elles rencontrent. Un de ces grands Infedes verds, une de ces Mouches à quatre aîles, dont le nom ne me revient pas , mais qu'on reconnoîtra quand je dirai , que lorfqu' elles font ar- rêtées fur quelque arbriffeau , on lesprendroit aifément pour des branches garnies de feuilles d'un verdnanTant:une de ces Mou- ches, dis-je , me fit naître der- nièrement l'envie de lui ôter la tête, pour en détacher les yeux, & les obferver au microfcope ; le Corps vécut quatre purs , ôc lorfque, pendant les deux pre- miers > fi le preffois entre deux doigts } il faifoit de fi vifs efforts pour s'échapper , qu'il y réufïïf- foit y & m'obligeoit d'autres fois* en dardant dans ma chair > les» épines dont fes pattes font ar- mées > à le laifler en liberté : je fentois très-bien l'a&ion de fes mufcles y & ils agiffoient avec une force bien fupérieure à celle que j'aurois imaginée. C'en eft affez y Monfieur à unPhilofophe tel que vous l'êtes ; un plus grand détail feroit déplacé. Les tron- çons d'Animaux, comme les queues de Ver y les portions de; Mille-pieds % qui deviennent des Animaux complets , force- ront les partifans des ames des Bêtes y à fuppofer que Dieu créé des ames à l'occafioa des capri- ces ces des Hommes, & indépen- demment des voyes ordinaires de la génération : qui pourrait goûter une pareille dottrine ? D'ailleurs, les Animaux qui, privés de la tête , qui vit d'une part , tandis que le reftè du corps donne des lignes de fenfi- bilité, defpontanéité, de colè- re, d'induftrie, auquel on ne peut fuppofer une ame ; ces Ani- maux, dis -je, prouvent évi- demment que tous ces lignes n'annoncent que d'une façon très-équivoque, un principe in- telligent dans les Animaux. Je fuis, Monfieur, &c. m Vllh Partie, P C 170] 1 XXVIIIe. LETTRE. L merefte à vous entretenir, > Monfieur , de trois morceaux del'Hiftoke Naturelle que nous donne M. de Buffon dans fon quatrième volume. Comme l'ordre qu'il veut qu'on fuive dansfes recherches fur les Ani- maux, exige qu'on s'occupe d'abord de ceux qui font le plus à notre portée, & qui vivent, en quelque forte , en fociété avec nous ; le Cheval ouvre la fcéne. Cet Animal, par les fervices qu'on en tire, par fa beauté, par fon port majeftueux, par fes grandes qualités, femble effec- tivement mériter la préférence. C i7i 3 Son hiftoire étoit toute faite , il ne falloit que raffembler les con- noiffances que nous ont données les Ecuyers habiles, les Maté- chaux inftruits , les Gouverneurs de haras expérimentés, les Ma- quignons accrédités ; & quoi- que notre Auteur ne foit ni du goût , ni dans l'ufage de conful- ter, il l'a fait dans cette occa- fion, & a très-bien réufli. Ce fuccès devroit l'encourager à fe rendre cette méthode de trai- ter les fu jets del'Hiftoire Natu- relle très-familiere. Par exem- ple, j'ai lû avec plaifir, la def- cription des différentes allures du Cheval. Après cette lefture, on eft très en état devifiter avec fruit les écuries. Mais comme dans cette portion de THiftoire Pi; Naturelle, M. de Buffon n'a rien mis du ften, à l'exception peut-être de la pofition finguliere qu'il donne aux mammelles du Cheval, je n'aurai rien à vous communiquer fur ce point , que des éloges. L'Hiftoire Naturelle de 1 A- ne, fuit celle du Cheval: je n'en relèverai que quelques traits de Métaphifique , dont M. de Buf- fon a bien voulu la décorer. H commence cette hiftoire par un préambule très-long & très-abf- trait. Il réfute fort bien la pré- tention dufavant M. Linceus: 9 celui-ci regarde l'Ane comme un efpece de Cheval.» S'il étoit » vrai , nous dit fon cenfeur , que » l'Ane nefût qu'un Cheval dégé- néré, iln'yauroitplusdebor- [173] » nés à lapuiflancede la Nature, « & Ton n'auroit pas tort de fup- » pofer que d'un feul Eftre , elle » a fïi tirer j avec le tems, tous les » autres Etres organifés, J Cette conféquenceeft très-liée aux ré- flexions qui la précédent. Le Chriftianifme vient enfuite à l'ap- pui du raifonnement, » Mais non, continue-t-il > il * eft certain,parlarévélation,que tous les Animaux ont égale- » ment participé à la grâce de la » Création , que les deux pre- » miers de chaque efpece , font » fortis tout formés des mains du » Créateur ; ôc Ton doit croire p » qu'ils étoient tels alors , à peu « près qu'ils nous font aujour- » d'huirepréfentés par leurs def- « cendans. D'ailleurs , depuis œ» qu'on obferve la Nature , de- » puis le tems d'Ariftote jufqu'au » nôtre y l'on n'a pas vu d'efpe- » ces nouvelles > malgré le mou- ^ vement rapide qui entraîne * » amoncelle ou difîïpe les par- w ties de la matière > malgré le nombre infini des -combinai- » fons qui ont dû fe faire pendant m ces vingt fiécles > malgré les » accouplemens fortuits ou for- « cés des Animaux d cfpeces dif- férentes > éloignées ou voifi- » nés > dont il n'a jamais réfulté » que des individus viciés ou lté- *> riles , & qui n'ont pu faire fou- *> che pour de nouvelles généra- « tions. La reffemblance , tant « extérieure , qu'intérieure , fût* « elle , dans quelques Animaux > » plus grande qu'elle ne l'eft dans * le Cheval 6c dans l'Ane , ne m nous doit donc pas porter à » confondre ces Animaux dans 03 la même famille , non plus qu'à » leur donner une commune ori- *> gine. » Cet extrait eft un peu long , Monfieur , mais il eft beau, & je me fuis plu à vous le faire r parce qu il montre combien le Philofophe marche fagement & furenient, lorfquil ne perd pas de vue le flambeau de la révéla- tion. Qui croirait , après des ré- flexions fi fenfées > voir reparaî- tre le paradoxe favori de notre Auteur, que j'ai déjà réfuté; que les diftributions en efpeces , font de notre invention , & que la Nature ne contient que des individus. Il faut, Monfieur, P iiij. [17*1 prendre la patience d'entendre M. de Buffon s'expliquer lui-mê- me > car vous croiriez qu'il dit ici ce que tout le monde fait t que la Nature ne produit que des Eftres particuliers > & non des Eftres en général ; il dit au contraire, ce que perfonne ne 12. penfa jamais. * Un Individu eft » un Eftre à part , ifolé , détaché 9 » ôc qui n'a rien de commun avec » les autres Eftres , finon qu'ils » leur reffemblent , ou bien qu'il ^ en diffère. La différence ne rend rien de commun. Tous « les individus femblables , qui » exiftent fur la furface de la ter- » re » qui ont exifté ôc qui exif- teront , * font regardés comme » compofans Fefpece de ces in- ?> dividus ; cependant ce n eft ni [177] a> le nombre > ni la colle£Kon qui n faitPefpece> c'eftlafucceiïion » confiante > & le renouvelle- a> ment non interrompu de ces » individus > qui la eonftituent. » Car unEftrequi durerait tou- » jours y ne feroit pas une efpece. » Mais il feroit d'une efpece % » non plus qu'un million d'Eftres « femblables > qui dureroient » aufli toujours. » Ceci doit pa- raître fort nouveau. » I/efpece « eft donc un mot abftrait & gé- o> néral , dont la chofe n'exifte » qu'en confidérant la Nature o> dans la fuccefïion des tems , & a> dans la deftru£tion confiante , « 6c le renouvellement aufli « confiant des Eftres. » Qui a ja- mais eu une pareille idée de Pefpece?» C'eft en comparant [178 3 « la Nature d'aujourd'hui à celle » des autres tems > ôc les indivi- » dus a£tuels aux individus paf- * fés 5 que nous avons pris une «idée nette de ce qu'on appelle p. 13. 35 efpece; Ôc la comparaifon du * nombre ou de la reffemblance o>des individus , n'eft qu'une d> idée acceflbire , ôc fouvent in- o5 dépendante de la première. » Car FAne reffemble au Che- » val , plus que le Barbet au Lé- «vrier: 6c cependant le Barbet 35 ôcle Lévrier, ne font qu'une « même efpece, puifqu'ils pro- » duifent des individus , qui peu- ff vent eux-mêmes en produire i d'autres 5 au lieu que le Che- »val ôc l'Ane, font certaine- «ment de différente efpece, » puifqu'ils ne produifent enfem- [i7P J i ble que des individus viciés & » inféconds. » Pourquoi tant de paroles & de fi longs difcours > pour expli- quer une chofe dont on a déjà donné une idée fi nette. La défi- nition de Fefpece, pour les Ani- maux 5 eft clairement expliquée par ces mots f que vous me per- mettrez de tranfcrire une fécon- de fois. » Les deux premiers de •> chaque efpece> & de toutes »les efpeces f font fortis tout » formés des mains du Créateur.» C'étoient donc des modèles que les deux premiers individus de chaque efpece. Le premier Che- val différoit eiïentiellement du premier Ane , parce que Fun & l'autre étoient conftruits fur deux deffeins diflférens > & ces [i8oJ deux deffeins , indépendemmènt ! de notre manière de raifonner , \ contenoient toutes les diverfi- tés de figure , de mœurs , d'u- fages , qui dévoient être entre eux. Par conféquent , le premier Homme , en voyant les couples de différens Animaux, voyoit dans chacun de ces couples, une efpece particulière , ôc ferepré- fentoitpar avance, qu'elle de- voit être leur poftérité. Tout ce- la eft très clair , & fi clair , que tout ce vain étalage d'expref- fions & de tons , ne peut être , vis-à-vis de cette lumière, qu'un tiflu d'obfcurités & de contra- dirions* Les différences caradtérifti- ques des efpeces , font auffi très- déterminées , indépendemmènt [i8i] de notre façon de penfer. M. de Buffon le reconnoît lui-même. 5 C'eft donc dans la diverfité ca- p« » ra&ériftique des efpeces > que » les intervales des nuances de » la Nature > font les plus fenfî- » bles & les mieux marqués; on » pourroit même dire que ces «> intervales entre les efpeces, » font les plus égaux & les moins 33 variables de tous , puifqu'on peut toujours tirer une ligne de p féparation entre deux efpeces , ? c'eft-à-dire > entre deux fuc- o> ceffions d'individus qui fe re- o> produifent > & ne peuvent fe » mêler , comme Ton peut auffi •» réunir en une feule efpece , m deux fuccefTions d'individus 03 qui fe reproduifent en fe mê- » lant. Ce point eft le plus fixe p « que nous ayons dans THiftoire 55 Naturelle. * Sans doute , le point qui fixe les efpeces , efl le plus fixe de THiftoire Naturelle , & le moins dépendant de nos penfées. Au refte, l'Auteur a raifon de différencier les efpeces des quadrupèdes , par l'impofli- bilité qu'ils auroient de produire enfemble des Animaux propres à perpétuer leur poftérité. J'a- voue donc que M. Linœus étoit réprehenfible fur ce point ; mais quand on réfute un Savant auffi généralement ôc auffi juftement eftimé , il faut montrer la vraye route , après avoir prévenu fur le chemin perdu & détourné , 6c ne pas donner dans des écarts encore plus marqués que ceux qu'on lui reproche. [i8j] M. deBuffon nous prépare à des idées très-nouvelles > fur la diftribution des minéraux : com- ifci* me il lui a plu de définir Tefpece, » une fucceflion confiante d'in- ox dividus femblables & qui fe re- » produifent /il eft clair que oet- » te dénomination ne doit s'é- » tendre qu'aux Animaux Se aux » végétaux , & que c'eft par un *> abus des termes ou des idées j » que les Nomenclateurs Font » employée , pour défigner les » différentes fortes de miné- » raux : on ne doit donc pas re- p. i*. » garder le fer comme une efpe** » ce, & le plomb comme une 35 autre efpece, mais feulement » comme deux métaux différens. » Et l'on verra dans notre dif- « cours fur les minéraux ; que » les lignes de feparation , que ro nous employerons dans la di- » vifiondes matières minérales , » feront bien différentes decel- » les que nous employons pour » les Animaux & pour les vé- » gétaux ; c'eft-à-dire , que nous devons compter fur une Méta- phifique métallurgique , dans le goût de la Métaphifique des premiers volumes. En vérité, c'eftabufer le Pu- blic , que de travailler à brouiller nos idées, fur des chofes aufïï conftament reçues dans le mon- de , que l'eft la diftribution des efpeces. Où tendent tous ces efforts impuiffans ? C'eft qu'on a l'efprit indépendant de l'ordre , quonfe livre à l'imagination, & qu'on aime mieux traiter les ma- tières tmi tieres dans la cohfufion où le ha- fard les préfente, que de choifir & de fuivre un plan qui, en éclai- rant les Le&eurs, les foulage- roit. » Nous ne nous fervirons , » dit M. deBuffon , des famil- =» les, des genres , des ordres & » des clafies , pas plus que ne »> s'en fert la Nature. » Il eft vrai p. que dans le même terrain d'aflez peu d'étendue , on trouvera des Animaux domeftiques , des Ani- maux fauvages , des quadrupè- des, des Oifeaux , des Reptiles» des Animaux aquatiques , des Amphibies, des Infedes. La Nature n'a pas afligné un Heu particulier à chaque elpece d'A- nimaux. Auffi n'eft-ce pas du local dont il s'agit, quand on yeut écrire avec quelque ordre Vllh Partie» Q fur î'Hiftoire Naturelle. Mais voici ce que l'Auteur ne com- prend pas , c'eft que Dieu a ren- fermé fous un même defïein , un grand nombre d'efpeces , qui toutes ont un cara&ér e marqué dereffemblance , avec des diffé- rences fpécifiques;- c'eft qu'il y a des affinités précifes de l'un de ces deffeins généraux à l'autre p enforte que la réunion de tous ces deffeins généraux, fait le fyftême entier du monde. Et le plan de Dieu dans la variété fyf- têmatique de tous les Eftres, comprend bien des refîources, pour foulager notre mémoire, afîn que le monde ne fût pas un cahos confus , pour ceux qui le contemplent,,. comme il l'eft pur le. vulgaire comme il le fe-* roit pour tous les Hommes, s'ils entroient dans les vues de M, de Buftbn. La vérité que je vous rappel- le, Monfieur, eft fi confiante, qu'elle a frappé IVL de Buffon lui-même , quoiqu'il la contre- dife enfuite , parce qu elle n'a paflé devant fes yeux que comme un éclair. Car il médite beau- coup ce qu'il imagine , & ne re- garde la vérité que par des coups d'œil échappés* Il avoir obfervé une conformité confiante > un defTeinfuivi « de l'Homme aux p. 7. « Quadrupèdes , des Quadrupe- aux Cétacés , des Cétacés aux =» Oifeaux, des Oifeaux aux Rep- »• tiles *> lepaffage efl: remarqua- ble s* des Reptiles aux Poif- s>£on$, &c0. dans lefquek les [i88] » parties effentielles , comme lé cœur, les inteftins, l'épine- du ** dos y les fens , &c. fe trouvent •» toujours. » Et il en conclut que ces points de reffemblance in- diquent-» qu'en créant les A- » nimaux, TEftre Suprême n'a ™ voulu employer qu'une idée , »& la varier de toutes -les ma- 3>nicres poffibles , afin que o> FHomrne pût admirer égale- »ment, & la magnificence de ^l'exécution , & la fimplicité 3> du deffein. .» Quoique cette vûe nefoitpas exa&e , elle prouve que M. de Buffon conçoit très-bien qu'il y a un plan général, qui rappelle tous les Animaux à une idée d'u- nité, à un point de conformité , par lequel tout Animal, tel qu'il [i8p] îbit , eft diftingué des végétaux; L5inexa£titude de la réflexion confifte en ce qu'il met ce point dans certaines parties qui man- quent à beaucoup d'Animaux ? comme la charpente des os que n'ont pas la plupart des Infeâes-; le cœur qu'on diftingué en quel- ques uns, comme dans les Vers à roue, & qu'on ne voit point dans d'autres , &c. Mais dans cedeffein général qui embrafle tout le régne animal > ne recon- noîtra-t-il pas encore des def- feins généraux 6c fubordonnésf Confondra-t-il nos Quadrupè- des avec les Cétacés, les Céta- cés avec les Oifeaux , les Qi- feaux avec les Reptiles, les Ani- maux aquatiques avec lesterref- très x les Infe&es avec les Ani- [ i9o] maux qui ont des os , les Ani- maux couverts d'écaillés avec ceux qui font défendus par des poils , ou par des plumes , ou par un cuir épais ? La Nature ne le forcera-t-elle pas à faire ces dif- îinÊUons qu elle a elle-même établies? Sous les Quadrupèdes, il nous a déjà donné trois efpe- ces , le Cheval, PAne & le Bœuf , eft-ce-là une diftin&ion arbitraire ? Pourra-t-il même s'empêcher de reconnoître dans les Quadrupèdes > des efpeces qui doivent, pour ainft dire, être grouppées dans le tableau de la Nature, parce que ces ef- peces ont des cara&eres frap- pans de reffemblance , qui aident à ne les point confondre dans un autre fyftême commun à d'autres efpeces. N'en fera-t-il pas de même des Cétacés ? Placera-t-il la Bufe qui mange les Poulets % à côté du Poulet qui vit de grain ? Les Oifeaux qui vivent d'Infec- tes , près de ceux qui fe nourrif- fent de grain , ou de la chair des autres Animaux ? Mettra-t-ilen- femble les Puces qui fe repaiffent de notre fang , & les Pucerons qui tirent le fuc des plantes f Non fans doute , la bévue feroit trop grofîiere. Pourquoi t C'eft que ces clafles d'Animaux font trop différenciées parla Nature % Ôcque ce feroit la contredire^ que de les confondre. Croit il qu'on lui fâche gré de ce qu'il réunit le Cheval > l'Ane & le Bœuf ; qu'on ne s'apperçoive pas que fi l'Ane relTemble au Che- val y le Bœuf a un cara&ere mar- qué y qui exige qu'on le mette au rang des Bêtes à cornes. J'avoue qu'on trouve de grandes difficultés, lorfqu'on veut fixer certaines eipeces dans le plan général où la Nature les a placées. Il y a de l'arbitraire dans les méthodes qu'on a fui- vies jufqu'ici } j'en conviens > mais il ne faut pas l'imputer à la Nature .> mais au peu de con- noiflance que nous en avons nous fommes trop impatiens ^ nous voulons lui donner des le- çons, & ce n'eft qu'après qu'elle aura été obfervée pendant une longue fuite de fiécles > & avec une afliduité foutenue qu'on pourra être en état de former le plan de l'Univers > & les diffé- rées t iP3 3 ïens fyftêmes , dont chacun comprend plufieurs eipeces. Mais en attendant , il faut s'at- tacher aux grands traits qui ca- radérifent & qui différencient tous les Eftres , faire des effais d'ordre, avec cette confiance qu'ils feront corrigés & reaifiés par nos neveux , qui , eux-mê- mes, auront probablement be- foin d'être redreffés par ceux qui les fuivront : l'ordre le plus vi- cieux, je le protefte encore, vaudrait mieux que la plus belle fimétrie en genre d'Hiftoire Na- turelle, M, deBuffon affe&e de don- ner le nom de Nomenclateurs à ceux qui ont donné des métho- des de diftribution des Animaux FUI. Partie. R 3 ' t IP4 3 gnoient pas des defcriptions qui font connoître les refïemblances & qui les déterminent à placée une efpece d'Animaux dans une même claffe , il auroit raifon > mais ils le font. Les Botaniftes fe fervent de phrafes qui font de vrayes définitions ; s'ils fe mé- prennent quelque fois , ils font blâmables en cela; mais non en ce qu'ils cherchent à recueillir des carafteres qui puilïent foula- ger notre mémoire, ôc nous ap- prendre à diftinguer les plantes. Mais , nous dira-t-on , ils em- ployer les mots finguliers de règnes, de clalfes, d'efpeces , de genres , de familles , ôcc. Qu'importe quels noms ils don- nent aux divifions & aux fous- divifions qu'ils font, pourvu qu- elles foient conformes aux diftri- butions de la Nature. Le fyflême général des Animaux s'appellera un règne , l'expreflîon eft reçue j îa première fous-divifion, la fé- conde , la troifiéme , auront chacune leurs noms ; quel in- convénient peut-on y trouver f Le nom de famille blelfe beau- coup M. de Buffon;il prétend que ceux qui l'employent, pen- fent , par exemple , que toutes les plantes qu'ils mettent dans la même famille, font une feule efpece dégénérée; il fe trompe affiûrément. Pardonnez-moi , Monfieur, fi je prends fi fort à cœur les inté- rêts & la gloire des méthodiftes , c'eft que je leur ai beaucoup d'o- bligation , & que les anti-mé- Rij 1 19*1 thodiftes, ne peuvent que met- trebeaucoup de confufion dans l'efprit des jeunes gens, en les portant à étudier fans règle , & à ne fuivre que le caprice de leur imagination : vous êtes tout au- tant oppofé à ce défordre , qu'à celui qu'on voudroit introduire dans les colle&ions d'Hiftoire Naturelle. Vous me faurez quel- que gré de mes réflexions , com- me des fentimens , ôcc. XXIX. LETTRE. MDeBuffon, dans l'exor- dedel'hiftoiredu Bœuf, foutient , Monfieur, avec la mê- me confiance & la même intré- pidité des paradoxes , qui n'au- CiP7l roient pas dû reparoitre après ce que j'en avois dit. Il y rappel- le fes principes aâifè^fes molé- cules organiques, vivantes > in~ deftru&ibles & communes à tous les Eftres organifés. » Ces molé- p. h. « cules paffent de corps en corps p> & fervent également à la vie * actuelle,& à la continuation de ■ la vie , à la nutrition , à Tac- « croiflement de chaque indivi- •» du, ôc après la diffolution du » corps, après fa réduâton ei* «■cendres,, ces molécules orga- « niques fur lefquelles la mort ne «peut rien, furvivent, cireu- «lent dans l'Univers , paffent » dans d'autres Eftres , & y pofr- « tent la nourriture & la vie : tou- « te production , tout renouvel- «lement, tout accroiflement Riij [1983 h par la génération , par la nutri- a>tion.,par le développement, fuppofent donc une deftru&ion ^précédente, une converfion m de fubftance > un tranfport de *> ces molécules organiques, qui » ne fe multiplient pas , mais qui » fubfiflent toujours en nombre & égal , rendent la Nature tou- 53 jours également vivante, la ^ terre également peuplée, & » toujours également refplandif- p fante de la première gloire de '» celui qui la créé, » Les efforts de notre Auteur , pour manifes- ter la grandeur de Dieu , ne font ils pas auffi heureux, que les foins qu'il s'eft: donné pour épar- gner la laflitude ôc l'ennui à ce- lui qui opère par fa feule volon- té. C ïpp 1 Vous êtes peut-être frappé , Monfieur } de l'harmonie & de > l'éloquence qui régnent dans cette longue citation , vous en trouverez bien davantage dans le partage que je vais tranfcrire. o> A prendre les Eftres en général* g tr le total de la quantité de vie $* eft donc toujours le même , & o> la mort qui femble tout détrui- :» re , ne détruit rien de cette « vie primitive & commune à » toutes les efpeces d'Eftres or- 05 ganifés : comme toutes les au- » très puiffances fubordonnées * & fubalternes , la mort n'atta- p. que que les individus , ne frap- *> pe que la furface , ne détruit » que la forme , ne peut rien fur « la: matière , ôc ne fait aucun n tort à la Nature qui n'en brille R iiij E 2003 s que davantage > qui ne lui pefc » met pas d'anéantir les efpeces j ces chimères- dont il s'eft tant moqué > » mais la laifle moiffon- «>. ner les individus , & les détruis *>re avec le terns, pour fe mon? »? trer elle-même indépendante s> de la mort & du tems, pou* » exercer à chaque inftant fa *>puifTance> toujours- a&ive, & » manifefter fa plénitude par fa h fécondité f & faire de l'Uni* vers> en reproduifant > en re- nouvellant les Eftres > un théâ- ^ tre toujours rempli, un fpec- «►tacle toujours nouveau. Ex- hortation touchante pour un mourant ! Qu'eft-ce donc qu'une molé- cule organique vivante ? Puif- quelle eft organique^, elle eâ etoitc organifée, compofée dô différentes parties y réunies fous un certain deflein y ayant un jeu perpétuel interne ; & ce jeu fera fa vie y dans le même fens qu'on diroit qu'une pendule montée * vit y qu'elle eft morte quand quelque reffort eft brifë, ou qu'elle manque de poids? qu'el- le dort y lorfqu ayant tout ce qui lui eft néceffaire\> elle n'eft pas montée y car les molécules vi- vantes ne fé nourriffent point f non plus qu'une pendxiîe. Mais ont-elles la faculté de fe mou- voir, de concevoir un deffein^ d'y concourir ? Sentent-elles l'exiftence ? En doutez - vous | Moniteur > s'il leur manquoic une feule de ces propriétés comment ferviroient-elles à ex^ C ] pliquer la génération , l'accroît- fement des Animaux & des plan- tes. Dans Fidée de M. de Buf- fon , un embrîon eft formé , par- ce que les molécules organiques vivantes* plus habiles que les Abeilles , infe&es ftupides , fa- vent fe groupper de manière à compofer un corps humain , & qu'elles y diftribuent intérieure- ment tous les vaifTeaux, les nerfs* les vifceres , &c. M, de BufFon heureufement fuppofe les molé- cules créées , car autrement > ce feraient les atomes d'Epicure > doués d'intelligence. Monfieur de BufFon foutient donc toujours qu'une molécule de matière pourrait être tellement organi- fée , qu'elle fentît fon exiftence, qu'elle connût un plan ^ ôc qu elle le fuivît avec fageffe , ôt dans cette fuppofition , il n'y auroit point de différence entre une molécule vivante de mes ongles ou de mes cheveux ôc mon ame 5 ou plûtot il y en auroit une très-grande r mais à l'avantage des Elémens de nos corps. Mais j'ai démontré qu'il n'eft pas recevable qu une mo- lécule de matière fente fon exif- tence. Qu'il abandonne donc pour toujours fon paradoxe } ou qu'il me faiTe voir le vice de mon raifonnement. Les molé- cules vivantes ne font-elles pas des matériaux vivans , indifFé- rens à être employés dans urt chou , dans un Homme , dans un Bœuf ou dans une huître , mais dépendans d'une caufe é- trangere, chargée de les appli- quer- à telle ou telle conftruc- tion > & de décider de leur place dans un Ouvrage quelconque ? Qu elles foient vivantes ou non f brutes ou organifées avec le plus grand art > quelles fentent leur exiiience rou qu elles ne la Ten- tent pas * la puiflance qui endif- pofe pourra faire > avec ces ato- mes y quelle Plante }. queL Ani- mal elle voudra;.. Que M. de BufFon me per- mette défaire une fuppofition; il connoît le Flûteur automate f quin'apasétécompofe de mo- lécules organiques vivantes ; je foppofe donc que Dieu voulût exécuter; en grand & parfaite- ment un- projet que le célèbre kYocançon.a &pû. remplir qu'en 1*60 partie & très - imparfaitement i quoique fa machine art jufte- ment mérité les acclamations cte toute l'Europe, Jefappofe y dis* je, que Dieu ayant pris du li- mon abfolument privé de molé- cules organiques , en eût formé un corps humain > où toutes les parties intérieures & extérieures fuflent confinâtes comme dans le nôtre : enfin un automate complet ; qu'il y eût mis la cha- leur convenable > qu'il eût four- ni le cerveau d'efprits , qu'il y eût fait circuler du fang, 6c qu'il eût donné au cœur le mou- vement qui lui eft effentiel : ne feroitce pas un automate vivant, & fi Dieu eût enfin uni une ame à cette machine, ne feroit-ce pasun Homme ? Il ne psut nier C 20^ ce que je lui préfente comme une fuppofîtion , par un excès de dé- férence pour fa do&rine, à moins qu'il ne prétendit que les molé- cules vivantes organiques, qu'il aimagkées , font les élémens fi cffentielles des plantes & des A- nimaux , que la volonté toute- puiffante ne peut abfolument fe paffer de leur fecours ; & c'eft affûrément ce que M. de Buffon ne dira ni ne penfera pas ; je le préfume au moins de fa religion^ Ileft donc évident que ces mo- lécules font inutiles pour la confauâion des corps des Ani- maux. Nos Chimiftes ont analifé toutes les plantes , ils en ont tiré de la terre-morte, des fels, des alkalis fixes & volatils, des li- [ 207 ] queurs fpiritueufes. Que M. dô Buffon interroge le favant Rouelle ; qu'il lui demande fi , à la fin de fes opérations , il a ja- mais remarqué de ces molécu- les vivantes > ou des Animaux formés de ces molécules. Com- me elles font indeftruâibles , de l'aveu de M. de Buffon > elles au r oient réfifté à toutes les é- preuvesde cet habile Chimifte, 6c il auroit dû les trouver quel- que part. Qu'il le prie d analyfec la chair d'un Animal , Ôc d'en examiner les réfultats ? pour en chercher les molécules vivan- tes. Mais Monfieur de Buffon en a vu dans du jus de viande rôtie. Il a cru les voir , ôc il aura pris pour des Eftres ani- més y des molécules de graiife 5 Bt de petites fibres qui nageoienî dans ce jus > emportées par le mouvement du liquide. Au moins ne peut-on lui con- tefter qu il n ait vû les Infe&es découverts par Leuwenook ; cela eft vrai, mais aufli il lésa vû périr; ainfî, ces petits ani- malcules ne font pas les molécu- les indeftru&ibles qu'il nous pro- pofe. Mais il a obfervé ces In* fe&es que produifent toutes les infufions. li a dû voir aufli leurs cadavres étendus fur le porte- objet de fon microfcope , quand la liqueur eft évaporée. Et moi, je les ai vû accouplés > féparés ; faivû des générations de ces In- fe£tes , d'abord très-petits, com- me un point à la plus forte len- tille P groflïr infenfiblement , & devenir 'devenir égaux en volume à ceux qni avoient difparu;; dans la mê- me infufion . j'ai compté, jut qu'à trois ou quatre générations qui fe fuccedoient- Peut-il ap- peller molécules vivantes & in- deftru&ibles des Animaux qa on voit mourir ? Il eft donc confiant que ces molécules vivantes n'ont de réalité que. dans fonimagk nation. Accordons-lui cependant fe- xiftence . réelle de ces molécules* donnons leur la finguliere pré- rogative d'être, tout à la fois , ôt matériaux dont la machine de l'Animal efl compofée , & conC- tru£leurs de cette machine : exa- minons enfuite par où elles com^ menceront, & comment elles s'y prendront dans le myftere d§ F1IL Partie. S l'incubation. Ces molécules fe* ront répandues dans le blanc de l'œuf > ou bien elles feront tou^ tes enfemble quelque part pour s y concerter, & attendre que la chaleur de la Poule , ou celle que le Jardinier de M. de-Reau- mur leur procurera au même dé- gré^ leur donne occafion de fe mettre en mouvement. Car tout îndeftruâibles qu elles font , il faut que le feu les pénétre > pour les mettre en aâion. Elles font donc perméables pour lui; 11 el- les manquent de ce fecours, el- les ne peuvent qu altérer* après Bn certain tems , ce que 1 œuf renferme : & fi cette chaleur eft trop vive dès le commencement de l'incubation % elles feront condamnées à rinadion t à quoi mm fe détermineront - elles ï Dieu leur révèle apparemment à tou- tes, quel eft le plan de la conf- tru&ion du Poulet ; quel parti ehoifiront-elles ? S'il en faut ju- ger par les expériences de fincu- bation , une partie commencera par fe rapprocher , pour former le double mufcle du cœur, ôc les deux ventricules ; car avant d'y introduire quelque matière con- vertie en fang , il faut que le va- fe foit préparé , & qu'il foit pro- pre à agir. Loutre partie fe con- tentera vraifemblablement d'être fpeâatrice, en attendant que celles qui fe font déjà grouppées, mettent le cœur en mouvement^ & que cet organe précieux joue fènfibiement. Voilà: des Ani- maux bien autrement induftrieux S i| que les Abeilles ; on ne dîrapa&j d'eux y comme on a dit de celles- î ci y que dans un efpace donné , al f6rce de fe nuire & de s'inconw moder > ils font parvenus su foi- mer l'organe admirable de laj vie. . Suivons ces petits architec--j tes y ou plutôt cet efïain de fa-1 vantes molécules. qui vont met- là main; à Eœuvre. Elles feront - partagées en deux bandes y, les, unes formeront les artères y ces . tubes dont les parois font un tifTou de rameaux des nerfs, ôc dafir- brilles , très ferré ôc très fort^ celles-ci conduiront leur ouvra-- ge > en partant du . coeur > & les; autres reprenant le travail aides rameaux des artères; finiffent>, forceront des veines >. pour re- «qeyoir le feng> ôc te porter m: Sœur. Confiderez maintenant une planche anatomique du fyfe tê me des nerfs de l'Hommey & comparez-la à une autre plan* che où fera repréfenté le fyftêms des reines ? tel eft .y Monfieur* l'ouvrage de nos molécules? vi- vantes^: fi vous le rappfjoche&du travail des Abeilles^ vous avoue- rez que celles-ci font extrême? ment bornées. Je vous renvoyé aux tables anatomiques de l'Homme f parce que vous ne trouveriez pas aifément celles qui repréfenteroient les différent tes parties d'un Poulet ; mais- ce font les mêmes ouvrières qui font l'Homme & le Poulet* Pre7 nez enfuite la planche qpi expri- me le fyftême des nerfs & des mufçles ^ voilà encoreuî^travalll Bien plus admirable r voyez 9 dè plus y la defcription d'un fque- îette, ce font des modèles d'au- tant de conftru&ions différentes de plufieurs effains de ces molé- cules ingénieufes, qui s'occup- pant chacune de l'ouvrage qui leur eft échû , ne perdent jamais de vue le réfultat & Fenfemble de tous leurs travaux. Que di- rions-nous, fi nous pouvions fuî- vre celles qui font chargées de îa conftru£tion > ou de l'œil vou del^reille, &c? Mais fi M. de Buffon , avec fon éloquence ordinaire, nous décrivoit la manière dont ces molécules fe rapprochent , s'am- moncelentV fe grouppent dans le cerveau pour former l'organe fénfibte % fufceptibîe, félon lui ^ Hu fens de Vexîftence , de defîrs* de connoiflance des: objets ; de quelle admiration ne ferions- nous pas tranfportés. Quelle fe- roit notre furprife> fi nous le voyions difpofer toutes ces mo- lécules dans un ton de reffort propre à une infinité d'ébranlé- mens, qui feroient des fentî- mens, des connoiflances & des> defirs. S'il nous expliquoit en- core lesloix de cette méchani- que des fenfations y ne nous éton- neroient-elles pas à proportion du peu d'idée que nous en avons? Ne laiffons pas non plus échap- per une obfervation très-propre à relever le génie , &refprit de ces molécules. Dans l'enfant renfermé encore dans le fein de fa mere r le cours que prend le Ëng*, eft bien différent de ceM qull fuma^ quand l'enfant for- ti de fa prifony fentira l:air & le refpirera. Les. poulmonr font affaiffés & inutiles dans l'enfant qui n'eft pas né. Un gros de mo- lécules fe concertera/ donc de manière y qu'il formera le tiffu admirable des poulmons. pour* l'avenir y pendant qu'un autre fera occupé à conftruire r en s'employant foi-même r les or* ganes qui ne feront d'ufage que dam 14 ou 15 ans. Qui égala ja- mais Tinduft rie r l'art- & la- pré- voyance de ces petits Eftres ad- mirables ?: Quand un des zélés çartifans de M. de Euffon , pouc confoler fon > ami, , lui propofe % ce fubtil problême : ^ lequel on p -voudroit être, de l'Auteur, des. » Lettres* C2I73 » Lettres Américaines, ou de «Buffon ?» Un plaifant, feul digne de le réfoudre, répondrait qu'il aimeroit mieux être molé- cule organique vivante, parce- qu'ilauroit infiniment plus d'ef- prit que l'un ou l'autre, & je fuis de fon avis. La docilité règne autant que le génie dans ces molécules vi- vantes ; elles fe prêtent à tout - pendant que les unes forment le cœur, ou les veines , ou les artè- res, ou l'organe fenfible ; d'au- tres ne dédaigneront pas de fe convertir en cheveux , en on- gles, quoiqu'elles fâchent bien qu'on rendra continuellement leurs accrohTemens inutiles. belles qui, avec notre fang, terpréta- uon de h Nature ♦ p. 166* [218] croyent point déshonorées en. travaillant à augmenter ou à ré- parer les organes decetlnfede : elles oublient les -nobles fonc- tions auxquelles elles étoient ap- pelles dans l'Homme. Dans un cimetière , les molécules,dé- bris des cadavres, fuccées par les racines d'un noyer, s'occu- peront à en former les feuilles ou les fruits , pendant que d'au- tres s'employeront à faire croître les moindres herbes. Il faut avouer que ces molécules vivan- tes , univerfelles dwis leurs con- noiffances, & dont chacune fe fent capable de concourir à la formation de quelque plante , de quelque Animal, de quelque homme que ce foit, méritent bien tous nos éloges ; elles s'ap- pliqucront tout auffi férieufe- ment à la formation d'une moût fe, d'une moififfure, qu'à celle d'un Alexandre. Malgré l'extrême docilité de ces molécules, & cette étendue de génie qui atteint toute conf- trudion d'Animaux & de végé- taux, car il ne faut excepter aucune forte d'induftrie: je trou- ve leur multitude bien peupro- preàagir de concert. Cent mille hommes ne peuvent fe pafTer d un Général, fuffent-ils tous desCefars, des Condés & des Iurennes; plus Ces héros au- f01ent de vûes, de connohTan- <**r plus ils s embaraflèroient, ^ étant pas commandés par un leul , chacun fàifoit de fon côté ce qu'il jugeroit convenable aux Tij [ 220 ] circonftances. Quels mouve- mens, quelles évolutions , quels campemens, quelles attaques réfulteroient jamais d'une telle confufion? Et du travail particu- lier de 1 ooooo millions & plus , de molécules, pouroit fortir une machine,telle qu'eft le corps d'un Homme. Qui pourroit le concevoiri Vous feriez fans doute cu- rieux , Monfieur , de favoir quelle eftla figure d'un de ces Eftres merveilleux, fi néceffai- res au foulagement de la Majeflé Divine : ont-elles des pattes, pour fe cramponner fortement les unes aux autres, lorfqu elles forment un tendon , un nerf, un os , comme les Abeilles s'accro- chent pour faire un effain? Je [221] croirois plutôt qu'elles em- ployent des matières folides , pour fe lier les unes aux autres, des fibres , des maftics ou d'au- tres matières ; enforte que quand on les tireroit de là , un nerf, un mufcle, un artère, un os, n'en feroient pas moins ce qu'ils font> &ne perdraient rien delà confif- tance & de la force néceffaires à leurs deftinations. Mais dans cette fuppofition , quels inftru- mens leur imaginerons-nous , pour mettre en œuvre leurs ma- tériaux f On ne voit pas l'avantage que l'Homme pourrait retirer des au- tres fyflêmes de M. de Buffon ; mais dans celui-ci, il pourrait fe promettre l'immortalité ; car fi les molécules vivantes ont pu Tiij 1 M [>22} fe concerter > pour conftruire la machine de l'Homme y com- ment ne pourraient - elles pas s'entendre, pour fondre quel- que obftruttion, ou pour la pré- venir ? Si nous avons des mala- dies , elles le veulent bien. Y a- t-il donc plus de difficulté à em- pêcher qu'une goutte de fang ne s*extravafe , à enretenir la ref- piration* à liquéfier une limphe épaifïie, qu'à former le corps humain l Si nous mourons , c'elt d'elles feules que nous devons nous plaindre. Ces explications > comme vous le fentez bien , Mon- fieur , ne font ni fort férieufes , ni fort vraifemblables ; nous de- vons beaucoup regretter que M. de Buffon ne fe foit pas donné la [ 223 ] peine d'entrer lui-même dans tous ces détails. Il l'eût fait cer- tainement avec plus de noblefle. Parlons férieufement, Monfieur; Il faut en vérité > n'avoir pas la moindre teinture d'anatomie , pour ne pas fentirtout le ridicu- le de pareils dénouemens. Il fuffit donc de renvoyer Mi de BufFon au cabinet du Roy , & de le prier d'y confidérer avec at- tention le fquelette du Cheval , ou de TAfne , ou du Bœuf > & là, de fe demander à lui-même, dans le calme de fon imagina- tion , quelle part les molécules vivantes ont jamais pu avoir à un tel ouvrage. Qu'il étudie encore une plu- itve naiflante ; le microfcope nous apprend que les barbes er* T iiij [224] font tout autrement compofées que nos yeux ne nous les répré- fentent. Or, ces barbes fortent toutes formées du tuyau > & il n'eft pas facile d'imaginer corn» ment les molécules vivantes les auroient travaillées , en les plif- fant ôcles empaquetant en mê- me tems. Il en eft de même des plantes , elles fortent des grai- nes ou des pépins toutes conf. truites. Dans le bouton d'un ar- bre qui ne produira qu'un an ou deux ans après , les feuilles, les fleurs, leurs étamines, leur poufliere , tout cela fe feroit fort àPétroit, & de manière à géhenner beaucoup les molécu- les vivantes. Elles feroient alors réduites à la réfolution du pro- blème que M. de BufFon prête à TAbeille > plus la preffion feroît grande , plus le travail fe perfeo tionneroir. Tout ce que produit la Nature , femble fe déballer* fe dépacquetter en naiffant. Les premières enveloppes des bou- tons des arbres > font des lames plus dures que Técorce ; les fé- condes , font les feuilles 5 les calices & les pétales > font les troifiémes > & toutes ces parties ne font que s'épanouir ; qui a jamais apperçû une feule pouf- fiere des étamines fe former ? Qui ne voit pas que rien ne fort de l'arbre qu'en fe débarraffani: des enveloppes où il étoit ref- ferré l Tout annonce donc dans les végétaux les germes pré-éxiftans? On ne raifonne donc pas par des 12263 faits contre leur exiftenee? Ce n'eft pas le parti que Ton prend , on aime mieux interroger l'ima- gination , qui ne peut compren- dre comment un premier Chefhe autoit pu contenir les germes de toutes les générations des Chef- nés, depuis le commencement du monde. Car on eft tenté de penfer que toutes les chofes que nous ne concevons point font même impofîibles à Dieu. Cette difficulté eft bien aifée à réfoudre.. On eft bien malheureux qùnd on ne comprend pas , que dans un corps du volume d'une Oran- ge * Dieu pourroit faire en petite un monde , où il y auroit des Cieux , des Aflres , une Terre,, des Animaux ;& tout cela dans M rapport de l'Orange à l'éten- 1227] due immenfô de la matière créée, & il y auroit aufll loin à propor- tion du petit globe terreftre nou- veau à fon étoile polaire , que de notre terre à notre étoile polaire. Quel eft l'Homme, pour peu qu'il réfléchifle fur la puiffance de Dieu, qui puiûe nier cette fuppofition ? Mais , fi elle eft une fois admife, l'imagination elle- même n'elî-elle pasraffurée, en penfant que dans Adam , étoit contenue toute fa poftéri té, en- forte que les germes de la pre- mière génération , renfèrmoient les germes de tous leurs defcen- dans , bien plus petits à la véri- té. Maiscen'eftpas là qu'eft la difficulté, difent les adverfaires des germes pré-exiftans , après M. de Buffon ; c'eft qu'il faut • fuppoferque cette fuite de ger- mes eft infinie : ce qui fournit un argument métaphifique , d'une force invincible. Infinie ? Qui le foutient à ces Meffieurs? Qui s'eft jamais imaginé que le mon- de ait été fait pour durer tou- jours ? La révélation n'y eft-elle pas contraire ? Mais la raifon abandonnée à fes propres lumiè- res , le croit-elle ? Dieu fait af- furément combien doit fubfifter la reprodu&ion des Plantes & des Animaux ; il a formé pour tout ce tems-là, des germes > dont plufieurs dévoient être inu- tiles, & d'autres dévoient réuf- fir. Mais il y a enfin un dernier terme, au de-là duquel il ne doit plus y avoir ni végétaux , ni nouveaux Animaux jôc où, s'il refte encore des germes /ils fe- ront enveloppés dans la ruine de PUnivers. Que ces Meilleurs reconnoiffent donc que ce grand argument métaphifique , roule fur une fauffe fuppofition : il eft fort fingulier , ôc je le dirai en pafTant , que ces Mefïieurs qui 9 difent-ils > n'ont aucune notion de l'infini , prétendent pourtant en tirer des démonftrations. S'ils difoient fimplement que le nom- bre des germes eft indéfini > ils pourraient en conclure > que nous ignorons quel il eft préci- fément;mais oferoient-ils dire que ce nombre eft indéfini pour Dieu même ? Ils infiftent fur la difficulté d'expliquer le développement du germe dans la reproduction des C230] Animaux ; elle leur paroit im- poffible. Un feul mot que j'ai dit en paflant, dans ma première I}ni7v.' ^ettre > auroit dû les défabufer. Si tous les canaux font préparés dans le germe , fi leurs lacis, leurs plexus font déterminés > il fuffira qu'ils foient injeftés^ comme ils paroiflent l'être dans les expériences de l'incubation* pour qu'ils deviennent vifibles > & que l'Animal paroiffe formé. Si Ton compare cette expli- cation à celle que nous avons ti- rée du prétendu génie des molé- cules vivantes , balancera-t-on à donner la préférence à la premiè- re f Mais on peut encore pouf- fer plus loin cette explication & donner une idée très-méeha- chanique de la manière dont le Poulet eft formé dans l'œuf. Ca£ dans le petit morceau de ma douzième Lettre , que je vous rappôlle r Monfieur ; je fais bien entendre, comment les vaiffeaux fanguins font fucceffivement pourvus de fang ; mais non la manière dont la machine eft mife en jeu par les effets de la fécon- dation , & ce point eft impor- tant. Dans les expériences de l'in- tubation des œufs , on voit que le mouvement dû cœur ne peut être rapporté qu'à l'action des fi- bres nerveufes , dont il eft com- me tilfu ; il eft le principe & non la fuite de la circulation du fang* Ce qui ne peut être contefté puifque le cœur qu'on a arraché à certains Animaux, continue quelque tems les mouvemens de fiflole & d'iaftole. Ceftdonc le cœur qui reçoit immédiatement les effets de la fécondation > puis- que c'eft de lui que rayonne , confine d'un centre , tout ce qui fe fait fur le refte du corps de F Animal. Il faut donc que par la fécondation, quelque fubf- tance prête à être convertie en fang, foit introduite dans les ventricules du cœur. Mais quel chemin prendra ce fluide pré- cieux ? Ici , la difficulté redou- ble. Car il paroît d'abord , que toutes les iffûes font fermées ; les veines femblent devoir être comme foudées par leurs ra- meaux , aux rameaux des artéres- Cependant quand on fait ré- flexion y qu'il y a beaucoup plus de de rameaux de veines > que d'ar- teres y on penfe que tout rameau déveine n'eft pas uni à un artère: plufieurs de ces rameaux portent le fang le plus prêt à être em- ployé, pour l'accroiflement & la réparation du corps, &fe per- dent dans les lacis dont les chairs font formées.. L'effet des fueurs> par lequel le fang efl: purifié, prouve encore qu il eft des ca- naux communiquans aux veines & ouverts au dehors de la ma- chine. Or y foit que le germe vienne du mâle ou de la femelle* l'a&ion de la fécondation déchi- re l'enveloppe qui tenait les par- ties du fétus refferréesjce déchi- rement donne à ces parties la liberté de fe déployer dans Je li- quide où elles trouvent : quel- VllL Partie Y [^34] que jet de liqueur fpiritueufe peut être introduit par les ca- naux ouverts en dehors , dont je viens de parler, enfiler une veine, &de-làj s'ouvrir le che- min jufqu'au cœur , puifque toutes les veines y aboutiffent. Cette liqueur dépofée dans le petit ventricule, en dilatera les parois, fermera les fous-papes j cette dilatation n'eft pas un ou- vrage brufque. La liqueur fpi- ritueufe; s'entretient dans une grande fermentation , par la cha- leur interne de la Foule ; aidée de cette chaleur, peu à peu la. liqueur étend la capacité des ventricules ; & le travail qui fe fait dans l'œuf, pou* le perfec- tionner , tant qu'il réfi-de dans les entrailles de F Animal , tient îe cœue en refpe£i , & la li- queur qu'il renferme* Dès que l'œuf eft pondu > les ventricules Ont pris leur figure , mais il n'y a point encore de mouvement dans le cœur , parce que les fi- bres nerveufes dont il eft tiffu , ne font point injectées d'efprits* La liqueur fpiritueufe eft même concentrée, parce que la tem- pérature de l'air extérieur , eft tout autre que celle de l'inté- rieur de la Poule : mais fi l'on met l'œuf fous la Poule.,- cette: liqueur prendra un degré de cha- leur * fera l'effet de celle du: thermomettre * une nouvelle opérations chimique s'exécutera Lee feu lent & gradue ; des es- prits s'exalteront y enfileront les: premiers plexus des nerfs > ou dtiî Vij 03 je ne puis me difpenfer d'employer une image qui vous paroîtra peut-être peu décente > parce qu'elle eft prife de la cuifine; mais c'eft la feule de toutes cel- les que j'ai tentées qui m'ait ren- du ma penfée à moi-même, Imaginez qu'un. Cuifinier a préparé un long boyau pour faire des fauffifïes ; qu'il l'a difpofé en Jpirales ellyptiques fi fort allon- gées P que les deux arcs de cha- que eHypfe, parallelles entrer eux, forment des lignes droites & font contigus > mais non ad- hérans dans leur côté latérale ; que ces fpirales portent toutes les unes fur les autres y comme celles d'un rouleau de tabac r& qu'elles font adhérentes les unes aux autres par quelque caufe que cefoît, enforte qu'une fpire en- tière fupérieure, ne piaffe être féparéede celle fur laquelle elle porte. Ce boyau eft vuide, mais ne forme point de canal > à cau- fe de l'aflirifTement de fes parois. Le Cuifiniêi xouffle dedans. Le boyau s'enfte,fon canal s'ouvre > chaque fpire prend une forme circulaire, devient comme un cerceau : tous ces cerceaux laii- fent un grand vuide j & çomme ces fpïres ne peuvent être fépa* rées dans les endroits où elles portent les unes fur les autres > toutes formeront un canal cylin- drique y femblable à celui que formeroit la furface d'un rouî- leau de tabac,, dont on auroit enlevé toutes les fpires intérieu- res. Je ne prétens pas que letiflu d'une attere foit précifément conforme à rimage que je pro- pofe. Je n'ai pris cet exemple, que pour faire comprendre com- ment les fibres nerveufes étant inje£tées , le canal de l'art e- le étoit ouvert. C'eft ainfi que je penfe que tes fibres neirveufes , qui forment en partie le tiffu des parois d'un; artère , ontétéinjeâés d'efprlts ayant été bandées r pote ainfi; dire 5 par cette inje&ion^ elles ont ouvert le canal qu'elles étoient deftinées à former y & Faction du cœur a rempli le ca- nal en vuidant le ventricule. Je ne prétens pas néanmoins prefïer la comparaifon > mais feulement donner une idée de cette grande opération. Le Canal de cet ar- tère étant ouvert } la liqueur eft dardée , enfle la veine eorref* pondante, & la matière nom>- riffante de l'œuf étant prefîée par ces gonflemens répétés r & échauffée d'ailleurs > ce qu elle a de fpiritueîàw peut être intro- duit par ces conduits que je fup- pofe être difpofés autour de. ta jonÉHon des artères & des ver nés , pour difiribuer dans tout le corps ce qui efl: deftiné à fa ré- [2403 paration , à fon augmentation &à diverfes fécrétions. Arrêtez- vous quelque tems > Monfieur , à ces petits tuyaux excrétoires & nutritifs , que je fuppofe aux Anaftomofes* La première artère étant ouverte 7 &le fang ayant paffé par la veine dans le cœur, il s'eft fait quel- que fécrétion; quelque matière a été dardée dans les tuyaux ex- crétoires ; ils ont été ouverts. Et comme la chaleur détermine la fubftance de l'œuf à une expen- lion générale : que la réïïflance de la coquille eft cuufe que ¥ ef- fet de Texpenfion fe termine à exprimer du blanc d'œuf , ce qui s'y trouve de plus délié >■ cet- îe matière déliée entre dans, des tuyaux ouverts, dansJa propor- tion tton quî lui convient à elle feule; Un nouveau fluide etitre dans la veine,eft réfumé pat le fangqu un fécond coup de cœur darde : lali* queur recrutée , fermente dans le cœur , & prend une première teinte de fang. De nouveaux ef- prits font formés , & après quel- que intervalle, ils ouvrent un. nouveau plan d'artères, enfilent un nouveau plan de nerfs ; de forte que peu à peu tout le fyftê* me du cœur eft développé & complet. Ce travail étant exé- cuté , la quantité du fang eft beaucoup augmentée,le fyftême extérieur du cœur eft injecté, tant par rapport aux artères, qu aux nerfs, qui contribuent à fon mouvement. Alors l'aorte eft ouverte, & nous fuppofe- VllL Partie. X ; 042] rons qu'elle Teft d'abord dans fon grand canal ; car , félon les apparences , le travail des bran- ches ne va pas fi vite : peu à peu les artères ôcles veines , qui en- trent dans letiffu du périofte des vertèbres , fe développent , & les germes des os font aufïï injec- tés : ainfi , l'épine du dos fe for- me , la cervelle eft aufli inje&ée, parce que les deux troncs des deux artères fous-clavieres , font ouverts, & que les branches qui portent la vie à la tête , le font auflfu Les réfervoirs du fang, remplis dans la cervelle , ce vif- cere fi important, filtrent de nouveaux efprits , & ces efprits donnent la vie au fyftême des nerfs deftinés à rendre fenfibles toutes les parties de notre corps, 1>43] & à les mouvoir. Les nerfs étant fournis de tout ce qui leur eft né- ceffaire , ayant du raifort, débar- raflent les artères & les veines dans les différens vifceres, & les difpofent à s'ouvrir le fyftême de la peau ; & les petites ramules qui concourent au tifïii du pe- riofte, feront pareillement rem- plies d'efprits ; les poulmons, quoiqu'ils n'ayent point de jeu j font développés & préparés à recevoir l'air > quand le tems en fera venu. Il ne me conviendrait point d'étendre ces vues à la féconda- tion des grands Animaux. En cette matière > les gens de l'art ontfeulsle droit de s'expliquer d'une manière qui ne blefîe point la décence : mais elles feraient Xij [244] peut-être plus faciles à fuîvre ; le développement du germe me paroiflant plus merveilleux dans un œuf de Poulet, que dans les Animaux vivipares. Voilà, Monfieur, en bien peu de mots, ce dont je fuis oc- cupé depuis une vingtaine d'an- nées , dont j'avois hazardé quel- ques traits dans ma douzième Lettre, que je vous prie de re* lire. Nous devons attendre le jugement qu'en porteront les Maîtres de l'art , ces Anatomif- tes célèbres , fi capables de nousinftruire, de nous redreffer & d'étendre nosvûes. Si ce que je viens de vous communiquer, n explique pas bien le dévelop- pement du germe , fi Ton y trou- ve quelques incompatibilités avec des phénomènes avérés; s'il a même des défauts qu'on ne puiffe corriger , peu importe; il donne une idée du méchanif- me employé, dans cet ouvrage miftérieux de la Nature , & nous fait efperer que quelque Philofo- phe plus habile nous l'explique- ra, en baniflant pour jamais de la bonne Phifique, toutes ces formes plaftiques , qui ne valent pas mieux dansles molécules vr- vantes,qu'elles ne valoient où les fuppofoient les Anciens , qui fe- roient infiniment plus intelligen- tes que notre ame,& qui,euffent- elles chacune un million de bras, nepourroientrien produire par la force de leur volonté , mais feulement par l'efficace de celle du Créateur, au foulagement duquel on les avoit néanmoins deftinées. Je ne puis comprendre ceux qui veulent récrêpir la vieille PhiJofophie. Ils objeftent contre le fyftême des germes pré-exif- tans, qu'on n'en peut tirer l'ex- plication des monftres : & quel avantage tirent-ils de leurs for- mes plaftiques dans celle qu'ils en donnent f Des arbres dont les branches s unifient par le con- taft , quoiqu'ils foient de diffé- rentes efpeces, comme l'Or- meau & l'Aubépine; la façon dont les arbres font greffés , nous fournit affez de vues, pour comprendre ce qui peut arriver, lorfque deux germes fe trouvent comme collés. Mais que nous diront-ils pour nous décrire la C 247 3 formation des monftres ? Com- ment y feront-ilsintervenir leurs molécules vivantes? Ou plutôt, comment nous guériroient-ils delà crainte, que les monftres ne fuffent tout autrement multi- pliés , & que des molécules ti- rées de la chair d'un Bœuf, fe f ouvenant des procèdes dont el- étoient occuppées dans cet Ani- mal , n'antent , en travaillant de routine, la tête d'un Bœuf fur le col d'un Homme? J'aurai oc- cafion de les éguayer fur cela dans un autre Ouvrage. Ces Meffieurs allèguent en- core contre les germes pré-éxif- tans,ces reptiles dont la queue coupée acquiert une tête. Ce phénomène, au moins-, reffem- bleàceluide la produSion des X iiij U*8] branches par un arbre j &quin y voit pas des germes pré-exiftans ? Aurefte, puifqu'ils ne font pas frappes de cette analogie fi fims pie & fi naturelle , que ne tirent- ils de leurs principes fi lumineux, des explications plus fatisfaifan- tes ? Mais leurs fyftêmes ne peu- vent foutenir les détails. Pour moi, il me femble que le mé- chanifme fournit des refiburces qui nous éclairent & nous tran- quiïifent fur ce fait fingulier des vers coupés, fi elles ne l'expli- quent pas entièrement. Qu'on fuppofe que dans chaque anneau du ver , il y a des germes de ver, comme il faut fuppofer que les germes du Pécher, font renfer- més dans lapetite branche qu'on ante fur un Prunier fauvage. C24P3 Qu'on fuppofe encore que dans chaque anneau du ver, eft un appareil complet de vaifleaux fanguins & de nerfs ; qu'il s'y fait une circulation dufang particu- lière, par des vaifleaux très-pe- tits, qui, après des millions de contours, portent le fang dans l'anneau fuivant, d'où eux-mê- mes en reçoivent en même tems; on concevra que des efprïts peu- vent être préparés dans chaque anneau , & qu'ils pourront met- tre en action l'appareil particu- lier des nerfs de cet anneau. Cet- idée étant bic^ifie , on penfe- ra que tandis que les vaifleaux coupés, épancheront du fang, l'air s'y introduira , congèlera le fang qui fe préfentera ; aînfi , après la première effufion, 1$ C 25-0] fang qui fortira déplus en plus, maftiquera les vaifleaux, & fer- mera les iffues au liquide qui le fuit , & qui tenteroit de s'écou- ïer. Les nerfs coupés feront enco- re plus aifément bouchés par le fang quife répand en lamesf ur lafé£Hon, ce qui eft une preuve d efonépaiflîfîement. Ce fang doit être très fubtil , & peut-être l'évaporation de ce qu'il con- contient de plus volatil , â la préfence de l'air , eft , plutôt que le froid , la caufe de fa coagu- lation fi prompte. Vous vous re- préfentez, Mon£»ur , quel trou-, ble doit arriver dans l'anneau fui- vant , & ce trouble peut caufer une violente fermentation , qui rendra les efprits plus fubtils & plus vifs qu'ils ne le font ordinai- rement ; enforte que cherchant àfe débarraflerdu fang , Us peu- vent ouvrir les nerfs de celui des germes qui y eft contenu , & qui eft le mieux préparé ;les in.jeâer en animer ainfile germe. Le fyf- tême étant en aftion, la machi- ne fera dilatée, lesvaiffeaux fan- guins du germe , qui font vuides, cefTeront d'être pliffés & com- primés. Le fang agité où nage ce germe , pourra entrer dans fes petites veines : les artères dont les parois font formés de fibres nerveufes, nétant plus preffées, les % creux & ner- veux , qui font une grande par- tie du tiffu, étant ihjeaés d'ef- prits > donneront au canal la for- me qu'il doit avoir, pour rece- voir le fang. Ainfi la partie an- térieure du germe , pouffera vers la fedion, tandis que la partie poftérieure trouvant un obftacle , les différentes fibres s'étendront fur toute la cou- pure, comme feroit le li ère fur une muraille , & s'inféreront dans les petits intervales qu'elles trouveront entre les fibres de l'ancienne queue, elles l'em- brafferont, s'y attacheront , s'y perdront & formeront cette ef- pece de bourlet qui marque tou- jours l'endroit où la pelle du Jar- dinier a coupéle ver. A l'égard dir»trortçon d'un Mille-pied, qui n'a ni tête ni queue, l'opération fera double j un germe fe développera à l'an- neau qui refléta à l'endroit d'où îa queue aura été retranchées mais la partie antérieure du mê- me germe , fe perdra , comme je viens d'expliquer que la queue du germe dans le ver, fe diftri- buoit ôc formoit une forte de ci- catrice. Au contraire, la queue du germe du Mille-pied pouffera en dehors : un autre germe fe dé- veloppera dans la cicatrice for- mée par le retranchement de la tête. Mais dans ce germe nou- veau , la tête pouffera en dehors; ôcles parties de la queue fe per- dront dans l'ancien tiffu, & for- meront unbourler. C'eft proba- blement ainfi £ que réuffit l'o- pération du Jardinier qui gref- fe un arbre; un germe eft déve- loppé , les racines s'infèrent dans les fibres ligneufes du fujet, Quoique l'impoffibilité de pouffer les détails , autant qu'il feroit néceflaire, pour rendre cette opération bien fenfible , y jette quelque obfcurité, cette obfcurité eft-elle du genre de celle dont une forme plaftique réfidante dans des molécules organiques, & les animant, couvriroit ces admirables régé- nérations de parties. La premiè- re explication prife au hafard, vaut mieux que ces facultés ima- ginaires, plus ténébreufes en- core que le phénomène à l'é- clairciffement duquel on vou- drait les faire fer^ir. Il eft tems de terminer, Mon- fieur, tantdedifcuflîons épineu- fes , je ne veux point vous fati- guer encore par une autre Let- tre, pour vous rendre compte de ce que M. d'Aubenton a ajouté au quatrième volume de l'Hit toire Naturelle. Je n'ai que deux mots à vous en dire : il a donné uneexpofition des diftributions méthodiques des Animaux qua- drupèdes , ôc trois defcriptions du Cheval , de l'Ane & du Bœuf; c'eft aux Maîtres de l'art à en ju- ger. Il eft toujours très-Anti- méthodifte ; en pratique, ce qu'il a de commun avec bien d'au- tres, & en théorie, ce qui le caraaérife fingulieremeht. Il traite M. Linœus, comme j'en ufe avec M. tfe Buffon , & fait preuve de l'étude profonde qu'il a faite d'Ariftote. J'oubliois un Mémoire, le premier de tous, intitulé, de la Defcription des Animaux. Au refte, il feroitfdrc inutile de Critiquer fes ouvrage! en détail , car il n'écoute que fes confrères > auxquels il répond avec cette fupériorité que donne l'avantage de 1 âge, la préémi- nence du rang > & la gloire d'une réputation généralement répan- due , & depuis longtems* Car il parle ainfi dans une note , au fujet defonAmalgamme qui lui réuffitj nous dit-il , depuis qua- tre ans, Je pourrais aufli faire *> quelques réflexions fur une for- » te de critique à ce fujet, que » Ton a fait imprimer dans les * Mémoires de l'Académie des s> Sciences..,,. J'y répondis par » écrit dans le même tems , mais » je me garderai bien de rappor- *> ter le détail de cette difcuf- » fion » ce qui eft très - fage qui feroit • feroittrop indifférente pour le « Public , 6c qui m'importe fort «peu à moi-même. Je ne fais » mention de cet Ecrit, que par- , ce qu'il fe trouve dans le Re~ » cueil de l'Académie des Scien- » ces, & qu'il a pour Auteur , » un de mes confrères dans cette » Compagnie. » Quel ton de douceur ôc de modeftie ! C'eft M. d'Aubenton qui parle de M. de Reaumur. Que je ferois heureux, fi M. deBuffon prenoit mes obferva- tions dansl'efprit oit j e les ai Jat- tes. Si, rebûtté par le peu de fuccès qu'il a eu en forçant fon calent , il vouloit bien s'en tenir aie perfectionner, & renoncer jour toujours a nous donner des leçons dejMérapbifique.. Il ref- miM : Fartiez E^8] pe£ie la vérité dans la Religion î qu'il la refpe&e auffi dans la Na- ture y ôc même de quelque part qu'elle lui vienne; ce n'ëfi point à moi qu'il cédera > ç'efi: à la vé- rité qu'il rendra les armes ; il eft toujours glorieux d'être fa con- quête. Quand il aura pris ce par- ti, il ne m'en reftera d'autre à à prendre à fon égard % que ce lui de l'admirer. Je voudrais de tout mon cœur y être réduit > & n'avoir plus à vous entrete- nir % que des fentimens tendres &refpectueux > &c. lin Eflke* /w Guillemets de la ligne fuiwnm Vlll. Partie, S U1TE DES LETTRES UN AMÉRIQUAIN, Sur les IVe. & Ve. volumes DE L'HISTOIRE NATURELLE de M. de fi u FF on; ET SUR LE TRAITÉ DES ANIMAUX de M. l'Abbé de Condillac. Neuvième Partie» A HAMBOURG. M. D C C. L V L L i J SUITE DES LETTRES A UN AMÉRICAIN. mUinÈME PARTIR XXXe. LETTRE, M ON SIEUR, LES Lettres que j'ai em î?honneur de vous écrire, fut le quatrième Volume de l'Hif- toire Naturelle , Générale ôc Particulière étoient déjà en^ IX. Partie, A tte les mains de lïmpriaieur ï lorfqu'un Ouvrage intitulé Trai- té des Animaux, a paru & a été aûez bien reçu du Public. Il eft de l'Abbé de Condillac, fi con- nu par fes travaux dans la Méta- phifique. Cet Auteur y traite anez malM. de Buffon, dont il réfute avec force pluïïeurs opi- nions fur la nature des Animaux. Airifi j'ai été prévenu, mais d'u- ne façon avantageufe pour moi, û je dois m'en rapporter à des perfonnes très-éclairées , qui fe flattent que le Public n'en fera que plus emprelfé de voir une ré- futation complette & fui vie de 2a dodrinedu quatrième volume de l'Hifïoire Naturelle. LaLeâure de mes Lettres , comme je me l'étois bien pro- m mis, n'aura eu d'autre effet fur votre efprit > que de vous laiffer dans une parfaite indécifion & une entière indifférence fur la queftion de l'ame des Bêtes > fi fort agitée depuis plus d'un fié- cle. Après l'avoir analifée, j'é~ tois parvenu à un problême qui fe réduit aune alternative entre deux partis oppofés, & fur la- quelle il faudroit deviner quel a été le choix de Dieu. Or r quand il s'agit de pénétrer fes détermi- nations entre deux ehofe& qui nous paroiffent égales % nous fend- rons très-bien qu'il faudroit at- tendre qu'il voulût bien s'expli- quer lui-même par une révéla- tion x & qu'il ne nous convien- droit pas d'opter pour lui, Com^ Men notre raifon renferme-t-elle U4l Vautres problêmes infinimenï plus intéreffens pour l'Homme-* & fur lefquels elle nous fait fou- haiter que Dieu même s'expia que > ou fe foit expliqué ! L'un de ces partis, eft l'opi- nion que le Cardinal de Polignae a plutôt indiquée , que dévelop* pée dans fon Anti-Lucrece. Le fécond eft le préjugé vulgaire y qui nous porte à donner de la fenfibilité , & quelque dégré d'intelligence aux Animaux* mais qui leur fuppofe une am© effentiellement différente de la nôtre* Vous aurez, entrevu dans mes Lettres que je fouhaitois que ceux qui déféreroient à ce préjugé y ne le dépouillaffent pas des ténèbres dont il eft envelop- pé * qu'ils le refpedaffent com- me M me un myftere naturel qu'on ne peut approfondir, fans fe jetter dans des difcuffions révoltantes* Car, dès qu'on voudra le traiter philofophiquement , & qu'on s'efforcera de fixer quelle eft la nature des ame$ qu on accorde aux Animaux , on fe trouvera obligé, en traitant les phénomé^ acs qu'on voit de leur part> de reconnoître dans les Bêtes , une ame de même nature que la ne- tte , & de facrifier la partie du préjugé qui intéreffe le plus vi- vement notre amour propre, je veux dire la fupériorité de notre nature fur la leur. Ceft précifé^ ment l'écueil où échoue le célè- bre Abbé deCondillac. Il prou- ve fort bien que la fenfation ne peut être un mode de la machi- IX* Partie, B ne 5 comme le prétend M» de Buffon ; que fi l'Animal eft fen* fible, il a une ameimais il ne prouve pas fi bien > que fi cette ameeftfenfible, elle eft intelli- gente ; il ne tire fes preuves que de l'inutilité de la fenfation dans un Eftre qui n'auroit aucun dé- gré d'intelligence , pour éviter ce qui eftnuifible, ou pour fui- vre ce qui eft utile. Au lieu que je prouve que dès qu'un Eftre eft fenfible, il a toute la capacité qu'exige l'intelligence ; s'il n'a pas cette intelligence actuelle- ment. Mais quand il eft queftion d'établir que les efprits , dont il fuppofeque les corps des Bêtes font animés , différent effentiel- lement des nôtres, c eft ce dont il ne donne pas la moindre preu~ m Te même apparente. Son fefttï- ment eft, à la vérité > celui au- quel nos Philofophes font pres- que généralement revenus* mais il le traite fi fingulierement , que je me flatte de vous faire un vrai plaifir, en vous rendant un comp* te exa£t de fou Ouvrage. Il aéré engagé , de fon âvem même, à eompofer ce Traité des Animaux , parce que quel- ques uns ont prétendu qu'il de- voit à M. de BufFon , l'idée dit Traité desfenfations, qu'il don- na l'année paifée. » Je n'ai formé, d Jf** »> dit-il le projet de cet Ouvrage, mair*> ~ que depuis que le Traité des P# ' ° *> Senfations a paru , & j'avoue » que je n'y aurois peut-être jar> «mais penfé, fi M. de BufFon M navoit pas écrit fur le même Bij i  "M m i fujet. Mais quelques perfonnes «ont voulu répandre qu'il avoir «rempli l'objet du Traité des ■» Senfations > & que j'ai jeu tort » de ne l'avoir pas cité. Mais vous ignorez, Moniteur* ce que c'eft que ce Traité des fenfations; il eft néceflaire de tous le faire connoître en gros, en attendant que je le difcute plus à fond. L'objet de cet Ou- vrage étoit de prouver qu'en ana- lifant exa&ementnos fenfations^ on trouve qu'elle ne renferme aucune idée des corps , que Ton- deur n'annonce ni le voifinags d'un corps odoriférant,, ni un air parfumé ; que Fouie n'in- diquoit en aucune façon un lieu d'où part le fon ; que les couleurs ne couvrent aucune ■ furface , ne repréfentent aucune image ; que dans l'enfance, avant que nous euffions fait ufa- gede nos mains , nous voyions des couleurs , & ne voyions rien; nous fentions des odeurs , &ne connoiflions aucun corps > que notre ame a été inftruite par les épreuves de nos mains , de Fexiftence de notre corps & de ceux quir nous environnent , & que par une étude profonde , elle a appris à étendre les couleurs fur des furfaces, & à en former les images des corps. Et comme iine nous fouvient en aucune fa- çon des études philosophiques qu'on fuppofe que nous fai- sons dans le berceau , pour nous en donner une idée, on imagine qu'un corps humain B iij «ni à une ame, eft recouvert partout d'une croûte de marbre quienfaituneflatue par Je de- hors, & que toutes les avenues des fens, font exaftemnt bou- chées par cette croûte : on ouvre àfongré un de ces organes Sé- parément ; d'abord les narines* enfuite les oreilles, &c. A cha- que épreuve on nous raconte des. merveilles inouïes,., après, quoi, onenouvreplufieursà la fois. Enfin, on lève toute cette croûte de marbre, & les prodi- ges fe multiplient, Ecoutez comme l'Auteur ex- maux , prime le réfultatdes expériences ?raitédU(lu5ilafaitesfurfa ftatue d'ima- IlonT gin«ion. » Les fens ne nous p- ^4- „ donnent par eux-mêmes au- »>çune çonnoiflance des objets s3 extérieurs.... Un Eftre borné » à l'odorat , ne fentiroit que » lui dans les fenfations qu'ii * éprouveroir. Préfentez-lui des » corps odotiférans, il aura le » fentimentde fon exiftenee ; ne «lui en offrez point, il nefentka «pas: il n'exifte à fon égard, » que par les odeurs, que dans « les odeurs ; il fe croit , & U ne » peut fe croire que les odeurs » mêmes. » Il eneft de même de l ame bornée , aux autres fens , au goût , ôoc. »> Les couleurs font des mo- p. 20?. édifications fimples de l'ame» » comme les odeurs , les fons, le chaud , le froid : aucune de » ces fenfations ne porte avec » elle l'idée de l'étendue ; & fi » les couleurs peignent des gratv- f 12} -deurs à nos yeux, ce n'efr « qu'après que le toucher nous a M aPpns à les rapporter au dehors, »&à les étendre fur des furfa- » ces. xop. , Comment donc pouvons* • 110118 voir des objets hors de - nous? En effet, il femble que »• nous ne devrions voir que no- «tre ame modifiée différem- » ment. Jeneconnois point de « Philofophe qui ait réfolu ce s? problême.». Jecrois l'avoir fait- & vous en verrez la- folution , dans l'analyfe des fenfations, que je donnerai inceflâmmenri Voici la réponfe de l'Auteur; p. iro. » Confidérons donc un Hbm- » qui commenceroit d'exifter: *tant qu'il reftera. immobile, il «n'éprouvera que les fenfations [i33 » que l'air environnant peut- » lui donner : il aura chaud ou » froid, il aura du phifir ou de **la douleur ; mais ce ne font » encore là que des modifica- tions qui reftent , pour ainfî di~ »»re , concentrées dans fon ame. » Il n'apprendra point d'elles f » s'il y a un air qui l'environne > » ni même s'il a un»eorps;iine » fauroit former aucune forte de wfoupçons fur tour cela , il eft » borné à ne fentir que lui y il ne^ peut fentir autre chofe. » Voi- là, Monfieut, ce que vous étiez dans vos langes s mais quand votre nourrice vous don- na le libre exercice dë vos mains, vous devîntes un Philofophe, de ceux; qui ne raifonnent que fur l'expérience. On va vousre-- 1 i r<4j tracer le rours d'expérience que vous fîtes alors. Car vous éprou- vâtes tout ce que l'on va dire de FHomme en queftion, ou do moins notre Auteur le croit ain~ & nn « Sa main fe meut & fe porte *>fur différent corps y auffitôt aux fenfations de chaud. & de- * froid , fe joint la fenfation de folidité , ou de réfiflance. Dès ^ que Tes fenfations font réunies^ a> elles tiennent tout à la fois à Famé & aux objets qui lui font » extérieurs r 6c entraînent l'âme avec elles..» Vous ne voyez pas encore comment Fufage de vos petites mains, vous apprit dans votre enfance-, à connoî- tre lescorps ; ni comment,, à la. première fenfation de folidité \r [in commencèrent à exifter, à fé~ gard de votre ame , votre corps y les objets , & Tefpace.. Car au- paravant , imaginez, fi vous le pouvez, Monfieur, lafituation où vous vous trouviez. Ecoutez^. 2124 & admirez, car affurément vous n'y concevrez tien*» En effets Fefufez4ui * à cet Homme tout neuf, comme vous l'étiez -dans la première enfance » refufez- » lui cette feule fenfation de for * îidité> & accordez lui toutes *? les autres , il ne prendra cen- sé noîffance que de lui-même; il « lui femblera qu il eft plufieurs » chofes à la fois. Il fentira qu il « fe multiplie, qui! fe répète ^ qu'il fe reproduit , pour ainft o> dire, hors de lui-même; il ju~ «géra, quii eft un, parce que 06J 5 dans chaque fenfation , il re- *>connoîtfon*wj, il jugera qu'il- » eft multiple , parce que le moi « varie d'une fenfation àTautre.^ Dans quel embarras étiezrVou& alors? Dans quel embarras font les petits Chiens , avant qu'ils fe foient fervi de leurs pattes pour eonnoître leur corps ? Car, à< cet égard r les effais des enfant de l'Homme > & des petits des Animaux, font les mêmes ; mais les effais de ceux-ci: > ne font pas probablement fi longs. Vous n'êtes pas encore trop krftruit de ce que l'Auteur pré- tend vous enfeignen Ecoutons encore- » Voilà plufieurs fenfa- rions coéxiftantes ■> & c'eft déjà «une condition préalable aa * phénomène de l'étendue ; mais. t 173 «ceneftpas affez pour le pro» » duire. L'idée de l'étendue fup- »pofe, non-feulement que plu- » .fieurs chofes coexiftent ; elle „ fuppofe encore qu'elles fe «> lient , fe terminent mutuelle- a3 nient , & fe circonfcrivent. Or, «c'eft une propriété que n'ont » point les fenfations auxquels » .nous bornons cet Homme ; el- » les fe préfentent au contraire à » lui comme ifolées. Mais fî nous p. «« ■» lui accordons le fentiment de" «folîdité, auffitotles manières » d'être réfiftent les unes aux au- « très ; elles s'excluent , fe ter- » minent mutuellement , & cet » Homme fent en elles les diffé- » rentes parties de fbn corps..... » C'eft ainfi que forcés par le » fentiment de folidité , à rap- «porter nos fenfations au dehors » nous produifons le phénomè- ne de l'efpace & des corps. • Voilà , je penfe, la folution » du problême propofé par M. » d'Alembert : on ne l'auroit pas «trouvé, fi on n'avoit pas con- « lîderé leparément nos fens & « nos fenfations. » Ne fommes- nous pas bien redevables à M. l'Abbé de Condillac d'une û précieufè découverte ? ilfcyL Ici» vousïe voyez, Monfieur, l'Auteur eft difciple de l'Abbé *°'p*. ' Needham. Il appelle , comme lui , lafolidité des corps un phé- nomène , & c'eft un phénomè- ne des efprits. Il définit ailleurs 3e corps , d'une autre manière. C'eft cette colle&ion de qua- lités que vous touchez , tis>3 *> voyez ♦ &c. Ouand Pobjet éft Ext. r*î. L „ , '« i . n <*u Trait, *>préfent, & quand 1 objet eitdessenc » abfent; c'eft le fouvenir des « qualités que vous avez tou- chées, vûes, &c. » SifAuteuE fe fût fuivi , il eût dû dire , c'ef une colle&ion de manières d'ê- tre de l'âme, qui fe réâftent les unes aux autres > qui s'excluent &fe terminent mutuellement f Ôc par conféquent , les trois dL mentions, leurs folidités ne font que des manières d'être de Fa-* me } que cette même ame chalTe hors d'elle-même , je ne fai com- ment ôc par des études profon- des , pour les confidérer comme des objets étrangers. Mais pourquoi vous ai -je tranfcrit ce long précis de la doc- trine de l'Auteur fur nos fenfa- «ions ? C'eft ce que vous êtes tenté de me demandet, Mon- iteur ; c'eft parce qu'en vous ren- dant compte de fon Traité des Animaux, vous tie comprendriez pas ce qu'il entend, lorfqu'il par- le des études que les ames qu'il accordeaux Animaux, font dans lespremiers momens deleurexif- tence. Vous feurez maintenant qu'ils travaillent à circonfcrire avec leurs pattes, plufieurs fen- fations diJlinéJes & coexijlantes , £Ht.Pouren 'for™er l'idée de leur corps, & des corps dont ils font environnés, &de l'efpace que ces corps oc- cupent. Je ne fai quelles reflbur- ces ont les Chenilles & les au- tres Reptiles , pour faire ces étu- des fi nécefiaires. Je ne crois pas que M, d'Alembert foit fort fa- tisfait tisfait des folutions que lui don- l'Abbé de Condillac. Le pre- mier avoit dit dans fon difcours préliminaire de l'Encyclopédie ? ce qui ne nri'avoit pas échappé* »que n'y ayant aucun rapport en-^ 9>tre chaque, fenfation, & Tob- » jet qui Foccafionne , ou du- «moins auquel nous le rappor- tons ; il ne paroît pas qu'on: » puiffe trouver par le raifonne* 35 ment > de pafîage poflibîe des » l'un àFautre : qu'il my aqWune « efpece d'inftinât plus fur que ^ » la raifonmême, qui puiffe nous- faire franchir un fi grand inter- *>valle. L'Abbé de Condillac lui répond d'une manière que vous trouverez plus- iinguliere^ queiumineufe; *>Jh me fembîe que pour dë£~ LX, Partie» » C> C22J ait! "eomicli ce paffage.-^ il n'eftpa* * 21*. « néceffaire de raifonner ; il Suffit de toucher.Le fentiment de fo- ». lidité $ ayant tout à la fois deux, «rapports , l'un à nous y & 1 au- « tre à quelque chofe d extérieur, ^Ceft comme; un pont jetté centre lame' & les objets*. * les fenfations paffent *> le pont >m & l'intervalle n'eli « rien. » La réponfe eft laconi- que ; mais qu'explique-t-elle l L'Auteur s'écarte même ici de fes principes.. Si la fenfation de folidité çft un pont , les, objets extérieurs n© font pas les arcs- bout ans de ce pont -, mais feujta^ ment les fenfations qu'il lie l'une à l'autre dans les principes que bous venons de voir avec éton- ; bernent ; fit. d'ailleurs^ le fentî- toent de folidité , par une expul- fion merveilleufe , chaffe les fenfations de l'ame hors d'elle r &les lui fait confiderer comme" étrangères. Eft-ce-là l'office d'un pont ? Un autre étude à laquelle l' Au- teur applique les Hommes .fit les: Animaux dans leur enfapce lr efï l^arr de fe fervir du toucher, pour mettre les fuperficies fous les couleurs qui frappent nos yeux„ La couleur ne repréfentant aucune image, aucune fuperfi- eie> ,il faut cependant quelle in- flue dans cette, repréientatior^ Nos mains & les pattes des Ani- snaux font cette merveille*. Je: îï-entreprendrai point de vous développer de quelle manière eî? lés Ifogéres cela demanderait une: e*4J trop longue difcuflion. Je ne puis m'ernpêcher ; en terminant cettre Lettre, dans laquelle je me borne à vous faire connoître le Traité des Senfations > auquel celui des Animaux eft relatif ; js ne puis m'ernpêcher dis-je de gé- mir fur le ton de philofophie qu'a pris notre fiécle. Le P. Male- branche foutint à M. Arnaud 3 t que nous n'étions certains de î'exiftence desxorps que par la foi. Ilneperfuada perfonne r & j'ofe dire > quoique je regarde ce grand homme comme rooa maître , qu'on eut raifon de n'ê- tre point frappé des preuves qu'M employoit* Maintenant on va au de-là de ce paradoxe infoute*- nable. Examinez de fang froid >, fi vous le pouuez > l'extrait d'une des notes du Traité des fënfô-^^ tions*.& vous verrez que ni la;tp^;â2; foi , > ni la raifon >.ne-rendent cer- tains de l'exiftence dfcs corps dans l'efprit de notre Auteur , qui néanmoinsen doute, certain nement aufli peu que moi. Il avoit dit > » lorfqu'elle » l'ame^ s> a le fentiment dir toucher > » qu'apperçoit-elle > fi ce n'eit » encore fes^ propres modifîea-* étions? Le toucher neft donc o? pas plus croyableque les autres *>Jens : & puifqu'on reconnoît *>.que les fons , les faveurs , les ^odeurs & les couleurs n*exif* ^tentpas dans les objets , il fe ^pourroit que l'étendue n'yexif4- ^tât pas davantage.» J'exami-* nef ai ailleurs la valeur de ce* pa-* saUelle*. Venons àlajiçte^^S'il . -n'y a-pointd'étendue, &z-t-om - peut-être, il n'y a point de * corPs- J£ ne dis pas qu'il n'y à «point d'étendue, je dis feule- • ment que nous ne 1 apperce- » vons que dans nos fenfations.... •N'y. eût-il point d'étendue ail- - leurs» que dans nos fenfations? €eft apparemment ce qu'il veut dire. » Cene feroit donc, •■pas une raifon pour nier l'exif- •tence des corps : tout ce qu on «pourrait dire & devroit inférer, . w c'eft que les corps font des Ef- » très qui occafionnent en nous - dès fenfations, & qui ont des -propriétés fur lefquelles nous - ne faurions rien alTûrer. ■» C elfe- à-dire, des Eftres dont nous «'aurions aucune idée , & dont- nous ne pourrions .-affârer,à aïoina. E>7T que de raifonner au haford qu'ils; foient ou non de la même nature? que notre ame. » Mais , infiitera-t-on , « c'en:: là fuite de la note, » il eft dé- *mâë par l.Ecriture, que les, * corps font étendus, ôc vous » rendez au moins la chofe dou- «teufe.» L'Auteur n'y penfe. pas : fi les corps font étendus , êe: que notre ame voye aufli 1 éten- due dans fes dimenfions ; il fera* évident que notre ame aura dans les prétendus grouppes de Tes fenfations , une propriété euen- tielle au corps , il devroit donc?, attaché comme il l'eft à ïa fpiri? ritualité de l'ame , nier* que l'é- tendue que nous voyons snnous^, à ce qu'il prétend , foit & puuïe être: une. propriété, des ç®rgs*. Il répond. » Si cela efl , ; la fo£ »>rend certain ce qureft douteux •-enphilofophie, ôciln'y a point «•là de contradi&ion. En pareil- » le cas, le Philofophe doit ^douter quad ilconfulte la rai- «> fon , comme il doit croire^ *» quand îa révélation Kéelaire. €eci eft fage ; mais ce qui fuit ^ eft-il bien mefuré ? » Maïs FEcri- *> ture ne décide rien à cefujet*. Elle fuppofe les corps étendus y, ^comme elle Jes fuppofe colorés^ & fonores , &e. Et certainement^ »ceft-là une de ces queftions^ .» que Dieu a voulu abandonner, «au* Philofopkes^» Certaine- ment.Et fur quoi porte cette cer- titude? FEcriture emploie le lan- gage des Hommes ^lorfqia'elle: kur parkde couleurs, &.d& fons. Mais , lorfqu'elle nous apprend que Dieu a créé le Ciel , la Ter- re , le Soleil, la Lune, les Etoi- les, &c. Elle nous dit que ces objets que nous voyons , ont été créés ; ce n'eftpas de nos fenïa- tions quelle nous parie , c'eft des objets de nos fenfations. Que Ton confulte la tradition de tous les tems & de tous les lieux , on fera convaincu que TEglife a tou- jours entendu que Dieu a créé rétendue du Firmament, qu'il a déterminé les limites de la Mer ôcc. & n'a jamais permis de penfer que tout ce que l'Auteur de la Nature a produit, fût un afTemblaged'Eftres, dont nous n'avons naturellement aucune idée, ou ne fût que nos propres fenfations. Pour faire fentir à IX. Partie, D Do] l'Auteur combien il eft la dupe de fes bonnes intentions, ôc quel avantage les Matérialiftes peu- vent tirer des mêmes principes y qu'il croit victorieux contre eux , qu'il me foit permis de parler un moment en leur nom. p Je n'ai *> point d'idées d'un corps > dès •* que vous en avez enlevé les » trois dimenfions : ce qui refte, * après qu'on les a mis à l'écart , *> n'eft , félon moi > 6c comme » le di&e le fens commun , qu u- v ne chimère. Mais vous pré- tendez que je vois les trois di- *> menfions dans les façons d'ê- » tre de mon ame , dans les mo* » des par lefquels elle fe fent » exifter. Elles y font donc au fi moins , fi elles ne font nulle » part ailleurs. Donc mon ame *> fe fent être un corps , Ci vous » le' voulez, il n'y a que mon ame » de corporelle , & elle prête à *> des objets extérieurs ] dont elle » n'a pas la moindre idée , celle » de corps. Nous tenions à no- « tre opinion par inftinâ; mais » vous nous foumiffez une dé- » monftration à laquelle , mal- =3 gré tous nos efforts , nous au- * rions temé inutilement de pou- » voir parvenir > vous direz tant « qu'il vous plaira, qu'un Efîre ^étendu « n'eft pas un corps ,-peu ■«nous importe; pour vous ac- « corder quelque chofe, nous o> dirons feulement que notre » ame eft un Eftre qui fe fent exif- ter fans les trois dimenfîons. * Vous avez démontré contre $ nous , que Famé neft point un Dij i »> comp'ofé de parties ; c'eft-à-di- p re , qu'elle n'eft point de l'af- » pece d'une fubftance dont vous w avez , & dont vous prérendez » que nous n'avons aucune idée, a» Nous foufcrivons à votre dé- » monftration;rendez-vousdonc » à celle que nous tirons de vos » principes, La réalité des trois » dimenftons eft dans notre ame, *» puifque > félon vous , ces di- menfions ne font que les group- ées des fenfations. Ainfi, la » feule étendue que notre ame » conçoit , lui appartient : no- tre ame eft étendue > c'eft le » feulaveu que nous exigions de » vous. Nous y joindrons ce, » dont vous convenez ailleurs, a> que l'ame celle d'être pour el- ? Jç-même ; quand elle n eft Jfrap- [5?3 » pée j ni d'aucune odeur^rii d'au* » cuns fons , ni d'aucunes cou- « leurs . quand elle n'a point de «fenfations aûuelles ; pour nous » raffûrer totalement contre le ?» principe de lmdeftra&ibilité » naturelle de notre ame^le point *> capital du Carthefianifme que »nous abhorrons;& nous avouer » rons que nous vous devons no- *» tre tranquillité fur les fuites de $ la deftruâion de notre corps * M objet peu intéreflant pour nous* «puifque nous n'en avons aucune » idée. * Jugez , fur ces raifonne- mens, Monfieur, fi les repro- ches que vous me faifiezau fu jet de ma Lettre contre l'Abbé Needham , éroient bien fondés. » Pourquoi , me difiez - vous > perdez-vous de vue votre ob- i3*y «jet? Vous pourfuivez les Ma- » térialiftes ; les SpirituaMes les m attaquent à leurmaniere. Vous » prenez le change j vous quit- tez une proye afïurée, pour *> courir après une meute qui la «manque, Revenez prompte- « menr , reprenez votre travail 5 « vous vous engagez dans des » queftions abftraires, où le Lec- *> teur ne peut vous fuivre , pour *> réfuter des chimères dont il ne «faudrait que rire, » Riez donc, Monfieur, tant qu'il vous plai- ra, fi vous croyez encore qu'il eft ihdiiîerent de rappeller aux idées communes > ceux qui pen- fent que l'étendue eft une modi- fication de notre aine $; comme les couleurs & les fous. Pour moi, je prends la chofe très fé- t3$l rieufement , & j'efpere que ceux même que je réfute, m'en fau- ront gré. Leur erreur eft du genre de celles qui ne peuvent être enfantée que par des génies fu- périeurs , & capable de méditer profondément. Cette réflexion fuffit pour calmer leur amour- propre ; & le goût qu'ils ont pour la vérité, & dont je ne puis douter, les éclairera enfin fut leurs écarts. Adieu, Monfieur, ôcc. XXXI . LETTRE. IE fuccèsdes combats en- j tre deux erreurs, Monfieur, eft leur deftru&ion mutuelle^ M. l'Abbé de Condiliac eft très-bien D iiij [3 dans un point qu'on peut regarder comme Peflentiel du Traité des Senfations, me fait quelque peine. C'eft lorfquel'un & l'au- tre entreprennent d'expliquer la manière dont nous formons l'i- dée de l'étendue. M. de BufFon nous enfeigne qu'un Homme qui commence à s'initier dans l'ufage de fes fens, fait des expé- riences fur fon propre corps, en portant la main fur les différen- tes parties dont la mafle , qui lui eft propre , eft compofée ; ôc qu'il remarque que tout ce qu'il t C38] touche > lui rendfentiment pour fentiment. Il me femble que cet- te expreffion rend auffi noble- ment que laconiquement , la doârine que l'Abbé expofeavec plus d'étendue : celui-ci a mis fa ftatue dans la même pofition où M, de BufFon avoit représenté fon Homme faifant Peffai des fens : la Statue & l'Homme font les mêmes épreuves. Auflitôt que la Statue, dit M. de' Con- dlw. dilla^ dans fon Traité des Senfa- M**.1' tions , » porte la main fur une p d'elles » des parties de fon corps , qui ne font plus incruftées de marbre » le même Eftre fen- optant , fe répond, en quelque « forte, de l'un à Pautre, cefi moi : qu'elle continue de fé tou- *> cher par tout , la fenfation de (m » folidité , mettra de la réfiftan- » ce entre fes manières d'être , » & par tout auffi , le même Ef- »tre Tentant, fe répondra, cf/î » moi , ceft encore moi. » N'eft-orî pas tenté de croire que cette ex- plication n'eflquele développe- ment de l'idée de M. de Buffon , que la penfée de celui-ci efc le texte, & que M. l'Abbé de Gondillac nous en donne le commentaire ? Cependant , comme cet Abbé prétend avoir tiré ce fyftême de fon propre fond, nous fommes. obligés de l'en croire fur fa pa- role. Il faut donc dire que M. de Condillac , en lifant la pen- fée de M. de Buffon , n'en a été frappé que comme d'un éclair d'imagination, qu'on admire, C40] fans y chercher du fensj qu'il l'a lûeavec peu d'attention : mais que, fans qu'il s'en foit apper- Çû, ellealaiflë un germe dans fa mémoire ; que de ce germe eft fottilefyftâme dont nous venons de rendre compte en paffant , & que le développement de ce ger- me ayant été très fecret pour lui- même , il a pû très naturellement fe regarder comme le créateur de cette découverte qui, au réf. te > ne mérite certainement pas d'être revendiquée. . L'Abbé de Condillac prouve bien' que, files Animaux ont des fenfations, elles font des modi- fications d'une ame fimple, & ne peuvent l'être d'aucune por- tion de la matière. Mais prouve- t'il auffi évidemment, que les [40 Bêtes fentent véritablement ce qu'elles paroiffent fentir ? Vous en jugerez y M onfieur > fur les raifons qu'il expofe. » Les Bê- Traité mi 11 a xi des Ani* » tes veillent elles-mêmes a leur p- ™ & ii. » confervation ; elles fe meuvent » à leur gré , elles faififfent ce » qui leur eft propre > rejettent > a> évitent ce qui leur eft contrai- » re. Les mêmes fens qui ré- « glent nos adlions , paroiffent » régler les leur : fur quel fonde- » ment pourroit-on fuppofer que *> leurs yeux ne voyent point 5 » que leur oreilles n'entendent * pas ? » Sur ce fait très fimpîe , comme j'ai eu Phonneur de vous le faire obferver dans mes Let- tres précédentes , en nous-mê- mes y nos yeux ne voyent points nos oreilles n'entendent point \ notre chair ne fent point, qnoi- qu àl'occafion de ce qui fepaffe dans nos organes , notre ame voye , entende-, fente. Or, parce que ces mêmes organes fervent d occafion au Créateur, de produire des fenfations dans les Hommes ; que ces fenfations mettent leur volonté à portée de difpofer des mouvemens de leurs membres, s5enfuit-il quefur des occafions prifes des différens changemens furvenus dans le plan du cerveau , il ne puiffe fai- re agir immédiatement les mem- bres des Animaux ; comme For- donneroit une ame nécefïitée, ou réduite à la fpontanéité : com- me notre Auteur veut que foient celles des Animaux. Une telle ame eft toujours déterminée, foit par letat actuel de fes nerfs, foit par 1 état a£tuel du plan mé- chanique de fon imagination. Or , que les Animaux ayent une ame de cette efpece , ou qu'ils n'en ayent point , tous leurs mouvemens feront opérés par la toute-puiffance du Créateur , ôc les occafions de ces mouvemens feront fpécifiés dans la machine. H paroit donc prouvé qu'une ame , dans lès Animaux , feroit comme une roue furnuméraire dans une Montre. » A la rigueur, ajoute-t-il , ce p. n, « n'eftpaslà une démonftration. =» Quand il s'agit de fentiment,il « n'y a d'évidemment démontré » pour nous , que celuidont cha- « cun a confcience. Mais parce *> que le fentiment des autres » Hommesnem'elt qu'indiqué, [44 1 » fera-ce une raifbn pour le révo- quer en doute ? Me fuffira-t-il » de dire que Dieu peut former » des automates, qui feroient par »un mouvement machinal, ce « que je fais moi-même avec ré- » flexion f Le mépris feroit Puni • queréponfe à de pareils doutes. 99 Ceft extravaguer, que de cher- •> cher l'évidence partout. Ceft « rêver,que d'élever des fyftêmes » fur des fondemens purement » gratuits. * Ah ! que de favans parmi nos Phiiofophes, parmi ceux-même qui prétendent rai- fonner d'après l'expérience, & qui, criant le plus haut contre les fyftêmes , s'arrogent le pri- vilège exclufif d'en bâtir tout à leur aife. » Le milieu entre ces pdeux extrêmes,c eft de phiiofo- pher t4n S pher. Il y a donc autre chofe ™ dans les Bêtes > que du mou- ai vement ; ce ne font pas de purs o> automates , elles fentent. Il eft très-vrai qu'il y auroit de la folie à ne compter fur rien , quelur ce qui eft appuyé de dé- -monftration. Tout le commerce de la vie roule fur des vraifem- blances ;mais, parce qu'il eft ridicule de demander des dé- monftrations de tout, faut-il fe livrer à toutes les vraifemblan- ces ? Eft-on même toujours obli- gé de prendre un parti. Je con- viens qu'une perfonne extrava- gueroit , Ci elle s'obftinoit à dou- ter que les autres Hommes ont des ames fenfibles & intelligen- tes comme lui , fous prétexte qu'il n'a pas le fens intime de IX, Partie, E [4*] leurs fenfations , ni de leurs pen* fées. Mais pourquoi ne taxera- t-on jamais d'extravagance le Cardinal de Polignac , 6c tous ceux qui, comme lui, ne pren- nent aucun parti dans la queftion de l'ame des Bêtes ? Pourquoi ivarrive-t~il pas qu'un feul Hom- me s'avife de douter férieufe- ment que fes femblables ayen-t des ara.es ? C'efl: que , lorfqu'il s'agit de juger de la nature de nos femblables, nous ne fommes pas abandonnés à nos recher- ches , ni réduits à balancer des vraifemblances pour nous déter- miner. L'Auteur delà Nature y a pourvu, & tout Homme en qui ne fe trouveraient pas les oc- eallons fur lefquelle s le Créateur nous décide fur ce point , auioit le cerveau tour auflî dérange què! celui qui , fur de vaines fpécula- tions y regarderoit le monde comme un phantôme , ou qui, fur les faits , réaliferoit le pyr ronifme univerfel. Mais au con- traire , 1 état des Bêtes eft laifîe à nos recherches. Voilà pour- quoi plufieursj parmi ceux qui méditent, parviennent à douter effe&ivement que les Bêtes ayent des ames ; car il y a des chofes certaines hors de la fphere des vraifemblances , & qui ne font pas fondées fur la démont nation. Mais il ne fuffit pas de dire qu'il y en a de cette efpece, pour y comprendre , comme le fait l'Auteur, la queftion de l'a- me des Bêtes. La créance ferme des vérités dont je parle ,.eft fois- [43] dée fur desprincipes de certitude dont nous ne femmes pas plus les créateurs , que nous le fouî- mes de l'évidence. Ils font dûs à l'inftitution du Créateur , & ce font ces principes qu'il faut re- chercher pour difcerner fi telle chofe eft crûe par caprice > ou fi elle l'eft par l'impreffion duCréa- teur fur nos ames > c'efi ce que je compte difcuter autant que j'en fuis capable , dans Tanalyfe des fenfations. L'Auteur auroit donc dû pé- fer l'énorme différence qu'il y a entre la manière dont l'Homme juge de fes femblables, & Tirré- foiution qu'il éprouve > lorfqu'il veut fe déterminer fur la nature des Animaux. Parce qu'il n'eft pas démontré que des çorps or- [4P] ganîfés comme le mien , font unis à des ames de la même ef- pece que la mienne , je fens > à la vérité, que je pourrois douter que les Hommes avec qui je vis, fuffent femblables à moi ; mais je fens très-vivement en même tems, que je n'en doute point, & que tout Homme qui en dou- ter oit réellement , extravague- roit: mais par rapport aux Ani- maux, non-feulement je puis douter qu'ils ayent des ames 3 mais encore j'en doute effecti- vement y ôcje crois vous avoir prouvé ^ Monfieur , que ce dou- te eft fort raifonnable, & eft peut-être Tunique parti raifon- nable. Comme cela ne peut être contefté, je ne crois pas que perfonne avoue k raisonnement fur lequel l'Auteur du Traité des Animaux , fe fonde , pour prou- ver que les Bêtes fentent ; il rou- le uniquement ce raifonnement fur notre façon de penfer , par rapport à nos femblables , & vous voyezjMonfieur > combien ileft peu folide. N'adniirez-vous pas, Mon- fieur,que l'Auteur foit fi délicat, fi circonfpe£t , lorfqu'il eft que£ tion de croire fur le témoignage unanime, quoique non unifor- me , de tous les fcns , que fon corps a des climenfions réelles au dehors de fon ame , ainfi que tous les autres objets dont il eft environné ;& que fur une corn- paraifon très-peu exafte , fur des apparences de fenfations, il con- clue affirmativement que les Bê- tes ont des ames fenfibles. Com- ment n'a-t-il pas réfléchi que* dans fon fyftême ^ les corps des Animaux n'étant comme tous les autres corps % que des group- pes de fes propres fenfations > les apparences de leurs procédés ne font que des modes de fa fubftaiî- ce > & ne démontrent rien par rapport à ce qui eft, ou à ce qui peut être au dehors de fon ame, L'Auteur ne démêle & nê-< claircit donc en aucune manière le pré j ugé qui donne des fenfa- tions aux Animaux, Il le fuppo- fe ; c'eft fur une idée auflî vague qu'il bâtit tout fon fyftême* » Ain-fî, au feul mouvement d'u- p< w ne baguette, l'Enchanteur éle- « ve^ détruit , change tout au gré k de fes defîrs ; & l'on croirok » que c'eft pour préfider à cette » manière de philofopher, que *> les Fées ont été imaginées. Suppofé que les Bêtes foient fenfibles > elles ont des connoif- fances > & même des connoif- fances abftraites. Je l'ai prouvé à M. deBuffon, M- l'Abbé de Condillac le prouve auiïi très- bien : Mais c'eft en partant de cet hypothèfe de la fenfibilité %dans les Bêtes , qu'il prétend avoir démontré que les Bêtes P. 76. font capables de quelques con- noiffances, c'eft-à-dire > qu'il prétend établir un fait fur des raifonnemens de pure fjppofi- tion. Il commence ainfi fa deu- xième Partie. » La première Partie de cet Ouvrage , dé- » montre que les Bêtes font ca- ? pables «pables de quelques connoif- » fances > ce fentiment eft celui " du vulgaire ; il n'eft combattu » que par des Philofophes , c'eft- » à-dire , par des Hommes qui, » d'ordinaire, aiment mieux une » abfurdité qu'ils imaginent , » qu'une vérité que tout le mon- » de adopte. » Ces Hommes-là ont un e plaifante efpece de Philofophes!» Ils font excufa- » bles, car s'ils a voient dit moins » d'abfurdités, il y auroit parmi »eux, moins d'Ecrivains célé- » bres. » S'il parloir de ceux qui, confondant l'efprit avec le gé- nie , réalifent toutes leurs fpé- culations , j'aurois encore peine à croire qu'ils euffent les inten- tions qu'il leur prête : je penfe- rois plûtôt qu'ils ont du goût IX. Partie. F Ï.J4] pour les paradoxes & pour les fingularités , ôc qu'ils refpe&ent les idées qui leur viennenr^à pro- portion qu'ils les conçoivent moins;ils aiment à fe créer des myftéres pour eux-mêmes, ôc quand ils les ont adorés , ils les propofent au culte des autres Hommes ; mifére humaine , & non pas attentat contre la vérité ! Mais que communément, les Philofophes aiment mieux une abfurdité qu'une vérité commu- ne, dans les chofes mêmes où ils fe font trompés ; e'eft une très pitoyable déclamation. Notre & Auteur » entreprend de mettre o> dans fon jour une vérité com- » mune ; il met le prix à fon fyftê- o> me en nous apprenant que juf- » qu'ici , cette vérité a éré crûs » fans être connue ; qu'on n'y a »réfléehi,que pour accorder trop »> aux Bêtes, ou pour ne leur » point accorder allez ; qu'il lui *> relie à dire bien des chofes qui *> n'ont pas été dites ; la généra- *> tion des facultés des Animaux, » le fyftême de leurs connoiflan- »> ces, l'uniformité de leurs opé- » rations, l'impunTance où elles « font de fe faire une langue pro- *> prement dite , lors même qu'el- » les peuvent articuler , leur ink » tinér, leurs panions & lafupé-r priorité que l'Homme a fur elles » à tous égards. » Voilà de gran- des promeffes ; vous verrez comme elles feront remplies. Aimez-moi toujours, & f0yez perfuadé , Monfieur, &c. Fij XXXII. LETTRE. CE n'eft pas, Monfieur,un fyftême arbitraire qu'on vous promet s » ce n'eft pas , vous dit l'Auteur , » dans mon » imagination que je le puife ; » c'eftdansl'obfervation : Ôctout » Ledeur intelligent qui rentre- ra en lui-même, en reconnoî- » tra la folidité. » C'eft donc à force d'être rentré en lui-même , que l'Auteur nous apprend 3> qu'au premier inftant de fon «exiftance, un Animal ne peut » former le deflein de fe mou- »> voir ; qu'il ne fait pas feule* » ment s'il a un corps , » qu'il fe fent Ange par conféquent , ou un pur efprit. ■* Les objets font des impref- «fions fur lui ^ il éprouve des. p^ » fentimens agréables & défa- it gréables : de-là naifTent les pre- *>miers mouvemens,mais ce font » des mouvemens incertains ; ils » le font en lui fans lui : il ne fait » point encore les régler. Inté- •> refTé par le plaifir & par la pei- * ne > il compare les états oui! fe » trouve fucceflivement;il ob- » ferve comment ilpaffe de l'un » à l'autre > & il découvre fon » corps & les principaux organes *> qui le compofent. Je fuis rentré en moi-même^ j'ai beaucoup obfervé les Ani- maux , je n'y ai jamais rien pu dé- couvrir de tout ce qu'on vient de nous dire : j'ai vû , au contrai- xe qu'unPoulain à peine né^fere- Cf8j levoit fur fes jambes ; qu'un Pou- let encore renfermé dans fa co- que, fe faifoit avec adrefle,à coups de bec , une iflue pour en- trer dans le monde ; qu'un petit Chien cherchoit & trouvoit les mammelles de fa mere fans le fe- cours de fes yeux ; qu'une Che- nille, nouvellement éclofe, fe promenoir fur la feuille d'où elle devoit tirer fa fubMance , & fa- voit la prendre ; qu'un Coufin ayant rompu par le dos fon enveloppe de nymphe, en for- toit en ligne verticale, dé- ployoit fes ailes, les fecouoit, prenoit promptement fon vol, fans donner la moindre marque qu'il fît de profondes e'tudes fur la méchanique de fes ailes , ni furies moyens de battre l'air ou %S91 de s'yé lever , en faifantufage de ces rames admirables. Je l'ai vu s'y foutenir, le traverfer, fans héfiter , fans faire d'eflai ; com- me s'il eur eû la connoiflance in- flue de l'art de voler. Enfin , tout ce que nous voyons de la part des Animaux , nous porte à pen- fer qu'au moment de leur naif- fance, leur corps ne leur eft point étranger. Et je conçois tout aufïi peu, comment leur ame , s'ils en ont une , pourrait les convaincre de l'exiftence de leur corps, que j'ai conçu com- ment l'admirable Statue du trai- té des fenfations , dont je vous ai parlé, Monfieur, eft parvenue à apprendre l'exiftence du fien. Suivons néanmoins les merveil- les que notre Auteur s'eft pro- * pofé de nous expliquer. » D'à- «bord, le corps fe meut avec * difficulté.... Lame trouve les » mêmes obftacles à réfléchir ; «elle héfite, elle doute. Une* » féconde fois les mêmes befoins » déterminent les mêmes opéra- tions, & elles fe font de la part «des deux fublhnces, avec « moins d'incertitude & de len- » teur. Enfin les befoins fe re- nouvellent, & les opérations « fe répètent fi fouvent , qu'il ne * reftepius de tâtonnement dans » le corps , ni d'incertitude dans « lame. Les habitudes de fe » mouvoir & déjuger, font con- » tradées. C'eft ainfi que les be- soins produifent d'un côté, « une fuite d'idées , & de l'au- tre, une fuite de mouvemens » correfpondans. » Ceft aînfï j Moniteur , qu'on nous tient pa- role. Qu'on développe la géné- ration des facultés de l'ame pré- tendue des Animaux , & le fyf- tême de leurs connoiflances , & qu'on explique en même tems* le préjugé commun ] touchant l'ame des Bêtes ; parmi ceux qui fe livrent à ce préjugé , en-eft-il quelqu'un qui s'imagine que les Bêtes réfléchiflent > qu'elles doutent 9 qu'elles héfiterit $ qu'elles forment des jugemens $ que leurs premiers momens font occupés des études profondes que l'Auteur a fait faire à fa Sta- tue f Ces études font bien fin- p gulieres en elles-mêmes ; mais elles le font bien davantage par la manière dont l'Auteur s'efFot- ce d'adoucir un fentiment fi bî- farre; car il veut que l'Animal étudie y « mais fans avoir le de£ r %i, » fein d'étudier II ne fe propofe » pas d'acquérir des connoifïan- « ces, pour en faire un fyftême." Cela veut dire qu il efl: plus fage que nous; cependant «fes étu- »des changent d'objets , & le "Jyftême de fes connoiflances > » s'étend peu à peu à différentes » fuites d'idées. » Ces fuites ne font pas indé- » pendantes , elles font , au con- » traire , liées les unes aux au- tres, &celieneft formé des » idées qui fe retrouvent dans * chacunes , comme elles font , »&ne peuvent être que diffé- rentes combinaifonsd'un petit * nombre de fenfations. » Saifif. dm fez, Monfieur, ceraifonnement, fi vous le pouvez. » Il faut né- » ceffairement que plufieurs » idées foient communes à tou- » tes. On conçoit donc qu elles « ne forment enfemble qu une » même chaîne. » On ne con- çoit rien abfolument à ce di£ cours ; mais ce que Ton conçoit très-bien , c eft qu au lieu d'ex- pliquer l'opinion vulgaire fur la nature des Animaux > on la con- tredit ici vifiblement. Quels phénomènes pourroît- il citer , pour appuyer des idées auffi extraordinaires ? Aux preu- ves, il fubftitue des mots, des phrafes 6c des images poétiques > c'eft-à-dire, qu'il tombe dans le défaut qu'il reproche à M. de Buffon. Ecoutez-les > Monfieur; Veztmt fera long, mais fi lc£ prît n'y*apperçoit rien, l'oreille en fera flattée. «4. *> Les idées renaiffent » nous dit-il » dans l'es Animaux, par » Pa&ion même des befoins qui « les ont d'abord produites.» On ne nous définit pas ce que c'eft que befoin dans ces ames nou- velles; on ne nous dit pas non plus fi ces befoins renferment des idées; il faut bien qu'on ne lepenfe pas rpuifqu'on veut que les befoins foient antérieurs aux idées , un befoin qui ne renfer- me aucune idée de privation de quelque chofe de néceflaire, feroit néanmoins quelque chofe de bien incompréhenfible. »Les idées forment, pour painfidire, dans la mémoire, * des tourbillons qui fe multî- « plient comme les befoins. Cha- ^ que befoin eft un centre d'où » le mouvement fe communi- « que jufqu'à la circonférence du « tourbillon d'idées. Les tour- billons font alternativement » fupérieurs les uns aux autres , « félon que les befoins devien- » nent tour à tour plus violens. » Tous font leur révolution avec * une variété étonnante ; ils fe » preffent , ils fe détruifent , il « s'en forme de nouveaux > à me- » fure que les fentimens auxquels » ils doivent toute leur force j *> s'affoiblilTent > s'éclipfent ; ou p. «j. » qu'il s'en produit qu'on n'avoit » pas encore éprouvés. D'un « inftant à l'autre , le tourbillon ? qui en a englouti plufieurs> çft mi « donc englouti à fon tour , & » tous fe confondent^ Auflitôt » que les befoins ceffent , on ne » voit plus qu'un cahos ; les idées a> paffent & repaflent fans ordre , ^ ce font des tableaux mouvans » qui n'offrent que des images » bifarres & imparfaites ; & c'eft aux befoins, » aux centres ce qui défigure un peu ces belles images » à les deffiner de nou- *> veau , ôc à les placer dans leur » vrai jour. Teleft en général, »le fyftême des connoiffances » dans les Animaux ; tout y dé- » pend du même principe y le « befoin » qui eft le deflinateur des idées » tout s'y exécute par » le même moyen , la liaifon des ses » ou leur révolution de tourbillon autour du befoin , qui eft, ou un foyer des éilipfes, ou le centre des circonférences qu'elles décrivent. Certainement ce morceau d'éloquence a dû réjouir M. de Buffon. Il n'aura pas manqué d'obferver que quelque mépris qu'on témoigne pour fa manière de traiter les objets philofophi- ques , on revient pourtant à fe modéler fur lui ^ lorfqu'il faut parler & que la lumière manque. Si c'étoit une defcription poé- tique d'un rêve } peut-être la palferoit-on ; mais nous la don- ner pour l'explication de la for- mation du fyftême des connoif- fances dans l'ame des Bêtes ; c'eft exiger de nous que nous nous contentions de paroles, lorfqu on nous promet des rai- fons tirées de robfervatiotl. L'Auteur contredit enfuite M. de BufFon, en accordant aux Bêtes l'invention que celui- ci leur refufe. » Les Bêtes inven- » tent donc , fi inventer lignifie la même chofe que juger, »> comparer, découvrir ; elles in- o> ventent même encore , fi par- as. « là Ton entend fe repréfenter 3> d'avance ce qu'on va faire. Le *> Caftorfe peint la cabanne qu'il » veut bâtir , FOifeau le nid qu'il m veut conftruire. Les Animaux » neferoient pas ces ouvrages , » fil'imagination ne leur endon- ^ noit pas le modèle. » Quelefprit ne faut-il pas re- connoître dans le Caftor , dans les Abeilles, dans les Chenilles , dans l'Araignée l S'il eft vrai que leurs leurs arts font les fruits de leurs études , s'ils font dûs à l'inven- tion ; mais ils font déterminés dans leur cerveau ,. ou pout leur ame, s'ilsenontune, ou pour le Créateur même , s'ils n'en ont point. Le Papillon , en fortant de la crifalide , fait étendre fes ailes , prendre fon vol , cher- cher des fleurs , dérouler fa trom- pe pour en pomper les fucs , chercher fa femelle ; & tout cela, il le fait fans tâtonnement préa- lable, fans s'être donné le tems d'étudier fes nouveaux organes; il fait voir avec de nouveaux yeux* fe fervir de pattes qui lui étoient étrangères. Or, s'il in- vente l'art d'employer fi à propos tant de nouveaux organes , ii faut convenir que fon génie et IX, Partie*. Q [70] bien au-deffus du nôtre ; qu'il a des idées innées de fes mufcles délicats ; des nourritures qui lui conviennent , des procédés pro- pres à perpétuer fon efpece ; & qu'il eft en cela bien fupérieur aux Hommes , auxquels on re- fufe non feulement toute idée in- née , en quoi on peut avoir rai- fon, mais encore tout principe inné d'idées, ce qui eft le ren- verfement total de la raifon. Quand M. de BufFon nous a dit que les Animaux apprenoient tous leurs arts & tous leurs pro- cédés , en imitant leurs fembla- bles ; ce dénouement nous à d'autant plus frappé, qu'il eft démenti par nos obfervationsfur la fabrique des nids des Oifeàux. Son cenfeur prend une autre C7i] voye. Les Animaux inventent , félon lui, tout ce qu'ils opèrent de plus furprenant à nos yeux ; l'imitation n'y a point de part. A l'exception de quelques efpeces; les Animaux font peu imitateurs , mais tous créateurs de leurs arts particuliers. Les Hommes , au contraire, ne font fors, n'ont tant de ridicules, qu'à caufe qu'ils font , de tous les Animaux, les plus grands copiftes. Nos deux Auteurs ne peuvent être plus oppofés qu'ils le font fur le même point de dodrine ; tous deux cependant , par des voyes fi contraires , heurtent de front la faine philîque , & contredifent également la vérité , tant il eû vrai que dans l'ordre moral, on arrive quelque fois au mê~ G il me but , même en fe tournant îe dos. Notre Auteur prétend néan- moins que les Bêtes nous font inférieures en genre d'invention. »Si les Bêtes ont infiniment o> moins d'invention que nous * » dit-on » c'eft parce qu elles ai font plus bornées dans leurs »> befoins, ou parce qu elles n'ont » pas les mêmes moyens , pour M mlutiplier leurs idées & pouc 95 en faire des combinaifons de «toute- efpece » il falloit dire* pour ne pas tomber en contra- diction y que n'ayant pas la fatale démangeaifon de fe faire de nou- veaux befoins % ou de s'en faire d'autres que ceux auxquels la Nature les affujettit > elles n'in- Ventent rien d'inutile. Ce qui prouverok qu'elles font un meil- leur ufage que nous > du génie qu'elles ont pour l'invention > ôc non pas qu'elles en ont moins que nous. Si Famé de l'Auteur^ ayant paflfé quelque tems dans le corps d'une Chenille > fe trouvoit znr fuite dans celui d'un Papillon , qu'elle eût à acquérir la connoiffance de tous les petits mufcles y de tous les nerfs pré- parés pour faire mouvoir cette nouvelle machine ; fi elle inv en- toit l'art d'en tirer tous les ufages auxquels ces organes font defti- nés y n'auroit-elle pas encore le génie plus inventif , que nel'au- roit un Homme > qui n'ayant ja- mais entendu parler d'inflrumens de mufique > verroit un Orgue pour la première fois y en exami- [743 nant îa fabrique dans le plus grand détail r ôcpofant fes deux mains fur le clavier , joueroit tout à coup dans la dernière pré- cifion , toutes les pièces du cé- lèbre Rameau , qu'on lui préfen- teroit, L'Auteur neft pas heu- reux > comme vous voyez > Mon- fieur, quand il veut fixer > par rapport à l'invention , la fupério- ritéabfoluede lame de l'Hom- me y au-deffus de celle des Ani- maux. Il nous porteroit même à croire que l'une & l'autre font de lamêmeefpece, puifqu'il fonde la prétendue fupériorité qu'il donne à l'Homme fur laBête, for ce que les ames des Animaux ont moins de befoins & moins de moyens pour les fatisfaire. Or, fi les Bêtes ne font moins invenf ■■■■ C70 Ves que nous,que faute de motifs & de moyens ; celui qui diftribue ces motifs & ces moyens aux dif- fétens Animaux, auroit donc pu égaler les fondions de l'ame d'une brute , à celles de lame humaine , s'il l'eût voulu , m donnant à Famé de la Bête, lar même activité qu'il lui plait de donner à la nôtre- L' Auteur paf- fe enfuite au langage des Ani- maux, & la tranfition eft fingu- liere. *> Si les individus qui font p. *> organifés de la même manière* » font chacun les mêmes études^ » Ôc ont en commun le même » fond d'idées , ils peuvent donc » avoir tous un même langage, Ôc » tout prouve , en effet, qu'ils en » ont un. » Quelle fupétîorité ne trouverois-je pas encore ici dans C7f J les ame s des Animaux , fur celle de l'Homme ! M. de Buffon , M. l'Abbé de Condillac & moi,nous faifons, avec tant d'autres, les mêmes études ; quelle différen- ces dans les fruits de nos travaux* Et dix mille Abeilles dans une Ruche, font les mêmes études* s'entendent parfaitement, met- tent tout leur fond d'induftrie en commun, & réuffifîent à faire leurs édifices avec fimétrie,.avec régularité , dans Tordre le plus commode à leur petite fociété , & aux befoins de leur commu- nauté : certainement , fi elles ont des ames , notre intelligent ce n'eft pas comparable à la leur* On ne peut appeller qu'in> proprement kngage celui qui ^ae doit point fon origine à l'inUi- tution C77] ration arbitraire. S'il falloit comparer les fignes que la Natu- re a donné aux différens Ani- maux pour manifefter leur fitua- tion aâuelle, quels avantages certaines Bêtes n'auroient-elles pas fur nousfConfidérons les fons que produit naturellement un muet de naiflance ; qu'ils font informes J Qu'ils font peu va- riés, en eomparaifon de ceux de plufieurs Animaux ! Tous font effiayans, nuls n'expriment la joye , le pîaifir, la férénité;ils font plus propres à nous faire fuir qu'à nous attirer 5 au contrai- re , le mugilTement d'un Bœuf, qui nous épouvante , infpire le courage à tous ceux de fon efpe- ce répandus dans une vafte prai- rie ; il les avertit de la préfence IX. Partie. IJ dangéreufe d'un Loup , il les in- vite à venir au fecours contre un ennemi commun : tous répon- dent aufignal, & accourent avec promptitude. Quels agrémens dans la voix d'un grand nombre d'OifeauxîEn faifant le parallelle du langage naturel des Animaux* avec nos langues d'inftitution * nous trouverions qu'ils ont au- tant defons qu'ils ont d'afFe&ions & de penfées en apparence, pen- dant que nous avons plus de mots que de penfées ; que leurs exprefïions font fans aucune équivoque ; que les nôtres nous jettent perpétuellement, parleur double fens, dans le doute ou dans Terreur : enfin , chaque lan- gue eft inintelligible pour celui qui ne l'a pas étudiée > & l'Ani- C7P] mal Afiatique entend le langage de l'Européen, de l'Américain defon efpece. Dans l'organe de la voix de l'Homme, tout eft difpofé pour des arts à acquérir , pour une infinité d'articulations différentes , pour produire des fons harmonieux ; la Nature ne lui donne point de notion de ces refïburces admirables; le fait eft conftaté danslefourd denaiffan- ce. Il n'eftmuet , que parce qu'il ne fe doute pas des ufages qu'il pourroit tirer de l'organe de la voix, Ôccesperfonnesingénieu- fes, qui ont imaginé le fecret d'apprendre aux muets à former des fons, peuvent feules nous parler de la difficulté qu'elles ont de faire concevoir à ces fourds de nauTance, de quelle [8o] utilité pburroit leur être leur lan- gue ; & cette difficulté bien ap-, profondie , femble nous prouver que le premier Homme a dû être inftruit des méchanifmes fecrets que renfermoient les organes de la voix. S'il n'eût été prévenu par le Créateur, il femble qu'il eut dû être auiïi indifférent à cet égard, que l'eft tout Homme fourddès fanaiflance. »> Le langage d'a&ion , dit no- » tre Auteur , prépare à celui des «fons articulés.» Cette maxime n'eft point vérifiée dans le fourd de naiflance , car il s'en tient au feul langage d'adion. L'Auteur ajoute : » Auffi y a-t-il des Ani- «maux domeftiques capables «d'acquérir quelque intelligence » de ce dernier» du langage d'ac- C*i3 tiott à dans la néceiïité où ils «font deconnoît're ce que nous » voulons d'eux , ils jugent de «nos paroles par nos mouVe- mens , toutes les fois qu'elles ^ne renferment que des idées qui » leur font communes avec nous. 55 En même tems,ils fefont une *> habitude de lier cette penfée » au fon dont nous faccompa- * gnons conilamment ; enfortô » que pour nous faire entendre » d'eux y il nous fuffit bientôt «de leur parler. C'eft ainfi que *> le Chien obéit à notre voix > » qu'il nous entend dans les diffé- rens pays où le langage eft fi dif- férent y ôcqu'illiefesidéesànos fignes d'inftitution : on lui fup- pofe bien de l'intelligence. Le Chien , (je rends en fubP-p. lot» Hiij [82] tance le raifonnement de TAu- teur , ) le Chien qui ne peut arti- culer nos paroles > lie pourtant fes idées à nos paroles : & le Perroquet > qui les peut articuler, ne peut tes unir à ces idées ; par- ce que fa conformation extérieu- re ne reflemble point du tout à la nôtre : voilà une des raifons de M. de Buffon, parce que le fond d'idées que nous avons de com- mun avec le Perroquet , n'eft pas aufli étendu que celui que nous avons avec le Chien > ou parce que fon langage d'a&ion diffère infiniment du nôtre. Vous obfervez fans-doute > Monfieur , que ce que nous dit ici M. de Condillac fur le lan- gage des Animaux , prouveroit affez bien qu'ils s'entendent 6c mi qu'ils comprennent ce que nous leur difons , fi réellement ils ont des ames ; mais il feroit fort fin- gulier qu'on conclut des hurle- mens , des aboyemens , des fifle» mens, des ramages des Ani- maux , qu'ils ont des ames ; il y a bien loin de ces bruits & de ces fons , à la penfée. Il explique enfuite l'inftinâ: par une comparaifon : « Si nous p. le?* »> ne voulons voir & marcher que •> pour nous tranfporter d'un lieu « dans un autre , il ne nous ell £ pas toujours néceflaire d'y ré* «fléchir. Nous ne voyons & « nous ne marchons fouvent que «par habitude. Si nous voulons « démêler plus de chofes dans «les objets,, fi nous voulons < «marcher avec plus de grâce, * H iiij * [843 *> c'eft à la réflexion à nous înf- * truire. Ainfi , il y a en quelque « forte y deux m^i dans chaque «Homme » ceci n'ell qu'une foible imitation de l'Homme double de M. de Bufïbn » le mm « d'habitude , ôc le moi de ré- ^ xo*. » flexion ; c'eft le premier qui » touche y qui voit; c'eft lui qui ^ dirige toutes les facultés ani- maies ; fon objet eft de condui- re le corps , de le garentir de *> tout accident , & de veiller »> continuellement à fa conferva- * tion. » l'extrait que j'ai à vous faire eft long 5 mais il eft nécef. faire > afin que vous preniez bien lapenfée de l'Auteur, laquelle , pour être plus recherchée , n'en eft que plus embarraflee & plus cbfcure* [8?] » Le fécond ( moi ) lui aban- « donnant ( au premier ) tous ces » détails y fe porte à d'autres ob- « jets > & s'occupe du foin d'a- 33 jouter à notre bonheur... Ce^- * lui-ci eft excité par toutes les « chofes qui , en nous donnant » de la curiofité , nous portent à » multiplier nos befoins , mais f » quoiqu'ils tendent chacun à « un but particulier > ils agiffent «fouvent enfemble. Lorfqu'un ^ Géomètre > par exemple, eft ~ fort occupé de la folutior. d'un a> problème , les objets conti- » nuent encore d'agir fur fes fens. » le d'habitude obéit donc à? » leurs impreffions ; c'eft lui qui »traverfe Paris, qui évite les * embarras > tandis que le moi ^ de réflexion eft tout entier à la 4 mi «folution qu'il cherche. Re- » tranchons d'un Homme fait le » moi de réflexion :on conçoit » qu'avec lefeul moi d'habitude, » il ne faura plus fe conduire , "lorfqu'il éprouvera quelqu'un » de ces befoins , qui demandent » de nouvelles vues & de nou- » velles combinaifons. Or , l'inf- » tina n'eft que cette habitude «privée de réflexion. Le voilà donc enfin défini ce terme obfcur infiinâ dont nous nous fervons pour exprimer cer- tains procédés des Bêtes , qu'on ne veut pas rapporter à leur rai- fon; parce que le préjugé ne leur en donne pas, & qu'on les trouve cependant très-raifonna- bles.UnPhilofophe entendpar ce terme , Tefpece d'imagination , [87l ou plutôt d'occafion d'imagina* tion tracée dans le cerveau de l'Animal , & par laquelle toutes leurs a&ions font réglées. S'il leur accorde une ame , il jugera envoyant desprocédés plus dé- licats de la part d'un Animal que d'un autre , que celui-ci a le ton d'imagination corporelle > plus parfait qu'il ne l'eft dans un autre Animal de la même efpece: comme il penfe que le cerveau d'un Homme de génie,eft mieux monté que celui d'un efprit mé- diocre y il ne hafardera pas de couper en deux Tarne de l'Hom- me, fous prétexte que tantôt nous agifTons par habitude, tan- tôt par réflexion. Il rapportera la facilité que nous avons à faire certaines a&ions familières > & [88] l'inclination que nous avons à les répéter, aux difpofitions qu'ont pris les nerfs qui concourent à fesadions; par ces difpofitions , ils font propres à obéir fidèle- ment aux volontés de lame , & font fouvent mis, indépendem- ment d'aucun ordre , dans le ton auquel ils ont été fréquemment montés : d'où ilréfulte que l'ame eft follicitée à répéter les mêmes aaions. Enfin confidérant qu'un fimple aae de volonté , embrafie une fuite d'aaions femblables,ou d'aaions dilférentes ; il admirera plutôt qu'il ne comprendra , que fur le deffein que j'ai pris en for- tant de la maifon , d'aller à S. Denis , je continue mon voyage comme machinalement, Dieu remuant mes jambes à l'occafion [8*3 de Finipreflion d'un feul a&e de nia volonté : il ne verra de même jamais qu'avec furprife, qu'un Homme habile à toucher le cla- veflin y s'étant déterminé à jouer quelque morceau de mufîque, l'exécute en s'occupant de tout autre cHofe , comme fî fa volon- té eût mis en mouvement dans fa tête , une forte de cylindre femblable à ceux qui fervent d'à- me aux Serinettes & aux Orgues d'Allemagne , où fon air feroit marqué ; & comme fi ce cylindre alloit feul jufqu'àlafin de l'air, fur un ordre unique donné dans uninflant. Ceftainfi queraifon- neroit un Métaphificienqui fau- roit fe fervir à propos de la Phifi- que ; il rapporteroit tout cela à des difpofitions organiques 4u cerveau , &à des loix faites pour le cerveau humain, Ôc qu'il ignorerait parfaitement ; & foit qu'il fuppofât des ames aux Ani- maux , foit qu'il les en crût pri- vés, il trouverait fuffifamment dans les réflexions que nous ve- nons de faire, non des explica- tions détaillées de leurs procé- dés , mais des motifs d'admirer ce qui ne fait qu'étonner ftupi- dement les autres Hommes. Notre Auteur continue. » A la vérité , c'eft en réfléchiflant ^ que les Bêtes l'acquierrent (cet inftinâ qui n'eft qu'une habitude) il eft engendré par » le moi de réflexion ; mais corn- « me elles ont peu de befoins , le » tems arrive bientôt où elles ont fait tout ce que la réflexion a [91] » pu leur apprendre ; il ne leut » refte plus qu a répéter tous les » jours les mêmes chofes ; elles " doivent donc enfin n'avoir que *> des habitudes > elles doivent * être bornées àl'inflinâ. » Tout ce que nous voyons, au contraire, exécuter aux Ani- maux y nous apprend que l'inf- tind prévient toute apparence de réflexions dans les animauxjc'eft, comme je 1 ai déjà infinué plus d'une fois , que fi elles ont des ames , elles ont des idées innées fur lefquelles leurs premiers pro- cédés font réglés: Voyez, Mon- fieur , un Coufin fortir de fes en- veloppes y fous lefquelles il étoit nymphe aquatique il n'y a qu'un moment ; je ne me lalfe point de tirer mes exemples des Infedes y 1921 parce qu ils font fréquemment fous nos yeux , & qu'ils défeipé- rentnos nouveaux Philofophes, Le Coufin paroît favoir que l'eau , qui a voit été fon élément naturel > eft devenu pour lui un élément mortel ; il ne tente ja- mais de s'y plonger; il fait qu'il doit étendre fes ailes, il fait les agiter & prendre fon vol quel- ques inftans après fa naiffance. L'antipathie des Chats pour les Rats , eft-elle le fruit de l'étude & des réflexions ? L'Abeille mé- dit e-t-eile pour apprendre à vo- ler, à faire fes différentes récol- tes , à les mettre en ufage? Lui a- t-on dit que c'étoit dans les fleurs feules, qu'elle devoit trouver fes provifions ? Eft-ce après avoir tâté de tout, quelle a deviné que C*3 3 que l'ornement de nos champs & de nos prairies, renferme les fucs agréables dont elle doit fe nourrir ? Eft-ce encore la ré- flexion qui apprend aux petits des Quadrupèdes , l'art defuccer les mammellesde leur mere, pour en tirer le lait ? Art plus compli- qué qu'on ne s'imagine, & qui demanderoit de la part d'une ame qui feroit chargée de l'in- venter, la connohTance d'un des plus beaux principes dé Phi- fique qu'on ait découvert dans te fiécle dernier. Comment peut- on protefter fï hautement , ft conlïamment , qu'on ne veut rai- fonner que d'après l'obfervatio%. & contredire li vifiblement les ©bfervations les plus familières? It comment ofe-t-on avancer IX,. Partie^. £ CP4] que lmfîin£t eft le réfultat de l'habitude ? » Nous l'aurions cet inftin£t » pourfuit l'Auteur » & nous » n'aurions que lui > fi notre ré- » flexion étoit auflî bornée que » celle des Bêtes , & nous juge- a> rions auflî fûrement , fi nous ju- *>gions auffi peu qu'elles- Nous *> ne tombons dans plus d'erreurs » que parce que nous acquérons » plus de connoiffances de tous » les Eftres créés ; celui qui eft le » moins fait pour fe tromper , tn » celui qui a la plus petite por- tion d'intelligence.» Ces ré flexions font bonnes à Recueillir elles font conformes à l'expé- rience ; elles nous apprennes pourquoi desefprits bornés con duifent fou vent mieux leurs aÇ iaires, entendent mieux leur commerce, que ne font J^s ef- prits les plus élevés, & elles m'humilient , en mefaifant con- cevoir que fi j'ai quelque avan- tage fur des génies du premier ordre , avec lefquels j'ofe entrer en lice, c'eft que je vais tou- jours terre à terre , de proche en proche, que je me tiens fcrupu- leufement attaché aux phénomè- nes que je vois autout de moi & que je découvre en moi. Je ne çonçois,au refte,enaucu- ne manière , d'où viendroitla fu- reté del'inirina dans lesAnimaux s'il étoit ainfi que l'Auteur le prétend,Iefruit d'habitudes coiv traftées par la réflexion ; car ces réflexions pourraient être bon- nes oumauvaifes, & l'habitude en prendroit néceffairement la teinte ; il faudra donc dédom- mager les Bêtes du petit nombre de réflexions auxquelles on les borne, en leur accordant la prérogative de n'en faire que de juftes , fi l'on veut que leur inf- tin£t ne les trompe jamais. Elles feroient alors des intelligences inacceffibles à l'erreur. Quelle avantage n'auroient-elles pasfur nous ? L'Auteur, cependant , $ nous en accorde beaucoup fur elles, en prétendant que nos ames différent effentiellement des leurs. Ce fera le fujet d'une autre Lettre, & une nouvelle ©cçafion de vous affûter, &c^ EP71 XXXIIR LETTRE. VOus ferez/aœdoute>Moit- fieur, la même queftion que FAuteurfefait.»En quoidifFérent p- I0i> » elles ( les Bêtes ) de l'Homme 5 » neft-ce pas du plus au moins $ On vous répond » que dans l'inv* » puiffance où nous fommes de 3> connoître la nature des Eftres. » nous ne pouvons juger d'eux « que par leurs opérations j ç'efl «pourquoi nous voudrions vai- =>nement trouver le moyen de » marquer à chacun fes limites* a> Nous ne verrons jamais entra « eux , que du plus ou du moins* C'eft ainfi que l'Homme nous * paroît différer de l'Ange > & [P8] » l'Ange de Dieu même : maïs « de FAnge à Dieu > la diftance » efl: infinie. » Cette réponfe , toute fingu- liere qu elle eft, ne vous éton- nera pas, Monfieur, vous de- viez Fattendre. Quand on a éta- bli que nous ne nous connoiflbns nous-mêmes > que par des fa- çons d'être accidentelles, que nous ceflbns d'être pour nous- mêmes , dès qu elles nous man- quent ; que par une façon très- bifarre de philofopher > qu'on veut que nous ayions eu étant en- core au berceau > nous avons ap- pris à détacher ces modes de no- tre être y pour en faire des Eftres étrangers à nous r pour en faire des corps ; qu'enfin nous n'avons aucune idée de matière ; il eft 1991 clair que reffencc des chofes $ nous eft totalement inconnue ; nous ne devrions même connoî- tre de fubftance > que celle qui nous modifie , ignorer s'il en eft, ou s'il peut y en avoir d'autres ; & nos connoiflances bornées au plus ou au moins , ne pourraient avoir d'objets que nos propres façons d'être* Par rapport aux Anges^c'elï la révélation , & non pas la raifon qui doit nous inftruire de leur nar ture;& ceferoit raifonner à pure perte,que de vouloir tenter de dé- couvrir la différence fpécifiquede ces purs efprits ; mais la raifon <2c la foi s'accordent à prononcer f que du Créateur à la créature* la diftance eft réellement infinie* comme le confelfe l'Auteur % pat i ioo j Fimpreflionvive de fa foi : je dis par la vive impreffion de fa foh car fidèle difciple de Locke , comme il l'eft y il ne tirera ja- mais des fenfations pures , & confidérées en elles-mêmes > au- cunes notions d'infini. J'exami- nerai ailleurs la manière dont iî prouve l'exiftence de Dieu, dans le même Traité des Animaux ; non pas que je veuille prouver que fa démonftration foit fauffe ; il n'en eft aucune,de celles qu'on employé dans le Métaphifique y le Phifique & le moral y qui n'ait l'empreinte de là vérité. Mais* pour lui feire fentit à lui même r le point précis de fa démonftra*» tion> en deçà duquel il refte> parce que la* Logique y bornéer aux.principes de Locke , ne peut jamais jamais le conduire qua l'indé- fini. H nous dit que de l'Homme à l'Ange , ladiftanceefttrès-con- fidérable ; & fins doute plus grande eneorede l'Homme àla Bête. » Cependant, pour mar- p- I9* » quer ces différences , nous » n'avons que des idées vagues, »& des expreffions figurées, »/>/«, moins, diftance» & ces mots, ne les appliquons -nous pas à mille idées ? « Auflî je n'en- » treprens point d'expliquer ces » chofes : je ne fais pas un fyftê- »me delà nature des Eftres, » parce que je ne la connois pas ; » j'en fais un de leurs opérations, » parce que je crois les connoî- •tre.» Il n'eft point néceffaire defairedefyftêmedansl'un, ni l A. Partie. £. [ioa] dans l'autre cas. » Or, ce neft o, pas dans le principe qui les •■conftitue chacun ce qu'ils »font, c'eft feulement dans » leurs opérations , qu'ils paroif- « fent ne différer que du plus au , moins j & de-fc feul, il faut » conclure qu'ils différent par leur » ejjènce ; celui qui a le moins , n'a «f as fans doute dans fa nature de » ami avoir le plus. La Bête n'a » pas dans fa nature dequoi^ de- « venir Homme , comme l'An- k ge n'a pas dans fa nature dequoi d> devenir Dieu. » Nous difcuterons le fond de ce raifonnement , lorfque nous aurons examiné le parallelle qui le termine, & dont vous êtes fans doute bleffé. Si nous ne connoiffons Dieu, que comme C 103 j un Elire dont nous défefpérons d'atteindre les limites, comme un Eure parfait à l'indéfini, nous panerions peut-être à l'Auteur fa comparaifon. Veut-il donc nous faire entendre que , comme la nature de Dieu diffère infini- ' ment de celle de l'Ange, aihfi que l'Auteur le reconnoît avec tous les Chrétiens , de même la" nature de lame de la Bête, dif- fère infiniment de celle de l'Homme. Aûurément il n eft pas dé- montré qu'une fubftance Angé- lique, créée pour être unie à un corps humain, ne pût être un Homme tel que nous ; & s'il étoit confiant que les Bêtes ont des ames , il ne feroit pas encore démontré que lame du Ver , du Kij C 104] Coufin, étant affociée par le Créateur à un corps humain , au lieu de l'être à un Animal ailé , ne fit pas une perfonne telle que nous : mais il eft bien démontré qu'il eft impoffible qu'un Ange devienne Dieu. Mais reftraignons le parallelle au fens de l'Auteur , qui eft fans doute celui-ci ;que l'ame d'une Bête étant auffi effentiellement différente de celle de l'Homme, que l'Ange left de Dieu ; l'ame delà Bête ne peut pas appartenir à un Homme, comme l'Ange ne peut pas devenir Dieu. Avec ce tempérament , trouveriez- vous encore , Monfieur, beau- coup de jufteife & de décence dans cette comparaifon. Revenons à la maxime dont l'Auteur étend fi fort l'ufage. L'Homme & la Bête ne diffé- rent que du plus au moins ; & de celafeul, il faut conclure qu'ils différent par leur effence. La conféquence n'a point deliaifon avec le fait dont on la tire : auffi tache-t-on d'y en mettre une par cette réflexion ; celui qui a le moins, il eût fallu dire, celui qui eft borné effentiellement au moins , n'a pas fans doute dans fa nature dequoi avoir le plus, la maxime ainfi entendue , eft indubitable; & elle eft très fauffe fans cette reftriaion : autrement, on en inféteroit que l'Homme imbécile, réduit au moindre tfégré d'intelligence, & qui pa- roît en avoir moins que le Singe, n'ayant pas fans doute dans fa Kiij nature > de quoiavoir le plus de l'Homme fenfé , ou du Singe , diffère eflentiellement de Fun ôc de l'autre. Il faudroit dire aufli que Famé d'un Eléphant, diffère eflentiellement de celle d'un Rinoceros s ou plutôt que les ames dans deux efpeces, diffé- rent eflentiellement. Leur ef- fence fera ainfl déterminée par les fondions attribuées à chaque efpece : les Chats auront des ames différentes de celles des Rats, en ce que les unes feront, par leur nature , déterminées à faire la guerre aux Rats , & ceux- ci déterminées naturellement à craindre & à fuir de fi mortels ennemis. On dira encore que lame du Ver > d'où fort une A- beille ouvrière, eft effentielle- C 107] ment fîupide;& que celle qui lui fuccedera, lorfque l'Abeille fera fortie de la nymphe de ce ver, eft effentiellement labo rieufe, agile , adroite, 6c propre à agir de concert avec fes com- pagnes. Car f amé du Ver, qui a le moins dans tout genre d'in- duftrie 3 n'a pas fans doute , dans fa nature , dequoi devenir aufli induftrieufe que l'Abeille. D'ailleurs, quelles font ces différences que l'Auteur voit en- tre les procédés de l'Homme & ceux des Animaux, & fur lef- quelles il établit entre eux une di- verfité d'effence ? Elles font tou- tes accidentelles à la nature de Pefprit , plus ou moins de be- foins , plus ou moins de moyens de multiplier les combinaifons Kiiij [io8] des idées ; un corps humain , urï corps animal > tout cela eft acci- dentel àla nature des efprits;? Au- teur en conviendra avec nous. Il fera donc permis de penfer que l'union de là même ame avec le cerveau de l'Abbé de Condillac, ou avec celui d'un Serin > feroit un Homme ou un Serin > url Métaphificien ou un petit Ani- mal qui amufe par fon chant > parce que dans le cerveau de cet Abbé , elle auroit mille oc- cafions de combiner des idées profondes > qu'elle y trouverok des befoins multipliés , & que tout cela lui manquerait dans le cerveau de ce petit Oifeau. Quelque ignorance que nous fuppofe l'Auteur, fur la nature des chofes : nous favons pour- tant qu'il efl des Eftres qui ne t iopj Tentent pas leur exiftence^ &: d'autres qui en ont le fens inti- me, A l'égard de ces derniers $ l'Auteur convient que Dieu opè- re leurs fenfations accidentelles^ à l'occafion de ce qui fe paffe dans leur cerveau. Pourriez- vous imaginer , Monfîeur , ce qui borneroitl'a&ion de Dieu fur un Eftre fenfible f Pourquoi l'ame d'un Chien , placée dans uncorps humain > n'éprouveroit pas tou- tes nos fenfations , à l'occafion de ce qui fe pafferoit dans fon cerveau humain ; ne combine- roit pas ces fenfations, ne fui- vroit pas tous les genres d'étu- des auxquels nous nous appli- quons. Je parle toujours dans le fyftême de l'Abbé de Condii- lac> où les Animaux font fufr [no] ceptibîes de réflexions, & ca- pables d'études > ou ils appren- nent d eux-mêmes à connoître leur propre corps > le fyftême de leurs nerfs , & leurs ufages ; dans lequel elles doivent porter ces connoiffances bien au de-là de celles des plus grands Anatomif- tes y puifqu'elles font jouer fi (ïirement tous les refforts de leur machine , fuivant les cas où el- les fe trouvent. Selon le même Auteur y elles font des abftrac- tions, elles ont quelques idées générales ; elles fe forment des habitudes d'agir fans héfiter, el- font créatrices de leur inftin£h Si elles finiffent plutôt que nous de réfléchir , c'eft qu'elles ont ac- quis plûtôt que nous > le fond de connoiffance qui leur efi nécef- [III] faire ; qu'elles no fe piquent pas 9 comme nous, d'une curiofité vaine & ftérile ; qu'elles s'en tiennent aux befoins que la Na- ture leur adonné, & ne fongent point aux arts frivoles de s'en procurer de nouveaux. Toutes ces difpofitions avantageufes $ viennent de ce que les organes de leur cerveau font difpofés de manière, que les occafions de leurs befoins & de leurs connoif- fances, font peu multipliées» Ainfi , entre deux Hommes, dont l'un Européen , eft propre à embrafîer les plus grands cal- culs , l'autre Hottentot , ne peut compter que jufqu'à 20. ce ne fera pas à la différence d'elfence dans leurs ames, qu'on rappor- portera une fi grande difpropor- ttl2) tion de capacité; mais à la diffé- rente conftitution organique du cerveau de ces deux Hommes. Quelqu effort que faffe l'Ab- bé de Condillac, quelque fe- couffe qu'il donne à fon imagi- nation, il ne parviendra jamais à un autre réfultat. » L'inftin£l • des Bêtes , nous dit-il, ne fait *> point, ou prefque point d'abf- » tracions.... Ont-elles faim ? » elles ne confidérent pas fépa- » rément les qualités & les ali- £«?» «mens... Elles cherchent feule- » ment telle ou telle nourriture.. » Les fubftancesfont le feul ob- » jet de leurs defîrs ; » elles font donc mieux pourvues de con- noiffancesque nous ne le fom- mes , puifqu'elles ont des idées defubftancedans la doctrine de hotre Auteur ; & que, félon lui jl nous n'en avons pas. » Elles ont *> peu d'idées générales , prefque » tout n'eft qu'individu pour el- » les. Par la nature de leurs be- »> foins y il n'y a que les objets »> extérieurs qui puilTent les inté- » relier. Leur inftinâ les entrai- *> ne toujours au dehors , & «nous ne découvrons rien qui o>puifTe les faire réfléchir fur el- M les , pour obferver ce qu'elles « font. » Si c'eft par ces eara&éres qu'on prétend diftinguer FHomme de la Bête, j'ofe oppofer qu'on peut dire de tout Homme fol ou infenfé , ce qu'on voudroit affû- rer de tout Animal. Mais je ne puism'empêcher de l'obferver. Tout ce difcours appliqué à tel [ii4] Homme imbécille , ou à toutes les Bêtes en général 3 confidé- rées telles que l'Auteur veut qu'elles le foient, n'eft nulle- ment exa£t. Examinons-le dans le point de vûe où il l'employé 9 c'eft-à-dire > dans les Animaux pourvûs d'ames ; nous verrons que non feulement elles font des abftra&ions, mais qu'elles en font beaucoup ; qu'elles font ca- pables de rentrer en elles-mê- mes, defeconnoître ôcde con- noîtreDieu même. Premièrement > dans le fyf- tême de l'Abbé de Condillac , les ames des Animaux ne font oc- cupées que d'elles-mêmes du- rant le cours des études qu'il leur fait faire ; ôcqui durera tout auffi peu qu'il le voudra. Il a été un tems, où leur ame s'eft crue odeur, fon , couleur , fans con- noître aucun objet , aucun corps; elle n'étoit occupée que de fes modifications, qu'elle détachoit de tout objet. Cette abftraâion, qui a tant coûté à PAbbé de Condillac , & qu il fe vante d'a- voir feul imaginée , eft certaine- ment allez confidérable 5 & elle durejufqu'à ce que par Fufage du ta£t y ces ames ayent appris à connoître leur corps > & à le diftinguer des autres corps. Secondement > ont-elles con- nu le corps y en circonfcrivant par la fenfation de folidité, plu- fieurs fenfations différentes, comme l'Auteur l'enfeigne; elles les détachent de leur propre fub- ftance modifiée , pour revêtir les corps des trois dimenfîons. Elles les rendent enfuite fonores, co- lorés , odorans > c'eft-à-dire, qu'elles détachent d'elles mê- mes leurs fenfations > pour en re- vêtir les corps. C'eft encore une féconde abftraâion bien mar- quée. Troifiémement, elles ont des befoins, comme la faim. Or^ la faim renferme ridée de pri- vation , non d'aucune nourritu- re particulière , quand l'Animal n'en voit point ; mais de tout ce qui eft comeftible pour lui. Je l'ai déjà fait obferver à M. de Bufion. L'Agneau ne defîre au- cune plante numérique , lorfqu'il un Agneau, un Chien, un Cada- vre , s'il ne peut mieux trouver: la faim fuppofe donc dans tout Animal, une vue générale, & non bornée à aucun individu en particulier. C eftun fait qui ren-* yerfela do&rine de l'Auteur* Quatrièmement , l'Animai voit les corps, non dans leur- grandeur abfolue, mais comme nous-mêmes , félon le rapport de fon propre corps avec les autres. Il a donc idée de rapports > & de rapports qui ne font pas fixés; mais qui font renfermés entre JX Parti?» L certaines limites. Car un Chiers qui voit un autre Chien plus grand que lui , le juge en géné- ral plus grand, fans favoir de combien. Cinquièmement > dans les premiers inftans oùl'ame de l'A- nimal } à force de réflexions , fç prépare des habitudes , lefquel- les formant fon inftin£t > la dif- penferont de réfléchir le refte de fa vie ; cet ame , dis-je > n'eft dif- traitepar aucun objet extérieur; & n'eft pas conféquemment en- traînée hors d'elle-même : elle n'eft donc alors occupée que d'elle , de fes fenfations , de fes defirs & de fes befoins. Sixièmement , alors elle éprou- voit des fenfations de froid > de chaleur > d'odeur , de fon > [HP] de couleur ; elle fe plaifoit à éprouver les unes, les autres lui déplaifoient , elle defiroit d'être délivrée de celles pour lefquelles elleavoitde la répugnance, & d'en goûter d'autres qui pou- voientla réjouir, l'amufer, ou l'affecter agréablement. Ne re- marquoit-elle pas fon adivité, propre à former des defirs , à les tirer de fon fond ? N'obfervoit- elle pas qu'ayant le pouvoir de defirer , elle ne trouvoit point en elle la force fuffifante pour effec- tuer fes defirs , pour les conduire au terme auquel ils tendoient , je veux dire la fenfation defirée; & que tout defir , eft une ma- nière d'implorer une caufe puif- fantefur foi-même, & capable de modifier comme on veut l'ê- L i j [I20J tre ? Par cette dernière réflexîori: ne découvroit-elle pas une caufe extérieure,dont elle attendoit les changemens qu'elle fouhaitoit dans fes manières d'être ? Et n'a- voit- elle pas dans l'objet de fes defirs,î idée de la poffibilité de la fenfation à laquelle elle afpiroit? Vous la faites raifonner bien profondément, me direz-vous* En êtes -vous étonné, Mon- fleur? Oubliez -vous que pen- dant tout le tems de fes études, Famé de l'Animal eft en quel- que forte, unefprit pur, qu'au- cun objet extérieur ne frappe , ne diftrait, n'empêche de réfléchie très-fenfément , & de méditer très-tranquillement ? Oubliez- vous que les mêmes études doi- vent lui procurer une telle cou- noiiïance du méchanifme de fort cerveau, & des moyens d'y produire tout ce qu elle voudra? que s'abandonnant enfuite à l'habitude de mouvoir fon corps* elle y exécutera , fans la moin* dre réflexion > les manœuvres les plus délicates & les plus com- pliquées. Septièmement , dans ce tems précieux, ou cet efprit étok tout réflexion , pour ainfi dire , il aura donc remarqué fa dépen- dance abfblue f d'une caufe qui difpofoit fouverainement en hit des manières d'être > & vers la- quelle il dirigeoit fes defirs ou fes répugnances : cet efprit ne fe fera-t-il pas fenti i naturellement » porté à eraindre & à refpe&et • cet Eftic dont il «oit dépea- » dre ? Dans les momens ou il eft «tourmenté par fes befoins , ne " * s'humiîiera-t-il pas devant ce » qui lui paroît la caufe de fon =» bonheur , ou de fon malheur ? » Or , fes fentimens n'empor- ta tent-ils pas que l'Eftre qu'il «craint & qu'il refpede, eft » puiflant , intelligent & libre. =» Il a donc déjà fur Dieu , les «idées les plus néceflaires, par «rapport à l'effet moral » avant d'avoir appris à connoître lecorps par l'épreuve du toucher. Concluons de cette feptiéme obfervation , que la connoifïan- ce de Dieu eft à la portée de la- me que l'Auteur donne aux Ani- maux, dans le tems où ils font occupés des premières médita- tions qu'il leur fait faire , & avant qu'ils ayent pris le parti de re- noncer au pouvoir qu'ils ont na- turellement de réfléchir. Con- cluons qu'avant de connoître les befoins du corps > leuramea dû implorer le fecours de la cau- fe qui la modifie , ôc quefes pre- mières réflexions ont dû la por- ter vers cette caufe. Je dis de l'ame delà Bête y ce p* que l'Auteur dit de l'Homme ; & ce raifonnement appliqué à l'Animal > a une toute autre étendue > qu'il n'en a dans notre Auteur, où l'Homme en eft le fu jet : car > indépendemment de toute utilité de la fociété > à la- quelle tous les Animaux ne font pas aflujettis ; je fais voir , par cette application, que l'ame, dans l'Animal , a pû> qu'il a du CI24J même fentir cette fociété natu- relle que l'Auteur doit fuppofer entre le Créateur & l'ame de l'Animal, dès qu'il reconnoît les caufes occafionnelles. Or, il femble à l'Auteur que l'énergie de fa démonftration , par rapport à l'Homme, dépend de l'intérêt qu'il a à la focîété ; car il conclut fa démonftration fur l'exiftence de Dieu, par ces paroles très- furprenantes. * Concluons que »laconnohTance de Dieu eft à » la portée de tous les Hommes , »c eft -à -dire, me connoifance "proportionnée à l'intérêt de la »Jociété. Plus j'ai médité cette phrafe , moins je l'ai comprife ; mais comme il eft néceffaire d'y trouver un bon fens , puifque nous nepoHvons douter des bon- nes tï2n nés rétentions de l'Auteur, j'ai imaginé qu'il â voulu faire une tranfition, pour préparer au chapitre fuivant de fon livré , où il le propofe d'expliquer com- ment l'Homme acquiert les connoiflances de la morale, Ain- fi, toute notre critique fur ce paflage, fe bornera à juger qu'il n'eft pas fort heureux en tranfi- tion s. Quoiqu'il en foit, je crois , Monfieur, avoir rempli l'objet de cette Lettre, c'efr-à-dire , que j'aila confiance d'avoir prou- vé qu'une ame capable de ré- flexion, qui a des idées abftrai- tes,eftfufceptiblede toutes les connoifiances qu'il plaira au Créateur de lui communiquer • qu'elle n'a rien dans fa nature,' IX. Partie. J\£ qui borne 1'acYion du Tout-Puif- fant , ôc qu'elle ne deviendroit point un Eftre contradi&oire , c'eft-à-dire, une fubftancequi n'exifteroit point , fi on lui fup- pofoit des idées de Dieu , ou des idées morales. J'ai l'honneur d'être, &c. XXXIIP. LETTRE. PO u R safîurer, Monfieur, fi les ames des Animaux font fufceptibles d'idées mora- les , l'Abbé de Condillac exa- mine comment l'Homme fe for- me ces idées ; c'eft un moyen d'eflayer fi les Animaux pour- roient aufll fe les procurer. La haine des idées innées , embar- [127] raflé fort les Seftateurs de Loc- ke, lorfqu'ils tentent de décou- vrir quels font les fondemens de la morale. Ils fe rejettent furies intérêts de la fociété ; ne voyant point de milieu entre l'opinion qui veur que les idées de morale foient innées ; & celle qui les veut factices ou inventées par les Hommes , & tirées des fenfa- tions. Et comme un grand nom- bre d'Animaux vit à l'écart , & ne cherche pas la fociété de leurs femblables, ils en infèrent en général très-faulTement, à mon avis , que les ames des Bê- tes ne peuvent diftinguer la per- feftion de PimperfeéUon , le bien du mal, le mérite du démérite. Dans ces principes , l'Auteur s'explique ainfi. w JL expérience [128] . »ne permet pas auxHommesd'î- =» gnorer combien ils fe nuiroient » fi chacun voulant s'occuper de » fon bonheur aux dépens de » celui des autres , penfoit que » toute action eft fuffifamment « bonne dès qu'elle procure un ». bien phifique à celui qui agit. »Plus ils réfléchiflent fur leurs «befoins, fur leurs plaifirs, fur » leurs peines, Ôt fur toutes les » circonftances par où ils paflent, » plus ils fentent combien il leur « eft néceuaire de fe donner des «fecours mutuels. Ils s'enga- »gent donc réciproquement, » ils conviennent de ce qui fera «permis ou défendu, & leurs » conventions font autant de » loix auxquelles les aftions doi- » vent être fubordonnées ; c'eft- C 1291 » là que commence la moralités Ainfi, point de loi naturelle; tout eft de convention dans Tor- dre moral , comme dans celui du langage. Quelqu'un, mal pré- cautionné, concluera de cette doftrine , que .certains peuples font non feulement excufables , mais très - louables , lorfqti'ils tuent leurs pères qui , parvenus à la décrépitude, ôc ne menant plus qu'une vie douloureufe & languiffante, deviennent inutiles & à charge à la fociété. Mais l'Auteur paroît prévenir p cette objedion , par une expli- H2, cation que je voudrois bien trou- ver fuffifante. » Dans ces con- ventions , les Hommes ne » croiroient voir que leur ouvra- =» ge , s'ils n'étoientpas capables ^ de s'élever jufqu a la Divinité * » mais ils reconnoiflent bientôt » leur Légiflateur dans cet Eftre » fuprême qui difpofant de tout x » eftle feul difpenfateur des biens » & des maux. Si c'eft par lui s* qu'ils exiftent & qu'ils fe con- » fervent , ils voyent que c'eft à ^ lui qu'ils obéiffent, lorfqu'ils « fe donnent des loix > » c'eft-à- dire , qu'ils voyent que leur fo~ ciété ne peut fe foutenir fans loix ; que Dieu veut qu'ils en fafïent y qu'ils fe foumettent à cette volonté y non en recevant celles queDieu a établies de tou- te éternité ; mais en s'impofant à eux-mêmes celles qu'ils juge- ront les plus propres à reflerrer les nœuds de la fociété : » ils les »trouven.t,pour ainfi dire> écrites dans leur nature. «Il n'y a point dereftti&ion à faire,point de pour ainfi dire. Il faut convenir que la Lumière Divine éclaire tout Homme qui vient dans le mon- dera loi eft écrite dansnotre pro- pre cœur en cara£teres très vi- fibles ; mais nous ne voulons pas les lire , parce que notre attrait unique eft de nous répandre au dehors , de ne voir que ce qui nous eft étranger , fans aucun retour fur ce qui fe paffe au de- dans de nous - mêmes. Aimez Dieu par deffus toutes chofes* rendez-vous aimable aux Hom- & aimez-les ; la première partie de cette loi eft écrite dans notre fens intime. Dieu n'a pas befoin d'être démontré > non plus que notre exiftence ; mais d'être fen- M iiij îi dans le commerce qu'il a con- tinuellement avec nojtre ame? foit en lui donnant le fond de l'être, foit en la modifiant par lui-même d une infinité de ma- nières , foit en lui faifant Con- noître ce qu'il a créé autour d'el- le ; en tout cela , fa préfence eft intimement fentie, il ne faut que s'y rendre attentif, & pren- dre garde , en goûtant le bien- être, à la main qui l'imprime en nous, La loi de fon amour, eft écrite dans le defir que nous avons d'être heureux ; la caufe delà béatitude eft donc ri^cef- fairement l'objet de notre atta- chement & de notre reconnoif- fance. Telle eft la première loi de la moraîe-Xa féconde, qui lui dl fubordonnée , eft auffi èctim en cara&éres très-lifibles , dans notre amour-propre même > & fi ces caractères font défigurés, c'eft que notre amour propre eft corrompu, La première loi eft indépendante de toute fociété, la féconde eft relative à Tordre divin , qui établit une vraye confanguinité entre tous les Hommes dont il fait un corps > pour lui être dévoué en total % 6c dans le détail des aâions pu- bliques & générales > comme tout Homme lui doit être dé- voué en particulier. » En effet , P( continue l'Auteur, » il nous »> forme pour la fociété , il nous « donne toutes les facultés né- » ceffaires pour découvrir les de- » voirs du citoyen. -» Découvrir, ils font donc préexiftans à toute convention: Il ne s'agit donc pas de convenir , maisde voir. o> Il veut donc que nous rem- » pliflions ces devoirs* Certai- » nement il ne pouvoit pas mani- » fefter fa volonté d'une manière «plus fenfible:les loix que la » raifon nous prefcrit , font donc » des loix qu'un Dieu nous im- » pofe lui-même,»& non des loix de convention ; =» & c'eft ici «que s'achève la moralité des »a£tiqns. i*3* 3. H y a donc une loi naturelle* o> c'eft-à-dire , une loi qui a fon *-> fondement dans la volonté de » Dieu , & que nous découvrons » par le feul ufage de nos facul- tés.... Il ne faut pas confondre wles moyens que nous avons « pour découvrir cette loi % âvec 8D le principe qui en fait toute la ™ force» Nos facultés font les » rrçoyens pour la connoître 9 » Dieu eft le feul principe d'où » elle émane ; elle étoit en lui^ » avant qu'il créât l'Homme* *C'eft-elle qu'il a confultée* *> Iorfqu'il nous a formés, & c'eft » à elle qu'il a voulu nous aflii- ^jettir. » Tout ceci eft affez bien dit * mais prouve en mê- me tems, que les lok de la morale ne font point des ef- fets de convention ; & que tou- te convention tire , au contraire* fa bonté de fa conformité avec les models éternels d'une con- duite raifonnable* Dans Fefprit de l'Auteur > iî faudroit donc que les Hommes trouvafTent dans leurs fenfations^ In*} principes uniques de toute idée , des moyens de comparer leurs loix à celles qui étoient en Dieu avant qu'il créât l'Homme, qu'il a confultées, lorqu'iinous a formés , auxquelles il a voulu nous affujettir. Où l'Homme les confultera-t-il ces loix /ou pour juger de l'ordre qu'il trouve éta- bli dans la fociété où il vit ; ou pour établir cette fociété ? En Dieu ? comme difoitle P. Ma- lebranche : notre Philofophe mépriferoit cette réponfe. Dans nos fenfations ? Qu'il nous les y montre donc. » Nos facultés les y » découvriront. » Ces mots font bien vagues. On veut dire appa- remment notre intelligence ; mais l'intelligence ne voit point où il n'y a aucun terme de con- noMances. Or,le type'du jufte 5c del'injufte, n'eft certainement pas dans nos fenfations : nos fa- cultés ne l'y découvriront donc pas. Cela eftinconteftable. Lorfqu'on aura formé l'idée de Dieu , nous dira un difciple de Locke > de plufieurs idées rapprochées > on jugera qu'il y a fans doute un Eftre femblable au tableau que nous aurons for- mé. Onnefe fent pas un Eftre nécelTaire , on penfera donc qu'on doit l'exiftence à cet Eftre; onfefentira né pour la fociété, on jugera donc qu'il veut que l'Homme y vive : on fera des loixpour maintenir l'harmonie & la paix dans cette fociété ; & p Ci elles font propres à ce but fï convenable > il eft évident qu'el- A. îes feront conformes à la volon- té de Dieu ; c'eft-à-dire qu'on les attribuera au Créateur, parce c'eft que le feul qui ait un fouverain domai- ne fur notre vie; celui qui nous la donne, peut feul Pôter, & % que c'eft entreprendre fur fes droits , que de pré venir le nom- bre de jours affignés à chacun : mais où verra-t-ii ce principe? Où le voyons - nous actuelle- ment ? Dans quelque fenfation particulière , de jaune, de rou- ge, de froid, de chaud, defoli- dite, deplaifir, de douleur, de chatouillement. Sera - ce > en confultant ces fenfations, ou d'autres , que nous apprendrons fi ce principe eft une des loix du Créateur ? Nous le trouverons dans le fens intime de notre exif- tence continue & identique , que nous fentons ne pas devoir à nous-mêmes; mais à une volon- té [141 1 té créatrice : nous le trouverons dans le fens de la co-exiftence de notre corps , que cette même caufe fouveraine nous rend pro- pre;car nous fentons aufli que ce n'eft pas parl'efficace de notre volontéque nos ame, sfont unies à des corps. Or, quel droit avon?- nous de prévenir la caufe toute- puiffante, foie fur nous-mêmes , foit fur tout autre. C'eft ce milieu que nos Philofophes modernes s obitinent à négliger. On leur a dit, avec Platon, que les loix qui doivent régler nos avions font des formes éternelles, que nous voyons en Dieu même ; ils trouvent cette idée ridicule , ils l'abandonnent , & concluent fimplement, que les bonnes ac- tions, font celles qui font effec* IX. Partie», JSJ. £ 3 tiVement conformes auxloix du Créateur: mais encore une fois où voit-on ces modelés de tou- tes les perfections ? Dès qu'ils veulent que toute idée vienne des fenfations pafTageres que nous éprouvons > il faut bien qu'ils difent que ces mêmes fen- fations font aufli la fource de ces modèles. Sont-ils donc nioins ridicules que ceux qui veulent que nous les voyons en Dieu- même? Au refte, fi l'idée de pcrfeûion & d'imperfe&ion > eft prife des fenfations > pourquoi refufera-t-on aux Animaux > le pouvoir d'atteindre aux idées morales, en confultant, comme nous y ces mêmes fenfations l Cependant , dans tout ce que notre Auteur vient de nous dire C I4S J fur la manière dont les Hommes acquièrent les principes de la morale, il n'a d'autre objet, que d'enlever aux Animaux l'avanta- ge de pouvoir juger de leurs ac- tions bonnes ou mauvaifes. ». Il p. o n'y a point d'obligation , dit-il, » pour des Eftres qui font abfo- "lumentdans l'impuhTance de * connoître des loix. Dieu ne » leur accordant aucun moyen « pour fe faire des idées du jufte « & de l'injuftice , démontre » qu'il n'exige rien d'eux ; corn- «me il fait voir tout ce qu'il » commande à l'Homme , fok * quille doue des facultés qui » doivent l'élever a ces connoif- » fanées. Rien n'eu; donc ordon- » né aux Bêtes, rien ne leur e& * ^fendu, elles n'ont de re~ N-i| / » gles que la force. « J'avoue que s'il a plû au Créa- teur de produire autant d'ame3 toujours aliénées & conftament ftupides, qu'il y a de divers A- nimaux dans la Nature ; nous concevrons qu'il n'y aura pas plus de loix pour elles , que pour nos fols & nos imbéciles. Mais il n'eft pas ici queftion de ce fait prétendu, auquel, tout ridicu- le qu'il eft, il faut bien que les Seftateurs de l'anie des Bêtes, reviennent malgré eux. Le point dont il s'agit entre nous , eft de favoir fi l'amie qu'on accorde à tout Animal eft eftentiellement différente de la notre ; en ce que la nôtre eft propre par fa nature à entrer dans l'ordre moral , ôc <|ue celle de la Bête eft , au con- traire incapable de fa nature de le connoître , enforte que Dieu ne pût même donner l'idée du jufteôc de Finjufte à l'Animal f fans en faire une chimère contra- dictoire dans les principes in* compatibles de fon être. Voilà l'objet unique de la queftion que l'Auteur avoit entrepris de trai- ter. Or vous avez vu > Monfieur> dans ma précédente Lettre, que l'ame des Bêtes , pendant le tems que l'Abbé de Condillae lui accorde pour faire fes profon- des études, avant quelle eût foupçonné qu'il y eût des corps , & quelle en eût un , fe trouvoit totalement ifolée ; ne pouvant s'occuper que de deuxobjets,de fes modifications propres, & de Ci 4 qui nous porte à croire que nous ayons été occu- pé de Dieu dans les effais philo- fophiques qu'on veut que nous ayons fait , étant encore reflerrés dans les langes ; eft-il raifonna* ble de penfer que les ames des Bêtes ayent été plus heureufe- ment fixées pendant leurs pré- tendues études à la contempla*- tion du premier Efire. Ce.. C i4P 3 €e raifonnement feroit fondé; mais il ne feroit pas propre à nous faire concevoir une diffé- rence effentielle entre nos ames & celle qu'on donne aux Bêtes • il en réfulteroit, au contraire qu'étant capables les unes & les autres , de réflexion dans les premiers momens de leur exif- tence, elles feraient toutes éga- lement un très -mauvais ufage de leur intelligence, & nous au- rions , dé plus , bien de la peine à comprendre comment nos ef~ prits , deftinés à connoître & à aimer Dieu » n'étant diftraits par aucun objet , & de plus propres par là, à méditer profondément dans notre première enfance , ne pouvant abfoiument connoî- tre qu'eux mêmes & Dieu qui IX, Partie. O les modifie en bien ou en mal , feroient tous convenus de ne penfer jamais à lui ; & que cette diftra&ion générale, feroit en- trée dans le plan fur lequel le Créateur nous auroit fait. Etoit- ii donc fi intéreffant que nous appriffionsà foupconner qu'il y a des corps , & que nous en avons un ? Cela étoit-il, dis-je, fi néceffaire que lafagelfe éternel- ait dû nous diftraire totalement fur fa préfence, fur fon aftion, qui fait la vie de^l'ame, de peur de nuire à l'étude de notre pro- pre corps ; de peur que nous n'appriffions pas bien à revêtit de nos propres fenfations, des Eftres dont nous n'avons aucu- ne connoiffance ;& à les réali- fer , fans favoir ce qu'ils font , & fans être même affûtés deleut exiftence ? Car voilà tout lefuc- ces des études philofophiques qu'on nous dit que nous avons faites , lorfque nous étions en- core au berceau; nous y réflé- chirons , nous y méditions pro- fondément ; & à ce tems d'é- tude a fuccédé uneftupidité par- faite, une inaptitude complet- te à toute réflexion , un oubli entier des exercices d'efprit, qu'on prétend que nous avons fait : enfuite , la faculté de réflé- chir nous revient, je ne fai comment, par degrés infenfi- bles , U faut reprendre nos con- noiflances à neuf ; parvenus à la fin, à jouir de toute notre intel- ligence Ôc de notre liberté, nous philofophons tout de travers. Oij Le beau portrait de l'Homme que nous peint l'imagination de M. de Condillac ! N'eft il pas bien reffemblant ? Et peut-on dire, quand on philofophe com- me il le fait, qu'on fe borne rî- goureufement à ne raifonner que fur l'obfervationf Tout eft donc encore égal en- tre lésâmes des Bêtes & les nô- tres , dans lefyftême de M. l'Ab- bé de Condillac. Si nos ames, îorfqu'elles ont appris a fe con- noître ôc à connoître les corps , n'ont point été occupées du Créateur : celles des Bêtes n'y auront pas penfénon plus, je le veux bien; ou, fi elles y ont penfé les unes & les autres , elles ont perdu entièrement le Souve- nir de la plus belle , & de la plus noble partie de la philofophie de- leur enfance ; elle n entrera point dans leur inftin^l., comme la manière de voir les corps , à la bonne heure ; mais comme on5 ne concluerapas de la diftraâion des ames humaines, par rapport à l'objet immenfede la Divinité qui leur faifoit fentir fa préfence en les modifiant, qu'elles étoienr par leur nature > incapables de connoître Dreu , & leurs de- voirs à fon égard; de quel droit pourroit-on tirer la même con- féquence de la même diftradion de lame des Bêtes ? Ce fyftême de l'Abbé de Condillac/nenous a donc pas fait encore entrevoir la moindre différence effentielle: entre les ames cles Bêtes & les» nôtres ; & ceft très- gratuite- • Oiij E *f4 1 ment qu'on fuppofe que les pre- mières font incapables par leur nature , de toute connoiffance dans Tordre moral. La privation a&uelle de ces connoiffances > ne peut pas mettre une différen- ce fpécifique entre deux ames : carficelaétoit, il faudroit dire que nous avons perdu à 15* ans r tems certainement où nous ré- fiéchifïions } cette ame qui ne réfléchiffoit pas à deux ; & qu à celle-ci en a fuccédé une cf une nature abfolument différente. Les imbéciles nés , les fols au- raient des ames d'une efpece particulière > & pendant le cours de 2^ heures > nous aurions deux ames qui s'empareroient alterna- tivement de notre machine , une pendant le tems de la veille | l'autre pendant le tems du fom- meiL Ce ne feroit pas > Monfieur , un fi grand inconvénient > que nos ames & celles des Animaux, euflent été diftraites fur la pré- fence de Dieu, fi la Nature les avoit réellement chargées des études auxquelles l'Abbé de Condillac les a&ajettit dans les premiers tems de leur exiftence. Quoique capables d'idées & de connoiffances morales > elles couroient le plus grand rifque de fe brifer contre le plus dangé- reux écueil auquel on puiffe être expofé, c'eft-à-dire , désenga- ger dans la do&rine de Spinofa , telle que ce raifonneur fi extraor- dinaire la concevoir. Cette idée vous paroîtra fans doute fingu- [1^1 liere ; elle n'eft cependant mal- heureufement que trop fonde'e^ & Tinftant critique qui doit natu- rellement les engager dans cette erreur Monftrueufe , eft préci- fément celui où elles commen- cent à foupçonner qu'il y ait quelque chofe hors d'elles, ou. elles donnent de la folidité à leurs fenfations, ou. elles en forment les trois dimenfions: dans cet infiant elles ne con- noiffent qu'elles-mêmes & la caufe qui les modifie ; elles nefe fentent que des façons d'être, & ne fe fentent point le fond indi- viduel & toujours identique de leur fubftance, puifque dans les principes de l'Auteur, elles ne la connoiffent pas plus que les corps. Que revérifient- elles donc des trois dimenfions, fie: des couleurs ? Ge ne peut être que la caufe produ&rice de leurs feniations : car ellesne connoif- fent aucune fubftance que celle- là, elles ignorent les occafions de leurs fenfations ; elles ne fe doutent en aucune forte > qu il y ait des caufes occafionnelles y car elles ne pourroient les foup^ çonner, qu'autant quelles au- roient préalablement l'idée des corps. Ce n'eft donc qu'à la caufe proprement dite & -Immé- diate de leurs fenfations > qu'el- les attribueront les trois dimen- sions , lafolidité, la figure, le& couleurs, puisqu'elles ne cen- noiffentque cet Eftre ; au lieu que le P. Malebranche revêtoit des couleurs les types éternels des figures, les penfées de îafa- gefle in créés ; ces ames en revê- tirons la fubftance de Dieu mê- me qui agit fur elles , & elles ne connoîtront que cette fubftance. Alors y comme le prétend Lu- crèce , Jupiter fera , pour elles * tout ce qu'elles voyent ,tout ce qu'elles entendent > tout ce qu'elles touchent. Il eft étonnant combien il eft facile en philofophie , de faire bien du chemin , pour s'éloigner d'une opinion faufle & abfurde r & après bien des peines & des travaux > de s'y retrouver au bout d'une longue courfe. Quel ridi- cule n'a-t-on pas voulu jetter fur l'opinion du P* Malebranche ? Donner du corps aux idées de Dieu, difoit-on, les colorer,. les façonner. On crioit prefque au blafphême , lorfqu il n auroit fallu que s'amufer de la belle imagination du Philofophe* C'eft cette opiniorrque nos nou- veaux Métaphificiens ont voulu éviter le plus qu il leur étoit pot fibîe. Dans cette vue, on a dit qu'ilnyavoit point d'idées in- nées y qu elles venoient toutes de nos fenfations accidentelles; que nos fenfations ne portent point l'image de ce quelles re- préfentent. On eft alors bien éloigné de chercher en Dieu des modèles , & par conféquent on ne fe croit point expofé à désho- norer , & à défigurer la Divini- té, en lui attribuant fes propres fenfations r & Ton fe trompe. Non-feulement on leur appliqua C 1 60 j des couleurs, mais encore ori lui donne les trois dimenfions j &ce qu'on appelle corps, n'eft plus que Dieu même , à qui l'on- d'être que l'on? tient de lui. On tombe dans ce piège fi dangéreux , fans le fa- voir, & certainement fans le vouloir. Ces écarts philofopKiques ne prennent rien fur la piété de ceux qui y tombent ; mais ils font fu- neîtes pour les efprir s mal difpo- fés, atrabilaires, & delà trem- pe du génie de Spinofa. Le P, Malebranche étoit un Prêtre très-vertueux, & qui peut-être (fes admirateurs trouveront, fans doute , cette façon déparier bafardée) étoit plus rempli de piété & de religion q u'il n'é- t *fi ] toit Philofophe. Quelques uns Font accufé témérairement de fpinofifme. Ils ne voyoient pas combien on en eft éloigné , lors- qu'on reconnoît que l'ame eft une fubftance , que les types des corps y font les types de vraies fubftances, ou poflîbles 5 ou exiftantes. Mais ceux qui en- tendent bien le vraîfens du Li- vre de l'infortuné Philofophe Hollandais^ favent bien, pour- quoi ils applaudiffent à la nou- velle Philofophie qu'on s'effor- ce d'accréditer. On les croyoit Matérialises , on les a rendus Spiritualiftes. On fe félicitoit de leur converfion , & l'on n a fait que leur fournir de nouveaux moyens. Ils n'ont point changé d'intérêt. Ci**] Je n'avois dit qu'un mot du danger du Spiritualifme univer- fel , dans la Lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire ? Mon- fieur, fur le Livre obfcur de l'Abbé Needham. J'efperois que des Ouvrages de ce genre > feroient peu lus , & encore moins entendus. Mais je m'ap- perçois qu'on commence à les goûter; & j'en parle avec d'au- tant plus de liberté., que je ne crains point qu'on accufe l'Abbé de Condillac de vouloir favori- fer le Spinofifme qu'il a refuté avec avantage dans fon Traité des Syftêmes. D'ailleurs , le Spinofifme, dont il eft ici queftion, n'eft dangéreux que pour le tems où l'Auteur imagine qee nos ames font des études profondes dont iinenousrefte rien. Et ces étu- des étant une vraye chimère qui n'a de réalité que dans l'imagi- nation de ceux qui l'adoptent, le danger duSpinofime eft éga- lement imaginaire. Je ne crains point qu'on réuflifîe jamais à fai- re douter de l'exiftence des corps , quelque fubtilité qu'on employé pour en rendre la certi- tude fufpette ; & j'obferve ceci , pour tranquillifer ceux qui , frap- pés des progrès de l'impiété > la voyent plus ou moins dévelop- pée dans un certain nombre de Livres > ou > avec quelque at- tention , ou ne trouve réelle- ment qu'une fort mauvaife Logi- que : car, tant que les Hommes feront intimement perfuadés que leur corps , que la terre fuir laquelle ils marchent > que les objets qu'ils voyent , font des Eltres tout auflfi réels que leur ame ; il n'y aura jamais que des foux qui deviendront Spinofif- tes. Je croirai pourtant que mes travaux ne feront pas inutiles à îafociété;fi j'empêche que le nombre de ces foux ne fe multi*- plie , & fi je préviens le renver- fement de toutes les fciences : car il femble qu'on n'étudie plus à préfent que pour bouleverfer toutes les idées communes* Je fuis perfuadé que l'Abbé de Condillac n'a pas prévû où conduifoit fon fyftême. Je fou- liaiterois qu'il me fit voir que je groffis les objets , & je lui en auroisune vraye obligation ; ou qu'il qu'il renonçât pour jamais à fon fyftême, s'il ne peut le garentir de conféquences qu'il détefte certainement. Il réfulte de tout ce que j'ai eu l'honneur de vous dire , Mon- iteur , dans cette Lettre > que les ames des Bêtes, fi elles étoient telles qu'on veut qu'elles foient feroient par leur nature^ fufceptibies > comme nous , de vérités & d'erreurs dans l'ordre moral ; c'étoit mon but. -Je: fuis , &c- m IX. Partie. F - £i66J XXXIVe. LETTRE. IE grand embarras > Mon- fiçur, de ceux qui don- nent des âmes aux Bêtes > ceft de répondre à ceux qui leur de- mandent d'où elles viennent > lorfque le corps de l'Animal eft formé ; & ce qu'elles devien- nent , lorfque ce même corps fe détruit. La création & l'anéan- tiffement de ce nombre prodi- gieux dames unies à une multi- tude prefqiae infinie d'Animaux revoltentjlorfqu on penfe à la fa- geffe de Dieu. Des ames créées,, non feulement à i'occafion de la génération y mais encore à I'oc- cafion des favans caprices d'un. NaturaMe , comme je vous l'ai dit , Monfieur , de tant d'expé- riences que M. Tremblai a fai- tes fur les polypes à bras, eft, en vérité , une idée auffi futile que frivole. Le feul parti qu'on auroit à prendre, ce feroit de juger que ces ames font immortelles com- me les nôtres ; & la métempfico- fe , à laquelle je ne défefpere pas que nos Philofophes modernes n'ayent recours , donnerait les dénouemens les plus heureux, & conferveroit les droits de la Juftice Divine , d'une manière fi fimple , qu'il ne lui manqueroic que d'être révélée pour être crue. C'eftdela Juftice Divine que- l'Auteur prétend tirer une duTé- H rence effentielle èntre les ames cles brutes , d'une part, & les ames humaines, de l'autre. Il conclut des loix de convention ^ qui fe trouvent ordonnées pour le bien de la fociété , confop- mément aux loix éternelles de la Sagefle Divine y que nous fem- mes capables de mérite ou de dé- mérite enversDieu même & qu'il eft de fa Juftice , de nous puni & de nous récompenfer ; & l'Auteur fous-entend> fans dou- te, que notre mérite dépend de notre fidélité à ufer des biens d ce monde félon la deftination d — Créateur , 6c à lui rapporter Teni ploi que nous en faifons. p, I43, ^ Mais , ajoute-t-on , ce h* «pas dans ce monde que les bien & les m au?: font proportionn à £ au mérite & au démérite H y ar donc une autre vie où le Jufto » fera récompenfé > où le Mé- » chant fera puni , 6c notre ame » eft immortelle. » L'Auteur ne prend pas garde que nous ne fommespas immortels dans la partie fpirituelle^ parce que nos a&ions méritent d'être punies ou récompenfées éternellement; mais qu'au contraire 9 nous fe- rons punis ou récompenfés éter- nellement, du bon ou du mau- vais ufage du tems deftiné par le Créateur à fixer le fort de notre Eftre , parce que nous fommes immortels, dans notre partie fpir rituelle. Nous avons d'autres preuves qui nous affûrent de la perpétui- té de notre Eftre } l'une de fait, Eft-il quelque atome le plus^pe^ tit de la Nature y que nous ima- ginions devoir être détruit un jour? Pourquoi donc penferions nous que notre ame eft créée, pour être anéantie ? L'autre eft métaphiiîque, & elle eft tirée de la Nature de notre ame compa- rée àlaSageffeDivine. UnEftre fimple, qui ne renferme aucun principe de deftru&ion ni de di- vition, n'eft~il pas produit dans le deifëitt qu'il dure toujours f Si Dieu avoir créé une machine y dont le r-effort fût dans une ten- fion toujours égale ; dont rien r m d'extérieur , ni d'intérieur , ne pût déranger le jeu r pourroit-on penfer qu'elle eût été faite pour être privée de tout mouvement. Faites y Monfieur,. un feu! corps 1 17 1 3 de preuves de ces deux-ci % & vous conviendrez, que. dans quelque affaire cïvile que ce foit , il n'eft point de fin de non- recevoir, s'il m'eft permis d'ufer de ce terme , plus précife , plus convaincante que celle que vous oppoferiez par votre argument r À ceux qui prétendent que Famé périt avec le corps. Or, quelle affaire doit nous intérefler da- vantage > que celle où il s'agit de décider fi notre amed créée pour toujours, ou feulement pour untems. L'Abbé de Condillae conti- p. nue* «Cependant fi nous ne con- » fidérons que la nature de notre * ame , elle peut cefler d être* » Celui qui l'a. créée, peut la ® laiffer rentrer dans le néant. II L part apparemment d'un principe qui paroit inconteftable ; ceft que, qui n'a pas une exiftence né*- ceffaire, peut cefler d'être : & ce principe appliqué au mouve- ment de. la machine dont nous venons de parler y feroit avoué > & ne nous forcerait cependant pas de penfer quelafageffe éter-^ nelle eût formé cette machine r feulement pour un tems. L'Aut teur> d'ailleurs , conferve fans doute les droits de l'immutabi- lité divine > il a donc fimplement voulu dire que nos âmes aur raient pû être créées pour unu tems, au de-là duquel l'objet de la volonté créatrice étant rempli > l'ame .rentrerait dans le néant. Je m'abitiens fur ce poinr* de produire de très-grandes dif- ficultés ; C 175 3 Acuités dont je fuis très embar- raffé , & dont je ferois fâché d'embarrafTer les autres. Je me borne à ce point unique; il ne s'agit pas en ceci de ce que Dieu a pû faire, cen'eftpas ce qu'il nous importe de fa voir; mais de ce que fa fagefTe lui a fait déter- miner. Or, ce qui n'a aucun principe de deftruaion, me pa- roitdeftiné à durer toujours. Les machines ont des caufes de def- trudion, les modifications de la matière font paffageres ;mais la fubftance même delà matière, toutexténuable qu'elle eftparfa divifibilité , n'eft pas deftruai- blepar la voye de Jadivifion, & par cela même, nous jugeons qu'aucune partie de la matière ne fera jamais anéantie. Que IX. Partie, O chacun examine ce qu'il penfe fur la perpétuité de la matière, ôc il verra qu'elle n'a point d'au- tre principe que celui que j'indi- que : ôc quoique nous fâchions très-bien qu'aucune créature ne peut impofer des loix à celui de qui elle tient l'être, qu'elle ne peut exiger fa confervation com- me un droit ; l'idée que nous avons de l'immutabilité divine, ne nous permet pas de nous jet- ter dans des hypothèfes. Si nous penfons qu'il ne répugne pas que la Sageffe divine veuille créer des fubftances pour un tems ; nous fommes néanmoins très- convaincus qu'aucune fubftance n'a été créée pour être détruite. Il n'y a donc qu'un intérêt fecret ôc honteux , contraire à l'amour naturel que nous avons pour l'exiftence qui puuTe nous faire excepter notre ame du fort éter- nel des matières brutes & inani- mées. Or, n'eft-ce pas démon- trer à l'Homme qui s'aime ef- fentiellement , qu'il doit être perfuadé de la perpétuité de fon exiftence , que de lui faire fentir qu'il n'a aucune raifon de le ju- ger créé pour un tems borné , & qu'il ne peut le croire qu'autant qu'il le trouve forcé de rougir de foi-même , & de convenir qu'il fe fent indigne d'exifter. »Ellep- *>ne continue donc d'exifter notre ame» que parce que » Dieueftjufte.» Je n'entends point cette conféquence. Si l'on difoit que Dieu ayant créé 1 ame pour être immortelle , & lui Qij ayant affigné un tems pour méri- ter l'éternité du bien-être parmi les alternatives des biens & des maux de cette vie : je concevrois fort bien cette grande cecono- mie. Le feul Eftre néceffaire étant effentiellement heureux, le bonheur inaltérable n efl point un appanage néceffaire d'un Ef- tre effentiellement fufceptible de félicité & de mifere;ce ne fauroitêtreenluiquele prix du mérite, ôt un prix excédant néan- moins tout mérite. Je conclue- rois que ceux qui, fans aucun égard aux intentions ôc à la def- tination du Souverain Maître, auroient préféré la jouiffance des biens paffagers de cette vie, à un état immuablement heureux , mériteroient d'être abandonnés. [177 3 à des calamités toujours rerïaif- fantes ; & j'ajoûterois que la Juftice divine n'en jugeroit pas autrement , ôc verroit une jufte proportion entre la peine & le démérite. Mais de ce que Dieu a créé nos ames capables de mériter & de démériter > on in- fère qu'il a voulu les rendre in- deftru&ibles ; c'eft affûrément une conféquence que je ne puis concevoir > & qui va infiniment au de-là de fes prémices. Dans l'hypothèfe où Dieu m'eût créé pour un million d'an- nées , & ou il m'auroit donné le court efpace de cette vie, pour m'éprouver ; je dirois fort bien qu'après avoir été fidèle à ce que me prefcrivoient les loix divi- nes ; jemériterois de furvivre à Qiij [i78J la diflblution de mon corps y & d'exifter heureufement pendant tout ce qui refteroit à parcourir du million d'années auquel ma durée auroit été fixée. Je trouve- rois encore la récompenfe très- difproportionnée par rapport à l'épreuve. Jejugeroisde même que je iftériterois de furvivre à mon corps y & de vivre mal- heureux jufqu'au terme de ma durée; fi j'abufois du tems defti- né à me rendre heureux : & le million d'années de calamités > me paroîtroit tout-à-fait propor- tionné à ma prévarication. Mais j'aurois très-grand tort de con- clure que félon le bon ou le mau- vais ufage de cette vie , je de- vrois être éternellement heureux ou malheureux ; une mifere éter- [ 179] nelle me paroiflant infiniment fupérieure au démérite que ren- ferme le mépris d'une récom- penfe toujours temporelle > dès qu'elle eft bornée. C'eft donc parce que le Sei- gneur a fait nos ames immortel- les y que nos récompenfes où nos peines ne doivent point avoir de terme. La proportion des défordres paflagers qu'on peut occafionner à la fociété , avec la punition qu'ils méritent y ne nous paroît pas devoir être fans bornes. Nous trouvons un fcé- lérat affez puni par un fupplice de quelques heures , quelque trouble qu'il ait caufé dans le gouvernement politique. L'Au- teur prouvera bien y après avoir obfervéquela vertu & le vice C 180 D n'étant pas univerfellement récompenfés ou punis dans cette vie ; qu'il doit y en avoir un autre après la mort , où la Juf- tice infinie déployera fon bras; mais il ne prouvera pas par fes principes, que cette dernière vie doit être éternelle , ni pour le Julie, puifqu'une fidélité de peu d'années , ne peut mériter un bonheur éternel , parlant à la rigueur; ni pour le Méchant, qu'autant que celui-ci auroit dé- daigné une éternelle félicité. L'Auteur ne reftreint les preu- ves de la perpétuité de notre ame, aux indudions tirées de la Juftice divine, qu'afin de pou- voir plus aifément établir fon opinion, que les ames des Ani- maux font mortelles. Mais vous tmi avez vu, Monfieur, fur quels fondemensil Fappuie. Dieu re- refufe aux ames des Animaux, tout moyen dedifcerner le jufte de Tin jufte ; il conclut de-là qu'il n'exige rien d'elles , que rien ne leur çft ordonné , qu'elles n'ont de règle que la force , qu'elles p. 144, nom aucun droit à la Juftice divine: elles font donc, félon lui, né- ceffairement mortelles , c'eft-à- dire, qu'elles doivent être anéan- ties à la mort. Il fuffit d'appliquer ce raifon- nementà un atome de matière, pour en fentirtoutle foible. Cet atome ne connoît , ni ce qui eft jufte , ni ce qui ne l'eft pas , il eft incapable par fa nature de le concevoir , ôc par conféquent, il n'eft fufceptible ni de mé- rite , ni de démérite : il n'at- tend donc rien de la Juftice di- vine : il eft donc créé pour être anéanti. Eft-il quelqu'un qui pût prendre un pareil raifonnement pour une démonftration , fur qui il pût faire la moindre impreffion? Vaudroit-il mieux , quand l'Au- teur l'applique aux ames des A- nimaux ? Combien perd-il encore de fa force ) fi Ton peut lui en fuppo- fer quelqu'une, quand il eft ap- pliqué à une fubftance fpirituelle qui ne diffère de nous > que par- ce queDieu lui refufe les moyens de réfléchir fur tout ce qu'il fait pour elle ? Quoiqu'elle en foit. capable par fa nature ; quoiqu'el- le foit comme un enfant compa- ré à un Homme fait, un fol à un [1833 homme de bon fens , je veux dire quoique cet ame ne foit diffé- rente de lame humaine , que par la feule organifation du cer- veau , par la nature des fibres nerveufesquin'y font pas dans le ton propre à fervir d'occafiori au Créateur , de la rendre atten- tive & propre à la réflexion : car vous verrez dans la fuite que c'eft-là le précis de la différence qu'il met entre les ames des bê- tes & les nôtres, m'infirme mê- me affez clairement dans le pa- rallèle que vous allez voir, Monfieur. Dans l'Homme & dans l'Animal » la diflblution du » corps n'entraîne pas fon anéan- «tiflement. En effet, ces deux » fubftances peuvent exifter l'a- » ne fans l'autre ; leur dépendan- ce mutuelle n'a lieu que parce » que Dieu le veut , & autant qu'il » le veut. Mais l'immortalité » n'eft naturelle à aucune des « deux ; & fi Dieu ne l'accorde *> pas à l'ame des Bêtes , c'eft » uniquement , parce qu'il ne la » leur doit point. » Eft-ce que Dieu n'accorde jamais que ce qu'il doit f Où en ferions-nous, fi cette prétention avoit lieu? Quelle difette ! Quelle mifere ! Quelle inertie feroit la nôtre ï D'ailleurs, quand même on ad- mettroit la penfée de l'Auteur , il ne reuflîroit pas à nous prouver qu'il y a une différence effentiei- le entre les ames des Animaux & l'ame humaine ; en ce que cel- le-ci eft créé pour durer toujours, & celles-là pour un tems limité. Car l'immortalité , félon l'Au- teur , n'étant naturelle à aucune des deux efpeces , elle ne peut jamais établir entre elles une différence fpécifique , ni en faire deux euences. Toute la diffé- rence de l'ame de l'Homme à l'ame des Bêtes , & de l'ame d'une efpeee 4' Animaux à celle d'une autre efpeee, fera donc prife de la conftru£tion des diffé- rentes machines auxquelles le Créateut aura voulu les unir, & de la manière dont il lui auraplû de les en faire dépendre. La grande difficulté qui au- roit dû arrêter l'Auteur, eft pré- cifément celle à laquelle il ne fait point la moindre attention: la Yoici, Il eft wès-raifonnablq que des Eftres à qui Dieu refiife tout moyen de connoître le jufte & l'injufte, la perfe£Hôn ôc l'im- perfe&ion > ne foient ni récom- penfés, ni punis. Mais croit-on penfer d'après laSageffe éternel- le , en s'imaginant que le plus grand nombre des Eftres fenfi- bles y capables par leur nature , de connoître & d'aimer l'Auteur de tous les biens ( la feule caufe qui agit immédiatement fur elles) quifentent cette caufe dans le fond même de leur être , ôc dans toutes leurs manières d'être : qu'il les ait , dis- je , créées pour fentir le bienfait j fans pouvoir connoître , ni aimer leur bien- faiteur ; je dis le plus grand nom- bre des efprits : car fi Ton com- pare la multitude des ames que [i87] Dieu aura créées , dans le fyftê- me de l'Abbé de Condillac,pour tous les Quadrupèdes > les Poif- fous > les Reptiles , les Infeftes terreftres & aquatiques , avec le nombre des Hommes pris dans tous les tems > on fera étonné de voir combien peu d'efprits font deftinésàl'ordremoral.L'Auteur veut tout rapporter à la Juftice divine , tenons-nous-en à ce qu'elle exige, & demandons-lui s'il eft jufte que des efpeces en- tières d'Eftres capables par leur nature , de connoître & d'aimer leur Créateur , foient diftinées à l'impuiffance de lui rendre au- cuns devoirs : s'il eft félon l'é- quité de créer pour un tems bor- né , unEftre qui, félon fa natu- re , pourroit > fiDieu vouloitlui en procurer les moyens 9 mériter une éternelle félicité . Penferoit-il donc que dans la Sagefle divine > chaque nature n'a pas fa deftination effentielle ? La matière eft deftinée à tous les effets méchaniques qui dé- pendent du mouvement, de la divifion des parties ôc de leurs combinaifons. Il ne lui a pas été donné de fentir l'être ; parce que le fens intime eft incompa- tible avec les attributs qu'elle a effentiellement. Au contraire, ce qui eft fenfible par fa nature , eft fait pour goûter l'être & pour en aimer la caufe. Qui ne voit pas cette vérité fondée plûtôt fur lafenfibilité, que fur les fenfa- tions actuelles , eft bien à plain* dre y à mon avi§ç Une Une fubltance fpirituelle en qui Dieu imprime toutes les mo- difications , & néceflïtée par l'Elire fouverainement fage & fouverainement jufte, à fe trom- per fur la vraye caufe de fon exis- tence & de fa félicité , à la mé- connoitreparuhe erreur inévita- ble , à attribuer la toute-puhTan- ce à desEftres dont elle n'a a la- cune idée , ou plutôt à fes pro>- pres modifications , qu'il lui plaît de détacher d'elle-même, pour fe les rendre étrangères : une telle fubftance, dis-je, eft certainement un monftre pour tout Homme qui a quelque idée delà Joftice divine. Car enfin , tout ce qui rend heureux, eft le Dieu aduel de celui qui ne con- noîtpasle vrai Dieu, «Dans les IX. Partie. m momens où l'efprit de la Bête *> eft tourmenté par fes befoins 9 » ne s'humilie-t-il pas devant » tout ce qui lui paroît la caufe 03 de fon bonheur ou de fon mal- wheur ? Or, ces fentimens nem- * portent-ils pas que les Eftres qu'il craint & qu'il refpe&e, *> font puiffans , intelligens ôcli- o> bres ? » L'efprit , dans les A- nimaux , feroit donc condamné aune idolâtrie nécefîaite, fans avoir mérité d'être féparé de Dieu y ôc cette idolâtrie auroit pour objet, les modifications mêmes de Famé. Il feroit par fa nature , réduit à cet état violent qui eft la jufte peine de Foubli ou du mépris de la Divinité : il ne pécheroit pas , mais il feroit plongé dans cet aveuglement r mu funefte où l'Homme ne parvient que par l'habitude invétérée dans le crime. Comment l'amour de l'ordre coéternelau Créateur,lui eût-il permis de multiplier des efpeces entières de cette intelli- gence , fenfibles au bonheur d'ê- tre, Ôcinfenfibles au bienfait de celui qui donne feul l'exiftence. On m'objeaera, fans-doute ? qu'un enfant dans fes premières: années, eft incapable de con~ noître & d'aimer Dieu ; qu'il eft expofé à mourir avant l'âge où il pourrait êtreenétat de le fervir,, & à n'avoir aucun tems d'épreu- ve : mais eft-ce une inftitution- de la Nature , ou- un défordre qui y efl furvenu ? C'eft-là le point de la queftion ; jufqu a ce qu'il Toit décidé ,- il ne peut être Rij C I5>2] propofé enobje&ion. M. FÀbbé de Condillac trouvera fans dou- te ma réponfe fatisfaifante. Au refte, j'ai traité avec étendue cette queftion , dans l'Ouvrage qu'il y a longtems que je vous promets, dont vous avez vu le plan & les premiers traits > & où je tâche de remplir 4es vues de M. Pafcal ; vous m'en deman- diez des nouvelles il y a quelque tems. Je diffère de vous en don- ner, pour ne pas couper le fil de notre difcuffion : dès qu'elle fera finie > j'aurai l'honneur de vous en dire un petit mot. L'Abbé de Condillac s'objec- te ce que S. Auguftin lui auroit oppofé y & ce que le P. Male- hrancheavoit tiré des Ouvrages p. 145. de ce Pere. » Les Bêtes fou£ » fient, dira-t-on : or , comment » concilier avec la Juftice divi- » ne y les peines auxquelles elles » font condamnées »?Je répons » que ces peines leur font en gé- » néral , auffi néceffaires que les » plaifirs dont elles jouiffent; c'é- » toit le feul moyen de les aver- » tir de ce qu'elles ont à fuir : c'eft à dire,que ladouleur eft auffi néceffaire à TEftre fenfible , que le bîen-être;& que le feul moyen d'éviter d'être mal, c'eft d'être mal. Le feul moyen ! Mais la douleur avertit de ce qui nuit f & non Amplement de ce qui peut nuire. Qu'eft-ce qu'un Chien ap- prend à éviter par une violente colique > un Cheval par les tran* chées rouges y un Serin par ce bouton fatal qui leur naît fur le r t^i croupion? Des preffentimens de douleur , tels que le P.. Maie- branche les fuppofoit dans Adam innocent, ne fuffiroient donc pas pour prévenir contre des ob- jets nuifibles ; ils rendroient ce- pendant d'autant moins malheu- reux, qu'ils feroient rechercher les moyens de détourner ce dont on feroit menacé. L'Auteur ajoute. » Si elles » éprouvent quelque fois des » tourmens qui font leur mal- *» heur y fans contribuer à leur o> confervation ; c'eft qu'il faut » qu'elles finifTent ; & que ». ces tourmens font d'ail- » leurs f une fuite de loix phifî- * ques , que Dieu a jugé à propos » d'établir , & qu'il ne doit pas changer pour elles*» On vok bien que cette réponfe à l'objec- tion que je viens de faire , efl une pure pétition de principe. Il faut que les Bêtes finiffent. Mais pourquoi faut-il qu'elles finif- fent parla douleur l Si elles font deftinées à ne durer qu'un tems y pourquoi le terme feroit-il un état violent ? A caufe des loix qu'il a plû à Dieu de faire , & auxquelles il ne doit rien chan- ger pour elles. Il ne s'agit pas de favoir Ci Dieu doit changer fes loix pour les Animaux ; mais fi l'idée que nous avons de la Ju£ tice divine > nous permet de penfer que le Créateur les a éta- blies telles qu'il plaît à l'Auteur de les fuppofer > & Ci Dieu in- flige des peines à des Eftres, que ni châtimens ni récompenfes > ne peuvent regarder comme M. de Condillac l'affûte lui-même. Qu'eft-ce donc que la douleur? N'eft-cepas en général une fa- çon d'être qui nous déplaît & qui nous rend l'exiftence à char- ge? Concevez-vous > Monficur , que Dieu puiffe donner & con- ferver l'être à une créature qui n'en eftpas indigne, & qu'il la mette en même tems dans la né- cefllté de détefter fon préfent , fi elle eft incapable de mériter les regards de Dieu par la patient ce & par la foumiflion à fes or- dres ; car il faut réunir toutes ces vues pour bien fentir combien nos Philofophes s'expofent à bleffer la Juftice divine? lorf- qu'ils ofent la faire entrer dans leurs fyftêmes for la nature des Animaux Animaux, avant d'avoir bien conçu auparavant toute l'éten- due de cette juftice, l'Auteur fait un reproche au P. Maie- branche. » Je ne vois donc pas , P, HU » dit-il » que pour juftifîer la "Providence, il foit néceffaire » de fuppofer avec le P. Maie» «branche, que les Bêtes font » de purs automates » cela n'eft pas néceffaire effeaivement « Ci -nous connoiffions les refforts P. li4, » de la Nature , nous découvri- » rions la raifon des effets que » nous avons le plus de peine à * comprendre , » & nous ne porterions nos fyftêmes, ni dans lefein du Créateur, ni dans les phénomènes de la Nature. » No- »treignoranceàcetégard,nau- m « torne pas à recourir à des fyf- I A, Partie. § J- [ïP8] Mtêmes imaginaires ; » mais quand on aladémangeaifon d'en faire , & qu'il faur opter fur le fujet qu'on veut foumettre à des hypotèfes ; par exemple, entre un attribut divin qu'on s'expofe- roit à dégrader , & quelques ■ qualités d'un Eftre créé, qu'on pourroit altérer mal-à-propos ; il n'y a pas à balancer. Il vaut en- core mieux porter une main té- méraire fur les propriétés de la créature , que fur les attributs ibid. du Créateur. » Il feroit bien plus » fage aux Philofophes de s'en « repofer fur Dieu & fur fa Jufti- ce. » La maxime eft fort judi- cieufe , mais la fuit-on bien exaftement , quand on raifonne ainfi ? Je ne puis rien compren- dre atout ce que font les Ani- maux, fi je ne reconnoîs en eux un efprit fimple, fenfible com- me le nôtre, aflujetti aux peines que mérite l'abus de l'être, fans qu'ils en ayent abufé ni pu mê- me en abufer ; quoique ces pei- nes ne puiffent leut être données comme des épreuves. Je ne con- çois pas plus comment Dieu, qui ne peut être Créateur d'un Eftre fenfible , qu'autant qu'il eftfon bienfaiteur, donne à fa créature une exigence qui lui feroit onéreufe , fans y être dé- terminé par aucun motif tiré de fa Jumce. Malgré mon ignoran- ce fur deux objets fi important, je laiffe-là tous mes doutes, & furlaSagefie, & fur la Juftice divine ; & je ne retrancherai rien de mon fyftême fur les Animaux, Sij I>°0 3 Il faut être bien intrépide pour s'en tenir à ce parti ; ôcil faut que l'Auteur foit bien prévenu en faveur de fon fyftême , pour s'i- maginer qu'il a réfolu la difficul- té que le P. Malebranche a mis dans un fi grand jour. Ilfe l'ima- gine pourtant, il croit même de plus , avoir fixé des différen- ces effentielles entre les ames des Hommes & celles des Ani- maux : car voici comment il conclut tous les raifonnemens ?. i4«. que vous avez entendus. » Con- » cluons que , quoique l'ame des » Bêtes foit fimple comme celle » de l'Homme, & qu'à cet égard, » il n'y ait aucune différence en- » tre l'une & l'autre ; les facultés » que nous avons en partage , & 4a fin à laquelle Dieu nous defti- [ 201 ] »*ne, démontrent que fi nous » pouvions pénétrer dans la na- » ture de ces deux fubftances , » nous verrions qu'elles différent » infiniment : notre ame n eft » donc pas de la même nature » que celle des Bêtes. » J'admi- re ce raifonnement démonjîratif ': les facultés entées fur notre Eftre fimple y qui ne le font pas fur ce- lui des Bêtes ;îa fin différente à laquelle Dieu defline notre Eftre fimple , démontrent que fi nous favions ce que nous ne favons pas , nous verrions qu'il y a dans la nature de l'efprir attribué aux Bêtes, desraifons d'incompati- bilité avec les facultés qu'il apiû à Dieu de nous donner, & avec la fin à laquelle il nous a deftinés: donc la nature de lame des Bê- S iij Ia02 ] tes eft différente de reffence de la nôtre. L'Auteur avance un paradoxe dans fon fyftême de Famé des Bêtes , peut-être pour fe mettre à la mode ; c'eft ce qui rend nos hypotèfes modernes fi éblouif- fantes. Pour compenfer îe mal- heur qu'ont les ames des Bêtes y d'être deftinées à l'anéantifle- ment , il leur accorde l'avantage d'ignorer qu'elles doivent ceffer d'exifter ; contrafte fingulier de l'efpece humaine , avec celle des Bêtes. L'Homme immortel ignore fon éminente prérogative; s'il n'en eft pas inftruit > ou s'il ne prend pas fur lui de rentrer en lui-même, pour y reconnoître la différence des deux fubftances dont il eft compoféj, une vie li- — - [*03 1 centieufeTintéreffe quelquefois àfe juger mortel , & à fe mettre au niveau des Bêtes. 1/ame de la Bête ignore , dans le fyftême de notre Auteur , qu'elle doit périr avec fon corps 5 fon amour- propre fe termine à prévenir la douleur , & à fe procurer ce qui peut lui plaire , ou à remplir fes befoins. Elle n'a point le defir de fa confervation : car elle ne fait abfolument ce que c'eft même , que la mort du corps. M. de Condiîlac nous en affûre. Ainfi , le Lièvre fuit le Lévrier, non pour éviter la mort ; mais pour fe dérober au badinage de fon en- nemi, qui pourroit l'incommo- der en le déchirant. Cependant , l'Auteur prétend ailleurs, que parmi les Bêtes, chaque indivi- S iiij [204 1 du tend à fa confervation d'uiîë manière fimple & toujours uni- forme ; & que chacun féparé- ment , dirige fes études à ce but. ïl eft bien difficile dans un fyftè- me de pure imagination , que les idées ne fe heurtent pas. Il fait les aveux que je viens de vous rapporter , Monfieur, danslaconclufion de fon Traité des Animaux, & là-même, il dévore encore une énorme con- tradiction fans s'en appercevoir ; car après avoir foutenu , comme vous avez vu qu'il Ta fait, que nos ames ont une elfence diffé- rente de celles des Animaux; il établit, au contraire, que les unes & les autres , tant dans les Hommes, que dans les Ani- maux , font toutes abfolument delà même nature 5 & ne diffé- rent qu'accidentellement.Ecou- tez-Ie s'expliquer lui-même ^ il le fait avec précifion. «Rien* * dit-il » n'eft plus admirable que p. x » la génération des facultés des » Animaux; les loix en font fim- *> pies , générales ; elles font les » mêmes pour toutes les efpeces^ » & elles produifent autant de » fyflêmes différens > qu'il y a de » variété dans forganifation. Si le » nombre y ou ft feulement h forme ^des organes neft pas la même ^ » les befoins varient 5 & ils oc- » cafîonnent chacun dans le » corps ôc dans l'ame , des ope- rations particulières. » Ceft donc delà difpofition des orga- nes , que le Créateur a choiiî pour chaque cerveau d'Animal^ £2061 que dépendent la nature & le nombre des befoios ; la faculté de réfléchir , de fe reflbuvenir , de comparer , d'opter entre dif- férera partis. Que lame de tel Homme fût unie au cerveau de tel Animal , elle auroit l'initinc*,. des befoins , des defïrs , dif- férentes manières de procéder, conformément au ton du cer- veau de tel Animal. Comment pourroit-on reconnoître plus pré- cifément* queîorfqu'on fe croit obligé d'admettre des efprits dans les Animaux, on ne peut fe difpenfer de leur donner la même effence qu'aux nô- tres Après avoir marqué les diffé- rences qu'il trouve entre f Hon*-- me & la Bête ; il ajoute > en par- i>073 lant de f Homme. » Mais , quoi- r- m* o> que le fyftême de fes facultés *> & de fes connoifTances , foit , » fans comparaifon > le plus éten- » du de tous ; il fait cependant « partie de ce fyftême général.... * où toutes les facultés naiifent * d'une même origine , la fenfa- tion ; où elles s'engendrent par » unième principe , le befoin t *> où elles s'exercent par un nié- » me moyen, la liaifon des idées:, » fenfation , befoin , liaifon des idées 5 voila donc le fyftême » auquel il faut rapporter toutes » les opérations des Animaux » de l'Homme comme des Bêtes r ^quelques unes des vérités qu'ils renferment » il falloit dire des fuppoilions» ont été connues : ^perfonne jufqulci, n'enafailî Oo8] »■ renfembîe 9 ni la plus grande « partie des détails » ôcperfonne, je crois , ne rougira , après avoir la ce que j'ai l'honneur de vous écrire, de ne s'être pas rencon- tré avec l'Aureur. Son fyftême nous paroît , au contraire > partout découfu. Le but en eft de développer l'opi- nion commune fur la nature des Animaux qu'on a comme natu- rellement & indépendemment déroute méditation philofophi- que. Or, cette opinion borne les Animaux aux fenfations ; elle leur ôte l'intelligence, le raifon- nement, la volonté ; elle les décide abfolument incapables d'avoir part aux efpérances de l'Homme pour l'autre viÉ^' Au- teur contredit donc formelle- L 209 ] ment cette opinion, puifquilre- connoît que dans les premiers tems ils peuvent réfléchir , qu'ils font alors , au moins plufieurs, ôc avec une facilité furprenante, des études tout autrement pro- fondes, tout autrement éten- dues , que celles qu'il veut que nous ayons fait dans f enfance. Il veut que ces ames des Bêtes foient incapables de s'élever juf- qu'aux abftraâions ; cependant > que peut-on imaginer de plus abftrait que ce qu'il leur attribue ds tranfporter leurs propres fa- çons d'être, hors d'elles-mêmes, pour en revêtir des Eftres en gé- néral , & qui leur font totale- ment inconnus i ôc quel rifque ne leur fait-il pas courir , de fe précipiter dans le Spinofîfme ; [210] en prenant Faffemblage de ces Eftres inconnus > pour la caufe qui agit fouverainement fur el- les. On conclut donc très-légi- timement des principes de l'Ab- bé de Condillac, que ces ames ont pu connoître Dieu & leurs devoirs : cependant il foutient qu'elles font étrangères à tout ordre moral , ôc cette incapacité de s'en occuper > il la prend du fyftème borné de leurs befoins & de leurs fenfations. Il leur ôte enfuite, fans en donner aucune raifon , ou la puiffance , ou la volonté de réfléchir ; il veut qu elles foîent faites pour être anéanties, & ne le prouve point, que leur fort foit de périr avec le corps , & quelles l'ignorent; qu elles foient affujetties à la [211] douleur , fans mériter aucu- ne peine. Enfin fi l'on excepte- un feul raifonnement, qui n'en mérite pas même le nom, & qui eft tiré de ce principe prétendu y que qui a le moins , n'a pas ap- paremment dans fa nature, de- quoi avoir le plus 5 il ne donne aucune preuve de différence ef- fentielle entre l'âme de l'Hom- & celles des Animaux, & finit par avouer qu elle confifte uni- quemenr dans Porganifation que Dieu a choifie pour le cerveau de chaque efpece ; & dans les befoins & les fenfations déter- minées par cette même organi- fation, n'auroit-il pas mieux fait de s'en tenir Amplement à l'obf- curité du préjugé fur lame des Bêtes, fans l'approfondir, fans [212] entreprendre de Panalyfer ; & de le regarder comme un de ces myftéres de la Nature, fur le- quel nous ne pouvons pronon- cer, faute d'élémens fuffîfans pour établir une démonftration. Cfift à ce terme que nous fom- mes parvenus vous & moi , Mon- fleur ; tenez-moi compte des tra- vaux que j'entreprens pour vous> 6c foyez perfuadé que je ferai toujours très-difpofé à faifir tou- tes les occafîons de vous prouver combien véritablement je fuis 9 êCC* LETTRE ] XXXV. LETTRE. Sur le cinquième Volume de l'Hif- toire Naturelle , Générale & Particulière. VO u s pouviez , Monfieur, me commander tout am- plement, de vous communi- quer ce que je penfe du cinquiè- me Volume de l'Hiftoire Natu* relie qui vient de paroître. II n'étoit pas nécefiaire que vous employaffiez tant de précautions pour prévenir le dégoût qui fuit toujours une attention trop long- tems appéfantie fur le même gen- re d'étude. Vos volontés fufft. fent pour applanir toutes mes dif- i-A. Partie. *p fieultes , & pour vaincre mes ré- pugnances. D'ailleurs vous ne m'impofez pas un fardeau aufli pefant que vous l'imaginez peut- être. M. de Buffon commence à fe corriger, & à réprimer fa dé- mangeaifon de ramener tout ce qu'il traite, à fa métaphifique ; & je n'ai pour objet en le fuivant de près, que d'empêcher que les reftes de fa maladie philofophi- que, ne deviennent contagieufe. Or, on ne voit dans ce cinquiè- me Volume, dont j'ai l'honneur de vous parler , & où M. de Buffon a peu fourni du lien, que quelques excurfions un peu tu- multueufes dans la Métaphifi- que;mais elles font très-impor- tantes. C'efi principalement, qui le croiroit ! en commençant f Hif- toire du Cochon, que fon ima- gination furprifepar un entoufiaf- me fubit , & d'autant plus vif, que rien ne le commande ; s'é- lève au-delîus de la fphére de nos connoiffances , ôc de ce point élevé, contemple avec mépris la Nature , & nous débite avec emphafe , qu'elle eft » bien p. I6j » éloignée de saffujettir à des " caufes «"aies, dans la com- «pofitiondes Eftres. » Et toute: cette doarineeftfemée de traits faillans qui éblouiffentfans éclair rer. Il obferve queues Animaux Hl„re ( les Cochons) » font finguliers, ,f cru el" » l'efpece en eft, pour ainfîdire, * -unique: elle eft ifolée ; elle Semble exifter pjus rdlitairë- Tij i2fn » ment qu'aucune autre. » Eîi~ tendez-vous , Monfieur , ce qu'il veut dire 'par cette folitude?Il va vous l'expliquer à fit manière." i» Elle n'eft voifine d'aucune ef- «pece qu'on puiffe regarder » comme principale , ni comme accefloire ; telle que l'efpece « du Cheval relativement à l?Af- » ne , ou l'efpece de la Chèvre » relativement à la Brebis..... « Elle participe de plufieurs ef- » peces , & cependant elle dif- « fere eflentiellement de toutes.» N'importe , elle en avoifine tou- jours quelqu'une par ces traits de reffemblanee. Ce qu'il y a de plus remarquable dans ce dis- cours embarrafl"é,c eftqueL'Au^ teur y renonce à fon grand prin- cipe , fte la Matum ne cannent;- l z*7l que des individus ; puifqu'il recotr- noît ici très-clairement des es- pèces qui différent effentielle- ment. Il eft fort aifé de défigu- rer , de tourner en ridicule les idées communes ; mais il n eft pas poflible de s'en déprendre. Elles fe préfentent au befoin à celui qui travaille le plus opiniâ- trement à les décriero. Sans s'appercevoir d'une cort- tradition auffi palpable ? il s% lève contre ceux qui veulent mettre quelque ordre dans la Nature. » Que ceux qui veulent Pf Icc* » réduire la Nature ■» nous dit-il > à de petits fyftêmes , qtii veu* » lent renfermer fon immenfité » dans les bornes d'une formule^ » Goafidérent avec nous cet Âni- » mal y Ôc voyent s'il n'échappa [2183 » pas à toutes leurs méthodes. »■ J'invite à mon torfrM. de Buffon à examiner la nouvelle méthode dont l'Auteur a raffemblé avec beaucoup d'intelligence, tous les Quadrupèdes dans le premier Volume d'un Ouvrage qui vient de paroîtrefousle titre de Règne Animal ; peut-être y verra-t-il que le Cochon y trouve bien fa place. Il continue. « Par les extrê- » mités , il nereffemble point à » ceux qu'on appelle Solipedes , «puifqu'il a le pied divifé. Une »refiemble point à ceux qu'ils « ont appellés pied fourchus , »puifqu'il a réellement quatre - doigts au dedans, quoiqu'il » n'en paroine que deux àl'exté- «» rieur. Il ne refîèmble point à 1^91 » ceux qu'ils ont appelle fîflïpé- «des ., puifqu'ilne marche que « fur deux doigts , & que les « deux autres ne font ni déve- » loppés , ni pofés , comme ceux » des Fiflipedes y ni même aflez « allongés, pour qu il puifle s'en » fcrvir. Il a donc des cara&éres » équivoques y des caraâéres; » ambigus , dont les uns font ap* parens & les autres obfcurs* » Dira-t-on que c'eftune erreur «delà Nature, que ces phalan- » ges , ces doigts qui ne font pas ^ aflez développés à l'extérieur %} « ne doivent point être comptés. « Mais cette erreur eft confiant » te. Les doigts qui paroiffent fur* numéraires & inutiles à l'Au- teur rontbeaucoup échauffé fon 1220 J imagination.. Il en prend occa- fîon de nous débiter les maximes fuivantes. ?. xoi. ^ Ce n'eft point en reflerrant ^lafphére de là Nature x êc en «la- renfermant dans un cercle *> étroit f qu'on pourra la con- *> noître ; ce n'eft point en la fai- » fant agir par des vues particu- « lieres > qu'on faura la juger , » ni qu'on pourra la deviner. Ce » n'eft point en lut prêtant nos s> idées, qu'on approfondira les » deffeins de fon auteur^ ceci eft exactement vrai , je prie M. de Buffon de s'en bien reiTouvenir* Au lieu de refferrer les limites » de fa puiffance x » en eft-ii ? »U e» faut les reculer 5 les étendre 8> jufques dans l'immenfité ; 17 fam ne rim vmr dïirnpojfible « quand" quand on lit l'Auteur « s'attert- » dre à tout, ôcfuppofer que tout » ce qui peut être, eft, » Voilà des traits faillans. A l'aide de ces hautes réflexions , on compren- dra aifément que notre terre efl un verre réfroidi , & pourquoi le Créateur a donné au Cochon deux doigts dont nous ignorons î'ufage. Mais que lignifie cette maxi- me ? li ne faut rien voir d'impojfâie; & comment l'appliquer aux deux doigts furnuméraires du Co- chon ? Quand on a vû, par exem- ple , que plufieurs fyftêmes de l'Auteur impliquoient contra- di&ion , il ne falloit donc pas voir qu'ils étoient impoffibles. Qu'entend-il par cette autre maxime : il faut fuppofer que tout IX. Partie, y [ 222 j ce qui put être , eft? Ce n'eft pas la févolution éternelle des F.ftres , qui , félon Epicure , renferme toutes les combinai- fons & les révolutions des ato- mes. Non , il vaut mieux dire que la maxime n'a aucun fens. Qu'on pafTe ces deux axiomes en phifîque , & le cahos fera ra. mené dans cette fcience. Ils font pourtant d'un grand ufage dans le ton philofophique que l'Auteur prend avec nous , pour nous. enfeigner. Car fi nous . favons en faire ufage , » les efpe- « ces ambiguës , les productions » irrégulieres , les Eftres ano- «maux cefferont dès -lors de . » nous paroître étrangers , & fe » trouveront auffi néceffairement 1 « que les autres » que la chimère des Anciens , par exemple, ou les Liliputiens , les habitans de Brodi«gnac, les Chevaux rai- fonnables de Gulliver » dans * l'ordre infini des chofes. * Qn'eft-ce que cet ordre infini f Il faut encore dire que ce n'efi rien .-car dans la Nature, tout eft borné. » Ils rempliflent les p. » intervales de la chaîne , ils en « forment les nœuds, les points « intermédiaires ; ils en mar- » quent auffi toutes les extrémi- tés » de la chaîne, de l'ordre infini. » Ces Eftres font, pour » l'efprit humain , des exemplai- res précieux , uniques , où la »> Nature paroiffant moins con- forme à elle-même , fe mon» «treplus à découvert; où nous » pouvons reconnoître des ca- Vij [224] » ra&éresfinguliers, & des traits y> fugitifs qui nous indiquent que * fes fins font bien plus généra- « les que nos vues ; & que fi elle « ne fait rien envain > elle ne fait « rien non plus dans les deffeins « que nous lui fuppofons. » Et c'eft de Fhiftoire du Cochon que nous devons tirer ces leçons obfcures & harmonieufes ? o> En effet , ne doit-on pas « faire des réflexions fur ce que 03 nous venons d'expofer ? Ne *> doit-on pas tirer des indu&ions » de cette finguliere conforma- « tion du Cochon f II ne paroît » pas avoir été formé fur un plan » original, particulier & parfait^ 03 puifquil eft un compofé des « autres Animaux. » Ainfi on ne peut pas dire qu'une Montre ait 555** Çm3 été faite fur un plan original & parfait > parée qu'elle eftcompo- fée de diverfes pièces , de roues > de relTorts > de pignons ^ d'une chaifne , qu'on employé dans d'autres Ouvrages de méchani- que. » Il a évidemment » le Co~ nid. chon » des parties dont il ne peut » faire ufage , des doigts dont » tous les os font parfaitement » formés > & qui cependant ne » lui fervent à rien » non plus que les doigts de nos pieds ren- fermés dans nos fouliers ; & dont ceux qui en ont été mal- heureufement privés , fentent néanmoins très-bien le défaut.» Ce raifonnement fe réduit à ce- lui-ci. Nous ne favons de quel ufage font ces doigts qui nous paroiffent furnuméraires dans le V iij [22tf J Cochon ; donc ils font totale- ment inutiles à cet Animal, p. 103, Quelle Logique ! » La Nature « efl: donc bien éloignée de s'af* fujettir à des eaufes finales » dans la compofition des Eftres; » pourquoi n'y mettroit-elle pas » quelquefois des parties fura- abondantes, puifqu'elle mai> » que fi fouvent d'y mettre des » parties eiïentielles ? Combien » n'y a-t-il pas d'Animaux privés *» de fens & de membres ? » Pri- vés de fens ! Et quels font ces Animaux ? Les Huitres appa- remment y que nous avons déjà fuffifamment vangéesà cet égard Privés de membres ! Apparem- ment les Vers ôclesSerpens qui n'ont point de pieds ? Mais n'efl> il pas de leur effence de n'ea [ 227 ] point avoir, comme il eft eflen- tiel aux Quadrupèdes d'avoir un appareil de nerfs propres à faire mouvoir quatre pieds? » Pourquoi veut-on que dans ibw. » chaque individu, toute partie » foit néceifaire aux autres>& né- *> ceffaire au tout ? » Perfonne ne le prétend pour chaque individu. On fait bien que divers accidens privent les Animaux de leurs avantages naturels. On fait bien qu'une boffe n'eft pas fort nécef- faire à l'Homme qui la porte y ni une mauvaife tête à celui qui a le cerveau mal conftitué. Mais toutes ces imperfections font des dérangemens introduits par ac- cident dans le plan de la Nature ; tout Phificien, je dis plus, tout Homme fans étude , penfe que V iiij [228 J chaque efpece d'Animaux ayant été créée par la Sagefle éternel- le , n'eft pourvue que d'organes qui font utiles > foit à r Animal même, foit à quelque partie de l'Univers. Nous ferions, à la vériré, tentés d'en rapporter quelques-uns à la fimple décora- tion de cet Univers: ce feroit tou- jours une fin , & une fin digne de la Providence. Comme les belles antennes deslnfe&es > les. riches pouffieres des ailes des Papillons >les brillantes couleurs des plumes des Oifeaux. Ces beautés font néanmoins vraifenv- blablement dûesàdesfécrétions d'humeurs nécefTaires aubien de l'Animal , comme nos cheveux &nos ongles font deftinés à dé- furer lefang, en.filtrant despaç< tîes nuîfibles y qui fervent à faire croître & à faire naître ces efpe- ces de végétaux parafites^en leur fourniffant des fucs dont la malTe dufang feroit furchargée & vi- ciée. » Ne fuffit-il pas > pour qu el- P. l0i * » les fe trouvent enfemble, qu el- 1 Q^ » les ne fe nuifent pas x qu'elles *>puiffent croître fans obftacles* &fe développer fans s'oblite- » rer mutuellement ? » Cela fuf~ firoitpour la Nature aveugle d'E- picure ; mais non pour la vraye nature formée fur le modèle dé- terminé par la fagelfe de Dieu même. » Tout ce qui ne fe nuit point p« alTez pour fe détruire , tout ce "qui peut fubfifter enfemble, * fubfifte, » Nous devons don^; [ 23 o ] trouver quelque part des Chiens parés de cornes, & des Chevaux portant des bois , p. 104. comme les cerfs ; » & peut- » être y a-t-ii dans la plupart des *>Efires moins de parties relati- o> ves , utiles &. néceffaires , que & de parties indifférentes , inu~ » tiies ou furabondantes. * Ce peut-être , honore beaucoup la Providence > & ne peut être adopté que par les Lettrés de la ïbid. Chine. ■» Mais comme nous vou- 03 Ions toujours tout rapporter à » un certain but y lorfque les par- o> ties n'ont pas des ufages appa- » rens , nous leur fuppofons des o> ufages cachés ; » & nous fai- fbnstrèsbien delefuppofer^parce que nous favons,ce dont F Auteur eft lui-même convenu , que la. Nature ne fait rien envainpCeû-h- dire que les loix fouverainement efficaces du Créateur, n'opè- rent jamais rien de fuperflu, ni qui déroge à fa fageffe infinie. » Nous imaginons des rap- » ports qui n'ont aucun fonde- « ment , ôc qui n'exiftent point » dans la nature des chofes > ê£ «qui ne fervent qu'à robfcurcir.» Encore une fois nous avons grand tort alors , & c'eft une faute très-familiere aux Philofo- phes de nos jours , qui , au lien d'être les interprêtes de la Na- ture, veulent en être les maî- tres -.mais encore veulent-ils bien- accorder à la Nature autant d'ef- prit qu'ils s'en donnent à eux- mêmes, au lieu que ceux qui penfent que les Animaux font formés par les mains de la Natu- re >• comme les grains de bled font combinés fortuitement dans un monceau* veulent qu'elle agiffe comme ils ne voudroient pas agir eux mêmes* & avec beaucoup moins de jugement qu'ils ne eroyent en avoir. » Nous ne faifons pas atten- » tionque nous altérons la Philo- » fopbie * que nous en dénat-u- rons l'objet , qui efl: de eonnoî- » tre le comment des chofes , la » manière dont la Nature agit. «j On le fait bientôt > quand on compare la Nature à un enfant % qui ayant pris un faifceau de pe- tites pailles , les laHTe tomber confufément , fans fe foucier en aucune forte de la pofition ref- pe£tiye qu'elles prendront y 6c 1*33 3 dans l'unique deffein de fe ré- jouir de leur combinaifon bifarre & fortuite > l'Auteur nous re- proche encore » que nous fubfti- ibid. » tuons à cet objet réel, une idée » vaine , en cherchant à deviner o> le pourquoi des faits » c'eft ce- pendant , n'en déplaife à l'Au- teur , la partie la plus intéreffan- te de la Philofophie, que celle qui tend à découvrir , non tou- tes les fins de la Nature, notre intelligence eft trop bornée; mais toutes celles qui font à no- tre portée : ce qui eft d'autant plus raifonnable , qtie plufieurs desdeffeins delà Nature, font relatifs à nos propres befoins , ou à notre agrément 5 ôc que toutes font deftinées à exciter notre ad- miration, & à nous faire adorer ïa profonde fageffe du Créateur > & dans tout ce que nos lumières nous font connoître de fes vues de bienfaifance & de libéralité fur nous ; & dans tout ce qui eft au de-là de lafphere de nos con- noiffances* Un habile Anato- mi-fte, -en démontrant TOfteolo- gie y nous dit des chofes admi- rables fur la forme des os , fur la manière dont ils font unis > em- boîtés & roulans l'un fur l'autre > &c. & nous dévoile les fins de la Nature, Il faudra donc dire qu'il commet un attentat contre elle. Quelle efpece de Phifique veut- on donc introduire parmi nous , pour définir la Nature ? Faut-il donc croire quelle eft folle ou aveugle ? » Ceft pour cela » nous dit* il » qu'il faut recueillir avec foin « les exemples qui s'oppofent à « cette prétention ? que la Nature ne fait rien d'inutile <èr fans dejfein, » qu'il fautinfifter fur les » faits capables de détruire un « préjugé général , auquel nous « nous livrons par goût : » & quels font ces exemples ? Trois. i°. Encore les deux doits du Cochon y dont M. de Buffon ignore Tufage. 20. L'allantoide membrane qui fe trouve dans le produit de la génération de la Truye , de la Jument , de la Vache & de plufieurs Animaux ; elle eft trop grande > pour être deftinée > comme le croyent quelques Anatomiftes, à rece- voir l'urine que le Fœtus rend pendant fon féjour dans le ventre de la mere : donc elle eft inutile à toute autre fin : quel nom don- ner à une telle Logique ? Le troifiéme exemple eft le nombre des mammelles qui, de l'aveu de r Auteur , eft relatif au nom- bre des petits que doivent pro- duire les femelles ; mais qui n'eft pourtant pas exa&ement mefuré furie nombre de ces petits. Ces mêmes parties inutiles dans les mâles qui ne doivent pas allaiter les petits, ôcqui nous paroiffent desfuperfluités, parce que nous ne favons pas quel en eft Tufage. Que ne fe borne-t-on plutôt à fe bien convaincre de fa propre ignorance dans les phénomènes où nous perdons le fil des def- feinsdu Créateur. A la vérité P M. de Buffon dans dans fa Phiiïque , n'eft point oc- cupé de la SagefTe divine, qu'il s'eft efforcé de débarraûer de tout foin. Ce n'eft donc point la Providence qu'il accufe d'agir fans vues , comme le Deftin des Anciens : il eft trop religieux pour fe permettre untel attentat; mais cette injure , il l'a fait à fes molécules organiques vivantes , qu'il a chargées de eonftruire tous les corps des Animaux r pour ne point altérer le tranquile: repos du Créateur. Ce font ces molécules qui fe concertent, pour faire , fans aucun deffein ces allantoides ,- dont il eft tant choqué , ces phalanges inutiles dans le pied du Cochon,, êccli lui eft affûrément permis de dire & de fairede ces Eftres-là, tout IX. Partie., X. ce qu'il voudra,puifqu'il en eftîe- Créateur. Cependant il auroit dû fe rappeîler qu'il a àffu|etti ces molécules à certaines loix, qu'el- les font moulées dans des moules internes, qu'elles doivent fe combiner par un concert admi- rable, pour faire une copie fidè- le de l'Animal où elles fe trou- vent. Il a donc grand tort de vouloir qu'elles fe grouppent, pour former , par exemple , Pal- lantoide inutile dont elles ne trouvent point de modèle dans le corps original qu'elles co- pient. Puifqu'il veut réduire toute k Phifique à la manière dont la Nature opère, au comment des shofes ; que ne tente-t-il de nous expliquer comment l'allantoide. 1*39 ] eft formée ? Et il conviendra que fi nous ignorons la plus grande partie des fins que la Nature s'eft propofée dans Faffortiment des membres & des organes des Animaux ; nous ne favons pas mieux comment elle procède dans la conftrudion de ces admi- rables machines. Il reconnoîtra-. Fignorance de l'Homme > ôc l'immenfe fageffe du Créateur » qui a tout fait avec poids fie me- fure, in pondère & menfurâ. Et s'rl blâme y avec juftice-, l'abus des raifonnemens qu'on tire des caufes finales > il conviendra que cet abus vient de ce que nous fubftituons nos idées fyftêmati- ques aux vues de la Nature t que: nous ignorons fouvent ; mais non pas de:ce que nous croyons, XI|; l>40 J que la Nature fuit toujours uiï deffein, ôc qu'elle ne fait rien envain : car la Nature n'eft encor« reune fois x que le fyftême des loixdeDieu, vivantes ôc effica- ces ; c'eft la force eflentielle- ment intrinféque à cette parole/ mmef r. que la lumière foit faite, & la lu* miere fut. Il eft vrai que la phifL-; que de L'Auteur lui ayant appris à regarder cet Univers comme im ouvrage fortuit , formé fans objet y où rien ne fc rapporte à l'unité* ni dans le total, ni.dans les détails ; il a eu raifon d'ima^ giner que Dieu n'y fait rien par lui-même, & qu'il a kiffé le foin à ces parties,. de fe réunie comme il leur plairoih Dans un pareil fyftême , il ne feroit pas merveilleux qu'elles fxffent „bi m des chofes inutiles & très dispa- rates ; comme il ne feroit pas fort étonnant que 1 00000 hom- mes , fans Commandans & fans Chefs manœuvraient très-mal dans une Armée. En finiffant THiftoire du Co- chon, M, de Buffon fait une obfervation qui paroîtroit à des perfonnes foupçonneufès ?, une étrange diftractiori de fa part , fus des objets qu'il fait hautement profeffion de refpeder «par un; »de ces préjugés ridicules «nous dit-il « que la feule fiiperftitiôn p. *m » peut faire fubfifter 5 les Maho* ^ metansfont privés de cet Ani* » mal utile : on leur a dit qu'il » étoit immonde -T ils n?ofen$ * donc ni le toucher^ ni le nour^ *<ût.j>ï li a raifon d appeller Ê*4.2 ] perftitibn> Pabftinence d'une* chofe utile y ordonnée par un homme fans miflîon divine , & e'eft uniquement ce qu'il a vou- îu dire : car il fait que Dieu avoit interdit aux Juifs Pufage du Co- chon rôcqu il les avoit affujettis à d'autres pratiques r dont la fin* gularité femble nous prouver fon attention à éloigner fou peuple de tout commerce avec les na- tions étrangères > avec lefquel- les il ne pouvoir fe mêler y fans participer à la contagion géné- rale. Si l'Auteur croit que la Na- ture fait des chofes inutiles , dès qu'il ri en peut découvrir l'ufage; M fait très-bien que ce que Dieu ordonne eft faint jufte, fage lors même que fes ordonnances paroifTent petites % ridicules à ceux qui en ignorent Fauteur & les raifons. J'infifterai peu fur un mot qu'il n'a pas hafardé dans fon quatriè- me volume y quand il lui a plit de donner de Ja fenfibilité & des d'efirs à la matière y & qu'il avan- ce maintenant avec confiance, il ajoute la volonté aux defirs y & probablement la volonté fpon** tanée, car il ne reconnoit pas de liberté dans les Animaux.*, «c'eftle fentiment qui annoblitp, » fon être « de l'Animal y nous dit-il... « qui donne à la matière le mouvement progrefiif , la « volonté & la vie. « S'il avoit à défendre la fpiritualité de l'ame contre les Matérialités r que leur répondroit-il, quand ils lui diroient que fi la matière eft fuf* ceptibîe , par un certain média- nifme, defenfibilité, de defirs; & peut avoir même des volon- tés l Si y comme le veut Y Au- teur -, notre cerveau a ce même méchanifme ; il ne faut plus chercher d'autres principes de notre fenfibilité ôcdenos volon- tés y qu'une lîmple organifation plusfubtile y à la vérité r mieux combinée dans l'Homme > que dans la Bête : l'horreur d'une conféquence qu'il détefte & qui fuit cependant de fes principes > le feroit retourner fur fes pas , re* venir à nous & renoneer à fon quatrième volume r comme il a abjuré les trois premiers* XI avouerait que le mouvement y quel qu'il puifle être > n'étant de la part d'une portion de matière . qu'un. qu'un changement de fituation à l'égard de ce qui l'environne, il eft ridicule de dire qu'il de- vient une fehfation par fa durée , parle tond'ofcillation qu'on lui donnera, par la fréquente me- fure de Tes vibrations en ligne droite, ou félon quelque cour- be , & qu'il eft encore plus ridi- cule d'appeller volonté , une certaine figure , ou un certain mouvement ofcillatoire & con- - tinu d'une fibre: car il appren- dra de l'Abbé de Condillac , ou cet Abbé aura appris de lui, ce qui eft fort indifférent , que le jugement, la volonté, les de- firs, ne font que des fenfations transformées. Pût-on imaginer qu'un certain ton perfévérant d'ofcillation, fait fentir l'exifi I'Xt Partie, i Y, tenceà une fibre ébranlée, on n'en feroit pas plus difpofé à pen- fer qu'une nouvelle cadence fur- venant dans cette fibre, elle ac- quierreroit par-là , ou la faculté de vouloir , ou une volonté ac- tuelle. Il faut avouer, à la gloire de l'Auteur, que fon efpece d'a- vant-propos à l'Hiftoire du Chien , éft un morceau des plus éloquens quifoient fortis de fa plume. Il y a néanmoins quel- ques expreflions outrées , efpece de luxe d'une imagination bril- lante , qu'on pardonne trop ai- fément, même au ftyle didafti- que, dans notre fiécle ; comme quand il dit « que les Chiens » fuppléant à l'imperfeûion de as notre odorat. » Seroit-ce donc une perfe&ion pour nous de flai- rer toutes les pilles des Animaux que nous pourrions rencontrer t «Qu'ils nous ont fournis de mt » grands & d éternels moyens dê » vaincre Ôc de régner. » Mais il ne faut pas s'étonner s'il excède dans l'exprelfion , lorfqu'il fe paffionne pour le ru- jet qu'il décrit $ puifque fes ac- cès d'entoufiafme lui font oublier les principes fur lefquels il a ïe plus infifté, en faifant l'éloge de la docilité du Chien, il lui fait un mérite de ce qu'il fubkJes «mauvais traitemens, qu'il lesp.r^ «oublie, ou ne s'en fouvient » que pour s'attacher davantage «à fon maître. » Cet oubli ne mériteroit pas de grands éloges dans un Eftre euentiellemeat [248 J privé (Te mémoire , & qui n a aucune idée du paffé , comme l'Auteur l'a prétendu dans fon quatrième volume. M.deBuffon entre dans de grandes difcuffions , pour dé- terminer quel eft le Chien origi- nal d'où font forties tant de va- riétés de races , ôcilfe détermi- ne pour le Chien de Berger, par préférence au Mâtin, fans qu'on puuïe trop démêler les raifons de cette préférence. Il nous donne un arbre généalogi- que des différentes races orien- tées fur les quatre points cardi- naux du monde, dont le Chien de Berger eft la fouche commu- ne Les grandes variétés font dûes, félon lui, à la différence des climats ; on y voit la généra- C 249 J tion des Métis. Cette carte géo- graphico-généalogique , a peut- être plus exigé de méditations , que l'Auteur n'en a faites pour produire fes quatres premiers volumes. Aufli y a-t-il mieux réufIL M. de BufFon joint aux alté- rations qu a dû produire dans les Chiens la diverfité des climats , quelques autres circonftances qui y ont concouru ; elles font fenfées ; mais la dernière eft plus que fmguliere. » D 'ailleurs > p. » nous dit-il * quoique toutes les » efpeces foient également an- » ciennes > le nombre des généra- ~ tions depuis la création > étant «beaucoup plus grand dans les ef- » peces dont les individus ne vi- » vent que peu de tems, les varié- » tes > les altérations > la dégéné- ^ ration même > doivent en être devenues plus fenfibles^puifque ces Animaux font plus loin de »leur fouche, que ceux qui vi- sa vent plus longtems. L'Homme- eft aujourd'hui huit fois plus près d'Adam > que le Chien ne » l'eft du premier Chien > puifque m l'Homme vit quatre-vingt ans y » & que le Chien n'en vit que i o*» Il falloit prendre cette dif- férence non de la vie de l'homme & de celle des Animaux.mais de l'époque où les uns & les autres font propres à la propagation. Les Filles font nubiles à 12 ans, & les Chiennes font capables de concevoir à 9 ou 1 o mois , à ce qu'il nous apprend : mais ces inattentions font de peu d'im- • 7 . 1 1 portance, auffi bien que l'ufage qu'il fait de la comparaifon. Ce qui mérite plus d'être remarqué, ce font les réflexions auxquelles il fe livre. » Les petits Animaux éphémères > ceux dont la vie p* 19S eftfi courte > qu'ils fe renou- » vellent tous les ans par la gé- opération, font infiniment plus » fujets que les autres Animaux j aux variétés ôc aux altérations » de tout genre. » Un Natura- lifte qui a bien obfervé les In- feâes y auroit bien des chofes à dire fur cette remarque de l'Au- teur. " Il en eft de même des » plantes annuelles , en compa- o3 raifon des autres végétaux. Il y « en a même & voici le fingulier » » dont la nature eft, pour ainfi dire , artificielle Ôc fa£tice. Le Y iiij bled j par exemple > eft une ^plante que l'Homme a chan- ™ gée au point qu'elle n'exifte « nulle part dans l'état de nature. On voit bien qu'il a quelque » rapport avec l'y vraie, avec les 3>gramens, les chiendents & *> quelques autres herbes des prairies. * Ces rapports font bien peu propres à caraâérifer des plantes ; tout Botanifte en conviendra , & l'Intendant du Jardin du Roy > devroit mieux Mà. le favoir qu'aucun autre ; » mais »on ignore à laquelle de ces lier- »bes on doit le rapporter. » Mais on fait très-bien qu on ne doit le rapporter à aucune. ^ Et corn- *> me il fe renouvelle tous les ans, » & que femnt de nourriture à «-l'Homme* ileft de toutes les r*n3 w plantes , celles qu'il a le plus « travaillées* « Qu'y a-t-il donc mis ? l'épi apparemment > les fleurs y le fruit & la fécondité. » L'Homme peut donc , non- p. w% » feulement faire fervir à fes be^ » foins 5 à fon ufage r tous les =» individus de l'Univers ? » Il ne touche pas aux grands individus de la Nature , aux planettes* auxaftres. M. de BufFon a feulle privilège d'en faire ce qu'il veut: ornais il peut encore > avec le » tems 9 changer. » On ne peut rien dire de plus fort > » modifier * & perfeâionner les efpeces; » e'eftmême le plus beau droit » qufil ait fur la Nature ; » & pour donner un contrepoids à une fi augufte prérogative y on va donner à l'Homme une leçoa 0?4J d'humilité. » Avoir transformé »> une herbe jîérile. en bled , eft » une efpece de création dont , » cependant il ne doit pas s'en- orgueiliîr ; puifque ce n'eft qu'à P.;wtf. « la fueur de fon front , & par des » cultures réitérées > qu'il peut » retirer du fein de la terre, ce » pain fouvent amer , qui fait fa * fubfiftance. » Il fait ici allufion à la malédiction que Dieu a lan- cée fur l'Homme pécheur; allu- fion dont on doit lui favoir gré. Véritablement cette fingularité dans celui des végétaux le plus univerfeMement néceifaire k FHomme ; qu'on ne le trouve r ni en plante agrefte , ni autre- ment dans les pays inhabités ; quoiqu'il foit pourvu de tous les eara&éres de la fécondité > ex- On] prime parfaitement l'effet de la malédi&ion prononcée contre l'Homme y ôc cette réflexion x quoiquelie dûtfe préfenter na- turellement à l'efprit, efl: vrai- ment neuve. Mais étoit-il permis à l'Auteur d'appeller le bled une plante ftérifë ? Eft - ce donc l'Homme qui en a créé le germel Il fe fatigue à donner différentes préparations à la terre ; il féma fon bled > ôc pendant $ mois 9i qu'il s'occupe de tout autret tra- vail ; le tuyau fe forme , l'épi fer développe la fleur vient ôc les. grains paroiflent. Que l'Auteur mette dans une de ces pMoles pleines d'eau deftinées à prévenir les faveurs du Printems fur nos cheminées > des grains de fro- ment, & il fe convaincra que % fans aucune autre façon , le grain pouffera fes feuilles , fes racines, fon tuyau* Il aura mêmeleplaifir de trouver dans l'eau de ces phioles, ces animalcules qu'il a obfervés au microfeope, & qui lui ont fait naître l'idée de fa finguliere Métaphifïque. Il ver- ra sril a plus le droit de fe regar- der comme créateur des produc- tions de ce bled, que ceux qui font venir des hyacintes dans l'eau durant l'Hy ver, n'en ont de croire qu'ils ont produit ces fleurs odonférentes* on] XXXVIe. LETTRE. JE crois y Monfieur^ que le petit nombre d'obfervations dont je vous ai fait part , fur le cinquième volume de M. de Buffon , aura fatisfait votre eu- riofité ; car vous ne vous inté- reffez qu'à fa métaphifique > & heureufement pour le progrès des feiences , il Ta beaucoup moins prodiguée dans cet Ou- vrage, que dans les précédens* Je dois répondre à quelques queftions que vous me faites > en m'aceufant la réception du paquet qui contenoit toutes les Lettres que je vous ai écrites fur le quatrième volume de FHi& toire Naturelle. » Pourquoi font-elles datées des Camaldules de Frefcati ? » Ayez-vous donc fait un fi long & ôc fi pénible voyage , pour vous enfevelir dans une retraite pro- fonde ? « Non, Monfieur; mais j'ai daté ces Lettres d'un Hermitage , que le Cardinal Pafîionnei s'eft pratiqué dans l'enceinte des Camaldules > en imitant avec un goût exquis , la fimplicité des logemens de ces pieux Cœnobites. C'eft dans ce féjour fi riant , que j'ai écrit à di- verfesreprifes ce grand nombre de Lettres, Ce Cardinal m'a Couvent fait l'honneur de m'y ad- mettre y parmi un petit nombre d'amis choifis. Tout y refpire la piété , la liberté & la gaité. L'a- bondance y règne fans luxe & fans profufion. Les converfa- tions s'y font à des heures ré- glées. Mais quels agrémens dans ces conventions ! L'érudition , la délicateffe Ôc l'enjouement du Maître, en font l'ame régale- ment inftru&ives & amufantes t en délaflant l'efprit , elles le dif- pofent & le rendent plus propre au travail. Rapportez, Monfieur» à tant d'avantages , dont on jouit dans une fi belle folitude > tout ce qui aura pu vous plaire dans mes Lettres : j'aurois dû les of- frir à fon Eminence > mais il ne m'étoit pas permis de le faire avec la décence qu'exige un nom tel que le fien. Votre féconde queftion roule fur le premier objet de mon voyage d'Italie. Oui > Monfieur, 1 260 ] je me fuis confirmé dans mes conje&ures > fur les effets du Déluge ; & dans toutes les re- marques que j'ai faites dans mes premières Lettres , fur la fameu- fe prétention de M* de Buffon, que partout , les angles faillans dans les chaînes des montagnes, répondent à des angles rentrans ; car les opérations des Eaux qui ont produit ces coupures , en fe retirant, ont dû être plus tumul- tueufes, moins régulières Ôcplus variées, que cet Auteur ne fe l'imagine. Je Tavois penfé , & j'ai vérifié cette idée. Je me re- ferveà vous en dire davantage •dans un Mémoire , dont la plus grande partie concerne la phifi- que du Mont Véfuvejmais je n ofe le communiquer , jufqu'à ce ce que je fois bien inftruit des changemens furvenus dans ce terrible Volcan , depuis mon dé- part d'Italie. On donne a&uel- lement l'Hiftoire de ces nou- veaux boulverfemens.Ainfijje fe- rai bientôt à portée de comparée mon Mémoire y à des phénomér- nes très-intéreffans r & très-pro- pres ou à me faire abandonner la phifique que j'ai crû appercevoir dans le fourneau de cette admi- rable montagne y ou à la confir- mer & à l'établir ; je fuis égale- ment difpofé à prendre celui des deux partis^ auquel les nouveaux événemensme détermineront. Le fécond objet démon efpe- ce de pèlerinage ? vous intérefîe plus,, quoiqu'il foit comme ifo- lé dans le commerce de Lettres^ IX. Partie, 7* que nous avons eu jufqu'à pré-- fent. C'eftlefujetde votre troi- fiéme queftion. Vous étiez à peu près inftruit de ce fécond objet; vousfaviez en général, que je voulois me confulter fur des cho- fes relatives à la Religion ; & vous ne pouviez ignorer absolu- ment qu'elles elles étoient. Je m'étonne que vous ayez fitôt perdu de vue, l'ouvrage où j'ai tâché de remplir le plan de M... Pafchal , ôc de prouver la nécef- firé, l'exiftence de la Révélation, & le befoinindifpenfable de l'au- torité, dont TEglife Catholique jôuk depuis fa nailTance., pour rendre utile aux Hommes cette même Révélation. Je. vous en communiquai le précis il y & 22 gns , & quoique vous n'en euf- E>*3 J fiez que 20 , vous obfervâtes Jet- dicieufement > qu'on avoit bien prouvé jufqu alors , que la Reli- gion Chrétienne étoit un dépôt réel 9 niais que , pour ainfi dire 3 aventuré, il n'étoit confié à au- cune fociété en particulier 5 que vous aviez fenti ce défaut en li- fant Abbadie ; qu'il vous avoit toujours paru que les preuves de la Révélation , dévoient défi- gner la fociété ôc l'autorité à la- quelle elle a été confiée : que les Proteftans n'avoient pu faire' mieu x , que de s'en tenir fur cet- te matière à une grande généra- lité; mais que les Catholiques étoient inexcufables de les avoir pris pour modèles dans la. défen- fe du Chriftianifme } tandis qu'ils avoient pour ce genre de eon- .Z ij;; troverfe , des armes vi&orieufes & abfolument étrangères à toute autre communion que la leur,. Vous me fîtes l'objection la plus embarraffante & la plus folide qu'on puifle propofer contre la nature de la Foi ; & vous fûtes fiirpris d^en trouver la folution dans l'analyfe que je vous fis > de ce que nos efprits-forts nomment la crédulité chrétienne > ôc d'y voir une parfaite analogie avec les moyens dont Dieu s'eft ferviy pour nous affûrer de l'exiftence des corps>& pour établir par leur témoignage public , la certitude des faits. Non-feulement vous faifîtes tous ces principes , qui ont une grande étendue , mais, encore vous en tirâtes les eon- féquencesleç plus- directes & les: plus convaincantes , contre tou- tes les focfétés fchifmatiques* Quoique je fuflfe très-perfuadé delafolidité & de la vérité de mes principes , dont vous fen*> tiez fi bien vous-même toute la fécondité ; j'ai cependant voulu les préfenter à la fource de la lu- mière & de la fcienee eccléfiaf- tique , vous comprenez que je parle de Rome y afin de m'afïurer que l'attachement à mes propres idées y n?en faifoit pas le feul mé- rite. Ni ma fanté y nila médio- crité de mes reflburces > ni les allarmes de mes amis r qui pen- foient que je fuccomberois aux, fatigues d'un fi long voyage ^que: je ne pourrois foutenirla témpé*- rature d'un nouveau climat; en un. mot y aucune confidératiom ne m'arrêta,- Combien votre cher frère», à qui j'ai tant d'obliga- tions en tout genre» étoit-il ef- frayé à ce fujet ! Avec quelle ten- dreffe s'en expliquoit-il avec moi- ! Il fe rendit , quand il fçut qu'un Prélat, dont il refpe£toit les lumières Supérieures »approu- voit mes vûes,.& les étendoit parla fageffe.de fes confeils. J'ai reconnu à Rome le vrai goût de l'Antiquité. Là» les opi- nions ne font que des opinions.. Le fond de la Religion y eft fera- puleufement confetvé ; l'appli- cation à l'enfeignement des Pè- res » la fage. tempérance dans Fufage de la SchoMique » ont fait des progrès rapides dans des Corps Religieux. Parmi les Pré- lats », on rencontre un grand [2*7 3 9 nombre d'Hommesjd'élite > très- inftruits dans la fcienee eccléfiaf* tique, & initiés dans la bonne: Philofophie. L'Ordre des Car- dinaux 5 a des Hommes vraiment: grands > aimant les Savans r ôc Savans-eux-mêmes. Enfin j'y ai; trouvé dans tous les états > deg: perfonnes capables de me guider; dans mes travaux r d'en juger ,t. de les critiquer fainement , de- développer & de multiplier mes idées. Tous ont applaudi à mes> projets, & en ont crû l'exécu- tion indifpenfablement nécefïai- re au fiecle où nous vivons., Le: Cardinal d'Argenvilliërs, fi di~ orne de la confiance intime: donfr il jouit auprès du grand Pape que- Dieu a accordé, à fon Eglife> me demanda le plan de mon. Ou- [ z68 2 yrage, & l'approuva. Jen ai conféré fouvent avec le Cardinal Paflionei* qui m'a honoré de confeils très-utiles. Le Cardinal Portocarrero s'intérefle vive- ment âmes fuccès. Le Cardinal Duc d'York^ inffeuit de mes travaux, m'a donné des preuves du cas qu'il veut bien en faire. Le S* Père* qui m'honora de beaucoup de marques de bontés y m'exhorta à pourfuivre mes études , & vous favez quel eftfon zélé pour la Religion y ôc qu'elles font fes lumières. A mon retour „ j'eus l'avantage de confulter à Turin r le Cardinal des Lances * qui me fit un très- gracieux accueil, & continue de me prelfer de mettre la dernière main à mon Ouvrage. Enfia* ) ai rapporté de mon voyage une grande confiance qui m'anime, fans cependant me rendre moins délicat & moins foigneux fur la révifion de tout ce que j'ai écrit, ôcfur les augmentations que je crois y -devoir faire. Je protefte donc , que malgré tant d'exhor- tations fi piaffantes , Je me hâ- terai lentement. Avant de traiter à fond les fujets importans que je ne vous montre que très-rapi- dement ; je commencerai par établir les principes de !a certi- tude phifique & morale qu'on attaque maintenant avec tant de hardieffe, fans être enrayé du pyrronifmeuniverfel dans lequel onhafardede fe précipiter. Car, je l'ai déjà dit , les ennemis de la Religion lui font l'honneur de IX. Partie. A a [270] penfer, qu'on ne peut la renver- fer fans ébranler les fondemens de toute certitude. Ces principes appartiennent à la partie philofo- phique, par laquelle les Pères commencoient le cathécumenat des Infidèles ; & nos incrédules doivent être mis, comme les Payens, auxélémensde la rai- fon. On voit, par un petit Traité de la certitude des faits , qui fe trouve à la fin des Penfées de M. Pafchal, combien il eft nécef- faire ; pour retrancher tout fub- terfuge & tout prétexte aux mé- créans, d'établir les vrais prin- cipes de cette certitude. L'état aauel de l'Homme eft encore , dans le deflein de M. Pafchal, une recherche qui doit préparer [271] aux preuves de la Révélation. Un mélange de grandeur ôc de mi- fere dans l'Homme, prouve également , & qu'il a été deftiné à être le Pontife de la Nature, celui qui doit rendre hommage au Créateur, ôtde lui-même ôc de tout ce qui eft ; ôc qu'il eft dé- chu d'une dignité fi honorable. La Religion naturelle, eft celle de l'état d'innocence, où l'Hom- me n'eft plus. Il ne lui refte de cette Religion antérieure à tou- te corruption , que les devoirs du cœur envers un Dieu bienfai- sant : car cette corruption de l'Homme, n'annéantit pas l'o- bligation où il étoit dans ce pre- mier état, de porter vers le Sou- verain Eftre, toutes fes penfées & tous fes defirs. Mais au devoir A a ij C 272 1 précieux d'offrir notre cœur à Dieu , eft jointe en nous l'intir me perfuafion que ce cœur fouil- lé par l'adoration rendue au» créatures > n'eil plus un préfent digne du Dieu de toute fainteté. Le contrafte fi marqué entre l'attention du l^out-Puiffant à nous rendre heureux par l'impref- fion de.diverfes fenfations agréa- bles , avec le fecrer profond fous lequel il nous les imprime ,n»us prouve clairement, que Dieu dédaigne notre hommage & nor tte reconnoiifance. Tant de pré- cautions , pour nous faire con- noître les corps, nulles pour nous rendre attentifs à celui qui agit perpétuellement dans le fond de notre Elire, entraînent infaillir bknientune diuradion fur tous C 273 1 tes motifs qui rappellent à Dieir f enforte que les corps fe préfeti- tant > comme les vrayes & uni- ques caufes de nos biens & de nos maux , s'emparent de notre cœur* & reçoivent les prémices de notre amour ôt de nos adora- tions. Quelle preuve plus certai- nes pourrions-nous avoir de no- tre profcription , dès le premier moment de notre exiftence. Ain- fi y cette Religion naturelle , fî vantée, qu'on vient de. célébrer envers fi harmonieux,* n'èfl: qu*~ * Poëme une belle ôc riante fiction poëtir # 1 naturel* que f où ion dépeint un homme le» imaginaire ; c-eft > tout au plus ^ la defcription de PAge d'or des anciens Payens. Que l'Auteur nous faffe voir y ou en profe > ou en vers ; comme il le voudra * C 274 3 que l'obligation d'aimer Dieu , écrite dans nos cœurs, prouve que notre amour eft digne du Très -Haut ; que cet amour peut nous mériter, après la diffolu- tion de notre corps, une habili- té éternelle dans la juftice & dans la félicité; la Religion naturelle feroit-elle autre chofe que le cul- te du cœur , or, peut-on appeller culte, un hommage qu'on fent être impur , comme ayant déjà été proftitué à tout ce qui n'étoit pas Dieu. Qu'il nous montre que cette Religion naturelle, nous apprend avec le dernierde- gré de certitude, que cette vie mortelle eft un tems d'épreuve , propre à nous faire acquérir après la mort , un bonheur inaltéra- ble. Problême que la raifon abandonnée à elle-même , ne réfoudra jamais. La Religion des Patriarches, n'étoit point la chimère de nos efprits-forts, je yeux dire leur Re- ligion naturelle; ce n'étoitpas non plus la Religion de l'inno- cence ) ni le fîmple fruit des re- cherches de la raifon. La Révé- lation avoit appris à ces Hom- mes privilégiés , qu'ils dévoient mettre leur confiance dans une vi&ime, qui , en expiant notre premier crime & fes fuites > de- voit écrafer la tête de celui qui en avoit été l'occafion ; que l'hommage du cœur uni à cette viSime adorable, qui étoit pro- mife , étoit annobli , pouvoit être préfenté à Dieu, & réta- bliffoit dans les droits de l'inno- eence ; que par l'efficace de fort oblation , la vie n'étoit plus fim- plemeht un interval qui fulpen- dît des peines éternelles dues à des profcrits , & qui en cara&é- rifàt la mefure ; mais que cette vie étoit deftinée à éviter ces peines > & à mériter une union fans bornes ôcfans fin avec Dieu, Voilà quelle étoit la Religion des Patriarches * Religion fon- dée fur la foi , 6c qui dès-lors ne peut être appellée naturelle. Ces divers objets doivent former deux volumes ,-qui précéderont l'Ou- vrage que vous connoiflez depuis fi iongtems, & commenceront l'exécu- tion du Plan de M. PafchaL Vous voyez maintenant, Monfieur, où abou- tit la Ligne Philofophique que j'ai fui- vie jufqukl Je fuis , &c. Janvier 1756. Fin de la neuvième Partie. £751