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DU MEME AITEUR

Les slJtiies de terre cuite en Grèce, 72 p. in-S», avec 1 fig. ~ Paris, Fontemoing, 1906.

La statuaire céramique à Chypre, 17 p. in-8'\ Genève, Kiindig, 1907.

Les statues de terre cuite dans l'antiquité, 2 5o p. in-S», avec 23 fig. Paris, Eontemoing, 1908.

Les « Apollons archaïques ». Etude sur le type masculin de la sta- tuaire grecque au Vie siècle avant notre ère. 407 p. in-40, avec 9 pi. et 202 fig. Genève, Georg, 1909.

Ouvrage couronné par l'Association des Etudes grecques de France (Prix Zographos, 1910I.

Honoré d'une subvention de la Société auxili.iire des Sciences et des Arts de Genève.

Comment les procédés d'expression inconscients se sont transformés en procèdes conscients dans l'art f^rec Peut-on comparer l'art de la Grèce à l'art du moj^en âge? 87 p. in-80, avec i(J fig. Genève, Georg, 1910.

Les toilettes modernes de la Crète minoenne, 47 p. in-8". Genève, Kùndig, 191 1.

L'archéologie, sa valeur, ses méthodes, in-8°, Paris, Laurens, 1912.

Tome I : Les méthodes archéologiques, 479 p. et 89 fig.

Tome II : Les lois de l'art, 332 p. et 143 fig.

Tome III : Les rythmes artistiques, 565 p. et 88 fig.

Ouvrage honoré d'une souscription du Ministère de l'Instruction publique de France et de la Direction des Beaux-.Arls.

L'Erreur et l'Illusion, sources de nouveaux thèmes artistiques, 66 p. in-80. Genève, Kùndig, igiS.

Pour paraître prochainement :

Archéologie et Histoire de l Art, Bibliothèque de culture générale, Paris, Flammarion.

Comment naissent, vivent et meurent les formes artistiques.

Tiré a 350 exemplaires

Temple d'Egine.

W. DEONNA

ANCIEN MEMBRE ÉTRANGKR DE LECOLH FRANÇAISE d'aTHÈNES DOCTEUR KS LETTRES

L'Expression

des Sentiments

dans FArt grec

LES FACTEURS EXPRESSIFS

Avec :)6 figures.

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PARIS

LIBRAIRIE RENOUARD H. LAUREXS, ÉDITEUR

6, Rue de Tournon, 6

1914

Al iKi: VI A ri ON s

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AM.

Arndt-Amelunp, EV

Bcn.

Bulle. SM. (2oliii;non, SG.

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Deonna, A.

Deonna. Ap.

riwij+jglcr, M P. Furtwanglcr, MW GA. v^ GBA. Helbig/Toutain.

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Perrot, HA. Pottier, CV.

RA.

RAAM.

RE A.

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RM.

Winckelmann, HA.

WklPh.

=: Atlwnisclic Mitteiliinoen i Mitteiluns^en des haiserlicli. deiiisch arch. Instiliits. Athe- nisclw Abteilimii 1. Ci. aussi MAI.

^ Photoi^rayhisclw Einjchiifnahincn antilier Slxiilyturc'ii.

= Bulletin de Correspondance hellénique.

=: Der Schone Mensch ini Altertiim ii'eéd.l'.

= Histoire de la Sculpture i^recque.

= Cotnptes rendus de l'.AcaJeniie des Inscrip- tions et Belles- Lettres.

= Saglio- Pottier, Dictionnaire des Antiquités i^recques et romaines.

=: L'archéologie, sa valeur, ses méthodes |3 vol.

10121.

= Les .Apollons archaïques.

= Masterpieces.

= .Meistenverhe.

= Galette archéologique.

:= Ga jette des Beaux- Arts.

^= Guide dans les musées d'archéologie classique

de Rome, trad. Toutain ii8o3r-. =: Jahrbuch des kaiserl. deutsch. arch. Instituts. = Journal of hellenic Studies. = Jahreshefte des kaiserl. Oesterr. arch. Instit. = La sculpture grecque entre les guerres mé-

diques et l'époque de Periclés. ^= La sculpture attique avant Phidias. = Monumenti antichi. = Cf. AM. = Monuments grecs. = Histoire de l'.Art. ^= Monuments Piot. = .Mitt. d. kaiserl. deutschen arch. Instituts.

R'imische A bteilung. = Histoire de l'Art dans l'antiquité. = Catalogue des vases antiques de terre cuite,

Musce du Louvre. = Rev. archéologique. = Revue de l'art ancien et moderne. = Revue des études anciennes. = Revue des études grecques. := Revue de l'hist. dés reli irions. = Cf. M RI.

= Histoire de l'Art itrad. 18021. = \]\>chensclirift f. klass. Philolosie.

* .■!<• éd. iillciii.indf. l'.UJ.

AVANT-PROPOS

Lire sur les visages humains, dont la statuaire et la peinture antiques ont éternisé les traits, Texpression des sentiments divers qui s'y reflétèrent, analyser les etforts que fit Tartiste pour animer les faces inertes, y peindre la douleur, la joie, et les diverses nuances de ces deux senti- ments fondamentaux, une telle recherche, semble-t-il, a tenter depuis longtemps déjà les historiens de Tart. Certains s'y sont essayés. M. Girard, dans une patiente étude sur L'expression des masques dans les drames d'Eschyle'^, a décrit les moyens dont les artistes dispo- saient jusqu'au V^ siècle pour indiquer les jeux de physio- nomie ; ailleurs, il est revenu sur cette question, en les scrutant avec finesse sur les visages des personnages du cratère d'Orviéto^. D'autres encore, qui seront cités dans ce travail, ont cherché à définir l'énigmatique sourire archaïque, ont caractérisé la sérénité idéale de l'art grec au V^ siècle, la passion qui commence à animer les œuvres du IV^, et la fougue déchaînée des hellénistiques. Mais, si

1 REG., 1894, p. I, 337; 1895, p. 88.

- Le Crat'ei-e d'Orviéto et les jeux de phj'siouotuie dans la céramique grecque, MG., II, 1895-7, n" 23-3, p. 7 sq.

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les travaux de détail, si les aperçus ingénieux ne manquent point, il n'existe pas, à notre connaissance, d'ouvrage qui ait pris pour tache de réunir toutes ces données, et de tracer l'évolution de l'expression dans l'art grec.

Il est vrai que la pénurie des documents de travail pré- sente un obstacle considérable à un examen approfondi. On désirerait pouvoir disposer d'un grand nombre de photo- graphies, reproduisant fidèlement les tètes des statues, des figurines, des peintures de vases, en dimensions suffi- samment grandes pour que tous les détails soient parfai- tement perceptibles, et prises toujours du même point (face et profil).

M. S. Reinach a donné aux archéologues, dans son « Recueil de tètes antiques idéales ou idéalisées » (igoS), un précieux instrument de travail, destiné avant tout à carac- tériser le style des maîtres de l'antiquité, puisque « le style d'un artiste s'affirme surtout dans sa manière de figurer les traits du visage»*. Mais, quoi qu'en dise Fauteur-, le procédé de reproduction employé laisse une trop grande latitude au dessinateur, et n'offre pas, pour l'étude de l'expression, les garanties nécessaires de fidélité. « Pour donner à des com- paraisons de ce genre, dit ailleurs avec raison M. Reinach^.

' GBA., 1902, II, p. 449 sq. ; Recueil de têtes, p. V. - Recueil de têtes, p. 1 1. ^ RA., 1S94, II, p. 2S4.

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toute la rigueur qu'elles comportent, il faudrait disposer d'un instrument de travail qui manque encore absolument aux archéologues; je veux dire un Corpus de têtes antiques reproduites, de face et de profil, par Théliogravure... Tant que cette lacune subsistera, la critique d'art ne pourra enregistrer que des impressions ; Tavenir montrera combien d'entre elles reposent sur autre chose que sur des illusions ».

Les documents sont donc épars çà et là, dans les revues, les traités spéciaux, les recueils de planches. Bien plus, bon nombre de pièces de première importance sont reproduites de façon défectueuse, ou même ne le sont pas du tout, et Ton ne saurait qu'approuver les doléances de M. Ame- lung à propos des têtes du Mausolée d'Halicarnasse K « Que de temps et de clichés éparpillés, dit encore M. Reinach, à prendre pour la millième fois l'Acropole, qui se- raient mieux emploj'és, dans les Musées d'Athènes, à repro- duire des têtes isolées »^! Souhaitons que cet appel soit entendu, et que quelque éditeur nous donne le précieux recueil qui fait défaut, en un format plus facile à manier que les lourds in-folio germaniques aux photographies cartonnées !

On négligera ici les portraits, et c'est sur les visages des dieux, sur ceux des humains idéalisés, qu'on cherchera

' Ausonia, III, 1908, p. io3, 104. ^ GBA., 191 1, I, p. 254.

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les travaux de détail, si les aperçus ingénieux ne manquent point, il n'existe pas, à notre connaissance, d'ouvrage qui ait pris pour tâche de réunir toutes ces données, et de tracer l'évolution de l'expression dans l'art grec.

Il est vrai que la pénurie des documents de travail pré- sente un obstacle considérable à un examen approfondi. On désirerait pouvoir disposer d'un grand nombre de photo- graphies, reproduisant fidèlement les tètes des statues, des figurines, des peintures de vases, en dimensions suffi- samment grandes pour que tous les détails soient parfai- tement perceptibles, et prises toujours du même point (face et profil).

M. S. Reinach a donné aux archéologues, dans son « Recueil de têtes antiques idéales ou idéalisées » (ic)o3), un précieux instrument de travail, destiné avant tout à carac- tériser le st3ie des maîtres de l'antiquité, puisque « le style d'un artiste s'affirme surtout dans sa manière de figurer les traits du visage » *. Mais, quoi qu'en dise l'auteur -, le procédé de reproduction employé laisse une trop grande latitude au dessinateur, et n'offre pas, pour l'étude de l'expression, les garanties nécessaires de fidélité. « Pour donner à des com- paraisons de ce genre, dit ailleurs avec raison M. Reinach^.

' GBA., 1902, II, p. 44g sq. ; Recueil de tètes, p. V. - Recueil de têtes, p. 1 1 . •'' RA., 1S94, II, p. 284.

toute la rigueur qu'elles comportent, il faudrait disposer d'un instrument de travail qui manque encore absolument aux archéologues; je veux dire un Corpus de têtes antiques reproduites, de face et de profil, par l'héliogravure... Tant que cette lacune subsistera, la critique d'art ne pourra enregistrer que des impressions ; l'avenir montrera combien d'entre elles reposent sur autre chose que sur des illusions ».

Les documents sont donc épars çà et là, dans les revues, les traités spéciaux, les recueils de planches. Bien plus, bon nombre de pièces de première importance sont reproduites de façon défectueuse, ou même ne le sont pas du tout, et Ton ne saurait qu'approuver les doléances de M. Ame- lung à propos des têtes du Mausolée d'Halicarnasse ^ « Que de temps et de clichés éparpillés, dit encore M. Reinach, à prendre pour la millième fois l'Acropole, qui se- raient mieux employés, dans les Musées d'Athènes, à repro- duire des têtes isolées»^! Souhaitons que cet appel soit entendu, et que quelque éditeur nous donne le précieux recueil qui fait défaut, en un format plus facile à manier que les lourds in-folio germaniques aux photographies cartonnées !

On négligera ici les portraits, et c'est sur les visages des dieux, sur ceux des humains idéalisés, qu'on cherchera

' Ausonia, III, 1908, p. io3, 104. '^ GBA., 191 1, I, p. 254.

s

l'expression des sentiments, indépendamment de toute nuance individuelle. Les deux séries, toutefois, ont une évolution à peu près parallèle, car le réalisme plus ou moins grand du portrait dépend souvent des mêmes facteurs qui concourent à l'expression des sentiments, et qui seront analysés dans cette étude.

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I. LES DOCUMENTS ET LEUR INTERPRÉTATION.

A. LES CAUSES MATERIELLES D'ERREUR

Il est utile d'énumérer les difficultés qui surgissent quand on veut étudier l'expression des visages antiques. Elles peuvent être tout d'abord d'ordre malériel: on veut entendre par que Terreur peut être provoquée par le monument lui-même, suggérant à Térudit, pour des causes diverses, une interprétation fautive.

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LES REPRODUCTIONS

Une vie d'homme ne suffirait pas à examiner les monu- ments qui sont conservés dans les collections publiques ou privées ; la mémoire ne pourrait retenir la vision exacte de l'objet, sans que l'imagination n'en déformât le souvenir, et la comparaison entre des œuvres éloignées les unes des autres serait impossible. On a donc recours aux divers procédés qui donnent de l'objet une image réduite et

14

facilement transportable, mais qui ont l'inconvénient d'ajouter de nouvelles causes d'erreur à celles que présente l'étude directe du monument.

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Gravures. Les recueils de planches qui reproduisent les statues antiques se sont multipliés, depuis le temps les érudits de la Renaissance se passionnèrent pour l'anti- quité retrouvée'. Est-il nécessaire de rappeler les élé- ments de variation qu'apporte à la copie de l'original la main du dessinateur? Ce ne sont pas seulement des dé- tails mal compris, transformant la néhride de Bacchus en une cuirasse, ou le long manteau de Vulcain en la robe féminine de Juno Martialis-. Ce sont, ce qui est plus grave, les modifications qu'apporte à son insu la personnalité de l'artiste ; en effet, tel ne voit pas dans un même monument ce qu'y voit son confrère, et croyant re- marquer de la tristesse l'autre découvre de la gaîté, accentuera involontairement dans sa reproduction cette expression illusoire. De plus, dans chaque gravure, on reconnaîtra le style particulier de l'artiste, la marque de son temps, souvent celle de sa race ^. Enfin, la différence

' Divers détails sur ce sujet dans Hubner, Le statue di Roma, I, 1912 (histoire des collections antiques de Rome et de leurs reproduc- tions, de i58o à nos jours).

- Justi, Winckelmanii, 11, 2, p. 356 sq.

' Deonna, A., I, p. 33 1-2 ; id., L'erreur et l'illusioiu sources de nou- veaux thèmes artistiques. KM 5, p. 43: Perrot, H.A., 1, p. LXVIX, etc.

FiG. I. Vénus de Médicis. Florence, Uffizi (d"après roriginall.

FiG. 2. Venus de Médicis (d'après le recueil de Perrier, i638, pi. 82)

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des procédés techniques employés pour la gravure peut entraîner une divergence souvent considérable dans l'ex- pression des traits. Qu'on examine la série des reproductions de la Joconde de Vinci ^: on constatera combien la physio- nomie varie, suivant qu'il s'agit d'une gravure sur cuivre ou d'une lithographie. Ici, comme en maints cas, il faut tenir compte des deux facteurs, technique et spirituel, qui contribuent à la formation de l'œuvre d'art.

Que devient, sous le burin de Perrier, la figure calme et froide de THestia Giustiniani ?^ Le visage, arrondi, est poupin ; les lèvres charnues sont sensuelles, et Ton dirait plutôt rimage d'une contemporaine du graveur, que la création idéale du V*^ siècle grec. Il n'est du reste pas une tête de ce recueil dont l'expression soit fidèle, pas plus que ne le sont- les proportions des corps ou la musculature, conçue suivant l'idéal du temps de la Renaissance, qui ra- mène toutes les formes antiques au canon de Praxitèle et de L3'sippe, et outre la musculature, au goût de l'école de Michel-Ange ^ (fg. i et 2).

Dira-t-on que les gravures plus récentes sont plus fidèles, parce que l'artiste moderne a d'autres scrupules d'exacti- tude que son ancêtre ? Mais à comparer avec l'original (fg. 3) la tête du Kouros de Théra, dessinée au trait*, on aura sans doute quelque peine à en reconnaître l'iden- tité.

' Focillon, Les graveurs de la Joconde, RAAM., 191 1, 2, p. 365 sq. ' PI. 72. ^

* Cf. encore Hauiecœur, Rome et la Renaissance de l'antiquité à la fin du XVII h siècle, p. i3. ' AM., IV, pi. VI, 2.

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On" ne saurait donc étudier l'expression des visages antiques d'après les gravures, sans courir le risque d être amené à des solutions partielles erronées ou d'éla- borer des thèses générales fausses. Jadis les gravures

donnaient aux mo- numents égyptiens ime complète uni- formité de traits, alors qu'aujour- d'hui, grâce à des pi-océdés de repro- duction plus per- fectionnés, on re- connaît en eux des nuances de st\ie et de technique prou- vant que cet art, et le contraire eût été stupéfiant, a évo- lué tout comme un autre ; ce sont ces images infidèles qui ont permis à la thèse de l'immobilité de l'art égyptien de se constituer et de vivre pendant longtemps ^

l-"ii,. ■•, I cIl du Kduros de Thcia.

(Vie siècle avant J.-C. Musée d'Athènes. i

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> Maspéro, De la reproduction des bas-reliefs égyptiens. Causeries d'Egypte, p. 207 sq.; id., Egypte, 1912, p. XI.

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Photographies. On a surtout recours, depuis i85o environ, au procédé mécanique qui parait le plus fidèle, à la photographie '. Mais on en a toutefois signalé les incon- vénients-; s'ils n'ont pas grande importance quand il ne s'agit que d'apprécier la silhouette, l'attitude d'une statue, ils en prennent d'avantage quand on veut se livrer à l'étude délicate et minutieuse des traits du visage.

Les détails les plus rapprochés de l'appareil apparaîtront souvent déformés. Les dimensions du tailloir du chapiteau corinthien d'Epidaure, faussées sur une reproduction, ont être corrigées dans le dessin géométraP; la défor- mation des parties saillantes d'une tête, telles que le nez, les lèvres, provoquera souvent une modification de l'expression. Les physionomistes reconnaissent que les photographies ne rendent pas touiours exactement l'expres- sion des sentiments'* : il en est de même quand il s'agit non plus d'une tète vivante, mais d'une tète de statue.

On notera plus loin les variations d'expression ré- sultant des jeux de lumière divers que reçoit le monument.

' Sur la photographie en archéologie, Michaelis, Die archaeolog. Entdeckiingen, p. 295 sq. ; Pétrie, Methods and aims in arch., p. 78 sq. ; Krumbacher, Die photographie im Dienste der Geisteswissensch., 1906; Hiller von Gaertringen, Thera, III; SudhofT, Photographie oder Zeichniing, WKlPh., 191 1, p. 279.

Ex. Annales arch., 22, p. 3i5.

' Defrasse-Lechat, Epidaure, pi. VII igéometral restaure); p. 11 5, fig. (photogr. prise de trop prèsi.

■* Mantegazza, La physionomie et l'expression des sentiments, p. 224; Piderit, La mimique et la physiognomonie, p. 187, 174 sq.

Plus encore que Tœil humain, la photographie est sensible à ces diveri^ences, qui peuvent complèteiTient modifier Taspect d'une phxsiononiie. et l'on peut dire qu'on pouiTait iaire exprimer à une même tète, sutlîsamment neutre \ les

sentiments les plus di- vers, passant de la tris- '''■^^^, ""^ ** ■" lesse à la joie, rien qu'en

^K''^i^,''-\ iiioditiant les conditions

d'èclaiiaue -.

Si en même temps que l'éclairage varie, le monu- ment, au lieu d'être pho- tographie du même point. Test sous des afii^lcs diffé- rculs, on obtiendi'a les ef- fets les plus di\ers. Qu'on regarde les photographies du Sphinx de Delphes. Sur l'une \fîii'- 4\ la grande bouche aux lèvres pincées, avec le fort sil- lon vertical aux commissures, les gros yeux triangu- laires, donnent à la physionomie une expression bonasse

FiG. 4. Tète du Sphinx de Delphes. iVIe siècle av. J. -(',.)

' Sur cette imprécision nécessaire au changement de sens, Deonna, L'erreur et l'illusion, p. 38. ' Ex. Les graveurs de Li Joconde. RAAM., kji i, 2, p. 3()8.

FiG. 5. Agias de Delphes. IVc siècle av. J.-C. (d'après le moulage de l'Hcole française d'Athènes.!

FiG. 6. Agias de Delphes, d'après l'original IBCH., 1S99, pi. X.)

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et niaise ' ; sur une autre, prise encore de face, mais d'un peu plus bas, elle semble moins dénuée d'in- telligence -. Enfin, sur une héliogravure, les 3'eux ne paraissent plus prêts à jaillir de Torbite, et sur les lèvres se joue un « sourire grave et énigmatique », qui semble annoncer le sourire de la Sosandra de Calamis ^. Les anciennes images de la Méduse Rondanini en donnent une idée tout à fait fausse, car elles dérivent toutes d'une photographie prise de trop haut, déterminant un fort raccourci du bas du visage : la photographie de ce masque, prise de face, en modifie complètement l'ancienne expres- sion^ . A voir les reproductions que Furtwangler donne du double hermès d'Eros et d'Aphrodite à Madrid, pourrait-on admettre son hypothèse qui l'attribue à Phidias? Vues de face, ces têtes sont franchement grotes- ques, avec leur nez énorme et leur expression de profonde bêtise, résultant uniquement du fait qu'elles ont été photographiées de trop près et de trop bas, car les vues prises de profil, à une meilleure distance, montrent que cette expression est indépendante du monument même *. Telle image de la tête du Diadumène de Délos, pensive et ré- fléchie, ne ressemble pas à celles la tête est prise à peu près à hauteur d'œil. Mais quelle différence entre ces deux

' Deonna, AP., p. 3io, fig. igS.

- Homolle, Fouilles de Delphes, IV, p. 42, fig. 17 a.

•■' PI. VI a; ibid., p. 47, 52 : « bien éclairé, il (le visage) s'adoucit, il s'anime, il sourit presque. » Frazer : « smiling a grave mysterious smile » [ibid., note 21.

* RA., 1904, I, p. 132, fig. I.

* Masterpieces, p. 67-8, fig. 20 (de face), 21 (de profil).

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photographies de l'Agiasdc Delphes/ /r'^'-. 5-6"; ! Ici, dans un visage arrondi, les yeux se lèvent au ciel, la bouche s'en- tr'ouvrc : c'est une expression d'extase et d'émotion conte- nue (^/fi,'-. 6" ; là, Tombre qui remplit les cavités oculaires semble diriger le regard non plus en haut, mais sur le spectateur, et toute la physionomie en devient plus sombre et plus énergique {fig. 5).

On n'oubliera pas que certains procédés de reproduction photographique ne sont pas à Tabri de la ictouchc. et que, comme pour les gravures, Télément de variation individuel s'ajoute aux causes de divergences que Ton vient d'enumérer. « L'héliogravure comporte un travail de retouches très considérable, oij la personnalité d'un graveur dessinateur se superpose à l'image fournie par la lumière. L'avantage de l'héliogravure, au point de vue de la fidélité quasi-mé- canique, est bien moindre qu'il ne paraît au premier abord » ^

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Moulages. Leur utilité pour l'historien d'art, tant de fois vantée, est incontestable. Toutefois, dans un mou- lage, l'expression de l'original peut être légèrement moditiée, par le fait que la matière emplo}'ée n'est pas la même"'.

Rc-inach, Recueil Je tètes, p. II-lIl. ^ Perrot, J'rjxitèle, p. 24.

FiG. 7. Hermès d'Olympie (d'après l'original).

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Retrouve-t-on, dans la tête en plâtre de THermès d'Ohaiipie, rintensité de rêverie douce et quelque peu mélancolique que montre la tête sculptée dans le beau Paros translucide ' (jig. j)? Le moulage empâte les contours, noie les détails des yeux et de la bouche, et risque de déformer leur va- leur expressive, qu'un rien peut modifier.

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LES MONUMENTS

Laissons maintenant de côté les divers procédés de reproduction et examinons directement le monument.

Eclairage. Un jeu de lumière peut faire surgir d'une pierre informe l'apparence d'une tête animale ou d'une tête humaine, et ces liisus nalurae ont été remarqués à toutes les époques, par les anciens comme par les modernes -. Je n'en citerai qu'un exemple que les circonstances de la découverte rendent des plus curieux. En 1880, une Améri- caine, Mrs. Bacon, assistait aux émouvantes représentations de la Passion à Oberammergau, et ramassait en souvenir deux petits fragments de rochers de cette localité. Huit

' Deonna, L'influence de la technique sur l'œuvre d'art, RA., igi3.

- Id., A propos des pierres-figures. Compte rendu du XIV<^ Congrès International d'Anthropologie et d' Archéologie préhistoriques, igi3, I, p. 535 sq. ; id., L'erreur et l'illusion, p. 3i sq.

ans après, regardant de nouveau ces pierres, sous un certain éclairage, elle eut la stupéfaction de reconnaître très nettement dans Tune un visage soulTrant, conforme au type que l'iconographie chrétienne donne à Christ (^^.6*j. Coïncidence étranue ! Combien elle est émouvante cette

FiG. 8. Pierre naturelle trouvée à Oberammergau, montrant, dans des conditions favorables d'éclairage, le visage de Christ.

nature, qui s'est ingéniée à graver l'image du Sauveur dans la pierre d'un village se célèbre le M3^stère de sa Passion! Au mo3^en âge, cette pierre, enfermée dans une chasse, eût été exposée à la vénération des fidèles, et, considérée comme tombée du ciel, eût opéré maints miracles'!

' Deonna. Compte rendu, I, p. 538, fig. i,

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La fameuse Niobé du Sipyle, qui pleurait la mort tragi- que de ses enfants, n'était vraisemblablement qu'une saillie de rocher les jeux capricieux de la lumière, à certains moments et à certaine distance, permettaient de reconnaître une tête humaine éplorée. Les témoignages anciens le disent expressément. « Voilà, dit Quintus Smyrnaeus, ce qui est indéniable quand on la voit de loin, mais si tu approches, elle ne paraît plus que comme un rocher abrupt, une saillie du Sipyle «. Et les larmes qui coulaient de ses yeux, « comme une source qui goutte à goutte coule du rocher d', n'étaient en effet que le suintement de la pierre, ou que les eaux d'une source voisine habilement amenée à la place des yeux par des conduits spéciaux-.

Les Jeux de lumière n'ont pas moins d'importance quand il s'agit, non plus d'un « lusus naturœ », mais d'une tête scul- ptée. Que de fois les écrivains ont décrit ces modifications de la physionomie d'une statue, passant de la joie à la tristesse, par le simple effet de la lumière changeante ! Une statuette d'LIranie, sujet de pendule, soulevait l'en- thousiasme de Flammarion : « Eclairé de face, ce pur visage se montrait grave et austère. Si la lumière arrivait obliquement, il devenait plutôt méditatif. Mais si la lumière venait d'en haut et de côté, ce visage enchanté s'illuminait

Andromaque (Euripide).

'^ Schweisthal, L'image de Niobé et l'autel de Zeus Hypathos au Mont Sipyle, Ga:f. arch., 1887, p. 2i3 sq. ; RA., 1890, II, p. 898 sq.; Perrot, HA., IV, p. 755 sq.

d'un mystérieux sourire, son regard devenait presque caressant, une exquise sérénité faisait place à l'expression d'une sorte de joie, d'aménité et de bonheur. Ces change- ments d'expression faisaient vraiment vivre la statue » ^

Cette dernière phrase n'est pas une simple métaphore. La croyance universelle des primitifs de tout temps à la vie réelle des statues a pu paraître confirmée par ces chan- gements d'expression que la lumière déterminait sur leurs visages, et ces rires et sourires, ces pleurs, ces clignements d'yeux-, que l'on croyait y voir, n'étaient que des illusions déterminées par la suggestion individuelle ou collective, ou par des jeux de lumière.

On sait que l'art grec a tenu compte du facteur éclairage; Vcy/.oç du masque tragique devait rétablir les proportions faussées par la lumière qui tombait d'en haut ^; les plis des statues étaient creusés à peine ou au contraire très profondément, suivant qu'elles recevaient une lumière forte ou faible ' ; la profondeur du relief dépendait de la même cause, comme en architecture celle des cannelures, des colonnes et des triglyphes, et les courbes savantes des

l-'lammarion, Uranie, p. 4-5.

•^ Saintyves, Les reliques et les images légendaires, p. 84 sq. Les images qui ouvrent et ferment les yeux. •■' REG., 1895, p. 97.

* Ex. statue romaine, dont les plis sont creusés à une profondeur exagérée, parce qu'elle était placée, non en pleine lumière, mais dans la pénombre d'une cclla funéraire, Hclbig-Touiain, 1, p. 323.

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temples devaient, par cette « contradiction préventive »', redresser les illusions d'optique.

En statuaire, ces modifications de physionomie dus à l'éclairage devaient être fréquents, et nous en avons un exemple dans le masque fameux de Boupalos et d'Athénis, qui paraissait triste à ceux qui entraient dans le temple, et gai à ceux qui en sortaient. On a pu donner de ce phéno- mène diverses explications ; toutefois il semble bien, dit M. Collignon-, que «c'était un jeu de physionomie, résul- tant du point de vue l'on se plaçait et sans doute aussi de l'éclairage «. La bouche du Sphinx de Delphes est rectiligne et morne, mais les sillons profonds qui limitent les lèvres à la rencontre des joues donnent souvent, suivant l'éclairage, l'impression du sourire^.

^

Point de vue. Le point de vue sous lequel on envi- sage le monument importe aussi, et peut entraîner des variations dans l'expression de la physionomie.

Les anciens connaissaient ces masques à double expression l'un des sourcils, relevé, indiquait la colère, tandis que l'autre, horizontal, impliquait la sérénité d'humeur, et suivant les sentiments qu'il avait à exprimer, l'acteur

' Boutmy, Philosophie de l'architecture en Grèce, p. iio, 114. Cherbuliez, A propos d'un cheval (i|, p. 253 sq.

'■' REG., 1901, p. 4.

^ Fouilles de Delphes, IV, p. 45, 46, 52; sur les photographies du Sphinx, ci-dessus, p. 22.

'M') -

tournait vers les spectateurs l'un des deux protiLs.Callimaque a laissé la description dun de ces masques : « De la victoire d'Agoranax le Rhodien, je suis ici, ô étranger, témoin vraiment comique, moi masque de Pamphile, d'un côté nullement brûlé des feux de Tamour, de l'autre tout sem- blable à une figue cuite ou à une lampe d'Isis )>. Les fouilles illustrent ce passage, car on a trouvé à diverses reprises des masques dont les sourcils sont dirigés en sens inverse ^ Il semble que Tauteur du Zeus d'Otricoli se soit souvenu de ce procédé. « Pour indiquer que les arcades sourcilières peuvent changer d'aspect, le sculpteur ne les a pas traitées toutes les deux de la même façon. L'arcade droite a la forme d'une courbe bien prononcée, tandis que l'arcade gauche s'écarte de la base du nez suivant une ligne droite et ne s'infléchit qu'au-dessus du coin extérieur de l'œil. En le regardant d'un côté ou de l'autre, le specta- teur peut donner facilement, par la pensée, à cette tête une expression différente de celle que le sculpteur a fixée ; il peut, par exemple, se représenter Jupiter souriant avec bienveillance ou bien au contraire irrité et menaçant-».

Le changement d'expression a lieu même sans qu'il y ait dans le visage d'élément diss3'métrique ^. La double expres-

' Deonna, A., II, p. 344 sq. référ. ; Sitll, Die Gebàrden der Griecher und Rônier, p. 202 ; Robert, Die Masken der neueren attischen Ko- 77iôdie, p. 8-t), fig. 16, 19.

* Helbig-Toutain, i, p. 209.

^ REG., 1901, p. 5: Deonna, /. c.

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sion du masque de Boupalos et d'Athénis pouvait n'être due qu'à un jeu de lumière ; peut-être aussi que « la forme de la bouche variait pour chaque protil, que, du côte droit, par exemple, le coin des lèvres s'abaissait avec une sorte de moue, et que, du côté gauche, il se relevait pour dessi- ner un sourire » ^ Ou bien, dans une troisième hypothèse, « le masque était triste quand on le voyait de protil, et gai quand on le voyait de face », uniquement à cause du sillon perpendiculaire qui limite les coins de la bouche dans les œuvres archaïques, et qui donne à la physionomie de ces têtes un aspect différent de face ou de profil -.

Il serait facile de citer d'autres exemples. Voici ce que dit M. Maspéro d'un fragment de statuette thébaine de la XIX^ dynastie : « Le visage entier change de caractère et presque de siècle, selon l'angle sous lequel on le regarde. Vu de face, il est rond et plein, sans surabondance ni mollesse de chairs ; c'est la bonne petite bourgeoise de Thèbes, jolie, mais vulgaire de facture et d'expression. Vu de côté, entre les marteaux de sa perruque, comme entre deux longues anglaises qui retombent sur les épaules, il prend soudain une finesse malicieuse et mutine, qu'on ne connaît pas d'ordinaire aux Egyptiens ; on dirait une de nos contem- poraines, coiffée et poudrée à l'antique, par caprice ou par recherche de coquetterie » ■'. Les éléments sombres de la

' REG., 1901, p. 6.

^ Autres exemples de la dissymétrie des traits du visage, détermi- nant un changement d'expression suivant le point de vue d'où l'on regarde le monument, Deonna, /. c. Sur le sillon des coins de la bouche, p. 35.

^ Maspero, RAAM., 190?, I, p. 403.

LvS

physionomie apparaissent seuls dans le masque du Zeus Albani. vu de prohl, mais disparaissent lorsqu'il est vu de face '.

Les anciens ont tenu compte des différences qui résultent du point de vue suivant lequel doivent être envisagées les statues, et de la hauteur qu'elles occupaient. On connaît Tanecdote douteuse, mais caractéristique, de la rivalité entre Phidias et Alcamène : le prix allait être décerné à ce der- nier, dont la statue paraissait plus belle, et Ton méprisait celle de Phidias, les lèvres ouvertes, les narines rele- vées, donnaient au visage une expression niaise. Mais une fois les deux oeuvres mises en place, on vit que Phidias avait tenu compte de la hauteur à laquelle la sienne devait être vue, et que tous ces défauts disparaissaient, alors que son rival avait négligé cette précaution'-. Les statues des frontons d'Olympie ont été exécutées comme si elles avaient rester à hauteur d'homme, et comme si le regard du spectateur avait dominer la plinthe sur la- quelle elles sont posées; mais en revanche, les imper- fections de la tête du Sphinx de Delphes, trop grosse, devaient être beaucoup atténuées par la hauteur à la- quelle il se trouvait, car, à dix mètres de haut, l'absence de modelé qui nous choque actuellement n'était plus

' Overbeck, Griecli. KunstmythoL, I, p. 77 (Zeusi. - Tzetzès, cf. Gollignon, J'hiJias, p. 114.

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un défaut '. Si les plis du vêtement, dans une Ama- zone du fronton d'Epidaure, paraissent un peu gros, c'est parce que nous les voyons de trop près, alors que le sculp- teur avait eu raison d'y ménager des raies d'ombres, puis- que la statue ne devait être vue que de bas et de loin ^. Dirons- nous encore que les statues assises, destinées à être placées sur un piédestal élevé, étaient posées sur une surface non point horizontale, mais légèrement inclinée en avant : on pouvait voir le corps dans tout son développement, alors que, si le plan du siège eût été horizontal, comme c'est le cas dans maintes statues modernes, les cuisses seraient restées invisibles, et les proportions auraient paru défectueuses^. Rappellerons-nous que, depuis les fouilles récentes du Dipylon, les stèles, vues comme les passants pouvaient jadis les apercevoir, prennent une valeur nouvelle, et que Féclai- rage différent qu'elles reçoivent maintenant en fait ressortir tous les détails de modelé?

Les artistes adoptaient un point de vue défini pour leurs œuvres, qu'il s'agit de retrouver pour les juger impartiale-

' Fouilles de Delphes, IV, p. 5o. Les traits d'archaïsme que mon- trent les portraits romains tardifs ne seraient pas dus, comme on le croit généralement avec raison, à la décadence technique, qui, depuis Hadrien, ramène insensiblement l'artiste aux mêmes conventions que son ancêtre primitif (Overbeck, Griech. Plastik {4), II, p. 53o sq. ; Deonna, A, III, p. 3o, 190, II, passim) ; ils proviendraient, au dire de Riegl, d'une influence orientale conduisant l'art à l'ornementation, au schématisme, comme aussi au fait que les portraits devaient être vus de loin, et qu'en raison de la distance, on supprimait certains détails, ou on en grossissait d'autres. Zii Spdtrômische Portràtskulptur, Strena Helbigiana, p. 25o sq., 254.

- Defrasse-Lechat, Epidaure, p. 63, note i.

" Helbig-Toutain, I, p. 220.

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nient. La tcte de rHcrmcs d'Olynipie doit être vue de trois quarts, et non de face : alors, le regard du dieu change, et on se doute moins qu'il ne se dirige pas sur l'enfant Dionysos '.

Ces constatations sont importantes o,iiand il s'agit de dé- terminer Texpression d'une tête antique. Avant de chercher à le faire, on se demandera si la pose en est exacte, ou s'il convient de la modifier. Maintes têtes colossales, exposées trop bas dans nos musées pour que l'ctlet voulu par l'artiste ancien puisse se produire, changeront d'expres- sion si on les situe à leur hauteur primitive -. La lèvre inférieure, légèrement avancée, communique à la tête d'Aphrodite Ludovisi, dans sa position actuelle, une cu- rieuse expression de mauvaise humeur; mais, si l'on examine un moulage de cette tête placé à une certaine hauteur, la bouche semble au contraire sourire doucement'. L ne bouche trop ouverte paraît niaise : c'est qu'elle devait être vue d'en bas^ La tète de ri->phèbe blond de l'Acropole, dans son ancienne position, avait une expres-

' Mêler, JD.AI, V, 1890, p. 211-2 icette pose de "4 est habituelle aux œuvres praxitéliennes).

■* Helbig-Toutain, I, p. 212.

« Ibid.,\l, p. 118.

* Furtwiingler, Collection Saboiirojf, 1, pi. \'I1. Cf. l'anecdote de Tzetzès, ci-dessus, p. 38.

FiG. 9. Méduse Rondanini.

Munich, Glyptothèque.

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sion d'entêtement brutal ; déplacée, elle a gagné une douce expression de mélancolie paisible '. Jadis la Méduse Rondanini était inclinée (fig. g), et beaucoup d'archéolo- gues on reconnu à tort dans ce masque Timage d'une morte ou d'une mourante, depuis le temps ou Goethe y vo3'ait, dans l'agonie de la mort, la lutte entre la douleur et la volupté^. Mais la tête ayant été placée de face et droite, comme elle devait l'être, l'expression a changé^ : les yeux grand ouverts de la Gorgone ont un 'regard froid et fascinateur qui fait frissonner* et qui évoque le souvenir de la tête de Méduse peinte par Bœcklin^. On a donné au mou- lage d'une tête de Coré de Munich une autre direction qu'à l'original, en tournant le cou légèrement à droite et en arrière, et certes l'expression gagne beaucoup à ce change- ment ^. La tête du Zeus d'Otricoli était primitivement penchée en avant, et l'expression en était autre qu'aujour- d'hui, car « il est clair que dans cette attitude les ombres portées sur les yeux avaient plus d'étendue et de profondeur qu'elles n'en ont dans la position droite que de nos jours on a donnée à la tête' •^.

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' Lermann, Altg7-iech. Plastik, p. i35, note 2. ■'' Furtwàngler, MP., p. 158-9. » RA., 1903, II, p. 223.

■* Furtwàngler, Le; id., Beschreib., p. 249. Sur les photographies de la Méduse Rondanini, ci-dessus, p. 27. " RAAM., 1908, I, p. 45, fig. " Furtwàngler, Beschreib., p. i83. ^ Helbig-Toutain, I, p. 208.

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Matière. Comme on \\\ vu à propos des moulages, la matière employée peut contribuera modifier Texpression. On a remarque que les images de Serapis en marbre blanc ont LMic expression plus douce que celles qui sont taillées dans le marbre noir'; dira-t-on que cette dix ergence est voulue par Fartiste, et veut exprimer le double caractère du dieu qui régnait à la fois sur la terre féconde et sur le sombre empire des morts ^? L'explication petit être juste en certains cas; mais souvent la matière est seule res- ponsable de cette ditVérence, et la caractère sombre et dou- loureux de quelques bustes en pierre noire tient à la cou- leur et à Texécution de ces roches difficiles à travailler'*.

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Usure du Monument. L\isure de la pierre peut occa- sionner des méprises et faire croire à l'expression de sen- timents que Tartiste en réalité n'a pas cherché à rendre. Une tète du Musée d'Orléans, dont le st3-le est celui du IV^ siècle, ferme-t-elle les yeux ? est-elle l'image d'un aveugle qui, guéri par le dieu d'I']pidaure, aiu'ait consacré cet ex-voto*? Mais, à examiner le nionument, cette appa-

' Cumont, Les religions orientales dans le paganisme rornain, p. 91, 94.

- Helbig-Toutain, 1, p. 162, 221.

- RA., 1903, 11, p. 202. Fille est parfois aussi due à des retouches modernes.

* Babelon. Tète d'aveugle au Musée d'Orléans, Gaf. arch., i885, p. I sq., pi. 1.

4'"'

rente cécité ne semble provenir que de l'usure du marbre, de Taspect tîou qu'a revêtu Tépiderme de la pierre.

Le plus souvent, la couleur qui animait le regard des marbres s'étant etfacée, les statues paraissent aveugles, et Ton comprend la méprise du peuple de Paris, à qui, devant une statue du Bernin, «il semblait que le petit Christ de la Vierge était aveugle, ne lui voyant aucune couleur aux yeux « '. C'est ainsi que l'œil de THoplitodrome, sur une stèle d'Athènes du VP siècle, ne paraît fermé et mou- rant que par la disparition du coloris-. L'art égyptien fournit un autre exemple de cette diversité d'expression. On possède plusieurs têtes de canopes représentant le même portrait, dont les yeux sont rapportés ; parfois l'iris est tombé, laissant le masque aveugle ou borgne ; ou bien l'œil entier s'est porté en avant, comme si le sujet était atteint d'un commencement de goitre exophtalmique; ailleurs, ayant bougé dans l'orbite, il louche terriblement-''.

La polychromie d'une tête de Christ du XIP siècle a disparu, et l'on ne se rend plus compte si l'artiste a voulu indiquer les yeux fermés, ou peindre au contraire l'iris et la prunelle sur les globes saillants ^

L'orbite creuse des bronzes donne souvent à la tète une

' On voit, par cette citation, que la statuaire polychrome existait encore en France au XVIIe siècle, et peut-être que la Madone du Bernin fut le premier marbre sans couleur qu'on vit en France. GBA., 191 1, II, p. 3i 1-2.

^ I.echat, SA., p. 298.

'' RAAM., 1910, 2, p. 242.

* MP., 16, 1909, pi. 18, p. i3j sq.

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apparence rêveuse qu'elle n'avait pas primitivement. Les yeux d'une princesse égyptienne de l'âge hellénistique ne sont mystérieux que parce que l'ombre a rempli la cavité des orbites ' ; la douceur mélancolique que l'on veut aper- cevoir dans la tète d'éphèbe dite de Bénévent, est peut-être due au fait que le vide des yeux, jadis incrustés, les fait paraître moins ouverts qu'ils ne le sont en réalité. Mais en revanche, quelle intensité de vie prend le regard, quand l'œil de verre ou d'émail est conservé !

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Restaurations modernes. On doit prendre soin de discerner les détails qui sont modernes, et qui risquent fort de changer l'expression du visage. N'imitons pas Blanc, qui avait fondé toute sa théorie du module dans la statuaire grecque sur la mesure du médius de l'Arès Borghèse, sans s'apercevoir que ce doigt était moderne^ î Rappelons-nous que jadis on n'éprouvait aucun scrupule à polir une tête antique, à lui remettre un nez ou des lèvres, sans souci de l'exactitude, souvent à la dénaturer complètement.

On a vanté maintes fois le sourire discret et voilé de la tête Laborde : comment dire avec certitude que cette expression a été voulue par l'artiste ancien, puisque la bouche, avec le menton et le nez, ont été restaurés^?

' REG,, 1898, p. 210; Delbruck, Antike Portrdts, pi. 28.

* Ravaisson, Vénus de Milo, p. 4-5; RA., 1896, I, p. 60, note i.

=" [,ange, Darstellung des Menschen, p. 180, note i ; Collignon, Le Parthenoti, pi. 62, nos i-^ (tête en l'état actuel), no» 5-8 (moulage les restaurations ont été suppriméesi.

FiG. lo. Tête décorative archaïsante.

Genève, Musée d'Art et d'Histoire.

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Copies. Les remarques qu'on a faites à propos des gravures modernes ' peuvent être répétées quand il s'agit de copies antiques, imervient également l'élément de va- riation dû au copiste lui-même, à son temps, et à sa race-.

Certes, dans les copies, et surtout dans celles de petites dimensions, il semble que le visage ait été l'objet de plus de soins que le corps, parfois travaillé d'après une maquette ou un moulage'. Mais toutes fidèles qu'elles paraissent être, les copies, même celles qui ont été faites par des moyens mécaniques \ se trahissent toujours par quelque détail qui n'existait pas dans l'original, et qui est un anachronisme artistique. On conçoit que cette divergence puisse influer sur l'expression de la physionomie, et qu'il y ait lieu de distinguer l'expression propre à l'original de celle qui est due à la copie.

L'œil est dans le visage l'un des principaux éléments expressifs, et l'examen de sa forme fournit un critérium

' Cf. p. 14.

^ J'ai étudié ailleurs la fidélité plus ou moins grande des copies antiques, A., I, p. 3io sq. ^ RA., 1898. I, p. i65; 1900, I, p. 174; 1904, I, p. 34. * Deonna, A., I, p. 326 sq.

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chronologique très sur, dont les copistes ne se sont souvent pas doutés. L'artiste ancien a-t-il reproduit une tête du VP ou de la première moitié du V*^ siècle ? Il ne s'est pas aperçu qu'à cette époque la paupière supérieure ne débordait pas encore la paupière inférieure à Tangle externe, et il s'est souvent trahi par le détail', bien que quelques-uns de ses confrères, plus observateurs, en aient tenu compte'-.

Suivant une convention générale de Farchaïsme, l'œil est de face dans une tête de profil : le copiste Ta représenté d'une façon plus exacte, mais qui n'est pas celle de son modèle. L"(eil s'enfonce dans l'orbite et n'a plus l'exophtal- mie primitive...

La bouche, aux lèvres minces et uniformément tendues des archaïques, est modelée avec le naturalisme d'un art postérieur, la frontalité du corps n'est pas observée, et la tête est tournée de côté^....

Regardez la tête de Tyché au Musée de Munich ; l'imi- tation d'une œuvre du VP siècle est évidente* ; mais les yeux s'enfoncent profondément sous l'arcade sourcilière au lieu d'être à tleur de tête ; la paupière supérieure prolonge l'inférieure à l'angle externe ; la bouche a des lèvres ondu- leuses et desserrées; en un mot, il y a une infinité de détails techniques dans le visage, et on en trouvera maints autres

' Ex. Reinach, Recueil de Têtes, p. 18, 29, 3j ; Athena du Varva- keion, GBA., i(j()2, II, p. 460 ; tête de Périnlhe, MRI., Il, p. 106, note 5i ; JDAI., III, p. i83 ; MAI., XVI, p. 317, 320-i ; Graef, Aus der Anomia, p. 66, etc.

- Reinach, op. /., p. 35.

' Artcmis archaïsante de Munich, Furtwiingler, Beschreib., p. iqS.

■* Furtwanglcr, op. /., p. 53, n^' 49.

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FiG. II. Tête féminine d'Olympie (Ve siècle;.

FiG. 12. Tête féminine d'Olympie (copie romaine)

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dans le rendu de la draperie, qui empêchent l'observateur attentif de rapporter cette œuvre au VP siècle, mais qui la lui font attribuer à l'art archaïsant de l'époque romaine. La même anal3'se s'applique à cette tête féminine qui dé- corait un bras de fauteuil, et qui est conservée au musée de Genève (Jîg. io)\ A comparer encore une tête de femme lapithe du fronton d'Olympie (Jîg. 1 1), sculptée au V^ siècle, avec une tête féminine du même ensemble, mais sculptée à l'époque romaine, lors d'une restauration (Jîg- 12), on saisira tout de suite les divergences notables qui les sépa- rent. Dans la copie romaine, la paupière supérieure déborde l'inférieure, l'œil s'enfonce sous une arcade sourcilière plus proéminente, la bouche s'entr'ouve davantage, et la chevelure est plus souple^.

On conçoit que ces petites déformations techniques en- traînent des changements dans l'expression, toujours altérée dans les copies archaïsantes^. Une tête d'Athéna de la collection Barracco répète un type du VP siècle, mais comme l'œil est traité d'après la manière propre à l'époque 011 vivait le copiste, il en résulté une curieuse discordance. « De là, sans doute, l'expression étrange du visage, qu'on pourrait appeler un mélange de crânerie et de malice, et

^ RA., 1908, II, p. 167, fig. 14.

"• Bulle, SM., p. 27, fig. 4, pi. 59 ; Deonna, A., I, p. 334, "ot^ 5-

^ GA., 1888, p. 3o5.

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qui ne trouve pas d'analogue dans les œuvres dont Texécu- tion archaïque est incontestable'.

De plus, le travail du copiste, même le moins capable d'invention, étant toujours imprégné du style de Técole il a été formé, il faut non seulement .tenir compte des modifications techniques introduites dans le dessin des or- ganes du visage, mais encore du style particulier à une école, qui peut donner à la copie une expression inconnue à l'original. L'on a pu se demander, par exemple, si les caractères scopasiquesde la tête d'Agias ne proviennent pas, plutôt que d'une influence de Scopas sur Lysippe, du fait que la copie de marbre est due à un praticien élève de Scopas^.

Ainsi, en suivant les vicissitudes d'un même motif dans la plastique antique, on verra comment sa physionomie change d'expression en même temps que change l'idéal artistique ^ Le Tireur d'Epine est, dans le bronze original du V^ siècle, un jeune garçon aux formes élégantes dans leur robustesse; malgré la douleur qu'il ressent, son vi-

' Collection Barracco, pi. XXIV, p. 27.

^ RA., 1900, II, p. 388-9; Deonna, A., I, p. 400.

' Deonna, A., I, p. 323-6.

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sage calme reflète la sérénité du V^ siècle ^ Dans le bronze Rotschild, le jeune athlète est devenu un pâtre au corps alourdi". « La physionomie tout entière exprime la prédo- minance de Ténergie physique. Les yeux sont perçants et durs, et une volonté quelque peu rageuse se marque dans la contraction du cou, dans le froncement du nez, dans le développement des muscles de la joue. Il n'est pas jus- qu'aux cheveux qui ne concourent à donner cette impression : durs et crêpés, en mèches courtes, ils se tordent avec une sorte de furie ». Plus tard encore, la douleur crispera les traits vulgaires du gamin de Priène\ serrera ses lèvres en une moue comique, fera cligner les paupières.

Le Doryphore de Polyclète a inspiré une statuette de Pan au Vatican ; mais le copiste a adouci le visage et y a répandu une expression de langueur étrangère au prototype * : c'est un procédé fréquent à l'époque hellénistique, dont les artistes reproduisent les modèles antérieurs en en changeant le style et l'expression d'après le goût de leur temps ^. Au contraire, certaines copies d'œuvres remontant à Phidias et à son école frappent par leur air de froideur, qui est évidemment le fait du copiste, et qu'on ne retrouve dans aucune œuvre originale de cette époque. Croirons-nous que les masques glacés des Athénas Hope, Farnèse, Albani,

' Cf. tête de face, Lermann, Altgriech. Plastik, p. 149, fig. 54.

" Héliogravure dans Gaf. arch., 1881, H, pi. 9, p. 127.

•1 Wiegand, Priene, p. 337, fig. 434-3.

* Helbig-Toutain, I, p. 280; cf. aussi cette mélancolie dans la tête de bronze polycletéenne d'HercuIanum, P^urtu-àngler, MP., p. 283.

^ Cf. tête féminine, type du Ve, avec expression mélancolique étran- gère à l'original, Collection Barracco, p. 46, pi. LX.

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d'Hcrculanum '. reproduisent iklèlenient rcxpression des originaux, alors que les tètes du Parthénon, celles des stèles attiques, celles des terres cuites (Jîg. 14), nous charment au contraire par leur expression de douceur rêveuse, qui semble la marque distinctive de Técole phidiesque ?

On comprend qu'il est ditiicile de dire, lorsqu'une œuvre antique n'est connue que par une seule copie, si l'expression qu'on voit dans celle-ci est bien celle de l'ori- ginal.

Ces variations sont facilement reconnaissables quand on possède plusieurs répliques d'une même tète antique, répliques qui ne sont pas des adaptations libres, comme dans les exemples cités plus haut du Tireur d'Epine, mais des copies qui prétendent à la fidélité. La tête de Silène, dans la statue du Latran. a un masque immobile, mais, dans la tête Barracco, m le regard plein de convoitise est très bien rendu, et en même temps, la bouche entr'ou- verte, les sourcils redressés, le front creusé de plis, expri- ment avec beaucoup de vérité la stupeur que le Silène éprouve à la vue de la déesse irritée»-. Dans la tète de Cen- taure Barracco, qui appartenait au groupe hellénistique du Centaure tourmenté par Eros, l'expression de soulfrance

' l"\irt\vani,'ler, M P., p. 78 sq.

'^Collection Barracco, pi. 3»), p. XXX\'II; Reinach, Recueil de Tètes, p. 34.

FiG. i3. Diadumène de Délos (Musée d'Athènes)

6i

domine, tandis que dans la réplique du Capitole, c'est sur- tout le caractère féroce de l'être brutal '.

On possède plusieurs têtes de Diadumène du V^ siècle, présentant entre elles des nuances assez sensibles d'expres- sion. Dans la tête du British Muséum, les glandes lacry- males fortement accentuées, la dépression des muscles aux coins de la bouche, donnent au visage une expression très morose-. Dans celles de Madrid, de Cassel, de Délos (Jî^- i3), c'est plutôt une mélancolie très douce et comme atténuée. Dans celle du Diadumène Farnèse, disent cer- tains, c'est « comme une mélancolie sentimentale qui nous fait oublier les têtes plus simples et plus matérielles, et d'expression moins raffinée que Polyclète donna certai- nement à ses athlètes ))^; mais d'autres, remarquant que les coins de la bouche sont légèrement relevés, y voient la joie contenue et mal dissimulée du vainqueur*.

Que devra-t-on déduire de ces différences ? les h3^pothèses sont variées. Les uns reconnaissent un type polyclétéen représenté entre autres par les statues deVaison, de Madrid ; toutefois en présence des divergences de cette série avec les statues polyclétéennes comme le Doryphore, certains pen- sent que l'influence attique s'est exercée sur Polyclète et a adouci sa formule^, alors que d'autres admettent que les élé-

' Collection Barracco, p. 48, pi. LXVI.

-' RA., 1895, II, p. 146. Il est vrai que les lèvres sont restaurées (cf. p. 46), mais il semble que la restauration est exacte.

=■ Paris, Polyclète, p. 58.

* Sur ces divergences d'expression, MP., III, 1896, p. 148 sq.; RA., 1895, II, p. 145 sq. ; Paris, op. L, p. 54, 58.

' Lechat, Phidias, p. 12 1-2; M P., IV, p. 70.

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mcnts attiqucs de la statue de Madrid sont dus au copiste, lequel, relevant de Tecole praxitélienne, les a mêlés au pro- totype polvcleteen '. Une autre série, représentée surtout par le Diadumène Farnèse du British iMuseum, serait une variante attique du motif créé par Polyclète, à propos de laquelle on a prononcé le nom de Phidias '. La tête du British Muséum proviendrait encore d\m autre original attique^, comme celles de Cassel, de Petworth, pour qui Ton a songé à Crésilas *. Ces brèves indications nont d'autre prétention que de montrer la diversité d'opinion qui existe au sujet de ces variantes, et qui sont plus gran- des encore qu'on ne le dit ici. Certes, il est vraisemblable que plusieurs artistes ont traité ce motif de l'athlète ceignant ses cheveux de la bandelette des vainqueurs, mais rappe- lons-nous que nous opérons uniquement sur des copies et non sur des originaux, et qu'il est difficile de dire si les di- vergences qui apparaissent d'une statue à l'autre, dans le style, l'attitude, comme dans les nuances de l'expression, proviennent d'originaux différents, ou si elles ne sont pas tout simplement le fait des copistes s'inspirant du même prototype et le traitant chacun à sa manière. C'est bien ce que certains prétendent, refusant par exemple d'attribuer

' MP., iS()7, p. 53 sq., p. 72-3 ; REG., 1898, p. -201-2 ; sur le Dia- dumène de Polyclète, cf. en dernier lieu, A. Maviglia, Il Diadumeno di Policleto, MRI., 1912, p. 37 sq. ; Furtwangler, MW., p. 433; Mahler, Polyklet, p. 73 (liste des répliques).

^ Furtwangler, MP., p. 242; MW., p. 444.

■* Reinach, Recueil de Têtes, p. 41-2.

■* Arndt-Amelung, EV., 3o8-q, n'admet pas cette attribution; AA.. 1893, p. 140; Reinach, op. /., p. 41, note 3; Furtwangler, MP., p. 61 ; MW., p. 333.

63

le Diadiimène Farnèse à un maître attique, et n'y voyant qu'une copie intidèle du modèle polyclétéen ^

On trouvera des divergences analogues d'expression dans les répliques de la tête du Discobole de M3Ton-.

Que de commentaires enthousiastes a suscité la Vénus d'Arles, dont le visage « a une expression charmante de coquetterie grave ))^; le bout du nez seul ayant été restauré, disait-on^, c'est un document fidèle du type praxitélien, et Ton remarquait que la tête présente des caractères plus archaïques que la Cnidienne, entre autres dans la lourdeur des paupières et le dessin sévère de la bouche. Que reste- t-il de ces subtiles analyses, depuis que nous avons re- trouvé le moulage de la statue, telle qu'elle était avant les grattages et restaurations, qui en ont dénaturé le carac- tère, et qui en ont transformé Tattitude, en déplaçant la tête pour diriger le regard vers le miroir mis arbi- trairement dans la main^? Or, vis-à-vis des originaux des maîtres antiques, que nous ne connaissons que par des

' RA., 1S95, II, p. 146.

^ Studnickza, Festschrift f. O. Benndorf, p. i53 sq. Zum Myroni- schen Diskobol (cf. p. i63sq|.

' Collignon, SG., II, p. 270.

* Reinach, Recueil de Têtes, p. 145.

^ Formigé, CRAI., 191 1, p. 658 sq. ; REG., 1912, p. 879: Hallays, En flânant à travers la France. Provence, 1912, p. 65 sq. pi. ; Héron de Villefosse, RAAM., 1912, I, p. 81 sq.

- (>4 -

copies, nous en sommes à peu près au même point que vis- à-vis de la Vénus d'Arles restaurée.

■w

Originaux. Pour éviter ces causes d'erreurs, on devrait s'etVorcer de se passer des copies, et recourir aux originaux. Il semble que c'est une recommandation banale et superflue, et que les historiens de l'art antique savent suffisamment différencier la valeur d'un original de celle d'une copie. Or on constate que la plupart d'entre eux, emportés par le désir de retrouver l'image des maîtres de l'antiquité et leur style particulier, ne tien- nent pas assez compte de ces divergences, et s'adressent inditféremment aux deux sources. Est-il besoin de rappeler que l'œuvre de certains artistes célèbres, tels que Polyclète, Myron, n'est connue que par des copies, que c'est dans les copies uniquement que l'on veut discerner les nuances qui caractérisent le style d'un hypothétique Crésilas! Quelque érudit, las des doutes et des incertitudes, cherchera-t-il un jour à écrire l'histoire de l'art grec uniquement d'après les documents originaux, laissant de côté la stérile étude des artistes ' ? Car ces documents, s'ils sont trop souvent anonymes, se présentent toutefois avec suffisamment d'abon- dance pour autoriser une telle conception. L'histoire de l'art grec du VP siècle ne repose que sur des originaux, et certes nous en avons aujourd'hui une \ ue bien plus précise que

' Deonna, A., I, p. 263 sq.

FiG. 14. Tète féminine en terre cuite, de Phocide, V^ siècle. Musée de Berlin. (D'après Aus devi Berliner Muséum. R. Kekulé von Stradonit^ dargebracht, 1909, pi. IX.)

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pour les époques suivantes des V^ et IV^ siècles, envahies par les copies romaines des œuvres célèbres. Et toutefois, en laissant de côté ces répliques, ne possède-t-on pas, dans l'Apollon Devonshire ', les Caryatides de TEreclitheion, les sculptures du Parthénon, de Phigalie, du Théseion je cite au hasard assez de documents fidèles pour bien comprendre l'évolution de l'art à cette époque, dégagée des personnalités?

Mais ce ne sont pas seulement les monuments de la grande sculpture ; les produits industriels forment une source trop souvent négligée par l'historien de l'art an- tique, dont la statuaire est l'intérêt principal. Et pourtant ils nous sont parvenus tels qu'ils sortaient de la main de l'ouvrier : figurines de bronze, dessins de vases, mon- naies, terres cuites... Combien supérieurs à toute copie de marbre, rappelât-elle le souvenir d'une œuvre célèbre, ces vases modelés en forme de tête humaine, ces bustes en terre de Sicile-, se reflètent le sourire maniéré du VP siècle, la sévérité de l'archaïsme dans la première moitié du V^ siècle, puis la douceur rêveuse du style phidiesque ! Pour connaître le style de l'école de Phidias, adressons-nous avant tout aux marbres du Parthénon, puis aux stèles funéraires qui en ont gardé le souvenir, aux beaux bustes siciliens qui n'ont point à craindre les restaurations, et non pas aux répliques de la Parthénos, à la problématique

' Furtwàngler, Interme^^i, pi. I-IV.

'' Deonna, Les statues de terre cuite dans l'antiquité, p. 62 sq.; GBA., 191 1, I, p. 25o, fig. (phidiesque); MA., 18, 1907, pi. I. (V* siècle); JOAI., 1910, p. 63 sq.

68

Lcmnia ! « En maniant une terre cuite du V^ siècle {fig. 14), dit avec raison M. Pottier^ j'ai le droit de m'ima- giner que Phidias ou Périclès auraient pu la toucher de leurs mains. Je puis penser, en contemplant une Tana- ^réenne, qu'elle garde dans ses jtux, dans le sourire de sa bouche, quelque chose de l'âme d'un Praxitèle ou d'un Scopas. »

A ne recourir qu'à ces sources vierges de tous soupçons, l'histoire de l'art grec ne gagnerait-elle pas en précision tout ce qu'elle perdrait en hypothèses contradictoires ?

' Pottier, Diphilos, p. 55, 123 : cf. encore, pour Timportance des figurines, Mendel, RAAM., 1907, I, p. 35o.

I

B. LES CAUSES SPIRITUELLES D'ERREUR

Il est d'autres facteurs d'erreur, qui ne proviennent plus du monument lui-même, mais qui sont imputables à nous qui rinterprétons.

Divergences personnelles d'appréciation. Darwin montre les difficultés qu'on éprouve souvent, en présence d'une photographie, à dire quelle est l'expression du visage '. De même, en cherchant à déterminer l'expres- sion d'une statue, les opinions pourront varier au gré des observateurs qui, suivant leurs dispositions person- nelles, leurs sentiments intimes, suivant l'éclairage que reçoit le monument, l'angle sous lequel ils le contemplent, verront tour à tour de la tristesse ou de la Joie, de la dignité ou de la bassesse, tout comme jadis Lavater prit le masque de Herder pour celui d'un assassin^. Voici l'Athéna Hope^:

' L'expression des émotions (2), p. 3 20.

^ Mantegazza^ La physionomie et l'expression des sentiments, p. i3-4. ' En dernier lieu sur l'Athéna Hope, Preyss, Athéna Hope und Pallas Albani-Farnese, JDAI., 1912, p. 88 sq.

« Puissante et grave, dit M. Joubin. calme et froide, le regard dominateur et dur, TAtlK-na Hope représente exac- tement l'idéal du peuple athénien au V^ siècle » '. Mais M. Ducati, se refusant à lui trouver cette physionomie sévère et froide, lui attribue au contraire une bienveillance se- reine^. L'un prétend que la tête du Ganymède du Vatican est peu significative •', mais un autre qu'elle exprime l'or- gueil et la joie\ et que le jeune homme s'abandonne sans effroi à son ravisseur^. D'une Ménade en terre cuite, Rayet disait que « le ventre porté en avant, la sensualité du visage trahissent la courtisanne », alors que M. Reinach croit « qu'il n'y a rien de plus parfaitement chaste » '^.

Il en est du reste pour l'expression des sentiments comme pour l'appréciation du style d'un artiste, qui varie du tout au tout suivant l'auteur : l'un ne voit-il pas dans Euphranor un artiste laborieux et appliqué, continuant dans un sens adouci la tradition polyclétéennne, aimant les attitudes tranquilles, alors qu'un autre déclare que c'est un maître fougueux et exalté^?

' Joubin, MP., III, p. 29.

' RA., 1905, I, p. 236.

^ Amelung, RA., 1904, II, p. 334, ^g- *^-

* Helbig-Toutain, I, p. 290.

•'■ Overbcck, Griech. Kunstmythol., I iZeusi, p. 522.

* RA., 1894, I, p. 293.

' Deonna, A., I. p. SjS.

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Il est vrai que nous ne possédons de cet artiste grec aucune œuvre, et que l'imagination peut s'exercer sans contrainte, puisque nul monument n'est pour la réfréner. Mais qu'on lise les appréciations du style d'un maître plus récent, dont l'œuvre nous est connue, Verrocchio : la note caractéristique de son style, dit M. Reymond, est la ten- dresse ! Non, dit M"^ Crutwell, c'est la force sévère*...

Ne nous étonnons point trop de ces divergences d'opinion, qui sont inévitables, parce que la personnalité de l'obser- vateur se superpose à celle de l'artiste. Sainte Thérèse disait : « Je connais des personnes dont l'esprit est si faible qu'elles s'imaginent voir tout ce qu'elles pensent » ; il serait facile de citer de nombreux exemples de cette suggestion-, à laquelle nous sommes tous sujets et qui ne témoigne nulle- ment de la faiblesse de notre esprit.

■w

Suggestion du sujet. Ce ne sont pas seulement nos préoccupations intimes qui nous amènent à découvrir une expression déterminée dans un visage ; la suggestion vient souvent du sujet lui-même : il nous incite à reconnaître sur la physionomie l'expression qui doit logiquement lui correspondre.

' RAAM., 1906, II, p. i5i-2.

- Cf. Deonna, L'erreur et l'illusion, sources de nouveaux thèmes artistiques, igiS ; Compte rendu du XIV^ Congres d'Anthropologie et d'Archéologie préhistoriques, I, p. 539.

74

L"an grec du VI'' siècle ne dispose que de jeux de physio- nomie très restreints : expression morne, souriante... Il n'y a encore aucune recherche de demi-teintes, telles qu'on les rencontrera plus tard. Si l'on voit sur les visages du relief dit de Leucothèe « la tristesse sans amertume, le charme mélancolique » \ n'est-ce pas que le relief funé- raire éveille logiquement dans notre esprit des sentiments tristes, et n'y discernerait-on pas plutôt la joie douce et sou- riante de la mère tendant ses bras à son enfant, si ce n'était qu'une scène de famille décorative? N'est-ce point aussi parce que le sphinx de Marion était une statue funéraire, que certains veulent reconnaître sur ses traits une « velléité de mélancolie >'-? Le sourire de ces (euvres, que nous allions à l'idée de la mort, détermine en notre esprit cette impression de mélancolie, alors qu'en réalité l'artiste, s'il l'a éprouvée, n'a point cherché à la rendre. La tête de Thésée, sur le relief de Berlin, exprime-t-elle la douleur qu'éprouve le héros à la pensée de quitter son ami Pirithoiis^r Mais n'est-ce point parce que le sujet est celui de la séparation des deux amis dans les Enfers ? rien, dans cette tête d'éphèbe n'indique la douleur, et son expression ne ditfère pas de celle des jeunes gens graves et calmes de la frise des Pana- thénées {jig. i5). On voit dans la tète d'Athéna Jacobsen l'image superbe, triomphante, de la guerrière"* ; c'est bien parce qu'il s'agit de l'Athéna belliqueuse du V* siècle, et l'on n'aurait point songé à cette expression, si la tête était, avec

' Perrot, HA., 8, p. 406.

* Collignon, Statues funéraires, p. 84.

* Helbig-Toutain, II, p. 76.

* Ducati, RA., iqoS, I, p. 255.

FiG. i5. Parthénon, frise des Panathénées.

les mêmes traits, celle d'une Héra ou d'une Coré. On dit d'un autre monument : « L'expression sévère de la physio- nomie est adoucie par le regard langoureux des yeux en forme d'amande, et le menton fort et la lèvre inférieure épanouie trahissent une vive sensualité » '. Mais cette sen- sualité n'est point dans le visage ; elle n'est que suggérée par la dénomination de cette tête, dite jadis Sapho Albani ; l'appellation n'étant point exacte, la nuance de sensualité ne doit-elle point disparaître?

Il arrive fréquemment en effet que la fausse dénomina- tion d'une œuvre entraîne une erreur dans l'interprétation des traits de la physionomie, par suggestion du sujet. On regardait une tête romaine comme le portrait de Vitellius, ce qu'elle n'est point en réalité, et on lui prêtait les carac- tères que l'histoire donne à ce prince. Clarac reconnais- sait dans l'embonpoint la vie crapuleuse ; Sacken, dans le front bas. l'indice de la stupidité ; la bouche sensuelle, le regard, trahissaient la cruauté froide du tyran. D'autres, il est vrai, moins prévenus, ne voyaient rien de tout cela ^. Gomme le dit Darwin en parlant de certains sentiments qui ne se révèlent point par une expression déterminée as- sez distincte pour être décrite : « Dans bien des cas, nous nous laissons guider avant tout, et beaucoup plus que

' Helbig-Toutain, II, p. 5 1-2. - RA., 1899, I, p. 209-10.

1^

nous ne le pensons, par notre connaissance antérieure des personnes ou des circonstances » '.

Ne confondons toutefois pas ces cas avec ceux l'ex- pression, qui n'apparaît pas sur les visages, est donnée par rattitude,cas que nous étudierons plus loin. Sur une coupe bien connue de Douris, Eos tient entre ses bras le corps rigide de son tils mort Memnon. On a comparé cette image émouvante de la douleur maternelle avec celle de la Mater dolorosa de Kart chrétien'-. « La déesse... n'est plus qu'une mère désespérée, fixant d'un long regard les traits chéris qu'elle ne verra plus : le contraste est d'une mélancolie pro- fonde, et la trouvaille digne d'un grand poète ». Mais, si l'at- titude abandonnée, les yeux fermés de Memnon indiquent visiblement la mort, l'expression du visage d'Eos ne paraît mélancolique et douloureuse que parce que le sujet l'im- pose à notre esprit, et parce que la déesse incline la tctc; en réalité, les traits eux-mêmes n'ont que la sérénité habituelle aux visages du V^ siècle, et, détachée de l'ensemble, per- sonne ne verrait dans cette tête l'expression de la douleur.

' L expression des émotions (21, p. 280.

^ Pottier, CV'., III, p. 954; id., Douris, p. 72; Deonna, .\., III, p. 290; Le Correspondant, igiS, p. 463.

79

Nous devons donc reconnaître, avec M. Fougères ', « qu'il y a danger à trop subtiliser sur l'expression des figures et sur les sentiments que le sculpteur a voulu rendre». En contemplant les Muses du relief praxitélien de Mantine'e, « on pourrait dire que le visage un peu rêveur de notre Muse assise traduit le travail intérieur d'une composition musicale encore hésitante, que le sculpteur a exprimé avec une rare distinction la candeur ingénue de l'artiste qui prélude en cherchant sa mélodie ; on pourrait voir des timidités studieuses dans le geste délicat des doigts qui s'essayent légèrement sur les cordes et s'amusent à la pour- suite des motifs intérieurement murmurés. Mais ces con- jectures sont plus du domaine de la littérature que de l'archéologie ; elles peuvent séduire par leur fantaisie l'amateur qui visite un musée, ou fournir des développe- ments agréables à propos de terres cuites. L'écueil est de pécher par excès d'imagination et de prêter à l'artiste des intentions qu'il n'a jamais eues ». M. Fougères raille agréa- blement certains de ses collègues que n'effleurent point ces hésitations. M. Helbig s'étonne de reconnaître sur le visage de la Melpomène du Vatican une expression tran- quille et presque enjouée, alors que Thalie, la Comédie, a une expression mélancolique. N'est-ce point renverser les rôles? Mais, dit-il, si la première paraît joyeuse, c'est que, d'après la définition d'Aristote, la tragédie, en inspirant au spectateur de la pitié et de la crainte, provoque en lui la purification (Catharsis) des sentiments ; et si la seconde paraît triste, «cela tient sans doute que dans la pensée

' BCH., 1888, p. 120-1.

- 8o

du sculpteur, la comédie qui représente les accidents et les contlits si nombreux de la vie humaine, doit faire naître la mélancolie plutôt que la gaîté » '. L'explication est fort ingénieuse ; on peut penser qu'elle Test trop, et que l'ar- tiste, tout hellénistique qu'il était, n'a point cherché un pareil ratlincmcnt.

Soyons donc prudents; n'imitons point Winckelmann, qui, en apôtre fanatique de la beauté antique, prêchait à ses disciples l'aveuglement, et ne connaissait pas ces hési- tations critiques : « Approchez-vous d'un esprit prévenu en faveur de l'antique. Persuadés que vous devez y trouver le beau, vous le chercherez, et à force de le chercher, il se dévoilera à vos 3'eux, si ce n'est la première fois, ce sera en renouvelant votre examen, car il existe réellement»-'. En etVet, à force de vouloir reconnaître telle expression sur les visages, qu'impose souvent la suggestion inconsciente du sujet, ou les sentiments intimes qu'on éprouve, on la trouve par un acte de foi semblable à celui de Winckel- mann. « Votre imagination est une nouvelle source d'erreurs encore plus graves, dit Darwin ; si nous nous attendons, dans une situation donnée, à voir une certaine expression, nous nous imaginons sans peine qu'elle existe » -^

Suggestion de l'époque. La détermination chronolo- gique d'un monument, souvent erronée, risque de suggérer

' Helbig-Toutain, I, p. kji, 192.

'' Hist. de l'art, 1802, I, p. 484.

■'' L'expression des émotions (2), p. i3, 14.

8i

à Tobservateur la vue de sentiments que Tartiste n'a pas exprimés, mais qui sont caractéristiques de l'époque à la- quelle il vivait. On croyait jadis que la Vénus de l'Esquilin était le produit d'une école tardive, et c'était « la saveur d'alexandrinisme » ^ qu'on cherchait dans ses traits. « L'ex- pression de la physionomie est un mélange de sensualité et de légère mélancolie, une de ces nuances qu'aimait à rendre l'art hellénistique w.L'uraeus n'est, il est vrai, qu'une adjonc- tion du copiste, mais alors qu'on le considérait comme partie intégrante du prototype, sa présence rappelant le culte dlsis influait sur l'expression : « dans la physionomie se reflète le caractère à la fois sensuel et mystique de cette re- ligion )■-. Mais la statue, quel que soit le nom qu'on veuille lui donner^, dérive d'un prototype du V^ siècle; aussitôt ce caractère chronologique établi, on a fait remar- quer dans le corps de cette femme les formes robustes et viriles que l'artiste du V^ siècle prête encore à ses modèles féminins, et au lieu de l'expression sensuelle, attribuée par certains au copiste'*, on n'a plus vu que la gravité habi- tuelle des têtes de l'archaïsme, et on Ta comparée à celle de la Pénélope funéraire du Vatican^.

' Collignon, SG., II, p. 686. ^ Helbig-Toutain, I, p. 422 sq.

* Pour Klein, ce serait la plongeuse Hydna, JOAI, X, p. 141 ; Berliner Phil. Woch., 1908, p. 27; cf. Deonna, A., I, p. 364.

* Lange, Darstellung des Menschen, p. 225.

* Klein, Gesch. d. gr. Kunst, 1, p. 897.

6

82

« Chaque gencration imagine à nouveau les chefs-d'(euvre antiques et leur communique de la sorte une immortalité mouvante»'. Comme nous, les critiques anciens voyaient dans les œuvres d'art plutôt ce qu'ils y mettaient que ce qui y était en réalité'-. Les Alexandrins prêtaient aux person- nages mythologiques chantés par les auteurs antérieurs la mentalité de leur époque ; ils leur donnaient « Tattitude et les façons du milieu ou les introduit le. poète ; ces person- nages austères ou touchants deviennent galants et aimables, jusqu'à ce qu'enfin, avec Ovide, ils finissent par s'écrire des lettres fort spirituelles, mais fort peu héroïques»^. La chaste Pénélope d'Homère devient chez eux une ef- frontée, cherchant, comme les dames hellénistiques, à aguicher ses amants*. Maintes fois, les auteurs de l'Antho- logie décrivent des (euvres d'art d'une époque antérieure, dont ils sont incapables de comprendre l'esprit^. La des- cription d'une statue de Polyxène attribuée à Polyclète est plus conforme à l'idéal hellénistique qu'à celui du V^ siècle : « Ses voiles sont déchirés, mais voyez comme elle cache pudiquement sa nudité dans sesvoiles, la malheureuse ; elle implore la vie, et dans ses yeux se peignent tous les mal- heurs de la guerre de Troie n^.

Il serait intéressant de rechercher les opinions diverses émises sur l'expression d'une statue déterminée, telle

' Anatole France.

- REG., 1894, p. 344, note 3, ex. .

' Gouat, La poésie alexandrine, p. 67,

* Deonna, A., 1, p. 25 i sq.; III, p. 404, ex.

* KA., 1894, I, p. 3i6, 319. <" Ibid., p.' 353.

8

0

que la Niobé\ TApollon du Belvédère, etc., et qui ont varié considérablement suivant les époques'-^. Mais il en est ainsi de tout Fart antique, qui a été ditféremment apprécié suivant les temps, et dans lequel, à tour de rôle, on a cherché le calme et la sérénité parfaite, ou la volupté. Aucune de ces vues n'est entièrement fausse, parce que chacune met en lumière un trait particulier de Tart grec qui a réellement existé : si la sérénité a dominé l'art du V^ siècle, la volupté est bien la note dominante de Fart alexandrin ; aucune toutefois n'est Juste, parce que toutes, généralisant cette parcelle de vérité, attribuent à la Grèce entière, en bloc, ce qui n'est vrai que pour une période dé- terminée. Le tort de l'ancienne critique a été de confondre ensemble des œuvres très diverses, et de chercher la règle commune entre les frontons d'Egine, les sculptures de Phi- dias, la Vénus de Milo, l'Apollon du Belvédère, qui, appartenant à des points différents de l'évolution artistique en Grèce, dénotent chacun une sensibilité différente.

tf

Influence de certaines théories erronées. On comprend que certaines de ces théories, dont l'étude des monu- ments démontre la fausseté, aient pu détourner les

* Overbeck, Griech. Plastik (4), II, p. 91.

^ Sur la variation de l'idéal grec chez les modernes, Deonna, A., I, p. 241 sq. ; Canat, La renaissance de la Grèce antique; Yvonne de Romain, Les dieux éternels; Hautecœur, Rome et la Renaissance de l'antiquité à la fin du XVIIh siècle, etc..

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savants de rcchci'chcr sur les visages des (euvres antiques l'expression des sentiments de l'âme, en leur faisant croire que cette recherche serait inutile. .l'ai en vue un dogme très ancien, celui de la sérénité de l'art grec ^ croyance qui, pendant des siècles, a dénié arbitraire- ment à l'artiste antique la faculté et le désir de rendre l'expression sur les visages, qui, exacte pour une période déterminée de cet art, pour le V^ siècle classique, ne Test plus pour les époques ultérieures, mais qui fut étendue systématiquement à l'art grec tout entier. Au nom du Beau Idéal, de certaines théories livresques d'esthétique, qui condamnaient le réalisme sous toutes ses formes, et par conséquent la représentation des passions, on préten- dait retrouver dans l'art antique ce calme parfait des traits que ne peuvent émouvoir la douleur et la joie. Pour Lessing, pour Winckelmann, et pour nombre de leurs disciples jusqu'à nos jours, la Beauté parfaite existe «lorsque nulle émotion ne trouble la sérénité de l'ûme, lorsque l'aiguille de la balance ne s'incline ni vers la douleur, ni vers lagaîté, et que l'esprit se recueille dans le calme profond de la satisfaction et de l'oubli de lui-même... L'expression change les traits du visage, elle altère par conséquent les formes qui constituent la beauté. Or, plus cette altération est grande, plus elle est préjudiciable à la beauté... Ce n'est que dans le câline que l'artiste peut parvenir à rendre

' Sur ce dogme, que j'ai étudié et combattu, Deonna, A., I, p. 97 sq. ; Canat, op. /.. p. 121 sq., 258 sq. ; F'ontaine, Les doctrines d'art en France. Peintres, amateurs, critiques. De Poussin à Diderot, 1909. Cf. Lagrange, Le miracle grec et les rythmes de l'art, Le Correspon- dant, 191 3 p. 440 sq.

FiG. i6. Tète de Laocoon. Vatican,

- 87-

Tessence même de l'art w '. L'art grec, ayant atteint la per- fection, suivant un autre dogme étroitement lié à celui-ci^, doit montrer dans ses œuvres ce calme absolu, que Ton retrouve jusque dans les monuments les plus pathétiques. Quoi de plus expressif que le Laocoon (Jig. i6), dont le visage exprime la douleur physique avec une intensité que la sculpture moderne ne saurait dépasser? Toutefois, hypnotisés par le dogme de la sérénité, les anciens critiques voyaient paraître dans ces tourments affreux « Tâme ferme d'un grand homme, qui lutte contre ses maux, et qui veut étouffer les angoisses de la douleur^... Tandis que la souffrance enfle ses muscles et tire violemment tous ses nerfs, on voit la sérénité de son esprit briller sur son front gonflé )> ^ ! Et plus tard encore : « les cris affreux que poussait Laocoon sous l'étreinte des serpents, la statuaire antique les a réduits à des soupirs pour ne pas trop déformer les traits du héros » '". Niobé pleure ses enfants morts et mou- rants ; toutefois, elle s'efforce de sauver encore sa plus jeune fille réfugiée entre ses bras, et elle lève au ciel un visage désespéré. Mais cette image de la douleur maternelle, cette u Mater dolorosa de l'art antique», comme l'appelait Feuerbach^, est choisie elle aussi par les anciens critiques comme un exemple admirable de la sérénité grecque", et

* Winckelmann, Hist. de l'art, I, p. 41 5, 416, 424, 6o3 sq., etc. ^ Deonna, A., I, p. 81 sq.

' Winckelmann, op. /., I, p. 4-23.

* Ibid., Il, p. 293 ; cf. Canat, op. L, p. 222, 259 sq. ° Blanc, Grammaire des arts du dessin (3), p. 489.

® On a fait cette comparaison à propos de diverses œuvres de l'art grec, cf. coupe de Douris, p. 78. ^ Canat. /. c. ; Blanc, op. /., p. 349.

8S -

Ton n"a garde, on ccMcbrant sur tous les modes ce calme parfait de la statuaire antique, d'oublier cet exemple devenu classique ! « On admirerait moins la tête de Niobé, dit Raoul-Rochette. et on la plaindrait moins, si son visage était déformé par la soutVrance ' ». Overbeck, dont nous consultons encore avec fruit Thistoirede la plastique grecque, rappelle les paroles de Feuerbach : « still wie cine geknickte Blume», et renchérit sur son devancier -.

Il est inutile de donner plus d'exemples. On dira que ce sont des idées surannées, et que les archéologues d'aujour- d'hui ont renié cette croyance fausse. Il est vrai. Mais on le sait, les croyances ont la vie tenace, et continuent leur exis- tence en dehors des cercles compétents qui en ont démontré la fausseté. Si les archéologues classiques on renié le dogme de la sérénité grecque que leur avait imposé pendant longtemps la vieille esthétique, les historiens de l'art mo- derne ne sont pas encore entièrement délivrés de ce joug j'en ai donné déjà des exemples ^ et continuent comme jadis à opposer au calme antique {fig. i J ) la recherche de l'ex- pression caractéristique de Fart chrétien* [fig. i8); ils approuvent, en termes variés, cette phrase burlesque de

' Canat, op. /., p. i3i.

■' Op. /.. 14), II, p. 85, 87.

' Deonna, A., 1, p. 102.

' Sur cette antithèse entre l'art grec et l'art chrétien, ibid., p. io3 sq.

I

FiG. 17. Tète du Ili'-- siècle avani Jesus-Christ. iGeant mourant de Florence.)

La sérénité grecque!

FiG. i8. Tête du XlIIe siècle. (Springer, Handb. d. Kunstgesch. (8), II, p. 709, fig. 556.)

Le pathétique chrétien !

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Piderit ', que les Grecs, « sur les vagues en furie des pas- sions, ont versé pour ainsi dire l'huile calmante du calme antique ». M. Raymond, dont on apprécie les beaux volu- mes sur la sculpture florentine, énonce à maintes reprises cette antithèse entre Tart chrétien qui cherche à émou- voir, et Fart grec qui s'attache avant tout à la représenta- tion des formes du corps ; il vante « ces qualités de mesure et de sobriété, cette simplicité et ce calme dans l'expression des sentiments de l'àme, qui nous sont donnés comme étant la caractéristique de cet art » ^.

Certains archéologues toutefois, tout en n'admettant plus cette antithèse brutale entre l'art antique, calme et serein,

' La mimique et la physiognomonie, p. 28.

^ Sculpture florentine, I, p. 9-10, i3, 17. Il oppose à l'art antique l'art florentin, « qui a recherché de préférence l'agitation, la compli- cation des mouvements, le charme des passions » (p. 17) : en décrivant la Madeleine de Donatello, il s'exprime ainsi : 0 Ici, Donatello, à rencontre des anciens, pense que la recherche essentielle et unique de l'artiste ne saurait être la beauté des formes, l'être dans la pléni- tude de sa santé, de son développement, de sa normalité. Il ne recule pas devant la forme usée par la vie, déformée par la douleur... A l'idéal grec se substitue l'idéal moderne, tel que l'âme chrétienne l'a fait », p. i53 sq. Cf. au contraire la représentation de la vieillesse, commune aux artistes hellénistiques et à ceux du XVe siècle (Deonna, A,, III, p. 396, 416). Parlant de l'art grec du Ve et de l'art français du XlIIe, M. Reymond oppose ces deux périodes l'une à l'autre, alors que nous savons au contraire qu'elles présentent de profondes analo- gies spirituelles (Deonna, op. cit., III, p. 191 sq.) : « Si le siècle grec est incomparable pour la perfection de la forme, le XIII^ siècle français par la haute valeur morale des idées... » (p. 7).

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et l'art clirctien, expressif, s'ctVorccnt de prendre un moyen terme. M. Délia Seta montre comment Tart i^rec a passé de la sérénité du V'' siècle à la recherche du pathétique des hellénistiques ; mais il lui refuse d'avoir su mesurer l'expression à l'état d'âme, et n'admet que deux tendances, sentimentale chez Praxitèle, douloureuse cliez Scopas, qui sont conventionnelles, et qui sont outrées à l'époque hellénistique. Seul, l'art chrétien a pris comme problème central ce que l'art grec avait négligé, l'expression du visage, les luttes de l'âme et non plus celles du corps'. Le P. La- grange lui aussi prend la même position, et tout en admet- tant que l'antique antithèse ne peut subsister, trouve que chez les Grecs l'expression de la souiVrance est toujours digne et mesurée, qu'ils n'ont jamais rendu ^ la peur et la lâcheté flétrissante à la pensée de la mort » ; comme preuve, il compare aux stèles funéraires du Y" siècle le Monument aux Morts de Hartholomé, avec « ces misérables qui s'ap- prochent de la porte sombre comme des condamnés que l'on traîne à la guillotine )>'^. Mais c'est commettre la même erreur que les anciens critiques que de comparer les stèles de l'époque impassible de l'art grec à une œuvre d'une épo- que de réalisme!

L'étude que nous entreprenons montrera avec évidence ce que l'on sait déjà^, c'est que l'art grec a suivi dans la

^ Religione e arte fii^urata, p. 277.

* Le Correspondant, un 3, p. 4('7-8.

^ Deonna, A., 111, Les rythmes artistiques.

(JD

recherche des sentiments la même évolution que l'art chrétien, passant de Tidéalisme inexpressif au réalisme de plus en plus expressif. Le nier, serait nier Tévidence des monuments, source de notre connaissance. Il ne faut pas que des considérations étrangères a la science inter- viennent pour maintenir coûte que coûte l'antithèse entre l'art païen et Fart chrétien, ahn de ne point permettre au paganisme et au christianisme de fraterniser, et d'avoir été aussi beaux et aussi purs à certaines époques l'un que l'autre. Le P. Lagrange, qui admet séparément les analogies frappantes que j"ai relevées entre les deux arts, ne peut se résoudre à croire que le même rythme ait dominé la marche de l'art grec et celle de l'art chré- tien, et c'est au nom de la religion qu'il s'}' refuse, en l'avouant franchement. « C'est quelque chose de reconnaître la valeur artistique des imagiers chrétiens et de comparer les chefs-d'œuvre de la sculpture du XIIP siècle à ceux du siècle de Périclès, mais cet avantage serait bien chétif, et notre succès plus que compromis, si la pensée religieuse chrétienne était du même coup mise sur le même rang que la pensée religieuse des Grecs. Franchement, j'aime- rais mieux qu'on accusât l'art chrétien d'avoir sacrifié le corps dans Télan qui emportait l'àme. Il y a donc au fond de ces thèmes une question religieuse...» '.

' Le Correspondant, 191 3, p. 443-4.

1

II. LES FACTEURS ARTISTIQUES, RELIGIEUX ET SOCIAUX DE L'EXPRESSION

A. LES DIVERSES BRANCHES DE L'ART

AU POINT DE VUE

DE L'EXPRESSION DES SENTIMENTS

ART ET RÉALITÉ

A rechercher sur les visages le reflet des émotions de l'âme, la statue gagne un intérêt nouveau. Ce n'est plus un froid bloc de pierre, dont Térudit discute l'attitude, les formes, ou le style du maître qui l'a créée. Elle s'anime et prend vie ; elle révèle les sentiments mêmes qu'éprouva l'artiste, ou ceux qui furent caractéristiques de son époque. Et l'on voit avec surprise que l'art grec a connu les nuances les plus diverses du sentiment, les plus tendres et les plus violentes, les plus nobles et les plus basses. On l'a dit souvent avec raison : les Grecs ont créé en art l'expression de la physionomie'. Car ils ont été des hommes comme nous, et n'ont point vécu, comme les his- toriens de l'art tendent souvent à le faire croire, dans un monde irréel, au-dessus des passions humaines, mais ils ont été tristes et Joyeux, et nous en ont laissé la preuve dans leurs monuments.

Ces nuances d'expression, on ne cherchera point à trop

* Pottier, Statuettes de terre cuite, p. 3o ; Girard, iMG., II, no* 23-5, p. lO.

I02

les préciser. Les physionomistes eux-mêmes, qui étudient les visages des vivants, sont souvent embarrassés de dire à quel sentiment correspond telle expression fugitive. Les difficultés sont plus grandes encore dans Tétude de l'art figuré, tant de facteurs divers viennent entre choquer leurs effets. Les Grecs ont-ils été sensibles, comme on Ta dit ', à des nuances d'expression que nous ne pouvons plus saisir ? Il se pourrait. Quoi qu'il en soit, on ne prétendra qu'à des approximations générales, et on ne suivra pas les traces de ces anciens physionomistes qui ont voulu lire avec subtilité sur les visages des statues les sentiments les plus fins et les plus délicats, avec une précision toute mathéma- tique. On cherchera avant tout à montrer quels sont les facteurs qui concourent en art à l'expression, et comment Tart grec parvint à exprimer sur les visages les diverses émotions qui agitent le cœur humain.

Les physionomistes ont montré que les principales ex- pressions sont les mêmes dans le monde entier, parce qu'elles sont basées sur des réactions physiologiques- ; ils ont indiqué par le jeu de quels muscles ces sentiments se

' Boutmy, Philosophie de l'archit. en Grèce, p. 107.

* Darwin, L'expression des évictions (2), p. 10, 887; Mantegazza, La physionomie et l'expression des émotions, p. 197. Sur les travaux concernant l'expression, on consultera : Mantegazza, op. t., p. i sq. (référ.l; Piderit, La mimique et la physiof^notnonie, p. 2 sq., 179 (référ.); Darwin, op. /., trad. Pozzi-Benoit I2), p. i sq. (référ.) ; Cuyer, La mimique.

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traduisent sur les visages '. Il semble qu'il n'y ait point eu de différences entre les Grecs et nous au point de vue de ces formes expressives, et il apparaît erroné de leur refuser le don de Témotion que nous possédons. C'est toutefois ce que pensait Dumont qui, prétendant avoir retrouvé dans les campagnes de la Grèce moderne le même type idéal qu'ai- mait l'art serein du V^ siècle, s'exprime ainsi : « Les mem- bres y ont moins la force qui vient de l'exercice qu'une solidité, une dureté même, qui semblent être dans les chairs aussi bien que dans les muscles. De pour les nerfs une grande difficulté à transmettre les impressions ; par suite, la lenteur et la gravité des mouvements, par suite aussi la régularité de tous les traits; les émotions sont évi- demment rares, souvent obscures ; le visage n'a pas cette mobilité qui, dans nos pays est une condition de la grâce ; le sourire remue la figure par larges masses au lieu de se jouer dans mille nuances aussi rapides que délicates « '^. VioUet-le-Duc croyait aussi retrouver chez les paysans du Morvan le type sculptural du moyen àge^. De telles opinions ne proviennent-elles pas d'une confusion entre l'art et la réalité?

Il convient donc de bien concevoir les rapports qui exis- tent entre l'art et la réalité dont il s'inspire, afin d'éviter les erreurs d'interprétations. Parce que le Grec a connu les divers sentiments de l'âme, s'ensuit-il qu'il les ait tou- jours représentés dans son art ? Entre l'émotion ressentie

' Muscles du visage, Darwin, op. L, p. 24-5, fig. i-3. ^ MG.,I, n»2, 1873, p. 47. ' Dict. d'arch., VIII, p. 11 3-5.

104

et sa réalisation dans la matière, s'interposent une quantité de facteurs qui viennent en faciliter ou en empêcher l'exé- cution, et qu'il n'est pas sans intérêt de déterminer.

Dans toute œuvre d'art, il est nécessaire de tenir compte de deux facteurs importants, l'élément technique, et l'élé- ment spirituel, et toute étude qui négligerait l'un au profit unique de l'autre serait forcément incomplète et faussée.

C'est pourquoi l'on devra examiner comment l'incapacité technique a empêché l'artiste de rendre l'expression du visage alors même qu'il l'aurait voulu ; comment, au cours du temps, les progrès techniques ont levé toutes ces entraves. Le modelé de l'œil, de la bouche, ces deux organes princi- paux de l'expression, devront être étudiés minutieuse- ment.

Puis on notera les modifications qui se sont produites au cours du temps dans les sentiments religieux, sociaux, esthétiques, etc.

En recherchant la part de chacun de ces facteurs, on constate souvent que, grâce à leur action, il n'y a pas

lOD

accord entre la réalité et Tart. En voici un exemple. Les races inférieures, les primitifs comme les enfants, -manifes- tent volontiers leur joie par des rires et des éclats bruyants ^ et leur sensibilité rudimentaire ne les rend encore que peu accessibles à la douleur physique et morale^. Or, à cause de rinexpérience te-chnique des commençants, les visages sont inexpressifs ou n'ont qu'une expression involontaire. En revanche, la sensibilité augmente avec la civilisation, la supériorité de race et d'intelligence^; mais alors inter- vient souvent en art le facteur social de convenances, qui réfrène l'indication des sentiments ; c'est ce qui se produit au V^ siècle, dont l'idéalisme s'oppose à la manifestation des passions.

Il peut y avoir accord entre l'élément technique et l'élé- ment spirituel : si les têtes du IV^ siècle sont déjà passion- nées, c'est que la technique s'est assouplie, et a3'ant em- prunté à la peinture son souple modelé, n'oppose plus aucune difficulté à la main de l'artiste, et lui permet de réaliser bien plus de nuances d'expression qu'antérieure- ment; en même temps, la société a changé, et l'idéal austère du V^ siècle, modifié, humanisé, est devenu accessible à toutes les passions.

Ces trois exemples montrent trois cas divers qui peuvent se produire, suivant la prédominance de l'élément technique ou de l'élément spirituel. Dans le premier, c'est l'inexpé- rience technique qui met obstacle à la réalisation des pas-

' Sully, Essai sur le rire, p. 23.

- Ribot, La psychologie des sentiments, p. 36 sq.

" Dumas, La tristesse et la joie, p. 20.

lob

sionîj dans Part : dans le second, alors que la technique progressée en rendrait Texecution facile, l'idéal spécial d'une époque s y oppose ; et dans le troisième, tous deux

concourent à obtenir le maxi- mum d'elVet, comme cela s'est produit à l'époque hcllénisti- c^ucjiir.igj.

Il s'agit donc de discerner les possibilités diverses, et de trouver la cause exacte qui pro- duit le phénomène. On au- rait tort de considérer en bloc FiG. 19. Tète d'Aphrodite de tous les cas semblables, et de Pergame. Ille siècle av. J.-C. ne pas admettre que souvent

Musée de Berlin. , , ^ j .

les analogies sont détermi- nées par des causes variées. Cette erreur, on l'a commise en bien des domaines. Dans les faits de cannibalisme, on n'a pas distingué suffisamment les idées très différentes qui le provoquent, le désir de se procurer des aliments, celui de s'incorporer les qualités du mort, etc. '. En étudiant les cas de nudité corporelle, on voit qu'elle peut avoir une valeur rituelle, pour l'homme qui se présente devant la divinité ou qui exécute certains rites magiques; que ce peut être une nudité d'humiliation, celle des captifs devant

' Foucart, Histoire des religions et méthode comparative, p. 3j6, note I.

FiG. 20. Kouros du Cap Sounion, Vie siècle av. J.-G. Musée d'Athènes.

109

leur vainqueur, comme sur les monuments chaldéens et assyriens ; ce peut être encore une convention naïve prove- nant de rinhabileté des commençants à indiquer le vête- ment sur le corps; c'est la nudité idéale des statues grec- ques (jig. 20); ou bien ce sera, sur un lécythe blanc attique, la nudité factice, provenant de ce que la couleur des habits a disparu, et que seul le dessin du corps est resté.

Il en est de même pour l'expression des sentiments. Ici aussi, il faut discerner les causes diverses qui peuvent con- courir à un résultat en apparence identique. En examinant telle tête dont l'expression nous aura frappés, nous devrons nous demander si cette expression a été voulue par l'artiste et correspond bien aux sentiments qu'elle exprime en réa- lité sur une tête vivante, si ce n'est qu'une convention artistique, ou encore si elle n'est pas complètement invo- lontaire, et ignorée de l'ouvrier.

Ainsi l'art n'est pas toujours l'expression de la réalité, puisque l'élément technique et l'élément spirituel (conve- nances sociales, idéal artistique, etc.) peuvent la modifier. Il semble que ce soit une banalité; mais banalité qu'il est bon de répéter, puisqu'on voit souvent les archéologues confondre réalité et art, et vouloir, par exemple, retrouver jusque dans les œuvres les plus primitives, l'image fidèle

d'une race, alors que le dit trait caractéristique n'est déter- miné que par les conventions techniques ^

Mais on a dit aussi que Fart est l'expression de la société. Cela est vrai dans les époques avancées, Tartiste se joue des difficultés techniques. Cela ne Test pas pour les périodes il subit encore cette contrainte technique, qui substitue à son désir des formes involontaires. Dira-t-on des gros- sières idoles énéolithiques, des tigurines d'ivoire du Dipy- lon, ou encore de la statue dédiée au VP siècle par Nicandra ifig' 2 1 ), qu'elles sont révélatrices des époques auxquelles elles appartiennent? Elles ne révèlent autre chose que la maladresse de l'ouvrier, laquelle est partout la même chez les commençants.

Ce sont les actions de ces divers facteurs qu'il convient d'examiner tout d'abord.

' Deonna, A., II, p. 235 sq.; Compte rendu du XlVe congrès inter- national d'Anthropol. et d'Archéol. préhist., I, p. 335 sq. ; RA., igiS, A propos d'un bas-relief de Laussel. Certains archéologues ont cru à Torigine négroïde de Bouddha, parce que les sculpteurs, suivant une convention générale de Tart (Deonna, A., III, p. i56 sq.), ren- daient sa chevelure par des boucles recroquevillées, semblables aux cheveux crépus des nègres. Goblet d'Alviella, Ce que l'Inde doit à la Grèce, p. 56. D'autres ont voulu étudier, au point de vue physio- logique, la forme de la vulve des statuettes quaternaires, et en dé- duire des considérations scientifiques! L'homme, I, p. 5i5.

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FiG. 21. Statue dédiée par Nicandra. Musée d'Athènes.

ii3

LITTÉRATURE ET ART FIGURÉ

Amplification littéraire. Il faut se garder de prendre au pied de la lettre les descriptions que les auteurs anciens donnent de l'expression de certaines statues ; il s'agit sou- vent d'un simple proce'dé littéraire, qui consiste à prêter à la matière inerte Tillusion de la vie. Les primitifs croyaient, pour des raisons magiques \ à la vie des statues; mais quand les écrivains hellénistiques les animent, et, comme Hérondas, feignent d'avoir sous les yeux non plus une peinture, une statue de marbre ou de bronze, mais bien l'objet vivant lui-même, nous comprenons qu'il ne s'agit que d'un exercice de rhétorique, inspiré par leur ardent désir de réalisme. « Vois, ma chère, ce jeune enfant qui regarde en haut vers cette pomme ; il mourrait de ne pas l'avoir, n'est-ce pas? (jig. 22) ...Par les Parques, vois cet enfant, comme il étrangle l'oie ! si le marbre n'était pas devant toi, tu jurerais qu'il va parler; pour sûr avec le temps, les hommes finiront par faire vivre la pierre elle- même. Et cet enfant nu, si je le pinçais, n'en garderait-il pas la marque»^? Le Diadumène de Polyclète semble respirer^ ; une statue de Démétrios d'Alopéké s'élance de sa base, et le vent agite les rares poils de la barbe du stra-

* Ci-dessous, p. 144 sq.

- Hérondas. Cf. Legrand, Etude sur Théocrite, p. i35.

^ Paris, Polyclète, p. 48-9.

114 -

tcgc Pélichos'. ]-]n passiiiu près de la vache de Ahion, le taureau iiuigit. la ci'oNant en Aie'...

Himerius dit d'une statue qu'elle était pudique et rougissante : prendrons-nous au sérieux cette image de rhétorique, et croirons-nous, avec Preller, que les joues de cette Athéna, dans laquelle on a voulu reccmnaitre sans motif la Lemnia de l^hidias. étaient vraiment peintes en rougeur Les épigrammes de l'Anthologie donnent souvent aux visages des statues des expressions qu'il était impossible à Tartiste d'exprimer, parce qu'elles sont trop subtiles. « La langue des formes est moins claire que celles de mots ^^* ; ce que le littérateur peut se permettre, le sculpteur ou le peintre ire peut parvenir à le rendre, même s'il en a l'in- tention. Les physionomistes l'ont dit : « on peut percevoir très nettement un changement dans une physionomie, sans pouvoir spécifier en quoi ce changement consiste»^; la difficulté est encore plus grande, quand on veut l'exprimer non plus par des paroles, mais dans la matière.

Exercices littéraires, ces descriptions du Paris d'Euphra- nor, dont le visage trahissait qu'il était à la fois le juge des trois déesses, l'amant d'Hélène et le meurtrier d'Achille ; du Démos de Parrhasios, qui montrait à la fois les défauts et les qualités les plus opposés du peuple athénien ; de Médée, la fureur de l'amante s'alliait à la tendresse de

' Collignon, SG., II, p. i85.

- Sur les nombreuses épigrammes célébrant le réalisme de cette œuvre, Paris, GBA., 189Ô, I, p. 48(1; RA., i8()4, 1. p. 3.^1. ^ MO., II, nos 21-2, p. 3i ; DA., s. v. Staluaria, p. 4()3. * Perrot, HA., I, p. 22. •■' Darwin, L'expression des emoltons (2), p. i3, 3S6

FiG. 22. Enfant à Toie.

Musée de Vienne.

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la mère ; de Niobé, saisie au moment précis l'espoir et les supplications peuvent encore se joindre chez elle à la douleur et aux malédictions; d'Iphigénie, à la fois prêtresse courroucée, et sœur tendre qui retrouve son frère : « la pitié et la fureur se mêlent sur son visage »^

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Avance de la littérature sur l'art figuré. On a maintes fois fait observer avec raison qu'il y a une notable différence d'évolution entre la littérature et Tart figuré-, la première n'étant point entravée par les difficultés techniques, et sachant de bonne heure exprimer par le langage et l'écri- ture les nuances expressives que le second ignore pendant longtemps. Entre Tidéal que se forge Tartiste, entre Timage qu'il voit clairement dans son esprit et leur exécution, il y a un abîme, et, une fois réalisées, les conceptions les plus belles et les plus élevées ne répondent plus que d'une ma- nière imparfaite aux rêves qui les ont créées. Le poète et l'écrivain, s'ils éprouvent cette désillusion et ne reconnais- sent souvent plus ce qu'avait enfanté leur cerveau, la su- bissent cependant à un degré moindre que le sculpteur ou le peintre, dont le travail mental ne peut être réalisé aussi directement, mais se complique des difficultés que leur

' Cf. RA., 1894, I, p. 3 i5 sq. ; 354 sq.

- Les anciens le remarquaient déjà, cf. MG., I, no 5, 1876, p. 25 ; Deonna, A., II, p. 26; RA., 1893, II, p. 63 sq. (Lessing); Deonna, ibid., igi3, Influence de la technique sur l'œuvre d'art ; Perrot, HA., I, p. loG.

I 1 s

suscitent Toutil qu'ils tiennent en main et la matière qu'ils mettent en (euvre.

C'est cette ditférence dans la résistance technique qui explique en partie Tessor plus rapide que prend la litté-

FiG. 23. 1. Ivoire du Dipvlon; 2. Statue de Nicandra. cf. tig. 21 ; 3. Vase du Dipvlon: 4. Bronze minoen. 'Cf. Deonna, A., Il, p. 204, fig. 60.)

rature, son avance sur Tart figure. Au temps d'Homère, le copiste sait différencier les dieux entre eux, il sait leur prêter, ainsi qu'à ses héros, les nuances de phy-

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sionomies les plus variées \ plus précises et plus sub- tiles dans rOdyssée que dans Tlliade^. Mais le sculpteur taille les grossières statuettes du Dipylon, raideset barbares comme les fétiches de quelque peuplade actuelle de rAfrique, et le peintre trace sur les vases funéraires des scènes son inexpérience retrouve toutes les conventions des arts dans Tenfance (fig. 23). Quelques siècles après, la passion qui anime Tœuvre dramatique d'Euripide ne se manifestera dans la plastique qu'au IV^ siècle au plus tôt, de même que la sensibilité qui déborde dans la littérature chrétienne depuis saint François d'Assise ne trouve son expression ligurée qu'aux XI V^ et XV*^ siècles...

Il faut donc tenir compte de cette différence d'évolu- tion entre ces deux domaines en étudiant l'expression, ne point penser que les sentiments décrits par la littéra- ture se retrouvent à la même époque dans l'art tiguré ; et l'on ne saurait approuver cette critique : « M. X. a trop de culture et de philosophie pour ne pas observer que les évolutions de l'art, qui sont celles de l'esprit grec lui-même, se produisent simultanément dans les œuvres de la plastique et dans celles de la littérature » ^. Cette erreur, Winckel-

' REG., 1894, p. I sq., l'expression des sentiments dans la littéra- ture grecque avant Eschyle; dans Homère, p. 4 sq. - Ibid., p. 23 sq. " BCH., 1898, p. 583.

I20

mann la commettait aussi, quand il disait : « Nous serions autorisés à croire que les anciens statuaires, qui avaient Toccasion de poser mainte statue équestre, contre une seule qu'on érige de nos jours, connaissaient aussi bien les qua- lités d'un bon cheval que leurs écrivains et leurs poètes ; et nous ne pouvons douter que Calamis n'ait eu autant de sagacité qu'Horace et Virgile à bien saisir les qualités et les beautés d'un cheval >)^ C'est négliger rélcment techni- que qui s'interpose entre la connaissance, l'idée, et son exécution dans la matière.

■Bf

Les convenances sociales. Mais rélcment tecimique n'est pas le seul qui détermine cette diUerence entre la lit- térature et l'art figuré. Les convenances sociales s'imposent beaucoup plus rigoureusement en art qu'en littérature. Les dieux chaldécns, dans les textes, sont soumis à toutes les passions humaines; comme ceux d'Homère, ils pleurent de pitié ou d'effroi, ils crient, ils rient : « 11 s'atlligea, il gémit, il cria bien haut, son cceur se serra, sa face se décomposa, les sanglots lui brisèrent la poitrine»^. Mais le sculpteur chaldéen ou assyrien a-t-il jamais osé traduire une telle image de réalisme? 11 aurait cru commettre un sacrilège que de rabaisser la dignité divine aux angoisses des mortels.

' HA. itrad. iSo.>|, I, p. 4()i.

- Maspéro, Hist. iiiic. des yeitples Je l'Orient. I, p. 3tH), hjj, 578, 694, etc.

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qui, eux aussi, sont impassibles dans son art. En Egypte, Rà, mordu par le serpent dlsis, pousse des hurlements de douleur: «(Il ne trouva que leur répondre, tant ses lèvres claquaient, tant ses membres tremblaient... Teau coule sur sa face comme en la saison d'e'té « '. Trouve-t-on dans Tart égyptien Timage de cet effroi, ou même celle de la vieillesse décrite avec tant de réalisme dans les Instructions de Phta- hotpou : « Quand l'âge est là, et que la vieillesse arrive, la débilité vient et la seconde enfance, sur laquelle une misère s'abat chaque jour ; les yeux se rapetissent, les oreilles s'étrécissent-... »

C'est pour avoir méconnu ce principe que Lange, mon- trant sur un relief assyrien Timage calme du roi tuant le lion, affirme qu'Homère et les tragiques grecs ont été bien supérieurs, en décrivant les puissants saisis de pas- sion^. En choisissant ses points de comparaison non pas entre une oeuvre figurée et une œuvre littéraire, mais uni- quement parmi les monuments de l'art ou parmi les mo- numents littéraires, il aurait vu que cette différence n'existe plus, car, si les dieux sont aussi passionnés dans les textes assyriens que dans ceux d'Homère, ils sont tout aussi impassibles sur les reliefs assyriens que dans les œuvres classiques de la plastique grecque, parce que les lois qui régis- sent l'art figuré ne sont pas celles de la littérature, et qu'il faut tenir compte de l'élément technique entravant le rendu

' Maspéro, op. /., I, p. i63.

'' Ibid., I, p. 400; cf. décrépitude de Rà, Jéquier, Hist. de la civi- lisation égyptienne, p. 35». ^ Lange, Darstellung des Menschen, p. 5.

tîdclc de la passion, comme aussi des convenances sociales qui intei'disent. on le verra, les visages pathétiques.

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L'idéal littéraire et l'idéal plastique. - Cette divergence se maintient du reste dans tout l'art antique. M. Girard, étudiant l'expression des masques dans Esch3'le, montre la contradiction, chez ce poète comme chez ses successeurs, entre les expressions des visages qu'il imagine dans ses pièces, et celles qu'il montre aux regards'. Mais, plus tard encore, quand l'art hellénistique aura atteint le comble du pathétique, jamais cependant les visages des statues ne seront aussi violemment expressifs que s'il étaient la transcription directe des descriptions littéraires, car si roreille n'est point choquée par ces dernières, la vue ne pourrait supporter la crispation grimaçante des traits, dans des œuvres qui n'ont pas la prétention d'être grotesques. Que Ton n'aille toutefois point faire argument de cette constatation pour ressusciter la vieille antithèse entre lart antique et l'art chrétien, déjà combattue-. Il s'agit d'un principe qui n'est point spécial à l'art grec, mais général, et dont on constate l'application aussi bien dans l'art chrétien.

' REG., i8q5, p. i3o: cl'. 18(14, P- ^70 sq. P. 83 sq."

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Certes, entre la littérature et Fart, les rapports sont sou- vent très étroits : les textes permettent de mieux com- prendre les monuments, comme ces derniers peuvent aussi éclairer les textes '. Ce ne sont pas seulement des analo- gies de sujets, ce sont aussi des analogies de style : les poésies de Pindare trahissent le même idéal que les mé- topes d'Olympie, Sophocle explique le Parthénon, Euri- pide répond au réalisme de certains artistes isolés du V^ siècle, comme Démétrios d'Alopéké. Il y a, de Tun à l'autre domaine, des emprunts réciproques...

Mais souvent aussi les artistes puisent à des sources qui sont en contradiction avec les textes littéraires. On aurait tort de chercher sur les scènes des sarcophages chrétiens la transcription tidèle du dogme, et les divergences qu'on y trouve proviennent de ce que les artistes s'inspirent des liturgies funéraires, des textes que Ton récitait, des psaumes

' Deonna, A., I, p. 187 sq. (référ.i; Robert, Bild iind Lied. Les opinions varient sur ces relations entre la littérature et l'art grec, cf. Pottier, MP.. 16, 1909, p. 99 sq. (p. 100, référ.). On peut croire à un vrai dualisme : d'un côté les poètes, mythologues et historiens, de l'autre les artistes travaillant sur les mêmes données, mais peu au courant des textes, et obéissant a des nécessités techniques qui leur imposent souvent de tout autres conceptions que celles de la poésie; ou bien admettre une étroite union. M. Pottier prend un moyen terme, croit en certains cas à une corrélation manifeste entre la litté- rature et l'art, qui s'opère le plus souvent dans l'art industriel, non pas directement, mais par l'intermédiaire du grand art. Pottier, CV., III, p. hlj.

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que Ton chantait '. 11 en est de même dans la Grèce antique : « Les monuments funéraires, dit M. Pottier-, bas-reliefs et peintures de vases, nous indiquent une solution qui nest pas toujours conforme aux idées exprimées par les auteurs. Ceux-ci se font, en général, l'écho de la philosophie de leur temps; ils représentent lélite des intelligences. Les monuments sont le produit des croyances populaires; ils expriment fidèlement les sentiments naïfs, ou même gros- siers, qui agitaient le commun des esprits en face de la mort. >)

Les divergences avec le dogme que Ton trouve sur les sar- cophages chrétiens nombre variable des urnes de Cana, David de la même taille que Goliath, Lazare dans un édi- cule à fronton au lieu d'être dans la caverne traditionnelle, etc. proviennent de maintes causes diverses, de la fantai- sie individuelle de l'artiste, de l'action persistante des types païens, des lois techniques de la composition \

Souvent, ce sont des contradictions formelles. Si la poésie grecque représente le cyclope Polyphème avec un seul œil, l'art, qui trouve cette conception inesthétique, donne toujours au monstre deux yeux comme à n'importe quel autre être humain. L'œil unique de Polyphème n'ap- paraît que dans l'art étrusque \ qui n'eut jamais les mêmes soucis esthétiques, et l'art romain, pour les mêmes motifs, ajoute encore un troisième (uil supplémentaire au

' Le Blant, Etudes sur les sareophages chrétiens antiques de la ville d'Arles, p. XXI; Laurent, L'art chrétien primitif, 1. p. Gj-S. ^ Lécythes blancs, p. 7. ^ Le Blant, op. L, p. \'II1 sq. * GA., 1887, p. 6.

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milieu du front. Dans Tart chrétien, Christ est toujours beau, maigre' la tradition de laideur acceptée par les Pères primitifs conformément aux déclarations prophétiques d'Isaïe*; tout comme leurs devanciers grecs, les artistes chrétiens font de la beauté corporelle Tindice du divin. « La beauté, disait un philosophe, est le caractère du divin ; si donc le Christ n'a pas été beau, on ne peut le tenir pour un Dieu » -. La Vierge avait soixante ans quand elle mou- rut ; mais, au moyen âge, dans les scènes de sa résurrec- tion où les anges l'enlèvent du tombeau, elle « est belle, revêtue d'une jeunesse éternelle ; la vieillesse n'a pas osé l'approcher », car les artistes n'ont pas voulu suivre sur ce point le dogme ^. Et, de même que l'art grec du V^ siècle n'a pas exprimé sur les visages les passions, non par incapacité technique, non par convenance sociale uni- quement, mais parce que la passion forte dérangeait l'équilibre harmonieux entre l'âme et le corps, par idéal artistique*, de même, les imagiers du XIIP siècle ont donné à leurs figures cette sérénité parfaite ^, qui rapproche leurs œuvres de celles des contemporains de Périclès.

GA., i885, p. 364; RA., 188;, II, p. 202; BCH., i885, p. 218-9; cf. Winckelmann, HA (trad. 1802), I, p. 3q4.

2 Cf. GA., i885, p. 364.

■^ Mâle, L'art religieux au XIII^ siècle, p. 292; Deonna, A., III, p. 243.

* REG., 1894, p. 370 sq.

" Deonna, A., III, p. 243.

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Sachons donc, en examinant comment les ai'tistes ont exprime sur les visai^es les passions luimaines, comprendre qu'ils ont souvent obéi à d'autres préoccupations, volon- taires ou non, que les littérateurs, et qu'il nest pas toujours exact d'établir un parallélisme rigoureux entre ces deux domaines.

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DESSIN ET RONDE BOSSE

« Disons d'abord que la peintiu'c et la sculptiH"e marchent ordinairement d'un pas égal, et que Phidias lait foi pour Apelle et Zeuxis. Tous les arts du dessin se tiennent, et il est impossible que la sculpture fasse de glands progrès sans que la peinture s'en ressente aussitôt >) ^ C'est une erreur; tous les arts du dessin n'évoluent pas pai'allèle- ment, et ce n'est point la sculpture qui a déterminé les progrès de la peinture. Les aits du dessin, qu'il s'agisse du dessin linéaire, de la peinture ou du relief issu du dessin, sont en avance sur la plastique en ronde bosse, jusqu'au moment où. dans les derniers temps de leur évolution, dessin et ronde bosse, essayant chacun d'emprunter les qualités pi'opres à l'autre, se fusionnent et donnent inie plastique picturale, un dessin statuaire., comme on le con-

' Annales archeoloi^iqiies, XXII. p. lôt'i.

FiG. 24. Trésor des Athéniens à Delphes.

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State à Tépoque hellénistique, à la Renaissance, et au X\ IIP siècle. Mais, avant d'arriver à ce point, la priorité appartient au dessin, qui, par cela même, peut être consi- déré comme le véritable facteur des progrès artistiques de la statuaire^. Il est en eftet plus facile de tracer sur une surface plane des mouvements, des attitudes, qui nécessi- teraient en ronde bosse une science consommée et une grande habileté à ne pas rompre les parties saillantes, sous les coups du ciseau maladroit. Il est plus facile, à Taide de quelques traits, d'indiquer l'expression des visages, que de la traduire par le modelé. C'est pourquoi tous les détails techniques qui entravent le sculpteur n'arrêtent pas le peintre. A l'époque paléolithique, les fresques ont atteint une hatileté consommée, mais la statuaire est encore rudi- mentaire. Au temps du Dipylon, alors que le modeleur de terres cuites et l'ivoirier ne parviennent qu'à créer d'in- formes statuettes, les décorateurs de vases « osent entre- prendre des compositions auxquelles les meilleurs sculp- teurs n'ont pas pu songer avant le V*^ siècle » ^.

En bien des points donc, les peintres ont été les précur- seurs des sculpteurs. « Quand on compare, dit M. Pottier, un vase de Brygos à des sculptures contemporaines, comme les frontons d'Egine ou le trésor des Athéniens à Delphes

' Deonna, A., II, p. 65 sq. Ronde bosse et dessin; id., RA., igiS, L'influence de la technique sur l'œuvre d'art; REG., 1894, p. 354. '' Pottier, CV., III. p. 634.

9

I.^O

i//^'-. 1'^', on est confondu de la distance qui sépare ces dessins, si souples et si vivants, de cette plastique archaïque et raide... Quand on pense qu'à la même époque on faisait en marbre les dphèbes de l'Acropole et les frontons d'Egine, on est confondu des progrès qu'avait déjà réalisés le dessin. » Le dessin a fourni à la ronde bosse des motifs nouveaux; il y a introduit des qualités de mouvement. Mais, ce qui importe davantage ici, c'est dans le dessin que le réalisme a fait son apparition, et c'est en lui que sont nées les recherches d'expression ', dès le VI^ siècle, alors que la plastique ne montrait que des visages inertes ou uniformément souriants fii>'. 25). Ce sont les études patientes des céramistes, dans les vases à tîgures noires, puis dans les vases à figures rouges, qui ont rendu possible dans la ronde bosse l'expression des sentiments de l'âme. (]ar la peinture de vases, dès le VI^ siècle, connaît le pathétique bien avant les inventions attribuées à Polygnote. Elle est en avance sur la plastique, et il faudra attendre le IV^ siècle, et surtout l'époque hellénistique, alors que le réalisme aura triomphé dans le grand art, p(Hn" voir appa- raître dans ce dernier des formes semblables. L'extase de Scopas est connue des céramistes du V'^ siècle, et la Ménade de Dresde, œuvre hellénistique de tendance scopasique. trouve dès lors son prototype. La douleur qui crispe les Géants de Pergame et le Laocoon, le sommeil (Jîg. 26), la mort, n'apparaissent dans la plastique que du temps des diadoques, mais sont des sujets traités depuis longtemps

' Deonna. A.. II, p. ôS sq. : MG., II, n-"^ 23-3, p. i5; REG., 1S94,

p. 353 (réfer. ).

FiG. 25. Tête de Kouros du Ptoion. Vie siècle. Musée d'Athènes.

i33 -

par le dessin. On 3' notera avec étonnement « toute la puissance d'émotion que, dès Tépoque antérieure aux guerres médiques, un peintre avait su concentrer dans une ph3'sionomie. Le chemin est frayé à Polygnote, il n'aura plus qu'à recueillir les fruits du travail de ses prédécesseurs. Et après lui les sculpteurs, depuis Myron jusqu'à Scopas et L3^sippe, sauront trouver des modèles pour mettre de la pensée au front et dans les 3'eux de leurs statues » ^

Cette avance du dessin n'est pas due uniquement à la différence de technique, elle provient aussi du fait qu'on accorde à la peinture plus de réalisme qu'à la sculpture. On sait le scandale soulevé au XIX*^ siècle par le groupe de la Danse de Carpeaux, alors qu'on admettait sans diffi- culté le réalisme des toiles de Rubens. M. Hourticq en donne la raison : « Il est une sorte de réalisme depuis longtemps consacré par la peinture, mais qui n'avait point encore pénétré dans la grande sculpture. La sculpture, qui est un art plus concret que la peinture, et de matière moins souple, a toujours généralisé et simplifié les formes. Or, une grande part de l'originalité de Carpeaux a toujours été d'atteindre à la couleur des peintres par des coups de pouce ou d'ébauchoir, des accents qui rendent jusqu'à la vie de la chair -. »

' Pottier, CV., III, p. 85i. "^ RAAM., 1912, I, p. 41 3-4

^^^

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GRAND ART ET ART INDUSTRIEL

On constate la niciiie dilVercncc quand on envisage non plus le genre de technique, mais la classe sociale de l'art, c'est-à-dire si le monument appartient au grand art ou à Tart industriel ^ Les convenances sociales exercent une influence beaucoup plus rigoureuse dans le premier que dans le second. Cette liberté plus grande de la peinture de vases grecque n'est pas due uniquement aux qualités inhé- rentes au dessin, mais aussi au fait qu'il s'agit d'un art profane, qui n'a pas à se soucier des convenances du grand art, et qui est en contact plus intime avec la vie journalière-. Entre la peinture officielle, qui couvrait les murs des temples, et la peinture des céramistes, il devait y avoir une difté- rence, et plus de réalisme dans la seconde que dans la pre- mière, comme ce fut le cas encore dans Tart b3'zantin. entre la mosaïque soumise à la surveillance de l'Eglise, et la minia- ture plus indépendante, laquelle a tini par réagir sur le grand art^. Cette constatation, appliquée à l'histoire de l'expression, explique pourquoi la grande peinture et la sculpture ont négligé pendant l'époque classique certains genres oij les visages étaient expressifs, comme la caricature, et les ont abandonnés aux arts mineurs, industriels, qui

' Deonna, A., II, p. 42. -' Ibid., p. .Si. ' Ibid., p. 80.

FiG. 26. Hermaphrodite endormi.

Florence, Uffizi.

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les ont pratiqués dès une date très ancienne \ pourquoi aussi certains motifs familiers des stèles funéraires n'ont pas été admis dans la grande sculpture"^.

Si par certains côtés les arts industriels sont en avance sur le grand art, parce qu'ils n'ont pas à subir les mêmes exigences d'étiquette, par d'autres ils sont en retard sur lui et le suivent à distance^, parce que les conditions du travail industriel ne permettent pas à l'ouvrier la même indépen- dance et le même esprit de recherche. Cela est visible sur- tout dans les monuments funéraires. Point de portraits sur les stèles, non seulement pendant l'idéalisme du V^ siècle, ce qui est alors naturel, mais encore pendant le réalisme décidé des temps hellénistiques, parce que ces monuments étaient sculptés d'avance •* ; point d'événements particuliers sur les lécythes, mais uniquement des scènes générales, pour les mêmes raisons^. « Les sculpteurs, ou plutôt les marbriers qui exécutaient les ex-voto, avaient-ils le loisir de chercher un type, de souligner par de fines nuances d'expression les différences souvent fugitives qui

^ Pottier-Reinach, Nécropole de Myrina, p. 480; Perrot, MG., I, n" 5, 1876, p. 33 sq. - REG., 1901, p. 447, note i. •■' Deonna, A., Il, p, 43 sq.

* Lange, Darstellung des Menschen, p. i58; RA., 1897, I, p. 377; de Ridder, De l'idée de la mort en Grèce, p. 1540.

* Pottier, Etude sur les lécythes blancs, p. 62, 1 15.

i38

distiniTuaicnt Tune de rautre certaines divinités du Panthéon hellénique, comme Aphrodite. Coré, Déméter ? Ils retrou- vaient sous leur ciseau les types connus »^..

De plus, cette hiérarchie que Ton constate entre le grand art et Fart industriel, et qui n'est pas sans intiuence sur la recherche de Texpression, se retrouve dans un même monu- ment, où, suivant qu'un personnage occupe une place pré- pondérante ou accessoire, il sera plus ou moins expressif. Ce sont les ligures accessoires qui montrent le plus de pas- sion : sur les stèles funéraires, ce sont les serviteurs, les servantes, comme les types mythologiques, la Sirène, petit à petit relégués au second plan^. Ainsi, tandis qu'au moyen âge les imagiers chargés de tailler les tigures des portails, les plus en vue, sont encore tenus par un cer- tain respect de la tradition, d'autres, qui ont la charge des figures accessoires, purement décoratives, s'émancipent davantage et plus rapidement, sculptent des masques saisis- sants de vérité et d'expression, des figures grotesques ou d'autres qui sont pensives ^.

' GoUignon, MG., I, no lo, 1881, p. 7-8. ^ Id.. Statues funéraires, p. 214. " M P., XIII, p. 24?-r..

^

B. RELIGION ET EXPRESSION DES SENTIMENTS

ART POPULAIRE, LAÏQUE, ET ART OFFICIEL, SACERDOTAL

On a montré ailleurs l'action conservatrice de la religion sur l'art, et l'allure plus libre, plus expressive qu'eut sou- vent l'art laïque, profane, vis-à-vis de l'art sacerdotal, à des époques et dans des civilisations différentes^.

Ce dualisme est très net en Egypte, l'on remarque à travers tout l'art deux courants distincts- amenant une ditférence, non seulement dans les types humains, mais même dans les types animaux, dont les uns sont de facture hiératique, dont les autres, profanes, sont plus réalistes^.

Deonna, A., II, p. 40 sq.

^ Ibid., p. 42 ; M P., XIII, p. 6-7; Maspéro, Egypte, p. 210, 21 3, XI: Spiegelberg, Gescli. d. œgypt. Kunst, iqo3 ; Délia Seta, Reli' gione e arte figurata, p. 64, conteste toutefois ce dualisme.

' MP., XVIÏ, p. 22: XIX, 191 1, p. 32.

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L'Egypte a ignore Tcxprcssion des sentiments sur les visa- ges, et les reliefs, les peintures, les statues, comme dans la Grèce classique du V^ siècle ou comme au Japon, ne tra- duisent les émotions de Tàme que par les attitudes. Mais on constate avec ètonnement un changement sous le règne de Khounaten : alors apparaît dans les monuments un réalisme nouveau et souvent intense, se traduisant par plus de vie, plus de mouvement, plus d'expression sur les visages, dont Toeil, la bouche, sont aussi rendus avec une exactitude inconnue jadis. Avec ce prince commence, a-t-on dit, une période en quelque sorte romantique de l'art officiel, qui s'inspire plus directement de la nature. Quelle est la cause de ce changement ? C'est, dit-on, que le Pharaon, inaugurant une révolution religieuse, avait voulu rompre avec toutes les traditions ; délaissant les ate- liers de sculpture officiels et religieux, il s'était adressé aux ateliers laïques, plus réalistes et plus libres de toutes con- ventions, et lui-même, poussé par cet esprit d'indépen- dance, et peut-être aussi par humilité, s'était fait repré- senter plus laid, plus humain ', alors que ses prédécesseurs se faisaient idéaliser et transformer en dieux-.

' Bénédite, MP., XIH, p. 20 sq., 25; sur celte reforme artistique, peut-être inHuencée par la Crète et la Grèce, Pétrie, Arts et métiers de l'ancienne Egypte, trad. Gapart, p. 28, 52,04; Jèquier, op. /., p. 284 sq. ; Revue des Idées, 1906, p. 636 sq.; Abraham, Amen'hot- pou IV, Psychoanalystische Beitràge zum Verstandnis seiner Per- sonlichkeit und des monotheistischen Aten-Kutus, Imago, oct. 1912.

Ex. Seti 1er était Jéjà d'un certain âge quand il fut proclamé; son portrait cependant lui prête les traits d'un jeune homme, Maspéro, Hist. anc. des peuples de l'Orient, 1, p. 438. On reconnaît le même principe d'idéalisation des traits individuels qu'au V': siècle grec.

143

Il en est de même en Grèce. A côté de Tart officiel et religieux qui sculpte les statues des dieux et des mortels consacrés aux dieux, qui répète les types traditionnels, l'art profane des céramistes s'inspire de la nature, aborde toutes sortes de recherches, qui, nous Tavons vu, ne pénétreront dans le grand art que plus tard. Au lieu de célébrer les athlètes dans leur état de gloire, il les met aux prises les uns avec les autres, se portant des coups violents, repro- duit avec fidélité leurs visages grimaçant de douleur ou de colère, leurs joues tuméfiées, leurs nez sanglants'...

Plus tard, dans Tart byzantin, on cherchera à donner aux personnages une dignité compassée; ils perdront leur individualité, leur caractère expressif, et encore, ce sera Tart profane qui, comme en Grèce, devra communi- quer à cet art hiératique son réalisme, et lui infuser une vie nouvelle-.

Il faut donc tenir compte, en étudiant l'expression dans l'art grec, de la catégorie sociale à laquelle appartient le mo- nument, dont le réalisme expressif pourra varier de ce fait.

' Deonna, A., II, p. 42, 44.

^ Kondakoff, Hist. de l'Art byzantin, H, p. 9 sq., 106 sq.; MP., III. 1896, p, 287; Deonna, A., II, p. 42, 43.

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44

MAGIE ET EXPRESSION DES SENTIMENTS

La vie des statues. L'enfant ne distingue point tout d'abord limage de la realité, et prête à toutes deux la même vie. \'o\'ant sur un tableau des personnes se rendant à Téglise. il demande le lendemain pourquoi elles ne sont pas encore arrivées à leur but'. Il anime les objets inertes, auxquels il attribue le mouvement qu'il leur communique lui-même-. Après avoir tracé un dessin, il oublie qu'il en est l'auteur et prend vis-à-vis de lui la même attitude qu'il obsen-e, non seulement en face d'un dessin tracé par autrui, mais encore en face d'un objet réel ^.

On a rapproché avec raison cette mentalité de celle des pri- mitifs, tant anciens que modernes : elle permet entre autres de comprendre la signification des peintures quaternaires, dont l'image, pour l'artiste paléolithique qui les traça, se confond avec la réalité, et lui donne pouvoir sur les animaux qu'il chasse.

Mais cette crovance est universelle, et partout, dans les superstitions antiques comme dans celles de nos jours, on

' Sully, Etudes sur l'enfance, p. 434. * fbid.. p. 44, i35, iS-, 437-8.

' Luquet, Les dessins d'un enfant, p. (^4; id.. Le problème des ori- gines de l'art, Rev. pliilosoph., 1913, p. 472, note 2.

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trouve d'innombrables exemples de cette vie prêtée aux objets inanimés. Les menhirs, les dolmens, les pierres brutes, dont beaucoup ne sont que des hommes pétrifiés, se déplacent ' ; les trépieds forgés par Héphaistos étaient automobiles-; les sarcophages chrétiens, contenant des morts illustres, se promenaient à leur gré, refusaient de bouger sans leur consentement, broyaient la main de l'im- prudent ou du sacrilège qui osait s'appuyer sur eux^; sur les tombes de certaines peuplades demi-civilisées actuelles, la cuiller, habillée en poupée, est animée de mouvements convulsifs"*...

Il en est de même pour les peintures, les statues. Elles ne sont point « d'immobiles images, toujours debout sur leur base 1^ '", elles se conduisent comme tout être vivant, en chair et en os.

Elles vont elles veulent, sans qu'aucune force humaine ne puisse les en empêcher, elles reviennent quand bon leur semble, comme ces statues de saints qui in- diquent aux fidèles l'emplacement doit s'élever leur

Sébillot, Le Folk Lore de France, IV, p. 17: RA., iSqS, I, p. 348 sq. ; Reinach, Cultes, III, p. 411 sq.;Tylor, Civilisation primitive, I, trad. Brunet, p. 404, note; II, trad. Barbier, p. 210 sq.

■^ Perrot, HA., 7, p. ii3.

' GA., i885, p. 374-5.

■* Tylor, op. L, II, p. 197, 204.

^ Pindare, Ode à Pythéas.

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église', comme cet homme de bronze, Talos, qu'avait forgé Héphaistos, et qui faisait en une journée trois fois le tour de la Crète^, comme les statues vivantes des Rhodicns, ou comme celles de Dédale qui marchaient^. Devons-nous re- connaître dans ce dernier cas une expression hyperbolique de radmiration excitée par les progrès de la statuaire qui, par de lents progrès, avait su détacher les bras et les jambes collés ensemble, et donner au corps inerte une apparence plus vivante^? non, on retrouve plutôt dans cette légende le souvenir de la croyance à la vie des statues, dont on con- naît d'autres exemples en Grèce ^.

Cette vie se traduit de mainte autre manière. Elles agitent les bras : n'est-ce point par TetTet de cette croyance que, sur un vase du VI'' siècle, le Palladion près duquel se réfugie Hélène épouvantée, n'est pas immobile, mais la couvre de sa protection'"'? que, sur un lécythe, le lion d'une stèle semble s'animer et poser sa patte sur l'otTrande pré- sentée par une jeune lîUe, comme pour l'agréer' ? que le sphinx, sur sa colonne, dresse la patte vers un éphèbe*?

Les statues hochent la tête en signe d'assentiment ou de re-

' Sébillot, op. /., IV, p. 12 1.

- Cf. autre explication de ce mythe, RHR., iqi3, p. 71.

* Lechat, SA., p. 3.

■• REG., 1894, p. 348; Tvlor, op. /., I, p. 32o; Pottier, Diphilos, p. 3i.

* Weinreich, Antikc Heilungsnninder, p. i38, note 5; Deonna, A., I, p. 199, réf.; à Madagascar, Tylor, op. /., II, p. 221, 222.

« RA'., iSgC, II, p. 88.

' CoUignon, Strena Helbigiana, p. 42-3; id.. Statues funéraires, p. io3.

® Pottier, CV., III, p. io32.

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fus ^. Elles parlent pour faire connaître leur volonté -, et cela devient chez les auteurs grecs un exercice littéraire que de donner la parole aux œuvres célèbres, par exemple au lion funéraire qui veillait sur la tombe de Léonidas^. Elles transpirent : peu avant sa mort, Alexandre vit avec effroi THéraclès Epitrapézios de Lysippe, dont il ne se séparait jamais, tout en sueur sur sa table"*. Mais elles sont aussi sujettes à toutes sortes de jeux de physionomie : elles pleurent, sourient^ ou rient aux éclats, ouvrent ou ferment les yeux, regardent à droite et à gauche, lancent des regards terribles ou bienveillants^, des rayons de lumière', et la suggestion personnelle ou collective, les hallucinations, comme aussi les fourberies, se superposant à la vieille croyance primitive à la vie des statues, contribuent à pro- duire de nos jours encore ces cas bizarres "*.

' Foucan, Hist. des religions et méth. comparative, p. 352; SittI, Gebdrden der Griech. und Rômer, p. 343. - Cf. à Madagascar, Tylor, op. L, II, p. 221.

* Strena Helbigiana, p. 43. Sur cet exercice littéraire, ci-dessus, p. ii3.

* Collignon, Lysippe, p. 61. '" SittI, op. /., p. 344.

" Tylor, op. /., II, p. 218 sq., 223, 224 note i (référ.i: Sébillot, Le Folk Lore de France, IV, p. 160 sq., i65, 166 sq.; Reinach, Cultes. IV, p. 112; Saintyves, Les reliques et les images légendaires. Les images qui ouvrent et ferment les yeux, p. 84 sq.; Weinreich, op. /., p. 146; Maspéro, Etudes de mythol. et d'arch. égypt., I, p. 77 sq., 319; regard foudroyant d'Isis, Amélineau, Essai sur le gnosticisme égyptien, p. 143 ; regard fécondant, Hariland, The legend of Perseus, I, p. 142 sq.; Saintyves, Les Vierges Mères, p. 228, note 2, etc.

^ Croyance devenue dans la suite simple métaphore littéraire, ex. : les étincelants rayons des yeux de Théoxène, Pindare.

* Saintyves, Les reliques, p. 89, 94. Sur la suggestion déterminant certains jeux illusoires d'expression, ci-dessus, p. 34.

148

Souvent on avait recours à de pieux subterfuges pour assurer la vie de l'image, et l'Egypte ancienne la statue était mue par les prêtres que Ton cro3^ait inspirés par la divinité', la Grèce^, la religion bouddhique, comme le christianisme^, en donnent des exemples. Aujourd'hui encore, on vend des images truquées de Christ, les prunelles sont peintes sur les paupières : elles donnent l'illusion que les yeux s'ouvrent et se ferment alternative- ment quand on les regarde pendant un certain temps*.

On comprend que l'homme ait agi envers ces êtres vi- vants, quoique de pierre ou de bois, comme vis-à-vis de ses semblables. On les battait sans pitié, quand ils n'accor-

* Statues articulées et parlantes, Foucart, Hist. des relig. et vieth. comparative, p. 354; Maspéro, Les statues parlantes de l'Egypte antique, Causeries d'Egypte, p. 167 sq. ; id., L'Egypte, 1912, p. 10: id.. Le double et les statues prophétiques, £'fuie5 de mytJi. et d'arch. égyptiennes, \, p. '/'j sq., 3 19.

^ Furtwangler, Collect. Sabouroff, II, 3, p. i i ; Heuzey, Catal. des figurines, p. 43-5 ; Pottier, Statuettes, p. it)7; ailes mobiles de My- rina, RCH, 1882, p. 5r,3.

^ Tylor, op. /.. II, p. 222 : dans les Mystères du moyen âge, statuette de la Vierge qui agitait la tète et les bras, et dont les veux se levaient au ciel, RA., 1891, II, p. 314.

" Saintyves, op. /.. p. 98.

149 daient pas les désirs des fidèles ^ on les jetait dans Teau la tête la première-...

Mais, pour réfréner cette force inquiétante, on avait aussi recours à divers moyens préventifs, dont le plus simple était d'enchaîner la statue^. Telles étaient les œuvres de Dédale. En Chine, un artiste peignait des chaînes à ses peintures pour les empêcher de partir \ A Rome, la statue de Saturne, placée dans l'Aerarium, avait les jambes liées par un fil de laine, que l'on déliait à la fête des Saturnales, au moment les fers des esclaves tombaient et leur don- naient une liberté passagère ; d'où l'expression : « Deos laneos pedes habere »^.

Cette croyance explique maints rites curieux, tels qu'en Egypte l'ouverture de la bouche et des j^eux du mort, que Ton pratiquait soit sur la momie, soit le plus souvent sur la statue, support du double ; on frottait les lèvres et les yeux avec de la chair saignante, pour la mettre en appétit ; on faisait le simulacre de lui ouvrir la bouche et les yeux avec des instruments, et tout cela nécessitait di- vers rites soigneusement déterminés''. Aussi, détruire lasta-

' Weinreich, op. /., p. 148, note i. ^ Sébillot, op. /., IV, p. 166 sq. ^ Weinreich, op. /., p. 146.

* Bushell, Ai't chinois, p. 822, note i.

* DA., s. V. Saturnus; GA., 1873, p. 82.

® Maspéro, Etudes de mythol. et d'arch. égyptiennes, I, p. 283 sq. Le rituel du sacrifice funéraire (p. 289 sq.); id., Hist. anc, I, p. 180; Foucart, Hist. des relig. et méth. comparative, p. 412, note i, 427; Moret, Mystères égyptiens, p. 3o, 297.

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tue était détruire en même temps le double, et de nos jours encore, pour empêcher le Kà, devenu démon suivant un pro- cessus do renversement des valeurs bien connu', de causer du mal aux survivants, les fellahs mutilent les statues-. Le christianisme connaît une pratique analogue à celle de l'ouverture de la bouche et des yeux de la statue, celle du baptême chrétien qui donne la vie spirituelle aux enfants. Comme dit le Psalmiste (Psaume CXIII) : « Ils ont des yeux pour voir et ne voient point, des oreilles pour entendre et n'entendent point... » ; ils ressemblent à ces statues hu- maines qui ont des sens pour percevoir, et des membres pour agir, mais qui sont inertes, tant que la consécration, ici le sel et Thuile du baptême, ne les ont point éveillés à la vie^. Comment douter dès lors que les dieux ég3'ptiens, que Prométhée, que Dieu, que Jésus enfant, aient insufflé la vie à Thomme ou à des oiseaux modelés dans l'argile ?

^

Influence de cette croyance sur l'art. On conçoit que cette croyance ait exercé une influence importante sur les formes plastiques, dont j'ai donné ailleurs des exemples

' Cf. sur ce processus par lequel ce qui est bon ou propice devient mauvais et néfaste, Deonna, Un châtiment domestique : tirer l'oreille, Nos anciens et leurs œuvres, Genève, 1914.

■■* Maspéro, Etudes de myth. et d'arch. égyptiennes, I, p. 7 sq., 48 sq., 91.

^ Didron, Les cérémonies et les fonts du baptême, Annales arch., V, 1S46, p. 21 ip. 25).

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convaincants \ Elle explique leur présence ou leur absence : l'absence de la figure humaine à certaines époques de Tart, parce que, à la suite de la confusion faite entre la réalité et Fart, rimage magique donne le pouvoir de réduire à sa merci Tétre vivant dont la silhouette est tracée^. Elle explique la rareté des images viriles, et l'abondance des images fé- minines et animales dans l'archaïsme grec. Elle explique aussi certaines conventions curieuses de l'art primitif : si dans de nombreuses figurines primitives, l'artiste a omis d'indiquer les jambes, ou s'il les a collées l'une contre l'autre, ce n'est pas seulement par simplification technique et inexpé- rience, mais aussi peut-être dans l'intention bien nette de les rendre immobiles et innocentes : l'enfant trace un bon- homme dont les jambes se rejoignent en bas, et dit que les pieds sont attachés pour qu'il ne puisse s'en aller^. C'est pourquoi encore des statuettes de rEg3^pte préhistorique ou les animaux de certains hiéroglyphes ont les pieds coupés"*.

C'est seulement quand cette superstition s'atténue que ces formes deviennent possibles, ainsi que l'a dit M. Pot- tier à propos de l'apparition tardive de la figure humaine dans le décor ancien^. Le portrait fidèle n'apparaît que tard dans l'art grec ; les raisons en sont-elles uniquement tech- niques ou esthétiques^, ou ne faut-il pas tenir compte de

' A., I, p. 197 sq.

'' Ibid., p. 197-8; Mém. de la Délégation en Perse, XIII, p. 5i. " Luquet, Les dessins d'un enfant, p. bb. ■* Deonna, A., I, p. 200 (référ.).

* Mém. de la Délégation en Perse, l. c. Cf. le geste de la jambe croisée, Deonna, A., I, p. 2o5. ® Inexpérience technique, idéalisme du Ve siècle.

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Tobstaclc apporte au réalisme des traits par la crainte ma- gique du portrait, commune à tous les peuples' ?

Les considérations qui précèdent sont nécessaires pour comprendre certains détails expressifs de Tart antique.

M

L'œil. 11 est inutile de rappeler la croyance à la puis- sance magique du regard qui, depuis l'antiquité la plus reculée, subsiste encore de nos jours, et qui a été maintes fois étudiée. Les dieux homériques fascinaient leurs adver- saires-; le regard de la Gorgone, des hommes scorpions chaldéens^, des sorciers S tuaient, comme aussi celui de cer- tains animaux auxquels on accorde ce pouvoir depuis Tantiquité, lion, crocodile, basilic, salamandre, crapaud, serpent, etc. ^ Souvent l'œil de ces êtres dangereux otlVe une apparence spéciale : la pupille des sorciers est double'", et porte parfois la marque de Satan ^. Notre langage fait inconsciemment allusion à cette puissance fasci-

' Deonna, A., I, p. 199.

'^ REG., 1894, p. 9; cf. ci-dessus, p. 147, note 6.

^ Maspéro, Hist. anc, I, p. 584.

* Melusine, V, 1890-1, p. 154 sq., 172 sq., 175 sq.

' En Egypte, Maspéro, Et. de inyth. et d'arch. égyptiennes, II, p. 417-8, ex.: riche nomenclature de celte faune fascinatrice dans Melusine, IV, p. 473, 481, 570; V, p. 16, 18, 21 ; Sébillot, Le Folk Lore de France, III, p. 263, 268 sq.

' Melusine, V, p. 25 1 ; IV, p. 25, 33, 79: sur rame pupilline, Mon- seur, RHR., 1905, p. i sq., 3ôi sq.

^ Melusine, IV, p. 81.

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natrice du regard, en parlant de regards foudroyants, et jadis déjà Fauteur d'une épigramme de l'Anthologie disait de TEros de Praxitèle : « Il lançait des charmes, non point avec ses flèches, mais avec son seul regard » ^

En effet, les statues, qui possèdent la vie, ont aussi ce pouvoir magique, telles les images d'Arte'mis de Pellène, d'Artémis Orthia- en Grèce : c'est pour éviter le danger d'être fascinés que les fellahs de Mariette s'enfu3^aient de terreur en voyant surgir des tombes de Saquarah les statues au regard fixe et brillant^.

Si dans Fart archaïque certains personnages et certains animaux présentent leur tête de face sur un corps de profil, ce n'est pas seulement qu'il s'agit d'un stade nécessaire de l'évolution artistique*, c'est aussi afin de diriger le regard puissant sur le spectateur. L'art chaldéen a une tendance de montrer les visages des dieux de face, comme pour bien fixer les yeux sur le fidèle qui paraît devant eux, et lui imposer le respect par la puissance de ce regard ici bienveillant'. De même, sur les vieilles stèles laconiennes, le défunt héroïsé dont le corps est vu de pro-

' Collignon, Lysippe, p. 69. '■* Mélusine, II, p. 241. =• REG., 1895, p. 443.

* Deonna, A., II, p. 2ho sq.; RA., 1910, i, p. 23o sq. ^ Portier, RAAM., 1910, 2, p. 421-2; regard du dieu dirigé sur les adorants, Sittl, op. /., p. 343.

i.->4

tîK tourne sa tête de face vers le spectateur. « Les pieux auteurs des monuments voulaient que son oeil reposât sur eux avec une expression de douceur et d'atVection, oubliant qu'ils avaient déjà leurs propres représentants dans les petites figures du relief, que le héros eût plutôt regar- der » ^ C'est le même désir de prophylaxie qui, dans l'ar- chaïsme oriental et grec, tourne de face les têtes des animaux-, et c'est encore pourquoi la tête de Gorgone, celle des Silènes, en un mot celles des apotropaia, sont, dès le début, dirigées de face^. D'autre part, j'ai montré que dans certaines occasions, on évite de placer ainsi la tête, pour que l'être humain ou animal ne dirige pas son regard sur le spectateur"*.

L'enfant n'éprouve pas la même crainte magique que les primitifs, aussi, à part quelques exceptions, n'omettra-t-il pas d'indiquer l'œil de ses bonshommes^. Mais l'artiste primitif a d'autres préoccupations, et peut craindre qu'en donnant à l'image l'organe de la vue, il ne lui communique

* Furtwàngler, Coll. Saboitroff, I, texte, pi. I ; la tète des héros, sur les reliefs votifs montrant des repas funèbres, est souvent tournée de face vers le spectateur, cf. F'urtwangler, ibid., l, pi. XXX, XXXI.

■'' Pottier, op. !., p. 426.

' RA., 1910, I, p. 284; Délia Seta, op. /., p. 3o sq., 32.

■• Ibid., p. 233-4; Deonna, A., I, p. i<)g.

* Sully, op. L, p. XXXI, 468; Deonna, A., I, p. 200, note 10; Rcja, L'art chej les fous, p. j5; cf. toutefois Luquet, Les dessins d'un enfant, p. 126-7.

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un pouvoir dangereux pour lui. On raconte qu'un peintre •chinois savait donner aux figures qu'il peignait une telle intensité d'expression, qu'il n'osait achever de leur prêter la vie, en leur peignant des yeux, de peur de les voir s'ani- mer et sortir de la toile. Un autre peintre chinois laissait toujours ses dragons incomplets et ne traçait pas les yeux. Un jour, défié par des incrédules, il indiqua d'un trait les prunelles de deux dragons sur une fresque. Mal lui en prit : les murs s'écroulèrent, et les créations du peintre, s'étant animées, s'envolèrent dans les nuages. On songe aussitôt à ces statues de la Grèce primitive, qui, disent les textes, étaient privées d'yeux. Etait-ce uniquement par dif- ficulté technique? L'œil n'est pas indiqué dans nombre de monuments primitifs d'époques et de pays divers ; sans doute, il pouvait être peint, mais on peut admettre aussi que ce détail était omis volontairement, par suite de la double crainte : celle de l'œil fascinateur, et celle de voir s'animer tout à coup la statue '.

C'est sans doute à cette croyance qu'il faut faire remonter le procédé universel de peindre les yeux des statues, afin de donner au regard la vie qu'il a dans la réalité. On sait le soin que l'artiste ég}'ptien a mis à rendre d'une façon sai- sissante cette intensité du regard, surtout dans les œuvres

^ Sur ces détails, Deonna, A., I, p. 200.

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soignées ^ : que Tart égéen -, puis Tart grec, n'ont pas négligé ce détail, dont l'emploi s'est maintenu dans toute Tanti-- quité ^, et dont la disparition modifie souvent l'expression de la physionomie. M. Homolle vante un fragment de tète féminine en terre cuite de Delphes, de la première moitié du V^ siècle : *< Je ne connais pas, dans toute la série des jeunes filles de l'Acropole, front plus pur et veux plus adorables >■*. Que l'on regarde les vases en forme de tète, les bustes en terre cuite de Sicile-'^, l'œil a souvent conservé toute la fraîcheur de ses couleurs, on comprendra l'importance que devait avoir cette indication, surtout pour des primitifs. Mais avec le temps, cette préoccupation magique disparut, et l'on ne chercha plus dans la peinture des yeux qu'un moyen de traduire le réalisme de la vie, avec une technique de plus en plus ralfinée, par exemple en piquant l'iris d'un léger point noir en relief, qui forme un centre lumineux destiné à donner plus de vie au regard"', ou en indiquant même le reflet de la lumière sur l'iris.

' Coll. Barracco, II, pi. 12.

- Idoles enéolithiques, AM., XVI, p. 41^; vase de Crète, en tête humaine, avec œil peint énorme, Baumgarten, Die Hellenische Kultur (3), p. 41, Hg. 46.

' Ex. Ephebe blond, Corés, frontons d'Egine, d'Olympie, etc. ; sur la disparition de la peinture, modifiant l'expression, ci-dessus, p. 45.

■• RAAM., 1901, 2, p. 374, fig., p. 377 ; Deonna, Les statues de terre cuite en Grèce, p. 40.

^ MA., VII, p. 249, 25i, ex.

'' Cratère polygnotéen d'Orviéto, .\1G., II, n"-^ 23-4, p. 24.

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Au lieu d'être peint, l'œil peut être rapporté en une autre matière, dont Téclat sert à vivifier le regard. Ce procédé est universel et remonte aux origines mêmes de Tart, puisqu'on en trouve des exemples dès Tépoque paléolithique et néoli- thique', et il faut admettre, comme le montre M. Foucart pour les statues égyptiennes, qu'il est d'origine magique. « On sait combien est fréquente, dans la sculpture des non- civilisés, cette préoccupation de donner aux regards des sta- tues l'illusion de la vie du regard des vivants, au moyen d'ar- titices plus ou moins parfaits (éclats de pierre, clous de bois poli, de métal, fragments de miroir, etc.). Le but commun, pour ces images comme pour celles des Egyptiens, semble bien être non l'imitation plastique de la vie, mais le désir de munir la statue d'une force magique lui permettant de se défendre contre les « esprits mauvais », et le tout se rat- tache à la théorie magique de la force du regard»-. Plus tard, comme pour l'œil peint, ce ne fut plus qu'un procédé de réalisme, pour imiter la vie et animer l'expression. Com- bien vivante et intelligente l'expression que les yeux en émail brillant donnent à la tête de Sophocle vieux du Vatican, et quel contraste entre ce regard plein d'ardeur et les chairs flétries du visage^! L'expression de convoitise qu'on observe sur la tête de Sat3i'e en marbre rouge du Vatican est accrue par l'éclat des yeux en verre \ et dans l'éphèbe de Pompéi,

' Deonna, A.. II, p. 209 sq., ex. à diverses époques.

- Foucart, Hist. des religions et méth. comparative, p. 33 1, note.

' Helbig-Toutain, I, p. 181. Cf. en Egypte, les yeux d'émail in- crustés entre les paupières des momies, les yeux factices aux prunelles d'or, Maspéro, Et. de myth. et d'arch. égypt., I, p. 280; GBA., 1908, I, p. 128.

' Helbig-Toutain, I, p. 174.

i?S

Vœ\\ en pâte de verre blanche, avec l'iris et la prunelle en émail noir, conimunique au regard ime singulière intensité de vie '.

On pouvait aussi illuminer à Tinterieur les orbites creu- sées de certaines statues religieuses, et par ce moyen factice, donner aux fidèles rillusion de Tèclat lumineux du regard divin-.

On retrouve la croyance magique à la force du regard dans la vieille convention par laquelle Tartiste représente l'œil de face dans une tète de profil. VAlc est universelle, et apparaît dans toutes les périodes d'inexpérience technique. Mais il se pourrait que les primitifs y aient attaché encore la même idée magique que nous venons de voir. Comme on Ta dit: « L'œil humain perd toute son importance comme reflet de Tàme, s'il n'est pas vu de face. De là, la nécessité absolue pour Tartiste de dessiner Tœil sous cet aspect, même lorsqu'il ne donne que le profil du visage i)^. Il faut le mon- trer dans sa plus grande dimension, tel qu'il se présente lorsque la tête est vue de face, parce que de la sorte s'établit un lien entre le regard de l'image et le spectateur"*.

' RAAM., 1901, 2, p. 218, fig.; i\lA., 10, pi. XXIII-VI. - RM., 1SS7, p. 95. ■"' Collection Barracco, p. 3.

* Délia Seta, Gencsi dello Scorcio, p. 40 sq. ; RiegI, JOAI., 1906, p. 12-3; Deonna, R.A.., 1910, I, p. 234.

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Enfin cet œil, celui des statues ou des peintures, a sou- vent des dimensions énormes et disproportionnées avec le reste du visage. C'est une tendance naturelle à tous les

artistes inexpérimen- tés (fig. 2-]), qu'ils soient des enfants , des primitifs anciens ou modernes, et c'est pourquoi cette con- vention apparaît de nouveau dans les arts en décadence, par exemple à la fin du monde romain^ : on considère cet organe comme le plus impor- tant dans le visage, et Ton ne se soucie pas de le coordonner avec les autres parties-. Ce pouvait être aussi une simple mode que d'agrandir les yeux. Comme les femmes coquettes de nos jours, les Egyp- tiens agrandissaient leurs yeux avec des fards, et sur les

FiG. 27. Fragment de poterie ibérique

* Ex. tètes du temps de Constantin, entre autres traits d'archaïsme, RM., 1901, p. 5o-i, fig. 2-3, p. 54 ; cf. Deonna, A., II, p. i55 ; III, passim, cf. la table (œil).

^ Pottier, CV., I, p. 228; Milliet, Mélanges Nicole, p. 363. Comme ex. entre autres, vase en tête humaine de Crète, Baumgarten, Die Hellenische Kultur (3), p. 41, fig. 46. Sur le manque de coordination dans l'art, Deonna, A., II, p. 456.

' Paris, Promenades archéologiques en Espagne, pi. XXIV.

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monuments on aperçoit dans ces yeux étires à Texcès l'imi- tation de cette mode'. Déjà au Y" siècle grec, les yeux lar- gement ouverts passaient pour un indice de coquetterie provocante, et Prodicos attribue ce trait à la mollesse et au vice. Les peintures de Pompéi-, du Fayoum^, les mo- numents d'Antinoé"*. ont des yeux grand ouverts, sou- vent la pupille mange tout le blanc.

Mais peut-être que déjà dans ces cas on pourrait décou- vrir le souvenir, conscient ou non, de la force magique du regard, d'autant plus efficace que Tœil est plus grand. Le poulpe prophylactique, qui joue un rôle considérable dans l'art de la Grèce préhellénique, a un œil énorme, et de nos jours encore la croyance populaire dit que son regard attire le nageur épuisé^. C'est Tœil terrifiant de la Gorgone, qu'Homère compare à celui d'Hector combattant, dilaté par la colère*"'. Peut-être aussi que les épithètes si discutées de /Sc">')-£c, ■y/.7'.v'/.ô)rAi. données par les anciens à Héra et à Athéna, faisaient allusion à la grandeur des yeux de ces divi- nités et à la puissance de leur regard".

' Capart, Débuts Je l'art, p. 23 sq., 29 (rôle pratique et aussi ma- gique).

•^ Millier, op. /., p. SOq.

' JDAI., 1905, pi. I-JI.

Annales du Musée Guimet, XXX, 2, pi. \' : 3. pi. VIII. etc.

' Melusine, IV, p. 489.

'' Helbig, Epopée homérique, p. 499 : Perrot, HA., 7, p. 116; cf, l'œil largement ouvert dans la frayeur, Darwin, L'expression des émotions (2), p. 3i3, 3 14, 32 5.

^ Reichel, Bow-tç, JOAI., 1910, p, 9 sq. ; sur les diverses interpré- tations de ces termes, cf. Overbeck, Griech. KiinstmythoL, Héra, p. ("14, 74: REG.. 1903, p. 12 sq.; Pottier, BCH., 1908, p. 329 sq.

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Dans une étude récente, M. S. Reinach a montré que le rwe, à certaines époques et dans certaines occasions, et non seulement dans l'antiquité, mais aussi dans les temps mo- dernes, a pris une signification rituelle et magique, dont il a donné maints exemples auxquels on renvoie ici ^ En Egypte le rire grimaçant de Bès, un des rares t3'pes plastiques de ce pays dont les traits soient expressifs, jouait un rôle magique contre les forces malfaisantes de ce monde et de Fau-delà^; il était seul capable de dérider Tac- couchée dans les douleurs de l'enfantement, et c'est à ce titre qu'il figure dans l'entourage d'Isis au moment de la naissance d'Horus. Tel est encore le rire hideux de la Gor- gone (Jîg. 28) ; et l'on sait que les masques comiques, dé- posés dans les tombes^, devaient rompre, par la puissance magique du rire empreint sur leurs traits, les influences funestes du tombeau*.

' Le rire rituel, Cultes, IV, p, 109 sq. ; cf. le rire des dieux homé- riques, REG., 1894, p. 19, 24, 26.

* GBA., 1908, II, p. 320; sur Bès, Ballod, Prolegomena :^ur Ge- schichte d. pverghaften Gbtter in Aegypten, iqi3.

' Ex. masques puniques, RAAM., 1899, II, p. io2-3, fig.

* Pottier-Reinach, Nécropole de Myrina, p. 468.

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On connaît aussi la puissance créatrice et magique des Ij>-i)il's divines' : les larnies des pleureuses à gages, qui n'ont pas disparu partout-, ne sont-elles pas la survivance des larmes rituelles^, une sorte d'incantation chargée d'éloigner du défunt les mauvaises influences durant son voyage dans rau-dehVr Le Blant, dans sa curieuse étude sur Les larmes de la prièi"e ))^. a montré avec quelle abon- dance elles coulaient dans le christianisme primitif. De même que Christ avait pleuré sur Lazare, de même les fidèles s'etTorçaient de verser des larmes, marque d'une chaleureuse oraison; des larmes sans paroles valaient mieux pour eux que des paroles sans larmes. Ne retrouve- t-on pas distinctement dans ce trait la croyance à leur vertu fécondante ?

Ce sont bien d'autres expressions qui ont cette valeur magique.

Quand un animal en attaque un autre, se met en colère, ou a peur, il cherche à se donner un air terrible

' Reinach, op. L, p. ii3; larmes créatrices de Sophia dans les textes gnostiques, Amélineau, Essai sur le gnosticisme égyptien, p. 3o4, et passim; donnant naissance à des plantes, des êtres divers, Saintyves, Les Vierges Mères, p. 6y; Joret, Les plantes dans l'anti- quité et au moyen âge, I, p. 25().

^ Saintyves, Les saints successeurs des dieux, p. tji sq.

^ Reinach, op. /., p. 127.

' Saintyves, op. /., p, 64; cf. larmes de sainte Geneviève, détermi- nant un miracle, ibid., p. 404.

•' G.A., 1875, p. 73 sq., cf. le moine Schnoudi, .Amélineau, Vie de Schnoudi, p. 65.

FiG. 28. Tête de Méduse, VI^ s. Athènes, Musée de l'Acropole.

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en hérissant son poil, en découvrant ses dents*, et sans doute que l'habitude de Thomme de montrer les dents dans la colère est un reste de l'habitude ancestrale de se battre à coups de dents, comme les animaux-. Les dieux et les héros homériques grincent des dents... ^

L'effrayante Gorgone retrousse les lèvres et découvre une formidable denture à longues canines (Jig. 28); dans FOdys- sée, chacune des six têtes de Scylla est armée, pour paraître plus redoutable, de trois rangées de dents'*; le masque de Manducus des Atellanes terrifiait les spectateurs de ses dents aiguës^, et aujourd'hui encore, les Papous utilisent contre leurs ennemis des masques analogues".

Dans le même but, pour effrayer l'adversaire, pour lui témoigner son mépris, on tire la langue ^ La Gorgone, non contente de montrer ses dents aiguës, tire une langue dé-

' Darwin, L expression des émotions (2), p. 63, i38.

- Ibid., p. 259; de même, découvrir la dent canine, ibid., p. 266; Mantegazza, La physionomie et l'expression des sentiments, p. 144; explication combattue par Dumas, qui ne voit qu'une simple réac- tion mécanique, Le sourire, p. 116, i52.

* REG., iSy4, p. 8, note 3; Sittl, of . /., p. 16, 43, autres ex.; Dar- win, op. /., p. 73, 78.

* Helbig, Epopée homérique, p. 53o.

^ Nécropole de Myrina, p. 483, note 4. ^ Hirn. Ursprung der Kunst, p. 269.

' Darwin, op. /., p. 280; Cuyer, La mimique, p. 178, 212; Mante- gazza, op. /., p. 146: Hirn, op. /., p. 267: Sittl, op. L, p. 90, 117.

l()()

mcsurcc. >.]Lie Ton aperçoit encore sur les urnes allemandes à visages', sur les faces des démons étrusques, des Bès égyptiens, sur les masques en terre cuite archaïques de Sparte... - Nos polissons, qui tirent la langue par injure, continuent un geste qui était autrefois magique, mais qui s'est laïcisé au cours du temps. sui\ant un processus géné- ral d"évoluti(Ml^.

Entin la laideur des traits a une valeur magique, et, comme tout ce qui est répugnant, sale'', écarte les mau- vaises influences. C'est poui"quoi les nronstres chaldéens ont des faces hideuses •'^, et la Gorgone, les Satyres et les Silènes, des tigures bestiales. On dépose dans les tombes des figu- rines grotesques qui, par leur laideur et par le rire que celle-ci soulève, écarteront du défunt tout mal*"': et c'est encore ce rôle prophylactique qui peut expliquer certaines caricatures hellénistiques'.

' Hoernes, Urines chic h te J. bilJ. Kunst in Eiiropa, pi. XV'III. 4, 6,

p. 5l2.

- Annual of the Bril. School at Atlicns, 1905-6, XII, pi. .\. XI. p. 340 sq.

" Reinach, Cultes, \\\ p. 120, ex.

* Melusine, \l\\, p. 234.

* Maspéro, Hist. anc, 1, p. (')32.

" Pottier, Statuettes, p. 124; Nécropole de Myrina, p. 46Ô. " Waca, Anuiul of tlie Brit. School, X, p. 109, ii3; Pottier, /)/f/n7o5, p. rp.

C. CONVENANCES SOCIALES ET EXPRESSION DES SENTIMENTS !

Il est nécessaire de tenir compte, non seulement de la catégorie sociale à laquelle appartient le monument, mais aussi du rang qu'occupe le personnage représenté, qui in- fluera sur l'expression du visage^. En effet, les règles de la société exigent des gens haut placés une réserve, une tenue, dont les petites gens ne se soucient point.

On distinguera donc les monuments suivant qu'ils re- présentent des dieux ou des mortels, des mortels de haut rang ou de classes inférieures, des hommes ou des femmes, des hommes ou des animaux.

o^^^

Cette distinction s'observe déjà dans les attitudes. D'une façon générale, et ceci non seulement dans l'antiquité, mais aussi de nos jours, les classes supérieures de la société observent une plus grande pondération dans leur maintien, car les attitudes et les gestes désordonnés leur paraissent être

' Deonna, A., II, p. 82 sq.

- I70

rindice d'une mauvaise éducation '. Cette modération, les Grecs l'exigeaient de tous les arts, et Platon disait de la danse : « Elle doit rechercher les attitudes nobles et les mouvements tranquilles, qui maintiennent entre les parties du corps des rapports harmonieux, et fuir l'agitation désordonnée ainsi que l'imitation des êtres contrefaits et ridicules. >^ Si l'on examine à ce point de vue les mo- numents de Tart grec, on verra que l'artiste a toujours réservé les attitudes violentes et contorsionnées aux types qu'il considérait comme inférieurs, et qui pouvaient l'être de façons diverses : par leur origine, comme les Sa- tj'res, les Silènes, Antée, êtres rapprochés de la bestialité; par leur condition sociale, hommes du commun, joueurs de flûte, danseuses, courtisanes, esclaves ; par leur ph3'sique même, vieillards, êtres contrefaits, dont la laideur physique est une tare que les anciens identifiaient souvent avec la laideur morale -.

Les Satyres et les Silènes, sur les vases grecs, marchent à quatre pattes comme les singes dont ils descendent, pren-

' Wundt, Volkerpsychologie, III 121, p. 164: Sittl, op. /., p. 7.

^ C'est pourquoi les êtres méchants et malfaisants, les démons, sont laids: les caractères bas, dans la comédie, se trahissent par des masques grotesques. MG., I, 5, 1876, p. Sg ; partout, les traîtres sont repoussants (Judas, etc.) ; comme la laideur est l'expression esthé- tique de la méchanceté, on dit à un enfant méchant qu'il est vilain, Melusine, VI, iSo2-3, p. 174.

171

nent des postures obscènes, dansent en agitant leurs mem- bres avec exubérance'. L'attitude du Silène Marsyas, sur le relief de Mantinée, est-elle « le symbole d'un art violent qui recherche ses etfets surtout dans Témotion passionnée et ne craint pas de demander au mouvement physique un surcroît d'exaltation » ^? Mais non, cette agitation ne carac- térise que le rang social du Silène, car de tout temps la peinture de vase, comme la sculpture, a aimé opposer à l'allure débraillée de ces êtres inférieurs le maintien plein de dignité des Grecs de noble race^, qui auraient cru déchoir que de les imiter. Qu'on se rappelle encore le récit biblique de la danse de David devant l'arche : la femme du roi, regardant par la fenêtre et apercevant ses gestes désordonnés, en conçut du dédain; pour Renan, cette légende paraît répondre « à l'antipathie pour les dé- votions jahvéiques, et à l'espèce de respect humain qui empêchait les gens du monde de s'}' livrer « \

C'est pourquoi, dans l'art égyptien, les images des pha- raons sont raides et graves ; alors que l'ouvrier a donné

' Sittl, op. /., p. 298.

' BCH., 1888, p. iii.

" Mouvement très violent des Satyres, caractéristique du style de Brygos, Hartwig, Meisterschalen, p. 809; cf. vase de Berne, RA., 1910, I, p. 284.

* Renan, Hist. du peuple d'Israël, II, p. 57-8: Maspéro, Hist. anc. des peuples de l'Orient, II, p. 729,

aux esclaves, aux paysans, aux danseuses, aux animaux, une liberté beaucoup plus grande et a suivi de plus près la nature. Lange croit que les anciens ont attribue à la fron- talité ijîg: 2g ', indépendamment des nécessites techniques, une signification morale : c'était, pense-t-il, l'attitude la plus digne pour des êtres supérieurs, et les infractions que Ton relève s'expliquent parce qu'il s'agit d'êtres inférieurs, esclaves, nègres, etc.'.

Les anciens ont attaché une idée de dignité morale et sociale aux attitudes le corps est debout, droit-, alors que les attitudes abaissées, accroupies, couchées^, impli- quent une idée d'abaissement, de servitude. Vespasien disait : « Un empereur doit mourir debout » ; dans l'art grec, il semble que la même pensée traverse l'esprit de ces blessés, du « Vulneratus deficiens » de Crésilas^ des Ama- zones, qui, grièvement atteintes à la poitrine, trahissent à peine leur défaillance en s"appu}'ant sur un pilier.

En revanche, l'attitude orientale de l'adoration, l'on s'agenouillait, se prosternait devant l'être divin ou royal, paraissait aux Grecs indigne des hommes libres, et bonne

' Deonna. A.. II, p. S3.

' Lnna,e, IXirstellinif;^ des Menschcn, p. 10, 12, 196; Tœpiïtv, Essais de physiognomonie, p. 34; Deonna, A., II, p. 22, 872. ' Lange, op. /., p. XV sq., i3 sq. * Cf. guerrier de Bavai.

v

FiG. 29. Frontalité. Kouros de Naucratis \YU siècle)

17^

pour les barbares ^. La position accroupie est réservée aux Silènes éhontés, dont les jambes écartées laissent voir le ventre et le sexe '\ aux nègres ^, aux pygmées, aux artisans ^, au jeune garçon, sans doute un petit esclave^, qui dans le fronton d'Olympie tient son pied dans sa main. Mais Aristophane, dans les Nuées, recommandait aux jeunes gens de s'asseoir les jambes allongées, afin qu'on ne put rien apercevoir de honteux, et, dans un mime d'Hérondas, une mère se plaint de son garnement de fils qui grimpe sur les toits et s'assied en écartant les jambes, comme un singe sur son perchoir*^.

Les attitudes couchées, qui apparaissent dans la pein- ture de vase bien avant d'envahir la plastique f/ïg: 26), sont données de préférence aux personnages du thiase bacchi- que, « ces êtres pétulants, qui s'abandonnaient volontiers et tout entiers à toutes les exigences de la nature et en par- ticulier au sommeil » \

Dans les frontons d'Oh'mpie, les personnages étendus à plat ventre sont sans doute des gens rustiques % et c'est

' DA., s.v. Adoratio, p. Si ; cf. le chien, qui se couche à terre, le ventre à l'air, pour exprimer sa soumission, Darwin, op. l. (21, p. 128; cf. stèle de Ménephtah, de Gournah : « Les princes s'aplatissent pour t'adresser leurs salutations ; pas un ne lève la tète parmi les barbares », RA., 1898, II, p. 263.

* Nombreuses figurines de terre cuite, sans doute prophylactiques.

' Ex. figurines hellénistiques, AM., X, pi. XI, 2, p. 383; AA., VII, p. 5o, fig. 70.

' Fondeur de bronze accroupi de face sur un escabeau, Buschor, Griecli. Vasenmalerei, p. 176, fig. 122.

' Lœwy, Griecli. Plastik, p. 19, 27; Deonna, A., II, p. 92.

^ REG., 1891, p. 224.

' Furtwàngler, Coll. Sabouroff, I, 3, pi. XC.

^ Lœwy, /. c. : Deonna, /. c.

la mC'inc attitude abandonnée que prend parfois Silène '. On pourrait citer maints autres exemples analogues, mais ce sont détails trop connus pour qu'il soit néces- saire d'insister, puisqu'aujourd'hui encore cette réproba- tion s'attache à la plupart de ces attitudes.

Souvent cette idée n'est pas primordiale, et ce n'est que petit à petit que l'attitude est devenue inconvenante, suivant un processus dont on trouve des exemples en bien des domaines-. La civilisation moderne nous en fournit un qui est t3'pique. Au moyen âge, le geste de croiser une jambe sur l'autre était le privilège des souverains et des grands seigneurs ^, et les gens des classes inférieures eussent commis une usurpation sociale que de le faire. Avec le temps, ce geste tomba en désuétude, mais l'idée d'incon-

' Vase, Furtwangler, Coll. Sabournff, I, 2, pi. LV.

" Comme l'a montré M. Reinach, certains gestes, qui avaient à l'origine une valeur magique, en perdant ce sens avec le temps, sont devenus des insultes. Reinach, Cultes, IV, p. 119. C'est ce que AM. van Gennep appelle « le pivotement du sacré »; c'est-à-dire, quand la croyance magique s'en va, l'interprétation se renverse et la marque, de favorable qu'elle était, devient dangereuse et néfaste. Cf. mon article. Un châtiment domestique : tirer l'oreille. Nos anciens et leurs œuvres, 1914. ex.

* Martin, Les enseif^nements des miniatures. Attitude royale, GBA.. 1913, I, p. 173 sq.

'77

venance subsista, et ce devint contraire aux bonnes mœurs que de croiser une jambe sur Tautre. Les « Civilite's » met- tent en garde l'enfant : k II n'est point honnête qu'estant assis, il tienne l'un genoux sur l'autre, et les jambes en croix... Aucuns sont assis avec cette mauvaise grâce qu'ils font passer la jambe par-dessus le genouil... Se seoir a3'ant la jambe droite jetée sur la gauche estoit une ancienne coutume de nos Rois, mais maintenant elle est res- prouvée '. »

Il semble qu'on observe un processus analogue en Grèce ^ Croiser les jambes, comme les bras ou les mains, détermine un nœud magique, dont on connaît la puis- sance. Les Parques et Eileithyia avaient empêché la nais- sance d'Hercule en croisant les mains; pour les Romains, croiser les jambes ou les mains près d'une accouchée ou d'un malade, lui jetait un charme malfaisant, et de telles postures étaient interdites dans les cérémonies reli- gieuses^. La même croyance existe encore dans les Abruz- zes"* et chez certaines populations à demi-civilisées^.

Mais dans la suite, en Grèce comme chez nous", cette

* Franklin, La vie privée d'autrefois. Les soins de toilette, p. 172, 180, 195.

'^ Deonna, A., I, p. 2o5.

^ Frazer, Ratneaii d'Or, I, p. 32 i.

■* Dans les Abruzzes, on croise les jambes contre les maléfices, Mélusine, IX, 1898-9, p. 82.

® Frazer, /. c.

" Cuyer, La mimique, p. 299.

- 178 -

attitude avait perdu son sens magique et n'avait plus gardé que le sens d'inconvenante, de contraire aux bienséances' : Aristophane a bien soin de recommander au jeune homme de s'asseoir sans croiser les jambes"^.

Les monuments du V'-' siècle laissent constater qu'elle est réservée aux gens des classes inférieures. Sur une coupe de Douris montrant un intérieur d'école^, les maîtres, dont Tun enseigne à jouer de la cithare, et l'autre déroule un parchemin, de même que l'élève devant le premier des deux, sont assis en tenant les genoux serrés l'un contre l'autre. Mais un autre personnage, assis sur un tabouret, croise délibérément ses jambes, et c'est sans doute le péda- gogue qu'il faut reconnaître à cet indice de mauvaise édu- cation. Sur le relief du trône Ludovisi, la joueuse de flûte nue croise une jambe sur l'autre, tandis que la femme qui lui correspond, chastement enveloppée dans son manteau, n'a pas cette attitude. Œdipe croise ses jambes, assis devant le sphinx*, mais c'est un vo3^ageur dont les manières sont relâchées.

' Winckelmann, Hist. de l'Art itrad. 1802I, 1, p. 419. -' Nuées.

' Potlicr. Douris, p. 112, ri^. 22; Walters, Hist. of anc. Pott., I, pi. XXXIX.

* Perrot, HA., 8, p. 3qj, tig. 186.

179

Les personnages de rang supérieur montrent rarement cette attitude en Grèce ; si elle devient fréquente à partir du IV^ siècle, ce n'est point parce que ce fut une invention de Praxitèle \ mais parce que les croyances superstitieuses qui s'y rattachaient, comme les idées de convenances, s'étaient affaiblies. Les dieux eux-mêmes, assis, prennent cette posture nonchalante et négligée, tel Asklépios sur un relief d'Epidaure ^ ; toutefois les grands dieux, Zeus, Hadès, Héra, Déméter, ne s'oublient pas jusqu'à ce point ^. « Cette pose, dit Furtwangler^ a pour résultat d'entrechoquer et de rompre les courbes simples des lignes et la structure naturelle du corps, dans une mesure que n'admettait point le goût de la véritable époque classique, mais qui répond bien à l'esprit blasé de l'époque hellénistique, qui cher- chait à faire du nouveau. » Il s'agit, plutôt que d'une re- cherche d'attitudes inédites, d'un laisser-aller dans les con- venances, qui ne sont plus aussi rigides qu'autrefois, et tolèrent en art ce qui eût semblé impossible jadis. De même, dans l'art du XV^ siècle, la Vierge ne trône plus en dignité, mais est parfois accroupie, les jambes repliées

* Sur cette attitude dite praxitélienne, Deonna, A., I, p. 274 sq. ; Reinach, Cultes, IV, p. 3q6. - Collignon, SG., II, p. 186; Defrasse-Lechat, Epidaure, p. 84-3,

fig- " Pottier-Reinach, Nécropole de Myrina, p. 298. ' Coll. Saboiiroff, I, 3, pi. LXXVII-VIII.

i8o

sous elle : cette attitude familière et peu respectueuse aurait suscite le scandale auparavant K

On indiquera les ditVércnces sociales autrement encore que par les attitudes. Les diverses pièces du vêtement et de la parure distinguent, dans la sculpture assyrienne, les dieux des mortels, les grands des petits-; en Grèce, la calvptra distingue les femmes mariées des jeunes lilles^. Le chapeau, la canne, le parasol, le trône à haut dossier, sont à l'orisine des insignes de dignité et de dilVérenciation sociale, comme souvent de nos jours encore. La cheve- lure, soigneusement peignée chez les êtres supérieurs \ est hérissée et en désordre chez les Satyres, les Silènes, Antée. et les gens de basse classe^. Et si la Gorgone ''. comme Satan' et les sorcières'', a les cheveux hérissés, n'est-ce point autant pour indiquer son rôle inférieur ou malfaisant que parce que les cheveux se hérissent dans la

' Reymond, La sculpture florentine, Ire moitié du XV^s., p. 226.

^ Heuzey, Quelques règles d'interprétation pour les figures assy- riennes, Mél. Perrot, p. 178 sq.

* Heuzey, MG., I, 3, 1S74, p. i5. ■' l.ange, op. /., p. 49.

* Winckelmann, op. /., I, p. 478; Blanc, op. l. (3l, p. 366. « Ex. Perrot, HA., 8, p. 445. fig. 218, Vie s.

' Ex. fresque byzantine, MP.. XIII, p. 5i.

® Mel usine, IV, p. 77.

i8i

terreur et la colère?^ Les esclaves auront les cheveux cou- pés courts, marque de leur servitude. Tiro, qui vient d'être réduite en esclavage, se plaint douloureusement de cet outrage : « Je suis triste comme la jeune cavale, lorsque les pâtres l'ont traînée dans Técurie, et qu'une main cruelle a défloré le blond duvet de son encolure. Dépouillée, elle revient à la prairie; elle veut, comme autrefois, boire au ruisseau, et le miroir de l'onde lui montre le honteux ravage de sa crinière. Hélas, un cœur impitoyable serait touché de pitié à la voir s'enfuir pour cacher sa honte, et, transportée de douleur, pleurer la chevelure qu'on lui a enlevée » '. Mais on pourra aussi, quand l'artiste sera suffisamment en possession de ses moyens techniques, indiquer la différence sociale par des détails de musculature; le corps des Satyres, des Silènes, des barbares, n'aura point le développement harmonieux des athlètes, et sera plus fruste ; le Discobole de Myron n'aura pas la même forme de tête que le Silène Mar- syas'\

En un mot, car il est inutile de multiplier les exemples qui sont innombrables, il y a des façons très diverses de marquer en art la différence sociale des personnages repré- sentés.

' Darwin, op. l. 12), p. 3i2, 3i6; chez les animaux, p. loi. ^ Sophocle; cf. REG., 1890, p. SSo; Weil, Etudes sur le drame antique, p. 220.

' Furiwangler. MP., p. 181.

lS2

Toutefois il est certains cas, par exemple dans Taffliction, la douleur, les personnages de haut rang peuvent faire i\ de ces distinctions, et pour temoignei" de leur deuil, se rabaisser, par leurs vêtements, leurs gestes, au rang des inférieurs. Les (irecs agissaient comme les habitants de Madagascar' et d'autres contrées actuelles, qui, dans le deuil, prennent des vêtements sales, ne se lavent pas, se couchent par terre et non sur des sièges, s'etVorcent de mener la vie la plus misérable. Les esclaves portaient les cheveux courts : pour marquer sa douleur, on rase sa chevelure. Ad- mète s'écrie : « A tous les Thessaliens dont je suis le roi, j'ordonne de prendre le deuil de cette femme, en se rasant les cheveux et en portant des vêtements noirs », et Alceste : « Faut-il couper notre chevelure et déjà prendre les noirs vêtements de deuil ?... Point de chevelure suspendue à l'en- trée, après être tombée sous le fer en l'honneur des morts que Ton pleure » -'.

On recherche les attitudes humbles ; on se jette à terre de désespoir^, et Déméter affligée, refusant de prendre place sur le trône à haut dossier, n'accepte qu'un petit siège bas^. Alors les gestes inconvenants sont aussi permis. Les femmes se découvrent la poitrine, et la nourrice dit à Hermione que la douleur égare : « Ma fille, voile ta poi- trine, attache ta robe « ''. Et c'est pourquoi le geste de

' L'Anthropologie, IQ12, p. 347.

- Alceste, Euripide. Cf. Sommer, Das Haar in Religion iind Aber- glauben der Griechen, iqi-2. ° Sittl, op. L, p. 23.

* Hymne homérique; Heuzey, MG., I, no 3, 1S74, p. i3: Lange, op. /., p. 197.

* Andromaque, Euripide.

i83

croiser !a jambe devient caractéristique de la douleur. Il apparaît dans la dite Pénélope du Vatican dérivant d'un relief funéraire, sur les stèles attiques, en particulier sur la belle stèle trouvée dans l'Ilissus^, dans les figurines d'Attis d'Amphipolis, il s'accorde bien avec les carac- tères tristes du sujet et la mélancolie de la ph3^sionomie ^, et on peut le poursuivre jusque dans les Eros funèbres gréco-romains^. Une terre cuite de Tanagra montre une femme voilée, assise, que Ton a nommée Cérès. Furtwan- gler fait observer que « seule, la position des jambes, la droite croisée sur la gauche, ne convient pas absolument au caractère calme et digne de la déesse » *. Au contraire, qu'il s'agisse de Déméter affligée ou d'une image répétant un type de la plastique funéraire, cette attitude est tout à fait en harmonie avec les sentiments de deuil qu'exprime le monument. Sur les peintures de vases illustrant l'am- bassade adressée à Achille, le héros voilé est assis, dans une attitude de profonde tristesse, et devant lui, Ulysse croise les jambes l'une sur l'autre, sans doute pour com- patir à sa douleur^.

' CoUignon, Statues funéraires, p. 14S-9: Pénélope, ibid., p. ii6sq.

" BCH'., 1897, p. 521, ex. pi. Vi, VII b'is.

' CoUignon, op. /., p. 329 sq.; Furtvvangler, Coll. Sabouroff, II, 3, pi. XCI, etc. La signification funéraire de ce geste a été indiquée depuis longtemps, Winckelmann, op. /., I, p. 422; Blanc, op. l. (3), p. 370.

* Coll. Sabouroff. l. c.

* RA., 1898, II, p. r 56 sq. A propos de l'attitude de la jambe croisée, j'ai montré ailleurs (RA., i9i3), comment divers gestes, de religieux et magiques qu'ils étaient à l'origine, sont devenus ensuite inconve- nants, puis, par l'effet du même processus que nous indiquons ici, symboles de tristesse.

- iS4 -

Cette dinérence sociale, qu'on vient de voir exprimée par des moyens extérieurs, on va la constater dans l'ex- pression de la physionomie, les sentiments seront réfrénés, ou au contraire apparaîtront sans retenue, suivant que le personnage appartient à un rani^ supérieur ou infé- rieur de la société.

ogfQ^^t'

DIEUX ET MORTELS

Euripide tourne en dérision les dieux grecs qui éprou- vent toutes les passions humaines, et fait dire à Agave : « Les dieux ne devraient pas avoir les mêmes passions que les hommes » '. Mais bien que la littérature, dès les débuts, ait imaginé les dieux helléniques subissant les mêmes co- lères, les mêmes joies, les mêmes soutVrances que les mor- tels, l'art figuré n'a pas suivi son exemple, et, nous l'avons vu, il y a désaccord entre les deux domaines-. On cherche

' Bacchantes. Cf. Decharme, Euripide et l'esprit de son théâtre,

P-77-

- Cf. p. I i3 sq.

FiG. 3o. Traits humains animalisés. Traits d'animaux humanisés.

- i87 -

à donner aux divinités les traits les plus beaux, les plus dignes, et si Euripide leur reprocha leurs passions hon- teuses, ce fut cependant son influence qui fit pénétrer dans leurs types plastiques le pathétique dont ils étaient auparavant exempts.

J'ai montré ailleurs que Tartiste primitif a tout d'abord confondu les traits humains et animaux ' (fig- 3o), et qu'une fois cette différenciation opérée, il dut encore distinguer les traits des mortels de ceux des dieux, communiquer à ces derniers une majesté idéale qui les fît reconnaître tout de suite. Il n'y parvint qu'assez tard-. Le Zeus de Munich est l'image d'un beau corps humain, mais rien dans le visage ne caractérise le dieu ^, et devant maintes statues du V^ siècle, dont les attributs ne sont pas assez précis, de- vant mainte tête isolée (/z^. 3i) on hésite à dire s'il s'agit d'un dieu ou d'un mortel idéalisé*. Toutefois Phidias s'était déjà efforcé de donner aux divinités un air souverain qui les distinguât de Thumanité. Il semble qu'il ait voulu, plus que ses prédécesseurs, traduire la majesté divine, non plus tant par les attributs, les gestes,

* L'indétermination primitive dans l'art grec, Rev. d'Ethnogr. et de Sociologie, 1912, p. 22 sq. : Deonna, A., II, p. 4i5 sq., fig. 219.

^ Ibid., p. 33; Brunn, Gôtterideale ; Overbeck, Griech. Kunstmyth. ; Sera, Religione e arte figurata, p. i52 sq.

' Bulle, SM., p. 33.

"• Rev. d'Ethnogr. et de Sociologie, 1912, p. 32-3.

iS<S

les attitudes, un un mot par des moyens extérieurs', que par les traits du visage, rerict de leur âme. L'auteur du Zeus et de la Parthénos avait <* ajoute à la reli- gion », parce qui! avait montré ce qu'étaient la majesté et la beauté des dieux. «' ('ependant. Phidias n'avait créé ni des formes ou des attitudes nouvelles, ni inventé de nou- veaux attributs susceptibles de mieux caractériser l'être divin. Les éléments matériels de ses compositions existaient déjà dans le répertoire de l'art grec, mais il appartint à Phidias, d'abord de les porter à ce degré d'achè\'cment d'où se dégage pour le public comme une impression de certi- tude, puis de leur donner une signitication, une éloquence, une àme selon la nature de son génie. Bref, l'essentielle beauté de ses statues n'était réellement autre que le rayon- nement de Tàme qui les habitait, et qui elle-même repré- sentait le plus haut idéal qu'artiste grec eût conçu des dieux de la Grèce » '\ Avec ce maître, le type supraterrestre des dieux commence à se dégager du type idéalisé du mortel, par son expression même et non plus par de simples détails matériels. Toutefois, la dilVérenciation entre le t3'pe divin et le type humain n'est complète qu'au IV^' siècle, avec l'école de Praxitèle, qui a su marquer avec le plus de finesse la limite entre les deux éléments^. Mais bientôt, sous l'inlluence du réalisme qui rabaisse les dieux au rang des humains, la même indétermination que jadis reparaît '.

' Cf. ci-dessous, l'expression extérieure. - Lechat. J*hidias, p. 84-5, Bulle, .SM., p. 33. * Furtwiingler, Coll. Sabouroff, I, p. 14.

' Sur ce retour à l'indélermination primitive des types, Rev. d'Eth. et de Sociol., 1912, p. 45 sq.; Deonna, A., II, p. 449.

FiG. 3i. Tête idéale du V^ siècle grec. (Furtwângler, MP., p. 63, fig. 19.)

191

Asklépios n'est plus qu'un mortel, souvent assez vulgaire, aux traits sans noblesse; comme autrefois, les attributs seuls (chevelure, serpent) le distinguent des humains, et toute l'expression morale, si délicatement empreinte dans l'ancien type, disparaît ^

Entre les dieux eux-mêmes la différenciation est lente à se faire, et elle n'a lieu tout d'abord que par des moyens extérieurs, barbe, chevelure, attributs. S'il est difficile, dans l'archaïsme du VP siècle, de dire s'il s'agit d'un mortel ou d'un dieu, il l'est encore plus, par exemple sur les vases à figures noires, de distinguer entre elles les divinités barbues et vêtues de même. Déjà dans les vases à figures rouges, il y a moins d'uniformité, et l'on peut diffé- rencier Hermès d'Apollon, Ares de Zeus, même en l'absence d'attributs, si toutefois les dieux âgés, Zeus, Poséidon, Hadès, Dionysos, Héphaistos, se confondent encore'-. Po- séidon n'a acquis que tard les caractères individuels qui le séparent de Zeus^, et souvent la distinction est faible : ne reprochait-on pas à Euphranor de lui avoir donné une noblesse telle que celle de Zeus ne pouvait être plus grande encore*? Asklépios se différencie de Zeus par des

' Defrasse-Lechat, Epidaure, p. 90.

- Overbeck, Griech. Kunstmyth., I, p. 29.

* Helbig-Toutain, I, p. 63, i35.

* RA., 1904, II, p. 340.

1C)2

nuances de physionomie que sauront indiquer les artistes du W" siècle, si maîtres de Texpression. Mais, de même que les traits divins se confondent de nouveau à Tepoque du réalisme avec ceux des mortels, de même Asklepios se confond avec Zeus. « Livrés plus tard à des mains moins habiles, les deux types voisins se rapprochèrent souvent jusqu'à se confondre. Une certaine impuissance à exprimer l'aspect habituel de vigueur et de majesté dans une tète de Zeus en faisait, par même, presque une tète d'Asklépios, et réciproquement, une exagération des signes divins dans une tête d'Asklépios devait la rendre presque pareille à une tète de Zeus » ^ Il est donc souvent difficile de dire de laquelle des deux divinités il s'agit. De deux monnaies d'Epidaure, Tune donne le type traditionnel d'Asklépios avec une douceur sérieuse et une bonté grave; l'autre, aux traits accusés, au front saillant, aux arcades sourcilières proéminentes, fait penser à Zeus, bien que ce ne soit pas son image.

Si les mortels de noble race doivent réfréner leurs pas- sions, la dignité de leur rang oblige davantage encore les dieux à se montrer impassibles, et auprès d'Hippolyte

mourant. Artémis regrette que sa divinité lui interdise de pleurer-. Un dieu doit être inaccessible à la douleur':

' Defrassc-Lcchat, op. l., p. 89-90.

* Decharme, Euripide et l'esprit de son théâtre, p. 388.

■'' L'insensibilité à la douleur était dans l'antiquité une marque de possession divine, croyance fondée sans doute sur une vérité physio- logique (insensibilité dans certains états d'extase). Dans l'Evangile

FiG. 32. Tète de Christ, XVe siècle. Musée du Louvre. (Deonna, A., 111, p. 3(v2, fig. 64.1

- IQD

n'est-ce pas une croyance universelle? L'un des argu- ments que l'on a présentés en faveur de Tauthenticité

du saint Suaire de Turin n'est -il pas « Texpression [de no- blesse et de résigna- tion de la tête » ' ? comme si Christ, en réalité, n'a pu mon- trer sur sa croix le même masque con- vulsé par la souf- france que les larrons ses voisins! C'est con- fondre ici encore, avec la réalité^, l'idéal es- thétique, qui donne au visage de Christ en croix l'expression impassible d'un roi de majesté^, avant 'que le réalisme du XV'^ siècle n'en fasse l'image d'un supplicié ^'ifig- 32), ou à celui de saint Sébas-

FiG. 33. Saint-Sébastien, de Guido Reni.

de Pierre, Jésus crucifié garde le silence, « comme s'il ne sentait aucune douleur ». Sur cette croyance, Reinach, Cultes, IV, p. 189. D'où la croyance à Tinsensibilité des sorciers, possédés par le diable.

' RA., 1902, I, p. 412.

- P. loi sq.

' Cf. tête du Musée de Cluny, XlIIe siècle, avec une expression de résignation et presque de sérénité, RAAM., 1903, I, p. 459, fig.

* Courajod, GA., 1884, p. 229.

I ( )( )

tien, perce de lièclies. l'air Sun triomphaieiii-, avant qu'il ne trahisse sur ses traits l'extase douloureuse ' Jif;: 33 }.

L'idéalisme grec jusqu'à la tin du V*-' siècle n'a pas voulu montrer sur les visages des dieux la joie ou la douleur \ mais leur a donne le calme et la sérénité que possèdent aussi les mortels de noble lignée. Il faudra que le réalisme du IV'' siècle ait amoindri la dignité divine. pour que l'on voie paraître sur les ph3'sionomies le retlet des passions qui soulèvent les âmes ; Athéna lèvera au ciel un visage extatique-; Apollon sera courroucé^ ; Zeus lui- même perdra son air majestueux poin" subir la contagion de cette tristesse qui est un des traits caractéristiques de l'art hellénistique. On étudiera plus loin cette humanisation des t^'pes divins. Toutefois le dualisme entre les dieux et les mortels persistera, car, toutes passionnées qu'elles devien- nent, les divinités, par un leste de conscience de leur rang, n'atteindront pas au maximum de pathétique auquel parviendront les humains, et jamais leurs traits ne seront aussi convulsés que ceux d'un Laocoon.

' RAAM., 1907, 2, p. i83 sq.

- Ailicna scopasique de Florence.

* Apollon du Belvédère.

iç)7

Il faut distinguer, parmi les types mythologiques, la même différence sociale que parmi les humains, entre types supérieurs, comprenant les dieux, et types inférieurs, com- prenant les Satyres, les Centaures, les Silènes, les Géants, en un mot tous ceux qui se rapprochent de Tanimalité par leur origine, par leur essence, comme par leurs actes. C'est en eux que Tartiste montre toutes les ressources du pathétique, alors qu'il laisse les visages des dieux et des nobles héros impassibles.

Faut-il attribuer cette différence au fait qu'il est plus facile de rendre la laideur des traits grimaçants que la beauté d'un visage calme, comme le semble croire M. Girard^? et répéter le principe d'Hokousai : « Il n'est pas difficile de dessiner des monstres, des revenants ; mais ce qu'il y a de difficile, c'est de dessiner un chien, un cheval, car ce n'est qu'à force d'observer, d'étudier les choses et les êtres qui nous entourent qu'un peintre représente un oiseau qui a l'air de voler, un homme qui a Tair de parler... »-. Non, cette expression provient de ce qu'il s'agit de types mythologiques inférieurs, qui, pas plus que les gens du commun, n'ont à se soucier d'une semblable dignité, expres- sion qui, pour certains d'entre eux. Satyres, Gorgone, a de plus une valeur prophylactique.

A tous ces êtres inférieurs, Tartiste, peintre ou sculp- teur, donne la laideur physique, image de leur laideur sociale, s'accordant avec la conception idéaliste que l'expres- sion des sentiments dégrade le visage. Les Silènes et les Saty-

» REG., 1894, p. 372. ^ GBA., igiS, I, p. 224.

l(,S

rcs, Achcloos. ont des nez camus, des sourcils proéminents ; Antée a un nez crochu, comme les dcmons étrusques', comme Thersite. ou comme ces hommes grossiers qui s'eni- vrent et en viennent aux mains au sortir d'une orgie, en un mot, comme tous les êtres inférieurs par leur condition sociale ou par leur conduite- 'fif::. 34).

FiG. 34. Achcloos. Vase de Pamphaios. Brit. Mu- séum. JOAI.. II. 1899, Sur les visages des Satyres se p. 79, g. .->(.. peignent tous les sentiments de

leur nature bestiale, la brutalité, la convoitise, la curio- sité ^ la lâcheté de ces êtres qui font de grandes promesses à Ulysse, mais au dernier moment, trouvent mille pré- textes pour éviter de l'aider à enfoncer le pieu brûlant dans l'œil du Gyclope *. Papposilène est grondeur et re- frogné^; parfois Silène, le front ridé, montre une face douloureuse'', ou bien, malgré toutes ses tares, l'intelli- gence éclate sur son masque bestial '.

' MA., XX, p. 645 sq.; Martha, Art étrusque, p. 394, fig. 2<>8,p. 395, 39Ô, fig. 2G9.

- Deonna, A., II, p. S5 sq., profil grec; 87, laideur, caricature. Nez camard, Legrand, Etude sur Théocrite, p. 21(1.

' Cf. encore Blanc, op.L, (3), p. 368; Berchmanns, L'esprit décoratif dans la céramique attique, p. lof).

■• Euripide, Cvclope.

* BCH., 1884,' pi. IX, p. 164.

*> Antéfixe du W" siècle, MA., 16, p. 323-4, fig. xbj.

' BCH, 1886, p. 89-90.

iqq

Les Centaures, eux aussi, donnent libre cours à leurs pas- sions. Dans le fronton d'Olympie, tandis que les Lapithes ne trahissent leur douleur ph3'sique ou leur colère que par de légères nuances d'expression, les visages de ces monstres qui hurlent se contractent d'angoisse et de terreur'. Les métopes du Parthénon offrent même dualisme -. Leurs visages grimacent sous Teffbrt, ont des élans de joie sauvage, de rage, de brutalité et de convoitise quand ils emportent leur proie humaine. L'ne tête très expres- sive a la bouche ouverte, les 3'eux levés au ciel ^. Mais, comme à Olympie, les Lapithes conservent leur dignité*. C'est encore la tête de Centaure douloureux du fronton d'Epidaure, qu'une main de Lapithe empoigne aux che- veux^, les têtes tristes et grotesques des Centaures traî- nant le char d'Héraclès...''.

Certes, l'art grec s'est efforcé, dans la période de l'idéa- lisme, d'atténuer la laideur de ces types, et de leur commu- niquer un peu de la beauté qu'il donnait à ses dieux et à

' Overbeck, Gescli. d. griech. Plastik 141, I, p. 325, fig. 82: REG., 1894, p. 358,

- JHS., III, p. 233, note 2; 1906, p. 174; Overbeck, o^i. /., I, p. 428, fig. iio; Collignon, SG., II, p. 12, 14, 17.

^ Face S., Collignon, Le Parthénon. pi. 27.

* Collignon, SG., II, p. 18.

° Defrasse-Lechat, Epidaïu-e, p. 70.

« MG., I, no 5, 1876, pi. 3.

200

ses héros '. Les Satyres grimaçants du \h siècle devien- nent moins laids; le masque horrible de la (iorgone prend dans la Méduse Rondanini //'ir. gi une beauté glacée. Le type de Charon, sur les lécythes blancs, s'il a parfois des traits rudes et communs, un regard farouche, est souvent aussi calme et pensif, et n"a rien de l'horreur des descrip- tions littéraires'-. Même dans les métopes du Parthénon, on rencontre deux types de Centaures, témoignant de deux con- ceptions artistiques dilTérentes : dune part, des tètes bestia- les qui ressemblent à celles des Silènes, des Satyres repous- sants, à celles des brigands que combat Thésée^; d'autre part, des visages idéalisés, sans rien de brutal, plus sembla- bles à ceux d'honnêtes bourgeois d'Athènes qu'à ceux d'un monstre, même un peu tristes ' : telle est cette tête, belle et placide, du Centaure qui brandit un vase pour en assom- mer un Lapithe '\

Animaux. Des Satyres et des Centaures aux animaux, la distance est petite, aussi trouvons-nous dans ces derniers les mêmes caractères. Ce n'est pas le lieu ici d'étudier si les animaux savent rire, sourire, pleurer, si les mouve-

' Pottier, C\'., III. p. io<)i^)-i loi ; id., Etudes su?- les lécythes blancs, p. 129; AM., V, p. 209.

Id., Etudes sur les lécythes blancs, p. 45-t>, 129,

* MG., I, 004, 187.S, p. 7, note i; ex. Collignon, Le Farthenon, pi. 37.

' Collignon, op. t., p. 3t).

" Ibid.^, p\. 28.

20I

ments des traits sont presque aussi expressifs chez les singes que chez Thomme ' ; nous ne voulons pas faire la confusion maintes fois relevée entre la réalité et Tart, et nous ne cherchons qu'à voir si Fart n'a pas donné aux animaux plus d'expression qu'à certains types humains, retenus par le décorum dans une dignité calme. Il semble bien qu'il en soit ainsi. Déjà dans l'art quaternaire, en même temps que les formes animales sont rendues avec plus de bonheur que celles de l'homme-, la physionomie est plus expressive, par exemple celle du renne qui se dé- tourne ^. On connaît l'allure féroce, saisissante, de certains lions élamites"*, et le pathétique des animaux assyriens ; le corps percé par les flèches qui ont paralysé l'arrière-train, une lionne fait encore face à l'ennemi : « Quand on a, pen- dant quelque temps, fixé les yeux sur cette image, on se prend à sentir arriver jusqu'à ses oreilles l'écho du rugis- sement suprême qui sort de cette bouche entr'ouverte, déjà plaintif et cependant encore menaçant ^. » Ce sont les chevaux, dont l'artiste a rendu avec beaucoup d'in- tensité d'expression la peur, le courage, l'amour mater-

' Darwin, Expression des émotions {2), p. 128-g, 141, 145, i3i-2, i55, 178; Sully, Essai sur le rire, p. 14? sq., i5i.

- Constatation faite chez tous les primitifs, cf. de Morgan, Les premières civilisations, p. 184; Reinach, Epoques des alluvions et cavernes, p. 172; Capart, Les débuts de l'art en Egypte, p. 171 sq.; Lange, Darstellung, p. 1 1 1 sq. : Wundt, Vôlkerpsychologie, III 12), q, 144 sq., etc.

'■• Rennes et saumons, Délia Seta, Religione e artejigurata, tig.6,etc.

* RAAM., 1909, I, p. 26.

'" Perrot, HA., II, p. 371, 575, 694; Maspéro, Hist. anc. des peu- ples de l'Orient, II, p. 624; Lange, op. /., p. 5; BGH,i889, p. 483,

•202

ncl '. Il en est de même dans l'art grec, et l'on peut oppo- ser aux visages calmes et expressifs des humains, les traits plus pathétiques de certains animaux, ceux de ce lion trouvé près d'Athènes, dont « la gueule rugit, et dont la tète, tournée à gauche, en haut, a une expression pathé- tique qui saisit » -. ceux du lion de Tégée^ ou même du lion dont Héraclès porte la dépouille •*.

Qjl^Q^Q^

LES MORTELS

Les types nobles. Il ne faut pas conclure de l'absence d'expression à l'absence des sentiments quila déterminent. C'est toutefois ce que Ton a fait, en prétendant que cer- taines populations primitives ignoraient le rire, « action involontaire développée chez Thomme par les progrès de la civilisation ». En réalité, si parfois les Européens n'ont pas remarqué ce rire, c'est que les « sauvages » s'observent

' Lange, op. /,, p. (">. -' IVe siècle, RA., 1897, I, p. i36. ' BCH., 1889, p. 479 sq.

* Furtwjingicr. M P.. p. 841, rtg. 14Ô, Héraclès et Téléphos Chia- ramonti.

20D

devant les étrangers et dissimulent leurs impressions ^ Certes, il y a des races qui sont plus expansives que d'au- tres, et Ton sait que les méridionaux réfrènent moins leurs rires et leurs larmes que les gens du Nord. Mais, en dehors des différences ph3^siologiques qui peuvent exister, il faut tenir compte, et ceci a une grande importance en art, des règles de convenances qui s'opposent au libre cours des sentiments.

Nous le constatons journellement autour de nous, l'éducation met de bonne heure un frein à l'expansion des sentiments. Par crainte de paraître faibles, nous éprouvons de la pudeur à pleurer, et nous considérons l'explosion d'une bruyante douleur comme de mauvais ton. De même le rire à grands éclats nous semble vulgaire, et nous le laissons à nos inférieurs. Lord Chesterfield se félicite, dans ses Lettres, que personne ne l'ait jamais vu rire. Déjà l'Ec- clésiaste disait : k Fatuus in risu exaltet vocem suam, sa- piens autem vix tacite ridebit », et les Proverbes : « Risus abundat in ore stultorum. » La contorsion que ces expres- sions intîigent aux traits du visage blesse notre vue et constitue comme une sorte de dégradation mentale. Mais il va aussi, dans ce désir de dominer ses sentiments, l'ex-

^ Sully, Essai 5i/r le rife, p. 204 ; Lang, Mythes, Cultes et Reli- gions, trad. Marinier, p. S2. On remarquera aussi que ce qui est risible pour nous ne Test peut-être pas pour eux, et vice-versa. Dissimula- tion habituelle des Indiens en présence des Européens, Darwin, op. /., (2), p. 22.

204

pression d'une défense sociale, par hK]uelle l'individu veut rester maître de lui-même, et ne point donner prise à autrui, et Tidée morale de savoir se maîtriser et de dompter les soubresauts de son corps n'est sans doute qu'ulté- rieure. « Entre Thomme victorieux à la guerre, en mille et mille batailles, et l'homme victorieux par le triomphe de soi, celui-là est le plus grand conquérant qui s'est vaincu soi-même... l'n dieu même ne peut transformer en défaite la victoire de l'homme sur lui-même ^ »

Quelle que soit la véritable nature de cette tendance à l'impassibilité, elle apparaît partout comme nécessitée par le code des convenances sociales; elle est l'apanage de l'homme de noble race, et les passions non contenues sont abandonnées aux inférieurs-.

L'art antique en donne de nombreux exemples. En Orient, les rois ont la même impassibilité que les dieux ^: c'est l'étiquette qui la leur impose, comme elle l'impose à la peinture japonaise ■*.

' Textes bouddhiques, Lafcadio Hearn, Le Japon inconnu, p. 25.

* Dumas, La tristesse et la joie, p. 19g; Mantegazza, La physiono- mie et l'expression des sentiments, p. 88, 96, 193 ; Sully, Essai sur le rire, p. i, 897; chez les sauvages, Darwin, op. /., (2), p. 164.

"* Heuzey, Figurines de terre cuite, p. i32; Perrot, HA., III, p. 538.

* De Seidlitz, Les estampes japonaises, p. 2; sur cette maîtrise de soi-même au Japon, que n'ébranle pas radvcrsité, Lafcadio Hearn, op. /., p. 12, i3-4; Flach, L'àme japonaise d'après un Japonais. .An- nales des Sciences politiques, 1904. Sur le sourire japonais, autre marque d'étiquette, Deonna, A., II, p. 159.

20D

Cette dignité sociale imprime sa marque sur toute la littérature de la Grèce classique, et atteint sa plus belle expression dans les tragiques. Dans Toeuvre d'Eschyle, c'est la tension de la volonté contre la sensibilité, et l'im- muable sérénité d'un caractère supérieur à sa destinée. Prométhée souffre avec une fermeté inébranlable ; le monde pourrait tomber sur lui, mais rien ne saurait ébranler son âme ^ Il se raidit contre la destinée cruelle : « Le silence est la réponse du sage «, dit Euripide.

Cette fermeté, seuls les Grecs de noble race la possè- dent : « Quelle forte marque imprime aux mortels, pour les distinguer des autres, une bonne race ^ ! » Les héros des drames antiques hésitent entre le sentiment du déco- rum qui leur impose cette impassibilité, et les sentiments humains auxquels ils voudraient donner libre cours. Aga- memnon, comme roi, rougit de verser des larmes, mais comme père malheureux, il rougit de n'en point répandre^. Ainsi Périclès, au dire de Plutarque, montrait toujours un visage serein et ne riait jamais*.

On a donc raison, en relevant cette maîtrise de soi- même^, de parler de la sérénité grecque. Que de fois n'a-

' Eschyle. Cf. Weil, Etudes sur le drame antique, p. 6i, La fable de Prométhée dans Eschyle; REG., iS86, p. 280 sq.

Euripide, Hécube.

" Euripide, Iphigénie. Cf. Winckelmann, Hist. de l'Art (trad. 1802), II, p. 276.

* Lange, Darstellung, p. 190.

^ Ibid.. p. 188 sq.

2oG

t-on pas montre que les anciens artistes « n'exprimaient des passions humaines que celles qui conviennent à un homme sage, qui sait contenir la force des passions, et qui n'en laisse échapper que par étincelles, pour que ceux qui le révèrent ou qui cherchent à l'approfondir puissent soup- çonner ce qui se passe dans son àme «M On a très bien remarque depuis longtemps que cette sérénité était une décence sociale -. Mais, nous l'avons dit, ce fut une généra- lisation hâtive que de vouloir retrouver cette sérénité par- tout dans l'art grec, et Ton n'a pas su distinguer suffisam- ment les périodes artistiques, qui n'eurent pas toutes le même idéal. Nous ne voyons plus dans la tête du Laocoon, comme encore vers 1840, « l'énergie morale dominant la douleur physique y ^, et nous ne pensons plus que « le Grec a toujours été si maître de lui-même, que le drame intérieur n'a jamais pu se produire impétueusement au dehors, que l'homme n'a jamais connu la passion dans sa nudité hardie, et qu'il ne l'a jamais vue que parée pour le monde, et voilée de décorum »■*.

"îf

Les types inférieurs. Mais les classes inférieures de la société ne sont point asservies à ce code sévère de conve- nances, pas plus pour l'expression des sentiments que pour

' WincUelmann, op. /., I, p. 428.

* Ibid., I, p. 416.

' Canat, La Renaissance de la Grèce antique, p. 260 sq.

■• Boutmy, Philosophie de Varch. en Grèce, p. 70.

(

207

les attitudes. Les lariiies et les rires sont beaucoup plus faciles chez les gens de moindre rang ', qui expriment tout ce qu'ils sentent, et passent souvent sans transition de la colère au rire, ou inversement -.

xVlors que les personnages de haute lignée sont calmes, même au milieu des tourments et des combats, les infé- rieurs trahissent sur leurs visages les sentiments qu'ils éprouvent, et c'est en eux qu'apparaîtront tout d'abord les recherches artistiques d'expression^. Plus tard seulement, quand les liens de la société se seront relâchés, quand les types divins se seront humanisés, vers le IV^ siècle, le pathétique qui leur était jusque-là réservé pénétrera dans les rangs élevés de l'art.

Que l'on examine à ce point de vue l'art classique du V^ siècle, les peintures de vases, les reliefs ou les statues, qui groupent des êtres de conditions diftérentes. D'un côté, ce sont des visages impassibles, de l'autre des traits pas- sionnés. Sur une coupe d'Euphronios, Héraclès lutte contre le géant Antée. Le visage du héros est calme; seules les lèvres serrées et l'œil grand ouvert trahissent la colère qui

' Mainegazza, La physionomie et l'expression des sentiments, p. igS, i88; Darwin, op. /. (2), p. i3-4, 164; Sully, Essai sur le rire, p. 206, 244, 268; d'Udine, L'art et le geste, p. 4; Sittl, op. l., p. 7; GA., 1875, p. 80.

- De même chez les dieux homériques, REG., 1S94, p. 18-9.

^ Blanc, op. L (3), p. 490-1 ; Lange, Darstellung, p. 168. J'ai étudie ce sujet en détail ailleurs, A., Il, p. 80 sq.

208

ranime: sa clicvclure et sa barbe sont soigneusement peignées. Mais le géant, à la chevelure hirsute, à la mous- tache et aux sourcils velus, ouvre la bouche pour laisser passer un cri d'angoisse, ses dents se découvrent dans la douleur, et Tœil retourné sous la paupière annonce que la mort approche ^ Apollon dispute à Marsyas le prix de la musique : le dieu est noble et calme, Mars3-as montre un visage comique et laid-. Et si Ton peut dire que dans l'exemple cité Héraclès s'oppose à Antée, l'expression de ce dernier est nécessitée par la douleur qu'il éprouve, ailleurs il apparaît avec évidence que l'expression, comme la laideur, sert surtout à caractériser le rang social du per- sonnage. Ainsi, dans l'art chrétien, Christ, au beau visage, reste impassible au milieu de ses bourreaux, dont les têtes hideuses-' grimacent et ricanent ^ Mais quels sont ces types inférieurs ?

-^

Les humbles. Ce sont les gens qui appartien- nent aux basses classes de la société, esclaves, hommes

' Portier, CV'., III, p. c)32. Cf. la comparaison avec Christ et Judas. Deonna, A., II, p. 97; III, p. 218.

■* Peinture de vase, Elite des Monumeuts cei-amographiqucs, II, pi. 61 ; Perret, MG., I, 5, 1876, p. 33, note 6.

" Sur la laideur physique identifiée à la laideur morale, cf. p. 166, 170.

* Ex. peinture de Bosch, XV^e-XYI^s.. RAAM., 1906, II, p. 3o3, fig. 2.

FiG. 35. Vieille paysanne portant un agneau. Rome, Capitole.

21 1

du commun, joueurs et joueuses de tiùte, pédagogues, hé- taires, etc. La tragédie grecque ne leur prête jamais les sentiments des héros : il y a au contraire en eux un élément de comique qui tient à leur rang social, et ils font souvent sourire le spectateur par leur absence de dignité, leur égoïsme, leur peur et leur friponnerie'. Ce fut une nou- veauté quand Euripide prit résolument leur parti contre les puissants, devança les temps en sympathisant avec les paysans et les esclaves, montrant qu'ils ont souvent des sentiments plus nobles que les gens d'un rang supérieur; mais le poète, sentant qu'il otfensait les idées reçues, dut s'excuser de cette infraction à la tradition -.

Pendant l'époque classique, le grand art ne s'intéresse guère à ces petites gens, et ce n'est pas encore le temps les sculpteurs et les peintres hellénistiques, comme les litté- rateurs, prendront plaisir à la vie besogneuse des pêcheurs, des paysans, des bergers, des marchands ambulants, et reproduiront fidèlement leurs types dans des statues (fig. 35), des statuettes de terre cuite, ou des reliefs ^.

En revanche, ils attirent l'attention du céramiste plus réaliste, qui. appartenant lui-même à ces classes sociales, et les comptant parmi sa clientèle, a maintes fois l'occasion de les observer. « Qui oserait, dit dédaigneusement Isocrate, comparer Phidias à un modeleur de terres cuites, Zeuxis et Parrhasios à des peintres d'ex-voto? » Et M. Pottier, qui montre l'humble situation du céramiste, ajoute avec

' Decharme, Euripide et l'esprit de son théâtre, p. 366 sq.

' Ibid., p. 162, 171, 5oo.

' Deonna, A., III, p. 325, 404.

raison : «■ Il en eut dit autant, sans doute, des peintres de vases ^ »

Les visages, libérés du décorum que subissent les gens de bonne naissance, sont plus réalistes et plus expressifs. Des hommes vulgaires se battent, et Tun d'eux, d'un geste que l'artiste a saisi sur le vif dans la rue, empoigne par le sexe son adversaire et le fait hurler de douleur-. Au sortir d'un banquet trop copieux, ils vomissent, et leur visage est tout angoissé^. Les têtes des joueurs de tiùte et de cithare* sont plus vivantes que celles des spectateurs, non seulement parce que l'action même le nécessite, mais à cause de leur rang social, et les sourcils saillants du citha- riste qui chante sur une fresque tombale étrusque, n'indi- quent pas tant l'attention qui contracte ses traits-"^ que son rans*''.

' Pottier, Doiiris, p. 36. Sur la condition des artistes en Grèce, Guiraud, La main-d'œuvre industrielle en Grèce, p. 43 sq.; DA., s. v. Sculptura, p. 11 52, etc.

2 Hartwig, op. L, p. 475, pi. 49.

=> Ibid.. p. io5 et note, ex. pi. IX: Deonna, A., II, p. 90.

■• Encore dans le monde musulman actuel, la classe sociale des joueurs de flûte est la moins considérée, van Gennep, Rev. d'Ethn. et de Sociologie, 191 2, p. 35 1.

•'• Martha, Art étrusque, p. 438-440, fig. 289-90.

* Cf. les sourcils épais des Silènes lex. coupe d'Euphronios, Hart- wig, op. /., pi. VII: Furtwiingler, Beschreib., p. 212, 2141, d'Antèe (coupe d'Euphronios déjà citée, JO.A.I, 1900, III. pi. Vi, des barbares gaulois (RA., 1908, II, p. 116).

2l3

Dans la sculpture funéraire, Texpression de la douleur est la plus forte dans les types inférieurs^. Les pleureuses se lamentent violemment ; le petit esclave pleure au pied de son jeune maître plongé dans un rêve qui n'est plus de ce monde"-; et alors que la morte lève les yeux vers son mari avec une expression de confiance et de fidèle attachement, la petite servante au second plan appuie sa tète sur sa main, avec une expression douloureuse^. Afin qu'il fût plus facile à Fartiste de rendre leurs visages expressifs, les tètes sont souvent tournées de face, comme celle de nombreux autres types inférieurs ^ Ce sont encore les Sirènes funéraires, chargées de pleurer le mort, qui traduisent librement la mimique de la dou- leur par des gestes éplorés et des visages pathétiques. «Nous te pleurons en nous meurtrissant le visage, dit une épigramme de l'Anthologie, nous, les Sirènes de pierre, qui sommes debout sur ton tombeau^. >> La belle tête de femme, trouvée au Dipylon d'Athènes, dont l'accent tragique et passionné est accentué par la chevelure qui tombe en désordre, ne proviendrait-elle pas d'une Sirène tombale^?

' CoUignon, Statues funéraires, p. 382, 209; Furtwangler, Col. Sabouroff, I, p. 49, 53, 55.

- Stèle de TlUissos, CoUignon, op. /., p. 149, fig. 82.

* Furtwangler, op. L, I, pi. XVI II. « Les sourcils légèrement rapprochés, la paupière supérieure très proéminente, tandis que l'angle intérieur de l'œil se creuse, tels sont les moyens par les- quels est obtenue cette expression de douleur. »

^ Sur la tête de face, pour raisons magiques, ci-dessus, p. i5i Ex. stèle : homme et femme de profil, servante au fond, de face. Coll. Sabouroff, 1, pi. XVIII, XXI.

'" CoUignon, op. /., p. 221.

" Ibid., p. 222-3; MG., I, no 6, 1877, pi. 3, p. 21,

21^

■Bf

Les étrangers. Pour les Grecs, comme du reste pour maint peuple moderne, Tétriinger est un être de race infé- rieure, qui prête à raillerie et n'est bon qu'à être exploité par les gens civilisés, c'est-à-dire, en ce cas, parles Hellènes de noble race^ C'était un moyen toujours sur de plaire au peuple, que de montrer à la scène des barbares ridicules, que de plaisanter leur vêtement, leur air effaré, leur mine épouvantée-, que de leur faire balbutier, comme dans les Perses de Timothée^, un langage à moitié barbare, à moitié grec. On se dédommageait ainsi de l'angoisse éprouvée pendant les guerres médiques, la Grèce avait été à deux doigts de subir le joug étranger. L'orgueil hellénique ne pouvait admettre de devoir aux barbares quelques éléments de progrès, et quand leur influence était indéniable, il s'écriait avec Platon : « Tout ce que nous autres Grecs empruntons aux barbares, nous le transformons pour en faire quelque chose de plus beau *. » Et pourtant Ton sait que la Grèce est redevable de beaucoup à l'Orient, et Ton verra que celui-ci a exercé une influence importante sur l'art grec au point de vue de la recherche du pathétique.

' Aristote trouve encore que le barbare a une nature d'esclave et qu'il est fait pour obéir aux Hellènes.

- Decharme, Euripide et l'esprit de son théâtre, p. 366 sq.

' REG., 1903, p. 62, 72, 336, 346. Cf. aussi l'esclave d'Oreste, eunuque phrygien, dans Euripide.

■* Epinomis, 987, D.

21D

Le réalisme d'expression constaté dans les classes infé- rieures de la société, apparaît aussi dans les traits des barbares, qu'il s'agisse des Perses, des Scythes, ou des nègres (Jig. 36), plus méprisés encore, parce que les Grecs n'ont point eu à les redouter comme les autres, et dont Timage est reléguée dans l'art indus- triel ' : quand Polygnote dut représenter à la Les- ché de Delphes le roi éthiopien Memnon, il ne lui donna pas les traits ca- ractéristiques de sa race, Fig. 36. Vase de Délos, en forme qu'il jugeait indignes, de tête de nègre (Deonna, A., III, mais bien ceux d un Grec,

et plaça auprès du roi un petit esclave nègre, chargé d'indi- quer au spectateur son origine-. Qu'elle est expressive déjà, sur un fragment de coupe, la tête de cet homme accroupi avec son front chauve et bombé, le nez crochu, la bouche ouverte : est-ce l'image caricaturée d'un barbare

' Deonna, A., II, p. QI-2: III, p. 897 sq. '' Pausanias, X, 3i; kA., 1888, II, V. 27?.

-^lO

déguise en Athénien': Quelle vie intense dans cette tète de nègre, du W' siècle, en forme de i^ècipieni- 1 à la com- parer avec les ceuvres contemporaines de la statuaire représentant des Grecs de bonne naissance, on verra avec quel réalisme le céramiste a su saisir, non seulement les traits distinctifs de la race nègre, mais encore l'expression du visage de son modèle, intellij^ente et attentive.

^

En résumé, il faut, dans Texamen de l'expression des visages, se demander tout d'abord à quel rang appartient le personnage, et l'on constatera, comme nous Tavons prouvé, qu'en descendant l'échelle sociale, en passant des dieux puissants aux êtres mythologiques monstrueux, des Grecs de bonne naissance aux classes inférieures de la société et aux barbares, le pathétique augmente d'intensité.

Qu'on regarde le fronton d'Olympie, les Lapithes luttent contre les Centaures : on y trouvera l'expression de trois t3'pes sociaux différents. Au centre, Apollon, invisible aux regards des mortels qu'il protège, mais présent à leur pensée. Certes, l'artiste n'a su encore lui donner la beauté

' Strena Helbigiana, p. 01-2, fig.

- Buschor, Griech. Vasenmalerei, p. 147, tig. 98.

idéale qu'il aura dans Tart postérieur, car la ditférenciation des types humains et divins n'est pas encore parfaite ^ ; mais toutefois, il semble exagéré de dire que « ce front bas, ce nez court, cette lèvre pendante sont d'un athlète de la plus basse sorte^ et non du dieu de la lumière » -. Comparée à celles des Lapithes, sa tête est bien celle d'un dieu; impassible, il ne laisse point paraître sur son visage Témotion du combat.

Mais les Lapithes ? Issus de noble race, ils se doivent à eux-mêmes de garder une certaine dignité, et de réfréner les passions furieuses qu'ils éprouvent. Ils s'efforcent d'être impassibles, comme leur dieu; toutefois, on reconnaît à de petits détails leur colère ou leur douleur, aux rides du front, aux moues des lèvres, et certes, la tète brutale du jeune garçon mordu par un Centaure n'a rien de commun avec celle d'Apollon^.

Le même fronton renferme des êtres divins inférieurs, de même que le fronton d'Oenomaos renferme des êtres mortels inférieurs, qui sont les personnages étendus dans les angles, jeune garçon accroupi, vieillard atten- tif, aux attitudes plus libres* et aux visages plus expres- sifs ^. Dans la Centauromachie, ce sont les Centaures qui leur font pendant, et c'est en eux que le pathétique atteint

' Cf p. 187.

' Bertrand, La Grèce du soleil et des paysages, p. 249.

* M. Joubin retrouve cette même bestialité d'expression dans le bronze de Tarse, RA., iSqq, II, p. 32-3.

* Cf. p. 173.

'" C'est pourquoi le vieillard accroupi me parait être un serviteur, un cocher, plutôt qu'un devin.

2lS

son niaxinium d'intensité. Ils luirlcnt, mordent leurs adversaires de rai^e ; lubriques, ils emportent femmes et enfants, et leurs laids visages rellèteni tous les sentiments tumultueux oui les ajiitent.

Au Parthenon, les ephèbes de la frise des Panathénées, tout calmes et graves qu'ils soient, ne montrent pas sur leurs visages la noble impassibilité des dieux '. A Tégée, n'a-t-on pas remarqué que la tête féminine oppose aux traits douloureux d'Héraclès ( fîg. 3j) et des autres héros un visage idéal et calme [fîg. 38), peut-être parce que c'est celui d'iuie déesse-?

Ce dualisme dans l'expression se poursuit dans tout l'art grec. Même quand le pathétique aura atteint les divinités, qui seront devenues douloureuses, il sera plus intense dans les êtres inférieurs. Sur la frise de Pergame, l'expression des géants est plus forte que celle de leurs adversaires les dieux ^, non seulement parce qu'ils sont vaincus, mais parce que leur essence n'est pas la même. Si, dans la statue du Capitole, le sculpteur avait eu à représenter un Grec au lieu

' Ex. Furt\vun,i,'lcr, M P., pi. V. - Gardner, J HS., irjob, p. 174. ' Overbeck. Gricch. Plastik \^], 2, p. 2S0-1.

l'"iG. 37. Tète d'Hcraklcs de fcgce.

>SéV,

FiG. 38. Tête féminine de Tégée.

1

223

d'un Gaulois blessé, a-t-on dit ', il aurait sans doute idéa- lisé davantage la douleur, mais il s'agissait d'un barbare, donc d'un être inférieur. Toutefois, il ne faut pas exagérer cette différence à cette époque de réalisme décidé, qui rompt en visière avec les anciennes conventions, et l'on a pu faire remarquer en revanche, que si la tête du Grec terrassé par l'Amazone du groupe Borghèse avait été trou- vée détachée du corps, on l'aurait prise pour celle d'un barbare, tant elle est expressive et peu conforme au canon idéal du héros '^.

■ïf

Homme et femme. Entre l'homme et la femme, il existe aussi une différence d'expression. La raison en est double. La femme, en Grèce, est considérée comme un être inférieur, et, jusqu'à l'époque hellénistique, s'efface devant l'homme^. Mais aussi, et cette constatation n'était point pour la relever aux yeux des Grecs maîtres d'eux-mêmes, sa nature est plus passionnée que celle de l'homme, et elle subit davantage l'inflluence de ses sentiments. A étudier l'histoire de la femme à travers les âges, on voit que de tout temps elle a été l'agent actif de la propagation des croyances qui font appel, non point à la raison, mais aux sens et à la passion. C'est elle qui, en Grèce favorisa l'adop-

' Overbeck, 0j7. /., II, p. 253 ; cf. Gaulois Ludovisi, /é/'ii., p. 255, 257. 2 JDAI, II, 1887, p. jj sq., pi., p. 80-1. •'' Deonna, A., III, p. Gb sq.

224

tion du culte passionne de Dionysos. Euripide Ta exprime clairement, en montrant le dieu tlirace acclame par les femmes, puis par les vieillards débiles et émotifs, êtres inférieurs eux aussi ', alors que les hommes d'âge mùr, comme Penthée, y sont réfractaires. Le culte de la Grande Mère, Cybèle, ne fut-il pas propagé par des femmes^; Ce sont elles qui, dès la tin du V'^ siècle ont introduit dans la religion grecque ces tendances mystiques ^ qui triomphe- ront au IV*^ siècle et aux temps hellénistiques. Dès cette époque, elles cheichent à s'émanciper de la lourde tutelle sous laquelle elles étaient tenues jusqu'alors ■*. et si Aristo- phane se moque de leurs prétentions ■', Euripide leur accorde sur son théâtre une place prépondérante, parce qu'il reconnaît en elles ce facteur de transformation de rame grecque qui allait Pincliner vers la recherche de la passion, dans tous les domaines, en littérature comme en art ou en religion'"'. Elles ont donc favorisé Tavènement d'un art plus pathétique, et si celui-ci triomphe avec l'époque réaliste des hellénistiques, n'est-ce point aussi parce que la femme a acquis dans la société un rôle pré- pondérant " ?

' Euripide, Bacchantes.

^ Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain, p. 73.

' Cavaitjnac, Hist. de l'antiquité, II, p. 493.

* Paris, Qiiateniis fetninœ res publicas... atingerunt ; Bascoul, La chaste Sapho de Lesbos et le mouvement féministe à Athènes au /F= siècle avant J.-C, 191 1.

^ Lysistrata.

" Decharme, Euripide et l'esprit de son théâtre, p. i33 sq.; cf. toute- fois sa mysogvnie, ibid., p. 319, .^21.

' Deonna, A., III, p. 32i.

FiG. 3g. Hestia Giustiniani, V^ siècle. Rome.

15

22'

Plus tard encore, aidées des classes inférieures de la société, qui elles aussi se laissent conduire davantage par leurs sentiments, par les soldats, les marchands, les esclaves, elles propageront à Rome les cultes orientaux, elles con- tribueront au triomphe du christianisme, et substitueront à la froide religion officielle des tendances de mysticisme et de passion ^

Nous ne voulons pas examiner ici les diverses manières de distinguer la femme de Thomme autrement que par les caractères physiologiques du sexe : vêtements, parure, chevelure, gestes dont certains sont considérés par les con- venances comme peu séants pour une femme ^, couleur différente donnée à la chair, qui est blanche pour les femmes dont le corps est moins exposé aux ardeurs du soleil, et brune pour les hommes^. Toutefois, notons que certains de ces traits distinctifs peuvent caractériser les sentiments. La femme de caractère viril esquissera des gestes masculins, et c'est pourquoi la guerrière Athéna met la main sur ses hanches, geste énergique et cavalier, qui aujourd'hui encore

' Gumont, op. L, p. i8o, et passim. On n prétendu que si le culte de iVlithra a été supplanté par le christianisme, c'est qu'il excluait les femmes. Cf. Gohlet d'Alviella, Croyances, rites, institutions, l, p. 1G4. La femme, agent de propagation de l'islamisme au Bengale, van Gennep, Religions, mœurs et légendes, II, p. 97 sq.

- Reinach, Cultes, IV, p. 37?.

■' Pottier, REG., 1898, p. 38 1 sq.; 1891, p. 169; 1894, p. 2; id.,CV., II, 579 sq.

228

ne parait guère convenir aux femmes^ (_/r if. 3g). La blan- cheur de la chair caractérisera la vie molle et voluptueuse de Péréclymenos sur un vase du VI^ siècle-, comme au IV*^ siècle Eres, alors qu'on ne donne jamais ce teint effé- miné aux autres jeunes garçons et adolescents^. Ainsi ces transpositions, dans un sens ou dans Tautre, peuvent être, par ce moyen tout extérieur*, révélatrices des sentiments.

Regardons le visage, miroir de Tàme. Longtemps Tart grec a été incapable de donner au visage féminin, comme au corps ^, les traits spécitîques qui le distinguent du visage masculin, et c'est pourquoi les confusions, encore dans l'art du V^ siècle*"', sont fréquentes en présence de tètes isolées. C'est ainsi, pour ne citer qu'un exemple, que la tète de Bologne, dans laquelle Furtwiingler a voulu recon- naître sans raisons suffisantes TAthéna Lemnia de Phidias, a été prise tantôt pour celle d'une femme, tantôt pour celle d'un homme, et l'on a dit avec raison : « Pour un homme

' REG., 1907, p. 406; Reinach, Cultes, IV, p. 3j?. Si ce geste appa- raît fréquemment dans les terres cuites de Tanagra, c'est qu'à cette époque les liens de convenances sont bien relâchés, Nécropole de Myrina, p. 424.

- Perrot, HA., 9, p. 645.

^ Furtwàngler, Coll. Sabouroff, I, 2, pi. LXII.

* Sur l'expression extérieure, p. 253 sq.

'' On sait que l'art grec du Ve siècle donne encore à la femme le même corps robuste qu'aux ephèbes, Deonna, A., III, p. ii^: id.. Rev. d'Ethn. et de Sociologie, 191 2, p. 3o.

^ Rev. d'Ethn. et de Sociologie, 1912, p. 3 t.

2 29

elle a Tair bien efteminé; pour une femme, elle a des traits bien masculins ^ »

On comprend que Ton ait eu recours, dès les temps très anciens, à des moyens conventionnels pour diffé- rencier le visage masculin du visage féminin.

Les artistes minoens donnent à la femme un nez retroussé que n'ont point les hommes^, et qui communique à son visage une expression mutine et moderne. Les Grecs, qui ont vu dans la forme du nez un élément ex- pressif^, ne s'en sont toutefois point servi pour différen- cier les sexes, et ont plutôt cherché cet élément distinctif dans Tœil, variant sa forme suivant le sexe du personnage. Cette convention n'est fondée sur aucune différence phj^sio- logique '.

On pourrait peut-être en chercher l'origine très haut, puisqu'on remarque que le bison femelle d'une des sta- tuettes d'argile quaternaires découvertes dans la grotte du Tue d'Audoubert, a les yeux faits d'une boulette incisée d'un point, tandis que le mâle ne montre pas ce détail^.

' RA., 1895, II, p. i3; MG., II, 21-2, p. 25.

'^ MA., XIX, 1908, p. 36, 63; Deonna, A., II, p. j6.

' Ci-dessus, nez des Satyres, p. 198. Le nez retroussé donne aux traits une expression mutine, Mantegazza, op.- /., p. 39. Socrate : « L'un a le nez retroussé, vous le proclamez piquant et vantez sa grâce; cet autre Ta en bec d'aigle, il l'a royal, dites-vous». REG., 1894, p. 366, note i. Cf. le nez retroussé d'une tête de jeune fille, dessin trouvé à Samos, MG., i, 1880, p. 17; Perrot, HA., 8, p. 235, fig. 98.

* Magnus, Darstellung des Auges, p. 8, 21, note 25.

* A., 1912, p. 664.

2.">0

C'est la pcintLirc de vases à ligures noires qui otire de ce procédé Texcniple le plus curieux. Les Ioniens ne font pas cette diUérencc cniie l^eil masculin et Td-'il Icniinin, et en ce point ils ont lait preuve du même esprit de réa- lisme qui anime toutes leurs d'uvres'. Mais dans la (rrèce continentale, Thommc a ini (eil rond et la lemme un œil (n-ale : il semble que Ton ait voulu par donner au premier un regard plus vif, à la seconde un regard plus doux et d'une intensité moindre-.

M. l^ottier pense à une influence exercée sur la céra- mique par la sculpture, les yeux d'homme sont sou- vent incrustés, tandis que les yeux de femme, sauf de rares exceptions, sont peints ; or l'ceil enchâssé ne pou- vait pas avoir le même aspect qu'un ceil peint. ^' On aurait donc pris l'habitude de distinguer dans la plastique les \eux d'homme des yeux de femme. La physionomie en profitait, plus énergique chez l'un, plus douce et plus unie chez l'autre**. « Je ne suis toutefois pas persuadé de la vérité de cette hypothèse ; elle serait indiscutable si tous les veux virils de la statuaire avaient été incrustés, et tous

' Sur ce réalisme ionien, Deonna. A., ill. p. 107 sq.

■^ Sur ces yeux ioniens et continentaux : Pottier, CV., II, p. .^07, fig., 5oQ (ioniensi: 58, fig. (continent): 111, p. <)38-9, 858: Dumont- Chaplain, Céramiques de. la Grèce propre, I, p. 326; Girard, M(j., III, no 23-5, p. lo-i.

3 Pottier, CV., III, p. («S-q.

les yeux féminins peints ; mais ce n'est pas le cas, puis- qu'on trouve des yeux d'homme peints \ et des yeux de femme incruste's-. L'œil grand ouvert est un signe de puissance, que l'on donne aux êtres redoutables, comme la Gorgone^ : peut-être que l'artiste a voulu caractériser par l'œil rond la force virile.

Quoi qu'il en soit, il y a un effet moral, obtenu sans doute au détriment de la vérité anatomique, mais qui constitue, comme on l'a remarqué, « une des premières re- cherches de l'expression dans la peinture grecque»^. L'ar- tiste comprend que ce petit organe a une force expressive, et il s'ingénie à en rendre les différences. Sur les vases du temps d'Amasis, les prunelles féminines sont peintes en rouge, comme celles des Corés de l'Acropole, et Platon parle de ce procédé comme d'une extravagance, supposant qu'il a pu être inspiré par le désir de faire paraître les yeux encore plus beaux ; les artistes ont voulu ou bien traduire le caractère surhumain d'une déesse, ou bien chercher à aviver le regard ■\ De même, dans la céramique du V^ siècle, l'iris peut être une tache pleine, ou une circonférence avec

* Ex. les Kouroi du VI* s., dont pas un n'a l'œil incruste.

■'' Ex. Coré d'Anténor.

« Cf. p. 159.

' Pottier, CV., II, p. Soj.

3 Ibid., II, p. 453; III, p. 638.

la pupille en noir, et Ton remarque Temploi simultané des deux procédés, dont Tim sert sans doute à indiquer un ceil clair, et Tautre un <eil noir^

On a prétendu que dans certains monuments, par exemple dans les frontons d'Olympie, la courbure du globe de Tceil est plus forte chez les hommes que chez les femmes ; et Curtius explique cette différence en faisant remarquer que le lion, symbole du courage viril, est représenté avec de gros yeux bombés. Toutefois il ne paraît pas que cette distinction soit exacte, et que Ton ait cherché dans la cour- bure du globe oculaire un élément de différenciation des sexes ^.

Enfin, notons que l'art du IV'' siècle a eu recours à un procédé analogue. Le renflement du front au-dessus des sourcils, que Tart du V'' siècle indique à peine, est très accusé dans les têtes viriles, qu'il distingue des tètes féminines le nez continue plus directement la ligne du front ^

Mais, de même que les gestes réservés aux hommes sont donnés à des femmes de caractère viril, ou que la chair

' REG., 1894, p. 3('.i.

^ Magnus, Darstcllinii,^ des Aiif^es, p. -26-7.

' Perrot, Praxitèle, p. 3 i .

233

blanche des femmes devient celle des hommes effémi- nés, de même aussi l'œil masculin et Tœil féminin peu- vent être transposés, et, suivant le caractère du person- nage, indiquer des nuances diverses de sentiment. Le sphinx féminin, la déesse Athéna, ont l'œil rond que les pein- tres attribuent à l'homme, parce que leur regard est censé briller d'un éclat tout particulier. En revanche, on donne l'œil ovale des femmes à deséphèbes, à des vieillards, pour exprimer un regard moins pénétrant que celui de l'âge mûr; aux hommes, dans des scènes pathétiques, pour in- diquer la douleur de la lamentation^; aux blessés et aux mourants, pour montrer leur faiblesse et la mort voisine^. Ainsi la conception primitive s'élargit, et la forme de l'œil ne sert plus seulement à distinguer les sexes, mais, par extension, à distinguer les caractères et les situations, dont les uns, forts, sont virils, et les autres, faibles, sont féminins.

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Dans Euripide, Andromaque s'écrie : « Moi, qui ne cesse de me lamenter, de gémir, de verser des larmes, je ferai retentir les airs de ma douleur; car les femmes sont ainsi faites qu'elles trouvent un certain plaisir à se plaindre de leurs maux. » Dans l'art figuré, les visages féminins sont

' MG., II, no 23-4, P- II-

* Ibid., p. 11-2; Magnus, op. l., p. 9 sq.; Pottier, CV., III, p. 478, 509, 769.

2.->4

souvent plus expressifs que ceux des hommes, à qui les convenances imposent une plus grande maîtrise de soi- même.

Que Ton examine la sculpture funéraire. On le sait, le pathétique est surtout sensible dans les images des êtres inférieurs, des serviteurs. Mais ce sont aussi avant tout des femmes. A ces pleureuses \ qui sont chargées de la lamen- tation du mort, le peintre du Dipylon cherche déjà, malgré rinsutfisance de ses moyens techniques, à donner un visage expressif, tandis que celui des hommes est inerte; il veut faire crier leur bouche, et il le marque en écartant les lèvres, en traçant entre elles la langue qui s\igite-. On saisira, sur les physionomies des nombreuses statues de pleureuses dans Tart grec, les nuances du pathétique : la tristesse recueillie des femmes du sarcophage de Sidon^, dont le regard plein de douleur est fixé au loin dans le vide, et dont la bouche ouverte semble exhaler une douce plainte, celle des pleureuses de Berlin', de Myconos"'... Ce sont des servantes. Mais ce motif, comme le croit Furtwiingler'', a-t-il, à l'origine, été créé pour la maîtresse défunte, et

^ Collignon, REG., looS, p. 299 sq.; iJ.. Les statues fmn'j-jires, p. 2o3 sq.

- Perrot, H.-\., VII. p. 21?, fig. 95. ■'* Collignon, op. /., p. 206.

* Furtwangler, Coll. Sabouroff, I, pi. XV-X\'II.

* Collignon, op. L, p. 2o5.

" Furtwangler, Coll. Sabouroff, l. c.

- 235 -

a-t-il ensuite été appliqué aux esclaves? Au contraire, il semble qu'il ait été conçu pour ces derniers, comme l'in- dique la position accroupie qui convient à des êtres infé- rieurs ; il a été ensuite adapté aux défunts eux-mêmes, qui, dans la tristesse, se rabaissent aux rangs de leurs inférieurs '.

Ce ne sont pas seulement les servantes, mais aussi les femmes de noble race qui, sur les stèles du IV® siècle, sont plus pathétiques que les hommes. « Ce n'est pas sans doute par hasard si les sentiments provoqués par un doux revoir ne sont jamais exprimés ici que par des personnages de sexe féminin-. » Car la femme, plus faible, impose moins de retenue à ses sentiments; alors que pour les hommes, « le sexe même et les habitudes d'esprit différentes, con- traignent ici à montrer plus d'empire sur soi-même et plus de résignation à subir l'inévitable nécessité » ^.

^ Cf. p. 1S2. On notera toutefois que ce type est aussi employé pour des personnages masculins, ex. stèle de Géraki (jeune garçon); nau- fragés sur la proue de leur navire, etc.

- Furtwangler, op. L, I, p. 48.

' De Ridder, De l'idée de la mort en Grèce, p. 188.

I

III. LES TROIS STADES DE L'EXPRESSION

Dans riiistoire de Texpression, on peut distinguer trois phases. Ce n'est pas d'emblée que les visages ont reflété les sentiments de Tàme, mais ce n'est que progressivement qu'on y est parvenu. Tout d'abord, corps et visages sont inexpressifs ; puis l'on demande au corps tout entier, aux attitudes, aux gestes, et à d'autres mo3'ens extérieurs, de faire comprendre au spectateur quels sont les sentiments du sujet; enfin, dans le dernier stade, l'artiste se rend compte que le visage surtout est révélateur de l'âme, et concentrera ses efforts expressifs en lui.

Cette progression n'est en somme que l'application d'un principe bien connu, que nous avons étudié ailleurs \ celui de la différenciation progressive, par lequel les formes, indéterminées à l'origine, acquièrent petit à petit leur valeur propre à l'exclusion de tout autre.

' Deonna, A., II, p. 40 sq.: cf. Tarde, Les lois de l'imitation, p. 418, note I.

M

A. LE SCHEMA HUMAIN INEXPRESSIF

L'artiste primitif, qu'il soit ancien ou moderne, est encore bien éloigné de chercher à rendre les sentiments intimes de son modèle. Non seulement sa main inexpéri- mentée se refuserait à les traduire par les détails techniques nécessaires, mais la conception même qu'il a de l'art, et parfois les croyances superstitieuses, lui voilent la possi- bilité et rintérét d'une telle recherche. Le personnage qu'il sculpte ou dessine n'est qu'un schéma, une sorte de procédé mnémotechnique destiné à éveiller dans l'esprit du spectateur l'idée de l'être divin ou humain.

Voyez l'enfant. Il ramène ses personnages à quelques types conventionnels et restreints : bonshommes, chiens, chevaux, voitures, maisons. Mais, qu'il l'appelle Pierre ou Paul, le bonhomme est le même, et l'on remarque que « la plupart des dessins enfantins sont des dessins généraux ou génériques ; ils veulent représenter non tel bonhomme, mais le bonhomme » ^

Le primitif actuel, comme le primitif ancien, procède de

* Luquet, Les dessins d'un enfant, p. 137.

•-!44 -

même; que ce soient les idoles des «sauvages» de nos jours, ou les statuettes et peintures du Grec du Dipylon, tout se réduit à quelques schémas identiques et peu variés. Ces types ne portent point en eux leur détermination ; ils sont en quelque sorte neutres, et nécessitent, pour sortir de leur anonymat, la collaboration de celui qui est chargé de leur destination '. C'est encore, dans la Grèce du VP siècle, le schéma humain debout, homme et femme. Mais le kouros (Jîir. _f.o ) peut être indifteremment dieu ou mortel ; parmi les dieux, il sera tantôt Apollon, tantôt Poséidon; parmi les mortels, il sera image du défunt sur sa tombe, athlète victorieux dans l'enceinte du temple, ou ex-voto sans signification précise . Mais la Koré vêtue (Jîg. 41) sera Athéna, Aphrodite, à moins qu'elle ne soit encore l'image d'une prêtresse, d'une simple dévote, ou d'une défunte. La statue assise, si des circonstances acces- soires ne viennent en préciser Tétat-civil, et affirmer qu'elle fut image de dieu, ou portrait humain, ne sera pour nous autre chose que le type luimain assis.

Tout l'etfort de l'art tendra à faire sortir ces types de leur imprécision native, à supprimer ce rôle prépondérant du spectateur qui impose à son gré telle dénomination à l'œuvre neutre, en mettant dans cette dernière les éléments nécessaires qui feront d'elle tel dieu spécial, tel mortel particulier, sans confusion possible.

' Deonna, [."indétermination primitive dans l'art grec, Rev. d'Ethn. et de Soc, 1912, p. 22 sq.

1

FiG. 40. Kouros du Cap Sunium. VI--' siècle avant J.-C. Musée d'Athcnc'S (cf. fig. 20, p. 107).

FiG. 41, Coré d'Anténor. Vb siècle avant J.-C. Athènes, Musée de l'Acropole.

249 --

S'il ne s'agit que de suggérer Tidée du t3'pe humain, que le spectateur interprète à son gré, il est des détails que Ton pourra supprimer tant qu'ils ne gênent pas la compréhen- sion du sujet. Dans un corps humain, il y a des éléments qui sont essentiels, d'autres qui paraissent accessoires, sui- vant une hiérarchie finaliste. Dans le dessin enfantin, le bras n'apparaît que lorsqu'il est nécessaire pour tenir un objet, et encore, si l'un des bras est actif et l'autre non, ce dernier sera souvent supprimé délibérément. Les oreilles ne seront indiquées que quand elles devront porter des boucles d'oreilles. En revanche, si le détail parait néces- saire à l'enfant et ce qui l'est pour lui ne l'est souvent pas pour nous il sera indiqué, même quand les lois de l'opacité des corps, de la perspective et du raccourci, tels que nous les entendons, y mettent obstacle '.

Il n'en est pas autrement chez les primitifs de l'anti- quité, et l'on trouvera maintes fois l'omission de tel détail qui nous paraît nécessaire, mais qui ne l'est pas en réalité pour l'artiste, parce que l'on comprend suffisamment, même en son absence, le tj^pe représenté. Ce sont des jambes omises, des bouches, des bras, etc. ■^. Est-il possible de pousser la simplification plus loin que dans certaines idoles néolithiques des Cyclades ou d'Espagne (Jîg. 42), dont les contours du tronc sont seuls indiqués, ou qui ne

' Cf. Luquet, op. L, p. 129, i3o sq., i32, i34, i35. ^ Ex. de ces omissions, Deonna, A., II, passim.

2 DO

montrent, dans une masse trapézoïdale, qu'un nez et deux 3'eux ! Et toutefois ces détails suffisent à nous faire com- prendre qu'il s'ai^it du type humain; iiiais, comme on Ta dit' : '< (\nte forme, elle est plutôt visée que copiée... Ce que Ton a là, ce n'est pas une copie, même maladroite et inhdèle. de la réalité, c'est plutôt un signe destiné à en évoquer la pensée. «

Ce schéma est donc aux débuts corn- FiG. 42. plètement inerte, et les membres du corps.

Idole néolithique ^-qj-,-, !-,-,(. j^s traits du visage dont plusieurs d'Espagne*. . , " i 1

sont omis et places au petit bonheur,

ne concourent pas à exprimer quoi que ce soit. Les ivoires du Dip3don, comme plus tard les Kouroi, tiennent leurs bras collés contre le corps, gauchement, comme s'ils ne savaient qu'en faire-'; et si la statue fait quelque geste, croise les bras sur la poitrine, il ne faut souvent pas y voir l'indication d'un sentiment déterminé, car ces gestes sont encore complètement inexpressifs'*. L'expression que peut donner au visage le groupement fortuit des éléments dont il se compose, est, elle aussi, tout à fait involontaire-'.

' Perrot, HA., 6, p. 737. - Deonna, A., II, p. -iG^, fig. 76, référ.

^ On notera toutefois que les difficultés techniques déterminent souvent cette attitude des bras, Deonna. A., II, p. 5j, 2i3, 3 18.

* Ibid., p. 2 3, 212, 392: Fouilles de Delphes, V, p. 27, référ.

* Ci-dessous, l'expression involontaire.

2^1

Tel est ce que j'appelle le « stade inexpressif » de Tart, qui est le premier en date, mais dont il est difficile de fixer les limites chronologiques parce qu'elles dépendent de facteurs divers. Par leur avance technique, les arts du dessin s'en sont dégagés avant la ronde bosse, et ont passé au second stade que nous allons étudier. Ainsi, tandis que les ivoi- riers du Dipylon sculptent ces figurines aux jambes jointes, aux bras collés contre le corps, au visage inerte dont on ne peut dire qu'une chose, c'est qu'il possède deux yeux, un nez et une bouche, le peintre des grands vases funéraires donne aux pleureuses les gestes de la lamentation, et s'ef- force même de mettre leurs visages en harmonie avec l'ac- tion, en ouvrant la bouche pour laisser passer les cris de douleur, et en montrant la langue entre les lèvres ^

' P. 234.

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B. L'EXPRESSION EXTERIEURE

En vertu de rinde'termination primitive des types, les dieux entre eux, les dieux et les mortels, les mortels entre eux, ne différencient pendant longtemps leur condition so- ciale et leur individualité que par des moyens accessoires, par l'aspect de leur chevelure ou de leur vêtement, par les attributs qu'ils tiennent en main. On a eu recours au même procédé, quand on est sorti du stade inexpressif, pour in- diquer les sentiments de l'âme.

Il y a certaines expressions qu'il est très difficile, de nos Jours encore, de décrire et encore plus de traduire d'une manière figurée. La poésie ne sait trouver, pour les carac- tériser, que des épithètes vagues et fantaisistes, et, pour individualiser l'envie, la jalousie, le soupçon, le peintre, qui ne peut rendre ces sentiments d'une façon suffisam- ment explicite sur les visages, est obligé de les souligner par des accessoires qui aident le spectateur à les com- prendre ^

Mais ce qui n'apparaît aujourd'hui que dans quelques cas, fut jadis un principe général, et pendant longtemps on ne sut exprimer les sentiments que par des moyens tout à fait

* Darwin, L'expression des émotions (2), p. 83.

2 30

indépendants de la réaction physiologiste des traits. Ils sont nombreux : nous nous bornerons à en citer quelques- uns comme exemples.

-w

Le vêtement indique la classe sociale de celui qui le porte, mais, pour exprimer la douleur, le deuil, on pourra mo- difier ces valeurs, et en adoptant le costume de leurs infé- rieurs, les puissants révéleront aux yeux de tous leur tris- tesse'. Dans Sophocle, Philoctète, en proie à la souffrance physique et morale, est vêtu de haillons repoussants ; dans Euripide, les rois déchus provoquent le pathétique par leur accoutrement misérable. Jocaste, depuis le départ de Polynice, a quitté ses voiles blancs, se revêt de vêtements noirs et déchirés. Aristophane critiquait cette mise en scène: « Enlevez les haillons de ses personnages, et ses drames s'en vont»^.

Il y a certaines formes d'habillement qui sont carac- téristiques de sentiments déterminés. On sait, par exemple, que chez les Grecs le geste de se voiler le visage, pour les femmes comme pour les hommes, « est l'expression instinc- tive, mais indirecte, delà souffrance de l'àme, ou plutôt de cette espèce de pudeur qui est naturelle aux larmes», et que nombreux sont les t3'pes figurés la présence du

' Sur ce procédé, p. 182.

- Decharme, Euripide et l'esprit de son thedtre, p. 2qo.

I

2D7

voile est symbole de douleur et de deuiP. C'est Déméter voilée, qui pleure sa fille Proserpine, c'est Achille voilé, motif cher aux céramistes, qui est furieux de l'enlèvement de Briséis, ou qui regrette la mort de Patrocle*.

La chevelure non seulement varie suivant la condi- tion et Tàge^, mais concourt à exprimer les sentiments; désordonnée chez les Ménades, elle indique leur fréné- sie"*; hérissée, elle marque la peur^, et donne au mas- que de Prométhée souffrant un aspect à la fois farouche et tragique^. Elle se dresse en mèches inquiètes sur le crâne de l'Apoxyomenos de Lysippe ; montant au ciel comme des flammes, elle contribue à l'expression pas- sionnée du Dion3^sos de Leyde''; en revanche les mèches pendantes sur le front indiquent la tristesse et le rôle chthonien de Sérapis et d'Hadès, et dans la belle tète fé- minine du Dipylon, la lamentation de la Sirène funéraire^. Ainsi l'artiste sait trouver dans l'arrangement des cheveux un moyen commode pour exprimer les émotions de Tàme.

' Heuzey, MG., I, no 3, 1874, p. 16 sq.; Pottier-Reinach, Nécro- pole de Myrina, p. 422. 2 RA., 1898, II, p. i33 sq. " Pottier, CV., III, p. 979.

* Cf. la chevelure des Satyres, d'Antée, etc., p. 180, 208. '" REG., 1895, p. 109. *"' Reinach, Têtes, p. 198. ' REG., 1S95, p. 9b. ® CoUignon, Statues funéraires, p. 223-4.

17

- 258

C'est la couleur. Celle des vêtements, dont la teinte de deuil, conventionnelle, varie suivant les peuples^: pour les anciens Grecs, outre le noir, c'était le bleu, et c'est pour- quoi Démeter désolée porte des vêtements bleus ^. C'est •aussi celle de la chair, indiquant non seulement la dilfé- rence des sexes ^, mais aussi les sentiments. Elle marque l'effroi et la tristesse : les Erinn3-es'' ont la peau noire, sombres comme les images de Sérapis et d'Hadès dont la pierre foncée rappelle le rôle chthonien^, comme Hypnos sur un lécythe^, ou plus anciennement comme le mort du sarcophage d'Haghia Triada . C'est encore la pâleur blême de ces Erinnyes^, de la Jocaste mou- rante de Silanion, obtenue peut-être par un alliage d'ar- gent au bronze; c'est aussi la rougeur de la honte qui envahit le visage d'Athamas à la pensée de son crime ^. L'artiste grec a reconnu de bonne heure dans la colora- tion des chairs un moyen expressif, et Polygnote dans ses peintures^, Eschyle dans ses masques de théâtre'", eurent

' Hœrnes, Natur iind Urgeschichte d. Menschen, II, p. 328. ' Heuzey, MG., I, 3, 1^74, p. 14. 3 P. 227'.

* REG., 1895, p. 112.

^ P. 44.

^ Poltier, Lécythes blancs, p. 3i.

^ REG., 1895, p. 1 12,

* DA., s. V., Statuaria, p. 492.

* REG., 1894, p. 36o, note 2. '" Ibid., 1895, p. 95, 1 12.

I

2^9

souvent recours à ce procédé. Aujourd'hui encore, les Mincopies reconnaissent à la couleur conventionnelle du tatouage si l'individu est malade ou triste '.

W

Mais si les moyens dont nous avons indiqué quelques exemples sont pour l'artiste d'une utilité incontestable, ce sont cependant surtout les attitudes et les gestes qui sont révélateurs des sentiments.

Il faut toutefois distinguer, car il est des gestes qui ne sont pas expressifs de sentiments et dont la cause est autre. Il y en a, comme nous l'avons vu pour la chevelure, le vêtement, qui indiquent la condition sociale du person- nage'; d'autres n'existent que parce que l'action les néces- site, et n'ont pas d'intérêt ici. D'autres encore ont une origine technique, ne correspondent à aucune idée spé- ciale, et ne sont que conventionnels. Si les deux premiers cas sont bien connus, et si chacun peut en trouver mainte application, il est peut-être utile de citer quelques-unes de ces attitudes techniques, dont l'interprétation peut prêter à erreur.

Sur un relief assyrien, le sculpteur a voulu représenter deux guerriers combattant dans la même attitude et dans

* Hœrnes, op. /., II, p. 332. - P. 80.

26o

la même direction. 11 auiait les placer Tun à côté de Tautre dans le sens de la profondeur. Mais il ignorait la perspective, et il a voulu éviter que l'un des profils

FiG. 43. Athènes. Stèle de rHoplitodrome (Vie sièclei et relief de l'Athéna dite mélancolique iV^ siècle, Acropole).

ne recouvrît Tautrc. Il a donc dessiné le corps du second guerrier de face, et pour que sa tète ne couvrît pas celle de son camarade, il Ta tournée dans le sens opposé \ Sur une stèle du VP siècle au Musée d'Athènes, le jeune hoplito- ■dronie incline sa tête sur son épaule dvoïte (Jïg: ^J): arrivé

' Coll. Barracco, pi. X\1I, p. 20.

FiG. 44. Caryatide de Tralles (Ve siècle).!

263

victorieux au terme de sa course, est-il tombé expirant, comme le coureur de Marathon, avec « un spasme d'an- goisse ? ') ^ Non, s'il incline la tête de profil, c'est que la place manque pour la redresser-, et aussi parce que le sculpteur, suivant un procédé dont on trouve maints exemples dans la peinture sévère de vases à figures rouges, a voulu éviter de montrer la tête de face, comme l'aurait nécessité la pose du torse de face, et en même temps a rejeté l'ancienne convention qui plaçait la tête entièrement de profil : en l'inclinant sur l'épaule, la jonction des deux élé- ments paraissait moins inexacte ^. Je n'irai pas jusqu'à dire que le geste, familier à la Coré du VP siècle et persistant encore au V^, de relever le pli de son vêtement (fig. 44), n'a aucun sens spécial, et que « les artistes l'ont adopté parce qu'ils y ont vu une des solutions naturelles de ce difficile problème, écarter les bras du corps des statues » ■* ; mais il n'en est pas moins vrai que certaines attitudes et certains gestes, auxquels nous serions tentés d'attribuer une valeur expressive, n'ont point d'autre origine que les nécessités techniques^.

' Perrot, HA., 8, p. 63o.

^ Lechat, SA., p. 298.

" RA., 1910. I, p. 232, référ. ; Hartwig, Meistejxhalen, p. loi, io3, pi. VII, X," 1, XIX, I, p. 202.

* Reinacli, GA., 1887, p. 255.

^ .l'en ai donné d'autres exemples dans RA., iQiB, L'influence de la technique dans l'œuvre d'art: Poulsen, Der Orient und die friihgriech. Kunst, p. 162.

- 2(M -

Dans l'Airipidc, Hccubc s'ccric : «Ah! si par quelque artifice de Dédale, ou par la faveur d'im dieu, mes bras, mes mains, mes jambes, mes pieds pouvaient parler » ! Mais cette langue des gestes, les anciens Tont connue mieux que nous, et leurs gestes mesurés avaient souvent pour eux une signification qui nous échappe. «Tôt lingua.^ quot membra viro », disait le proverbe; la pantomime, dans laquelle les anciens ont excellé, prouve la vérité de cette affirmation : Eschyle déjà avait à son service un chef de ch(L'ur qui était en même temps un pantomime si habile, qu'à la représentation des Sept contre Thèbes, il sut, par le mouvement de son corps et de ses mains, rendre sensi- bles tous les événements et toutes les émotions du drame '. Que Ton songe, en etfet, aux conditions matérielles dans lesquelles se jouaient les pièces théâtrales : le masque dont l'expression était immobile et permanente, ne né- cessitait-il pas par sa nature même une variété considé- rable de gestes expressifs 2?

L'étude des gestes a été faite ■\ et Ton verra combien nombreux sont ceux par lesquels le Grec pouvait exprimer d'une façon compréhensible pour tous les sentiments qu'il éprouvait; gestes dont les uns avaient une origine physiologique et instinctive, et, parce qu'ils sont profondé- ment humains, ont conservé de nos jours encore la même signification ; dont les autres étaient conventionnels et ont perdu pour nous leur valeur, si bien qu'à voir sur les

' Athénée; cf. Decharme, Euripide et l'esprit de son théâtre, p. 528. -' Cf. gestes expressifs dans Euripide, ibid., p. .^28 sq. * Sitil, Die Gebàrden der Griech. und Ramer.

265

peintures de vases les gesticulations des personnages, nous avons souvent peine à en comprendre la signification.

Ces gestes, nous ne voulons pas les énumérer, et nous ne voulons nous arrêter un instant qu'à ceux qui ont pour agent la tète, dont l'attitude peut être révélatrice des sen- timents, prêter son concours à l'expression des traits du visage. Comme l'a dit Heuzey à propos de la tête de femme d'Apollonie, légèrement inclinée : « Dans la belle sculpture grecque, si sobre de gestes, il faut être très attentif à ces nuances et comme à ces degrés de mouvement, dont notre sens, endurci parles habitudes d'un art plus tourmenté, ne perçoit pas toujours du premier coup d'œil toute l'élo- quence '. »

$^^

LES ATTITUDES EXPRESSIVES DE LA TÊTE

Comme on l'a dit, certaines attitudes de tête, qui peu- vent paraître expressives, sont en réalité déterminées par la technique : tête levée des figures primitives ^, tête incli- née et tournée de profil sur la stèle de l'Hoplitodrome ^

Ailleurs, l'attitude est déterminée par l'action, et néces- sitée par elle. Les personnages qui chantent lèvent la tête.

' MG., I, no 2, 1873, p. 6 ^ Deonna, A., II, p. 271. * P. 260.

266

la rejettent en arrière; les éphèbes qui vomissent au sortir d'un banquet la penchent en avant. La tète sera dirigée dans un sens détermine pour participer à une action : ainsi Apollon, au centre du fronton d'Olympie. la tourne à sa droite pour contempler les héros sur lesquels il étend son bras protecteur; ainsi Aphrodite, sur le relief du trône Ludovisi, la lève vers Tune des Heures qui reçoit la déesse dans ses bras. Ou bien encore, Tattitude est commandée par le rythme du corps, et si dans les statues d'éphèbes du V^ siècle la tète se dirige à droite ou à gauche (Jîg. 45), ce mouvement n'a d'autre portée que de s'harmoniser avec l'attitude du corps.

Tous ces cas n'ont ici d'autre intérêt que de nous montrer la diversité des motifs qui expliquent les mêmes formes d'art. Mais nous ne voulons examiner que ceux le mouvement de la tête est employé pour exprimer un sentiment intime de l'àme.

■w

Tête de face '. Dans le dessin, il est difficile de rendre sur un profil un état d'àme; au contraire, dans la tète qui se présente de face, les 3'eux, les plis du front, la bouche, les joues, entièrement visibles, offrent plus de facilité pour traduire des émotions vives. C'est pourquoi l'on voit que.

' Sur la tête de face, premier stade logique du dessin, Deonna. A., Il, p. 260 sq.; sur son rôle magique, ci-dessus, p. i53.

1

FiG. 45. « Idolino ». Florence, Musée archéologique.

269

pendant le règne de la tigure de profil, dans l'archaïsme, les tètes de face sont surtout réservées aux êtres auxquels leur condition inférieure permet d'être plus expressifs ', et que la céramique du V^ siècle, abordant avec un intérêt nouveau l'étude des modifications des traits, multiplie les figures de face et de trois quarts -.

■By

Tête droite. Cette attitude est la plus normale : la tête ne s'incline ni en avant, ni en arrière, ne se tourne ni à droite, ni à gauche, mais regarde droit devant elle ^. Aux origines de l'art, elle n'a aucune valeur expressive, mais elle l'acquiert dans la suite, et, comme toutes les attitudes droites'*, exprime la dignité de l'être. Au V^ siècle, la tête des statues de cultes est dirigée droit devant elle, et le regard semble passer bien loin au-dessus des mortels, au- dessus de la vie terrestre, pour se fixer à l'infini "^ : telle est l'Athéna Parthénos ^ ; la divinité ne s'est point encore assez humanisée pour abaisser son regard sur le fidèle.

' RA., iqio, I, p. 23o sq. Cf. tête d'Amazone, coupe du Ve siècle. Buschor, Griech. Vasemnalerei, p. 181, fig. 12Ô.

- Pottier, CV., III, p. 1068, 1088; Berchmanns, L'esprit décoratif dans la céramique à figures rouges, p. 106-7.

' Cuver, La mimique, p. 21 5.

' Cf.' p. 172.

^ Helbig-Toutain, I, p. 164, 218; Lange, Darstellung, p. yb; Furt- wangler. Interme^p, p. 21 : JOAI., iSpq, II, p. 169.

« ÀM.. VI. p. 90.

270

^

Tête inclinée. L'inclinaison de la tète a. elle aussi, une valeur expressive'.

Toutefois cette valeur correspond à des nuances diverses qu"il est souvent ditllcile d'identitier.

Si pendant longtemps les dieux portent la tète haute, on les voit, lorsque Fart rapproche leurs tvpes de Thu- manité, la pencher en avant, comme pour se mettre en relation directe avec les mortels qui leur adressent leurs prières-. Ce phénomène devient courant au H''-' siècle, comme on le voit entre autres par la tète du Zeus d'Otricoli^. De même, dans l'art des Ramessides, le pha- raon, qui jadis redressait la tète, Tincline. Dans la statue de Ramsès II, n la face s'incline vers le spectateur, qui est censé se trouver plus bas. Le roi n'est plus con- sidéré comme le majestueux organisateur, tel qu'on le représentait sous l'ancien empire, les yeux fixés vers l'au- delà des préoccupations vulgaires; il a l'air, ici, de s'inté-

' Cf. dans Tart primitif, pour raison technique, Délia Seta, Genesi dello Scorcio, p. 38 et note i, refer. ^ Helbig-Toutain, I, p. 21N. ^ Ibid., p. 208.

271

resser vivement à Topinion de rhomme arrêté devant lui))\ Il s'agit d'un phénomène général d'humanisation des types, dont on trouverait aussi des exemples dans l'art du moyen âge, et l'attitude, en marquant la relation entre le fidèle et le dieu-, exprime aussi la bienveillance de ce dernier.

On constate la même relation dans les groupes, dont les membres sont d'abord matériellement indépendants les uns des autres et ne cherchent pas à renforcer par le lien du re- gard le lien physique qui les unit^. La déesse courotrophe de l'archaïsme, comme la Vierge romane et gothique, trône majestueuse, et ne regarde point l'enfant qu'elle tient sur ses genoux. Mais l'Athéna du Louvre, de style phidiaque, contemple dans la ciste qu'elle tient sur le bras, en incli- nant doucement la tête, le serpent Erichthonios'*, et un peu plus tard, l'Eiréné du groupe de Munich regarde avec ten-

' Pétrie, Arts et métiers de l'ancienne Egypte, trad. Capart, p. 54-5.

- Cf. la tête de face, indiquant la relation entre le dieu et le fidèle, p. i53.

* Dans l'étude du groupe, on peut distinguer plusieurs phases d'évo- lution : i" les éléments sont distincts, et sans lien; le lien est uniquement d'ordre matériel (cf. stèle de Dermys et Kitylos, bras passé autour du coui ; le lien matériel se complique d'un lien moral icf. déjà le groupe des Tyrannoctones, Lechat, SA., p. 4481. On recon- naît là encore l'évolution de l'extérieur à l'intérieur dont il a été parlé.

' MG., II, 21-2, p. 37.

dresse le petit Ploutos'. Toutefois il serait erroné de dire que cette déesse, avec u son attitude de Madone pensive, inaugure l'ère des têtes penchées »-. puisqu'on en connaît des exemples antérieurs^.

L'archaïsme du \h siècle otVre dans la sculpture plu- sieurs exemples de tètes inclinées. C'est le cas pour cer- taines Corés : mais faut-il croire que cette attitude est seu- lement déterminée par la position élevée qu'elles occupaient sur un piédestal, et qui nécessitait cette inclinaison pour mettre la statue en rapport avec le spectateur'*, ou bien faut-il y voir l'expression d'un sentiment intime ?

On sait en effet que l'inclinaison de la tète et le regard baissé, expriment, non seulement en Grèce, mais partout, parce que c'est une attitude instinctive, des sentiments de modestie et de réserve^. La littérature grecque en fournit maints témoignages. Dans l'hymne homérique, Aphro- dite suit Anchise vers la couche nuptiale, « ses beaux yeux baissés», et quelques siècles plus tard Euripide en donne

' On a dit que cette déesse a quelque chose de plus affecte que l'Athéna du Louvre, sans que l'expression de tendresse maternelle en soit plus vive, ibid.

" Rrunn, cf. GBA., 1894, I, p. 226.

' Sur l'attitude de tête de l'Hermès d'Olympie, ci-dessus, p. 40.

'' Lermann, Altgriech. Plastik, p. G'?.

'" Cf. Magnus, Darstellung des Auges, p. ç)i; Sittl, op. /., p. i35: Furtwangler, M P., p. 254.

- 273-

le motif, en faisant dire à Hécube : « Il y a une autre raison encore, la décence, qui ne permet pas à une femme de regarder un homme en face ». Xénophon trace un tableau charmant de la modestie des Jeunes Spartiates, qui mar- chaient dans la rue en silence, les mains sous leur robe, sans tourner la tête à droite ni à gauche, les yeux toujours fixés devant eux, et ne faisant pas plus de bruit que des statues'. Plus tard, Tliéocrite décrit Tair gêné de Daphnis, qui tient ses yeux attachés à terre : « Hier une jeune fille aux sourcils joints, me voyant de son antre passer condui- sant mes génisses, dit: Qu'il est beau, qu'il est beau! Je ne lui ai rien répondu, mais, pour la punir, j'ai baissé les yeux, et j'ai continué mon chemin »-.

On peut donc trouver, avec M. Lechat, dans l'attitude inclinée de la tête des Corés, « je ne sais qu'elle vague timi- dité ou modestie qui leur fait baisser le regard et incliner le visage w^, mais je ne crois pas que cette pose alourdie de la tête provienne, comme le pense ce savant, d'un « manque de ressort antérieur, qui contient le germe de l'avachisse- ment levantin » ''. Si d'autres Corés « paraissent vouloir mon- trer à leurs voisines ce qu'est une attitude ferme, ce qu'est

' Boutmy, Philosophie de l'arch. en Grèce, p. 29. Cf. Aristophane, Nuées. " Cf. Legrand, Théocrite, p. 217; Couat, Poésie alexandi'ine, p. 480. ^ Lechat, BCH., 1892, p. 498. ^ Id., SA,, p. 291.

une tête relevée, avec un franc regard droit »\ faut-il recon- naître dans cette ditVérence une divergence d'école, plutôt qu'une nuance d'expression? Certaines Corés, modestes, inclinent la tête ; d'autres, et ce sont peut-être des déesses, la tiennent droite et rière -.

Le V^ siècle atTectionne cette attitude. Chez l'athlète de Munich, qui répand l'huile sur sa main gauche, elle est nécessitée par l'action, et n'est point spécialement expressive ^. Mais elle l'est bien chez l'athlète Petworth, puisque le regard se dirige au delà de la main qui reçoit l'huile, et ne s'inquiète pas de l'action ■*. L'éphèhe West- macott pose sur sa tête la couronne de victoire. On a prétendu que l'inclinaison de son chef ne répond pas à ce geste, et que l'on ne comprend pas pourquoi le jeune homme baisse la tête et regarde à terre avec tant d'intensité pour se couronner. Mais on a fait juste- ment remarquer que l'artiste a voulu par indiquer la modestie avec laquelle l'athlète reçoit l'honneur qui lui a été décerné ^. Tels sont encore, entre bien d'autres, l'éphèbe

' Ibid.

^ Sur la tète droite, p. 269.

' « Tension de l'esprit et du corps sur un acte d'ordre purement matériel» iBrunni; cf. Reinach, Recueil de Tètes, p. 62. Le visage est encore inerte.

* Furtwiingler, M P., p. 261.

* RM., VIII, 1893, p. loi; Coll. Bjrracco, p. 3('i-j, pi.; Furtwân- gler, MP., p. 25o.

de Dresde*, le Diadumène de Pol3xlète^ : la tête de ce dernier est penchée, a-t-on dit, « bien que ce ne soit pas nécessité par Taction, mais pour donner plus de douceur et de souplesse au rythme»'; ne Test-elle pas plutôt par modestie, comme celle des éphèbes sur la frise des Panathé- nées, « à la tête un peu inclinée, attitude charmante de grâce et de modestie » * ?

Les peintres de vases ont une préférence marquée pour cette attitude de la tête, bien avant Cimon de Cléonées qui passait pour l'avoir inventée ^; elle apparaît fréquemment sur les vases du cycle d'Euphronios, de Peithinos*'; plus tard le style de Meidias s'y complaît'; en un mot c'est un « leitmotiv » des céramistes du V*^ siècle, que cette pose alourdie et rêveuse ^.

Il n'est donc pas juste de dire que la tête du Dionysos de Naples, qui s'incline pensivement, rappelle par ce trait

' Furtwangler, MR., p. 266. ^ Cf. p. 61.

^ MP., VI, p. 242, pi. X; sur l'altitude déterminée par le rythme, cf. p. 266.

* CoUignon, Phidias, p. 80.

'" Sur les dites inventions de Cimon de Cléonées, Deonna, A., I, p. 270.

® Ex. coupe d'Euphronios, cavalier sur son cheval, MG., II, no 14-6, pi. 5: Hartwig, Meisterschalen, p. ii3, Peithinos, pi. XXV; Joubin, SG., p. 195, note i, etc.

^ Nicole, Meidias, p. ii3, i3o; id., Mélanges Nicole, p. 41; Furt- wàngler, Griech. Vasenmal., p. 142.

* Pottier, CV., III, p. job, 968, 1062; Hartwig, of. /., p. 2o5.

270 -

l'Eirené de Ktiphisodote '. puisqu'il s'agit d'un caractère qui n'est pas propre à une école, à un maître du \'' siècle, mais bien à tout l'art de cette époque.

Au IV*^ siècle, la tète penchée des éphèbes de Praxitèle continue la tradition, et les charmantes hi^ures de la base praxitclienne d'Athènes^ rappellent le souvenir du Parthé- non. L'art du IV*^ siècle et des époques suivantes Va donner à la tcte deux attitudes opposées : il l'inclinera, rêveuse, dans THypnos de Boston^, la Psyché de Capoue. dans le relief néo-attique des Agraulides^ ; ou bien, s'attachant de préférence à la conception scopasique, dont l'origine est, elle aussi, antérieure à ce maître, il la relèvei"a et la rejettera en arrière avec passion.

Il semble donc que, si ce port de la tête indique en bien des cas la réserve, la modestie, il est devenu dans l'art une

' Reinach, Recueil de Têtes, p. qq; Bulle, SM., p. 75.

- JOAl, II, i8()(), pi. V-VII: Pqvvox, Praxitèle, p. 29, fig. 6 ; Deonna, A., I, p. 394.

^ Mailler, Pohklet, p. i3q, tig. 44.

■• Ce détail, pour Hauser, serait dans ce monument un souvenir praxitélien, JOAI., 6, p. 97.

/ /

convention qui n a plus la même portée expressive et, au cours du temps, comme il arrive souvent, a légèrement modifié son sens primitif.

^

Mais rinclinaison de la tête exprime aussi la tristesse', comme toutes les attitudes affaissées^. Déjà la douloureuse Démétcr, dans Thymne homérique, « fixe à terre ses beaux yeux»^; Achille voilé, sur les peintures de vases, incline profondément sa tête, que courbe Taffliction^. Sur les reliefs funéraires, cette attitude donne aux défunts l'ex- pression de recueillement et de tristesse qui en fait le prin- cipal charme^; sur les lécythes, le mort s'approche de Charon, batelier funèbre, en inclinant mélancoliquement le chef '^, comme le feront plus tard les Eros funèbres gréco- romains'.

' Darwin, op. l. (2), p. 189 sq.: Cuver, La mimique, p. 21 5.

^ P. 172.

^ Heuzey, Recherches sur les figures de femmes voilées, MG., 1874, 3, p. 18; Tauieur retrouve cette expression de douleur dans l'incli- naison de la tête de la plupart des images de femmes voilées.

* HA., 1898, II, p. i53 sq. - ° GBA., 1910, I, p. 75 ; Reinach, Apollo, p. 65.

" BCH., 1877, pi. 1.

'' Ibid., 188Ô, p. 325; CoUignon, Statues funéraires, p. 32(j; Pottier, Di philos, p. io3.

- -^7'^ -

En résume, rinclinaison expressive de la tète peut siirni- lîer la bienveillance qu'éprouvent les dieux pour les mortels, la réserve et la modestie de ceux-ci, ou bien leurs senti- ments de tristesse. Si Ton note encore qu'elle est devenue, dans Fart du V^ siècle, un procédé n'aj^ant plus une signi fication expressive très précise, une convention esthétique, on comprendra qu'il est souvent délicat de dire, dans tel ou tel cas particulier, sa véritable acception. On parle du charme pensif, mélancolique, des figures phidies- ques, aux têtes inclinées ; mais cette expression de mélan- colie, est-elle réelle, et ne s'agit-il pas plutôt de la réserve modeste de ces Hellènes du V*-' siècle, qui ne s'enorgueil- lissent pas devant la divinité, et courbent la tète devant elle ? Et, dans la sculpture funéraire, peut-on dire que toutes les tètes inclinées signihent la tristesse, alors que sans doute les marbriers n'ont pas attaché à cette attitude plus de valeur expressive qu'à une autre, et n'ont fait que suivre un procédé devenu conventionnel dans le grand art ?

Enfin, que l'on ne considère pas comme révélatrice de sen- timents la tête que l'action incline. Athéna sur le relief bien connu de l'Acropole (^^jo-../Jj, regarde le pilier sur lequel était peint le petit Erichthonios '; mais l'expression de mélan- colie qu'on a voulu V voir ne provient que d'une erreur: elle n'existe pas dans les traits du visage, et l'inclinaison de la tête est seulement nécessitée par l'objet sur lequel se porte le regard de la déesse.

' Derniers travaux, De Ridder, L'Athena mélancolique, B(]H., 1912, p. 523 sq. ; Dragoumis, Journalintern d'jrcli. uuniistJi., iqou. p. i sq.; cf. MP., III, 1896, p. 7, Q, II sq.

■--*^-

FiG. 46. Tête inclinée'en avant et de côté.

Ve siècle '.

' Musée des Thermes, Rome. Tête ayant appartenu à une statue du tvpe de la « Pénélope » du Vatican.

28 1

On voit combien il est souvent délicat d'interpréter ces attitudes, et combien les dispositions personnelles du spectateur, comme la suggestion du sujet, peuvent in- fluencer Topinion que Ton se fait.

"Bf

L'inclinaison de la tête en avant peut se compliquer d'une inclinaison latérale à droite ou à gauche (Jig. 46). Ce double mouvement apparaît déjà dans l'archaïsme du VP siècle ^ mais c'est surtout après la rupture de la frontalité qu'il de- vient fréquent"^, par exemple dans « l'Ephèbe blond » de l'Acropole, l'athlète de Stéphanos^, les éphèbes polyclé- téens. On remarquera que la tête se tourne en général dans la direction de la jambe d'appui ■* ou du bras qui est tendu en avant ^; et l'on comprend qu'il s'agit en somme moins d'une attitude expressive que d'une attitude déterminée par le rythme, par le désir d'harmoniser les mouvements du corps *^.

* Petit torse masculin de l'Acropole, Lechat, SA., p. 258, note i; Perrot, HA., 8, p. 692; Lermann, Altgriech. Plastik, p. 65, dit à tort que cette attitude n'apparait pas encore au Vie siècle.

^ Lechat, SA., p. 364. ^ Joubin, SG., p. 84.

* Miinchener Jahrbuch d. bild. Kiinst, 1907, II, p. 7; ex. Vénus de l'Esquilin, Diadumène de Polyclète, etc. ; parfois cependant du côté de la jambe d'appui : athlète de Florence, Bulle, SM., pi. 1 13 ; éphèbes polyclétéens, pi. 120; bronze de Paris, p. 84, etc.

' Furtwângler, MW., p. 78, 81 ; MP., IX, 1Q02, p. 5o: RM., II, p. 98.

« P. 266, 275.

282

Toutefois, quelle que soit son origine, ce double mou- vement communique à la statue une expression très par- ticulière. Il donne au petit torse de TAcropole, «malgré son archaïsme, un charme des plus rares ; il a déjà quelque chose de la grâce raffinée du célèbre Narcisse en bronze du Musée de Naples « ^ Il donne à la tête de « TEphèbc blond », dont les traits sont inertes et dont la bouche même est involontairement morose, une expression de d(Hice mé- lancolie \ C'est à lui que la tête féminine d'Apollonie, sans qu'aucune contraction des traits n'apparaisse, doit son ex- pression de tristesse^. Il renforce l'impression de réserve et de modestie qui fait le charme de tant de statues d'éphèbes du ^''■ siècle^; et à l'Eiréné de Képhisodote, il communique une expression bienveillante et amicale^. Quelle différence, grâce à ce détail, entre le sphinx de Delphes, dont la grosse tète naïve regarde droit devant elle^, et le sphinx d'Egine. plus jeune d'un siècle : ce dernier tourne la tète vers la droite et l'incline léiîèrement : il a

' l.echat, SA., p. 258, note i. '■' Cf. p. 40.

* Heuzev, MG., I, 2, iSjS, p. ô; légèrement inclinée en avant et un peu penchée sur le côté gauche.

* Ephebe de Dresde, Diadumène de Polvclète, MP., X. p. 266.

* RA., iqo4, II, p. 345. « Cf. p. 22, 38.

FiG. 47. Synagogue de Strasbourg, XIII^ siècle.

285

perdu son impassibilité redoutable, et sa beauté surnatu- relle s'est tempérée d'humanité. N'est-ce pas ce léger chan- gement dans Tattitude, uni à la gravité de ce visage, qui a inspiré à Furtwangler ce commentaire lyrique : « Quand je vis pour la première fois la tête rajustée sur le corps ; quand, pour la première fois, cette tète, si légèrement portée sur ce cou délicat se tourna vers moi, je connus une minute inoubliable ; j'étais pris tout entier parle charme saisissant de cette beauté démoniaque, et je sentis qu'être déchiré par ses gritfes devait être une jouissance parfaite » K

Ainsi l'art possède, dans l'inclinaison de la tête, accom- pagnée ou non d'une flexion latérale, un puissant moyen d'expression, même quand les traits du visage sont com- plètement inertes, et qui peut même faire croire à leur passion. On peut alors exprimer toutes les nuances de dou- ceur et de grâce, confinant à la mélancolie et à la tristesse.

On notera qu'il ne s'agit pas d'un assouplissement de l'art spécial à la Grèce, mais qu'une évolution semblable se retrouve ailleurs. Déjà dans l'art chaldéen, les tètes se courbent^. En Egypte, si le Pharaon penche la tête vers l'adorateur ^ sous l'influence grecque le rigide sphinx apprend, lui aussi, comme celui d'Egine, à l'incliner

Environs de 45o, cf. Mendel, RAAM., 1909, I, p. 2o3, fig. 7-8. Heuzey, Figurines, p. 3 1 : « On remarque dans l'inclinaison expressive de la tète une heureuse imitation du mouvement ». ^ Cf. p. 270.

■2S6

de côté '. Et en franchissant les siècles, en regardant les ceuvrcs de l'art chrétien, on verra aussi que les sculptures du moyen âge montrent ce mouvement- fii::. 47)-

■w

Tête levée. Comme pour l'attitude inverse de la tète inclinée, il faut tout d'abord mettre de côté les cas qui ne sont pas expressifs de sentiments.

i 5 3

FiG. 48. Tète levée au ciel iDeonna, A., II, p. 272, fig. 80).

On a montré ailleurs qu'aux débuts de Fart, la tête des statues et des statuettes, en quelque matière qu'elles soient.

' Maspéro, Egypte, p. 262.

'•* Ex. XlVe s., Musée de sculpture comparée du Trocadéro, pi. 356.

287

comme aussi celle des dessins, s'insère obliquement sur le cou, parfois même à angle droit ', est donc rejetée en arrière, levée au ciel 'fi g. 48). Cette attitude, qui n'a rien de voulu, est déterminée par la technique, par les conventions pri- mitives de Fart naissant^; Tarchaïsme grec du VP siècle en conserve encore des traces.

Ailleurs le relèvement de la tête est nécessité par Faction, et Ton ne peut dire non plus qu'il est expressif. Les joueurs de lyre et de cithare, sur les stèles et les vases^, chantent en levant la tête ; des hommes sortent d'un banquet, et, leurs jambes flageolant sous l'effet de l'ivresse, la tête levée et le cou tendu, ils lancent à pleine voix leur chanson ^ Ou bien Eros bandant son arc, Hermès attachant sa sandale, regardent au loin, en levant la tête...

' Ex. fresque quaTernaire d'Espagne, A., 190Q, p. 10, fig. 6, p. 11. M. Breuil reconnaît dans ces tètes des masques de chasse, ce qui me paraît erroné. Cf. aussi Rev. d'Ethn. et de Sociologie, 191 2, p. 23.

"^ Deonna, Comment les procédés d'expression..., p. 19; id.. A., II, p. 271 sq.

' Stèle d'Anactoricn, AM., XVI, pi. XI; lécythe blanc du V* s., femme chantant, ibid., pi. X, 2.

* Portier, CV., III, p. 924.

2S,S

Mais de même que dans la nature les attitudes inclinées de la tète répondent à des sentiments d'humilité, de mo- destie, de douceur, de même les attitudes relevées, comme toutes celles des membres en extension, répondent à des sentiments d'assurance, de satisfaction personnelle, de déH, de hardiesse ^ Dans Tart chrétien, si la triste syna- goi^ue, humiliée par sa défaite, baisse la tête fiir. 4~ ), l'Eglise triomphante la relève-.

Ce peuvent être des sentiments de piété qui poussent le croyant à regarder le ciel, demeure de la divinité^ : ainsi, dans les sacrifices antiques, si la victime olVerte aux dieux chthoniens avaient la tête baissée, on relevait celle de la victime consacrée aux dieux ouraniens*.

Ce sont aussi des sentiments de douleur, la tête se lève pour implorer la pitié (fig. 4g), des sentiments d'ex- tase...

En décrivant une statue de femme voilée de Chide, Newton disait : « Contrairement à la pratique ordinaire de la sculpture antique, le regard de cette figure est dirigé en haut))"^. Cette appréciation n'est pas juste, car la tête rele- vée est fréquente dans l'art grec*^.

' Cuver, La mimique, p. 21S sq.

- Michel, HA., II, 2, p. 762.

^ Darwin, op. I. (2), p. 235.

* DA., s.v. Sacrificium, p. 97.

^ Halicarnassus, p. SgS; Heuzey, MG., 1874, 3, p. 10.

^ Deonna. A.. II. p. 378 sq.

FiG. 49. Niobide de Rome. Ve siècle.

19

2C)I

C'était Tune des inventions que l'on attribuait à Cimon de Cléonées^; quelle que soit la vérité de cette affirmation-, cette attitude devient fréquente dans la céramique à partir de la fin du VP siècle et pendant le V^. Sur une coupe portant le nom de Chairestratos, « l'air extatique du jeune homme, chantant la tête renversée, la bouche ouverte, appelle le souvenir des œuvres postérieures de la grande sculpture, comme la Ménade de Scopas »^. Un homme renverse la tête, et, d'un geste alourdi par la fatigue pesante de l'ivresse, y porte la main'*. De tels exemples ne sont pas rares, car les artistes céramistes du V^ siècle ont une pré- dilection marquée pour cette attitude^ qui, si elle est sou- vent en relation avec l'action représentée, souvent aussi n'a point de rapport avec elle, et n'est qu'un moyen d'ex- pression.

Mais la grande plastique, qui incline volontiers les têtes pensives et modestes des éphèbes, n'offre que peu d'exem- ples de statues dont la tête soit rejetée en arrière dans le seul but d'exprimer des passions dans un corps au repos ; une telle attitude eût été en contradiction avec l'idéal noble

' Pottier, CV., II, p. 5-3: III, p. 847. ^ Cf, p. 275.

^ Pottier, CV., III, p. 968; sur Tavance de la peinture sur la sculp- ture, ci-dessus, p. 126. * Ibid., III, p. 970. ^ Ibid., p. 969, 970, io35; Hartwig, Meisterschalen, p. 3ii,

-nj-i

de cette époque ou riioinme ne s'enorgueillit pas devant la divinité, mais s'incline devant elle.

Il faut attendre le IV'^ siècle, Tart, se rapprochant de rhumanité, commence à descendre des hauteurs idéales il était monté, pour voir cette attitude se généraliser. Au V'' siècle, les visages qui s'inclinaient gardaient des ti"aits impassibles ; lîiaintenant que le pathétique a commencé à les émouvoir, l'attitude de la tète levée, en s'unis- sant à lui, va en renforcer Tetlèt. A supprimer ce mouve- ment dans les tètes scopasiques de Tégéefjig. 3y), l'expres- sion passionnée perd beaucoup de son intensité.

Les héros soutirants de Tégée renversent leur tête et jettent au ciel un regard désespéré. Mais ce geste n'indique pas seulement la souffrance physique ou morale, comme dans le groupe funéraire d'Alexandrie \ le désespoir, ou la prière, il exprime aussi la fierté, car à mesure que décroît l'idéalisme du V^ siècle, que les dieux descendent du ciel sur la terre, les mortels se haussent à leur niveau et jettent vers le ciel un regard audacieux. L'Agias de Delphes fixe hèremcnt le ciel ; les portraits d'Alexandre le montrent « la face tournée vers le ciel, comme lui-même Alexandre avait coutume de regarder », et ils semblent dire, tels l'Alexandre à la lance de Lysippe : « Pour toi, retiens le ciel, car la terre est à moi ». Mais les dieux eux-mêmes, qui ne sont plus guère que des mortels, subissent la con- tagion. On a remarqué que c'est un contresens pour un dieu, par exemple pour Hélios, de regarder le ciel il de- meure et de sembler l'implorer. Jadis les statues de culte

' Collignon, StJtues fimcrairL's, p. iS()-7.

2 g:

dirigeaient leurs regards droit devant elles'; maintenant le Poséidon de Milo, l'Asklépios du Pirée, TAihéna scopa- sique de Florence, rArtémis Warocqué, lèvent les regards vers rOlympe d'où le scepticisme les a fait tomber.

On remarquera que ce mouvement le plus souvent est double, c'est-à-dire que non seulement la tête se relève, mais qu'elle s'incline en même temps sur une épaule^ ; on l'aperçoit dans la plupart des monuments cités ^, dans les tètes de Tégée, de l'Artémis Warocqué^, de TAgias, dont l'expression mélancolique en est renforcée^, et ce mouve- ment contribue à exprimer la passion du visage, en même temps qu'il accentue le caractère plus humain du type. « Je dirais volontiers, s'exprime M. Lechat en décrivant une tête d'Aphrodite de Candie^, que ce port de tête est d'une déesse que sa majesté commence à gêner, et qui, sachant ce que vaut sa beauté, ne serait pas fâchée de la faire valoir tout entière, dùt-elle y perdre son diadème d'Olympienne et devenir davantage une femme d'ici-bas».

1 P. 269.

^ Sur l'attitude parallèle de la tête inclinée en avant et penchée de côté, cf. p. 281.

^ Deonna, A., H, p. 38o sq. * RM., 1905, p. 143. ^ BCH., 1899, p. 455. •^ REG., 1899, p. 200.

2<)4

Même une nuance de coquetterie s'ajoute, dans ces atti- tudes pencliees chères aux hellénistiques. L'incHnaison de la tête sur une épaule, dans les figurines de Myrina, est « un de ces spirituels caprices au moyen desquels les co- roplastes combinaient les éléments de leurs figurines pour donner aux attitudes quelque chose de piquant et d'im- prévu « ^ Telle est aussi la tète d'Aphrodite de Tralles, d'allure coquette-.

Le type physique d'Alexandre le Grand a-t-il eu quelque inflluence sur cette conception artistique ? On sait que le roi inclinait la tête sur une épaule^ : on a pensé que les artistes ont reproduit ce défaut dans ses portraits ; puis que ses successeurs ont imité ce port de tête, comme ils imitaient la chevelure léonine du prince. N'est-ce pas ainsi que sous Louis XIII et sous Louis XIV tous les courtisans ressemblaient au roi de France, que la « napoléonomanie .- sévissait sous le premier empire \ et que, sous le second em- pire, tous les officiers s'efforçaient de copier le type physi- que de l'empereur'^ ?

' Nécropole de Myrina, p, 424.

" Furtwangler, MP., p. 897, fig. 174 {\\U sièclel. Noter qu'à l'époque de Caracalla, la tète reçoit, comme dans l'art grec à partir du IVe siècle, une légère inclinaison à gauche, avec le regard quelque peu levé dans cette direction, ce qui communique au visage une grande animation. Strong, Roman Sculpture, p. 377: REG., 1899, p. 200.

" Sur ce détail étudié au point de vue médical, Dechambre, RA., IX, 2, p. 422.

* MP., III, J896, p. 164, note 2.

■' Courajod, Leçons professées à l'Ecole du Louvre, II, p. 90.

2C)D

Mais il semble que Tart n'a point dans ce cas imité la réalité, et que cette dernière a plutôt imité l'art. Le type artistique d'Alexandre, conçu à une époque le portrait fidèle ne faisait qu'à peine son apparition, s'est inspiré d'un type plastique antérieur, idéal, celui dont on trouve déjà l'expression dans les frontons de Tégée ' : il répondait à l'idéal de beauté virile et expressive de l'époque d'Alexan- dre, comme le type augustéen à celui de l'époque napoléo- nienne.

On ne s'étonnera pas que la même progression s'observe dans l'art chrétien-, et que, sur les reliefs de la chaire de Pistoie, par Giovanni Pisano, les personnages qui parlent le langage de la passion comme les guerriers des frontons de Tégée, lèvent ou inclinent leur tête ; qu'au XV^ siècle, Christ douloureux lève la tète et l'incline en même temps sur une épaule (fig. 32), comme les géants pergaméniens.

' RA., 1905, I, p. 42; Amelung, RM., 1905, p. 143, note i. ■■' Deonna, A., Il, p. 384.

I

C LES RELATIONS EXPRESSIVES DE LA TETE ET DU CORPS

Si, en tenant compte de la progression que nous avons indique'e, on examine maintenant quelles sont les relations expressives qui unissent la tête au corps, on notera les cas suivants.

Dans le stade inexpressif', il y a harmonie entre les deux éléments, en ce sens que le corps et le visage sont tous deux inertes et sans vie ; ou, s'ils paraissent, l'un faire des gestes, l'autre avoir des traits doués d'expression, ils ne le font que d'une manière involontaire, inconsciente^. C'est ce que montrent, par exemple, les statuettes d'ivoire du Dipylon.

Dans le stade l'expression est demandée à des moyens extérieurs^, on voit s'introduire le désaccord entre les traits du visage, qui sont toujours impassibles, et les membres du corps, qui deviennent expressifs.

On a souvent relevé ce désaccord dans l'art grec du V*^ siècle, qui, pour les motifs indiqués plus hauf*.

' P. 240.

- P. 3i5, Texpression involontaire.

' P. 253.

* P. 167.

.100

demande beaucoup aux altitudes et peu aux visages. Au Japon les danseuses suggèrent les émotions qu'elles doivent inspirer, par leur attitude, par les mouve- ments des jambes et des pieds, alors que, conformément à la notion de décorum des Japonais, la tête reste impas- sible'; de même les anciens citharèdes grecs simulaient avec leurs pieds des mouvements variés, mais leurs visages restaient immobiles^.

Il n'en est pas autrement dans la peintiu'e et la sculp- tuie'. Dans cet art, a-t-on dit, « qui laisse au visage une impassibilité conventionnelle, tous les moyens d'action sont dans les gestes et dans les attitudes »■*. Est-ce impuissance à dramatiser les physionomies •\'' Non, mais bien conception esthétique raisonnée, fondée sur le sentiment de dignité et de décorum qui a été étudié plus haut.

Les pleureuses archaïques se lamentent*', les blessés d'Egine souffrent', plus par leurs gestes que par leurs visages. Les traits du Discobole de Alyron ne sont pas af- fectés par le violent mouvement de son corps**, et Ton a dit

' De Seidlitz, Les estampes japonaises, p. 2.

- REG., 1895, p. 107.

*" Piderit montre que dans notre art moderne certains personnages font reconnaître facilement dans leur attitude une expression déter- minée, alors que leur visage, examiné isolément, a une expression indifférente. La mimique et la physiognomonie, p. 27.

* Pottier, CV., III, p. 968; l.echat, Pythagoras, p. 86.

* REG., 1894, p. 339.

'' Coliignon, Statues funéraires, p. 19- ' Vuv\\\-ànu,\iiv, Beschreib., ^. iii.

^ Lermann, Altgr. Plastik, p. i58, i('io; Rtmach, Recueil de Tetes^ p. 53; Furtwiingler, MP., p. 181.

301

avec raison que c'était une tête de statue sur un corps vi- vant '. Le pathétique de Tart phidiesque-, des sculptures du Théseion et de Phigalie^, est de même nature physique. Dans le relief d'Orphée, « l'expression des sentiments est aussi atténuée que possible ; c'est à peine si elle apparaît dans les têtes. L'artiste, pour faire comprendre le sujet traité, a surtout accentué les mouvements des personnages, mouvements qui sont très significatifs, et qui non seulement indiquent Faction même fixée dans le tableau, mais encore font deviner ce qui a précédé et font pressentir ce qui va suivre»''.

Qu'on regarde l'Achille voilé des peintures de vases ! La tristesse profonde qu'il éprouve n'apparaît pas dans son visage calme, dont l'œil est immobile", mais bien grâce à des procédés extérieurs, dans le vêtement qui couvre la tête et parfois même le visage*^, et dans l'attitude assise, atfaissée, dans le geste de la main qui soutient la tête.

* Mahler. Polyklet, p. i6.

' Furtwângler, Coll. Sabouroff, I, 2, p. 10; REG., 1894, p. 348-9, 367; Lechat, REA., 1910, p. 140.

^ Collignon, SG., II, p. 161; Baumgarten, Hellenische Kultur (3), p. 3-4.

■* Helbig-Toutain, II, p. 52-3.

' RA., 1898, II, p. 167.

•^ Ibid., p. 174 sq. On sait que les artistes grecs ont souvent eu recours au subterfuge de voiler le visage pour n'avoir pas à v peindre l'expression. On en trouve de nombreux exemples dans la peinture de vases archaïques, ou par exemple un bras cache le visage, et Ton connaît l'anecdote du peintre Timanthe qui avait voilé le visage d'Agamemnon dans la scène du sacrifice d'Iphigénie, parce qu'il ne pouvait parvenir, disait-on, à y indiquer suffisamment la dou- leur paternelle, RA., 1898, II, p. 181, 1904, II, p. 340; Winckel- mann, HA (trad. 18021, II, p. 276.

-"«oi

Socratc disait au sculpteur Klciton : « Je sais que tu fais une dillérence entre un coureur, un lutteur, un pugiliste» ; mais cette différence ne résidait guère que dans la muscu- lature, les attitudes, et non point dans Texpression des vi- sages.

C'est pourquoi les statues grecques qui nous parvien- nent privées de leur tète, conservent, quoique mutilées, leur valeur expressive. « Ce qu'un grand statuaire peut montrer dWme et d'expression dans une seule attitude, sans le secours du visage, on le voit clairement par les statues antiques dont la tète est mutilée ou absente. L'expression y est si frappante encore, qu'il semble n'y rien manquer» '. Et n'est-ce pas cette expression physique que Rodin a voulu obtenir, en modelant sa statue d'homme qui marche, sans tête? «J'ai toujours essa3'é, dit ce maître, de rendre les sentiments intérieurs parla mobilité des muscles»^.

En revanche, il est souvent difficile de dire, en pré- sence d'une tète isolée du V*-' siècle, non seulement s'il s'agit d'un dieu ou d'un mortel, d'un homme ou d'une femme^. mais si elle a appartenu à un corps au repos ou à

' Blanc, Grammaire des arts du dessin |3|, p. 372. * Gsell, Auguste Rodin. L\lrt, p. 72. » Cf. p. 228.

3o3

un corps dont le mouvement physique était ne'cessité par Faction du personnage, ou devait révéler les sentiments. Les artistes n'ayant attaché grande importance à la tête que tard, il y a souvent, aussi, plus d'archaïsme en elle que dans le corps ^

On a déjà vu que ce désaccord existe aussi entre les attitudes expressives de la tête seule, et les traits impassi- bles du visage-.

Il s'agit d'un phénomène universel, d'un stade général de l'art, qu'on retrouve par exemple dans l'art chrétien. Que Ton regarde entre autres les mosaïques de Sainte Agnès^: il n'y a d'expression que dans les attitudes, car les physionomies des saints sont inertes.

L'artiste ne comprend pas qu'il doit coordonner de façon harmonieuse les divers éléments du tout qu'est une statue, et qu'une tête inerte sur un corps violemment tendu, est une erreur analogue à celle qui consiste à vêtir d'une dra- perie tranquille un corps en mouvement*.

' Reinach, Apollo, p. 42: Lechat, Mélanges Perrot, p. 20S. Remar- quer aussi que dans les statues archaïques plus petites que nature, la tète est souvent travaillée sans soin, l.echat, Musée, p. 3o8 sq., 3i I, 322 ; RA., 1906, I, p. 141.

■' Cf. p. 265. '

^ Laurent, L'art chrétien primitif, II, p. 3o, Vile siècle.

* Deonna, A., II, p. 456-8, ex. de ce manque de coordination.

^o4

Mais, dans le troisième stade, la tète devient expressive, l'harmonie s'établit de nouveau entre elle et le corps, et il y a convergence de tous les éléments expressifs. Le visage de Déméter douloureuse a une expression de mélancolie résignée, à laquelle contribue le voile serré autour de la tète ^ Dans les terres cuites de Tanagra, la draperie est expressive au même degré que les traits de la ph3'siono- mie^. La chevelure agitée du Dionysos de Leyde sur- monte un visage pathétique^; sur la frise de Pergame, la douleur est répartie dans tout le corps : avec les visages convulsés, c'est le hérissement des chairs, les contractions de la poitrine, que soulève un spasme d'angoisse*. Et, nous Tavons vu. le pathétique du IV'' siècle et de l'époque hellénistique demande aux attitudes des tètes leur concours expressif^.

Cet équilibre qu'on avait eu tant de peine à obtenir se rompt bientôt. Auparavant, le corps était plus expressif que la tète ; maintenant, c'est la tète qui va concentrer en elle l'expression au détriment du corps. On a dit que l'art chrétien seul avait connu ce stade, négligeant le corps pour exalter les passions dans le visage, alors que l'art grec tenait toujours une juste balance entre les deux. « Pour

' Pottier, Diphilos, p. 36, pi. III.

- Lechat, Tanagra. p. 84 sq.; Deonna, A., III, p. 268.

' Reinach, Recueil de Têtes, p. 198.

* Collignon, SG , II, p. 52?.

'•> P. 2Q2.

3o5

l'artiste chrétien, le visage est Tunique miroir de Tâme ; Tartiste païen, au contraire, imprime sur toutes les formes le cachet de sa pensée ; il la répand sur toute la surface du corps ))'. Idée profondément erronée, qui est comme le « leitmotiv » de l'esthétique de Taine, de Ruskin, et de bien d'autres critiques du XIX'^ siècle; idée qui provient, nous le savons, du dogme faux de la sérénité grecque, et de l'an- tithèse que l'on a voulu établir à tout prix entre l'art anti- que et l'art chrétien-. Mais il est facile de montrer que ce dernier a passé, lui aussi, par les stades précédents, l'expression extérieure est la seule en usage; qu'il a su, aussi bien que Tart grec, faire concorder les mouvements expressifs du corps et du visage, et que le visage passionné sur un corps immobile, ne lui est pas spécial, mais se retrouve aussi dans l'art grec, quand le réalisme a triom- phé des dernières résistances de l'idéalisme^. La tête de Laocoon (/îg". i6) est convulsée sur un corps expressif. Mais dans l'Athéna scopasique de Florence, la tête levée au ciel avec l'air extatique d'une Jeanne d'Arc inspirée, surmonte un corps au repos ; le pathétique, du corps s'est limité au visage... C'est un genre nouveau que celui de la sculpture d'expression^, qui se développe surtout en Grèce à Tépoque hellénistique, concentrant l'intérêt du spectateur dans la tête, au détriment du corps. Est-ce « certainement une déchéance au point de vue de

' Blanc, op. l. (3), p. G3, 872.

'' Cf. p. i83 sq

' Deonna, A., III, p. 125 sq. L'art grec et l'art chrétien.

* Collignon, SG., II, p. 486.

3o()

Fart » '? Non, c'est une conception ditVérente de celles qui ont précédé, mais tout aussi justifiée qu'elles.

Cette évolution logique correspond à peu près à l'évo- lution chronologique-, c'est-à-dire que l'art passe du schéma inexpressif à l'expression extérieure, puis à celle des visages. Toutefois, la règle n'est pas absolue, car d'autres facteurs viennent y faire obstacle.

Le V^ siècle donne peu d'attention à la tète, dont, au nom des conventions sociales, il refrène les passions, qu'il exprime par des moyens extérieurs. Ce frein social disparu, le vi- sage devient expressif, et si le Discobole de Myron a une tête impassible sur un corps en mouvement violent, une autre œuvre contemporaine, du même maître, le Silène Marsyas, montre une tête aussi expressive que le corps ^, car il s'agit d'un être inférieur. Le désaccord que nous constations n'existe plus. Les êtres nobles en sont au second stade, alors que les êtres inférieurs en sont déjà au stade suivant.

' RA., 1894, I, p. 356.

^ On évitera cette erreur de méthode qui consiste à confondre l'évolution logique avec l'évolution chronologique, comme je l'ai montre ailleurs, Logique et Chronologie, Rev. d'Eth. et de Sociol., 191 3; Compte rendu du XI V^ Congrès d'Anthr. et d'Arch. préhist., 191 3, I, p. 342.

* Furtwangler, MP., p. iSi.

.^07

On peut encore envisager cette évolution sous un autre point de vue. On y verra l'illustration du principe par lequel le progrès se fait de l'extérieur à l'intérieur. L'expression est d'abord matérielle, donnée par les mou- vements physiques du corps, puis devient spirituelle, et c'est sur les visages que se reflètent les émotions de l'àme. Et la cause elle-même de cette émotion, de physique de- vient morale. Pendant longtemps, à part de rares ex- ceptions, ce qui détermine l'expression, c'est la souffrance matérielle. La Niobide de Rome montre une tête forte- ment convulsée (jig. 4g); Laocoon gémit comme elle sous l'aiguillon de la souffrance physique. Mais dans le groupe des Niobides, Niobé lève au ciel un visage empreint de douleur morale, comme l'Athéna de Florence ou la Déméter de Cnide...

Cette évolution, on peut la saisir en bien des domaines; si Ton étudie celle de l'idée de pureté dans l'antiquité ', on verra que cette pureté exigée dans le culte fut tout d'abord physique, puis que Ton s'éleva de cette conception à celle de pureté morale de l'âme-.

' Farnell, Evolution of religion, iQoS, p. 88 sq., 124 sq. - Cumont, Les religions orientales dans le paganisme rotnain, p. 1 1 1-2.

I

D. LE VISAGE EXPRESSIF

Dans une troisième phase, le visage, qui était encore ferme' aux sentiments, s'émeut à son tour, et cherche à traduire les émotions de l'âme.

Ici encore il y a des cas divers à observer, qu'on étu- diera dans les pages suivantes : on y verra comment l'expression, d'involontaire qu'elle est souvent, devient con- vention expressive, puis correspond réellement aux senti- ments qu'elle est censée exprimer. Autrement dit, c'est l'application d'un principe étudié en détail ailleurs, par lequel les formes artistiques passent de l'inconscience à la conscience '.

Il est souvent difficile de dire à quel stade appartient telle forme expressive du visage, et les erreurs d'interpré- tation sont nombreuses : on comprend pourquoi l'on a pu donner du sourire archaïque plusieurs explications oppo- sées, en y vo3'ant le résultat de la maladresse technique, l'expression d'une convention sociale, ou la copie d'un sourire réel, correspondant à des sentiments de joie et de bienveillance. Le devoir de l'archéologue est de discer-

' Deonna, A., II, p. SSj sq.

.•» I 2

ncr quelle est l'origine exacte l\c ces formes à une époque donnée.

On notera par exemple que ceitaincs tètes de Tarchaïsme grec semblent loucher. Est-ce la reproduction exacte d'une déformation phxsique ? non, ce n'est que Teltet de la mala- dresse technique '. Mais nombre d'effigies des XIV'' et XV'' siècles chrétiens montrent même particularité, et Cou- rajod a pu former une série de statues « aux yeux stra- biques ». dont la dernière en date est celle de (luillaume Duchàtel, mort en 1441. Est-ce défaut technique, imita- tion de la réalité, ou, comme le pense Courajod, mode factice d'élégance créée par un atelier spécial'-', que l'art bouddhique a aussi connue^? C'est bien cette dernière explication qui est la plus vraisembtable ; car à cette époque l'artiste ne subit plus les exigences techniques de son art comme son ancêtre grec du VI'' siècle, encore en pleine période de formation technique; de plus, on ne peut sup- poser que tous ces personnages aient louché en réalité.

Ainsi, l'on ne peut donner dune forme expressive une seule explication; les interprétations doivent varier sui- vant l'époque à laquelle appartient le monument.

' l.echat, Au Musée de l'Acropole, p. 388.

* Michel, HA., III, i, p. 3j<j, II, 2, p. 858; Courajod, Groupement de quelques statues au regard strabique, Leçons professées à l'Ecole du Louvre, II, p. lo? sq., i6q.

' Ex. Hariti, peinture du Turkestan, VII^ siècle. MP., 17. ujio, p. 269.

I

IV. LES TROIS STADES DU VISAGE EXPRESSIF

A. L'EXPRESSION INVOLONTAIRE

Il est une erreur de méthode que Ton commet fréquem- ment en histoire de Tart, celle de prendre pour volontaires des formes qui sont involontaires, pour expressives des formes qui ne le sont pas en réalité. J'en ai cité ailleurs maints exemples dont j'ai montré la fausseté, et que je rappelle rapidement ici.

Les gestes primitifs, nous le savons, ne signifient sou- vent rien de précis, et ne sont dus qu'à l'inexpérience tech- nique K

Peut-on, sans danger, faire de l'ethnographie avec les formes artistiques des arts à leurs débuts? On l'a sou- vent osé. On a prétendu, par exemple, que la stéatopygie des figurines quaternaires, comme celle des statuettes de rEg3^pte prédynastique, était la copie fidèle d'éléments ethniques qui apparenteraient nos ancêtres préhistoriques avec les Bushmen de nos jours, mais on a pu montrer

' Deonna, A., II, p. 212, référ. ; Fouilles de Delphes, V, p. 27, référ.

3lS

qu'il ne s'agit d'autre chose que d'une convention esthé- tique, dont l'ère de dispersion dans le temps et dans l'espace rend l'hypothèse d'une filiation ethnique impossible ^ M. de Morgan a-t-il raison de reconnaître dans les monuments de l'art èlamite, si avancé qu'ils soient déjà, deux groupes ethniques, dont l'un montre le profil sémite, et dont l'autre se rapproche des Négritos-? M. Savignoni^ est-il en droit de différencier, dans le vase aux moissonneurs d'Haghia Triada, le type africain des chanteurs et le type européen des soldats, tout comme M. Halbherr'*. à propos de figuri- nes en terre cuite de même provenance, distingue plusieurs races, dont Tune au nez aquilin serait lybienne ? Rappe- lons-nous certaines hypothèses bizarres, dont la fausseté ne prête plus à aucun doute. Dans les tètes romanes, dont les caractères, comme ceux des têtes de l'archaïsme grec du VP siècle '", sont en grande partie nécessités par la tech- nique et les conventions primitives, Viollct-lc-Duc recon- naissait les traits ethniques des Asiatiques^, tout comme les gens non avertis nomment Chinoises, Japonaises ou même négresses, les Corés grecques de TAcropole. Pour Vitet, les bas-reliefs de Souillac tiennent à la fois du génie nord-hindou et des arts byzantins, et il y trouve même

' Deonna, A., II. p. 239 sq. : Compte rendu du XIV'^ Congrès In- ternational d'Anthropologie et d'Archéologie prehist., 191 2, I, p. 55 i- 552; RA., 1913, A propos d'un bas-relief de Laussel.

- RAAM.," 1902, I, p. 3o8.

^ MA., i3, p. 121 , 129.

* Ibid., p. 74.

* Sur la comparaison entre l'art roman et l'art grec du Vie siècle, Deonna, A., Ill, p. i3i sq.

® Dict. d'arch., 'VIII, p. 11 3-5; cité G.\., 1884, p. 94.

3i9

quelques e'iéments scaildinaves ' ; ailleurs il évoque le souve- nir de rinde à propos des Kouroi grecs du VP siècle-. Cer- tes; les Egyptiens ont su saisir avec une grande habileté les différences ethniques des peuples^, aussi pendant long- temps n'a-t-on pas hésité à croire que les sphinx de Tanis, aux traits si particuliers, représentaient le type des Hycsos, jusqu'au moment l'on a prouvé que ces monuments étaient bien antérieurs à Tinvasion^. On prétend que l'ar- tiste primitif reproduit à son insu, dans les monuments, le type de sa race et même son propre type individuel, et Ton ne s'étonne pas de voir une statue fausse de Palestine rappeler de façon curieuse les traits mêmes du faussaire ^. Mais il ne faut pas négliger l'influence indéniable des pro- cédés techniques, dont on confond souvent le résultat avec celui qui provient du désir conscient de l'artiste de copier un élément défini; c'est encore confondre art et réalité''.

L'étude de la représentation des traits individuels pré- sente les mêmes confusions^. On a souvent pris à tort les monuments primitifs pour des portraits fidèles, en Chal-

' GA., i885, p. 22(3. - Deonna, Ap., p. 22.

' Ex. Maspéro, Hist. anc. des peuples de l'Orient, II, p. 17, 146, i5o, 353, 461, 474, etc.

* Ibid., p. 55.

* Clermont-Ganneau, Les fraudes arch. en Palestine, p. 58. " Cf. p. loi sq.

^ Deonna, A., II, p. 237.

3-20

dec'. dans TEgypte préhistorique, dans Tart minoen-. Les masques d'or de Mycènes nous frappent par leur ca- ractère d'un individualisme brutal : « Ainsi Tart de la Grèce préhomérique, aussi bien que celui des grandes civilisa- tions de rOrient, a su atteindre au portrait, et traduire presque avec perfection la physionomie d'un individu dé- terminé ))^. Mais ces traits individuels sont-ils voulus par l'artiste, ou bien ne résultent-ils pas du travail inconscient de sa main, assemblant comme elle le pouvait les éléments qui composent le visage ? Que de fois n"a-t-on pas vanté la vérité individuelle des Corés grecques du VP siècle, celle des têtes masculines de cette époque! D'un Kouros du Ptoion, M. Hollcaux disait : «Ces figures vivent : leurs traits ^rima- cent, mais sont tiraillés du moins de mouvements expressifs ; le jeu en paraît forcé, mais combien vif et agile ; sur leurs lèvres entr'ouvertes, relevées d'un sourire, passe un perpé- tuel frémissement ; leurs yeux, très grands, au contour net, bordés de paupières fines, saillants, et comme tendus au dehors, s'éclairent presque d'un reflet de vie intérieure ; chacune porte si profonde l'empreinte d'un caractère indi- viduel, qu'elle peut passer pour un portrait»*. Certes, ranal3''se est pleine de finesse ; il est toutefois dommage que l'auteur ne se soit pas demandé si cette expression mdi- viduelle avait été voulue par l'artiste ! Pendant longtemps

' Menant, Remarques sur les portraits des 7-ois assvro-chalJéens, CRAF., IX, 1882; cf. RAAM., I, 1891, I, p. 90.

" Vase d'Haghia Triada, M.A., i3, p. 129; figurines de lerre cuite de même provenance, ibid., p. 74.

' Bahelon, RA.AM., iSqq, I, p. 01.

* BCH., 1887, p. 278. "

FiG. 5o. Tête masculine, Vie siècle.

Moue involontaire des lèvres, résultat de l'inexpérience technique.

(Deonna, Ap., p. 249, fig. 177.)

323

la tête Rampin', la tète Sabourotf, qui passait aussi pour celle d'un nègre, furent considérées comme des portraits, et Ton reconnaissait dans la dernière les traits suivants : « impression d'une individualité, sourire de corps et d'esprit, d'un caractère aimable et gai, mais en même temps d'une volonté nette et ferme »-. D'un autre monument de cette époque, que l'on croyait aussi un portrait, on disait : « l'expression a perdu de sa fraîcheur et de sa vivacité ; il est devenu lourd et presque endormi, et un caractère plus plat et plus banal a succédé à l'individualité mâle et nette »^. De même, on a relevé les traits individuels des sculptures romanes^, ou des priants mitres et couronnés du «Mater omnium », alors que ce sont des types impersonnels.

Ces appréciations sont erronées. On n'a pas suffisamment distingué entre l'intention et l'exécution, c'est-à-dire entre la réalité et l'art. L'enfant prend un crayon pour tracer le portrait de son père, mais son œuvre ne se distingue en rien du schéma habituel qu'il donne à ses bonshommes^. Lui aussi, l'artiste grec du VP siècle peut donner à sa

' Furtwàngler, Coll. Sabouroff, I, p. 5; Rayet, MG., I, no 7, 1878, p. 7-^. - Coll. Sabouroff, II, pi. III- IV. ^ Ibid., I, pi. II.

* Viollet-le-Duc, Dict. d'arch.. VIII, p. 11 3-5. '"' Luquet, Les dessins d'un enfant, p. 3.

3

24

statue le nom d'un individu dctcrminé, mais les traits de son visage se confondront avec ceux des autres mortels et des dieux. Le rôle de la technique est encore trop impor- tant aux débuts et dans Tarchaïsme pour que l'artiste soit capable, même s'il le veut, de traduire les traits particu- liers de son modèle par les nuances délicates dans le contour des yeux, de la bouche, dans le modelé des yeux. L'ceuvre, comme Ta montré M. Lechat dans ses subtiles anal3'ses sur Fart attique du VI*^ siècle, na point encore de dessous psychologiques, c'est nous seuls qui les y mettons^

Et quand cette contrainte matérielle aura cessé, quand l'artiste aura su vaincre la matière, les traits du visage ne seront pas davantage individuels, car Tidéalisme du V*-' siè- cle voudra élever l'indiNidu à la hauteur d'un t\pc abstrait. écarter de son visage tout ce qui pourrait en troubler l'har- monie, la sérénité...

Aussi, en étudiant l'évolution du portrait à travers lart grec, il faut distinguer avec soin les époques, et ne point chercher trop haut, comme le fait encore M. Babelon'^, les origines du portrait réaliste. L'apparence individuelle qui nous frappe dans certaines têtes archaïques n'est qu'invo- lontaire, et ne résulte que de l'assemblage fortuit des traits du visage (Jig. 5o) ; le réalisme en est inconscient encore, et ne deviendra conscient qu'à partir du IV^ siècle^.

' Deonna, A., II. p. 258-9, référ. ; l^E^J-» 1894, p. 346; Lechat, BCH., 1890, p. 575 sq. ; p. 127, 128; XVI, 1892, p. 194; Lermann, Altgriech. Plastik, p. 67-8.

* A propos de l'origine du portrait sur les monnaies grecques, RAAM., 1899, I, p. 89 sq.

' Deonna, A., II, p. 368.

325

Dira-t-on que ras3aiiétrie des traits du visage, de'tail d'origine technique '. dénote dans l'Aurige de Delphes une attaque d'hémiplégie-, ou dans la tête romaine de Fulvie la faiblesse du système nerveux^ ?

Mais on voit par les quelques indications précédentes combien cette erreur est fréquente. Ne Ta-t-on pas commise aussi dans l'étude de l'expression ?

Il faut donc se demander tout d'abord si le visage est toujours l'interprète des sentiments de l'àme, ou s'il n'existe pas des cas l'expression est déterminée par de tout autres causes que ces émotions auxquelles nous sommes habitués de l'attribuer.

Ribot a dit : « Il ne faut pas oublier qu'assimiler les formes plastiques de l'époque primitive avec les formes fixes et rigides de l'adulte est un procédé qui est souvent la source de beaucoup d'erreurs^. > Cette observation, faite à propos de la vie affective chez le nouveau-né et le

' Deonna, A., If, p. 23g-6o. ^ Svoronos, BCH., 1897, p. 382. ' MA., 1, p. 583, pi. I-II, Helbig. * Psycholos,ie des sentiments, p. 82.

32()

fct'tus. est d'une portée très trénérale. 11 existe des expres- sions qui ne sont dues qu'au simple jeu des muscles du visage, sans qu'elles aient aucune relation avec les senti- ments éprouvés par le sujet. Les sourcils levés peuvent exprimer l'attention, la surprise ; mais des mouvements ner\eux involontaires peuvent aussi en être la cause. (Cer- taines personnes ont les coins de la bouche constamment relevés et tirés et semblent sourire ; d'autres ont de nature les coins de la bouche tombants, et semblent tristes, alors qu'elles n'éprouvent pas ces sentiments'. 11 y a des sourires qui ne sont nullement psychologiques, mais sont produits par des excitations mécaniques, comme le froid, la douleur même'. « Ni la psychologie, ni l'esthé- tique n'ont rien à voir avec la forme spontanée du sourire ; c'est un rétiexe au même titre que l'éternuement ou le lar- moiement ; la physiologie mécanique nous en donne à elle seule une explication vraisemblable... Le sourire est la réaction motrice la plus facile des muscles du visage pour toute excitation légère du facial, que cette excitation soit sensitive, électrique, circulatoire, traumatique ou in- flammatoire ^. »

On pensait jadis que l'homme naissait avec ses muscles d'expression, « comme il naît avec ses organes de la diges- tion et de la circulation » ; on attribuait une valeur psy- chique, émotive, à tous les cris des nouveau-nés. Mainte- nant on admet que maintes de ces formes expressives sont

' Darwin, L'expression des émotions (2), p. 148. '' Dumas, Le sourire, p. 5o. ^' Ibid., p. 5-2 sq., 5 5, 62, 92.

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des réflexes inconscients, ne trahissant pas des sentiments définis'. L'enfant rit et pleure^ en voyant autour de lui rire et pleurer, par l'effet d'un véritable réflexe, le plaisir et la peine ne jouent pas le rôle primordial, mais secon- daire ^ Les formes d'expression sont des réactions méca- niques dépourvues de sens à l'origine, auxquelles l'homme a attaché peu à peu des sens spéciaux d'états d'àme : « il a fait sortir un langage conventionnel du jeu purement phy- siologique de ses muscles »■*. Cette interprétation physio- logiste combat la thèse intellectualiste qui cherche trop rapidement à faire de la psychologie des sentiments^. «Tous les psychologues que nous avons cités, dit Dumas, mais Wundt et Darwin en particulier, ont été beaucoup trop pressés de faire de la psychologie à propos de l'expression... Ils ont vite demandé à la logique et à la ps3'chologie la clef de nos principales expressions. J'ai dit trop souvent comment ils auraient chercher à utiliser d'abord des explications physiologiques, pour être obligé de me ré- péter ici®. »

' Ribot, op. L, p. 82 note.

- Rire et sourire de l'enfant, Sully, Essai sur le r-ire, p. 172 sq.; date à laquelle le sourire apparaît chez l'enfant, suivant les anciens, Reinach, Cultes, IV, p. ii3 sq.

* Mandousse, L'âme de l'adolescent (2I, p. (J9.

* Dumas, op. /., p. 94, 97. " Ribot, op. /., p. VIII.

•* Dumas, op. L, p. 122-3, i35, i?~, i3q.

'3 28

Il n"en est pas autrement dans l'art figure, et aussi, à propos (d'expression, on a voulu trop souvent voir de la psychologie il n'y en avait pas.

« Il ne faut jamais perdre de vue dans cette matière, dit TœptVer ', c'est que toute tète humaine, aussi mal, aussi puérilement dessinée qu'on la suppose, a nécessairement, et par le seul fait qu'elle a été tracée, une expression quel- conque parfaitement déterminée... C'est de la combinaison de traits tout à fait arbitraires et factices que naissent le plus souvent les tvpes de physionomie les plus drôles. »

En archéologie, M. Girard l'a remaïquè : « Les figurines en galette trouvées à Mycènes et à Tirynthe, avec leur profil d'oiseau, ne sont pas totalement dépourvues d'ex- pression. Il n'est pas jusqu'aux prétendus vases à tête de chouette, exhumés en si grand nombre du tertre d'His- sarlik, qui, avec leurs gros yeux saillants, leurs sourcils arqués, leur nez droit, n'éveillent l'idée d'une physionomie vaguement expressive. Mais, l'absence d'expression est ici par trop évidente. D'un marron sculpté, d'une orange tail- ladée avec un canif, même par une main malhabile, sort parfois un bonhomme dont l'expression surprend. Simple effet du hasard. Il en est de même de ces premiers essais de la plastique. A toute époque on doit se demander si cette expression est voulue, ou si c'est nous, modernes, qui la prêtons gratuitement aux œuvres sur lesquelles elle nous apparaît^. » La maladresse technique peut produire des effets qui semblent dus à une grande habileté, et même

' Essai de physiognomonie, p. lo, 25. ^ REG., i!S94, p. 339-40.

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dans la céramique du V^ siècle, en pleine recherche con- sciente d'expression, u il faut tenir compte des écarts et des inexpériences de main; tous les jeux de physionomie, sur les vases, ne sont pas voulus, et les visages de face, si gauchement exécutés, trahissent parfois des intentions que n'ont point eues leurs naïfs auteurs »'.

L'expression morne et comme morte du Sphinx de Del- phes ^ (^'^. ^r est-elle propre aux oeuvres samiennes^, qui l'auraient empruntée à l'Egypte? M. Homolle dit avec rai- son que l'inhabileté y a bien plus de part qu'une concep- tion particulière de l'expression'*. Telle Coré a une physio- nomie qui frappe le spectateur par son intelligence. « On dirait presque qu'elle a conscience de sa supériorité d'esprit, et que de lui vient cet air d'assurance avec lequel elle porte et redresse la tête. Ses yeux saillants brillent d'une pe- tite lueur, non seulement de vie, mais de pensée, un fin et spirituel sourire court sur ses lèvres ». Mais en réalité, et M. Lechat le démontre subtilement, cette œuvre est encore vide de toute intention psychologique, que nous seuls y mettons. « Aux multiples nuances qui diversifient les phy- sionomies des vivants correspondent, dans le travail de la plastique, de si fines et si subtiles habiletés de main, qu'à s'imaginer que les sculpteurs du V^ siècle pussent être déjà au courant de ces habiletés, et par suite, pussent doser

' Ibid., p. 366. Cf. Deonna, A., II, p. 256-7.

* Sur les changements de cette expression par les variations d'éclairage, cf. p. 35.

* Sur cette fausse caractéristique samienne, Deonna, Ap., p. 285, 3o8; A,, I, I, p. 419 sq.

' Fouilles de Delphes, IV, p. 52.

33o

d'une manière précise l'expression des phA'sionomies de leurs tigures, il v aurait un véritable anachronisme'. » La tète d'une statue en terre cuite de Granmichele est horrible, plus risible que vénérable, toute déesse que soit le person- nage représenté, et les autres tigurines de même prove- nance ont souvent des expressions grotesques : elles sont tout à fait involontaires ^ Parmi les grossiers petits bronzes ibériques, se montre toute l'inexpérience technique, l'un a une expression plutôt triste, qui rappelle, a-t-on dit, celle de la dame d'Elché, et <• la physionomie sévère est caractéristique d'un art qui s'etVorce vers un idéal de gran- deur majestueuse » ^. Mais il y a une différence notable entre la grossièreté de ce bronze et la facture déjà savante du buste d'Elché; si l'expression de ce dernier est voulue par l'artiste, il n'en est certes pas ainsi pour la figurine de bronze, elle ne résulte que de la technique. Voyez encore ce buste de Ghé trouvé en Thessalie, travail de praticien de bas étage. « Les yeux légèrement levés au ciel, la bouche aux coins retombants, donnent à la figure un air de majestueuse gravité qui convient à la déesse de la Terre »■*. Peut-être, mais il est évident que cette expres- sion n'est que le résultat inconscient du travail de l'ouvrier maladroit.

Les personnages des vases archaïques, des 'VIP et 'VP siècles, font souvent sourire les gens non avertis, par leurs

BCH., 1892, p. 2o5, 208. » MA., 7, pi. III, p. 217.

' RA., 1898, I, p. 211, fig. 5.

* Ibid., 1899, I, p. 33 I ; Deonna, A., II, p. 33.

FiG. 5i. Yeux aux angles externes inclinés. (Deonna, A., II, p. 235, fig. j5.)

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physionomies bizarres, leurs airs niais et risibles, qui sont tout à fait involontaires et ne proviennent que de la gran- deur des yeux, du nez, de la direction donne'e aux yeux et à la bouche, sans aucune intention expressive; tout archéo- logue qu'il fut, Panofka est tombé dans Terreur que nous signalons, en attribuant au peintre de la coupe d'Arcésilas et d'autres vases de cette époque, des intentions comiques qui étaient certes bien éloignées de son esprit '.

A examiner en détail les éléments expressifs du visage, on en constatera souvent l'inconscience, et l'on se gardera de l'erreur souvent signalée ici, de confondre art et réalité. Mantegazza, après avoir montré que dans la nature les coins de la bouche relevés expriment une impression de plaisir, et que les coins tombants sont au contraire révéla- teurs de la tristesse, dit : « Je possède deux idoles maori, qui expriment les deux images fondamentales du plai- sir et de la douleur. Chez celle qui figure le plaisir, les coins de la bouche sont relevés ; chez celle qui figure la douleur, ils sont au contraire ramenés vers le bas -. « Mais cette direction donnée aux coins de la bouche, dans un sens ou dans l'autre, si dans un art plus développé elle correspond

* Pottier-Reinach, Nécropole de Myrina, p. 480, note 2 ; ex. am- phore de Milo, Perror, HA., 9, p. 473, fig. (air benêt et interrogateur d'Anémis).

* Mantegazza, La -physionomie et l'expression des sentiments, p. qS.

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en etVet aux idées de plaisir et de douleur, est tout à fait inexpressive dans tous les arts primitifs, comme il est facile d'en donner des exemples multiples \

L'œil peut être relevé aux angles externes ou abaissé (Jjg. Si I, aussi bien qu'il peut être horizontal, parce qu'il faut bien lui donner une direction quelconque, et nullement parce que telle direction dénote un sentiment détini de joie ou de tristesse, comme ce sera le cas plus tard. Parfois c'est la matière travaillée qui détermine telle direction plutôt que l'autre-'; ailleurs, dans le dessin, Toeil s'élève ou s'abaisse pour s'harmoniser avec les lignes montantes ou descen- dantes du profil, de la chevelure^; ou bien encore, ce n'est qu'une convention pour exprimer la perspective fuyante

* Deonna, A., II, p. 253 sq.

' Tête sculptée sur un oursin pctritié néolithique. La direction des veux, relevés aux angles externes, tient à ce que l'artiste les a dessinés en suivant les lignes naturellement obliques, formées chacune de deux rangées à peu près parallèles des points de loursin, RA., i883, I, p. lo sq. ; Deonna, Comment les procédés inconscients..., p. ii.

^ Lécvthe à fig. noires du VI^ s., œil relevé pour suivre les lignes inclinées de la tète, MA., XVil, pi. XXV: sarcophage d'Haghia Triada, même raison, MA., XIX, 1908, pi. i ; vase à fig. noires, Vie s., œil abaissé d'une Sirène chantant, pour être parallèle à la direction des cheveux et de la bouche ouverte, Strena Helbigiana, p. 3i, fig.

FiG. 32. Yeux aux angles extérieurs relevés, unis à des bouches de directions différentes. iDeonna, A., II, p. 352, fig. 94.)

FiG. 53. Yeux aux angles extérieurs tombants, unis à des bouches de directions différentes. [Ibid., p. 353, fig. 95.)

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de Tceil vu de profil ^ En un mot, il y a plusieurs explica- tions possibles, en ne'gligeant les intentions expressives.

En mêlant involontairement ces éle'ments contradic- toires, yeux et bouches droits, abaissés ou relevés, les artistes primitifs et archaïques ont obtenu une grande variété de combinaisons expressives qu'ils n'ont pas cher- chées, mais qu'ils ont peut-être remarquées une fois sorties de leur main, comme nous les remarquons au- jourd'hui - jig. 52-53 ). On peut, en galvanisant les mus- cles de la face, faire sourire une moitié du visage et pleurer l'autre, et obtenir artificiellement ce que produisent en réa- lité certains cas pathologiques^; les ph3^sionomistes ont remarqué de bonne heure les curieuses nuances d'expres- sion que Ton crée en unissant dans un même visage, d'une façon arbitraire, des éléments contradictoires, comme des yeux relevés avec une bouche abaissée, ou vice versa*. Ces mêmes combinaisons, nous les trouvons dans les mo- numents. Ce sont, dans des figurines chaldéennes ^ ou dans la tête de Méligou qui date du VP siècle*^, des yeux

^ Œil relevé sur des reliefs assyriens, Heuzey, Figurines, p. i32, note I.

- Deonna, A., II, p. 352 sq.

^ Cuver, La mimique, p. 40 sq. ; Darwin, L'expression des émotions (2), p. 160, note; Dumas, Le sourire, p. 40-1, fig. 4-5, 70 sq.

* Tœpffer, Essai de physiognomonie , p. 24, 25.

* Heuzey, op. L, p. 225.

** Perrot, HA., 8, p. 448-9, fig. 222.

2-2

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droits et une bouche aux angles relevés; ce sont des veux abaissés avec une bouche droite, dans un vase chypriote en forme de tète humaine ', ou avec une bouche aux angles relevés et ricanant ^, dans une petite tète chypriote du musée de Genève'; ce sont encore des yeux relevés avec des bouches droites ou abaissées...^

Combien la direction donnée au regard anime la physio- nomie ! en le tournant à droite ou à gauche, en haut ou en bas, l'artiste peut obtenir un jeu très varié d'expressions. C'est une tête du Musée du Vatican ^, « au doux regard oblique», comme celui d'Aphrodite^, qui certes dans ce cas est voulu par Tartiste. Mais voici une tète masculine d'Eleusis, du VP siècle : « Avec ses cheveux en boucles nombreuses et courtes, tortillées en spirale, sa bouche raide tendue par un sourire qui plisse plus fortement la joue droite que la gauche ', et le regard torve, dirigé à

' GA.. 1877, p. i35, fig.

* Furtwângler, Coll. Sabouroff, I, 2, pi. I-I; A., VII, p. 116, no 112, vases du Vie siècle.

^ J'ai donné d'autres exemples de ces combinaisons, A., II, p. 353.

* Bouche rectiligne, terres cuites de Yotkan, Turkestan, Stein, Ancietit K ho tan, II, pi. XLV.

* Reinach, Têtes, p. i83. '' Pindare, Scolies, 2.

' Sur l'asymétrie, cf. p. 323.

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gauche, qu'accompagne on ne sait quelle moquerie dans le sourire, cette tête est amusante et presque drôle '. » Mais M. Lechat fait observer immédiatement qu'il ne faut pas attacher grande importance à cette expression, toute invo- lontaire et d'origine technique.

* Lechat, Au Musée, p. 388. Sur le strabisme, convention esthé- tique, p. 3l2.

I

B. L'EXPRESSION CONVENTIONNELLE

En étudiant ailleurs comment les formes expressives passent de Tinconscience à la conscience, c'est-à-dire comment d'involontaires qu'elles étaient, elles deviennent vraiment révélatrices des sentiments dont elles sont la transcription matérielle, j'ai montré qu'il existe souvent entre ce point de départ et ce point d'arrivée un stade intermédiaire, le procédé, qui s'achemine à la conscience, devient -convention artistique, s'appliquant indistincte- ment, sans que l'artiste cherche à discerner à quel cas il convient de préférence. Il n'est plus inconscient, en ce sens que l'artiste s'en sert volontairement, mais il est employé encore dans des cas qui exigeraient des expressions diffé- rentes '. Assurément, ce stade n'est pas une étape obli- gatoire, et maintes formes peuvent passer brusquement du stade involontaire et inexpressif au stade vraiment expres- sif-; mais il est des cas ce processus est très net.

Le sourire des visages est souvent inconscient dans l'art grec archaïque du VP siècle, et il ne faut y chercher aucune

' Deonna, A., II, p. 841.

^ Ex. asymétrie du visage, ibid., p. 343, etc.

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ps\'ch(>lot;ic. aucun dessein de peindre les sentiments inti- mes. \'ovez le Kouros de Polymedès de Delphes : u La ren- contre de ces lèvres tendues et des joues, dans lesquelles on n'a pas su les fondre, creuse aux points de contact deux sillons, produit cette grimace qui est comme un schéma naturel et involontaire du sourire. Ce sourire a moins pour origine une rechei'che intentionnelle d'expression qu'une imperfection, une gaucherie de technique » '. Divers archéo- logues ont expliqué par cette origine technique et involon- taire le sourire des sculptures archaïques du W' siècle, et leur thèse est fondée en partie, en ce sens qu'il est bien des cas cette origine est incontestable-.

Mais les adversaires qui prétendent que ce sourire archaïque est intentionnel, ont aussi raison. Toutefois, on ne saurait admettre avec eux qu'il est l'indice d'une phi- losophie souriante et aimable, que ce lut une tentative pour donner aux dieux et aux mortels des traits bienveil- lants, et que ce fut une trouvaille du génie grec. J'ai mon- tré ailleurs la fausseté de ces allégations'. Le sourire du VP siècle grec n'a pas pris entièrement conscience de lui-même ; ce n'est pas encore un procédé d'expression, en ce sens qu'il ne correspond pas uniquement aux senti- ments de plaisir auxquels nous sommes habitués à l'asso- cier. C'est à cette époque une convention d'élégance, et même une convention sociale* (fg. 54). C'est un masque destiné à dissimuler les sentiments intimes. A voir ces statues qui

' Homolle, Fouilles de Delphes, IV, p. i3.

*■' Cf. Deonna, A., II, p., 160, refer.

^ Ibid., p. i58 sq.

■» Ibid., p. i5g.

FiG. 54. Kouros du Ptoion, Vie siècle. Musée d'Athènes.

347

sourient même dans les angoisses de la mort, ces dieux qui sourient dans leur courroux, en donnant aux vaincus le coup de grâce, on songe aux Japonais qui ont fait du sou- rire une loi d'étiquette et de politesse, même dans la tristesse et la souffrance. Le frein social, dont nous avons e'tudié plus haut rintiuence sur l'art, agit encore ici ; il paraît indigne de prêter aux visages des dieux et des mortels de noble race des traits autres qu'e'ternellement souriants, méprisant la douleur et la mort. Ainsi, le sourire tech- nique est devenu procédé conventionnel d'expression.

Mais on sait que le V^ siècle abandonne le vieux sourire maniéré des archaïques, et qu'une expression grave, parfois morose, le remplace ^ Correspond-elle à un sentiment défini de tristesse ? Non, il n'y a qu'une convention nouvelle, née d'une réaction voulue contre le sourire stéréotypé du VP siècle, et d'un désir de donner aux visages une physio- nomie impassible. Autrefois, dieux et mortels. Grecs pleins de force et blessés expirants, souriaient avec monotonie; maintenant une expression grave est répandue sur tous les visages, quelles que soient les circonstances. Ici encore la convention artistique est inspirée par la convenance sociale, qui imposait jadis aux visages un masque de joie, mainte- nant un masque impassible.

On pourrait citer maints autres exemples de ce processus, en dehors de l'expression des visages. La taille très mince

' Deonna, A., II, p. 354 sq.

- 34'^ -

des tigurcs n'est aux origines de l'art que la conséquence du schéma triangulaire donné au corps ^ ; dans Tart minoen, comme dans l'archaïsme grec du W siècle, elle devient un idéal voulu d'élégance, sans rapport encore avec la réalité; plus tard elle sera la copie exacte du modèle. L'attitude du corps renversé en arrière est née de nécessités techniques ; l'art minoen trouve en elle une convention commode pour accentuer l'élégance de ses figures ; mais, dans l'art hellénistique, elle indiquera l'orgueil, l'em- phase, la jactance, car c'est un de ces gestes en exten- sion qui expriment naturellement la force, la joie, latlir- mation de la personnalité-. La nudité de la statue n'est aux débuts que le résultat de la difficulté éprouvée par le sculpteur à indiquer la draperie, à coordonner ces deux éléments sans que l'un soit avantagé aux dépens de l'autre; mais plus tard, l'art grec archaïque et classique voit en elle un idéal de beauté qui ne correspond nullement à la réalité^. La draperie transparente commence par n'être qu'une conséquence de cette même difficulté technique des débutants: on veut indiquera la fois le corps et la draperie, et pour que le premier ne soit pas complètement enseveli sous une lourde chape rigide, comme dans les statues du type de l'ex-voto consacré par Nicandra à Délos, on se borne à peindre, à inciser, à sculpter en léger relief les plis du

* Deonna, A., II, p. 121, 143. M. l.agrange préfère l'opinion de M. Pottier, qui reconnaît dans cette taille mince du Dipvlon, non point une maladresse de commençant, mais une survivance de l'art minoen, Le Correspondant, iQiS, p. 454, note 4.

-' Deonna, A., II, p. 872 sq.

' Jbid., p. 3q5.

FiG. 55. Kouros de Chypre, VI« siècle. Musée d'Athènes. [Deonna, Ap., p. 287, fig. 164.)

JDl

vêtement sur le corps traité comme s'il était nu (Jîg. SS). Mais Fartiste du V^ siècle, celui qui a sculpté la Niké de Paeonios, les Parques du Parthénon, les Néréides deXan- thos, la Vénus dite de Fréjus (Ji^. 56), a dépassé ce stade primitif; il aime ces étoffes qui collent au corps, qui, tout en ayant leur vie propre, tout en claquant au vent qui les agite, n'en laissent pas moins percevoir tous les charmes des beaux corps qu'elles recouvrent. Il ne s'agit cependant pas encore de l'imitation d'une mode réelle; le procédé n'est que convention artistique. Plus tard cette draperie transparente devient élément conscient. Car on connaît à partir de l'époque hellénistique, les tins tissus qui voilent à peine les corps, et dont la mode, devenue générale, indi- gnera les graves moralistes romains '.

^ Deonna, A., II, p. 401 sq.

l

C. L^EXPRESSION RÉELLE

23

Dans le stade précédent, il y avait souvent désaccord entre la situation dans laquelle se trouvait engagé le per- sonnage, et Texpression de son visage, qui ne reflétait pas nécessairement les sentiments éprouvés. Ainsi les héros mourants souriaient comme les dieux en courroux, et leur douleur et leur colère se cachaient sous le masque d'un sentiment contraire. Maintenant, dans le troisième stade du visage expressif, une correspondance exacte s'établit entre les modifications des traits du visage, entre l'expres- sion et les sentiments qui la déterminent. Le procédé, d'inconscient, puis de conventionnel, est devenu conscient'.

J'en ai donné ailleurs maints exemples; il suffira d'en rappeler ici quelques-uns. Le sourire était inconscient, ou conventionnel ? Mais dans la nature, il correspond à des sentiments de joie, de plaisir, et relève les coins de la bouche comme les angles externes des yeux : il ne se verra désormais plus que sur les têtes l'artiste a voulu pein- dre des émotions, et c'est la joie qui fait sourire ou rire les jeunes satyres hellénistiques ou les enfants joueurs^.

' Deonna, A., II, p. 33cj sq. - Ibid., p. 36 1.

S?h

La bouche et les yeux aux coins abaissés donnaient aux têtes primitives une expression involontaire de tristesse et de mauvaise humeur; aux tètes du V'^ siècle une expression de gravité sociale qui confinait à la maussaderie ; main- tenant ces éléments expressifs, eux aussi, ne se verront que sur les têtes l'artiste a voulu vraiment rendre ces sen- timents de tristesse ' et de douleur. Les Apollons Pourtalès, Castellani, du British Muséum, visent au pathétique le plus intense ; le Triton du \'atican est un être de misère ; Laocoon lève au ciel un visage tordu par la souffrance; le Gaulois de Ghizeh, sans doute blessé comme celui du Capitole, montre dans ses traits farouches la mort qui approche. Partout l'expression douloureuse ou triste est accentuée par l'inclinaison de l'œil et de la bouche-. Car si, dans la nature, les traits relevés communiquent au visage une expression joyeuse, leur affaissement correspond aux idées de tristesse et de douleur. Ne disons-nous pas «avoir une mine longue, avoir Toreille basse «^, comme en anglais, dire de quelqu'un qu'il a la bouche abaissée (is down in the mouth) signifie qu'il est de mauvaise humeur ?

' Deonna, A., II, p. 847 sq.

* Sur cette bouche abaissée dans l'art hellénistique, Cultrera, Sagf;i, p. i3i, note 2; Brunn, Annali, i863, p. 424.

^ Darwin, op. l. (2), p. 190; sur l'abaissement des coins de la bouche et des yeux, ibid., p. 2o5, 208, 247: Dumas, Le sourire, p. 140, 141, 149 sq.; Sully, Essai sur le rire, p. 25, etc.

FiG. 56. Vénus dite de Fréjus, siècle. Musée du Louvre.

CONCLUSION

Après avoir indiqué les difficultés que peut susciter à Térudit Tétude des monuments, on a cherché à énumérer les facteurs techniques, religieux, sociaux, dont l'action sur la représentation plastique des sentiments ne saurait être négligée, et l'on a pu en déduire quelques lois d'évo- lution. Mais cette étude, qui veut mettre avant tout en valeur l'élément général de l'œuvre d'art, ne tient que peu compte de la chronologie; et on a mis en garde, en formulant les trois phases de l'expression, puis les trois phases particulières du visage expressif, con- tre l'erreur qui consiste à vouloir identifier la logique et la chronologie. Répétons encore que si ces stades divers coïncident dans leurs grandes lignes avec la chronologie, ils ne s'identifient point avec elle. Car if y a une grande complexité de facteurs qui entrent en jeu pour rompre cette harmonie factice. Au début de l'art grçc, avec des visages inertes, on trouve des visages dont l'expression n'est due qu'à la technique ; mais on en verra aussi quand l'expression consciente aura supplanté ce stade pri- mitif : il suffira que l'œuvre soit taillée par un artiste inex- périmenté qui retrouvera inconsciemment les conventions de ces ancêtres. Et, suivant qu'il s'agit de ronde bosse ou de dessin, les visages seront expressifs ou non ; suivant qu'il s'agit de personnages supérieurs ou inférieurs, ils

3()2

seront impassibles ou douloureux, lui im iiK^t, tous les facteurs que nous avons étudies isolément jusqu'ici, nous devons examinei" leur action réciproque les uns sur les autres, non plus donc en dehors du temps et de Tespace, mais dans un art donné, dans celui de la Grèce, dont nous suivrons révolution chronologique.

A la méthode comparative qui nous a servi jusqu'ici, se substitue la méthode historique, autre façon d'envisager les mêmes faits, en insistant, plutôt que sur les ressem- blances, sur les dilVérences dues au temps, au pays, à la race, à l'individu.

I

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Pages

FiG. I. Vénus de Médicis, Florence, Uffizi i6

M 2. Vénus de Médicis, d'après le recueil de Perrier ... 17

» 3. Tête du Kouros de Théra 20

» 4. Tête du Sphinx de Delphes 22

» 5. Agias de Delphes (tête), d'après un moulage .... 24

» 6. Agias de Delphes, d'après l'original 25

» 7. Hermès d'Olympie Itête) 29

» 8. Pierre naturelle trouvée à Oberammergau, montrant le

visage de Christ 32

» 9. Méduse Rondanini 41

» 10. Tête décorative archaisante, Musée de Genève ... 47

» II. Tête féminine d'Olympie (originali 52

« 12. Tête féminine d'Olympie (copie romaine) 53

« i3. Diadumène de Délos (tête) 59

» 14. Tête féminine en terre cuite, de Phocide, Berlin . . 65

» i5. Parthénon, frise des Panathénées 75

» 16. Laocoon (tête) 85

» 17. Géant mourant, de Florence 90

» 18. Tête du XIII»^ siècle 91

» 19. Tête d'Aphrodite, de Pergame, Berlin 106

» 20. Kouros du Cap Sunium 107

» 21. Statue de Nicandra 11 1

» 22. Enfant à l'oie. Vienne ii5

» 23. Schémas humains primitifs : ivoire et vase du Dipylon,

statue de Nicandra, bronze minoen 118

)) 24. Trésor des Athéniens, à Delphes 127

» 25. Tète de Kouros du Ptoion i3i

» 26. Hermaphrodite endormi, Florence i35

- 304 -

Pages

FiG. 27. Fragmcni de poterie ibérique ibg

» 28. Tête de Méduse. Athènes i63

» 29. Kouros de Naucratis 173

» 3o. Confusion primitive des traits humains et animaux . i85

» 3i. Tète idéale du Ve siècle grec 189

» 32. Tète de Christ, I.ouvre, XV^ siècle 193

» 33. Saint-Sebastien, de Guido Reni 193

» 34. Achéloos, vase de Pamphaios 198

» 35. Vieille paysanne portant un agneau, Rome .... 209

» 36. Vase de Délos, en forme de tète de nègre 2i5

» 37. Tête d'Héraklès, de Tégée 220

» 38. Tète féminine, de Tégée 221

» 39. Hestia Giustiniani 225

» 40. Kouros du Cap Sunium 246

» 41. Coré d'Antémor 247

» 42. Idole néolithique d'Kspagne 25o

» 43. Athènes, stèle de l'Hopliiodrome, et relief de l'Athena

dite mélancolique 260

" 44. Caryatide de Tralles 2Ô1

» 45. « Idolino ') de Florence 267

» 4("i. Tète du Musée des Thermes. Rome, type de la dite

Pénélope 279

» 47. Synagogue de Strasbourg, XII b siècle 283

» 48. Tète levée au ciel, figurines primitives 286

» 49. Niobide de Rome 289

» 5o. Tête masculine, Vie siècle 325

» 5i. Yeux aux angles externes abaissés 33 1

» 52. Yeux aux angles extérieurs relevés, unis à des bouches

de directions différentes 335

>' 53. Yeux aux angles externes tombants, unis à des bou- ches de directions différentes 335

» 54. Kouros du Ptoion 345

» 55. Kouros de Chypre 349

» 56. Vénus dite de Frejus 357

I

TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

Abruzzes, 177.

Accessoires, figures, 138.

Accroupie, attitude, 175, 179, 235.

Achéloos, 198.

Achille voilé, 183, 257, 277, 301.

Acropole. Cf. Athènes.

Adméte, 182.

Agamemnon, 205.

Agias de Delphes, 24. 25, 28, 56, 292, 293.

Agraulides, relief néo-attique, 276.

Ailes mobiles, 148.

Alcaméne, 38.

Alceste, 182.

Alexandre, 292, 294, 295 ; à la lance, 292-

Alexandrie, groupe funéraire, 292.

Alexandrin, art, 81, 82, 83.

Amasis, vase, 231.

Amazones, 172, 269 ; Borghèse, 223.

Ame pupilline, 152.

Amphipolis, figurines, 183.

Amplification littéraire, 113.

Analogies, causes, 106.

Anatole France, 82.

Andromaque, 233.

Animaux, leur abondance dans l'art ar- chaïque, 151; expression, 200; pathé- tiques, 201, 202; réalisme, 141; tête de face, 154.

Antée, 170, 180, 198, 207, 212, 257.

Anténor, Coré, 231, 247.

Antinoé, 160.

Antithèse entre l'art grec et l'art chré- tien, 88, 94, 122, 305.

Anthologie, 82, 114, 213.

Apelles, 126.

Aphrodite, 244, 272, 338 ; de Candie, 293 ; de Cnide, 63; Ludovisi, 40; de Per- game, 106; de Tralles, 294.

Apollon, 191, 244; courroucé, 196; du Belvédère, 83, 196; du British Mu- séum, 356 ; Castellani, 356 ; Devonshire, 67 ; et Marsyas, 208 ; d'Olympie, 216, 266 ; Pourtalès, 3î6.

Apollonie, tête féminine, 265, 282.

Apotropaia, 154.

Apoxyoraenos de Lysippe, 257.

Arcésilas, coupe, 333.

Ares, 191 ; Borghèse, 46.

Aristophane, 175, 178, 224, 256, 273.

Aristote, 79, 214.

Art et réalité, 101, 195, 319, 333; po- pulaire, laïque, 141 ; officiel, sacerdo- tal, 141.

Artérais, 192, 333; Orthia, 153; de Pel- lène, 153 ; Warocqué, 293.

Articulées, statues, 148.

Artistes, condition sociale, 212; leur style, 14.

Ashley Ponsonby, tête, 223.

M)()

Asklépios, 191, 102; du Tirée, 293.

Assises, statues, 30, 2-14.

Assyrien, art, 109, 120, 121, 180, 201, 259, 337.

Asymétrie, 36, 37, 325, 338, 343.

Athamas, 258.

Athéna, 227, 233, 244; extatique, 196; dite mélancolique, 260; Albani, 57; Barracco, .55; à la ciste, Louvre, 271, 272; Famése, 57; de Florence, 196, 293, 305, 307; Hope, 57, 71 ; Jacob- sen, 74.

Athènes, lion, 202; stèle de l'Hoplito- drome, 45, 260, 265; base praxitélienne, 276; Acropole, torse masculin VI' s., 281, 282; éphèbes, 130; éphèbe blond, 40, 156, 281, 282; relief d'Athéna, 278; cf. Corés.

Athlète de Florence, 281 ; de Munich, 274; Petworth, 274; de Stéphanos, 281. Cf. éphèbe.

Attis, figurines, 183.

Attitudes expressives, 300; droites, 172; couchées, 175; atJ'aissées, 172, 277; de deuil, 182, 235; et convenances socia- les, 169 ; indiquant la condition sociale, 80, 259; violentes, 170; nécessitées par l'action, 259, 265; d'origine technique, 259, 265, 287 ; déterminées par le r>-thme, L'66, 275, 281.

Attributs, 187, 191, 255.

Augustéen, style, 295.

Aurige de Delphes, 325.

Avance de la littérature sur l'art figuré, 117, 291.

Babelon, 324.

Baptême chrétien, 150.

Barbares, 214.

Barracco, tête féminine, 57. Cf. Silène,

Centaure. Bartholomé, 94.

Bavai, suerrier. 172.

Beauté, indice di%-in, 125.

Bénévent, tête dite de, 46.

Berlin, tête de terre cuite, 65; tAte de Kouros, VL" s., 321 ; relief de Thésée, 74.

Berain, 45.

Bês, 161, 166.

Bisons, Tue d'Audoubert, 229.

Blanc, 46.

Blessé, œil, 233.

Bleu, 258.

Bœcklin, 43.

Bologne, tête féminine, 228.

Boopis, 160.

Bosch, 208.

Bouche omise, 249; archaïque, 50; sillons des coins, 35, 37 ; aux coins tombants, 326, 330, 333, 356 ; aux coins relevés, 326, 333, 355; ouverte pour crier, 234, 251.

Bouddha, 110.

Bouddhique, art, 312.

Boupalos et Athénis, 35.

Bras omis, 249; croisés, 250; collés au corps, 250.

Breuil, 287.

Briséis, 257.

Brygos, 129, 171.

Bushmen, 317.

Byzantin, art, 1.34, 143, 318.

Calamis, 27, 120.

Calyptra, 180.

Cana, unies, 124.

Canine, découverte, 165.

Canne, 180.

Cannelures, 34.

Cannibalisme, 106.

Canopes égyptiennes, 45.

Capitoie, Centaure, 61; paysanne et agneau,.

209. Caracalla, portraits, 294.

367

Caricature, 134, 166, 198, 215.

Carpeaux, Danse, 133.

Caryatide de l'Erechtheion, 67; de Tral- les, 261.

Catharsis, 79.

Cécité, 44.

Centaures, 197, 199, 200, 216, 217; Bar- racco, 58; tourmenté par Eros, 58; tramant le char d'Hercule, 199.

Céramique d'Athènes, 39.

Céramistes, rangsocial, 211; réalisme, 143.

Chairestratos, 291.

Chaldéen, art, 109, 120, 153, 166, 285, 319, 337.

Changement d'expression des copies, 57. Cf. éclairage, point de vue.

Chapeau, 180.

Charon, 200, 277.

Chauve, 215.

Chesterlield (lord), 203.

Chevelure en désordre, 213, 257; en bou- cles recroquevillées, lll); en flammes, 257 ; hérissée, 208, 257, 304 ; en mè- ches tombantes, 257; pathétique, 211, 257; coupée. 181, 182; soignée, 180; rang social, 257.

Chien, se couciiant ventre en l'air, 175.

Chine, 149, 155.

Christ, beau ou laid, 125; du XII'= siècle, 45; douloureux du XV''. 193, 195,295; au milieu des bourreaux, 208; pierre d'Uberainmergau, 32.

Chypriotes, tête et vase, 338.

Clmon de Cléonées, 275, 291.

Clarac, 77.

Classes supérieures et convenances so- ciales, 169.

Cluny, tête du XIII^ 195.

Cnide, statue, 288.

Collections antiques, 14.

Comique involontaire, 333.

Confusion primitive entre les traits hu- mains et animaux, 185, 187 ; entre les traits des divers dieux, 192. Cf. indé- termination.

Constantin, sculpture, 159.

Contradiction préventive, 35.

Convenances sociales et expression, 105, 120, 134, 167, 306, 311, 344.

Coordination, manque, 159, 303.

Copies, 49.

Coquetterie, 160, 294.

Corés, 156, 231, 244, 263, 272, 273, 274, 318, 320, 329; de Munich, 43.

Corps expressif, 300 ; renversé en arrière, 348.

Couleur des chairs masculines et fémini- nes, 227; chair blanche donnée aux hommes, 228 ; indiquant sentiments, 258.

Courajod, 312.

Courotrophe, 271.

Crésilas, 62, 64, 172.

Crète, vase en tète humaine, 156, 159; influence sur Egypte, 142.

Croiser les jambes, 176, 183.

Cybèle, 224.

Cyclades, idoles, 249.

Cyclope, 198

D

Danse, 170; de David, 171.

Daphnis, 273.

Darwin, 77, 80, 327.

David, 124, 171.

Décadence artistique, 39, 159.

Dédale, 146, 149, 264.

Déformation photographique, 21.

Délos, vase en tète de nègre, 215.

Delphes, Kouroi, 344; tête de terre cuite,

156; trésor des Athéniens, 127, 129;

cf. Agias, Aurige, Kouros, Sphinx. Déméter affligée, 182, 183, 258, 277, 304;

voilée, 257 ; de Cnide, 307. Démétrios d'Alopéké, 113, 123. Démons, 170; étrusques, 166, 198. Démos de Parrhasios, 114. Dents, montrer les, 165, 208. Dermys et Kitylos, 271.

368

Désaccord entre visasre et corps, 299. Dessin et ronde bosse, 126, 2ôl. Détails omis dans le schéma liumain, 249. Deuil, 182; cf. attitudes, douleur. Diadumène de Polyclète, 113, 275, 281,

282; du Brit. Mus., de Cassel, de Dé-

los, Farnèse, de Madrid, Petworth, de

Vaison, 27, 59, 61,62. Dieux pathétiques, 196; dieux et types

niythol. inférieurs, 197; et mortels,

184. Différenciation progressive, 239; .sociale,

169; entre les dieux, 191, 255; des

dieux et mortels, 187, 188, 217, 255;

entre mortels, 255; entre homme et

femme, 227. Dion5-sos, 191, 224; de Leyde, 257, 304;

de Naples, 275. Dipylon, 39, 110, 118, 119, 129, 234,244,

250, 251, 299, 348; tète féminine, 213,

257. Discobole de Myron, 63, 181, 300, 306. Divergences personnelles d'appréciation,

71. Donatello, 93. Doiyphore, 57, 61. Douleur et rang social, 130, 182; des

types funéraires inférieurs, 213. Douris, 78, 87, 178. Draperie tranquille sur corps agité, 303;

dr. agitée, 351 ; transparente, 348. Ducati, 72. Dumas, 327. Dumont, 103.

E

Ecclésiaste, 203. Eclairage, 22, 31, 71, 329. Education et expression, 203. Egéen, art, 156. Cf. minoen. Egine, 83, 129, 156, 300. Cf. spliinx. Egypte, 157, 159, 161; primitive, 320; duali.sme des arts laïque et sacerdotal.

141 ; expression, 142; traits ethnogra- phiques, 319; stéatopygie, 317; tête inclinée, 270, 285; œil incrusté, 157; statuette thébaine, 37 ; attitudes et con- venances, 171.

Eiréné de Munich, 271, 276, 282.

Elaraite, art, 318; lions, 201.

Elché, buste, 330.

Eleusis, tête VI" s., 338.

Encliainer les statues, 149.

Enéolithiques, idoles, 110, 156.

Enfant, dessin, 144, 154, 159, 243, 249, 323; enfants hellénistiques, 355; â l'oie, 113, 115.

Eos et Memnon, 78.

Ephèbe, cf. Atliènes ; de Dre.sde, 275, 282 ; de Pompéi, 157 ; Westmacott, 274. Cf. athlète.

Epidaure, chapiteau, 21; Amazone, 39; monnaies, 192; Centaure, 199; relief d'Asklépios, 179.

Equestres, statues, 120.

Equilibre entre âme et corps, 125.

Ennuyés, 258.

Eres bandant son arc, 287 ; funèbres, 183, 277 ; du IV" s., 228.

Erreurs des copies, 14. Cf. copies.

Eschyle, 5, 205, 258, 264.

Espagne, fresque quaternaire, 287 ; idoles néolithiques, 249, 250.

Ethnographiques, traits, 110, 317.

Etrangers, 214.

Etrusque, art, 124, 198; fresque, citha- riste, 212.

Euphranor, 72, 191.

Enphronios, 207, 212, 275.

Euripide, 119, 123, 183, 184, 205, 214, 233, 256, 264, 272 ; et les femmes, 224 et les humbles, 211.

Evangile de Pierre, 192.

Evolution logique et chronologie, 306.

Exophtalmie, 50.

Expression et éclairage, 33; de physique devenant morale, 307 ; résultat de l'ac- tion, 212; simple réaction mécanique,

-369-

325; involontaire, 105, 250, 315, 325; conventionnelle, 109, 341 ; extérieure, 239. 253, 299, 301; contradictoire, 337 ; réelle, 239, 353 ; grave du V' s., 347.

Extase, 130, 192, 196.

Extérieur, de l'est, à l'intérieur, 307.

Face, torse de f., 263; tête de f., 153, 213,

271. Fascination, 152. Faux de Palestine, 319. Fayoum, 160. Femme., plus expressive que l'homme,

233; plus passionnée, 223; abondance

des images f. dans l'archaïsme, 151 ;

f. virile du s., 81, 228; agent de

propagation des croyance.s, 223, 224. Feuerbich, 87. Flammarion, 33. Florentine, sculpture, 93. Foucart, 157.

Foudroyant, regard, 147, 153. Fougères, 79.

Front, renflé au-dessus des sourcils, 232. Frontalité, 172. Fulvie, portrait romain, 325 Funéraire, sculpture, 74, 137, 183, 213,

244, 277; tête inclinée, 278; femme,

plus expressive, 234. Furtwàngler, 179, 183, 228, 234, 285.

G

Ganymèdedu Vatican, 72.

Gaulois, 212; du Capitole, 218, 356; de

Ghizeh, 356 ; Ludovisi, 223. Géants, 197 ; mourant de Florence, 90 ;

de Pergame, 130, 295. Genève, tête archaïsante, 47, 55; tête

chypriote, 338.

Gestes magiques de%'enus des insultes, 176; inespressifs, 250, 317; expressifs, 259, 264; virils, 227 ; virils donnés aux femmes, 227.

Ghé, tète, 3-30.

Giovanni Pisano, 295.

Girard, 5, 122, 197, 328.

Glaukopis, 160.

Gnostiques, 162.

Gœthe, 43.

Gorgone, 43, 154, 160, 161, 166, 180, 197, 200, 231. Cf. Méduse.

Granmichele, statue et figurines de terre cuite, 330.

Gravures, 7, 14, 49.

Grèce, influence sur Egypte, 142.

Grotesques, 122, 138, 166.

Groupes, 271.

H

Hadôs, 191. 257, 258.

Haghia Triada, vase et figunnes, 318,

320; sarcophage, 258, 334. Halbherr, 318. Hardiesse, 288. Hariti, 312. Hécube, 264, 273. Helbig, 79. Hélène, 146. Hellénistiques, 82, 106. Héliogravure, 28. Hélios, 292. Héphaistos, 145, 146. Héraclès Epitrapézios, 147; et Antée, 207. Herculanum, tête de bronze, 57; Athéna,

.58. Herder, 71.

Hérissé.s, cheveux, 180. Hermaphrodite endormi, Florence, 135. Hermès, 191 ; à la sandale, 287 ; d'Olym-

pie, 29, 31, 40, 272. Hermione, 182. Hérondas, 113, 175.

Hestia Giustiniaiii, 10, 225.

Heuzey, 265.

Himéiius, 114.

HJppolyte, 192.

Hokousai, 197.

Homère, 82, 118, 120, 121, 160.

Homme et femme, 223.

Homolle, 156, 329.

Horace, 120.

Humaine, ligure, son absence dans l'art,

151. Humanisation des dieux au IV' s , 105,

207, 269, 270, 292. Humbles, 208. Hycsos, 319.

Hymne homérique, 272, 277. Hypnos, 258; de Boston, 276.

Ibérique, poterie, 159 ; bronzes, 330. Idéal littéraire et plastique, lL'2; variation

de l'idéal grec, 83. Idéalisation des types laids, 199. Idéalisme du V s., 93, 105, 137, 142,

151, 196, 324; égyptien, 142. Idolino de Florence, 267. Illusion d'optique, 34. Immobilité de lart égyptien 20. Impassibilité des c sauvages », 202, 203 ;

des dieux, héros et mortels, 192, 197,

204, 217; défense sociale, 204; du

V s., 347. Cf. sérénité. Imprécision amenant changement de sens,

22. Inconscience et conscience, 311, 343, 355. Inconvenants, gestes, dans le deuil, 182;

gestes magiques devenus incouv., 176. Indétermination primitive, 187, 188, 244,

255 ; des visages masculin et féminin,

228. Cf. confusion. Industriel, ait, 67; et grand art, 134; re- lations avec littérature, 121. Inexpérience technique, 110, 151,311,328.

Ine.icpressif, visage, 105; et corps, 239;

schéma humain, 241, 251, 29!i. Inférieurs, types, 170, 17:', 178, 180, 197,

206; tête de face, 269; douleur, dans

l'art funéraire, 213. Insensibilité à la douleui-, 192; des -ior-

ciers, 195. Insultes, dérivées de gestes magiques, 176. Iphigénie, 117, 301.

Islamisme propagé par les femmes, 227. Isocrate, 211.

Jambes omises, 151,249; collées l'une

contre l'autre, 151 ; croisées 151. Japon, art, 204, 300; sérénité, 142. Jocaste, 256; de Silanion, 258. Joconde, 19. Joubin, 72.

Joueurs de Hùtes et de cithares, 212. Judas, 170.

K

Khounaten, 142.

Kleiton, 302.

Koiiroi, 231, 244, 250, 319; de Chypre, 349; de Naucratis, 173; de Polyraédès, 344, cf. Delphes; du Ptoion, 131, 320, 345; du Sunium, 107, 246; de Théra, 19, 20.

Laborde, tête, 46.

Lagrange, 94, 95, 348.

Laideur, 197, 198; magique, 166; phy- sique identiûée à laideur morale, 170, 208; masque social, 208.

Lange, 121, 172.

Langue tirée, 165.

Laocoon, 85, 87, 130, 196, 206, 305, 307,

356. Lapithes, 199, 200, 216,217. Lairaes des inférieurs, 207 ; de mauvais

ton, 203; rituelles, 162. Cf. plantes Lavater, 71. Lazare, 124, 162. Le Blant, 162.

Leciiat, 278, 293, 324, 329, 3.39. Lécythes blancs, 109, 137, 146, 200, 258,

277, 287; ûg. noires, 334. Lemnia, 68, 114, 228. Léonidas, tombe, 147. Lesclié de Delphes, 215. Lessing, 84. Leucdthée, relief, 74. Levantin, avachissement, 273. Lion de Tégée, 202; sur stèle, 146; peau

d'Héraclès, 212; lionne, relief assyrien,

201; élaraite, 201. Littéraires, sources, 123. Littérature et art figuré, 113. Loucher, cf. strabisme. Louis XIII, 294 ; Louis XIV, 294. Ludovisi, relief, 178, 266. Lumière, jeux de 1., 21. Lusus naturae, 31. Lysippe, 133, 147, 257, 292.

M

Madagascar, deuil, 182.

Madrid, hermès d'Eros et d'Aphrodite, 27.

Magie, 106, 113; et expression des senti- ments, 144.

Mains croisées, 17 7; à la hanche, 227.

Maîtrise de soi-même, 204; en Grèce, 205; au Japon, 204.

Manducus, 165.

Mantegazza, 333.

Mantinée, relief, 79, 171.

Marsyas, 208.

Maoris, idoles, 333.

Marque de Satan, 152.

Maspéro, 37.

Masques, 122; de chasse, 287; de théâtre,

264; tragiques, 34; comiques, 161, 170''

à double expression, 35; de Boupalos

et d'Athénis, 35, 37; puniques, 161;

des Atelianës, 165; d'Eschyle, 5, 258;

de Mycènes, 320 ; des Papous, 165 ; de

Sparte, 166. Mater dolorosa, 78,87; Mater omnium,

323. Matière, 44.

Mausolée d'Halicarnasse, 7. Médée, 114. Méduse, Acropole, 163, 165; Rondanini,

27, 41, 43, 200; cf. Gorgone. Meidias, 275.

Mélancolie des têtes inclinées, 278. Méligcu, tête, 338. Melporaéne du Vatican, 79. Memnon, 215. Méiiade, 257 ; de terre cuite, 72 ; de Dresde,

130; de Scopas, 291. Mentalité fausse prêtée aux anciens, 82. Ménephtah, 175. Michel-Ange, 19. Milo, amphore, 333. Mincopies, 259. Miniature, 134. Minoen, art, 229, 320, 348; bronze, 118.

Cf. égéen. Miracle grec, 84. Mithra, 227.

Modestie, tète penchée, 272. Monstres, 197. Morgan, de, 318.

Morne, expression archaïque, 74, 130, 329. Mortels et convenances sociales, 202. Mosaïques de Sainte-Agnès, 303. Moue involontaire, 321. Moulages, 28. Munich, Artémis archaïsante, 50 ; Tyché,

50. Musculature indiquant rang social, 181. Myrina, 29^.

3t2

Myron, 64, 133. Mysticisme grec, 224.

N

Napoléonomanie, 294.

« Narcisse » de Naples, 282.

Nébride, 14.

Nécessités techniques, 318.

Nègres, 110, 175, 215, 318, 323; vases,

215, 216. Néolithique, 157 ; idoles, 249. Néréides de Xanthos, 35 1 . Nez crocliu, camus, 198, 215; retroussé,

229 ; des Satyres, L'29. Newton, 288.

Nicandra, statue de, 110, 111, 118, 348. Niké de Paeonios, 351. Niobé, 83, 87, 88, 117; du Sipyle, 33. Niobides de Florence, 307 ; de Rome, 289,

307. Nobles, types, 202. Nœud magique, 177.

Nudité, causes diverses, 106; idéale, 348. Nuées, 175.

o

Oberaramergau, lusus naturae, 31, 32.

Œdipe, 178.

Œil, et magie, 152, 154, 155; fascinateur, 152; omis, 155; fard, 159; chaviré sous la paupière, 208; des copies, 49; pau- pière supérieure débordant l'inférieure, 50, 55; en boulette, 229; incrusté, 45, 157, 230, 231; point en relief, 156; rond ou ovale, 230; énorme, 159; peint, 45, 155, 230, 231 ; ionien et con- tinental, 230; éclairé par derrière, 158; féminin et masculin, 230; féminin peint en rouge, 231 ; féminin donné aux hom- mes et vice versa, 233; courbure, 232; de face, 50, 158; rectiligne, 334; aux

angles tombants, 331, 334, 335, 356 aux angles externes relevés, 334, 335, 355; redet delà lumière sur l'iris, 156; «'ouvrant et se fermant, 147, 148.

Oiseau, figurines en bec d', 328.

Olympie, frontons, 38, 123, 156, 199, 216, 232, 266; jeune gardon accroupi, 175, 217; têtes féminines, 52, 53, 55

Opacité des corps, 249.

Oreille, omise, 249; tirer 1', 150, 176.

Orient, mipassibilité, 204; influence sur le pathétique grec, 214; influence sur l'art romain, 39; propagation des cul- tes, 227.

Originaux, 64.

Orléans, tête, 44.

Orphée, relief, 301.

Orviéto, cratère, 5, 156.

Oursin pérritié néolithique, 334.

Ouverture de la bouche et des yeux du mort, Egypte, 149.

Overbeck, 88.

Ovide, 82.

Paléolithique, art, 129, 157.

Palladion, 146.

Pamphaios, 198.

Pan, Vatican, 57.

Panathénées, frise, 74, 75, 218, 275.

Panofka, 333.

Pantomime, 264.

Papposiléne, 198.

Parallèle entre arts grec et chrétien, 94.

Cf. antithèse. Parasol, 180. Paris d'Eiiphranor, 114. Paris, bronze, 281. Parlantes, statues, 147, 148. Parques, 177. Parrhasios, 211. Parthénon, 58, 67, 123, 351 ; métopes,

199, 200. Cf. Panathénées.

- 373

Partliénos, «7, 188, 269.

Pathétique, 5; d'Euripide, 187; du IV» s. et de l'époque hellénistique, 94, 105, 119, 122, 292, 304; chrétien, 88, 119, 304 ; des types mythologiques inférieurs, 197; des mortels inférieurs, 207; des peintures de vases, 130; des femmes, 224.

Patrocle, 257.

Peinture, officielle, 184; influence sur statuaire, 126, 133; du bronze, 114.

Peithinos, 275.

Pélichos, 114.

Pénélope, 82, 279; du Vatican, 81, 183.

Penthée, 224.

Péréclymenos, 228.

Perfection grecque, 87.

Pergame, frise, 218, 304. Cf. géants.

Périclès, 68, 95, 125, 205.

Perrier, 19.

Perses, 215; de Timothée, 214.

Perspective et raccourci dans le dessin enfantin, 249.

Petites gens hellénistiques, 211 ; cf. Hum- bles.

Phidias, 27. 38, 57, 62, 67, 68, 83, 126, 187, 211, 228, 278, 301.

Phigalie, 67, 301.

Phlloctéte, 256.

Photographies, 6, 21, 71.

Piderit, 93, 300.

Pied coupé, 151.

Piédestal des Corés, 272.

Pindare, 123.

Pistoie, chaire, 295.

Pivotement du sacré, 176.

Plantes, nées des larmes, 162. Cf. larmes.

Plat ventre, 175.

Platon, 170, 231.

Pleureuses, 162, 213, 234, 251, 300; de Berlin, de Myconos, 2.34.

Ploutos de Munich, 272.

Plutarque, 205.

Point de vue sous lequel on regarde le monument, 22,. 35, 71.

Polychromie statuaire, 45.

Polycléte et style polyclétéen, 61, 64, 72,

82, 281. Polygnote, 130, 133, 215, 258. Polynice, 256. Polyphème, 124. Polyxéne, 82. Pompéi, peinture.s," 160. Portraits, 7, 244; crainte magique, 152;

involontaires, 319 ; réalistes, 324; dans

l'art grec, 151; stèles, 137; romains

tardifs, 39. Poséidon, 191, 244; de Milo, 293. Pottier, 68, 123, 124, 129, 151, 211, 230. Poulpe, 160. Praxitèle et style praxitéhen, 40, 62, 68,

94, 179, 188, 276; canon, 19. Priène, tireur d'épine, 57. Prière, 162. Prodicos, 160. Prodl grec. 198. Proraéthée, 150, 205, 257. Prophétiques, statues, 148. Prophylactiques, types, 197. Prosternation, 172. Psyché de Capoue, 276. Pupille, 152.

Pureté, évolution de l'idée, 307. Pygmées, 175.

Q

Quaternaire, art, 144, 229, 287 ; figurines. 317; animaux, 201.

R

Râ, 121.

Races plus ou moins expressives, 203.

Cî. ethnographiques. Rampin, tète, 323. Ramsès II, 270.

3/4 -

Raoul-Kochette, 88.

Rayet, 72.

Réalisme, inconscient, .324; origine dans le dessin, 1.30; en Egypte, 142; des céiaraistes, 211; du IV' siècle, 188, 192, 19(j; du XV" siècle, 19.5.

Regard, direction, 33S; dans les groupes, 271; baissé, 272, 273: dirigé sur le fi- dèle, 270; vivant des statues, 147; magique des statues, 153; fécondant 147.

Reinach (S.), 72, 161.

Relations expressives entre tête et corps, 297.

Religion et expression, 139. Cf. Magie.

Renan, 171.

Renversement des valeurs, 150. Cf. Pivo- tement.

Repas funèbres, 154.

Reproductions, 13.

Restaurations modernes, 46.

Rêverie, 46.

Reymond, 73, 95.

Ribot, 325.

Rire, 166; vulgaire, 203; de l'enfant, 327; des « sauvages », 202; des infé- rieurs, 207; rituel, 161.

RoUin, 302.

Romain, art, 124.

Romanes, sculptures, 318, 323; et ar- chaïsme du Vie s., 318.

Romantisme en Egypte, 142.

Rondanini, cf. Méduse.

Rotschild, tireur d'épine, 57.

Rubens, réalisme, 133.

Ruskin, 305.

Sabouroff, tète, 323.

Sacken, 77.

Sacrifice, en Egypte, 149 ; tête baissée ou

levée, 288. Saint Sébastien de Guido Reni, 195;

sainte Geneviève, 162; sainte Thérèse; 73.

Saleté et deuil, 182; magique, 166.

Samos, dessin, 229; école de, 329.

Sapho Albani, 77.

Sarcophage d'Haghia Triada, 258, 334 ; de Sidon, 234; chrétiens, 123, 124.

Satan, 180.

Saturnales, 149.

Saturne, statues de, 149.

Satyre, 166, 170, 180, 181, 197, 198, 200, 257; hellénistiques, 355; du Vati- can, 157.

Savignoni, 318.

Schéma humain primitif, 243 ; corps trian- gulaire, 348.

Scopas, 68, 94, 130, 133, 276; influence sur Lysippe, 56.

Scylla, 165.

Scythes, 215.

Sérapis, 44, 257, 258.

Sérénité du visage, masque de conve- nance, 205, 300; grecque, 5, 78, 83, 84, 196, 205, 305; du XIl^ .s., 125, 195; du Japon, 300. Cf. impassibilité.

Sei-viteurs, 138.

Sicile, bustes de terre cuite, 67, 156.

Silanion, 258.

Silène, 154, 166, 170, 175, 180, 181, 197, 198, 200, 212; antéfixe du VI« s., 198; Marsyas, 171, 181, 306; du Latran, 58; Barracco, 58.

Sirène, 1-38; 334; funéraires, 213, 257.

Socrate, 302.

Sommeil, 130, 175.

Sophocle, 123, 256; du Vatican, 157.

Sorcier, 180; œil, 152.

Souillac, 318.

Sourcils proéminents, 198, 208, 212; le- vés, 326; joints, 273.

Sourire archaïque, 5, 74, 130, 311, 343; involontaire, 344; conventionnel, 344; réel, 355; japonais, 204, 347; de l'en- fant, 327.

Sphinx, 233; sur colonne, 146; de Del-

073

phes, 22, 35, 38, 282, 329; d'Egine, 282, 285; de Marion, 74; de Tanis, 319.

Spirituel, facteur, 10-4, 105.

Statuaiie, iafluence sur la peinture, 126.

Statues mobiles, 144.

Stéatopygie, 317.

Stèles funéraire.s, 137, 183, 235; laco- niennes, 153; du s.-, 94; de nau- fragés, 235; d'Anactorion, 287; de Géraki, 235; de l'Ilissus, 183, 213.

Strabisme, 45, 312, 339.

Suggestion, 34, 147; du sujet, 73; de l'époque, 80.

Suaire de Turin, 195.

Synagogue, 288; de Strasbourg, 283.

Taille mince, 347.

Taine, 305.

Talos, 146.

Tanagra, 68, 183, 228, 304.

Tarse, bronze, 217.

Techniques, facteurs, 19, 104, 105, 117, 118, 121, 172, 250, 324.

Tégée, têtes, 292, 293, 295; d'Héraclès, 218, 220; féminine, 218, 221.

TeiTes cuites, figurines, 68 ; de Mycènes, de Tjrynthe, 328; hellénistiques, 175.

Tète, plus archaïque que le corps, 303; mieux travaillée que le corps, 49, 303 ; d'expression, 304, 305; attitudes ex- pressives, 265 ; de trois quarts, 269 ; de prodl sur reliefs, 263; de face, 153, 266; droite, 269, 274, 293 ; levée, pour rai- sons techniques, 265, 286; à cause de l'action, 287; pour exprimer des senti- ments, 276, 288; levée et penchée sur l'épaule, 293; inclinée pour raisons techniques, 270; inclLuée de profil, 263; inclinée en avant et de côté, 281 ; in- clinée, expressive, 265, 270; vases en tête, 156; de chouette, 328; tête du Xm« s., 91.

Théocrite, 273.

Théories erronées, leur influence, 83.

Thermes, Rome, tête de Pénélope, 279.

Thersite, 198.

Tliésée, 200; relief de Beriin, 74.

Théseion, 67, 301.

Tiraanthe, 301.

Timothée, 214.

Tij-eur d'Epine, 56, 58.

TœpfiFer, 328.

Triton du Vatican, 356.

Tristesse, douleur, 356.

Troie, 328.

Tue d'Audoubert, 229.

Tyrannoctones, 271.

u

Usure du monument, 44.

V

Vache de Myron, 114.

Vatican, tête féminine, 338. (^f. Triton.

Vénus d'Aries, 63; de l'Esquilin, 81, 281;

de Fréjus, 357; de Médicis, 167; de

Milo, 83. Verrocchio, 73. Vespasien, 172. Vêtement, et rang social, 180, 182, 256 ;

couleur, 258; expressif, 256; relever le

pli, 263. Vie des statues, 34, 113, 144. Vieillards, 93, 121, 170, 224, 233; vieille

paysanne portant un agneau, 209. Vienne, enfant à l'oie, 115. Vierge, toujours jeune, 125; accroupie,

179 ; articulée, 148 ; romane et gothiquei

271. Viollet-le-Duc, 103, 318. Virgile, 120.

Viriles, images, leur rareté dans l'ar- chaïsme, 151.

3-:r)

Visage, style (ie l'artiste, 6; expressif,

309; cf. expression. Vitellius, portrait, 77. Vitet, 318. Voilé, visage, 256, 301; femmes voilées,

277. Vulneratus deficiens, 172.

MV

Winckelmann, SO, 84, 119. Wundt, 327.

Xénophon, 273.

Y

Yotkan, terres cuites, 338.

z

Zeus, 191, 192; Albani, 38; de Munich, 187; d'Otricoli, 36, 43, 270; de Phi- dias, 188; triste des hellénistiques, 196.

Zeuxis, 126, 211.

I

TABLE DES MATIÈRES

Pages

Avant- Propos

I. LES DOCUMENTS ET LEUR INTERPRÉTATION

A. Les causes matérielles d'erreur 1 1

Les reproductions i3

Gravures i<

Photographies 21

Moulages 28

Les monuments 3i

Eclairage 3i

Point de vue 35

Matière ^_,

Usure du monument 44

Restaurations modernes 46

Copies 4q

Originaux 5^

B. Les causes spirituelles d'erreur 69

Divergences personnelles d'interprétation 71

Suggestion du sujet -3

Suggestion de l'époque 80

Influence de certaines théories erronées 83

- 3:8 -

II LES FACTEURS ARTISTIQUES, RELIGIEUX ET SOCIAUX DE L'EXPRESSION

A. Les diverses branches de l'art au point de vue de l'expres-

sion des sentiments mo

Art et réalité loi

Littérature et art Jii:;iire ii3

Amplification littéraire ii3

Avance de la littérature sur l"art lîgurc 117

Les convenances sociales . 120

-^^l/idcal littéraire et Tidcal plastique 122

Dessin et ronde bosse i2()

Grand art et art indusiriei 1 34

B. Religion et expression des sentiments iSq

Art populaire, laïque, et art officiel, sacerdotal .... 141

Ma^ie et expression des sentiments 144

influence de cette crovance sur l'art ibo

C. Convenances sociales et expression des sentiments. . . . 1Ô7

ji>^)ieux et mortels 1S4

Les mortels 202

Les types nobles 202

Les types inférieurs 206

Les humbles 20S

Les étrangers 214

Homme et femme 223

III. LES TROIS STADES DE L'EXPRESSION

A. Le schéma humain inexpressif 241

B. L'expression extérieure 253

Les attitudes expressives de la tète 265

De face 26(]

Droite 269

Inclinée 270

Levée 2S6

- -^79

Pages

C. Les relations expressives de la tête et du corps 297

D. Le visage expressif Sog

IV. LES TROIS STADES DU VISAGE EXPRESSIF

A. L'expression involontaire 3i5

B. L'expression conventionnelle 341

C. L'expression réelle 353

CONCLUSION

-■>.-»q

Table des illustrations 3t)3

Table analytique des matières 365

I

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•WWNCSCCT. JUN2 01984

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