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L'EGLISE DU CANADA

depuis monseigneur de i^avat, jusqu'à i,a conquête

troisième partie Mgr de PONTBRIAND

~j^^ ^^^^

Abbê Auguste GOSSELIN

DK LA SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA DOCTEUR ES LETTRES

L'EGLISE DU CANADA

DEPUIS MONSEIGNEUR DE LAVAL

jusqu'à la CONQUÊTE

TROISIÈME PARTIE Mgr de PONTBRIAND

QUÉBEC Typ. Laflamme & Proulx

I9I4

Imprifnatur,

t L.-N., Archiep. Quebecen. Quebeci, die vigesima octava novembris 1913

AUG 18 1956

Lettre de Son Eminence

LE CARDINAL R. MERRY DEL VAL

Secrétaire (V Etat de Sa Saititetê Pie X

A l'auteur

Secrétairie d'Etat ^. .

DE Sa Sainteté ^ ^^'^^^' ' ' novembre 1 9 1 3.

A Monsieur Pabbè Auguste Gosselin^

de la Société Royale du Canada,

Saint' Char le S de Bellechasse.

Monsieur Pabbé^

Le Saint-Père^ Pie X^ a agrée avec bienveillance Phom mage que vous avez eu la filiale pensée de Lui faire de la 11^ Partie de votre ouvrage intitulé : L'Eglisb du Canada depuis M^^ de Laval jusqu'à la Conquête.

Ce nouveati livre sur ^intéressante histoire de P Église du Canada^ répond^ ainsi que les précédents, au noble but que vous vous êtes proposé^ de mettre en lumière les glo- rieuses traditions de foi et de piété de la Nouvelle- France^

VIII

de retracer la vie de ses illustres Evêques^ de manifester leur zèle et leur sollicitude poui le bien des ânies^ pour la prospérité et la grandeur de leur pays.

V auguste Pontife vous félicite de cette nouvelle publi- cation^ <?/, en vous encourageant à poursuivre le travail entrepris^ Il vous accorde de cœur le bienfait de la Béné» diction Apostolique.

Avec mes félicitations personnelles^ et avec mes remer^ déments pour V exemplaire que vous m'' ave s gracieusement offert^ veuillez agréer^ Monsieur Pabbé^ V assurance de mes meilleurs sentiments en Notre-Seigneur.

R. Card. Mrrry DEL Val.

AVANT-PROPOS

La lettre si belle et si bienveillante qu'il nous est donné de publier au commencement de ce volume nous est infini- ment précieuse: pouvions-nous espérer de mettre notre humble travail sous des auspices plus augustes et plus consolants? Notre Saint Père le Pape Pie X, à qui nous avions fait hommage de la deuxième partie de notre ou- vrage n Eglise dît Canada depuis Mgr de Laval jusqu'à la Conquête^ l'accueille, comme la première, avec une grande bienveillance, et nous fait dire par son Bminent Secrétaire d'Etat que « ce nouveau livre répond, ainsi que les précé- dents, au noble but que nous nous sommes proposé de mettre en lumière les glorieuses traditions de foi et de piété de la Nouvelle-France. . . » Dans sa grande bonté, le Saint-Père veut bien nous féliciter de cette nouvelle publication. Il nous encourage « à poursuivre le travail accompli, et nous accorde de cœur le bienfait de la Béné- diction Apostolique. »

X AVANT-PROPOS

Ah, que de fois n'avons-nous pas ressenti les effets de cette auguste et encourageante parole au cours de nos recherches, de nos labeurs, du travail immense qu'il a fallu nous imposer pour mener à bonne fin notre entreprise ! et si nos travaux ardus ont eu quelque succès, nous l'attri- buons sans réserve à la Bénédiction du Saint-Père.

Certes, nous ne nous faisons aucune illusion sur la valeur de nos ouvrages : que d'imperfections, sans doute, on peut y trouver! Mais enfin, si le succès matériel peut signifier quelque chose, il nous sera peut-être permis de dire ici, en toute simplicité et franchise, que sur deux mille exemplai- res de chaque volume que nous avons coutume d'éditer, c'est à peine s'il nous en reste une cinquantaine : n'est-ce pas la preuve qu'ils ont été favorablement accueillis du public? et si le public leur a fait bon accueil, c'est qu'il a vu chez nous la disposition bien arrêtée d'écrire l'histoire, et non pas des histoires, de dire la vérité et toute la vérité, d'après les documents les plus authentiques, ayant soin d'indiquer toujours au bas des pages ies sources nous avons puisé, de manière à lui permettre de vérifier les faits et les citations, s'il le juge à propos.

(( La première loi de l'histoire, a dit Léon XIII dans son admirable lettre sur les études historiques, c'est de ne jamais oser dire rien de faux ; la deuxième, de ne pas craindre de dire la vérité: que l'écrivain, dit-il, ne prête jamais au soupçon ni de partialité, ni de prévention. .. ; que l'histoire, 'ajoute-t-il, soit toujours le miroir de la vérité et de la sincérité. »

L'histoire de notre Eglise canadienne, en général, est si belle, qu'il n'y a pas lieu de craindre, en l'écrivant, de dire

AVANT.PROPOS

la vérité. Quand il y aurait par ci par quelques ombres, ue craignons pas de l'admettre franchement : il n'y a jamais eu de tableaux véritablement beaux sans ombres.

Un des membres les plus distingués de notre Clergé canadien nous écrivait tout récemment, après avoir termi- né la lecture de notre deuxième volume:

« Aucune histoire ne m'a donné plus de jouissance, plus de satisfaction : tout y est impartial, documenté: c'est de la vraie histoire, et non de l'apologie. Aussi nous atten- dons votre troisième Partie avec impatience. . . »

Cette troisième partie, nous l'offrons aujourd'hui au public : c'est l'histoire de notre Eglise sous l'épiscopat de M«^ de Pontbriand, lequel finit juste à la Conquête. Avec ce volume, et les deux volumes précédents, se trouve donc complété l'objet que nous avions en vue en donnant à notre ouvrage le titre général : IJ Eglise dît Canada depuis Mgr de Laval jusqu'à la Co^iquête.

Ces trois volumes, d'ailleurs, ont chacun leur objet dis- tinct, et peuvent se vendre ou se donner séparément : le premier, c'est l'épiscopat de M^ de Saint- Vallier ; le deuxième, celui de ses trois successeurs, les évêques Mor- nay, Dosquet et de Lauberivière ; le troisième, l'épiscopat de M^ de Pontbriand.

Ajoutons à ces trois volumes les deux volumes de la Vie de Mgr de Laval qui les ont précédés, et puis cet autre qui regarde les commencements de notre Eglise et auquel nous avons donné pour titre La Mission du Canada avant Mgr de Laval: voilà donc six volumes qui, tout en ayant chacun son objet distinct, forment un tout complet, une

XII AVANT-PROPOS

œuvre d'ensemble, que nous pourrions intituler volontiers : L'Eglise du Canada sous le Régime français (1615 à 1760), c( Votre livre, disait à un auteur un célèbre religieux» appartient à la publicité des choses faites pour Dieu. » Puissions-nous mériter ce simple et modeste éloge ! nous n'en désirons point d'autre.

L'EGLISE DU CANADA

sous MGR DE PONTBRIAND

CHAPITRE I

COUP D'ceiL SUR L'ÊGUSE DU CANADA EN 174I. M^"" DE PONTBRIAND, SIXIÈME ÊVÊQUE DE QUÉBEC

L'Eglise de Québec pendant la vacance du Siège. Le curé Plante et ses vicaires " en titre. " Le Clergé du Canada. La population ; son homogénéité. Etendue de la juridiction de TEvêque de Québec. La Belle-Rivière. Nomination de Mgr de Pontbriand. Ce qu'en écrit M. de l'Orme. Son arrivée à Québec.

NOUS sommes en 1741. L'Église de la Nouvelle-France, veuve de son premier Pasteur, M^^ de Lauberivière, pleure sa disparition soudaine. Il a passé ici comme un mé- téore, répandant une vive clarté par l'éclat de sa charité, de sa sainteté, de ses vertus héroïques. Puis il s'est éteint tout- à-coup, nous laissant dans le deuil et les ténèbres. Ter- rible épreuve pour notre Eglise !. . . Disons plutôt : admi- rable disposition de la divine Providence, qui, par le vif regret que nous causait la mort soudaine de ce saint Pré- lat, vraiment digne des Laval et des Saint- Vallier, nous préparait à mieux accueillir et apprécier celui qu'elle nous destinait pour le remplacer.

2 I^'ÉGUSE DU CANADA

Ce nouvel Evêque est déjà nommé et connu : c'est M^ de Pontbriand. Les Canadiens l'apprennent par le pre- mier vaisseau d'outre-mer, qui jette l'ancre devant Québec au commencement d'août ^ Mais le navire sur lequel est monté le Prélat n'arrivera à Québec qu'à la fin du mois, après quatre-vingt-quatre jours de traversée 'K

En attendant, c'est le Chapitre qui gouverne; et nous savons déjà de quelle manière : les règles canoniques ne le gênent pas plus que les leçons du passé et les avertissements de la Cour: il lui faut contenter ses amis, établir des cures inamovibles, fixer des curés, nommer même des « vicaires perpétuels, » ce qui ne s'est pas encore vu au Canada.

Cette dernière nomination, de deux vicaires « en titre » pour la cure de Québec, soulève une tempête. Le curé Plante, qui fait lui-même partie du Chapitre, n'a pas voulu y concourir; il fait défense à ces deux prêtres d'exercer les fonctions de vicaire dans sa paroisse ; il met cette dé- fense par écrit, et la leur envoie signifier à domicile ^ par l'huissier Pilotte *. De leur côté, les deux vicaires LeChas- seur et Resche s'en vont à la Prévôté, et chacun d'eux sé- parément fait enregistrer par ie greffier Boisseau sa protes- tation contre la défense du curé. Les deux protestations, écrites « au bas de la signification qui leur a été faite », sont identiques ; il suffit d'en citer une pour faire connaître les mœurs du temps :

« Je soussigné, prêtre, vicaire de Québec en titre pendant

1. Ce vaisseau ramena au Canada M. de Miniac, qui partit Tannée suivante (1742) pour l'Acadie, en qualité de visiteur et de grand vicaire pour cette colonie, repassa en France en 1750 et ne revint plus à Québec. Il devint complètement aveugle.

2. Archives du Canada, Correspondance générale, vol. 75, lettre de M. Hocquart au ministre, 7 septembre 1741.

3. Les vicaires LeChasseur et Resche, comme la chose se pratique souvent en France, ne logeaient pas avec le curé.

4. L'huissier Pierre Pilotte demeurait rue Sainte-Famille. (Archives paroissiales de Notre-Dame de Québec, Recensement de 1744).

sous M^ DE PONTBRIAND 3

le siège vacant, proteste de nullité contre la dite défense qui m'est faite et signifiée par le sieur Pilotte ce jour d'hui 7 décembre de la part de M. Charles Plante, curé de Qué- bec, comme partie incompétente pour faire de pareilles défenses, par les raisons que je déduirai en temps et lieu, et en outre déclare au dit sieur Plante que j'exercerai mes fonctions de vicaire de Québec jusqu'à révocation de M. le vicaire général. A Québec, ce 7 décembre 1740. (signé) Chrestien LeChasseur ^ »

On ne trouve dans les registres de l'état civil aucun acte de M. Resche avant le 11 février (1741). Mais, ce jour-là, il fait un baptême, et signe vicaire e^t titre. Le curé fait rayer immédiatement les mots « en titre « et dans l'acte et dans la signature.

Toutes ces choses sont tellement en dehors de nos mœurs actuelles que nous avons peine à nous en rendre compte. Quel désordre dans cette cure de Québec, tout n'est au- jourd'hui que paix et tranquillité sereine!

Plus convenable que son confrère Resche^, LeChasseur, faisant un mariage le 4 juin, a soin d'écrire dans l'acte : « à ce commis par messire Plante, curé de Québec. «

Du reste, à partir du 30 septembre 1740 jusqu'à l'arrivée de M^^ de Pontbriaud, ce sont des prêtres du Séminaire qui remplissent les fonctions de vicaires à la paroisse : MM. Jacrau, Girard, Martin Sejelle, Maufils, Chevalier, André, Marquiron, Pelet ; et nous rencontrons plus tajd les noms de Soupiran, Levasseur, Chefdeville, De LaValtrie, Gas- tonguay, Charles Beaudoin ^. Les chanoines Fornel, De

5. Archives provinciales de Québec, Registres de la Prévôté.

6. Un futur chanoine: il fut nommé le 28 septembre 1752, et installé le 30 septembre. Il remplaçait Joachim Fornel, qui avait donné sa démission le 24 avril précédent. C'est le notaire Barolet qui rédigea l'acte d'installation de M. Resche. (Archives de l'archevêché de Québec, Re- gistre du Chapitre).

7. Charles-Louis-Marie Beaudoin, "prêtre habitué" de la paroisse,, demeurait chez son père, le docteur Beaudoin.

L^éGLISE DU CANADA

Tonnancour, Gosselin, De Gannes-Falaise, De Lotbinière n'apparaissent que de loin en loin dans les registres ^

Le vicaire capitulaire, contrarié dans quelques-uns de ses actes d'administration, quitte la partie et se sauve en France ^. Celui qui lui succède se met en guerre avec l'official : il y a bientôt trois ou quatre causes ecclésias- tiques devant le Conseil Supérieur. Triste procédé de la part des prêtres, d'appeler ainsi les juges laïques au règle- ment des affaires de l'Eglise !

«Notre Chapitre, écrit M. de l'Orme, est composé de têtes qui ne pensent guère ce qu'ils font, dans bien des rencontres. . . Je comptais, ajoute-til au nouveau vicaire capitulaire, qui n'est autre que son propre frère, que votre grand vicariat serait plus tranquille qu'il n'a été ^^. . . »

N'allons pas croire, toutefois, que ces faits déplorables, qui seront un jour consignés dans les archives publiques ^^, et dont l'historien, par conséquent, devra tenir compte, aient du retentissement au delà d'un certain rayon autour de Québec. Il n'y a encore au Canada ni journaux, ni télé- graphe, ni téléphone pour répandre, comme de nos jours, les mauvaises nouvelles aux quatre vents du ciel. Heu- reux temps, celui-là, sous bien des rapports! Les curés de campagne, n'ayant pas les facilités de communication que nous avons aujourd'hui, absorbés d'ailleurs dans les tra- vaux d'un ministère laborieux et pénible, ne vont à la ville tout au plus qu'une fois ou deux par année : il est probable que la plupart ignorent même les divisions qui régnent au sein du clergé de Québec.

Ces curés sont généralement d'excellents prêtres, presque

8. Archives paroissiales de Notre-Dame de Québec.

9. Voir notre volume précédent, p. 420.

10. Bulletin des Recherches historiques, vol. XIV, p. 133, XVI, p. 325.

11. Registres de la Prévôté et du Conseil Supérieur.

sous M^^ DE PONTBRIAND 5

tous canadiens, formés au séminaire de Québec : il n'y a en tout, d'après M»"* de Pontbriand lui-même, que seize curés français ^'^. Le peuple est bon, honnête, sincèrement chrétien : le nouvel Evêque rendra bientôt témoignage à la (( piété de ce peuple, fidèle imitateur des vertus de ceux qui sont préposés pour le conduire ^^ »

Le recensement de la Nouvelle-France proprement dite, en 1739, enregistrait une population de 42,700 âmes ; elle sera de 55,000, au recensement de 1754. On voit de suite ce qu'elle peut être en 1741 ; et cette population se répartit en cent trente-deux paroisses ou localités distinctes, toutes comprises entre Rimouski et Châteauguay, les deux termes extrêmes de la colonie canadienne proprement dite, à cette époque ^*.

De ces paroisses ou missions, il y en a quatre-vingt- quinze l'on tient registres. La plus ancienne est Qué- bec ; la plus récente, Saint-Chailes de Chambly ^^

Du reste, les habitants de la Nouvelle-France ne font que commencer à pénétrer dans la profondeur des terres ; presque tous les établissements canadiens sont encore sur les rives du grand fleuve Saint-Laurent. Il y a déjà, cependant, deux ou trois paroisses sur la rivière Richelieu, et quelques établissements aussi sur la rivière Chaudière *^. Il y en a aussi sur les bords du lac Champlain, et nous verrons que M^^ de Pontbriand sera sur le point d'y ériger une paroisse : il n'en sera empêché que par les menaces de la guerre et les conseils de l'intendant ^^.

12. Corresp. générale, vol. 78, lettre au ministre, 22 août 1742.

13. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 10.

14. Recensement de 1870-71, t. IV, p. 60.

15. Tanguay, Dictionnaire généalogique, t. I, p. 601.

16. Rapport concernant les Archives canadiennes pour IÇ05, t. I, p. 42, 67.

17. Ihid., p. 45. Corresp. générale, vol. 86, lettre de Mgr de Pont- briand au ministre, 10 novembre 1746.

6 l'église du canada

Ce qui caractérise la population de la Nouvelle-France, c'est sa parfaite homogénéité : homogénéité de croyance et de pratique religieuse ; tous les Canadiens sont catho- liques ; il n'y a à Québec que neuf protestants ^^ : ce sont . des commis ou associés de marchands huguenots, dont le nombre va bientôt augmenter : homogénéité de race ; tous les Canadiens viennent de la belle et douce France ; ils par- lent tous la même langue, le noble idiome de leurs ancê- tres, et Franquet dit expressément « qu'ils n'ont pas le moindre accent ^^. »

Si l'on trouve çà et quelques particuliers originaires de la Nouvelle- Angleterre, ce sont des déserteurs ^°, ou bien des prisonniers faits par les Canadiens dans leurs courses guerrières : ils ont préféré rester au Canada plutôt que de retourner chez eux, afin de pratiquer ici plus librement la religion catholique ; ils sont devenus tout-à-fait Canadiens : ce sont les ancêtres de ces bonnes familles qui n'ont d'an- glais que le nom, et souvent même ne savent pas un mot d'anglais -^

i8. Corresp. générale, vol. 75, lettre de Beauharnais et Hocquart au ministre, 18 septembre 1741.

19. Voyages et Mémoires sur le Canada, publiés par l'Institut cana- dien de Québec en 1889.

20. Il en vint un jour trente de Chibouctou (Halifax) : des Anglais, des Irlandais et des Ecossais. Le ministre français écrivit au gouverneur et à l'intendant " de leur faciliter les moyens de s'établir ". {Rapport. . . pour 1Ç05, p. 132.

21. Dans une de leurs incursions si fréquentes chez nos voisins de

la Nouvelle- Angleterre, nos sauvages alliés firent prisonnier un jeune Anglais protestant, du nom de Farnsworth, âgé de dix-sept ans, et l'emmenèrent à Montréal. C'était en 1704. M. de Belmont, supérieur de Saint-Sulpice, ayant vu ce jeune homme, offrit à ces barbares une cer- taine somme d'argent pour le racheter, l'attira au Séminaire, l'instruisit des vérités de la religion catholique, le baptisa, puis, avec une générosité incomparable, l'établit sur une magnifique terre dans la Pointe-aux- Trembles. Le 2 octobre 1713, ce jeune homme épousa, au Lac des Deux- Montagnes, une jeune Canadienne, du nom de Charpentier. D'Anglais qu'il était, il devint tout-à-fait Canadien ; son nom même de Farnsworth se transforma peu à peu, et devint Phaneuf. Il est l'ancêtre de cette belle famille Phaneuf, dont les rameaux se sont étendus dans toutes les

sous M^'* DE PONTBRIAND 7

Y a-t-il des Irlandais, venus directement d'Irlande? Nous n'en voyons aucun pour le moment. Quelques années plus tard, les hasards de la guerre entre l'Angleterre et la France en amèneront éventuellement un certain nombre comme prisonniers; et le ministre français écrira à M. Hocquart: «Si les Irlandais catholiques conduits au Canada demandent à s'y fixer, je ne vois pas d'inconvénients à ce qu'on le leur permette.» Quelques-uns se prévaudront de cette offre généreuse ; mais on n'aura pas à s'en féliciter : le gouver- neur et l'intendant écriront à la cour : « Nous avons suivi vos intentions à l'égard des Irlandais catholiques qui ont voulu rester en ce pays ; mais tout catholiques qu'ils sont, la plupart sont très mauvais sujets, et dont la colonie ne tirera jamais grand profit ^^. . . w

Plus tard encore, il se formera à Québec, sous la conduite de M. Nairne, une compagnie de cinquante-six Irlandais, qui avaient été faits prisonniers dans la Nouvelle-Angle- terre, et M. de Vaudreuil les emploiera avec succès aux travaux des fortifications de la ville ; mais il les fera pas- ser ensuite en France, « ne croyant pas devoir en faire usage pour les opérations militaires de la colonie. » En France, ils seront incorporés (( dans les régiments irlandais entretenus au service du Roi '^^. »

* * *

Outre la Nouvelle-France, la juridiction de l'Evêque de

parties du pays. Le 2 octobre de cette année 1913, un bon nombre des membres de la famille Farnsworth-Phaneuf se réunirent sur la terre donnée à leur ancêtre par M. de Belmont, et sur cette terre qui appar- tient encore à un Phaneuf, célébrèrent le bi-centenaire du mariage de cet ancêtre, ayant eu la délicate attention d'inviter à cette fête de famille un représentant de Saint-Sulpice, M. René Labelle, le digne curé actuel de Notre-Dame de Montréal.

22. Corresp. générale, vol. 91, lettre de MM. de La Galissonnière et Bigot au ministre, 28 septembre 1748.

23. Rapport. . . pour 1905, p. 98, 249.

s I^'ÉGLISE DU CANADA

Québec couvre un immense territoire : l'Acadie anglaise, aux frontières imprécises, source éternelle de conflits entre ^Angleterre et la France, entre l'Angleterre et les sau- vages ; PAcadie française ; l'Ile Saint- Jean et l'Ile Royale ; le bassin des Grands Lacs ; la vallée du Mississipi et de ses nombreux affluents. La France revendique tout ce terri- toire, pour en avoir fait la découverte, pour l'avoir par- couru en tous sens par ses missionnaires, par ses décou- vreurs ; mais qu'a-t-elle fait pour en prendre possession d'une manière efficace? sont les établissements qu'elle a fondés, par exemple, dans la vallée de la Belle-Rivière ^*, réclamée par elle? Il n'y en a absolument aucun en 1741 ; et voilà que les colons de la Nouvelle- Angleterre, qui se chiffrent déjà à plus d'un million, se trouvant à l'étroit, comme dans une prison, entre les Alléghanys et l'Atlan- tique, commencent à déverser le surplus de leur population au delà de ces montagnes. . . Comment la France pourra- t-elle endiguer cette marée montante? Par la force des choses, n'est-elle pas condamnée à se voir enlever ce terri- toire qu'elle prétend lui appartenir?

Ah ! si, concentrant plutôt ses ressotirces, au lieu de les éparpiller, elle s'était solidement établie au Canada ! For- tifiée d'une manière inexpugnable à Louisbourg et sur le promontoire de Québec, n'avait-elle pas plus de chance de s'y maintenir contre le flot envahisseur, et de garder en Amérique un pied-à-terre, pour, de là, continuer à exercer sur ce continent la salutaire influence de sa civilisation ?

La civilisation française ! Y a-t-il un coin de l'Amé- rique du Nord elle n'a pénétré? Jetons les yeux sur la carte : tous ces noms français qui, envers et contre tous,

24. " C'étaient des Français qui, en apercevant du haut des Alléghanys le magnifique bras du Mississipi, qui étalait ses flots dorés en serpentant à travers la vallée de l'Ohio, avaient poussé cette exclamation : La Belle-Rivière l qui fut son premier nom." (L'abbé Casgrain, Montcalm et Lévis, t. I, p. 53).

sous M»*" DE PONTBRIAND 9

sont restés attachés à tant de lieux, dans ce qu'on appelle aujourd'hui les Etats-Unis, ou l'Ontario, ou ailleurs, ne proclament-ils pas que la France a passé par ? « Il y a donc de la France partout ! » dit un soldat dans un des romans d'un écrivain célèbre ^^

Qui trop embrasse, mal étreint. Non seulement la France n'a pas pris possesion d'une manière réelle et effi- cace de l'immense territoire auquel elle prétend avoir droit, mais dans son imprévoyance inexplicable elle a laissé l'Angleterre, sa rivale, se fortifier à quelques pas du Canada, sur la rive sud du lac Ontario : point noir, ce fort Oswégo, présage de bien des tempêtes ! Et nos archives mention- nent aussi la présence d'un fort anglais à Témiscamingue, en 1 744 2^ !

Fort heureusement le nouvel Evêque qu'attend le Canada ne supçonne même pas les épreuves et les misères de toutes sortes qui sont réservées à son Eglise dans un avenir prochain. Nous sommes en 1741, et la colonie jouit encore de cette paix bienfaisante qui a caractérisé jus- qu'ici l'administration de MM. de Beauharnais et Hocquart.

*

*

Nous avons dit plus haut que ce nouvel évêque est nom- mé : La Cour a fait son choix dès le commencement de décembre 1740 '-^l La nomination de M^^ de Pontbriand est l'une des dernières que fit le vieux cardinal de Fleury, avant de mourir le 29 janvier 1743 à l'âge de quatre-vingt- dix ans. Mais qui l'a proposé au Cardinal comme l'homme

25. Cité par M. Hanotaux, dans son livre 'Xa France vivante en Amérique du Nord, " p. 27.

26. Rapport. .. pour IÇ05, lettre du ministre à Beauharnais et Hoc- quart, 30 mars 1744, p. 25.

27. Edouard Richard, Rapport sur les Archives canadiennes pour J904, p. 272.

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lO VEGUSE DU CANADA

qu'il fallait pour gouverner l'Eglise de la Nouvelle-France? Le même qui lui avait désigné M^^ Dosquet et M^ de lyauberivière : M. Couturier, supérieur général de Saint- Sulpice. Nous le savons par M. de l'Orme : « Il tient l'Evêché, dit-il, de M. l'abbé Couturier ^s. ,,

La famille de Pontbriand, d'ailleurs, et celle de La Ga- raie, qui lui était alliée, étaient favorablement connues à la Cour. Le comte de LaGaraie s'y étant un jour rendu, à la demande du Roi, y fut l'objet de prévenances toutes spéciales : nous avons une lettre que le cardinal de Fleury lui écrivit à cette occasion :

« Il é:ait bien juste, monsieur, lui dit-il, que le Roi et la Reine vous donnassent une marque particulière de la satis- faction qu'ont leurs Majestés du bon e£Fet qu'a produit votre application à ce qui peut procurer le bien public ; et vous méritez bien les éloges qui vous ont été donnés, par toutes sortes de raisons ^^. »

M. de l'Orme, annonçant à son frère la nomination de Mgr. de Pontbriand, dans une lettre datée du 16 février:

(( La Cour, disait-il, a nommé M. l'abbé de Pontbriand pour évêque de Québec. Il était pour lors grand vicaire dans le diocèse de Saint-Malo. C'est un homme de mérite et des premières familles de Bretagne. Il a environ trente- deux ans ; je ne l'ai point encore vu. J'ai vu M. son frère, qui est abbé et demeure ordinairement à Paris. Il m'est venu rendre visite et en même temps me prier de certifier de l'état du diocèse de Québec, pour M. son frère l'évêque, pour obtenir ses bulles de Rome. Il doit passer cette année sans faute au Canada. Quand il sera arrivé à Paris, je ne manquerai pas de faire auprès de lui ce que j'ai fait

28. Recherches historiques, vol. XIV, p. 133.

29. L'abbé Le Carron, Les Bpoux charitables, p. 127.

30. Abbé de Saint-Marien d'Auxerre.

sous M^ DE PONTBRIAND II

auprès du défunt, qui est de le prévenir sur ce qui regarde le diocèse et sur les communautés religieuses.

« Il doit demeurer au séminaire de Saint-Sulpice, oii il a été pour ainsi dire élevé, y ayant demeuré pendant dix ans. Nous verrons s'il en a sucé les principes et s'il est d'humeur à s'en servir. J'ai dit à M. son frère qu'il aurait convenu qu'il eût pris un appartement au séminaire des Missions-Etrangères plutôt qu'à Saint-Sulpice, eu égard aux instructions qu'il aurait pu tirer de plusieurs de ces messieurs, qui connaissent plus parfaitement le Canada que ne font MM. de Saint-Sulpice. Il me dit là-dessus qu'ayant été élevé dans ce séminaire, il convenait, par reconnaissance, qu'il y demeurât, surtout y étant désiré par le supérieur, qui lui a offert des premiers une chambre ^^ »

La nomination de M^^ de Pontbriand par le Roi fut rati- fiée à Rome, et le nouveau pape Benoit XCV ^^ signa ses bulles le 6 mars. Sitôt qu'il les eut reçues, le digne Prélat se prépara à sa consécration épiscopale, qu'il reçut le 7 avril des mains de l'Archevêque de Paris, M^^ de Vinti- mille.

Le 17 avril, il prêta serment de fidélité ^^ entre les mains du Roi (( entendant la messe dans la chapelle de son château de Versailles ». Puis il songea à partir le plus tôt possible pour son diocèse, oîi il n'ignorait pas que sa présence était bien nécessaire : il y avait plus de vingt prêtres à ordon- ner ^* ! On aura une idée du désir qu'il avait de partir sans retard pour son diocèse par les paroles qu'il adressait à son frère en le quittant :

31. Recherches historiques, vol. XIV, p. 104.

32. Benoit XIV (Prosper Lambertini) fut élu pape le 17 août 1740. Il succédait à Clément XII, qui était mort le 6 février.

33. Il fallait payer un droit de trente-trois livres à l'occasion de ce serment. Ce droit entrait dans le fond des aumônes employées " pour aider à marier de pauvres filles". (Edits et Ordonnances, t. I, p. 555).

34. Voir mon volume précédent, p. 407.

12 I,' ÉGLISE DU CANADA

« Quand je serais sûr de trouver des millions en arrivant à Québec, rien ne serait capable de me faire embarquer^ tant est grande la répugnance que j'ai pour la mer. Mais il est question de la gloire de Dieu et du salut des âmes : rien ne me retardera ^^ »

Ne dirait-on pas qu'il voulait racheter par l'ardeur de son zèle la conduite peu courageuse de son compatriote de Bretagne, M^^ de Mornay ?

« Les dangers, pour être plus près, écrivait-il aussi à ses sœurs, ne me frappent point, parce que la résolution est prise, et que je dois m'attendre à tout. Vos prières, non pour ma conservation, mais pour mon salut, me seront d'un grand secours. C'est la seule chose que je vous prie de demander. Peu m'importe de mourir demain de telle et telle manière, pourvu que Dieu ait pitié de moi ^^. »

M. de l'Orme écrivait le premier mai à ses confrères du Chapitre :

« J'espère que vous n'aurez pas moins lieu d'être content de votre nouveau Prélat que de celui que vous venez de perdre. Il a tous les talents et les lumières nécessaires pour le gouvernement d'un diocèse. Avec cela, je le crois dans les sentiments d'entretenir l'union et la paix dans tous les différents états. Je prie le Seigneur qu'il le con- duise en bon port et en bonne santé. »

Il ajoutait quelques jours plus tard, avec son franc- parler ordinaire :

« J'ai eu avec lui plusieurs conversations, avant qu'il fût sacré, dont j'ai été fort content. Je n'ai pas été si satisfait de celles que j'ai eues depuis son sacre: les évêques qu'il a fréquentés lui ont mis bien des chimères dans l'es- prit, joint à cela les conseils des Sulpiciens et de M. de

35. Cité dans Les Evêques de Québec, p. 222.

36. Publié dans la Revue Canadienne, t. VIII, p. 436.

sous M^^ DE PONTBRIAND 13

Miniac ^'. J'ai tâché de lui ôter toutes ces idées de son esprit, et lui ai fait sentir que le principal était de travailler à gagner les cœurs des personnes du pays, sans quoi il n'y ferait du bien que très difficilement. M. Vallier lui a tenu le même langage ; et, ce qu'il y a de bon, c'est qu'il l'accompagne dans son voyage, pendant lequel il ne man- quera pas de lui dire ce qu'il faut pour qu'il ne s'écarte pas du véritable chemin : en quoi il fera sagement. Il paraît entreprenant, et avoir envie de faire bien de la réforme dans le pays, de tenir des synodes, de faire des assemblées de curés, etc. Tout cela est bon dans la spéculation, mais peu facile dans l'exécution, eu égard à l'éloignement des curés ^^. . . «

Le supérieur du séminaire de Québec, M. Vallier, qui était passé en France deux ans auparavant pour refaire sa santé, se préparait donc à retourner au Canada en même temps que M^^ de Pontbriand ; et le digne Prélat devait profiter, pendant la traversée, des lumières et des conseils de cet homme si sage et si éminent.

Il eut d'ailleurs occasion de voir plusieurs fois, avant de partir, le grand vicaire du Canada à Paris, l'abbé de l'Ile- Dieu, auquel il renouvela tous ses pouvoirs ; et le digne abbé ne manqua pas de lui communiquer tous les avis qu'il croyait lui être utiles pour le bon gouvernement de son Eglise.

M^^ de Pontbriand emmenait avec lui deux de ses com- patriotes bretons, qui, à sa demande, avaient consenti à partager ses travaux apostoliques : M. AUenou de La Ville- Angevin, recteur de Plérin, près Saint-Brieuc, oii il avait fondé l'institut des Filles du Saint-Esprit ; puis M. Briand, natif de la même paroisse de Plérin. La Ville-Angevin

37. M. de Miniac était lui-même Sulpicien.

38. Rechercher historiques, vol. XIV, p. 108, 131.

I4 I^'ÉGLISK DU CANADA

était âgé de cinquante ans ; Briand avait été ordonné prêtre l'année précédente.

Avec eux partirent aussi deux autres abbés bretons, encore simples clercs : Olivier Semelle et Pierre Boucault, de Rennes. Celui-ci, aumônier et secrétaire de l'évêque, fut ordonné prêtre en 1742, et devint chanoine l'année sui- vante.

Outre son aumônier, M^^ de Pontbriand avait avec lui deux domestiques ^^.

Notre petite colonie bretonne alla s'embarquer à Bor- deaux ^° au commencement de juin. M. Vallier l'y rejoi- gnit, avec un autre prêtre des Missions-Etrangères, l'abbé Maillard, qui devait jouer un rôle important comme grand vicaire de Québec à l'Ile-Royale.

Le voyage se fit assez heureusement sur le fameux Rubis^ M^^ de Lauberivière et tant d'autres avaient trouvé les germes de la mort l'année précédente.

M^^ de Pontbriand arriva à Québec à la fin d'août. Nous n'avons aucun autre détail authentique sur la récep- tion qui lui fut faite, que ce que nous apprend la lettre offi- cielle de M. Hocquart au ministre, en date du 7 septembre :

« Le vaisseau du Roi, dit-il, arriva ici le 30 du mois der- nier, après quatre-vingt-quatre jours de traversée. M. Mes- chin *\ MM, les officiers et l'équipage sont en bonne santé,

39. Richard, Rapport pour IÇ04, p. 272.

40. Vicomte du Breil de Pontbriand, Le dernier Bvêque du Canada- français, Mgr de Pontbriand, Paris, 1910, p. 31. Nous disons : " à Bor- deaux ", sur la foi de cet auteur. Nous devons ajouter, cependant, que le Prélat était à La Rochelle le 28 mai, et que c'est là, du moins, qu'il paraissait vouloir s'embarquer. De La Rochelle, il écrivait ce jour-là à M. de Maurepas, qui avait été malade : " J'ai consolé toute la ville de La Rochelle, en lui apprenant votre convalescence, et tout le monde s'en réjouit. " (Archives de l'archevêché de Québec, Correspondance de Mgr de Pontbriand).

r4i. N'est-ce pas lui qui aurait donné son nom à un endroit appelé les Méchins, dans le bas du fleuve?

sous M^ DE PONTBRIAND

15

à quelques scorbutiques près, qui commencent déjà à se rétablir.

K M. l'Evêque arriva la veille, par un canot que je lui avais envoyé. M. Deschaillons, lieutenant de Roi, com- mandant, lui a fait rendre les hommages militaires en usage ; et de mon côté je lui ai fait la meilleure réception qu'il m'a été possible ... M. de Beauharnais arriva hier seulement de Montréal *'^. . »

Nous savons également que le Conseil Supérieur, dans sa séance du 21 août, avait nommé quatre de ses membres pour aller présenter les hommages de l'auguste assemblée au nouvel Evêque, lors de son arrivée. Ceux qui faisaient partie de la députation étaient MM. Cugnet, Lanouiller, Taschereau et Estèbe. Ces messieurs se rendirent donc « au séminaire, » aussitôt après l'arrivée de M^^ de Pont- briand, et « le complimentèrent » de la part du Conseil.

Quelques jours plus tard, le 18 septembre, l'Evêque se rendit à son tour au Palais de l'Intendant pour prendre séance au Conseil Supérieur. Le Conseil, « extraordinai- rement assemblé », était au complet : M. le gouverneur général, M. l'intendant, M. Cugnet, premier conseiller, M. Michel, commissaire de la Marine à Montréal, MM. de Lotbinière, d'Artigny, I^anouiller, Varin, Foucault, Tas- chereau, de Lafontaine, Gaillard, Estèbe, conseillers ; M. le procureur général du Roi, et le greffier en chef du Conseil.

Le Conseil prit connaissance du serment de fidélité prêté par M^^ Pontbriand le 17 avril entre les mains du Roi, et aussi des lettres patentes de Sa Majesté en date du 4 mai, et en ordonna l'enregistrement.

Pendant ce temps, le Prélat attendait «dans une des

42. Corresp. générale, vol. 75, lettre au ministre, 7 septembre 1741.

i6 l'église du canada

chambres du Palais. » MM. Cugnet et Estèbe furent alors députés vers lui pour l'inviter à venir prendre séance : ce qu'il fit sur le champ, se plaçant à la droite du gouverneur, tandis que l'intendant était à gauche, suivant l'ordre accou- tumé.

Il ne reparut au Conseil Supérieur que le 25 octobre de

l'année suivante *^

43. Archives provinciales de Québec, Registres du Conseil Supérieur.

CHAPITRE II

M^ DE PONTBRIAND : ESQUISSE BIOGRAPHIQUE ;

SA FAMILLE

Mgr de Pontbriand, l'hôte du Séminaire de Québec. La famille de Mgr de Pontbriand. On n'a pas son acte de baptême. Le comte de la Garaie. Mgr de Pontbriand au Collège de La Flèche. A Paris, chez les Sulpiciens. Grand vicaire de Saint-Malo.

DANS une lettre en date du lo mai 1741, les directeurs des Missions-Etrangères de Paris annonçaient à leurs confrères de Québec l'élection du nouveau pape Benoit XIV ; puis ils ajoutaient :

« Un autre sujet de joie pour vous est que vous allez recevoir un nouvel évcque, qui passe cette année. C'est M. de Pontbriand, homme d'une famille considérable de Bretagne, qui était grand vicaire et chanoine de Saint- Malo, et qui est docteur de Sorbonne. Il fallait une per- sonne de son mérite pour remplacer dignement la perte que vous avez faite de M. de Eauberivière. En attendant que son palais épiscopal soit en état, il ira demeurer à votre séminaire. Vous verrez avec lui de quelle manière vous pourrez arranger toutes choses, soit par rapport à son logement, soit pour sa nourriture et celle de toute sa suite. Il ne paraît pas fort difficile à contenter, et il trouvera aussi en vous des personnes qui ne chercheront qu'à lui faire plaisir ^ »

I. Archives du Séminaire de Québec. Les signataires de cette lettre étaient MM. Combes, de Montigny, Montorier et Burg irieu, qui for-

i8 l'éguse du canada

Henri-Marie - du Breil de Pontbriand, sixième évêque de Québec, était le dernier-né d'une famille de neuf en- fants : six garçons et trois filles ^. Les trois filles se firent religieuses au monastère de la Visitation de Rennes ; et de Québec, le pieux Evêque, qui resta toujours très attaché à sa famille ^ aimait à correspondre régulièrement chaque année avec elles, ainsi qu'avec son frère le comte de Nevet ^. Ses lettres sont des modèles d'aimable simpli- cité, sans compter leur grand intérêt historique.

Trois de ses frères embrassèrent la carrière des armes ^, et servirent leur pays avec distinction ; les deux autres entrèrent comme lui dans l'état ecclésiastique: l'un d'eux était chanoine de l'Eglise dt Rennes, et devint grand vicaire de cet important diocèse ; l'autre résidait à Paris et s'occupait de bonnes œuvres, surtout de celle des jeunes Savoyards, auxquels il s'intéressait particulièrement. Il était le correspondant de son frère et son agent de con- fiance pour une foule d'affaires à la Cour et auprès de dif- férents personnages ^ L'Evêqne écrivant un jour au mi- nistre :

maient probablement tout le personnel dirigeant des Missions-Etran- gères, à cette date.M. Tremblay mourut cette année-là même (1741). Il y avait onze directeurs aux Missions-Etrangères en 1753, d'après une lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand en date du 21 mai de cette année. Voir dans l'Appendice une liste des Supérieurs des M.-E. de Paris de 1663 à 1760.

2. Un de ses mandements est signé " François-Marie-Henri. "(Man- denients des Bvêques de Québec, t. II, p. 12).

3. Nous ne tenons pas compte d'une quatrième fille, qui ne vécut que deux ans.

4. "Croyez que je vous suis, ainsi qu'à ma sœur et à votre petite fa- mille, très tendrement, très irrévocablement attaché." (Lettre de Mgr de Pontbriand à son frère, le comte de Nevet).

5. Quelques-unes de ses lettres ont été publiées dans la Revue Cana- dienne, t. VIII, p. 434.

6. L'un d'eux demanda " de l'emploi dans les troupes du Canada ". (Richard, Rapport. .. pour 1Ç04, p. 239). Nous n'avons pu nous assurer s'il est réellement venu.

7. L'abbé de l'Ile-Dieu, qui demeurait avec lui aux Missions-Etran-

sous M^^ DE PONTBRIAND I9

«J'espère, disait-il, que vous voudrez bien permettre à mon frère d'avoir l'honneur de vous faire sa cour. Si je vous importunais moins pour moi, je vous demanderais pour lui part dans vos bontés ^ »

M^^ de Pontbriand naquit au mois de janvier 1708, l'année même de la mort de M^^' de Laval. Chose remar- quable, la vie du premier évêque de Québec, continuée par celle de son cinquième successeur, qui s'éteignit lors de la Conquête, couvre toute la période de la domination fran- çaise en Amérique (1623 1708 1760).

Pas plus que pour M^^ de Laval ^, l'on n'a pu retrouver l'acte de baptême de M^ de Pontbriand, et par suite l'on ne peut dire d'une manière précise ni le jour ni le lieu de sa naissance. L'auteur de ^Histoire manuscrite du Sémi- naire de Québec le fait naître à Vannes : il le dit sans doute d'après la tradition conservée dans cette maison; et cette tradition nous semble assez fondée pour qu'on puisse l'admettre: qui peut croire, en effet, qu'au Séminaire on n'ait pas souvent parlé et entendu parler de Vannes comme du lieu de naissance du sixième évêque de Québec, à une époque oii il y avait dans le clergé de Québec tant de Bretons ?

Il est certain, cependant, que sa famille ne résidait pas habituellement à Vannes, mais à Pleurtuit, non loin de. Dinard. C'est sur cette paroisse qu'était le château de Pontbriand ; et dans ce château, à l'aspect sombre et sévère,

gères, lui reprochait " son opposition naturelle pour les affaires ". Il ne le trouvait pas iassez défiant, assez diplomate. (Lettre à Mgr de Pont- briand, 3 mars 1753). Surtout, il trouvait qu'il ne s'intéressait pas assez aux affaires de son frère : " Il est fâcheux que M. votre frère n'ait pas eu plus de cœur à la fonction que je remplis auprès de vous. Il est plus jeune que moi; par conséquent, il doit me survivre, et je me serais fait un plaisir de travailler sous ses ordres, comme sous les vôtres." (Ibid., 29 mars 1754).

8. Corresp. générale, vol. 78, lettre du 28 septembre 1742.

9. Vie de Mgr de Laval, t I, p. 5.

20 I^'ÉGLISE DU CANADA

près des grèves bretonnes, aujourd'hui si fréquentées et si joyeuses, de Saint-Briac et de Saint-Lunaire, le jeune de Pontbriand passa ses années d'enfance.

Il n'avait que deux ans lorsqu'il perdit son père, Josepb- Yves du Breil, comte de Pontbriand, capitaine des gardes- côtes de l'évêché de Saint-Malo, homme non moins remar- quable par sa vertu que par sa noblesse. Sa mère, Marie- Angélique-Sylvie Marot de la Garaie, survécut vingt ans à son mari ; et ce fut son fils, le futur évêque de Québec, qui, devenu prêtre et grand vicaire de Saint-Malo, l'assista à ses derniers moments ^^- C'était une femme d'une émi- nente vertu : ceux qui ont écrit sa vie l'ont comparée à sainte Thérèse et à sainte Chantai ; et en effet l'on est dans l'admiration à la vue des œuvres de charité, des fondations pieuses, des actes de dévouement auxquels elle consacra sa vie, après avoir complété l'éducation de ses enfants ^^ Elle était et c'est tout dire la sœur et la digne émule du célèbre comte de la Garaie, qui étonna son siècle par la grandeur de sa charité et l'héroïcité de ses vertus.

C'est au comte de la Garaie, on peut le dire, non moins qu'à M. Couturier et au cardinal de Fleury, que l'Eglise de Québec doit son sixième évêque. L'abbé de Pontbriand hésita, en effet, tout d'abord, à accepter l'épiscopat du Canada, et il ne se décida que « sur les pressantes sollicita- tions » de son oncle. Voici ce qu'écrit à ce sujet M. Le Carron :

« M. de la Garaie chérissait comme son fils l'abbé de Pontbriand, fils de sa sœur, chanoine et grand vicaire de Saint-Malo. Il lui avait servi de père, et une union intime

10. L'abbé Le Carron, La pieuse Veuve, p. 395.

11. On a prétendu qu'elle se fit religieuse hospitalière. Elle fut pen- sionnaire à l'hôpital de Saumur; puis elle fonda l'hôpital de Josselin, dans le diocèse de Saint-Malo, mais ne se fit pas religieuse, à proprement parler. {Ibid., p. 386).

sous M^*' DK PONTBKIAND 21

rapprochait l'oncle et le neven. En 1740, celui-ci fut nommé à Tévêché de Québec, capitale du Canada. On connaît l'étendue de ce vaste diocèse, oii le travail est immense, sans secours et jsans consolations humaines. Il fut, contre sa première résolution, déterminé par les pres- santes sollicitations de son respectable ami à accepter cet évêché ; et si depuis, le nouveau Prélat, dont le troupeau a été tout à la fois aÊfligé de la peste, de la guerre et de la famine, a témoigné un courage admirable, l'exemple de son oncle, avec lequel il conserva toujours une liaison étroite et de fréquentes correspondances, contribua beau- coup à lui inspirer cette conduite héroïque ^l »

Comme M^ de Laval, le jeune de Pontbriand fit ses études classiques au collège de La Flèche. C'est qu'il apprit, lui aussi, à vénérer les Pères de la Compagnie de Jésus. Ils lui inspirèrent dès lors cette confiance à toute épreuve qu'il leur témoigna dans son administration épis- copale, spécialement à la Louisiane.

De La Flèche, il alla à Paris chez les Sulpiciens pour y faire sa philosophie et sa théologie : il y demeura dix ans. Ordonné prêtre en 1731, il prit ses degrés de docteur en Sorbonne, puis retourna dans son diocèse de Saint-Malo, l'Evêque, connaissant son mérite, sa science et sa vertu, pénétré d'ailleurs d'admiration pour sa famille, lui donna toute sa confiance, au point de le nommer son grand vicaire et de l'appeler à partager avec lui le gouvernement de son Eglise.

Cet évêque, malheureusement, avait donné tout d'abord dans les erreurs jansénistes ; mais il venait de se rétracter

12. Les époux charitables, p. 200. Le comte de la Garaie mourut le 2 juillet 1755, et l'on envoya son anneau à son neveu Mgr de Pontbriand au Canada. Celui-ci écrivit à ses sœurs: "J'ai reçu l'anneau de M. le comte de la Garaie; c'est une relique précieuse pour moi. " (Lettre du 17 juin 1758).

22 L'EGLISE DU CANADA

d'une manière solennelle et touchante ^^ Pour ramener de plus en plus dans la voie de la saine doctrine ceux qui s'étaient {égarés sur ses pas, il voulut se faire aider par l'abbé de Pontbriand, qui arrivait de Saint-Sulpice avec l'auréole d'une science théologique pure de tout alliage. Quelle gloire pour notre Eglise de constater le beau rôle que remplit son sixième évêque dans son diocèse natal, avant de venir parmi nous !

Saint-Malo ! n'est-ce pas de cette ville qu'était parti Jacques Cartier, juste deux siècles auparavant, pour décou- vrir le Canada et donner un nouveau pays à la France? N'est-ce pas dans cette cathédrale si ancienne, si pieuse et si intéressante, que l'intrépide marin avait demandé et reçu la bénédiction de son évêque, avant de partir avec ses com- pagnons pour son aventureux voyage.^*? Bh bien, c'est de la même ville, c'est de la même cathédrale que va partir celui qui assistera aux derniers jours de la Nouvelle- France découverte par Jacques Cartier, et qui rendra les derniers devoirs à ses derniers défenseurs !

Nous n'avons malheureusement aucun détail sur le dé- part pour le Canada du grand vicaire de Saint-Malo, devenu évêque de Québec, et de ses deux principaux compagnons de voyage, La Ville- Angevin et Briand. Pour être Bretons, c'est-à dire intrépides et courageux, ces hommes n'en avaient pas moins un cœur bien doué er de profondes affections. Leurs adieux à leur pays natal durent être déchirants. La Ville- Angevin quittait une magnifique paroisse et des œuvres admirables qu'il avait créées : il renonça généreu- sement à tout pour accompagner son ami dans sa mission lointaine ; Briand également : « Invité par le Prélat à le suivre en Amérique, écrit le cardinal Taschereau, il répon-

13. Le dernier Evêque du Canada français, p. 20.

14. Voir mon livre Au pays de Mgr de Laval, p. 244.

sous M^»' DE PONTBRIAND 23

dit par ces paroles de saint Pierre : Sequar te quocumque ieris ^^. »

Oh, avec quelle confiance en Dieu ne durent-ils pas s*é- crier plus tard, comme les Apôtres : Ecce nos reliquimus omnia et secuti sumus te : quid ergo erit nobis ^^?

Nous les avons vus arriver au Canada. Les voilà à Québec, les hôtes du Séminaire, les a conduits le Supé- rieur, M. Vallier, qui les accompagnait. Voyons-les main- tenant à l'œuvre, et surtout leur chef intrépide M^^ de Pontbriand.

15. Histoire manuscrite du Séminaire de Québec, p. 809.

16. Uç, XVIII, 28.

CHAPITRE III

DÉBUTS DE l'administration DE M^"" DE PONTBRIAND. SON MANDEMENT d'ENTRÉE

Mgr de Pontbriand prend possession de son Siège. Nominations de Chanoines. L'amovibilité des cures. L'Evêque, content de son Chapitre. Bonne entente dans le Clergé. Mgr de Pontbriand et les communautés religieuses. Mandement d'entrée. Bonne impression produite par le Prélat.

LE lendemain de son arrivée à Québec, le Prélat prit solennellement possession de son siège épiscopal, et en dressa un acte \ qu'il envoya à la Cour. Cet acte de prise de possession lui fut renvoyé à Québec le printemps suivant, « légalisé ^. »

Il y avait trois canonicats vacants : l'un de ces canoni- cats fut donné par la Cour à l'abbé Gosselin, le célèbre botaniste de l'époque ^ ; les deux autres, par l'Evêque, à ses compatriotes et amis La Ville-Angevin et Briand. Les nouveaux chanoines furent installés avec les solennités ordinaires. M. Boucault ne put devenir chanoine que deux ans plus tard, après la mort de M. Maufils, qu'il remplaça. Il retourna en France en 1754.

Les stalles du Chapitre se remplissaient de Français.

1. Archives de l'archevêché de Québec, Registre du Chapitre.

2. Rapport. . . pour 1905, p. 3.

3. Ce botaniste recueillit un très grand nombre de plantes, durant son séjour au Canada; et l'intendant Hocquart les transmettait à BuflFon. {Ihid., p. 20, 34, 57).

l'église du canada sous m*'''" de pontbriand 25

Mais à qui la faute? De quel droit les Canadiens auraient- ils pu s'en plaindre? Qu'ont-ils fait, pendant la vacance du siège, pour mériter la confiance et les faveurs de l'Evêque? Thierry Hazeur, le vicaire capitulaire, a passé son temps à se quereller avec l'ofïicial du diocèse : son administration a été remplie de troubles, tellement que son frère lui-même n'a pu s'empêcher de lui en faire des repro- ches. Du reste, il n'assiste presque jamais au chœur, sous prétexte de maladie ; et cependant, disent les chanoines, « on le voit souvent se promener dans la ville pendant les ofiSces ^ ». M°^ de Pontbriand le laisse de côté, et nomme M. de La Ville-Angevin son vicaire général à Québec. Puis, à Montréal, tout en laissant à M. Marchand le grand vicariat qu'on lui a donné, et dont il est très digne, il rend à M. Normant celui qu'on lui a ôté, réparant ainsi l'injure imméritée que le Chapitre de Québec a faite à Saint- Sulpice.

Mais ce n'est pas tout. La Mère de l'Incarnation écrit quelque part, en parlant de M^'^ de Laval : « Il fallait ici un homme de cette force ^. » On peut dire la même chose de M^^ de Pontbriand. Le Chapitre, pendant la vacance du siège, a commis des actes irréguliers, contraires au droit canonique. Le Prélat, bien décidé à remettre tout à l'ordre et à faire respecter les règles de l'Eglise, exige des curés à qui le Chapitre a donné des titres de bénéfices inamo- vibles, qu'ils les lui remettent. Il le fait avec d'autant plus d'autorité qu'il s'est assuré de l'assentiment de |la Cour, avant de quitter la France. Il a vu le ministre à ce sujet, et celui-ci de lui écrire le 20 avril :

« On ne peut que beaucoup louer votre façon de penser sur le parti que le Chapitre de Québec a pris de fixer, de-

4. Registre du Chapitre, assemblée du 19 septembre 1742.

5. Lettres de Marie de l'Incarnation, t. II, p. 138.

26 I.*ÊGLISE DU CANJADA

puis la mort de M. de Lauberivière, quelques cures du diocèse. L'intention du Roi n'est pas que cette fixation irrégulière subsiste ; et j'écris, par ordre de Sa Majesté, à MM. de Beauharuais et Hocquart, d'engager le Chapitre à retirer les lettres des curés qu'il a fixés. Si cependant il y avait quelques difficultés du Chapitre ou de la part des curés, Sa Majesté désire que vous fassiez valoir vos droits, qu'Elle est toujours disposée à soutenir, sauf à pourvoir dans la suite à la fixation des cures qui vous paraîtraient devoir être mises sur pied ^. »

Il n'y eut aucune difficulté ni de la part du Chapitre, ni de la part des curés. Ceux-ci n'hésitèrent pas à remettre leurs titres à l'Evêque, et le Chapitre ne trouva rien à redire. Que peut-on opposer de raisonnable à l'autorité, lorsqu'elle s'appuie sur le bon droit?

Le fait que la Cour soutint avec fermeté M^^ de Pont- briand dans cette question de la fixation des cures par le Chapitre est d'autant plus remarquable qu'elle n'avait cessé de demander aux Evêques, depuis le commencement de notre Eglise, de fixer toutes les cures du diocèse. Que n'avait-on pas dit et écrit contre le système des cures amo- vibles de M^^" de Laval? Aux Evêques qui lui succédèrent, on ne cessa de répéter qu'il fallait en finir avec ce système, et fixer toutes les cures comme en France : ils ne purent ja- mais faire mieux que M»^'de Laval ; comme lui ils en fixèrent quelques-unes, par respect pour les volontés royales, mais ne cessèrent de déclarer que dans un pays de missions comme le Canada il était absolument impossible de n'éta- blir que des paroisses inamovibles.

Deux ans après l'avènement de M^^ de Pontbriand, le Roi écrit à MM. de Beauharuais et Hocquart :

« Il faut profiter des bonnes dispositions du nouvel évêque

6. Le dernier Evêque du Canada français, p. 30.

sous M^"* DE PONTBRIAND 37

pour VOUS concerter avec lui à l'égard de la vente de Peau- de-vie, la fixation des cures, les dîmes, la réduction du nombre des fêtes '^. »

Nous avons des lettres de M«^ de Pontbriand sur tous ces sujets. Pour la fixation des cures, en particulier, dès Pan- née qui suivit son arrivée au Canada, il eut occasion de s'expliquer clairement sur cette question. Suivant son ha- bitude, il donne les raisons pour et contre ; mais il est facile de voir qu'il partage tout-à-fait le sentiment de M^^ de Laval par rapport à l'amovibilité des curés :

« Il est impossible, dit-il, de les fixer tous : or, la fixation ne pouvant être universelle, l'uniformité est à désirer : autrement, la jalousie aura lieu . . . Un évêque, ajoute-t-il, a souvent besoin de changer un curé de place. Si les curés sont fixes, il ne sera pas facile de remédier aux abus. Il peut se trouver des curés qui n'inspireraient pas aux peuples les sentiments d'obéissance qu'ils doivent à ceux qui sont chargés de faire exécuter les ordres de Sa Majesté. La fixation serait un obstacle, si on voulait y remédier promptement. »

Le Prélat examine ensuite les paroisses de son diocèse, et il n'en voit que treize, en tout, « dans lesquelles on pour- rait absolument fixer ^ ». Le fait est qu'il n'en fixa pas une dans tout le cours de son administration.

On sait que M^*" de Laval avait réglé, au commencement de son épiscopat, non seulement que tons les curés seraient amovibles, mais que tous rendraient compte de leur revenu au Séminaire, dont ils feraient partie, le Séminaire s'obli- geant, à son tour, de pourvoir à tous leurs besoins, en santé comme en maladie. C'était le système qu'avait établi le grand évêque d'Hippone, saint Augustin, dans son

7. Rapport. . . pour 1905, p. 12.

8. Corresp. générale, vol. 78, lettre au ministre, 22 août 1742.

28 l'église du canada

diocèse ^. On se récria avec tant de force contre ce sys- tème d'organisation ecclésiastique de M^^ de Laval, que le Roi, qui l'avait tout d'abord approuvé sans réserve ^°, changea de sentiment, et réforma ce système si apostolique, si désintéressé du vénéré Prélat ^^

Eh bien, sait-on ce qui arriva après la Conquête, ou du moins ce qui fut proposé à cette époque critique de notre histoire religieuse ? Voici ce que nous lisons dans un mé- moire adressé à la Propagande, en 1764, par le grand vicaire de Québec, à Paris, l'abbé de l'Ile-Dieu, parlant au nom de l'Eglise du Canada :

({ Il a été convenu que le Clergé des deux gouvernements (celui de Québec et celui de Montréal) réuniraient leurs biens et leurs revenus pour n'en faire qu'une seule mense, qui fournirait en commun aux uns et aux autres leurs besoins respectifs ^^. »

Quelle est « cette mense commune ... », oii venaient se fondre les biens, les dîmes, le casuel du clergé canadien, sinon quelque chose d'analogue à ce qu'avait imaginé et créé M^ de Eaval pour la subsistance de son clergé ? C'est- à-dire qu'à cette époque critique oîi l'Eglise canadienne, complètement ruinée par le désastre de la Conquête, reve- nait pour ainsi dire à sa première enfance, on ne trouvait rien de mieux, rien de plus pratique, pour la ressusciter et la relever de ses ruines, que le système imaginé par le grand évêque Montmorency-Laval !

Mais n'anticipons pas sur les événements, et revenons au

9. Voir la magnifique étude sur saint Augustin, publiée récemment dans la Revue des Deux-Mondes: " Il exige que ses clercs renoncent à tout ce qu'ils possèdent en faveur de la communauté, donnant ainsi aux fidèles l'exemple de la pauvreté volontaire. "

10. Edits et Ordonnances, t. I, p. 35.

11. Ibid., p. 231.

12. Lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu au card. préfet de la Propagande, 9 millet 1764, citée par Mgr Têtu dans les Recherches historiques, vol. XV, p. 327.

sous M^ DE PONTBRIAND

sixième évêque de Québec, qui ressembla sur bien des points à son premier prédécesseur :

« Appelé à gouverner ce diocèse aux jours les plus ora- geux de son histoire, écrit l'annaliste des Ursnlines, M^ de Pontbriand, qui appartenait à une famille de saints, et qui devait être le dernier évêque envoyé par l'ancienne France à la nouvelle, semble s'être appliqué à retracer en lui les vertus caractéristiques du saint évêque De Laval ^^. M

Et l'abbé Casgrain : « Cet homme apostolique, dit-il, rappelait par son zèle, ses lumières et sa charité le plus illustre de ses prédécesseurs, M^^ de Laval. . . Il était à la hauteur des événements dont il fut le témoin et des désastres dont il devait être une des victimes ^^ »

Nous avons vu avec quelle énergie et quel succès il répare, dès son arrivée, les erreurs commises par le Cha- pitre. Celui-ci ne paraît pas lui en garder rancune, et la bonne entente semble parfaite, à cette époque, entre l'Evêque et ses chanoines. Le Chapitre général se tient du 13 octobre au 6 novembre : l'Evêque assiste à la clôture, et en approuve les délibérations :

« Je n'ai lieu que de me louer, dit-il, de l'assiduité de MM. du Chapitre à l'office divin, et de la manière dont se font les cérémonies, du bon exemple qu'ils donnent tous dans cette ville, et j'espère qu'ils continueront avec la même ferveur et la même édification. «

Déjà, cependant, les chanoines ont fait la remarque qu'il est ferme, et veut être maître dans son église. L'un d'eux ayant écrit là-dessus à M. de l'Orme :

« L'Evêque, répond celui-ci, peut assister aux assemblées du Chapitre quand il veut, mais non pas décider, ainsi

13. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 245.

14. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 418.

30 l'église du canada

qu'il paraît faire. Il n'a que sa voix, et dans le Chapitre il ^st primus inter pares ^^ »

L'entente est parfaite, également, entre les membres du clergé séculier et régulier de Québec. Quelques semaines seulement après l'arrivée de M^^' de Pontbriand, il y a un triduum solennel chez les Jésuites à l'occasion de la cano- nisation de saint François Régis ; et voici ce qu'on lit à ce sujet dans le registre du Chapitre, à la date du 17 no- vembre 1741 '

« On a réglé que le Chapitre accompagnerait en corps M^^ l'Evêque dimanche prochain pour l'ouverture de la cérémonie ; on ira chanter au Collège les vêpres et le salut. Le Chapitre y fera mercredi prochain, jour de la conclusion, tout l'office, et l'on reviendra en procession à la Paroisse pour la clôture de la cérémonie. »

Quelques semaines plus tard, sur l'invitation du P. de Saint-Pé, on décide d'aller faire l'office chez les Jésuites le Jour de l'an. Même chose l'année suivante, sur l'invita- tion du nouveau Supérieur du collège, le P. Messaiger, toutefois « sans conséquence pour l'avenir '^; » et l'on con- tinua, d'année en année, à aller faire l'office chez les Jésuites, soit à la Saint-Ignace, soit à la Saint-François- Xavier, soit au Jour de l'an : c'est-à-dire que le Chapitre, tout en gardant sa liberté, reprenait l'usage que M^^ de Laval avait établi, dès le commencement, pour rendre hommage aux services rendus par les Jésuites à l'Eglise du Canada.

* ' *

M^ de Pontbriand avait à réparer bien des choses par

15. Archives du Séminaire de Québec, Cahiers Plante, extraits de la correspondance de M. de l'Orme. M. Gabriel-Edouard Plante, l'ancien chapelain de l'Hôpital-Général, que nous avons bien connu, était un homme très versé dans l'histoire de notre pays. Il est mort le 13 sep- tembre 1869.

16. Registre du Chapitre.

sors M^^' DE PONTBRIAND

31

rapport aux communautés religieuses de son diocèse, sur- tout celles de Québec. M. de l'Orme écrivait de Paris à ce sujet :

« J'ai parlé à M. l'Evêque de toutes les communautés religieuses du Canada. Il paraît dans de bons sentiments pour elles. Il m'a dit qu'il connaissait parfaitement les tracasseries qui s'y trouvaient, qu'il avait eu plusieurs communautés à conduire en France. Il m'ajouta sa sur- prise de ce que plusieurs lui avaient parlé des communau- tés religieuses du pays. Je lui en expliquai le mystère : c'est que, depuis M. Dosquet, ces filles avaient été extrê- mement tourmentées, tant par lui que par ses grands vicaires, soit pour leurs consciences ^^, soit pour leurs élec- tions ; qu'ainsi elles avaient raison de faire prévenir les évêques à ce sujet, afin qu'ils ne fussent pas si durs envers elles, et qu'ils leur adoucissent le joug de la religion, au lieu de l'appesantir, comme on a fait jusqu'à présent : « Cela est juste, » me dit-il. Il n'y a que les Ursulines de Québec qui l'embarrassent, par rapport aux Jésuites. Il est fort du

17. Extrait d'une lettre de M. de l'Orme à Thaumur de la Source, Paris, 17 mai 1731 :

"... Les religieuses de l'Hôtel-Dieu me paraissent très fâchées que vous ayez laissé leur confessionnal. Je ne conçois pas les raisons qui ont pu engager M. Dosquet à vous ôter cet emploi, dans lequel il paraît que vous étiez goûté presque universellement de toute la communauté. Je vois bien que l'esprit de jalousie a contribué beaucoup à vous rendre, encore plus aux religieuses, ce mauvais service. Je plains ces pauvres filles, car je les ai toujours aimées; et je les plains d'autant plus qu'elles ont un homme qui n'est pas propre à grand'chose. Non seulement je plains cette communauté, mais encore les autres qui sont dans Québec, et le Clergé, dans lequel je ne vois pas beaucoup de paix et de tranquillité. Il faut prier Dieu qu'il éclaire les uns et qu'il donne de la docilité aux autres ; car je prévois que le feu est si grand que l'on aura de la peine à réteindre que par le secours du Ciel. . . " (Archives du Sém. de Québec, Cahiers Plante).

Ce digne prêtre du Séminaire de Québec fut envoyé aux Tamarois, d'oi!i il revint plus tard à Québec. Il mourut à l'Hôtel-Dieu, " dans une si grande réputation de sainteté, dit Latour, que tout le peuple, à ses ob- sèques, allait faire toucher des chapelets à son corps, et déchirait ses habits pour avoir des reliques ". (Mémoires sur la vie de M. de Laval, p. loi).

32 l'église du canada

sentiment de mettre les communautés sur le pied qu'elles doivent être, qui est de leur donner des confesseurs et supé- rieurs séculiers, et non des réguliers ^^. »

M. de l'Orme n'était pas si tendre pour les communautés religieuses lorsqu'il écrivait à son frère :

« L'obstination des religieuses Ursulines devrait être punie à cause du scandale que ces filles ont donné en ne faisant pas leurs pâques dans le temps pref crit par l'Eglise. Je ne doute pas que M. Dosquet ne les mette petit à petit à la raison, et ne leur fasse sentir dans la suite les sottises qu'elles ont faites dans la vacance du siège ^^. »

Quoi qu'il en soit, dès sa première visite aux commu- nautés religieuses de sa ville épiscopale, M^^ de Pontbriand sut gagner leur estime et leur affection :

« Il donna à nos Mères, écrit l'annaliste des Ursulines, mille assurances de cette affection paternelle qui ne se démentit jamais dans la suite ^^. »

L'annaliste de l'Hôpital Général écrit à son tour:

« Notre Mère supérieure n'avait pas manqué de lui écrire pour le saluer au moment de son arrivée. Il lui répondit aussitôt, même avant d'être descendu du vaisseau, par une lettre pleine d'affection et de bienveillance. Nous eûmes l'honneur de sa visite quelques jours plus tard, ce qui nous fut doublement agréable par l'attention qu'il eut de se faire accoippagner par M. Vallier '^^. Nous reçûmes Sa Grandeur dans le vestibule de l'église, le P. Maurice Imbault lui adressa quelques compliments. Il nous donna sa béné- diction, et nous allâmes chanter le Te Deum au chœur ^2. »

18. Recherches historiques, vol. XIV, p. 134, lettre de M. de l'Orme à son frère, 11 mai 1741.

19. Archives du Sém. de Québec, Cahiers Plante.

20. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 245.

21. M. Vallier avait été pendant six ans supérieur ecclésiastique de l'Hôpital-Général.

22. Mgr de Saint-V allier et l'Hôpital-Général de Québec, p. 305.

sous M^^' DE PONTBRIAND 33

Quant à la question de la direction des Ursulines par des religieux, elle fut bientôt réglée : l'Evêque leur donna pour confesseur M. de La Ville-Angevin, à la place du supérieur des Jésuites, le P. de Saint-Pé, sous prétexte qu'il était «trop surchargé ; » et elles en furent ravies :

(( Il présida, ajoute l'annaliste, à nos élections le 24 octobre, accompagné de M. de Miniac et de notre nouveau confesseur. »

Jamais évêque ne montra plus d'intérêt à ses commu- nautés religieuses que M^^' de Pontbriand. Nous avons parcouru un grand nombre de ses lettres adressées soit à l'Hôtel-Dieu de Québec ou à celui de Montréal, soit aux Ursulines, soit aux Sœurs de la Congrégation : que de bons conseils, dans cette correspondance, que d'encoura- gements au milieu des difficultés spirituelles ou tempo- relles, que d'avis importants pour faire éviter tout ce qui pourrait nuire à la perfection religieuse ! Qui n'admirerait par exemple, le règlement qu'il donne, le 25 juin 1742, «pour les missionnaires de la Congrégation de Notre- Dame, » obligées par leur état de faire de longs et fréquents voyages? que de sagesse dans les recommandations qu'il leur fait pour que ces voyages se fassent toujours d'une manière digne de leur sainte vocation ! Que de sagesse, également, dans ses règlements «concernant les confesseurs ordinaires et extraordinaires des religieuses ! »

«Je ne suis point, dit-il entre autres choses, dans l'usage d'exhorter les confesseurs ordinaires ou extraordinaires de voir les religieuses autre part qu'au tribunal. Je voudrais même, s'il était possible, qu'ils ne les connussent seulement pas de nom. Ce sont des maximes que j'ai données à mon arrivée dans le diocèse. Les confesseurs ne doivent entrer dans le cloître que quand il y a une espèce de nécessité ^^ »

23. Archives de l'archevêché de Québec, Correspondance de Mgr de Pontbriand.

34 I^'ÊGUSE DU CANADA

M * *

Il ne restait plus à l'Evêque, arrivant dans son diocèse et inaugurant son administration, qu'à s'adresser publi- quement au clergé et aux fidèles de l'Eglise canadienne,^ comme leur Père et leur premier pasteur. Nul de ses prédécesseurs n'avait cru devoir faire un « mandement d'entrée » : il était réservé à l'ancien grand vicaire de Saint-Malo d'inaugurer ici un usage si convenable. Dans son beau mandement du 27 septembre, M^'' de Pontbriand commence par rendre un juste hommage à la mémoire de son prédécesseur immédiat, dont il proclame «la sainteté et la vertu, w II se déclare disposé comme lui «à sacrifier son repos, sa santé, sa vie même, pour concourir à la sanc- tification des âmes ; » et nous verrons combien sincère était l'expression de ces sentiments dans la bouche du pieux Prélat. L'Evêque fait ensuite l'éloge de ses collaborateurs dans le saint ministère et du peuple confié à ses soins :

(( Quelle joie pour nous, dit-il, de trouver dans une terre étrangère et nouvellement soumise à l'empire de Jésus- Christ, des pasteurs dont les vertus retracent le zèle des ministres que nous avons vus dans les Eglises les plus anciennes, et un peuple fidèle imitateur des vertus de ceux qui sont préposés pour le conduire ! >>

Il annonce ensuite qu'à sa demande le Souverain Pontife a accordé, pour le jour de la Toussaint, une indulgence plénière, que tous les fidèles de sou diocèse peuvent gagner, aux conditions ordinaires. Il renouvelle toutes les ordon- nances et les règlements établis par ses prédécesseurs. Il renouvelle également les pouvoirs ordinaires dont jouissent les prêtres du diocèse ; les pouvoirs extraordinaires seuls cesseront après la Toussaint ^^.

24. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 9, mandement du 27 sept. 1741. .

sous M»' DE PONTBRIAND 35

D'après tous les témoignages contemporains, les débuts de l'administration épiscopale du nouvel évêque de Québec produisirent une impression des plus favorables ; et cette bonne impression ne tarda pas à se transmettre de l'autre côté des mers. Le Roi se réjouit « des bonnes dispositions de ] 'Evêque ; » il n'y a rien à la Cour qu'on ne soit prêt à faire pour lui. Le cardinal de Fleury, à la veille de mourir, lui fait obtenir une pension de trois mille livres sur les économats ''^^, en sus des neuf mille qui sont déjà allouées à l'évêque de Québec ; et d'autres faveurs de ce genre lui seront accordées les années suivantes. Le Roi fera réparer aux frais de l'Etat son palais épiscopal. L'on montre partout à son égard une si grande bonne volonté que l'annaliste des Ursulines ne fait qu'exprimer un vœu général lorsqu'elle s'écrie :

« Plaise à Dieu qu'il vive de longues années, pour le bonheur de ce pays ! »

25. Les économats étaient le revenu de tous les bénéfices ecclésias- tiques vacants, dont disposait le Roi en vertu de la Régale. Le Roi nom- mait un personnage important pour administrer ces biens ; et ce person- nage, qui n'était pas nécessairement un ecclésiastique, s'appelait l'Eco- nome du Clergé.

CHAPITRE IV

LE PALAIS ÊPISCOPAL DE QUÉBEC, RESTAURÉ AUX FRAIS

DE l'État

Triste état du Palais épiscopal de Québec. A qui appartient-il? Le Roi se charge de le faire réparer. Il en fait don aux Evêques de Québec. Lettre de l'ingénieur M. de Léry. Lettre de Mgr de Pontbriand.

y ORSOUE Thierry Hazeur avait pris possession du Palais -■-V épiscopal pour M^^ de Lauberivière, le 20 juin 1739, (( en y entrant par la grande et principale porte », il ne l'avait fait qu'avec d'expresses réserves, « par rapport, disait-il, à l'état est actuellement le dit palais épiscopal, et sans que la dite prise de possession puisse lui préjudi- cier )) ^

Qu'y avait-il donc dans ce palais, pour n'y entrer qu'avec tant de précautions ?

M^'^de Saint- Vallier, qvi l'avait fait construire, ne l'avait habité que quelques années. M^^ Dosquet y avait résidé un peu malgré lui, et le moins possible. M^^' de Lauberi- vière, en arrivant à Québec, était allé tout droit au sémi- naire ; M^^ de Pontbriand, également.

Ce pauvre palais épiscopal, si agréablement situé, qui avait coûté, avec le terrain il était bâti, des sommes considérables, était devenu une source d'embarras, et presque un objet de répulsion pour nos évêques : c'était à

I. Têtu, Le Palais épiscopal de Québec, p. 64.

l'éguse du canada sous m«^ de PONTBRIAND 37

qui n'y irait pas, c'était à qui ne l'entretiendrait pas. M»"* de Saint- Vallier l'avait bâti à une époque il s'était mis en guerre avec le Séminaire et M^^ de Laval : dans son esprit d'opposition à l'œuvre de son prédécesseur, il l'avait bâti bien trop grand pour lui personnellement, en vue d'y retirer quelque bon jour, s'il lui en prenait envie, les ecclé- siastiques de son grand séminaire 2. L'esprit de chicane qui avait piésidé à cette construction semblait encore planer sur elle.

A qui appartenait-elle? Personne ne pouvait ou n'osait le dire. Etait-ce au Roi, qui avait fourni en trois termes le prix d'acquisition du terrain et des édifices qui s'y trou- vaient? Etait-ce aux évêques de Québec, M^^ de Saint- Vallier ayant construit ces bâtiments « pour iceux servir au logement de ses successeurs, « et leur en ayant même fait donation, quelques années plus tard, « à condition qu'il ne pourrait être rien demandé à sa succession pour raison des réparations qui se trouveraient à faire, lors de son décès, aux abbayes réunies à l'Evêché ^7 » Etait-ce, suivant l'opi- nion de MM. de Beauharnais et Hocquart, à l'Hôpital Géné- ral, qui avait hérité par testament de tous les biens de M^^ de Saint-Vallier? Le pieux fondateur de cette commu- nauté avait donné l'évêché à ses successeurs, à condition qu'ils feraient les réparations nécessaires aux abbayes unies a cet évêché ; la condition n'avait pas été remplie, puisque M^^' de Mornay avait intenté des poursuites à l'Hôpital Général pour lui faire faire ces réparations : les religieuses prétendaient donc entrer en possession du palais épiscopal, comme faisant partie de la succession de leur fondateur.

2. Corrcsp. générale, vol. 56, lettre de Mgr Dosqnet au ministre, 7 septem^>rt 1731. Lettre de M. Tremblay, publiée dans le Rapport sur les Archives pour 1887, p. LXV.

3. Arrêt du Conseil d'Etat du Roi, Sa Majesté y étant, tenu à Ver- sailles le 30 mai 1743.

38 L'EGLISE DU CANADA

Tout était confusion et chaos dans cette question de la propriété du palais épiscopal de Québec : on n'y compre- nait goutte. M^^ Dosquet, obligé, pour se conformer aux désirs de la Cour, de prendre possession de la maison et d'y résider, n'y avait fait que les réparations les plus urgentes, et avait eu toutes les peines du monde à s'en faire rembour- ser le prix. Depuis qu'il avait résigné son siège, il était dans des transes mortelles au sujet des travaux qui restaient à faire à cet évêché, et il ne cessait d'importuner la Cour pour être déchargé de toute obligation à cet égard * : « Soyez sans inquiétude, et vivez tranquille ^), lui écrivait le mi- nistre. Mais il y a des consciences qui ne se calment pas aisément ; et puis il avait présent à l'esprit le souvenir de M^^ de Mornay, qui l'avait menacé de poursuite ^ Au prin- temps de 1741, apprenant qu'un nouvel évêque va partir pour le Canada, il écrit encore deux fois, presque coup sur coup, au ministre sur le même sujet ; et celui-ci de lui ré- pondre le 20 avril : « Ne craignez rien ; c'est le Roi lui- même qui va faire ces réparations à ses dépens ^. »

A la sollicitation de M^^ de Pontbriand, le Roi venait en effet de prendre cette sage détermination.

Il y eut un premier arrêt, en date du 12 mai 1741, par lequel Sa Majesté, sans déclarer encore qu'Elle ferait faire les réparations à ses frais, ordonnait que la maison et ses dépendances seraient visitées par l'ingénieur en chef du Canada, M. de Léry ", et par deux experts, nommés l'un

4. D'après l'abbé Pâquin, auteur d'un énorme manuscrit de 1160 pages sur l'Eglise du Canada, Mgr Dosquet était fils " d'un riche banquier '", (p. 387). Du reste, cet auteur, comme bien d'autres, n'indique pas la source de ses renseignements ; et il fait naître Mgr Dosquet " à Lille, en Flandres ", ce qui est certainement faux. Voir notre volume précé- dent, p. 49.

5. Voir notre volume précédent, p. 271.

6. Rapport. . . pour 1905, p. 3.

7. Ingénieur bien vu et très respecté au Canada, qui avait présidé à presque tous les travaux publics de la colonie, et que cependant Mont-

sous M^^" DE PONTBRIAND 39

par révêque, l'autre par l'intendant. L'ingénieur et les experts devaient dresser un procès-verbal de leur visite, mentionnant les réparations « nécessaires » à faire, et le prix qu'elles coûteraient ; et ce procès-verbal devait être envoyé à Sa Majesté. Il le fut en effet le 25 septembre :

« Ce procès-verbal, écrivaient au ministre MM. de Beau- harnais et Hocquart, a été dressé suivant vos intentions et monte à dix mille quatre-vingts livres, dix sols. Il a été communiqué à M. l'Evêque. Nous avons tâché de le faire expliquer sur le parti qui lui conviendrait le mieux pour faire faire ces réparations. Nous lui avons proposé de s'en charger lui-même, moyennant la dite somme, qui pourrait lui être remise. C'aurait été, à notre avis, la voie la plus abrégée et la moins sujette à discussion. .'. Il a prétexté que le détail de ces réparations était trop embarrrassant pour lui, et qu'il ne pouvait s'en charger. Au fond, nous pensons qu'il estime qu'elles ont été portées trop bas. Il nous a fait assez entendre qu'au lieu d'une couverture neuve en planches, il eût été à propos d'en faire faire une neuve en ardoises, de démolir la vieille charpente, et d'éle- ver des murs de refend pour en substituer une autre plus simple en filière. Cette nouvelle charpente et une cou- verture en ardoises auraient mis effectivement cette maison à l'abri de tous les accidents du feu. Mais outre que l'objet était trop considérable pour en faire mention dans le pro- cès-verbal, il n'est question dans l'arrêt du Conseil que « des réparations nécessaires. »

« M. l'Evêque ne voulant point se charger de faire faire ces réparations, il paraît nécessaire de les faire faire sur le compte du Roi, soit par économie, ou au moyen d'une'

calm, dans sa correspondance, appelle " grand ignorant de son métier " : (Corresp. générale, vol. 104, lettre à M. Le Normand, 12 avril 1759) exemple, entre mille, de la manière dont les Français appréciaient les Canadiens et les choses du Canada !

40 I.' ÉGLISE DU CANADA

adjudication. Ces deux voies ne laissent pas d'être su- jettes à des inconvénients. En faisant ces réparations par économie, il est certain qu'elles monteront plus haut que le devis, parce qu'il sera difficile de ne pas se prêter à quelques ajustements, sur lesquels M. de Pontbriand ne manquera pas d'insister. Si on emploie la voie d'adjudi- cation, le prix en pourra être également porté au delà des estimations, parce que l'entrepreneur sentira qu'il faudra qu'il ait de son côté quelques complaisances. Cependant la voie d'adjudication nous paraît moins sujette aux dis- cussions, du moins pour ce qui nous regarde. »

Beauharnais et Hocquart ajoutaient ensuite, laissant voir le penchant qu'ils avaient toujours eu pour l'Hôpital- Général :

(( A l'égard de la prétention de l'Hôpital-Général sur l'évêché, nous l'avons discutée avec M. l'Evêque ; et nous avons dressé un mémoire, dans lequel nous avons expliqué les raisons pour et contre, sur lesquelles nous espérons que vous voudrez bien donner une décision favorable à cet hôpital ^ »

Le Roi régla la question. Par un second arrêt, en date du 20 avril 1742, il ordonne que (des réparations néces- saires» qu'il faut faire faire au palais épiscopal de Québec «seront faites de ses deniers,» d'après l'estimation du procès verbal qui lui a été envoyé et qu'il a homologué. C'est M. de Léry lui-même qui est chargé de les faire exécuter; et quand elles seront faites, «il sera procédé à leur réception, contradictoirement avec le sieur de Pontbriand, évêque, par devant le juge de la Prévôté de Québec ^, que Sa Majesté a commis et commet à cet effet. »

8. Corresp. générale, vol. 75, lettre du 18 septembre 1741.

9. C'était encore M. André de Leigne; mais il était à la veille de prendre sa retraite, en conservant ses appointements. François Daine, greffier en chef du Conseil Supérieur, lui succéda en 1744 comme juge de la Prévôté. (Registres du Conseil Supérieur, 12 octobre 1744).

sous M^''^ DE PONTBRIAND 41

Cela fait, «le sieur Dosqiiet, ancien évêque, les successions des sieurs de Lauberivière et Mornay, et l'Hôpital Général de Québec seront et demeureront pleinement et valablement quittes et déchargés envers et contre tous des dites répa- rations et du prix d'icelles, dont Sa Majesté leur fait don et remise ^^ »

Cet arrêt ne fut connu à Québec que dans le cours de l'automne (1742); les travaux ne purent guère commencer avant le printemps de 1743. Ils furent alors menés assez rondement ; de sorte que M^^" de Pontbriand put prendre possession de sa maison épiscopale et s'y installer le 26 octobre.

Par un troisième arrêt, en date du 30 mai de cette année 1743, le Roi, après avoir pris connaissance de la demande des religieuses de l'Hôpital Général et des observations de Beauharnais et Hocquart en leur faveur, « les déboutait de leurs prétentions, et réunissait à son domaine, en tant que de besoin, la maison épiscopale et ses dépendances ; » puis il en faisait « don à l'Evèché et aux Evêques de Québec, pour en jouir par eux en pleine propriété. » Du reste, il n'exigeait d'eux aucune indemnité, et ne les obligeait qu'à « pourvoir à l'entretien de la maison et de ses dépendances, comme le tout appartenant à l'Evêché. »

Ah, quel homme content dut être M^^ Dosquet, lui qui, à rencontre de Beauharnais et Hocquart, avait toujours soutenu que l'Hôpital Général n'avait aucun droit sur le palais épiscopal de Québec " ! Qu'il dut être heureux de se voir déchargé de toute obligation par rapport aux répa- rations à faire à cette maison !

M. de Léry écrivait à la Cour le 20 octobre :

10. Arrêt du Conseil d'Etat du Roi, Sa Majesté y étant, à Fontaine- bleau, 20 avril 1742.

11. Corresp. générale, vol. 74, lettre de Mgr Dosquet au ministre, 3 mars 1740.

42 l'église du canada

(( Le Palais épiscopal aurait été rétabli plus tôt. J'ai tombé malade le printemps passé, et été obligé de rester un mois dans le lit. Dans ma convalescence, tout ce que je pouvais faire était d'aller tous les jours y faire travailler, étant tout proche de ma maison ^^. Il est à présent en bon état.

« On a été obligé de faire toute la charpente et couver- ture à neuf, les deux tiers des poutres, portes, fenêtres et planchers étaient pourris. Les experts ni moi n'avions pu le voir, à cause qu'une partie de ce qui était gâté était cachée, et le reste était dans la maçonnerie. Quand on est venu au rétablissement, M. l'Intendant et M. l'Evêque ont été surpris ; ce bâtiment n'ayant pas été entretenu depuis le départ de M. Dosquet (1735), la pluie a pénétré par la couverture et gâté la charpente et le dedans.

(( Je l'ai rétabli de manière qu'il est tout neuf à présent, et je puis dire qu'il est en meilleur état, plus solide, plus logeable qu'il n'était quand il a été fait.

<( J'ai l'honneur de vous en envoyer les plans. Vous verrez que c'est un beau bâtiment, avec une belle cour, basse- cour et jardin. M. l'Evêque mérite d'être bien logé, car c'est un digne prélat. Il est convenu avec M. l'intendant de ne point rétablir la chapelle : elle mérite de l'être, car elle est belle, ayant un beau portail de pierre de taille, orné d'un ordre d'architecture ^^. . . »

De son côté, M^^ de Pontbriand écrivait, lui aussi, au ministre :

« Les fonds destinés pour la maison épiscopale ont été entièrement employés. Restent encore la chapelle, l'écu- rie, le crépi d'une partie de la maison, d'un mur, et une clôture de pieux. J'ai été obligé de faire une réserve ex-

12. La maison de M. de Léry existe encore, et sert de boutique aux ouvriers du Séminaire. Elle a pignon sur la rue Sainte-Famille.

13. Corresp. générale, vol. 80, lettre au ministre, 20 oct. 1743.

sous M^ DE PONTBRIAND 43

presse sur tous les articles. La chapelle ne paraît pas à M. l'intendant bien nécessaire : une chambre y a suppléé du temps de M. Bosquet, et peut encore y suppléer. L'édi- fice en est cependant trop beau pour le laisser périr. Il était même naturel de commencer par : le peuple, tout peuple qu'il est, le pense ainsi. Si vous n'en jugez pas la réparation nécessaire, je crois que vous en ordonnerez la démolition. . . »

CHAPITRE V

ENCORE I.E PALAIS ÉPISCOPAL. MISÈRE DANS LA

COLONIE

Rapport du juge André de Leigne sur les travaux de l'évêché.— L'Evêque fait compléter ces travaux. Etat misérable de la colo- nie. — Règlements fixant le prix du blé et du pain. Mgr de Pontbriand au Conseil Supérieur. Son plan par rapport aux mendiants.

iVyTGR de Pontbriand n'avait pris possession de sa maison ^Vl épiscopale, le 26 octobre (1743), qu'en faisant expressément ses réserves sur plusieurs détails. On aura une idée de l'objet de ces réserves par l'extrait suivant que nous faisons du Rapport du juge de Leigne, qui avait été chargé par le Roi de recevoir les travaux. Il se rendit à Pévêché le 26 octobre, à huit heures du matin on était à cette époque plus matinal qu'aujourd'hui—, et fit sa visite en compagnie de l'Evêque :

«Nous avons été, dit-il, aux Offices, ou Rez-de-chaussée de la Basse-Cour, nous avons visité la cuisine, le com- mun, les caves, les offices, garde-manger et caves au vin . . .

« Au bel Etage, ou Rez-de-chaussée de la Cour, dans tous les appartements . . .

« De là, au premier Etage. . .

« Ensuite aux greniers. Toute la charpente est neuve ainsi que la couverture en double plancher.

«r Les têtes de cheminées sont refaites à neuf. . . »

Jusque-là, le Juge et l'Evêque ne trouvent rien à reprendre. M. de Leigne ajoute :

sous M^^" DE PONTBRIAND 45

« Etant ensuite descendu dans la Cour, nous avons re- marqué qu'aux deux flancs du dit bâtiment, qui sont oppo- sés au nord-est, les crépis sont à faire.

(( Nous nous sommes ensuite transporté à la chapelle, à la sacristie, et nous avons remarqué qu'il n'a été fait dans ces endroits aucune réparation.

« Nous avons été de à la grande porte de la cour de la maison épiscopale, et au mur de continuité, qui va jusqu'à la maison du nommé Carpentier, et avons remarqué que le crépi de la porte est à faire, ainsi qu'au dit mur, avec le chaperon.

« Nous avons été ensuite conduit à l'écurie et à la remise, et avons remarqué qu'il n'y a été fait aucune réparation ^ »

La clôture de pieux qui séparait le terrain de l'évêché de celui du séminaire était aussi restée complètement en ruines.

M. Hocquart proposa à l'évêque de lui donner la somme de douze cent vingt livres pour lui permettre de faire les réparations qui restaient à faire, de manière qu'il pût se désister de ses réserves. Le Prélat accepta ; la somme lui fut comptée le 30 octobre 1744 ; le Roi ratifia l'arrangement le 26 avril 1745; puis, dans l'automne de 1746, le 22 sep- tembre, les notaires Barolet et Dulaurent se rendirent « en l'Hôtel de M^'' l'Evêque, w et passèrent un acte par lequel celui-ci, moyennant la somme qu'il avait acceptée de M. Hocquart pour achever les réparations de l'évêché, se dé- sistait de ses réserves et se déclarait satisfait. Hélas ! à propos de la chapelle et de la sacristie, on lisait dans cet acte : « On les laissera tomber en ruines - ! »

1. Archives provinciales de Québec, Registres de la Prévôté, Matières civiles.

2. II est certain, toutefois, que la chapelle de l'évêché fut quelque peu entretenue, puisqu'elle servit, après la Conquête, pour les Bureaux du gouvernement, et plus tard pour les séances du premier Parlement cana- dien.

46 l'éguse du canada

La colonie était entrée, à cette époque, dans une période de mauvaises récoltes, de disettes, de maladies, qui n'était que le prélude des grands malheurs qui devaient assombrir les derniers jours du Régime français au Canada. La pauvreté et la misère régnaient dans nos campagnes et dans nos villes; les revenus de la colonie diminuaient, ce qui explique la prudence, voisine de la mesquinerie, avec laquelle on avait procédé à des travaux importants comme ceux des réparations du Palais épiscopal. N'allons pas croire, en effet, que c'était avec ses «propres» deniers que le Roi faisait exécuter ces travaux, c'était avec ceux de l'Etat, ou plutôt ceux de la colonie, payables, comme il le dit lui-même, « par le commis des conseillers généraux de la Marine à Québec, » sur l'ordre de l'intendant ^

On aura une idée de la misère qui commençait à s'appe- santir sur le Canada, par ces quelques lignes d'une lettre de M^^ de Pontbriand au ministre :

«Cette année (1743), la récolte n'est pas plus abondante que l'année précédente. Les pauvres sont sans nombre. Je serai obligé de leur faire distribuer deux cents pains par semaine, ce qui achèvera de me mettre hors d'état de me soutenir, nonobstant les bontés que vous avez pour moi. »

Ecrivant à la même date, 30 octobre 1743, à son frère le comte de Nevet :

« Nous avons eu, lui disait-il, une disette générale. Je me suis endetté pour soulager les pauvres ^ Cette année sera encore très mauvaise. J'espère pourtant vous payer ce que je vous dois dans un an. Je suis si fort occupé à écrire, à m'arranger dans ma maison, oii je demeure depuis

3. Arrêt du Conseil d'Etat du 20 avril 1742.

4. " J'ai été obligé, pour secourir les pauvres, d'emprunter cinq mille francs," écrivait-il au ministre le 20 octobre 1743. Et il ajoutait le 30 octobre de l'année suivante : " Tout est ici à un prix exorbitant. ' CCorresp. générale, vol. 80 et 82).

sous M^ DE PONTBRIAND 47

cinq jours, si accablé de visites, si détourné par trois ma- lades que je vais voir tous les jours, si embarrassé pour faire faire les provisions de tout ce qui est nécessaire pen- dant huit mois ^, que je n'ai pas un moment à moi : ainsi ne soyez point étonné de la brièveté de ma lettre ^. . . »

Il suffit donc de songer à la pauvreté oii se trouvait alors la colonie pour expliquer et excuser la parcimonie avec laquelle on avait procédé aux réparations urgentes du Palais épiscopal.

Les années de disette sont souvent désastreuses pour la morale. Les besoins des uns engendrent la cupidité et l'avarice chez les autres : la charité et la justice souffrent de cette mauvaise disposition. Au printemps de 1742, Beauharnais et Hocquaft émirent un excellent règlement de police, qui fixait le prix du blé, dans les campagnes, à trois francs le minot, et dans les villes, sur les marchés, à trois francs et cinq sous : le prix des farines était en pro- portion. Les habitants des Côtes, comme on disait alors s'occupèrent peu de ce règlement et vendirent leur blé aussi cher qu'ils purent.

Dans l'automne, le -25 octobre, le Conseil Supérieur s'assemble à ce sujet ; et M^^ de Pontbriand, qui n'y a pas paru une seule fois depuis qu'il y a pris séance l'année pré- cédente, s'y rend avec le gouverneur et l'intendant pour les appuyer de toutes ses forces. Déjà il a publié un man- dement très fort pour condamner «l'odieuse cupidité de quelques-uns des habitants des Côtes, qui profitent de la- disette sont les villes pour vendre à un prix exorbitant les blés et les farines. » La présence de l'Evêque au Con- seil, à côté des deux représentants de l'autorité civile, pro-

5. C'était la première fois qu'il avait à s'occuper de ce détail. Jusque- là, il avait été à la table du Séminaire, dont l'économe était M. André, aidé d'un maître d'hôtel laïque, M. Mourisset.

6. Revue Canadienne, t. VIII, p. 434.

48 L'éGLISE DU CANADA

duit un excellent effet. Les conseillers qui assistent à la séance sont MM. Cugnet, De Lotbinière, Lanouiller, Varin, Foucault, Taschereau, De Lafontaine et Estèbe. Le règle- ment de Beauharnais et Hocquart fixant à trois .livres et cinq sous le prix du blé est sanctionné: ceux qui le ven- dront plus cher seront passibles d'une amende de cinquante livres. Le Conseil fixe aussi le prix du pain : le pain blanc de deux livres et demie se vendra cinq sous; le pain bis, de six livres, dix sous. Les boulangers devront tenir leurs boutiques bien garnies de pain, sous peine de vingt livres d'amende; chaque boulanger devra marquer son pain de sa marque, et « l'empreinte de cette marque sera déposée au greffe ''. »

En assistant à cette séance du Conseil Supérieur, M^^ de Pontbriand voulait montrer qu'il était disposé à donner le concours de son autorité à toutes les mesures d'intérêt public ; et ce fut sa règle de conduite dans tous le cours de son administration. Son attention à s'entendre aussi parfaitement que possible avec le gouverneur et l'intendant de la colonie faisait sa force à la Cour. Il n'eut pas occasion de reparaître au Conseil avant le mois de juillet 1746; mais il continua à soutenir de toutes ses forces les représentants de l'autorité royale au Canada dans la cam- pagne, si impopulaire qu'elle fût; qu'ils avaient entreprise pour maintenir à un prix raisonnable le coût des vivres.

Il n'y avait que quelques mois que le Prélat était au pays, que déjà il en connaissait tous les besoins : il avait même conçu et proposait à la Cour des plans pour y remédier. Pour n'en citer qu'un exemple, il aurait voulu que le Roi eût au Canada des greniers, où, dans les années d'abondance, on mît en réserve une bonne quantité de blé pour les mauvaises années : « l'expérience apprend, disait-il,

7. Archives provinciales de Québec, Registres du Conseil Supérieur,

SCUS M^^* DE PONTBRIAND 49

qu'ordinairement, après deux bonnes récoltes, il y en a une mauvaise ^. »

Il aurait voulu, également, que l'on adoptât ici les mêmes dispositions qu'en France, pour obliger chaque paroisse à nourrir ses pauvres :

« Si cela était ordonné, disait-il, on pourrait, vers la fin de l'automne de chaque année, arrêter le nombre de ceux qui seraient dans le cas d'avoir besoin d'être assistés ; et le rôle étant signé du curé, du capitaine de milices, et de quatre ou cinq des plus anciens marguilliers, ne paraîtrait pas sujet à injustices. Ce seraient eux, aussi, qui pourraient déterminer la taxe à faire en blé ; le marguillier en charge en ferait la recette, puis en rendrait compte à l'évêque ou à ses grands vicaires dans le cours de leurs visites . . .

« Il est constant, ajoutait-il, que déjà les mendiants se sont multipliés dans le Canada, et j'en ai vu cette année en grand nombre venir à Québec même de soixante lieues ^. Il est à craindre que bien loin que ce nombre diminue, il ne fasse qu'augmenter.

(( Vous savez, ajoutait-il encore, les inconvénients qu'en- traîne cette mendicité : beaucoup de crimes, beaucoup de vols et mille désordres qui sont la suite d'une vie vaga- bonde et errante, et qui empêche la culture des terres. . .

(( Les habitants ne pourraient se plaindre de cette taxe, puisqu'elle est à l'avantage des pauvres. Ceux-ci ne sorti- raient point de la paroisse, pourraient y travailler, et nous n'aurions dans les villes que les pauvres de la ville ^^ . . . «

Nous n'avons pas à examiner jusqu'à quel point les plans de l'Evêque étaient susceptibles d'exécution, et ne

8. Corresp. générale, vol. 78, lettre au ministre, 22 août 1742.

9. La tradition s'en est conservée: il n'est pas rare de voir des men- diants, dans nos campagnes près de Québec, qui se disent venir de Montréal.

10. Corresp. générale, vol. 78, autre lettre du 22 août 1742. 4

50 l'église du canada

voulons que montrer combien le digne Prélat avait l'esprit et le cœur ouverts sur tout ce qui pouvait intéresser le bien de son Eglise et ce que Pon a si justement appelé « l'éternelle question sociale » ^^

Mais hâtons-nous de voir M^ de Pontbriand dans l'exer- cice de son œuvre comme premier pasteur de son diocèse.

II. Revue des Deux-Mondes du 15 mai 1913, p. 269.

CHAPITRE VI

VISITE PASTORALE DE LA PAROISSE DE QUÉBEC

Le curé Plante. Mandement pour la visite. Lettre au Chapitre. La population de Québec. Quelques mauvais sujets. On les fait repasser en France. Il faut reconstruire la cathédrale.

MGR de Pontbriand avait hâte de connaître par lui-même son immense diocèse, qu'il ne connaissait encore que par ouï-dire. Il voulut commencer, comme il convenait, sa visite pastorale par la paroisse de Notre-Dame de Qué- bec, la plus ancienne du pays, et adressa pour cela un mandement spécial, en date du 9 décembre 1741, «au clerg^é et au peuple » de cette ville.

Le curé de Québec était alors M. Charles Plante, membre du Chapitre et l'un des directeurs du séminaire ^ Les deux «( vicaires perpétuels » qu'on lui avait imposés tout d'abord étaient devenus curés, l'un au Château-Richer, l'autre à Berthier ; et ce sont ses confrères du séminaire qui l'assis- taient dans ses fonctions curiales. La paroisse était très bien desservie : M. de Latour le disait, de son temps ^ ; et les choses n'avaient pas changé depuis.

Membre du Séminaire, M. Plante lui rendait compte de son revenu. D'après une statistique officielle, en date de 1756, signée par M. Pressart, procureur de cette maison, le

1. Il était le neuvième curé titulaire de Québec. Voir dans Henri de Bernières, p. 353, la liste des curés en titre de Québec.

2. Mémoires sur la Vie de M. de Laval, p. 181.

52 . l'église du canada

revenu du curé de Québec se montait alors à trois mille livres par an ^

Dans son mandement du' 9 décembre, M»^' de Pontbriand annonçait sa visite pastorale de Québec pour le 8 janvier. Elle eut lieu, en effet, ce jour-là et les jours suivants, avec tous les bons résultats qui accompagnent d'ordinaire la vi- site de l'Kvêque.

« Nous tâcherons, disait-il dans son mandement, de cor- riger les abus et les défauts qui peuvent s'être introduits parmi vous; d'apaiser les querelles et les divisions, d'ac- commoder les procès, d'ôter les scandales, ou par la con- version de ceux qui les causent (ce que nous souhaitons ardemment), ou (ce que nous ne pourrons faire sans dou- leur) par une punition proportionnée à leurs crimes. Nous donnerons enfin, tant en public qu'en particulier, tous les avis que nous jugerons néces.^-aires pour votre sanctification ; et comme nous n'épargnerons aucun soin pour y réussir, nous espérons que vous ferez aussi de votre part ce que vous devrez pour profiter de notre travail. . . »

Acconivioder les procès ! Quelle leçon, indirectement, pour certains ecclésiastiques de sa ville épiscopale, qui, depuis tant d'année^;, au lieu de régler entre eux leurs petits différends, allaient à tout propos étaler leurs divi- sions et leurs que: elles devant la Prévôté ou le Conseil supérieur! Quelle leçon potir le Chapitre, qui, dans quelques années, allait intenter au Séminaire un intermi- nable procès, dont nous aurons à dire un mot : triste page de nos annales religieuses !

M^^' de Pontbîiand, dans sa visite, donna une attention tonte spéciale aux comptes de la fabrique ; puis, la visite terminée, il écrivit au Chapitre :

3. Manuscrits de Jacques Viger, Statistique ecclésiastique relative au Canada (1756-1759).

sous M^ DE PONTBRIAND

53

« Il me paraît nécessaire que le trésor et les archives de la paroisse soient placés dans la sacristie. Par l'examen des comptes, j'ai constaté que le Chapitre, sans ordre des supérieurs ecclésiastiques, faisait faire des ornements, dont il faisait payer la moitié à la Fabrique. Je ne crois pas que vous puissiez avoir uu droit si particulier. Si cepen- dant il y en avait, je vous prie de me le marquer. » Puis il ajoutait :

« Les marguilliers m'ont représenté qu'ils avaient à eux seuls une grande partie des ornements et linges, et c'est ce que j'ai vu par l'inventaire. Il paraît juste qu'il y ait au moins égalité. Ainsi je crois qu'il convient d'examiner entre vous si véritablement la Fabrique fournit plus d'or- nements que le Chapitre, et de prendre des mesures con- venables pour que tout soit dans une juste proportion. Vous aurez pour agréable de faire écrire sur le livre de vos délibérations cette lettre et la réponse qu'on fera. »

Il fut répondu : a L<e Chapitre convient que la Fabrique a droit de faire placer le coffre (des archives) dans la sacris- tie. Pour ce qui concerne les ornements et linges servant à l'usage de l'église, il est juste qu'il y ait une compensa- tion égale entre le Chapitre et la Fabrique * ».

De son côté, le Chapitre demandait que la Fabrique donnât une somme plus considérable pour l'office, (( qui sert d'office paroissial. »

Au reste, tout, dans la sacristie, avait paru a l'Evêque dans un ordre parfait. La cathédrale avait pour sacristain un nommé Cotton, qui avait soin du linge, des ornements et de toutes les choses nécessaires au culte. C'est lui qui confectionnait les cierges et les hosties. On avait confié aux Sœurs de la Congrégration le blanchissage et le rac-

4. Registre du Chapitre, assemblée du 18 janvier 1742.

54 L'iîGLISK DU CANADA

commodage du linge de l'église; les Ursulines en furent chargées plus tard ^

La paroisse de Québec, y compris la banlieue, comptait environ cinq mille âmes, près de mille ménages ^. La foi était vive, l'assistance aux oflSces religieux très régulière, les mœurs chrétiennes, en général. Mais il arrivait assez souvent de France de mauvais sujets. C'étaient ordinai- rement des jeunes gens que leurs parents envoyaient ici pour s'en débarrasser : ils étaient un scandale pour les bonnes familles canadiennes. Parlant d'un jeune Raymond, qui faisait le désespoir de nos autorités religieuses et civiles :

«Un jeune homme aussi intrigant, écrit à la Cour M. Hocquart, n'est pas aisé à garder. M. de Beauharnais a pris le parti de le faire mettre en prison, en attendant vos ordres. Il est querelleur, adonné au vin, vend toutes ses hardes ... Il conviendrait beaucoup mieux à sa famille de le faire repasser en France pour le faire renfermer, sans l'exposer ici à quelque fâcheuse catastrophe '....»

Hocquart en avait un autre à renvoyer l'année suivante :

« Marchai de Noroy, dit-il, fils de l'Econome du clergé (de France), a été envoyé en Canada, à la sollicitation de sa famille. . . Vous avez donné ordre à M. de Beauharnais d'en faire un cadet à l'aiguillette. Sa mauvaise conduite l'a fait casser. Elle n'a pas été meilleure depuis : au con- traire. Nous vous prions de nous permettre de renvoyer ce mauvais sujet ^ en France l'année prochaine ^. . . »

5. Registre du Chapitre.

6. Recensement paroissial de 1744.

7. Corresp. générale, vol. 85, lettre au ministre, 10 octobre 1746.

8. Voulons-nous avoir une idée de l'instruction de ce jeune Parisien? voici quelques lignes d'une lettre qu'il écrivait à l'intendant : " Je prans la liberté de vous et crire ces ligne pour exposer ma misère qui est à la dernier période. Mes déboches mi ons plongé. Je vous pris d'avoir pitiée de rt^ois dans ma missère : el et des plus grande dans la situation pre- sante, car tout vandu et tout joué, et me suis mis dans un ettat pi- toiable. . . " (Corresp. générale, vol. 87, 28 oct. 1747).

9. Ibid., vol. 87, lettre de M. Hocquart au ministre, 28 oct. 1747.

sous M^"" DE PONTBRIAND 55

«Je VOUS ai proposé un moyen, écrit au ministre M«' de Pontbriand, pour vous assurer de l'état des personnes qui viennent dans cette colonie. Je n'ai pu m'erapêcher de vous représenter que rien n'est plus préjudiciable au bien du pays que le grand nombre de mauvais sujets qu'on y envoie ^^. . . »

Parmi les recrues qui arrivaient de France chaque année, soit comme soldats, soit comme colons, il y en avait souvent dont la conduite laissait à désirer. La mère Sainte-Hélène écrit un jour :

w On nous a envoyé des soldats de nouvelles recrues, qui sont les plus mauvais garnements de la France. Il y en a en prison ". »

L'Evêque se plaignait à la Cour du peu de surveillance que l'on apportait à ce sujet :

« Lorsque j'ai eu l'honneur de vous prier, disait-il, de donner des ordres pour les recrues qui viennent de France dans cette colonie, j'étais appuyé sur le témoignage de plusieurs personnes qui ont connaissance que, parmi les nouvelles levées, il s'est trouvé des religieux et des prêtres ; et moi-même j'ai renvoyé un Frère prof es de la Charité, qui est actuellement au couvent de Metz ^2. »

Et voici un exemple de ces tristes recrues, qui venaient gâter nos populations. Laissons M^^ de Pontbriand signa- ler lui-même le cas au ministre, à la suite de sa visite pas- torale de Québec :

« Un nommé Noiiet dit la Souffleterie ^^, qui fait les fonctions de procureur ^*, et qui n'est ici que depuis quel-

10. Ibid., vol. 78, lettre du 28 sept. 1742.

11. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 265.

12. Corresp. générale, vol. 80, lettre au ministre, 20 oct. 1743.

13. Il demeurait sur la rue des Jardins.

14. Il n'y avait pas encore d'avocats au Canada; mais quelques indi- vidus se donnaient pour fonction de représenter à la Prévôté ou au

56 l'église du canada

ques anuées, demeure chez une femme dont le mari est absent, et qui a fait beaucoup parler d'elle par ci-devant. Ces deux personnes causent du scandale. On s'en plaint hautement. M. l'intendant avait donné des avis à ce par- ticulier auparavant mon arrivée. Le curé de la paroisse m'en a porté des plaintes. Un ancien habitant, nommé Lar- ché, m'a parlé pour le même sujet. M. André (de Leigne)i lieutenant de police, m'a assuré lui en avoir parlé, et m'a dit que plusieurs personnes lui avaient représenté ce scan- dale. Les Pères Saint-Pé, jésuite, et Maurice ^^ m'ont aussi dit les mêmes choses. Je l'ai averti deux fois de sortir de cette maison, mais toujours inutilement. Il l'avait promis à M. l'intendant, mais il n'en veut plus rien faire. Il exigerait une procédure difficile en ces matières, et peu convenable. Je vous supplie, monsieur, de le faire repasser en France ; la colonie n'y perdra rien. Je crois que c'est le seul moyen de remédier à cet abus. Au reste, pourvu que le mal soit arrêté, je serai content ^^. »

Le ministre, toujours bien disposé envers M^^ de Pont- briand, écrivit à M. Hocquart de lui donner satisfaction ; et l'intendant répondit l'année suivante à M. de Maurepas :

<( Le nommé Noûet dit la Souffleterie, de la conduite duquel M. l'Evêque vous a rendu compte, est un mauvais sujet, qui m'a donné plus d'une fois occasion de le corriger sévèrement. Après plusieurs avertissements inutiles, j'ai été obligé, à mon retour de Montréal, de le tenir à Québec près de deux mois en prison. Il n'y a point de chicanes dont il ne soit capable dans l'exercice de sa profession de praticien, infidèle dans les dépôts, solliciteur de mauvais procès, indiscret dans ses discours et ses écrits, de mauvaises

Conseil ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient y comparaître en per- sonne.

15. Le P. Maurice Imbault, récollet.

16. Corresp. générale, vol. 78, lettre du 30 oct. 1742.

sous M^ DE PONTBRIAND 57

mœurs, avec de Pesprit : voilà le précis de son caractère. Je lui ai fait dire qu'il eût à s'en retourner en France, ou que je l'y ferais passer d'autorité. Il s'est embarqué aujour- d'hui sur le navire Le Mars, destiné pour La Rochelle ^'^. »

M«^ de Pontbriand venait donc, sans éclat et sans bruit, de délivrer son Eglise de deux mauvais sujets : un religieux défroqué et un praticien scandaleux. Il avait bien mérité de tous les honnêtes gens.

Nous avons vu qu'il n'y avait que neuf protestants à Québec lorsqu'il y arriva. Il aurait désiré qu'il n'y en eût aucun, et il écrivait au ministre :

« Je ne puis me dispenser de vous réitérer les mêmes instances qui vous ont été faites par ci-devant sur sept ou huit commerçants de la religion prétendue réformée. Je suis persuadé que le bien spirituel de mon diocèse exige qu'on n'en reçût point dans cette colonie. Je crois même pouvoir ajouter que le bien de l'Etat y est conforme. Si on diffère, le nombre se multipliera, et il sera difficile d'y remédier ^^ »

La visite pastorale que M^^ de Pontbriand venait de ter- miner avait laissé dans la paroisse de Québec la plus agré- able et la plus salutaire impression ; et M. de Léry ne faisait qu'exprimer le sentiment général lorsqu'il écrivait à la Cour : « C'est un digne Prélat

De son côté, M^'' de Pontbriand paraissait content des résultats de sa visite. Une seule chose l'avait profon- dément attristé: l'état lamentable dans lequel il avait trouvé sa cathédrale. Elle demandait des réparations immédiates, ou plutôt une reconstruction complète. Cette reconstruc- tion, il se décida à l'entreprendre le plus tôt possible. Nous en parlerons dans un autre chapitre.

17. Ibid., vol. 80, lettre du 3 novembre 1743.

18. Ibid., vol. 89, lettre du 8 oct. 1747.

CHAPITRE VII

VISITE CANONIQUE DES TROIS COMMUNAUTÉS RELI- GIEUSES DE QUÉBEC

Visite canonique des Ursulines. Retraite de la communauté. Deuxième visite. Visite canonique de l'Hôtel-Dieu. Les Sœurs Duplessis. Mariage de leur frère par l'Evêque. Visite cano- nique de THôpital-Général. Mort, à Québec, d'un ex-récollet. Au sujet de l'exemption des communautés de payer la dîme.

LA visite pastorale de la paroisse de Québec terminée, M^^ de Pontbriand résolut de faire de suite celle de ses trois communautés religieuses, les Ursulines, l'Hôtel-Dieu et l'Hôpital Général. Mais il leur avait déjà fait savoir dès le commencement qu'il voulait être lui-même à l'avenir leur supérieur ecclésiastique ^ : tant il avait à cœur de guérir les blessures dont elles avaient souffert dans le passé !

Il voulut commencer par les Ursulines, et leur adressa à ce sujet un mandement, très bien fait, comme tous ses mandements et lettres pastorales, dans lequel il leur recom- mandait de prier beaucoup pour que sa visite produisît d'heureux résultats l Laissons l'annaliste de cette com- munauté nous parler elle-même des fruits de cette première visite de M^^ de Pontbriand :

« Sur la fin de janvier 1742, écrit-elle, eut lieu la visite

1. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 245.

2. Archives de l'archevêché de Québec, Correspondance de Mgr de Pontbriand.

l'église du canada sous m«'" de PONTBRIAND 59

du monastère, telle que prescrite par nos règles. Cette visite ne s'était pas faite depuis nombre d'années, par suite des difficultés l'on s'était vu. La régularité de notre maison ne paraît pas avoir subi aucune altération à cette époque ; mais la diversité de directeurs, le manque d'en- tente même entre les différents corps du Clergé, en 1727, et dans les années suivantes ; l'absence presque continuelle d'un premier Pasteur: tout cela devait avoir nui quelque peu à cette union intime et parfaite des esprits et des cœurs, union qui fait la force et le bonheur de tout corps ou association.

« Mais quel bon esprit se manifeste dans la communauté, à l'arrivée du digne Evêque ! Comme on accueille avec empressement le moyen d'éclaircir les doutes, et de s'assu- rer que tout va bien au monastère ! Comme on entend avec bonheur cette parole, écrite de la main même du premier Pasteur : « L'on voit fleurir encore aux Ursulines (( la ferveur des premières Mères ! »

« Dès le commencement de la visite de M^^ de Pont- briand, toutes nos sœurs furent satisfaites de sa manière de procéder. Il ne se lassait pas de nous donner des marques d'intérêt et de zèle, voulant lui-même faire la distribution des cierges, à la Purification, après quoi il célébra la sainte messe à la chapelle des Saints. Il fit encore la céré- monie du mercredi des Cendres, et entra ensuite à l'inté- rieur de la maison pour en voir tous les offices, nous té- moignant à toutes l'affection la plus paternelle et la plus cordiale.

« Au mois d'avril suivant, nous eûmes une retraite géné- rale, oîi la ferveur fut si grande que les malades firent presque l'impossible pour y assister. M. de La Ville- Angevin, M. Vallier, du Séminaire, et le P. Guignas s'en partagèrent les exercices. Monseigneur nous fit lui-même faire la rénovation des vœux ; et après le salut du Saint-

6o l'église du canada

Sacrement, nous chantâmes le Te Deurn. Le baiser de paix ordinaire à ce jour se fit le soir au réfectoire sur la fin du souper. Pour surcroît de faveur, Monseigneur vint le lendemain donner dans notre église les ordres mineurs à plusieurs jeunes ecclésiastiques ^ »

Le pieux Evêq>ie n'attendit pas même une année entière avant de faire une deuxième visite canonique aux Ursulines. Il leur adressa en conséquence un deuxième mandement dès le 27 décembre 1742, leur annonçant que sa visite com- mencerait le 30 du même mois à huit heures du matin :

«Ma première visite, leur disait-il, n'était qu'une prépa- ration à celle-ci. C'est dans cette deuxième visite que le bien si heureusement commencé sera confirmé, je l'espère, pour toujours. » Et il ajoutait cette recommandation si sage et si importante: (^Nous vous défendons, sous les peines de droit, à toutes en général et en particulier, de convenir entre vous des choses dont vous croirez devoir nous donner connaissance *. »

((Nous voyons le fervent Kvêque, écrit l'annaliste des Ursulines, répéter sa première visite dans toutes les commu- nautés l'année suivante. Notre retraite commune se fit après, M. de La Ville-Angevin et M. Vallier nous donnant les méditations, et monseigneur les conférences. On ne sau- rait exprimer la consolation qui revenait de ces retraites générales, dont on avait été si longtemps privé.

(( En 1744, l'infatigable Prélat faisait ici en même temps et sa visite et la retraite, la communauté s'y étant dispo- sée trois jours auparavant par la bénédiction du Saint- Sacrement -^ »

Mais revenons à 1742. Entre la visite et la retraite des

3. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 245.

4. Archives de l'archevêché de Québec, Correspondance de Mgr de Pontbriand.

5. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 247.

sous M^^ DE PONTBRIAND 6l

Ursulines, M"^' de Poiitbriapd fit la visite canonique de l'Hôtel-Dieu. Ces deux connu unautés avaient célébré trois ans auparavant leur centième anniversaire de fonda- tion (1639-1739). Sœurs jumelles, pour ainsi dire, dans notre Eglise canadienne, elles avaient admirablement con- servé toutes deux Tesprit religieux de leurs vénérables fondatrices. Nous croyons cependant que l'Hôtel-Dieu avait moins souffert que l'autre communauté des divisions qui avaient affligé l'Eglise du Canada pendant la vacance du siège épiscopal : nous ne le voyons pas, du moins, dans la triste nécessité, comme les Ursulines et l'Hôpital Géné- ral, de chercher protection auprès du Conseil Supérieur. Qui ne se rappelle les paroles de sympathie que la sœur Duplessis, de l'Hôtel-Dieu, adressait, en cette occasion, à ces deux communautés ^?

Nous n'avons aucun détail particulier sur la visite cano- nique de l'Hôtel-Dieu par M^^' de Pontbriand, au printemps de 1742. Mais il est facile de conjecturer avec quel bon- heur le pieux Prélat constata par lui-même l'esprit tradi- tionnel d'austérité et d'aimable simplicité qui tégnait dans cette maison. Qui, mieux que le saint Evêque, pouvait apprécier le mérite de ces bonnes religieuses qui se dé- vouent avec tant de générosité au soin des malades ?

C'est la sœur Duplessis qui était à la tête de l'Hôtel- Dieu, à cette époque, et avec elle était sa sœur cadette ^, qui avait la charge importante de « dépositaire du bien des pauvres». On sait qu'à l'Hôtel-Dieu de Québec, grâce à M^^ de Laval, le bien des pauvres et celui des religieuses sont complètement séparés dans les revenus du monastère : ils ont chacun une administration distincte ^.

6. L' Eglise du Canada sous Mgr de S aint-V allier, p. 462.

7. Voir notre volume précédent, p. 89.

8. Mandements des Evêques de Québec, t. I p. 47.

62 I.*ÉGLISE DU CANADA

Les sœurs Duplessis avaient une attention toute spéciale pour celui des pauvres : on en trouve un bel exemple dans les ordonnances des intendants. Les revenus de la sei- gneurie de Saint-Augustin et de plusieurs propriétés dans la ville appartenaient aux pauvres de l'Hôtel-Dieu : or, à l'époque qui nous occupe, un des principaux revenus des seigneurs, c'étaient les lods et ventes, qui devaient se payer à chaque mutation de propriété. Mais ces mutations de propriété, pour n'en pas perdre le fruit, il fallait les con- naître : or, les religieuses, dans leur monastère, étaient exposées plus que personne à les ignorer, et par même à être fraudées pour le paiement des lods et ventes. Les sœurs Duplessis constatent que leurs pauvres perdent ainsi une partie de leurs revenus, et elles s'adressent à l'intendant pour qu'il veuille bien y remédier. L'intendant rend alors une ordonnance obligeant sous peine d'amende tous ceux qui ont des contrats pour des propriétés appartenant ci- devant aux pauvres de l'Hôtel-Dieu, à les exhiber au monastère, et à s'acquitter sous le plus bref délai pour tous les lods et ventes qu'ils n'ont pas encore payés.

Les pauvres de l'Hôtel-Dieu ont également à Saint-Au- gustin un beau domaine qui leur rapporte un certain re- venu par le foin qu'il produit. Mais les gens, sous prétexte d'aller pêcher dans la rivière ou à l'écluse du moulin, font des dégâts dans ces prairies, brisent les clôtures, endom- magent la propriété. La dépositaire des pauvres s'adresse à l'intendant, qui rend une ordonnance très sévère pour arrêter ces désordres ^.

M^^de Pontbriand, qui était lui-même un homme d'ordre par excellence, était heureux de voir l'administration de l'Hôtel-Dieu entre des mains si habiles et si sages.

Il avait bien connu en France le célèbre Père jésuite

9. Edits et Ordonnances, t. III, p. 386, 390.

sous mK"" de pontbriand 63

Duplessis : il dut être agréablement réjoui de trouver ses sœurs au Canada. Quelle plus grande marque d'estime et d'affection pouvait-il leur offrir, que de leur donner pour confesseur son ami de cœur, son prêtre de confiance, le jeune abbé Briand? De son côté la sœur Duplessis, écri- vant un jour au Prélat, laissait déborder les sentiments d'admiration et de reconnaissance qui remplissaient son âme:

« Une naissance illustre, disait-elle, une sagesse éminente, un génie supérieur vous ont assuré l'admiration de la colo- nie. Une douceur inaltérable, une humilité profonde, une piété tendre, une charité inépuisable, des bienfaits sans nombre vous ont gagné tous nos cœurs ^^. »

M^^ de Pontbriand eut un jour occasion de témoigner l'estime toute particulière qu'il avait pour la famille Duplessis. L'ancien « trésorier de la Marine « au Canada, George Regnard Duplessis, avait un fils à Québec, Daniel- Charles Regnard Duplessis, frère des religieuses Duplessis, « officier et aide-major des troupes entretenues pour le service du Roi en ce pays. » Ce jeune homme épousa, le 29 mai 1742, Geneviève-Elizabeth, fille de Charles Guillemin, « conseiller du Roi au Conseil Supérieur, » et ce fut l'Evêque lui-même qui voulut bénir cette union dans sa cathédrale. L'époux avait pour témoin de son mariage Daniel Liénard de Beaujeu, le futur héros de la Monongahéla ; l'épouse, Nicolas-Gaspard Boucault, lieutenant général de l'ami- rauté ".

M^ de Pontbriand n'était pas prodigue de faveurs de ce genre : nous avons parcouru bien des pages du registre ; c'est le seul acte de mariage que nous avons trouvé signé de sa main.

10. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, Bpitre dédicatoire à Mgr de Pontbriand.

11. Archives paroissiales de N.-D. de Québec.

64 l'église du canada

Ecrivant un jour à la Sœur Geneviève Duplessis, dite de l'Enfant-Jésus, qui Pavait remercié pour la bonté qu41 avait témoignée envers son frère :

« Il vous est libre, disait-il avec une amabilité charmante, de faire entrer l'amitié que j'ai pour votre frère dans les sentiments que j'ai pour madame Duplessis ^^, pourvu que vous pensiez que les deux Sœurs Duplessis entrent beau- coup dans l'amitié qu'on a pour le frère ^l »

* * *

Après avoir terminé, au commencement de l'année 1742, la visite canonique des Ursulines et de l'Hôtel-Dieu, le pieux Prélat remit à l'automne celle de l'Hôpital Général. Voici ce qu'écrivait à l'occasion de cette visite l'annaliste de cette communauté, fille de l'Hôtel-Dieu :

(( Au mois d'octobre, dit-elle, il voulut faire sa visite dans notre maison. Le P. Imbault, notre chapelain, lui céda son appartement, et se retira dans son couvent de Québec. Le vertueux Prélat passa ici huit jours, pendant lesquels, après avoir dit la messe à la salle des femmes, il se rendait au parloir, il entretenait en particulier un certain nombre de religieuses, et cela avec tant de bonté, de charité, de douceur, que toutes lui ouvrirent leur cœur avec confiance, de sorte qu'il acquit une connaissance par- faite de la communauté. Il apprécia en particulier le mérite et la capacité de la révérende Mère de l'Enfant- Jésus, alors supérieure, à qui il donna son estime jusqu'à sa mort ; il se reposait entièrement sur sa prudence pour toute la conduite de la maison.

12. Marie Le Roy, veuve de George Regnard Duplessis, demeurait, elle aussi, à Québec.

13. Archives de l'archevêché de Québec, Correspondance de Mgr de Pontbriand.

sous M^'" DE PONTBRIAND 65

« Le dernier jour de la visite, il tint le Chapitre, selon le cérémonial de notre institut. Il nous donna tous les avis qu'il jugeait nécessaires à notre position actuelle. Il en- trait avec tant d'intérêt dans tout ce qui pouvait contribuer à notre bonheur, que nous croyions voir en lui notre saint fondateur lui-même. Il visita ensuite la maison : tous les lieux d'office lui parurent dans le meilleur ordre possible, particulièrement le bâtiment neuf dont il approuva les distributions, excepté toutefois les cellules qu'il fit remar- quer être trop grandes.

« Le vénérable Evêque nous laissa, après mille marques d'attention et de bonté, et nous ne le vîmes partir qu'à notre sensible regret.

« M^ de Pontbriand, ajoute l'annaliste, reviendra bien des fois encore encourager et réjouir nos Mères dans les jours d'épreuves et d'angoisvses ^*. »

On sait combien les religieuses de l'Hôpital Général avaient eu à souffrir, dans le passé, soit de la part du Cha- pitre, après la mort de leur pieux fondateur, soit de la part de M. de Latour et xie M^^" Dosquet lui-même. Ah ! que M^^ de Pontbriand était heureux, lui, de pouvoir les con- soler, les encourager, les rassurer, et répandre un peu de baume sur leurs blessures ! Tout récemment encore le chanoine de l'Orme, leur écrivant de Paris, venait de les contrister, par une mauvaise nouvelle :

« Le sieur de l'Orme, écrit au ministre M^^ de Pontbriand, a contristé les religieuses de l'Hôpital Général, en leur marquant que vous pensiez à interrompre (il veut dire sans doute détruire) leur communauté ^^, qu'il les en avertit, afin qu'elles prennent leurs mesures. Je les ai assurées que je n'ai aucune part dans le dessein, que vous ne m'en parliez

14. Mgr de Saint-Vallier et l' Hôpital-Général de Québec, p. 307.

15. Et c'était vrai, comme nous le verrons plus loin. 5

66 l'église du canada

nullement, et qu'elles devaient être tranquilles. Je puis vous assurer que cette maison mérite votre protection, et qu'excepté les dettes tout y est pour le présent aussi bien que je puis le désirer ^^. »

M. Hocquart, dans les mauvaises années que l'on traver- sait, «avait été obligé d'avancer à l'Hôpital Général près de trois mille francs en blé et en argent pour subvenir à la subsistance des infirmes ^'' » de cette maison. La Provi- dence vint au secours de l'Hôpital Général. Un certain abbé de Norey, qui avait été dix ans récollet profès au couvent de Québec, et qui, avec la permission du Pape, était entré en 1741 chez les Chanoines Réguliers de Saint- Augustin, mourut à Québec « dans une maison particu- culière » ^^, le 25 août 1743, laissant une succession de plusieurs mille francs. Nous n'avons pas à examiner ici comment ce religieux, qui avait fait vœu de pauvreté et renoncé à tout en entrant dans l'ordre de Saint-François, avait pu amasser ce petit pécule ; mais grâce à l'évêque et à l'intendant, une partie de la succession fut employée en bonnes œuvres :

(( L'abbé Norey, ci-devant récollet, écrit M^^' de Pont- briand au ministre, a laissé une succession qui n'appartient pas à ses parents, parce qu'il était encore religieux. Elle ne peut pas être regardée comme une déshérence. Il paraît que tout doit tourner au profit des pauvres ^^. . . *

16. Corresp. générale, vol. 80, lettre du 20 oct. 1743.

17. Ibid., vol. 80, lettre de M. Hocquart au ministre, 23 oct. 1743.

18. Ibid. Il fut inhumé sous le nom de Louis Dumesnil. Il s'appe- lait en effet Louis de Norey Dumesnil ou du Mesny. (Tanguay, Dic- tionnaire généalogique, t. I, p. 182) Voici l'acte de sa sépulture : ** Le 26 aoiit 1743, a été inhumé dans le cimetière le corps de monsieur Louis Dumesnil, prêtre, ancien religieux de Saint-François, mort le jour pré- cédent, âgé de quarante-sept ans, et muni de ses sacrements. Présents, M. Louis Gastonguay, prêtre, et autres. (Signé) Marquiron, prêtre." (Archives paroissiales de N.-D. de Québec).

19. Corresp. générale, vol. 80, lettre du 20 oct. 1743.

sous M^^ DE PONTBRIAND 67

La Cour de France décida que la moitié de l'héritage irait à un parent de l'abbé Norey. L'autre partie échut aux hôpitaux du Canada, et l'Hôpital Général eut sa bonne part -0. »

Nous verrons plus loin qu'il eut aussi sa part dans la distribution du legs généreux du Prince d'Orléans aux institutions canadiennes.

* * *

Le Séminaire de Québec, les Jésuites, les Ursulines et les Hospitalières de l'Hôtel-Dieu avaient été exemptés de payer la dîme par M^^ de Laval ; mais cette exemption n'avait jamais été confirmée par l'autorité civile, et l'on commençait à vouloir les inquiéter. Il nous paraît évident, d'après les documents, qu'en principe M^^ de Pontbriand était opposé à ces exemptions. Il écrit au ministre :

« J'ai cru devoir vous informer que quelques commu- nautés, sans être autorisées de lettres patentes, mais seule- ment en vertu d'un privilège donné par M. de Laval, sans aucune formalité, prétendaient s'exempter de payer les dîmes. Peut-être serait-il bon que cette affaire fût ici discutée à l'amiable, pour confirmer ou détruire cette exemption. Il y a quatre communautés '^^ »

L'Evêque pria donc ces communautés de faire chacune un mémoire pour exposer leurs raisons en faveur du privilège dont elles jouissaient ; puis il écrivit à la Cour un mois plus tard :

(f J'avais dit aux communautés qui se prétendent ex- emptes de payer la dîme, de me présenter un mémoire. Après avoir vérifié les pièces, et examiné les faits, j'ai été

2a Rapport. . . pour IÇ05, p. 26, 28.

21. Corresp. générale, vol. 78, lettre du 28 sept. 1742.

68 L'ÉGLISE DU CANADA

tenté d'autoriser en cas de besoin cette exemption ; mais j'ai jugé que, pour le plus sûr, ces communautés feraient bien de s'adresser à vous pour en obtenir une confirmation. Cet objet paraît de trop peu de conséquence pour les priver d'une grâce qui certainement aurait été alors scellée de l'autorité royale, si on avait cru cette formalité nécessaire. Je serais mortifié que mon attention à examiner tout par moi-même leur fît perdre ce privilège.

(( On oublie difficilement dans les communautés ; et on m'objecterait plus d'une fois la perte d'une exemption plus glorieuse qu'utile '^'^. »

Nous croyons que les choses en restèrent là, et n'avons vu nulle part confirmation ou abolition par l'autorité civile du privilège en question, à cette époque.

Ce que nous avons dit plus haut fait voir que M^ de Pontbriand voulait être véritablement l'ami, le père, le protecteur de ses communautés religieuses. Nous verrons ' bientôt ce qu'il fera pour les Ursulines des Trois- Rivières, en particulier ; et s'il se montra difficile, tout d'abord, pour la fondation des Sœurs Grises de Montréal, par Mme d'Youville, il ne lui ménagea pas son dévouement, du moment qu'il la vit établie sur des bases solides.

22. Corresp. générale, vol. 78, lettre du 30 oct. 1742.

CHAPITRE VIII

VISITE PASTORALE DU DIOCESE

Mandement pour la visite des paroisses. Quelques détails sur cette visite. Zèle de l'Evêque en visite pastorale. Encore le curé Voyer. Soin de l'Evêque à former des paroisses et à leur pro- curer de bons missionnaires.

MGR de Pontbriand avait commencé la visite pastorale de son diocèse par la paroisse de Québec dans le mois de janvier 1742; il la continua dans le cours de l'été, en se rendant par eau de Québec à Montréal, il était le 25 juin. Avant de partir, il adressa le 22 juin au clergé et au peuple des paroisses situées entre Québec et Montréal un très beau mandement, pour leur expliquer le but de la visite et les exhorter à profiter des grâces qui y sont atta- chées :

« Fasse le Ciel, disait-il, que nous remarquions dans les peuples qui sont confiés à nos soins, le même empressement qu'eurent autrefois ceux d'Antioche ^ pour écouter les ins- tructions des Apôtres et recevoir l'imposition de leurs mains ! Nous administrerons comme eux le sacrement de Confirmation à tous ceux qui nous seront présentés par le curé ou missionnaire, même à ceux qui n'auraient pas atteint l'âge de raison. . .

« Nous écouterons tous ceux et celles qui voudront nous parler, soit pour le bien public, soit pour le bien parti- culier.

I. Actes des Apôtres, XI, 26.

70 l'église du canada

« Voulons que les principaux habitants s'assemblent sui- vant l'usage et choisissent quatre d'entre eux d'une probité reconnue, pour répondre, conjointement avec les marguil- liers en charge, aux interrogations que nous ferons sur l'état de la paroisse, l'administration des sacrements, l'ins- truction des peuples, et les moyens pour la rendre moins pénible au missionnaire ^. »

Nous n'avons malheureusement que très peu de détails sur cette première visite pastorale du diocèse par M^ de Pontbriand, et n'en connaissons pas même l'itinéraire d'une manière précise. Nous savons, cependant, que le Prélat était à Montréal le 25 juin 1742, à la Longue- Pointe quel- qu'un des jours suivants, et à Laprairie le 3 juillet ^

A la Longue- Pointe, il dut être frappé de la beauté de cet endroit, de nature à lui rappeler son propre pays: il n'y en a guère de plus pittoresque dans les environs de Montréal. La petite église paroissiale, dédiée à saint François d'Assise, existe encore : elle est une des plus an- ciennes du Canada *. Située à l'extrémité de la pointe, presque en face de l'île Sainte-Hélène, et vis-à-vis Lon- gueil, qui est dédié à saint Antoine, la nature y seconde admirablement la foi et la piété.

Conformément à son mandement pour la visite, M^^ de Pontbriand confirma, à la Longue-Pointe, «jusqu'aux en- fants de deux mois d'âge ». Il eut aussi occasion, dans la visite de cette paroisse, de constater la vérité de plusieurs guérisons obtenues par l'intercession de son pieux prédé-

2. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 17.

3. Archives de l'archevêché de Québec, Ordonnance aux marguilliers de Laprairie,. .." Fait au presbytère," 3 juillet 1742.

4. La Longue-Pointe, annexée maintenant à Montréal, ayant fait d'énormes progrès, il a fallu se décider à abandonner cette église, deve- nue trop petite, et la remplacer par une autre aux larges proportions. Un paroissien légua autrefois à la fabrique une terre, qui a pris de nos jours une grande valeur ; et c'est avec le produit de la vente des terrains que se construira, dit-on, le nouvel édifice.

sous M«' DE PONTBRIAND 7I

cesseur, M^ de Lauberivière * ; et nous verrons plus loin la haute opinion qu'il avait de sa sainteté.

L'année suivante, 1743, il fit la visite de la Côte Beau- pré et de l'Ile d'Orléans. Il était à la Sainte-Famille le 22 juin, et y rendit ce jour-là une ordonnance au sujet d'une terre qui appartenait au couvent. C'est M. Dufrost de La- jemmerais, l'un des frères de M°^® d'Youville, qui y était curé ^.

Un peu plus tard, il était à Bécancour. Il y avait une ancienne chapelle, dite « Chapelle de l'Ile », oii l'on avait enterré quelques personnes : elle w fut interdite pour les sépultures » ; et l'Evêque ordonna d'enterrer dans le nouveau cimetière: «défense fut faite d'enterrer ailleurs».

Il fit en 1744 la visite de la côte sud, en descendant. A Saint-Thomas, « il confirma cinq cent trente personnes de tout âge, même des enfants d'un mois ». Sa deuxième visite dans cette paroisse eut lieu le 11 juillet 1750 '^.

Dans l'automne de 1744, M»*" de Pontbriand avait fait « la visite presque générale des paroisses ^ » de son diocèse. Il ne put en entreprendre une deuxième que cinq ans plus tard, en 1749, à cause du malheur des temps.

Du reste, pour la même raison, il ne put jamais sortir de son diocèse proprement dit et se rendre, comme il l'aurait désiré, en Acadie et en Louisiane. Nous le verrons, cepen- dant, dans sa deuxième visite, aller, au prix de mille fati- gues et avec un zèle vraiment héroïque, jusqu'au fort de la Présentation, aujourd'hui Ogdensburg. Ogdensburg, et l'île Lamotte, dans le lac Champlain, sont les seuls endroits du territoire actuel des Etats-Unis qui ont été visités par nos évêques, sous le Régime français. ^.

5. Tanguay, A travers les Registres, p. 141.

6. Archives de l'archevêché de Québec.

7. Tanguay, A travers les Registres, p. 142, 143.

8. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 40.

9. Mgr de Laval fit la visite de l'île Lamotte en 1668.

72 I.*éGLISE DU CANADA

Voulons-nous maintenant avoir au moins quelque idée de la manière dont M^ de Pontbriand remplissait le grand devoir de la visite pastorale? Ecoutons M. Jolivet, de Saint- Sulpice, faisant son éloge funèbre du haut de la chaire de Notre-Dame de Montréal :

(( On le voyait le premier, dit-il, à la tête de ses ouvriers apostoliques, travailler lui seul plus qu'aucun autre, lasser les plus forts et les plus robustes, prêcher régulièrement quatre ou cinq fois le jour, et toujours avec force et onction, administrer le sacrement de Confirmation à une foule de peuples, faire des conférences publiques ^^, également instructives et édifiantes, écouter avec bonté tous ceux qui s'adressaient à lui, se porter lui-même médiateur entre les ennemis, corriger les scandales, réformer les abus ; en un mot mettre tout en usage pour la conversion des pécheurs et la sanctification des âmes confiées à ses soins. . .

(( Combien de fois l'avez-vous vu, dans le cours de longs et pénibles voyages, porter, sans murmure, le poids et la fatigue du jour, faire bien des lieues à pied dans de très mauvais chemins, dans l'eau quelquefois jusqu'aux genoux, arriver tout en sueurs et hors d'haleine ; d'autres fois sur- pris par les mauvais temps, obligé de se retirer dans de pauvres chaumières, tout transi de froid et couvert de neige, obligé de se coucher sur la dure, se contenter d'un peu de pain et d'eau qu'il trouvait chez ces pauvres gens!

« En vain les plus vertueux ecclésiastiques et les plus fer- vents religieux de Québec mettent tout en usage pour le détourner de la dernière visite qu'il fit en bas, dans les

10. Il s'agit probablement de ces conférences, dont la tradition se conserva jusqu'à nos jours: un prêtre, dans le chœur, ou, à son défaut, un laïque respectable, faisait les questions, et un autre répondait, en chaire. L'auteur se rappelle très bien avoir assisté à ces sortes de confé- rences, dans son jeune âge. C'était un mode de prédication extrêmement intéressant, qui frappait l'imagination et laissait dans l'âme des ensei- gnements qu'on n'oubliait jamais.

sous Mf^ DE PONTBRIAND 73

dernières paroisses de son diocèse ; en vain les médecins lui représentent qu'il ne peut l'entreprendre sans altérer considérablement sa santé ; quelle réponse fait-il à toutes ces représentations et à leurs conseils? Point d'autre que les belles paroles de l'apôtre saint Paul, que rien n'était capable de l'arrêter dans la carrière qu'il avait à fournir ; qu'il n'estimait pas sa vie plus que son devoir ^\ et que, quand il devrait en mourir, il ne pouvait point souhaiter une mort plus sainte et plus glorieuse ^'\ , . »

Qui ne se rappellerait, en lisant ce beau passage de l'abbé Jolivet, nos deux grands évêques Laval et Saint- Vallier? N'est-ce pas le même dévouement, le même abandon de soi-même, le même courage héroïque au milieu des difi&- cultés du ministère le plus pénible? Le Ciel, qui réservait à la Nouvelle-France de si dures épreuves, lui avait envoyé un pontife vraiment capable de la soutenir et de la fortifier dans ces temps malheureux : « Il fallait ici un homme de cette force ! »

Un petit détail que nous trouvons dans un de ses man- dements nous donnera une idée du zèle et de l'endurance du pieux Kvêque: il faisait en sorte, dans ses visites pasto- rales, qu'il y eût une messe à toutes les heures, à partir de cinq heures jusqu'à dix heures, mais se réservait toujours la dernière, la messe de dix heures, afin d'avoir plus de temps pour entendre les confessions ; et plus il pouvait communier de personnes de sa propre main, plus il était content ^^

11. Actes des Apôtres, XX, 24.

12. Cité dans Le dernier Bvêque du Canada français, p. 49.

13. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 63.

74 l'église du canada

* *

Dans cette première visite de son diocèse, si pénible, si laborieuse, M^^ de Pontbriand ne rencontra-t-il, du moins, au point de vue spirituel, que des sujets de joie et de con- solation? Il aurait été trop heureux. Pour ne parler que de ses missionnaires :

« Il y a, écrit-il à la Cour dès le 22 août (1742), quelques sujets dont je suis très mécontent ^*. »

Et il se voit obligé un peu plus tard d'exposer au mi- nistre la mauvaise conduite de l'un deux, qui avait déjà causé bien du chagrin à M^'' Dosquet ^^, et qui, on ne sait comment, se trouvait de nouveau attaché à la paroisse de Sainte-Anne de la Pérade :

(( J'ai été obligé, écrit-il, d'agir contre un prêtre nommé Voyer, missionnaire à Sainte-Anne. C'est un sujet peu sensé, peu appliqué à instruire, contre qui il y a eu plusieurs plaintes par ci-devant. Ayant été instruit de ses excès dans la boisson, je lui ordonnai, dans ma visite, ^^ de venir au Séminaire ^^ pour trois mois, en lui enjoignant de demeurer suspens jusqu'à ce qu'il eût obéi. Il s'y soumit par écrit, et nonobstant ne tint compte de la suspense. Je lui donnai par trois fois des avis sur sa désobéissance. Il fut même signifié à cet effet. Tout cela ne servit de rien. Le Promoteur porta sa plainte : il fut conclu pour un décret de prise de corps. Je fis différer l'exécution, et le fis avertir. Il vint à Québec, et parut publiquement en sur- plis parmi les chanoines ^^. Je lui parlai encore en secret;

14. Corresp. générale, vol. 78.

15. Voir le vol. précédent, p. 75.

16. Mgr de Pontbriand fit donc la visite à Sainte-Anne de la Pérade en 1742. J

17. Le Prélat demeurait encore lui-même au Séminaire à cette époque.

18. Il était un de ceux que ces bons chanoines avaient nommés curés inamovibles, en 1729. Mgr Dosquet ne réussit qu'à grand'peine à lui faire donner sa démission.

sous M«^ DE PONTBRIAND yS

il s'opiniâtra toujours. Il essaya une requête d*appel comme d'abus ; elle fut rejetée suivant les déclarations dn Roi. Je faisais toujours suspendre Pexécution du décret, pour lui donner le temps de se reconnaître. Enfin M. Pin- tendant, qui se prête toujours au bien, m'engagea à sus- pendre la procédure, et à le recevoir dans le Séminaire, moyennant sa soumission par écrit.

« On dit que les sieurs Hazeur et Fornel étaient ses conseillers. Peut-être ai-je mal fait de ne pas punir une désobéissance dont on ne voit aucun exemple en France. Pour la première fois, j'ai cru devoir user de douceur. . . »

A part quelques exceptions de ce genre, quelques ombres qui ne faisaient que ressortir la beauté du tableau de notre Eglise, disons de suite que le Clergé canadien, en général, était exemplaire, comme M^ de Pontbriand l'avait écrit lui-même dans son mandement d'entrée, et les paroisses admirablement desservies. L'Evêque exprima partout son contentement, et à quelques endroits même son admiration :

« J'ai été très édifié, dit-il, de la mission sauvage du Lac des Deux-Montagnes. . . »

Désormais il se rendait compte par lui-même des besoins de son diocèse, de la nécessité de diviser certaines paroisses trop étendues, pour en former de nouvelles, de donner des missionnaires à de pauvres colons trop éloignés des églises pour pouvoir y aller régulièrement et remplir, comme ils le désiraient, leurs devoirs religieux :

« Il y a au moins quinze paroisses qui demandent du changement, écrit-il à la Cour. Je présume par votre silence il avait déjà écrit sur ce sujet que vous ne vous y opposez pas, d'autant plus qu'il paraît que c'est aux Evêques à instituer les paroisses, à les étendre ou à les restreindre selon le besoin, qui change selon l'augmentation ou la diminution des habitants ^^. »

19. Corresp. générale, vol. 78, lettre du 28 septembre 1742.

76 l'église du canada

Quelle plaisante ironie, sans paraître y toucher, à l'a- dresse des ministres, chez qui c'était devenu une marotte de demander la fixation des cures au Canada ! Comment, les cures une fois fixées, l'Evêque aurait-il pu facilement les diviser et les partager, au besoin ?

Et ne voilà-t-il pas qu'à son insu, contre ses sentiments bien connus et son opinion bien arrêtée, ses propres prêtres, des membres de son Chapitre, viennent se mettre en tra- vers de ses desseins, embarrasser son administration et favoriser les vues de la Cour, plutôt que celles de leur Bvêque :

a Les sieurs de l'Orme et Falaise "^^^ écrit-il au ministre, me marquent qu'ils ont eu l'honneur de vous présenter un mémoire, au nom du Chapitre, sur la fixation des cures. Je crois devoir vous prévenir que ces deux chanoines ont agi sans la participation du corps, ce qui me paraît fort irrégulier ^^ »

Il n'est pas téméraire de supposer qu'il avaient agi sur- tout à l'instigation de leurs confrères Hazeur et Fornel, qui ne pouvaient pardonner à l'Kvêque d'avoir détruit ce qu'ils avaient fait pendant la vacance du siège.

Le digne Prélat, au lieu de s'occuper à fixer les curés, s'appliqua à fournir de bons missionnaires tous les endroits de son diocèse qui en avaient besoin. Il en faisait venir de France :

(( J'espère qu'il me viendra des prêtres pour les paroisses,

20. Le chanoine de Gannes-Falaise avait quitté Québec pour la France le 6 octobre 1742, et ne devait plus revenir au Canada. Pendant quelques années, le Chapitre de Québec se trouva avoir cinq de ses chanoines es France: De l'Orme, De Gannes-Falaise, Lacorne, Fornel et Gosselin. De Gannes-Falaise finit par arriver au Doyenné de la collégiale de Saint-Sauveur, à Metz! (Recherches historiques, vol. XIV, p. 234). Ces braves gens ne doutaient de rien, et semblaient avoir pris pour devise: Audaces fortuna juvat!

21. Corresp. générale, vol. 80, lettre du 20 octobre 1743.

sous M«^ DE PONTBRIAND 77

écrit-il un jour au ministre; mon frère vous demandera leur passage avec le fret de deux tonneaux. »

Comme nous le verrons. M^^ de Pontbriand avait d'ex- cellents amis en France, parmi ses confrères dans Pépis- copat, qui s'efforçaient de lui envoyer de temps en temps des missionnaires.

Du reste, il n'ordonna pas moins de cent prêtres cana- diens pendant la durée de son administration.

CHAPITRE IX

l'épisode du crucifix outragé

La superstition, en France. Episode du Crucifix outragé, à Montréal. L'enquête. Le jugement de la Prévôté. Arrêt du Conseil Supérieur. Mandement de Mgr de Pontbriand. Le Crucifix outragé, confié aux Sœurs de l'Hôtel-Dieu de Québec.

DANS son beau mandement pour la visite des paroisses, M^"" de Pontbriand priait ses curés de lui faire con- naître (( les abus ou superstitions qui pourraient s'y rencon- trer ». Avait-il quelque raison de croire qu'il y en avait dans son diocèse ? Mais ne sait-on pas qu'à cette date la France, notre ancienne mère patrie, et surtout sa capitale, regorgeait de superstitions ? Qui ne se rappelle les scènes disgracieuses dont Paris fut le théâtre, vers cette époque, les prétendus miracles, par exemple, opérés sur la tombe du diacre Paris, et les impostures des convulsionnaires au cimetière de Saint-Médard ? Tout cela en plein dix- huitième siècle, au sein de la civilisation la plus raffinée ! Comme les extrêmes se touchent ! N'y avait-il pas lieu de craindre que quelque émigré français eût apporté ici les germes d'une maladie aussi contagieuse? I^'événement prouva, dans tous les cas, que M^ de Pontbriand avait été bien inspiré en attirant l'attention de son clergé sur un sujet aussi important. Nous faisons ici allusion au fameux épisode du Crucifix outrage^ qui passionna l'opinion pu- blique, à cette époque, surtout à Montréal. Il importe d'en dire un mot dans cet ouvrage.

sous M^*' DE PONTBRIAND 79

Voici le fait, tel qu'il fut juridiquement prouvé \

Un nommé Robidoux ''^, cordonnier de son métier, rési- dant au faubourg Saint- Joseph, ou des Récollets, à Montréal, s'était fait voler une certaine somme d'argent, et pour la retrouver s'avisa de confier son affaire à un individu qui avait la réputation d'être sorcier, et logeait tout près de lui, chez un autre cordonnier nommé Lanoue. Ce faubourg Saint- Joseph était à cette époque un v^itable nid de cordon- niers. Le prétendu sorcier était tout simplement un soldat de la Compagnie de M. de la Fresnière ^, en garnison à Montréal. Il était natif de Paris, âgé de vingt-six à vingt- sept ans, et avait une certaine instruction ; il avait, du moins, une très belle écriture : nous avons vu sa signature sur un document conservé aux archives ; elle paraît avan- tageusement à côté de celles des premiers personnages de de l'époque, au Canada. Du reste, sa faconde et ses res- sources de langage l'avaient fait surnommer V Avocat: son nom était François-Charles Havard de Beaufort.

Il avait rencontré Robidoux dans la matinée du 28 juin (1742); et il convint d'aller tenir séance chez lui le soir même : en effet, il y était rendu à huit heures.

La maison de Robidoux se remplit de curieux. Havard est assis gravement près d'une table, recouverte d'une nappe plus ou moins blanche, sur laquelle se dressent deux chandelles allumées et repose un miroir renversé, dont la glace est destinée, paraît-il, à refléter la figure du voleur qu'il s'agit de découvrir. Havard a devant lui trois paquets de poudre, blanche, jaune et noire, et une fiole

1. Tous les détails que nous donnons ici sont extraits de copies au- thentiques des Pièces originales conservées aux archives de la Prévôté de Montréal, copies faites par M. Jacques Viger lui-même pour sa Saberdache.

2. Il était âgé de vingt ans, et sa femme Anne Lehoux n'en avait que dix-sept. Il était fils d'un cabaretier de Montréal, Guillaume Robidoux.

3. Hertel de la Fresnière.

8o l'église pu CANADA

d'huile, qu'il qualifie d'huile d'aspic. Il tient à la main un vieux bouquin, couvert en veau, aux coins tout déchirés, intitulé Perba Jesu Christi^ ex Evangeliis Matth.^ Marc, Luc. Joan. ; et, tout en marmottant quelques versets de ce livre, fait mille simagrées, mélange de l'huile avec ses poudres, et répand ce liquide sur le dos du miroir : tout cela en vue de mystifier l'assistance, et d'intimider le voleur, s'il est là, pour qu'il se fasse connaître.

A un moment donné, il demande un crucifix, se le fait apporter sur la table, et avec une impudence et un cy- nisme sans égal il répand avec une lame de couteau sur le bois de ce crucifix le même mélange qu'il a répandu sur le miroir ; puis il l'approche du feu des bougies, sous prétexte de faire sécher les drogues qu'il y a mises, et le couche en- suite sous le miroir. Du reste il a presque toujours son livre à la main, et par intervalles en marmotte les versets. De temps en temps, les lumières s'éteignent, une ombre épaisse envahit la salle, les assistants sont glacés de ter- reur, et le sorcier, enveloppé de mystère, s'anime de plus en plus à abuser de leur crédulité.

Une jeune personne de distinction *, que la curiosité a amenée avec sa mère, s'est placée « tout à côté de lui » pour mieux observer ses mouvements et ses gestes : « Lors- qu'il eut éteint les chandelles, dit-elle dans son témoi- gnage, il soulevait par temps le miroir, et tenait le haut du crucifix entre ses mains. Je le vis baisser la tête et enten- dis marmotter en latin quelques paroles que je ne compris pas. Les chandelles étant rallumées, je le vis ôter le cru- cifix de dessous le miroir, le prendre dans sa main, et es- sayer avec le bois du dit crucifix de faire trois raies sur la plate-bande de la cheminée. »

4. Susanne De Selle, âgée de vingt ans, fille de feu Alexandre De Selle, écuyer, sieur Du Clos, et de Marguerite Perreau. Nous écrivons ces noms d'après les pièces documentaires. De Selle avait un fils qui servait dans l'armée. (Rapport. .. pour 1905, p. 19).

sous M^'^ DE PONTBRIAND 8l

Le crucifix, aussi bien que le vieux bouquin, était la propriété d'un nommé Lanoue, qui était de complicité avec Havard dans toute cette affaire. Pour accréditer sa réputation de devin et achever de mystifier les spectateurs, Havard se cachait dans le tambour de la maison, et les invitait à toucher une des trois raies qu'il avait faites avec le crucifix sur le linteau de la cheminée. Il était convenu avec Lanoue d'un signe particulier que celui-ci lui devait faire pour chacune de ces raies ; et il lui était alors facile de deviner et de leur dire quelle raie on avait touchée.

Cette séance d'une étrange inconvenance dura une heure ; et il va sans dire que le nommé Robidoux n'était pas plus avancé à la fin qu'au commencement pour le but qu'il s'était proposé en faisant venir le sorcier dans sa mai- son : son voleur restait inconnu.

La nouvelle de cette scène disgracieuse et sacrilège se répandit bientôt dans toute la ville, et souleva l'indignation publique. Comme il arrive même souvent en pareille oc- casion, les choses se grossirent et prirent des proportions invraisemblables : le Parisien Havard était ni plus ni moins qu'un descendant bien avéré d'un des Juifs qui avaient crucifié Notre-Seigneur ; non seulement il s'était servi d'un crucifix pour faire ses tours de passe-passe, mais il l'avait foulé aux pieds, il l'avait même percé avec un couteau, et avait fait couler de nouveau le sang du divin Rédempteur !

On demanda à grands cris qu'il fût fait une enquête complète et sérieuse sur toute cette affaire. M. Foucher, substitut du procureur général à Montréal ^, cédant « à la voix publique, » dut s'exécuter, et dès le 30 juin piésenta une requête à cet effet au juge de la Prévôté, Guiton de

5. Foucher reçut un jour une verte semonce de l'intendant Hocquart. Le Roi se chargeait de l'entretien des "Enfants trouvés" jusqu'à l'âge de dix-huit mois. Mais alors le procureur général devait " les engager

6

82 l'église du canada

Monrepos ^. Permission d'informer fut accordée le premier juillet. Outre l'accusé Havard et ses complices Lanoue et Robidoux, on n'assigna pas moins de douze témoins, qui comparurent tour à tour, à partir du 2 juillet, devant le juge de la Prévôté et son assistant, Daniel Migeon de la Gauchetière.

L'enquête dura deux grands mois, et ne se termina que le 30 août : il y eut interrogatoire de chaque témoin et de chaque accusé, à part, confrontation des témoins et des accusés, interrogatoire des accusés (f sur la sellette ; » rien ne fut épargné pour arriver à connaître toute la vérité.

La Prévôté de Montréal prononça son jugement le 30 août : en voici la conclusion :

. . Tout considéré, déclarons le dit Charles Havard de Beaufort dit l'Avocat, soldat de la garnison de cette ville, duement atteint et convaincu ô.^ devoir profané les paroles du Nouveau lesiament contenues dans le Livre joint au Pro- cès, ainsi que la Représentation de J estes- Christ crucifié^ en faisant servir l'un et l'autre à àts pronostications et autres usages profanes et illicites, même d'avoir oint les extrémi- tés du dit crucifix et de l'avoir approché des flammes pour

à de bons habitants, soit de la ville, soit de la campagne, jusqu'à l'âge de dix-huit à vingt ans. . . "

Hocquart apprend un jour que Foucher n'a pas fait son devoir à ce sujet ; et il écrit :

" Dans la liste qui nous a été remise des enfants bâtards de ce gou- vernement (Montréal), nous avons été surpris d'en voir quatre nés en 1743, six en 1744, dix en 1745, qui sont encore aux charges du Roi, tandis qu'ils devraient être engagés sans perte de temps; et nous pré- venons le sieur Foucher que, s'il tombe en pareille négligence à l'avenir, nous lui ferons supporter en son propre et privé nom les frais d'un si long entretien. . . Fait à Montréal le 12 mars 1748. " (Edits et Ordon- nances, t. II, p. 395)-

6. C'est ce Monrepos qui eut de très fâcheux démêlés avec le docteur Sylvain (Sullivan), de Montréal, démêlés qui furent indirectement l'occasion de la disgrâce de M. de Varennes, dont nous dirons un mot plus loin. (Voir Faillon, Vie de Mme d'Youville, p. 11). Monrepos avait succédé en 1741 au juge Raimbault, dont nous avons parlé au volume précédent, p. 167.

sous M^ DE PONTBRIAND 83

faire sécher les drogues quUl avait mises sur le dos des extrémités du bois de la croix du dit Crucifix ;

ff Po2^r réparation de qîioi\ le condamnons à faire amende honorable, nu en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, au devant de la principale porte et entrée de l'église pa- roissiale de cette ville ^, et ce un jour de marché, au devant de laquelle porte de l'église il sera amené et conduit par l'exécuteur de la haute justice, le dit Havard ayant Ecri- teau devant et derrière, portant ces mots : Profanateur

DES CHOSES SAINTES ;

(( Et là, étant nu-tête et à genoux, dire et déclarer à haute et intelligible voix que témérairement et imprudemment il a proféré les paroles de N.-S. J.-C, contenues au susdit livre joint au procès, ainsi que la représentation et image de J.-C. crucifié, pour vouloir donner plus de poids à ses devinations et pronostications prohibées par les lois divines et humaines, dont il se repent et en demande pardon à Dieu, au Roi et à la Justice ;

«Ce fait, l'avons condamné à servir de forçat dans les galères du Roi l'espace de cinq années.

« Et outre, avons déclaré le dit Charles Lanoue atteint et convaincu d'avoir prêté assistance au dit Havard de Beaufort, dans ses pronostications et devinations, et lui avoir administré le Crucifix joint au procès ;

« Pour réparation de quoi le condamnons à assister nu en chemise et à genoux le dit Beaufort lors de l'amende hono- rable qu'il fera au devant de la porte principale de l'église paroissiale, le dit Lanoue sera également conduit par l'exécuteur de la haute justice, et ce par une corde dont il aura seulement les bras liés ;

7. L'église paroissiale de Montréal, à cette époque, était bâtie paral- lèlement à la rue Notre-Dame, et sur la rue même, qu'elle obstruait, par conséquent : " L'église de la paroisse a été mal placée, écrit quelque part

84 Iv'ÉGLISK DU CANADA

« Ce fait^ avons banni le dit lî^anoue l'espace de trois années de l'étendue de cette juridiction, et à lui est enjoint de garder son ban sous les peines portées par les ordon- nances, w

Robidoux avait pris la fuite, et personne ne savait ce qu'il était devenu. La sentence de la prévôté continuait à son égard :

« Comme aussi avons déclaré la contumace bien et due- ment instruite contre le dit Charles Robidoux, défaillant et contumace, et l'avons déclaré duement atteint et con- vaincu d'avoir eu recours aux pronostications et devina- tions du dit Havard ; et avoir souffert que dans sa maison le dit Havard ait commis les profanations dont nous l'avons déclaré atteint et convaincu ;

« Poîir réparation de quoi le condamnons^ ainsi que le dit Charles Lanoue, d'assister nu en chemise et à genoux le dit Beaufort, lors de l'amende honorable qu'il fera au devant de la dite porte principale de l'église paroissiale de cette ville, oii le dit Charles Robidoux sera également conduit par l'exécuteur de la haute justice, et ce par une corde dont il aura seulement les bras liés : ce qui sera transcrit dans un tableau attaché par l'exécuteur de la haute justice à une potence qui, pour cet effet, sera plantée sur la place publique du marché de cette ville ;

« Ce fait ^ Bannissons le dit Charles Robidoux de l'éten- due de cette juridiction durant l'espace de trois ans, et à lui enjoint de garder son ban sous les peines portées par les ordonnances . . .

« Fait et donné à Montréal par nous lieutenant général susdit, avec MM. Jean-François Mailhot, lieutenant parti-

Franquet; elle coupe l'alignement de la rue principale..." (^Voyages et Mémoires, 1752, p. 56).

sous M«f^ DE PONTBRIAND 85

culier de cette juridiction, Jean-Baptiste Adhémar, Nico- las-Auguste Guillet de Chaumont et L,ouis-Claude Dauré de Blanzy, notaires royaux et praticiens en ce siège, qui ont signé avec nous le présent jugement le 30 août 1742 en la chambre d'audience avant-midi. (Signé) Gui ton Mon- repos, Mailhot, Adhémar, Chaumont, Dauré de Blanzy. »

Le substitut du procureur général, M. Foucher, après avoir pris connaissance de ce jugement, en appela immé- diatement au Conseil Supérieur, et les prisonniers Havard et Lanoue furent transférés de la prison de Montréal w en la conciergerie du Palais de Québec. »

Le Conseil Supérieur ne rendit son arrêt définitif que le lundi 17 septembre. La sentence de la Prévôté de Mont- réal contre Havard fut maintenue : seulement le Conseil Supérieur réduisait à trois ans le temps qu'il aurait à servir comme forçat dans les galères du Roi ; en revanche, après son amende honorable, à la porte de l'église, il devait être (( battu et fustigé de verges par les carrefours et lieux accoutumés de la Haute et Basse- Ville de Montréal. »

Quant à Lanoue et Robidoux, il n'était plus question pour eux de bannissement : Montréal les gardait ; ils étaient seulement condamnés, le premier « à trois livres d'amende envers le Roi, « l'autre « à trois livres d'aumônes appli- cables au pain des Prisonniers. » Lanoue devait assister à l'amende honorable de Havard nu-tête et en chemise, mais il devait y être conduit « par les archers de la maréchaus- sée, » et non pas par l'exécuteur de la haute justice. Pour Robidoux, outre son amende, on se contentait de le faire « admonester en la Chambre d'audience. »

M^'^ de Pontbriand se trouvait en visite pastorale à Montréal dans le temps même l'on procédait à l'enquête sur cette triste affaire du Crucifix outragé. Il fut témoin de l'indi^^nation publique contre l'auteur de la scène étrange que nous venons de raconter, et ses complices. M. Déat,

86 l'église du canada

qui faisait les fonctions de curé de Montréal, s'était fait apporter le Crucifix, et put le montrer à l'Evêque ^, en lui racontant toutes les circonstances de la profanation.

De retour à Québec, l'Evêque apprit presque aussitôt le jugement sévère qui avait été prononcé par la Prévôté, et il en profita pour donner à ses diocésains de Montréal un mandement non moins énergique, afin d'imprimer de plus en plus dans leur âme « une sainte horreur et une douleur profonde » pour la profanation qui avait deshonoré leur ville. « La douleur que nous avons ressentie, dit-il, lorsque nous avons appris l'impiété commise contre l'auguste repré- sentation de notre Rédempteur a été trop vive, et nous en sommes encore trop pénétré, pour la resserrer au dedans de nous-même. » Il les invitait à prier pour la conversion du coupable, et, comme réparation d'une faute publique, il ordonnait de faire, le premier dimanche après la publication de son mandement, « une procession générale, de l'église paroissiale à la chapelle de Bon-Secours ^, où. l'on ferait l'adoration de la Croix ^^. »

M. Déat, qui s'était fait apporter chez lui le Crucifix outragé, avait le transmettre aux magistrats pendant le procès. M^^" de Pontbriand le leur demanda, «afin de pou- voir l'exposer d'une manière particulière à la vénération des véritables chrétiens. » Il paraît que nombre de pa- roisses sollicitaient la faveur de posséder ce Crucifix ^^

8. On lit dans une Pièce signée par Monrepos, Migeon de la Gauche- tière et le greffier Porlier : '' Le Crucifix est de bois de noyer de France, au dos duquel est une couronne de cuivre, ainsi que le Christ, les clous qui le garnissent, et une tête de mort au pied du Christ, et au haut d'icelui un petit morceau de cuivre sur lequel sont les lettres J. N, R. J." Ce crucifix était " attaché au côté du lit " de Lanoue, et le livre " dans le tiroir de son buffet. "

9. La construction de la première église de Bon-Secours remonte à 1675. La vénérable Marguerite Bourgeois en avait fait jeter les fonde- ments dès 1657. (Paillon, Vie de la Sœur Bourgeois, t. I, p. 98, 234).

10. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 19.

11. Jacques Viger, Ma Saberdache.

SCUS M^ DE PONTBRIAND 87

L'Evêque jugea qu'il ne pouvait être mieux placé que dans une communauté religieuse, et le confia aux Hospitalières de l'Hôtel-Dieu du Précieux-Sang, à Québec.

(( Nous avons su, écrit-il à ces bonnes religieuses, que dans le temps de la profanation, pénétrées de douleur, vous avez fait une amende honorable et une communion géné- rale. Persuadé que vos dispositions ne sont pas changées, nous vous confions, comme à des épouses fidèles, cette croix adorable et nous vous ordonnons de la placer dans votre église ^^. . . »

Elle y fut portée par le chanoine Briand, le premier mars 1744, et elle y est encore; et chaque année, le pre- mier vendredi d'octobre, se célèbre, avec grand'messe, vêpres, sermon, salut et amende honorable, la fête du Cru- cifix outragé. Que de fois n'avons-nous pas entendu an- noncer cette fête religieuse du haut de la chaire de la cathédrale de Québec ! Il y a, en effet, indulgence plé- nière accordée par les Souverains Pontifes à toutes les per- sonnes qui visitent ce jour-là, avec les conditions requises, l'église de l'Hôtel-Dieu.

12. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 33.

CHAPITRE X

MAUVAISES ANNÉES, AU CANADA. RECONSTRUCTION DE LA CATHÉDRALE. PATRIOTISME DE L'ÉVÊQUE

Mauvaises récoltes. Prières publiques. Fléau des chenilles. Eloge des Canadiens. Reconstruction de la Cathédrale; la Cour refuse d'y contribuer. Prise de Louisbourg (1745). Guerre de la Succession d'Autriche. Mandement patriotique de l'Evêque. Paix d*Aix-la- Chapelle. Quête pour la Cathédrale ; fondation de messes. Cathédrale terminée. Exhumation des corps de Mgr de Laval et de Mgr de Lauberivière. Remerciements aux Récollets; aux Ursulines. Les Chanoines présentent à l'Evêque son portrait

JE chéris tendrement mon diocèse, » écrivait un jour M*^ de Pontbriand ^- Quel contraste avec M^^ Dosquet, qui n'avait jamais pu prendre racine au Canada! Et pourtant notre pays n'avait pas traversé, du temps de cet évêqne, une période de mauvaises années comme celle le voyait M^"^ de Pontbriand. Le pieux Prélat venait de parcourir son diocèse; et qu'avait-il trouvé partout? Des campagnes désolées, des populations affamées :

« Les deux dernières récoltes, écrit-il, au printemps de 1743, n'ont pas répondu à nos désirs; les animaux domes- tiques périssent dans quelques endroits, faute de nourriture, plusieurs familles sont depuis peu réduites à chercher dans la charité des fidèles ces secours qu'elles ont autrefois pro- curés ; plusieurs dans les campagnes n'espèrent se soutenir

I. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 26.

l'église du canada sous m»"* de pontbriand 89

jusqu'à la récolte que par les fruits et les herbes que la terre produit d'elle-même . . . L'abondance des neiges retarde considérablement les semences, et peut-être allons- nous voir plusieurs terres demeurer incultes ^. . . »

Le gouverneur et l'intendant ont pris des mesures pour que personne ne manque de blé pour ensemencer les terres, et l'Evêque exhorte ses curés à faire bien observer ce qui a été réglé à ce sujet. Il a ordonné des prières publiques « à raison des besoins de la colonie », et il se réjouit de la ma- nière dont on a suivi ces exercices. Le carême a été scru- puleusement observé ; et l'on sait qu'il était encore dans toute son austérité antique, à cette époque : outre le jeûne dont on se dispensait bien moins facilement qu'aujourd'hui, abstinence rigoureuse tous les jours, y compris le dimanche, à partir du mercredi des Cendres jusqu'à Pâques ^.

« Nous avons été édifié de la piété avec laquelle vous avez assisté pour la plupart aux prières publiques, écrit M^ de Pontbriand . . . Vous avez expié vos fautes par la rigueur de l'abstinence et du jeûne . . . Vos prières ont paru être agréables au Seigneur. . . Les campagnes, contre toute attente, ont été ensemencées aussi abondamment que les années précédentes, les temps ont été favorables. . . »

Hélas ! quelques mois plus tard, un nouveau fléau, celui des chenilles, s'appesantit sur la colonie :

2. Ibid., p. 29.

3. On trouve dans les registres du Conseil Supérieur, à la date du premier décembre 1670, un exemple qui prouve le respect que l'on pro- fessait alors pour les lois de l'Eglise. Un nommé Gaboury, de l'Ile d'Or- léans, ayant été convaincu ." d'avoir mangé de la viande pendant le carême sans en demander permission à l'Eglise ", fut condamné par le juge Prévost de Lyret payer une vache et le profit d'une année d'icelle. . ., puis à être attaché au poteau public trois heures de temps, et ensuite être conduit au devant de la porte de la Chapelle de l'Ile d'Or- léans, où étant à genoux, les mains jointes, nu-tête, demander pardon à Dieu, au Roi et à justice. . ., et à vingt livres d'amende applicable aux œuvres pies de la dite paroisse. . . "

Il en appela au Conseil Supérieur, qui maintint une partie de la sen- tence, et lui fit grâce du reste, mais " avec défense de récidiver, à peine de punition corporelle ". (Jugements du Conseil Supérieur, t. I, p. 642.)

90 L^ÉGLISE DU CANADA

« Les prairies sont presque entièrement rasées par les insectes, écrit le Prélat ; dans certains endroits les blés même en ont souffert ^ . . »

« L'année 1743 fut encore plus pénible que la précédente par la rareté et la cherté de toutes les provisions de bouche, écrit l'annaliste de l'Hôpital Général. . . Pour se faire une idée de la misère du peuple, il suffit de savoir qu^à Québec, les acheteurs se pressaient en si grande foule chez les boulangers, que plusieurs personnes y perdirent la vie, sans parier de celles qui furent blessées : ce qui obligea les autorités de faire appeler la milice à la distribution du pain, dont la portion était réglée pour chaque famille : de sorte qu'avec son argent il aurait été impossible de s'en procurer davantage ^ . , »

A leur tour, MM. de Beauharnais et Hocquart écrivent en octobre 1744 :

(( L'événement a justifié les craintes que nous eûmes Pannée dernière de l'extrême modicité de la récolte ; ce n'a été qu'avec des peines infinies que nous avons pourvu aux nécessités publiques. Nous avons épuisé toutes nos res- sources; celle que nous avons trouvée chez les habitants aisés a été une des principales et la plus efficace ... Le peuple a vécu misérablement ; plus de la moitié des habitants de la campagne se sont passés de pain depuis le printemps jusqu'aux récoltes. Ils ont vécu par leur industrie : la pêche, la chasse, les herbes et le laitage : personne n'a péri par la faim. » Et ils ajoutaient : « Les provisions envoyées de France ne sont arrivées que quinze jours avant la ré- colte ^ ».

4. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 32, mandement du 13 juillet 1743.

5. Mgr de S aint-V allier et l'Hôpital-Général de Québec, p. 309.

6. "Cette année (1744) a été encore plus malheureuse que la précé- dente. Cela ne m'a point arrangé dans mes affaires. Il faut s'en consoler.

sous M^ DK PONTBRIAND 9I

Ce fut bien pire Tannée suivante ; il n'en vint pas du tout :

t Nous n'avons point eu de vaisseaux cette année (1745), écrit la sœur Duplessis: ce qui ne s'est jamais vu en Cana- da depuis son établissement '^. . . >>

M^^ de Pontbriand avait secondé de tout son pouvoir les efforts du gouverneur et de l'intendant pour subvenir aux besoins de sa ville épiscopale. Il avait une liste de de tous les indigents ; et il avait marqué à chaque com- munauté ceux qu'elle devait nourrir à proportion de ses moyens. A sa demande, le Chapitre vota pour les pauvres une somme de deux cents francs.^ Lui-même faisait dis- tribuer quatre-vingts pains par semaine.

Certes, ce n'était donc pas la prospérité matérielle de son diocèse qui le lui faisait « chérir tendrement. « Mais il appréciait le courage des Canadiens, leur bonne volonté, leur patience, leur confiance dans l'avenir, qui devait les faire triompher de tous les maux et traverser généreu- sement les plus grandes épreuves. Il appréciait leur ingé- niosité à se tirer d'affaire, leur bonne humeur inlassable, et surtout leur esprit profondément religieux.

Un ancien chroniqueur parlant de notre pays précisé- ment à l'époque nous sommes, lui rend ce beau témoi- gnage :

« Quant à l'état de la religion et des mœurs, nous pou- vons affirmer en toute assurance qu'il n'était point ou très peu tombé de cette haute ferveur, de cette grande simpli- cité et de cette probité intègre, sans aucun mélange d'opi- nion de secte, qui formaient le trait caractéristique de nos pères, depuis l'établissement de la colonie ^. . . »

Dieu sait dédommager. Tout est à un prix exorbitant. La barrique de vin coûte deux cent cinquante livres. Il faut boire de la petite bière. . . " (Lettre de Mgr de Pontbriand à ses sœurs, 25 oct. 1744).

7. Revue Canadienne, t. XII, p. 603.

8. Registre du Chapitre, assemblée du 30 décembre 1743.

9. Mémoires inédits sur l'Eglise du Canada, par le curé Faquin, p. 442.

92 l'église du canada

Un gouverneur et un intendant du Canada ont traité quelque part nos ancêtres de « glorieux et de paresseux » : glorieux, oui, avec une certaine pointe de liberté et d'in- dépendance, et aussi avec une malheureuse tendance à dépenser au delà de leurs moyens ; mais paresseux, dans le vrai sens du mot, jamais. Non, on ne pouvait avec justice taxer de paresse nos ancêtres, qui, à force de courage, de persévérance et de travail, ont fait notre pays ce qu'il est.

M^' de Pontbriand se montra toujours plus juste envers les Canadiens, et, tout en observant leurs défauts et ne craignant pas de les reprendre, dans l'occasion, il savait reconnaître leurs bonnes qualités. Il comptait sur leur concours et leur générosité beaucoup plus que sur l'aide du Roi, lorsqu'il se décida, au printemps de 1745, à recons- truire sa cathédrale, qui menaçait ruine.

Ah, qu'il a besoin lui-même de courage pour entreprendre de pareils travaux dans les circonstances il se trouve! Il vient à peine de prendre possession de son évêché, après avoir passé deux ans très à l'étroit au séminaire ; il a même encore des réparations à faire à cet évêché : et maintenant il lui faut quitter sa cathédrale pour la reconstruire à neuf; il en aura une d'emprunt, l'église des Récollets, sans savoir pour combien de temps :

« L'église paroissiale de Québec, qui sert de cathédrale ^^, écrit à la Cour M. de Léry, est à présent trop petite ; et la charpente étant pourrie, M. l'Evêque a pris la résolution, suivant l'avis de M. le général et de MM. l'intendant et les marguilliers ^-, d'en faire une autre plus grande, avec des

10. Corresp. générale, vol. 91, lettre de La Galissonnière et Bigot au ministre, 14 septembre 1748.

11. Remarquons cette expression, qui rend bien le sentiment public à cette époque: l'église paroissiale avait été élevée à la dignité de cathé- drale ; mais personne ne se serait avisé de dire qu'elle avait été " sup- primée ".

12. Pas un mot des Chanoines : l'Evêque ne paraît pas leur avoir demandé leur " avis " pour la reconstruction de " leur église ".

sous M""^ DE PONTBRIAND 93

bas-côtés, sur le même terrain de la fabrique ^^. Le peuple de cette ville augmente tous les ans. Il m'a demandé un plan, et de vouloir conduire l'ouvrage : ce que j'ai fait avec grand plaisir. On a fait cette année les bas-côtés, la sacris- tie ; et le chœui est élevé environ à la moitié de sa hau- teur.

« Je lui ai remis les plans, élévations et profils, et aussi le plan de l'ancienne église : il m'a dit qu'il vous les enverrait.

<f M. Jacrau, curé, ajoute M. de Léry, vient de me faire voir dans les registres de baptêmes, enterrements et ma- riages, que le peuple de la ville augmentait tous les ans de cent trente personnes. J'ai interrogé plusieurs curés des paroisses de la campagne : ils m'ont tous dit que dans leurs paroisses les habitants, à proportion, augmentaient davan- tage ^* . . , »

Les travaux de la cathédrale, commencés en 1745, ne se terminèrent qu'en 1748: tant les ressources pécuniaires faisaient défaut !

Avec la permission de M^"" de Pontbriand, les ornements de l'église furent transportés au palais épiscopal ; et c'est aussi que se tinrent les assemblées du Chapitre tout le temps de la reconstruction ^^

Le pieux Prélat avait espéré que la Cour lui viendrait en aide. Il avait prié l'abbé de l'Ile-Dieu de présenter une requête au ministre à ce sujet et de lui dire en même temps en étaient les travaux :

«M. l'Evêque me mande, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu à M. de Maurepas, que le quart de la maçonnerie est déjà fait, que cette dépense ira à quatre-vingt mille francs, que

13. Les chanoines prétendront plus tard que c'est " leur terrain ", de par la bulle de 1674.

14. Corresp. générale, vol. 84, lettre au ministre, 9 novembre 1745.

15. Registre du Chapitre.

94 l'êguse du canada

cette construction sera finie en 1747, si la guerre ne traverse pas ses opérations, et que la colonie ne demande que vingt- cinq mille francs pour lui aider à parachever cette cathé- drale ^^. . »

L'Evêque comptait-il beaucoup sur l'aide de la Cour? Nous ne le croyons pas. Il comptait beaucoup plus, et avec raison, sur la générosité des Canadiens. Il écrit lui- même an ministre dans l'automne de 1746:

« Je prévois par votre silence sur la bâtisse de la paroisse et cathédrale de Québec ^"^j que vous n'approuvez point cette entreprise, ou que vous ne voulez pas nous aider dans l'énorme dépense qu'il sera nécessaire de faire pour y rénssir. Je vous prie de vous rappeler qu'il est prouvé que l'ancienne menaçait ruine, qu'il était nécessaire d'y pour- voir, que M. l'Intendant pensait qu'on n'y était pas en sûreté, que tous les experts l'ont assuré. Je sais que les temps ne sont pas favorables, quoiqu'après tout il paraît que les bonnes oeuvres devraient se multiplier à proportion que les conjonctures sont plus tristes.

« Que si la somme que j'ai pris la liberté de vous deman- der vous paraît trop considérable, vous pourriez fixer trois mille francs par an. Cela nous mettrait en état d'emprun- ter, et, avec les rentes de l'église, de rembourser dans six ou sept ans. Vous voyez, monsieur, que je ne me rebute point ; j'espère même toujours ; et il me faudrait, je pense, un ordre bien précis de votre part pour ne pas espérer. Nous avons déjà dépensé douze ou treize mille francs ^®. . . »

16. Corresp. générale, vol. 86, lettre du 26 février 1746.

17. Ainsi, dans l'idée de Mgr de Pontbriand, qui s'exprime d'une ma- nière on ne peut plus claire, cette église est à la fois " paroisse et cathé- drale ".

18. Corresp. générale, vol. 86, lettre du 10 novembre 1746.

sous M^' DK PONTBRIAND 95

*

Les bonnes œuvres devraient se mit liip lier à proportion que les conjonctures sont plus tristes . . . Elles sont bien tristes, en effet, les conjonctures de l'heure présente : la prise de Louisbourg- (17 juin 1745) par les Anglais, qui leur ouvre l'entrée du golfe Saint-Laurent; l'Ile Royale, perdue par la faute du gouverneur Du Quesnel, « homme capri- cieux, inégal, sujet à boire, et ne connaissant dans le vin ni mesure, ni bienséance *^, » par la faute, également, de l'ordonnateur Bigot, dont les exactions ont mis en révolte les soldats de la garnison, comme elles soulèveront plus tard l'indignation des Canadiens ; la confiance, cependant, dont cet habile coquin jouit à la cour, il paraît faire la pluie et le beau temps '^^ ; la perte de la flotte du duc d'Anville, qui a été envoyé par la France pour reprendre Louisbourg, et a vu ses vaisseaux dispersés par une tem- pête près de l'île de Sable (14 septembre 1746).

Voilà pour la colonie.

Mais les conjonctures de l'heure présente ne sont pas moins tristes pour la France. Les esprits sages regrettent de la voir engagée dans une des guerres les plus incohérentes ^' et les moins pratiques qu'elle ait jamais entreprises : la guerre de la Succession d'Autriche ^2. Ils regrettent encore plus de voir le Roi, délivré de la tutelle gênante du cardi-

19. Louisbourg en 1745, Toronto, 1897, ?• i5-

20. Rapport. . . pour 1905, p. 59 à 64.

21. Quoi de plus incohérent, par exemple, que les ordres partis de Versailles, ordonnant à l'armée française de s'éloigner de Vienne, qui lui est ouverte, pour entrer en Bohême? L'armée s'empare de Prague; mais elle reçoit aussitôt l'ordre d'en sortir, et, dans la fameuse Retraite de Prague, qui dure dix jours, elle ne perd pas moins de quatre mille hommes, qui périssent de froid et de misère!

22. Le Clergé de France fut " invité " à souscrire quinze millions de francs pour cette guerre! {Recherches historiques, vol. XIV, p. 357).

96 l'âglise du canada

nal de Fleury, sacrifier son honneur et sa santé à de hon- teux déportements. Une maladie grave vient tout-à-coup le clouer sur un lit de douleur : il rentre en lui-même et brise les liens honteux qui Penchaînent, mais retourne bientôt à ses égarements scandaleux!

M^^ de Pontbriand, qui est au fait de tout, se sent navré de douleur. Autant il a partagé l'enthousiasme de la France, qui, au début du règne de Louis XV, lui a décerné le titre de Bten-aimé^ autant il déplore les faiblesses et les égarements du Roi. N'allons pas croire, toutefois, qu'il laissera rien voir à ses diocésains: il respecte trop l'auto- rité pour chercher à l'ébranler et à la détruire. Il profite, au contraire, de toutes les occasions pour l'exalter. Ah, comme il aime son Roi, comme il aime la France, ce pieux et saint Evêque! Quel patriotisme respire dans tous ses mandements ! Voyez, par exemple, comment il parle de la maladie qui a failli emporter Louis XV :

« La victoire le suivait, dit-il, lorsqu'une maladie dange- reuse, en le frappant, consterna toute la France ; l'ennemi même était contraint de plaindre un Etat sur le point de perdre un souverain si grand, si aimé et si digne de l'être. Sorti des portes de la mort, il se remet à la tête des troupes et force de nouvelles places '^^. »

Et voyez maintenant comment il parle de la belle con- duite de Louis XV à Fontenoy, « Fontenoy (11 mai 1745), la dernière grande bataille de la monarchie, et la dernière grande victoire du Drapeau blanc ! » écrit quelque part M.

de Falloux ^*:

(( Chaque action de Sa Majesté, dit M^ de Pontbriand,

a été pour nous un nouveau motif d'admiration, d'amour,

de respect et de fidélité. La dernière nuit passée à Calonne

23. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 43, 20 juin 1745.

24. Le Correspondant de 1888, t. III, p. 77.

sous M»'' DE PONTBRIAND

97

nous a fourni une occasion d'admirer la soumission d'un fils, la tendresse d'un père, la valeur d'un Roi, qui ne preud son repos que comme le plus simple soldat de son armée ^5. »

Quel patriotisme, surtout, dans le mandement du 17 juillet 1746, le pieux Prélat résume les succès de la France dans cette fameuse guerre européenne ! Ah, comme nos Canadiens devaient être enthousiasmés en entendant, ou plutôt en voyant se dérouler devant eux cette série de victoires françaises !

« Depuis la victoire de Fontenoy, écrit l'Evêque, la prise de Tournay, et de sa citadelle, Gand, après une nouvelle déroute de six mille Anglais et Hanovriens, a été enlevé, Gramont soumis, Alost rendu, Ninove conquise, Bruges a ouvert ses portes, Ostende, ce boulevard maritime des ennemis, Ostende, qui avait autrefois si glorieusement sou- tenu un siège de plus de trois ans, est obligée de recon- naître les drapeaux français; Nieuport, Ath, Malines, Louvain ont suivi cet exemple. Enfin, Bruxelles, cette capitale du Brabant, défendue par une garnison de quinze mille hommes choisis, couronne au milieu de l'hiver les conquêtes du Roi.» ^^

« Reconnaissons, écrit ailleurs le Prélat, dans les victoires que Sa Majesté a remportées, le doigt de Dieu qui protège la France. » ^^

Aussi, avec quel bonheur s'empresse-t-il d'ordonner un Te Deîtm dans sa cathédrale et dans toutes les ésrlises de son diocèse chaque fois que le Roi lui écrit directement pour lui annoncer ses victoires ^s^ ou qu'il en est prié par le gouverneur et l'intendant du Canada, «voulant entrer, dit-

25. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 49, 14 mai 1746.

26. Ihid., t. II, p. 52, 17 juillet 1746.

27. Ihid., p. 55, 20 novembre 1746.

28. Ihid., p. 53, 65, 120.

7

98 » l'église du canada

il, dans les vues aussi pieuses que respectables de ceux que Sa Majesté a placés à la tête de cette colonie, et qiie nous ne saurions posséder trop longtemps '^^. »

Et quand la paix a sonné, la fameuse paix d'Aix-la- Chapelle (1748), le Roi, avec un étrange désintéres- sement, sacrifie toutes ses conquêtes et se contente de la reddition de Louisbourg à la France ^^, il a soin de dire un mot pour excuser cet inexcusable désintéressement, et fait ressortir en même temps l'esprit religieux qui n'abandonna jamais Louis XV, même au milieu de ses déportements :

« Notre auguste monarque, dit-il, attendri sur les mal- heurs irréparables de la guerre même la plus juste, s'arrête au milieu de ses succès, sacrifie le plus grand nombre de ses conquêtes, pour procurer à son peuple une tranquillité parfaite. Prince véritablement chrétien, loin de s'en attri- buer la gloire, il reconnaît qu'elle est un don précieux et nous invite à en marquer à Dieu notre reconnaissance. »

Le Prélat ordonne alors «un 7e Deiim pour la paix», ainsi que les prières demandées par Louis XV :

« Il sera chanté, dit-il, dans notre église cathédrale de Québec et dans les églises paroissiales de Montréal et des Trois-Rivières un Te Deion en actions de grâces de la paix ; ordonnons de plus qu'il sera fait dans les dites trois églises un service solennel pour le repos des âmes de ceux qui sont morts à la guerre ^^. «

Au lendemain de la prise de Louisbourg, en 1745, on avait cru que les Anglais, profitant de leur victoire, allaient remonter le Saint-Laurent jusqu'à Québec et s'emparer du

29. Mandements des Bvêques de Québec, p. 50, 14 mai 1746.

30. " Date tristement mémorable, écrit Thureau-Dangin à propos du traité d'Aix-la-Chapelle, car elle marque exactement le point d'arrêt dans le développement de la grandeur française, et l'instant oii la des- cente commence. " {Les précédents de la diplomatie Prussienne, dans le Correspondant du 10 janvier 1883, P- n).-

31. Mandements des Bvêques de Québec, t. Il, p. 65, 10 juillet 1749.

sous M»'^ DE PONTBRIAND 99

Canada : ils s'en étaient vantés ^-, ils espéraient chasser avant longtemps les Français de l'Amérique du Nord, ils le désiraient. Quelle belle occasion pour notre grand Evêque patriote de fortifier le patriotisme des Canadiens, en leur rappelant ce qu'ils doivent à la France, la fille aî- née de l'Eglise, ce qu'ils ont à craindre de la protestante Angleterre !

« Nous espérons, dit-il, que ces vaines espérances dont ils se flattent s'évanouiront bientôt par votre valeur; que, sujets du meilleur de tous les Rois, on ne pourra jamais vous en faire reconnaître un autre que celui qui a établi cette colonie, qui la soutient et qui la soutiendra. Toute autre domination vous paraîtrait d'autant plus odieuse que les peuples y sont accablés d'impôts. D'autres motifs plus élevés vous porteraient à résister avec courage à leurs plus opiniâtres attaques. . . La Religion seule nous animerait, nous soutiendrait et nous donnerait des forces. Pourrions- nous jamais consentir que nos enfants fussent élevés au milieu de l'hérésie, que nos églises fussent renversées, nos vases sacrés profanés ^^, les ministres du Seigneur proscrits, et nous-mêmes privés des sacrements augustes de la Reli- gion, sans lesquels il nous serait comme impossible de vivre chrétiennement ^ ? »

Certes, un évêque patriote et dévoué comme M^ de Pontbriand méritait bien, ce semble, que la Cour écoutât avec bonté l'humble supplique qu'il lui avait adressée pour

32. " Les Anglais nous menacent de venir assiéger Québec l'année prochaine (1746), ils font des préparatifs pour cela; et on se dispose ici a les recevoir. (Lettres de la Sœur Duplessis).

33. " Les Anglais ont pillé plusieurs établissements français vers l'em- bouchure du fleuve Saint-Laurent, et leur impiété leur a fait profaner les vases sacrés d'une église qu'ils avaient brûlée." (Ibid).

34. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 44, 20 juin 1745.

loo l'église du canada

obtenir quelques secours pour le rétablissement de sa cathé- drale. Les temps étaient mauvais, il est vrai, et dans l'an- cienne et dans la nouvelle France. Mais, comme il le dit lui-même, « les bonnes œuvres ne devaient-elles pas se multi- plier à proportion que les conjonctures étaient plus tristes? ^> Eh bien, à l'humble demande qu'il avait fait présenter à la Cour par l'abbé de l'Ile-Dieu pour obtenir une aide de vingt-cinq mille francs, il fut répondu sèchement :

(( Il est assez extraordinaire qu'on se soit déterminé, dans des conjonctures aussi peu favorables pour les dépenses, à entreprendre d'agrandir la cathédrale de Québec. En tout cas, le Roi ne peut contribuer à ces dépenses -^. »

Le pieux Evêque en fut quitte pour se tourner vers ses bons Canadiens, sur lesquels il avait toujours compté avant tout, et dont il avait admiré, dans ses visites, « le zèle pour la décoration des églises. » On est touché aux larmes en lisant le beau mandement il leur rappelle les principaux souvenirs que leur offre la vieille église de Québec, et spé- cialement ceux de M^^ de Laval et de ses pieux collabora- teurs du Séminaire :

« Vous n'ignorez pas, Nos Très Chers Frères, dit-il, la nécessité nous avons été de faire entreprendre la cons- truction de réglise de Québec, dont la charpente menaçait une ruine prochaine... L'ouvrage est déjà avancé. La dépense faite se monte à près de quarante mille livres. Nos fonds sont épuisés, et nous ne voyons presque aucune res- source. Des personnes respectables nous ont assuré que les fidèles de notre diocèse contribueraient de grand cœur à cette pieuse entreprise, si on leur en exposait les motifs: c'est ce qui nous détermine à vous les mettre devant les yeux, ce que nous faisons d'autant plus volontiers que nous avons connu dans nos visites votre zèle pour la décoration des temples du Dieu vivant.

35. Rapport. . . pour IÇ05, p. 67.

sous M^ DE PONTBRIAND lOI

« Il s'agit du premier qui a été élevé dans cette colonie eu son honneur, et qui est comme le berceau la Religion a pris naissance. C'est oii les premiers Français, vos ancêtres, se sont consacrés au Seigneur ; il en renferme encore les ossements, qui vous invitent à contribuer au bâtiment de cette église. Elle est plus à portée que les autres d'être vue par les étrangers, qui seront édifiés s'ils la voient dans un état convenable. . . Elle est consacrée au Tout-Puissant sous l'invocation de la Très-Sainte Vierge, protectrice spéciale de ce diocèse ; c'est sous le titre de son Immaculée Conception, titre qui lui est infiniment hono- rable : c'en est assez pour animer le zèle des véritables serviteurs de Marie. En est-il un seul parmi vous, Nos Très Chers Frères, qui ne se fasse honneur de cette glorieuse qualité?

« Elle renferme encore, cette église, des reliques pré- cieuses, auxquelles ce diocèse a eu si souvent recours, et toujours avec succès ^^. . . C'est dans cette église que sont inhumés les premiers apôtres du Canada, qui ont élevé la jeunesse, qui ont formé des prêtres pour les répan- dre dans les campagnes, qui ont fondé des places pour leur instruction : places qui subsistent encore et sans lesquelles il nous serait impossible de fournir des curés aux paroisses. Il me semble que ces illustres fondateurs demandent aujourd'hui que par reconnaissance vous preniez soin de cette église qui leur a toujours été précieuse et oii reposent leurs corps.

« D'ailleurs l'endroit nous sommes à présent réduit *^ ne permet pas de célébrer les divins mystères avec la pompe

^ 36. Il s'agit surtout ici des reliques des saints martyrs Flavien et Féli- cité, qui étaient souvent exposées, et portées en procession dans les églises de la ville. (Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 31, 33, 36, 114). 37. L'église des Récollets, qui servait temporairement de cathédrale.

I02 I^'ÉGLISE DCJ CANADA

et la décence convenables ; plusieurs ne peuvent assister aux instructions, faute de place. Ne doit-il pas être bien consolant pour vous de pouvoir contribuer à la gloire de Dieu et au salut du procbain? C'est sûrement ce que vous ferez en contribuant à la perfection de cette église ^^. »

Le Prélat expose ensuite à ses diocésains ce qu'est pour eux, comme cathédrale, l'église paroissiale de Québec; puis il ordonne une quête générale qui sera faite dans toutes les paroisses de son diocèse ; et il exhorte les curés à la faire eux-mêmes.

La quête rapporta environ dix mille livres, somme rela- tivement considérable, si l'on considère la période de détresse que venait de traverser la colonie, insuffisante, toutefois, pour le parachèvement de la cathédrale. M^^ de Pontbriand se vit obligé de faire un nouvel appel à ses ouailles, cette fois sous forme d'invitation « à fonder des messes dans la cathédrale de Québec ». De concert avec M. de La Galissonnière, qui venait de remplacer M. de Beauharnais, et avec M. Hocquart, « que je vois partir avec regret ^^ », disait-il, le Prélat autorisa la Fabrique de Qué- bec à se charger de cent cinquante messes de fondation. Le capital requis pour la fondation d'une messe à perpé- tuité était de quatre-vingt-dix francs. On donnait « contrat en bonne forme » aux fondateurs de chaque messe : « étant annoncée au prône des grand'messes, disait le Prélat, elle les fera regarder comme bienfaiteurs de l'église, et elle en- gagera jusqu'à la fin des siècles les fidèles à prier pour

eux *^. M

Le saint Evêque était vraiment inlassable dsns sa re- cherche des expédients les plus propres à lui procurer les

38. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 57, 22 janvier 1748.

39. Corresp. générale, vol. 92, lettre au ministre, 9 octobre 1748.

40. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 60, 16 juillet 1748.

sous M»^ DE PONTBRIAND IO3

ressources nécessaires pour terminer son église. Ses efforts furent couronnés de succès, M. de Léry écrivait au mi- nistre le 28 octobre 1748 :

« La cathédrale, qui sert de paroisse, sera finie au 15 du mois prochain. Elle est deux tiers plus grande que l'an- cienne. On a trouvé une inscription dans les fondements: il y avait quatre-vingt-seize ans qu'elle était faite. C'était M. de Montmagny qui était gouverneur dans le temps *^ Elle est faite comme celles de France, avec nef, bas-côtés et tribunes . . Elle est fort claire, y ayant trente-six grandes croisées "*-... »

« Je me suis considérablement endetté, écrivait également M^^ de Pontbriand, pour finir l'église cathédrale et parois- siale de Québec. Je compte que nous y serons vers la Toussaint. Je prévois encore beaucoup de dépenses. Mes visites, que je compte recommencer l'année prochaine, me coûteront plus de quatre mille livres. Depuis que je suis dans ce pays, la famine, la guerre se sont fait sentir. M. Hocquart peut vous dire si mon revenu est suffisant *^. . . »

L'église, telle que reconstruite, se trouvait allongée de trente pieds du côté du chœur ; et par conséquent les restes mortels du vénérable M^^ de Laval et de M^"^ de Lauberi- vière. qui avaient été inhumés « l'un à côté de l'autre, » e premier en 1708, le second en 1740, « dans le chœur de ^ancenne église, au-dessous de la première marche du grand autel », se seraient trouvés « dans la nef » de la nou velle église, si on les avait laissés ils étaient. Il fut donc décidé qu'il fallait les exhumer, pour les mettre « dans la même ordre qu'ils étaient auparavant », de manière qu'ils fussent encore « à un pied et demi au-dessous de la première

41. Il fut gouverneur du Canada, de 1636 à 1648.

42. Corespondance générale, vol, 92.

43. Corresp. générale, vol. 92, lettre au ministre, 9 octobre 1748.

ÎT&

104 L'EGLISE DU CANADA

marche du grand autel dans le milieu du chœur de l'église nouvellement bâtie ».

La cérémonie eut lieu le 24 septembre 1748, «sur les trois heures après-midi, » sous la présidence de M. de La Ville-Angevin, « chanoine théologal et officiai de Québec, » assisté des chanoines Godefroi de Tonnancour et Poulin, « MM. les autres chanoines, duement avertis, n'ayant pu s'y trouver. « M. de La Ville-Angevin bénit la fosse, chanta le Libéra avec les oraisons convenables, puis dressa du tout un procès- verbal, dans lequel on lit ce qui suit :

(( Avons pris et retiré trois os des vertèbres du corps de mon dit Seigneur de Lauberivière, par ordre exprès de mon dit Seigneur de Pontbriand, évêque de Québec, en présence des dits MM. les chanoines, du sieur LeBansais, faisant les fonctions curiales dans la dite église, du sieur Roussel, ancien marguillier, et préposé à la construction de l'édifice de la dite nouvelle église, et de plusieurs per- sonnes auxquelles nous avons déclaré publiquement que par l'ordre de mon dit Seigneur de Pontbriand nous ne prenions les dits trois os des vertèbres du corps de mon dit» Seigneur évêque de Lauberivière que pour les remettre à Sa Grandeur ^*. »

M°^ de Pontbriand s'était entendu avec le Chapitre pour la manière de poser le maître-aute) et les stalles du chœur.

Le Chapitre, qui lui avait déjà donné deux cents francsj au commencement des travaux '*^, décida d'offrir encore « à M^^ l'Evêque ou au marguillier en charge >^ la somme de six cent soixante-douze livres, pour l'église, « par reconnais- sance des grandes libéralités, soins et gracieuses manières de mon dit Seigneur évêque, qui s'épuise, disent les cha- noines, pour orner son église ».

44. Registre du Chapitre.

45. Ibid., assemblée du 13 octobre 1745.

sous M^r DE PONTBRIAND I05

La séance cette résolution fut prise était la première qui se tenait « depuis l'entrée dans la nouvelle église ». Elle eut lieu « dans la Chambre du Chapitre au-dessus de la sacristie », et c'est qui se tinrent désormais les assem- blées des chanoines.

Nous avons vu que les RR. Pères Récollets, pendant les travaux de la reconstruction de la cathédrale, avaient mis généreusement leur église à la disposition de l'Evêque, du Chapitre et de la paroisse. L'office paroissial s'y fit pour la dernière fois le premier décembre (1748), qui se trouvait être le premier dimanche de l'Avent. « En prenant congé des révérends Pères, et sortant de leur église, pour retourner à l'église cathédrale, » M. de La Ville- Angevin, « à la tête du Chapitre et du Clergé », leur adressa le compliment suivant :

« Mes Très Révérends Pères, C'est avec toute la sincé- rité possible que nous vous remercions de l'honnêteté que vous avez eue pour nous, en nous recevant dans votre église, des bons et agréables services que vous nous avez rendus. Nous avons tous été édifiés de vos gracieusetés, de votre charité et de vos vertus. Nous en conserverons toujours et la mémoire et la reconnaissance, et nous cher- cherons à notre tour et saisirons toutes les occasions de vous en donner des marques. Pour cela, nous le porterons sur nos registres, afin que ce soit et pour nous, et pour ceux qui nous succéderont un mémorial éternel, qui en- tretienne et fortifie toujours la paix et l'union entre les deux corps, et qui les engage à prier continuellement l'un pour l'autre, pour qu'ils puissent se réunir un jour dans la demeure éternelle du Père commun de tous, à laquelle nous aspirons tous. Ainsi soit-il ^^, »

De son côté, M°^ de Pontbriand, voulant témoigner sa

46. Registre du Chapitre, assemblée du 13 décembre 1748.

I06 l'église du CANADA

reconnaissance aux bons Pères Récollets, résolut de con- sacrer solennellement leur église. L<a cérémonie eut lieu, avec un grand concours de peuple, le ii mai 1749; et Pautorité militaire prêta son concours pour la rendre encore plus brillante et plus solennelle :

« On a tiré du canon pendant la messe, dit une chronique, et au salut une salve de vingt et un coups ^l »

* *

La cathédrale de M»^' de Pontbriand, sans être un chef- d'œuvre, était belle, du moins pour l'époque :

« Vous trouverez une nouvelle et belle église, dont vous serez content,» écrivait un chanoine à l'un de ses confrères alors en France ^^.

On y réinstalla, cela va sans dire, le trône de l'Evêque, qui était le plus bel ornement de l'ancienne cathédrale, et qui avait été « donné par le Roi » ^^.

En 1753, on plaça dans l'église de magnifiques orgues, fabriquées à Paris sur l'ordre du chanoine de La Corne, au nom du Chapitre de Québec, pour lesquelles M^^ de Pont- briand, dans son inépuisable générosité, avait souscrit douze cents francs :

(( Je n'ai pas reçu l'orgue, écrivait à ses confrères M. de La Corne, sans l'avoir fait visiter et toucher par un habile organiste, qui est celui même uu roi de Pologne ^^. »

Ce nouvel orgue ajoutait encore de l'éclat à la nouvelle cathédrale de M^^ de Pontbriand ^^

47. Journal des Jésuites, cité dans UAheilîe, vol. XI, p. 42.

48. Recherches historiques, vol. XIV, p. 201, lettre de M. de La Ville- Angevin au chanoine De Gannes-Falaise, 30 octobre 1748.

49. Ihid., p. 362.

50. Ihid., p. 361. .

51. Nous avons cherché en vain dans les documents quel était l'orga- niste, à cette époque. Nous croyons cependant que c'était M. Resche, et

sous M^^ DE PONTBRIAND IO7

Mais ce qui faisait sa. principale beauté, aux yeux du Prélat, c'est que toute la colonie y avait contribué: les communautés religieuses elles-mêmes avaient donné leur obole. Il y a à ce sujet un petit détail que nous ne vou- lons pas omettre, parce qu'il nous reporte aux beaux jours, aux jours héroïques de Marie de l'Incarnation. On sait que cette sainte religieuse aimait à travailler pour les églises, à leur procurer des ornements, à parer leurs autels ; et elle a transmis à ses Filles cette généreuse disposition, comme un précieux héritage. Non seulement les Ursu- lines avaient offert, comme les autres communautés, leur obole pour la reconstruction de la cathédrale de Québec, mais elles « avaient contribué par leurs travaux de peinture et de dorure à l'ornementation du chœur et de la chaire » IvC Chapitre crut devoir les remercier d'une manière spé-, ciale, et dans un document écrit ^^, qu'il leur envoya porter par un de ses membres, M. de Tonnancour, leur exprima sa reconnaissance pour avoir travaillé à l'embellissement de la cathédrale ^^.

A la demande du Chapitre, les Ursulines avaient peint le portrait de M^^ de Pontbriand, et les chanoines se fai- saient fête de le lui présenter, à la première occasion favo- rable. Le portrait était rendu chez M. de La Ville-Ange- vin, et le vénérable Théologal avait déjà préparé son compliment, lorsque l'Evêque entra subitement dans sa chambre, et aperçut la peinture. M. de La Ville-Angevin dut s'exécuter de suite, et dit au Prélat que ce portrait

que c'est précisément pour cela qu'il avait été nommé chanoine l'année précédente. Il était un des principaux musiciens de Québec, la musi- que a toujours été en honneur.

52. Ce document, en date du 13 décembre 1748, était signé par cinq chanoines, les seuls qu'il y eût alors à Québec: La Ville- Angevin, De Tonnancour, Poulin, Briand et La Corne.

53. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 255. Registre du Chapitre, séance du 13 décembre 1748.

I08 I^'ÉGUSE DU CANADA

était un don du Chapitre, qui priait Sa Grandeur de vou- loir bien Paccepter comme marque de sa reconnaissance : « Je suis mortifié, ajoutat-il, que mes confrères ne soient pas présents ; je suis mortifié surtout que le portrait ne soit pas plus parfait, mais c'est le meilleur, sans doute, que nous pouvions faire exécuter dans ce pays. Il est très bien, répondit le Prélat, et je suis très reconnaissant du présent que me fait mon Chapitre. »

Les Ursulines, du reste, qui étaient convenues avec les chanoines d'une certaine somme pour peindre ce portrait, ne voulurent pas l'accepter, « trop heureuses, disaient-elles, d'avoir cette occasion d'exprimer, nous aussi, notre recon- naissance envers notre digne Prélat » ^^.

54. Registre du Chapitre, séance du 7 mars 1749.

CHAPITRE XI

M^ DE PONTBRIAND ET I.ES FORTIFICATIONS DE QUEBEC. LA TRAITE DE L'EAU-DE-VIE

Malentendus au sujet des Fortifications de Québec. Lettre de INIgr de Pontbriand ; ses propositions. Franquet et les Canadiens. Sen- timents de l'Evêque sur la Traite de TEau-de-Vie. Droits sur les boissons, augmentés.

LA parcimonie que la Cour de France avait montrée pour la reconstruction de la cathédrale de Québec par- cimonie qui n'était que la conséquence de la fameuse guerre de la Succession d'Autriche éclata encore davan- tage dans une autre occasion, qui fit ressortir au contraire le patriotisme de l'évêque et de son clergé. Sitôt que l'on apprit à Québec le siège de Louisbourg, sa reddition aux Anglais le 17 juin 1745, et la menace qu'ils faisaient de s'emparer du Canada l'année suivante ^, les citoyens se réunirent, le 12 août, sous la présidence du gouverneur, qui avait convoqué l'assemblée, et décidèrent à l'unanimité qu'il fallait entourer la ville d'une enceinte de fortifica- tions. I^es travaux commencèrent sans délai, et au bout d'un an il y avait déjà deux cent mille francs de dépensés ^ Lorsque le Roi apprit la décision prise dans l'assemblée de Québec, il exprima un vif mécontentement, et fit écrire par le ministre Maurepas à MM. de Beauharnais et Hoc-

1. Louisbourg en 1745, p. 69.

2. Corresp. générale, vol. 85, lettre de Hocquart au Ministre, 18 sep- tembre 1746.

IIO I^'ÉGLISE DU CANADA

quart, le 17 mars 1746 ^, de faire cesser immédiatement les travaux, puis de convoquer une nouvelle assemblée « com- posée des principaux officiers de la colonie ainsi que des principaux habitants de la ville », pour décider « s'il ne serait pas plus convenable et plus avantageux de démolir ce qui avait été fait, que de continuer une entreprise aussi dispendieuse.

(( S'il est décidé, ajoutait le ministre, que la fortification doit être continuée. Sa Majesté veut que dans la même assemblée il soit délibéré sur l'imposition à faire pour y parvenir. »

C'était dire que le Roi, engagé dans les guerres euro- péennes, se désintéressait de la conservation de sa colonie, et laissait aux Canadiens à se protéger eux-mêmes, s'ils voulaient rester Français! C'était le commencement de la fin!

Beauharnais convoqua pour le 26 juillet l'assemblée exigée par la Cour, et écrivit en même temps aux princi- paux habitants de Montréal et des Trois-Rivières pour avoir leur avis par écrit. Les citoyens de Québec et un certain nombre de forains, réunis le 26 juillet sous la prési- dence du gouverneur, demandèrent quelques jours pour réfléchir sur la question de l'imposition qui leur était propo- sée, puis s'assemblèrent de nouveau le 30 juillet. Presque tous les militaires de la colonie, comme on pouvait s'y attendre, votèrent pour que l'on continuât coûte que coûte les fortifications ; mais la plupart des négociants et autres bourgeois de la colonie, même ceux qui avaient demandé les fortifications l'année précédente, ne voulant pas d'impo- sition spéciale et directe poui les payer, votèrent pour leur démolition : un certain nombre cependant se rallièrent aux militaires et se déclarèrent pour la continuation des travaux

3. Rapport. . . pour 1905, p. 68.

sous M^^' DE PONTBRIAND III

au moyen d'une taxe spéciale ; et le Clergé canadien, repré- senté dans cette assemblée par PEvêque, le Chapitre, le Séminaire et les Jésuites, fut aussi de cette opinion, décla- rant qu'ils étaient prêts à tous les sacrifices pour la protec- tion et la défense du pays ^.

La Cour, en cette occasion comme en bien d'autres, ne s'était pas expliquée assez clairement ; la crainte de s'enga- ger dans une dépense extravagante avait obscurci sa pensée, et la note du ministre s'en était sentie : elle montrait de l'in- décision. C'est ce que M^^ de Pontbriand ne craignait pas d'insinuer à celui-ci :

« Je me crois obligé de vous marquer, écrit-il, que la li- berté que vous avez donnée de continuer ou de démolir les fortifications a eu un effet tout contraire à vos intentions. Le partage de sentiments, surtout dans les temps critiques, me paraît à craindre. L'idée de la taille qu'on n'a que trop répandue a fait un mauvais effet ; et si vous vous déterminez à les faire continuer, et que vous exigiez que ce soit aux frais de la colonie, permettez-moi de vous re- présenter qu'une taxe sur les boissons enivrantes, et même, si on veut, sur les marchandises, de soie principalement, ne fera crier personne. En ce cas, il paraîtrait juste que Montréal fût déchargée de ce qu'elle paie pour ses forti- fications. Quand j'ai vu les esprits s'échauffer, j'ai cru devoir demeurer à l'extérieur dans une parfaite neutra- lité. Je puis ajouter que j'ai cent fois admiré dans cette occasion l'extrême prudence de M. le marquis de Beau- harnais ^ »

Il est évident que M^^ de Pontbriand avait mieux saisi la pensée de la Cour, dans toute cette affaire, que Beau- harnais et Hocquart. Ce n'est pas la cessation des forti-

4. Corresp. générale, vol. 85, Procès-verbal d'une assemblée au sujet des fortifications de Québec, 26 juillet 1746.

5. Corresp. générale, vol. 86, lettre du 10 novembre 1746.

)c^

112 L'EGLISE DU CANADA

fications qr 'elle demandait : au contraire, elle voulait que les travaux fussent poussés avec vigueur, pourvu que ce fût aux frais de la colonie. On n'avait pas trop d'argent, là-bas, pour la guerre de la Succession d'Autriche. Le gouverneur et l'intendant l'apprirent à leurs dépens par une lettre assez verte que le ministre leur adressa de Ver- sailles le 23 janvier 1747:

(( Le Roi n'approuve pas, disait-il, votre indécision con- cernant les travaux aux fortifications. Il s'en rapportait à vous pour la cessation ou la continuation de ces travaux, à condition que, si vous décidiez de les faire, la dépense en serait supportée par la colonie. Vous avez poursuivi ces travaux, mais sans grande vigueur. Il fallait ou ne rien faire, ou agir avec ardeur ^. »

M. de Léry, qui conduisait ces travaux, en même temps que ceux de la cathédrale, ayant écrit à la Cour à ce sujet :

(f Qu'il ne soit plus question, lui répond le ministre, de de ce qui s'est passé au sujet de l'entreprise des fortifications de Québec ; le Roi a approuvé qu'elles soient continuées ^.jj , Non seulement elles furent continuées et menées à bonne fin, mais on prit la peine d'envoyer un ingénieur de France pour les examiner et les approuver ^.

Cet ingénieur était M. Franquet. Il vint ici en 1752, parcourut notre pays, et adressa à la Cour des mémoires très intéressants sur son voyage, il se montre généra- lement sympathique aux Canadiens : «Ils sont généreux et obligeants », écrit-il. Esprit fin et observateur, il note avec soin tout ce qui le frappe dans son voyage, de ville en ville, de paroisse en paroisse. A Lavaltrie, par exemple, un dimanche matin, il entre dans un restaurant pour y dé- jeuner:

6. Rapport. . .pour IÇ05, p. 80.

7. Ihid., p. 100.

8. Ihid., p. 142.

sous M^"" DE PONTBRIAND II3

« Mais avertis que la messe allait commencer, dit-il, nous sortîmes pour l'entendre. En avant du portail de l'église, étaient plusieurs chevaux attachés à des piquets équar- ris. . . Curieux de savoir à qui ces chevaux appartenaient, on répondit qu'ils étaient aux fistons des paroisses, que chacun d'eux y entretenait son piquet, qu'on nommait tels les jeunes gens qui, dans leur accoutrement, portaient une bourse aux cheveux, un chapeau brodé, une chemise à manchettes et des mitasses aux jambes, et avaient dans cet équipage droit de conduire en croupe leurs fiancées à l'église. »

Il n'approuvait évidemment pas les maisons d'éducation trop relevée, à une époque surtout oii il importait de gar- der le plus de monde possible dans les campagnes et de les intéresser au travail des champs :

« Une fille instruite fait la demoiselle, dit-il, elle est maniérée, elle veut prendre un établissement à la ville, il lui faut un négociant et elle regarde au-dessous d'elle l'état dans lequel elle est née. Mon avis serait. . . d'obli- ger les enfants à se contenter de l'instruction de leur curé pour la religion, et de ne prendre aucuns principes qui les détournent du travail de leur père. Par ce moyen les habitations augmenteront, au lieu de diminuer, et la cul- ture des terres se poussera avec plus de vigueur. «

Au Lac des Deux-Montagnes, Franquet est reçu par les Sulpiciens avec la plus aimable cordialité. C'était le soir :

w On sonna la prière, dit-il. Je me rendis à l'église, était déjà un grand concours de monde. Le prêtre ayant entonné une hymne, les sauvages se mirent à chanter en leur langue : jamais choeur de religieuses ne forma un chant plus doux, plus sonore et plus d'accord. Elles sont assises sur les jambes, et ne causent, ni par leurs mouve- ments, ni par leurs gestes, et encore moins par leurs lan- gues, le moindre scandale et la moindre indécence. » I

114 l'église du canada

Le doyen des Sulpiciens du Canada, M. Maurice Quéré de Fréguron, se trouvait alors au Lac des Deux-Mon- tagnes :

H A souper, dit Franquet, se trouva l'ancien de MM. les Sulpiciens, blanc comme un cygne, âgé de quatre-vingt onze ans, missionnaire chez les différentes nations, depuis soixante-deux ans et plus, mangeant comme le plus fort de nous de tout indifféremment, sans la moindre incommo- dité, lisant sans lunettes comme à quinze ans, une mémoire charmante, racontant avec un discours aussi badin que fleuri, et discourant sur les mœurs, coutumes, façons et politique des sauvages. »

*

M^^ de Pontbriand avait proposé au gouvernement comme un des moyens les plus pratiques et les moins oné- reux pour les Canadiens, une taxe spéciale sur les bois- sous enivrantes, afin de se procurer les ressources néces- saires pour payer les travaux des fortifications. C'était aussi, disait-il, un moyen efficace d'entraver et de res- treindre le commerce de l'eau-de-vie. En effet, comme tous ses prédécesseurs, il était très opposé à ce commerce, surtout avec les sauvages. Ecrivant un jour à la Cour à à ce sujet :

(( Ce n'est pas un coup d'eau-de-vie donné aux sauvages qu'on a prétendu défendre, par ci-devant, disait-il, mais seulement la traite de l'eau-de-vie en bouteilles et en barils qu'on leur donne à emporter avec eux. Voilà le seul article qui nous fait peine, et qui a été défendu par tous mes prédécesseurs, défendu même par la puissance sécu- lière et par Sa Majesté. Il ne s'agit que de savoir si en conscience on peut faire ce commerce d'eau-de-vie en bou- teilles ou en barils. Si on ne peut le faire, l'intérêt tem-

sous M*^'" DK PONTBRIAND II5

porel d'une colonie, qui ne sera jamais plus forte que lorsque Dieu la protégera, ne sera pas un motif suffisant pour excuser la traite de l'eau-de-vie. Or il paraît certain, non seulement par la décision de plusieurs docteurs de Sorbonne, mais encore par expérience, que cette traite d'eau-de-vie en baril est absolument contraire au christia- nisme.

« Il est notoire, et j'en suis assuré par tous les mission- naires que j'ai entretenus, et plusieurs officiers, que les sau- vages ne savent point boire modérément, et que quand ils sont maîtres ils en boivent toujours ou presque toujours jusqu'à s'enivrer, et même qu'au lieu de la partager, ils s'en privent volontiers, pour que quelqu'un d'entre eux puisse se mettre dans cet état malheureux. Si ce fait est certain, ce dont je vous crois informé, il s'en suit évidem- ment que personne ne peut absoudre ceux qui traitent ainsi de l'eau-de-vie, quand même il n'y aurait aucune défense de la part des évêques, parce qu'il n'est pas permis de faire une chose dont il s'en suit nécessairement un péché, parce que c'est concourir évidemment à l'ivresse des sauvages. . .

« Je voudrais de tout mon cœur que la religion pût s'ac- corder ici avec les intérêts de la colonie, et que l'on pût traiter de l'eau-de-vie sans péché. Je serais même très charmé si les plus habiles docteurs pouvaient m'ôter les scrupules que je puis avoir sur cet article. Comme je n'ose espérer des défenses expresses et générales, je vous suplie au moins, monsieur, d'en faire sous des peines rigou- reuses à l'égard des sauvages chrétiens, et des autres lorsqu'ils sont dans les trois gouvernements de Québec, de Montréal et des Trois-Rivières ^. . . »

Le Prélat ajoutait, dans une autre occasion : '

« Il me semble que la traite de l'eau-de-vie est le plus

9. Corresp. générale, vol. 78, lettre au ministre, 22 août 1742.

Il6 I^'ÊGUSE DU CANADA

grand obstacle pour gagner les sauvages, et du côté des Illinois, et dans nos quartiers. Toutes les connaissances que j'acquière me persuadent qu'elle n'est nullement né- cessaire au commerce, qu'elle est dangereuse, et qu'on gagnerait plus facilement les sauvages si elle n'était point établie ^^. >)

Voici, d'après Beauliarnais et Hocquart, la quantité de liqueurs qui entrait annuellement au Canada, à l'époque qui nous occupe (1746) :

« Il entre, année commune, en Canada, écrivent-ils au ministre, deux mille cinq cents barriques de vin, vingt- cinq à trente mille veltes d'eau-de-vie, et quinze à dix-huit cents barriques de guildive. » Puis ils ajoutent : « On peut fixer le droit sur le vin à douze francs par barrique, au lieu de neuf; celui sur l'eau-de- vie à vingt-quatre francs par velte, au lieu de seize francs, huit sous ; et sur la guil- dive à vingt-quatre francs par barrique, au lieu de quinze francs. Ce droit extraordinaire donnerait produit par an de trente à quarante mille francs ^^ »

Il est évident que Beauliarnais et Hocquart, eux aussi, comme M^^ de Pontbriand, avaient proposé à la Cour d'imposer une taxe spéciale sur les boissons enivrantes pour défrayer les dépenses des fortifications. Le Conseil d'Etat rendit un arrêt, le 23 janvier 1747, en conformité de la proposition de l'évêque, du gouverneur et de l'inten- dant ; et cet arrêt fut enregistré au Conseil Supérieur le 26 juin de la même année. M»"" de Pontbriand était pré- sent à la séance. Le Conseil d'Etat ordonnait « une aug- mentation pour trois ans sur les droits d'entrée de vin, eau-de-vie et guildive ^'K »

10. Corresp. générale, vol. 86, lettre au ministre, 10 novembre 1746.

11. Ibid., vol. 85, lettre du 10 octobre 1746.

12. Registres du Conseil Supérieur.

sous M^*" DE PONTBRIAND II7

Nous ne savons si cette augmentation fut continuée par la suite. Ce qui est certain, c'est qrl'à partir de cette date la Cour ne cesse de se plaindre des dépenses toujours croissantes de la colonie :

« Travaillez à les réduire, écrit le ministre au gouver- neur et à l'intendant, sans quoi on ne pourra y faire face ^^. »

Et pour la traite de l'eau-de-vie, jamais M^^' de Pont- briand ne put obtenir plus que ses prédécesseurs :

({ Sur la traite de l'eau-de-vie, lui écrit en 1753 l'abbé de l'Ile-Dieu, impossible de dissuader la Cour de sa nécessité. On convient des abus et de l'excès l'on porte cette traite ; on se contente de dire qu'on donne tous les ans des ordres, et qu'on en donnera encore de nouveaux pour réprimer les premiers et diminuer le second ; qu'il faut s'adresser au gouvernement ^*. »

13. Rapport. .. pour 1905, p. 150.

14. Archives de l'archevêché de Québec, Corresp. de l'abbé de l'Ile- Dieu, lettre du ler avril 1753.

CHAPITRE XII

M^ DE PONTBRIAND ET LES CANADIENS. SES RAPPORTS AVEC MM. DE BEAUHARNAIS ET HOCQUART

Mgr de Pontbriand aime les Canadiens. Affaire du Grand-Pré ; belle lettre de l'Evêque. M. de Lusignan. M. de Varennes. M. de Lotbinière. L'abbé de Beaujeu. Le chanoine La Corne, con- seiller-clerc. — Service pour M. de Beauharnais, chez les Récollets. Rapports de l'Evêque avec M. de Beauharnais; avec M. Hoc- quart.

SI M^^ de Pontbriand avait proposé à la Cour, pour dé' frayer le coût des Fortifications de Québec, d'imposer une nouvelle taxe sur les boissons enivrantes, plutôt que sur des objets de nécessité pour la vie, c'est qu'il aimait les Canadiens: il les aimait comme ses enfants; il leur était attaché, comme le fut plus tard M. de Vaudreuil ; il crai- gnait de les voir pressurés par des impôts intolérables. Il serait difiBcile de mieux démontrer son affection pour les Canadiens que par des exemples. Bien que les récits mili- taires n'entrent pas dans le cadre de cet ouvrage, nous croyons devoir citer ici ce qu'écrivait à la Cour le digne Prélat au sujet du coup hardi des Canadiens au Bassin des Mines, en Acadie, dans l'hiver de 1747.

On sait que M. de Beauharnais, en vue d'augmenter les forces du duc d'Anville, qui venait avec une flotte consi- dérable pour reprendre Louisbourg et l'Cle-Royale, avait envoyé à sa rencontre un corps de sept cents miliciens,

l'églisk du canada sous ms^ de pontbriand 119

qui devaient se joindre aux troupes régulières de France \ Notre petite armée était sous les ordres de M. de Raniesay, assisté de plusieurs autres officiers canadiens ^. La flotte du duc d'Anville ayant été dispersée par les tempêtes, et une maladie épidémique ayant fait périr une partie de ses troupes, six cents Canadiens, venus en Acadie pour sou- tenir l'expédition, la voyant manquée, se retirèrent à Beau- bassin, et y prirent leurs quartiers d'hiver. Le 11 février 1747, trois cents d'entre eux attaquèrent au Grand-Pré 3 le colonel Noble, qui avait sous ses ordres cinq cents hommes, et remportèrent une brillante victoire. M^^ de Pontbriand écrit au ministre :

« Le coup que le détachement canadien a fait aux Mines fait craindre les Anglais, attache les Acadiens. M. de Ramezay, commandant, ne pouvait s'y rendre ; mais il donna des ordres prudents, et sut choisir, M. Coulon *, capitaine, y a soutenu sa réputation. Une blessure, dont il se ressentira encore longtemps, le mit bientôt hors de combat. Par bonheur, M. le chevalier de La Corne, aussi

1. "Le 3 juin 1746, six des bâtiments destinés pour transporter le détachement des milices du Canada à l'Acadie, composé de 700 hommes, y compris 21 officiers des troupes, mirent à la voile à 9 heures du matin, dans la rade de Québec, sous les ordres de M. Coulon, capitaine second du détachement, pour aller attendre au Pot-à-l'eau-de-vie le navire Le Tourneur, dans lequel M. de Ramesay, commandant général, était em- barqué.

" Le sieur Du Hamel, capitaine, lui ayant représenté que le vent était trop faible pour appareiller, nous allâmes mouiller à l'Ile-aux-Oies, à douze lieues de Québec." (Corresp. générale, vol. 87, Extrait du journal de M. de Beaujeu, 7 novembre 1747).

2. "Liste des officiers canadiens du détachement: MM. de Ramesay, capitaine commandant ; Coulon,' le chevalier de La Corne, capitaines ; Saint-Pierre, Lanaudière, De Beaujeu, Saint-Ours, De Lignery, lieute- nants ; La Colombière, Péan, Repentigny, Courtemanche, La Ronde, Boishébert, enseignes en pied ; Gaspé, Belestre, le chevalier de Saint- Ours, fils, Montession, Le Mercier, Niverville, Lotbinière, enseignes en second." (Corresp. générale, vol. 87).

3. Les Français disaient " La Grand-Prée " ou les Mines. (Voir la carte de Surlaville).

4. Coulon de Villiers, frère de Jumonville.

I20 l'Église du canada

capitaine, et son second, fit des merveilles. On est heu- reux que l'Anglais, intimidé, demanda une capitulation, qui leur fut accordée, de l'avis des autres officiers.

« Le même M. de La Corne vient d'arrêter quelques sau- vages Agniers, qui commençaient à épouvanter les quar- tiers de Montréal ^ On se flatte que le coup aura d'heu- reuses suites. MM. de La Corne se distinguent beaucoup dans cette guerre.

w Je sais que MM. le général et l'intendant vous ren- dront un compte exact, et que pour animer de plus en plus les officiers, vous récompenserez MM. de Ramezay, Coulon et La Corne. Mais je crains qu'on oublie M. de Lusignan, fils, jeune officier qui fut blessé aux Mines, en deux endroits, avant M. Coulon, blessure dont il demeu- rera estropié, s'il en réchappe. Il est impossible d'exprimer ce qu'il a eu à souffrir. Ce qu'il y a de plus extraordi- naire, c'est que, nageant dans son sang, et voyant M. Cou- lon blessé, il disait aux Canadiens : « Mes aniis^ pour deux hommes morts ^ ne perdez pas courage ! ^^ M. son père est capitaine, et me paraît rempli de mérite ^. »

Qui ne serait touché de l'affection quasi paternelle du saint Prélat pour ce bon jeune officier Canadien, ou plutôt ce héros, fils d'un père qui, lui aussi, avait bien mérité de la patrie canadienne? M^^' de Pontbriand ajoutait:

« Nos milices canadiennes s'aguerrissent, et il paraît que M. Beau, aide-major de ce gouvernement, ne perd point les peines qu'il se donne pour les former. Il en est aimé et estimé. j>

Le jeune Lusignan reçut de la Cour une petite pension, que M. de La Galissounière ne trouvait proportionnée ni à ses besoins ni à son mérite :

5. Corresp. générale, vol. 89, Relation du chevalier de La Corne, Montréal, 8 octobre 1747.

6. Ibid., lettre an ministre, 10 juillet 1747.

sous M^^ DE PONTBRIAND 121

« La pension de cent cinquante francs, dit-il, que vous avez accordée au sieur Lusignan est bien modique. Ce jeune homme est estropié. Il est encore obligé de se servir d'une béquille, sa plaie étant devenue fistuleuse ; et il est à craindre qu'il ne puisse jamais parvenir à une parfaite guéri son. » ^

Voyez encore l'intérêt que porte M^^ de Pontbriand à un autre officier appartenant à une de nos plus anciennes et plus méritantes familles canadiennes, M. de Varennes. Cet officier, en garnison à Montréal, s'est rendu coupable d'une faute très grave contre la discipline ^, qui lui a valu la pri- son et la perte de son grade de capitaine. L,e bon Prélat va visiter le prisonnier, se sent touché de son sort, et sup- plie le gouverneur de lui accorder au moins son élargis- sement. Il l'obtient.

Mais la Cour n'est pas plutôt informée de la chose, qu'elle ordonne au gouverneur de remettre en prison le capitaine dégradé, et écrit en même temps à l'Bvêque pour le blâmer de son intervention inopportune. Le pieux Prélat de répondre humblement au ministre :

« Je ne puis m'empêcher de vous avouer, dit-il, que j'ai ressenti très vivement la disgrâce de M. de Varennes. J'appris qu'il était malade dans la prison. Je pensai qu'il était du ministère de charité que j'exerce, de représenter son état à M. le général. J'en obtins l'élargissement. Je m'en repens. Peut-être qu'une plus loitgue prison vous eût donné occasion de lui pardonner. Si cela était, je vous supplie, monsieur, de consoler cet affligé qu'un ser-

7. Corresp. générale, vol. 91, lettre au ministre, 14 septembre 1748.

8. Etant capitaine de garde, il avait refusé d'exécuter un décret de prise de corps contre son beau-frère, le docteur Sylvain (Sullivan) : ce qui avait permis à celui-ci de se sauver et d'éviter la prison. (Faillon, Vie de Mme d'Youville, p. 11). Sylvain avait eu de fâcheux démêlés aTec le juge Monrepos, et ce juge avait obtenu un décret de prise de corps contre lui.

122 l'Église du canada

vice trop officieux de ma part aurait rendu malheureux ^.

La disgrâce de M. de Varennes dura plusieurs années. Il ne fut réintégré capitaine qu'en 1750.

Voyez encore avec quelle bonté M^ de Pontbriand s'intéresse à l'avenir d'un autre jeune officier canadien, Michel Chartier de Lotbinière, fils du Doyen de sa cathé- drale :

« Quelque persuadé que je suis, dit-il, que je ne dois m'appliquer qu'à ce qui regarde mon diocèse, je ne puis refuser aux instances qui me sont faites de vous écrire en faveur de M. de Lotbinière, officier dans les troupes. Je suis en quelque façon excusable de m'intéresser pour lui, puisqu'il est fils du Doyen de la cathédrale. Il a d'ailleurs des qualités personnelles de l'esprit et du cœur. Il s'est appliqué avec soin aux mathématiques, et y a fait de grands progrès ^^. Il est actuellement à l'Acadie. Il a l'honneur d'appartenir à M. de Vaudreuil ". »

Lorsque quelque place importante dans notre Eglise canadienne venait à vaquer, MM. de Saint-Vallier et Dosquet, les prédécesseurs de M^"" de Pontbriand, ne croyaient pouvoir la remplir convenablement que par des Français. M^"^ de Pontbriand a bien un faible, lui aussi, pour les Français ; mais du moins il sait faire la part des Canadiens. M. Vallier, conseiller-clerc au Conseil Supé- rieur, vient de mourir (16 janvier 1747): il a assisté au Conseil pour la dernière fois le lundi 19 décembre. Sa mort est une grande perte pour le Séminaire, pour le Conseil, pour le pays tout entier.

9. Corresp. générale, vol. 82, lettre du 30 octobre 1744.

10. Voilà donc un des élèves du P. de Bonnécamps, qui a fait l'oh- jet de deux de nos études publiées dans les Mémoires de la Société Royale. Michel de Lotbinière fut aussi envoyé à La Fère, "pour prendre des notions d'artillerie". Il épousa en 1747 Louise Chausse- gros de Léry, et fut anobli par le roi de France en 1784.

11. Corresp. générale, vol. 86, lettre au ministre, 10 novembre 1746.

sous U^^ DE PONTBRIAND I23

Qui va le remplacer au Conseil Supérieur? M^^* de Pontbriand pense tout de suite à un jeune prêtre, actuel- lement à Paris, qni appartient à une de nos premières familles canadiennes. S'il lui offrait ou lui faisait offrir la place importante de conseiller-clerc, ne serait-ce pas un moyen sûr de l'amener à Québec ? Il a tant besoin de prêtres ! et il en a tant perdu depuis quelques années, par la mort, ou autrement ! M. Marquiron, M. Maufils, M. André, M. Plante, curé de Québec, M. Vallier, tous prêtres du Séminaire, enlevés par la mort à cette institution : MM. de Gannes-F'alaise, Fornel, Gosselin, partis pour la France, pour ne plus revenir, sans compter le vieux De l'Orme, qui y est depuis tant d'années, qu'il a supplié de revenir au pays natal, mais qui s'obstine à rester à Paris ^^ ! Le Prélat écrit au ministre :

« Je ne vois pour le présent personne qui puisse vous être présenté pour remplir la place de conseiller-clerc, vacante par la mort de M. Vallier, justement regretté par toute la colonie. Je presse M. l'abbé de Beaujeu, qui est à Paris, et de ce diocèse, de nous venir. Je serais disposé à lui donner des lettres de grand vicaire. Il pourrait occuper aussi cette place 13 . . . »

Il paraît que Paris avait, dès cette époque, des attraits dont il était malaisé de se déprendre. Ni les instances de M^^ de Pontbriand, ni celles de MM. de Beauliarnais et Hoc- quart, ne purent décider l'abbé de Beaujeu à venir habiter le Canada. Il avait sa mère et une de ses sœurs à Paris, son beau-frère à Versailles : il était là, pour ainsi dire, en famille, et n'avait d'ailleurs d'autre ambition que celle d'être un digne et saint prêtre. Les titres et les honneurs que lui offrait M^^ de Pontbriand ne le tentèrent pas: il

12. Recherches historiques, vol. XIV, p. 137.

13. Corresp. générale, vol. 89, lettre du 8 octobre 1747.

î-é^

124 VEGUSE DU CANADA

déclina Tinvitation de revenir au pays, qu'il avait quitté fort jeune. Quel dommage pour notre Eglise ! C'était, au témoignage des MM. de Saint-Sulpice de Paris, un homme « d'un très aimable naturel. » M. de Villars écrivait qu'il ((était très régulier, très aimable, fort estimé et estimable par l'esprit, par le cœur, et de bien des manières. » Il avait subi avec grand succès ses examens pour le Doctorat à l'Université de Paris: il est le ((premier Docteur en Théo- logie de la Nouvelle-France.» Qui sait si par sa douce influence, son aimable caractère et les ressources de son esprit il n'aurait pas réussi à épargner à l'Eglise de Québec bien des misères et des divisions qui l'affligèrent dans la deuxième partie de i'épiscopat de M^^ de Pontbriand? Il resta à Paris, y exerça avec zèle le saint ministère, et mourut à Saint-Sulpice en 1791 avec la réputation d'un saint ^*.

Ne pouvant compter sur l'abbé de Beaujeu, l'évêque, le gouverneur et l'intendant du Canada jetèrent les yeux sur un autre personnage canadien, pour lui offrir la place de conseiller-clerc au Conseil Supérieur, et ce Canadien fut heureux d'accepter :

(( Puisque M. l'abbé de Beaujeu ne veut pas venir dans ce pays, écrit au ministre M^^ de Pontbriand, je propose pour conseiller-clerc M. l'abbé de La Corne, chanoine de Québec. Il a de l'esprit et du talent, est homme de condi- tion, frère de MM. de La Corne, qui ont acquis tant

14. Dans son excellente Revue La Nouvelle-France, M. l'abbé Lin<i- say a écrit de magnifiques pages sur l'abbé de Beaujeu, "premier Doc- teur en Théologie " du Canada. Il possède d'ailleurs un précieux sou- venir de l'illustre abbé, un exemplaire de la Thèse qu'il eut à soutenir à la Sorbonne pour le doctorat. Cette thèse imprimée, est comme encadrée dans une admirable gravure, véritable œuvre d'art, probablement unique au Canada: l'abbé de Beaujeu l'avait envoyée à sa tante maternelle, la Mère de la Nativité, Marie-Anne Migeon de Bransac, supérieure des Ursulines de Québec. Les Ursulines l'offrirent gracieusement à M. Lind- say, il y a quelques années, alors . qu'il remplissait auprès d'elles les fonctions de chapelain.

sous M^'" DE PONTBRIAND

125

d'honneur dans cette guerre. Il serait à souhaiter que ce conseiller eût des appointements comme les autres ^^ »

Ces appointements n'étaient encore que de trois cents francs : « Cela suffit à peine, disait au ministre M^^ de Pontbriand, pour payer la voiture dont les Conseillers ont besoin pour se rendre au Palais. De plus, il leur faut des livres, il leur faut consulter des auteurs pour se mettre en état de remplir utilement leurs fonctions. » he Prélat insistait pour que les appointements fussent augmentés ^^ ; et les Conseillers lui durent en effet une augmentation de leurs honoraires.

M. de La Corne prit séance au Conseil le 8 septembre 1749, occupant, suivant le droit, la première place ensuite du « premier conseiller » Cugnet et du « doyen » Lanouiller ; puis il y assista assez régulièrement jusqu'à son départ pour la France dans l'automne de 1750. Il ne revint jamais au Canada, et l'on ne voit pas qu'il ait résigné sa charge. Il fut le dernier conseiller-clerc au Conseil Supé- rieur de la Nouvelle-France.

M^^' de Pontbriand n'assistait au Conseil qu'à de rares intervalles, dans les grandes circonstances, à peine une fois ou deux par année : de sorte qu'après la mort de M. Vallier, et surtout après le départ de M. de La Corne, jusqu'à la Conquête, l'Eglise canadienne ne fut pas repré- sentée, de fait, au Conseil Supérieur.

M. de La Corne y était encore, cependant, le lundi premier décembre 1749, lorsque le Supérieur des RR. Pères Récollets demanda, par l'entremise du premier huis- sier, à entrer dans la salle des séances du Conseil : il avait, disait-il, une communication à faire à l'assemblée. L'in- tendant— c'était à cette date M. Bigot ayant ordonné

15. Corresp. générale, vol. 92, lettre du 9 octobre 1748.

16. Archives de l'archevêché de Québec, Correspondance de Mgr de Pontbriand.

126 l'église du canada

à l'huissier de le faire entrer, le digne Religieux fit son apparition dans la salle, et, après les saints d'usage, invita les conseillers, de la part de ses confrères du monastère, à assister en corps à un service solennel qui devait se célé- brer le lendemain dans leur église pour le repos de l'âme de leur regretté syndic, M. le marquis de Beauharnais, « ci-devant gouverneur du Canada et lieutenant général pour le Roi en ce pays. »

Il y avait un peu plus de deux ans que M. de Beauhar- nais avait quitté le Canada : on l'avait rappelé en France (( pour lui donner de l'avancement dans la Marine ^'^ ; « et il venait de mourir, comblé d'honneurs, après avoir laissé dans notre pays la réputation d'un des gouverneurs les plus intègres et les plus sages que nous ayons jamais eus ^^. Deux gouverneurs s'étaient succédé ici depuis son départ ; le deuxième, M. de la Jonquière, n'était encore qu'au dé- but de sou administration.

On est vraiment surpris qu'à une invitation aussi polie et aussi convenable que celle du bon Père Récollet, le Conseil Supérieur ait opposé un refus désobligeant ^^ Avait-il encore sur le cœur la manière à la fois sage et énero-ique avec laquelle M. de Beauharnais, juste vingt ans auparavant, l'avait admonesté et mis à Tordre à l'occasion des troubles que, de concert avec l'intendant Dupuy, il avait suscités dans l'Kglise de Québec -^? On est d'autant plus porté à le croire, que Lanouiller, le porte-parole de Dupuy et son âme damnée, qui faisait à cette époque les fonctions de procureur général et avait joué un si triste rôle, était encore : sans être premier conseiller, le

17. Corresp. générale, vol. 85, lettre de Beauharnais au ministre, 28 octobre 1746.

18. M. de Beauharnais fut gouverneur du Canada, de 1726 à 1747.

19. Registres du Conseil Supérieur.

20. Voir notre premier volume VBglise du Canada sous Mgr de S aint-V allier, p. 467.

sous M^ DE PONTBRIAND I27

premier conseiller était M. Cugnet il était doyen du Conseil, il exerçait probablement une certaine influence. Il n'y a rien de si rancunier, quelquefois, que les corps délibérants.

M^^* de Pontbriand dut regretter cette résolution du Conseil de ne point assister en corps au service solennel de M. de Beauliarnais. Il estimait sincèrement ce bon eou-

o

verneur, avec lequel il avait toujours été d'accord :

« M. de Beauliarnais, écrit-il au ministre, pourra vous informer de toutes les affaires de la colonie, qu'il a gou- vernée dans les temps les plus difficiles, et jusqu'au moment de son départ, avec encore plus de sagesse que de bonheur, quoique tout lui ait réussi '^^. »

Le croirait-on, si la chose n'était en toutes lettres dans les archives? Ce gouverneur si sage, si éclairé, si géné- ralement estimé, on avait voulu, au Canada, le faire passer pour un homme ramolli ; et l'on avait même écrit dans ce sens à la Cour. La réception qui lui fut faite à Paris le dédommagea bien de ces injustes appréciations. Voici ce que M. de l'Orme écrivait à son frère à ce sujet :

« M. le marquis de Beauharnais est arrivé en bonne santé à Paris ; il a été reçu on ne peut mieux du Roi, du mi- nistre et de toutes les personnes de considération de la Cour qui l'ont autrefois connu. Il n'est rien moins que ce que l'on a voulu le faire passer. Il vient d'être fait lieute- nant général, preuve évidente qu'on ne le regarde pas comme un homme en enfance. La Cour devrait châtier les mauvais écrivains du Canada ^2. »

M^'^ de Pontbriand n'estimait pas moins M. Hocquart, qui resta encore un an au Canada après le départ de M. de Beauharnais, et ne partit qu'en 1748:

21. Corresp. générale, vol. 87, lettre du 11 octobre 1747.

22. Recherches historiques, vol. XVI, p. 362.

128 L'EGLISE DU CANADA

« Je le vois partir avec regret, écrit l'Evêque, et j'ose dire qu'il en est de même de tous ceux qui veulent le bien -^ »

Le Chapitre, plein d'estime, lui aussi, pour M. Hoc- quart, avait fait célébrer un service solennel pour sa véné- rable mère, décédée en France quelques années aupara- vant '^^.

M. Hocquart, comme M»"^ de Pontbriand, estimait et aimait M. de Beauharnais ; il écrivait au ministre lors du départ de ce bon gouverneur :

« Chacun s'est empressé de lui marquer ses regrets de son départ. Il a s'en apercevoir. Vous connaissez toutes ses belles qualités : il avait surtout celles d'être bon, aimable et généreux ^^ »

Ce digne intendant, le meilleur peut-être qu'ait eu la Nouvelle-France, nous ne dirons pas après, mais avec Talon remplissait admirablement toutes les fonctions de sa charge. Il avait une foule d'excellentes pratiques pour accommoder les pauvres : et l'on cite celle-ci en particu- lier : il avait fixé deux jours par semaine pour entendre leurs plaintes, leurs réclamations, leurs contestations, et leur rendre sommairement justice, comme autrefois saint Louis sous le chêne de Vincennes ^^.

Il était, du reste, sincèrement religieux. Ceux qui visitent la vieille petite église de Tadoussac s'arrêtent avec intérêt en face de ce simple avis, encadré et suspendu quelque part à la muraille, qui les reporte à une date bien reculée :

« Messe fondée en cette chapelle, en 1747, tant qu'elle subsistera, en faveur de M. Hocquart, bienfaiteur insigne,

23. Corresp. générale, vol. 92, lettre du 9 octobre 1748.

24. Registre du Chapitre, séance du 25 mai 1743.

25. Corresp. générale, vol. 88, lettre du 27 octobre 1747.

26. Rapport. . . pour 1905, p. 7,

sous M*^"" DE PONTBRIAND 129

par le R. P. Coquart ", jésuite. Cette messe basse doit se dire le 26 juillet, fête de sainte Anne, chaque année. »

La construction de la première chapelle de Tadoussac remonte à 1647. ^^ fondation de cette messe coïncide donc avec le premier centenaire de cette chapelle.

Nous ne croyons pas qu'il y ait jamais eu, dans tout le cours du régime français au Canada une période les trois représentants de l'autorité royale, le gouverneur, l'évêque et l'intendant, se soient entendus d'une manière aussi parfaite et aussi constante que dans les sept premières années de l'administration de M^^ de Pontbriand.

27. Le P. Coquart était alors missionnaire de Chicoutimi et de Ta- doussac. "Il mourut à Chicoutimi le 4 juillet 1765, et y fut inhumé par le P. Labrosse. Plus tard, son corps fut descendu et inhumé à Ta- doussac. " (Tanguay, Répertoire du Clergé, p. 88).

CHAPITRE XIII

SUPPRESSION DE PLUSIEURS FÊTES D'OBLIGATION.

RETRAITE 1 QUÉBEC. JUBILÉ DE 1745.

MORT DE M. VALLIER

Grand nombre de Fêtes d'obligation, à cette époque. Solennité de plusieurs de ces Fêtes renvoyée au dimanche. Benoit XIV et la France. Une retraite à Québec. Le Jubilé de 1745. Epidémie de fièvres. Mort de M. Vallier. Sa sépulture. Le Chapitre fait son éloge.

ON se rappelle qu'il y a quelques années les autorités ecclésiastiques de notre Province, avec l'assentiment du Saint-Siège, et tenant compte des circonstances parti- culières où nous nous trouvons dans ce pays, jugèrent à propos de renvoyer au dimanche la solennité de quelques fêtes qui avaient été jusque-là chômées sur semaine. C'est ainsi que l'Annonciation, la Fête-Dieu, la Saint-Pierre dis- parurent de la liste des fêtes d'obligation : nous n'en avons plus que six : la Circoncision, l'Epiphanie, l'Ascension, la Toussaint, l'Immaculée Conception et Noël.

Eh bien, sait-on combien il y en avait au commencement de l'épiscopat de M^'^ de Pontbriand? Trente-trois! C'est- à-dire qu'outre les cinquante-deux dimanches de l'année, il y avait trente-trois jours nos ancêtres chômaient : toutes les fêtes d'Apôtres, deux ou trois fêtes de la sainte Vierge, la Saint-Joseph, la Sainte-Anne, la Saint-François-Xavier, etc : et l'on sait par la tradition avec quelle exactitude ils suspendaient leurs travaux et s'abstenaient, ces jours-là,

l'église du canada sous mk^ de pontbriand 131

comme le dimanche, de toute œuvre servile, assistant fidè- lement à tous les offices de l'Eglise, y compris les vêpres, auxquelles pour rien au monde ils n'auraient voulu man- quer. Les lundis et mardis de Pâques et de la Pentecôte étaient d'obligation, comme la fête elle-même ; de sorte qu'à chacune de ces deux fêtes on était trois jours de suite sans travailler.

Depuis longtemps la Cour exprimait aux autorités reli- gieuse et civile du Canada le désir que l'on réduisît ici le nombre des fêtes chômées, comme on l'avait fait en France ; et un certain nombre de Canadiens, les hommes d'affaires et les négociants, surtout, le demandaient également. Ecrivant à l'Evêque, au printemps de 1743, M. de Mau- repas ^ paraissait croire que la chose était déjà faite '. M^"^ de Pontbriand jugea alors qu'il était temps pour lui de s'exécuter. Mais on voit par le mandement qu'il publia à cette occasion qu'il lui en coûta beaucoup de supprimer un certain nombre de fêtes ; et il ne se décida que par la pensée qu'il ne les supprimait pas tout-à-fait, puisqu'il en renvoyait la solennité au dimanche :

(f Plusieurs motifs nous ont arrêté jusqu'à présent, dit-il. Les malheurs que ressent depuis quelques années cette colonie nous persuadent qu'elle ne peut avoir dans le ciel trop de protecteurs ; et tandis que les dérèglements s'aug- mentent tous les jours, nous conviendrait-il de ne plus proposer aux peuples des exemples illustres et capables de les exciter à la pratique des vertus chrétiennes? Non, sans doute ; nous voulons donc conserver le culte public aux Saints que ce diocèse regarde comme ses protecteurs, et nous avons pensé qu'en fixant leurs fêtes à certains dimanches, ce culte n'en serait que plus solennel . . . Nous

1. Maurepas, "le dernier héritier des traditions prudentes de Fleury". (Duc de Broglie, Marie-Thérèse Impératrice, t. I, p. 31).

2. Rapport. . .pour 1905, p. 27.

132 l'église du canada

ne retranchons aucune fête; nous déterminons seulement les jours : nous n'en diminuons point la solennité, au con- traire nous prétendons l'augmenter ^. . . »

Par ce mandement, daté du 24 novembre 1744, le Prélat renvoyait au dimanche la solennité de dix-neuf des trente- trois fêtes chômées sur semaine. Ces dix-neuf fêtes étaient celles de quelques Apôtres, la Purification et la Nativité de la sainte Vierge, la fête de Notre-Dame-des-Victoires "*, celle des saintes Reliques, la Saint-Joseph, la Saint-Jean-Baptiste, la Sainte-Anne, la Saint-Laurent, la Saint-Louis, la Saint- Michel et la Saint-François-Xavier. Il restait encore quatorze fêtes chômées sur semaine, y compris les lundis et mardis de Pâques et de la Pentecôte ; et quelques-unes de ces fêtes n'ont été supprimées ou renvoyées au dimanche que bien plus tard.

Le but j^rincipal de la Cour en demandant à l'autorité ecclésiastique de réduire le nombre des fêtes chômées, et celui de l'Evêque en obtempérant au désir du Roi, était de procurer aux fidèles, aux habitants des campagnes, surtout, plus de facilité pour leurs travaux. Eh bien, sait- on ce qui arriva? Il y eut partout dans nos campagnes un murmure général de mécontentement. Le peuple est essentiellement attaché à ses coutumes, à ses usages, à ses traditions religieuses, surtout. Il n'y eut qu'une voix pour blâmer le mandement de l'Kvêque, et il fallut du temps pour convaincre les habitants des campagnes que « rien d'essentiel n'était changé dans la religion. » M^' de Pont- briand écrivait au ministre le 10 novembre 1746, c'est-à- dire deux ans après son mandement :

« Les habitants commencent à être tranquilles sur

3. Mandements des Bvcques de Québec, t. II, p. 41, 24 novembre 1744.

4. "Pourquoi a-t-on institué cette fête dans ce diocèse? Pour la très insigne victoire et protection que nous avons reçue de la Très Sainte Vierge contre les Anglais hérétiques. " {Catéchisme de Mgr de Saint- V allier).

sous M«' DE PONTBRIAND I33

la translation que j'ai faite de plusieurs fêtes au di- manche ^. . . »

Il va sans dire qu'il n'avait pu être question pour le pieux Prélat de demander l'autorisation du Saint-Siège avant de faire ce changement. L'état de l'Europe, à cette époque, rendait les communications avec le centre de la catholicité très difficiles, pour ne pas dire impossibles. Mais le nouvel ordre de choses reçut dans la suite l'appro- bation entière du Saint-Siège.

*

Dans la même lettre que nous avons citée tout-à-l'heure, M^*^ de Pontbriand écrivait au ministre qu'il avait reçu par l'entremise du gouverneur et de l'intendant la bulle du Jubilé de 1745. Ce Jubilé, précurseur de celui de l'Année sainte, avait été accordé en 1744 par le pape Benoît XIV pour l'Italie seulement ; mais Louis XV avait obtenu l'an- née suivante qu'il fût étendu à son Royaume. C'était un Jubilé tout-à-fait particulier pour l'Italie, la France et ses colonies.

Et ici, il n'est pas hors de propos de rappeler la sympa- thie toujours constante de l'illustre pontife Benoît XIV pour la nation française : il avait pour elle une bienveil- lance toute spéciale, semblable à celle que de nos jours lui témoigna jusqu'à la fin le grand pape Léon XIII ^. Benoît XIV aimait la France ; il aimait aussi le roi Louis XV, sans se faire illusion, toutefois, sur ses défauts et sur ses faiblesses : on lui attribue cette parole bien caractéris- tique :

« Est-il besoin d'autre preuve de l'existence d'une Provi-

5. Correspondance générale, vol. 86.

6. Voir nos Conférences à l'Université Laval sur le Concordat de 1801, p. 64.

134 l'égusr du canada

dence, que de voir prospérer le royaume de France sous Louis XV 7?»

Benoît XIV témoigna son amour pour la France, en lui donnant la bulle Ex omnibus^ destinée à appaiser les esprits à l'occasion des troubles religieux suscités par un grand nombre d'ecclésiastiques, qui s'obstinaient encore à résister à la bulle Unigenittis. Choiseul ^, qui avait été envoyé à Rome comme ambassadeur extraordinaire pour obtenir cette bulle Ex omnibus^ nous assure que le Pape s'intéressait d'une manière toute spéciale aux différends qui existaient entre la France et l'Angleterre à propos du Canada : il aimait à se tenir au courant de tout ^.

Ce grand Pape témoigna également son amour pour la France en lui accordant, à la demande du Roi, le Jubilé qu'il avait publié pour l'Italie, faveur qu'il n'accorda à aucune autre nation. En accusant réception de la bulle du Jubilé, M^^ de Pontbriand disait au ministre :

« Je ne ferai annoncer le Jubilé que l'hiver, ce temps étant le plus favorable, d'autant plus que le Carême dernier il y a eu à Québec une espèce de mission, qui m'a paru avoir fait quelque bien ^^. . . «

C'est M. Vallier qui faisait à cette époque les fonctions de curé de Québec ; et il avait obtenu de l'Evêque un beau mandement pour cette retraite publique, destinée à pré- parer les paroissiens au devoir pascal. Elle commença le jour de la Solennité de .«aint Joseph, et se termina le mer- credi saint au matin, « les autres jours, disait l'Evêque, étant occupés au grand office de la semaine sainte « ; et il ajoutait: « Il y aura dans cette église pendant les trois

7. Choiseul à Rome, Introduction par André Hallays, p. XXIII.

8. " Choiseul, malgré ses défauts, fut encore le meilleur ministre qu'ait eu Louis XV." (Comte d'Haussonville, Ala jeunesse, p. 10).

9. Choiseul à Rome, p. 50.

10. Corresp. générale, vol. 86, lettre du 10 novembre 1746.

sous M^*" DE PONTBRIAND I35

fêtes de Pâques les prières des Qnarante-Heures. » Les prêtres séculiers et réguliers de la ville étaient invités à ajouter chaque matin à la messe (( l'oraison pour la con- version des pécheurs, jusqu'à la Quasimodo inclusivement».

D'après le recensement de 1744, fait avec un grand soin par le curé Plante, la ville de Québec, avec la banlieue, comptait, à cette date, juste neuf cent quatre-vingt-dix- sept familles ou ménages ^^ N'allons pas croire que tout fût parfait, dans cette population, au point de vue moral et religieux. Que de légèreté, par exemple, de luxe et de vanité dans la classe aisée !

« Les marchands s'habillent fort élégamment, écrit un chroniqueur en 1749, et poussent la somptuosité dans les repas jusqu'à la folie. Les femmes sont tous les jours en grande toilette, et parées autant que pour une réception à la Cour. . . Elles ornent et poudrent leurs cheveux chaque jour, et se papillotent chaque nuit. . . Les gens de condition mettent du linge garni de dentelles ^'^. . . »

La Sœur Duplessis va plus au fond des choses, et les couleurs de son pinceau sont plutôt sombres :

(( Nous sommes dans un siècle je crains tout, dit-elle, car la corruption est à son comble ; nous voyons des choses pitoyables ; on nous en mande de semblables. . . La cha- rité est refroidie, et il reste bien peu de foi dans le monde. , .

« Nous sommes dans un pays, ajoute-t-elle, qui devient plus dur que jamais ; nous n'y voyons rien qui puisse plaire ; ou n'y parle que de misère, de mauvaise foi, de calomnies, de procès, de divisions. Tout le monde se plaint, et personne ne remédie à rien ^^ . . »

11. Archives paroissiales de N.-D. de Québec.

12. Voyage de Kalm au Canada.

13. Revue Canadienne, t. XII.

136 I^'ÉGUSE DU CANADA

C'est pour y « remédier » que M. Vallier avait décidé de donner une retraite à sa paroisse ; et dans le mandement que l'Bvêque avait publié à cette occasion, il invitait ses prêtres à prier « pour la conversion des pécheurs. »

Nous n'avons malheureusement aucun détail précis sur cette retraite ^^ Il est à présumer qu'elle ne fut pas sans opérer quelques bons résultats. L'Bvêque, toutefois, n'en était certainement pas enthousiasmé, puisqu'il se contentait de dire «qu'elle lui avait paru avoir fait quelque bien.»

Ce bien fut confirmé et par même augmenté par le Jubilé de l'automne suivant, que le pieux Prélat eut l'heu- reuse idée de fixer comme préparation aux fêtes de Noël et du Jour de l'an. D'ailleurs, ces exercices n'étaient pas, cette fois, pour Québec seulement, mais pour tout le dio- cèse. Beauharnais et Hocquart écrivant au ministre :

(( M. l'Bvêque, disaient-ils, se propose de faire publier après le départ des vaisseaux la bulle du Jubilé que vous lui avez adressée. Les peuples du Canada sont religieux ; et nous jugeons qu'ils se mettront la plupart en état de gagner l'indulgence ^^ »

M^^ de Pontbriand publia la bulle de Benoît XIV et l'accompagna d'un mandement pour le Jubilé :

« Bntrons, N. T. C. F., disait-il, dans les intentions du Souverain Pontife, dont nous venons d'entendre la voix, pénétrons dans les sentiments du Roi qui a obtenu pour son Royaume la grâce du Jubilé ; faisons nos efforts pour nous conformer aux desseins de l'un et de l'autre. »

Certes, les desseins du Saint-Père en accordant ce Jubilé à la France, et ceux de Louis XV en le lui demandant pour ses sujets, n'étaient probablement pas absolument les mêmes. Benoît XIV songeait surtout au bien spirituel

14. Les livres de prônes de l'époque n'ont pas été conservés.

15. Corresp. générale, vol. 85, lettre du 7 octobre 1746.

se us M*^"" DE PONTBRIAND 137

de la nation française et de son Roi : Louis XV, engagé dans les aventures de la guerre de la Succession d'Au- triche, avait surtout en vue d'en sortir victorieux par les prières et les bonnes œuvres de ses sujets. Le rôle de l'Evêque, dans son mandement, était de tout concilier, la pensée du Saint-Père et celle du Roi, et de diriger les prières de ses diocésains vers le but de l'un et de l'autre :

« Reconnaissons, dit-il, dans les victoires que Sa Ma- jesté a remportées le doigt de Dieu qui protège la France ; soyons touchés des maux inséparables de la guerre même la plus glorieuse ; ne craignons point d'avouer que nos péchés ont empêché et empêchent des succès plus grands et dont nous nous flattions. Souvenons-nous que cette colonie ne se soutiendra contre les ennemis puissants qui l'environnent qu'autant que le Ciel la protégera, et que, pour mériter ce secours, il est absolument nécessaire de changer de vie, de fuir jusqu'à l'apparence même du péché, de pratiquer les vertus chrétiennes et enfin de satisfaire à la justice divine. »

Parmi les œuvres prescrites pour gagner l'indulgence du Jubilé, il y avait une aumône à faire :

« Nous vous exhortons, disait le Prélat, à contribuer le plus que vous pourrez à la bâtisse de l'église cathédrale et paroissiale de Québec. »

L'aumône du Jubilé pouvait aussi être appliquée aux hôpitaux de la ville épiscopale : ils regorgeaient de malades. L'année 1746, qui se terminait à Québec dans les exercices du Jubilé, finissait aussi dans les affres de la mort. Nos milices étaient revenues de leur expédition en Acadie avec un grand nombre de prisonniers anglais protestants. Mili- ciens et prisonniers avaient contracté à Chibouctou des fièvres malignes. Ils furent mis à l'Hôtel-Dieu en arrivant à Québec. La maladie contagieuse se répandit bientôt dans la ville, puis dans tout le pays, elle continua ses

138 l'église du canada

ravages plusieurs années de suite ^^. Sept religieuses en moururent aux Ursulines, et autant à l'Hôtel-Dieu. L'Hô- pital Général fut obligé d'ouvrir ses portes aux malades, et aussi quelques religieuses furent victimes de la maladie, ainsi que le P. Justinien Durand, confesseur de la commu- nauté.

M. Vallier, supérieur du Séminaire, qui faisait les fonc- tions de curé de Québec, déploya un zèle admirable auprès des malades. Comme il était le seul prêtre de la ville qui sût un peu l'anglais, il se dévoua surtout à l'instruction des prisonniers de cette langue qui voulaient mourir dans le sein de l'Eglise. Il sacrifia généreusement sa vie pour eux et contracta la maladie :

« On le voyait nuit et jour auprès des malades atteints des fièvres malignes, dit une annaliste. Il ne tarda pas à en être lui-même la victime. Il mourut le 16 janvier 1747 dans sa quarantième année ^^. »

L'Evêque se fit un devoir de lui administrer lui-même les derniers sacrements. Comme il était conseiller-clerc, l'Intendant et le Conseil Supérieur assistèrent à ses funé- railles, qui eurent lieu à la cathédrale.

M. Vallier était le dernier prêtre du Séminaire qui faisait partie du Chapitre : sa sépulture donna lieu à un touchant échange de bons procédés entre le Séminaire et les chanoines.

Pour marquer son respect et sa reconnaissance envers son supérieur, le Séminaire voulut que cette sépulture fût aussi solennelle que possible : le corps du défunt fut placé

16. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 256.

17. Mgr de Saint-V allier et l'Hôpital-Général de Québec, p. 319.

sous M»*" DE PONTBRIAND 139

daus un magnifique mausolée, que Pon entoura d'une grande quantité de cierges ; et comme il en manquait quelques-uns, M. de La Ville-Angevin, « trésorier du Cha- pitre et préfet de la sacristie «, les fournit généreusement.

L'enterrement fait, M. Pelet, procureur du Séminaire, vint trouver M. de La Ville-Angevin, « et lui dit gracieu- sement que MM. du Chapitre pouvaient, selon le droit et l'usage des églises paroissiales, disposer des cierges mis au mausolée, à l'entour du corps, et aux autels, comme leur appartenant ». « Je ne puis rien faire seul, répondit le préfet ; j'en parlerai aux MM. du Chapitre, qui décideront ce qu'ils jugeront à propos. »

Il convoqua le lendemain ses confrères, et il fut décidé d'abandonner tous les cierges au Séminaire, et de ne se faire rendre que ceux que le Chapitre avait lui-même fournis. Citons ici quelques lignes du procès-verbal de l'assemblée : est-il possible de trouver un témoignage plus authentique qu'à cette date (1747) la meilleure entente existait encore entre le Chapitre et le Séminaire ?

« L'assemblée a conclu tout d'une voix que, pour mar- que de l'estime sincère et véritable qu'elle conservera toujours des grandes qualités et rares vertus du sieur Vallier, et de l'étroite union qu'elle désire inviolablement entretenir et cimenter de plus en plus avec messieurs des Missions-Etrangères, elle veut qu'on remette au dit Sémi- naire tous les cierges qu'ils ont fournis, que le sieur préfet retire seulement les trente qu'il a prêtés, dans l'état qu'ils sont, et ne redemande rien pour le luminaire qu'il a fourni... Les cierges seront reportés au séminaire par le sacristain du Chapitre. . . » ^^

Le Chapitre consacrait ensuite à la mémoire de son Théologal les lignes suivantes, qui valent bien une oraison funèbre :

18. Registre du Chapitre, assemblée du 18 janvier 1747.

140 l'église du canada

« Il était doué de toutes les vertus et avait toutes les bonnes qualités et les talents qu'on peut désirer dans un parfait ministre de Jésus-Christ. Il était doux et affable, avec un esprit vif et pénétrant, un grand jugement et une prudence sans pareille qui le rendait toujours égal et tranquille. Il joignait surtout une profonde humilité à une grande et très étendue érudition, une vraie mortifi- cation, et un mépris de soi-même à un entier déta- chement, une charité sans bornes envers tous les affligés à un zèle infatigable de la gloire de Dieu et du salut des âmes, qui fut toujours réglé par l'obéissance. Sa dévotion envers la très sainte Vierge, qu'il appelait sa bonne Mère, était solide et tendre. Il est mort dans une pleine confiance en Dieu et une résignation parfaite. »

(f II a peu vécu, ajoute un chroniqueur de l'époque, mais il a rempli par ses importants et continuels travaux du confessionnal, de la chaire et des leçons de théologie, beaucoup d'années ; et sa vie pure et sainte lui tient lieu d'une vieillesse vénérable et consommée que nous espérons que le Seigneur juste juge, mais aussi père de miséricorde, aura couronnée de la gloire immortelle. »

CHx\PITRE XIV

M^ DE PONTBRIAND ET LE SÉMINAIRE DE QUÉBEC.

M. DE I.AI.ANE

Disette de prêtres au Séminaire; chez les Jésuites. Difficultés entre l'Evêque et M. Jacrau. L'esprit de Mgr de Laval dans la fonda- tion du Séminaire, et dans l'union de ce Séminaire avec celui de Paris. Mgr de Pontbriand prend provisoirement la direction de son Séminaire épiscopal. M. de Lalane, envoyé à Québec par le Séminaire de Paris. La paix restaurée. On décide de re- construire la Chapelle incendiée en 1701.

LA mort de M. Vallier, comme nous avons déjà eu occasion de le dire, était une grande perte pour le Séminaire de Québec, dont il était l'âme, le soutien et la vie. Il avait relevé cette maison au point de vue des affaires tempo- relles ; il y entretenait la paix, l'union et la discipline.

Dans le séjour de deux ans qu'il avait fait au Sémi- naire, à son arrivée à Québec, M^'' de Pontbriand avait remarqué certaines choses qu'il n'approuvait pas, au point de vue du règlement : il en avait parlé à M. Vallier, qui lui avait donné satisfaction, et il se reposait pleinement sur lui pour la conduite de cette maison si nécessaire pour le recrutement de son clergé.

Ce qui désolait le Prélat, surtout, c'est que le Séminaire manquait de prêtres ^ Il s'en ouvrit à l'abbé de l'Ile- Dieu, qui écrivit à M. de Maurepas :

I. Outre les prêtres, il y eut presque toujours au Séminaire de Qué- bec, comme aujourd'hui, un contre-maître laïque, pour aider le procu- reur et l'économe dans leurs fonctions. Celui qui y était à cette ^oque

142 l'église du canada

« L'Evêque de Québec me parle de la disette il est de prêtres dans son Séminaire, il en voudrait au moins cinq de plus pour remplir les postes vacants, et fournir à la desserte de la iparoisse principale, dont le Séminaire est chargé -. ^)

La disette de professeurs n'était pas moins grande au Collège des Jésuites :

« L,e Collège de Québec, écrit au ministre M^^ de Pont- briand. ne se soutiendra point, si les Pères Jésuites n'ont toujours un régent de sixième. Cette classe est comme la pépinière des Ecoliers. Nous n'avons personne pour mon- trer les premiers éléments. On se passera plutôt de la Théologie et de la Philosophie, parce que le Séminaire fait déjà des conférences sur ces deux objets ^ »

«Il est nécessaire d'envoyer au Canada six missionnaires, » écrivit sans tarder le ministre au P. Charlevoix, alors pro- cureur des Jésuites à Paris *.

Les Pères de Glapion, Giraut de Villeneuve et Germain arrivèrent à Québec dans l'été de 1747 ; et il en vint encore deux autres l'année suivante.

Trois jeunes prêtres arrivèrent, également, au Séminaire, dans l'été de 1747, MM. Récher, de Bray et LeBansais. Ils étaient envoyés par le Séminaire de Paris, qui les recom- mandait tous les trois d'une manière spéciale. Mais M. Vallier n'était plus pour assigner à chacun la fonction qu'il aurait à remplir, et pour faire ce que l'on appelle à Saint-Sulpice «la distribution des talents.» Qui allait le remplacer pour la direction du Séminaire? M. Jacrau s'im-

était un M. Mourisset, dont nous avons déjà mentionné le nom. Il fut contre-maître au Séminaire pendant plus de trente ans, et retourna définitivement en France en 1752. (Histoire manuscrite du Sém. de Québec, p. 394)

2. Corresp. générale, vol. 92, lettre du 2 mars 1748.

3. Ibid., lettre du 7 novembre 1748.

4. Rapport. . . pour 1905, p. 120.

sous M^ DE PONTBRIAND I43

posait par Page et l'expérience : c'était un ecclésiastique irréprochable; il avait beaucoup de mérite et de vertu. C'était un ancien missionnaire, qui figurait sur la liste des (T curés usés,» et qui à ce titre recevait annuellement trois cents francs du budget colonial ^ Il avait toujours rendu et pouvait rendre encore de grands services au Séminaire.

Mais quelle différence avec M. Vallier, dont il n'avait ni le prestige, ni le talent, ni la science ! Il sufl&t quelque- fois d'un mot dans la correspondance des contemporains pour juger de la considération dont jouissait de son temps tel ou tel personnage. Le chanoine de Gaunes-Falaise écrivant un jour, de Paris, à un de ses confrères de Québec au sujet de M. Jacrau, dont il croyait avoir à se plaindre : « Je demande en grâce, disait-il, de le faire reconduire à la cuisine; il ne lui convient point de parler sur des matières importantes ^. » Aurait-il osé dire cela de M. Vallier?

Ce qui manquait surtout à M. Jacrau, c'était ce liant, cette souplesse d'esprit et de caractère, qui faisait la force de M. Vallier et lui gagnait tous les coeurs ; c'était le tact, cette précieuse qualité qui supplée à tant d'autres; c'était la déférence humble et respectueuse dont un ecclésiastique ne doit jamais se départir vis-à-vis de ses supérieurs.

M. Vallier, tout jeune qu'il était, et tout nouveau au Séminaire des Missions-Etrangères, à Paris et à Québec, s'était bien pénétré de l'esprit de M^^ de Laval et de M. de Brisacier. Il connaissait à fond la pensée qui avait présidé à la fondation du Séminaire de Québec et à son union avec celui de Paris. Que voulait M^' de Laval en fondant son Séminaire? Il l'établit «pour servir de clergé à son Eglise... Il sera conduit et gouverné, dit-il, par les supérieurs que nous ou les successeurs évêques de la

5. Histoire manuscrite du Sém. de Québec.

6. Bulletin des Recherches historiques, vol. XIV, p. 229.

144 l'éguse du canada

Nouvelle-France y établiront... On y élèvera et for- mera les jeunes clercs qui paraîtront propres au service de Dieu . . . On leur enseignera la manière de bien administrer les sacrements, la méthode de catéchiser et prêcher aposto- liquement, la théologie morale, les cérémonies, le plain- chant grégorien, et autres choses appartenantes aux devoirs d'un bon ecclésiastique '^. . . » N'est-ce pas là, vraiment, un séminaire épiscopal ou diocésain, dans toute la force du mot? Et que voulait le vénérable Prélat en l'unissant plus tard à celui de Paris? Détruire son propre ouvrage? Le rendre indépendant des évêques ses successeurs ? A Dieu ne plaise ! Il voulait sans doute fortifier son Séminaire épiscopal en l'unissant à une maison capable de lui envoyer des prêtres pour le diriger, en attendant qu'il pût se sufi&re à lui-même. Mais il dit expressément que les supérieurs qui seront envoyés de Paris auront besoin « pour exercer leur charge, » de prendre la a bénédiction et confirmation » de l'Evêque de Québec. « Les prêtres envoyés par le Séminaire de Paris, ajoute-t-il, sous notre approbation et celle de nos successeurs, pourront enseigner les peuples qui nous sont commis. . . , à condition toutefois d'être soumis à nous et à nos successeurs évêques en toutes les fonctions ecclésiastiques qui regardent l'assistance et l'ins- truction du prochain ^. . . » Quelle attention constante à sauvegarder ses droits et ceux de ses successeurs sur le siège de Québec !

Et cette union du Séminaire épiscopal de Québec au Séminaire des Missions-Etrangères de Paris, comment l'entendait M. de Brisacier, l'ami, Valter ego de M^^ de Laval ? Rappelons-nous la magnifique lettre qu'il écrivait

7. 'Ediis et Ordonnances, t. I, p. 33, Etablissement du Sém. de Qué- bec, 26 mars 1663.

8. Ihid., t. I, p. 79. Lettres d'union du Séminaire de Québec à celui de Paris, 1675.

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un jour à ses confrères de Québec pour les engager à donner satisfaction aux prêtres canadiens, qui s'étaient plaints à lui de ce qu'on ne leur donnait aucune part dans la direction du Séminaire de Québec :

« Vous savez bien, leur disait-il, que vous n'êtes, pour ainsi dire, que par accident le Séminaire épiscopal des Evêques de Québec, qui, quand il leur plaira, donneront à d'autres communautés le soin de former leurs clercs jus- qu'au sacerdoce ; et alors vous demeurerez uniquement Séminaire des Missions-Etrangères pour les sauvages. 11 paraît donc que vous devriez tendre à mettre le plus tôt que vous pourrez entre les mains des ecclésiastiques du Canada le soin d'élever le clergé composé de leurs compa- triotes ^. »

Ainsi donc, dans l'idée de M. de Brisacier, l'union du Séminaire de Québec à celui de Paris n'est que tempo- raire : tôt ou tard le Séminaire de Québec reprendra son autonomie parfaite ; mais en attendant il n'en est pas moins le « Séminaire épiscopal », le Séminaire diocésain de Qué- bec. Si M. Burgurieu, supérieur du Séminaire de Paris, k conteste plus tard ^^, c'est évidemment qu'il n'a pas, tout à fait du moins, l'esprit de son illustre prédécesseur, l'esprit qui a présidé à l'union des deux Séminaires.

Et ici, nous ne pouvons nous empêcher de citer, sans toutefois en prendre la responsabilité, mais tout simple- ment à titre documentaire, la remarque que l'abbé de l'Ile-Dieu faisait à M^^ de Pontbriand sur l'esprit du Sémi- naire de Paris lui-même, à cette époque. Comme nous le

9. Voir le premier volume de cet ouvrage, p. 390.

10. Recherches historiques, vol. XV, p. 39:... "Soit qu'il (le Sémi- naire de Québec) soit un Séminaire des Missions-Etrangères, comme nous le croyons, et non un Séminaire diocésain, comme votre mémoire le suppose... "(Lettre de M. Burgurieu, supérieur du Séminaire de Paris, à Mgr de Pontbriand, <j mai 1752).

10

146 L^ÊGLISE DU CANADA

savons, l'abbé y résidait, et était censé connaître ce qui sY passait :

(( L'ancien esprit qui régnait dans cette maison s'est entièrement évanoui. Ceux qui la composent ont un esprit et un système tout différent, qui est à cent picques de celui de l'œuvre qui lui a donné naissance. Il semble qu'ils veulent la saper par les fondements et la convertir eu toute autre chose différente. , .

« Vous serez de plus étonné, monseigneur, ajoutait-il, que presque tous les exercices de piété ou d'instruction pour les jeunes gens y soient tombés. Plus aucune trace de zèle. Jusqu'au simple public s'en aperçoit : à plus forte raison le public éclairé ^^. . . »

M. Vallier, lui, possède parfaitement l'esprit de M^^ de Laval et de M. de Brisacier : il sait que le Séminaire de Québec, dont il est supérieur, est le séminaire diocésain de M^^' de Pontbriand, que celui-ci, par conséquent, a non- seulement le droit, mais le devoir de s'intéresser à ce qu'il soit bien conduit, bien dirigé, qu'il ait toujours un nombre suffisant de professeurs, qu'il entretienne le plus d'élèves possible, et que ces élèves soient bien formés pour le sanc- tuaire, afin de faire de bons prêtres pour l'Eglise canadienne qui en a tant besoin. Plein de déférence pour son Evêque, M. Vallier se fait un devoir de lui rendre compte de son administration et de prendre son avis dans les circonstances difficiles : ce qu'il accorde par déférence au digne Prélat, il le reprend en autorité auprès de lui ; M^^ de Pontbriand a la plus parfaite confiance en ce prêtre distingué.

Qu'arrive-t-il, au contraire, après la mort de M. Vallier? A peine M. Jacrau a-t-il pris le timon des affaires que mille difficultés surgissent entre lui et M^^ de Pontbriand. Nous avons sous les yeux un document, tiré des archives,

II. Archives de l'archevêché de Québec, lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 22 avril 1752.

sous M^"" DE PONTBRIAND I47

figurent, en deux colonnes, quelques-unes de ces difficul- tés : d'un côté, les prétentions de M. Jacrau, de Pautre celles de l'Evêque ^^. On aura une idée de celles de M. Jacrau par les deux propositions suivantes, que nous lisons dans le document :

(( Premièrement, le Séminaire de Paris est maître de celui de Québec : il peut donc envoyer chez soi ceux qu'il juge à propos ;

(( Deuxièmement, le Séminaire de Québec n'a pas été établi comme Séminaire épiscopal, ni donné à un Sémi- naire épiscopal. w

Il est évident que l'Evêque ne pouvait admettre la première de ces deux propositions qu'avec de nombreuses distinctions et réserves: «envoyer chez soi ceux qu'il juge à propos ! « N'avait-on pas eu assez du janséniste Varlet, qui avait été envoyé à Québec par les Missions-Etrangères, du temps de M^^ de Saint- Vallier ^^? Quant à la deuxième proposition, elle est contraire non seulement à l'esprit de M^ de Laval, mais à l'acte même de création de son Sémi- naire, dont nous avons cité plus haut quelques lignes. M^ de Pontbriand ne pouvait s'entendre dire, sans protester, que son Séminaire n'était pas «son Séminaire,» n'était pas le Séminaire diocésain, le Séminaire épiscopal de Québec. Aussi ne tarde-t-il pas à rompre avec M. Jacrau :

« Je prévois, écrit-il, que M. Jacrau est trop entêté pour concerter avec moi. Il convient mieux d'attendre un supé- rieur pacifique ...»

Et c'est j'alors qu'il se décide à prendre lui-même en mains la direction^des affaires et à nommer aux charges :

« Voici à quoi je'me réduis, dit-il, par provision, et pour le^bien de^la^paix :

12. Archives de l'archevêché de Québec, Difl5cultés de l'Evêque avec le Séminaire, (copie de l'original, qui est au Séminaire).

13. Voir le premier volume de cet ouvrage, p. 331.

148 I^'EGUSE DU CANADA

« M. Jacrau demeurera le principal vicaire de la paroisse, ou M. LeBansais, ce qu'on examinera pour le plus grand bien ^*.

« M. Poulin sera le deuxième, et n'aura que sa pen- sion, chauffage, dira ses messes pour lui.

a M. Récher sera le troisième vicaire, et étant de la maison il sera, comme membre du Séminaire, entretenu.

« M. de La Valtrie ^^ sera nourri, chauffé, aura ses messes pour lui, desservira l'Hôpital.

« M. Pelet continuera la procure, sous les yeux de M. Jacrau, et aura soin de la Basse-ville.

« M. de Villars sera supérieur immédiat du Grand et du Petit Séminaire, pour les permissions, exercices, études et congés des pensionnaires, fera une conférence de morale, confessera, ou un autre, les Ursulines. »

Cette dernière nomination fait tressaillir M. Jacrau, qui écrit en marge : « M^^ l'Evêque ne peut donner le titre de supérieur immédiat du Séminaire à qui que ce soit, ni nommer aucun directeur. Cela est réglé par le Roi»; ce qui n'empêche pas M°^ de Pontbriand de continuer :

H M. LeBansais sera directeur du Petit Séminaire, assistera aux exercices, fera une conférence de théologie, les conférences spirituelles alternativement avec M. Cheva- lier, les Prônes alternativement avec M. Jacrau, prêchera l'Avent, se préparera pour les Prières du carême, à la Haute-Ville, ou à la Basse, confessera.

ff M. Chevalier suppléera à tout.

« Je continuerai, ajoute l'Evêque, à donner au Séminaire huit cents francs sur les Suppléments. Par cet arran- gement, il n'y a, à bien dire, que MM. Poulin et La Valtrie

14. Ce fut M. Le Bansais qui fit les fonctions curiales jusqu'à son en- trée chez les Jésuites, en 1749.

15. François Marganne-Le Chapt-de La Valtrie, ordonné le 22 sep- tembre 1742.

SOUvS M^^ DE PONTBRIAND 149

à la charge du Séminaire, qui a en outre la valeur de quatre cents francs pour l'Hôpital, sans compter !e surplus de la Cure. »

M^^ de Pontbriand ne s'arrête pas là: il va encore plus loin, au delà même, croyons-nous, de ce qui s'est jamais fait par ses prédécesseurs ou ses ^successeurs. Il y a les pensions d'écoliers fondées par M^^ de Laval, au sujet desquelles le pieux Prélat avait pris tant de précautions, voulant que les directeurs seuls de Paris, conjointement avec ceux de Québec, eussent à y voir, «sans quoi, ajoutait Pacte de fondation, le dit Seigneur Evêque n'eût pas don- né ses biens au Séminaire ^^. « M^^ de Pontbriand prétend avoir son mot à dire pour la distribution de ces pensions:

« C'est une règle de droit, dit-il : PEvêque a droit d'ins- pection sur toutes les fondations. La chose serait-elle douteuse, il faudrait l'interpréter suivant le droit commun. Est-il naturel qu'un évêque ait voulu par des mots géné- raux s'exclure lui-même? que dans une fondation utile à son diocèse il ait voulu exclure ses successeurs?. . . Toute cette fondation (de M^'^ de Laval), ajoute-t-il, regarde le Séminaire de Québec comme Séminaire épiscopal. Si on adonné aux Missions-Etrangères, ce n'est qu'autant qu'elles desserviraient le Séminaire épiscopal. La vue principale est le Séminaire; la deuxième et l'accidentelle regarde ceux qui en ont soin.

« Je dis la même chose, ajoute-t-il encore, des fondations de M. Soumande et de M^*" de Saint- Vallier. Je pense qu'on ne dispute point que c'est à nous à nommer les per- sonnes qui doivent les remplir. »

Puis il se met en devoir de faire la distribution des pen- sions Laval, Soumande, Saint- Vallier et Duc d'Orléans. « Voici, dit-il, l'emploi général qu'on en fera, sauf les

16; Vie de Mgr de Laval, t. II, p. 224.

150 l'église du canada

représentations. » M. Jacrau a beau se récrier : « C'est au Séminaire à disposer des places, et non pas seulement à représenter » : il a perdu la confiance de l'Evêque ; et celui-ci passe outre. Il distribue en trente-six parts iné- gales, variant de trois cents à cent francs, le montant total des fondations, nomme les trente-six élèves qui en bénéfi- cieront ^'^, et ajoute :

(f Si MM. du Séminaire veulent présenter quelques autres sujets, on fera des efforts pour y pourvoir. S'ils trouvent qu'il faudrait donner moins à quelques-uns, on se prêtera à tout ce qui paraîtra juste. . . »

*

* *

La situation était évidemment grave, anormale, les rapports tendus entre l'Evêque et son Séminaire diocésain : les choses ne pouvaient rester longtemps dans un état si voisin de la rupture. On se hâta d'écrire à Paris, de part et d'autre ; et le Séminaire des Missions-Etrangères se décida à envoyer à Québec un de ses propres directeurs pour améliorer la situation.

M. de Lalane quitta Paris au printemps de 1748, et arriva à Québec dans le cours de l'été :

« M. de Lalane va remplacer M. Vallier, écrivait de Paris M»*" Dosquet à M. Jacrau. Il édifiera beaucoup par sa vertu et sa piété ^^ »

17. Voici les noms de ces élèves, et le montant de pension que l'Evêque attribuait à chacun d'eux: c'étaient, la plupart, des élèves du Grand Séminaire :

" Sarault, 300 francs ; Porlier, 300 ; Petit, 300 ; Mercier, 250 ; Lagroix, 200; Guai, 250; Girauville, 200; Morant, 150; Duburon, 150; Filion, 100; Bedard, 100; Brassard, 200; Normanville, 250; Cavelier, 100; Des- roches, 150; Longval, 150; Guai, 100; Proult, 150; Lataille, 150; Dielj 150; Bedard, 50; Youville, 200; Gatien, 100; Parent, 150; Bériault, 150; Verrault, 100; Duvernay, 200; Baby, 150; Brassard, 150; Mantet, 100; Hamel, 100; Lantagnac 200; Aubert, 150; Marchand, 100; Valens, 140 ou 150; Cloutier, 100.

18. Archives de l'archevêché de Québec, lettre du 29 février 1748.

sous M«' DE PONTBRIAND I5I

« Il s'en va an Canada, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu, avec un autre ecclésiastique ^^, pour y arranger pendant quelque temps le Séminaire de Québec, y nommer un Supérieur, y placer chaque sujet dans le poste qu'il peut remplir ''^^, et y mettre tout dans l'ordre il doit être. Dieu veuille que ce soit sans bruit et sans altercation vis-à-vis du Seigneur évêque, qui est homme ferme. Mais grâce à Dieu je ne serai ni témoin ni agent pour rien dans ce qui se passera. Je connais les vues de MM. les Supérieur et Directeurs de cette maison-ci "-\ qui sont très bonnes et très pacifiques ; mais je redoute le meum et le tuum jrigtdum ^^. . . »

En arrivant à Québec, M. de Lalane prit de suite, avec l'agrément de l'Evêque, les rênes du gouvernement, au Séminaire. Il y eut bientôt une détente notable dans les esprits. M. de Lalane était, au dire de M. de l'Ile-Dieu, «un grand parleur»; l'abbé va même jusqu'à écrire «qu'il disait plus de mots que de choses» ^^; et l'on sait que ces sortes de gens ont souvent beaucoup de succès. L'Evêque, persuadé qu'il avait trouvé le «Supérieur pacifique» avec lequel il pourrait s'entendre, ne tarda pas à le nommer son grand vicaire. Le Chapitre l'invita à assister aux offices «en habit canonial,» et ce, disait-il, «par honnêteté, et sans conséquence pour l'avenir» '^^. Au Séminaire, ]\I. de La- lane fit adopter par ses confrères d'excellentes résolutions, qui mettaient en relief son amour de l'ordre et de la disci- pline. On décida, entr'autres choses, que les directeurs se réuniraient au moins une fois par semaine : il y aura dans

19. Cet ecclésiastique était M. Pressart, qui devint l'un des directeurs et le procureur du Séminaire.

20. En un mot, faire " la distribution des talents ", à laquelle Mgr de Pontbriand n'avait procédé que d'une manière provisoire.

21. Les Missions-Etrangères, il demeurait.

22. Corresp. générale, vol. 92, lettre au ministre, 2 mars 1748.

23. Recherches historiques, vol. XV, p. 42.

24. Registre du Chapitre, séance du 20 septembre 1748.

152 L^ÉGLISE DU CANADA

la maison, disait le règlement, plusieurs exercices de piété en commun, conférences spirituelles chaque vendredi, « aux- quelles tout le monde assistera, et les directeurs donne- ront le sujet de l'oraison chacun leur tour;» on avertira le Supérieur, quand on s'absentera, etc ^^.

Mais ce qui fit surtout plaisir aux amis de la tradition, ce qui les reportait à cinquante ans en arrière, ce fut la résolution que fit prendre au Séminaire M. de Lalane de réaliser sans plus de délai un désir souvent exprimé par M^^ de Laval : celui de voir construire une clia])eile exté- rieure ^^ pour remplacer celle qui avait été incendiée en 1701, et n'avait pu être relevée encore, faute de moyens. Cette chapelle incendiée en 1701 était très belle, avec sa voûte en caissons et ses sculptures élégantes et bien fouil- lées, que les écoliers eux-mêmes avaient faites durant leurs récréations et leurs jours de congé, sous la direction de leur maître, l'abbé Leblond. Elle était très élevée, oc- cupant les trois étages de la maison. Le public y avait un accès facile par la rue de la Montagne, qui se continuait, à cette époque, devant l'emplacement de l'évêché actuel jusqu'à la porte du séminaire. En ouvrant cette porte, on avait à gauche le Parloir ^^, et à droite l'entrée de la cha- pelle. Le Parloir ayant été transféré plus tard à l'endroit il est maintenant, c'est aussi de ce côté que l'on cons- truisit la nouvelle chapelle, si simple, si peu prétentieuse, que nous avons tous connue dans notre enfance, nous entendions la messe à l'époque de notre cours d'études, et que nous aimions tant à cause des souvenirs qu'elle nous rappelait, et surtout à cause des peintures admirables qui jetaient tant de vie et de couleur sur la blancheur de ses

25. Histoire manuscrite du Sém. de Québec.

26. Voir le No. I de l'Appendice.

27. De le nom de Rue du Parloir donné à ce bout de la rue de la Montagne qui avoisinait le Séminaire. A l'époque de nos études clas- siques, la salle du Parloir était devenue l'atelier de VAbeille.

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murailles. Elle fut incendiée à son tour, hélas! en 1865. Sa construction remontait au temps de M. de Lalane. Nous en reparlerons dans un autre chapitre. N'anticipons pas davantage sur les événements.

CHAPITRE XV

DEUXIÈME VISITE PASTORALE DE M^"" DE PONTBRIAND. SES RAPPORTS AVEC LA JONQUIÈRE ET BIGOT

Mandement pour la deuxième visite pastorale du diocèse. L'itinéraire. Au Cap-de-la-Madeleine. Aux Forges Saint-Maurice. A Montréal et autres paroisses de l'Ile. Réception du nouveau gouverneur à Québec. L'intendant Bigot. Caractère de La Jonquière. Son neveu, Cabanac-Taffanel, Doyen du Chapitre.

HEUREUX de voir les travaux de sa cathédrale terminés, l'ordre rétabli dans son Séminaire, la piété restaurée dans sa ville épiscopale par le Jubilé, la paix rendue au pays par le traité d'Aix-la-Chapelle (1:^48), M^^ de Pont- briand se décida au printemps de 1749 à entreprendre une deuxième fois la visite générale de son diocèse. Les ma- ladies pestilentielles dont nous avons parlé dans un cha- pitre précédent régnaient encore un peu partout dans la colonie : nouvelle raison pour ce Prélat zélé et courageux de commencer sans délai cette visite, afin de consoler les malheureux et de fortifier tout le monde dans la pratique du bien.

Remarquons ici, en passant, son admirable désintéres- sement : il a peu ou point de ressources personnelles, son budjet est très limité ; il nous assure, cependant, au retour d'une de ses courses apostoliques, qu'il y avait dépensé quatre mille livres. Rien ne l'arrête quand il s'agit de remplir ses fonctions épiscopales :

« Louer et animer le zèle des pasteurs, fortifier la con- fiance et la soumission des peuples, en confirmer la foi,

l'église du canada sous m^"" de pontbriand 155

nous attendrir sur leurs désordres, reprendre, menacer, punir même, s'il le faut, les coupables obstinés, réformer les abus qui pourraient se rencontrer, établir l'uniformité, pourvoir à la décence et à la propreté des églises, examiner l'emploi des fonds qui y sont destinés, procurer aux fidèles l'instruction, résoudre leurs doutes, établir entre eux la paix et l'union : ce sont là, Nos Très Chers Enfants, les grands objets que nous nous proposons, » dit-il dans le mandement qu'il adresse « à tous les fidèles des différentes paroisses au-dessus de Québec » ^

Ce mandement est daté du 30 avril, jour anniversaire de la naissance de M^^ de Laval et de la sainte mort de la vénérable Mère de l'Incarnation.

Nous avons l'itinéraire de cette deuxième visite pasto- rale de M^^ de Pontbriand, du moins pour la partie du diocèse qu'il parcourut en 1749: on le lira sans doute avec intérêt :

« Nous visiterons, dit-il, la paroisse de Sainte-Foye - le 18 mai; le 19, Saint-Augustin; le 20, Neuville; le 21, les Ecureuils ; le 22, Cap-Santé ; le 23, le Cap-Loson ^ ; le soir du même jour, les Grondines ; le 24, Sainte-Anne de Batis- can*; le 25, la Rivière-Batiscan ; le 26, Batiscan ; le zjy

1. Mandements des Bvêques de Québec, t. I, p. 62, 30 avril 1749.

2. Dans son beau livre Une paroisse historique, Notre-Dame-de- Sainte-Foy, M. l'abbé Scott a prouvé qu'il faut écrire Sainte-Foy.

3. Le Cap-Loson, ou plutôt Lauzon, c'est la pointe élevée oii est bâtie l'église de Deschambault : endroit magnifique : " Eglise de Saint-Joseph, Cap Lauzon, sous les petits pins, seigneurie Deschambault. " (Tanguay, A travers les Registres, p. 135). Avant cette église, il y avait une cha- pelle seigneuriale, dite " Chapelle Saint-Antoine ". Elle était interdite en 1741 ; et les corps qui y avaient été inhumés furent transportés dans la nouvelle église. La cloche de cette église (Marie-Claire- Joseph) avait été bénite le ler octobre 1739. (Ibid., p. 138, 141). En 1765, le 2 juil- let, on bénit à Deschambault une autre *' petite chapelle ", la chapelle ëe M. de la Gorgendière, " proche du manoir seigneurial ". On l'appelait ha " Chapelle de la Visitation ". {Ibid., p. 188) .

4. Appelée aussi Sainte-Anne de la Pérade, du nom du seigneur Tarieu de la Pérade.

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Champlain ; le 28, le Cap de4a-Madeleine ; le 29, les Trois- Rivières; le 31, les Forges.

«Le premier juin, Machiche ; le 2, la Rivière-du-Loup, sera convoqué Masquinongé par le missionnaire; le 3, Berthier; le 4, l'Ile-du-Pads; le 5, Lanoraie; le 6, Laval- trie; le 7, Saint-Sulpice ; le 8, Repentigny; le 9, l'As- somption; le 10, Lachenaie; le 11, Terrebonne ; le 12, Sainte-Rose-de-Lima ; îe 13, Saint-François-de-Sales-de- Plle-Jésus; le 14, la Ri vière-des- Prairies ; le 15, le Saut-au- Récollet; le 16, Saint-Laurent.

D'après cet itinéraire, M^^ de Pontbriand fit un peu plus du quart du diocèse dans son voyage de 1749: il compléta en trois ou quatre fois la visite de ses paroisses, les années suivantes, mais nous n'en connaissons pas les détails.

Il ne restait généralement qu'une journée dans chaque paroisse, et ne fit exception que pour les Trois-Rivières, il demeura deux jours, par amitié sans doute pour les bons Pères Récollets, qui desservaient la paroisse, par complaisance, également, pour les religieuses Ursulines, dont le monastère avait été si éprouvé dans les premières années de sa fondation ^: il était à la veille de l'être encore bien davantage.

La journée qu'il consacrait à chaque paroisse était bien employée: lui et les deux prêtres qui l'accompagnaient se levaient de grand matin pour entendre les confessions:

(' Faites en sorte, disait-il dans son mandement, d'assister le jour de la visite à la sainte messe. La première se dira vers les cinq heures, la seconde à six, la troisième à sept, la quatrième à huit, et la mienne environ les dix heures. Quelle consolation pour nous si, comme dans la première visite, nous voyons la plupart d'entre vous recevoir de nos mains l'adorable Eucharistie ! »

5. Voir mon premier volume, L'Eglise du Canada sous Mgr de Saint- Voilier, p. 162.

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Dès son arrivée au presbytère, il se mettait à la dispo- de tous ceux qui désiraient lui parler:

« Nous écouterons avec plaisir, dit-il, ceux qui nous informeront de ce qu'ils croiront mériter notre attention. Malheur à ceux qui, par une charité mal placée, dissimu- leraient des abus que nous pourrions réformer ! »

Outre les deux prêtres qui l'accompagnaient dans sa vi- site de 3749, M^' de Pontbriand avait avec lui le jeune abbé Sarault, natif de Montréal, qui avait fait ses études au Séminaire de Québec. Il lui servait de cérémoniaire et de secrétaire ^. Il n'était encore que diacre ; mais comme il avait une très belle voix et une bonne écriture, il pou- vait lui être très utile en maintes occasions. C'était d'ail- leurs un excellent caractère. Sarault fut ordonné prêtre dans le cours de l'automne et prit de suite charge de la nouvelle paroisse de Saint-Charles de la Rivière Boyer ^, qu'il gouverna jusqu'à sa mort en 1794.

Sainte-Foy ou Notre-Dame-de-Foy était la première étape du voyage de M^^ de Pontbriand. Pouvait-il le com- mencer sous de plus heureux auspices? Un endroit tout embaumé du souvenir de nos anciens jésuites, les Le Jeune, les DeQuen, les Chaumonot et tant d'autres! L'église de Charles-Amador Martin, le deuxième prêtre canadien, qui retentit longtemps des accents de sa voix si musicale ! Sainte-Foy avait alors pour curé un autre bon prêtre cana- dien, M. Le Prévost.

A Neuville, encore une ancienne paroisse, dirigée pen- dant longtemps par les bons vieux prêtres du Séminaire, les Germain Morin, les Basset, les Pinguet, puis par M. de l'Orme, avant qu'il partît pour la France. En 1749, elle avait pour curé M. de Lotbinière. fils du doyen de la ca-

6. Archives paroissiales de Sainte-Anne de la Pérade.

7. La paroisse natale de l'auteur.

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thédrale, qui la gouverna plus de trente ans, et eut pour successeur un autre grand personnage, M^'" Bailly de Mes- sein, évêque de Capse ^, coadjuteur de Québec, qui mourut en 1794, sans avoir pu arriver au siège épiscopal de Qué- bec, cette terre promise qu'il ne fit qu'entrevoir.

En arrivant à Sainte- Anne de Batiscan, ou de la Pérade, que de tristes souvenirs se présentaient à l'esprit de M^ de Pontbriand : la mauvaise conduite, les scandales de Voyer ! Mais il y avait un bon prêtre, l'abbé Rouillard, qui s'efforçait de réparer, autant que possible, l'irréparable.

Au Cap-de-la-Madeleine, Sainte-Madeleine-du-Cap,. comme disait M^^ de Saint-Vallier l'Evêque fut profondé- ment touché de la dévotion au Saint-Rosaire qui embau- mait cette paroisse, son pieux sanctuaire, surtout, devenu déjà un lieu de pèlerinage. Tout cela remontait à un bon vieux prêtre du Séminaire de Québec, membre du Cha- pitre, l'abbé Paul Vachon, Canadien de naisssance, qui fut curé du Cap l'espace de quarante ans. Dès 1694, il avait obtenu de Rome la permission d'ériger dans sa modeste église la confrérie du Saint-Rosaire, et il l'érigea en effet en 1697 avec l'agrément de son évêque, M^^ de Saint- Vallier. Quelques années plus tard, le pieux Prélat étant en visite pastorale à Sainte-Madeleine-du-Cap, et se ren- dant aux désirs de M. Vachon, émettait un décret pour la construction d'une nouvelle église à cet endroit : c'était le

13 mai 1714 :

« Nous avons déclaré aux habitants, à la fin de notre prédication, dit-il, que notre intention était qu'ils fissent paraître leur zèle en travaillant à la construction d'une nouvelle église de pierre, pour la bâtisse de laquelle nous avons promis de donner abondamment, et que nous espé-

8. De le nom de Grand et Petit Capsa donné à deux rangs de k paroisse de la Pointe-aux-Trembles de Neuville, dans la profondew des terres.

sous M»*^ DE PONTBRIAND

159

rons qui sera faite bientôt, si les habitants qui sont des deux côtés de la rivière y contribuent, comme nous les y exhortons pour l'honneur de la grande Sainte, leur Patronne, et leur avantage particulier, leur déclarant que nous permettrons volontiers la bâtisse d'une nouvelle cha- pelle du côté de Bécancour, après qu'ils auront fait paraître leur zèle pour la bâtisse de celle de Sainte-Madeleine, qu'ils doivent toujours regarder comme leur église mère matrice ^. . . »

Cette église fut construite en 171 7, sous la direction de M. Vachon, et subsiste encore ^^. Quel est le pèlerin qui n'aimera à se rappeler qu'elle est due à l'initiative de ce bon missionnaire du Séminaire de Québec, à la générosité de M^^ de Saint- Vallier, aux contributions réunies des habitants du Cap et de Bécancour? Bécancour était alors desservie par le curé du Cap-de-la-Madeleine, M. Vachon. Selon la tradition, il se noya dans le fleuve en revenant d'y exercer son ministère sacré : son corps fut retrouvé et inhumé sous le maître-autel de l'église du Cap.

Par son testament, il abandonnait généreusement à sou église tout le bien qu'il laisserait à sa mort ^^

Ces détails, conservés précieusement aux archives pa- roissiales, intéressèrent vivement M^'^ de Pontbriand, au cours de sa visite.

Aux Trois-Rivières, le Prélat fut réjoui à la vue de la belle église paroissiale qui ornait cette ville :

(( Elle est bien bâtie, grande et bien ornée, écrit Fran- quet. Il y a entre autres choses remarquables une chaire d'une sculpture des plus fines et des plus recherchées ^^. »

9. Archives paroissiales du Cap-de-la-Madeleine.

10. On sait que la paroisse et le pèlerinage du Cap-de-la-Madeleine sont maintenant sous la direction des R. R. Pères Oblats de Marie Immaculée, ces apôtres incomparables de l'Amérique du Nord.

11. Archives du Séminaire de Québec, Cahiers Plante.

12. Voyages de franquet, p. 16.

l6o I^'ÉGLISE DU CANADA

On ne manqua pas, sans doute, de parler à M^'^ de Pont- briand du Frère Didace, qui était à cette époque en si grande réputation de sainteté aux Trois-Rivières et dans tout le district.

Des Trois-Rivières, le Prélat se rendit aux Forges de Saint-Maurice ^^, distance de trois lieues. Sa visite pasto- rale à cet endroit enchanteur dut être pour lui une agréable diversion au milieu des fatigues d'un voyage pénible. Laissons parler ici un chroniqueur :

« La petite république des Forges, dit-il, a compté, à diverses époques, cinquante, cent, et cent-trente maisons. Les usines sont noires, les maisons jaunes, gris pâle, rouges parfois, et toutes si propres, que pour l'entretien de ces demeures et le soin de leur toilette personnelle, les gens des Forges sont passés en proverbe.

(( Le site est ravissant. Un gros ruisseau qui tombe en cascade dans le Saint-Maurice, coupe l'endroit par le milieu et livre ses pouvoirs d'eau à qui veut les prendre ^^ Les hauteurs, couronnées par la forêt primitive, encadrent le paysage sur lequel se détache, imposante dans sa masse, la «grande maison,» avec son toit normand, ses murs énormes et ses fenêtres riantes aux quatre faces de son long carré.

« Une chapelle en bois rond y existait dès 1740. M^"* de Pontbriand la visita en 1749. Plus tard, elle servit de remise pour les voitures, puis disparut. Il restait encore

13. Le Saint-Maurice tient son nom de Maurice Poulin, qui, dès 1668, avait obtenu et mis en valeur un fief le long de cette rivière : " On prit l'habitude de dire " la rivière à Maurice ", et bientôt la désignation de "Saint-Maurice" prévalut". {Les Ursulines des Trois-Rivières, t. I, p. 380).

14. Il parait que l'on coula autrefois aux Forges Saint-Maurice des pièces de canon : " Il a été coulé au fourneau de Saint-Maurice quelques pièces de canon de 4. par les soins de M. le chevalier de Beauharnais. Nous vous rendrons compte de l'épreuve que nous en ferons faire. . . " (Corresp. générale, vol. 91, lettre de La Galissonnière et Bigot au mi- nistre, 26 septembre 1748).

sous M^ DE PONTBRIAND l6l

en 1860 la sacristie, bâtiment de pierre, mesurant vingt pieds sur vingt ^^ »

La chapelle des Forges était desservie par un Père Récollet, que « le Roi y entretenait à titre d'aumônier » ^^»

*

* *

L'itinéraire de la visite que nous avons cité tout-à-l'heure laissait M^^ de Pontbriand le 16 juin à Saint-Laurent de Montréal. N'allons pas croire, toutefois, que sa visite pas- torale se termina à cet endroit. Il y avait un mois qu'il était parti de Québec ; il ne devait y retourner que cinq ou six semaines plus tard. Il lui fallait maintenant faire la visite de Montréal et de toutes les paroisses de l'Ile. L'iti- néraire n'en mentionnait qu'une, Saint-Laurent ; mais il y avait aussi Lachine, la Pointe-Claire, Sainte-Anne, Sainte- Geneviève, le Saut-au-Récollet, la Longue-Pointe. Toutes ces paroisses étaient desservies par Saint-Sulpice : M. de Vallières était à Lachine, M. Perthuis à la Pointe-Claire, M. Depéret à Sainte-Anne, M. Faucon ^^ à Sainte-Gene- viève, M. Matis à Saint-Laurent, et M. Chambon au Saut- au-Récollet ^^. M^^ de Pontbriand fît la visite pastorale de toutes ces paroisses.

Il fit aussi la visite de Notre-Dame de Montréal et de ses communautés religieuses. Il avait surtout à s'occuper de la grande affaire de M^^ d'Youville et de ses compagnes, qui allaient remplacer les Frères Charon à l'Hôpital Géné- ral, affaire dont nous parlerons dans un autre chapitre. Bref, le pieux Prélat était encore à Montréal ou dans les

15. Les Ursulines des Trois-Rivières, t. I, p. 382.

16. Voyages de Franquet, p. 21.

17. Voir, au volume précédent, p. 400, la lettre de M. Faucon sur la dévotion à Mgr de Lauberivière.

18. Bdits et Ordonnances, t. II, p. 592. n

l62 I^'ÉGLISE DU CANADA

environs le lo juillet, puisqu'il datait ce jour-là un de ses mandements « de la Longue-Pointe, dans le cours de mes visites ».

La Lougue-Pointe, une des paroisses desservies par les Sulpiciens, avait alors pour curé M. Benoît Favre ^^. On y tenait registres depuis 1724.

M. Antoine Déat continuait à desservir la paroisse de Notre-Dame, dont la ville n'était qu'une partie; le reste était encore « la campagne « : la Côte de la Visitation, la Côte Saint-Pierre, la Côte des Argoulets, etc. L'Hôpital Général lui-même était en dehors de la ville proprement dite '^", ainsi que Bon-Secours ^^

Le mandement que M^^ de Pontbriand data de la Longue- Pointe le 10 juillet ordonnait un Te Deiun pour la Paix d'Aix-la-Chapelle, qui devait être chanté le dimanche sui- vant dans les trois églises paroissiales de Québec, Montréal et Trois-Rivières. C'est le Prélat lui-même qui présida la cérémonie dans Notre-Dame de Montréal.

Tout occupé qu'il était de mille manières à Montréal, M^^ de Pontbriand se hâta de descendre à Québec pour s'y trouver à l'arrivée du nouveau gouverneur, M. de la Jon- quière, attendu de jour eu jour, et le recevoir lui-même dans sa cathédrale. C'était la troisième fois que ce gou- verneur se mettait en route pour venir prendre en mains le commandement de la Nouvelle-France, dont il avait été investi dès 1746. Cette année-là, il s'était embarqué sur un des vaisseaux du duc d'Anville, et subit naturellement le sort de cette malheureuse flotte. Il fut cependant assez heureux pour retourner en France, d'où il repartit l'année suivante (1747) pour passer au Canada.

19. L'ancien curé de la paroisse Saint-Sulpice, il avait remplacé M. Baret.

20. lEdïts et Ordonnances, t. II, p. 592.

21. "A une petite distance de la ville." (Faillon, Vie de la Sœur Bourgeois, t. I, p. 98).

sous M»*" DE PONTBRIAND 163

Cette fois, il commaudait une des deux escadres envoyées par la France en Amérique dans le but d^attaquer les vaisseaux de la marine anglaise. C'était à cette époque une lutte à outrance pour la suprématie sur mer, lutte dans laquelle la France devait pitoyablement succomber. Jonquière fit la rencontre de dix-neuf navires anglais ayant des forces triples de celles dont il pouvait disposer lui-même. Il combattit vaillamment, mais fut enfin obligé de baisser pavillon :

« Notre escadre a été accablée «, écrivait le Président du Conseil de Marine au duc de Penthièvre ^l

Jonquière fut conduit prisonnier en Angleterre, il resta jusqu'à la paix d'Aix-la-Chapelle: et c'est ainsi que M. de la Galissonnière le remplaça deux ans à Québec comme gouverneur du Canada.

Il put enfin arriver à Québec dans l'été de 1749 pour prendre les rênes de son gouvernement, et suivant l'usage se rendit aussitôt à la cathédrale :

«Il trouva, dit la chronique, à l'entrée de l'église, M l'Evêque, accompagné de son Chapitre et du Clergé, trois d'entre eux revêtus de la chape et de dalmatiques. L^e Prélat, après l'avoir complimenté, lui présenta à baiser le crucifix, qui avait été placé à cet effet au bas de l'église sur un carreau de velours violet. Après avoir pris de l'eau bénite de la main de M. l'Evêque qui tenait le goupillon, il fut conduit à la place qui lui avait été préparée dans le lieu le plus éminent de l'église, le clergé chantant des antiennes convenables à sa réception. On entonna ensuite V Exaudiat^ et la cérémonie finit par plusieurs oraisons pour la conservation de la santé du Roi.

(( De là, ajoute la chronique, il se rendit au Château Saint-Louis, oii il était attendu par toutes les personnes de

22. Rapport. . . pour 1903, p.

164 l'église du canada

distinction de la ville. Un moment après qu'il fut entré, arrivèrent les députés du Conseil Supérieur, qui le compli- mentèrent sur son heureuse arrivée en cette colonie. Le Chapitre suivit de près, et le Théologal à la tête, M. de La Ville-Angevin, lui fit un discours très touchant sur le choix

23

. »

que Sa Majesté avait fait de lui pour Gouverneur

Jonquière prit séance au Conseil Supérieur le 16 août; et M^^ de Pontbriand, qui savait toujours (c rendre à César ce qui appartient à César», ne manqua pas de lui faire honneur de sa présence en cette occasion, comme il avait fait l'année précédente, le 2 septembre, à l'intendant Bigot lui-même ^*.

Bigot avait en effet précédé Jonquière d'une année dans l'administration de la colonie. Il devait venir sur la Fri- ponne'^^ ; mais il y eut contre-ordre: c'est le Zéphir qui l'amena au Canada ^^. Pour arriver plus tôt à Québec, et y rencontrer l'intendant Hocquart, auquel il succédait, il prit terre à Saint- Joachim ; c'est donc la Côte Beaupré qui eut les prémices de sa présence sur la terre canadienne ^.

Cet audacieux coquin avait contribué par ses malversa- tions à la perte de Louisbourg. Il dut même aller à Paris, sur l'ordre de la Cour, pour rendre compte de sa conduite, mais n'eut pas de peine à se disculper de toutes les accusa- tions portées contre lui. Le ministre écrivant à M™® Bigot, sa mère :

« C'est pour les affaires du service, lui dit-il, que l'on a retenu en France votre fils. Le compte qu'il a rendu de son administration à l'Ile Royale m'a confirmé dans la

23. Corresp. générale, vol. 89.

24. Registres du Conseil Supérieur.

25. Rapport, .-.pour 1905, p. 102.

26. Ihid., p. 105.

27. Corresp. générale, vol. 92, lettre de Bigot au ministre, 7 septembre 1748.

sous M"*' DE PONTBRIAND 165

bonne opinion que j'ai de lui. Il ira vous voir dans quelques jours : sa présence est aujourd'hui nécessaire à Rochefort -^. »

Par son habileté, Bigot avait su capter la confiance de la Cour à un degré extraordinaire. En voulons -nous un exemple? Il y a à peine un an qu'il est à Québec, qu'il reçoit l'ordre de se rendre « à l'Ile-Royale, pour y organiser et mettre en marche, de concert avec MM. Desherbiers ^ et Prévost, les divers services de la colonie» '^^\ et c'est le Roi Ini-même qui lui écrit de sa main pour lui confier cette tâche importante! Suivant l'expression pittoresque de l'abbé de l'Ile-Dieu, Bigot tenait au Canada « la manivelle du gouvernement » ^^ Faut-il s'étonner de la confiance que l'Evêque lui-même paraît lui avoir donnée, surtout dans les commencements? Jonquière écrit un jour :

« Je me suis trouvé dans divers repas avec M. l'Evêque et M. Bigot; il m'a paru qu'ils étaient d'une très bonne intelligence. Je ferai dtj mon mieux pour les y mainte- nir ^-. w

Pour Jonquière, on sait la réputation d'avarice sordide qu'il a laissée dans les annales de notre histoire. Il est riche, il est millionnaire, et cependant il vit en quêteux : on raconte de lui, à ce sujet, des détails que la grande histoire se refuse à reproduire 33. Il profite de vSa position pour

28. Rapport. . . pour 1903, p. 55, 59.

29. L'Ile Royale ayant été rendue à la France par le traité d'Aix-la- Chapelle, M. Desherbiers en fut nommé commandant ou gouverneur, et M. Prévost commissaire ordonnateur. Tous deux s'y rendirent en 1749 pour en prendre possession, des Anglais.

30. Ce M. Prévost reçut un jour une bonne leçon de la part du mi- nistre. Il avait cru devoir lui faire cadeau d'une peau de renard : " La peau de renard noir que vous m'avez envo)^ée est fort belle, lui écrivit M. Rouillé, et je vous en remercie; mais je vous prie de ne plus me faire de tels envois." (Rapport. .. pour 1905, p. 139).

31. Recherches historiques, vol. XV, p. 135

32. Corresp. générale, vol. 93, lettre au ministre, 20 septembre 1749.

33. Voir Mémoires sur les affaires du Canada, de 1749 à 1760, p. 24.

i66 l'église du canada

s'enrichir encore davantage, forme une société avec Bigot, Bréard, Marin et autres pour l'exploitation des postes de l'Ouest, et y réalise des profits énormes. Smith estime à trois cent mille francs la part seule du gouverneur. (( Bigot, écrit Margry, n'avait jamais assez d'argent pour le dissiper, La Jouquière pour l'entasser 34. »

Personne ne poussa jamais plus loin que lui le népotisme. Il trouve, en arrivant à Québec, le Doyenné de la cathé- drale vacant par la mort de M. de Lotbinière, décédé le 14 février 1749. Vite, il supplie l'Evêque de l'aider à faire nommer à cette dignité un de ses neveux, et il écrit au nouveau ministre, M. Rouillé, qui vient de remplacer M. de Maurepas :

« En arrivant dans ce pays, j'ai trouvé le Doyenné du Chapitre de Québec vacant par la mort de M. de Lotbinière, et j'ai appris que M. de Maurepas avait dès l'année dernière jugé à propos que cette place fût remplie par un prêtre européen. J'ai un neveu, qui est l'abbé de Cabanac- Tafïanel 35, curé de Saint-Jean-de-la-Boutavié, dans le dio- cèse d'Albi, que j'ai proposé à M. l'Evêque pour remplir cette place. Il m'a promis de vous en écrire, et j'ose vous prier de vouloir bien être favorable à mon neveu, qui est un sujet propre de toutes les façons à bien remplir cet emploi. Je serai charmé de l'avoir auprès de moi, en attendant qu'il puisse avoir quelque bénéfice, et je vous serai doublement obligé si vous voulez bien lui accorder votre protection pour que cela soit bientôt se- . »

Nous ne savons si en effet M^^' de Pontbriand écrivit en faveur de Cabanac-Taffanel ; mais il s'était déjà prononcé pour un étranger :

34. Garneau, Histoire du Canada, t. II, p. 132.

35. Il l'appelle Cabanac-'i affanel, et celui-ci signait La Jonquière- Cabanac. (Recherches historiques, vol. XV, p. 97).

36. Corresp. générale, vol. 93, lettre du 20 septembre 1749.

sous M^"" DE PONTBRIAND 167

'( Il serait à souhaiter, avait-il écrit à la Cour l'année précédente, que le successeur de M. de Lotbinière fût un komme éclairé, pacifique. Peut-être serait-il bon qu'il ne fût pas de ce pays 37. . «

Cabanac-Tafïanel fut nommé par le Roi : c'est-à-dire qu'on fit passer à Québec comme doyen du Chapitre un homme qui ne connaissait rien des traditions, des besoins, de l'état de notre Eglise ; un homme qui ne cherchait qu'à se placer, «en attendant mieux», suivant l'expression de Jonquière lui-même ; un homme atteint comme son oncle d'une maladie de famille, la cupidité, et qui la laisse voir de suite, en arrivant :

(f Je n'ai jamais vu un plus pauvre Chapitre, « dit-il au ministre la première fois qu'il lui écrit. Il le remercie «de la grâce qu'il lui a faite « en lui accordant sou pasj^age pour le Canada; puis il ajoute: «Les revenus sont bien minces, et bien au-dessous de ce qu'il m'en a coûté pour venir de France 38.» Et cependant sa prébende comme Doyen est double de celle des autres chanoines; et la prébende des chanoines, en 1748, est cotée à sept cent trente-six livres 39; elle sera cotée, en 1750, à huit cent quatre-vingt-sept livres *^.

Il y avait tant de Canadiens méritants, formés au Sémi- naire de Québec, imbus des traditions du fondateur de notre Eglise, qui auraient pu avec avantage remplir les fonctions de Doyen ! et s'il fallait absolument un Français pour le Doyenné du Chapitre de Québec, M^^ de Pont- briand n'en avait-il pas un de première valeur auprès de lui, le chanoine Briand, qui devait être un jour son suc-

37. Corresp. générale, vol. 80, lettre au ministre, 8 octobre 1747.

38. Archives de l'archev. de Québec, Documents de Paris, Eglise du Canada, t. II, lettre du 4 nov. 1750.

39. Recherches historiques, vol. XIV, p. 200, lettre de La Ville- Angevin, 30 octobre 1748.

40. Ibid., p. 270.

l68 L'ÉGLISE DU CANADA

cesseur sur le siège épiscopal ? Il voudra l'avoir plus tard comme Doyen, mais il ne sera plus temps. Cabanac, en effet, ne fut pas lent à partir pour la France, après la mort de son oncle La Jonquière, en quête de quelque gras bénéfice ; et M^^ de Pontbriand écrivit à M. de Lalane, son grand vicaire, pour le prier de faire nommer M. Briand au doyenné de Québec, advenant la démission de Cabanac. Mais M. de La Corne avait pris les devants, et c'est lui qui fut nommé par le Roi Doyen du Chapitre le 13 mars

1755*'-

Trop de complaisance envers La Jonquière et Bigot

pouvait avoir de graves inconvénients. C'est justement à cette époque, par exemple, que Bigot commençait à déni- grer les Canadiens :

« L'babitant, avide de gain, écrit-il au ministre, étant accoutumé depuis quelques années à vendre à haut prix les choses nécessaires à la vie, n'a encore voulu souffrir aucune diminution ; et les citoyens des villes sont forcés d'acheter sur le prix qu'il exige. Il est de la dernière conséquence de remédier à cet abus *"-... »

C'est-à-dire que Bigot voulait avoir les effets des habi- tants à bon marché, pour les revendre lui-même au gouver- neinent à des prix fabuleux par l'entremise de ses amis, dont il allait faire la fortune, en faisant la sienne !

Il cherche, également, à dénigrer les membres du Con- seil Supérieur, pour se faire passer, lui, pour un parangon de vertu :

c( J'ai vu dernièrement, dil-il, dans une affaire criminelle, au Conseil, que les Juges étaient d'accord, avant d'entrer, pour sauver le coupable. Je veux mettre ordre, si je le peux, aux brigues. Elles ne leur conviennent point; et

41. Recherches historiques, vol. XV, p. 97.

42. Corresp. générale, vol. 92, lettre du 7 novembre 1748.

sous M^''" DE PONTBRIAND 169

c'est rendre un mauvais service à la colonie que d'y tolérer le crime. C'est ce qui est cause qu'on y vole impunément, et surtout le Roi. Mais j'espère que cela chargera 43. »

« Il est incroyable, ajoute-t-il encore l'année suivante, comme le Roi est volé, au Canada ^*. . . »

Et il signale au ministre une foule d'abus qui, d'après lui, « se sont produits dans les dépenses pour les travaux des fortifications )k Puis il attaque nommément, à ce sujet, MM. de Léry, père et fils, lesquels ont toujours joui de l'estime et de la considération des Canadiens *\

Voilà l'hypocrite que le gouverneur semblait prendre plaisir à montrer comme étant « en parfaite intelligence » avec l'Evêque !

43. Corresp. générale, vol. 92, lettre du 28 octobre 1748.

44. Ibid., vol. 93, lettre du 12 oct. 1749.

45. Rapport. . . pour 1905, p. 108.

CHAPITRE XVI

LE JUBILÉ DE L' ANNÉE SAINTE (175O-52). M^'" DE PONTBRIAND AU FORT DE LA PRÉSENTATION

Le Jubilé de 1750, célébré an Canada en 1752. Mandement de l'Evêque. Son zèle apostolique. Mort de M. de la Jonquière. Le Cha- pitre le traite comme un chanoine. Voyage de l'Evêque à la Pré- sentation. — L'abbé Picquet et ses Sauvages, à Paris.

IL fallait bien que l'Evêque fît tout son possible pour s'entendre avec le gouverneur et l'intendant : la Cour lui en faisait un devoir, même pour des choses qui ne paraissaient regarder que la religion. Le ministre lui envoie, au printemps de 1751, la bulle de Benoît XIV pour le Jubilé de l'Année Sainte !

« Je vous envoie, lui dit-il, la bulle que le Pape a fait remettre au Roi pour le Jubilé. Il faudra vous concerter avec MM. de La Jonquière et Bigot pour la date de sa publication ^ »

Cette bulle de Benoît XIV était datée du 25 décembre 1750, et le Jubilé qu'elle annonçait était une extension à l'univers chrétien de celui qui avait été célébré à Rome durant l'Année Sainte. En France et dans tous les pays européens le Jubilé avait eu lieu en 1751 ; ici, la bulle n'étant arrivée que dans l'automne, on ne put le célébrer qu'en 1752. Il commença le 16 janvier et se termina le 15 juillet:

« Nous avons appris, disait l'Evêque de Québec dans son

I. Rapport. . . pour 1903, p. 149.

l'église du canada sous m^ de pontbriand 171

mandement, avec quel zèle les fidèles de Pancienne France ont fait leurs efforts pour le gagner. Les spectacles pen- dant un mois ont cessé ; les processions continuelles n'an- nonçaient partout que la piété et la religion. Serait-il possible, N. T. C. F., que nous fussions dans cette colonie moins fervents, moins religienx ^?i)

Ce mandement, qui était très long, fut envoyé à temps dans toutes les paroisses, avec la bulle, très longue elle- même : le mandement et la bulle étaient accompagnés à'^Avis étendus et détaillés, adressés à tous les confesseurs, et à ces avis se joignait V Ordre à observer dans le temps du Jubilé. Quand on songe qu'il n'y avait pas encore d'imprimerie au Canada à cette époque ^, et que tous ces documents, couvrant plus de trente pages, durent être écrits à la main pour chaque paroisse, on ne peut qu'admirer la somme de travail et la grande bonne volonté que tous les ecclésiastiques du pays déployèrent en cette occasion. L'original de ces documents, ou une copie authentique, allait de paroisse en paroisst, de presbytère en presbytère *; chacun en prenait une copie et l'envoyait à son voisin ; et le Jubilé commença partout le 16 janvier.

Ce fut une date mémorable dans l'Eglise du Canada pour le renouvellement de la piété et de l'esprit religieux. Le travail apostolique que l'Evêque s'imposa durant ce Jubilé

2. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 92, 27 décembre 1751.

3. D'après un de nos érudits, Mgr de Pontbriand finit par avoir une petite imprimerie, dont lui aurait fait présent le Roi de France ; et c'est avec cette imprimerie qu'auraient été imprimés ses deux derniers man- dements, en 1759, l'un à Québec, l'autre à Montréal. (Philéas Gagnon, Essai de Bibliographie canadienne, p. 381). Il est certain que dès 1748 M. de la Galissonnière avait proposé à la Cour d'établir une im- primerie au Canada, " disant que cela serait d'une grande utilité pour la publication des ordonnances, règlements de police, etc. . . " Le Roi ne jugea pas à propos de faire cette dépense, mais déclara qu'il donnerait volontiers " un privilège à l'imprimeur qui voudrait faire cette entre- prise". (Richard, Rapport. .. pour 1904, p. 153).

4. Mandements des Evêques de Québec, t, II, p. 75.

172 l'église du canada

est un des plus beaux traits de sa carrière épiscopale. Laissons la Mère du Muy de Sainte-Hélèue, religieuse ursuline de Québec, nous en donner une idée : elle écrit aux sœurs de l'Kvêque, religieuses de la Visitation, à Rennes, pour les féliciter à l'occasion de la Béatification de sainte Jeanne de Chantai, fondatrice de leur Ordre ; puis elle ajoute :

« J'ai bien des choses à vous mander de notre pauvre pays. Il y en a de consolantes, et d'autres bien tristes : les consolantes sont le zèle de notre digne évêque, qui a été infatigable dans ce temps de Jubilé. Il a commencé, avant qu'il fût pablié à la cathédrale, par donner, lui seul, cinq jours de retraite aux trois communautés de la ville. Il parlait trois fois par jour en public, dans des froids exces- sifs, vivant très frugalement. Le reste de la journée était employé à parler en particulier aux religieuses.

« Il a fait aussi plusieurs exhortations aux prêtres, aux ecclésiastiques et aux élèves du Séminaire.

(( Le Jubilé étant ouvert en janvier, on donna pendant huit jours trois exercices par jour dans la cathédrale, et Sa Grandeur parlait tous les jours de la manière la plus forte, la plus touchante et la plus pathétique.

« Cela ne fut pas plutôt achevé que, sans se reposer, il monta à Montréal, qui est à soixante lieues de Québec, il fit la même chose, tant pour le public que pour les deux communautés religieuses qui y sont ^

« Mais son zèle ne se bornant pas là, il a été confirmer et baptiser à une nouvelle mission de sauvages à quarante ou cinquante lieues au-dessus de Montréal, par des chemins qui lui étaient bien inconnus et bien affreux, puisqu'il fallait ou sauter des rapides en canot d'écorce, ou marcher

5. Les religieuses de l'Hôtel-Dieu de Saint-Joseph et les Sœurs de la Congrégation. Mme d'Youville et ses bonnes Sœurs Grises ne comp- taient pas encore !

sous M^'' DE PONTBRIAND I73

à pied, mangé de moustiques, par des routes presque im- praticables.

ff Que pensez-vous de cela, mesdames? N'est-ce pas un apôtre ? Croyez-vous qu'il n'ait pas bien gagné son jubilé? Il a été cinq mois absent de Québec; aussi, à son retour, y a-t-il ramené la joie. . .

« Ce digne Prélat comptait, en revenant de Montréal, faire une semblable mission dans la ville des Trois-Rivières, nos Sœurs Ursulines qui y sont établies auraient eu la conso- lation de l'entendre : mais les fâcheux accidents arrivés depuis peu les ont privées de ce bien ^. »

Cinq mois de travaux, de prédications, de courses apos- toliques : quelle belle couronne de mérites pour le pieux Evêque ! Les fatigues et les souffrances de toutes sortes ne lui avaient pas manqué, mais aussi que de consolations spirituelles ! La plus grande qu'il éprouva peut-être, ce fut avant son départ, durant les exercices du Jubilé à la cathédrale. Le gouverneur étant tombé gravement malade au Château Saint-Louis, notre Prélat s'empressa d'aller le voir et eut le bonheur de le convertir.

La Jonquière avait bien des défauts, mais il n'était pas un honmie pervers. Ce qu'il devait se reprocher le plus c'était le scandale qu'il avait donné par son commerce frauduleux et cette cupidité qui le poussait à s'enrichir par n'importe quel moyen, c'était surtout d'avoir accrédité par son exemple cette opinion affreuse, qu'il n'y a pas de mal à voler le Roi ou le gouvernement. La Jonquière regretta ses fautes, et fit voir que son repentir était sincère en en demandant publiquement pardon en présence de l'Evêque qui lui administrait les sacrements, et de tous ceux qui assistaient à cette scène touchante.

Il fit plus : il autorisa le Prélat à déclarer publiquement

6. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 248.

174 l'éguse du canada

du haut de la chaire de la cathédrale qu'il demandait par- don des scandales qu'il avait donnés dans son gouver- nement l Jamais spectacle plus réconfortant n'avait été donné à Québec depuis les jours de Mésy ^.

Jonquière survécut quelques semaines, et ne mourut que le 17 mars ^. Il fut inhumé aux Récollets, à côté de ses illustres prédécesseurs, Frontenac, Callières et Vaudreuil. La levée du corps avait été faite au Château par le curé de Québec, « qui le conduisit en l'église des Récollets avec les cérémonies ordinaires » ^^.

Il avait toujours montré beaucoup de sympathie au Chapitre de Québec, dont le Doyen était son neveu : aussi les chanoines, pendant sa maladie, allaient-ils tous les jours demander de ses nouvelles ^^ ; puis à sa mort ils écri- vaient en France à un de leurs confrères :

« M. le marquis de Jonquière, Général de Québec, est mort le 17 mars dernier dans les sentiments de piété et de résio-nation les plus parfaits qu'on puisse désirer. Il a été malade longtemps ; il s'est vu mourir. Il a reçu plusieurs fois le Très Saint Sacrement et tous les autres sacrements. M. le Doyen le lui donna la première fois qu'il le reçut en viatique, et le Chapitre y assista en corps; et après la mort, pour marquer sa reconnaissance et son respect pour la mémoire d'un homme qui l'avait protégé si parfaitement, le dit Chapitre lui a fait faire un service ^^, avec le plus de

7. Manuscrits de l'abbé Casgrain, cités dans Les Bvëques de Québec, p. 240.

8. Vie de Mgr de Laval, t. I, p. 449.

9. M de la Jonquière avait demandé déjà et obtenu d'être relevé de ses fonctions, et son successeur, M. Duquesne, était nommé. La mort ne fit qu'avancer son terme d'office. \Rapport. . . pour IÇ05, p. 160, lettre du Roi à M. de la Jonquière, 11 mai 1752).

. 10. Archives du Sém. de Québec, Cahiers Plante, Acte de Sépulture du 20 mars 1752.

11. Registre du Chapitre, séance du 13 janvier 1752.

12. Le 17 avril, trentième jour après le décès.

sous M^^ DE PONTBRIAND I75

décence qu'il lui était possible ^^, M. l'Intendant, M. de Lougneil, commandant général, et tout l'état militaire nous firent l'honneur d'assister avec beaucoup de monde de la ville, et beaucoup de prêtres et de religieux ; et de plus chaque chanoine lui a dit ou doit dire sept messes, le tout aux fins d'acte capitulaire en bonne forme. Nous vous en donnons avis et au vénéré grand Chantre, pour que vous vous en acquittiez au plus tôt. Vous voyez que nous l'avons regardé comme un chanoine ^^ Si vous voyez l'abbé de Gannes, ou que vous lui écriviez, priez-le de se souvenir à l'autel de notre bon général ^^ . . »

* *

La (( mission de sauvages >> dont parle la Mère Sainte- Hélène, se rendit M^^ de Poutbriand durant le Jubilé de 1752, c'est celle de la Présentation, fondée trois ans au- paravant ^^, à l'embouchure de la rivière Oswégatchie, par l'abbé Picquet, à plus de quarante lieues de Montréal. Ce digne Sulpicien, l'un des p!us courageux et des plus entre- prenants que la Société de Saint-Sulpice ait jamais envoyés au Canada, avait fondé cette mission avec l'agrément de ses supérieurs ecclésiastiques, l'encouragement de M. de la Galissonnière et la protection de la Cour, dans le but d'y attirer les Iroquois en aussi grand nombre que pos-

13. " Les affaires du Chapitre et sa pauvreté le mettent hors d'état de faire grand." (Registre du Chapitre, séance du 14 avril 1752).

14. M. de la Jonquière, chanoine de Québec ! cela ne fait-il pas rêver à Chateaubriand, chanoine de Latran? "Samedi prochain, je me trans- forme en chanoine de Saint-Jean-de-Latran; et dimanche je donne à dîner à mes confrères. " (Souvenirs et correspondance tirés des pa- piers de Mme Récamier, t. I, p. 281).

15. Archives du Sém. de Québec, Cahiers Plante, Extraits des papiers du Chapitre de Québec.

16. Le premier juin 1749, comme il appert par une inscription latine, qui se lit en tête du Registre de la Présentation. (Voir notre étude sur Vabbé Picquet dans les Mémoires de la Société Royale, 1894, p. 10).

176 l'église du canada

sible, de les christianiser, et d'en faire des amis et des alliés de la France. Il fallait faire échec à Oswégo, qu'on avait eu l'imprudence de laisser bâtir: dans la lutte su- prême qui allait s'engager entre la France et l'Angleterre pour la possession du Canada, il fallait mettre autant que possible les sauvages de notre côté, pour nous aider, pour augmenter nos forces.

L'abbé Picquet se met donc à l'œuvre, au printemps de 1749. Rien ne peut arrêter son activité et son zèle. Ses premières constructions deviennent la proie des flammes, par le fait de quelques incendiaires Agniers, soudoyés, dit-on, par les Anglais :

(( Mais bientôt la mission sort de ses cendres, écrit M. Parkman, et au bout d'une année ou deux on y voit un Fort en palissades, flanqué de bastions, une chapelle, un magasin, un hangar, une étable, des fours, une scierie, de vastes champs de blé et de légumes, et trois villages d'Iro- quois, avec quarante-neuf cabanes d'écorce, pouvant loger chacune trois ou quatre familles. , . Le gouverneur du Canada envoie une escouade de soldats pour garder le Fort, et cinq pièces de canon ^". »

Tout cela a été créé, tout cela est sorti de terre par l'énergie d'un seul homme, l'abbé Picquet : voilà les ori- gines de la ville moderne d'Ogdensburg.

Les Iroquois, et parmi eux les meilleures familles, accourent en grand nombre se fixer à la mission, attirés par la beauté du lieu, la fertilité du sol, l'abondance de la chasse et de la pêche qu'il y a dans tous les environs, attirés surtout par les bons procédés du missionnaire qu'ils ont connu au Lac des Deux-Montagnes, il a été dix ans, et qui n'a qu'une chose en vue, à leur égard : en faire de bons chrétiens et des amis de la France.

17. Montcalm et Wolfe, t. I, p. 66.

sous M«^ dp: pontbriand 177

V La mission de l'abbé Picquet, écrira bientôt M. Duquesne, réussit au mieux. On doit l'attribuer au talent de ce missionnaire pour humaniser et manier le sauvage à sa volonté ^^. »

M^'" de Pontbriand entend souvent parler, à Québec et surtout à Montréal, de la mission de la Présentation, et du bien qui se fait dans cette partie lointaine de son dio- cèse : il y a dans l'œuvre de l'abbé Picquet quelque chose qui remue le cœur de ce grand Evêque patriote, et il se décide à aller porter lui-même à sa missiori les grâces du Jubilé. Ecrivant à ses sœurs les Visitandines dans l'au- tomne de 1751 :

« Je " compte, au printemps, dit-il, aller baptiser trois cents infidèles. Chaque baptême doit durer environ un quart d'heure. Le voyage est pénible, coûteux ^^. . . »

Il part donc de Montréal, dans la première ou la deux- ième semaine de mai, accompagné du Supérieur de Saint- Sulpice, M. Normant, de M. Montgolfier, un autre Sulpi- cien, et de M. Briand, qui l'a suivi partout durant ses courses apostoliques du Jubilé. Le P. Isidore Marsolet, récollet, missionnaire au fort Frontenac, ira les rejoindre plus tard à la rivière Oswégatchie.

Il s'agit de remonter le Saint-Laurent, de Montréal à cette rivière, en canot d'écorce, à travers une infinité de rapides, dont l'abbé Picquet dit quelque part que « tous sont comme le sépulcre des voyageurs », tant il y en a qui y ont péri ! De temps en temps, impossible d'avancer, il faut descendre à terre, et marcher le long du rivage à tra- vers les taillis, les arbres renversés, les marais, les rivières, les rochers, des chemins impraticables, portant son canot et ses provisions sur ses épaules. Quelles fatigues et

18. Corresp. générale, vol. 99, lettre au ministre, 31 octobre 1753.

19. Revue Canadienne, t. VIII, p. 436.

12

178 I^'ÉGUSE DU CANADA

quelles souffrances pour l'Evêque et ses compagnons, qui font évidemment l'expérience d'un tel voyage pour la pre- mière fois !

Ils ont sans doute avec eux des canotiers et des guides ; mais que de faux pas, que de chutes, que d'accidents dou- loureux, et surtout que de frayeurs à la vue de dangers contre lesquels ils ne sont pas aguerris !

Sur ce parcours de plus de quarante lieues, nulle habita- tion, cela va sans dire. Parlant d'un endroit oii il faut nécessairement passer en bateau ou en canot : « Si l'on y fait la moindre fausse manoeuvre, écrit l'abbé Picquet, Pon est perdu sans ressource. » '^^

Parti de Montréal le 9 mai, trois ans auparavant, M. Picquet n'était arrivé à l'endroit oii il établit sa mission que le 30 du même mois. Depuis ce temps, les voyageurs avaient acquis un peu d'expérience de la route et s'étaient aguerris contre les dangers. M^ de Pontbriand et ses compagnons arrivèrent à la Présentation vers le 25 mai.

Il y passèrent cinq ou six jours à instruire les sauvages et à leur administrer les sacrements. Ils furent à l'œuvre du matin au soir. M^^ de Pontbriand baptisa lui-même un bon nombre de sauvages '^^^ fit plusieurs mariages et con- firma cent vingt personnes ^-.

En quittant la Présentation, il laissa dans le Registre la note suivante :

« Nous avons désigné pour titulaire de l'église de la mis- sion la Sainte Trinité, parce que ce fut le jour de cette fête que M. Picquet dit la première messe, sous une tente, et que c'est ce jour (29 mai) que nous avons fini notre visite,

20 Documents de Paris, Eglise du Canada, lettre à M. de la Galis- sonnière, 4 août 1749.

21. Cent quatre vingt, d'après une lettre du P. de Bonnécamps au P. Potier : " Il baptisa, dit-on, 180 catéchumènes. . . " (Archives du Collège Sainte-Marie).

22. C'est le chiffre exact, d'après les archives.

sous M^ DE PONTBRIAND I79

«t baptisé et confirmé ceux qui n'avaient pu l'être les jours précédents. Fait, arrêté le même jour 29 de mai 1752. (signé) H.-M., évêque de Québec. »

On conserve au Lac des Deux-Montagnes un précieux souvenir de la visite de M^'^ de Pontbriand à la mission de la Présentation : une bannière, en étoffe de soie, faite par les Dames religieuses de la Congrégation, sous la direction de M. Picquet, et sur laquelle se lit l'inscription suivante (nous traduisons du latin) :

« A Dieu Très Bon et Très Grand, pour perpétuel sou- venir. L'an mil sept cent cinquante deux, le 29 mai, sous le pontificat de Benoît XIV et le règne de Louis XV, M. de Longueil étant administrateur ''^^, M. Bigot, intendant, et M. Varin 2*, commissaire ordonnateur de la Nouvelle- France, en présence de M. Normant, vicaire général, et supé- rieur du Séminaire de Montréal, de M. Briand, chanoine de Québec, de MM. Montgolfier, Guen, Picquet, premier aumô- nier de cette mission, tous prêtres du même Séminaire, et de M. de la Périère ^^, gouverneur de ce Fort, sous les aus- pices de la sainte Vierge, et pour la plus grande gloire de Dieu, Henri-Marie du Breil de Pontbriand, sixième évêque de Québec, baptisa cent-vingt Iroquois des Cinq-Cantons, et les confirma; en foi de quoi il apposa sa signature et offrit cette bannière, qui doit être exposée dans l'église, aux grandes fêtes, en signe d'union entre les Français et la

23. Depuis la mort de M. de la Jonquière.

24. Jean-Victor Varin, époux de Charlotte de Beaujeu. Mgr de Pont- briand, étant à Montréal le 12 juillet 1749, y baptisa ce jour-là un de leurs enfants. L'aîné, Gilles- Victor, fut envoyé en 1747 au Collège de La Flèche: il était accompagné d'un domestique, Pierre Landriette. (Cor- resp. générale, vol. 89, lettre de M. Varin au ministre, 8 octobre 1747).

25. Boucher de la Périère, fils de l'enseigne Boucher de la Périère, qui avait pris part à la cc^mpagne de D'Iberville à Terreneuve dans l'hiver de 1690 à 1697. (Voir notre Journal d'une expédition de D'Iber- ville, p. 50). i./ê^

ï8o l'Église du canada ""'

nation iroquoise. (signé) Le Chevalier de La Corne, té- moin au nom du Roi ; De La Chauvignerie, interprète. »

Cette inscription, sur la bannière, est entourée d'une guirlande, qui représente l'alliance conclue entre la France et les Cinq-Cantons Iroquois.

La bannière porte les armes de M»'^ de Pontbriand.

Revenu à Québec, le pieux Evêque se fit un devoir d'écrire au ministre M. Rouillé :

« Il est nécessaire d'aider M. Picquet par une pension. Il paraît aussi essentiel d'engager MM. de Saint-Sulpice de se charger de cette mission de la Présentation. M. Couturier ne pourra nous refuser. J'ai lieu de me louer beaucoup des sujets qu'il envoie : plusieurs s'occupent déjà, avec édificatiou, à une mission d'Iroquois au Lac des Deux-Montagnes ...»

Et il ajoutait : « MM. de Saint-Sulpice ne lui aident pas M. Picquet), parce que ce n'est qu'à regret, pour ainsi dire, qu'ils nous l'ont prêté pour cette bonne cause '^^. . . »

En se montrant réservé par rapport à l'établissement de M. Picquet, Saint-Sulpice faisait preuve de sa sagesse ordi- naire. Il y avait du pour et du contre dans son entre- prise ; il y en avait surtout dans le zèle qu'il déployait, à certaines heures. Que dire, par exemple, de l'idée qu'il avait eue de passer en France, en 1753, et d'emmener avec lui quelques-uns de ses sauvages pour les exhiber dans les villes, à Pans surtout, comme des objets de curiosité, et les donner en spectacle comme on montre la lanterne ma- gique? L'effet qu'il avait en vue, d'intéresser les Français en faveur de la mission, fut complètement manqué. Lors- qu'il quitta Paris pour revenir au Canada, l'abbé de l'Ile- Dieu écrivit à M^ de Pontbriand :

26. Archives de l'archevêché de Québec, Correspondance de Mgr de Pontbriand.

sous M^'^ DE PONTBRIAND l8l

« M. Picquet part avec ses trois sauvages et un grand renfort de missionnaires '^^. Je l'ai fort peu vu pendant son séjour en France, tout Paris a voulu voir ses sauvages. On s'y est prêté, et ce n'est pas, je crois, ce qu'on a fait de mieux. M. Rouillé ne l'a pas même trouvé trop bon. Mais tout cela est fait, et je pense qu'il est aussi avanta- geux que cela soit fini, ne pouvant être utile ni à la religion des sauvages, ni à celle de ceux à qui on les montrait ^®. »

27. MM. Robert, Brassier, Guichard, Reverchon et Jolivet, tous de Saint-Sulpice.

28. Archives de l'archevêché de Québec, lettre du 15 mai 1754.

CHAPITRE XVII

INCENDIE DU MONASTERE DES URSULINES DES TROIS-

RIVIÈRES. LA MAISON RELEVÉE DE SES RUINES

PAR M»^ DE PONTBRIAND

Un crime à Montréal, Un incendie aux Trois-Rivières. Mauvais sujets au Canada. Le Baron de Longueil, administrateur de la colonie. Français et Canadiens. Mgr de Pontbriand aux Trois- Rivières. Lettre à son frère, le comte de Nevet. Dimissoire à l'abbé Crépeaux. Mgr de Pontbriand rétablit le monastère des Trois-Rivières.

DANS la lettre si touchante qu'elle écrivait aux sœurs de M^'' de Pontbriand, la Mère Sainte -Hélène leur disait qu'elle avait à leur apprendre des choses consolantes, « et d'autres bien tristes ». Les choses consolantes, nous les connaissons. Mais voici la première « chose triste » dont voulait parler la Mère Sainte-Hélène, et qui avait affligé l'Evêque de Québec, à son retour du voyage de la Présen- tation :

(( Dans le temps que Monseigneur était à IMontréal, dit- elle, il est arrivé un accident bien tragique. Un homme possédé du démon d'avarice a massacré d'une manière cruelle un homme et une femme, qui étaient ses voisins. Il en voulait faire autant à deux filles qu'ils avaient, mais Dieu les a préservées. Ce meurtrier a été roué vif ces jours passés. Vous ne doutez point, mesdames, que de si grands crimes n'affligent sensiblement le cœur de notre digne Prélat, après s'être donné tant de peine pour faire

l'église du canada sous m^^' de pontbriand 183

profiter sou peuple de la o^râce du Jubilé. Mais il faut espérer que Dieu le cousolera et le récompensera de ses peiues par d'autres voies ^. »

Hélas ! un nouveau chagrin, d'une nature toute diffé- rente, mais non moins cuisant, l'attendait :

(( Ce digne Prélat, ajoute la Mère Sainte-Hélène, comp- tait, en revenant de Montréal, donner une mission dans la ville des Trois-Rivières, nos Sœurs Ursnliues qui y sont établies auraient eu la consolation de l'entendre. Mais le fâcheux accident qui lui est arrivé l'a privé de ce bien : deux incendies consécutifs ont presque détruit cette ville, qui n'est pas fort peuplée. Le premier ne fut que de huit maisons, desquelles nos pauvres Sœurs étaient, ce qui les a réduites à la dernière misère, étant déjà très pauvres. Mais deux jours après, le feu reprit, et brûla encore environ trente-cinq maisons. Ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que, dans le premier incendie, une pauvre dame, veuve, s'opiniâtrant à sauver son petit butin, resta dans les flammes, et y mourut d'une façon fort cruelle, ayant demeuré suspendue à des bois, en sorte qu'on ne put la sauver.

« Monseigneur, en descendant à Québec, voyant ce triste spectacle, ne demeura qu'une heure dans la ville des Trois- Rivières. Il la passa presque toute à consoler les pauvres religieuses qu'il voyait avec douleur aller par les rues pour entendre la sainte messe, ou laver leur linge à la rivière, ou pourvoir à leurs autres besoins. Cependant il leur a donné une grande consolation eu leur permettant de se rétablir. Nous leur avions offert notre maison, oii Dieu n'aurait pas manqué de faire la multiplication des pains pour les soulager. Les Pères Récollets, qui ont une mai- son dans la ville, oii ils font les fonctions curiales, la leur

I. Revue Canadienne, t. VIII, p. 444.

184 l'éguse du canada

ont cédée, et en ont pris une plus petite, qu'un des beaux- frères de la supérieure '^ et de la dépositaire leur a prêtée. On travaille fortement à réparer ce malheur, et j'espère que Dieu y donnera sa bénédiction.

« On a lieu de juger, ajoute la Mère Sainte-Hélène, que ce feu a été mis par des soldats de nouvelles recrues, qu'on nous a envoyés il y a deux ans, et qui sont tous les plus mauvais garnements de la France. Il y en a en prison, mais on n'a point, dit-on, de preuves assez convaincantes pour les punir comme coupables ^. «

Franquet, qui visita les Trois-Rivières peu de temps après l'incendie, écrivait à son tour:

« Nous parcourûmes les vestiges de l'enceinte brûlée, les quarante-cinq maisons et le couvent des Ursulines consumé par l'incendie du 19 au 22 mai de cette année. Il a été si considérable pendant trois jours qu'on eut toutes les peines du monde d'arrêter le feu. On détenait dans 1 es prisons des soldats soupçonnés de l'avoir mis ^ w

M^^ de Pontbriand avait donc raison de recommander à la Cour de veiller avec soin sur le choix des recrues que l'on envoyait dans la colonie. Mais, malheureusement, on n'était pins au temps de Louis XIV, ni même dans la pre- mière période du règne de Louis XV : le régime de l'inco- hérence, du laisser-aller et du va-tout avait commencé. . .

Ces nouvelles recrues n'étant généralement pas pour nos campagnes, celles-ci resteront à l'abri de la contagion; mais ce sont nos villes qui se gâteront peu à peu et seront témoins de crimes comme ceux que raconte la Mère Sainte- Hélène.

2. La Mère Sainte-Croix, une Godef roi de Tonnancour ; la déposi- taire était sa sœur. Leur frère, M. de Tonnancour, garde-magasin aux Trois-Rivières, était " un homme fort riche, d'une belle figure et de beaucoup d'esprit", dit Franquet. {Voyages, p. 16).

3. Revue Canadienne, t. VIH, p. 444.

4. Voyages de Franquet, p. 16.

sous M»"" DE PONTBRIAND 185

« Les troupes de la colonie, écrivait un jour le gouver- neur Duquesne, sont en grand nombre composées de déser- teurs ou de mauvais sujets qui ont fui la France pour des crimes qu'ils y avaient commis. C'est une peste qui cor- rompt les autres, parce qu'elle donne le ton aux nouveaux débarqués, ce qui me fait user de la précaution, dans mes différents mouvements, de laisser dans les Gouvernements tout ce qui est reconnu pour mauvais sujets, afin d'éviter la révolte, l'incendie, la désertion et les vols dont ils sont capables ^ . . »

M^"^ de Pontbriand avait hâte de revoir sa ville épisco- pale, d'où il était absent depuis cinq mois. « Il y ramena la joie «, nous dit la Mère Sainte-Hélène, voulant parler surtout des communautés religieuses, qu'il s'empressa de visiter et de réjouir par toutes les marques de son affection paternelle.

Il s'empressa aussi de faire visite au Baron de Longueil ^, ce digne Canadien, qui avait pris les rênes de l'administra- tion, à la mort de M. de la Jonquière. Longueil avait demandé la commission de gouverneur général : (( Mais, dit Ferland, on se refusait encore à appeler un enfant du pays à cette dignité. » Un gouverneur général canadien sera nommé dans deux ans, mais il sera trop tard pour éviter la guerre. Et à ce sujet Ferland n'hésite pas à mettre en regard le système canadien et le système français, et à donner la préférence au premier. Bigot représente ici

5. Corresp. générale, vol. 99, lettre au ministre, 29 septembre 1754.

6. Le deuxième baron de Longueil, petit-fils de l'illustre Charles Le- Mpyne, et neveu, par sa mère, de M. Soitart, de Saint-Sulpice, le pre- mier curé nommé à Montréal par Mgr de Laval. (Ferland, Cours d'histoire du Canada, t. II, p. 501). Il était gouverneur de Montréal, et continua de l'être après ses cinq mois d'administration de la colonie.

i86 l'êgi^ise du canada

l'idée française, et veut entraîner Longueil à la guerre contre les Anglais pour les chasser de la vallée de l'OHo. Mais qu'a fait la France pour prendre possession de cette vallée? Bile a envoyé Céloron à la tête d'un détachement pour y planter çà et quelques poteaux aux armes de la France, quelques plaques de métal avec des inscriptions françaises " ; mais nulle part de fortifications, ni même d'habitations ; les premières ne se feront qu'en 1753, sous M. Duquesne ^.

« D'où vient, écrit un officier distingué, M. des Bourbes, à son ami Surlaville, vouloir embrasser sept à huit cents lieues de pays, et n'avoir que si peu de monde à le sou- tenir ^? »

Longueil, qui représente l'idée canadienne, se refuse à écouter Bigot ; il veut attendre que les limites des posses- sions anglaises et françaises, laissées indécises par le traité d'Utrecht (1713), aient été bien déterminées en Acadie et ailleurs :

(( Les événements qui suivirent, dit Ferland, prouvèrent que M. de Longueil avait raison d'éviter une guerre qui ne lui paraissait propre qu'à entraîner son pays natal à sa ruine ^^. »

Il encourut la colère de Bigot, ce qui était tout à son éloge : Bigot écrit au ministre, à l'arrivée de M. Duquesne :

« Vous avez heureusement envoyé un général ; car si le gouvernement eût été encore un an entre les mains de MM. de Longueil, le système canadien aurait prévalu, et per- sonne ne se serait oublié ^^ «

7. Voir notre étude sur le P. de Bonnécamps, et dans cette étude le journal de ce Père sur l'expédition de Céloron de Blainville en 1749. (Mémoires de la Société Royale, 1895, p. 43).

8. Les Forts de la Presqu'île, de la Rivière-aux-Bœufs, et de Ma- chault.

9. Les derniers jours de l' Acadie, p. 166.

10. Cours d'histoire du Canada, t. II, p. 503.

11. Ibid.

sous M^'" Dii PONTBRIAND Ï8.7

Quant à Duquesne, à peine est-il arrivé au Canada, comme gouverneur générai, que, suivant l'odieuse cou- tume de dénigrer ses prédécesseurs en office, il écrit au ministre contre le fils du Baron de Longueil et sa famille :

« Comme je n'ai pas lieu d'être content du sieur de Longueil, dit-il, à qui vous avez donné une expectative, et que d'ailleurs c'est un jeune homme qui n'a ni acquit, ni esprit, encore moins d'éducation, trouvez bon, monseigneur, que je vous demande de différer à lui accorder cette com- pagnie, car il a besoin, ainsi que sa famille, de cette petite mortification pour les rendre plus réservés à fronder les opérations d'un général ^'\ »

Voilà un échantillon de la manière dont ces Français, nouvellement arrivés ici, traitaient les Canadiens, les dé- fricheurs du sol, les fondateurs de notre nationalité !

Faut-il s'étonner que nos ancêtres aient si peu apprécié et goûté la morgue du marquis de Duquesne, et qu*ils aient tant désiré la nomination comme gouverneur général de M. de Vaudreuil, un des leurs, qu'ils savaient leur être si sympathique et si dévoué? M. de l'Ile-Dien parlant de Duquesne :

« C'est un homme, dit-il, qui ne raisonne pas. Il est haut, altier et suffisant ^^ . . . »

La Baronne de Longueil savait faire avec beaucoup de distinction les honneurs du Château, et M^^ de Pontbriand dut être heureux, en arrivant à Québec, de le trouver occupé par une personne d'un si haut mérite. Dès sa première visite, elle offrit au Prélat de faire elle-même la quête dans toute la ville pour les Ursulines des Trois- Rivières et pour les familles qui avaient été éprouvées par l'incendie du 17 mai. Elle demanda aussi et obtint la

12. Corresp. générale, vol. QQ, lettre au ministre, 31 octobre 1753.

13. Lettre à Mgr de Pontbriand, 28 mars 1756.

l88 VÈGhlSn DU CANADA

permission d^entrer avec ses filles dans le monastère des Ursulines de Québec, elle avait reçu son éducation, pour y recueillir de la main de ses anciennes maîtresses les aumônes en argent et en effets qu'on pourrait lui offrir. Elle fit également la quête aux Trois-Rivières, son mari avait été gouverneur avant d'aller à Montréal. Les collectes de la Baronne réussirent au delà de toute espé- rance, et permirent à M^^' de Pontbriand de se mettre à l'œuvre pour relever de ses ruines le monastère incendié.

* * *

La résolution du Prélat, en effet, était prise: se dévouer lui-même à cette œuvre, monter aux Trois-Rivières, s'y ins- taller comme il pourrait, y rester tout le temps nécessaire et ne revenir à Québec que lorsque les Ursulines seraient réintégrées dans leur maison.

Il se fit accompagner aux Trois-Rivières par son secré- taire et ami, son prêtre de confiance, le chanoine Briand, ayant soin d'avertir le Chapitre qu'il allait le garder avec lui tout rété, en ayant besoin pour le gouvernement du diocèse, et qu'il euLendait bien qu'on ne tiendrait pas compte de son absence, mais qu'on le regarderait comme présent à l'office canonial, de manière à ne rien lui faire perdre des fruits de sa prébende ^^.

On se sait pas au juste la date de son départ. Il était encore à Québec le i^^' mai (1753), puisqu'il y signa ce jour-là un mandement très important ^^; et il était aux Trois-Rivières le 12 juillet, cnr il y signa ce jour-là un autre mandement ^^ On a d'ailleurs une lettre qu'il

14. Registre du Chapitre.

15. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 99, mandement éta- blissant les Retraites ecclésiastiques.

16. Ibid., p. 100, mandement au sujet de la convalescence de Mgr le Dauphin.

sous M^^ DR PONTBRIAND 189

écrivit à son frère, le comte de Nevet, dans le cours de l'automne, il dit qu'il y a plus de six mois qu'il est aux Trois-Rivières. Des Trois-Rivières, également, il écrivait à son Chapitre le 15 octobre: «Ne m'attendez pas pour faire jouer vos orgues. » Elles étaient arrivées, en effet, à Québec; et le lendemain, 16 octobre, le Prélat écrivait de nouveau à son Chapitre, et lui envoyait, pour l'aider à les payer, la lettre de change de douze cent francs dont nous avons déjà parlé ^'^. Il est donc évident qu'il quitta Qué- bec dans les premiers jouis de mai, et passa tout l'été aux Trois-Rivières. Il n'en repartit qu'au mois de novembre : c'est lui qui assista à ses derniers moment*^ M. de la Vilie- Angevin, qui mourut à Québec le :6 de ce mois.

Que fit-il tout ce temps aux Trois-Rivières? Quel train de vie y mena-t-il ? Le pourrions-nous savoir d'une ma- nière plus authentique que de sa propre bouche, ou plutôt qu'en citant, dans son admirable simplicité, la lettre même qu'il écrivit, sans date précise, à son frère?

« On croirait, mon cher frère, que n'ayant à t'écrire qu'une fois l'année ^^, on aurait bien des choses à se man- der, et il arrive que, quand je prends la plume, je ne trouve rien à dire. On ne s'arrête point aux compli- ments, etc.

(( Tout ce que je puis vous dire, c'est que depuis six mois je suis aux Trois-Rivières, logé au plus mal ^^, au milieu de cinquante ouvriers de toute espèce dont je suis le conducteur, le piqueur et le payeur, pour bâtir un hôpi- tal de deux cents pieds de long sur cinquante-quatre de large et vingt-quatre de hauteur. Vous demandez je

17. Archives de l'archevêché de Québec, Corresp. de Mgr de Pont-

briand.

18. C'est-à-dire, l'automne, au départ des vaisseaux.

19. "Le misérable réduit il séjourna existe encore; c'est la plus vieille maison des Trois-Rivières." (Les Ursulines des Trois-Rivières, 1888, 1. 1, p. 285).

iço l'églisk du canada

prends fonds. Je fais emprunter les religieuses. Tous mes domestiques travaillent ^°. Je sollicite la Cour à payer; on a fait deux mille livres d'aumônes. Ne croyez pas qu'on bâtisse à grand marché. Chaque toise de maçonne doit coûter je suis plus de dix livres ; j'en ai six cents.

« Je suis extrêmement fatigué. Je me lève le plus com- munément à deux heures pour mes prières, et prévoir ce qu'il faut faire sans cesse sur les chantiers pour faire tra- vailler mon monde, qui est à la journée. Je suis devenu d'évêque, menuisier, charpentier, manœuvre, porte-boyau, porte-oiseaux. Ce métier m'ennuie, et je ne crois pas qu'on m'y reprenne.

(f One je voudrais être au verger ^^ ! C'est ma maison favorite. Je me souviens que dans ma jeunesse, on disait que je vous ressemblais, les cheveux blonds, les yeux, je n'en sais rien... Aussi, je crois que je vous aime plus particulièrement que les autres. Mais que dirais-je de la belle-sœur? Il faut s'en taire, parce que vous lui montreriez

23. Nous savons qu'au Séminaire il en avait sept. Il le dit lui-même dans une lettre au ministre, en date du 28 septembre 1742. (Corresp. générale, vol. 78). Il avait encore le même nombre de domestiques en 1757. (Ibid., vol. 102, lettre de l'abbé l'Ile-Dieu, 30 octobre 1757). Mais il paraît que la plupart étaient des jeunes gens de la campagne, qu'il prenait pour leur procurer une bonne éducation, d'abord, puis un hon- nête établissement. (L'abbé Jolivet, cité dans les Bvêques de Québec, p.

235).

L'un de ces jeunes gens, nommé Crépeaux, prit la soutane, et M. de Lalane l'emmena avec lui en France, en 1750, aux Missions-Etrangères: voici ce que l'abbé de l'Ile-Dieu écrivait à son sujet à Mgr de Pont- briand :

" Le jeune ecclésiastique, nommé Crépeaux, que M. de Lalane a amené de Québec en France, n'est plus dans cette maison, d'où il est sorti pour être placé au Saint-Esprit, oti sa santé s'est dérangée. M. de Lalane l'a placé à Saint-François de Sales, sa santé s'est rétablie. Ce jeune homme me tourmente pour lui donner ou lui obtenir des dimis- soires. . . "

Mgr de Pontbriand lui envoya en effet son expatriation. (Lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 15 mai 1754).

21. C'était le nom de la résidence du comte de Nevet, "près de Rennes". {Rapport. .. pour IÇ03, p. 303).

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ma lettre, et elle pourrait en tirer vanité. . . Voilà bien du verbiage pour ne rien dire '^'^, . . »

Que de choses dans cette lettre, écrite pourtant sans la moindre prétention ! Et comme elle peint bien celui qui l'a écrite ! Au physique, d'abord : voilà que nous savons maintenant, à n'en pouvoir douter, que M^^ de Pontbriand avait (des cheveux blonds»; les yeux. ... s'il «n'en sait rien», c'est qu'il n'ose pas le dire ; mais il est facile de voir par ses portraits qu'il les avait très perçants. Et au moral, quelle bonhomie et quelle franchise chez ce bon évêque, d'après la lettre qu'on vient de lire ! Ce n'est pas lui qui s'en fera accroire, qui cherchera à se faire passer pour plus saint ou plus parfait qu'il n'est: il avoue tout simple- ment qu'il est «logé au plus mal», qu'il est bien «fatigué», et qu'il «s'ennuie.» Il est homme, et ne cherche pas à se faire passer pour autre chose. Et puis, dans ce «que dirais- je de la belle-sœur? il faut s'en taire, .. », quelle aimable simplicité ! n'est-elle pas digne, vraiment, de saint François de Sales?

Le fait de cet évêque se faisant, pour ainsi dire, ouvrier, conducteur de travaux, menuisier, manoeuvre, au besoin, afin de secourir une communauté en détresse, est unique dans nos annales religieuses. Quelque critique dira peut- être: ne pouvait-il pas confier cette tâche à un autre, à quelque prêtre, à quelque laïque dévoué? Certes, les bons citoyens ne manquaient pas dans la petite ville des Trois- Rivières: elle a toujours été une pépinière de familles honorables : il y avait à cette époque Rigaud de Vaudreuil, Hertel de Rouville, de la Naudière, de Tonnancour, de Saint-Ange, Poulin de Courval et bien d'autres. Mais entre tant de braves gens, comment choisir l'un plutôt que l'autre pour le mettre à la tête d'une pareille entreprise?

22. Revue Canadienne, t. VIII, p. 436.

192 l'église du canada

Si M»'' de Pontbriand s'est dévoué lui-même, c'est qu'il a cru la chose nécessaire : lui seul était juge de ce qu'il de- vait faire dans les circonstances. Il l'a fait, et son geste sera toujours réputé comme un des plus héroïques de notre histoire.

« Monseigneur est revenu parmi nous pauvre et épuisé de forces, écrivait, au retour de l'Evêque, l'annaliste que nous avons déjà citée. La postérité devra le regarder comme le second fondateur des Ursulines des Trois-Ri-

vieres "''. »

« La Cour est informée de tout ce que vous avez fait, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu à M^^ de Pontbriand, et je suis certain que l'on veut efficacement vous secourir pour vous mettre en état de faire honneur à des engagements que vous n'avez contractés que pour l'utilité publique et pour l'Etat même, à qui vous avez épargné une dépense qui au- rait monté au quadruple, si les entrepreneurs et les gens du Roi s'en étaient mêlés. Tout mon étonnement, c'est qu'en si peu de temps et à si peu de frais vous avez pu finir un bâ4:iment de deux cents pieds, le rendre habitable et y loger votre communauté '^^. »

Cette communauté s'était détachée de la maison de Qué- bec en 1731. Dix ans auparavant, Charlevoix y avait trouvé quarante religieuses, «qui desservent, disait-il, un très bel hôpital )) '^^. Il n'y en avait plus que seize, lors de l'incen- die de 1752 ^^. Mais elles avaient été trop éprouvées pour que la Providence ne leur envoyât pas de nombreuses recrues :

« M^^ de Pontbriand, écrit leur annaliste, non moins occupé du spirituel que du temporel du monastère, dirigeait

23. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 266.

24. Arch. de l'arch. de Québec, lettre du 29 mars 1754.

25. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 267.

26. Les Ursulines des Tr ois-Rivières, t. I, p. 291.

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vers la commimauté trifluvienne de jeunes sujets pleins d'espérance, payant lui-même les dots en appliquant les. fonds que le duc d'Orléans avait laissés en France, savoir sept mille livres pour les Ursulines des Trois-Rivières. »

Et elle ajoute, en parlant de la mort de la Mère Sainte- Croix, qui était supérieure lors de l'incendie :

« Cette bonne Mère s'en allait au moment les béné- dictions du Ciel tombaient plus abondantes sur l'œuvre qu'elle avait continuée avec tant de douleurs ^^. »

27. Les Ursulines des Trois-Rivières, t. I, p. 294.

CHAPITRE XVIII

I.E DUC D'ORLÉANS ET L'ÉGLISE DU CANADA. INCENDIE DE l'hÔTEL-DIEU de QUÉBEC ; SA RECONSTRUCTION

Le duc d'Orléans; ses vertus; ses œuvres. Fondation d'une rente en faveur de notre Eglise. Distribution de cette rente. La part du Séminaire. La part des Ursulines des Trois-Rivières, Incendie de l'Hôtel-Dieu de Québec. Généreuse disposition de l'Evêque. Reconstruction de l'Hôtel-Dieu. Belle lettre de la Mère Duplessis de Sainte-Hélène.

LE duc d'Orléans dont nous avons mentionné le nom à la fin du chapitre précédent était fils du Régent, qui occupa le trône de France après la mort de Louis XIV, pendant la minorité de Louis XV, de 1715 à 1723. Il eut le bonheur de faire mentir le proverbe : tel père, tel fils. Autant le régent Philippe d'Orléans, en effet, se déshonora par sa vie dépravée et scandaleuse, autant son fils jeta de l'éclat sur le nom des Bourbons par ses vertus. Il fut véritablement « un saint à la Cour de Louis XV » ; puis, devenu veuf, il termina ses jours dans une humble cellule de l'abbaye Sainte-Geneviève, à Paris, menant la vie d'un religieux, sans en avoir prononcé les vœux, édifiant tout le monde par sa piété, par sa vertu, par sa vie remplie de bonnes œuvres. Il était immensément riche, mais vivait pauvrement, afin de faire le plus de bien possible avec sa fortune :

« Le duc de Luynes, écrit un auteur, estime à douze ou quinze cent mille liyres le chiffre de ses charités annuelles. Il faisait élever des enfants dans des collèges ou dans des

l'église du canada sous m^' de pontbriand 195

couvents, mariait des filles, dotait des religieuses, faisait apprendre des métiers, remettait dans leurs affaires des commerçants à bout de ressources, soutenait des officiers pauvres, relevait des maisons nobles ruinées, envoyait des secours aux catholiques en Prusse, en Silésie, en x\mé- rique, dans les Indes, ouvrait des écoles et fondait des communautés ^ )>

Sa vie de bonnes œuvres, de mortifications et de prière rappelle beaucoup celle de l'oncle de M^^ de Pontbriand, le comte de la Garaie. Il mourut à Paris le 4 février 1752, à VsigQ de quarante-huit ans et six mois. Ses dernières paroles, en mourant, sont presque celles de M^ de Saint- Vallier à ses bonnes religieuses de l'Hôpital-Général : « Mes pauvres ! mes chers pauvres ! mes frères ! mes en- fants !» Et à son fils, qui pleurait à son chevet : « Mon fils^ je vous recommande la crainte de Dieu, et les pauvres ^. »

Ce bon duc d'Orléans, dans la distribution de ses au- mônes testamentaires, n'avait pas oublié l'Eglise du Ca- nada: voilà pourquoi nous lui devions un souvenir et une mention dans cet ouvrage.

Il serait curieux de savoir qui avait suggéré à ce Prince l'heureuse idée de faire une fondation pour notre Eglise. M^ de Pontbriand affirme lui-même qu'il y fut pour quelque chose, ainsi que M. Vallier, dans son voyage en France. Mais nous croyons que ce fut l'abbé de l'Ile- Dieu, avec le concours de M. de la Galissonnière ^, qui acheva de décider le duc d'Orléans. Il le connaissait particulièrement, et il l'appelle quelque part dans sa cor-

1. Un saint à la cour de Louis XV, le duc d'Orléans, dans le Corres- pondant de 1889, t. I, p. 220, 534-

2. Ihid., p. 582.

3. M. de la Galissonnière avait ses bureaux à Paris " aux Petits Pères de la Place des Victoires"; (Corresp. générale, vol. 99) et il est certain que pour les affaires du Canada M. de TIle-Dieu travaillait souvent en collaboration avec lui.

196 l'église du canada

respondance « le saint et vertueux Prince w. Il connaissait encore mieux M. de Silhouette, son chancelier, collabora- teur de M. de la Galissonnière pour la fixation des limites de l'Acadie. Il le rencontrait souvent chez notre ancien gouverneur, et Ton ne peut douter qu'il eu ait profité pour rappeler au Prince, par son chancelier, la bonne œuvre à faire pour le diocèse de Québec. Le duc d'Orléans laissa « un fonds de vingt mille francs pour être placé en acqui- sition de rentes sur la ville, et partagé, pour le produit annuel, aux pauvres communa,utés du diocèse de Québec » *.

Laissons l'auteur de l'Histoire du Séminaire de Québec nous parler de la fondation du duc d'Orléans, et spéciale- ment de la part qui échut à cette maison :

« La rente du duc d'Orléans, écrit-il, était de trois cents livres ^ Cette fondation datait du 28 décembre 1749. Ce prince, par son testament olographe de ce jour, ordonnait qu'il fût acheté des contrats sur la ville ou sur le clergé jusqu'à la concurrence de mille livres de rente, que l'Evêque serait chargé de distribuer aux communautés des colonies françaises de l'Amérique septentrionale, « à la tête des- « quelles, disait-il, je mets le Séminaire de Québec. »

« M^^ de Pontbriand en attribua trois cents livres au Sé- minaire de Québec, pour V instruction et V éducation d^un ou de plusieurs jeunes ge7is. Le reste fut distribué comme suit : aux Ursulines de la Nouvelle-Orléans, cent cinquante livres, pour la dot d'une religieuse ; aux Ursulines des Trois- Rivières, deux cent cinquante livres pour une dot et un tiers ; enfin, cent livres à PHôtel-Dieu de Montréal, cent livres à l'Hôpital-Général de Québec, et cent livres aux Soeurs de la Congrégation au Détroit, lorsqu'elles y seront

4. Lettre de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 20 juin 1754.

5. C'était la part du Séminaire de Québec.

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établies ^: en attendant, cette somme fut passée aux Sœurs de Louisbourg.

« Cet état de distribution fut approuvé par le duc d*Or- léans '^ le 4 mai 1756, et l'article du Séminaire porte que les trois cents livres seront employées /^«r P éducation des jeunes gens dans le Petit Séminaire^ ce qui laisse aux di- recteurs une plus grande latitude que ne comportait le projet de l'Evêque, qui voulait même s'attribuer la nomi- nation des sujets. Cette rente était sur l'Hôtel-de-ville ^ »

D'après l'état de distribution de la fondation du duc d'Orléans que nous venons de citer, M^* de Pontbriand ne pouvait donc disposer annuellement que de deux cent cinquante livres pour payer la dot des jeunes postulantes ou novices qu'il envoyait aux Ursulines des Trois-Rivières. Elles avaient besoin de sujets pour les deux œuvres qu'elles avaient à remplir : le soin des malades et l'éducation de la jeunesse. Comment le Prélat pouvait-il arriver à subvenir à tant de besoins? Il s'endettait:

(f II me paraît, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu au ministre, que M. l'Evêque de Québec n'a pas perdu de temps à rétablir ses Ursulines des Trois-Rivières, et qu'il a également pourvu à l'hôpital et au logement des religieuses pour le service des malades et l'instruction des enfants, dont ces bonnes filles sont également chargées. Mais je le vois fort endetté, si le Roi ne vient point à son secours.

« Nous ne sommes, écrit il encore, ni M. l'Evêque, ni moi, en état de faire des dépenses extraordinaires. Le Yoilà endetté de plus de vingt-cinq mille livres pour le

6. tv^établissement n'eut pas lieu, du moins du temps de Mgr de Pont- kriand, qui l'avait pourtant désiré. (Faillon, Vie de la Sœur Bourgeois, t II, p. 372).

7. Louis-Philippe, petit-fils du Régent, père de Philippe Egalité, et frand-père de Louis-Philippe 1er, roi des Français.

8. Hist. manuscrite du Sém. de Québec, p. 990.

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rétablissement de sa communauté des Trois-Rivières ^ w

La Cour accorda à M^'^ de Pontbriand sept mille livres pour les Ursulines des Trois-Rivières, « sur les fonds des pauvres communautés religieuses » ^°.

Bile fit plus: à la vue des sacrifices que l'Kvêque s'était imposés et du peu de ressources à sa disposition, elle fit écrire par le ministre à l'ancien évêque de Mirepoix :

« L'Evêque de Québec n'a pour tout revenu qu'une pen- sion de neuf mille livres assignée sur les économats, une gra- tification de douze à quinze cents livres que lui donne le Clergé de France et environ treize cents livres de rente constituée par un de ses prédécesseurs sur l'Hôtel-de- Ville de Paris. Il n'a pas même de quoi vivre avec une certaine décence. Le Roi en a été touché, et en attendant qu'il puisse faire un arrangement solide pour lui, il a bien voulu lui accorder une gratification extraordinaire de six mille livres sur les fonds du Trésor Royal ^^ »

Tout cela fait voir en quelle estime était à la Cour M^ de Pontbriand ; on l'estimait d'autant plus qu'il n'était pas homme à se plaindre ou à solliciter des faveurs :

« Je n'ai jamais rien souhaité de temporel avec ardeur, écrivait-il un jour . . . C'est la Providence qui détermine mon sort ^^. »

Hélas ! le pieux Prélat n'était pas au bout de ses épreuves. A peine commence-t il à se remettre un peu des fatigues et des préoccupations que lui a causées l'incendie des Trois-Rivières, qu'un semblable malheur vient fondre sur l'Hôtel-Dieu de Québec.

9. Corresp. générale, vol. 99, lettres du 31 janvier et du 6 mai 1754.

10. Rapport. .. pour 1905, p. 138.

11. Ihid., p. 210.

12. Arch. de l'archev. de Québec, lettre à M. de Maurepas, 1751..

sous M«' DE PONTBRIAND 199

C*était un samedi, le 7 juin 1755. En plein midi, à l'heure la Communauté, à l'exception de quelques malades, se trouve réunie au réfectoire, rien ne présageant le sinistre événement, voilà que soudain une Sœur venant des salles entre en criant : « Au feu, au feu ! » Au même instant, on voit la flamme se faire jour avec violence par le toit. L'alarme se répand aussitôt dans'la ville ; ecclésias- tiques et religieux, militaires et citoyens, tous volent au secours du saint asile des pauvres et des malades.

Les religieuses, conservant leur sang-froid au milieu de tant d'angoisse, songent d'abord à sauver une Sœur mou- rante, et à mettre leurs malades en lieu de sûreté. Ce premier soin rempli, elles se dispersent par la maison, espérant pouvoir soustraire quelques objets aux flammes. Une d'elles. Sœur Aune Lajoue du Sacré-Cœur, monte à sa cellule, saisit un paquet, le jette par la fenêtre, puis retourne au lieu de l'embrasement.

La Mère Supérieure et les autres religieuses se sont réunies à leurs malades sur la terrasse dans le jardin des pauvres. Une seule ne répond pas à l'appel : c'est la Sœur du Sacré-Cœur. On crie, on cherche, mais en vain. Trois quarts d'heure s'écoulent : l'église, l'hôpital, l'habitation des religieuses et toutes les dépendances du monastère sont réduites en cendres .. . La pauvre Sœur a péri dans les flammes . . .

Le feu dévorant, poussé par un gros vent de nord-ouest, consume plusieurs maisons de la Haute- Ville, et met en danger tout le quartier Saint-Roch.

Les Hospitalières prennent alors le chemiu des Ursulines, on leur a offert l'hospitalité. Elles y restent trois semaines, puis acceptent l'offre généreuse des Pères Jésuites, qui les reçoivent, avec leurs malades, dans leur Collège, heureux d'acquitter ainsi une dette de reconnaissance envers l'Hôtel-Dieu, qui, plus d'un siècle auparavant, en pareille circonstance, les avait reçus sous son toit.

200 l'Église du canada

« On n'apprit que plus tard, écrit l'abbé Casgrain, quelle avait été la cause de cet épouvantable désastre. Deux matelots, qui avaient été soignés à l'hôpital, avaient conçu du mécontentement contre la Mère hospitalière et avaient formé le projet de s'en venger. Ils choisirent un jour le vent soufflait avec force, et mirent le feu à une des extré- mités de la toiture, après l'avoir enduite d'une certaine quantité de souffre . . .

<( Retournés plus tard en France, ces deux matelots, poursuivis sans doute par la vengeance divine, furent con- damnés à mort pour un autre forfait. Au moment de l'exécution, ils déclarèrent sur l'échafaud que le crime qui leur causait les plus grands remords était d'avoir mis le feu à l'Hôtel-Dieu de Québec ^\ »

M^^ de Pontbriand était à Montréal, en visite, lorsqu'il apprit la triste nouvelle de l'incendie de l'Hôtel-Dieu. Il s'empressa d'écrire aux Hospitalières :

« Mes très chères Filles, je vous écris à toutes en com- mun, et je puis vous assurer que je rassemble dans mon cœur toute la douleur que ressent chacune de vous. La perte de la Sœur du Sacré-Cœur m'attriste infiniment plus que toutes vos autres pertes ; car le bon usage que vous en ferez servira à affermir votre piété, votre détachement de toutes les choses de la terre au milieu de la vie dure et difficile que vous aurez à mener pendant quelques années. Le public y perd beaucoup plus que vous, puisqu'il est privé de vos soins charitables. Pour ne pas l'en priver totalement, et pour vous donner l'occasion de servir les membres de Jésus-Christ, et en même temps pour débar-

13. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 407.

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rasser les dames Ursulines qui, je crois, ne pourraient pas» sans s'incommoder notablement, vous conserver pendant Phiver, je vous communique, par le mémoire ci-joint, les mesures que je prends et que j'engage M. l'intendant à prendre. Je vous prie de marquer à toutes nos chères filles les Ursulines combien je suis sensible à la bonne réception qu'elles vous ont faite. . . »

Dans son mémoire, M^"" de Pontbriand offrait aux Hos- pitalières et à leurs malades l'usage entier de sa maison, tvec son ameublement et toutes ses dépendances. Il indi- quait les modifications qu'il fallait faire pour la rendre propre à cet emploi ; puis il ajoutait :

« Enfin, je livre toute ma maison pour cette bonne œuvre ; et s'il est nécessaire je me livre moi-même pour être le premier infirmier de ce nouvel hôpital. »

Les Hospitalières remercièrent le saint Evêque ; mais ayant déjà accepté l'hospitalité chez les Pères Jésuites, elles se décidèrent à y rester, et le Prélat approuva leur résolution.

Il profita de son séjour à Montréal pour y faire faire une collecte parmi les citoyens : elle se monta à mille écus.

Revenu à Québec, il n'épargna rien pour secourir les Hospitalières. Il fit faire une quête générale dans la ville et dans les campagnes. La collecte faite parmi les ci- toyens de Québec et à bord des vaisseaux du Roi, mouillés dans la rade, piodnisit une somme de plus de treize cents écus. Les habitants des paroisses apportèrent une bonne partie du bois de construction :

« Mais ce qui hâta le plus les ouvrages, écrit l'abbé Casgrain, ce fut l'assistance d'un ami aussi puissant que dévoué, le marquis de Vaudreuil, qui fut le dernier gou- verneur du Canada sous l'ancien régime, mais qui n'en fut pas le moins remarquable. Outre les souscriptions qu'il obtint de France, il remit à la supérieure une somme de

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cinq cents livres, et lui envoya douze maçons : de sorte que les travaux furent poussés avec assez d'activité pour qu'on pût espérer que les deux ailes du monastère que l'on faisait rebâtir seraient habitables dans un avenir prochain ^*. »

La supérieure de l'Hôtel-Dieu écrivant aux sœurs de M^ de Pontbriand, les Visitandines de Rennes, dans l'au- tomne de 1756 :

« Vous savez sans doute, disait-elle, l'incendie général de notre maison et hôpital, et de tous les bâtiments qui en dépendaient, sans qu'il en soit resté un seul, quoiqu'ils fussent de pierre, mais couverts de bois, à la manière du pays. Cet accident arriva le 7 juin, l'an passé. Depuis ce temps-là, riiesdames, nous habitons un corps de logis des Pères Jésuites, qui a été occupé autrefois par des pen- sionnaires. Cependant, ne pouvant toujours demeurer dans une maison étrangère, on travaille au rétablissement de la nôtre, et monseigneur, notre digne Prélat, nous donne en cela des marques sensibles de sa bonté paternelle, car il veut bien prendre cet ouvrage si fort à cœur, qu'il fait des marchés avec les ouvriers et les va voir tous les jours pour les animer. Il nous faut faire pour cela de grands emprunts qui nous font beaucoup endetter, mais nous y sommes contraintes par nécessité. Monseigneur nous favorise encore extrêmement en ceci, en nous aidant de son crédit pour ne point payer de rentes, et quoique cette dépense ne se fasse pas à ses frais, sa protection nous est très avantageuse, et nous ne pouvons jamais recon- naîtie assez les obligations que nous lui avons.

C'est pourquoi, mesdames, vous contribuerez à nous acquitter avec Sa Grandeur, si vous voulez bien lui témoi- gner que vous lui savez gré de tous les bons offices qu'il nous rend, et vous m'engagerez à vous être fort obligée

14. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 425.

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moi-même de la part que vous aurez la charité de prendre à ce qui regarde une pauvre communauté incendiée, qui est réduite à recevoir les aumônes de toutes les personnes qui veulent bien nous en faire ^^. . »

C'est la Sœur Duplessis qui écrivait cette lettre, à la fois si simple et si touchante, la même qui, dans une autre rencontre, écrivait à une amie :

(( Que les choses de ce monde sont incertaines, ma chère amie ! On ne peut compter sur rien en ce monde. Atta- chons-nous uniquement à Dieu, chacune selon les devoirs de notre état ^^ »

Ne dirait-on pas que ces paroles sont de la vénérable Marie de l'Incarnation? Ah, c'est que la pieuse fondatrice des Ursulines de Québec revivait dans ses enfants, dans les élèves formées dans sa maison, dans toutes les grandes religieuses de l'époque, de même que Montmorency-Laval semblait revivre dans son cinquième successeur : c'était le même esprit de dévouement, de force et d'abnégation.

M^^ de Pontbriand eut le bonheur de voir son Hôtel- Dieu de Québec se relever de ses ruines en très peu de temps. Deux ans après l'incendie, il faisait lui-même la bénédiction du nouvel hôpital au milieu d'un immense concours de personnes accourues pour louer le Seigneur ^'^, La Mère Sainte-Hélène qui était encore là, pouvait mainte- nant chanter son Nunc dimittis : elle mourut, en effet, peu de temps après ^^, et fut remplacée comme supérieure par

15. Lettre de la Mère Sainte-Hélène, Marie- Andrée Duplessis, 19 sep- tembre 1756.

16. Revue Canadienne, t. XII.

17. Les Hospitalières entrèrent dans leur nouvelle maison le ler juil- let 1757. (Journal du curé Récher).

18. Sa sœur, la Mère de l'Enfant-Jésus, était morte trois ans aupa- ravant " au collège des Jésuites, et y avait été inhumée ". (Arch. de l'archev. de Québec, lettre de Mgr Dosquet à la Mère Duplessis de Sainte-Hélène, 8 mars 1752).

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la Mère des Anges. M»'' de Pontbriand écrivant un mot à celle-ci :

« J'espère, disait-il, que Dieu vous donnera son même esprit, et que la ferveur de la maison ne sera diminuée en rien *^. »

« De toutes les Supérieures qui ont gouverné l'Hôtel- Dieu de Québec, écrit l'abbé Casgrain, aucune n'a laissé un nom plus doux, une mémoire plus suave que la Mère Sainte-Hélène '^^. »

19. Arch. de l'archev. de Québec, Corresp. de Mgr de Pontbriand.

20. Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 458.

CHAPITRE XIX

j^me d'YOUVIIJ,E. LES FRÈRES CHARON. ÉTABLIS- SEMENT DÉFINITIF DE L'HÔPITAL-GÉNÉRAL DE MONTRÉAL

Mme d'Youville; notes biographiques. M. de Lescoàt; M. Normant. L'Hôpital des Frères Charon, M. Charon et Mgr de Laval. Ce qui manquait aux Frères Hospitaliers. Le Frère Turc. Les plans de Mgr de Pontbriand. L'Hôpital-Général confié provisoi- rement à Mme d'Youville Ordonnances contradictoires. L'Hô- pital-Général confié définitivement à Mme d'Youville. L'abbé de rile-Dieu. Mgr de Pontbriand et Mme d'Youville.

NOUS avons évoqué, à la fin du chapitre précédent, la grande figure de Marie de l'Incarnation ; et voilà que se dresse devant nous, à son heure, la vénérable M™® d'Youville, cette autre Mère de l'Incarnation, l'émule de la première par la vertu, le courage, l'imperturbable con- fiance en la Providence, et surtout la constance au milieu des épreuves d'une carrière très mouvementée. Le croirait- on, si la chose ne nous était attestée par les documents les plus authentiques ? quelques-unes de ces épreuves, les plus cruelles peut-être, les plus cuisantes, lui vinrent du peu de confiance que lui témoigna, à un moment donné, son Evêque, ce grand protecteur, pourtant, des communautés religieuses.

Jetons un coup d'œil, aussi rapide que possible, sur les origines, la vocation et l'œuvre de l'illustre fondatrice des Sœurs Grises et de l'Hôpital-Général de Montréal.

Marie-Marguerite Dufrost de Lajemmerais était d'ori-

2o6 I^'ÉGUSE DU CANADA

gine bretonne par son père, nn officier qui servit sous M. de Denonville dans sa campagne contre les Iroquois, et devint ensuite commandant au Fort Frontenac : elle était canadienne par sa mère, Marie-Renée de Varennes, petite- fille de Pierre Boucher, le premier gouverneur des Trois- Rivières.

Elle naquit à Varennes, et était l'aînée d'une famille de six enfants, dont deux se firent prêtres, après avoir fait leurs études au Séminaire de Québec ^ Envoyée elle- même aux Ursulines de cette ville, on ne put l'y laisser que deux ans, temps bien court, dont elle profita, cepen- dant, pour se bien pénétrer de l'esprit de la Mère de l'In- carnation qui règne toujours dans ce monastère.

Elle épousa en 1722, à Montréal, François You d'You- ville, un assez triste personnage, qui dissipa en peu de temps le peu de bien qu'il avait, et mourut en 1730, lais- sant sa femme et ses enfants dans un état voisin de la misère. Restée veuve à l'âge de vingt-neuf ans, M™® d'Youville, qui depuis longtemps déjà se donnait à la piété et aux bonnes œuvres, tout en s'occupant de l'éduca- tion de ses deux fils '^^ se mit sous la conduite spirituelle d'un vénérable Sulpicien, M. dq Lescoât, d'origine bre- tonne, lui aussi, et avança bien vite dans les voies d'une grande perfection.

« Un jour, dit M. Faillon, que ce saint prêtre s'efforçait de la fortifier dans ses délaissements, il lui dit ces paroles que toute la suite montra bien n'avoir été proférées que par l'effet d'une inspiration divine : « Consolez- vous, ma « fille. Dieu vous destine à une grande œuvre, et vous relè- w verez une maison sur son déclin. » Cette œuvre, ajoute

1. Charles et Joseph Dufrost de Lajemmerais. Le premier termina ses études en 1719; l'autre en 1726. {Catalogue des élèves du Séminaire de Québec, 1849, p. 21).

2. Joseph-François et Charles-Marie-Madeleine Youville. Ils furent ordonnés prêtres, le premier en 1747, le second en 1752.

sous M^'* DE PONTBRIAND 207

M. Paillon, était la formation de l'institut des Sœurs de la Charité, et cette maison était l'Hôpital-Général ^ »

Tous ceux qui connaissaient M"^® d'Youville faisaient l'éloge de ses grandes qualités. L'abbé de l'Ile-Dieu, qui ne pouvait en parler cependant que d'après ses écrits :

« C'est une personne, disait-il, qui embrasse et saisit bien son objet. »

Et M^ de Pontbriand lui-même, une fois décidé à confier provisoirement l'Hôpital Général à M™® d'Youville :

« C'est une de ces personnes d'un rare mérite, écrit-il à l'abbé de l'Ile-Dieu, et je pense que cet hôpital sera bien entre ses mains. Je vous recommande autant qu'il est possible cette bonne œuvre *. »

Pour les MM. de Saint-Sulpice, qui connaissaient depuis longtemps son mérite, sa vertu, sa force de caractère, son esprit pratique, il est évident qu'ils avaient jeté les yeux sur elle pour lui confier la direction de l'Hôpital-Général, qui menaçait de s'éteindre. Aussi, pour la préparer de longue main à cette œuvre importante, l'avaient-ils enga- gée à s'adjoindre deux ou trois compagnes, à louer une maison, et à y entretenir un certain nombre de vieillards et d'infirmes, en un mot à commencer en petit ce qu'ils la croyaient appelée à faire en grand un peu plus tard. Toujours sous la direction de M. de Lescoât, d'abord, puis, après sa mort, sous celle de M. Normant, elle se mit géné- reusement à l'œuvre, et montra dans les fonctions qu'elle avait entreprises un dévouement et un zèle admirables. Mais que d'épreuves de toutes sortes n'eut-elle pas à endu- rer ! Mépris, persécutions, injures atroces, de la part du prochain, abattements intérieurs, incendie de sa maison et autres accidents fâcheux, 'elle supporta tout avec courage,

3. Vie de Mme d'Youville, p. 19.

4. Manuscrits de Jacques Viger, Ma Saberdache, lettre du 6 novembre 1748.

2o8 l'église du canada

montrant bien qu'elle était vraiment « la femme forte de l'Evangile ». Et lorsqu'on lui fit plus tard la proposition de se charger de l'Hôpital-Général, elle était prête à rem- plir cette tâche difficile et importante.

Mais quelle était cette « maison sur son déclin », cet Hôpital qu'il s'agissait de relever et d'établir sur des bases solides ?

* *

Ce que l'on avait appelé jusque-là l'Hôpital-Général, à Montréal, ne l'était que de nom, puisqu'il ne recevait et ne pouvait recevoir « que des hommes ». Ses commen- cements, du reste, avaient été très réguliers. Fondée en 1692 par trois pieux laïques, M. Charon, M. LeBer, frère de la célèbre recluse ^, et M. Fredin, cette « maison de cha-

5. Jeanne LeBer, la célèbre recluse, était la fille de Jacques LeBer, riche négociant de Montréal. Elle reçut son éducation aux Ursulines de Québec; puis, à l'âge de dix-sept ans, elle fit vœu de chasteté, et vécut en recluse dix-sept autres années dans la maison de son père, parta- geant son temps entre la prière, la lecture et le travail, et se livrant à toutes les rigueurs de la pénitence. Elle ne sortait que pour aller en- tendre la messe le dimanche à la Paroisse. Lorsque les Sœurs de la Congrégation firent bâtir leur église, elle voulut, avec la permission de son père, y contribuer pour la plus grande partie, et obtint la faveur de se faire construire dans le chœur, en arrière du maître-autel, une cellule à trois étages, pour y vivre dans une réclusion encore plus par- faite, seule à seul, pour ainsi dire, avec le Dieu de l'Eucharistie. C'est qu'elle fut conduite solennellement le 5 août 1695, Jour de la fête de Notre-Dame-des-Neiges, pour n'en sortir que le 3 octobre 1714, jour de sa mort. Ce jour-là, ses restes mortels furent exposés dans l'église à la piété des fidèles accourus pour les vénérer, puis le lendemain portés à la Paroisse, oii eut lieu le service solennel. On les reporta ensuite à la Congrégation, ils furent inhumés à côté de ceux de son père. L'épi- taphe portait l'inscription suivante :

" Ci-git vénérable Sœur Jeanne LeBer, bienfaitrice de cette maison, qui, ayant été recluse quinze ans dans la maison de ses pieux parents, en a passé vingt dans la retraite qu'elle a faite ici. Elle est décédée le 3 octobre 1714, âgée de 52 ans."

Bienfaitrice de cette maison .• en effet, non seulement l'église avait été construite presque toute à ses frais, mais aussi le pensionnat qui s'éle- vait à côté; et elle se refusa même le plaisir d'aller le voir! (Faillon, Vie de la Sœur Bourgeois).

On ne mentionne qu'une visite qu'elle aurait reçue tout le temps de sa réclusion, celle de Mgr de Saint- Vallier en 1699.

sous M»'" DE PONTBRIAND 209

rite » avait reçu de suite l'approbation de M^'^ de Saiut- Vallier, et eu 1694 des lettres patentes de la Cour de France. Ces lettres patentes permettaient aux pieux fon- dateurs et autres personnes qui voudraient se joindre à eux d'établir à Montréal un Hôpital, oii ils pourraient retirer les pauvres enfants, orphelins, estropiés, vieillards, infirmes et autres nécessiteux « de leur sexe » ^. Ils étaient autorisés à se constituer en communauté, faisaient des vœux simples et portaient un costume. On les appelait les Frères Hospitaliers de Saint-Joseph de la Croix, ou tout simplement les Frères Charon, du nom de leur princi- pal fondateur, qui avait consacré à cette bonne œuvre toute sa fortune, laquelle était assez considérable.

De leur côté, les MM. de Saint-Sulpice, toujours prêts à favoriser le bien à Montréal, leur avaient cédé un grand et magnifique terrain en dehors des murs de la ville, pour y construire leur maison et ses dépendances, mais à la con- dition expresse que, si la nouvelle communauté venait à s'éteindre, le Séminaire rentrerait dans tous ses droits sur la propriété de ce terrain.

Tout alla bien dans les commencements de cette insti- tution. M. Charon et ses pieux confrères réussirent à s'adjoindre un bon nombre de collaborateurs, et tous se livrèrent avec zèle à l'œuvre charitable qu'ils avaient entreprise: l'on compta dans l'Hôpital jusqu'à cent vieil- lards ou infirmes, qui y étaient logés, nourris et entretenus avec soin. Les Frères hospitaliers jouissaient à un haut degré de l'estime et de la considération du public ; et ce fut même l'origine des persécutions dirigées contre M™® d'Youville, lorsqu'on soupçonna qu'on voulait la substituer à eux.

M^' de Laval avait une grande estime pour M. Charon.

6. Edits et Ordonnances, t, 1, p. 277.

14

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2IO L'EGLISE DU CANADA

Ecrivant un jour à M. de Brisacier, il lui recommandait ce bon Frère, qui était passé en France pour intéresser à son œuvre les âmes charitables :

« Le bon M. Charon, disait-il, a beaucoup contribué au succès de notre mission des Tamarois, par un de leurs Frères, qu'il nous donna l'an passé. Il nous en a fourni encore un cette année. Ces donnés épargneront beaucoup aux missionnaires, la dépense d'un engagé étant aussi grande que celle d'un missionnaire même.

(( Je vous prie, et nos messieurs, de témoigner bien de la reconnaissance à ce bon serviteur de Dieu, qui est autant porté d'affection pour les missions et missionnaires que s'il était du corps. Nous avons même les vues, aussi bien que lui, de former par la suite une communauté de leurs Frères pour aider les missions et accompagner les missionnaires dans leurs voyages. Il va en France et jusques à Paris pour trouver et emmener quelques bons sujets pour l'aider à former leur communauté. M. de la Colombière y de- meure une grande partie de l'année et y fait beaucoup de bien.

« Rendez à M. Charon tous les services comme aux missionnaires mêmes : c'est un véritable serviteur de Dieu. ''. »

Ce n'était ni la vertu ni le zèle qui faisaient défaut aux Frères Hospitaliers, c'était un lien religieux qui les unît en communauté, c'était un noviciat tous pussent se former à une règle, selon l'esprit de leur institut. Mais cet esprit, qu'était-il? Tous ces sujets que l'on recrutait de côté et d'autre, avaient-ils le même but, la même pensée, la même vocation? Qui avait autorité pour leur imposer ses vues et les former à la règle?

7. Archives du Sém. de Québec, lettre de Mgr de Laval à M. de Bri- sacier, 1699.

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sous M^'' DE PONTBRIAND 211

« Dieu, écrit M. Paillon, quand il suscite un Institut, ne manque jamais de lai préparer, dans son propre corps, tout ce qui est nécessaire à sa perfection. Chercher hors de l'esprit qui doit l'animer, serait vouloir introduire dans un corps défaillant une chaleur étrangère pour lui donner la vie ^. »

M. Charon chercha à affilier sa petite communauté à Saint-Sulpice, et M. Leschassier l'autorisa à présenter un mémoire à la Cour à ce sujet ; mais « l'union des deux corps ivt jugée incompatible». Kt ce qui prouve qu'il n'avait jamais eu de but bien arrêté dans son établis- sement, c'est qu'il se décida alors à former des maîtres d'écoles pour la colonie : il obtint pour cela de la Cour de nouvelles lettres patentes confirmant les premières, celles de 1694, et autorisant les directeurs de son Hôpital à faire faire l'instruction des jeunes gens : « Voulons, disait le Roi, qu'ils fassent tenir des Ecoles publiques dans le dit Hôpital, et qu'ils puissent envoyer des maîtres d'écoles dans toutes les paroisses du diocèse de Québec. » Notons bien cependant la condition expresse qu'y mettait le Roi : « Voulons que tous les dits maîtres d'écoles qui seront choisis pour enseigner tant dans le dit Hôpital que dans les paroisses, soient préalablement tenus de prendre à cet effet la permission du sieur Evêque de Québec ^. »

Qui n'admirerait ici la prudence et le bon esprit de la Cour de France ? L'enseignement dans les écoles, la for- mation intellectuelle et morale des jeunes gens est un véri- table apostolat, qui tombe naturellement sous le contrôle et la surveillance de l'Eglise.

Le Roi accordait ensuite aux Frères Charon une rente annuelle de trois mille livres, « poui . entretien de six maîtres d'écoles. »

8. Vie de Mme d'Youville, p. 25.

9. Edits et Ordonnances, t. I, p. 39a

212 L EGLISE DU CANADA

L'Hôpital-Collège fournit pendant plusieurs années un bon nombre d'instituteurs, qui firent l'école dans les pa- roisses du district de Montréal et jusqu'aux Trois-Rivières. Mais il manquait toujours quelque chose d'essentiel à cette institution, un noviciat qui en fît une société vraiment religieuse, et une école normale qui formât de bçns insti- tuteurs.

M. Charon, qui n'avait pas réussi à s'affilier à Saint- Sulpice, essaya de se reprendre ailleurs. Etant passé en France, en 1718, il demanda à la Cour la permission d'établir à La Rochelle une Ecole Normale pour y former des maîtres d'écoles pour le Canada. Son but était de la confier aux Frères des Ecoles chrétiennes ; et ceux-ci avaient même accepté de passer au Canada : mais le Bien- heureux de la Salle, qui y avait d'abord consenti, les en détourna. Comme nous l'avons vu dans un volume pré- cédent ^^, les Frères des Ecoles Chrétiennes reprirent en 1737 le projet de s'établir au Canada; mais cette fois encore ils renoncèrent à l'entreprise.

M. Charon mourut (17 19) à bord du vaisseau qui le ramenait de France au Canada. Il avait avec lui « six maîtres d'écoles et quelques ouvriers qu'il avait engagés pour travailler à une manufacture de bas au métier » ". Tant qu'il avait vécu, son autorité avait suffi pour main- tenir l'ordre et l'union dans sa communauté ; mais après Jui, ce fut le chaos.

Le Frère Turc, nommé par M^'^ de Saint-Vallier pour le remplacer, voulut à son tour, avec l'agrément de l'évêque de La Rochelle, dont il était l'ami, établir dans cette ville une Ecole Normale pour y former des maîtres d'écoles pour la Nouvelle-France. Il contracta, au nom et à l'insu

10. U Eglise du Canada, 2e Partie, p. 346.

11. Corresp. générale, voL 4a

sous M^^ DE PONTBRIAND 213

de sa communauté, des dettes considérables. Ne voyant pas jour à les acquitter, il passa furtivement à Saint-Do- mingue ; et le gouverneur français, le chevalier de la Rochelar, ayant eu ordre de le saisir, «de force, si c'était nécessaire» ^'\ il se retira dans la partie espagnole de l'île. La plupart des Frères Hospitaliers se débandèrent. Il en restait cependant encore quelques-uns à l'Hôpital ; mais comme ils ne remplissaient plus les fonctions de maîtres d'écoles, la Cour leur retrancha les trois mille livres qu'elle leur avait allouées pour cet objet ; et lorsque M^^ Dosquet vint au Canada, voyant qu'il n'y avait plus parmi eux aucune discipline, il leur fit défense de recevoir de nou- veaux sujets.

* *

Les choses en étaient là^ lorsque M^^ de Pontbriand devint évêque de la Nouvelle-France en 1741. Mis au courant de tout, il apprit que la Cour désirait que le nom- bre des communautés religieuses au Canada fût diminué ^^: on les trouvait trop pauvres, sans ressources, à charge à la colonie, surtout à la Cour, qu'elles ne cessaient d'impor- tuner par leurs demandes. On parlait même de réunir l'Hôtel-Dieu de Québec à l'Hôpital-Général ^*: singulière idée, à la veille des événements qui allaient faire regorger de malades de toutes sortes ces deux maisons !

Pour l'Hôpital-Général de Montréal, le Prélat lui-même paraissait décidé à l'unir soit aux Sœurs de la Congréga- tion ^^, soit aux Hospitalières de Saint- Joseph :

12. Richard, Rapport. . . pour IÇ04, p. 74.

13. Rapport. . . pour 1905, p. 102,

14. Ibid., p. 97, 114, 133.

15. Les Sœurs de la Congrégation n'ont pas été instituées pour s'oc- cuper des hôpitaux, mais pour l'éducation des jeunes filles. 11 est pro- bable que le Prélat avait dans son idée les Sœurs du Saint-Esprit de M. de I^ Ville-Angevin, qui, elles, " avaient à s'occuper de l'éducation des filles et du soin des malades". {Les Epoux charitables, p. 157).

214 I^'ÊGLISE DU CANADA

A toutes les réflexions que j'ai faites sur PHôpital- Général de Montréal, écrivait-il, je crois devoir en ajouter une autre : c'est d'y transporter PHôtel-Dieu, en sorte que les mêmes religieuses eussent soin des malades et des vieillards : quatre salles suffiraient. La dépense serait moins considérable, parce que la même cuisine servirait. Il faudrait moins de domestiques, moins de religieuses : ce serait la même supérieure, et les mêmes officières. Il y aurait moins de frais pour le chirurgien, moins d'ecclésias- tiques occupés ; on pourrait alors tirer des rentes considé- rables de l'emplacement et des bâtiments de l'Hôtel-Dieu, parce qu'on pourrait les affermer ^^. . . »

Il n'y avait qu'une objection à tout cela : c'est que les religieuses de l'Hôtel-Dieu de Montréal étaient chez elles, et qu'elles ne se seraient probablement pas laissé déloger sans crier : Gare !

Quant à M^^' d'Youville et ses compagnes, si bien for- mées par les messieurs de Saint-Sr.lpice, constituées déjà en communauté, le Prélat, loin de songer à elles pour la direction de l'Hôpital, semble leur avoir témoigné tout d'abord peu de confiance.

Bientôt, cependant, voyant que les citoyens de Montréal tiennent absolument à conserver leur Hôpital, et leur Hôpital indépendant de toute autre institution, de concert avec MM. de Beauharnais et Hocquart, et sur les représem- tations de Saint-Sulpice, il consent à en confier « provisoi- ' renient » la direction à M™^ d'Youville. C'est le 27 août 1747. Il n'y a plus que deux Frères Hospitaliers ^'^, et ils ont déjà offert leur démission. M™^ d'Youville s'engage à leur payer une pension viagère : elle se charge de réparer la maison qui tombe en ruines, et de recevoir autant de pauvres, d'infirmes et de vieillards « des deux sexes » que

16. Corresp. générale, vol. "/S, lettre au ministre, 28 septembre 1742.

17. Faillon, Vie de Mme d'Youville, p. 59.

sous M^^ DE PONTBRIAND 21 5

ses ressources pourront le lui permettre. Un Sulpicien généreux, M. Boufïandeau, a légué à l'Hôpital six mille livres, à condition qu'il soit administré par M^^ d'Youville ; M. Couturier a aussi en mains huit mille livres qu'il ne donnera à l'Hôpital qu'à la même condition ^^ ; et toujours à la même condition les créanciers consentent â sacrifier la moitié de leurs créances. Avec ces ressources, et plusieurs autres, M™® d'Youville s'engage à payer les dettes de l'Hô- pital ^^. Tout le monde est content du nouvel arran- gement ; et bien qu'il ne soit donné que « provisoirement », on espère qu'il deviendra définitif.

Voici ce que l'abbé de l'Ile-Dieu écrivait au ministre, à la date du 22 février 1749, au sujet des plans de M™* d'Youville :

« La dame d'Youville me fait envisager que si la Cour voulait lui accorder des lettres patentes pour la petite communauté de Filles de piètè qu'elle a formées au service des pauvres et au soulagement des malades, elle est sûre de rassembler huit mille francs, qu'elle m'enverra aussitôt pour acquitter les dettes de l'Hôpital. . .

« Elle ajoutera l'instruction au soulagement des pauvres, le soin des femmes à celui des hommes, par conséquent le soulagement des deux sexes.

« Cette nouvelle petite communauté se consacrerait non seulement à l'instruction des filles, mais à retirer du liber- tinage les personnes de mauvaise vie, sans que le temps et les soins qu'elle y donnerait fissent aucun tort au soula- gement des pauvres malades -°. . . »

* * Bigot arrive pour remplacer Hocquart ; La Jonquière, dont M. de la Galissonnière n'a fait qu'occuper temporaire-

18. Bdits et Ordonnances, t. II, p. 408.

19. Ibid., p. 391.

20. Mss. de Jacques Viger, Ma Saberdache.

2i6 l'église du canada

ment la place, arrive enfin pour succéder à Beauharnais : tous deux sont avec l'Evêque les administrateurs de l'Hô- pital-Général. Bigot n'ignore pas que la Cour désire que l'on diminue le nombre des communautés religieuses au Canada, et pour se rendre agréable au ministre il propose que l'on abolisse l'Hôpital-Général de Montréal, et qu'on l'unisse à celui de Québec, qu'il a pris en affection. De concert avec La Jonquière, il se fait donner un ordre de la Cour, en conséquence;, et voilà qu'en effet tous deux ren- dent une ordonnance, en date du 15 octobre 1750, réunis- sant l'Hôpital-Général de Montréal, «avec tous ses biens meubles et immeubles », à celui de Québec. M^'' de Pont- briand, du moins, va-t-il protester, et prendre en mains la cause de M™^ d'Youville? Hélas! son nom est le premier en tête de l'ordonnance, et sa signature est aussi la pre- mière au bas de cet arrêt qui donne la mort à l'une de ses institutions les plus méritantes ^^ !

Cette ordonnance soulève toute la population de Mont- réal contre ceux qui l'ont rendue, et l'on se met immédiate- ment à l'œuvre pour la faire casser par la Cour :

« L'ordonnance a fait ici un grand bruit, écrit à l'Evêque M. Normant, non seulement par le son des tambours qui l'ont annoncée, mais plus encore par les murmures, les médisances et les calomnies qu'elle a occasionnées. Tous en ont été si frappés, que sans garder aucune mesure, et con- tre les règles de la charité, ils ont éclaté en ressentiments et contre Votre Grandeur et contre M. Bigot, qu'ils en ont supposé les auteurs, faisant grâce à M. le gouverneur géné- ral, et ne lui donnant aucune part à cette entreprise, qu'ils croient être contre ses sentiments. J'ai été et je suis encore très peiné de voir des excès si blâmables. Dieu offensé, et la confiance et le respect qu'ils sont obligés d'avoir pour

21. Edits et Ordonnances, t. II, p. 404.

sous M^^ DE PONTBRIAND 21/

Votre Grandeur altérés et diminués. C'est, à mon avis, bien mal défendre une bonne cause. ^'-^ »

M. Norraant démontrait ensuite à l'Evêque que l'union qu'il avait faite de l'Hôpital-Général de Montréal à celui de Québec était injuste et nulle ; et il ajoutait, en termi- nant sa lettre :

« Nos citoyens se flattent qu'on ne leur refusera ni le temps ni les moyens de faire à Sa Majesté leurs très hum- bles représentations, et que, jusqu'à ce qu'ils puissent en informer la Cour, la réunion n'aura pas lieu. »

M. Normant rédigea lui-même la supplique des citoyens à la Cour. Elle fut appuyée par M. de La Jonquière, qui écrivit au ministre le 19 octobre 1751, en avouant ingé- nuement qu'il avait suivi tout simplement l'avis de M. Bigot, sans avoir prévu le tort que l'union des deux hôpi- taux causerait aux pauvres de Montréal :

« Mais, dit M. Paillon, l'évêque et l'intendant firent à la supplique un accueil moins favorable, et refusèrent abso- lument de l'appuyer ^^ »

Ils durent le regretter plus tard, lorsque leur arriva de France l'ordre exprès de suspendre l'union qu'ils avaient faite et de remettre les choses dans l'état oii elles étaient avant leur ordonnance du 15 octobre 1750 ^*.

En parcourant les ordonnances des intendants, on est péniblement impressionné à la lecture de ces deux décrets qui se suivent à quelques mois de distance et se détruisent l'un l'autre : celui du 15 octobre 1750, qui réunit l'Hôpital- Général de Montréal à celui de Québec, et celui du 14 décembre 1751, « qui remet la dame You ville en possession de l'Hôpital-Général de Montréal, « d'oii elle avait été si

22. Cité par M. Faillon, dans la Vie de Mme d'Youville, p. 79.

23. Vie de Mme d'Youville, p. 84.

24. Rapport... pour IÇ05, p. 151.

2i8 l'église du canada

honteusement évincée ^^ On regrette de voir le nom de l'Evêque en tête de ces deux pièces contradictoires : trop d'union, trop d'entente avec Bigot ne lui avait pas porté bonheur.

Le Prélat, qui avait toujours été un peu préjugé contre ^me d'Youville, s'était figuré que dans lei comptes qu'elle avait rendus de la gestion de l'Hôpital, elle avait voulu tromper les administrateurs; et voilà pourquoi, de concert avec Bigot, il s'était montré impitoyable à son égard. Il lui écrivit en 1751 deux ou trois lettres dont le ton nous a paru peu obligeant ^^

Les effets mobiliers de l'Hôpital que l'on avait déjà envoyés à Québec, reprirent le chemin de Montréal, entre autres, dit M. Faillou, « une tribune en menuiserie qui était dans l'église, et dont les sculptures passaient pour un ouvrage des plus rares du pays » ^^.

Suivant l'ordre qu'ils en avaient reçu du Conseil d'Etat, en date du 12 mai 1752, le gouverneur, qui était alors M. Duquesne, l'évêque et l'intendant se réunirent le 28 sep- tembre de la même année pour délibérer ensemble « sur les offres et conditions faites par dame veuve Youville concernant le soin, l'acquittement des dettes et la direc- tion » de l'Hôpital-Général de Montréal. Toutes ces offres et conditions furent acceptées par les trois administra- teurs, « sous le bon plaisir de sa Majesté » -^.

On trouve au bas de ce document important, à la suite

25. Edits et Ordonnances, t. II, p. 406.

26. Archives de l'archev. de Québec, Corresp. de Mgr de Pontbriand.

27. Vie de Mme d'Youville, p. 95.

28. Edits et Ordonnances, t. I, p. 613.

sous M*^*" DE PONTBRIAND 219

des signatures de M^*' de Pontbriand, du gouverneur Duquesne et de l'intendant Bigot, celles de M"^® d'Youville, et de ses compagnes, « administratrices de l'Hôpital », Louise Thaumur, Catherine Demers. Catherine Rainville, Thérèse Laser, Agathe Véronneau, Marie-Antoinette Ralle, Marie-Joseph Bernard.

Ce document ayant été envoyé au ministre dans le cours de l'automne, fut communiqué à M. Couturier et à l'abbé de l'Ile-Dieu, pour qu'ils pussent faire leurs observations; puis le Roi donna le printemps suivant un Règlement définitif « pour l'administration de l'Hôpital-Général de Montréal ». Ce règlement est daté de Versailles le 3 juin 1753. Le Roi rappelle les différentes phases qu'a subies cette institution, son premier établissement en 1694, l'acte provisoire par lequel on en avait confié la direction à M°^* d'Youville en 1747, l'union qu'on avait faite de cet hôpital à celui de Québec en 1750, le rappel de cet union en 1751, le traité conclu entre les administrateurs et M^^ d'Youville le 28 septembre 1752 ; puis il ajoute :

« La dite Dame Veuve Youville et ses compagnes seront et demeureront chargées de la direction et administration du dit Hôpital de Montréal, à l'effet de quoi nous les avons subrogées et subrogeons au lieu et place des Frères Hospi- taliers, qui y avaient été ci-devant établis, et voulons qu'elles jouissent des droits, privilèges, exemptions et pré- rogatives portées par les dites lettres patentes du 15 avril 1694 concernant le dit établissement '^^, »

Quel triomphe pour M^"'' d'Youville! et connue elle était bien récompensée pour la patience, le courage et l'humilité qu'elle avait niontiée au milieu des épreuves!

« Mes chères enfants, disait-elle un jour à ses compagnes, j'admire chaque jour la divine Providence. Le Père Bter-

29. Edits et Ordonnances, t. I, p. 616.

220 I^'ÉGUSE DU CANADA

nel fait l'objet de ma grande confiance depuis près de qua- rante ans ^^. »

Quel triomphe, également, pour les MM. de Saint-Sul- pice, qui n'avaient cessé de soutenir et d'encourager M°^* d'Youville au milieu de ses épreuves! Quel triomphe, surtout, pour M. Normant! Il avait été malade à l'extré- mité, et on l'avait même dit mort à M. Couturier ^^ Il revint cependant à la santé, et l'on peut croire que les bonnes nouvelles qu'on lui donna de PHôpital-Général ne furent pas étrangères à sa guérison.

Aux MM. de Saint-Sulpice, qui firent tant pour PHô- pital-Général de Montréal, il convient d'associer le nom de l'abbé de l'Ile-Dieu, que l'on avait chargé d'acquitter les dettes de cet Hôpital, à Paris, et qui se donna un mal incroyable pour remplir cette rude tâche. Il écrit à M^ de Pontbriand le 15 mai 1754: «Je suis actuellement occupé à liquider les dettes de l'Hôpital de Montréal. Puis, deux ans plus tard : <( Cette affaire, dit-il, me donne plus de peine que je ne puis vous le dire. »

Entre les différents créanciers, il y avait surtout un nommé Gendron, qui se montrait vraiment intraitable:

« Le sieur Gendron, dit-il, nous a fait toutes les diflS- cultés, je ne dirai pas qu'on peut imaginer, mais qu'on n'imagine pas. Et quoique chaque créancier qui s'est présenté nous ait fait remise de tous ses intérêts et de la moitié de son capital, le sieur Gendron exige sa somme en entier, avec la simple remise de ses intérêts, mais sous la condition, réservée par sa quittance, qu'il y pourrait revenir et les repeter, si pour les faits de son père il venait à être inquiété par quelqu'un des créanciers employés dans le jugement rendu en leur faveur au Conseil Supérieur de

30. Vie de Mme d'Youville, p. 280.

31. Archives de l'archev. de Québec, lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754.

sous M^"^ DE PONTBRIAND 221

Québec... J'avoue que je n'y comprends rien, ni aucun de ceux que j'emploie pour cette affaire, et que je dirais volontiers de la proposition du sieur Geudron, que malh sonat^ et que même piitidè o/et.

« J'ai offert au sieur Gendron de lui payer en plein ce qui reste de son capital, sous la condition de la remise de ses intérêts. Il y avait consenti, il s'en est dédit et a manqué à sa parole ^"^. «

Nous avons appelé M™^ d'Youville la fondatrice de PHopital-Général ; et il nous semble qu'elle mérite ce titre, non seulement parce que cet Hôpital ne devint véritable- ment (c général w que lorsquelle en prît la direction, mais encore parce qu'elle lui communiqua une vie toute nou- velle par l'esprit religieux et vraiment sui gêner is qu'elle y introduisit.

Hâtons-nous d'ajouter que M^'^ de Pontbriand semble avoir regretté beaucoup dans la suite la défiance qu'il lui avait d'abord témoignée ; et pour l'engager à oublier le passé et à ne plus douter de son dévouement à son égard, il lui écrivit dès le 15 janvier 1753, avant même qu'elle eût reçu de la Cour les lettres patentes qui lui confiaient définitivement la direction de l'Hôpital :

« Vous êtes trop équitable pour douter des sentiments d'affection et de respect que je me fais gloire d'avoir pour vous. Qu'il sera consolant pour moi, si notre projet pour l'établissement de l'Hôpital-Général est confirmé ! Dès qu'il y aura quelque chose de stable, nous penserons sérieu- sement à arranger les affaires ^^ »

32. Lettres du 15 mai 1754 et du 28 mars 1756.

33. Vie de Mme d'Youville, p. 103.

222 l'Église du canada

Le Prélat fit une visite spéciale à l'Hôpital-Général de Montréal en 1755. Il approuva les règles que M. Normant avait déjà données à M^^ d'Youville pour la direction spiri- tuelle de sa maison ; il approuva également le costume qu'elle avait adopté avec ses compagnes. Il fut dans l'ad- miration à la vue de l'ordre qui régnait dans son établisse- ment,^du bien-être qu'elle avait su procurer à ses pauvres, et des travaux importants qu'elle avait entrepris, tout en remplissant ses obligations par rapport aux dettes du Frère Turc. La vue, surtout, d'une muraille de trois mille six cents pieds de longueur qu'elle avait commencée pour enclore le terrain de l'Hôpital le frappa; et il voulut con- tribuer généreusement à sa construction. Apprenant plus tard que non seulement elle avait mené ces travaux à bonne fin, mais qu'elle avait entrepris d'agrandir l'Hôpital pour pouvoir loger un plus grand nombre de vieillards et d'infirmes :

« J'admire, madame, lui écrivait-il, votre confiance en la Providence : j'en ai connu des traits marqués depuis que j'ai eu l'honneur de vous connaître. . . Je vous souhaite, et à vos charitables compagnes, les plus abondantes bénédic- tions ^*. . . »

34. Vie de Mme d'Youville, p. 136.

CHAPITRE XX

l'Érection des paroisses. l'affaire du p. tournois et des dlles desaulniers. le p. de la

RICHARDIE. M^r DE PONTBRIAND ET LES PROTESTANTS

L'Edit des mainmortes et les paroisses. Projets de paroisses à la Basse- Ville de Québec et au Lac Champlain. Le P. Tournois renvoyé de sa mission par M. de La Jonquière. Les Dlles Désaul- niers. Duquesne veut faire revenir le P. Tournois; il échoue dans son dessein. Le P. de la Richardie et Beauharnais. Mgr de Pontbriand et les Protestants.

ON ne peut douter que le fameux Edit des mainmortes ^, promulgué en France le 25 novembre 1743, et enre- ^stré le 5 octobre 1744 au Conseil Supérieur de Québec, n'ait été pour quelque chose dans les entraves apportées au Règlement de l'Hôpital -Général de Montréal. En émettant cet édit, le Roi avait surtout en vue ses colonies ^. Il voulait « empêcher, disait-il, qu'il ne s'y formât de nou- veaux établissements religieux sans sa permission ». Il voulait empêcher aussi que ceux qui y existaient déjà « ne fissent de nouvelles acquisitions de biens-fonds ». Il y a déjà, ajoutait-il, « trop de ces établissements à la charge du Trésor et des colonies. En acquérant trop de biens-fonds, ces établissements mettent hors du commerce une partie

1. Edits et Ordonnances, t. I, p. 576.

2. Voici le titre de l'Edit : " Déclaration du Roi concernant les Ordres religieux et gens de mainmorte établis aux Colonies françaises."

224 l'églisk du canada

considérable de nos domaines, ce qui est contraire au bien commun de la société». Védit des mainmortes tendait donc à restreindre à la fois le nombre des communautés religieuses et leur droit d'acquérir des biens-fonds.

Ce qui sauva M""" d'Youviîle, c'est qu'il ne s'agissait pas pour elle de créer précisément un nouvel établissement, mais d'en relever un qui penchait vers sa ruine. Au lieu de vouloir acquérir, elle se chargeait de payer les dettes des autres et de satisfaire leurs créanciers.

On ne voit pas que la Déclaration de 1743 ait été l'objet de protestations énergiques de la part du clergé canadien comme celle de 1732 ^ Au contraire, comme nous l'avons dit au chapitre précédent, il semble que l'évêque, le gou- verneur et l'intendant aient rivalisé de zèle pour s'y con- former, en cherchant à unir des établissements même assez dissemblables et à diminuer ainsi, le nombre des commu- nautés religieuses du Canada.

L'édit des mainmortes ne fut pourtant pas sans préoccuper un peu M^^ de Pontbriand par rapport à l'administration de son diocèse. Ecrivant au ministre dans l'automne de

1744-

(( Permettez-moi de vous demander, disait-il, si, dans la

nouvelle Déclaration, qui défend aux gens de mainmorte de faire de nouvelles acquisitions, l'intention de Sa Majesté est d'y comprendre les nouvelles paroisses. Je ne saurais me le persuader : autrement, il serait impossible d'en ins- tituer *. ))

Or le pieux Prélat était bien décidé à créer des paroisses partout sa conscience lui disait qu'il y en avait besoin. Il considérait comme un de ses devoirs les plus sacrés de donner des missionnaires à tous les nouveaux établis-

3. Voir notre volume précédent, p. 170.

4. Corresp. générale, vol. 82, lettre du 30 octobre 1744.

sous M^*" DE PONTBRIAND 225

sements qui étaient en état de pourvoir à leur subsistance, à leur logement, aux frais du culte, à la construction d'une chapelle ou d'une église. On offrait pour cela des terrains, souvent même assez considérables ; mais l'édit des main- mortes ne s'opposait-il pas à ces acquisitions? Il lui fut répondu que non ; et il en profita pour autoriser l'acqui- •sition de ces terrains. Sur ces terrains s'élevèrent bientôt des églises, des presbytères : souvent, à côté de l'église, il y avait une terre dont le revenu s'ajoutait à celui de la dîme pour la subsistance du curé ^ C'était le cas, par exemple, à Saint-Charles de la Rivière-Boyer, nous avons vu M^^ de Pontbriand nommer un premier curé dans l'automne de 1749. Il n'y eut pas moins de dix-huit à vingt paroisses qui furent ainsi créées, et l'on com- mença à tenir registres, dans le cours de son administration, sans compter plusieurs missions qui, n'ayant pas encore le moyen d'avoir un curé résident, avaient du moins une cha- pelle, où le curé de la paroisse voisine allait faire l'office à des intervalles plus ou moins rapprochés ^

« Mais il faudrait fixer vos curés d'une manière inamo- vible, il faudrait établir des cures fixes » : tel est le refrain qu'on lui répète sans cesse, à la Cour ; et ce refrain résonne encore presque à toutes les pages de nos archives ! M^^ de Pontbriand fait semblant de ne pas entendre : il n'est pas d'humeur à se créer à lui-même des embarras pour la divi- sion ou le remaniement de ses paroisses, ou pour le dépla- cement de ses curés, quand il jugera la chose à propos pour le bien des âmes. Il continue à administrer tranquillement son diocèse, il marche autant que possible sur les traces de

5. Edits et Ordonnances, t. II, p. 574, 581.

6. C'est ainsi, par exemple, qu'en 1745, le curé Duchouquet, de Sainte- Anne, desservait aussi Saint-Roch des Aulnaies; le curé Jorian, de Berthier, Saint-François de la Rivière-du-Sud. ilbid., t. III, p. 360, 379).

15

226 I^'ÉGUSE DU CANADA

ses prédécesseurs, et ne fixe pas une seule paroisse dans tout le temps de son épîscopat.

Le croirait-on, si la chose n'était en toutes lettres dans les archives? on lui conteste «le droit exclusif d'ériger des cures dans son diocèse « ^. Le Roi, qui nomme des cha- noines ^, ne pourrait-il pas nommer aussi quelques curés, et ériger des cures? On ne le dit pas à l'Evêque lui-même directement, on le fait savoir à son grand vicaire l'abbé de nie-Dieu. Sans faire semblant de rien, le Prélat écrit au ministre, et met les choses au point :

K II paraît que c'est aux Evêques à instituer les paroisses, à les étendre ou les restreindre selon le besoin, qui change selon l'augmentation ou la diminution des habitants ^.»

Nous n'avons que deux exemples M^' de Pontbriand renonça à ses projets de paroisses, après en avoir conféré avec la Cour : le cas de la Basse-Ville de Québec, et celui du Lac Champlain.

Il est certain que vers 1750 ou 1751 l'Evêque avait décidé de diviser la paroisse de Notre-Dame de Québec, et d'en ériger une nouvelle à la Basse-Ville, oii résidaient à cette époque la plupart des marchands. Le projet, du reste, n'était pas nouveau: il en avait été question dès 1692 ^°. Mais comme il s'agissait de la première cure du diocèse, érigée d'une manière fixe et inamovible, M^^ de Pontbriand avait cru devoir en demander la permission à la Cour par l'entremise de son grand vicaire, l'abbé de i'Ile-Dieu, auquel il avait envoyé en même temps un ancien procès- verbal de commodo et incommoda pour l'érection de la nou-

7. Rapport. . . pour IÇ03, lettre du ministre à l'abbé de l'Ile-Dicu, 14 avril 1752.

8. En vertu de son fameux Don de 3,000 livres au Chapitre, prendre sur son Domaine de la Nouvelle-France". (Edits et Ordon- nances, t. I, p. 339).

9. Corresp. générale, vol. 78.

10. Recherches historiques, vol. XV, p. 41.

sous M*^' DE PONTBRIAND 227

velle paroisse. Le temps était mal choisi : il y avait jus- tement à cette date un procès pendant à la Cour, entre le Chapitre et le Séminaire de Québec, au sujet de la posses- sion de cette cure qu'il s'agissait de diviser. On fit savoir à l'Evêque qu'il valait mieux attendre la fin du procès, avant de parler de diviser la paroisse ; et comme le procès n'eut pas de fin, la division non plus n'eut pas lieu, ni par conséquent la création de la nouvelle paroisse ^\

Quant au Lac Champlain, il s'y était formé, tout autour, un grrand nombre d'établissements canadiens : MM. Hoc- quart, Péan, De Noyau, De Beaujeu, Foucault, Daine, Lusignan, Saint-Vincent, Contrecœur, s'y étaient fait concéder des seigneuries, et avaient commencé à y attirer des colons: au seul Fort Saint-Frédéric, il y avait déjà vingt et un habitants ^^. Tout autour du lac s'éten- daient de magnifiques terres, oii il y avait beaucoup de bois de construction, du chêne, surtout, en quantité, pour la construction des navires ^^. Bref, M^"^ de Pontbriand, à la demande d'un grand nombre de colons, et « sur les ordres de la Cour », avait décidé d'ériger une paroisse au lac Champlain. A quel endroit précis? La chose n'est pas indiquée clairement dans les archives ; nous croyons, cependant, que c'était aux environs de la rivière Chasy, laquelle, ainsi que l'île Lamotte ^*, faisait partie de la sei- gnerie de M. Péan ^^. Mais la guerre fit abandonner la plupart des établissements canadiens qui s'y étaient formés, et dérangea les plans de l'Evêque. Ecrivant au ministre :

« Conformément à vos ordres, disait-il, j'ai pris des arran- gements pour placer un missionnaire au lac Champlain, lui

11. Recherches historiques, vol. XV, p. 46

12. Rapport. . . pour IÇ05, p. 24.

13. Voir notre étude Champlain et Hudson, dans les Mémoires de S9ciété Royale de 1910, p. 94.

14. Sur l'île Lamotte, voir aussi Champlain et Hudson, p. 93.

15. Edits et Ordonnances, t. II, p. 559.

228 l'Église du canada

destinant quatre cents francs sur les fonds que Sa Majesté a destinés en faveur des curés usés. Mais M. l'intendant ne croit pas qu'il soit convenable, dans la position présente, d'y établir une paroisse. Ce ne sera probablement qu'à la paix ; et je suivrai ponctuellement vos intentions ^^. »

Mais le temps n'était plus à la paix, et il ne fut plus question de la paroisse du Lac Cliamplain sous le régime français. Hélas ! ce beau lac, qui porte le nom du Père de la Nouvelle-France, n'est plus à nous!

Le prêtre que M^^ de Poutbriand aurait placé à la tête de cette nouvelle paroisse, aurait desservi également tous les établissements français autour du lac, comme faisait le bon missionnaire de la Nouvelle-Beauce, le Père Carpen- tier, qui, résidant à Sainte-Marie, il commença à tenir registres en 1745, visitait aussi Saint-Joseph, Saint-François et tous les postes de la rivière Chaudière ^'^; comme faisaient également les missionnaires de la rivière Riche- lieu, qui, tout en étant attachés à une paroisse principale, en avaient quelquefois deux ou trois autres à desservir.

* *

Nous avons vu que la Cour contestait à l'Evêque le droit exclusif d'ériger des paroisses. Elle s'arrogeait le droit d'intervenir, au besoin ; et M^^ de Pontbriand, toujours porté à la conciliation, ne croyait pas devoir en former de nouvelles sans en référer au ministre. Si du moins l'auto- rité civile avait toujours eu le même esprit de conciliation ! Mais nous avons le fait d'un gouverneur, qui, de sa seule autorité, sans en parler à l'Evêque, ni à qui que ce soit,

16. Corresp. générale, vol. 86, lettre du 10 novembre 1746.

17. Les sauvages appelaient cette rivière Mechatigan: de là, par cor- ruption, le nom de Saint-Igan donné au pays le long de cette rivière. (Tanguay, A travers les Registres, p. 145).

sous M-^ DE PONTBRIAND 229

chasse un missionnaire du poste l'a placé et le maintient la confiance de ses supérieurs ecclésiastiques, et lui en substitue un autre. Voici ce que nous lisons, en effet, dans le Journal des Jésuites, à la date du mois de mai 1750:

« Le P. Tournois a été renvoyé par le gouverneur géné- ral, M. de la Jonquière, de sa situation comme prêtre au Saut-Saint-Louis. Ceci a été fait sans consulter PEvêque, ni le supérieur des Jésuites. Ils se sont plaints tous deux. L'Evêque a écrit au gouverneur sur ce sujet, mais sans résultat. Le gouverneur avait décidé que M. de la Breton- nière devrait être envoyé pour le remplacer, mais ensuite ordonna au P. Floquet ^^ d'y aller ^^. »

La mission du Saut-Saint-Louis, tenue pjar les Jésuites *'^°, était une belle mission de sauvages Iroquois convertis au christianisme, semblable à celles des Sulpiciens au Lac des Deux-Montagnes et à la Présentation. Le P. Tournois, qui la dirigeait, avec deux autres Jésuites -', n'était pas seulement un excellent religieux, c'était un maître homme, qui avait une autorité incomparable pour conduire les sauvages. Deux personnes respectables, les demoiselles Desaulniers, le secondaient efficacement dans ses œuvres : elles tenaient depuis vingt quatre ans dans cette mission un petit magasin, que les Jésuites encourageaient, parce que les sauvages pouvaient s'y procurer tout ce dont ils

18. C'est ce P. Floquet qui fut interdit plus tard par Mgr Briand pour avoir pris part au mouvement de la Rébellion en 1775. Il était alors à Montréal, et écrivit à l'Evêque plusieurs lettres d'explications et d'ex- cuses. Il était arrivé au Canada le 17 août 1744. Il fit la profession des quatre vœux dans l'église des Pères Jésuites à Montréal le 16 juillet 1752. 11 mourut à Québec le 18 octobre 1782. le 12 septembre 1716, il était entré dans la Compagnie de Jésus le 6 aoiit 1735, et appartenait à la province d'Aquitaine.

19. Archives du Séminaire de Québec.

20. La résidence des Jésuites était dans le Fort, commandait M. des Musseaux en 1752. (Voyages de Franquet, p. 35).

21.^ C'étaient, en 1746 et 1749, les Pères Floquet et Quintin de la Bre- tonnière. (Catalogues des Jésuites).

230 l'église du canada

avaient besoin, sans être obligés d'aller à Montréal, ils trouvaient mille occasions de s'enivrer.

Ce qui faisait leur principal profit, c'est « qu'elles avaient trouvé le secret de bien préparer le ginseng, qui se vendait très bien en France » ^^. Leur petit commerce prospérait.

Mais cela ne fait pas l'afEaire des marchands, surtout de ceux qui font la contrebande, ou qui se livrent à la traite de l'eau-de-vie. Ils vont se plaindre au gouverneur, M. de la Jonquière ; et les demoiselles Desaulniers, sur les conseils des Jésuites, descendent à Québec pour se justifier auprès de lui, et repousser les accusations qu'on a portées contre elles ; puis elle remontent en toute confiance au Saut-Saint-Louis, croyant avoir convaincu le gouverneur de leur innocence.

Au bout de huit jours, elles voient arriver chez elles huit soldats, escortant un officier, qui leur signifie un ordre du gouverneur d'avoir à quitter leur habitation sous vingt- quatre heures, et de se retirer à Québec, pour avoir fait de la contrebande. Rendues à Québec, elles prennent le par- ti de passer en France, pour aller à la Cour justifier elles- mêmes leur conduite. Biles font naufrage, et perdent plus de soixante mille francs : c'est pour elles une ruine totale.

Non content d'avoir expulsé du Saut-Saint-Louis les demoiselles Desaulniers, La Jonquière, toujours sous l'im- pression des accusations portées par les marchands, poussé aussi à la violence par le commandant du Fort, M. Dou- ville -^ foice le P. Tournois, qu'il suppose de connivence avec elles, à quitter, lui aussi, la mission, et cela, comme nous venons de le voir, sans en avoir conféré auparavant

22. Corresp. générale, vol. 97, Mémoire des Dlles Desaulniers à Mgr Rouillé, 1751.

23. "Je crois que le commandant est le principal auteur." (Lettre de Mgr de Pontbriand à M. de la Galissonnière, archives de l'archev. de Québec).

sous M»^ DE PONTBRIAND 23I

avec l'Evêque, ni obtenu la permission du supérieur, le P, Marcol. Tournois se voit obligé, à son tour, de passer en France; et le gouverneur écrit à la Cour: «Il importe qu'il ne revienne plus dans la colonie.»

Le ministre écrit au gouverneur pour lui reprocher la violence de ses procédés : il devait, dans tous les cas, dit- il, « laisser le supérieur des Jésuites rappeler lui-même le P. Tournois » '^^.

ha. Jonquière, loin de se justifier, renchérit sur tout ce qu'il a dit et écrit contre les demoiselles Desaulniers, le P. Tournois et les Jésuites: « Personne ne révoque en doute, dit-il, le commerce étranger que ces filles ont tou- jours fait. Les grands et les petits de cette colonie n'en ignorent. . . Quant au P. Tournois, l'étroite liaison qu'il avait avec elles pour le commerce n'est pas non plus ignoré. » Il parle ensuite « d'une infinité de rubriques que les Jésuites ont pratiquées pour le surprendre . . . , de traits envenimés qu'ils ont glissés contre lui dans un mémoire. . . J'ai affaire à forte partie, ajoute-t-il, et à gens bien malins. Mais je suis à l'épreuve de tout « ^^

Il mourut à Québec le printemps suivant, et alla rendre compte à Dieu de son administration. M. Duquesne qui lui succéda était chargé de s'enquérir des causes de la dis- grâce du P. Tournois : il écrivait au ministre dans l'au- tomne de 1752 :

(' Quant an rappel du P. Tournois, on m'a assuré qu'il a été occasionné par beaucoup de tracasseries dont ce pays fourmille, quand on a des dispositions à y prêter l'oreille. En généra], on convient que c'était un très bon mission- naire, et qui avait le talent de mener les sauvages comme il voulait, mais le plus insolent et le plus haut de tous les

24. Rapport. .. pour 1905, p. 151.

25. Corresp. générale, vol. 97, lettre au ministre, ler novembre 1751.

232 1,'ÉGUSE DU CANADA

hommes vis-à vis des officiers qui ont commandé dans ce poste.

« lycs révérends Pères Jésuites qui sont à Québec ont été surpris de la manière que je l'ai caractérisé ; et ils sont convenus avec moi du défaut qu'on lui reproche. Ils m'ont demandé si je ne trouverais pas mauvais qu'il re- tournât dans cette colonie. Je leur ai répondu qu'après une pareille époque je croyais la chose difficile; mais que, si telle était votre volonté, monseigneur, je lui dirais mon avis sur sa conduite passée, afin de le faire rentrer en lui- même. Comme j'ai naturellement de l'horreur pour les éclats de toute espèce, s'il arrivait pareil cas, je prendrais la voie pacifique que vous suggérez, et dont j'ai déjà fait usage vis-à-vis du P. Marcol, recteur, qui avait placé au même Saut-Saint-Lonis un jeune étourdi capable de semer la zizanie entre les Français et les sauvages. Je lui ai envoyé un Mentor qui l'a si bien rangé, que tout est dans une union parfaite à ce poste ^^ . . . »

Deux ans plus tard, tout allait si mal à la mission du Saut-Saint-Louis, que M. Duquesne se voyait obligé d'écrire au ministre :

(( J'ai l'honneur de vous informer que, sur les reproches fréquents que j'ai faits au R. P. Marcol, supérieur des Jésuites, que ses missionnaires du Saut-Saint-Louis man- quaient de la fermeté nécessaire pour mener ces sauvages convenablement % il m'a répondu que leur Provincial

26. Corresp. générale, vol. 98, lettre du 28 octobre 1752.

27. Outre le P. Floquet, qui serait allé à la mission, d'après le Journal des Jésuites, nous y trouvons Antoine Gourdan, de 1751 à 1752, et Ni- colas de Gonnor, de 1752 à 1753 (Canada Ecclésiastique de 1910). Le P. de Gonnor, arrivé au pays dès 1718, est probablement le " mentor" dont parle M. Duquesne. Malheureusement ce bon Père n'avait "jamais voulu se donner la peine d'apprendre la langue iroquoise ", (Lettre du P. Nau, 20 octobre 1734, dans les Jésuits Relations, t. 68, p. 224) et par conséquent ne pouvait être d'une grande utilité au Saut-Saint-Louis.

sous M^^ DE PONTBRIAND 233

mettait tout en usage pour trouver des sujets, mais inutile- ment.

« Comme il est prouvé par les informations que j'ai prises, que le P. Tournois a mené la mission du Saut- Saint-LrOuis supérieurement à tout autre, il me paraît im- portant que vous ayez agréable de lui permettre de venir ici, parce que cette mission, qui augmente considéra- blement, a plus besoin que jamais d'être menée par quel- qu'un qui a le talent de s'en faire craindre et aimer.

(( J'étais trop attaché à feu M. le marquis de la Jonquière pour me séparer de la vénération que je dois à sa mémoire. Mais je dois vous dire avec vérité qu'il a été surpris par des mauvais caractères connus, qui l'ont porté à la violence commise à cette occasion ^®. . . »

Dans une nouvelle lettre qu'il écrivait à la Cour deux ou trois semaines plus tard, le gouverneur insistait pour faire revenir le P. Tournois au Canada :

(( Jamais, disait-il, il ne fut plus besoin de renvoyer le P. Tournois dans cette colonie, ainsi que je l'ai demandé à M. Rouillé 29... >,

Le P. Tournois pouvait-il être vengé d'une manière plus noble et plus complète ? Et pour les Jésuites, également, quel triomphe, et quelle vengeance pour toutes les petites « tracasseries )) qu'on ne cessait de leur faire subir ! « Ce pays fourmille de tracasseries indécentes «, disait M. Du- quesne dans la même lettre.

Le P. Tournois ne revint pas au Canada. Retourné dans sa province Gallo-Belge, il était devenu directeur du collège de Cambrai ; et ses supérieurs ne jugèrent pas à propos de le renvoyer dans une colonie les religieux pouvaient être exposés à tant de tracasseries injustes :

28. Corresp. générale, vol. 99, lettre au ministre Rouillé, 12 octobre 1754.

29. Ibid., lettre du 31 octobre 1754.

234 l'église du canada

* La mission du Saut-Saint-Louis, écrit le P. de Roche- monteix, ne se releva jamais du coup que lui porta M. de la Jonquière par l'expulsion violente de son meilleur mis- sionnaire, le P. Tournois ^°. »

* * *

Ah, qu'elle était délicate et difficile la position des mis- sionnaires dans leurs missions sauvages, ayant à répondre non seulement à leurs supérieurs ecclésiastiques, mais à des gouverneurs jaloux de leur autorité, à des officiers sou- vent mal disposés, à des négociants dont ils avaient quel- quefois à combattre les mauvais instincts de cupidité et de fraude !

Un autre missionnaire Jésuite, le P. de la Richardie, qui exerçait son ministère à Détroit, avait encouru, quelques années auparavant, la disgrâce du gouverneur. Cette fois, c'était M. de Beauharnais qui avait donné un ordre auquel le bon religieux s'était cru obligé de s'opposer, et qui, m'ayant pas compris le mobile de sa conduite, s'en était plaint à son supérieur, à Québec.

Qu'y avait-il donc? Le P. de la Richardie, à force de zèle [et de patience, avait réussi à grouper les Hurons de Détroit et à en faire une magnifique chrétienté, qui rap- pelait en tous points les anciennes réductions de Sillery et de Lorette. Un bon jour, ces sauvages reçoivent Tordre du gouverneur de venir, on ne sait trop pourquoi, s'établir dans les environs de Montréal, oii ils vont être exposés de toutes manières à perdre ce que le bon missionnaire leur a inculqué de foi et de religion. Celui-ci les exhorte à rester ils sont : de la disgrâce que lui fait encourir M. de Beauharnais :

30. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIIe siècle, t. II, p. 50.

sous M«^ DE PONTBRIAND 23^

(( La conduite que le P. de la Richardie a tenue à l'égard des Hurons, au Détroit, écrit le gouverneur au ministre, ne peut être révoquée en doute ; et la pureté de ses intentions, qu'il prétend être exempte de tout reproche, ne peut cadrer en aucune façon avec la manière dont il s'est gouverné et dont les preuves résultent par les lettres de ce Père à ses supérieurs. Quoi qu'il en soit, j'espère, ainsi que vous le présumez vous-même, que ces missionnaires se compor- teront plus convenablement à l'avenir que le P. de la Richardie n'a fait à mon égard. Le service de Sa Majesté y étant principalement intéressé, je ne pourrais me dis- penser de vous en porter mes plaintes et d'en arrêter les progrès par avance ^^ »

Mais nous reviendrons plus tard sur cet incident.

* * *

M*^ de Pontbriand gémissait de voir ses missionnaires en butte à tant de « tracasseries. » Mais que pouvait-il faire pour les protéger efficacement? Nous avons vu qu'il écrivit à M. de la Jonquière pour se plaindre du renvoi du P. Tournois sans sa participation. Il écrivit aussi à la Cour. Mais quel fut le résultat de ses démarches? pas plus satisfaisant que celui qu'il avait obtenu lorsqu'il avait porté plainte au sujet des mauvaises recrues que l'on en- voyait au Canada, ou à l'occasion du nombre toujours croissant de Protestants qu'on y laissait s'implanter. Parmi ces protestants, disait- il, « il y en a dont la conduite est suspecte et dangereuse. Le bien spirituel de mon diocèse exige qu'on n'en reçoive point dans cette colonie ; et je crois même pouvoir ajouter que le bien de l'Etat y est conforme 32. . . «

31, Corresp. générale, vol. 79, lettre du 17 septembre 1743.

32. Ibid., vol. 89, lettre du 8 octobre 1747.

236 l'église du canada

Comme dans la question de la Traite de Peau-de-vie, on lui objectait les intérêts du commerce :

« Le gouverneur et l'intendant prétendent, lui écrivait le ministre, qu'il ne leur est revenu aucunes plaintes contre les protestants, qu'ils ont toujours été soumis aux lois et à la police, qu'ils ne font point d'assemblées, qu'ils forment quatorze maisons qui font les trois quarts du commerce du pays, et que, si on les en chassait, ce serait faire un grand tort à la colonie, les négociants Canadiens n'étant pas en assez grand nombre, ni assez riches, pour fournir tout ce qui est nécessaire ^^ »

Tout ce qu'il put obtenir fut la promesse que l'on ren- verrait ceux qui étaient de nationalité étrangère, et les plus dangereux ^*; mais cette promesse même ne fut jamais mise à exécution :

(( Si la Cour a donné des ordres pour cela, écrivait un jour M^^ de Pontbriand à son grand vicaire l'abbé de l'Ile- Dieu, ils n'ont point été exécutés, et les choses restent toujours dans la même état ^^ »

33. Rapport . . pour 1905, p. 202, lettre du ministre à Vaudreuil et Bigot, 15 juillet 1755; lettre du même à Tévêque de Québec, même date.

34. Corresp. générale, vol. 99, lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu au mi- nistre, 29 mars 1753.

35. Ibid., vol. 102, lettre du 30 octobre 1757.

CHAPITRE XXI

M^'' DE PONTBRIAND, DANS SKS VISITES PASTORALES. ASPECT DES CAMPAGNES CANADIENNES. ÉTABLIS- SEMENT DES RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES

Visites pastorales. Distribution de livres. Ordonnances de l'Evêque dans différentes paroisses. Procédure pour la construction des églises et des presbytères. Aspect des campagnes. Etablissement des bourgs et villages. Contre la tendance à déserter les cam- pagnes pour la ville. Sages ordonnances des intendants. Af- faire du curé Hingan, aux Grondines. Retraites annuelles des Curés. Conférences ecclésiastiques.

NOUS avons vu que M^^ de Pontbriand avait recommencé en 1749 la visite pastorale de son diocèse. Cette deuxième visite dura plusieurs années, le Prélat ne pou- vant ordinairement parcourir qu'une petite partie de son diocèse à la fois, et quelquefois même, comme en 1753, étant obligé d'omettre complètement sa visite.

Du reste, si nous n'avons que deux mandements de M^^ de Pontbriand pour la visite pastorale de son diocèse, il n'est nullement prouvé qu'il ne visita ses paroisses que deux fois. Nous avons même la certitude qu'en 1758, le 22 juin, il quittait encore sa ville épiscopale pour faire la visite de la Côte sud en bas de Québec K

Nous savons aussi que son archidiacre, ou plutôt celui qui en remplissait les fonctions, M. de La Ville-Angevin, visita au moins quelques parties du diocèse. Il était à

I. Journal de M. Récher.

238 l'église du canada

Sainte-x\nne-de-la-Péracle et au Cap-de-la-Madeleine au mois d'août 1748, car il y rendit des ordonnances que PKvêque renouvela et confirma dans sa visite de l'année suivante '^. Il était à Saint Pierre-lesBecquets le 23 août de la même année : il y rendit une ordonnance obligeant le missionnaire à tenir les registres en double, et à en dé- poser un au greffe l

Le Prélat avait demandé à la Cour des « livres de piété » pour ses missions * : il reçut dix neuf cents volumes dans l'automne de 1753, P^^ l'entremise de l'abbé de l'Ile-Dieu et du comte de Saint-Florentin ^ Quelle joie ce fut pour lui d'avoir ces livres à distribuer, au cours de sa visite pastorale, en 1754 et les années suivantes!

Ce qu'étaient ces volumes, nous pouvons le conjecturer d'après une lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu, en date de 1749:

« Les Ursulines de la Nouvelle-Orléans, écrivait-il, me demandent de leur faire l'emplette de livres pour leurs écoles, comme des alphabets, des psaumes, des livres fran- çais pour apprendre à lire à leurs pensionnaires, quelques livres de piété et surtout des Heures dont elles prétendent qu'aucun marchand ni pacotilleur ne portent dans la colonie : aussi prétendent-elles qu'il ne s'en trouve plus et que tout le monde en manque. Elles n'y ont pas non plus de catéchismes pour l'instruction des enfants ^. . . »

C'était probablement des livres de cette sorte que reçut M^ de Pontbriand dans l'automne de 1753, surtout des catéchismes et des heures. Mais ne peut-on pas sup- poser avec vraisemblance que c'est aussi à cette époque

2. Archives paroissiales de Sainte-Anne et du Cap-de-Ia-MadcIefse.

3. Tanguay, A travers les Registres, p. 147.

4. Rapport. . .pour 1905, p. 186.

5. Corresp. générale, vol. 99, lettre de l'abbé de l'Ile-EWeu mi- nistre, 10 avril 1753.

6. Manuscrits de Jacques Viger, Ma Saberdache.^

sous M^^ DE PONTBRIAND 239

quMl faut faire remonter Penvoi au Canada de ces bons vieux Cantiques de Marseille^ dont on trouve encore quel- ques rares exemplaires dans nos campagnes, nos anciens Canadiens ont appris ces chants religieux qu'ils aiment à fredonner au milieu de leurs travaux? Que de fois ne les avons-nous pas entendus !

M^^ de Pontbriand s'intéressait à l'instruction des enfants du pays, à leur instruction religieuse, surtout ; et voilà pourquoi il déplorait, au cours de ses visites pastorales, qu'il n'y eût pas plus d'établissements des Sœurs de la Congrégation dans nos paroisses: ((Elles n'ont encore que douze maisons, w écrivait-il dans l'aiitomne de 1747 ^. Ceci est d'autant plus surprenant que nous lisons dans un document royal, en date du mois de février 1718, les lettres de confirmation de l'Hôpital-Général de Montréal : «Les Sœurs de la Congrégation sont établies dans la plus grande partie des cures de la campagne ^. y> Avaient-elles été obligées d'abandonner un certain nombre de paroisses? D'après Franquet, elles n'étaient en tout, en 1752, que ♦( quatre-vingt, dont trente à la ville de Montréal, et les autres répandues dans la campagne )> ^.

Que faisait M*^^ de Pontbriand dans chaque paroisse, au cours de sa visite pastorale? Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons écrit dans les chapitres précédents du zèle avec lequel il se donnait tout entier, en chaire et au con- fessionnal, pour procurer le bien des âmes. Nous voulons parler ici surtout de ce que nous appellerons la partie ma- térielle de la visite. Ceux qui connaissent nos campagnes canadiennes, et admirent l'ordre qui règne généralement partout dans nos églises, dans nos fabriques, dans nos

7. Corresp. générale, vol. 89, lettre au ministre, 8 octobre 1747.

8. Ed'xis et Ordonnances, t. I, p. 390.

9. Voyages de Franquet, p. 31.

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presbytères, ne soupçonnent peut-être pas tout ce qu'il a fallu de vigilance et de travail persévérant de la part de nos premiers pasteurs pour mettre et conserver les choses sur un bon pied.

Prenons, par exemple, les registres de l'état civil, au- jourd'hui si bien tenus, tout à la gloire de notre Eglise canadienne, et voyons ce qu'ils étaient, à Tépoque de M^ de Pontbriand, dans une des paroisses modèles de nos jours, Saint-Augustin, dont l'église était alors sur la grève, à une lieue environ du Cap-Rouge ^^. Le curé Dunière écrit ses actes « sur des feuilles volantes » ; et, dans sa visite de 1749, l'Evêque lui enjoint d'avoir un registre légalisé, paraphé par l'intendant, pour y entrer régulièrement ses actes de baptêmes, mariages et sépultures. Il n'en fait rien, et continue sa mauvaise pratique ; ses successeurs font de même; et ce n'est qu'en 1796 que les registres de cette riche et intéressante paroisse commencent à être tenus comme ils doivent l'être ".

A Sainte-Anne de la Pérade, encore des irrégularités dans la tenue des registres ; et M^^ de Pontbriand veut les faire disparaître: il faut avoir deux registres, dont l'un sera « déposé au greffe ; on aura soin d'écrire sur les deux registres dans le même temps et de faire signer les témoins «. Les deux registres nous seront montrés, dit le Prélat, « lorsque nous ferons notre visite du côté du sud ». Il ajoute: «Il sera fait un livre de délibérations... Nous avons rayé tout le préambule, espèce informe de délibération, comme témérairement, injurieusement fait et allégué sans aucune preuve, dont les habitants, de concert avec le curé, sont convenus. »

10. Voyages de Franquet, p. 7.

11. Archives paroissiales de Saint- Augustin. Lettre du curé actuel, M. l'abbé Godin. à l'auteur.

sous M^^ DE PONTBRIAND 24 1

Plus docile, et probablement plus intelligent que son confrère Dunière, le curé Rouillard se conforme parfaite- ment à l'ordonnance de l'Kvêque ; et lorsque celui-ci fait sa visite «du côté du sud», le 21 mai 1755, il peut lui montrer un livre de délibérations et des registres conve- nables, que le Prélat s'empresse d'approuver. ly'Evêque se déclare également satisfait des quittances qu'il a exigées en 1749 pour la reddition des comptes des marguilliers ^^

On voit par ces détails que M^'^ de Pontbriand avait à cœur que tout fût en ordre dans les affaires des Fabriques.

A Laprairie, il ordonne aux marguilliers de « faire payer les reliquataires dans le mois de décembre » 13.

A Saint-Augustin, il « oblige le marguillier en charge Vaillancourt à faire payer sous trois mois les vingt-quatre livres que doit Noreau, son prédécesseur, sous peine d'en répondre en son propre nom ».

Au Cap-de-la-Madeleine, il approuve les comptes de Michel Belle-Rive et Nicolas Labrie, et les déclare « entiè- rement quittes envers la Fabrique » ; puis il ajoute :

<( Avons ordonné que la balustrade sera affermie, et que sous quatre mois l'ordonnance de M. de La Ville-Angevin sera entièrement exécutée. Enjoignons au missionnaire ^* de nous instruire, dans le dit temps, de l'exécution. Vou- lons que ce soient les premières dépenses que l'on fasse, faute de quoi nous interdirons la dite église.

« Nous avons interdit de mettre un banc du côté de l'évangile, comme on faisait ci-devant, en faveur de Louis Champoux. Permettons d'en mettre un volant, sans accou_ doir, auprès de la grande porte, du côté de l'épître.

12. Archives paroissiales de Sainte- Anne de la Pérade.

13. Archives de l'archev. de Québec, Corresp. de Mgr de Pontbriand.

14. François Morisseaux de Bois-Morel. Il était grand chasseur, et l'un de ceux qui, après la Conquête, obtinrent la permission " de garder un fusil ", ce qui était un privilège très apprécié. (Régime militaire en Canada, p. 301.).

16

ÎTÎ^

242 L'EGLISE DU CANADA

« Avons permis d'employer le remboursement fait par Joseph Baret de la somme de cent dix livres aux répara- tions pressantes de la dite église. Et comme c'était sur ce fond qu'était appuyée une messe de fondation pour le sieur Saint-Pierre, nous transportons la dite fondation sur le constitut que doit Louis Champoux. »

On voit que M^^ de Pontbriand n'était pas homme à souffrir certaines coutumes, certains usages abusifs, qui s'introduisent quelquefois dans nos églises ou dans nos fabriques. Il les abolissait sans merci. Il voyait en même temps à ce que tout fût en ordre, bien réparé, bien entre- tenu dans les édifices du culte. Il voulait aussi que ses curés fussent logés convenablement : nous avons compté, dans le seul district de Québec, onze presbytères qui se construisirent de son temps, de 1742 à 1750, la plupart pour remplacer des maisons déjà vieillies par le temps ou détruites par des incendies : à Saint-Thomas, au Cap-Saint- Ignace, aux Ecureuils, à Saint-Roch-des-Aulnaies, à Sainte- Croix, à Berthier, à Saint-François, à Saint-Pierre ^^, au Château-Richer, à Saint- Vallier et à Beauport.

Mais c'est surtout la maison de Dieu, c'est l'église que M^'* de Pontbriand tenait à voir partout dans un état con- venable. Il n'était pas exigeant, il ne demandait pas des monuments, des édifices de luxe, mais il voulait que la maison de Dieu fût digne de sa haute destination ; et quand il avait donné des ordres, il tenait à ce qu'ils fussent

15. Le presbytère de Berthier, qui était en pierre, et celui de Saint- Pierre, tout en bois, devinrent la proie des flammes, le premier en 1747, le second, "dans la nuit du 24 au 25 septembre 1748". C'est M. Jorian qui était alors curé de Berthier; M. La Coudraie était curé de Saint- Pierre, " obligé de loger chez un habitant, à une distance assez consi- dérable de l'église pour lui être extrêmement incommode et aux habi- tants ". (Edîts et Ordonnances, t. III, p. 367, 372). Mgr Tanguay nous apprend, d'après les Registres de Saint-François, que l'église de Saint-Pierre était interdite en 1750, sans pouvoir, cependant, nous dire "pourquoi". (A travers les Registres, p. 149).

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compris et exécutés. Nous avons à ce sujet un document tout-à-fait inédit ^^, daté du 11 juin 1755, que nous sommes heureux de donner ici pour faire voir la manière de procé- der, à la fois forte et suave, du pieux Evêque :

(( Henri Marie du Hreil de Pontbriand, par la miséricorde de Dieu et la grâce du Saint-Siège Evêque de Québec, Conseiller du Roi en tous ses conseils, etc, aux habitants de La Valtrie, Salut et Bénédiction en Notre-Seigneur.

Nous ne saunons assez vous exprimer. Nos Très Chers Enfants, la douleur que nous avons ressentie, lorsque nous avons aperçu, en passant à votre paroisse ^^ que vous n'aviez pas encore fait les moindres préparatifs pour élever un temple convenable à la majesté du grand Dieu que nous servons. Notre surprise a été des plus grandes ; et nous ne nous fussions jamais imaginé qu'une paroisse établie depuis si longtemps ^^, et dont les habitants sont aisés, pust être aussi négligente.

a II y a déjà plusieurs années que nous vous avons exhortés à vous préparer à cet ouvrage, et nous espérions que votre zèle, votre piété, votre religion suffiraient pour vous déterminer à un devoir que tout chrétien doit regarder comme un des plus essentiels ; persuadé que nous étions que vous étiez des chrétiens fervents, nous n'avions pas voulu vous donner des ordres précis, d'autant plus que l'exemple de plusieurs paroisses voisines, qui n'étaient ni si anciennes, ni si riches, devait être pour vous un motif assez puissant pour exciter votre émulation et votre zèle. Mais, hélas! nous le voyons avec douleur, et nous ne vous le rappelons que les larmes aux yeux, comme si tout ne

16. Nous le devons à la grande obligeance de M. l'abbé Naz. Dubois, le distingué visiteur des Ecoles catholiques de Montréal.

17. Ceci laisse entendre que Mgr de Pontbriand n'avait fait que "pas- ser à La Valtrie", se rendant probablement à Montréal.

18. En 1716, d'après Tanguay. (Dictionnaire généalogique, 1. 1, p. 601).

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vous venait pas de Dieu, et qu'il ne fût pas capable de vous dédommager des dépenses que vous feriez pour lui, vous avez craint de partager avec lui des biens qui ne vous viennent que de sa libéralité. Est-ce en vous une impiété? Est-ce irréligion? Est-ce oubli de Dieu? Est-ce indiffé- rence pour lui? Est-ce négligence? Est-ce la mauvaise volonté de quelques particuliers qui traversent le zèle et l'ardeur du plus grand nombre? Notre Dieu, qui sonde les cœurs, le connaît. Pour nous, nous ne voulons pas pénétrer un mystère qui nous affligerait peut-être. Et sans examiner quel est le motif criminel qui vous a fait négliger nos conseils et nos exhortations paternelles, nous nous portons, quoique malgré nous, à user des remèdes plus violents. Peut-être que la sévérité fera plus d'imi» pression sur vos esprits.

« C'est pourquoi nous . vous avertissons, Nos Très Chers Enfants, que si sous peu de temps vous ne travaillez pas à votre église, nous interdirons votre chapelle et retirerons le missionnaire.

« Ce n'est qu'à regret que nous vous faisons de telles menaces ; mais vous nous y forcez. Ne nous donnez pas lieu, Nos Très Chers Enfants, de les exécuter. Réparez par votre activité et votre ardeur à pousser l'ouvrage votre négligence passée, dont vous devez rougir et faire péni- tence. Avouez qu'elle mérite toute l'indignation céleste, et que, si vous n'en avez pas encore été punis, c'est par un effet de la miséricordieuse bonté du Seigneur. Une pa- reille indolence fut autrefois punie, dans les Israélites re- venus de la Captivité, par une stérilité de plusieurs années, et par plusieurs autres calamités, qui cessèrent aussitôt que, touchés de leur faute, ils eurent commencé à relever les ruines de la maison de Dieu, Comme eux vous avez péché ; comme eux, réparez votre crime.

« Nous entrons, après tout, dans vos raisons fausses ou

sous M^"^ DE PONTBRIAND 245

véritables, et nous ne vous demandons qu'une église mé- diocre, mais décente. Nous ne voulons point vous épui- ser, si tant est qu'on s'épuise en donnant au Seigneur. Nous ne vous demandons qu'une église de soixante et quinze pieds de longueur, sur trente-deux de largeur de dedans en dedans, et même sans chapelle, autour de la- quelle on fera un cimetière de trente pieds de large, y com- pris le Rond-point. Nous ne devons pas regarder comme au-dessus de vos forces un pareil ouvrage ; et vous n'avez pas lieu de vous plaindre. Aussi espérons-nous avoir dans peu la consolation de le savoir achevé et parfait. Nous vous avons marqué la place de vive voix ; mais si vous en trouvez une plus convenable, nous ne nous y opposerons pas, dès que votre curé ^^ nous en aura informé.

(' Donné au Séminaire de Montréal dans le cours de nos visites le onzième juin mil sept cent cinquante-cinq, sous notre seing, celui de notre secrétaire, et le sceau de nos armes, (signé) t H.-M., évêque de Québec. Par monseigneur, Briand, prêtre, chanoine. »

*

On aimera peut-être à savoir quelle procédure il fallait suivre à cette époque, lorsqu'il s'agissait de construire une église ou un presbytère: et nous ne croyons mieux faire que de citer tout simplement le jugement de l'intendant Hocquart, en date du 4 juillet 1747, pour la reconstruction du presbytère de Berthier qui avait été incendié. Ce juge- ment nous fera assister pour ainsi dire à toutes les phases de la procédure :

« Vu notre ordonnance rendue sur la requête à nous pré-

19. Bazile Papin, fils de Gilles Papin et de Marie-Joseph Bénard, de Boucherville. Il avait fait ses études au Séminaire de Québec en même temps que M. Sarault.

246 l'église du canada

sentée par M. Jorian, prêtre, curé de Berthier, en date du 27 juin dernier, par laquelle nous aurions ordonné que tous les habitants de la dite paroisse de Berthier s'assem- bleraient le dimanche suivant à l'issue de la messe parois- siale, pour, en présence du dit sieur Jorian, du capitaine de milice '^^ et des marguilliers de la dite paroisse, procéder à l'élection de deux syndics d'entre les principaux habitants du dit lieu, pour la conduite du rétablissement du presby- tère de la dite paroisse qui a été incendié, dont il serait dressé piocès-verbal ; lesquels syndics, ainsi nommés et choisis, arrêteraient l'état estimatif des réparations à faire au dit presbytère, et dresseraient en conséquence un second état de répartition de ce que chaque habitant devrait four- nir pour sa quote-part dans les dites réparations, tant en argent, qu'en travail ou autrement, suivant leurs biens et facultés et le plus équitablement que faire se pourrait, pour, le tout à nous apporté, être ordonné ce qu'il appar- tiendrait ;

(( Le procès-verbal d'assemblée, faite en conséquence, de tous les habitants de la dite paroisse de Berthier, le deux de ce mois, dans laquelle Jean Pruneau et Joseph Dagneau, habitants du dit lieu, ont été nommés et choisis pour syn- dics à la conduite des dites réparations ;

« L'état estimatif dressé par les dits syndics, des maté- riaux nécessaires pour le rétablissement du dit presbytère, montant à la somme de six cent soixante-dix-sept livres, au bas duquel état est une répartition de cette somme sur les habitants de la dite paroisse, à proportion de ce que chacun d'eux possède de terre, et à raison de trois livres six sols par chaque arpent de front, attendu qu'il se trouve dans la dite Côte deux cent cinq arpents de terre de front habités:

20. Le capitaine de milice, dans chaque paroisse, était à cette époque un personnage important, que l'on voit figurer dans la plupart des actes publics à côté du curé et des marguilliers. Il fallait compter avec lui.

sous M«'' DE PONTBRIAND 247

le tout en date du trois de ce dit mois, signé « Rousselot » ^^, pour les dits Pruneau et Dagneau ;

(( Nous avons homologué et homologuons le dit procès- verbal et états estimatif et de répartition que nous avons paraphés ; en conséquence :

« Ordonnons que les habitants de la dite paroisse de Berthier paieront en argent, travail ou autrement, la somme de trois livres six sols par chaque arpent de terre de front qu'ils possèdent dans la dite paroisse, et dont il sera dressé un état par les dits syndics, conjointement avec le dit sieur curé ;

« Autorisons les dits Pruneau et Dagneau, syndics, à faire, contre les habitants refusants, toutes poursuites pour raison de leur quote-part dans les dites réparations ^2. . . »

Ainsi, dans huit jours, du 27 juin au 4 juillet, tout avait été réglé et mis en loi, de manière que l'on put se mettre immédiatement à l'œuvre pour la reconstruction de ce presbytère et le rendre logeable dans le cours de l'au- tomne.

Quelquefois des incidents assez curieux venaient compli- quer la marche des affaires. C'est ainsi qu'en 1743, le curé Dolbec, du Cap Saint-Ignace, après avoir suivi les formes ordinaires, obtient la permission de faire bâtir un presbytère dans la seigneurie Gamache, l'une des deux sei- gneuries de cette paroisse, l'autre étant la seigneurie Vin- celotte. Ivcs travaux commencent, et bientôt la maçonne- rie s'élève à une certaine hauteur. Mais voilà que dans l'été de 1744 M^^ de Pontbriand passe en visite pastorale au Cap-Saint-Ignace. Le seigneur Vincelotte en profite pour le convaincre que le presbytère serait plus avantageu- sement placé sur sa seigneurie : il s'engage, d'ailleurs, si

21. Pierre-François Rousselot, notaire royal, beau-frère du curé Jorian.

22. Bdits et Ordonnances, t. III, p. 367.

248 l'église du canada

on lui accorde sa demande, à mettre à ses frais le nouveau presbytère à la même hauteur que celui qu'on a commencé sur le fief Gamache ; il promet de plus une terre complète pour l'usage du curé ; les paroissiens, en général, paraissent approuver les nouveaux arrangements, et M^"^ de Pont- briand donne, en conséquence, un mandement en date du 10 mars 1745, ordonnant que les travaux commencés sur le fief Gamache seront abandonnés, et que le presbytère sera bâti sur le fief Vincelotte. Les arrangements conclus avec Vincelotte sont signés par lui, par PEvêque, et par les curés LaCorne, de Saint-Michel, Jorian, de Berthier, et Duchouquet, de Sainte-Anne, qui accompagnent le Prélat dans sa visite. Le presbytère coûtera quatorze cent vingt livres, et Vincelotte aura à payer pour sa part deux cents livres. Le tout est ratifié et homologué par l'intendant Hocquart. Le presbytère du Cap-Saint-Ignace devra être livré et logeable dans l'automne de 1745 ^^

* *

Et maintenant, voulons-nous avoir une idée de l'appa- rence de nos campagnes canadiennes, telles qu'elles se pré- sentaient à 'M^^ de Pontbriand au cours de ses visites ? Il n'y avait encore que les rangées de maisons de cultiva- teurs, aux toits abrupts, généralement propres, longues et étroites, mais confortables, la plupart en pierre et blanchies à la chaux, ainsi que leurs dépendances, la plupart aussi le long du chemin royal, quelques-unes cependant loin de la voie publique, mais à proximité de quelqiie source d'eau pure, d'une valeur inappréciable, et ainsi de suite «de con* cessions en concessions», pour nous servir d'une expression vraiment canadienne, encore en usage, et qu'on aurait

23. Edits et Ordonnances, t. ÎT, p. 572, 575.

sers M^ DE PONTBRIAND 249

grand tort de remplacer par quelque autre prétendue plus académique.

Vers le milieu d'une de ces concessions, au centre de la paroisse, le presbytère et Péglise, encore isolés, ou à peu près : le presbytère, généralement en pierre et blanchi à la chaux, ne différant guère des autres maisons que par la longueur que lui ajoute <( la salle des habitants : » Péglise, toujours proprette, entourée du cimetière, et à Pombre de beaux arbres, surmontée d'un de ces jolis clochers dont parle René Bazin :

(( J'ai aperçu, dit-il, enveloppé d'ormeaux, un clocher fin tout blanc, d'où partait l'Angélus du soir, et j'ai dit : puisque mon Dieu est présent, les Canadiens sont tout autour ! »

C'est en effet autour de Péglise que les trouve rassem- blés M^^ de Pontbriand, à son arrivée dans chaque paroisse, agenouillés, attendant sa bénédiction : touchant spectacle, qui lui rappelle sa catholique Bretagne.

A peine deux ou trois emplacitaires, auprès de Péglise : la Cour ne les tolérait pas, et l'intendant veillait. La Cour ne les tolérait pas, parce qu'elle voulait avant tout encourager la culture des terres: idée excellente, pourvu qu'elle fût appliquée avec de sages tempéraments. Il y avait en effet un édit royal, en date du 28 avril 1745, défen- dant expressément de se bâtir sur une terre, à moins qu'elle n'eût au moins un arpent et demi de front sur trente à quarante de profondeur, prohibant par conséquent de se bâtir sur un simple emplacement 2*. La chose n'était tolérée que « dans la banlieue des villes a, afin que les citoyens pussent s'y procurer « une abondance de menues denrées ».

Le premier bourg ou village que nous trouvons « aulo-

24. Hdits et Ordonnances, t. I. p. 385.

250 L'éGUSE DU CANADA

risé» par les ordonnances des intendants, est celui du Château-Richer, dans la seigneurie des MM. du Séminaire de Québec, qui en demandèrent l'établissement, au mois de janvier 1753: il avait «environ quatre arpents de front, sur le bord de l'eau, sur quatre arpents de profondeur » :

« Ce village, disait M. de Villars, signataire de la requête, bien loin de préjudicier au défrichement et à l'avancement des terres ^^, leur est au contraire favorable, en ce que, y ayant dans ces paroisses (de la Côte Beaupré) très peu d'ou- vriers, la plupart des habitants sont obligés de venir à Québec pour acheter leurs outils et instruments d'agri- culture ou les faire raccommoder, ce qui leur occasionne non seulement des frais considérables, mais encore une grande perte de temps et par conséquent un retardement au progrès et à l'avancement de leurs terres, au lieu qu'en fixant un terrain destiné pour un village, les ouvriers de toute espèce auront la liberté de s'y établir et d'y bâtir des maisons sur les emplacements qui leur seront à cet effet concédés -^. »

Pour les mêmes raisons, les MM. du Séminaire de Québec demandèrent et obtinrent le 25 août de la même année l'établissement d'un autre village, (f sur la Pointe de l'Est « de leur autre seigneurie, l'Ile-Jésus.

En 1754, nous voyons commencer un bourg à Saint- Michel de la Durantaie, autorisé sur la demande du seigneur Péan de la Livaudière ; un autre, à l'Assomption, qui a été demandé par le curé Degeay, le capitaine Juillet et autres habitants de la paroisse ; un troisième à la Pointe-aux-Trembles de Neuville, accordé à la demande de la veuve Desmeloises, propriétaire de la seigneurie.

25. Avant d'être Supérieur, M. de Villars avait été Econome, et fai- sait valoir les fermes du Séminaire. {Les UrsuHnes de Québec, t. II, p. .259).

26. Bdits et Ordonnances, t. II, p. 410.

sous M^"^ DE PONTBRIAND 25 1

En 1757, un bourg s'établit au Coteau-des-Cèdres, et l'année suivante un autre bourg à Saint-Denis de Riche- lieu, toujours avec la permission expresse de l'intendant, qui fixe et détermine l'étendue que doivent avoir ces bourgs et ces villages : ce qui leur donne une apparence beaucoup plus régulière que celle de nos villages d'au- jourd'hui, généralement bâtis un peu au hasard et à l'aventure.

Comme aujourd'hui, il y avait une malheureuse ten- dance des cultivateurs à se dégoûter du travail de la terre et à déserter les campagnes pour aller se fixer en ville ; et cette tendance n'était pas particulière au Canada, elle exis- tait également en France, ou plutôt c'est bien de qu'elle nous venait :

« Un esprit tentateur, écrit à ce sujet le duc de Broglie, circule dans nos campagnes, soufflant tout bas à l'oreille du cultivateur tout ce qui peut le dégoûter de sa terre natale ou de sa profession héréditaire -^. »

Ici, cette tendance avait été encouragée par les travaux des fortifications, et même ceux de la cathédrale, qui n'a- vaient pu se faire sans qu'on fût obligé de recourir à la main-d'œuvre des habitants. En 1749, l'intendant crut devoir faire une ordonnance très sévère à ce sujet:

« Les travaux considérables qui se sont faits pour le compte du Roi depuis quelque^ années, disait-il, ont attiré en cette ville quantité d'hommes mariés de la campagne, qui ont abandonné leurs terres, soit pour se mettre charretiers, soit pour travailler à la journée, ou même pour y tenir cabaret, ce qui fait un tort considérable à la colonie, les terres n'é- tant ni cultivées, ni augmentées comme elles devraient l'être. . . Il est à craindre qu'à l'avenir, les travaux deve- nant moins considérables, ces habitants se trouvent réduits

27. Le Correspondant de 1867, t. III, p. 467.

252 l'Église du canada

à la mendicité; et il est de la dernière conséquence, pour le bien général de la colonie, d'augmenter la culture des terres :

« Nous faisons très expresses défenses à tous les habi- tants qui ont des terres à la campagne, de venir s'établir en cette ville, sous quelque prétexte que ce soit, sans notre permission par écrit, à peine contre les contrevenants d'être chassés de la ville et renvoyés sur leurs terres, leurs meubles et effets confisqués, et en outre en cinquante livres d'amende ;

« Et afin de parvenir à connaître ceux des dits habitants qui seraient venus furtivement s'établir en ville, nous ordonnons que tous particuliers de cette ville et des fau- bourgs, qui loueront à l'avenir des maisons ou chambres à des gens dont l'état leur sera inconnu, ou qu'ils pourront soupçonner d'être des habitants de la campagne, seront tenus d'aller déclarer au lieutenant général de police, trois jours après qu'ils auront loué, les noms, surnoms et profession de ceux auxquels ils auront loué les dites maisons ou chambres, à peine contre les particuliers con- trevenants, de cent livres d'amende -^. . . «

Qui n'admirerait la sagesse et l'à-propos de ce règle- ment? Comme il était important, surtout à cette époque, de rappeler aux Canadiens la nécessité de s'attacher à la culture de la terre, de s'emparer du sol, de le défricher et de lui faire rendre toutes ses richesses! Il fallait les détourner de prendre le chemin des villes, oii ils ne pou- vaient trouver ordinairement que déceptions et dangers.

M^^" de Pontbriand applaudissait aux sages ordonnances de nos intendants. Il était très attaché, surtout, à M. Hocquart, et celui-ci se montrait disposé à le seconder dans toutes les mesures qui pouvaient intéresser le bien de son

28. Edits et Ordonnances, t. II, p. 399,

sous M°^ DE PONTBRIAND 253

diocèse. Ici, par exemple, ce sont des syndics qui viennent se plaindre que quelques habitants ne veulent pas payer leur quote-part pour la construction ou la réparation d'une église : Hocquart condamne ces habitants sans merci. Là, ce sont des curés qui portent plainte contre certains parois- siens qui ne paient pas exactement et fidèlement leur dîme : l'intendant oblige ces paroissiens à remplir leur devoir. Ailleurs, ce sont d'autres paroissiens qui refusent de « rendre le pain bénit » à leur tour : c'est, par exemple, à Montréal, la Dame Pécaudy-LaCorne ''^^, qui se croit exempte, on ne sait pourquoi, de remplir cette obligation : Hocquart la fait condamner impitoyablement par le Con- seil Supérieur ; et son procureur Noiiette, qui, dans ses réponses au curé Déat et aux marguilliers de Montréal ^®, s'est servi de termes peu respectueux, est condamné à une amende de vingt-quatre livres ^^ : c'est encore, dans la Nouvelle-Beauce, le nommé Ponteville, qui, lui aussi, « refuse depuis quatre mois de rendre le pain bénit » ; Hocquart lui enjoint de faire son devoir, et de plus il ordonne à François Lessard, habitant de la dite seigneurie, «de faire conduire en ville, sous bonne et sûre garde, le dit Ponteville, pour lui rendre compte de sa conduite >> ^2.

*

* *

Nous avons vu que lors de sa première visite pastorale M^ de Pontbriand avait eu à se plaindre de la conduite de quelques-uns de ses prêtres. Nous ne croyons pas qu'il ait

29. Marie Pécaudy de Contrecœur, veuve de Jean-Louis de Chapt,

sieur de La Corne. Elle était la mère du chanoine La Corne.

30. Jacques Charly, Louis Cavelier et Pierre Coureau La Coste étaient

marguilliers à cette date (1742).

31. Edits et Ordonnances, t. II, p. 212, arrêt du Conseil Supérieur, 17 décembre 1742.

32. Ibid., p. 576, 2^ septembre 1745.

254 l'église du canada

trouvé à redire en quoi que ce soit contre la conduite per- sonnelle de son clergé dans sa deuxième visite.

Nous ne pouvons cependant passer sous silence un inci- dent, arrivé quelques années plus tard, qui montre com- bien le pieux Evêque avait à cœur de rendre justice à tout le monde, et surtout de ne pas laisser aux tribunaux civils à juger les fautes attribuées à son clergé, mais de les juger et de les punir lui-même, s'il y avait lieu.

Il avait été obligé de confier la paroisse des Grondines à un jeune prêtre français récemment ordonné, qui, animé d'un zèle peu éclairé, s'était permis d'attaquer et de nom- mer en chaire quelques paroissiens dont il croyait avoir à se plaindre. L'affaire était déjà rendue devant la Prévôté de Québec, lorsque M^^ de Pontbriand demanda et obtint qu'elle fût référée à son tribunal. Contentons-nous de ci- ter ici tout simplement l'ordonnance qu'il rendit dans cette cause : nous le faisons d'autant plus volontiers qu'elle fait ressortir son amour de la justice, et aussi l'esprit chré- tien avec lequel les parties acceptèrent son jugement :

(( Sur les plaintes réitérées, dit le Prélat, portées par les nommés Grondines ^^, père et fils, contre messire Hingan ^*, curé-missionnaire des Grondines, vu la lettre missive du dit missionnaire à nous écrite par ci-devant, vu l'ordon- nance rendue par M. le lieutenant-général civil et crimi- nel de la Prévôté de Québec, le 30 mars dernier, signifiée au dit missionnaire le 4 avril, après avoir aujourd'hui in- terrogé le susdit missionnaire, nous avons reconnu qu'il avait manqué essentiellement et s'était servi, au prône de la messe paroissiale, de termes injurieux contre les dits Grondines père et fils, le premier dimanche de Carême

33. Hamelin dit Grondines. Voir Dictionnaire généalogique de Tan- guay.

34. Jacques Hingan, à Avranches en 1729, ordonné à Québec 1753, nommé curé des Grondines en 1754. Il n'avait en 1757 que 28 ans.

sous M^ DE PONTBRIAND 255

dernier ; et étant de notre devoir de ne pas laisser impunie une faute de cette nature, nous avons ordonné et ordonnons au dit missionnaire de se rétracter à la première messe paroissiale qu'il dira en la dite paroisse des Grondines, et de dire qu'il se repent d'avoir nommé publiquement les sieurs Grondines père et fils, qu'il désavoue les paroles dures dont il s'est servi à leur égard, qu'il les reconnaît pour des gens d'honneur et de probité, et qu'il prie ses paroissiens d'oublier entièrement ce qui lui a pu échapper en cette occasion.

(f Deuxièmement, il est encore ordonné au dit sieur Hin- gan de se retirer dans notre Séminaire de Québec vers le 19 de juin prochain jusque vers la mi-juillet, pour y pren- dre l'esprit ecclésiastique.

« Troisièmement, en esprit de pénitence et par aumône il donnera aux pauvres les plus nécessiteux de sa paroisse la somme de trois livres ; et attendu que le dit sieur Hingan a déclaré qu'il n'était pas nécessaire de lui signifier la dite ordonnance, qu'il s'y soumettait avec respect, et qu'il l'exé- cuterait à la lettre, il a signé avec nous en double, dont nous remettrons un autant entre les mains de Maître Panet ^^, notaire en cette ville, et procureur en cette partie des dits Grondines père et fils; et nous a déclaré qu'en conséquence, au dit nom, il se tenait pour content et se désistait de toute procédure commencée en cette occasion.

« Fait double à Québec, dans notre Palais épiscopal, ce 18 avril 1757, à. quatre heures de l'après-midi, sous le seing du dit sieur Hingan, notre signature et le sceau de nus armes, (signé) J. Hingan, prêtre ; H.-M., évêque de Québec ^^. »

35. Jean-Claude Panet, époux de Marie-Louise Barolet, père de Mgr Panet, douzième évêque de Québec, et bisaïeul maternel de Son Em. le Cardinal Taschereau.

36. Archives de l'archevêché de Québec

2^6 l'église du canada

M^ de Poîitbriand profita de sa visite pastorale pour consulter ses principaux curés sur un projet qu'il avait conçu depuis longtemps, et qu'il se décida enfin à mettre à exécution : celui d'établir les retraites ecclésiastiques an- nuelles. Le mandement qu'il donna à ce sujet est daté du premier mai 1753: la Retraite aura lieu au Séminaire de Québec ^^, et durera huit jours ; chacun devra la faire au moins tous les deux ans ^^. Le Séminaire a été agrandi l'année précédente et pourra fournir des chambres à tous les retraitants. Il y a maintenant un jardin, entouré tout récemment d'un mur, ils pourront se délasser dans les temps libres. L'Evêque se charge de payer leur pension ou de la leur faire payer ^^.

Comment se faisait cette retraite ecclésiastique? Une note que nous trouvons, à la date du 31 août 1757, nous en donne quelque idée :

« Mercredi au soir, commença la Retraite de MM. les Curés, au nombre de vingt, laquelle finit le mercredi sui- vant, après l'oraison, après avoir duré six jours complets et francs. M. Jacrau y a prêché deux sermons, sur le Petit nombre des Elus, et sur la Pénitence comme vertu ; M. Collet **^, trois, sur le zèle de la gloire de Dieu, du salut des

;i/. Pour les curés du gouvernement de Montréal, il y eut un arran- gement spécial avec les MM. de Saint-Sulpice et leur supérieur général, M. Couturier.

38. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 99, ler mai 1753.

39. Histoire manuscrite du Sém. de Québec, p. 930, 934.

40. Charles- Ange Collet avait été agrégé au Séminaire le 17 août 1751. Les directeurs lui avaient laissé "la libre disposition de l'honoraire de ses messes pendant huit ans": (Histoire manuscrite du Séminaire) ce qui prouve que la désappropriation existait encore à cette époque. Il quitta le séminaire en 1758 pour devenir chanoine. Il fut le dernier nommé chanoine du Chapitre de Québec.

sous M^** DE PONTBRIAND 257

âmes, et sur les devoirs de? confesseurs ; et moi (M. Récher), un, sur le Paradis. Monseigneur a mangé au Séminaire pendant toute la Retraite, et a assisté à tous les exer- cices 41- »

On a prétendu que le Prélat avait aussi établi les Con- férences ecclésiastiques. Il en eut le projet, et le soumit à son clergé, en même temps que celui des Retraites *^. Mais sait-on ce qu'il entendait par conférences ecclésias- tiques? Comprenant mieux que personne qu'il était à peu près impossible, à cette époque, que plusieurs curés se réunissent souvent à" des jours déterminés, tout ce qu'il proposait, c'était d'envoyer à ses prêtres tous les six mois quelques sujets à étudier et à développer : chacun aurait mis par écrit le résultat de ses recherches et de ses études, et l'aurait envoyé à l'Evêque, qui, lui, aurait revu tous ces travaux, et en aurait fait un résumé, qu'il aurait commu- niqué à son clergé, avec ses propres réflexions, à la Re- traite ecclésiastique. C'était une excellente manière de recommander à ses prêtres la pratique de l'étude ; et il avait autorité pour le faire, lui qui, au dire de son panégyriste, trouvait moyen, malgré ses nombreuses occupations, de consacrer plusieurs heures par jour à l'étude 43, et disait à son clergé : « Je ne crains point le travail, dès qu'il peut être utile à mon diocèse 44. >^

Du reste, nous n'avons pu nous assurer si ce projet de Conférences ecclésiastiques, même dans les conditions restreintes que nous venons d'expliquer, fut mis à exécu- tion. Nous n'avons trouvé trace nulle part de ces Etudes périodiques du Clergé, à cette époque.

41. Journal du curé Récher.

42. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 24, Circulaire du 6 décembre 1742.

43. Oraison funèbre par l'abbé Jolivet.

44. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 26.

17

CHAPITRE XXII

NOMINATION DE M. RECHER A LA CURE DE QUEBEC.

PRISE DE POSSESSION. M^^ DE PONTBRIAND ET

LE CHAPITRE. CONSTRUCTION DE LA

CHAPELLE DU SÉMINAIRE

Nomination de M. Delbois à la Cure de Québec. L'esprit de Mgr de Laval, en unissant cette cure au Séminaire. Nomination de M. Récher par le Séminaire ; par l'Evêque. Prise de possession. Le Chapitre et le Curé. Le Chapitre et l'Evêque. Construction et bénédiction de la Chapelle extérieure du Séminaire.

DEPUIS la mort de M. Plante, au printemps de 1744, c'est-à-dire depuis plus de cinq ans, la paroisse de Québec, la première paroisse du diocèse, était restée sans curé en titre. Les Missions-Etrangères de Paris avaient nommé curé en 1745 nn M. Delbois, et ce monsieur avait même quitté Paris pour venir au Canada, lorsqu'il tomba gravement malade :

« Le curé qui a été nommé pour Québec a été malade à l'extrémité depuis son départ de Paris », écrivait M. de l'Orme à un de ses confrères \

Rendu à la santé, il refusa ensuite de venir. Agissait-il de lui-même, par une heureuse inspiration, ou faut-il voir ici l'intervention de quelque prudent personnage, l'abbé de l'Ile-Dieu, par exemple, qui lui aurait fait comprendre l'inconvenance et le danger d'aller s'imposer, lui, complè-

I. Archives du Sém. de Québec, Cahiers Plante.

L'EGLISE DU CANADA SOUS M^^' DE PONTBRIAND 259

temetit étranger, comme curé de la première paroisse de la Nouvelle-France? De quel œil M^^ de Pontbriand aurait- il vu arriver ici comme curé de Québec un homme dont il n'avait peut-être jamais entendu parler, et qui, proba- blement, ne connaissait rien. des choses du Canada?

Pourquoi ne rappellerions-nous pas ici le soin délicat et attentif avec lequel le pieux fondateur de notre Eglise, M^^ de Laval, recommandait au Séminaire, en 1687, de remplacer à la cure de Québec M. de Bernières, tout bon curé, tout vertueux iet dévoué qu'il était, par un autre prêtre plus acceptable à M^^ de Saint-Vallier ^? M. de Bernières résigna volontiers son bénéfice, et le Séminaire nomma à sa place un autre de ses prêtres, M. Dupré. Voilà bien l'esprit de M°^ de Laval, un esprit de paix et de conciliation. En unissant la cure de Québec à son Sémi- naire, en donnant à celui-ci le privilège de nommer à cette cure, il ne prétend nullement mettre l'Evêque de côté : au contraire, il veut qu'on s'entende avec lui pour cette nomi- nation, et qu'elle se fasse de manière à lui être agréable.

L'esprit de M»^' de Laval, ou, si l'on veut, celui de M. de Brisacier, c'était le même s'était-il parfaitement conservé aux Missions-Etrangères 3? La nomination de M. Delbois à la cure de Québec nous fournit une nouvelle occasion d'en douter.

De tous ceux qui avaient pu connaître M.°^ de Laval et se pénétrer de son esprit, le dernier, M. de Montigny, était mort depuis quelques années. M. de l'Orme écrivait à cette occasion :

« Les messieurs des Missions-Etrangères ont perdu un grand sujet. Quoiqu'il fût fort infirme, il avait la tête

2. Archives du Sém. de Québec, lettre de Mgr de Laval au Sém. de ^^uébec, Paris, 9 juin 1687. Henri de Bernières, p. 254,

3. Voir dans l'Apendice, No. II, une liste des Supérieurs des Missions- Etrangères, de 1663 à 1760.

26o l'église du canada

bonne, et n'était capable que de leur donner de bons con- seils. . . Il était le soutien de tout le Canada ; il en prenait le parti dans toutes les occasions *. »

N'oublions pas d'ailleurs qu'il y eut toujours des doutes sur la validité de l'union de la cure de Québec au Sémi- naire ; et celui-ci finira un jour par le reconnaître lui- même, lorsqu'il se démettra définitivement de cette cure :

« Le dernier acte d'union, en date du 14 novembre 1684, dirat-il alors, ne nous a pas paru revêtu de toutes les for- malités requises ^ »

La plupart des nominations à la cure de Québec s'étaient faites par compromis. MM. Thibout, Boulard et Plante, nommés et présentés par le Séminaire, n'avaient été acceptés comme curés que parce qu'ils étaient en même temps membres du Chapitre et du Séminaire, ce qui éludait la plupart des difficultés. On sait le conflit qui éclata entre M^^' Dosquet et le Séminaire, à propos de la cure de Québec, après la mort de M. BouUard. Voici comment M. de Latour raconte lui-même l'incident :

« J'étais alors Doyen du Chapitre, dit-il ; j'avais été nommé Curé par le Séminaire, et le Prélat m'offrait son titre; mais le Séminaire, pour ne pas risquer son droit, ne voulait pas que je l'acceptasse, et prétendait que je ne fisse valoir que le sien. Je ne voulus pas le bénéfice ^. . . »

Le même conflit allait-il se répéter avec M^^ de Pont- briand? Pour l'éviter, il aurait fallu d'autant plus de tact, de modération et de déférence, que la défiance de l'Evêque avait été mise en éveil par la maladresse de M. Jacrau et sa prétention de ne pas regarder le Séminaire de Québec comme un Séminaire vraiment épiscopal et diocésain.

4. Archiv. du Sém. de Québec, Cahiers Plante.

5. Acte de démission de la cure de Québec, cité dans les Recherches hist07'iques, vol. XVI, p. 40.

6. Mémoires sur la Vie de M. de Laval, p. 180.

sous M^'^ DE PONTBRIAND 201

Quoi qu'il en soit, M. LeBansais, qui faisait très di- gnement les fonctions curiales à Québec depuis deux ans, étant entré chez les Jésuites dans l'automne de 1749, le Séminaire jugea qu'il était temps de s'exécuter et de nom- mer un curé en titre. On avait un sujet qui paraissait propre à- remplir cette fonction, M. Récher, venu au Canada en même temps que M. LeBansais. Les direc- teurs de Paris, en l'envoyant à Québec, avaient écrit que c'était (( un esprit solide, appliqué, attentif à tous ses devoirs » l L'un d'eux, M. de Lalane, était maintenant supérieur du Séminaire de Québec ^ ; il n'eut pas de peine à engager ses confrères Jacrau et de Villars à signer avec lui la nomination de M. Récher.

Cette nomination, datée du premier octobre 1749, se fit dans toutes les formes, et par acte notarié. Au bas de l'acte, outre les signatures de MM. de Lalane, Jacrau et de Villars, se trouvent celles des notaires Dulaurent et Bou- cault.

Voici d'ailleurs le texte même de cet acte de nomination et présentation de M, Réchtr :

« A M^^ l'Illustrissime et Révérendissime Evêque de Québec.

«f Nous prêtres supérieur et directeurs du Séminaire des Missions-Etrangères établi en cette ville de Québec, repré- sentés par Christophe de Lalane, prêtre, docteur en théo- logie, directeur du Séminaire des Missions-Etrangères de Paris et supérieur des Missions de cette ville, Mathurin- Joseph Jacrau, procureur, et François Sorbier de Villars, directeurs du Séminaire ^, y demeurant.

7. Histoire manuscrite du Sém. de Québec

8. M. de Lalane devint plus tard supérieur des Missions-Etrangères et Paris, et en même temps supérieur du Séminaire de Langres et de celui d'Aire. (Lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 20 juin 1754).

9. MM. de Lalane, Jacrau, de Villars, et M. Récher lui-même étaient à cette date les seuls directeurs du Séminaire de Québec. Les autres

202 l'Église du canada

« La cure de Québec, érigée sous le titre et invocation de la Sainte-Famille ^^, étant présentement vacante par le décès de M. Charles Plante, prêtre de votre diocèse, ancien chanoine de la Cathédrale de cette ville, et dernier pourvu de la dite cure, décédé le vingt mars dix-sept cent quarante-quatre, de laquelle cure la nomination et la présentation appartient aux dits supérieur et directeurs du dit Séminaire de Québec, à cause de l'union qui a été faite au dit Séminaire, et à vous, monseigneur, la provision, l'institution et toute autre disposition, à cause de votre dignité épiscopale, nous avons nommé et présenté M. maître Jean-Félix Récher, prêtre du diocèse de Rouen, l'un des directeurs du dit Séminaire de cette ville, de bonnes vie et moeurs, et que nous espérons que Votrje Grandeur trouvera capable de bien et duement desservir la dite cure, pour être pourvu d'icelle, vous suppliant et requérant à cet effet de lui en accorder toutes les provi- sions requises et ne le priver, à l'effet qu'il en puisse pren- dre possession en gardant les formalités ordinaires, sans préjudice de notre droit et de celui d'autrui.

a Fait et passé à Québec au dit Séminaire, en présence et par devant les notaires royaux en la Prévôté de Québec y résidant soussignés, l'an mil sept cent quarante neuf, le premier jour d'octobre, et avons avec les dits notaires signé ces présentes avec leur minute demeurée à Maître Boucault, l'un des dits notaires, et apposé le cachet de nos armes aux présentes. Ainsi signé: Lalane, sup. ; Jacrau, prêtre, Villars prêtre. Du Laurent, Boucault ^* ».

prêtres de la maison étaient MM. Pressart, Lamicq et Chevalier. C'est- à-dire que depuis la mort de 'M. ]\Iaufils (1743) et celle de M. Plante (1744), il n'y avait plus un seul prêtre canadien agrégé au Séminaire de Québec! M. Pelet était parti pour la France l'année précédente (1748) et ne revint plus au Canada : lui-même, d'ailleurs, était français.

10. Elle avait été érigée à l'autel de la Sainte-Famille par Mgr de Laval à la tin d'octobre 1678, à la veille de son départ pour son troisième voyage en France. (Archives du Sém. de Québec).

11. Cité dans le Bulletin des Recherche-s historiques, vol. IX, p. 99.

sous M-^' DE PONTBRIAND 263

Dans cette pièce, rédigée avec soin, revient deux ou trois fois le nom du «Séminaire des Missions-Etrangères de Paris et de Québec», mais pas une fois on ne dit à l'Hvê- que : «votre Séminaire». C'était manquer une excellente occasion de lui être agréable, et cela en toute vérité et justice. Et puis, qui lui présente-t-on pour la cure de Québec, à la place de M. Plante, «prêtre de votre diocèse»? Un prêtre «du diocèse de Rouen!» On dirait que ces Français, même après avoir accepté l'agrégation au Sémi- naire diocésain, même après avoir accepté un bénéfice, et un bénéfice inamovible, dans le diocèse de Québec, ne se regardent nullement comme incorporés à ce diocèse, qui n'est bon que pour les Canadiens. Ils entendent bien rester étrangers ici, ils ne sont à Québec qu'en passant, pour administrer ce qu'ils appellent «leur Séminaire» ^'K

M. de l'Ile-Dieu, qui les connaissait bien, puisqu'il demeurait chez eux, écrivait, précisément à cette époque, à M. Rouillé, qui avait remplacé au ministère M. de Maurepas :

« Ils prétendent ne dépendre en rien de M. l'Evêque de Québec pour leur Séminaire de Québec et les missions qu'ils ont dans les colonies de son diocèse 13. »

Aussi, M°^ de Pontbriand ne se gênera-t-il pas, à son tour, d'affirmer bientôt la contrepartie de leurs prétentions, en leur parlant de « son Séminaire. » Mais avant tout il ne veut rien précipiter, il veut s'instruire, il veut étudier les pièces: il y a cinq ans qu'on attend la nomination d'un curé en titr.e de Québec, on attendra bien encore cinq semaines. Ce n'est donc que le 3 novembre qu'il répond à la présentation du Séminaire. Voici les Provisions de la cure de Québec pour M. Récher, telles qu'elles se trouvent

12. Lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 23 mai 1751, dans les Recherches historiques, vol. XV, p, 35.

13. Corresp. générale, vol. 98, lettre du 30 décembre 1752.

264 l'éguse du canada

dans le Registre du Chapitre : nous traduisons du latin : « A notre cher Fils en Jésus-Christ, maître Jean-Félix Récher, prêtre du diocèse de Rouen, l'un des directeurs de notre Séminaire de Québec, Salut et Bénédiction.

a Après avoir pris connaissance de la lettre de présenta- tion de votre personne pour la Cure de la paroisse de la Sainte-Famille de Québec, écrite et signée par les Supé- rieur et autres Directeurs de notre Séminaire, en présence des notaires royaux Dulaurent et Boucault, le 1^^ octobre 1749; après avoir pris également connaissance de la cession de leurs droits à la dite Cure que firent les cha- noines du Chapitre de Québec le 13 novembre 1684, et aussi des Lettres d'union de la dite Cure à notre Séminaire de Québec en date du 14 novembre de la même année, et enfin de l'acte Royal du mois d'octobre 1697 confirmant la dite union : nous, soupçonnant qu'il y a abus ^* dans la dite union de la Cure à notre Séminaire, alléguée dans le cas présent, tant parce que c'étaient les mêmes personnes qui renonçaient à leurs droits comme chanoines et qui les reprenaient comme directeurs du séminaire, que parce que le Curé de la dite paroisse ne peut en posséder les fruits et les revenus ^^, et qu'il ne lui est pas même libre ni licite d'en disposer pour faire l'aumône ; nous, pour ces raisons, et pour d'autres que nous déduirons, au besoin, avons déclaré et déclarons que nous ne tenons aucun compte de la dite présentation.

« Nous n'en reconnaissons pas moins dans le sujet qui nous est présenté et nommé un prêtre capable et bien pro- pre à administrer avec soin la dite paroisse. Aussi nous vous acceptons volontiers ; et connaissant votre capacité et votre mérite, nous vous avons conféré et donné, conférons

14. Abusum reperiri siispicantes.

15. A cause de la désappropriation, à laquelle s'engageaient les prêtres agrégés au Séminaire de Québec.

sous M^^ DE PONTBRIAND 265

et donnons la dite Cure de l'Eglise paroissiale de la Sainte- Famille, vacante par la mort de Maître Charles Plante, son dernier possesseur, vous conférant en même temps par les présentes tous les droits, fruits et émoluments attachés à la dite Cure.

(( Mandons, en conséquence, à tout prêtre ou notaire public à votre disposition, de vous mettre, en vertu des présentes, vous, ou votre procureur, en votre nom et pour vous, en possession corporelle, réelle et actuelle de la dite Paroisse (dont le titre est à l'autel érigé sous l'invocation de la Très-Sainte Famille, dans la partie sud de notre église cathédrale), en possession également de tous les droits, fruits et émoluments de la dite paroisse, et ce avec les solennités accoutumées, sans préjudice de notre droit, de celui d'autrui, et surtout de celui de notre Séminaire.

« Donné à Québec sous notre seing et notre sceau et la signature de notre secrétaire ordinaire le 3 novembre 1749, en présence des témoins soussignés, (signé) f H. -M., Evêque de Québec, Pocqueleau, prêtre, M. Guignas, S. J. Par mandement de Plllme et Rme Evêque de Québec, (signé) Briand, secrétaire. »

M. Récher, l'un des directeurs du Séminaire, étaij. donc curé de Québec, mais sans aucun égard à la présentation du Séminaire, uniquement par la volonté et la nomination de l'Evêque. Nous avons vu qu'en pareil cas M. de La- tour avait cru devoir refuser le bénéfice, pour ne pas com- promettre le droit du Séminaire de Québec en acceptant le titre épiscopal. Cette fois on jugea plus prudent que M. Récher acceptât la Cure, quitte à faire ses réserves en faveur du droit de présentation du Séminaire. Ces ré- serves se firent solennellement dans l'acte d'installation du nouveau curé, laquelle eut lieu le lendemain même de sa nomination. On ne lira pas sans intérêt cet acte d'instal- lation de M. Récher à la Cure de la Sainte-Famille de

266 L'ÉGLISE DU CANADA

Québec, et de sa prise de possession de l'autel que MS"* de Pontbriand lui avait indiqué d'une manière si précise, « dans la partie sud de notre église cathédrale )> :

(( L'an 1749, le 4 novembre, à onze heures du matin, en la présence de nous Notaires Royaux en la Prévôté de Québec résidents, soussignés, et de M. François Lamicq, prêtre, vicaire de Québec, et Antoine Morand, prêtre et vicaire de la paroisse de Saint-Joseph de la Pointe de Lévy, de présent en cette ville, et du sieur Jean-Henry Bomon, praticien, demeurant en cette ville ;

« Monsieur Maître Jean-Félix Récher, prêtre du diocèse de Rouen, l'un des directeurs du Séminaire de cette ville, pourvu de la Cure de Québec, érigée sous le titre et l'invo- cation de la Sainte-Famille, vacante par le décès de M. Charles Plante, prêtre, ancien chanoine de la Cathédrale de cette ville, dernier titulaire et possesseur paisible de la dite Cure, suivant les lettres de nomination et présentation de MM. les Supérieur et Directeurs du Séminaire des Missions-Etrangères établies en cette ville, et auxquels appartient seul le droit de présenter et nommer à la dite Cure ^^ à cause de l'union qui a été faite au dit Sémi- naire, et en conséquence du titre qui en a été accordé par M^^ l'Illustrissime et Révérendissime Henri-Marie du Breil de Pontbriand, Bvêque de Québec, en date du trois du présent mois, à nous représenté, le tout duement scellé et en bonne forme, et en vertu tant des lettres de nomination et présentation, que du titre délivré par mon dit Seigneur l'Evêque, a été mis par messire Christophe de Lalane, prêtre, docteur en théologie, directeur du Séminaire des Missions-Etrangères de Paris, et supérieur du Séminaire

16. C'était aussi l'opinion de M. de l'Orme, avant qu'il fût question du Procès : " La Cure de Québec est à la nomination du Séminaire, et non de l'Evêque." (Lettre à son frère, ler aoiît 1741, citée dans les Re- cherches historiques, vol. XVI, p. 325)-

sous M^*" DE PONTBRIAND 267

des dites Missions de cette ville, et grand vicaire de M^^ l'Evêque de Québec, demeurant au dit Séminaire, et pour ce présent, en la possession corporelle, réelle et actuelle de la dite Cure, de ses droits, appartenances et dépendances, par la libre entrée en la dite église, prise d'eau bénite, prières à Dieu faites devant l'autel de la Sainte-Famillc) toucher du pupitre des Fonts Baptismaux, de la Chaire à prêcher, son des cloches, exhibition et lecture des dites lettres de présentation, et nomination, et du titre de M^^ l'Evêque de Québec, rendu à mon dit sieur Réclier, lequel a déclaré qu'il n'a point baisé et touché le grand autel par déférence pour M^^ l'Evêque, qui a témoigné ne le vouloir pas. sans cependant que cela puisse tirer à conséquence pour ses droits, ni ceux de MM. du Séminaire,

« Déclare de plus qu'il y a dans le dit titre des restric- tions et des clauses préjudiciables aux droite; du Séminaire, contre lesquelles mes dits sieurs Supérieur et Curé pro- testent au nom du dit Séminaire, en tant que de besoin, se réservant de se faire histaller dans la place affectée au Curé, dans le chœur, par MM. les Chanoines de la Cathé- drale de cette ville, desquelles déclarations et protestations nous notaires susdits avons donné acte.

« Laquelle prise de possession a été lue à haute voix par nous dit notaire, présents les dits témoins, et à laquelle personne ne s'est opposé, dont acte requis et octroyé, en la dite église, les jour et an susdits, présence que dit est, signé à la minute des présentes demeurée à M. Boucault, l'un des dits notaires, (signé) Lalane, prêtre, J.-F. Récher, Lamiq, prêtre, Morand, prêtre, J.-H. Bomon, et de nous notaires soussignés, avec paraphe, (signé) Du Laurent, Boucault. »

Voilà bien la mentalité de l'époque : chacun est à che- val sur son droit, et prétend s'y maintenir, sans trop de bruit, toutefois, ni contestations : ou fait ses réserves, on

268 l'Église du canada

maintient ses prétentions, et l'on passe outre. L'Evêque ne tient pas compte de l'union de la Cure au Séminaire, et nomme lui-même le Curé: le Supérieur du Séminaire, qui est son grand vicaire, s'en vient affirmer « qu'il a seul droit de nommer à la Cure, à cause de cette union », et personne ne paraît trouver la chose inconvenante. L'Evêque défend au Curé « de baiser et toucher le grand autel » : celui-ci s'en abstient « par déférence, » tout en se réservant le droit de le faire plus tard, s'il se présente quelque occasion plus favorable.

Sur ce point, cependant, l'Evêque paraît bien ferme. Dans une assemblée du Chapitre, il renouvelle la défense qu'il a faite au Curé « de prendre possession au grand autel ». A cette défense il en ajoute quelques autres : il ne veut pas que le Curé « porte l'étole en faisant ses prônes m ; il ne veut pas que a les mariages et les enterrements se fassent pendant les offices canoniaux » ; il défend absolu- ment « de faire les catéchismes dans la sacristie, d'y écrire les registres des Baptêmes et Mariages, et même d'y prépa- rer les enfants pour la confession » ; il ajoute que « sans une permission spéciale du Chapitre il ne sera point per- mis de tendre le chœur en noir >k Puis il enjoint au Cha- pitre de tenir la main à tout ce qu'il vient de prescrire, et de (( communiquer à M. le Curé, de la part de l'Evêque, tout ce qui peut le regarder pour s'y rendre exact » ^^.

On veut évidemment confiner M. Récher dans sa cha^ pelle de la Sainte-Famille, « dans la partie sud de la Cathé^ drale ». Il s'y résigne ; et le mercredi des Cendres, il fait l'office paroissial à son autel, bénit les Cendres et les dis^ tribue à ses paroissiens, au grand mécontentement du Cha^ pitre, qui proteste, dans une de ses assemblées subsé^ queutes, contre ce que k s'est avisé » de faire le Curé, w au

17. Registre di4 Chapitre, assemblée du 20 décembre 1749.

sous M^"" DE PONTBRIAND 269

préjudice des droits de l'église cathédrale, et contre la cou- tume de tout temps observée » ^^.

Mais voici la fête de la Sainte-Famille, il semble naturel que le Curé célèbre soleunellemeut la messe «à son autel » paroissial. Mais c'ést en même temps « la fête décanale du Chapitre w, et il est d'usage que ce jour-là le Doyen officie solennellement à l'autel de la Sainte-Famille. Les chanoines sont d'avis que le Curé « n'y doit point dire de grand'messe >k II ne convient pas « qu'il entre en concurrence pour célébrer solennellement à l'une des cha- pelles de la cathédrale ; » et comme (c l'office de la cathé- drale sert pour la paroisse », le Doyen seul officiera ce jour- à l'autel de la Sainte-Famille. Pour arriver sûrement à cette fin, voici la conclusion que prend le Chapitre :

« La Compagnie, tout d'une voix, après mûre délibé- ration, a donné ordre au chanoine Perreault, « préfet de la sacristie », de refuser les ornements au dit sieur Récher pour célébrer la grand'messe ; et pour l'instruire parfai- tement des intentions du Chapitre et de ses ordres, on remettra au dit sieur Perreault une copie de la présente conclusion capitulaire, qu'il remettra lui-même au Curé, en présence de témoins, la veille du dit jour (fête de la Sainte- Famille), afin qu'il sache les ordres du Chapitré et qu'il s'y conforme ^^. »

M. Récher avait été nommé chanoine honoraire le sur- lendemain de son installation comme curé. Il y avait d'abord eu quelque hésitation à ce sujet: les chanoines, pour la plupart, ne connaissaient rien des traditions du passé. Il avait fallu que l'Kvêque, qui était pourtant aussi nouveau qu'eux au Canada, mais qui s'était donné la peine

18. Ibid., assemblée du 11 mai 1753.

19. Registre du Chapitre, assemblée du 11 mai 1753. Mgr de Pont- briand venait justement de partir pour les Trois-Rivières, il passa l'été pour la reconstruction du monastère des Ursulines.

270 I^'ÉGLISE DU CANADA

d'étudier notre histoire, leur montrât dans les registres le précédent de M. Dupré, qui en pareil cas avait été nommé chanoine honoraire, pour les décider à accorder la même faveur à M. Récher. Quel ne fut pas plus tard leur désap- pointement, lorsqu'ils s'aperçurent qu'en lui donnant ce titre ils l'avaient reconnu par même comme Curé de Québec, eux qui venaient de découvrir, comme nous le verrons bientôt, que la Cure de Québec leur appartenait, et non pas au Séminaire ! Ils décident alors de revenir sur leur décision, et ne veulent plus le reconnaître comme chanoine honoraire. M. Récher s'en tient à sa nomina- tion, confirmée par l'Evêque. Ils veulent du moins que les chanoines prébendes passent avant lui : il s'en tient à son droit de préséance suivant la date de sa nomination ; et comme M. Perreault a été nommé et installé chanoine après lui '^^, il guette le moment il pourra exercer ce droit de préséance. Ce sera le dimanche des Rameaux : plus vif que M. Perreault, il prend le pas sur lui, et va re- cevoir avant lui son rameau de la main de l'Evêque. Le Chapitre proteste, dans une séance subséquente, et « pour marquer son amour de la paix >•, il se contente de « réser- ver ses droits)). Comme conclusion, on donnera copie de cette résolution le plus tôt possible à M. Récher, « dans la sacristie, en la présence des ecclésiastiques assemblés » '^^.

* * *

On était entré dans l'ère des réserves, et elle devait durer jusqu'à la Conquête : le Séminaire fait ses réserves ; le Chapitre fait les siennes ; l'Evêque également. On

20. Nomination de Joseph-François Perreault, le 13 décembre 1750, " en la Chambre du Chapitre, au-dessus de la sacristie de l'église cathé- drale de Québec"; installation le samedi 19 décembre.

21. Registre du Chapitre, séance du 7 mars 1751.

sous M^ DE PONTBRIAND 2/1

invite toujours le Prélat à liouorer de sa présence la séance de clôture du Chapitre général qui se tient chaque année et dure deux ou trois mois. Il s'y rend, sans y manquer autant que possible, prend connaissance de toutes les déli- bérations du Chapitre, et les sanctionne; mais il est rare qu'il leur donne son approbation sans faire beaucoup de réserves. On aimera peut-être à en avoir un exemple : nous le prenons au hasard dans le Registre du Chapitre, à la date du 4 décembre 1755:

a Le 4 décembre 1755, après avoir observé ce qui est d'usage pour la clôture du Chapitre général, M^^' l'Evêque s'est rendu à la Chambre ordinaire, se sont trouvés M. de Tonnancour, théologal ^''^, MM. Poulin, Briand, Gaillard, Perreault, Resche, Rigauville, Cugnet et Saint-Onge, cha- noines, (M. de La Corne, doyen/ et M. Hazeur, grand chantre, à Paris, pour affaires du Chapitre, M, de Miniac, archidiacre, en France, à raison de maladie, et M. lîazeur, grand pénitencier, à l'HôpitalGénéral, pour la m.ême raison) -^

(( Après les prières ordinaires. Sa Grandeur a pris lecture des délibérations de Tautre part depuis le 10 décembre 1753, et a déclaré qu'il ne pouvait pas les approuver, qu'avec les réserves qu'il a faites dans les autres Chapitres généraux ; spécialement, qu'il ne pouvait approuver le retranchement des Chantres 2* ; spécialement encore sur des innovations qui ont été faites par M. Perreault dans la

22. Il venait de remplacer comme théologal M. de La Ville-Angevin, décédé le 16 novembre 1753.

23. En comptant les absents, le Chapitre était donc complet, à cette date (1755).

24- Il y avait une prébende de chanoine qui était affectée au paiement des chantres et des enfants de chœur. En retranchant les chantres, les chanoines augmentaient d'autant leur pitance ; mais comme ces chantres et les enfants de chœur n'étaient autres que des écoliers et des ecclé- siastiques, l'Evêque tenait à les garder, afin de leur aider à payer leur pension au Séminaire. De bien des contestations entre le Prélat et son Chapitre.

ÎT^

'272 J^' EGLISE DU CANADA

prise de possession du Doyenné pour M. de La Corne ^, lesquelles réserves sont sauf les droits du dit Chapitre, et ne sont que pour empêcher la prescription, sauf à un cha- cun de faire valoir ses droits, quand il le jugera à propos, et à prouver qu'il n'y a point d'innovation.

« Et après lecture faite des susdites réserves de M°^ .l'Evêque, le Chapitre a déclaré qu'en signant la clôture du Chapitre général, il n'entendait point approuver les dites réserves, et qu'au contraire il se réservait tous ses droits, prétendant que les nommées innovations ne l'é- taient point ^^, et qu'il n'était point obligé d'avoir des Chantres ^l

(( Et à l'instant, M^'" l'Evêque a déclaré qu'il laissait au Chapitre la liberté de faire valoir ses droits.

« M^ l'Evêque a déclaré qu'il donnait les chapes faites en 1750, et les tableaux qu'il a fait poser dans le chœur, à l'église cathédrale.

« Et en cas que, par événement^ on fît une séparation d'ofi&ce, on se servira des dites chapes; et à l'égard des tableaux, ils demeureront ils sont placés.

« Fait et arrêté dans l'assemblée capitulaire les dits jours et an que dessus, (signé) H.-M., Evêque de Québec, Tonnancour, théologal, Poulin, Briand, Perreault, Resche, Rigauville, Cugnet, Saint-Onge, Gaillard, secrétaire. »

Ainsi l'Evêque fait ses réserves, le Chapitre fait les

25. Le Chapitre était en procès avec le Séminaire pour la possession de la Cure de Québec. Le chanoine Perreault, prenant possession, comme procureur, du Doyenné de M. de La Corne, dans l'automne de 1755, s'était permis en même temps de faire la cérémonie de la prise de possession de la Cure par M. de La Corne, comme si le Chapitre avait déjà gagné son procès! C'est contre cette "innovation" que protestait Mgr de Pontbriand.

26. Ceci était faux. Le dernier acte de prise de possession du Doyenné était celui de M. de Lotbinière, le 14 septembre 1738; or, rien dans cet acte de semblable à celui de M. Perreault.

27. Les Chantres remplaçaient les Chapelains; or les Chapelains étaient dans l'institution du Chapitre.

sous M*^^ DE PONTBRIAND 273

siennes, et maintient ses prétentions. Tout cela nous paraît aujourd'hui bien singulier, mais c'était la mentalité de l'époque : cela paraissait à tous chose naturelle, et sans conséquence pour le maintien de la paix. L'Hvêque garde si peu de ressentiment contre son Chapitre, que dans la même séance capitulaire il abandonne généreusement à son église les chapes et les tableaux qu'il a fait faire à ses propres frais.

Nous avons signalé plus haut les réserves que le Sémi- naire avait cru devoir faire, lui aussi, lors de l'installation de M. Récher, en faveur du droit de nommer à la Cure de Québec, qui lui était contesté par l'Bvêque. Il nous reste, avant de clore ce chapitre, à raconter un autre incident, oii il se crut obligé de faire également ses réserves et ses protestations. Nous voulons parler de la Bénédiction de la Chapelle extérieure qu'il venait de faire construire en conformité des volontés de M^^ de Laval.

La construction de cette chapelle était un acte de justice, pour l'acquit d'une obligation contractée par le séminaire envers son pieux fondateur, qui lui avait fourni une somme nécessaire pour se libérer d'une dette, à condition de bâtir cette chapelle. La chapelle avait été construite, mais elle avait brûlé en 1701, et il fallait la reconstruire pour remplir les intentions de M^^ de Laval.

Dans l'acte, écrit de sa main, par lequel M^"* de Laval exigeait la construction de cette chapelle, il disait expres- sément :

(c Nous voulons que la dite chapelle soit ouverte à tous les fidèles de l'un et de l'autre sexe, pour y faire leurs prières, afin que Notre-Seigneur nous ayant fait, comme je l'es. père, miséricorde, nous puissions y participer, et qu'ils puissent jouir de la consolation et bénédiction d'assister et

18

274 l'église du canada

avoir part à toutes les prières et divins offices qui se feront dans la dite chapelle par les prêtres du dit Séminaire des Missions-Etrangères, auquel, pour cet effet, nous donnons, par ce présent écrit, tout le pouvoir et permission qui lui peut être nécessaire, et autant que besoin serait, de faire bâtir et construire la dite chapelle et d'y célébrer tous les jours à perpétuité la sainte messe, de prêcher, catéchiser et confesser, d'y faire tout l'ofii;:e divin, et généralement d'y exercer toutes les fonctions qui sont propres à l'institut du Séminaire des Missions-Etrangères "^. »

La reconstruction de la chapelle incendiée en 1701, commencée du temps de M. de Lalane, avait été continuée après son départ pour la France dans l'automne de 1750; et l'édifice fut prêt à bénir an mois de décembre 1752, c'est-à-dire l'année même du Jubilé de l'année sainte au Canada. Par déférence, et sans se prévaloir de l'autorisa- tion donnée autrefois par M^^ de Laval, M. de Villars, qui avait remplacé M. de Lalane comme supérieur du Sémi- naire, alla trouver M^ de Pontbriand pour avoir la per- mission d'y dire la messe et d'y garder le Saint-Sacrement. Citons ici cette permission, telle qu'elle se trouve inscrite dans l'Histoire du Séminaire par M^' Taschereau :

« Nous, Henri-Marie du Breil de Pontbriand, évêque de Québec.

« Sur ce que le sieur de Villars, supérieur de notre Sémi- naire épiscopal, nous a représenté que le Séminaire avait fait bâtir une chapelle assez décente ^^ pour y célébrer la sainte messe ; quoiqu'il fût à souhaiter que les prêtres du

28. Archives du Sém. de Québec, Pièce autographe de Mgr de Laval, 6 octobre 1684. Voir cette pièce dans l'Appendice, No. i.

29. C'est, comme nous l'avons dit plus haut, la chapelle (incendiée en 1865) que nous avons connue, et que nous aimions tant dans sa char- mante simplicité. Nous entendions (les pensionnaires) la messe dans le jubé de cette chapelle, les externes dans la nef.

sous M^"" DE PONTBRIAND 275

Séminaire fournissent deux messes à l'Hôtel-Dieu, autant aux Ursulines, et même nombre à la Basse- Ville ; per- suadé qu'ils le feront autant qu'ils le pourront, et voulant d'ailleurs, autant qu'il est en nous, empêcher nos Sémina- ristes, tant du grand que du petit Séminaire, de sortir, même pour entendre la sainte messe, quoique fort près de notre église cathédrale, nous avons permis et permettons, en considération des dits séminaristes et des directeurs infirmes, au dit sieur de Villars, de bénir la dite chapelle, et permettons d'y dire la messe : jamais pendant l'office paroissial ou cathédral. La dite permission de dire la messe sera révocable ad nutum : principalement dans les cas nous jugerions nécessaire que les dits prêtres allassent dire la messe autre part.

« Et sur ce que le dit sieur Je Villars nous a aussi repré- senté que, pour la communion des séminaristes et pour leur donner la facilité d'aller adorer le Très Saint Sacre- ment, il serait convenable de le conserver dans la dite chapelle, nous y avons consenti et consentons par ces pré- sentes, pareillement jusqu'à révocation, d'y conserv^er le Très Saint Sacrement, sans cependant l'exposer, à moins d'une permission spéciale.

(( Donné à Québec le 6 décembre 1752. »

« Au bas de cet acte, ajoute M^^ Taschereau, on trouve la protestation suivante, écrite et signée par M. de Villars :

(( Je soussigné, prêtre, supérieur du Séminaire des Mis- sions-Etrangères établi à Québec, reconnais avoir demandé à M^ de Pontbriand, évêque de Québec, de vouloir bénir ou faire bénir la Chapelle du dit Séminaire nouvellement construite. Mais ayant trouvé dans la dite permission ac- cordée les jour et an portés dans l'acte ci-dessus, plusieurs expressions et choses contraires aux droits du susdit Sémi- naire des Missions-Etrangères, et à la permission expresse donnée à perpétuité par M^^ François de Laval, en date

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L^ÊGUSE DU CANADA

du 6 octobre 1684, et reconnue par Genaple, notaire, le 3 novembre 1693, pour l'érection d'une chapelle au dit Sémi- naire, j'ai protesté et je proteste par les présentes contre les clauses contenues dans la susdite permission donnée par M^ de Pontbriand, en tant qu'elle est contraire aux droits du dit Séminaire des Missions-Btrano^ères ^^. »

30. Histoire manuscrite du Sém. de Québec, p. 937. " La sacristie, ajoute Mgr Taschereau, était alors, selon l'ancienne coutume, comprise dans le corps même de la chapelle. Six ans plus tard (1758), M. Jacrau fut chargé d'examiner le terrain au nord de la chapelle et de dresser un plan pour une sacristie extérieure. Cela ne fut exécuté qu'en 1764, lorsque cette chapelle, devenue paroissiale par l'incendie de la Cathé- drale en 1759, eut besoin d'être agrandie autant que possible pour con- tenir tous les fidèles.

" Les chapelles latérales furent construites beaucoup plus tard. Celle de Saint-Jean-Baptiste a été construite de fond en comble et ornée par Mgr Briand qui paya encore la boiserie du chœur. . .

" M. Jacrau obtint en 1766, pendant un voyage à Paris, trois indul- gences plénières pour le Séminaire, aux jours que l'Evêque fixerait. (Lettre du Card. Pamphili à M. Jacrau, 24 décembre 1766)."

CHAPITRE XXIII

LE CHAPITRE REVENDIQUE LA CURE DE QUÉBEC.

PROCÈS AVEC LE SÉMINAIRE : k QUÉBEC,

d'abord ; À PARIS ENSUITE

Rupture entre le Chapitre et le Séminaire. Origine du Procès. On étudie les archives. Avis de l'Evêque aux Chanoines. Son attitude par rapport au Procès. Requête du Chapitre au Conseil Supérieur. Incident La Ville-Angevin. Mgr de Pontbriand et son Théologal. Jugement de l'affaire Récher. Rapports de l'Evêque avec son Chapitre. L'affaire du Procès, évoquée en France. Prétentions outrées du Chapitre ; sa maladresse. Com- paraison entre De l'Orme et La Corne. Les agissements de La Corne à Paris. Habileté du Séminaire des Missions-Etrangères. La Corne, plus heureux que le Chapitre.

LE lecteur se rappelle l'échange de bons procédés qu'il y avait eu entre le Chapitre et le Séminaire de Québec lors des funérailles de M. Vallier, au commencement de 1747. Les relations étaient encore cordiales l'année sui- vante : les chanoines invitaient M. de Lalane à se mettre au chœur avec eux en habit canonial ; l'un d'eux, M. Pou- lin, qui faisait les fonctions de vicaire à la cathédrale, pen- sionnait au Séminaire ; enfin, ils venaient de nommer le curé Récher chanoine honoraire. Mais bientôt la rupture se fait entre le Séminaire et le Chapitre ; on passe presque sans transition de la bienveillance à la froideur, puis aux mauvais procédés, puis enfin aux plus âpres récrimina- tions :

« Les chanoines ont été trompés par les messieurs du

278 l'éguse du canada

Séminaire, qui conduisent tout selon leurs vues de tout avoir et de tout gouverner, » écrit M. Perreault, nouvel- lement entré au Chapitre \

« Ils nous ont enlevé et la cure et notre propre église, écrivent les chanoines ; il nous faut l'emplacement entier du presbytère 'K »

Le Chapitre ne ménage pas les anciens évêques :

« Il y a eu, dit-il, des abus visibles commis par les Seigneurs Evêques de Québec 3. »

Avec une maladresse incroyable, il ne ménage pas même M^"" de Pontbriand :

(( Il prétend être maître de tout, écrit M. de La Ville- Angevin. . . Il a à cœur d'humilier le chapitre. . . S'il veut nous embarrasser davantage, je crois qu'il serait bon de l'embarrasser lui-même et les marguilliers ^ »

Grâce au dévouement inlassable de l'Evêque, à la géné- rosité du clergé et de tout le diocèse, on a une magnifique cathédrale, éclatante de blancheur, avec un choeur superbe, orné de dorures et de beaux tableaux donnés par le Prélat lui-même ; on a une belle sacristie, bien pourvue de tous les ornements nécessaires au culte, et au-dessus une chambre très commode pour les assemblées capitulaires ; le service divin se fait à la perfection dans la cathédrale, avec le concours des élèves du grand et du petit Sémi- naire : et l'on n'est pas content ! . . . Peut-on l'être jamais parfaitement en ce monde? Le démon de la chicane a fouetté les imaginations, évoqué des chimères, et semé mille exigences dans les esprits.

L'orif^^ine de tout cela, c'est la lettre de nomination de

1. Recherches historiques, vol XIV, p. 260.

2. Ibid., p. 269.

3. Ibid., vol. XIV, p. 269.

4. Ibid., p. 362, 364.

sous M^^ DE PONTBRIAND 279

M. Récher à la Cure de Québec, dans laquelle l'Evêque déclare qu'il ne tient nul compte de la présentation du Séminaire, parce qu'il a des doutes sur la validité de l'union de la Cure au Séminaire, les chanoines de 1684 n'ayant cédé leurs droits à cette Cure que pour les reprendre comme directeurs de cette institution, leur démis- sion, par conséquent, n'étant, selon lui, ni sincère, ni véri- table.

Voilà l'inconvénient de trop remuer le passé et de s'at- tarder à regarder en arrière !

« Nos prédécesseurs, concluent les chanoines, n'avaient donc pas droit de se démettre ainsi de la Cure au détri- ment de leurs successeurs ; cette démission doit être regar- dée comme non avenue, la Cure nous appartient, c'est à nous à l'administrer et à en percevoir les revenus. »

Il n'y a qu'une chose qui leur fait défaut, mais une chose bien importante : la possession, qui est contre eux depuis plus de soixante ans !

L'Evêque, qui a constaté leur ignorance des archives, à l'occasion de la nomination de M. Récher comme cha- noine honoraire, les engage à en prendre connaissance, à parcourir les titres et les documents de l'église cathédrale, à les mettre en ordre ; et il ordonne tout spécialement à M. de La Ville-Angevin de le faire, « d'examiner les pa- piers et titres concernant les droits du Chapitre pour s'ins- truire à fond des obligations et droits du dit Chapitre » ^

Voilà donc M. de La Ville-Angevin avec ses collègues de Tonnancour et Gaillard, dans les papiers du Chapitre, de la Fabrique et de l'église cathédrale. La bulle de 1674, érigeant le diocèse de Québec, qu'ils n'ont en- core jamais lue, les frappe d'une manière toute spéciale. L'Evêque l'interprète à sa manière ; eux lui donnent une

5. Registre du Chapitre, séance du 29 décembre 1749.

28o L*ÉGLISE DU CANADA

interprétatiou différente : ils y voient la confirmation de toutes leurs prétentions : la Cure leur appartient, c'est à eux qu'a été confié par le Saint-Siège le soin des âmes ; l'église, avec tout le terrain qui l'entoure, leur appartient ; la paroisse a été « supprimée », il n'y en a plus ; ils ont même un droit d'expropriation pour tous les terrains avoi- sinant l'église dont ils auraient besoin pour y construire les logements des chanoines ^.

Et voilà qu'ils apprennent que les marguilliers sont sur le point de construire un presbytère pour le Curé, un pres- bytère sur leur propre terrain à eux chanoines ! C'est le temps, ou jamais, pour le Chapitre de faire valoir ses droits. Il faut, de toute nécessité, qu'il s'oppose à la construction de ce presbytère sur un terrain qui lui appartient. C'est le temps, ou jamais, de réclamer la Cure et toutes ses dépendances. La question fait l'objet des délibérations du Chapitre dans cinq séances consécutives, du 12 janvier au 27 février 1750. Ils ne sont que six chanoines: le Théo- logal, M. de La Ville-Angevin, qui préside les assemblées, en l'absence du Doyen, attendu dans le cours de l'au- tomne '^, et MM. de Tonnancour, Poulin, Briand, de La Corne et Gaillard ; les autres sont en France ou ailleurs par maladie ou pour d'autres raisons : mais à chaque séance les six sont « unanimes » h adopter la résolution d'en appeler au Conseil Supérieur pour la revendication de tous les droits du Chapitre. L'Evêque en est averti, et M. de Tonnancour chargé de préparer la requête au Conseil ^.

M^^ de Pontbriand est d'autant plus désolé de voir la tournure que prennent les choses et l'agitation qui se pré- pare dans son Eglise, qu'il se reproche un peu d'en être

6. Ceci n'est que le résumé d'un de leurs Mémoires à la Cour,

7. Cabanac-Lajonquière avait été nommé le 23 novembre précédent par la Cour.

8. Registre du Chapitre.

sous M^^ DE PONTBRIAND 28 1

indirectement la cause. S'il n'avait pas engagé ses cha- Moines à fouiller les archives, à goûter de ce fruit qui donne la connaissance du bien et du mal !. . . Ces vieux papiers ont besoin d'être lus avec tact, avec intelligence, avec sagesse, et toujours à la lumière de la tradition et des enseignements du passé ... Il faut tout contrôler et expli- quer par le besoin des circonstances et les mœurs de Pépoque. Il ne faut pas se contenter de voir la lettre des documents, il faut avoir égard à l'esprit qui les a dictés.

On a prétendu que le Prélat n'avait qu'un mot à dire» il n'avait qu'à se rendre à la Cour, il avait beaucoup d'influence, pour faire décider immédiatement la question dans le sens qu'il aurait désiré. La chose est possible ; mais il était trop juste, il avait trop le sens de l'équité pour le faire. Si le droit était d'un côté, il n'était pas de l'autre ; et il n'était pas homme à vouloir faire pencher la balance peut-être du mauvais côté par le poids de son auto- rité et de son influence. Il était donc bien aise que la question se décidât une fois pour tontes suivant la justice et l'équité ; mais il voulait avant tout que l'on procédât sans bruit, à l'amiable, sans blesser les règles de la charité. Voilà pourquoi il donne de sages avis à ses chanoines à plusieurs reprises, mais surtout en les réunissant expressé- ment pour cela le 17 février, à six heures du soir, au Palais épiscopal ^^ :

« Je vous offre ma maison comme un terrain neutre, leur dit-il ; venez ici avec les directeurs du Séminaire, et tâchez de vous entendre pour arriver à un règlement équitable et définitif. Ou bien, consultez en France trois des meilleurs avocats, avant d'entreprendre la moindre procédure, et faites régler vos difficultés par arbitrage. Ou bien encore, demandez au Roi des commissaires, qui entendent vos

10. Archives de l'archev. de Québec, Corresp. de Mgr de Pontbriand.

282 VtGLlSn DU CANADA

raisons de part et d'autre, étudient soigneusement la question et la règlent, sans que l'Eglise de Québec soit le théâtre d'un procès scandaleux » ^^

Le Séminaire de Québec acceptait volontiers n'importe lequel de ces avis. Le Chapitre, au contraire, les rejetait tous l'un après l'autre ^'\ et tenait d'autant plus à sa déci- sion d'en appeler au Conseil Supérieur, qu'il soupçonnait l'Evêque de lui être opposé.

L'était-il, en effet? Il est certain que M^^ de Pont- briand était décidé, s'il y avait procès, à intervenir ; et il en avertit franchement les chanoines :

« Je me trouverai nécessairement et malgré moi impli- pliqué dans cette discussion, dit-il, parce que je sais que vous prétendez acquérir le droit de nommer à la Cure 13. »

Or sur ce point, de nommer à la Cure de Québec, son opinion était bien arrêtée : il voulait, puisque la chose n'était pas clairement définie, assurer ce droit à l'Evêque, que ce fût le Séminaire, ou que ce fût le Chapitre qui gagnât le Procès. Il ne voulait pas intervenir pour faire pencher la balance d'un côté plutôt que de l'autre ; mais si le Séminaire gardait la cure, il voulait que ce fût l'Evêque qui choisît parmi les prêtres de l'institution et nommât le Curé, comme il avait fait pour M. Récher ; et également si le Chapitre gagnait sa cause, il voulait que l'Evêque pût faire son choix lui-même parmi les chanoines et nommer curé eu titre l'homme de son choix :

« Dès que l'Evêque connut, dit-il dans un de ses mé- moires, que le Chapitre voulait desservir la paroisse ad turiium^ ou ne nommer qu'un vicaire amovible, ou s'il en nommait un perpétuel, qu'il serait en même temps cha-

11. Registre du Chapitre.

12. Registre du Chapitre, séances des 23 et 2^ février 1750.

13. Ibid., dans le deuxième avis de Mgr de Pontbriand.

sous M^** DE PONTBRIAND 283

noine, qu'on ne lui donnerait qu'une très médiocre partie des dîmes et du casuel, qu'on ne donnerait aux vicaires que certains honoraires, alors l'Evêque de Québec a cru, pour l'intérêt de son siège, devoir intervenir, et sans vou- loir entrer dans le fond des contestations respectives, il a conclu seulement que dans le cas Ton ôterait au Sémi- naire la Cure, il fût ordonné que lui et ses successeurs évêques pourraient choisir un des membres de l'église cathédrale pour être par eux institué, en la forme ordi- naire, curé de la paroisse ; lequel jouirait des dîmes et du casuel, et ne pourrait être que chanoine honoraire, à qui les évêques donneraient des vicaires suivant l'exigence des cas ^*. »

Les chanoines convoitaient la Cure pour grossir leur prébende : ce que l'Evêque, évidemment, ne jugeait pas nécessaire ^^, d'après le passage de son mémoire que nous venons de citer. Ses sympathies, sous ce rapport, étaient plutôt pour le Séminaire, parce qu'il savait que le revenu de la Cure retournait tout simplement à l'œuvre de l'institution, c'est-à dire au profit de ses chers ecclésias- tiques et écoliers, auxquels il paraît avoir toujours montré le plus vif intérêt, car ils étaient l'espoir de son clergé et de son Eglise :

« On attaque le Séminaire directement, dit-il au Cha- pitre ^^, et on lui enlève une Cure qui peut devenir consi- dérable, et le mettre en état d'élever gratuitement un grand nombre de jeunes gens ; et même par le moyen de l'union qui subsiste aujourd'hui, les Séminaristes sont en

14. Cité par l'auteur de l'Histoire manuscrite du Séminaire.

15. A la date nous sommes, la prébende de chaque chanoine était rendue à 887 livres. (Lettre du Chapitre à M. de l'Orme, 5 septembre 1750, citée dans les Recherches historiques, vol. XIV, p. 270).

16. Registre du Chapitre, dans le deuxième avis de Mgr de Pont- briand.

284 I^'ÉGUSE DU CANADA

lieu de se former aux fonctions curiales: deux avantages qui ne se trouveront point si l'on prive le Séminaire de la Cure. »

Quoi qu'il en soit, M. de Tonnancour prépara sa Re quête au Conseil Supérieur, en conformité de la décision du Chapitre du 27 février, et la lut à ses confrères dans leur séance du 18 mars. Le Chapitre l'approuva, et «pour faire voir son respect pour M^- l'Evêque et son estime pour MM. du Séminaire », décida « de la leur communi- quer pour deux jours», puis de l'envoyer au Conseil Supé- rieur. On décida aussi qu'il était à propos de rendre visite à l'évêque, au gouverneur, à l'intendant et à MM. du Con- seil, «pour leur demander leur protection » ^"^ : histoire, pro- bablement inconsciente, de suborner leurs juges avant le procès ! Le Conseil admit la Requête, mais ne la prit en considération que dans sa séance du 30 juin. Citons-eH quelques ligues :

Les Chanoines demandent au Conseil de les recevoir (( appelants comme d'abns de l'acte de création de nouvelle paroisse dans la Cathédrale de Québec et de l'union qui en fut faite au Séminaire des Missions-Etrangères établi en cette ville par M. de Laval, évêque, le 14 novembre 1684, et aussi de la collation et provision donnée de la dite Cure par M. de Pontbriand, évêque de Québec, le 3 novembre dernier, et de tout ce qui a été fait par mon dit Seigneur Evêque à Pencontre des Bulles du Pape Clément X de l'année 1674... » Ils demandent donc qu'il leur soit «expédié des lettres de relief d'appel comme d'abus, et qu'on leur permette de faire appeler ensemble et par un seul acte le sieur Récher, curé de Québec, et les Supérieur et directeurs du Séminaire des Missions-Etrangères, et par actes différents tous autres qu'il sera vu appartenir, pour

ly. Registre du Chapitre, séance du 18 mars 1750.

sous M*^'^ DE POXTBRIAND 285

A'oir juger les dits abus commis, et ordonner. . . que la Bulle du Pape Clément X sera exécutée selon sa forme et teneur ^^, le soin des âmes et administration donnés aux cha- noines, l'église, la sacristie, fabrique et biens en dépendants attribués à iceux, conformément à la dite Bulle de 1674 pour mense capitulaire. . . » Le Chapitre se réservait le droit de demander plus tard des « lettres de restitution. . . et de réparation pour tous les torts qu'on lui avait faits ^^ . . . »

Le Chapitre avait commis, entre autres maladresses, celle d'attaquer directement son Evêque dans un de ses actes les plus solennels, la nomination du curé de Québec : « Je voudrais bien, lui écrivait l'abbé de l'Ile-Dieu, que vous seriez restés amis de votre Evêque ^^. » Et n'est-ce pas le cas de rappeler ici ce qu'écrivait un jour M. de l'Orme, cet homme si sage, si habile et si bien équilibré mais il était de l'ancienne école : « Notre Chapitre est composé de têtes qui ne pensent guère ce qu'ils font dans bien des rencontres '^^. » A quoi ne s'exposait-il pas, en effet, en s'adressant à un tribunal laïque pour le jugement de choses essentiellement ecclésiastiques, et cela malgré les avertissements répétés de l'Evêque ? En pareille cir- constance, M^^ de Saint-Vallier n'avait-il pas interdit trois des plus anciens et respectables membres de son clergé, De Bernières, Ango de Maizerets et Glandelet '^~?

Tout-à coup, le tonnerre gronde et la tempête éclate :

18. L'exécution d'une bulle, et par suite la manière de l'interpréter, confiée au Conseil Supérieur! Personne ne songe à aller à Rome pour faire décider un litige si essentiellement ecclésiastique! O tempora! 0 mores!

19. Archives de la Province de Québec, Registres du Conseil Supé- rieur, séance du 30 juin 1750.

20. Recherches historiques, vol. XIV, p. 357.

21. Ihid,. p. 133.

22. Henri de Bernières, p. 299.

286 l'église du canada

un bruit étrange et terrible retentit bientôt par toute la ville : rBvêque a chassé de l'évêché son grand vicaire, le théologal de son Chapitre ! Ne voulant pas aller jusqu'à interdire ses chanoines, il a pris ce moyen pour protester énergiquement et publiqnement contre leur conduite. Il choisit l'un deux, le plus entêté, leur chef, leur principal conseiller, celui qui est l'âme de toutes leurs résolutions : c'est son hôte depuis dix ans, il le bannit de sa maison, et il le fait de la manière le plus sévère et la plus impitoyable. On dirait même qu'il voudrait le voir bien loin, car on lit dans Jour7ial des Jésuites^ à la date du premier juin 1750:"

« M. de La Ville-Angevin, officiai, théologal, et chanoine de la cathédrale, banni de l'évêché par M. de Pontbriand, évêque de Québec, ayant demandé retraite dans notre mai- son, l'Evêque s'y oppose; tous nos Pères demandent qu'il soit admis, et menacent, en cas de refus, d'en écrire à Paris et à Rome. Il est donc reçu ; l'Evêque nous en veut du mal ^^».

Et n'allons pas croire que c'est le résultat d'une brus- querie passagère, que le Prélat va regretter bientôt. Il part presque aussitôt pour faire un bout de visite pasto- rale ^*, s'éloignant du théâtre d'une scène orageuse qui lui a peut-être coûté bien des efforts ; puis au bout de quatre mois il écrit à ses soeurs, les Visitandines de Rennes :

« Je suis entièrement fâché de la conduite qu'a tenue et que tient encore M. de La Ville- Angevin ; aussi je lui ai ôté toute ma confiance, et il ne demeure plus chez moi ^^)».

23. Archives du Sém. de Québec. L'Abeille, vol. XI, p. 42.

24. Archives de l'archev. de Québec, Ordonnance du 19 juin i75«, "Fait à Saint-François, en visite". Nous croyons qu'il s'agit ici de " Saint-François-Xavier de la Petite-Rivière, côte de Beaupré ", \\ était le 17 juin 1750, d'après Tanguay, A travers les Registres, p. 149. Il traversa ensuite de la côte nord à la côte sud, car il était à Saint- Thomas le II juillet suivant.

25. Recherches historiques, vol. XV, p. 71.

sous M*^ DE PONTBRIAND 287

La Ville-Angevin, d'après ce passage, ne regrette évi- demment rien; les autres chanoines non plus: ils laissent continuer l'affaire au Conseil Supérieur. Triste exemple d'une opiniâtreté et d'un entêtement que l'on trouve quel- quefois même chez d'excellents prêtres :

« Le Chapitre, disaient les chanoines, n'a entrepris ce procès que par la nécessité pressante il se trouvait pour l'acquit de sa conscience ! » ^^

* * *

Du Collège des Jésuites il avait obtenu refuge, le vieux Théologal se rendait assiduement à l'office canonial et aux assemblées capitulaires, entraîné par son désir d'attiser le feu de la lutte, non moins que par l'ardeur de sa foi bretonne. Obligé bientôt de se servir d'une béquille, à cause de ses infirmités, il n'en fut pas moins jusqu'à sa mort l'un des plus assidus au chœur.

On ne peut douter que ce fut son ardeur opiniâtre à contredire l'Evêque dans l'affaire du Procès du Chapitre au Conseil Supérieur, qui fut la cause principale de sa disgrâce et de son expulsion de l'évêché. Nous croyons cependant qu'il était devenu depuis longtemps pour le Prélat un personnage assez encombrant et insupportable, et ne vou- lons en donner d'autre preuve que celle-ci :

Nommé Théologal du Chapitre en 1747, il s'était pris d'un beau zèle pour en remplir les fonctions, et inaugurer tout un système de Conférences, auquel ses prédécesseurs, même les plus doctes et les plus vertueux, comme M. Vallier, par exemple, ne paraissaient pas même avoir songé. Mais au lieu d'en parler tout simplement à son Evêque, chez lequel il demeure, il lui adresse une longue lettre de six

26. Registres du Conseil Supérieur, séance du 16 octobre 1750.

288 l'église du canada

pages grand in-folio, dans laquelle il lui fait d'intermi- nables citations latines du quatrième et du cinquième Concile de Latran, du Concile général de Bâle, de la Pragmatique Sanction de Charles VII, du Concile de Trente, pour lui démontrer les obligations d'un Théologal par rapport à la Prédication. Cette longue lettre fait penser tout naturellement aux fameuses élucubrations de l'intendant Dupuy, au Conseil Supérieur, tout émaillées de citations latines des anciens jurisconsultes. Quelle dépense d'érudition! Non plus sapere qtiam oportet...^ sed sapere ad sobrietatem ^^.

La Ville-Angevin demande donc à l'Evêque d'être « tenu de faire toutes les semaines de l'année, excepté le temps des vacances, une ou deux ou trois leçons ou conférences de l'Ecriture Sainte aux Ecclésiastiques, selon qu'il plaira à Sa Grandeur d'ordonner et régler )>. . .

Pour la prédication, sa prétention est de prêcher à son tour, alternativement avec le Curé. Il se croit évidem- ment aussi curé dans la cathédrale que le Curé dans son église paroissiale:

« L'église, dit-il, étant en même temps et cathédrale et paroissiale ^^, il pourrait arriver des disputes ou différends entre le Théologal et le Curé, s'ils venaient à prétendre avoir droit de prêcher à même jour, ce qui serait tout au moins peu édifiant, et ce qui n'arrivera pas quand les obligations et les jours d'un chacun seront marqués et réglés. . . »

On ne peut s'empêcher de sourire en lisant la réponse de î'Evêque à son théologal. D'abord, il lui accorde le maxi- mum de Conférences qu'il a demandées, et il peut « obliger ceux qui composent le Chapitre d'y assister, autant toute-

27. Rom., XII, 3.

28. Il n'avait pas encore découvert qu'elle avait été " supprimée comme église paroissiale !

sous mS'" de pontbriand 289

fois que les règles du droit le permettent ». Seulement, il aura à se procurer pour cela « un appartement convenable, à ses frais et dépens ». Quant aux « Ecclésiastiques de la ville et aux Séminaristes », PEvêque se réserve le droit de les obliger à y assister, s'il le juge à propos, mais le théo- logal devra « les recevoir gratuitement ».

Pour la prédication, l'Evêque se réserve l'Avent et le Carême, il aura « un prédicateur spécial ». Il accorde deux ou trois fêtes au Théologal, «oii il pourra prêcher»; mais «il ne fera pas de droit les annonces de la paroisse»: elles appartiennent au Curé, ainsi que la prédication en général, « tant que les offices de la Cathédrale et de la Paroisse ne seront point séparés ». S'il arrivait qu'ils fussent séparés, alors le Théologal «sera obligé de prêcher, par lui ou par d'autres, toutes les fêtes et dimanches» '^^.

Le coup que reçut M. de La Ville-Angevin par son ban- nissement de l'évêché apaisa probablement son zèle pour la prédication et les conférences, mais ne diminua en rien, comme nous l'avons vu, son ardeur pour la revendication des droits des chanoines. Leur doyen Cabanac arrive le 10 septembre et se joint à eux d'autant plus volontiers pour toutes leurs plaidoieries, qu'il s'agit d'une augmenta- tion de prébende en perspective. Nous savons déjà que le gouverneur La Jonquière se fait avec empressement leur protecteur et leur avocat à la Cour.

Le Séminaire de Québec, d'une part, et M. Récher, de l'autre part, ont envoyé au Conseil Supérieur leurs réponses à la Requête du Chapitre; et le 16 octobre est fixé pour l'examen de ces pièces.

L'affaire de M. Récher est jugée séance tenante. Le jugement du Conseil Supérieur est bien court et bien net: «pour la collation de la Cure de Québec à M. Récher, il

29. Registre du Chapitre.

19

290 I^'ÉGLISE DU CANADA

n'y a pas d'abus». Le Conseil «maintient le dit sieur Récher en pleine possession et jouissance de la dite Cure et condamne le Chapitre en l'amende de soixante quinze livres et aux dépens » ^°.

Restait la contestation principale, entre le Chapitre et le Séminaire, par rapport au droit respectif de l'un ou de l'autre à la possession de la Cure et de ses dépendances : elle n'était pas si facile à régler, le procès aurait duré longtemps, et il n'est pas aisé de prévoir quelle en aurait été l'issue. Mais le Conseil Supérieur n'eut plus à s'en occuper. L'affaire fut évoquée à la Cour de France, à la demande de M^ de Pontbriand, qui voulait éloigner de son Eglise cette source d'agitation et de scandale. Le Chapitre députa à Paris un de ses membres, M. de La Corne, pour faire valoir ses droits, et le Séminaire des Missions-Etrangères était pour défendre les siens ; de sorte que le Séminaire épiscopal de Québec, aussi en dehors que possible du mouvement et de l'agitation des partis, n'étant plus à proprement parler sur le terrain même de la lutte, put continuer en paix son oeuvre méri- toire et bienfaisante pour l'Eglise canadienne.

L'Evêque était plus exposé aux coups. Ce qu'il eut à endurer de la part de son Chapitre, à l'occasion de ce pro- cès, qu'on en juge par quelques lignes de sa correspon- dance 31. Il écrit à M. de Maurepas :

(( Mon Chapitre vient d'intenter un procès au Séminaire, en insultant à tous les évêques qui nous ont précédé, et en formant sept ou huit appels comme d'abus ... Il ne m'a pas été possible de suspendre cette division, qui est un grand scandale pour mon diocèse. Je compte que vous voudrez bien vous employer pour empêcher ces dissen-

30. Registres du Conseil Supérieur.

31. Archives de l'archev. de Québec.

sous M^ DE PONTBRIAND 29I

sions. Je prévois que cette discussion sera longue avec mon Séminaire ... Je me verrais moi-même en procès, et il me semble, monseigneur, qu'alors je devrais renoncer à un pays dur, la paix ne serait pas, et je deviendrais plaideur malgré moi. . . »

Il écrit à M. de la Galissonnière, son ami ^^ : a Grand procès que le Chapitre intente au Séminaire sur la Cure, en conséquence de la Bulle d'érection, qui semble lui donner le tort. Il a formé huit appels comme d'abus, inutilement. J'ai conseillé des conférences à l'amiable, des consultations en France, ou, pour éviter l'éclat dans ce pays, de demander des commissaires au Roi. Je suis per- suadé que si vous aviez été ici, on eût arrêté la vivacité du Chapitre, qui croit son droit évidentissime. »

Et dans une lettre à M. de la Porte, le Prélat ajoute :

«Je voudrais voir le procès qui trouble le Clergé du Canada décidé. Toute mon occupation, ici, est d'arrêter les parties et de suspendre les coups, de gémir en particu- lier sur ceux que je ne puis écarter. »

Mais ce qui donne surtout une idée du peu d'égards des chanoines pour leur Evêque, c'est la lettre suivante qu'il leur adresse à la fin de novembre 1751, à la veille, pour ainsi dire, du Jubilé de l'Année Sainte qui va bientôt s'ouvrir pour l'Eglise de la Nouvelle-France :

« Puisque vous avez, dit -il, si peu de déférence pour votre Evêque, je prends mon parti, jusqu'à ce que Sa Majesté en soit informée. Je vous cède pendant cet intervalle tous mes droits. , . J'aime mieux céder, plier, que de plaider, ou que d'user d'autorité, iqui ne ferait que vous aigrir. . .

« Par le Cérémonial, vous êtes obligés de venir me cher- cher, ou me reconduire, lors même que je ne fais qu'assister

32. " M. de la Galissonnière est son intime. " (Lettre de M. de La Corne au Chapitre, 9 mars 1752, dans les Recherches historiques, toI. XV. p. 16).

292 l'éguse du canada

à l'office. . . Pour ne pas m'exposer à plusieurs manque- ments de votre part, et pour n'être pas obligé de disputer à chaque fois, je m'abstiens d'assister à l'office public. »

Il leur reproche ensuite d'avoir, le 25 août, renvoyé Matines au lendemain, afin d'assister à une pièce chez les Jésuites ; puis il ajoute :

c( Je sais que plusieurs d'entre vous ont voulu persuader à M. le Doyen qu'il devait avoir le premier confessionnal, qu'il devait prendre celui de M. le Curé, même par force, que le prédicateur devait, en mon absence, lui demander la bénédiction, qu'il devait être encensé en particulier. . . Il est douloureux pour moi qu'on cherche à exciter des troubles. J'aime la paix, et c'est par cet esprit que je vous donnai mes avis au commencement des disputes, avis mal reçus, qui m'attirèrent de votre part une réponse peu mesurée, avis que vous avez suivis vous-mêmes neuf mois après 33.

(( C'est par ce même esprit que j'engage M. le Curé à garder le silence sur les difficultés que vous lui faites, depuis même qu'il a été maintenu par un arrêt du Conseil Supérieur.

« Je passe plusieurs articles dan s lesquels je crois mes droits violés, mon caractère méprisé. Je vous déclare, messieurs, que mon silence ne doit pas être pris pour une approbation, que je m'oppose formellement à tout ce que vous avez fait et à tout ce que vous pourriez faire contre mes droits. Je suis résolu, au moyen de cette protestation de ne rien vous demander, de ne rien exiger de vous, de ne vous contredire en rien, et lorsque je m'adresserai à Sa

33. En effet M. de La Corne n'était parti, tout d'abord, que pour " consulter ", de la part du Chapitre, après que celui-ci eut perdu son procès dans l'affaire Récher : " La perte d'un des points du procès que le Chapitre avait intenté au Séminaire vient d'ouvrir les yeux au Cha- pitre. Il se détermine à consulter en France. . . Il envoie comme député M. de La Corne. . . " (Lettre de Mgr de Pontbriand au ministre, 7 novembre 1750).

sous M^^ DE PONTBRIAND 293

Majesté, vous serez auparavant informés de toutes mes demandes ...»

Voilà quelles étaient à cette époque les relations de M^ de Pontbriand avec son Chapitre. Les chanoines étaient si excités et gardaient si peu de mesure que, dans une de leurs séances, le Doyen, tout favorable qu'il leur était, se crut obligé de leur prêcher « l'obligation de donner bon exemple », et de leur rappeler « la manière de tenir les assemblées, la paix et l'union qu'on y doit garder, la sagesse, la modestie, la charité, l'honnêteté avec lesquelles on devait donner son avis » 34.

A force de patience, de douceur et de condescendance, le Prélat finit par avoir une paix au moins relative. Le Jubilé de 1752, nous aimons à le croire, ne contribua pas peu à apaiser les esprits. M^^^ de Pontbriand passa une grande partie de l'année 1753 aux Trois-Rivières, occupé à relever le monastère incendié des Ursulines ; et lorsqu'il revint à Québec dans le cours de l'automne, ce fut pour assister à ses derniers moments son ancien ami La Ville- Angevin, qui avait été le plus ardent dans la lutte : décédé le 16 novembre, il fut inhumé le lendemain par M. de Tounancour, l'Bvêque se contentant d'assister au service ^^

*

C'est à Paris, maintenant, que le Chapitre de Québec va faire valoir ses droits et ses prétentions contre le Sémi- naire des Missions-Etrangères. M^'^ de Pontbriand a obte- nu du Roi, pour le bien de la paix dans son Eglise, que cette affaire soit plaidée à Paris, et non à Québec.

Une chose, cependant, qu'il semble n'avoir pas prévue,

34. Registre du Chapitre, séance du 11 octobre 1751.

35. Recherches historiques, vol. XV, p. 76.

294 l'êguse du canada

c'est que les chanoines, délivrés désormais de toute crainte révérencielle de la part des Canadiens, qui aiment le Sémi- naire de Québec et lui sont attachés, ne connaîtront plus aucun frein, et s'abandonneront à des excès de langage, à des accusations et à des prétentions que le Prélat et l'abbé de l'Ile-Dieu ne craindront pas d'appeler « exorbitantes ^. »

Dans leur Requête au Conseil Supérieur, les chanoines gardaient encore quelque mesure vis-à-vis du Séminaire de Québec et de ses pieux fondateurs ; ils allaient même jus- qu'à dire :

(( On supplie le Conseil d'être bien persuadé que tous ceux X[ui composent le Chapitre sont remplis d'estime, d'affec- tion et même de respect pour MM. du Séminaire et pour ceux qui le gouvernent, qui peuvent être dans une par- faite bonne foi, et même pour tous ceux qui l'ont gou- verné dans le commencement, qui ont eu les meilleures intentions, et ont agi pour le plus grand bien, mais qui, comme hommes, ont pu se tromper, et méritent néan- moins toute l'estime et la reconnaissance de toute la colo- nie, et particulièrement des Ecclésiastiques, auxquels ils ont rendu de si grands et de si importants services *^ . . »

Eh bien, ce sont ces hommes aux « meilleures inten- tions », qui « méritent toute l'estime et la reconnaissance de toute la colonie », et dont elle a toujours admiré le désin- téressement, que les chanoines, une fois rendus à Paris, traiteront d'usurpateurs, de gens cupides, de méprisables despotes :

« Le Séminaire s'était rendu despotique, et méprisait les règlements du Prince et les droits de l'épiscopat. . .

« Le Chapitre était la victime de la cupidité et de l'intel-

36. Recherches historiques, vol. XV, p. 229. Lettre de l'abbé de rile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754.

27. Registres du Conseil Supérieur, séance du 30 juin 1750.

sous M^^ DE PONTBRIAND 295

ligence qui régnaient entre ceux qui régissaient ses affaires et le Séminaire. . .

« Le Séminaire, en possession de la première Cure du Canada, tout puissant dans le Chapitre dont il remplissait les places, maître de toutes les cures du pays, qui lui avaient été unies par le Décret de 1663, ne connut bientôt plus aucune autorité, et étendit de plus en plus les bornes de la domination dont il avait formé le plan dès le premier moment de son entrée dans le Canada. Il disposa à son gré des revenus du Chapitre, et fît sentir aux curés de campagne la dureté qui accompagne ordinairement un pouvoir usurpé ^^. . . >>

Au Conseil Supérieur, les chanoines s'étaient contentés de se réserver le droit de demander en temps et lieu « répa- ration des torts faits au Chapitre » ^^ par le Séminaire ; ils n'osaient pas encore rien réclamer de ceux à qui « la colonie entière devait de la reconnaissance ». A Paris, leurs exigences n'ont plus de bornes :

(( L'église cathédrale de Québec, dont les Supérieurs du Séminaire se sont emparés, sera rendue au Chapitre avec tous ses droits, sacristie. Fabrique et les biens en dépen- dants ...

(( Pour indemniser en partie le Chapitre des usurpa- tions faites sur lui par les Supérieurs et directeurs du Séminaire, et des injustices qu'ils lui ont faites depuis plus de soixante ans, on devra les condamner à lui payer la somme de cinquante mille livres dans le délai de trois années . . .

« La petite métairie de la Canardière, avec la maison et bâtiments, sera laissée et abandonnée aux Chanoines et Chapitre, pour servir les dites terres et maison à faire sub- sister les membres du Chapitre.

38. Mémoire du Chapitre (63 pages grand in-folio) 1756, p. 10, 19, 23.

39. Registres du Conseil Supérieur, séance du lundi 30 juin 1750.

296 l'église du canada

(( Si le Séminaire refuse, il devra être condamné à rendre compte, et à restituer au Chapitre toute la somme qui lui est due avec les intérêts, savoir quatre cent mille francs ^^. »

M^^ de Pontbriand avait obtenu de la Cour, par un édit daté du 12 mai 1752, droit d'intervenir dans le procès; et dans son Mémoire imprimé, présenté au ministre le 4 mars 1753, il ne cachait pas ses sympathies pour le Sémi- naire :

« La cure de Québec, disait-il, sera mieux desservie par le Séminaire. Les ecclésiastiques pourront plus facilement apprendre les fonctions curiales. Le curé, vivant dans une communauté, sera toujours plus régulier: s'il faisait une faute, la communauté la répare. »

Et l'abbé de l'Ile-Dieu disait au ministre en lui présen- tant ce mémoire :

« Dans les notes de M. l'Evêque de Québec, qu'il m'a envoyées cette aunée, il déduit clairement les motifs qu'il a de désirer que les choses restent dans l'état elles sont, persuadé qu'il conviendrait mieux à tous égards que la Cure continuât d'être desservie par le Séminaire ^^ »

Dans un de leurs mémoires, les chanoines attribuaient les sympathies de M^^ de Pontbriand pour le Séminaire aux promesses que celui-ci lui avait faites, et aussi à la crainte qu'il lui avait inspirée :

« Tel est l'empire, disaient-ils, qu'ont acquis dans le Canada les prêtres du Séminaire des Missions-Etrangères, qu'ils se sont rendus redoutables à ceux mêmes sous l'auto- rité desquels ils devraient être suivant toutes les règles *^ . . . »

Mais il n'entre nullement dans notre dessein d'analyser toutes les pièces de ce procès, ces mémoires et c^ requêtes

40. Mémoire du Chapitre, 1756.

41. Corresp. générale, vol. 99, lettre du 4 mars 1753.

42. Mémoire du Chapitre, 1755.

sous M«^ DE PONTBRIAND 297

iuterminables, tant du Chapitre que du Séminaire, qui feraient à eux seuls un immense volume, ni de raconter toutes les phases de cette contestation, qui dura jusqu'à la Conquête, et n'eut aucune issue. Tout se passe à Paris, rien n'intéresse directement l'Eglise du Canada, tout reste tranquille et rien n'est changé, suivant le désir même qu'avait exprimé son pieux et saint Evêque.

Qu'il nous suffise de dire que le Chapitre, par ses préten- tions outrées, par ses exigences sans bornes, par son peu de ménagement pour tout ce qui s'était fait avant lui dans l'Eglise de Québec, par son manque d'égards pour le pieux Fondateur de cette Eglise et aussi pour M^^ de Pontbriand, dont les vertus apostoliques étaient si appréciées à la Cour, ne prit nullement le moyen de gagner une cause il y avait pourtant plusieurs points à faire valoir en sa faveur. M. de l'Orme lui écrivait un jour : Les invectives et les injures dans un procès font souvent tort à une bonne cause )) *^ ; et M. de La Corne lui-même ne pouvait s'em- pêcher quelquefois de trouver le Chapitre « trop exa- gère » **.

La Corne et De l'Orme représentaient tous deux le Cha- pitre à Paris. Mais quelle différence dans la correspon- dance de l'un et de l'autre ! Dans celle de De l'Orme, une dignité, une mesure, une sagesse toujours soutenue. Jamais il ne s'emballe ; jamais chez lui d'enthousiasme ni de craintes exagérées : il avertit tranquillement le Cha- pitre : « L'affaire ne se terminera pas de sitôt. ^^ » On voit qu'il appartient à l'ancienne école, l'école traditionnelle, celle qui ne juge pas seulement d'après les textes, mais qui tient compte des circonstances de temps et de lieu, qui apprécie les difficultés exceptionnelles se sont trouvés

43. Recherches historiques, vol. XV, p. m.

44. Ibid., p. II. 45 Ibid., p. 4.

298 l'éguse du canada

les fondateurs de notre Eglise : ils n'ont pas toujours fait ce qu'ils auraient voulu, mais ce qu'ils ont pu ; et après tout, ce qu'ils ont fait n'était pas si mal, puisque, suivant l'expression si juste du cardinal -Taschereau, ce sont eux w qui ont posé les fondements de la belle discipline ecclé- siastique et paroissiale de nos jours » ^^. Dans la corres- pondance de M. de l'Orme, jamais un mot contre les fon- dateurs de notre Eglise, ce que l'on ne peut pas dire de toutes les lettres de ses confrères.

M. de La Corne était un homme de talent, et M^ de Pontbriand reconnaissait en lui beaucoup de « mérite per- sonnel » *^. Mais que de choses choquantes dans sa corres- pondance et dans ses agissements à Paris pour la cause du Chapitre ! Quand il parle de ses adversaires, les prêtres du Séminaire de Paris, il les appelle d'une manière sarcas- tique (( ces gens dévots qui se piquent d'une vertu distin- guée, ces directeurs d'un mérite peu commun, d'une probi- té à l'épreuve, d'une droiture inaltérable » ^^ ; et un peu plus loin il parle de « leurs ruses ordinaires, de leurs ru- briques et de leurs dois » ^^. Quand il parle de ses prédé- cesseurs, de M. de Latour, par exemple, et de ses travaux à l'abbaye de Maubec : « Tout cela est fait à la diable, dit-il, rien n'est juste, nous avons été dupés ^. » M. de l'Orme lui-même ^\ si fin et si habile, ne trouve pas grâce à ses yeux : « On le persuade aisément, dit-il, et on abuse de sa droiture ^'. »

Du reste, quand il arrive à Paris, il est tout à la joie et à l'espérance : « Nos affaires, dit-il, paraissent prendre un

46. Lettre à l'auteur, publiée en tête de la Vie de Mgr de Laval.

47. Recherches historiques, vol. XIV, p. 237.

48. Ibid., p. 332.

49. Ibid., vol. XV, p. 33.

50. Ibid., vol. XIV, p. 336

51. M. de l'Orme mourut à Paris en 1771, à l'âge de 89 ans. =,2. Recherches historiques, vol. XV, p. 231.

sous M»'' DE PONTBRIAND 299

bon train 53 ; » et un peu plus tard : « Nous devons certai- nement gagner ^^ » Et puis, il a des moyens à lui de réussir : d'abord, il a pour lui la famille Péan : grande recommandation ! et « par le moyen de la famille Péan, dit-il, nous avons grande allée auprès de trois des commis- saires » qui doivent nous juger. Puis il y a l'oncle de son ami Le Mercier ^^, officier du Canada, « qui est grand archidiacre de Lisieux, très riche et très bon gentilhomme. Je lui ai fait présent, dit-il, de mon capot de castor. Mais c'est parce qu'il sait que je suis l'ami de M. le Mercier, son neveu, qu'il m'aime à la folie. D'ailleurs, ajoute-t-il, il ne peut souffrir messieurs les évêques ^, encore moins les communautés vis-à-vis d'un Chapitre. Je voudrais que vous vissiez ce qu'il m'en a écrit à mots couverts. C'est un homme d'esprit fort savant. Il doit venir à Paris ; il ne nous sera pas d'une petite ressource » ^'^.

Il a donné son capot de castor à cet archidiacre « qui ne peut souffrir les évêques » ; s'il pouvait en faire autant à * son avocat », qui a Pafïaire du Chapitre en mains :

« Je demande à ma famille, écrit-il, de quoi faire quelques présents en peaux pour M. de Chamousset, une doublure d'habit, et un manchon pour la dame qu'il vient d'épou- ser... Je demande en outre huit martres pour deux autres personnes. . . Si mes frères ne me font point de cadeau, ils prendront sur mon canonicat ce que cela aura coûté ^^ . . . ))

53. Ibid., vol. XIV, p. 325.

54. Ibid., vol. XV, p. 6.

55. Mercier et Péan, deux associés de Bigot, deux amis du chanoine La Corne ! " Le sieur Bigot, Péan et Mercier, ses associés, sont passés en France et emportent bien des millions avec eux : le Canada est en- tièrement ruiné..." (Lettre de Raymond à Surlaville, Québec, 28 oc- tobre 1754, citée dans Les derniers jours de l'Acadie, p. 129).

56. Notons le plaisir évident avec lequel La Corne mentionne ce petit détail. Or nous savons qu'à Québec il avait été pendant deux ans l'hôte de Mgr de Pontbriand, avant de partir pour la France.

57. Recherches historiques, vol. XIV, p. 333.

58. Ibid., vol. XV, p. 104.

300 L'ÉGLISE DU CANADA

Du reste, il faut peu de chose pour leurrer le bon cha- noine : une politesse, par exemple, un bon dîner. C'est l'archevêque de Paris qui l'a fait prier d'aller chez lui : « J'y ai été trois fois, et ai passé plus de six heures avec lui dans son cabinet ^^ » M. de Boulogne, le rapporteur dans la cause, lui fait la même politesse : « J'ai été assez heu- reux pour faire sa conquête ; je suis même ami avec lui, et j'ai l'avantage de passer des heures entières avec lui dans son cabinet.» On l'invite même à dîner: «J'ai été assez heureux pour plaire à M. son père et à M""® sa mère ; ils m'ont fait l'honneur de m'inviter à manger, ces jours passés, m'assurant que je leur ferais grand plaisir toutes les fois que je pourrais aller manger leur soupe ^^ . . » Il peste contre un de ses avocats, Varlet, peut-être celui qui le trompe le moins : « Cet homme est ma croix, jamais je ne pourrai le regarder d'un bon œil ^^ » D'Héricourt, au contraire, est «adorable»: «J'ai eu le bonheur, dit-il, de lui plaire. »

Mais ni les politesses, ni les dîners, ni même les présents ne font guère avancer les choses. Tous ces avocats, ces rapporteurs, ces commissaires ne demandent pas mieux que de prendre leur temps, de prolonger l'étude de la question, et de faire fortune aux dépens d'un Chapitre qui se dit « bien pauvre », et qui, après tout, n'a pas trop l'air de l'être. Et notre chanoine commence à se désoler : « Je m'ennuie mortellement. . . Ça va mal. . . Je ne sais plus ce que j'écris. . . Le procès nous ruine ^'\ . . »

Il s'en prend naturellement à ses adversaires, les prêtres des Missions Etrangères : «Ils usent de tous les moyens pour me dégoûter. . . Ils sont, malheureusement pour

59. Recherches historiques, vol. XV, p. 137.

60. Ibid., p. 140.

61. Ibid., p. 130.

62. Ibid., p. 7, 107, 109, 139-

sous m8^' de pontbriand 301

nous, fort répandus dans ce pays-ci, ils ont des ressources infinies ^^ . . . »

Voilà, en effet, ce qui faisait, dans toute cette affaire de procès, la grande force du Séminaire des Missions-Etran- gères: il était chez lui, et de plus il était sur la défensive. Il était chez lui, connaissant parfaitement le terrain oii il avait à se défendre, les personnages avec lesquels il avait à traiter, ayant naturellement beaucoup d'amis et d'influence à la Cour et dans tout le pays.

Il faut bien reconnaître, d'ailleurs, quand on a parcouru les mémoires des deux partis, que ceux du Séminaire sont beaucoup plus pondérés, beaucoup plus dans la mesure et dans la bonne note que ceux du Chapitre. M. de I^a Corne disait de M^^ de Pontbriand qu'il était « fin et poli- tique comme personne » ^*. Il est probable que, sans l'avouer, il pensait bien la même chose des Missions-Etran- gères : au lieu d'injurier les Supérieurs, elles tâchent de les avoir pour amis, et de les mettre de leur côté ; elles savent, dans leurs requêtes et mémoires, ce qu'il faut dire, et pas davantage ; elles restent sur la défensive et parent les coups, sans chercher à porter la guerre dans le camp ennemi. Voilà ce qui fait leur force. Donnons-en un exemple :

IvC Chapitre a eu la maladresse d'attaquer M^^ de Pont- briand ; le Séminaire lui répond, heureux d'avoir cette occasion de faire plaisir à l'Evêque :

(c Ce n'est point sous un Prélat tel que M^^ de Pontbriand que l'ordre et la discipline se perdent dans une Eglise, et qu'il est besoin qu'un Chapitre entreprenne de les y établir. Ses lumières, son zèle, ses travaux, sa vigilance, son atta- chement si constant à son Eglise la garantissent d'un

63. Recherches historiques, vol. XV, p. 66, 133.

64. Ibîd., p. 34.

302 l'église du canada

pareil malheur. Et si malgré ses soins il s'y glissait quel- que abus, il ne faudrait pas d'autres mains que les siennes pour en faire la réforme ^. . . »

Voyez encore comme il était habile, de la part du Sémi- naire, de rassurer M^^ de Pontbriand au sujet de sa préten- due indépendance :

(( Cette prétendue indépendance du Séminaire de Québec et du Séminaire des Missions-Etrangères de Paris, de laquelle, selon le Chapitre, naissent tous les abus qu'il déplore, et qu'il veut réformer dans l'Eglise du Canada, n'est qu'un pur fantôme. Ni l'un ni l'autre de ces deux Séminaires ne prétend ni n'a jamais prétendu être en aucune manière exempt de la juridiction de l'Ordinaire. Celui de Paris se reconnaît et s'est toujours reconnu pleine- ment soumis à la juridiction de M. l'archevêque de Paris, dans toute l'étendue du droit commun, et celui de Québec s'est toujours reconnu pareillement soumis à la juridiction de l'Evêque, conformément au droit commun et aux lettres patentes d'union. Est-il possible que le Chapitre ignore ce fait? Ou, comment, ne l'ignorant pas, ose-t-il tant se récrier sur les abus de cette indépendance, et la proposer comme moyen et unique moyen pour faire déclarer nulle et abusive l'union du Séminaire à celui des Missions- Etrangères de Paris ^? »

Quant à la demande vraiment étrange que le Chapitre faisait de l'église de Québec, de la Fabrique et de tous ses biens, voici ce que répondait le Séminaire :

« Le Chapitre a mal à propos dirigé ces demandes contre le Séminaire. Le Séminaire ne prétend aucun droit à l'église de Québec. Les paroissiens et le Curé de Québec en prétendent sans doute à toutes ces choses. Ils ne se persuaderont pas aisément que le Chapitre puisse, sous

65. Mémoire du Séminaire, 1757, p. 14.

66. Ibid., p. 15.

sous M^ DE PONTBRIAND 303

prétexte de la Bulle, s'emparer de leur église, et les mettre dans la nécessité d'en construire une autre, ni qu'il puisse s'approprier leur Fabrique et les biens qui en dépendent. C'est à eux que le Chapitre doit s'adresser pour faire valoir ses prétentions, s'il le juge à propos ^^. »

* *

M. l'abbé de l'Ile-Dieu écrivait un jour à M^ de Pont- briand au sujet du procès entre le Chapitre et le Sémi- naire :

V Je crains bien que cette affaire ne finisse pas de sitôt. Les prêtres du Séminaire des Missions-Etrangères répon- dent fort lentement, et profitent un peu de ce qu'ils sont tranquilles sur le pavé de Paris. . . Pendant ce temps-là votre Chapitre est désert, et se consume en frais de députés et d'agents. Il faut avouer, monseigneur, que les hommes, pour la plupart, ne font guère ce qu'ils doivent faire, et sont bien rarement ils devraient être. Dieu veuille ter- miner cette malheureuse affaire, dans laquelle la Cour vous rend toute la justice que vous méritez du côté des peines que vous vous êtes données pour concilier ces deux premiers corps de votre diocèse ! . . . w

Le Procès se termina forcément, à la Conquête, mais sans aucune solution ni d'un côté ni de l'autre. Tout le monde, Evêque, Séminaire, Chapitre, resta sur le même pied qu'il était auparavant.

Bientôt le Séminaire, comme nous avons déjà eu occasion de le dire, renonça de lui-même à la Cure de Québec, les chanoines s'éteignirent les uns après les autres, sans être remplacés, et le Chapitre de Québec ne fut plus qu'une chose du passé.

67. Mémoire du Séminaire, 1757, p. 18.

68. Recherches historiques, vol. XV, p. 136. _. ^^

304 I^'ÉGUSE DU CANADA

Ce fut M. de La Corne qui fut sans doute le plus ga- gnant dans toute cette affaire. Tout en remplissant ses devoirs comme représentant du Chapitre, à Paris, il avait trouvé le moyen de s'en faire nommer le Doyen par la Cour en 1755. Bientôt il devint aussi abbé de Maubec : cette abbaye importante, que le Chapitre, dans un moment de véritable hallucination, avait voulu abandonner, un jour, mais qu'il avait heureusement réussi à reprendre ^^, finit par lui échapper, après la Conquête, et le Doyen en devint l'acquéreur, moyennant une certaine rente à payer à ses confrères ; puis, par-dessus le marché, il obtint la riche abbaye de l'Etoile '^^.

Ecrivant un jour à Québec à l'un de ses confrères, au sujet de la France : « Ce malheureux pays est ruineux, disait-il, il faut y être pour le savoir "^^ » Et de la ville de Paris il disait : « Je la regarde comme l'enfer de ceux qui y ont des procès '^^ w Après tout, Paris et la France ne lui avaient pas été trop incléments.

69. Registre du Chapitre, séances du 14 octobre 1749 et du 5 novembre 1750.

70. Recherches historiques, vol. XV, p. 267.

71. Ibid., p. 130.

72. Ibid., p. 7.

CHAPITRE XXIV

COUP D'œiL SUR LES MISSIONS LOINTAINES DE L'ÉGLISE DE QUÉBEC : I. LA LOUISIANE

Les travaux multiples qui occupent l'Evêque à la fois. Le plus résident de tous nos évêques. Capucins et Jésuites à la Nouvelle-Orléans. Un seul grand vicaire. Les Ursulines et leur œuvre. M. de Vaudreuil, gouverneur de la Louisiane. Bienville et Périer. Massacre des Français, aux Natchez. Le drame des Chicachas. Mgr de Pontbriand et les Capucins. Ce qu'écrit l'abbé de l'Ile- Dieu. La Louisiane en 1763.

MGR de Pontbriand écrivait à la Cour dans l'automne de 1742 :

« Sur les plaintes de M. Cosby, gouverneur de l'Acadie, sur de petites discussions entre les missionnaires de ces quartiers, sur le besoin qu'il y a d'un prêtre capable, je me suis déterminé à y envoyer M de Miniac ^ ; d'autant plus que M. de la Goudalie ^ m'a marqué par trois fois qu'il ne pouvait continuer d'être grand vicaire, ni même demeurer en Acadie. J'espère cependant que M. de Miniac pourra le retenir ^. . . »

lyC Prélat ajoutait l'année suivante :

« IvC gouvernement de l'Acadie a fait bien des difficultés pour recevoir MM. de Miniac et Girard ^ Il m'en a écrit

1. L'archidiacre revenu au Canada l'année précédente.

2. M. de la Goudalie, de Saint-Sulpice, vicaire général pour l'Acadie, était curé de Port-Royal.

3. Corresp. générale, vol. 78, lettre au ministre, 28 septembre 1742.

4. M. Girard était curé de Cobequid.

20

306 L^ÊGI^ISE DU CANADA

même sur un certain ton qui est conforme aux principes anglicans. Je me suis contenté de citer les traités de paix, d'assurer que nos missionnaires n'y allaient point par des motifs humains, ou pour soustraire les peuples à l'obéis- sance légitime ; qu'il leur était expressément recommandé de respecter les ordres du gouvernement. Tout est actuel- lement en paix ^ »

Dans cette lettre adressée à la Cour, M^'' de Pontbriand passait sans transition de l'Acadie à la Louisiane, puis de la Louisiane à Louisbourg. A la Nouvelle-Orléans, les Capucins menaçaient de repasser en France, si leur Supé- rieur n'avait pas le titre de grand vicaire comme celui des Jésuites ^. Au Cap-Breton, les Récollets faisaient les mêmes menaces, et se plaignaient du grand vicaire sécu- lier, M. Maillard, qui représentait l'Evêque de Québec '^ :

« En l'état sont les choses, écrivait le ministre à M^ de Pontbriand, et tenant compte du caractère de M. Mail- lard, il n'y a pas d'autre moyen de ramener la paix que de rappeler ce missionnaire. Je vais prendre les ordres du Roi à cet effet, et je le fais d'autant plus volontiers que j'ai appris que vous avez établi M. de Miniac votre grand vicaire pour l'Acadie et pour l'Ile-Royale. »

M. de Miniac était en effet grand vicaire de Québec pour l'Acadie et l'Ile Royale; mais M. Maillard l'était égale- ment, et M^^ de Pontbriand n'était pas d'humeur à se priver des services de ce grand missionnaire, l'un des plus grands que les Missions-Etrangères aient jamais envoyés dans la Nouvelle-France : et de fait, à la demande de son supérieur, M. de Combes, la Cour suspendit pour un an son rappel en France, puis le laissa tranquille ^

5. Corresp. générale, vol. 80, lettre au ministre, 20 octobre 1743.

6. Rapport. .. pour IÇ05, p. 11, lettre du ministre à l'évêque, 21 mai

1743-

7. Ibîd., p. 5, lettre du ministre à l'évêque, 13 février 1743.

^. Rapport. ..pour 1905, p. 6, lettre du ministre à l'évêque, 28 mars 1743.

sous M^"" DE PONTBRIAND 307

« A l'égard de la Louisiane, souffrez, monsieur, écrivait au ministre M^^ de Pontbriand, que je vous représente qu'il est à propos qu'il n'y ait qu'un grand vicaire. S'il y en avait deux, il n'y aurait plus de subordination. Les abus qui se glissent ne peuvent être réformés ; chacun se com- porte comme il veut. Nous ne connaissons rien de ce qui se passe. Au contraire, dans la position présente, si quel- qu'un se dérange, on est bientôt instruit.

« Je n'ai pas cru, ajoutait-il, devoir laisser M. l'abbé de l'Ile-Dieu absolument maître sur l'article du grand vicaire, afin de rendre ce changement plus difficile, et de lui donner occasion de refuser les Capucins sans les choquer. J'ai pensé que par ce moyen on gagnerait du temps, qu'on les accoutumerait ainsi peu à peu à ce nouveau gouvernement. D'ailleurs je crois qu'il convient que le Provincial s'adresse à moi au moins une fois dans la vie ^. »

Puis il passait sans transition à l'affaire de M. Maillard et des Récollets à l'Ile-Royale :

« Il est constant, disait-il, que les Récollets de l'Ile- Royale, depuis plusieurs années, ne se comportaient pas bien. Il est certain que M. Maillard n'a rien fait d'écla- tant contre eux, qu'il a du zèle, de la piété, et que je n'en ai jamais reçu aucune plainte. Il est important pour le bien de la Religion qu'il y ait à Louisbourg ou aux environs un grand vicaire séculier : il éclaire la conduite des autres, et en est sévèrement examiné. Ces bons relieieux veulent être indépendants. Voilà la source des plaintes qu'on vous a portées. Ils remuèrent, dès qu'ils connurent qu'ils n'étaient plus grands vicaires ; ils menacent de quitter. Je crois, avec votre permission, que vous con- damnez ces menaces, et que même vous ne les croyez pas réelles. M. de Aliiiiac est trop éloigné pour agir à Louis-

9. Corresp. générale, vol. 80, lettre du 20 octobre 1743.

3o8 l'egusk du canada

bourg ^". Il est triste pour moi de voir des religieux vouloir être malgré moi grands vicaires, et pour réussir chercher tous les moyens d'obtenir des ordres de votre part pour le rappel de M. Maillard.

(( Je n'ai pas besoin de m'expliquer davantage à un mi- nistre aussi éclairé, ajoutait-il. Malgré tout ce que je viens de vous dire, j'ai poussé la modération au dernier point à l'égard de ces religieux, plutôt pour entrer dans vos vues, que pour leur satisfaction et pour calmer cette ambition mal placée. J'ai renoncé à mes propres lumières. M. Maillard et le Père Commissaire ont chacun mes pou- voirs, pour les exercer de concert; et lorsqu'ils ne sero^it point d'accord, ils doivent m'écrire conjointement. J'ai donné aux premiers des instructions qui doivent naturel- lement établir la paix. Je vous avoue que ce petit sacri- fice m'a coûté: mais que ne fait-on pas, lorsqu'il s'agit de suivre vos intentions ^^? »

Rien, croyons-nous, n'est plus propre à donner une idée de la position de l'Evêque de Québec, à cette époque, dans son immense diocèse, que de grouper ainsi, comme dans un tableau, quelques extraits de sa correspondance. Il -faudrait aussi grouper les faits, et exposer à la fois, dans un même plan, tous ceux qui se sont passés à peu près à la même date, montrer, par exemple, que les actes d'insu- bordination de ses ouvriers évangéliques, à l'Acadie et à la Louisiane, faisaient écho, pour ainsi dire, à ceux de son Chapitre, qui méprisait ses avis, et persistait à aller devant le Conseil Supérieur pour une cause purement ecclésias- tique ; il faudrait montrer que toutes les mauvaises nou- velles qui lui arrivent des parties les plus lointaines de son diocèse viennent le surprendre au milieu de ses visites

10. Sa résidence était à Port-Royal.

11. Corresp. générale, vol. 80, lettre du 20 octobre 1743.

sous M^^ DE PONTBRIAND 309

pastorales, au milieu des travaux pénibles que lui impose la reconstruction de sa cathédrale ou celle de ses hôpitaux incendiés, au milieu des graves soucis que lui donne l'af- faire de M^® d'Youville et de l'Hôpital-Général de Mont- réal, au milieu des mille tracas d'une vie épiscopale très occupée. Quelle immense administration ! Et qu'il est beau de voir notre Prélat ferme et constant au milieu de tous les travaux et de toutes les épreuves, voyant à tout, suffisant à tout, se possédant toujours, et ne se laissant jamais abattre par les événements ! Bien des fois, sans doute, il serait tenté de se donner une distraction légitime, d'aller revoir, par exemple, son pays natal, la belle et douce France. Il y a même pensé sérieusement, car il écrit un jour au ministre : (( Ce serait une occasion pour moi de vous communiquer bien des choses essentielles au bien de mon diocèse et à celui de la colonie ^^ » On l'attend, on le désire à la Cour, il est en singulière estime ^^ ; il sera reçu à bras ouverts par ses parents, par ses amis :

(( Je ne puis dissimuler l'envie que j'avais de vous voir, écrit-il un jour à ses sœurs, mais je vous prie de ne plus me parler de mon voyage. C'est une tentation pour moi. Que dis-je?... Parlez-m'en toujours avec force. Mon devoir m'engageia alors à vous convaincre, et en le faisant je me convaincrai moi-même que l'ennui et les croix ne furent jamais une raison à un Evêque de quitter son trou- peau ^*. »

Quelle parole admirable ! quelle parole réconfortante ! Comme elle donne une haute idée de M^^' de Pontbriand !

Il reste donc ferme et fidèle à son poste. Il a été sans contredit le plus résident de tous nos Evêques, et, suivant

12. Corresp. générale, vol. 89, lettre du 10 juillet 1747.

13. Rapport. . . pour IÇ05, p. 210, 227.

14. Revue Canadienne, t. VIII, p. 436, lettre du 28 octobre 1751.

310 l'église du canada

l'expression si juste de l'abbé de l'Ile-Dieu, « un Prélat digne des premiers siècles de l'Eglise » ^^

* * *

Comme nous l'avons dit ailleurs ^^, il faudrait des vo- lumes pour écrire l'histoire des missions lointaines qui dépendaient de l'Eglise de Québec. Dans un ouvrage comme celui-ci, nous ne pouvons que jeter un coup d'œil sur ces missions. Commençons par la Louisiane, et sup- posons tout d'abord que nous sommes en 1729.

Cette mission comprend toute la vallée du Mississipi, depuis le Wisconsin jusqu'au golfe du Mexique. Aux Jésuites sont confiées toutes les missions sauvages, à part celle des Tamarois. qui appartient aux Missions-Etrangères. Les Capucins ont la desserte de tous les postes français du Bas-Mississipi : les Jésuites, ceux du Haut-Mississipi.

Le supérieur des Capucins réside à la Nouvelle-Orléans ; le supérieur des Jésuites, aussi, et c'est lui qui a la con- duite spirituelle des Ursulines, mais il n'est grand vicaire que pour les missions sauvages. Le supérieur des Capu- cins, seul, est grand vicaire à la Nouvelle-Orléans et dans tous les postes français. Ainsi l'a réglé M^'^ de Mornay, Capucin lui-même; et cet arrangement subsiste tout le temps de son administration et celle de M^^ Dosquet.

On se rappelle les graves difficultés qui s'en suivirent entre le P. Raphaël, supérieur des Capucins, et le P. de Beaubois, supérieur des Jésuites. Le P. Raphaël alla jusqu'à interdire les Jésuites, et ne leva l'interdit qu'à sa mort, en 1734 ^l Le P. Mathias, qui lui succéda, ne se montra guère plus clément, et ce ne fut que quatre ans

15. Corresp. générale, vol. 102, lettre au ministre, 30 octobre 1757.

16. L'Eglise du Canada. . ., lère Partie, p. 367.

17. Ihid., 2e Partie, p. 23.

sous M»"" DE PONTBRIAND 3II

plus tard, en 1738, sous le supériorat de son successeur, le P. Philippe, que les Jésuites jouirent d'une paix au moins relative, grâce à Pesprit conciliant de ce bon Père capucin, grâce aussi aux nouveaux arrangements que l'abbé de Pile-Dieu, après la démission de M^'' Dosquet, crut devoir établir entre les deux ordres religieux qui desservaient la Louisiane, les mettant indépendants l'un de l'autre pour la juridiction, chacun dans leur mission respective :

«D'après cet arrangement, qui ôtait absolument toute rivalité de juridiction, je crus, dit-il, pouvoir me promettre que l'effet cesserait avec la cause, et effectivement je n'en- tendis plus parler de discussion ni d'altercation entre les deux ordres religieux ^^. »

Cet état de choses durait encore lorsque M^^ de Pont- briand fut nommé évêque de Québec, et le Prélat semblait disposé à le maintenir, lorsqu'arrivé à La Rochelle, il reçoit de la Louisiane de nouvelles plaintes contre les Capucins. Il avait donné ordre à l'abbé de l'Ile-Dieu, avant de partir, d'expédier des lettres de grand vicaire au supérieur des Jésuites, à celui des Capucins, et à celui des Missions-Etrangères. Il lui écrit immédiatement de n'en pas envoyer aux Capucins, « étant déterminé, dit l'abbé de rile-Dieu, à les soumettre aux Jésuites et à ne donner des lettres de grand vicaire qu'à ces derniers pour le haut et tout le bas de la colonie ^^. Nous avons vu la raison qu'il en donnait, dans une lettre adressée au ministre que nous avons citée au commencement de ce chapitre. S'il avait décidé de soumettre les Capucins de la Louisiane à la juridiction des Jésuites, ce n'était pas qu'il préférât ceux-ci aux autres. Il aimait et estimait tous les religieux en général :

18. Cité dans Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIIe siècle, t I, p. 324.

19. Ihid., p. 328.

312 l'êguse du canada

« Je vous le répète, écrit-il un jour à ses sœurs les Visi- tandines, je ne suis point attaché à aucun habit en parti- culier, et je crois que nous devons tous n'envisager que la plus grande gloire de Dieu ^°. »

Certes, il estimait beaucoup les Jésuites, et il disait pourquoi :

(f II est certain que j'aime et que j'estime les Jésuites, parce que, Dieu merci, ceux que je connais méritent beau- coup. »

On raconte à ce sujet un trait bien touchant. Quelques mois seulement avant d'écrire à ses sœurs la lettre que nous venons de citer, il avait visité à son lit de mort, au Collège de Québec, un bon vieux religieux de la Compa- gnie de Jésus, le P. Chardon, qui avait une grande réputa- tion de sainteté. Le Prélat se jette à genoux, et lui de- mande sa bénédiction : a C'est à vous, monseigneur, à me bénir », lui dit le Jésuite. M^^ de Pontbriand le bénit en effet ; mais après avoir reçu cette bénédiction, le P. Char- don fut obligé de consentir à ce que le Prélat exigeait de lui ^^. »

Nous le répétons, cependant, ce n'est pas parce que l'Evêque de Québec estimait les Jésuites qu'il leur avait donné le grand vicariat de la Louisiane de préférence aux Capucins. Mais il voulait, pour le bon ordre, qu'il n'y eût qu'un seul grand vicaire. Les Capucins ne tardèrent pas de se plaindre de la position qu'il leur faisait ; mais sa décision, approuvée et sanctionnée par la Cour ^^, fut irré- vocable, comme avait été celle de M^^ de Mornay par rap- port aux Jésuites.

Tout allait dépendre, évidemfnent, pour la paix reli-

20. Lettre du 25 octobre 1744, publiée dans la Revue Canadienne, t. VIII, p. 435.

21. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIII e siècle, t. II, p. 52.

22. Corresp. générale, vol. 100, lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu au mi- nistre, 3 novembre 1755.

sous M«^ DE PONTBRIAND 313

gieuse dans la colonie, du caractère plus ou moins conci- liant du supérieur des Capucins et de celui des Jésuites. Fort heureusement, les deux premiers, du temps de M^^ de Pontbriand, le P. de Vitry, jésuite, et le P. de Ramber- villiers, capucin, étaient des hommes de Dieu dans toute Pacceptiou du mot :

« Ils sont dans une grande union et une parfaite intelli- gence w, écrit M. de l'Ile-Dieu en 1745. Parlant des Jé- suites de la Ivouisiane, en général : « Ce sont, dit-il l'année suivante, d'excellents sujets qui se conduisent fort bien dans leurs missions des Illinois et des Missouris. Ils ont un P. de Vitry résidant à la Nouvelle-Orléans, qui y exerce les fonctions de grand vicaire sur les Capucins, suivant les derniers arrangements de M. PEvêque de Qué- bec : c'est un esprit liant et conciliant, qui conduit très bien sa barque et au gré même de ceux sur qui il a auto- rité. » Parlant ensuite des Capucins, qui étaient au nombre de douze, enviiron : « I,e P. de Rambervilliers, dit-il, se loue beaucoup de tous ses confrères, chacun dans leur poste, qu'ils desservent au grand contentement et à l'édification de la colonie '^^. «

Les Ursulines, à la Nouvelle-Orléans, étaient de pré- cieux auxiliaires pour les missionnaires. Qui pourrait dire tout le bien dont elles furent l'instrument providen- tiel dans cette ville naissante ?

« Depuis quatorze ans que je m'occupe de la Nouvelle- Orléans, écrivait en 1745 l'abbé de l'Ile-Dieu, je n'ai eu que de bonnes nouvelles sur les Ursulines. Elles y rendent de grands services pour l'Education et pour les Hôpitaux. Elles enseignent les négresses à part. . . Mais, ajoutait-il, elles ont grand besoin de secours. Elles n'ont rien reçu depuis deux ans de ce qui leur est . . . »

23. Archives de l'archev. de Québec, lettre au ministre, 23 août 1752.

314 I^'ÊGUSE DU CANADA

Grâce à M. Rouillé, dont il ne cessait de dire du bien, il leur obtint sept mille livres, à prendre sur la Loterie des Communautés ^*.

Mais elles avaient de grandes dépenses à faire pour le service de leur maison et de ses dépendances ; et ce service se faisait, suivant l'usage de l'endroit, par des nègres esclaves. L'abbé de l'Ile-Dieu écrivait au ministre en 1746:

« Les Ursulines de la Nouvelle-Orléans ont été obligées d'acheter vingt-quatre têtes de nègres pour le prix de trente mille francs ^^ »

Le commissaire-ordonnateur, M. Le Normand, qui n'ai- mait pas les Jésuites, regardait aussi d'un mauvais œil les Ursulines, qui avaient toujours tenu à rester sous leur con- duite, à l'exclusion des Capucins. Non seulement il les payait mal, mais il les accusait fort injustement «d'avoir spolié l'Hôpital dont elles avaient la direction :

« Je soupçonne M. Le Normand d'être préjugé contre les Ursulines et les Jésuites, écrit l'abbé de Pile-Dieu. Il a fait descendre des Tamarois à la Nouvelle-Orléans M. l'abbé Laurent pour desservir l'Hôpital, et il ne reste plus aux Tamarois que deux vieux prêtres fort âgés. )> Et il ajoutait deux ans plus tard, en parlant des Ursulines: « Ce sont pourtant de bonnes et saintes filles, qui rendent de grands services à la colonie. Vous ne pourriez mieux vous en rapporter, disait-il au ministre, qu'à M. de Vau- dreuil, dont tout le monde se loue dans la colonie, par le bien qu'il y fait, et par la douceur de son gouvernement. »

Celui qui fut notre dernier gouverneur sous le régime français, avant la Conquête, avait été nommé gouverneur de la Louisiane en 1742, et son gouvernement fut une véri-

24. Lettre de l'abbé de l'Ile-Dîeu à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754.

25. Manuscrits de Jacques Viger, Ma Saberdache.

sous M^^ DE PONTBRIAND 315

table bénédiction pour la colonie. Jugeons-en par ces quelques lignes de Pabbé de TIle-Dieu au ministre :

(( M. de Vaudreuil, dit-il, fait des biens immenses à la Nouvelle-Orléans. Toutes les lettres que j'en reçois sont pleines de ses éloges, et il me parait qu'il n'y sert pas moins bien la religion que l'Etat. Je suis pénétré d'édifi- cation en voyant les détails dans lesquels la bonté de son cœur le fait entrer, à en juger même par les lettres qu'il me fait l'honneur de m'écrire. Il est actuellement occupé à prendre des mesures avec M. l'Evêque pour faire venir quelques religieuses de Québec pour secourir et soulager les Ursulines de la Louisiane, par la difficulté l'on est, et même l'impossibilité, d'en faire passer de France, dans la circonstance de la guerre ^^. . . »

Les Ursulines de la Nouvelle-Orléans étaient au nombre de douze en 1745. Il n'y en avait plus que onze en 1747, et d'après l'abbé de l'Ile-Dieu il en aurait fallu au moins une trentaine.

Du reste, le bon exemple de M. de Vaudreuil avait été contagieux : le commissaire-ordonnateur, M. Le Normand, se montrait désormais bien disposé à leur égard ; et puis la paix et l'union continuaient à régner entre les Capucins et les Jésuites :

(( Suivant ce que me marque M. de Vaudreuil, écrit M*'^ de Pontbriand au ministre, il est convenable que l'arran- gement que j'ai pris pour le grand vicariat subsiste. Les lettres que je reçois de ce pays, ajoute-t-il, ne cessent de louer ce gouverneur comme réunissant toutes les qualités nécessaires pour être à la tête d'une colonie ^'^. «

Il avait succédé à M. de Bienville, qui fut gouverneur de la Louisiane à trois reprises différentes. Sa troisième

26. Lettre du 12 septembre 1747.

27. Corresp. générale, vol. 86, lettre du 10 novembre 1746.

3l6 L'EGLISE DU CANADA

administration et celle de M. Périer qui Pavait précédée restent marquées dans l'histoire par quelques-uns des coups les plus sanglants qui ont frappé les Français en Amé- rique. Qui ne connaît l'affreux massacre de deux cent vingt sept Français ^^, aux Nsrchez, en 1729, suivi de près par une autre boucherie terrible, chez les Yasous, à la fin de la même année? Deux Jésuites, le P. Poisson et le P. Souel, payèrent de leur vie, en ces occasions, leur dévoue- ment à la Religion et à la Patrie; et un troisième, le P. d'Outreleau, n'échappa au massacre que par miracle : il put se rendre à la Nouvelle-Orléans, mais criblé de bles- sures.

Périer, gouverneur de la Louisiane, ne s'était pas assez défié de ces tribus sauvages du Mississipi, autrefois amies des PVançais -^, mais les plus traîtres de tous les sauvages de l'Amérique du Nord, sans excepter même les Iroquois. Il ne s'était pas assez défié des Anglais, qui les soudoyaient et s'en servaient pour couper les communications entre la Louisiane et le Canada, et continuer leurs établissements commencés à la Belle-Rivière.

M. de Bienville, qui succède à Périer, ouvre les yeux, et se décide à entreprendre une expédition contre les Chica- chas ^^, nation très hostile aux Français et alliée aux An- glais. Il écrit au gouverneur des Illinois, M. d'Artaguette, de venir le rejoindre avec un détachement de miliciens et de sauvages aussi nombreux que possible. Le coup est fixé pour le 10 mai 1736. Malheureusement l'entente entre les deux chefs n'a pas été parfaite, les deux corps n'ont pu se rejoindre. Les Chicachas, guidés par les

'S^. Rapport. ..pour 1Ç05, p. 449.

29. Ihid., p. 443, Mémoire du sieur de Mandeville, 1709.

30. Ces sauvages étaient fixés à 80 lieues au nord des Natchez, un peu au nord des Yasous, à peu près à l'endroit s'étaient rendus Joliet et Marquette en 1673.

sous M^^ DE PONTBRIAND 317

ÂDglais, se sont fortifiés dans leurs retrancliements ; ils attendent de pied ferme les Français. Deux assauts livrés le même jour sont vigoureusement repoussés. Bienville ne croyant pas avoir besoin de son artillerie, l'a laissée à sept lieues de ; il n'a plus le temps de la faire venir, car les sauvages des autres bourgs accourent nombreux au secours du grand village. Bienville ordonne la retraite et reprend honteux et attiisté le chemin de la Mobile.

M. d'Artaguette arrive quelques jours plus tard, et ap- prend l'échec de Bienville. A son tour, il essaie de s'em- parer du grand village des Chicachas. Un premier fort est enlevé d'emblée, puis un second ; à l'assaut du trois- ième, il est blessé, et tombe. Découragés, les sauvages alliés prennent la fuite précipitamment, à l'exception des Iroquois, qui font des prodiges de valeur. Avec eux, les officiers tiennent tête à l'ennemi, jusqu'au moment où, débordés, succombant sous le nombre, force fut de songer, eux aussi, à la retraite.

La plupart des Français et des Iroquois parviennent à se dégager et se retirent en bon ordre sous la conduite de Voisin, soldat de seize ans, qui s'improvise officier, et dirige la retraite avec le sang froid et l'expérience d'un vieux capitaine. Poursuivi par les Chicachas pendant vingt cinq lieues, il les tient en respect et fait parcourir à ses hommes, électrisés par son exemple, quarante-cinq lieues, sans vivres et emportant les blessés.

A l'assaut du troisième fort, quelques miliciens et les trois frères Drouet de Richarville, officiers distingués, avaient trouvé une mort glorieuse. MM. d'Artaguette, de Vincennes, de Coulange, le quatrième des frères Drouet, du Tisné, d'Esgly, de Saint-Ange, de Tonti, et quinze à seize soldats sont faits prisonniers et conduits sur un monti- cule au milieu du bourg. Là, dépouillés d'abord de leurs vêtements, insultés et cruellement flagellés, ils sont ensuite

3i8 l'église du canada

jetés sur deux bûchers, ils expirent clans les plus atroces souffrances.

(( Avec ces héros, écrit le P. de Rochemonteix, mourait des mêmes tortures le Jésuite Antoine Sénat. . . Au mois de mai 1736, il assistait les Français et les Sauvages à l'assaut du village des Chicachas. Il aurait pu s'enfuir avec Voisin et ses compagnons: on le lui conseilla, on lui offrit même un cheval ; mais il refusa, son devoir étant d'être avec les Français que les ennemis venaient de faire prisonniers. Il fut pris avec eux. Avec eux il marcha au lieu du supplice ; avec eux il subit les derniers outrages et la bastonnade. C'est le rêve de son cœur d'apôtre qui se réalise. Il entend la confession de ses compagnons, il les absout et les exhorte à offrir à Dieu avec courage et en vrais martyrs le sacrifice de leur vie. Avant de monter sur le bûcher, tous se mettent à genoux, ils prient, puis ils entonnent d'une voix ferme des psaumes et des cantiques et les continuent au milieu des flammes. Plus tard, en racontant cette scène de martyrs, les Sauvages disaient que ces Français chantaient pour aller en haut ; et en les voyant mourir, ils faisaient leur éloge par ces simples paroles : (( Vraiment ces Français ne sont pas des femmes, mais des hommes ! »

Qui ne se rappellerait, en lisant le supplice du P. Sénat 31 et de ses compagnons, nos anciens martyrs, les apôtres de la nation Huronne, les Pères Daniel, de Brébeuf et lyalemant?

Bienville essaya quelques années plus tard de réparer son expédition manquée de 1736. Il se rendit de nouveau au pays des Chicachas, et obtint quelques succès sur ces sauvages, qui lui demandèrent la paix. Il ne sut pas la

31. Le P. Sénat était à Auch en 1699. Il appartenait à la province de Toulouse. Un de ses supérieurs écrivait de lui au général des Jé- suites: " Magnus in omnibus, il est grand en tout."

sous M»' DE PONTBRIAND 319

leur refuser et retourna avec son petit bonheur à la Nou- velle-Orléans.

Cette paix lui fut vivement reprochée, et il se la repro- cha lui-même. Evidemment, cet homme autrefois si actif, si courageux, avait vieilli de toutes manières.

Découragé de tous les insuccès de sa troisième adminis- tration, M. de Bienville donna en 1741 sa démission comme gouverneur de la Louisiane, et fut remplacé par M. de Vaudreuil.

Celui-ci fut dix ans gouverneur de la Louisiane. Il eut pour successeur, en 1753, M. de Kerlerec, qui fut le dernier gouverneur de la Louisiane française.

*

Nous avons vu combien M^^ de Pontbriand appréciait M. de Vaudreuil comme gouverneur ; il avait d'autant plus à s'en féliciter, que celui-ci approuvait complètement sa conduite et ses arrangements par rapport aux Jésuites et aux Capucins. M. de Vaudreuil aurait-il réussi à main- tenir la paix entre les deux ordres religieux, s'il fût resté gouverneur de la Nouvelle-Orléans ? La chose n'est guère probable :

« Ces bons Capucins, à ce que me mande M. de Vau- dreuil, écrivait l'abbé de l'Ile-Dieu, ont toujours sur le cœur la privation de leur ancienne juridiction. Il est bien fâcheux d'être humble par état, et vain par senti- ment. » Et il ajoutait : « Je suis averti par M. de Vau- dreuil qu'il y a deux sujets qu'il faut absolument retirer ^^. »

Le P. de Rambervilliers étant mort, ses successeurs, le P. Dagobert, d'abord, puis ensuite le P. de Rauquemont ne tardèrent pas à réclamer le grand vicariat dont avaient

32. Lettre à Mgr de Pontbriand, 26 avril 1752,

320 L^éGLISE DU CANADA

joui autrefois les Capucins. L'abbé de l'Ile-Dieu et l'Evêque de Québec restant sourds à leurs plaintes, les Capucins soumirent leurs prétentions au Conseil Supérieur de la Nouvelle-Orléans, qui leur donna tort. Ils en- voyèrent des mémoires à la Cour, et ne furent pas plus heureux. Leur Supérieur avait autrefois, du temps de M^*" de Mornay, interdit les Jésuites : par un singulier retour des choses d'ici-bas, ils virent un jour M^'^ de Pont- briand interdire deux de leurs Pères :

<( J'espère, écrivait le Prélat à l'abbé de l'Ile-Dieu, que la Cour me soutiendra et viendra à l'appui de l'interdit que j'ai prononcé contre deux Capucins de la colonie, les plus mutins et les plus révoltés contre l'autorité légitime de l'Ordinaire ^^. »

L'affaire du grand vicariat de la Louisiane, à la demande de M^'' de Pontbriand lui-même, alla à Rome, elle traîna en longueur. Rien n'était encore décidé lorsque l'Evêque mourut en 1760: le Supérieur des Jésuites était encore son seul grand vicaire à la Louisiane, et il resta grand vicaire jusqu'à la suppression de la Compagnie de Jésus en

Les Capucins prétendaient qu'ils tenaient leur juridiction immédiatement du Saint-Siège, et qu'ils n'avaient pas besoin de celle de l'Evêque de Québec, ni de celle de l'abbé de l'Ile-Dieu, ni de celle du grand vicaire Jésuite de la Nou- velle Orléans. Pour maintenir son autorité, M^^ de Pont- briand demandait à la Cour d'obtenir du Pape un rescrit, qui soumît les Capucins à l'autorité de l'Ordinaire et à la juridiction de son grand vicaire, quand même ils en auraient obtenu une immédiatement du Saint-Siège, » ce qui n'est pas, disait-il, et n'a jamais été qu'une simple

33. Corresp. générale, vol. 102, lettre de Mgr de Pontbriand à l'abbé de l'Ile-Dieu, 30 octobre 1757.

sous M^ DE PONTBRIAND 32 1

allégation vague et sans fondement, ni mérite, ni vrai- semblance ^. »

Du reste, M^^ de Pontbriand et son grand vicaire à Paris, l'abbé de l'Ile-Dieu, n'avaient pas que des actes d'insubor- dination à reprocher aux Capucins :

(( J'en suis on ne peut plus mécontent, écrit celui-ci à l'Evêque le 29 mars 1754, au point d'avoir été obligé de demander cette année deux commissaires au Provincial de Champagne pour examiner les plaintes qui m'avaient été portées, et qui même, malgré moi, sont parvenues à la Cour.

« Les deux commissaires ont été envoyés à Paris, et sont convenus de l'importance et de la grièveté des faits, et par conséquent de la nécessité urgente d'y remédier. . .

« Le pauvre Père Beaudouin, grand vicaire '^ a les meil- leures intentions du monde ; mais la juridiction lui pèse, et les abus qu'il voit l'affligent, sans avoir assez de force pour y remédier ...»

L'abbé de l'Ile-Dieu écrivait encore à l'Evêque l'année suivante :

« Je suis content de la mission des Jésuites. Le Supé- rieur, qui réside à la Nouvelle-Orléans avec deux autres pour avoir soin des Ursulines et de l'Hôpital des troupes du Roi, est un excellent sujet. . .

«f Je voudrais bien pouvoir vous en dire autant des Capu- cins, dans tous les postes qu'ils occupent depuis la Nou- velle-Orléans, qu'ils desservent, jusqu'à la Mobile. Mais ils ne sont pas même unis entre eux, et chacun tire de son côté, sans correspondance ni subordination vis-à-vis de leur Supérieur. . . C'est une pitié que des Conventuels émancipés de la règle commune, surtout quand ils sont obligés de vivre seul dans des postes particuliers. Mais

34. Lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu au ministre, 30 octobre 1757.

35. Il avait succédé au P. de Vitry.

21

332 l'Église du canada

que faire, et comment les remplacer, si on venait à être forcé de s'en défaire?. . . »

On ne peut douter que le clergé séculier et régulier, dans certaines parties de la France surtout, à cette époque heureusement lointaine, se ressentait du refroidissement de l'esprit religieux frigescente mundo que l'on remar- quait alors dans notre ancienne mère patrie, et qui faisait dire à l'abbé de l'Ile-Dieu : « Il y a aujourd'hui dans tous les corps une espèce d'esprit de vertige. » Puis, entrete- nant M^^ de Pontbriand de l'affaire des « Billets de confes- sion », et l'immixtion des Parlements dans les questions ecclésiastiques :

« Voilà nous en sommes, disait-il ; il n'y a presque plus de religion dans le monde, et on n'en a jamais tant parlé. »

Il ajoutait encore l'année suivante :

« Nous sommes dans un temps la religion est comptée pour fort peu de chose. Dieu veuille la protéger et sou- tenir son Eglise! Ses promesses sont infaillibles contre les portes de l'enfer : serait-il possible qu'elles nous man- quassent contre les puissances de la terre? Non, mais nous manquons à ces mêmes promesses, et nous nous exposons à voir la Foi sortir de notre sein. . .

« Le seul parti, ajoutait-il encore, que tous bons citoyens et tous chrétiens aient à prendre, c'est de prier pour la paix de l'Etat et le maintien de la Religion, qui s'en va grand train. ^^ »

* *

Bougainville parlant de la Louisiane en 1757 : « La Louisiane disait-il, est encore dans l'enfance. Il peut y avoir trois à quatre mille blancs, quatre mille

36, Lettres du 22 avril 1752, 3 mars 1753, 29 mars 1754, 25 mars 1755.

sous M^ DE PONTBRIAND 323

nègres, quarante compagnies détachées de la marine, faisant deux mille hommes, trois cents Suisses du Régiment de Dalville. Il y a deux villes sans fortifications, la Nou- velle-Orléans, belle, des rues alignées, une grande place sur deux corps de casernes, la Mobile, petite ville comme les Trois-Rivières du Canada ; quatre bourgs: les Illinois, les Alibamons, Natchitoche, la Pointe-Coupée. »

D'après le P. de Rochemonteix, lors du Traité de Paris (10 février 1763), cette vaste contrée de la Louisiane a con- tenait environ treize mille habitants, dont quatre à cinq mille de couleur.

(c Les Capucins, ajoute-til, avaient perdu plusieurs des paroisses M. Périer les avait établis, à savoir, celles de la Balize, des Natchez, des Chapitoulas et des Apalaches. Il leur restait encore, à l'époque du Traité de Paris, la Nouvelle-Orléans, les Allemands, la Pointe-Coupée, les Natchitoches, et la Mobile. . . Les Jésuites, en dehors et loin de la Nouvelle-Orléans, dirigeaient les missions des Chactas, des Alibamons, des Arkansas et des Illinois. Cette dernière, la plus importante de toutes, comprenait plusieurs familles ou tribus sauvages, indépendantes les unes des autres.

(( Les peuplades indiennes de la Louisiane, ajoute encore le même auteur, se montrèrent plus rebelles à la voix du missionnaire que celles du Canada ; car, de fait, à l'excep- tion des Tamarois et des Kaskaskias, aucune nation n'em- brassa la foi ou n'y persévéra. Le seul résultat pratique des laborieux efforts des apôtres de l'Evangile, et ce résul- tat était sans doute considérable, fut de soustraire les tri- bus évangélisées à l'influence anglaise et de les attacher à la France. »

CHAPITRE XXV

COUP d'cëil sur les missions lointaines de l'église

DE QUÉBEC : IL LES MISSIONS ILLINOISES ;

LES TAMAROIS ; DÉTROIT ; MICHILLI-

MAKINAC

Au fort de Chartres. Au fort Saint- Ange. Aux Tamarois: MM. Mercier, Laurent, Forget-Duverger. Au Détroit. Lamothe- Cadillac. Le P. de la Richardie. Le P. Potier. Les Récollets , au Détroit. Le prétendu voyage de Mgr de Pontbriand au Dé- troit. — A Michillimakinac. Charles Langlade. Le P. du Jaunay. Les voyages de la Vérendrye. Le premier martyr du Nord-Ouest Canadien.

EN reinontant la vallée du Mississipi, à partir du pays des Chicachas, ces terribles ennemis des Français, pays qui fut le théâtre de la mort glorieuse du P. Sénat et de ses compagnons, on arrive aux missions Illinoises, les plus importantes de la juridiction des Jésuites de la Loui- siane. Outre un grand nombre de villages sauvages, il y avait plusieurs bourgs français, dont le principal était le fort de Chartres, sur la rive gauche du Mississipi, avec Sainte-Geneviève, en face, de l'autre côté de la rivière. Ce poste, commandait en 1752 M. de Villiers, frère de Jumonville \ fut desservi successivement par les Pères Tartarin, Vatrin et Aubert. On y comptait plus de quatre cents Français, avec autant de sauvages Kaskaskias, et aussi un bon nombre de nègres. Il y avait au fort de

I. Voyage au Canada de 1751 à 1761 par J. C. B., p. 104.

l'église du canada sous m^"* de pontbriand 325

Chartres une belle église de cent quatre pieds de longueur sur quarante-quatre de largeur.

Le P. Vivier desservait un grand village de Kaskaskias à quelque distance du fort de Chartres ; puis, à soixante- dix lieues du même fort, à Pendroit POuabache se jette dans l'Ohio, était la paroisse du fort Saint- Ange, desservie par le P. Meurin. Ce fort était habité par des Français et entouré de Miamis. Un peu plus loin était le fort Vin- cennes, desservi aussi par un Père Jésuite '^.

La mission des Tamarois était un peu au nord du fort de Chartres. On lit dans un mémoire conservé à la Propa- gande: «MM. du Séminaire des Missions-Etrangères ont toujours gouverné et administré cette mission. Ils y possè- dent une concession ou seigneurie en franc-alleu de quatre lieues en quarré le long du fleuve du Mississipi dans un lieu appelé la Sainte-Famille. C'est un grand vicaire de M^ l'Evêque de Québec qui y exerce la juridiction ecclé- siastique en son nom 3. » Ce grand vicaire n'était autre que le Supérieur de la mission ; et c'était, dans la première partie de l'épiscopat de M^'* de Pontbriand, M. Mercier, un bon Canadien, qui vint mourir à l'Hôtel-Dieu de Québec en 1752. L'abbé de l'Ile-Dieu, qui l'appelait «un très grand sujet «, écrivait à la Cour en 1746 :

(( M. Mercier, qui est supérieur de la mission des Tama- rois, desservie par les prêtres séculiers que fournit le Sémi- naire des Missions-Etrangères, se plaint toujours amère- ment de la grande quantité d'eau-de-vie que les F'rançais, tant voyageurs que marchands, répandent parmi les sau- vages et les nations domiciliées, qui sont toujours prêtes à

2. "Chez les Illinois, en 1746: les Pères de Guyenne, Vatrin, Meurin, et le Frère Magendie; en 1749: les Pères de Guyenne, Fourré, Vivier, Vatrin, Meurin, et le Frère Magendie. " (Archives du Collège Sainte- Marie, Catalogue des Pères de la Société de Jésus).

3. Cité dans les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIIe siècle, t. ï, p. 389.

3«6 I^'ÉGUSE DU CANADA

se révolter et à s^égorger mutuellement, par Pusage et Pexcès de cette malheureuse boisson. Ce bon mission- naire ne cesse de demander qu'on veuille bien y mettre ordre *. »

On ne peut douter que cette traite de l'eau-de-vie n'ait été la principale cause de la ruine des Tamarois, ou Kao- kias, l'une des tribus sauvages, de tout le Mississipi, les plus sympathiques aux Français, la principale cause de la ruine de cette mission sauvage qu'avait eu si fort à cœur d'établir M^^ de Laval.

Outre la mission sauvage, il y avait quatre villages français, formant deux paroisses, Sainte-Anne et Sainte- Famille de Kaokias, desservis également par les MM. des Missions-Etrangères. Ces prêtres furent toujours en excellents termes avec les Pères Jésuites :

« On ne peut rien imaginer de plus aimable pour le caractère, ni de plus édifiant pour la conduite, écrivait le P. Vivier en 1750. Nous vivons avec eux comme si nous étions membres d'un même corps. »

L'administration des paroisses françaises, aux Tamarois, comme dans toute la Louisiane, se faisait comme en France : messe et vêpres le dimanche, et prédication, caté- chisme des enfants, préparation à la première communion.

(( Dieu veuille que les Missions-Etrangères prennent enfin .^oin de cette mission ! écrivait Pabbé de Plie-Dieu en ^753- Il y ^ plus de seize ans qu'on n'y a entendu parler d'eux!)) Il ajoutait quelques semaines plus tard: «M. Laurent m'écrit cette année, et me demande de lui faire l'emplette de quelques ornements pour son église, en me mandant qu'il n'écrit point à ses supérieurs de Paris, parce qu'il n'a jamais pu en avoir de nouvelles depuis plus de seize ans qu'il l'ont envoyé dans cette mission. D'un autre

4. Corresp. générale, vol. 87, lettre au ministre, 26 février 1746.

sous M^ DE PONTBRIAND 327

côté, ces messieurs me disent qu'ils leurs écrivent tous les ans, et qu'ils leur envoient tout ce qu'ils leur demandent. Qui croire? Il faut qu'il y ait du mécompte de part ou d'autre. Tout ce que je crois qu'il y a de vrai, et ce qu'on me mande du voisinage de cette mission, c'est qu'elle est fort négligée, et qu'elle ne consiste presque plus qu'à un très petit nombre de familles françaises, et que tous les sauvages s'en sont détachés soit pour le libertinage les plonge l'excès de l'eau-de-vie qu'on leur vend, ou parce qu'on ne les suit pas lorsqu'ils vont hiverner dans les bois pour leur pêche ou pour leur chasse.

« Il me paraît cependant que cette mission est ou doit être assez bien pour le temporel, puisque les emplettes que M. Laurent me propose de lui faire et pour lesquelles il offre d'envoyer des lettres de change, monteraient à près de deux mille francs.

(( J'ai proposé à MM. les Directeurs de cette maison de s'en charger. Ils ont refusé ^ »

Il est probable que le Séminaire de Paris voulait se décharger du soin de cette mission sur le Séminaire de Québec, qui l'avait fondée du temps de M^^ de Laval :

« Comme c'est le Séminaire de Québec qui est chargé de cette mission, écrit encore l'abbé de l'Ile-Dieu à M^^ de Pontbriand, vous êtes à portée d'en parler à MM. les Supé- rieur et Directeurs de votre Séminaire, afin qu'ils songent non seulement à remplacer M. Mercier, mais à augmenter le nombre de sujets dans cette mission, car c'est faute d'y en avoir envoyé pendant quatorze ou quinze ans que cette mission a dépéri, qu'elle est réduite actuellement à une poignée de Français, et qu'enfin les nations sauvages s'en sont détachées, quoique ce soit le principal objet de cette mission ^. . . »

5. Lettres du 3 mars et de mai 1753.

6. Lettre du 29 mars 1754.

328 L'éGUSE DU CANADA

Mais le Séminaire de Québec pouvait-il donner ce qu41 n'avait pas ? Il dépendait lui-même de celui de Paris, pour le recrutement de ses prêtres ; à plus forte raison, la mission des Tamarois.

Du reste, l'année même que l'abbé de l'Ile-Dieu écrivait la lettre que nous venons de citer, les Missions-Etrangères envoyaient un missionnaire aux Tamarois, M. Forget- Duverger, pour assister M. Laurent. Celui-ci mourut le premier janvier 1759 ^.

A la Conquête, il n'y avait plus aux Tamarois que Forget-Duverger. Affolé par cette nouvelle, non moins que par la mort de son unique confrère, M. Laurent, laissé à lui-même, sans conseil, sans réflexion suffisante, et sur- tout sans autorisation, il vendit pour une somme insigni- fiante, paraît-il, les propriétés du Séminaire, qui auraient aujourd'hui tant de valeur. Ces propriétés se trouvent dans le diocèse actuel d'Alton.

* *

Toutes les missions Illinoises, dont nous avons parlé plus haut, dépendaient du grand vicaire Jésuite de la Nou- velle-Orléans. Plus loin, commençait la juridiction du Su- périeur de Michillimakinac. Elle s'étendait sur tous les postes français et toutes les missions sauvages autour du lac Michigan, et comprenait même tous les postes établis, depuis les découvertes de La Vérendrye, jusqu'aux Monta- gnes Rocheuses. Le grand vicaire de Michillimakinac envoyait, au nom de l'Evêque de Québec, des mission- naires partout il y en avait besoin dans cet immense territoire ; mais il y en avait un qui résidait dans chacun

7. Tanguay, A travers les Registres, p. 168.

SCUS M'^ DE PONTBRIAND 32^

des trois postes suivants : la Baie Verte, la Rivière Saint- Joseph, et Détroit ^.

De ces trois postes, le plus important était Détroit, fondé en 1701 par Lamôthe-Cadillac. Cet homme entreprenant avait décidé cent Canadiens à aller s'y établir avec lui : un Père Récollet les accompagnait :

(( Les colons furent enchantés de la beauté du pays et de la douceur du climat, écrit Garneau. En effet, la nature s*est plu à déployer toutes ses magnificences dans cette contrée délicieuse. Un terrain légèrement ondulé, des prairies verdoyantes, des forêts de chênes, d'érables, de platanes et d'acacias, des rivières d'une limpidité admirable, au milieu desquelles les îles semblent avoir été placées comme par la main de l'art pour charmer les yeux, tel est le tableau qui s'offrit à leur vue. lorsqu'ils s'avancèrent dans ces lieux. »

« Le Détroit, écrit un Père Jésuite, est le plus beau pays du Canada. Il n'y a presque point d'hiver. Toutes sortes de fruits y viennent aussi bons qu'en France. On pense à y bâtir une ville ^ . . , »

Lamothe-Cadillac avait beaucoup de qualités, mais aussi un grand défaut, ou plutôt une maladie invétérée : l'horreur des Jésuites :

« Je suis surpris, lui écrivait un jour le ministre, qu'ayant autant d'esprit que vous en avez, vous ne prévoyez pas les mauvaises conséquences de vos préventions, et du peu de ménagement que vous gardez avec tout le monde, spéciale- ment avec les Jésuites ^^. »

Il poussait tout à outrance. Dans son désir de voirpro-

8. En 1746 et 1749, nous trouvons le P. de la Morinie aux Miamis (Rivière Saint-Joseph), et le P. du Jaunay à Michillimakinac, Arbre- Croche, et Harbour Springs. (Archiv. du Collège Sainte-Marie, Cata- logue).

9. Lettre du P. Nau, 2 octobre 1735.

10. Richard, Rapport. . . pour 1904, p. 414.

330 l'éguse du canada

gresser rapidement sa colonie, il voulait faire monter cinq à six cents Canadiens au Détroit :

K Avez-vous envie de dégarnir le Canada au profit de Détroit, ajoutait le ministre? Ne voyez-vous pas que votre proposition est absurde? Celle d'unir les lacs Erié et Ontario ne l'est pas moins: et dans quel but?»

Il avait réussi à faire descendre au Détroit un parti assez considérable de Hurons, qui étaient au nord du lac Supé- rieur : un autre parti alla se fixer à Michillimakinac. Ces Hurons, comme ceux de Lorette, étaient les descendants de ceux qui avaient survécu à la destruction de leur nation par les Iroquois en 1649. C)n envoya à ceux de Détroit un bon missionnaire jésuite, Vincent de Gueslis. Eh bien, Lamothe-Cadillac lui fit tant de misères et suscita tant d'obstacles au succès de son ministère, qu'il fut obligé de déguerpir ^^ Les Hurons, laissés à eux-mêmes, sans pas- teur, sans guide dans les voies du salut, perdirent bientôt le peu de foi qu'ils avaient, et abandonnèrent toute pra- tique religieuse. Il y avait bien les Récollets qui desser- vaient le Fort et la paroisse française, mais ils ne se croyaient pas sans doute autorisés à s'occuper des sau- vages; ils auraient craint, eu le faisant, d'outrepasser leurs pouvoirs, La mission huronne resta sans pasteur jusqu'en 1728. M. de Beauharnais écrivait à cette date au mi- nistre :

« Les révérends Pères Jésuites ont envoyé un mission- naire aux Hurons du Détroit ; il paraît très propre pour conduire cette mission et ménager la fierté de cette nation. »

II. D'après l'abbé le Maire, un des prêtres des Missions-Etrangères qui desservirent la Nouvelle-Orléans, à son berceau, Lamothe-Cadillac, qui y commandait à cette époque, était " un homme sans foi, sans reli- gion, sans honneur et sans conscience, capable d'inventer et de publier les plus noires calomnies contre ceux qui n'entraient pas dans ses pas- sions". (François le Maire, Mémoire inédit sur la Louisiane, 1717, p. 17).

sous M^"^ DE PONTBRIAND 33I

Ce missionnaire n'était autre que le P. de la Richardie, dont nous avons déjà parlé dans un chapitre précédent. A force de zèle et de persévérance, il réussit à réveiller la foi chez tous ces Hurons, et à en faire des chrétiens pra- tiquants. « Il ne reste pas un seul infidèle dans toute la mission », écrivait-il à son Général en 1741, l'année même que M»"" de Pontbriand arrivait au Canada. Eh bien, l'on sait ce qui arriva deux ans plus tard : ce missionnaire, que M. de Beauharnais avait proclamé comme « très propre à conduire la mission huronne », il le fait remplacer en 1743 par un autre Jésuite, un infirme, un malade, le P. de Gonnor, qui, à peine rendu à Détroit, se voit obligé de redescendre à Québec.

Et pourquoi ce changement? Parce que le P. de la Richardie s'est opposé à un ordre du gouverneur, qui, on ne sait pourquoi, voulait faire descendre les Hurons et les établir du côté de Montréal !

« Le missionnaire, écrit le P. de Rochemonteix, redoutait pour ses néophytes le voisinage de Montréal. S'il avait cédé, il eût compromis gravement l'avenir religieux de sa mission ^^. »

Il resta avec ses Hurons du Détroit, après le départ du P. de Gonr^or, jusqu'à l'arrivée de son successeur, le P. Potier, en 1646.

La Providence ménageait au P. de la Richardie un re- tour de faveur absolument analogue à celui qu'elle avait accordé au P. Tournois. Voilà en effet que les choses se compliquent au Détroit, oii commande M. de Longueil. Quelques Hurons de Sandoské ^^ viennent de tuer cinq Français qui ont pillé leurs pelleteries; et de concert avec un bon nombre d'Iroquois et d'autres sauvages, ils forment

12. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XV III e siècle, t. II, p .59.

13. Petit village au sud du lac Erié.

332 L'éGLISE DU CANADA

le complot d'enlever le commandant de Détroit, ainsi que le P. Potier, de massacrer tous les Français, de s'emparer du Fort et de mettre tout à feu et à sang.

Le complot, heureusement, est découvert ; la colonie française du Détroit, frappée de terreur, se réfugie dans le Fort ; on attend les événements.

Les Hurons de la mission sont désolés à la vue de ce qui se prépare. Ils tiennent conseil et déclarent au gouverneur qu'ils ne voient pas de moyen plus sûr pour ramener la paix et tout réconcilier, que de faire remonter le P. de la Richar- die au Détroit. On lui mande donc de revenir en toute hâte. Il part de Québec avec M. de Belestre le 23 août et arrive à Détroit le 20 octobre ^*. Les Hurons, toujours prêts à déménager, se sont retirés quelque temps aupara- vant à l'Ile-aux-Bois-Blancs. Ils reviennent à Détroit. De concert avec le P. Potier, le P. de la Richardie leur choisit un emplacement de l'autre côté de la rivière, à l'endroit est aujourd'hui la ville de Sandwich, et y fonde la paroisse huronne de l'Assomption.

Il visite ensuite les rebelles de Sandoské, les ramène au devoir, quitte de nouveau le Détroit et rentre à Québec au mois d'août 1751.

Le P. Potier, resté seul, s'occupe activement de sa mission, la maintient dans la pratique des devoirs religieux, et durant les trente ans qu'il la gouverne en fait une paroisse modèle ^^

Il mourut à Sandwich le 16 juillet 1781.

* * En jetant un coup d'œil sur un plan de Détroit et des

14. Remarquons: deux mois de voyage pour aller de Québec à Dé- troit, et cela dans la plus belle saison de l'année.

15. Le P. Potier avait avec lui, " comme vicaire " le P. de Salleneuve, et aussi le Frère Pierre Gournay dit La Tour. (Catalogue).

sous M^^ DE PONTBRIAND 333

environs, tels qu'ils étaient à l'époque qui nous occupe, on aperçoit d'abord le Fort, avec sa ceinture de palissade, renfermant une centaine de petites maisons pressées les unes sur les autres, séparées par des rues très étroites, avec un chemin de ronde un peu plus large entre le groupe des maisons et la palissade. De chaque côté de la rivière, sur une longueur de sept à huit milles, une rangée de blanches maisonnettes, ayant chacune son petit jardin, son verger et sa clôture qui l'isole de ses voisines : ce sont les rési- dences de nos anciens Canadiens, les Baby, les Campeau, les Cuillerier-Beaubien, les Bisaillon, les Pelletier, les La Ferté, les Roy, les Parent et tant d'autres, qui créèrent ce pays, et lui imprimèrent ce cachet français, qui dure encore, et qu'il saura conserver, espérons-le, malgré tous les obstacles. A chaque extrémité de la rangée des maisons canadiennes, du côté gauche de la rivière, au nord, le village des Outaouais, réside Pontiac, cet homme de génie, qui, après la conquête, donnera aux Anglais des preuves terribles de l'attachement de sa nation à la France, au sud, le village des Hurons, et vis-à-vis, de l'autre côté de la rivière, celui des Poutéatomis.

Iv'église des Français, dédiée à sainte Anne, est à l'inté- rieur du Fort ; et c'est aussi que réside le bon Père Récollet qui la dessert.

(( Sa maison était agréable et commode, dit le P. Crespel, qui visita son confrère en 1730; c'était pour ainsi dire son ouvrage et le séjour de la vertu.

<( Il partageait le temps qui n'était pas rempli par les devoirs de sa charge, entre l'étude et les occupations de la campagne. Il avait quelques livres, et le choix qu'il en avait fait donnait une idée de la pureté de ses mœurs et de l'étendue de ses connaissances. La langue du pays lui était assez familière, et la facilité avec laquelle il la parlait le rendait cher à plusieurs sauvages, qui lui coramuni-

334 l'église du canada

quaient leurs réflexions sur toute sorte de sujets, et princi- palement sur la religion. L'affabilité attire la confiance, et personne n'en méritait plus que ce religieux.

(( Il avait poussé la complaisance envers quelques habi- tants du Détroit jusqu'à leur apprendre la langue française. Parmi ceux-là j'en ai vu plusieurs dont le sens droit et le jugement solide et profond auraient fait des hommes admi- rables, même en France, si leur esprit avait été cultivé par l'étude. Pendant tout le temps que je restai chez ce religieux, je trouvais tous les jours de nouvelles raisons d'envier un sort pareil au sien ^\ »

Le premier desservant de Détroit, celui qui accompa- gnait Lamothe-Cadillac lors de la fondation de la ville, était le Père Constantin de L'Halle. Il fut tué en 1706 par les Outaouais, qui poursuivaient les Miamis, au mo- ment où ceux-ci allaient avec lui se réfugier dans le Fort. Il était, dit un document conservé aux archives de Détroit, « dans l'exercice des fonctions de son ministère ».

Les Pères Récollets qui desservaient l'église de Détroit du temps de jNI^'' de Pontbriand furent, successivement, le P. Bonaventure Lionnard ^^, le P. Bonaventure Carpentier et le P. Simple Bocquet. C'est ce dernier qui fit, au prin- temps de 1755, le 16 mars, la bénédiction de la nouvelle église destinée à remplacer la première chapelle ^^. Il en

16. Voyages du R. P. Emmanuel Crespel dans le Canada, édition de 1884, p. 23.

17. C'est ainsi que le P. Bocquet écrit son nom.

18. On a prétendu, mais sans référer à aucune source, que Mgr de Pontbriand était allé au Détroit faire lui-même cette bénédiction, et qu'il y demeura " quelques semaines à exercer son fructueux ministère ". {Les Evêques de Québec, p. 234).

Pour savoir à quoi nous en tenir d'une rnanière certaine sur ce préten- du voyage de Mgr de Pontbriand à Détroit en 1755, qui nous paraissait impossible, nous avons écrit au curé français de Sainte-Anne de Détroit, et n'en ayant pas eu de réponse, nous nous sommes adressé à un ex- cellent érudit de cette ville, M. Burton, qui nous a répondu de la ma- nière la plus obligeante : " J'ai dans ma bibliothèque une copie de toutes les archives de l'église Sainte- Anne; je les ai parcourues avec soin, et

sous M^ DK PONTBRIAND

335

avait obtenu la permission de M«^ de Pontbriand, et celle de bénir le nouveau cimetière. Cette bénédiction du nou- veau cimetière eut lieu le i8 mai, jour de la Pentecôte; puis le 25 juin, en vertu d'une délibération de la Fabrique en date du 29 décembre 1754, on exhuma tous les corps et ossements que l'on put trouver dans l'ancien cimetière, et on les inhuma dans le nouveau ; le bon Père Bocquet célé- bra ensuite pour ces défunts un service solennel.

Le 3 juillet suivant, eut lieu la translation solennelle dans la nouvelle église des restes mortels de tous ceux qui avaient été inhumés dans la vieille chapelle, y compris ceux du « vénérable Père Constantin de L'Halle ». C'était, pour ce bon missionnaire, la deuxième translation, et ce ne devait pas être la dernière, comme nous le verrons tout- à-l'heure. Il avait d'abord été inhumé dans le cimetière, puis transféré dans la chapelle, « sous les marches de l'autel, par le P. Bonaventure Lionnard » ; et voici ce qu'écrit le P. Bocquet dans l'acte de la nouvelle translation de ses restes mortels :

je ne crois pas que Mgr de Pontbriand soit jamais venu au Détroit.'* Puis il ajoute: " Gilmary Shea et Elliot, qui mentionnent ce voyage, n'ont fait que reproduire l'affirmation de Farmer, dans son Histoire du Détroit. Or Farmer ne savait pas un mot de français. Il a évidemment mal compris les deux actes que je vous envoie, sur lesquels seuls il a pu fonder son assertion que l'Evêque était au Détroit en 1755." Ces deux actes sont ceux que nous mentionnons ici, dans lesquels le P. Bocquet fait lui-même mention de la permission qu'il a eue de Mgr de Pont- briand de bénir l'église et le cimetière de Détroit.

Et voilà comnemt des assertions que l'on accepte sans preuve, sans référence aux archives, deviennent des " faits authentiques ", comme celui du prétendu voyage de Mgr de Pontbriand au Détroit, qui tigure dans les Cardinal Facts of Canadian History de Taylor, p. 62 : " 1755, march 16, Bishop Pontbriand visited Détroit".

Nous pouvons ajouter que, dans un article intitulé Sandwich, The origin of the Diocèse of London, Mlle Margaret Claire Kilroy dit ex- pressément que la première visite épiscopale qui eut lieu dans cette région fut celle de Mgr Denaut en 1801. {The Catholic Home Maga- zine,-p. ZA)-

Ajoutons encore que dans une liste des "Pères Récollets" qui des- servirent la mission de Détroit {Recherches historiques, XIX, p. 342), nous voyons figurer le nom du P. de la Morinie. Mais le Père de la Morinie n'était pas Récollet, il était Jésuite!

336 l'éguse du canada

« Nous les avons de nouveau déposés, dit-il, sous les marches de l'autel de la nouvelle église, en attendant que le Rond-point et allonge projetés nous permettent de lui donner une sépulture fixe et convenable à son mérite et aux miracles que plusieurs personnes dignes de foi nous ont rapporté avoir été faits par son intercession en faveur de toute la paroisse ^^. »

Le bon Père Bocquet se tenait régulièrement en rapport avec son Evêque, comme il est facile de voir par les avis et les permissions qu'il en reçoit. Nous venons de citer celles que lui accorde le pieux Prélat pour la bénédiction de l'église et du nouveau cimetière. Le 16 mars 1755, c'est-à-dire le jour même de la bénédiction de l'église, « faisant les fonctions curiales, et muni des pouvoirs de M^ de Pontbriand en date du 29 avril 1754 «, il reçoit une abjuration, en présence de M. de Muy, commandant du Fort, et de Louis Coste '^^. Homme d'ordre, ayant à cœur de bien observer la discipline de l'Eglise, il a consulté son Evêque sur quelques questions, et il en reçoit la réponse suivante :

« Il n'y a que M. le Commandant qui ait droit à un Banc (dans l'église). C'est un abus visible d'en donner à MM. les autres Officiers, et de leur rendre quelques honneurs. Les marguilliers doivent, dans la bonne règle, avoir l'en- cens et l'eau bénite devant M. le Commandant, car ces deux points sont plutôt pour le Crucifix que pour les mar- guilliers. Mais on ne leur présente la bourse, le pain bénit, les Cendres, le rameau et les cierges qu'après le Commandant ^^ »

19. Archives paroissiales de Sainte-Anne de Détroit, Pièces dont nous devons une copie authentique à l'obligeance de M. C.-M. Burton.

20. Archives d'Ottawa, Copies authentiques des Registres de l'état civil de Détroit, "abjuration de Catherine Horbine, épouse de Michel Sax".

21. Archives de l'archevêché de Québec

sous M^^ DK PONTBRIAND 337

Du reste, s'il y avait souvent parmi les Officiers de Dé- troit, — et l'on peut dire la même chose de toutes les gar- nisons, en général des personnes qui donnaient de mau- vais exemples par leur vie scandaleuse, il y en avait aussi d'un rare mérite. Nous n'en voulons donner d'autre preuve que la petite note suivante que nous trouvons dans les papiers ^^ du P. Potier. Cette note, datée du 17 août 1746, était adressée par « M. Navarre, du Détroit, au R. P. Potier, très digne prêtre de la Compagnie de Jésus, supé- rieur de la mission des Hurons à l'Ile-aux-Bois-Blancs », ces sauvages se fixèrent pendant quelque temps. Qui n'admirerait l'esprit religieux qui respire dans ces quelques lignes ?

(( M. de Longueil, écrit le digne officier, se fait une joie de vous aller voir, sitôt que les affaires de son poste seront terminées. [1 me promet de me mener avec lui . . .

« Nous avons un petit enfant bien malade, depuis six jours qu'il n'a pris aucune nourriture ; c'est notre petit garçon. Je vous prie, mon Père, de vouloir bien le recom- mander à Notre-Seigneur dans vos saints sacrifices. Je ne demande que la gloire de Dieu. »

Que nous sommes loin des diatribes anti-jésuitiques du premier commandant de Détroit, Lamothe-Cadillac !

22. Dans sa solitude de Détroit, le P. Potier se tenait au courant de tout ce qui se passait d'un peu important dans le pays, et enregistrait dans une espèce de journal les événements qui venaient à sa connais- sance. Citons-en quelques lignes pour en donner une idée: "1746, mai: le Canada ravitaillé. 2,800 Canadiens partent pour l'Acadie. Août : Degrais, (fils du Baron de Longueil) fait 53 prisonniers anglais à l'île Saint-Jean. Quai bâti à Québec pour la construction des vaisseaux; le nouveau chantier. Septembre : Coup de M. Rigaud. . . .Prend et brûle un Fort près d'Orange. Octobre: deux charpentiers tués à nie Lamotte par les Agniers. Coup de Soulanges, douze personnes prises ou tuées. Le P. Richer refuse la Supériorité. (Il était en 1746 et 1749 à la mission huronne, près Québec) (Catalogue). 30 décembre: M. de Longueil reçoit la Croix de Saint-Louis. Forts bâtis dans les Côtes du Canada, avec garnison. " (Archives du Collège Sainte-Marie, à Montréal. 22

338 l'éguse du canada

Michillimakinac, au nord du lac Michigan, était la rési- dence du Supérieur de toutes les missions de l'Ouest, y compris Détroit, la Baie Verte et la Rivière Saint- Joseph. Comme à Détroit, il y avait un Fort assez important, un commandant, une garnison, une église qui servait à la fois pour la mission sauvage et pour les Canadiens.

Que de Canadiens, en effet, dont on trouve les noms dans les premiers registres de Michillimakinac, de la Baie Verte, comme dans ceux de Détroit ! Mais entre tous il convient de mentionner ceux de Langlade, père et fils : « Augustin et Charles de Langlade, dit Parkman, ont été les premiers habitants résidants de l'Etat du Wisconsin '^^. » Charles de Langlade fut un des héros de la Monongahéla ; et, diaprés M. Tassé, l'auteur si distingué et si patriote des Canadiens de VOuest^ il y joua même, avec ses sauvages, un rôle décisif '^*. Avec ses sauvages, également, il prit part à la bataille de Montmorency, lors du siège de Québec ; et, toujours d'après le même auteur, il avait chance de remporter une partie décisive sur l'armée anglaise, si l'on avait écouté sa proposition d'envoyer au secours et à l'appui de ses sauvages le détachement de M. de Repentigny, qu'il sollicitait ^^

Langlade, sur le soir de sa vie, comptait avec fierté les quatre vingt dix neuf batailles et escarmouches auxquelles il avait pris part, dans l'intérêt de son pays, et l'un de ses regrets était de ne pouvoir compter la centième, « afin de rendre plus complète, disait-il avec un légitime orgueil, sa couronne militaire » ^^.

23. The Conspiracy of Pontiac, t. I, p. 342.

24. Les Canadiens de l'Ouest, t. I, p. 13. Voir aussi Montcalm et Lévis de l'abbé Casgrain, t. I, p. 190.

25. Les Canadiens de l'Ouest, t. I, p. 27.

26. Ibid., t. I, p. 99.

sous M^ DE PONTBRIAND 339

C'est le p. du Jaunay qui était le Supérieur de la rési- dence de Michillimakinac du temps de M^ de Pontbriand, et par conséquent son grand vicaire. Il avait toujours avec lui un ou deux de ses confrères Jésuites, et les envoyait en mission, au besoin. Le P. de la Morinie y était en 1746 et en 1749. Le P. Lefranc était de 1754 à 1756 ; c'est celui qui, en 1754, bénit le mariage de Langlade avec Marie Bourassa; c'est lui qui, également, en 1756, réhabilita le mariage d'un autre bon Canadien, Jean- Baptiste Cadot, commandant au Saut-Sainte-Marie ^l

De Michillimakinac, le P. du Jaunay allait lui-même visiter, au besoin, quelques missions, la Baie Verte, la Rivière Saint-Joseph, l'Arbre- Croche. Il était en 1742 dans cette dernière mission, et, si l'on en croit le P. de Rochemonteix, il y aurait fait venir de France une presse à imprimer : « Cette presse, dit-il, rendit de précieux ser- vices à la mission : il s'en servit pour imprimer une Bible en langue outaouaise, à l'usage des écoles, et des circulaires périodiques ou journaux » "-^.

Le P. du Jaunay demeura longtemps à Michillimakinac, plusieurs années même après la Conquête, et laissa un grand souvenir parmi les sauvages. On raconte qu'un missionnaire visitant en 1825 ^^^ missions indiennes établies sur les bords des lacs Supérieur et Michigan remarqua que le souvenir du P. du Jaunay était religieu- sement conservé parmi ces tribus :

(( Durant le voyage, dit-il, je me plaisais à m'entretenir des Jésuites avec un vieillard qui les avait connus. Il s'attachait surtout au P. du Jaunay, qui l'avait préparé au baptême, admis à la première communion, et à qui souvent il avait servi la messe. Il me fit remarquer l'endroit oii le

27. Ibid., p. 91 et 107.

28. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIIIe siècle, t. II, p. 54.

340 l'êguse du canada

Père disait ordinairement son bréviaire en se promenant ^. »

*

C'est de Michillimakinac que partit La Vérendrye, à la découverte du Nord-Ouest, avec les trois Jésuites qui l'ac- compagnèrent successivement dans ses trois voyages: le P. Messaiger ^^, en 1731, le P. Aulneau, en 1735, le P. Coquart, en 1742. C'est un volume tout entier qu'il faudrait pour les expéditions de ce grand découvreur Canadien : nous ne pouvons dans cet ouvrage, et n'avons pu, dans le volume précédent ^\ que lui consacrer quelques lignes. Il est rare de trouver dans un homme autant de courage, de persévérance et de mérites que ceux que l'on admire dans La Vérendrye : il est encore plus rare de voir tant de services récompensés par tant d'ingratitude :

« Au Canada, écrit le P. de Rochemonteix, il a pour lui le gouverneur, l'intendant, tous ceux qui s'intéressent à la grandeur et à l'expansion commerciale de la colonie. A la Cour, il ne trouve pas les mêmes sympathies. Un parti influent, composé de jaloux, d'envieux, d'intéressés et de piliers d'antichambres ministérielles, s'est formé contre ses projets de découvertes et a entraîné dans ses oppositions le ministre de la marine, M. de Maurepas. Bigot, qui doit bientôt se rendre si tristement célèbre au Canada, est l'âme de cette intrigue 32- >'

Il est donc vrai qu'il faudra associer le nom de Bigot à tous les déshonneurs de notre pays !

<f On blâme l'entreprise, continue le P. de Rochemonteix

29. Les Canadiens de l'Ouest, t. I, p. 60.

30. Retourné plus tard à Paris, il y était en 1753 " procureur des mis- sions du Canada". (Lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu au ministre, 21 mars 1753).

31. VBglise du Canada..., 2e Partie, p. 241.

32. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XV II le siècle, t. I, p. 226.

sous M^*" DE PONTBRIAND 34 1

on déprécie le mérite du découvreur, on Paccuse de s'occu- per uniquement de commerce ; et M. de Maurepas, qui a protégé tant d'autres expéditions ayant un but scientifique, regrette d'avoir accordé à M. de la Vérendrye le privilège de la traite ; il refuse absolument de lui venir en aide. »

La Vérendrye se voyant abandonné de la Cour, remet au gouverneur la commission qu'il en a reçue pour ses décou- vertes ; et cette commission est donnée à M. des Noyelles, qui un an plus tard demande à être relevé de son comman- dement. Bientôt l'heure de la réhabilitation sonne pour La Vérendrye. Le ministre, mieux informé, le nomme capitaine, le décore de la Croix de Saint-Louis, et le prie de reprendre ses voyages du Nord-Ouest. Mais il est trop tard : les chagrins, encore plus que les travaux et les fatigues, ont brisé la robuste constitution de ce héros. Au moment il se prépare à partir pour un nouveau voyage, la mort le terrasse, le 6 décembre 1749.

Qui pourrait dire toutes les ,heureuses conséquences des voyages et des travaux de ce grand Canadien pour l'avenir de son pays, au point de vue matériel? Qui pourrait dire tout le bien que firent ses compagnons, les missionnaires Jésuites, par les semences de salut qu'ils répandirent au milieu de tant de peuplades sauvages qui probablement n'avaient pas encore entendu parler de religion?

Les Pères Messaiger et Aulneau n'allèrent pas an delà du fort Saint-Charles; le P. Coquart se rendit jusqu'au fort La Reine, il hiverna de 1743 à 1744. Ce fort, établi par La Vérendrye en 1738, à l'endroit qu'occupe aujour- d'hui Portage-la-Prairie, fut détruit par les Assiniboines en 1752. Le P. Messaiger est le premier missionnaire qui visita le Lac des Bois: il hiverna en 1732 au fort Saint- Charles, construit sur la rive ouest de ce lac. Le P. Aulneau y hiverna à son tour en 1735 ^^

33, Le P. Coquart, par le Juge Prud'homme, dans la Revue Cana- dienne de 1897, P- 81.

342 I^'ÉGLISE DU CANADA

u

Il était arrivé au Canada l'année précédente en même temps que le P. Nau, qui écrivait à son sujet :

« Peut-être ira-t-il le printemps prochain à la découverte de la Mer d'Ouest, parce que la Cour veut absolument avoir là-dessus plus que des conjectures.

(f Les Français qui sont revenus cette année des pays d'en haut nous ont rapporté que les sauvages leur avaient dit qu'il y avait à onze cents lieues de Québec des peuples blancs et barbus soumis à un Roi, que ces peuples bâtis- saient leurs maisons à la française, qu'ils avaient des chevaux et d'autres animaux domestiques. Ne serait-ce point des Tartares ou des échappés des Japonais? Les sauvages ont parlé des Français à ces peuples, qui ont été charmés d'apprendre qu'il y eût dans le Canada une nation blanche et barbue comme la leur. « Les Français sont « apparemment nos frères, disent-ils, et nous voudrions bien « les voir : invitez-les à venir chez nous. »

« Si ce récit est vrai, voilà une belle porte ouverte à l'Evangile. Mais on se défie fort de la sincérité des Cana- diens qui ont fait ce rapport, car il n'est point de pays au monde oii l'on mente plus qu'en Canada 34. . »

Le P. Aulneau accompagna donc La Vérendrye dans son deuxième voyage.

On raconte que ce bon Père ne tarda pas d'apprendre suffisamment la langue des Christinaux pour se faire com- prendre de ces sauvages : ils se montrèrent bientôt aussi amis des Français qu'ils étaient ennemis des Sioux. Ceux-ci, qui détestaient déjà les Français, n'en conçurent que plus de haine contre eux ; et ce fut ainsi que le zèle du P. Aulneau pour l'instruction et le salut des Christinaux fut la cause éloignée de sa mort et de celle de ses com- pagnons.

34. Cité dans les Relations des Jésuites, édition Burrows, t. 64, p. 224,

SOUS' M^'* DE PONTBRIAND 343

On était au fort Saint-Charles, près du lac des Bois. I^a Vérendrye, à bout de vivres et de provisions, proposa aux Français qui l'accompagnaient d'aller en chercher à Michillimakinac. C'était au printemps de 1736. Son fils aîné s'offrit de partir à l'instant avec quatre autres Cana- diens et trente sauvages Christinaux : le P. Aulneau tint à honneur de les accompagner. A sept lieues de là, ils firent la rencontre d'un parti de Sioux, qui les massacra tous, les Christinaux, comme leurs ennemis jurés, les Français, comme amis des Christinaux.

C'était près d'une île du Lac des Bois; et cette île prit dès lors le nom de l'Ile-au-Massacre. Les restes mortels de ces infortunés voyageurs restèrent abandonnés sur l'île jusqu'au 17 septembre : •-^■% '.

« Ceux qui les trouvèrent, écrit M. Prud'homme, virent les têtes des Français posées sur des robes de castors, la plupart sans chevelure. Le P. Aulneau avait un genou en terre, une flèche dans la tête et le sein ouvert. La main gauche était contre terre, et la main droite élevée comme pour implorer le pardon céleste pour ses bour- reaux . . .

« Qui pourrait dire, ajoute M. Prud'homme, l'affliction de M. de la Vérendrye, en voyant coup sur coup l'aîné de ses fils, son neveu, le missionnaire qui l'accompagnait, et une partie de ses gens enlevés par la mort? Son âme, toutefois, ne se laissa pas abattre par la douleur 35. »

Il fit transporter au fort Saint-Charles les corps de ces infortunés, leur rendit tous les honneurs possibles, et ils furent enterrés sous la chapelle 36-

Le bon P. Aulneau avait tenu à accompagner les Fran- çais et les Sauvages dans leur voyage à Michillimakinac

35. Le P. Coquart, dans la Revue Canadienne de 1897, P- 84.

36. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIII e siècle, t. I, p. 224.

344 l'église du canada

pour leur donner, en cas de besoin, les secours de son mi- nistère. Il était bien aise, également, d'avoir cette occa- sion d'aller rencontrer ses confrères, pour se réconforter, et leur demander les secours spirituels dont il pouvait lui- même avoir besoin. Il était donc de toutes manières mar- tyr de son devoir: et ce n'est pas sans raison qu'on Pa appelé (( le premier martyr du Nord-Ouest Canadien. »

CHAPITRE XXVI

COUP d'cBIL sur I.ES MISSIONS LOINTAINES DE I^'ÉGLISE

DE QUÉBEC : III. LA MISSION MONTAGNAISE DU

SAGUENAY ; L^ACADIE FRANÇAISE

Le P. Coquart, au Saguenay. Véglise de Tadoussac. L'abbé Co- quart. M, Le Loutre et les autres missionnaires de l'Acadie fran- çaise. — Le P. Germain, à la Rivière Saint- Jean. Mgr de Pont- briand et l'abbé Le Guerne.

LE P. Coquart, qui accompagna La Vérendrye dans son troisième voyage au Nord-Ouest, et passa l'hiver de 1743 à 1744 au Fort la Reine, a été appelé avec raison « le premier apôtre de la Rivière-Rouge, le pionnier des mission- naires au Manitoba. C'est à lui, a-t-on dit, que revient Phonneur d'avoir été le premier à déposer dans les pays d'en-haut la semence de la Foi » \

Mais c'est surtout à la mission Montagnaise du Saguenay et de Tadoussac qu'il a attaché son nom. Il a continué de 1746 à 1765 l'œuvre des Dolbeau '\ des De Quen, des Albanel, des Crépieul, des Laure, des Maurice, ces admi- rables missionnaires qui répandirent la lumière de l'Evan-

1. Le P. Coquart, dans la Revue Canadienne de 1897, P- 81.

2. L'un des quatre premiers Récollets qui vinrent au Canada. Nous avons été surpris de lire tout récemment dans un article intitulé " Chi- coutimi, la reine du Nord", dans le Bulletin des Recherches historiques, XIX, 360: "Les premiers missionnaires qui évangélisèrent le Saguenay furent les Jésuites. " Et les Récollets ?. . . le P. Dolbeau, et le P. Le Caron, à Tadoussac?. . . Voir notre volume La Mission du Canada avant Mgr de Laval, Récollets et Jésuites.

346 I^'ÉGLISE DU CANADA

gile parmi les sauvages de la région du Saguenay, et fondèrent « cette belle chrétienté Montagnaise, si pleine de foi et de piété, à laquelle, dit M. Taché, le P. Labrosse mit la dernière main » 3.

Le P. Coquart mourut à Chicoutimi le 4 juillet 1765, et y fut inhumé par son successeur dans la mission Mon- tagnaise, le P. Labrosse. Plus tard ses restes mortels furent descendus et inhumés à Tadoussac, ils reposent maintenant ; et, comme nous l'avons déjà dit, par un sin- gulier échange, le P. Labrosse, décédé et inhumé en 1782 à Tadoussac, fut transporté ensuite de Tadoussac à Chi- coutimi *.

Nous avons vu dans un chapitre précédent que le P. Coquart fonda en 1747 dans la petite église de Tadoussac une messe en faveur de l'intendant Hocquart, bienfaiteur insigne de cette église.

On a prétendu qu'il n'y avait pour toute église, à Ta- doussac, à l'arrivée du P. Laure, en 1720, «qu'une cabane d'écorce percée de tous côtés, qui servait de chapelle ^ » Alors, qu'était devenue la Chapelle « en bois de char- pente, » dont parle la Relation de 1652 ^ que l'on orna d'une « tapisserie », venue de France en même temps qu'une cloche, que les bons sauvages Montagnais « voulaient sonner chacun leur tour, pour voir si elle parlerait aussi bien entre leurs mains qu'entre les mains' du P. De Quen»? '. Est-ce que l'on voit quelque part qu'elle ait été incendiée ou détruite? Pour nous, nous n'avons aucune raison de croire, non seulement qu'elle n'existait plus à l'arrivée du

3. J.-C. Taché, Forestiers et Voyageurs.

4. Tanguay, Répertoire du Clergé, p. 98 et 116.

5. Les Jésuites et la Nouvelle-France au XVIII e siècle, t. II, p. 7.

6. Relations des Jésuites, 1652, p. 11.

7. Ibid., 1647, P- 64.

sous M«^ DE PONTBRIAND 347

P. Laure, en 1720, ou du P. Coquart, en 1746, mais que ce n'est pas la même qui existe encore aujourd'hui :

*c La petite église de 1647, écrivions-nous naguère, existe encore. C'est la plus ancienne du Canada, et probablement de toute l'Amérique. On la conserve, on l'entretient avec tout le soin qu'elle mérite. La cloche de 1647, elle aussi, est encore là, dans son petit clocher, et il n'y a pas de touriste qui, allant à Tadoussac. ne tienne à faire « parler » ce vieux témoin des premiers temps de notre pays » ^.

Seulement, cette église, à l'arrivée du P. Coquart, avait besoin de réparations, et peut-être de quelque agrandis- sement. M. Hocquart, à la veille de son départ pour la France, fournit au bon missionnaire tout le bois qui lui était nécessaire ; et celui-ci, en reconnaissance, fonda, à l'intention du pieux intendant, la messe dont nous venons de parler. Elle se dit chaque année le jour de la fête de sainte Anne, et se dira tant que l'église subsistera.

On assure que Bigot contribua lui-même deux cents livres pour les travaux à faire à l'église de Tadoussac ^ : tenons-lui compte, au moins, de cette bonne œuvre.

Le P. Coquart ne se contentait pas de visiter ce que l'on appelait alors les Postes du Domaine du Roi : Chicoutimi, Tadoussac, la Malbaie, les Ilets de Jérémie, les Sept-Iles; il desservait aussi les Eboulements, et surtout l'Ile-aux- Coudres, il passa plusieurs hivers.

Il était à Québec lors du siège de cete ville, en 1759; puis, après la capitulation, lui et le P. Germain accom- pagnèrent en Acadie un certain nombre d'Acadiens qui obtinrent du gouvernement anglais la permission de retourner dans leur pays. Il donna quelques missions aux Abénaquis de la Rivière Saint-Jean, puis retourna chez ses chers Montagnais du Saguenay.

8. La Mission du Canada avant Mgr de Laval, p. 83.

9. Le P. Coquart, dans la Revue Canadienne de 1897, P- 89.

348 I^'ÊGUSE DU CANADA

* * *

N'allons pas confondre, du reste, le P. Coquart, qui n'alla qu'accidentellement en Acadie, avec un prêtre sécu- lier du même nom, l'abbé Coquart, que l'on trouve en 1755 et 1756 avec le P. Germain chez les Abénaquis de la Rivière Saint-Jean. Il desservait le fort Menagouech, ainsi que les familles françaises réfugiées autour de ce Fort. Il était Breton, ainsi que son confrère, M. Vizien, celui-ci du diocèse de Saint-Pol-de-Léon, l'abbé Coquart du diocèse de Tréguier :

« Il serait bon, monseigneur, écrivait l'abbé de l'Ile-Dieu à M^^ de Pontbriand, d'écrire un mot aux évêques de Saint-Pol-de-Léon et de Tréguier. L'un et l'autre se prêtent volontiers à nous donner des sujets. Le dernier me donna l'an passé deux religieuses, et cette année il a consenti volontiers au départ de M. Coquart. M. l'évêque de Saint-Pol-de-Léon m'a accordé de la meilleure grâce du monde l'exéat de M. Vizien, et m'en avait même accordé un second pour un autre ecclésiastique, qui est tombé malade et n'a pu partir. Il m'a chargé d'ailleurs de vous dire les choses les plus polies de sa part . . »

L'abbé de l'Ile-Dieu ajoutait: ((J'ai aussi trouvé M. Pévêque de Vannes très bien disposé ; et, à dire le vrai, nous recevons plus de secours, et de meilleure grâce, de Nos Seigneurs les Evêques de Bretagne, que de tous ceux du Royaume: et d'ailleurs les sujets en prêtres et en reli- gieuses y valent bien mieux que partout ailleurs. Il serait à souhaiter qu'il en fût de même des religieux : notre pauvre colonie de l 'Ile-Royale s'en trouverait beaucoup

mieux

Dans la lettre dont nous ne venons de citer qu'une par-

10. Lettre à Mgr de Pontbriand, 22 juin 1754.

sous ms^ de pontbriand 349

tie, l'abbé de l'Ile-Dieu faisait allusion à deux prêtres qu'il avait acceptés de confiance et envoyés en Acadie, mais qui ne valaient pas grand'chose, non pas qu'ils fussent absolument de mauvais sujets, mais l'un, M. du Gué, était d'une inconstance ineffable, et ne fit qu'un court sé- jour en Acadie, l'autre, M. Lemaire, n'était sain ni de corps ni d'esprit : « Je ne l'avais pris, dit M. de l'Ile- Dieu, que d'après les témoignages les plus avantageux ; mais l'esprit comme le corps est sujet à bien des infirmités : le bon prêtre nous a jetés dans de sérieux embarras par ses imaginations et son indiscrète direction ^^. w

Par contre, les Missions-Etrangères lui avaient procuré un excellent ecclésiastique, M. Le Guerne, un Breton comme MM. Vizien et Coquart. Il était du diocèse de Quimper, et M^^ de Pontbriand l'avait demandé à l'Evêque de cette ville, « à cause du zèle et des talents « qu'il lui connaissait ^'\ Il allait travailler dans la même zone que ses compatriotes Vizien et Coquart, l'Acadie française, sous la conduite de M. Le Loutre, ce grand missionnaire des Micmacs, dont le nom, comme celui de M. Maillard, s'identifie, pour ainsi dire, avec la cause acadienne. M. de l'Ile-Dieu écrivant un jour au ministre au sujet de MM. Le Loutre et Maillard :

(f Ce sont, disait-il, deux grands et saints ecclésiastiques, qui ont assez bien mérité de l'Etat et de la Religion pour avoir part dans votre souvenir, si vous avez occasion de leur procurer quelque secours, qu'ils ne demandent que pour être plus en état de faire le bien ^^. »

M. Le Guerne n'était pas encore prêtre lorsque l'abbé de l'Ile-Dieu l'envoya à Québec dans l'été de 1750. M^ de

11. Lettre à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754.

12. Corresp. générale, vol. 96, lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu à M. Rouillé, ler avril 1750.

13. Lettre au ministre, 21 avril 1747.

350 l'éguse du canada

Pontbriand l'ordonna l'année suivante, et le garda à l'évêché, où, depuis le départ de MM. de La Ville-Angevin et La Corne, il n'avait plus avec lui que M. Briand. Le Guerne était un sujet précieux, qui pouvait lui rendre de grands services. Eh bien, tel était le dévouement du pieux Prélat pour ses chers diocésains de l'Acadie, que, connaissant le grand besoin qu'ils avaient d'un prêtre, ceux surtout qui, sur les conseils de M. Le Loutre, avaient quitté leurs terres pour se réfugier dans la partie de l'Acadie réputée encore française, il n'hésita pas à leur envoyer son jeune ami Le Guerne, l'objet de ses plus chères espérances. Qu'on ne dise donc plus que les Evêques de Québec négligèrent les Acadiens :

« M. l'Evêque de Québec, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu, vient d'envoyer à l'Acadie le seul et unique prêtre qu'il avait auprès de lui, quoiqu'il lui fût très utile. . . Il n'a plus avec lui qui que ce soit pour les tournées dans son diocèse... C'est un Pasteur d'un mérite et d'un zèle rares ^* . . . »

M. Le Guerne partit pour l'Acadie en 1753, emportant avec lui l'estime et les regrets de tous ceux qui l'avaient connu. Avec quelle joie ne fut-il pas accueilli par M. Le Loutre et les trois mille Acadiens qui s'étaient déjà réfugiés en terre française ! M. Le Loutre venait de bâtir à Beauséjour « une fort belle église » : elle allait être des- servie par deux excellents Bretons, Vizien et Le Guerne ; et ils avaient là-bas, sur la Rivière Saint-Jean, leur compa- triote Coquart, qu'ils espéraient rencontrer de temps à autre. Il y avait aussi dans cette partie de l'Acadie, que l'on appelait l'Acadie française, l'abbé Manach : « C'est un fort bon sujet, » écrivait l'abbé de l'Ile-Dieu ^^ M.

14. Corresp. générale, vol. 98 et 99> lettres au ministre, 30 décembre 1752, 15 mars et 6 mai 1754.

15. Lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754.

sous M^ DE PONTBRIAND 35 1

Manach avait soin tout spécialement des sauvages, à la place de M. Le Loutre, qui s'occupait surtout des Acadiens en général.

Donc, cinq prêtres séculiers dans PAcadie française, en deçà de l'isthme : MM. Le Loutre, Manach, Vizien, Le Guerne et Coquart. Et puis, sur la Rivière Saint- Jean, en la remontant jusqu'à Pentagouët, les Pères Jésuites conti- nuaient à desservir, comme par le passé, les Abénaquis : le P. Lauverjat à Médoctec, le P. Audran à Gemsec, le P. Germain dans l'île d'Ekouba. On y trouve aussi le P. Labrosse en 1755 ^^.

Le P. Germain était l'émule de M. Le Loutre pour le zèle des intérêts français en Acadie :

« Ce religieux, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu, est un mission- naire très intelligent, qui m'a envoyé le plan de la Rivière, et celui des postes qu'on y pourrait établir, tant sur le front que dans les profondeurs. La Cour fera sur cela ce qu'elle jugera à propos, d'autant plus qu'il s'agit encore plus du bien du service que du progrès de la religion ^^. »

Le P. Germain était à la mission de la Rivière Saint- Jean depuis 1747: et il avait desservi auparavant la mis- sion de Beaubassin, en même temps que le P. La Corne, récollet canadien, desservait Miramichi. Voici ce que l'intendant Hocquart écrivait à la Cour de ces deux reli- gieux :

« Nous avons lieu d'être extrêmement contents de la conduite que le P. Germain, jésuite, missionnaire à Beau- bassin, et le P. La Corne, récollet, missionnaire à Mirami- chi, ont tenue à l'Acadie. Ils mériteraient les récom- penses du Roi, si par leur état ils n'y avaient renoncé. Le premier, extrêmement prudent et sage, agréable à tous

16. Casgrain, Un Pèlerinage au pays d'Evangéline, p. 145.

17. Lettre à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754.

352 L'ÊGUSE DU CANADA

ceux avec qui il a à traiter, a été notre correspondant. L<e second s'est montré à l'affaire du Port I^ajoie, à la suite de ses Micmacs, avec l'intrépidité d'un homme de guerre: tous deux également zélés pour le bien de la Religion et de l'Etat . . . ))

L'abbé de l'Ile-Dieu, de son côté, écrivait au sujet de la mission de la Rivière Saint-Jean :

« Le P. Germain et ses confrères se sont toujours très bien conduits, avec une grande subordination pour leur premier supérieur ecclésiastique et pour ceux à qui il a cru devoir confier sa juridiction sur eux. On peut même ajouter que c'a toujours été avec un esprit de désintéresse- ment qui leur a toujours mérité l'estime, la confiance et la vénération de tous les sujets du Roi qui ont été confiés à leurs soins et à la conduite et prudente activité de leur foi. »

Les supérieurs du P. Germain appréciaient si bien sa conduite qu'ils avaient décidé de le faire monter à Québec comme supérieur de toutes les missions de la Nouvelle- France. De leur côté, les autorités de la colonie jugèrent que dans les circonstances critiques se trouvait l'Aca- die, sa présence, comme celle de M. Le Loutre, y était né- cessaire ; et elles obtinrent qu'il y restât; de sorte que M. de l'Ile-Dieu put écrire au ministre :

(( Le P. Messaiger, jésuite, procureur des missions du Canada, m'a dit qu'il avait pris les mesures nécessaires pour que ses supérieurs ne retirassent pas le P. Germain de sa mission des Marichites sur la Rivière Saint-Jean, sur- tout dans les circonstances présentes. Ainsi c'est un grand inconvénient paré de ce côté-là, et je vais écrire au P. , Germain qu'il peut être tranquille et rester à sa mission. »

Il n'entre pas dans le cadre de cet ouvrage de raconter tous les travaux et les efforts de M. Le Loutre et du P. Germain pour attirer de leur côté les Acadiens et les sous-

sous M^^ DE PONTBRIAND 353

traire aux malheurs auxquels ils les croyaient inévita- blement exposés dans leur patrie. Se figure-t-on les sacri- fices que l'on demandait à ces braves gens, et qu'on leur représentait comme nécessaires? Quitter pour l'inconnu et l'incertain le plus beau pays du monde, la maison qui les avait vu naître, le champ qu'ils avaient cultivé avec tant de soin, et auquel ils étaient si attachés, leurs meubles, leurs troupeaux, l'église ils avaient été baptisés et ils avaient trouvé tant de consolation au milieu des mi- sères de la vie ! , . . Ces sacrifices, un bon nombre les firent : la plupart, cependant, préférèrent rester chez eux ; ils s'accoutumèrent peu à peu au joug des vainqueurs, et l'on sait comment ils furent récompensés, à la fin, de leur trop grande confiance dans la justice de leur cause et dans l'honnêteté présumée de ceux qui les trompaient depuis quarante ans.

M. Le Loutre fit un voyage exprès en France dans l'in- térêt des Acadiens réfugiés. Lui et l'abbé de l'Ile-Dieu se donnèrent un mal incroyable pour obtenir de la Cour en leur faveur tous les avantages possibles ^^.

On sait la haine que les Anglais avaient vouée à M. Le Loutre. Il réussit à leur échapper, lors de la prise du fort Beauséjour, à la défense duquel il avait pris une part active. Il monta sur un vaisseau qui s'en allait à Québec; puis de Québec il s'embarqua pour la France. Mais le navire sur lequel il était monté fut pris par les Anglais. Le Loutre fut fait prisonnier, et détenu pendant huit ans au Château de Jersey.

Nous avons dit combien l'abbé de l'Ile-Dieu appréciait ce grand missionnaire :

2a Lettre de l'abbé de rile-Dicu à Mgr de Pontbriand, 1er avril 1753:

" Pendant quatre jours de travail que j'ai eus à Versailles avec le mi- nistre, etc."

23

'^

354 VEGUSE DU CANADA

«Je l'aime tendrement, écrivait-il un jour au ministre; et il le mérite par ses qualités personnelles, son attache- ment et son zèle pour le bien du service et le progrès de la religion dans la colonie se trouve sa mission, et même toutes celles sur lesquelles il a inspection. »

* * *

La France fit-elle tout ce qu'elle put pour les Acadiens? Il est certain, du moins, que l'Eglise n'eut rien à se repro- cher à leur égard. Quel dévouement de la part de tous les missionnaires qu'elle put leur envoyer ! Et il n'y eut pas moins d'une dizaine de diocèses différents qui contri- buèrent à l'envoi de ces missionnaires.

Mais à part M. Le Loutre, dont la mission et le zèle, du reste, avaient surtout pour objet les intérêts matériels des Acadiens, et que, pour cela, les malins appelaient quelquefois le « général » Le Loutre ^^, nul ne nous paraît avoir déployé à leur égard un attachement plus noble, plus intelligent, plus désintéressé et plus persévérant que M. Le Guerne, dont nous avons parlé plus haut. Envoyé en Acadie en 1753, il resta à son poste jusqu'au mois d'août 1757, deux ans par conséquent après la prise de Beauséjour et la dis- persion des Acadiens, consolant et assistant ceux qui étaient restés avec lui dans l'Acadie française, se cachant avec eux dans les bois, vivant de leur vie, les exhortant à tout souffrir pour Dieu.

Revenu à Québec dans l'automne de 1757, il fut nom- mé, au printemps de l'année suivante, à la petite cure de Saint-François de l'Ile d'Orléans, oii il resta jusqu'à sa mort le 6 décembre 1789, à une interruption près, savoir de 1767 à 1769, qu'il passa une année et demie au Sémi-

21. Les derniers jours de l'Acadie, p. 157.

sous M^ DE PONTBRIAND 355

naire de Québec pour y faire la Rhétorique. Il a été le premier Professeur de Rhétorique au Petit Séminaire, deve- nu Collège classique régulier après la Conquête. Ancien élève des Missions-Etrangères, la Providence voulut qu'il rendît ce noble service à une institution qui leur avait tou- jours été si intimement liée depuis un siècle.

Nous avons plusieurs lettres de M^^ de Pontbriand à M. Le Guerne : elles prouvent la haute estime qu'il avait pour ce jeune prêtre, et le grand cas qu'il faisait de lui. Il lui écrit le 28 juillet 1756 «à Belair, vers Cocagne», en Acadie :

« Mon amitié pour vous me rend vos lettres précieuses. Le journal que vous y joignez flatte la curiosité. Vos tra- vaux me comblent de joie, parce que je vois que, par votre courage et votre zèle, vous méritez de plus en plus les grâces de Dieu, et que vous lui conservez des âmes qui lui sont chères. Mais je crois avec peine vos fatigues capables d'altérer votre santé.

« Le sort des Acadiens m'afflige, ajoute le Prélat, à en juger par ceux qui sont ici : ils ne veulent pas demeurer parmi nous ; ils espèrent toujours qu'ils pourront re- tourner. . . »

Il lui écrit de nouveau le 7 octobre, « à Petit-Coudiac », cette fois :

« Je me suis fort attristé sur la nouvelle de votre maladie et sur celle de vos habitants. La nouvelle de votre conva- lescence m'a beaucoup consolé.

« M. Coquart vient de partir pour se rendre à la Rivière Saint-Jean. Il sera peut-être bien difficile de fournir des vivres pour les habitants de Miramichi, la récolte n'ayant pas été bonne cette année.

« Si vous revenez ici, je vous recevrai avec un vrai plai- sir, et j'aurai soin de vous comme de moi-même. . . »

Puis, lorsque M. Le Guerne est nommé curé de Saint-

356 L^âOLISE DU CANADA

François, quelle bonté, de la part de l'Evêque, à son égard Il est malade, il est assiégé de mille difficultés, à propos du testament de son prédécesseur, à propos des comptes de la Fabrique ; il s'ennuie peut-être :

« Je crois, lui écrit M^^ de Pontbriand, que le testament de M. Cloutier '^-, à la rigueur, peut être disputé. Il faut être plus fin que ceux qui veulent nous tromper. . .

« Vous trouverez peut-être quelques notes sur les comptes, dès que vous aurez pris hauteur, et que vous serez débar- rassé de ces mauvaises fièvres. Ménagez-vous. Soyez dans la joie. Promenez vos yeux sur la plaine liquide ^^, appelez avec fredonnement les vaisseaux, cultivez le jardin. Ne prétendez pas tout faire dans un jour. Stcfficit diei malîtia sua ^^ Soyez persuadé de l'attachement que je vous conserve '^^. »

M^^ de Pontbriand devait, ce semble, ces témoignages d'estime et d'intérêt à ce bon jeune prêtre qu'il avait demandé à son vénérable collègue dans l'épiscopat, l'évêque de Quimper ; et nous devions un souvenir à la mémoire d'un des plus dignes ecclésiastiques que l'Eglise de France ait envoyés à celle du Canada.

22. Alexandre Cloutier, curé de Saint-François de 1714 à 1758, petit- fils de Zacharie Cloutier, du Chateau-Richer, et neveu, par sa mère Charlotte Guyon, de l'abbé Jean Guyon, que Mgr de Laval emmena avec lui en Europe en 1684, et qui mourut à Paris le 10 janvier 1685.

23. L'église et le presbytère de Saint-François, à la pointe est de l'Ile d'Orléans, occupent un des endroits les plus délicieux des environs de Québec.

24. "A chaque jour suffit son mal." {Matth., VI, 34).

25. Archives de l'archevêché de Québec.

CHAPITRE XXVII

COUP d'cëii. sur les missions lointaines de l'église

DE QUÉBEC: IV. DANS L'ACADIE ANGLAISE;

M^^ DE PONTBRIAND ET LA DISPERSION

DES ACADIENS

Contestations sur les Limites de l'Acadie. Les Acadiens sous le gou- vernement anglais. Conduite des missionnaires. M. Girard. M. Daudin. M. Desenclaves, à Pomcoup. Les missionnaires, déportés les premiers. La déportation des Acadiens; mandement de Mgr de Pontbriand. La résurrection de TAcadie.

L'Acadie avait été cédée à l'Angleterre par le Traité d'Utrecht (1713) : mais qu'était l'Acadie? On n'avait pas même pris la peine de s'expliquer là-dessus dans le traité, et l'on avait laissé cela à la décision d'un tribunal composé de Commissaires, qui ne décidèrent rien, parce qu'ils ne purent ou ne voulurent s'entendre ! ce fut la guerre qui décida tout. Les prétentions des Anglais étaient exorbitantes : d'après eux, Beauséjour était « au centre de leur province de la Nouvelle-Ecosse ^ >>, c'est-à-dire qu'ils s'adjugeaient au moins autant de pays à l'ouest qu'à l'est de l'isthme : la France, de son côté, ne voulait céder tout au plus que la Péninsule ; et l'abbé de l'Ile-Dieu trouvait même que c'était encore trop, tant que la fixation des Limites n'aurait pas été arrêtée de part et d'autre :

I. Journal de Jacau de Fiedmont, publié dans Les derniers jours de VAcédie, p. 139.

358 Iv'ÊGUSE DU CANADA

« Je pense, disait-il, qu'excepté aux habitants de Port- Royal, qui est expressément cédé aux Anglais par le traité d'Utrecht, ils (les Anglais) ne peuvent demander le ser- ment de fidélité aux autres Acadiens français, qu'après la fixation des Limites, puisque jusque-là aucune des deux nations ne peut dire : « Ceci est à moi, et cela est à vous » ; et de ce principe il résulterait une conséquence bien avan- tageuse pour ces pauvres Acadiens, puisque, jusqu'à la fixation des Limites, ils seraient dans le même droit et la même faculté d'évacuer avec tous leurs effets mobiliers morts et vifs, oii ils étaient en 17 14 ; et de je tire encore une seconde conséquence, qui part également du même principe, et qui est qu'on a eu tort de laisser prêter aux Acadiens le serment qu'on a exigé d'eux en 1728 et en 1730 2. . . »

Ce serment, de leur part, était très loyal : ils reconnais- saient les faits accomplis, qui les avaient fait passer sous l'autorité du roi de la Grande Bretagne ; mais ils se réser- vaient de ne jamais prendre les armes contre la France, leur mère patrie. Ils ne voulurent jamais prêter serment qu'avec cette restriction. Qui pourrait leur en faire un crime? Qui n'admirerait au contraire la noblesse de leurs sentiments?

Maintes fois, dans les commencements, ils voulurent quitter le sol, auquel pourtant tant de souvenirs et d'inté- rêts les attachaient, pour se réfugier dans une zone plus sûrement française ; mais on fit toujours en sorte de leur rendre la chose plus ou moins impossible. On n'était pas prêt à les laisser partir, on n'était pas prêt à reprendre à neuf la colonisation du pays : laisser le pays se dépeupler ; faire le vide autour de Port-Royal, l'on entretenait à grands frais un gouverneur et une forte garnison : la chose

2. I^ettre à Mgr de Pontbriand, ler avril 1753.

sous M^^ DE PONTBRIAND 359

était-elle possible? Il fallait garder les Acadiens, malgré eux, d'abord 3, puis les endormir dans une fausse sécurité. On ne réussit malheureusement que trop : Halifax fut fondée ; il n'y eut que les Micmacs qui jetèrent les hauts cris : des compagnies de colonisation se formèrent ; les colons Anglais arrivaient par centaines, et fondaient ça et des établissements. M. Le Loutre, depuis longtemps, invitait les Acadiens à se retirer d'eux-mêmes, coûte que coûte; mais pour un grand nombre il jouait le rôle de l'antique Cassandre. La plupart ne se réveillèrent, à proprement parler, que lorsqu'ils furent victimes du plus infâme guet-apens, de la plus grande iniquité, peut-être, qui ait jamais été commise par une nation.

Un des moyens les plus efficaces que l'on employa pour entretenir les Acadiens dans une parfaite sécurité, ce fut de les laisser pratiquer en toute liberté leur religion, comme le leur accordait, du reste, le traité d'Utrecht. Les gouverneurs de la Nouvelle-Ecosse, en général, ne mirent pas d'entraves sérieuses à cette liberté, et favori- sèrent même l'envoi de missionnaires dans la colonie.

Nous avons vu, au volume précédent, qu'il y en avait six, en 1742 : M. de Miniac, vicaire général, à la Rivière- aux-Canards; M. Desenclaves, à Port-Royal; M. de la Goudalie, aux Mines *; M. le Chauvreulx, à Pigiquit ; M. Girard, à Cobequid ; M. Laboret, à Beaubassin. C'était suffisant pour les besoins de la population.

3. " Ils envoyèrent des détachements de troupes dans toute l'Acadie pour forcer les Français et leurs familles, sans aucun égard aux anciens traités, à y rester avec leurs biens meubles et immeubles, sinon à s'en aller sans emporter quoi que ce fût de ce qui leur appartenait." {Les derniers jours de l'Acadie, p. 257).

4. Les Mines, ou le Bassin des Mines comprenaient trois pa- roisses : la Grand-Prée, et les deux paroisses de Pigiquit, qui comp- taient dix huit cents communiants. M. de la Goudalie était curé de la Grand-Prée; M. le Chauvreulx, des deux paroisses de Pigiquit. {Le Ca- nada-français, Documents sur l'Acadie, t. I, p. 45).

360 l'éguse du canada

Mais quelle prudence ne fallait-il pas, de la part du clergé de l'Acadie anglaise, pour ne pas offusquer un gouvernement toujours soupçonneux, toujours aux aguets, toujours jaloux à l'excès de son autorité. « Dans la position se trouvent actuellement l'Acadie et une grande partie de l'Ile-Royale, la règle de prudence est à observer plus que jamais » ^ écrivait M»'' de Pontbriand. Cette prudence, les missionnaires n'en manquèrent généralement pas. Quelques-uns semblent même avoir poussé la timidité à l'excès: c'est du moins le reproche que l'abbé de l'Ile-Dieu ne se gênait pas de faire à M. le Chauvreulx :

« Je suis étonné, dit-il, que M. le Chauvreulx se soit dé- terminé à la prestation du serment qu'il a fait au gouver- nement anglais. Il pouvait sûrement l'éluder, et sur de bonnes raisons : « Je suis, pouvait-il dire, un simple mis- « sionnaire toléré par le gouvernement, puisqu'il permet « aux familles françaises d'en demander et d'en avoir, (( qu'une des conditions mêmes du Traité est la liberté de « la religion. Comme je puis être renvoyé, si on trouve « que j'aie fait ou insinué quelque chose contre la police « extérieure du gouvernement, je puis également me reti- « rer, et je ne puis jamais être réputé sujet du roi de la « Grande Bretagne, et pas plus que les missionnaires des « Indes Orientales le sont de l'empereur de la Chine, du « roi de Siam, de celui du Tonkin, ou de celui de la Cochin- « chine. » Mais le bon M. le Chauvreulx n'a pas raisonné, ni vu que l'emprisonnement de M. Girard était une infrac- tion du Traité sur la liberté de religion, une atteinte donnée au Droit des gens et à la liberté publique. Il a apparem- ment été séduit par l'exemple de M. de la Goudalie et de M. de Noinville, qui, en 1730, portèrent leurs habitants à prêter le serment que M. de Philipps leur demanda ^. »

5. Corresp. générale, vol. 96, lettre à M. Rouillé, ler avril 1750.

6. Lettre à Mgr de Pontbriand, ler avril 1753.

sous M*^' DE PONTBRIAND 361

Iv'eniprisonnement, sans la moindre raison, de M. Gi- rard, les plaintes adressées à M^'^ de Pontbriand contre les missionnaires par le gouverneur de l'Acadie, M. Cosby, et les objections qu'il fit à l'installation de M. de Miniac, dont il a été question dans un chapitre précédent, voilà autant d'exemples des tracasseries auxquelles étaient expo- sés les missionnaires de l'Acadie anglaise.

Sorti de prison, M. Girard alla exercer le saint ministère à l'île Saint- Jean ; M. de Miniac et M. de la Goudalie étaient déjà partis pour la France pour cause de maladie et d'infir- mités : il ne restait plus au service spirituel des Acadiens que trois missionnaires, M. le Chauvreulx, M. Desenclaves, et M. Lemaire, qui avait remplacé M. Laboret, mais qui, suivant l'expression de l'abbé de l'Ile-Dieu, « avait l'esprit et la santé dérangés « '^^ et était à la veille de repasser en France : M. Daudin le remplaça :

ec C'est un excellent sujet, écrivait l'abbé de l'Ile-Dieu à l'Evêque. Il a très bien pris avec le gouvernement et fait exempter nos missionnaires du serment de fidélité. » Puis il ajoutait : « Quatre missionnaires de plus suffiraient à peine dans cette colonie. . . Si je puis obtenir le passage, cette année, pour six missionnaires et une gratification pour chacun, j'en enverrai un à M. Maillard, afin de le mettre en état de s'absenter de sa mission et de se porter de temps en temps à Louisbourg pour y tenir les Récollets en respect, s'ils veulent enfin reconnaître sa juridiction. Il pourra avec la même facilité visiter à l'Ile Saint-Jean les quatre paroisses qui s'y sont formées et qui y sont des- servies, savoir: la Pointe-Prime, par M. Girard; la Rivière du Nord-est, par M. Cassiette ; Saint-Pierre du Nord, par M. Dosque ; Malpec, par M. Péronnel. Quant au Fort Lajoie et aux familles qui sont dans le voisinage, c'est le

7. Lettre à Mgr de Pontbriand, 25 mars 1755.

362 l'église du canada

p. Ambroise, récollet, fort bon religieux, qui en a soin ^. »

M. Daudin avait d'abord reçu un accueil favorable, à son arrivée en Acadie. Eh bien, il y a à peine un mois qu'il est installé comme curé à Port-Royal, qu'il se voit traité par le gouvernement de la manière la plus indigne : on le met en prison, sur un simple sonpçon sans la moindre preuve qu'il a excité les Acadiens à se révolter contre les Anglais ^:

« Vous avez sans doute été informé, écrit l'abbé de l'Ile- Dieu à M^ de Pontbriand, du traitement que le gouverne- ment anglais a fait subir à quatre des principaux habitants de Port-Royal, et à M. Daudin, qui y est missionnaire, en les faisant conduire par cinquante fusilliers, d'abord dans les prisons des Mines, et ensuite à Halifax, au mois d'oc- tobre dernier. Heureusement que M. Daudin a si bien soutenu, et avec tant de liberté et de dignité, la cause de ses habitants et la sienne, qu'ils ont été relâchés et rétablis dans leurs postes, et avec une sorte de réparation du trai- tement qu'on leur avait fait, du moins pour M. Daudin, qui est un ecclésiastique de mérite, fort aimé de ses habi- tants et de tout ce qui reste d'Acadiens français sous le gouvernement anglais. »

Puis il ajoutait : « Par le dénombrement que m'en a envoyé M. Daudin, il y en a environ six mille trois cent dix huit, à qui il conviendrait d'envoyer des prêtres pour les soutenir dans leur religion et dans la fidélité qu'ils doivent à leur légitime souverain, sur les terres et sous le gouver- nement duquel le plus grand nombre voudrait bien pou- voir passer, surtout ceux qui sont dans la partie du sud. »

L'abbé de l'Ile-Dieu ajoutait encore :

<f J'aperçois dans les lettres de M. Desenclaves des sys-

8. Lettre à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754.

9. Les derniers jours de VAcadie, p. 132.

sous M«^ DE PONTBRIAND 363

tèmes et une façon de penser qui me feraient désirer que, sur le prétexte de son grand âge et de sa mauvaise santé, il voulût repasser en France. Outre les autres défauts que je lui ai remarqués, il est travaillé de jalousie contre M. Daudin, qui est un sujet bien supérieur à lui, à tous égards ; mais je crois qu'il faut le ménager, lui laisser prendre son parti, et non pas le lui suggérer, ce qui, sans doute, blesserait son amour propre, dont par malheur les hommes se défont diffi- cilement, et presque avec la vie, surtout quand il y entre de l'intérêt, qui, pour l'ordinaire, est la mesure des actions des hommes ^°. »

M. Desenclaves était !de beaucoup le plus ancien mis- sionnaire de l'Acadie. C'était un sulpicien du plus grand mérite, et nous avons peine à croire aux sentiments de jalousie que lui attribue l'abbé de l'Ile-Dieu. Longtemps curé de Port-Royal, il s'y trouva dans une position très délicate, vivant habituellement au milieu des Anglais de la garnison, ayant des rapports nécessaires et fréquents avec les commandants, et il sut toujours maintenir la dignité de son caractère, sans jamais se compromettre. Il conduisit à bonne fin les travaux de la nouvelle église de Port-Royal, et s'acquitta toujours de son ministère à la grande satisfaction de ses paroissiens. Mais le mauvais état de sa santé lui faisait désirer une position plus modeste et plus retirée :

« L'arrivée de M. Daudin à l'Acadie, écrit l'abbé Casgrain, lui permit enfin de réaliser son désir, et au mois de juin 1754, après l'avoir installé dans sa paroisse, il alla se retirer dans la petite Thébaïde de Poracoup, la plus lointaine des missions de Port-Royal. Il s'y trouvait alors vingt ou vingt-cinq familles françaises, formant au delà de cent individus, presque tous pêcheurs. Quelques-uns étaient

10. Lettre du 25 mars 1755.

364 l'église du canada

des armateurs fort à l'aise, disposant de plusieurs navires, avec lesquels ils faisaient un comtnerce actif, principa- lement aux iVntilles. La rade de Pomcoup, l'on voyait continuellement entrer et sortir des voiliers de toute grandeur et une foule de légères embarcations de pêche offrait un aspect guère moins animé qu'aujourd'hui. Cette rade, dont on connaît la pittoresque beauté, avait été le rendez-vous des corsaires et écumeurs de mer de différentes nations, français, anglais, espagnols, qui y avaient entre- tenu l'aisance et souvent la richesse ^^ »

C'est cet endroit que le bon et doux M. Désenclaves avait choisi pour s'y reposer un peu, tout en travaillant encore dans la mesure de ses forces au bien spirituel de ses chers Acadiens. Il était lorsqu'arriva « le grand dérangement », qui ne l'atteignit pas tout d'abord. Ce ne fut qu'au printemps de l'année suivante que le village de Pomcoup fut investi, pillé et incendié. M. Desenclaves fut fait prisonnier avec plusieurs de ses paroissiens, et transporté au Massachusetts, oii il fut détenu plus de deux ans dans une dure ceptivité. Enfin, en 1759, il obtint la liberté de repasser en France.

« Il alla passer, dit l'abbé Casgrain, le peu de jours qui lui restaient à vivre dans le Limousin, son pays natal, d'oii il s'était exilé trente ans auparavant pour accomplir l'œuvre de sa vie. On ignore la date de sa mort. »

* * *

Mais revenons à M. Daudin qui avait remplacé M. Desenclaves à Port-Royal. Comme il n'y avait pas de grand vicaire dans l'Acadie anglaise depuis le départ de M. de Miniac, l'abbé de l'Ile-Dieu proposait à M^^ de Pont-

II. Les Sulpiciens en Acadie, p. 425.

sous M^* DE PONTBRIAND 365

briand de le nommer à cette fonction ; et il en donnait la raison :

((Il n'est pas possible, disait-il, que M. 'Le Loutre ni M. Maillard aient aucune inspection sur les prêtres qui desser- vent l'Acadie anglaise, du moins à découvert : le premier, parce qu'il est odieux au gouvernement ; et il n'est pas difficile d'en deviner les raisons, ni le traitement qu'il lui ferait, s'il tombait entre ses mains ; le second, M. Maillard, par les liaisons nécessaires qu'il a avec le gouvernement de Louisbourg. Ainsi, voyez sur cela, monseigneur, ce que vous avez à faire ^^ ».

Hélas! au moment même oii l'abbé de l'Ile-Dieu s'occu- pait ainsi du grand vicariat de l'Acadie anglaise, le sort de l'abbé Daudin et de ses confrères se décidait dans le Con- seil du gouvernement de Port-Royal. La guerre n'est pas encore déclarée entre la France et l'Angleterre ; et cepen- dant, contre le droit des gens, on s'empare, au mois de juin, de Beauséjour, grâce à l'impéritie de Vergor, le com- mandant français, qui n'a pas su gagner la confiance et mettre à profit la bravoure et la bonne volonté des Aca- diens ^^ Le fort Gaspareau, commande Rouer de Villeray, se rend quelques jours après. On exige des Aca- diens un serment de fidélité sans condition, les obligeant par conséquent à prendre les armes contre la France ; et sur leur refus, on se met à les inquiéter et à les harceler de toutes manières. Pour accomplir sûrement le projet inique qu'on a machiné contre eux, il faut commencer par leur enlever leurs protecteurs naturels, les missionnaires ;

13. Lettre du 25 mars 1755.

14. " Il était plus attaché à ses intérêts qu'à son métier, dont il ne possède aucune partie, écrit Jacau de Fiedmont. Ceux qui confient des postes à de tels officiers sont plus blâmables que les officiers." "Il n'avait rien au-dessus du savoir d'un simple soldat," écrit M. de Lar- tigue. (tes derniers jours de l'Acadie, p. 159 et 171).

366 l'êglisr du canada

et on n'hésite pas à le faire sans délai. Ici, laissons parler Pabbé Daudin lui-même :

« Ce n'était pas assez pour les Anglais, dit-il, de harceler les habitants, ils pensèrent qu'en enlevant les prêtres ils disperseraient plus aisément le troupeau. En conséquence, le Conseil donna ordre, le premier août, d'enlever les trois missionnaires qui étaient dans la province ; et l'on envoya pour cela trois détachements de chacun cinquante hommes. Celui des Mines fut enlevé le 4 août. Celui de la Rivière- aux-Canards se cacha pendant quelques jours pour aller dans les églises consommer les saintes hosties, et se rendit lui-même au fort de Pigiquit, le dix, pendant que son détachement le cherchait encore. Celui de Port-Royal (M. Daudin lui-même) fut pris le 6 août, en disant la messe, qu'on lui laissa achever. Heureusement qu'en entendant tomber les crosses de fusils tout à l'entour de l'église, il se défia de l'aventure, et consomma les saintes hosties. A peine eut-il achevé la messe, que l'officier commandant lui signifia de la part du Roi de le suivre.

a On visita la sacristie et le presbytère, d'où on enleva tous les papiers, registres, lettres et mémoires. Le mis- sionnaire fut conduit dans une habitation distante d'un quart de lieue, il fut consigné jusqu'au lendemain matin que devait venir un autre détachement pour l'ac- compagner. . .

« On rassembla les trois missionnaires dans une prison commune, au fort de Pigiquit, et de on les conduisit à Halifax, avec cent-cinquante hommes de troupes. On ne peut exprimer quelle fut la consternation du peuple lorsqu'il se vit sans prêtres et sans autels. Les mission- naires donnèrent ordre de dépouiller les autels, de tendre le drap mortuaire sur la chaire et de mettre dessus le Cru- cifix ; voulant par faire entendre à leur peuple qu'il n'avait plus que Jésus-Christ pour missionnaire.

sous M^^ DE PONTBRIAND 367

« Tous fondaient en larmes et réclamaient la protection du missionnaire de Port-Royal, en le suppliant de les mettre sous la protection de leur bon Roi, le Roi de France, protestant que Sa Majesté Très Chrétienne n'avait pas dans son Royaume des cœurs plus sincères que les leurs, ce que le missionnaire leur promit autant qu'il serait en son pouvoir, ignorant lui-même sa destinée.

« Aussitôt que les prêtres furent enlevés, les Anglais arborèrent pavillon sur les églises, et en firent des casernes pour servir au passage de leurs troupes.

« Les missionnaires arrivèrent donc à Halifax dans ce bel accompagnement, tambour battant. On les conduisit sur la place d'armes, ils furent exposés, pendant trois quarts d'heure, aux railleries, mépris et insultes ^^ »

Ils furent détenus ensuite séparément sur les vaisseaux de l'amiral Boscawen, puis envoyés à Portsmouth, en Angleterre, oii il leur fut permis de noliser un petit navire, qui les transporta à Saint-Malo ^^

* * *

Le récit de la déportation des Acadiens, avec toutes ses horreurs et ses détails d'une incroyable sauvagerie, a été fait par tant d'auteurs, que nous n'avons nullement l'in- tention de le reprendre. Ce qui nous semble convenir le mieux dans cet ouvrage, c'est de citer tout simplement la page si touchante du mandement de M^ de Pontbriand, le pieux Prélat raconte à ses diocésains ce douloureux évé- nement ^l La guerre de Sept-ans, quoique non oflSciel-

15. Cité dans Un Pèlerinage au pays d'Evangéline, p. 106.

16. Corresp. générale, vol. 100, lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu au mi- nistre, 23 décembre 1755.

17. La Cour de France fit écrire à l'abbé de l'IIe-Dieu pour avoir ce mandement et le faire imprimer. {Rapport. .. pour 1905, p. 230).

368 l'église du canada

lement déclarée ^^ est déjà commencée en Canada, a cette lugubre guerre, écrit quelque part M. de Broglie, qui a sonné le glas de notre monarchie » ^^. M«'' de Pontbriand applaudit aux succès remportés par les Canadiens à la Belle-Rivière, et les exhorte à continuer la guerre avec courage :

« La guerre, dit-il, que vous avez soutenue jusqu'à pré- sent avec tant de courage, va encore, selon les apparences, continuer pendant cette année, et peut-être avec plus de vivacité que jamais. Nos ennemis, enflés des succès qu'ils ont eus au bas de la rivière, et irrités de nos victoires rem- portées dans le haut de cette colonie, font de nouveaux préparatifs et semblent nous menacer de toutes parts.

La conduite qu'ils tiennent à l'égard des peuples de l'Acadie nous annonce ce que nous devrions craindre, s'ils étaient victorieux. Les Acadiens, sur le sort desquels nous ne pouvons assez nous attrister, ont été tout-à-coup désarmés et appelés sur des prétextes spécieux daus diffé- rents Forts ; ils y viennent avec confiance, et à peine y sont-ils arrivés, qu'à l'instant ils sont arrêtés, emprisonnés et de transportés dans des pays éloignés et étrangers. Les femmes éplorées se retirent avec leurs enfants dans les bois, exposées à l'injure des temps et aux suites funestes d'une disette presque générale, sans secours et sans soutien, maux qu'elles préfèrent au danger de perdre leur foi. Cependant l'ennemi en enlève un certain nombre ; pour intimider les autres, il menace de mettre les maris en une espèce d'esclavage ; quelques-unes, effrayées de cette me- nace, se rendent au lieu de l'embarquement ; le plus grand nombre, dépourvu de tout, se réfugie sur nos terres ; les

18. Elle ne le fut que le 18 mai 1756 de la part de l'Angleterre, et le 0 juin de la part de la France.

19. Vingt-cinq ans après, dans le Correspondant du ler juillet 1895, p. 37.

sous M*'^ DE PONTBRIAND 369

villages sont brûlés, les églises ont le même sort, on n'épargne que celles qui doivent servir de prison à ceux qu'on n'a pu embarquer ; les pasteurs sont saisis avec vio- lence et renvoyés pour toujours.

« Telle est. Nos Très Chers Frères, la triste situation de l'Acadie, quoique les Traités les plus solennels et les con. ventions faites tout récemment, lors de l'évacuation du fort de Beauséjour, semblassent lui en promettre une plus heureuse : tant il est vrai qu'il ne faut pas compter sur toutes les promesses, quelque sincères qu'elles puissent paraître ! »

IvC Prélat profite ensuite de ce qui est arrivé aux Aca- diens pour mettre les Canadiens en garde contre ce qui pourrait leur arriver à eux-mêmes:

« Vous vous souvenez, dit-il, que lorsque nous enlevâmes si glorieusement le fort Nécessité, on nous donna des otages, on promit de rendre les prisonniers faits dans l'action M. de Jumonville fut tué, contre le droit des gens et par une espèce d'assassinat ^^. Les otages nous demeurent, la promesse n'est pas exécutée. C'est cepen- dant à la faveur de mille promesses semblables que le général Braddock ^\ en cas de victoire, comptait gagner une partie d'entre vous, et envoyer l'autre dans l'Ancienne Angleterre, suivant les ordres secrets qu'il en avait reçus ^l

« Nous apprenons avec joie les dispositions courageuses dans lesquelles vous êtes, de vous opposer avec force aux projets ambitieux de nos voisins, qui agissent d'une ma- nière si irrégulière, et sur la parole desquels la prudence

20. Une espèce d'assassinat: voilà comment Mgr de Pontbriand n'hé- sitait pas à caractériser l'acte de Washington.

21.^ Braddock était arrivé en Virginie avec deux régiments anglais, le 20 février 1755, plus d'un an avant la déclaration de la guerre.

22. Notons bien cette parole de Mgr de Pontbriand : il devait y avoir, suivant ce qui avait été décidé par les chefs de Braddock, une dépor- tation Canadienne, semblable à la déportation Acadienne !

24

370 l'église do canada

ne permet pas de se reposer. Ainsi, quand même ils con- sentiraient à vous laisser dans vos biens, quand même ils ne voudraient pas vous obliger à prendre les armes contre la France ce qu'ils exigent des Acadiens quand même ils promettraient la liberté de la religion, ce qui vient de se passer dans PAcadie reudrait suspectes toutes ces pro- messes, et vous auriez bientôt la douleur de voir s'intro- duire dans ce diocèse, dont la Foi a toujours été si pure 23, les erreurs détestables de Luther et de Calvin. Vous allez donc combattre, dans cette année, non seulement pour vos biens, mais encore pour préserver ces vastes contrées de l'hérésie et des monstres d'iniquité qu'elle enfante à chaque moment.

« Animés par un motif si chrétien, nous espérons les plus grands succès, et que vous mériterez de nouveau, dans cette campagne, les éloges que le Roi et la famille royale vien- nent de vous donner à l'occasion de la victoire remportée près de la Belle-Rivière ^*. »

Cette belle victoire de la Monongahéla, qui fut notre « Fontenoy » et sauva pour le moment notre pays, fut au contraire l'occasion de la ruine des Acadiens : tant il est vrai que tout se tient en ce monde ! La Nouvelle-Angle- terre, exaspérée à la nouvelle de la déconfiture de Brad- dock, se décida immédiatement à frapper un grand coup, et à réaliser le projet machiné depuis longtemps de les extirper de leur pays :

(( C'est maintenant que l'on voit, écrivait M^ de Pont- briand à l'abbé de l'Ile-Dieu, combien ont eu raison les Acadiens d'évacuer la péninsule de l'Acadie, et le tort qu'ont eu ceux qui y sont restés, en ne suivant pas

23. "La Foi a toujours été si pure" au Canada! Quel précieux témoi- gnage de la part de Mgr de Pontbriandl Ne l'oublions pas, pour l'op- poser, dans l'occasion, aux ignorants et aux détracteurs.

24, Mandements des Eviques de Québec, t. II, p. 105, mandement du 15 février 1756.

se us M^ DE PONTBRIAND 37 1

l'exemple de ceux qui ont passé sur les terres de France, dès qu'ils ont vu que les Anglais pensaient à établir Chi- bouctou, aujourd'hui Halifax. En effet, si plus de qua- torze cents habitants bien établis, qui se trouvaient alors dans la péninsule de l'Acadie, eussent passé sur les terres de France, avec tous leurs effets morts et vifs, il leur au- rait été aisé alors de s'y établir librement et sans obstacle, et il n'aurait pas été si facile de les y attaquer, de les vaincre et de les disperser comme on a fait.

« Ce ne sera qu'à la paix, ajoutait l'Evêque, qu'on pourra penser à rétablir l'Acadie ; mais il y a trois grands incon- vénients : premièrement, la ruine presque totale des habi- tations; deuxièmement, la consommation des bestiaux, dont la péninsule était bien fournie ; troisièmement enfin, la dispersion des colons et cultivateurs, dont la plupart sont morts de misère ou de maladie ^^ »

Ah, quelle n'eût pas été la joie de M^^ de Pontbriand, s'il eût pu assister, comme de nos jours, à la « résurrection de l'Acadie » ! Il les croyais morts, ses chers Acadiens, tant ils avaient été frappés cruellement, mais un peuple reli- gieux et patriote ne meurt pas. Terrassés d'une manière atroce, ils ne perdirent ni la foi, ni l'espérance ; ils se recueillirent dans le malheur ; ils attendirent avec con- fiance de meilleurs jours : et ces jours sont venus. L'Aca- die française n'est pas morte : elle donne déjà et donnera de plus en plus des marques tangibles de sa vitalité.

25. Corresp. générale, vol. 102, lettre du 30 octobre 1757.

CHAPITRE XXVIII

COUP D'œiL SUR LES MISSIONS LOINTAINES DE L'ÉGUSB TH QUÉBEC : V. LES MISSIONS DE L*ILE SAINT- JEAN ET DE L'ILE-ROYALE. M. MAILLARD ET M. LE LOUTRE

Plus de missionnaires en Acadie, après 1757. La mission de l'Ile Saint- Jean. A riIe-Royale. Mémoire de l'abbé de l'IIe-Dieu. Raymond et Prévost, gouverneur et commissaire-ordonnateur de rile-Royale. Un projet de Mgr de Pontbriand pour Louisbourg. Louisbourg se rend à l'Angleterre. M. Maillard, seul, reste en Acadie. Lettres de MM. Le Loutre et Maillard.

NOUS n'avons plus aucun missionnaire dans la Nou- velle-Ecosse, sous le gouvernement anglais, ni dans PAcadie française », écrivait au ministre l'abbé de Pile- Dieu \ à la fin de 1755.

Elle est donc veuve de ses pasteurs, cette péninsule aca- dienne si belle, si intéressante et si riche ! Ses enfants Pont abandonnée, elle est déserte ... « Les rues de Sion pleurent, elles ne voient plus personne se rendre, comme de coutume, aux solennités religieuses » ^ : les églises elles- mêmes ont disparu, il n'y a plus que ruines et désolation.

L'abbé de l'Ile-Dieu ajoutait :

« Le seul missionnaire qui était dans PAcadie française, et qui desservait au moins quarante lieues de pays, sur les

i.Corresp. générale, vol. 100, lettre du 23 décembre. 2. " Viœ Sion lugent, eo quod non sint qui veniant ad solemnitatem. ** (Lamentations de Jérémie, I, 4)-

l'église du canada sous m»^ de PONTBRIAND 2>72>

trois rivières de Chipoudy, Peticoudiac et Memramcook, sous le fort de Beauséjour, a pris la fuite, sur la première nouvelle qu'il a eue que les Anglais voulaient faire enlever ses habitants pour les faire transporter en Angleterre. J'ignore ce qu'il est devenu ; je le crois cependant actuel- lement parvenu à Québec. »

Ce n'était pas rendre justice à M. Le Guerne. L'abbé de l'Ile-Dieu se trompait : il le reconnut plus tard : M. Le Guerne n'avait pas quitté son poste ; il resta fidèle jusqu'à la dernière heure à ses chers Acadiens, et ne quitta qu'au mois d'août 1757 le théâtre de ses travaux.

Mais après 1757, plus un seul missionnaire en Acadie, M. Le Loutre, dont le rôle a été si actif dans le pays que sa tête a été mise à prix par le gouverneur d'Halifax, a été fait prisonnier : il est maintenant dans le Château de Jersey, il sera détenu huit ans. M. Desenclaves a tenu bon tant qu'il a pu, en se cachant dans les bois avec ses paroissiens du Cap de Sable : lui aussi est maintenant prisonnier. M. Le Guerne vient de partir, le dernier: donc, plus un vSeul missionnaire dans toute l'Acadie, à la fin de 1757.

Mais les missionnaires de l'Ile Saint-Jean et de l'Ilc- Royale sont encore à leurs postes : l'heure du « dérange- ment w n'a pas encore sonné pour eux.

Dans une lettre qu'il adressait à M^ de Pontbriand le 29 mars 1754, l'abbé de l'Ile-Dieu lui donnait d'intéres- sants détails sur la population de l'Ile Saint-Jean, aujour- d'hui Ile du Prince- Edouard:

« M. Girard, à la Pointe-Prime, a trois cents habitants à desservir; M. Dosque ^, à Malpec, trois cent cinquante- six ; le P. Gratien, qui a remplacé le P. Ambroise à Port-

3. M. Dosque devint plus tard (1769) curé de Québec, succédant à M. Récher.

374 l'église du canada

Lajoye, dessert, outre la garnison, sept cent soixante trois habitants ; M. Cassiette, à la Rivière du nord-est, et M. Péronnel, à Saint-Pierre du Nord, environ douze cents habitants *.

«Il y a dans cette Ile, ajoute M. de l'Ile-Dieu, cent vingt sept familles, sur différentes rivières, trop éloignées des autres postes pour en tirer les secours spirituels.

<t Ces cent vingt sept familles demandent qu'on leur érige une paroisse. J'en ai écrit à M. Le Loutre, pour en conférer avec M. de Villejoint, commandant, et je lui mande de faire à ce sujet ce qu'ils jugeront à propos pour le progrès de la religion et le bien du service.

« Ces cent vingt-sept familles forment huit cent quatre- vingt-dix habitants, qui, dans l'éloignement ils sont des autres postes, ne peuvent guère se passer d'un ecclésias- tique.

« A l'égard de la subsistance de ceux qui y sont déjà, le Roi leur donne un petit secours de deux cent cinquante francs. M. Prévost leur a fourni jusqu'à présent des ra- tions. Ils commencent à tirer quelque chose de leurs ha- bitants, et la récolte a été assez bonne l'année dernière dans l'Ile. Mais ou y manque de moulins ; et il serait né- cessaire d'y envoyer du linge et de grosses étoffes pour l'habillement des pauvres, et même pour fournir à ceux qui seraient en état d'en faire l'acquisition, ce qui y serait bien plus nécessaire que les choses qu'on y a envoyées pour s'en défaire ^ des magasins de Québec ^. »

4. M. Cassiette était du diocèse de Langres, M. Péronnel, diocèse de Lyon, M. Lemaire, du diocèse d'Amiens, M. Daudin, du diocèse de Blois. (Correspondance de l'abbé de l'Ile-Dieu).

5. Bigot, toujours fidèle à lui-même, envoyait à l'Ile Saint-Jean ce dont il ne pouvait " se défaire " à Québec !

6. Lettre de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 25 mars 1755.

sous M^ DE PONTBRIAND 375

*

Les missionnaires de Pile Saint-Jean donnaient entière satisfaction à M. Pabbé de Pile-Dieu. Il n^en était pas de même de ceux de PIle-Royale :

«Les Récollets, écrit il à M^ de Pontbriand, font tou- jours très mal à Louisbourg ^. »

Il ajoutait quelques semaines plus tard :

« Les Récollets de Louisbourg ne veulent guère recon- naître d'autorité, ni professer de subordination. Leurs su- périeurs de Bretagne ont promis monts et merveilles à M. de Drucourt *. Nous verrons ce qui en résultera ^ »

A vrai dire, ces Religieux n'avaient jamais donné com- plète satisfaction à l'Evêque de Québec. On se rappelle les reproches que n'avait cessé de leur faire M^ de Saint- Vallier ^°. Il avait songé sérieusement à les remplacer par des prêtres séculiers, et n'avait cédé qu'à regret au désir de la Cour, qui voulait les maintenir dans le poste qui leur avait été confié. Les P>.écollets de PIle-Royale, à cette époque, appartenaient à différentes provinces de leur Ordre: ce qui était un obstacle à l'union. Il fut décidé pins tard, en 1731 ^\ que la mission de PIle-Royale serait confiée uniquement aux Récollets de la province de Bre- tagne, et les choses allèrent un peu mieux ^'^^ sans donner encore pleine satisfaction à l'autorité religieuse :

« Il est constant, écrivait M^ de Pontbriand deux ans après son arrivée à Québec, que les Récollets de Plle-

7. Lettre du 29 mars 1754.

8. Gouverneur de l'Ile-Royale après M. de Raymond (1753)

9. Lettre du 22 juin 1754

10. VBglise du Canada. . . , 1ère Partie, p. 375.

11. Ihid., deuxième Partie, p. 232. »

12. Rapport. . . pour 1905, p. 50.

376 l'église du canada

Royale, depuis plusieurs années, ne se comportaient pas bien ^^ »

Il les avait soumis à la juridiction d'un grand vicaire séculier, M. Maillard. Mais eux voulaient être indépen- dants, et menaçaient de partir, si leur supérieur n'était paS) lui aussi, grand vicaire :

« Il est triste pour moi, écrivait le Prélat à la Cour, de voir des Religieux vouloir être malgré moi grands vicaires, et pour réussir chercher tous les moyens d'obtenir des ordres de votre part pour le rappel de M. Maillard. »

Dans son désir de conciliation, il fit pour les Récollets de rile-Royale ce qu'il ne voulut jamais faire pour les Capucins de la Nouvelle-Orléans : il donna au Commis- saire des Récollets les mêmes pouvoirs qu'à M. Maillard, « pour les exercer de concert », tout en laissant à celui-ci un droit de visite et d'inspection sur toutes les missions de l'Ile-Royale et de l'Ile Saint-Jean. Les deux grands vi- caires, lorsqu'ils ne seraient point d'accord, devaient lui écrire « conjointement. »

Quel fut le résultat de cette mesure de conciliation? Trois ans plus tard, M^ de Pontbriand était si peu content des Récollets, qu'il voulait, comme M^^ de Saint- Vallier, leur substituer des prêtres séculiers ^* ; et s'il ne le fit pas, ce fut pour la même raison qui avait arrêté son prédéces- seur, afin d'obtempérer aux désirs de la Cour.

A la prise de Louisbourg par les Anglais, en 1745, les Récollets en avaient été chassés. Lorsque la ville fut rendue à la France, en 1748, la Cour les pria d'y revenir; et ils y revinrent en effet au nombre de six. La Cour n'était pas bien aise qu'on leur dît maintenant de s'en aller.

13. Lettre au ministre, 20 octobre 1743.

14. Corresp. générale, vol. 86, lettre de l'abbé de TIle-Dieu au mi- nistre, 26 février 1746.

sous M«^ DE PONTBRIAND Till

Revenant pourtant sur le même sujet, Pabbé de l'Ile- Dieu se décida, en 1751, à présenter au ministre, «de la part de l'Evèque de Québec «, un mémoire, dans le but de faire remplacer les Récollets de l'Ile-Royale par des prêtres séculiers.

Nous n'avons nullement l'intention d'analyser ce mé- moire : qu'il nous suffise de dire qu'il était d'un bout à l'autre une charge contre les Religieux Franciscains, qu'il accusait de manquer aux devoirs les plus essentiels de leur ministère pastoral, et de ne vouloir pas se soumettre à la juridiction du grand vicaire séculier, M. Maillard. Il fal- lait leur substituer des prêtres séculiers, et on ne devait leur confier tout au plus que le soin de la garnison des Forts 1^

Les renseignements fâcheux que l'abbé de l'Ile-Dieu avait obtenus sur les Récollets de l'Ile-Royale lui venaient probablement de M. Maillard, peut-être aussi de M. Le Loutre; et l'insistance que l'on mettait à opposer les prêtres séculiers aux Religieux offrait quelque chose de louche : M. Le Loutre et M. Maillard ne tardèrent pas de s'entendre dire qu'ils étaient hostiles aux Religieux. Un Récollet qui desservait un des postes de l'Ile-Royale, la Baie des Espagnols, ayant célébré d'une manière très irrégulière, et sans les permissions voulues, le mariage d'un soldat de la garnison, fut obligé de passer en France, par ordre de la Cour, ainsi que le soldat. Un officier de Louisbourg écrivit à cette occasion à un ses amis :

« MM. Maillard et Le Loutre, qui sont ici, ne sont pas fâchés de l'aventure: cela leur livre un beau champ de bataille pour chasser les moines m ^^.

15. Archives de l'archev. de Québec, mémoire à présenter à M, Rouillé, après 1751.

16. Les derniers jours de VAcadie, p. 113, lettre du capitaine Joubert à M. de Surlaville.

378 L^ÊGLISE DU CANADA

Quoi qu'il en soit, l'abbé de l'Ile-Dieu n'en continua pas moins à se plaindre des Récollets de l'Ile-Royale : ses lettres à M*^ de Pontbriand étaient tellement remplies de reproches contre ces Religieux, que le Prélat crut devoir un jour lui en faire la remarque; et son grand vicaire lui répondit pour se justifier :

« Vous m'avez fait l'honneur de me dire qu*en vous par- lant de la mission des Récollets, je chargeais un peu sur le manteau franciscain. Je voudrais avoir quelque chose de plus consolant à vous écrire ; mais il faut vous dire, monseigneur, les faits tels qu'ils sont.

« Elle est faible en sujets par le nombre, plus mince encore par la qualité et l'espèce des sujets. Vous en allez juger vous-même par le tableau de ce qu'elle est et de ce qu'elle devrait être.

« Premièrement, le P. Candide, qui y avait été envoyé pour curé, y est mort au mois de novembre. Il s'y était assez bien présenté. Il y prêchait exactement, dit M. le comte de Raymond dans sa lettre par laquelle il m'an- nonce sa mort. Il y laisse trois sujets, dont voici à peu près le portrait :

« Le P. Isidore, aumônier du Fort, et faisant ensemble les fonctions de curé depuis la mort du P. Candide. Ce bon Religieux est aimé et estimé, mais fort vieux, et à moitié sourd, sans aucune espèce de talent. Il est cepen- dant chargé de la garnison et de la paroisse.

« Les deux autres Religieux sont les Pères Paulin et Patrice, dont le gouvernement même demande le rappel en France, et qu'il a été obligé de rappeler lui-même des postes éloignés, pour les avoir sous ses yeux.

« Vous voyez par là, monseigneur, par qui est desservi Louisbourg. Il y faudrait un bon Religieux pour Curé, qui eût des mœurs et de la régularité, du zèle et le talent de la parole pour les Instructions publiques ; un second

sous M*"* DE PONTBRIAND 379

pour vicaire, qui soulagerait le premier pour les prônes, catéchismes, l'administration, la visite et la consolation des malades ; un troisième à la Grande-Batterie ; un quatrième au Fort ; un cinquième à l'Hôpital ; et pour ces cinq postes il y a trois sujets ; et de quelle espèce, vous le voyez, monseigneur. Jugez par si la ville de Louisbourg est desservie. »

Bref, de tous les Religieux de l'Ile Saint-Jean et de l'Ile Royale, il n'y avait guère que le P. Ambroise qui trouvait grâce aux yeux de l'abbé :

« 11 n'y a que le P. Ambroise, aumônier du Port Lajoye, dans l'Ile Saint- Jean, dont je voulusse répondre », écrit-il.

Le comte de Raymond, gouverneur de Louisbourg, dont il mentionne le nom dans sa correspondance, était un excellent homme, dont M. Maillard faisait l'éloge, et dont les missionnaires n'avaient qu'à se louer. Il n'avait qu'un défaut : un peu de vanité : il aimait à se faire donner du « monseigneur », au prône, par le curé, lorsqu'il y assistait ; il voulait aussi que son nom fût mentionné aux prières du Grand Prône, et que l'on y ajoutât que « M^^ le Gouver- neur veillait sans cesse pour le bien de la colonie » ^^.

Raymond avait pour adjoint M. Prévost, commissaire- ordonnateur. Voici ce que l'abbé de l'Ile-Dieu écrivait à M^"* de Pontbriand sur le compte de ce fonctionnaire :

« Nous avons bien lieu de nous louer du gouvernement de l'Ue-Royale, et en particulier de M. Prévost, à qui, monseigneur, vous pouvez vous adresser avec confiance et en toute sûreté, si vous avez quelque établissement à faire à Louisbourg. C'est un bon citoyen, qui aime le bien, et qui le fait et le procure autant qu'il est en lui. D'ailleurs la paix et la bonne intelligence régnent entre les puis- sances de ce gouvernement, et c'est un grand avantage

17. Les derniers jours de l'Acadie, p. 127.

380 L'éGLISE DU CANADA

pour cette colonie. Si M. Rouillé était resté Secrétaire d'Etat de la Marine ^^, je crois qu'on vous aurait donné M. Prévost *^. »

C'est-à-dire que le Canada fut à deux doigts de perdre M. Big-ot, en 1754 ! Bigot fut sur le point d'être remplacé par Prévost, le commissaire-ordonnateur de Louisbourg. Nous avons pour cela le témoignage de Pabbé de Pile- Dieu, corroboré par plusieurs autres. Bigot remplacé et parti, la carte des événements aurait pu changer du tout au tout. Comme le sort d'un pays tient souvent à peu de

chose !

* * *

Dans la lettre que nous venons de citer, l'abbé de Pile- Dieu faisait allusion à w un établissement » que l'Evêque voulait créer à Louisbourg. C'est-à-dire que le pieux Prélat, au zèle inlassable, dont le dévouement s'étendait à toutes les parties, même les plus reculées, de son diocèse, avait formé le projet de bâtir à Louisbourg une église et un presbytère vraiment dignes de Paveniî qu'il avait rêvé pour cette cité, la clef du Canada. Cette église et ce presbytère, il aurait pris sur lui d'en entreprendre la cons- truction avec ses faibles ressources, comme il avait fait pour sa cathédrale, quitte à recourir ensuite à la Cour et à ses diocésains :

« Ce que vous me faites l'honneur de me dire, monsei- gneur, de votre projet de bâtir une église et un presbytère à Louisbourg, lui écrit l'abbé de Pile-Dieu, me paraîtrait fort avantageux, tant pour la décence du service de Dieu, que pour la facilité des habitants ; mais à moins que la Cour ne vienne à votre aide, c'est une furieuse entreprise.

18. Il avait été remplacé par M. Berryer, plus froid, moins sjrmpa- thique aux colonies.

19. Lettre à Mgr de Pontbriand, ler avril 1753.

sous M^^ DE PONTBRIAND 381

et je ne vois pas que les circonstances soient favorables, surtout si nous avons la guerre, et que MM. les Anglais ne veulent pas accéder à la fixation des Limites, pour pêcher en eau trouble, comme ils l'ont fait jusqu'à présent.

« Si cependant la Cour se prête à vous donner des secours, et que vous puissiez construire une église, et un presbytère propre à loger cinq ou six bons ecclésiastiques, je suis persuadé que MM. du Saint-Esprit se porteront volontiers à vous les fournir, et ce serait un fort grand avantage que d'avoir à Louisbourg un petit hospice les missionnaires destinés pour l'Ile Saint-Jean, pour les ri- vières de Beauséjour et pour la Rivière Saint-Jean pour- raient d'abord débarquer, et ceux dont la santé com- mencerait à dépérir pourraient trouver un asile et des sujets pour les remplacer dans les postes que leur âge ou leurs infirmités les forceraient de quitter ^'^. »

Que de beaux projets la perte de Louisbourg, d'abord, celle du Canada, ensuite, vinrent arrêter, à peine éclos ! Que de déceptions, que de mésaventures ! Quant au projet de faire venir au Canada les prêtres du Saint-Esprit, en aussi grand nombre que possible, il y a longtemps qu'il hantait l'imagination de l'abbé de l'Ile-Dieu. Si on avait voulu l'en croire, ces dignes prêtres auraient occupé bien- tôt la plupart des missions du Canada, plusieurs des meil- leures cures, et quelques-unes de ses institutions, à com- mencer par le Séminaire de Québec ! Qui sait si cette préoccupation de tout donner aux Pères du Saint-Esprit ne fut pas pour quelque chose dans l'insistance de l'abbé de l'Ile-Dieu à se plaindre des Récollets de Louisbourg ?

Après tout, d'après son propre témoignage, il y avait à leur sujet du pour et du contre. Il y avait parmi eux d'excellents sujets; il y en avait d'autres dont la conduite

20. Lettre à Mgr de Pontbriand, 25 mars 1755.,

382 L* ÉGLISE DU CANADA

laissait à désirer comme cela peut arriver dans tout corps religieux ; mais du moment que la chose parvenait à la connaissance des Supérieurs, ils faisaient leur possible pour y remédier. Il y avait dans la mission de Louisbourg des hommes de talent, et il y en avait d'autres moins bien doués: qui pourrait en être surpris? Ce qui aurait pu sur- prendre, c'est qu'ils eussent eu toujours sous la main des hommes éminents pour remplacer ceux qui disparaissaient, comme ils le firent, par exemple, à la mort du P. Candide, cet excellent prédicateur, qu'ils purent remplacer de suite à la cure de Louisbourg par un autre non moins remar- quable :

« Le Père Clément, que les Récollets ont envoyé ici pour être curé, est arrivé, écrit M. de Raymond. Ce curé a très bien débuté. Il prêche fort bien : j'ai été à un sermon qu'il nous a donné le jour de la prise de possession 2^. . . »

Seulement, les hommes de talent ne sont pas toujours les plus parfaits ; et cela se fit voir de suite pour le P. Clément, qui, à peine arrivé à la cure de Louisbourg, montra tant de prétentions, et si peu de disposition à se soumettre à la juridiction de M. Maillard, malgré les recom- mandations que lui en avait faites M^"^ de Pontbriand, que ses Supérieurs ne tardèrent pas de le remplacer par un autre, plus humble, et par même plus vraiment reli- gieux. Ecoutons encore une fois l'abbé de l'Ile-Dieu :

<( M. Maillard, écrit-il à l'Evêque, ne m'a presque rien mandé des Récollets de Louisbourg. Il s'est contenté de m'envoyer le détail des Postes qu'ils desservent, sans me parler même du P. Clément Dasquin, supérieur, ni de ses prétentions, non plus que des ordres que vous lui aviez donnés à ce sujet, monseigneur. Mais le Provincial qui vient d'être nommé m'a mandé qu'il changeait le Supé-

ai. Les derniers jours de fAcadie, p. 105, lettre du comte de Raymond à M. Rouillé, 1er octobre 1753.

sous M^ DE PONTBRIAND 383

rieur, et rappelait le P. Clément, auquel il a donné pour successeur le P. Ambroise ^^, qui a été longtemps aumônier au Poit Lajoye, et qui me paraît un fort bon Religieux, du moins à ce que j'en ai pu juger pendant le temps qu'il a passé à Paris, je l'ai beaucoup vu.

(( Comme il a toujours bien vécu avec les missionnaires séculiers de l'Ile Saint- Jean, dont il se loue beaucoup, ainsi qu'ils le font de lui, il faut espérer qu'il vivra de bon accord et en bonne intelligence avec M. Maillard, avec lequel il a toujours été assez étroitement lié, et dont il est très disposé à reconnaître la juridiction, et à plus forte raison la vôtre, monseigneur.

(c Vous trouverez dans ce paquet une lettre de lui, avec une copie de la Patente de son Provincial, que j'ai cru devoir vous faire passer, en gardant l'original écrit de sa main, pour y avoir recours, si le cas y écheoit.

« Ce religieux m'a promis de remettre sa mission dans Pordre elle doit être, et de bien vivre avec les Pères de la Charité qui desservent l'hôpital de Louisbourg ; et il m'a paru que ceux de Paris l'avaient beaucoup fêté.

« Tout ce que je crains pour lui et pour le bien qu'il peut faire, c'est sa santé, qui est fort délicate ; car, du reste, je le crois un fort bon sujet, très bon religieux, et d'un carac- tère doux et conciliant ^^. . »

Enfin, l'abbé de l'Ile-Dieu allait pouvoir respirer à l'aise : la mission de Louisbourg paraissait entrée dans une bonne voie. Quel bonheur pour lui, s'il pouvait s'exempter à l'avenir de « charger sur le manteau franciscain » ! car il « professait toujours, disait*il, pour l'Ordre religieux la plus profonde vénération » 2*. Mais les choses de ce monde sont bien caduques ; et souvent c'est au moment l'on

22. Son nom était Ambroise Aubin. {Rapport. .. pour 1905, p. 215).

23. Lettre du 25 mars 1755.

24. Corresp. générale, vol. loi, lettre au ministre, 16 décembre 1756.

384 l'église du canada

croit arriver au port que l'on tombe dans l'abîme. On connaît la catastrophe de Louisbourg, et la prise, pour la seconde fois, de l'Ile-Royale par les Anglais, le 26 juillet

1758:

(( Ce n'était qu'un prêt, disaient-ils, que nous faisions à la France, en 1748, lorsque nous lui remettions Louis- bourg -^ »

On connaît également la noble défense du commandant Drucourt. Après six semaines de siège, Louisbourg, dé- fendu seulement par sept mille soldats, fut obligé de se rendre à l'amiral Boscawen, qui en avait quinze mille.

Louisbourg avait coûté à la France plus de trente mil- lions, avec son enceinte bien fortifiée, et ses souterrains spacieux, très bien voûtés, dont les flancs n'avaient pas moins de dix-neuf pieds d'épaisseur, « asile assuré pour les habitants du lieu, pensait l'abbé Maillard, qui peut-être les mettra plus d'une fois à couvert des furies de la bombe, et des coups de canon » -^.

L'Ile-Royale passa définitivement à l'Angleterre, et avec elle l'Ile Saint-Jean ; et c'en fut fait du règne de la France dans les parages du golfe Saint-Laurent.

*

* *

C'en fut fait également de la mission de Louisbourg et de celle de l'Ile Saint-Jean : tous les missionnaires séculiers et réguliers qui s'y trouvaient durent s'éloigner, le cœur triste, la mort dans l'âme, de ces lieux témoins de leurs travaux apostoliques, de ces églises qu'ils avaient cons- truites au prix de tant de sacrifices, de ces paroissiens aux- quels ils s'étaient attachés.

25. Les derniers jours de l'Acadie, p. 134.

26. Le Canada-français, Documents sur l'Acadie, t. I, p. 58.

sou» M^** DE PONTBRIAND 385

Seul Pabbé Maillard, qui représentait dans ces parages l'autorité de l'Kvêque de Québec, trouva moyen d'y rester. I] avait rendu service aux Anglais, en empêchant ses Micmacs de les terroriser, et il avait tellement gagné leur confiance, qu'ils lui permirent de se fixer, non pas dans son ancienne paroisse de Sainte-Anne du Cap-Breton, mais à Halifax même, le chef-lieu et le centre des Provinces maritimes. Le gouvernement anglais « lui accorda son logement et son habitation au fort d'Halifax, avec la permission d'y exercer librement les fonctions de son ministère ^'^ » en faveur des deux cent cinquante familles acadiennes établies aux environs de la ville. De il pouvait visiter de temps en temps les postes de l'Ile- Royale, de l'Ile Saint- Jean et de toute l'Acadie, et surtout ses bons sauvages Micmacs, qu'il desservait depuis si longtemps, et dont il avait fait de si bons chrétiens et de si chauds amis de la France.

Il était arrivé en Acadie en 1735, et s'était jeté avec tant d'ardeur dans l'étude de la langue micmaque, qu'il y était passé maître, au point d'exciter l'admiration de son confrère Le Loutre, qui arriva deux ans après lui, et se fit son élève durant tout un hiver pour l'apprendre lui-même ;

« C'est un trésor que ce missionnaire, écrit M. Le Loutre : je crois que le Seigneur lui a donné le don des langues. Il est étonnant de voir les progrès qu'il y a faits pour le peu de temps qu'il y est. C'est un ouvrier infatigable pour l'étude et les travaux continuels inséparables de ces missions ; c'est un ministre rempli de l'esprit apostolique, enfin un modèle à imiter. Heureux, si je pouvais suivre de loin ses traces, d'avoir vécu avec lui pendant six à sept mois ! , . .

(( Je commence, ajoutait-il, à écorcher la langue mic-

27. Le Canada-français, Documents sur l'Acadie, t. I, p. =,2.

386 l'église du canada

maque, et à me faire entendre ... Je n'avais presque plus d'espérance, mais elle se fortifie de jour en jour. L'accent ne me rebute point ; je crois qu'il approche un peu du basque, de l'anglais, et même du breton, qui est ma pre- mière langue ^^ »

Curieuses, en vérité, ces langues sauvages ! Très riches en images et en nuances de toutes sortes pour exprimer les objets matériels, ce que l'on voit, ce que l'on touche, ce qui tombe sous les sens ; d'une pauvreté désolante pour toutes les choses de l'âme, de l'esprit, de la religion, surtout. Cette pauvreté des langues sauv^ages occasionnait souvent plus d'un embarras aux missionnaires. L'abbé de l'Ile-Dieu, dans une de ses lettres à M^^ de Pontbriand, nous en donne un exemple, à propos d'une difiSculté qui avait été proposée et à laquelle M. Maillard avait répondu à sa manière :

« J'ai oublié de vous rendre compte, dit-il, de l'éclaircis- sement qui m'a été envoyé par M. Maillard, sur la forme de Baptême dont se servaient les Sauvages, quand, dans l'absence du missionnaire, ils étaient obligés de faire bapti- ser leurs enfants par un laïque.

« Vous observerez d'abord, monseigneur, qu'ils n'ont point de nom qui signifie la qualité de père, ni celle de fils. Voici la forme de leur Baptême, rendue en français :

« Je te baptise au nom de Celui qui a un fils, et de Celui qui a un père, et de Celui qui procède de Celui qui a un fils et de Celui qui a un père.

« Or Celui qui a un fils est le Père ; Celui qui a un père est le Fils ; Celui qui procède de Celui qui a un fils et de Celui qui a un Père, est le Saint-Esprit.

« Il paraît donc que cette forme est équivalente, non pour les termes énonciatifs. mais pour le sens énoncé, e^ à

28. Le Canada-français, Documents sur l'Acadie, t. I, p. 22,

sous M«^ DE PONTBRIAND 387

Baptisante intentum^ à celle dont nous nous servons en disant : « Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »

« C'est à vous, monseigneur, à juger et à décider de la validité de cette forme, et si elle est équivalente dans le sens et l'intention, quoique différente dans les termes.

(( Vous observerez, ajoutait M. de l'Ile-Dieu, que les enfants baptisés, sous la forme dont je viens d'avoir l'hon- neur de vous parler, par les Sauvages, sont toujours bapti- sés sous condition, lorsqu'ils sont présentés aux mission-

naires '^'^. »

*

Les quelques lettres qui ont été conservées de MM. Le Loutre et Maillard nous donnent une haute idée de leur vertu, de leur zèle, de leur dévouement aux Acadiens en général, à leurs bons sauvages en particulier. M. Le Loutre, que l'on se figurait préoccupé avant tout des affaires civiles et politiques de l'Acadie, supplie l'abbé de l'Ile- Dieu de lui obtenir de Rome des Indulgences pour ses missions. Il lui demande «six douzaines de catéchismes de Paris, avec quelques douzaines de Cantiques que j'ai vus, dit-il, au Séminaire» à l'usage des missions. . . Ajou- tez, je vous en prie, le plus que vous pourrez de chapelets ne m'oubliez pas, ne me refusez pas cette grâce » ^^

Lui et M. Maillard gardent toujours et partout un sou- venir reconnaissant et affectueux pour leur Séminaire des Missions-Etrangères. On retrouve avec plaisir dans leurs lettres les noms de nos bons vieux amis du Canada, les Brisacier, les Montigny, les Tremblay, pour lesquels ils ont une grande vénération. Ils se recommandent à leurs

29. Lettre du 28 mars 1756.

30. Le Canada- français, Documents sur l'Acadie, t. I, p. 24.

388 I^'EGUSE DU CANADA

prières et sollicitent «une part dans les bonnes œuvres d'une Communauté», à laquelle ils désirent rester toujours unis.

C'étaient des hommes de cœur dans toute la force du mot. M. Maillard a laissé en France sa vieille mère, mais il a eu soin de la recommander à l'un des directeurs du Séminaire de Paris, et il ne cesse de penseï à elle. Ecri- vant à son ami :

(( Je ne sais, dit-il, comment m'exprimer pour louer votre charité à l'égard de celle qui m'a donné le jour, et pour vous en marquer mon éternelle reconnaissance. »

Et puis, comme il est attaché à M. L,e Ivoutre, son com- pagnon d'apostolat ! Ils ont passé l'hiver ensemble ; et maintenant il faut que M. Le Loutre le quitte pour aller évangéliser les Micmacs de l'Acadie, dont il a appris suffi- samment la langue :

« Je suis assez tôt de retour à Louisbourg pour embrasser M. Le Loutre, qui embarque pour l'Acadie, à dessein d'hivernei avec les sauvages de ce pays, qui depuis très longtemps ont extrêmement faim du pain spirituel de la parole. Dieu fait bien toutes choses. Il m'a procuré un hivernement des plus gracieux par le bonheur que j'ai eu de posséder M. Le Loutre, et m'a fourni une belle occasion rd'apprendre en apprenant à mon confrère. Tout va bien pour le nouveau missionnaire : il est en état de faire valoir le talent évangélique partout il trouvera des Micmacs. Il ne parle pas encore bien correctement, mais il tient la clef des principales conjugaisons: ainsi l'usage lui rendra la parole assurée. »

En s'éloignaut de Louisbourg, M. Le Loutre a choisi la meilleure part, et laissé la plus triste à son confrère. Hélas I quelle désolante peinture nous fait M. Maillard de ce Louisbourg qu'on se figurait inattaquable, et qui l'était encore moins au point de vue moral et religieux qu'au point de vue stratégique !

sous M^ DE PONTBRIAND 389

« La plupart des Français qui y sont, dit-il, mènent une vie tout-à-fait contraire aux maximes évangéliques. Quoi qu'il en soit, je suis déterminé à rester avec les sauvages de cette Ile, ayant cette confiance en Jésus-Christ, qu'en m'efforçant de remplir tous les devoirs de mon ministère, l'opiniâtre indocilité de mes ouailles ne mettra point d*obstacle à mon salut.

« Nous continuons, ajoute-t-il à son ami des Missions- Etrangères, à profiter des règles de conduite que vous nous donnez. Nous voyons beaucoup de mal au lieu nous sommes, et nous ne disons rien. C'est tout dire, que l'im- piété y passe pour force d'esprit. On a pourtant dans l'ex- térieur un certain je ne sais quoi qui fait entrevoir quelque marque de catholicité ; mais on est dans le fond plus vicieux que le vice même. La jeunesse y est excessi- vement déréglée, parce qu'elle n'a devant elle que de per- nicieux exemples. Les cantines que les officiers entre- tiennent, au grand détriment de la religion, sont des écoles de Satan ^^ ; les entretiens qu'on y forme ne sont que blas- phèmes, qu'imprécations, que paroles exécratoires, que discours remplis d'obscénités : on s'y raille même impuné- ment des plus saintes cérémonies de l'Eglise ^^ ! »

Quelle difiFérence entre ces Français de Louisbourg, et les Acadiens de la Péninsule, « le peuple le plus vertueux que j'aie jamais connu ou dont j'aie lu le récit dans aucune histoire ». a écrit un huguenot qui avait vécu au milieu d'eux 33 !

La Providence voulut que leurs deux grands mission- naires. Le Loutre et Maillard, leur restassent attachés jus-

31. Il n'y en avait pas moins de vingt-huit à Louisbourg, pour une population totale de quatre mille âmes ! On faisait payer dix pistoles par année pour la bâtisse du Couvent, à ceux qui obtenaient la permis- lion de tenir ces cantines. {Les derniers jours de VAcadie, p. 122).

32. Le Canada-français, Documents sur VAcadie, t. I, p. 63.

33. Cité dans Un Pèlerinage au pays d'Evangéline, p. 384.

390 Iv'ÉGLISE DU CANADA

qu'à la fin. Le Loutre, sorti enfin de sa prison de Jersey et repassé en France, y rencontra un groupe important d'Acadiens qui s^étaient réfugiés à Belle-Ile, non loin des côtes de Bretagne : il leur témoigna le plus vif intérêt, et leur consacra tout ce qui lui restait de force et de santé. Maillard, de son côté, tout en desservant ses Acadiens d'Halifax, n'oubliait pas les différents groupes dispersés çà et là, et correspondait avec eux autant qu'il le pouvait : il écrit un jour à l'un de ces groupes :

« J'ai soin tous les dimanches de vous avoir présents en esprit, et de vous regarder alors comme joints à nous dans l'action du Saint Sacrifice. Faites de même dans vos prières communes. . . «

Il n'oubliait pas non plus ses chers Micmacs, et ce furent eux qui l'assistèrent dans ses derniers moments, lorsqu'il mourut à Halifax en 1768. C'est que reposent ses restes mortels : l'élite de la société civile et militaire d'Halifax, le Gouverneur et le Conseil firent cortège à son cercueil '*.

34. Les derniers jours de l'Acadie, p. 240. Un Pèlerinage au pays d'Evangéline, p. 100.

CHAPITRE XXIX

TRISTE ETAT DE LA COLONIE CANADIENNE. LES MAL- VERSATIONS DE BIGOT. M. DE VAUDREUIL DÉSIRÉ COMME GOUVERNEUR

L'abbé de l'Ile-Dieu et l'intendant Bigot. Malversations de l'Inten- dant. — Avertissement de la Cour. Bigot passe en France. Renvoyé au Canada. Vaudreuil, désiré comme gouverneur. -^ Les Canadiens et Duquesne. Duquesne et Vaudreuil. Mgr de Pontbriand et Vaudreuil.

LA revue que nous venons de faire, aussi succinctement que possible, des missions lointaines de notre Eglise, était nécessaire, puisque ces missions en faisaient réel- lement partie, en vertu de la bulle d'érection du diocèse ^ Il n'en est pas moins vrai que nous avons dû, pour cela, nous éloigner du centre de notre Eglise et perdre de vue pour quelque temps l'Eglise de Québec proprement dite. Hâtons-nous d'y revenir, pour ne plus la quitter, cette fois, qu'à la fin même du régime français.

« Je vois que votre pauvre colonie est dans un état bien triste, écrivait l'abbé de l'Ile-Dieu à M^ de Pont- briand, au printemps de 1754. Mais on ajoute ici bien difficilement foi aux plaintes, et on imagine toujours qu'elles sont enflées et chargées de la part de ceux qui sont lésés ; et les Bureaux '^ ne sont pas ici pour le Public contre les auteurs des maux qui vous environnent.

1. Mandements des Evêques de Québec, t. I, p. 82.

2. Ce que nous appelons ici les Départements ministériels.

392 L^ÉGLISE DU CANADA

« Je suis cependant en état, ajoutait-il, de faire voir clair au ministre. Mais le voudra-t-il, quoique bien inten- tionné?^ Voilà ce que j'ignore, et ce que j'essaierai cependant, car il est fâcheux qu'un aussi honnête homme soit trompé à ce point. »

Il s'agit ici des exactions et de la corruption effrénée de Bigot et de ses complices, qui semblaient avoir juré de ruiner la colonie, en la pressurant, avant qu'elle passât à la couronne d'Angleterre, se doutant bien que c'en était fini du Canada pour la France: l'abbé de l'Ile-Dieu ajou- tait, en effet :

« M. Bigot vide ses magasins et se défait, sur le compte du Roi, de ses pacotilles. Que fera-il de ses vaisseaux de commerce et de ses bâtiments de transport, qui ne font autre chose pendant le cours de l'année que de voiturer, dans la belle saison, et d'hiverner, pendant les glaces, dans les ports de nos colonies occidentales, pour ne les pas avoir sur son compte?

« Vous croyez peut-être, monseigneur, qu'ici nous ne savons rien, ou que fort peu de chose, de ce qui se passe chez vous : pardonnez-moi ; et si le ministre veut, il n'a qu'à dire : Loquere^ et loquar. »

M. Rouillé ayant été remplacé au ministère, l'abbé de l'Ile-Dieu ajoutait l'année suivante :

« Quant au mémoire particulier que vous m'avez envoyé sur les abus qui se commettent au préjudice de l'Etat et de la colonie, je n'ai pu en faire usage. Nous n'avons plus M. Rouillé, et j'ignore si notre nouveau ministre veut être instruit ; mais ce que je sais, et ce que je vois tous les jours, c'est qu'on met tout en œuvre pour qu'il ne le soit pas *. . . »

3. C'était encore, à cette date, M. Rouillé qui était à la tête des affaires coloniales ; mais il était à la veille de faire place à M. Berryer, homme malade et à l'esprit étroit.

4. Lettres à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754; 25 mars 1755.

sous M*^' DE PONTBRIAND 393

Faire fortune aux dépens de l'Etat et des pauvres Cana- diens, mener la vie à grandes guides, se livrer avec un cynisme éhonté aux plaisirs, au jeu, aux débauches scan- daleuses, tel est l'affreux système que Bigot avait mis en honneur à Québec dès le début de son administration et enseigné à ses créatures, qu'il plaçait d'un bout à l'autre du pays. A Vergor, par exemple, qu'il avait fait nommer commandant à Beauséjour :

« Profitez, mon cher Vergor, écrivait-il, profitez de votre place. Taillez, rognez, vous avez tout pouvoir, afin que vous puissiez bientôt me venir joindre en France, et acheter un bien à côté de moi ^ »

Evidemment, d'après la lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu, M*' de Pontbriand s'était ouvert à lui l'automne précédent pour lui exposer « le triste état de la colonie », et le prier d'en informer le ministre. Les plaintes des Canadiens, d'ailleurs, arrivaient nombreuses et fréquentes à la Cour ; on y était au fait des malversations de l'Intendant, et le ministre l'avait averti plusieurs fois des accusations qu'on portait contre lui :

<c On prétend, lui disait-il, que la Société que vous avez formée accapare les farines; elle les achète au plus bas prix possible; vous les achetez ensuite de cette Société pour les magasins du Roi, et vous les payez bien au-dessus du prix courant. Veuillez me donner des éclaircisse- ments sur cette matière. La bonne opinion que j'ai de vous, de votre zèle, de la pureté de vos intentions, m'en- gage à vous avertir qu'il ne faut rien négliger pour faire cesser cet état de choses ^. »

Mais au lieu de profiter des avertissements. Bigot et ses complices, de connivence, d'ailleurs, avec le Gouver-

5. Les derniers jours de l'Acadie, p. 130.

6. Rapport... pour :ço5, p. 149, lettre du 7 mai 1751.

394 l'église du canada

neur général '^, continuaient d'année en année leur afEreux système, et retendaient non seulement aux farines, mais à tous les objets dont il fallait approvisionner les magasins du Roi ; et Dieu sait combien il y avait de ces maga- sins dans toute l'étendue de la colonie ! Ils se mul- tiplièrent, naturellement, avec le nombre des Forts qu'il fallait construire pour se protéger contre les Anglais. Il ne s'en bâtit pas moins de huit, de 1748 à 1754: Gaspa- reaux, Beauséjour, Rouillé, la Présentation, Presqu'île, Rivière-aux-Bœufs, Machault, Duquesne. Bigot était in- téressé à les multiplier : ce qui faisait la ruine du pays faisait sa fortune. Les choses allèrent si loin, et les pro- testations devinrent si vives et si nombreuses, que Bigot crut devoir demander un congé pour aller en France ren- dre compte à la Cour et expliquer sa conduite. Il obtint facilement ce congé et partit dans l'automne de 1754, lais- sant pour le remplacer à l'intendance une de ses créatures, M. Varin.

Il était si habile, il avait d'ailleurs tant d'amis et de protecteurs à la Cour, qu'il réussit à jeter un voile sur toutes ses malversations. Un instant on avait espéré qu'il allait être remplacé au Canada par M. Prévost, le commis- saire ordonnateur de l'Ile-Royale, ou bien par M. de Givry, ou encore par M. de la Porte. Ce n'est pas lui qui fut remplacé ; c'est l'honnête M. Rouillé qui fit place à Berryer, au bureau des affaires coloniales, à ce Berryer resté tristement célèbre dans notre histoire par deux pa- roles que nous nous reprocherions de ne pas rappeler ici de suite, adressées, l'une à Bougainville, l'autre à la duchesse de Mortemart. Cette grande dame lui recom- mandait un jour Vauquelin, qui avait servi avec honneur dans la dernière guerre du Canada ; et elle sollicitait pour

lui de l'avancement :

_^

7. Les derniers jours de l'Acadie, p. 131.

sous M»' DE PONTBRIAND 395

rr Madame, lui répondit Berryer, je sais très bien que M. Vauquelin a servi le Roi merveilleusement, comme un héros ; mais il n'est pas gentilhomme de naissance, et je dois pourvoir aux demandes d'un grand nombre d'officiers de grandes familles. Il s'est formé dans le service mar- chand : qu'il y retourne ^ ! »

Quant à la fameuse, ou plutôt l'ignoble parole de Berryer à Bougainville, l'aide-de-camp de Montcalm, qui ne la connaît ? Bougainville était passé en France pour sollici- ter des secours pour le Canada, et reprochait à la Cour l'abandon qu'elle faisait de sa colonie :

« Eh, monsieur, lui dit Berryer, quand le feu est à la maison, on ne s'occupe pas des écuries ^. On ne dira pas, du moins, repartit Bougainville, que vous parlez comme un cheval ! »

Et Berryer nous renvoya Bigot comme intendant du Canada, voulant sans doute nous donner par la mesure de l'intérêt qu'il portait à notre pays !

« On a jugé à propos de vous renvoyer M. Bigot, écrivait l'abbé de l'Ile-Dieu à M^^ de Pontbriand. Je ne l'ai qu'en- trevu une fois à Versailles : il sortit de la maison il était presqu'aussitôt qu'il m'y vit entrer, et qu'on m'y eut nommé... Je n'en devine pas bien la raison; mais il m'est fort égal de la savoir ou de l'ignorer : il ne lui arri- vera jamais autant de bien que je lui en souhaite, surtout

8. Cité par Ferland, Cours d'histoire du Canada, t. II, p. 598.

9. Dans son beau livre La France vivante en Amérique du Nord (p. 118), M. Hanotaux attribue cette parole à Mme de Pompadour. Mais il est peu vraisemblable que Bougainville aurait osé faire à Mme de Pompadour la réponse qu'il fit à Berryer. Or cette réponse est au moins aussi authentique que la parole qui la provoqua.

Une autre parole, dans le genre de celle de Berryer : " Demandons- nous si les chiffres viennent appuyer la thèse que la France était tenue d'honneur à continuer de gorger, quand même, ce peuple de sangsues (le peuple canadien) attaché à sa ruine, pour la garde d'un continent problématique. " (La jeunesse de Bougainville et la guerre de Sept-Ans, p. 117.)

10. Cité dans Les Ursulines de Québec, t. II, p. 317.

396 L'ÉGLISE DU CANADA

du côté de la considération et de l'estime publique, seules dignes de flatter l'ambition du citoyen et de remplir ici- bas le vœu du chrétien ; car tout le reste périt et s'évanouit avec eux, ou ne survit pas pour eux ^^ »

Il paraît, du reste, que les recommandations que Pon fit à l'intendant, ne furent pas, cette fois, tout-à-fait inutiles, car l'abbé de l'Ile-Dieu ajoutait l'année suivante :

« La seule raison qui a obligé de renvoyer M. Bigot à Québec, est la difficulté qu'il y aurait eu à y faire passer un homme tout neuf, dans les circonstances présentes. Il y fait bien : Dieu soit béni ! J'ai été le premier à en rendre compte d'après ce que vous m'en avez mandé, quoiqu'il m'ait évité pendant son séjour en France et qu'il soit sorti de chez M. de la Porte parce que j'y entrais, et d'après la précaution que le maître de la maison prit de me nommer trois fois de suite par mon nom » ^^.

*

Il est regrettable que nous n'ayons pas la correspondance de M^ de Pontbriand avec son vicaire général à Paris, comme nous avons les lettres de celui-ci au vénéré Prélat. Nous pouvons, du moins, conjecturer sûrement, d'après ces lettres, ce que lui écrivait l'Evêque. Il avait la plus grande confiance dans son vicaire général et lui parlait à cœur ouvert des besoins de son Eglise. La confiance et l'abandon étaient réciproques :

a Je suis trop flatté et par conséquent trop payé, écrivait à l'Evêque l'abbé de l'Ile-Dieu, par la satisfaction que je ressens de pouvoir vous être bon à quelque chose, et d'avoir quelque part à tout le bien que vous faites dans votre

11. Lettre du 25 mars 1755.

12. Lettre du 28 mars 1756.

sous M^r DE PONTBRIAND 397

diocèse, et auquel je m'unis, du moins, d'intention, puisque *e suis hors d'état d'y contribuer autrement » ^^

« Laissons de côté, monseigneur, ajoutait-il dans une autre circonstance, les épanchements de cœur et de senti- ment, à condition que vous ne me reparlerez plus de votre reconnaissance. Vous m'aimez, je vous suis attaché ; nous ne cherchons que le bien, que la plus grande gloire de Dieu, le profit de l'Etat et celui de la Religion. Tout est dit. Mais ma peine est que je ne pourrai plus longtemps, non pas vous être attaché, car ce sera jusqu'au dernier soupir de ma vie, mais vous rendre les services que vous attendez de moi, car je me vieillis, et mes yeux me quittent. Dieu soit béni ! Il ne nous demandera pas plus qu'il nous a donné ^*. »

M^'^ de Pontbriand parlant à son vicaire général du « triste état de la colonie canadienne «, lui avait dit sans doute combien il serait heureux de voir arriver au Canada M. de Vaudreuil comme gouverneur. Il en était question depuis assez longtemps : c'était le désir de toute la colonie. Ni M. de la Jonquière, ni le marquis de Duquesne n'avaient su mériter et gagner l'estime et la confiance des Canadiens : au contraire, ils étaient généralement détestés. On n'en voulait plus, on ne voulait plus de ces gouverneurs français qui ne savaient pas prendre les Canadiens par le bon côté, commandaient nos milices à temps et à contretemps, sans aucun égard aux besoins des campagnes et de l'agriculture. Duquesne avouait lui-même w que toute la colonie était opposée aux opérations dont il était chargé » ^^ Une gazette de France avait même annoncé qu'il y avait eu révolte au Canada, et Duquesne faisait semblant d'en rire :

(( Je n'ai pu m'empêcher de rire, disait-il, lorsque j'ai vu

13. Lettre du 25 mars 1755.

14. Lettre du 28 mars 1756.

15. Corrcsp. générale, vol. 99, lettre au ministre, 29 septembre 1754.

398 I.' ÉGLISE DU CANADA

un gazetier, qui débitait qu'il y avait eu dans cette colonie une révolte, et que M. Pintendant et moi avions été assom- més par le peuple. Il ne s'est rien passé qui pût approcher de cette fausseté, malgré la famine que nous avons essuyée pendant deux aus. »

Cette famine parlait bien haut, cependant, contre son ad- ministration, contre son imprévoyance, contre son manque de tact à l'égard des habitants de nos campagnes. Il se sentait repoussé par l'opinion publique, et demandait néanmoins à la Cour qu'on lui laissât achever ses trois ans au Canada. Il aurait même désiré que son terme d'office fût prolongé :

« Je ne puis m'empêcher, écrit-il au ministre, de vous témoigner ma sensibilité sur ce que vous n'avez pas eu agréable de faire rouler sur moi jusques en automne les opérations du Canada. Je m'attendais à cet agrément, vu mon travail et les connaissances que j'ai acquises. J'en ai été vivement touché ^^. . . »

Mais les Canadiens avaient demandé à grands cris pour gouverneur un des leurs, M. de Vaudreui), qui avait fait si bien à la Nouvelle-Orléans, et la Cour avait décidé d'ob- tempérer à leurs prières :

(( Vous me demandez, écrit à l'Evêque l'abbé de l'Ile- Dieu, si M. le marquis de Vaudreuil est nommé gouverneur général. Oui . . . S'il partira cette année (1:754) . . . Non ; à moins qu'avant le mois d'août, qui est le temps le plus tardif puisse partir une frégate de France pour Québec, à cause des gelées, il n'arrivât quelque révolution qui obligeât la Cour à faire partir M. de Vaudreuil, pour apaiser un mécontentement que je vois universel, et prêt à éclater... Mais M. Duquesne a demandé à finir ses trois ans »... Et il ajoutait : « Si vous désirez M. de

16. Corresp. générale, vol. 100, lettre au ministre, 15 juillet 1755.

sous m8^ de pontbriand 399

Vaiidreuil, monseigneur, on le regrette beaucoup à la Louisiane, et à bien juste titre. Les lettres qu'on m'en écrit de toutes parts en chantent les louanges et en publient les regrets »j ^l

Puis l'année suivante, lorsque M. de Vaudreuil quitte Paris pour se rendre à son gouvernement :

« Il n'est pas nécessaire, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu, que je vous annonce M. et M™® de Vaudreuil, puisque c'est par eux que je vous fais passer ma lettre; mais je puis du moins vous féliciter sur l'acquisition que vous en faites dans la colonie. . . Les larmes qu'ils ont fait répandre à la Nouvelle-Orléans, à leur départ, et les regrets qu'ils y ont laissés sont d'heureux pronostics. . . Fasse le Ciel qu'ils ne soient pas traversés dans le bien qu'ils sont capables de faire ^^ ! . , .

Duquesne était humilié du peu de succès qu'il avait eu au Canada. Il s'en prenait à tout le monde, même à son successeur, qui n'avait pourtant d'autre tort que celui de le remplacer :

« Je ne puis vous taire, écrit-il au ministre, que mon suc- cesseur, avec qui j'ai beaucoup vécu dans les deux cam- pagnes que j'ai fait ici, a affecté d'écrire à des personnes qu'il n'a jamais vues ni connues, pour leur apprendre sa nomination au gouvernement du Canada, sans daigner m'en faire part.

« Cette indécence a tant éclaté dans cette colonie, que je ne puis m'empêcher de vous prévenir que je recevrai ce nouveau gouverneur avec toute l'indifférence qu'il s'est attirée de ma part. Mais je vous prie d'être bien persuadé que je l'instruirai avec patience, et que le bien du service n'en souffrira point ^^. . . »

17. Lettre du 29 mars 1754.

18. Lettre du 25 mars 1755.

19. Corresp. générale, vol. 99, lettre au ministre, 9 octobre 1754.

400 l'église du canada

Il avait fait, en plusieurs occasions, l'éloge des Cana- diens :

« Je ne connais pas dans le monde de meilleur peuple que le Canadien. Je suis enchanté de sa soumission et de son zèle ... «

Et voilà maintenant qu'il essaie, sous l'empire de nou- veaux sentiments, à faire oublier cet éloge :

(( Je ne cherche pas, écrit-il, le suffrage du Canadien, qui naturellement est ingrat ... Le Canada est un pays l'on est naturellement porté à ne jamais rendre justice à ce qui est respectable ^^. . . »

Ce qui probablement l'offusque le plus, c'est de se voir remplacé au gouvernement de la colonie, lui, le grand sei- gneur français, par un Canadien :

« Il m'est revenu, dit-il, que M. de Vaudreuil, mon suc- cesseur, a écrit à son frère et à son beau-frère, qu'il compte être ici en mai, ce qui m'engage à vous prévenir qu'il se pourrait bien que je ne pus me trouver à sa réception, parce que c'est directement le temps je serai à Montréal pour faire partir le détachement projeté ^^ . .

« Regardez, je vous prie, comme une précaution l'obser- vation que je vous fais à ce sujet, qui n'est qu'en vue de me mettre à l'abri des tracasseries indécentes dont ce pays fourmille, et qui iraient jusques à vous. J'ose vous assurer que je ferai mon possible pour me trouver ici à l'arrivée de ce nouveau gouverneur, car je grille d'envie qu'il arrive plus tôt que plus tard.

(( J'ai bien à me plaindre de la persévérance de son si- lence ^^ ; mais je me flatte que nous aurons si peu de temps

20. Ibîd., lettres du 2 novembre 1753, 29 septembre et 10 octobre 1754.

21. Il s'agit sans doute du détachement qui, sous les ordres de M. de Beaujeu, remporta le 9 juillet 1755 la brillante victoire de la Mononga- héla.

22. Toutes ces plaintes de Duquesne contre M. de Vaudreuil nous pa- raissent d'autant moins fondées, que celui-ci avait été plein d'égards

sous M»"* DE PONTBRIAND 40I

à rester ensemble pour le mettre au fait de la colonie, que je prendrai sur moi de modérer mon ressentiment pour son manque d'égard et de politesse ^^. . . >*

Il aurait été difficile de se montrer plus fielleux et plus désobligeant.

La réception chaleureuse que firent les Canadiens à M. de Vaudreuil compensa bien notre nouveau gouverneur de la bouderie du marquis de Duquesne à son égard :

« M. et M™^ la marquise de Vaudreuil ^*, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu" m'ont fait l'honneur de m'écrire. Je leur fais réponse. Je ne suis pas étonné qu'on les ait reçus avec plaisir, avec joie et acclamation. Ils étaient désirés, et ils sont bien propres à se faire aimer.

« Je me doutais, monseigneur, ajoute-t-il, de tout ce que vous m'annoncez de votre colonie, malgré ce qu'en avait dit en partant M. le marquis Duquesne à M. de Vaudreuil, et ce que le premier en a répandu en ce pays-ci. En vé- rité, le premier ne raisonne pas. Il est haut, altier et suf- fisant ; mais, de vous à moi, il ne connaît que le cours du fleuve Saint-Laurent, vos pays d'en haut et un peu ceux de la Louisiane. . .

« Vous avez raison de dire, monseigneur, ajoute-t-il en- core, que si notre respectable gouverneur général réussit il sera couvert de gloire, et que, sHl échoue^ on ne pourra le blâmer . . . Je voudrais bien du moins qu'on lui envoyât le cordon rouge ; il mérite cette décoration, et elle est né-

pour son successeur à la Nouvelle-Orléans : " M. de Kerlerec et lui, écrit l'abbé de l'Ile-Dieu, se sont conduits en gens d'esprit et de tête pendant le temps qu'ils ont passé ensemble à la Nouvelle-Orléans. On a cru que c'était un frère qui succédait à un frère, et jusqu'au dernier moment tout s'est fait en commun et de concert. Ils n'ont pas fait une démarche l'un sans l'autre..." (Lettre à Mgr de Pontbriand, 29 mars 1754).

23. Corresp. générale, vol. 99, lettre au ministre, 12 octobre 1754.

24. Pierre-François Rigaud de Vaudreuil; Louise-Thérèse Fleury d'Eschambault.

26

402 l'église du canada

cessaire vis-à-vis des Anglais. J'y ai fait tout ce que j'ai pu. Y aurai-je réussi? Me latet^ et multos ^^. . . »

Qui ne remarquerait l'estime et la considération, toujours soutenues, de M^' de Pontbriand et de l'abbé de l'Ile-Dieu pour notre premier gouverneur canadien, M. de Vaudreuil? « Si notre respectable gouverneur général réussit, disent-ils, il sera couvert de gloire ...» Ah, c'est qu'ils connaissent, eux, ces bons Français, Canadiens de cœur, la tâche rude et difficile qu'il a à remplir au Canada : protéger autant que possible ses compatriotes contre les exactions d'une administration corrompue, les traiter avec douceur, équité et justice, ménager leurs forces. Le patriotisme des Canadiens n'a pas besoin d'être stimulé ; il savent ce qu'ils doivent à la France :

« Je n'ai pas eu la moindre peine de les faire marcher en campagne, disait Duquesne, si injuste pourtant à leur égard. Ils se sont rendus à la minute lorsque je les ai commandés » ^^.

Mais les Canadiens savent aussi ce qu'ils doivent à leur pays, à leurs foyers. La plupart des officiers français, au Canada, n'ont en vue que « les grâces du Roi », suivant l'aveu ingénu de l'un d'eux ^'^; les Canadiens combattent, eux, /rd? aris et focis. En les appelant sous les armes, M. de Vaudreuil, qui les connaît, qui leur est dévoué, ne perdra jamais de vue les besoins de nos campagnes et de l'agri- culture. Voilà sa tâche, voilà son rôle : rôle effacé et obscur, mais vraiment providentiel.

A d'autres les rôles brillants et glorieux. La France est destinée à perdre le Canada ; mais elle ne peut le quitter sans gloire : Montcalm et Lévis y pourvoiront, et

25. Lettre à Mgr de Pontbriand, 28 mars 1756.

26. Corresp. générale, vol. 99, lettre au ministre, 29 septembre 1754. 2^. Lettre de Jacau de Fiedmont à Surlaville, Québec, 20 août 1755^^

dans Les derniers jours de ^Acadie, p. 138.

sous M*^ DE PONTBRIAND 403

jetteront sur sa retraite un éclat incomparable. Grâce à M. de Vaudreuil, le peuple Canadien, dont il a été le pro- tecteur et le père, survivra au départ de la France, sans avoir rien perdu de sa force et de sa vitalité.

M. de Vaudreuil n'aura pas réussi à conserver le Canada à la France, ni à arrêter les malversations de Bigot ; mais c'est ici le lieu de rappeler la parole de M^ de Pontbriand et de Pabbé Plie-Dieu à son égard :

« Si M. de Vaudreuil échoue, disaient-ils, on ne pourra le blâmer. »

Tant ils jugeaient la situation compromise î Vaudreuil conservera jusqu'à la fin l'estime de son Evêque et de tous les honnêtes gens. On sait ce que M^ de Pontbriand écri- vait de notre premier gouverneur canadien au lendemain de la capitulation de Québec :

« On raisonne ici beaucoup sur les événements qui sont arrivés; on condamne facilement. Je les ai suivis de près, n'ayant jamais été éloigné de M. de Vaudreuil de plus d'une lieue. Je ne puis m'empêcher de dire qu'on a un tort infini de lui attribuer nos malheurs. Quoique cette matière ne soit pas de mon ressort, je me flatte que vous ne désapprouverez pas un témoignage que la seule vérité me fait rendre '^. »

28. Cité par Ferland, Cours d'histoire du Canada, t. II, p. 584.

CHAPITRE XXX

1755

•Les Instructions données à M. de Vaudreuil. Les qualités de Bigot. Les usurpations de l'Angleterre ; ce qu'en dit l'abbé de l'Ile-Dieu. Braddock, De Beaujeu, la Monongahéla. L'échec de Dieskau. L'abbé de l'Ile-Dieu et les Canadiens. M. de Vaudreuil et les Canadiens.

M de Vaudreuil reçut à Paris ses lettres de gouverneur général de la Nouvelle-France le 22 mars 1755. Elles étaient datées du premier janvier. On eût dit que Louis XV, voulant faire plaisir aux Canadiens, qui l'avaient demandé pour gouverneur, avait tenu à leur accorder cette nomination sous forme d'étrennes.

Les lettres de M. de Vaudreuil étaient accompagnées d'instructions qui lui recommandaient expressément, entre autres choses, « de vivre en bonne intelligence » avec M. Bigot ^ Notons bien cette recommandation : plus tard on accusera de « faiblesse » M. de Vaudreuil, parce qu'il n'aura pas réussi à mettre un frein aux malversations de l'intendant. Mais pouvait-il se mettre en guerre avec Bigot, et cependant « vivre en bonne intelligence avec lui » ? Et n'est-ce pas le lieu de rappeler ici encore une fois la parole de M^*' de Pontbriand : « Si M. de Vaudreuil échoue, on ne pourra le blâmer. » La situation était presque irrémédiable ; e1 ce n'est pas lui qui l'avait créée,

I. Rapport... pour 1905, p. 200.

l'église du canada sous m»*" de pontbriand 405

c'est la Cour, en renvoyant M. Bigot au Canada, malgré toutes les observations et les plaintes qu'elle avait reçues des Canadiens et de l'Evêque lui-même.

Tout ce que pouvait faire notre gouverneur, c'était de protester contre le mal par sa conduite, par son exemple, par la dignité de sa vie : et ce devoir, il y fut fidèle jusqu'à la fin, au grand contentement de l'Evêque et de tous les bons citoyens.

Du reste, il paraît certain que Bigot, ne fût-ce que par habileté, crut devoir, à son retour de France, mettre de lui-même, tout d'abord, quelque frein à ses opérations financières : à ce point que l'Evêque, toujours porté à l'in- dulgence, en écrivit à l'abbé de l'Ile-Dieu son conten- tement. Celui-ci n'en croyait évidemment rien : on le voit par le ton un peu ironique de sa réponse : » Il fait bien, dit-il au Prélat : Dieu soit béni ! »

On ne pouvait d'ailleurs refuser à l'intendant Bigot, à côté de déplorables instincts, de grandes qualités. M«^ de Pontbriand en signalait un jour quelques-unes dans un de ses mandements: il louait «ses lumières, son activité, sa vigilance, son industrie pour trouver des ressources là- même les autres n'en apercevaient pas » ^. Faut-il s'étonner que M. de Vaudreuil. lui aussi, voyant M. Bigot dans de meilleures dispositions que par le passé, et voulant par ses bons procédés l'y entretenir, lui ait rendu un bon témoignage auprès du ministre ?

«J'ai eu l'honneur de vous informer, écrit-il, des soins que M. Bigot s'est donnés, pendant son séjour à Montréal, pour pourvoir à tout ce qui était nécessaire aux mouve- ments que j'ai été obligé d'ordonner pour contenir les An- glais à Chouaguen, et pour mettre l'armée de M. de Dieskau en état de faire une heureuse campagne. Cet intendant,

2. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 109, mandement du 15 février 1756.

4o6 L*éGIvlSE DU CANADA

monseigneur, a des talents peu ordinaires, ses ressources pour tout ce qui tend au bien du service sont inexpri- mables, son zèle et ses lumières m'ont grandement aidé dans tout ce que j*ai entrepris. Il est prévoyant, actif, et infatigable, quoique depuis qu'il est dans la colonie il n'ait pas eu huit jours de bonne santé ^. . . »

M. de Vaudreuil était arrivé à Québec le 23 juin et y avait été reçu par le chevalier de Longueil, en l'absence de M. Duquesne, qui était à Montréal. Dès le 12 juillet il était lui-même à Montréal pour y rencontrer son prédéces- seur et achever les préparatifs nécessaires à la campagne de Dieskau *.

Celui-ci était passé au Canada en même temps que lui, à la tête de trois mille hommes que le Roi envoyait au secours de sa colonie. C'était la réponse de Louis XV au geste assez singulier de l'Angleterre, qui, sans aucune pro- vocation, avait déjà pris les devants, et envoyé Braddock en Amérique avec des troupes sufl&santes pour s'emparer du Canada, s'il le jugeait à propos. Tout était laissé à sa discrétion et à celle des colons de la Virginie. L'Angle- terre se défendait encore, cependant, de vouloir la guerre : de fait, elle ne fut déclarée officiellement qu'au mois de mai 1756; et cependant les hostilités étaient déjà partout. L'amiral Boscawen, embusqué près des côtes de Terre- neuve, s'emparait le 8 juin de deux des vaisseaux de l'es- cadre française qui transportait les troupes de Dieskau au Canada ; trois jours auparavant avait eu lieu dans l'église de Grand-Pré le fameux guet-apens que l'on avait dressé aux Acadiens, sinistre avant-coureur de leur dispersion,

3. Corresp. générale, vol. 100, lettre au ministre, 28 octobre 1755.

4. Ibid., lettre de Vaudreuil au ministre, 27 juin 1755; lettre de Du- quesne au ministre, 15 juillet 1755.

5. Rapport. . . pour 1905, p. 203, lettre du ministre à Duquesne, 17 février 1755.

sous M^ DE PONTBRIAND 407

et quelques jours plus tard la prise par les Anglais des forts Gaspareaux et Beauséjour : tout cela arrangé de manière que la Grande-Bretagne pût s'en laver les mains et laisser aux colons de la Nouvelle-Angleterre tout l'odieux de ces tristes exploits.

Même politique du côté de la Belle-Rivière, avec cette nuance qu'ici l'usurpation de l'Angleterre était encore plus flagrante. Si la vallée de la Belle-Rivière n'appartenait pas à la France pour l'avoir parcourue en tous sens par ses pionniers et en avoir pris possession par Céloron de Blain- ville, elle appartenait encore moins à l'Angleterre: c'est l'aveu que fait lui-même quelque part M. Parkman ^. Mais les colons de la Virginie ne peuvent plus tenir dans leurs étroites limites, il leur faut de l'espace, il leur faut des terres. Une Compagnie la Compagnie de l'Ohio se forme en 1749, et le Roi d'Angleteire lui accorde deux cent mille acres de terre à prendre dans la vallée de l'Ohio, avec promesse de lui en donner trois cent mille de plys, si elle remplit certaines conditions. Et voilà les Anglais qui s'avancent peu à peu dan? leur nouveau domaine. Ils le font tout d'abord avec circonspection ; mais apprenant bientôt que les Français ont eu vent de leur entreprise, qu'ils sont, eux aussi, sur les lieux, et s'y fortifient, le gouverneur de la Virginie envoie Washington pour som- mer ces (( intrus « d'avoir à déloger d'un territoire qu'ils n'ont pas su coloniser. Nous avons déjà signalé le résul- tat de leurs premières rencontres, et cité le mandement M^ de Pontbriand apprenait à ses diocésains comment Jumonville avait succombé dans une de ces rencontres, la noble vengeance que M. de Villiers avait tirée de la mort de son frère en enlevant à Washington le fort Nécessité, et surtout l'admirable victoire canadienne de

6. The Conspiracy of Pontiac, t. I, p. 100.

4o8 l'église du canada

la Monongahéla, qui aurait assurer à la France la pos- session de la Belle-Rivière, si l'effet n'en avait pas été dé- truit presque aussitôt par la défaite française du Baron Dieskau.

Cette politique de l'Angleterre de s'avancer sur les terri- toires en litige et inoccupés, sans attendre que la possession en eût été déterminée par les arbitres nommés par elle de concert avec la France, nul ne nous paraît l'avoir mipux exposée que l'abbé de l'Ile-Dieu. Ecrivant un jour à M^ de Pontbriand :

« Il faut s'attendre à tout, dit-il, de la part d'une nation qui prend ses simples prétentions pour des titres incontes- tables . . .

« Le seul moyen de se garantir de l'avidité de l'Anglais serait de se cantonner et de se fortifier, de s'établir même dans ce que la France possède encore il parlait ici sur- tout de l'Acadie en attendant qu'elle pût répéter sur l'Anglais ce qu'il lui a enlevé. . .

« En Angleterre, ce sont des Compagnies qui forment les premières colonies et en font les frais. Si elles réussis- sent, le gouvernement les avoue et les en récompense par de simples concessions, en s'en réservant toujours la propriété domaniale et la souveraineté. Voilà pourquoi l'Anglais pousse toujours sa pointe, et ne donne de bornes à ses prétentions que celles de sa cupidité . ,

« Si au contraire ces Compagnies échouent, le gouver- nement les désavoue. On en peut donner pour exemple ce qui vient de se passer dans le nord de la Louisiane, du côté de Détroit, nombre d'Anglais avaient établi des magasins dans nos propres colonies. On s'en est plaint. Le gouvernement anglais s'est aperçu qu'ils n'y étaient pas assez affermis pour les y soutenir, et les a méconnus ''...»

7. Lettre du 19 février 1753.

sous M^ DE PONTBRIAND 409

Mais quant au territoire de la Belle-Rivière, la Grande- Bretagne était d'autant plus décidée à s'y maintenir qu'elle en avait besoin pour ses colons de la Virginie ; et elle y mit cette énergie, et surtout cet « esprit de suite », qui, suivant la remarque qu'émettait tout récemment M. Hanotaux, fit presque toujours défaut aux essais de colo- nisation de la France sous l'Ancien Régime :

« Ce qui a manqué à la France de l'Ancien Régime pour garder ses colonies, dit-il, c'est l'esprit de suite, et l'esprit de sacrifice à l'égard de cette famille lointaine que l'esprit d'aventure avait essaimée de par le monde. »

Et parlant encore un peu plus loin de la manière de coloniser de la France d'autrefois, M. Hanotaux ne craint pas de l'appeler une « colonisation de ménage et de lési- nerie » ^.

M. de la Galissonnière avait recommandé, durant son séjour au Canada, que la France envoyât dix mille colons dans la vallée de l'Ohio, si elle voulait en garder la posses- sion. Quelle ironie ! Ne savait-il pas que c'était tout au plus le nombre de colons qu'elle avait envoyés au Canada depuis l'origine de la colonie ?

Les Canadiens, comme nous l'avons déjà dit, n'avaient jamais favorisé l'établissement de la Belle-Rivière, parce qu'ils savaient que cet établissement ne pourrait se faire qu'à leur détriment, et que par la force des choses les colons de la Nouvelle- Angleterre y déverseraient le surplus de leur population. Il fallait avant tout travailler et com- battre pro arts et focis : ce qui ne les empêcha pas de faire noblement et glorieusement leur devoir lorsqu'ils furent appelés par qui de droit à s'opposer à l'entrée des Anglais dans cette vallée à laquelle la France avait si justement donné le nom de Belle-Rivière.

8. La France vivante en V Amérique du Nord, p. 113 et 133.

4IO ' L'éGLISR DU CANADA

Quelle admirable victoire que celle de la Monongahéla, gagnée par une poignée de Canadiens, assistés de quelques centaines de sauvages, sur une armée de trois mille hommes ! Pour nous, nous avouons franchement que de tous les beaux faits d'armes qui honorent notre histoire, nous n'en connaissons pas qui commandent davantage notre admiration : ce fut une victoire toute canadienne, gagnée par des héros animés des sentiments les plus chré- tiens : ce qui lui vaut une page spéciale dans cet ouvrage.

Braddock, l'arrogant Braddock, s'avance lentement et fièrement dans l'étroite vallée de la Monongahéla, à la tête de son armée disposée en trois colonnes. Il est bien sûr d'anéantir cette poignée de Français, qui est là-bas au bout de sa route. Cette exécution terminée, il filera vers le Saint-Laurent et s'emparera aisément du Canada ; puis ensuite nous avons pour cela le témoignage de M^ de Pontbriand lui-même ^ ce sera la dispersion des Cana- diens, qui devra aller de pair avec celle des Acadiens.

Braddock est tellement sûr de son affaire, qu'il se fait accompagner dans sa marche triomphante par sa fiancée, « habillée en amazone, montée comme lui sur un superbe cheval, et chargée de bijoux et de pierres précieuses valant au moins dix mille livres sterling » ^°.

Nous avons tenu à mentionner ce détail, pour faire res- sortir davantage la beauté et la noblesse de notre héros si chrétien, M. de Beaujeu, comparé à son orgueilleux adver- saire.

Les colonnes de l'armée anglaise marchent entre deux ravins, et s'avancent avec tant d'ordre et de régularité, que Washington, qui en fait partie, est dans l'admiration à la

9. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. 106.

10. Lettre de M. des Bourbes à Surlaville, dans Les derniers jours de VAcadie, p. 154: "Elle fut tuée, dit cet officier, combattant à côté de 8on amant, malgré toute l'envie qu'on avait de la conserver ! "

sous U^^ DE PONTBRIAND 4II

vue de la prestance et de la belle tenue de ces soldats anglais ".

Ils ne sont plus qu'à trois lieues du fort Duquesne ; et M. de Contrecœur, qui y commande, confie à M. de Beaujeu la noble et héroïque tâche d'aller rencontrer l'ennemi. Il n'a que deux cent cinquante hommes à lui donner ; mais quels hommes que ces Canadiens ! et quel comman- dant, ce M. de Beaujeu ! Un héros chrétien, digne des temps antiques ! Il a communié le matin même ; il est décidé à faire tout son devoir, et il se confie en la Providence pour le succès.

A ces deux cent cinquante Canadiens sont venus se joindre six cents Sauvages, au nombre desquels figure Pontiac ; mais à la vue de l'armée anglaise voilà ces Sau- vages qui hésitent, qui reculent devant le combat : « Eh quoi, leur crie M. de Beaujeu, allez-vous donc abandonner votre père dans ce moment critique ? » Cette parole les électrise et ils courent à la rencontre de l'ennemi : cachés derrière les arbres, à leur manière ordinaire, ils tirent sans merci sur les Anglais ; aucun de leurs coups ne porte à faux ^^

Les Anglais, massés en colonnes solides, se tournent vers les bois qu'ils croient remplis d'ennemis. M. de Beaujeu range en bataille son petit détachement de milices canadiennes, et ouvre le feu. Malheureusement il tombe frappé de mort, à l'une des premières décharges de l'ennemi. Dumas le remplace aussitôt au comman- dement, assisté de M. de Ligneris. Le combat dure quatre heures, et les Anglais finissent par lâcher pied. Bientôt c'est parmi eux une véritable débandade ; Braddock tombe mortellement blessé ; les Anglais laissent douze cents hom-

11. Ferland, Cours d'histoire du Canada, t. II, p. 524.

12. Les derniers jours de l'Acadie, p. 152.

412 l'êguse du canada

mes sur le champ de bataille, et un immense butin. Nos milices canadiennes et nos sauvages alliés rentrent triom- phants au fort Duquesne. Une poignée de Canadiens, avec l'assistance de Dieu, a opéré un véritable prodige :

(( Nous avons été battus, honteusement battus par une poignée d'hommes, qui ne prétendaient que nous inquiéter dans notre marche, écrivait Washington, après la Monon- gahéla. . . Que les œuvres de la Providence sont mer- veilleuses ^^ ! . . . »

M^^ de Pontbriand aura donc bien raison de dire à ses diocésains :

«Toutes les puissances de la terre ne sont rien devant Dieu ; elles n'ont de force qu'autant qu'il le veut, et lui seul est maître de la victoire : qu'il soit donc le seul objet de notre confiance. Si le Dieu des armées est pour nous, qui peut être contre? La plus grande force de l'ennemi ne sera que faiblesse ^*. . . »

*

Nos officiers canadiens et nos milices ont fait noblement leur devoir à la Belle-Rivière, et obtenu à cette occasion les félicitations et les éloges du Roi et de la famille royale ^^ Au tour, maintenant, de M. Dieskau : on attend beaucoup de lui : c'est un maréchal de camp, et il a sous ses ordres plusieurs régiments de troupes régulières, sans compter les milices canadiennes et les sauvages que M. de Vaudreuil a recrutés pour renforcer son armée.

On sait ce qui advint de son expédition au fort Frédé- ric, et l'échec que lui fit subir le général Johnson au Lac Saint-Sacrement, échec qui mit à néant les heureux effets

13. Cité par Ferland, Cours d'histoire du Canada, t. II, p. 527.

14. Mandements des Evêques de Québec, t. II, p. 107.

15. Ibid.

sous M^ DK PONTBRIAND 413

de notre victoire de la Monongahéla. Il s'était trop fié à lui-même et à ses connaissances militaires, très précieuses en Europe, bien peu utiles ici ; il avait mécontenté les Sauvages ^^; il avait divisé ses forces ^^, et n'avait pas su en tirer parti :

« La faute de Dieskau, écrit Ferland, fut la même que celle qui perdit Braddock, le mépris des soldats du pays et une trop grande confiance dans la tactique européenne ^^. »

La belle conduite de nos Canadiens à la Monongahéla fut justement appréciée en France ; et dans une lettre qu'il écrivait à M^^ de Pontbriand, l'abbé de l'Ile-Dieu se faisait l'écho des éloges qu'on leur adressait :

« Je suis content, disait-il, de nos chers et respectables ofl&ciers canadiens. J'ai oublié de leur donner le nom de braves, et d'y ajouter celui d'intelligents. L'affaire de l'Ohio leur fait beaucoup d'honneur. J'ai oiii dire ici à un maréchal de France qu'il voudrait en avoir la dispo- sition et l'exécution sur son compte. Je regrette beaucoup les braves officiers que nous y avons perdus, aussi bien que nos troupes canadiennes et les sauvages alliés. »

Il rendait aussi justice au Baron Dieskau ; et les détails qu'il donne sur son expédition font voir avec quel intérêt on suivait en France tous nos mouvements, tous les incidents de nos courses militaires :

« L'action du fort Frédéric avait bien commencé, dit-il. La première attaque avait réussi. Le feu vif de notre part avait fait succomber beaucoup d'Anglais; peu de pertes pour nous ; nous restions donc en force, animés par le premier succès. Le convoi des Anglais intercepté et

16. " Les sauvages disaient : " Il faut que la tête lui ait tourné. " (Les derniers jours de l'Acadie, p. 167). "Nous ne ménageons pas assez ce peuple," écrivait Joubert à Surlaville. (Ibid., p. 176).

17. " Il fallait y aller avec toutes ses forces. Ce coup aurait fini la guerre du Canada." (Joubert à Surlaville, Ibid., p. 177).

18. Ferland, Cours d'histoire du Canada, t. II, p. 531.

414 VtOJ^lS^ DU CANADA

pris devait porter l'alarme dans le camp retranché des ennemis : mais il fallait laisser reprendre haleine à nos troupes, leur donner le temps de se rafraîchir, et au Géné- ral celui d'examiner et de reconnaître les doubles retran- chements des ennemis : on les aurait attaqués avec plus de connaissance de cause, et plus de succès. On dira peut- être que la chaleur soutenue des sauvages les a emportés, et que M. de Dieskau n'a pas voulu les abandonner, dans la crainte de ne les pas retrouver ; c'est ce qu'on peut dire de mieux pour son apologie : mais il serait difficile de lui re- fuser la bravoure, la valeur, et même l'intrépidité : aussi en a-t-il bien été la victime *^.

« Il a d'ailleurs sa réputation faite ; et s'il a quelque tort, c'est d'avoir voulu trop faire, ou trop vite *'^°, de n'avoir pas assez ménagé ses forces, et suivi les dispositions de notre cher et bien respectable gouverneur. D'ailleurs, n'en déplaise à MM. nos commandants et officiers français, MM. nos officiers canadiens connaissent mieux la topo- graphie de leurs colonies et la manière d'y faire un coup de mains que nos Français, à qui cependant je n'ai garde de refuser le courage, la bravoure et la fermeté dans une affaire en règle, et il y a plus à se battre qu'à ruser. »

Ce que l'abbé de l'Ile-Dieu ajoute un peu plus loin, dans la même lettre, fait voir encore davantage combien cet homme admirable aimait les Canadiens, combien il leur

19. L'abbé de l'Ile-Dieu écrit en marge de sa lettre, vis-à-vis cet ali- néa : " Affaire du fort Frédéric, ce qu'on en pense en France. On y a fort mal reçu la lettre de l'officier français (M. de Parfouru) qui a eu l'imprudence de mander à un de ses amis que depuis que les Sauvages avaient connu la valeur des officiers français, ils ne regardaient plus nos chers officiers canadiens. Voilà bien le Français, altier et avantageux I Quoique j'aie fait mes études avec le père ou l'oncle de M. de Parfouru, je n'ai pu m'en taire, ni me refuser de prendre la défense de nos chers officiers canadiens; et il m'a paru bien juste de veiller à la réputation attaquée d'hommes respectables, qui exposent leur vie et prodiguent leur sang pour la patrie. "

20. ''Trop vite!" N'est-ce pas précisément le reproche qui fut fait aussi à Montcalm, lors de la bataille des Plaines d'Abraham?

sous M^ DE PONTBRIAND 415

était dévoué : son attachement et son dévouement pour nous et pour notre Eglise canadienne ne pouvaient être sur- passés que par ceux du digne Prélat auquel il écrivait :

« Je ferai en sorte, disait-il, de persuader au ministre qu'il est absolument nécessaire, pour soutenir le courage de vos habitants, de donner quelques rations aux familles de ceux qui ont beaucoup souffert dans les expéditions qui se sont faites. Mais jusqu'à présent on est si occupé, à la cour et dans le ministère, des dispositions qu'on veut faire et qu'on fait journellement pour le départ de nos vaisseaux et des secours qu'on vous destine ^\ qu'il est difficile d'ob- tenir l'attention du ministère sur les besoins particuliers. Soyez sûr, du moins, monseigneur, que je n'oublierai pas ce que vous me recommandez ; et vous n'en aurez pas plus de satisfaction que moi si je réussis, ni ceux qui en profiteront.

« Je m'intéresse particulièrement à M™^ de Beaujeu ^^, sans avoir l'honneur d'en être connu. J'ai été très touché de sa perte. J'ai pleuré pour la colonie celle de M. de Beaujeu. Je suis fort ami de M. l'abbé de Beaujeu, son frère; j'ai été mêler mes larmes aux siennes. J'ai fait pour cette respectable famille tout ce qui pouvait dépendre de moi ; et j'espère qu'elle aura un sort digne des services de celui qu'elle regrette et qu'elle pleure, et que nous pleurons tous à tant de titres et par de si justes motifs.

« Je regrette également tous ceux qui ont succombé dans cette expédition qui couvre de gloire la nation cana- dienne, et en particulier M. de Saint-Pierre ^^ Toutes les relations qui sont parvenues en ce pays-ci de l'expédi-

21. Il s'agissait justement à cette date (28 mars 1756) du départ de Montcalm pour le Canada.

22. Denise-Thérèse Migeon de la Gauchetière, veuve de Louis Liénard de Beaujeu, le héros de la Monongahéla,

23. Le Gardeur de Saint-Pierre, "officier chéri de toutes les nations sauvages." (Les derniers jours de l'Acadie, p. 162). Il commandait un parti de sauvages, et fut tué par un Anglais dans l'expédition de Dieskau.

4l6 L'EGLISE DU CANADA

tion de POhio, rendent à la valeur et à la réputation de M. de Beaujeu toute la justice qui leur est due. Permettez que je fasse ici mon compliment à Mme de Beaujeu, à qui je n'écris point, n'en étant pas connu que comme je le suis de toutes les familles canadiennes, à qui je suis fort atta- ché ^*. »

On a remarquer ce que disait l'abbé de l'Ile-Dieu, d'après M^^ de Pontbriand : le courage des habitants de nos campagnes avait besoin d'être soutenu. Ils étaient rem- plis de dévouement et de patriotisme, mais on avait abusé de leur bonne volonté, on n'avait apporté ni ménagement ni tact dans la levée des milices, dans le choix de ceux que l'on avait appelés sous les armes : de ce mécontente- ment général contre La Jonquière et Duquesne, dont nous avons parlé plus haut. Nos Canadiens comptaient beau- coup sur leur compatriote M. de Vaudreuil pour obtenir un traitement plus raisonnable à l'avenir ; et leur attente ne fut pas trompée. Il n'y a que quelques mois qu'il est à la tête des affaires, et il écrit au ministre :

« Cette colonie est susceptible de grands avantages ; mais pour les recueillir elle aurait besoin de recouvrer sa première tranquillité. Si les terres étaient cultivées, elles seraient en état de nourrir autant de monde qu'il plairait au Roi d'y en faire passer. Mais les habitants sont épuisés. Ceux qui depuis plusieurs années ont pris des terres n'ont pu seulement les défricher, parce qu'ils ont été commandés par préférence à des habitants aisés et très vigoureux. Je remédie à ces abus autant qu'il est en mon possible.

« L'établissement de la Belle-Rivière, ajoute-t-il, est la cause directe de la ruine des habitants. Il y en est mort un plus grand nombre que nous ne pourrons en perdre pendant plusieurs années de guerre ; et cela (je ne puis

24. Lettre de Tabbé de l'Ile-Dieu à Mgr de Pontbriand, 28 mars 1756.

sous M»' DE PONTBRIAND 417

VOUS le cacher), parce qu'ils ont été forcés, sans aucun des ménagements que l'humanité exige, à faire le portage des ballots et autres effets qui avaient un principe très opposé au bien du service.

(( Voilà, monseigneur, en quel état je trouve les colons et leurs terres. Je ne puis refuser à mon zèle pour le service du Roi, et à mon attachement pour ma patrie, d'avoir l'hon- neur de vous faire ces observations '^^. »

Le service du Roi, l'attachement «à sa patrie «: c'était le premier gouverneur du Canada qui pouvait faire cette distinction ; et il ne craignait pas de- la faire, en effet, dans ses dépêches à la Cour.

Que de choses, d'ailleurs, que d'enseignements dans cette lettre ! Voyez-vous, par exemple, nos ancêtres, ces braves habitants de nos campagnes, succombant sous le poids des ballots et autres effets qu'on les force à trans- porter à la Belle-Rivière? M. de Vaudreuil nous assure que ces ballots « n'avaient rien qui eût rapport avec les besoins du service : » il y avait même dans ces ballots, dans ces effets, « un principe tout opposé ».

Qu'était-ce donc?

Mais n'entrevoyez-vous pas que c'étaient les marchan- dises envoyées par Bigot pour approvisionner les magasins du Roi, c'est-à dire ses magasins, à lui, marchandises qu'il se procurait à vil prix, et qu'il revendait ensuite à l'Etat au plus haut prix possible, pour son profit ^^ et celui de ses amis? Nos Canadiens lui servent d'hommes de peine, de porte-faix à bon marché : faut-il s'étonner qu'ils voient d'un assez mauvais œil les voyages à la Belle-Rivière, les forts et les magasins qu'on y construit, pour le bien du service, peut-être, mais certainement pour la fortune de l'Intendant ?

25. Corresp. générale, vol. 100, lettre de Vaudreuil au ministre, 30 octobre 1755.

26. Bigot avouait un jour au ministre qu'en une seule année il avait lait plus de six cent mille livres de profit par le commerce ! (Rapport, . » pour J905» p. 3oa).

CHAPITRE XXXI

LA CORRESPONDANCE DE L'ABBÉ DE L'ILE-DIEU. STATIS- TIQUES SUR l'Église du canada

L'abbé de l'Ile-Dieu, d'après sa correspondance. Son esprit pratique. La connaissance qu'il a de notre pays. Son grand caractère tSa fidélité à son Evêque. Sujets de tristesse pour Mgr de Pontbriand. Il est content de son clergé. Un incident au Collège des Jé- suites. — Un étudiant canadien à Paris. L'archevêque de Paris et l'Evêque de Québec. Les paroisses du diocèse. Revenu des curés.

NOUS touchons à la guerre de Sept-Ans et aux derniers jours du régime français au Canada ; nous touchons par conséquent au terme de cet ouvrage, et malheureu- sement la Correspondance de l'abbé de l'Ile-Dieu, qui nous a si admirablement servi jusqu'ici, va nous manquer pour la période critique qui nous reste à parcourir.

Chose singulière, en effet : à partir du printemps de 1756, nous ne trouvons plus ni lettres originales ni copies de lettres de ce grand serviteur de l'Eglise du Canada. Faut- il croire qu'il n'écrivait plus à l'Evêque de Québec, et que l'Evêque ne correspondait plus avec son vicaire général? A Dieu ne plaise ! Nous avons la certitude que la corres- pondance continuait comme auparavant ; et le grand vicaire, à Paris, faisait comme de coutume pour le ministre le résumé des lettres de l'Evêque ^ Mais à Québec le malheur des temps aura été cause que plusieurs lettres de

I. Corresp. générale, vol. loi, lettre du 16 décembre 1756; vol. 102, lettre du 30 octobre 1757.

l'église du canada sous m^*" de pontbriand 419

l'abbé de l'IIe-Dieu n'ont pas été conservées ou n'ont pas été reçues: le fil de la correspondance reprend plus tard avec M^'" Briand.

Pour nous, nous avouons qu'une de nos jouissances, en écrivant cet ouvrage, a été de parcourir les originaux mêmes de cette correspondance, ces pièces vénérables, datant de près de deux siècles, un peu jaunies par le temps, mais admirablement conservées, les unes écrites de la main même de l'abbé de l'Ile-Dieu, les autres sous sa dictée, et se lisant toutes d'une manière très facile.

Nous ne connaissons pas de portrait de l'abbé de l'Ile- Dieu, et n'avons par conséquent aucune idée des traits de son visage ; mais pour sa physionomie morale, quel miroir plus fidèle pourrions-nous souhaiter que sa correspondance ? Il s'y laisse voir tel qu'il est, dans toute sa sincérité, un homme droit, qui ne veut que le bien, qui le veut fran- chement et simplement, sans rechercher le mieux, assez souvent l'ennemi du bien, un homme pratique, par con- séquent, qui, tout appliqué qu'il est aux choses de Dieu et de l'Eglise, ne néglige pas le soin des choses temporelles, pas pour lui il est le désintéressement même, mais pour les œuvres dont il est chargé. Nous ne voulons en donner qu'un exemple :

Il est abbé de l'Ile-Dieu, petite abbaye près de Rouen, dont le modeste revenu lui procure sa subsistance : il se contente de cet humble revenu ecclésiastique, ne voulant rien accepter du pauvre Evêque de Québec, qui lui a confié l'administration des missions lointaines de son diocèse, et auquel il consacre tout son temps et toute son énergie. Ce n'est que plus tard qu'il se hasardera à demander à la Cour une petite pension, comme elle a coutume d'en donner à tous les vicaires généraux du Royaume 'K

2. Il n'abandonna qu'en 1776 le grand vicariat du Canada. Le Roi lui accorda alors la permission de se retirer, avec une pension de quatre

420 l'église du canada

Le revenu de son abbaye de l'Ile-Dieu provient surtout du loyer de quelques maisons qui s'y trouvent : or il apprend un jour que ces maisons tombent en ruines. Il pourrait faire comme bien d'autres, laisser s'accomplir l'œuvre du temps : ses successeurs en répareront le désastre. Mais son honnêteté et son esprit pratique s'y refusent. Il quitte Paris et se rend à Rouen, fait démolir les maisons ruinées de son abbaye et en ordonne la reconstruction à neuf. Il sacrifie pour cela une ou deux années de revenu, et reste avec si peu de chose pour subsister, qu'il est obligé de vendre une partie de ses livres, «mes livres, dit-il, qui faisaient toute ma consolation». Qu'importe; il se rend le témoignage d'avoir fait son devoir, « heureux, ajoute-t-il dans une de ses lettres, d'assurer au moins pour cent ans le revenu de mes successeurs ^ » Voilà bien l'homme désin- téressé, dévoué, et en même temps l'homme pratique qu'était l'abbé de l'Ile-Dieu, tel qu'il se révèle à nous par sa correspondance.

Que de fois, en parcourant ses lettres, n'avons-nous pas aussi admiré la clarté, la lucidité de son esprit, son intel- ligence des choses et des événements, la justesse de ses observations, surtout pour les choses canadiennes ! Il con- naît parfaitement notre histoire : la topographie de l'Aca- die, de PIle-Royale, de l'Ile Saint- Jean, de la Louisiane, lui est tout-à-fait familière : rien ne lui échappe des circons- tances des temps, des faits et des lieux. Cela est d'autant plus surprenant qu'il ne visita jamais notre pays, et ne pouvait le connaître que par ses correspondants et les amis qu'il recevait à Paris.

Mais ces amis sont nombreux. Il n'y a guère de Cana- diens qui, se trouvant de passage à Paris, ne tiennent à

raille cinq cents livres, " en considération des services qu'il avait rendus à la religion et à l'Etat". {Rapport. , .pour 1905, p. 413). 3. Lettre de l'abbé de l'Ile-Dieu au ministre, 16 octobre 1747.

sous M^ DE PONTBRIAND 421

aller le voir, comme ils se font aussi un devoir de rendre visite à M. de l'Orme. Et quel accueil charmant leur fait l'abbé de l'Ile-Dieu ! Il profite de leur visite pour se ren- seigner sur les affaires du Canada ; et il est rare qu'il les laisse partir sans leur donner quelques lettres de recom- mandation qui peuvent leur être utiles pour leur carrière. Il écrit un jour à M^^ de Pontbriand au sujet du jeune de Léry, fils du célèbre ingénieur de la Nouvelle-France :

« M. de Léry, qui doit partir demain pour La Rochelle, afin d'y attendre le moment de son embarquement, me demande cette lettre pour vous, monseigneur. Je l'ai beaucoup vu pendant son séjour ici, et ai fait avec lui une assez grande liaison. C'est un officier aimable, qui paie bien de sa personne. Vous n'avez point de meilleur citoyen, et d'homme plus ami de sa patrie. Il mériterait bien d'être avancé, par la qualité de l'esprit et du cœur. Il n'est point de mouvements qu'il ne se soit donnés pour représenter aux ministres combien il était important de pourvoir à la sûreté, à l'établissement et à la subsistance des pauvres Acadiens. On ne pouvait guère députer ici personne qui fût plus actif et plus intelligent. D'ailleurs, comme il a vu les choses par lui-même ^ il lui était aisé de les rendre an naturel et d'une manière intéressante. Aussi l'a-t-il fait de tout son cœur. Mais nous n'en som- mes pas encore plus avancés sur la fixation des Limites. Tout ce qu'on nous a fait espérer, ce sont des secours de subsistance et de protection. Dieu veuille qu'ils soient proportionnés aux besoins! ^. . . »

La plupart de nos personnages officiels, de retour en France, après leurs années de gestion au Canada, tenaient

4. M. de Léry faisait partie du détachement canadien qui opéra mi Acadie ce coup hardi dont nous avons parlé dans un chapitre précé- dent.

5. Lettre du 14 mai 1752.

422 L'éGUSE DU CANADA

à se mettre ou à rester en relations d'amitié avec le grand vicaire de Québec à Paris., C'est ainsi que M. de la Galis- sonnière, par exemple, était l'ami intime et presque le col- laborateur de l'abbé de l'Ile-Dieu. Nous ne connaissons guère que Bigot qui ait évité sa rencontre ; et il est facile d'en soupçonner la raison.

Chez l'abbé de l'Ile-Dieu, le caractère était à la hauteur de la vertu et de l'intelligence. Jamais homme ne fut plus dévoué, plus fidèle à son Evêque ; jamais homme n'apporta plus d'abandon, plus de discrétion, plus de soin dans l'ex- ercice de ses fonctions: disons le mot, il se donnait lui- même tout entier : son dévouement à M^^ de Pontbriand, à ses projets, à ses décisions, à ses œuvres épiscopales, était vraiment exclusif. Plutôt que de trahir son évêque, il aurait manqué de sincérité à l'égard des autres. C'est ainsi, par exemple, que dans l'affaire du Procès du Cha- pitre contre le Séminaire des Missions-Etrangères procès dans lequel l'Evêque s'était vu forcé d'intervenir , les Chanoines de Québec cherchent à intéresser l'abbé de l'Ile-Dieu à leur cause, et lui écrivent dans ce sens. M. de Villars, supérieur du Séminaire de Québec, voudrait bien, lui aussi, avoir des confidences; il épanche son cœur dans celui de M. de l'Ile-Dieu, en qui tout le monde a con- fiance, et attend de lui quelque nouvelle favorable qui puisse le réjouir. L'abbé de l'Ile-Dieu leur donne à tous de l'eau bénite de Cour, communique à M^^ de Pontbriand la réponse qu'il leur fait, et se réjouit avec lui de la ma- nière dont il s'est tiré d'affaire :

w Je vous envoie, dit-il au Prélat, la lettre que j'écris au Chapitre. . . Vous verrez combien de temps il faut parler quand on ne veut rien dire de positif, et se renfermer dans le vague et le simple style de la politesse ; car je ne crois pas qu'ils puissent se plaindre de ma lettre. La sauce n'y est pas épargnée . . .

sous M^"^ DE PONTBRIAND 423

« J'en use de même, ajoute-t-il, avec le petit bonhomme Villars, qui m'a fait des reproches de ce que je ne lui disais rien de votre affaire avec eux et celle de M. l'évêque d'Erinée avec le Séminaire de Paris.

« Voici ma réponse sur la vôtre : « Je suis dans cette « affaire, lui ai-je dit, comme les facteurs qui portent les « lettres, et qui ne savent pas ce qu'elles contiennent ^. .

Avec M^^ de Pontbriand, au contraire, il n'a rien de caché ; il lui dit tout, il lui apprend tout ce qu'il sait des événements. Il ne craint pas même, au besoin, de lui donner des conseils, sachant que ce sont les Evêques, bien souvent, qui en reçoivent le moins. Ses lettres, quelquefois, sont très longues : il y en a une qui n'a pas moins de qua- rante-huit pages in-folio. Mais n'oublions pas qu'à cette époque on ne pouvait s'écrire, de chaque côté de la mer, qu'une fois par année, au départ des vaisseaux. On se reprenait souvent quatre ou cinq fois, en. écrivant une lettre, lorsque la flotte tardait à partir ; mais enfin, quand arrivait le moment de mettre à la voile, il fallait fermer les paquets et les confier aux amis qui se chargeaient de les remettre aux destinataires. Et lorsque ces paquets arri- vaient, disons, à Québec, quelle joie pour nos Canadiens de recevoir quantité de nouvelles de la mère patrie ! quelle joie pour M^^ de Pontbriand, par exemple, qui s'était con- damné à ne jamais revoir son pays natal, de parcourir et de savourer ces lettres si longues et si intéressantes de son vicaire général ! L'abbé ne se contentait pas de lui ren- dre compte des missions lointaines de son diocèse, mais il le mettait au courant des principales affaires religieuses de France. Et que de choses étranges dans les affaires de l'Eglise de France, à cette époque ! le Jansénisme, qu'on avait cru mort, et qui se remue de nouveau ; l'affaire des

6. Lettre du 22 avril 1752.

424 l'êguse du canada

Billets de confession ; Timmixtion des Parlementaires dans ^administration des sacrements; l'exil et la persécution de l'archevêque de Paris, de Parchevêque d'Aix, des évê- ques d'Orléans et de Troye, l'exil, également, d'un grand nombre de curés, condamnés à ne plus revoir leurs parois- ses ^ ! Et tout cela dans un pays catholique, sous un Roi qui s'intitule Très-Chrétien et le Fils aîné de l'Eglise! L'abbé de l'Ile-Dieu, nous l'avons vu, caractérisait d'un mot la situation :

(( Voilà nous en sommes, écrivait-il : il n'y a presque plus de religion dans le monde, et on n'en a jamais tant parlé ! »

Certes, tout n'était pas rose au Canada pour l'Evêque de Québec : les sujets de tristesse ne lui manquaient pas. N'est-ce pas précisément à l'époque nous sommes, en 1755, qu'un affreux incendie détruisait l'Hôtel-Dieu de Québec, cette maison si nécessaire, dans un temps, surtout, où, chaque année, nous arrivaient des vaisseaux chargés de troupes et de malades ?

«Il en fut cette année (1755) comme les années précé- dentes, écrit l'annaliste de l'Hôpital général : à l'arrivée des vaisseaux, vers la mi-juin, il y avait à bord plusieurs centaines de malades; et pour comble d'affliction, ces malades ne trouvèrent plus, en débarquant, leur asile accoutumé, l'Hôtel-Dieu de Québec ayant été consumé par les flammes.

(( Il ne restait plus aux autorités d'autre alternative que de placer à l'Hôpital général les militaires aussi bien que les marins. Nos Mères se mirent à l'œuvre avec allégresse, embrassant avec ardeur un exercice dans lequel Dieu sait faire trouver tant de douceurs et de charmes, que les plus grands amateurs des plaisirs mondains n'en sauraient jamais

7. Lettre de -l'abbé de l'Ile-Dieu, 28 mars 1756.

sous M^r DE PONTBRIAND 425

goûter de semblables au milieu des divertissements et des délices. Elles eurent, cette année, jusqu'à quatre cents militaires à la fois ^. »

M«' de Pontbriand lui-même ne fut pas épargné, non plus que le personnel de sa maison :

« Je suis bien fâché, monseigneur, lui écrivait l'abbé de nie-Dieu, que vous ayez eu toute votre maison malade, et que vous en ayez autant souffert. Votre ville en est quitte. Dieu veuille que cela n'ait pas plus de suite dans vos cam- pagnes, sur les deux rives de votre fleuve et dans les pro- fondeurs ^^ ! »

Les épreuves n'avaient donc pas manqué à M^^ de Pont- briand. Mais il avait aussi des consolations. En com- parant son Eglise avec celle de France, il ne voyait pas l'ombre de jansénisme, ni erreur quelconque dans son im- mense diocèse : tout y était dans l'ordre au point de vue religieux, et le pieux Evêque s'en réjouissait : il avait té- moigné à son grand vicaire sa satisfaction :

« Vous me paraissez bien content de vos curés, monsei- gneur, lui écrivait celui-ci : je vous en félicite ^^ ».

Il n'y avait que deux ans que M^*" de Pontbriand avait établi les retraites ecclésiastiques (i^*" mai 1753); et déjà son clergé en ressentait les heureux effets : dans ce clergé si dispersé, si isolé, provenant de tant de diocèses diffé- rents, exposé souvent à tant de dangers, rien, absolument rien que pouvait regretter le pieux Evêque : le devoir, la vertu en honneur partout ; bien plus, le dévouement porté quelquefois jusqu'à l'héroïsme, comme nous aiirons occa- sion de le constater bientôt.

L'Evêque de Québec avait donc lieu d'être content de son clergé, sous le rapport de la vertu : le bon Dieu bénis-

9. Mgr de Saint-V allier et l'Hôp. Général de Québec, p. 325.

10. Lettre du 28 mars 1756.

11. Lettre du 25 mars 1755.

426 l'église du canada

sait le pasteur et le troupeau. Il bénissait aussi les efforts de l'Evêque pour se procurer le nombre de prêtres néces- saire pour les besoins du diocèse. Nous avons vu l'intérêt que M^'" de Pontbriand avait toujours porté à son grand et à son petit Séminaire. S'il eût été riche, que n'aurait-il pas fait pour cette institution destinée au recrutement et à la formation du clergé canadien? Mais il était pauvre, il avait à peine le nécessaire pour sa subsistance, il s'en- dettait pour secourir les pauvres. Ne pouvant fonder de pensions, il voulait, du moins, faire profiter le plus grand nombre d'élèves possible de celles qui existaient déjà, comme aussi des quelques ressources dont pouvait dispo- ser le Chapitre pour les chantres et les enfants de chœur, Nous avons vu que son zèle à ce sujet lui attira même quelques désagréments de la part de ses chanoines.

Il aimait tendrement son Petit Séminaire, il affection- nait ses écoliers et ne perdait aucune occasion de leur faire plaisir; et à ce propos nous croyons devoir relater ici un incident qui met bien en relief la bonté de son cœur, sa bonhomie, sa manière d'agir sans arrière-pensée, sans se douter même quelquefois qu'il pouvait se créer des ennuis.

Il avait, à l'occasion de l'anniversaire de son sacre, accordé deux ou trois jours de congé aux élèves du Petit Séminaire. Ils allaient encore en classe chez les Jésuites. Un de ces congés fut pris le mardi ; et il se trouvait que le jeudi suivant était jour de fête d'obligation, puis le ven- dredi (( fête de dévotion chez les Jésuites pour la Confrérie du Sacré-Cœur ». La semaine était donc bien entamée au détriment de l'étude.

Par malheur, on avait oublié d'avertir les Jésuites la veille du congé. Lorsqu'on y alla le matin *2, on s'aper- çut de suite que le congé n'était pas de leur goût; mais

12. Ce fut M. Saint-Onge, un des régents, l'autre était M. Petit » qui y alla, ** par politesse, disait l'Evêque, et non par devoir ".

sous M^"^ DE PONTBRIAND 427

les vivres étant déjà rendus à la ferme Saint-Michel, on passa outre.

Le lendemain du congé, mauvaise humeur des régents du Collège, qui la veille n'ont eu dans leurs classes que les externes. L'un d'eux exige que les maîtres du Petit Sémi- naire lui fassent des excuses ; et M. Petit lui écrit pour lui expliquer comment les choses se sont passées ; mais ses excuses ne sont pas acceptées. Les autres régents imposent force pensums aux élèves du Petit Séminaire ; et l'un de ces élèves n'ayant pas voulu se soumettre, on veut lui don- ner le fouet : il préfère s'en aller, et tous ses confrères suivent son exemple, faisant un huée en sortant, et disant que M. Petit leur a conseillé de sortir plutôt que de se laisser punir, n'étant pas coupables.

La situation est grave. Le supérieur du Collège, le P. de Saint-Pé, en fait une maladie. Il prétend que l'autorité de ses régents est compromise. M. Jacrau va le voir pour le prier de reprendre les élèves qui sont sortis : il exige que M. Petit vienne à leur tête faire des excuses aux régents. M^* de Pontbriand lui écrit : il ne répond pas :

« J'espérais, lui dit le Prélat, recevoir de vos nouvelles : une lettre de moi mérite bien une réponse. »

L'Evêque prend alors le parti de se rendre lui-même chez les Jésuites pour intercéder et demander grâce en faveur de ces pauvres écoliers : « Ils sont punis, pense-t-il sans doute en lui-même, un peu par ma faute : si je ne leur avais pas accordé de congé !...>> Il va donc au Col- lège, avec les écoliers, et se fait accompagner de MM. de La Ville-Angevin, Jacrau, de Villars et Saint-Onge. Il entre en Sixième, demande grâce pour les enfants, et sup- plie le régent de les recevoir. Cehii-ci est inexorable, et exige absolument que M. Petit fasse des excuses :

« Je demandai grâce par plusieurs fois, écrit le Prélat : on se tint ferme. »

428 I^'ÊGUSE DU CANADA

Le lendemain il écrit au Supérieur :

« M. Petit n'est pas justiciable des Jésuites. Je me charge de le reprendre, après avoir fait son procès, si je le trouve coupable. Il ne s'agit, pour le moment, que des enfants, lesquels ne sont point coupables. Vous pensez que l'auto- rité de vos régents est détruite. Jamais leur autorité ne sera mieux établie que quand un Evêque demandera qu'on reçoive sans punition des écoliers non coupables.

« A vous parler franchement, ajoute-t-il, je condamne plus vos Pères, et vous en particulier, que M. Petit. MM. du Séminaire peuvent bien mener les enfants en classe, et condamner le sieur Petit ; mais si c'est en mon nom, ils doivent dire que je trouve votre conduite bien plus dérai- sonnable, et bien injurieuse pour moi. Si c'est en leur nom, je ne m'en mêle point.

« Vos régents peuvent dire, s'ils le veulent, qu'ils re- çoivent les enfants en ma considération, qu'on est per- suadé que je n'approuve pas M. Petit, qu'on se fait honneur de penser que je prendrai les plus justes mesures pour empêcher d'inspirer aux enfants des sentiments d'indé- pendance. Voilà tout ce que je puis permettre. Il serait mal séant d'exiger davantage ^^ »

L'affaire finit par s'arranger, et les choses reprirent leur cours ordinaire.

Notre unique but, en relatant cet incident, était de montrer jusqu'à quel point M^^ de Pontbriand aimait son Petit Séminaire. Il le regardait comme une petite famille, dont il était le père, et comme la pépinière de son clergé.

C'est en effet au Petit Séminaire qu'avaient été formés la plupart de ses prêtres, surtout ceux du district de Québec ; et ils étaient relativement nombreux, pour l'é- poque. Le croirait-on, si la chose ne nous était affirmée

13. Archives de l'archevêché de Québec, Corresp. Pontbriand.

sous M^ DE PONTBRIAND 429

par l'annaliste des Ursuiines? Il n'y eut pas moins de dix-neuf messes qui se dirent un matin dans la chapelle du monastère. C'était le 10 octobre 1754. On célébrait le cinquantième anniversaire de la profession religieuse de la vénérable Mère Migeon de la Nativité, tante de M. de Beanjeu, le héros de la Monongahéla. La jubilaire renou- vela ses vœux de religion en présence de M^^ de Pont- briand et d'un immense concours de fidèles accourus pour la circonstance ^*.

Le croirait-on, également? Notre pieux et intelligent Prélat, devançant son époque, et comprenant tout aussi bien que les Prélats de nos jours combien la science est utile au prêtre, trouvait moyen, malgré l'exiguité de ses ressources, d'entretenir à Paris quelques ecclésiastiques auxquels il aurait voulu procurer une science théologique plus qu'ordinaire. Nous en connaissons un, du moins, d'une manière certaine: Michel Valin, jeune Canadien, qu'il avait remarqué tout spécialement au Petit Séminaire, et qui était entré chez les Récollets. Il lui écrit à Paris le 19 octobre 1756:

« Je continuerai encore cette année, mon cher Père, à vous faire toucher cent cinquante francs. Si la guerre continue, il y a apparence qu'il faudra encore différer votre retour. Je ferai donc ce que je pourrai pour vous aider, persuadé qu'en apprenant passablement vous deviendrez très utile à votre communauté et à tout le diocèse ^^ Je suis inquiet sur votre santé. Votre poitrine s'est-elle fortifiée ? Je suis, etc. ^^ »

M^ de Pontbriand, nous l'avons dit plus haut, était con tent de ses prêtres : il en appréciait la qualité. Pour le

14. Les Ursuiines de Québec, t. II, p. 272.

15. Le P. Michel Valin, " clerc récollet, " revint au Canada en 1758, après avoir passé deux ans à Paris. {Rapport. . . pour 1903, p. 273) .

16. Archives de l'archevêché de Québec, Corresp. Pontbriand.

430 l'église du canada

nombre, il comptait avant tout sur son Séminaire, mais il se reposait aussi sur la bonne volonté à son égard de quel- ques évêques de France, qui lui avaient déjà fourni plusieurs bons missionnaires et lui avaient promis de lui en procurer encore, s'il en avait besoin.

Nous avons vu ce qu'il devait, à ce sujet, à quelques-uns des évêques de Bretagne : mais que ne devait-il pas égale- ment à l'archevêque de Paris?

Un jour l'abbé de l'Ile-Dieu écrit une longue lettre à M^"^ de Pontbriand. Le paquet est fermé, prêt à partir. Il prend la peine de l'ouvrir pour y ajouter la note sui- vante :

(( J'ai soupçonné, dit-il, que j'avais oublié de vous parler de M. l'archevêque de Paris. Je vous ai bien dit que ce respectable Prélat était toujours à Conflans ; mais je crains de ne vous avoir pas dit toutes les obligations que je lui ai, en votre nom. Quel que besoin qu'il ait de prêtres, il s'en est privé plus d'une fois pour vous en procurer, disant que cela était bien juste, puisque vous n'aviez point de Sémi- naire en France.

« Mon Dieu ! quel dommage que les malheureuses affaires de religion qui troublent le Royaume, et en particulier la Capitale, soient survenues, et surtout celle des hôpitaux ! Nàm indè prima 7nali labes. Et cela est bien à la honte de ceux qui le persécutent pour des motifs étrangers à cette affaire, et qui ne sont que de simples prétextes. Ce respectable Prélat a les mœurs d'un ange, et il faut qu'il les ait toujours eues, puisqu'on n'oserait y mordre dans aucun âge de sa vie. C'est un modèle de zèle ; il ne respire que pour le travail et le détail de son diocèse, qui est immense. Il a une charité au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer. Il n'ouvre les mains que pour donner et répandre. Il vit cependant très honorablement, et avec une simple et noble dignité.

sous M^"" DE PONTBRIAND 43 1

« Il est doux et affable, sérieux sans être froid, au cou- traire, ouvert et prévenant.

{( Je lui ai présenté M. Daudin : il l'a reçu avec bonté et avec amitié.

« Il nous a offert des pierres bénites, et de les payer, pour réparer celles de nos églises qui ont été pillées. Il s'est également offert de nous consacrer, tous les ans, des saintes Huiles, et de nous en faire délivrer pour l'Ile-Royale et 3a Louisiane, à raison de l'éloignement vous êtes de ces deux colonies. En un mot, et ce sont ses propres termes, «je m'associerai, dit-il, volontiers à M. l'Evêque (c de Québec pour tous les services que je pourrai lui « rendre. »

« Vous m'auriez su mauvais gré, monseigneur, si je ne vous avais pas fait part de la façon de penser de M. l'archevêque de Paris à votre sujet ^^ . . »

* *

Nous avons quelques statistiques, datées de 1756, et signées soit par M^^ de Pontbriand lui-même, soit par quelqu'un de ses chanoines, qui nous donnent une idée assez exacte de ce qu'étaient les paroisses du diocèse à cette date, c'est-à-dire à la veille de la guerre de Sept-Ans, et la condition matérielle du clergé canadien, de son revenu et de ceux qui avaient besoin de supplément.

Il y avait quarante-quatre paroisses qui se suffisaient à elles-mêmes : nous les donnons ici dans l'ordre même que suit le document : Rivière-Ouelle ; L'Islet ; Cap- Saint-Ignace ; Saint-Thomas ; Saint-Pierre ; Saint- Vallier ; Saint-François ; Pointe-de-Lévi ; Contrecœur ; Saint-Denys ; Chambly ; Saint-Antoine de Chambly ; Saint-Charles ;

17. Lettre du 29 mars 1756.

432 l'église du canada

Boucherville ; Verchères ; Varennes ; Longueil ; Laprairie ; Saint-Philippe ; Pointe-Claire ; Saint-Laurent ; Rivière- des-Prairies ; Pointe-aux-Trembles ; Lachenaie ; l'Ile-Jésus ; Saint- Vincent de Paul ; PAssomption ; Saint-Sulpice ; Lavaltrie ; Bertliier ; Yamachiche ; Sainte-Anne-Batiscan ; Cap-Santé ; Neuville ; Lorette ; Charlesbourg ; Beauport ; le Château-Richer ; Saint- Joachim ; Sainte-Famille; Saint- Pierre; Saint-Laurent; Saint-Jean; Montréal.

Il y avait juste le même nombre de paroisses (quarante- quatre) auxquelles il fallait donner un supplément pour leur curé : Rimouski ; Kamouraska ; Sainte- Anne ; Saint- Roch ; Berthier ; Saint-Michel ; Beaumont ; Rivière-Boyer ; Saint- Antoine ; Saint-Nicolas; Sainte-Croix; Lotbinière; Saint-Jean-Deschaillons ; Nicolet ; Sorel ; Saint-François ; Yamaska; l'Immaculée-Conception ; Chateauguay ; Sou- langes ; Lachine ; Sainte-Anne ; Sainte-Geneviève ; Saut- au-Récollet; la Longue-Pointe ; l'Ile du Pads; Masqui- nongé ; Rivière-du-Loup ; la Pointe du Lac ; Champlain ; Rivière-Batiscan ; Batiscan ; les Grondines ; Cap-Lauzon ; les Ecureuils ; Sainte-Foy ; l'Ange-Gardien ; Sainte- Anne ; Baie-Saint-Paul ; Saint-François (île d'Orléans) ; Saint- Henri de la Mascouche ; Terrebonne ; Sainte-Rose ; Ville des Trois-Rivières.

Toutes ces paroisses avaient leur curé résident ; et il y avait de plus seize « églises desservies par le missionnaire voisin, auxquelles il faudrait un supplément, si on les séparait » : les Eboulements ; l'Ile-aux-Coudres ; la Petite- Rivière ; Cap-de-la-Madeleine ; Lanoraie ; Pointe-Olivier ; Pile Perrot ; Saint-Philippe ; Bécancour ; Saint-Pierre des Evrards ; Sainte-Marie de la Beauce ; Saint-Eustache (Lot- binière) ; Baie-du-Febvre ; Saint-Henri, près Pointe- Lévi ; Saint- Jean, près PIslet ; Pile- Verte.

Enfin, il y avait dix-neuf « endroits l'on demandait des églises:» Saint-Féréol, profondeur de Saint-Joachim ;

sous M^^ DE PONTBRIAND 433

Charlesboiirg, vers Lorette ; Saint-Angustin, dans la pro- fondeur ; profondeur du Cap-Santé ; Rivière des Envies, profondeur de Batiscan ; Rivière du Chicot, profondeur de Berthier ; entre le Saut et Saint-Laurent, île de Montréal ; profondeur de Varennes ; dans Kamouraska, à la Rivière du Loup; dans Saint-Michel, troisième concession; dans le Lac Champlâin ; dans Saint-Vallier ; à Saint-Frédéric ; dans Saint-Nicolas; dans Longueil, vers la rivière Cham- bly ; dans le nord de la rivière Chambly ; dans les profon- deurs de Terrebonne ; Gentilly ; Quinzechiens. »

Au bas de ces statistiques, on lit l'attestation suivante :

« Nous soussignés attestons qu'il y a dans les trois gLU- vernements du diocèse de Québec, qui sont Québec, les Trois-Rivières et Montréal, seize églises desservies par les curés voisins, et qu'il y a au moins autant d'endroits les habitants demandent à bâtir des églises : ce que nous avons connu pour avoir accompagné M^'^ l'Evêque dans ses visites, ou avoir vu plusieurs requêtes qui lui ont été pré- sentées, et par les connaissances particulières que nous avons du diocèse. A Québec, ce 8 février 1756. (signé) Pressart, prêtre, Briand, chanoine. »

M. Pressart était alors procureur du Séminaire, et certi- fiait « que le Séminaire ne reçoit du curé de la ville que trois mille francs par an, laquelle somme suffit à peine pour la nourriture et l'entretien du dit curé et de ses deux vicaires, et pour les gages et nourriture d'un domestique sans que le dit Séminaire leur fournisse de voiture ».

La (( voiture » était alors considérée comme indispensable à un curé de campagne. Aussi lisons-nous dans un autre «f état statistique » les lignes suivantes, sous la signature des chanoines Poulin, Perreault et Collet :

« Un curé ne peut que très difficilement se passer d'une voiture, à cause du froid, et de la distance des paroissiens, souvent éloignés de deux ou trois lieues. . . »

434 l'église du canada

Ces trois chanoines, dont le premier était un ancien curé, évaluaient à quatorze cent quarante deux francs ce qu'il fallait à un curé pour vivre ; et ils ajoutaient :

« Avec cette somme, un curé ne mange que du lard, comme l'habitant, et n'a que le vin au-dessus.

« Un curé, ajoutaient-ils, ne peut se dispenser d'avoir deux feux, les jours de fête et de dimanche; et l'habitant, qui se retire au presbytère, n'épargne point le bois. On peut compter quarante cordes de bois. »

Voilà bien, sans doute, l'origine de ces «salles publiques», nécessaires à cette époque, qui allongeaient démesurément les presbytères, et dont la mode, fort heureusement, tend à se passer.

M^^ de Pontbriand ne s'éloignait guère de ses chanoines Poulin, Perreault et Collet lorsqu'il disait :

« Il est prouvé qu'un curé devrait, pour vivre médiocre- ment, avoir douze cents francs par an ^^. »

Un certain nombre de curés recevaient beaucoup plus que cette somme ; mais l'Evêque, en bon père de famille, s'efforçait de procurer au moins à tous le nécessaire. Quoi qu'il en soit, c'est avec son revenu, plus ou moins modique, plus ou moins considérable, que le clergé d'autrefois a créé tant d'œuvres, dont nous bénéficions aujourd'hui, et qui font notre admiration.

i8. Manuscrits de Jacques Viger, Statistique relative au Canada (1756-1759). "Je placerai ici, sous ce titre, copies de divers "Etats" relatifs au clergé du Canada de 1756 à 1759, à moi communiqués (en 1838) par Messire Jean Holmes, qui avait fait à Paris, en 1837, ^^ ^C" couverte de ces papiers curieux et intéressants, et qui me permit alors *de les transcrire. Montréal, décembre 1842, (signé) J. Viger."

CHAPITRE XXXII

l'abbé de L'ILE-DIEU annonce X M^"" DE PONTBRIAND

LE DÉPART DE M. DE MONTCALM POUR

LE CANADA

Un mot de Montcalm. Ce qu'en pense l'abbé de l'Ile-Dieu. La véri- table cause de la guerre de Sept-Ans. Vaudreuil et Montcalm. Lettre de Vaudreuil à la Cour. Montcalm et Mgr de Pont- briand.

DANS la longue et magnifique lettre qu'il adressait à M^ de Pontbriand le 28 mars 1756, l'abbé de l'Ile-Dieu lui annonçait le départ du marquis de Montcalm pour le Canada. On aimera à connaître l'opinion de ce grand ecclésiastique sur le héros français qui jeta tant de lustre sur les derniers jours de l'Ancien Régime au Canada, et dont le nom est synonime de tant de gloire. Quel est le Canadien qui ne tressaille au souvenir d'Oswégo, du fort George, de Carillon, ces noms fameux auxquels Montcalm a associé le sien? Dans toute la carrière militaire de Montcalm, au Canada, à part le désastre final, pas une faute, pas un échec, rien que de la gloire et des succès ; et dans le désastre lui-même, ne pouvait-il pas dire avec raison : « Tout est perdu, fors l'honneur ! »

Le brillant officier de Candiac avait servi avec distinc- tion dans plusieurs campagnes en Europe ; et lorsqu'il s'agit de remplacer au Canada le baron Dieskau, qui n'y avait pas fait merveille, le ministre de la guerre jeta les yeux sur lui. On n'avait pas été heureux avec Dieskau : on attendait beaucoup de son successeur :

436 l'église du canada

« Il touchait à sa quarantième année, écrit son biographe, M. Chapais, et était parvenu au complet épanouissement de toutes ses facultés. Fils, époux et père dévovié, mili- taire accompli, et possédant de magnifiques états de service, homme d'étude et d'action, il avait goûté tour à tour les joies de la famille et les fortes émotions de la grande guerre. La culture de son esprit, la noblesse de son caractère, l'éclat de son courage, la droiture de ses intentions, la va- riété de ses aptitudes, faisaient de lui un homme vraiment supérieur ^ »

Nommé vers la fin de janvier (1756) au commandement des troupes que l'on envoyait dans la Nouvelle- France, Montcalm se rendit de Montpellier à Paris le 12 février, et ne quitta la capitale que le 15 mars pour aller s'embarquer à Brest. L'abbé de l'Ile-Dieu le vit plusieurs fois durant son séjour à Paris ; et voici ce qu'il écrivait à M^^ de Pontbriand :

« Je crois, monseigneur, que vous serez content du Com- mandant que la Cour vous envoie, M. le marquis de Montcalm, homme de condition et maréchal des camps et armées du Roi ^. J'imagine qu'il a eu différentes conver- sations avec M. le marquis Duquesne : c'est assez l'usage de nos ministres, et même des Bureaux, de porter ceux qu'ils envoient dans un pays à consulter ceux qui en viennent. Si les premiers y ont réussi, tant mieux ; sinon, tant pis ; car sur cela l'usage a force de loi : je ne vous en dis pas davantage sur l'article.

« J'ai eu nombre et de très longues conférences avec M. le marquis de Montcalm ^, qui a l'imagination assez vive,

1. Thomas Chapais, Le Marquis de Montcalm {i7i2'i';5ç), p. 26.

2. La nomination de Montcalm comme maréchal de camp est du 11 mars 1756; et le Roi lui fit en même temps le plaisir de nommer colonel son fils aîné, qui n'avait encore que dix-sept ans. Dieskau, lui aussi, avait été fait maréchal de camp à l'occasion de son envoi au Canada.

3. M. de Montcalm a de longues et nombreuses conférences avec M.

sous M^"^ DE PONTBRIAND 4|7

par conséquent beaucoup de sagacité et de pénétration, et ce que j'en aime le mieux, le flegme (quand il le faut), et le sérieux de la réflexion.

(c Je lui ai communiqué tout ce que je pouvais savoir de vos différentes colonies, du caractère de ceux qui les habitent (Canadiens ou Sauvages naturels du pays).

« Je lui ai, surtout, beaucoup parlé de vous, monseigneur, de M. le marquis et de M™® la marquise de Vaudreuil ; peu de M. Bigot, mais assez pour qu'il puisse lui dire que je lui en ai parlé.

« Je lui ai, surtout, dit beaucoup de choses de nos chers ofiiciers canadiens, dont je lui ai fait un portrait propre à mériter son amitié et son estime.

« J'ai tâché de lui insinuer qu'il devait gagner leur con- fiance, s'il voulait réussir dans un pays qu'ils connaissaient mieux que lui, et que d'ailleurs sa propre gloire était atta- chée à la leur, comme la leur à la sienne.

(( Il m'a paru très bien disposé, et surtout à conférer de concert et avec confiance, sur les expéditions qu'il y aurait à faire, avec notre cher et respectable gouverneur, que je suis persuadé que vous possédez avec autant de satisfaction que vous l'avez désiré avec empressement.

(c J'ai fort persuadé à M. le marquis de Montcalm que la guerre ne se faisait pas dans le pays il allait comme dans celui-ci ; que les évolutions y étaient différentes, et qu'il s'y agissait beaucoup plus souvent d'un coup de main fait à propos, que d'une affaire en règle, et pour lequel nos officiers canadiens seraient beaucoup plus propres que ses officiers français, parce que (quoi qu'en ait mandé en France M. de Parfouru) * leurs troupes de milices ou de détache-

l'abbé de l'Ile-Dieu avant de passer au Canada : ce qui fait voir le f ranë cas que l'on faisait à cette époque, même pour les choses purement d- viles et politiques, de l'opinion des ecclésiastiques compétents.

4. C'était, avec Montreuil, un des officiers français qui nous détfjH taient le plus.

438 L'tGLiSE DU CANADA

ments canadiens et les sauvages nos alliés ont plus de con- fiance en eux, sans compter qu'ils connaissent mieux le local du pays.

K M. le marquis de Montcalm vous montrera, sans doute, aussi bien qu'à M. le marquis de Vaudreuil, les deux cahiers que je lui ai remis ; du moins je l'ai assuré qu'il le pouvait. S'il le fait, vous me ferez grâce, je l'espère, M^', sur les articles j'aurai pris le change; car j'ai l'honneur de vous observer ^ que mes simples réflexions ne sont pas des décisions. En voilà assez sur l'article : vous jugerez vous-même du fond et de la forme de M. le marquis de Montcalm ; mais sur ce que j'en ai vu, il m'a paru moins avantageux et plus traitable, moins haut et plus liant que M. Duquesne. »

Qui n'admirerait la connaissance qu'avait de notre pays ce bon prêtre français, son attachement et son esprit de justice pour nos officiers canadiens, pour nos milices en général ? Qui n'admirerait la sagesse, et en même temps la modestie qui respirent dans cette lettre ? « Mes simples réflexions, dit-il, ne sont pas des décisions. » Ah, si tous ceux qui se mêlent d'écrire pour le public avaient un peu de cette modestie ! On n'en verrait pas tant qui tranchent sur tout et ne doutent de rien. Cette lettre n'est-elle pas vraiment d'un homme d'Etat?

Homme d'Etat, l'abbé de l'Ile-Dieu l'était en effet, non pas pour l'action ce qui n'était pas son fait, mais pour l'intelligence des choses et la connaissance des hommes. Que de fois, par exemple, n'insinua-t-il pas aux ministres que la question des Limites était la question capitale, qu'il fallait la régler coûte que coûte, sans quoi elle amènerait

5. On dit aujourd'hui: de vous faire observer. Mais on voit par les documents qu'à l'époque qui nous occupe le mot observer était fréquem- ment employé de la manière qu'il l'est ici.

sous M«^ DE PONTBRIAND 439

fatalement la guerre ! Et en effet c'est cette question non réglée qui fut la vraie cause de la guerre de Sept-Ans. Le duc de Broglie Pécrivait naguère :

« C'est à propos d'une contestation survenue sur les limites de leurs colonies du Nouveau-Monde, que s'est en- gagée entre la France et l'Angleterre cette lugubre guerre de Sept-Ans qui a sonné le glas de notre monarchie ^. »

Si du moins, dans cette lutte contre l'Angleterre, la France avait réservé et concentré toutes ses forces pour la défense de sa colonie canadienne, et pour essayer de re- prendre l'empire des mers qu'elle avait perdu. . . Elle les divise, au contraire, et s'en va porter la guerre dans le Hanovre, cette petite Angleterre continentale. Elle se ravise plus tard, et projette ni plus ni moins qu'une inva- sion de la Grande-Bretagne ! Rien que cela ! Louis XV qui veut reprendre le rôle de Guillaume le Conquérant! Il y a même une tentative d'exécution, mais elle échoue piteusement, cela va sans dire. Du grand Frédéric de Prubse, son allié, allié plus ou moins fidèle et commode, il est vrai la France se fait un ennemi irréconciliable. Renonçant à la politique deux fois séculaire de Richelieu, elle devient l'alliée de l'Autriche ^, épouse ses querelles, et s'engage dans une guerre sans issue, elle n'a rien à voir, et elle va perdre, avec sa colonie, tout ce qui lui reste de force et de prestige. Quelle aberration ! Jamais ne se vérifia mieux la terrible parole : k Qîios Detis vtUt perderCy dément at ! »

Nous aimerions à avoir là-dessus la pensée de l'abbé de l'Ile-Dieu ; mais, comme nous l'avons déjà dit, sa corres- pondance avec M^*^ de Pontbriand nous fait défaut à partir de la déclaration officielle de la guerre de Sept-Ans. Que

6. Revue des Deux-Mondes du ler juillet 1896, p. Sy.

7. l#e traité d'alliance et même " d'amitié " entre la France et l'Au- triche fut signé le ler mai 1756.

440 L*ÉGI.ISE DU CANADA

pensa-t-il, également, de la mésintelligence qui ne tarda pas à surgir entre Montcalm et Vaudreuil ? Nous ne le savons pas davantage. Mais il est évident qu'il la regar- dait comme possible, et même probable ; il la redoutait ; et il la craignait d'autant plus qu'il savait que ce qui avait perdu le baron Dieskau, c'était le peu de cas qu'il avait fait des officiers canadiens, qui « connaissaient notre pays beaucoup mieux que lui », et savaient aussi beaucoup mieux que lui « la manière de faire la guerre », au Canada.

L'abbé de l'Ile-Dieu appréciait sans doute la valeur et le caractère de Montcalm ; il lui avait paru « plus traitable, moins haut et plus liant que M. Duquesne » ; mais il n'en dit pas davantage. Il a évidemment à son égard quelque réserve qu'il n'ose pas exprimer : « Vous jugerez vous-même, écrit-il à M^^' de Poutbriand, du fond et de la forme de M. le marquis de Montcalm. »

C'est à-dire qu'il ne veut en aucune façon préjuger l'Évêque à l'égard du nouveau Commandant que la Cour envoie dans sa ville épiscopale : le Prélat le jugera à l'œuvre, d'après la manière dont il fera face à la situation. Situation délicate et difficile, celle d'un officier supérieur français, pétillant, plein de sa valeur, subordonné en tout à un gouverneur général canadien : ce sont, en effet, les instructions précises de la Cour à M. de Montcalm : il « n'aura que les mêmes pouvoirs donnés à Dieskau ». Il sera « subordonné en tout à M. de Vaudreuil », et « devra exécuter et faire exécuter tout ce qui lui sera ordonné par le gouverneur général. » Et le ministre écrivant à M. de Vaudreuil lui-même : « M. de Montcalm, dit-il, doit être en tout et pour tout sous vos ordres. » Ces instructions sont du 14 mars ^; et dès le lendemain preuve évidente de l'incohérence qui règne dans les conseils de Louis XV

9. Rapport. . . pour 1905, p. 219.

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il y a un « Ordre du Roi qui donne à M. de Montcalm le commandement des troupes de la colonie et des milices » : seulement, nouvelle incohérence ce document est envoyé secrètement à M. de Vaudreuil, avec faculté d'en faire l'usage qu'il voudra ^^ Le gouverneur, qui connaît et aime les Canadiens, comme il en est aimé lui-même, sait combien nos habitants sont susceptibles au sujet du commandement: il faut les prendre tels qu'ils sont. Il sait combien nos milices canadiennes ont été maltraitées par le passé : il a été nommé gouverneur, à leurs prières, et pour être leur protecteur : c'est une gloire pour lui ; et cette gloire, il entend bien ne la laisser à qui que ce soit. Il renvoie donc tout simplement à la Cour l'ordre donné à M. de Montcalm, ordre que celui-ci, fort heureusement, est censé ignorer ^^ et il écrit au ministre :

f( Je ne puis qu'être très sensible à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, à laquelle est joint l'ordre du Roi à M. le marquis de Montcalm concernant le commandement des troupes et milices de la colonie. Comme Sa Majesté veut bien s'en rapporter à moi pour faire usage de cet ordre ou le laisser ignorer à M. de Montcalm, j'ai l'honneur de vous observer:

« Que les milices sont les forces les plus considérables que nous ayons. Elles ont été si foulées jusqu'à présent, qu'elles se rebuteraient si elles n'était menées avec douceur. L'appréhension je suis même (fondé sur les époques dm passé qui ne sont que trop ressenties par le peuple), que certains Canadiens ne soient foulés, pour en ménager d'au- tres, par des considérations particulières, et souvent des vues

10. Ibid., p. 220.

11. Nous disons à dessein: ''est censé ignorer"; mais il y a lieu 4e croire qu'il ne l'ignorait pas, ou du moins qu'il ne l'ignora pas long- temps : il y avait tant d'incohérence, tant d'indiscrétions à la Cour, tant de ces "adulateurs" dont parle M. de Vaudreuil, toujours prêts à fo- menter la discorde!

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d'intérêt ^-, me met dans l'indispensable obligation de ne m'en rapporter qu'à moi même pour tous les comman- dements. Je les fais avec équité, proportionnellement à la situation et à l'étendue des terres de chaque paroisse, en sorte que les terres sont généralement ensemencées, et que, par mon application à ces deux objets, je concilie la satis- faction de l'habitant avec la culture des terres ^' ; au lieu que, M***, si dans les circonstances présentes M. de Montcalm avait le commandement des milices, je ne pourrais éviter de lui en laisser l'administration ; et quelque zèle et péné- tration qu'il ait, il ne saurait dans l'instant connaitre le fort et le faible des paroisses ^*. Il serait donc obligé de s'en rapporter et de donner sa confiance à des colons qui certai- nement en mésuseraient, quelque prévoyant qu'il puisse être. J'ajoute, M^*", que les Canadiens, quoique très honorés d'avoir un tel commandant, ne laisseraient pas que d'en avoir une peine secrète. Ils ont déjà été menés durement ; et d'ailleurs les capitaines des milices, qui me sont subor- donnés et à M. l'Intendant, pour la police, sont extrê- mement foulés dans les circonstances présentes ; et il est sensible qu'ils le seraient bien davantage, s'ils avaient à répondre et à obéir à un troisième chef.

« M. le marquis de Montcalm, quoique d'un excellent génie et d'un caractère très liant, ne saurait peut-être se garantir de certains adulateurs de la colonie, qui, n'ayant d'autre talent que de courtiser, parviendraient peut-être à lui insinuer qu'il doit rendre son commandement despo-

12. Avec de l'argent, des habitants riches trouvaient moyen de s'exem- ter facilement du service; les pauvres n'avaient pas cette ressource, et leurs terres étaient en souffrance.

13. Après tout, la culture des terres devait aller de pair avec le ser- \'icc, pour la conservation du pays: il fallait absolument concilier les deux choses; et qui pouvait le faire avec plus de discernement que M. de Vaudreuil?

14. Tout cela nous semble d'une telle évidence, que nous sommes étonné qu'on y ait trouvé à redire.

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tique. M. le baron de Dieskau m'en fournit un exemple que je ne saurais oublier.

« J'estime donc, monseigneur, sous le bon plaisir du Roi, qu'il est à propos que l'ordre de Sa Majesté à M. le mar- quis de Montcalm ne reçoive aucun effet. Je ne dois pas dissimuler que je fais en cela violence à l'attachement que je me sens pour M. de Montcalm ^^ Mais je n'ai, en cette occasion comme en toutes les autres, que le bien du ser- yice et de la colonie pour guide ^^. Lorsque je serai dans le cas d'employer M. de Montcalm pour quelque expédi- tion qui exigera qu'il soit à la tête des forces de la colonie, il aura de droit le commandement des troupes et milices. Mais jusqu'alors, je crois, monseigneur, qu'il convient qu'il ne se mêle que de celui des troupes de terre ^"^ ; et dans la confiance je suis que le Roi m'approuve, je vous renvoie ci-joint l'ordre de Sa Majesté ^^ »

Il y avait longtemps que l'on n'avait entendu à la Cour un pareil langage, un langage aussi fier, aussi indépendant, en faveur des Canadiens, en faveur de la classe agricole, surtout, la seule véritablement importante pour l'avenir du pays. Enfin, nos habitants et nos milices canadiennes avaient un gouverneur de leur choix, un protecteur auto- risé, capable de les défendre auprès des ministres contre les radotages que le marquis de Duquesne, au témoignage de

15. On a douté de la sincérité de cette déclaration d'attachement, au Moment la faisait M. de Vaudreuil. Et pourquoi ? A cause des malen- tendus qui survinrent dans la suite? Mais il ne s'agit pas ici de "la •uite, " il s'agit du moment actuel. M. de Vaudreuil voit avec plaisir arriver au Canada un " compatriote, " tous deux sont originaires du Languedoc ; et il s'en réjouit, à condition que chacun d'eux reste dans son rôle.

16. " Le bien du service et de la colonie : " son devoir envers la France, son devoir envers le Canada: jamais l'un au détriment de l'autre: "Avant tout, je suis Canadien! " semble déjà la devise de M. de Vaudreuil..

17. C'est-à-dire des troupes venues directement de France pour la défense du Canada.

18. Corresp. générale, vol. loi, lettre au ministre, 16 janvier 1756.

444 L*éGLISE DU CANADA

l'abbé de Pile-Dieu, ne cessait de déblatérer contre nous à Versailles.

Il est certain que de graves dissentiments et de regret- tables malentendus ne tardèrent pas à surgir entre M. de Montcalm et le marquis de Vaudreuil : la correspondance du premier en fait foi, aussi bien que son journal. Ces dissentiments étaient, suivant nous, le résultat presque inévitable de la situation que l'on avait faite à l'un et à l'autre, au Canada. Il ne faut jamais demander aux hommes plus de désintéressement et de vertu qu'ils n'en sont raisonnablement capables.

Cette (( animosité » qui se fit jour entre le gouverneur et le commandant des troupes rendit sans doute leurs rap- ports personnels très désagréables. Est-il prouvé, comme on l'a prétendu, qu'elle influa beaucoup sur la marche des événements et «fut fatale à la colonie» ^^? Nous ne le croyons pas. M. de Montcalm pouvait bien se plaindre du gouverneur, dans sa correspondance, dans son journal, dans ses rapports avec ses amis, comme il se plaignit éga- lement de l'Evêque, souvent même d'une manière peu res- pectueuse, comme nous le verrons plus loin ; mais il était trop noble, trop dévoué à son Roi et à son pays pour tra- hir son devoir par dépit, par opposition à M. de Vaudreuil :

« J'ose vous répondre d'un entier dévouement à sauver cette malheureuse colonie ou périr », écrivait-il un jour ait ministre de la guerre ^°.

Et l'on sait avec quel héroïsme il racheta cette pro- messe.

Quoi qu'il en soit, ce sont des choses qui n'entrent pas précisément dans le cadre de cet ouvrage. Si nous avons été amené à en dire un mot, c'est par la lettre de

19. Casgrain, Montcalm et Lévis, t. I, p. 72.

20. Chapais, Le Marquis de Montcalm, p. 536.

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Pabbé de l'Ile-Dieu à M^^ de Pontbriand. Laissons le Prélat à ses réflexions sur le nouveau commandant des troupes arrivé à Québec le 13 mai 1756 :

« Vous jugerez vous-même du fond et de la forme de M. le marquis de Montcalm », lui avait écrit son grand vicaire. Que pensa le Prélat breton, lorsqu'il le vit pour la pre- mière fois, de « la forme » de ce petit méridional, de ce « petit homme allègre, tel que nous le décrit l'abbé Cas- grain, au regard perçant, à la parole brève, véhémente, gesticulant avec une pétulance extraordinaire » ^^ ? « La vivacité du tempérament méridional, ajoute M. Chapais, s'accusait parfois chez lui par des saillies trop impétueuses. Il lui arrivait d'avoir le mot trop prompt et le geste trop preste. Mais ces ombres ne pouvaient voiler les parties lumineuses de cette riche et brillante individualité ^l »

Quel contraste, pour « la forme », avec M. de Vaudreuil, ce « gentilhomme de belle taille, que nous montre l'abbé Casgrain, fier de sa personne, autant que de sa vieille origine, doux, affable, complètement dévoué aux colons, qu'il traitait comme ses enfants, et qui le regardaient, avec raison, comme leur père » ^^ !

« C'est un très aimable caractère, écrivait un jour M. de l'Orme de notre premier gouverneur canadien ; il se fera aimer dans quelque poste qu'il se trouve ^^ »

Le jugement de M^^ de Pontbriand sur la personne de M. de Montcalm, nous ne le trouvons nulle part. S'il l'a exprimé à l'abbé de l'Ile-Dieu dans sa correspondance, celle-ci a disparu, comme les lettres de l'abbé de l'Ile-Dieu à cette époque.

Par contre, il n'y a pas une des victoires de Montcalm

21, Montcalm et Lévis, t. I, p. 72.

22. Le Marquis de Montcalm, p. 26.

23, Montcalm et Lévis, t. I, p. 72 et 73.

24. Recherches historiques, vol. XVI, p. 301.

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au Canada, qu'il ne se soit fait un devoir de célébrer et d'annoncer à ses diocésains par quelqu'un de ses admi- rables mandements qu'on aime tant à lire. Ces victoires, en effet, il ne les regardait pas seulement comme un triomphe pour la patrie, mais aussi et surtout pour son Eglise, l'Eglise de la Nouvelle-France à laquelle il était si attaché. Aussi, dans ses mandements, rend-il justice, avec une rare impartialité, à tous ceux qui y ont contribué, au gouverneur qui a ordonné à point la campagne, à l'inten- dant qui a pourvu à tous les besoins des troupes, au géné- ral qui a dirigé tous les mouvements, aux officiers français et canadiens qui ont concouru au succès, à l'armée tout entière qui a fait noblement son devoir.

Ces lettres pastorales feront l'objet des prochains cha- pitres; et nous pourrons admirer le patriotisme de ce grand évêque, qui se trouva ici dans des circonstances si difficiles, qui aima tant notre pays, et qui, comme Vau- dreuil, auquel il témoigna jusqu'à la fin la plus sincère estime, resta toujours, tout Français qu'il était, si véritable- ment Canadien. Et pourquoi ne rappellerions-nous pas ici, en bonne part, ce que Montcalm osait un jour dire en mauvaise part de M^'" de Pontbriand :

(( Ce Prélat, saint homme d'ailleurs, et de bonnes mœurs, a tous les préjugés d'un Canadien, quoique en France *. *

25. Montcalm et Lévis, t I, p. 214.

CHAPITRE XXXIII

LA GUERRE DE SEPT-ANS, AU CANADA (1756): I. MAN

DEMENTS DE M^ DE PONTBRIAND.

OSWéGO

La guerre de Sept- Ans, en Europe; au Canada. Levée des milices canadiennes ; mandement de Mgr de Pontbriand. Arrivée des troupes françaises. Mandement de l'Evêque, résumant les événe- ments militaires au commencement de 1756. Mandement pour la prise d'Oswégo. Drapeaux présentés au Chapitre pour la Ca- thédrale.

LA guerre de Sept-Ans se fit, en Europe, entre la France, PAntriche et la Russie, d'une part, l'Angleterre et la Prusse, de l'autre. Commencée en 1756, elle ne se termina qu'en 1763 par le traité de Paris. Ici, la lutte, entre la France et l'Angleterre seules, se termina beaucoup plus tôt, par la capitulation de Montréal, en 1760; mais elle avait aussi commencé au moins trois ans avant la déclara- tion officielle de 1756; de sorte que le nom de guerre de Sept-Ans peut lui être justement appliqué, ici comme en Europe.

Dès 1752, le marquis de Duquesne, venant remplacer au Canada M. de la Jonquière comme gouverneur général, avait reçu instruction de faire une levée de milices cana- diennes pour s'opposer aux empiétements des Anglais dans la vallée de la Belle-Rivière. La mesure, très impopulaire en elle-même, le fut encore bien davantage par la manière dont elle fut exécutée.

448 l'église du canada

M^^ de Pontbriand, toujours disposé à donner à l'Etat le concours de son autorité paternelle, ne craignit pas de partager avec le gouverneur l'impopularité de cette levée de miliciens, jugée nécessaire :

« Il est peu de familles dans ce diocèse qui n'y soient intéressées, dit-il. La levée des miliciens que l'illustre général, qui gouverne avec autant de sagesse que de force, a été obligé de faire pour le bien de l'Etat, vous laisse dans des inquiétudes qui ne paraissent que trop au dehors, tandis que vous devriez au contraire vous réjouir de voir vos parents occupés à procurer l'augmentation et la sûreté du pays.

« Nous demandons avec vous leur prompt retour; mais demandez-le sans murmurer, demandez-le avec soumission ; c'est le moyen de l'obtenir heureux pour eux et glorieux à la nation \ »

C'est avec l'aide de nos miliciens que l'on construisit le fort Presqu'île, le fort aux Bœufs, celui de Machault et celui de Duquesne. Ils rentrèrent au pays couverts de gloire par la prise du fort Nécessité (4 juillet 1754) et surtout par la belle victoire de la Monongahéla ( 9 juillet 1755 ). La joie éclata dans toutes les familles canadiennes ; et elle s'accrut encore lorsque l'on apprit l'arrivée de M. de Vaudreuil, qui venait remplacer au Canada le marquis de Duquesne :

« Notre juste joie, disait l'Evêque dans un nouveau mandement, s'est accrue à l'arrivée d'un général dont les vertus ont déjà éclaté dans les premières places de cette colonie ^, dont la prudence a rétabli la paix et la tran- quillité dans les pays de la Louisiane, dont l'affabilité gagne

1. Mandements des Bvêques de Québec, t. II, p. loi, 12 juillet 1753.

2. M. de Vaudreuil avait été successivement gouverneur des Trois- Rivières, de Montréal et de la Louisiane, avant de l'être pour tout le Canada.

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les cœurs, et dont la prudence seule fait revivre les peuples fatigués et presque découragés ^. »

Mais à côté des motifs de joie, que de sujets de tristesse pour le pieux Prélat ! les menaces croissantes de l'ennemi, les maladies épidémiques que nous apporte la flotte à chaque printemps, l'incendie de l'Hôtel-Dieu de Québec (7 juin 1755), la crainte pour les récoltes. Il fait part de tout cela à ses diocésains, et sollicite ardemment leurs prières :

« Déjà nos voisins, dit-il, nous ont enlevé un poste con- sidérable. Ils se préparent du côté d'en haut pour atta- quer tout à la fois nos Forts avancés, contre la foi d'un traité confirmé par des otages. Ils retiennent des prison- niers faits par surprise et contre les lois de la guerre ^ Une flotte puissante ferme l'embouchure du fleuve ^ Une Maladie épidémique, qui fit autrefois tant de ravages dans cette colonie commence à se répandre et à donner de tristes alarmes l Un incendie rapide a consumé dans un instant «ne maison religieuse, l'asile des malades étrangers et domiciliés, si nécessaire à tout le pays. L'incertitude de la récolte, la diflficulté qu'il y aura de la faire, si elle est abondante : voilà. Nos Très Chers Frères, les sujets de tristesse et d'inquiétude qui se présentent. »

Puis, le gouverneur ayant été obligé de faire un nouvel appel aux milices :

3. Mand. des Ev. de Québec, t. II, p. 103, 12 juillet 1755.

5. Allusion à l'affaire Washington -Jumon vile, 28 mai 1754.

6. La flotte de l'amiral Boscawen, qui s'empara des deux navires français VAlcide et le Lys, le 8 juin 1755.

7. C'était la picote, qui fit surtout beaucoup de ravages à Québec. {Les Ursulines de Québec, t. II, p. 298). "En 1755, pendant l'été et l'automne, la petite vérole, disparue depuis vingt-deux ans, parcourut de nouveau le pays, et comme il n'y avait qu'un seul élève qui l'eût déjà eue, on jugea plus prudent de les renvoyer tous chez leurs parents pour passer leurs vacances, qui durèrent trois mois. (Hist. manuscrite du Sém. de Québec).

9t

450 l'église dct canada

« Nous autorisons MM. les Curés, dit le Prélat, à dire la messe paroissiale, tout l'été et l'automne, à sept heures du matin, afin que les peuples puissent ensuite vaquer aux travaux de la campagne, qui nous paraissent d'autant plus pressés qu'on a été obligé de commander un grand nombre d'habitants. »

Cette nouvelle levée de miliciens se faisait en vue de la campagne de Dieskau. Hélas ! quelle piteuse campagne à la suite de la Monongahéla ! Nos miliciens rentrèrent chez eux le cœur navré : leurs services avaient été si j>eu appréciés du commandant français ! Il fallait pour les réconforter l'encouragement et les bonnes paroles de leur Evêque, qui ne manqua pas à son devoir en cette cir- constance. Nous avons déjà cité une partie de son man- dement du 15 février 1756, à propos de la dispersion des Acadiens. Après avoir raconté à ses diocésains ce triste épisode, il leur rappelle la belle victoire de la Monon- gahéla ^, qui leur a valu les éloges du Roi et de la famille royale, il relevée leur courage et leur promet de grands succès dans la prochaine campagne que prépare M. de Vaudreuil :

(( N'appuyons pas notre espérance, dit-il, sur les succès précédents ; ne l'appuyez pas même sur la prudence d'un général qui connaît le pays, dont le nom est respecté de toutes les nations (sauvages) ; ne vous rassurez pas encore sur la bravoure du soldat, ou du milicien, ni sur la fermeté de ceux qui les commandent : attendre des forces humaines le succès, c'est se tromper, c'est s'en rendre indigne. Toutes les puissances de la terre ne sont rien devant Dieu ; elles n'ont de force qu'autant qu'il le veut, et lui seul est

8. Mgr de Pontbriand avait appris cette victoire à son retour d'un voyage qu'il avait fait à Montréal, il donna, le 15 juin 1755, un man- dement pour régler définitivement le costume des Sœurs Grises. (Pail- lon, Vie de Mme d'Youville, p. 109).

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le maître de la victoire. . . Si le Dieu des armées est pour nous, qui peut être contre nous?»

Il les invite donc à mettre en Dieu toute leur confiance, et leur indique plusieurs pratiques de piété pour obtenir son secours, celle-ci, entre autres :

« Que dans chaque famille il y ait au moins chaque mois une personne qui s'approche de la divine Eucharistie. »

Il ordonne des processions et des prières publiques ; mais il ne faut pas négliger les moyens humains :

« Vous connaissez, dit-il, les tendres sentiments de l'il- lustre général (M. de Vaudreuil) qui vous gouverne, et le désir ardent qu'il a de vous laisser en paix jouir dans vos campagnes du fruit de vos travaux. Les troupes qu'il a amenées avec lui *, celles qu'il a encore demandées à Sa Majesté ^^, lui donnent lieu de tout espérer ; mais actuelle- ment l'ennemi s'apprête de tous côtés ; peut-il le laisser pénétrer dans le centre de la colonie, et voudriez- vous refu- ser un dernier et généreux eiïort ? Non, sans doute. Soyez donc soumis aux commandements. Respectez des ordres qui doivent vous être sacrés. Dieu bénira cette obéissance et saura vous dédommager. »

Il fait ensuite une recommandation bien importante en faveur de ceux qui partent pour le service :

« Ceux qui ne sont pas commandés, dit-il, doivent, sui- vant les ordres de M. le marquis de Vaudreuil, faire les travaux des miliciens absents pour le service. Rien de plus conforme à la charité, à la reconnaissance et à la justice. Rien de plus nécessaire pour le bien de la colo- nie ; et y en a-t-il un seul parmi vous qui voulût, dans des circonstances comme celle-ci, être un membre inutile, un patriote indifférent, un mauvais voisin?. . »

g. Les six bataillons que la Cour avait envoyés au Canada avec Dieskau comme commandant. Doreil était " commissaire général des guerres ". {Rapport. . . pour 1905, p. 205)

10. Celles que Montcalm devait amener avec lui.

452 l'église du canada

Des exhortations si vibrantes de patriotisme, jointes aux appels d'un gouverneur estimé et chéri de tous les Canadiens, devaient produire l'effet désiré : nos ancêtres ne pouvaient rien refuser à leur évêque . t à leur gou- verneur :

« Le Roi peut prendre tout ce que nous avons, disaient- ils, pourvu que le Canada soit sauvé ^^ »

Lorsque Duquesne avait fait en 1752 la revue des miliciens de la colonie, il en avait compté treize mille ^^. Tous ceux qui furent désignés et choisis pour la campagne de 1756 répondirent à l'appel. L'intendant pourvut à tous leurs besoins avec cette (* activité et cette vigilance » que M^ de Pontbriand aimait à reconnaître ^^ ; et lorsque Montcalm arriva à Québec au printemps de 1756, «il parut très satisfait des préparatifs de campagne ordonnés par M. de Vaudreuil ^* : »

(( L'hiver n'a pas été rude, écrit-il dans une de ses lettres, la saison est très avancée. M. de Vaudreuil a déjà tout mis en mouvement : milices, troupes de la colonie, avec nos bataillons et nos sauvages pour entrer en campagne. .

La Cour avait accordé à M. de Vaudreuil un certain nombre de troupes régulières, qui passèrent au Canada en même temps que Montcalm. Avec lui, également, arri- vèrent plusieurs ofiSciers distingués : le chevalier de Lévis, le colonel d'infanterie Bourlamaque, Bougainville, etc. Quel surcroit de besogne pour l'Evêque et son clergé, cette affluence de troupes, qui augmentaient tout d'un coup la population- de la ville épiscopale ! ces soldats, ces officiers, ne fallait-il pas s'occuper de pourvoir à leurs be- soins religieux? Le dimanche, surtout, ne fallait-il pas

11. Ferland, Cours d'hist. du Canada, t. II, p. 558.

12. Ihid., p. 502.

13. Mand. des Ev. de Québec, t. II, p. 109.

14. Casgrain, Montcalm et Lévis, t. I, p. 74.

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leur donner la messe à des heures réglées ; et dans quelles églises pourra-t-on le faire plus commodément?

Au point de vue social, que de visites à recevoir et à rendre, de la part de l'Evêque ! Etant, après le gouver- neur, le premier personnage du pays, ne doit-il pas inviter de temps en temps à sa table ces officiers distingués? Il faut qu'il fasse honneur à sa position : et le pourra-t-il, avec son mince revenu, lui, « l'évêque à gages, Pévêque pauvre de la primitive Eglise », comme l'appelait avec tant de raison l'abbé de Pile-Dieu ? M^^ de Pontbriand, si austère et si simple dans sa vie ordinaire, sut trouver le moyen d'être largement hospitalier, quand il le fallait: Pabbé de Pile-Dieu écrivant au ministre:

« Il a chaque jour, disait-il, sept personnes à sa table, matin et soir, eu égard aux missionnaires qui, de PAcadie, se sont rendus auprès de lui, et qui, sans cela, n'auraient aucune ressource pour vivre, et de plus à un nombre d'offi- ciers qu'il est obligé de recevoir ^^»

Au point de vue religieux, comme au point de vue des mœurs, que de dangers pour l'Eglise de Québec, par l'arri- vée de ces nouveaux hôtes ! Que de préoccupations sé- rieuses pour le pieux Prélat ! Ces officiers français, impré- gnés, pour la plupart, de l'esprit du dix-huitième siècle, imbus des idées de Voltaire, lecteurs assidus de l'Encyclo- pédie, ne vont-ils pas laisser de redoutables traces de leur passage au milieu de notre société canadienne ? Qui croira, en effet, qu'il n'en resta pas quelque chose, après la Con- quête ? Rien de ces idées malsaines, sans doute, ne pénétra chez le peuple de nos campagnes : mais dans nos villes, que d'idées fausses, que de mauvais principes se firent jour alors, et que l'on attribua, non sans raison, au contact de nos Canadiens avec certains esprits français de l'époque !

15. Corresp. générale, vol. 102, lettre du 30 octobre 1757.

454 l'église du canada

Et au point de vue des mœurs, qui croira que les tristes exemples de Bigot et de ses amis n'eurent pas un fâcheux effet sur la haute société canadienne ? M^"^ de Pontbriand s'élèvera fortement contre les désordres : sa voix retentira dans le désert.

Il est juste de dire, cependant, que tout d'abord il n'eut qu'à "se féliciter du bon esprit qui régnait généralement dans les troupes. Son mandement du 15 février 1756, dans lequel il avait ordonné des prières publiques pour la colonie, fut bien accueilli et produisit d'heureux effets. Voici ce qu'il disait dans sa lettre pastorale du 20 août suivant, à la suite de la prise d'Oswégo :

« Les événements favorables arrivés depuis le commen- cement des prières publiques que nous avons ordonnées dans ce diocèse, semblent annoncer. Nos Très Chers Frères, qu'elles ont été agréables au Seigneur. . . Plus que jamais nos églises ont été fréquentées ; les grands y ont paru avec édification, et les peuples s'y sont portés avec une sainte ardeur. Le militaire en corps a donné l'exemple dans une retraite ^^ et une procession publique. . . »

Le Prélat résumait ensuite en peu de mots les succès remportés par nos miliciens dans les coups hardis qu'ils avaient portés çà et dans la Nouvelle-Angleterre, au printemps de 1756, sur l'ordre de M. de Vaudreuil, avant l'arrivée de Montcalm :

« Qu'il est consolant pour vous et pour nous, disait-il, d'avoir occasion d'attribuer aujourd'hui à votre piété et à votre religion les succès que nous avons eus jusqu'à présent ! Le fort Biills pris d'assaut, dans une saison la plus désavantageuse, à la vue pour ainsi dire d'un ennemi puissant et averti de se tenir sur ses gardes ^^ ; l'avantage

16. Cette retraite publique, donnée à Québec en 1756, n'est signalée, que nous sachions, nulle part ailleurs. Elle n'est pas mentionnée dans le journal de M. Récher, qui ne commence, il est vrai, qu'en 1757.

17. Le parti canadien qui s'empara du Fort Bulls, était commandé par le jeune M. de Léry.

SCUS M*^ DE PONTBRIAND 455

remporté par nos barques sur le lac Ontario ; la défaite de plus de six cents hommes dans la rivière Chouaguen; la prise et la destruction d'un grand nombre de leurs bateaux ; les coups réitérés et presque toujours heureux vers le lac Saint-Sacrement ; la désolation portée dans les provinces de Virginie, de Pensylvanie et de Maryland ; le peu de monde que nous avons perdu : voilà pour les siècles à venir des preuves incontestables de la bravoure du soldat et du milicien, de la valeur des ofiSciers, des grandes qualités du Général qui met tout en mouvement. . . »

Tout cela, cependant, n'était que le prélude de l'évé- nement principal de la campagne de 1756, la prise d'Os- wégo, que M. de Vaudreuil méditait depuis longtemps, et qui fut exécutée par Montcalm avec grand succès. Pour tromper les Anglais, il se dirigea d'abord avec Lévis du côté de Carillon, revint seul à Montréal et se rendit à Frontenac, d'où il partit le 4 août pour Oswégo. Laissons M^ de Pontbriand raconter à ses diocésains la prise de ce fort sur les Anglais :

« De si heureux commencements, dit-il, semblaient assurer le succès de l'entreprise contre Chouaguen ^^, quoique quelques esprits timides la regardassent comme au-dessus de nos forces. Plus de dix-huit cents hommes de garnison dans ce fort nouvellement construit ^^, tout placé à .portée de défendre le principal et en empêcher l'approche, des espèces de frégates armées de canons, quelques sauvages ennemis toujours à la découverte, des secours puissants qu'on attendait depuis longtemps de

18. C'est le nom que les Français donnaient à Oswégo.

19. Il y avait trois Forts: le Fort Ontario, en deçà de la rivière, fait de pieux de dix-huit pouces de diamètre et sortant de terre de huit à dix pieds ; le vieux Chouaguen, de l'autre côté de la rivière, maison à mâchicoulis crénelée et entourée, à trois toises de distance, d'un mur flanqué de deux tours; et enfin, un peu plus loin, le fort George, fait de mauvais pieux. Tout cela constituait Chouaguen ou Oswégo.

456 l'église du canada

Pancienne Angleterre, les mouvements menaçants de l'en- nemi du côté de la pointe, la difficulté de débarquer et d'ouvrir la tranchée : ces circonstances et plusieurs autres étaient dans la vérité capables de donner un peu d'inquié- tude, et on ne pouvait se rassurer que parce qu'un général éclairé, de concert avec le premier magistrat de cette colonie ^^ ordonnait cette expédition, et qu'il la confiait à un officier distingué par son nom, son grade, son autorité et son génie.

(( Iv'avant-garde de notre armée était conduite par un de nos gouverneurs ^^ que vous respectez et que vous chéris- sez avec tant de raison "^'K II se rendit à son poste le 10 août à la tête des Canadiens, pour faciliter notre débarque- ment, qui se fit sans perdre un seul homme, malgré la posi- tion de l'ennemi et le feu continuel de ses barques. Le

12, la tranchée fut ouverte et une batterie établie contre le fort Ontario, mais l'ennemi l'évacua dans la nuit. Le

13, nouveaux travaux pour placer nouvelles batteries; enfin, après un feu des plus vifs de part et d'autre, la gar- nison anglaise se rendit prisonnière de guerre aux condi- tions qu'on voulut bien lui accorder.

« On annonce dix-huit cents prisonniers, cent pièces de canons prises, cinq drapeaux, des vivres en abondance, quantité de munitions de guerre, deux cents bateaux, des barques, la caisse militaire enlevée, leur commandant gé- néral emporté par un boulet de canon.

20. L'intendant de la Justice, Police et Finances du Canada était le premier magistrat de la Colonie.

21. M. de Rigaud, frère du gouverneur général, était alors gouver- neur des Trois-Rivières. Il avait été fait prisonnier, sur VÀlcide, puis avait recouvré sa liberté. Il devint gouverneur de Montréal l'année sui- vante (1757). Cest lui qui, dans l'affaire d'Oswégo, commandait l'avant- garde, toute composée de Canadiens.

22. Le Roi, faisant écrire à M. de Vaudreuil, "rendait justice au zèle, au sentiment d'honneur et à la probité " de son frère. {Rapport. . . pour J905, p. 222).

sous M^ DE PONTBRIAND 457

H Voilà en peu de mots, Nos Très Cliers Frères, le détail de l'action la plus mémorable qui soit arrivée depuis l'éta- blissement de cette colonie. Elle nous rappelle la victoire complète remportée l'année dernière contre le général Braddock. Elle est d'autant plus étonnante que nous n'y avons eu que trois hommes de tués et dix à douze de bles- sés. Les Canadiens ^^ les troupes de France et de la colo- nie, les Sauvages mêmes, ont signalé à l'envi leur zèle pour la patrie et le service de Sa Majesté.

K Quels sont, Nos Très Chers Frères, vos sentiments sur cette action si humiliante pour l'Anglais, si glorieuse à notre armée, si utile au commerce, si avantageuse à la co- lonie, et j'ose le dire, si favorable à la religion? Vous vous en êtes déjà expliqués : l'entreprise est des mieux concertée, l'exécution y a répondu ; on ne peut trop louer, on ne peut trop aimer les défenseurs de la patrie. Ces idées viennent naturellement à l'esprit, vous avez pensé en bons citoyens, vous avez raisonné en philosophes. Il est de notre devoir de sanctifier ces idées et même de vous en fournir de plus vastes, de plus sûres, des plus rele- vées et de plus conformes à la grandeur de notre Dieu.

» Il est grand, ce Dieu de toute majesté, et sa grandeur, infiniment au-dessus de tout ce que nous pouvons conce- voir, ne se montre qu'en partie, et toujours beaucoup plus qu'il ne le faut pour mériter nos hommages les plus res- pectueux. Créateur du ciel et de la terre, lui seul peut les conserver, et rien dans le monde, excepté le péché, n'ar- rive que par son ordre. C'est lui qui nous aime, et qui nous protège.

<( De ce principe, reconnu par toute l'antiquité, établi par la seule raison, clairement énoncé par TEsprit-Saint,

23. Remarquons comme ce bon Evêque met toujours les Canadiens M ayant : et de fait, à Oswégo, sans M. de Rigaud et son avant-garde cana- éiciine, l'affaire aurait probablement manqué.

458 L^éGUSE DU CANADA

tirons pour notre instruction les conséquences pratiques : « N'attribuons jamais aux forces humaines nos pros- pérités, mais reconnaissons toujours la main du Seigneur. Que les trophées des victoires les plus éclatantes paraissent au pied de nos autels, et disons tous d'une voix unanime : Au seul Dieu de nos armées appartient toute la gloire : soli Deo omnis honor et gloria '^^. Telle est, en effet, la conduite des princes religieux ; telle est en particulier celle de M. le Général, qui nous a fait remettre deux drapeaux pour les placer dans notre église cathédrale, et qui nous invite à remercier Dieu de la protection particulière qu'il nous a accordée dans toutes nos entreprises : tant il est vrai que nos succès doivent être attribués principalement au Tout-Puissant et que les hommes ne sont que des ins- truments dont il a voulu se servir !

« Et en effet, généraux expérimentés, soldats aguerris, troupes nombreuses, hommes intrépides, prudence hu- maine, mesures bien concertées, ruses de guerre, que pouvez- vous sans le secours du Ciel? Au milieu des plus belles apparences, qu'un bras de chair ne soit donc jamais l'objet de notre confiance. Nolite conjidere in principibus ^', Ce serait une confiance plus que payenne, puisqu'il n'est aucune nation, quelque barbare qu'elle soit, qui n'attribue au Maître de la vie le succès des armes.

« Quoiqu'il y ait une Providence suprême qui décide du sort des empires et de chaque particulier attingit à fine in ânem fortiter et disponit omnia suaviter ^^ ne négligeons point les moyens humains que cette même Providence nous fournit, parce qu'elle veut que nous

24. I. Tim., I, 17.

25. "Ne mettez pas votre confiance dans les Grands de la terre : le salut ne vient pas d'eux." (Ps. 145, v. 2 et 3).

2^. " La Sagesse divine exerce sa puissance d'un bout du monde à l'autre, et dispose tout avec amour." (Livre de la Sagesse, ch. VIII,

Y. I).

Tll

sous M«^ DE PONTBRIAND 459

fassions de notre côté tous nos efforts. C'est une condition qu'elle exige, sans laquelle notre confiance devient pré- somptueuse et téméraire. Le laboureur, selon le langage de l'Apôtre, doit planter et arroser, et Dieu seul donne l'accroissement ^^. C'est ainsi qu'il est facile de concilier les précautions prudentes que nous prenons dans le cours de la vie avec la persuasion intime d'une Providence qui dirige tout et qui conduit tout, qui soutient tout et qui perfectionne tout.

« Redevables que nous lui sommes de tous nos succès, ranimez votre confiance. Nos Très Chers Frèies, assistez encore avec plus de ferveur aux prières que nous avons ordonnées par notre mandement du 15 février dernier. Soyez fidèles à suivre les règles que nous vous y avons données. Priez le Seigneur avec un cœur reconnaissant, remerciez-le de l'arrivée heureuse de nos troupes, offrez-lui des vœux ardents pour la conservation de la famille royale, n'oubliez pas ^les besoins temporels et spirituels de la colonie ^. »

Le Prélat ordonnait ensuite un Te Deum pour la prise du fort d'Oswégo : il fut chanté solennellement dans toutes les églises du diocèse.

Ce mandement était daté du 20 août. Notre armée triomphante était de retour et le pieux Prélat se hâtait d'annoncer à ses diocésains le succès de l'expédition. N'oublions pas, en effet, qu'il n'y avait ici aucuns journaux, à cette époque : à qui convenait-il mieux qu'à l'Evêque d'envoyer à toutes les paroisses de son diocèse des nou- velles de la campagne militaire qui pouvait décider du sort de la colonie? Il n'y avait peut-être pas une paroisse, et dans telle ou telle paroisse pas une famille qui n'eût à la

27. '^Neque qui plantât est aliquid, neque qui rigat; sed qui incre- mentiim dat, Deus." (i Cor., III, 7).

28. Mand. des Ev. de Québec, t. II, p. iio, 20 août 1756.

460 L^éGUSE DU CANADA

guerre quelqu'un de ses membres. Comme un bon père, M*' de Pontbriand adresse à tous ses diocésains un récit de Pcx- pédition, pour les rassurer sur le sort de leurs enfants, pour les encourager à faire, au besoin, de nouveaux sacrifices et les exhorter à tout mettre entre les mains de Dieu.

Son mandement répandit partout la joie et la con- fiance : on bénissait le Prélat, on bénissait tous ceux qui avaient pris part au succès de la campagne :

« LfS. prise de Chouaguen, écrivait à la cour M«^ de Pont- briand, a rempli de joie toute la colonie. Elle est due à la prudence de M. le Général, qui connaît le caractère de l'Anglais, le local des lieux, le génie des Canadiens et de nos sauvages. Les troupes apercevaient bien des obstacles, peu accoutumées à brusquer et à marcher sans règle. Ce fut, sans contredit, le passage hardi que M. de Rigaud- Vaudreuil fit faire à sa troupe légère de la rivière Choua- guen qui étonna l'ennemi. Les victoires, dans cette colo- nie, sont toujours accompagnées d'un peu d'audace ^. »

Le mandement de M^^ de Pontbriand produisit une bonne impression non seulement au Canada, mais aussi en France. La Cour exprima le désir de le voir, et écrivit à ce sujet à l'abbé de l'Ile-Dieu ^°. Elle fit imprimer, d'ailleurs, une relation de l'expédition d'Oswégo, et em envoya un grand nombre d'exemplaires au Canada pour être distribués aux habitants, et leur faire voir combien le Roi appréciait leur zèle et leur conduite ^^

Dans le concert de louanges qui accueillit le mandement de l'Evêque, il y eut pourtant une voix discordante : celle de Montcalm. Ce qu'il écrivit à cette occasion au chera- lier de Lévis nous a toujours paru peu digne de k l'officier distingué par son nom, par son grade, son autorité et son

29 Corresp. générale, vol. 107, lettre au ministre, 11 noyembre lysjê.

30. Rapport. . . pour 1Ç05, p. 230.

31. lUd., p. 223.

sous M^"" DE PONTBRIAND 461

génie » qu'avait loué sans arrière-pensée et sans réserve Mfif^ de Pontbriand :

(( Votre ami TEvêque, dit-il, vient de donner le plus ridicule mandement du monde ; mais gardez-vous bien de le dire, car c'est l'admiration du Canada ^l ,,

Laissons le lecteur juger lui-même s'il y avait dans le mandement de M^'^ de Pontbriand une seule ligne, un seul mot qui pût justifier le mécontentement de Montcalm.

M. de Vaudreuil avait réservé pour la cathédrale de Québec deux des drapeaux pris sur l'ennemi ^'. Ce fut Bouilamaque qui fut chargé de les remettre au Chapitre, et M. de Tonnancour les reçut au nom de ses confrères. La cérémonie eut lieu le dimanche 29 août, après vêpres : Monsieur, dit le colonel, nous vous présentons, de la part de M. le marquis de Vaudreuil, ces drapeaux, pris à Chouaguen sur les ennemis du Roi. Il les consacre à Dieu par vos mains et les dépose en cette église, comme un monument de sa piété et de sa reconnaissance envers le Seigneur, qui bénit la justice de nos armes et protège visi- blement cette colonie. »

Le chanoine remercia en quelques mots le colonel Bour- lamaque : ses paroles, malheureusement, ne nous ont pas été conservées.

32. Montcalm et Lévis, t. I, p. 138.

33. Deux autres drapeaux furent offerts à l'église de Notre-Dame Montréal, et le cinquième à l'église paroissiale des Trois-Ririères.

CHAPITRE XXXIV

LA GUERRE DK SEPT-ANS, AU CANADA (1757) II. MAN- DEMENTS DE M«^ DE PONTBRIAND {suttâ). PRISE DU FORT GEORGE

Expédition française à Minorque. Prise de Mahon. Te Deutn. Lettre de Louis XV à l'évêque de Québec. Expédition de M. de Rigaud. Te Deum. Prise du Fort George par Montcalm. Te Deum. Massacre des Anglais par les Sauvages. Expédi- tion de M. de Belestre; de La Durantaie. Epidémie de fièvres à Québec. Héroïsme de l'Evêque et de son clergé. La Retraite ecclésiastique.

y A campagne de 1756, au Canada, nous avait été partout ^i-/ favorable. La France était contente de nous ; elle l'était aussi d'elle-même : le maréchal de Richelieu et M. de la Galissonnière s'étaient couverts de gloire à l'île Minorque ^ Celui-ci, commandant une escadre française, avait battu et dispersé une flotte anglaise bien plus nom- breuse que la sienne : revanche tardive, mais réelle, pour tant d'affronts reçus sur mer par la France. Le maréchal de Richelieu avait mis le siège devant Mahon, et en peu de jours s'était emparé d'une place jugée presque aussi impre- nable que Gibraltar. On racontait partout avec quelle in-

I. Notre ancien gouverneur, M. de la Galissonnière, ne survécut pas longtemps à cette expédition. D'après un document du 14 novembre 1756, il était mort, à cette date. {Rapport. . . pour 1905, p. 230). Le cha- noine La Corne écrivant de Paris à ses confrères de Québec: "Nous avons perdu, disait-il, M. de la Galissonnière; il a été universellement regretté, et à juste titre." (Archives du Sém. de Québec, Cahiers Plante).

l'église du canada sous m»"^ de pontbriand 463

trépidité soldats et officiers français avaient franchi les immenses fossés qui entouraient la forteresse, puis, en grimpant les uns sur les autres avaient réussi à escalader des murailles que l'on croyait inaccessibles, au grand éton- nement de la garnison anglaise, qui avait fini par capi- tuler.

Invité par le Roi, qui lui écrivit personnellement, à faire chanter, à cette occasion, un Te Deuni d'actions de grâces dans toutes les églises de son diocèse, l'Evêque de Québec se hâta, le 18 juin 1757, d'adresser à cet effet une circulaire à ses curés.

Dans sa lettre à M^*" de Pontbriand 2, Louis XV flétris- sait f( les excès que la marine anglaise avait commis contre ses vaisseaux, au grand scandale de toute l'Europe ; » il flétrissait « cet esprit de domination que les Anglais voulaient établir dans les deux mondes » ; il racontait comment « la valeur française », à Minorque, était venue à bout des ennemis, (f qui ne se fiaient que sur la force de leurs remparts » ; puis, ce qui dut faire grand plaisir au pieux Evêque, il rapportait « au Dieu des armées tout le succès de cette entreprise ».

Mgr ^ç. Pontbriand se fit un devoir de communiquer à ses diocésains ce message royal :

«La lettre dont vous allez entendre la lecture, disait-il dans le mandement qui l'accompagnait, explique le succès des armes françaises dans la Méditerranée. Il vous aime, Nos Très Chers Frères, il vous aime, ce Roi bien- aimé. Et cesse-t-il de vous en donner des preuves éclatantes? Il envoie encore cette année les secours de toute espèce dont vous pouvez avoir besoin. Plus d'une fois il a loué publi- quement votre zèle, votre bravoure, votre soumission à ceux qui vous commandent; et toute la France s'est

2. Mand. des Bv. de Québec ^ t. II, p. 120, 21 juillet 1756.

464 L*ÊGUSE DU CANADA

réjouie avec lui des avantages que vous avez eus sur l'en- nemi dans cette colonie. En prince très chrétien et comme fils aîné de l'Eglise, il se prosterne de cœur et d'esprit au pied des autels pour rendre au Dieu des armées un hommage public. »

Au commencement de cette même année 1757, Louis XV avait échappé providentiellement à un horrible atten- tat commis sur sa personne *. Dans son mandement, M*' de Pontbriand attribuait la conservation du Roi à son Ange Gardien et à l'Ange tutélaire de la France. Il ea profitait pour raviver dans les âmes de ses diocésains la dévotion aux saints Anges Gardiens. « dévotion disait-il, très anciennement établie en cette colonie » ^ ; il en profitait également pour faire rétablir dans sa cathédrale une cha- pelle qui y existait autrefois, et qui, évidemment, avait

disparu :

«Ceux qui ont l'administration de la Fabrique, disait-il, prendront incessamment des mesures pour rétablir dans l'église cathédrale la chapelle de l'Ange>Gardien ; et nous autorisons à faire, pendant qu'on chantera le Te Deum^ une quête à cette intention. »

Dans le même mandement, notre pieux Prélat faisait allusion, en passant, à une expédition qui avait été entre- prise par les Canadiens, l'hiver précédent, vers le fort George, au fond du lac Saint-Sacrement. Cette expédi- tion hardie avait remplacé, cette fois, les courses guerrières que, chaque hiver, nos ancêtres se permettaient sur les domaines de nos voisins. La Nouvelle-Angleterre, de son côté, ne se gênait guère : ne venait-elle pas, en effet, de construire avec une impudence inqualifiable ce fort George,

4. Un nommé Damiens avait essayé le 5 janvier d'assassiner ie Roi. Louis XV voulait lui faire grâce, mais sa prière ne fut pas tcouté«: Fassassin fut exécuté.

5. Vie de Mgr de Laval, t. I, p. 591, 601. Mand. des Ez: de Québec, t. I, p. 51. 133.

sous M«^ DE PONTBRIAND 465

qui était une menace constante pour un immense territoire que nous regardions comme nôtre, ce fort George, « bâti sur les terres françaises », suivant l'expression de M^^ de Pontbriand lui-même ^?

M. de Vaudreuil avait donc organisé l'expédition en question, et il en avait confié le commandement à son frère, M. de Rigaud, avec instruction de s'emparer, si pos- sible, du fort George, ou du moins de faire autant de mal que possible aux Anglais. M. de Rigaud était accompa- gné du chevalier de Longueil, lieutenant de Roi à Qué- bec ; et ils avaient avec eux trois oflSciers français, MM. de Poulariez, Dumas et Remercier. L'expédition ne réussit pas complètement ; on ne put s'emparer du fort George, mais on fit tant de dégâts dans les environs, que le coup fut réputé un grand succès et une excellente préparation à une campagne que M. de Montcalm allait mener à bonne fin quelques mois plus tard.

M^^ de Pontbriand jugea donc à propos de donner un mandement à ses diocésains pour les inviter à remercier le Seigneur du succès, au moins relatif, de l'expédition de M. de Rigaud :

« C'est avec joie, Nos Très Chers Frères, disait-il, que nous vous annonçons le succès que vient d'avoir le déta- chement dont nous vous avons parlé dans notre mande- ment du 24 février dernier l Les vues que celui qui vous gouverne en chef s'étaient proposées me paraissent en- tièrement remplies, et puissent-elles l'être toujours, parce qu'elles auront toujours pour objet la gloire des armées du Roi et notre propre tranquillité ! Nous pouvons d'autant plus l'espérer, qu'en prenant toutes les mesures que la pru- dence peut fournir, il met néanmoins sa principale con-

6. Mand. des Bv, de Québec, t. II, p. 122.

7. Nous n'avons pas ce mandement.

80

466 Iv'ÉGLISE DU CANADA

fiance dans la protection du Dieu des armées. De concert avec le premier magistrat de cette colonie et avec l'illustre général qui est à la tête des troupes, il juge que nous avons remporté un avantage aussi grand qu'on pouvait l'espérer raisonnablement, et que les projets ambitieux de l'ennemi sur les forts Saint-Frédéric et Carillon pour- raient peut-être s'évanouir, ou du moins qu'ils seront re- tardés considérablement. C'en est assez pour nous porter à rendre à Dieu de très humbles actions de grâces. Vous le remercierez avec amour d'avoir conservé ceux qui com- mandaient le détachement avec tant d'union, tant de pru- dence et tant de fermeté, malgré la difficulté des chemins, le mauvais temps et les efforts de l'ennemi. Vous n'ou- blierez pas devant le Seigneur les cinq hommes que nous avons perdus dans cette occasion, et vous redoublerez vos vœux pour tous les besoins spirituels et temporels de cette colonie. »

Le Prélat ordonnait ensuite un Te Deurn^ qui devait être chanté dans toutes les églises du diocèse.

On a pu remarquer l'insistance avec laquelle il revient, dans tous ses mandements, sur la confiance que l'on doit mettre, avant tout, « dans la protection du Dieu des armées ». Ne dirait-on pas qu'il veut faire allusion à certains officiers français qui montraient probablement dans leur langage un peu trop de suffisance, se vantant outre mesure de leur valeur et de leur mérite? Ce n'est certainement pas de Montcalm qu'il parle, de Montcalm dont il connaît l'esprit religieux et qui fera un si beau geste d'actions de grâces à Dieu, après Carillon. Mais il y a probablement, dans les rangs secondaires, des officiers à qui il n'est pas inutile de rappeler les grands devoirs d'humilité et de soumission dont on doit être pénétré en présence de Dieu, à la guerre comme ailleurs.

Avec quelle attention, du reste, le pieux Prélat, s'adres-

sous M^ DE PONTBRIAND 467

sant à ses diocésains, ne sépare jamais dans ses réflexions et ses éloges le gouverneur, l'intendant, et « l'illustre géné- ral qui est à la tête des troupes » ! Pour lui, il ne fait qu'un avec eux ; et il veut évidemment leur rappeler que l'union et la bonne entente la plus parfaite doivent toujours régner entre eux, s'ils veulent réussir.

Et voilà que bientôt l'événement vient lui donner admi- rablement raison. La prise du fort George est un des épisodes les plus glorieux de la carrière de Montcalm, et celui peut-être l'on put remarquer le plus d'entente entre tous les chefs de la colonie. L'abbé de l'Ile-Dieu écrivait à cette occasion au ministre :

« Rien de plus satisfaisant et de plus favorable aux succès des opérations qui se font dans nos colonies, que la parfaite intelligence qui règne entre les puissances qui y sont revêtues de l'autorité du Roi ^. «

Montcalm exécute avec un entrain, une habileté, une énergie incroyables un plan qu'il a formé depuis longtemps de concert avec M. de Vaudreuil. Tout a été magnifique- ment préparé par l'expédition, canadienne surtout, de M." de Rigaud. Tous les éléments militaires de la colonie concourent à celle de Montcalm : les troupes régulières de France, celles du Canada, nos milices, nos sauvages alliés. Lévis est de la partie, et se rend avec Montcalm jusque sous les murs du fort George, oii il se distingue par « son zèle et sa conduite » ^. Bourlamaque prend part, lui aussi, à l'expédition. Le siège du fort George commence le premier août, et le 9 le commandant anglais se voit obligé de capituler, ne recevant pas de son confrère, le colonel Webb, qui commande au fort Lydius, les secours qu'il lui a demandés et qui, par un malentendu inexplicable,

8. Corresp. générale, vol. 102, lettre du 30 octobre 1757.

9. Rapport. . . pour 1905, p. 239.

468 l'Église du canada

lui sont refusés. La Providence vient évidemment à notre aide ; et c'est ce que l'Evêque ne manque pas de faire ressortir dans son mandement ^^ :

« Ce fort, dit-il, couvert par des retranchements plus forts que le fort même ^\ muni d'une bonne artillerie, défendu par plus de deux mille hommes, sur le point de recevoir un secours puissant, pouvait résister longtemps, si Dieu ne nous accordait pas une protection particulière. Le commandant, étonné de la vivacité de nos travaux, de l'ardeur des troupes, de l'intrépidité des officiers, frappé surtout de l'habileté du général, peut-être effrayé du nombre des sauvages qui étaient sous ses ordres ^"-, capitula le 9 de ce mois, après quatre jours de tranchée ouverte. Nous n'y avons perdu qu'environ trente hommes, parmi lesquels on compte quinze sauvages. »

Le prélat aborde ensuite le malheureux incident qui suivit la capitulation du fort George : l'horrible massacre d'un grand nombre d'Anglais par des Sauvages enivrés de boisson. L'historien Bancrof t assure que cette boisson leur avait été fournie par les Anglais eux-mêmes ^^ : qu'avaient- ils donc à reprocher à Montcalm, puisque c'étaient eux- mêmes qui étaient la vraie cause du massacre ?

« Vous vous réjouissiez avec raison, dit l'Evêque, du

10. Mand. des Ev. de Québec, t. II, p. 122, 20 août 1757.

11. "Le Fort George était un quarré flanqué de quatre bastions; les murs étaient formés de gros pins terrassés et soutenus par des pieux massifs qui formaient un terre-plein de quinze à dix-huit pieds, com- plètement sablé. Au dehors un rocher fortifié, revêtu de palissades, pro- tégeait ia place. Dix sept cents hommes occupaient le rocher, et de temps en temps relevaient la garnison du Fort. . ." (Ferland, Cours d'hist. du Canada, t. II, p. 551).

Ce Fort, après sa destruction par Montcalm, fut rebâti par les An- glais et prit le nom de Fort William Henr^^

Aujourd'hui, il est remplacé par un immense et magnifique hôtel, qui porte le nom de Hôtel William Henry.

12. Il paraît qu'il n'y en avait pas moins de quinze cents.

13. History of the United States^ t. II, p. 467.

sous M^^ DE PONTBRIAND 469

succès important remporté par nos troupes, lorsque tout-à- coup vous avez été attristés par la conduite barbare des sauvages à l'égard des ennemis, peu instruits qu'ils sont des règles qu'observent les nations policées. Animés par la mort de plusieurs d'entre eux, irrités de ne pas empor- ter dans leurs villages les cruels trophées ^"*, avides des dépouilles de ceux qu'ils regardaient comme prisonniers, se livrant à leur férocité naturelle, malgré nos efforts et les soins d'un officier général qui courut même des risques ^^ ils se jettent avec fureur sur ceux qui se retiraient avec les honneurs de la guerre. Un nombre considérable est mas- sacré à l'instant, et environ six cents sont faits prisonniers, quelques-uns sont traités avec la dernière inhumanité. Vous en avez été d'autant plus affligés. Nos Très Chers Frères, que le caractère propre de la nation française est d'avoir en horreur l'apparence même de perfidie et qu'elle met sa principale gloire à être fidèle aux moindres promesses et à traiter avec générosité les prisonniers. »

En terminant son mandement, le Prélat ordonnait qu'il fût chanté un service solennel dans toutes les paroisses pour ceux qui étaient morts dans cette campagne. Il ordonnait également un Te Deum pour la prise du fort George. C'était le troisième Te Deum que l'on chantait cette année pour les succès des armes françaises.

Aux succès que nous avons mentionnés, il faut ajouter celui de M. Picoté de Belestre, de Montréal, qui, à la tête d'un parti de cent Canadiens et de deux cents Sauvages, se rendit au milieu de septembre à un village allemand sur la rivière Mohack, s'empara de deux forts, fit cent trente

14. Pour les Sauvages, les plus beaux trophées de la victoire étaient les scalpes qu'ils enlevaient aux ennemis.

15. Montcalm et Lévis risquèrent leur vie pour arrêter leurs sauvages allies, et sauver les prisonniers anglais. Bancroft lui-même rend ce té- moignage à Montcalm. {^Les Ursulines de Québec, t. II, p. 295.)

470 l'Église du canada

prisonniers et ruina un grand nombre d'habitations. Les Sauvages, qui n'avaient pu satisfaire au fort George leur passion pour le pillage, se reprirent à ce village allemand extrêmement riche, et si l'on en croit l'annaliste des Ursu- lines, un seul de ces barbares « emporta pour sa part trente huit mille livres en or. » M. de Belestre rentra à Mont- réal le 28 septembre. Il n'avait pas perdu un seul homme dans son expédition ^^.

Une autre expédition, qui eut lieu au mois de mars 1758, à quelque distance de Carillon, fit également grand honneur aux Canadiens. Le ministre en complimenta M. de Vaudreuil :

« L'expédition du sieur de la Durantaie, disait-il, fait voir que vous ne négligez rien de ce qui peut concourir à détruire l'ennemi et à soutenir les avantages constants remportés sur lui jusqu'ici. Le Roi désire témoigner par quelque grâce sa satisfaction au sieur de la Durantaie, pour la bravoure et l'habileté qu'a déployée ce jeune officier dans le but de tromper Robert Rogers, et l'engager à quitter la position avantageuse qu'il occupait sur la montagne ^'. Il récompensera également les sieurs de Richarville et de la Chevrotière ^^, qui faisaient partie de l'expédition. La perte que les Anglais ont faite de Robert Rogers doit être considérable, puisque dans la relation qu'ils ont faite de cette expédition, ils ont affecté de marquer que Rogers s'était sauvé après avoir perdu beaucoup d'officiers ^^. . . »

* * *

Dans son mandement du 20 août 1757, M^*" de Poat- briant disait à ses diocésains :

16. Les Ursulines de Québec, t. II, p. 296.

17. La montagne Pelée, sur les bords du lac Saint-Sacrement.

18. Ils avaient été blessés, au cours de l'engagement avec Rogers. 29. Rapport. .. pour 1Ç05, p. 258.

sous M^^ DE PONTBRIAND 47 1

« Si VOUS VOUS réjouissez des troupes qui vienuent dans cette colonie, vous avez la douleur de voir une maladie cruelle, dont vous appréhendez les suites, en enlever un grand nombre. »

Il serait difficile de se faire une idée de l'état des choses, sous ce rapport, à Québec, à partir de 1755 jusqu'en 1759. Chaque navire qui amenait des troupes de France au Canada comptait des centaines de malades :

« Même avant leur départ de Brest, écrit l'annaliste de l'Hôpital-Général, il y avait parmi eux des maladies, occa- sionnées par la fatigue des marches qu'il leur avait fallu faire par un temps affreux et des chemins impraticables. »

Le nombre des malades, cela va sans dire, ne faisait que s'accroître durant la traversée. En 1755, il n'y eut pas moins de quatre cents militaires à la fois à l'Hôpital-Géné- ral. L'Hôtel-Dieu venait de brûler : on se hâta de recons- truire d'abord le logement des religieuses : celui des malades n'était pas encore rebâti en 1756; mais les reli- gieuses, n'écoutant que leur dévouement et leur charité, se mirent tellement à l'étroit, qu'elles purent en loger deux cents dans la partie du monastère qui avait été reconstruite pour elles-mêmes. Les six mille hommes de troupes que M. de Montcalm amenait avec lui étaient arrivés : la maladie régnait parmi eux : « elle sévit parmi ces pauvres gens avec encore plus de violence que l'année précédente, écrit l'annaliste de l'Hôpital-Général. Outre les deux cents qu'on avait logés à l'Hôtel-Dieu, on en compta jusqu'à six cents dans le même temps à l'Hôpital, et il en mourut un grand nombre. La contagion avait éclaté dans un des navires avec encore plus d'intensité que dans les autres, et l'on n'avait pas vu de moyen plus efficace pour détruire ce foyer d'infection, que d'y mettre le feu, et de le laisser sombrer dans le port de Québec.

Un grand nombre de religieuses hospitalières furent

472 l'église du canada

atteintes de la maladie ; trois en moururent, ainsi qu'un des Pères Franciscains qui s'étaient sacrifiés pour le soula- gement spirituel des pestiférés :

w Le zèle de M. l'Evêque vous est connu, écrivait au ministre M. de Vaudreuil dans l'automne de 1756: il est infatigable. Il allait plusieurs fois par jour visiter les hôpitaux, surtout pendant qu'ils étaient occupés par les malades débarqués du Léopard. Leur maladie était conta- gieuse, et il a grandement couru risque de l'attraper. Il soulage d'ailleurs les pauvres, et, je puis dire, beaucoup plus que ses revenus ne le lui permettent, eu égard aux dépenses qu'il est obligé de faire pour vivre convenable- ment à son état. Il a fait un voyage exprès à Montréal pour presser les ouvriers qui étaient employés à bâtir les deux salles de l'Hôtel-Dieu : il était la plupart du temps sur les travaux. Enfin, sa piété pour tout ce qui concerne la religion et son zèle pour le service du Roi sont inexpri- mables '^^. »

* *

L'année 1757 fut encore plus sombre et plus malheu- reuse que la précédente. Pendant que nos soldats et nos miliciens se couvraient de gloire au fort George, les na- vires de France arrivaient à Québec chargés de malades. L'Hôpital-Général et l'Hôtel-Dieu furent encombrés :

(f En peu de temps, écrit l'annaliste de l'Hôpital, six cents malades remplirent la plus grande partie de la mai- son, sans en excepter les lieux les plus réguliers. Trente à quarante offiiciers de tous grades occupaient notre salle de communauté et notre infirmerie. Nos classes furent converties en hôpital ; et grand nombre de malades venant encore, M^*^ nous permit de les placer dans l'église. »

20. Corresp. générale, vol, loi, lettre du 22 octobre 1756.

sous M*'" DE PONTBRIAND 473

Plus de la moitié des Sœurs furent frappées de la ma- ladie : il en mourut sept, et il fallut que l'Evêque permît à un certain nombre de religieuses de l'Hôtel-Dieu d'aller porter secours à leurs sœurs de l'Hôpital.

(( M. l'Evêque de Québec, écrivait l'abbé de l'Ile-Dieu au ministre, fait un grand éloge du chirurgien-major de l'Hôpital-Général, M. Briand, et dit qu'il a secouru seul et avec un zèle et un courage infatigables plus de douze cents malades en les visitant deux fois par jour. Il est bien digne d'une récompense ^^. .

Le clergé séculier et régulier de la ville déploya en cette occasion un zèle vraiment héroïque : il n'y eut pas moins de quatre prêtres qui succombèrent à la contagion, en se dévouant au soulagement spirituel des malades : M. de Tonnancour, théologal du Chapitre ^^, deux des directeurs du Séminaire, MM. Rousseau et Lamicq, et le P. Gélase, récollet. Un autre Père récollet tomba gravement malade, ainsi que le Père Le Bansais, jésuite. M«^ de Pontbriand se décida alors, avec un courage admirable, à aller lui- même faire les fonctions d'aumônier à l'Hôpital-Général :

« Tous les prêtres séculiers de la ville et les religieux, écrit l'annaliste des Ursulines, y allaient ensuite à leur tour, afin de respirer le moins longtemps possible la con- tagion; et cela a duré tant que la nécessité a été pres- sante. C'est ce que nous appelions : « monter la garde. » Sa Grandeur y allait à son tour comme les autres. Cet expédient a sauvé la vie à plusieurs, qui succombaient lorsqu'ils étaient résidents au milieu du mauvais air: ne faisant qu'y passer, il en étaient quittes pour se bien aérer au retour. »

21. Corresp. générale, vol. 102, lettre du 30 octobre 1757.

22. M. de Tonnancour légua au Chapitre, i* trente-deux écus de six francs; 2* un calice avec sa patène; 3* plusieurs volumees. (.Registre du Ckapitre, assemblée du 14 novembre 1757).

474 l'êglisk du canada

L'annaliste de PHôpital-Général ajoute:

« Notre vénérable Prélat ne se contentait pas de son tour: il suppléait aux absents, il aidait à tous. Chaque jour il faisait régulièrement sa visite à nos pauvres malades. Il passait au milieu des souffles de la mort qu'exhalaient de toutes parts ces hommes pestiférés, pour écouter les pénitents, consoler les affligés, donner les onctions saintes ou le pain de vie aux mourants, et pro- curer la sépulture aux morts. »

Dans la séance capitulaire du 29 novembre 1757, à laquelle assista M^^ de Pontbriand, le Prélat s'adressant aux chanoines leur dit « qu'il avait été très édifié du zèle que MM. du Chapitre avaient fait paraître pour aller assister les moribonds qui étaient à l'Hôpital-Général, attaqués d'une maladie très contagieuse, qui avait déjà enlevé six con- fesseurs qui s'y étaient prêtés avec le même zèle, et qu'il espérait trouver dans le Chapitre le même secours si malheureusement il était obligé de prendre les mêmes mesures. «

Les fièvres durèrent toute l'année 1758 et jusqu'au mois de mars 1759; alors elles cessèrent tout-à-fait:

K Mais, ajoute l'annaliste, ce ne fut que pour faire place à d'autres circonstances avec lesquelles nulle de celles qui avaient fait jusqu'alors sensation daus le pays ne pouvait être comparée. »

Et elle ajoute encore :

« Le nombre des catholiques décédés en notre hôpital s^éleva en 1757 à quatre cents, et en 1758 à trois cents: total, sept cents personnes. Trois cent quatre-vingt dix- huit étaient militaires ; deux cent neuf étaient matelots ; les autres étaient de la ville ou de la maison. Il n'y eut pas de mortalité parmi les aumôniers en 1758. La com- munauté, aussi, fut épargnée. »

Pour comble de malheur, une disette telle que la colouie

sous M»' DE PONTBRIAND 475

n'en avait pas encore éprouvé de semblable vint afflig^er les Canadiens. La trop grande abondance des pluies fit manquer les récoltes deux années consécutives ; quelques- uns des vaisseaux qui apportaient des secours de France périrent ou furent pris par les Anglais :

« La famine, écrit M«^ Taschereau, accompagna la peste de 1757. Au mois de mai, il fallut réduire les habitants de Québec à quatre onces de pain par jour. Le Séminaire fit d'énormes sacrifices pour nourrir ses élèves jusqu'aux vacances, durant lesquelles ils furent renvoyés chez leurs parents '^^.

« Le 28 septembre, on délibéra s'il serait possible de rouvrir le pensionnat ; mais la mauvaise apparence de la récolte obligea de suivre le conseil de l'Evêque, en suspen- dant les fondations et en se bornant aux ecclésiastiques jusqu'à l'arrivée des secours de France.

(( L'année suivante, on résolut, malgré la disette et la cherté des vivres, de recevoir vingt des pensionnaires les plus pauvres et incapables de continuer leurs études hors du Séminaire. On les choisit dans les deux classes les plus élevées, la seconde et la philosophie, parce que l'inter- ruption prolongée de leurs études offrait plus d'inconvé- nients. Parmi leurs noms se trouve celui de Pierre De- Maut, de Montréal, âgé de quinze ans : c'est le dixième évêque de Québec. Les études se continuèrent ainsi, mal- gré la disette et la guerre, jusqu'au commencement dm siège de Québec '^*. »

La Sœur Duplessis, supérieure de l'Hôtel-Dieu, écrivait en 1757:

« Nous sommes affligées du fléau de la famine telle qu'il ne s'en est jamais vu de semblable au Canada. Les rickes

23. N'oublions pas qu'en temps ordinaire les vacances des écoliers se passaient à Saint- Joachim.

24. Hist. manuscrite du Sém. de Québec.

47^ l'église du canada

n'en ont pas plus que les pauvres, et ne les peuvent pas, par conséquent, assister. La récolte est très mauvaise, et ce pays est sans ressource. On nous fait espérer des se- cours de France au mois de mai ; mais jusque-là on souffri- ra beaucoup. La seule confiance en Dieu peut adoucir nos craintes et nous faire profiter de cette extrémité. »

Eh bien, sait-on quelles étaient iles dispositions de la haute société à Québec, au milieu des horreurs de la peste et de la disette? On se figure peut-être qu'on s'y couvrait de sacs et de cendres. Ecoutons la mère Saint-Claude de la Croix, religieuse de l'Hôpital-Général: elle écrit préci- sément à cette époque à une religieuse de France et lui parle des riches étoffes qui se fabriquaient au Canada pour les ornements d'églises ; puis elle ajoute:

<( Tous nos ornements d'église sont fort beaux et de belles étoffes d'or, d'argent et de soie. Nous sommes accoutu- mees a en voir, car jusqu'aux servantes s'en habillent dans notre pays. Le luxe y est aussi grand qu'à Paris; les dames y sont d'une magnificence qu'on n'y peut rien ajou- ter ; et même elles portent des étoffes d'or et d'argent. Je crains bien que cela n'attire la malédiction de Dieu sur notre colonie. L'amour des richesses et des parures fait la principale occupation de nos dames -^ ».

(( Les riches n'en ont pas plus que les pauvres «, écrivait la Sœur Duplessis. Elle faisait évidemmemt abstraction de Bigot, dont les extravagances pour la table, pour les réceptions, pour le plaisir, pour le jeu, surtout, faisaient liausser les épaules à Montcalm lui-même.

Ah, que le digue évêque de Québec, M^^ de Pontbriand,

25. Mgr de S aint-V allier et l'Hôp. Général de Québec, p. 331,

sous M^^ DE PONTBRIAND 477

devait souffrir, en voyant tant de luxe à côté de tant de misère dans sa ville épiscopale ! Pour ménager un peu l'autorité de certains personnages officiels, il n'avait pas encore jugé à propos de s'élever fortement et publiquement contre leur conduite : un mot, cependant, que nous lisons dans le mandement du 20 août 1757, semble annoncer que la mesure est pleine :

« Ne pénétrons point, dit-il, dans les desseins adorables de la Providence. Tirons seulement cette conséquence pratique, que dans tous les événements de la vie, nous devons envisager la justice de Dieu... Souvenons-nous que loin de lui être agréables, nos actions de grâces mérite- ront les effets de sa colère, si elles ne sont pas soutenues par la réforme de nos mœurs, par la pratique des vertus chrétiennes. Des cantiques de louange il fait allusion aux le Deum^ des prières qui expirent sur les lèvres ne peuvent jamais êtres reçues favorablement. »

En attendant, le saint Evêque ne tarit pas de zèle pour toutes les fonctions de sa charge. Il administre avec soin son vaste diocèse, il voit à tout, il dirige tout, avec l'aide de l'unique prêtre qu'il a avec lui, M. Briand, son grand vicaire, qui lui sert en même temps de secrétaire : tous ses mandements sont contresignés jjar lui. Il a failli le perdre dans l'automne de 1757 : la maladie l'a terrassé un instant, pendant qu'il servait d'aumônier, à son tour, à l'Hôpital- Général : la Providence, fort heureusement, le lui a con- servé :

« On ne peut assez dire, écrit au ministre l'abbé de l'Ile- Dieu, à quel point de vigilance et d'attention M. l'Evêque de Québec porte ses regards paternels sur tous les besoins de son diocèse. Quelque surchargé qu'il soit, à Québec, du soin des malades dont l'Hôpital-Général regorge, il a mieux aimé y suppléer lui-même et se détacher des prêtres qu'il y pouvait employer, pour les envoyer dans des postes

478 l'église du canada

éloignés, sur les deux rives du fleuve, oii les habitants manquaient de secours spirituels et d'encouragement pour la culture des terres. . . Il est, on ne dira pas sans aumô- nier et sans secrétaire, car il sait s'en passer, mais sans prêtre pour l'accompagner et le soulager dans la visite et l'administration des malades, il consacre les jours entiers et la plupart des nuits : sans compter que de cinq jours en cinq jours il y passe vingt-quatre heures sans sortir. Sa seule ressource est un de ses chanoines, M. Briand, qui depuis dix-sept ans ne l'a point quitté, et qui, sans manquer à aucun office canonial, trouve le secret d'être comme l'ombre de son respectable Prélat dans toutes les occasions il s'agit d'exercer ses œuvres de charité et de remplir les fonctions du ministère ". »

Le 4 juillet 1757, le Prélat donna la Confirmation dans sa cathédrale à plus de douze cents personnes, les enfants à la mamelle eux-mêmes y étant admis. Les enfants de sept ans et au-dessus y avaient été préparés par des caté- chismes faits exprès, trois fois la semaine, à la paroisse, à la Basse-Ville et à Saint-Roch, et par une confession géné- rale ^.

Quelques semaines plus tard, le Prélat préside lui-même la Retraite ecclésiastique, donnant ainsi l'exemple à ses prêtres. Ils ont besoin de se réconforter dans les jours mauvais qu'ils traversent et pour les temps encore plus sombres qui s'annoncent.

Le nouveau supérieur du Séminaire, M. Pressart, est ; il a remplacé M. de Villars, qui est parti pour la France : il fait la retraite avec ses confrères, dont deux mourront dans quelques semaines, martyrs de leur devoir. Outre les prêtres de la ville, il y a à la Retraite une vingtaine de curés du district de Québec.

27. Corresp. générale, vol. 102, lettre du 30 octobre 1757. 2^8 Journal du curé Récher.

sous M«^ DE PONTBRIAND 479

Ils se pressent autour de leur Evêque qu'ils chérissent, et dont ils ont souvent admiré le zèle, au cours de ses visites pastorales. Ils craignent maintenant de le perdre : sa santé qui était si robuste semble décliner de jour en jour. L'année 1758, dont nous parlerons au prochain chapitre, verra le pieux et saint Prélat entreprendre une dernière visite pastorale dans les paroisses du bas du fleuve, au grand étonnement du clergé et des fidèles, partagés entre l'admiration d'un pareil :zèle apostolique, et la crainte de perdre avant le temps un Evêque aussi dévoué au bien de ses ouailles.

CHAPITRE XXXV

LA GUERRE DE SEPT-ANS, AU CANADA (1758) :

III. MANDEMENTS DE M^*" DE PONTBRIAND

{suite). CARILLON

Les Anglais, décidés à s'emparer du Canada. Mandement de Mgr de Pontbriand. Détresse et misère, au Canada. La culture des patates. Siège et prise de Louisbourg. Victoire de Carillon. Mandement de l'Evêque; Te Detim. Lettre touchante de Mgr de Pontbriand à ses sœurs les Visitandines.

L'Angleterre se sentait humiliée de tous les échecs qu'elle avait subis au Canada depuis le commen- cement de la guerre ; elle l'était d'autant plus qu'elle avait plus compté sur le succès de ses entreprises. La déception, surtout, qu'elle avait éprouvée, au commen- cement de juillet 1757, en voyant Lord Holburn renoncer à faire le siège de Louisbourg dont il avait promis de s'emparer, lui faisait mal au cœur: une armée régulière de onze mille hommes, montée sur une flotte de vingt vaisseaux de ligne, qui s'avance pour s'emparer d'une place, et se retire aussitôt sans coup férir, sur la simple nouvelle, rien moins que prouvée, qu'elle est occupée par une garnison de six mille hommes, et à la vue d'une escadre française qui vient au secours des assiégés : voilà certe un épisode peu glorieux.

On avait juré de se reprendre en 1758. Le grand ministre Pitt qui était à la tête de l'administration anglaise écrivit aux gouverneurs des colonies de la Nouvelle-Angle-

l'église du canada sous m*"" de pontbriand 481

terre de lever autant de miliciens que possible : et bientôt, avec le contingent de troupes régulières que fournit la Grande-Bretagne, on eut une armée de plus de cinquante mille hommes à lancer sur le Canada.

M»^ de Pontbriand n'eut pas plutôt appris le danger dont la colonie et par même son Eglise étaient menacées, qu'il adressa un mandement à ses diocésains pour prescrire des prières publiques. Ce mandement est du 20 janvier

1758:

(f La colonie, victorieuse jusqu'ici, dit-il, ne présente dans son sein que des objets lugubres et des motifs d'in- quiétude qui semblent devoir bannir toute consolation. Moins frappé des succès et des victoires que touché de la misère que vous ressentez, notre devoir est de nous attris- ter avec vous. Et cette tristesse commune*^" doit nous réunir dans le même esprit de piété pour nous adresser à Dieu et le supplier d'écarter les dangers qui nous menacent.

« Et qu'ils sont grands, Nos Très Chers Frères, ces dan- gers, surtout si pour ensemencer les terres il faut encore retrancher sur notre subsistance! bien plus grands, si, par des événements imprévus, les secours de France sont retar- dés ou interceptés ! Quel cahos immense de calamités pour l'Etat et la Religion, si nos ennemis, irrités de leurs pertes, veulent profiter de notre situation et s'approchent de nos frontières ! . . . »

Puis, à la vue des désordres qui régnent à l'Intendance et dans la haute société de Québec, il exhorte ses diocésains à faire pénitence pour éloigner les châtiments dont ils sont menacés :

« Sans un cœur contrit, dit-il, les jeûnes, les sacrifices et les vœux ne détournent jamais les fléaux de la justice divine. »

Les Canadiens sont condamnés] à [dç: grands sacrifices. Déjà, « on ne délivre que quatre onces de pain chez le

482 l'église du canada

boulanger pour chaque habitant, et huit onces pour les troupes. » L'habitant devra bientôt se contenter de deux onces ^ On entend çà et de vSérieux murmures. Il y aurait révolte, si M. de Vaudreuil n'était là; on lui par- donne tout, tant on le sait dévoué aux Canadiens ! Néan- moins l'Evêque juge à propos de venir à son secours :

« Ne vous y trompez pas, Nos Très Chers Frères ; mur- murer contre les ordres de ceux qui vous gouvernent, c'est attaquer Dieu même: Qui resistit potestati^ Der ordinationi resistit '^ : paroles de l'Esprit-Saint, paroles qui doivent nous conduire dans les circonstances présentes. Les esprits peuvent se diviser sur les mesures qu'on pour- rait prendre : dans le cas de partage, c'est aux puissances d'ordonner et à nous d'obéir. . . »

Il invite alors les fidèles à prier « avec confiance, sans hésiter, avec foi » ; et il leur recommande surtout l'Oraison Dominicale :

Qu'elle doit être puissante et efficace, dit-il, cette prière dictée par la bouche même de Jésus-Christ ! Au-dessus de toutes les autres, elle seule suffit ; et par elle-même elle doit être la plus agréable au Seigneur, qui, selon saint Augustin, lui a communiqué une grâce particulière ; y trouver du goût, c'est la marque la moins équivoque de notre prédestination. Si vous la méditez attentivement, vous y trouverez l'abrégé de l'Evangile et de toute la doctrine chrétienne : Breviariicm totius Evangelii. Dès vos plus tendres années, vous l'avez apprise, cette prière divine. Nous ne pouvons assez vous exhorter à la réciter souvent, et toujours avec respect, avec attention, en réflé- chissant sur chaque parole. . . »

Le Prélat enjoint ensuite à ses curés «d'expliquer souvent au peuple l'Oraison Dominicale»; puis il ordonne

1. Mgr de Saxnt-V allier et l'Hôp. Général de Québec, p. 333.

2. Rom., XIII, 2.

sous M^ DE PONTBRIAND 483

des prières et des exercices publics, entre autres « une pro- cession en dedans ou en dehors de l'église », qui se fera le premier dimanche de carême, après vêpres. « On y chan- tera les litanies de la Très vSainte Vierge et des Saints. On y portera la statue de la sainte Vierge, et quelques reliques, s'il est possible ^ »

Dans le grand besoin de vivres se trouvait la colonie, le gouverneur avait songé à demander aux curés « de céder au Roi » la dîme qu'ils recevraient en 1758 ; et l'Evêque crut devoir les engager lui-même à faire ce sacrifice, s'il leur était demandé ^ Nous n'avons pu nous assurer s'il fut donné suite à ce dessein, qui paraissait vraiment excessif. Le clergé, comme le peuple, était bien disposé à faire tous les sacrifices nécessaires ; il ne fallait pourtant pas lui demander l'impossible et lui ôter les moyens de vivre. On avait retranché aux Sulpiciens la somme de six mille livres qu'on leur accordait annuellement : ils protestèrent ^ On voulut également retrancher le supplé- ment donné aux curés qui ne pouvaient vivre du produit de leurs dîmes; et l'abbé de l'Ile-Dieu protesta en leur nom :

« Il est inutile, écrit-il au ministre, de vouloir former des colonies sans colons; on ne peut les rassembler en villages et les former en paroisses si on ne leur donne des prêtres pour en desservir les postes ; et ces mêmes prêtres n'y peuvent rester, si on ne leur donne de quoi subsister et s'entretenir ^. »

Bigot, qui vivait dans l'abondance au milieu de la mi- sère générale, poussait le cynisme à un degré incroyable : il avait donné ordre à deux de ses agents. Contrecœur et

3. Mand. des Ev. de Québec, t. II, p. 125, 20 janvier 1758.

4. Ibid., p. 130, Circulaire du 13 février 1758.

5. Rapport. . . pour 1905, p. 234, 281.

6. Corresp. générale, vol. 102, lettre du 30 octobre 1757.

484 L'éGLISE DU CANADA

Monrepos, de parcourir les campagnes, et d'exiger de chaque habitant qu'il déclarât sous serment tout ce qu'il possédait en fait de comestibles :

« Ce dernier acte de tyrannie, écrit l'abbé Casgrain, acheva d'indigner le clergé, qui prit ouvertement la cause du peuple. D'après l'avis de l'Evêque, il releva les habi- tants de cet injuste serment, disant avec raison que si le Roi voulait conserver sa colonie, il devait lui en fournir les moyens ; que nulle puissance n'avait le droit d'arracher au peuple les dernières bouchées de pain qui lui restaient, surtout quand on ne lui laissait ni le temps de semer, ni celui de récolter, et que de plus on exigeait qu'il fût le premier à verser son sang sur les champs de bataille ^. »

On aura une idée de la misère qui régnait à cette époque dans nos campagnes par ce petit passage de Bougainville : (( Beaucoup de gens ne vivent que de pêche et jeûnent quand il ne prennent rien. Quelques habitants sont ré- duits à vivre d'herbes. »

« L'ingénieur Desandrouins, écrit l'abbé Casgrain, ra- conte qu'en montant de Québec à Montréal, au milieu de mai, il trouva partout la même détresse. Nulle part il n'y avait de pain. Sans la chasse du printemps, surtout celle des tourtes qui donnaient alors en abondance ^, beau- coup de personnes seraient mortes de faim ^. >>

C'est précisément à cette époque que le ministre écrivit sêm gouverneur et à l'intendant une lettre vraiment curieuse au sujet de la culture des patates, « ce légume farineux, nourrissant, disait-il, qui convient aussi bien à l'homme qu'au bétail ». Sa culture, ajoutait-il, « serait d'une grande ressource dans un temps de disette ». Il faudrait voir, ce-

7. Montcalm et Lévis, t. I, p. 351.

8. "Il y avait tant de tourtes qu'on les tuait avec des bâtons. " {Voyage au Canada, par J. C. B., p. 43).

9. Montcalm et Lévis, t. I, p 374.

sous M^'"" DE PONTBRIAiND 485

pendant, si elle ne ferait pas diminuer la culture du blé, « après qu'on se serait accoutumé à vivre de patates » ; et si les sauvages, surtout, « peu capables des soins que de- mandent les grains, ne se contenteraient pas de la culture des patates, qui n'en demande aucun. » Et puis, ajoutait le ministre, « n'y aurait-il pas à craindre, de la part des kabitants, du refroidissement pour la culture des grains? Ce refroidissement les conduirait insensiblement à la pa- resse, et il est intéressant de les entretenir dans l'acti\ité et le travail qui en ont fait jusqu'aujourd'hui un peuple si brave » ^^.

Curieux spécimen de préoccupation paternelle chez ce ministre !

Il lui fut répondu que la patate n'était pas un légume tout-à-fait inconnu au Canada, mais que les Canadiens aimaient encore mieux le bon pain de froment que les patates. « La patate, disait M. de Vaudreuil, ne procurera jamais d'argent aux habitants; et comme il leur en faut, ils donneront toujours la préférence à la culture du blé, qui a une valeur assurée ^\ »

Quelques vaisseaux français arrivèrent à Québec vers la fin du mois de mai, chargés de provisions ; mais il n'y en avait pas trop pour les troupes. M»^ de Pontbriand écri- vait le 17 juin à ses sœurs les Visitandines de Rennes :

(( La misère a été extrême cet hiver. Elle n'est oruère moindre maintenant. Il n'y a aucun moyen de soulager les pauvres, quelque bonne volonté qu'on en ait, parce que les vivres manquent. Nous en avons pourtant reçu en quantité ; mais ils sont nécessaires pour les opérations mi- litaires, et le peuple ne s'en ressent que très peu : on lui donne seulement, depuis l'arrivée des vaisseaux, un quar- teron par jour.

10. Rapport. . . pour 1905, p. 255.

11. Corresp. générale, vol. 103, lettre au ministre, 8 août 1758.

486 I^'ÉGLISE DU CANADA

(( D'ailleurs, ajoutait-il, nous soutenons toujours notre supériorité sur les Anglais. Il serait à souhaiter que la France européenne fût aussi heureuse ^'^ . . . »

C'est-à-dire qu'à cette date, 17 juin 1758, on ne savait pas encore à Québec qu'une armée anglaise de quinze mille hommes venait de mettre le siège devant Louisbourg, et que Wolfe, sous les ordres d'Amherst, en avait commencé le bombardement, comme il devait faire l'année suivante à Québec. On est surpris, d'ailleurs, de la similitude de plusieurs circonstances au siège de Québec et à celui de Louisbourg. Wolfe, débarqué sur la grève de la Cormo- randière, dans la baie de Gabarus, escalade la falaise à un endroit qui n'était pas gardé, parce qu'on le jugeait inacces- sible, comme il fit l'année suivante au Foulon. Boishébert *', à l'extrémité opposée du Cap-Breton, à Port-Toulouse, a sous ses ordres un contingent important de troupes cana- diennes et acadiennes, avec un nombre considérable de Micmacs que lui a amenés l'abbé Maillard et qui brûlent d'aller combattre les Anglais. Il a ordre d'aller secourir Louisbourg, et M. Drucour, le commandant de la place, compte sur lui. Il l'attend avec impatience. Mais Bois- hébert n'avance à rien ; il temporise, malgré les sollicita- tions pressantes de l'abbé Maillard '*. Il finira cependant par se rendre à Louisbourg, mais trop tard, et sera accusé de trahison. A Louisbourg, comme à Québec, les mêmes sentiments d'antipathie entre les troupes françaises et les milices coloniales ^^. L'île de l'Entrée, la Tour de la Lanterne, la disposition du camp de l'armée anglaise autour de Louisbourg, tout cela ressemble à ce que l'on

12. Cité dans Le dernier Bvêqiie du Canada français, p. 220.

13. Fils de Louis-Henri Deschamps de Boishébert, seigneur de la Rivière-Ouelle.

14. Rapport. . . pour içojj p. 269.

15. Monîcalm et Lévis, t. I, p. 482.

sous M^*" DE PONTBRIAND 487

verra dans rautomne de 1759 à l'île d'Orléans, sur les falaises de Lévis et celles de l' Ange-Gardien. Tout est ravagé à Louisbourg et dans les environs, dans toute l'île Royale et à l'île Saint-Jean, comme il sera fait plus tard dans les environs de Québec et sur les deux rives du Saint- Laurent. Wolfe exécute dans le Golfe, avec toute la rigi- dité anglaise, les ordres de son chef Amherst, mais il le fait évidemment à regret : il a conscience de l'horreur de son acte :

« Vos ordres ont été exécutés, écrit-il à Amherst ; nous avons fait beaucoup de mal et répandu la terreur des armes de Sa Majesté dans toute retendue du Golfe; mais nous n'avons rien ajouté à sa réputation. »

Ce sera à Québec la même rigidité implacable, par crainte de l'opinion anglaise.

Enfin Drucour, le vaillant et intrépide Drucour, se voit obligé de capituler, pour se rendre aux instantes prières de la population, comme on le fera l'année suivante à Québec. Mais l'histoire tiendra compte de sa défense héroïque, ainsi que de la conduite admirable de sa femme, qui tous les jours pendant le siège, pour encourager l'ardeur des soldats, allait elle-même allumer quelques pièces de canons pour bombarder l'ennemi.

M«^ de Pontbriand était en visite pastorale sur la côte sud, loin de Québec, lorsqu'il apprit la triste nouvelle de la capitulation de Louisbourg, qui ouvrait aux Anglais la porte de la colonie. Malade depuis longtemps, il était parti le 22 juin, contre l'avis du clergé de sa ville épisco- pale, voulant à tout prix accomplir les fonctions de sa charge, espérant d'ailleurs que le voyage lui ferait du bien :

« Ma santé diminue tous les jours, écrit-il à ses sœurs le 17 juin. Je ne suis pas encore guéri d'un gros rhume dont je suis travaillé depuis le mois de novembre dernier. Quelles en seront les suites ? Je n'en sais rien. Le me-

488 l'Église du canada

decin ne m'en annonce point cependant de fâcheuses ; et j'entreprends le 22 du courant la visite d'une partie de mon diocèse, quoique quelques personnes n'en soient point d'avis. Peut-être l'action me sera-t-elle avantageuse. »

Il nous apprend dans une autre lettre qu'il visita des paroisses sur un parcours de trente lieues; et c'est dans cette visite qu'il apprit la brillante victoire remportée par Montcalm le 8 juillet à Carillon. Il se hâta, à son retour à Québec, d'adresser quelques lignes à ses diocésains sous forme d'un mandement ordonnant un Te Deîtm solennel à l'occasion de cette glorieuse victoire ^". Mais ce man- dement se ressent évidemment de la hâte avec laquelle il fut obligé de l'écrire, non moins que de la fatigue et de la maladie dont souffrait le pieux Prélat. Il n'est vraiment à la hauteur ni de ses autres mandements, ni de l'affaire de Carillon, l'une des plus éclatantes, la plus éclatante peut-être, que consignent nos annales? Pourquoi, d'ail- leurs, y avoir substitué au nom de Carillo7i ^^ celui de Vaudreîiil? Est-ce que réellement pendant quelque temps on donna à ce fort, à ce promontoire célèbre, le nom de Vaudreuil? En tout cas, la chose fut bien éphémère; et c'est Carillon, c'est Montcalm qui demeurera toujours dans l'âme populaire :

« Au jugement de ceux qui dirigent et exécutent les opérations militaires, dit le Prélat, la victoire remportée le 8 de ce mois près le fort Vaudreuil, renferme. Nos Très Chers Frères, des traits si marqués d'une protection visible du Ciel, que vous êtes déjà sans doute entrés dans les sen-

17. Le Te Deiun pour Carillon fut aussi chanté en France; et dans la lettre qui l'ordonnait le Roi parlait de " ses braves soldats du Cana- da ". {Montcalm et Lévis, t. II, p. 41). A Paris chose curieuse à noter c'est l'ancien évêque de Quél3ec, Mgr Dosquet, devenu le pre- «ier grand vicaire de l'archevêque, qui signa le mandement pour le Te Deitm de Carillon. (Recherches historiques, vol. XV, p. 237).

18. Le mot Carillon vient du bruit étourdissant que font les chutes de la rivière qui relie le lac George au lac Champlain.

sous M^"^ DE PONTBRIAND 489

tiinents de la plus vive reconnaissance : Tarmée ennemie, au moins de quatre fois supérieure à la nôtre ^^, s'était, après des marches forcées et des travaux immenses, rendue presque au point d'établir ses batteries et n'avoir à forcer qu'un faible retranchement fait en vingt-quatre heures; animée par le succès qu'elle avait eu deux jours aupara- vant ^^, elle pouvait s'en promettre de plus considérables ; les nations (sauvages) qui impriment tant de terreur à l'ennemi n'étaient pas encore arrivées ; les temps fâcheux arrêtaient les vivres nécessaires : la prudence consommée du Général, la valeur à toute épreuve des officiers et la bravoure du soldat ne pouvaient surmonter tous ces obs- tacles réunis sans le secours puissant du Seigneur. Nous le demandions depuis longtemps par les prières publiques, et il nous a été accordé dans le moment le plus critique. L'ennemi est mis en fuite et perd près de quatre mille hommes ; nous n'en perdons qu'environ deux cents. Cette victoire éclatante, et au-dessus de celles qui ont précédé, exige de vous, Nos Très Chers Frères, des actions de grâces solennelles. En remerciant le Dieu des armées, prions avec ardeur pour ceux qui sont morts depuis le commencement de cette campagne. . . »

Rien d'essentiel, sans doute, n'était oublié dans ce man- dement. Mais il nous semble évident que le digne Prélat n'avait pas encore eu le temps de connaître les détails de Carillon, les ingénieux travaux imaginés et exécutés par Montcalm pour se protéger contre l'armée anglaise, pour protéger son fort, sa vaillante petite armée, et se retran-

19. Abercombie avait sous ses ordres 25,000 hommes ; Montcalm, à f einc 4,000 : " Abercombie, dit l'abbé Casgrain, se voyait à la tête de la plus grande armée d'origine européenne qui eût jamais mis le pied en Amérique." (Montcalm et Lévis, t. I, p. 387).

20. Allusion à l'affaire de la Rivière à la Chute, le commandant français, M. de Trépesec, fut blessé à mort, et les Anglais restèrent victorieux, mais perdirent Lord Howe, " la fleur de la noblesse, le Meilleur soldat de leur armée " : ce qui fut pour eux un vrai désastre.

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cher derrière des amas de troncs d'arbres, enchevêtrés avec leurs branches les uns dans les autres, de manière à former des chevaux de frize, une muraille quasi impénétrable, l'on avait ménagé des meurtrières pour pouvoir tirer sur l'ennemi, tout en étant à l'abri de ses coups; il ne savait peut-être pas tout l'art merveilleux avec lequel il avait disposé ses bataillons, ses officiers, confié à chacun sa tâche, déjoué les ruses de l'ennemi; il ne se rendait peut- être pas compte de cette tactique militaire vraiment in- comparable, et, pour tout dire en un mot, de ces « moyens humains » tout à fait supérieurs dont s'était servi la Pro- vidence pour arriver à ses fins : le Prélat, ce nous semble, en aurait dit un mot, s'il les eût connus: il n'aurait pas manqué de signaler l'empressement avec lequel M. de Vaudreuil dépêcha Lévis avec un fort contingent de Cana- diens au secours de Montcalni, aussitôt que celui-ci lui en fit la demande : il n'aurait pas inanqué, surtout, de rendre hommage à l'intrépidité héroïque avec laquelle nos mi- lices canadiennes firent plusieurs sorties contre les en- nemis chaque fois que leur chef aimé et respecté, Lévis, leur criait : « En avant. Canadiens ! » nos milices cana- diennes qui, comme l'écrivait tout récemment un de nos publicistes, « couronnèrent d'une auréole la victoire de Ca- rillon -^ w II nous semble enfin que s'il l'eût connu, le vénéré Prélat n'eût pas manqué de signaler à ses diocésains le geste magnifique de Montcalm, après sa victoire, plan- tant une grande croix sur le lieu même de son triomphe déposant son épée au pied de cette croix, et rapportant toute gloire au Dieu des armées -^

21. L'Action Sociale de Québec, 2 janvier 1914.

22. Montcalm avait fait mettre sur la croix l'inscription suivante, qui était bien conforme aux sentiments de Mgr de Pontbriand : ** Quid duxf Quid miles? Quid strata ingentia ligna f En signum! Bn victor! Deus hic, Deus ipse triumphat!" "Puis le soir, écrit René Bazin, à la lueur longue du jour allongée par le reflet du lac, il écrivait: " Quelle

sous M^^ DE PONTBRIAND 49I

Malheureusement, le succès de Moritcaltu à Carillon ne pouvait avoir qu'un résultat éphémère. La colonie était perdue pour la France: après la prise de Louisbourg par les Anglais, celle de Frontenac, commandait M. de Noyan, celle du fort Duquesne, défendu bravement par M. de Ligneris, qui le fit sauter, 'plutôt que de le livrer à l'ennemi. Nous étions encerclés de toutes parts, et ne pouvions que nous souhaiter, dans la supposition très probable qu'il fau- drait nous-mêmes, avant longtemps, nous rendre à l'ennemi, d'avoir un sort plus heureux que celui qui venait d'être fait à Louisbourg : toute la garnison de cette ville em- menée captive en Angleterre, toute la population de l'île Royale conduite en France ; tous les habitants de l'île Saint-Jean dispersés comme leurs compatriotes, les Aca- diens, loin de leurs foyers : quelle pitié î

Ah, que M^^ de Pontbriand avait raison, lorsqu'il re- commandait à ses diocésains, dans le mandement que nous venons de citer, de ranimer leur confiance en Dieu !

« Assistez, dissit-il, avec plus d'exactitude que jamais aux prières prescrites par notre dernière lettre pastorale. Les maladies peuvent s'augmenter ; les peuples souffrent de la disette ; la récolte ne présente rien d'assuré ; nous attendons encore plusieurs secours de France; l'ennemi fera probablement de nouveaux efforts. Plus les dangers sont grands, plus notre confiance en la miséricorde du Sei- neur doit augmenter. »

Ecrivant de nouveau à ses sœurs les Visitandines le 25 octobre de la même année 1758, il leur donnait d'abord des nouvelles de sa personne : ce sont celles-là qu'elles attendaient avec plus d'anxiété :

(( Il faut, leur disait-il, vous dire un mot de ma santé.

"journée pour la France! La trop petite armée du Roi vient de battre '■'ses ennemis... Ah! quelles troupes que les nôtres! Je n'en ai jamais "vu de pareilles." (Nord-Sud, Paysages d'Amérique, p. 33).

492 l'église du canada

Depuis deux aus j'ai un gros rhume. La toux m'empêche souvent de dormir. Les efforts que je fais oui occasionné des crachements sanguinolents une centaine de fois. Je me sens souvent une fluxion dans la tête. J'ai maigri beaucoup. J'ai presque toujours un enrouement, quelque- fois extinction de voix. Avec cela, je ne ressens aucune douleur. Je respire facilement. Ni mal de dents, ni de tête, ni de dos, ni de poitrine. Je mène une vie de régime et je me ménage.

« Pardonnez, mes chères sœurs, ce détail si ennuyeux» Ce qui me touche le plus, c'est que je n'ose, dans l'hiver, assister souvent à l'office et faire mes visites pastorales. J'ai cependant parcouru, cet été, trente lieues environ de pays, et cela m'a fait du bien. Quoi qu'il en soit, je com- mence à penser sérieusement à un climat plus doux que celui que j'habite. Peut-être y trouverais-je quelque sou- lagement. Peut-être aussi est-ce la mort qui m'appelle. Au reste, je ne partirais qu'à la paix. »

Qui ne serait touché en entendant le saint Prélat parler avec tant de bonhomie et d'abandon de sa pauvre santé toute délabrée, ayant à peine cinquante ans? Il jette ensuite un coup d'œil sur le pays qu'il habite depuis près de vingt ans, et oii tout est devenu si âpre et si dur à vivre :

« Voulez-vous, dit-il à ses sœurs, savoir notre situation présente? Pour vivre, on ne trouve presque rien. Tout est à un prix exorbitant. Cette feuille de papier coûte vingt-cinq sous et demi ; la barrique de vin six cents livres ; le pain huit sous ; le bœuf seize ; les souliers quinze livres ; et si je veux faire des aumônes, je retranche mon ordinaire et je m'endette.

« Notre situation vis-à-vis de l'ennemi n'est pas beau- coup plus brillante. Il est maître de tout notre fleuve, ayant pris Louisbourg. Les Anglais doivent venir avec une flotte considérable à Québec. Sans un miracle, ou

sous M*^"" DE PONTBRIAND 493

des efforts considérables de la part de la France, ou sans la paix, nous serons pris. Si ces messieurs veulent me laisser au milieu du troupeau, je resterai ; s'ils m'obligent à quitter, il faudra bien céder à la force. »

Puis ces deux mots: «Je ne vous parle pas de notre famille. La Garaie n'est plus, voilà ma douleur ^^l» Cri que lui arrache la mort récente du célèbre et vertueux comte de la Garaie, son oncle, et la disparition qu'il pré- voit de son œuvre, à laquelle il a consacré les prémices de son ministère sacerdotal.

Le même jour il écrivait à son bien-aimé frère le comte de Nevet :

« Si la guerre continue l'an prochain, nous aurons peine à nous soutenir. Je crains que nous soyons pris. J'ignore si les Anglais consentiront à me laisser dans cette colonie '^*. «

23. M. de la Garaie, oncle de Mgr de Pontbriand, était mort le 2 juillet 1755, à l'âge de 81 ans; mais on dirait que le pieux évêque ne faisait que de l'apprendre. Mme de la Garaie était morte le 20 juin 1757, âgée de 76 ans : il ne le savait probablement pas encore.

24. Cité dans Le dernier Evêque du Canada français, p. 230.

CHAPITRE XXXVI

LA GUERRE DE SEPT- ANS, AU CANADA (1759) : IV. MAN- DEMENTS DE M^^ DE PONTBRIAND {sitite). BATAILLE DES PLAINES d'ABRAHAM. CAPITULATION DE QUÉBEC

Bigot fait l'éloge de Montcalm ; de Vaudreuil. Promotion de Mont- calm. Bigot, censuré à la Cour. Désordres à Québec. Pre- mier mandement de l'Evèque. Prières publiques. Deuxième mandement. Dépit de Montcalm. Les Anglais envahissent le Canada. Circulaire de l'Evèque à son clergé. Dévastation du pays. Le curé Martel. A Beaumont. A Lévis. Le curé Youville-Dufrost. Le curé Robineau de Portneuf, à Saint- Joachim. Siège et bombardement de Québec. Mgr de Pont- briand à Charlesbourg. Le " coup des écoliers ". Victoire de Montmorency. Affaire Langlade. Bataille des Plaines dAbra- ham. Capitulation de Québec.

L

'intendant Bigot écrivait à la Cour peu de temps après la bataille de Carillon :

« M, de Montcalm vient de rendre un service mémorable au Canada : il a battu les ennemis et les a empêchés d'y pénétrer. Le grade de lieutenant-général auquel cette victoire peut le faire parvenir le rappellera vraisembla- blement en France. Sa Majesté ne voudra peut-être pas faire servir un lieutenant-général sous M. de Vaudreuil. S'il retourne, je le regretterai beaucoup. Je ne saurais trop répéter que c'est un officier d'une grande distinction, et qu'il a un détail et des talents qui sont rares. » J

Du reste. Bigot faisait aussi l'éloge de M. de Vaudreuil ; 1 il voulait évidemment être bien avec tout le monde :

l'église du canada SOUvS M^^ DR PONTBRIAND 495

« M. de Montcalm et M. de Vaudreuil, écrivait-il, ont tous les deux des parties nécessaires pour la conservation et la défense du Canada. Le premier s'est fait connaître pour un bon général et homme d'un grand détail, vif et actif, zélé pour le service. Le second fait ce qu'il veut des nations sauvages et des Canadiens, et il connaît par- faitement le genre de guerre de ce pays-ci. [1 sait aussi tirer parti de la terreur que les Anglais ont des Sau- vages ^ ».

C'est-à-dire que, dans l'opinion de Bigot, comme de tous ceux, du reste, qui connaissaient bien la situation au Ca- nada, les deux hommes, tout antipathiques qu'ils étaient l'un à l'autre, y étaient nécessaires. Aussi la Cour ne manqua pas de les y maintenir.

Montcalm avait demandé son rappel en France : c'est un peu la politique de ceux qui veulent se faire prier pour rester. On lui répondit en l'élevant au grade de Lieu- tenant-Général des Armées du Roi ^, ce qui lui assurait un traitement annuel de quarante-huit mille livres^; mais, contrairement aux prévisions de Bigot, on le priait de rester à la tête des troupes au Canada, et de s'entendre avec M. de Vaudreuil « pour défendre encore la colonie pendant la campagne prochaine, ou du moins pour en conserver la partie essentielle, afin de pouvoir ^ensuite en recouvrer pins facilement la totalité. M. de Vaudreuil, ajoutait le ministre, devra vous consulter sur toutes les opérations, et il ne fera rien sans vous ^ «

Bougainville était passé en France, et avait assuré la Cour de « l'union parfaite qui existait entre Montcalm et

1. Corresp. générale, vol. 103, lettre du 13 août 1758.

2. Lévis fut nommé en même temps maréchal de camp, avec un trai- tement de 24,000 livres, et Bourlamaque brigadier avec un traitement de 18,000 livres.

3. Rapport. . . pour 1905, p. 284.

4. Ihid., p. 287.

496 L'EGLISE DU CANADA

Vaudreuil ^ ». Il voulait évidemment parler de l'union et de l'entente extérieures, car l'union des cœurs n'existait pas

Du reste, il ne rapportait de son voyage que des paroles d'encouragement : très peu de secours, rien que des pro- messes, et beaucoup de Croix de Saint-Louis nous en avons compté neuf que M. de Vaudreuil était chargé de distribuer, avec quelques pensions pour des officiers méri- tants, et des lettres de Capitaines de milices que le gouver- neur avait demandées pour des Canadiens ; car M. de Vau- dreuil n'oubliait jamais ses chers Canadiens: il voulait qu'ils fussent au moins traités sur un pied d'égalité avec les Français ^.

Quant à Bigot, qui avait demandé, lui aussi, de passer en France, non-seulement on le lui refusait, mais on lui adressait une lettre foudroyante, dans laquelle on lui re- prochait « sa mauvaise administration ». La Cour avait enfin ouvert les yeux sur son compte, mais il était trop tard: il en était rendu à vingt millions de dépenses pour l'année courante (1758)1 «La colonie va devenir, lui disait-on, un fardeau insupportable. » Le ministre, dans sa dépêche, le prenait à tâche, d'après ses propres aveux, d'après ce qu'il avait écrit lui-même, et il le confondait d'une manière terrible :

« Comment concilier, par exemple, lui disait-il, les de- mandes énormes d'effets que vous faites, cette année, sous le prétexte de disette générale, avec ce que vous dites dans d'autres lettres, oii, en annonçant la prise du fort Fronte- nac, vous marquez que le Roi a perdu dans ce fort une quantité^ prodigieuse de vivres et de marchandises? Ce fort n'était pourtant pas le dépôt pour les postes des lacs Ontario, Erié, et de la Belle-Rivière? D'ailleurs, puisque

5. Rapport. . . pour 1905, p. 281,

6. Ihid,, p. 279.

7. îhid., p. 260.

sous M^"^ DE PONTBRIAND 497

l'on a dépensé pour un million dans les postes de l'ouest, comment se fait-il qu*il y eût tant d'effets dans celui de Frontenac ^?»

On venait de passer à l'Intendance de Québec et dans plusieurs maisons de la ville un hiver de désordres sans nom ^. De l'Intendance, les mauvais exemples avaient gagné la haute société : bals, mascarades, repas somptueux, jeux effrénés à l'argent, fréquentations scandaleuses, on avait été témoin des pires excès. L'on assurait même qu'en plusieurs circonstances la religion n'avait pas été épargnée dans ses cérémonies et ses ministres ... Et l'on était à la veille de la catastrophe finale !

De tous les fonctionnaires publics, le seul vraiment sérieux, irréprochable, et qui se tînt toujours en dehors et au-dessus de ces folies mondaines, tout en faisant honneur à son rang social, c'était le gouverneur, dont la dignité de vie ne se démentit jamais.

Pendant l'hiver de 1758 à 1759, ^^ s'occupa de faire le recensement de la colonie pour s'assurer du nombre d'hommes de seize à soixante ans en état de porter les armes : on en comptait quinze mille deux cent vingt neuf.

Dans un premier mandement qu'il adressait à ses ouailles, en date du 17 février, M^^* de Pontbriand disait :

(c De tous côtés, Nos Très Chers Frères, l'ennemi fait des préparatifs immenses ; ses forces au moins six fois supérieures aux nôtres se mettent déjà en mouvement ". Nos préparatifs sont plus lents, le fleuve est à peine entiè- rement navigable, les semailles qui pressent, et qu'on ne

8. Rapport. . . pour 1905. p. 279.

9. " Les plaisirs, malgré la misère et la perte prochaine de la colonie, ont été des plus vifs à Québec. Il n'y a jamais eu autant de bals ni de jeux de hasard aussi considérables." {Journal de Montcalm).

II. Par une curieuse coïncidence, c'est précisément le 17 février, jour l'Evêque donnait ce mandement, que Wolfe quitait l'Angleterre avec son armée pour le Canada.

3'i

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saurait faire avec trop de soin, vous retiennent dans les campagnes, le défaut de vivres fait reculer les mouvements autant qu'il se peut.

« Tout semble nous manquer à la fois, et jamais la colo- nie ne s'est trouvée dans un état si critique et si dan- gereux. Jamais nous n'avons été si dépourvus et menacés d^une manière si vive, si universelle, si opiniâtre. C'est véritablement aujourd'hui plus que jamais que nous devons dire que notre unique ressource est le secours puis- sant du Seigneur.

(' Faites donc, Nos Très Chers Frères, tous vos efforts pour le mériter ou du moins pour n'y mettre point d'obs- tacles. Pous réussir, détruisez en vous tout ce qui peut déplaire à notre Dieu. Ainsi, c'est le péché qu'ij faut expier et auquel il faut renoncer absolument ; notre con- version et celle des pécheurs, la persévérance des justes, voilà les grands objets qui doivent nous occuper, persuadés autant que nous devons l'être que si nous recherchons véritablement le Seigneur notre Dieu, il se présentera à nous comme notre souverain défenseur. »

La Prélat ordonne ensuite que le premier dimanche de chaque mois on fasse dans chaque paroisse une procession, dans laquelle ou chantera les litanies des Saints et le psaume Miserere. Au retour de la procession, on chantera les antiennes et oraisons ordinaires, « et le prêtre fera amende honorable au nom des pécheurs»: cela jusqu'au premier octobre.

Ces exercices se firent régulièrement, et les habitants s'y portèrent en foule :

« Ils y allaient tout armés, dit un chroniqueur, la raquette aux pieds, le fusil en bandoulière. On montre encore des endroits les miliciens se réunissaient afin de se rendre ensemble à l'église et se garer de toute embuscade ^^»

1.-7. J.-KHmond Rov. Histoire de In Seigneurie de Lauson, t. II, p. 26e.

sous M«^ DE PONTBRIAND 499

Od a pu remarquer que dans tous ses mandements, même ceux il a évidemment en vue de combattre forte- ment le péché et les désordres, le pieux Prélat a toujours soin de se tenir dans des généralités. Non seulement cela va saus dire il ne nomme personne, mais il ne mentionne pas même les différents désordres qu'il a en vue de combattre. Dans sa grande humilité, il se met lui-même au rang des pécheurs : « Notre conversion, dit-il, et celle des pécheurs ^), afin de les toucher davantage, sans doute, et de leur faciliter le retour à de meilleurs sentiments. Bt pourquoi tant de réserve, lorsque tout le monde con- naît les coupables, lorsque leurs désordres sont publics et Pobjet des regrets de tous les honnêtes gens ? C'est que précisément ces coupables sont presque tous des per- sonnages officiels, des hommes en place, et que le saint Prélat se fait scrupule d'amoindrir le peu de prestige qui leur reste, d'ébranler le peu d'autorité dont ils jouissent encore, malgré leur indignité. Mais voilà que la mesure est pleine ; il s'aperçoit que l'on abuse de sa charité et de sa patience ; on a fait semblant de ne pas comprendre son dernier mandement, et même pendant le saint temps du carême les désordres ont été pires que jamais. Le dimanche n'est pas plus respecté que la semaine : «. Diman- che prochain, bal à l'Intendance», écrit Montcalm à Lévis à la date du 9 février. Et cependant l'ennemi est aux portes de Québec, il arrive ; bientôt peut-être c'en sera fini de la colonie et de l'Eglise du Canada. Le Prélat s'arme de courage, prend le glaive de la justice, et s'adressant de nouveau à ses ouailles :

(( Vous avez connaissance, dit-il, Nos Très Chers Frères, des préparatifs immenses que fait l'ennemi, de ses desseins formés d'attaquer la colonie par quatre endroits différents, du nombre de ses troupes réglées et de ses milices, six fois au moins supérieures aux nôtres. Vous n'ignorez pas

500 l'église du canada

qu'ils envoient des colliers chez tontes les nations (sau- vages) pour nous les enlever, pour animer contre nous celles qui voudraient conserver une espèce de neutralité. Vous savez qu'ils occupent à présent au bas de notre fleuve des ports que nous regardions comme autant de barrières» Vous apercevez tous les motifs de crainte et de frayeur, et vous en êtes sans doute frappés. L'incertitude sur les affaires d'Europe, les dangers auxquels sont exposés les secours que nous attendons, les flottes nombreuses desti- nées à notre perte, la disette générale de tout ce qui est nécessaire pour se défendre . . . doivent naturellement faire encore plus d'impression sur vos esprits.

(f Mais ce qui doit inquiéter davantage, c'est le peu de zèle qu'on remarque presque à tout le monde, ce sont les discours malins et injurieux tenus sur ceux mêmes en qui l'on devrait mettre toute sa confiance. Ce qui doit nous faire craindre, ce sont les divertissements profanes aux- quels on s'est livré avec plus de fureur que jamais ; ce sont les excès intolérables dans les jeux de hasard, ces déguisements impies en dérision, ou, pour mieux dire, en haine de la religion ; ce sont les crimes plus que jamais multipliés dans le cours de cet hiver. Voilà ce qui nous nous oblige, Nos Très Chers Frères, à tout craindre, et à vous annoncer que Dieu lui-même est irrité, que sa main est levée pour nous frapper, et qu'en effet nous le méritons. Oui, Nos Très Chers Frères, nous vous le disons à la face des autels et dans l'amertume de notre cœur, ce n'est pas le nombre de nos ennemis, ce ne sont pas leurs efforts qui effraient, et qui nous font envisager les plus grands mal- heurs, tant pour l'Etat que pour la Religion.

« Voilà la dix-huitième année révolue que le Seigneur nous a appelé, quoique indigne, à la conduite de ce vaste diocèse. Nous vous avons vus avec douleur souffrir sou- vent de la famine et de la maladie, et presque toujours en

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guerre. Mais cette année nous paraît à tous égards la plus triste et la plus déplorable, parce qu'en effet vous êtes plus criminels ^^. Avait-on jamais entendu parler de tant de vols manifestes ^^, de tant d'injustices criantes, de tant de rapines honteuses? Avait-on vu dans cette colonie des maisons consacrées, pour ainsi dire, publiquement au crime? Avait-on vu tant d'abominations? Dans presque tous les états, la contagion est presque générale.

(( Elle n'est pourtant pas sans remède, Nos Très Chers Frères, et votre malheur n'est pas sans ressource. La Foi nous apprend qu'une vraie et sincère conversion peut arrêter le bras vengeur de la justice divine, et que souvent elle l'a en effet arrêté. Le mal est grand, il est vrai ; mais le remède est entre vos mains: «Infidèle Jérusalem, reve- nez à Dieu», et Dieu, suivant sa promesse, se laissera flé- chir. Effacez, Nos Très Chers Frères, effacez prorapte- ment le passé par les larmes d'une sincère pénitence; elles sont puissantes sur le cœur d'un Dieu qui ne punit qu'à regret. Renoncez pour jamais à vos désordres, et le Ciel, propice à nos vœux, dissipera à l'instant tous nos objets de crainte et de frayeur. ^

« C'est donc la conversion des pécheurs que nous nous proposons dans ces prières publiques. Ames justes, rendez-vous y assidues, priez, pleurez, soupirez avec les ministres de Tautel, demandez avec instance que le Sei- gneur éclaire les pécheurs sur les malheurs de leur âme, et qu'il les touche et les convertisse. Ce sont vos frères qui courent à leur perte, craignez de vous trouver enveloppés dans leur discrrâce.

16. Le mot ■' criminel " fut employé par la Cour elle-même, clans une lettre à Bigot. (Rapport. . . pour 1905, p. 286).

ij. "Les voleries immenses que font tous ceux qui sont employés aux travaux publics." (Corresp. générale, vol. 104, lettre de Montcalm à Le Normand, 12 avril 1759).

'«<

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« Et VOUS, pécheurs, nous vous en prions au nom de Jésus-Christ, au moins ne mettez pas obstacle aux faveurs que nous demandons pour vous. Venez plutôt, nous vous en conjurons par tout ce qui est capable de vous toucher, venez les solliciter vous-mêmes dans un esprit de douleur et de componction. «

Le Prélat renouvelle ensuite son ordonnance pour la procession du premier dimanche de chaque mois jusqu'au premier octobre. Elle se fera non seulement dans chaque paroisse, mais aussi « dans les camps et dans les forts >». Dans les différentes églises de Québec, à la cathédrale, dans l'église de la Victoire à la Basse- Ville, au Séminaire, chez les Jésuites, les Récollets et les Ursulines, on fera al- ternativement une neuvaine, et l'Evêque indique les exercices à suivre dans ces différentes églises chaque jour de la semaine. A Montréal et aux Trois-Rivières, on observera autant que possible ce qui est prescrit pour Québec ^^.

Enfin l'Evêque avait parlé pour être sûrement compris, et il l'avait fait avec l'autorité apostolique et les accents vengeurs des Eaval et des Saint- Vallier. Il ne s'était pas contenté de s'élever contre le mal en général, il avait dénoncé nommément les désordres qu'il voulait stigma- tiser : les excès dans les divertissements profanes et dans les jeux de hasard ^^, les mascarades impies pour jeter dM discrédit sur la religion, les vols, les injustices, les rapines honteuses, la fréquentation de maisons « consacrées au crime ». La morale était vengée, les citoyens respectables se sentaient soulagés. Les coupables n'étaient ni nommés ni désignés, mais il pouvaient et devaient se reconnaître,

r8. Mand. des Ev. de Québec, t. II, p. 134, 18 avril 1759.

19. "Les fastueux banquets, les danses et les jeux de hasard se par- tageaient ces nuits scandaleuses contre lesquelles protestaient en vai» l'Evêque et son clergé." {Montcalm et Lévis, t. i, p. 182) "On a joué indécemment les jeux de hasard,'' écrit Montcalm. {Ihid., p. 184).

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reutrer en eux-mêmes, et profiter de la leçon qui leur était donnée avec tant de force à la fois et de ménagement. Pour ne point attirer sur eux les regards du public, ceux surtout de la postérité, ils n'avaient qu'à ne rien dire, et surtout ne rien écrire : c'est ce que firent la plupart de ceux qui se sentirent piqués en entendant la lecture du mandement on ne voit nulle part, par exemple, que Bigot ait jamais dit ou écrit un mot contre l'Evêqne c'est ce que ne fit pas Montcalm : il écrit dans son journal :

« Le saint Evêque de Québec vient de donner un man- dement pour ordonner des prières publiques et demander à Dieu notre conversion. Le saint Evêque aurait se dispenser d'y parler des mascarades indécentes qu'il prétend y avoir eu cet hiver à Québec, et d'une maison de prostitution qu'il assure être établie près des remparts de Québec. Il aurait aussi entrer en moins de détails sur le danger est la colonie ^^. »

M^^ de Pontbriand n'avait point prononcé le mot « pros- titution », ni désigné aucune maison, ni aucune rue, pas plus celle des Remparts, que celle du Parloir. Ce n'est pas l'Evêque, c'est lui-même que Montcalm aurait pu accuser d'indiscrétion.

Ces lignes écrites dans son journal, et livrées maintenant au public, sont d'autant plus regrettables, qu'elles peuvent en laisser croire sur son compte beaucoup plus qu'il n'y en avait. Il était religieux, il était bon fils, bon époux, bon père de famille : sa correspondance en fait foi. Le principal reproche qu'on peut lui faire, c'est de n'avoir pas sufiSsamment séparé sa cause de celle d'hommes com- promis, comme les Bigot, les Péan, les Cadet et tant . d'autres, c'est d'avoir trop fréquenté la société de femmes légères et plus que frivoles qui faisaient la honte de la

20. Montcalm et Lévis, t. II, p. 33.

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société québécoise de l'époque. Dans de telles « fréquen- tations, » on laisse toujours quelque lambeau de réputation et d'honneur ^^

. * * *

Les Anglais, décidés à s'emparer du Canada, avaient mis sur pied une armée de soixante mille hommes, divisée en trois parties, dont la principale, sous les ordres de Wolfe, devait se porter sur Québec, une autre devait la rejoindre en passant par New- York, le lac Champlain et la rivière Richelieu, et la troisième devait aller tout d'abord s'em- parer de Niagara, puis descendre de rejoindie les deux autres.

Le Canada n'avait à opposer à tout cela que six mille hommes de troupes régulières et quinze mille miliciens. Là-dessus, il fallait prendre un contingent assez considé- rable, avec lequel Bourlamaqne irait défendre Carillon, Saint-Frédéric et le lac Champlain. Pouchot avait mission de défendre Niagara avec un autre contingent de troupes, et I\I. de Lacorne, avec un troisième contingent, devait garder l'embouchure de la rivière Oswégo et la tête des rapides des ^lille-Iles. Il ne restait plus à Vaudreuil, Montcalm et Lévis, à Québec, qu'environ douze mille hommes.

A Bougainville fut confié un détachement assez consi- dérable, avec la tâche de surveiller la rive nord du fleuve, à partir de Québec en montant, jusqu'à Deschambault,

21. "Je suis de la cour de Mme Péan (rue du Parloir)." *' Les «iames de la société Péan, avec qui je suis très intimement." "Il avait repris ses assiduités, dit Casgrain, au salon de Mme de Beaubas- sin ". " Je suis bien aise qu'on parle de moi aux trois dames de la rue du Parloir. Flatté de leur souvenir. Je ne suis véritablement touché que de celui d'une, à qui je trouve, dans certains moments, trop d'esprit et trop de charmes pour ma tranquillité..." (Montcalm, cité dans Montcahn et Lêz'is, t. II, p. 31 et 33).

sous M^^ DE PONTBRIAND 505

pour y empêcher tout débarquement de l'ennemi. Le reste des troupes fut disposé en camp retranché sur la côte de Beauport entre la rivière Saint-Charles et le Saut Mont- morency, Vaudreuil avait charge de la droite, près de la rivière Saint-Charles, Lévis commandait la partie de nos troupes campée du côté de Montmorency, Montcalm était au centre.

Amherst avait, comme l'année précédente, le comman- dement supérieur de toute l'armée anglaise, mais spéciale- ment la direction du corps qui devait aller rejoindre celui de Wolfe en passant par le lac Champlain et la rivière Richelieu, après avoir détruit Carillon et Saint-Frédéric.

Amherst n'était pas un homme pressé : il n'eut que le temps de s'emparer de Carillon et de Saint-Frédéric, sans avoir même le plaisir de les détruire, Bourlamaque les ayant fait sauter lui-même avant de les quitter, après s'y être défendu le plus longtemps, possible. Amherst n'alla pas plus loin '^'^. Bourlamaque eut tout le temps de ras- sembler ses troupes et de venir se fortifier à l'Ile-aux-Noix, pour empêcher l'ennemi de descendre à Montréal ou à Québec. Pouchot et Lacorne furent obligés d'abandonner leurs positions à l'ennemi '^^ \ mais ils l'occupèrent assez longtemps pour l'empêcher de venir prendre part au siège de Québec. Montréal ne vit pas les Anglais en 1759.

Wolfe, parti d'x\ngleterre le 17 février sur le Neptune^ vaisseau de quatre-vingt-dix canons, atteignit Louisbourg vers la mi-mai. La flotte anglaise, commandée par l'amiral Saunders, comprenait vingt-deux vaisseaux de ligne, cinq frégates, dix-neuf autres bâtiments de guerre et un nombre immense de transports. Wolfe avait sous ses ordres onze mille hommes de troupe et dix-huit mille marins.

22, Journal du curé Récher, 4 septembre.

23. A la prise de Niagara, le P. Virot, jésuite, "eut le corps percé de quatre balles et ensuite la chevelure enlevée par les Sauvages". (Ibid.).

5o6 L'âGlrlSE DU CANADA

La flotte anglaise quitta Louisbourg le premier juin, et s'avança sans coup férir dans le Saint-Laurent. A leur grande surprise, les Anglais ne rencontrèrent nulle part d'obstacles sérieux. Les vigies françaises postées de dis- tance en distance sur la rive sud annonçaient à Québec leur arrivée prochaine. La flotte anglaise jeta l'ancre le 26 juin près de l'île d'Orléans et Wolfe y débarqua une partie de ses troupes.

Laissons-le disposer son armée. Laissons également l'armée française préparer ses moyens de défense, car elle restera sur la défensive jusqu'au 31 juillet, jour de la bataille de Montmorency. Le lecteur ne doit s'attendre à trouver dans cet ouvrage que le moins de récits militaires possible : il ne peut s'agir ici des mouvements des troupes, mais de l'action de l'Evêque, de son clergé, de son Eglise, dans ces jours critiques allait se décider le sort de la colonie.

Dès le 5 juin, sitôt qu'il eut appris que la flotte anglaise remontait le Saint-Laurent, M°^ de Pontbriand adressa à ses curés une circulaire pour leur donner tous les avis pra- tiques qui pouvaient leur être utiles et même nécessaires dans les circonstances exceptionnellement difiiciles ils allaient se trouver.

On a prétendu que le Prélat adressa aussi un nouveau mandement à ses diocésains à cette occasion :

« L'Evêque de Québec, qui avait la réputation d'un saint, écrit l'abbé Casgrain, et qu'on savait attaqué d'une maladie mortelle, avait publié un mandement qui avait été écouté comme le testament du vénérable Prélat. Il ordon- nait des prières publiques et recommandait à ses diocésains de se battre avec la même vaillance que leurs pères ^*. »

Nous ne connaissons pas d'autre mandement de M^^ de

24. Montcalm et Lévis, t. II, p. 49.

sous M^»" DE PONTBRIAND 507

Pontbriand, à cette date, que celui du 18 avril que nous venons de citer. Le pieux Prélat connaissait assez la bravoure des Canadiens pour ne se pas croire obligé de leur recommander « de se battre avec la même vaillance que leurs pères. « Ce prétendu mandement, « écouté com- me le testament du vénérable Prélat, » nous semble imaginé pour mise en scène.

Mais le clergé avait besoin d'instructions précises, de permissions et d'avis dans les circonstances graves oii il allait se trouver : ce fut l'objet de la circulaire du 5 juin.

Dès' le commencement de mai, des officiers de la colonie, envoyés par le gouverneur, avaient parcouru les deux rives du fleuve, afin de contraindre les habitants à se retirer dans les bois avec leurs femmes et leurs enfants, à l'appro- che de l'ennemi. Ils y devaient conduire aussi leurs bes- tiaux et leurs vivres, afin de priver l'envahisseur de tout approvisionnement :

« C'est alors, dit le chroniqueur déjà cité, que l'île d'Or- léans, l'île aux Coudres et toutes les campagnes depuis la Baie Saint-Paul et la Rivière-du-Loup jusqu'à Québec furent évacuées. Les habitants de l'île d'Orléans se réfu- gièrent à Charlesbourg, ceux de l'île aux Coudres ^^ s'en- foncèrent sous les forêts primitives qui couronnaient alors les derrières de la Baie Saint-Paul. La côte de Beaupré et les fertiles campagnes du Sud se trouvèrent tout-à-coup abandonnées comme par enchantement. Les temples étaient vides et sans pasteur ; les foyers étaient déserts. Pendant toute la campagne, qui dura cinq long mois, nos ancêtres durent vivre de la vie sauvage, isolés de tous, sans cesse en alerte ^^ »

25. A l'île aux Coudres, le brave François Savard, embusqué près 4u Cap-à-la-Branche, fit prisonniers trois officiers anglais, débarqués sur rîle. L'un d'eux était le petit-fils de l'amiral Durell. " Il polissonnait sur l'île aux Coudres, " dit Montcalm. 11 fut conduit à Québec, M. de Vaudreuil eut bien soin de lui."." (Montcalm et Lévis, t. II, p. y6).

26. J.-Edmond Roy, Histoire de la Seigneurie de Lauson, t. II, p. 2&^.

5o8 l'église du canada

(( MM. les Curés, dit PEvêque, pourront dire la messe dans des cabanes, à la façon des missionnaires sauvages. Ils pourront même la dire sans lumière, sans servant. . . On conservera dans les ciboires peu d'hosties, et, au besoin, on pourra dire la messe avec des petites hosties. Dans les endroits il n'y aura pas de custodes, il ne con- vient pas de garder le saint Sacrement. Si cependant le curé prévoyait ne pouvoir pas dire la messe le lendemain, il pourrait laisser une ou deux petites hosties dans le cor- poral dans la bourse, et l'emporter avec lui, ainsi que les saintes Huiles. On pourra porter le saint Viatique secrè- tement et sans cérémonies. . . »

Pour la confession, l'Evêque donne à tous les prêtres déjà approuvés dans le diocèse le pouvoir d'absoudre de tous les cas et censures réservés même au Souverain Pon- tife, ainsi que le pouvoir de suspendre l'exécution des vœux, de les commuer et même d'en dispenser.

Il lenr donne aussi la permission de faire toutes les bé- nédictions réservées, à l'exception de celles il faudrait se servir des saintes Huiles. Ils pourront réconcilier les églises, les cimetières qui seraient pollués, en bénir de nouveaux, faire des processions, même du saint Sacre- ment, selon leur prudence et la dévotion des peuples. Ils seront faciles pour dispenser des jeûnes et de Tabstinence.

Pour les baptêmes, comme il ne sera pas toujours aisé de les faire eux-mêmes, dispersés dans les bois, ils permet- tront facilement d'ondoyer les enfants. L'eau ordinaire suffira, quand on ne pourra pas facilement avoir de l'eau baptismale. Il faudra toujours avoir soin d'enregistrer exactement les baptêmes, ainsi que les sépultures et les mariages. S'il se rencontrait quelque enfant de pa- rents protestants et en danger certain de mort, il pourra être baptisé à l'insu de ses parents, et même contre leur volonté.

SCUS M^ DE PONTBRIAND 509

Du reste, M°^ de Pontbriand prévoyant le cas les en- nemis s'empareraient du pays, recommandait à ses prêtres d'éviter « dans leurs prédications et même leurs conversa- tions tout ce qui pourrait irriter le gouvernement nou- veau. » S'ils demandent, disait-il, « de faire leur office, le dimanche, dans votre église, vous leur laisserez choisir leur heure, et ferez, après eux, l'office catholique -". S'ils exigent de vous le serment de fidélité, vous pourrez le faire, en mettant que c'est uniquement pour le temps qu'ils seront maîtres du pays : vous pourrez même pro- mettre, ajoutait-il, de ne rien faire directement ni indirec- tement contre le vainqueur.

« Si par hasard, ajoutait-il encore, l'ennemi entrait dans une paroisse et s'en rendait maître, le curé lui fera toutes les politesses possibles. Il le priera d'épargner le sang de ses paroissiens, et les églises. »

On ne pouvait, en vérité, se montrer plus conciliant.

A Saint-Laurent, île d'Orléans, le curé Martel avait dû, suivant l'ordonnance, quitter sa paroisse et suivre ses paroissiens à Charlesbourg '^^. Mais avant de quitter son presbytère, il y avait laissé une lettre adressée « aux dignes officiers de l'armée anglaise. » Il les priait, au nom de l'humanité et de leur générosité bien connue, d'avoir soin de son église, ainsi que de son presbytère et de ses dépen- dances, sinon par égard pour lui, du moins par amour de Dieu, et par compassion pour ses malheureux paroissiens privés de leurs demeures.

Le nom du curé Martel, celui de M. Youville-Dufrost de

27. La chose se fait encore, pour trois cultes différents, dans l'église d'une ancienne abbaye augustine, près d'Interlaken. (Voir mon livre Au pays de Mgr de Laval, p. 317).

28. Tanguay, A travers les Registres, p. 173. M. Martel mourut a Saint-Laurent en 1762. Il eut pour successeur en 1764 son propre frère, qui s'était fait jésuite en 1737, en France, et revint au Canada en 1764, après la suppression de la Compagnie de Jésus. (Note du R. P. Mélan- çon, S. J., du Collège Sainte-Marie, à l'auteur).

5IO "l'êguse do canada

Laje minerais, curé de Saint-Henri, et celui du curé Robi- neau de Portneuf, de Saint-Joachim, sont les seuls que nous avons trouvés mentionnés dans les archives publiques, à l'occasion du siège de Québec. Le brigadier Monckton, sous les ordres de Wolfe, ayant traversé de l'île d'Orléans à Beaumont, avec un détachement de troupes considérable, s'empara de l'église et y afficha une proclamation invitant les Canadiens à se rendre d'eux-mêmes aux Anglais. Wolfe leur faisait de magnifiques promesses, et les menaçait au contraire de toutes les horreurs de la dévastation, s'ils ne se soumettaient pas volontairement. Le feu fut mis plusieurs fois à l'église; elle échappa quasi miraculeu- sement à l'incendie, et elle subsiste encore, à l'honneur des paroissiens de Beaumont.

Monckton et Wolfe s'installèrent sur les falaises de Lévis et y dressèrent de formidables batteries pour bom- barder Québec. L'église de Saint-Joseph fut convertie en hôpital '^^ ce qui la sauva de la destruction ; mais à part cette église et celle de Beaumont, la plupart des sanc- tuaires de la irive sud en bas de Québec, ceux de l'île d'Orléans et de la côte Beaupré devinrent la proie des flammes ; les villages furent saccagés et détruits.

A Beaumont, l'ennemi avait rencontré peu de résistance. A Saint-Joseph, les Canadiens, embusqués derrière les arbres, sur les hauteurs, et armés de fusils de chasse, tirèrent à qui mieux mieux sur les Anglais et leur firent subir d'énormes pertes. Le nom de Charest, qui était à la tête du mouvement, est resté acquis à l'histoire. A Saint- Henri, le curé Youville-Dufrost de Lajemmerais fut fait prisonnier avec près de trois cents de ses paroissiens ^ :

29. Journal de Knox, p. 320.

30. Youville-Dufrost de Lajemmerais retourna à sa paroisse dans le cours de l'automne, et le printemps suivant monta à Montréal, il devint curé de Sainte-Rose. En 1761, il revint à sa cure de la Pointe- Lévy, et fit sa paix avec Murray. (J.-Edmond Roy, Histoire de /'« Seigneurie de Lauzon, t. II, p. 343)-

sous M^ DE PONTBRIAND 51I

« Monckton, dit la chronique, lui donna à dîner sous sa tente, et fit servir des rafraîchissements à ses habitants. Dans la soirée, tous furent transportés à bord des frégates qui étaient mouillées en face du camp de la Pointe de I/évy. » Une proclamation analogue à celle de Beaumont fut affichée à la porte de l'église de Saint-Henri. Les Canadiens demeurèrent sourds aux appels de l'ennemi et gardèrent à la France une allégeance inviolable.

Dans sa circulaire au clergé en date du 5 juin, M«^ de Pontbriand défendait à ses prêtres, même aux aumôniers des camps, de prendre les armes. En prévision, cependant, de ce qui pourrait arriver, de la part de quelques curés, qui, en se défendant, commettraient quelque homicide, il permettait aux confesseurs, au saint tribunal, de « dispenser de l'irrégularité les prêtres qui l'auraient encourue par l'homicide volontaire de l'ennemi. »

On ne mentionne aucun prêtre qui aurait pris les armes et encouru l'irrégularité. M. de Portneuf, curé de Saint- Joachim, n'était pas armé lorsqu'il fut pris et massacré par les Anglais. Il s'était retiré dans les bois avec ses parois- siens, conformément à l'ordonnance de l'Evêque. Les Anglais ayant traversé de l'île à Saint- Joachim, dévastèrent le village, puis, soupçonnant que les habitants étaient cachés dans la forêt, firent semblant de prendre la fuite afin de les faire sortir de leur retraite. Sept ou huit habi- tants, armés de fusils, sortent en effet du bois pour leur donner la chasse, et M. de Portneuf les accompagne pour leur administrer, au besoin, les secours de son ministère. L'ennemi fait volte-face, court après eux et les rejoint près du moulin seigneurial. Ils sont cernés, environnés, de manière à ne pouvoir fuir, puis massacrés à coup de sabre. Au curé on enlève la chevelure; on lui fracasse le crâne ; puis on jette tous les cadavres dans la maison voisine :

512 * l'église du canada

(( Les Anglais, dit la chronique, étaient piqués contre nos gens, qui les avaient injuriés de loin ^\ »

<( M. Robineau de Portneuf, écrit M^^ Taschereau, fut enterré tout d'abord dans le champ teint de son sang, d'où, quatre jours après, on le transporta dans l'église de Sainte- Anne, il est inhumé entre les bancs seigneuriaux et le chœur. C'était un ancien élève du Séminaire, il avait commencé ses études le 6 octobre 1720 à l'âge de treize

ans ^^. J)

*

Le sanglant épisode que nous venons de raconter eut lieu le 23 août. Il y avait près de deux mois que Québec était assiégé. Le bombardement de la ville avait com- mencé le 12 juillet: elle n'était plus que ruines et déso- lation.

Dès le commencement du siège, le plus grand nombre des Ursulines et des Hospitalières s'étaient retirées à PHôpital-Général, MM. Briand et Rigauville adminis- traient les secours spirituels aux malades et aux blessés. Les Ursulines restées au monastère continuèrent à être desservies par M. Resche ; M. Poulin desservait PHôtel- Dieu, et MM. Cugnet et Collet, « un hôpital ambulant qui fut en opération pendant trois semaines ^^ »

M^^ de Pontbriand, dont la santé déjà chancelante se trouvait encore abattue par le désolant spectacle de sa ville épiscopale réduite à l'extrémité, s'était retiré dès le premier juillet à Charlesbourg ^*, d'où il continua à gouverner son

31. Journal du curé Récher, 27 août.

32. Hist. Manuscrite du Sém. de Québec.

33 Document inscrit par Jacques Viger dans sa Saberdache.

34. M. Récher écrit dans son journal, à la date du premier juillet 1759: "Monseigneur quitte le Séminaire, et se ^retire à Charlesbourg:" ce qui donne à entendre qu'il avait déjà quitté à cette date son palais épiscopal, pour se retirer au Séminaire.

sous M»*" DE PONTBRIAND 513

diocèse jusqu'à la prise de Québec, après laquelle il se reudit à Montréal. M. Récher resta dans sa paroisse, avec M. Vizien, son vicaire ^.

Il y avait aussi à Québec un prêtre habitué, M. Beau- douin, fils du docteur Gervais Beaudouin, qui resta à son poste tout le temps du siège et rendit beaucoup de ser- vices ^^.

MM. Pressart et Gravé, directeurs du Séminaire, suivi- rent M^' de Pontbriand à Charlesbourg, et ensuite à Mont- réal, où ils demeurèrent une année. Il ne resta à Québec que MM. Jacrau et Boiret pour veiller à la conservation des biens du Séminaire. Ils furent obligés de demeurer chez le curé à cause du mauvais état se trouvait la maison. Les élèves furent renvoyés de bonne heure, et se dispersèrent dans les campagnes, ou bien s'enrôlèrent courageusement pour combattre l'ennemi commun '^.

On sait qu'ils donnèrent leur nom à un coup manqué, essayé toutefois avec la meilleure intention patriotique. Bon nombre de citoyens, humiliés de voir qu'on ne faisait rien d'efficace pour répondre au bombardement de la ville, supplièrent le gouverneur de leur permettre de traverser le fleuve et d'aller surprendre l'ennemi derrière ses batte- ries de Lévis ^^. Le gouverneur ayant approuvé la chose, le brave Dumas réunit un fort contingent de miliciens dont firent partie les écoliers du Petit Séminaire. La traversée du fleuve se fit fort heureusement, la nuit ; et l'on se mit en marche vers le camp des Anglais. Tout alla bien durant quelques heures, et l'on s'avançait avec con-

35. M. Vizien retourna en France en novembre 1759, en même temps que MM. Cugnet et Collet; et M. Récher resta sans vicaire: "il n'en avait pas besoin," dit un document cité par Jacques Viger dans sa Saberdache.

36. Jacques Viger, Ma Saberdache.

37. Hist. manuscrite du Sém. de Québec.

38. Journal du curé Récher, 10, 11, 13 juillet

S3

514 l'église du canada

fiance, lorsque l'avant-garde du détachement ayant été surprise par quelques soldats anglais rebroussa chemin. La confusion se mit dans les rangs : on ne se reconnaissait plus, dans les ténèbres : les Canadiens tiraient sur leurs compatriotes, les prenant pour des soldats ennemis. Dumas réussit enfin à rallier son monde et à le reconduire au rivage, d'où l'on put regagner heureusement la ville. Le coup manqué prit le noiji de a coup des écoliers », parce que c'est à eux que l'on attribuait avec plus ou moins de justice l'insuccès de l'expédition '^.

C'était un bien pâle incident en comparaison de la belle victoire remportée par les Canadiens sur les Anglais le 31 juillet, et que l'on a appelée victoire de Montmo- rency, parce que le combat eut lieu sur la batture et la falaise de Beauport, non loin du Saut Montmorency. Montcaim y prit une part importante ; mais c'est à Lévis surtout que l'on attribua le succès de la journée : et ce succès, il le devait principalement à l'intrépidité des Cana- diens*": écrivant sur le champ au ministre de la guerre:

« On ne peut assez faire, disait-il, l'éloge des troupes et des Canadiens, qui ont été inébranlables, et qui ont conti- nuellement témoigné la plus grande volonté. »

M. de Repentigny, surtout, se signala dans cette action, comme il l'avait fait quelques jours auparavant. Nous avons déjà dit un mot de cet épisode magnifique, Lan- glade, après avoir traversé sur la rive gauche de la rivière avec quelques centaines de sauvages, imprima aux Anglais une indescriptible frayeur, et les mit en déroute, déroute qui aurait pu être décisive, si l'affaire avait été soutenue.

39. J.-Edmond Roy, Hist. de la Seigneurie de Lauzon, t. II, p. 298

40. "Les Canadiens ont très bien fait, au jugement même de M. de Montcaim. " (Journal du curé Récher, dans les Recherches historiques, vol. IX, p. 359). Ces mots "ou jugement mtme de M. de Montcaim" en disent plus long que des volumes sur l'opinion que Montcaim avait erdinairement de nous.

sous M^ DE PONTBRIAND 5I5

Wolfe, à la tête d'une colonne de deux mille hommes, était venu examiner le gué, gardé par onze cents Cana- diens, et tenter d'en forcer le passage :

« Huit ou neuf cents sauvages, écrit l'atbé Casgrain, accourus à son approche avec l'intrépide Langlade, se jetèrent sans être aperçus sur la rive gauche du Montmo- rency, et s'y tinrent tapis ventre à terre, à une portée de pistolet de la colonne anglaise, qui s'était arrêtée et se pré- parait à passer le reste de la nuit au bivouac. Le silence de la forêt qui n'était troublé que par le glouglou des rapides voisins et par le passage des brises nocturnes dans la cime des arbres, fit croire aux Anglais qu'il n'y avait pas d'ennemis de ce côté de la rivière. Le chevalier Johnstone, qui rapporte cet incident, s'étonne qu'un si grand nombre de sauvages aient pu se tenir cachés durant plusieurs heures si près d'un corps ennemi, sans que le moindre bruit ait trahi leur présence. C'était une des merveilles de la stratégie indienne.

« M. de Langlade voyant son embuscade si bien préparée, fit signe aux chefs qui l'entouraient de l'attendre, puis se glissa furtivement en arrière, traversa la rivière, courut au camp de Lévis et lui demanda de l'appuyer par un gros détachement. Il l'assura que s'il était soutenu, il envelop- perait avec son détachement la troupe anglaise, et qu'un bien petit nombre retourneraient dans leur camp. L'oc- casion était belle et tentante ; mais M. de Lévis ne pou- vait ordonner une expédition qui exposait à entraîner une action générale, sans y être autorisé par le commandant en chef, et le quartier général était trop loin pour qu'il pût en avoir une réponse à temps. Tout ce qu'il put faire, fut d'expédier un fort détachement en écrivant à M. de Repen- tigny qu'il lui en confiait le commandement, laissant le reste à son habileté et à son expérience.

« Repentigny, aussi brave et non moins prudent que

5l6 I,*ÉGLISE DU CANADA

Lévis, se trouva dans le même embarras que lui. Les sauvages attendirent le retour de M. de Langlade. Ils avaient été cinq heures étendus à terre immobiles, le casse- tête à la main, ne remuant que leurs yeux de lynx dans l'ombre.

(( Aux premières lueurs de l'aube, ne voyant venir aucun secours, ils ne purent retenir plus longtemps leur ardeur. Un cri poussé par huit cents poitrines sauvages fit trembler les bois et tressaillir les soldats anglais, qui sautèrent sur leurs armes; mais les barbares, qu'ils craignaient tant, étaient sur leurs talons, brandissant leurs tomahawks. Ils reculèrent en désordre. Wolfe et ses officiers empêchèrent une panique; mais la colonne dut retraiter précipitamment.

(( M. de Repentigny n'osa jeter tout son monde de l'autre côté du gué ; mais il détacha une forte escouade, qui alla prêter main-forte aux Indiens. Wolfe, refoulé jusque dans son camp, dont tous les régiments avaient pris les armes, fit avancer du canon et marcher le gros de son armée contre les sauvages, qui revinrent triomphants au Passage-d'Hiver, après avoir tué ou blessé environ cent cinquante Anglais, sans presque aucune perte de leur part *^ »

Mais ni des incidents de cette nature, si encourageants qu'ils fussent, ni même des victoires comme celle de Mont- morency, ne pouvaient être des affaires décisives. Tout dépendait du siège de Québec ; et il paraissait évident que Québec ne pouvait tenir longtemps. Dans l'opinion de tous les hommes sérieux, le sort de la colonie était scellé.

* * *

On était au premier septembre. Il y avait plus de deux mois que Québec était assiégé. La flotte anglaise station-

41. Montcalm et Lévis, t. II, p. 121.

sous M^' DE PONTBRIAND 517

nait devant la ville ; de temps en temps quelques vaisseaux s'en détachaient pour aller se promener en amont du fleuve.

Plusieurs fois déjà l'ennemi avait réussi à opérer des descentes sur la rive nord, entre autres à la Pointe-aux- Trembles, où, fort heureusement, il ne fut pas longtemps : Bougainville, avec une poignée de soldats, trois cents au plus, fit rembarquer précipitamment quinze cents soldats anglais *^.

L'ennemi semblait sûr du succès définitif. Et cepen- dant,— qui le croirait? Wolfe n'était rien moins que certain de prendre Québec. N'eût été de l'opinion an- glaise, à laquelle il fallait donner satisfaction, il aurait déjà abandonné la partie et levé le siège. Le bombar- dement, la destruction, le pillage, tout cela répugnait à sa nature généreuse :

« Dans la situation je suis, écrivait-il à Pitt le 2 septembre, j'aperçois devant moi tant de difl&cultés que je ne sais vraiment à quoi me déterminer. Les affaires de la Grande-Bretagne requièrent de moi les mesures les plus vigoureuses ; et pourtant je ne devrais mettre à l'épreuve le courage de tant de braves soldats que s'il y avait au moins une lueur d'espérance de réussir *'^. »

Cette lueur, il l'entrevoyait encore; mais elle était si faible ! Tout autour de Québec, il ne voyait qu'un point

42. La jeunesse de Bougainvile et la guerre de Sept- Ans, p. 131. On mentionne le nom d'un abbé Couillard, qui prit part à cette action et fut blessé. Mais nous ne croyons pas qu'il fût dans les ordres sacrés. Ne serait-ce pas " Joseph Couillard des Ecores, clerc-minoré ", dont parle l'auteur du bel ouvrage Histoire des Seigneurs de la Rivière-du- Sud (p. 283), qui s'enrôla comme volontaire au Siège de Québec, et qui, retournant à Montmagny, avec quelques compagnons, le soir même de la bataille des Plaines d'Abraham, fit la rencontre d'un parti anglais, et périt dans le combat qu'il eut à soutenir contre eux? Vaudreuil, après l'affaire de la Pointe-aux-Trembles, écrivait au sujet de l'abbé Couil- lard : " Je souhaite que sa blessure soit légère. Il est bon gentilhomme, et ai ce n'était qu'un tonsuré et qu'il préférât le service, il serait bien fait pour y être placé. "

43. Taylor, The Cardinal Facts of Canadian liistory, p. 68.

5l8 L'ÊGUSE DU CANADA

vulnérable; mais les Français, sans doute, y faisaient bonne garde . . .

Vaudreuil le connaissait bien, lui aussi, ce point vulné- rable : aussi ne cessait-il de recommander de faire attention à la falaise de l'Anse du Foulon, qu'il n'était pas impos- sible, suivant lui, d'escalader. La plupart des officiers la regardaient comme inaccessible ; et d'ailleurs on y avait mis Vergor comme gardien !. . .

Que de fois M^"" de Pontbriand n'avait-il pas répété dans ses mandements et ses lettres pastorales, que tout succès dépendait de la divine Providence, que c'était en elle, surtout, qu'il fallait mettre sa confiance, que les plus beaux efforts ne valaient rien, s'ils n'étaient pas appuyés du secours d'en haut, et que ce secours il fallait le mériter en évitant le péché et les désordres ! Au fond, toute sa doc- trine n'était que le commentaire de ce beau verset de la sainte Ecriture : Nisi Dominus custodierit civitatem^ frus- tra vigilat qui custodit eam ^*. Jamais vérité ne se vérifia d'une manière plus frappante qu'au siège et à la prise de Québec.

On a mis un gardien sur la falaise du Foulon, c'est vrai ; mais au lieu de veiller, il dort, et ne se réveille que quand les ennemis sont sur les hauteurs ! Et quand il eût veillé, il était presque seul, ayant donné congé à la plupart de ses miliciens pour aller faire leurs foins à Lorette, à condition de faire aussi les siens, sur sa terre ! . .

Wolfe et ses ofiiciers, après avoir gravi la côte, sont les premiers surpris de leur succès.

A huit heures, Wolfe range ses troupes en bataille sur les Plaines d'Abraham : comme il est le premier rendu, il choisit naturellement la position qui lui convient, celle

44. Ps. CXXVI, I. " Si le Seigneur ne garde la ville, c'est en vain fuc veille celui qui la garde, "

sous M^ DE PONTBRIAND 519

qu'il croit la plus favorable. Montcalm accourt avec ses soldats, sitôt qu*il est prévenu de la présence des Anglais sur la colline de Québec, et range, lui aussi, son armée en bataille.

Un ravin sépare les deux armées : position désavanta- geuse pour celle qui s'avancera et attaquera la première : elle sera foudroyée dans la baisseur.

Il y a des taillis, des broussailles, oti les Anglais se ca- chent et dissimulent une partie de leurs forces.

Vaudreuil supplie et fait supplier Montcalm de ne rien précipiter : Bougainville n'est qu'à une heure ou deux de marche; il accourrera, à la première nouvelle, il surpren- dra les derrières de l'armée anglaise, il décidera peut-être favorablement l'issue du combat.

Montcalm, du reste, est trop grand militaire pour ne pas savoir « qu'on ne doit pas livrer de bataille avant d'avoir réuni toutes ses forces, car la victoire dépend souvent d'un seul bataillon *^. » Il le sait, il le comprend ; il désire, il souhaite que Bougainville arrive : et cependant, il ne peut se décider à attendre. A dix heures, il attaque et engage la bataille.

Ne jugeons et ne blâmons personne. Qui pourrait dire qu'en cette circonstance grave et solennelle tous n'ont pas cru et voulu faire pour le mieux ? « L'homme s'agite, et Dieu le mène, w

L'armée anglaise répond à l'attaque de l'armée française d'une manière terrible et victorieuse.

En un quart d'heure, tout est fini. « La longue ligne des uniformes blancs fléchit, recule, se rompt. C'est la déroute des nôtres. Les Anglais sont maîtres du terrain *^. »

45 C'est une parole de Bonaparte qu'Emile Ollivier rappelait naguère dans un de ses magnifiques articles publiés dans la Revue des Deux- Mondes, celui du ler juin 1913, p. 515.

46. J.-Edmond Roy, Hist. de la Seigneurie de Lauson, t. II ,p. 309.

520 L'éGUSR DU CANADA

L<eurs cris de triomphe retentissent sur la colline ; le sort de la colonie est scellé.

Wolfe est mort ; Montcalm, gravement blessé, se fait conduire chez le docteur Arnoux, rue Saint-Iyouis, et s'y prépare à mourir en vrai chrétien.

L'abbé Casgrain fait venir de Charlesbourg M*^"" de Pont- briand à travers l'armée française en déroute, à travers les décombres de la ville, à travers les morts et les mourants, pour assister le Général sur son lit de mort : la chose est absolument possible, peu probable, nullement nécessaire, et d'ailleurs appuyée sur aucun document de l'époque. Le curé de Québec, M. Récher, est en ville, à la disposition de l'illustre mourant. Plus près de lui encore, le digne cha- pelain des Ursulines, M. Resche : nous inclinons à croire que c'est lui, plutôt, qui assista Montcalm à ses derniers moments. C'est lui, dans tous les cas, qui lui donna la sépulture chrétienne, dans cette fosse quasi légendaire qu'on prétend avoir été creusée en partie par une bombe tombée sur le monastère des Ursulines.

Que d'imprévu ! que de choses évidemment conduites par la Providence dans ce siège et dans cette prise de Québec ! Un seul homme aurait pu agir efiicacement sur Montcalm, et l'empêcher de précipiter le combat sur les Plaines d'Abraham : Lévis. Mais il est parti depuis un mois pour Montréal, on l'a envoyé pour défendre cette partie de la colonie contre quelque attaque possible de la part des Anglais. Sitôt qu'il apprend la nouvelle de la bataille des Plaines d'Abraham, et son triste dénouement, il se met en marche pour Québec, bien décidé à faire tourner, si possible, la roue de la fortune du côté de la France, et à ne pas laisser la ville tomber aux mains des Anglais. Mais, hélas ! il rencontre Vaudreuil, qui lui apprend que Québec a capitulé !

L'automne est trop avancé pour que l'armée française

sous M«^ DE PONTBRIAND 52 1

puisse songer à prendre immédiatement sa revanche. De concert avec le gouverneur, Lévis remet la chose au prin- temps suivant, et retourne à Montréal.

La Providence ne permettra pas que la France quitte sans gloire la colonie qu'elle a fondée au prix de tant de sacrifices ; et ce sera un héros modeste, Lévis, un héros qui s'est toujours effacé, malgré son grand mérite, qui rempor- tera la dernière grande victoire française dans l'Amérique du Nord. Nous en dirons un mot dans le prochain cha- pitre.

CHAPITRE XXXVII

LES DERNIERS JOURS DE LA NOUVELLE-FRANCE (1760).

LES DERNIERS MANDEMENTS DE M^' DE PONT-

BRIAND. BATAILLE DE SAINTE-FOY.

CAPITULATION DE MONTRÉAL

Mgr de Pontbriand, à Montréal, chez les Sulpiciens. Premier mande- ment. — Désordres; la passion de l'ivresse. L'Evêquc et M. de Vaudreuil. Description de la misère du Canada. L'Evêquc correspond avec Québec. Ses rapports avec Murray. Deuxième mandement. Troisième mandement. Eloge de Lévis. Ba- taille de Sainte-Foy. Retour de Lévis à Montréal. Capitulation de cette ville.

LA bataille des Plaines d'Abraham avait eu lieu dans la matinée du 13 septembre. Montcalm mourut le len- demain matin, et fut inhumé le soir du même jour ^ La capitulation de Québec fut signée le 17 septembre, à la demande pressante des citoyens ^, qui n'avaient plus de vivres, et qui, après avoir témoigné à la mère patrie jusqu'à la fin la plus grande loyauté, souhaitaient un nou- vel état de choses comme une véritable délivrance. Le général Murray devint gouverneur de Québec le 21 sep- tembre.

I Le chanoine Resche, chapelain des Ursulines, fit l'inhumation en présence de deux autres chanoines, MM. Cugnet et Collet, qui partirent pour la France quelques semaines plus tard.

2. Leur requête fut présentée au commandant de Québec, M. de Rame- say, par Jean Panet, notaire, et Jean Taché, syndic des marchands. (J.-Edmond Roy, Hist. de la Seigneurie de Lauzon, t. II, p. 312).

l'église du canada sous m^"" de pontbriand 523

Nous ne savons le jour précis M^'^ de Pontbriand quitta Charlesbourg pour monter à Montréal. Eut-il le courage, avant de partir, d'aller jeter un coup d'oeil sur les ruines fumantes de son séminaire, de son évêché, de sa cathédrale, qu'il avait reconstruite quelques années aupa- ravant au prix de tant de sacrifices ? Tout nous porte à le croire, mais surtout la description circonstanciée qu'il fit de Québec quelques semaines plus tard. Il dut tenir à dire adieu, peut-être le dernier adieu, à ses communau- tés religieuses, avec lesquelles il avait entretenu, de Charles- bourg, une si touchante correspondance ^ A la supérieure de l'Hôtel-Dieu, qui lui avait écrit un jour à propos d'une difficulté :

« Soyez tranquille, notre très chère fille, lui avait répondu le Prélat, je ne partirai pas de Québec que tout soit arran- gé, et je vous verrai plusieurs fois. »

Il laissa à sa place, pour avoir soin de ses diocésains du district de Québec, l'homme qui lui était le plus cher au monde, M. Briand, qui logeait à l'Hôpital-général ; et il se mit en route pour Montréal en compagnie du gouver- neur, qui y conduisait les restes de l'armée. Des Trois- Rivières, au commencement d'octobre, M. de Vaudreuil écrivait au chevalier de Lévis, rendu à Montréal avant lui :

«J'arrivai dans cette ville le premier de ce mois avec M. l'Evêque. Nous abrégeâmes beaucoup les fatigues du voyage en profitant d'une goélette, qui était aux Trois- Rivières, prête à mettre à la voile. »

Le pieux Evêque alla demander l'hospitalité aux Sulpi- ciens. C'est à Saint-Sulpice qu'il avait reçu sa formation cléricale ; c'est Saint-Sulpice qui l'avait fait nommer evê- que ; et ce sont également les Sulpiciens- qui devaient re- cevoir sa dernière bénédiction et son dernier soupir.

3. Archives de l'Archev. de Québec.

524 l'église du canada

Quelques jours après son arrivée à Montréal, le 28 octobre, il adressa au Clergé et aux Fidèles de son diocèse un mandement, corollaire énergique de celui du 18 avril :

« Il n'est personne parmi vous. Nos Très Chers Frères, disait-il, qui ne ressente la triste situation de la colonie. Heureux ceux qui, sans l'attribuer faussement et témérai- rement aux causes secondes, y reconnaissent le bras ven- geur du Seigneur et s'y soumettent ; plus heureux ceux qui travaillent avec un saint zèle à détruire en eux-mêmes et dans les autres les désordres que nous vous avons, dans l'amertume de notre cœur, reprochés par notre dernier mandement, et qui dès lors nous faisaient craindre et presque annoncer ce que nous voyons !

(( Le mal est grand. Nos Très Chers Frères, Dieu seul peut y remédier ; mais si chaque particulier ne réforme totalement sa conduite, pourrions-nous raisonnablement espérer qu'il cessera de nous punir ?

« Hélas ! nous le disons à tout le monde, nous le disons à tous les états, nous nous le disons à nous-même, nous le disons et ne pouvons assez en gémir dans le secret et dans le public : les désordres, les injustices n'ont point cessé. L'infâme passion de l'ivresse, lors même que l'ennemi était à notre vue et nous menaçait de toutes parts, a fait de grands ravages. Que dirons-nous de ces discours injurieux contre ce qu'il y a de plus respectable et qui ne tendent qu'à l'indépendance, discours malheureusement qui se ré- pandent dans les maisons les plus chrétiennes, qui auto- risent les murmures continuels des peuples, et les artifices multipliés dont ils se servent pour ne pas exécuter les ordres *.

4. Il y a, au fond de tout cela, des détails qu'il serait infiniment cu- rieux et intéressant de savoir, mais qui probablement ne verront jamai» le jour.

sous M**" DE PONTBRIAND 535

« Voilà, Nos Très Chers Frères, les sources principales de nos malheurs. Si dans le cours de cet hiver elles ne sont pas arrêtées, si nous voyons comme ci-devant ces divertissements profanes, ces assemblées dangereuses, ce peu de fidélité à sanctifier les fêtes et les dimanches, nous avons tout à craindre, parce que nous irriterons de plus en plus le Seigneur. Mais si vous revenez sincèrement à lui, nous vous le promettons de sa part, il ne nous abandonnera certainement pas, et trouvera dans sa Toute-Puissance mille moyens de rétablir cette colonie, qui touche au der- nier moment de sa ruine. Vos prières, alors, lui seront agréables, et rien ne vous sera refusé.

« Vous n'y oublierez pas ceux qui se sont sacrifiés pour la défense de la patrie : l'illustre nom de Montcalm, celui de tant d'officiers respectables, ceux des soldats et des mi- liciens ne sortiront point de votre mémoire. Par inclina- tion, par devoir, vous prierez avec ferveur pour le repos de leurs âmes. Les riches ajouteront des aumônes abondantes. Les circonstances présentes exigent qu'on retranche non seulement le superflu, mais encore l'utile même, pour assister nos frères, qui autrefois assistaient les autres. »

Le pieux Prélat ordonnait ensuite aux prêtres de conti- nuer à réciter les litanies de la sainte Vierge à la suite de toutes les basses messes, et le psaume Miserere à toutes les bénédictions de saint Sacrement : puis il ajoutait :

« Dans les villes de Montréal et des Trois-Rivières, on fera deux services' solennels : le premier, pour M. de Montcalm et les officiers, le second, pour tous ceux qui sont morts dans la dernière campagne. Dans les autres paroisses, MM. les curés inviteront leurs paroissiens à assister à une messe basse qu'ils célébreront à la même intention *. »

5. Mand. des Bv. de Québec t. II, p. 141, 28 octobre 1759.

526 L'éGLiSE DU CANADA

Qui ne serait effrayé à la vue de cette peinture de mœurs que faisait le saint Evêque dans l'automne de 1759, au lendemain de la bataille des Plaines d'Abraham?

Sa dernière lettre pastorale, celle du 18 avril, dont certains personnages s'étaient montrés si piqués, n'avait donc rien réformé : « les désordres, les injustices, disait l'Evêque, n'ont point cessé. » On peut en croire le pieux Prélat: il n'était nullement porté à l'exagération. Ce qu'il dit surtout de « la passion de l'ivresse », de l'ivresse (c en présence de l'ennemi », ne nous donne-t-il pas terri- blement à penser en rapport avec le résultat de la dernière campagne?

Le Prélat se fait ensuite un devoir d'écrire à la Cour pour attirer la sympathie du Roi et de ses ministres sur ses diocésains si éprouvés. Il n'oublie pas son ami, M. de Vaudreuil, sur qui certaines personnes osent jeter, bien injustement, le blâme pour les malheurs de la colonie. Le victis n'a-t-il pas toujours été en honneur dans certains milieux ?

« Le peu de facilité qu'il y a d'écrire m'empêche, dit-il au ministre, d'entrer dans aucun détail. Vous serez sûrement informé de la misère que ressentent tous les états de cette colonie. La description ci-jointe peut en donner une idée. Si elle était répandue, elle occasionnerait peut- être des aumônes.

«On raisonne ici beaucoup, ajoute-t-il, sur les évé- nements qui sont arrivés ; on condamne facilement. Je les ai suivis de près, n'ayant jamais été éloigné de M.4é marquis de Vaudreuil de plus d'une lieue. Je ne puis m'erapêcher de dire qu'on a un tort infini de lui attribuer nos malheurs. Quoique cette matière ne soit pas de mon ressort, je me flatte, monsieur, que vous ne désapprou- verez pas un témoignage que la seule vérité me fait rendre Le retardement du départ de nos vaisseaux m'a donné le

sous M^ DE PONTBRIAND 527

temps de réunir sous un seul point de vue la critique du public sur les opérations de la campagne *...)>

M. de Vaudreuil pouvait se contenter du témoignage de son Evêque ; il n'en avait pas besoin d'autres : k on avait grand tort de lui attribuer nos malheurs ».

Du reste, sa vie rangée, sa conduite toujours digne, son parfait désintéressement le mettaient à l'abri de tout soupçon par rapport à ces désordres, à ces injustices, à ces vols, à cette « passion d'ivresse », surtout, que M^ de Pont- briand s'était vu obligé de flétrir d'une manière si éner- gique, et qui évidemment, dans la pensée du Prélat, avait eu pour nous des conséquences fatales.

*

Voici la «description imparfaite de la misère du Canada» qu'il envoyait à la Cour, avec prière de la répandre un peu partout, et qu'il signait à Montréal le 5 novembre

1759-

« Il suffit, disait-il, d'exposer la situation du Canada pour

exciter la charité des personnes tant soit peu compatis- santes.

« Québec a été bombardé et canonné pendant l'espace de plus de deux mois. Cent quatre-vingts maisons ont été incendiées "^ par des pots-à-feu ; toutes les autres, criblées par le canon et les bombes. Les murs de six pieds d'épais- seur n'ont pas résisté ; les voûtes dans lesquelles les parti- culiers avaient mis leurs effets ont été brûlées, écrasées et pillées, pendant le siège et après. L'église cathédrale a été entièrement consumée ^. Dans le séminaire, il ne

6. Corresp. générale, vol. 104, lettre du 9 novembre 1759.

7. Cent-cinquante à la Basse- Ville seule. Il n'y restait plus qu'une

maison. (Journal du curé Réchcr). y

8. Dans la nuit du 22 au 23 juillet; le presbytère brûla en même temps.

528 L'ÊGUSE DU CANADA

reste de logeable que la cuisine, se retire le curé de Qué- bec avec son vicaire ^. Cette communauté a souffert des pertes encore plus grandes hors de la ville, l'ennemi lui a brûlé quatre fermes et trois moulins considérables, qui faisaient presque tout son revenu.

« L'église de la Basse- Ville est entièrement détruite ; celles des Récollets, des Jésuites et du Séminaire sont hors d'état de servir sans de très grosses réparations. Il n'y a que celle des Ursulines l'on peut faire l'office avec une certaine décence, quoique les Anglais s'en servent pour quelques cérémonies extraordinaires.

« Cette communauté et celle des Hospitalières ont été aussi fort endommagées. Elles n'ont point de vivres, toutes leurs terres ayant été ravagées. Cependant les religieuses ont trouvé le moyen de s'y loger tant bien que mal, après avoir passé tout le temps du siège à l'Hôpital- Général. L'Hôtel-Dieu est infiniment resserré, parce que les malades anglais y sont. Il y a quatre ans que cette communauté avait brûlé entièrement.

« Le Palais épiscopal est presque détruit, et ne fournit pas un seul appartement logeable. Les voûtes ont été

9. M. Récher, curé de Québec, s'était d'abord établi au séminaire pen- dant le siège. Dans la nuit du 15 au 16 juillet, cinq bombes étant tom- bées sur le séminaire, il dut se retirer dans la maison d'un nommé Flamand, hors les murailles, au faubourg Saint- Jean. Cinq jours plus tard, les bombes et les boulets l'obligeaient à déloger, et il venait se réfugier dans la maison d'un tanneur, du nom de Primaut, assez près de î'Hôpital-Général. Enfin, " le dimanche 12 août, une heure après minuit, écrit-il dans son journal, il vint cinq à six bombes et un pot-à-feu aux environs des tentes de MM. de Villars, de Vienne, des Granges, placées au bas du coteau, derrière la maison de Primaut et même plus loin, et au delà de Manseau, au haut du coteau : ce qui nous a fort surpris, et nous a fait lever pour aller passer le reste de la nuit à I'Hôpital- Général. " (Les Ursulines de Québec, t. III, p. 6).

M. Récher revint au Séminaire aussitôt après la capitulation de Qué- bec; "mais il ne fut pas longtemps sans être obligé d'en sortir, ayant été dangereusement blessé par un soldat anglais. Nous le reçûmes dans notre maison. Il y est entré le 8 novembre 1759, et loge avec M. Resche, chanoine de la cathédrale et notre confesseur..." (Ibid., p. 44).

sous M8f DE PONTBRIAND 539

pillées. La maison des Récollets et celle des Jésuites sont à peu près dans la même situation : les Anglais y ont cependant fait quelques réparations pour y loger des troupes. Ils se sont emparés des maisons de la ville les moins endommagées. Ils chassent même de chez eux tous les jours les bourgeois qui, à force d'argent, ont fait raccommoder quelques appartements, ou les mettent si à 1 étroit par le nombre de soldats qu'ils y logent que presque tous sont obligés d'abandonner cette ville' mal- heureuse; et ils le font d'autant plus volontiers que les Anglais ne veulent rien vendre que pour de l'argent mon- naye; et l'on sait que la monnaie du pays n'est qu'en papier. ^

« Les prêtres du Séminaire, les Chanoines, les Jésuites sont dispersés dans le peu de pays qui n'est point encore sous la domination anglaise. Les particuliers de la ville sont sans bois pour leur hivernement, sans pain, sans farine sans viande, et ne vivent que du peu de biscuit et de lard que le soldat anglais leur vend de sa ration Telle est l'extrémité sont réduits les meilleurs bourgeois on peut facilement juger par de la misère du peuple et des pauvres.

« Les campagnes ne fournissent point de ressources et sont peut-être aussi à plaindre que la ville même. Toute la cote de Beaupré ■» et l'île d'Orléans ont été détruites avant a fin du siège "; les granges, les maisons des habi- tants, les presbytères ont été incendiés ; les bestiaux qui restèrent, enlevés ; ceux qui avaient été transportés au- dessus de Québec ont presque tous été pris pour la subsis- tance de notre armée ; de sorte que le pauvre habitant qui

(IbW.,"3''°4î^mbrer"°"' "''"" '' ^'"' ^"^"'^" C*" Tourmente. '

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530 L'EGLISE DU CANADA

retourne sur sa terre avec sa femme et ses enfants sera obligé de se cabaner à la façon des sauvages. Leur ré. coite, qu'ils n'ont pu faire qu'en en donnant la moitié, sera exposée aux injures de l'air, ainsi que leurs animaux. Les caches qu'on avait fait dans les bois ont été décou- vertes par l'ennemi, et par l'habitant est sans hardes sans meubles, sans charrues et sans outils pour travailler la terre et couper le bois.

« Les églises au nombre de dix ont été conservées ; mais les fenêtres, les portes, les autels, les statues, les tabernacles ont été brisés. La mission des Sauvages Abénaquis de Saint-François a été entièrement détruite par un parti d'Anglais et de Sauvages. Ils y ont volé tous les orne- ments et vases sacrés, ont jeté par terre les hosties con- sacrées, ont égorgé une trentaine de personnes, dont plus de vingt femmes ou enfants.

« De l'autre côté de la rivière, au sud, il y a environ trente-six lieues de pays établis qui ont été à peu près également ravagés, et qui contenaient dix-neuf paroisses, dont le plus grand nombre a été détruit.

« Tous ces quartiers dont nous venons de parler souffri- ront beaucoup, et ne peuvent aider peisonue, n'ont aucune denrée à vendre, et ne seront pas rétablis, d'ici en plus de vingt ans dans leur ancien état. Un grand nombre de ces habitants, ainsi que de ceux de Québec, viennent dans les gouvernements de Montréal et des Trois-Rivières ; mais ils ont bien de la peine à trouver du secours.

K Les loyers dans les deux villes sont à un prix exorbi- tant, ainsi que toutes les denrées. Par exemple, la livre de beurre, six francs; et la douzaine d'œufs, autant; le mouton, soixante-dix à quatre-vingts francs, et les habi- tants font bien des difficultés pour prendre les ordon- nances ; la main de papier, vingt-quatre francs ; les souliers trente francs ; la livre de savon, autant ; et toutes les étoffes,

sous M^^ DE PONTBRIAND 53I

à proportion. L'année prochaine, il sera difficile d'ense- mencer les terres, parce qu'il n'y a aucun labour de fait.

(c Voilà bien des objets de charité ; et un chacun peut en choisir selon son goût et son inclination. MM. les Supé- rieurs de Saint-Sulpice, des Missions-Etrangères, des Jé- suites, et M. l'abbé de l'Ile-Dieu recevront volontiers les aumônes qu'on pourra faire, et trouveront les moyens de les faire tenir. On peut envoyer des robes de soie, dont on pourra faire ici des ornements. Dans les ports de mer, à Brest, M. Hocquart, à Bordeaux, M. Estèbe, à La Ro- chelle, M. Goguet, se chargeront de faire tenir les toiles, les étoffes, le lard, la farine, Peau-devie, le vin, et géné- ralement tout ce qu'on voudra envoyer.

« J'atteste que dans cette description de nos malheurs il n'y a rien d'exagéré, et je supplie messeigneurs les Evêques et les personnes charitables de faire quelques efforts en notre faveur, (signé) Henri-Marie, Evêque de Québec. »

Quel magnifique document ! Qui n'en admirerait la clarté et la sincérité? C'est une véritable photographie de la situation au Canada. Tout était à recommencer dans la colonie, au moins dans le district de Québec.

Les Canadiens se mirent à l'œuvre, et ils le firent avec tant de courage et d'attache à leurs foyers qu'ils y virent fleurir de nouveau la prospérité et l'abondance.

* * *

De Montréal, il s'était rendu pour résider dans la partie restée française de son diocèse, M^ de Pontbriand correspondait régulièrement ave son clergé, avec son grand- vicaire, avec le curé Récher, avec ses communautés reli- gieuses. Il voyait à tout, ii dirigeait tout, c'est encore lui qui était l'âme de l'administration. Que de cas de con- science, par exemple, se présentaient, à la suite d'un

533 L*ÊGLISE DU CANADA

bouleversement comme celui qui venait de remuer de fond en comble la colonie ! Il y a eu des vols, des pillages ; mais la plupart du temps, ça été la nécessité, le besoin qui les a fait faire : on s'en confesse : y a-t-il lieu de faire restituer? Il faut éclairer les consciences. Souvent M. Briand se croit obligé de consulter son évêque ; et celui-ci lui répond toujours avec clarté, avec sagesse, et suivant les règles de la saine théologie.

Le district de Québec, en grande partie, est passé à un gouvernement anglais et protestant. Ah, que de prudence ne faut-il pas, de la part du clergé et des communautés reli- gieuses, dans leurs rapports avec ce gouvernement, avec les officiers, avec les soldats protestants ! M^^ de Pont- briand est admirable à ce sujet: il comprend de suite qu'il ne faut pas indisposer inutilement les vainqueurs, il ne faut leur donner aucun prétexte de nous refuser ce qu41s nous ont promis formellement par la capitulation : le libre exercice de la religion catholique. Il écrit à M. Briand :

« Soyez attentif pour que ni les prêtres ni les religieuses ne parlent point de religion aux malades anglais, à l'Hôpi- tal-Général. M. Murray me prie de donner des ordres bien précis. Veillez aussi pour le même article à l'Hôtel- Dieu et aux Ursulines. . . A l'égard des catholiques, vous faites bien d'administrer les sacrements le plus secrètement possible. . . Il faut craindre de se brouiller avec le gou- verneur, pour éviter de plus grands maux ^^. . . »

Ecrivant encore un peu plus tard à M. Briand, il ajoute :

« Vous ne sauriez trop engager MM. les curés à user de toute la prudence possible. Nous ne devons point nous mêler de tout ce qui regarde le temporel. Le spirituel doit seul nous occuper 13. »

12. Vicomte de Pontbriand, Le dernier Bvêque du Canada français, p. 277, lettre du mois de décembre 1759.

13. Ibid., p. 278, lettre du 16 février 1760.

sous M^^ DE PONT5RIAND 533

Il écrit à la supérieure de PHôtel-Dieu de Québec :

« Je vois avec plaisir que le gouvernement sous lequel vous êtes présentement vous favorise ^*. Il le fera encore davantage par la bonne conduite que la communauté aura à l'égard des pauvres malades. Je vous conseille de ne pas leur parler beaucoup de religion ; ils pourraient s'en indisposer. La piété et la modestie de votre conduite feront plus d'effet, si Dieu le juge à propos. Il faut se prêter à tout ce qu'on vous demandera, et vous gêner pour tout ce qui peut être utile aux malades. La religion chré- tienne exige pour les princes victorieux et qui ont conquis un pays, toute l'obéissance, le respect que l'on doit aux autres, de sorte, mes Très chères Filles, que vous et toutes vos Sœurs pouvez avoir le même mérite que lorsque vous serviez les Français ^^ «

Il lui écrit encore un mois plus tard :

« Je prévois toutes les misères que allez ressentir cet hiver. Que ne puis-je trouver des moyens pour y remé- dier! Une communauté fervente est toute puissante auprès de Dieu. J'écris à M. le gouverneur de Québec, et je vous recommande à lui. Je suis persuadé que vous vous conduirez de façon à ne mériter de sa part aucun reproche. Le roi d'Angleterre étant maintenant, par con- quête, souverain de Québec, on lui doit tous les sentiments dont parle l'apôtre saint Paul.

« On me dit que vous êtes surchargées de malades. Je

14. " Le général Murray fit preuve de la plus grande humanité à l'égard des religieuses de l'Hôtel-Dieu. Il leur fit parvenir régulièrement pendant plusieurs mois tous les aliments nécessaires à leur subsistance. " (Casgrain, Hist. de l'Hôtel-Dieu de Québec, p. 445). Une petite nièce de la duchesse d'Aiguillon ayant écrit au grand ministre Pitt pour lui recommander la belle communauté de Québec fondée par son illustre tante, celui-ci lui répondit par une magnifique lettre que l'on conserve au monastère. Il écrivit également an gouverneur Murray, recomman- dant l'Hôtel-Dieu à son attention spéciale. (Ibid., p. 461).

15. Le dernier Eve que du Canada français, p. 274, lettre du 12 cet. 1759.

534 l'église du canada

m'en réjouis parce que c'est une occasion pour vous d'exercer la charité. Je vous souhaite à toutes beaucoup de joie, de courage et de patience. Vous aurez tout cela si vous vous persuadez bien que votre situation vient de Dieu et qu'on doit s'y soumettre amoureusement. Je sais bien que les premiers mouvements sont contraires ; mais la réflexion inspire bientôt les sentiments du saint homine Job !«.... ))

(( Je pense souvent à l'Hôtel-Dieu, écrit-il encore la veille du jour l'an ; j'entre dans tous vos soins, dans les peines de chaque particulière, et je crois qu'elles me deviennent propres ^^ . . . »

Il écrit au gouverneur Murray lui-même :

« Si ma santé me le permettait, j'aurais l'honneur d'aller vous assurer de mes très humbles respects, et vous recom- mander les trois communautés religieuses de Québec. Me serait-il permis de vous supplier de défendre aux troupes et aux autres d'entrer dans les appartements qu'elles occupent, suivant leurs règles et leurs privilèges?

(( Elles ne m'ont pas laissé ignorer vos bontés, et j'es- père qu'elles se conduiront de façon à ne mériter aucun reproche. C'est ce que je leur recommande expressément, ainsi qu'à tout le clergé.

« Pour moi, je me conduirai toujours suivant les grands principes de la religion chrétienne, et comme tous les évêques qui ont des diocésains qui dépendent de deux souverains; et si quelqu'un du Clergé s'écartait de ces principes, je serais le premier à y remédier, et M. Briand, mon grand vicaire à Québec, une j'ai l'honneur de vous recommander, entrera dans mes vues ^^ . . »

i6. Ibid., p. 275, lettre du 13 novembre 1759.

17. Ibid., lettre du 31 décembre 1759.

18. Ibid., p. 276, lettre du 13 novembre 1759. Knox mentionne avec éloge cette lettre dans son journal, p. 204.

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Les documents de l'époque ne mentionnent aucun dé- mêlé, aucun froissement entre l'autorité religieuse et le gouvernement de Murray dans ce premier hiver qui suivit la prise de Québec ^^.

Ce n'était pas la première fois que M^^ de Pontbriand voyait une partie de son diocèse aux mains des Anglais pro- testants. L'Île-Royale n'était-elle pas devenue anglaise en 1745, comme la péninsule acadienne l'était depuis 1713? Et l'Evêque de Québec n'avait-il pas réussi sans trop de diflSculté à y maintenir ses missionnaires? Il l'avait fait avec des gouverneurs qui étaient loin de valoir Murray : à plus forte raison fallait-il espérer que tout irait pour le mieux avec ce haut fonctionnaire qui, en général, sut apprécier les Canadiens, et fut même victime de sa tolé- rance à leur égard.

Non seulement l'Eglise du Canada n'eut rien à souffrir de notre premier gouverneur anglais, mais il semble que le premier hiver que l'on passa sous le nouveau régime ne fut pas témoin d'orgies et de scandales comme on en avait vus à Québec l'hiver précédent. La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. On venait d'être terrible- ment éprouvé: l'Evêque avait dit: «Dieu est irrité, sa main est levée pour nous frapper « : les châtiments étaient venus en effet; et l'on voyait que l'Evêque avait raison.

Dans un premier mandement, daté de Montréal le 4 février 1760, c'est-à-dire à la veille du Carême, M^^ de Pontbriand dispensait ses ouailles du jeûne et de l'absti- nence, et ne leur adressait pas les reproches qu'il avait coutume de leur faire :

19. Cependant, si Ton en croit Brasseur de Bourbourg (t. I, p. 311), qui écrit d'après l'historien Smith, la Mère Saint-Claude, supérieure de l'Hôpital-Général, sœur de M. de Ramesay, " fut accusée par les Anglais d'exciter sous main les paysans à la résistance". Murray lui aurait fait signifier par un major de brigade, "qu'elle eût à renoncer à toute entre- prise de ce genre, en la menaçant, dans le cas contraire, de l'expulser de la ville avec toutes ses religieuses.

536 I^'éGUSE DU CANADA

(( Il est vrai, Nos Très Chers Frères, disait-il, que la triste et fâcheuse position de la colonie, bien loin de nous porter à diminuer les pénitences prescrites par notre Mère la sainte Eglise, semble exiger que chacun de nous y en ajoute «Le nouvelles, et se livre avec un saint courage aux plus grandes austérités corporelles pour fléchir la justice de Dieu et attirer ses miséricordes. Cependant l'extrême dif- ficulté de trouver des vivres maigres nous fait juger que, pour condescendre à la dureté des temps, il est de notre devoir de vous dispenser de l'abstinence prescrite, pendant une partie du Carême.

(( Vous la connaissez mieux que nous, Nos Très Chers Frères, cette position critique de la colonie, vous en sentez la misère présente, vous en prévoyez les suites fâcheuses pour le temporel des peuples. Vous portez vos vues en- core plus loin, et vous craignez avec raison que la religion ne se perde insensiblement dans ce diocèse, dont la foi a toujours été si pure.

« Cette année doit naturellement décider de notre sort. Il n'est personne d'entre vous qui ne fasse à cette occasion les réflexions les plus sérieuses, personne peut-être qui ne soit touché aux larmes. C'est ce qui nous fait présumer que votre piété trouvera mille moyens de suppléer à la pénitence prescrite dans le temps du Carême, et dont nous allons vous dispenser en partie, sans craindre aucun incon- vénient. »

Le bon Prélat permettait de faire gras les dimanche, lundi, mardi et jeudi de chaque semaine du Carême, sans néanmoins dispenser, pendant ces jours, du jeûne. On devait faire maigre, cependant, les trois premiers jours du Carême et la Semaine Sainte toute entière :

(( Nous souhaitons, ajoutait-il, que dans chaque maison on ajoute à la prière du soir un Pater et un Ave pour demander à Dieu la conversion des pécheurs, la persévé-

sous M^ DE PONTBRIAND 537

rance des justes, la parfaite exécution des projets que Pou forme et que l'on peut former pour le bien de la colonie, et enfin une paix prompte et durable entre les Couronnes ^°. »

*

Le mandement de M^'^ de Pontbriand que nous venons de citer ne; renfermait aucun reproche à ses diocésains. Celui qui va le suivre constate, au contraire, une amélio- ration dans leur conduite : ils ont tenu compte des avertis- sements de leur évêque, et il en remercie le Seigneur ^^ :

« Depuis le commencement de l'hiver, dit-il, vous n'avez point cessé. Nos Très Chers Frères, d'adresser au Seigneur les vœux les plus ardents, dans la ferme confiance d'obte- nir ses faveurs. Il semble que le plus grand nombre d'entre vous s'est livré avec plus d'ardeur aux exercices de piété : les grands ont donné l'exemple, le peuple l'a suivi. C'en est assez pour espérer avec confiance la protection du Ciel sur les opérations militaires de cette campagne, exa- minées, discutées et dirigées avec soin par celui qui gou- verne avec tant de douceur et de prudence cette colonie. Les obstacles occasionnés par la disette générale se trouvent heureusement, et pour ainsi dire contre toute espérance, levés. Déjà les troupes et les milices, animées d'un nou- veau courage, partent avec joie, sous la conduite d'un Général (Lévis), dont la famille a donné à l'Etat tant d'illustres défenseurs, et qui sait conserver dans l'action la plus vive, cette tranquillité d'âme qui fait les grands hommes. Continuons, Nos Très Chers Frères, de recourir au Seigneur encore avec plus de ferveur, s'il est possible, et espérons tout de son bras tout puissant. »

20. Mand. des Evêques de Québec, t. II, p. 143, 4 février 1760.

21. Quant aux officiers des troupes, si l'on en croit l'auteur de YHistoire de la Seigneurie de Lauzon, (t. II, p. 342), "ils avaient passé les nuits dans les bals ou à jouer un jeu d'enfer", comme de coutume.

538 L^ÊGLISE DU CANADA

Le Prélat ordonne ensuite de continuer « dans tout le diocèse, et même dans les camps, « les prières qu'il a prescrites dans son mandement du 28 octobre. Les prêtres ajouteront à la messe l'oraison Deus refugium^ et donne- ront, aux messes paroissiales, la bénédiction avec le saint Ciboire 2^. »

C'était la dernière fois que M^^ de Pontbriand s'adressait à ses diocésains. Son mandement est court ; mais quelle onction, quel abandon et quelle confiance ! Il espère tout « du bras tout puissant du Seigneur », qui a choisi pour instrument « un général qui sait conserver dans l'action la plus vive cette tranquillité d'âme qui fait les grands hommes. » Quel bel éloge de Lévis ! et comme ce portrait est bien caractéristique ! M^"^ de Pontbriand avait évidem- ment une grande estime et une haute opinion de Lévis ; il était heureux, surtout, de constater qu'il n'avait jamais cessé, lui, en toutes circonstances, de s'entendre avec le gouverneur que la Providence avait mis à la tête de la colonie, et la gouvernait « avec tant de douceur et de pru- dence ».

Lévis nous semble avoir possédé toutes les qualités de Judas Machabée : le coup d'œil, la vaillance, l'intrépidité, jointe à la prudence et à la possession de soi-même. Cela veut-il-dire, comme on l'a prétendu, qu'il aurait fait mieux que Montcalm et sauvé la colonie? Et qu'en savons nous? Tant de personnes excellent à faire des suppositions et des prédictions après coup ! Il faut toujours en revenir au mot de M^^ de Pontbriand : « On raisonne ici beaucoup sur les événements qui sont arrivés ; on condamne facile- ment ...» Tout ce que nous savons, c'est que la Provi- dence conduit tout dans ce monde ; rien n'arrive sans sa permission. Montcalm, Lévis, Vaudreuil avaient chacun

22. Mand. des Bv. de Québec, t. II, p. 144, 17 avril 1760.

sous M^^ DE PONTBRIAND 539

d'admirables qualités : chacun d'eux a apporté à la colonie son tribut de gloire et de bienfaits, avant qu'elle passât au nouveau régime que la Providence lui destinait. Quel est le Canadien qui voudrait voir disparaître de notre his- toire le nom de Montcalm, le héros de Carillon, celui de Lévis, le héros de Montmorency et de Sainte-Foy, celui de Vaudreuil, le père et le protecteur de nos ancêtres, qui for- tifia en eux l'idée de la patrie canadienne, l'attachement à leurs foyers, cette confiance en eux-mêmes dont ils avaient tant besoin avant de s'engager dans un avenir encore incertain et plein de périls? En sortant de la Bastille, l'avait conduit le victis^ Vaudreuil entendit Choiseul lui dire :

(f Sa Majesté a reconnu avec plaisir que la conduite que vous avez tenue dans l'administration qui vous a été confiée, a été exempte de tout reproche ^^. »

Beau témoignage, ajouté à celui de M^*" de Pontbriand.

*

* *

Nous avons nommé Sainte-Foy : c'est la campagne pré- parée par Vaudreuil en collaboration avec Lévis, et à laquelle M^^ de Pontbriand faisait allusion dans son man- dement.

lyévis quitta Montréal avec son armée le 17 avril, jour même de la publication de ce mandement. Il avait écrit la veille à Bougainville, stationné à l'Ile-aux-Noix :

« Je partirai demain matin. Les prières sont pour nous. Dieu veuille qu'elles soient exaucées ! M. l'Evêque a fait un beau mandement. »

Le 28 avril au matin, Lévis est à Québec, sur le coteau Sainte-Geneviève, vis-à-vis l'Hôpital-Général ; et à sa grande

23 Cité dans Les Ursulines de Québec, t. III, p. 32.

540 l'église du canada

surprise il y trouve Murray qui l'attend de pied ferme avec son armée rangée en bataille. Le gouverneur anglais a été averti de son arrivée : il a eu le temps de faire sortir la plus grande partie de la garnison de Québec, de faire sauter l'église de Sainte-Foy, oii l'ennemi aurait pu se retrancher, de dresser ses batteries et de se préparer au combat.

Laissons l'annaliste de l'Hôpital-Général -*, qui a tout vu, nous raconter elle-même Tafïaire de Sainte-Foy :

« M. de Bourlamaque, second général des troupes de terre, se trouva à la vue des ennemis, à la tête des premiers bataillons, et sans avoir le temps de les ranger. L'artil- lerie anglaise ne manqua pas, en les voyant paraître, de faire une décharge qui en mit beaucoup hors de combat. M. de Bourlamaque fut blessé et obligé de se retirer.

« Le fort de l'armée était encore à une demi-lieue de l'endroit commença le premier feu. Nos troupes de la marine et nos milices, plus au fait des chemins, arrivèrent à temps pour sauver un régiment qui se faisait tailler en pièces plutôt que de reculer. Ce fut alors que le combat devint furieux et des plus sanglants. Comme l'Anglais avait été à même de se choisir le terrain le plus avan- tageux, il ne le manqua pas.

« Notre armée, en arrivant, ne s'attendait pas à trouver l'ennemi rangé en bataille. Elle fut obligée de faire halte, et ne trouvant pas le terrain propre à se déployer, il n'y eut que la première colonne qui fut en état de combattre. Le choc se donna à quelques pas de Québec, sur une hauteur vis-à-vis de notre maison. Il ne se tira pas un coup de canon ni de fusil qui ne vînt retentir à nos oreilles. Jugez par de notre situation ! . . , L'intérêt de la nation était en jeu, ainsi que celui de nos proches qui se trouvaient au nombre des combattants. Cet état de souffrance ne se peut peindre. . .

24. La Mère Catherine de Saint-Ignace, une Juchereau-Duchesnay.

sous M»^ DE PONTBRIAND . 54I

a M. notre grand vicaire (le chanoine Briand), qui ne souffrait pas moins que nous, nous exhorta à soutenir cet assaut avec résignation et soumission aux ordres de Dieu, après quoi il alla se renfermer dans l'église, pénétré de la plus vive douleur. Comme le grand-prêtre Aaron, il courut au pied des autels, et faisant monter l'encens de sa prière jusqu'au troue du Tout-Puissant, il demandait à Dieu avec confiance d'arrêter ses coups, et d'épargner le troupeau qu'on venait de lui confier. Il se leva plein d'espérance au milieu de l'action, pour se transporter sur le champ de bataille, malgré notre opposition ... Ce qui lui fit prendre ce parti, c'était, nous dit-iî, qu'il n'y avait pas assez d'aumôniers pour assister les mourants, qu'il croyait être en grand nombre.

« M. de Rigauville ^^, notre aumônier, plein de zèle, l'y voulut suivre. Il n'était pas sans inquiétude : monsieur son unique frère et plusieurs de ses proches étaient dans l'armée. Ils eurent la consolation de voir l'ennemi tour- ner le dos et prendre la fuite. L'action avait duré deux heures. La valeur et l'intrépidité du Français et du Cana- dien repoussèrent l'ennemi de la position avantageuse il se trouvait. Cependant on le menait toujours battant sous le canon de la ville.

(( Nous demeurâmes maîtres du champ de bataille et de toute l'artillerie, et nous fîmes quantité de prisonniers. L'ennemi, renfermé là, n'osant plus paraître, nous pouvions bien chanter victoire. Nous l'avions bien gagnée; mais qu'elle nous coûta cher '^^ ! »

La bataille de Sainte-Foy est gagnée ; mais le principal n'est pas fait. Il faut maintenant reprendre la ville, notre

25. Charles des Bergères de Rigauville, fils de Nicolas, capitaine, seigneur de Bellechasse. Son frère Jean-Marie était un de nos officiers canadiens.

26. Mgr de Saint-Vaîlier et l' Hôpital-Général de Québec, p. 359.

542 l'église du canada

Québec, fondé par Champlain, tombé aux mains des Anglais. Ici le succès va dépendre du secours que l'on attend de l'autre côté des mers. Ce secours viendra-t-il? Quelle est la flotte qui arrivera la première? Sera-ce la flotte française, ou la flotte anglaise?

Hélas! les premières voiles que l'on voit poindre ^^ sont aux couleurs anglaises ... « Le pays est à bas ! » s'écrie la Supérieure des Ursulines.

Lévis a mis le siège devant Québec ; il se hâte donc de le lever, et sans se troubler, sans rien perdre de son cou- rage, reprend avec son armée le chemin de Montréal, vont se décider définitivement nos destinées.

Il est bien résolu de répandre pour la France jusqu'à la dernière goutte de son sang et à tout perdre plutôt que l'honneur. Mais que peut-il faire, avec une poignée de soldats, contre une formidable armée anglaise qui, au mois de septembre, arrive de tous côtés et vient cerner Montréal? Pressé par les sollicitations de tous, l'illustre général se voit obligé de poser les armes, et Vaudreuil consent à capituler, après avoir obtenu le plus de garanties possible, surtout pour la liberté du culte catholique.

« La ville de Montréal, dernier refuge de la France, écrit M^^' Taschereau, se rendit aux Anglais, après avoir obtenu par une capitulation le libre exercice de la religion catho- lique pour toute la colonie. Les communautés religieuses de femmes furent maintenues dans la possession de leurs constitutions et privilèges ; mais le même avantage fut refusé aux Jésuites, aux Récoilets et aux Sulpiciens, jus- qu'à ce que le Roi de la Grande-Bretagne eût fait connaître ses intentions à leur égard.

« Le Séminaire de Québec se trouvait en parfaite sûreté.

27. Le 9 mai. (Taylor The Cardinal Pacts of Canadian History, p. 71).

sous M»' DE PONTBRIAND 543

L'article 34 porte : « Toutes les communautés et tous les prêtres conserveront leurs meubles, la propriété et l'usu- fruit des seigneuries et autres biens. . ., et les dits biens seront conservés dans les privilèges, honneurs et exemp- tion '^ ».

Il y avait un article du projet de capitulation que l'on n'avait pu gagner, les honneurs militaires pour l'armée en retraite. Lévis se sentit frappé au cœur. Il voulut re- prendre les armes, et mourir sous le drapeau. On finit cependant par le persuader de l'inutilité de sacrifier à un simple point d'honneur la vie de tant de généreux oflSciers et soldats, et il sortit de Montréal la mort dans l'âme.

Bientôt lui et Vaudreuil quittèrent la colonie, théâtre de leurs travaux et de leur invincible courage.

28. Hist. manuscrite du Sém. de Québec.

CHAPITRE XXXVIII

LES DERNIERS JOURS DE M»^ DE PONTBRIAND. -r- SA MORT. SA SÉPULTURE

Maladie de Mgr de Pontbriand. Il se fait soigner par l'Hôtel-Dieu. A Saint- Sulpice. Ecoliers et ecclésiastiques de Québec, à Mont- réal. — Lettre des directeurs du Séminaire de Paris à ceux de Québec. Lettre de l'Evêque à ses Chanoines. Son testament. Ses dernières paroles. Sa mort et sa sépulture. Lettre de M. Montgolfier à sa famille. La chambre de l'Evêque.

LORSQUE Vaiidreuil signa, le 8 septembre, la capitula- tion de Montréal, il y avait juste trois mois jour pour jour que M^^ de Pontbriand avait rendu sa belle âme à Dieu.

Depuis longtemps il se sentait atteint de la maladie qui devait l'emporter: nous Pavons vu déjà en parler à ses sœurs, les Visitandines de Rennes :

(( Ma santé diminue de jour en jour. . . Peut-être est-ce la mort qui m'appelle, . . ^>

Du reste, il était parfaitement résigné à la volonté de Dieu:

« Vos prières, leur disait-il, non pour ma conservation, mais pour mon salut, , me seront d'une grande utilité. C'est la seule chose que je vous prie de demander. Peu m'importe de mourir demain, de telle ou telle manière, pourvu que Dieu ait pitié de moi. Bornez donc, mes très chères sœurs, vos vœux, et ne vous embarrassez pas de ma santé ou de ma vie. Que ma seule sanctification vous touche ^ »

I. Vicomte de Pontbriand, Le dernier Bvêque du Canada français p. 249.

l'église du canada sous m«^ de PONTBRIAND 545

La santé du pieux Prélat n'avait encore rien d'alarmant dans l'été de 1759, puisque son frère le comte de Pontbriand en ayant demandé des nouvelles à la Cour, le ministre lui répondit :

(( Je n'ai reçu aucunes nouvelles directes de M. l'Evêque de Québec, mais il paraît qu'il jouissait d'une bonne santé ^. »>

Le mal dont il souffrait le minait lentement et sûrement, sans cependant lui faire endurer des douleurs intolérables, et ce mal garda jusqu'à la fin ce caractère, pour ainsi dire, quasi bénin. C'est pour cela, sans doute, qu'il se soignait lui-même, et se servait peu du médecin. Il s'occupait des médecins surtout pour les autres : on le voit, en effet, faire nommer pour l'Hôtel-Dieu le docteur Chomel, puis le docteur Le Beau, puis ensuite le docteur Briand pour l'Hôpital-Général. Pour lui, il s'adresse tout simplement aux religieuses de l'Hôtel-Dieu. Il écrit à la Supérieure le 31 janvier 1759:

« Votre apothicairesse pourrait-elle me faire du petit lait? une chopine, avec le vinaigre, et passé au papier gris. Je l'enverrais chercher tous les matins, et le ferais chauffer ici. Aurait-elle de quoi me faire une tisane cochleuria, d'un peu de genièvre, de chiendent, de réglisse? Je la ferais ici. Je commence à me persuader qu'il y a un petit levain scorbutique dans ma maladie, et que le sang que je crache ne vient point de la poitrine. Je vous remercie pour vos prières, et vous en demande la conti- nuation. »

Il lui écrit encore quelques mois plus tard :

« Je vous prie de dire à la Sœur Saint-Guillaume de m'envoyer du miel et deux poignées de mille-perthuis. »

Il faisait du reste une grande dépense de lait, qu'il

2. Rapport. . . pour 1905, p. 296, lettre du 23 novembre 1759.

35

546 l'église du canada

achetait à l'Hôtel-Dieu. Envoyant un jour à la Supé- rieure trois lettres de change, il y ajoutait, pour son compte, soixante-cinq livres :

« Ces soixante-cinq livres, lui disait-il. sont pour le lait et les bols du matin. Depuis avril, vous m'avez fourni cent cinqante chopines de lait ^ »

Il s'était toujours si intéressé à la santé des bonnes Sœurs de l'Hôtel-Dieu, qu'il ne craignait pas de leur demander de s'intéresser un peu à la sienne : écrivant à la Supé- rieure, alors que le monastère n'était encore qu'à moitié reconstruit :

« Il faut préserver vos Sœurs du froid, disait-il ; les rideaux paraisssent nécessaires et convenables, pour la décence : mais ce qui est essentiel, ce sont les planchers du haut et du bas. Pour empêcher le froid, il vaut mieux se resserrer...» Et encore: «J'ai dit aux Ursulines de donner, deux fois par jour, deux coups de vin à chaque religieuse. Je voudrais bien qu'on en fît autant chez vous, mais vos dettes m'inquiètent. Cependant, il faut se sou- tenir. . . »

A Montréal, c'étaient les Sœurs Grises qui avaient soin du saint Evêque ; et c'est chez elles, tout d'abord, qu'il était allé se loger, avant de demander l'hospitalité aux Sulpiciens.

Le Séminaire de Montréal comptait, à l'époque y logea le pieux Evêque, trente-quatre membres *, dont un grand nombre étaient employés à la desserte des paroisses et missions dont était alors chargé Saint-Sulpice. Il avait pour Supérieur M. Montgolfier, originaire du Dauphiné. M. Montgolfier avait remplacé le 21 janvier 1759 M. Normant, qui ne mourut, toutefois, que le 18 juin.

3. Archives de l'archevêché de Québec, lettre du 30 septembre 1757.

4. Nous en donnons la liste dans l'Appendice, No. IIL

SCUS M^' DE PONTBRIAND 547

M^' de Pontbriand n'avait plus auprès de lui, cela va sans dire, son Petit Séminaire, auquel il était si attaché: les élèves avaient été renvoyés chez leurs parents dès avant le commencement du siège de Québec :

« Quant aux ecclésiastiques, écrit M^^ Taschereau, ils se dispersèrent eux-mêmes tout d'abord, mais finirent par se réunir auprès de l'Evêque, à Montréal, M. Pressart leur donna des conférences de théologie, pendant que M. Gravé enseignait la philosophie aux écoliers réunis dans cette ville.

« Il restait trois cent cinquante francs à appliquer sur les fondations. M. Pressart, avec le consentement de l'Evêque, les distribua aux plus pauvres pour les aider à payer pension en ville. »

<( C'est avec la plus vive douleur, écrivaient à leurs con- frères de Québec les directeurs du Séminaire de Paris, que nous avons appris, par les lettres de MM. Pressart et Boiret, le triste état du Canada et les pertes immenses qu'a faites en particulier le Séminaire de Québec, qui se trouve actu- ellement sans maison, sans fermes et sans moulins dans la Côte de Beaupré. Nous adorons avec soumission les desseins de Dieu qui a visité cette colonie, et qui met le Séminaire «i de si grandes épreuves.

« Il est clair qu'il est toiit-à-fait impossible que le Sémi- naire de Québec remplisse les bourses fondées par M. de Laval et par M. Soumande, jusqu'à ce que ses affaires tem- porelles soient rétablies. . . Nous approuvons que l'appli- cation des bourses fondées demeure suspendue. . .

M Nous ne sommes pas surpris, messieurs, des attentions et de la générosité de MM. du Séminaire de Montréal à votre égard. Nous en sommes aussi reconnaissants qu'on peut l'être. Il faut cependant tâcher de leur être à charge le moins qu'il vous sera possible ^. .

5. Hist. manuscrite du Sém. de Québec, p. 951.

548 . L'EGLISE DU CANADA

Sitôt qu'il se sentit affaiblir tout-àfait et pencher vers la tombe, M^'" de Pontbriand adressa à ses chanoines une magnifique lettre, qui semble comme les adieux et les der- nières paroles d'un père à ses enfants : ils étaient au nom- bre de neuf avant son départ pour Montréal: MM. Poulin, Briand, Gaillard, Perreault, Resche, Rigauville, Cugnet, Saint-Onge et Collet; il n'y en avait plus que sept, Cugnet et Collet étant passés en France :

« Messieurs, leur dit-il, depuis plus d'un an, vous me voyez attaqué d'une maladie mortelle, et moi-même je me persuadais que chaque mois serait la fin de ma carrière. Dispersés que vous ê4:es, par notre permission, et la néces- sité des temps, je crois devoir, en qualité de père, d'évêque, j'ose dire d'ami, vous communiquer mes sentiments. J'ai toujours été, et je le suis, pénétré d'une amitié sincère pour vous, en général et en particulier. J'ai remis toutes les petites discussions du cérémonial ou autre matière à des temps plus favorables. Si je suis entré dans les discussions que vous avez avec M. le Curé et le Séminaire, c'est dans un esprit de paix et dans le dessein de rapprocher les es- prits, n'ayant point sollicité ni pour l'un ni pour l'autre aucune personne, quoique j'aie été en lieu de le faire. S'il a paru quelque chose de contraire aux sentiments inté- rieurs, j'en suis fâché, parce que vous l'avez été.

« Quoique vous soyez tous séparés, et qu'il paraît que vous ne fassiez plus un corps, quoique j'aie donné à mes grands vicaires, suivant les privilèges du Pape, des pouvoirs qu'ils peuvent exercer même après ma mort, comme je vous ai autorisés à cette dispersion, je crois que, quand vous apprendrez ma mort, vous devrez vous réunir dans l'endroit le plus facile, et pourvoir à la vacance du siège, en nommant des grands vicaires. Sur quoi je vous prie d'avoir attention à ce que je vous demande pour le bien de ce pauvre diocèse :

sous M*' DE PONTBRIAND 549

« Continuez mes grands vicaires, parce qu'ils ont des connaissances essentielles, et presque toutes celles que j'ai. Par ce moyen, on ne pourra faire la moindre difficulté sur votre nomination, sauf à vous à en nommer d'autres.

« Ne multipliez pas les charges de promoteur, officiai, etc. Tout cela comporterait quelque confusion, quelque difficulté pour leur assigner des endroits.

« La nomination faite, quoiqu'il parût que les Chanoines dussent être réunis et former un Chapitre, pour que les grands vicaires, dans les cas difficiles, y eussent recours, comme les Chapitres ne peuvent rien que par les grands vicaires, nous croyons que vous pouvez vous disperser, étant presque impossible que vous puissiez, dans les circonstances présentes, vous réunir, et j'ose le dire, que propter difficilem recùrsum^ et à cause des circonstances présentes, j'ai pouvoir de vous y autoriser jusqu'à ce qu'il en soit ordonné par qui il appartiendra autrement.

« Je me recommande, messieurs, à vos prières, avec la même instance qu'un évêque moribond a coutume de le faire, et avec une confiance toute particulière ^. . . »

Trois semaines auparr^vant, il avait fait un testament olographe, dans lequel il laissait à son frère, le comte de Nevet, ce qui lui restait de bien patrimonial, à la charge d'acquitter neuf mille livres dues au chanoine Tonnancour, c'est-à-dire en réalité autant de dettes que de bien, ou peu s'en faut.

Il ordonnait des funérailles aussi simples que possible, et donnait quelques gratifications à M. Hubert, son secrétaire^ et à ses domestiques.

Le reste, à peu de chose près, était plutôt des marques

6. Mand. des Ev. de Québec, t. II, p. 145, 19 mai 1760

7. Jean-François Hubert, qui fut le neuvième évêque de Québec. Il n'était encore que minoré, à la mort de Mgr de Pontbriand.

550 I^'éGUSE DU CANADA

de souvenir et d'affection que des legs d'une valeur appré- ciable :

A ses sœurs de la Visitation, toutes ses croix et anneaux, à l'exception d'un de ceux-ci qui sera donné à M. de la Motte- Picquet;

A M. Briand, ses burettes, avec leur plateau, en argent;

A l'Hôpital-Général des Sœurs Grises, son linge d'église, ceintures, gants et mitres ;

A M. Montgolfier ^ tous ses papiers secrets et de famille ;

Tous ses livres au Séminaire de Montréal, «qui a pris soin de lui », tous ses effets, meubles, argenterie et espèce ;

Pour exécuteurs testamentaires, M. Montgolfier ; à son défaut, M. Briand, et, faute de celui-ci, M. Marchand.

Rien de plus touchant que l'attitude du saint Evêque, les derniers jours de sa vie : il demeura dans un calme qui ne se démentit jamais :

« Le Seigneur, disait-il à son confesseur, M. Montgolfier, me fait de grandes grâces, en mourant : je meurs sans souffrir des douleurs trop aigiies. Il ménage ma faiblesse, ma sensibilité. Je meurs dans un temps les affaires de la colonie sont en bien mauvais état : il épargne à mon cœur une croix qui lui serait rude. »

Il demanda et reçut avec une grande ferveur les derniers sacrements, des mains de M. Montgolfier, et s'éteignit doucement, après une agonie presque insensible, le diman- che 8 juin, à trois heures de l'après-midi. Il n'était âgé que de 51 ans et 5 mois ^.

Sa dernière parole, comme autrefois celle de M^'' de

8. M. Faillon écrit partout M. Montgolfier, sans la particule, tout en admettant que "sa famille avait été autrefois ennoblie". (Vie de Mme d'Youvile, p. 376).

9. Knox écrit dans son journal, à la date du 3 juillet, p. 345 : " L'évêque du Canada est mort récemment à Montréal. Il était remar- quable par sa grande piété, sa science et sa grande charité. "

sous M»*" DE PONTBRIAND 55 1

Saint-Vallier, avait été pour les pauvres : s'adressant au Supérieur du Séminaire :

« Vous direz aux pauvres que je ne leur laisse rien en mourant, parce que je meurs moi-même plus pauvre qu'eux. «

Ses funérailles eurent lieu le 10 juin dans l'église paroissiale de Montréal, et c'est aussi dans le caveau de cette église que ses restes mortels furent inhumés ^^. L'oraison funèbre ne fut prononcée qu'à un autre service qui eut lieu dans la même église le 25 juin *M l'orateur de la circonstance fut M. Jollivet, de Saint-Sulpice ^^, qui était au Canada depuis 1752.

M. Montgolfier ne put faire connaître la mort de M^^ de Pontbriand à sa famille avant l'automne. Il écrivit le 13 septembre à son frère le comte de Nevet :

« C'est avec la plus sensible douleur que je vous annonce la mort de M^"" Henri-Marie du Breil de Pontbriand, évê- que de Québec, et votre illustre frère, arrivée le 8 juin dernier. Toute la colonie s'attendait à ce coup, pt^ut-être plus funeste encore pour elle que la révolution qui vient d'arriver dans son gouvernement, et bien plus irréparable. Aussi tout le monde lui a-t-il accordé des larmes bien sincères. Je crois cependant que personne n'en a été plus sensiblement touché que je le suis encore. Cet illustre Prélat est mort en saint, entre mes mains, et j'ai eu l'hon- neur de lui fermer les yeux et de recevoir ses dernières paroles.

« De son vivant, il m'avait honoré de sa confiance et de la qualité de son grand vicaire, et, obligé de fuir Québec,

10. Voir le No. IV, de l'Appendice.

11. A Québec, il y eut un service à l'Hôtel-Dieu le 15 juillet (Journal du curé Récher).

12. Brasseur de Bourbourg, (t. I, p. 312) écrit: "Le P. Jolivet, de la Compagnie de Jésus. . . " Exemple de l'exactitude avec laquelle il y en a qui écrivent l'histoire I

552 l'église du canada

après la destruction de cette ville infortunée, il nous avait fait l'honneur de choisir notre maison pour venir y termi- ner des jours languissants, qui lui annonçaient une fin pro- chaine, mais qui étaient cependant encore bien précieux à un peuple qu'il aimait tendrement, et dont il était infini- ment chéri et respecté.

« La précipitation et le tumulte se trouve aujourd'hui le Canada, dans le moment les Anglais viennent de s'en rendre maîtres, ne me permettent pas de vous écrire si au long que je le souhaiterais, au sujet de la succession de cet illustre défunt. J'en ai adressé tous les papiers à M. le Supérieur de Saint-Sulpice à Paris. Je compte qu'il aura l'honneur de vous en faire part ^^. »

La chambre mourut M^^ de Pontbriand, dans le vieux Séminaire de Montréal, existe encore, et dans le même état elle était : on l'appelle « la chambre de l'Evêque » : elle donne sur le jardin, le pieux Prélat a se promener bien des fois. Nous l'avons visitée avec un religieux respect. Qui ne se sentirait ému en pénétrant dans ce pieux sanctuaire s'écoulèrent les derniers jours de ce bon et saint Prélat, qui ne vécut que pour notre Eglise, pour la patrie canadienne, et lui consacra tout ce qu'il avait de force et d'énergie?

13. Revue Canadienne, t. VIII, p. 440.

CHAPITRE XXXIX

EPILOGUE

La vacance du Siège. Union dans le Clergé. Grands vicaires nom- més par le Chapitre. M. Montgolfier, d'abord, puis M. Briand, nommés pour l'épiscopat. Les Canadiens espèrent toujours que le Canada retournera à la France. Le Traité de 1763. Mgr Briand, " second fondateur de l'Eglise du Canada ".

VOILA donc l'Eglise de Québec veuve pour la sixième fois de son premier Pasteur. Que va-t-elle devenir? I^es vacances du siège épiscopal, dans le passé, lui ont été si fatales ! Et puis, celle qui vient de se produire a lieu dans des circonstances si défavorables, si dangereuses, si grosses de problèmes, au moment le pays change d'allé- geance, où l'autorité civile, de catholique qu'elle était, devient protestante, Londres, ici comme dans la Grande- Bretagne, va probablement vouloir prendre la place de Rome dans les questions religieuses! La capitulation nous assure, sans doute, la liberté pour l'exercice du culte catholique; mais dans quelle mesure cette liberté nous sera-t-elle accordée? comment l'entendront nos nouveaux maîtres? à quelles conditions jugeront-ils à propos de nous l'accorder ?

Que d'incertitudes dans les esprits, au lendemain de la Conquête, parmi le peuple, dans la classe instruite, dans le clergé ! Le lecteur se rappelle la courageuse parole de M^ de Pontbriand à ses soeurs, les Visitandines de Rennes :

554 l'église du canada

« Si ces messieurs les Anglais veulent me laisser au milieu du troupeau, je resterai ; s'ils m'obligent à quitter, il faudra bien céder à la force. » Et il ajoutait aussitôt : « J'ignore absolument si les Anglais consentiront à me laisser dans cette colonie. »

ly'événement ne tarda pas à dissiper bien des incer- titudes. Et d'abord, jamais vacance du siège épiscopal ne se produisit dans des conditions plus favorables à la paix et à l'union. Pas la moindre division dans le clergé canadien: l'union, la paix, la bonne entente dans tous les esprits: tout le monde en sentait le besoin. Les chanoines, très peu nombreux d'ailleurs, avaient bien autre chose à faire qu'à se chicaner. Ils étaient tout dispersés, engagés çà et dans des besognes ardues; et c'est à peine si quatre d'entre eux purent se réunir dans la chambre de M. Resche, aux Ursulines, quelques semaines après la mort de M^^ de Pontbriand, pour nommer, conformément à ses instructions, ceux qui allaient administrer le diocèse pendant la vacance. M. Briand fut chargé de toute la partie du diocèse dépendante du gouvernement anglais ; M. Perreault, du district des Trois-Rivières ; M. Montgolfier, de celui de Montréal, y compris tout le haut de la colonie.

Après la capitulation de Montréal, nouvelle assemblée du Chapitre. Le sort de la colonie est scellé : le pays est maintenant tout anglais au point de vue politique. Il faut songer à lui procurer un Evêque. Les Chanoines, tous d'une voix, décident de proposer à Rome le nom de M. Montgolfier. Mais il faut le faire agréer par le Roi de la Grande-Bretagne : or, des obstacles insurmontables surgis- sent de ce côté-là contre la nomination de M. Montgolfier, et ce digne prêtre, avec un désintéressement admirable, renonce volontiers à la nomination qui lui a été offerte. M. Briand est choisi à sa place ; sa nomination est agréée par le Gouvernement de la colonie et celui de l'Angleterre ; Rome confirme le choix : M. Briand devient évêque.

sous M^*" DE PONTBRIAND 555

M^^ de Pontbriaud avait dit : « Si l'on veut me laisser au milieu du troupeau, je resterai. « Il y reste, en effet, par son ami, par son autre lui-même, par celui que l'abbé de l'Ile-Dieu appelait « l'ombre de son évêque », tant il s'appliquait à marcher sur ses traces, à modeler son esprit sur le sien, à suivre ses directions ! Briand va continuer admirablement l'œuvre de Pontbriand. Jamais homme ne fut mieux choisi pour le travail important et difficile qu'il y avait à faire à cette époque critique de notre his- toire religieuse : opérer la transition, pour notre Eglise canadienne, de l'ancien au nouveau régime, faire accepter, ou du moins tolérer par un gouvernement jaloux nos mœurs, nos usages, nos coutumes françaises et catholiques, faire accepter également, sans trop de répugnance, par nos Canadiens eux-mêmes les manières d'agir du vainqueur, qui leur sont et cela se comprend si antipathiques.

Tout cela était d'autant plus difficile que jusqu'au Traité de 1763, et même longtemps après, les Canadiens ne pou- vaient se faire à l'idée que la France les abandonnait pour toujours. M^^ Taschereau nous cite, à ce sujet, un exem- ple que nous tenons à rappeler ici, en terminant :

« Le gouverneur Murray, dit-il, ayant offert au Sémi- naire cinq mille quatre cents francs pour cent quatre vingt deux arpents de terre au nord-est du ruisseau Saint-Denis, on résolut de les accepter pour gagner ses bonnes grâces. Les conditions furent qu'il paierait la rente du prix, et que le terrain serait remis au Séminaire, si le Canada était rendu à la France.

« Ces derniers mots, ajoute-t-il, nous peignent la situation de tous les esprits. Les Canadiens persistaient toujours à croire, parce qu'ils le désiraient, sans doute, que la Fran- ce ne voudrait pas les abandonner, et qu'elle se ferait ren- dre une colonie qui lui avait coûté si cher, et qui ne faisait que commencer à donner des espérances. Chaque courrier

556 l'église dc canada

était attendu avec une anxiété toujours plus vive : aussi quelle affliction, quand arriva la nouvelle du Traité du 10 février 1763 ! La plupart des familles aisées, les fonction- naires, les marchands, les hommes de loi s'empressèrent de quitter un pays qui ne leur offrait plus qu'une perspective de persécution, de sujétion, d'infériorité perpétuelle... Mais il restait encore une soixantaine de mille Canadiens français et catholiques : le clergé en masse résolut de par- tager leur sort et de remplir à leur égard jusqu'à la fin les devoirs d'un ministère tout de charité et de conso- lation K .

Le digne chef de ce clergé fut M^*" Briand. Il y avait cent quatre vingt un prêtres au Canada en septembre 1758: il en restait encore cent trente huit en juillet 1766, année de sa consécration épiscopale. Cette phalange sacerdotale, admirable déjà par la qualité, s'accroîtra en nombre sous son administration.

Celui qui continuera cette histoire de l'Eglise du Canada «à partir de la Conquête» fera voir sans 'doute comment ce grand Evêque réussit, à force de prudence, de sagesse et d'habileté, à se faire accepter, respecter et aimer d'un gouvernement jaloux comme était celui de l'époque, à obtenir pour son Eglise la jouissance de ses droits, à pro- curer à son clergé, à ses diocésains une situation magnifique dans une colonie soumise à des autorités protestantes, une situation meilleure, sous bien des rapports, que celle qu'ils avaient sous l'ancien régime. Il ne manquera pas de constater et de faire admettre que ce n'est pas sans raison qu'on a appelé M^"" Briand « le second fondateur de l'Eglise du Canada. »

I. Histoire manuscrite du Sém. de Québec.

Fin

APPENDICE

CHAPELLE DU SÉMINAIRE DE QUEBEC

Le 6 octobre 1684, M^'" de Laval, après avoir parlé du bien qu'a fait le Séminaire et de son intention de l'aider en tout ce qu'il pourra, ajoute. . /' Et pour cet effet, voyant qu'il a esté jusques à présent dans l'impuissance de faire bâtir et cons- truire la chapelle du dit Séminaire des Missions-Etrangères, laquelle nous avons fondé cy devant d'une messe tous les jours à perpétuité par l'acte de donation que nous lui avons faict à Paris dans notre dernier voyage de France, par devant Car- not et de Troyes notaires le douziesme avril mil six cent quatre vingt, à raison des dépenses que le dit Séminaire a esté obligé de faire aux bastimens nécessaires pour son éta- blissement à Québec, et de ce qu'il en est encore redevable au sieur Aubert de la Chesnaye de la somme de treize mille trois cents tant de livres prix de France ; pour ayder le dit Séminaire des Missions-Etrangères à s'acquitter de cette somme et de quelques autres dettes qu'il a contractées et lui donner ensuite le moyen de pouvoir faire bastir la dite chap- pelle lui avons donné la somme de huit mille livres prix de France, de laquelle nous lui avons payé présentement la somme de quatre mille livres et lui avons donné pour les autres quatre mil livres des rescriptions en France à condi- tion que le dit Séminaire des Missions-Etrangères de Québec sera obligé de nous faire apparoir dans cinq ans ou au plus six de ce jour qu'il aura acquitté la dite somme de treize mil trois cent tant de livres de France au dit sieur Aubert de la Chesnaye ou au sieur Guenet marchand en la ville de Rouen auquel le dit sieur de la Chesnaye en a fait transport et en outre que le dit Séminaire des Misions-Etrangères de Québec sera obligé de faire bastir au plus tôt que faire se pourra la

55S APPENDICE

dite chappelle, joignant les bastimens du dit Séminaire dans laquelle chappelle je déclare que ma dernière volonté est d'y être inhumé et que si Notre Seigneur m'appelle de cette vie dans ce voyage, je désire que mon corps soit apporté pour y estre inhumé, et nous voulons que la dite chappelle soit ouverte à tous fidelles de l'un et de l'autre sexe pour y faire leurs prières afin que Notre Seigneur nous ayant fait comme je l'espère miséricorde, nous puissions y participer, et qu'ils puissent jouir de la consolation et bénédiction d'assister et avoir part à toutes les prières et divins offices qui se feront dans la dite chappelle par les prestres du dit Séminaire des Missions Etrangères auquel pour cet efïet nous donnons par ce présent escrit tout le pouvoir et permission qui lui peut être nécessaire et autant que besoin serait de faire bastir et construire la dite chappelle et d'y célébrer tous les jours à perpétuité la sainte messe, de prescher, cathéchiser et con- fesser, d'y faire tout l'office divin et généralement d'y exer- cer toutes les fonctions qui sont propres à l'institut du Sémi- naire des Missions Etrangères. . . "

Extrait d'un document écrit de la main même de Mgr de Laval et conservé aux archives du Séminaire ; lequel extrait «eus avons fait de notre propre main ce jour sixième mars 1913. (signé) A. E. Gosselin, ptre, S. S. Q., archiviste.

II

SUPÉRIEURS DU SÉMINAIRE DES MISSIONS-ÉTRANGÈRES

DE PARIS, DEPUIS SON ÉTABLISSEMENT,

JUSQU'A LA CONQUÊTE ^

M. Gazil (Sup. provisoire) 1663.

M. Vincent de Meur (Sup. régulier). 1664-1668

M. Gazil 1668-1681

M. de Brisacier 1 681-1694

M. Tiberge 1 694-1 700

M. de Brisacier 1 700-1 720

I. Nous devons cette liste à Mgr Amédée Gosselin, supérieur actuel du Séminaire de Québec, ainsi que plusieurs extraits des archives de cette vénérable institution.

APPENDICE . 559

M. Jobart 1720-1724

M. de Brisacier 1724-1736

M. Combes i736-i745

M. Collet 1745-1746

M. Dufau 1746-1750

M. Burgurieu I750-I753

M. de Lalane i753-i756

M. Hody 1756-1760

III

SULPICIENS DU SÉMINAIRE DE MONTRÉAL, A L'ÉPOQUE OU Y LOGEA M«^ DE PONTBRIAND

1. M. Etienne Montgolfier, supérieur.

2. M. Joseph Isambart

3. M. Hamon Guen.

4. M. Antoine Déat.

5. M. Joseph Hourdé.

6. M. Jean Girard.

7. M. Jean Matis.

8. M. Mathieu Falcoz.

9. M. Alexis Favard.

10. M. Melchior Gallet de Vallières.

11. M. Guillaume Chambon.

12. M. Pierre Sartelon.

13. M. François Picquet. .

14. M. Michel Peigné.

15. M. Antoine Faucon.

16. M. Jean-Claude Mathevet.

17. M. Clément Pages.

18. M. Louis-Simon Perthuis.

19. M. Jacques Degeay.

20. M. Jean Beauzèle.

21. M. Joseph-Marie Castagnac de Pontarion.

22. M. Jean Gay.

23. M. Jean-Pierre Davaux Besson de la Garde.

24. M. Claude Poncin.

25. M. Jean-Baptiste Reverchon.

26. M. Louis Jollivet.

2J.

M

28.

M

29.

M

30.

M

31-

M

32.

M

33-

M

^4.

M

560 APPENDICE

M. Jean de Dieu-François Robert.

François-Auguste Magon de Terlaye.

Jean-François Pellissier de Féligonde.

Pierre-Paul-François de la Garde.

Pierre Huet de la Valinière.

Charles Creitte de Mêtric.

Jean-Baptiste Curatteau de la Blaiserie. M. Vincent Fleury Guichard de Kersident ^.

IV

SÉPULTURE DES SULPICIENS DE MONTRÉAL (De La Presse du 4 juin 191 3)

Tous les membres de Saint-Sulpice décédés à Montréal reposent maintenant, ensemble, dans la crypte de la belle chapelle du Grand Séminaire, rue Sherbrooke-Ouest. Jus- qu'ici les prêtres décédés de 1671 à 1873 étaient inhumés dans la crypte de l'église Notre-Dame ; mais, à la suite d'une décision du Supérieur, la translation des restes a eu lieu ces jours-ci et tous les défunts reposent déjà dans le même lieu.

Demain matin, à neuf heures, une grand'messe sera chan- tée à leur intention, par M. le chanoine Charles Lecoq, le supérieur, en la chapelle du Grand-Séminaire. La plupart des Sulpiciens de Montréal y assisteront, ainsi que les élèves du Grand Séminaire, du Séminaire de Philosophie et du Collège de Montréal.

La translation des restes des défunts s'est faite sans bruit, selon les habitudes d'humilité qui caractérisent les Messieurs de Saint-Sulpice. Nous allons donner la liste des noms de tous les défunts que l'on vient d'inhumer au Grand Sémi- naire. Il faudrait des volumes pour parler des œuvres de chacun d'eux, mais les vieillards et ceux qui sont versés dans l'histoire du Canada, en lisant ces noms, se rappelleront de glorieux souvenirs.

.;i. Nous donnons cette liste dans l'ordre qu'elle nous a été envoyée par M. l'abbé Henri Gauthier, P. S, S., alors archiviste du Séminaire de Montréal.

APPENDICE 561

De 1671 à 1829, les prêtres étaient inhumés dans la pre- mière église de Notre-Dame; en cette dernière année, ils furent transférés dans l'église actuelle. Voici leurs noms et l'année de leur sépulture :

MM. Dominique Galinier, 1671 ; Giles Pérot, curé d'office, 1680; Zacharie Certin, sous-diacre, 1687; Mathieu Ranuyer, clerc tonsuré, 1708; J. A. Boesson, clerc, 1708; Léonard Chaigneau, 171 1 ; H. A. Mériel de Meulan, 1713; A. A. de Valens, 1714; Benoît Roche, 1715; Olivier Lardet, 1719; de la Soudraye, 1721; Quintien Rangeard, curé d'office, 1722; François Séré, 1722 ; Robert-Michel Gay, missionnaire, 1725 ; Pierre Remy, curé, 1726; François de Seguenot, 1728; François-Citoys Chaumaux, 1728; Ls-François de la Faye, sous-diacre, 1729; François Vachon de Belmont, supérieur, 1731 ; de Vallières, 1732 ; J. C. le Pape du Lescoat, curé d'office, 1733 ; J. B. Artaud, 1734; Jacques Le Tessier, 1735 ; François Chèze, grand prédicateur, 1740; Frs Doinet, 1742; Simon Saladin, 1747 ; Jean Boufandeau, 1747 ; Mathieu Gasnault, grand prédicateur et missionnaire, 1749; J. J. Gladel, 1749; Ant. Benausse, 1750; O. Pierre Navetier, 1751 ; Pierre Le Sueur, 1752; de Tréguron, 1754; Benoît Favre, 1755; Maurice Courtois, 1755; J. J. Talbot, clerc, 1756; A. C. Amplement, 1756; J. B. Breul, missionnaire, 1757; Durumen, 1757; Louis Normant du Faradon, supérieur, 1759; Hourdé, 1760; J.-B. Chevalier, 1760; Ant. Déat, grand prédicateur, curé d'office, 1761 ; Mathieu Falcoz, 1763; Jean Girard, clerc, 1765; Guil. Chambon, 1768; Jean Matis, 1769; Maugras, 1771 ; Ant. Faucon, curé, 1773; G.- A. Favard, missionnaire, 1774; Jacques Degeay, 1774; Ls.- S. Perthuis, 1775; I-ouis Jollivet, curé d'office, 1776; C. de Pontarion, 1777; J.-F. Pellissier de Féligonde, curé d'office, 1779; Michel Peigné, 1780; J.-C. Mathevet, 1781 ; Pierre Sartelon, 1782 ; François Robert, 1784 ; P.-P.-F. de La Garde, 1784; Jean Gay, 1786; J.-P. Davaux Besson de La Garde, 1790; J.-B. Curatteau, de la Blaiserie, 1790; Etienne Montgolfier, frère de l'inventeur Montgolfier, supérieur, 1791; Vincent-Fleury Guichard de Kersident, 1793; I^--X. Latour Dezery, curé d'office, 1793; Gabriel- Jean Brassier, supérieur, 1798; J.-A.-G. Guillimin, 1800; GuaiflFe, 1800; Desgarets, 1802; Jaouen, C.-B., 1806; Claude Poncin, 181 1 ;

36

562 APPENDICE

A.-A. Molin, 181 1; M.-F. Leclerc, 1813; J.-B.-J. Chicois- neau, 1818; Jos. Borneuf, 18 19; Claude Rivière, 1821 ; Frs Ciquart, 1824; J.-B.-Chs Bédard, 1825; Ant. Houdet, 1826; Simon Boussin, 1827.

Voici maintenant les prêtres du Séminaire décédés après 1829 et inhumés directement dans la nouvelle église :

C.-M. Le Saulnier, curé d'office, 1830; J.-H.-Aug. Roux, supérieur, 1831 ; Anthelme Malard, 1834; F.-J.-M. Humbert, 1835; Ant. Sattin, 1836: Hubert Ls-Amable-Lamy, 1837; Chs-Louis Lefebvre de Belle feuille, 1838 ; Jacques-Guil. Roque, 1848; J.-L.-Melchior Sauvage de Chatillonnet, 1841 ; Jackson- John Richard, protestant converti, décédé en soi- gnant les malades du typhus, 1847; Rémi Carof, 1847; P^^- Morgan, 1847; Pierre Richard, 1847; J--B. Etienne Gotto- frey, 1847; Claude Fay, curé d'office, 1850; J.-B. Roupe, 1854; J.-B. Breguir dit Saint-Pierre, curé d'office, 1856; S. R. Larre, 1860; N. Dufresne, 1863 « Joseph Comte, économe pendant 40 ans; M. -F. -H. Prévost, curé d'office, 1864; Do- minique Granet, supérieur, 1866 ; J.-J. Perreault, 1866 ; Pierre-Louis Billaudèle, supérieur, 1867; Frederick Bake- well, 1867 ; Michel O'Brien, 1870 ; Luc Pellissier, curé d'office, 1871 ; Ls-Henri Bertin, 1871 ; Joseph-Fournier Préfontaine, 1872; Léonard-Vincent Villeneuve, 1873.

(De La Presse du 5 juin)

En la chapelle du Grand Séminaire de Théologie a eu lieu ce matin une imposante cérémonie, à l'occasion de la transla- tion des restes des prêtres de Saint-Sulpice, inhumés dans la crypte de l'église Notre-Dame de 1671 à 1873. Tous les Sul- piciens de Montréal, ainsi que quelques prêtres séculiers, entre autres le chanoine Dubuc, y assistaient. La nef était remplie par les élèves du Grand Séminaire, ceux du Sémi- naire de Philosophie et du Collège de Montréal.

Le service a été chanté par M. le chanoine Charles Lecoq, supérieur des Sulpiciens au Canada. Il était assisté par deux séminaristes, un diacre et un sous-diacre. La schola a chanté une messe en chant grégorien avec perfection et on se serait cru transporté parmi les Bénédictins de Solesmes.

APPENDICE 563

Nous avons donné hier la liste complète et exacte des corps des Sulpiciens qui ont été transférés dans la crypte du Grand Séminaire, mais il faut y ajouter le nom de Mgr Henri-Marie du Breil de Pontbriand, évêque de Québec, décédé à Montréal et inhumé parmi les Sulpiciens. Ses restes sont renfermés dans une châsse en plomb, recouverte de bois précieux. On y lit l'inscription suivante: Mgr Henri-Marie du Breil de Pontbriand, évêque de Québec, décédé à Mont- réal le 8 juin 1760, relevé le 15 juillet 1836, déposé dans le caveau de l'église Notre-Dame, et transféré en cette crypte le 5 juin 191 3. Cette châsse sera déposée dans une niche, que Ton va faire pratiquer dans une colonne supportant la cha- pelle.

Les restes des autres défunts ont été transportés la nuit dans six cercueils, et ont été inhiunés près des Sulpiciens décédés de 1873 jusqu'ici. Un tableau indique leur nom.

IN DEX

Abeille (1'), 152, 286.

Abénacjuis, les sauvages, 347, 348, 351, 529.

Abercombie, 489.

Abraham (Bataille des Plaines d'), 414, 517, 518, 520, 522,

526. Acadie, 2, 8, 71, 118, 119, 122, 137, 186, 196, 305, 306,

337, 347-351. 354, 355. 357. 359-365, 368-373. 3^5.

387-389. 408, 420, 421, 535. Acadiens, 119, 347, 350-355. 35^, 359. 3^1, 362, 364, 365,

367-371. 373. 389. 390. 406, 410 421, 450, 491. Adhémar, notaire, 85. Agniers, les sauvages, 120, 176, 337. Aix-la-Chapelle (la Paix d'), 98, 155, 162, 165. Albany (Orange), 337. Albanel (le Père), 345. Alibamons, les sauvages, 323. Alléghanys, 8. Alost, 97.

Alton (le diocèse d'), 328.

Ambroise (le Père), récollet, 362, 373, 379, 383. Amérique du nord, 8, 19, 22, 99, 159, 163, 195, 196, 316,

347, 406, 489, 521. Amherst, 486, 487, 505. Amiens, 375.

André (l'abbé), 3, 47, 123. Ange-Gardien, la paroisse, 432, 487, 529. Anglais (les), 6, 95, 97-99. i09. ii9. 120, 132, 165, 176,

186, 316, 317, 333, 353, 357-359. 362, 363. 366, 367.

371. 373. 37^, 381, 384, 394, 405, 407-409. 411. 413. 415, 455. 457, 460, 463, 465, 468, 470, 475, 480-495, 504, 505, 506, 507, 510, 511, 512-516, 519, 520, 528- 530, 535. 542, 552, 554.

566 INDEX

Angleterre, 7, 8, 99, 134, 163, 176, 357, 358, 360, 365, 36f- 370. 373' 384, 385» 392, 406-409, 439, 447, 454, 456, 480, 481, 491, 497, 505, 517, 533, 542, 553.

Angleterre (la Nouvelle-), 6-9, 407, 409, 454, 455, 464, 480.

Anne (sainte), 129.

Antilles, 364.

Antioche, 69.

Antoine (saint), 70.

Anville (le duc d'), 95, 118, 119, 162.

Apalaches (les), sauvages, 323.

Arbre-Croche, 329, 339.

Archevêque de Paris (F), 300, 302, 424, 430, 431, 488.

Arkansas, les sauvages, 323.

Arnoux, médecin, 520.

Artaguette (M. d'), 316, 317.

Artigny (d'), le conseiller, 15.

Assiniboines, les sauvages, 341.

Assomption (V), la paroisse, 250, 432.

Ath, 97.

Atlantique (T), 8.

Aubert, 150.

Aubert (le Père), jésuite, 324.

Audran (le Père), jésuite, 351.

Augustin (saint), 27, 28, 482.

Aulneau (le Père), jésuite, 340-343.

Autriche (la guerre de Succession d'), 95, 109, 112, 137,

439. 447-

B

Baby, 150, 333.

Baie-des-Espagnols, 377.

Baie-du-Febvre, 432.

Baie-Saint-Paul, 432, 507.

Baie-Verte, 328, 338, 339.

Bailly de Messein, évêque de Capse, 158.

Balize (la), 7)27,.

Bancroft, l'historien, 468, 469.

Bar et (le curé), 162.

Baret (Joseph). 242.

Barolet, notaire, 3, 45. 255.

Basset (le curé), 157.

INDEX 567

Bastille (la), 539.

Batiscan, 155, 432, 433.

Bazin (René), 249, 490.

Beaubassin, en Acadie, 119, 351, 359.

Beaubassin (Mme de), 504.

Beaubois (le Père de), jésuite, 310.

Beauce (la Nouvelle-), 228, 253.

Beaudouin (Gervais), médecin, 513.

Beaudouin (l'abbé), prêtre habitué, 3, 513.

Beaudouin (le Père), jésuite, 321.

Beauharnais (M. de), gouverneur, 9, 15, 26, 37, 39-41, 47,

48, 54, 90, 102, 109-111, 116, 118, 123, 126, 127, 136,

214, 216, 234, 330, 331. Beaujeu (de), le héros de la Monongahéla, 63, 119, 227,

400, 410, 411, 415, 416, 429.

Beaujeu (l'abbé de), 123, 124, 415.

Beaumont, la paroisse, 432, 510, 511.

Beauport, 242, 432, 505, 514.

Beaupré (la Côte), 71, 164, 250, 507, 510, 529.

Beauséjour, le fort, 350, 353, 354, 357> 365, 3^9, 373^ 3^1,

393» 394, 407- Beau, aide-major, 120.

Bécancour, 71, 159, 432.

Bedard, 150.

Belair, 355.

Belle-Ile, près de Bretagne, 390.

Belestre (Picoté de), 119, 332, 469, 470.

Belle-Rivière (Ohio), 8, 186, 316. 325, 368, 370, 407-409, 412, 413, 416, 417, 447, 496.

Belle-Rive, marguillier, 241.

Belmont (M. de), 6, 7, 561.

Benoit XIV, 11, 17, 133, 134, 136, i/O, 179.

Bériault, 150.

Bernières (M. de), curé de Québec, 259, 285.

Berryer, le ministre, 380, 392, 394, 395.

Berthier (en bas), 51, 225, 242, 245, 246, 248.

Berthier (en haut), 156, 432, 433.

Bienville (M. de), 315, 316, 318, 319.

Bigot, l'intendant, 92, 95, 125, 164-166, 168, 170. 179, 185, 186, 215-219, 299, 340, 347, 375, 380, 392-39^, 403- 405, 417, 422, 437, 454, 476, 483, 494-496, 501» 503-

568 INDEX

Blois, 375.

Bocquet (le Père Simple), récollet, 334-336.

Bohème (la), 95.

Boiret (M.), 513, 547-

Boishébert, officier canadien, 119, 486.

Boisseau, le greffier, 2.

Bomon (Jean-Henri), 266, 267.

Bonaparte, 519.

Bonnécamps (le Père de), jésuite, 122, 178, 186.

Bonsecours (l'église de), 86, 162.

Bordeaux, 14, 531.

Boucault, le chanoine, 14, 24.

Boucault, notaire, 63, 262, 264, 267.

Boucher (Pierre), 206.

Bouffandeau (M.), sulpicien, 215, 561.

Bougainville, 322, 394, 395, 452, 484, 495, 504, 517, 519,

539- Boulard, le curé, 260. Boulogne (M. de), 300. Bourbes (M. des), 186, 410. Bourgeois (la Sœur), 86.

Bourlamaque, 452, 461, 467, 495, 504, 505, 540. Boscaven, l'amiral, 367, 384, 406, 449. Brabant (le), 97. Bransac (Migeon de), 124. Braddock, 369, 370, 406, 410, 411, 413, 457. Brassard, 150.

Brasseur de Bourbourg, 535, 551. Bray (l'abbé de), 142. Bréard, associé de Bigot, 166. Brébœuf (le Père de), 318.

Brest, 436, 471, 531-

Bretagne (la), 10, 12, 17, 19, 22, 249, 348, 375, 390, 430. Bretonnière (le Père de la), jésuite, 229. Briand, médecin, 545.

Briand, le chanoine, 13, 14, 22, 24, 63, 87, 107, 167, 168, 177, 179, 188, 229, 245, 265, 271, 272, 276, 280, 350,

419. 433, 473, 477, 478, 523, 532, 534, 54i, 54^, 55o. 554, 555, 556. Bnsacier (M. de), 143, 144, 146, 210, 259, 387, 558, 559.

INDEX 569

Broglie (Duc de), 131, 251, 368, 439.

Bruges, 97.

Bruxelles, 97.

Buffon, 24.

Bulls, le fort, 454.

Burgurieu (M.), 17» HS. 559-

Burton (M. C.-M.), de Détroit, 334, 336.

Cabanac-Taffanel, doyen du Chapitre, 166-168, 280, 289.

Cadet, associé de Bigot, 503.

Cadot (J.-Bte), 339.

Calvin, 370.

Cambrai, 233.

Canardière (la), 295.

Canada, 2, 4-1 1, 21, 22, 26, 27, 38, 39, 46, 48, 49, 54, 55. 63» 70» 73» 76, 79. 88, 91, 99, 100, 109, 116, 119, 123- 127, 129, 131, 134, 136, 142, 151, 162, 164, 165, 167, 169, 171, 175, 176, 179, 180, 187, 195, 201, 212, 216, 226, 229, 233, 235, 239, 251, 258, 260, 269, 295, 296, 299> 305. 316, 323, 329, 331, 337, 340, 342, 347, 352, 1^7^ 370. 380, 381, 387, 392, 395, 397, 400, 402-406, 409, 410, 413, 415, 418, 421, 424, 435, 440, 443, 448, 452, 460-462, 467, 471, 475, 476, 480, 481, 485, 494,

495. 497> 504, 509, 527, 531. 547. 55i. 55^, 556. Canadiens, 2, 6, 25, 39, 91, 92, 94, 95, 97, 99, 100, iio,

112, 114, 1 18-120, 122, 131, 158, 167-169, 187, 236, 239, 249, 263, 294, 329, 330, 333, 338, 342, 368, 369, 393. 397, 398, 400-405, 409-414. 416, 417, 420, 421, 423, 429, 437, 441-443. 446. 448, 452, 453. 456, 457' 460, 464, 469, 470, 475, 481, 482, 485, 488, 490, 495,

496, 507. 510, 511, 514' 515. 531. 535. 539. 54i. 555. 556.

Candide (le Père), récollet, 378, 382. Capsa (Grand et Petit-), 158. Cap-de-la-Madeleine, 156, 158, 159, 238, 241, 432. Cap-Lauzon. Voir Deschambault. Cap-de-Sable, 373. Cap-Rouge, 240.

570 INDEX

Cap-Santé, 155, 432, 433.

Cap-Saint-Ignace, 242, 247, 248, 431.

Cap-Toumiente, 529.

Capucins, 306, 307, 310-315. 319-321, 3^3» 376-

Carillon, 455, 466, 470, 488-491, 494, 504, 505, 539.

Carron (le) (M.), auteur, 10, 20.

Caron (le) (le Père), récollet, 345.

Carpentier, habitant de Québec, 45.

Carpentier (le Père), récollet, 228, 334.

Cartier (Jacques), 22.

Casgrain (l'abbé), 8, 29, 174, 200, 201, 204, 338, 351, 363, 364, 445, 452, 484, 489, 504, 506, 515, 520.

Cassandre, 359.

Cassiette, missionnaire, 361, 374.

Cavelier. 150, 253.

Cèdres (Coteau des), 251.

Céloron, 186, 407.

Chactas, sauvages, 323.

Chambly, 5, 431, 433.

Chambon, sulpicien, 161, 559, 561.

Chamousset, avocat, 299.

Chaniplain, 542.

Champlain, le lac. 5, 71, 226-228, 433, 488, 504, 505.

Chaniplain, la paroisse, 156, 432.

Champagne, la province, 321.

Champoux (Louis), 241, 242.

Chapais (Thomas), 436, 445.

Chapelle du Séminaire, 152, 153, 273-276, 557, 558.

Chapitre de Québec, 2, 4, 12, 24-26, 29, 30, 52, 53, 65, 76, 91-93, 104-108, III, 138, 139, 151, 158, 163, 164, 166- 168, 174, 175, 188, 226, 227, 256, 260, 264, 267-273, 277-280, 282-304, 308, 422, 426, 461, 473, 474, 529» 548, 549, 554.

Chapitoulas, sauvages, 323.

Chardon (le Père), jésuite, 312.

Charest, 510.

Charité (Frères de la), 55, 383.

Charlesbourg, 432, 433, 507, 509, 512, 513, 520, 523.

Charlevoix (le Père), 142, 192.

Charly (Jacques), marguillier, 253.

Charon (les Frères), 161, 208-212, 219.

INDEX 571

Chartres, le fort, 324, 325.

Chasseur (le), l'abbé, 2, 3.

Chasy, la rivière, 227.

Chateaubriand, 175.

Chateauguay, 5, 432.

Chateau-Richer, 51, 242, 250, 432, 529.

Chateau-Saint-Louis, 163, 173, 174, 187.

Chaumont (Guillet de), notaire, 85.

Chaumonot (le Père), 157.

Chaudière, la rivière, 5, 228.

Chauvignerie (de la), 180.

Chauvreulx (le), missionnaire, 359-361.

Chefdeville (l'abbé), 3.

Chevalier (l'abbé), 3, 148.

Chevrotière (de la), officier canadien, 470,

Chibouctou (Halifax), 6, 137, 359, 362, 366, 371, 373,

. 385, 390- Chicachas, sauvages, 316-318, 324.

Chicoutimi, 129, 345-347-

Chipoudy, 373.

Choiseul, 134, 539.

Chomel, médecin, 545.

Christinaux, sauvages, 342, 343.

Clément X, 284, 285.

Clément XII, 11.

Clément (le Père), récollet, 382, 383.

Cloutier (le curé), 150, 356.

Cobequid, 305, 359.

Cocagne, 355.

Collet, chanoine, 256, 433, 434, 512, 513, 522, 548.

Colombière (M. de la), 210.

Colombière (de la), officier canadien, 119.

Combes (M.), i?; .306, 559.

Conférences ecclésiastiques, 257.

Conflans, 430.

Congrégation (Sœurs de la), 33, 53, 172, 179, 196, 208, 213, 239.

Conseil d'Etat, 37, 46, 116, 218.

Conseil Supérieur, 4, 15, 16, 39, 40, 47, 48, 52, 56, 61, 6^, 85, 89, 116, 122, 123, 125-127, 138, 164, 168, 220, 223, 253, 280, 282, 284, 285, 287-290, 292, 294, 295, 308.

572 INDEX

Contrecœur, officier canadien, 22^, 411, 431, 483.

Coquart (le Père), jésuite, 129, 340, 341, 345-348.

Coquart (l'abbé), 348-351. 355-

Cotton, sacristain, 53.

Couillard (l'abbé), 517.

Courtemanche, 119.

Courval (Poulinde), 191.

Couturier (M.), supérieur de Saint-Sulpice, 10, 20, 180, 215,

219, 220, 256. Crépieul (le Père), jésuite, 345. Crespel (le Père), récollet, 333. Crépeaux (l'abbé), 190.

Cugnet, le chanoine. 27 t, 272, 512, 513, 522, 548. Cugnet, le conseiller, 15, 16, 48, 125, 127.

D Dagobert (le Père), capucin, 319. Daine (François), 40, 227. Damiens, assassin du Roi, 464. Daudin (l'abbé), 361-366, ij':^, 431. Dauré de Blanzy, notaire, 85. Déat (M.), sulpicien, 85, 86, 162, 253, 559, 561. Degeay (le curé), 250. Degrais-Longueil, officier canadien, '}y^'j. Delbois (l'abbé), 258, 259. Denaut (jVP'"), 10^ évêque de Québec, 335, 475 Denonville, gouverneur du Canada, 206. Depéret (M.), sulpicien, 161. DeQuen (le Père), 157, 345, 346. Desandrouins, 484. Desaulniers (les Dlles), 229, 230. Deschaillons (M.), 15. Deschambault, la paroisse, 155, 432, 504. Desenclaves (l'abbé), sulpicien, 359, 361-364, 373. De Selle (Alex, du Clos), 80.. Desherbiers, gouverneur de l'île Royale, 165. Desmeloises (veuve), 250. Desroches, 150.

Détroit, 196, 234, 235, 329-332, 334-338, 408. Deux-Montagnes (le lac des), 6, 75, 113, 114, 176, 179,

i8o> 229.

INDEX 573

Didace (le Frère), i6o.

Diel, 150.

Dieskau, le baron, 405, 406, 408, 412-415, 435, 436, 440,

443, 450, 451. Dinard, 19.

Dolbeau (le Père), récollet, 345. Dolbec (le curé), 247. Doreil, 451. Dosquet (Mgr), 10, 31, 2>^, 36, 38, 41-43^ 65, 74, 88, 122,

150, 203, 213, 260, 310, 311, 488. Dosque (le curé), 361, 373. Douville, 230.

Drucour, gouverneur de l'île Royale, 375, 384, 486, 487. Dubois (l'abbé), 243. Duburon (le curé), 150. Duchouquet (le curé), 225, 248. Dufrost de Lajemmerais. Voir Youville. Du Gué (l'abbé), 349. Du Hamel, officier canadien, 119. Dulaurent, notaire, 45, 262, 264, 267. Dumas, officier canadien, 411, 465, 513. Dunière (le curé), 240, 241. Duplessis (veuve, Marie le Roy), 64. Duplessis (le Père), jésuite, 63. Duplessis (Daniel dis Regnard), 63. Duplessis (les Sœurs). Voir Sainte-Hélène (la Mère). Dupré (le curé), 259, 270. Dupuy, l'intendant, 126, 288. Duquesne, gouverneur, 174, 177, 185-187, 218, 219, 231-

233^ 397-399, 401, 402, 406, 416, 438, 440, 443, 447,

448, 452- Duquesne, le fort, 394, 411, 412, 448, 491. DuÔuesnel, gouverneur de l'île Royale, 95. Durand (le Père Justinien), récollet, 138. Durantaie (de la), officier canadien, 470. Durell, l'amiral, 507.

Eboulements (les), paroisse, 347, 432. Ecoles-Chrétiennes (Frères des)^ 212.

574 INDEX

Economats (les), 35, 54.

Ecossais, 6.

Ecriture Sainte, 23, 69, 288, 356, 372, 458, 459, 482, 518.

Ecureuils (les), paroisse, 155, 242, 432.

Eglise (1'), 32, 89, 99, 131, 138, 211, 310, 322, 336, 389,

419^ 453' 464, 536. Eglise du Canada (V ), i, 8-10, 20-22, 26, 28, 30, 34, 38, 50, 57, 61, 75, 122, 124-126, 136, 143, 146, 167, 171, 195, 258, 280, 282, 290, 291, 293, 297, 298, 301, 310, 354, 391, 396, 415, 418, 425, 446, 453, 481, 499, 506, 535,

553. 555, 556. Ekouba (l'île d'), 351. Enfant- Jésus (T) (la Mère de), 64. Erié, le lac, 330, 331, 496. Estèbe, conseiller, 15, 16, 48, 531. Etats-Unis, 9, 71. Etoile (l'abbaye de 1'), 304. Europe, 356, 413, 435, 447, 463.

Faillon (M.), 121, 162, 197, 206-208, 211, 214, 217, 218,

45O' 550- Falloux (M. de), 96.

Farnsworth-Phaneuf, 6, 7.

Faucon (le curé), sulpicien, 161, 559, 561.

Favre (Benoit), sulpicien, 162, 561.

Fère (La), 122.

Ferland (l'abbé), 185, 186, 395, 403, 411-413» 452, 465-

Filion, 150.

Flandres, 38.

Flavien et Félicité (les saints martyrs), ici.

Flèche (La), 21, 179.

Fleuiy (le Cardinal de), 9, 10. 20, 35, 96, 131.

Floquet (le Père), jésuite, 229, 232.

Fontenoy, 96, 97, 370.

Forges de Saint-Maurice, 156, 160, 161.

Forget-Duverger (l'abbé), 328.

Fornel. le chanoine, 3, 75, 76, 123.

Fortifications de Québec, 109, 112, 114, 118.

INDEX 575

Foucault, conseiller, 15, 48, 227.

Foucher, 81, 82, 85.

Foulon (l'Anse du), 486, 518.

France, 2, 4, 6-9, 13, 22, 24-26, 29, 31, 49, 54-57, 62, 76-78, 90, 95-98, 103, 119, 123, 125, 126, 133, 134, 136, 137, 163-165, 167, 171, 176, 180, 181, 184, 186, 193, 194, 200, 201, 212, 217, 223, 230, 231, 251, 280, 281, 290- 292, 299, 304, 306, 309, 322, 323, 326, 329, 333, 334, 339, 353, 354, 357, 35^, 365, 3^8, 370, 371, 376, 177^ 384, 385, 392, 393, 395, 402, 403, 407-409, 413, 414, 423, 430, 439, 443, 446, 447, 460, 462, 463, 467, 471, 472, 475, 476, 478, 481, 486, 488, 491, 493-496, 509, 511, 520, 521, 542, 555.

Français, 99, loi, 122, 167, 179, 187, 263, 316-318, 324- 326, 331, 332, 342, 343, 359, 389, 402, 407, 410, 414, 446, 455, 496, 518, 532, 541.

François d'Assise (saint), 70.

François de Sales (saint), 191.

François Régis (saint), 30.

Franquet, ingénieur, 6, 84, 11 2- 114, 184, 239.

Frédéric de Prusse, 439.

Fréguron (Quéré de), sulpicien, 114, 561.

Fresnière (Hertel de la), officier canadien, 79.

Friponne (la), navire, 164.

Frontenac, le fort, 177, 206, 455, 491, 496, 497.

Gaboury, 89.

Gagnon (Philéas), 171.

Gaillard, le chanoine, 271, 272, 279, 280, 548.

Gaillard, le conseiller, 15.

Galissonnière (M. de La), gouverneur, 92, 102, 120, 163,

171, 175, 195, 196, 215, 230, 291, 402, 409, 422. Gamache, seigneur, 247, 248. Gand, 97.

Gannes-Falaise (de), chanoine, 4, 76, 106, 123, 143, 175. Garaie (le Comte de la), 10, 20, 21, 195, 493. Garneau (l'historien), 329. Gaspareaux, le fort, 365, 394, 407. Gastonguay (l'abbé), 3, 66.

576

INDEX

Gatien, 150.

Gauchetière (Migeon de la), 82, 86, 415.

Gauthier (l'abbé Henri), sulpicien, 560.

Gélase (le Père), récollet, 473.

Gemsec, 351.

Genaple, notaire, 276.

Gendron, de Paris, 220, 221.

George, le fort, 464, 465, 467-470» 47^.

Gibraltar, 462.

Girard (l'abbé), 3, 305, 359-36i, 373.

Girauville, 150.

Glandelet (M.), 285.

Glapion (le Père de), jésuite, 142.

Godin (le curé), 240.

GogTiet (M.), 531-

Gonnor (le Père de), jésuite, 232, 331.

Gorgendière (M. de la), 155.

Gosselin (le chanoine), 4, 24, 76, 123.

Gosselin (M^^ Amédée), 558.

Goudalie (M. de la), sulpicien, 305, 359-3^1-

Gourdan (le Père\ jésuite. 232.

Gratien (le Père), récollet, 373.

Gramont, 97.

Grand-Pré, 119, 359-

Gravé (M.), 513. 547-

Grondines (les), 155, 254, 255, 432.

Guai, 150.

Guen (l'abbé), sulpicien, 179, 559-

Gueslis (le Père Vincent de), jésuite, 330.

Guignas (le Père), jésuite, 59, 265.

Guillimin, conseiller, 63.

Guillaume-le-Conquérant, 439.

Guyon (l'abbé Jean), 356.

H

Halifax. Voir Chibouctou. Hamel, 150.

Hamelin dit Grondines, 254. Hanotaux (M.), 9, 395» 409-

INDEX 577

Hanovre, 97, 439. Harbour Springs, 329 . Haussonville (Comte d'), 134. Havard de Beau fort, 79, 81-85.

Hazeur de l'Orme, 4, 10, 12, 29, 31, 32, 65, 76, 123, 127, 157. 175. 258, 259, 266, 271, 283, 285, 297, 298, 421,

445- Hazeur (Thierry), 25, 36, 75, -/(i, 271.

Héricourt (d'), avocat, 300.

Hingan (le curé), 254, 255.

Hippone, 27.

Hocquart (l'intendant), 7, 9, 14, 24, 36, 37, 39-41, 45, 47, 48, 54, 56, 66, 81, 82, 90, 102, 103, 109, III, 126, 127, 128, 136, 164, 214, 215, 227, 245, 248, 252, 253, 346,

347. 35^, 531- Hody (M.), 559.

Holburn (Lord), 480.

Holmes (l'abbé), 434.

Hôpital-Général de Québec, 30, 32, 40, 41, 58, 61, 64, 66, dy, 90, 138, 1^5, 196, 213, 216, 217, 219, 424, 471-4741 476, 477, 512, 523, 528, 532, 539, 540, 545.

Hôpital-Général de Montréal (Sœurs Grises), 68, 161, 162, 172, 205, 207-209, 211-223, 239. 309. 450. 546, 550-

Hôtel-Dieu de Québec, 31, 33, 37, 58, 61, 62, 64, 65, 6y, 87, 137. 138, 148, 149. 198-204, 213, 275, 424, 449, 471- 473. 475. 512, 523, 528, 532, 533, 534, 545, 546, 551.

Hôtel-Dieu de Montréal, 33, 172, 196, 213, 214.

Hôtel-de-Ville de Paris, 197, 198.

Howe (Lord), 489.

Hubert (M.), 549.

Huet (le Père Vast) \ jésuite, 505.

Hurons, 234, 235, 318, 330-333, 337.

Iberville (d'), 179.

Illinois, sauvages, 313, 316, 323-325, 328.

(i). « 9'étant consacré au soin des malades durant la traversée, il mourut de la contagion à son arrivée à Québec (19 août 1733).» (Note du R. P. Mélançon, oubliée au cours de l'ouvrage) .

S7

INDEX

Ile-Dieu (l'abbé de 1'), 13, 18, 28, 93, 100, 117, 141, i45» 151, 165, 180, 187, 190, 192, 195, 197, 207, 215, 219, 220, 226, 236, 238, 258, 263, 294, 296, 303, 307, 310, 311, 313-315. 319-322, 325-328, 348-353, 357, 360- 365, 2,67, 370, 372-378, 380-383, 385-387, 391-393, 395, 396, 398, 399, 401-403, 405, 408, 413, 414, 410, 418-422, 424, 425, 430, 435-440, 444, 445, 453, 400,

467, 473, 477, 483, 531, 555- Ile-aux-Bois-Blancs, 332, 337.

Ile-aux-Coudres, 347, 432, 507-

Ile-au-Massacre, 343.

Ile-aux-Noix, 505, 539.

Ile-aux-Oies, 119.

Ile d'Orléans, 71, 89, 354, 35^, 487, 5o6, 507, 5^0, 511, 529-

Ile-du-Pads, 156, 432.

Ile-Jésus, 156, 250, 432.

Ile Lamotte, 71, 227, 337. r. r r c.

Ik-Royale (Cap-Breton), 8, 14, 95, n^, 164, 165, 306, 307,

348, 360, 375-379, 384, 385, 394, 420, 431, 486, 4«7,

491, 535. Ile-de-Sable, 95. Ile-Sainte-Hélène, 70. Ile Saint-Jean (du Prince-Edouard), 8, 337, 361, 373, 375»

376, 379, 381, 383-385, 420, 487, 491- Ilets de Jérémie, 347.

Imbault (le Père Maurice), récollet, 32, 56, 64. Incarnation (la Mère Marie de 1'), 25, 107, 155, 203, 205,

206. Interlaken, 509. Irlandais, 6, 7.

Iroquois, 120, 170, 179,180, 229, 310, 3^7, 330- Isidore (le Père), récollet, 378. Italie, 133, 134-

J

Jacau de Fiedmont, officier, 357, 365, 402.

Jacrau (l'abbé), 3, 93, 142, I43, 146-148, 150, 256, 260,

276, 427, 513- Jansénisme, 21, 423.

INDEX 579

Japonais, 342.

Jardins (la rue des), 55.

Jaunay (le Père du), jésuite, 329, 339.

Jeanne de Chantai (sainte), 20, 172.

Jersey (le Château de), 353, 2>7Z^ 390-

Jésuites, 21, 30, 31, 33, 67, III, 142, 148, 201, 203, 229-234,

261, 286, 287, 306, 310-316, 318-321, 324-326, 328-

2>2>^, 339-341, 345. 351. 428, 502, 509, 528, 529, 531,

542. Jésuites (le Collège des), 142, 199, 202, 287, 292, 312, 313,

426-428, 529. Jehnson, le général, 412. Johnstone (le chevalier), 515. Joliet, 316. Jollivet (l'abbé), sulpicien, y2, -j^, 181, 190, 257, 551, 559,

561. Jonquière (la), gouverneur, 126, 162-166, 168, 170, 173-

175, 179, 185, 215-217, 229-231, 233-235, 289, 397,

416, 447. Jorian (le curé), 225, 242, 246, 248. Josselin (l'hôpital de), 20. Joubert, capitaine, ^iUy 4i3- Jubilé, 133, 134, 136, 137, 154, 170, 172, 173, 175, 177,

183, 274, 291, 293. Judas Machabée, 538. Juillet, capitaine, 250. Jumonville, 324, 369, 407, 449.

K

Kalm, 135.

Kamouraska, 432, 433.

Kaokias, sauvages, 326.

Kaskaskias, sauvages, 323-325.

Kerlerec (de), gouverneur de la Louisiane, 319, 401.

Knox, 510, 534, 550.

L

Labelle (l'abbé René), sulpicien, 7. Laboret (l'abbé), missionnaire, 359, 361.

580 INDEX

Labrie (Nicolas), marguillier, 241.

Labrosse (le Père), jésuite, 129, 346, 351.

Lacs (les Grands), 8.

Lac des Bois, 341, 343.

Lachenaie, 156, 432.

Lachine, 161, 432.

Lacorne. le chanoine, 76, 106, 107, 124, 125, 168, 248, 253,

271, 272, 280, 290-292, 297-299, 301, 304, 350, 351,

462. Lacorne, officier canadien, 119, 120, 180, 504, 505. LaCoste (Pierre Courean), marguillier, 253. LaCoudraie (le curé), 242. Lafontaine (de), conseiller, 15, 48. Lagroix (l'abbé), 150.

Laiane (AL de), 150-153, 168, 190, 261, 266, 274, 2J^ , 559. Lalemant (le Père Gabriel), 318. Lamicq (M.), 262, 266. 267, 473. Lamothe-Cadillac, 329, 330, 334, 337. Lanaudière (Tarieu de), 119, 191. Langlade (de), 338, 514, 516. Langres, 375. Languedoc, 443. Lanoue, 79, 81-86.

Lanouiller, conseiller, 15, 48, 125, 126. Lanoraie, 156, 432. Lantagnac, 150.

La Porte (I\f. de), 291, 394, 396. Laprairie, 70, 241, 432. Larché, 56. La Ronde, 119. Lartig-ue (M. de), 365. La Salle (saint Jean-Baptiste de), 212. Lataille, 150.

Latour (M. de), 31, 51, 65, 260, 265, 298. Lauberivière (M-^ de), i, 10, 14, 17. 26, 36, 41, 71, 103,

104, 161. Laure (le Père), jésuite, 345-347- Laurent (l'abbé), missionnaire,. 314, 326-328. Lauverjat (le Père), jésuite, 351.

INDHX ' 581

Laval (M-^ de), i, 19, 21, 25-30, 37, 67, 73, 100, 103, 143, 146, 147, 149, 152, 155, 1S5. 203, 209, 259, 262, 273, 275. 297, ^26, 327, 356, 502, 547, 557.

La Valtrie (Tabbé de), 3, 148.

La Valtrie, paroisse, 112, 156, 243, 432.

Le Bansais (le Père), jésuite, 104, 142, 148, 261, 473.

LeBeau, médecin, 545.

LeBer (Jeanne), 208.

LeBlond (l'abbé), 152.

Lecoq (M.), supérieur de Saint-Sulpice, 560, 562.

Lefranc (le Père), jésuite, 339.

LeGuerne (l'abbéj, 349-35i> 354. 355^ 373-

Lehoux (Anne), 79.

Leigne (André de), 40, 44, 56.

Le Jeune (le Père), jésuite, 157.

Le Loutre (l'abbé), 349-354, 359, 3^5. 373, 374, 377, S^S-

387-390- Le Maire (l'abbé), 330.

Leniaire (l'abbé), 349, 361, 375.

Le Mercier, officier, 119, 299, 465.

Le Moyne (Charles), 185.

Léon XIII, 133.

Léopard (le), navire, 472.

Le Prévost (le curé), 157.

Léry (M. de), le père, 38, 40-42, 57, 92, 93, 103, 112, 122,

169. Léry (M. de), le fils, 421, 454. Leschassier (M.), 211. Lescoat (M. de), sulpicien, 206, 207, 561. Lessart (François), 253. Levasseur (l'abbé), 3. Lévis (le Chevalier de), 402, 452, 455, 460, 467, 469, 490,

495, 499, 504, 505. 514-516, 520, 521, 523, 537-539'

542, 543- L'Halle (le Père de), récollet, 334, 335.

Lignerv (M. de), 119, 411, 491.

Lille, 38.

Limousin et Limoges, 364.

Lindsay (l'abbé), 124.

Lionnard (le Père), récollet, 334, 335.

582 INDEX

Lisieux (un archidiacre de), 299.

Londres, 553.

Longue-Pointe, paroisse, 70, 161, 162, 432.

Longueil (M. de), 175, 179, 185-187, 331, 337, 406, 465.

Longueil, la paroisse, 70, 432, 433.

Long\^al, 150.

Lorette, 234, 330, 432, 433, 518.

Lotbinière (M. de), archidiacre, 4, 15, 48, 122, 157, 166,

167, 2^2. Lotbinière (de), officier, 119, 122. Louis (saint), 128. Louis XIV, 184, 194. Louis XV, 96, 98, 133, 134, 136, 137, 179, 184, 194, 404,

406, 439, 440, 463, 464. Louis-Phihppe, roi des Français, 197. Louisbourg, 8, 95, 98, 109, 118, 164, 197, 306, 307, 361,

365. 375-3^4' 388, 389, 480, 486, 487, 491, 492, 505,

506. \

Louisiane, 21, 71, 306, 307, 310-316, 319, 320, 322-324,

326, 399, 401, 408, 420, 431, 448. Louvain, 97.

Luynes (le duc de), 194. Lydius, le fort, 467. Lyon, 375.

M

Machault, le fort, 186.

Machiche, 156.

Mahon, 462.

Mailhot (le juge), 84, 85.

Maillard (l'abbé), 14, 306-308, 349, 361, 365, 376. 377,

379' 7^"^^^ 384-390, 486. Mainmortes (l'édit des), 223, 224. Maizerets (Ango de), 285. Malbaie (la), 347. Malines, 97. Malpec, 361, 373. Manach (l'abbé), 350, 351. Mandeville (M. de), 316.

INDEX 583

Manitoba, 345.

Mantet, 150.

Marchai de Noroy, jeune Parisien, 54.

Marchand (l'abbé), 25, 150, 550.

Marcol (le Père), jésuite, 231, 232.

Margry, 166.

Marin, 166.

Marquette (le Père), 316.

Marquiron (l'abbé), 3, 66, 123.

Mars (le), navire, 57.

Marsolet (le Père), récollet, 177.

Martel (le curé), 509.

Martin ( Charles- Amador), 157.

Masquinongé, 156, 432.

Massachusetts, 364.

Matis (Jean), sulpicien, 161, 559, 561. Mathias (le Père), capucin, 310. Maubec (Tabbaye de), 298, 304. Maurepas (M. de), ministre, 14, 93, 109, 131, 141, 166,

263, 290, 340, 341. Maurice (le Père), jésuite, 345. Meschin, capitaine de vaisseau, 14. Méchins (les), 14. Méditer rannée, 463. Médoctec, 351.

Mélan(:on (le Père), jésuite, 509, 577. Memramcook, 373. Menagouech, 348.

Mercier (l'abbé), missionnaire, 150, 266, 267. Messaiger (le Père), jésuite, 30, 340, 341, 352. Mésy (Saffray de), gouverneur, 174. Metz, 55, 76.

Meurin (le Père), jésuite, 325. Mexique, 310.

Miamis, sauvages, 325, 329, 334. Michel (M.), commissaire de la marine, 15. Michigan, le lac, 328, 338, 339. Michillimakinac, 328-330, 338-340, 343. Micmacs, sauvages, 349, 352, 359, 385, 388, 390, 486. Migeon. V^oir Bransac et Gauchetière.

584 INDEX

Mille-Iles, 504.

Mines (Bassin des), 1 18-120. 359, 362, 366.

Miniac (M. de), 2, 13, 33, 271, 305, 306, 359, 361, 364.

Minorque (l'île), 462, 463.

Miramichi, 351, 355.

Missions-Etrangères (Séminaire de Paris), 11, 14, 17, 18,

139, 142-145. 147. 149-151, 190. 258, 259, 261, 263, 266, 274, 276, 284, 290, 293, 296, 298, 300-303^ 306, 310, 311. 325-328, 330, 349, 355, 387-389, 422, 423, 531,

547> SS7> 558- Mississipi, 8, 310, 316, 324-326. Missouris, sauvages, 313. Mobile (la), 317, 321, 323. Mohawk, la rivière, 469. Monckton, le général, 510, 511. Monongahéla (la), 338, 370, 400, 408, 410, 412, 413. 415,

429, 448, 450. Monrepos (Guiton de), S2, 85, 86, 121, 484. Montagnais, sauvages, 345-347. Montagne (rue ou côte de la), 152. Montcahn, 38, 395, 402. 414, 415, 435-43^, 440-446, 451.

452, 454, 455, 460, 466-469, 471, 476, 488-491, 494,

495. 499-505, 507, 514, 519' 520, 522, 525, 538. Montesson, 1 19. Montgolfier (M.), sulpicien, 177, 179, 546, 550, 551, 554,

559, 561.

Montigny (M. de), des Missions-Etrangères, 17, 259, 387.

Montmagny (M. de), gouverneur, 103.

Montorier (M. de), des Missions-Etrangères, 17.

Montréal la ville et le district, 6, 15, 25, 28, 49, 56, 69, 70, /S, 79, 82, 84, 85, iio, III, 115, 120, 121, 157, 161, 171, 172, 177, 178, 182, 188, 201, 206, 209, 212, 214, 2 [6, 218, 229, 230, 234, 239, 243, 253, 331, 400, 405, 406, 433, 447, 448, 450, 455, 469, 470, 472, 475, 484, 502, 505, 510, 513, 520, 521, 523, 525, 527, 530, 531,

535.' 539, 542-544, 547' 548, 550, 554- Montréal, la paroisse, 7, 72, 83, 84, 86, 98, 161, 162, 185,

208, 432. 461, 551, 562, 563.

Montreuil, officier français, 437.

Morant (l'abbé), 150, 266, 267.

INDEX :^85

Morin (Tabbé Germain), 157.

Morinie (le Père de la), jésuite, 329, 335, 339.

Morisseaux de Bois-Morel (le curé), 241

Mornay (M«^ de), 12, 7,7, 38, 41, 310, 312, 320.

Morteniart (la duchesse de), 394.

Mourisset, contremaître au Séminaire, 47, 142

MnWM^^r''^^-^'"'^ ^^î- ^^n^^' 540, 555- Muy (M. de), officier canadien, 336.

N Nairne (M.), 7.

Natchez (les), sauvages, 316, 323. Natchitoche, 323.

Nau (le Père), jésuite, 232, 329, 342. Navarre (M.), officier canadien, ^^y. Nécessité (le fort), 369, 407, 448. Neuville. Voir Pointe-aux-Trembles de Québec Nevet (le comte de), 18, 46, 189, 493, 549, 551. New- York, 504. Niagara, 504, 505. Nicolet, 432. Nieuport, 97. Ninove, 97.

Niverville, officier canadien, 119. Noble (le colonel), 119. Noreau, marguillier, 241. Noinville (Tabbé de), missionnaire, 360. Norey (l'abbé), ex-récollet, 66, 6y. Normand (M. Le), 314, 315, 501. Normant du Faradon (M.), sulpicien, 25, 177, 170 oq^

216. 217, 220, 222, 546, 561. Normanville, 150. Nouët, praticien, 55, 56, 253. Nouvelle-Ecosse. Voir Acadie.

Nouvelle-Orléans, 306, 310, 313-316, 319-321, 22^ 2^8 ^^ 330, 37^^ 398, 399, 401. '

Noyan (M. de), 227, 491.

O

Oblats de Marie Immaculée, 159. Ogdensburg, 71, 176.

586 INDEX

Ohio. Voir Belle-Rivière.

Ollivier (Emile), 519.

Ontario, 9, 330, 455, 496.

Orléans (le Duc d'), 67, 149, 193-197.

Ostende, 97.

Oswégatchie (la rivière), 175, 177.

Oswégo (Chouaguen), 9, 176, 405, 454-457» 459-46i, 504-

Ouabache (la rivière), 325.

Ouest canadien, 166, 338, 340-342, 344, 345-

Outaouais, les sauvages, 333, 334.

Outreleau (le Père d'), jésuite, 316.

Palais épiscopal, 17, 35, 36, 38, 40, 42, 44, 46, 528.

Palais de l'Intendant, 16, 85, 481, 497, 499.

Pamphili (le cardinal), 276.

Panet, notaire, 255, 522.

Papin (le curé), 245.

Pâquin (le curé), 38. 91.

Parent (l'abbé), 150.

Parfouru (de), officier français, 414, 437.

Paris (le diacre), 78.

Paris, 10, II, 13, 17, 18, 21, 28, 31, 54, 78, 79, 81, 106, 123, 124, 127, 142, 150, 164, 180, 181, 194, 195, 220, 258, 271, 2^6, 286, 290, 293-295, 297, 298, 303, 304, 321, 340, 356, 383, 387, 396, 404, 418, 420, 429, 436, 476, 488, 552.

Parkman, 176, 338, 407.

Parlement canadien, 45.

Parloir (rue du), 152, 503, 504.

Paul (saint), 73, 533.

Péan, 119, 227, 250, 299, 503, 504.

Pelée (la montagne), 470.

Pelet (l'abbé), 3, 139, 148, 262.

Pentagouet, 351.

Pérade (Tarieu de la), 155.

Périer, gouverneur de la Louisiane, 316, 323.

Périère (Boucher de la), 179.

Péronnel (l'abbé), missionnaire, 361, 374.

INDEX 587

Pcrreault (le chanoine), 269-272, 278, 433, 434, -^i^, 548,

554- Perthuis (le curé), 161. Petit (l'abbé), 150, 426-428. Petitcoudiac, 355, S73- Phaneuf (la famille), 6. Philippe ,(le Père), capucin, 311. Philipps (M. de), 360. Picquet (l'abbé), sulpicien, 1 75-181, 559. Pierre (saint), 23. Pigiquit, 359, 366. Pilotte, huissier, 2, 3. Pinguet (le curé), 157. Pitt, le ministre anglais, 480, 517. Plante (le curé), i, 2, 3, 51, 123, 135, 258, 260, 262, 263,

265, 266. Plante (l'abbé Gabriel), 30-32, 174, 175, 258, 260, 462. Plérin, 13. Pleurtuit, 19. Pocqueleau (l'abbé), 265. Pointe-aux-Trembles de Québec (Neuville), 155, 157, 158,

250, 432, 517. Pointe-aux-Trembles de Montréal, 6, 432. Pointe-Claire, 161, 432. Pointe-Coupée, 323. Pointe-Lév}^ (Saint- Joseph de la), 266, 431, 487, 510, 511,

Pointe-Prime, 361, 373.

Poisson (le Père), jésuite, 316.

Pologne, 106.

Pomcoup, 363, 364.

Pompadour (Mme de), 395.

Pontbriand (Mgr de), 2, 3, 5, 9-11, 13-15, 17-27. 29, 30, 32-34^ 36, 38, 40-42, 44, 46-48, 50-52, 55-59. 61-63, 65-72, 74, 75. 77, 78, 85. 86, 88, 91-94, 96, 99, 103- 107, 109, 114, 1 16-124, 127, 129-134, 136, 141, 142, 145, 146, 148, 149, 151, 154, 155, 157-161, 164, 171, 175, 177-180, 182, 184, 187, 188, 190-192, 194, 197, 198, 200-203, 207, 213, 216, 219-221, 224-228, 235- 243. 247-249, 252-256, 259, 260, 26^, 266, 269, 272,

588 INDEX

274- 276, 278, 280, 282, 286, 290, 293, 296-299, 301-

303» 30S-3>07, 309^ 312, 313, 319-322, 325. 331. 334- 336, 339. 348, 349. 355. 356, 360-362, 364, 367-37'» 375. 376, 37^^ 379. 3^^, 3^6, 391, 393, 395-397. 402- 405, 407, 408, 410, 412, 413, 416, 421-423. 425-431» 434-436, 439, 445, 446, 448, 450. 452-455. 460-465, 470, 473-476, 481, 485. 487, 490. 491. 493. 497. 5<>3» 506, 507, 509, 511-513. 518. 520, 523, 527, 531, 532,

535. 537-539. 544« 547. 548, 551-555. 563- PoiitJDriand (l'abbé de), frère de l'évêque, 10, 18, 19. Pontbriand (vicomte de), 14. Ponteville, 253. Pontiac, 333, 411. Porlier (l'abbé), 150. Porlier, greffier, 86. Port-Lajoie, 352, 361, ^73,, 379, 383. Port-Royal, 305. 308, 358, 359, 362-367. Port-Toulouse, 486.

Potier (le Père), jésuite, 178, 331, 7,7,2, ^7,j. Pot-à-l'eau-de-vie, 119. Pouchot, 504, 505. Poulariez, 465. Poulin (le chanoine), 104, 107, 148, 271, 272, 277, 280,

433' 434. 512, 548. Poulin (Maurice), 160. Poutéotamis, sauvages, 1,^^. Prague, 95.

Presqu'île, le fort, 186, 394, 448. Pré.sentation (le fort de la), 71, 175, 177-180, 182, 229,

394- Pressart (l'abbé), 51, 151, 262, 433, 478, 547.

Prévost, commissaire à l'Ile-Royale, 165, 375, 379, 380, 394.

Prévôté de Québec, 2, 4, 40, 45, ^2, 55, 254, 262, 266.

Prévôté de Montréal, 78, 79, 81,^82,^85, 86.

Propagande (la), 28, 325.

Protestants, 137, 235.

Proult (l'abbé), 150.

Prudhomme (le juge), 341, 343.

Prusse, 447.

INDEX 589

O

Québec (ville et district). 2, 3, 6-8, 12, 18, 23-25, 2^, 31, 36, 49, 56, 57, 69, 76, 90, 98, 99, 109, iio, 115, 118, 119, 123, 134, 135, il,/, 141, 142, 148, 150. 151, i6i- 164, 171, 177, 188, 189, 196, 218, 230, 2i,y, 242, 250, 261, 263, 293, 331, 332, 337, 338, 347, 353, 354, 373,

375. 393' 396, 418, 423- 433. 449, 471, 472, 475-478. 481, 484-488, 492, 499. 502-507, 510. 512, 513, 516-

520, 522, 523, 5-27-535' 539. 540, 54-'. - Québec, la cathédrale, 53, 92-94. 98. 100, loi, 103. 105, 107, 109. 163. 172-174, 262, 266, 276, 278, 279, 284, 288,

295- 461, 527-

Québec, cure et paroisse, 2, 3, 51, 52, 54-58, 69, 92, 94, 100. 102, 134, 136-138. 149. 162. 174, 226, 258-263, 265, 266, 270, 273, 279, 280, 282, 283, 288-290, 292, 296,

302, 303, 373, 454.

Québec, la Fabrique. 53, 93, 102, 302, 303.

Québec, la Basse-Ville. 148, 226. 275. 478, 502, 527. ^28.

Quimper. 349.

Quinzechiens, 433.

R

Raimbault (le Juge), 82.

Ramesay (AI. de), 119, 120, 522, ^1,^.

Rambervilliers (le Père de), capucin, 313, 319.

Raphaël (le Père), capucin, 310.

Rauquemont (le Père de), capucin. 319.

Raymond (le Comte de), gouverneur de Louisbourg. 299,

^ 375. 37^> 379. 3^2' , Raymond, jeune Français, 54,

Récher (le curé), 142, 148, 203, 257, 261-270. 2y^, 2'j'j, 279, 282, 284, 289, 293, 373, 454, 478, 505, 512-514, 520, 527-529, 531. 548, 551- Récollets, 66, 79, 92, loi, 105, 106, 125, 156, 174, 183,

306, 307, 330, 333-335, 345. 361, 375-379, 381-38:^,

429, 472, 473, 502, 528, 529, 542. Régale (la), 35. Régent de France (le), 194, 197.

590 INDEX

Remparts (rue des), 503.

Rennes, 14, 18.

Repentigny (de), officier canadien, 119, 338, 514, 515.

Resche (le chanoine;, 2, 3, 106, 271, 272, 512, 520, 522,

528, 548, 554. Richard (Edouard), archiviste, 9, 18, 171, 213. Richardie (le Père de la), jésuite, 234, 235, 331, 332. Richarville, officier canadien, 317, 470. Richelieu (le Cardinal), 439. Richelieu, la rivière, 5, 504, 505. Richer (le Père), jésuite, 337.

Rigaud de Vaudreuil, 191, 337, 401, 456, 457, 460, 465, 467. Rigauville (le Chanoine), 271, 272, 512, 541, 548. Rimouski, 5, 432.

Rivière-aux-Bœufs (le fort de la), 186, 394. Rivière-aux-Canards, 359, 366. Rivière-à-la-Chute, 488, 489. Rivière-du-Loup (en haut), 156. 432. Rivière-du-Loup (en bas), 433, 507. Rivière-du-Nord-Est, 361, 374. Rivière-Ouelle, 431, 486. Rivière-des-Prairies, 156, 432. Rivière-Rouge, 345.

Rivière-Saint-Jean, 347, 348, 350-352, 355, 381. Rivière-Saint-Joseph, 328, 338, 339.

Robidoux, 79, 8t, 82, 84, 85. '

Robineau cle Portneuf (le curé), 510-512. Rochelle (La), 14, 57, 212, 311, 421, 531. Rochemonteix (le Père de), 234, 318, 323, 331, 339, 340. Rocheuses (Montagnes-), 328. Rogers (Robert), 470. Rome, 10, II, 130, 133, 134, 158, 280, 285, 286, 320, 387,

508, 548, 553, 554. Rosaire (saint), 158. Rouen, 262-264, 266, 419, 420. Rouillard (le curé), 158, 241. Rouillé, le ministre, 165, 166, 180, 181, 230, 233, 263, 314^

377. 380, 392, 394. Rouillé, le fort, 394. Roussel, ancien marguillier, 104.

INDEX 591

Rousselot, notaire, 247.

Rousseau (l'abbé), 473.

Rouville (Hertel de), 191.

Roy (J.-Edmond), 498, 507, 510, 514, 519, 522, 537.

Rubis (le), navire, 14.

Russie, 447.

Sacré-Cœur (la Confrérie du), 426.

Saguenay, 345-347-

Saint-Ange (M. de), 191, 317, 325.

Sainte- Anne de Beaupré, 512.

Sainte-Anne du Bout de l'Ile, 161, 432.

Sainte-Anne de la Pérade, 74, 155, 157, 158, 238, 240, 241.

Sainte-Anne de la Pocatière, 225, 248, 432.

Saint- Augustin, seigneurie et paroisse, 62, 155, 240, 241^

433- Saint- Augustin (les Chanoines Réguliers de), 66. Saint-Briac, 20. Saint-Brieuc, 13. Saint-Charles (la rivière), 505. Saint-Charles (Rivière Boyer), 157, 225, 432. Saint-Claude de la Croix (la Mère), 476. Sainte-Croix, 242, 432. Saint-Denis de Richelieu, 251, 431. Saint-Domingue, 213. Saint-Esprit (les Pères du), 381. Saint-Esprit (les Filles du), 13. Sainte-Famille de Québec, 262, 264-269. Sainte-Famille (la rue), 2, 42.

Sainte-Famille, I. O., 71, 432. »

Saint-Féréol, 432.

Sainte-Foy, 155, 157, 432, 539-541. Saint-François de Beauce, 228. Saint-François, Rivière du Sud, 225, 242, 431. Saint-François de la Petite-Rivière, 286, 432. Saint-François, I. O., 354, 356, 432. Saint-Frédéric, le fort, 22y, 412-414, 466, 504, 505. Sainte-Geneviève, le coteau, 539. Sainte-Geneviève, la paroisse, 161, 432.

592 INDEX

Sainte-Geneviève, le fort, 324.

Sainte-Hélè4îe (la Mère du Muy de), 55, 172, 175, 182-185.

Sainte-Hélène (la Mère Duplesssis de), 61, 64, 91, 99, 135,

203, 475, 476. Sainte-Hélène (l'île), 70. Saint-Henri, 510, 511. Saint-Tgan, 228.

Saint-Joachim, 164, 432, 475, 510, 511. Saint- Joseph de Beauce, 228. Saint-Laurent de Montréal, 156, 161, 432. Saint-Laurent, L O., 509. Saint-Laurent, le ileuve et le golfe, 15, 95, 98, 99, 177, 384,

401, 410, 487, 306. Saint-Lunaire, 20. Saint-AJalo, 10, 17, 20-22, 34, 367. Sainte-Marie de Beauce, 228, 432. Saint-Maurice. Voir Forges. Saint-Médard, 78.

Saint-Michel, la paroisse, 248, 250, 432, 433. Saint-Michel (la ferme), 427.

Saint-Ofige (le Chanoine), 271, 2']2, 426, 427, 548. Saint-Ours, officier canadien, 119. Saint-Pé (le Père de), jésuite, 30, 33, 56, 427. Saint-Pierre, 242, 431. Saint-Pierre du Nord, 361, 374. Saint-Pierre les Becquets, 238, 432. Saint-Pierre, officier canadien, 119, 415. Saint-Pol-de-Léon, 348. Saint-Roch de Québec, 199, 478. Saint-Roch des Aulnaies, 225, 242, 432. Sainte-Rose, 4, 32, 156, 510.

Saint-Sacrement (le Lac), 412, 455, 464, 470, 488. Saint-Siège. Voir Rome. Saint-Sulpice, la paroisse, 156, 162, 432. Saint-Sulpice (la Société de), 7, 11, 12, 22, 25, y 2, 124, 142.

175, 180, 185, 211, 212, 305, 331, 551, 552. Saint-Thomas de Montmagny, 71, 242, 286, 431, 517. Saint- Vallier, la paroisse, 242, 431, 433. Saint-Vallier (M^'" de), i, 36, 37, 73, 122, 132, 147, 149,

158, 159, 195, 208, 209, 212, 259, 285, 375, 376, 502,

551-

INDEX 593

Sandoské, village sauvage, 331, 332.

Sandwich, 332, 335-

Sarault (le curé), 150, 157, 245.

Saumur, 20.

Saunders, l'amiral, 505.

Saut-au-Récollet, 156, 161, 432.

Saut-Saint-Louis, 229, 230, 232-234.

Savard (François), 507.

Savoyards, 18.

Scott (le curé), 155.

Sejelle (l'abbé Martin), 3.

Semelle (l'abbé Olivier), 14.

Séminaire de Québec, 3, 5, 13, 17, 19, 23, 27, ^J, 42, 45, 47, 52, 59, 67, 74, 75, 100, III, 122, 123, 138, 139, 141- 152, 154, 157, 158, 167, 172, 190, 196, 197, 206, 227, 245, 250, 255, 256, 259-268, 270, 273-280, 282-284, 289-291, 294, 295, 302, 303, 327, 328, 355, 381, 422, 426-430, 433, 473, 475, 478, 502, 512, 513, 527-529, 542, 547, 548, 555, 557.

Séminaire de Montréal, 6, 21, 113, 114, 161, 162, 177, 179, 207, 209, 214, 220, 229, 245, 256, 483, 523, 542, 546,

.547, 550-552, 559. 561. Séminaire de Paris. Voir Missions-Etrangères. Sénat (le Père), jésuite, 318, 324. Sept-Ans (la guerre de), 367, 418, 431, 439, 447. Sept-Iles, 347. Silhouette (M. de), 196. Sioux, sauvages, 342, 343. Sorbonne (la), 17, 21, 115, 124. Souart (M.), sulpicien, 185. Souel (le Père), jésuite, 316. Soumande (l'abbé), 149, 547. Soupiran (l'abbé), 3.

Sœurs Grises. Voir Hôpital-Général de Montréal. Supérieur (le Lac), 330, 339.

Surlav.ille (M.), 119, 186, 299, 377, 402, 410, 413. Sylvain (Sullivan) (le docteur), 82, 121.

T

Taché (Jean), 522. Taché (J.-C), 346. 38

594

INDEX

Tadoussac, 128, 129, 345-347-

Talon (l'intendant), 128.

Tamarois, sauvages, 31, 310, 314, 323, 325, 326, 328.

Tanguay (M^\), 5, 66, 71, 129, 155, 228, 242, 243, 255, 286,

328, 346, 509. Tartares, 342.

Tartarin (le Père), jésuite, 324. Taschereau, le conseiller, 15, 48. Taschereau (le Cardinal), 19, 22, 254, 274-276, 298, 475,

512, 542, 547, 555. Tassé, auteur canadien, 338. Taylor, 517, 542. Te Deiim, 32, 60, 97, 98, 162, 459, 463, 464, 466, 469, 477,

488. Témiscamingue, 9. Terrebonne, 156, 432, 433. Terreneuve, 179, 406. Têtu (M^O, 28.

Thaumur de la Source (l'abbé), 31. Thérèse (sainte), 20. Thibout (le curé), 260. Thureau-Dangin, 98.

Tiberge (M.), 558.

Tonnancour (le Chanoine de), 4, i04. lo?» 271, 272, 279,

280, 284, 293, 461, 473. 549- Tonnancour (la famille Godefroi de), 184, 191, 193.

Tonti, 317.

Toumay, 97.

Tourneur (le), navire, 119.

Tournois (le Père), jésuite, 229-231, 233-235, 331.

Traités, d'Utrecht, 186, 357-360, 369; de Pans, 323,

555, 556; Aix-la-Chapelle, 98, 155, 162, 165. Tréguier, 348.

Tremblay (M.), 18, 37, 387- Trente (le Concile de), 288. Trépesec (M. de), officier français, 489. Trois-Rivières, 98, iio, 115, 156, 159, 160, 162, 173, 183,

184, 188, 189, 191, 206, 212, 293, 323, 432, 433, 448,

456, 461, 502, 523, 525, 554- Turcq.(le Frère), 212, 222.

INDEX 595

u

Ursulines de Québec, 29, 31-33, 35, 54, 58-61, 64, 67, 107, 108, 124, 138, 148, 188, 192, 199, 201, 203, 206, 208, 275, 429, 470, 473, 502, 512, 520, 528, 532, 542, 554,

Ursulines des Trois-Rivières, 68, 156, 173, 183, 184, 187, 192, 193, 196-198, 293.

Ursulines de la Nouvelle-Orléans, 196, 238, 310, 313-315, 321.

Université de Paris, 124.

Utrecht. Voir Traités.

V :

Vachon (le curé), 158, 159.

Vaillancourt, marguillier, 241.

Valens, 150.

Valin (le Père), récollet, 429.

Vallier (M.), 13, M, 23, 12, 59, 60, 122, 123, 125, 134, 136,

139, I4I-I43' 146, i50> 195. '^77^ 287. Vallières (de), sulpicien, 161, 539. Vannes, 19, 348.

Varennes (de), officier canadien, 82, 121, 122. Varennes, la paroisse, 206, 432, 433.

Varin (M.), 15. 4^, I79, 394-

Varlet, le janséniste, 147.

Varlet, avocat, 300.

Vatrin (le Père), jésuite, 324, 325.

Vaudreuil (M. de), gouverneur du Canada, 7, 118, 122, 187, 201, 314, 315, 319, 397-406, 412, 416, 417, 437, 438, 440-446, 448, 450-452, 454-456. 461, 465, 467» 470, 472, 482, 485, 488, 490, 494-496, 504, 505» 508, 517-520, 523, 526, 527, 538, 539, 542-544.

Vauquehn, 394, 395.

Vérendrye (M. de la), 328, 340-343, 345-

Verger (le), résidence du Comte de Nevet, 190.

Vergor, 365, 393, 518.

Verrault, 150.

Versailles, 11, 37, 95, 112, 123, 219, 353, 395, 444.

Vienne, 95.

Viger (Jacques), 52, 79, 207, 215, 238, 314, 434, 512, 513.

596 INDEX

Villars (M. de), 124, 148, 250, 261, 274, 275, 422, 423, 427,

478. Ville-Angevin (M. de la), 13, 22, 24, 25, 33, 59, 60, 104-

107, 139, 164, 167, 189, 213, 237, 241, 271, 278-280,

286-289, 293, 350, 427. Villiers (Coulon de), 119, 120, 324, 407. Villejoint (M. de), 374. Villeneuve (le Père Giraut de), jésuite, 142. Villeray (Rouer de), 365. Vincelotle, seigiîeur, 247, 248. Vincennes (le chêne de), 128. Vincennes (de), officier canadien, 317, 325. Vintimille (M^' de), 11. Virginie (la), 369, 406-409, 455. Virot (le Père), jésuite, 505. Visitandines de Rennes, 18, 172, 177, 202, 286, 312, 485,

491' 544' 550, 553- . Vitry (le Père de), jésuite, 313, 321. Vivier (le Père), jésuite, 325, 326. Vizien (l'abbé), 348-351. 5i3- Voisin, officier canadien, 317, 318. Voltaire, 453. Voyer (le curé), 74, 86, 158.

W

Washington, 369, 407, 410, 412, 449.

Webb (le colonel), 467.

Wisconsin (le), 310, 338.

,Wolfe, 486, 487, 497, 504-506, 510, 515-518, 520.

Y

Yamachiche, 432.

Yaniaska, 432.

Yasous, sauvages, 316.

Youville (Mme d'), 68, 71, 161, 172, 205-207, 214-222,

224, 309. Youville (Tabbé Dufrost), 71, 150, 206, 509, 510.

7

Zcphir (le), navire, 164

TABLE DES MATIERES

PAGES

Lettre de S. E. le Card. Merry del Val à l'auteur vu

Avant - propos ix

Chapitre L Coup d'œil sur l'Eglise du Canada en 1741. M^"" de Pontbriand, sixième évêque de Québec i

L'Eglise de Québec pendant la vacance du Siège. Le curé Plante et ses vicaires " en titre. " Le Clergé du Canada. La population ; son homogénéité. Etendue de la juridiction de l'Evéque de Québec. La Belle-Rivière. Nomination de Mgr de Pontbriand. Ce qu'en écrit M. de l'Orme. Son arrivée à Québec.

Chapitre II. jVP'' de Pontbriand: esquisse biogra- phique ; sa famille 17

Mgr de Pontbriand, l'hôte du Séminaire de Québec. La famille de Mgr de Pontbriand. On n'a pas son acte de baptême. Le comte de la Garaie. Mgr de Pontbriand au Collège de La Flèche. A Paris, chez les Sulpiciens. Grand vicaire de Saint-Malo.

Chapitre, III. Débuts de l'administration de M^"" de

Pontbriand. Son mandement d'entrée 24

Mgr de Pontbriand prend possession de son Siège. Nominations de Chanoines. L'amovibilité des cures. L' Evoque, content de son Chapitr-i. Bonne entente dans le Clergé. Mgr de Pontbriand et les communautés religieuses. Mandement d'entrée. Bonne impression produite par le Prélat.

Chapitre IV. Le Palais épiscopal de Québec, res- tauré aux frais de l'Etat 36

Triste état du Palais épiscopal de Québec. A qui appartient-il? Le Roi se charge de le faire réparer. Il en fait don aux Evêques

598 tablb: des matières

PAGKS

de Québec. Lettre de l'ingénieur M. de Léry. Lettre de Mgr de Pontbriand.

Chapitre V. Encore le Palais épiscopal. Misère

dans la colonie '. 44

Rapport du juge André de Leigne sur les travaux de l'évêché. L'Evêque fait compléter ces travaux. Etat misérable de la colo- nie. — Règlements fixant le prix du blé et du pain. Mgr de Pontbriand au Conseil Supérieur, Son plan par rapport aux mendiants.

Chapitre VI. Visite pastorale de la paroisse de

Québec 51

Le curé Plante, Mandement pour la visite. Lettre au Chapitre. La population de Québec. Quelques mauvais sujets. On les fait repasser en France. Il faut reconstruire la cathédrale.

Chapitre VII. Visite canonique des trois commu- nautés religieuses de Québec 58

Visite canonique des Ursulines. Retraite de la communauté. Deuxième visite. Visite canonique de l'Hôtel-Dieu. Les Sœurs Duplessis. Mariage de leur frère par TEvêque. Visite cano- nique de l'Hôpital-Général. Mort, à Québec, d'un ex-récollet. Au sujet de l'exemption des communautés de payer la dîme.

Chapitre Ylll. Visite pastorale du diocèse 69

Mandement pour la visite des paroisses. Quelques détails sur cette visite. Zèle de l'Evéque en visite pastorale. Encore le curé Voyer. Soin de l'Evéque à former des paroisses et à leur pro- curer de bons missionnaires.

Chapitre IX. L'épisode du Crucifix outragé 78

La superstition, en France. Episode du Crucifix outragé, à Montréal. L'enquête. Le jugement de la Prévôté. Arrêt du Conseil Supérieur. Mandement de Mgr de Pontbriand. Le Crucifix outragé, confié aux Sœurs de l'Hôtel-Dieu de Québec.

Chapitre X. Mauvaises années, au Canada. Re- construction de la Cathédrale. Patriotisme de

TABLE DES MATIERES 599

PAGPS

l'Evéque 88

Mauvaises récoltes. Prières publiques. Fléau des chenilles. Eloge des Canadiens. Reconstruction de la Cathédrale; la Cour refuse d'y contribuer. Prise de Louisbourg (1745). Guerre de la Succession d'Autriche. Mandement patriotique de TEvêque. Paix d'Aix-la- Chapelle. Quête pour la Cathédrale ; fondation de messes. Cathédrale terminée. Exhumation des corps de Mgr de Laval et de Mgr de Lauberivière. Remerciements aux Récollets; aux Ursulines. Les Chanoines présentent à l'Evéque son portrait.

Chapitre XL M^"" de Pontbriand et les Fortifica- tions de Québec. La Traite de TEau-de-Vie. 109

Malentendus au sujet des Fortifications de Québec. Lettre de Mgr de Pontbriand ; ses propositions. Franquet et les Canadiens. Sen- timents de l'Evéque sur la Traite de l'Eau-de-Vie. Droits sur les boissons, augmentés.

Chapitre XIL M^'" de Pontbriand et les Canadiens. Ses rapports avec MM. de Beauharnais et Hocquart 118

Mgr de Pontbriand aime les Canadiens. Affaire du Grand-Pré; belle lettre de l'Evéque. IM. de Lusignan. M. de Varennes. M. de Lotbinière. L'abbé de Beaujeu. Le chanoine La Corne, con- seiller-clerc. — Service pour M. de Beauharnais, chez les Récollets. Rapports de l'Evéque avec M. de Beauharnais ; avec M. Hoc- quart.

Chapitre XIIL Suppression de plusieurs Fêtes d'obligation. Retraite à Québec. Jubilé de 1745. Mort de M. Vallier 130

Grand nombre de Fêtes d'obligation, à cette époque. Solennité de plusieurs de ces Fêtes renvoyée au dimanche. Benoit XIV et la France. Une retraite à Québec. Le Jubilé de 1745. Epidémie de fièvres. Mort de M. Vallier. Sa sépulture. Le Chapitre fait son éloge.

Chapitre XIV. M"'' de Pontbriand et le Séminaire

de Québec. M. de Lalane 141

Disette de prêtres au Séminaire; chez les Jésuites. Difficultés entre l'Evéque et M. Jacrau. L'esprit de Mgr de Laval dans la fonda-

'6oO TABLE DES MATiÈllES

PAGKS

tion du Séminaire, et dans l'union de ce Séminaire avec celui de Paris. Mgr de Pontbriand prend provisoirement la direction de son Séminaire épiscopal. M. de Lalane, envoyé à Québec par le Séminaire de Paris. La paix restaurée. On décide de re- construire la Chapelle incendiée en 1701.

Chapitre XV. Deuxième visite pastorale de J\P'' de Pontbriand. Ses rapports avec La Jonquière et Bigot 1 54

Mandement pour la deuxième visite pastorale du diocèse. L'itinéraire.

Au Cap-de-la-Madeleine. Aux Forges Saint-Maurice. A Montréal et autres paroisses de l'Ile. Réception du nouveau gouverneur à Québec. L'intendant Bigot. Caractère de La Jonquière. Son neveu, Cabanac-Taffanel, Doyen du Chapitre.

Chapitre XVI. Le Jubilé de l'année sainte (1750- 52). M""" de Pontbriand au Fort de la Présen- tation 1 70

Le Jubilé de 1750, célébré au Canada en 1752. Mandement de l'Evêque.

Son zèle apostolique. Mort de M. de la Jonquière. Le Cha- pitre le traite comme un chanoine. Voyage de l'Evêque à la Pré- sentation. — L'abbé Picquet et ses Sauvages, à Paris.

Chapitre XVIL Incendie du Monastère des Ursu- lines des Trois-Rivières. La maison relevée de ses ruines par M"' de Pontbriand 182

Un crime à Montréal. Un incendie aux Trois-Rivières. Mauvais sujets au Canada. Le Baron de Longueil, administrateur de la colonie. Français et Canadiens. Mgr de Pontbriand aux Trois- Rivières. Lettre à son frère, le comte de Nevet. Dimissoire à l'abbé Crépeaux. Mgr de Pontbriand rétablit le monastère des Trois-Rivières.

Chapitre XVIII. Le duc d'Orléans et l'Eglise du Canada. Incendie de l'Hôtel-Dieu de Québec ; sa reconstruction I94

Le duc d'Orléans ; ses vertus ; ses œuvres. Fondation d'une rente en faveur de notre Eglise. Distribution de cette rente. La part du Séminaire. La part des Ursulines des Trois-Rivières. Incendie de l'Hôtel-Dieu de Québec. Généreuse disposition de l'Evêque. Reconstruction de l'Hôtel-Dieu. Belle lettre de la Mère Duplessi» de Sainte-Hélène.

TABLE DES MATIÈRES ' 6oi

PAGKS

Chapitre XIX. M""' d'Youville. Les Frères Charon. Etablissement définitif de THôpital- Général de Montréal 205

Mme d'Youville; notes biographiques. M. de Lescoat; M. Normant L'Hôpital des Frères Charon. M. Charon et Mgr de LavaL Ce qui manquait aux Frères Hospitaliers. Le Frère Turc. Les plans de Mgr de Pontbriand. L'Hôpital-Gcnéral confié provisoi- rement à Mme d'Youville Ordonnances contradictoires. L'Hô- pital-Général confié définitivement à Mme d'Youville. L'abbé dt rile-Dieu. Mgr de Pontbriand et Mme d'Youville.

Chapitre XX. L'érection des paroisses. L'affaire du P. Tournois et des Dlles Desaulniers. Le P. de la Richardie. M^' de Pontbriand et les Protestants 223

VEdit des mainmortes et les paroisses. Projets de paroisses à la Basse-Ville de Québec et au Lac Champlain. Le P. Tournois renvoyé de sa mission par M. de La Jonquière. Les Dlles Desaul- niers. — Duquesne veut faire revenir le P. Tournois; il échoue dans son dessein. Le P. de la Richardie et Beauharnais. Mgr de Pontbriand et les Protestants.

Chapitre XXL— M^'" de Pontbriand, dans ses visites pastorales. Aspect des campagnes canadiennes. Etablissement des retraites ecclésiastiques 237

Visites pastorales. Distribution de livres. Ordonnances de l'Evêque dans différentes paroisses. Procédure pour la construction des églises et des presbytères. Aspect des campagnes. Etablissement des bourgs et villages. Contre la tendance à déserter les cam- pagnes pour la ville. Sages ordonnances des intendants. Af- faire du curé Hingan, aux Grondines. Retraites annuelles des Curés. Conférences ecclésiastiques.

Chapitre XXIL Nomination de M. Récher à la Cure de Québec. Prise de possession. M^"" de Pontbriand et le Chapitre. Construction de la Chapelle du Séminaire 258

Nomination de M. Delbois à la Cure de Québec. L'esprit de Mgr de Laval, en unissant cette cure au Séminaire. Nomination de M. Récher par le Séminaire; par l'Evêque. Prise de possession.

■6o2 TABLE DES MATIÈRES

PAG^

Le Chapitre et le Curé. Le Chapitre et l'Evêque. Construction et bénédiction de la Chapelle extérieure du Séminaire.

Chapitre XXIII. Le Chapitre revendique la Cure de Québec. Procès avec le Séminaire : à Québec, d'abord ; à Paris ensuite 277

Rupture entre le Chapitre et le Séminaire. Origine du Procès. On étudie les archives. Avis de l'Evêque aux Chanoines. Son attitude par rapport au Procès. Requête du Chapitre au Conseil Supérieur. Incident La Ville-Angevin. Mgr de Pontbriand et son Théologal. Jugement de l'afïaire Récher. Rapports de l'Evêque avec son Chapitre. L'affaire du Procès, évoquée en France. Prétentions outrées du Chapitre ; sa maladresse. Com- paraison entre De l'Orme et La Corne. Les agissements de La Corne à Paris. Habileté du Séminaire des Missions-Etrangères. La Corne, plus heureux que le Chapitre.

Chapitre XXIV. Coup d'œil sur les missions loin- taines de l'Eglise de Québec: I. La Louisiane. 305

Les travaux multiples qui occupent l'Evêque à la fois. Le plus résident de tous nos évêques. Capucins et Jésuites à la Nouvelle-Orléans. Un seul grand vicaire. Les Ursulines et leur œuvre. M. de Vaudreuil, gouverneur de la Louisiane. Bienville et Périer. Massacre des Français, aux Natchcz. Le drame des Chicachas. Mgr de Pontbriand et les Capucins, Ce qu'écrit Tabbé de l'Ilc- Dieu. La Louisiane en 1763.

Chapitre XXV. Coup d'œil sur les missions loin- taines de l'Eglise de Québec : IL Les missions illinoises; Les Tamarois; Détroit; Mi- chillimakinac 324

Au fort de Chartres. Au fort Saint-Ange. Aux Tamarois: MM. Mercier, Laurent, Forget-Duverger. Au Détroit. Lamothc- Cadillac. Le P. de la Richardie. Le P. Potier. Les Récollets au Détroit. Le prétendu voyage de Mgr de Pontbriand au Dé- troit. — A Michillimakinac. Charles Langlade. Le P. du Jaunay. Les voyages de la Vérendrye. Le premier martyr du Nord-Ouest Canadien.

Chapitre XXVI. Coup d'œil sur les missions loin- taines de l'Eglise de Québec : III. La mission

TABLE DES M^ATIERES 603

PAGBS

montagnaise du Saguenay; l'Acadie française. 345

Le P. Coquart, au Saguenay. L'église de Tadoussac. L'abbé Co- quart. M, Le Loutre et les autres missionnaires de l'Acadie fran- çaise. — Le P. Germain, à la Rivière Saint-Jean. Mgr de Pont- briand et l'abbé Le Guerne.

Chapitre XXVII. Coup d'œil sur les missions loin- taines de l'Eglise de Québec : IV. Dans l'Aca- die anglaise ; IVP'' de Pontbriand et la dispersion des Acadiens 357

Contestations sur les Limites de l'Acadie. Les Acadiens sous le gou- vernement anglais. Conduite des missionnaires. M. Girard. M. Daudin. M. Desenclaves, à Pomcoup. Les missionnaires, déportés les premiers. La déportation des Acadiens; mandement de Mgr de Pontbriand. La résurrection de l'Acadie.

Chapitre XXVIII Coup d'œil sur les missions loin- taines de l'Eglise de Québec : V. Les missions de l'Ile Saint-Jean et de l'Ile-Royale. M. Mail- lard et M. Le Loutre 372

Plus de missionnaires en Acadie, après 1757. La mission de l'Ile Saint- Jean. A rile-Royale. Mémoire de l'abbé de l'Ile-Dieu. Raymond et Prévost, gouverneur et commissaire-ordonnateur de rile-Royale. Un projet de Mgr de Pontbriand pour Louisbourg. Louisbourg se rend à l'Angleterre. M. Maillard, seul, reste en Acadie. Lettres de MM. Le Loutre et Maillard.

Chapitre XXIX. Triste état de la colonie cana- dienne. — Les malversations de Bigot. M. de Vaudreuil désiré comme gouverneur 391

L'abbé de l'Iîe-Dieu et l'intendant Bigot. Malversations de l'Inten- dant. — Avertissement de la Cour. Bigot passe en France. Renvoyé au Canada. Vaudreuil, désiré comme gouverneur. Les Canadiens et Duquesne. Duquesne et Vaudreuil. Mgr de Pontbriand et Vaudreuil.

Chapitre XXX. 1755 404

I<es Instructiotis données à M. de Vaudreuil. Les qualités de Bigot. Les usurpations de l'Angleterre; ce qu'en dit l'abbé de l'Ile-Dieu. Braddock, De Beaujcu, la Monongahéla. L'échec de Dieskau.

6o4 TABLE DES MATIERES

PAGKS

L'abbc de l'Ilc-Dieu et les Canadiens. M. de Vaudreuil et les Canadiens.

Chapitre XXXI. La correspondance de Tabbé de

rile-Dieu. Statistiques sur l'Eglise du Canada. 418

L'abbé de l'Ile-Dieu, d'après sa correspondance. Son esprit pratique La connaissance qu'il a de notre pays. Son grand caractèrc—Sa fidélité à son Evêque. Sujets de tristesse pour Mgr de Pontbriand.

Il est content de son clergé, Un incident au Collège des Jé- suites. — Un étudiant canadien à Paris. L'archevêque de Paris et l'Evêque de Québec. Les paroisses du diocèse. Revenu des curés.

Chapitre XXXIT. L'abbé de l'Ile-Dieu annonce à M^"" de Pontbriand le départ de M. de Montcalm pour le Canada 435

Un mot de Montcalm. Ce qu'en pense l'abbé de l'Ile-Dieu. La véri- table cause de la guerre de Sept-Ans. Vaudreuil et MontcalnL

Lettre de Vaudreuil à la Cour. Montcalm et Mgr de Pont- briand.

Chapitre XXXIII. La guerre de Sept-Ans, au Canada (1756) ; I. Mandements de M^" de Pontbriand. Oswégo 447

La guerre de Sept-Ans, en Europe; au Canada. Levée des milices canadiennes ; mandement de Mgr de Pontbriand. Arrivée des troupes françaises. Mandement de l'Evêque, résumant les événe- ments militaires au commencement de 1756. Mandement pour la prise d'Osvvégo. Drapeaux présentés au Chapitre pour la Ca- thédrale.

Chapitre XXXIV. La guerre de Sept-Ans, au Canada (1757). IL Mandements de M^"" de Pontbriand (suite). Prise du Fort George.. 462

Expédition française à Minorque. Prise de Mahon. Te Deum, Lettre de Louis XV à l'évcque de Québec. Expédition de M, Rigaud. Te Deum. Prise du Fort George par Montcalm, -;- Te Deum. Massacre des Anglais par les Sauvages. Expédi- tion de M. de Belestre: de La Durantaie. Epidémie de fièvres à. Québec. Héroïsme de l'Evêque et de son clergé. La Retraite ecclésiastique.

TABJLK DES MATIÈKKS 605

PAGB

Chapitre XXXV. La guerre de Sept- Ans, au Ca- nada (1758) : IL Mandements de M'" de Pont- briand {suite). Carillon 480

Les Anglais, décidés à s'emparer du Canada. Mandement de Mgr de Pontbriand. Détresse et misère, au Canada. La culture des patates. Siège et prise de Louishourg. Victoire de Carillon. Mandement de lEvêque: Te Deiiin. Lettre touchante de Mgr de Pontbriand à ses sœurs les Visitandines.

Chapitre XXXV L La guerre de Sept- Ans, au Canada (1759) : IV. Mandements de M^*" de Pontbriand {suite). Bataille des Plaines d'Abraham. Capitulation de Québec 494

Bigot fait l'éloge de Montcalm ; de Vaudreuil. Promotion de Mont- calm. Bigot, censuré à la Cour. Désordres à Québec. Pre- mier mandement de l'Evêque. Prières publiques. Deuxième mandement. Dépit de Montcalm. Les Anglais envahissent le Canada. Circulaire de l'Evêque à son clergé. Dévastation du pays. Le curé Martel. A Beaumont. A Lévis. Le curé Youville-Dufrost. Le curé Robineau de Portneuf, à Saint- Joachim. Siège et bombardement de Québec. Mgr de p£>nt- briand à Charlesbourg. Le " coup des écoliers ". Victoire de Montmorency. Affaire Langlade. Bataille des Plaines d'Abra- ham. — Capitulation de Québec

Chapitre XXXVII. Les derniers jours de la Nouvelle-France (1760). Les derniers man- dements de M"'" de Pontbriand. Bataille de Sainte-Foy. Capitulation de Montréal 522

Mgr de Pontbriand, à Montréal, chez les Sulpiciens. Premier mande- ment. — Désordres; la passion de l'ivresse. L'Evêque et M. de Vaudreuil. Description de la misère du Canada. L'Evêque correspond avec Québec. Ses rapports avec Murray. Deuxième mandement Troisième mandement Eloge de Lévis. Ba- taille de Sainte-Foy. Retour de Lévis à Montréal. Capitulation de cette ville.

Chapitre XXXXVIIL Le derniers jour sde M^"

de Pontbriand. Sa mort. Sa sépulture. . . . 544

Maladie de Mgr de Pontbriand. Il se fait soigner par l'Hôtel-Dieu. A Saint- Sulpice. Ecoliers et ecclésiastiques de Québec, à Mont-

6o6 TABLE DES MATIÈRES

PAGIÏS

réal. Lettre des directeurs du Séminaire de Paris à ceux de Québec Lettre de l'Evêque à ses Chanoines. Son testament. » Ses dernières paroles. Sa mort et sa sépulture. Lettre de Montgolfier à sa famille. La chambre de l'Evêque.

Chapitre XXXIX. Epilogue 553

La vacance du Siège. Union dans le Clergé. Grands vicaires nom- més par le Chapitre. M. Montgolfier, d'abord, puis M. Briand, nommés pour l'épiscopat. Les Canadiens espèrent toujours que le Canada retournera à la France. Le Traité de 1763. Mgr Briand, '* second fondateur de l'Eglise du Canada ".

Appendice 557

Index 5^5

Fini d'imprimer

U dix -neuf mars

mil neuf cent quatorze

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Gosselin. Auguste Honore L'Eglise du Canada depuis Monseigneur de Laval Jusque la conquet AKF-3176 (sk)

G. H. NEWLANDS

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