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L'ÉGLISE ET SON ŒUVRE

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LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE

PREMIERE SERIE

L'auteur et V éditeur réservent tous droits de reproduction et de traduction.

Cet ouvrage a été déposé, conformément aux lois, en juillet 1906.

MGR GIBIER

ÉVÊQUE DE VERSAILLES

CONFÉRENCES AUX HOMMES

L'ÉGLISE ET SON ŒUVRE

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TOME TROISIÈME

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE

PREMIÈRE SÉRIE

PARIS P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR

IO, RUE CASSETTE, 10

AVANT-PROPOS

Le volume que nous offrons aujourd'hui au public est le troi- sième de la série qui a pour titre général l'Église et son Œuvre. Après avoir décrit successivement la Constitution intime de l'Église et ses perpétuels Combats, nous exposons dans le présent volume et dans celui qui suivra prochainement ses incomparables Bien- faits.

Des Bienfaits, voilà la réponse de l'Église à toutes les injures, à toutes les calomnies, à toutes les injustices, à toutes les attaques de ses ennemis, et voilà le secret aussi de sa survivance à travers le temps et de son expansion à travers l'espace. Faire du bien c'est son arme et c'est son sceptre, arme toujours victorieuse, sceptre qui finit par incliner les volontés reconnaissantes sous sa douce autorité. L'heure est-elle de rappeler les Bienfaits de l'Église? Qui pourrait les nier? Les impies affectent de les ignorer et les dissimulent habilement, les catholiques souvent les ignokent ou ne les connaissent qu'imparfaitement, presque tous les mécon- naissent; de des haines, des lâchetés, des froideurs pour celle' qui mérite la reconnaissance des individus et des sociétés.

Composées et prêchées en 1894, alors que nous avions la charge d'évangéliser l'importante paroisse de Saint-Paterne à Orléans, ces conférences n'ont rien perdu de leur actualité et de leur opportunité. En les relisant ces mois derniers, au cours de nos laborieuses tournées pastorales, nous n'avons pas jugé qu'il y eût utilité à les modifier; aussi bien pas plus ici que là-bas nous n'avons le loisir ou la volonté de faire œuvre de littérateur ou d'érudit, mais uniquement d'apôtre, d'apôtre qui dit ce qu'il sait vrai, qui le dit avec tout son coeur, qui le dit dans la forme la plus propre à convaincre ses frères.

A la place élevée il a plu à la divine Providence de nous mettre nous ne demandons qu'un seul concours, celui de porter plus loin notre parole, de lui donner plus d'autorité et, du même coup, de dissiper plus de préjugés, d'affermir plus de convictions, de gagner plus d'âmes à Jésus-Christ. Puissent ces conférences apprendre aux ennemis de l'Église que leur haine encore 'qu'in- justifiée est criminelle, aux indifférents que leur apathie est une ingratitude, aux catholiques que leur cause est celle de la civilisa- tion et du bien sous toutes ses formes ; puissent ces conférences faire œuvre de lumière en ces temps de ténèbres 1

Versailles, en la fête de la Pentecôte, 3 juin 1906.

f CHABLES, Évéque de Versailles.

I

DANS L'ORDRE INTELLECTUEL

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. i £

^

PREMIÈRE CONFÉRENCE

Les Bienfaits de l'Église

Messieurs,

Nous avons étudié pendant une année les com- bats de l'Eglise. Depuis dix-neuf siècles l'Église est dans la lutte. Tour à tour ou simultanément toutes les puissances de la terre se sont liguées contre elle. Elle a vécu quand même. C'est déjà prodigieux, et un tel spectacle méritait bien de retenir notre attention pendant une année entière. Mais j'ai maintenant à vous offrir un spectacle encore plus beau et plus attachant. Comme son divin Fondateur, l'Eglise a passé ici-bas en faisant le bien : pertransiit benefaciendo. Elle mérite, à cause de ses. bienfaits, d'être aimée de tous. Pourquoi, malgré ses bienfaits, est-elle détestée de beaucoup? Je m'arrête aujourd'hui devant cette affirmation et devant cette interrogation.

I. L'Église, à cause de ses bienfaits, mérite d'être aimée de tous.

Les bienfaits de l'Eglise!... Quel sujet instructif

4 CONFÉRENCES AUX HOMMES

et réconfortant ! Quelle étude éminemment utile et opportune ! En effet que ne dit-on pas contre l'Eglise? On la charge d'accusations odieuses, on la dépeint comme une société qui ne vit que par la cruauté et l'oppression. On énumère tous les crimes com- mis en son nom, sous le manteau de la religion ; on fait défiler, en une procession lugubre, tous les crimes vrais ou faux qu'on lui attribue et dont on la rend injustement responsable et l'on dit : Voilà ce qu'a fait l'Église ! Sur la foi de pareils témoi- gnages, beaucoup d'hommes égarés haïssent du fond de l'âme cette cruelle société qui s'appelle l'Eglise. Ils ne peuvent pas la regarder sans un mouvement de rage. Ils voudraient l'anéantir. Je le crois bien ! Elle leur apparaît laide, malfaisante, détestable. L'Eglise est une mère ; on leur a fait croire qu'elle était un monstre. Elle n'a que des bienfaits à ver- ser sur le monde, et on leur a dit qu'elle était le réceptacle de tous les vices et de tous les forfaits. Je me propose de vous montrer dans l'Eglise la grande bienfaitrice de l'humanité. Je vous ferai le commentaire par les faits de la parole du philo- sophe et publiciste Montesquieu : « Chose éton- nante! Chose admirable! La religion chrétienne, qui semble n'avoir d'objet que félicité de l'autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci. >; Je vous signalerai les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre intellectuel, dans l'ordre moral, dans l'ordre maté- riel, dans l'ordre domestiaue, dans l'ordre social.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 5

dans l'ordre religieux et surnaturel, et je vous dirai : Aimez l'Église !

Aimez l'Église, parce qu'elle est la mère et la gardienne du progrès intellectuel. Elle a jeté dans le monde des idées nouvelles, et elle a assaini, rectifié les idées de la philosophie antique. Elle a^ cultivé les lettres, les sciences et les arts. Elle leur a donné un essor, une splendeur incomparable. Véritable institutrice des peuples, elle a vulgarisé la lumière, et ceux qui l'accusent d'aimer les té- nèbres et de favoriser l'ignorance ou ne savent pas ce qu'ils disent ou disent ce qu'ils ne croient pas; ou ils se trompent et je les plains, ou ils mentent et je les condamne.

Aimez l'Église parce qu'elle est la mère et la gardienne du progrès moral. Par la lumière qu'elle répand dans les esprits, parles consolations qu'elle otïre aux cœurs, par le secours qu'elle prête à la volonté, par la force de résistance qu'elle oppose aux passions, parla multiplicité des vertus qu'elle fait éclore, elle est la grande vitalité du monde. Les insensés qui veulent la supprimer n'ont rien pour la remplacer, rien sinon des phrases et des ruines L'Église entretient ici-bas un grand foyer qui chauffe les âmes : l'Évangile. Étouffez ce foyer, et le monde est glacé dans l'égoïsme.

6 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Aimez l'Eglise parce qu'elle est la mère et la gardienne du progrès matériel. Vous avez entendu dire ou vous avez lu que l'Eglise était l'ennemie déclarée des inventions modernes, de la science appliquée à l'agriculture, à l'industrie et au com- merce. Rien n'est plus injuste, rien n'est plus sot que cette imputation. Et je me fais fort de vous prouver que l'Eglise, bien loin de maudire le pro- grès matériel, le bénit, l'encourage et le préserve des excès et des déviations.

Aimez l'Eglise parce que, dans F ordre domes- tique, elle a réalisé des innovations et des prodiges que personne avant elle n'avait même soupçonnés. Elle a réhabilité l'union conjugale, en la replaçant sur ses bases primitives de l'unité et de l'indisso- lubilité. Elle a réhabilité l'autorité paternelle, en la consacrant et en la réglant. Elle a réhabilité la femme, l'épouse, la mère, en lui rendant au foyer la place honorable qu'elle avait perdue depuis qua- rante siècles. Elle a réhabilité l'enfant, en lui met- tant au front une couronne d'innocence et comme un reflet de la divinité.

Aimez l'Eglise parce que, dans l'ordre social, elle a opéré des changements et accompli des progrès qui devraient soulever notre admiration et provo- quer notre éternelle reconnaissance. Elle a affran- chi les esclaves. Elle a ennobli le travail manuel. Elle

LES BIENFAITS DE L'EGLISE 7

a modéré le pouvoir. Elle a relevé l'obéissance. Elle a créé la liberté vraie, l'égalité légitime, la frater- nité sérieuse. Elle a exalté et glorifié les pauvres, les petits, les faibles; elle leur a bâti des palais, et elle a mis à leurs pieds des rois et des reines, des légions d'anges terrestres pour les honorer, les aimer et les servir.

Aimez l'Eglise parce que, dans tordre religieux et surnaturel, elle a fait des merveilles dont elle a le monopole, et qui sont à son front la marque écla- tante de sa divine origine.

Elle a créé la virginité. L'Empire romain avait de la peine à trouver une douzaine de vestales. L'Eglise en a trouvé des milliers. Elle en a peuplé les solitudes. Elle en a jeté sur tous les chemins du monde, comme Dieu a jeté~ les étoiles sur tous les chemins du firmament.

Elle a créé la pauvreté volontaire. La soif de l'or dévore l'humanité. L'Eglise a offert au monde le spectacle étrange d'hommes et de femmes qui font vœu de mettre l'or et l'argent sous leurs pieds et de vivre de rien.

Elle a créé l'obéissance. Sous tous lescieux, depuis dix-neuf siècles, on a vu des milliers d'âmes libre- ment soumises à la volonté d'un supérieur et abdi- quant héroïquement leur propre personnalité.

Enfin elle a enfanté des miracles qui étincellent à toutes les pages de son histoire, et elle a produit des

8 CONFÉRENCES AUX HOMMES

millions de saints qui ont embaumé la terre du parfum de leurs vertus surhumaines.

Voilà, Messieurs, ce que je vais essayer de vous raconter. Le sujet est vaste. Mais comme il est beau ! comme il est digne de vous être présenté et capable de vous captiver et de vous faire du bien ! Puissé-je par ma bonne volonté suppléer à mon in- suffisance ! Et vous, Messieurs, aidez-moi de votre attention, de votre bienveillance, de votre assiduité croissante ! Les bienfaits de l'Eglise sont admirables et sans nombre. L'Eglise, à cause de ses bienfaits, mérite d'être aimée de tous. Mais ici une question se pose qui réclame une solution immédiate.

II. Pourquoi l'Église malgré sesbienfaits est-elle détestée de beaucoup? «

Si l'Eglise est la grande bienfaitrice de l'huma- nité, pourquoi rencontre-t-elle tant et de si formi- dables ennemis? Car, ce n'est pas niable, l'Eglise sème des bienfaits, et très souvent elle ne recueille que des ingratitudes. Pourquoi? Ne vous scanda- lisez pas, Messieurs, de ce phénomène qui semble étrange, mais qui, hélas! n'est que trop naturel, vu la sottise et la méchanceté humaines.

La sottise humaine est sans limites. Elle est ca- pable de dévorer les absurdités les plus mons-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 9

trueuses. Or, bien que l'Eglise soit évidemment la plus grande bienfaitrice de l'humanité, il s'est ren- contré de tout temps des milliers d'hommes qui n'ont pas su la reconnaître, qui lui ont prêté sotte- ment des intentions qu'elle n'a pas et lui ont attri- bué des procédés qu'elle réprouve. Elle est mère ; ils Font regardée comme une marâtre et un -monstre, et partant de cette fausse opinion, de ce préjugé gros- sier, ils lui ont déclaré la guerre au lieu de lui tendre la main. Et encore, Messieurs, si l'Église ne rencon- trait sur son chemin que la sottise humaine !

Mais fréquemment la sottise se complique de méchanceté, et comment venir à bout de la méchan- ceté humaine? Les bienfaits, loin de la désarmer, ne font que l'irriter davantage. Athènes proscri- vait son plus vertueux citoyen, parce que son peuple était importuné d'entendre toujours vanter le juste Aristide. Athènes tuait la vertu même, en faisant boire la ciguë à Phocion et à Socrate. Rome accordait l'influence et les faveurs populaires aux Gracques, à Marius, à Catilina, à Clodius, à César, César le plus vicieux des Romains avant d'en être le plus grand; et Caton était réduit à se déchirer les entrailles, et Brutus tombait sur son épée en reniant la vertu. Voilà l'histoire, Messieurs. La méchanceté humaine ne peut supporter le spec- tacle de la vertu. Le mal est l'ennemi du bien. Et si maintenant vous me demandez pourquoi l'Eglise,

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malgré ses bienfaits, rencontre tant et de si ter- ribles ennemis, je vous ai répondu. L'Eglise est l'incarnation, l'apparition visible du vrai et du bien sur la terre. Elle compte autant d'ennemis qu'il y a sur la terre de gens qui détestent le vrai et le bien. Les méchants ne peuvent la tolérer, parce qu'ils sentent d'instinct qu'elle les condamne. Les méchants voudraient la supprimer, lui enlever la lumière, l'air et le soleil de la liberté, parce qu'ils sentent d'instinct qu'ils ne peuvent pas lutter avec elle sur le terrain de la conscience et de l'honneur. L'Eglise les importune, les exas- père, et leur impiété voudrait anéantir le Dieu qu'ils ont quitté. L'Eglise a des mains pour bénir et pour semer les bienfaits; or ces maternelles mains, ils voudraient les enchaîner. Ils attachent donc à la croix et sa main droite et sa main gauche ; et elle, avec ses deux mains enchaînées, faisant encore ce qu'elle peut, dit à ses ennemis : u Oh ! ôtez-moi ces entraves, laissez-moi bénir et sau- ver l'humanité! » Et ses ennemis de lui répondre : « Non! si tu étais libre, tu serais plus forte que nous ! Si tu étais libre, tu verserais tes bienfaits sur le monde, et le monde conquis, charmé, vien- drait à toi ! Non, tu ne seras pas libre! » Ne vous étonnez pas, Messieurs, que l'Eglise ait des enne- mis. C'est sa gloire et c'est son tourment, et jus- qu'à la fin des temps elle doit subir ce tourment et boire à ce calice de gloire.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE {{

Pour vous, Messieurs, en présence des bienfaits de l'Eglise, vous ne serez ni des aveugles ni des ingrats. Vous saluerez avec amour la divine bien- faitrice de l'humanité. Vous vous grouperez autour d'elle avec empressement. Vous lui ferez une cein- ture d'honneur de vos sympathies et de vos res- pects. Vous et moi, nous chanterons ensemble les bienfaits et les gloires de la sainte Eglise catho- lique, et nous serons ses enfants très fiers, très reconnaissants et inaltérablement dévoués !

Amen I

DEUXIÈME CONFÉRENCE

Les Bienfaits de l'Église dans l'ordre intellectuel

/ U ÉGLISE ET LES LETTRES l'église et la théologie

Messieurs,

Nous allons étudier ensemble les bienfaits de l'Église, et d'abord les bienfaits de l'Eglise dans Tordre intellectuel à l'égard des lettres, des sciences et des arts. Ce premier chapitre, à lui seul, exi- gerait plusieurs volumes. Je tâcherai de le con- denser en quelques conférences. Aujourd'hui, je vous montrerai l'Église jetant dans le monde des idées nouveiles, de grandes idées, comme une se- mence destinée à féconder, à peupler, à enrichir l'intelligence humaine. Quelles sont ces idées? sont-elles? Elles constituent une science dont l'an- cien monde ne connaissait pas même le nom, la science théologique. L'Eglise a créé la théologie.

L'Église a popularisé la théologie. Voyons cela.

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I. VÈglise a créé la. théologie.

Pour vous faire comprendre ce qu'est la théo- logie, je vous prie de remarquer qu'elle vaut les autres sciences et qu'elle les dépasse.

La théologie vaut les autres sciences, les sciences profanes et purement humaines. Je ne vous en donnerai que deux preuves qui sont topiques.

Savez-vous comhien il faut de temps pour faire un théologien passable? Cinq ans. Tous les jours l'Eglise prend des jeunes gens qui en valent d'autres et qui généralement même sont les premiers de leur classe, les plus forts en latin et en grec, les meilleurs par la culture littéraire. Elle les en- ferme dans ses grands séminaires, c'est-à-dire dans des maisons de silence, de prière et de travail, c'est- à-dire dans le milieu le plus favorable au dévelop- pement des facultés intellectuelles. Elle dit au jeune lévite : « Souviens-toi que les lèvres du prêtre sont les gardiennes de la science. Mais pour cela il faut étudier, il faut travailler! » Et pendant cinq ans elle les tient plongés dans les sources vives de la théologie. Pour faire un officier, un magistrat, un avocat, un professeur, un médecin, un industriel, il faut moins de temps que pour faire un théolo- gien. Avouez qu'il y a quelque chose qui en vaut la peine, une science qui vaut toutes les autres sciences.

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Ci si cinq années sont nécessaires pour faire un théologien passable, la vie tout entière suffit à peine pour faire un théologien éminent. Quels hommes que les grands théologiens! Pauvrement logés, pauvrement vêtus, pauvrement nourris, ils étudient. Ils n'ont pas peur des livres ingrats, en- combrants et volumineux qui découragent notre légèreté. Ils les entassent dans de savantes biblio- thèques, les prennent l'un après l'autre, les ouvrent, les consultent, les annotent, en épuisent les sens cachés, les frappent cent fois, mille fois, hier, au- jourd'hui et toujours du marteau de la réflexion, pour en faire jaillir des étincelles inconnues et des rayons inédits. L'impiété déclare et voudrait prouver que l'Église estime institution ténébreuse, constamment occupée à abêtir l'esprit humain. L'impiété menteuse et injuste nous calomnie, et à ses clameurs qui ne prouvent rien j'oppose des noms qui disent tout: Irénée, Justin, Tertullien, Origène, Cyprien, Ambroise, Augustin, Jérôme, Léon, Basile, Grégoire, Hilaire, Chrysostome, An- selme, Thomas, Bonaventure, Bossuet, Fénelon, Liguori, Lacordaire,Monsabré. Tous ces hommes-là sont des théologiens, et, mis dans la balance, ils égalent et surpassent souvent en puissance intel- lectuelle les auteurs profanes auxquels nous prodi- guons notre facile admiration. S'ils n'ont pas tou- jours la splendeur de la forme, ils ont au moins ce qui vaut cent fois mieux, la rectitude, la ri-

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chesse et la grandeur des idées. Lisez ces hommes et reconnaissez que la théologie est une science qui vaut les autres sciences. Ce n'est pas assez dire,

La théologie dépasse les autres sciences, les sciences profanes et purement humaines. Elle les dépasse en profondeur, en largeur et en hauteur.

Les sciences profanes vont s'alimenter à des sources que vous connaissez et qui s'appellent la raison, la nature, le genre humain. Pour devenir savant, je me consulte moi-même, j 'observe la création, et enfin j'interroge mes semblables vi- vants ou disparus. La théologie, comme les autres sciences, plonge ses racines dans la raison, dans la nature et dans le genre humain. Mais elle va plus avant; ses sources sont bien autrement profondes. Elle a pour se nourrir mieux que la parole de l'homme ; elle a la parole de Dieu contenue dans l'Écriture Sainte et dans la Tradition. Et ne crai- gnez pas que la théologie corrompe ces deux sources et en extraie des sens et des idées qui n'y sont pas. L'Eglise est là. Elle veille sur les sources de la Révélation. Elle en garantit l'authenticité, l'in- tégrité, l'inviolabilité. Le théologien peut nager dans cet océan; l'Eglise, si je puis ainsi dire, le tient par la main, lui signalant les points cardi- naux, les coins obscurs et les sentiers libres, les routes par il faut passer et les abîmes qu'il faut éviter.

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Quelle immense étendue que celle dans laquelle se meut la théologie! Elle va de Dieu à l'atome, en passant par l'ange et par l'homme, et elle étudie successivement ou simultanément le monde divin, le monde angélique, le monde humain, le monde matériel dans les rapports multiples, profonds, mystérieux qui les unissent. C'est immense! Et puis, au sein de l'œuvre de Dieu, naît, par le jeu de la liberté créée, l'œuvre de l'homme, c'est-à- dire un mélange de vérité et d'erreur, de bien et de mal qui constitue l'histoire humaine. C'est im- mense ! Et puis ce mal introduit sur la terre, Dieu seul peut le guérir, et, pour arriver à ce but, il ins- titue une série de moyens qui forme une création nouvelle au sein de la première. C'est immense! A la différence des sciences profanes qui se can- tonnent dans une spécialité et qui n'en sortent pas, la théologie, comme une mer sans rivages, par- court toutes les sphères, va d^ Dieu à l'atome, se meut du fini à l'infini.

Elle dépasse toutes les autres sciences en pro- fondeur, en largeur... et en hauteur. Elle en est la maîtresse et la reine. Elle les corrige et elle les gouverne. Elle les élève et elle les complète. Toutes ont besoin d'elle pour ne pas s'égarer. Toutes ont besoin d'elle pour arriver à la lumière totale. Philosophes, historiens, physiciens, po- litiques, économistes, littérateurs, avocats, mé- decins, savants de tout genre et de toute valeur,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 17

agitez-vous dans la sphère de vos spécialités; de- mandez aux Instituts des mentions honorables, des prix et des couronnes ; faites-vous dans l'opinion une place honorable et une réputation incontestée... Tout cela est bien, mais tout cela ne suffit pas. Si on veut être une grande intelligence, une intelli- gence complète, si on. veut marcher sûrement et aller loin et monter haut, il faut faire un peu de théologie, il faut boire au moins quelques gorgées à la coupe divine de la théologie. Ah! nos grands ancêtres le savaient bien! Ils avaient une stature intellectuelle plus imposante que la nôtre, parce qu'ils étaient plus théologiens que nous, qui ne le sommes pas du tout. Rappelez-vous Condé : « Ce n'était pas seulement la guerre qui lui donnait de l'éclat, dit Bossuet. Son grand'génie embrassait tout, l'antique comme le moderne, l'histoire, la philosophie, la théologie la plus sublime... » Bossuet en savait quelque chose ; car soutenant à vingt ans sa thèse de théologie au collège de Navarre, Condé, à qui il l'avait dédiée, entre tout à coup dans la salle. Bos- suet, sans se troubler, salue et félicite le vainqueur de Rocroi. Et le grand Condé, à ce qu'il a dit lui- même plusieurs fois, fut tenté d'attaquer Bossuet et de lui disputer les lauriers même de la théo- logie. Vous le voyez. Le vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nordlingue, de Dunkerque était un théologien. Il n'en valait que mieux... Honneur à la théologie, Messieurs, et honneur à l'Église qui a

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\S CONFÉRENCES AUX HOMMES

créé la science théologique! L'Eglise a fait quelque chose de plus merveilleux encore.

II. L'Église a popularisé la théologie.

Je dis que cela est merveilleux. Rien de pareil ne s'est vu dans l'ancien monde, et en dehors de l'Église rien de pareil ne se vit dans le monde nou- veau. Les sages de l'antiquité avaient deux doc- trines : l'une ésotérique, intérieure, mystérieuse, l'autre exotérique, extérieure et populaire. Ils gar- daient pour eux le monopole des idées supérieures, et ils laissaient la masse se repaître de grossiers mensonges et de fables puériles. Et c'est encore la méthode de nos sages contemporains, malgré le grand bruit qu'ils font de leur apostolat auprès des classes populaires. Ils ont pour le menu peuple le dédain le plus transcendant. Il répugne à ces beaux esprits de livrer leurs élucubrations superbes aux malentendus de la foule. « L'humanité se compo- sant de quelques individus exceptionnels, disent- ils, pourvu que ce petit nombre puisse se dévelop- per librement, il s'occupera peu de savoir comment le reste proportionne Dieu à sa hauteur. » Qui donc a prononcé cette parole méprisante pour le reste de l'humanité, c'est-à-dire pour la grande masse populaire? Qui? Un homme que nos contemporains ont adoré bêtement pendant quarante ans, Renan.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 10

Renan, d'ailleurs, n'est pas plus cynique que Vol- taire, lequel écrivait à son ami Damilaville : « Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu'il soit instruit, il n'est pas digne de l'être. » Et encore : « Il est essentiel qu'il y ait des gueux ignorants. » Et encore : « Le laboureur- ne mérite pas d'être instruit, c'est bien assez pour lui de ma- nier le hoyau, le rabot et la lime. » Et encore : « Ce n'est pas le manœuvre qu'il faut instruire, mais le bon bourgeois. » Voilà, Messieurs, ce que pensent et disent les sinistres farceurs qu'on est convenu d'appeler les grands hommes. Ils ont pour le peuple un mépris souverain.

Et l'Eglise? L'Eglise, elle, ne connaît pas ces procédés prétentieux et outrageants. La science théologique, c'est-à-dire ce qu'il y a de meilleur, de plus élevé, de plus profond, l'Eglise la pro- digue à tous. Pour 40 ou 50 centimes et souvent pour rien, le peuple peut avoir en mains sa théo- logie et se faire à lui-même l'honneur et le plaisir de l'apprendre par cœur. Toutes les grandes vérités théologiques sont résumées ou exposées dans le ca- téchisme. « Il y a un petit livre, dit JoufTroy, qu'on fait apprendre aux enfants et sur lequel on les interroge à l'église. Lisez ce petit livre, vous y trouverez une solution de toutes les questions : origine du monde, origine de l'espèce, questions de races, destinée de l'homme en cette vie et en l'autre, rapports de l'homme avec Dieu, devoirs de l'homme

20 CONFÉRENCES AUX HOMMES

envers ses semblables, droits de l'homme sur la création, l'enfant chrétien n'ignore rien. Et quand il sera grand, il n'hésitera pas davantage sur le droit naturel, sur le droit politique, sur le droit des gens ; car tout cela sort, tout cela découle avec clarté et comme de soi-même du christianisme. Voilà ce que j'appelle une grande religion : je la reconnais à ce signe qu'elle ne laisse sans réponse aucune des questions qui intéressent l'humanité.» Messieurs,, ne méprisez pas le catéchisme. Le ca- téchisme est une force. Vous en doutez? Rappelez- vous l'histoire d'hier. Est-ce que nous n'avons pas vu la puissance publique se mettre en mouvement contre ce modeste livre? Est-ce que des flots de pa- roles n'ont pas coulé pour le submerger? Est-ce que des lois n'ont pas été faites pour l'empêcher d'en- trer dans les écoles et pour l'en faire sortir? Com- prenez par que le catéchisme est quelque chose de grand, quelque chose de fort, quelque chose qui compte. Puisque toutes lès hypocrisies et toutes les violences se concertent pour déchirer les pages du catéchisme, il nous est facile de conclure que le Gatéchisme mérite toute notre attention et tous nos respects. Et puis consultez vos souvenirs. Rap- pelez-vous ces simples et admirables définitions de Dieu, de la Création, de la Trinité, de l'Incarna- tion, de la Rédemption, de la prière, des sacre- ments, des fins dernières. Quel magnifique assem- blage .d'idées profondes, sous des formules claires

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 2<

et précises! La vérité religieuse, la vérité théolo- gique est opulente et totale, et elle est toute mou- lue, prête à être mangée, accessible et friable comme le pain sur nos tables, appropriée aux plus simples intelligences et digne des intelligences les plus hautes.

Saluez, Messieurs, la puissance intellectuelle de l'Église ! Elle a jeté dans le monde de grandes idées, des idées nouvelles. Et ces idées elle ne les a point données en partage seulement aux grands esprits, mais elle les a semées d'une main prodigue dans toutes les âmes, et « tel paysan, dit Lacordaire, qui coupait le bois dans la forêt de Versailles, avait sur les choses divines des illuminations aussi pro- fondes que celles de Bossuet, étonnant de son élo- quence et de sa doctrine la cour de Louis XIV ». L'Eglise a créé la théologie. Elle a fait plus et mieux : elle a popularisé la théologie, et, j'ose l'affirmer, cette œuvre de vulgarisation est un des plus beaux diamants de sa couronne royale !

Amenl

TROISIEME CONFERENCE

l'église ET LA PHILOSOPHIE

Messieurs,

L'Église est une grande puissance intellectuelle. Elle a jeté dans le monde des idées nouvelles. Elle a créé et popularisé la théologie. Mais, au-dessous de la théologie, il y a une science humaine, qui a sa source non plus dans la parole de Dieu, mais dans la raison, science orgueilleuse et cependant impuissante par elle-même à suivre son chemin et à aller jusqu'au bout de ses principes : c'est la phi- losophie. L'Eglise a rendu de grands services à la philosophie : elle en a été la gardienne et la propa- gatrice : elle Fa protégée et vulgarisée.

I. L'Église a protégé la Philosophie,

Abandonnés à eux-mêmes, les philosophes ignorent bien des choses. Ils posent plus de pro- blèmes qu'ils ne donnent de solutions. Ils sont

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 23

muets sur une masse de questions fondamentales qui importent souverainement à la moralité et à la direction de la vie. Qui a fait ce inonde? Le dogme de la création leur échappe. Pourquoi le péché? Le dogme de la faute originelle leur échappe. Quelle est la nature et la vie de Dieu? Ils ne peuvent pas pénétrer l'essence divine. Qu'y a-t-il après la vie présente? Ils prouvent tant hien que mal l'immor- talité de l'âme, mais ils ne sont pas capables de vous dire si, après cette vie, notre àme immortelle est réservée à de nouvelles épreuves, ou si son sort est fixé définitivement. Ils nous offrent des conjec- tures, et non des réponses catégoriques. Je n'en finirais pas, si je voulais énumérer toutes les igno- rances de la philosophie.

EKpuis, quand les philosophes veulent dogmati- ser, très souvent ils se trompent. Voyez les sages de l'antiquité. Ils se sont évanouis dans leurs pensées. Ils ont humilié la majesté divine en la confondant avec ce qui passe et ce qui meurt, avec la nature inerte et la vile matière ; ils ont imaginé un Dieu sans entrailles, sans providence et sans personna- lité ; ils ont noyé l'origine du monde dans une éter- nité problématique ; ils nous ont fait sortir d'un germe méprisable; ils ont fait peser sur le monde les mains brutales de la fatalité ; ils ont prêché ou le néant, ou le paradis grossier des sens, ou les transmigrations insensées de la métempsycose ; ils ont divisé la race humaine en castes ennemies

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et déclaré solennellement que les esclaves n'étaient pas des hommes. Et les philosophes contemporains? De deux choses l'une : ou bien ils ont accepté la direction de l'Église, ou bien ils Font repoussée. Disciples de l'Église, ils ont marché droit dans le chemin du vrai. Transfuges de l'Eglise, ils ont bronché, et ils n'ont pas été plus heureux que leurs grands ancêtres de l'ère païenne. Ils ont fait de grands pas, mais en dehors de la voie : magni pas- sus, sed extra viam!

Abandonnés à eux-mêmes, ne sachant plus donner de la tête, les philosophes finissent par dou- ter h peu près de tout et par écrire un peut-être sur le tombeau de la vérité. Peut-être... c'est le dernier mot de Socrate chez les Grecs et de Pline chez les Romains, et c'est aussi le dernier mot de nos modernes philosophes. Que croyez-vous? Rien, répondent-ils, et, fermant les yeux, ils s'endorment dans le scepticisme universel. 0 Église catholique, soleil de la raison humaine, lève-toi et viens dissi- per les ignorances, redresser les erreurs, fixer les hésitations des philosophes!

L'Église est la gardienne de la philosophie. Elle la protège. Elle lui donne d'abord la rectitude. Elle s'approche du philosophe et elle lui dit : « Tu veux voir clair? Sois pur. » Parole profonde, Messieurs, car trop souvent c'est le cœur qui fait mal à la tête, ce sont les passions qui obscurcissent l'intel- ligence, et, le vrai étant placé sur le même som-

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met que le bien, on ne peut atteindre le vrai que si en même temps on aspire au bien. L'Eglise s'approche du philosophe et elle lui dit : « Tu veux voir clair? Sois humble. » Parole profonde, Mes- sieurs. On raconte qu'un grand et pieux prédicateur du moyen âge rencontra un jour sur sa route un jeune homme sorti récemment des écoles, et qui, pour lui montrer sa pénétration d'esprit, se mit à disserter subtilement sur Dieu. Le vieillard l'écouta quelque temps en silence, puis plaçant la main sur son épaule : « Lève les yeux, lui dit-il, et regarde le soleil! » Le jeune homme tourna ses regards en haut, mais, aveuglé par cette lumière éblouissante, il dut courber la tête. « Insensé, lui dit le vieillard, tu ne peux regarderie soleil visible, et tu veux péné- trer Dieu qui est le soleil des âmes? » Il disait vrai. L'orgueil veut voir Dieu face à face, et son éclat l'aveugle. L'humilité s'incline devant lui et voit son sentier tout inondé par sa lumière. Enfin, l'Eglise s'approche du philosophe, et après lui avoir dit : « Sois pur, sois humble ! » elle ajoute : « Tu veux voir clair? Suis-moi. » Et, en effet, sous la direction de l'Eglise, il n'y a pas d'écart possible. L'Eglise donne la rectitude à la philosophie.

Elle lui donne la certitude sur Dieu, sur l'âme, sur la vie future, sur le péché, la douleur et la mort, sur le droit et le devoir, sur toutes les grandes questions qui intéressent la vie humaine. Presque à la veille de mourir, un philosophe rationaliste,

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Cousin, disait : « Nous autres philosophes, nous naviguons au hasard, sujets à l'égarement, exposés au naufrage. La philosophie est un voyage d'explo- ration, hardi, aventureux, à la recherche de l'in- connu, à la recherche de l'infini, mais dans lequel nous ne savons souvent prendre terre. Vous, catholiques, vous avez la boussole, la carte du pays, les étoiles, le pilote, le port. » L'Eglise donne à la philosophie la certitude et la rectitude. Elle l'em- pêche de s'égarer. Elle fixe ses hésitations.

Enfin, elle comble ses lacunes et elle lui donne la plénitude du vrai. En 1865, à la tribune du Corps législatif, M. Thiers, après avoir énuméré les ser- vices rendus à la science par l'Eglise, ajoutait mali- cieusement : « Le catholicisme n'empêche de penser que ceux qui n'étaient pas faits pour penser. » On ne saurait mieux dire. Non seulement l'Eglise n'arrête pas l'essor de la pensée humaine, mais elle provoque et exalte cet essor. Nos penseurs catho- liques sont infiniment plus nombreux que les sages de l'antiquité, et, tandis que chez ces derniers vous constatez à côté d'intuitions superbes et de magni- fiques éclairs des défaillances lamentables et de monstrueuses erreurs, vous admirez chez nos pen- seurs chrétiens une surélévation«éclatante de l'esprit humain, une envergure illimitée, une plénitude intellectuelle qui ne laisse aucun problème sans solution. Que si nos philosophes n'ont pas toujours la même splendeur littéraire que les philosophes de

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la Grèce et de Rome, cela tient à ce qu'ils ont vécu dans des siècles de décadence, et leur infériorité au point de vue de la forme ne sert qu'à mieux faire res- sortir leur supériorité sous le rapport de la doctrine.

En somme, la philosophie, depuis dix-neuf siècles, est redevable à l'Eglise de ses meilleures conquêtes. Elle vit de toutes les données fondamentales à jamais acquises à la raison publique par les enseignements si précis, si lumineux, si profonds de la Révélation. Elle est" imbibée, pénétrée, enrichie des secours inaperçus, mais immenses du christianisme, qui nous environne de toutes parts et nous illumine sans même que nous y pensions. 0 philosophes, si vous êtes plus éclairés que Socrate, Aristote et Pla- ton, n'imputez pas à votre raison une supériorité qui ne vient pas d'elle. Vos doctrines, que vous dites émaner de la nature, ne sont qu'un écho de l'Evangile, et vos écrits portent l'empreinte de la sainte Eglise catholique qui a sauvé la philosophie en lui assurant la rectitude dans la recherche du vrai, la certitude dans la découverte du vrai et la plénitude dans la possession du vrai !

Et puis voici bien autre chose : éducatrice uni- verselle, l'Eglise a porté la philosophie jusque dans les rangs de l'immense multitude.

II. L'Église a vulgarisé la Philosophie,

Si quelques sages de l'antiquité, un Aristote, un

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Platon, ont découvert et formulé certaines vérités philosophiques fondamentales, comme l'existence de Dieu, celle d'une loi morale, la spiritualité et même l'immortalité de l'âme, si ces hommes de génie sont parvenus à rassembler quelques frag- ments épars de la vérité. . . et encore au prix de quels tâtonnements, de quelles hésitations, souvent même de quelles contradictions et de quelles erreurs grossières ? vous le savez, est-ce que le peuple est capable par lui-même d'acquérir sur toutes ces questions des notions suffisamment claires, com- plètes, obligatoires? Evidemment non. Le peuple n'a pas le temps de chercher la vérité philosophique. Il gagne son pain de chaque jour à la sueur de son front; ses heures tourmentées appartiennent tout entières aux affaires de sa famille et au souci de la vie matérielle. Et quand même il aurait le temps, aurait-il la capacité d'esprit? Allez donc demander à la masse des hommes de se lancer dans les sciences spéculatives, dans les chemins ardus du travail intellectuel, dans les sublimes profondeurs de la philosophie! « Vous avez, je le veux, dit ici Lacor- daire, vous avez la vérité dans vos livres et dans vos Académies, dans l'esprit de vos professeurs décorés et dotés; mais plus bas? Qui portera la vérité plus bas? Qui la fera descendre jusqu'au peuple, enfant de Dieu comme vous, et à qui ses loisirs ne permettent de la voir que comme il voit le soleil venant à lui le matin? Qui distribuera la

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lumière de l'intelligence aux pauvres âmes des campagnes, si enclines à se courber vers la terre, comme leur corps, et les tiendra debout devant la lace auguste du vrai, du beau, du saint, de ce qui ravit l'homme et lui donne le courage de vivre? Qui ira trouver mon frère le peuple? Qui lui portera non pas un livre mort, mais la chose sans prix, une foi vivante, une âme dans une parole, Dieu sen- sible dans l'accent d'une phrase. » Qui? Messieurs. Qui? L'Église. Seule l'Église vulgarise la philoso- phie et la fait ruisseler dans l'âme du peuple, comme l'eau qui tombe du ciel inondant les mon- tagnes et les vallées.

Voyez-vous ce jeune enfant bercé dans les bras d'une pieuse et tendre mère, puis assis sur les bancs du catéchisme sous les regards et sous la parole d'un vénérable prêtre, et enfin élevé dans un collège chrétien l'on forme son esprit, son cœur et son caractère? Interrogez-le. Demandez-lui : Qui a fait le monde? va ce monde? Que doit- on croire? Que doit-on pratiquer ici-bas? A ces questions si difficiles sur lesquelles ont pâli les plus fermes génies et les intelligences les plus vastes, il répond par une parole très courte, mais très substantielle : Credo, je crois! Non pas : il est possible, non pas : peut-être, il se pourrait bien, mais : Je crois, Credo! Il est philosophe, et plus philosophe que les sages d'Athènes et de Rome; il est enseigné par Dieu lui-même ; il a des convie-

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tions solides comme le diamant. Qui fait cela? L'Eglise. Elle vulgarise la philosophie, elle la jette dans toutes les âmes, comme Dieu a jeté sur tous les chemins du firmament la poussière resplendis- sante des étoiles.

Voyez-vous cet homme du peuple, cet ouvrier, ce laboureur, ce manœuvre qui ne saisit pas le premier mot de vos sciences, qui ignore vos discussions sans fin, qui n'a point été mêlé au mouvement des opinions et des idées, qui n'a point hanté vos académies ni les livres de vos docteurs, mais qui a son bon sens natif et la lumière de la foi, qui prie et qui va à la messe chaque dimanche entendre l'humble parole de son curé? Interrogez-le sur tous les problèmes qui vous tourmentent, sur le prin- cipe, le terme et le chemin, sur l'origine, les devoirs et le but de la vie. Il vous répondra sans broncher. Il est philosophe, et plus philosophe que les sages d'Athènes et de Rome; il est enseigné par Dieu même ; il a des convictions solides comme le dia- mant. Qui fait cela? L'Église. Elle vulgarise la philosophie, elle la jette dans toutes les âmes, comme l'eau rafraîchissante et fécondante que Dieu fait couler dans toutes les plaines.

Voyez-vous cette petite ouvrière, qui gagne son pain à la pointe de son aiguille, et qui, chaque matin, prélève sur sa journée une demi-heure pour prier et pour méditer? Ah! nous autres prêtres, nous voyons des merveilles que le monde ignore ;

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)

nous entendons de pauvres petites ouvrières nous faire cette confession qui suffirait à la gloire de Pla- ton, si la postérité l'avait recueillie sur ses lèvres : « Mon Père, je m'accuse d'avoir manqué une fois cette semaine à faire ma méditation, c'est-à-dire moi qui ai chaque jour gagner mon pain au prix d'un travail sans relâche et conquérir mon honneur à la pointe de ma glorieuse aiguille, j'ai honte d'avoir passé un jour sans contempler l'Infini, sans regarder mon âme, sans penser à l'immortalité, sans m'élever par l'intelligence au-dessus de toutes les choses terrestres. » Messieurs, quelle prodigieuse école de vie intellectuelle que la religion qui en- seigne à la dernière des enfants du peuple à faire ainsi chaque jour plus de philosophie que n'en font en toute une vie bon nombre de savants ! Ainsi opère l'Eglise. Elle vulgarise la philosophie. Elle la jette dans toutes les âmes, comme ce pain quotidien que Dieu fait germer dans tous les sil- lons et abonder sur toutes les tables.

Et puis, de qui l'Eglise se sert-elle pour distribuer à tous, d'une main prodigue, la vraie, et solide, et totale philosophie? Voyez cet humble prêtre qui prêche, qui confesse, qui fait le catéchisme, qui visite ses paroissiens. C'est un philosophe, et le meilleur philosophe que je connaisse. Un jour, M. Cousin se promenait dans la cour de l'Institut avec un savant professeur de philosophie. Un jeune vicaire vint à passer, et, comme il s'éloignait, Cou»

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sin, le regardant de loin, s'arrêta et dit à son col- lègue : « Mon ami, nous avons toute la vie pro- fessé la philosophie. Nous réunissons des jeunes gens instruits, et nous tâchons, par des arguments laborieux, de leur démontrer qu'il y a une âme. Pendant ce temps que fait ce jeune prêtre et va-t-il? 11 va réconcilier les âmes de deux époux, fortifier l'âme d'un vieillard qui va mourir, com- battre le vice dans l'âme d'un méchant, la tentation dans l'âme d'une jeune fille, le désespoir dans l'âme d'un malheureux, éclairer l'âme d'un enfant. Et nous voudrions jeter ces gens-là à l'eau? Il vaudrait mieux qu'on nous y précipitât nous-mêmes avec une corde au cou. Ayons l'honnêteté de reconnaître ce qu'ils font pour les âmes, pendant que nous tâchons de reconnaître qu'il y a une âme ! »

Les philosophes livrés à eux-mêmes, Messieurs, sont stériles, méprisants. Ils réunissent quelques disciples autour de leur chaire, puis ils meurent, et le vent passe qui emporte les philosophes et leur doctrine avec la poussière de leurs os. L'Église seule reste debout, et, puissance intellectuelle de premier ordre, elle sauve la philosophie et elle la vulgarise. Elle la préserve contre tous les écarts, et elle la donne à tous les hommes. Elle est la grande bienfaitrice de l'esprit humain!

Amen l

OUATRIÈME CONFÉRENCE

l'église et l'éloquence

Messieurs,

L'Eglise a jeté dans le monde des idées nouvelles, elle a créé et popularisé la théologie. Il y a plus. Elle a sauvegardé et vulgarisé la philosophie, et sa puissance intellectuelle éclaire magistralement tout" le champ de la pensée humaine. Avançons. Quand l'homme a des idées, il sent aussitôt le besoin de les exprimer. Il parle, et la parole sortant d'une âme émue pour aller émouvoir d'autres âmes, c'est l'éloquence. L'Eglise, Messieurs, a créé une élo- quence nouvelle, une éloquence grandiose et popu- laire tout ensemble. Voyons cela.

I. L'Église a créé une éloquence nouvelle.

Les anciens n'ont connu que l'éloquence judi- ciaire et l'éloquence politique. Ils n'ont eu que la tribune et le barreau. L'Eglise a créé l'éloquence

LES EIENFAITS JJ,K-I«LGLISE. 1-3

34 CONFÉRENCES AUX HOMMES

religieuse. Elle a créé la chaire. Elle y fait monter un homme qu'elle revêt d'un prestige et d'un pou- voir absolument nouveaux.

L'Eglise donne à l'orateur sacré une autorité extraordinaire. Voyez cet homme assis ou debout dans la chaire de vérité. Il porte sur sa personne comme un' reflet de la divinité. Sa tribune est un trône suspendu entre le ciel et la terre. Il a sous les yeux le temple avec ses voûtes élevées, ses colonnes imposantes, ses arcades multipliées sous lesquelles passe et repasse depuis des siècles peut- être la multitude silencieuse ; la croix, teinte du sang de Jésus-Christ, partout présente et sous toutes les formes ; les flambeaux étincelants, étoiles de la foi et de l'espérance ; l'encens qui monte au ciel, symbole de la prière; l'autel Dieu repose, invi- sible et présent; les nombreux fidèles qui, agenouil- lés, la tête inclinée dans le recueillement intérieur, semblent déjà l'écouter avant même qu'il ait com- mencé. Et puis, préludant à sa parole et la suivant, ce sont d'harmonieux cantiques qui l'élèvent à un diapason céleste. Jeté dans un pareil milieu, l'ora- teur sacré prend comme une forme surhumaine, comme un reflet de la divinité, maj orque videri, nil mortale sona?is. Ajoutez à cela qu'il se présente avec une mission divine. Il est le mandataire de l'Eglise, et c'est tout le passé qui s'exprime par sa bouche. Campé auprès des Pyramides, Napoléon disait à ses soldats pour exalter leur courage :

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 35

« Soldats, songez que du haut de ces Pyramides quarante siècles vous contemplent ! » Le plus humble prêtre, debout dans la chaire, tenant d'une main les Saintes Ecritures et de l'autre le dé- pôt de la tradition, appelant à lui les Pères, les Apôtres, les Prophètes, les Patriarches, puis s'effa- çant lui-même derrière cette imposante assemblée, peut dire avec la plus exacte vérité : « Du haut de cette chaire soixante siècles vous enseignent ! » Il parle au nom du passé, au nom de l'Eglise, au nom même de Dieu. On reprochait à Lacordaire d'être le ministre d'un souverain étranger. «Non, répli- qua-t-il, cela n'est pas. Je suis le ministre de quel- qu'un qui n'est étranger nulle part, de Dieu. » L'orateur sacré parle au nom de Dieu. Ce n'est pas un professeur qui vous donne ses idées, un politique qui déroule ses projets, un père qui instruit sa famille. Il ne parle ni au nom de l'opinion, chose fugitive, ni au nom de la philosophie, chose dis- cutable, — ni au nom de l'affection, chose person- nelle, — ni au nom de la patrie, chose locale. Il parle au nom de Dieu. L'ordre de Dieu retentit sur ses lèvres. C'est l'Éternité qui s'exprime par sa bouche. Donc il n'a pas besoin d'inventer ce qu'il doit dire.

L'Église, qui lui confère son autorité extraordi- naire, lui offre des sujets splendides. Entendez un mot de Gounod. Cet artiste éminent, qui fut en même temps un humble chrétien, servait un jour

36 CONFÉRENCES AUX HOMMES

la messe comme un simple enfant de chœur. A ces paroles du premier psaume : Confitcbor tibi in ci- thara, Gounod tressaille, son âme s'émeut, son esprit semble échapper aux réalités du moment pour entrer dans une sorte d'extase. Le vénérable ecclésiastique qui célébrait la sainte messe com- mence à craindre quelque distraction embarras- sante. Cependant la messe continue, et à l'Evangile l'humble servant transporte le missel à l'extrémité de l'autel. Puis il fixe sur le texte son regard avide et en suit religieusement la lecture pendant que le prêtre récite à haute voix l'admirable évangile des huit béatitudes. La lecture finie, Gounod laisse échapper tout haut cette exclamation : « Ah ! que c'est beau, Monsieur l'abbé, si nous recommen- cions? » Oui, ils sont beaux les sujets traités dans la chaire par l'orateur sacré. C'est la substance même de l'Evangile. Ce sont les dogmes et les pré- ceptes qui ont jailli des lèvres mêmes du Christ. Ce sont les vérités, non seulement les plus importantes, mais encore les plus intéressantes qui se puissent imaginer, car elles ont la grandeur qui étonne, la simplicité qui attire, l'actualité qui saisit et la va- riété qui plaît. Quel qu'il soit, à cause des vérités qu'il annonce, le prêtre est forcément éloquent. « Les politiques et les choses de la terre ne lui sont point inconnues, dit Chateaubriand. Mais ces choses qui faisaient les premiers motifs de l'éloquence antique ne sont pour l'éloquence catholique que

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des raisons secondaires ; elle les voit des hauteurs elle domine, comme un aigle aperçoit du som- met de la montagne les objets abaissés de la plaine. » L'Eglise revêt l'orateur sacré d'une autorité extra- ordinaire. Elle lui met sur les lèvres les grandes choses qu'il doit dire.

Et enfin, pour lui indiquer la manière dont il doit les dire, elle lui offre des modèles incompa- rables. C'est la Bible d'abord. Ouvrez les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, et vous trouvez dans les hymnes du Psalmiste, dans les sentences des moralistes inspirés, dans les lamentations des Prophètes et surtout dans les pages des Évangé- listes et des Apôtres les sentiments et les pensées dont la parole des orateurs sacrés n'est qu'une tra- duction et un écho fidèle. Nos saints livres sont les modèles éternels de toute éloquence vraie. A tra- vers dix-neuf siècles que de beaux génies sont allés puiser là, non seulement la richesse du fond, mais encore la splendeur de la forme, et sont devenus à leur tour des types accomplis de l'éloquence catho- lique 1 Jetons un regard sur cette riche galerie.

II. L'Église a créé une éloquence grandiose.

Lorsque le jeune Lacordaire entrait au séminaire de Saint-Sulpice, Mgr de Quélen lui tendit la main et lui dit : « Soyez le bienvenu. Vous défendiez au

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barreau des causes périssables ; vous allez en dé- fendre une dont la justice est éternelle. » En effet l'éloquence catholique dépasse l'éloquence humaine de toute la hauteur qu'il y a entre le ciel et la terre. L'éloquence catholique prend sa source dans l'éter- nité. Le Christ a dit à ses apôtres : «Allez, et en- seignez toutes les nations!» Et aussitôt voilà l'univers qui, pour la première fois, entend une parole qu'il ne connaissait pas, une parole qui vient de plus haut et qui va plus loin que toute parole humaine, une parole qui dit : « Je suis la vérité! Je sors de Dieu et je m'adresse aux âmes! Le monde est à moi comme il est à Dieu! »

Les cultes anciens ne parlaient pas. A peine installée sur la terre, l'Eglise s'empare de la parole, ce glorieux outil de la pensée ; elle ouvre sa bouche harmonieuse pour ne plus jamais la fermer. Et, quand on prête l'oreille aux échos des siècles dis- parus, on croit entendre un vaste concert qui retentit à Jérusalem, à Antioche, à Corinthe, à Éphèse, à Athènes, à Alexandrie, à Rome, dans les Gaules, du Danube à l'Euphrate, de l'Europe au Nouveau Monde, partout, un vaste concert les angéliques accents de Grégoire de Nazianze défient le doux génie de Massillon, les ardeurs île saint Bernard et de saint François de Sales prolongent la voix de saint Paul et de saint Irénée, Bossuet rivalise avec Tertullien, et Lacordaire avec saint Ililaire et saint Cyprien !

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 39

L'Eglise n'a pas même attendu d'être sortie des catacombes pour déployer sur le monde les grandes ailes de l'éloquence, pour saisir la plume de Platon et la lyre d'Homère. Dioclétien n'était pas sur le trône que déjà Clément d'Alexandrie, Origène composaient leurs chefs-d'œuvre, et que l'éloquence chrétienne éclatait jeune et hardie sur les lèvres de Justin, d'Athénagore et de Tertullien.

Et quand la paix nous fut donnée, saint Jérôme, saint Augustin, saint Ambroise, Ghrysostome, Ba- sile, les Pères grecs et latins se levèrent à la fois et poussèrent à son apogée l'art de bien penser et de bien dire. Au ive siècle, l'Eglise produit d'un seul jet, presque sans préparation humaine, une pléiade de grands esprits qui s'emparent de la langue grecque et latine et lui rendent, dans une époque de décadence, tout le prestige de Dé- mosthène et de Cicéron. « Tous ces hommes, dit Villemain, sont prodigieux, ils ont l'air de fonda- teurs au milieu des ruines. »

Puis, entre saint Augustin et Bossuet, apparaît saint Bernard, l'homme du moyen âge, le maître de son siècle, le modèle du cloître, l'oracle des princes et des conciles, l'orateur des foules. Il se trouve partout et se fait entendre partout. Sa voix semble remuer le monde entier, le pauvre dans sa chaumière et le roi sur son trône, le moine obscur dans sa cellule et le Souverain Pontife sur son siège auguste. Cette grande figure de saint Bernard

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a eu le don de séduire un écrivain rationaliste, Michelet, qui a dit de lui des choses magnifiques. Je ne parle pas des grands orateurs catholiques du xvae siècle. Tout le monde les connaît et les admire. Disons seulement que, quand la chaire contemporaine n'aurait produit qu'un Lacordaire, cela suffirait à prouver que l'Eglise parle et qu'elle sait parler, et que, même au point de vue humain, elle peut rivaliser d'éloquence avec la tribune et le barreau. Il y a des hommes qui disent que l'Église déteste la lumière et étouffe le génie. Une pareille affirmation n'a pas le sens commun. L'Eglise est une puissance intellectuelle de premier ordre. Elle est la mère de la théologie. Elle est la gardienne de la philosophie. Elle est l'amie de l'éloquence. Elle a créé une éloquence nouvelle et grandiose, ce n'est pas assez dire :

III. L'Église a créé une éloquence populaire.

C'est une particularité glorieuse qui n'ap- partient qu'à elle. La tribune et le barreau ne s'adressent qu'à certaines catégories. La chaire s'adresse à tous.

Le peuple a ^besoin d'éloquence. Il a besoin des enivrements de la parole ; il a des entrailles à émouvoir, des endroits de son cœur la vérité dort, et l'éloquence doit la surprendre et l'éveil-

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1er en sursaut. Ne me dites pas que le peuple est incapable de reconnaître et de goûter les beautés de la parole, c'est faux. Il a reçu de Dieu le don d'être ému par un verbe éloquent. « Au pied de l'agora d'Athènes, dit Lacordaire, comme au pied de la tribune de Rome, le peuple écoutait la voix de ses orateurs, et ses applaudissements avec son silence témoignaient du goût qui rattache toute âme humaine au plus simple comme au plus pro- fond des arts. » Or qui parlera au peuple? l'Eglise.

L'Église abreuve le peuple d'éloquence. Elle veut que les multitudes soient évangélisées, pauperes evangelizantur, que les foules soient enseignées. Dans la semaine elle réserve un jour, le dimanche, et elle veut que ce jour-là la masse de l'humanité soit arrachée au travail matériel et appliquée à la culture de la vie intellectuelle. Rien qu'en France elle dresse plus de quarante mille chaires d'où la vérité descend sur le peuple.

Et dans ces chaires apparaît un homme, le prêtre, qui est par excellence Y orateur populaire, car : 1 ° La plupart du temps il vient du peuple ; donc il le connaît, il sait ses souffrances, ses besoins, ses aspirations, il sait à quel endroit du cœur il faut le frapper et le saisir ; Il aime son troupeau, si petit que soit ce troupeau. Il sait ce que valent les âmes, qu'il n'y a pas de petite assemblée parmi les âmes, qu'une âme est à elle seule un grand peuple. Et comme le Christ, son maître, il a une

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prédilection particulière pour les petits, pour les opprimés, pour les déshérités de la famille univer- selle ; Et non seulement il aime les hommes, mais il aime la vérité, il la possède et il a mission de la donner à tous. Le génie est nécessaire à l'éloquence humaine ; il ne l'est pas à l'éloquence divine. La foi et l'amour n'ont pas besoin de gé- nie; ils parlent et toute la terre les reconnaît. Voilà le prêtre, même dans le plus obscur village. Il n'a besoin ni d'une voix sonore, ni d'une action savante, ni d'une composition habile. Il prend dans l'Evangile et dans son cœur la vérité, et il la jette palpitante à la multitude affamée du pain de la parole, et ces simples mots : Dieu, jugement, éter- nité, jetés au hasard et sans suite sous les voûtes d'une église, retentissent profondément dans la conscience et y font naître de salutaires pensées et de grands sentiments. Le prêtre a ce privilège de captiver l'attention de la multitude, de la réunir à jour fixe autour de sa chaire, de lui tenir le langage de la raison et de la foi et d'en obtenir la convic- tion et la persuasion. Il y a des éloquences hu- maines qui réussissent à remuer violemment les masses, à les ameuter les unes contre les autres, à les passionner pour l'erreur et pour le mal. Gloire à l'éloquence divine et populaire de l'Eglise ! Elle éclaire le peuple, elle le discipline, elle lui donne la sagesse en compagnie de la science, elle lui ins- pire l'amour de l'ordre, elle en obtient des vertus.

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Je sais bien que X éloquence catholique n'a pas tout le succès qu elle pourrait et qu'elle devrait avoir. J'aperçois, dans nos villes et dans nos campagnes, des masses profondes qui se tiennent à distance de l'Église, du prêtre, de la parole évangélique. Mais à qui la faute ? Est-ce nous, ministres de Dieu, qui repoussons les auditeurs ou refusons de les appeler? Non. Nous demandons au contraire qu'on laisse le peuple venir à nous ; nous demandons qu'on lui donne son dimanche pour qu'il ait la possibilité de venir, et qu'on lui donne l'exemple pour qu'il ait la volonté de venir. Messieurs, la parole de l'Eglise est nécessaire au monde. Soyez avides de l'entendre, et amenez avec vous au pied de la chaire tant de chrétiens baptisés, à qui la divine parole est d'autant plus utile et indispen- sable qu'ils en sentent moins le besoin.

Amen J

CINQUIÈME CONFÉRENCE

l'église ET LA POÉSIE

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance intellectuelle. Elle est la mère de la théologie, la gardienne de la philosophie, l'amie de l'éloquence. Or, auprès des théologiens, des philosophes et des orateurs appa- raissent les poètes. L'Eglise est-elle étrangère à la poésie? Vous trouverez la réponse complète et bril- lante à cette question dans le Génie du Christia- nisme de Chateaubriand. Pour lors, je me conten- terai de vous proposer là-dessus quelques réflexions succinctes, et je vous signalerai simplement les sources et les chefs-d'œuvre de la poésie catho- lique.

I. Les sources de la poésie catholique.

Deux choses constituent la poésie : le fond et la forme, des idées justes et de belles expressions. La beauté de la forme ne suffit p^s à la poésie. Les

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 45

poètes, pas plus que les autres hommes, ne sont dispensés d'avoir raison et ne peuvent se passer de la vérité. Si splendide que soit leur langage, il n'est qu'une vainc et dangereuse musique, s'il se met au service de la frivolité ou de l'erreur. Saluez ici la salutaire influence de l'Eglise. Elle fournit à la poé- sie le fond et la forme.

Elle lui suggère des idées justes et substantielles. Le poète du bon sens, Boileau, a dit :

De la foi du chrétien les mystères terribles D'ornements égayés ne sont point susceptibles.

Boileau s'est trompé. Il est faux de dire que la mythologie païenne est plus favorable a la poésie que notre religion. La mythologie païenne se compose de contes à dormir debout. Elle est tout entière fausse. Or le beau est la splendeur du vrai, et plus il y a de vérités dans nos dogmes, dans notre morale et dans notre culte, plus notre reli- gion est favorable au développement poétique. Et puis la mythologie païenne n'est pas seulement fausse, vide, ridicule, elle est immorale. L'Olympe d'Homère contient plus de bassesses et de vices qu'il n'en faudrait pour déshonorer à jamais la cour d'un des rois de la terre. Les dieux d'Homère sont aveugles, impuissants, voleurs, impudiques, tou- jours occupés à se tromper, à se quereller, à se combattre. En face de l'Olympe et du Tartare païen,

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mettez le ciel et l'enfer des chrétiens, mettez notre purgatoire si terrible et si consolant tout ensemble, mettez la Vierge Marie avec les anges et les saints qui peuplent le paradis, et qui portent jusqu'au trône de Dieu les cris gémissants de l'humanité, et reconnaissez que, dépositaire du vrai et du bien, l'Eglise offre au poète une source d'inspiration bien autrement féconde et pure que toutes les fables conservées dans les traditions païennes. L'Eglise fournit à la poésie des idées justes et substantielles.

Elle lui fournit des expressions belles et sublimes. Il existe un livre que l'Eglise garde, explique et commente, qui contient à lui seul toute une litté- rature, et qui dans tous les genres offre des modèles parfaits parce qu'ils sont divins, un livre que tous les catholiques lisent à genoux parce qu'il garde l'empreinte de la main du Très-Haut, un livre que l'on baise avec amour parce qu'il répond à toutes les aspirations de l'âme, à tous les besoins du cœur, un livre qui a des chants de triomphe pour toutes les joies, des gémissements pour toutes les douleurs, des consolations pour toutes les infortunes, un livre enfin qui est une source intarissable de poésie : c'est la Bible, c'est-à-dire le livre par excellence de l'humanité.

Avez-vous jamais lu la Bible? Un jour Jean Ra- cine emmena son ami La Fontaine à l'office de matines. Racine se mit à prier. Mais le fabuliste

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était distrait. Racine voyant son embarras lui passa une petite Bible qu'il portait sur lui, et le hasard voulut qu'elle s'ouvrit à la ^prophétie de Baruch. La Fontaine se mit à lire, et, émerveillé par les belles choses qu'il avait jusque-là ignorées, il s'écria tout haut au grand scandale de l'assistance : « Quel génie que ce Baruch ! » Et, depuis, il ne manquait pas de dire à tous ceux qu'il rencontrait : « Avez- vous lu Baruch ? C'était un grand génie ! » Lisez la Bible, Messieurs, parcourez l'Ancien Testament depuis cette solennelle parole qui ouvre le poème de de la création : « Que la lumière soit, et la lumière fut », jusqu'à ce cri touchant des Machabées prêts à s'ensevelir sous les ruines de leur patrie déshono- rée : « Mourons dans notre simplicité ! » et vous serez émerveillés, et à chaque page vous rencon- trerez le sublime. Vous le rencontrerez dans la page mémorable qui nous raconte la genèse de tous les êtres ; dans l'hymne nuptial qu'Adam chante à sa compagne, l'os de ses os et la chair de sa chair; dans les terreurs de Caïn, dans le récit du Déluge, dans le sacrifice d'Abraham ; dans l'histoire de Joseph, dans les scènes du Sinaï, dans la patience de Job, dans la mansuétude et le repentir de David, dans les maximes de Salomon, dans les visions des prophètes et dans les luttes des Machabées. Dans la Bible vous trouvez des accents incomparables sur Dieu, son être, son nom, ses per- fections, des descriptions superbes de la création

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matérielle, la peinture inimitable des grandeurs et des misères de l'âme humaine. Dans la Bible, vous trouvez, les trois genres principaux de la poésie : l'épopée, la poésie lyrique et la tragédie.

Et le Nouveau Testament, l'Evangile, les écrits des Apôtres, n'est-ce pas encore une source abon- dante où la poésie peut venir s'abreuver? La plume de Moïse qui raconte la Création a pour rivale la plume des Evangélistes qui font le récit de la Rédemption. La harpe de David et des Prophètes n'est pas restée suspendue aux saules des fleuves de Babylone ; nous la retrouvons vibrante et harmo- nieuse dans la main des Apôtres, de Marie qui s'en est servie pour glorifier le Seigneur, du vieillard Siméon pour se réjouir du salut d'Israël, et de saint Jean pour annoncer les derniers jours du monde. Le sublime est intermittent dans l'Ancien Testament; il est partout présent dans le Nouveau. Lisez l'éternelle génération du Verbe, la naissance de Jésus-Christ, son enfance, ses vertus, ses mi- racles, ses paraboles, ses préceptes, ses conseils, ses consolations. Constatez ses gémissements et ses pleurs sur la ville ingrate qui le repousse : « Jéru- salem, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants autour de moi comme la poule ses poussins, et tu ne l'as pas voulu ! » Parcourez l'histoire de la Sama- ritaine, de la pauvre Madeleine, de la Chana- nécnne, la parabole de l'enfant prodigue, du mau- vais riche, le récit de la mort et de la résurrection

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de Lazare, le discours du Sauveur avant la dernière Cène, sa Passion, son silence devant les juges, ses dernières paroles... « L'Evangile, a-t-on dit, est la patrie du sublime. » C'est vrai. Et je voyais ces jours-ci un homme qui venait de lire les Epîtres le saint Paul., et qui en était ravi. Mais, hélas! qui connaît l'Évangile? qui connaît les Epîtres de saint Paul? Qui, parmi les gens du peuple? Personne. Qui, parmi les gens cultivés? A peu près personne. Que si les poètes qui cherchent des inspirations, de grandes pensées et de grandes images, ne veulent pas venir aux sources que l'Eglise leur pré- sente, tant pis pour eux! Ils ressemblent à ces en- fants mal élevés et boudeurs qui refusent les mets exquis de la table paternelle, et qui grignottent dans un coin un morceau de pain sec. Ce n'est pas l'Eglise qui manque à leur génie : c'est leur esprit vaniteux et mal fait qui repousse sottement les richesses de l'Eglise. Quand elle est acceptée et sui- vie, l'Église ouvre les ailes et exalte l'essor du ^énie. Mille et mille fois la preuve en a été faite.

IL Les chefs-d'œuvre de la poésie catholique.

Pendant trois cents ans l'Église cachée dans les catacombes donnait des martyrs; le temps et l'oc- casion lui manquaient pour susciter des poètes. Mais, au sortir des catacombes, les chants se réveillent de

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toutes parts, et la poésie chrétienne éclate sur les lèvres harmonieuses de saint Grégoire de Nazianze qui ressuscite l'idiome d'Homère et de Platon, de saint Ambroise qui fait de la langue latine la langue de la liturgie, de saint Augustin qui, dans ses Confessions plaintives comme une élégie, re- passe avec tant de regrets les beaux jours perdus de sa vie. D'ailleurs les grands docteurs du ive siècle ne sont poètes qu'à leurs heures et accidentellement . Ils sont surtout théologiens et orateurs. Après eux nous rencontrons saint Paulin, grand seigneur gallo-romain, littérateur, homme de goût qui aban- donne les muses païennes pour chanter le spiritua- lisme chrétien; l'espagnol Prudence qui, à l'âge de trente-sept ans, laisse les dignités et les affaires ci- viles pour s'adonner entièrement aux travaux de l'esprit et pour faire vibrer sur la" lyre les mystères du christianisme ; Fortunat qui, fixé à Poitiers et devenu évêque de cette ville, compose quatorze livres de poésie et en particulier l'hymne Vexilla régis. Saluons en passant le moine Alcuin qui, avant de quitter son cloître d'York pour la cour de Char- lemagne, chante sur un ton attendri les charmes de sa chère et regrettée cellule ; Thomas d'Aquin dont les hymnes au Saint-Sacrement révèlent tout en- semble l'exactitude du théologien, la tendresse du saint et l'inspiration du poète ; le pape Innocent III à qui nous devons le Lies irœ, cri profond de sainte horreur et de supplication pathétique ; le Dante

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dont la Divine Comédie est comme l'épopée théo- logique, la somme poétique du moyen âge; le Tasse dont la Jérusalem délivrée raconte magnifiquement l'histoire des Croisades. Citons encore Shakespeare et Milton qui, bien que protestants, doivent cepen- dant à la Bible mutilée les meilleures pages de leurs œuvres ; Lope de Véga et Caldéron, fils de la ca- tholique Espagne, qui puisèrent dans les mystères de notre foi le sujet de leurs drames fameux, et qui ont mérité d'avoir fourni au théâtre français des types accomplis de grandeurs chrétiennes et cheva- leresques.

Nous arrivons ainsi au xvne siècle. Les chefs- d'œuvre de la poésie catholique atteignent la perfection du genre, avec Corneille, lequel est supérieur à Eschyle, à Sophocle et à Euripide, dit M. Cousin, et avec Racine, lequel est supérieur à Virgile, dit Chateaubriand . Rien qu'à lire ces hommes on sent que le Christianisme a donné de nouvelles ailes à la poésie. Même quand ils traitent des sujets empruntés au paganisme, on sent que c'est l'Eglise qui est la mère de leurs âmes et l'institutrice de leur génie. Ils doivent à la foi catholique, jusque dans leurs compositions les plus profanes, l'éléva- tion de l'idée, la splendeur de l'image, la sincérité du sentiment, la noblesse de l'expression, l'intérêt de l'action, avec ce je ne sais quoi d'achevé que la pensée religieuse ajoute à la beauté littéraire. Et, s'ils avaient eu le courage de s'affranchir totale-

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ment des usages imposés au théâtre et de demander toutes leurs inspirations à la seule religion catho- lique, ils auraient couvert d'avance de leurs chants immortels les rires et les blasphèmes des impies.

Et aujourd'hui encore, est-ce que les plus beaux chants ne sont pas ceux qui ont une inspiration re- ligieuse? Chateaubriand doit à la foi chrétienne ses beautés de premier ordre; Lamartine, son disciple, est incomparable dans ses Harmonies et ses Médita- tions tout imprégnées de la pensée religieuse; fils d'une sainte mère, il avait dit : « 0 Dieu de mon ber- ceau, sois le Dieu de ma tombe ! » il méritait de mou- rir sous la bénédiction du prêtre en baisant le Cru- cifix qu'il avait si magnifiquement chanté. Pareille grâce n'a pas été accordée à Victor Hugo, son rival de gloire dont la dépouille est allée dormir sans croix et sans prières sous la coupole profanée de Sainte- Geneviève ; mais, malgré les écarts de la seconde partie de sa vie, Victor Hugo doit à la foi de sa jeu- nesse ce qu'il a de meilleur dans son cœur, et ses pre- miers recueils, tout de pureté et de religion, lui assureront seuls l'immortalité qu'on a vainement demandée pour lui aux marbres du Panthéon.

Pour vous convaincre de l'influence décisive de l'Église sur la poésie, vous n'avez qu'à voir, Mes- sieurs, dans quels abîmes de doute, de sensualisme et de désespoir sont tombés les poètes contempo- rains quand ils ont voulu briser sur leur lyre la% corde religieuse. Rien n'a pu combler dans leurs

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fîmes le vide creusé par les croyances disparues, et leurs plus beaux vers sont ceux d'où s'échappent le cri du remords et du repentir, l'hommage plaintif à la vérité qu'ils avaient trop souvent blasphémée. Ecoutez Alfred de Musset :

Quand j'ai connu la vérité,

J'ai cru que c'était une amie;

Quand je l'ai comprise et sentie,

J'en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,

Et ceux qui se sont passés d'elle,

Ici-bas ont tout ignoré !

Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.

Le seul bien qui me reste au monde,

Est d'avoir quelquefois pleuré!

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Tel a été le grand malheur de beaucoup de poètes de notre temps. Ils n'ont pas connu la vérité catho- lique, et l'on pourrait leur adresser ce reproche douloureux d'Alfred de Musset, victime lui-mên'.e de l'erreur qu'il déplore chez les autres :

Pour aller jusqu'au ciel, il vous fallait des ailes. Vous aviez la raison, la foi vous a manqué !

La foi, voilà trop souvent ce qui manque aux poètes, et à ceux qui ne le sont pas : aux riches et aux pauvres, aux princes et aux peuples, aux indi- vidus, aux familles et aux sociétés. La religion ne nous menace pas, elle nous manque !

Amen!

SIXIÈME CONFERENCE

l'église et l'histoire

Messieurs,

Il est une science intéressante et utile entre toutes : c'est la science de l'histoire, qui, en nous racontant le passé, nous enseigne à bien employer le présent et à bien préparer l'avenir. Cette science de l'his- toire, pour atteindre son but, a deux conditions à remplir : Elle doit être exacte, c'est-à-dire nous retracer sincèrement et consciencieusement les faits passés ; Elle doit être morale, c'est-à-dire nous donner la connaissance réfléchie des lois qui pré- sident aux événements. Je voudrais brièvement vous montrer l'influence de l'Église sur la science histo- rique à ce double point de vue de l'exactitude et de la leçon morale.

I. L'Église impose à l'histoire l'exactitude. L'exactitude est la première condition. de la science

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historique. Il est bien évident que l'historien doit être d'abord sincère et consciencieux dans le récit des faits passés. S'il nous trompe, il manque à son devoir le plus élémentaire.

En dehors de l'Eglise, l'exactitude historique est chose assez rare. Les historiens de l'antiquité ont à peu près tous le goût des amplifications oratoires et la passion des fables. Tout le monde sait que Tite-Live est l'inventeur des belles harangues qu'il met dans la bouche de ses personnages. Strabon et Quintilien ajoutaient eux-mêmes fort peu de foi aux récits des historiens d'Alexandre, et les légendes relatives à la fondation de Rome, aux aventures de Romulus et de Rémus n'ont pas plus trouvé grâce devant la critique que les détails de la guerre de Troie. Et les historiens modernes qui ont pris vis- à-vis de l'Eglise l'attitude de l'indifférence et de l'hostilité ont-ils le respect de la vérité historique? Hélas! la plupart du temps ils torturent et défi- gurent les faits, pour les accommodera un système, et, soit qu'ils racontent l'histoire de l'humanité, d'un peuple ou d'un homme, ils obéissent à une idée préconçue plutôt qu'à la préoccupation d'être sincères dans le récit des événements.

L'Eglise, parle moyen des écrivains qu'elle inspire et qu'elle dirige, nous met en possession de l'exac- titude historique. L'Église veille d'abord sur les Livres de l'Ancien Testament, et sous sa garde ces sources profondes de l'histoire antique conservent

&6 CONFÉRENCES AUX HOMMES

toute leur inviolabilité. Avec Moïse nous remontons jusqu'aux origines du monde. Les annales les plus anciennes des peuples païens nous ramènent tout au plus à la naissance des sociétés dont elles nous rappellent les destins. L'écrivain sacré compte sous nos yeux les générations, les siècles et les années dont se compose le passé de l'humanité; il est le dépositaire incorruptible des souvenirs les plus re- culés ; il marque avec précision l'origine des grandes nations primitives ; il donne la clef de toutes les légendes que les poètes ont réunies autour du ber- ceau des sociétés ; rien qu'au point de vue humain, il tient une place à part dans la série des annalistes anciens.

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Nous arrivons aux Evangélistes et aux Apôtres. Ils sont l'exactitude même. Ils ont vu de leurs yeux et touché de leurs mains les événements qu'ils racon- tent. Ils disent tout parle détail, même les faits qui tournent à leur confusion. Depuis dix-neuf siècles que l'on torture leurs écrits, on n'a pas pu en extraire la moindre erreur de lieu ou de date. Ils sont morts pour affirmer la sincérité et l'exactitude de leur témoignage. Il n'est pas possible d'exiger de plus nombreuses et de plus certaines garanties de vérité.

Après les Evangélistes et les Apôtres apparaissent des annalistes sérieux et graves : Eusèbe, le fonda- teur de l'histoire ecclésiastique, qui nous donne la vraie physionomie des deux premiers siècles du christianisme. Sa position à la cour de Constantin,

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tn lui livrant toutes les sources, lui avait permis d'acquérir une vaste éruditi^i. Il est continué et imité, quoique non égalé, par Socrate et Sozomène, avocats à Gonstantinople, et par Théodoret, évêque de Cyr en Syrie. L'Église latine marche sur les traces de l'Orient. Au ive siècle, un prêtre d'Aquilée, Ru fin, donne une excellente traduction de Y Histoire ecclésiastique d'Eusèbe. Et bientôt Sulpice-Sévère compose une double histoire de l'Ancien Testament et de l'Eglise catholique poursuivie jusqu'à son époque. Ces chroniques sont courtes. Elles se res- sentent de la ruine prochaine de l'Empire. Elles ont le mérite delà précision. Citons aussi les Actes des martyrs qui portent le cachet d'une incontestable sincérité et les Vies des saints composées au et au vie siècle, qui sont une des formes de l'histoire aux premiers temps de l'Eglise.

Voici Grégoire de Tours, témoin intelligent et attristé, un orateur intéressant de l'étrange confu- sion d'hommes et de choses, de crimes et de catas- trophes au milieu de laquelle se poursuit la chute de la vieille civilisation romaine. Puis l'histoire se continue dansles monastèr'es. Les moines conservent les annales des nations chrétiennes. Ils se nomment Bède chez les Anglais, et chez les Français Abbon, Frodoard, Richer, Raoul Glaber, Hugues, abbé de Flavigny, et en Italie Anastase le Bibliothécaire et les moines bénédictins, et en Allemagne les moines de Saint-Gall. Tous ces auteurs nous ont laissé les

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matériaux de l'histoire, plutôt que l'histoire elle- même. Mais le seul fait de conserver par l'écriture le souvenir des événements, en ces temps d'ignorance populaire, n'était-il pas déjà un service inappré- ciable rendu à la civilisation ?

Au xiue siècle, la science historique a de nombreux représentants. C'est le dominicain Vincent de Beau- vais, lecteur et confesseur de saint Louis. C'est Guillaume, archevêque de Tyr, narrateur des Croi- sades, avec Villehardouin et Joinville. Avec ces deux derniers commence la série de ces mémoires qui forment une des branches les plus originales et les plus curieuses de la littérature française. Jehan de Froissart est un conteur incomparable. Philippe de Commines est le biographe très intéressant de Louis XI.

Puis, après la Renaissance et en réponse aux at- taques du protestantisme, nous voyons apparaître Baronius, prêtre de l'Oratoire de Rome, qui édite les Annales ecclésiastiques , vaste compilation mé- thodique et raisonnée de l'histoire de l'Eglise jus- qu'en 1198. Il est imité et suivi par deux Français : de Tillemont et Noël Alexandre. A la même époque, les Jésuites de Belgique, sous la direction du jésuite Bollandus, commencent la fameuse collection des Acta Sanclorum. Et les Bénédictins de Saint-Maur composent la Gallia Christiana. En présence de ces monuments immenses et magnifiques d'un travail obscur poursuivi pendant des siècles, comme eu

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présence des cathédrales du moyen âge, on est saisi d'une émotion respectueuse et sympathique. Quelle race d'hommes que ces moines, invincibles à la fa- tigue, indifférents à la gloire humaine, mais avides de toutes les lumières, de tous les progrès, de toutes les vertus ! Quel désintéressement, et par conséquent quelle garantie de sincérité et d'exactitude dans leurs grands travaux historiques !

Désormais les matériaux étaient amassés, et la tache des vulgarisateurs était aisée. Fleury compose son Histoire de l'Église, qui a été depuis corrigée, complétée par Rohrbacher, Darras, dom Guéranger, Hergenrœther. Et à côté de ces illustres défenseurs de la vérité historique combien de travailleurs plus obscurs, mais non moins zélés, parmi lesquels il nous plaît de citer un simple curé de campagne, l'abbé Gorini, quia réfuté d'une manière victorieuse les erreurs historiques de Thierry, de Guizot, de Thiers et de Michelet. C'est ainsi que l'Eglise-depuis dix-neuf siècles suscite des écrivains, des annalistes, des chroniqueurs, des historiens remarquables par leur sincérité et leur impartialité. Elle ne craint pas la lumière. Elle la cherche, elle la demande. Elle va plus loin encore.

II. L'Église dégage de l'histoire la leçon morale.

L'histoire serait peu de chose si elle n'était qu'un Técit. Il faut en faire un hommage à la Providence

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et une leçon pour les hommes. Il faut en extraire l'idée morale. A quoi servirait de connaître le passé, si on ne saisissait pas en même temps les lois qui président à la marche des événements? Toute l'utilité de l'histoire est là.

En dehors de l'Eglise les historiens racontent les faits sans en dégager la leçon morale. Voyez les historiens anciens. Tacite, le plus profond de tous, avoue qu'il ne sait pas si les choses de la vie sont assujetties aux lois d'une immuable nécessité, ou si elles ne dépendent que du hasard. Les lois univer- selles qui régissent la marche du genre humain sont inconnues des païens ; au-delà de leur nation par- ticulière, ils ne voient que barbarie et esclavage et ne saisissent jamais l'humanité dans son ensemble. C'est l'égoïsme étroit et purement national qui peint avec Salluste, médit avec Thucydide, philo- sophe avec Tacite, raconte avec César, harangue avec Tite-Live, dessine des portraits avec Suétone, Xénophon et Plutarque. Pour eux il n'y a point d'hu- manité au-delà des limites de la patrie; pour eux, la Providence, c'est le destin. Aussi sont-ils inca- pables de s'élever à la conception d'une histoire universelle, incapable de faire profiter la postérité des grandes leçons dupasse. Quant à. nos historiens modernes qui veulent se passer de l'Eglise, que leurs vues sont courtes, quand elles ne sont pas fausses ! Les meilleurs nous donnent la peinture des événements, et non la philosophie des faits. Ils

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font passer sous nos yeux des tableaux qui nous enivrent un instant, et non des leçons qui nous pénètrent et nous font du bien.

L'Eglise, par le moyen des écrivains qu'elle ins- pire et qu'elle dirige, nous fait saisir les grandes lois de l'histoire. Voici Moïse. Il se présente à nous comme le révélateur de la marche de l'histoire et le prophète des destinées des nations. Il nous montre le peuple juif préparant la venue du Messie, et tous les événements du monde convergeant vers le Rédempteur futur. Et ce que Moïse a indiqué, les Pro- phètes le répètent et l'expliquent ; à la lumière de la Bible, l'histoire de l'humanité nous apparaît resplen- dissante d'évidence. Tout est pour le Christ, le passé est son piédestal. L'avenir découle de lui : Christus heri, hodie et in sœcula. Telle est la loi centrale de l'histoire.

Avec ce lit conducteur, les historiens peuvent se mettre en marche à travers le dédale des événe- ments. Ils ne risquent pas de s'égarer. La sainte Eglise tient le flambeau qui guide leurs pas et qui éclaire leurs investigations. Voici saint Augustin. Dans son livre de la Cité de Dieu, il fait la philo- sophie de l'histoire, il marque les desseins de la Providence sur le sens et le terme des grands mou- vements de l'humanité. Il fonde ainsi la science his- torique, la science philosophique de l'histoire. Paul Orose, prêtre espagnol, son disciple, s'empare de sa méthode. Salvien compose un grand ouvrage

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intitulé : de Gubernatione Dei, qui se rattache de même étroitement à la Cité de Dieu de saint Au- gustin ; on a appelé Salvien le Bridaine du ve siècle, et en effet il a l'impétuosité et l'éloquence de Bri- daine. C'est lui qui a dit : « L'Empire romain rit et meurt, Moritur et ridet ! »

Allons donc de suite à Bossuet. Politique comme Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent comme Tite-Live, aussi profond et aussi grand peintre que Tacite, Bossuet a, de plus, une parole grave et un ton sublime dont on ne trouve ailleurs aucun exemple. Le Discours sur l'histoire universelle est un hymne au Dieu qui du haut du ciel tient les rênes de tous les royaumes. « Bossuet, dit Cha- teaubriand, est plus qu'un historien, c'est un Père

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de l'Eglise, c'est un prêtre inspiré, qui a souvent le rayon de feu sur le front, comme le législateur des Hébreux. Quelle revue il fait de la terre ! il est en mille lieux à la fois. Patriarche sous le palmier de Thopel, ministre à la cour de Babylone, prêtre à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes et à Rome, il change de temps et de place à son gré, il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. La verge de la loi à la main, avec une au- torité incroyable, il chasse pêle-mêle devant lui et Juifs et Centils au tombeau ; il vient ensuite lui- même, à la suite du convoi de tant de générations, et marchant appuyé surlsaïe et Jérémie, il élève ses lamentations prophétiques à travers la poudre et les

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débris du genre humain. » On a tout dit sur sa pé- nétration. Tels chapitres sont des modèles incom- parables, par exemple l'histoire de Rome, l'étude du caractère du peuple, de l'organisation de la milice, de la politique, du Sénat. La philosophie de l'histoire se trouve ainsi mise à la portée des modernes, et désormais les plus illustres repré- sentants de cette science, Montesquieu en tête, ne font guère qu'emprunter à Bossuet sa méthode et ses enseignements.

Et en même temps que les historiens catholiques dirigés par l'Eglise dégagent la loi des événements dans l'histoire universelle, ils portent la même clairvoyance dans l'histoire d'un peuple ou d'un personnage. Ayant l'idée des ensembles, ils ont la compréhension des détails. Ils déterminent la place et la vocation providentielle d'une nation en parti- culier. Ils assignent à un grand personnage son rang et son action dans la mêlée générale des choses. Et il serait facile par des exemples de montrer ici la supériorité de nos écrivains catholiques. Que de vies de saints ou de héros écrites dans notre siècle sous la direction de l'Eglise, et qui sont des leçons vivantes pour qui veut les lire avec attention ! Ce ne sont pas seulement des chefs-d'œuvre de littéra- ture. Ce sont des prédications éloquentes. La leçon morale s'en dégage presque à chaque page.

Amen!

SEPTIÈME CONFERENCE

II. L'ÉGLISE El LES SCIENCES l'église est l'amie des sciences

Messieurs,

L'Église est une grande puissance intellectuelle. Elle est la mère de la théologie, la gardienne de la philosophie, l'inspiratrice de l'éloquence et de la poésie, la maîtresse de l'histoire. Il faudrait beau- coup d'ignorance ou de mauvaise foi pour con- tester le bienfait de son influence sur les belles- lettres. Mais, à côté des lettres, voici les sciences, qui s'appellent mathématiques, astronomie, phy- sique, chimie, géologie, biologie. Les sciences sont aujourd'hui fort en honneur, et les progrès qu'elles ont faits dans notre siècle les ont rendues passa- blement orgueilleuses. Volontiers elles prendraient à l'égard de la religion des airs de dédain et d'hos- tilité. Etudions avec calme les rapports de l'Eglise et des sciences.

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I. L'Église ne craint pas les sciences.

Que de fois vous avez lu ou entendu dire que l'Église était en conflit avec le grand mouve- ment scientifique qui emporte notre siècle, qu'elle le suspectait, qu'elle en avait peur ! Rien n'est plus faux! L'Eglise ne craint pas les sciences.

Ecoutez là-dessus les témoignages. Ils abondent. Je n'en veux citer qu'un, le plus autorisé, celui du grand pape Léon XIII. Parlant au nom de l'Eglise, Léon XIII s'exprime ainsi : « Dire que l'Église est hostile au progrès des sciences, c'est une accusa- tion aussi niaise que chimérique. Si le monde est un livre à chaque page duquel sont inscrits le nom et la sagesse de Dieu, celui qui aura lu plus avant et plus clairement dans ce livre en sortira plus épris de L'amour de Dieu. S'il suffit d'avoir des yeux pour voir que les cieux étoiles racontent la gloire du Créateur, combien plus exaltera sa puissance celui qui aura jeté son regard investiga- teur au ciel et dans les profondeurs de la terre, sur les astres lumineux et sur l'atome? Et vous vou- driez que l'Église traitât avec froideur, avec indif- férence ces études et ces recherches, et qu'elle fer- mât le livre pour empêcher d'en poursuivre la lecture?... Qu'il est beau l'homme, quand sur un signe il fait tomber à ses pieds la foudre désarmée, quand il appelle l'étincelle électrique et l'envoie,

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messagère de ses volontés, par les abîmes de l'Océan, au-delà des montagnes éventrées et au-delà des plaines sans fin; quand il enjoint à la vapeur de lui prêter ses ailes; quand ses ingénieux cal- culs grandissent cette force et la conduisent par des sentiers déterminés à donner le mouvement et presque l'intelligence à la matière brute; quand il évoque la lumière et lui fait illuminer la nuit dans les rues de nos cités!... L'Eglise, mère très aimante, bien loin d'y mettre obstacle, tressaille de joie à la vue de ces merveilles. » Il est clair, Mes- sieurs, que l'Eglise ne craint pas les sciences. Par la bouche de son chef elle les approuve, elle les admire, elle les bénit.

Et si un tel témoignage ne vous suffit pas, regar- dez les faits. Quand on a peur d'un objet, on s'en tient éloigné, on évite son contact. Or l'Eglise craint si peu les sciences que journellement elle s'en sert. Bien loin de les redouter et de les flétrir, elle leur demande des services continuels. Elle emploie la vapeur pour transporter ses mission- naires au bout du monde, l'électricité pour faire rayonner instantanément sur toute la surface du globe la parole et la bénédiction de son chef, l'im- primerie pour donner des bréviaires à ses prêtres, des livres à ses étudiants, des catéchismes à l'en- fance et de bons journaux au peuple chrétien, l'hor- logerie pour savoir l'heure et ne pas arriver trop tard au chevet des hommes ou des nations qui vont

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mourir, l'industrie pour habiller ses ministres et ses pauvres. Elle emploie toutes les sciences pour les faire concourir à la justification de ses dogmes, à la splendeur de lareligion, à la gloire de Dieu, à la diffu- sion de l'Evangile, au bien de l'humanité. On nous accuse d'avoir peur des sciences. Cela n'a pas le sens commun. Nous nous en servons tous les jours.

Et d'ailleurs pourquoi l'Eglise aurait-elle peur des sciences? Est-ce qu'il y a contradiction entre la religion et les sciences ? Nullement. Vous vous imaginez l'Eglise préoccupée, inquiète. Qu'on ne scrute pas lescieux... qui sait ce qu'on y trouve- rait? Qu'on ne creuse pas la terre, qu'on ne fouille pas les couches du sol... il en sortirait peut-être la confusion de nos dogmes! L'Eglise, Messieurs, n'a pas les folles terreurs qu'on lui prête. Creusez tout ce que vous voudrez, le ciel et la terre, l'Eglise sait d'avance que vous n'y trouverez rien qui puisse la confondre. La vérité est une, quoiqu'elle ait deux rayons. Et ces deux rayons, qui s'appellent l'un la science et l'autre la foi, partent de la même source et se fondent dans un même éclat. Sans doute on a vu des découvertes scientifiques se dresser fièrement comme des objections contre l'Eglise. Mais ce n'était qu'une trompeuse appa- rence. Dès que ces découvertes approfondies et achevées ont mérité le titre de vérités certaines, on s'est aperçu qu'elles confirmaient la foi au lieu de la contredire... par exemple, quelle admi-

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ration ressentirait Bossuet s'il voyait comment la science explique cette création de la lumière avant le soleil, qui l'avait tant embarrassé ! Peu à peu tous les voiles se lèvent qui s'interposaient entre la science et la foi, et ceux qui restent se dissipe- ront à leur tour, à leur heure. En présence des pro- grès des sciences, les ennemis de l'Eglise éprouvent une joie précipitée, et ses enfants une inquiétude exagérée. Les premiers disent tout haut : Voilà l'Église convaincue d'erreur! et les seconds gé- missent tout bas: Hélas! si cela allait arriver! Les uns et les autres ont tort. L'Eglise est sûre d'elle-même, elle est sûre de l'avenir. Elle sait qu'aucun progrès scientifique ne l'embarrassera, np l'entravera jamais.

Pourquoi l'Église aurait-elle peur des sciences? parce qu'on en abuse? Oui trop souvent on abuse des sciences, on s'en sert pour le mal. On abuse de l'imprimerie, de la vapeur, de l'électricité, en en faisant les véhicules de l'erreur et du mal ; on abuse de la physique, de la chimie, en opposant au Créateur les forces qu'il a déposées dans la na- ture. On abuse de l'astronomie et de la géologie, en s'emparant de leurs découvertes comme d'une arme contre la Révélation ; on abuse des sciences biologiques et médicales, en les employant à nier Dieu et à supprimer Fâme ; on abuse des progrès scientifiques, en les jetant comme une pâture à l'orgueil et à la convoitise humaine. Mais de quoi

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 69

n'abuse-t-on pas? On abuse des meilleures choses, du vin qui mène à l'ivresse et de la richesse qui trop souvent conduit à la dépravation ; on abuse de la religion elle-même. Et parce qu'on abuse des sciences, serait-il juste de les condamner? Non. L'Église, qui est intelligente, se garde bien de tomber t dans un si grossier sophisme.

Pourquoi donc aurait-elle peur des sciences? parce qu'il y a des savants antireligieux? C'est cer- tain. Il y a des savants notoirement hostiles à la religion. Mais qu'est-ce que cela prouve? Gela ne prouve absolument rien contre la religion. Car : on peut être un grand savant et un pauvre homme, on peut en même temps avoir de la science et des passions, et se servir de la science pour attaquer la religion qui condamne les pas- sions ; et on peut être un grand savant, un grand mathématicien et un pauvre philosophe. Tel homme habitué à rechercher les causes immédiates des phénomènes, finit par perdre de vue la cause finale et première de toutes les autres. Ce n'est pas sa science qui est condamnable, c'est sa raison qui est courte. Lalande prétendait avoir scruté le ciel sans y rencontrer Dieu ; mais on pouvait lui répondre que, si son œil et son télescope étaient bons, sa raison était myope, pour ne rien dire de plus. Et d'ailleurs Lalande n'était qu'une exception. Bacon n'a-t-il pas dit : « Un peu de science éloigne de la religion et beaucoup y ramène? » En résumé,

70 CONFÉRENCES AUX HOMMES

l'Église ne craint pas la science, mais simplement les demi-savants. Les sciences ne sont jamais irre- ligieuses; les demi-savants le sont souvent, parce qu'ils ne voient pas tout et qu'ils voient mal le peu qu'ils voient. L'Église n'a aucun motif de craindre les sciences. Ce n'est pas assez dire.

IL L'Église favorise les sciences.

Les preuves en sont multiples. Je n'en donnerai que trois qui sont topiques.

L'Église surexcite la recherche scientifique. Est-ce que ce n'est pas à l'Église que la société mo- derne doit cette maturité de la raison, cette disci- pline de l'esprit qui lui ont permis l'élan, la hardiesse d'exploration, et, en définitive, ce bon- heur de découvertes qui caractérisent les temps modernes et qui en font la gloire? Voyez. Qu'est-ce que l'antiquité a découvert en quatre cents ans dans le domaine de l'astronomie, de la physique, delà chi- mie, de la géologie? Même après Archimède, Euclide, Pythagore, Aristote, Hippocrate, Gallien, la forme de notre globe n'était pas connue; l'architecture céleste n'était pas soupçonnée; tout l'intérieur du corps humain, dont on décrit aujourd'hui les moindres fibres, était voilé. Qui avait soupçonné les merveilles de la lumière, de l'électricité, et

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songé à interroger les entrailles de la terre? C'est le génie catholique, le vigoureux esprit des chré- tiens qui a créé toutes ces sciences. Entre le génie de l'antiquité et le génie chrétien, sous le rapport des sciences, il n'y a pas de comparaison à établir. L'Eglise surexcite la recherche scientifique.

V Église fonde des écoles pour la diffusion des sciences. Dans nos écoles primaires, dans nos col- lèges libres, dans nos Universités catholiques, est- ce que l'Eglise n'enseigne pas les sciences? Est-ce qu'elle n'obtient pas sur ce terrain des succès qui épouvantent ses ennemis? Tenez. Nous assistons aujourd'hui à un spectacle étonnant qu'on n'avait pas vu depuis Julien l'Apostat. En même temps qu'on accuse l'Eglise de haïr les sciences, on lui reproche de les enseigner trop bien. On trouve ses écoles trop nombreuses et trop florissantes. L'Eglise ouvre des écoles et ce n'est pas elle qui les ferme. Ce sont de sinistres farceurs qui se déclarent les adorateurs de la science, et qui en sont les pires ennemis. Voilà vérité. L'Eglise favorise la science. Encore un mot.

L'Église a produit des savants dont la liste serait interminable et qui sont un des plus beaux joyaux de sa couronne.

Les sciences n'ont pas commencé au xvne siècle. Elles étaient en marche depuis longtemps. Est-ce

72 CONFÉRENCES AUX HOMMES

que ce ne sont pas les prêtres qui, au moyen âge, ont découvert la boussole, la poudre à canon, la rotation de la terre, le mouvement des cieux? Que d'hommes d'Église remarquables dans les sciences à cette époque ! Gerbert, premier pape français sous le nom de Sylvestre II, introducteur de l'arithmétique arabe en France, en Italie et en Allemagne, l'Ar- chimède du xe siècle, l'inventeur d'un orgue mis en jeu par la vapeur, des horloges à roues et auteur de celle de Magdebourg ; Roger Bacon, franciscain anglais du xme siècle, le génie peut-être le plus in- ventif qui fut jamais, le vrai père de la physique expérimentale, qui, longtemps avant son homo- nyme, François Bacon, comprit le vide de la philo- sophie d'Aristote et fît appel à l'expérience et à l'observation. Le grand astronome Copernic était un pieux chanoine. Galilée était un fier chrétien, et, s'il a été condamné par le tribunal du Saint- Office, c'a été non pour sa science qui était vraie, mais pour son exégèse qui. était téméraire.

Au xme siècle, les Jésuites se placent à la tête des études scientifiques, non seulement en Europe, mais jusqu'en Chine et aux Indes. Et puis, est-ce que ce ne sont pas des génies profondément reli- gieux que Kepler, Newton, Leibnitz, Pascal, Male- branche qui ont créé le grand courant scientifique que nous ne faisons que continuer? Est-ce que la foi les a'gênés dans leurs explorations les plus har- dies? Pascal, après avoir étonné son siècle par la

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profondeur de sa science, consacrait ses forces épui- sées et son effrayant génie à l'apologie du christia- nisme. Les grands naturalistes Buffon et Linné avaient la foi.

Et dans notre siècle on peut affirmer que les sa- vants les plus célèbres appartiennent presque tous à l'Eglise. Volta, l'inventeur de la pile, professait hautement ses convictions religieuses. Le chimiste Faraday, l'astronome Leverrier, le jésuite Secchi sont à nous. Nommer Guvier, Élie de Beaumont, Ampère, Biot, Gauchy, Claude Bernard et Quatre- fages, Dumas, Chevreul, Pasteur, n'est-ce pas mon- trer la foi unie à la science; la foi pleine, ardente, gouvernant toute la vie, ou du moins la foi retrou- vée sur le lit de mort et n'exigeant au point de vue scientifique ni un désaveu, ni la moindre rétrac- tation?

Amen 1

HUITIÈME CONFERENCE

LES SCIENCZS ONT BESOIN DE LÉGLISE

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance intellectuelle. Son influence bienfaisante sur les belles-lettres n'est pas contestable. Mais quelle est son attitude à l'égard des sciences? Nous l'avons vu : l'Eglise ne craint pas les sciences, l'Église favorise les sciences. Je poursuis cet important sujet, et je vais essayer de vous prouver que les sciences ont besoin de l'Eglise. Par elles-mêmes, elles sont insuffisantes et périlleuses, et c'est l'Eglise qui les complète et les préserve.

1. Les sciences sont insuffisantes.

Remarquez que je ne dis pas que les sciences sont mauvaises. Si je le disais, j'énoncerais une erreur, une énormité. Les sciences sont bonnes, elles sont utiles, elles sont bienfaisantes. Elles con-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 75

courent au bien-être, à l'ornement, à la civilisation du monde. Elles agrandissent, elles enrichissent, elles perfectionnent l'esprit humain. Comment ne pas voir ce que l'esprit humain peut gagner d'éten- due et de force, en étudiant l'histoire de la nature, les phénomènes et les lois du monde physique, et surtout cette science qui est la logique même, tout s'enchaine et se tient avec une suite et une rigueur incomparables, cette gymnastique intellec- tuelle qui forme l'esprit à l'ordre et à la précision, les mathématiques? Les sciences, même les plus arides, les plus théoriques, les plus inutiles en apparence, comme l'algèbre, la géométrie et les mathématiques, possèdent une fécondité et rap- portent un profit qu'on ne peut pas contester.

Elles sont bonnes. Mais manifestement elles sont insuffisantes. Rien de plus répandu aujourd'hui que le goût, j'allais dire la passion des sciences. Les maîtres, dans les observatoires et les laboratoires, étudient, analysent, expérimentent, et à côté d'eux une légion d'écrivains et de conférenciers vulga- risent et propagent leurs découvertes^ et la foule même les écoute ou les lit avec une avidité impa- tiente. A défaut d'orateurs et de poètes, notre temps comptera au moins des travailleurs attentifs et patients ; notre siècle ne sera ni un siècle artistique, ni un siècle littéraire, ni un siècle philosophique comme l'ont été ses devanciers ; il aspire à être et il est, en effet, un siècle scientifique. C'est le mot

76 CONFÉRENCES AUX HOMMES

du jour. On ne parle plus que de méthode scienti- fique, de découvertes scientifiques. C'est bien. Mais, quelles que soient leur vogue et leur utilité vraie, n'oublions pas que les sciences ont deux grandes impuissances.

Elles sont impuissantes à développer V homme tout entier. Ce rôle éminent revient aux belles- lettres, à qui il faudra toujours donner la première place dans l'éducation. Les sciences procèdent uni- quement de l'intelligence ; or l'intelligence n'est pas tout l'homme, elle n'en est même que la plus petite partie. Au-dessus de l'intelligence, il y a le cœur, la volonté, le caractère, autant de sphères élevées, supérieures, les sciences n'entrent pas. Elles sont absolument étrangères à la formation du cœur, de la volonté et du caractère. Constatant cette infériorité des sciences sur les belles-lettres, Chateaubriand a dit : « Toute pénible que cette vérité puisse être pour les mathématiciens, il faut cependant le dire : la nature ne les a pas faits pour occuper le premier rang. C'est Corneille, Racine, Boileau, ce sont les orateurs, les historiens, les artistes qui ont immortalisé Louis XIV, bien plus que les savants qui brillèrent aussi dans son siècle. Tous les temps, tous les pays offrent le même exemple. Que les mathématiciens cessent donc de se plaindre si les peuples, par un instinct général, font marcher les lettres avant les sciences. C'est qu'en effet l'homme qui a laissé un seul précepte

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 77

moral, un seul sentiment touchant à la terre, est plus utile à la société que le géomètre qui a décou- vert les plus belles propriétés du triangle. »

Impuissantes à développer l'homme tout entier, les sciences sont particulièrement impuissantes à imprimer une direction morale à la vie humaine. C'est l'évidence même. L'astronome nous apprend comment va le ciel, et non comment on va au ciel, quomodo it cœlum, non quomodo itur ad cœlum ! Les mathématiques toutes seules apprennent à faire des ponts et non à bien vivre ; les chiffres n'ont en eux-mêmes aucun sens moral, tout dépend de l'usage qu'on en fait, et on peut être en même temps un bon calculateur et un parfait usurier. Voyons. Pensez-vous sérieusement qu'on puisse calmer les passions avec des axiomes ; et avec des théorèmes de géométrie ou des expériences de chi- mie a-t-on quelque chance de maintenir la soumis- sion aux lois, le respect des magistrats et des pro- priétés, l'honneur des familles, la paix des Etats et la sécurité du monde? Non. Vous aurez beau inven- ter des machines et multiplier les découvertes, vous ne changerez pas le fond des choses, le fond de l'homme. La société est un être moral qui ne vit pas seulement de matière, et les liens qui unissent ses membres entre eux ne sont pas forgés avec des marteaux et du fer. Le monde moral a ses lois par- ticulières comme le monde physique, et les sciences sont impuissantes à nous dire les lois du monde

78 CONFÉRENCES AUX HOMMES

moral, et impuissantes plus encore à nous les faire observer. Ce n'est pas leur affaire, ce n'est pas leur mission.

Qui donc viendra compléter les sciences et sup- pléer à leur insuffisance? Qui donc viendra nous dire les vérités qu'il faut croire, les devoirs qu'il faut pratiquer, les actions qu'il faut éviter? Qui donc viendra nous révéler les lois de l'ordre moral, c'est-à-dire comment il faut vivre pour atteindre notre destinée? Et surtout qui donc viendra nous prendre par la main, nous aider, nous communj- quer la force qui nous manque? Qui nous donnera, avec le flambeau qui éclaire, l'impulsion qui en- traîne? Qui? La religion, r Église. C'est l'Eglise, et l'Eglise seule qui fait ce que les sciences ne peuvent pas faire. Elle oriente, elle dirige la vie humaine» Vous voulez sans elle conduire l'humanité? Vous voulez, avec les sciences toutes seules, diriger, mo- raliser, sauver les âmes, les familles et les sociétés? Prenez garde. Autant vaudrait guider un vaisseau au milieu de l'Océan sans gouvernail et sans boussole. Les chefs et l'équipage sont libres de se livrer tout entiers à des expériences physiques quand le na- vire touche sur les rochers; ils sont libres, les insensés, d'instituer des discussions interminables quand il s'agit non de parler, mais d'agir; cepen- dant un dernier coup de mer vient les interrompre dans leurs scientifiques recherches, et l'abîme ouvert engloutit à la fois les appareils, les machines,.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 79

les calculs et les savants. Les sciences sont insuffi- santes. C'est l'Eglise qui les complète. Allons plus loin, et disons ici toute la vérité.

II. Les sciences sont périlleuses.

Gomme le vin qui enivre, les sciences montent à la tête et appesantissent les sens. Elles sont très souvent une occasion d'orgueil et un instrument de eonvoitise.

L orgueil est le premier péril des sciences. Voyez l'homme de ce siècle. Il tient les éléments captifs et frémissants dans ses creusets, et, maître de la création, il se pose en rival du Créateur. « Monté sur une nef aérienne, dit-il, je me suis promené parmi les astres du lirmament. J'ai attaché des ailes à mes proues aventureuses, et j'ai sillonné l'Océan avec la vitesse des oiseaux marins. J'ai attelé le feu à mes chars, et ma course de l'Orient à l'Occident n'a laissé que la trace d'un éclair. Je dompte les vagues furieuses, je commande à la tempête, j'efface les distances, je fais mouvoir tous les ressorts de la nature... » Voilà Le danger. A force d'analyser la matière, l'homme de ce siècle croit qu'il n'y a pas autre chose dans ce monde. A force de contempler les phénomènes apparents, l'homme de ce siècle conteste les vérités invisihles. A force de manipuler les causes secondes, l'homme de ce siècle oublie la cause première, A force de

80 CONFÉRENCES AUX HOMMES

mesurer les forces et les lois de la nature, l'homme de ce siècle en arrive à laisser de côté et à suppri- mer l'auteur de la nature.

Les sciences exclusivement et passionnément cul- tivées sont périlleuses. Elles conduisent beaucoup d'hommes à l'orgueil, au sentiment exagéré du pou- voir humain, au doute, à l'incrédulité et au blas- phème. « Si on analysait l'atmosphère intellectuelle de ce siècle, dit Mgr Bougaud, on y trouverait au moins quatre cinquièmes d'orgueil. » Comme il est utile, comme il est nécessaire que la religion vienne corriger ces excès, et que, nous prosternant au pied des autels, elle nous rappelle que le nom qui est au-dessus de tous les noms, c'est Dieu, que nous ne sommes rien et qu'il est tout, et qu'à lui doivent remonter la raison, souffle de sa bouche; la nature, œuvre de ses mains ; l'industrie, miroir de ses per- fections; la science, rayon de sa lumière; le pro- grès dont il est la source unique, le régulateur su- prême et la fin éternelle! Comme il est utile, comme il est nécessaire que l'Église intervienne ici pour apaiser l'orgueil humain, pour ramener les savants à la modestie, à cette conscience de leur faiblesse qui est le parfum des grandes âmes et le plus bel ornement des esprits éminents! Newton ne prononçait jamais le nom de Dieu sans incliner sa puissante tête en signe d'adoration. Comme il est utile, comme il est nécessaire que l'Eglise oppose sa doctrine si purement spiritualiste aux arro-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 81

gances d'une époque de plus en plus matérialisée, et qu'elle dise bien haut aux hommes de ce temps : « 0 hommes, vous êtes les rois de la création et les souverains de la matière. Mais, ne l'oubliez pas, vous restez en même temps les sujets et les vas- saux de Dieu. Vous êtes rois par rapport à la ma- tière et vassaux par rapport à Dieu. Debout sur les cimes de la Création, rappelez-vous que vous êtes au- dessous du Créateur, et envoyez vers Lui l'hommage de votre foi, de vos adorations, de votre reconnais- sance et de votre amour! » Telle est l'action bienfai- sante de l'Eglise. Elle modère les sciences. Elle en prévient les excès. Elle les préserve de l'orgueil. Et elle est en même temps l'arôme qui les empêche de se corrompre.

Le sensualisme est le second péril des sciences. Les sciences conduisent facilement à la jouissance indéfinie et exagérée. Elles ornent la vie, elles la peuplent de toutes les facilités du bien-être. Il y a un immense danger, et, si la religion n'intervient pas pour le conjurer, tout est à craindre.

Si vous appelez les jouissances et si vous chassez Dieu, qui seul pourrait les modérer et les contenir ; si vous éveillez tous les appétits et si vous ôtez tous les freins ; si vous saturez un peuple de tout ce qui incline l'âme vers la terre et si vous le sevrez de tout ce qui relève l'esprit vers le ciel... êtes-vous bien sûrs que vous ne le conduirez pas à la déca- dence? Moi, je suis sûr du contraire, et mon rai-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-6

82 CONFÉRENCES AUX HOMMES

sonnement est rigoureux, mathématique. La jouis- sance sans frein, c'est l'égoïsme qui n'a qu'une devise : Tout pour moi, rien pour les autres! a L'égoïste, dit Bacon, mettrait le feu à la maison de son voisin pour faire cuire un œuf. » Avec cela essayez de faire une société, je ne dis pas glorieuse, mais seulement habitable, je vous en défie bien. Dieu chassé du sein d'un peuple, le bien-être tourne à l'égoïsme et devient un danger épouvantable, et le progrès matériel, abandonné à sa pente, n'est plus qu'une descente effrénée vers le plaisir, vers la licence, vers la désorganisation sociale. Triplez, si vous le voulez et si vous le pouvez, la vitesse de vos chemins de fer, inventez des ailes pour traver- ser les airs, éclipsez par vos futures découvertes tout ce qui fait votre orgueil aujourd'hui : tout cela ne contient pas un atome de vie morale pour les âmes et pour la société. Si donc, vous ne ressusci- tez pas Dieu dans les âmes, si vous ne remettez pas la religion à la place centrale qu'elle doit occuper dans la société, vous perdrez les âmes et vous per^- drez la société. L'or, la matière, les plus ingé- nieuses machines ne servent qu'à corrompre un peuple, quand la religion est absente. La pierre angulaire de toute société et de tout siècle, c'est l'autel. L'Eglise catholique complète les sciences et les préserve. Les sciences ont besoin de l'Église!

Amen!

NEUVIÈME CONFÉRENCE

[IL V EGLISE ET LES ARTS

Messieurs,

Les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre intellectuel sont incalculables. Elle aime, elle protège, elle cul- tive les lettres et les sciences. Est-elle également la bienfaitrice des arts? Oui. Et il n'est vraiment pas difficile d'en faire la preuve, en se plaçant au double point de vue du droit et du fait. Il n'est pas difficile de constater l'aptitude de l'Eglise à inspi- rer les beaux-arts et son activité traditionnelle pour les favoriser et les perfectionner. Nous allons faire ensemble très succinctement cette double étude sur l'Eglise inspiratrice et bienfaitrice des arts.

I. L'Église inspiratrice des Arts.

r

L'Eglise offre aux artistes trois ressou ces pré-

84 CONFÉRENCES AUX HOMMES

cieuses que ne possédaient pas les anciens qui vi- vaient dans le paganisme et que ne possèdent pas les modernes qui veulent vivre en dehors du chris- tianisme.

r

L'Eglise ouvre d'abord aux artistes les horizons de l'infini. L'homme est fait pour l'infini, et un objet ne peut nous plaire qu'à proportion des rap- ports réels ou apparents qu'il a avec la perfection infinie. Cette prédilection exclusive pour l'être il- limité se révèle de mille manières. C'est elle qui change la passion la plus vive en indifférence, dès que l'objet en est trop connu. C'est elle qui nous fait préférer la beauté qui se cache à la beauté qui se produit. C'est elle qui, dans l'ordonnance de nos bâtiments, de nos jardins, nous fait adopter la dis- tribution qui en dissimule le mieux la petitesse. Telle étant la disposition de notre cœur, le point capital de l'art est d'éviter les formes trop dessi- nées, trop circonscrites, et de répandre sur le fini une teinte de l'Infini, sans toutefois tomber dans le vague qui déplaît à notre amour du réel. Or voilà précisément la supériorité du génie chrétien sur le génie profane. Les chefs-d'œuvre de l'anti- quité païenne ont un énorme défaut, celui de n'avoir presque rien de divin. Les temples des païens sont des palais, des théâtres ; leurs dieux ne sont que des héros. L'architecture égyptienne vise à l'im- mortalité, mais à l'immortalité du temps. L'archi- tecture grecque ne pense qu'à plaire aux yeux;

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE §|

admirablement régulière dans l'ensemble, délica- tement exquise dans les détails, elle est l'œuvre de la pensée humaine, rien de plus. L'architecture arabe berce l'imagination, . aime à surprendre, à faire rêver. L'architecture chrétienne seule rappelle à l'homme ses destinées et le fait aspirer au ciel. L'Eglise inspire les arts en leur ouvrant les ho- rizons de l'Infini. Elle fait plus :

Pour empêcher l'artiste de se perdre dans le vague et le vaporeux, elle lui offre la précision et la grandeur des idées. Deux choses sont mortelles pour les arts : le doute et le matérialisme. Le doute éteint le flambeau du génie, lequel ne s'allume qu'au foyer des croyances. Comment voulez-vous qu'on traduise et qu'on exprime le beau, quand on ignore le vrai et quand on ne croit à rien? Et quand on ne croit qu'à la matière, est-il possible de traduire et d'exprimer la beauté qui a son trône dans l'invisible? Aussi voyez ce siècle avec son ac- tivité industrielle qui tient du prodige. Il manipule la matière et il en tire des richesses et des jouis- sances multiples; il construit des chemins de fer, dévastes ponts, de grandes manufactures, de somp- tueux bazars, et il jette à tous les échos le siffle- ment de la vapeur et le bruit monotone des ma- chines et des métiers. Ce n'est pas un mal. Mais, je vous le demande, au milieu de ce culte de la matière, que devient l'idéal, c'est-à-dire le principe même de l'art? Messieurs, c'est la religion, c'est

86 CONFÉRENCES AUX HOMMES

l'Église qui garde l'idéal. L'idéal religieux est le principe de l'art, sa cause, son inspiration, sa force. Chez tous les peuples l'art a commencé par une prière, par un autel, par un temple. La reli- gion est la mère de l'art, parce qu'elle est la source de la vie supérieure de l'àme, le foyer du vrai, du bien et du beau. N'est-ce pas Ganova, le grand sta- tuaire, qui écrivait à Napoléon : « Toutes les reli- gions nourrissent l'art, mais aucune ne le fait dans la même mesure que la nôtre. » L'irréligion coupe les ailes au génie et le met à pied. L'Eglise, en sauvant les croyances, sauve du même coup les beaux-arts à qui elle présente, pour les inspirer et les alimenter, un idéal toujours élevé et toujours précis.

Enfin elle offre à l'artiste avec les horizons de l'Infini, avec la grandeur et la précision des idées, la richesse et la variété des sujets. L'artiste chrétien tient à sa disposition tous les sujets antiques; et il a en plus les scènes chrétiennes, c'est-à-dire des sujets infiniment plus beaux, plus riches, plus dra- matiques que les sujets mythologiques.

Qu'y a-t-il de comparable aux scènes de l'Ancien Testament? Si vous voulez vous convaincre de la richesse artistique de la Bible, parcourez simple- ment en curieux la Bible illustrée par G. Doré ou par Tissot, et vous constaterez qu'il y a tout un monde de merveilles à explorer et à traduire.

Ouvrez l'Évangile. Quelle figure que celle du

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 87

Christ! Elle réalise non pas l'idéal d'un peuple, d'un siècle, mais l'idéal de l'humanité tout entière. C'est la plus parfaite expression de la beauté. De- puis qu'elle -a vu cette figure de Jésus-Christ, l'hu- manité ne peut plus l'oublier, elle ne peut plus concevoir ni exprimer l'idéal sans lui emprunter quelque chose; les arts désespèrent de l'atteindre, mais ils vont lui demander leurs plus hautes ins- pirations, et dans notre monde moderne, les plus grandes œuvres de la peinture, de la statuaire, de la musique et des lettres, sont des compositions re- ligieuses. Quiconque ignore le christianisme est tout dépaysé dans les régions de l'art. C'est pour- quoi un célèbre critique, sceptique mais habile à discerner ce qui élève et abaisse l'esprit, termine une étude sur Pascal par. ces significatives paroles. « Depuis que le Christ est venu dans le monde, un idéal nouveau s'est posé devant les hommes. Ceux qui ont méconnu Jésus-Christ, regardez-y bien, dans l'esprit ou dans le cœur, il leur a manqué quelque chose. » Cet aveu de Sainte-Beuve est bon à retenir. Sous une forme très catégorique, il at- teste que la religion chrétienne est le foyer non seulement du vrai et du bien, mais aussi le foyer du beau.

Elle offre à l'artiste les plus magnifiques sujets : sujets bibliques, sujets évangéliques, et enfin su- jets historiques empruntés à nos dix-neuf siècles de christianisme. L'artiste chrétien n'a pas besoin

88 CONFÉRENCES AUX HOMMES

d'aller fouiller les vieux siècles païens. Qu'il explore l'histoire des martyrs, l'histoire des croisades, l'his- toire des nations chrétiennes, l'histoire de la cha- rité, l'histoire en un mot de l'Église catholique, et il trouvera de quoi nourrir son esprit, de quoi exalter son imagination, de quoi surexciter son

F

génie. L'Eglise est l'inspiratrice des arts. Elle en est la bienfaitrice insigne.

II. L'Église bienfaitrice des arts.

Il y a une force d'erreur qui contraint au silence. Il y a des calomnies si grossières qu'on ne se sent pas le courage de les réfuter. Ainsi, lorsqu'on entend soutenir que le christianisme est l'ennemi des arts, on demeure muet d'étonnement; car, à l'instant même, on ne peut s'empêcher de se rap- peler Michel- Ange, Raphaël, .Carrache, Dominique, Le Sueur, Poussin, Goustou, Ingres, Gounod et tant d'autres artistes dont les noms sont dans toutes les mémoires. Impuissant à tout dire, je vais me con- tenter de vous signaler l'influence des papes et des moines sur la marche des beaux-arts.

Ce sont les moines qui, après les désastres des invasions tout périt, retrouvèrent les procédés artistiques et consacrèrent à la louange divine des épopées de pierre, des poèmes d'ivoire et de pein- ture, aussi bien que les chants liturgiques des

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 80

heures canoniales. Si, avec les monuments littéraires et scientifiques, l'Eglise cloîtrée ne put pas sauver les monuments de l'architecture romaine, elle fit mieux : les Barbares en avaient détruit un, elle en éleva vingt, supérieurs par la beauté du travail autant que par la noblesse du but. Aux masses gigantesques, mais uniformes et lourdes, des cirques, des amphithéâtres, des aqueducs, des thermes, des palais, elle substitua les masses encore plus gigantesques des cathédrales, avec leurs mer- veilleuses tours, des hospices et hôtels-dieu, des universités, des châteaux, des abbayes... modèles inimitables de grandeur et de grâce, de solidité et de délicatesse, qui impressionnent également l'homme du peuple et le savant, et sont un défi à la science moderne, tant la pensée qui anima et harmonisa si bien ce monde de merveilles artis- tiques reste mystérieuse!

Et puis l'architecture entraîna à sa suite les autres arts. Le sculpteur mit à contribution l'ivoire aussi bien que la pierre et le bois. Le ciseleur enrichit des délicatesses de son burin les vases sacrés et les châsses des saints. On travailla le fer avec une per- fection jusqu'alors inconnue. Les légendes des bienheureux se déployèrent en scènes naïves et vivantes sur d'immenses tapisseries. La peinture couvrit des richesses de sa palette les verrières des cathédrales aussi bien que les parchemins des ma- nuscrits. Et la musique, entrant dans le sanctuaire

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de Dieu et des arts, s'épancha en mélodies austères ou joyeuses, mais toujours simples, dont l'oreille suivait avec facilité le rythme et le développement.

Et en même temps qu'ils ressuscitaient les arts, les moines, désireux d'en propager l'enseignement, élevaient à l'ombre des cloîtres des écoles célèbres des générations entières d'artistes venaient chercher des modèles, des leçons, des maîtres et des traditions. C'est là, à l'école des moines, que nos pères, ouvriers et patrons, ingénieurs et ma- nœuvres, puisèrent l'idée de se grouper et de se réunir en corporations, aussi bien pour les progrès de l'art que pour les intérêts des artistes. Embri- gadés sous la bannière de leurs confréries, ils exé- cutèrent ensemble ces chefs-d'œuvre d'orfèvrerie, de sculpture, de ferronnerie, d'enluminure, de broderie, de tapisserie, de peinture qu'on se dis- pute aujourd'hui, et dont le moindre est tenu pour un trésor.

Tel fut le moyen âge. Après avoir lutté contre mille obstacles, l'Eglise ramenait le chœur des muses sur la terre, jusqu'au jour où, sous l'action directe des Papes, les ruines de la Grèce et de Rome livrèrent leurs secrets à la Renaissance.

Les Papes nous apparaissent dans l'histoire comme les protecteurs des beaux-arts. Rome, centre radieux des croyances chrétiennes, a été de tout temps la capitale des arts, le paradis terrestre des artistes. Jules II, qui semblait ne respirer que la guerre et

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faisait tout trembler autour de lui, était l'idole des Michel-Ange, des Raphaël. Sixte-Quint, si sévère, si ennemi des folles profusions, commandait des pro- diges aux Fontana, aux autres artistes de son temps, et les récompensait avec une magnificence inouïe. Hhose curieuse ! C'est l'Eglise qui a découvert, con- servé et glorifié les monuments de Fart antique. Elle a donné un trône à l'Apollon des païens. L'Eglise a conscience de sa divinité, elle agit sage- ment en rangeant autour de la tombe du pêcheur galiléen l'innombrable famille des dieux que sa parole renversa. Pie VII, pour bien montrer que la grande Révolution n'avait point interrompu l'amour traditionnel de l'Eglise pour les arts, a comblé d'honneur l'illustre statuaire Canova. Gré- goire XVI a donné une nouvelle tombe au pre- mier peintre de l'univers, à Raphaël, et, continuant l'œuvre de ses prédécesseurs, il >a complété les immenses collections de chefs-d'œuvre amassées dans les galeries du Vatican. Léon XIII a été un ami éclairé et un protecteur zélé des lettres, des sciences et des arts.

(Test assez. Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir que l'Eglise est l'inspiratrice et la bienfaitrice des arts. L'Eglise est divine de tous les côtés et sous tous les aspects. Elle possède le vrai, elle répand le bien, elle cultive le beau. Gloire à elle!

Amen!

DIXIEME CONFERENCE

IV. ~ L'ÉGLISE ET L'ENSEIGNEMENT l'église et les livres de l'antiquité païenne

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance intellectuelle. Elle aime, elle protège, elle cultive les lettres, les sciences, les arts. Elle fait plus. Elle les propage. Non contente d'avoir la science, elle veut la ré- pandre, et elle ne possède la lumière que pour la donner. Etudions ses bienfaits dans l'ordre de renseignement. D'abord elle a conservé les sources du savoir antique, c'est-à-dire les livres des au- teurs païens, grecs et latins... C'est un bienfait immense qui mérite de retenir notre attention. Nous allons constater et admirer aujourd'hui la con- duite de l'Eglise à l'égard des livres de l'antiquité païenne.

I. Quand l'Église entra dans le monde, déchira- t-elle les livres des auteurs païens? Non. Elle s'em-

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para de la lyre d'Homère et la plaça dans les mains de Grégoire de Nazianze pour chanter le vrai Dieu. Elle lut Platon et le donna à méditer à Justin et à Athénagore, philosophes chrétiens. Elle reçut à Antioche les leçons de Libanius, à Rome celles de Symmaque, à Athènes celles de la tradition tout entière, et, après avoir surpris au pied de ces chaires encore païennes les secrets de l'art antique, elle ramena dans ses sanctuaires saint Basile, saint Ambroise, saint Chrysostome avec l'éloquence ra- jeunie, Origène et Tertullien avec la controverse naissante, saint Jérôme avec tous les trésors de l'érudition sacrée et profane, saint Augustin, orateur, philosophe, historien, le dernier écrivain en qui se résume le monde ancien qui s'éteint, le premier penseur en qui s'annonce tout le génie de la civili- sation moderne. Dès l'origine, l'Eglise s'empare des livres de l'antiquité païenne et garde au monde, envahi par la barbarie, l'art de penser, d'écrire, de compter, de parler et de se souvenir, devenu dé- sormais pour elle un dépôt sacré. Ceci n'est pas contestable.

La plupart des Pères de l'Eglise avouent leur pré- férence, ou, comme ils disent eux-mêmes, leur fai- blesse pour l'écrivain qui a charmé leur jeunesse et auquel ils doivent en partie les grâces de leur style, ou la puissance de leur dialectique, ou encore leur profonde connaissance du cœur humain.

L'Eglise non seulement permet, mais conseille à

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une élite intellectuelle l'étude des lettres païennes. Elleypousse, elle veutqu'onlesconnaisseàfond. Saint Nil le Majeur dispose le Manuel d'Epictète à l'usage des chrétiens. Saint Basile compose un traité, destiné à ses disciples, sur la manière de lire les auteurs pro- fanes. Vainement Julien l'Apostat voudrait étouf- fer sous le mépris l'Église condamnée à l'ignorance et la dépouiller du prestige du savoir, l'Eglise se rit des terreurs et des persécutions de Julien. Elle le couche dans le cercueil que lui a préparé le char- pentier de Galilée, et elle se livre avec ardeur non seulement aux sciences sacrées, mais encore aux sciences profanes. trouver des esprits plus culti- vés que Clément d'Alexandrie et saint Grégoire de Nazianze, dont l'un avait approfondi et expliqué les origines de la mythologie païenne, tandis que l'autre puisait aux écoles d'Athènes les principes de l'élo- quence dans laquelle il devait égaler Démosthène? Quel grammairien païen fut plus familier avec les classiques que saint Ambroise, dont les discours rappellent par leur éloquence toute cicéronienne les meilleurs temps de la littérature latine? Quel siècle de l'antiquité a produit une érudition plus vaste que celle de saint Augustin, et quelle encyclopédie égala jamais la Cité de Dieu? Quel lettré, quel hu- maniste professa pour les modèles anciens un culte pareil à celui dont les entoura saint Jérôme ? Il em- porte avec lui en Orient, dans la grotte de Bethlé- hem, les livres des orateurs païens; il les lit avec

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un tel enthousiasme que sa piété en est effrayée. « Homme faible et misérable, dit-il, je jeûnais avant de lire Cicéron. Après plusieurs nuits passées dans les veillées, après des larmes abondantes que m'ar- rachait le souvenir de mes fautes, je prenais Pla- ton. Lorsqu'ensuite, revenant à moi, je m'attachais à lire les Prophètes, leurs discours me semblaient rudes et négligés. Aveugle que j'étais, j'accusais la lumière ! » Saint Jérôme menait de front l'étude des Saintes Ecritures et la lecture des auteurs païens. Il était doublement fort, et, au nom du christia- nisme naissant, il pouvait jeter au monde ce cri de triomphe : « Nous ne craignons aucune espèce de comparaison. »

r

IL Au moyen âge, l'Eglise conserve avec un soin jaloux les écrits de l'antiquité. Par un prodige de premier ordre, elle sauve de l'invasion des Barbares et des révolutions des peuples les chefs-d'œuvre de la civilisation grecque et romaine. Dans l'Europe changée en champ de bataiHe, on trouve abrités dans les vallées, ou retranchés sur le sommet des montagnes les asiles de la science et une armée char- gée de la conserver et de la transmettre : les cou- vents et les moines.

Les couvents sont partout. L'Italie en est rem- plie. On rencontre sur les bords de la Loire les abbayes savantes de Fleury et de Ligugé ; puis plus

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loin, échelonnées vers le nord, Ferrières, Saint- Wandrille, Le Bec, Luxeuil, Corbie. En Suisse, fleurissent les monastères de Reichenau et de Saint- Gall. En Angleterre, on rencontre à chaque pas des collèges et des séminaires. En Irlande, sept mille étudiants font entendre leur murmure stu- dieux dans la seule ville d'Armagh. Dans la Ger- manie presque sauvage, parmi les Saxons conver- tis d'hier, on trouve les fondations de saint Boni- face, l'école de Fulda et la nouvelle Corbie sur le Wéser; bien plus, on découvre un couvent de reli- gieuses savantes, le monastère de Roswitha.

Et que fait-on dans ces maisons religieuses? On prie et on travaille. On étudie et on enseigne. A côté des Saintes Écritures et des livres liturgiques, on a les auteurs profanes. On les conserve précieu- sement. On les transcrit magnifiquement. L'impri- merie n'existait pas encore. Ce sont les moines qui ont multiplié et disséminé sans relâche les pré- cieux parchemins de l'antiquité savante. A leurs yeux la transcription des manuscrits était une œuvre sainte, méritoire. Il y avait des jours l'on priait en commun pour les copistes. Outre les religieux appliqués habituellement à ce travail, i) y avait certains temps, comme le Carême, toute la communauté s'y adonnait. Les statuts des Char- treux, rédigés auxne siècle, prouvent que la transcrip- tion était leur occupation ordinaire. Charlemagne accorde la permission de chasser aux religieux de

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Saint-Bertin, afin qu'ils aient des peaux pour la reliure des livres de l'abbaye.

Vous avez souvent entendu parler de l'ignorance monacale. Sachez donc un peu à quoi vous en tenir là-dessus. Au milieu du ixe siècle, Loup, abbé de Ferrières, écrit au pape Benoît III pour lui deman- der des livres qu'il ne trouve pas en France: saint Jérôme, Cicéron, Quintilien, Térence, promettant de les faire copier et de les renvoyer. Il avait établi ses copistes, non à Ferrières, mais à la Celle-de- Saint-Josse, à cause du voisinage de Montreuil, pour l'arrivée et le retour plus faciles des livres qu'il tirait des monastères de la Grande-Bretagne. Quel bibliomane que Gerbert, moine, puis pape sous le nom de Sylvestre II! Ses lettres ne parlent que de livres et de sommes qu'il employait à faire trans- crire ceux qu'il découvrait en France, en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas. Il demande aux moines de Fleury les livres de Cicéron : la Ré- publique, les Verrines et ses autres discours. Et Pierrele Vénérable, abbé de Cluny ! Il allait jusqu'en Espagne acheter au poids de l'or les traductions des livres arabes, entre autres celles de l'Alcoran; à l'abbaye de Fleury-sur-Loire, il y avait plus de cinq mille étudiants, et chaque écolier devait, pour l'honoraire des maîtres, leur présenter tous les ans deux volumes qu'il avait transcrits... c'était donc un tribut annuel de dix mille( volumes. Dans l'incendie qui consuma le monastère de Fleury sur

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la fin du ixe siècle, les moines abandonnèrent leur mobilier aux flammes pour sauver leur biblio- thèque. — L'abbé de Saint-Galles, pour préserver la bibliothèque de son abbaye du pillage des Hon- grois, la faisait transporter dans les montagnes de la Suisse. Et les livres sacrés et ecclésiastiques n'étaient pas seuls l'objet de tant de sollicitude. Les moines regardaient la conservation des auteurs profanes comme un devoir de religion. De savants religieux, exténués de jeûnes, se consumaient de veilles et de travaux pour nous transmettre les li- cencieuses fictions de la mythologie. Ils espéraient que la connaissance des étranges altérations de l'esprit humain nous ferait mieux apprécier les lu- mières de la foi, et dans les vérités éparses que contenaient les livres des païens ils voyaient la préface humaine de l'Evangile. C'est ainsi que, pen- dant tout le moyen âge, les classiques anciens ont été conservés et transcrits par l'Eglise avec la vigi- lance la plus attentive. Grâce aux évêques et aux moines, grâce à la sainte Église, la science du grec et du latin était alors plus répandue qu'elle ne l'est aujourd'hui. Au xme siècle, le latin est commun à tous les rangs de,, la société, et, après la prise de Constantinople par les Croisés, le grec se répand de plus en plus en Occident. Toutes les œuvres de ce temps débordent de réminiscences classiques.

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III. Arrive la Renaissance avec la découverte de l'imprimerie. L'Eglise n'abandonne pas les livres de l'antiquité païenne. Un Pape, dont le goût artis- tique et le sens littéraire égalaient l'habileté poli- tique, Léon X, prend la tête du mouvement et le dirige avec une telle sagesse qu'il mérite de donner son nom au siècle de la Renaissance. Gutenberg vient d'inventer l'imprimerie, et les savants grecs, exilés de Constantinople, errent sans asile. Que fait Léon X? Il profite de ces deux circonstances pour vulgariser en Italie" la connaissance de la langue d'Homère. Jean de Lascaris, qu'il fait venir de Venise, lui amène une colonie de jeunes hellé- nistes qui, comblés de ses faveurs et de ses libéra- lités, mettent tous leurs soins à faire connaître les chefs-d'œuvre de cette antique littérature. Bientôt les presses d'Aide Manuce produisent une édition des œuvres de Platon . Homère et Sophocle sont exhu- més de l'obscurité ils restaient ensevelis. L'im- primerie, aussitôt favorisée et utilisée par l'Eglise, met à la portée de tous les lettrés les œuvres de Pindare et de Théocrite. La langue latine appelle également l'attention du Pape. Sadolet et Bembo, ses secrétaires, restituent à l'idiome de Cicéron et de Virgile sa pureté primitive. Léon X achète au prix énorme de 500 ducats un exemplaire des cinq premiers livres de Tacite, qui fut tiré de l'abbaye de Gorwey en Westphalie, et le livre aux soins de

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l'un de ses meilleurs imprimeurs. En un mot, le goût des classiques se développe tellement qu'il va jusqu'à l'exagération et provoque un retour des esprits et des mœurs au paganisme.

Et pendant que l'Italie obéissait ainsi à l'impul- sion puissante de Léon X, que devenaient l'Alle- magne et l'Angleterre, travaillées à la même époque par les adeptes de la réforme? « Les hautes écoles, dit Luther, mériteraient qu'on les détruisît de fond en comble, car jamais depuis que le monde est monde il n'y eut d'institution plus diabolique. » Et, de fait, sous les pas du Réformateur, les écoles se ferment, les maîtres sont dispersés, et les peuples retombent dans la nuit de l'ignorance.

Mais à cette même heure si critique pour l'Eglise et pour les lettres, Dieu suscite un ordre religieux dont la mission principale est de veiller à la con- servation des études, de les favoriser au milieu du protestantisme, et souvent malgré lui. Les Jésuites relèvent ce que Luther a détruit, et à Cologne, à Trêves, à Mayence, à Augsbourg, à Paderborn, à Anvers, à Prague, à Posen, ils ouvrent des collèges les lettres anciennes sont cultivées avec ardeur. Ils vont plus loin. Ils publient et répandent dans toute l'Europe lettrée ces éditions annotées et expurgées, ces commentaires si savants, si ingé- nieux et en même temps si réservés et si prudents, qui ont fait autorité jusqu'à nos jours dans tous les établissements chrétiens.

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Et cette restauration universelle ne s'est pas bor- née aux contrées envahies par la Réforme. Personne n'ignore que la plupart des grands hommes de notre xvne siècle reçurent dans les collèges des Jé- suites l'éducation qui développa et fortifia leur gé- nie. Et dans les collèges une large part du pro- gramme d'instruction est donnée à l'étude des anciens. Chez les Jésuites aucun élève n'était admis à prendre des leçons de sciences ou de philosophie, s'il ne possédait une connaissance suffisante des langues grecque et latine; et cet usage, universel dans les maisons de la compagnie de Jésus, fat bientôt adopté dans les collèges de l'Université.

11 est donc prouvé et mille fois prouvé que dès l'origine, et au moyen âge ou à la Renaissance, et depuis dix-neuf siècles, l'Eglise n'a pas cessé de veiller sur les livres de l'antiquité païenne, de les protéger, de les propager, avant comme après l'invention de l'imprimerie. Et ici, nous avons le droit de redire la fière parole de saint Jérôme : « Nous ne craignons aucune espèce de comparai- son. » L'Eglise à travers les siècles a gardé les sources du savoir antique. Je plaindrais ceux qui n'auraient pas le courage de la remercier.

Amen!

ONZIÈME CONFÉRENCE

l'église et les livres de l'antiquité PAÏENNE

(suite)

Messieurs,

L'Église a conservé précieusement les sources du savoir antique, les livres des anciens païens. Comment s'expliquer une pareille conduite? Est-ce que l'Église aurait un certain amour pour ces livres trop souvent remplis d'erreurs et d'immoralités? Mais oui, l'Église les aime, elle les aime sagement. Après avoir vu ce qu'elle a fait pour eux, voyons aujourd'hui ce qu'elle en pense. Étudions l'opinion de l'Église sur les livres de l'antiquité païenne. Quelle est la pensée et le désir de l'Église à ce propos?

I. Ce que V Église pense des classiques païens.

Elle pense qu'il est utile de les connaître et de les étudier, parce qu'ils renferment des vérités

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éparses. Oui, malgré les ténèbres qui couvraient l'intelligence humaine avant Jésus-Christ, il faut reconnaître sur le front des grands hommes de l'antiquité un reflet de la lumière d'en haut. Les plus belles pages de leurs œuvres ont été inspirées parles restes flottants des traditions hébraïques. Les hymnes d'Orphée et de Gléanthe rappellent de loin les chants sacrés qui célèbrent la gloire de Jého- vah. Plusieurs passages d'Eschyle semblent des imitations du livre de Job. Homère rivalise souvent avec la majesté et la simplicité des récits bibliques. De plus, les auteurs anciens travaillaient sur le fonds commun et inépuisable des idées- et des senti- ments naturels ; ils avaient sous les yeux le modèle éternel de toute peinture émouvante et vraie : l'homme même, avec ses tristesses et ses joies, ses misères et ses vertus, et les étranges vicissitudes de son pèlerinage ici-bas. Sans doute ils n'ont jamais pu, malgré toutes les ressources de l'art et toutes les puissances du talent, se rendre pleine- ment maitres de leur sujet. Ils n'ont su découvrir de la nature de l'homme, de son origine, de ses destinées, de ses aspirations infinies, que très peu de choses ; du vrai Dieu ils n'ont presque rien dit ; et néanmoins quiconque a seulement parcouru les chants héroïques de la Grèce sait quels monuments le génie est parvenu à élever avec ces débris épars. Aussi l'Eglise, dont la mission est de révéler dans son plein jour la lumière que le paganisme avait

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parfois entrevue, se garde bien de déchirer des pages qu'elle regarde comme une préface humaine de l'Évangile. Elle déclare qu'il est non seulement permis, mais utile de connaître et d'étudier les clas- siques païens, parce qu'ils renferment des vérités éparses.

Et aussi parce qu'ils se recommandent par une beauté de forme tout à fait digne de respect et d'admiration. En effet les anciens sont restés les vrais modèles et le meilleur guide en l'art litté- raire. Malgré la pauvreté de la doctrine païenne sur laquelle ils ont exercé leur génie, ils sont habituelle- ment plus simples, plus naturels, plus sincères que leurs imitateurs modernes. Leurs écrits ne sentent pas l'effort. Voyez les tragiques grecs en particulier. Artistes d'une sincérité admirable, tout entiers à l'idéal qui les a charmés, ces vieux maîtres ne paraissent jamais préoccupés de philosopher, ni de créer la difficulté pour conquérir l'honneur de la vaincre. A la différence de nos auteurs modernes, même les meilleurs, qui attachent beaucoup de prix à éveiller, à surexciter et à satisfaire enfin la curiosité, ils ne poursuivent qu'un but : la simple expression du Beau. Point de complications, ni de ruses du métier; jamais de ces coups de théâtre dont l'effet principal est de surprendre le lecteur ou de le tenir en haleine. S'ils s'émeuvent, c'est d'admi- ration, de tristesse, de terreur, de pitié. L'impres- sion qu'ils laissent, c'est celle d'un ravissement

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calme, silencieux, qui repose et épanouit l'âme, non celle d'un étonnement qui l'agite et la trouble. Tel est le secret de l'empire exercé par les clas- siques anciens sur les meilleurs esprits de toutes les nations et de tous les siècles ; tel est le secret de l'enthousiasme qui inspirait au poète, M.-J. Ghénier, cet éloquent hommage :

Trois mille ans ont passé sur la tombe d'Homère, Et depuis trois mille ans, Homère respecté, Est jeune encor de gloire et d'immortalité I

L'Eglise, Messieurs, ne désavoue pas ces senti- menls. Elle les partage. Elle déclare hautement qu'il est utile de connaître et d'étudier les clas- siques païens, pour la double raison qu'ils sont recommandables et par la beauté de la forme et par les vérités éparses qu'ils ont sauvées du nau- frage de Terreur universelle.

Cependant, ici comme partout, il est nécessaire de ne rien exagérer, et il importe de ne pas attribuer à l'Eglise une admiration sans limites pour les classiques païens. Nous connaissons sa pensée. Etu- dions ses désirs.

II. Ce que l'Église désire par rapporta l'enseigne- ment des classiques païens.

Dès le xvne siècle certains hommes proposèrent de

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bannir les auteurs païens de l'éducation publique, mais cette idée ne fut soutenue que par un petit nombre d'esprits singuliers. Dans la fameuse que- relle des Anciens et des Modernes, l'Eglise, restée fidèle à ses traditions, continua d'admirer l'élo- quence et la poésie répandues dans les ouvrages classiques, comme des reflets lointains de la vérité et de la beauté éternelles. Plus tard, en présence des tendances de plus en plus païennes de l'ensei- gnement universitaire, de nombreux ecclésias- tiques demandèrent que l'on fît une part plus large dans les collèges chrétiens à l'explication des auteurs chrétiens. C'était justice. L'Eglise, bien entendu, n'a jamais eu l'intention d'exclure les écrits des Anciens. Mais elle demande trois choses qui sont souverainement raisonnables.

r

L'Eglise demande d'abord que les classiques païens soient expurgés. Il y a dans les auteurs païens des énormités, des immoralités, même dans Platon, même dans Virgile. Irez-vous étaler ces lubricités sous les yeux d'une jeunesse curieuse et incan- descente? Ce serait une souveraine imprudence. Avant donc d'introduire dans le programme de l'enseignement les ouvrages de l'antiquité, il est absolument nécessaire de les émonder, de les dé- barrasser des passages qui seraient dangereux pour la vertu des étudiants. En 1853, le pape Pie IX, écrivant aux évêques de France, leur dit : « Con-

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tinuez comme vous le faites à ne rien épargner pour que les jeunes clercs soient formés de bonne heure à toute vertu... pour qu'ils soient instruits avec autant de profondeur que de vigilance des lettres humaines et des sciences sacrées... pour qu'ils puissent apprendre l'art de parler avec élo- quence, d'écrire élégamment, en étudiant tant les ouvrages si excellents des saints Pères que lés écrits des écrivains païens les plus célèbres, après qu'ils auront été soigneusement expurgés. » La décision est nette et précise. Il faut garder les classiques païens. Mais, avant de les mettre entre les mains de la jeu- nesse, il faut les expurger. Telle est la règle tracée par l'autorité légitime, et cette règle repose sur le plus simple bon sens. L'Eglise, mère intelligente et attentive, désire que les classiques païens soient expurgés.

Elle désire de plus qu'ils soient expliqués. Il importe d'en montrer les beautés. Mais il n'im- porte pas moins d'en montrer les lacunes et les in- suffisances. Sans cela la jeunesse studieuse ne con- naîtrait jamais ni ce que nous devons d'amour et de reconnaissance au christianisme, ni ce que mé- ritent de mépris les farceurs qui nous vantent les lumières de la raison et de la philosophie humaine en matière religieuse et sociale. 11 y a dans les auteurs anciens une révélation du paganisme. Voilà ce qu'il faut voir, montrer et expliquer. Sans

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doute le tableau vrai du paganisme a un côté im- monde qu'il faut soigneusement dérober au regard de la jeunesse. Mais il a en même temps un côté barbare, inhumain, qu'il importe de mettre en lu- mière... côté tellement incroyable pour l'adoles- cent élevé au sein d'une famille et d'une société chrétienne qu'il est bon d'appeler en témoignage l'élite des écrivains de l'antiquité. Voilà ce qu'il faut montrer aux jeunes gens dans le paganisme : l'élégance parfaite de la pensée et de la langue, la culture passionnée des lettres, de la philosophie, des beaux-arts s' unissant à la férocité des mœurs, à l'atrocité des lois, et les plus nobles esprits de l'époque justifiant, défendant, célébrant des insti- tutions dont la barbarie nous fait frémir. Si on ne fait pas cela, la jeunesse s'éprend d'un engouement pernicieux et ridicule, non seulement pour la litté- rature, mais pour la civilisation grecque et ro- maine; et après dix-neuf siècles de christianisme on forme des païens qui se pâment d'admiration devant l'antiquité. Je le crois bien! Ils ne la connaissent pas. Ils n'en ont vu que la surface brillante. On ne leur a pas montré les plaies profondes et incu- rables qui se cachent sous le vêtement soyeux des nations idolâtres. L'Église veut donc et elle a rai- son de vouloir que les classiques païens soient expurgés et expliqués.

Elle désire enfin qu'ils soient complétés par l'étude

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 109

des classiques chrétiens. Ce que le pape Pie IX avait dit une première fois en 1853, il l'a redit de nouveau en 1874, à savoir « qu'il faut faire étudier à la jeunesse, avec les ouvrages classiques des anciens païens purgés de toute souillure, les plus beaux écrits des auteurs chrétiens». C'est clair. Et d'ailleurs quoi de plus raisonnable et de plus néces- saire? On s'étonne et l'on s'afÛige de voir bon nombre de jeunes gens afficher, au sortir des études, le mépris des idées religieuses et faire profession d'irréligion. Comment en serait-il autrement quand leur esprit, préoccupé exclusivement des images de la Grèce et de Rome, s'est habitué à voir dans les nations païennes le type de la perfection intellectuelle et sociale, quand l'étude du christianisme, bornée à la simple connaissance des devoirs religieux, semble n'être placée que pour contraster par l'austérité de ses dogmes et de sa morale avec les riantes et voluptueuses fictions de la mythologie? Dans cet âge d'illusions et de folies, quel est le jeune homme nourri des gracieuses inventions de la Grèce menteuse, des grandioses souvenirs de Rome maîtresse du monde, qui ne soit tenté de regretter cet âge d'or, qui ne s'afflige en secret de n'être pas ou grec ou romain? L'antiquité lui est connue jusque dans ses moindres détails, et il ne sait pas un mot des martyrs, des écrits des Pères, de l'histoire de nos saints, des merveilles de notre civilisation chrétienne. C'est un désordre. Tant que

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la jeunesse n'aura sur la société païenne que les jugements des auteurs païens, et sur le christia- nisme que les leçons d'un maigre catéchisme, elle ne connaîtra pas la vérité totale et, donnant secrè- tement la préférence aux païens sur les chrétiens, elle sera tentée de dire avec Voltaire: «Dieu visita le monde et ne l'a pas changé. »

L'Église désire que les classiques païens soient expurgés, expliqués et complétés par l'étude des classiques chrétiens. Elle a raison. Ne dites pas qu'elle est exagérée dans ses prétentions et qu'elle sacrifie les grands modèles de l'antiquité. Bien au contraire. Elle les a toujours protégés. Et aujourd'hui encore que voyons-nous? Nous voyons notre société frivole abandonner de plus en plus Tétude du latin et du grec. Le temps consa- cré autrefois aux thèmes et aux versions est employé maintenant aux expériences de physique et aux leçons d'histoire naturelle. La science du bien-être matériel peut y gagner ; mais les générations nou- velles ne verront-elles pas en revanche diminuer et s'éteindre la vigueur de l'intelligence, l'élévation de la pensée, la distinction de l'esprit, la rectitude du jugement, la noblesse du caractère ? Faut-il donc désespérer de l'avenir intellectuel de notre pays ? Non, l'Eglise reste. L'Eglise veille. Elle a fait la gloire littéraire de la France comme sa grandeur politique. Or l'Église est debout. Elle a des écoles

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE \\{

libres elle conserve, comme, en un sanctuaire, le dépôt des saines traditions. C'est de que viendra la lumière, lorsque la tempête des révolu- tions aura passé. L'Eglise, depuis dix-neuf siècles, garde les sources du savoir ; elle ne faillira pas à sa tache dans l'avenir I

Amenl

DOUZIÈME CONFERENCE

l'église et l'enseignement SUPÉRIEUR

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance intellectuelle. Elle protège et cultive les lettres, les sciences et les arts. Et, non contente de posséder le savoir, elle le répand. Elle enseigne avec un égal amour et une vigilance égale toutes les classes de la société, les classes dirigeantes et les classes populaires. Etu- dions aujourd'hui les bienfaits de F Eglise dans Tordre de l'enseignement supérieur. Il y a ma- tière à plusieurs volumes. J'essaierai de tout dire en deux conférences. Nous parlerons successive- ment des propagateurs et des établissements de l'en- seignement supérieur.

A travers dix-neuf siècles l'Eglise a propagé l'en- seignement supérieur par le moyen des Papes, des évêques, des moines, des rois catholiques et d'une multitude d'hommes éminents animés de son esprit et sortis de son sein.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 113

I. Les Papes et les Évêques fondent l'enseigne- ment supérieur.

En envahissant l'Europe, les barbares ensevelis- saient dans les mêmes ruines les institutions poli- tiques et les écoles romaines. En présence de la force brutale, une seule puissance restait debout, l'Eglise catholique, tenant d'une main fernfë le flambeau de la science ramassé au milieu des dé- bris. Et aussitôt nous la voyons partout se mettre à l'œuvre pour enfanter l'enseignement supérieur. Les Papes et les évêques tiennent la tête du mouvement.

En Italie, le pape Grégoire le Grand fonde dans le palais de Latran une école de chantres l'on se borne d'abord à enseigner la musique, et qui, devenue par ses transformations successives la lumière de Rome et l'exemple de l'Occident, sert de modèle à l'école du palais des Mérovingiens. Gardée par le génie vigilant et initiateur de la Pa- pauté, Rome, pendant et après les invasions, restait reine et maîtresse entre les nations, car elle tenait toujours le sceptre de l'intelligence.

En Espagne, les lettres grecques et latines étaient en paix et en honneur sous la crosse des évêques. Les écoles épiscopales se soutenaient au sein même de l'invasion musulmane, et, à la fin du xe siècle, l'illustre Gerbert venait s'instruire dans le palais épiscopal de Vich en Catalogne.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-8

1 [ y CONFÉRENCES AUX HOMMES

En France, les évoques ouvraient dans leurs palais de florissantes écoles. Hincmar, le célèbre archevêque de Reims et Foulques, son successeur, fondèrent ainsi un établissement d'instruction qui conserva sa renommée pendant tout le moyen âge. Et dans ces écoles épiscopales, comme aujourd'hui dans nos séminaires mixtes, de futurs lévites et de jeunes séculiers, des jeunes gens, destinés les uns à la vie ecclésiastique et les autres à la vie du monde, s'initiaient ensemble à la science sacrée et à la science profane. Dans ces temps reculés, du ve au xme siècle, l'Eglise par ses évêques s'acquit- tait déjà de son rôle d'institutrice de l'Europe. Mais les évêques ne pouvaient seuls suffire à une pareille tâche, absorbés qu'ils étaient par Févangélisation des peuples et par l'administration des diocèses; obligés de pourvoir en même temps aux besoins spirituels" des populations et aux nécessités tempo- relles, de la société civile, ils n'avaient ni le temps ni les moyens de donner tout son essor à l'enseigne- ment supérieur.

II. Les moines apparaissent et instituent dans leurs monastères des écoles conventuelles. Dès l'an- née 360, saint Martin fonde à Ligugé un monastère célèbre, puis d'autres foyers de lumière à Milan, à Trêves, à Tulle et surtout à Marmoutiers, sa résidence. Et successivement, sur tous les points

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE H 5

de la France, nous voyons surgir de grandes abbayes, comme, chez nous, Ferrières-en-Gâtinais et Saint- Benoît-sur-Loire, qui distribuent le haut enseigne- ment et qui recueillent jusqu'à quatre ou cinq mille élèves.

En Italie, même efflorescence de monastères et d'écoles conventuelles. Dans la Lombardie, au fond des âpres déserts de l'Apennin, à Bobbio, saint Colomban venu d'Irlande fonde un grand monas- tère où les études sont en honneur, les traditions du savoir se conservent si bien qu'au xe siècle la bibliothèque de Bobbio possède des écrits de Démos- thène et d'Aristote, les principaux poètes latins, et une quantité incroyable de grammairiens. Et en même temps un autre foyer de sciences s'allume au midi de l'Italie. Saint Benoît donne à ses religieux du mont Cassin cette règle célèbre qui régit bientôt tous les cloîtres de l'Occident et qui impose aux moines Bénédictins la culture des lettres.

En Irlande, les monastères sont les abris de la science, et en Angleterre surgissent de grandes écoles monastiques dont la renommée a rempli l'Europe pendant des siècles : Gantorbéry, Oxford, Cambridge, Winchester. C'est en Angleterre que Gharlemagne a pris le moine Alcuin, qui fut le véritable éducateur de la France carlovingienne.

Ainsi dès ces temps reculés, duv°au xme siècle, l'Eglise, par ses évoques et par ses moines, remplis- sait assez bien son rôle d'éducatrice de l'Europe.

416 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Cependant les moines et les évêques ne suffisaient pas à la tâche. L'Eglise, pour assurer le service si nécessaire de l'enseignement supérieur, chercha et trouva de puissants collahorateurs dans la per- sonne des princes chrétiens.

III. Les rois catholiques coopèrent efficace- ment à la création et à la diffusion de l'enseigne- ment supérieur, sous l'influence de l'Eglise qui les inspire, les dirige et les encourage.

Glovis fonde une école dans son propre palais; ses successeurs la conservent et la développent. Cette école, après n'avoir été d'abord qu'un noviciat ecclésiastique, devint bientôt un apprentissage des grands emplois publics pour la jeunesse laïque.

Puis voici Charlemagne ; il se fait initier lui-même parles savants étrangers à toutes les science^ connues de son temps. Il attire auprès de lui le diacre lom- bard, Pierre de Pise; Théodulphe, également lom- bard, élevé plus tard sur le siège épiscopald'Orléans; l'Espagnol Agobard; saint Benoît d'Aniane, et enfin le moine anglais Alcuin, qui fut comme le ministre de l'instruction publique de Charlemagne. Sous sa direction, l'école du palais prit une impor- tance et un éclat extraordinaires. Elle devint une académie d'hommes lettrés et savants. Elle devint, avec le concours du monarque, des moines, des

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE H7

abbés et des évêques, avec le double concours du clergé et des rois très chrétiens, cette fameuse école de Paris, premier germe des Universités.

Là, à l'école de Paris, accouraient les écoliers pour y recevoir les leçons des maîtres les plus célèbres du monde entier. Ces écoliers formaient, par leur grand nombre, une population distincte, et, au commencement du xme siècle, sous Philippe- Auguste, l'affluence de ces jeunes gens devint si con- sidérable que la population s'en trouva doublée et ju'il fallut pour ce motif élargir l'enceinte de la Cité. L'heure était venue de donner à ce vaste corps enseignant une organisation. Par suite d'un di- plôme émané de Philippe-Auguste et de deux bulles promulguées par Innocent III, lesprofesseurs et leurs disciples se constituent en corporation, et leur com- munauté s'appelle désormais régulièrement l'Uni- versité des maîtres et des étudiants de Paris, ou simplement l'Université des études, et plus tard l'Université tout court. Nous arrivons ainsi à la période brillante et définitive de l'enseignement supérieur. C'est l'Eglise qui a tout fait soit par elle- même avecsesPapes, sesévêques etses moines, soit par les rois catholiques dont elle a suscité l'initia- tive et dirigé les efforts. C'est elle encore qui du xme au xixe siècle continue de tout faire par les mêmes moyens et avec les mômes auxiliaires.

i 18 CONFÉRENCES AUX HOMMES

IV. Les hommes d'Église qui ont propagé l'en- seignement supérieur se sont fait dans l'histoire un nom immortel. Il m'est impossible de les citer tous. Il est utile cependant de vous en nommer quelques-uns.

Est-ce que ce n'étaient pas des hommes d'Eglise, le moine Alcuin qui apprit les langues à Charle- magne ; et le pieux Hincmar, qui jeta tant d'éclat sur l'école de Reims; et le pape Gerbert, qui fit asseoir toutes les sciences de son temps sur le siège de saint Pierre ; et saint Anselme, si profon- dément initié à la connaissance de Dieu ; et Albert le Grand qui a tout enseigné ; et Thomas d'Aquin qui a tout écrit; et ces précurseurs des décou- vertes modernes, qui au fond d'une école obscure préparaient, entre la prière et les devoirs de l'en- seignement, les premières explosions du salpêtre et les premières analyses de la chimie?

Et plus tard, quand la Renaissance multiplie les chaires, est-ce que l'Église ne se multiplie pas à son tour pour leur donner des maîtres, qui s'ap- pellentles Minimes, les Barnabites, les Doctrinaires, les Oratoriens, les Jésuites, en qui les Anciens trouvent des commentateurs habiles, et la jeunesse des apôtres dévoués?

Levez-vous de la poussière glorieuse de votre tombe, juristes de Bologne, lettrés de Padoue, phi- losophes et théologiens d'Alcala, de Salamanque,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE H 9

d'Oxford, de Louvain et de Paris, savants et éru- dits de toutes les Universités du moyen âge, le titre d'écolier valait un titre de noblesse! Levez- vous avec la Divine Comédie du Dante et la Somme Théologique de l'incomparable Thomas d'Aquin !

Levez-vous, siècle de Léon X avec vos manus- crits de Tacite et vos trois cents manuscrits de l'an- tiquité retrouvés ; levez -vous avec vos Michel-Ange, vos Raphaël, vos Léonard de Vinci et vos mille éclairs de génieJ

Levez-vous, siècle de Louis XIV, grand siècle, fils de la France et de l'Eglise ! Levez- vous avec Racine et Corneille, avec les Oraisons funèbres et Y Histoire universelle de Rossuet! Levez-vous, grands hommes du plus grand de nos siècles litté- raires, et dites-nous quels furent les maîtres qui vous formèrent à tous les secrets de l'art de pen- ser, de parler et d'écrire, et dites-nous si ces maîtres ne furent pas des saints de premier ordre, des savants de premier ordre! Ces maîtres qui ont formé l'Europe chrétienne, qui ont produit toutes les sommités intellectuelles de l'histoire pendant dix-neuf siècles, ces maîtres qui furent des géants, on les accuse d'incapacité, d'ignorance et d'obscu- rantisme... C'est une infamie! Et au nom delà vérité historique, au nom de l'honnêteté la plus vulgaire, je proteste contre les menteurs et les ignorants qui calomnient nos vieux siècles chré- tiens, nos vieilles gloires catholiques !

120 CONFÉRENCES AUX HOMMES

L'enseignement supérieur, Messieurs, est néces- saire à notre civilisation. Il en est la richesse et la parure. Or l'Eglise a été dans le passé la mère, la maîtresse et la reine de l'enseignement supé- rieur. Elle a été la véritable institutrice de l'Eu- rope. Comment s'est-elle acquittée de sa tâche? Elle a gardé précieusement les sources du savoir, les livres de l'antiquité païenne ; Elle a propagé le haut enseignement par le ministère de ses Papes, de ses évêques et de ses moines, parle concours des princes catholiques, par la col- laboration des hommes éminents qu'elle a formés et dont elle a fait ses mandataires et ses représentants. L'Eglise a fourni à l'enseignement supérieur des livres et des maîtres. Ce n'était pas assez. Elle lui a ouvert des établissements splendides. Nous verrons cela dimanche.

Amen 1

TREIZIÈME CONFERENCE

l'église et l'enseignement SUPÉRIEUR (suite)

Messieurs,

L'Eglise estime grande puissance intellectuelle. L'enseignement supérieur a trouvé chez elle des propagateurs que je vous ai nommés et des éta- blissements scolaires sur lesquels je vais appeler au- jourd'hui votre attention. Je n'ai que le temps de vous donner sur ces vastes sujets quelques indica- tions succinctes.

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I. Je vous signale d'abord les Ecoles que l'Eglise a ouvertes du ve au xine siècle : écoles épiscopales, écoles du palais, et surtout écoles monastiques se distribue le haut savoir. Abrités dans les vallées ou retranchés sur les sommets des montagnes, les couvents cultivent la science et la donnent. Les couvents parsèment l'Europe. L'Italie en est rem-

{ 22 CONFÉRENCES AUX HOMMES

plie. On rencontre sur les bords de la Loire les abbayes savantes de Fleury et de Ligugé, et plus loin, échelonnées vers le nord,Ferrières-en-Gâtinais, Saint- Wandrille, Le Bec, Luxeuil, Gorbie. Ferrières et Saint-Benoît-sur-Loire recueillent jusqu'à quatre et cinq mille écoliers. En Suisse, fleurissent les monastères de Beichenau et de Saint-Gall. En Angle- terre apparaissent les grandes écoles monastiques dont la renommée a rempli l'Europe pendant des siècles : Cantorbéry, Oxford, Cambridge, Vinches- ter. En Irlande, sept mille étudiants font entendre leur murmure studieux dans la seule ville d'Ar- magh. Et dans la Germanie presque sauvage, parmi les Saxons convertis d'hier, on trouve les fondations de saint Boniface : l'école de Fulda, et la nouvelle Corbie sur le Wéser. Tout cela est antérieur au xine siècle. Et, à partir du xme siècle, l'Eglise or- ganise mieux encore et distribue plus largement l'enseignement supérieur. Elle ouvre partout des Universités.

IL Je vous signale l'Université de Paris, défini- tivement fondée au xme siècle, et qui devient tout de suite le type sur lequel se forment toutes les grandes Universités du moyen âge.

Elle est constituée par l'autorité compétente, qui

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est celle de l'Eglise. Elle doit sa naissance à un di- plôme émané de Philippe-Auguste, diplôme que

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 123

viennent approuver et consacrer deux bulles du pape Innocent III.

Elle comprend quatre facultés : la faculté des Arts (lettres et sciences) ; la faculté de théologie ; puis les facultés de droit et de médecine, qui appa- raissent en plein exercice un peu après les autres.

Ces quatre facultés élisent des officiers au nombre de sept, lesquels constituent un tribunal, appelé à décider sur les affaires de la Corporation ; au-des- sus d'eux est un recteur ou chef commun ; il exerce une juridiction souveraine sur tout le territoire de T Université, qui comprend près de la moitié de la ville. C'était un grand personnage ; on le voit sou- vent appelé à siéger au Conseil royal ; il marchait de pair avec l'évêque de Paris. Le jour de son ins- tallation était célébré par une procession solennelle dont la pompe était royale et dont la tradition est venue se perdre à la fin du xvme siècle avec toutes les pompes du temps passé.

Le Saint-Siège entourait de faveurs l'Université. Dans tous les règlements universitaires, on trouve l'action et la pensée des Papes ; ce sont les Papes qui ont fait tout l'enseignement del'Europe dansle passé.

Le nombre des étudiants était énorme. Les mo- nastères, les abbayes envoyaient à Paris leurs plus brillants élèves; on vit des collèges spéciaux fondés dans la capitale pour les jeunes gens de certains diocèses ou de certaines régions, pour les étudiants pauvres, pour les clercs nécessiteux. On vit les terres

i2* CONFÉRENCES AUX HOMMES

les plus lointaines représentées dans cet autre pan- démonium des nations par quelques-uns de leurs entants. Toutes les nations de Y Europe dirigeaient des étudiants vers F Université de Paris. Combien les différentes facultés de notre grande cité comptent- elles d'auditeurs actuellement? Quelques milliers à peine. Or au xuie, au xive et au xve siècle on comptait à Paris de seize à vingt mille écoliers; et, parmi cette jeunesse ardente, se trouvaient toutes les illustra- tions de l'époque, tous ceux dont la science et les travaux ont honoré l'Europe chrétienne. C'est par son Université que Paris est devenu la capitale in- tellectuelle de l'univers, et son Université, Paris la devait à l'Eglise. Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, nous sommes tous, par l'esprit, fils de cette période brillante où, de tous les coins du monde, les étudiants par milliers, les uns entre- tenus par leur famille, d'autres travaillant manuel- lement, d'autres même mend:ant pour vivre, ac- couraient pour s'instruire à l'Université de Paris, Université libre, autonome, ne dépendant d'aucun ministre et versant cependant des torrents de lu- mière sur le monde civilisé. Toutes les nations voisines la prirent pour modèle et la copièrent.

III. Je vous signale les Universités d'Europe, qui furent fondées à la suite et sur le modèle de l'Uni- versité de Paris.

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En Allemagne, le pape Urbain IV érige, en 1388, l'Université de Cologne, à la demande du Sénat et du peuple, et il confirme l'Université de Heidelberg et celle de Vienne. L'Université de Bàle doit son érection au pape Pié II en 1459; celle de Mayence est fondée par deux de ses évèques en 1482; celles de Wurtzbourg, d'Ingolstadt, d'Erfurt, de Leipzig, de Francfort-sur-1'Oder sont érigées ou confirmées par les Papes.

Dans les Pays-Bas, l'Université de Louvain est instituée par Jean, duc de Brabant, et approuvée par le pape Martin V, en 1426. L'Université de Liège a son origine et sa prospérité à l'action de l'Eglise.

Les Universités de Cracovie et de Prague re- montent au xive siècle.

L'Espagne fut de bonne heure la terre classique du haut enseignement. l'Eglise plus qu'ailleurs encore est mère, reine et maîtresse. Elle fonde, elle inspire, elle dirige les Universités de Tolède, de Séville, de Valence, de Valladolid, d'Alcala, de Sa- lamanque, de Saragosse, de Lerida, de Coïmbre et d'Evora.

En Angleterre, les princes et les évêques riva- lisent de zèle et de générosité pour fonder, doter, enrichir les Universités d'Oxford et de Cambridge; au xme siècle, on comptait trois mille étudiants à Oxford, même prospérité à Cambridge... quinze collèges restaient debout dans cette ville au

126 CONFÉRENCES AUX HOMMES

xvie siècle, monuments vénérables de la ferveur catholique des âges précédents.

Enfin l'Italie, héritière des vieilles civilisations, avait des Universités nombreuses et florissantes, grâce au séjour des Papes et à leur constante solli- citude. Urbain IV établit l'Université romaine et y appelle le grand docteur Thomas d'Aquin. Venise, Padoue, Ferrare, Milan, Pavie eurent de bonne heure des Universités. Celle de Bologne était cé- lèbre entre toutes par l'éclat qu'elle avait su donner à l'enseignement du droit.

C'est ainsi que du xue au xvie siècle, sur toute la surface de l'Europe, l'Église avait ouvert à l'élite des intelligences des asiles studieux toutes les branches du savoir humain, théologie, jurispru- dence, médecine, littérature, étaient cultivées avec une égale ardeur.

Et qu'on ne dise pas que le monde doit au pro- testantisme l'essor de l'enseignement supérieur. Il n'y a pas de mensonge historique plus flagrant que celui-là. Deux chiffres suffisent à le confondre : à la fin du xve siècle l'Europe avait soixante Univer- sités, et la France à elle seule en avait dix-sept. C'est à peine si aujourd'hui la France et l'Europe sont aussi bien partagées. Avant de terminer, jetons un regard sur notre pays.

LES' BIENFAITS DE L'ÉGLISE 127

IV. Je vous signale les Universités de France qui rayonnaient autour de l'Université de Paris.

A la fin du xve siècle, à la veille du protestan- tisme, la France comptait dix-sept Universités; à la fin du xvme siècle, à la veille de la Révolution, elle en compte vingt-trois, parmi lesquelles se dis- tinguent spécialement celles d'Orléans et de Tou- louse. La nôtre, celle d'Orléans, était très célèbre, on y venait de partout. Dans l'espace de deux cent cinquante ans, treize mille étudiants allemands ont quitté leur patrie pour venir étudier chez nous notre langue, le droit civil et le droit romain.

Et au-dessous de ces grands établissements de l'enseignement supérieur, au-dessous des vingt- trois Universités provinciales, cinq cent soixante- deux collèges fondés par des cardinaux, des évêques, de simples prêtres, quelquefois par des familles seigneuriales, donnaient l'enseignement secondaire à plus de soixante-douze mille élèves. Trente-six de ces collèges étaient établis à Paris.

Et puis, ce qui est de nature à nous surprendre davantage encore, c'est la large gratuité de l'ensei- gnement supérieur et secondaire avant la Révolu- tion. Rien qu'à l'Université de Paris il y avait six cent dix-neuf bourses créées par le clergé pour les étudiants pauvres. Dans un rapport présenté au roi en 1842 sur l'instruction secondaire, Villemain,

128 CONFÉRENCES AUX HOMMES

alors ministre de l'Instruction publique, constate qu'avant 1789, sur soixante-douze mille élèves, plus de quarante mille bénéficiaient de la gratuité entière ou partielle. Et il ajoute qu'alors l'instruc- tion était beaucoup plus accessible qu'aujourd'hui aux classes moyennes ou pauvres. Retenez cet aveu. La charité chrétienne, l'Eglise avait créé avant 1789 un capital suffisant à l'entretien et aux frais d'étude de quarante mille boursiers pour l'enseignement secondaire.

On entend dire parfois que la Révolution a inventé et fondé le haut enseignement. C'est une légende qui est fausse, archi-fausse. Quand vint la Révolu- tion, que fit-elle? Elle supprima tout l'ancien per- sonnel de l'enseignement; elle aliéna tous les biens immeubles des anciennes écoles. Des vingt-quatre Universités qui existaient alors, vingt-trois dispa- rurent; une seule resta, celle de Strasbourg, parce qu'elle était protestante. Les cinq cent soixante- deux collèges de France, plus de soixante-douze mille élèves recevaient l'instruction secondaire, furent tous spoliés et fermés, et les professeurs qui les desservaient mis dans l'alternative de l'aposta- sie ou de l'exil. Voilà l'histoire. L'impartiale his- toire nous dit qu'à travers dix-neuf siècles l'Eglise a ouvert partout à l'enseignement supérieur de magnifiques établissements, et ces établissements, ce n'est pas l'Église qui les a fermés; ces foyers de la science, ce n'est pas l'Eglise qui les a éteints!

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 129

L'Eglise a fondé toutes les Universités de la vieille Europe. Elle les a érigées, enrichies, disci- plinées, gouvernées. Ces Universités ont été très nombreuses et très florissantes; elles ont eu la chré- tienté pour auditoire, les saints pour maîtres et les Papes pour fondateurs et pour protecteurs. Ces Universités ont été dans le passé des foyers puis- sants de vie intellectuelle. Or elles sont des créa- tions de l'Eglise. Donc au nom de l'histoire on peut et on doit affirmer que l'enseignement supérieur pendant quinze siècles a reçu de l'Eglise tout son éclat, tout son essor, tous ses progrès. L'Église lui a donné des livres pour s'abreuver, des maîtres pour se répandre, des établissements pour s'affermir et prospérer.

Amen!

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-9

QUATORZIEME CONFERENCE

l'église et l'enseignement POPULAIRE

Messieurs,

Il faut répandre l'instruction ; il faut la répandre dans les classes supérieures et dans les classes po- pulaires. L'enfant du peuple est sacré comme l'en- fant du riche, et il a droit comme lui à la lumière. L'enseignement populaire est une des plus hautes nécessités de l'ordre social. L'Eglise dans le passé a pourvu à cette nécessité. Elle a distribué l'ensei- gnement populaire avec autant d'ardeur que l'en- seignement supérieur. Je vais là-dessus établir un fait et réfuter une objection.

I. Un fait. L'Église, dans le passé, a distribué largement l'enseignement populaire.

« C'est l'honneur de l'enseignement chrétien, dit Ozanam, d'avoir aimé les hommes plus que la science, d'avoir ouvert à deux battants les portes

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 131

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de l'école. L'Eglise a fondé l'instruction primaire; elle l'a voulue universelle et gratuite, en ordonnant que le prêtre de chaque paroisse apprît à lire aux petits enfants sans distinction de naissance, sans autre récompense que les promesses de l'éternité. » Cette affirmation est d'un homme qui savait ce qu'il disait, qui avait étudié la question de très près en compulsant les vieilles archives de l'histoire. Fai- sons nous-mêmes une excursion rapide dans le passé.

Dès les premiers siècles nous voyons l'Eglise pré- occupée des humbles et des petits, avant même d'offrir son appui et ses lumières aux puissants d'ici-bas. Jésus-Christ lui a dit : « Allez, ensei- gnez ! » Et fidèle à son mandat, elle distribue à tous la double clarté de HEvangile et de l'instruction humaine. Au 11e et au 111e siècle, on voit des écoles et des bibliothèques à côté des églises. Au ive et au ve siècle des écoles rurales et populaires sont fon- dées par les décrets authentiques des conciles ; au vie siècle, dit Guizot, l'Ordre de Saint-Benoît fonde dans les Gaules de nombreux monastères, et chacun de ces monastères devient une école pour les classes populaires, et Guizot prouve cette assertion avec des noms propres, des chiffres et des documents incontestables; au vme siècle, l'enseignement popu- laire semble un fait général, tant sont nombreux les Conciles qui prescrivent aux évoques et aux curés de veiller à l'instruction de la jeunesse.

Voici Charlemagne, un puissant homme de

132 CONFÉRENCES AUX HOMMES

guerre, un génie organisateur et civilisateur de premier ordre. Il veut que chaque abbaye entre- tienne une école les enfants puissent apprendre la lecture, récriture et le calcul. Il multiplie les Conciles pour établir partout l'instruction primaire. En vingt ans il réunit trois fois à Aix-la-Chapelle les évoques de son vaste Empire en vue de cette capitale affaire. Sous cette impulsion, prêtres, reli- gieux et évêques se mettent à l'œuvre. On a re- trouvé il n'y a pas longtemps un fameux man- dement publié en 797 par Théodulphe, évoque d'Orléans. Il y est dit : « Que les prêtres des bourgs et des villages tiennent des écoles. Et si un fidèle veut leur confier ses enfants pour leur faire apprendre les lettres, qu'ils ne refusent pas de les accueillir et de les enseigner, au contraire qu'ils mettent la plus grande charité à les instruire. En s' acquittant de cette tâche, ils ne demanderont pas de salaire et n'en accepteront pas, excepté ce que les parents voudront bien leur offrir spontanément comme marque de reconnaissance. » Faites bien attention à ceci : au vme siècle, dans le diocèse d'Or- léans, les écoles établies par Théodulphe étaient gratuites. Ceux donc qui vantent la moderne gra- tuité de l'enseignement auraient tort de crier au prodige ; ils feront bien de se souvenir qu'au viuc siècle l'Eglise distribuait l'enseignement popu- pulaire sans demander un sou à personne. Conti- nuons notre exploration.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 133

Du XIIe siècle à la Révolution, les largesses de l'Église envers les enfants du peuple se continuent et s'accentuent d'âge en âge.

En 1179, au troisième Concile de Latran, le pape Alexandre III prescrit qu'un maître sera éta- bli dans toutes les cathédrales pour les écoliers pauvres. « La permission d'enseigner, dit-il, doit être délivrée gratuitement et ne peut être refusée à ceux qui en sont capables. » Et le même langage se retrouve sur les lèvres de presque tous les Papes.

Pendant tout le moyen âge nous voyons les con- trats d'apprentissage et de tutelle demander pour le pupille et l'apprenti la fréquentation des écoles et les moyens de s'instruire selon sa condition ; nous voyons cette clause stipulée pour de simples domes- tiques ou pour de simples valets de ferme. L'ar- ticle 220 de la coutume de Normandie porte même que, si le maître ou le tuteur ne s'acquitte pas de cette charge, les parents pourront se pourvoir en justice pour l'y contraindre.

Au xvie et au xvne siècle naissait une multitude de Congrégations enseignantes pour l'un et l'autre sexe, et spécialement pour les enfants du peuple : les Ursulines, la Congrégation de Notre-Dame, les Filles de la Charité, les Filles de la Sagesse, les Frères des Ecoles chrétiennes. Le Concile de Trente, cinquième session, entre dans les plus minu- tieux détails pour promouvoir l'instruction popu- laire. Le séminaire de Saint-Sulpice communique

13* CONFÉRENCES AUX HOMMES

la même impulsion à tout le clergé de France. « Pour moi, écrit alors M. Bourdoin à son saint ami M. Olier, pour moi, je le dis du meilleur de mon cœur, je mendierais de porte en porte pour faire subsister un vrai maître d'école, et je deman- derais comme saint François-Xavier à toutes les Universités du royaume des hommes qui voulussent non pas aller au Japon ou dans les Indes prêcher les infidèles, mais aller dans les écoles de paroisses tenues pour les pauvres ; c'est l'unique moyen de détruire les vices et d'établir la vertu, et je défie tous les hommes ensemble d'en trouver un meil- leur. » Ces désirs de l'Eglise de France furent lar- gement exaucés.

Les Frères des Ecoles chrétiennes , en particulier, vinrent au-devant des enfants du peuple. Savez- vous qui, en vulgarisant la science, a popularisé notre langue nationale, cette langue française dont nous sommes si fiers, cette langue que Corneille fit si sublime, et Massillon si harmonieuse, cette langue qu'un siècle immortel parla, et qui par sa clarté, sa précision, sa richesse, est devenue la langue de l'Europe aussi bien que celle de notre patrie? Savez- vous qui en a fait non pas seulement le langage des classes élevées, mais la langue du peuple de la France? C'est Jean-Baptiste de la Salle, le jour il fit de notre idiome national le dialecte unique de ses écoles. N'eût-il rendu que ce service, c'en serait assez pour justifier cette parole que la Révo-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 135

lution elle-même ne craignit pas d'inscrire dans le préambule de la loi du 18 août 1792 : « Les Frères ont bien mérité de la patrie. » Oui, les Frères ont bien mérité de la patrie, tel est le té- moignage de leurs ennemis, de leurs amis et de leurs élèves. En somme, au point de vue religieux, scientifique et national, les Frères sont de puissants éducateurs, et, quand je cherche quels reproches on peut leur adresser, je n'en vois pas d'autre que leurs succès. Ils sont au premier rang, on veut les supprimer, parce qu'on ne peut pas les éclipser.

Il y a cinquante ans, en 1844, Lacordaire parlant à Notre-Dame, disait : « Le Frère des écoles chré- tiennes donne à l'enfant du peuple une éducation qui ne lui coûte rien ou peu de chose, et qui est digne d'un enfant de la patrie comme d'un enfant de Dieu. Ici ma parole est à l'aise, ajoutait-il. La France a authentiquement accepté le dévouement des Frères et des Sœurs voués à l'enseignement du peuple ; une popularité qui est la juste récompense de leurs travaux les protège dans toute l'étendue du pays autant que l'empire des lois. Ma parole, à leur sujet, n'est donc point une parole accusatrice, c'est une parole qui remercie et qui bénit. » Aujour- d'hui, hélas! nous ne pouvons pas redire les pa- roles de l'illustre Dominicain. La France a méconnu les services des Frères et des Sœurs ; ils ont été jugés indignes de donner l'enseignement, et ma parole est une parole accusatrice pour ceux qui ont

136 CONFÉRENCES AUX HOMMES

la lâcheté de ne pas les défendre et le triste cou- rage de leur dire : Allez-vous-en! Passons. L'ingra- titude ne supprime pas le bienfait, au contraire elle le rend plus visible et plus méritoire, et il reste surabondamment prouvé que l'Eglise dans le passé a distribué largement l'enseignement populaire. Dès lors que devient l'objection futile et méchante qu'on ne cesse de nous opposer? J'y arrive.

IL Une objection. L'instruction n'existait pas avant 1 789.

Cette objection est futile et méchante. Il n'est pas difficile de la confondre.

Voici d'abord un fait : au xvuie siècle, toute pa- roisse un peu populeuse en France avait son école; on se plaignait môme du trop grand nombre d'écoles. En 1773, au diocèse de Saint-Dié, baillis, syndics, échevins, notables se plaignent que les écoles enlèvent trop de bras à l'agriculture et aux ateliers. « Nos bourgs et nos villages, disent-ils, fourmillent d'une multitude d'écoles; il n'est pas de hameau qui n'ait son grammairien. » Or, quand on songe que le nombre des paroisses avant la Ré- volution était beaucoup plus considérable qu'au- jourd'hui et que presque partout il y avait un maître d'école, on reste stupéfait de l'audace ou de l'ignorance de ceux qui viennent nous dire

LES BIENFAITS DE L'EGLISE 137

qu'avant 1789 l'instruction était réservée à quelques privilégiés de la naissance ou de la fortune.

Voulez-vous des chiffres? Sous Louis XV, il y avait à Paris cent soixante écoles de garçons et cent cinquante-sept écoles de filles, le person- nel enseignant était rétribué par les parents et les élèves. Il y avait, en outre, quatre-vingt-quinze écoles gratuites pour les deux sexes. Si Ton tient compte que Paris a maintenant trois millions d'ha- bitants, tandis qu'il n'en avait que six cent mille sous Louis XV, on verra que la proportion du chiffre des écoles est à l'avantage de l'époque de Louis XV.

Voulez-vous des témoignages non suspects? En- tendez Taine. « Avant la Révolution, dit-il, les petites écoles étaient innombrables. Il y avait avant 17S9, vingt-cinq mille écoles primaires, fréquen- tées et efficaces, qui ne coûtaient rien au Trésor, presque rien aux contribuables, très peu aux pa- rents. 11 y avait au moins neuf cents collèges (en- viron trois cents de plus qu'aujourd'hui) comptant soixante-douze mille élèves. Il y avait quarante mille boursiers, tandis qu'aujourd'hui nous en avons à peine cinq mille. » Mais alors comment expliquer que mon grand-père ne savait pas lire? C'est qu'il a été élevé pendant ou après la Révolu- tion. Il n'y avait plus d'instruction publique à cette époque, et il en fut ainsi pendant quarante ans. Elle ne fut sérieusement organisée que par la loi de 1833. Il y avait dans les collèges soixante-douze

138 CONFÉRENCES AUX HOMMES

mille élèves avant 1789, mais en 1800 il n'y en avait plus que sept mille. Et ce n'est pas seulement Taine, c'est encore Portalis, Villemain, tous les hommes compétents qui sont unanimes à nous dire que la Révolution tua l'instruction en prenant les biens du clergé qui faisaient vivre les écoles. La Révolution, après avoir démoli, ne reconstruisit rien. L'Empire se mit à l'œuvre de la reconstruc- tion, puis la Restauration, puis la Monarchie de juillet, puis les divers gouvernements qui se suc- cédèrent; et, à mesure qu'ils ouvrirent une nou- velle école, les courtisans du pouvoir ne man- quèrent pas de s'écrier : Voyez-vous les progrès de la civilisation et des lumières? Voyez-vous notre supériorité sur les âges précédents? Et le lecteur, ignorant et crédule, ne manquait pas de répondre : C'est vrai ! Les uns ignoraient, et les autres faisaient semblant d'ignorer qu'on ouvrait une école après en avoir fermé trois.

Et remarquez qu'avant 1789 les écoles popu- laires n'étaient pas seulement très nombreuses, mais encore presque toutes gratuites et sérieuse- ment gratuites. Aujourd'hui nous avons la gratuité de l'enseignement primaire. L'instruction ne coûte rien; c'est l'Etat qui paie, oui, mais l'Etat prend-il de l'argent? Dans votre poche par les impôts de toute espèce. Et, au fond, qu'est-ce qui paie les impôts? Tout le monde, et surtout l'ou- vrier. Nous n'avons plus la mainmorte et la liberté

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 139

des fondations ; en échange, nous avons l'impôt obli- gatoire. Le budget de l'instruction publique est de plus de deux cents millions. Et d'où viennent ces deux cents millions? De la poche des contribuables, et j'ai dit surtout de la poche de l'ouvrier. Car le Commerçant peut rattraper ses impôts en élevant le prix de ses marchandises, le propriétaire en éle- vant le prix de ses loyers, mais l'ouvrier ne peut pas reporter sur d'autres le prix de ses impôts. Et enfin, tout le monde étant frappé par l'impôt, il arrive souvent que l'ouvrier paie pour le riche : par exemple nous payons par les impôts cinquante millions par an pour les fils des riches qui sont élevés dans les lycées, et, chose plus criante encore, combien d'ouvriers, de pères de famille paient deux fois : une première fois par l'impôt pour les écoles dont ils ne veulent pas, et une seconde fois pour les écoles dont ils veulent! Avant 1789, la gra- tuité de l'instruction primaire était bien autrement sérieuse. L'Eglise avait créé pour l'instruction pri- maire un revenu annuel de douze millions à une époque l'argent avait le triple de la valeur ac- tuelle. Et d'où venaient ces douze millions? De donations libres et spontanées. La gratuité exis- tait, mais, au lieu de reposer sur le budget de l'Etat et d'être par conséquent une imposition et une imposition forcée, atteignant tout le monde, même les gens sans enfants, frappant le pauvre au profit du riche et les catholiques au profit d'une

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secte, elle reposait uniquement sur la libéralité des fidèles, sur des biens légitimement acquis et sagement distribués. Elle était, par conséquent, réelle, ioyale, généreuse, essentiellement juste et digne de respect.

Combien donc nous aurions tort de verser des larmes attendries sur l'ignorance de nos pères ! Sans doute on ne connaissait pas avant 1789 les grands mots d'instruction laïque, obligatoire et gratuite. On ne faisait pas montre de l'enseigne; mais on possédait la réalité. L'État ne prétendait pas tout faire; il ne s'était point fait maitre d'école, maître de pension, marchand de soupe ; il n'inscrivait pas à ses budgets, généralement du moins, d'allocation pour l'enseignement primaire, pour cette excel- lente raison qu'il y était pourvu par un vaste sys- tème de fondations. Le résultat en était-il moins bon? Il est permis d'en douter. L'Église était là, debout à son poste, donnant à l'enfant du peuple à peu près gratuitement une instruction suffisante dont les contribuables n'avaient pas à supporter les frais; l'Église était là, debout à son poste, dis- tribuant à tous, avec la science purement humaine, les vérités et les vertus qui font les peuples forts et les familles prospères. Sachons reconnaître ses bienfaits. Bénissons-la, et vengeons-la des attaques de ceux qui ignorent ou qui calomnient son passé !

Amen !

QUINZIÈME CONFÉRENCE

L'Eglise et le progrès intellectuel

Messieurs,

J'achève aujourd'hui le premier chapitre de notre étude sur les bienfaits de l'Eglise. Nous avons énuméré les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre intellectuel. Elle a cultivé et enseigné les lettres, les sciences et les arts. J'ai essayé de vous en don- ner la preuve, non avec des phrases vides et reten- tissantes, mais par des faits très nombreux et très authentiques. Je résume aujourd'hui et je conclus ce premier chapitre en vous disant que dans le passé, dans le présent et dans l'avenir, l'Église a été, est et sera la mère et la gardienne du progrès intellectuel.

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I. Dans le passé, l'Eglise a été la mère et la gar- dienne du progrès intellectuel.

Est-ce que cela n'est pas écrit à toutes les pages

142 CONFÉRENCES AUX HOMMES

de F histoire. Sous l'inspiration de l'Église, sous sa direction sûre et puissante, les théologiens ont scruté les mystères de la foi, et les philosophes ont approfondi les abîmes de la raison. Grâce à l'Eglise l'éloquence mise en possession des plus splendides sujets a fait vibrer, d'âge en âge, les âmes et germer des vertus, la poésie a enchanté les hommes et l'histoire les a instruits. Notre langue française dont nous sommes si fiers, cette langue de la diplo- matie qui, depuis la paix de Nimègue, a conclu tous les traités et s'est imposée au monde entier, cette langue universelle de toutes les pensées et de tous les génies qui a fait dire au poète : « Tout homme a deux pays, le sien et puis la France! » à qui doit-elle sa fermeté et sa souplesse, sa précision et sa clarté, sa transparence et sa beauté, sinon à l'Eglise qui a inspiré la plume mathématique de Descartes et de Pascal, les lèvres harmonieuses de Bossuet et de Fénelon? Stimulé par l'Eglise, l'es- prit scientifique s'est développé dans des propor- tions inconnues à l'antiquité, et le génie artistique a créé des chefs-d'œuvre qui seront éternellement contemplés et admirés. S'il y a eu des livres brû- lés, des traditions interrompues, des universités abolies, des collèges confisqués ou fermés... qui a fait cela? C'est le disciple du Coran au temps d'Omar et de Mahomet II ; c'est Henri VIII, un des cory- phées de la Réforme; c'est la Révolution aussi ennemie des lettres que de l'Eglise, déclarant

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 143

qu'elle n'avait pas besoin de savants, et ensevelis- sant sous les mêmes ruines les chaires de la vérité et les écoles de la charité. Innocente de tous ces vandalismes, l'Eglise n'est responsable que de la grandeur intellectuelle de la chrétienté. Par elle renseignement supérieur a été distribué a la jeu- nesse studieuse des universités et des collèges. Par elle, les petits et les humbles, les pauvres et les déshérités ont été conviés au festin de l'intelli- gence, comme l'avaient été au festin de l'Évangile les aveugles, les boiteux et les mendiants. Et, en voyant se dérouler ce glorieux passé, je me sens pressé d'adresser à l'Eglise un cri de reconnaissance émue: Je te salue, mère immortelle de la science et de la sainteté ! Je te salue, mère et gardienne du progrès intellectuel ! Salve, magna parens!

Comptez, si vous le pouvez, Messieurs, les intel- ligences supérieures que l'Eglise a produites depuis dix-neuf siècles. Quels noms faut-il vous citer? En philosophie, les Augustin, les Thomas d'Aquin, les Bacon, les Descartes, les Bossuet, les de Maistre ; en astronomie, les Copernic, les Kepler, les Gali- lée, les Secchi, les Leverrier; en mathématiques, les Pascal, les Cauchy; en littérature, les Pères de l'Eglise grecque et de l'Eglise latine, tous nos auteurs du xvu* siècle, les meilleurs auteurs mo- dernes. Le vaillant général Lamoricière, contem- plant cette immense pléiade qui étincelle à toutes les pages du passé, pouvait bien à juste titre

U4 CONFÉRENCES AUX HOMMES

s'écrier : « L'Eglise a pour elle la science, l'his- toire, la philosophie, les arts, les grands hommes; elle a pour elle le passé, le présent et l'avenir. » Sans doute, il y a eu aussi des hommes intelli- gents, très intelligents qui ont vécu en dehors de l'Église et qui ont été même ses ennemis décidés. Gela n'est pas contestable. Mais : Ne sont pas incrédules tous ceux qui se vantent de l'être, et on a vu souvent mourir comme des saints certains fanfarons qui pendant leur vie faisaient parade d'impiété. Que d'hommes très intelligents en matière profane sont de parfaits ignorants en matière Religieuse ! Il y a tel savant qui connaît à fond les mathématiques, l'astronomie, la médecine, le droit, et qui ne serait pas capable de répondre aux interrogations que nous posons à nos petits enfants du catéchisme. Ils ignorent, donc leur voix ne compte pas. Il n'est pas rare non plus que des gens très instruits et très intelligents soient en même temps des orgueilleux, voulant juger Dieu, traiter avec Dieu d'égal à égal, et mesurer sa parole aux dimensions de leur faible raison. L'or- gueil est le pire des vices. Dieu n'aime pas les insurrections. Dieu n'aime pas les présomptueux, et souvent il les punit, par l'impossibilité de croire, de leur orgueil de vouloir tout comprendre Enfin il est une passion mauvaise et impérieuse qui est incompatible avec la foi, et qui peut très facilement se rencontrer chez certains savants. Ils

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 145

veulent jouir, et, tout en ayant une valeur scien- tifique incontestable, ils n'ont qu'une valeur mo- rale très médiocre. La passion chez eux tue la foi. Pour tous ces motifs j'affirme que l'impiété de cer- tains savants ne prouve rien contre la religion. Et cette impiété prouve d'autant moins que l'Eglise a pour elle, comme je viens de le dire avec Lamori- cière, les plus grands génies. Elle a pour elle les hommes les plus vénérables et les plus intelligents qui aient paru sur la terre depuis dix-neuf siècles ; elle a pour elle le passé ; elle a pour elle aussi le présent.

II. Dans le présent, l'Eglise est la mère et la gar- dienne du progrès intellectuel.

Voici à peu près ce qu'on nous dit à l'heure actuelle : « Oui, dans le passé, vous avez fait beau- coup pour le progrès intellectuel; mais dans ce siècle vous avez laissé périr cet héritage de gloire, vous avez laissé tomber de vos mains le sceptre de la science. » Nous avons laissé tomber de nos mains le sceptre de la science?

Mais d'abord qui donc a le droit de nous faire un tel reproche ? car, si ce sceptre est tombé de nos mains, qui l'a ramassé et qui le tient à notre place? Qui osera nous jeter la première pierre ? sont vos grands hommes et vos grandes œuvres ?

LES BIENFAITS DE I/ÉGLISE. 1-10

146 CONFÉRENCES AUX HOMMES

La lyre a perdu le souffle divin, et, après les poètes du doute, il ne nous reste plus que les poètes du néant qui chantent les croyances disparues, la mort sens résurrection, le malheur sans espoir. L'histoire est devenue trop souvent une sèche nomenclature de faits et d'anecdotes, quand elle n'est pas une conjuration cynique contre la vérité. C'est encore dans nos temples que l'éloquence trouve son meilleur asile. L'architecture ne sait plus jeter vers le ciel ces coupoles hardies, ni ces flèches plus hardies encore, qui défiaient le vol des aigles et qui fatiguaient le regard de l'homme; ou, si cela se voit encore, à qui le doit-on sinon au génie catholique? Les lettres, les sciences et les arts déclinent, de sorte que l'Eglise peut se retourner vers le siècle, l'accuser et lui dire : « Qu'as-tu fait des lettres, des sciences et des arts? Qu'as-tu fait de ces générations nouvelles que tu prétendais élever à une vie intel- lectuelle plus intense et plus développée, en les affranchissant de la tutelle religieuse? » En perdant l'esprit chrétien, en rêvant quelque chose de plus beau que Jésus-Christ, de plus doux que l'Evan- gile, ce siècle n'a rien gagné, sinon de voir s'éva- nouir le rayonnement céleste de l'idéal, sinon d'aboutir à des œuvres de ténèbres, et souvent à des œuvres corrompues et corruptrices. On reproche à l1 Eglise d'avoir laissé tomber de ses mains le sceptre de la science ; Est-ce vrai ? Non, Messieurs, non, il n'est pas

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 147

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vrai que l'Eglise aujourd'hui soit au-dessous de sa lâche, au-dessous de son passé ; il n'est pas juste de parler de l'insuffisance intellectuelle de l'Eglise catholique dans le présent.

Sans doute, plusieurs choses lui ont manqué au cours de ce siècle : le temps, la liberté, l'argent. Après les désastres de la Révolution, l'Eglise a été obligée de courir au plus pressé, aux âmes, et c'est à peine si elle a eu le temps de préparer des caté- chistes, des pasteurs et des apôtres. Et puis on l'a tenue éloignée de la jeunesse, on a tout fait pour l'empêcher de parler et d'agir ; on l'a privée du droit d'instruire les générations nouvelles, et il lui a fallu, pour conquérir la liberté d'enseignement, des luttes homériques qui ont absorbé et dévoré ses forces. Et enfin elle est pauvre. On lui a tout pris, et on lui dispute journellement le morceau de pain que lui donne la charité des fidèles.

Eh bien, malgré toutes ces entraves, qu'est-il arrivé? Il est arrivé que la sève intellectuelle a jailli quand môme de son sein fécond et inépui- sable. Il est arrivé qu'elle a ouvert quand même des écoles, des collèges et des Universités, et qu'il y a aujourd'hui quarante-quatre Instituts catho- liques où les études sont poussées plus avant que

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dans les Facultés officielles. Il est arrivé que l'Eglise a brillé d'un si vif éclat dans la science et dans l'instruction, qu'on a eu peur de la lumière de sa face et de la puissance de sa voix. Qui eût cru, à la

148 CONFÉRENCES AUX HOMMES

fin du xvine siècle et au commencement du xixe, que l'idée chrétienne allait reprendre possession des esprits et inspirer ce grand mouvement littéraire qui a uu pour chefs Chateaubriand, de Maistre, Lamartine, Lacordaire, Ozanam, Montalembert? Qui eût cru à une telle vitalité après de telles dé- faites? Dans les lettres, dans les sciences, dans les arts, dans l'enseignement l'Église de notre temps, l'Eglise pauvre et enchaînée a fait des merveilles. Elle n'est point indigne de son passé, et elle tient en réserve pour l'avenir les espérances et les sources du véritable progrès intellectuel.

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III. Dans Y avenir, l'Eglise sera la mère et la gar- dienne du progrès intellectuel.

Elle continuera d'aimer, de protéger, de cultiver, d'enseigner les lettres, les sciences et les arts :

La philosophie, pour la préserver des écarts de l'orgueil et lui faire accepter le joug de la foi ;

L'histoire, pour la détacher enfin de cette grande conspiration contre la vérité, dans laquelle on l'a fait entrer depuis trois siècles ;

La poésie et l'éloquence, pour en faire les ser- vantes du vrai et du bien et pour les élever jus- qu'au sublime ;

Les sciences mathématiques, physiques et natu- relles pour les rapporter à Dieu leur auteur ;

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 149

Les beaux-arts pour les assainir et les transfi- gurer.

Demain, comme hier et aujourd'hui, elle récla- mera ses droits sur les lettres grecques et latines, car le jour elles sont tombées des murs d'Alexandrie en flammes et de Gonstaritinople en ruines, elle les a reçues dans la robe de ses papes et de ses moines, et elle n'a pas cessé un seul jour •de les lire et de les purifier.

Demain, comme hier et aujourd'hui, elle travail- lera à initier les petits et les pauvres aux éléments des lettres humaines, pour mettre à la tête de ses alphabets le nom de Dieu et le signe auguste de la Rédemption !

Demain, comme hier et aujourd'hui, elle ouvrira des écoles en même temps que des temples, elle fera des savants en même temps que des saints, elle se donnera tout entière à la diffusion et à l'accrois- sement de la vie chrétienne et de la vie intellectuelle. Voilà son ambition quelquefois déçue, souvent rail- lée, mais toujours renaissante et jamais satisfaite, car cette ambition n'est qu'un trait de son immense charité !

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Ceux qui ont visité le Vatican nous disent qu'au Vatican, dans la salle même le Chef de l'Église signe ses décrets infaillibles, le pinceau de Raphaël a représenté dans des tableaux admirables la Poésie et les Lettres, les Arts et les Sciences, la Philoso-

150 CONFÉRENCES AUX HOMMES

phie et la Théologie, comme s'il eût voulu montrer toutes les connaissances humaines réunissant en- semble leurs lumières et contribuant pour leur part à l'épanouissement et au rayonnement de la vérité chrétienne. Telle est en effet la grande pen- sée qui résume l'histoire de l'Eglise et de l'esprit humain. L'Église est une puissance intellectuelle de premier ordre. Elle a été, elle est et elle sera la mère et la gardienne du progrès intellectuel. Saluons-la, chantons-la l

Amen!

II DANS L'ORDRE MORAL

PREMIERE CONFÉRENCE

Importance et difficulté de la loi morale

Messieurs,

L'Eglise est la mère et la gardienne du progrès intellectuel. C'est suffisamment et surabondam- ment prouvé.

Mais l'intelligence n'est pas tout l'homme; elle n'en est pas même la moitié. Dans l'homme, il y a la conscience, le cœur, la volonté, l'âme... et toute influence qui ne va pas jusque-là, jusqu'à l'àme, est une influence incomplète et à peu près stérile.

Or, l'Eglise, qui agit si puissamment sur l'esprit, agit-elle également sur le cœur, sur la volonté, sur la conscience, sur l'àme? Oui. L'Eglise est une grande puissance moralisatrice, elle est la mère et la gardienne du progrès moral. Et, pour vous faire apprécier ses immenses bienfaits dans cette seconde sphère, il faut que je vous persuade fortement de l'importance et des difficultés de la loi morale. La loi morale consiste à éviter le mal et à faire le

4 54 CONFÉRENCES AUX HOMMES

bien. Est-ce important cela? oui. Est-ce facile? non.

♦I. Importance de la loi morale.

Oui, Messieurs, il est important, il est nécessaire de pratiquer la loi morale, c'est-à-dire d'éviter le mal et de faire le bien.

Attention ! Vous êtes mortels, vous vivez aujour- d'hui, mais demain vous ne serez plus. Que faut-il pour vous tuer ? une fenêtre entrouverte, une porte qu'on n'a pas fermée, une voiture qui verse, un train qui déraille, une goutte de sang qui se trompe de chemin dans votre tête ou dans votre poitrine. Je salue le médecin, je le respecte, j'ad- mire son dévouement, et, quand je suis malade, je l'appelle auprès de mon lit de souffrance, et je bénis sa main compatissante, intelligente et secou- rable ; mais je constate son impuissance, je cons- tate que depuis six mille ans la science n'a pas su ajouter un jour de plus à notre vie, ni un pouce à notre taille, ni ôter une ride à notre front. Vous êtes mortels, Messieurs, et demain, penchés sur votre dépouille inanimée, vos parents, vos amis, vos voisins diront avec stupeur: « Il n'est plus! n

Vous ne serez plus sur la terre. serez-vous donc? Vous serez devant Dieu. Et à ce moment su-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 155

prème, alors que toutes les choses d'ici-bas seront supprimées pour vous, est-ce que Dieu vous deman- dera si vous avez eu beaucoup de science? Est-ce que Dieu pèsera les livres que vous aurez lus ou composés? Est-ce que Dieu cherchera à discerner sur vos fronts les vains titres de savants, de litté- rateurs, de physiciens, de philosophes, d'écono- mistes, d'académiciens? Allons donc! Dieu pèsera vos œuvres, et non vos talents. Dieu voudra savoir si vous avez été bons fils, bons époux, bons pères, bons citoyens, bons chrétiens. Dieu vous deman- dera si vous avez eu, non pas beaucoup de science, mais beaucoup de vertu. Et devant sa justice, dans sa balance impartiale et infaillible, le valet de ferme qui aura observé les commandements vau- dra mieux et pèsera davantage que l'académicien qui se présentera au jugement la têle pleine des connaissances les plus variées et les mains vides de bonnes œuvres. Voilà la vérité, Messieurs. A la lumière de vos destinées éternelles et à la lumière du simple bon sens, la vertu vaut mieux que la science, et l'observation de la loi morale est d'une importance décisive!

Maintenant je descends de ces hauteurs, j'ouvre la porte de votre foyer, je vous montre votre chère famille et je vous dis : « Ne trouvez-vo'us pas qu'il va pour vos enfants quelque chose de meil- leur que l'instruction? A quoi leur servirait de savoir

156 CONFÉRENCES AUX HOMMES

lire s'ils ne lisent que de mauvais livres? A quoi leur servirait de savoir écrire, si leur main coupable devait un jour rédiger des faux? A quoi leur servirait de savoir calculer, si le calcul devenait pour eux un instrument de fraudes, de gains illicites et de procès injustes? A* quoi leur servirait de savoir chanter, si la musique était l'humble servante de leurs mau- vaises passions et de leurs penchants honteux? A quoi leur servirait d'avoir leur certificat d'études, s'ils n'étaient pas respectueux, obéissants, dévoués? A quoi leur servirait d'être bacheliers, licenciés et docteurs, s'ils étaient incapables de pratiquer la probité, la charité, le désintéressement? A quoi leur servirait d'avoir la science qui est bonne, s'ils n'avaient pas la vertu qui est meilleure encore, la vertu sans laquelle la science n'est plus qu'un vain simulacre et un puissant moyen de corruption? » J'en appelle à votre cœur, à votre intelligence pa- ternelle, et votre intelligence, votre cœur pro- clament avec moi que l'observation de la loi morale est d'une importance décisive.

Après avoir jeté un regard sur le foyer, je contemple la société et j'admire dans son sein la gloire des lettres, des sciences et des arts, la puis- sance des loi 3 et des armées, le perfectionnement des méthodes et des machines, l'accroissement de la production et de la richesse, et j'ai la prétention de n'être dépassé par personne dans l'admiration

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 1157

sincère que je professe pour les progrès matériels et scientifiques de notre siècle. Mais, de bonne foi, est-ce toute la fortune, tout le patrimoine d'un peuple? Comptez- vous pour rien la probité, la mo- dération des désirs, l'esprit d'abnégation et de sacri- fice, le feu sacré du dévouement, la pratique de la chasteté qui est un des principes les plus féconds de la beauté et de l'énergie des corps, et l'horreur de la volupté qui est presque toujours pour ceux qu'elle a touchés un vêtement de feu et comme une robe empoisonnée qui dévore et consume même les hercules? Pensez-vous que vous aurez jamais un peuple fort, prospère, honorable et respecté, si la vertu ne coule pas dans son âme comme le sang dans ses veines ? Messieurs, pour la santé et la bonne constitution d'un peuple, tous les pro- grès matériels et scientifiques ne valent pas une vertu, une idée morale, une bonne pensée, un sentiment élevé, une parole d'amour qui console et qui fortifie ! Si la loi morale n'est pas observée, c'en est fait de vos âmes pour l'éternité, c'en est fait de vos foyers désolés et déshonorés, c'en est fait d'un peuple, d'un siècle entier, et le chapitre de la décadence commence pour ne plus finir. Dans votre âme et conscience vous ne pouvez pas dire le contraire... il faut pratiquer la loi morale. C'est nécessaire. Est-ce facile? Est-il facile d'éviter le mal et de faire le bien ? Non.

158 CONFÉRENCES AUX HOMMES

II. Difficulté de la, loi morale.

Ici encore, Messieurs, procédons par des faits plus que par des raisonnements et constatons trois phé- nomènes qui me semblent incontestables.

77 y a du mal en nous et autour de nous. Il y a du mal en nous. 0 homme, je ne vous connais pas, et je ne serais pas capable de raconter par le défail toute votre histoire. Mais je me connais, et il y a une chose que je sais et sur laquelle je puis vous, interpeller avec toute l'autorité que donne la certitude : ô hommes, mettez la main sur votre cœur, et répondez-moi. N'est-il pas vrai qu'il y a du mal en vous? qu'il y a derrière le mur de la vie extérieure, dans la citadelle de la vie intime, des , ennemis cachés, des instincts mauvais, une racine de sensualité, d'orgueil et de cupidité. Le mal, nous le portons en nous. Il circule dans notre âme, il voyage dans nos membres, il envahit toutes nos puissances, il allume dans notre sein de vastes in- cendies, et les plus justes sont précisément ceux qui le sentent le mieux et en gémissent davantage. Hommes qui m'écoutez, je sais que c'est votre histoire.

Et non seulement il y a du mal en nous, mais il y en a autour de nous. Vous voyez tous les jours la foule courir au plaisir, chercher le bien-être à

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE d50

tout prix, adorer le succès. Vous entendez re- tentir à vos oreilles les maximes commodes dont

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le siècle a fait son Evangile : Jouissez, enrichissez- vous, soyez heureux ici-bas ! Et vous sentez au fond de votre âme une voix secrète qui vous presse de suivre de tels exemples et d'accepter de telles maximes. Que faire entre ces attraits du dedans et ces entraînements du dehors? Sommes-nous une proie fatalement promise au mal? Non. Je constate un second phénomène.

Nous sommes libres entre le bien et te mal. 0 mystère ineffable! nous sommes libres entre deux attractions, entre l'attraction du bien et l'at- traction du mal. Nous sommes libres. J'en atteste l'homme de bien qui se sent heureux d'avoir fait de belles actions, et le criminel qui rougit au fond de lui-même d'en avoir commis de mauvaises. J'en atteste toutes les langues qui nous parlent sans cesse d'estime et de mépris, de haine et d'amour, de vice et de vertu, de punition et de récompense. J'en atteste toutes les sociétés qui, imputant aux citoyens leurs actions, ont fait des lois pour la répression des crimes. J'en atteste votre sens in- clue et votre expérience personnelle. Quel est celui d'entre vous qui ne voit dans ses souvenirs, mêlés aux jours sombres et néfastes il a cédé aux attraits du mal et à l'orage des passions, des jours sereins et illustres sa volonté est demeurée

160 CONFÉRENCES AUX HOMMES

maîtresse de la tentation? N'y eût-il qu'un seul de ces jours dans une vie, c'en serait assez pour prou- ver que ni les penchants de notre organisme, ni les violences du dehors ne peuvent produire malgré nous le vouloir et la détermination. Donc il serait faux de dire que nous sommes foncièrement et nécessairement mauvais, et il serait également faux de prétendre que nous sommes foncièrement et né- cessairement bons. Ce qui est vrai, c'est que nous naissons bons et mauvais tout ensemble. Nous ne sommes ni anges ni bêtes; nous sommes tous les deux à la fois. Est-ce à dire que notre volonté est à égale distance du bien et du mal, que les deux pla- teaux de la balance sont égaux? Non. L'expérience nous met en présence d'un troisième phénomène.

Généralement nous sommes plus attirés vers le mal que vers le bien. Il y a des exceptions à la loi, mais la loi existe, et la voici : les attraits qui se disputent notre volonté ne sont pas d'égale force, et d'ordinaire l'attraction du mal est plus puissante que l'attraction du bien. Je ne parle pas des indi- vidus exceptionnels, je prends l'humanité dans son ensemble, et je dis : laissée à elle-même, à sa pente naturelle, va-t-elle ? Hélas ! nulle discussion n'est ici possible, elle va au mal. Les grands courants delà vie humaine vont par eux-mêmes à la fausseté, au dé- sordre, à l'abîme, à peu près comme les fleuves en sui- vant leur pente vont à la mer. L'histoire tout entière

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 1G1

nous crie quel'homme a peur du vrai parce qu'ilapeur du bien. Voyez l'enfant. Il est d'un père et d'une mère qui sont l'incarnation vivante de la vertu ; il n'a respiré sur les lèvres maternelles que des souffles «célestes; il a été entouré des précautions les plus minutieuses... et cependant, presque dès le berceau, le voilà emporté vers le mal, vers la révolte, vers la colère, vers la domination injuste, vers le plaisir sensible... et malheur à lui s'il ne rencontre pas une main qui l'arrête, le redresse et le châtie ! Non, Messieurs, les choses ne sont pas égales entre le bien et le mal, et l'apôtre saint Paul se rencontre avec le poète Ovide pour attester que, si généreuse que soit notre nature, elle recèle des connivences plus nombreuses avec le faux et avec le mal qu'elle n'en prépare au vrai et au bien : « Video meliora proboque , détériora sequor ; Je vois le bien et je l'acclame, et cependant je fais le mal. » Voilà l'histoire humaine, voilà notre histoire à tous.

La loi morale est ce qu'il y a au monde de plus important etde plusdifficile. Il fautla pratiquer, c'est nécessaire, mais c'est presque impossible. Qui donc va nous aider? N'y a-t-il pas ici-bas quelque part une institution providentielle destinée à se- courir notre impuissance? Il y a l'Église catholique. Elle est la grande puissance moralisatrice, et la seule puissance moralisatrice suffisante. Je me fais fort de vous le prouver, et ce sera pour vous et

LES BIENFAITS DE l/ÉGLISE. 1-11

162 CONFÉRENCES AUX HOMMES

pour moi une nouvelle occasion de la bénir, un nouveau motif de l'aimer... Ce sera la seconde strophe de notre cantique en l'honneur de la sainte Eglise, mère et gardienne du progrès moral autant que du progrès intellectuel I

Amen!

DEUXIÈME CONFÉRENCE

/. L'ÉGLISE EST UNE GRANDE PUISSANCE MORALISATRICE

l'église éclaire la conscience

Messieurs,

La morale est aussi difficile que nécessaire. Qui donc nous aidera à la pratiquer? L'Eglise. L'Église est une grande puissance moralisatrice. Comment cela? C'est ce que nous allons voir en sept ou huit conférences.

D'abord l'Eglise éclaire la conscience humaine sur la loi morale, et ce premier service qu'elle nous rend est immense. On a dit que souvent le plus difficile n'est pas d'accomplir son devoir, mais de le connaître. C'est vrai. Tel est notre besoin le plus élémentaire et le plus essentiel. Nous voulons une notion de la loi morale, claire, précise, lumineuse, saisissant tous les yeux et excluant toutes les hési- tations. L'Eglise nous donne cela avant tout. Elle offre à la conscience humaine une lumière intense sur l'ensemble et sur le détail du devoir, des idées morales précises, immuables et impérieuses.

164 CONFÉRENCES AUX HOMMES

I. L'Église présente à la conscience humaine des idées morales précises.

Pour avoir une notion complète de la loi morale adressez-vous à l'Eglise. La loi morale comprend trois chapitres : les devoirs envers Dieu, envers le prochain et envers nous-mêmes, et les devoirs envers Dieu ne sont pas moins sacrés que les de- voirs envers le prochain et envers nous-mêmes. Si vous remplissez scrupuleusement vos devoirs indi- viduels et sociaux, et si vous refusez de rendre à Dieu les devoirs d'adoration, de reconnaissance, de prière et de culte public qui lui sont dus, j'affirme que votre morale est incomplète, puisque dans la série de vos devoirs vous oubliez la première, la plus haute et la plus sacrée de toutes les personna- lités. Vous devez à Dieu l'adoration, puisqu'il est le Maître et le Créateur,... la prière, puisqu'il est le dispensateur libre et unique de tout ce dont nous avons besoin,... l'action de grâces, puisqu'il vous a tout donné, la vie, l'intelligence, la santé, vos en- fants, vos biens, tout, et que d'un moment à l'autre il pourrait tout vous enlever,... le culte public entier, puisqu'il a droit à l'hommage extérieur non moins qu'à l'hommage intime de votre être. La morale comprend les devoirs envers Dieu aussi bien que les devoirs envers le prochain et envers nous- mêmes. Si vous négligez les devoirs envers Dieu,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 165

que vous reste-t-il? Les deux tiers seulement de la morale, c'est-à-dire une morale diminuée d'un tiers, une morale tronquée et méconnaissable, de même que, si vous enlevez au triangle un de ses irois côtés, vous détruisez le triangle lui-même et ne laissez à sa place que deux lignes indécises et flottantes... C'est géométrique, mathématique, rationnel. Et le grand Racine écrivant à son fils avait bien raison de lui dire : « Je me flatte, mon fils, que, faisant votre possible pour devenir un parfait honnête homme, vous conceviez qu'on ne peut l'être sans rendre à Dieu ce qu'on lui doit. » Voilà du simple bon sens. Et cependant, en dehors de l'Eglise, ce simple bon sens est absolument et universellement méconnu. A l'heure qu'il est, dans notre société française décatholicisée, il y a des milliers et des milliers d'hommes qui se proclament les plus hon- nêtes gens du monde sans jamais donner à Dieu ni une pensée, ni une prière, ni une génuflexion, ni un battement de leur cœur, ni un cri de leurs lèvres, ni une minute de leur vie. Ils traitent Dieu comme une quantité négligeable, et vous cherche- riez vainement chez eux, je ne dis pas le remords, mais le soupçon d'un grand devoir oublié. Trans- fuges de la sainte Eglise, ils ont perdu la notion complète de la loi morale, ils n'ont plus d'idées mo- rales précises sur l'ensemble de leurs devoirs.

Et de même, pour avoir une notion détaillée 'de la loi morale, adressez-vous à l'Eglise. Elle vous expose,

166 CONFÉRENCES AUX HOMMES

elle vous explique les préceptes du Décalogue, la série des obligations qu'il impose, la définition des vertus qu'il commande, l'énumération des vices qu'il pi oscrit et des passions qu'ilréprouve. L'Église n'oublie rien ni personne, et elle annonce avec limpidité la loi qui fait les époux fidèles, les enfants respectueux, les ouvriers probes et tempérants, les serviteurs dévoués à leurs maîtres, les riches bien- faisants, les pauvres résignés, les sujets obéissants sans bassesse et libres sans révolte ; la loi qui courbe l'industrie sous le joug de la bonne foi, le commerce sous les exigences d'une probité sévère. L'Église suit et dissèque la loi morale jusque dans ses con- séquences les plus éloignées et dans ses racines les plus profondes. Elle condamne non seulement le meurtre, mais la colère; non seulement les actes impurs, mais le regard coupable et la pensée se- crète et inavouable ; non seulement la vengeance et la haine, mais le seul désir volontaire de nuire au prochain. Y a-t-il des ténèbres dans laconscience? Le Sacrement de Pénitence les éclaircit. Là, au tri- bunal qui justifie ceux qui s'accusent, le chrétien reconnaît la passion naissante, le vice caché, la fai- blesse inattentive, le mouvement presque inaperçu qui tourmentait son âme au milieu des embarras de sa vie; il apprend à séparer le bien du mal; il retrouve la vue ferme* de la loi et la notion exacte de son devoir. Y a-t-il des oublis? La chaire les si- gnale. Un jour par semaine, le chrétien vient à

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 167

l'Église; il s'instruit de ses obligations; il repasse dans son esprit les préceptes du Décalogue; il fait son examen de conscience; il donne à son âme un bain de lumière. Imaginez un peuple tout entier acceptant cette discipline et y adaptant sa vie, et vous pouvez être sûrs que ce peuple conservera le sens exact de la loi morale. Il aura la notion com- plète et détaillée de tous ses devoirs.

Oui, mais, dites-vous, les idées morales ont bien de la peine à s'implanter dans l'humanité. Elles y sont fortement combattues. C'est vrai. Il ne suffit pas de les jeter dans le monde comme une semence qui va germer et fleurir d'elle-même. Il faut les défendre et les protéger. Et c'est ici précisément qu'apparaît une seconde et magnifique fonction de l'Eglise catholique.

II. L'Eglise présente à la conscience humaine des idées morales immuables.

Vous avez bien raison de dire, Messieurs, que la loi morale ne peut pas se défendre toute seule. Il y a en effet deux ordres d'idées : les unes flattent nos passions, et celles-là sont douées d'une force immense d'expansion ; elles débordent pour ainsi dire d'activité et de vie; les autres, au contraire, qui répriment nos passions, trouvent une difficulté extrême à se frayer un chemin; elles ne sauraient

168 CONFÉRENCES AUX HOMMES

fournir leur carrière sans l'appui d'une institution qui leur assure la stabilité. Donc la conservation et le succès des grandes idées morales exigent des institutions puissantes; et il faut bien se garder d'abandonner ces idées à la mobilité de l'esprit humain, sous peine de les voir bientôt défigurées, ou tout au moins réduites à l'impuissance et vouées à l'insuccès. Or quelle est la grande institution qui maintient la loi morale dans son intégrité et dans son inviolabilité? N'est-ce pas l'Église et seulement l'Église?

La diversité des temps et des lieux voudrait faire

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fléchir la loi morale. L'Eglise est qui prêche la même morale à Rome, à Paris, à Londres, à Moscou, à Pékin, à Philadelphie, dans les superbes cathé- drales et dans les modestes sanctuaires de nos campagnes. Partout elle annonce la même morale comme partout la même foi, et les vieux catholiques de la fidèle Irlande, instruits depuis seize siècles par leurs prêtres, ne pratiquent pas un autre Déca- logue que les nouveaux convertis de la Chine, à qui il est annoncé pour, la première fois.

La violence des passions humaines voudrait à son tour entamer la loi morale. Les mondains demandent grâce pour leurs plaisirs; il déplaît aux maîtres qu'on leur reproche de traiter leurs domestiques avec dédain, aux domestiques qu'on leur demande du respect et de l'affection -pour leurs maîtres ; le vindicatif, le voluptueux, l'usu-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 1G9

rier entendent sauver à tout prix l'idole de leur cœur. Mais l'Eglise tient pour nulles toutes ces réclamations. Connaissez-vous un retranchement qu'elle ait opéré dans le Décaiogue? Connaissez- vous une seule convoitise qu'elle ait jamais accep- tée et sanctionnée ? Non. Plus d'une fois les rois, les puissants se sont levés et ont demandé des adoucissements, des concessions. Ils ont demandé grâce pour l'adultère, pour le duel, pour la tyran- nie. L'Eglise a sommé les rois de respecter la sainte

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institution du mariage. L'Eglise a frappé les duel- listes d'excommunication. L'Eglise n'a cessé de protester contre la tyrannie, même honorée et triomphante. Fénelon reproche à Louis XIV sa pas- sion pour les combats, Bourdaloue son adultère, Bossuet ses entreprises contre le ministère aposto- lique. L'Eglise a dit la vérité aux rois. Les peuples, devenus rois à leur tour, ont aussi des flatteurs qui les perdent. Qui donc plaidera devant eux la cause de la morale? Encore l'Eglise. Debout dans ses chaires, elle dit aux peuples : « La pro- priété est sacrée; n'y touchez pas. La débauche vous perdra ; fuyez-en la contagion et le déshon- neur. Le travail est voulu de Dieu ; acceptez-le comme un devoir et une épreuve. La diversité des conditions humaines est nécessaire; respectez cette loi providentielle. L'homme n'est pas fait pour la jouissance... » L'Eglise est la gardienne de la mo- rale; on ne peut ni la corrompre, ni l'endormir,

170 CONFÉRENCES AUX HOMMES

ni la détourner de son service. Elle garde au monde des idées morales précises et immuables. Ce n'est pas tout.

III. L'Eglise présente à la conscience humaine des idées morales impérieuses.

Ce dernier service est d'une importance souve- raine. Pour exister, le vice n'a nullement besoin de prémisses dans l'esprit; enfant de la corruption du cœur, il prospère, il grandit, si illogique, si injustifiable qu'il soit. Le mal germe et pousse tout seul au fond de notre pauvre cœur. Il n'en est pas ainsi de la vertu. La vertu est une réaction du cœur contre lui-même, c'est une violence habituelle faite à nos penchants. Or, pour nous engager dans cette pénible lutte et y persévérer, pour gravir d'un pas ferme le rude sentier du devoir, il. nous faut non seulement des idées' précises et immuables, sur lesquelles notre pied ne tremble jamais; mais il nous faut des idées morales impérieuses qui nous poussent en avant et qui nous disent : « Soldat du bien, marche, marche quand môme, marche tou- jours ! Tu ne peux pas, tu ne dois pas reculer. » Ces idées morales impérieuses, Messieurs, c'est encore l'Église qui les propose et les impose à la conscience humaine stimulée et entraînée.

L'Eglise nous offre de puissants motifs qui poussent vers le bien. « Dieu, dit-elle, est l'auteur

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 171

de la loi morale ; la loi morale est en vous, mais elle vient de plus haut que vous ; elle vient de quelqu'un qui ne varie pas, qui, loin d'être diminué ou changé par vos caprices, les domine et les assu- jettit; elle vient de Dieu. Dieu, dit-elle encore, est le Législateur de la morale ; c'est Lui qui en impose l'accomplissement, qui lui donne sa force obliga- toire. Dieu, dit-elle enfin, est le vengeur de la morale ; c'est Lui qui punira la prévarication et qui récompensera la fidélité. » Quels puissants motifs de fuir le mal et d'accomplir son devoir ! Un Dieu, principe et terme de la morale, un Dieu rémunérateur et vengeur, un Dieu toujours vivant, toujours présent, qui voit tout et qui juge tout, qui met dans la balance jusqu'à la bonne et la mau- vaise pensée, un Dieu qui s'est fait homme et qui est mort pour expier nos fautes, un Dieu qu'il fau- dra recevoir demain dans un cœur pur après une confession détaillée faite au prêtre son ministre. . . des promesses magnifiques, des menaces effrayantes... est-ce que vous ne voyez pas, Messieurs, toutes les idées moralisatrices qui fermentent dans la doc- trine de l'Eglise ? Elle fait appel à la crainte, à l'amour, à la reconnaissance, à la raison, au cœur, à l'intérêt. Et aux puissants motifs qui poussent l'homme vers le bien,

Elle ajoute de nobles exemples qui attirent vers le bien. L'Eglise présente à la conscience humaine la vie typique de Jésus-Christ. Elle montre Jésus-

472 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Christ tombant des splendeurs du ciel dans les anéantissements de l'Incarnation, obéissant jusqu'à la mort de la croix, choisissant pour son partage la pauvreté, bénissant les cœurs purs, proclamant l'excellence de la chasteté, et, bien que mille fois calomnié, ne permettant pas que l'on suspectât en lui cette adorable vertu, aimant la vérité avec une sainte passion, prodigue de ses dons, faisant le bien sur son passage et donnant sa vie pour ceux quil aime, venant non pour être servi, mais pour servir les autres, acceptant tous les opprobres, broyé sur la croix, et dans sa personne adorable et meurtrie déifiant la douleur, enfin vivant et mou- rant pour la gloire de son Père et le salut du monde. Devinez, Messieurs, les passions qui s'apaisent, les haines qui pardonnent, les vertus qui germent, les dévouements qui se décident aux pieds du Crucifix, sous le rayonnement de Jésus- Christ, de la Vierge et des Saints ! Devant de tels exemples descendus de si haut et nous atteignant de si près, la conscience émue,, éclairée, stimulée et entraînée, sent l'impérieux besoin de s'arracher au mal et de s'engager dans les âpres sentiers du bien. L'Église est une grande puissance moralisatrice. Elle éclaire la conscience humaine. Elle nous donne des idées morales précises, immuables et impé- rieuses. C'est déjà splendide!

Amen!

TROISIÈME CONFERENCE

l'église ÉCLAIRE LA CONSCIENCE

(suite)

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance moralisatrice. La morale... tout le monde la préconise. La vertu... vous voulez la voir resplendir dans la vie de votre femme et sur le front de vos enfants; vous vous indignez quand vous vous apercevez qu'on l'ou- trage autour de vous ; vous applaudissez au triomphe du bien et à l'humiliation du vice. Tous, vous êtes les partisans de la morale, et, en vous disant cela, je ne vous adresse pas une flatterie, je constate simplement un fait qui est l'honneur élémentaire de la nature humaine. Or l'Église est la gardienne de la morale. Elle éclaire la conscience et elle lui présente des idées morales précises, immuables et impérieuses. Ce premier service que rend l'Eglise à la conscience humaine est déjà immense. Il cons- titue pour l'Église une gloire et un tourment. L'Église annonce au monde une morale précise, immuable et impérieuse.

174 CONFÉRENCES AUX HOMMES

I. C'est son tourment.

Vous êtes-vous jamais demandé, Messieurs, pour- quoi l'Eglise était impopulaire; pourquoi, ne ces- sant jamais de faire le bien, elle entend toujours autour d'elle des voix qui la contredisent, qui dé- naturent ses intentions et qui calomnient ses actes? Il y a un mystère d'ingratitude qui appelle une explication, et je vais vous la donner. Vous avez cru peut-être que l'impopularité de l'Eglise tenait à laprofondeur et à l'incompréhensibilité des vérités qu'elle annonce. Détrompez- vous. L'Église est impo- pulaire, elle est discutée, elle est malmenée, sur- tout parce qu'elle prêche la morale, non pas une morale telle quelle, mais une morale précise, im- muable et impérieuse. En prêchant la vertu, l'Eglise condamne nécessairement les passions et, en con- damnant les passions, elle les ameute nécessaire- ment contre elle.

Debout dans ses chaires, parlant au nom du Ciel, l'Eglise dit : « Il y a un Dieu créateur, légis- lateur et juge. » Et il y a des hommes qui disent: Dieu n'est pas! Comment voulez-vous que l'Eglise s'entende avec eux?

L'Eglise dit : « Il y a un enfer, un châtiment éter- nel pour les prévaricateurs. » Et bon nombre de gens qui sont intéressés à ce qu'il n'y en ait point se récrient. Les voleurs, s'ils le pouvaient, détrui-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 175

raient la gendarmerie; de môme ceux qui ont peur de la Justice divine sont furieux d'entendre dire qu'elle existe. Essayez de parler de l'enfer à tous les criminels qui sont en train de le mériter, ils vous répondront par des ricanements diaboliques et par des frémissements de colère. Ils ne veulent pas qu'il y ait d'enfer. Et cependant l'Eglise dit qu'il y en a un, et, circonstance aggravante, elle leur prouve qu'il y en a un. Comment voulez-vous qu'elle s'entende avec eux?

L'Eglise dit : « Un seul Dieu tu adoreras. » Et il y a bon nombre de gens qui adorent l'argent, d'autres qui adorent leur pot-au-feu, d'autres qui adorent une place, ou une idole de chair. L'Église élève sa voix vengeresse, elle crie : « Qu'a été Dieu jusqu'à ce jour dans votre vie? Rien. Que doit-il être? Tout. Prenez garde. Vous dépendez de sa puis- sance, vous vivez par sa providence, il faut comp- ter avec sa justice! » Comment voulez-vous que l'Église s'entende avec ceux qui ne veulent donner à Dieu ni une pensée de leur esprit, ni un batte- ment de leur cœur, ni une minute de leur vie?

L'Église dit : « Dieu en vain tu ne jureras. » Et il y a bon nombre de gens qui ne connaissent le nom de Dieu que pour le maudire, ou bien pour le prononcer d'une lèvre blasphématrice, ou bien pour le profaner dans de faux serments. Comment voulez-vous que l'Église s'entende avec eux?

L'Église dit : « Les Dimanches tu garderas. » Et

176 CONFÉRENCES AUX HOMMES

il y a bon nombre de gens que ce devoir impor- tune, qui travaillent ou font travailler le dimanche, pour qui vibre comme un reproche et un remords la cloche qui les appelle à la prière. Gomment voulez-vous que l'Eglise s'entende avec eux?

L'Eglise dit : «Tes père et mère honoreras.» El ix y a des enfants qui attendent leurs quinze ans, qui les devancent quelquefois pour secouer le joug de l'obéissance et du respect; il y en a d'autres qui laissent languir dans la misère et les privations leurs vieux parents, qui abreuvent d'amertume leurs derniers jours. CommeDt voulez-vous que l'Église s'entende avec ces enfants ingrats, indisci- plinés, sans cœur, sans entrailles?

L'Eglise dit : « Homicide point ne seras. » Et il y a bon nombre de gens qui tarissent les sources de la vie en limitant leur postérité. Et il y a bon nombre de gens qui vivent dans la haine, la dis- corde et les querelles, qui méditent chaque jour des projets de vengeance, qui aimeraient mieux perdre un membre que de pardonner une injure, qui sèment les mauvais conseils et les mauvais exemples et qui tuent dans le prochain la vie de l'àme bien plus précieuse que celle du corps, c'est- à-dire la foi et l'innocence. Comment voulez-vous quel1 Eglise s'entende avec eux?

L'Église dit : « Impudique point ne seras. » Et il y a bon nombre de gens qui suivent en esclaves dociles leur mauvaise nature, qui se permettent

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 177

du matin au soir les plaisirs défendus, les conver- sations coupables, les imaginations dangereuses, les lectures empoisonnées, les sociétés corrompues. Comment voulez-vous que l'Eglise s'entende avec eux?

L'Eglise dit : « Bien d'autrui tu ne prendras. » Et il y a bon nombre de gens pour qui la richesse est tout et qui ont trouvé des chemins raccourcis et commodes pour faire passer dans leurs mains le bien d' autrui. Parlons ici clairement. Le vol n'est pas seulement la saisie manuelle d'une somme d'argent dans un tiroir; c'est tout acte qui, sous une forme extérieure différente, s'y ramène en substance. Et il n'y a pas vol seulement quand les gendarmes et la loi interviennent, mais toutes les fois que les droits du prochain sont lésés. Voilà la barrière infranchissable que bon nombre de gens veulent franchir. L'Eglise tient bon, et elle répète: « Bien d'autrui tu ne prendras ! » Comment voulez- vous que TEglise s'entende avec ceux qui ne veulent pas lui obéir et qu'elle condamne?

Vous, Messieurs, vous aimez l'Eglise parce que

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vous aimez la morale. La parole de l'Eglise ne vous blesse pas, parce quelle vous prêche des devoirs que vous savez respecter et pratiquer. Mais regar- dez un peu le monde qui vous environne. Dans ce monde, que de contempteurs de la morale, que d'hommes qui récèlent au fond de leur cœur des

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-12

178 CONFÉRENCES AUX HOMMES

connivences secrètes, voulues et obstinées avec le mal ! Or, quand la parole incorruptible de l'Église tombe sur ces âmes, y sera-t-elle accueillie avec respect et avec amour? Non, ce n'est pas pos- sible. Elle les blesse comme un fer chaud, et elle éveille sur leurs lèvres des colères, des récrimina- tions, des anathèmes qui retentissent comme le fra- cas de la tempête. Ne me demandez plus mainte- nant pourquoi l'Eglise rencontre dans le monde tant de contradictions, tant d'impopularité et d'hos- tilité. Elle prêche la morale, et une morale précise, immuable et impérieuse. C'est son tourment. Et j'ajoute aussitôt :

II . C'est sa gloire.

L'Église prêche la morale, et une morale incor- ruptible... Tant mieux! Je n'ai jamais entendu re- procher à une colonne d'être immobile. Que de- viendrait l'édifice, si la colonne bougeait? Pourquoi donc reprocheriez-vous à l'Eglise d'être immobile, et combien cette immobilité ne vous est-elle pas sa- lutaire? Où en serions-nous, s'il y avait des trem- blements de la vérité et de la morale, comme il y a des tremblements de terre? Cent et cent fois on a vu les lois changer, l'opinion séduite, la cons- cience aveuglée, l'honneur lui-même défaillir, et parmi tant d'apostasies et de ruines l'Église garde

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 179

inviolablement la morale aussi bien que le dogme. Tant mieux pour vous !

Et tant mieux pour elle ! admirez-la dans son atti- tude. Jamais elle ne pactise avec les mauvaises pas- sions. Fallût-il perdre un royaume, elle ne supprime pas une syllabe de sa doctrine morale. C'est sa gloire sans pareille, c'est son honneur incommu- nicable. Oui, l'Eglise a l'incomparable honneur de prêcher une morale parfaite. « L'esprit humain, dit Thiers, a pu avoir des démêlés avec elle sur son dogme, jamais sur sa morale. » Et cet incompa- rable honneur de prêcher une morale parfaite lui en attire un autre, qui en est la conséquence glo- rieuse et douloureuse tout ensemble, celui d'ameu- ter contre elle tous les mauvais instincts de la nature humaine. L'Eglise catholique a ce privi- lège unique d'exciter les colères de l'athée, de l'in- juste, du voluptueux, de tout homme en un mot qui outrage ici-bas par sa parole, par sa plume ou par ses œuvres la vérité, le droit, la morale, la vertu, c'est-à-dire Dieu lui-même. La cause du bien, la cause même de Dieu est identifiée dans le monde avec celle de l'Eglise, et nos adversaires le prouvent mieux encore que nous par T indiffé- rence et le dédain avec lesquels ils traitent la parole du ministre protestant ou du philosophe, pour réserver à la seule parole du Pape, des évêques et des prêtres, à la seule parole de l'Eglise leur haine, leurs objections les plus perfides et leurs coups

180 CONFÉRENCES AUX HOMMES

les plus retentissants. L'Église prêche la morale, et une morale incorruptible. Tant mieux pour elle et tant mieux pour vous, Messieurs !

Tenez. Faisons une hypothèse irréalisable. Suppo- sons que l'Église lâche la morale, qu'elle supprime seulement toutes les questions de probité et de chas- teté. Supposons que l'Église cesse de prêcher une morale précise, immuable et impérieuse. Tant pis! Sans do-ute, ce jour-là, elle retrouverait une certaine popularité auprès des passions humaines, heu- reuses de lui avoir enfin fermé la bouche, heu- reuses de ne plus l'entendre les contredire et les condamner. Tous ceux qui aujourd'hui l'accusent d'intolérance et d'exagération deviendraient ses admirateurs et célébreraient à l'envi sa prudence, sa modération, son libéralisme. Mais, ce jour-là, vous, Messieurs, vous mépriseriez l'Église catho- lique, et vous auriez raison, vous lui diriez et à juste titre : « 0 Église, tu as laissé tomber de tes mains les Tables de la Loi morale ; sentinelle infi- dèle à ta mission, tu as cessé de monter la garde sur les frontières sacrées du bien et du mal. 0 Église, tu n'as plus de raison d'être ici-bas, et je te méprise! » Oui, Messieurs, le jour où, pour gagner l'amitié du monde, nous sacrifierions les droits de la vertu ; le jour nos lèvres timides et profanées cesseraient de prononcer les mots divins de justice, de charité, de pureté ; le jour le courage nous manquerait pour flétrir le blas-

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phème, le parjure, le vol, l'impudicité, le vice, vous, Messieurs, qui êtes honnêtes, qui avez l'estime et l'amour de tout ce qui est bien et la sainte hor- reur de tout ce qui est mal, vous vous lèveriez pour nous maudire, et vous secoueriez la pous- sière de vos pieds sur un sacerdoce qui ne serait plus digne de vous parler, qui n'oserait môme plus vous regarder en face !

Ne craignez rien. Cette extrémité honteuse pour nous et désastreuse pour vous n'arrivera pas. Dût-elle amasser sur sa tête jusqu'à la fin du monde les malédictions croissantes des passions et les violences conjurées de la brutalité et de l'hypocrisie, jusqu'à la fin du monde l'Église catholique prêchera la morale, et une morale précise, immuable et impérieuse, une morale in- corruptible. C'est son tourment et c'est sa gloire.

En terminant, Messieurs, je veux vous racon- ter une histoire. Vous la connaissez déjà, mais elle est si instructive et elle revient si bien à mon sujet que je ne puis résister au désir de vous la redire. Il y avait à Athènes une loi singulière qui permettait d'exiler pour dix ans un citoyen, quoi- qu'il n'eût commis aucun crime, mais par cela seul que Ton craignait qu'il n'acquît une trop grande influence dans la République. C'est ce que l'on appelait l'ostracisme, d'un mot grec qui signi- fie coquille, parce que le peuple assemblé pronon-

182 CONFÉRENCES AUX HOMMES

çait cette étrange sentence, en votant au moyen de coquilles sur lesquelles chacun inscrivait son avis. Or, un jour que les citoyens étaient réunis pour uécider du sort du vertueux Aristide, un habi- tant de la campagne, qui ne l'avait jamais vu, lui demanda à lui-même d'écrire sur sa coquille un vote de bannissement. « Quel mal t'a donc fait cet homme? » lui demanda Aristide. « Aucun, répon- dit l'Athénien, je ne le connais même pas! Mais je m'ennuie de toujours l'entendre appeler le Juste. » Ainsi, dans cette ville ingrate et légère, on condam- nait un citoyen même pour sa vertu. Messieurs, beaucoup d'hommes de ce siècle, campagnards ou citadins, votent sans sourciller l'exil ou la mort de l'Église, et quand on leur demande : « Quel mal vous a-t-elle fait ? » ils sont obligés de répondre : « Aucun, nous ne la connaissons même pas ; mais nous sommes ennuyés de toujours l'entendre nous prêcher la vérité et la vertu ! » L'Eglise, Messieurs, est une grande puissance moralisatrice. A cause de cela le monde la maudit, à cause de cela je vous invite à la bénir, à la remercier et à la chanter !

Amen!

QUATRIÈME CONFÉRENCE

l'église FORTIFIE LA VOLONTÉ

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance moralisatrice. Elle éclaire la conscience. Elle prêche la morale, et une morale précise, immuable et impérieuse, une morale incorruptible. C'est déjà beaucoup. Mais c'est insuffisant. Car, une fois qu'on connaît son devoir, il faut le pratiquer, et commencent les grosses difficultés. L'Eglise peut-elle quelque chose contre ces difficultés? Elle éclaire la conscience. A-t-elle un peu de force à donner à la volonté? Oui. En présence du mal à éviter et du bien à accomplir, la volonté humaine est faible, et l'Eglise fortifie la volonté humaine.

I . La volonté humaine est faible.

La chose est claire, et cependant il importe de la rendre plus claire encore, tant sont nombreux les hommes qui ont la prétention de se suffire à eux-

184 CONFERENCES AUX HOMMES

mêmes dans la carrière de leur vie morale. La rai- son nous suffit, disent-ils, nous n'avons pas besoin du secours extérieur de la religion; nous avons notre droite nature, nous n'avons que faire d'une force surnaturelle. Ils se trompent.

Voici la vérité et la réalité. Sans doute nous avons devant nous le bien, le beau, l'idéal ravissant de la vertu, et à sa vue nous sommes épris, émus, nous tressaillons d'enthousiasme, nous prenons notre élan, nous allons partir. Hélas ! nos batte- ments d'ailes sont sublimes, mais qu'ils sont im- puissants! Nous ne faisons pas le bien, ou, si nous le faisons, c'est avec peine, avec effort, la sueur au front et médiocrement, si médiocrement que nous en rougissons devant nous-mêmes. Nous sommes affaiblis du côté du bien, nous sommes emportés vers le mal, comme vers un abîme ténébreux, ab- ject, infâme, qui nous fait horreur et qui cepen- dant nous attire. Nous sommes dans la situation d'un naufragé, qui, emporté par un fleuve impé- tueux, doit faire un violent effort pour remonter le courant. Ma conscience d'honnête homme me dit que je dois acquérir la vertu et fuir le vice, que je dois réprimer au dedans de moi l'esprit d'orgueil, d'intérêt, de vengeance et de sensualité, que je dois pratiquer la justice, la charité, la chasteté, la tem- pérance, que je dois fournir la noble carrière des vertus qui font l'homme de bien. Or, la chose n'est pas douteuse, ces préceptes de la morale naturelle

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reconnus vrais et obligatoires pour tous ne sont faciles pour personne. Car, si nous sommes libres, nous sommes en même temps mal équilibrés ; les parties de notre être se battent les unes contre les autres; et, à la conspiration puissante de tous les instincts dépravés qui nous travaillent par le dedans, viennent se joindre les influences mauvaises qui nous assiègent par le dehors. Nous gravitons vers le mal, nous sommes au penchant de l'abîme, et nous ne pouvons remonter vers les sommets du bien, vers l'idéal de la vertu, qu'à la condition de déployer une grande, une très grande force de volonté.

Notre volonté a-t-elle par elle-même dans une mesure suffisante cette force de résister et d'agir, de vaincre le mal et de faire le bien? Non. La volonté de l'homme a dompté le monde physique comme en se jouant; elle a tiré le feu des veines du caillou ; elle a fondu les métaux, abattu les forêts, percé les montagnes, franchi et bravé les flots. Il n'y a qu'une conquête que l'homme n'ait pu faire et qu'il ne fera jamais, c'est celle de son âme et de ses instincts dépravés. Notre volonté, en face du bien à faire et du mal à éviter, est une force qui chancelle, qui hésite, et qui le plus souvent sacri- fie le bien au mal, la vertu au vice, le devoir au plaisir et à l'intérêt. Le concile de Trente a dit un mot profond quand il a enseigné que le péché originel avait incliné notre libre arbitre. Notre

186 CONFÉRENCES AUX HOMMES

volonté n'est plus droite, elle est courbée; il faut donc qu'elle se redresse, et, pour qu'elle se re- dresse, il faut qu'elle réagisse contre elle-même, qu'elle se sacrifie, et Jules Simon a raison de dire : « Qu'est-ce que la science du devoir? c'est propre- ment la science du sacrifice » Or, qui dit sacrifice dit immolation, sang versé, douleur ressentie. Non, non, il n'est pas facile à la volonté humaine de se soutenir dans la pratique du bien. Voici que, du fond de l'horizon, ou plutôt des entrailles mêmes de notre être, accourent, prompts comme la foudre, deux adversaires redoutables qui entrent en lice contre notre volonté : l'orgueil, orgueil de la nais- sance, orgueil de l'esprit, orgueil de la fortune acquise ou de la pauvreté jalouse... et le sensua- lisme qui nait en nous, s'éveille avec les premières ardeurs du sang, emporte la jeunesse comme dans un tourbillon, agite l'âge mûr et trouble parfois la vieillesse jusque d^ns la paix de ses cheveux blancs. Que devenir ? donc la volonté cher- chera-t-elle un abri, un secours? Elle est faible, elle ne peut pas se suffire à elle-même. Voici l'Eglise.

II. L'Église fortifie la volonté humaine.

L'Église éclaire la conscience, et, en donnant à l'homme la lumière qui indique le devoir et les motifs puissants qui poussent à l'accomplir, elle

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 187

agit déjà sur la volonté d'une manière indi- recte, mais très réelle et très eflicace. Cependant, pour faire le bien et éviter le mal, il ne suffit pas de voir et de vouloir ; il faut pouvoir. L'Eglise inter- vient et elle suggère à la volonté humaine des pos- sibilités, des énergies, des puissances très particu- lières. L'Eglise a reçu en dépôt la grâce et les sacrements, et elle les distribue par le canal du sa- cerdoce. Or, par la grâce, par les sacrements et par le sacerdoce, l'Eglise journellement tend la main à la volonté humaine qui n'en peut plus ; elle lui donne la faculté et le pouvoir de réaliser ce qui ne serait que de vagues désirs et d'inutiles aspirations. Ce ne sont pas là, Messieurs, des affirmations chi- mériques. Veuillez m' entendre attentivement jus- qu'au bout. Je ne désespère pas de vous convaincre. Je viens de nommer la grâce d'abord. Pour triompher de cette puissance désordonnée et presque tatale qui se nomme la passion, il ne suffit pas des leviers plus ou moins aléatoires de la morale indé- pendante ; il faut dans la volonté humaine un accroissement surhumain ; cet accroissement sur- humain, nous le nommons la grâce. D'où vient- elle? De Dieu seul. agit-elle? Dans les profon- deurs de l'âme, sur la volonté. J'entends ici le génie matérialiste de notre époque m'interpeller du fond de ses laboratoires et me dire : Qu'est-ce que la grâce? Quel est ce moteur latent qui échappe aux constatations scientifiques et que les lois nié-

188 CONFÉRENCES AUX HOMMES

caniques ne règlent pas? Quelle est cette force dont la source et la direction sont cachées dans le ciel, dont les ressorts ne furent jamais vus sur la terre et dont le calibre n'est point mathématiquement déterminé? Qu'est-ce que la grâce et existe-t-clle seulement? Messieurs, il est facile de répondre aux explorateurs exclusifs de la matière et de leur prouver, par des faits, que la grâce est une réalité et que par elle le niveau de la moralité catholique dépasse de beaucoup le niveau de la moralité païenne ou simplement philosophique; nous n'avons qu'à leur montrer les vertus des saints, les vocations exceptionnelles et la vie des chrétiens ordinaires et à leur dire : Regardez ! Par l'abus de sa liberté, l'homme tombe plus bas que lui-même; par le se- cours de la grâce, l'homme se relève jusqu'à Dieu. La grâce est une réalité; elle descend du cœur de Dieu, et elle décuple les forces de la volonté humaine. Et la grâce, comment arrive-t-elle à la volonté humaine? Par d'innombrables débouchés, par la prière, par le jeûne, par l'aumône, par les bonnes œuvres, enfin par les sacre?nenls. Vous auriez tort, Messieurs, de traiter à la légère ces pratiques divi- nement moralisatrices qu'on appelle les sacrements. Les sacrements ne sont pas un cérémonial pure- ment extérieur et superficiel; ils sont un des prin- cipes les plus puissants de la moralité chrétienne, et, à passions égales, tout homme muni de ce via- tique divin pratique plus de vertus qu'un chrétien

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 180

de pure spéculation. Qui nous dira, par exemple, tout ce que la volonté humaine trouve de force dans la Pénitence et dans l'Eucharistie? «Tous les êtres de la création, dit le curé d'Ars, ont besoin de se nourrir pour vivre. Il faut aussi que l'âme se nourrisse. Lorsque Dieu voulut donner une nourriture à l'àme humaine pour la soutenir dans le -pèlerinage de la vie, il promena ses regards sur la création et ne trouva rien qui fût digne d'elle. Alors il se replia sur lui-même et résolut de se don- ner. 0 âme de l'homme, que tu es grande, puisqu'il n'y a que Dieu qui puisse te contenter ! » Ce ne sont pas là, Messieurs, de vaines paroles, ce sont des faits. Les sacrements ont journellement une double efficacité pratique : ils conservent et ils restaurent la moralité.

En mettant la force de Dieu dans l'àme humaine, les sacrements conservent l'innocence. En dehors des observances sacramentelles qui attiédissent les passions du jeune âge, pas de fleur à nos foyers qui ne se flétrisse, pas de chasteté qui ne soit en- iamée. Partout il y a une innocence demeurée intacte, ce n'est pas un pédant sceptique, c'est un ministre de la grâce chrétienne qui est le chérubin préposé à la garde de ce nouvel Eden ; partout de tels ministres sont absents, on ne voit que des Rachels refusant d'être consolées parce que leurs fils sont perdus pour la vertu.

En mettant la force de Dieu dans l'âme humaine,

190 CONFÉRENCES AUX HOMMES

les sacrements, non seulement conservent, mais restaurent l'innocence. Comment restaurer une âme qui a défailli? Il est facile de déchoir, mais il n'est pas facile de remonter les abîmes descendus. Tomber est une faiblesse de nature, mais se relever est un triomphe qui la dépasse. Et ce triomphe on ne peut le remporter qu'avec la grâce de Dieu. Voici un homme tombé, écrasé sous le poids de sa faute. D'autres disserteront sur ses ruines, avec les sacrements nous les ferons, palpiter. D'autres lui expliqueront le mouvement, avec les sacrements nous nous chargeons de le lui donner. La volonté humaine, destituée d'un auxiliaire surnaturel, est incapable de revenir spontanément et seule du mal au bien. Cet auxiliaire surnaturel, ce sont les sa- crements qui tantôt conservent et tantôt restaurent la moralité.

Le catholicisme qui garde intact le dépôt des sacrements est la religion qui obtient le plus de sacrifices de la volonté humaine. Le schisme grec, qui les défigure, vient après. Le protestantisme, qui en renie la plus grande partie, s'avance un degré plus bas. Le rationalisme, qui n'en connaît aucun, a beau se placer à l'avant-garde du mouvement intellectuel; il est le plus attardé des symboles sur le chemin de la vraie moralité. Que si vous objectez ici la correction, la pureté plus ou moins authen- tique de certaines populations russes ou anglicanes, je vous ferai remarquer trois choses : cette

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 191

sévérité des mœurs moscovites ou protestantes est très contestable; s'il y a dans le schisme et dans riiérésie des vertus sérieuses, ces vertus sérieuses sont dues à la portion de sève chrétienne qui reste encore dans le schisme et dans l'hérésie ; quand on compare les peuples catholiques aux peuples schismatiques et hérétiques, il faut tenir compte, pour apprécier leur moralité respective, des condi- tions climatériques et autres qui influencent ces différents peuples. Il est évident, par exemple, que la moralité n'est pas également réalisable sous le ciel de la Sibérie ou de l'Allemagne, et sous les zones ardentes de l'Espagne et de l'Italie. Vous prétendez que les sacrements ne corrigent pas les mœurs des catholiques méridionaux. Que serait-ce donc si ces mêmes catholiques, déjà imparfaits malgré ces secours divins, en étaient subitement privés ?

La volonté humaine est faible. L'Eglise la forti- fie au moyen de la grâce et des sacrements, et elle distribue la grâce et les sacrements par le sacer- doce. Je devrais ici vous parler de l'action moralisa- trice du clergé. C'est une étude qui exige du temps et sur laquelle je me propose de revenir plus tard. J'en ai dit assez aujourd'hui pour vous permettre d'admirer et de bénir l'Eglise catholique. Elle éclaire la conscience et elle fortifie la volonté. Gloire à elle l

Amen!

CINQUIÈME CONFERENCE

l'église TRANSFORME LA VIE

Messieurs,

L'Église est une grande puissance moralisatrice. Elle éclaire la conscience, elle fortifie la volonté, et enfin elle transforme la vie. On juge l'arbre par ses fruits. Apprenons à connaître l'Eglise en cons- tatant les fruits de vertu dont elle est la mère. Fai- sons ensemble cette étude très intéressante et très instructive.

I. Quand l'Église vient, la moralité monte.

. Je vous signale d'abord les vertus héroïques que l'Église depuis dix-neuf siècles suscite par milliers sur tous les points du globe, et qui sont à son front un diadème incomparable. Qui a formé les saints? Est-ce que ce n'est pas l'Eglise? Et, sans regarder si haut, contemplez seulement les choses qui vous entourent et que vous coudoyez tous les jours. Vous

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE i 93

avez, à l'heure je vous parle, en France, sous des noms et des costumes divers, cent cinquante mille religieuses, toutes dévouées au service des pauvres, des enfants, des malades. Vous qui vous occupez d'analyser les choses morales, analysez, expliquez celle-là, si vous le pouvez. Allez dans un hospice. Vous trouvez une jeune Sœur. Elle est avec son innocence, son dévouement, sa pureté et ses vingt ans. On lui donne les noms les plus tendres : on l'appelle ma Mère, on l'appelle ma Sœur. Elle n'a qu'un voile, sa modestie. Et il y a pour elle un respect, et une tendresse cachée dans le respect que rien n'a jamais surpassé dans le cœur de l'homme. Essayez donc sans l'Eglise de faire quelque chose d'approchant! Oui, regardez ces innombrables religieuses qui se dépensent nuit et jour dans les asiles sacrés de la souffrance, qui usent leur vie dans nos écoles, qui bercent dans leurs bras et pressent sur leur cœur les orphelins, qui recueillent la vieillesse abandonnée, qui touchent d'une main caressante tous les maux, toutes les blessures, toutes les plaies, qui versent des torrents de bien- faits dans les abîmes de la douleur et de la mi- sère... Qui conserve à la patrie ces humbles ser- vantes de l'humanité souffrante? Qui est pour les éclairer, les diriger et les soutenir? pour entre- tenir en elles la flamme toujours vive, toujours féconde du dévouement? Qui, sinon l'Eglise? Il leur faut la parole du prêtre, la messe que le prêtre

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-13

194 CONFÉRENCES AUX HOMMES

célèbre, la communion que le prêtre leur distribue, les conseils et les consolations que le prêtre leur prodigue chaque semaine au tribunal de la péni- tence. Il leur faut l'action incessante de l'Eglise catholique, et, le jour la France cesserait d'avoir des prêtres catholiques, elle n'aurait plus de Sœurs de charité. Comme un fleuve vient de sa source, les vertus héroïques viennent de l'Eglise.

Et les vertus communes des simples chrétiens, les exemples innombrables de fidélité conjugale, d'amitié fraternelle, de tendre dévouement, de res- pectueuse obéissance, de charité universelle qui se renouvellent depuis dix-neuf siècles, d'âge en âge et de peuple en peuple, ne sont-ce pas encore les fruits de la sève catholique? Sans doute, il y a beaucoup à dire sur le relâchement des mœurs d'une société telle que la nôtre, chrétienne de nom et païenne de fait. Et cependant, parce que nous vivons encore de l'Evangile, tout en le combattant, nous sommes des sages, des anges, des saints, si Ton nous compare aux païens antiques. Réunissez dans le même tableau, les crimes, les hontes, les décadences de toutes les histoires chrétiennes, ci- tez les intrigues de la cour de Byzance, les meurtres de celle de Clovis, les scandales donnés sur le trône par Charles IX et Henri III ; dépouillez même le Béarnais de ses qualités pour ne voir en lui que ses vices, ôtez à Louis XIV la majesté de son règne pour n'en signaler que les désordres, stigmatisez la

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 195

corruption de Louis XV avec la dépravation des lettres et des arts, avec la démoralisation des classes supérieures et d'une portion même du clergé... qu'avez-vous prouvé, sinon que dans l'Eglise catho- lique le vieil homme, quoique converti, sent en- core rugir au fond de son âme les instincts de la bête, et que, jusque sous le joug du baptême, il lui reste des cris de rage, des goûts dépravés, une arrière-pensée de révolte, des heures de licence et d'oubli? Mais il n'en reste pas moins l'homme régé- néré, l'enfant de Dieu et le frère de Jésus-Christ, mille fois supérieur en moralité à l'homme du pa- ganisme, à l'homme qui adorait Vénus, Mercure, Jupiter, c'est-à-dire toutes les passions divinisées.

r

L'Eglise est venue, et, si elle n'a pas totalement changé la face du monde ni supprimé le mal, elle a du moins élevé le niveau de la conscience pu- blique. Depuis dix-neuf siècles la notion chrétienne de la morale a été fréquemment et violemment contestée, et plus d'une fois on a essayé de lui op- poser la divinisation des instincts naturels. Mais l'Eglise était là, flétrissant les mauvaises mœurs, les mauvaises lois, les mauvaises doctrines, et em- pêchant la conscience publique de fléchir. Un cri- tique qui n'est pas renommé par l'étroitesse de ses préjugés, Jules Lemaître, analysait dernièrement les Dialogues exhumés de je ne sais quel drama- turge grec. En face de tant de cynisme et d'incons- cience dans l'immoralité, il concluait : « Cela est

496 CONFÉRENCES AUX HOMMES

décidément de l'autre côté de la croix. » Parole significative qui nous dit que, si grand quo soit le mal de ce côté-ci de la croix, il n'est pas à compa- rer avec le mal qui s'épanouissait librement et en plein soleil de l'autre côté de la croix. Certes, Paris, Vienne, Londres et Berlin ne sont pas des villes d'une austérité puritaine. Cependant, les scandales qui déshonorent ces grandes cités sont de beau- coup inférieurs aux obscénités publiques que nous ont révélées les fouilles de Pompéi. Aucun théâtre d'Europe ou d'Amérique ne tolérerait aujourd'hui les crudités révoltantes qui étaient applaudies par les Grecs et les Romains. Même quand les mœurs sont dépravées, la conscience publique reste exi- geante; elle a été élevée par l'Eglise à un diapason moral que les païens ne connaissaient pas. Et d'ailleurs, pourquoi les grandes villes modernes que je viens de citer sont-elles démoralisées? Parce qu'elles échappent à la tutelle de la sainte Eglise. La mesure de leur infidélité à l'Eglise catholique est précisément la mesure de leur démoralisation. Dès que l'Eglise n'est plus là, aussitôt les idées et les mœurs glissent vers la dépravation.

II, Quand V Église s'en va, le niveau de la mora- lité baisse.

Messieurs, si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 197

notre patrie vient à périr, savez-vous quelle en sera la cause ? Ce ne sera pas notre défaut de cul- ture scientifique... que de savants illustres honorent notre pays ! Ce ne sera pas notre défaut de cul- ture dans les arts ou dans les lettres... que de lit- térateurs et d'artistes parmi nous! Ce ne sera pas le défaut des lois et des constitutions... que de lé- gislations et de constitutions depuis cent ans! Ce ne sera pas notre défaut de perfectionnement in- dustriel et matériel... tous les échos retentissent du bruit de nos machines et du bruit de nos inven- tions. Qu'est-ce donc qui amènera la perte de notre patrie, si jamais elle périt? N'en doutez pas, une seule chose : notre manque d'abnégation et notre peu de vertu. Or, Messieurs, la vertu périra chez nous, si l'Église catholique n'est pas pour la maintenir. Vous ne le croyez pas? Ecoutez-moi. Vos fils charmants se laissent aujourd'hui bercer sur vos genoux et s'y endorment du sommeil des anges. Vous écoutez leur calme respiration, vous contemplez leurs traits reposés. Que seront-ils un jour? Beaux, tendres, fidèles, jaloux de l'honneur de votre nom et toujours prêts à soutenir vos pas chancelants qui descendent au tombeau? Malheu- reux père, vous vous êtes trompé ! Dix-huit ans se passent, et vos fils déshonorés oublient votre triste vieillesse. Leurs passions et leurs vices font à vos cœurs de mortelles blessures, et tout votre amour n'est plus occupé qu'à ne pas les maudire.

198 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Comment, en un plomb vil, l'or pur s'est-il changé? Ah ! ils ont déserté les autels de la religion, ils ont tourné le dos aux ministres de l'Eglise catholique, ils ont jeté par-dessus bord les croyances et les pratiques religieuses qui revêtaient leurs premières années d'innocence, de charme et d'éclat... et leur vertu finit parce que Dieu seul ne finit pas. Quand l'Église s'en va de l'enfance et de la jeunesse, quand l'Église s'en va du foyer domestique, aussi- tôt le niveau de la moralité baisse.

Vous ne le croyez pas? Voici des chiffres. Les tableaux dressés périodiquement par le ministère de la Justice attestent une effrayante augmentation du nombre des crimes, et de la part de beaucoup de criminels un prodigieux raffinement de perver- sité et de cruauté. Pendant une seule de ces der- nières années on a compté jusqu'à vingt-trois mille enfants ou mineurs traduits devant les tribunaux. D'année en année la progression de la criminalité dans la jeunesse augmente effroyablement. L'édu- cation soustraite à toute influence religieuse porte ses fruits. Le nombre des crimes dans l'enfance et dans la jeunesse a quadruplé. Voilà le paiement sanglant du mépris de Dieu, et ce n'est que la première échéance. Nous aurons bientôt et nous avons déjà les méfaits de ces enfants devenus des hommes. Nous avons des bacheliers dynamiteurs à qui on a dit : « N'écoutez plus la religion, elle n'a rien à vous offrir que des fables; écoutez la science,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 109

la science est tout ; elle vous apprend que l'homme est une brute perfectionnée, Dieu une hypothèse inutile, la morale un préjugé. Vive la science et périsse la religion ! » Messieurs, les criminels qui ont chassé la religion de l'éducation ont fait une œuvre manifestement immorale et antisociale, et l'arbre qu'ils ont planté porte des fruits de mort qui sont la condamnation sinistre et éclatante de leurs entre- prises insensées et coupables. Quand l'Eglise s'en va d'une génération élevée sans Dieu et sans Christ, le niveau de la moralité baisse.

Vous ne le croyez pas encore? Mais vous nagez dans cette vérité, elle vous enveloppe, elle vous étreint, elle vous possède. Touchez-la donc du doigt. Nous avons une religion dont le premier symbole est une Vierge, une vierge idéalement pure, sur le cœur de laquelle les jeunes filles viennent reposer leur cœur et y puiser une modestie, une grâce aimable qui les embellit, qui embellit nos foyers, qui embellit jusqu'à nos rues; une religion dont le second symbole est une Croix, un gibet tout sanglant l'homme arrivé à la maturité vient poser ses fortes lèvres pour apprendre non pas à dominer, mais à servir, mais à se dévouer, à s'immoler, à se contenir, et d'où il rapporte une élévation de pensée, une délicatesse de sentiments, une pudeur virile, une majesté douce qui fait le charme, la sécurité et l'honneur du foyer domestique ; une religion dont le dernier mot est l'amour, l'amour désinté-

200 CONFÉRENCES AUX HOMMES

ressé et généreux descendu sur la terre pour nous apprendre à aimer Dieu et nos frères, pour faire couler dans les veines de l'humanité un fleuve de charité ; une religion enfin dont toutes les croyances et toutes les pratiques sont une excitation puissante et un secours permanent à la vertu, un frein redoutable à la violence des passions. Or, si vous ne voulez plus de tout cela, si vous niez la Vierge, Jésus-Christ, la croix, l'Évangile, le ciel, la prière, la confession, l'eucharistie, la religion catholique en un mot, est-ce que vous garderez les biens qui en découlent ? Est-ce que vous garderez la pudeur chrétienne ? Est-ce que vous garderez le jeune homme chaste ? Est-ce que vous garderez les mariages unis, heureux, féconds, sans tache, avec cet amour croissant, et cette délicatesse, et ce dévouement, et ce respect que le christianisme y a mis ? Est-ce que vous garderez la virginité de la jeune fille, la dignité de la femme, la sainteté du lien conjugal? Est-ce que vous garderez les rayons après avoir éteint le foyer ? Est-ce que vous garderez le fleuve et ses eaux fécondantes après avoir sup- primé la source? Non. Vous perdrez tout cela. Et comme ce sont les grandes mœurs qui font les grands peuples, l'éclipsé de la religion sera le prélude de la décadence de la race. Quand l'Eglise catholique s'en va d'une race et d'un peuple, le niveau de la moralité baisse.

Vous avez cru peut-être, Messieurs, que lesgloires

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 201

ou les abaissements de la cause religieuse vous importaient peu, et qu'après tout les affaires de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Eglise n'étaient pas vos affaires. Il faut revenir de cette erreur. Quand on attaque la religion, c'est vous-mêmes qu'on attaque. On commence dans les hauteurs les plus sublimes une ruine qui, en tombant de si haut, doit en entraîner et en entraîne beaucoup d'autres. Dans ces dernières années, le clocher nouvellement cons- truit d'une petite ville de Normandie s'effondrait pendant la nuit. Les maisons voisines du clocher étaient éventrées, et sept ou huit créatures humaines surprises au milieu de leur sommeil étaient ense- velies sous les ruines. Parce que le clocher est au milieu du village, s'il vient à tomber, il écrase les maisons d'alentour. Et parce que la religion est le sommet, et le nœud, et la clef de voûte sublime de toutes les choses humaines, si elle vient à crouler, elle entraîne tout dans sa chute. Elle entraîne la morale, elle, entraîne la paix et l'honneur des familles, elle entraîne la prospérité et la sécurité des Etats.

N'allez donc pas, ô hommes mal avisés, d'une main battre en brèche l'Église catholique et de l'autre soutenir l'édifice de la morale. Vous voulez jouir des fruits de l'arbre? N'en coupez pas les racines. Vous voulez l'effet? Ne supprimez pas la cause Non. Unissez ensemble ces deux choses qui

202 CONFÉRENCES AUX HOMMES

se tiennent et qui n'en font qu'une : la religion qui est la semence, et la vertu qui est la moisson; la morale qui embaumela terre, et l'Eglise catholique

qui sauve la morale l

Amen!

SIXIÈME CONFÉRENCE

l'église TRANSFORME LA VIE (suite)

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance moralisatrice. Elle éclaire la conscience, elle fortifie la volonté, elle transforme la vie. Ici on nous arrête, et beau- coup de gens qui détestent la religion ou qui n'ont pas le courage de la pratiquer nous disent : L'Eglise transforme la vie ! ce n'est pas vrai. Les chrétiens ne valent pas mieux que les autres. Messieurs, que cette objection soit sincère ou déloyale, peu m'im- porte. Mais, puisque cent fois je l'ai rencontrée sur mon chemin, il faut que j'y réponde. On dit que les chrétiens ne valent pas mieux que les autres. Expli- quons-nous une bonne fois là-dessus, et tout de suite établissons une distinction capitale entre les vrais et les faux chrétiens. Cette distinction va tout éclaircir et tout arranger. Je me flatte, Messieurs, d'être toujours sincère devant vous, et j'ai la cer- titude que ma sincérité ne vous déplaît pas. Au- jourd'hui, j'ai besoin d'être encore plus net et plus

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limpide qu'à l'ordinaire, et je vous demande de ne pas m'en vouloir.

I. Les faux chrétiens ne valent pas mieux que les autres. Je raccorde volontiers.

Expliquons-nous bien. Il y a trois choses dans la religion, trois choses qu'on ne doit pas séparer, sous peine de détruire la religion elle-même, comme il y a trois côtés dans un triangle, et, si vous enle- vez un seul de ces côtés, vous n'avez plus de triangle. Dans la religion catholique il y a la foi, la pratique et les œuvres. Un vrai catholique est celui qui ayant la foi la professe extérieurement, et s'efforce w d'en réaliser les principes dans sa vie quotidienne. Un faux catholique est celui qui des trois conditions de la religion n'en remplit qu'une ou deux. Hypo- crite, il n'a que les pratiques religieuses sans la foi et sans les œuvres; superficiel, il a la foi et la pratique, mais il n'a pas les œuvres. Je ne sais pas s'il existe quelque part de tels chrétiens; mais, s'il en existe, je les renie, je les déclare faux et de mauvais aloi, je les réprouve, je vous les aban- donne, et volontiers je vous accorde qu'ils ne valent pas mieux que les autres hommes, et qu'ils peuvent même valoir beaucoup moins.

Les chrétiens hypocrites seraient ceux qui n'au-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 205

raient que les dehors de la religion et qui cache- raient sous les démonstrations de la piété l'indif- férence et l'incroyance. L'hypocrisie en matière religieuse, c'est le mensonge dans ce qu'il a de plus vil, car Dieu même, l'inviolable vérité, est pris pour complice de la déloyauté.

Jadis, quand la religion avait une situation offi- cielle, puissante et prépondérante, quand elle avait de l'argent, des titres, des places à distribuer, il a y avoir et il y a eu certainement des chrétiens hypocrites, des Tartufes qui se sont affublés du manteau de la piété pour conquérir des faveurs humainement désirables. Aujourd'hui, je ne vois pas trop les avantages temporels que la religion peut procurer à ceux qui la pratiquent. Aujourd'hui, les impies qui s'affichent ont plus de chance d'arri- ver que les chrétiens qui s'agenouillent. A porter un cierge derrière le Saint-Sacrement, on risque son prestige et son intérêt, tandis qu'on a fout à ga- gner en exhibant son diplôme de franc-maçon et son certificat de libre penseur. La religion à l'heure actuelle n'a donc pas à redouter dans son sein la plaie hideuse de l'hypocrisie. Si cependant, par impossible, il y avait encore dans notre monde con- temporain quelques Tartufes exploitant la religion, s'en faisant un moyen de vivre, de se poser et de parvenir, volontiers je les abandonnerais à votre mépris et à vos réprobations, et avec vous je dirais : Arrière les hypocrites ! Ce sont de faux

206 CONFÉRENCES AUX HOMMES

chrétiens, et la religion n'est pas plus responsable de leurs méfaits que la médecine n'est responsable

r

de la duplicité des charlatans. L'Evangile les a flétris d'un mot, en les appelant des sépulcres blanchis, qui cachent la pourriture et la honte sous de belles apparences. Ils sont jugés. Ils ne valent pas mieux, ils valent même moins que les autres hommes.

Je passe, et j'arrive aussitôt à un autre type non moins répugnant, et non moins dangereux de faux chrétiens. Ce sont les chrétiens superficiels qui ont la foi et la pratique, mais qui n'ont pas les œuvres. Inintelligents ou lâches, ils s'imaginent que la religion extérieure suffit, qu'avec des pratiques l'âme ne met rien, ou presque rien d'elle-même, ils sont en règle avec Dieu et avec leurs semblables. Ils prient, ils vont à la messe, ils se confessent, ils communient. Mais tout cela est machinal et sans vie. Sous cette surface correcte et dévote vous chercheriez vainement l'amour de Dieu et du pro- chain, les vertus naturelles, la véracité, la délica- tesse, la justice, la charité, l'inviolable pudeur. Que faut-il penser de ces chrétiens superficiels? « De tels chrétiens, s'ils existent, dit Mgr d'Hulst, sont la honte du christianisme, ils sont sa fai- blesse, la cause de son décri devant les indifférents qui regardent et qui disent : « Est-ce le fruit de la Rédemption d'un Dieu? » Ces inutiles, ces pusil- lanimes prétendent s'abreuver à des sources divines

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 207

de courage, de pureté et d'amour, et voilà ce qu'ils donnent ! C'est donc que leur foi est vaine ! » Arrière les chrétiens superficiels ! La religion les réprouve. Oui, s'il y a des hommes qui abritent l'absence de la vertu et des œuvres sous des oripeaux de pra- tiques religieuses, je vous les abandonne, et j'ose dire que nous en sommes plus fâchés que vous, Messieurs, parce que, chargés des intérêts de la reli- gion, nous les voyons avec douleur compromis par de pareils abus, qui deviennent dans beaucoup de mains une arme facile et déloyale contre le chris- tianisme. De grâce, ne rendez pas la religion res- ponsable de la conduite de ceux qui n'ont de chré- tien que le nom et les apparences. Suffit-il, pour appartenir à l'armée française, d'en prendre un beau matin l'uniforme et de se promener dans la rue sous le costume d'officier, et rendrez- vous l'armée solidaire et responsable de cette fantaisie que punit la loi? Non certes. Eh bien, la religion ne peut que rendre meilleur. Que s'il y a des hommes qui ne la pratiquent pas sérieusement, qui en prennent le costume et non la réalité, tant pis pour eux î La religion ne les reconnaît pas pour siens, elle les repousse, et elle reste sainte, immaculée, puis- sante et efficace pour le bien ; elle reste la grande force des hommes de bonne volonté qui savent s'en servir sincèrement et loyalement. La chose est bien comprise. Je vous accorde volontiers que les faux chrétiens ne valent pas mieux que les

208 CONFÉRENCES AUX HOMMES

autres. Mais de votre côté, Messieurs, soyez sincères et acceptez ma seconde proposition.

IL Les vrais chrétiens valent mieux que les autres. Je l'affirme hautement.

Le vrai chrétien est un homme qui, ayant la foi, la professe extérieurement et s'efforce de conformer sa vie à sa foi, et, grâce à Dieu, de tels chrétiens ne nous manquent pas. Sans doute, nous en avons trop peu, mais nous en avons cependant assez pour opposer victorieusement leurs nobles exemples à toutes les clabauderies plus ou moins déloyales de l'impiété. Le sujet est délicat. Comprenez-moi bien.

Je ne dis pas que tel homme qui est chrétien vaut mieux que tel autre qui ne Lest pas. Ce n'est pas ainsi qu'il faut poser la question. Vous me citez tel ou tel homme qui se tient en dehors des croyances et des pratiques religieuses et qui est un modèle de pureté, de justice et de dévouement. Je ne le conteste pas. Mais à cela je réponds deux choses : cet homme, s'il existe, n'est pas totale- ment honnête puisqu'il manque à un devoir capi- tal, au devoir envers Dieu; et cet homme qui oublie Dieu et qui reste correct vis-à-vis de lui- même et de ses semblables n'est qu'une exception. C'est un prodige, et je ne parle pas ici pour les

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 209

prodiges, mais pour lés simples et faibles mortels, tels que nous sommes tous. Laissons donc de côté les individualités plus ou moins exceptionnelles. Prenons la grande masse de l'humanité, étudions son niveau moral, et ne craignons pas d'affirmer que les vrais chrétiens valent mieux que les autres.

Qu'est-ce à dire? Gela veut-il dire que les vrais chrétiens sont impeccables? Non. Ils peuvent avoir, et ils ont souvent des travers, des défauts de carac- tère, des faiblesses, des chutes et des rechutes, des défaillances morales plus ou moins profondes. La religion vient au secours de la nature, mais ne la supprime pas. Elle ne fait pas disparaître nos défauts ; elle nous aide seulement aies corriger. Gela est de, toute évidence. La religion vient au secours de la liberté humaine, mais ne la supprime pas. Elle ne nous enlève pas le trésor de notre libre arbitre ; elle

r

nous aide simplement à en bien user. Ecoutez là- dessus une belle parole de Montesquieu : « Dire que la religion n'est pas un motif réprimant parce qu'elle ne réprime pas toujours, c'est dire que les lois civiles ne sont pas un motif réprimant non plus. » La religion qui s'adresse à des êtres libres ne peut pas les réprimer toujours. Elle ne les rend point impeccables. Qu'est-ce donc que je veux dire quand j'affirme que les vrais chrétiens sont meilleurs que les autres?

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-14

210 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Je dis d'abord que la religion offre aux hommes les moyens de devenir meilleurs. Pour réaliser ses bons désirs, pour vaincre le mal, pour connaître son devoir et le pratiquer, le vrai chrétien n'est pas seul. 11 a la lumièrequi lui vient de l'Evangile et de l'Eglise; il a la force qui lui vient de la grâce, de la prière et des sacrements. Eclairé, gardé, vi- vifié parla religion, il lutte, il résiste, il triomphe. Il tombe sans doute parce qu'il est homme, mais il se relève parce que Dieu le relève. Il a regret de son péché, et il vaut mieux dans sa faute que le pharisien superbe dans sa vertu. Il possède toutes les ressources naturelles de moralité qui sont à la disposition de l'homme simplement honnête, et il possède ce qui manque à ce dernier, des ressources surnaturelles. Il voit plus clairement son devoir et il le veut plus énergiquement. Même après ses défaites passagères, il se remet à la lutte, et il n'est jamais vaincu définitivement. Il pèche, mais il se repent. Il faiblit quelquefois, mais il ne capitule jamais. Je ne dis pas que la religion le rend im- peccable, mais je dis qu'elle décuple sa puissance et son courage.

Je dis que, en fait, la religion, bien comprise et bien pratiquée, élève le niveau moral. C'est en vain qu'on nous objecterait qu'il nesuffitpas, pour rester honnête, d'avoir des principes religieux et qu'on voit des scandales éclater çà et parmi les chré- tiens, parfois même jusque dans le sanctuaire. L'ob-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 211

jection se retourne de toute sa force contre ceux qui nous l'envoient. Car, si la religion avec son frein puissant est incapable à certaines heures de tenir en bride les passions indisciplinées du cœur humain, que sera-ce de ce cœur abandonné à lui-même et n'ayant plus, pour le retenir, labarrière des croyances et des pratiques religieuses? On reprochait à un vieux général très chrétien et très pieux ses défauts et ses saillies de caractère; on lui disait : « Gomment se fait-il que, vous confessant et communiant souvent, vous ayez de tels défauts ? » Et le géné- ral de répondre : « Ah ! que serait-ce donc si je ne me confessais pas et si je ne communiais pas? Je serais cent fois pire! » Faites attention à ceci, Messieurs. Les mêmes hommes dont vous persiflez les défaillances parce qu'ils pratiquent, tombe- raient dans des crimes s'ils ne pratiquaient pas. S'ils ont des défauts tout en étant chrétiens, ils au- raient ces mêmes défauts, et plus forts encore, s'il ne l'étaient pas.

Et puis remarquez que la vertu consiste beaucoup moins dans les résultats visibles que dans le dé- ploiement intime de la force morale. Je m'explique. Voilà tel homme qui n'est pas chrétien et qui élève cependant sa vie à un certain niveau de moralité. Mais ilaune nature heureuse, calme, portée au bien et il vit dansun milieu la vertu s'impose. Son mérite est mince. A vaincre sans péril on triomphe sans gloire. En voici un autre qui est chrétien et qui ne

212 CONFÉRENCES AUX HOMMES

vaut guère mieux ou même qui vaut moins en ap- parence que son voisin sans religion. Mais il est entouré de tentations etde séductions, et les passions comme des chiens sauvages le tourmentent sans cesse. En réalité et devant Dieu, môme avec sa demi-vertu, il a un grand mérite, parce qu'il déploie une grande force morale. De temps en temps il est blessé dans la lutte. Tant mieux. Il n'en est que plus beau. J'aime à voir sur le front des triompha- teurs la trace des coups qu'ils ont reçus; c'est un témoignage de la résistance des ennemis vaincus et du courage qu'il a fallu dépenser pour les assu- jettir. En résumé, la religion ne peut que rendre meilleurs, et de fait elle rend toujours meilleurs les vrais chrétiens qui savent la comprendre et la pra- tiquer. La religion élève le niveau moral, et tout compte fait, à passions égales, les vrais chrétiens valent mieux que les autres.

Je sais bien que le monde dit le contraire. Qu'importe? Le monde est injuste. Il affecte de donner la palme de la moralité à ceux qui ne font pas le signe de la croix; il éprouve un plaisir mal- sain à mettre les vrais chrétiens en suspicion. 11 pardonne tout à ses partisans, et il est impitoyable pour les disciples de Jésus-Christ. Le monde qui n'a pas le courage de pratiquer l'Evangile contemple avec remords ceux qui y conforment leur vie, et il nie la vertu des chrétiens pour se dispenser de les imiter et pour s'excuser de leur être inférieur.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 213

Dédaignez, Messieurs, les récriminations injustes du monde, et fidèles à Dieu, à Jésus-Christ et à l'Eglise, fidèles à la religion et à la morale, prenez la devise qui fait les grands caractères et les grandes vertus: Bien faire et laisser dire!

Amen!

SEPTIÈME CONFÉRENCE

II. V ÉGLISE EST LA SEULE PUISSANCE MORALISATRICE SUFFISANTE

LES INFLUENCES MORALISATRICES EN DEHORS DE L'ÉGLISE

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance moralisatrice. Elle éclaire la conscience, elle fortifie la volonté, elle transforme la vie. Je vais plus loin, et j'af- firme que l'Eglise est la seule puissance moralisa- trice suffisante. L'affirmation est grave, car nom- breux sont les hommes qui prétendent qu'en dehors de l'Eglise il est parfaitement possible de pratiquer la morale. Voyons un peu ce qu'il en est, en répon- dant à ces deux questions :

Ya-t-il des influences moralisatrices en dehors de l'Église ?

Ces influences moralisatrices sont-elles suf- fisantes?

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 215

I. Y a-t-ïl en dehors de l'Église des influences moralisatrices ? Oui.

Chez les païens, môme aux heures les plus lu- gubres de l'humanité dégénérée, vous rencontrez par-ci par-là des vertus naturelles qui méritent le respect. Et depuis l'apparition du christianisme, depuis que le sel de l'Evangile a pénétré les na- tions et leur a infusé une vie nouvelle, vous trou- vez des vertus véritables dans bon nombre d'hommes qui font profession de vivre en dehors de l'Eglise catholique, et même en dehors de toute croyance religieuse. Le fait existe, et nous n'avons pas le droit de le nier, ni de le rabaisser, même dans l'intérêt de ce qui à nos yeux est la vérité. N'avons-nous pas tous rencontré, peut-être près de nous, à notre foyer, des hommes dont la vie était conforme à la loi de pureté, de justice et de cha- rité, auxquels nous n'avons jamais pu refuser notre respect, et qui s'acheminaient vers la mort sans qu'un rayon d'espérance et de foi religieuse en éclairât pour eux les ténèbres? Ils étaient incroyants et vertueux tout ensemble. Que d'autres expliquent leur incrédulité par une corruption secrète, qu'ils disent que c'est pour obéir aux instincts de leur cœur qu'ils n'admettent pas les vérités religieuses; pour moi je ne le ferai pas. Je laisse à Dieu le jugement des cœurs, et je ne croirai jamais m'ins-

216 CONFÉRENCES AUX HOMMES

pirer de l'esprit de Jésus-Christ, en niant le bien je le trouve, fût-ce même au sein de Terreur la plus profonde et la plus lamentable. Voilà donc un fait qui n'est pas niable : on trouve en dehors de l'Eglise des vertus réelles, un certain niveau de moralité. Comment expliquer ce fait?

Il y a donc en dehors de l'Eglise des influences moralisatrices? oui. D'abord autour de nous, dans l'air que nous respirons, sans que nous nous en doutions et même quand nous ne le voulons pas, il y a l'influence indirecte, mais très réelle et très puissante de l'Évangile et de l'Eglise. Vous entrez dans un appartement chauffé par un bon-feu. Vous éteignez le feu, et pendant de longues heures vous vivez encore de la chaleur qui survit au foyer éteint. Telle est la situation de beaucoup d'hommes à l'égard de la religion chrétienne. Elle est éteinte, et ils en vivent, et la chaleur morale qui circule dans leur âme et dans leurs actes est une émana- tion certaine, quoique inconsciente, du Christia- nisme. 0 hommes détachés en apparence de Jésus- Christ et de son Eglise, cette justice si exacte et si rigoureuse, c'est sur les bancs du catéchisme que vous en avez eu la notion première ! Cette inté- grité des mœurs, c'est au sein d'une famille chré- tienne que vous en avez contracté l'habitude ! Les louables vertus que vous pratiquez sont le résultat des impressions encore vives et ineffaçables d'une enfance formée à l'école de la religion ! Vous ne

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 217

prononcez plus le nom de Jésus-Christ, vous ne venez plus à ses fêtes, vous vous tenez à distance de ses sacrements, mais vous vivez de son influence, vous respirez l'air qu'il a répandu, vous jouissez de ses bienfaits, vous êtes façonnés par l'action d'un milieu tout pénétré encore de la sève évangélique et catholique! A l'influence directe que l'Église exerce sur ses fidèles, il faut ajouter l'influence indirecte qu'elle exerce jusque sur ceux qui n'ont pas le bonheur de croire et de pratiquer et qui se prétendent affranchis de toute tutelle religieuse.

Mais, en dehors de cette double action de l'Église catholique, reste-t-il en nous d'autres influences moralisatrices ? oui. S'il y a dans l'homme des pentes effroyables vers le mal, contre lesquelles il doit lutter sanscesse, il y a aussi en lui des énergies naturelles pour le bien, qu'il ne saurait jamais déra- ciner complètement. Il y a la conscience, le senti- ment de la dignité personnelle et de l'honneur, et, venant au secours de ces nobles instincts, il y a l'opinion publique, la loi, la philosophie, la science. . . et je confesse sincèrement que toutes ces influences agissant ensemble ne sont point à dédaigner, qu'elles produisent dans l'humanité une somme appréciable de moralité. Y a-t-il en dehors de l'ac- tion directe de l'Église des influences moralisa- trices? oui.

218 CONFÉRENCES AUX HOMMES

II. Ces influences moralisatrices sont-elles suffi- santes ? Non.

Pour accréditer le règne de la morale, Yinclina- tion naturelle vers le bien est-elle suffisante? Certes cette inclination vers le bien n'est point une chi- mère, et je respecte trop la nature humaine pour vouloir contester et supprimer ses réelles gran- deurs. Oui, Messieurs, il y a de l'or dans notre argile, et le dernier des criminels sent palpiter au fond de son âme des aptitudes et des aspirations vers le bien. Mais soyons sincères. Nos inclinations heureuses sont contrebalancées par beaucoup de penchants mauvais. D'ordinaire nous sommes plus attirés en bas qu'en haut, et, si nous n'avons pas d'autre loi que l'instinct naturel, que le poids de la nature laissée à elle-même, nous voilà sinon fata- lement, du moins inévitablement entraînés vers le mal. Abandonnez un enfant, un jeune homme à son inclination, et vous verrez s'il ne devient pas la proie du vice. Que dis-je, vous verrez? Mais vous voyez cela tous les jours. Vous voyez des jeunes gens qui suivent l'inclination du sens dé- pravé et qui perdent avec la virginité de l'âme la beauté et l'énergie du corps. Oh î ne me dites pas que l'inclination est la source de la force morale, car je pourrais vous opposer des millions de gens qui sont voleurs par inclination, impudiques par

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 210

inclination, cruels par inclination, perdus de vices par inclination. Un instant, me dites-vous, arrêtez. La conscience est pour diriger l'instinct et pour le réformer au besoin. Voyons cela.

Pour accréditer le règne de la morale, la cons- cience est-elle suffisante? Dieu me garde d'en nier la puissance et la majesté! Législateur, elle pro- mulgue la loi; accusateur, elle poursuit le cou- pable; témoin, elle a tout vu et elle n'oublie rien; juge, elle discute tous nos actes et aucun n'échappe à ses arrêts; bourreau, elle punit l'infraction à la loi. Elle sanctionne ses sentences en produisant dans l'àme du juste une ineffable joie et dans l'àme du méchant une tristesse poignante qui s'appelle le remords. Tout cela est vrai. Mais il est également vrai que. la conscience laissée à elle-même est facile à corrompre et facile à braver. La voilà placée entre la passion qui nous flatte et la loi qui nous gêne, entre la passion qui nous dit : Jouis ! et la loi mo- rale qui nous dit : Non, je te le défends! Que va- t-elle faire cette pauvre conscience, qui n'a aucun point d'appui en dehors d'elle-même? D'abord elle hésité, elle discute, elle recule et elle avance, elle va de la convoitise au devoir et du devoir à la con- voitise, elle se dédouble pour se porter en deux directions opposées. Mais bientôt cette duplicité lui fait horreur, ce tiraillement lui est à charge. Il faut choisir, et elle tombe du côté de la passion. Elle capitule, et en capitulant une fois, dix fois, cent

220 CONFÉRENCES AUX HOMMES

fois, elle se relâche, elle se déforme, elle se fausse, elle se brise comme un ressort qui porte un poids trop lourd. A mesure que nous péchons, la cons- cience proteste de moins en moins et finit par prendre le niveau de notre conduite. Montrez-moi dans la conscience humaine la crainte assez vive pour arrêter l'homme sur la pente du mal, l'espé- rance assez entraînante pour le pousser sur le sen- tier du bien. Le remords, la honte naturelle d'avoir mal fait? mais on s'y accoutume à la longue, on finit par la braver sans rougir. La satisfaction inté- rieure d'avoir bien fait? mais l'habitude rémousse, l'opinion la combat, l'injustice la déconcerte, et les plus honnêtes gens finissent par se demander s'ils ne s'abusent pas en se consolant dans leur conscience.

Pour accréditer le règne de la morale, le senti- ment de l'honneur et de la dignité personnelle est-il suffisant? Je vous accorde volontiers que le senti- ment de l'honneur est un admirable sentiment, quand il s'appuie sur l'idée de Dieu, quand il s'abreuve au pied de la croix, quand il se nourrit des clartés et des énergies de la religion; mais j'ose affirmer qu'il est un sentiment à peu près insuffi- sant et stérile, quand il n'a d'autre support que vous et vos impressions mobiles. Allez donc dire à cet enfant, à ce jeune homme que la passion solli- cite, ardente, déchaînée, allez donc lui dire qu'il songe à sa dignité personnelle ! Il y pensera plus

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 221

tard, quand il ne sera plus temps, quand la pas- sion sera satisfaite. Non, Messieurs, il n'y a pas dans ma nature, telle que je la connais, telle que je l'expérimente en moi-même et dans les autres, il n'y a pas dans le vase fragile de mon cœur une source de force morale équiva- lente à mes besoins. Sortons de nous-mêmes et cherchons.

Pour accréditer le règne de la morale, f opi- nion est-elle suffisante? L'opinion peut empêcher quelques actes vils et honteux et imposer à quelques hommes une certaine correction morale. Mais je lui vois trois grandes lacunes: Elle est sans aucune influence sur la grande masse de l'huma- nité. Je vous demande un peu ce que peut faire à l'immense majorité des hommes l'opinion de leurs semblables au milieu desquels ils passent inaper- çus? L'opinion n'atteint qu'une très minime portion de l'humanité; Elle n'atteint qu'une très minime portion de la vie de chaque homme. Sur vingt actions qui coulent de ma volonté, il y en a au moins quinze qui échappent à l'opinion. Elle ignore les crimes secrets de la pensée, les désirs coupables du cœur, les actions de la vie privée qui flétrissent l'âme à ses propres yeux ; Et parmi les actes qui tombent sous son contrôle, elle en accepte un grand nombre qui sont manifestement mau- vais. Que de fois l'opinion ratifie et approuve le mal ! Par exemple, elle repousse impitoyablement

222 CONFÉRENCES AUX HOMMES

le criminel public, mais elle absout volontiers le vice, quand il est élégant, et l'injustice, pourvu qu'elle soit habile et couronnée de succès. Vouloir faire de l'opinion la base de la moralité, c'est une pure plaisanterie ! Nous avons plus et mieux, dit- on, nous avons la Loi.

Pour accréditer le règne de la morale, la loi est- elle suffisante? La loi n'est point à dédaigner. La loi, servie par la force, punit les forfaits extérieurs, et elle prévient beaucoup de désordres par la ter- reur salutaire qu'elle inspire aux méchants. Mais, hélas ! qui ne sait que les lois, même les meilleures, sont souvent impuissantes? Qui ne sait que les lois, même les plus sévères, s'arrêtent devant la conscience et devant le for intérieur? Qui ne sait que les lois sont quelquefois mauvaises, souvent imparfaites, toujours changeantes? Non, la loi et la force ne sont pas capables de moraliser un ^juple. Cherchons autre chose.

Pour accréditer le règne de la morale, la philo- sophie et la science sont-elles suffisantes? Qu'en pensez-vous? Moi, je pense d'abord que la philoso- phie n'a pas de symbole, qu'elle pose plus de pro- blèmes qu'elle ne donne de solutions, qu'elle n'est pas capable de faire marcher le plus petit village sous sa direction, et que, si elle peut suffire à peu près à quelques esprits cultivés, à quelques indivi- dus exceptionnels, elle est radicalement insuffi- sante à la grande masse de l'humanité. Je pense

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 223

qu'un jour Robespierre, effrayé de l'immoralité délirante qui couvrait toute la nation et voulant y mettre un terme, tant l'aspect du monde lui parais- sait horrible, s'imagina d'écrire au seuil de nos temples ce dogme élémentaire de la philosophie : Le peuple français reconnaît l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme. Il croyait ainsi mettre un frein à l'orgie révolutionnaire. Mais le sang et la boue continuèrent de couler comme auparavant... tant il est vrai qu'en présence des passions à répri- mer et de la morale à fonder la philosophie res- semble à un fétu de paille qui voudrait arrêter un fleuve débordé, à un caillou qui voudrait servir de base à un monument grandiose ! Mais la science, nous dit-on, la science, voilà la garantie de la morale. Oui, parlons-en. La science est utile. Est- elle une garantie suffisante de moralité? Non, mille fois non. La science est la meilleure ou la pire des choses selon l'usage qu'on en fait; elle peut servir au mal aussi bien qu'à la vertu. Non, ce n'est pas avec un peu de lecture, d'écriture, de calcul, de musique, avec un peu d'histoire et de géographie, avec la physique et la chimie, avec le grec et le latin qu'on accrédite le règne de la morale. On peut être très instruit et n'en être pas plus probe, plus honnête : témoins tant de gens qui peuplent les bagnes pour avoir trop lu, trop écrit, 'trop compté. Et on peut vivre vertueux, capable de dévouement sans même avoir appris à lire : témoins tant d'actes

224 CONFÉRENCES AUX HOMMES

de désintéressement, de sacrifice et d'héroïsme accomplis par des âmes ignorantes.

Concluons. Puisque les influences moralisatrices, que nous portons en nous-mêmes ou qui nous viennent du milieu social nous vivons, sont manifestement insuffisantes, aller? ad qtiem ibimas? à l'Évangile et à l'Eglise. Le monde était perdu, désorganisé, démoralisé. Jésus-Christ est venu. Il a promulgué son Evangile, et tout est là, dans l'Évangile. Mais encore l'Evangile n'est qu'un livre muet et inanimé, et voilà les lettrés, les phi- losophes, les savants, les pasteurs, les dissidents d'un esprit élevé et d'une érudition incontestable qui s'acharnent sur ce Livre auguste, qui en tirent des sens impossibles et des conséquences invrai- semblables. C'est la dispute, la confusion, le chaos. La morale de l'Evangile est une lettre morte, quand l'Église ne l'explique pas. La morale de l'Évangile se contredit, quand l'Eglise n'en fixe pas le sens. La morale de l'Evangile change au gré du temps et des passions, quand ce n'est plus l'Eglise qui la garde, mais l'hérésie qui s'en empare et la licence qui la corrompt. Oui, certes, il y a en dehors de l'Eglise des influences moralisatrices. Mais ces influences moralisatrices sont insuffisantes. L'Église est la seule puissance moralisatrice suffi- sante.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 225

0 Eglise catholique, au milieu du monde qui se décompose et qui meurt, tu es l'asile delà morale! Je te salue, ô Eglise catholique, toujours debout, toujours ferme, toujours incorruptible !

Amen !

LES BIENFAITS DE L ÉGLISE. 1-15

HUITIÈME CONFERENCE

L'ÉGLISE SEULE ATTEINT LES AMES

Messieurs,

L'Eglise est une grande puissance moralisatrice. Elle est la seule puissance moralisatrice suffisante. En dehors de l'Eglise une certaine morale est pos- sible, parce que Dieu a déposé dans la nature hu- maine et dans la société humaine des influences dont il serait puéril de contester la valeur et l'effi- cacité relative. Mais, si vous voulez conquérir pour vous-mêmes et accréditer autour de vous la morale vraie et totale, vous ne pouvez pas vous passer de l'Eglise catholique. Pourquoi? parce que la morale vraie et totale a son siège dans l'àme, et que l'Eglise seul^ atteint les âmes. Voyons cela.

I. L'Église atteint les âmes.

On parle beaucoup aujourd'hui et l'on se préoc- cupe à juste titre de la question sociale... question

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 227

terrible et passionnante. Or, sachez-le, la question sociale est surtout une question morale, qui ne trouvera sa solution que dans la nature même de l'homme, dans son être tout entier, en un mot dans son âme; et, si vous n'atteignez pas cette âme, l'âme . de l'homme, vous ne résoudrez jamais rien. Nous sommes des civilisés. Mais le progrès, l'avancement dans les sciences et dans les arts, la culture intel- lectuelle, la civilisation, tout cela n'est rien ; il n'y a qu'une chose qui importe, c'est l'âme. C'est elle qu'il faut atteindre, si vous ne voulez pas échouer misérablement dans toutes vos œuvres de civili- sation. Ce n'est pas parce que nous avons fait des découvertes et que nous sommes arrivés à arracher à la nature ses secrets les plus intimes, que nous serons plus avancés ; bien au contraire, la situation deviendra plus terrible et le progrès nous écrasera, si les âmes ne sont pas atteintes, modifiées, amélio- rées. Nous sommes des chercheurs, des organisa- teurs, des savants, des économistes. Nous dépen- sons journellement des flots d'encre et des flots de salive pour trouver une meilleure organisation du travail, une meilleure organisation de la propriété, une meilleure organisation de la famille, une meil- leure organisation du patronage, une meilleure or- ganisation des pouvoirs publics. Nous faisons cela, et nous n'avons pas tort. Mais tout cela est secon- daire. Pour résoudre la question sociale, il faut aller plus loin et descendre plus bas. Il faut prendre

228 CONFÉRENCES AUX HOMMES

l'homme dans tout ce qu'il est : dans son être su- périeur et dans son être inférieur; il faut prendre l'homme d'abord et surtout dans son être d'en haut, c'est-à-dire dans son intelligence, dans sa volonté, dans sa conscience, dans son cœur, dans son âme. Il faut atteindre les âmes.

Qui fera cela? Quelle puissance au monde mettra la main sur l'intelligence de l'homme, sur la vo- lonté de l'homme, sur la conscience de l'homme, sur le cœur de l'homme? Cherchez. Il n'y a que l'Eglise qui soit capable d'atteindre les âmes. Elle en a la prétention, elle en a le pouvoir, et ce pou- voir unique et merveilleux, elle l'exerce tous les jours. Tous les jours elle agit sur l'âme de l'enfant, sur l'âme du jeune homme et de la jeune fille, sur l'âme du riche et du pauvre, sur l'âme du père et de la mère, sur l'âme du souffrant et du pécheur, sur l'âme du malade et du mourant. Elle agit sur l'esprit, sur la volonté, sur le cœur, sur le fond même de l'âme : terre vierge, sol sacré germe la loi morale, et seulement se décident les grandes résolutions et les généreux desseins. Vous connais- sez sans doute la parole arrachée à Napoléon Ier par un orgueil jaloux des grandeurs du sacerdoce et de la puissance de Pie VII. Il disait : « Moi, je règne sur les corps, mais lui, il règne sur les âmes. » Tel est en effet le privilège de l'Eglise. Elle règne sur les âmes. Elle entre dans les âmes pour y exer- cer son action moralisatrice. Elle leur apporte la

V

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 229

lumière, la force, la consolation. Elle s'adresse à la liberté humaine, et personne, par conséquent, n'est forcé de subir son action. Mais, parce qu'elle se présente et qu'elle parle au nom du ciel, elle a un prestige, une autorité qui en impose à la cons- cience et en obtient les plus sanglants sacrifices. Oh! partisans de la morale indépendante, vous me faites sourire quand vous vous attaquez à la volonté de l'homme, cette cavale indomptée dont parle quelque part Bossuet, quand vous me dites que vous allez la discipliner, la soumettre au joug avec vos préceptes sans base et sans sanction! La cavale a les reins trop forts et les jarrets trop vigoureux; elle brise vos faibles lacets, et elle bondit fière, hérissée, sauvage. Qui donc pourra la dompter? L'Eglise. En dehors de l'Eglise je vous défie de me signaler une autre puissance au monde capable de prendre ma volonté. Elle atteint les âmes.

IL L'Église atteint toutes les âmes»

Est-ce qu'il y a des nations qui lui échappent, qui ne la comprennent pas ou qu'elle désespère de pé- nétrer, d'instruire et de moraliser? Nullement. La synagogue n'était faite que pour le peuple juif, et le bruit de sa voix ne dépassait pas le Jourdain et le lac de Tibériade. L'Église, elle, sort de la Judée, et voilà qu'elle s'adresse aussitôt aux Grecs,,

230 CONFÉRENCES AUX HOMMES

aux Romains, aux Asiatiques, aux Gaulois, aux Germains,' aux Anglo-Saxons. Elle emprunte à chaque peuple sa langue; elle les traverse, les con- vertit, les civilise, les moralise, et, sans toucher à leur gouvernement ni à leur drapeau, elle s'établit chez eux et au-dessus d'eux dans une sphère calme et sereine, abordant toutes les âmes semées sur le globe, prêchant la paix parmi les divisions, la jus- tice parmi les injures, l'amour parmi les haines, la charité sur toutes les plages, le ciel sous tous les climats, l'éternité dans tous les temps.

Est-ce qu'il y a des siècles qui lui échappent, qui ne la comprennent pas, ou qu'elle désespère de pé- nétrer, d'instruire et de moraliser? Nullement. De siècle en siècle, elle court, elle vole, elle passe, elle va et vient, rangeant sous la même loi morale les Romains du siècle d'Auguste, les Goths d'Alaric, les Francs de Clovis, les Lombards d'Alboin, les Hongrois de saint Etienne, les Normands de Rollon et de Robert Guiscard, les Incas du xvie siècle et les Chinois, les Africains du xixe. Elle s'harmonise avec chaque peuple sans en revêtir le caractère, avec chaque gouvernement sans en épouser les excès, avec chaque siècle sans en prendre la couleur.

Et dans chaque nation et dans chaque siècle est-ce qu'il y a des conditions d'âge, de sexe et de rang qui lui échappent, qui ne la comprennent pas, ou quelle désespère de pénétrer, d'instruire et de mo-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 231

•raliser? Nullement. Elle a desparoles qui éclairent, des sacrements qui vivifient, des pardons qui re- lèvent, des efficacite's qui transfigurent, pour les enfants dont la raison s'éveille et pour les vieil- lards dont la course va finir, pour la jeune fille qui veut rester pure et pour le jeune homme blessé par la tentation , pour l'épouse dans ses responsabilités et pour la mère dans ses angoisses. Elle apprend au roi à bien user de son pouvoir, et au sujet à rendre à César ce qui est à César; au pauvre à supporter et à bénir la faim, et au riche à prendre pitié de la foule et à multiplier pour elle le pain de la bonté. Elle apprend au savant à être humble et modeste dans sa science et à mettre d'accord sa vie avec ses connaissances en enseignant ce qu'il fait et en faisant ce qu'il enseigne, à l'ignorant à se résigner au mépris du monde et à faire de sa peti- tesse le marchepied de sa grandeur morale. En un mot, elle a des leçons et des secours pour tous les âges de la vie et pour toutes les conditions sociales. Elle atteint toutes les âmes. Elle fait encore plus et mieux.

III. L'Église atteint chaque âme en particulier.

C'est une puissance qui n'appartient qu'à elle, qu'on ne lui pardonne pas, et sur laquelle je veux appeler votre attention.

232 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Certes, quand une parole éloquente, quand une invitation vibrante à la vertu, descend de la chaire de vérité sur un auditoire attentif, nous n'y sommes point insensibles, et parfois nous emportons du saint lieu une salutaire blessure au cœur qui nous tourmente et qui nous sauve. Mais cela n'est pas suffisant. L'Eglise dans la chaire parle à tout le monde, et nous avons besoin qu'on nous parle à chacun en particulier. L'Eglise a pourvu à ce besoin. Elle envoie son prêtre. Le voici.

77 vient, et tenant dans ses mains le code de la loi morale, il en fait à chacun une application spé- ciale. Il l'oppose à la conscience orgueilleuse des grands de la terre pour les éclairer et les confondre. Il la montre à l'enfant, et il lui apprend à former sur cette loi sainte les scrupules légitimes d'une âme encore pure. Il réforme, en l'expliquant, les fausses idées qu'un jeune homme commençait à concevoir sur l'honneur et sur la vertu. Il l'élève comme une barrière infranchissable entre la jeune fille qui va glisser sur le bord de l'abîme et le tentateur qui cherche à la perdre. Il la repasse article par article au lit des mourants, et par cette revue générale de toute une vie il appelle l'aveu et le repentir sur toutes les fautes oubliées. Voici le prêtre. Il vient frapper à la porte de chaque conscience.

Il entre. Au nom du scrutateur suprême, il fait invasion dans mon âme et dans les plus intimes

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 233

replis de mon âme. Que de choses, Messieurs, là, dans notre intérieur, que de choses cachées et qu'il est nécessaire pourtant de toucher et d'atteindre ! 0 penchants dépravés, inclinations perverses* idoles qu'on ne saurait jamais entièrement dé- truire, comme vous vous ressemblez dans tous les cœurs et qu'il importe d'arrêter vos fureurs ! Mais comment vous atteindre? Vous avez pris pour asile le fond de l'âme humaine, dieux d'un paganisme immortel; vous êtes comme dans un antre ténébreux, au seuil duquel viennent expirer toutes les puissances du monde! Je sais un homme, Mes- sieurs, mais je n'en connais qu'un, qui a reçu grâce et mission pour ouvrir la porte des con- sciences et pour y entrer au nom du Juge éternel. Cet homme, c'est le prêtre catholique, et il est seul de son espèce. Il fait ce que personne ne veut et ne. peut faire. Il vient, il entre,

77 constate. Les anatomistes, les physiologistes, les biologistes dissèquent le corps humain, décrivent ses organes, analysent ses fonctions et se glori- fient de connaître les lois en vertu desquelles se produisent les phénomènes de la vie matérielle. Mais, j'ose le dire, le prêtre pénètre plus profondé- ment qu'eux dans le mystère de notre grande nature. Il va jusqu'à l'âme. Il constate la corrup- tion originelle de la nature et ses aggravations par le péché, les tendances au mal et les aspirations.au' bien, la somme de mr.lice, de faiblesse et de négli-

/

234 CONFÉRENCES AUX HOMMES

gence dont on doit se défier, et la somme de bonne volonté et d'efforts sur laquelle on peut compter. En analysant la structure et les actes de cette âme humaine si petite et si grande en même temps, il voit d'où viennent les maladies morales, quelles causes les engendrent plus ou moins prochaine- ment, à quel régime spirituel il faut soumettre la conscience malade pour la fortifier et prévenir efficacement le retour du mal, par quels conseils on la doit soutenir, par quelles oeuvres de retran- chement, de combat et de générosité on la peut réparer. Et, après avoir ainsi disséqué l'organisme immatériel, il agit. Il vient, il entre, il constate.

Et enfin il gouverne cette âme qui lui est ouverte, stimulant ses lenteurs, tempérant ses ardeurs indiscrètes, la relevant dans ses découragements, entretenant le feu sacré de ses désirs et lui mon- trant d'une main sûre la voie qu'elle doit suivre et le but qu'elle doit atteindre. Il calme les remords. Il donne le pardon divin. Et en môme temps il indique la passion naissante, le vice caché, la fai- blesse inattentive, il attaque le mal dans ses racines, il en signale les causes et les remèdes. En un mot, il applique la loi morale elle doit être appli- quée pour porter des fruits, c'est-à-dire au fond même de chaque âme humaine.

Saint-Marc Girardin disait un jour en pleine Sorbonne : « Supprimez les confessionnaux, il

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 235

vous faudra augmenter le nombre des prisons et des gendarmes. » C'est vrai. L'Eglise est la seule puissance moralisatrice suffisante, parce que seule elle atteint les âmes, toutes les âmes, et chaque âme en particulier! Ah! nos ennemis le savent bien. Ils savent que notre point d'appui est dans les âmes, et voilà pourquoi par tous les moyens, par les lois, par la presse, par la ruse et par la violence, ils voudraient nous ravir les âmes, l'âme de l'enfant, l'âme du jeune homme et de la jeune fille, l'âme de l'épouse et de la mère, l'âme du riche et de l'ouvrier, l'âme du moribond. Ils n'y arrive- ront pas. Nous leur dirons : « Prenez-nous tout ce que vous voudrez et tout ce que vous pourrez, nos temples, nos vases sacrés, le toit qui nous abrite et le morceau de pain qui nous nourrit. Mais les âmes sont à nous, et nous sommes à elles. Pour elles nous vivons, pour elles nous sommes prêts à mourir! »

Ameji !

NEUVIEME CONFERENCE

>o , '

L ÉGLISE SEULE CONSOLE LA SOUFFRANCE

Messieurs,

r

L'Eglise est la seule puissance moralisatrice suf- fisante parce que seule elle atteint les âmes, toutes les âmes, chaque âme en particulier, et j'ajoute, parce que seule elle console la souffrance. Il y a dans le monde un agent mystérieux et inévitable, c'est la souffrance, et si la souffrance est mal com- prise et mal acceptée, elle est essentiellement dé- moralisatrice. Qui donc nous expliquera la souf- france? Qui nous la rendra tolérable? Qui ira même jusqu'à la rendre sainte et féconde? Qui? L'Église catholique.

I. Constatons le fait de la souffrance.

L'homme souffre dans son corps et dans son âme. Son pauvre corps est en proie à la douleur physique, à la langueur, aux maladies, à des maux

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 237

incurables; tantôt il succombe sous le poids des forces adverses qui le pressent de toutes parts, et tantôt il est sourdement dévoré par la force invi- sible dont il est l'instrument, par l'âme sa com- pagne. La lame use le fourreau. Et en même temps qu'elle entre en communauté de maux avec la ma- tière qu'elle anime, la pauvre âme humaine reçoit des coups qu'elle seule peut porter : l'incertitude de l'avenir, l'honneur changé en opprobre par les caprices de la fortune ou la malice des hommes, les espérances qui s'écroulent comme un édifice ruiné, les affections que brisent l'ingratitude ou la mort, le délaissement, la solitude... autant de maux qu'accroît en nous la faculté que nous avons de nous souvenir du passé et de prévoir l'avenir, et la faculté non moins terrible de nous créer des maux imaginaires, quand nous manquons de maux réels.

Nous souffrons tous. Il n'y a pas d'exception. Que de fois, hélas ! j'ai entendu au fond de mon âme des cris lamentables. Et si dans ce moment je m'arrêtais pour écouter la voix secrète de vos cœurs, chacun de vous me dirait : C'est vrai, j'ai souffert, je souffre, j'attends la souffrance ! Je vous devine. Vous me dites : Mais le riche, lui, n'est pas malheureux! Pardon. Il y a des douleurs en haut, en bas, et en haut plus quelquefois qu'en bas. Il y en a dans l'atelier du pauvre et dans le salon du riche. Il y en a sous la pourpre, et il y en

238 CONFÉRENCES AUX HOMMES

a sous la bure. On peut murmurer contre le fait de la souffrance, on ne peut pas le supprimer, on peut maudire le joug, on ne peut pas l'arracher de ses épaules.

Ajoutez à cela que la presque totalité des hommes gémit et succombe sous l'écrasant fardeau du tra- vail et des privations. Voyez tout ce peuple qui gagne son pain à la sueur de ses membres, et qui creuse un pénible sillon en l'arrosant de ses larmes. Il rabote, il cloue, il laboure la terre, il forge le fer. Il étouffe dans les vastes usines, il s'épuise sous la pluie ou le soleil des vastes campagnes. Et dans ce grand corps du monde qui travaille manuellement, il y a des membres qui souffrent davantage : les enfants, les malades, les délais^'.s, les pauvres.

Enfin aux épreuves multiples de la vie il faut joindre les séparations nécessaires de la ?nort. Uen- fant à son entrée dans l'existence s'imagine qu'il va marcher jusqu'au sommet de l'âge en nom- breuse compagnie. Mais, à mesure qu'il avance, il s'aperçoit que la solitude augmente autour de lui. Il marche sur le sentier tortueux et, arrivé à mi- côte, il se trouve seul ou presque seul. Ma mère, etes-vous? Mon père, qu'ôtes-vous devenu? Frères bien-aimés, je vous cherche. Tendres sœurs, je ne vous vois plus. Amis d'enfance, vous m'avez donc quitté? Oui, la mort a moissonné tout cela. La mort nous prend nos amis, nos parents, et, meurtris par des séparations nécessaires, nous allons pleurer sur

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 239

dos sépulcres, dort la cendre à tout jamais éteinte de nos meilleures affections. L'humanité souffre. Elle a besoin de consolation. Voilà le fait.

II. Qu'avez-vous a dire et à donner pour conso- ler la souffrance ?

Qu'allez-vous dire à cet homme qui est brisé et qui souffre?

Vous lui dites : Voilà les biens du monde, plai- sirs, honneurs, richesses : prends et jouis! C'est facile à dire, mais ce n'est pas sérieux, car des plaisirs, des honneurs et des richesses il n'y en a pas pour tout le monde; l'immense majorité des hommes sont condamnés à végéter dans les priva- tions et à descendre inaperçus dans la tombe. Et puis qu'est-ce que le plaisir, la fortune et la gloire peuvent apporter de consolation au cœur d'une mère qui a vu la pâle mort enlever sous ses yeux ses enfants chéris? Si vous vous placez en dehors de l'idée religieuse, qu'allez-vous donc dire à ces hommes qui souffrent?

Vous leur dites : Instruisez-vous! voyez dans quel siècle vous vivez, siècle de progrès, d'amélio- ration matérielle, de magnifiques découvertes! Messieurs, tout cela est admirable, mais veuillez remarquer qu'en disant à quelqu'un qui souffre qu'il vit dans un siècle de progrès, vous ne séchez

2iO CONFÉRENCES AUX HOMMES

pas une seule de ses larmes, vous ne cicatrisez pas la moindre blessure de son cœur meurtri. Enten- dez-le vous répondre : Il y a plus d'heureux qu'au- trefois, c'est possible. Mais qu'est-ce que cela me fait puisque je ne suis pas du nombre? Il y a sur le chemin de la vie tout un peuple, que.dis-je? un genre humain tout entier qui souffre et qui réclame la consolation. Qu'avez-vous à lui dire?

Vous lui dites : Patience! Résignez-vous! Com- ment? voilà tout ce que vous avez à lui dire? Il faut qu'il se résigne? Mais de quel droit voulez- vous qu'il se résigne? Oh! si au moins vous lui disiez qu'après s'être résigné toute sa vie il aura une belle récompense; si, pour comprimer la ré- volte de son cœur, vous lui disiez qu'il y aura un châtiment pour celui qui n'aura pas su souffrir ; si, pour adoucir sa peine, vous lui disiez qu'il y a tout près de lui un Dieu très puissant et infini- ment bon, un Dieu assez bon pour l'entendre et assez puissant pour le secourir, et que ce Dieu il peut le prier, lui parler, l'importuner du récit de ses misères, lui demander des faveurs, lui dire avec la certitude d'être entendu et l'espérance d'être exaucé : mon Dieu, je vous en prie, proté- gez-moi ! Ah ! si du moins vous lui disiez qu'entre Dieu et lui, entre Dieu si grand et lui si petit, il y a des intermédiaires accommodés à sa faiblesse et à'ses misères : Jésus, Marie, Joseph, les anges, les saints, et puis le prêtre, c'est-à-dire un homme à

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 2 il

qui il puisse dire ses souffrances, raconter sa vie et confier son âme, son âme travaillée par mille inquiétudes, assaillie de mille scrupules; ah! si vous lui disiez tout cela, si vous lui parliez de Dieu, du ciel, de la prière, du prêtre... cela le sou- lagerait peut-être. Mais non, vous lui dites : Pa- tience! Résignez-vous! Parole sèche, triste, cruelle, sans entrailles ! Il y a ici-bas toute une huma- nité qui gémit et qui souffre, et, quand on a ravagé dans l'âme de cette humanité les croyances, et dans sa vie les habitudes religieuses, on vient lui dire : Prends patience! résigne-toi! Non, cela n'est pas sérieux. C'est une dérision, et une dérision si- nistre. '

Messieurs, l'humanité souffre, et, si vous ne la consolez pas, elle marche fatalement au désespoir, au blasphème, à la démoralisation. Qu'avez-vous à lui donner pour la consoler, pour la soulager, pour apaiser les tempêtes de son esprit et soigner les plaies vives de son cœur? En dehors de l'idée reli- gieuse, je vous défie de trouver un remède sérieux à la douleur. C'est ici qu'apparaît la mission splen- dide, la puissance merveilleuse de l'Eglise catho- lique.

III. L'Église seule console la souffrance.

Elle ne supprime pas la souffrance, mais d'abord

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-16

242 CONFÉRENCES AUX HOMMES

elle l'explique. Elle va vers l'humanité gémissante non pour la flatter, mais pour l'instruire, non pour la repaître de chimères et d'utopies, mais pour lui donner des réalités, pour lui dire : « 0 homme souffrant et meurtri, écoute. Il y a un Dieu per- sonnel et agissant, qui s'occupe de tout, qui gou- verne tout, qui s'intéresse à tout, même aux plus humbles détails de ta vie, puisqu'il ne tombe pas un cheveu de ta tête sans sa permission. Ce Dieu t'a créé pour le connaître, l'aimer, le servir et par ce moyen obtenir la vie éternelle. » Et alors cet homme relevant sa tête fatiguée dit : « Je souffre ! Je souffre dans mon corps, dans mon âme, dans ma famille ! » Et la religion lui répond : « Cette souffrance t'a été donnée comme épreuve ; il faut lutter. Elle a sans doute sa raison d'être dans les fautes du passé ; il faut t'humilier. Elle aura sa compensation dans l'avenir ; il faut espérer. Il faut souffrir avec patience, humilité, espérance, en regardant Dieu qui vous voit, vous attend et vous récompensera. »

Et, si cette doctrine paraît austère, et elle l'est en effet, l'Eglise pour la faire accepter tient en ré- serve de puissants moyens. Avec la lumière qui explique la douleur, elle offre à ceux qui souffrent des exemples qui la rendent supportable. Sous les yeux de l'humanité gémissante, elle étale la chaîne indéfinie des saints, nos frères, nos modèles et nos intercesseurs : Marie, la mère des douleurs, Joseph,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 243

l'artisan de Nazareth, les apôtres, les martyrs et les vierges... immense armée de créatures hu- maines qui nous ont devancés dans l'épreuve et qui nous attendent dans la gloire, qui sont à l'hon- neur après avoir été à la peine. L'Eglise fait mieux encore. Sous les yeux de l'humanité gémissante elle étale la sanglante image du divin Crucifié. Elle vient au devant de la souffrance, non pas avec de belles phrases, mais avec une croix nue et sur cette croix il y a un Dieu ! Elle ne dit qu'un mot : Regarde. Et c'est fait. Avec des infortunes elle fait des bienheureux. Elle embaume la souffrance, elle la rend supportable, quelquefois délicieuse, en la plaçant sous le doux rayonnement de la Croix. Ah ! Messieurs, vous entendez parler à chaque instant de la question sociale. Qu'est-ce donc que la ques- tion sociale? C'est tout simplement le problème de la douleur qui n'est pas résolu. Il y a dans le monde des masses de gens qui souffrent et qui ne sont pas consolés, et qui, n'étant pas consolés, poussent des cris de haine et rugissent sous le fouet de la dou- leur... Voilà toute la question sociale. Pour la ré- soudre> bon gré malgré, il faut aller à l'Eglise, qui seule au monde est capable de nous donner la parole de vérité qui explique la souffrance, les exemples qui la rendent supportable.

Et les services qui la diminuent. Il y a ici tant à dire que je ne dirai qu'un mot. L'Eglise offre à la douleur des services dévoués et incessants. Cela

24'* CONFÉRENCES AUX HOMMES

est si vrai que, quand il y a une douleur quelque part, c'est presque toujours auprès de la religion de Jésus-Christ qu'elle va d'abord et d'instinct se réfugier. Que ne fait-on pas en ce siècle pour en- lever au peuple l'amour du prêtre? Eh bien! malgré ces efforts sataniques, le peuple reste attaché à son clergé. Dans ses tristesses et dans ses larmes il prend le chemin qui mène à nos demeures ; il vient verser son âme dans la nôtre ; et dans chaque paroisse le presbytère est encore la maison la plus hospitalière, la plus aimée, la plus fréquentée. L'homme qui souffre sait parfaitement sont ses vrais amis, et il va les chercher dans le sein de TEglise catholique.

L'Eglise seule console l'humanité au milieu des épreuves de la vie, et en présence de la mort c'es* elle encore, et elle seule qui vient à notre secours, soit que nous perdions ceux que nous aimons, soit que nous-mêmes soyons saisis par le trépas. L'in- crédulité n'a à nous offrir que des paroles de néant et de désespoir, et la philosophie hésitante et troublée s'avoue impuissante à nous dire le secret de la mort. L'Eglise, elle, parlant au nom du ciel, vient calmer nos anxiétés. Elle nous annonce que nos trépassés sont vivants, que nous pouvons les soulager, que nous les retrouverons un jour. Mes- sieurs, il y a des gens qui ne veulent croire ni à Dieu, ni à Jésus-Christ, ni à aucun de nos mystères. Mais ils sont bien forcés de croire à la mort de leur

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 245

père, de leur mère, de leurs enfants. Alors la religion chrétienne vient murmurer à leurs oreilles ses pa- roles de vie et d'immortalité. Pendant que le vide se fait autour d'eux et que le monde n'a plus rien à leur dire, la religion chrétienne leur montre le ciel, et tout bas ils avouent qu'elle est vraiment divine, puisque seule elle a le secret de la consolation.

Et non seulement l'Église nous console de la mort de nos proches, mais elle embaume encore et elle transfigure notre propre mort. Lorsque, en 1815,' le maréchal Ney fut condamné à mort, un soldat lai dit : « Maréchal, est-ce que vous ne de- mandez pas un prêtre? » « Non, dit le maréchal Ney, je ne connais pas ces gens-là. » « Vous avez tort, maréchal, reprit le soldat; il me semble qu'au point vous en êtes vous devriez mettre ordre à votre conscience, car vous allez bientôt pa- raître devant Dieu. Voulez-vous que les deux jeunes orphelins que vous laissez disent de leur glo- rieux père qu'il meurt en païen?» Cette parole loyale et chrétienne toucha le maréchal. Il se re- dressa et répondit les yeux en larmes : « Vous avez raison, mon ami.. Il ne suffit pas d'avoir promené à travers le monde les vaillantes armées de la France, mais il faut encore mourir en honnête homme ! » Un prêtre vint de Saint-Sulpice. Le maréchal s'en- tretint une heure avec lui, et quand le moment fatal fut venu et qu'il fallut monter en voiture : « Merci, monsieur l'abbé, dit Ney, au prêtre, vous

246 CONFÉRENCES AUX HOMMES

ni avez consolé ! Montez le premier, je serai avant vous là-haut! » Quelques instants plus tard, une voix sonore retentissait dans le parc du Luxem- bourg : « Soldats, frappez au cœur ! » Et l'immortel héros de la Moscowa et du Mont-Saint-Jean tom- bait percé de douze balles. Il était mort consolé et chrétien.

L'Eglise seule console la souffrance. « Aussi, puis-je conclure avec Thiers, tandis que le paga- nisme n'a pu supporter un moment l'examen de la raison humaine, le christianisme dure après que Descartes a posé le fondement de la certitude, après que Galilée a découvert le mouvement de la terre, après que Newton a découvert l'attraction, après que Voltaire et Rousseau ont renversé les trônes. Et tous les politiques sages souhaitent qu'il dure... » Et une autre fois à la tribune française le même homme s'écriait : « Si j'avais dans mes mains les trésors de la foi, je les ouvrirais sur mon pays ! » Prêtre de Jésus-Christ, je vous présente ce trésor de la foi et je l'offre à vos âmes fatiguées et à vos cœurs meurtris. Qui que vous soyez, vous avez souffert, vous souffrez, ou vous souffrirez de- main : l'Eglise seule est capable de vous consoler. Venez à elle 1

Amm!

DIXIEME CONFÉRENCE

L'Église et le progrès moral

Messieurs,

J'achève aujourd'hui le second chapitre de notre étude sur les bienfaits de l'Eglise. L'Eglise est une grande puissance intellectuelle, et nous avons cons- taté son influence dans l'ordre des lettres, des sciences, des arts et de l'enseignement. L'Église est une grande puissance moralisatrice et la seule puis- sance moralisatrice suffisante. Je n'ai plus qu'un mot à dire sur ce sujet. Dans le passé, dans le pré- sent et dans l'avenir, l'Eglise a été, est et sera la mère et la gardienne du progrès moral.

I. Dans le passé, l'Église a été la mère et la gar- dienne du progrès moral.

Pouvait-il en être autrement? Elle possède et elle garde inviolablement le code complet et détaillé de la loi morale. Cette loi éternelle que Dieu a gravée

2*8 CONFÉRENCES AUX HOMMES

dans la conscience, avant de la graver dans les livres, à qui a-t-elle été confiée sinon à l'Église catholique? Mais parce que la loi morale est dure à la nature et difficile à observer, l'Eglise présente à la faible humanité les motifs déterminants et impérieux qui poussent à la fuite du mal et à la pratique du bien. Elle nous dit que la morale est l'expression de la volonté de Dieu, que c'est Dieu qui nous commande d'être purs, d'être justes, d'être probes, d'aimer nos frères ; elle nous montre la récompense et les châtiments de la vie future, non pour donner à l'accomplissement de la loi morale un caractère intéressé ,qui lui ferait perdre son principal mérite, mais pour soutenir la volonté contre ses propres défaillances, en alliant à l'idée de la perfection celle du bonheur. Et puis à ces puissants motifs qui poussent, l'Eglise ajoute des exemples qui entraînent. Elle suspend devant nos yeux l'image du divin Crucifié, en qui la loi morale a trouvé sa personnification la plus auguste, et, au lieu de préceptes abstraits et de sentences em- phatiques, elle nous offre le précepte simple,, vivant, palpable en quelque sorte dans les exemples de cet Homme-Dieu qui, après avoir été le type le plus achevé de la vertu sur la terre, en a été le martyr. Et si tout cela ne suffit pas, l'Eglise a encore autre chose à nous donner : elle nous apporte le secours d'en haut, la force divine, la grâce qu'on obtient par la prière et qui se puise dans les sacrements. Elle nous

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 249

conduit au pied du prêtre et devant les autels ; elle nous arrache l'aveu de nos fautes et les larmes expia- trices qui les rachètent; elle nous nourrit de la chair et nous abreuve du sang du Christ ; elle nous rend une conscience régénérée et une volonté raf- fermie pour affronter de nouveau les luttes qu'il faut sans cesse recommencer ici-bas. Avec de tels moyens, comment l'Eglise eût-elle été stérile et im- puissante pour la conquête de la perfection morale? Elle ne l'a pas été.

Depuis dix-neuf siècles l'Eglise moralise l'huma- nité. Le fait est impossible à nier. Les ennemis de l'Eglise eux-mêmes sont obligés de le reconnaître et de le constater. Ecoutez là-dessus Taine, qui fut un incrédule, mais qui ne fut pas un imposteur: « Aujourd'hui, dit-il, après dix-neuf siècles, le chris- tianisme est encore l'agent spirituel le plus puis- sant, la grande paire d'ailes indispensables pour soulever l'homme au-dessus de la vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire à travers la patience, la résignation et l'espérance, jusqu'à la sérénité, pour l'emporter par delà la tempérance, la pureté, la bonté, jusqu'au dévouement et au sacrifice. Toujours et partout depuis dix-neuf cents ans, sitôt que ces ailes défaillent ou qu'on les casse, les mœurs publiques et privées se dégradent. En Italie, pendant la Renaissance, en Angleterre sous la Restauration, en France sous la Convention et le Directoire, on a vu l'homme se faire païen

250 CONFÉRENCES AUX HOMMES

comme au ier siècle; du même coup, il se retrou- vait tel qu'au temps d'Auguste et de Tibère, c'est- à-dire voluptueux et dur; il abusait des autres et de lui-même; l'égoïsme brutal et calculateur avait repris l'ascendant, la cruauté et la sensualité s'éta- laient, la société devenait un coupe-gorge et un mauvais lieu. Quand on s'est donné ce spectacle, et de près, on peut évaluer l'apport du Christianisme dans nos sociétés modernes, ce qu'il y a introduit de pudeur, de douceur et d'humanité, ce qu'il y maintient d'honnêteté, de foi et de justice. Ni la raison philosophique, ni la culture artistique et littéraire, ni même l'honneur féodal, militaire et chevaleresque, ou un code, ou une administration, ou un gouvernement ne suffit à le suppléer dans ce service. Il n'y a que lui pour nous retenir sur notre pente fatale, pour enrayer le glissement insensible par lequel incessamment et de tout son poids ori- ginel notre race rétrograde vers ses bas-fonds, et le vieil Evangile est encore aujourd'hui le meilleur auxiliaire de l'intérêt social. » Il est difficile, Mes- sieurs, d'avouer plus franchement et plus éloquem- ment l'influence moralisatrice de l'Église depuis dix-neuf siècles. Car ce vieil Evangile, dont on reconnaît la puissance et la fécondité, qui le garde, qui l'explique, qui en a fait le code des nations civili- sées, qui l'a infusé dans l'âme et dans le sang de la chrétienté? Qui, sinon l'Eglise catholique? Et ce que l'Église a fait jadis elle le fait encore aujourd'hui.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 2oi

II. Dans le présent l'Église est la mère et lo. gardienne du progrès moral.

C'est facile à voir. Contemplez un peu les peuples qui abandonnent les salutaires prescriptions de l'Église. Ils retombent dans la barbarie. Voyez ce qui se passe aujourd'hui dans la Grèce, en Turquie, au nord de l'Afrique. Autrefois ces pays étaient le théâtre d'une civilisation intellectuelle et morale très avancée. Aujourd'hui ces peuples sont en pleine décadence. L'Eglise n'est plus là, et ils meurent de son absence. Il est vrai que, même sous le régime de l'Eglise catholique, nous voyons cer- tains peuples méridionaux se mettre à l'aise avec la morale et se laisser aller à des désordres, à des licences qui nous étonnent et nous scandalisent. Réfléchissons un peu. Que serait-ce donc si ces mêmes peuples méridionaux, déjà imparfaits mal- gré l'influence de l'Eglise, en étaient subitement privés? Ils seraient cent fois pires, ils tomberaient au niveau des sensuels et féroces Musulmans.

D'ailleurs à quoi bon aller chercher loin la dé- monstration contemporaine de l'action moralisatrice de l'Eglise ! Voyez tout près de vous ces villes, ces villages l'on fait profession d'impiété, l'on rencontre des hommes qui se moquent superbement de ceux qui vont à la messe, de ceux qui rem- plissent leurs devoirs de catholiques. Est-ce que

2o2 CONFÉRENCES AUX HOMMES

dans ces villes et dans ces villages qui se vantent d'être en progrès, la moralité est bien grande ?Res- pecte-t-on beaucoup le bien et la réputation du prochain? Respecte-t-on la morale naturelle? Non. La corruption la plus effrénée s'y étale publique- ment. Ces hommes impies, ces femmes dévergon- dées qui nous accusent, nous catholiques, d'être en retard, oh! ils ont bien progressé, eux, et ils sont vraiment très avancés, non pas du côté de la vertu, mais du côté du vice. Ils dédaignent les sept sacrements, mais en revanche ils cultivent soigneusement les sept péchés capitaux. Voilà leur progrès. Qu'en pensez-vous? Le progrès des impies m'inquiète, et j'ai résolu de donner ma préférence au progrès par l'Eglise et avec l'Eglisn. Ecoutez ici une parole de Michelet, elle est significative : « Nous pouvons nous enorgueillir à bon droit, dit- il, de tant de progrès accomplis, et cependant le cœur se serre, quand on voit que dans ce progrès de toutes choses la force morale n'est point aug- mentée. » La force morale n'est point augmentée. Pourquoi? parce que nous sommes devenus moins chrétiens et moins catholiques que ne l'étaient nos pères, parce que l'Eglise n'est point respectée et obéie. La diminution de l'influence de l'Eglise dans notre siècle est la mesure exacte, mathéma- tique de la diminution de la force morale. Les hommes de ce temps peuvent mépriser l'Eglise, la persécuter, l'exiler, essayer de l'anéantir, ils ne

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 253

peuvent pas s'en passer. La démoralisation est le châtiment de leur impiété. Dès qu'ils échappent aux étreintes du catholicisme, ils tombent dans la poussière et dans la fange. Aujourd'hui comme hier, l'Eglise est la mère et la gardienne du progrès moral. Et n'en doutez pas, ce sera demain comme aujourd'hui et comme hier.

III. Dans Y avenir, YÈglise sera la mère et la

gardienne du progrès moral.

Vous annoncez pour l'avenir d'immenses progrès matériels. Or, plus nos progrès matériels seront intenses, et plus nous aurons besoin de l'Eglise catholique. Pourquoi? parce que l'Eglise catholique nous fait vivre de la pensée. Elle est la religion spirituelle par excellence, et par conséquent elle est le refuge contre le mal et le contrepoids nécessaire au développement de nos futurs progrès matériels. Vous étalez, et demain vous étalerez davantage encore devant moi les splendeurs du luxe, 1 appât des plaisirs, les séductions de l'or et de l'argent, les enivrements de la beauté, toutes les formes les plus inédites et les plus captivantes de la jouissance Je risque d'être ébloui par tant d'attraits, fasciné par tant de promesses, pris de vertige,- vaincu. Non. Soulevé par l'Eglise, instruit, averti, menacé et stimulé par elle, je prends mon vol, je monte

254 CONFÉRENCES AUX HOMMES

dans la lumière, je plane au-dessus de la matière. J'allais être envahi par la vie matérielle. L'Église m'emporte plus haut, dans l'azur de la vie morale. Telle sera l'histoire de demain. Sinon, attendons- nous à toutes les décadences et aux derniers abais- sements. Le progrès matériel nous perdra, si l'Eglise n'est pas pour maintenir et pour exalter le progrès moral.

Et puis, en même temps qu'il marche à un pro- grès illimité dans l'ordre matériel, le monde se pré- cipite vers des nouveautés inouïes dans l'ordre politique. Il y a cent ans, Chateaubriand, traçant la dernière page du Génie du Christianisme, écrivait : « Une religion dont les préceptes sont un code de morale et de vertu est une institution qui peut suppléer à tout et devenir, entre les mains des saints et des sages, un moyen universel de félicité. Peut-être un jour les diverses formes de gouver- nement paraîtront-elles indifférentes, et l'on s'en tiendra aux simples lois morales et religieuses, qui sont le fonds permanent des sociétés et le véritable gouvernement des hommes. » Or, Messieurs, ces lois morales et religieuses, qui peuvent suppléera tout et que rien ne peut remplacer, le monde de demain ira-t-il les chercher, sinon dans les mains immaculées de la sainte Eglise catholique, sinon dans le cœur et sur les lèvres du sacerdoce catholique ? Si vous supprimez par la pensée les trente mille édifices religieux la morale chré-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 255

tienne est chaque dimanche enseignée, cherchez quels sont ailleurs les milieux la voix du devoir se fasse entendre. Vous ne trouverez que les écoles et les académies. Hélas ! les écoles et les académies, quand elles ne s'appuient pas sur l'autorité de la religion, n'enseignent qu'une morale boiteuse^ in- complète et impuissante. Et puis les écoles et les académies ne s'adressent qu'à une faible minorité; c'est dans les temples que l'immense majorité de la nation reçoit l'enseignement du devoir ; c'est l'Église catholique qui est seule capable d'instruire et de moraliser la multitude et de sauver la démo- cratie en la modérant et en la purifiant.

Demain comme aujourd'hui et hier, dans l'avenir non moins que dans le présent et dans le passé, l'Église sera la mère et la gardienne du progrès moral. Son intervention apparaîtra plus nécessaire que jamais par suite des abus et des dangers du progrès matériel, par suite des excès et des décep- tions du progrès politique. Ne dites pas que le règne de l'Église est fini ; il entre dans une nou- velle période. 11 y a encore de longs et de beaux jours pour l'Église. Plus le monde avancera en âge, et plus il aura besoin d'elle !

Amen !

III

DANS L'ORDRE MATÉRIEL

LES BIENFAITS DE l'ÉGLISE. i i"T

PREMIÈRE CONFÉRENCE

L'Église n'est pas l'ennemie du progrès matériel

Messieurs,

Nous avons étudié les bienfaits de l'Eglise dans Tordre intellectuel et dans l'ordre moral, et nous abordons aujourd'hui un troisième chapitre qui a pour titre : les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre ma- tériel. Mais ici d'abord on nous arrête et l'on nous dit sur tous les tons : « L'Eglise est l'ennemie du progrès matériel. » Avant tout, il est indispensable de répondre à cette objection préliminaire qui se pose comme un obstacle infranchissable à l'entrée de notre route. L'objection, Messieurs, est plus so- nore que sérieuse; il nous sera facile de la repous- ser du pied et de la pulvériser en nous demandant : d'où elle vient; ce qu'elle vaut.

I. L'Église est l'ennemie du progrès matériel. D'où vient cette objection ?

Elle vient de l'exagération de quelques-uns, de

260 CONFÉRENCES AUX HOMMES

la mauvaise foi de beaucoup et de l'ignorance du plus grand nombre.

Disons d'abord, Messieurs, que certains catho- liques de notre temps, émus outre mesure des con- quêtes et des excès du progrès matériel, voyant trop l'abus qu'on en fait et pas assez ce qu'il est en lui-même, ont pris à son endroit une attitude de défiance et presque d'hostilité. Parce que le progrès matériel, comme un fleuve débordé, menaçait de tout emporter : les croyances et les mœurs, ils ont eu l'air moins préoccupés de la manière de le régler que de la pensée de le supprimer, et, selon la parole d'un grand prélat américain, Mgr Ireland, ils ont semblé vouloir faire remonter dans l'Erié les eaux du Niagara. Ces imprudences et ces exagé- rations de certains catholiques ont coûté cher à l'Église.

L'impiété s'en est emparée, et avec une mau- vaise foi insigne l'impiété contemporaine répète à qui veut et ne veut pas l'entendre que l'Eglise est l'ennemie du progrès matériel, qu'elle en a peur, qu'elle le condamne, qu'elle le proscrit. Que de fois, Messieurs, cette accusation a retenti dans les parle- ments, dans les académies, dans la presse, dans la rue, sur les tréteaux des politiciens et sur le papier des journalistes et des romanciers ! Les meneurs de l'impiété contemporaine, quand ils accusent l'Eglise d'en vouloir au progrès matériel, savent bien qu'ils mentent. Mais qu'importe? Pour conquérir lesfoules,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 261

il faut d'abord les aveugler, et, pour en faire un instrument de règne, il est nécessaire de les tenir à distance de la religion. C'est ce qui est arrivé.

A force d'entendre dire que l'Eglise était l'enne- mie du progrès matériel, la foule a fini par le croire. Elle a répété docilement l'objection qu'on lui enfonçait dans la cervelle, et il faudra encore beaucoup de temps et de patience, beaucoup de salive et beaucoup d'encre, pour persuader à une masse innombrable de braves gens que le pape, les évêques et les curés ne sont point les ennemis des télégraphes, des chemins de fer, des grandes entre- prises, des expositions universelles, du progrès, en un mot, de la civilisation moderne. L'Eglise est l'ennemie du progrès matériel! Vous voyez d'où vient cette objection. Elle vient de l'exagération de quelques-uns, de la mauvaise foi de beaucoup et de l'ignorance du plus grand nombre.

II. L'Eglise est l'ennemie du progrès matériel. Que vaut cette objection ?

Elle ne vaut rien. Elle est nulle, et de nulle va- leur. Non, l'Eglise n'est pas l'ennemie du progrès matériel. J'en appelle à sa doctrine et à ses actes.

Entendez-la •parler. Elle déclare que le progrès matériel est utile à l'homme et glorieux à Dieu.

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Messieurs, donnez au peuple des blés abon- dants et semez des prairies pour les animaux qui le servent, car le labourage et le pâturage sont, selon l'expression de Sully, les deux mamelles de l'État. Après l'agriculture, favorisez l'industrie et les arts, et préférez les arts d'utilité aux arts d'agré- ment. Que le commerce, cette troisième source de la vie sociale, soit aussi l'objet de votre sollicitude. Étendez-en les bienfaits au dedans et au dehors de la cité, ouvrez des routes, creusez des canaux, attelez la flamme à vos chars de fer, et faites-leur franchir en trois bonds les bornes du monde. Tous ces progrès sont nobles, légitimes, dignes de louange, parce qu'ils tournent au bien public et qu'ils rendent la vie facile et les peuples heureux. Plus l'oisiveté sera odieuse et le travail honoré, moins l'État aura de criminels, de mendiants, de citoyens dangereux ou inutiles. Voilà l'enseigne- ment de FÉglise. Elle prêche la grande loi du tra- vail, qui est la source du progrès matériel et du bien-être général, et elle a des foudres et des malé- dictions pour les fainéants qui promènent leur paresse et leur impuissance au milieu d'une société laborieuse et affairée, qui leur donne tout et à qui ils ne donnent rien, sinon le spectacle d'une vie gaspillée et perdue.

Sans doute, Messieurs, l'Église prêche la vie future et la subordination de la vie présente à la vie future. Mais, remarquez-le bien, l'Eglise ne

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 263

nous dit pas que l'on gagne la vie future en gas- pillant la vie présente. Elle nous dit, au contraire, que la manière dont nous agissons ici-bas .est la condition de ce que nous méritons là-haut. Elle nous dit que le ciel, comme le pain, se gagne à la sueur du front... de sorte que le point de vue du bonheur éternel à conquérir, bien loin de stérili- ser l'effort et d'arrêter le progrès, appelle et pro- voque une plus grande perfection intellectuelle, une plus grande perfection morale, une plus grande amélioration physique et matérielle.

Sans doute encore, Messieurs, l'Eglise prêche la patience et la résignation en vue des compensa- tions promises dans un monde supérieur, et par elle se montre seule capable de donner aux trois quarts des hommes le courage, l'espérance et la paix. Mais, de grâce, ne lui faites pas dire ce qu'elle ne dit pas et prenez sa doctrine tout entière. Elle ne dit pas que la misère est un bien et qu'il faut accepter sans murmure toutes les iniquités sociales. Elle dit au contraire que, sous bien des rapports, la misère est une cause puissante de dégradation mo- rale, et qu'il faut, par conséquent, la diminuer le plus possible. Elle dit que, pour guérir les maux qui pèsent sur l'humanité, la charité toute seule ne suffit pas et qu'il faut y joindre la justice, la jus- tice qui protège le faible contre le fort, la justice qui établit parmi les hommes une distribution mieux entendue de la peine et du bien-être, des

264 CONFÉRENCES AUX HOMMES

charges et des jouissances. Disséquez, Messieurs, la .doctrine de FÉglise, et je vous défie d'y trouver un seul mot qui soit défavorable au progrès matériel. Elle l'approuve, elle le bénit, elle l'encourage, elle le préconise comme utile à l'homme.

Et elle l'exalte comme glorieux à Dieu. Oui, tout vrai progrès est une glorification de Dieu. Voyons. Est-ce vous, habiles ingénieurs, qui avez mis dans la goutte d'eau cette puissance de dilatation, qui en fait un levier capable de faire sauter une mon- tagne? Est-ce vous qui avez caché dans la terre ces minerais, qui deviennent vos colossales machines aux pieds d'airain, à la poitrine de fer, et qui dévorent l'espace ? Est-ce vous qui avez amoncelé ces appro- visionnements souterrains de combustible que nous pouvons appeler les greniers d'abondance et le pain quotidien de notre industrie? Est-ce vous qui vous êtes donné cet esprit, ce génie qui a su devi- ner ces merveilles et les employer à notre profit? Et l'Eglise serait l'ennemie de ces progrès maté- riels qui sont un hymne retentissant du couchant à l'aurore en l'honneur de Dieu, qui en a fourni la matière et qui a donné à l'homme l'intelligence, la volonté et la persévérance pour les exécuter? Mais non. Continuez, habiles inventeurs, riches des dons de la Providence, continuez de chercher et de trouver. Vous êtes apologistes à votre manière. Vous glorifiez le Dieu créateur. L'Eglise vous bénit. Elle a dans ses rituels des bénédictions pour toutes

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 265

les créations et pour toutes les inventions, et, dans la crainte d'être prise au dépourvu par quelque découverte nouvelle, elle en a une pro quacnm- que re, pour toute espèce de progrès. L'Eglise n'est pas l'ennemie du progrès matériel.

Voyez-là agir. Comment se comporte-t-elle à l'égard des inventions qui améliorent la condition matérielle de l'homme sur la terre? D'abord, elle approuve; nous venons de le voir. Que les chemins de fer abrègent les distances; que l'étincelle élec- trique fasse- communiquer instantanément l'ancien et le nouveau monde ; qu'on trouve des remèdes contre le choléra, contre la rage et contre toutes les épidémies ; qu'on fabrique mieux et plus vite tous les objets utiles ou nécessaires à la vie ; en un mot, qu'on épargne à l'homme le plus de peine pos- sible, qu'on lui rende moins difficile son triste pèle- rinage sur la terre, l'Eglise applaudit, elle favorise tous les efforts que l'on fait dans ce sens ; car sa sollicitude s'étend aux corps aussi bien qu'aux âmes, et elle veut le progrès matériel comme le progrès intellectuel et moral. Mais il y a plus.

Non contente d'approuver le progrès matériel en parole, elle s'en sert journellement et elle y tra- vaille elle-même de siècle en siècle. Elle se sert du progrès matériel. Voyons: de bonne foi, nourrissons- nous je ne sais quelles rancunes insignifiantes et ridicules à l'égard des découvertes de la science et

266 CONFÉRENCES AUX HOMMES

des progrès matériels qui en découlent ? Mais nous sommes les premiers à en bénéficier. Nous leur de- vons la vapeur qui nous conduit, le télégraphe qui porte nos dépêches, le drap qui nous couvre, la page que nous lisons, les temples qui nous abritent et le vase sacré dans lequel nous buvons le sang du Christ.

L'Eglise condamne si peu le progrès matériel qu'elle s'en sert à chaque instant et qu'elle y tra- vaille elle-même très ardemment. Nous verrons cela à propos du commerce, de l'industrie et de l'agri- culture. Nous verrons ce qu'a fait l'Eglise pour ces trois grandes branches de l'activité humaine. Pour aujourd'hui, qu'il me suffise de vous faire remar- quer :

Que nous sommes si peu les ennemis du pro- grès, que c'est nous qui avons fait ce progrès uni- versel qui portera éternellement notre nom et qui s'appelle dans la langue de l'histoire et dans les conversations courantes : la civilisation chrétienne.

Que l'Eglise dans le passé a réhabilité le tra- vail et formé des travailleurs, et que jamais les na- tions n'ont développé une si grande puissance d'ac- tion que lorsqu'elles ont agi sous l'inspiration chrétienne. Certes, ce n'est pas aux xne, xme et xive siècles que l'on peut adresser le reproche de fainéantise, siècles cyclopéens qui ont couvert le sol

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 267

de l'Europe d'innombrables monuments, dont la beauté, la solidité, la grandeur étonnent et con- fondent notre faiblesse. Ce n'est pas davantage au xve siècle, qui fut selon la parole de Guizot, « celui de la plus grande activité extérieure des hommes, un siècle de voyages, d'entreprises, de découvertes, d'inventions de tous genres ». Et Chateaubriand ne craint pas d'affirmer que notre temps ne laissera pas de témoins aussi multipliés de son passage que le temps de nos pères. Au moyen âge, sur le sol de la France, on comptait deux millions de monuments, parmi lesquels dix-sept cent mille clochers.

L'Eglise a travaillé dans le passé au progrès matériel, et elle y travaille encore aujourd'hui, au Canada, en Algérie, au centre de l'Afrique et chez toutes les peuplades elle répand par la main de ses missionnaires les semences de la civilisation et les premières formes de la prospérité matérielle. Et chez nous, est-ce que l'Eglise est inactive ? Est-ce que ses bras se croisent dans la paresse ? Est-ce que sa sève est tarie? Tenez, comptez si vous le pouvez, rien qu'à Orléans, les millions que l'Eglise a dé- pensés depuis cinquante ans, les temples et les maisons religieuses qu'elle a fait construire, les pauvres qu'elle a secourus, les ouvriers à qui elle a donné un travail rémunérateur, en un mot les bienfaits de l'ordre matériel qu'elle a répandus sur cette noble cité, et, en présence de ce spectacle ré-

268 CONFÉRENCES AUX HOMMES

tréci et local qui n'est qu'un coin d'un immense tableau, vous redirez la parole cent fois citée du pu- bliciste Montesquieu : « Chose étonnante, la religion chrétienne, qui semble n'avoir d'autre but que notre bonheur dans l'autre vie, assure encore notre féli- cité sur cette terre. »

Donc, Messieurs, quand on dit que l'Église est l'ennemie du progrès matériel, on nous fait une objection nulle, sotte et malhonnête. Cette objection ne viendra jamais se placer sur vos lèvres, et, si vous l'entendez parfois retentir à vos. oreilles, pro- mettez à Dieu que vous aurez le courage de la mé- priser d'un regard et de la pulvériser d'un mot.

Amen !

DEUXIÈME CONFERENCE

L'Église est la gardienne du progrès matériel

Messieurs,

Après avoir étudié les bienfaits de l'Église dans l'ordre intellectuel et dans l'ordre moral, nous avons commencé l'étude de ses bienfaits dans l'ordre matériel. Et d'abord, écartant une objection qui voulait nous barrer la route, nous avons constaté que l'Eglise nest point l'ennemie du progrès maté- riel. Aujourd'hui je vais plus loin, et j'affirme que l'Église est la gardienne du progrès matériel. Elle le sauve en le subordonnant.

I. L'Église préserve le progrès matériel

Le progrès matériel a donc des dangers à éviter? Oui, deux périls le menacent: l'orgueil et la cor- ruption.

Le premier danger du progrès matériel, c'est l'orgueil. Je suis le maître du monde, s'est écrié

270 CONFÉRENCES AUX HOMMES

l'homme de ce siècle. Monté sur une nef aérienne, je me suis promené parmi les astres du firmament. J'ai attaché des ailes âmes proues aventureuses, et j'ai sillonné l'océan avec la vitesse des oiseaux ma- rins. J'ai attelé le feu à mes chars, et ma course de l'orient à l'occident n'a laissé que la trace d'un éclair. Dieu créa les vagues furieuses, et je les dompte. Dieu créa la tempête, et je lui commande. Dieu créa les distances, et je les efface. Je tiens les éléments captifs et frémissants dans mes creusets. On s'est écrié un jour dans les hauteurs du ciel : Qui est semblable à Dieu? Je me présente, preuves en mains, pour soutenir cette concurrence, car celui- est le maître du monde qui en fait mouvoir à son gré tous les ressorts. Ainsi parle, ou du moins ainsi pense l'homme de ce siècle, et, « si on ana- lysait l'atmosphère intellectuelle de notre temps, dit Mgr Bougaud, on y trouverait au moins quatre cinquièmes d'orgueil. »

Gomme il est utile, Messieurs, comme il est né- cessaire que l'Eglise vienne corriger ces excès, et que, nous prosternant au pied de ses autels, elle nous rappelle que le nom qui est au-dessus de tous les noms, c'est Dieu; que nous ne sommes rien et qu'il est tout; et qu'à Lui doivent remonter la raison, souffle de sa bouche, la nature, œuvre de ses mains, l'industrie, miroir de ses perfections, la science, rayon de sa lumière, le progrès enfin dont il est la source unique, le régulateur suprême, et la fin

LES BIENFAITS DE I/ÉGLISE 271

éternelle'. Si la religion ne se lève pas au milieu de la société pour populariser ces grandes et néces- saires leçons, savez-vous ira le progrès matériel? Il ira à l'orgueil le plus insensé,

Il ira à la corruption la plus effrénée. Voilà le second danger qui menace le progrès matériel, le danger de la jouissance indéfinie et illimitée. Maître de la nature, l'homme la travaille, l'exploite, en utilise pour lui-même et pour ses semblables toutes les énergies et tous les produits. C'est bien. Mais cependant prenez garde. Si vous appelez la jouis- sance et si vous chassez Dieu, qui seul pourrait la modérer et la contenir; si vous éveillez tous les appétits et si vous ôtez tous les freins ; si vous saturez un peuple de tout ce qui incline l'âme vers la terre, et si vous ie sevrez de tout ce qui relève l'esprit vers le ciel, êtes-vous bien sûrs que vous ne conduirez pas ce peuple à la décadence? Moi, je suis sûr du contraire. La jouissance sans frein c'est l'égoïsme qui n'a qu'une devise : Tout pour moi et rien pour les autres. « L'égoïste, dit Bacon, mettrait le feu à la maison de son voisin pour faire cuire un œuf. » Avec cela, essayez de faire une société je ne dis pas glorieuse, mais simplement habitable, je vous en défie bien. Dieu chassé du sein d'un peuple, il ne reste plus que la matière, et tout ce qui n'est pas elle n'est rien, tout ce qui n'est pas palpable ne vaut rien. Dieu chassé du sein d'un peuple, il ne reste plus qu'un arrivisme féroce, le mépris

272 .CONFÉRENCES AUX HOMMES

du droit, l'absence de scrupules, l'amour de l'ar- gent et de la jouissance immédiate et maximale, en un mot, le culte exclusif du bien-être. C'est un danger épouvantable.

Comme il est utile, Messieurs, comme il est né- cessaire que l'Eglise vienne corriger ces excès, et que, nous élevant au-dessus de la matière, elle nous fasse entrevoir un idéal supérieur à ce qui se voit, à ce qui se touche, à ce qui se pèse, à ce qui se mange ! Séparé de la religion, le progrès matériel n'est plus qu'une grande et admirable machine qui tout à l'heure saisira par sa robe soyeuse la société magnifiquement parée et plantureusement repue, pour en broyer sous ses rouages les membres déli- cats. Ce n'est pas une vaine comparaison, mais une poignante réalité. L'or, la matière, les plus ingénieuses machines ne suffisent pas à faire un peuple. La pierre angulaire de toute société et de tout siècle, c'est l'autel. L'Eglise seule est capable de sauver le progrès matériel de l'orgueil qui le pervertit et de la corruption qui le déshonore. Elle le sauve en le mettant à sa place, en le subordon- nant.

II. L'Église subordonne le progrès matériel.

Elle le subordonne au progrès moral et religieux. Elle place Dieu au-dessus de l'homme, l'âme au-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 273

dessus du corps, la vertu au-dessus de la richesse et du bien-être.

Ce ri est que justice. Au nom de la simple raison cela doit être. Car, si l'homme est roi devant la matière, n'est-il pas vassal devant Dieu, et dès lors n'est-il pas convenable et nécessaire que, en com- mandant à la terre, il obéisse à Dieu, gardant ainsi à la fois son servage et sa royauté? Et puis, dans l'homme, l'esprit n'est-il pas supérieur au corps, le corps n'est-il pas l'esclave et l'âme la reine, et dès lors n'est-il pas souverainement inconvenant et déraisonnable que la matière, outrepassant ses droits et exagérant sa puissance, se fasse un empire usurpé qui détrône dans l'humanité la royauté de l'esprit?

Ah ! je sais bien ce que pensent tout bas et ce que disent tout haut les adorateurs du bien-être et de l'utile dans sa plus triviale acception ! Unique- ment préoccupés des besoins inférieurs de l'homme, uniquement appliqués à dépenser leur activité en des œuvres vulgaires, ils reprochent à l'Eglise de diriger nos désirs vers des biens lointains et invi- sibles, et de déconsidérer les biens visibles qui nous touchent de plus près. Ils accusent l'Église de stériliser la terre en nous lançant à la poursuite d'un bonheur qui n'est pas de ce monde. Messieurs,

r

l'Eglise ne dépouille point la terre au profit du ciel ni le corps au profit de l'âme. Elle met seulement toute chose à sa place, et elle est en cela éminem-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-18

274 CONFÉRENCES AUX HOMMES

ment raisonnable. Elle déclare que tous les biens matériels, si vastes qu'on les suppose, ne sauraient remplir la vaste capacité de l'âme humaine; elle déclare que la terre, si belle qu'elle soit, n'est point le terme il faut s'arrêter, mais le chemin qu'on arrose de ses sueurs pour arriver au ciel ; elle dé- clare que la vertu est le principal et que le bien- être n'est que l'accessoire ; elle déclare que les progrès de la vie matérielle, si importants qu'ils soient quand on les considère, ne sont que secon- daires quand on les compare à l'importance de notre vie morale. Voilà ce que dit l'Eglise, et je défie tout esprit sensé de ne pas trouver qu'elle a raison. Elle subordonne le progrès matériel au progrès moral et religieux. Ce n'est que justice. Et j'ajoute au nom de l'histoire : Tant mieux!

r

Tant mieux pour l'humanité. Car l'Eglise, tout en se proposant pour but suprême et dernier de nous assurer la possession des biens éternels, a travaillé et travaille efficacement à la splendeur et à la féli- cité temporelle des peuples. Sa divine loi morale qui nous pousse sans cesse vers les hauteurs ne nous fait point oublier qu'il y a sur la terre des devoirs à remplir. Elle nous commande d'aller à Dieu à travers nos frères. Vous demandez des hommes utiles à leurs semblables. Or, n'étaient-ils pas utiles ces millions de martyrs qui ont affranchi la conscience humaine de l'oppression des tyrans et qui ont arrosé de leur sang la liberté des âmes?

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 275

N'étaient-ils pas utiles ces sublimes pénitents qui, par l'austérité de leur vie, ont détruit la corruption in- fâmedontsemouraitlemondepaïen?N'étaient-ilspas utiles ces papes, ces évêques, ces prêtres qui allaient au-devant des barbares et les civilisaient? N'étaient- ils pas utiles ces pontifes et ces conciles qui récla- maient l'affranchissement des esclaves et qui créaient de la sorte la société des hommes libres? N'étaient- ils pas utiles, ces infatigables moines qui perçaient les forêts, fécondaient la terre et ressuscitaient l'Europe, qui recueillaient et copiaient les manus- crits de l'antiquité, et sauvaient ainsi du naufrage les sciences et les lettres? N'étaient-ils pas utiles ces vaillants chevaliers qui arrêtaient la barbarie musulmane toute prête à envahir l'occident? N'étaient-ils pas utiles tous ces hommes d'Eglise qui encourageaient les arts, fondaient des Univer- sités pour instruire la jeunesse de tous les pays et d'humbles écoles pour instruire les enfants du peuple? N'étaient-ils pas utiles tous ces saints qui créaient d'innombrables institutions de charité et qui, comme Vincent de Paul, sauvaient quelque- fois des peuples entiers? Et aujourd'hui encore ne sont-ils pas utiles ces vaillants missionnaires qui vont porter sur tous les rivages, avec la civili- sation et l'Evangile, le prestige ei l'honneur des peuples européens. Et ces légions généreuses d'hommes et de femmes qui, fidèles au glorieux passé de l'Eglise, se dévouent sans trêve ni merci

276 CONFÉRENCES AUX HOMMES

au soulagement de tous les besoins de la pauvre humanité? Au nom du passé et du présent, au nom de l'histoire et de l'actualité, je déclare que l'Eglise s'entend aussi bien et mieux que n'importe qui à former des hommes utiles. En subordonnant le progrès matériel au progrès moral et religieux, bien loin de stériliser la vie présente, elle la rem- plit d'immenses bienfaits. Etrange contradiction ! On accuse l'Église de trop se désintéresser de l'utile, et en même temps on se plaint à grands cris de ses envahissements; on lui reproche de trop rester dans la sphère des intérêts moraux et religieux, et, quand on la voit projeter son action dans la sphère des intérêts matériels, on déploie une satanique énergie pour entraver sa marche et comprimer son influence. Laissons l'impiété se contredire et se mentir à elle-même, et bénissons l'Église qui sauve le progrès matériel en le subor- donnant au progrès moral et religieux.

Le progrès matériel est chose bonne ; l'Eglise n'en est point l'ennemie. Le progrès matériel offre des dangers; l'Église en est la gardienne. Le pro- grès matériel, pour ne pas dévier, doit avoir pour contrepoids et pour lest une vertu et une croyance ; cette vertu et cette croyance, vous les chercheriez vainement en dehors de l'Église catholique. De sorte que, aujourd'hui encore, nous sommes rame- nés à la parole de Montesquieu, qui a conclu notre dernière conférence : « Chose merveilleuse ! la reli-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 277

gion chrétienne, qui semble n'avoir d'autre objet que notre bonheur là-haut, fait encore notre félicité ici-bas. »

Vous connaissez sans doute le mot pittoresque d'un ministre d'Autriche en 1848. Le prince de Schwarzenberg a dit : « On peut tout faire avec des baïonnettes, excepté s'asseoir dessus. » Gela veut dire que la force par elle-même est impuis- sante à fonder un peuple et à le mettre dans l'ordre et dans la paix. La force est un expédient, elle n'est point un régime. Or je dirai de même : « On peut tout faire avec le progrès matériel, excepté s'asseoir dessus. » Le progrès matériel dans un peuple est comme la santé dans un homme. Avoir du sang et des muscles, c'est quelque chose, mais ce n'est pas tout. Pour faire un homme, il faut autre chose : il faut un idéal, il faut du caractère, il faut de la conscience, il faut l'élévation des pensées et la dignité de la vie. Pour faire un peuple, le progrès matériel ne suffit pas. Il est nécessaire de compléter et de sauvegarder le progrès matériel par le progrès moral et religieux. Il faut une vertu et une croyance ; cette vertu et cette croyance ne peuvent germer et fleurir que sous le souffle fécond de la sainte Eglise catholique.

Amen!

TROISIEME CONFERENCE

I. L'Église et l'Agriculture

/. CE QUE L'ÉGLISE A FAIT POUR L'AGRICULTURE

Messieurs,

Est-ce que l'Église s'occupe des intérêts matériels de Thumanité? Oui. Elle s'adresse directement aux âmes qu'elle a mission de conduire au bonheur éternel. Mais les âmes ne vont pas sans les corps, et comment s'occuper des unes sans se préoccuper des autres? Pour aller au ciel, il faut passer par la terre, et comment monter là-haut sans tenir compte des nécessités d'ici-bas? L'Eglise, qui va àléternité, se mêle donc aux affaires du temps. Elle n'est point l'ennemie du progrès matériel, elle en est la gar- dienne. Je l'ai prouvé d'une manière générale. 11 faut maintenant entrer dans les détails. J'ai l'in- tention de vous montrer d'abord son intervention et son influence dans une sphère vous ne vous attendez guère à la rencontrer, dans la sphère de l'agriculture.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 279

I. Quand parut l'Église, en était l'agriculture?

Si belle que soit la terre, il y faut la main de l'homme; autrement elle n'a qu'une végétation ingrate et dénaturée, elle se couvre de forêts im- menses où le soleil ne pénètre plus, de plantes luxu- riantes et éparses qui encombrent le sol et gênent le cours des eaux ; ou bien tout à coup la vie expire, et le désert roule sur les plus belles terres l'op- probre de ses sables stériles. Quand l'homme s'ap- proche de la terre avec ses outils meurtriers et féconds, c'est la vie qui apparaît, c'est le froment et la vigne, c'est la nourriture et le breuvage. Et quand l'homme, au contraire, s'éloigne de quelques pas, quand sa main s'affaiblit, quand il laisse trop longtemps se rouiller la charrue comme l'épée se rouille dans le fourreau, la nature toute puissante, mais désordonnée et aveugle, reprend aussitôt possession du sol ; l'épine triomphante élève au- dessus des blés desséchés sa couronne de feuilles et de fleurs ; la forêt renaît dans toute sa magni- ficence; les bêtes sauvages s'installent dans la cabane désolée du laboureur ; les oiseaux recons- truisant leurs nids chantent la défaite de l'homme ; la nature entière se réjouit comme un peuple qui a chassé son tyran et qui a reconquis sa liberté.

Telle était, Messieurs, vers le ive et le ve siècle de notre ère, la situation agricole dans l'Empire

CONFÉRËN EH I I HOMMES

romain démoralisé. Tool le monde voulait jouir, ne rie' voulait travailler; les campagnes ent <L -i mauT- jue

les mœui ent le mal au lieu de le dimi-

nuer et de le guérir. Avec cela, les ] ins

leurs incursions furieui -riaient de dévaster les

et le sol eu: : plus qu'une image de désolation et 3 tbrèts druidiques couv m-

; les bêtes sauvage : rôder

en plein jour dans l - -romain

traînards «les diverses - germaniques s'étaient

9 bois et en avaient t'ait des repa-

ait nulle part. - is la double action des vieux Rom rrom-

pus et des jeunes races barbares indiscipline

îlture était partout d ut perdue.

Ou ter et la réhabiliter? Oui va

remettre la main à la et à la charrue? Qui

va renouveler ! le 1 urope? Qui? Ll -

Elle va mène ivres col*

la culturr .ture du sol. Ici, II

sieurs, ir . - et constatons dans le

i intlu - les institutions monas-

tiques. Il y a quelqu à la réeep'

rs du i ligne, régiment de nouvelle

dont il prenait le commandement, le ..né leur souhaitait la bienvenue en termes : Messieurs, notre régiment n'a par

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE

toire: nous tâcherons de lui en faire une. » Et ces paroles si simples et si nobles faisaient cou- rir un frisson patriotique parmi les auditeurs. Ainsi dirent les moines il y a quinze siècles : L'agri- culture n'a plus d'histoire: nous tâcherons de lui en faire une. Et ils se mirent à l'œuvre. Voyons-les se livrer au travail et donner l'exemple.

II. Le travail des moines.

Ils ont à lutter contre une nature indomptée et

sauvage. Ils ont devant eux des forêts aux futaies gigantesques, sombres et impénétrables : des hal- liers de ronces et d'épines : des marais et des tourbières encombrés de racines et de troncs ren- versés: une atmosphère humide et insalubre, tout imprégnée de miasmes pestilentiels. Ils ont devant eux des solitudes improductives, et. avant de les fertiliser par le travail, il faut lutter longtemps contre la faim et l'intempérie des saisons. Pour conquérir les forêts et les déserts de l'Amérique, le colon moderne s'avance armé de toutes les inven- tions de l'industrie et de la mécanique, soutenu par la certitude du succès. Le moine n'avait que ses bras, et il se plongeait dans l'inconnu.

Les instruments aratoires, le fer, les graines même pour ensemencer, tout lui manquait, tout jusqu'aux animaux domestiques qui décuplent les

282 CONFÉRENCES AUX HOMMES

forces de l'homme. Un des faits les plus importants dans l'histoire de l'agriculture, c'est la domestica- tion des espèces animales, hœuf, cheval, chien, revenus à l'état sauvage après la disparition gra- duelle de la civilisation romaine. Dépourvus de tout secours humain, les moines viennent à bout de tout : du sol qui est en friche, des animaux qui sont à l'abandon et en pleine indépendance, et enfin des hommes bien autrement difficiles à disci- pliner que le sol le plus ingrat, que les animaux les plus sauvages.

Les brigands qui peuplent les forêts s'approchent avec des intentions homicides d'un moine qui les subjugue par sa douceur et sa bonté. Ils s'apaisent, se convertissent, et plus d'une fois un repaire d'assas- sins devient le berceau d'un monastère et un re- fuge tranquille le travail des champs remplace la rapine.

Les seigneurs francs et germains se distraient des émotions de la guerre par l'exercice de la chasse, et tout doit céder à leurs exploits cynégétiques. Mais là, au milieu des forêts, l'Église les attend. Elle dompte leur férocité. Elle convertit les chas- seurs en laboureurs. Elle protège la terre cultivée contre les dévastations de la chasse et du gibier féodal, et plus d'une fois elle transforme l'épée du seigneur en une pacifique charrue. Témoin cet illustre seigneur aquitain nommé Théodulphe, au vi° siècle, qui se fit moine à Saint-Thierry près

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 283

Reims, et pendant vingt-deux ans conduisit la charrue... C'était un laboureur infatigable, un religieux toujours le premier aux offices et aux psalmodies de nuit, ce qui ne l'empêchait pas de connaître Horace et de le citer par cœur; après vingt-deux ans de labourage, il fut élu abbé ; alors les habitants du village voisin s'emparèrent de sa charrue et la suspendirent à la voûte de leur église. Noble trophée, pourquoi as-tu disparu? Nous y aurions été en pèlerinage. Et il me semble, pour employer l'expression de Montalembert, que « nous aurions baisé cette relique avec autant de respect que l'épée de Charlemagne ou la plume de Bos- suet ». Ainsi agissent les moines à travers le moyen âge, du ve au xvie siècle, pendant plus de mille ans.

Vainement les guerres se succèdent ; vainement les Barbares arrivent, ravageant tout sur leur pas- sage, les Sarrasins, les Normands, les Hongrois, les Danois et tant d'autres. Un moine tombe victime de la guerre, du travail ou du climat, un autre le remplace. Ils reviennent sans cesse à la charge, eux ou leur postérité spirituelle, avec cette infati- gable constance qui naît d'une association se sur- vivant toujours à elle-même.

Ils sont partout. Prenez la carte de l'Europe, parcourez tous les climats et tous les peuples, interrogez l'histoire de leurs origines agricoles, et dites quel est le pays la bêche du moine n'a pas

284 CONFÉRENCES AUX HOMMES

passé la première. En Flandre et en Hollande, les religieux dessèchent les marais, endiguent la mer, contiennent les alluvions et fertilisent les sables. En Angleterre, les disciples du moine Augustin font de ce pays, dès le xie siècle, le pays le mieux labouré, le mieux cultivé et le plus riche. En Alle- magne, saint Boniface et ses disciples, les Béné- dictins de Fulda, défrichent à eux seuls un terrain de seize lieues de circonférence, comptent jusqu'à dix-huit mille métairies, et plantent le Johannis- berg, le Tokay et les meilleurs vignobles du Rhin. Les moines du mont Cassin fertilisent le Midi, et les Cisterciens le nord de l'Italie. En Espagne, les moines plantent les premières vignes et les premiers orangers, et les bergeries des couvents donnent naissance à» l'industrie des laines. En Suède, en Pologne, dans les contrées forestières et maréca- geuses du Nord, les moines transforment le sol. Et en France ? Qui a percé les forêts ? Qui a desséché les marais? Qui a dirigé les cours d'eau? Qui a ferti- lisé les plaines, les coteaux, le sommet des mon- tagnes? Qui a fait de la France un jardin poussent à F envi le blé et la vigne, ces deux subs- tances qui sont l'aliment royal des peuples civili- sés ? 0ui a fait de la France une corbeille de fleurs et de fruits? L'Eglise, les moines. Ils ont mis en culture le tiers de notre territoire, ils ont fondé les trois huitièmes de nos villes et de nos villages Parcourez toute l'Europe, et indiquez-nous la con-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 285

trée la charrue des moines n'a pas précédé la charrue des laïques. « Assurément, dit Monialem- hert, nous attendrons longtemps la réponse. » Par leurs immenses travaux, les moines ont ressuscité l'agriculture. Ils ont fait mieux : ils l'ont réhabi- litée et ennoblie par leurs exemples.

III. L'exemple des moines.

La vie des champs, l'agriculture et les arts méca- niques qui forment son cortège, exclusivement abandonnés aux esclaves par la civilisation païenne et souverainement méprisés par les Barbares, durent aux religieux non seulement leur résurrection, mais leur ennoblissement. « Le spectacle de plusieurs milliers de religieux cultivant la terre, dit Chateau- briand, mina peu à peu les préjugés barbares qui attachaient le mépris à l'art qui nourri t les hommes. » Ce sont les exemples plus que les doctrines qui mènent l'humanité. Vainement eût-on prêché le Dieu-homme employant les neuf dixièmes de sa vie à fabriquer des jougs et des charrues. Pour que cette croyance s'implantât dans les mœurs, il fal- lait que l'évêque, l'abbé, le prêtre, issus plusieurs du sang royal, laissassent fréquemment la crosse et la plume pour saisir la bêche, la charrue et le marteau.

L'Eglise prit donc ses moines par la main et les

286 CONFÉRENCES AUX HOMMES

conduisit dans le sillon. Elle les fit passer du psau- tier à la bêche et de la bêche au psautier; elle en fit à la fois des hommes de peine et des anges de prière, des religieux et des agriculteurs. Et cet état avili, le plus méprisé de tous fut relevé et réhabi- lité. L'Eglise monte au manoir; elle y choisit des fils de comtes et de barons, de ducs et de princes; elle les mène à Cîteaux, à Cluny ou ailleurs, et là, après les avoir dépouillés de leurs livrées mon- daines, elle leur dit : Allez dans ces marais fan- geux ; forgez des socs avec les épées de vos pères; défrichez, assainissez, travaillez! Et ces fils de grands seigneurs, ces nobles devenus moines, sai- sissent la charrue, la bêche ou la houe qui déchirent leurs mains délicates; ils coupent le blé, fanent les foins, et apportent eux-mêmes les gerbes sur leurs épaules. On les voit en file de quinze ou vingt descendre le coteau, courbés sous le poids de leur faix, accablés de chaleur sous leur froc de grosse laine, le front tout ruisselant de sueurs. Ni l'étude, ni l'enseignement des lettres, ni la crosse abbatiale ne dispensent des travaux manuels. Le chef du mo- nastère est le premier aux champs comme le pre- mier au chœur. J'entends le grand saint Bernard qui s'applaudit devant ses religieux d'être enfin devenu un bon moissonneur. Et un jour que l'envoyé du Pape était venu dans le couvent du saint abbé Equatius et le cherchait parmi les copistes pour l'emmener à Rome, les calligraphes interrogés lui

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 287

répondirent : « Il est là-bas, dans la vallée, à cou- per du foin. »

C'est de la sorte qu'a été changée la face de la terre et réhabilitée l'agriculture. Gomment les peuples n'auraient-ils pas cru à la dignité du tra- vail des "champs, quand ils voyaient un Carloman, oncle de Gharlemagne; un Guillaume, duc d'Aqui- taine; un Adalbert, duc de Bohême; Hugues, duc de Bourgogne; Guy, comte d'Abbon; Herman, margrave de Bade ; saint Benoit, comte de Mague- lonne; Anselme, duc de Frioul, et mille autres encore, c'est-à-dire la noblesse, la science, le talent, la sainteté, toutes les grandeurs et toutes les gloires relever, réhabiliter, ennoblir la charrue et placer le hoyau du laboureur au-dessus de l'épée des con- quérants, francs ou romains? Des exemples venus de si haut impressionnèrent les foules et leur ins- pirèrent l'amour, l'estime et la pratique du travail agricole.

Telle est, Messieurs, l'œuvre de l'Eglise et des moines. Par leur travail personnel et par leur exemple communicatif, les moines ont réhabilité l'agriculture, ils ont transformé les hommes et la terre. Ils ont civilisé en même temps les âmes et le sol. Et cependant ouvrez certains dictionnaires aw mot Agriculture, vous verrez qu'on y parle de tout, excepté des moines. Demandez à des masses de braves gens ce qu'ils pensent des moines, et ils

288 CONFÉRENCES AUX HOMMES

vous diront naïvement que les moines étaient des ignorants et des oisifs. Le nom de ces travailleurs intelligents et infatigables est passé sous silence ou conspué. Leurs travaux de dix siècles sont oubliés ou calomniés. 0 ingratitude! ignorance plus pro- fonde encore que l'ingratitude ! Sachons, Messieurs, que sans les moines nous n'aurions ni propriété, ni liberté, ni patrie, ni même un morceau de pain; c'est à eux que nous devons* tout. « Nos pères, dit Chateaubriand, étaient des Barbares à qui l'Eglise fut obligée d'enseigner jusqu'à l'art de se nourrir. » Restons sur ce dernier mot.

Amen!

QUATRIÈME CONFERENCE

/. CE QUE V ÉGLISE A FAIT POUR L'AGRICULTURE

(suite)

Messieurs,

L'Eglise est la grande bienfaitrice de l'humanité dans l'ordre intellectuel, dans l'ordre moral, et aussi dans Tordre matériel. Dans l'ordre matériel, l'histoire nous la montre venant au secours de l'agriculture tombée et discréditée, et la ressusci- tant, la réhabilitant par le travail et par l'exemple des moines. Ce sujet n'est point épuisé. Permettez- moi d'y revenir. L'agriculture est une science, l'agriculture est la source de la richesse. Or, les moines ont été de savants agriculteurs, et, en tra- vaillant la terre, ils sont devenus riches. Je me propose aujourd'hui de justifier la richesse des moines et d'exalter leur science agricole.

1. La science agricole des moines.

Cette science agricole des moines n'est pas con-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-19

290 CONFERENCES AUX HOMMES

testable. Ils connaissent le sol, ils savent s'il est apte à produire des céréales ou à recevoir des arbres, et, avant de garder ou d'abattre une forêt, ils étudient la nature du terrain, comptent ses couches et calculent ses chances d'exploitation. Et que de fois n'a-t-on pas regretté d'avoir déboisé telle région qu'ils avaient plantée ?

Ils connaissent les phénomènes de l'atmosphère. Ils savent quels sont les vents les plus nuisibles aux cultures et comment il faut abriter une terre ensemencée par de hautes futaies de hêtres et de chênes. Ils savent à quelle exposition il est utile de laisser les vignobles pour que le soleil verse sur eux tous ses feux. Ils savent maintenir l'équilibre de l'air, en alternant la végétation forestière et la végétation alimentaire. C'est ainsi qu'ils prévinrent de grands bouleversements atmosphériques et que le fléau de la grêle leur fut à peu près inconnu. C'est ainsi qu'ils alimentèrent les sources, retenant les eaux pluviales dans les feuillages, les hautes herbes et les broussailles, et les empêchant de des- cendre rapidement et par torrents dans les vallées dévastées. Ils sont nos maîtres. Et c'est pour n'avoir pas laissé au front de nos montagnes ces couronnes de forêts, conservées par les moines, que nous avons vu se dessécher un grand nombre de cours d'eau qui fertilisaient autrefois les prairies, et que les inondations sont devenues beaucoup plus fré- quentes et plus terribles.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 291

Ils connaissent la science hydraulique, et ils se comportent au xii6 siècle comme s'ils, avaient été de l'Académie des Sciences en l'année 1900. Voyez - les à l'œuvre. Ils recueillent les eaux provenant des pluies torrentielles ou de la fonte des neiges et les emmagasinent dans de vastes étangs. Ils calculent la pente nécessaire, l'imperméabilité des couches inférieures, le volume d'eau, le groupement des bassins, afin de maintenir ces réservoirs artificiels dans un. état permanent de plénitude et de stabilité, afin de leur assurer une abondance suffisante et un débit régulier. Et de ces bassins multiples et super- posés s'échappent des eaux puissantes et modérées, des ruisseaux jamais taris qui arrosent les prairies et servent de force motrice à une foule de moulins et d'usines élevés sur les bords.

Voulez-vous d'autres témoignages encore de la science agricole des moines? Il m'est facile de vous satisfaire. Ils ont conservé les traités des anciens sur l'agriculture, les livres de Varron, de Caton, de Columelle, et ils ont ajouté aux méthodes tradi- tionnelles de l'antiquité des procédés sagement novateurs.

C'est à eux qu'il faut faire honneur de l'inven- tion du drainage.

Les moines agriculteurs ont rendu aux peuples de l'Europe le froment, cette précieuse céréale qui est devenue la base de notre régime alimentaire et que ne connaissaient plus nos ancêtres nomades,

292 CONFÉRENCES AUX HOMMES

quand ils vivaient à l'aventure de racines, de fruits et de coquillages.

Les moines viticulteurs ont implanté et créé les meilleurs vignobles de France, d'Italie, d'Allemagne et d'Espagne. C'est ainsi qu'au monastère de Micy, là, à deux pas d'Orléans, deux moines, attirés, l'un du Bordelais, l'autre de l'Auvergne, par la haute réputation de saint Mesmin, inaugurèrent un double cépage qui a conservé jusqu'à ce jour le nom altéré des deux provinces originelles : le Gas- con et l'Auvernat.

Et n'est-ce pas au mérite et au travail des moines que nous sommes redevables de nos plus belles prairies, autrefois des vallées dénudées et des ma- rais fangeux? N'est-ce pas à leur régime entière- ment végétal que nous devons nos plus beaux jar- dins potagers et les progrès de notre horticulture? N'est-ce pas à eux que l'on doit la première culture du mûrier, du chanvre et du lin, si bien qu'au xue siècle la Lombardie possédait de nombreuses fabriques de toiles, de draps et de soieries, dont une seule nourrissait jusqu'à quarante mille âmes? Les moines ont été d'éminents apiculteurs et arbo- riculteurs. Ils ont introduit le pommier en Armo- rique, le noyer en Auvergne, et jusqu'à la Révolu- tion la Chartreuse de Paris est restée une pépinière célèbre, fournissant des arbres fruitiers à la France entière. La chose n'est pas niable. Les moines ont possédé à un haut degré la science agricole.'

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 293

Ils ont fait mieux. Ils l'ont répandue et popula- risée. Aujourd'hui nous créons des fermes-écoles et des instituts agronomiques. Ce n'est pas mal. C'est même très bien. Remarquons seulement que les moines ont fait cela avant nous et mieux que nous. Cîteaux, Gluny, Luxeuil et tontes les abbayes de V Europe n'étaient pas seulement, il y a six cents ans, des centres de piété et d'érudition ; c'étaient encore des centres de culture, de vrais instituts agronomiques, semblables à ceux que nous es- sayons d'établir, avec cette différence que les moines, au lieu de demander vingt millions par an pour faire leurs expériences, ne demandaient que des broussailles et des marais. Autour de chaque abbaye venaient se grouper de nombreuses métai- ries qui sont devenues depuis des villages, des bourgs ou des villes. Toutes ces métairies monas- tiques se rattachaient à l'abbaye, qu'on aurait pu appeler la ferme-école régionale. Et les abbayes à leur tour étaient reliées entre elles par des colonies qui allaient porter sous d'autres climats le trop-plein de la ruche monastique et la pratique de la science agricole. Toutes ces colonies, parties du même centre et fixées dans les pays les plus divers, se communiquaient leurs méthodes, leurs découvertes, leurs produits. Et ainsi se formaient par les moines, comme par autant de courtiers agricoles, de vastes sociétés internationales pour la propagation et le perfectionnement de l'agriculture. Saluez, Mes-

204 CONFÉRENCES AUX HOMMES

r

sieurs, saluez l'Eglise qui par ses moines a travaillé si puissamment à la création et à la diffusion de la science agricole! Oui, mais les moines sont devenus riches! Un mot pour répondre à cette objection.

II. La richesse des moines.

Les moines ont été riches, très riches. La célèbre abbaye de Fulda possédait, dès l'époque de Char- lemagne, trois mille métairies en Thuringe, trois mille dans la Hesse, trois mille en Franconie, trois mille en Bavière et trois mille en Saxe. On a éva- lué à plus de soixante mille livres de rentes les revenus de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés à Paris dès le ixe siècle. En général, toutes les grandes cultures monastiques présentent un état de pros- périté surprenante. Que faut-il penser de ^cette grande richesse des moines? Trois choses.

La richesse des moines a été lente dans sa formation. Aujourd'hui, on s'enrichit vite. On mo- nopolise, on accapare le blé, le café, le cuivre; on fait la pluie et le beau temps sur tous les marchés ; on écrase les concurrents, on exploite les consom- mateurs, et c'est fait, le tour est joué, on réalise en quelques jours des millions et des millions. Ou bien, en un seul coup de bourse, on ramasse ins- tantanément, on draine la fortune des particuliers

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 295

ou des Etats; par exemple, la fortune actuelle delà famille Rothschild est évaluée à cinq milliards, et elle double en moins de quinze ans. En 1800, ils n'avaient pas le sou, et dans cent ans ils posséde- ront trois cent vingt milliards, plus que la France entière ne possède aujourd'hui. En présence de ces énormités. aurez-vous le courage de crier contre la fortune des moines? Eux, du moins, ne se sont pas enrichis par des coups de bourse. Ils sont devenus riches comme de bons pères de famille qui agran- dissent au prix de leurs sueurs le petit domaine qu'ils ont reçu de leurs ancêtres, et qui le trans- mettent à leurs enfants pour que ceux-ci y ajoutent leur apport personnel. Ils sont devenus riches len- tement et laborieusement. Ils y ont mis des siècles.

La richesse des moines a été légitime dans ses sources. Un jour, après de longs siècles écoulés, les moines se sont trouvés détenteurs d'un tiers de notre sol ; mais d'abord c'a été sans faire d'injustice à personne, c'a été aux seuls dépens des forêts dé- frichées, des déserts fertilisés, des marais dessé- chés. Ensuite, ces terres fécondes, ces riches prai- ries, ces vergers productifs ont été créés par qui? Par eux, par leur travail opiniâtre et intelligent. L'intelligence et l'effort sont les. deux grands fac- teurs de la richesse. Les moines furent des agri- culteurs intelligents et actifs. Naturellement, ils furent riches. Qu'avez-vous à dire à cela? Tâchez

296 CONFÉRENCES AUX HOMMES

d'en faire autant. La richesse des moines a été on ne peut plus légitime dans ses sources, et plaise à. Dieu qu'on puisse en dire autant de toutes les ri- chesses qui s'étalent au soleil. Et enfin!

La richesse des moines a été bienfaisante dans son emploi. La richesse pour ceux qui la possèdent n'est pas seulement un droit personnel, elle est encore une fonction sociale. Les riches sont, de par la volonté de Dieu, les propriétaires de leurs biens et les distributeurs de leur superflu. Cette notion simple et sublime de la richesse a été la règle des moines.

Avec leurs richesses, ils ont couvert de bienfaits les classes indigentes. Jadis, l'Eglise riche se char- geait des pauvres. Elle mettait dans son lot tous ceux qui n'avaient rien, elle s'obligeait à les nour- rir. L'abbaye de Saint-Germain, à elle seule, dès le ixe siècle, entretenait à ses frais plus de deux mille ménages comprenant plus de dix mille âmes. Cluny entretenait annuellement plus de dix-sept mille pauvres. Tout ouvrier venant frapper à la porte du monastère y trouvait toujours du travail, des ressources et un juste salaire.

Les moines nourrissaient les classes indigentes et soutenaient les classes agricoles. Ils offraient à leurs tenanciers de larges bénéfices. Plusieurs ab- bayes ne demandaient à leurs métayers que le septième des grains. Les paysans rétribués deve-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 297

naient facilement propriétaires. Quand Turgot prit le ministère, à la fin du xvine siècle, le quart du sol appartenait aux laboureurs. Les meilleurs érudits établissent par des preuves rigoureuses et impartiales, qu'en France, en Allemagne et en Italie, la condition du plus grand nombre était meilleure au xme siècle qu'elle ne l'est aujour- d'hui, soit à cause du bon marché des denrées ali- mentaires, soit à cause des progrès agricoles. Et, au point de vue intellectuel et moral, en était le paysan du xme siècle? Il avait l'école gratuite, sé- rieusement" gratuite. La diffusion de l'enseigne- ment primaire était presque aussi grande qu'à l'heure actuelle, et les mœurs valaient mieux que nos mœurs d'aujourd'hui. Cessons donc de suspec- ter et de calomnier la richesse des moines. Elle a été lente dans sa formation, légitime dans ses sources, et bienfaisante dans son emploi.

Conclusion.

Les bienfaits de l'Eglise envers l'agriculture sont patents :

En établissant la trêve de Dieu au milieu des guerres du moyen âge, l'Église a protégé Fagricul- ture contre les dévastations incessantes des barons guerroyeurs ;

298 CONFÉRENCES AUX HOMMES

En affranchissant les communes, en fondant la liberté des classes populaires, en créant à côté des grandes propriétés seigneuriales ou monastiques, le juste équilibre des propriétés moyennes et pe- tites, l'Église a imprimé le plus grand essor au progrès des cultures ;

Par les Croisades, l'Eglise a transporté sur d'autres champs de bataille l'humeur belliqueuse de nos pères au grand avantage de nos champs et de nos moissons. Que serait devenu le travail agri- cole en Europe, si, sans les Croisades, les Turcs étaient restés les maîtres de notre sol? Nous serions les victimes de l'inertie musulmane ;

Enfin, comme je l'ai dit et prouvé, en envoyant partout des légions de moines agriculteurs, l'Eglise a transformé le sol de l'Europe, elle a donné l'exemple du travail des champs, elle a répandu la science agricole, elle a couvert le monde de bien- faits.

Disons tout d'un mot : Depuis dix-neuf siècles, l'Église, bienfaitrice du genre humain, n'a qu'une devise, celle d'un grand catholique de notre temps, M. de Falloux : Non sibi, sed populo : rien pour elle, tout pour le peuple !

Allez, fils de l'Église, faites de même, et le monde vous appartiendra !

Amen!

CINQUIÈME CONFÉRENCE

//. CE QUE DEVIENT L AGRICULTURE EN DEHORS DE L'ÉGLISE

l'agriculture et le protestantisme

Messieurs,

Dans l'ordre matériel comme dans l'ordre intel- lectuel et moral, l'Eglise est la grande bienfaitrice de l'humanité. Que n'a-t-elle pas fait pour l'agri- culture? Pendant plus de dix siècles, depuis l'inva- sion des Barbares jusqu'au, protestantisme, elle a fondé, réhabilité, fait progresser l'agriculture. Nous avons vu cela en étudiant de près le travail, l'exemple, la science et la richesse des moines. Au xvi6 siècle, un grand événement se produit. L'Église perd la moitié de l'Europe. Le protestantisme entre en scène.

D'abord, il faut vous rappeler qu'une des causes principales de la Réforme fut la convoitise pour les biens des couvents, le désir de faire main basse sur les richesses des moines. En Angleterre, en Allemagne, dans les royaumes du Nord, les rois et

300 ' CONFÉRENCES AUX HOMMES

les plus puissants seigneurs se font protestants, surtout parce qu'ils sont cupides et voleurs. Or, que devint l'agriculture au milieu de ce grand boule- versement européen, au milieu de ce brigandage universel? Jetons un regard seulement sur l'An- gleterre et sur la France au lendemain du protes- tantisme.

I. L'agriculture en Angleterre à la suite du pro- testantisme.

J'entends si souvent parler de la supériorité de la race anglo-saxonne et de sa prééminence dans le monde, que je ne suis point fâché de vous en dire un petit peu de mal et de remettre les choses au point. Au moment de la Réforme, un grand vol s'est commis en Angleterre. Les couvents ont été spoliés, et leurs biens sont allés enrichir des grands seigneurs cupides et corrompus.

C'a été r abolition de la petite culture par la con- centration excessive des biens agricoles dans un petit nombre de mains. Est-ce un bien, cela? Je ne le crois pas.

D'abord la petite culture renferme de précieux avantages quand elle s'unit dans de justes propor- tions avec la propriété grande et moyenne, et qu'elle n'est pas poussée jusqu'à la pulvérisation du sol. La

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 301

petite et la moyenne culture, en attachant à la terre l'homme qui la cultive, lui inspire l'esprit familial et les vertus d'ordre, d'économie, de prévoyance, d'activité. Elle décuple l'intensité du travail. Or, aujourd'hui encore, en Angleterre, il n'y a pas de petite culture. Deux mille propriétaires possèdent à eux seuls un tiers dçs terres.

Quand môme cette situation serait favorable aux progrès de l'agriculture, qu'importe? Est-elle favo- rable à la dignité de la population et à l'honneur de la race? Non, certainement. Voyons. Lequel vaut le mieux, d'un pays couvert de petites maisons, habi- tées par un peuple intelligent, moral, ami de l'ordre, passionné poar son indépendance, et d'un pays l'œil n'aperçoit qu'un château le plus souvent inha- bité, une maison ou deux de fermiers dans l'aisance, des masures habitées par de misérables journaliers et une manufacture peuplée d'automates humains qui se consument autour d'automates artificiels? Le premier de ces deux pays, l'Espagne, pourra défier et user pendant six ans la puissance du con- quérant qui parcourt au galop les capitales de l'Europe; l'autre, s'il échappe, par ses conditions géographiques, à l'ennemi du dehors, n'offrira ja- mais au regard de l'observateur qu'un spectacle peu honorable, le spectacle de quelques milliers de riches sans entrailles se noyant dans les recherches du luxe au milieu d'un peuple de faméliques. Et tel est le spectacle que nous donne cette belle An-

302 CONFÉRENCES AUX HOMMES

gleterre, dont on vante avec tant d'ardeur et la richesse, et la puissance, et les progrès matériels. En concentrant dans quelques mains les biens vo- lés aux couvents, l'Angleterre protestante a aboli la petite culture.

Elle a produit un second phénomène qui n'est guère à envier : l'assimilation de la vie agricole à la vie manufacturière. Les fermes, en Angleterre, sont devenues de vastes exploitations dirigées de loin par de grands seigneurs capitalistes. On a dit que les grandes manufactures de l'Angleterre sont des inventions qui ont pour but de créer deux sortes de produits : du coton et des pauvres. Or, on peut dire à peu près la même chose des exploitations agricoles anglaises, qui produisent du blé et des pauvres. Le paupérisme des campagnes va de pair avec celui des villes. Le paysan anglais n'est ni un fermier, ni un métayer, mais un simple journalier qui émigré sans cesse de comté en comté, en quête de travail, exposé par ces habitudes errantes à l'ins- tabilité des salaires et à tous les périls de l'immo- ralité.

On dit : l'agriculture anglaise est prospère. C'est possible. Mais le sera-t-elle toujours? On peut en douter, quand on songe aux sourdes colères qui s'amassent dans l'âme du paysan anglais contre les quatre millions de lords qui exploitent son tra- vail et sa misère. Certes, elle n'est point à envier cette prospérité d'un peuple qui compte dix-huit

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 30Î

millions de misérables sur trente millions d'habi- tants! D'ailleurs, écoutez ceci. En 1878, la Confé- rence d'histoire de l'Université de Cambridge fut appelée à délibérer sur cette question : la suppres- sion des monastères en Angleterre a-t-elle été un mal ou un bien pour le pays? Après trois jours de discussion, la Conférence, exclusivement composée d'anglicans et de gradués de l'Université, prit, à la majorité de 88 voix contre 60, un arrêté conçu en ces termes : « La suppression des monastères par Henri VIII a été un cruel malheur pour le pays, et les circonstances actuelles exigent impérieusement le rétablissement d'institutions analogues parmi nous. » On ne pouvait pas exprimer d'une manière plus éloquente et plus impartiale le tort causé par la Réforme aux classes agricoles en Angleterre. Mais laissons l'Angleterre. Restons chez nous.

II. L'agriculture en France à la suite du protes- tantisme.

La Réforme, sans doute, n'a pas arraché la France au giron de l'Église. Mais elle s'est quand même introduite chez nous par infiltration, et elle a at- teint notre agriculture de deux manières : par la commende et parla désertion des campagnes.

Par la commende d'abord. Je m'explique-

302

CONFÉRENCES AUX HOMMES

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gleterre, dat on vante avec tant d'ardeur et la richesse, etia puissance, et les progrès matériels. En concenimt dans quelques mains les biens vo- lés aux coi/ents, l'Angleterre protestante a aboli la petite eu ure.

Elle a prduit un second phénomène qui n'est guère à en er : l'assimilation de la vie agricole à la vie mamacturière. Les fermes, en Angleterre, sont devenus de vastes exploitations dirigées de loin par de grans seigneurs capitalistes. On a dit que les grandes lanufacture s de l'Angleterre sont des inventions [ui ont pour but de créer deux sortes de produit? du coton et des pauvres. Or, on peut dire à peu >rès la même chose des exploitations agricoles a glaises, qui produisent du blé et des pauvres. Loaupérisme des campagnes va de pair avec celui ds villes. Le paysan anglais n'est ni un fermier, ni n métayer, mais un simple journalier qui émigré ans cesse de comté en comté, en quête de travail, eposé par ces habitudes errantes à l'ins- tabilité des alaires et à tous les périls de l'imi ralité.

On dit : lpriculture anglaise est pros possible. Mes le sera-t-elle toujours douter, quad on songe aux sour^ s'amassent bns l'âme du pays* les quatre allions de lords quj vail et sa nJère. Certes, ell< cette prospité d'un peui

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LES BIENFAITS DE L'ÉOLII

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millions de misérables sur trente cillions d'habi- tants! D'ailleurs, écoutez ceci. EfljL878, la Confé- rence d'histoire de l'Université de Cambridge fut appelée & délibérer sur cette questin : la suppres- sion des monastères en Angleterrca-t-elle été un mal ou un bien pour le pays? Apre trois jours de discussion, la Conférence, exclusiveient composée d'anglicans et de gradués de l'Univcsité, prit, à la majorité de 88 voix contre 60, un rrêté conçu en ces termes : « La suppression des lonastères par Henri VIII a été un cruel malheur our le pays, et les circonstances actuelles exigent impérieusement le rétablissement d'institutions anlogues parmi nous. » On ne pouvait pas exprime: d'une manière plus éloquente et plus impartiale 1 tort causé par la Réforme aux classes agricoles n Angleterre. Mais laissons l'Angleterre. Restoi I hez nous.

II. L'agriculture en France à la lite du protes- tantisme.

La Réforme, sans doute, n'et- au giron de l'Eglise. Mais introduite chez nous par teint notre ajuknlturfrd commend<

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304 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Pour empêcher la France d'aller à la Réforme, la Papauté fit une triste, mais prudente et nécessaire concession à la Royauté. Le Concordat conclu entre François Ier et Léon X abandonna au roi la nomination des commendataires. Par cet acte, les rois de France furent soustraits à la tentation d'em- brasser la prétendue Réforme de Luther et de Calvin. Ils n'avaient plus d'intérêt à se faire protestants. Par la commende, en effet, ils disposaient à leur gré des bénéfices des couvents ; ils avaient la faculté de s'en approprier les revenus, de les donner ou de les vendre. C'était la ruine presque inévitable de la vie monastique, et par suite c'était une atteinte profonde portée à F agriculture.

La vie monastique se trouve gravement compro- mise. Les rois, maîtres des bénéfices, les distribuent aux cadets de noblesse qui deviennent abbés, quoique laïques, ou entrent dans le clergé sans vocation, se contentant parfois d'en prendre par la tonsure l'insignifiante livrée. Les abbayes sont transformées en châteaux forts. Les pages et les hommes d'armes y installent les jeux guerriers. Les soigneurs s'y établissent avec leurs femmes, leurs chiens de chasse et leurs chevaux, conservant les moines comme des travailleurs utiles, et pre- nant pour eux-mêmes le produit de leur travail. Quelques-uns d'entre eux laissent à peine aux reli- gieux de quoi subsister et les réduisent à la portion congrue. Les monastères sont gouvernés par des

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 305

ministres ambitieux, des courtisans effrontés, des lettrés sans honneur, des hommes d'armes aussi dis- solus dans la paix que dans la guerre, et enfin par des abbés sans vocation. La décadence monastique était fatale. Vainement les chapitres généraux de Gluny, de Cîteaux et autres protestent contre le despotisme de la commende, contre l'invasion du laïcisme, contre les angoisses et les tortures de ce joug étranger. Les moines se plaignent, et on ne veut pas les entendre. Ils sont vaincus par un fléau qui ne vient pas d'eux et qui est plus fort qu'eux. La vie monastique, après six et sept siècles de gloire et de bienfaits, est sur le penchant de la ruine.

Et l'agriculture succombe avec la vie monastique. Les monastères voient leurs toits s'effondrer et leurs murs crouler. Les moines sont obligés de recourir aux arrêtés des Parlements pour obtenir les répa- rations les plus urgentes. A la veille de la Révolu- tion, la commende leur a pris les deux tiers de leurs immeubles ; le dernier tiers seulement a pu échap- per à grand'peine au chancre rongeur. Et ce der- nier tiers de leur patrimoine, ils le défendent pied à pied, ils l'administrent soigneusement, ils le font prospérer de leur mieux. Le marquis de Pompignan, voulant sauver cette épave du patrimoine monas- tique, s'écrie : « Je ne plaide point ici la cause des moines; je plaide celle de toutes les cultures, de tous les propriétaires, des pauvres, du travail et de

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-20

306 CONFÉRENCES AUX HOMMES

la population. » Ainsi, au milieu d'une société qui se décomposait et qui allait périr, les moines, au- tant qu'ils le pouvaient, arrêtaient la décadence ma- térielle et sauvaient les derniers vestiges de la pros- périté agricole. « Les plus belles cultures, dit Chateaubriand, les paysans les plus riches, les mieux nourris et les moins vexés, les équipages champêtres les plus parfaits, les troupeaux les plus gras, les fermes les mieux entretenues se trouvaient dans les abbayes. » Hélas ! les moines avaient beau faire. Le protestantisme avait mis la société sur une pente fatale. Le libre examen amenait la cor- ruption des idées et des mœurs.

Le mal qui avait commencé par la commende- s'achevait parla désertion des campagnes. La déser- tion des campagnes, ce fléau dont nous avons tant raison de nous plaindre aujourd'hui, n'est pas nou- veau. Il date du commencement du xvne siècle. Henri IV se plaint déjà que les nobles abandonnent la campagne. Au milieu du xvin6 siècle, cette dé- sertion est devenue presque générale. Tous les do- cuments du temps la signalent et la déplorent. On en trouve la preuve authentique dans les registres de la capitation, qui se percevait au lieu du domi- cile réel ; or, cet impôt de toute la grande noblesse et d'une partie de la moyenne est levé à Paris. Et en même temps que les campagnes sont désertées par les grands propriétaires, le travail agricole dé-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 307

cline. Le rendement de la terre diminue de moitié. C'était fatal. Les campagnes se dépeuplant au profit des villes, la consommation sur les lieux mêmes diminuait, et par même, la production. Les paysans dénués de conseils, d'avances et de secours, laissaient insensiblement décroître leur puissance de travail. L'absentéisme de la noblesse nuisait h la culture d'un tiers du sol qui lui appartenait, et à la culture du second tiers qui appartenait aux petits propriétaires ; la commende ruinait le reste, pro- priété des couvents.

Tout le monde sentait cela à la fin du xvme siècle, à la veille de nos grandes catastrophes. Le goût de la nature, de la campagne saisissait tout à coup les hautes classes. La voix de la conscience, de l'agri- culture et de la patrie leur criait : Sortez de la corruption des villes ; retournez aux champs, aux montagnes, à la pureté du cœur et à la virilité de l'esprit! Hélas! ce goût de la campagne, si beau et si vrai en lui-même, n'était chez nos frivoles an- cêtres qu'un goût superficiel et faux, qui tourna misérablement à la pastorale et à la complainte. On chantait la vie agricole ; on ne voulait plus la pra- tiquer. On fuyait bêtement le soc de la charrue, et on allait non moins bêtement au couperet de la guillotine !

Amen !

SIXIÈME CONFÉRENCE

II CE QUE DEVIENT L'AGRICULTURE EN DEHORS DE VÊOLISE

l'agriculture et l'irréligion

Messieurs,

Pendant dix siècles l'Eglise a été la grande bien- faitrice de l'agriculture. Au xvie siècle, le protes- tantisme a interrompu et gâté la belle œuvre de l'Eglise. Et aujourd'hui en sommes-nous? en est l'agriculture? Aujourd'hui l'irréligion, fille légi- time de la Réforme, continue la funeste décadence inaugurée au xvie siècle. L'irréligion, en effet, est l'ennemie la plus terrible de l'agriculture. L'affir- mation semble d'abord étrange ; mais, après que vous m'aurez entendu, je suis à peu près sûr que vous serez tous de mon avis. Tenez! sur quoi repose l'agriculture? Sur la bénédiction de Dieu, sur le principe de la propriété, sur la loi du sacrifice. Or, l'irréligion éloigne la bénédiction de Dieu, ébranle le principe de la propriété et tue la loi du sacrifice.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 309

I. L'agriculture repose sur la, bénédiction de Dieu.

Est-ce que ce n'est pas clair comme le jour? Quand l'homme s'est épuisé sur le sillon, quand il a versé ses sueurs, ses larmes et le sang de ses membres, il faut qu'il se résigne et qu'il attende... qu'il attende quoi ? La pluie, la rosée, le vent, la chaleur, le soleil, c'est-à-dire Dieu, car tous ces éléments ne sont que des causes secondes qui dé- pendent uniquement de la cause première qui est Dieu. Vous tenez un des manches de la charrue, c'est Dieu qui tient l'autre. Bon gré mal gré vous labourez ensemble. Chose remarquable, les plantes les plus sublimes et les plus nécessaires sont juste- ment les plus exposées. Dieu a fait la fleur du blé d'une délicatesse si exquise que le moindre coup de froid la fait pencher languissante sur sa tige. Et quand la vigne a donné sa fleur et que ses grappes vermeilles semblent impatientes du pres- soir, que faut-il pour tout détruire? Un coup de grêle. La gelée, la sécheresse, la grêle sont sus- pendues sur le blé et la vigne, comme l'épée de Damoclès toujours prête à tomber et à tout perdre. Chassez Dieu de partout, si vous le pouvez, mais je vous défends bien de le chasser de la vie agricole.

C'est pourtant ce qu'essaie de faire l'irréligion, et, en se livrant à cette entreprise insensée et coupable, qui consiste à éliminer Dieu et à le supprimer,

310 CONFÉRENCES AUX HOMMES

autant que faire se peut, elle provoque sa ven- geance et elle éloigne ses bénédictions. Ici, Mes- sieurs, je ne fais point de mysticisme; j'ai la pré- tention de vous tenir le langage du bon sens le plus élémentaire, et ce que je viens d'avancer je le prouve par un seul exemple. Parmi les lois de Dieu, il y en a une qui semble plus sacrée que les autres et dont il punit plus rigoureusement dès ce monde la violation, c'est la loi du dimanche. Eh bien, pensez-vous que la violation publique et universelle de cette loi divine dans nos campagnes passera inaperçue et impunie? Non. Dieu oublié, désobéi et méprisé n'aura pas de peine à prendre sa revanche et il la prendra. Il stérilisera le sol et les sueurs de l'homme, il appellera de l'étranger des produits surabondants qu'essaieront vainement d'arrêter à la frontière des droits compensateurs ; ou bien encore, tirant du carquois de sa justice les fléaux dévastateurs, il les chargera d'aller punir l'agricul- ture prévaricatrice. L'irréligion éloigne de l'agri- culture le premier élément de sa prospérité, la bénédiction de Dieu. Et je ne crains pas de l'affirmer, moins nos campagnes seront chrétiennes et plus elles seront malheureuses. Elles en font l'expérience depuis vingt ans. La misère s'y est accrue en pro- portion de l'irréligion. Le retour à l'Eglise catho- lique sera pour elles la promesse et la garantie de la bénédiction de Dieu. Et puis sur quoi encore repose l'agriculture?

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 311

II. L'agriculture repose sur le principe de la, pro- priété.

Qui de vous, Messieurs, contestera la nécessité du droit de propriété pour le progrès des cultures? Si la propriété est déclarée commune à tous, si la vendange et la moisson n'appartiennent point au vigneron et au laboureur qui les ont arrosées de leurs sueurs, mais à la collectivité qui s'en empare comme d'une proie, si le bien légitimement acquis ne peut être transmis à une postérité aimée qui agrandira encore le champ paternel, personne ne voudra plus travailler. A quoi bon creuser des puits, faire des drainages, planter des arbres, greffer des vignes, à quoi bon défricher, labourer, amé- liorer le sol, à quoi bon suer et amasser, si les produits de mon travail ne sont ni pour moi ni pour mes enfants? Le droit à la propriété individuelle est la condition essentielle du travail agricole. C'est l'évidence même.

Or, ce droit de propriété, nécessaire au progrès agricole, l'irréligion l'attaque, l'ébranlé, le renverse, ou le défend mal. Les mêmes hommes qui font profession d'impiété se déclarent les ennemis de la propriété privée. J.-J. Rousseau, Proudhon et nos socialistes d'aujourd'hui mènent de front la guerre à la religion et la guerre aux propriétaires. Proudhon qui a dit : u Dieu, c'est le mal! » n'a pas tardé à

312 CONFÉRENCES AUX HOMMES

ajouter : « La propriété, c'est le vol! » Et les révo- lutionnaires les plus avancés et les plus sincères ont une formule qui en dit long dans sa brièveté et dont les deux termes sont solidaires : « Ni Dieu ni maître! » C'est logique. Si Dieu n'existe pas ou s'il n'a pas de droits, pourquoi un homme, mon égal par nature, aurait-il sur moi des droits quelconques? S'il n'y a pas d'autorité dans le ciel, comment y aurait-il des autorités sur la terre? Dieu détrôné, toutes les supériorités sociales n'ont plus de raison d'être. Elles sont un contre-sens, une usurpation, un scandale, et la propriété, piédestal insolent qui élève l'homme au-dessus de ses semblables, doit être abolie au nom de la sainte et universelle éga- lité. Messieurs, essayez tant que vous voudrez de vous passer de la religion pour défendre votre bourse, votre champ, votre maison, vous n'y arri- verez jamais. La base du droit de propriété, ce n'est ni le travail tout seul, ni l'hérédité toute seule, ni l'État tout seul; c'est la volonté de Dieu imposant à l'homme le respect de ses semblables et proté- geant le bien d'autrui. L'irréligion qui supprime Dieu, supprime par même le droit de propriété, et enlève ainsi à l'agriculture le second élément de sa prospérité. 0 hommes qui cultivez la terre, vous voulez pouvoir dire du champ arrosé de vos sueurs : Ce champ est à moi ! et vous avez raison. Mais, si vous pensez que votre droit est garanti par le seul fait de votre travail et sans aucune intervention de

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 313

Dieu, vous avez tort et vous vous trompez ! Revenez à l'Eglise catholique qui, en sauvant les droits de Dieu, sauve en même temps les droits de la pro- priété privée. Encore un mot.

III. L'agriculture repose sur la loi du sacrifice.

La loi du sacrifice est la loi de la société tout entière. Regardez la société. Elle a le sacrifice à sa base, à son milieu et à son sommet. Tous ses rouages gémissent et rendent le son du sacrifice. Sacrifice du mineur qui descend dans les entrailles de la terre pour lui arracher ses trésors. Sacrifice de l'employé des postes, des télégraphes, des che- mins de fer, du voiturier, de l'homme de peine qui veille, voyage et s'exténue à notre profit. Sacri- fice du magistrat, de l'avocat, de l'homme d'affaires qui étudie nos conflits et nos différends, les dé- brouille et les arrange. Sacrifice du savant qui enfante dans la douleur ou une découverte scienti- fique, ou une œuvre d'art, ou une page sublime. Sacrifice du soldat qui souffre et qui meurt pour nous. Sacrifice du prêtre et du médecin qui sont les hommes de tout le monde et qui viennent au secours des corps pour les guérir, des âmes pour les éclairer, les consoler, les sanctifier, les porter vers le vrai et vers le bien, vers Dieu et vers le ciel. Contemplez la société dans sa beauté auguste

314 CONFÉRENCES AUX HOMMES

et touchante, et reconnaissez avec moi que la sève qui circule à travers cet arbre immense, c'est la sève de la souffrance, que le sang qui fait battre ce noble cœur, c'est le sang de l'immolation, et que la loi qui régit ce mécanisme si compliqué c'est la loi du sacrifice !

Mais, je ne crains pas de l'affirmer, si la loi du sacrifice préside à toutes les fonctions sociales, elle préside surtout à la vie agricole. Voyez le labou- reur qui part dès le matin avant le lever du soleil et qui va engraisser la terre de ses sueurs. Quel sacrifice plus capable de nous émouvoir et de nous attendrir? L'agriculture ne vit que de dévouement. Elle est une immolation quotidienne. Avant de récolter, il faut semer, et, avant de semer, il faut cultiver, et, pour semer, il faut prendre dans la récolte précédente, et, en quelques années mauvaises, sur le nécessaire. Et quand on a jeté ce grain dans le sillon, quand on a planté cette vigne, il faut attendre et travailler encore. Et plus les plantes sont précieuses et nécessaires à la vie, plus il faut dépenser pour elles de soins, de veilles, de sollici- tudes. Les chênes viennent tout seuls ; les prairies verdoient presque sans nous. Mais le blé, mais la vigne! Ah! quand nous nous mettons à table, si nous nous demandions ce qu'a coûté ce morceau de pain, ce qu'il a demandé de sueurs et de sang quelquefois, nous en serions épouvantés! « Voilà pourquoi, dit Mgr Bougaud, quand Dieu voulut

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 315

demeurer sur la terre et voiler sa présence sous un signe qui nous inspirât le respect, il se cacha dans le pain et le vin, parce que c'était se cacher dans les sueurs, dans les fatigues, dans les souffrances et dans le sang de l'humanité. » La chose est plus qu'évidente. L'agriculture repose sur la loi du sacrifice.

Or, écoutez ceci. Il y a sur la terre une religion qui étale sous les yeux des peuples le drapeau du sacrifice. Il y a une religion qui adore un Dieu mort sur la croix, et qui, montrant à ses fidèles ce Dieu immolé, leur dit : « Voilà votre Maître, ado- rez-le. Voilà votre modèle, imitez-le Il y a une religion qui prend l'homme par la main et qui le conduit au bonheur éternel par le sentier du sacri- fice, en lui enseignant que toutes les gouttes de sueur qui ruissellent de ses membres et toutes les larmes qui tombent de ses yeux seront là-haut les perles de son diadème, si elles sont ici-bas sainte- ment répandues et offertes à Dieu. Il y a une religion qui est sur la terre le réservoir providentiel et unique de la vertu, de la résignation, de l'oubli de soi, de la justice, de la charité, en un mot, du sacrifice. Eh bien, hommes intelligents et honnêtes qui m'entendez, quand la société et l'agriculture en particulier ont tant besoin de sacrifice et ne vivent que par le sacrifice, pensez-vous qu'il soit opportun d'en tarir les sources et de soutirer au peuple de nos villes et de nos campagnes la der-

316 CONFÉRENCES AUX HOMMES

nière sève religieuse qui l'anime encore? Pensez- vous qu'il soit opportun de déchristianiser toutes les molécules sociales et de déchaîner sur nos plaines et sur nos villages le souffle desséchant de l'irréli- gion? Non, cela n'est pas opportun, et tant que j'aurai un cœur pour aimer mes semblables et une voix pour leur parler, je leur dirai : « 0 hommes, revenez à Dieu, à Jésus-Christ et à l'Eglise. Hommes de la ville, soyez chrétiens. Et vous surtout, hommes du travail des champs, aimez la religion et prati- quez-la. Car l'agriculture repose sur la bénédiction de Dieu, sur le principe de la propriété, sur la loi du sacrifice, et l'irréligion n'est bonne qu'à éloigner la bénédiction de Dieu, à ébranler le principe de la propriété, à tuer la loi du sacrifice. L'agriculture ne peut se passer de l'Eglise catholique. »

Messieurs, quand Jeanne d'Arc, notre immor- telle libératrice, fut arrivée à l'heure de l'épreuve; quand, après avoir aimé, servi, délivré sa patrie, elle eut pour récompense sublime l'honneur d'être trahie, vendue, calomniée, traînée sur le bûcher par ceux qu'elle avait sauvés, vous savez ce qu'elle fit, la tendre vierge, l'intrépide guerrière, la sainte martyre? Elle avisa un pauvre moine qui pleurait à côté d'elle, et elle le pria d'aller chercher le grand Crucifix de l'Eglise et de l'élever devant elle, à mesure que les flammes monteraient, sûre d y trouver jusqu'à la fin la force du dévouement et du sacrifice. Jeanne d'Arc était partie de la

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 317

charrue et avait tenu l'épée, et la croix qui avait ombragé son berceau et sanctifié sa mission venait planer encore sur son dernier soupir. Crace, ense et aratro. La charrue à la base, l'épée au milieu et la croix au faîte : voilà Jeanne d'Arc tout entière. Que ce soit aussi la France ! Devant les yeux de toute la nation, élevons la croix qui seule peut nous sauver. Élevons-la au-dessus des champs de bataille et au-dessus des champs dorment nos moissons, et donnons-lui à garder l'épée du soldat et la char- rue du laboureur 1

Amen!

SEPTIÈME CONFÉRENCE

IL CE QUE DEVIENT L'AGRICULTURE EN DEHORS DE L 'ÉGLISE

l'agriculture et l'irréligion (suite)

Messieurs,

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L'Eglise dans le passé a été la grande bienfaitrice de l'agriculture. Dans le présent, l'agriculture au- rait grandement tort de vouloir s'émanciper de la tutelle de la religion. Je voudrais revenir encore aujourd'hui sur ce sujet. Laissez-moi vous signaler les trois plaies principales qui ravagent nos cam- pagnes et vous en indiquer la cause et le remède.

I. La dépopulation des campagnes.

Telle est la première plaie qu'il importe de cons- tater courageusement, d'approfondir et de guérir au plus vite

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 310

Le phénomène n'est pas contestable. La France, autrefois la première nation du monde, n'occupe plus que le sixième rang avec sa population, amoindrie d'année en année. L'Allemagne, avec un territoire à peu près égal au nôtre en étendue et moins fertile que le nôtre, verra doubler, en cin- quante ans, le nombre de ses quarante-six millions d'habitants, tandis que la France mettra deux cent soixante et onze ans pour voir doubler le nombre de ses trente-six millions d'âmes, et c'est à peine si elle peut envoyer dans les colonies, comme de pâles ombres, quelques rares représentants de la mère-patrie. Il y a d'abord un danger national. évident. Un édit d'Henri IV dit : « La force et la richesse des États ne consistent pas dans l'étendue des terres, mais dans le nombre et dans l'aisance des sujets. » Avec une population stationnaire ou décroissante, nous offrons une conquête de plus en plus facile à des peuples plus jeunes qui croissent cinq fois plus que nous en chiffre et en puissance... Et si le danger est effrayant au point de vue patrio- tique, est-il moindre pour chaque famille en par- ticulier? Il suffit d'ouvrir les yeux pour voir un peu partout des fils uniques devenant généralement des enfants gâtés, impropres au travail et à toutes les vertus. Vivent les familles nombreuses, dans lesquelles les enfants sont élevés dans l'habitude du travail et dans la pensée qu'ils auront à se faire une position ! Et malheur à ces foyers mornes dans

320 CONFÉRENCES AUX HOMMES

lesquels un ou deux enfants bêtement adulés et choyés aujourd'hui seront demain la proie facile de la mort ou du vice! Et, en même temps que la dépopulation crée un danger national et compromet l'avenir et l'honneur des familles, elle amène la décadence agricole. Avec une population qui baisse, avec la pénurie d'hommes, l'activité s'énerve et languit, les bras manquent pour le travail des champs, la main-d'œuvre étant plus rare devient plus chère, les produits étant moins nombreux de- viennent plus coûteux, et, en dernière analyse, la stérilité des familles est une atteinte profonde por- tée à l'agriculture. Voilà une plaie actuelle, une plaie vive, une plaie funeste.

D'où vient-elle? Elle vient principalement de l'irréligion. On veut jouir pour soi; on veut trans- mettre la jouissance avec la vie; on aime mieux tarir la vie que restreindre sa propre jouissance ou celle de ces êtres, de cet être trop souvent unique qu'on aime d'une tendresse aveugle et basse. Le mal existe un peu partout. Il existe dans nos cam- pagnes, et surtout dans les pays riches, dans les pays le cultivateur est aisé. Et il existe surtout dans les pays les moins chrétiens. Tenez, voyez un peu ces races vigoureuses qui demeurent le réser- voir de nos forces nationales. Parcourez le massif montagneux du centre de la France, l'Auvergne, le Rouergue, le Gévaudan, le Velay, le Forez; gra- vissez les pentes des Alpes dans cette Savoie deve-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 321

nue française ; fouillez certaines vallées des Pyré- nées ; explorez les landes de la généreuse Bretagne; vous trouverez des familles rurales la pau- vreté est extrême et les enfants nombreux. C'est que, dans ces contrées privilégiées, la loi de Dieu passe avant tout. On ne s'y défie pas de la Provi- dence, et la Providence ne trahit pas la confiance de ses serviteurs. On vit de peu, mais on vit, on travaille, on fournit à la terre des bras, à la patrie des défenseurs.

IL La désertion des campagnes.

Telle est la seconde plaie qu'il importe de cons- tater courageusement, d'approfondir et de guérir au plus vite.

On déserte les campagnes pour fuir dans les villes. Ce fléau n'est pas nouveau. Il date du com- mencement du xvne siècle. Henri IV se plaint déjà que les nobles abandonnent la campagne. Au xvme siècle, cette désertion est devenue presque générale. Aujourd'hui la désertion des campagnes est un phénomène qui frappe tous les yeux et qui épouvante tous les observateurs. En dix ans, la po- pulation rurale a perdu quatre millions d'âmes, tandis que le nombre des habitants de Paris a presque triplé depuis un demi-siècle ; et, d'année en année, l'accroissement de Paris et des grandes villes

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-21

322 CONFÉRENCES AUX HOMMES

continue et s'accentue régulièrement. Cette énorme pompe aspirante attire sans cesse à elle le sang et la fortune de la France, au risque d'éclater. La tendance à fuir le travail des champs s'universalise de plus en plus. Le paysan n'entend pas que son fils travaille la terre comme lui; il le pousse pour le déclasser et le faire monter. Le fils, d'ailleurs, n'a pas besoin d'être poussé. Il a le dégoût du vil- lage et le goût de la ville. Partout c'est une fureur insensée d'obtenir une petite place de commis, d'employé du Gouvernement, de buraliste, etc., l'on sera rivé à sa chaine du matin au soir, réduit à ne subsister qu'à peine, parfois même à sentir la misère en habit noir, la plus cruelle de toutes, le plus souvent condamné à ne jamais créer de fa- mille et à vieillir dans le plus triste isolement, quand on pouvait aisément garder son indépen- dance, vivre au grand air, et s'assurer un avenir honorable, à la condition facile de mettre vaillam- ment, comme ses pères, la main à la charrue.

D'où vient ce mal profond, Messieurs, sinon de l'irréligion, sinon de l'affaiblissement graduel de l'esprit chrétien et du déchaînement d'ambition, de vanité et de sensualisme qui en est la suite? En redevenant païens, nous reprenons les mœurs du paganisme, c'est-à-dire l'horreur du travail manuel et la recherche du plaisir sensible. Le fils du paysan ne veut plus habiter les lieux qu'habitait son père. Pourquoi? Parce que, comme un cheval débridé,,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 323

en secouant le joug de la religion, il retrouve son indépendance et la facilité de jouir. Et, quand je dis qu'il retrouve son indépendance, je n'entends pas parler de cette noble indépendance de l'homme qui, debout sur sa motte de terre, échappe aux servitudes honteuses, j'entends parler de cette folle indépendance qui commence par le mépris de la loi divine et qui finit par l'abdication de la dignité personnelle. Le fils du paysan court aux villes, les salaires sont plus élevés, la voix des ouvriers est mieux entendue des pouvoirs publics, la vie est plus facile et plus abritée qu'à la campagne, la licence est moins contrôlée. Il déserte son vil- lage parce qu'il n'y est plus retenu par les tradi- tions de labeur, de sobriété et de sacrifice, par les vieilles traditions religieuses devenues insuppor- tables à son orgueil et à ses convoitises. Ajoutez à cela que l'encouragement démesuré donné à l'ins- truction tend de plus en plus à faire dédaigner la culture. La multiplicité des déclassés s'accroît avec le nombre toujours grandissant des diplômés. Si l'on veut rétablir le règne du bon sens et entraver la* désertion de nos campagnes, qu'y a-t-il à faire? Il faut réagir contre l'irréligion qui ruine la vie agricole en vidant les campagnes au profit des villes, il faut ramener la société à l'école de l'Évan- gile, aux exemples et aux leçons du royal ouvrier Joseph, de la royale ouvrière Marie et du divin ouvrier Jésus. Il faut revenir à l'Église catholique.

324 CONFÉRENCES AUX HOMMES

III. La démoralisation des campagnes.

Telle est la troisième plaie qu'il importe de cons- tater courageusement, d'approfondir et de guérir au plus vite.

L'irréligion démoralise le paysan ; la religion le transfigure. Contemplez l'homme de la campagne éclairé, fortifié, consolé, transfiguré par la foi. Son foyer est pur, sain, beau, riant. Là, l'enfant ne quitte pas sa mère; il est élevé, soigné, façonné par elle, et, dès qu'il peut marcher, le premier appren- tissage qu'il fait de la vie, du travail, c'est en voyant la sueur au front de son père et en sautant derrière lui, à travers les sillons. Là, l'homme ne quitte pas sa compagne, ou, s'il la quitte, c'est pour la retrouver à midi et le soir quand il revient à pas lents, épuisé, saluant avec joie le toit qui fume et les sourires, les tendresses de sa femme et de ses enfants. Là, le père, la mère et les enfants ne font qu'un cœur et qu'une âme sous le regard de Dieu qu'ils adorent ensemble et qu'ils prient d'une- com- mune voix. Trouvant Dieu dans sa maison qui est comme un sanctuaire, le paysan chrétien le re- trouve encore dans la campagne qui lui apparaît comme un temple. A tous les angles des routes, il aperçoit en effet la croix du Rédempteur qui est mort pour nous ; le matin, à midi et le soir, les doux tintements de F Angélus lui rappellent la pen-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 325

sée de Dieu ; au milieu de son village, il entre voit sans cesse la flèche de sa vieille église qui se dresse comme un doigt levé vers le ciel ; et, le dimanche, les animaux se reposant à l'étable, le laboureur chrétien prend ses vêtements de fête, et, sa femme au bras, ses petits enfants dans ses jambes, ses ser- viteurs autour de lui, il monte, joyeux et grave au temple du Dieu qui l'attend pour le réconforter et le bénir. Voilà, Messieurs, ce que fait la religion, et voilà ce dont la France vit, et voilà ce dont nous ne pouvons pas nous passer.

Or, l'irréligion est en train de gâter tout cela. L'irréligion, comme un vent brûlant, décompose et démoralise nos campagnes. Livré à lui-même, et vidé de toute idée religieuse, le paysan s'abaisse, se matérialise et se crétinise. Ses vertus mêmes se tournent en vices ; sa simplicité devient grossièreté ; la prévoyance et l'économie dégénèrent en un atta- chement désordonné aux biens de la terre, et même en une sordide avarice. Jaloux de ses voi- sins, il les tient à distance et se réjouit de leurs revers, au lieu de les aimer comme des frères et de se solidariser avec eux contre les calamités qui me- nacent la vie agricole. Il élève des enfants qui ont tous les défauts des enfants des villes, sans même en avoir les qualités. Il n'a pas la politesse de l'ou- vrier citadin, et il en prend toutes les corruptions. Il oublie le chemin qui mène à sa vieille église le vieil Evangile est enseigné par son vieux curé,

326 CONFÉRENCES AUX HOMMES

et va-t-il passer la soirée de son dimanche? au cabaret, au cabaret qui isole l'homme de sa com- pagne et qui, dès l'adolescence, arrache l'enfant à son père, au cabaret il trouve deux liqueurs malsaines : un mauvais vin qui tue son corps et un mauvais journal qui empoisonne son âme. La chose n'est pas plus claire, mais elle est aussi claire que le jour. L'irréligion n'est bonne qu'à démora- liser, à vider, à dépeupler nos campagnes.

Que pouvez-vous faire pour arrêter la dépo- pulation, la désertion, la démoralisation des cam- pagnes? Vous ferez des lois. Hélas ! les lois sans mœurs ne sont que lettre morte, et c'est la religion qui restaure les mœurs. Toutes les réformes, toutes les lois supposent la réforme des mœurs, et la ré- forme des mœurs n'est possible que par le concours et sous l'influence de l'Eglise catholique. C'est l'Église qui ennoblit et fait aimer le travail ma- nuel, le travail des champs. C'est l'Eglise qui est seule capable de réprimer la cupidité, la vanité, la pression du luxe et du plaisir, et d'inspirer aux populations rurales, avec la vertu, le goût de la vie calme et modeste dont doit se contenter l'homme deschamps. C'est l'Église qui rapprocherais grands propriétaires et leurs fermiers et tenanciers par une communauté d'idées, de langage, d'assistance et

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d'affection. C'est l'Eglise libre et respectée qui sau- vera l'agriculture en arrêtant la dépopulation, la désertion et la démoralisation des campagnes.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 327

N'allez pas croire, Messieurs, que notre agricul- ture est en progrès par cela seul que çà et on établit des fermes-écoles, des comices agricoles, des syndicats, des cours et des sociétés d'agriculture. €es moyens sont bons sans doute, et il ne faut pas les négliger. Mais croire qu'ils sont tout serait une grave erreur. Pour les progrès de l'agriculture, il est une chose indispensable, c'est l'amour du tra- vail, c'est la vertu, et, pour avoir de la vertu, il faut des croyances et des habitudes religieuses. Vous ne sortirez pas de là. La décadence d'un peuple date de ses vices, et ses vices datent de son irréligion et de son scepticisme. Ainsi se prépare et s'explique la mort de tous les peuples. Si donc la France et son agriculture veulent ressusciter et vivre, qu'elles reviennent à Dieu, à Jésus-Christ et

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à l'Eglise!

Amenl

HUITIÈME CONFÉRENCE

II. L'Eglise et l'Industrie

/. LES INVENTIONS DE L'INDUSTRIE

Messieurs,

L'agriculture est le premier facteur de la richesse d'un peuple ; l'industrie est le second. L'agricul- ture travaille le sol et produit la plupart des ma- tières premières ; l'industrie s'empare de ces pro- duits bruts et se charge de les élaborer, de les approprier à nos divers besoins. Trois éléments entrent dans l'industrie et concourent à sa prospé- rité : le savant qui invente, le chef qui dirige et l'ouvrier qui exécute. Parlons aujourd'hui des in- ventions de l'industrie et voyons comment l'Eglise les accueille et les encourage. Ce sera une excel- lente occasion de dissiper beaucoup de préjugés et de faire la lumière dans beaucoup d'esprits.

I. L'Eglise approuve les inventions de l'Industrie. L'industrie, aidée par la science, produit des mer-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 329

veilles dont le tableau s'étale sous nos yeux. La matière est étudiée dans ses lois les plus profondes et dans ses propriétés les plus diverses, et les forces productives sont centuplées par un outillage de plus en plus perfectionné. Voyez, la cité tout en- tière est illuminée au gaz ou à l'électricité. Au milieu de cette cité resplendissante, la nuit comme le jour, s'étalent, dans des galeries immenses, des draperies, des dentelles, des tapis, des tissus aux mille couleurs, des soieries d'une merveilleuse beauté. Et, dans les rues et sur les boulevards de la grande cité, se déploie sur les épaules du riche et jusque sur les épaules de la petite ouvrière, une pompe de vêtements qui eût étonné Rome, Athènes, et Babylone. Entrons dans cette Exposition uni- verselle de Paris, de Londres ou de Chicago. Voyez toutes les inventions du génie qui ont dompté la nature, multiplié les forces humaines et centuplé les produits. Voyez ces mécanismes de filature et de tissage avec leurs milliers de doigts plus ingé- nieux, plus rapides, plus délicats que les doigts les plus exercés, se prêter à tous les caprices de la mode et de la fantaisie. Voyez ailleurs cet autre mécanisme qui transmet au premier le mouvement et la vie, cette puissance motrice de la vapeur, qui permet à un ouvrier de faire le travail de trois cents, et d'habiller, en un mois, et à peu de frais, tout un peuple, comme un peuple de rois. Voyez partout ce merveilleux outillage mis par la science au ser-

330 CONFÉRENCES AUX HOMMES

vice de l'industrie. Certes, l'homme peut abuser de tout cela, et, nous le verrons, il n'en abuse que trop souvent. L'industrie mal comprise et mal dirigée mène à l'orgueil, à la corruption, au paupé- risme, aux excès les plus lamentables. Est-elle mauvaise et pernicieuse en elle-même ? Non, mille fois non.

Les inventions de l'industrie méritent notre admi- ration et notre reconnaissance . Elles attestent la puis- sance et la bonté de Dieu qui a caché dans la nature des énergies inépuisables et bienfaisantes.

Elles viennent de l'intelligence et du travail humain, et, notre intelligence nous ayant été donnée oomme un talent à faire fructifier, n'avons-nous pas le droit et le devoir de nous en servir pour exploiter la nature? Et, le travail étant un besoin, une obligation naturelle et religieuse, et, par consé- quent, un bien, l'industrie qui est le perfectionne- ment du travail pourrait-elle être un mal ?

Les inventions de l'industrie améliorent les con- ditions'matérielles de notre existence. Une fabri- cation plus savante donne aux produits une forme plus adaptée à nos besoins, et une fabrication plus économique met ces mêmes produits à la portée d'un plus grand nombre.

Enfin le perfectionnement des méthodes produit une épargne de temps, de fatigues, de dépenses. Or n'est-il pas bon que, moins absorbé par les soins

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 331

du corps, l'homme ait le loisir de lever son front vers le ciel et de s'occuper un peu de la culture de son âme? L'excès de la jouissance est un danger; mais l'excès de la peine et de la gêne est un danger égal; et il faut souhaiter que l'industrie soit suf- fisamment prospère pour procurer à la masse de la pauvre humanité une certaine somme de bien- être qui lui permette de se rappeler qu'elle a une âme. Je plains le peuple qui est tellement absorbé par le souci du pain quotidien et tellement écrasé sous le fardeau du travail journalier qu'il n'a plus à donner ni une minute ni une pensée à la vie morale et supra-sensible. Et, par conséquent, je bénis l'industrie qui, en améliorant notre existence matérielle, améliore par même notre existence spirituelle. Parmi les conquêtes qui s'offrent à l'ambition de l'homme je n'en connais pas de plus innocentes, de plus honorables, de plus utiles en elles-mêmes que celles de l'industrie, et je n'hésite pas à placer au-dessus de tous les Alexandre passés et futurs l'homme de génie qui, au lieu de fonder sa propre grandeur sur le ravage des royaumes, le massacre et l'humiliation de ses semblables, leur apprend l'art de mieux régner sur la nature et d'en extraire avec plus d'abondance et moins de sueurs des moyens d'existence.

L'Eglise approuve et bénit les inventions de l'in- dustrie. L'a-t-on jamais entendue condamner les

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bateaux à vapeur, le télégraphe, le gaz, l'impri- merie, la photographie, la métallurgie, le téléphone, et toutes les merveilleuses applications de ces admi- rables choses? L'a-t-on jamais entendue condamner les expositions universelles, les grandes spécula- tions de l'industrie, les gigantesques machines et les gigantesques produits qui sortent de ces ma- chines? Non. L'Eglise ne blâme pas les conquêtes de la science appliquée à l'industrie, elle ne blâme que l'immoral emploi que l'homme serait tenté de faire de ces conquêtes. Messieurs les savants, Mes- sieurs les industriels, soyez les rois de la création, mais n'oubliez pas que vous êtes les sujets du Créa- teur, et au-dessus de vos arts et métiers, au-dessus de vos sciences et de vos inventions, mettez le res- pect de Dieu, l'élévation des sentiments et la pu- reté de la vie! Voilà ce qu'enseigne l'Église. C'est le bon sens même. Elle approuve et bénit les inven- tions de l'industrie. Ce n'est pas assez dire :

II. L'Eglise stimule les inventions de l'industrie.

Par sa doctrine, par son exemple, par sa coopé- ration l'Eglise a travaillé efficacement au progrès de Tindustrie.

Par sa doctrine, l'Eglise a fondé le travail libre. Les païens méprisaient le travail de l'atelier. Les philosophes grecs et romains ne s'en cachent

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 333

pas. Le grave Aristote recommande aux hommes libres « de ne pas courber leur droite stature à ces rudes labeurs pour lesquels la nature a fait le corps des animaux et des esclaves ». Un Romain aurait rougi de se faire artisan. Cicéron écrit à son fils Quintus, que tous ceux qui vivent d'un travail mer- cenaire font un métier dégradant, et que jamais un sentiment noble ne peut naître dans une bou- tique. Sénèque s'indigne avec son disciple Lucilius qu'on ait osé attribuer aux philosophes l'invention des arts. « Cette invention, s'écrie-t-il, appartient aux plus vils esclaves. La sagesse habite des lieux plus élevés ; elle ne forme pas les mains au tra- vail ; elle ne fabrique pas des ustensiles pour les usages de la vie. Pourquoi lui assigner un rôle si humble? » Ainsi pensait la sagesse antique. A ses yeux, les métiers avaient leurs origines dans l'es- clavage et revêtaient un caractère avilissant. Une telle doctrine n'était guère favorable au développe- ment de l'industrie.

L'Église est venue, et qu'a-t-elle fait? Elle a balayé de son souffle la sagesse antique, elle a montré son divin fondateur travaillant pendant trente ans dans un atelier, elle a proclamé la dignité du travail et, en affranchissant les esclaves, elle a fondé le travail libre, le travail libre, c'est-à-dire le principe du pro- grès industriel. « Cette grande innovation du tra- vail libre et volontaire, dit Michelet, sera la base de l'industrie moderne. » « L'industrie, dit Guizot,

334 CONFÉRENCES AUX HOMMES

sortit de la domesticité et, au lieu d'artisans esclaves il se forma des artisans libres qui travaillèrent non pour un maître, mais pour le public et à leur pro- fit. Ce fut un immense changement dans la société et surtout dans son avenir. » Or, Messieurs, qui a fait ce changement, qui, sinon l'Église? N'est-ce pas elle qui a apporté aux hommes la liberté, qui l'a implantée dans les mœurs, qui l'a fait prévaloir dans les lois et dans les institutions sociales, posant ainsi au milieu du monde régénéré la cause première du progrès industriel? Elle a fait plus encore.

Par son exemple, l'Eglise a créé l'union de la science et du travail. Le travail ne peut rien sans la science. Pour que le progrès se fasse en matière d'industrie, il faut que la science et le travail soient en contact l'un avec l'autre. Si le savant, l'homme instruit, l'homme qui a lu ou voyagé est en même temps un délicat de l'ancienne Rome, un beau rhéteur à la chevelure parfumée, à la toge symé- triquement arrangée sur ses épaules, soyez sûrs que, tout occupé de ses petits succès personnels et de la vie de festin, il ne se demandera pas s'il y aurait dans la science le secret de tel procédé propre à faciliter la besogne de cet esclave qui travaille loin de lui, dans son ergastule, les pieds dans les entraves et le front marqué d'un stigmate. Et l'es- clave, de son côté, qui travaille pour son maître et nullement pour lui-même, qui n'est point maître

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 33!>

et n'a nul espoir de le devenir, ne s'inquiète pas beaucoup de savoir si, grâce à tel ou tel procédé nouveau, la denrée fabriquée par lui tournera à son profit personnel et à l'avantage de son maître. Quand l'atelier de l'ouvrier et le cabinet du savant ne se connaissent pas, c'est l'arrêt, le recul, la mort de l'industrie. Je vous indique, dans ces quelques mots, la cause profonde de l'incapacité industrielle du monde païen. Voyez : cet empire romain qui avait derrière lui toute la science de la Grèce et de l'Orient, qui unissait tant de peuples divers par des relations fréquentes et pacifiques, n'a pourtant pas, pendant les longs siècles de sa durée, fait faire un seul pas un peu marqué à l'in- dustrie. Payant un énorme tribut, dont il se plaint, aux populations de llnde qui lui vendaient la soier il n'a pas eu l'idée de leur emprunter le ver à soie et de le naturaliser sur son propre sol ; cette idée n'est venue qu'aux temps chrétiens, au vie siècle. Il n'a pas su se faire donner le café par l'Arabie, sa sujette, ni emprunter à l'Inde, sa voisine, le sucre dont Pline nous donne cependant la description. Il n'a pas su emprunter la boussole aux Chinois, avec lesquels il était en communications au moins indirectes. Il n'aurait eu guère qu'une denrée un peu importante à exploiter, c'était le vin, et il fai- sait arracher les vignes de la Gaule. En somme, les progrès industriels sont nuls dans le paganisme. Et cela venait de l'état social qui était faux, qui

336 CONFÉRENCES AUX HOMMES

était mauvais, qui était injuste, qui mettait un abîme entre la science et le travail, entre les patri- ciens et les esclaves.

L'Église est venue, et qu'a-t-elle fait? Par son exemple, elle a changé cet état social : non contente de proclamer la fraternité des hommes, elle les a rapprochés dans les mêmes travaux, dans les mômes entreprises, dans les mêmes initiatives. Elle a attelé à la même œuvre les grands et les petits, les savants et les ignorants. Dans ses monastères d'abord, puis au grand jour de la vie sociale, elle a associé les fils des grands seigneurs et les enfants du peuple. Elle a créé l'union de la science et du travail, et le progrès industriel a pris son essor. Voyez-la à l'œuvre.

Par sa coopération, l'Eglise a favorisé le pro- grès de l'industrie. Les monastères n'ont pas été seulement des maisons de prières et d'étude, ils ont été encore presque toujours et presque partout des fermes modèles et des ateliers modèles. « Ce refuge des livres et du savoir, dit A. Thierry, abri- tait des ateliers de tout genre. » « Il y avait parmi les religieux, dit Montalembert, des familles entières de tisserands, de charpentiers, de corroyeurs, de tailleurs, de foulons. » Les religieux faisaient des souliers, foulaient des draps, tressaient des paniers, en même temps qu'ils copiaient des livres et qu'ils cultivaient la terre. Les Barbares, qui ne

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méprisaient pas moins que les anciens le travail manuel, apprirent de l'Église, à leur arrivée en Gaule, en Italie, en Espagne, combien les arts et métiers étaient chose noble et respectable. Etn'est-ce pas sous le souffle et pour ainsi dire sur le cœur de l'Eglise que sont nées, au moyen âge, ces admirables corporations qui ont été comme le premier épanouis- sement de la vie industrielle dans le monde nou- veau reconstitué par Jésus-Christ?

Enfin, Messieurs, si nous voulions parcourir toutes les inventions de l'industrie moderne, il nous serait facile de constater que les premiers pas dans le champ des grandes découvertes scientifiques indus- trielles ont été faits au xvne et au xvme siècle, c'est- à-dire à une époque l'Eglise tenait la première place dans l'enseignement; que beaucoup d'inven- teurs renommés de notre temps et des temps passés ont été les disciples fidèles et les fils dévoués de

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l'Eglise catholique, et que jamais leur foi de chré- tiens n'a été un obstacle à l'essor de leur génie... Et à l'heure qu'il est, en France et partout, ne pourrions- nous pas citer un nombre incalculable d'hommes, connus et respectés de tous, qui sont en même temps des chrétiens et des savants, des catholiques parfaits et des industriels éminents ? L'Eglise approuve, bénit, encourage et favorise l'industrie.

Amen!

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-22

NEUVIEME CONFÉRENCE

II. LES CHEFS DE L'INDUSTRIE

Messieurs,

L'Eglise approuve et stimule les inventions de l'industrie. Aujourd'hui, considérons dans l'indus- trie les chefs qui la dirigent et voyons comment l'intervention de l'Eglise leur est utile et néces- saire. Les chefs de l'industrie sont en présence de deux objectifs bien distincts : une maison à faire prospérer, des ouvriers à employer et à conduire ; et voici les deux grandes leçons que la religion leur inculque : dans la direction de vos affaires, soyez actifs et modérés; à l'égard de vos ouvriers soyez justes et charitables. Nous entrons en plein dans la question sociale. Nous allons voir que l'Eglise seule peut en donner la solution.

I. L'activité et la, modération dans la direction de leurs affaires.

Telle est la première chose que l'Eglise demande aux chefs de l'industrie.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 339

L'Eglise est raisonnable et intelligente, et le premier mot qu'elle adresse aux chefs d'indus- trie est celui-ci: Travaillez! Oui, l'industriel doit travailler : c'est son devoir. Car la loi du travail est universelle, elle atteint le riche aussi bien que le pauvre, et la vraie piété consiste moins dans la longueur des oraisons, que dans une application constante aux obligations de son état. L'industriel doit travailler : c'est son droit. Car il a une intelligence et une volonté, il a une fortune et une situation acquise qui sont à lui et dont il a, par conséquent, la libre disposition. Laissez donc la source jaillir et le fleuve couler pour le plus grand bien des vallées et des plaines qui vont être arrosées et fécondées. L'industriel doit travailler : c'est l'intérêt de tous. Je souhaite aux riches des sillons plus vastes encore, le blé sera plus abondant pour le pauvre ; des prairies plus fertiles, il multipliera pour le pauvre les animaux qui le servent, et la chair qui le nourrit. Je souhaite aux industriels des tissages et des filatures encore plus perfectionnés qui abaisseront le prix des vêtements et mettront à la portée de tout le monde le drap et le mérinos. Je souhaite à tous les métiers une prospérité gran- dissante, de sorte que le travail abonde pour tous les ouvriers, de sorte que, en produisant plus vite et à meilleur marché, nous puissions, du même coup, enrichir la nation et éclipser les peuples rivaux. L'industrie, loin de nuire à l'homme et à

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la société, en est la gloire, la parure et la richesse. Qu'importe que la vanité et la corruption en abusent? Allons-nous maudire l'arbre et le con- damner au feu, parce qu'on y cueille des fruits de mort aussi bien que des fruits de vie? On abuse de tout. On abuse des lettres, des sciences et des arts. On abuse de la santé, on abuse du vin, qui est le royal breuvage de l'homme, et, pour quelques-uns, le moyen de se dégrader et de s'abrutir. On abuse de l'industrie. Est-ce une raison de la proscrire? Non. C'est simplement un motif de la conduire avec prudence et discrétion. Aussi l'Eglise, inspi- rée de Dieu et guidée parla foi, après avoir dit aux chefs d'industrie : Travaillez ! leur adresse une seconde parole.

Elle leur dit : modération! Subordonnez votre travail au salut de votre âme, à la loi de Dieu et aux be- soins de vos ouvriers. Tels sont les grands principes qui doivent éclairer et diriger l'industriel chrétien.

Au milieu des vastes machines qu'il met en mouvement et des spéculations nouvelles qu'il pro- jette de jour en jour, il se possède, il se contient, il se modère, et il n'oublie point le salut de son âme. Pourquoi sommes-nous sur la terre ? Ana- xagore répondait : « Pour contempler le soleil. » Socrate répondait : « Pour apprendre à mourir. » Épicure répondait : « Pour goûter des plaisirs. » Zenon répondait : « Pour braver des douleurs. » Et beaucoup d'hommes qui ne sont pas des philosophes

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 34f

et encore moins des chrétiens répondent : « Pour gagner de l'argent. » Eh bien, non, ce n'est pas cela. Nous sommes sur la terre pour faire notre salut, pour sauver notre âme. «Que sert à l'homme de gagner l'univers, s'il vient à perdre son âme?» A quoi bon monopoliser une fortune dont le prin- cipal eiîet, après votre mort, sera de vous faire ou- blier? A quoi bon brasser des affaires, et leur sacri- fier l'affaire unique et essentielle qui est l'éternité? Ce serait jeter l'or et ramasser des cailloux. L'industriel chrétien, au sein de sa vie laborieuse, se rappelle qu'il a une âme à sauver, encore plus qu'une fortune à gagner.

Et alors il accommode sa vie, ses entreprises, ses labeurs aux exigences de la loi de Dieu. Tout en s'efforçant de préparer à ses vieux jours une large aisance et à ses enfants une situation équivalente et même supérieure à la sienne, tout en travaillant à perfectionner son outillage et ses produits, à suivre et même à dépasser ses rivaux dans la même industrie, il a bien soin de respecter les règles de la probité la plus sévère ; il observe le repos du dimanche; il évite le luxe exagéré qui n'aurait d'autre but que de satisfaire ses passions et de les aiguiser sans cesse ; il se tient à distance de l'orgueil et de la volupté, qui sont les deux grandes tentations de la richesse ; entouré de toutes les faveurs du bien-être, il les subit plus qu'il n'y attache son cœur

342 CONFÉRENCES AUX HOMMES

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Admirez, Messieurs, l'influence de l'Eglise. Elle protège nos manufactures en les couvrant du signe de la croix. Elle sauve l'industrie en la christiani- sant. Elle ne détruit rien, elle règle et sanctifie tout. Elle a civilisé la 'barbarie féodale sans faire verser une goutte de sang, sans incendier un seul château ; elle peut seule corriger sans violence les écarts de l'industrialisme, le sauver de ses excès en lui imprimant une direction conforme à la loi divine et au vœu de l'humanité. Elle agit sur les chefs d'industrie, et, après leur avoir demandé l'activité et la modération dans le maniement de leurs affaires, elle leur inspire et leur demande

II. La justice et la charité à l'égard de leurs ouvriers.

La matière est délicate et, pour éviter tout écart de langage, je vais me dérober derrière une autorité qui me dépasse et qui s'impose à tous. Ecoutez le grand Pape Léon XIII dans son encyclique sur la Condition des ouvriers.

Léon XIII trace d'une main magistrale Yidéal de ^industriel chrétien. « Quant aux riches et aux patrons, dit-il, ils ne doivent point traiter l'ouvrier en esclave ; il est juste qu'ils respectent en lui la dignité de l'homme relevée encore par celle du chrétien. Le travail du corps, au témoignage com-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 3*3

mun de la raison et de la philosophie chrétienne, loin d'être un sujet de honte, fait honneur à l'homme, parce qu'il lui fournit un noble moyen de sustenter sa vie. Ce qui est honteux et inhumain, c'est d'user de l'homme comme d'un vil instrument de lucre, de ne l'estimer qu'en proportion de la vigueur de ses bras. Le christianisme, en outre, prescrit qu'il soit tenu compte des intérêts spirituels de l'ouvrier et du bien de son âme. Aux maîtres il revient de veiller qu'il y soit donné pleine satisfac- tion; que l'ouvrier ne soit point livré à la séduction et aux sollicitations corruptrices; que rien ne vienne affaiblir en lui l'esprit de famille, ni les habitudes d'économie. Défense encore aux maîtres d'imposer à leurs subordonnés un travail au-dessus de leurs forces ou en désaccord avec leur âge ou leur sexe. Mais, parmi les principaux devoirs du patron, il faut mettre au premier rang celui de donner à chacun le salaire qui convient. Assurément, pour faire la juste mesure du salaire, il y a de nombreux points de vue à considérer, mais d'une manière générale que le riche et le patron se souviennent qu'exploiter la pauvreté et la misère et spéculer sur l'indigence sont choses que réprouvent également les lois divines et humaines. » Et le pape continue en proscrivant sans pitié les manœuvres usuraires qui dévorent l'épargne du pauvre, le travail du dimanche qui tue en même temps le corps et l'âme de l'ouvrier ; et dans des pages qui sont admirables

344 CONFÉRENCES AUX HOMMES

dès aujourd'hui, et qui seront la vivante lumière de demain, il esquisse un à un tous les traits de l'in dustriel chrétien, lequel s' inspirant de la justice et de la charité évangélique, respecte religieusement la vie matérielle, morale et religieuse des classes populaires. L'Église catholique, Messieurs, est splendide dans ses enseignements.

Elle nous dit que la Providence, ayant destiné tous les hommes à vivre en société, a fait du genre humain une immense famille, ceux qui ont la supériorité de l'intelligence, de la richesse et des emplois doivent tendre la main aux ignorants, aux pauvres et aux petits.

Elle nous dit que les conditions sociales sont et resteront nécessairement inégales, mais qu'elles doivent cependant se concilier et s'harmoniser par la pratique de la justice mutuelle et de la frater- nité chrétienne, et que, dans cette œuvre de soli- darité, il appartient à ceux qui sont en haut de venir simplement vers ceux qui sont en bas.

Elle nous dit que l'industriel n'est pas quitte envers ses ouvriers, quand ses machines marchent bien et quand il a payé loyalement le salaire con- venu, mais qu'il a envers eux d'autres devoirs à remplir, qu'il a charge, dans une certaine mesure, de leur corps et de leur âme.

Elle nous dit que» l'industriel est un véritable père qui doit traiter ses ouvriers comme une seconde famille. Donc il se préoccupera de leurs

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 345-

intérêts matériels. Dans la fixation des salaires, il tiendra compte à la fois de la tâche accomplie et des besoins de chacun. Il réglera la durée du tra- vail sur la moyenne des forces humaines. Il n'ad- mettra les enfants à l'apprentissage qu'à un âge raisonnable. Il établira ou il favorisera des caisses d'épargne, des caisses de retraite, des sociétés de secours , mutuels, ou autres institutions écono- miques pour les temps de maladie, d'infirmités, de vieillesse ou de chômage forcé. En un mot, il veillera à l'amélioration du bien-être des ouvriers et, se rappelant surtout qu'ils ont une âme créée à l'image de Dieu et que cette âme a des besoins nobles et impérieux, il exercera sur eux paternellement et amicalement une action reli- gieuse et moralisatrice.

Il fera en sorte que l'ouvrier et ses enfants soient instruits et chrétiennement élevés. Il favorisera la diffusion des sciences utiles et le redressement des erreurs populaires. L'immoralité est la source principale de la misère. Donc l'industriel défendra ses ouvriers contre ce péril toujours menaçant. II évitera le plus possible, au sein de l'atelier, ce mélange hideux des âges et des sexes, qui semble une provocation directe au libertinage ; il n'admet- tra dans son personnel aucun membre nouveau qui serait capable de corrompre tout l'atelier ; il renverra impitoyablement les incorrigibles, les scandaleux ou les tyrans qui font peser sur leurs

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compagnons l'oppression de l'impiété, de la dé- bauche ou du mauvais esprit; par d'affectueuses remontrances et par d'habiles précautions il sauve- gardera la décence des conversations, des lectures, des compagnies et des divertissements. Enfin, par ses exemples de simplicité, son horreur du luxe et toute une conduite de vertu, il accréditera dans sa maison le règne de la moralité; par une douceur affectueuse et une familiarité toujours digne, il apportera le remède le plus efficace au sentiment de l'envie, ce mal cuisant qui irrite sans cesse les petits contre les grands; aimant ses ouvriers comme ses enfants, il aura, pour travailler à leur amélioration matérielle et morale, cette perspica- cité et ces mille inspirations du cœur que les règle- ments et les livres n'indiquent jamais.

Et alors, o merveille ! unis à leur maître comme à un père, les ouvriers seront unis entre eux comme des frères. Les ouvriers et les maîtres ne formeront plus deux classes séparées, jalouses et hostiles; ils ne formeront qu'un seul corps dont le maître sera la tête et les ouvriers les membres ; ou plutôt ils ne formeront qu'une seule et même famille dont le maître sera le patriarche ou le père, et dont les ouvriers seront les enfants. Voilà l'idéal que nous présente la Keligion. Il est splendide !

Cet idéal est-il réalisable? Pourquoi pas? Il suf- firait pour celad'obéirà l'Eglise. Hommes, vous vous plaignez sans cesse que tout va mal, qup la société

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 347

se désorganise et que la lutte entre les classes est un feu ardent qui crépite et qui va tout embraser. Revenez donc à l'Eglise. Elle seule peut tout remettre en place. Cet idéal que je viens de vous tracer et qui vous semble irréalisable avec les mille passions humaines, cet idéal que vous rélé- guez dans le pays des chimères et des utopies, on l'a vu se réaliser autrefois, au moins partiellement, sous l'influence de l'Eglise ; on a vu cette union des ouvriers et des maîtres formant ensemble un seul corps et une seule âme : c'était la corporation. On a vu des ouvriers formant avec leur chef une famille, dont le chef était le père ou le patron, et dont les ouvriers étaient les enfants et les frères : c'était la confrérie. Nous reviendrons plus tard sur cet important sujet. Mais dès aujourd'hui j'ai le droit de vous dire : « Pourquoi ne ferions-nous pas ce qu'ont fait nos pères? Il n'est point néces- saire, et il ne serait pas possible de ressusciter les anciennes corporations. Mais il est nécessaire et il est facile de ressusciter l'esprit de justice sociale et de charité chrétienne qui animait les anciennes corporations. Revenez à l'Église, et la question sociale sera résolue! »

Amenl

DIXIEME CONFERENCE

///. -- LES OUVRIERS DE VINDUSIRIE

Messieurs,

Après avoir considéré les inventions qui font vivre et progresser l'industrie, et les chefs qui la dirigent et l'exploitent, il nous reste à étudier un troisième et essentiel élément : l'ouvrier qui exécute les travaux de l'entrepreneur ou du chef d'indus- trie. Ici il y a trop à dire. Je n'aurai pas le temps de tout dire. Cependant je veux en dire assez pour vous faire réfléchir et pour former dans vos esprits cette conviction que l'influence de l'Eglise est ab- solument nécessaire aux ouvriers de l'industrie. Entrons en matière.

I. L'Eglise ennoblit le travail de l'ouvrier.

Le travail, Messieurs, est une loi et une loi de sacrifice. Le travail de la tête est rude : l'intelli-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 349

gence est une Eve qui enfante dans la douleur. Le travail du corps n'est pas moins rude, et, en appa- rence du moins, il déprime l'homme en le tenant courbé vers la terre ou cloué à un métier. Que fait l'Église? Elle fait ce que personne ne peut faire à sa place. Elle réhabilite le travail manuel. C'est sublime !

L'Eglise paille. Elle dit à l'ouvrier qu'il n'est point un vil instrument de production comme le fer ou le bois, ou une bête de somme, mais qu'il a, comme son maître, une âme raisonnable et im- mortelle, plus grande que le temps et l'espace; qu'il vient de Dieu et qu'il va à Dieu ; qu'il est le frère du riche et qu'il peut être son supérieur par la vertu; que la vertu seule est la mesure de la véritable grandeur; que le travail manuel, par les difficultés mêmes dont il est inséparable, est mer- veilleusement propre à faire pratiquer la vertu et peut, par conséquent, élever l'homme à la plus haute grandeur morale.

r

Et, non contente de parler, l'Eglise donne V exemple. Elle réhabilite le travail manuel en le montrant dans les moines uni parfois au plus vaste savoir et à la plus illustre naissance. On voit saint Ber- nard bêcher la terre, couper du bois,' le porter sur ses épaules... Quelle leçon que l'exemple de ce descendant illustre d'une illustre famille, de ce grand docteur, cette lumière du monde, ce pacifica- teur tout-puissant de l'Eglise et des empires, qui

3r»0 CONFÉRENCES AUX HOMMES

trouve un charme infini dans les abaissements vo- lontaires du travail manuel !

Et, en même temps que l'Eglise réhabilite le tra- vail manuel par sa doctrine et par ses exemples, elle le canonise et le déifie. Elle place sur ses au- tels les cendres des saints ouvriers comme celles de saint Grépin et saint Grépinien, et elle demande aux rois et aux reines de se mettre à genoux devant ces restes vénérés. Elle grave l'image des saints ouvriers sur des bannières triomphantes qui se déploient dans de royales processions au jour de grandes solennités, et derrière ces images sacrées on voit tout un peuple qui chante et qui prie, qui acclame le travail manuel couronné dans le ciel des splendeurs éternelles et glorifié sur la terre par les communs hommages des petits et des grands. Comment en eût-il été autrement ? Avant de resplendir dans les saints, le travail manuel avait été déifié dans la personne du Christ. ^ Que ceux qui travaillent de leurs mains se réjouissent, dit Bossuet, Jésus-Christ est de leur corps. » Mes- sieurs, toutes les tirades les plus pompeuses, toutes les médailles et récompenses ne vaudront jamais pour la classe ouvrière l'honneur qui rejaillit sur elle des souvenirs de l'Incarnation et de l'ennoblis- sement du travail manuel par le Fils de Dieu lui- même. Dans l'ouvrier penché sur son enclume ou courbé sur son sillon, relevant vers le ciel son front ruisselant et sa poitrine haletante, je vois et

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 351

j'adore le Christ, le divin charpentier, et je me demande s'il était possible d'élever le travail de Tatelier à un honneur plus sublime, et à une plus grande hauteur. Non, cela n'était pas possible. Il n'y a que l'Eglise pour ennoblir ainsi le travail ma- nuel. C'est déjà beaucoup. Voici encore davantage.

II. L'Église favorise l'épargne de l'ouvrier.

L'ouvrier doit économiser . Il accepte d'abord la loi du travail; puis il vit, lui et sa famille, des fruits de son travail ; et enfin, pour soutenir sa vieillesse, pour subvenir à ses besoins imprévus, pour établir ses enfants, il doit économiser. N'exa- gérons rien. Il ne le peut pas toujours. La maladie, le chômage, les charges d'une nombreuse famille à élever lui permettent à peine de suffire aux néces- sités quotidiennes. Mais il le peut souvent. La pré- voyance et l'épargne sont des vertus qui honorent beaucoup plus que l'assistance précaire qui lui vient de la charité. Ah ! si j'étais ouvrier, je sais bien ce que je ferais. Je ferais comme j'en connais beau- coup qui mangent noblement le pain qu'ils ont no- blement gagné, qui conquirent à la pointe de leur outil la nourriture, le vêtement et l'habitation de leur famille, et qui, par des efforts sublimes et bénis de Dieu, finissent par se procurer une hon- nête aisance. L'ouvrier ne peut pas toujours écono-

352 CONFÉRENCES AUX HOMMES

miser; mais il le peut souvent, et, quand il le peut, il le doit ; c'est son devoir, et c'est sa gloire.

Pour économiser, l'ouvrier doit être moral et re- ligieux. — La mesure de l'épargne parmi les ou- vriers est la mesure même de leur esprit moral et religieux. C'est l'abnégation qui produit l'épargne, et c'est la religion qui produit l'abnégation. J'ai dit la vérité aux chefs de l'industrie. Je dois la dire également aux ouvriers de l'industrie, et je vais vous apporter non pas des phrases qui ne seraient bonnes qu'à vous éblouir, mais des faits et ,des chiffres qui seront capables de vous instruire et de vous faire trembler.

Savez-vous combien la population française ab- sorbe d'alcool? Plus d'un million et demi d'hecto- litres. Cette énorme consommation représente une dépense d'un milliard six cents millions de francs au minimum, qui est supportée presque exclusive- ment par la classe ouvrière. Nombre d'ouvriers dans la Seine-Inférieure et dans le Pas-de-Calais emploient en alcool deux francs par jour sur un salaire de quatre francs. Et la moitié de cette ef- frayante consommation de l'alcool se fait au cabaret.

Savez-vous combien nous avons en France de cabarets? Quatre cent cinquante mille. Gela fait, en moyenne, un débit de boissons pour quatre-vingt-six habitants : hommes, femmes ou enfants. Dans la Somme, il y en a un pour soixante habitants, et dans le Nord, un pour quarante-six. Dans les pays

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 353

industriels et miniers du Nord, vous trouvez un cabaret sur trois maisons. A Carmaux, il y a cent trente et un cabarets pour 9.000 âmes. Allez dans les quartiers ouvriers de Paris ; les boutiques de marchands de vin se touchent. Et c'est peut-être par cent litres qu'on peut chiffrer dans ces régions spéciales la consommation individuelle et annuelle <de l'alcool. Nous cherchons des noms ambitieux pour notre siècle. Appelons-le donc tout bonne- ment le siècle de l'alcool. Cette épithète explique à elle seule bien des choses.

Avez-vous réfléchi aux conséquences qui découlent du phénomène hideux que je viens de vous signa- ler? Au point de vue moral et au point de vue matériel, l'alcool dégrade et abrutit l'homme. Il pervertit les idées, il ruine la santé, il rend l'épargne impossible; on en consomme, en France, pour un milliard six cent millions de francs ; mais il faut doubler cette somme et la porter à trois milliards pour évaluer la perte totale qu'en- traîne l'alcoolisme sous forme d'incapacité de tra- vail, maladies, démences, crimes et suicides, morts lentes ou accidentelles. Si la dynamite faisait sau- ter la moitié de Paris et si un peuple donnait le signal d'une guerre universelle, ni la dynamite ni ce peuple n'arriveraient à causer à notre race autant de désastres réels que lui en inflige le liquide frelaté qui tombe par torrents sur notre génération. Et je comprends la parole qu'écrivait

LES BIENFAITS DE l/ÉGLISE. 1-23

354 CONFÉRENCES AUX HOMMES

dernièrement un publiciste : « Quand je traverse vers l'heure du dîner les boulevards bordés de verres d'absinthe, j'ai envie d'y planter le bout de ma canne, dans ces verres, pour en dégoûter les pauvres gens qui se détériorent consciencieusement le cerveau et la moelle épinière. » Est-ce clair? L'ouvrier, quand c'est possible, doit économiser; et, pour économiser, l'ouvrier doit être moral et religieux. Vous avez la prétention de vous passer de la religion? Répondez-moi:

Quels moyens avez-vous, en dehors de la religion, pour favoriser l'épargne? Vous n'avez que des moyens absolument insuffisants.

Vous augmenterez les salaires? Si c'est possible,: je ne demande pas mieux. Mais veuillez faire atten- tion à ceci. Ce n'est pas toujours l'augmentation du salaire qui amène l'épargne. Si l'ouvrier n'est ni moral ni religieux, vous aurez beau augmenter son salaire, vous n'augmenterez pas ses économies. Il y a, à Paris, des ouvriers qui gagnent douze ou quinze francs par jour, et qui n'en sont pas plus riches pour cela, et qui sont criblés de dettes, tan- dis que je vous citerai de bons ouvriers de ma paroisse qui, avec quatre ou cinq francs de salaire quotidien, élèvent glorieusement leurs enfants et font de petites économies. Je lisais dernièrement qu'une famille de verriers, des environs de Car- maux, dont le père et les deux fils gagnaient mille

LES BIENFAITS DB L'ÉGLISE 355

francs par mois à eux trois, n'était jamais parvenue à se meubler. Comment voulez-vous que l'ouvrier, même largement rétribué, fasse des économies, s'il n'est ni moral ni religieux, s'il gaspille dans la débauche le plus clair de ses gains?

Quel autre moyen avez-vous donc, en dehors de la religion pour produire et favoriser l'épargne ? Vous ouvrirez des écoles, dites-vous. Soyons sérieux. Si l'école n'est pas religieuse, si elle n'est pas toute pénétrée de christianisme, elle est impuissante à moraliser l'enfant du peuple; la lecture, l'écriture et le calcul ne possèdent par eux-mêmes aucune vertu secrète pour former le moral de l'homme; et les statistiques de la justice criminelle nous disent que la progression- dans le nombre des jeunes pré- venus a suivi l'accroissement du nombre des écoles. Et puis l'instruction développée démesurément, outre qu'elle ne prévient pas la misère, ne sert au contraire qu'à l'augmenter en créant des besoins nouveaux, en inspirant le mépris des professions mécaniques et en multipliant le nombre des déclas- sés. Non, Messieurs, l'école toute seule n'est pas capable de produire et de favoriser l'épargne de l'ouvrier. Que ferez-vous donc ?

Vous organisez des associations, des caisses de secours et autres institutions de prévoyance ? C'est bien. Mais l'expérience nous dit que la participation des ouvriers à ces caisses forme une rare exception. Elles favorisent les ouvriers qui ont déjà de la

356 CONFÉRENCES AUX HOMMES

vertu, mais sont impuissantes à la donner. Sans doute l'association est bonne; Dieu qui a créé l'homme pour la société a fait de la solidarité, de l'assistance mutuelle et de l'action commune la loi naturelle de la vie humaine, et généralement, quand les hommes s'associent, ils se sentent plus forts contre le mal et contre eux-mêmes ; l'émulation les stimule, l'honneur les élève et les soutient; ils ont chance de s'améliorer en s'appuyanf les uns sur les autres. Mais croire que l'association peut tout, par cela seul qu'elle est une association, c'est une erreur. L'association ne vaut que ce que valent les hommes qui la composent. Elle est bonne, si ses membres sont bons, et mauvaise si ses membres sont mau- vais. Et dès lors je vous pose impérieusement ma question : Quel moyen avez-vous, en dehors de la religion, pour moraliser les hommes, pour produire et favoriser l'épargne de l'ouvrier? Quel moyen avez-vous pour inspirer à l'oufrier les vertus pri- vées qui sont la source, la vraie source de l'épargne? Vous n'en avez aucun. Une conclusion s'impose. L'épargne naît de la vertu la vertu naît de la reli- gion; si donc vous voulez favoriser l'épargne de l'ouvrier, d'abord et avant tout christianisez-le.

Il y a des hommes, et il y en a beaucoup, qui veulent résoudre la question sociale en dehors de l'Église. Ils se trompent, et ils se trompent gros- sièrement. C'est l'Eglise qui ennoblit le travail de

LES BIENFAITS DE L'EGLISE 357

r

l'ouvrier; c'est l'Eglise qui favorise l'épargne de l'ouvrier. Vous avez besoin d'elle. En ouvrant ses temples, ses asiles, ses écoles, en parlant et en agis- sant, l'Église, non seulement exerce des libertés légitimes, mais rend un service social. Elle répand l'Évangile, et une société qui n'est pas bâtie sur l'Évangile du Christ ressemble à une baraque bran- plante que la première tempête jettera par terre, en écrasant ceux qui y demeurent. Donc, si vous vou- lez sauver la société, si vous voulez sauver l'in- dustrie, revenez à l'Eglise. Nous catholiques, Mes- sieurs, nous n'avons pas assez conscience de la place que nous tenons dans la nation et du rôle néces- saire que nous avons à y jouer. Le monde du travail ne peut pas se passer de nous, de nos doctrines, de nos espérances, de la vertu moralisatrice, pacifiante et unitive qui repose dans notre Credo, dans notre Décalogue et dans nos saints mystères. Et, si ce siècle ne veut pas revenir à l'Église, pour nous venger de ses résistances et de sa stupidité, nous n'avons qu'un mot à lui dire : « Siècle imbécile et coupable, tu ne veux pas vivre avec l'Eglise? Tu mourras sans elle ! » Mais non, il n'en sera pas ainsi. Vous irez, Messieurs, au-devant de votre siècle, vous aurez pitié de ses indécisions et de ses aveu- glements inconscients, vous le prendrez par la main, et vous le ramènerez, joyeux et repentant, dans les

bras et sur le cœur de l'Eglise!

Amen!

ONZIÈME CONFÉRENCE

III. LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE

(suite)

Messieurs,

L'Église est la bienfaitrice de l'industrie. Elle approuve et elle stimule les inventions de l'indus- trie. Elle inspire et elle dirige les chefs de d'indus- trie. Enfin elle agit puissamment sur les ouvriers de l'industrie, dont elle ennoblit le travail et dont elle favorise l'épargne. Continuons cet important sujet. Il est actuel, il est inépuisable. Ce que j'ai à vous dire aujourd'hui est particulièrement inté- ressant et réclame toute votre attention. Nous sommes dans les entrailles mêmes de la question sociale. Constatons ensemble : que l'ouvrier a des besoins matériels et moraux; que l'Eglise est seule capable de satisfaire ces besoins de la classe ouvrière.

I. L'ouvrier a des besoins matériels et moraux. L'ouvrier a des besoins matériels. C'est évident. »

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 359

Il a un corps qui travaille, des membres qui s'usent, une santé qui est exposée à la maladie. Il a une femme et des enfants à loger, à vêtir, à nour- rir. Il a une postérité à élever et à établir convena- blement. Et puis il rencontre sur son chemin les infirmités, les accidents, le chômage, la vieillesse. Il a des besoins matériels. lia des besoins moraux. €'est non moins évident. Il a une âme qui ré- clame la lumière, la force, la consolation. Il est fortement tenté, tantôt par la sensualité d'autant plus ardente qu'elle est moins satisfaite, tantôt par l'envie, ce mal cuisant qui irrite sans cesse les petits contre les forts, tantôt par le découragement ou le désespoir qui est le grand danger de ceux qui souffrent, de ceux qui se trouvent placés plus bas et sont plus facilement oubliés et écrasés. L'ouvrier a des besoins, d'immenses besoins matériels et mo- raux. Ce n'est pas niable.

Il faut s'occuper simultanément des besoins ma- tériels et moraux de l'ouvrier. Ici apparaissent deux erreurs, deux illusions qui sont également dangereuses et qui appellent des explications et des éclaircissements nécessaires.

Première erreur. Certains hommes positifs et utilitaires avant tout s'imaginent qu'il suffit de sub- venir aux besoins matériels de l'ouvrier et que, avec des salaires mieux répartis et plus abondants, avec des habitations plus salubres, avec des caisses de

3G0 CONFÉRENCES AUX HOMMES

retraite et des assurances contre les accidents, les* maladies et la vieillesse, on résoudrait facilement la question sociale. Ils se trompent. Vous voulez relever le peuple, et pour cela vous lui rendez plus faciles ses conditions d'existence, vous lui ouvrez des ateliers et des logements hygiéniques, vous lui préparez des secours pour les heures difficiles, vous lui bâtissez des écoles, etc. ; tout cela, c'est quelque chose, c'est beaucoup, mais c'est insuffisant. Vous n'aurez rien fait pour le peuple si la volonté morale des individus, si l'âme n'a pas pris une direction supérieure. C'est sur l'âme qu'il faut agir, parce qu'en définitive l'âme mène le corps et que les peuples ne sont pas des troupeaux qu'on améliore en changeant leur pacage. L'ouvrier n'est point une machine, un chiffre dans l'immense addition, un rouage dans l'immense engrenage. L'ouvrier a une âme, et vous aurez beau travailler à améliorer sa vie matérielle, vous n'en ferez rien qui vaille, rien qui dure, si vous ne travaillez en même temps à son relèvement spirituel. Aujourd'hui comme il y a douze siècles, Messieurs, c'est dans la vie de l'âme que sera le salut des peuples; c'est en agissant sur l'âme que Jésus-Christ a changé le monde et trans- formé les sociétés et les empires; c'est en relevant comme Lui les âmes que nous obtiendrons les mêmes résultats. L'heure du christianisme finit toujours par sonner, et la croix qu'on affecte de dé- daigner comme inutile sauve ceux-là mêmes qui

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 361

l'ont dédaignée. « Cherchez premièrement le règne de Dieu et sa justice, tout le reste vous sera donné par dessus. » L'ouvrier a des besoins moraux, il a une âme, et croire qu'il suffit de subvenir à ses besoins matériels, c'est une erreur et une grossière erreur.

Seconde erreur, non moins pernicieuse que la première. Certains hommes idéalistes et théoriciens avant tout s'imaginent qu'il suffit de subvenir aux besoins moraux de l'ouvrier et que, avec des déclarations de principe et des professions de foi, avec une puissante évangélisation des classes popu- laires, on résoudra facilement la question sociale. Ils se trompent. Vous voulez relever le peuple, et, pour le relever, le christianiser. C'est bien. Mais, en vous adressant à son âme, n'oubliez pas qu'il a un- corps. En même temps que vous lui prêchez des ver- tus, rendez-lui des services. Que votre parole soit ac- compagnée et précédée par des bienfaits et des bien- faits désintéressés. C'est la méthode apostolique, la méthodedivine. Le fondateur de notre religion, Jésus- Christ , a suivi cette méthode . Il semait les miracles de sa bonté avant de semer les merveilles de sa doctrine. Les missionnaires chez les nations infidèles se font aimer pour se faire écouter. Manning, Ireland, Ketteler, les grands évêques des pays germains et saxons n'ont pas trouvé autre chose pour aborder les classes populaires et les christianiser. Ecoutez

362 CONFÉRENCES AUX HOMMES

ici une belle parole de saint Augustin. Analysant les sentiments qu'il éprouvait à l'égard de saint Ambroise avant sa conversion, il dit : « Eum amare cœpi non tanquam doctorem veri, sed tanquam beni- {jniim in me ; Je me pris à l'aimer non parce qu'il enseignait la vérité, mais parce qu'il était bon pour moi. » Voilà l'histoire du peuple, cet Augustin plein de cœur et de passion, d'enthousiasme et de misère qu'il faut aimer d'abord, que Ton convertit après. En résumé, l'ouvrier a un corps et une âme, et il faut s'occuper simultanément de ses besoins matériels et de ses besoins moraux.

Qui s'en occupera? Qui? d'abord l'ouvrier lui-même. Son sort est ici en jeu, et il importe souveraine- ment qu'il travaille de ses propres mains et de sa volonté propre à son amélioration matérielle et mo- rale. Tous les progrès, toutes les réformes, tous les changements ne feront que peu de chose sans la coopération personnelle de l'individu. L'ouvrier a une dignité, et vous amoindrirez cette dignité si vous le dispensez de l'effort personnel. L'ou- vrier a une responsabilité, et il en perdra le sen- timent, si vous vous substituez à lui dans ses droits, ses devoirs et ses charges. Laissez-le donc d'abord voler de ses ailes, et créer pour ainsi dire sa propre grandeur. Laissez-le élever librement ses beaux et nombreux enfants, gagner leur pain et préparer leur avenir à la pointe de son glorieux outil. Laissez-le monter dans l'aisance, dans Tins-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 363

truction, dans la moralité, dans la belle indépen- dance d'une vie de moins en moins besoigneuse et de plus en plus maîtresse d'elle-même.

L'ouvrier a des besoins matériels et moraux. C'est à lui d'abord d'y subvenir. Et puis, parce qu'il est faible, les gouvernants, les maîtres et les riches doivent l'aider. Est-ce tout? L'action commune des ouvriers et des dirigeants peut-elle suffire ici? « Ce que nous affirmons sans hésitation, dit Léon XIII, c'est l'inanité de cette action en dehors de celle de l'Église. C'est l'Église en effet qui puise dans l'Évangile des doctrines capables soit de mettre fin au conflit, soit de l'adoucir, en lui enlevant tout ce qu'il a d'âpreté et d'aigreur; l'Église, qui ne se contente pas d'éclairer l'esprit de ses enseignements, mais s'efforce encore de régler en conséquence la vie et les mœurs de chacun ; l'Église, qui par une foule d'institutions éminem- ment bienfaisantes tend à améliorer le sort des classes laborieuses ; l'Église, qui veut et désire ar- demment que toutes les classes mettent en commun leurs lumières et leurs forces pour donner à la ques- tion ouvrière la meilleure solution possible; l'Église enfin qui estime que les lois et l'autorité publique doivent, avec mesure sans doute et avec sagesse, apporter à cette solution leur part de concours. » Il me reste à vous commenter ces belles et grandes paroles de Léon XIII.

364 CONFÉRENCES AUX HOMMES

II. L'Église vient au secours de la situation ma- térielle et morale de l'ouvrier.

Messieurs, dans ce siècle qui aura vu tant de choses étonnantes, une chose m'étonne et m'at- triste plus que toutes les autres, c'est la défiance et 1 aversion qui s'est allumée dans l'âme du peuple contre l'Eglise. Dans le passé et dans le présent, l'Église m' apparaît constamment occupée des inté- rêts matériels et moraux de l'ouvrier, et voilà l'ouvrier qui semble lui dire : « Va-t-en! Je ne veux pas de toi ! » Comment expliquer un pareil phéno- mène ? L'ouvrier est-il ingrat et mauvais de parti pris? Non. Il est trompé par de sinistres farceurs qui lui présentent sa mère, la sainte Eglise, sous les traits d'une marâtre. Le grand malheur et le grand crime de ce siècle, ça été d'éloigner le peuple de l'Eglise pour le jeter mécontent et désespéré dans les ardeurs de l'impiété et dans les glaces de l'indifférence. Ce phénomène, qui nous dévore et nous consume depuis quatre-vingts ans, va-t-il durer longtemps encore ? Ce n'est pas possible. La lumière se lève enfin, et, à mesure qu'elle se fera plus abon- dante, le peuple verra qu'on s'est indignement mo- qué de lui, qu'on l'a trompé abominablement, et que, en définitive, c'est l'Eglise qui est sa meilleure amie et sa plus généreuse bienfaitrice. N'est-ce pas la clarté même?

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 365

Depuis dix-neuf siècles, et aujourd'hui comme hier, rÉglisç donne à l'ouvrier des doctrines qui l'éclai- rent, le relèvent, le moralisent et le consolent. Elle apprend aux hommes à supporter les inégalités inévitables, le travail nécessaire. Elle rapproche les classes en imposant à tous la pratique de la jus- tice. Elle enseigne aux riches à se servir chrétien- nement de leurs richesses, et aux pauvres à estimer leur travail. Elle promet à l'ouvrier dans une vie meilleure, la revanche que lui réserve la magnifi- cence divine. Et, en relevant ainsi le peuple au point de vue moral, en lui infusant la dignité, l'espé- rance, la vertu, est-ce que du même coup elle ne travaille pas à sa félicité temporelle? Est-ce que l'amélioration matérielle n'est pas une conséquence qui suit d'ordinaire la restauration des mœurs? L'Eglise est la mère de la vertu et la grand' mère de l'épargne. L'Eglise donne à l'ouvrier un ensei- gnement qui l'éclairé, le relève, le fortifie et le console. Et, en dehors de cet enseignement, que reste-t-il à l'ouvrier, sinon le doute, l'indifférence et la libre pensée, c'est-à-dire la désorientation et la désorganisation complète de son intelligence, de sa volonté, de son cœur et de sa vie?

Elle fait plus encore. Elle donne à l'ouvrier des serviteurs qui l'aiment, le protègent, l'assistent. Comptez, si vous le pouvez, les grands, les riches, les savants enrôlés depuis dix-neuf siècles dans la grande armée de la charité catholique. Comptez, si

366 CONFÉRENCES AUX HOMMES

vous le pouvez, à l'heure actuelle, les milliers et les milliers de religieux et de religieuses qui ouvrent l'oreille à tout gémissement rendant un son nou- veau, qui tendent la main à toutes les souffrances, qui apportent du pain pour ceux qui ont faim, des consolations pour ceux qui pleurent, un chevet pour ceux qui vont mourir, qui, du matin au soir, ne sont occupés qu'à assister l'ouvrier dans ses- besoins matériels et moraux, dans ses orphelinsr dans ses infirmes, dans ses vieillards. Et le pape, les évêques et les prêtres, à quoi travaillent-ils, sinon à améliorer le sort de la classe ouvrière? Ils cherchent des réformes, ils prêchent la justice et la charité, ils donnent de l'ouvrage, ils distribuent des aumônes, et ils sont tellement les serviteurs de l'ouvrier, que je m'étonne d'être obligé de rappeler à mon siècle cette vérité d'une évidence resplendis- sante et quotidienne.

L'Eglise enfin donne à l'ouvrier des institutions qui sont de nature à améliorer sensiblement sa si- tuation matérielle et morale. Les institutions ca- tholiques en faveur des classes populaires rem- plissent le passé et le présent. Pour aujourd'hui, je ne veux vous en signaler qu'une seule, laquelle, si elle était comprise et acceptée, suffirait à trans- former la situation de l'ouvrier. Je veux parler du dimanche. Le dimanche est nécessaire à l'ouvrier. L'Angleterre et les Etats-Unis observent rigoureusement la loi du repos du dimanche ; or,

LES BIENFAITS DE L'EGLISE 36T

c'est en ces deux pays que la prospérité matérielle est la plus grande. «Ceux qui ne voient pas le com- mandement divin dans la Bible ne pourront man- quer de le trouver écrit dans l'homme lui-même »r a dit M. Harrisson, président des Etats-Unis. Et le général Grant a dit : a C'est le dimanche que Dieu arrose la plante du travail pour lui faire porter ses fruits. » Or, qu'est devenu chez nous le dimanche de l'ouvrier? Ecoutez là-dessus le philosophe Pierre Leroux : « Je propose de graver sur le Panthéon, au-dessus de l'inscription : « Aux grands hommes, la « Patrie reconnaissante ! » ces lignes : « La Révolution « française est venue, et l'ouvrier a été obligé de « travailler un jour de plus par semaine pour vivre. » Est-ce du progrès, Messieurs? Les animaux ont besoin de se reposer. Le cheval qui se repose rend plus de services que celui qui ne se repose pas. La Compagnie des Omnibus de Paris donne à ses che- vaux un jour de repos tous les cinq jours. Et nous avons, en France, des milliers d'ouvriers qui ne se reposent jamais et qui, ne se reposant jamais, se tuent le corps et l'âme. 0 hommes, vous ne voulez pas revenir à l'Eglise ? Vous retournez à l'escla- vage...

Amen 1

DOUZIEME CONFERENCE

III. LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE

(suite)

Messieurs,

J'achève aujourd'hui l'étude des rapports de l'Eglise avec l'industrie. Nous avons déjà constaté la salutaire influence de l'Eglise sur les ouvriers de l'industrie. Il me reste à vous en offrir une dernière preuve. Je voudrais vous faire l'histoire et vous tracer la physionomie de l'ouvrier avant Jésus- Christ, au moyen âge et aujourd'hui.

I. V ouvrier avant Jésus-Christ

Messieurs, il me répugne de remuer les turpi- tudes de l'humanité. Cependant il est indispensable de mettre en évidence cette conclusion de l'histoire ancienne que l'ignorance seule ou la mauvaise foi peuvent révoquer en doute, à savoir que dans l'an- tiquité, dans le paganisme, le genre humain était

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 369

une proie abandonnée à quelques tigres : hmna- num paucis vivit genns, selon l'expression de Lu- cain. Avant Jésus-Christ, l'ouvrier était dans un état lamentable tant au point de vue matériel qu'au point de vue moral.

Vous croyez peut-être à la civilisation par les seules forces de la nature? Eh bien, regardez un peu ce que la nature a produit dans ses meilleurs jours chez les nations les plus brillantes. Athènes, reine de la civilisation antique, sur cent individus humains, en élevait un à la dignité d'homme et réduisait les quatre-vingt-dix-neuf autres à la con- dition de bétail. Athènes avait vingt mille citoyens et quatre cent mille esclaves. Ses philosophes met- taient en doute si l'esclave avait une âme. Ne par- lons pas de Sparte la proportion des hommes libres était beaucoup moindre, le nombre des ilotes les rendait assez vils pour qu'on en fît du gibier destiné au plaisir de la chasse. Voilà ce qu'était l'ouvrier sous ce beau ciel de la Grèce qui éclaira tant d'artistes, tant de philosophes, tant d'orateurs, tant de grands capitaines et de savants législateurs !

A Rome, il était d'une fortune bien médiocre le citoyen qui n'avait pas quatre à cinq cents esclaves. Certains seigneurs, s'étant mis en tête que leurs murènes en seraient plus délicates si on les nour- rissait de chair humaine, occupaient des esclaves à dépecer d'autres esclaves à l'usage de leurs viviers.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-24

370 ' CONFÉRENCES AUX HOMMES

Le massacre des esclaves était un divertissement public, un agréable tue-temps, le meilleur antidote contre le spleen antique. Tacite raconte comme un fort beau spectacle la mort en un seul jour de dix- neuf mille hommes s'égorgeaht sur le lac Fucin, pour le bon plaisir de l'empereur Claude et du peuple romain. Le divin Titus, modèle d'humanité^ ne croyait pas pouvoir célébrer dignement la fête de son père Vespasien sans faire dévorer aux bêtes trois mille prisonniers juifs. Ces boucheries étaient aussi le complément ordinaire des festins que se donnaient les grands de Rome. La digestion eût été trop laborieuse si, aux vins les plus exquis, on n'eût fait succéder le sang. Les matrones s'étouf- faient à ces spectacles, donnaient le signal de mort en tournant le pouce et couvraient d'applaudisse- ments le gladiateur expirant avec grâce.

Voilà le monde ancien. Il semblait civilisé, mais il ne l'était pas. Des arts, il y en avait avant le Christ, et nos musées nous offrent les admirables chefs-d'œuvre des artistes d'autrefois. Des sciences, il y en avait avant le Christ, et nous travaillons aujourd'hui sur l'héritage des anciens. De la phi- losophie, il y en avait avant le Christ, et les philo- sophes d'aujourd'hui sont des pygmées auprès des géants qui se nommaient Aristote et Platon. Et cependant le monde antique s'est effondré. On croyait avoir la civilisation, ce n'était qu'une appa- rence. On avait cru construire un superbe édifice,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 371

on n'avait bâti qu'une façade, et, quand la façade est tombée, on a vu que derrière il n'y avait rien, rien sinon la pourriture et la mort. Que lui man- quait-il donc à ce monde antique ? Il lui manquait

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Jésus, il lui manquait l'Eglise. L'Eglise est venue, et, recueillant la parole et la grâce de Jésus, elle les a jetées comme une semence, comme un ferment divin dans les sillons de la pauvre humanité. Et alors on a vu germer et s'épanouir un peuple nou- veau. Contemplons ce peuple nouveau.

II. L'ouvrier au moyen âge.

Ceux qui connaissent l'histoire, non pas l'histoire des manuels idiots qui font tout remonter à 1789, mais la grande histoire, celle qui s'appuie sur des documents et des faits, savent le bien qu'a produit l'Église dans le passé. Cherchez dans le moyen âge, au xme siècle, époque sombre et rude à bien des égards, sans doute, et que je ne donne point comme l'idéal consommé, mais époque chrétienne cepen- dant, cherchez si vous trouverez une classe d'êtres comparables à nos millions de prolétaires vivant dans l'insécurité absolue du lendemain, écrasés par des impôts énormes, ayant toujours à redouter l'apparition imprévue du chômage et ne pouvant laisser à la femme et aux enfants, dans l'hypothèse d'une disparition subite, que la misère et que la

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faim. Non, vous ne trouverez pas cela. Non, l'ou- vrier au moyen âge, sous l'empire du droit chré- tien, sous la protection de l'Eglise, n'a pas connu les misères matérielles et morales de l'ouvrier moderne décatholicisé.

L'ouvrier au moyen âge est honoré et protégé

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par l'Eglise. L'Eglise n'hésite pas à prendre au sein de l'humiliation des fils d'ouvriers pour les ordon- ner prêtres et les élever par au-dessus des sei- gneurs. Et quand ils avaient des vertus et du génie, ils pouvaient, ces fils d'ouvriers, parvenir au pre- mier trône du monde, témoins : Adrien IV, le seul pape anglais, qui était d'origine serve, et Gré- goire VII, fils d'un charpentier. Et, non contente d'honorer les ouvriers, l'Église les protège. En bé- nissant l'épée du chevalier, le prêtre disait : « Dieu saint, bénissez cette épée à deux tranchants. Qu'avec l'un il frappe l'infidèle qui attaque l'Eglise, et qu'avec l'autre il punisse le riche qui opprime le pauvre! » L'Eglise met sur même ligne et protège du même bouclier Dieu et le peuple, Jésus-Christ «t le pauvre, la religion et l'ouvrier.

L'ouvrier, au moyen âge, a ses jours de repos et de sanctification. Ce n'est point cette machine vi- vante qui Inarche sans cesse et qui s'use vite. Non, il se repose. Il a des chômages réguliers. Il y avait, en France, avant le Concordat, quatre-vingt-sept jours chômés, dont cinquante-deux dimanches et trente-cinq fêtes d'obligation. Et dans ces jours de

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 373

fête religieuse voyez-le, l'ouvrier d'autrefois, venant à son Église. En ce temps-là ce n'étaient pas les nations hérétiques qui passaient pour observer le mieux le grand précepte dominical ; en ce temps-là, les villes catholiques présentaient un beau spectacle le dimanche; les boutiques étaient fermées, même les boutiques des pâtissiers et des barbiers ; les églises étaient pleines; la joie brillait dans tous les yeux. L'ouvrier, vêtu de ses habits de fête et le cœur plein d'allégresse, escorté de sa femme et de ses enfants, entrait dans ces belles cathédrales, il trouvait l'orgue pour le saluer, le prêtre pour le bénir, les vitraux, la peinture, la statuaire pour l'instruire, et les cérémonies saintes pour l'enchan- ter et le transfigurer. Là, il s'asseyait à côté du riche, enfant de Dieu et frère de Jésus-Christ comme lui, nourri à la même table d'un aliment divin. Là, il chantait le matin, avec le vieux Credo de ses pères, l'hymne de sa liberté, et le soir, à l'office des vêpres, il répétait les paroles attendris- santes du prophète royal : « Louons le Seigneur, car il a regardé le pauvre dans sa poussière, et il l'a placé parmi les princes de son peuple, de ster- eore erigens pauperem. » Et le lendemain, retour- nant à son travail, il se sentait le corps reposé, l'esprit illuminé de clartés souveraines, l'âme em- baumée des parfums et ravie des harmonies du" ciel. Je ne fais pas de la poésie, je raconte une vieille histoire, l'histoire de l'ouvrier honoré, pro-

374 CONFÉRENCES AUX HOMMES

tégé, transfiguré par l'Eglise. Et je n'ai pas tout dit. *

L'ouvrier, au moyen âge, a une situationmatér ielle satisfaisante. Des inventaires mobiliers d'ouvriers et de cultivateurs, au xine et au xive siècle, établissent la preuve d'une aisance relative qui serait enviée aujourd'hui par beaucoup de pays de l'Europe. Le salaire d'alors, comparé au prix des denrées, assu- rait aux ouvriers une vie matérielle plus large que celle de nos ouvriers à l'heure actuelle. Ils n'étaient pas mal logés, car la cherté et l'insalubrité des locaux destinés aux classes laborieuses des grandes villes sont un mal de notre époque. L'ameuble- ment était, il est vrai, plus grossier, mais il était conforme au goût du temps et contentait les besoins des hommes d'alors, ce que ne font pas les mobiliers plus raffinés d'aujourd'hui. Les com- pagnons du moyen âge n'étaient point mal vêtus, car, pour trouver à s'embaucher, ils devaient prou- ver qu'ils avaient cinq ou six costumes. Enfin les chômages périodiques, cette plaie de notre indus- trie moderne, étaient inconnus ; en dehors des grandes crises qui arrêtent la vie ordinaire, l'ou- vrier incorporé était sûr d'avoir du travail. Ajoutez à cela qu'au point de vue intellectuel le xme siècle n'était point inférieur au nôtre. Les documents les plus authentiques établissent pour cette époque une proportion de lettrés qui ne serait pas dépassée à l'époque moderne. Et maintenant cet ouvrier que

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 375

l'Église a aimé, quelle a honoré et protégé, qu'elle a fait monter successivement de l'esclavage au ser- vage et du servage à la dignité de citoyen libre, «qu'est-il devenu? en est-il?

III. L'ouvrier aujourd'hui.

Hélas! le plus souvent il est affranchi des croyances et des pratiques religieuses. On lui a dit : « Laisse le temple catholique avec ses vitraux, ses chasubles d'or et ses fêtes ; tout cela était bon pour les peuples enfants. Il te faut autre chose, plus et mieux. » Il a obéi.

Et d'abord le voilà sans dimanche. Sous prétexte de liberté, le voilà réduit au sort de l'esclave an- tique ou du galérien, condamné à traîner à perpé- tuité le boulet des travaux forcés. Sous peine de renvoi, sous peine de mourir de faim, il faut qu'il travaille six jours et encore le septième jour, et cela d'un bout de Tannée à l'autre. Autrefois il avait son dimanche et ses fêtes religieuses ; il a perdu tout cela. C'est déjà un immense malheur. Ce n'est pas tout.

Autrefois, il avait sa confrérie et sa corporation. Aujourd'hui, il est isolé. Jadis, pour se défendre «contre la toute-puissance de l'Etat, contre les in- justices de ses maîlres, il avait les statuts et règle- ments de sa corporation. Regardez-le à l'heure

3*6 CONFÉRENCES AUX HOMMES

actuelle. Après cent ans d'individualisme, c'est à peine si on vient de lui rendre une petite parcelle du droit d'association. 11 a presque perdu l'habitude d'user de ce droit et d'en user pour son bien, et les syndicats ouvriers qui viennent de naître ont encore du chemin à faire avant de procurer aux tra- vailleurs les avantages, les secours des anciennes corporations. Tant que ces syndicats ne seront pas pénétrés de l'esprit chrétien, ils seront incapables de réhabiliter la classe ouvrière.

Séparé de l'Eglise, l'ouvrier d'aujourd'hui est exposé à la dégradation. Les incrédules disent : La religion abrutit les hommes. Et moi je dis : C'est l'incrédulité qui nous abrutit, puisqu'elle fait de nous des brutes à l'origine, des brutes pendant la vie, des brutes à la mort. Qu'est-ce que l'homme? L'incrédule répond : Un singe perfectionné. Com- ment l'homme doit-il vivre? L'incrédule répond: Il doit chercher les jouissances et les satisfactions des sens. Or c'est précisément la vie de la brute. Quelle est la destinée de l'homme? L'incrédule répond : Il doit, comme les animaux, retourner au néant. L'incrédulité fait de nous des brutes. Jetez de telles doctrines dans un peuple, et vous recueil- lerez chez ce peuple la déraison, les utopies révolu- tionnaires, l'ignorance de la justice et des vérités essentielles de la morale, en un mot la dégrada- tion et l'abrutissement progressif. A mesure qu'il se sépare de l'Église, l'ouvrier compromet son corps,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 377

son âme, sa famille, son pays; il voit décroître et empirer sa situation matérielle, morale, domestique et sociale.

Messieurs, l'on se demande à qui appartiendra l'avenir. Je dis que l'avenir appartiendra à l'Eglise, Elle est en effet la grande bienfaitrice du peuple. Le peuple finira par le comprendre. Il reviendra repentant, converti, joyeux à sa divine amie, et la démocratie reconnaissante donnera à l'Eglise une splendeur que ne lui ont pas donnée les rois. Quand le monde du travail verra enfin que l'Eglise n'est pas seulement la reine du monde surnaturel et la. reine de la morale, mais qu'elle possède aussi avec le dévouement et le sacrifice, la clef de toutes les questions économiques, des améliorations sociales et des progrès de l'industrie, le monde du travail reviendra à l'Eglise et lui rendra une popularité plus belle et plus éclatante que celle des jours antiques. Voilà l'avenir. Mais cet avenir ne se fera pas tout seul. C'est à nous qu'il appartient de l'ébaucher et de le préparer, et c'est à Dieu qu'il appartient de le faire éclore sous la double rosée de notre prière et de nos sueurs. Donc, mettons- nous à genoux et prions; levons-nous et agissons l

Amen I

TREIZIÈME CONFERENCE III. L'Église et le Commerce

Messieurs,

L'Eglise est la bienfaitrice de l'agriculture et de l'industrie. Disons un mot de son influence sur le commerce.

L'agriculture produit la plupart des matières pre- mières; l'industrie les transforme et les adapte à nos besoins ; le commerce les échange et les fait circuler d'homme à homme et de peuple à peuple. Rien de plus légitime que le commerce et rien de plus nécessaire. Chacun est incapable de pourvoir à tous ses besoins personnels ; par le commerce, nous recevons des autres ce qui nous manque, en leur donnant ce que nous avons en trop. Le commerce est une nécessité providentielle. Il oblige le Nord et le Midi à se visiter, à se connaître et à s'aimer, et les diverses nations à se rapprocher, à s'entr'aider, à vivre dans l'union d'une fraternité universelle. En enserrant les hommes de toutes les professions et de tous les climats dans la communauté des in- térêts matériels, le commerce leur rappelle leur

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communauté d'origine et de destinée, et il prépare ainsi l'union des intelligences et des cœurs. Le commerce est légitime, nécessaire et voulu de Dieu. Bien loin qu'elle le condamne, l'Église l'approuve, le favorise et le soutient. Gomment cela? C'est ce que nous allons voir.

I. La probité commerciale est Y âme du com- merce.

Que voulez- vous que devienne le commerce, si la plus stricte probité ne préside pas à toutes les transactions, si offrant une qualité rare on livre une qualité médiocre, si la balance trompe par le faux poids et le mètre par un mesurage précipité, si les meules retiennent le grain au lieu de le broyer, si des mélanges intéressés et perfides déna- turent la fabrication d'un produit, altèrent les subs- tances les plus nécessaires à la vie et ajoutent à la matière du vol tous les dangers de l'empoisonne- ment? Que voulez-vous que devienne le commerce, si pour obtenir une préférence, exercer un monopole et accaparer certaines sources de la vie et de la fortune publique, on achète les consciences, on corrompt la presse, on s'assure des protecteurs puissants par des présents magnifiques? Que vou- lez-vous que devienne le commerce, si la Bourse

380 CONFÉRENCES AUX HOMMES

se manie l'argent, et les marchés s'échangent les marchandises sont des antres ténébreux livrés à la duplicité, à la fraude età l'injustice? Messieurs, si nous ne voulons pas que la société soit une forêt de Bondy et un mauvais lieu, proclamons bien haut que la probité est l'âme du commerce.

Or quel moyen avez-vous d'établir la probité commerciale? Vous avez la loi. Oui, certes la loi est une barrière contre la cupidité humaine. Elle recherche, poursuit et condamne le vol avec un zèle qu'on ne saurait trop louer. Mais, hélas! com- bien elle est impuissante à prévenir l'injustice et souvent même à la punir ! Elle ne prévient presque rien, et elle ne punit pas tout. Et que de fois ne la voit-on pas frapper sans pitié un malheureux qui aura volé une carotte dans le champ de son voisin, et s'arrêter devant les grands coupables, frémis- sante, inappliquée et vaincue? Messieurs, pour sauvegarder et maintenir la probité, il faut une puissance autre que la loi. Il faut la religion.

C'est la religion, dont l'Eglise catholique est la plus haute expression, qui juge les lois et les jus- tices de la terre. C'est l'Église qui seule pénètre dans les consciences pour les éclairer, les régler, les redresser et les purifier. C'est l'Eglise qui, par ses tribunaux spirituels, ses sacrements et ses doc- trines appelle l'improbité un vol et la restitution un devoir. C'est l'Eglise qui, tout en permettant l'intérêt légal et modéré, n'a jamais cessé de pros-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 381

crire l'usure et l'agiotage. Messieurs, en présence de tant de fortunes solides, gigantesques, scanda- leuses, réalisées par des spéculateurs et des manieurs d'argent qui dépouillent en un coup de Bourse des milliers de pauvres gens, comment voulez-vous que le peuple ne soit pas aigri et irrité? Gomment voulez-vous que le capital ne soit pas menacé et avec lui toutes les entreprises industrielles et com- merciales? Si vous voulez rétablir le règne de la probité en haut, en bas, partout, revenez à la reli- gion, revenez à l'Eglise. Plus un siècle est religieux, plus il est honnête. Plus un peuple est chrétien, plus il est probe.

II. Les voies commerciales sont la condition du commerce.

Les voies de communication par terre et par eau sont nécessaires au commerce. Pour échanger leurs produits sur toute la surface du globe, les peuples ont besoin de routes, de ponts, de canaux, de che- mins de fer. L'Eglise ne peut pas condamner les voies commerciales dont l'humanité ne peut pas se passer. Elle les condamne d'autant moins que ces voies de communication nécessaires au point de vue matériel sont très utiles au point de vue reli- gieux. Ce réseau magique, ce chemin de fer qui enserre la planète dans ses anneaux, devient à son

382 CONFÉRENCES AUX HOMMES

:nsu le propagateur de la foi. L'apôtre de Jésus- Christ, le missionnaire, auquel il fallait des mois et des années pour aborder aux rivages infidèles, s'élance sur le cheval de fer que la science lui amène, et, fendant en quelque sorte les airs, il va porter au bout du monde les idées civilisatrices de la vérité et de la vertu évangéliques. Plus les voies de communication sont nombreuses et rapides, plus l'Église se réjouit. Elle se réjouit pour l'humanité et pour elle-même;, elles en profitent toutes les deux. «•

11 faut d'ailleurs que vous sachiez bien qu'ici, comme en tout le reste, l'Église s'est montrée de tout temps une puissante initiatrice. En instituant les pèlerinages dans l'intérêt moral des peuples, elle a travaillé grandement à la prospérité du com- merce. C'est facile à comprendre. Les pèlerinages auraient été à peu près impossibles sans des che- mins et des routes, sans des bacs et des ponts. Ouvrière infatigable, l'Eglise s'est mise à l'œuvre. Elle institue des Ordres religieux qui prennent le nom de Frères Pontistes et s'engagent par vœu à construire ou à réparer des routes et des ponts. C'est à l*urs soins qu'on doit le célèbre pont d'Avi- gnon, construit au xne siècle, travail gigantesque devant lequel avait reculé le génie des Romains et de Charlemagne, travail colossal dont les débris attestent à nos populations l'action bienfaisante de l'Église. Au temps des Croisades, les Papes atta-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 38£

chèrent à la construction des routes et des ponts les mêmes indulgences qu'aux pèlerinages de Jéru- salem, et Ton vit alors tous ceux qui ne pouvaient pas prendre part à la guerre sainte s'enrôler dans des confréries d'ouvriers, s'unir aux moines tra- vailleurs et offrir d'eux-mêmes des prestations gratuites, afin de participer à leur manière aux faveurs spirituelles des croisés et à leurs héroïques entreprises. L'Eglise donnait l'exemple et, en ou- vrant des routes, elle engageait à faire de même les rois, les seigneurs féodaux et les bourgeois des communes. Le commerce en Europe est redevable à l'Église d'une des premières conditions de sa prospérité : l'ouverture des voies de communica- tion par terre et par eau.

Et en même temps qu'elle créait des voies com- merciales, l'Eglise en assurait la sécurité au moyen de la trêve de Dieu et de la chevalerie : deux ins- titutions dont je n'ai pas le temps de vous parler aujourd'hui et sur lesquelles je reviendrai plus tard.

Et à qui faut-il attribuer l'établissement des postes et des messageries, si favorables, pour ne pas dire si nécessaires au commerce, sinon en France à Louis XI, fils soumis et dévoué de l'Eglise, en Espagne à Ferdinand et à Isabelle la Catholique, en Italie aux Papes, les promoteurs infatigables du progrès matériel et moral?

Enfin, quand l'Eglise embrigadait l'Europe chré-

384 CONFÉRENCES AUX HOMMES

tienne dans le grand mouvement des Croisades, n'est-il pas évident qu'elle travaillait puissamment au développement des échanges et à l'extension du commerce? La piété, qui est utile à tout, eut pour nos pères des conséquences commerciales qu'ils ne soupçonnaient pas, mais que Dieu voyait et voulait. Les croisades mirent en rapport des peuples qui ne se connaissaient pas, firent faire à l'art de la navigation des progrès immenses et donnèrent à l'Europe chrétienne la facilité des missions étran- gères et le goût des voyages lointains. En servant l'idée chrétienne, les croisades du même coup con- coururent à la prospérité commerciale de l'Europe, et ce fut cette même idée chrétienne et ce même zèle des croisades qui reculèrent les bornes du monde connu, et, après avoir créé le commerce international, créèrent aussi le commerce colonial d;e F Europe. C'est ainsi que l'Eglise a pris sa part, sa large part dans l'ouverture des voies de com- munication qui sont la condition de la prospérité commerciale. Ce n'est pas tout.

III. Les débouchés commerciaux sont le stimu- lant du commerce.

L'fcglise a-t-elle ici encore une influence quel- conque? Oui, certes.

D'abord on le dit, et la chose est évidente, la re-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 385

ligion est elle-même un débouché commercial. Il y a pas mal de gens utilitaires et matérialistes qui lui pardonnent d'exister, parce que, disent-ils, elle est une bonne branche de commerce. Ces hommes à l'œil rétréci ne voient qu'un tout petit côté de la religion. Mais, enfin, ce petit côté d'une très grande chose existe, et il est facile de constater que les be- soins religieux alimentent une foule d'industries : construction et entretien des monuments religieux, ouvrages d'art en architecture, en peinture, en sta- tuaire, en musique ; impression des livres litur- giques ; vases sacrés et étoffes précieuses brochées d'or et de soie; délicates ciselures, élégantes bro- deries, tissus de fin lin ; riches tapis ; vastes ten- tures ; sonneries ; fourniture de luminaire et d'en- cens... C'est par centaines que l'on peut compter les affaires commerciales dont la religion est l'oc- casion et le stimulant. Allons plus avant.

L'Église a ouvert des débouchés commerciaux, en créant au sein de l'Europe féodale nos premiers marchés, dont le nom même de foires, feria, est une révélation. Sans nous en douter, nous sommes tout imbibés de catholicisme dans nos lois, dans nos habitudes et jusque dans notre langage quotidien. Ce nom de foires donné à nos marchés vient du mot chrétien feria, qui signifie fête ou solennité religieuse. Et tous les historiens s'accordent à re- connaître que nos premières foires sont dues aux fêtes des Saints qui, en attirant un grand concours

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-25

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de fidèles, offraient ainsi une occasion naturelle et facile à l'écoulement des produits et aux diverses transactions commerciales. Et encore aujourd'hui, nos foires principales se rattachent à des souvenirs religieux ; c'est la foire de la Toussaint, de la Saint- Jean, de la Madeleine, etc..

Et non contente de faciliter les relations com- merciales en assemblant les hommes d'une même région dans de vastes marchés placés sous la pro- tection des saints, l'Eglise a étendu plus loin son action et a concouru grandement à créer les colo- nies européennes. Comment cela?

1. En inventant la boussole, elle a permis aux navigateurs de voguer sans crainte vers des régions inconnues et inexplorées.

2. En inspirant le zèle de Christophe Colomb, elle a révélé à l'Europe tout un monde nouveau. L'immense agrandissement de nos relations com- merciales, à la suite des découvertes de Vasco de Gama et de Christophe Colomb, n'est un secret pour personne; mais ce qui est plus ignoré, c'est l'idée religieuse et chrétienne qui nous a valu ce grand événement dont nous vivons encore. Colomb était un catholique fervent; il cherchait non pas de l'or et de la gloire, mais des âmes à donner à Jésus- Christ et à sauver. Et il rêvait, après avoir converti les peuples de l'Inde, d'employer les bénéfices de son expédition à la délivrance du saint Sépulcre.

3. Et, après avoir ouvert à l'Europe le chemin des

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colonies, l'Eglise lui apprit encore à les fonder, à les conserver et à les faire fleurir. C'est ce qu'elle fit par ses missionnaires. Et ici, il faudrait vous raconter la civilisation coloniale par les ordres re- ligieux. Un jour, Messieurs, nous avons été la pre- mière nation du monde par notre marine et nos colonies. C'était au xvne siècle, alors que nous étions la nation catholique par excellence. Puisse la France reprendre bientôt sa place et sa mission dans le monde ! Puisse-t-elle bientôt retrouver, avec la splendeur de la foi, tout son prestige au dehors et toute sa grandeur coloniale.

Puisque je vous parle de l'Eglise dans ses rap- ports avec le commerce, laissez-moi finir par un fait bien significatif qui remonte au commencement du xixe siècle. C'était en 1806. Napoléon avait vaincu l'Europe ; il voulut frapper à son tour l'Angleterre et il décréta le Blocus continental. C'était la ruine du commerce pour la satisfaction d'un homme, et c'était une injustice colossale. L'Europe entière courba le front. Un seul homme protesta en faveur du droit et ouvrit ses ports aux Anglais. Cet homme, c'était le pape, c'était Pie VII, et je ne sais pas au monde de spectacle plus beau que cette affirmation de la conscience et du droit s'élevant au-dessus de tout esprit de parti en face de la force et de tous les dangers. Dans ce duel du faible contre le fort, de Pie VII contre Napoléon, le pape fut vaincu.

388 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Napoléon réunit Rome à ses Etats ; il fit enlever le pape et le fit transporter à Fontainebleau, il resta prisonnier jusqu'en 1814. Mais la crainte ne pouvait empêcher l'Eglise de proclamer le droit et

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la vérité. L'Eglise, Messieurs, a toujours été et res- tera toujours la grande école du mépris de la force, la grande école de la liberté, la grande école du vrai et du bien ; aimez-la donc et chantez-la.

Amen!

IV

DANS L'ORDRE DOMESTIQUE

PREMIÈRE CONFERENCE Les lois du mariage

Messieurs,

Nous avons étudié les bienfaits de l'Eglise dans l'ordre intellectuel, dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel, et en présence de ce triple spec- tacle vous avez senti naître et grandir en vous le sentiment de l'admiration et de la reconnaissance. Est-ce tout? Non. Nous sommes à peine à la moi- tié de notre course. De nouveaux horizons pleins *de lumière sollicitent notre attention et vont char- mer notre pieuse curiosité. Qu'ils viennent donc ceux qui ont quelque souci de la vérité, ceux qui se plaignent de n'avoir pas la foi et qui ont un vague désir de la retrouver ! Nous avons la sainte audace de leur promettre la possession du vrai dans un déluge de lumière.

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Nous allons parler des bienfaits de l'Eglise dans l'ordre domestique, de l'influence de l'Eglise sur la famille. La famille... c'est tout, c'est la molécule essentielle du corps social. Si,- dans une nation, la grande majorité des familles a des idées perverses

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et un sang appauvri, l'État aura beau perfection- ner ses lois et ses institutions, il aura beau faire des prodiges de génie dans la science et l'industrie, la société sera misérable et dégradée ; elle n'offrira que des esprits abaissés, des criminels et des mal- faiteurs, et enfin des bras prêts à porter toutes les chaînes, parce qu'ils sont impuissants à porter une épée. Au contraire, supposez dans la majorité des familles, des tempéraments de fer et des caractères inébranlables, au service de convictions saines et droites, et vous aurez trouvé un levier capable de soulever le monde. Ce que les sources sont aux fleuves, la vie domestique l'est à la vie sociale, la famille à la patrie.

Mais la famille elle-même, prend-elle sa source? Dans l'union conjugale, et il faut que je vous montre d'abord comment l'Eglise a réhabilité l'union conjugale. La nature même du sujet exigera de moi quelquefois que je touche à des points déli- cats. Ne craignez rien. Je n'ai pas l'habitude de vous cacher la vérité, et je vous la dirai tout entière en restant bien entendu dans les limites consacrées par la langue chrétienne et commandées par le respect que je vous dois. J'ai l'intention aujourd'hui de vous dire deux choses : ce que l'Eglise pense

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du mariage ; ce que l'Eglise a fait pour sauve- garder les lois du mariage.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 39S

»

I. Ce que l'Église pense du mariage.

L'Église pense que le mariage doit être libre. Nulle part, en dehors des nations chrétiennes, la liberté des époux n'a été reconnue et respectée. Ici la femme est achetée ou enlevée, comme à Rome; là, les mariages sont arrangés entre parents sans que les époux se soient vus, comme en Chine ; par- tout l'esprit de caste se dresse comme une barrière infranchissable devant la liberté des conjoints. L'Église fait tomber ces barrières, sources des plus grands maux, et elle place à l'origine de l'union matrimoniale cette liberté que notre siècle recherche- si passionnément et qu'il aime tant à voir à la racine de toutes les institutions. Au jour l'époux se présente devant les autels pour faire bénir son union, l'Église lui dit : « Sache, jeune homme, que tu dois respecter tes parents et recourir à leurs conseils dans un acte aussi solennel; mais sache cependant que devant Dieu tu portes seul la respon- sabilité de tes actes, et que plus qu'aucun autre tu auras à souffrir ou à te féliciter pour la vie d'un bon ou d'un malheureux choix. Choisis mainte- nant. Veux-tu accepter cette vierge pour épouse? » Puis, se tournant vers la jeune fille, le prêtre lui dit : «Veux-tu, à ton tour, accepter ce jeune homme pour époux? » Et quand un « Oui ! » libre et solennel a été prononcé de part et d'autre, alors, mais alors.

394 CONFÉRENCES AUX HOMMES

seulement, le prêtre donne aux époux l'anneau d'or, symbole de l'union qui promet au nouveau foyer le bonheur avec le maintien d'une des libertés les plus légitimes, les plus saintes et les plus néces- saires. L'Eglise pense que le mariage doit être libre. Est-ce tout? Non.

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L'Eglise pense que le mariage doit être un et indissoluble. Avec Adam au Paradis terrestre, elle dit des époux : « Ils seront deux dans une seule

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chair. » Et, avec Jésus-Christ dans l'Evangile, elle ajoute : « Ils ne seront plus deux, mais un; Jam non sunl duo, sed una caro. » Et cette unité du mariage, c'est la beauté et la concorde de la famille, <î'est la force et l'honneur de la civilisation. Et, non contente de proscrire la polygamie avec ses cor- ruptions, ses faiblesses, ses hontes et ses servitudes, l'Eglise proscrit encore le divorce. Elle réclame pour le mariage la stabilité et la perpétuité des nœuds qui le forment, et elle a raison. Elle a raison : d'abord parce que Jésus-Christ qui est la vérité même a déclaré le mariage indissoluble ; et parce que, à la lumière du simple bon sens, le divorce toléré ou autorisé est une imprévoyance à l'égard des époux, dont il déchaîne les passions, au lieu de les contenir ; une injustice à l'égard de la femme qui est impitoyablement chassée delà famille qu'elle a formée; une cruauté à l'égard des enfants, qui n'ont plus qu'un foyer incertain, une vie déchirée, un nom flétri pour tout un siècle. Le divorce

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 395

enlève à la mère, comme un bétail qui se divise, une part des enfants qu'elle a portés dans son sein, qu'elle a nourris de ses larmes et de son amour Mais la louve au fond des forêts, quand on lui arrache ses petits, on lui fait une injure qu'elle ressent; et vous, dans un pays chrétien, vous arra- chez l'enfant à sa mère ; vous ne craignez pas de lui faire une injure que le tigre ne pardonnerait pas dans l'antre de ses déserts! Bénissez l'Eglise, Messieurs. D'accord avec Jésus-Christ et avec la rai- son, elle proclame la liberté, l'unité et l'indissolu- bilité du mariage. Et ce n'est point de sa part une parole platonique; c'est une doctrine pour laquelle elle a souffert et qui est entrée dans, les faits au prix de ses héroïques labeurs. Ouvrons les annales du passé.

II. Ce que l'Église a fait pour sauvegarder les lois du mariage.

A l'Eglise ont été confiés les nœuds sacrés du mariage. Elle les a tenus d'une main haute, ferme, invincible. Elle y a mis la tête de ses Papes et le sang de ses martyrs, corrigeant les mœurs, amélio- rant les lois, bravant tantôt la colère des peuples, tantôt les menaces des princes. Sans elle le mariage restauré et réhabilité par Jésus-Christ n'aurait pas subsisté vingt ans, et voilà dix-neuf siècles qu'il

396 CONFÉRENCES AUX HOMMES

est debout au milieu d'une humanité acharnée brutalement à le renverser. Voyez cela. C'est admi- rable !

L'Église entre dans le monde; elle y rencontre d'abord les païens : la frivole Athènes, l'impure Co- rinthe, cette Rome dégénérée le divorce est devenu une loi authentique et tellement suivie que certaines femmes comptent plus de mariages que d'années, et ces Corinthiens voluptueux, ces Grecs sceptiques, ces Romains décadents acceptent les lois inviolables du mariage chrétien dans un temps l'union conjugale était discréditée et profanée, le théâtre en avait fait son jouet, les Césars leur proie, les philosophes et les poètes leur dérision.

L'Église continue sa marche, et elle rencontre les Barbares, ces lions du désert, en qui la puissance égalait la convoitise. Ils traînent après eux une foule de femmes captives, tour à tour les élevant sur le trône par caprice, les délaissant par liberti- nage, et les tuant par vengeance. L'Eglise vient à eux, la croix d'une main et l'Evangile de l'autre. Et les Alaric, les Sigismond, les Clovis acceptent la foi nouvelle, et les Glotilde devenues des saintes font régner sur leur mari et sur leur peuple les lois inviolables du mariage chrétien.

L'Église avance encore, elle rencontre le maho- métisme, ce déluge mêlé de chair et de sang qui a inondé presque toute l'Europe, cette doctrine infâme qui mettait le cimeterre au service de la

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 397

volupté. Que fait l'Eglise? Pour sauver l'arche sainte de la morale chrétienne, elle arme Charles-Martel, saint Louis, Godefroi de Bouillon. Elle va racheter ses filles captives chez les infidèles, plutôt que de les laisser en proie au sensualisme oriental. Elle refoule de croisade en croisade, loin de la France, loin de la Sicile, loin de l'Espagne, loin des côtes de la Méditerranée le spectacle de la polygamie musulmane et des ignominies de la chair triom- phante. Que seriez- vous sans elle? Vous seriez pires que des païens, pires que des harbares : vous seriez des Turcs!

Voici le moyen âge. Les princes se croient tout permis parce que tout leur est possible. Mais l'Église déploie un héroïque courage et une divine opiniâtreté pour arrêter les passions frémissantes. Armée de l'excommunication, elle foudroie les cor- ruptions royales. Le grand pape Innocent III chasse du trône de France Agnès de Méranie et rétablit Ingelburge de Danemarck dans ses droits d'épouse et de reine. Vainement Philippe-Auguste, pour fléchir l'indomptable Pontife, promet aumônes, soldats, croisade. Avec une grandeur sans égale, Innocent III lui répond :

Que, dans Jérusalem, la croix s'élève ou tombe, L'esprit vivant du Christ est plus saint que sa tombe !

Des historiens de mauvaise foi n'ont pas voulu comprendre cette conduite de l'Église. Ils ont versé

398 CONFÉRENCES AUX HOMMES

des larmes de théâtre sur les victimes royales de l'excommunication chassées de leur lit adultère ou incestueux par la parole des Papes. Pour nous, Messieurs, rendons grâce à l'Eglise qui a mieux aimé tout souffrir et tout perdre que trahir la cause du foyer. Henri IV, Louis XIV et Louis XV ne furent pas plus épargnés que leurs ancêtres. Bossuet met au service de la morale évangélique l'autorité de son génie, Bourdaloue frappe comme un sourd, et, quand les fils de l'adultère, légitimés en dépit de la loi, de la raison, de l'honneur touchaient presque à la couronne, quand Louis XIV s'oubliait jusqu'à leur donner des droits au trône de saint Louis, et que la France se taisait devant une telle audace, ce fut, pour ces grands hommes d'Eglise, une gloire plus grande encore que leur génie d'avoir vengé le foyer domestique de ces abominations et de ces scandales et d'avoir proclamé, devant les peuples et devant les rois, les lois inviolables du mariage chrétien.

L'attitude de l'Eglise resta la même en face de la Réforme et de la Révolution. Henri VIII veut à tout prix répudier Catherine d'Aragon et donner sa couronne à Anne de Boleyn ; Philippe de Hesse songe à posséder deux femmes à la fois; Albert de Brandebourg brise les liens qui l'attachent à l'autel et forme des nœuds adultères autant que sacrilèges. Et Luther conseille, approuve, ratifie tous ces scan- dales, et le scandale de son exemple ajoute à celui

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 399»

de sa doctrine. C'en est fait du mariage, le torrent

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entraîne tout. Non. L'Eglise veille sur le lit nup- tial et en sauve l'honneur. Il en coûte leur tête à l'évêque Jean Fischer et au chancelier Thomas Morus pour avoir résisté aux caprices tyranniques d'Henri VIII; mais la tête d'un évoque n'en est que plus belle quand elle tombe pour la vérité ; mais le chancelier qui meurt pour la justice n'en est que plus grand. « L'adultère ou l'hérésie », disait Lu- ther. Léon X a préféré l'hérésie. « Le schisme ou le divorce », disait Henri VIII. Clément VII a pré- féré le schisme. Plutôt le schisme et l'hérésie que l'adultère et le divorce ! Les hérésies se décomposent d'elles-mêmes, les schismes passent, mais ce qui doit demeurer, c'est la cause des mères, des épouses, des filles, c'est la cause du genre humain, c'est l'honneur du foyer avec les lois inviolables du ma- riage chrétien!

Aujourd'hui encore, malgré la défaillance des lois et des mœurs, que fait l'Eglise? Elle maintient sa doctrine ; elle venge les droits du foyer et la sain- teté du lit nuptial; elle refuse aux époux divor- cés le bénéfice et l'honneur d'un nouveau mariage ; elle en déclare les fruits illégitimes; et, gardienne de l'Evangile, de ce code supérieur et antérieur à tous les codes, elle répète à ceux qui veulent et à ceux qui ne veulent pas l'entendre : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. » Elle sauve les lois inviolables du mariage chrétien.

400 CONFÉRENCES AUX HOMMES

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Telle est l'œuvre de l'Eglise depuis dix-neuf siècles. Elle a protégé le mariage. Elle a lutté héroïquement pour la liberté, l'unité et l'indissolu- bilité de l'union conjugale. Elle a fait de cette cause la cause totale de la civilisation. Pour arrêter la brutalité de la chair et du sang, elle a parlé, elle a combattu, elle a souffert. en seriez-vous sans ces combats plus qu'héroïques? « Votre sang flétri depuis des siècles, dit Lacordaire, vous serait arrivé par les veines dune femme esclave au lieu de vous arriver du cœur d'une femme ingénue. Tout ce que vous avez eu de joies saintes par vos mères, vos épouses et vos filles, eût été transformé aux joies infâmes de la servitude trempée dans la volupté. Vous seriez des Turcs et non des Francs. » Rendons grâce à Dieu, Messieurs, qui nous a sauvés par le courage de nos pères et l'intrépidité de la sainte Eglise catholique.

Amenl

DEUXIÈME CONFERENCE

Le Bonheur dans le mariage

Messieurs,

L'Eglise est la grande bienfaitrice du genre hu- main dans l'ordre intellectuel, dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel. Mais son influence n'at- teint pas seulement les individus, elle rayonne dans la famille. Et déjà nous avons constaté que depuis dix-neuf siècles l'Eglise est la gardienne incorruptible de l'union conjugale, dont elle main- tient la liberté, l'unité et l'indissolubilité. Ce n'est pas tout. En même temps qu'elle sauvegarde les lois du mariage, elle en assure le bonheur en le réglant et en le divinisant.

I. L'Église règle le contrat matrimonial.

Vous avez entendu dire beaucoup de mal des empêchements de mariage, et peut-être avez-vous été tentés vous-mêmes de murmurer contre, la lé-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-26

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404 CONFÉRENCES AUX HOMMES

et que le mélange des familles est un des princi- paux remèdes pour combattre les transmissions morbides de l'hérédité, pour assurer la conserva- tion et le renouvellement d'un sang riche et vigou- reux dans les races : médecins et législateurs sont ici d'accord avec les théologiens. Par exemple, les sourds-muets de naissance procèdent très ordinai- rement d'une infraction grave aux règles posées par l'Eglise, d'une dispense témérairement ou frauduleusement demandée, d'une concession for- cément ou même invalidement obtenue. Oui, les familles qui promettaient de porter dans un loin- tain avenir, avec une nombreuse postérité, le sou- venir et la gloire de leurs ancêtres, se sont éteintes presque à leur berceau pour avoir méconnu les lois de l'Eglise, lois fondées sur la connaissance la plus haute des exigences de la nature, aussi bien que sur les règles de la morale la plus saine. N'ac-

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cusez pas l'Eglise, Messieurs, d'avoir usurpé les droits de l'autorité civile sur le contrat matrimonial. Remerciez-la, au contraire, d'avoir soustrait aux caprices des passions et à la mobilité des codes, pour la soumettre à sa législation bienfaisante, une institution aussi vénérable et aussi délicate que celle de la famille. Que seriez-vous à cette heure si l'Église, si les Pontifes romains n'avaient pas veillé sur la moralité des peuples et légiféré sur la ma- tière matrimoniale ? Entre les vieillards du Vatican et Henri VIII couvert de la honte de quatre di-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 40!>

vorces et du sang de quatre assassinats, choisissez ! Ne vaut-il pas mieux confier la garde des foyers aux Papes de Rome, qui vous offrent la plus haute des garanties imaginables, plutôt qu'à des législa- teurs de circonstance qui vous imposeront au hasard des lois complaisantes autorisant tous les désordres ? Vous voulez placer devant les foyers une véritable garde d'honneur... laissez l'Eglise veiller, parler, légiférer. Elle a fait ses preuves depuis dix-neuf siècles, et elle n'est point à la veille de quitter son poste et de faillir à sa mission. Elle règle le contrat matrimonial. Elle fait plus encore.

II. L'Église divinise le contrat matrimonial.

L'Etat, le pouvoir civil peut-il intervenir dans le contrat matrimonial? Oui. Il est tout simple et très légitime que l'Etat connaisse un contrat aussi im- portant, et que ses magistrats en dressent l'acte, puisqu'ils sont obligés d'en surveiller les consé- quences. Donc réglez par la loi les effets civils du mariage, enregistrez le nom des époux contractants, inscrivez sur vos tables le jour et le lieu com- mence cette nouvelle famille. Rien de mieux.

Mais l'intervention de l'Etat est-elle capable de constituer le contrat matrimonial et d'en assurer la félicité ? Evidemment non. Qu'est-ce que le ma- riage ? Est-ce un simple contrat civil comme les

406 CONFÉRENCES AUX HOMMES

contrats de louage ou de vente résiliables par la volonté des parties ? Est-ce un contrat vulgaire comme ces contrats mercantiles dont l'objet est un champ ou un troupeau, tout ce qui se paie ou s'achète, tout ce qui est matériel, grossier et au- dessous de l'homme ? Est-ce une question de dot, d'héritage, de testament, de naissance et de mort, de transactions temporaires? Non. Le mariage est la rencontre de deux volontés, de deux cœurs, de deux consciences, de deux âmes libres en un mot, qui se donnent l'une à l'autre et pour toujours. Que voulez-vous que fasse la loi civile en pareille ma- tière? Allez- vous lui demander de saisir les volontés, d'unir les cœurs, de souder les consciences, de lier les âmes ? Allez- vous demander à la puissance pu- blique d'entrer dans un domaine si intime et si délicat? Elle ne le peut pas, et, ne le pouvant pas, elle ne doit pas même l'essayer. Le monde des âmes lui est fermé, et de toute nécessité il faut faire inter- venir ici la puissance religieuse, il faut faire inter- venir ici Dieu qui est le roi des âmes, le roi des consciences, le roi des cœurs, le roi des volontés, et qui seul par conséquent peut accepter, ratifier et valider le contrat matrimonial.

Quelles sont les obligations du mariage? Elles sont nombreuses et effrayantes pour la nature hu- maine. C'est d'abord l'affection et le dévouement réciproque. A partir de l'heure l'homme et la femme ont contracté mariage, mille chaînes leur

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 407

rappellent qu'ils ne s'appartiennent plus, qu'ils se sont donnés ; mille circonstances extérieures les meurtrissent ensemble, et quelquefois l'un par l'autre. Et le mariage qui avait commencé sous les ombrages parfumés de l'Eden s'achève souvent sur une croix. Et puis au devoir ininterrompu du sup- port mutuel vient s'ajouter le devoir plus lourd encore de l'éducation des enfants. Sur le trône uni du père et de la mère une fleur, disons plutôt une épine, vient à paraître, c'est l'enfant... l'enfant, c'est-à-dire l'objet du plus noble orgueil, et en même temps la plus douloureuse des anxiétés. Car ces enfants que Dieu donne, il faut les nourrir, les élever, les préserver, leur préparer une belle âme et une vie honorable ; et, s'ils viennent à faillir, si le vent des orages si violents en nos tristes jours les déprime jusqu'à terre, il faut leur parler, les avertir, les reprendre, les relever ; il faut les puri- fier quelquefois dans un torrent de larmes. Quels redoutables offices! Que voulez-vous que fasse la loi civile en pareille matière? Irez-vous, époux, demander aux magistrats civils qu'ils vous donnent la force de porter votre chaîne, et de vous immoler longtemps, de vous immoler toujours? Irez-vous demander à la puissance publique, à la magistra- ture de votre pays, qu'elle protège votre cœur contre ses inconstances et contre ses défaillances? Irez-vous lui demander qu'elle garde votre amour conjugal chaste et pur, et qu'elle le rende ainsi

408 CONFÉRENCES AUX HOMMES

plus durable, plus profond et plus délicieux? Irez- vous lui demander qu'elle veille sur vos enfants, sur leur vertu, sur leur âme immortelle? Elle ne le peut pas. Ce n'est pas son affaire, et de toute nécessité il faut faire intervenir ici la puissance religieuse, il faut faire intervenir Dieu qui est le dispensateur de la lumière, de la force, de la con- solation et du dévouement, et qui seul, par consé- quent, peut assurer l'honneur et la félicité du contrat matrimonial! Les païens eux-mêmes ap- puyaient leur foyer à l'autel, et c'est auprès de la Divinité, au pied des autels qu'ils allaient se réfu- gier quand ils voulaient fonder une famille. C'est évident. Il faut mettre Dieu dans le mariage. Qui

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fera cela? L'Eglise et l'Eglise seule.

V Église divinise le mariage. Voyez-vous ces deux jeunes chrétiens s'avancer parmi les fleurs et l'en- cens, aux harmonies douces et profondes des orgues? Ce sont deux prêtres. Le prêtre catholique est là, mais, ô spectacle étrange ! il est comme dé- pouillé de la toute-puissance de son sacerdoce. Il

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est là, député par l'Eglise, comme un intercesseur et un témoin nécessaire ; comme un intercesseur pour prier et bénir, comme un témoin pour voir et écouter ; mais par une exception inouïe dans l'éco- nomie des choses divines, lui, le dispensateur de tous les sacrements, depuis le baptême jusqu'à l'extrême-onction, il n'est point le ministre de ce sacrement étonnant. Les ministres, ce sont les deux

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 409-

époux. Le cœur s'émeut au souffle de la nature et de la grâce à la fois, et, tandis que leurs mains s'unissent dans une chaste étreinte et leur voix en une seule harmonie, ils créent du même coup sous les yeux du prêtre, des anges et de Dieu,, le contrat de leur amour naturel et le sacrement de leur union surnaturelle. Dieu intervient, et les deux âmes sont liées, liées pour toujours, liées de telle façon que rien ni personne ne pourra jamais les séparer. Quod Deus conjunxit, homo non separet. Ils peuvent s'en aller maintenant ces deux jeunes époux dans les âpres sentiers de la vie ; ils y trou- veront des épines, des douleurs, jamais au-dessus de leur courage. Dieu est avec eux. Ils porteront sans faiblir la continuité de la vie conjugale et les lourdes responsabilités de la paternité. Une inta- rissable force ne cessera de les soutenir à la hau- teur de tous leurs devoirs. L'ordre, la paix, l'accord, l'amour, l'honneur régneront toujours sous leur toit, parce que, si la croix est là, l'onction de Dieu y est aussi. Ils auront une couche honorée, des berceaux heureux, un sanctuaire conjugal visité par les anges tutélaires du foyer, des mœurs graves dans une vie laborieuse et bénie de Dieu. Enfants de l'Eglise qui règle et qui divinise le contrat matrimonial, ils trouveront en elle le secret du devoir, la source de la force et la garantie du bonheur.

410 CONFÉRENCES AUX HOMMES

L'Église, Messieurs, a réhabilité l'union conju- gale. Ne défaisons pas ce qu'elle a fait. Laissons le foyer adossé à l'autel et la religion à la base de la famille. « Pro aris et focis; Pour les foyers et pour les autels... » C'est la devise de tous les peuples. Que ce soit aussi la nôtre. Chassons loin de nous les doctrines perverses qui, outrageant également l'Évangile et le bon sens, justifient le divorce, l'adultère, la polygamie et contestent même la légitimité du lien conjugal!

Amen!

TROISIÈME CONFÉRENCE

L'Époux

Messieurs,

Nous avons commencé l'étude des bienfaits de l'Église dans Tordre domestique. Et, d'abord, elle a restauré la famille en réhabilitant l'union conju- gale qui en est le principe. Entrons maintenant dans le détail. La famille se compose de trois élé- ments : l'homme, la femme et l'enfant. Et l'homme, le chef de la famille, se présente à nous sous un double aspect : il est époux et il est père. L'homme, en tant qu'époux, accepte l'influence de l'Eglise ou lui échappe, et de ces deux hypothèses profondé- ment dissemblables naissent deux situations que uous allons regarder de près et analyser aussi exac- tement que possible. Le chef du foyer échappe à l'influence de l'Eglise ; il vit dans l'indifférence ou dans l'impiété. Les conséquences sont redoutables.

I. Le chef du foyer est impie, et il entreprend franchement de conquérir sa femme à l'impiété

412 CONFÉRENCES AUX HOMMES

et de l'identifier au néant religieux de ses propres convictions.

D'abord cest un crime. Il n'a pas le droit de tuer dans l'âme de sa compagne la vie religieuse. Il n'a pas mis cela dans son contrat de mariage. Il a caché ce poignard sous les fleurs de l'hyménée. Si on avait su au juste qui il était quand il venait solliciter une alliance honorable, la mère de la jeune fille aurait tremblé peut-être avant de la livrer. Son père aurait senti monter à ses lèvres un refus énergique. Si l'époux incrédule avait an- noncé son projet, si, au moment du départ, il avait dit à sa fiancée : « Savez-vous je veux vous conduire? Jte veux vous conduire dans des chemins que votre jeunesse n'a jamais fréquentés, dans les sentiers détournés de l'incrédulité et de l'irréli- gion » ; s'il avait eu cette franchise, probablement il eût été délaissé, et la jeune fille eût retiré sa main en lui disant : « Va-t-en! » Mais non. Il n'a rien dit. Il a dit peut-être le contraire de ce qu'il pensait, et sur son impiété méditative et secrète, il a mis le masque d'une certaine religiosité de commande et de circonstance. Et maintenant que les nœuds du mariage sont formés et infrangibles, maintenant qu'il tient sa proie, il la jette en pâture aux doctrines de l'irréligion et du néant. C'est une trahison criminelle.

Et, de plus, c'est une lâcheté. Car entre lui et sa

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compagne les chances ne sont pas égales. Lui est une force, sa compagne est une faiblesse. Lui est armé pour la lutte intellectuellement, sa compagne a vécu de la religion, et, quoique ses convictions religieuses soient très raisonnables, généralement, elle ne les a guère raisonnées. Et, dans tous les cas, Thomme a devant sa compagne le prestige de l'autorité, et la femme a devant son mari le rôle de l'obéissance. L'homme est un gantelet de fer ; la femme est une fleur. Les chances ne sont pas égales, et c'est dans ces conditions que la lutte va s'engager. Le chef du foyer entreprend de conqué- rir sa femme à l'impiété. De deux choses l'une, ou il réussit, ou il échoue dans son entreprise.

S'il ne réussit pas ) c'est la guerre dans son foyer, c'est la lutte permanente entre une impiété qui veut s'imposer et une religion qui refuse d'abdiquer. Devant ce barbare qui vient heurter du pied l'au- tel où elle adore le Seigneur, qui veut entrer de force au fond de son âme et en bannir la pureté, la foi, l'espérance, l'amour de Dieu et tous les sentiments qui la relèvent et la consolent, la femme se redresse, prend un front sévère et s'écrie : « Je veux bien tout sacrifier, tout, excepté ma conscience et mon Dieu. » Situation cruelle pour le mari autant que pour la femme, et, afin d'y remédier, voici ce que quelques-uns ont inventé dans leur sagesse. Ils disent que, puisque les hommes n'ont pas de religion, si les femmes n'en

414 CONFÉRENCES AUX HOMMES

avaient pas davantage, ce serait un moyen de re- trouver l'union des âmes et la paix du foyer. Mes- sieurs, le remède est pire que le mal. Parce que certains hommes n'ont pas de religion, ce n'est pas un motif, et ce serait un malheur de loger les femmes à la même enseigne et de les condamner à la même condition. Pour mettre la paix et l'éga- lité dans le ménage, vous dites : «Appauvrissons les femmes et privons-les de la religion qu'elles ont. » Et moi, je dis : « Enrichissons les hommesr et donnons-leur la religion qu'ils n'ont plus. » Est- ce que ce n'est pas raisonnable? D'ailleurs façon- ner pour le foyer domestique des femmes incré- dules, est-ce que c'est facile? Est-ce même possible? Et, dans tous les cas, est-ce qu'il n'y a pas un danger épouvantable ? Le chef du foyer est impie, et il s'efforce d'associer sa compagne à son impiété; s'il ne réussit pas, c'est la guerre.

Et s'il réussit, quel malheur encore pire ! Voyez. En quelques années, la conscience de l'épouse ébranlée tombe comme par morceaux sous les coups répétés des paroles qu'elle entend, des lec- tures qu'on lui fait faire et des exemples qu'elle voit à son foyer conjugal. Et bientôt voilà l'homme et la femme semblables l'un à l'autre, sans pra- tiques religieuses, sans croyances, sans espoir, re- gardant s'éteindre au dedans d'eux-mêmes les der- nières lueurs de leur foi mutilée et de leur raison égarée, et se précipitant, tête baissée, avec des

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malédictions réciproques, dans l'abîme que nous appelons l'enfer et qu'ils appellent le néant. Les voilà élevant une postérité qui leur ressemble. La communauté demeure; mais c'est la communauté de l'athéisme. L'unité se réalise encore ; mais c'est la possession indivise du mal sans remède et du malheur sans fin. L'union règne, mais c'est l'union sur des ruines. Vous n'êtes pas difficiles. Moi, je trouve que c'est atroce, et je me réserve de vous montrer bientôt qu'une femme impie, assise auprès d'un mari impie au foyer domestique, c'est l'abo- mination de la désolation !

Heureusement, Messieurs, ce phénomène est rare. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est l'indifférence du mari contrastant avec la religion de la femme. Etu- dions ce second tableau.

II. Le chef du foyer est indifférent.

Il est, je le suppose, plein de respect pour la reli- gion. Il s'abstient simplement de la pratiquer. Cette attitude est-elle inoffensive? Je vais répondre en évitant soigneusement toute exagération.

L'indifférence du mari n'amène pas nécessaire- ment Vin différence de la femme. On voit assez sou- vent une femme rester chrétienne et pieuse auprès d'un mari sans religion. On voit même quelquefois la femme fidèle convertir le mari infidèle. On voit

416 CONFÉRENCES AUX HOMMES

des hommes indifférents subjugués à leur insu et ramenés à la foi par la douce et pénétrante in- fluence d'une épouse. Et si ce miracle de conversion ne s'opère pas pendant la vie, il n'est pas rare de le voir aboutir à la dernière heure. Un homme irréligieux tombait malade. On va chercher un prêtre. Il vient en se demandant comment il va faire pour aborder cette pauvre âme. A peine est- il entré que le malade lui dit : « Soyez le bienvenu, je vous attendais, je veux me confesser. » « Dieu soit béni, dit le prêtre, mais qui donc vous a ainsi changé « G' est un ange de Dieu qui m'a changé ! » Et, en disant cela, il montrait de la main la porte par son épouse venait de sortir. « Je vous com- prends, dit le prêtre, béni soyez-vous d'avoir écouté ses exhortations « Ses exhortations? Elle ne m'a pas dit une parole, je le lui avais défendu. Mais sa vie, oh ! sa vie! Durant trente ans j'ai été son bourreau, et durant trente ans je n'ai trouvé en elle qu'un agneau qui ne s'est pas plaint une seule fois. Souvent, j'ai essayé de la lasser, je ne l'ai pas pu. Monsieur, la religion qui inspire de pareils senti- ments ne peut qu'être divine. Je suis un malheu- reux, mais du moins je veux mourir dans les bras du Dieu de mon épouse ! » Voilà, Messieurs, ce que peut obtenir l'héroïsme de la femme chrétienne. Mais ce ne sont que des consolations de la der- nière heure. Et il n'en reste pas moins vrai que, le chef du foyer étant indifférent, il y a tout à

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 417

craindre pour la religion de la femme et pour la paix du ménage.

L'indifférence du mari est généralement un danger sérieux pour la femme. Placée en présence dun mari indifférent, elle se pose nécessairement des questions. Elle se demande si ce mari qu'elle aime n'a pas de bonnes raisons pour se conduire comme il le fait et pour se tenir à distance de toute pratique religieuse. Elle se dit qu'après tout son mari pourrait bien ne pas avoir tort. Et puis un homme a beau être raisonnable, avoir pris le parti sérieux de ne rien dire qui puisse froisser ou inquié- ter cette jeune fille livrée sans défiance à l'honnê- teté de sa promesse, il est bien difficile qu'en telle ou telle occasion il se refuse à un mot, à un trait, à une observation, à une critique. La femme recueille cette parole échappée à son mari, la mé- dite, la commente, lui donne une portée, en tire une argumentation. Voilà déjà sa foi ébranlée. Elle commence à douter. Sans faire aucune concession, sans rien céder en paroles ni de ses croyances, ni de ses principes, elle s'abandonne avec une cer- taine complaisance interne à quelque détachement de ses habitudes et de ses pratiques de dévotion. Elle laisse d'abord tout ce qui n'est que de simple conseil; puis, peu à peu, elle entame les principes positifs. Elle ne prie plus que par intermittence. Elle manque la messe de temps en temps. Ella n'est pas impie, mais elle n'est déjà plus chré-»

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-27

418 CONFÉRENCES AUX HOMMES

tienne comme elle l'était aux beaux jours de son adolescence. Sans cesser tout à fait de participer aux cérémonies extérieures du culte, d'assister à quelques offices, elle n'accomplit tous ces devoirs que très irrégulièrement. Bientôt les sacrements sont délaissés. C'est la ruine et la disparition de la vie chrétienne. Le mari constate le fait avec inquié- tude. Mais comment remédier à cet état de choses, lorsque sa femme ne fait après tout que prendre modèle sur lui ? Il aurait mauvaise grâce à prêcher dans son ménage la dévotion et la ferveur, lorsqu'il juge à propos de se tenir lui-même en dehors de tout ce qui peut y ressembler. Voilà donc l'indif- férence de l'homme qui a fini par dissoudre la piété de sa compagne. L'homme et la femme sont au même niveau, et les jeunes enfants n'ont plus per- sonne qui les façonne aux habitudes religieuses. Le soir, chacun se retire les lèvres closes, le cœur froid. Il n'y a plus de prières. Je me trompe. Il y a peut-être encore la prière furtive du petit enfant qui a appris au catéchisme qu'il ne fallait jamais se livrer au sommeil sans s'être auparavant recom- mandé à Dieu. Pauvre enfant caché dans son petit lit, il dérobe son signe de croix; il prie d'une manière secrète et furtive, il prie pour son père et sa mère qui ne prient plus ! Mais je veux bien le supposer, le mal ne va pas jusque-là. L'indifférence de l'homme n'entame pas la piété de la femme. La femme reste religieuse; l'homme

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 419

ne Test pas. Est-ce un idéal bien enviable? Ce dualisme est un danger et un malheur pour le ménage, à qui il manque le trait d'union si né- cessaire et si doux de la religion commune. On les a vus jadis, ces deux époux, agenouillés ensemble au pied des mêmes autels, et on pouvait croire alors que Dieu resterait toujours avec eux dans le long et difficile voyage de la vie. Hélas! à quelques mois de distance, quoiqu'ils fussent deux sous le même toit, quand venait l'heure de la prière, les anges n'entendaient qu'une voix. On n'en voyait jamais qu'un dans ce temple ils avaient été bénis ensemble, jamais qu'un à cette Table leurs existences s'étaient confondues. Lorsque plus tard les petits enfants bégayèrent les noms de Jésus et de Marie, il y avait auprès un homme distrait qui avait l'air de ne pas comprendre. Au moment les autres se mettaient à genoux, lui se retirait à l'écart, et quand sa compagne voulait reprendre sa main pour le ramener à ce prêtre qui leur avait dit jadis : « Aimez-vous ! » il la lui refusait. La mère croit; le père ne croit pas. La mère prie et adore ; le père ni ne prie ni n'adore. Jamais de leurs âmes les parties sublimes ne se touchent; et l'enfant qui sort de cette fausse union, qui grandit entre ces deux élec- tricités contraires, que peut-il être sinon rachi- tique d'âme, incomplètement engendré? Dans cette juxtaposition d'une femme chrétienne et d'un mari

420 CONFÉRENCES AUX HOMMES

qui ne l'est pas, je trouve quelque chose d'anor- mal, de violent, d'antinaturel.

Et au nom de votre bonheur, Messieurs, et du bonheur de votre maison et de votre postérité, je vous souhaite à tous une foi vive et une religion sincère et complète. Chefs de famille, l'impiété et l'indifférence ne peuvent que vous être dange- reuses et dommageables. Laissez l'Église catho- lique vous éclairer et vous diriger. Elle a les pro* messes de la vie éternelle et le secret du bonheur dans la vie présente I

Amen !

QUATRIÈME CONFÉRENCE

L'époux

(suite)

- Messieurs,

Dans la famille il y a trois éléments : l'homme, la femme et l'enfant; et l'homme, le chef de la famille, se présente à nous sous un double aspect : il est époux et il est père. Je vous ai montré que la famille a tout à perdre à l'impiété et à l'indiffé- rence de son chef. Aujourd'hui, laissez-moi vous tracer le portrait des époux chrétiens. Ce portrait va vous ravir. Plaise à Dieu qu'en le voyant passer sous vos yeux vous puissiez tous y reconnaître votre véridique et quotidienne histoire!

I. Sous la douce influence de l'Église, les époux pratiquent saintement les devoirs de la vie domes- tique.

Ce n'est ni l'opinion, ni la loi, ni l'honneur, ni

422 CONFÉRENCES AUX HOMMES

la morale naturelle, ni l'amour simplement humain qui montent la garde autour de leur foyer. L'amour humain est changeant et capricieux, et il s'éteint vite avec les agréments extérieurs qui Font fait naître. La morale naturelle est une barrière que la passion déplace facilement. L'honneur s'ac- commode aux préjugés dominants et il peut masquer sous des apparences chevaleresques et brillantes jus- qu'au vice et à la corruption. La loi punit quelques délits extérieurs, mais elle ne saurait garantir la paix et la vertu du foyer. L'opinion enfin est souvent pervertie, et il n'est pas rare qu'elle chante en vers et en prose les vices les plus abjects et qu'elle autorise ouvertement les plus profonds désordres. Les époux chrétiens ont un gardien plus sûr, c'est Dieu, Dieu qui voit tout, Dieu qui entend tout, Dieu qui juge tout, Dieu qui scrute les consciences, et qui laisse, après le devoir, la joie, après le crime, le remords, Dieu qui règle non seulement les actions mais les désirs, non seu- lement les désirs mais les pensées, Dieu qui arrête les passions impétueuses et qui, adoré, servi, in- voqué par les époux chrétiens leur apprend le secret de trouver le bonheur dans la vertu. Sous sa garde invisible, ils pratiquent saintement leurs devoirs. Entrez dans cette maison que la religion protège, inspire et dirige. Ce n'est pas qu'on voit les vœux de la nature méconnus, les droits du mariage violés, les joies de la paternité limitées par des

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calculs coupables et sacrifiées à de basses considé- rations. Ce n'est pas qu'on écoute les conseils d'une science économique criminelle qui, comptant pour rien la loi de Dieu, prépare du même coup le malheur des époux, le malheur des enfants et le malheur de la patrie. Non. on admire une couche chaste et pudique, des noces fécondes, une table joyeuse entourée de jeunes et brillants reje- tons. Là on trouve des âmes vaillantes qui acceptent les douleurs de la paternité, de l'éducation et du travail, et des âmes croyantes qui mettent au- dessus de tout la confiance en Dieu et l'observa- tion de sa loi. Regardez, Messieurs, autour de vous. L'humanité s'étonne, la patrie se plaint, la famille décroît. Que faire? Il faut revenir aux enseigne- ments de la religion. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux pratiquent saintement les devoirs de la vie domestique. Voyez-les de plus près.

r

IL Sous la douce influence de l'Eglise, les époux goûtent paisiblement les joies de la vie domes- tique.

Là, le père, la mère et les enfants sont unis comme les membres d'un même corps, sont heu- reux de se trouver ensemble et jouissent le plus possible les uns des autres. Le père sait et sent qu'il se doit tout entier et à toute heure aux siens.

424 CONFÉRENCES AUX HOMMES

La mère sait et sent que son premier devoir est de faire aimer l'intérieur de sa maison. Les enfants savent et sentent que rien n'est plus précieux que la conversation d'un père, rien de plus parfaite- ment doux que le cœur d'une mère. On ne connaît, on ne cherche rien au-delà. On prend ses plaisirs en famille. On rougirait de se livrer à des diver- tissements prolongés en dehors du foyer. Pendant la semaine on travaille ; le dimanche, on se repose, et on partage en commun les joies du travail et les joies du repos. Dès le matin du saint jour, on se dit : « Aujourd'hui, je sens que je ne suis pas esclave, mais enfant de Dieu; et, en signe de ma délivrance, je vais purifier mon corps et le couvrir d'habits de fête. » On va dans la maison de la prière parler à Dieu, écouter sa parole, chanter ses louanges, respirer l'atmosphère sanctifiante et embaumée des divins offices. On en revient en- semble pour partager les repas, les entretiens et les loisirs de la famille. Et, le soir, quand les chants liturgiques et les prières communes ont cessé, que les dernières bénédictions ont été répandues sur les fidèles et que la lampe allumée reste seule devant les adorables tabernacles, alors, après avoir prié devant le même autel, on se retrouve plus intimement ensemble au même foyer pour prendre en famille ou avec de rares amis des délassements variés, mais toujours simples, procurant de mo- destes récréations sans jamais être une charge.

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remplissant l'âme d'une satisfaction complète sans l'enivrer ou la fatiguer jamais. Ainsi vont les jours, les semaines et les années dans le foyer chrétien. C'est un séjour délicieux que Ton ne quitte qu'avec peine, l'on revient avec plaisir et qu'au fond l'on préfère à tout. Et, mettant en commun leurs jouissances, les époux y mettent aussi leurs peines- et leurs revers.

III. Sous la douce influence de l'Église, les époux portent courageusement les charges de la vie domestique.

L'homme et la femme ont chacun leur tâche respective : à l'un, Tordre de travailler la terre; à l'autre, la mission de mettre au monde les nations qui doivent la peupler. Le poids de l'enfantement pèse sur les entrailles de la femme; le poids du jour et de la chaleur écrase la tête de l'homme. Pour tous deux, c'est le travail. Mais comme ce tra- vail est allégé, consolé, réjoui par les prévenances réciproques ! Quand le mari rentre le soir dans son foyer, accablé de fatigues, épuisé de besoin, la sueur au front, les mains durcies par la glèbe qu'il a remuée, le dos courbé sous le fardeau de la jour- née, il trouve au logis une ménagère attentive qui le délasse par ses soins, son affection et son sourire. Et quand la femme succombe sous le poids des

426 CONFÉRENCES AUX HOMMES

sollicitudes que la maternité lui impose, elle trouve dans son mari un regard qui la récompense et un courage qui la ranime. Le mari et la femme, char- més des grâces naïves de leurs enfants, oublient le travail et ils se sentent heureux, même sous le fardeau, puisqu'ils le portent d'un commun accord.

L'homme et la femme rencontrent sur leur chemin des chagrins et des disgrâces. C'est inévi- table. Vous comptiez pour votre mari sur une posi- tion sociale honorable et lucrative ; son talent la lui méritait; mais l'intrigue le devance et la lui enlève ; s'il l'obtient, il ne faut qu'un souffle pour l'en faire descendre et le précipiter dans la décep- tion. Vous fondiez sur la dot de votre femme d'Heureuses spéculations; l'entreprise échoue, la dot est dissipée; quelques-uns vous plaignent, beaucoup vous accusent; tout le monde vous oublie. Messieurs, dans notre monde contemporain rien n'est stable, et ni la fortune, ni le talent, ni la vertu ne peuvent nous garantir le succès et le repos. Ajoutez à cela qu'il peut arriver et qu'il arrive souvent que la mort, visitant votre foyer, vous enlève prématurément un fils ou une fille bien-aimée. Heureux les époux qui savent se rendre l'un à l'autre la justice que le monde leur refuse et qui sont l'un pour l'autre une consolation et un appui ! Ils peuvent avoir et ils ont des larmes à verser; mais ils les versent ensemble sous le

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 427

regard de Dieu qui en tempère l'amertume et en assure le mérite. En résumé, associés dans les mêmes devoirs, dans les mêmes joies et dans les mêmes charges, ils trouvent dans leur commune religion le secret de la force et du bonheur, le secret de suffire à leur commune tâche.

IV. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux élèvent noblement les rejetons de la vie domes- tique.

Représentez-vous des enfants élevés entre un père qui trace par sa parole et par ses actes les saintes lois de l'honneur, du devoir et du sacri- fice, et une mère, qui tempère, par la douceur de ses leçons, la rudesse parfois pénible des leçons paternelles. Représentez-vous les répressions pru- dentes, les douces réprimandes, les corrections mitigées que la conscience inspire, que l'autorité commande, que l'affection fait accepter; et vous conviendrez facilement que les enfants ainsi élevés, portés de la sorte sur les grandes ailes de la sagesse et de l'amour, n'ont qu'à monter vers le bien, sans effort pour ainsi dire. Ils deviennent bons par imi- tation et presque à leur insu. La religion, présente au foyer, le transfigure sous la splendeur d'un triple respect : le respect de Dieu, le respect mutuel des époux, le respect filial. Un p^re et une mère au

428 CONFÉRENCES AUX HOMMES

sanctuaire domestique, avec leurs mains consacrées étendues sur les berceaux, avec des prières sur les lèvres et des convictions dans le cœur, ce sont comme les deux anges préposés à la garde de l'arche d'alliance et chargés de couvrir le Saint des saints. C'est un spectacle à ravir le ciel et la terre !

Cet enfant aux blonds cheveux dont le front pur est humide encore à dix ans de l'eau du baptême, et dont l'œil limpide et clair reflète avec l'azur du ciel le sourire de Dieu ;

Ces jeunes gens à la fois modestes dans leur force et forts dans leur modestie, à qui la chasteté a fait goûter ses plus chères délices, et qui combattent les grands combats du Seigneur, le nom de Jésus- Christ sur les lèvres et le chapelet à la main;

Ces époux agenouillés comme Tobie et Sara devant le lit nuptial, et voyant croître comme David au- tour de leur table agrandie les rejetons de leur race plus serrés et plus beaux que des oliviers couronnés, de fruits ;

Ces vieillards qui achèvent leur carrière en repo- sant leurs yeux satisfaits sur une postérité toute rayonnante de grâce et de santé;

Et, au milieu de ce tableau, quelque vierge qui s'est interdit même l'espérance des noces de la terre, pour épouser dès ce monde Jésus le bien- aimé de son âme et obtenir ainsi de suivre un jour dans le ciel les noces de l'agneau;

Quelle variété de vertus, de mérites, de charmes

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 429

et de délices ! quelle paix, quelle douceur, quelle union, quelle félicité, même terrestre, dans cet assemblage qui ramasse sous le même toit l'inno- cence du premier âge, les triomphes de la jeunesse, la sécurité commune des époux et les plus chers souvenirs d'une vieillesse tranquille et bénie! Voilà, Messieurs, ce que fait l'Eglise quand on la laisse s'introduire au foyer domestique : elle le transfigure !

Aborderai-je maintenant une perfide objec- tion de l'impiété? Pourquoi pas? L'impiété dit : « Le prêtre est l'ennemi du foyer conjugal, parce que ce foyer se compose de quatre personnes : le père, la mère, l'enfant, et derrière... quelqu'un qui reste caché, un personnage mystérieux et sombre qui exerce une influence occulte pour séparer les époux et mettre la discussion dans le ménage. » Mes- sieurs, malgré moninfîrmité et mes misères d'homme faillible et pécheur, je proteste au nom de tout le sacerdoce contre cette insinuation perfide, et j'affirme sans crainte d'être démenti par les consciences chré- tiennes que le s'icerdoce ne travaille qu'à une seule chose dans la famille, à préserver et à conserver l'immortelle union des époux. Nous apaisons les divisions, nous calmons les ressentiments, nous éloignons les discordes, nous pallions les torts de chacun, nous dissimulons les fautes, nous rappe- lons les devoirs, nous condamnons les abus... Et,

,0A CONFÉRENCES AUX HOMME»

430

nA h parole du prêtre n'est plus entendue, ce

Et, quand la religion baisse au foyer, ce n P bonheur qui monte 1...

Amen!

CINQUIÈME CONFÉRENCE

Le père

Messieurs,

L'homme est la tête de la femme, selon l'expres- sion de l'apôtre saint Paul. Il est époux et, à ce titre, il a besoin de la religion. Mais voici un nouveau rayon qui resplendit à son front. L'homme est père. La paternité ! Chose sublime, chose divine. Gréée par Dieu lui-même, la paternité crée à son tour la famille, la patrie, le genre humain. Mettons en face l'un de l'autre ces deux grands mots qui expriment deux si grandes choses, et voyons comment la pa- ternité et la religion peuvent et doivent s'allier, s'harmoniser et se prêter un mutuel concours.

Pères de famille, vous avez besoin de la religion. D'abord vous êtes des hommes et, à ce seul titre, vous avez des ennemis cachés contre lesquels vous ne pouvez vous défendre sans la force religieuse. Rappelez-vous notre malheureuse armée poursuivie par les Cosaques en 1812. Nos bataillons couverts de neige, mutilés par le froid plus que par le fer, étaient impitoyablement harcelés. Le soir, couchés

432 CONFÉRENCES AUX HOMMES

sous la tente, ils espéraient goûter un instant de repos. Vain espoir! A peine endormis, des hourrahs épouvantables les réveillaient et les forçaient de courir aux armes. Ainsi les passions poussent devant elles l'humanité et lui portent des coups affreux. Eh bien, qui est-ce qui pourra vous fortifier, vous protéger, vous aguerrir et panser les bles- sures que vous recevez dans cette grande retraite de 1812 qu'on appelle la vie? Qui? Quoi? La santé, la fortune, la science ne peuvent rien ici. Dans les grands combats du bien contre le mal il n'y a que la religion pour nous sauver. Elle vous tient et elle s'impose à vous par là, par les faiblesses de votre nature humaine, et vous paierez par des chutes inévitables l'orgueil de vouloir vous passer d'elle. Vous êtes des hommes. Mais il y a plus. Vous êtes pères, et comme tels vous avez besoin de la reli- gion.

I. Vous avez besoin de la religion pour porter le fardeau des devoirs et des responsabilités qui pèsent sur vous et qui sont immenses.

Dans l'ordre matériel, quelle mission que celle du père de famille ! Il doit accepter les enfants que Dieu lui donne... et, même dans les meilleures con- ditions légales et économiques, la charge d'une nombreuse postérité est lourde. Travail assidu,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 433

•veilles prolongées, sueurs du jour, heures dérobées au sommeil des nuits, voilà son programme. Il faut chaque jour qu'il revienne de l'atelier ou du bureau avec son salaire noblement acquis, qu'il l'apporte tout entier à sa femme et à ses enfants qui l'at- tendent et qui lui disent merci. Il faut chaque soir, en se mettant à table, qu'il puisse dire : « Ce pain, c'est moi qui l'ai gagné. Ce vin, c'est le prix de mes sueurs ! » Il faut qu'il trouve sa meilleure joie •et sa plus douce récompense, non pas dans les ivresses troublantes des réunions étrangères et pro- fanes, mais dans le spectacle simple de sa famille attablée autour de lui, comme Henri IV... Vous savez? Henri IV jouait avec ses enfants quand l'ambassadeur d'Espagne entra au Louvre. L'ambas- sadeur, voyant Henri IV marcher sur les mains et porter ses enfants sur son dos, parut surpris de voir le roi de France en semblable abaissement. Henri IV s'en aperçut et dit : « Monsieur l'ambas- sadeur, êtes-vous père? » « Oui, Sire. » « Alors, reprit Henri IV, je continue. » Vous feriez la même chose, Messieurs. Parce que vous êtes pères, vous comprenez que le travail est votre lot, et que ce travail incessant n'admet d'autre répit que celui des joies calmes et naïves de la vie de famille. Pères, vous êtes la providence visible du foyer do- mestique; tout porte sur vous. Et vous croyez qu'avec une telle mission vous pouvez impunément vous passer de Dieu, que votre esprit tourmenté,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. - 1-28

434 CONFÉRENCES AUX HOMxMES

votre volonté défaillante et votre cœur meurtri n'ont pas besoin des lumières, des énergies et des consolations de la foi? Moi, je crois le contraire et je pense être dans la vérité. Et encore jusqu'ici je ne vous ai parlé que du côté matériel de votre mission.

Au point de vue moral, vos devoirs et vos respon- sabilités ont un caractère bien autrement tragique. Donner aux enfants la vie matérielle, les vêtir, les nourrir, les établir, c'est quelque chose. Mais les élever, quelle tâche ! Cet enfant a une âme. Il faut l'instruire, il faut lui inspirer le respect de soi-même dans l'amour de Dieu et des hommes. Et s'il venait à tomber, il faudrait le relever, le sauver du nau- frage et de la ruine. Vous ferez cela sans Dieu? Je vous en défie bien. « Vous ne fonderez pas de famille, dit Mgr Bougaud, ou, si vous en fondez une, ce sera pour votre punition. Et cette famille, signalée du doigt par les vieillards, apprendra aux générations futures ce qu'elles doivent éviter pour leur bonheur, comme ces débris ramassés au milieu des écueils et qu'on place au bord des mers pour indiquer, aux vaisseaux qui passent, les lieux féconds en nau- frages. » Messieurs, l'âme d'un père de famille est nécessairement élevée et religieuse. Quand un homme sent peser sur sa tête les responsabilités que je viens d'indiquer, comment ne sentirait-il pas, d'une part, les difficultés, et, de l'autre, sa propre faiblesse? Que fait-il alors? Il appelle Dieu

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 435

à son aide. Pères, vous avez besoin de la religion pour porter le fardeau de vos devoirs et de vos res- ponsabilités.

II. Vous avez besoin de la religion pour sauver votre prestige et votre autorité.

Messieurs, il vous faut du prestige. Le père le plus vulgaire doit resplendir devant ses enfants. Et comment resplendira-t-il, si la religion ne le consacre, si la majesté de Dieu ne vient pas irra- dier sur son front? Les enfants ne vénéreront jamais mieux leur père, que quand ils l'auront vu découvrir chaque soir son front vénéré et l'incliner devant Dieu. Oh! que le père est plus auguste et plus royalement père à genoux que debout !

Messieurs, il vous faut de l'autorité, et il n'y a que la religion pour vous la donner. Qu'est-ce que j'entends dire partout? Que l'esprit d'indépendance souffle dans les familles. Est-ce que vos plaintes les plus légitimes et les plus fréquentes n'ont pas précisément pour objet cette apparition redoutable et cette invasion progressive de l'esprit d'indépen- dance dans la génération actuelle? J'entends une mère qui me dit : « Mon fils a quinze ans, et on ne peut plus rien lui commander! » J'entends un père qui me fait à peu près le même aveu et qui ajoute tristement : « Ah ! autrefois, comme on obéissait

436 CONFÉRENCES AUX HOMMES

mieux! Mais les mœurs sont bien changées. » Oui, Messieurs, les mœurs sont changées. La base du respect filial a été déplacée et renversée. Tous les respects se tiennent, toutes les autorités s'en- chaînent. N'espérez pas toucher à celle-ci sans ébranler celle-là. Le coup de marteau que vous donnez au rez-de-chaussée casse les pendules au premier étage, car les planchers sont fragiles et les cloisons sont minces, et la logique gouverne le jeune homme malgré lui et à son insu. Quand il s'aperçoit que dans la famille l'autorité de Dieu n'est plus qu'un vain mot, comment voulez-vous qu'il respecte encore l'autorité d'un père et d'une mère? Le renversement de l'autorité divine amène le* renversement de l'autorité paternelle. C'est logique, c'est fatal, et c'est de l'histoire contempo- raine. Quand la religion s'en va d'une famille, n'allez pas croire que c'est un petit malheur. C'est une ruine qui en amène cent autres. Parce que le clocher est placé au milieu du village, les pierres qui tombent du clocher écrasent les maisons d'alen- tour; et parce que la religion est la colonne cen- trale qui porte tout, elle entraîne avec elle dans sa chute toutes les délicatesses du respect filial.

Pères, vous avez besoin d'autorité, et vous n'aurez d'autorité qu'en vous adressante la religion. Il peut commander sans crainte à ses subordonnés ce chef de maison qui obéit lui-même à son divin supé- rieur... Sinon, j'ai grand'peur de voir ses ordres

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 437

transgressés et son sceptre brisé. Il voudrait avoir un trône dans la famille, et il commence par détrô- ner Dieu le premier maître... Est-ce logique? Il exige que ses enfants s'abaissent devant lui, et il oublie, lui, de s'abaisser, de s'agenouiller devant Dieu le matin, le soir, le dimanche... Est-ce lo- gique? Il s'irrite des résistances qu'il rencontre et il gémit sur l'émancipation du jeune âge... Et lui- môme depuis longtemps s'est affranchi de la loi de Dieu et des observances nécessaires de la religion... Encore une fois, est-ce logique? Non, Messieurs, ce n'est pas avec de telles mœurs que nous pouvons asseoir, fonder, perpétuer des familles solides et durables. Avec de telles mœurs depuis quarante et soixante ans nous bâtissons sur le sable, nous éle- vons des édifices qui s'écroulent, nous ne faisons que des ruines. Pères de famille, mettez Dieu avec vous, et Dieu mettra dans vos paroles, dans vos actes, et jusque dans votre regard et sur votre front la splendeur, le prestige et l'autorité qui élèveront votre paternité à la hauteur d'un sacerdoce. Vous avez besoin de la religion pour porter le fardeau de vos devoirs et pour consacrer votre autorité.

III. Vous avez besoin de la religion pour assurer l'empire de la vertu dans l'àme de vos enfants.

Vous voulez des enfants vertueux. Au-dessus de

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leur santé, au-dessus de leur instruction, au-dessus de leur héritage et de leur situation sociale, vous placez leur vertu, et vous avez raison. Qu'importe que vos enfants soient resplendissants de santé, si un noble cœur ne bat pas dans leur poitrine? Qu'importe qu'ils soient savants, s'ils ne sont pas honnêtes? Qu'importe qu'ils soient riches matériel- lement, s'ils sont d'une pauvreté morale évidente? On peut être très mauvais père et léguer des mil- lions à sa postérité. Le meilleur père est celui qui donne à la société les plus vertueux enfants.

Or vos enfants ne seront pas vertueux s'ils ne sont pas chrétiens. La religion est le bouclier de la vertu. Même sous ce bouclier ils ne seront point invulnérables. Que serait-ce donc si vous les jetiez dans les grandes batailles de la vie découverts, acces- sibles à tous les traits, désarmés, impuissants, affran- chis du frein religieux, sans foi ni loi? « Peu ou point de religion, disait un père à un principal de collège en lui présentant son fils. » Peu ou point de vertu, ont répondu par des faits des milliers de fils à de semblables pères.

Et maintenant écoutez-moi encore. Vos enfants ne seront pas chrétiens si vous ne l'êtes pas vous- mêmes. J'invoque la loi de la solidarité. En vertu de cette loi, tout homme exerce autour de lui une influence funeste ou heureuse, et cette influence est proportionnelle à la situation qu'on occupe. Par exemple, quand un chef d'Etat subit une défaite

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 439

militaire, la nation tout entière est vaincue avec lui. Quand un peuple est gouverné par un saint comme Louis IX ou par un débauché comme Louis XV, les citoyens participent aux avantages ou aux inconvénients qui résultent de lafolie ou de la sa- gesse de leur maître. Cette loi de solidarité se fait sen- tir dans la famille. Le père porte, en lui-même, les destinées de tous les siens, et généralement il ne donne que ce qu'il possède. Vide de convictions reli- gieuses, il engendre des êtres qui lui ressemblent. J'invoque la loi de l'exemple. L'enfant ne saura jamais prier s'il ne l'a appris tout petit sur les genoux de sa mère, un peu plus grand aux côtés de son père. Il ne suffit pas qu'un père dise : « Ma fille, va prier. » Il faut qu'il dise aussi : « Mon fils, viens prier! » ou mieux : « Prions ensemble. » Si le père n'est pas chrétien, à sept ans l'enfant s'en aperçoit ; à dix ans il s'en étonne ; à quinze ans il s'en scandalise; et au premier cri des passions il s'en fait une arme. La religion est un joug, Mes- sieurs, et un âge arrive, l'âge des tempêtes, le jeune homme sent que la religion le gêne. A ce moment-là, il aurait besoin d'un grand exemple tom- bant de la vie de son père sur la sienne pour le fortifier contre les courants et pour sauver sa vertu en même temps que sa foi. Hélas! si, en ouvrant les yeux et en scrutant la vie paternelle, il peut se dire : « Mon père n'est pas chrétien, pourquoi le serais-je moi-même? » son apostasie est à peu près

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certaine et, du fond de l'abîme, il peut s'écrier d'une voix accusatrice : « 0 mon père, il n'est point vrai que vous soyez innocent de ma catastrophe. Car il y avait de saintes observances destinées à attiédir mes passions de vingt ans, et votre exemple m'a enseigné à les abandonner. Il y avait des prêtres, c'est-à-dire des hommes aux pieds desquels on étu- die l'art de gouverner sa jeunesse, et votre exemple m'a appris à les fuir. Enfin, il y a un Dieu dont ma vertu chancelante avait besoin, et nous ne l'avons jamais prié ensemble ni à la maison ni dans le temple. » Messieurs, vous avez besoin de la reli- gion pour assurer l'empire de la religion dans l'âme de vos enfants; car vos enfants ne seront vertueux qu'autant qu'ils seront chrétiens, et ils ne seront chrétiens généralement qu'autant que vous le serez vous-mêmes.

César allait rejoindre sa flotte, et la petite barque qui le portait fut assaillie par une violenta tempête. Le nautonier tremblait. « Que crains-tu? lui dit le dictateur, tu portes César! » Chefs de fa- mille, combien elle est agitée et menacée la barque domestique dont vous tenez le gouvernail! Mettez Jésus-Christ dans la barque. 11 vous sauvera, vous et les vôtres!

Amen!

SIXIÈME CONFÉRENCE

Le Père

(suite)

Messieurs,

Vous avez besoin de la religion. Je vous apporte aujourd'hui une seconde affirmation. Pères de fa- mille, la religion a besoin de vous. En somme, la grande et unique question du jour est celle-ci : il faut christianiser la société. Qui peut faire cela? Qui est de force à faire rentrer le christianisme dans le monde d'aujourd'hui, et dans les généra- tions nouvelles qui sont le monde de demain? Qui? Vous, pères de famille. La religion est perdue en France, et la France est perdue avec elle, si les pères de famille ne se lèvent pas comme un seul homme pour infuser l'Evangile dans l'âme et dans le sang de leur postérité. Toutes les forces sociales, à l'heure qu'il est, sont ou hostiles, ou indifférentes, ou impuissantes au point de vue reli- gieux. Pères, vous restez seuls sur la brèche.

442 CONFÉRENCES AUX HOMMES

I. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles? Le pouvoir civil?

Il ne faut guère y compter. On a vu cela jadis. On a vu Charlemagne et saint Louis adopter les principes chrétiens, les inscrire dans le Code de la nation, leur donner force de loi et les couvrir de leur protection royale. On a vu le Pape et l'Em- pereur se donner la main et conduire ensemble l'humanité, comme deux pilotes amis dirigent un même navire en fixant du regard la même étoile polaire. Nos pères ont fait cela, et ils étaient dans leur droit. Peuples et princes se sont entendus pour intro- duire l'Evangile dans leur constitution politique et leurlégislation civile. Nous pouvons ne pas les imiter, mais nous ne pouvons pas les blâmer. Au moyen âge le suffrage universel des princes et des peuples était manifestement dévoué au catholicisme, et, puisque nous réglons notre vie politique et sociale avec le suffrage universel, ayons la pudeur et le bon sens de ne pas reprocher à nos ancêtres ce que nous faisons nous-mêmes. Jadis le pouvoir civil était le défenseur et le propagateur du christianisme.

Tel il n'est plus aujourd'hui. Je ne discute pas le fait, je le constate. Le pouvoir civil se désinté- resse du christianisme; il dit : « La religion, ce n'est pas mon affaire. J'administre, je déclare la guerre, j'entretins les armées, je protège l'agri-

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culture, le commerce, l'industrie, les lettres, les sciences et les arts ; mais la religion ne me regarde pas. » Tout ce qu'on peut demander de mieux au pouvoir public à l'heure actuelle c'est qu'il donne au christianisme la liberté commune. Il serait puéril d'attendre de lui un apostolat quelconque en faveur de l'Evangile.

II. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles ? La presse, le journalisme ?

Sans doute il y a une bonne presse... mais com- bien elle est impuissante ! La mauvaise presse au contraire est un marteau qui démolit chaque jour quelque partie du symbole et du Décalogue. Elle va tour à tour des audaces du blasphème aux opprobres de la pornographie, et parce qu'elle flatte tous les mauvais instincts du cœur, elle n'a même pas besoin de talent pour réussir. La religion étant un frein puissant pour les passions, que fait la mau- vaise presse ? Elle attaque journellement la religion. Elle souffle sur le monde, avec une égale ardeur et un succès égal, l'esprit de licence et l'esprit d'im- piété. Vous le savez autant et mieux que moi Messieurs, bien loin que la presse soit une auxiliaire de la vertu et de la foi, elle n'est trop souvent que la complice de l'incrédulité et de la corruption. Si donc vous voulez mettre le christianisme dans

444 CONFÉRENCES AUX HOMMES

l'âme des générations nouvelles, cherchez autre chose.

III. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles ? L'exemple descendant des hauteurs sociales ?

Messieurs, ce n'est pas toujours le bon exemple qui descend des hauteurs sociales. Il n'est pas rare de constater dans les classes dirigeantes l'efface- ment des croyances et l'abandon du devoir.

Et quand l'exemple venu de haut est irrépro- chable, quelle influence exerce-t-il ? Une médiocre influence. L'émancipation des esprits est à son comble. Chacun a ses théories personnelles et dis- cute ses propres croyances. Autrefois, on vivait de traditions ; aujourd'hui, ce qui est ancien a moins de prestige que ce qui est nouveau, et le plus mo- deste artisan se fait une religion, comme il se fait une politique. Vous, Messieurs de la bourgeoisie, vous avez renié les mauvais exemples de 1830 et du xvnie siècle; je le reconnais et je vous en loue. Mais voyez un peu ce qui se passe. On vous a suivis quand vous descendiez, on ne vous écoute plus quand vous essayez de remonter. Vos conseils sont frappés de suspicion, et vos efforts, vos exem- ples semblent stériles. Est-ce à dire que vous allez vous décourager? Non. Le peuple ne vous suit pas

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à l'église ; mais c'est après vous qu'il y reviendra, comme c'est après vous qu'il l'a quittée. Il y re- viendra peu à peu, au fur et à mesure que se re- fera son éducation religieuse. En attendant, il s'abs- tient, et l'exemple qui descend des hauteurs sociales ne suffit pas à l'entraîner.

IV. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles? L'École?

Hélas ! l'école est trop souvent l'obstacle à la dif- fusionduchristianisme.L'évêque d'Angers, MgrFrep- pel, était à la gare de Tours. Il voit venir à lui un homme qui paraissait très ému : « Vous êtes bien Monseigneur d'Angers? Je savais que vous étiez ici, et je suis accouru pour vous voir. Vous allez faire une grande chose en fondant une Université catho- lique. J'ai voulu vous en féliciter. Vous élèverez des jeunes gens qui auront la foi. Ceux qui ont élevé mon fils lui ont pris la foi et les moeurs. Je ne suis pas riche, Monseigneur, mais voici vingt francs que je vous prie d'accepter pour l'œuvre que vous allez entreprendre. » L'école publique, Messieurs, n'a pas le droit d'enseigner l'Evangile; elle n'a pas le droit de nommer Jésus-Christ et de placer son image sous les yeux des écoliers ; elle n'a pas le droit de lever les âmes et les fronts vers Dieu. Elle n'est pas faite pour christianiser, mais plutôt pour déchristianiser.

446 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Vous me dites à cela qu'il y a des écoles libres, des écoles chrétiennes. Mais il n'y en a pas dans les campagnes. On a de la peine à en fonder quel- ques-unes à la ville. Et d'ailleurs l'école, même la meilleure, ne remplace pas la famille et n'a sur l'enfant qu'une influence restreinte et insuffisante. Et ma question revient, de plus en plus impérieuse et de moins en moins résolue :

V. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles? Le prêtre ?

Oui, Messieurs, nous voulons faire du bien à vos enfants; nous le voulons passionnément, si bien qu'on nous reproche parfois, à nous prêtres catho- liques, d'aimer la jeunesse, de chercher à conquérir noblement son estime et son affection. J'accepte ce reproche et je m'en glorifie. Quel serait donc l'objet de notre ambition et des saintes tendresses de notre âme, sinon cette jeunesse ardente et fière, qui croit au bien, à la vérité, à l'honneur, mais qui est si vivement sollicitée par l'erreur et par le mal? Nous aimons vos enfants, et nous sommes disposés à faire le possible et l'impossible pour protéger leur foi et leur vertu.

Mais que pouvons-nous? Lorsqu'aux champs tristement célèbres de Reischoffen nos intrépides cuirassiers voulurent sauver l'honneur du drapeau

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 447

français, ils firent contre les bataillons allemands trois charges qui resteront fameuses. Vainement essayèrent-ils de pénétrer, l'épée à la main, dans les rangs ennemis; ils ne purent que s'ensevelir, non pas dans leur triomphe cette fois, mais dans leur magnanime défaite. Nous aussi, prêtres, nous essayons de charger l'incrédulité et le vice qui étreignent les générations naissantes. Sommes-nous plus heureux que nos cuirassiers héroïques ? Pas toujours. Sans vous, Messieurs, nous ne pouvons pas grand'chose, parce que vos enfants ne sont entre nos mains que transitoirement et que, si nous avons votre autorité, nous n'avons pas vos sanc- tions. Nous ne sommes puissants qu'adossés à la famille et secondés par elle. Et encore ici expli- quons-nous bien à qui revient, dans la famille, la mission de christianiser les enfants et la chance d'aboutir, de réussir en une œuvre si nécessaire et si difficile.

VI. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles? La mère?

Oui, certes, la puissance d'une mère de famille est grande. C'est elle qui communique à l'enfant ses premières impressions, ses premiers goûts et, par suite, ses habitudes souvent définitives. L'en- fant qui a eu une mère vertueuse et tendre ne sera

448 CONFÉRENCES AUX HOMMES

jamais tout à fait mauvais. Et combien de fois, dans les plus fougueux égarements, la pensée d'une bonne mère et la crainte de l'affliger arrêtèrent l'en- fant prodigue sur le bord du précipice ! Et combien de fois, dans l'heureux travail du repentir, le souve- nir d'une de ses paroles ou même d'un de ses regards détermina pour lui le retour complet au bien !

Cependant, la mère toute seule ne peut pas tout. Ses exemples et ses paroles n'ont pas le prestige et l'autorité des paroles et des exemples paternels. Et généralement, quand le père est indifférent ou hostile, les destinées de la religion sont compro- mises au foyer domestique. L'influence de la mère est d'ordinaire insuffisante sans l'intervention du père de famille.

VII. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles ? Le père.

Pères de famille, la religion a besoin de vous. Elle a besoin de votre autorité. Vos enfants ont le droit d'être chrétiens. Ils ont le droit de connaître Dieu, de l'aimer, et de le servir, d'apprendre leur religion, de conserver leur baptême, d être préparés aux sacrements qui entretiennent la vie chrétienne. Toute éducation qui contrarie ces droits, ou n'en tient pas compte, est une éducation fausse, crimi- nelle, meurtrière, une éducation qui renouvelle

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 449

dans un ordre supérieur l'abominable barbarie des mœurs païennes. Vos enfants ont le droit d'être chrétiens et de vivre en chrétiens. Un jour, maîtres d'eux-mêmes et aveuglés par leurs passions, ils renonceront peut-être à ce droit, et vous n'aurez plus qu'à gémir et à pleurer sur leur apostasie. Mais, en attendant, pères de famille, vous devez user de votre autorité pour les protéger contre l'éduca- tion neutre et athée qui voudrait les déchristianiser malgré eux et malgré vous ; vous devez faire tout ce qui est possible pour conserver et développer en eux la vie de la grâce, cent fois plus précieuse que la vie de la nature ; vous devez mettre votre pater- nité au service de la religion. La religion a besoin de vous. Elle a besoin de vos exemples. Point de dualisme dans la famille! Il faut mettre un terme à ce partage odieux d'un foyer, l'on voit, d'un côté, un père indifférent et un fils frondeur, de l'autre, une mère et une fille appliquées à leur devoir religieux. Non, les générations nouvelles ne sauraient plus longtemps être tiraillées et déchirées en sens contraires par des influences et des exemples domestiques qui se combattent et s'en- trechoquent sous leurs yeux. Pères, revenez à votre mission ! Formez-nous une race neuve avec la pu- reté du sang, la noblesse du cœur, la force du caractère, une race qui possède des convictions, qui s'accoutume aux privations, qui se prépare au sacrifice, qui passe sans étonnement du foyer à

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-29

450 ' CONFÉRENCES AUX HOMMES

l'école, de l'école à la caserne, trouvant partout les mêmes exemples de foi, de tempérance, d'honneur et de courage. C'est ainsi que sera sauvée la so- ciété par l'infusion du christianisme dans l'âme des générations nouvelles.

Pères de famille, la société a besoin de vous. Tout le monde à cette heure interroge avec anxiété l'avenir. Qu'est-ce qui constituera l'Europe nou- velle, la France nouvelle? C'est la famille. Sans doute nous avons l'armée. Mais l'armée elle-même n'est, après tout, que le reflet de la famille. D'où sort l'armée sinon des entrailles de la nation,? Quelle est sa première école? Le foyer. Quel est le premier sergent instructeur du jeune soldat? Son père. Quelle est sa première caserne? La maison paternelle. L'avenir définitif du monde appartient aux peuples qui ont le plus de familles nombreuses, laborieuses et chrétiennes ; et c'est le père surtout qui fait les familles nombreuses, laborieuses et chrétiennes. Les civilisateurs de la race humaine, ne dites plus que ce sont les princes et les magis- trats, les penseurs et les orateurs. Tous ces hommes, sans doute, sont des envoyés de Dieu et des bienfai- teurs de l'humanité-; mais leur part est nécessaire- ment secondaire. Les vrais civilisateurs, les créa- teurs de la France et de l'Europe, les législateurs des sociétés modernes, ce sont les pères de famille I

Amen!

SEPTIÈME CONFÉRENCE L'épouse

Messieurs,

L'Église est la grande bienfaitrice de l'huma- nité dans l'ordre domestique. Elle a réhabilité l'union conjugale. Elle a réhabilité le chef de la famille. Elle a réhabilité la femme. La femme au foyer est épouse et mère. Considérons-la aujour- d'hui comme épouse et étudions-la dans les trois attitudes différentes qu'elle peut prendre vis-à-vis de la religion. Elle peut être ou étrangère à l'Eglise, ou amie de l'Eglise, ou hostile à l'Eglise. Regardez et choisissez.

I. L'épouse étrangère à l'Église.

L'épouse, dans le paganisme, inspire compassion. Elle est la servante et l'esclave de l'homme, le jouet de ses caprices, la victime de sa tyrannie, l'instru- ment de ses plaisirs. Elle se prête, se cède, s'échange

452 CONFÉRENCES AUX HOMMES

comme un meuble ou un vil bétail. Elle est dé- gradée par l'inceste, la répudiation, la prostitution religieuse ou légale, la vente et le commerce qu'on en fait. Et, entre toutes les plaies qui la rongent et la déshonorent, il faut signaler surtout la poly- gamie et le divorce. Oh ! qu'ils sont imprudents ou criminels ceux qui veulent chasser Jésus-Christ et nous ramener au paganisme ! Qu'était le paga- nisme sinon de la boue et du sang, sinon le règne triomphant de la pourriture et de l'iniquité? La lecture des diverses législations païennes est une révélation perpétuelle de la situation ignominieuse faite à la femme. On la maltraite, on la déclare in- capable de succéder à son père et à sa mère, inca- pable de tester, incapable d'exercer la tutelle sur ses propres enfants. On la répudie. « Elle était venue jeune et belle, dit Lacordaire, on la renvoie flétrie par l'âge ou l'infirmité, comme un meuble dont on se défait quand il est fêlé par l'usage ou qu'on s'ennuie de le voir chez soi... » « Bien plus encore, ajoute-t-il..., la simultanéité dans le mariage, des troupeaux de ces êtres si dignes devant Dieu et devant notre cœur, des troupeaux de femmes en- fermées comme un bétail entre des murailles, et devenues, dans l'ennui de leurs jours et de leurs nuits, la proie je ne dirai pas d'une affection, mais la proie d'un moment au milieu de siècles d'oubli! » Telle était l'épouse dans le paganisme. Et depuis, en dehors de l'Évangile, a-t-elle un

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meilleur sort? Le musulman, venu six siècles après l'Evangile, a-t-il rendu à la femme sa dignité ? Pas du tout. Bestial et tyran comme le païen, le musulman a claquemuré la femme dans les mu- railles de la captivité et du mépris; il a entassé dans ses sérails les objets de sa lâche convoitise. « Le spectacle des mœurs musulmanes chez des peuples qui ne manquent pas de grandeur native est un avertissement de la Providence à la femme chrétienne tentée d'apostasie par la sévérité de l'Évangile; elle y apprend ce que coûte l'amour qui n'est pas sous la protection de Dieu, et ce que devient l'adoration de l'homme le lendemain du jour il n'adore plus Jésus-Christ. Elle y apprend le degré de bassesse elle descend dès que Jésus- Christ n'a plus la main sur l'homme pour le contenir, le purifier, pour contenir et purifier sa compagne et les rendre tous deux un sanctuaire d'amour fidèle et respectueux. » Voilà la femme étrangère à l'Église. Dès que l'Evangile est absent, vous n'avez plus que la bête humaine qui hurle après la liberté brutale, et l'épouse désarmée, découronnée, dépouillée de son divin prestige, n'est plus qu'une proie que se dis- putent tour à tour la servitude et l'infamie. Repo- sons nos regards sur un meilleur spectacle.

II. L'épouse amie de l'Église.

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L'Eglise qui protège toutes les faiblesses a étendu

454 CONFÉRENCES AUX HOMMES

sa protection sur la femme, et elle a répété sous tous les cieux cette devise célèbre qui est comme la grande charte de l'affranchissement et de la réha- bilitation de l'épouse : Un seul avec une seule et pour toujours ! 0 femme, qui donc en dehors de l'Eglise a pris ta défense? Qui a souffert et com- battu pour toi? Est-ce le paganisme romain? Est-ce la religion sensuelle de Mahomet? Est-ce le schisme anglican, lui qui doit son origine à un divorce in- voqué par la convoitise d'un roi corrompu? Est-ce l'hérésie protestante, elle qui est entrée dans le monde par la porte d'un moine apostat, coupable d'avoir profané dans sa personne la sainteté du carac- tère sacerdotal par une union doublement sacrilège ? Et aujourd'hui encore, ô femme, qui donc souffre et combat pour toi? Est-ce la libre pensée qui, dans la prose et dans la poésie, dans le drame et dans le roman, dans les journaux et dans les livres de tout format et de toute nuance vilipende le mariage et préconise le libertinage sans borne ? O femmes, qui donc a eu le courage et la force de protéger votre faiblesse et votre honneur, et de passer un frein d'acier aux naseaux de la bête humaine pour la tenir çn bride? Seule l'Eglise a fait cela. Elle a fait cela malgré les menaces des peuples et la co- lère des rois. Elle a fait cela contre les sophismes des sages, l'éloquence des orateurs, la puissance du glaive, toutes les passions frémissantes. Et par la bouche d'un vieillard qui parfois gardait à peine un

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 455

souffle de vie, elle n'a cessé de dire à tous les pays et à tous les siècles : « Une seule avec un seul et pour toujours : voilà mon dogme. Et, pour signer ce dogme, je trouverai, s'il le faut, le sang d'un mil- lion de martyrs ! » Et, si le foyer domestique est resté pur, si la désunion n'est pas entrée dans les familles, si on n'a pas donné à une seconde épouse le droit d'en chasser la première et d'y régner à sa place, si la femme a reconquis et gardé la place qui lui revient au sanctuaire conjugal, c'est l'Église qui est responsable de ce glorieux résultat, c'est l'Eglise qu'il faut remercier et bénir. Oh! que la femme a donc raison de s'attacher à l'Eglise, qui est réellement sa rédemptrice et sa meilleure amie !

Et comme je m'explique maintenant la puissance que possède la femme et l'apostolat qu'elle exerce pour amener les âmes à la religion ! Voyez-la au- près de son mari. « C'est elle, dit Lacordaire, qui colore les événements heureux, qui embaume les revers, qui reçoit au seuil domestique ce fugitif des honneurs, tout meurtri de sa chute, ce proscrit de la pensée qui n'a remporté de la science que le martyre du doute. L'épouse chrétienne infiltre dans ces âmes brisées le détachement et la certitude. Elle ressuscite dans ces âmes le Dieu qui réjouissait leur jeunesse et ravive leur vie mourante aux sources de l'éternité. » Et en même temps qu'elle christianise son mari, la femme chrétienne

456 CONFÉRENCES AUX HOMMES

christianise ses enfants. De sorte que, ayant reçu immensément de la religion, la femme lui rend immensément. 0 beauté du plan de Dieu ! combien d'hommes qui se seraient laissé absorber par les intérêts de la terre et auraient tout oublié, Dieu, leur âme, leur avenir éternel, s'il n'y avait eu près d'eux une épouse pieuse, pure et dévouée ! Combien qui, à l'heure dernière, quand toutes les ombres seront dissipées, diront devant leur juge, avec un cœur plein de gratitude : « Il m'est bon de n'avoir pas été seul ! » Voilà le rôle délicat, auguste, heureux et fécond de la femme. Et dès lors ne voyez-vous pas quel trouble l'irréligion apporterait à un plan si beau, quels ravages elle ferait dans F âme de la femme ? Messieurs, l'impiété de l'homme est triste ; elle est féconde en conséquences dan- gereuses. Mais l'impiété de la femme est horrible. La religion fait de la femme un ange ; l'impiété en fait un monstre. Si répugnant que soit ce ta- bleau, il faut que je le mette sous vos yeux. Le phénomène est heureusement rare; cependant il existe, et il est bon de le flageller publiquement»

III. L'épouse hostile à l'Église.

D'abord la femme devenue impie va loin dans l'impiété. Elle ne tarde pas à dépasser l'homme. C'est un fait d'expérience. Elle ne se contente pris

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 457

généralement de renier les vérités qu'elle avait professées et de se donner corps et âme à l'erreur. Elle ressent comme une haine et une fureur contre cette vérité et, pour cette doctrine fausse dont on Ta nouvellement imbue, un amour qui va jusqu'à la passion. « Le temple l'importune, et son impiété voudrait anéantir le Dieu qu'elle a quitté. » Elle suit jusqu'au bout les principes de l'irréligion. Pen- dant que l'homme se contente d'un assentiment gé- néral et d'une adhésion platonique, elle frémit d'in- dignation, elle trépigne d'impatience; elle se livre à tous les excès de paroles et emportements de dis- cours ; elle ne sait pas garder cette attitude cor- recte, ce faux-semblant d'impartialité, cette bien- veillance extérieure au moyen desquels les impies les plus tenaces se déguisent si facilement devant les bonnes âmes. Ah ! le libre penseur doit y re- garder de près, doit y regarder à deux fois avant de s'unira une femme qui lui ressemble, avant de déchaîner dans l'âme de sa pieuse compagne la tem- pête de l'impiété. Qu'il le sache bien... La femme a besoin de croire et d'aimer, elle a besoin de Dieu, de la prière, des espérances immortelles de la religion ; elle en a besoin pour son esprit, pour son cœur, pour sa volonté, pour son imagination; le jour cette vie de son âme lui est retirée, elle la remplace par la passion du doute et les fureurs de la haine... et c'est affreux !

La femme devenue impie perd ses dons les plus

458 CONFÉRENCES AUX HOMMES

■exquis, qui se corrompent et deviennent un im- mense danger. Sa beauté est un piège dont on peut tout craindre ; son esprit est un fléau dont la puis- sance de contagion empoisonne le foyer et ses alen- tours ; son cœur est une proie promise à la frivo- lité et au plaisir. 0 choses exquises, quand vous vous corrompez, vous devenez les pires : corruptio oplimi pessima!

Et enfin quels enfants va-t-elle élever cette femme qui s'est livrée à l'impiété et qui déjà y a perdu ses qualités natives? Ah! c'est ici que nous entrons dans l'abomination de la désolation. Elle éloigne de ses enfants les pensées et les sentiments chré- tiens qui développent et fortifient si puissamment dans les jeunes cœurs les instincts vertueux. Elle ne leur dit plus : « Mon fils, ma fille, agenouille-toi et prie avec ta mère ! » Et la pure et naïve prière de l'enfance disparaît du foyer; cette prière, dont le poète a si bien parlé, se tait désormais sur les lèvres glacées de la famille ; on ne voit plus

Tous les petits enfants, les yeux levés au ciel, Disant à la même heure une même prière, Demander pour nous grâce au Père universel.

« Oh! s'écrie ici Mgp Dupanloup, vous qui avez le malheur de ne plus prier,» laissez donc au moins les enfants prier avec leurs mères ! Ayez pitié de vous-mêmes, et ne profanez pas ce que vous avez

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 459

de meilleur au monde. Dussiez- vous- me répondre : « Vous me parlez une langue qui n'est pas la nôtre », je m'obstinerai à vous la parler; car, vous vous trompez, c'est aussi la vôtre ; c'est la langue du cœur et de la nature ; vous êtes pères et tout ce que Dieu a mis dans un cœur paternel de délicate et profonde tendresse n'est pas éteint en vous. Vous avez beau être incrédules, qu'avez-vous trouvé sur la terre, je vous le demande, de plus charmant et de plus digne de tout respect qu'une jeune enfant chrétienne ressemblant de loin à cette fille de Judée qui se nomme la Vierge? Avez-vous rêvé, avez- vous rencontré ici-bas une créature plus aimable, et pouvez-vous d'un cœur sec la voir agenouillée, les mains jointes, le regard au ciel, et priant pour vous ? » Or, Messieurs, avec une épouse impie, le foyer ne voit plus ce spectacle. L'épouse hostile à l'Eglise est la souveraine ca- lamité du mari et des enfants.

Amen !

HUITIEME CONFERENCE

La Mère

Messieurs,

L'Eglise a réhabilité l'épouse. Elle a réhabilité la mère. Tous, qui que nous soyons, quand nous remontons le fleuve de nos souvenirs, nous ren- controns à la source de notre vie, penchée sur notre berceau, épiant nos premiers sourires et nos premiers bégaiements, façonnant notre enfance dans ses sueurs et dans ses larmes, une créature bénie, une femme exquise, une mère, auprès de laquelle languissaient notre reconnaissance et notre amour. Et nous nous écrions avec saint Augustin converti : « C'est à ma mère que je dois d'être ce que je suis! » L'honneur, la richesse et la joie des foyers domestiques, c'est la mère chrétienne, la mère selon le cœur de Dieu. Il ne saurait vous déplaire, Messieurs, d'entendre chanter les gloires de la mère de famille et de voir de près : ce que la mère de famille doit à l'Église ; ce que l'Église doit à la mère de famille.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 461

I. Ce que la, mère de famille doit à l'Église.

Elle lui doit un trône et une auréole : un trône qui la relève et une auréole qui la transfigure. La femme païenne était une esclave ; la femme

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chrétienne est une reine. L'Eglise a ouvert sous les yeux du monde régénéré la Bible, depuis la Genèse jusqu'aux Épîtres de saint Paul, et elle a fait lire aux enfants les textes qui leur recom- mandent le respect de leur mère. La Genèse en effet ne met pas de différence entre le respect au père et le respect à la mère; à ce double respect, elle promet la même récompense; aux enfants qui seraient assez dénaturés pour frapper ou maudire les auteurs de leurs jours, elle décerne le même châtiment, c'est-à-dire la peine de mort. Le livre des Proverbes dit : « Quand ta mère aura vieilli, quand le sceptre du commandement sera devenu plus faible en ses mains, que ce ne soit pas pour toi une raison de la mépriser, mais un double motif de respect ; Ne contemnas cum senue- rit mater tua. » Et l'Ecriture ajoute encore : « N'ou- blie pas les larmes de ta mère, Gemitus matris tuse ne obliviscaris. L'œil qui aura regardé sa mère avec mépris, qu'il soit privé de lumière, qu'il soit arraché par les corbeaux du torrent, et que les oiseaux de proie le dévorent. » Et ailleurs : « Ma- ledictio matins eradicat fundamenta ; La malédiction

462 CONFÉRENCES AUX HOMMES

d'une mère est la perdition des enfants. » L'Eglise commente, appuie et développe tous ces enseigne- ments si précis et si beaux, et elle ne cesse de re- vendiquer pour la mère de famille la place réservée et le siège d'honneur qui lui revient au foyer domestique.

Elle met sous ses pieds un trône qui la relève et sur sa tête une auréole qui la transfigure. Comment cela? Vous allez voir. A qui devons-nous le Christ, notre Sauveur, notre Seigneur et notre Dieu? à qui ? à une mère, et à la plus pure, à la plus sainte, à la plus tendre des mères. Nous le devons au Fiat delà Vierge Marie. Quelle merveille ! Quand le Seigneur voulut venir ici-bas, il se créa une mère, et, pour se la créer, il recueillit dans la nature tout ce qu'elle possédait de sourire et de grâce ; il re- cueillit dans les anges tout ce qu'ils avaient de pureté et d'amour; et, pour conférer à cette créature exquise ce je ne sais quoi d'achevé que la douleur donne toujours aux plus sublimes figures, il mit des larmes dans ses yeux, et, nous la montrant au pied d'une croix, il dit : Ecce mater; Voici la femme, voici la mère par excellence î A partir de ce jour-là, Messieurs, la mère de famille a été transfigurée et comme déifiée. Le culte de Marie s'étendit peu à peu à tout son sexe. Habitué à se mettre à genoux devant l'image et l'autel de la mère de Dieu, l'homme ne fut plus étonné de voir une auréole au front de sa mère, et il n'eut plus de répugnance

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 46$

à la vénérer comme une créature supérieure. Nous sommes au moyen âge. C'est l'époque le culte de Marie est à son apogée ; c'est aussi l'époque le culte maternel fleurit au plus haut point; c'est l'époque saint Louis associe dans son cœur et sur ses lèvres les trois noms de « Dieu, la France et Marguerite ». C'est l'époque plusieurs fonda- teurs d'Ordres se soumettent, eux et leurs reli- gieux, à l'autorité d'une abbesse, en l'honneur de Marie. C'est l'époque le bienheureux Henri de Suzo, rencontrant une femme, dans la rue la plus malpropre de la ville, se met aussitôt dans la boue pour la laisser passer sur le seul endroit sec qu'il y avait. « Mon Père, que faites-vous? lui dit l'humble passante, vous êtes prêtre et religieux; pourquoi me céder le pas à moi qui ne suis qu'une pauvre femme? Ma sœur, répondit le frère Henri, j'ai l'habitude d'honorer et de vénérer toutes les femmes, parce qu'elles rappellent à mon cœur la puissante Reine du ciel, la Mère de mon Dieu, envers qui j'ai tant d'obligations! » Les femmes et les mères chrétiennes doivent

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beaucoup à l'Eglise. Grâce à l'Eglise, elles occupent dans le monde une place respectée et importante. Elles régnent par l'ascendant de l'exemple, par la douceur des insinuations, par l'apostolat du sacri- fice et des bienfaits. Qu'il s'agisse de l'univers, d'un empire ou d'une âme, leur influence est réelle, puissante, incontestable. Elles ont beaucoup reçu

464 CONFÉRENCES AUX HOMMES

de la sainte Eglise ; et elles lui ont aussi beaucoup donné.

II. Ce que l'Église doit à la mère de famille.

Parcourons brièvement Y histoire de dix-neuf siècles. Elle est toute remplie des influences mater- nelles.

A qui l'Eglise est-elle redevable de son plus grand génie et de son plus grand docteur, du grand évêque d'Hippone, l'immortel auteur de la Cité de Dieu, le docteur de la grâce, le fléau des hérésies et l'oracle des conciles? A qui l'Église est-elle re- devable de ce grand homme et de ce grand saint, dont il suffit de dire, pour faire son éloge, qu'il surpassa saint Ambroise, son maître, et qu'il fut maître à son tour de saint Thomas et de Bossuet? C'est à une mère chrétienne, c'est à sainte Monique, que l'Eglise est redevable de saint Augustin.

A qui la France doit-elle le plus grand et le plus saint de ses rois, le glorieux vainqueur de Taillebourg et de Damiette, et le vaincu plus glorieux encore de la Massoure, qui jusque dans les fers dominait ses vainqueurs? A qui la France doit-elle ce Louis IX qu'on ne sait le plus admirer, ou bien à l'hospice des Quinze-Vingts lavant lui-même les pieds des aveugles et des infirmes, ou bien à la Sainte-Chapelle, nouveau

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 465

Godefroi de Bouillon, déposant sa couronne d'or devant la couronne d'épines du souverain Roi du Ciel, ou bien sous le chêne de Vincennes, assis sur un humble tertre et entouré de pauvres, de veuves €t d'orphelins pour leur rendre la justice? A qui la France doit-elle le plus grand et le plus saint de ses rois ? C'est à une mère chrétienne, c'est à Blanche de Castille, que nous devons saint Louis.

Allez vous voudrez, en Angleterre et en France, dans les terres du Nouveau Monde comme dans les terres de l'Ancien Continent, partout vous trouverez une œuvre grande et sublime comme le christianisme, ne demandez pas qui a planté et qui a fait germer cette nation chrétienne : vous trouverez toujours qu'elle a pris naissance dans le cœur d'une mère. C'est à la reine Berthe que l'Angleterre doit d'être devenue l'île des saints, et c'est à sainte Clotilde que nous devons d'être aujourd'hui des chrétiens en même temps que des Français.

Il est raconté que le philosophe païen Libanius, en voyant la jeune mère de saint Jean Chrysos- tome restée veuve à vingt ans et si dévouée à son fils, s'écriait : « 0 Dieu, quelles femmes, quelles mères parmi ces chrétiens ! » Oui, l'histoire est toute pleine et toute resplendissante de la beauté grave et douce des mères chrétiennes. Et cette exquise beauté morale n'est point éteinte ni à jamais ensevelie dans l'histoire. Pour la retrouver,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-30

466 CONFÉRENCES AUX HOMMES

pas n'est besoin de remonter jusqu'au xme ou au xive siècle de noire ère. De ces mères que la religion du Christ idéalise et transfigure et qui à leur tour sont les servantes et les apôtres de la re- ligion du Christ, il y en a parmi nous, dans l'ombre, une foule inconnue, immense... et c'est ce qui nous sauve!

Il y en a dans l'opulence et il y en a sous le chaume, et comment raconter tout ce que le foyer domestique leur doit d'innocence, de préservation, de vertu conservée ou reconquise? Les influences maternelles ravissent le ciel, embaument la terre, sanctifient nos demeures humaines.

A qui l'homme naissant serait-il confié ? Quelle est la main assez délicate, assez ingénieuse, assez tendre pour assouplir cette bête fauve qui vient de naître entre le bien et le mal, qui pourra être un scélérat ou un saint? Ne cherchons pas si loin. C'est la mère qui reçoit l'enfant, qui le façonne, qui le moralise, qui le christianise. Quel est le premier regard que rencontre cet enfant? Le re- gard pur et pieux d'une chrétienne. Quelle est la première parole qu'il entend? La parole ardente de sa mère. Comment l'Evangile arrive-t-il à son âme? Parle canal de l'amour maternel. Le prêtre ne viendra que plus tard. La mère précède le prêtre.

L'enfance disparaît bien vite, et la jeunesse s'annonce avec ses instincts de liberté. Toute auto-

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rite pèse au jeune homme comme un joug. Une seule autorité demeure, sinon intacte, du moins respectée. « Nous entendons encore la vérité, dit Lacordaire, de la bouche d'une mère aimée de Dieu ; son regard n'a pas perdu toute autorité ; son reproche n'est pas sans aiguillon pour causer le remords, et, quand elle est tout à fait désarmée, ses larmes lui restent comme un dernier comman- dement auquel nous ne résistons pas. Elle se fraye à notre insu des passages qui conduisent aux en- droits les plus secrets de notre cœur, et nous sommes étonnés de l'y trouver au moment nous nous croyons seuls. » Telle est, Messieurs, la puissance singulière d'une mère chrétienne. Jusque dans les bagnes, les hommes perdus de crimes et d'honneur, les hommes les plus durs, aux instincts les plus farouches, retrouvent un battement dans leur cœur et une larme dans leurs yeux au souve- nir de leur mère. Ce souvenir survit à tout; c'est la dernière ruine du cœur.

Oh! l'amour d'une mère! amour que nul n'oublie 1 Pain merveilleux qu'un Dieu partage et multiplie! Table toujours servie au paternel foyer! Chacun en a sa part, et tous l'ont tout entier!

Telle est l'influence de la mère formée à l'école de la religion. Ayant beaucoup reçu de la sainte Eglise catholique, elle lui rend beaucoup, Elle met le christianisme à son foyer. Ce n'est pas assez dire !

468 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Elle met le christianisme dans la société tout en- tière. C'est à elle, à la mère chrétienne, semée comme le sel sur la surface du monde, que l'Eu- rope doit ses enfants plus nobles, plus beaux, plus purs, plus délicats, plus fiers, plus grands que ne les vit jamais l'antiquité. C'est à elle, à la mère chrétienne, que l'Eglise catholique doit pour une large part son expansion et sa popularité !

Amen!

NEUVIÈME CONFÉRENCE

L'enfant dans le paganisme et dans l'Évangile

Messieurs,

L'Eglise est la grande bienfaitrice de l'humanité dans l'ordre domestique. Elle a réhabilité l'union conjugale, le chef de la famille, la femme. Elle a réhabilité l'enfant. Pour aujourd'hui, nous allons considérer l'enfant dans le paganisme et dans l'Évangile. C'est une étude préliminaire indispen- sable.

I. L'enfant dans le paganisme*

Il y a quelques semaines, me trouvant auprès d'un homme intelligent et instruit, je l'entendais me soutenir cette thèse étrange que la religion chrétienne n'était que la suite naturelle, la conclu- sion légitime et l'évolution définitive du paga- nisme. Cet homme parlait sérieusement. Et, pour- tant, la vérité m'oblige à dire qu'il énonçait en

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beau langage une futile plaisanterie. Entre le pa- ganisme et le christianisme, il y a un abîme, il y a la distance de la nuit au jour, de la boue au rayon de soleil. Car non seulement le paganisme n'a pas produit le christianisme, mais le paganisme a fait tout ce qu'il a pu pour tuer le christianisme : té- moins les millions de martyrs qui sont tombés sous la faulx sanglante et impitoyable de la persé- cution païenne, D'ailleurs, si vous entendez quel- quefois émettre devant vous cette affirmation ba- roque qui fait du christianisme la continuation normale et l'épanouissement logique du paganisme, servez-vous du moyen facile de réfutation que je vais vous offrir et qui consiste simplement à racon- ter l'état de l'enfance dans l'antiquité. Pendant quarante siècles, les enfants ont été l'objet du mé- pris des sages et de l'insouciance des législateurs, les victimes des mœurs les plus viles et des plus impitoyables lois. C'a été de toutes parts un hor- rible empressement pour les vendre, les exposer, les prostituer, les tuer.

Les Perses se servaient de leurs enfants comme esclaves. Vous n'ignorez pas ce que les Egyptiens firent aux enfants mâles des Hébreux, comment ils les noyaient dans les eaux du Nil. Et en Phénicie ? On plaçait un certain nombre d'enfants dans une statue de fonte du dieu Moloch ; on amoncelait des fagots de bois'autour de cette statue et on y mettait le feu. Les Perses, les Égyptiens et les Phéniciens,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 471

dites-vous, n'étaient pas civilisés. Hélas ! les Grecs et les Romains ne valaient pas mieux.

Ecoutez les apologistes chrétiens. Ils nous disent ce qu'ils ont vu de leurs yeux et touché de leurs mains. Tertullien, s'adressant aux premiers magis- trats de l'Empire, leur disait : « Parmi tous ces hommes qui m'entourent et qui ont soif du sang des chrétiens, parmi ces juges si rigoureux envers nous, y en a-t-ii qui n'aient pas donné la mort à leurs enfants, qui ne les aient pas noyés, fait périr de faim, de froid, de misère, jetés en pâture aux chiens et aux vautours? » Et sous cette parole ac- cusatrice, sous ce fer chaud qui leur brûlait le vi- sage, que faisaient les païens? Ils protestaient sans doute, ils criaient au mensonge, à l'exagération? Non. Ils se taisaient. « Faire mourir vos enfants, disait Lactance après Tertullien, c'est votre crime le plus fréquent, mais c'est aussi de tous le plus impie ; car, enfin, si Dieu leur a donné une âme, c'est pour vivre, ce n'est pas pour mourir. » Saint Justin, parlant de ces malheureux petits enfants et de l'affreuse prostitution pour laquelle on les réservait, nous apprend « qu'on les nourrissait par troupeaux comme des boucs, des chèvres, des brebis, dans des étables humaines. » Et le célèbre avocat ro- main, Minutius Félix, flétrit « ceux qui exposent leurs enfants aux bêtes féroces ou aux oiseaux de proie, ou qui ont eux-mêmes la barbarie de les étouffer et de les écraser. » Or, les païens, accusés

472 CONFÉRENCES AUX HOMMES

publiquement de pareilles horreurs, n'ont pas con- testé la réalité des faits incriminés, et, de plus, ces faits incriminés se trouvent consignés dans la lé- gislation et les philosophes de l'antiquité.

Les législateurs les plus vantés et les plus sages de Sparte, d'Athènes, de Rome, se rencontrent ici dans les mêmes atrocités. A Sparte, lorsqu'un enfant vient de naître, on délibère d'abord de sa vie ou de sa mort ; s'il est d'une complexion vigou- reuse, il vivra ; s'il est faible ou difforme, on le jettera dans le gouffre du mont Taygète. Et Plu- tarque, qui nous raconte ceci, ne s'en émeut pas. Il ajoute seulement que, « quant à ces enfants qui n'ont ni santé ni force, il n'est bon ni pour eux, ni pour l'Etat qu'on les laisse vivre ». Dans l'élé- gante Athènes, les lois de Solon autorisent formel- lement le meurtre des enfants. Le nouveau-né est jeté du sein de sa mère aux pieds de son père. Si le père le relève dans ses bras, il sera préservé de la mort; si le père détourne les yeux, on l'ex- pose ou on le tue. A Rome, le meurtre était quelquefois différé jusqu'à l'âge de trois ans. Mais, les trois ans accomplis, le père tuait l'enfant en in- voquant les dieux du foyer. Les lois des Douze Tables disent formellement : « Si l'enfant est contre- fait, que le père sans délai, sans formalités, lui- même, de sa main, tue l'enfant, puerum, pater, cito necato, et, s'il est faible, qu'il l'expose. » Et ces enfants exposés, que devenaient-ils ? La plupart

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du temps, ils périssaient de froid ou de faim. Ceux qui survivaient étaient exploités par quatre espèces d'industriels : parles pourvoyeurs des lieux infâmes, par les lanistes qui les élevaient pour les jeux san- glants du cirque, parles magiciens qui se servaient du sang de ces innocentes créatures pour d'horribles breuvages, et enfin par les mendiants qui les es- tropiaient afin de spéculer sur la pitié des pas- sants. Il me répugne, Messieurs, de vous dire ces affreux détails, comme à vous de les entendre. Et cependant, puisqu'après dix-neuf siècles de chris- tianisme vous rencontrez des hommes qui vous font l'apologie du paganisme, il faut bien que vous puissiez leur répondre, et les convaincre d'impos- ture ou d'illusion. Il faut bien que vous sachiez que les mœurs infâmes dont je viens de vous dire un mot étaient non seulement reconnues et autorisées par les lois,

Mais justifiées et préconisées par la philosophie. « On punit de mort les scélérats, dit Sénèque, du même droit qu'on assomme les chiens enragés, qu'on tue les bœufs farouches, qu'on étouffe les monstres et qu'on noie ses enfants quand ils naissent faibles et mal conformés. C'est du bon sens. » Voilà le paganisme. Les scélérats, les chiens enragés, les bœufs farouches, les monstres et les pauvres enfants, tout cela est mis sur le même rang et con- damné au même sort. Il faut les tuer, et c'est la raison, c'est le droit, le même droit qui les tue. Et

474 CONFÉRENCES AUX HOMMES

ce droit infâme, c'est le fond de l'ordre moral et social, c'est la législation qui le consacre, c'est la philosophie qui le célèbre... Après cela, s'il y a des hommes qui trouvent que le paganisme était beau, qu'il était une fleur dont le christianisme n'est que le fruit, convenez avec moi que ces hommes ne sont pas difficiles, et qu'ils ont, pour raisonner, un cerveau étrangement déformé. 0 mon Dieu, à quels abîmes de démence ne va-t-on pas, quand on a peur de la vérité ? Oui, des hommes quelquefois instruits et intelligents aimeront mieux dévorer les plus fortes absurdités plutôt que d'adhérer à la religion chrétienne. Ils flairent dans le christianisme des mystères qui révoltent leur orgueil et une morale qui condamne leurs passions, et, sans même avoir le courage et la sincérité d'examiner le christia- nisme, ils lui disent : « Va-t-en ! va-t-en ! » Pour- quoi donc? Ils devraient ajouter : « Parce que j'ai peur de toi ! » « Les absurdités ils tombent en niant leur religion, dit Bossuet, deviennent plus insoutenables que les vérités dont la hauteur les étonne ; et, pour ne pas vouloir croire des mystères incompréhensibles, ils suivent l'une après l'autre d'incompréhensibles erreurs. »

Vous savez maintenant, Messieurs, ce que le pa- ganisme pensait et faisait des enfants. Aux yeux de ses parents et des sages, l'enfant n'était qu'un ins- trument dont la valeur se mesurait aux services qu'on en attendait, et rsn so^t était décidé en vue

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 475

du seul intérêt de la famille et de l'Etat. Je sais bien qu'un poète païen, Juvénal, a écrit cette belle parole : « Maxima puero debetur reverentia ; On doit aux enfants les plus grands égards. » Mais ce vers qui fait honneur à la nature humaine ne détruit pas les horreurs que je vous ai racontées, et d'ail- leurs, quand il est tombé de la plume de Juvénal, le christianisme commençait à pénétrer le monde ancien de ses maximes, et les poètes comme les philosophes trouvaient bon de se les approprier. Il reste prouvé que le paganisme livré à lui-même a été abominable à l'égard des enfants. Tout va changer. Voici Jésus-Christ qui va réhabiliter l'enfant.

IL L'enfant dans l'Evangile.

Jésus-Christ réhabili te l'enfant d«7?ss« personne. Le voyez-vous, notre divin Christ, dans un coin de la Judée, à Bethléem, sur la paille d'une étable, entre sa mère Marie et son père nourricier Joseph? Le voyez-vous ? Il aurait pu entrer dans le monde par l'arc de triomphe des grandeurs humaines ; il y entre par la porte basse de l'humilité. Pourquoi? Que fait-il ? Lui qui est Dieu, pourquoi est-il ainsi rapetissé ? Ah ! comprenez et adorez ce mys- tère. Le Christ dans sa naissance réhabilite l'en- fance. Il couvre l'enfant de sa divinité comme d'un manteau de gloire. Il imprime au front de l'enfant

476 CONFÉRENCES AUX HOMMES

l'onction même de Dieu et, couché sur la paille, sur ce trône nouveau viennent pourtant le recon- naître les rois, il crie à l'humanité : « 0 hommes, regardez-moi bien ; je ne suis qu'un enfant, mais je suis Dieu ; apprenez à respecter en moi l'enfance réhabilitée et divinisée ! » Du jour cette pa- role de transfiguration et d'apothéose s'est envolée de l'étable de Bethléem à travers le monde, l'en- fant a été aimé, l'enfant a été respecté, l'enfant a été sauvé ; et de nouvelles destinées ont com- mencé pour lui. Qu'importe que l'enfant soit pauvre? Le Christ est pauvre. Qu'importe que l'enfant soit faible ? Le Christ est faible. Le Christ a réhabilité l'enfant dans sa personne.

Il l'a réhabilité par sa parole. Vous avez en- tendu les philosophes et les législateurs de l'anti- quité. Ecoutez maintenant Jésus-Christ, et cons- tatez que de Lui au paganisme il y a la distance du jour à la nuit. Un jour, ses disciples lui deman- dent : « Qui donc est le plus grand dans le royaume des ci eux? » Et Jésus, prenant un petit enfant, le plaçant au milieu de ses disciples, leur dit : « En vérité, si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. Quiconque se fait petit comme cet enfant est le plus grand dans le royaume du ciel; et celui qui reçoit un de ces enfants en mon nom me reçoit. Et pour quiconque scandalise un de ces petits il vaudrait

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mieux qu'on lui liât une meule au cou et qu'on le jetât dans la mer. » Quel langage nouveau, étrange, sublime ! 0 païens, ces enfants, vous les tuez, vous les exposez, vous les prostituez... et Jésus-Christ se tournant vers vous s'écrie : « Insensés, vous n'y en- tendez rien ! Ces enfants, il faut leur ressembler, il faut les respecter ! « Laissez-les venir à moi ; Sinite aparvulos ventre ad me! » Ne repoussez plus dans la mort ces êtres charmants, ces âmes immortelles que j'ai faites à mon image et à ma ressemblance! Je suis leur Père et leur Dieu ! Je vous défends de les toucher. Si vous les blessez, c'est moi-même que vous blessez. Si vous les scandalisez, vous êtes des misérables, et moi qui suis la bonté infinie et l'infi- nie douceur je déclare que vous méritez d'être noyés dans la profondeur des océans! » Voilà, Messieurs, les paroles du Christ, et c'est par ces paroles tendres, puissantes, sublimes que le sens humain a été re- fait, assaini, illuminé, que les entrailles et le cœur de l'homme ont été régénérés, que le paganisme a- été vaincu, et qu'on a vu un jour meilleur se lever sur l'humanité et sur la tête des enfants.

Le Christ a réhabilité l'enfant dans sa personne, par sa parole, et encore par ses actes. Ce qui est beau, ce qui est ravissant dans l'Evangile, c'est de voir comment notre divin et aimable Sauveur ne fait pas un pas sur la terre sans être entouré des enfants et de leurs mères. Le voilà dans un coin de

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la Judée. Qu'il est beau quand il commande à la tempête, quand il multiplie les pains au désert, quand il guérit les malades, quand il ressuscite les morts! Qu'il est beau quand il pardonne aux pé- cheurs, quand il foudroie les orgueilleux et les hypocrites, quand il laisse tomber les oracles de ses lèvres et les miracles de ses mains ! Mais com- bien il m'apparaît plus beau quand je vois les mères lui amener leurs petits enfants et le supplier de vouloir bien les toucher, les bénir, leur imposer les mains et prier pour eux ! Il se laisse environner par tous ces petits enfants ; s'approchant d'eux, Lui- même il les regarde avec un ineffable amour, « il leur fait de douces caresses, il met sa main sur ces têtes innocentes, il prie pour eux : et complexam eos, orabat super illos. » Et, attirés soit par le doux regard de ses yeux, soit par le sourire de ses lèvres, soit par les affectueuses paroles qui sortent de sa bouche et de son cœur, les enfants viennent à lui dans les villes, les bourgades et les sentiers de la Judée. Ils le suivent partout. Ils percent la foule pour le voir et l'entendre de plus près. Les dis- ciples en sont ennuyés. Ils s'en irritent. Ils accueil- lent durement ces petits enfants et leurs mères, et vont jusqu'à les chasser avec menace ; incre- pabant, comminabantur. Et Jésus-Christ, toujours si bon et si indulgent, semble oublier ici sa dou- ceur et s'indigne contre ses disciples : indigne tulit. Sinite parvulos ventre... Nous sommes loin, bien

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loin des horreurs philosophiques et légales du pa- ganisme à l'égard de l'enfance. Le Christ se levant au milieu des siècles et prononçant sur les enfants qu'il bénit cette grande parole : « Laissez venir à moi les petits enfants ! » c'est un monde qui finit et c'est un monde qui commence.

Jésus-Christ réhabilite l'enfance dans sa per- sonne, par sa parole et par ses actes et, enfin, par ses institutions. Qu'a-t-il institué en faveur de l'enfance ? Il a institué le baptême, le baptême qui régénère l'enfant, qui le purifie, qui en fait le fils de Dieu, le frère de Jésus-Christ, le temple du Saint-Esprit. Et ce sacrement à lui tout seul bou- leverse les idées et les coutumes de l'ancien monde. Tout à coup, sous les reflets du baptême, l'enfant devient un être vénérable. Qu'importe qu'il soit d'humble naissance ou d'une complexion faible? Ce cher petit membre du Christ est d'autant plus honoré et aimé qu'il ressemble mieux à Celui dont les souffrances ont racheté le genre humain. Son âme est pure ; son âme est grande; c'est un Dieu en fleur ; Deum in flore. Anges du ciel, inclinez-vous ! Parents, soyez dans l'allégresse ! Et en effet, pères et mères, quand vous considérez la charmante créa- ture que le baptême a transfigurée, n'est-il pas vrai que le mystère de sa vie intime, que les splen- deurs de son âme régénérée se reflètent en son limpide regard, et que votre foi respectueuse, non

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moins que l'instinct de votre nature s'écrie : Mon ange ? C'est par le baptême que le christianisme commence ; c'est le sceau du baptême qui sacre le front du nouveau-né ; c'est après le baptême qu'il se fait autour de l'enfant comme un cercle d'hon- neurs, de respects et de saintes émotions. J'en appelle à l'histoire. C'est le baptême qui a sauvé et réhabilité l'enfance, qui l'a rendue sacrée à

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la famille, à la cité, à l'Etat. Ah! Platon, vous ne l'aviez pas deviné cet enfant régénéré par le Christ, quand, descendant des hauteurs de votre sublime génie, vous traitiez l'espèce humaine comme un troupeau de brutes, quand vous déclariez qu'il ne fallait nourrir et élever que les enfants nés d'un couple robuste et bien fait, seul moyen, disiez- vous, de former un excellent troupeau. Vous ne soup- çonniez ni l'origine ni la grandeur de l'enfant, ô Aristote, quand vous établissiez en principe qu'on ne doit nourrir aucun enfant faible ou mal con- formé, quand, après avoir supputé le nombre des naissances, vous indiquiez un moyen infâme de débarrasser la société de son excédent ! Si vous doutiez encore de la réhabilitation de l'enfance par Jésus-Christ, Messieurs, je vous dirais de regarder les peuples infidèles à l'heure actuelle. Allez en Chine, en Arabie, dans l'Afrique centrale, et jusque parmi les tribus de l'Afrique française la croix n'a pas encore élevé la tête au-dessus de nos armes. Pourquoi ces cadavres que roulent dans leurs eaux

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tous les fleuves du Céleste Empire? Pourquoi ces jeunes victimes qui meurent par milliers du Tell au Sahara et au Soudan? Ah ! c'est qu'en Asie comme en Afrique le père manque de cœur et la mère d'entrailles ; c'est que la famille n'y a point encore été restaurée par le baptême ; c'est que par- tout où l'eau du baptême tarde à couler, l'enfant n'est pas une âme, mais un peu de chair et de sang, auquel on n'accorde ni justice ni pitié!

Le paganisme avait tout déprimé. L'Évangile a tout relevé. Le prolétaire, le pauvre c'est une âme! La femme si longtemps méprisée, c'est une âme! Le difforme et le disgracié, c'est une âme ! L'en- fant qui vient de naître, c'est une âme ! L'enfant qui n'est pas encore né, c'est une âme déjà. « Gardez- vous de mépriser un seul de ces petits », dit le Christ, parce que c'est une âme égale par son ori- gine et sa nature à la vôtre, une âme immortelle créée par Dieu, rachetée du sang d'un Dieu, et appelée à posséder Dieu dans les splendeurs de l'Eternité 1

Amen!

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DIXIEME CONFERENCE

L'enfant dans le catholicisme

Messieurs,

Nous avons vu l'enfant dans le paganisme et l'enfant dans l'Evangile. C'est le jour succédant à la nuit. Etudions maintenant l'enfant dans le ca- tholicisme. Gardienne de la doctrine du Christ et chargée de continuer son œuvre, l'Eglise, depuis dix-neuf siècles, entoure l'enfant d'amour, de soins et de respect. L'enfant arrive au monde avec une triple faiblesse : faiblesse d'un corps qui peut à peine se soutenir sur des pieds chancelants, fai- blesse de l'esprit dont l'ignorance absolue n'a d'égale que sa curiosité, faiblesse du cœur enclin à tous les mauvais penchants, à tous les désirs dé- réglés. Cette triple faiblesse appelle un triple bien- fait : bienfait d'une vie à conserver, bienfait d'une intelligence à développer, bienfait d'un cœur à former. A ce triple point de vue, l'action de l'Eglise sur l'enfance est admirable.

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I. Il y a, dans l'enfant, une vie matérielle à con- server.

Que ne fait pas l'Eglise à ce seul point de vue?

Dans les siècles TÉtat était sans entrailles et la famille faisait, par un partage odieux, la part de la vie et celle de la mort parmi les enfants nés

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dans son sein, l'Eglise a dit à l'Etat : Cet enfant trop difforme pour être un bon soldat sera peut- être assez intelligent pour être un citoyen utile. D'ailleurs c'est un corps façonné de la main de Dieu et animé de son esprit, c'est un chrétien, je l'ai baptisé, je le consacre, je prends sous ma pro- tection ses jours menacés et, au besoin, je mendie- rai pour lui le pain de l'aumône ! L'Eglise a dit à la famille : Tu n'as pas droit de vie et de mort sur l'enfant. Ce sont les plus disgraciés qui ont le plus besoin de sollicitude, de tendresse et d'amour. Garde ce corps chétif, couvre-le de baisers, déve- loppe-le au souffle de ce nouvel esprit dont le christianisme a rempli la société. Sois père sans honte, sois mère sans embarras, écoute la nature ; et laisse croître et grandir sous le regard de Dieu les chers petits êtres qu'il lui plaît de te donner ! Dès les premiers siècles, les conciles de Nicée et de Constantinople portent la peine de l'excommu- nication contre ceux qui exposent les enfants, leur ôtent la vie ou les empêchent de naître.

484 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Et, joignant l'exemple au précepte, l'Eglise s'est mise à la recherche des enfants abandonnés; elle leur a ouvert des asiles, des retraites, des hôpi- taux. Nous voyons l'empereur Constantin édicter des lois qui viennent aider l'Eglise dans son action humanitaire à l'égard de l'enfance. Sous l'influence de l'Église, nous voyons des filles des Césars, de nobles patriciennes presser sur leur cœur les pauvres enfants que leurs ancêtres auraient foulés sous leur char. Et, à toutes les pages de l'histoire, nous voyons l'Eglise adopter les orphelins, les re- cueillir, les nourrir, les entretenir, les doter avec une telle munificence que le patrimoine du pauvre a un jour excité les convoitises de l'envie. Un jour des voleurs ont mis la main sur les biens de l'Église... Qu'est-il arrivé? Qu'avons-nous vu au commencement du xixe siècle? L'Eglise, nue et dé- pouillée, a su quand même retrouver une dotation nouvelle à l'enfance abandonnée, et on ne compte plus, à l'heure qu'il est, les orphelinats ouverts par elle et entretenus par son argent. Le prêtre ven- drait plutôt les vases de l'autel que de laisser sans pain l'enfant dont il est le tuteur naturel. Va, sainte Église, va! Poursuis ta carrière à travers les siècles, mendie, recueille, bâtis, adopte, et apprends au monde que, si tu as tant fait pour le corps, c'est pour gagner l'âme ; apprends au monde que cette vie matérielle dont tu as ranimé la flamme expirante n'est vraiment chère qu'à ceux qui

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 485

veulent ranimer et sauver par la vie mille fois plus précieuse de l'esprit et du cœur. Dans le paga- nisme la vie matérielle de l'enfant était un jeu ; dans le catholicisme, elle est sacrée, parce qu'elle sert d'enveloppe à une intelligence qu'il faut déve- lopper et à une âme qu'il faut former.

II. Il y a, dans l'enfant, une intelligence à déve- lopper.

Que n'a pas fait l'Eglise à ce second point de vue!

Que de fois vous avez lu ou entendu dire que jadis l'instruction était réservée à quelques privi- légiés de la fortune ou de la naissance... que l'Eglise, quand elle était au pouvoir, au sommet des affaires, a négligé l'instruction populaire, comme si elle avait craint pour ses dogmes une lumière trop vive, comme si elle avait eu besoin d'envelopper ses mystères d'une couche épaisse d'ignorance et de ténèbres! Cent fois déjà j'ai réfuté cette assertion menteuse. De nouveau, je la repousse, je la flagelle, je la déclare contraire à tous les documents historiques les plus incontestables.

Guizot, un protestant, nous dit qu'au vie siècle les Bénédictins fondent dans les Gaules de nom- breux monastères, et que chacun de ces monas- tères comporte une école pour les classes populaires.

486 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Au vine siècle, Théodulphe, évêque d'Orléans, établit des écoles gratuites dans tous les bourgs et villages de son diocèse.

Pendant tout le moyen âge les contrats d'appren- tissage et de tutelle stipulent que le pupille ou l'apprenti sera mis aux écoles et instruit suivant sa condition, et cette clause est signifiée expressé- ment pour de simples domestiques et valets de ferme.

Au xvie siècle, le protestantisme pille et incendie les écoles, et l'instruction populaire subit une éclipse. Mais bientôt, avec le Concile de Trente et le réveil catholique qui en fut la suite, l'enseigne- ment du peuple reprend un nouvel essor, et de nombreuses congrégations religieuses viennent au- devant du jeune âge et lui prodiguent le bienfait de la science.

Si bien qu'au xvme siècle, à la veille de la Révo- lution, au diocèse de Saint-Dié, baillis, syndics, notables se plaignent que les écoles enlèvent trop de bras à l'agriculture et aux ateliers. « Nos bourgs et nos hameaux, disent-ils, fourmillent d'une mul- titude d'écoles; il n'est pas de hameau qui n'ait son grammairien. »

Devant de tels témoignages, Messieurs, est-il possible d'entendre et de laisser dire que l'ensei- gnement primaire est une invention moderne, qu'il a été créé et mis au monde par la Libre Pensée? Je vous demande, au nom de l'histoire et de

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 487

l'équité, de protester contre cette sotte, vilaine et perfide assertion.

Et, si l'Eglise dans le passé s'est préoccupée grandement de l'instruction, que fait-elle encore aujourd'hui? Elle ouvre des milliers d'écoles, et il faudrait une fameuse audace pour l'accuser de con-

r

juration contre la lumière. L'Eglise a sauvé la vie matérielle de l'enfant. Elle a développé sa vie in- tellectuelle. Est-ce tout? Non. Dans l'enfant il y a plus et mieux qu'un corps à faire vivre et une intelligence à instruire.

III. Il y a, dans l'enfant, un cœur à former.

»

Et ici encore, ici surtout, l'action de l'Église nous apparaît puissante et admirable. Rien ni personne ne peut la remplacer. Essayez. Cette divine reli- gion chrétienne, si vous la chassez des berceaux, si vous la mettez à la porte du foyer domestique, et à la porte de l'école, qui ne doit être que le pro- longement du foyer domestique, si vous écartez ses magiques influences de la tête et du cœur de vos enfants..., que mettrez-vousàlaplace? Car, enfin, je vous admire quand vous dites : « Je veux que mon enfant soit bien élevé. » Mais je vous prie de re- marquer que qui veut la fin veut les moyens. Or, en dehors de l'élément religieux, quel moyen vous reste-t-il pour assurer la bonne éducation de votre

488 CONFÉRENCES AUX HOMMES

enfant? La science, me répondez- vous, l'instruction. La science... voilà l'idole que vous mettez à la place du vrai Dieu, et à laquelle vous voulez confier les destinées de l'enfance. De grâce, Messieurs, ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Je ne dis pas que la science est mauvaise. Je dis qu'elle est utile, qu'elle est bonne, et qu'il faut la donner à l'enfant dans une large mesure. Mais j'ajoute qu'elle n'est pas suffisante pour former le cœur de l'enfant. Elle est bonne, mais il faut autre chose. L'enfant n'est pas seulement une intelligence et une mémoire à meubler et à bourrer de mots, de dates, déchiffres, de formules. L'enfant est une âme qu'il faut éclairer sur sa destinée et sur ses devoirs, un cœur qu'il faut cultiver et passionner pour le bien, une volonté qu'il faut assouplir et conduire à la lutte, une conscience qu'il faut assainir et façonner. La science ne fera pas cela. Elle ne peut pas le faire. C'est au- dessus de ses forces et en dehors de sa compétence. Non, ce n'est pas avec un peu d'histoire et de géo- graphie, avec un peu de physique et de chimie, avec un peu de grec et de latin, que vous établirez le règne de la vertu, de la force morale dans l'âme et dans la vie de vos enfants. On a prétendu que les générations nouvelles pourraient aisément se dispenser de l'idée et de la sève religieuse, de l'idée et de la sève évangélique; on vous l'a dit, on l'a chanté à vos oreilles sur tous les tons... Et moi, au nom de l'autorité de l'Eglise et de l'évidence des-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 489»

faits, je vous déclare que c'est un infâme mensonge ou une grossière illusion. Croyez-en Diderot, un des ennemis les plus acharnés du christianisme. Un jour, l'académicien Bauzée, entrant brusque- ment chez lui, le trouve expliquant le catéchisme à sa fille ; et, comme il paraissait stupéfait : « Eh ! mon cher, lui dit Diderot, quels meilleurs fonde- ments puis-je donner à l'éducation de ma fille pour la rendre fille respectueuse, digne épouse et bonne mère? Au fond, nous sommes bien forcés d'en con- venir. Est-il une morale qui vaille celle de la reli- gion et qui porte sur de plus puissants motifs? » Hélas ! combien y a-t-il de Diderot dans notre siècle, qui préconisent l'impiété devant la galerie, et qui, rentrés à la maison, revendiquent pour leurs enfants l'éducation chrétienne qu'ils ont chassée des lois et qu'ils ont flétrie de la parole et de la plume !

Messieurs, pour élever l'enfant, il faut agir sur sa conscience. Or, la conscience, qui la forme ? C'est la religion. Donc, la religion est nécessaire à l'édu- cation. Elle ne dispense pas de recourir aux moyens humains, tels que la surveillance, la correction, l'attrait des récompenses, l'appel à la raison, au sentiment, à l'honneur, à l'intérêt; mais ces moyens ne sauraient la suppléer.

La surveillance? Elle n'atteint ni les pensées, ni les désirs, ni toutes les démarches, ni toutes les conversations.

490 CONFÉRENCES AUX HOMMES

La correction? Avec le bâton seul, on forme des esclaves et des abrutis, et non des hommes.

Le sentiment? rien ne sèche plus vite que le sentiment et les larmes.

La raison? Hélas! il ne suffit pas de connaître son devoir pour l'accomplir.

L'honneur ? Quelques intelligences d'élite vous comprendront peut-être, mais la masse ne vous suivra pas.

L'intérêt? La morale qui repose sur l'intérêt n'est guère solide.

Cherchez en dehors de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église un système d'éducation, je vous défie de le trouver.

Depuis dix-neuf siècles, et aujourd'hui comme dans le passé, l'Eglise protège la vie matérielle, la vie intellectuelle et la vie morale de l'enfant. Bé- nissez-la et aimez-la. Faites-la bénir et aimer .autour de vous!

Amen!

ONZIÈME CONFÉRENCE

L'enfant dans le catholicisme (suiîi)

Messieurs,

Je vous ai montré l'enfant avili par le paganisme et réhabilité par l'Evangile. Je vous ai montré la réhabilitation de l'enfant réalisée dans le catholi- cisme. Restons encore un peu en présence de ce capital sujet. L'enfant c'est l'homme de demain, c'est la France de l'avenir. Dans ses mains débiles, l'enfant tient les destinées de la famille, de la so- ciété et de la religion. Fussiez-vous arrivés au som- met des choses, comptés parmi ceux qui modifient le sort des nations, parmi ceux qu'on appelle le plus justement les grands hommes, vous ne pour- riez pas oublier la parole de Bossuet : « Les grands hommes se forment sur les genoux de leurs mères. » L'enfant est un homme en réduction ; l'homme est tout entier dans l'enfant, et l'âge mûr se cou- ronne des fruits bons ou mauvais que la jeunesse a élaborés. Par conséquent, si vous voulez savoir ce

492 CONFÉRENCES AUX HOMMES

que seront les hommes de demain, voyez ce que sont les enfants d'aujourd'hui; si vous voulez pré- parer à la patrie et à l'Eglise des jours heureux et des destinées glorieuses, infusez dans l'âme et dans le sang des générations nouvelles une sève puis- sante de christianisme. Pour vous faire accepter cette conclusion je me contenterai de faire passer sous vos yeux le tableau de l'enfant chrétien et de vous dire : admirez, prévoyez et comparez.

I. Admirez l'enfant chrétiennement élevé.

Qu'ils sont beaux vos enfants, Messieurs, quand la religion les touche de son sceptre divin et les recouvre d'un reflet surnaturel; quand ils vous sont rapportés des fonts du baptême avec la grâce sanctifiante qui ne demande qu'à se développer, à arriver à son terme, à gagner ses cimes, à briller, à resplendir ; quand, arrivés à leur douzième an- née et comprenant déjà le prix de leur âme, la bonté de Dieu et les grandes vérités chrétiennes, ils s'approchent de la Table des anges, et quand ils vous reviennent le soir de ce grand jour transfigu- rés dans la lumière de la première communion et tout pénétrés des essences de la foi et de la vertu ! Qu'ils sont beaux quand ils s'avancent dans la vie, le front plein de sérénité et le cœur plein d'inno-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 493

cence ! Une goutte de rosée peut refléter tout le firmament ; ainsi une âme d'enfant reflète le ciel. Il est beau, l'enfant transfiguré et divinisé par la religion. Il a des amabilités qui attirent, des sail- lies qui charment, des élans qui captivent, des jeux môme qui ne nous laissent point froids et in- différents. Chateaubriand se promenait un jour tout pensif au Luxembourg, et il était absorbé à consi- dérer des enfants qui, assis à terre, jouaient et fai- saient des figures sur le sable. Il avait été mi- nistre, ambassadeur, décoré du Saint-Esprit, de la Toison d'Or, du grand-cordon de Saint-André... et une chose l'arrête et le captive, c'est de voir des enfants jouer sur le sable. Il avait fait René, le Génie du Christianisme, il avait tenu tête à Napo- léon, il avait ouvert l'ère poétique du siècle, et il ne sait plus qu'une chose qui le captive, voir jouer des enfants sur le sable. Il avait vu l'Amérique, Rome, la Grèce, Jérusalem, et il est en extase de- vant des enfants qui jouent et font des ronds sur le sable. Oh ! que voilà bien la puissance de l'en- fant ! Pères de famille, que voilà bien votre his- toire! Vous vous arrêtez interdits, respectueux, charmés, hypnotisés devant vos enfants, et vous avez raison. Je ne sais plus quel professeur alle- mand au xvie siècle avait coutume de donner ses leçons la tête découverte pour honorer, disait-il, les consuls, les chanceliers, les docteurs et les maîtres qui sortiraient un jour de son école. Votre

494 CONFÉRENCES AUX HOMMES

enfant, Messieurs, c'est plus qu'un docteur, plus qu'un consul. Si la religion habite dans son âme et la parfume de ses arômes divins, c'est un élu en germe, c'est une fleur divine, c'est un Dieu en fleur, c'est un beau lys dans lequel viennent se mirer les anges, c'est une belle rose, dit le curé d'Ars, et les trois divines Personnes descendent du ciel pour en respirer le parfum.

Si j'étais artiste, si j'avais dans ma tête le génie d'Apelles et dans ma main son pinceau, savez- vous comment je m'y prendrais pour peindre la vraie beauté, pour lui donner sur la toile une figure digne d'elle ? Voici ce que je ferais. Je la représenterais sous la forme joyeuse d'un enfant innocent et pieux, et je dirais sans crainte au ciel et à la terre : « Regardez, admirez, inclinez- vous, car voici l'image de la Beauté! C'est un enfant de douze ans. Son visage respire la douceur. Son front calme et pur s'épanouit dans une sérénité qui fait penser à un ciel sans nuages. Ses lèvres donnent un sourire qui rappelle les premières brises du printemps. Ses yeux lancent une flamme qui jaillit comme la splendeur matinale de l'aurore. Tous ses traits sont vifs, animés, limpides, et forment comme une sorte de magie vivante, reflet superbe de la beauté idéale d'Adam et d'Eve au lendemain de leur création. » Ce portrait, Messieurs, que je serais impuissant à produire sur la toile, il y a un artiste merveilleux qui, chaque jour, le réalise, et,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 495-

chaque jour, le présente à l'admiration de Dieu et des hommes... Cet artiste, c'est un ange! Et vou- lez-vous le connaître, cet ange invisible qui jette sur la figure de l'enfant le sourire de la paix, l'épanouissement de la vertu et le rayon de la vraie Beauté? On l'appelle l'ange de la religion. Quand la religion s'empare de l'enfant, quand elle le couvre de ses caresses, de ses sollicitudes, et de ses bénédictions, quand elle l'enrichit de ses lu- mières et de ses énergies surnaturelles, ô mer- veille! elle le transforme, elle le spiritualise, elle en fait une créature supérieure. Et puis que va-t-il advenir de cet enfant?

II. Prévoyez l'avenir de l'enfant chrétiennement élevé.

Notre maturité est en germe dans notre jeune âge, comme le fruit dans sa fleur, et la religion qui façonne l'enfant lui prépare du même coup un avenir glorieux et fécond. Sans doute toute fleur ne donne pas son fruit; elle peut sécher et se flé- trir, elle peut tomber sous une pluie d'orage. Mais incontestablement si on n'a pas de fleurs, on n'aura pas de fruits, et les années les plus riches sont toujours celles qui ont le plus beau printemps; les vies les plus fécondes sont celles qui com- mencent par une enfance pieuse et pure.

496 CONFÉRENCES AUX HOMMES

J'en appelle à vos souvenirs, Messieurs. Tout ce que l'homme possède de force, tout ce qu'il goûte de joie, tout ce qu'il exerce d'influence lui vient plus ou moins de cette heure le sourire de la mère a provoqué le premier sourire de l'enfant, de cette heure la langue de la mère a délié la langue de l'enfant, de cette heure la religion maternelle s'est imprimée dans l'âme de l'enfant. Dans la longue suite de nos années écoulées, notre berceau reste la place la plus rayonnante, la plus vénérée, la plus aimée, parce que c'est la plus féconde, nos pieds se soient jamais arrêtés. Et à mesure que nous avançons dans la vie, nous aimons davantage à nous rappeler les tendres et saintes délicatesses qui ont affermi nos premiers pas et nous ont procuré nos premières joies; plus le fleuve nous emporte, plus nous sommes heureux de remonter à sa source, pour y retrouver les secours providentiels qui nous ont faits ce que nous sommes.

Oui, les enfances pieuses et pures préparent les maturités fécondes. Ce jeune enfant élevé dans une atmosphère de religion et d'innocence pourra un jour tout oublier. Qu'importe? Ce qu'il a senti d'émotions saines et généreuses sur les genoux d'une mère chrétienne, dans les bras d\m père fidèle à Dieu, sur ie pavé de nos temples, il le sen- tira toujours, à son insu, dans un repli de sa cons- cience, comme ces parfums qui s'obstinent à la

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 497

doublure d'un vêtement. Il pourra tomber dans les derniers excès; mais, quoi qu'il fasse, toutes les pages de sa vie charrieront des parcelles du dia- mant brisé, des fragments confus de la mélodie divine qui a retenti sur son berceau. Il sera au moins accessible au repentir. Il n'abjurera jamais définitivement l'honneur et la vertu. Il aura après une jeunesse ardente une maturité précoce. Il se remettra de lui-même sous le joug de la loi, et la religion fortement enracinée dans son enfance re- deviendra maîtresse de sa vie et sauvera son âme pour le temps et pour l'Eternité ! Tel est l'enfant, quand la religion le couvre de sa majesté trois fois sainte. Il est beau à voir, et sa beauté présente est le prélude d'une vie qui s'annonce sans peur et sans reproche.

III. Comparez à l'enfant chrétiennement élevé l'enfant qui est élevé en dehors de toute instruc- tion et de toute émotion religieuse.

Tous les noms retentissant à l'oreille de cet en- fant, excepté le vôtre, ô mon Dieu, et celui de votre divin Fils et de sa divine mère ; tous les spectacles venant se montrer aux regards de cet enfant, excepté ceux de votre maison et de vos fêtes, ô mon Dieu ! tous les plaisirs et toutes les joies de la terre venant de jour en jour et d'heure

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-32

498 CONFÉRENCES AUX HOMMES

en heure remuer de leur souffle cette vie tendre et délicate, toutes, excepté ces saintes voluptés du Temple et ces joies sacrées des cérémonies pieuses qui devaient donner à cette âme à peine épanouie comme une révélation et un pressentiment du Paradis ! Ajoutez à cela dans certains milieux le nom adorable de Dieu mêlé à d'horribles formules d'imprécations et de blasphèmes; des paroles im- pies et licencieuses, des calomnies populaires sur la religion et ses ministres, qui mettent dans l'âme de ce pauvre enfant un fond de défiance irréfléchie, mais tenace, contre notre ministère et contre nos personnes, contre nos enseignements les plus simples et notre dévouement le plus pur. Ajoutez à cela encore des exemples en opposition directe avec la loi de Dieu et les passions de la jeunesse se développant précisément alors d'accord avec ces influences domestiques... !

Que pensez-vous que va devenir cet enfant? Cet enfant ne sera pas élevé. Rien ne saura dompter en lui ces instincts farouches dont la libre expan- sion fait l'homme barbare. Un jour il se révélera comme la personnification de l'égoïsme et de l'in- gratitude, et aussi impie envers ses parents qu'en- vers son Dieu, il leur apprendra par .leurs douleurs et peut-être par ses crimes ce que c'est que de vouloir se passer de Dieu !

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 499"

Le cœur d'un homme vierge est un vase profond. Lorsque la première eau qu'on y verse est impure, La mer y passerait sans laver la souillure ; Car l'abîme est immense et la tache est au fond!

Malheur à l'enfant élevé sans religion ! Pendant toute sa vie il portera dans son âme et sur son front la trace indélébile des sentiments pervers qui ont abreuvé ses premières années.

Pensez-y, Messieurs. Pensez-y pour vos enfants. Pensez-y pour ces centaines et ces milliers d'en- fants du peuple que l'on voudrait arracher aux

r

bras de la sainte Eglise. Ne le permettez pas. Sau- vez l'enfance en la donnant à Jésus-Christ et à son

Eglise !

Amen!

DOUZIÈME CONFÉRENCE Le jeune homme

Messieurs,

L'Église sauve l'enfant. Mais voici bien une autre affaire. Votre enfant a grandi : il a quinze ou dix- sept ans. Ecoutez-moi bien. C'est grave, ce que j'ai à vous dire. Mes lèvres en sont émues, et je me de- mande si elles vont avoir le courage d'aller jusqu'au bout de ce tragique sujet. Pourquoi pas? Commen- çons par le plus facile, et contemplons aujourd'hui l'enfant devenu grand en conservant la piété de ses premières années. Contemplons le jeune homme sous l'égide de la sainte Eglise qui le préserve et qui, au besoinrle ressuscite.

I. L'Église préserve le jeune homme.

Le jeune homme est beau quand il s'avance dans la vie, ayant la religion pour armure et portant sur son visage je ne sais quel mélange d'enthousiasme

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 501

et de gravité, d'ardeur et de réflexion qui annonce les grandes destinées pour lesquelles Dieu le garde. Il y a deux merveilles que j'admire ici-bas : c'est une île au milieu de l'océan..., les flots vont et viennent, montent, descendent, mugissent, s'ar- rêtent toujours à temps, ne la couvrent jamais... Et puis, c'est un jeune homme au milieu du monde, un jeune homme enraciné dans la foi; les passions mauvaises l'enveloppent : flots agités, flots boueux, ils vont, ils montent, ils écument, puis se calment et s'en vont... pourquoi? parce que Dieu est là, habitant au cœur de ce jeune homme, veillant sur la candeur de son front, sur la sérénité de son re- gard,, sur l'honneur et la dignité de son âme. Qui oserait contester la beauté d'un pareil spectacle? Voilà un adolescent en qui la famille revivra tout entière. L'enfant était faible, naïf, confiant ; l'ado- lescent est grand, fort, plein d'ardeur et d'inquié- tude. L'enfant reflétait en son âme les tendresses de sa mère et les pensées de son père ; l'adolescent pense par lui-même, cherche sa voix et cache sous des traits devenus virils, des émotions et des désirs inconnus. Ah! si vous pouviez faire reculer le temps et ramener cet adolescent à sa douzième année ! Mais non. Cette joie, ou plutôt cette tentation ne vous est pas permise. Aucune famille n'est destinée à s'endormir dans les douceurs qui ont charmé ses commencements. Votre fils vous échappe, il échappe aux obscurités et aux tranquillités de la vie in-

502 CONFÉRENCES AUX HOMMES

consciente, et il entre à pleines voiles dans les orages. Quelle tutelle allez-vous étendre sur cette innocence si chère et si menacée ? Messieurs, il n'y en a pas d'autre vraiment efficace que les salutaires freins de la conscience chrétienne. Mithridate jetait de For sur ses pas pour arrêter les poursuites des Romains; le Christ sème mieux que de l'or dans nos familles, en y semant les vertus qui en font la paix et l'honneur. «Les passions, dit Lacordaire, les passions comme des chiens sauvages sont aux portes de l'adolescence. » Qui donc pourra les dompter? Jésus-Christ. C'est Jésus-Christ, et Lui seul qui apprend à l'adolescent à gouverner sa jeu- nesse, à vaincre ses penchants, à résister aux en- traînements dangereux du dehors, à sauver sa chasteté et à doubler sans naufrage le cap de la pu- berté, qui est pour tous le cap des Tempêtes. Jésus- Christ député auprès du jeune homme son Eglise qui lui offre la possibilité de vaincre le mal et d'échapper au naufrage de sa vertu.

Hélas! vous le savez beaucoup mieux que moi, Messieurs, puisque vous portez dans votre cœur les angoisses de la paternité. Il est bien rare, n'est- ce pas, que le jeune homme, même le meilleur, préserve sa barque de toutes les avaries au milieu d'une traversée si pleine d'orages. Les temps sont si difficiles, les séductions si nombreuses, les occa- sions de déchoir si puissantes et si entraînantes! Mais n'ayez pas peur. Ce que Dieu garde est bien

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 503

gardé, et l'Église ne préserve pas seulement le jeune homme, elle le ressuscite quand besoin en

est.

il. L'Église ressuscite le jeune homme.

Le jeune homme qui a en lui le ressort de la foi et l'appui des pratiques religieuses n'est pas à l'abri de toutes les misères ; il peut tomber quel- quefois, mais il se relève toujours; il tombe parce qu'il est faible et que les vents sont violents, mais il se relève parce que Dieu est avec lui, et que la grâce est toute-puissante. Que le jeune homme dé- cliu et attristé de sa défaite regarde de notre côté, du côté de Jésus-Christ et de ses ministres. D'autres disserteront sur ses ruines ; avec les sacrements, nous les ferons palpiter. D'autres lui expliqueront le mouvement; avec les sacrements, nous nous chargeons de le lui donner. Nous ne prétendons pas, avec la religion, pouvoir prévenir toutes les chutes ; mais nous en prévenons beaucoup ; et celles qui se consomment malgré nous, nous prétendons qu'elles sont irréparables sans nous. Un coupable sans foi ni religion peut connaître la lassitude, la déception, le découragement; il ne connaîtra point le repentir, ni l'amendement dans le sens régénérateur attaché à ces mots, et, après avoir perdu la première innocence, il ne re-

504 CONFÉRENCES AUX HOMMES

montera point à la seconde. Nous ne remontons jamais seuls les abîmes descendus ; mais le jeune homme qui a la foi et qui, du fond de sa misèrer crie vers Dieu, n'est jamais perdu sans retour. Etiamsi mortuus fuerit, vivet. Même mort, il peut revivre. Jésus-Christ lui tend la main, et sa défaite, si profonde qu'elle soit, s'achève dans une victoire. Sa mort, si longtemps qu'elle ait duré, est suivie d'une résurrection : témoin saint Augustin, se- couant la chaîne de vingt ans de sensualisme et s'élançant du plus honteux esclavage jusqu'à une sorte de transfiguration angélique ; témoins tant de jeunes gens qui, jetés au milieu d'un monde cor- rompu et corrupteur, se conservent purs en se con- servant pieux, et qui, interrogés, vous diront que c'est la religion qui les a sauvés du naufrage.

Messieurs, je mets les choses au pire et je sup- pose l'âme du jeune homme chrétien complètement dévastée. Il a perdu dans des désordres graves et prolongés l'honneur de sa vertu et la sève de ses vingt ans. Sa ruine est-elle irrémédiable, et n'y a-t-il plus rien à espérer de cet ange dé,chu, de ce soleil éteint? Détrompez-vous. On objectait à un grand éducateur d'un collège catholique l'impuis- sance et l'inutilité de son ministère. On lui mon- trait les nombreux disciples sortis de son école et moissonnés par les passions, et on lui disait: «L'an- née a perdu son printemps. A quoi bon tous vos efforts? Quels sont vos résultats? Qu'avez- vous

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 505

fait? » « Ce que nous faisons? répondit-il. Nous créons des remords! » Oui, Messieurs, dans l'âme un moment égarée par la passion, la religion sur- vivante et tenace implante le remords, et le re- mords est le germe de la vie, l'étincelle d'un foyer qui va renaître, la racine de la vertu future, la pro- phétie d'une résurrection prochaine., Souvent, en errant dans nos villes modernes, le voyageur aper- çoit un monument dévasté. Les âges ou la main des hommes, le temps ou les révolutions ont en- trouvert les voûtes, fait pencher les flèches, brisé les vitraux, abattu à demi les croix; et la lumière des nuits, passant à travers les pierres disjointes, n'éclaire plus que des ruines. Le voyageur s'arrête, et une larme monte à sa paupière. Il n'y a plus guère d'intactes que les cryptes profondes. Il des- cend. 11 aperçoit ces forts piliers sur lesquels les dévastateurs n'ont presque rien pu. Il les touche d'une main attendrie; et il s'en va plein d'espé- rance, ayant entrevu le jour sur ces bases raf- fermies l'édifice se relèvera dans sa majestueuse beauté et retrouvera son antique gloire. De même, Messieurs, donnez-moi un jeune homme sans mœurs mais non sans principes, un jeune homme dont la vie a été dévastée par les orages du péché, mais dont l'âme garde ces fondations nécessaires qui sont des croyances autorisées et fermes. Je lui rappel- lerai le Dieu de sa mère et les joies pures de sa religion d'autrefois ; j'éveillerai au fond de sa cons-

506 CONFÉRENCES AUX HOMMES

cience de salutaires remords; je pleurerai sur lui, je prierai pour lui, je le convertirai, et sur les ruines d'une jeunesse ardente et enfin domptée, viendra s'asseoir une maturité honnête et bénie de Dieu. Mais un jeune homme sans principes, ja- mais, ou à peu près jamais, vous ne parviendrez à le ramener au bien. Au-dessous des ruines entassées, vous cherchez vainement le roc solide, le sol sur lequel on puisse bâtir..., vous "ne le trouvez pas. Dieu, la conscience, les sanctions éternelles, le frein moral et religieux, tout cela n'est rien pour cette âme, et cette âme pèche sans remords, parce qu'elle vit sans principes. Je conclus :

C'est un devoir de donner à la jeunesse des principes religieux.

C'est un devoir parce que la jeunesse en a besoin et qu'il vaudrait mieux, en quelque sorte, lui enle- ver le pain de la bouche que les principes religieux de la conscience. Le corps humain a besoin du pain pour vivre ; l'âme humaine a besoin de la reli- gion pour vivre. Si vous laissiez vos enfants mourir de faim, vous manqueriez à un devoir élémentaire et essentiel, et vous seriez responsables devant la justice des hommes ; et, si vous refusez à vos en- fants l'élément religieux, vous manquez à un de- voir élémentaire et essentiel, et vous êtes respon- sables devant la justice de Dieu.

C'est un devoir de donner à la jeunesse des prin-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 507

cipes religieux, parce que ces principes religieux on vous les a donnés à vous-mêmes pour que vous les transmettiez à votre tour. Ce patrimoine de foi et de religion que vous avez reçu n'est point à vous; c'est un dépôt à conserver, c'est une richesse à augmenter, c'est une dot à transmettre. Ce qui fait l'humanité, la race, la famille, ce n'est pas seu- lement le sang qui coule d'une génération à une autre, c'est encore, et surtout, l'âme, l'honneur, la vertu, la religion, les principes qui vont de l'aïeul aux arrière-petits-fils, comme la sève qui passe du tronc à la cime de l'arbre. Si la sève ne va pas dans les branches, c'est la mort, et si les principes reli- gieux sont supprimés et taris, j'ose vous prophétiser que la vie ne durera pas longtemps. Jugez d'après cela, Messieurs, combien il importe de maintenir la jeunesse sous la discipline salutaire de l'Église catholique.

Jugez combien nous sommes vos amis et vos bienfaiteurs, nous qui travaillons de mille manières à élever chrétiennement la jeunesse. Chose étrange! quand nous prêchons la vérité religieuse, le monde a toujours l'air de croire que nous défendons notre propre cause et notre intérêt personnel. Rien n'est plus faux que ce préjugé, qui réduit souvent à l'impuissance nos enseignements et nos meilleurs efforts de zèle. Non, la religion n'est point notre affaire personnelle. Sans doute, K vérit4 religieuse

508 CONFÉRENCES AUX HOMMES

vibre sur nos lèvres, mais pour qui vibre-t-elle, si- non pour vous ? Elle vous vise, vous intéresse et vous atteint au moins autant que nous. Et, dans certains sujets, comme celui que je viens de traiter devant vous, la vérité religieuse est beaucoup plus applicable à ceux qui l'entendent qu'à celui qui la prêche. Car enfin, si profond que soit mon désir de voir vos enfants chrétiennement élevés, j'y suis moins intéressé que vous. Quand je demande que le jeune homme aille chercher dans la religion le secret de la vertu, pour qui est-ce que je travaille? Pour moi ? Non. Je travaille pour vos fils, pour vous, pour la sécurité de vos familles et pour le bien commun. Travaillez avec moi, Messieurs, et ensemble coopérons au relèvement de la patrie, au relèvement des foyers, au relèvement des âmes !

Amen /

TREIZIÈME CONFERENCE

Le jeune homme (suite)

Messieurs,

L'Eglise a réhabilité l'enfant. Elle protège ses premières années, et quand il grandit, quand il entre dans l'adolescence et dans la jeunesse, elle veille sur lui avec un amour encore plus attentif et plus tendre. Je vous ai présenté le ravissant spectacle du jeune homme abrité sous les ailes maternelles de l'Église. Il faut que j'aille jusqu'au bout de mon sujet et que je vous en montre aujourd'hui le côté attristant et douloureux. Je vous dois la vérité, et, dussé-je vous la présenter à genoux, je ne puis pas vous la refuser. Jetons donc ensemble un regard plein de larmes sur le jeune homme déchristia- nisé et constatons en lui, avec la ruine de la foi, la ruine du respect filial et de toute vertu.

I. La ruine de la foi dans le jeune homme dé- christianisé.

Le jeune homme déchristianisé, le jeune homme

510 CONFÉRENCES AUX HOMMES

qui a perdu la foi, on le rencontre partout à l'heure présente dans notre monde en décomposition.

On le rencontre dans les classes populaires. En- fant, il a fait une première communion telle quelle. Puis il est retombé dans une famille indifférente ou antichrétienne, dans un atelier la foi et la morale sont également outragées, dans des compa- gnies suspectes ou mauvaises. Tout de suite, ou à, peu près tout de suite, il s'affranchit des engage- ments contractés au pied des autels comme d'un fardeau qu'on lui dit ne plus convenir à son âge. Il perd vite le sens religieux. Il ne prie plus. Il ne va plus à l'Eglise. Il oublie les vérités chrétiennes les plus élémentaires. Regardez-le passer dans les rues de la cité, aller à son atelier ou à son ma- gasin et en revenir, donner son dimanche au tra- vail abrutissant ou aux divertissements frivoles ; il est vide de toute religion; il est déchristianisé.

Mais ce n'est pas seulement dans les classes po- pulaires que vous rencontrez le jeune homme dé- christianisé. Vous le rencontrez aussi dans les classes plus ou moins cultivées. Et là, son attitude a quelque chose de plus répugnant. Je suis plein de compassion pour le jeune ouvrier qui délaisse la religion. Il la connaît si peu et il est en proie à tant de séductions ! Mais voyez ce jeune homme qui sort de l'adolescence avec un petit bagage scienti- fique, et qui se sert du peu qu'il sait pour blas- phémer ce qu'il ignore. Ce que Bossuet, Pascal,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 514

Fénelon, Descartes, Newton, Leibnitz, Euler ont cru après les plus profondes méditations, il le méprise. Pour lui ces six mille ans de foi religieuse, ces dix- neuf siècles de christianisme et les œuvres merveil- leuses qui sont sorties de cette foi, tout cela est mensonge, superstition, ténèbres, sottise. Il regarde le christianisme ; ou plutôt il ne daigne pas même le regarder; mais il le juge et il le rejette. Et, en le rejetant, il rejette toute foi, toute religion, et souvent même la croyance en Dieu. Pour le mo- ment je ne cherche pas à expliquer ce phénomène de déchristianisation, je le constate seulement, et je dis qu'il est lamentable. Je dis que la ruine de la religion va engendrer ^dans l'âme et dans la vie de ce jeune homme des ruines qui sont horribles à voir et malheureusement trop certaines. Je dis que, le frein religieux une fois brisé, toutes les digues se rompent, toutes les ancres se cassent, et le vais- seau, si beau qu'il paraisse, est une proie promise à l'abîme.

II. La ruine du respect filial dans le jeune homme déchristianisé.

Avec la ruine de la foi dans la jeunesse je vois apparaître la ruine du respect filial. Quand la reli- gion s'en va, c'est l'esprit d'indépendancequi arrive. Messieurs, lorsque je vous parle de l'esprit d'indé-

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pendance, je ne vous dis rien d'étrange, rien qui doive vous surprendre. Il me suffirait, si vous éleviez quelque protestation, de vous rappeler ce que j'entends dire partout et ce que vous voyez vous-mêmes tous les jours. Vos plaintes les plus fréquentes et les plus légitimes ont précisément pour objet cette apparition redoutable et cette in- vasion menaçante de l'esprit d'indépendance dans la génération actuelle. L'autorité n'est plus suffisam- ment respectée dans la famille. sont-ils ces sanctuaires domestiques rayonne sans intermit- tence la majesté paternelle? Le jeune homme parle de ses droits quand il devrait d'abord apprendre «es devoirs et les observer. Il se croit admis à faire entendre des réclamations, il discute le plus sou- vent l'ordre donné, et chacun de ses arguments c'est un lambeau de l'autorité qui tombe et dispa- raît, c'est une pierre du foyer qui se disjoint et s'écroule. Pourquoi? Pourquoi?

Parce que l'autorité de Dieu ne compte plus, l'autorité paternelle compte encore moins. La lo- gique gouverne le jeune homme malgré lui et à son insu, et, du moment qu'il a détrôné dans son âme l'autorité de Dieu, comment voulez-vous qu'il respecte encore l'autorité d'un père et d'une mère? Messieurs, je vous ai déjà dit cela, mais il est né- cessaire que je vous le redise. Quand la foi s'en va d'une jeune âme, n'allez pas croire que c'est un petit malheur. C'est une ruine qui en entraîne

LES BIENFAITS DE L'ËGLISB 513

beaucoup d'autres. Parce que le clocher est au mi- lieu du village, les pierres qui tombent du clocher écrasent les maisons d'alentour, et parce que la religion est la colonne centrale qui porte tout, quand elle croule, elle entraîne avec elle dans sa chute toutes les délicatesses du respect filial et, je dois l'ajouter parce que c'est vrai, toutes les délica- tesses de la vertu.

III. La ruine de la vertu dans le jeune homme déchristianisé.

Avec la ruine de la foi dans la jeunesse je vois apparaître la ruine de la vertu. Avec la défaillance de la vie chrétienne, arrive la flétrissure du cœur. Quoi, Messieurs? Même abrité sous le bouclier de la religion, le jeune homme ne peut pas échapper à tous les traits ; même chrétien, il a besoin de la vigilance, du travail et de la sobriété pour se con- server pur. Et des jeunes gens qui ont rejeté toute religion, toute prière et qui ne croient plus h rien, conserveraient la pureté du cœur et la pureté de la vie? Non. Ce serait un miracle, et Dieu ne permet pas un tel miracle, qui démentirait sa parole et rendrait sa grâce inutile et méprisable. Non, Dieu ne veut pas que l'on puisse impunément se passer de lui, et, quand on le chasse, ce sont les passions qui viennent prendre sa place et venger

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISB. 1-33

514 CONFÉRENCES AUX HOMMES

son absence. Quand l'irréligion vient s'asseoir dans une jeune âme, toutes les vertus s'envolent d'une aile rapide, comme les oiseaux s'enfuient de la feuille qui les abrite, dès qu'ils sentent l'approche ou en- tendent le bruit de l'épervier. Quand la foi baisse, ce n'est jamais la vertu qui monte. Quand l'ado- lescent échappe au joug de la religion, il tombe fatalement sous le joug de ses sens indisciplinés et de ses passions victorieuses. Triste spectacle que celui du jeune homme qui ne vit plus dans la di- gnité de l'heure présente, depuis qu'il a effacé en lui la pensée de Dieu, le souci des grandes desti- nées et les traces du christianisme !

Ah ! vous pensiez peut-être que la rupture du frein religieux dans la jeunesse était un accident de médiocre importance et qu'il n'y avait pas de quoi jeter les hauts cris. Et moi, armé des clartés de l'évidence, usant de cette liberté aposto- lique que me permettent mon ministère et vos sympathies, évoquant les faits douloureux que j'ai pu constater dans les longues années de ma vie sacerdotale mêlée à tant d'âmes et à tant de familles, me rappelant les larmes brûlantes que tant de fois j'ai vu tomber des yeux des pères et des mères, je vous déclare que la rupture du frein religieux dans la jeunesse est un malheur, et un immense malheur ! Je vous dis que le jeune homme est placé entre deux attractions, l'attraction du bien et l'attraction du mal, et que, s'il ne monte pas vers

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le bien sur les ailes de la religion, il sera entraîné vers le mal par le poids de la passion.

Et même j'ose ajouter que, s'il se laisse prendre une fois par la passion sans que la religion vienne l'y soustraire, il ressemble à l'ouvrier dont la blouse est saisie par l'engrenage d'une machine en mouvement; quels que soient ses efforts et son énergie, rien ne le sauvera. Une expression popu- laire dit nettement le fait : il y passera tout entier. Il y passera tout entier! Messieurs, que j'aurais ici de choses à vous dire! Ah! si je vous disais tout, si, après vous avoir montré, avec la religion dis- parue, le respect filial anéanti et la pureté flétrie, si je vous montrais les derniers excès du mal... Si je vous montrais le vice allant jusqu'à la moelle des os et passant comme un héritage imprévu et maudit à une postérité tout entière... Si je vous montrais, des familles éplorées perdant l'honneur et la richesse dans des abîmes d'intempérance creusés par des mains filiales... Si je vous mon- trais l'abaissement du niveau moral et intellectuel, la santé publique compromise de la façon la plus grave, la race qui s'étiole, qui décroît, qui hérite des débilités transmises et qui semble avoir été empoisonnée dans les sources mêmes de la vie... Si je vous montrais tout cela et encore bien d'autres choses, vous pourriez me taxer de témérité, mais non d'exagération, car, après tout, je ne ferais que vous offrir la photographie exacte des phénomènes

516 CONFÉRENCES AUX HOMMES

que vous côtoyez tous les jours... Mais non, je m'arrête; le respect de cette chaire m'impose la réserve et la réticence, et tout ce que je pourrais dire, tout ce que vous savez, je ne veux pas qu'on m'accuse de l'avoir amené jusqu'ici, fût-ce pour une flagellation sanglante, mais qui aurait encore le malheur d'être publique. Qu'il me suffise de vous dire que, si la première fois qu'on vit des laves brûlantes au sommet du Vésuve on s'était plus alarmé, ni Herculanum ni Pompéi n'auraient disparu dans une mer de feu, et le voyageur qui visite avec une étrange émotion les restes de ces étranges catastrophes ne lirait pas sur les ruines ces trop tardives paroles : Cavete, posteri! vestra res agitur. Oui, Messieurs, il s'agit de vous, puis- qu'il s'agit de vos fils, et puisque vous tenez avec raison à votre bonheur et à leur vertu, à la paix de votre famille et à l'honneur de votre nom, donnez- leur donc la religion pour frein ; car le jeune homme sans religion est semblable à une locomotive qui, dans une descente rapide, n'a plus de frein, ardente et encore belle à voir, mais dont la beauté fait fré- mir, puisque c'est cette beauté même qui la con- duit aux abîmes.

Messieurs, par vos paroles, par vos exemples, par vos soins vigilants, formez-nous des fils purs, forts, aptes au travail, à la peine et au sacrifice, et non point de ces êtres efféminés et à demi-païens chez qui, à peine au sortir de l'enfance, le libertin et

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l'enfant gâté se mêlent avec une facilité qui devrait faire trembler la faiblesse des pères et des mères. Elevez-nous donc des jeunes gens qui ont une foi et une loi, et non point de ces êtres mécréants et corrompus, hardis contre Dieu et contre la morale, contempteurs de la vertu et de la vérité, qui ne peuvent que désoler également la famille, la patrie et la religion. Préparez-nous une génération chré- tienne, laborieuse, chaste, ardente au vrai et au bien, afin que, si le présent est sombre, l'avenir, au moins, s'annonce tout empourpré d'espérances et de clartés!

Amen!

QUATORZIÈME CONFÉRENCE La famille chrétienne

Messieurs,

L'Eglise est la grande bienfaitrice de l'humanité dans Tordre intellectuel, dans l'ordre moral, dans l'ordre matériel, dans l'ordre domestique. Dans l'ordre domestique, elle a réhabilité l'union conju- gale, rhomme, l'enfant, la femme, le jeune homme. J'achève et je résume cet inépuisable sujet, en vous présentant le tableau de la famille chrétienne et de la famille décatholicisée. Contemplons aujour- d'hui la famille chrétienne. La famille va nous ap- paraître créée par Dieu, défigurée par l'homme,

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restaurée par Jésus-Christ, réalisée par l'Eglise ca- tholique.

I. La famille créée par Dieu.

La famille est née du souffle de Dieu même dans les berceaux de l'Eden. Vous savez tous cette suave

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et véridique histoire tout embaumée des parfums du monde naissant. C'est Dieu qui a créé l'homme, qui lui a donné une compagne semblable à lui, et qui, complétant l'un par l'autre les deux époux, les deux moitiés de la même âme, a fait de l'époux un père avec le don de la force, de l'épouse une mère avec le don de la tendresse, et de l'enfant le fruit de la tendresse et de la force, multiplié par la bénédiction divine.

0 sublime constitution de la famille ! Dieu en est l'auteur. Après Dieu et en son nom, le père et la mère créent, car ils donnent l'être qu'ils ont reçu et continuent ainsi de génération en génération cette vie dont la source est en Dieu seul. Après Dieu et en son nom, le père et la mère gouvernent en formant le cœur, en éclairant l'esprit, en guidant l'enfance, la jeunesse et l'âge mûr lui-même vers le vrai, le bien et le beau, terme suprême de toute existence.

Et, pour exercer cette auguste charge, le père et la mère ont tous deux la même autorité avec des dons divers. Les soins de la première enfance regardent surtout la bonté de la mère, comme ceux de la jeunesse et de l'âge mûr intéressent surtout la sagesse du père.

C'est au père qu'il appartient particulièrement d'élever le fils; c'est à la mère qu'est confiée plutôt l'éducation de la fille. Le père commande; la mère aide à l'obéissance ; l'un est plus ferme, l'autre plus

520 CONFÉRENCES AUX HOMMES

persuasive. L'homme est la tête de la femme, la femme est le cœur de l'homme, et de cette mu- tuelle harmonie, résulte, avec leur propre bonheur, le bonheur de la postérité.

Voilà la famille telle qu'elle est sortie des mains du Créateur. Est-elle restée dans cette beauté pri- mitive ? Hélas ! vous savez bien que non. Il faut raconter ici l'histoire de sa déchéance.

II. La famille défigurée par l'homme.

Née du souffle de Dieu même dans les berceaux de l'Eden, la famille a été défigurée par la passion de l'homme. Pendant quarante siècles, nous assis- tons au spectacle de sa décomposition. Entrez dans la maison des païens, à Rome, à Sparte, à Athènes; partout. Vous y trouvez l'infanticide, le divorce, la polygamie. Vous y trouvez Mercure qui protège le vol, Saturne qui dévore ses propres enfants, Jupi- ter qui sanctionne et divinise l'adultère, Vénus qui autorise les plaisirs de la chair, et les petits dieux du foyer qui sourient à toutes les voluptés de la table en regardant avec indulgence les péchés de luxure... Et, vous adressant à ces familles païennes,. vous leur direz avec Corneille :

Des crimes les plus noirs vous souillez tous vos dieux, Vous n'en punissez point qui n'ait son maître aux cieux.

Elles devaient donc tomber en poudre ces idoles

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 52*

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qui avaient usurpé les hommages du monde ; ils devaient s'éteindre ces foyers domestiques, la religion était peut-être pire que l'incrédulité

Et, chose remarquable, la seule religion vraie de l'antiquité, la religion juive elle-même, n'a pas pu protéger suffisamment la belle organisation de la famille primitive. Elle a faire des concessions aux passions de l'homme et aux inconstances du cœur, en introduisant la répudiation dans la légis- lation matrimoniale. Comme si Dieu, afin de mon- trer combien c'est un problème redoutable que la création d'une famille, avait voulu réserver à la vraie religion, et encore à la religion arrivée à son plus haut degré de pureté et de puissance, l'hon- neur d'assainir, de restaurer et de transfigurer les foyers. Jésus-Christ est venu, et il a rendu à la famille une beauté que ne lui avaient pas laissée les jours antiques, une splendeur inconnue même des premiers jours du monde. Voyons cela.

III. La famille restaurée par Jésus- Christ.

L'infanticide, jadis si excusable devant les philo- sophies et les législations païennes, devint odieux et exécrable aux yeux de Celui qui promet le royaume des cieux aux enfants et à ceux qui leur ressemblent. Le divorce disparaît des lois et des mœurs au souffle de cette autre parole : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni.»

^22 CONFÉRENCES AUX HOMMES

L'époux a un modèle dans la sainte Famille, c'est Joseph, c'est-à-dire la fidélité, le travail, l'hon- neur conjugal, la confiance en Dieu.

L'épouse remonte sur le trône qu'elle avait perdu, c'est Marie qui le lui conquiert par ses vertus, et qui le lui assure par ses exemples.

L'enfant ne peut refuser ni le respect, ni l'obéis- sance, ni l'assistance filiale. C'est Jésus qui les lui impose par sa vie obscure et cachée, dont l'obéis- sance fut toute l'histoire, et erat subditus illis.

Fondée sur de telles paroles et de tels exemples, sanctifiée à son origine parle sacrement qui donne la grâce, totalement transformée et réhabilitée par le Sauveur, la famille chrétienne est belle et res- plendissante.

Le père apparaît dans toute la majesté de son rôle ; il est roi, il porte au front un rayon de l'au- torité divine.

La mère échange sa faiblesse naturelle contre la dignité souveraine qui lui vient du cœur même de Dieu.

Les deux époux trouvent dans leur fidélité réci- proque leur sécurité commune et l'honneur com- mun de leurs noms réunis.

L'enfant garde son âme pure et sa conscience délicate et se prépare par l'innocence aux grands combats de la vertu.

Le jeune homme grandit dans les veilles du tra- vail et dans les luttes généreuses de lacharité chré-

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tienne, et il conserve avec l'honneur de l'âme le dépôt du sang, mille fois plus sacré que le dépôt de l'or.

Les parents administrent à leurs enfants l'éduca- tion, la correction et le bon exemple, et les enfants prodiguent à leurs parents le respect, la docilité et l'assistance.

Sont-ce là, Messieurs, de vaines paroles ? Non, si c'est de la poésie, c'est de la poésie puisée dans les faits. Jésus-Christ a fait ce qu'il a voulu faire, et, depuis dix-neuf siècles, la famille restaurée est vivante sous nos yeux. Regardons-la.

IV. La famille réalisée par l'Eglise.

Quoi de plus beau, Messieurs, que la famille chré- tienne dont l'Église catholique est la mère, la maî- tresse et la gardienne, une famille chrétienne qui est un sanctuaire dans lequel Dieu est connu, aimé, prié, servi, adoré en commun ! Je vois, le soir, autour d'une table éclairée d'un modeste flambeau, l'ou- vrier souriant à ses enfants, et la main posée sur l'épaule de l'un d'eux, enseignant à sa jeune et gra- cieuse postérité l'art de se bien conduire parmi les hommes. D'une voix douce et mâle il leur explique : « Tes père et mère honoreras... », et, pour appuyer sa doctrine, il remonte à Dieu, ouvrier éternel, ar- tiste souverain qui a tissé les ailes du moucheron,

524 CONFÉRENCES AUX HOMMES

et dessiné le tronc superbe du palmier. Les enfants ravis écoutent. Ils ont aperçu au front de leur père un rayon de la divine Majesté ; ils ont aperçu dans les hauteurs une tendresse qui dépasse la tendresse de leur mère, et ils montent sans effort vers le bien, portés sur les deux grandes ailes de la religion et de la famille. Ah ! comme la vertu s'épanouit à l'aise dans des foyers ainsi vivifiés par la foi ! La vertu... l'enfant la boit avec le lait sur le sein ma- ternel; il la lit dans le regard de son père, il la res- pire avec l'air qui entre dans sa poitrine. Et, après dix ans d'éducation sévère, de mâles exemples, de rudes leçons mêlées d'un sincère amour, il sort du foyer domestique armé pour la lutte, cuirassé contre les tentations, apte à porter sur ses épaules le poids des grands devoirs et des lourdes responsa- bilités.

Prêtre, il honore le sacerdoce; il trace au milieu de ses frères un sillon lumineux de doctrine, de charité, de zèle, d'apostolat, d'amour de Dieu et des hommes; il embaume une paroisse; il relève les murs de Sion ; et, dans le vase fragile de son cœur consacré, il porte à travers le monde les né- cessaires trésors de la vérité, de la grâce et du salut. C'est des bonnes familles que sort le prêtre saint, le prêtre zélé, le prêtre apôtre et convertisseur.

Magistrat, il honore sa toge ; il tient d'une main inflexible la balance de la justice ; il rassure les bons et fait trembler les méchants, et par la dignité de

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 525

son caractère, il impose autour de lui le respect de la loi dans le respect de sa personne. C'est des bonnes familles que sort le magistrat correct, irré- prochable, incorruptible.

Soldat, il honore et défend la patrie. D'où sort l'armée, sinon des entrailles mêmes de la na- tion, sinon de la famille sainement et religieuse- ment constituée? La première école du soldat, c'est le foyer ; son premier sergent instructeur, c'est son père; sa première caserne, c'est le giron maternel. C'est des bonnes familles que sort le soldat docile, discipliné, dur à la fatigue, sans peur et sans re- proche.

Agriculteur, commerçant, industriel, il honore sa profession. Il met la conscience au-dessus de la fortune, les intérêts éternels au-dessus des intérêts terrestres et passagers; il voit au-dessus des ma- chines les hommes qui les font mouvoir, au-dessus du corps l'âme, au-dessus de l'âme Dieu qui juge tous les mortels avec d'égales lois et, du haut de son trône, interroge les rois. C'est des bonnes fa- milles que sort le patron humain, l'homme d'af- faires consciencieux, le commerçant honnête, le citoyen fidèle à son devoir.

Artisan, domestique, valet de ferme, il accepte sa condition ; il sanctifie son travail, il transfigure ses souffrances, il surnaturalise ses épreuves, et, les yeux fixés sur le Fils de Dieu fait homme, ouvrier et fils d'ouvrier, il tombe au bout de son sillon

526 CONFÉRENCES AUX HOMMES

entre les bras de la mort et entre les bras de Dieu, aussi noblement que ces humbles et vaillants sol- dats que vous ensevelissiez naguère, il y a trente- cinq ans, au soir de sanglantes batailles. C'est des bonnes familles que sort l'ouvrier laborieux, rési- gné, content de son sort, digne de l'admiration des hommes et de la bénédiction de Dieu.

Oh ! qu'elle est belle et féconde la famille, ainsi embaumée des senteurs delà religion et de la vertu ! N'en doutez pas, c'est de la sorte, par l'action de la famille chrétienne que l'avenir se prépare, que l'honneur se sauve; c'est par que la France Se redressera au milieu des nations, plus forte et plus glorieuse que jamais ; c'est par que le monde moderne ressuscitera à une vie nouvelle! Vous cherchez le salut. Vous le cherchez dans la richesse? Il n'est pas là. Vous le cherchez dans le plaisir? Il n'est pas là. Vous le cherchez dans l'ambition? Il n'est pas là. Vous le cherchez dans l'agriculture, le commerce et l'industrie ? Il n'est pas là. Vous le cherchez dans les lettres, les sciences et les arts ? Il n'est pas là. Vous le cherchez dans les constitu- tions politiques ? Il n'est pas là. Vous le cherchez dans les armées puissantes et dans les grandes al- liances internationales ? Il n'est pas là. est-il donc ? Il est dans la famille chrétienne, restaurée par Jésus-Christ et réalisée par l'Eglise catholique.

Amen I

QUINZIÈME CONFÉRENCE

La famille décatholicisée

Messieurs,

Reportons-nous par la pensée à la scène antique du déluge et de l'arche. En ce temps-là, le ciel était obscur ; de grands nuages livides assombrissaient la terre. Et Dieu dit à Noé, le second père du genre humain : « Voici que la terre est toute remplie d'iniquités. Entre dans l'arche et prends avec toi tout ce qui est nécessaire pour conserver et renou- veler l'humanité. » Et, à mesure que les vents deve- naient plus violents, les flots plus hardis, l'arche montait. Sous l'effort de la tempête elle s'élevait à des hauteurs sublimes ; Elevaverunt arcam in su- blime ! Les eaux écumaient sous ses flancs, les vents soufflaient sur ses cimes. Elle montait toujours, calme, sereine, portant l'humanité, les semences de l'avenir. Et, en effet, le déluge cessa, et le salut qui était enfermé dans l'arche en sortit, et le monde reprit une vie nouvelle. Voilà, Messieurs,,

528 CONFÉRENCES AUX HOMMES

l'image sous laquelle je me représente la famille chrétienne. Elle est ballottée par les tempêtes de l'heure présente. Qu'importe? Elle renferme le salut du monde, parce qu'elle garde inviolablement les principes et les vertus de l'Evangile. Protégée et vivifiée par l'Église, la famille chrétienne est la consolation du présent et l'espoir de l'avenir. Mais, hélas! à côté de la famille chrétienne nous sommes obligés de considérer la famille décatholicisée, dans laquelle il n'y a que des ruines : ruine de l'amour conjugal, ruine du respect filial, ruine du bonheur familial. Arrêtons-nous un instant devant ce triste spectacle. Nous comprendrons mieux l'action bien-

r

faisante de l'Eglise, quand nous aurons constaté les résultats de son absence.

I. Dans la famille décatholicisée, je constate la ruine de l'amour conjugal.

L'amour conjugal a son siège dans le cœur des deux époux. Mais le pauvre cœur humain a deux grandes imperfections : il est changeant et il est égoïste. Si donc vous voulez perpétuer et entretenir l'amour conjugal, fixez le cœur humain et dilatez- le par le sacrifice. Qui fera cela? Les deux époux? Non, ils ne le peuvent pas. Pour que l'amour vive, il faut qu'il plonge ses racines non seulement dans

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 529

le cœur humain, mais jusque dans le cœur de Dieu qui ne change pas et qui est la source unique du dévouement intarissable. «Deux jeunes époux, dit Lacordaire, s'avancent vers l'autel à cette belle cérémonie des noces ; ils portent avec eux toute la joie et toute la sincérité de leur jeunesse; ils se jurent un amour éternel. Mais bientôt la joie dimi- nue, la fidélité chancelle, l'éternité de leurs ser- ments s'en va par morceaux. Que s'est-il passé? Rien. L'heure a suivi l'heure ; ils sont ce qu'ils ■étaient, sauf une heure de plus. Mais une heure c'est beaucoup hors de Dieu. Dieu n'était point entré dans leurs serments, il n'a pas été le com- plice de leur amour, et leur amour finit parce que Dieu seul ne finit pas. » Ici, Messieurs, que de choses il y aurait à dire! que de larmes à enregis- trer, que de drames à raconter, que de misères cachées à produire au grand jour! Si on entrou- vrait seulement la porte des foyers sans Dieu, on y verrait les scènes les plus tristes et les plus dé- sespérées, on y entendrait les cris violents de la discorde et de la haine, on y assisterait à des guerres intestines qui font pitié. Tirons un voile sur ces intimités douloureuses, et disons seulement ce qui peut et doit être dit, |i savoir que loin de Dieu l'amour conjugal est une fleur qui manque de sève et ne tarde guère à se flétrir.

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE. 1-34

S30 CONFÉRENCES AUX HOMMES

IL Dans la famille décatholicisée, je constate la ruine du respect filial.

Parents, prenez garde ! Vous êtes les représen- tants de Dieu, et, si Dieu n'est plus respecté dans votre maison, comment serez-vous respectés vous- mêmes? Voyez-le croître à votre table et sur vos genoux ce jeune enfant de trois ans que vous ado- rez et à qui vous n'apprenez pas à adorer Dieu. Déjà il se révolte sous votre sceptre discuté et ébranlé, car déjà il devine qu'il n'y a rien de divin en vous, et que, par conséquent, vous n'avez ni la force ni le droit de lui adresser la moindre répri- mande. A mesure qu'il avance en âge, il constate le malaise et la répugnance réciproques, les récri- minations et les discordes, les tiraillements et les guerres intestines qui habitent les foyers Dieu n'est pas; il boit à longs traits, sans même s'en douter, le poison de ces sentiments pervers ; il devient instinctivement ingrat et méchant; il grandit dans des habitudes de haine et de mépris. Avez- vous jamais lu sans frémir ce trait d'un enfant qui ose frapper son père et le traîner sans pitié pour son âge, sans respect pour ses cheveux blancs, le long de cet escalier fameux, le vieil- lard l'arrêta tout court polir lui dire : « Grâce, mon fils, grâce, car, moi aussi, j'ai maltraité et battu mon père, mais je ne l'ai pas traîné plus loin!» Vous frémissez... et vous vous rassurez en son-

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 531

géant que nos mœurs n'ont rien de cruel et que jamais, non jamais, cela ne vous arrivera. Pour moi, je ne veux répondre de rien. Dans la famille décatholicisée la scène que je viens de rappeler se renouvelle de temps en temps sous une forme plus ou moins hideuse, et, dans tous les cas, je déclare que, Dieu une fois détrôné au foyer domestique, il est naturel et logique que les parents, eux aussi, soient détrônés et qu'ils descendent, sous la poussée de l'ingratitude filiale, l'escalier sanglant de la dérision et du mépris.

Tenez, parlons un peu ici du traitement qu'on inflige parfois aux vieillards dans certaines familles dépourvues de tout sens religieux. Oserai-je le dire? pourquoi pas? Certains parents, qui ont pénétré l'âme de leurs enfants de l'indifférence la plus complète et la plus coupable envers Dieu, sont ter- riblement châtiés par l'indifférence de ces mêmes enfants à leur égard. Il faut entendre ces enfants insouciants, cupides et dénaturés parler de la vieil- lesse de leur père et de leur mère, et leur repro- cher, dans un langage souvent peu déguisé, leur trop longue existence. Il faut les voir ces enfants barbares exercer sur les auteurs de leurs jours une tutelle hautaine, une sévérité implacable, une par- cimonie qui va presque jusqu'à l'homicide. Il faut assister à ces déplorables scènes entre un fils qui souhaite avec imprécation la mort à son père, et un père terrifié qui murmure tout bas des malédictions

532 CONFÉRENCES AUX HOMMES

contre son fils. 0 parents, qui avez chassé la charité divine de votre foyerv comment pouvez-vous espé- rer, dans vos derniers jours, d'en recueillir les fruits? 0 maisons, d'où la religion s'est envolée, vous n'êtes plus que des maisons en ruines ! Encore un mot sur ce terrible aspect de nos mœurs con- temporaines.

III. Dans la famille décatholicisée, je constate la ruine du bonheur familial.

Autrefois, il y avait, même dans les plus étroites demeures, une place pour Jésus-Christ; il y avait l'image du Dieu rédempteur; le foyer était un sanctuaire, et ce sanctuaire avait des charmes inexprimables. Tout le monde y était heureux. Comment faisaient nos pères pour élever douze enfants autour d'eux? Ils croyaient en Dieu, ils se confiaient à sa Providence, ils l'invoquaient tous les jours, ils méritaient les grâces de leur état parce qu'ils en accomplissaient les devoirs. Les enfants s'élevaient sous la garde des anges, et les parents, contents et résignés, travaillaient sous la garde de Dieu. Que sont devenues ces antiques mœurs?

J'ai visité l'humble logis de l'ouvrier. Dieu n'y est plus. Ce logis est froid et triste. Il coûte plus cher qu'autrefois, mais le Dieu qui bénit le travail

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE 533

en a été exilé. Il y a encore des portraits et des images, mais ce n'est plus l'image de Jésus-Christ, c'est le portrait de quelque fameux socialiste. Au lieu des scènes de la Bible, des nudités souvent révoltantes pour les yeux les plus hardis. Le bonheur du moins habite-t-il dans ces foyers dé- catholicisés? Hélas! non. C'est à qui y rentrera plus tard et en sortira plus vite. Des époux, des pères s'ennuient à la maison et se trouvent mieux partout ailleurs qu'au lieu leurs serments et leurs vrais intérêts devraient les retenir. Livrés à de faux amis, ils vont dissiper leur ennui dans des satisfactions inutiles, souvent même dans des dé- bauches dégradantes. Des femmes sans aucun souci pour l'intérieur de leur maison, sans aucun esprit d'ordre, d'économie et de prévoyance, ne font rien de ce qu'il faudrait pour faire aimer au père et aux enfants leur chez soi et les détourner ainsi des compagnies étrangères. Et, par suite de cette conduite des pères et des mères, les enfants eux-mêmes regardent et traitent la maison pater- nelle comme une prison, à laquelle ils échappent tout à fait, dès qu'ils le peuvent. 0 foyer de l'ou- vrier, foyer trop souvent sans Dieu et sans autel, malheur à toi ! Tu n'es plus qu'un foyer éteint, un foyer sans joie, sans attrait et sans avenir!

J'ai visité la maison du riche. Dieu n'y est plus. On en a renouvelé les meubles et la parure, mais on a oublié d'y remettre le crucifix cher aux an-

534 CONFÉRENCES AUX HOMMES

cêtres. Trop souvent la lecture se fait dans une mauvaise revue ou dans le journal léger; la con- versation roule sur les profits et les pertes, sur les affaires, sur les nouvelles du dehors et les chiffons de la toilette. L'épouse cherche à régner, non pas avec l'autorité immortelle de la grâce décente et de la douce vertu, mais avec le sceptre passager de la beauté et de la mode. Le père s'ennuie et ne comprend rien à la majesté de son rôle et à la grandeur de ses responsabilités. Les enfants s'élèvent comme ils peuvent dans un intérieur que rien ne leur fait aimer. Encore un foyer éteint, un foyer sans joie, sans attrait et sans avenir parce que ce foyer est sans Dieu et sans autel.

Ah! ne me demandez pas pourquoi le bonheur familial est aujourd'hui si rare, pourquoi il y a tant d'intérieurs tristes, désenchantés, malheureux. Parce que Dieu n'est pas là, la joie n'y est pas. Parce que Dieu n'y trouve plus sa gloire, l'homme n'y trouve plus son bonheur. Il faut renoncer à bâtir, ou bien il faut avoir le courage de descendre jusqu'au solide, jusqu'au roc vif, jusqu'à Jésus- Christ qui porte tout et sans lequel rien ne tient. Vous ne voulez plus de Jésus-Christ, de son Evan- gile, de sa religion, de son Eglise ? Tant pis. Vous serez punis de votre néant religieux par vos infé- licités domestiques ; et la famille détruite, le sanc- tuaire conjugal violé, le lit nuptial déshonoré par les plus tristes mœurs, le cœur de la femme meurtri,

LES BIENFAITS DE L'ÉGLISE K35

les enfants absents ou mal élevés, les berceaux vides ou profanés vous prouveront que l'irréligion n'est bonne qu'à une chose... à dépeupler le ciel et à désenchanter la terre !

Conclusion. Le mal actuel est surtout dans la famille. Tous les hommes vraiment observateurs et sincères sont obligés d'en convenir. Que faire? 11 faut porter le remède est le mal. Il faut reconstituer la famille selon la loi de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église. Pleurez et lamentez- vous, dites et répétez avec amertume que dans la société tout se relâche, tout se contredit, tout est faible, tout est méprisé. Je le crois bien. Il n'en saurait être autrement. Est-ce avec de mauvaises pierres qu'on bâtit un monument solide? Est-ce avec des familles sans religion qu'on refera une société chrétienne? Allons, Messieurs, pas tant d'inquiétude sur les affaires du dehors et un peu plus de sollicitude sur celles du dedans! Corrigez vos maisons. Faites-y entrer Dieu, la Croix, l'Evangile, les lois de la sainte Eglise. C'est le meilleur vœu que je puisse exprimer pour la patrie et la meilleure grâce que je puisse souhaiter à vos familles I

Amen!

I

TABLE ALPHABÉTIQUE

DES NOMS PROPRES

Alexandre III, 133. Anaxagore, 340. Aristide, 182. Aristote, 333, 480. Ars (curé d), 189. Augustin (saint), 362, 460.

B

Bacon, 69, 82, 271.

Boileau, 45.

Bossuet, 17, 474, 491.

Bougaud (M«r), 80, 270, 314, 434.

Canova, 86. César, 440. Chateaubriand, 36, 51, 62, 76, 254,

285, 288, 306. Chénier (M.-J.), 105. Cicéron, 336. Corneille, 520. Cousin, 26, 32, 51.

D

Diderot, 489. Dominé, 280. Dupanloup (M*'), 458.

Épicure, 340.

Falloux, 298.

E

F

G

Girardin (Saint-Marc), 234* Gounod, 36. Grant (général), 367. Guizot, 333.

Harisson, 367. Henri IV, 319, 433. Henri VIII, 399. Hulst (M«< d'), 206.

Innocent III, 397. Ireland, 260

Jérôme (saint), 95, 101. Jouffroy, 19. Justin (saint), 471. Juvénal, 475.

538

CONFÉRENCES AUX HOMMES

Lacordaire, 21, 28, 35, 41, 400,

452, 455, 467, 502, 529. Lactance, 471. La Fontaine, 47. Lamartine, 52. Lamoricière, 144. Lemaitre (Jules), 195. Léon XIII, 65, 342, 363. •Leroux (Pierbe), 367. Libanius, 465. Louis (saint), 463. Luther, 399.

M

Michelet, 252, 333. Minutius (Félix), 471. Montalembert, 283, 285, 336. Montesquieu, 4, 209, 267, 276.

N

Napoléon 1er, 35, 228. Ney (maréchal), 245.

Paul (saint), 161.

Pie IX, 106, 109.

Platon, 480.

Plutarqub, 472.

pompignan (marquis de), 305.

PROUDHON, 311, 312.

Q

Quélen (M«r de), 37.

R

Racine, 165. Renan, 18.

Sainte-Beuve, 87. Salvien, 62. schwarzenberg, 277. Sénèque, 333, 473. Simon (Jules), 186. Socrate, 340. Suze (Henri de), 463.

Taine, 137, 249. ïertullien, 471. Théodulphe, 132. Thierry (A.), 336. Thiers, 26, 246.

VlLLEMAIN, 128.

Voltaire, 19, 110.

Zenon, 340.

TABLE DES MATIÈRES

BIENFAITS DE L'ÉGLISE

I DANS L'ORDRE INTELLECTUEL

Pages. PREMIÈRE CONFÉRENCE Les Bienfaits de l'Eglise

I. L'Eglise à cause de ses bienfaits, mérite d'être aimée de tous 3

II. Pourquoi l'Eglise, malgré ses bienfaits, est-elle détestée

de beaucoup 8

DEUXIÈME CONFÉRENCE

Les Bienfaits de l'Eglise dans l'ordre intellectuel

I. L'Église et les Lettres

l'église et la théologie

I. L'Eglise a créé la théologie 14

IL L'Eglise a popularisé la théologie i&

TROISIÈME CONFÉRENCE l'église et la philosophie

I. L'Eglise a protégé la philosophie 22

II. L'Eglise a vulgarisé la philosophie 27

QUATRIÈME CONFÉRENCE 3* l'église et l'éloquence

I. L'Eglise a créé une éloquence nouvelle 33

II. L'Eglise a créé une éloquence grandiose 31

III. L'Eglise a créé une éloquence populaire 40

540 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Page»- CINQUIÈME CONFERENCE

l'église et la poésie

I. Les sources de la poésie catholique 44

II. Les chefs-d'œuvre de la poésie catholique 49

SIXIÈME CONFÉRENCE 5* l'église et l'histoire

I. L'Église impose à l'histoire l'exactitude ïî'4-

IL L'Eglise dégage de l'histoire la leçon morale 59

SEPTIÈME CONFÉRENCE II. L'Eglise et les Sciences

l'église est l'amie des sciences

I. L'Eglise ne craint pas les sciences 85

IL L'Eglise favorise les sciences 79

HUITIÈME CONFÉRENCE

LES SCIENCES ONT BESOIN DE L'ÉGLISE

I. Les sciences sont insuffisantes 74

IL Les sciences sont périlleuses 79

NEUVIÈME CONFÉRENCE III. L'Eglise et les Arts

I. L'Eglise inspiratrice des arts 83

II. L'Eglise bienfaitrice des arts 88

DIXIÈME CONFÉRENCE IV. VEglise et V Enseignement

L'ÉGLISE ET LES LIVRES DE L'ANTIQUITÉ PAÏENNE

I. Quand l'Eglise entra dans le monde, déchira-t-elle les livres des auteurs païens? Non , . . . 92

IL Au moyen âge, l'Eglise conserve avec un soin jaloux les écrits de l'antiquité 95

III. Avec la Renaissance, voici la découverte de l'Imprimerie. L'Eglise propage les livres de l'antiquité païenne 99

TABLE DES MATIÈRES 541

Plfffli

ONZIÈME CONFÉRENCE 1* l'église et les livres de l'antiquité païenne

(Suite)

I. Ce que l'Eglise pense des classiques païens 102

IL Ce que l'Eglise désire par rapport à l'enseignement des classiques païens 105

DOUZIÈME CONFÉRENCE l'église et l'enseignement supérieur

1. Les papes et iesévêques fondent l'enseignement supérieur. 113 IL Les moines instituent dans leurs monastères des écoles conventuelles 114

III. Les rois catholiques coopèrent à la création et à la diffu- sion de l'enseignement supérieur 116

IV. Les hommes d'Eglise propagateurs de l'enseignement supérieur se sont fait un nom immortel 118

TREIZIÈME CONFÉRENCE l'église et l'enseignement supérieur (suite)

L Les écoles que l'Eglise a ouvertes du ve au xme siècle. .. 121

IL L'Université de Paris fondée au xine siècle 122

III. Les Universités d'Europe fondées sur le modèle de l'Université de Paris 124

IV. Les Universités de France qui rayonnaient autour de l'Université de Paris 127

QUATORZIÈME CONFÉRENCE l'église et l'enseignement populaire

I. Un fait : L'Eglise dans le passé a distribué largement

l'enseignement populaire 130

IL Une objection : L'instruction n'existait pas avant 1789.. 136

QUINZIÈME CONFÉRENCE l'église et le progrès intellectuel I. Dans le passé, l'Eglise mère et gardienne du progrès

intellectuel 141

IL Dans le présent, l'Eglise mère et gardienne du progrès

intellectuel 145

III. Dans l'avenir, l'Eglise mère et gardienne du progrès intellectuel 148

542 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Pages. II

DANS L'ORDRE MORAL

PREMIÈRE CONFÉRENCE Importance et difficulté de la loi morale

I. Importance de la loi morale 154

II. Difficulté de la loi morale 458

DEUXIÈME CONFÉRENCE" I. L'Eglise est une grande puissance moralisatrice

l'église éclaire la conscience

I. L'Église présente à la conscience humaine des idées mo- rales précises 164

II. L'Eglise présente à la conscience humaine des idées morales immuables 167

III. L'Eglise présente à la conscience humaine des idées morales impérieuses 170

TROISIÈME CONFÉRENCE

l'église éclaire la conscience (suite)

I. C'est son tourment : 174

II. C'est sa gloire 478

QUATRIÈME CONFÉRENCE l'église fortifie la volonté

1. La volonté humaine est faible 18$

IL L'Eglise fortifie la volonté humaine 186

CINQUIÈME CONFÉRENCE l'église transforme la vie

I. Quand l'Eglise vient, la moralité monte '. 192

IL Quand l'Eglise s'en va, la moralité baisse 196

SIXIÈME CONFÉRENCE l'église transforme la vie (suite)

I. Les faux chrétiens ne valent pas mieux que les autres. Je l'accorde volontiers 204

IL Les vrais chrétiens valent mieux que les autres. Je l'af- firme hautement 208

TABLE DES MATIÈRES 543-

. Pages.

SEPTIEME CONFERENCE

II. L'Eglise est la seule puissance moralisatrice

suffisante ,

LES INFLUENCES MORALISATRICES EN DEHORS DE L'ÉGLISE

I. Y a-t-il en dehors de l'Eglise des influences moralisa- trices? Oui 215

II. Ces influences moralisatrices sont-elles suffisantes? Non. 218

HUITIÈME CONFÉRENCE

L'ÉGLISE SEULE ATTEINT LES AMES

I. L'Eglise atteint les âmes 226

II. L'Eglise atteint toutes les âmes 229

III. L'Eglise atteint chaque âme en particulier 231

NEUVIÈME CONFÉRENCE

L'ÉGLISE SEULE CONSOLE LA SOUFFRANCE

I. Constatons le fait de la souffrance 23&-

II. Qu'avez-vous à dire et à donner pour consoler la souf- france , 239-

III. L'Eglise seule console la souffrance 241

DIXIÈME CONFÉRENCE L'Eglise et le progrès moral

I. Dans le passé, l'Eglise a été la mère et la gardienne du progrès moral 24T

II. Dans le présent, l'Eglise est la mère et la gardienne du progrès moral 251

III. Dans l'avenir, l'Eglise sera la mère et la gardienne du progrès moral 253

III DANS L'ORDRE MATÉRIEL

PREMIÈRE CONFÉRENCE L'Eglise n'est pas l'ennemie du progrès matériel

I. L'Eglise est l'ennemie du progrès matériel. D'où vient cette objection? 259

II. L'Eglise est l'ennemie du progrès matériel. Que vaut cette objection? 261

344 * CONFÉRENCES AUX HOMMES

DEUXIÈME CONFÉRENCE L'Eglise est la gardienne du progrès matériel

I. L'Eglise préserve le progrès matériel 269

II. L'Eglise subordonne le progrès matériel 272

TROISIÈME CONFÉRENCE I. L'Eglise et l'agriculture

!• CB QUE L'ÉGLISE A FAIT POUR L'AGRICULTURE

I. Quand parut l'Eglise, en était l'agriculture ? 279

II. Le travail des moines 281

III. L'exemple des moines 285

QUATRIÈME CONFÉRENCE !• ce que l'église a fait pour l'agriculture (suite)

I. La science agricole des moines 289

II. La richesse des moines 294

Conclusion 297

CINQUIÈME CONFÉRENCE

CE QUE DEVIENT l' AGRICULTURE EN DEHORS DE L'ÉGLISE

I. L'agriculture et le protestantisme

I. L'agriculture en Angleterre à la suite du protestantisme. . . 300

II. L'agriculture en France à la suite du protestantisme 303

SIXIÈME CONFÉRENCE

CE QUE DEVIENT L'AGRICULTURE EN DEHORS DE L'ÉGLISE (SUltë)

IL L'agriculture et Virréligion

I. L'agriculture repose sur la bénédiction de Dieu 309

II. L'agriculture repose sur le principe de la propriété 311

III. L'agriculture repose sur la loi du sacrifice 313

SEPTIÈME CONFÉRENCE

2* CE QUE DEVIENT L'AGRICULTURE EN DEHORS DE L'ÉGLISE (suite)

H. L'agriculture et Virréligion (suite)

I. La dépopulation des campagnes 318

II. La désertion des campagnes 321

III. La démoralisation des campagnes 324

TABLE DES MATIÈRES 545

Pages. HUITIÈME CONFÉRENCE

II. L'Eglise et l'industrie

LES INVENTIONS DE L'INDUSTRIE

I. L'Eglise approuve les inventions de l'industrie 328

II. L'Eglise stimule les inventions de l'industrie 332

, NEUVIÈME CONFÉRENCE

LES CHEFS DE L'INDUSTRIE

L'Eglise prêche aux chefs de l'industrie :

I. L'activité et la modération dans la direction de leurs affaires 338

II. La justice et la charité à l'égard de leurs ouvriers 342

DIXIÈME CONFÉRENCE

LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE

I. L'Eglise ennoblit le travail de l'ouvrier 348

II. L'Eglise favorise l'épargne de l'ouvrier 351

ONZIÈME CONFÉRENCE

LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE [suite)

I. L'ouvrier a des besoins matériels et moraux 358

IL L'Eglise vient au secours de la situation matérielle et morale de l'ouvrier 364

DOUZIÈME CONFÉRENCE

LES OUVRIERS DE L'INDUSTRIE {suite)

I. L'ouvrier avant Jésus-Christ 268

II. L'ouvrier au moyen âge 371

III. L'ouvrier aujourd'hui 375

TREIZIÈME CONFÉRENCE III. L'Eglise et le commerce

I. La probité commerciale est l'âme du commerce 379

II. Les voies commerciales sont la condition du commerce. 381

III. Les débouchés commerciaux sont le stimulant du commerce 384

LES BIBNFAITS DE L'ÉGLISE. 1-35

S46 CONFÉRENCES AUX HOMMES

IV DANS L'ORDRE DOMESTIQUE

Pages.

PREMIÈRE CONFÉRENCE Les lois du mariage

I. Ce que l'Eglise pense du mariage 393

II. Ce que l'Eglise a fait pour sauvegarder les lois du mariage 395

DEUXIÈME CONFÉRENCE Le bonheur dans le mariage

I. L'Eglise règle le contrat matrimonial 401

II. L'Eglise divinise le contrat matrimonial. . . 405

TROISIÈME CONFÉRENCE L'époux

I. Le chef du foyer est impie 411

II. Le chef du foyer est indifférent 415

QUATRIÈME CONFÉRENCE L'époux (suite)

I. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux pratiquent saintement les devoirs de la vie domestique 421

II. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux goûtent paisiblement les joies de la vie domestique 423

III. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux portent courageusement les charges de la vie domestique 425

IV. Sous la douce influence de l'Eglise, les époux élèvent noblement les rejetons de la vie domestique 427

CINQUIÈME CONFÉRENCE Le père

I. Besoin de la religion pour porter le fardeau des devoirs

et des responsabilités 432

II. Besoin de la religion pour sauver le prestige et l'autorité paternelle 435

1X1. Besoin de la religion pour assurer l'empire de la vertu dans l'âme des enfants 437

TABLE DES MATIÈRES

i 7

Pages. SIXIÈME CONFÉRENCE Le père [suite)

I. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles ? Le pouvoir civil? 442

II. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles ? La presse, le journalisme ? 443

III. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles? L'exemple descendant des hauteurs sociales?.. 444

IV. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles? L'école? 445

V. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles ? Le prêtre ? 446

VI. Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles? La mère ? * 447

VIL Qui mettra le christianisme dans l'âme des générations nouvelles? Le père 448

SEPTIÈME CONFÉRENCE L'épouse

l L'épouse étrangère à l'Eglise 451

IL L'épouse amie de l'Eglise 453

III. L'épouse hostile à l'Eglise 456

HUITIÈME CONFÉRENCE La mère

I. Ce que la mère de famille doit à l'Eglise 461

H. Ce que l'Eglise doit à la mère de famille 464

NEUVIÈME CONFÉRENCE L'enfant dans le paganisme et dans l'Evangile

I. L'enfant dans le paganisme 469

II. L'enfant dans l'Evangile 475

DIXIÈME CONFÉRENCE L'enfant dans le catholicisme

I. H y a dans l'enfant une vie matérielle à conserver 483

II. Il y a dans l'enfant une intelligence à développer 485

III. Il y a dans l'enfant un cœur à former. 487

548 CONFÉRENCES AUX HOMMES

Pages. ONZIÈME CONFÉRENCE.

L'enfant dans le catholicisme {suite)

I. Admirez l'enfant chrétiennement élevé 492

II. Prévoyez l'avenir de l'enfant chrétiennement élevé 495

III. Comparez à l'enfant chrétiennement élevé l'enfant élevé

en dehors de toute instruction religieuse 491

DOUZIÈME CONFÉRENCE

Le jeune homme

t. L'Eglise préserve le jeune homme 500

II. L'Eglise ressuscite le jeune homme 503

TREIZIÈME CONFÉRENCE Le jeune homme (suite)

I. La ruine de la foi dans le jeune homme déchristianisé. . . 507

II. La ruine du respect filial dans le jeune homme déchris- tianisé 511

III. La ruine de la vertu dans le jeune homme déchris- tianisé 513

QUATORZIÈME CONFÉRENCE La famille chrétienne

I.. La famille créée par Dieu . .... 518

II. La famille défigurée par l'homme 520

III. La famille restaurée par Jésus-Christ. 521

IV. La famille réalisée par l'Eglise 523

QUINZIÈME CONFÉRENCE La famille décatholicisée

î. Dans la famille décatholicisée, ruine de l'amour conjugal. 528

II. Dans la famille décatholicisée, ruine du respect filial... 530

III. Dans la famille décatholicisée, ruine du bonheur familial. 532

TOURS, IMPRIMERIE DESLIS FRÈRES, HUE GAMBETTA, 6.

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