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THE J. PAUL GETTY MUSEUM LIBRARY
BIBLIOTHÈQUE
. DES
ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
FASCICULE QUATRE-VINGT-SEPT L'ILE TIBERINE DANS L'ANTIQUITÉ
Par Maurice Besnier
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TOURS. — IMPRIMERIE DESLIS FRERES, 6, RUE GAMBETTA.
L'ILE TIBÉRINE
DANS L'ANTIQUITÉ
:8
L'ILE TIBÉRINE
DANS L'ANTIQUITÉ
PAR
Maurice BESNIER
ANCIEN MEMBRE DE L ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME,
CHARGÉ d'un cours COMPLÉMENTAIRE A LA FACULTÉ DES LETTRES
DE l'université DE CAEN.
Ouvrage contenant trente-deux gravures dont une hors texte en phototypie
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE THORIN ET FILS ALBERT FONTEMOING, ÉDITEUR
Libraire des Écoles Françaises d'Athènes et de Borne, du Collège de France
et de l'École Normale Supérieure
4, RUE LE GOFF, 4
4902
Monsieur RENÉ GAGNAT
MEMBRE DE L'iNSTITUT PROFESSEUR W COLLÈGE DE FRANCE
Hommage de reconnaissance et de respectueux dévouement.
PREFACE
La connaissance du sol et des monuments de l'ancienne Rome a fait de remarquables progrès pendant les der- nières années du xix^ siècle. Les travaux d'édilité entre- pris depuis 1870 pour transformer la cité des Papes en capitale d'un grand Etat ont servi les intérêts de l'archéo- logie. Les découvertes se sont multipliées; la pioche des démolisseurs et des terrassiers a ramené à la lumière de nombreux vestiges antiques. Les revues romaines, Notizie degli Scavi^ Bullettino Co?mmaIe^ Mittlieilungen de l'Insti- tut allemand, enregistrent ces trouvailles à mesure même qu'elles se font. Maints problèmes ardus et controversés ont donné matière à des articles spéciaux, à des discus- sions approfondies. Les résultats généraux de toutes ces recherches ont été exposés en des ouvrages dont l'éloge n'est plus à faire : descriptions des ruines, comme celles qu'ont publiées M. Middleton et M. R. Lanciani — traités dogmatiques et critiques, comme la Topographie de H. Jordan et la Geschichte und Topographie de M. 0. Gil- bert — simples manuels précisant l'état actuel des ques- tions, comme ceux de M. 0. Richter et de M. Borsari — répertoires de textes et de faits, comme le Nomenclator de M. Huelsen et le Lexique de M. Homo. L'Italie et l'Al- lemagne, l'Angleterre et la France ont collaboré à cette vaste enquête. Jamais encore la topographie romaine
11 PRÉFACE
n'avait été étudiée avec autant de zèle ni de méthode ; jamais on n'avait pu se rendre compte si exactement de ce qu'était la ville de Rome dans l'antiquité, aux diverses phases de son dévelop|)ement.
11 nous a paru intéressant de profiler de toutes les res- sources que mettait à notre disposition cette renaissance des études topographiques pour consacrer à un quartier de la cité romaine une étude particulière. Nous nous sommes proposé d'écrire une monographie de l'île tibé- rine. Sans doute l'île tibérine est loin d'avoir eu jamais la même importance que telle autre région plus célèbre de Rome, comme le Palatin par exemple, le Forum ^ ou le Capitole. Ellea joué cependant au temps du paganisme, en raison de sa position même, tout exceptionnelle, un rôle à part, quiméritaitd'être indiqué. Il serait nécessaire, à vrai dire, de faire pour chacun des quartiers de la ville ancienne une pareille étude, historique et topographique tout ensemble ; à ce prix seulement pourra paraître un jour une nouvelle et définitive Topographie de Rome.
C'est à M. René Gagnât que nous devons l'idée pre- mière de ce travail ; elle nous fut suggérée par son ensei- gnement du Collège de France, qui a porté pendant plu- sieurs années sur la topographie romaine. Nous tenons à lui dire ici toute notre gratitude pour l'intérêt qu'il n'a cessé de témoigner à des recherches commencées et pour- suivies sous ses auspices. — A Rome même, M^' Du- chesne, directeur de l'École française, ne nous a ménagé ni les encouragements ni les conseils ; qu'il reçoive éga- lement nos très vifs remerciements. M. Rodolphe Lan- ciani, professeur de topographie à l'Université, a bien voulu nous donner de précieuses indications ; nous lui
{. II convient de rappeler à ce propos le livre récent du R. P. Thédenat, le Forum romain et les Forums impériaux, Paris, 1898.
PRÉFACE III
sommes très obligé de sa courtoise libéralité. — Pendant que nous rassemblions les matériaux de cet ouvrage, M. René Patouillard, architecte pensionnaire de l'Acadé- mie de France à Rome, préparait une Restauration de Vile tibérine, qu'il a présentée à l'Institut et qui sera exposée à un prochain Salon. L'architecte et l'archéologue n'ont pas hésité à associer leurs efforts. L'illustration de notre volume en a bénéficié. M. René Patouillard nous a auto- risé à nous servir d'un certain nombre de clichés photo- graphiques et de calques qu'il avait pris lui-même. Nous gardons de son amical concours un excellent et recon- naissant souvenir.
Il s'en est fallu de peu , l'année dernière, que l'île tibérine, déjà fort enlaidie et abîmée par les récents travaux d'édi- lité, ne fût entièrement détruite. Nous aurions eu en même temps à raconter l'histoire légendaire de sa naissance et à mentionner sa disparition. A la suite d'une crue excep- tionnelle du Tibre, en l'été 1901, le mur du quai du Lim- gotevere Angulllara^ qui borde et contient le cours du fleuve à la hauteur de l'île sur la rive droite, s'écroula. Une commission d'ingénieurs, aussitôt instituée, voulut rendre l'île tibérine responsable du désastre : elle rétré- cit, disait-on, le lit du Tibre et fait obstacle à l'écoulement normal des eaux ; le bras gauche est ensablé ; le courant se trouve rejeté tout entier surla droite et ronge les quais sans trêve ; il serait nécessaire de supprimer l'île pour donner enfin au fleuve un chenal suffisant... Cette mo- tion subversive rencontra heureusement une vive oppo- sition. Le ministre des Travaux publics, M. Giusso, déclara à la Chambre des députés, le 24 juin 1901, que « des raisons historiques et de dignité nationale exi- geaient le maintien de l'île tibérine »; le journal la Tri- buna proclamait le 6 juillet que sa démolition serait un
IV PRÉFACE
« outrage à la religion de l'art et des souvenirs patrio- tiques ». L'éloquence de ses défenseurs a sauvé l'île. On dut recourir à d'autres moyens pour réfréner le Tibre. Souhaitons que de nouveaux méfaits du fleuve n'obligent pas les ingénieurs, les députés et les journalistes à rou- vrir ce débat !
INTRODUCTION
L'ILE TIBERINE
DANS LES TEMPS MODERNES ET DANS L'ANTIQUITÉ
INTRODUCTION
L'ILE TIBÉRINE DANS LES TEMPS MODERNES ET DANS L'ANTIQUITÉ
Scioditur in gemmas partes circumfluus amois. Insula nomen habet. laterumque e parte duorum Porrigit sequales média tellure lacertos.
(OviD., Mctam., XV, 739-741.)
Les noms. — Le Tibre au milieu de Rome, entre le Capitule et le Janicule, se divise en deux bras. La petite île qu'il forme, orientée du nord-ouest au sud-est, est longue de 270 mètres environ, sur une largeur maxima de 70 1. On l'appelle main- tenant V isola San Bartolomeo. On l'appelait au moyen âge insula Lycaonia. Dans l'antiquité sa position lui avait valu les noms d'île tibérine, insula tihemia-, et d'île entre les deux ponts, inter duos pontes^, ii.iar, ouoîv yz(f'jpoiw^. Les surnoms d'île d'Esculape^ et d'île du serpent d'Epidaure*" lui étaient
1. La partie de plain-pied mesure exactement 269 mètres sur 67.
2. ViTRuv., III, 2; — AcRO, Schol. Horat., Sat., II, 3, 36. —Tac, Hist., I, 86 : Insula Tiberini munis; — Liv., XI, Epit. : Insula Tiberis.
3. ^xHicus, cité par Gronovius dans son édition de Pomponius Mêla, Leyde, 1722, p. 716 : Fluviorum rex pulcher Tiberis... per la'bem sacrum geminatur et facit insulam regioni quartœ decimœ ubi duos pontes appellantur. — Cf. Jordan, Forma Urbis Romae, Berlin, 1874, p. 44 et PI. IX, fragm. 42 : sur un fragment du plan de Rome dressé pendant le règne de Septime Sévère, on lit : inle[r du]os po[n]tes. — Le Chronographe de l'année 3o4 (Moscm. Germ., Auct. antiq., t. IX, 1, p. 145) rapporte que Tarquin le Superbe fut tué inter duos pontes.
4. Plut., PopL, 8. — Cf. Justin. Martyr, Apol. Pr., 26 : une statue de Simon le Magicien existait [Xîxalj twv Sjo ysç-jpàiv ; — Plut., Ot/io, 4 : statue de César située iv (jLso-oTto-ajxta vr^(TM, dans l'île au milieu du fleuve.
5. SuETON., Claud., 23 : Insula Aisculapii; — Dionys., V, 13 : Nf,<7o; 'A(7xX-ir)ir:o3.
6. SiDON. Apoll., Epist., I, 7, 12 : Insula serpentis Epidaurii.
4 LILE TIBÉRINE DANS LES TEMPS MODERNES
aussi donnés quelquefois, en souvenir de l'arrivée à Rome du dieu médecin d'Epidaure métamorphosé en serpent.
Aspect actuel. — Son aspect actuel n'a rien de remar- quable. Deux ponts la rattachent à la ville; celui de l'est, ou ponte Quattro Cnpi, est antique; l'autre, jwnte San Bartolo- meo, fut reconstruit de 1885 à 1892 et ne ressemble plus au pont antique qu'il a remplacé. Dans l'ile même l'égUse Saint- Barthélémy est le seul édifice qui présente quelque intérêt'. Elle date du xf siècle-, mais elle a été refaite presque entiè- rement au xvii" ; du monument primitif il ne reste plus que le campanile, les colonnes de la nef et une margelle de puits ornée de sculptures devant le maître-autel 3. L'église Saint-Jean-Calybite, située presque en face, est petite et toute moderne; elle fut fondée en 1584; elle occupe l'emplacement d'un édifice plus ancien mis sous l'invocation de saint Jean- Baptiste''. L'église Sancta Maria juxta flumen, Santa Maria
1. Sur les églises de i'ile, voir : Casimiro, Memorie istoriche délie chiese e dei convenu dei fnili minori délia provincia ro?/ja/ia, Rome, n44,p.2C4et suiv. ; Uesciir. d. St. Rom, Stuttgart, 1830-42, t. III, 3, p. 566-572 ; — Armellini, Ze Chiese di Roma, 2' éd., Rome, 1891, p. 618-622.
2. L'empereur Olton 111 la filbàtir vers l'an 1098, enl'honneur de saint Adal- bert, évoque de Prague. Il voulut ensuite y déposer les reliques de saint Bar- thélémy, conservées àllénévent; les Bénéventins les lui promirent, mais lui envoyèrent à la place celles de saint Paulin de Noie. D'après certains auteurs, l'empereur aurait essayé vainement de punir la fraude des Bénéventins et de leur enlever le corps de l'apôtre; d'après d'autres, il aurait réussi dans cette ten- tative. Quoi qu'il en soit, les Romains crurent qu'ils possédaient réellement les reliques de saint Barthélémy. Le martyr de Bohême fut oublié ; Veccle- sia Sanctorum Adalberti et l'aulini devint et est restée Vecclesia Saticli Bar- Iholomœi. Cf. Ghegorovius, Gesch. d. St. Rom im Mitlelalter, éd. de 1869-1872, Stuttgart, t. III, p. 510.
3. Des colonnes antiques ont été utilisées dans la construction de l'église, et le puits qu'Otton III a fait entourer d'une margelle nouvelle existait sans doute dès l'époque romaine. Les reliques sont déposées sous le maître-autel, dans une cuve de porphyre provenant d'anciens thermes. — D'après Maz- ZA.NTi (Bullelt. Coinun., 1896, p. 82), la porte de l'église de Saint-Barthélémy, qui passe pour être l'œuvre des Cosmates, serait composée de fragments antiques, ingénieusement adaptés les uns aux autres. — Sur la mosaïque de la façade, voir de Rossi, Musaici cristiani di Roma, Rome, 1872, PI. IX, n° 2.
4. L'église Saint-Jcan-Baptisle in insiila est nommée dans plusieurs bulles pontificales et actes (le donation du XI* siècle (Voiries textes réunis par Canta- RELLi, Rullell. Comun., 1896, p. 71). En 1741, on a retrouvé, murées dans les piliers de Sainl-Jean-Calybite, des colonnes avec chapiteaux sculptés qui datent du moyen rtge. Cf. Cancelmeri, Notizie istoriche délie chiese di Santa Maria in (iiulia, di Sun Giovanni Calibila nell'isola Lj/caonia, etc., Bologne, 1823. — Saint Jean-Calybite était un ermite de Constantinople, qui vivait dans une cabane, lugurium ou xaÀ-j6r, ; la légende confondit Constantinople, la nouvelle Rome,
ET DANS l'antiquité
6 l/lI.E TIHÉRINE DANS LES TEMPS MODERNES
pressa fiiime, que mentionnent les catalogues du moyen âge, était plus au nord»; elle fut détruite d'assez bonne heure.2. Un couvent do franciscains dépend de Saint-Barthélémy; un hôpital Israélite est logé dans les bâtiments compris entre cette église et \q ponte Quattro Capi ; Saint-Jean-Calybite se trouve enclavé dans un grand hôpital que desservent les Frères de Saint-Jean- de-Dieu, surnommés les Fate hene fratelli^. Devant Saint-Bar- thélémy s'étend une place irrégulière, au centre de laquelle se dresse un monument en l'honneur de saint Jean de Dieu. Deux églises, deux hôpitaux, un couvent, de vieilles maisons, une petite place, quelques ruelles, voilà tout ce qu'on aperçoit à première vue ; il n'y a certes pas là de quoi piquer la curio- sité ni flatteries regards.
L'ile tibérine avait conservé cependant jusqu'à ces dernières années un caractère original et pittoresque que seuls les embellis- sements de la Rome contemporaine lui ont fait perdre. Sur les gravures et les dessins d'autrefois elle apparaît tout entourée d'eau, reliée seulement aux rives par ses deux ponts dissem- blables, mais de môme style et de même couleur, hardiment jetés; à travers l'ouverture des arches on aperçoit les roues à palettes et les passerelles des moulins amarrés dans les deux bras du Tibre, et à l'arrière-plan les églises et les maisons des quartiers voisins ; l'intérieur de l'île, que domine la tour carrée
et Rome même; on prétendit que ie saint, né à Rome, s'était retiré dans nie tibérine et qu'il était mort à l'endroit précisément où lui fut élevée plus tard une église (Acta Sanctohom, janvier, t. il, p. 311;— Gantarelli, loc. cit., p. 67).
1. Cencius Camerarius l'appelle ecclesia S. Maria /luminum. Armellini {op. cit., p. 619) en conclut qu'elle devait s'élever à l'endroit précis où les eaux du Tibre se partagent.
2. Le» Bénédictines avaient dans l'ile au moyen âge un monastère, auquel l'église Santa .Maria, qui regardait le Transtévère, servait de chapelle. Lors- qu'elles abandonnèrent l'ile, elles vendirent leurs biens aux Frères de Saint- Jean-de-Dieu.
3. « Dans la Rome chrétienne on prend soin des malades en cette même lie du Tibre où, au temps du paganisme, on adorait le dieu de la santé » (Beschr. d. St. Rom, t. III, 3, p. 567). Au moyen âge, d'après l'auteur d'un poème sur la translation des reliques de saint Barthélémy, composé pen- dant la seconde moitié du xn* siècle, les saints honorés dans l'île faisaient, comme jadis Esculape, des guérisons uiiraculeuses :
Sint ibi Mnctorum quod corpora duorum Moribus oppressi relèvent ibi deemoDe fessi, Flet fur, lepra fu^il...
(B. Sepi>, Ein inediertes cannen de translatione S. Bartholomaei, dans le Neues Arcfiiv, 1897, t. XXII, p. 575),
ET DANS L ANTIQUITE
de Saint-Barthélémy, est recouvert de vieilles constructions inégales, sombres ou claires, qui descendent jusqu'aux bords sablonneux du fleuve et où se détachent çà et là des bouquets de feuillage.
Les travaux destinés à systématiser le Tibre, c'est-à-dire à régulariser son cours et à endiguer ses berges, ont tout changé. Le nouveau pont San Bartolomeo est plus long que ne l'était l'ancien; ses trois grandes arches et ses pierres blanches forment un déplaisant contraste avec la masse sombre du pont Quattro Capi. On a démoli la plupart des maisons
8 l'île tibérine dans les temps modernes
hautes et sales qui se pressaient dans l'île, éventré ses rues tortueuses, bûti à l'ouest, le long du fleuve, des murs continus, capables de résister aux fortes crues d'hiver, terminé la pointe nord-ouest par un môle qui s'abaisse en pente douce jusqu'à l'eau, et mis enfin à l'extrémité sud-est un petit pavillon peint en rouge, d'un triste effet, la Morgue '. A^'ers l'est seulement, avec ses maisons anciennes surplombant le Tibre, l'île ressemble encore un peu à ce qu'elle était jadis. Malheureusement, depuis dix ans, le bras gauche du fleuve s'est ensablé^; les alluvions accumulées et les détritus jetés des rives obstruent le passage : l'eau ne les recouvre plus qu'exceptionnellement, quelques jours à peine chaque année, après les grandes pluies de novembre ou de mars. L'île n'est plus une île, et l'on peut traverser à pied sec le chenal encombré de sables et d'ordures sur lesquels pousse déjà l'herbe ^.
« Sera-ce encore le Tibre, ce fleuve que vos quais encaissent entre deux murs uniformes, et qui a perdu soit ses plages alter- nant avec les maisons baignant dans ses eaux, soit son ouver- ture en aval sur tant de débris subsistants de l'ancienne Rome? C'était le double spectacle qui s'offrait du pont Sistc, par exemple, à qui se rendait de la rive gauche vers le Jani- cule. A sa droite la belle courbe du fleuve rellétait le splen-
!.. Voir un résumé de ces travaux, d'après les documents officiels italiens, dans UoNXA, le Tihve et les travaux du Tibre, publié par le Bull, de la Soc. d'encour. pour Vind. nation., numéros de septembre et novembre 1898; p. 126 du tirage à part : de 1882 à 188i, endiguement du pourtour de l'île, empierrement de la pointe nord, immersion de blocs de béton pour régler le partage des eaux et régulariser les berges; p. 127-130 : de 1885 à 1892, reconstruction du pont San Barlolomeo et transformation de ses abords.
2. RoxxA, op. cit., p. 126 : « Le maintien, pour des considérations archéolo- giques, de l'ile tibérine avec ses deux bras, dont un seul, celui de droite, livrable à la navigation après approfondissement, devait avoir pour consé- quence une modification dans le régime tluvial... la largeur du chenal augmen- tant de 100 à liiO mètres à la pointe d'amont de l'ile et à 160 mètres à la pointe d'aval, avec un bras à droite de 7.") mètres, et un second à gauche de 65 mètres, soit ensemble 140 mètres, le bras gauche devait nécessairement s'ensabler sous l'action du courant, plus long d'un septième. En effet, tandis que dans le bras droit, en prolongement de la section canalisée du fleuve, le courant est rectiligne, il est courbe dans le bras gauche. » On a vainement essaj-é de conserver un courant dans le bras gauche en établissant en amont un barrage de maçonnerie ; les atterrissements ont continué.
3. Sur le plan de Rome publié par 0. Richtek à la fin de sa Topogr.d. St. Rom (2» éd., Munich, 1901), l'Ile paraît rattachée définitivement à la rive gauche du Tibre, et baignée d'un seul côté par les eaux du fleuve. Peut-être cependant cette simplification du tracé est-elle excessive ; elle donne de la situation de l'ile encore à l'heure présente une idée inexacte.
ET DANS L ANTIQUITÉ 9
dide bois de lauriers de la Farnésine, que vous avez détruit; il voyait à sa gauche l'île tibérine, avec sa proue sculptée en
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souvenir d'Esculape, et les Quattro Capi et la tour de l'An- guillara, et le temple de Vesta, et rÂventin. Presque tout cela a disparue »
1. Geffroy, la Transformation de Rome en capitale moderne^ dans la Revue des Deux Mondes, i" septembre 1897, p. 175.
10 L ILE TIBÉRINE DANS LES TEMPS MODERNES
Forme et étendue de l'île dans l'antiquité. — La forme de l'ile ne rappelle plus aujoiinriiiii que très vaguement sa forme ancienne. Les berges ont été rectifiées récemment ; on a sup- primé sans pitié tout ce qui dépassait l'alignement. Mais il y a longtemps que l'œuvre de destruction était commencée; la nature, avant les hommes, s'en était chargée. Au xviii" siècle on voyait en amont et en arrière, vers la rive gauche, un petit îlot qu'on appelait Yisoietta; il supportait des murs antiques de belle apparence et bien cimentés ^ Les plans de cette époque l'indiquent'^. Il devait son origine à une crue violente du Tibre au moyen âge, qui l'avait détaché de l'île. En 1788 une inondation acheva de le ruiner^. Il est donc certain que dans l'antiquité l'ile tibérine était plus grande que maintenant ; elle commençait à la hauteur de Visoletla et s'al- longeait irrégulièrement au milieu du fleuve, en suivant la courbe même de son tr3cé.
Histoire et topographie. — D'après la légende l'île se serait formée très tard et artificiellement ; les moissons des Tarquins jetées dans le Tibre après l'expulsion des rois lui auraient donné naissance. Deux siècles s'écoulent, et l'on fait débar- quer sur son territoire le serpent sacré venu d'Epidaure, symbole d'Esculape ; un temple y est fondé en l'honneur du dieu grec de la médecine. Un siècle encore, et deux autres temples, consacrés l'un à Jupiter, sous le nom particulier de Jupiter Jurarius, l'autre à Faunus, sont bâtis auprès du sanctuaire d'Esculape; déjà le dieu du Tibre, Tiberinus, possède non loin de là un sacellum où l'on célèbre sa fête annuelle. A la fin de l'époque républicaine les ponts de bois qui existaient depuis longtemps entre Tîle et les deux rives du fleuve sont rempla- cés par de solides ponts de pierre. Au début de l'époque impé- riale la ligne du pomerium, qui marque la limite religieuse de la cité romaine, est reculée ; elle embrasse désormais ï insu la
i. Cf. notamment Venuti, Accurata e succinta descrizione topografica délie antichilà di Roina, Rome, éd. de 1824, p. 174.
2. Sur le grand plan d« Rome dressé par Nolli en 1748, et que la plupart des plans postérieurs, pendant plus de cinquante ans, n'ont fait que repro- duire en réduction, Visolelta est représentée ; deux pans de murs antiques y sont indiqués. M. Lanciani possède un ancien dessin en couleurs, signé de l'architecte Marim, qui donne une vue de Visoletla ; on aperçoit, sur le bord, un pan de mur antique, l'un de ceux que Nolli a figurés.
3. Gabrimi, dans V Antologia romana, t. XV, p. 321, cité par G. Brocchi, delloStalo fisico del suolo di Roma, Rome, 1820, p. 66.
ET DANS L ANTIQUITÉ 11
tiberina, restée jusqu'alors en dehors de la ville. L'ile appar- tient à la quatorzième des régions urbaines créées par Auguste. De tous côtés s'y élèvent des constructions nouvelles, moins importantes cependant que les anciens édifices religieux soi- gneusement entretenus et réparés par les empereurs. Textes littéraires, inscriptions, monuments figurés permettent de suivre, de siècle en siècle, son histoire, celle des ponts qui l'unissaient à la vieille Rome et au Transtévère, celle enfin des sanc- tuaires qu'elle renfermait. Ils permettent aussi de fixer avec une suffisante précision les traits essentiels de son antique topographie. On peut déterminer assez exactement l'emplace- ment occupé jadis parles principaux monuments qui l'ornaient. La physionomie même, si l'on peut ainsi dire, de ce petit quar- tier de l'ancienne Rome se laisse encore deviner. Les décou- vertes qu'on y a faites depuis trois siècles et les travaux archéo- logiques dont il a été l'objet nous donnent le droit et les moyens d'en essayer une reconstitution, à la fois historique et topographique.
L'île tibérine et la religion romaine, — L'île tibérine était, aux yeux des Anciens, une île sacrée, vyJgoç '.epa^ Elle méritait qu'on lui décernât cette appellation honorifique. Son nom évoquait dans l'esprit des Romains pieux maints souvenirs légendaires : les moissons des Tarquins précipitées dans le Tibre, le serpent divin d'Esculape descendant spontanément du vaisseau qui le ramenait de Grèce et choisissant la place de son futur sanctuaire, la statue de César se tournant d'elle- même vers l'Orient, et toutes les guérisons miraculeuses et dont les inscriptions et les ex-voto conservaient la mémoire et le témoignage officiel. Esculape, Jupiter Jurarius, Faunus possédaient dans l'île des temples, Semo Sancus une statue, Tiberinus une chapelle. Trois fois par an des cortèges sacrés se déroulaient processionnellement entre les deux ponts : le 1" janvier étaient célébrées les deux fêtes d'Esculape et de Jupiter, et le même jour on sacrifiait à Vejovis; le 13 février avait lieu la fête de Faunus, et le 8 décembre la fête de Tiberinus. Le sanctuaire d'Esculape m insula était le plus ancien et le plus considérable qu'eût à Rome le dieu
1. Plut., Popl., 8 : Toïxo vjv vY^ffé; ioriv Upà xatà ttiv tt^Xiv; — DiONYS., V, 13 : Nfjaoî 'AffxXyjTtioy tepa.
12 l'île TIBÉRINE DANS LES TEMPS MODERNES ET DANS l'aNTIQUITÉ
groc de la médecine, et ceux de Jupiter Jurarius, de Faunus, de Tiberinus, les seuls que les Romains eussent consacrés à ces divinités; en dehors de Vinsula tiherina on n'invoquait Vejovis qu'au Capitole et Semo Sancus que sur le Quirinal. L'importance religieuse de l'ile dans l'antiquité est indéniable. Son histoire intéresse l'histoire même de la religion romaine. Si le surnom d'ile sacrée lui convenait, il faut ajouter, avec Denys d'HaUcarnasse, qu'elle était avant tout l'île sacrée d'Es- culape. Le culte d'Asklépios avait été importé de Grèce à Rome trois cents ans avant l'ère chrétienne. Il fut aussitôt localisé au milieu même du Tibre, où pendant des siècles on vint consulter et adorer à la mode hellénique le dieu médecin. Après avoir raconté les vicissitudes et les transformations de l'ile tibérine, depuis ses origines fabuleuses jusqu'à l'aurore du moven âge, et décrit les ponts jetés entre ses bords et les deux rives du fleuve, il sera nécessaire de s'arrêter plus lon- guement à étudier le sanctuaire et le culte d'Esculape; l'examen des divers documents qui concernent Jupiter Jurarius et Semo Sancus, Faunus et Tiberinus complétera ces recherches et nous mettra en mesure, au terme de notre enquête, de retracer les grandes lignes de la topographie de l'île à l'époque la plus brillante de son lointain passé.
LIVRE I
HISTOIRE DE L'ILE TIBÉRINE
DANS L'ANTIQUITÉ
CHAPITRE I LA LÉGENDE DES ORIGINES
Les textes. — « L'île Saint-Barthélémy, à peu près grande aujourd'hui comme ce qu'on appelle à Paris le quartier de l'île Notre-Dame, n'est pas d'ancienne date; elle n'est au monde que depuis vingt-deux ou vingt-trois siècles, ayant, comme vous le savez, commencé à se former par l'amas des gerbes pro venues de larécoltedes terres appartenant au roi Tarquin le Superbe, que le peuple jeta dans la rivière en cet endroit, où elles s'arrê- tèrent sur un bas-fond^. » C'est en ces termes que le président de Brosses racontait, d'après les écrivains anciens, la nais- sance de l'île tibérine. La légende qu'il rapporte, non sans quelque scepticisme, semble avoir eu grand crédit dans l'anti- quité. Tite-Live, Denys d'Halicarnasse, Plutarque, qui nous l'ont fait connaître, la tiennent pour véridique. Il est inté- ressant de comparer leurs narrations ; s'ils se font tous les trois les dociles interprètes de l'opinion populaire, s'ils pa- raissent croire également à la formation artificielle et tar- dive de l'île tibérine, les détails plus ou moins abondants qu'ils ajoutent au fonds commun de la tradition diffèrent de l'un à l'autre ; chacun d'entre eux, à son insu, laisse percer son caractère même et traliit ses goûts et sa méthode.
Tite-Live. — Tite-Live est le plus bref, et le seul aussi qui prenne des précautions oratoires pour faire accepter la légende. Après l'expulsion de Tarquin le Superbe, le Sénat livra les
1. De Uhosses, Lettres familières écrites d'Italie (l'739-n40), éd. H. Badun, Paris, 18:J8, t. Il, p. 131.
• vi
16 l'île TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
biens du roi déchu au peuple, qui les pilla. Le champ de Tar- quin, situé entre la ville et le Tibre, fut consacré à Mars : il s'appela désormais le Champ de Mars. On dit que les récoltes étaient alors mûres, prêtes à être moissonnées. Les Romains se faisaient scrupule d'en profiter; ils coupèrent les épis avec la paille et les mirent dans des corbeilles qu'ils jetèrent au Tibre. C'était au moment des fortes chaleurs ; le fleuve n'avait que très peu d'eau; les corbeilles s'arrêtèrent sur les bas- fonds et se couvrirent de limon ; tout ce que le Tibre charriait s'y déposa, retenu par cet obstacle ; une île se forma peu à peu. Dans la suite, sans doute, on rapporta à cet endroit des terres et des matériaux ; la main des hommes contribua à rendre le sol assez ferme et assez élevé pour qu'il pût soutenir des temples et des portiques'.
On a souvent remarqué que Tite-Live, lorsqu'il résume l'histoire traditionnelle des premiers temps de Rome, évite d'en prendre la responsabilité et de s'en porter garant. Il rappelle avec respect toutes les fables chères à ses concitoyens, ayant l'air lui-même d'y ajouter foi. Mais il passe vite sur les événements suspects ; sans jamais s'inscrire formel- lement en faux contre leur réalité, il laisse deviner cependant qu'il fait ses réserves ; çà et là quelques mots significa- tifs mettent en garde le lecteur averti 2. La page qu'il con- sacre à la formation de l'île tibérine permet de le constater une fois de plus. Il nous prévient qu'il est simplement l'écho de la croyance générale : « on dit que les moissons du champ des Tarquins étaient alors mûres, dicitur. » Il prend soin, en
1. Liv., II, 5 : IH^ bonis regiis, quss-reddi ante censueranl, res intégra refer- lur ad patres. li victi ira vetuere l'eddi, vetuere in publicum rediyi. Diripienda plebi sunt data, ut, contacta rerjia prœda, spem in pcpetuiim pacis cum eis amitleret. Ager Tarquiniorum, qui in ter urbem ac Tiberim fuit, consecratus Marti, Martius deinde campus fuit. Forte ibi lum seges farris dicitur fuisse matura messi. Quem campi fructum quia religiosum erot consumere. desectam cum stramento segetem magna vis hominum simul immissa corbibus fudere in Tiberim, lenui fluentem aqua, ut mediis caloribus solet. Ita in vadis hsesi- tantes frumenti acervos sedisse illitos limo; insulam inde pavlatim, et aliis quae fert temere flumen eodem invectis, facfam ; postea credo additas moles, manuque adjutum ut tam eminens area firmaque templis quoque ac porlicibus sustinendis esse t.
2. Voir les observations de Beaufoht, Dissertation sur r incertitude des cinq premiers siècles de Rome, éd. Blot, Paris, 1866, p. 9; — de Taine, Essai sur Tite-Live, Paris, 1836, p. 43 ; — de Pais, Storia di Roma, Rome, 1898, t. 1, 1, p. 83-86, ainsi que la préface même de Tite-Live et ses aveux aux livres V, 21; VI, 1; VII, 6; VIII, 40, etc.
LA LÉGENDE DES ORIGINES
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outre, d'indiquer les raisons qui rendent admissible à la rigueur la version populaire, et comment on la doit comprendre : les corbeilles chargées d'épis ont bien pu s'immobiliser dans le fleuve, car le Tibre, en été, roule très peu d'eau, tenui fluen- tem aqiia, ut mediis caloribus solet ; l'île n'est pas née tout d'un coup, en un jour de l'année 245/509, mais peu à peu, quand d'autres débris entraînés sont venus s'ajouter aux bottes de paille et aux gerbes de blé des Tarquins, insulam i/ide paiilatim factam; d'ailleurs les hommes ont dû compléter l'œuvre de la nature, postea credo additas moles manuque adjutum^. Tite-Live est trop bon citoyen pour révoquer en doute les épisodes légendaires de l'histoire nationale, mais il est trop sensé pour ne pas s'efforcer, quand il les raconte, d'atténuer leur étrangeté.
Denys d'Halicarnasse. — Denys d'Halicarnasse raconte l'aven- ture de l'année 245/509 à peu près dans les mêmes termes que Tite-Live 2. Il explique autrement qu'on ait cru devoir jeter dans le Tibre les moissons de Tarquin : si les Romains se faisaient scrupule de les utiliser pour leur consommation, ce n'est pas seulement parce qu'elles venaient du champ des rois expulsés, c'est que ce champ même, avant que les Tarquins l'usurpassent, avait été consacré à Mars ; il y aurait eu sacri- lège à s'approprier les récoltes. Comme Tite-Live, Denys
1. On a retrouvé en 1854, entre l'église Saint- Jean-Cal ybite et le Tibre, à une grande profondeur, les traces d'un dallage artiflciel en larges pierres, construit dans l'antiquité pour affermir le sol et le sous- sol de l'île tibérine; c'est à ce travail que fait allusion Tive-Live; les fouilles de 1854 ont permis de vérifier l'exactitude de son assertion. Gaxixa, Sul tempio di Giove nelV isola tiberina, dans le Bullett. dell'Inslit. archeol., 1854, p. xxxix : Si osserva che nelle sufj'erite ricevche praticate sotto le fahbricke annesse alla chiesa di S. Giovanni di Dio Calihita, si scuoprirono verso il fiume tracce d'un suolo composta con f/rande piètre che si dovete successivamente costruire per consolidare l'area formata dalle materie poco stabile che composera in origine la stessa isola, onde potervi con soUdita costruire gli anzidetti edifizi.
2. DioNYS., V, 13 : "Oxi 6a y.at Tcpo-epov Eîpôv r^v to-jôe to-j Oeo-j, Tapx-jvto; oï TiîTspiTâu.svoç è'aiteipsv aùrb, [AÉytaTov T,Yoy|Aat Tc/.[Airiptov elvai tô Tzpaybïv ÛTtô twv •JTiitcov TÔTc 7t£pl Toy; èv a-jxw y.apTtovç. "Airavra yàp £T:tTp£'!/avT£; tm ÔYJfiw ta -wv ■ï-jpâvvtov ayetv te -/.al cpÉp£(v, tov èv to'jtw ^evoij-evov tw 7i£5;ci) aÏTOv [tov [xàv] iid ■zxïç aXwatv ïzi xîtijLEvov, -bv t'èttI Traïç xa)>x[xat? xai tov v-Sr) y.aT£tpya(T[i£vov, o-jy. £7:£-rp£']/av o-jSevI 9£pEiv , àXX'to? è|âytaTÔv te xa't o-jSaaài? £TciTr|5Etov £?; olxi'a; EtTEVE/ÔTivat tU '^bv 7roTa;j.bv y.ataêaXEÏv à'i'ïiçn'aavTO. Kat Èart vjv [avïïîjleÏov èiiçavÈç TO-J TÔTE Ëpyoy, vfiTo; EypLEYÉÔvj; 'Affy.>,rj7H0-j Upà, 7r£p'//.).uc!T0î èv. Tovi irorajxoy, r,v çaatv £x ToO o-Mpoû tt,; xaXà[i.rjç (jonzôiar^:;, xat Tt y.at to-j TiorasioO TrpouXiTtat'vovTo; a-jT/j îÀ'jv yEvÉaOai.
18 L^Li; TllJÉKlNi: DANS F/ANTiyLni-:
(rHalicarnasso s'abrite derriènO'(»]tiiii(»ii (rautrui, les ou-dit de la foule anonyme : « il existe encore maintenant un monument visible de ce qui s'est passé alors; c'est une île assez grande, consacrée à Esculape, entourée de tous côtés par le lleuve; on dit, çaffiv, qu'elle a été formée par les monceaux de chaume décompose, et ensuite par ce que le fleuve y a plus tard apporté. » Mais Denys ne s'est point donné la peine, pour qu'il paraisse naturel que les épis et le chaume se soient déposés au fond du Tibre, d'indiquer, comme Tite-Live, qu'il y avait en ce moment peu d'eau dans le lit du fleuve. Et s'il reconnaît que les alluvions ont eu part, comme le chaume décomposé, à la constitution de l'ile tibérine, il ne dit rien des travaux exécutés ensuite de main d'iiomme pour exhausser et affermir le sol. Denys d'Halicarnasse et Tite-Live sont contemporains; ils puisent probablement aux mêmes sources et s'inspirent tous deux des mêmes récits légendaires transmis par les anciens annalistes. Mais Denys n'a pas l'intelligence aussi perspicace ni l'esprit aussi avisé que Tite-Live ; il est plus crédule, il prête à ses devanciers une oreille plus docile, et ne se préoccupe pas, comme lui, de donner à tout ce qu'il avance une couleur de vérité ou tout au moins de vraisemblance qui rende plausible les vieilles fables.
Plutarque. — Plutarque s'est moins soucié encore de ména- ger les susceptibilités des lecteurs. Sa narration est la plus longue; elle est, pour mieux dire, diffuse et prolixe; elle n'ajoute, en somme, à celles de Tite-Live et de Denys que des développements oiseux et superflus. Plutarque s'attarde à décrire les premiers paquets de gerbes s'enfonçant sous leur propre poids et se déposant dans le Tibre, les suivants arrêtés par cette barrière, le sable s'accumulant dans les interstices, toute la masse peu à peu se consolidant et profitant des apports nouveaux du fleuve ^ Il n'y a rien là que Tite-Live n'ait indi- qué déjà, plus discrètement.
1. Plut., l'opl., 8 : 'I-lx to-jtou rà [aÈv yprijAaTa twv |5a(TtA£ti)v ôiapTtiirat toi; 'I'aj[x.ato'.; ëSjoxav, tt,v Ô£ olxtav xaT£(r/.a']/av xai ttjv ËTta'jXiv ' to"j 6"Ap£i'o-j Tr£5t'oy ~o f,5toTcv éx£XTr)To Tapxûvto;, xal toûto Toi Oeo) xa6t£pti)(Tav. "Etu)^£ SèxEÔEptijixévov apTt, xai x£i[ji£vwv STt tmv SpayjxâTwv o-jy. ôiovro 5zXv àSoâv o'jSe y_pf|iT6ai Stà Tf,v xaÔiépwiTtv, àX).à ayvôpa[jiôvT£; Içopoyv xà; à|J.x>,Xaî Et; xôv TTOxafxôv. 'Q; S'a-jTw; xai Ta SÉvSpa xôtttovte; èv£(5a/,Àov , àpybv TravriTradt tô j^wptov àviÉvTE; T(i> Ôew xai àxapTîov. 'QOoyjJLÉviov Se TtoÀAwv è7t'à).),r,>.ot; xai à6p6wv u7nf,YaY£v 6 poû; ov* 7to),'jv
TÔTtOV, aAX'oTtOV Ta TTpWTa iTVVEVEyOévTa xai TTEptTtElÔVTa TOÏ; OTEpEOt; OTTÉTTr,, Toiv
LA LÉGENDE DES ORIGINES 19
Deux variantes de la tradition. — Plutarque a le mérite, en tout cas, d'aimer les légendes et de se plaire à les répandre ; à défaut du sens critique, qui permet de discerner, avec plus ou moins d'audace et de bonheur, le vrai du faux, il est doué d'une louable curiosité ; il s'efforce d'être bien informé et de ne pas laisser échapper un seul détail des faits. Nous lui devons de savoir qu'on ne racontait pas toujours, dans l'antiquité, la for- mation de l'île tibérine comme le faisaient Tite-Live et Denjs d'Halicarnassc ; une autre version avait cours : « quelques-uns disent, ï-noi lïTopsiicjiv, que cela n'eut pas lieu quand le champ des Tarquins fut consacré à Mars, mais plus tard, lorsque Tarquinia donna au peuple un autre champ, voisin du précé- dent ; cette Tarquinia était une des vestales; elle acquit ainsi de grands honneurs, entre autre le droit de témoigner en jus- tice, qui ne fut pas accordé à d'autres femmes, et le droit de se marier, dont elle ne profita pas ^. »
Un passage du Chronographe de 354 nous fait connaître une seconde variante de la tradition. D'après Tite-Live, Denjs, Plu- tarque, l'île tibérine n'aurait commencé d'exister qu'après la chute des rois, à la suite soit de la confiscation de leurs biens, soit du don fait au peuple romain par Tarquinia. D'après le Chronographe de 354 , Tarquin le Superbe aurait été tué intei' duos pontes^ et son corps exposé au cirque Maxime sous les dauphins ~ ; l'île existait donc dès avant 245/509 : ce n'est pas pendant les quelques années qui séparèrent la chute de Tarquin de sa mort qu'elle eût pu se former, s'agrandir, de- venir assez considérable pour qu'on jugeât utile delà relier par des ponts aux deux rives du fleuve. Ce nouveau témoignage sur l'histoire primitive de V insida tiberina diffère sensiblement des
ÈT:iycpojj.£vwv otÉloSov o-jxi/^ôvxwv, à),).' svKjyotxÉvwv xal 7Tôpi7r),£xo(jL£va)v, àXâfAoavev Yj n•J\J.■!:r^%lz \(7'/y^i Y.y). pt'^wirtv a-j£avo[isvr)v imo Toy pEUfxaro;. 'I)>yv xe y*P èitriyavs xôX),r,(jtv, al' TE TC/,r,Yal (xâXov o-jy. âîroiouv, à).Xà (xaXaxw; TttsÇo-jaat a"jvr,Xauvov se; Ta-JTO TrâvTa xal ff'jvÉTïXaTtov. 'Ttcô 5è [f.Z'^i^o-jç, xac ffrâo-îw; STspov aÙTO [IÉy^Ôo; èxTÏTo xal jrcipav àvaôeyotiévvjv xà TrAîïaxa xdiv ûttô xo"j Troxafioy xaxacpepo!i.£Vfi)v. To'Jto vjv -^r^isâz £(Txiv Σpà xaxà x/jV ttôXiv, ï'fZi 6È vaoùç Ôsoiv xal TrEpiTra-ouî, xa),£ÏTat 8k çmv?, xr; Aaxîvwv MÉav; Syotv YEçupwv.
1. Plut., loc. cit. : "Evtot Se xo-jxo o-j[X7t£(T£Ïv îoropoydtv où^'oxi Tapxuvtoy xaOïe- p<i6ï| xô tteSiov, à>,).àxpôvot;ûaT£pov 'i^Xo yut^iov ô(iopo"jv ixEÎvw Tapx-jvt'a; àveiffr);. 'H 6e Tapxuvta uapOévoç r,v tépeta, [lia xoiv 'EortiStov, ïiyt 8k xi(iàç àvxl xo'jxoy (j.EY*"'^'''?» ^^ ^'^î V '^*"' ^ô (Aapxupiav aùrfiÇ tiytaBcn \i6yr\z ■x^^ot.l•/.û)•^ " xb 6'àÇcïvat vajieïdôat 'LY)?KTa[X£va)v où 7Tpo(T£6£Eaxo. Kal xa-jxa (xkv o'jxw revÉffôac [luÔoXoYOÛfft.
2. CiiRoxoGn. ANN. 354, publié par Mommsen dans les Monum. Germ., éd. in-4°, Auct. antiq., t. IX, 1. p. 143 : (Tarquinius) inter duos pontes a populo romano fuste mactatus [est\ et posilus in circo maximo sub delfinos.
20 l'île tibérine dans l'antiquité
précédents. Les paroles du Chronographe de 354, comme les dernières lignes du chapitre de Plutarque, nous montrent que la légende qui fait naître l'ile des moissons de Tarquin jetées à l'eau n'était pas la seule, que les Romains eussent imaginée.
Que signifient et que valent la tradition généralement admise et les deux variantes moins répandues ?
La mort de Tarquin le Superbe. — L'une des deux variantes doit être écartée de prime abord et ne renferme certainement rien d'exact. Tarquin le Superbe n'a pu périr inter duos pontes. Le Chronographe de 354 est seul à raconter ainsi la mort du dernier roi; on ne doit point s'arrêter à cette assertion isolée, tardive et suspecte ^ D'après toutes les autres sources, Tarquin le Superbe mourut hors de Rome, soit à Cumes, soit à Tusculum, plusieurs années après qu'on l'eut chassé^. Sans doute le Chronographe de 354 est parfois précieux à consul- ter; il a eu à sa disposition des documents officiels et anciens maintenant perdus ; il s'en est servi pour rédiger ses extraits, ses résumés chronologiques. Mais il est lui-môme dépourvu de critique ; sa compilation paraît souvent maladroite et inintel- ligente, les erreurs de fait y abondent-'. Il a dû commettre ici quelque confusion. Tout ce qu'il faut retenir de ce texte, c'est qu'on y trouve le nom d'unlTarquin associé à la mention de l'île tibérine.
La vestale Tarquinia. — C'est encore un membre de la famille des Tarquins que la seconde variante fait intervenir. Pline l'Ancien et Aulu-Gelle nous parlent, comme Plutarque, d'une vestale qui combla le peuple romain de bienfaits après la révo- lution de 245/509, et des honneurs extraordinaires qu'on lui rendit en signe de reconnaissance ^ ; mais il y a entre leurs
1. MoHMSEN, op. cit., p. 145, en note : llsec de obilu Superhi narrutio alibi non reperitur.
2. D'après Cic. {Tuscul., III, 12, 27) et Liv. (II, 21) Tarquin, à la suite de la défaite de ses partisans au lac Régille se serait retiré à Cumes auprès du tyran Aristodème, et y aurait achevé ses jours. Voir aussi Dionys., VI, 21. — D'après Eutkop. (I, 11, 2) et Algustin. {de Civ. Dei, VIII, 15), il aurait vécu encore quatorze ans à Tusculum.
3. Cf. Mo.M.MSEX, Ueber den Chronof/raphen vom Jnhre 354, dans les Abfi. d. sâchs. Ges. d. Wiss, l'hil.-Hist. Classe, Leipzig, t. 1 1, 1850, p. 517-068 ; — de llossi, Inscr. christ, urbis Romw, Rome, 1861-18S8, t. I, l'rolef/., p. lvi.
4. Pli\., Jlist. nal.. XXXIV, 6 (11) : Inveniliir statua décréta et Taraciae Gaiœ sive Fufetise virç/ini Vestali, ut ponerelur ubi vellet, quod adjectum
LA LÉGENDE DES ORIGINES 21
récits et relui de Plutarque quelques différences. La prêtresse est appelée par Plutarque TapyJvia, par Pline et par Aulu-Gelle Gaia Taracia ou Fufetia; du moins, ces noms divers ne s'ap- pliquent qu'à un seul et même personnage, apparenté aux rois Tarquins, comme le prouve la racine Tarq^ Tarac ou Tarrat. Pline et Aulu-Gelle citent les sources dont ils s'inspirent ; quelques-uns racontent, Iv-oi laTcpcytjiv, disait simplement Plu- tarque ; Pline reproduit les termes du décret rendu en faveur de Tarquinia, et il le cite d'après les anciennes Annales, ipsis ponam Annalium verhis ; c'est aussi des Annales que se ré- clame Aulu-Gelle, nomina in antiqiiis Annalibus celebria. D'après Plutarque le champ de Tarquinia aurait été situé à côté de celui des Tarquins ou Champ de Mars, aWo '/wpicv ôjjLopouv èxcivto ; d'après Pline il s'appelait campus tiberinus , et ce camjms tiberinus^ auquel le fleuve qui le longeait donnait son nom, n'était autre, au rapport d' Aulu-Gelle , que le Champ de Mars lui-même, campiim tiberinum sive Martium. Pline et Aulu-Gelle ne disent pas, comme Plutarque, qu'on attribuait quelquefois la formation de l'île aux gerbes de Tarquinia précipitées dans le fleuve ; ils n'avaient pas à le dire, si vrai- ment le champ de la vestale ne se distinguait point de celui des Tarquins ; n'était-ce pas l'opinion de tous à Rome, que l'île devait sa naissance aux moissons du Champ de Mars ? Les mots d'Aulu-Gelle , cmnpum tiberinum sive Martium^ nous donnent la clef du problème. Les terrains du bord du Tibre, qui devinrent plus tard le Champ de Mars, apparte- naient primitivement à la famille des Tarquins. On crut de bonne heure qu'il y avait un rapport de cause à effet entre les moissons récoltées en cet endroit et la formation de l'île tibérine.
non minus honoris habet quam feminae esse decretam. Meritum ejus ipsis ponam Annalium vei^bis : quod camputn tiberinum gralijicata esset ea populo. — Gell., vit (VI) 1 : Accœ Larenliae et Gaise Taracise, sive illa Fufetia est, nomina in antiquis Annalibus celehria sunt. Earum allerse post mortem, Tara- cise autem vivse amplissimi honores a populo romane habiti. Et Taraciam qui- dem virginem festse fuisse lex Horatia teslis est, quae super ea ad populum lata. Qua lege ei-plurimi honores fiunt, inter quos jus quoque testimonii dicendi Iribuitur; testabilisque una omnium feminarum utsit dalur. Idverbum est legis ipsius Moralise; conlrarium est in duodecim labulis scriptum : « Improbus intestabilisque esto ». Prœterea si quadraginta annos nota sacer- dotio abire ac nubere voluisset, jus ei potesiasque exaugurandi atque nubendi facta est munificentise et benefîcii gratia, quod campum tiberinum sive Martium populo condonasset.
22 l/lI.E TinÉRINE DANS l/ANTlQriTÉ
Mais pourquoi les récoltes avaient-elles été jetées dans le fleuve ?
Deux légendes prétendirent l'expliquer ; d'après les uns , le peuple avait confisqué les biens des Tarquins; d'après les autres, la vestale Tarquinia avait offert bénévolement son patrimoine. M. Pais, l'auteur d'une récente et remarquable Histoire de Home encore inachevée, conjecture avec quelque vraisemblance que la légende du champ de Tarquinia est anté- rieure à celle du champ dos Tarquins : le fait que Pline et Aulu-Gelle citent les Annales lui parait caractéristique ; l'omission du nom même de Tarquinia dans les ouvrages de Tite-Live et de Denys d'Halicarnasse prouverait simplement que la version la plus récente l'emporta finalement, comme il est presque de règle en pareille occurrence'. Les deux légendes, en tout cas, ne sont que deux interprétations diffé- rentes d'une seule donnée plus ancienne. Il n'y a là qu'un de ces phénomènes de répétition, de redoublement, si fréquents dans l'histoire des origines romaines 2.
Les moissons du Champ de Mars. — Reste à examiner cette donnée plus ancienne elle-même. Que faut-il entendre par le rapport de cause à effet qu'on a imaginé de bonne heure entre les moissons du Champ de Mars et la création de l'île? Est-il possible, est-il vrai que l'ile tibérine soit née de ces monceaux de chaume et d'épis entassés au fond de l'eau?
Objections d'Ampère. — Ampère a jugé qu'il ne pouvait se dispenser de soumettre la fable à un examen sévère ; il donne par principe trois raisons pour en démontrer la fausseté : d'abord l'île est trop grande, elle ne peut devoir sa formation au hasard et à des gerbes de blé ; d'autre part, la profondeur du fleuve et la force du courant ne permettent pas de croire que les moissons du Champ de Mars se soient déposées au fond du Tibre, qu'elles aient comblé son lit et brisé l'effort des eaux ; enfin il y avait dans l'île un temple consacré au dieu latin Faunus, et une statue dédiée au dieu sabin Sancus : c'est la preuve que dès l'époque des Latins primitifs et des
1. Pais, Storia di Homa, t. I, 1, p. 412.
2. Cf. Pais, op. cit., p. 115-H6.
LA LÉGENDE DES ORIGINES 23
Sabiiis, antérieurement aux règnes des Tarquins, l'île était occupée et habitée ^
De ces trois arguments, deux ne sont nullement probants. On sait quand a été fondé le temple de Faunus ; ce fut en 558/196, bien longtemps après la disparition des Latins primitifs ; la statue de Sancus date de l'époque impériale, ainsi que le prouve l'ins- cription qui l'accompagnait ~. En second lieu, le régime du Tibre est tout autre que ne l'imagine Ampère : sans doute en hiver le fleuve apparaît impétueux et torrentiel ; mais en été le niveau baisse considérablement, et le courant est très faible : or l'île aurait pris naissance l'été. Des îlots pourraient très bien se for- mer, en cette saison, au moment des fortes chaleurs et des basses eaux.
La seule des objections d'Ampère qui soit fondée est la pre- mière, que suggère le simple bon sens : l'île tibérine n'est pas im îlot ; elle mesure encore 270 mètres sur 70 ; elle était plus grande dans l'antiquité. Il y a disproportion évidente entre la cause qui l'aurait produite et l'effet obtenu. Les récits de Tite-Live, de Denys d'Halicarnasse, de Plutarque nous laissent donc froids, et nous partageons l'incrédulité d'Ampère et le sce})tieisme du président de Brosses.
Mais cette constatation toute négative ne saurait suffire ; ce n'est pas assez de déclarer la légende invraisemblable, il faut montrer comment elle a pu cependant se développer et être acceptée comme vraie par les Anciens.
Interprétation géologique. — Plusieurs archéologues des siècles derniers l'avaient essayé ; sans prétendre établir que la légende fût une pure expression, à peine enjolivée, de la réalité même, Minutoli ^ et Nardini ^ se sont efforcés de l'interpréter raison- nablement ; quelques-unes de leurs observations méritent d'être reprises et complétées. Il est certain que la fable traditionnelle n'est pas tout à fait dépourvue de sens, qu'elle tient compte de certains faits exacts et renferme même des détails très plausibles. On comprend sans peine que les Romains aient jeté dans le Tibre le blé récolté sur le champ des Tarquins, ou, si
1. J.-J. Ampère, VHisloire romaine à /îome, Paris, 1863-1872, t. II, p. 264.
2. Cf. ci-dessous, p. 288 et p. 292.
3. Minutoli, de Urbis Romae toporj raphia, Rome, 1689, seetio IV, réédité dans le \ovus Thesaiir. Antiquit. roman, de Sallengre, t. I, p. 66.
4. Nakdini, Roma vêtus, Rome, 1666, VI, 12, réédité dans le Thesaur. Anti- quit. roman, de Gr.«vivs, t. IV, p. 1415.
24 l'île tibérine dans l'antiquité
l'on préfère l'autre version, sur le champ de Tarquinia ; rien n'était plus conforme à leurs croyances et à leurs haljitudes : ils avaient consacré à Mars le terrain enlevé aux rois, ou donné par la vestale ; on se serait souille en portant la main sur la récolte pour l'employer à quelque usage public ou privé. La masse des chaumes et des blés jetés au lleuve a pu s'arrêter, comme on le dit, à la hauteur de l'Ile tibérine. Le lit du Tibre est très accidenté et son niveau très variable selon les saisons ; il y a encore maintenant, de distance en distance, de largos bandes de sable qui apparaissent seulement dans l'été; on les nomme les îlots aveugles, insuLv cœcée ^ . A l'origine, l'ile tibérine n'aurait été qu'une inmila cœca, un peu plus considé- rable que les autres_, composée comme elles de dépôts sablon- neux et d'alluvions ; les moissons du Champ de Mars sont venues s'y échouer ; le courant n'eut plus la force de surmon- ter ou d'entraîner l'obstacle sans cesse accru. De même que de nos jours, depuis les travaux de systématisation, nous voyons à cet endroit le bras gauche du Tibre se combler peu à peu, de même l'île aura pu progressivement se former et s'agrandir. La légende associe le nom des Tarquins à ce phé- nomène, après tout assez naturel et normal ; la rencontra n'est pas fortuite. On attribue aux Tarquins d'importants travaux publics ; en avant du débouché de la Cloaca Maxiina ils avaient fait bâtir sur le fleuve et dans le fleuve des murs épais; ces constructions auront pu influer sur la force et la direction du courant, et provoquer en amont, à la place précisément de l'île, le dépôt de toutes les matières charriées par le Tibre -'. La narration de Tite-Live n'est pas aussi absurde qu'il le paraîtrait d'abord. Les Romains disaient que Vinsula tiberina tirait son origine des moissons des Tarquins précipitées dans le fleuve ; cela signifie, en langage scientifique : l'île tibérine doit son origine à des alluvions fluviales d'époque récente -^
Appréciation. — Est-ce à dire cependant que cette interpré- tation complaisante puisse entièrement nous satisfaire ? Si les apports du Tibre ont contribué certainement à accroître l'île
1. MiNCTOLi, loc. cil.
2. Nakdim, loc. cil.
3. E. Bbaun, die Rninen und Museen Roms, Brunswick, 18'ji, p. 4.'> : I île est une île d'alluvions; c'est avec raison que les Anciens la prétendaient formée par les bottes de paille et les sables qu'entraînait le courant du fleuve.
LA LÉGENDE DES ORIGINES 25
— à vrai dire, ils n'ont pas encore cessé d'en modifier l'aspect — serait-il sage cependant d'expliquer par eux sa première for- mation même et les traditions qui s'y rattachent? Des faits d'ordre géologique ne suffisent pas à rendre compte des légendes. L'imagination populaire est moins vivement frappée de ces lentes modifications physiques que des événements politiques et sociaux, et moins portée à les transfigurer. Une autre île du Tibre, l'île sacrée d'Ostie, est incontestablement d'origine alluviale, issue tout entière des atterrissements du fleuve^; sa naissance et ses progrès n'avaient provoqué dans l'antiquité l'éclosion d'aucune légende.
D'ailleurs, il ne paraît pas qu'au point de vue géologique même l'île tibérine romaine soit constituée exclusivement, comme l'île d'Ostie, par des dépôts fluviaux quaternaires. Les observations faites sur place, ces dernières années, par les in- génieurs chargés de réparer le pont San Bartolomeo et les quais voisins ont confirmé les hypothèses émises antérieure- ment par les géologues 2. Sous l'épaisse couche de sables et de limon, de tourbe et de graviers, que le travail séculaire du fleuve a entassée sans trêve, apparaissent des lambeaux de tuf volcanique. Les étages inférieurs de l'île appartiennent, par la nature de leurs roches, et sans doute aussi par la direction de leurs lignes principales, au même système que le Capitole, le Quirinal, toutes les collines de la rive gauche. L'île n'est en
1. Erx. Des-iardins, E.isai sur la topographie du Latium, Paris, 1854, p. 57 : « Le Tibre n'avait primitivement qu'une seule embouchure... L'île sacrée, telle qu'elle existe aujourd'hui, et dont l'étendue est de près de quatre milles de long sur deux milles de large, serait l'œuvre continue de vingt-quatre siècles. »
— Sur l'île du Tibre à Ostie, consulter : Nibby, Analisi délia carta del dln- torni di Roma, Rome, 1837, t. II, p. 656; — Preller, Rom und der Tiber, dans les Ber. d. sûehs. Ges. d. Wiss., Leipzig, 1849, p. 21. — Les premiers auteurs qui la mentionnent sont /Ethicus (dans l'édition de Pomponius Mêla par Gronovius, p. 716 ; il l'appelle île de Vénus : Ut prae nimielate sui odoris et floris insula ipsa J^ihanus aimas Veneris nuncupetur), et Phocop. (de Bell. Got/i., I, 26 : ~t)v îcpàv xaXoyixévvjv vfiTov èvtaCôa tcoïci). Elle est beau- coup plus récente que l'île tibérine romaine. Elle ne devint sans doute une île véritable que sous le règne de Trajan, quand fut ouvert le canal entre Porto et Ostie qui forme le Ijras droit du Tibre, ou Fiumicino.
2. Renseignement communiqué par l'Office du génie civil à Rome. — Voir les études déjà anciennes de Brocchi, dello Slalo fisico del suolo di Roma, Rome, 1820 ; — Ponzi, Constituzione geologica del suolo l'omano, Rome, 1878;
— Betocchi, del Fiume Tevere, dans la Monogr. délia cilla di Roma, Rome, 1878, p 197. — RoNNA, les Egouts de Rome, dans le Bull, de la Soc. d'encour. pour Vind. nation., 1897, p. 3 du tirage à part, résume à grands traits, d'après ces travaux, la géologie du sol romain.
2r> l'ilk tihéiune dans l'antiquité
quelque sorte que leur prolongement atténué à l'ouest. On a tout lieu de croire, par conséquent, qu'elle date de l'époque où le lit du lleuve s'est régularisé '. Quand le Tibre a tracé définitivement son cours, il s'est heurté à cette colline de tuf qui ressemblait au Capitole, en plus petites proportions, et le continuait; devant la résistance qu'elle lui offrait, ses eaux se sont divisées en deux canaux ; plus tard les sables et les limons que roulait le fleuve sont venus se déposer sur les blocs de tuf qu'il n'avait pu niveler. Toute l'histoire géologique de l'ile s'explique par l'action simultanée de ces forces adverses : l'effort destructeur du courant, l'effort constructeur des alluvions, travaillant l'une et l'autre sur le noyau primitif de tuf volcanique. On ne peut, avec Minutoli et Nardini, interpréter la légende des moissons du Champ de Mars à l'aide do la seule géologie ; à supposer même, par improbable, que les premiers auteurs de la fable traditionnelle y aient attaché un sens si précis et pour ainsi dire si technique, elle traduirait bien mal la réalité des faits et laisserait échapper l'élément le plus ancien et le plus impor- tant de l'histoire vraie.
Interprétation mythologique. — M. Pais a proposé récemment une autre explication du récit légendaire. A l'interprétation géologique, incomplète et trop savante, il substitue une inter- prétation mythologique. Dans l'étude critique des vieilles tra- ditions on doit faire une grande place aux croyances et aux cultes des^temps anciens, que les hommes des âges ultérieurs ont pieusement recueillis sans les bien comprendre et en les transformant inconsciemment. Les différentes légendes que nous ont transmises Tite-Live et Denys d'Halicarnasse, Plu- tarque et le Chronographe de 354, font toutes remonter au temps de la chute des rois la première apparition de l'ile dans l'histoire. Qu'il s'agisse de la confiscation du Champ do Mars, ou du cadeau fait par la vestale Tarquinia au peuple romain, ou de la mort de Tarquin le Superbe entre les deux ponts, c'est toujours des Tarquins qu'il est question. Que représentent-ils?
Niebuhr et l'école allemande avaient raison : les sept rois de Rome n'ont jamais existé. Mais si les exploits qu'on leur attribue et tous les détails de leur gouvernement sont l'inven-
1. Voiries remarques de Jordan, Topogr. d. St. i?om, Berlin. 18~1-1885, t. 1, 1, p. 394 et p. 403.
LA LÉGENDE DES ORIGINES 27
tion des annalistes et des historiens romains ou grecs, une parcelle de vérité se cache cependant sous cette végétation parasite de légendes. M. Pais affirme et démontre que l'his- toire traditionnelle des rois n'est en quelque sorte que la trans- position et le commentaire des croyances les plus anciennes du peuple romain. Chaque roi représente un type divin de l'époque primitive, dont le culte était localisé à l'origine en un point particulier du sol de Rome ou de ses alentours. Romulus, c'est la divinité éponyme de Ro?na,\ai cité du Rumon ou du fleuve, la ville fondée au bord du Tibre. Numa, l'organi- sateur du culte de Vesta, déesse du feu, et de toute la reli- gion, tire son nom du fleuve Numicius ; c'est une divinité des eaux; l'eau et le feu, qui purifient les corps, sont le symbole de la religion, qui purifie les âmes. Une donnée religieuse et une donnée topographique, le souvenir d'un dieu attaché au nom d'un lieu, voilà ce qu'on trouve, en dernière analyse, ou fond de chacune de ces fables i.
Tarquin est la divinité éponyme du Capitole. Le Capitole s'appelait d'abord nions Tarpeins. Tarpeius et Tarquinius ne sont que deux formes à peine différentes du même mot ; nous avons de nombreux exemples de la permutation du q en p dans les dialectes itahques ; en ombrien qiiis se disait j-jzs. On adorait au sommet du Capitole, avant l'introduction des trois grands dieux Jupiter, Junon, Minerve, le couple divin de Tarpeius ou Tarquinius et de Tarpeia ou Tarquinia. Tarquinius était un dieu du feu, souterrain et malfaisant, proche parent de Vulcain, de Pluton, du Jupiter infernal; sous le nom de Summanus, son culte se perpétua au Capitole jusqu'à la fin de la République. Tarquinia était une déesse du feu, analogue à Vesta, favorable aux hommes et bienfaisante. Au pied du Capitole s'étendait la grande plaine que bordait le Tibre et qui devint plus tard le Champ de Mars. L'île tibérine est située à l'extrémité de cette plaine, en face du Capitole. On racontait que le Champ de Mars avait appartenu aux Tarqiiins, et que l'Ile était née des moissons de leur domaine jetées à l'eau. Cela voulait dire sim- plement qu'à l'origine la plaine et l'île étaient consacrées, elles aussi, au couple divin de Tarquinius et de Tarquinia. On com- prend d'ailleurs sans peine cette subordination des lieux bas à la colhne qui les domine. Si les Anciens ont prétendu tantôt
1. Pais, op. cit., t. I, 1, 231-409.
28 l'iLE TIRÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
que le Champ de Mars avait été enlevé à Tarquin le Superbe, et tantôt que la vestale Tarquinia l'avait offert au peuple, c'est que les divinités protectrices du Capitole étaient au nombre do deux, l'une bonne, Tarquinia — et son caractère de déesse du feu la fit transformer plus tard en vestale ; l'autre mauvaise, Tarquinius — et son caractère odieux et méchant justifie le surnom de Snper/niii qu'on lui décerna. Ainsi la môme idée fon- damentale a pu revêtir ces deux formes légendaires distinctes, mais voisines ^
Appréciation. — L'interprétation mythologique dos failles relatives aux origines de l'île tibérine ne soulève pas les mêmes difficultés que l'interprétation géologique ; elle nous rapproche davantage de la solution véritable. Il est certain que les légendes des Romains, comme de tous les peuples, sont nées des déformations spontanées de leurs vieilles croyances, plutôt que de l'observation des phénomènes naturels, qui demande beaucoup de temps, d'expérience et de sagacité. Les Anciens attachaient à certains endroits le culte de certaines divinités ; chaque point de la ville de Rome, par exemple, évo- quait le souvenir d'un personnage mythologique. Le couple divin de Tarquinius et de Tarquinia fut certainement adoré au som- met de la colline tarpéienne, avant d'être détrôné par la triade capitoline. Du haut du Capitole le culte de ces deux divinités aura rayonné sur la plaine et l'île situées à son pied. Si l'on admet le système séduisant et les ingénieuses déductions de M. Pais, on ne s'étonne plus que les Romains aient associé inséparablement le nom des Tarquins au Champ de Mars et à l'île tibérine.
L'interprétation mythologique est loin, d'ailleurs, d'exclure absolument l'interprétation géologique; elle se concilie avec ce qu'il y a en celle-ci de juste et de sensé. Les remarques de Mi- nutoli et de Nardini conservent en grande partie leur valeur. Les alluvions du Tibre ont joué un rôle considérable, non pas sans doute dans la formation première de l'île, mais dans ses trans- formations et accroissement ultérieurs. Les Romains n'auront pas manqué d'en faire de bonne heure la remarque. Si l'id^'o que l'île devait sa naissance aux moissons du Champ do Mars
1. Pais, op. cit., t. I, 1, p. 273, 369-374, 412, 466; 1. 1, 2, p. 745.
LA LEGENDE DES ORIGINES 29
fut suggérée par le culte de Tarquinius et de Tarquinia au Capi- tule et dans les environs, l'observation quotidienne des chan- gements qui survenaient incessamment dans sa forme et son aspect dut contribuer pour beaucoup à faire admettre et à perpétuer la tradition. C'est par la mythologie qu'il faut expliquer, avec M. Pais, le rapport établi très anciennement entre les Tarquins, le Champ de Mars et l'Ile tibérine. C'est par la géologie, ou plus simplement par les réflexions que provoquait le spectacle même du fleuve, qu'il faut expliquer, sinon la forme particulière et très précise qu'a prise la légende, tout au moins le crédit qu'elle a rencontré si long- temps auprès des Anciens.
Signification historique. — Mais ces traditions merveilleuses sont si complexes qu'on ne saurait se flatter encore d'avoir analysé celle-ci en tous ses éléments ni d'avoir énuméré toutes les circonstances qui ont aidé à la faire naître et à la répandre. Un dernier fait — et peut-être le plus important — doit être mis en lumière ; si nous le négHgions, le sens véritable de la légende nous échapperait. Des considérations mythologiques et des observations géologiques ne suffisent pas à tout élucider. Une- remarque proprement historique s'impose. Les textes qui con- cernent les origines de l'ile tibérine et sa première apparition dans l'histoire nomment tous à ce propos, on l'a vu, les Tar- quins, et se réfèrent à des événements survenus depuis leur chute. Sous le règne d'aucun des sept rois l'île n'est mention- née. N'en pourrait-on plus conclure qu'elle était extérieure à la première cité romaine et qu'elle dut rester longtemps sans relation avec elle^?
Cette hypothèse, que suscite l'examen des documents inté- ressant l'île tibérine, est confirmée par l'étude de Rome même et de son développement progressif. A la fin de la période royale la ville s'étendait jusqu'au mur d'enceinte appelé, à tort ou à raison, mur de Servius. On connaît assez bien l'empla- cement de ce mur et son tracé ~. Il s'arrêtait au Tibre devant le Capitole, au-dessous de l'île et en face de sa pointe méri-
1. 0. RicHTER, Topogr. d. SI. Rom^ 2" éd., p. 282 : Wie so gan: ansserhalh des Gesic/itski'eises dev Stadt die Insel la g, spiegelt sich in der eigentilmlichen Sage ivieder dass sie erst nach Verfreibung der Taïqtdnier... enlstanden sei.
2. Les textes anciens et les travaux modernes relatifs au mur de Servius sont indiqués ou résumés dans : Kiepekt-Huelsen, Nomencl. topogr.., Berlin,
30 l/ll,l-: TllîiatliNE DANS I.AMiyi ITÉ
dionale. L'ilo tibériiie restait donc en dehors des fortifications, limite militaire de la cit€\ Elle était, à plus forte raison, en dehors du pontcriuni, qui en marquait hi Ijniite religieuse. La répartition des sanctuaires des Argées nous renseigne sur rétendue des quatre régions entre lesquelles ce même Servius TuUius, d'après la tradition, aurait divisé le territoire intra- pomérial ; elles n'occupaient pas tout l'espace qu'embrassait en son pourtour le mur d'enceinte ; pour construire celui-ci on •avait utilisé les accidents naturels du sol les ])lus favorables à la défense, et l'on avait été amené par cela même à le reculer quelquefois un peu loin^ L'île, comme le Champ de Mars sur la rive gauche du Tibre et le Janicule sur la rive droite, était extérieure à la cité primitive. On comprend que Varron ait pu dire en propres termes : le Tibre contourne le Champ de ]Mars et la ville ~ ; Denys d'Halicarnasse : il coule devant Ronie*^; et P'estus : il forme la limite du terri- toire vraiment romain '*. Au-delà du Tibre commençait le sol étranger; à l'origine l'ile tibérine, qui n'était comprise ni à l'intérieur de la ligne sacrée du pomerium, ni même à l'inté- rieur de la ligne plus étendue des fortifications militaires, était étrangère à Rome.
Elle ne fut associée enfin à la vie commune de la cité et ne rentra dans sa sphère d'action et d'influence qu'au moment où l'enceinte de Servius, devenue insuffisante et trop étroite, fut fut partout dépassée. L'agrandissement de leur ville obligea les Romains à entrer en rapports réguliers et constants avec la rive opposée du Tibre. L'ile, située au milieu du fleuve, à mi-chemin des deux bords, en profita. Son annexion morale à Rome n'eut lieu probablement qu'aux premiers temps de l'ère républicaine, après l'expulsion des rois. La légende qui la fait naître à cette époque et qui lui donne précisément pour origine les moissons des Tarquins répond donc à une réalité historique. 11 n'est pas prouvé qu'elle n'ait commencé d'exister
1896, p. 2; — II. Lanciaxi, Ihe Rulnsand excavations of ancienl Rome, Londres,
1897, p. 61-68; — Homo, Lex. de topogr. rom., Paris, 1900, p. 333-363.
1. Homo, lac. cil., p. 3.j4.
2. Varko, de Linr/. lat., V, 28 : Amnis id /lumen quod circuit aliquid, nom ab ambitu amnis... ilnque Tiberis amnis, quod ambit Campum Martium et Urbem.
3. DiONYS., m, 43 :Ka't 7rap'aJ-rr,v 8k tv' '1*oi(itjV psôvTo;.
4. Festi's, p. 213, s. v° Pecluscum : Cum Etruscorum agrum a rotnano Tiberis disetuderet.
LA LÉGENDE DES OHIGINES 31
qu'en 245/5U9, bien au contraire; mais il est sûr que jusqu'à cette époque elle était pour Rome comme si elle n'existait pas.
Conclusion. — Telle est la signitîcation profonde du récit légendaire. A l'interprétation géologique, qui n'est pas entière- ment vaine, si l'on sait bien l'entendre et la compléter, à l'in- terprétation mythologique, déjà plus féconde et plus vraie, il convient d'en joindre une troisième, proprement historique, qui s'ajoute à elles sans les proscrire, et les justifie même en les dépassant. Bien des motifs ont concouru à faire imaginer et adopter les fables que rapportent Tite-Live et Denjs d'Halicar- nasse, Plutarque et le Chronographe de 35 i. Le plus fort assu- rément est ce motif de convenance historique, cette correspon- dance à la réalité des faits accomplis. Nous atteignons ici l'âme de vérité que renferme en soi toute légende, si étrange qu'elle semble d'abord. L'île n'apparaissant mêlée à la vie de Rome qu'après 245/509, on supposa qu'elle s'était formée cette année même. A cette première hypothèse les cerveaux populaires ont peu à peu ajouté. On rattacha à l'île et au Champ de Mars, comme au Capitole, le souvenir mythique du roi Tarquinius, dont la chute coïncidait avec l'extension de la ville jusqu'à ces territoires nouveaux. Enfin l'invention des moissons jetées dans le fleuve et arrêtées par les bas-fonds, que justifiaient les chan- gements survenus dans la géologie superficielle de l'île, satis- fit les plus curieux et précisa les moindres détails. Dès lors le travail d'élaboration était achevé. La légende, lentement cons- tituée etaccrue, n'attendait plus qu'un Tite-Live pour la raconter, un Denys d'Halicarnasse pour la répéter de confiance, un Plu- tarque pour y croire sans réserves. Mais l'aveu échappé à Plu- tarque même et les quelques mots du Chronographe de 354 nous aident à deviner par quelles vicissitudes elle avait passé avant que les historiens anciens lui eussent donné sa forme définitive.
CHAPITRE II LE VAISSEAU D'ESGULAPE
L'arrivée du serpent d'Esculape. — L'histoire primitive des divers quartiers de la Rome ancienne est obscure et incertaine. Au temps mythique des rois et aux débuts même de Tépoquo républicaine chaque point du sol de la cité aurait été, d'après la tradition fidèlement recueillie et embellie d'âge en âge, le théâtre d'aventures merveilleuses ou d'interventions surnatu- relles. Il est souvent malaisé de dégager les faits réels do cette parure tardive et factice qui les dissimule. Le développement monumental de la ville de Rome aux premiers siècles n'est pas moins difficile à suivre et à reconstituer que le développe- ment politique et social de l'Etat romain.
L'île tibérine a partagé la destinée commune. Jusqu'au ïi" siècle avant l'ère chrétienne il n'est question d'elle que deux fois dans les récits des écrivains anciens, à propos de la chute des rois en 245/509, à propos de l'arrivée d'Esculape à Rome en 463/291, et les deux fois la légende se mêle à l'his- toire, qu'elle défigure. Entre ces deux dates l'Ile n'est même pas nommée par les auteurs. Peut-être n'était-elle pas encore habitée '. Le temple d'Esculape fut du moins le premier édifice important qu'on éleva sur son territoire. En 461/293 une épi- démie de peste désolait Rome ; désespérant de triompher du lléau avec le seul secours de leurs dieux nationaux, les Romains
\. Voir, par exemple, Beckeii, Topogr. cl. St. Rom, Leipzig, 1843, p. (>ol: — Rebkr, die Ruinen lloms, 2" 6d , Leipzig, IbTJ, p. 2*,)'*; — 0. Hichteii, Topoqr. d. Si. Rom, 2* éd., Munich, 1901, p. 282. — Dans le silence absolu des docu- ments, on ne peut ni prouver ni réfuter cette assertion, a priori assez vrai- semblable. Bëckek, loc. cit., et 0. Gilhkht, (iesch. und Topogr. d. St. Rom., Leipzig, 1883-1890, t. 111, p. 73, note 3. se demandent môme si dès le début et en souvenir de son origine légendaire l'île n'avait pas été déclarée sainte et sacrée, avec défense d'y bâtir aucun monument profane.
LE VAISSEAU D ESCULAPE 33
se décidèrent à invoquer l'assistance d'une divinité étrangère, l'Asklépios grec, père et protecteur de l'art médical. Une ambassade se rendit à Epidaure, où se trouvait son principal sanctuaire. Asklépios eut pitié de la détresse des suppliants. Le serpent sacré en qui il s'incarnait s'embarqua sur leur vais- seau et gagna Rome avec eux. Ils remontèrent le Tibre jusqu'à la hauteur de la ville. Parvenu au terme du voyage, le serpent abandonna de lui-même le navire qui le portait et descendit dans nie tibérine : il montrait ainsi que le dieu de la médecine avait l'intention de fixer sa demeure à cette place et qu'il désirait y voir construire un temple en son honneur. Le fléau cessa aussitôt, et l'on édifia dans l'ile le sanctuaire d'Esculape ^
La décoration de l'île. — Pour rappeler à jamais la venue du serpent divin, on donna artificiellement à l'ile tibérine tout entière la forme d'un vaisseau. Elle reproduisit en plus grandes proportions le dessin et les contours de la trirème qui avait ra- mené d'Epidaure les ambassadeurs romains et le symbole d'Esculape. Il reste quelques vestiges visibles de la décoration qui lui fut alors imposée. Jordan les a étudiés avec soin, et l'article qu'il leur a consacré est certainement le plus exact et le plus complet qui ait paru sur la matière-. Il est singuHerque Becker ait nié l'existence de ces ruines, bien souvent signalées avant lui et conservées jusqu'à nos jours 3; mais Becker, on le sait, étudiait la topographie romaine à distance, d'après les sources littéraires exclusivement. Maintenant encore, de la rive gauche du Tibre, quand le bras du fleuve qu'obstruent les ensablements est à sec — c'est-à-dire pendant la plus grande partie de l'année, à l'exclusion seulement des rares moments de fortes crues — on aperçoit très bien, presque à l'extré- mité sud-est de l'île, sous le petit escalier du pavillon de la Morgue, un fragment de construction antique comprenant plu- sieurs assises de blocs massifs superposés. Avant que la récente systématisation du Tibre eût entièrement changé l'aspect de l'ile, d'autres débris, de moindre importance, apparaissaient çà et là sur son pourtour. Quelques pans de murs d'époque
1. Les textes relatifs à cette légende seront étudiés et critiqués plus loin, p. 132.
2. Jordan, Sugli avanzi dell'antica decorazione delV Isola iiberina, dans les Ann. deirinstit. archeoL, 1867, p. 389. — Voir aussi, du même auteur, Topogr. d. St. Rom, t. I, I, p. 423.
3. Becker, op. cit., p. 633.
3
Zi
l'île TIBÉRINE DANS l'aNTIQL'ITÉ
romaine, que baignaient les eaux du llouve, sont indiqués par les meilleurs plans d'autrefois, celui de Nolli, par exemple, en 1748 et celui de Delannoy en 1832; ils faisaient partie, eux aussi, du revêtement en pierre de ce gigantesque vaisseau'. En
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1867, Jordan signalait, a})rès Piranesi, la présence, à la pointe méridionale de rile,mais vers l'ouest, de trois ou quatre rangées
1. L'isolella, ce petit îlot que le courant du fleuve avait détaché de lile même en amont, renfermait des murs antiques qui sont marqués sur les plans et mentionnés par les archéologues des derniers siècles. Vesuti, Descriz. lopogr. di lioma, éd. de 1821, p. IH : In oggi si vede la separazione in due parti dell'isola tiberina cagionala ne tempi bassi dalVescrescenza del Tevere,
FiG. 5. — FRAGMENT DE LA DÉCORATION SCULPTÉE DE l'iLE TIBÉRINE
{Annali deW Instituto archeoloijico, 18G7, pi. K, 1).
FiG. 6. — FRAGMENT DE LA DÉCORATION SCULPTÉE DE L'ILE TIBÉRINE
D'après une photographie prise par M. René Patouillard en 1899.
36 l'île tibérine dans l'antiquité
do pierres dépassant à peine le niveau du Tibre '. En 1882, M. Lanciani distinguait nettement à cet endroit, « sous la poupe à droite », c'est-à-dire sur le bras droit du fleuve, d'abord quatre rangées de pierres, puis, nn pou plus loin en amont et séparées des précédentes par un léger intervalle, trois rangées'-. Tous ces restes épars et abîmés de la décoration de l'île ont disparu en ces dernières années, soit qu'on ait achevé de les détruire, soit que les murs des quais nouveaux les cachent aux regards. Mais la place de chacun d'entre eux est bien connue ; il suffit de relier ces différents points les uns aux autres pour retrouver la forme même qu'avait jadis l'île tibérine et le tracé de son revête- ment extérieur.
Le fragment conservé. — Le seul fragment qui subsiste était aussi, parmi tous ceux dont on a gardé le souvenir, le plus intéressant. Malheureusement les sables qui s'accumulent dans le bras gauche du Tibre empêchent do le voir tout entier ; bientôt, si l'on ne prend pas soin do maintenir ses abords dé- gagés, il âera enseveli sous les alluvions. M. René Patouil- lard a obtenu l'autorisation, au mois de mars 1899, de faire des fouilles aux alentours ; il a pu procéder à un déblaiement assez complet. Pour se rendre compte de la disposition et du style de ce fragment de construction, il faut se reporter à la belle planche de Piranesi, faite, semble-t-il, d'après nature et suffisamment exacte '•\ au dessin publié par Jordan lui-même ^,
e aWestremilà delVisoletta formata corne dissi, si l'avvisano gli avanzi delV an- liche sostruzione delVisola tiberina... corne pure qli avanzi di un riparo fallu ne' lempi bassi aile uUeriori devastazioni dell'isola e coslruilo di maci- gni, Iraverlini e lufi solti dalVaccennale coslruzioni. — Ces murs apparte- naient au revêtement de la pointe d'amont de l'Ile. C'est eux peut-être qu'on aura souvent pris à tort pour les ruines du temple de Faunus. Voir ci-dessous p. 291.
1. PniAXEsi, Campo Marzio, Rome, 1162, pi. XI; — Jordan, Ann. delVInslit. arc/ieoL, 186T, p. 39:j.
2. Note manuscrite communiquée par M. Lanciani : Il giorno 26 feb- braio 1882, ho veduto le acque le piu basse che io ricordi, chiari e Irasparente e verdine corne quelle di un lorrenle montano... {ho vislo) nelV isola : a) 4 ordini di piètre sollo la poppa a dexlra; A) altro avqnzo di Ire ordini di piètre ; c) frammenlo noto prima. Sur un croquis sommaire joint à cette note et fait à la même date les trois emplacements sont indiqués.
3. PiuANEsi, Antichità romane, Rome, n.-i6, t. IV, pi. XV. C'est d'après cette planche qu'a été dessinée la gravure publiée par Canina, gli Edifizi di Roma antica, Rome, 1848-18a6, t. IV, pi. CCXLII.
4. Ann. dell' Instil. archeol., 1867, pi. K, 1.
LE VAISSEAU D ESCULAPE 37
à la photographie donnée par M. Lanciani*, et à celle, plus nette, qu'a prise M. René Patouillard en 1899.
Il comprend deux parties : en haut, des blocs de travertin, soigneusement travaillés ; au-dessous, des blocs de tuf, plus grossiers. Les assises de tuf, qui s'enfoncent profondément, servent de soubassement aux huit assises de travertin, com- posées de blocs de diverses grandeurs et inégalement avan- çants-. Ces dernières représentent le flanc d'un navire. La courbure des lignes générales indique la direction de la quille. Une rangée de pierres proéminentes correspond à la r.âpoooq, rebord extérieur qui faisait tout le tour du vaisseau ancien. Un buste humain brisé, que supportait un pilastre, rappelle l'en- seigne ou T.upxTl'iiJ.x; la figure a disparu, il ne reste plus que les épaules et quelques cheveux; la présence, à côté du buste, d'un bâton sur lequel s'enroule un serpent, prouve que le per- sonnage dont on avait reproduit ici les traits et les emblèmes était Esculape. Plus loin une tête de bœuf, sans oreilles ni cornes, fait saillie ; peut-être servait-elle à amarrer des cor- dages; Jordan la compare à ces grandes têtes de bœuf, d'une facture analogue, qu'on a retrouvées au théâtre de Vérone, où elles semblent avoir été utihsées pour soutenir le vélum. Tuf et travertin, protome et bucrane, voilà tout ce que le temps a respecté.
Etat des ruines au XVP siècle. — On a cru quelquefois qu'il y avait dans l'île au xvi'' siècle des ruines plus considérables, et qu'elle possédait encore à cette époque son parement de pierre presque complet. Un dessin du recueil manuscrit de Ful- vio Orsini, à la bibliothèque Vaticane, la montre émergeant du fleuve comme une trirème ; ses bordages intacts sont ornés de toute une série de bucranes et de protomes espacés^. La plu- part des vues qui illustrent les recueils de gravures composés à l'époque de la Renaissance par les archéologues et les archi- tectes romains paraissent inspirées de ce dessin et donnent à l'île tibérine, comme lui, l'apparence d'un véritable navire, plus ou moins bien conservé ; les plus connues sont celle de Boissard, très souvent reproduite^, et celles de Gamuc-
1. R.Lanciani, Paçan and Christian Rome, Londres, 1892, p. 61. — Cf. du même auteur, tfie Ruins and Excavations of ancient Rome, Londres, 1897, p. 19.
2. Les plus grands mesurent 1"',20 sur 0"',40.
3. Codex vaticanus latinus 3439, f° 42.
4. J.-J. Boissard, Topograpliia urbis Romœ, Francfort, 1681, t. II, p. 13.
38 l'ile tibérine dans l'antiquité
ci' et (le Dosio'*; sur ces dernières la partie méridionale figure seule. Mais au xvi" siècle môme ces représentations brillantes ne répondaient pas à la réalité. On aurait tort de se fier à ces dessins et à ces gravures, qui sont œuvres de pure fantaisie. Les architectes et les archéologues de ce temps ont donné libre cours à leur imagination; ils ont restauré l'ile, et ne l'ont pas copiée.
Vélat actuel que Gamucci lui-même a inséré dans son livre à côté de sa reconstruction hypothétique ■', et surtout la planche très sincère et très soignée de du Pérac'*, ont permis à Jordan d'affirmer que de la décoration antique — sauf quelques murs sans intérêt — rien ne subsistait à la Renaissance qu'on ne pût voir encore en 1867. Le dessin du recueil Orsini n'a pas plus de valeur historique que ce navire de marbre, sculpté par Ligorio, qui existe dans les jardins de la villa d'Esté à Tivoli, au centre de la Rometta, où il représente l'ile tibérine en réduction, parmi d'autres souvenirs et imitations des monuments de Rome''. Et peut-être même ce dessin a-t-il pour auteur, lui aussi, ce Pirro Ligorio que ses restitutions architecturales et ses falsi- fications épigraphiques ont rendu célèbre. Jordan a remarqué en effet qu'il ressemble beaucoup à la gravure publiée par Bois- sard, et l'on sait que Boissard s'est servi très souvent des manuscrits de Ligorio.
Caractère de la décoration antique. — La destruction des revêtements de Tile tibérine a commencé bien avant le XVI* siècle. Il est certain du moins que dans l'antiquité, avec sa ceinture de travertin et ses ornements sculptés, elle res- semblait à un immense vaisseau de pierre. D'après Jordan, l'unique fragment conservé appartiendrait à l'avant du navire, à la proue ; la tête d'Esculape avec le serpent était l'enseigne ou Tapasfjf^-a; on mettait d'ordinaire le 7:7.px<yf,[j.x à l'avant : c'est la place qu'il occupe sur plusieurs bas-reliefs oii l'on voit l'image de navires anciens ; le vaisseau du dieu de la médecine descendait le Tibre et regardait vers la mer*». Cette opinion
1. G.VMuccr, le Anlichilà délia cilla cli Roma, Venise, éd. de 1580, p. 173.
2. Dosio, Urbis Homse reliquiae, Rome, 1569, pi. XVllI.
3. Gamucci, op. cit., p. 173.
4. Du Pérac, Vesliçiii di Borna, Rome, 1573, feuille n» 39.
5. R. Laxciaxi, l/te Ruins and Excavations, p. 20.
6. Jordan, Ann. dell'lnstit. archeol., 1867, p. 397; — du même auteur, Topogr. d. SI. liom, t. I, 1, p. 425, note.
FiG. 7. — l'île tibérink D'après un dessin du recueil Orsini (Bibliothèque vaticane, Cod. lat. 3i39, f» 42).
FiG. 8.
L ILH TIBERINE AU XVI" SIËCLE
D'après du Pérac (lôTôl.
40 l'île TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
n'est guère soutenable. La tète d'Esculape ne se trouve pas exactement à la pointe méridionale, mais sur le côté ; elle n'est donc pas, à vrai dire, l'enseigne du navire; l'emblème du dieu protecteur pouvait très bien être répété plusieurs fois sur le bordage. Selon toute vraisemblance, l'île, comme la trirème qui avait amené Esculape à Rome, devait remonter le Tibre et non pas le descendre. Le fragment de décoration con- servé faisait partie de la poupe.
« Je me représente cette île longue, écrivait le président de Brosses, comme quelque chose de magnifique au temps des Romains, lorsque son contour était en entier revêtu d'un mur bombé en pierres de taille, qui la figurait en forme de gros vaisseau, avec sa poupe carrée et sa proue pointue. Quelle grandeur n'y a-t-il pas dans une pareille manière d'ajuster une île au milieu d'une ville ! Un obélisque en faisait le mât, et le temple d'Esculape, avec son dôme, en faisait le château de poupe'. » Il y a dans ces lignes quelques inexactitudes, que d'ailleurs on pardonne aisément à l'érudit président. 11 exagère la magnificence du spectacle : les murs de travertin, ornés simplement de leur rebord saillant, de leurs protomes et de leurs bucranes, étaient plus sévères qu'élégants. D'autre part, la poupe ne parait pas avoir eu la forme régulière et carrée des véritables poupes de navires ; l'île à son extrémité sud allait en s'effilant ; elle se terminait sans doute par une pointe arrondie, ainsi que le montre le dessin de Jordan. Le temple d'Esculape enfin n'avait point de dôme ; mais la dénomination de château de poupe lui convient fort bien et répond à l'idée que suggérait aux Anciens le spectacle de l'île tibérine, immobile devant Rome et baignée par le Tibre, comme un navire à l'ancre.
Les architectes romains avaient régularisé ses contours pour lui donner la forme d'une trirème. Faut-il admettre qu'ils s'étaient astreints à pousser jusqu'à ses dernières consé- quences dans leur construction de pierre l'imitation des vais- seaux de bois? La décoration sculpturale, dont il subsiste des vestiges à l'une des pointes de l'île, se continuait-elle pareille- ment sur tout le long de ses flancs, la ceignant ainsi qu'une carène ? Ou bien, au contraire, les deux extrémités seules avaient-elles été aménagées en guise de poupe et de proue, réunies simplement l'une à l'autre par un mur de quai continu, et
1. De Brosses, Lettres familières écrites d'Italie (1739-1740), éd. Badon, Paris, 1838, t. II, p. 131.
LE VAISSEAU D ESCLLAPE 41
sans ornements? En d'autres termes, Vinsiila tiberina a.YSL[t-el\e été faite ou refaite absolument en élévation comme en plan, à l'image d'un navire ^ ? Les dimensions mêmes du fragment con- servé du revêtement ne permettent pas de le supposer. Les vestiges de la poupe ont, en somme, assez peu d'importance ; leur hauteur surtout est minime ; ils ne s'élevaient guère au-des- sus du niveau du Tibre. Si l'on avait voulu donner à l'île en tous points l'apparence d'une trirème, il eût fallu proportionner exactement les différentes parties ; on n'a pas pris cette peine ; un navire qui aurait pour arrière la poupe de l'île tibérine serait beaucoup plus petit que n'était celle-ci même. Par sa position au milieu des eaux et sa forme allongée, elle ressemblait à un vaisseau ; la comparaison s'imposait ; on l'a faite bien souvent ailleurs pour d'autres îles intra-urbaines, comme, par exemple, celle de la Cité, à Paris. Il est naturel que les Romains aient songé à tirer parti de cette disposition des lieux pour commé- morer l'arrivée par mer du serpent sacré d'Esculape. Mais ils n'ont pas essayé de bâtir à la place de l'île un navire de pierre, entreprise considérable, difficile et vaine. Il leur a suffi de souligner par quelques traits la configuration du sol et d'ac- centuer une ressemblance déjà frappante, laissant à l'imagi- nation de chacun le soin de suppléer à ce qui manquait et d'achever par la pensée le travail ébauché seulement sur le terrain.
Date de son exécution. — Aucun texte ne nous fait savoir à quelle époque on entreprit de transformer ainsi l'aspect de l'île tibérine, ou tout au moins de ses deux extrémités, et de lui donner, plus encore que par le passé, l'air et l'allure d'un vais- seau. On ne peut apporter à ce petit problème que d'hypo- thétiques solutions. Preller était d'avis que la décoration de l'île devait être très ancienne ; il l'attribuait au commence- ment du m" siècle avant notre ère ; elle serait à peu près con- temporaine de la venue merveilleuse d'Esculape, qu'elle rap- pelait 2. Le seul argument qu'on ait à faire valoir en faveur de cette opinion, c'est que les Anciens expliquaient, en eff'et, par le souvenir de l'arrivée d'Esculape la forme de navire imposée à l'île. Mais, d'autre part, les caractères architecturaux et
1. Cf. Vexcti, op. cit., p. 173 ; Canina, op. cit., t. III, p. 108.
2. Preller, Rom und der Tiber, Ber. d. sàchs. Ges. d. Wiss., Leipzig, 1848, p. 138.
42 l'île TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
sculpturaux du revêtement, autant du moins qu'il est loisible de les apprécier en Tétat des ruines, ne permettent pas qu'on l'attribue à une époque si reculée. Jordan le croit du début de l'Empire; on sait que les premiers empereurs ont beaucoup fait pour consolider les rives du Tibre et les mettre à l'abri des inondations ; la construction de la proue et de la poupe de l'île tibérine, ainsi que du mur bas qui les réunissait, serait du même temps que ces grands travaux de défense et répondrait aux mômes préoccupations ' . Peut-être cependant, si la date proposée par Preller est trop lointaine, celle que préfère Jordan est-elle un peu tardive. Assurément les parements de pierre dont on voit aujourd'hui les vestiges à la pointe sud ne sont pas l'œuvre des architectes romains du iii° siècle avant Jésus-Christ ; leur belle apparence et leur agencement exact supposaient une science de bâtir très avancée et sûre d'elle-même. Ils n'ont pu être faits, au plus tôt, que vers le milieu du dernier siècle de la République. Or l'établissement des ponts Fabricius et Cestius et une restauration du temple d'Esculape remontent précisément à cette époque ~. Ne pour- rait-on pas supposer, sans attendre jusqu'au règne d'Auguste ou de Tibère, que la décoration de l'ile fut exécutée au moment même où l'on procédait à cette restauration et où l'on édifiait ces ponts? Cette hypothèse, que nul document épigraphique ou littéraire ne confirme ni n'infirme, permettrait de rattacher à un même dessein général toutes les mesures particulières prises à notre connaissance pour embellir l'île tibérine. Les archi- tectes romains du dernier siècle de la République ont voulu rehausser l'éclat du culte d'Esculape. La proue et la poupe qui évoquaient le souvenir de la trirème revenue d'Epidaure, étaient faites, comme le temple restauré, en l'honneur du dieu de la médecine, et c'est principalement pour faciliter l'accès du sanc- tuaire qu'on substitua de solides ponts de pierre aux anciens et fragiles ponts de bois.
L'obélisque. — Si l'ensemble de la décoration de l'île tibé- rine parait dater de la fin de la République plutôt que du début de l'Empire, l'obéHsque qui se dressait au centre, comme le mât au milieu d'un navire, n'a été érigé certainement qu'à
i. Jordan, Ann. delV Institut, avcheol., 1867, p. 396. 2. Cf. ci-dessous, p. 99, 107 et 184.
LE VAISSEAU D ESCULAPE
43
l'époque impériale^. Les princes ornèrent de monuments rap- portés d'Egypte les places publiques de Rome. L'île tibérine bénéficia de cette mode nouvelle. Il y avait dans la ville six grands obélisques, qu'énumërent la Notitia et le Curiosiim Urbis Romœ regionimi^ et plusieurs autres de moindres dimensions ~. Celui de l'ile était très petit. 11 était encore debout au xvi" siècle sur la place San Bartolomeo. Gamucci l'a vu et s'étonne qu'on ait mis un si petit mât sur un si grand navire 3. Depuis, il a été brisé. Ses fragments furent dispersés '\ Deux d'entre eux, recueillis par le cardinal Borgia et déposés dans son musée deVelletri, passèrent en 1814 au musée de Naples ^. Un autre resta jusqu'à la Révolution à la villa Albani ; « em- porté à Paris par les Français, il est maintenant à Munich, dans la collection du roi de Bavière •"' » ; Pira- nesi l'avait reproduit au xviif siècle sur une planche de ses Antichità romane ^.
En 1676, des fouilles exécutées sur la place San Bartolomeo^ ame- nèrent la découverte d'un large sou- bassement de tuf situé à 18 palmes sous la surface du sol (4"", 50). Quel- ques érudits du xvm' siècle préten- dirent y reconnaître la base même de l'obélisque^. Leur opinion
1. Consulter sur cet obélisque Zoega, de Origine et usu obeliscorum, Rome,. 1797, p. 82 et p. 188.
2. Cf. Jordan, Topogr. d. St. Rom, t. II, p. 181.
3. Gamucci, op. cit., p. 173.
4. Casimiro, Memorie istoriche, p. 328.
T>. NiBBY, Roma anlica, Rome, 1838, t. II, p. 291.
6. Beschu. d. St. Rom, t. III, 3, p. 564. — D'après Zoega, lac. cit., il y aurait eu au musée de la villa Albani deux fragments de cet obélisque, et non un seul.
7. Piranesi, Anlicliità romane, t. IV, pi. XIV, n° 15 : Pezzo delta sudetta gu- gtia di granito innanzi alla c/iiesa di Sati Rarloloineo.
8. Bellori, Selecti nummi duo Antoniniani, Rome, 1676, p. 41, cité par Gasi- MiRO, op. cit., p. 330. — Voir aussi Venuti, op. cit., p. 177.
FiG. 9. — FRAGMENT DE l'oBÉLISQUE DE l'île tibérine.
(Piranesi, Antichità romane, t. IV, pi. XIV, n» 15).
44 l'île tibérine dans l'antiquité
ne parait pas fondée. L'emploi du tuf, la grossièreté du travail (c'était une masse de tuf sans élégance, disait Bellori : con- g cries lophonnn), la grande profondeur à laquelle était enfouie la construction prouvent que ce soubassement est une œuvre do l'époque républicaine ; des trois inscriptions qu'on a trou- vées en môme temps que lui', deux ont été composées et écrites sous la République. L'obélisque ne fut mis en place ■que plus tard. Sa présence à cet endroit faisait ressortir encore la ressemblance que présentait naturellement l'île tibé- rine avec le vaisseau d'Esculape arrêté au milieu du Tibre.
1 . C. T. L., VI, 17, 821, 10.317. Ces textes seront étudiés plus loin, p. 47, U et 211.
CHAPITRE III
L'ILE TIBÉRINE A L'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE
Les temples. — L'histoire de l'île tibérine sous la République est assez mal connue. Les textes littéraires ne la mentionnent que rarement, et l'on n'a découvert sur son territoire qu'un très petit nombre d'inscriptions antérieures à l'établissement du régime impérial.
Après l'introduction du culte d'Esculape à Rome et la fon dation du premier sanctuaire du dieu médecin, cent ans se passent encore sans que les historiens prononcent jamais le nom de l'île. Puis, au commencement du ii'' siècle avant l'ère chrétienne, elle est citée deux fois coup sur coup. Deux temples nouveaux sont construits auprès de celui d'Esculape, l'un dédié à Faunus, commencé en 558/196 et inauguré en 560/194, l'autre dédié à Jupiter et inauguré aussi en 560/194^.
Les soldats de Lépide. — Il faut attendre l'année 710/44 pour qu'il soit de nouveau question de l'île tibérine -. Appien raconte qu'à cette date elle était occupée par un détachement de sol-
1. Les textes relatifs aux temples de Faunus et de Jupiter dans l'île seront étudiés plus loin, p. 262 et 292.
2. En 633/121, Caius Gracchus, povirsuivi par ses adversaires qui voulaient le massacrer, s'enfuit de l'Aventin, franchit le Tibre par le pont Sublicius et se réfugia sur la rive droite dans le bois des Furies (Plut., C. Gracch., il ; Appian., de Bell, civil., I, 26). D'après M. Mommsen, le pont Sublicius passait par l'île tibérine ; Caius Gracchus aurait donc traversé l'île en fuyant (Momm- sen, dans les Ber. d. Ges. d. Wiss., Leipzig, 1850, p. 324). Mais ni Appien ni Plutarque ne parlent de l'île à ce propos, et l'on verra plus loin que l'hypo- thèse de M. Mommsen sur l'emplacement du pont Sublicius est absolument ■jiacceptable. Cf. ci-dessous, p. 129..
46 l'île tibérine dans l'antiquité
dats : aussitôt après l'assassinat de Jules César, Lépide, son maître de la cavalerie, se rendit dans Tile où il avait des troupes et fit passer de là ses soldats au Champ de Mars pour qu'il leur fût plus facile ensuite de porter secours à Antoine ^ Par scru- pule religieux et par précaution politique, la loi sur Vimperhun interdisait aux citoyens en armes l'accès de la ville*. L'Ile étant, comme le Champ de Mars, en dehors de la cité, que limitait la ligne dupoîuerwm, Lépide pouvait y loger des troupes. Le fait rapporté par Appien nous montre qu'au temps de César elle renfermait, outre les temples et leurs dépendances, des édifices capables d'abriter un détachement de soldats et de lui servir, au moins provisoirement, de casernes, A mesure qu'augmentait le chiff"re de la population romaine l'aspect des abords immédiats de la ville se modifiait et dans tous les quar- tiers suburbains s'élevaient des temples et des chapelles, des maisons et des villas.
Les inscriptions. — Los quelques inscriptions de l'époque répu- blicaine trouvées dans l'île tibérine sont toutes, sauf deux, des inscriptions religieuses ; elles se rapportent au culte des divi- nités adorées particulièrement sur son territoire ; ce sont des dédicaces à Esculape 3, auxquelles il faut joindre une dédicace à Jupiter Jnrarius^. Les deux seules inscriptions qui ne soient pas religieuses sont une liste de magistfi d'un collège et une épitaphe.
Liste de magistri d'un collège. — «Dans les fouilles faites en l'année 1676 devant l'église Saint-Barthélémy on a découvert, en mêriie temps que le grand soubassement en tuf regardé à tort par quelques archéologues comme la base de l'obélisque de l'île, trois inscriptions, gravées les deux premières sur
1. Appian., op. c«7., II, H8: Kat AéttiSoî ô ËTrapyo; èv àyopâ [xkv ôv iipjOtxo -o\) YEyovÔTo; " è; oè tÔv âv tw 7tOTa(io) vr^rxa^i S(aSpa;ji(î>v, k'vôa r|V a-JTôi téXoî (TTpaxiwTMV, iç TÔ TieStov àuTo-j; [j.eT£oiêa;£v w; èTot[xoTspo-j; eÇwv à; xà 7tapaYYe),),6[A£va Cti' 'AvTwvt'ou. Il n'est pas douteux que l'ile et la plaine nommées dans ces lignes soient l'île tibérine et le Champ de Mars.
2. Lj'Xius Félix, ad Q. Mucium, cité par Gell., XV, 27 : Cenluriala aulem comitia inlra pomeriinn fieri nefas esse, quia exercilum exlra wbem imperari ■oporleal, inlra urbem imperari jus non sit.
3. C. 1. L., VI, 7; Xotiz. d. Scavi, 1890, p. 33 ; 1892, p. 267 et p. 410. Cf. ci- <lessous, p. 189 et 209.
4. C. I. L., VI, 379. Cf. ci-dessous, p. 256.
l'île tibérine a l'époque républicaine 47
marbre et la troisième sur un bloc de tuf ' . Cette dernière est ainsi conçue - :
L{ucius) Rutilius L{iicii) l[ihertiis) Artemido{rus)^ \ A{î(h(s) Carvilius L(ucii) l[if)ertus) Diodorus, \ P'.iibluts) Siilpiciiis Q{uinti) l{ihertus) Philocomim), \ mag[istri) conl[egii) caprina galla \ ex d[ono) d{ato) [f]ac{iendum) cœraver[i(nt).
« Lucius Rutilius Artemidorus, affranchi de Lucius, Aulus Carvilius Diodorus, affranchi de Lucius, Publius Sulpicius Philo- cornus, affranchi de Quintus, magisti'i du collège caprina galla (?), en vertu d'un don offert ont pris soin que ce travail fût fait. »
Cette inscription remonte à l'époque républicaine : l'emploi du tuf et les formes conl[egii) et cœraver[unt) en témoignent. Elle fut sans doute rédigée au moment où l'on mit en place le soubassement de tuf auprès duquel on Ta retrouvée ; inscrip- tion et soubassement appartenaient au même ensemble. Nous ne savons pas en quoi consistait le travail que les niagistri conlegii ont fait exécuter, faciendmn cœraverunt. C'était peut-être la construction ou la reconstruction d'un petit édifice, l'érection d'un autel ou d'une statue, ou l'établissement d'un dallage sur la place centrale de Tile. Il est bien probable, en tout cas, qu'il intéressait le culte rendu au dieu grec de la médecine : l'inscription a été découverte dans le voisinage immédiat du sanctuaire d'Esculape; une dédicace à Esculape, plus récente, l'accompagnait; les noms des trois affranchis magistri conl{egii) trahissent une origine hellénique.
Un très petit nombre de textes épigraphiques relatifs au droit d'association sous la République nous ont été conservés ; celui-ci malheureusement est tout à fait énigmatique ; les efforts tentés jusqu'à présent pour l'expliquer sont demeurés vains.
M. Mommsen avoue son embarras et n'ose se prononcer; il remarque cependant que l'inscription provient d'un quartier" de Rome situé en dehors du territoire des quatre tribus
l.BELLORi,SeZec/inM?n?nî'(/MOy4n/oninza?u", Rome, 1676, cité au G.I. L., VI, 10.317: Anno 1676 cœnobium patribus ordinis minorum observanlium œdificantibus in insula tiberina et in platea ante aedem D. Bartholomœi, effossa terra palmis XVIII, inventa est congeries tophorum quam nonnulli fundamentum obelisci olim in insula erecti fuisse opinantur. Ibidem ex ruderibus inscriptiones ires erutœ sunt quarum duae marmoreœ, tertia topliea,
2. G. I. L., I, l" éd., 806, et VI, 10.317.
48 l'île tibérine dans l'antiquité
anciennes'. Il paraît donc disposé à croire qu'elle concerne une association cantonale de citoyens romains comme celles (les pagani pagorintî Aventinensis, Janiculefisis, Mercurialis, Capitoiini^ . Mais cette interprétation n'est pas acceptable : les magistri du collège ne sont pas des citoyens romains ingenni^ ce sont des affranchis d'origine grecque^. Le collège lui-même devait être un collège religieux privé, placé sous la protection d'un dieu étranger, ou, pour mieux dire, d'un dieu grec. On pense tout naturellement à Esculape ; son nom cependant n'est pas prononcé.
Le collège s'appelle : conl[egii) caprina galla. Que signi- fient ces mots? Cohn propose de lire : conl{egiï) cap7'ina{rio- nnn) Galla{rian)'^. Les Gallœ ou Galli étaient les prêtres de certaines divinités gréco-orientales, telles que la Mère des dieux [Magna Mater) et la déesse syrienne ; il y avait des Galli à Rome, organisés certainement en collèges, comme toutes les corporations sacerdotales. Ceux de l'île tibérine étaient préposés au culte de Faunus, le Pan des Latins. On les surnommait caprinarii, chevriers''. La chèvre passait pour l'animal symbo- lique et favori des divinités rurales... M. Liobenam a raison de déclarer que l'existence de ce collège de Galli chevriers, serviteurs de Pan, n'est pas certaine, bien au contraire''. Le dieu champêtre qu'on adorait dans l'île n'était nullement le grec Pan, mais le Faunus italique. Les seuls Galli de Rome dont nous connaissions l'existence sont les prêtres de la Magna Mater du Palatin'. Le mot caprinarius est très rare; on n'en peut citer qu'un seul exemple, écrit en abrégé, caprinar[inm).
1. MoMMSEN, au C. I. L., I, !'• éd., 806 : De hoc collegio quid statttam nescio; hoc notandum lilulum prodiisse et ipsum in parle urbis extra quattuor tribus posita.
2. Cf. C. I. L., I, 1" éd., I, 801-805, et le commentaire de M. Mommsen.
3. CoiiN, Z,um romiscken Vereinsrecht, Berlin, 1873, p. 79.
4. CoHX, lac. cit. — Waltzing, Elude histor. sur les corpor. profess. chez les Romains, Louvain, 1895-1900, t. I, p. 90 : « Parmi les collèges religieux privés, il faut peut-être citer un conl[egium] caprina[riorum] Galla[rum].»
5. Le mot caprinâr se lit sur une inscription funéraire du vi' siècle après Jésus-Christ, publiée par de Rossi, Inscr. christ, urbis Romœ, Rome, 1861-1888, t. I, p. 497, n° 1088 et au C. I. L., VI, 9231 : Slephanus caprinâr se vivo. — De Rossi, loc. cit. : Litlerae caprinâr caprinarium significant, vocem hactenus opinor inaudilam quam de caprimulgo sive caprarum pastore interpretabor.
6. LiEBENAM, Zur Geschichle und Organisation des rômischen Vereinswesens, Leipzig, 1890. p. 6i : Vôllig rat/iselhafl.
7. OviD., Fast., IV, 361 ; — Festcs, p. 93, etc. — Cf. article Galli, par Lafate, dans le Dictionn. des Antiq., de Daremberg et Saolio.
l'île ÏIBÉRLNE A l'ÉPOQUE RÉPUBLICAINE 49
Caprina n'est pas l'abréviation de cajwinariorwn^ ni Galla celle de Gallarum : la suppression totale d'une ou deux syl- labes finales est inadmissible. L'hypothèse de Cohn soulève trop d'objections pour qu'on l'adopte. Il faut confesser que le sens des mots caprina galla et, par suite, le nom et la nature du collège nous échappent'.
Inscription funéraire. — L'unique insci'iption funéraire de l'époque républicaine qui provienne de Tile tibérine est rédigée envers sénaires ïambiques. Le texte original n'existe plus; il faut se contenter des copies prises au temps de la Renaissance. Plusieurs mots doivent être suppléés ou complétés 2.
[Heic est sep]ul[t)a Quincti Ranci feilia \ [Quincti l]iberti Protlé]"^ quoi fatum grave \ [criideles] Parcœ ac finem vitœ statuerunt \ [vix quom ess\et bis cleccm anneis nata indi- gniter ; \ \jiam quod c\oncepit leiberum semen duplex \ [quom recte] pareret, patrono auxsilium ac decus \ [expertam 7nul]ta commoda atque incommoda \ [inmitis] mors eripuit sueis parentibus; \ [nuncilli s\ummo inluctuacsollicitudine \ [pne deside]rio gnatse fletus in dies \ edunt sibei esse ereptam talem filiam; \ pater mei et genetrix germana, oro atque o[bsecro]^ \ desinite luctu, questu^ lacrumas fundere^ \ sei in vita jucunda \ac\ voluptateifuei \ \yobis\ viro atque amiceis noteisque omnibus; \ nunc quoniatn fatum se ita tolit^ animo vo[lo\ I œquo vos ferre concordesque vivere, | quas ob res hoc monumentum œdificamt [pater] \ suse gnatse sibeique, uxori hanc constituit [domum] \ œternam^ ubei om,nes pariter sevom degen[t\.
« Ici est ensevelie Rancia Prote, fille de Quinctus Rancius, affranchi de Quinctus. Par la volonté des Parques cruelles elle est morte prématurément, à peine âgée de vingt ans, après avoir conçu et mis au monde heureusement deux jumeaux; elle était l'aide et l'honneur de son patron ; elle avait éprouvé
1. 11 est certain que le mot caprina doit être rattaché à capra ; peut-être faut-il rattacher aussi galla à gallus. On sait que les chèvres et les coqs étaient consacrés à Esculape. L'inscription se rapporterait donc au culte du dieu de la médecine. Mais comment construire la phrase et que veut-elle dire? Il se pourrait que le texte eût été inexactement copié par ses premiers édi- teurs.
2. C. L L., I, 1" éd., 1008; VI, 25.369.
3. BuECHELER, cité au c. I. L., VI, 23.369, proposait de lire [Heic est...] ulia Quincti Ranci feilia [Quincti l]iberti Prot[i].
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50 l'île TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
bien des vicissitudes quand la mort impitoyable l'enleva à ses parents. Ceux-ci maintenant, plongés dans le deuil et l'inquié- tude, regrettant leur enfant, versent des larmes sur le jour où leur fut enlevée une telle fille. Mon père et ma mère, je vous en prie et supplie, cessez votre deuil, vos plaintes et vos pleurs, si j'ai fait dans ma vie la joie et le bonheur de mes parents, de mon mari, de mes amis, de tous ceux qui me con- naissaient. Puisque désormais le destin s'est prononcé, je veux que vous supportiez ce coup d'une âme égale et que vous viviez en bonne harmonie. C'est pourquoi mon père a fait construire ce monument ii sa fille et à lui-même, et il a élevé pour sa femme cette demeure éternelle que tous habitent également. » Un certain QuintusRancius, fils deQuintus, est cité parmi les signataires du sénatus-consulte de Oropiis, en l'année 681/73' ; c'est sans doute le même personnage que le Quintus Rancius, patron et mari de Rancia Prote '-. L'épitaphe métrique de Ran- cia parait dater en effet, d'après l'orthographe et le style, du dernier siècle de la République. Les érudits du xvi' siècle qui l'ont sauvée de l'oubli l'ont vue' devant l'église Saint-Barthé- lemy-^ Peut-être à l'origine n'était-elle pas placée dans l'ile ; beaucoup de pierres tombales des environs de Rome ont été transportées tardivement à l'intérieur de la ville et utilisées comme matériaux de construction ; on a découvert mi grand nombre d'inscriptions funéraires anciennes au Forum, où jamais les Romains ne se sont fait enterrer avant le moyen âge'*. Il n'est pas impossible cependant que Rancia Prote ait été ensevehe sur le territoire de l'île tibérine même. La religion et la loi défendaient qu'on enterrât les morts en deçà de la ligne du poïneruim'" . Cette interdiction no s'appliquait pas à l'île, extérieure à la cité primitive. De même qu'on y pouvait élever des temples aux dieux étrangers, comme Esculape, et caserner des soldats en armes, de même aussi on avait le droit d'y creuser des tombes.
1. MoMMSEx. dans V Hermès, 1885, t. XX, p. 284.
2. C. I. L., loc. cit.
3. Sabinus : Ante lemplum S. Barlholomaei in insula ; — Ma/occiii : In domo D. Marcide insula;— Sjjetius : In insula liherina (Cités au C. I. L.).
4. Gatti, Monumenli epiffrafici rinvenuti nel Foro romano, dans le Bullell. Comun., 1899, p. 247.
'6. Loi des Xil Tables, citée par Cic, de Leg., II, 2:i, iiS : Uominem ntor- luum in urbe ne sepelilo neve urito. — SKtiviis, ad .En., XI, 206 : Quod poslea Duilio consule senatus prohibuit et lege cavit ne quis in urbe sepeli- relur.
CHAPITRE IV L'ILE TIBÉRINE A L'ÉPOQUE IMPÉRIALE
La fondation de l'Empire marque le point de départ d'une ère nouvelle, aussi bien dans l'histoire particulière du dévelop- pement monumental de la ville de Rome que dans l'histoire géné- rale des progrès de la puissance romaine. On peut mieux suivre désormais les transformations de l'île tibérine ; les textes lit- téraires la nomment plus fréquemment et les inscriptions se multiplient .
L'extension du pomerium. — L'île était restée pendant toute l'époque républicaine en dehors du pomerium. Depuis la chute de la royauté et la construction des premiers édifices élevés sur son sol elle se trouvait associée à la vie de Rome ; elle n'était plus qu'un quartier semblable à tous les autres. Cepen- dant, si elle faisait partie de la ville, au sens moderne et pro- fane du mot, elle ne faisait pas encore partie de la cité, au sens antique et religieux. Le pomerium séparait le territoire consa- cré de la cité du territoire de la campagne ; il marquait la limite des auspices urbains ^ La ligne, tracée par Romulus autour de la Roma quadrala du Palatin, avait été reportée plus loin par Servius Tullius. Elle ne fut modifiée de nou- veau qu'au dernier siècle de la République par Sylla et par César, sans dépasser encore la rive gauche du Tibre. On n'in-
1. Messala, hih. de fl«s/).,cité parGELL., XIII, 14 : Pomerium est locus intra agrum effatum per totius iirbis circuitum, pone muros regionibus ceiiis delev- minalis, qui facit finem auspicii urhani. — Sur le pomerium, consulter : KiEPEUT-HuELSEN, Nomencl. topogr., p. 50; — Homo, Lex. de topogr. rom.^ p. 3!)8; — les articles de Mommsen. Riciiter. Detleksen. Huelsen dans VHermès, t. X, p. 40; t. XX, p. 1-28; t. XXI. p. 497; t. XXII, p. 6io;— 0. Gilbert, Gesch. und Topogr. d. St. Rom. ,t.l, p. 114.
52 l'iLK TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
corpora officiellement l'ile tibérine k la cité romaine que sous l'Empire; jusqu'alors elle lui était extérieure, et c'est ce qui nous explique qu'on y ait bâti des temples à certains dieux, l'Esculape des Grecs, Jupiter Jurarius, l'agreste Faunus, aux- quels, pour des motifs divers, l'accès de Rome môme était intordit*.
Sous l'Empire le pomerium fut plusieurs fois déplacé. Pour agrandir l'enceinte de la cité il fallait avoir reculé d'abord les frontières romaines elles-mêmes-. Claude, Néron, Ves- pasien, Trajan, Aurélien, dont les règnes furent marqués par des conquêtes, exercèrent le droit que leur reconnaissaient la religion nationale et la tradition. On a retrouvé quelques- uns des cippes terminaux, ornés d'inscriptions, que chacun de ces empereurs faisait mettre de distance en distance sur le pourtour de la nouvelle ligne '^ Il paraissait établi jusqu'à ces dernières années que l'ile tibérine et le Transtévère n'étaient devenus intra-pomériaux qu'au m' siècle de l'ère chrétienne, quand Aurélien annexa k la cité tout l'espace situé en deçk de la muraille de fortification qu'il faisait dresser. En effet, les cippes commémoratifs des délimitations de Claude, de Vespasien et de Trajan avaient tous été recueillis sur la rive gauche du Tibre. Mais on a découvert en 1899 sur la rive droite un cippe terminal de Vespasien^; il avait été utilisé à une basse époque dans la construction d'un mur situé sous l'église actuelle de Sainte-Cécile in Trastevere ; il ne pouvait être très éloigné de son emplacement primitif. Cette trouvaille
1. Cf. ci-dessous, p. 247.
2. Tac, Ann., XII, 32 : lis qui prolulere imperitim eliam terminas urbis propagare datur. — Cf. Senec, de Ihevil. vit., XllI ; — Gell., loc. cit.; — Vopiscus, AureL, 21. — La formule finale des inscriptions que portent les cippes terminaux du pomerium est tout à fait caractéristi(|ue. Voir, par exemple, C. I. L., VI, 1231 : Auctis populi romani | finibus pomerium \ a»i- pliavil terminavitq{iie).
3. C. I. L., VI, 1231-1233; — iVo/is. d. Scavi, 1885, p. 415; 1881, p. 232; 1900, p. 15; —Bulletl. Comun., 1882, p. 155; 1885, p. 164; 1899, p. 210.
4. Bullett. Comun., 1899, p. 270; — Notiz. d. Scavi, 1899, p. 15. — Cf. Mek- LiN, A propos de l'extension du pomerium par Vespasien, dans les Mél. de l'Ec. franc, de Home, 1901, p. 97. — Date de ce texte : premier semestre de l'an 75 après Jésus-Christ. — [Imperator Cse]sar | [Vespasijanus Aug{ustus), pont{ifex) inax[imus), \ lrib{unicia)pot{eslàte) VI, imp{erator)XIV,p{aler)pa{triœ), \ censor, eo{n)s(ul) VI, desig{natus) VII, | T{itus) Cœsar Auy{usli) f{ilius) j Vespasianus, imp[erator) VI, | ponl{ifex), trib{unicia) pot{estate) IV, censor, | co(n)s(ul) VI, desig{natus) V, | auctis p{opuli) r{omani) finibus, | [pomerium ampliaverunt lerminaveruntque].
l'île TIBÉRI^E a l'époque T51PÉRIALE 53
inattendue atteste, contrairement à l'opinion commune, que la partie centrale du Transtévère et à plus forte raison l'ile tibérine étaient comprises dès l'époque de Vespasien dans le pomeriwn; à celui-ci Aurélien ajouta seulement sur la rive droite le territoire qui s'étendait entre la ligne fixée par Vespasien et son propre mur de défense. Il resterait à savoir quel empereur (lu f siècle fit rentrer l'île dans l'enceinte pomériale. Ce ne peut être Auguste : il est certain qu'il n'a pas modifié le pome- riiouK La délimitation de Claude semble avoir porté sur la rive gauche ; elle rattacha à la cité l'Aventin et une partie du Champ de Mars 2. Celle de Néron n'est connue que par un texte de Vopiscus, peut-être sujet à caution 3. Selon toute vraisem- blance ce serait donc seulement sous le règne de Vespasien lui-même que l'île tibérine, en même temps que le centre du Transtévère, cessa d'être regardée comme extérieure au sol consacré de la cité.
La XIV région d'Auguste et le vicus Censori. — Si Auguste ne toucha pas au poynerium^ il réorganisa cependant les divi- sions territoriales de Rome*^. Depuis longtemps, les quatre régions entre lesquelles, d'après la légende, le roi Servius Tiillius avait réparti le sol urbain, étaient notoirement insuf- fisantes ; la population trop nombreuse débordait au-delà des limites qu'on lui avait d'abord assignées ; de tous côtés se for- maient des faubourgs. Auguste voulut donner à la ville des cadres administratifs qui correspondissent plus exactement à son étendue réelle ; il fondit ensemble les faubourgs et les
1. Gardthausex, Augustus und seine Zeit, Leipzig, 1891-1896, t. I, 2, p. 945; t. II, 2, 556. Ni Suétone ni le monument d'Ancyre ne disent rien d'une exten- sion du pomeriwn par Auguste. La lex 7'egia de imperio, qui confère à Ves- pasien le droit de reculer les bornes pomériales, n'invoque qu'un seul précé- dent : l'exemple donné par Claude est seul rappelé (G. I. L., VI, 930). — C'est à tort que Tac. {Ann., XH, 24), Cass. Dio (XLIV, 49), Vopiscus (Aurel., 21) parlent d'une extension du pomerium à propos de l'organisation des XIV régions urbaines.
2. Jordan, Topogr. d. St. Rom, t. I, 1, p. 324-353 : la délimitation de Claude aurait eu pour but de restaurer le templum de la ville ; la ligne qu'elle décri- vait formait sinon un carré, du moins un quadrilatère irrégulier dont un côté était figuré par le Tibre ; les parties de la ville situées au-delà du fleuve res- taient en dehors.
3. Vopiscus, Aurel., 21.
4. KiEPERT-HuELSEN, Nomcncl. topogr., p. vu; — Homo, Lex. de topogr. rom., p. 465. Voir aussi : R. Lanciani, Ricerche suite XIV regioniurbane, dans le Bullett. Comun., 1890, p. 115; — Gardthausen, op. cit., t. I, 2, p. 943 et t. II, 2, p. 552.
54 l'île tibérine dans LA.NTiyLirr;
quartiers anciens, et partagea tout ce vaste territoire en qua- torze régions, qui remplacèrent celles de Servius. Chacune des régions d'Auguste comprenait un certain nombre de subdivi- sions ou vici. Les descriptions de Home rédigées au iv"" siècle, la Notifia et le Curiosum Urbis Romœ regiomun^ (jui énu- mèrent par ordre do régions les édifices les plus importants do la ville, ne parlent pas de l'île tibérine ni d'aucun des mo- numents qu'elle renfermait ^ Mais on sait par le cosmographe ^Ethicus qu'elle appartenait k la quatorzième région-, appe- lée dans les doscrii)tions Traiislihenm et située tout entière, sauf elle, sur la rive droite du fleuve. Il était naturel qu'on la rattachât au Transtévère, à la dernière des régions d'Au- guste; le Tibre n'avait-il pas formé longtemps la frontière du sol romain? L'île n'était-elle pas restée longtemps étrangère à la cité?
Une inscription de l'année 136, la Base capitoline, contient une liste des quartiers ou vici de Rome, rangés par régions •'. Elle cite, parmi les vici de la quatorzième région, un vicus Tiherinus ; on pourrait croire qu'il se trouvait dans l'île, où le dieu Tiberinus avait un sanctuaire*; il est plus probable, cepen- dant, qu'il faut le chercher sur la rive droite du Tibre et qu'il devait son nom à sa position le long du fleuve'. Un autre vicus de la même région, qu'indique aussi la Base capitoline, le r^icus Censori ou Censorii^ est mentionné en deux inscriptions trouvées au xvif siècle dans l'île tibérine : c'était le principal ou le seul viens qu'elle renfermât.
La première inscription a été découverte en 1676 devant l'église Saint-Barthélémy ; elle n'a qu'une ligne'' :
Vici Censori lustratio erit idibiis septe7nbr[ibiis).
« Le jour des ides de septembre (treizième jour du mois), aura lieu la lustratio du vicus Censori. »
La lustration était une cérémonie religieuse de purification :
1. Le texte de ces descriptions est publié par Urlichs, Cod. topogr., Wùrtzburg, 1871, p. 1 et par Jokdan, op. cil., t. II, p. 541.
2. iÊTHicLs dans l'édition de Fomponius Mêla par Giionovius, 1722, p. 716 : {Tiberis) fucit insulam ref/ioni quarlae decimse.
3. C. l. L., VI, 975.
4. Pkellek, die Regionen der Stadt Rom, léna, 1846, p. 205.
5. 0. GiLBEHT, Gesch. und Topogr. d. St. Rom, t. III, p. 447, note 1. — Cf. R. Lancia.m. Forma Urbis Romœ, Rome, 1893-1901, feuille 28.
6. C. I. L., VI, 821. — La provenance exacte de ce texte est connue par Bel- LOHi, Selecti nummi duo Anloniniani, cité par Casimiho, Meinorie isloriche, p. 330, en note.
l'île tibérine a l'époque lmpériale 58
elle consistait en une procession, une prière et un sacrifice; les habitants de chaque viens de Rome célébraient en commun le culte des Lares eompitales et du Genius Augustl; les magis- tri viconan, qui présidaient à ce culte, étaient chargés du soin de la purification annuelle ^
Les vici de l'époque impériale, comme les rues et les quar- tiers de l'époque républicaine, tiraient leurs noms soit des événements dont leur territoire conservait le souvenir his- torique ou légendaire, soit des industries ou des commerces qu'on y exerçait principalement, soit des familles riches et puis- santes qui y résidaient, soit enfin des grands personnages qui les avaient ornés et embellis. M. Otto Gilbert range le viens Censo/i dans cette dernière catégorie-. On ne sait rien, d'ail- leurs, du Censorius qui lui aurait donné son nom 3. Ce person- nage devait vivre aux derniers temps de la République ou au i" siècle de l'Empire. La seconde inscription relative au vieus Censori date exactement de l'année 100 après Jésus-Christ; dès cette époque, par conséquent, le vieus de l'île s'appelait ainsi.
Autel des dieux Lares. — Cette seconde inscription est dédiée aux Lares d'Auguste et aux Génies des Césars. Il y est question à la fois du viens Censori et de la XIV* région. Elle confirme et complète les deux témoignages de la Base capito- line et du cosmographe ^thicus : le vieus Censori faisait partie de la XIV région et de celle-ci dépendait l'île ^ :
Laribus Augustis et Genis Cœsarum. \ Imp[eratori) Cœsari divi Nervse filio Nervœ Traiano Aug[usto) Germ{anieo) ponti- fici maximo^ trib[unicia) pot[estate) II II, eo[n)s{uli) III, desi[g{nato) II II], \ permissu C[ai) Cassi Intera?nnani Pisibani Prisei prœtoris, œdiculam reg[ionis) XIII I vici Censori magis-
1. Cf. Marquardt-Mommsen, Man. des Antiq. rom., t. XIÏ, le Culte, I, p. 242; — GAnnxHAUSEX, op. cit., t. I, 2, p. 929, p. 944, t. II, 2, p. 540.
2. 0. Gilbert, op. cit., t. III, p. o4, note 3.
3. Les seuls CensoHi que citent pour le Haut Empire Klebs-Rohdex-Dessau dans la Prosopograp/iia impevii roman? (Berlin, 1897-1898)et l&RealEncyclopàdie de Pauly-Wissowa sont G. Censorius Niger, procurator Augusti en Norique, contemporain d'Antonin le Pieux (G. I. L., III, 5174; — Fko.nto, Epist., éd. Naber, p. 164-168) et M. Gensorius Paullus, legatus Augusti pro prœtore en Aqui- taine (G. I. L., XIII, 1129).
4. G. I. L., VI, 451. Fabretti écrivait en 1683 que cette inscription avait été trouvée récemment dans l'île, nuper in insula tiberina reperta.
!56 l/lLE TinÉRlNK DANS l'aNTIQIITK
//•/ anni CVl[i\ ' | vetuslalc dilapsam inpensa sua restitueriint, idem p?'{xtor) probavit ; \ L{ucio) Roscio .fJliano \ Ti{heno) Claudio SaccrdoLv co{n)s[u/ihits), L{ucius) Cercenius. L[ucii) lib[ertus) Hermès^ M(arcus) Livius C{aiœ lib{eftus) Donax, I P{ubiius) Rutilius P{ubiii) f{iHus) Priscus, L[ucius) Coranius L[ucii) lib[ertus) Evaristus dedic[averunt) III I k[alendas) Jan[uarii).
« Aux Lares d'Auguste et aux Génies des Césars. A l'empe- reur César Nerva Trajan, fils du divin Nerva, Auguste, Ger- manique, pontife souverain, étant revêtu de la puissance tri- bunicienne pour la quatrième fois, consul pour la troisième fois, désiprné pour un quatrième consulat. Avec la permission de C. Cassius Interamnanus Pisibanus Priscus, préteur, les ina- gistri du vicus Censori dans la XIV* région pour la cent septième année ont relevé à leurs frais ce petit édifice qui tombait on ruines de vétusté ; le mémo préteur a approuvé leur travail, L. Roscius yËlianus et Ti. Claudius Sacerdos étant consuls. L. Cercenius Hermès, affranchi de Lucius, M. Lucius Donax, aff'ranchi de Caia, P. Rutilius Priscus, fils de Publius, L. Coranius Evaristus, affranchi de Lucius, ont fait la dédicace le quatrième jour avant les kalendes de janvier (18 dé- cembre). »
L'indication des titres de l'empereur régnant permet de dater exactement ce texte. Trajan était revêtu de la puissance tri- bunicienne pour la quatrième fois en l'an 100, cent septième année depuis la création des vici'~. Des quatre 7nagistri du vicus Censori-^, trois sont des affranchis, un seul, L. Rutilius Priscus, est de naissance libre : parmi les magistri vicorum les ingenui ont toujours été beaucoup moins noml)reux que les liberti; sui- les 275 magistri que nomme la Base capitoline, il n'y a que 36 ingenui. A la fin de l'inscription on a gravé les noms des deux derniers consuls suffecti de l'an 100''.
1. Il faut supposer que le dernier chiffre a été effacé; d'après le nombre des puissances tribunicicnnes il devait y avoir CVII.
2. Les mar/istri vicorum entrèrent en fonctions pour la première fois le i" août 747/7 avant Jésus-Christ. Cette date servit de point de départ à la supputation chronologique. Les magistri s'appelèrent désormais magistri anni secundi, lerlii, etc., selon qu'ils étaient entrés en fonctions la seconde ou la troisième année après l'organisation des vici.
3. Il y avait quatre magistri Tpour chaque vicus : Base capitoline, C. I. L., VI, 973; inscriptions des autels dédiés aux dieux Lares, C I. L., VI, 44o et suiv.
4. GoYAU, Chronol. del'emp. rom., Paris, 1891, p. 177. Ces deux consuls suffecti n'ont exercé leur charge que pendant les derniers jours du mois de décembre.
l'île tirérine a l'époque impériale 57
La restauration du culte des dieux Lares est étroitement liée à l'institution des nouvelles régions urbaines par Auguste ^ De tout temps les Romains avaient adoré ces divinités domes- tiques, protectrices du foyer ; chaque famille avait ses dieux Lares, qui n'étaient autres que les génies mêmes des ancêtres; chaque quartier de la ville, dès l'époque républicaine, avait ses Lares compilaient et l'on célébrait annuellement dans les car- refours la fête des Compitalia. Quand Auguste divisa Rome en quatorze régions et les régions en 265 vici^ il fonda ou releva 265 autels des dieux Lares, un par viens- \ l'autel était le centre religieux, le fojer commun du quartier. Ces Lares des vici ajoutèrent à leur nom ancien le nom même d'Auguste qui avait remis leur culte en honneur. « Du jour où Auguste s'identifie avec l'Etat, les Lares de la cité deviennent les Lares impé- riaux. Et de même que dans les maisons particulières le Génie du maître est associé aux Lares des foyers, dans les chapelles des carrefours le Génie d'Auguste prit place entre les Lares d'Auguste-^ » On a retrouvé plusieurs autels des vici''; la plu- part étaient consacrés en même temps, comme celui de l'île tibérine, aux Lares d'Auguste et aux Génies de la famille impé- riale, Lai'ibus Augustis et Geniis Cœsariim.
Des ministri de condition servile assistaient les magistri vicorum. Une base de marbre, découverte dans l'île en 1676, porte sur deux faces deux inscriptions, du ii" siècle de l'ère chrétienne selon toute apparence, dédiées aux Lares d'Au- guste par quatre ministri'^ :
Larib{us) Aug[ustis) \ ministri \ qui k{aleiidis) Aug[iistï) j)rimi inierunt, \ Antigonus M[arci) Juni Erotis, \ Anteros D[ecii)Pohlici Barnai, \ Eros A{uli) Poblici Damée, \ Jiicundus M[arci) Ploti Anterotis.
Larib[îis) Aug[nstis) \ ministri \ qui k[alendis) Aiig{usti) primi inierunt, | Anteros D[ecii) Poblici Barnai, \ Eros A{uli)
1. Voir, sur les Compitalia et le culte des Lares et du Génie d'Auguste, Mar- QUAKDT-MoMMSEX, Mcin. cles Antiq. rom., trad. franc., t. XII, le Culte, I, p. 244.
2. Plin., Hist. nat., III, 5 (9), emploie les mots de Compila Larunt comme synonymes de vici : Complexa montes septem, ipsa dividitur Roma in regiones quatluordecim, compila Larum CCLXV.
3. GouRBAUD, le Bas-relief romain à représentations historiques, Paris, i899, p. 99.
4. G. I. L., VI, 445-454 ; — Gf. article JEdes Larum dans le Dizion. epigr. de Dl RUGGIERO, t. I, p. 182.
5. C. I. L., VI, 446-447. Reperfœ anno 1676 in insula tiberina (Fabretti, cité au C. I. L.l.
î>8 i/iLi: tiuéuim: ua.ns L'A^TlQl;n•^:
Pohlici Pa/H.v, I Jucumlus M{arci) Ploti Anterotis^ \ AiUiyo- nus M[arci) Juni Erotis.
« Aux Lares d'Auguste les minktri entrés en charge les premiers le jour des kalendes d'août (l" août), Antigonus, esclave de M. Junius Eros, Anteros, esclave de D. Publicius Harna, Eros, esclave d'A. Publicius Dama, Jucundus, esclave de M. Plotus Anteros. »
Les maîtres de ces ministri étaient eux-mêmes des affran- chis ou des descendants d'affranchis d'origine étrangère : leurs noms en font foi.
Statues de César et de Marc-Aurèle. — Plusieurs statues déco- raient les rues et les places de Tile. L'une d'elles représentait Jules César. On racontait à son sujet une aventure merveil- leuse. D'après Suétone, à l'issue des comices que Galba avait réunis en l'année 68 pour se faire élire consul une seconde fois, une statue de César qui regardait l'Occident se tourna sponta- nément vers l'Orient'. Ce prodige annonçait une prochaine révolution : un astre nouveau allait se lever à l'horizon. Tacite et Plutarque rapportent le même fait, en l'attribuant au règne d'Othon-'; ils nous apprennent que cette statue de César était située dans l'ile tibérine ; ils font observer que le prodige advint sans qu'il y eût ni coup de vent ni tremblement déterre. L'île n'avait pas perdu, a l'époque impériale, ses vertus sur- naturelles"^.
Un fragment d'inscription, recueilli dans l'île, appartenait à la base d'une autre statue, élevée à Marc-Aurèle^ :
[Prosaht\teetre[ditu \ eivï\ctori[a \ imp[erat07ns)Cœs[aris)] M[arci) Au[re\li An]tonin[i \ Atigitisti) {Ger\manici \ [Sar-
mati]ci, p{atri) p{atriœ), \ [(/{ono)] d{ato) \ us M[arci)
f{ilius).... vir cli | ... efcio \ ... t \ ...ta\ ...io...i Cœs...
1. SuET., Vesp., 5 : Ac non multo post, comitia secundi consulatus ineunte Galba, slatuam divi Julii ad orienlem spotile conversam.
2. Tac, Hisl-, I, 86 : Sinluam divi Julii in insula Tiberini amnis sereno et im- mola die aboccidenle in orienlem conversam. — Plut., O//10, 4: Kaltôvèv [xenoTtova- {it'a vr,Tw Vxio-j KacTapo; àvSpt'avTa [XT|Te Te'.T|j.ov •^s.yo'jrkoz \i-rt-t 7:v£-j(iaTo;. àcp' é<rjrépa; iiSTaTTpayÉvTa npoi xà; àvaroÀi;' 0 <fxm a-j(iof,vat Ttepi Ta; T,|X£pa;èxc!'va; âv aiç ol TtEpl O-jEOTraatavôv è|jiçav(ô; y,ôr, twv npxy^t.izM'^ àvTeAa!i.oivovTo.
3. Au moment de la mort de César, la statue de la Magna Mater au Palatin, qui regardait l'Orient, s'était tournée d'elle-même vers l'Occident (Cass. Dio, XLV'I, 33). Le miracle de l'ile tibérine annonçait l'avènement de Vespasien, comme celui du F'alatin avait annoncé la chute de César.
4. C. IL., VI, 1015.
l/lLE TIBÉRIXE A l'ÉPOQUE IMPÉRIALE 59
« Pour le salut, le retour et la victoire de Tempereur César Marc-Aurèle Antonin Auguste, Germanique, Sarmatique, père de la patrie, en vertu d'un don. »
Le surnom de Sarmaticus fut décerné à Marc-Aurèle en 175 ; l'inscription rappelle les victoires et l'heureux retour du prince ; de 178 à 180, il avait fait la guerre contre les Marco- mans; la date du texte, à quelques années près, est donc cer- taine.
La Forma Urbis Romas. — Sur un document précieux du m" siècle, malheureusement très incomplet et très mutilé, une petite partie de File tibérine est représentée ; si peu que nous apprennent les fragments de la Forma Urbis Romœ^ il est nécessaire de s'y arrêter : eux seuls nous donnent une image authentique et officielle de l'aspect que présentait dans l'antiquité l'intérieur de l'île.
Au début du m* siècle l'empereur Seplime Sévère fit graver sur marbre un plan de Rome à l'échelle du 250% qu'on afficha sur le mur postérieur du Templum Urbis Romœ au Forum. Pendant le pontificat du pape Pie IV (1559-1565)- des fouilles exécutées derrière l'ancien Templum Urbis Bomx, maintenant l'église des Saints-Côme-et-Damien, amenèrent la découverte d'un tiers environ du plan de Septime Sévère. Les morceaux retrouvés furent déposés au palais Farnèse on ne prit soin que des plus importants, que l'on transporta pendant le xviii" siècle au musée du Capitole ; les autres, qui n'avaient même pas été tous dessinés, servirent comme matériaux dans la construc- tion d'un mur à l'ouest du palais Farnèse. Depuis trente ans des fouilles faites à plusieurs reprises aux abords de l'église des Saints-Côme-et-Damien et la démolition du mur à l'ouest du palais Farnèse ont permis d'ajouter de nombreux débris du plan à ceux que l'on connaissait déjà. Il est à souhaiter qu'ils puissent être tous identifiés et classés méthodiquement et qu'une édition nouvelle vienne remplacer celle de Jordan désormais insuffisante i.
C'est à Jordan que l'on doit d'avoir reconnu sur deux frag- ments séparés une représentation de l'île tibérine. Bellori, le
1. Voir les observations de R. Lanciani, 7 nMO!;i frammenti délia Forma Urbis Romas, dans le Bullelt. Comiin., 1899, p. 3. — La première édition est celle de Bellori, Fragmenta vesligii veleris Romae, Rome, 1673. Celle de Jordan, Forma Urbis Romse, a paru à Berlin en 1874.
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l/lLE TinÉRINK DANS l'aNTIQUITÉ
premier éditeur do la Forum Urbis Rnmœ n'avait pas lu exac- tement les lettres que portent ces deux fragments ni remar- qué qu'ils se complètent l'un l'autre. Il suffit à Jordan de les rapproc'lier \ma\v voir quel quartier de Rome ils concernent et coque signifient les lettres mystérieuses. A la partie inférieure du morceau unique ainsi reconstitué sont figurés deux édifices; une colonnade précède celui de droite ; celui de gauche s'ouvre par une porte assez large sur l'espace vide qui s'étend en avant des colonnes. Au-dessus on lit trois mots : inte[r du]os
Fio. 10. — FBAdMKNTs m-: la Forma Urbis Bonir, conxrrnant l'u.e tib|},rine D'après lédition de Jordan, Berlin, Weidmaun, IST'i. pi. IX, 42.
po[n]tesK L'île tibérine était appelée assez souvent dans l'anti- quité l'île entre les deux ponts- ; la place bordée d'édifices dont la Forma Urbis Romœ reproduit un coin en dépendait par conséquent; Jordan avait raison de l'affirmer.
1. JoKiiAX, op. cit., p. 44 et pi. IX, 42.
2. Cf. les textes latins et grecs cités plus h<aut, à la page 3, en note. — Les Anciens appréciaient particulièrement parmi les poissons d'eau douce ceux qui avaient été pris dans le Tibre «entre les deu.x ponts». C. Titius, contem- porain de Lucilius, dans son discours pm Lcf/e Fannia, cité par Macbob. {Salurn. II, 12), vantait le lupus: Ëdimus turdum pinyuem, bonumque piscem, lupuin r/ennanum, qui in'er duos pontes captus fuit. Un personnage mis en scène par Lucilius dans une de ses satires, citée parMACnoB., ihid., préférait le catillo :
Hune ponlcs Tiberinos duo inter captas catillo. Cf. HoHAT., .Sa/., Il, 2, 31 :
Unde daturo sentis, lupus hic Tiberinus, nn nllo Ijiptus hiet 7 pontesne inter jaclatus an amnis Ostia 8ub ToBci ?
Plik., Hist. liai., IX, 54 (79) : Quando eadem aquatilium gênera aliuhi atque aliubi meliora : sicul lupi pisces in Tiberi amne inler duos pontes. Il est pos-
l'île tibérine a l'époque impériale 61
Inscription en l'honneur d'un préfet de l'annone. — Il faut des- cendre jusqu'à la fin du iv'' siècle pour trouver un nouveau texte intéressant l'île tibérine ^
En 389, le collège des mensores Portuenses éleva une statue à Ragonius Vincentius Celsus, ancien préfet de l'annone. La statue a disparu, la base sur laquelle était gravée l'inscription dédicatoire, conservée longtemps dans l'église Saint-Barthé- lémy, est déposée maintenant au musée du Vatican 2.
sible que les deux ponts mentionnés dans ces textes soient les ponts de Tile tibérine et que les poissons si goûtés des Romains fussent précisément ceux que l'on capturait aux abords de Tile. Le commentateur Cruquius, au xvi" siècle, a proposé cependant une autre explication. Les deux ponts seraient le pont Milvius, le dernier qu'on ait jeté sur le Tibre avant son entrée dans Rome, et le pont Sublicius, le dernier qu'il rencontrât, à l'époque républicaine et au début de l'empire, dans sa traversée de la ville ; les vers d'Horace voudraient dire simplement que l'on aimait mieux les poissons péchés dans la ville que ceux péchés en amont, non pas, comme le suppose Cruquius d'après Acro {ad Hor., loc. cit.) et Colum. (VIII, 16) parce que le courant y est plus rapide qu'à l'embouchure, mais parce qu'à cet endroit les égouts de Rome fournis- saient au lupus et au catillo une nourriture plus abondante (Juvex., V, 104). L'hypothèse de Cruquius est peu vraisemblable. Les mots inter duos pontes paraissent avoir eu dans l'antiquité un sens précis tout à fait passé dans l'usage; ils désignaient l'île tibérine elle-même; remarquons que l'Ile était très favorablement placée pour la pêche, et tout auprès du débouché de la Cloaca Maxima. — Pour 0. Richtek {Topogr. d. St. Rom, 2° éd., 1901, p. 191), les mots inter duos pontes s'appliquent à l'espace compris entre le pont Subli- cius et le pont ^milius, c'est-à-dire aux « abords de l'ile ». En réalité, ces deux ponts sont ceux de l'ile même, le pont Fabricius et le pont Cestius.
1. D'après Pighus, dans son recueil manuscrit connu sous le nom de S;/l- lof/e Luzaciana, une inscription dédiée à Apollon par Memmius Vitrasius Orfitus, via clarissimus, préfet de Rome pour la seconde fois ,356-339), pro- viendrait de l'ile tibérine (C. I. L., VI, 45). Mais cette indication de la Sijllof/e Luzaciana est évidemment fautive. Tous les autres recueils d'inscriptions rédigés à la Renaissance et Pighius lui-même, dans son livre imprimé des Annales, déclarent que la dédicace à Apollon a été trouvée au Ghetto près du Tibre (voir les textes cités au C. I. L.); elle était déposée à l'origine dans le temple d'Apollon au Champ de Mars, situé entre le cirque F'iaminius et le théâtre de Marcellus. L'erreur commise par Pighius s'explique peut-être par une confusion faite entre l'église San Bartolomeo de'Vaccinavi, près de laquelle la découverte eut lieu en effet, et l'église San Bartolomeo in isola. — Un frag- ment très mutilé d'une inscription relative à une réparation de l'aqueduc de VAnio Novusen 381 est inséré dans le dallage de l'hôpital des Frères de Saint- Jean-de-Dieu, près de la fontaine. Il était placé d'abord, très certainement, sur la rive gauche du Tibre, où aboutissait cet aqueduc sur l'Esquilin, et il n'a été transporté dans l'île que pour y être utilisé avec d'autres matériaux de cons- truction (C I. L., VI, 386.5). — Rappelons enfin, à ce propos, qu'une autre inscription de l'époque impérial' proviendrait aussi, d'après Ligorio, de l'île tibérine. C'est une dédicace à Hercule et à Silvaiu, faite par L. Junius Lyco, scriha librarius aedilium curulium. Elle a été trouvée, en réalité, assez loin de l'île, dans la via Giidia. Il n'y a pas lieu de tenir compte de l'assertion inexacte de Ligorio (C. I. L., VI, 296).
2. G. I. L., VI, 1159.
62 L ILK TIHKKINE DANS L ANTIOLlTi:
Ragonio Vincentio Ceho v{iro) c{l(irissiiii()) \ a /jrinio œta- tis introitn in actu \ jinhlico fideli evercitationi' rrrs/tfo, \ ciijus primff^vitas of/icio sedia itrôaruv \ advocalio/iis excercito fidem Jitncxit inf/enio, | prudentiœ miscuit liber tatem, ita ut Jiemo de \ ejiis industria nisi ille contra queni stisceprrat \ fonnidaret ; ciijiis accessits /etatis amplissimi | honoris et qui solet seniorib{ns) provenire orna\mcnta j)romeruit, nam rexit annonariam potes\tatem iirbis œternœ ea œg ni la le ni inter nmtieii \ qui ad euni nnimo litigantis intrassenl puren- tem se \ plerumq[ue) magis his quant judicem prsebxiisset. \ Hinc efiani factum est ut mensores nos Portuenses \ quih{us) vêtus fuit cum caudicariis diuturnumq[ue) \ luctamen., volt compotes abiremus, ut utrmnq{iie) \ corpus et beneficio se et Victoria graluletur \ adfectum ; nam ut hoc esset indicio jam posito I ?nagistratu, statuam patrono prœstantis \ sitno testi- monium gratulationis e.zsolvimus, \ cum res non adulatione privato, set judicio \ posito in otio et quiète reddatur.
On lit sur le côté :
Dedicata viii kaliendas) \ sept[embres) Fl{avio) \ Timasio et Fl[avio) Profnoto \ v{iris) c{larissimis) cons[idibus) .
« A Ragonius Vincentius Celsus, clarissime. Dès sa jeunesse il s'est occupé avec dévouement de fonctions publiques ; avocat (le la cité, il a joint la bonne foi au talent, Tindépendance à la prudence ; nul n'avait à redouter son zèle, si ce n'est celui contre lequel il devait s'élever. Avançant en âge, il a mérité les insignes d'une charge considérable, confiée d'habitudo à des vieillards ; en effet, il a dirigé l'annone de Rome, a^ ec tant d'équité qu'il se montrait un père plutôt qu'un juge à tous ceux qui venaient devant lui pour plaider. C'est pourquoi nous, mensores Portuenses, qui avions un ancien et long procès avec les caudicarii, sortis satisfaits du débat, à tel point que l'une et l'autre corporation se félicite d'avoir obtenu gain de cause, pour en rendre témoignage après sa sortie de magistrature, nous avons élevé à ce patron éminent une statue, en signe de reconnaissance ; notre acte n'est pas une flatterie à l'adresse d'un homme privé, c'est le résultat d'un jugement mûri dans le repos et le loisir. Cette statue a été dédiée le huitième jour avant les kalendes de septembre (25 août), sous le consulat de Fla- vius Trimasius et de Flavius Promotus, clarissimes (389 après J.-C.) »
Ce Ragonius Vincentius était un i)orsonnage considérable.
l'île TIBÉRIXE A l'ÉPOQUE IMPÉRIALE 63
Une autre inscription de Rome, dont on ignore la provenance exacte, et qui a été découverte peut-être elle aussi dans l'île, énumère tous ses titres ^ :
Vi[n\centi. \ Ragonio Vincentio V![iro) c[larisshno) \ oratori fori urhani^ 'prœ\fect[o) iir[b[is)\^ qiiaestori^ ^yvî? | tori trium- phali^ \coii\Huli^ praî\fecto annonœ; qui in primis | annis a se petens omnia orna \ menta virtutum, nihil sibi de \ gene- ris siii nobilitate blan | ditus, quantum virtiitis spei \ pro- mittat procedentis œlatis \ excellentiwn faclorum uber \ tate perdocuit, hinc denique \ factinn est ut ordo noster con\sensu totius [civi] tatis, nt me \ r[u\it^ p[at]ronum sibi perpc \ tuiim libenter optaret.
« A Ragonius Vincentius, clarissime, orateur du Forum urbain, préfet delà ville, questeur, préteur ^W«m^«/i6", consul, préfet de rannone. Dans ses premières années il réunissait tous les mérites, sans tirer avantage de la noblesse de sa race; il a réalisé par l'abondance de ses belles actions en avançant en âge les espérances de vertus qu'il donnait. C'est pourquoi enfin notre corporation, avec l'assentiment de la cité entière, l'a souhaité vivement, ainsi qu'il le méritait, pour patron à perpétuité. »
Les mensores Portuenses et les caudicarii nommés dans la première inscription formaient deux collèges que les lois impé- riales citent assez souvent et qu'elles rapprochent l'une de l'autre ~. La nature même des occupations de leurs membres exigeait que ces deux collèges eussent des relations constantes et sans doute les procès entre eux n'étaient pas rares. On appelait mensores Portuenses les mesureurs des greniers de l'annone à Porto et à Ostie, et caudicarii les mariniers char- gés de transporter les blés à Rome : ceux-ci recevaient de ceux-là les marchandises auxquelles ils faisaient remonter le Tibre^. Ragonius Vincentius Celsus, étant préfet de l'annone, eut à juger un procès qui divisait depuis longtemps ces corpo- rations. Sa sentence contenta à la fois les deux parties, —
1. G. I. L., VI, 1760. Cette inscription est perdue et connue seulement par une ancienne copie.
2. CoD. Th?:odos., XIV, 4, 9 (date : 411) : Ad excludendas patronorum caudi- cariorum fraudes et Portuensium furla mensorum ; — iôtrf., XIV, 15, 1 (date : 364) : mensores et caudicarii.
3. Sur ces collèges, consulter Wautzixg, Elude histor. sur les corpor. profess. citez les Honiains, notamment au t. I. p. 194 et 439, au t. II, p. 63 (en note, bibliographie des menf,ores l'orluenses), et p. 69 (bibliographie des caudicarii).
64 l'île TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
c'est du moins ce qu'affirme l'une d'elles, peut-être un peu suspecte.
La présence dans l'île tibérine d'un document concernant les niensores Portttenses et les caudicarii nous autorise à supposer qu'il y avait sur son territoire, au bord du fleuve, des magasins où les mariniers de l'annone venaient décharger leurs navires, La position qu'elle occupait au milieu du Tibre et la proximité des quartiers les plus peuplés de Rome expli- queraient aisément qu'on eût songé à établir en ce point un entrepôt de blés.
La domus Aniciorum, — L'ilo renfermait certainement à l'époque impériale plusieurs propriétés particulières. Nous ne connaissons le nom d'aucune d'entre elles ^ On a cru cepen- dant, sur la foi d'un passage de Claudien mal compris, que les Anicii habitaient ce quartier au iv" siècle'-. La gens Anicia était à cette époque l'une des principales de Rome, très souvent mentionnée dans l'histoire du christianisme. Originaire de Préneste, elle avait donné dès l'époque républicaine des ma- gistrats à la cité ; sous l'Empire, plusieurs de ses membres parvinrent au sommet de la hiérarchie administrative -^ Sextus Anicius Petronius Probus, consul en 371, eut trois fils : Ani- cius Hermogenianus Oly brins, Anicius Probinus, Anicius Pe- tronius Probus. Le troisième fut consul en 406 et cornes sacra- rum largitionum de 412 à 414. Les deux autres reçurent ensemble les insignes du consulat dès l'année 395; cette haute magistrature leur avait été conférée, malgré leur jeune âge, sur l'invitation de Théodose et pour honorer leur père. Ani- cius Probinus mourut très tôt. Son frère iui proconsul Africœ
1. Peut-être y avait-il dans l'ile des thermes appartenant à la famille des Juin Akarii. Ces ttiermes sont nommés dans une inscription de Rome connue seulement par l' Itinéraire d'Einsieileln (publié par Umi.ichs, Cod. topoqr., p. 62), et dont la provenance exacte n'est pas indiquée. — (',. 1. L.. VI, 29.764 : BaU- neum \ Juliorum | Akariorum. L'auteur de l Itinéraire la cite immédiatement après l'inscription de Valentinien, Valens et Gratien sur le pont Cestius et avant une inscription de Sainte-Anastasie, sur la rive gauche du Tibre ; il dit qu'elle se trouve prope ponlem, sans ajouter si c'est dans l'île, au Transtévère ou au Forum bonrium.
2. Voir, par exemple: Nardi.m, Hotna vefiis, VII, 12, dans le Thesaur. Anli- quil. roman, de Gr.kvius, t. IV. p. 1430; — Casimiro, Memorie isloriche, p. 328; — Gheoorovics. Gesch. d. St. Rom im Mitlelalter, éd. de 1869-1872, t. 1, p. 54, etc.
3. Voir l'article Anicii dans la Real Encyclopùdie de Pai'ly-Wissowa, t. I, p. 2196-2207.
l'île TlBÉRlNE A l'éPOQUE LMPÉRIALE 65
en 397 et préfet de Rome en 416. A l'occasion du consulat d'Olybrius et de Probiniis, Claiidien composa un poème où il célébrait leurs louanges. On y lit, au vers 226 :
« Dans le Tibre, au milieu de Rome, s'étend une île, à l'endroit où le fleuve coule entre deux villes que séparent ses eaux, et où ses deux rives couronnées de tours se dressent également à pic et menaçantes. Là le dieu s'arrêta [il s'agit du dieu Tiberinus^ venu à Rome en descendant le Tibre) ^ et soudain il vit du quai le spectacle qu'il avait souhaité contem- pler [allusion à la protection du dieu, qui avait permis aux deux jeunes Anicii de devenir consuls) : les frères s'avancent étroitement unis, entourés de sénateurs ; les haches nues brillent, et c'est d'un même seuil que sortent les faisceaux jumeaux '. »
Le mot agger désigne certainement le mur du quai qui entourait l'île ; le dieu Tiberinus s'arrête donc en celle-ci, où les païens lui avaient élevé très anciennement un petit sanc- tuaire, et voit s'avancer devant lui les deux frères. Il ne résulte nullement du texte obscur de Claudien que la demeure familiale de la gens Anicia fût située à l'intérieur même de l'île. Le cortège consulaire se déroule sous les yeux de Tiberinus, mais à quelque distance, sur la rive droite ou sur la rive gauche du Tibre ; il faut chercher la. domus Aniciorion au Transtévère ou du côté du Champ de Mars et des collines voisines '.
La description sommaire que fait Claudien des bords du Tibre est intéressante : des tours flanquaient les deux rives, à pic et escarpées; l'aspect de la ville au iv" siècle annonçait déjà le moyen âge; ces tours font penser à celles que devaient élever plus tard les barons féodaux dans leurs demeures for- tifiées ^,
1. Claudian., Paneg. dict. Probino et Olybrio coss., 226 :
Est in romuleo procumbens insula Thybri, Qua médius geminas interfluil alveus urbes, Discretas subente freto, pariter minantes Ardua turrigerae surgunt in culmina ripœ. Hic stetit, et subitum prospexit ab aggere volum. Unanimes fratres junctos, stipanle senatu, Ire foras, striclasque procul radiare secures, Atque uno bijuges tolli de limine fasces.
2. D'après Grisar, Gesch. Roms im Mittelalter, t. I, Fribourg, 1899-1901, p. 50, les Anicii auraient habité au Cœlius, sur l'emplacement de l'église et du couvent actuels de Saint-Grégoire-le-Grand. R. Laxciaxi {Forma Urbis Romœ, feuille 28) place, au contraire, leur maison au Transtévère, prés de l'église San Benedetto.
3. Gregorovius, op. cit., t. I, p. 54, se demande si l'on ne pourrait pas con-
5
66 l'île TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
L'île tibérine et l'invasion vandale. — Une inscription chré- tienne inexactement interprétée a fait supposer à tort, que File tibérine avait été brûlée par les Vandales en 455. Dans un récent mémoire M. Cantarelli a réfuté cette opinion ^ L'ins- cription, maintenant perdue, fut trouvée au xvii° siècle, dans la cour de l'hôpital des Frères de Saint- Jean-de-Dieu. On la connaît par des copies contemporaines ~.
-{- Vandalicarabics hanc iisùt martyris aulam \ quamPctrns antistes ciiltu meliore novalam...
« La rage des Vandales a brCdé cette église, placée sous Tin- vocation d'un martyr; l'évoque Pierre l'a restaurée et remise en meilleur état... »
En 455, Genséric, roi des Vandales, saccagea Rome ; en 465, un certain Pierre était évoque de Porto, à l'embouchure du Tibre ; il assista au synode romain tenu cette année par le pape saint Hilaire-^; l'ile tibérine relevait au moyen âge de l'évoque de Porto ; c'est donc à ce Pierre qu'il faudrait attribuer la res- tauration d'une église in insula après 455, et cette église ne pourrait être que celle de Saint-Jean-Baptiste, à laquelle suc- céda plus tard celle de Saint-Jean-Calybite ^.
M. Cantarelli a fait valoir contre cette thèse des objections décisives. Il n'est pas prouvé que l'île fût dès le v" siècle dans la juridiction des évêques de Porto : le plus ancien document qui témoigne de l'autorité exercée sur elle par ces évoques date du IX" siècle ; c'est un sarcophage du musée du Latran, prove- nant de l'église de Saint-Jean-Calybite ; l'inscription qu'il porte rappelle que Formose, évoque de Porto de 846 à 876, et plus tard pape, a transporté dans l'île les reliques des martyrs
dure des vers de Claudien que les murs d'Aurélien se continuaient le long de la rive gauche du Tibre jusqu'au pont Fabrictus. Les études dont l'en- ceinte d'Aurélien a été l'objet récemment ont montré que cette supposition de Gregorovius est tout à fait inexacte et inacceptable. Cf. IIomo, op. cit., p. 342-333.
1. Cantakelli, Dit un fràmmento epigrafico crisUano delVisola Portuense, dans le Bullelt. Comun., 1896, p. 6~.
2. Publiée par Sl'aiies, Prenesfes anliquœ lihri duo, Rome, 1655, p. 823; — Fabretti, Inscriptionum aniiquavum expUcatio, Rome, 1699, p. 737, n° 477; — Casimuio, Memorle isloriclie, p. 208.
3. Decrelum synodale llilari l'apae, publié par TniEL, Epist. roman, pontif., Leipzig, 1. 1, 1872, p. 159.
4. 0[)inion émise par Suares, lettre manuscrite du 10 octobre 1658 {Codex liarberini, XXXVIII, 34, p. 89-90), adoptée par de Rossi, note manuscrite que cite M. Cantarelli, et par Armellixi, le Chiese di Roma, 2* éd., Rome, 1891, p. G18.
l'ile tibérine a l'époque impériale 67
d'Ostie, Hippolyte, Taurinus, Herculianus, avec celles de saint Jean-Calybite i. Il n'est pas prouvé non plus que l'église de Saint-Jean-Baptiste existât dès le v" siècle : les bulles ponti- ficales et les actes de donation qui la concernent sont toutes du xf ~. Enfin, l'église relevée après l'invasion vandale était mise sous le patronage d'un martyr; il ne peut être question de saint Jean-Baptiste. Fabretti assure que l'inscription du cloître de Saint-Jean-('alybite se trouvait autrefois dans l'ile qui est située à l'embouchure du Tibre, à Porto "^ Il y avait à Porto une basilique de Saint-Hippolyte martyr. M. Cantarelli en conclut que notre texte provient de cette église, ravagée en 455 par les Vandales et relevée par l'évêque Pierre quelques années plus tard^. Au ix^ siècle, un autre évêque de Porto, Formose, chassé de sa ville épiscopale par une incursion des Sarrasins, aura transporté la pierre dans l'île tibérine romaine, en même temps que les reliques des saints Hippolyte, Taurinus, Herculianus et Jean-Calybite. Ces déductions n'ont rien que de très vraisemblable. L'inscription de Saint- Jean-Calybite ne se rapporte ni à l'île tibérine romaine ni au sac de Rome par les Vandales''.
Le procès du préfet des Gaules Arvandus. — Le dernier évé- nement historique auquel l'île se trouva mêlée dans l'antiquité fut le procès du préfet des Gaules Arvandus, sous le règne d'Anthemius. Arvandus avait comploté de s'affranchir de Rome et de s'allier aux rois Wisigoths. La conspiration échoua; le préfet fut arrêté, traduit en justice, convaincu de haute tra-
1. Texte publié par Gruter, Inscripliones antiqiiae, Heidelberg, 1603, p. 1033, n" 6.
2. Voir la liste de ces documents, dressée par Caxtarelli, op. cit., p. 71.
3. Fabretti, loc. cil.
4. A. DuFOURCQ [Elude sur les Gcslamartyrum romains, Péris, 1900, p. 247, note à la page 2 16 in fine) admet, comme M. Cantarelli, que l'inscription de Saint-Jean- Calybite provient d'une église située ad oslia Tiherina; mais il ne pense pas que cette église soit la basilique de Saint-Hippolyte, citée pour la première fois au ix° siècle dans la Vie de Léon IX (Libeu Pontificalis, éd. Ducliesne, t. II, p. 12); on sait par les Gesta marlyrum qu'il y avait à Ostie dès le VI' siècle trois églises, Saint-Laurent, Sainte-Aurea, Saint-Asterius ; peut-être l'inscription vient-elle de l'une d'entre elles, déjà fondée au y siècle.
\y. Il est important de le noter. Les chroniqueurs contemporains affirment que Genséric avait promis au pape Léon X de ne pas détruire ni incendier Rome, et qu'il tint parole : le sac de Rome dura quatorze jours, mais aucun édifice ne fut brûlé. Si l'inscription se rapportait à l'église Saint-Jean- Calybite, il faudrait avouer que cette assertion des chroniqueurs serait men- songère. 11 n'en est rien (Cantarelli, op. cit., p. Tj-lO).
68 L*ILE TIBÉRINR DANS l'aNTIQCITÉ
hison et condamné à mort. Sidoine Apollinaire écrit à Vinccn- tius, en l'année 469, qu'on l'a relégué « dans l'ile du serpent d'Epidaure », en attendant l'exécution du jugement rendu contre lui. « Là, défiguré au point d'exciter la compassion même de ses ennemis, il doit, suivant le sénatus-consulte de Tibère, traî- ner un reste de vie pendant trente jours après la sentence, re- doutant à chaque instant les crampons de fer et la corde du bourreau * » .
Sous la République, les condamnés à mort étaient exécutés aussitôt après le prononcé du jugement ; on ne faisait d'ex- ception à cette règle -que pour les femmes enceintes *. Pendant le règne de Tibère, un sénatus-consulte de l'année 21 prescri- vit que les décrets de condamnation à mort rendus par le Sénat ne seraient déposés à Vxrarium, et par suite ne deviendraient exécutoires, qu'après un délai de dix jours •'^. C'est à ce sénatus- consulte de Tibère que Sidoine Apollinaire fait allusion; bien que du i" au v* siècle le délai ait été porté de dix jours à trente ^, le nom de Tibère était resté attaché à cette importante et heureuse réforme.
On ne sait à quel endroit se trouvait la prison où fut enfermé Arvandus. Au xvii" siècle, Suarès a émis l'hypothèse que l'église
1. SiDON. Ai'OLL., Epist., I, 7, 12 (publié par Knuscn, dans les Mondm. Gebm., Aiici. antiq.. t. VIII, p. 12) : Capite mulclatus in insulam conjeclus est ser- pentis Epidauri, ubi usque ad inimicorum dolorem deveniistalus et a rébus humants veluli vomitu fortunœ nauseantis exsputus nunc ex velere senatus consulta liberiano triginta dierum vitam posl sententiam trahit, tincum et ijemonias et laqueum per horas turbulenti carn/ficis horrescens. On sait par d'autres textes que la tentative d'Arvandus eut lieu en 469 (Cassiod., Chron., anno 469; Paul., Ilist. jniss., XV, 2, cités aux Monim. Gehm., lac. cit., p. LI).
2. MoMMSEN, Rœmisches Slrafrerht. Leipzig, 1899, p. 191.
3. Tac, Ann., III, 51 : Igitiir faclum senatus consultuin ne décréta patruin anle diem decimam ad serarium deferentur ; — Suet., Tiher., Ib : Cum senatus consulta cautum esset ut pœna damnalorum in decimum semper diem differatur ; — Cass. Dio, LVII, 20: Aôvfxati 7rapaôo8f,vat èxéXsuTE pir,T'à7ro6vr,iT-/Etv èvToç SÉxaTiiiepôiv xbv xaTa'|/r,çi(T9év:a CiTr'aÙTtôv, \t.rf:z to Ypâ[X(ia to èTr'a-j-w vevôijlevov èîTÔ 5r,(A6iTiov èvTÔ; to-j a-j-roj ypôyo-j àTioTÎÔïaôai ; et L VI II , 27 : "Oti ys oJx è$f|V a-jTO-j; irpô Twv Séxa r,[xepwv àiroôaveïv. — Cf. Sexec, de Tranquill. anim., 1, 14; — Walteb, Histoire du droit criminel chez les Romains, trad. franc., Paris, s. d., p. 105; — MoMMSE.v, op. cit., p. 912.
4. On lit déjà dans les déclamations de Quintilian. (313) et de Cai.purnics Flaccl's (25) que les jugements capitaux ne peuvent être suivis d'effet qu'après trente jours. Une ordonnance de Gratien, en 382, ordonne ou rappelle qu'on doit attendre ce délai pour exécuter les sentences capitales prononcées par l'empereur lui-même : Cod. Theodos., IX, 40, 13. et Co[). Justix., IX, 47, 20 : l'er dies XXX super statu eoriDn sors et f'ortuna suspensa sit. Sur la date de ce texte, attribué quelquefois à tort à l'année 390, voir Goyau {op. cit., p. 604) et MOM.M.SEN {loc. cit., en note).
l'île tibérine a l'époque impériale 69
Saint-Jean-Baptiste, plus tard Saint- Jean-Calybite, avait été élevée sur remplacement même qu'elle occupait jadis ^ De nombreux chrétiens ont dû y être incarcérés au temps des persécutions 2. Le cachot où ils ont souffert aura été consacré plus tard au culte, comme celui de Saint-Pierre près du Forum, devenu l'église San Pietro in carcere. — Cette supposition gra- tuite ne s'appuie sur aucun fait ni sur aucun texte; nous ne savons rien de la prétendue transformation de ce cachot en église. Nous ne pouvons affirmer qu'une chose : c'est qu'il y avait dans l'île au v" siècle, outre les anciens temples et les maisons particulières, une prison où Ton gardait les condamnés à mort jusqu'au moment de leur exécution'^.
Inscriptions funéraires. — Un certain nombre d'inscriptions funéraires de l'époque impériale ont été trouvées, d'après leurs premiers éditeurs, dans l'île tibérine. Ces vagues indications de provenance, qui échappent à tout contrôle, sont souvent très suspectes. Les érudits de la Renaissance nous disent bien où ils ont vu les textes qu'ils copient, mais rien ne prouve que ceux-ci n'avaient pas été déplacés depuis leur découverte ; les inscriptions funéraires surtout, moins volumineuses en général et plus faciles à manier que les grandes dédicaces honorifiques, pouvaient se transporter aisément. A supposer même que toutes ces inscriptions eussent été trouvées authentiquement entre les deux ponts Fabricius et Cestius, il faudrait savoir encore si elles y furent déposées au moment de leur rédaction, ou si, au con- traire, elles n'y furent introduites que plus tard, à l'occasion, par exemple, de la construction d'édifices pour lesquels on les aura utilisées comme matériaux'^. Parmi celles dont l'origine paraît le plus sûre, il faut citer les huit textes qu'a publiés Ca- simiro dans ses Memorie istoriche : ils ont été recueillis en diverses circonstances à l'intérieur du couvent des Frères Mi-
1. J.-M. DE SuARES, lettre inédite conservée à la Bibliothèque Barberini à Rome, XXXVIII, 34, p. 89-90, citée par Cantarelli, op. cit., p. 72.
2. Suarès pensait que la prison mentionnée dans les Actes des saints Maris et Marthe était celle de l'île (Voir ci-dessous, p. 80). M. Cantarelli [loc. cit.), se refuse à l'admettre, mais il n'est pas éloigné de croire que la prison de l'île tibérine devint réellement par la suite l'église Saint-Jean-Baptiste.
3. Casimiro [op. cil , p. 267) suppose que la prison de l'île a remplacé le carcer mamerlinus comme principale prison d'Etat sous les empereurs chré- tiens. C'est tirer du texte unique et vague de Sidoine Apollinaire des consé- quences excessives.
4. Voir plus haut, p. 50.
70 l'iLI: TIBKRINE DANS l'aNTKJUITÉ
neurs dont dépendait l'église Saint-liarthéleniy et sous la place voisine'. On peut y ajouter neuf autres textes indiqués dans les recueils manuscrits de Doni : ils étaient conservés au-delà du Tibre, dans les jardins Sabuntiani et provenaient de la poupe de nie 2.
Tant que Vinsuia tiherina resta en dehors de l'enceinte reli- gieuse du pomerium, on put y ensevelir les morts, et la dé- couverte d'inscriptions funéraires sur son territoire n'a rien de surprenant. Mais dès le i" siècle de l'ère chrétienne le pome- rium fut reculé jusqu'au Transtévère ; l'ile et quelques quar- tiers de la rive droite firent partie désormais du sol urbain ; on ne pouvait plus y enterrer-'. De toutes les inscriptions funé- raires de l'époque impériale que signalent les auteurs de com- pilations épigraphiques, les plus anciennes seules proviennent réellement de tombeaux qu'on avait élevés m iiuula; les autres auront été apportées du dehors, soit aux derniers siècles de l'Empire, soit dans les temps modernes.
Epitaphe d'une Volcasia. — L'épitaphe de Volcasia Psamatho doit être citée la première. Elle est gravée sur une urne ciné- raire de marbre qu'on a extraite à la drague du bras droit du Tibre pendant les récents travaux de réfection du pont Ces- tius^. Sur le couvercle plat de l'urne trois lignes sont écrites :
Dis Man{ihus) \ Volcasia Psamathe \ vix[it) ann{is) LXXX.
Sur la face antérieure, deux lignes :
1. Casimiro, dans ses Memorie istoriche (p. 330 et suiv.), donne onze ins- criptions de l'île tibérine : quatre dédicaces (C. I. L., VI, 12, 821, 841, 10.317) et sept épitaphes (C. I. L., VI, 8842, 9418, 10.463,11.882, 16.645, 22.684, 27.750). Une huitième epitaphe est publiée, d'après la Sylloge de Polidoko au xvi' siècle, dans les Giunte aile memorie istoriche, etc., par Casimiho (p. 9).
2. Doni cité au C. I. L., VI, 10.133, 12.024, 12.202, 12.650, 13.500, 15.369, 20.563, 29.080 : In korto Bartli. et Jul. Caesaris Sat)untianoruin trans Tibenm e regione puppis insulae Tiberinœ.
3. Les empereurs renouvelèrent à plusieurs reprises l'antique défense (l'enterrer les morts dans la ville, à l'intérieur du pomerium : Cass. Dio, XVIII, 43 ; Vita. Antonin., 12; Vita M. Aurel., 13; Dicest., XLVII, 12, 3,5 (res- crit d'Hadrien) ; Cod. Justi.n., III, 44, 12 (rescrit de Dioclétien et Maximien) ; CoD. Theodos. IX, 17, 6 (rescrit de Gratien, Valent inien. Théodose). D'après Mahucciii, Noiiz. d. Scavi, 1901, p. 277, « l'usage d'ensevelir à l'intérieur de l'enceinte des murs ne commença pas avant le vi' siècle de notre ère ; à cette époque remonte un tombeau chrétien des Castra prœtortà (de Rossi, Bullett. d'archeol. crist., 1863, p. 32) et un autre sur i'Esquilin (Bianchini, dans VAna- stasium, t. Ili, p. 300).»
4. C. I. L., VI, 29.457. — Cf. Notiz. d. Scavi, 1889, p. 216.
l'île TIHÉRINE A l'ÉPOQUE IMPÉRIALE 71
Q[iiintus) Vo/casiiis He)wies \ palronœ h[ene) 7n[erentï)fecit.
« Aux Mânes de Volcasia Psamathe, qui vécut quatre-vingts ans, Q. Volcasius Hermès a fait cette dédicace à sa patronne bien méritante. »
Ce sont très probablement les dernières lignes de ce texte qu'avaient copiées maladroitement les érudits du xvi^ siècle ; l'inscription se trouvait alors, disaient-ils, dans le jardin de Baptiste- Jacques Matthei en l'île '' :
Q{îiintîis) Volcasius \ Hermès \ patronse \ b[ene) m[erenti) fiecit).
Le nomen de Volcasius ou Volcacius est très rare^. Une inscription de l'époque républicaine nous apprend que le pave- ment en mosaïque du temple de Jupiter Jurarius fut fait ou refait par les soins d'un C. Volcacius^. Il n'est pas impossible que les Volcacii aient habité sous l'Empire l'île tibérine, à côté du sanctuaire qu'un de leurs ancêtres avait orné. Jusqu'au moment où les empereurs reportèrent au-delà du Tibre la ligne du 'pomerium^ ils auront pu garder leur tombeau de fa- mille auprès de leur demeure. Volcasia Psamathe était sans doute elle-même une affranchie ou une fille d'affranchie de la gens Voicacia.
L'épitaphe de G-allonia Maritima. — S'il est assez vraisem- blable que l'épitaphe de Volcasia Psamathe était placée dès Torigine dans l'île tibérine, il est à peu près sûr, au contraire, que celle de GaUonia Maritima se trouvait primitivement dans un autre quartier de Rome. Sur une base octogonale de marbre conservée autrefois dans l'église Saint- Jean-Cabybite, on lisait, d'après les auteurs du xvi'' siècle^ :
D[is) m{anibus) \ GaUonise C{aii) filiœ Mai'itimse qiise et Epicharis \ C[aiiis) Gallonhis C[aii) f[ilii(s) Ulp[ia) Mariti- mus et pater fecit.
« Aux Mânes de GaUonia Maritima, fille de Caius GaUonius, surnommée aussi Epicharis, son père Caius GalloniusMaritimus, fils de Caius, de la colonie Ulpia. »
La pierre est maintenant au musée du Vatican ; la troisième
1. c. I. L., VI, 29.4S4.
2. Klebs-Rohden-Dessau, Prosopog raphia imperii romani, t. III, p. 473-474 ; — G. I. L., VI, 29.450-29.458.
3. G. I. L., VI, 379. Voir ci-dessous, p. 256.
4. C. I. L., VI, 18.878.
72 l'île tibérine dans l'antiquité
ligne, tout à fait effacée, a ôié refaite et l'on a cru pouvoir l'écrire :
C{aius) Gallonius ef. vijj. Maritinius et pater fecit.
Cette rédaction est inintelligible et ne saurait se défendre. Visconti l'a corrigée * :
C{aius) Gallonius et Ulp{ius) Maritimus et pater fecit.
Le second et aurait été introduit par erreur; le premier relierait simplement les deux gentilices donnés au même per- sonnage. — M. Mommsen propose une autre interprétation ^ :
C{aius) Gallonius C[aii) f[ilius) [colonia) Ulp{ia) Maritinms {Po)et{ovione) et pater fecit.
C. Gallonius Maritinuis serait originaire de la colonie Ulpia Pœtovio (Pettavo de Styrie), fondée par l'empereur Trajan. Ce texte, par conséquent, serait au plus tôt du ii* siècle de l'Empire, époque où l'on n'avait plus le droit d'élever des tom- beaux dans l'ile, intérieure au pomeriwn. L'inscription funé- raire de Gallonia Maritima n'a pas été retrouvée à sa place primitive. On a découvert l'épitaphe de deux autres membres de cette gens Gallonia à une grande distance du Tibre, dans les matériaux de l'une des tours anciennes de la Porta Flami- nia, démolies en 1879 •^. Le tombeau des Gallonii, dont nous ne connaissons pas l'emplacement exact, aura été ravagé à la fin de l'Empire, et ses pierres servirent ensuite en diverses constructions assez éloignées les unes des autres.
L'épitaphe de C. Sentius Regulianus. — Un petit cippe de marbre sur lequel est inscrite l'épitaplie de C. Sentius Regu- lianus a été vu à la Renaissance dans l'île tibérine^. C. Sentius Regulianus fut successivement membre et curateur du collège des négociants en gros d'huile [diffusor oleariiis) en Bétique, membre, curateur et patron du collège des négociants en vin [negotiator vinarius) à Lugdunum — collège qui avait ses
1. C.-L. ViscoxTi, Bullelt. Cotnun., 1880, p. 176. — Cf. Henzen, Bullett. delV Inslil. archeoL, 1881, p. 142.
2. Indiquée au C. 1. L., loc. cit.
3. Bullelt. Comun., 1880, p. 116. Il s'agit dans ce texte de deux personnages portant le praenomen de Gains, le noinen de Gallonius, et dits tous deux fils de Caius; la partie de la pierre sur laquelle étaient gravés les cognomina manque. Visconti déclarait (ibid.) que la grande rareté du gentilice et l'identité du prénom propre et du prénom paternel l'inclinaient à penser que l'un de ces Caii Gallonii portait le cognomen de Maritimus et était le même que le C. Gallonius Maritimus mentionné sur l'urne cinéraire.
4. C. I. L., VI, 29.722.
l'île TIBÉRINE A l'ÉPOQUE IMPÉKIALE 73
entrepôts dans le quartier des Cariabm — membre et patron du collège des mariniers de la Saône [nauta Arari), patron du collège des seviri Augustales à Lugdunum. M. Waltzing estime que cette inscription, à en juger par les titres décernés à Regulianus, n'est pas antérieure au if siècle de Tère chré- tienne^. Regulianus n'a donc pas été enterré à l'endroit où son épitaphe a été retrouvée, et celle-ci n'y fut apportée que long- temps après sa mort.
Épitàphes diverses. — Les inscriptions funéraires qu'il nous reste à examiner ne méritent pas qu'on s'y arrête longuement. Elles ne nous donnent aucun renseignement sur l'histoire ni sur la topographie de l'île tibérine dans l'antiquité. Il est impossible, en l'absence d'indications chronologiques précises, de faire le départ entre celles qui viennent de tombeaux élevés anciennement à cette place et celles qui viennent d'autres quartiers de Rome et des environs. On a tout lieu de croire, cependant, qu'elles appartiennent poiu* la plupart à la seconde catégorie.
Quelques épitàphes sont intéressantes par les métiers et professions qui s'y trouvent nommés ; ce sont celles de Sellia Nice, faite par son mari C. Sellius Onesimus, fondeur sur la voie sacrée, /Ialuar{nis) de via sac{ra)- — de Cn. Vergilius Epaphro- dicus, maître de chant au sanctuaire de Minerva Medica, magister odariarms a Minerva Medica^, — de M. Aurelius Chryseros, affranchi impérial^, — de Syntrophus, esclave de la maison impériale, employé à la garde-robe, Cœsaris ve\rna] a veste'', — de Cn. Cornélius Capitolinus, faite par son oncle \Sote]nciis, esclave de la maison impériale et intendant, Aug[usti) n[ostri) ver{iia) disp{ensator)^. Sur les autres on a indiqué simplement le nom et l'âge du défunt et parfois aussi les noms de ses parents : épitàphes d'Aburia Genesis par les soins de son mari L. Saufeius Félix", d'Antiochus ^, d'Antonius
1. Waltzing, op. cit., t. II, p. 31.
2. C. I. L., VI, 9.418.
3. C. I. L., VI, 10.133.
4. C. I. L., YI, 13.050.
5. C. I. L., YI, 8.548.
6. G. I. L., YI, 8.842.
7. G. I. L., YI, 10.463.
8. G. 1. L., YI, 11.882.
74 L ILE TlUÉhl.NE DANS l'aNTIQUITI^
Valens par sa mère Aiitonia Lucia^ d'Eutychia et d'Eutyches l)ar D. Apuleius lonicus leur frère et oncle", de L. Arrmitiiis Trophimus-', d'Atimetus par Claudia larine sa femme ^, de Barenia Successa par son mari T. Baienius Chresimus'', de Claudia Bassilla par Ti. Claudius Glaphjr", de P. Curtius One- simus et de sa femme Cœcilia Festiva'. de P. Fabius Valen- tinus par F. Fabius Valentinus son père^, d'isidorus par ses père et mère'-*, de Julia Maximina par son père Julius Maxi- minus i^, de M. Lucceius Sosianus, par sa mère*', de C. Marins Eutactus par son ami T. Flavius Chjrsaspis ^~, de Mûnatia Vitalis par Titia Tallusa et les affranchis Primitivus, Restutus (ou Restitutus) et Hernies *'^, de Naevia Euplia par son fils M. Naevius Fortunatus i'%de T. Sextius Hospes, Sextia Helena, T. Sextius Apollonius, de T. Sextius Sabinus*-', de Tullia Fortu- nata par son mari C. Octavius Clvtus '•', d'A. Vitellius Chrvseros ei. Vitellia Prima, sa co-affranchie et sa femme, d'A. Vitellius Alexander affranchi, M. Junius Hegesias, leur ami, Julia Rufina et Julius Hclpidis Pliorus, tous ensevelis ensemble*'. En 1878, un fragment d'inscription funéraire comprenant quatre lettres a été trouvé à la tête du pont Fabricius ***.
Popa de insula. — Il convient enfin de citer un dernier texte funéraire qui concerne peut-être l'île ; on l'a découvert sur la rive gauche du Tibre, près de la via Aiirelia^'K
Critonia Q[uinti) l[iberta) Philema \ popa de insula \
1. c. 1. L., VI, 12.024.
2. c. I.L., VI, 12.202.
3. C. I. L., VI. 12.434.
4. C. 1. L., VI, 12.650.
5. C. I. L., VI, 13.a00.
6. C. I. L., VI, 15.369.
7. C. I. L., VI, 16.645.
8. C. I. L., VI, n.574.
9. C. I. L., VI, 19.721.
10. C. I. L., VI, 20.563. H. C. 1. L., VI, 21.544.
12. C. I. L., VI, 22.202.
13. C. I. L., VI, 22.684.
14. C. I. L., VI, 22.849.
15. C. I. L., VI, 26.527
16. C. I. L., VI, 27.750.
17. C. I. L., VI, 29.080.
18. C. I. L., VI, 21.438. Cf. Notiz. d. Scavi, 1878, p. 236 : D... | C. Lo.
19. C. I. L., VI, 9.824.
L ILE TIBÉRINE A L ÉPOQUE IMPÉKIALE 75
Q[uinti) Ci'itoni C{ahe) l{ibertï \ Dassi \ scalptoris uclari \ sibi suisque poster{isque) \ eor{îan).
« Critonia Philema, affranchie de Quintus, popa de insuia, ancienne esclave de Q. Critonius Dassus^, affranchi de Caia, graveur en métaux et orfèvre -, a construit ce monument pour elle, pour les siens et leurs descendants. »
L'affranchie Critonia Philema était popa de insida. On donnait le nom de popa à un victimaire^. Nous n'avons pas d'autre exemple de l'emploi de ce terme au féminin. Quelle était Yinsîda où Philema exerçait sa charge religieuse? Le mot tnsida peut désigner un îlot de maisons ou l'île tibérine. La seconde interprétation est préférable^. Critonia Philema devait être attachée à l'un des temples d'Esculape, de Jupiter ou de Faunus,
1. La forme génitive indique que Philema a été soit l'esclave, soit la femme de Q. Critonius Dassus. La première hypothèse est la meilleure : seules les femmes de grands personnages faisaient suivre leur nom du nom de leur mari au génitif sans ajouter le mot conjux.
2. Le mot uclari est embarrassant. Orelli croit qu'il faut lire v[as)clari ; le vascularius était un fabricant de vases en métal ou un orfèvre.
3. 'Voir les exemples cités par Fokcellini-de Vit, Lexicon, s. v°.
4. C'est celle qu'adopte R. Lanciaxi ; à la feuille 28 de sa Forma Urbis Romœ il cite cette inscription parmi celles qui intéressent l'île.
CHAPITRE V
L'INSULA LYGAONIA
L'île tibérine au moyen âge. — L'île tibérine est désignée dans les textes du moyen âge sous un nom nouveau : insula Lycao- nia, l'ile Lycaonie. Il ne nous appartient pas de raconter son histoire à cette époque. Des églises succédèrent aux temples : Saiut-Jean-Baptiste, remplacé plus tard par Saint-Jean-Calybite, Saint-Barthélémy, Sainte-Marie in insula^. Les évoques de Porto avaient l'ile dans leur juridiction ; ils obtinrent des papes, au xi" siècle, plusieurs chartes confirmant leurs droits, que contestaient les évoques de Selva Candidat. En 1087 le pape Victor III, luttant à Rome même contre l'antipape Guil)ert, se réfugia dans l'ile tibérine'^. De grandes familles féodales y possédaient des palais fortifiés ; on peut citer au xii' siècle celle des Pierleoni '•. L'ile devint plus tard la propriété des Gaetani '' ; ils avaient élevé à l'entrée, tout auprès du pont Fabricius, une tour qui a subsisté jusqu'à nos jours ; elle est enclavée maintenant dans les maisons voisines. Si nous n'avons pas à suivre les destinées de l'ile tibérine au moyen âge, nous devons cependant nous efforcer d'expliquer le nom qu'on lui
i. Sur les églises de l'île tibérine, voir plus haut, Introduction, p. 4.
2. Ces chartes seront énumérées et citées plus loin.
3. Chron. Casin., dans les Momm. Gehm. (éd. in-folio), Scriptores, t. VU, p. 7.Î0 : Morabatur vero apvd insulain Remis; — Chron. Bernold., dans la même collection, t. V, p. 446 : Domnus papa autem in innulain qux inter duos pontes sita est, se recepil. — Cf. Jakk^-Wattenbach, Hcffesta ponlif. roman., Leipzig, 1881-1888, t. I, p. 656 (juin 1087).
4. Liber Pontificalis, éd. Duchesne, Paris, 1886-1892, t. II, p. 311 (texte cité plus loin).
5. Dans le commentaire de la vie du pape Gélase H, qu'a donné Costantlno Gaetani en 1638 et qui est reproduit par Mi katori, Rerum ilalicarum scriptores. Milan, 1723-1751. t. III, p. 370, on lit : Civilatis Caietse duces... damas suas site palatium Romse in insula Lycaonia habuisse.
L INSULA LYCAOMA 77
donne alors et qui remonte très probablement aux derniers temps de l'antiquité.
L'expression insula Lycaonia dans les textes datés. — Il est nécessaire tout d'abord de passer en revue les documents oîi se rencontre l'expression insitia Lycaonia^ en commençant par les plus récents. Ce rapide examen permettra de savoir à partir de quelle époque l'appellation nouvelle fut employée.
Dans les descriptions de Rome rédigées entre le xii° et le xv" siècles à l'usage des pèlerins et dans les chroniques l'île tibérine est nommée couramment île Lycaonie*. M. Sepp a publié, en 1897, un poème inédit sur la translation des reliques de saint Barthélémy, composé dans la seconde moitié du XII* siècle ; on y lit à deux reprises les mots insula Lycaonia ^. On les retrouve en trois passages du Liber Pontiflcalis, de la fin du xi" siècle et du commencement du xii''^, en cinq actes de donation ou confirmation de privilèges, de la première moitié du xf siècle, émanant des papes, adressés le premier
1. Voir par exemple la plus ancienne fies descriptions de IJome, Descriptio plenavia totius Urbis (xir siècle) publiée par Uklichs, Cod. topofjir., p. U2, et par Jordan, Topogr. d. St. Rom, t. II, p. 643 : In insula Licaonia tem- plum Jovis et templum AUsculapii ; — Saba Malaspina, Historia, liv. II, chap. XIV, publié par Muratori, Rerum italicarum scriptores, t. VIII, p. 812 (à propos d'une tentative faite par Petrus de Vico pour s'emparer de Rome par surprise, sous le pontificat d'Urbain IV, en 1264) : Est enim Romœ locus quem alvei dividentes Tybevini late circumsepiunt ab ulroque, ad quem pripslant aditum pontium monumenta conformia. Hic ab anliquo insula Lycaonia nuncupatvs. — Un privilège accordé par Pascal II à Otton, évêque de Bamberg, le 13 avril 1111, est daté de l'ile Lj-caonie : datum Romae in insula Lycaonia (Migne, Palrol. lat., t. CLXIII, p. 287; — Cf. Jaffé-Wattenbach, op. cit., t. I, p. 743, n» 6291).
2. B. Sepp, Ein inediertes carmen de translatione S. Bartholomœi, dans le Neues Archiv, 1897, t. XXII, p. 570 et suiv. 11 est fait allusion dans ce texte à la crue du Tibre et à l'inondation de 1136. — Au vers 44 :
Insula pulchra salis requies peramena beatis Christo dante datiir, Lycaonia quœ vocitatur.
Au vers 55 :
Insula congaude, gaudens Lycaonia plaude.
3. Liber Pontificalis, éd. Duchesne, t. II, p. 311 (Viede Ge'lase II, 1118-1121) : {Urbanus episcopus Ostiensis postea papa) a quondam famosissimo vivo atque illustri Petro Leonis Rome in insula Licaonia inter duos egregii Tyberis pontes vix ab inimicoriim insidiis sustenlatus. — Ibid., p. 334 {Annales romaines, 1044-1073; récit du pontificat d'Etienne IX, 10o7-10o8) : [Ildebrandus archidia- conus) tune pev Transtiherim venit in insula Lycaonia. — Ibid., p. 343 [Annales romaines, 1116-1121, récit du pontificat de Pascal II vt de ses luttes contre l'antipape Maginulfus ou Silvestre en l'année 1103) : Mox pontifex ut audivit, egressus de patriarchio lateranensi secessitque in insulam Lycaoniam in ecclesia beati Jokannis.
78 l'île tibérine dans l'antiquité
par Jean XVIIl aux religieux du monastère des Saints-Côme- et-Dainien à Rome en 1005', le second par Benoit VIII à révéque de Porto en lOlS^, le troisième par Jean XIX à révoque de Porto en 1025'', le quatrième par Benoît IX à l'évoque de Selva Candida en 1037 's le cinquième par Léon IX à révoque de Porto en 1049^, enfin dans une donation de Benoit, évoque de Porto, du 14 juin 1029 <5, et dans une dona-
i. PrtviiK-l] Amrvyc, Acla Ponlif. roman, inedila II, Tubingen, 1881, p. 57: acte (lu 25 mars 1003 : concession d'un moulin à eau et de ses dépendances, posilù Rome regione inter duos pontes in capite de insula que vocatur Licao- nia usqtie uhi dividilur aqiia.
2. Mk.nb, op. cil., t. GXXXIX, p. 1620 : Nec non et confirmamus vohis ves- trisque successorihus in perpetiium omnes res et facultates... in tota Porluense civitate, seu in Transtit)erim vel in insula Lycaonia, sive uhicumque vestri episcopii jura esse videntur. — Ihid., p. 1621 : Totam insulam quœ vocatur Lycaonia in qua est ecclesia B. Jo. Baptistœ et ecclesia S. Adalberli... sicuti extenditur ait uno capite usque in aliud caput ipsiiis insulw, uln flumen divi- dilur (Jafkk-Wattenbach, op. rit.., t. I, p. 510, n» 4024, l"aoùt 1018; — Migne, d'après Ugiielli, Ilalia sacra, t. I, p. 116, donne à tort la date de 1017).
3. MioNE, op. cit., t. GXLI, p. 1119 et 1120 : répétition de la donation faite dans l'acte précédent, à peu près dans les mômes termes (Jaffé- Wattenbacii, op. cit., t. 1, p. 515, n» 4067, mai 1025).
4. MiONE, op. cit., t. CXLi, p. 1353 : Ilemqiie confirmamus vobis... ecclesiam SS. Adalberli et Paulini cum ecclesia S. Benedicti et omni sua inteqritale et perlinentia, et sicut ad manus veriras hodie tenetis positam infra hanc civi- tatem Rojnam in insula Lycaonia ut sit vobis vestrisque successorihus cum volueritis episcopale domicilium, et congruum receplaculum opportunumque hahitaculum quetnadmodum hahere videtur Portuensis ecclesia S. Joannis inler duos pontes (Jaffé-Wattenbach, op. cit., t. I, p. 1)20, n" 4111, no- vembre 1037).
5. MiGXE, 0/). cit., t. CXLlll, p. 600 : in insula Lycaonia; p. 601 : Eliam confirmamus vobis vestrisque successorihus in perpetuum totam insulam quœ vocalur Lycaonia uhi esse ecclesia S. Joannis Baplislœ et S. Adalberli, unde quaerimoniam. posuistis in synodo quam celehravimus in ecclesia Salvatoris ; quare contra Crescentium, .S. Sylvse Candidœ ecclesise episcopum, qui eamdem ecclesiam suo episcopatui vindicahal , cum vero ambse partes ante praesentiam noslram et totius syjiodi starelis, placuit ut si scripturam inde haberes, in médium videndam legendamque profeires. Slatim attulisti privileyium quod anlecessori luo Benedicto episcopo, dicto de Pontio, Benedictus Vlll ante- cessus noster fecit de inlegritate totius episcopatus. Quod cum lectum esset nominalim Un inventa est ecclesia illa, quam, sicut in quœrimonia tua dixisti, ipse tuus antecessor dicaveral tempore Olhonis III imperatoris a quo œdificata fuit in honorem S. Adalberli (Jaffé-Wattenbach, op. cit., t. I, p. 531, n°4163, 22 avril 1049). — Un acte du 2 août 1236, accordé par Grégoire IX à l'évêque de Porto, rappelle encore et confirme ces donations anciennes : In qtiibus fus propriLs duximus exprimenda vocalmlis... ecclesiam S. .Joannis in insula Lycaonia cum terris et vineis suis, et ecclesiam S. Adalberli in eodem loco cum terris, vineis et domilms suis. (Uoiielli, op. cit., t. I. p. 131; — Pottiiast, Hegesta pontif. mman., Berlin, 1875, p. 868, n* 10211).
6. L. Habtmax.n, Ecclesise S. Marise in via lala tahularium, Vienne, 1895. n* Ll Y, p. 67-68 : Benedictus -episcopus ecclesise Portuensis concedit in perpe- luam emp/iyteusim Krmingardœ et Bonizœ abbatissis monasterii S. S. Cyriaci
L INSULA LYCAONIA 79
tionde Silvestre, abbé du monastère des Saints-Côme-et-Damien, en 948 ou 949'.
Les légendes hagiographiques. — Nous atteignons ainsi, à l'aide des textes datés, le milieu du x° siècle-. Mais le nom à'insiila Lycaonia est certainement beaucoup plus ancien. Les Actes des martyrs romains en témoignent. Dans les nom- breuses légendes martyrologiques qui prirent naissance à Rome aux premiers temps du christianisme, l'île tibérine est plusieurs fois mentionnée, et l'on peut y relever quelques détails plus ou moins authentiques intéressant son histoire.
11 faut mettre à part la légende tardive et suspecte de saint Emigdius, évoque d'Asculum. Ce personnage aurait combattu à Rome le culte d'Esculape et jeté de ses mains dans le Tibre une statue du dieu de la médecine. L'auteur du récit ne nomme pas l'île tibérine. Peut-être cependant le temple d'Esculape dont il parle est-il celui qui s'élevait au milieu du fleuve, m insida'K
D'après les Gesta martyriim, sainte Eugénie refusa de sacrifier à Diane dans son temple de Tile Lycaonie ; tandis qu'elle confessait le vrai Dieu, un tremblement de terre dé- truisit le temple et la statue de Diane ; sur Tordre du préfet Nicetius, Eugénie fut précipitée tout enchaînée dans le Tibre, mais son corps, par un miracle insigne, au lieu d'être englouti, flotta intact sur les eaux''. Il n'y avait pas dans l'an-
el Nicolai aquimolum in fluvio Tiberi in insula Licaonia juxla ecclesiam S. Johannis.
1. P. Ff.dele, Carte ciel monastero dei SS. Cosma e Bomiano, dans YArchiv. délia R. Soc. rom. de Storia Patria, 1898, t. XXI, p. 495 : fragment mutilé concernant un moulin du Tibre; la donation pontificale de 1005, citée plus haut, permet de compléter le texte : Et aquimolum ipsiim cum omnibus ad eum pertinentibus. Positum [Rome regione inter duos pontes in capife de insula que vocatur L]ycaonia. Les indications chronologiques données dans ce document le font attribuer, soit à l'année 948, soit à l'année 949.
2. M"" DucHESXE, éd. du Liber Pontificaus, t. II, p. 334, en note : « Le nom à'insula Lycaonia se trouve déjà dans une charte de 1018;» — Laxciaxi, Forma brbis Romœ, feuille n° 28 : « {insida Lycaonia) inde ab a. 1081 . » En réalité, on peut remonter jusqu'à une époque bien plus reculée.
3. Cf. ci-dessous, p. 2i0.
4. Migne, op. cit., t. XXI, p. 1121-1122, Vita S. Eugeniae : (Nicetius) jussit eam ad templum duci Dianse... Dum oraret, fit terrœmolus in eodem loco : et ita templi ipsius fundamenta mersa sunt cum ipso idolo ut nihil aliud remanseiHl, nisi sola ara quse fuit unte junuam templi, ad qiiam stabat beata Eugenia. Haec in insula Lycaonia gesta sunt coram omnilms qui sequebantur agonem Eugeniae... — Consulter sur cette légende A. Dufol'rcq, Etude sur les Gesta mavtyruin romains, p. 35, 191, 299.
80 l'île TIBÉRINE DANS L^ANTIQUITÉ
tiqiiiU'', à notre connaissance, de Kanctuaire de Diane en l'Ile tibérine. Le rédacteur des Actes aura commis quelque mé- prise. Un seul fait doit être retenu : des martyrs chrétiens ont été jetés dans le Tibre, pendant les persécutions, auprès de nie.
C'est ce que nous montre aussi la légende de saint Cal- liste; le corps décapité de saint Calepode subit le même sort que celui de sainte Eugénie, « devant l'île Lycaonie^ ».
Les saints Hippolyte, Hadria, Paulin, Néon, Maria, Eusèbe, prêtre, Marcel, diacre, connus sous le nom commun de « mar- tyrs grecs » furent mis à mort près d'un pont appelé pons Antoîiintfs, et leurs corps furent laissés à cet endroit, « à coté de l'ile Lycaonie- «.
Les saints Maris et Marthe trouvèrent <( en prison, dans le camp au-delà du Tibre», un homme d'une grande sainteté, nommé Cyrinus ou Quirinus, qui fut tué d'un coup dopée et jeté dans le Tibre ; « son corps s'arrêta dans l'île Lycaonio''». On s'est demandé si cette prison au-delà du Tibre no serait pas celle précisément de l'île tibérine, où l'on gardait trente jours les condamnés amorti Cette hypothèse n'est guère probable. La prison que citent les Gesia était située dans un camp; il s'agit sans doute de l'un de ceux du Transtévère, qui sont bien connus, castra Ravennatiuîii ou castra lectica- riontm.
Ces divers documents hagiographiques ne sont pas susceptibles d'être datés avec autant de précision que les textes énumérés
1. AcTA Sanctorum, octobre, t. VI, p. 441 (Voir aussi dans les Acta Saxc- TOHUM, mai, t. Il, p. ."JOO) : Tenuit autem et B. Cnlepodium quem fecit occidi gladium et corpus trahi per civitutem siib die kalendarxim Maii : cujiis corpus jactari fecit in Tiberim anle insulam Lycaoniam. — Consulter A. Dufolrcq, op. cit., p. 3o, 115, 311.
2. Texte publié par de Hossi, Roma sotteranea, Home, 1864-1877, t. III, p. 207 : Et prœcepit eos adduci ad ponlem Antonini et plumbatis caedi diutissime risque ad consutnationem eorum. Et dum diu caederentur emisenint spirituni. Et relicta sunt corpora in eodem locojiurta insulam Lycaoniam. — Consulter A. Dufolkçq, op. cit., p. ;{6, 179, 300.
3. Acta Sanctoblm. janvier, t. II, p. 580 (Voir aussi dans les Acta Saxcto- BfM, mars, t. IM, p. 5i4) : Venientes in Castra trans Tiberim in carcere inve- nerunt hominem venerafnlem Cyrinum nomine... Inveiierunt tamem quemdam presbyterum nomine l'ustorem, qui et illis narravit \^nia quae facta fucranl et quo modo noctn interfectus fueral yladio H. Cyrinus, et jactafus ftterat in Tiberim, cujits corpus remansit in insula Ujcaonia>. — Consulter A. Dufoukcq, op. cit., p. 36, 2iO, 311.
4. Voir ci-dessus, p. 68.
L mSULA LYCAONIA
81
plus haut. Tl résulte cependant des recherches dont ils ont été l'objet pendant ces dernières années qu'ils furent écrits au plus tard pendant le vi" siècle^. On peut tenir pour avéré que dès le v' siècle l'appellation à'insuia Lycaonia était populaire à Rome et le vieux nom plus simple à'insula tiberina laissé de côté.
D'où vient l'expression insula Lycaonia et quel en est le sens? A cette question plusieurs réponses différentes ont été faites ; aucune ne paraît satisfaisante.
Jupiter Lycaonius. — Un certain nombre d'érudits des derniers siècles font dériver le mot Lycaonia des mots Lycaon^ Lycao- nius. La légende de Lycaon est d'origine arcadienne et liée au culte rendu à Jupiter ou Zeus sur le mont Lycée, Zeùç Auxafoç. Lycaon était un roi d'Arcadie que Jupiter métamorphosa en loup, X'j/.sç, pour le punir d'avoir voulu lui faire manger dans un festin de la chair humaine ~. Le temple de Jupiter dans l'ile tibérine devait rappeler ces mythes ; il était dédié à Jupi- ter Lycaonius, et c'est de lui que V insu la Lycaonia tirait son nom 3. — Mais on affirme gratuitement que Jupiter de l'île s'appe- lait Lycaonius ; nous ne possédons pas de texte où cette épithète lui soit donnée^; bien plus, jamais à Rome elle n'est appliquée à ce dieu par les auteurs ou les inscriptions^, de même que jamais en Grèce l'épithète Au/,aov{oç n'est attribuée à Zeus ; on rencontre en Grèce, il est vrai, un Zeùç vYuz.aîoç''', mais la seule traduction possible en latin du mot Auxafcç serait Lycseus. Il faut donc renoncer à l'étymologie proposée.
Les Lycaonida, jeux du Tibre. — M. von Urlichs rapproche
1. Renseignement communiqué parMs'Duchesne. — Cf. A. Dufouiscq, op. cil., p. 299, 300, 311 ; d'après M. Dufourcq, ces documents datent tous des dernières années du v siècle.
2. Sur la légende de Lycaon, ses formes diverses et sa signification, voir Tarticle de C. Pascal, î7 Mito di Licaone, dans les Rendic. delVAccad. dei Lincei, 1895, p. 216.
3. Voir, par exemple : Casimiro, Memorie istoriche, p. 265; — Ficoroxi, Ves^ tigia e rarità di Roma antica, Rome, 1744, p. 42; — Guattaxi, Roma descrilla, Rome, éd. de 1803, t. II, p. 67; — Vexuti, Descriz. topogr., éd. de 1824, p. 177.
4. Cf. ci-dessous, p. 249.
5. La liste des surnoms de Jupiter est dressée dans le Lexicon de Roscher, t. II, 1, p. 751.
6. Preller-Robert, Griech. Mythol., 1. 1, Rerlin, 1887-1894, p. 959 (Register der Namen).
82 l'iLE TIBÉRINE DANS l'aNTIQL'ITÉ
encore, par une autre voie, Vinsida Lycaoniade Lycaon*. Dans les manuscrits d'Ovide une liste des fêtes de l'année romaine, rédigée par un scholiaste à une basse époque, figure en tête du poème des Fastes. A la date du 7 juin, elle indique une céré- monie des Lycaonides, ou jeux du Tibre^. Ovide lui-môme parle de ces jeux et prononce à ce propos le nom de Lycaon : « On dit que le troisième jour, après les nones, Phœbé chasse Lycaon (c'est-à-dire Arcas, petit-fils de Lycaon-^), et l'Ourse n'a plus rien à craindre derrière elle. Alors, je m'en souviens, j'ai vu des jeux sur le gazon du champ, et j'ai appris, Tibre lubrique, qu'ils t'étaient consacrés. C'est le jour de fête des pêcheurs qui tendent leurs filets humides ou qui attachent de petits appâts à dos pointes d'airain recourbées'*. » Festus mentionne également les jeux des pêcheurs du Tibre, piscatorii ludi : ils avaient lieu chaque année au-delà du fleuve, parles soins du préteur urbain ''. D'après M. von Urlichs, les jeux des pécheurs étaient célébrés dans l'ile, ou dans le Transtévère auprès de l'île ; on les appe- lait Lycaonida, de nom de l'astre qui présidait à ce jour, et le nom de la fête finit par être donné à l'ile tibérine elle-même.
Cette ingénieuse théorie s'appuie principalement sur le texte du calendrier inséré au début des Fastes. Mais si l'on examine de près le passage qu'invoque M. von Urlichs, on s'aperçoit que tous les mots qu'il renferme ont été pris dans les vers d'Ovide, plus ou moins bien interprétés, ou ajoutés comme glose. Le poète prononce le nom de Lycaon; il entend parler d'Arcas, petit-
1. L. V. Uhliciis, Archûologische Analeklen, Wûrtzburg, 1885, Vllf, p. 22: Insula Lycaonia.
2. Kalendanum, à la date du 7 juin : (/. 177 d. Jun. Tergum ursae occidil Heliace, et régis Lycaoni. Lycaonida fiunl. Ludi Tiberis.
3. Lycaona est mis pour Lycaonidem : Arcas, pelit-fils de Lycaon allait frapper d'un trait sa mère, Hélice ou Callisto, changée en ourse; Jupiter les transporta tous les deux au ciel et les métamorphosa en astres ; ils étaient à côté lun de l'autre, l'Ourse devant, Arcas ou Lycaon derrière, tout auprès d'elle, la poursuivant. Cf. les articles Arcas, Helike, Kallisto dans le Lexicon de KoscuEK.
4. OviD., Fast., VI, vers 235 :
Tcrlia post Nonas removere Lycaona Pha-be
Kertur, cl a tergo non habel nrsa roelum. Tum ego me memini ludos in grramine campi
Adspicere, et didici, lubrice Tbybri, luos. Festa dies illis qui lina madentia ducunt,
Quiq.ie leg-unt parvis ipra recurvere cibis.
5. Festos, p. 238, s. V Piscatorii : Piscatorii ludi vocantur qui quotannis mense Junio trans Tiberim fieri soient a prœlore urbano pro piscatoribus liberinis.
L INSULA LYCAONIA 83
fils de ce roi d'Arcadie ; le scholiaste comprend qu'il s'agit de celui-ci. Heliace est mis pour Hélice^ nom que portait la fille de Ljcaon, transportée au ciel et devenue la Grande Ourse. Ainsi la phrase d'Ovide : a tergo non habet ursa metinn a donné, par une transcription inintelligente, cette phrase du scholiaste : tergiim ursse occidit Heliace^ et régis Lycaoni. Ce jour-là ont lieu des jeux ; le mot Lycaon est écrit au premier vers ; le schohaste appelle les jeux Lycaonida. Plus loin Ovide déclare que ce sont les jeux du Tibre ; le scho- liaste n'hésite pas : Lycaonida fîunt. Ludi Tiheris. On voit trop clairement comment a procédé l'auteur anonyme du calen- drier. Son témoignage n'a pas de valeur propre et dérive uni- quement des Fastes; s'il en diffère sur quelques points, il faut le récuser. De son autorité privée, et par une méprise évidente, le scholiaste donne à la cérémonie du 7 juin le nom de Lycao- nida. Ovide n'en dit pas tant. Les seuls noms qu'aient portés ces jeux sont ceux de ludi Tiheris ou ludipiscatorii. D'ailleurs ils n'intéressaient en rien l'ile tibérine. P'estus déclare qu'ils avaient lieu trans Tiberim^ c'est-à-dire au Transtévëre même. Ovide raconte qu'il les a vus dans un champ, in grarnine campi., — non pas le Champ de Mars par conséquent, comme le croient la plupart des commentateurs, mais dans l'un dos campi de la rive droite du Tibre i. L'expression insida Lycao- nia ne peut venir du nom d'une fête qui n'était pas célébrée sur le sol de l'ile. Ajoutons que, si elle avait réellement l'origine que lui prête M. von Urlichs, elle aurait été usitée dès l'anti- quité, pendant qu'existaient encore les vieilles cérémonies du paganisme. Or elle n'a pris naissance qu'au v° siècle, au moment où la religion romaine agonisait ; aucun auteur clas- sique ne l'a connue. Quelque séduisante que soit la théorie de M. von Urlichs, on ne peut l'accepter.
L'église Saint-Nicolas. — M. Dufourcq suggère, sans d'ail- leurs y insister outre mesure, une autre explication. A l'époque byzantine une égKse de Saint-Nicolas m carcere « fut établie dans ou près Vinsida Lycaonia... Qui sait si Lycaonia ne serait pas une déformation de Nicalonia » ou de Nicolaonia-l Sur plusieurs manuscrits de légendes hagiographiques on lit :
i. Cf. 0. RiCHTEH, Topogr. cl. St. Rom., 2' éd., p. 272. 2. A. Dufourcq, op. cit., p. 122, en note.
84 L ILE TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ
xnsulam Nichaoniam *. Deux objections décisives nous empêchent d'accueillir cette conjecture, sans parler de la dis- semblance trop considérable des mots Lycaonia et Nicalonia. L'île, d'après les Gesta tnarti/riun, s'appelait ainsi longtemps avant l'époque byzantine, oii fut construite l'église Saint- Nico- las. Celle-ci, d'autre part, n'était pas située dans l'ile, mais sur la rive gauche du Tibre, au Forum holitorium ^.
Saint-Barthélémy et la Lycaonie. — M*"" Duchesne estime que ïinsi(/a Lycaonia tirait son nom de la province de Lycaonie en Asie. L'île tibérine renferme depuis le début du xi' siècle une église placée sous l'invocation de saint Barthélémy; or cet apôtre passait pour avoir évangélisé, entre autres régions d'Asie, la Lycaonie ; le souvenir de la prédication lointaine de saint Barthélémy aura fait assigner la même appellation au petit quartier de Rome où s'élevait son éghse ^.
Mais on ne voit pas pourquoi, parmi tant de contrées que l'apôtre avait visitées, la Lycaonie, qui n'était ni la plus grande ni la plus connue, aurait attiré particuUèrement l'attention des Romains. D'ailleurs l'île tibérine portait déjà au v" siècle le nom d'insu/a Lycaojiia et l'église Saint-Barthélémy n'y fut fondée qu'au xi'. Peut-être même est-ce en considération de ce nom donné très anciennement à l'île qu'on aura localisé sur son territoire le culte romain de saint Barthélémy. On a bien la ressource, il est vrai, de supposer que le culte du saint en cet endroit est antérieur à la construction de l'éghse ac- tuelle. Otton III la fit bâtir en l'honneur de saint Adalbert; quelques années plus tard l'apôtre d'Asie supplantait le mar- tyr de Prague ; mais ne reprenait-il pas possession simplement d'un lieu qui lui était autrefois réservé et d'oii les influences germaniques l'avaient momentanément écarté? L'hypothèse qu'il y avait jadis dans l'île une vieille éghse ou une chapelle de saint Barthélémy, n'est pas invraisemblable. Nous aurions
\. A. DuFOLHCQ, loc. cil., mentionne un manuscrit viennois des Actes de saint CaUiste : le corps de saint Calepode fut jeté m Tiberim ante insulam Nichao- niam {Codex Vindobonensis 3.n, folio 71^-78', 2* col., 4' ligne). On peut citer aussi un autre manuscrit des mêmes Actes, conservé à Carlsruhe [Codex Aufjiensis XXXII, n« 18) ; — Cf. K. Kuxstle, Hagiographische Studien Uber die l'assio Felicilalis cum VII filiis, Paderborn, 1894, p. lii.
2. M" Duchesne, éd. du Libek Pontificaus, t. 1, p. 515, note 13; — Jordan, Topogr. d. St. Rom, t. Il, p. 295, notes 12 et 13, et p. 532.
3. M«' Duchesne, op. cit. y t. 11, p. 334, en note.
LINSULA LYCAONIA 85
quelques raisons de croire qu'au moyen âge ce saint était honoré spécialement dans les îles, comme saint Michel sur les hauteurs. Ses reliques, qu'on transféra au xi' siècle de Bé- névent à Rome, avaient été apportées d'Asie en Europe pendant le Vf siècle et déposées aux îles Lipari*. Il est remarquable, que, dès l'époque mérovingienne, l'île de la Cité à Paris, qui rappelle par sa position l'île tibérine de Rome, contenait une petite église Saint-Barthélémy 2. D'autre part, saint Barthé- lémy était considéré comme un saint guérisseur « sauveur et médecin ^ » . L'un des principaux épisodes de sa vie légendaire rappelle trait pour trait l'aventure de saint Emigdius à Rome'^. Saint Barthélémy combat dans l'Inde Astaroth, qui prétendait, comme l'Esculape des Grecs et des Romains, guérir les ma- lades. Le temple du faux dieu était rempli de suppliants venus de loin, qui attendaient en vain qu'un miracle leur ren- dît la santé. Le saint prend la parole pour leur dévoiler les fourberies du démon; il les convainc, le temple et les statues du dieu sont renversés; seuls les disciples du Christ tiennent du ciel le pouvoir de sauver les infh-mes, d'éclairer les aveugles, de faire marcher les paralytiques, de mettre en fuite les dé- mons, de purifier les lépreux et de ressusciter les morts ^. L'emplacement occupé jadis à Rome par le sanctuaire d'Escu- lape ne convenait-il pas à merveille à la construction d'une église de Saint-Barthélémy?... Mais ces déductions et ces rapprochements sont trop aventureux pour qu'on ose en tirer des conclusions fermes. Nous ne savons rien du culte de l'apôtre dans l'île tibérine avant le xi° siècle; les textes sont muets. En admettant même qu'il ait eu en ce lieu une église ou une chapelle depuis une époque reculée, on ne comprendrait pas encore pourquoi la Lycaonie, de préférence aux autres pays
1. Voir les Acta Sanctorum, août, t. V, p. 39.
2. Cf. Géracd, Pai'is sous Philippe le Bel (dans les Docum. inéd. de Vhist. de France), Paris, 1837, p. 293, 385, 400.
3. Acta Sanctorum, loc. cit., p. 40 {Ovalio encomiastica de S. Bartholomaeo apostolo) : Oportebat eos remunerari tnagislrum salvatorem et medicum.
4. Sur la légende de saint Emigdius, voir ci-dessous, p. 240.
5. Acta Sanctorum, loc. cit. [Acta fabulosa S. Bartholomaei, par le Pseudo- Abdias), p. 34 : In hoc idolo dsemon talis erat qui diceret se curare languentes etcœcos... illuminare ; — ibid., Cumque jain plénum esset languentibus templum et quolidie sacrificantibus nullum duret secundum consuetudinem responsum infirmi exlonginquis regionibus adductijacebant ; — p. 37 (Jésus nous a donné le pouvoir) ut infirmas salvaremus, caecos illuminaremus , leprosos mundaremus, paralyticos absolveremus , dœmones fugaremus et suscitaremus mortuos.
86 l'île TIBÉRINE DANS l'aNTIQCITÉ
qu'il avait parcourus, aurait été choisie pour donner son nom à l'ile.
La Lycaonie province romaine. — L'étjmologie des noms de lieux est souvent difficile à déterminer exactement. Ils sont loin d'avoir tous une origine officielle. Un grand nombre d'entre eux ont été imaginés, à contre-sens quelquefois, par la foule anonyme. Un incident oublié de la vie d'une cité, un détail do décoration dans un édifice maintenant disparu ou transformé, ont suffi à faire surgir des dénominations nouvelles qui nous surprennent et dont l'explication véritable nous échappe. On pourrait puiser dans une étude de la ville de Rome aux premiers siècles du christianisme, maints exemples à l'appui de cette observation générale. « Au moyen âge tout est désordre dans la topographie de Rome ; nous rencontrons dans la biographie des papes certains noms de régions inconnues autrefois et depuis, tels que VUrsus pileatus sur l'Avenlin, la Gallina alha entre le Quirinal et Subure, Caput tmiri la porte Saint- Laurent qui était ornée de têtes de taureaux'. » Le carcer Mamertimis^ le lieu dit ad très P aimas sur le Forum romain, et bien d'autres encore appartiennent à la même caté- gorie. On doit y faire rentrer aussi Y insula Lycaonia . 11 paraît certain, d'après la forme du mot, que l'Ile tibérine doit cette dénomination soit à Lvcaon, soit à la Lycaonie; dans l'anti- quité, quelque monument de l'île, une statue sans doute, devait rappeler le roi d'Arcadie Lycaon ou la contrée de Lycaonie. En l'absence de documents décisifs, nous n'avons aiicun moyen de nous prononcer avec certitude entre les deux étymologies. La première serait peut-être grammaticalement plus correcte : Yinsula Lycaonia est plutôt l'île de Lycaon que l'île de Lycao- nie; on aurait dû dire dans l'autre cas : insiila Lycaoniœ. Mais au temps du Bas-Empire la populace romaine ne se préoc- cupait guère de la correction grammaticale ni des règles de la syntaxe. Si l'on adopte la seconde étymologie, point n'est besoin, pour rendre compte de l'expression, de faire intervenir témérairement la légende et le culte de saint Barthélémy. Une hypothèse plus simple permettrait de résoudre le problème. La Lycaonie ne fut érigée en province romaine indépendante
1. 8. BKRr.Kit, Rome calhoUque. dans YEncyclnp. des sciences rellg., t. XI, p. 283.
L INSULA LYCAOMA 87
qu'aux environs de l'année 373 après l'ère chrétienne ^ L'un des deux ponts de l'île tibérine, l'ancien pont Cestius, fut reconstruit à cette époque par les soins des empereurs Valens, Valentinien et Gratien. L'inscription qu'il porte est datée de l'année 370~. Il était décoré, selon l'usage, de statues. Il n'est pas impossible que l'une d'entre elles fût l'image de la Lycao- nie personnifiée, ou qu'un petit monument du voisinage rap- pelât l'organisation de cette province contemporaine de la réfection du pont Cestius. Par une extension abusive, le nom à'insula Lycaonia fut appliqué ensuite à l'île tout entière.
Le dernier texte antique qui concerne l'île tibérine est la lettre écrite par Sidoine Apollinaire vers 469, un siècle après l'inauguration du pont Cestius restauré ; elle y est nommée insula serpentis Epidaurii; l'expression insida Lycaonia n'était pas encore créée, ou, du moins, les gens instruits, comme Sidoine, restaient fidèles aux vieilles appellations. Bientôt cependant le nom nouveau se répandra peu à peu ; un siècle encore, et il sera seul usité ; l'antiquité le léguera au moyen âge.
•1. GoYAu, Chronol. de VEmp. rom., p. 543; — Ms'Duchesne, àsinsles Mélanges Graux, Paris, 1884, p. 136; — Lexain de ïillemonï, Hisl. des Emp., t. V, éd. de nOO, Paris, p. 99. — Saint Basile dans une de ses lettres (Basil.. Epist., CXXXVIII, 2, publiée par Migne, Patrol. grecq., t. XXXll, p. 5803) parle de la Lycaonie, dont Iconium était la métropole, comme d'une province formée depuis peu par le démembrement des provinces voisines : 'Ixovtov uôliç è<r:\ ty^; IlKTiSta; -o [làv TraXaiôv [xs-rà ttiv (jL£Yt<TTr,v i\ Ttpwtr] vjv ôà xal aùxT) 7rpoy.â6r;-:at (xépoyi; o, èoc Staçopwv Ti[Ar|(j.àTwv o-jvaxôsv, èTrap^i'a; ISt'ai; olxovo(jitav èSé^aTO.
2. Voir ci-dessous, p. 112.
LIVRE II
LES PONTS DE L'ILE TIBÉRINE
LIVRE II
LES PONTS DE L'ILE TIBÉRINE
L'île tibérine est reliée à la rive gauche du fleuve par le ponte Quattro Capi et à la rive droite (Transtévère) par le ponte San Ba?'tolomeo. La première construction de ces deux ponts remonte à l'antiquité. Le ponte Quattro Capi est l'ancien pons Fabriciiis, le ponte San Bartolomeo est l'ancien pons Cestius ou pons Gratiani^.
l. Sur les ponts de l'île tibérine en général, consulter : Piale, Der/li antichi ponli di Roma, dans les Dissert. delVAccad. pontif., t. IV, 1831, p. 197 ; — MoMMSEN, Epigraphische Analekten, dans les Ber. d. St'ichs Ges. d. Wiss., Leipzig, 1850, p. 320 ; — Urlichs, die Brûcken des alten Roms, dans les Sit- zunqsber. d. Ak. d. Wiss., Munich, 1870, p. 459; — Weckleix, zur Romischen Topographie, I, Ueher die Brûcken, dans VHermès, t. VI, 1872, p. 178 ; — Mayer- iiOFER, die Brûcken ini alten Rom, Erlangen, 1884, et: Geschicht.-topogr. Stu- dien, 1, Neue Beitruge zur Brûckenfrage, Munich, 1887; — Zippel, die Brûcken im alten Rom, dans le Jahrb. f. klass. Philol., 1886, p. 481; — Kummer, de Urbis Romse pontibus, Shalke, 1889; — Roxxa, le Tibre et les travaux du Tibre dans le Bull, de la Soc. pour l'encour. de Vind. nation., sept.-nov. 1898.
CHAPITRE I
LE PONT FABRIGIUS
Son importance. — Malgré quelques modifications partielles qu'on discerne aisément au premier coup d'œil, il est permis de dire que le pont Fabricius est resté, dans son ensemble, tel que l'ont laissé ses premiers architectes ^ On a pu, au moyen âge et à l'époque moderne, réparer les murs extérieurs, refaire les parapets, transformer la chaussée'-, on n'a pas altéré le caractère général ni la structure intime du monument. C'est le mieux conservé de tous les ponts antiques de Rome, le seul même que nous possédions presque tout entier. C'est aussi l'un des premiers ponts de pierre que les Romains aient édi- fiés : la date de son établissement est certaine et ne laisse aucun doute sur ce point. On comprend dès lors tout l'intérêt qu'il présente et l'importance qu'y attachent les historiens^ et les architectes 4 attentifs à relever les vestiges de la Rome
1. Les principaux textes relatifs au pont Fabricius sont indiqués par Kiepert- HuELSEX, Nomencl. topogr., p. 52; — et Homo, Lex. de topogr. rom., p. 409.
2. FLAVioBioNDo,jRomarns/«î«'ate, Venise, 1510, livre II, chapitre Lxxx,àpropos des deux ponts de l'île : quos nuper tua, pontifex Eugeni, opéra instauratos et tiburtine lapide stralos videmus. — Au moyen âge des tours appartenant à des familles nobles de Rome, les Pierleoni, les Gaetani, etc., se dressaient aux extré- mités des ponts; on les voit représentées sur les plus anciens plans et dessins.
3. Entre autres : Nibuy, Roma anlica, t. I, 174 ; — Rebek, die Ruinen Roms, p. 314; — Jordan, Topogr. d. St. Rom,i. I, p. 418; — 0. Gilbert, Gesch. und Topogr. d. St. Rom, t. II, p. 171-180, t. III, p. 257 ; — Middleton, the Remains of ancient Rome, Londres, 1892, t. II, p. 367, etc.
4. PuiANESi, Antichità romane, t. IV, pi. XVI à XX : plans, coupes, élé- vations. Les relevés d'état actuel que M. René Patouillard a faits en 1899 ont montré que les indications données par Piranesi sont exactes, en ce qui con- cerne du moins la partie visible du pont ; ses hypothèses sur les fondations paraissent plus sujettes à caution ; mais jusqu'à présent elles ont échappé au contrôle. Sur les fondations du pont Cestius et les hypothèses fantaisistes de Piranesi, voir plus loin, p. U8. — Canina, gli Edifizi di Roma antica, t. IV,
M LES PONTS DE l'iLE TIRÉRINE
ancienne, comme les ingénieurs' soucieux d'étudier la science de la construction des ponts à ses débuts.
Structure. — Le pont Fabricius mesure 62 mètres de lon- gueur totale et 5", 50 de largeur. Il est construit intérieure- ment en blocs de tuf et de pépérin ; des blocs de travertin forment le revêtement ; les parties extérieures entre les arcades de travertin ont été restaurées en briques au moyen âge. Il comprend deux arches supportées par deux culées et une pile médiane.
Les deux grandes arches. — Les deux arches ont l'une 24"°, 25, l'autre 24'",50 d'ouverture, soit au total un débouché de 48", 75 donné au bras gauche du Tibre. Les têtes de voûte ne forment pas deux demi-circonférences complètes : « l'intrados est un arc de cercle de 25 mètres de rayon ^ et de 20 mètres de flèche''. » Les ingénieurs modernes qui se sont occupés des ponts de Rome ont noté soigneusement cette intéressante particularité ; ils n'ont pas eu de peine k l'expliquer. Les Romains construi- saient d'abord toutes leurs voûtes en plein cintre ; cette dispo- sition, d'ailleurs avantageuse, avait un grave inconvénient: elle obligeait k imposer aux arches une très grande hauteur par rapport k l'ouverture ; il fallait, par suite, placer très bas leur naissance — ce qui rencontrait parfois de grandes diffi- cultés d'exécution — ou ménager de fortes pentes pour relier les rives k la chaussée du pont. « Il était donc naturel de chercher k réduire la hauteur des voûtes par rapport k leur largeur. Le moyen le plus simple consiste k prendre pour courbe d'intrados un arc de cercle moindre qu'une demi-cir- conférence, et l'on en voit déjk une première application k Rome au pont Fabricius'*. » Les rampes qui donnent accès au pont des deux côtés sont assez prononcées ; l'emploi, encore très discret, des voûtes surbaissées, a permis cependant de les
pi. CCXLII : plan et restauration en hauteur; Canina suit de très près Pira- nesi.
1. Par exemple Degrand et Rksal. les Ponts en maçonnerie (dans VEncyclo- pédie des travaux publics), Paris, 1888, t. Il, Construction, p. 32-33.
2. Chiffre approximatif; exactement, comme il est dit plus haut, 24-,2o et 24-,50.
3. Deohaxd et Résal, op. cit., p. 33.
4. Ibid., p. 361.
LE PONT FABRICILS
95
rendre moins raides qu'elles ne l'eussent été sans cet arti- fice ^
La pile centrale. — La pile qui sépare les deux arches a des dimensions considérables. On n'en voit plus aujourd'hui qu'une petite partie au-dessus des ensablements qui obstruent le bras gauche du Tibre. Pour se faire une idée exacte de ce qu'elle
FiG. 11. — LE PONT FABRIGIUS.
Vue prise avant les récents travaux du Tibre (cliché d'Alessandri).
était autrefois il faut se reporter aux dessins et gravures des siècles derniers, et surtout aux planches de Piranesi. La pile, terminée en forme de coin vers l'amont pour briser l'effort des eaux, plus petite et arrondie vers l'aval, mesure 20 mètres de longueur dans le sens du courant, et 12", 50 d'épaisseur ; elle va en s'élargissant du sommet vers la base, par assises sail-
1 . RoNNA, le Tibre et les travaux du Tibre, p. 42 du tirage à part, remarque que la chaussée est sensiblement horizontale dune clé de voûte à l'autre ; la ligne des corniches et des parapets se trouve plus élégamment brisée qu'elle ne l'est ailleurs par le dos d'àne que présentent la plupart des ponts romains construits ensuite.
96 LES PONTS DE L ILE TIBÉRINE
lantes. La hauteur totale au-dessus des sables atteint encore 12 mètres. Une petite arclie pratiquée dans la maçonnerie et largo de 6 mètres surmonte le soubassement massif. Elle dépasse tout entière le niveau des alluvions ; jadis les eaux ne l'atteignaient qu'au moment des plus fortes crues ; elle servait alors de décharge : en faciUtant l'écoulement du trop plein, elle diminuait d'autant la pression que le pont avait à subir. Deux pilastres d'ordre dorique, dont les traces sont assez recomiaissables, décoraient ses côtés.
Les fortes proportions de la pile centrale du pont Fabricius ne doivent pas surprendre. « Les piles que construisaient les Romains étaient de vraies culées, suffisantes pour que les arches se maintinssent isolément sans le concours de la poussée des arches voisines. Il est àprésumer que cette disposition était due soit à la préoccupation constante des constructeurs d'éviter la dépense de cintres multiples et compliqués, soit à l'insuffi- sance des procédés de fondation pratiqués à cette époque ^ » Le comte de Tournon, passant en revue les anciens ponts de Rome, disait avec raison : « Le peu d'ouverture des arches, l'épaisseur excessive des piles, l'empâtement des assises infé- rieures prouvent que les Romains n'avaient pas perfectionné la construction des ponts autant que d'autres parties de l'art de bâtir. » Mais il ajoutait justement que le bel appareil des maté- riaux et la solidité de tout l'ouvrage, attestée par vingt siècles de résistance au temps, aux eaux et souvent aussi aux hommes, faisait pardonner sans peine cette imperfection relative et cette inélégance 2.
Les petites arches latérales. — Dans les très larges et très résistantes culées sur lesquelles reposent les extrémités du pont sont pratiquées deux ouvertures semblables à. celles de la culée centrale, mais plus petites ; elles ont seulement 3™, 50 de largeur. On ne les aperçoit plus ; elles sont enclavées dans les constructions élevées " aux débouchés du pont. Elles figurent sur les planches de Piranesi et de Canina. Au cours des tra- vaux de systématisation du Tibre et d'établissement des quais la petite arche, située du côté du Capitole, a été pendant quelque temps mise à découvert et presque entièrement déblayée. A l'origine, toutes les deux devaient être apparentes ; elles
1. DE0R\5Det RésAL, op. cit., p. .'50.
2, Db Todrnok, Eludes statistiques sur Rome, Paris, 1831, l. H, p. 176.
LE PONT FABRICIDS
97
jouaient le même rôle de dégagement et de sûreté que l'ouver- ture de la culée centrale : au moment des crues les eaux qui venaient battre le pont pouvaient s'échapper par ces trois issues
supplémentaires (au total, 13 mètres de largeur) en même temps que par les deux grandes arches (48", 75). Les chances d'inondation ou de rupture étaient par cela même bien dimi- nuées.
98 LES PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
Les Hermès. — Comme la cliaussée, le parapet du pont est moderne ; il a été fait, ainsi que le rappelle une inscription apposée à l'entrée de l'île, en 1679, sous le pontificat d'Inno- cent XI. On y remarque vers l'est, c'est-à-dire du côté de la ville, deux pilastres droits surmontés d'Hermès à quatre faces, d'un travail antique. Ils ont l'un et l'autre 1°',47 de hauteur, 0°,44 de larf^eur, 0"',36 d'épaisseur. C'est à leur présence que le pont doit son nom de ponte Quattro Capi. Casimiro signale l'existence de quatre Hermès quadrifrontes : trois dans l'église San Grcgorio {Madonna délia Carita), toute proche de l'Ile, et un sur la place San Dartolomeo, dans l'île même •. De nos jours on a déplacé les mieux conservés pour les mettre sur le para- pet. Il est très probable, en effet, qu'ils appartenaient à la déco- ration primitive du pont. Une série de pilastres devait soute- nir une balustrade de bronze à claire-voie'^. Des rainures latérales sont creusées dans les bases des Hermès et les tra- versent do haut en bas sur toute leur hauteur ; on y reconnaît les trous destinés au scellement du bronze. Reber a remarqué que sur un des bas-reliefs de l'arc de Constantin des Hermès sont utilisés pareillement comme supports de balustrade '^, et Nibby, pour expliquer la forme de Janus quadrifrontes donnée à ceux du pont Fabricius, a fait observer que le temple de Janus Geminus in Argileto était voisin de l'île tibérine^. La conclu- sion qu'on a tirée du rapprochement de tous ces faits n'a rien que de très plausible.
Aspect du pont Fabricius dans l'antiquité. — L'état actuel du pont Fabricius permet d'imaginer aisément son antique aspect et de le restaurer par la pensée. 11 suffit de se représenter les parois extérieures revêtues partout de travertin, au lieu du mélange moderne de briques et de pierres, la pile du centre débarrassée des sables et baignée par l'eau, les petites arches des côtés complètement dégagées, les pilastres doriques réta- bHs, le parapet enfin couronné d'une balustrade de bronze et décoré d'Hermès 5.
1. CasiMiRO, Memorie istoriche, p. 265.
2. MiDDLETON, op. cit., p. 367-368.
3. Reber, op. cit., p. 317.
4. Nibby, op. cit., p. 177. Nibby se demande si les Hermès ont été apportés après coup du temple de Janus, ou si on les a fait expressément pour orner le parapet, en leur donnant la forme de Janus quadrifontes à cause du voisi- nage du temple. Cette seconde hypothèse est la plus vraisemblable.
5. C'est à peu près ainsi que Caxi."«a, loc. cit., s'inspirant de Piranesi, a
LE PONT FABRICIUS
90
Les textes anciens, — On sait par Dion Cassius à quelle époque fut construit le pont Fabricius. Après avoir raconté les événements de l'année 692/62, Dion ajoute : « Et l'on cons-
truisit le pont de pierre conduisant à la petite île qui existe
compris sa restauration, mais il n'a pas indiqué la balustrade ni les Hermès. 11 suppose un parapet plein en larges pierres, avec au milieu sur la petite arche centrale, une dalle plus grande.
100 LES PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
dans lo Tibre; on l'appela le pont Fabricius'. » Ces quelques mots nous font connaître à la fois l'époque précise où fut élevé le pont — un an après le consulat de Cicéron et la conjura- tion de Catilina — et le nom qu'on lui donnait dans l'antiquité.
Le pont Fabricius est cité dans une satire d'Horace : un jour le poète désespéré songeait, dit-il, à se jeter dans le Tibre ; mais il rencontra un de ses amis, un philosophe, qui lui con- seilla pour le détourner de son projet de cultiver la philosophie et de s'éloigner du pont Fabricius'-.
Acron et Porphyrion, en commentant ces vers, disent que l'on appelait pons Fabricius, du nom de son fondateur, le pont de pierre qui reliait l'ile tibérine à la ville ^.
Polemius Silvius, dans la liste qu'il donne des ponts de Rome, mentionne le pont Fabricius^; tous les auteurs de descriptions de Rome à l'époque chrétienne le citent également''. La persis- tance du même nom est ainsi attestée, depuis le i" siècle avant Jésus-Christ jusqu'au moyen âge*».
1. Cass. Dio, XXXVII, 4'j : Tore jaîv raûra te àvÉvîTO, xal f, vlçypa r, XiOi'vr) f, âv tÔ vr,<Tt5tov tÎ) âv Toi Ttêipiôt civ Çc'poy<ra xaTEaxE'jâdOr,, <&aopt>n'a x),r|6ïï(Ta. Le pas- sage de Dion Cassiiis est cité ici d'après l'édition Uindorf (Teubner). Les ma- nuscrits portent : xal r, vé^ypa rj XiOîv-rj à; to vr,iT!'8iov tôts èv -roi TioiptSi 8v çÉpoyaa, € le pont de pierre conduisant à lile qui existait alors dans le Tibre », ce qui n'a pas de sens, car elle était encore une île. après comme avant la construction du pont. C'est Leunclavius, suivi depuis par la plupart des éditeurs, qui a corrigé è; t'o vrjiiStov tôts èv en tj eî; tô vr,ai'6tov tô èv ; la pré- sence des mots tôts au début de la phrase (tôte [iev raOra te èYsvîTo) aura trompé les copistes, qui le répétèrent à la ligne suivante.
2. IloRAT., Sat., 11,3,30-36.
Solalus jussit sapientcm pascere barbam Atque a Fabricio non Irislem ponte reverti.
3. AcRO, Schol. Horaf., ad loc. cit. (éd. Pauly, t. II, p. 249): Qui modo lapi- deus dicitur,pons Fabricius habel a condilore vocahulum, qui jungilur insulae liherinœ; notninatus a Fabvicio consule. — Porphyrio, ibid. : Pons Fabricius dicilur qui est insulse illius quœ in medio Tiberi posila est ; ideo Fabricius quia a Fabricio factus. — Acron a commis deux erreurs : il attribue à tort la qualité de consul à Fabricius et applique faussement au pont Fabricius le nom de pons lapideus. Cf. ci-dessous, p. 129.
4. Texte publié en dernier lieu par Mommsbx, dans les Moxum. Germ., Aucl. anliq., t. IX, 1, p. 545 : Pontes VIII... Staricius (pour Fabricius).
5. Cf. Cuviosum Urbis, Notitiaregionum, G}-aphiaaureae Urbis Romse, publiés dans Urliciis, Cod. topof/r., p. 1, et dans Jordan, op. cit., t. II, p. 541.
6. Au moyen âge, le nom qu'on donne le plus souvent au pont Fabricius est celui de pons Judœorum ou pons Judseus, parce qu'il aboutissait sur la rive gauche du Tibre à la hauteur du Ghetto; on lit dans la Graptiia aureœ Vrbis Romae : Fabricii in ponte Judœorum. Il était appelé aussi quelquefois ;îon/e rfi Campo Marzio ou ponte Tarpeio, à cause de la proximité du Champ de Mars et de la roche Tarpéienne, mais aucun texte ne prouve que dés l'antiquité il ait reçu le surnom de po7is Tarpeius; celui de pons lapideus ne lui est attri-
LE PONT FABRICIUS
401
L'inscription du pont. — Mais on possède un document plus précieux que le témoignage même des auteurs. C'est l'inscrip- tion gravée sur le pont lors de sa construction '.Elle est encore en place. On lit sur le revêtement extérieur en travertin, du côté de l'amont :
Au-dessus de l'arche de gauche : L[ucius) Fahricius C{aii) f[iHus) Cîir[at07') viar[um) \ faciundimi cœravit; puis, en plus petits caractères, à la ligne suivante : Q[iiintus) Lepidus M[anii) f{ilius) M{arcus) Lollkis M[arci) f[ilius) co[n)s[ides) ex s{enatus) c[onsi(lto) probaverunt ;
Au-dessus de la petite arche centrale, faisant suite à la pre- mière phrase : idemque \ prohavit ;
FiG. 14. — RESTAURATION DU PONT FABRICIUS.
D'après Canina, gli Edifizi di lioma ancica, t. IV, pi. CCXLII.
*^
Au-dessus de l'arche de droite : L[ucius) Fabricius C[aii) f[ilius) cur[ator) viar[um) \ faciundum cœravit.
Du côté de l'aval, aux mêmes places :
L{ucius) Fabricius C[aii) f[iliiis) curiator) viar[iim) \ fa- ciundmn cœravit eidemqiie \ jirobaveit;
L[ucius) Fabricius C{aii) f[iliit s) ciir[ator) viar{u}n) \ faciun- dum cœravit. \ M{arcus) Lollius M{arci) f[iiius) Q[uintus) Lepi\dus M[anii) f{ilius)] co{n)s[ules) ex s[enatus) c{onsulto) probaverunt.
« L. Fabricius, fils de Caius, curator viarum, a pris soin
bué que par Acron. Quant au nom de pons Antoninus, sous lequel il serait désigné dans plusieurs vies de saints, il ne Ta jamais porté : le pons A?iloninus dont parle ces récits ne peut être que le ponte Sisto actuel (Voir sur ce der- nier point L'RLicHS, (lie Brûcken des alten Roms, loc. cit., p. 463).
1. G.I. L., I, 1" éd , 600; VI, 130S. — Ritschl, Priscae latinilatis monument a, Berlin, 1862, pi. LXXXVII (fac-similé), et p. 76. — Du côté de l'aval, la dernière ligne de l'inscription est un peu abîmée, la pierre s'est cassée, quelques lettres manquent.
102 LES PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
de la construction ot l'a approuvée ; Q. Lepidus, fils de Manius, M. Lollius, fils de Marcus, consuls, en vertu d'un scnatus-con- sulte, l'ont approuvée. »
Les deux parties de l'inscription, écrites, la première en grands caractères, la seconde en lettres plus petites, sont d'époques diff'érentes.
La première se rapporte à la fondation même du pont. L. Fabricius, fils de Caius, curator viarwn^, dont le nom est répété quatre fois sur les voûtes, fut chargé de le faire cons- truire et le reçut-. Le passage de Dion Cassius, cité plus haut, complète l'inscription et permet de la dater. C'est en 692/62, d'après Dion, que L. Fabricius exerçait sa magis- trature. L'aspect des lettres du texte épigraphique, les parti- cularités de l'orthographe, l'emploi surtout des formes idemque probavit en même temps que des formes eidemque probaveit et cœravit confirment cette assertion : un pareil document ne peut avoir été composé qu'au dernier siècle de la Répu- blique.
RitschP et M. Mommsen^, d'après des observations faites par Brunn à distance et à l'aide d'une longue-vue, ont déclaré qu'une partie de l'inscription d'aval n'était pas antique ; toute la partie gauche, L. Fabricius faciundiim^ aurait été refaite à l'époque moderne; la gravure des lettres, le tracé de l'R^ surtout, y seraient tout autres que dans les mots voisins. Ces lettres n'ayant pu être changées sans qu'on ait remplacé aussi les pierres qui les portaient, on attribuait au pontificat d'Eu-
1. On sait peu de choses sur la cura viarum de l'époque républicaine (Mar- QUARDT-MoMMSEN, Mau. tles Anliq. rom.. Droit public, t. IV, p. 386 de la trad. franc.). Elle n'est connue que par des inscriptions du dernier siècle de la République. Une inscription cite un curator viarum e lege Vitellia qui était en même temps tribun du peuple (C. 1. L., I, 1" éd., 393); on a cru d'abord que la cura viarum était liée au tribunat de la plèbe; il est prouvé mainte- nant que cette rencontre était toute fortuite. M. Mommsen a donc tort au C. I. L. {i" éd., 600), d'affirmer que L. Fabricius, curator viarum en 692/62 devait être l'un des tribuni plebis de cette même année.
2. Quand un travail d'utilité publique était achevé, les architectes en fai- saient remise au magistrat compétent; celui-ci devait, avant d'en prendre réception et de donner son approbation, probare, vérifier si les conditions du contrat passé entre l'Etat et les architectes étaient remplies.
3. RiTSCHL, loc. cil.
4. MoMMSEX, Epigraphische Analekten., loc. cit.^ p. 320.
5. Ces lettres auraient été gravées à l'aide d'un instrument qui, au lieu d'agir comme un coin, aurait laissé dans la pierre une empreinte carrée à angles nets ; l'R aurait une queue arrondie dont la forme ne se retrouve jamais dans les inscriptions antiques.
LE PONT FABRICIUS 103
gène IV (1431-47) et aux travaux signalés par Flavio Biondo à cette époque, une restauration importante et peut-être môme une reconstruction complète du pont. Mais il n'en est rien. Un examen répété a permis à M. Huelsen d'affirmer que Brunn s'est trompé * ; les anomalies qu'il a cru observer n'existent pas ; le fac-similé de Ritschl est inexact ; Piranesi a reproduit le document avec plus de fidélité. On ne remarque aucune dis- cordance dans la paléographie du texte ; il date tout entier de l'an 692/62.
L'autre partie de l'inscription nous apprend que Q. Lepidus et M. Lollius, consuls, ont reçu le pont. Tandis que d'un côté le nom de Q, Lepidus est mis le premier, de l'autre le nom de M. Lollius le précède : il était de règle, en répétant les noms des consuls, d'en intervertir l'ordre, pour mieux marquer l'égalité de ces deux magistrats 2. C'est en 733/21 que Q. Lepidus et M. Lollius furent consuls ensemble 3. On s'étonne de voir une deuxième réception ou approbation du pont Fabricius suivre la première à quarante ans d'intervalle. Il ne peut s'agir d'une construction commencée en 692/62, achevée en 733/21 : une telle lenteur dans les travaux serait peu vraisemblable; en outre, le mot probare se lit dans le texte de 692/62 comme dans celui de 733/21 ; dès la première date, par conséquent, le pont était entièrement achevé. Nibby conclut de cet exemple unique d'une inohaiio répétée, qu'à Rome les auteurs des grands monuments d'utilité publique étaient responsables pendant quarante ans des ouvrages exécu- tés sous leur direction : ceux-ci n'auraient été acceptés défini- tivement qu'après ce laps de temps ^. La théorie de Nibby, qui ne s'appuie sur aucune preuve, est aventureuse. Mieux vaut supposer plus simplement qu'aux environs de l'année 733/21 une crue du Tibre aura causé quelques dommages au pont Fabricius et nécessité d'importantes réparations. Dion Cassius nous apprend précisément qu'en 731/23, deux ans avant la
1. Huelsen, Milth. des deutsch. archiiol. Insiil., Rœm.Abth., 1891, p. 135. — L'étude de l'inscription est plus facile maintenant qu'elle ne Tétait autrefois; le long des nouveaux quais de la rive gauche du Tibre, des escaliers de pierre descendent vers le fleuve, à droite et à gauche du pont, et laissent voir de plus près les arches.
2. Cf., entre autres exemples, les cippi terminales du Tibre, G. I. L., VI, 1234 et suiv.
3. Klein, Fasli consulares, Leipzig, 1881, p. 8.
4. Nibby, op. cit., p. 173.
i04
LES PONTS DE L ILE TIDÉRINE
seconde probatio, une crue emporta le pont Sublicius et détruisit plusieurs édifices; Rome fut pendant trois jours envahie par l'eau'. Piale s'est demandé si le pont Fabricius n'avait pas été endommagé lui aussi au mêmemoment^. Jordan a repris à son compte cotte hypothèse très vraisemblable. Il a remarqué que l'inscription de Fabricius court sur tout le revêtement extérieur du pont, au-dessus des deux arches ; celle des deux consuls, au contraire, est placée seulement sur l'arche la plus éloignée de l'ile, la plus voisine de la rive du fleuve : vers l'amont elle est au-dessous et à gauche de l'ins- cription de Fabricius, vers l'aval, au-dessus et à droite. Le pre- mier texte s'appliquerait au pont tout entier bâti en 692/62 par les soins du curator vianim L. Fabricius, le second à l'arche de gauche, enlevée parle Tibre en 731/23 et refaite en 733/21, sous la surveillance des consuls, M. LoUius et Q. Lepidus^. Monnaie Pabricia. — Après les textes littéraires et épigra-
phiques, il faut citer enfin un document antique d'autre nature, oii l'on a voulu voir évoqué le souvenir du pont Fabricius'». C'est une mon- naie de Cyrénaïque. Elle porte à l'avers les mots L. FABRICI, qui sont écrits sur une tablette rec- tangulaire fixée contre un poteau; au revers PATELLIV et un serpent dressé. Les deux noms se font suite ; il faut lire L[iicius) Fabri[citis) Palelliti[s). On ne connaît aucune autre monnaie de la gens plébéienne Fabricia. D'après Cavedoni, ce L. Fabricius Patellius serait le premier proconsul de Cyrénaïque, après la répartition des pro- vinces par Auguste en 727/27; d'après Borghesi, ce serait le fils du curator viarum de 692/62; le serpent rappellerait le culte rendu à Esculape dans l'ile tibérine, tout auprès du pont construit par un Fabricius. La simiHtude des noms et prénoms
FiG. 15. — MONNAIE DE LA ijens FABRICIA.
D'après l'exemplaireduCabineldesMédailles.
1. Cass. Dio, lui, 33 : "O tj T;oîpi; aJ$T)6ii;TT,v te ysçupav tT|V Ç-J^ivi^|VxaT£(TupE xal TTjv 7r6).tv tXwrriv à7:i èTîl -pît; f,(iipa; è7ro;r,aev.
2. PiAi.E, loc. cit.
3. Jordan, op. cil., p. 419 en note.
4. Fai.be-Lindbkr«-.VIcllkr, S'itmismatigue de l'ancienne Afrique, t. I, les Monnaies de la Cyrénaïque, Copenhague, 1810, p. 165 (avec bibliographie de la question).
LE PONT FABRICICS 105
paraît rendre cette interprétation assez vraisemblable. Il n'est pas nécessaire cependant qu'on l'admette. L'animal sacré d'Es- culape se retrouve sur d'autres monnaies de Cjrénaïque : au revers de plusieurs d'entre elles, frappées à l'époque romaine par A. Pupius Rufus et Scato, figure aussi un serpent dressé ' ; il était représenté déjà, comme symbole accessoire, au revers de monnaies frappées à Cyrène avant la conquête romaine-. Nous savons qu'Esculape avait des temples célèbres à Cyrène ^ et à Balagrai^. La monnaie Fabricia intéresse l'Esculape de Cyré- naïque et non l'Esculape romain ; elle ne concerne pas le pont Fabricius de l'île tibérine.
1. Falbe-Lindberg-Muller, op. cit., p. 162 et p. 166. z. Ibid., p. 2i (n» 48), p. 47 (n° 171-173), p. 57 (n- 265).
3. Tac, Afin., XIV, 18.
4. Pal'sax.,11,26, 9.
CHAPITRE II
LE PONT GESTIUS
Les noms. — Le second pont de l'île tibérine est appelé par le Curiosinn Urbis et la Descriptio Regioniim, au iv* siècle de l'ère chrétienne, puns Cestius ; les descriptions de Rome d'une époque plus basse, comme les Mirabilia Romœ et la Graphia mireœ Urbis (xii^-xiii" siècles), le nomment j)ons Gra- fiani^; cette dernière désignation, à coup sûr plus récente, a prévalu au moyen âge 2. Il est certain, d'ailleurs, que le pons Graliani n'est autre que *le pons Cestius : les textes qui viennent d'être énumérés citent celui-ci ou celui-là au même rang parmi les ponts de Rome, immédiatement après le pont Fabricius; et dans la liste, dressée par Polemius Silvius, qui écrivait en 448, un siècle après les auteurs du Cimosum et de la Notifia, plusieurs siècles avant ceux des Mirabilia et de
1. Voir ces différents textes dans Urlichs, Cod. topogr., et dans Jordan, Topogr. d. St. Rom, t. 11, p. 541. — On lit dans la Graphia : Felicis Graliani pons.
2. Le pont s'appelle maintenant ponte San Bartolomeo, parce qu'il aboutit dans rile, sur la place et devant l'église Saint-Barthélémy. On rencontre très souvent au moyen âge et dans les temps modernes le nom de ponte ferrato. NiBBY [Rome anlica, t. I, p. 160) en donne l'explication : il serait dû à la pré- sence dans le Tibre, à cet endroit, de nombreuses chaînes de moulins. Pno- r.op. (I, 15), rapporte qu'en 537, Vitigès ayant coupé les aqueducs qui faisaient marcher les moulins de la ville, Bélisaire imagina d'en installer de nouveaux dans le fleuve en profitant du courant. L'ingénieur Chiesa, dans un rapport rédigé en 1744 {\avigazione del Tevere dentro Borna), et publié dans la. Sziova raccolta idraulica (X, 261), cité par Rosxa [le Tibre et les travaux du Tibre, p. 88 du tirage à part), se plaignait que les palissades des moulins rendissent impossible toute navigation; entre l'ile et le Transtévère il y avait cinq esta- cades, barrant le passage, et plusieurs sur l'autre bras (entre autres, le molino del Ghetto, ainsi désigné à cause du voisinage du quartier juif).
LE PONT CESTTUS 107
la Graphia^ les deux noms, l'ancien et le nouveau, Cestius et Gratiaiii, sont donnés à la fois ^
Première construction : le pont Cestius. — Comme le pont Fabricius, c'est sans doute à son fondateur que le pont Cestius doit sa première appellation 2. Mais à quelle époque vivait le Cestius qui l'a bâti, et quelle magistrature exerçait-il? Aucun auteur, aucune inscription ne nous l'apprennent. La construc- tion du second pont de l'île tibérine fut sans doute à peu près contemporaine de celle du premier ; en reliant l'île à l'une des rives par un pont de pierre, on aura songé tout naturellement à la relier aussi à l'autre. Les relations avec la rive gauche, oii se trouvait toute la Rome ancienne, étaient de beaucoup les plus importantes : le pont Fabricius dut être fait le premier, et c'est seulement après 692/62, selon toute vraisemblance, que l'on édifia le pont Cestius ■^. Mais celui-ci, d'autre part, n'a pas été construit sous l'Empire : Auguste n'en parle pas dans son testament (inscription d'Ancjre), où il énumère toutes les œuvres de son règne ; les ponts élevés par les empereurs sui- vants portèrent toujours les noms des princes qui les firent bâtir, comme le pont ^lius, par exemple, et le pont Aurelius. Ainsi le pont Cestius, postérieur à" l'année 692/62, est anté- rieur à l'établissement du principat ; il date des derniers temps de la République.
On connaît plusieurs Cestii qui ont vécu précisément à cette époque^. Cicéron parle d'un Caius Cestius, fermier des impôts en
1. Si Ton admet, du moins, la correction que propose Jordan (op. cit., p. 192). La liste des ponts dans Polemius Silvius est ainsi conçue (Mo- îiUM. Gekm., Auct. antiq., t. IX, 1, p. 545) : Pontes octo, Ailius, Aurelius, JEmilius, Milviics, Staricius (pour Fabiùcius), Ercius, Gratiani, Probi el lladriani. L'intitulé annonce huit ponts, et neuf sont indiqués, dont le pont Ercius complètement inconnu. Il y a donc erreur, et il faut lire Cestius Gra- tiani, au lieu de : Ercius, Gratiani (Dans cette liste, en outre, le pont Subli- cius est omis, et le pont .^lius deux fois cité : ^lius, Hadrianus).
2. Voir les textes sur le pont Cestius dans Kiepert-Huklsex {Nomencl. topogr., p. 51) et Homo [Lex. de topogr. rom., p. 408).
3. Dion Gassius, qui parle de la construction du pont Fabricius, ne dit rien de celle du pont Cestius; on ne peut en conclure, avec Venuti, qu'elle serait antérieure à Tannée 682/65, où commence le récit de l'historien; il n'y a là probablement qu'une omission fortuite.
4. Sur la famille plébéienne de Cestii, peut-être originaire de Préneste, (C. L L., XIV, 2891, 3091-3095 : plusieurs inscriptions très anciennes de cette ville mentionnent des Cestii), voir : Pauly-Wissowa, Real Encyclopddie, s. v Cestius; — Klebs-Rohden-Dessau, Prosopographia imperii romani, t. I, p. 339-341.
108 LES PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
Asie en 692/62'; une lettre à Atticus signale la présence du même personnage à Ephèse en 703/512. Un second Caius Ces- tius était préteur en 710/443 et fut mis à mort pendant les guerres civiles en 711/43*. Un troisième Caius Cestius, le plus célèbre, préteur, tribun de la plèbe, septemvir epulotmm, se fit faire à Rome un tombeau en forme de pyramide, qui existe encore, enclavé dans la muraille d'Aurélien, près de la porta Ostiense'\ Un Lucius Cestius, frère du précédent, estnommédans une inscription trouvée au pied de la pyramide^ ; Marcus Agrippa, mort en 742/12, figure parmi ses héritiers; on peut donc fixer approximativement l'âge de ce texte. Le L. Cestius qu'une inscription relative aux jeux séculaires cite comme témoin d'un sénatus-consulte du 23 mars 737/17 avant Jésus-Christ', serait, d'après M. Mommsen, le fils du précédent^; mais, en réalité, rien n'empêche que ce soit ce personnage lui-même. Enfin, au revers d'une monnaie d'or de l'époque républicaine est représentée une chaise curule avec un casque et deux colombes, les mots L. CESTIVS en haut et C. NORBA à l'exergue, dans le champ les lettres PR adroite et SC à gauche^. On identifie en général ce L. Cestius avec le frère du sep- lemvir epuloniun, et c'est à lui qu'on attribue la fondation du pont de l'Ile tibérine'^, Havercamp prétend qu'il en aurait été chargé comme préfet de la ville en 708/46"; il explique les lettres PR iparprœfecti Urbis; il rappelle que César, partant en 708/46 pour l'Espagne, où il allait combattre Pompée, confia l'administration de Rome en son absence à Lépidus et à huit ou six préfets urbains'-. Lucius Cestius, frère de Caius, serait, comme Caius Norbanus, l'un de ces préfets ; ses col- lègues et lui se seront partagé les tâches ; on lui aura attribué
1. Cic, Pro Flacco, 13, 31.
2. Cic, ad Allie, V, 13, 1.
3. Cic, Philipp., III, 10, 26.
4. Appian., de Bell, civil., IV, 26.
5. C. I. L., VI, 1374.
6. C. I. L., VI, 1375.
7. Acla hidovum sœcularium, dans VEphemeris Epigraphica, t. VIII, p. 229.
8. Mommsen, Epkemeris Epir/raphica, t. VIII, p 240.
9. Babelo.n, les Monnaies de la République romaine, Paris, 1885-1886, 1. 1, p. 340.
10. Cf. NiBBY, op. cit., p. 169. — Caxixa, gli edifizi di Roma antica, t. 111, testo, p. 108-109. — Rebeh, Die Ruinen Roins, p. 320. — Mu.nzeb, dans la Real Enci/clopiïdie de Pally-VVissowa, s. v Ceslius, etc.
11. Cité par EcKiiEL,Z>oc//'tnanHffio/'Mmue/erMm, Vienne. 1792-1798, t. V,p.l69.
12. Cass. Dio, XLIII, 28 et 48. — Cf. Vigneaux, Essai sur la Praefactura Urbis, Paris, 1896, p. 50.
LE PONT CESTIUS 10&
la surveillance du Tibre et la charge de faire procéder à réta- blissement d'un nouveau pont. L'hypothèse séduisante d'Ha- vercamp doit être cependant rejetée. M.Mommsen ne croit pas que les préfets de la ville en 708/4.6-709/45 aient frappé des monnaies d'or ex sénat us consulto; celles-ci sont bien plutôt de l'année 710/44^. «Après la mort de César, le Sénat s'em- pressa de s'arroger le droit d'émettre des pièces d'or, comme l'avaient fait les généraux, et de marquer cette reprise de la prérogative souveraine par les deux lettre SC [senatus consulto). C'est la seule époque où le Sénat ait fait frapper de la mon- naie d'or, et cette circonstance donne raison à l'opinion de Mommsen ~. » Les lettres PR signifient prœ tores et ne con- cernent en rien les magistrats extraordinaires et très peu con- nus de l'année 708/46. Il n'est donc pas prouvé que ce soit à Luciiis Cestiiis qu'on doive le pont appelé Cestius ; le soin des ponts ne regardait pas les préteurs, mais, comme le montre l'inscription même du pont Fabricius, les curatores viarum. Le Cestius qui donna son nom au monument fut ciirator viarum entre 692/62 et 121 j 21 '^, mais la dat3 exacte de sa magis- trature et son prénom même nous échappent.
Reconstruction au IV^ siècle : le pont de Gratien. — Le pont, édi- fié au dernier siècle de la République, fut réparé ou reconstruit au IV'' siècle de l'ère chrétienne. Ce nouvel épisode de son histoire est mieux connu'*. Deux inscriptions en conservent le souvenir; chacune à l'origine était répétée deux fois. La pre- mière était apposée en double exemplaire sur le parapet ; l'une des deux plaques de marbre sur lesquelles elle était écrite fut jetée dans le Tibre, en 1849, par les Garibaldiens qui essayaient de couper le pont pour défendre l'accès de la ville aux troupes françaises maîtresses du Janicule; l'autre se voit encore, remise en sa place, sur le rebord du nouveau pont5«/i Bartolomeo^ vers- l'amont^.
1. Mommsen, Histoire de la monnaie romaine, trad. franc, Paris, 1863-1873,. t. II, p. 348.
2. B.VBELON, op. Cit., t. I, p. 339.
3. C'était l'opinion de Jordan, op. cit., t. I, p. 419.
4. Sur le pont de Gratien, voir les références données par Kiepert-Huelsen, op. cit., p. 32 ; — et Homo, op. cit., p. 410.
5. C. I. L., VI, 1173. — Ep/iemeris EpigrapJiica, t. IV, n° 801. — Huelsen,. dans l'article pons Cestius de la Real Encyclopddie de Pauly-Wissow.*, renvoie^ en outre, au G. I. L., VI, 31.230 (non encore paru).
no LES POiNTS DE l'iLE TIBÉRINE
Domini noslri imperatores Ca'sares \ Fl[aviiis) Valentinia- nus PUIS Félix maximiis^ victor ac trwmf{ator) , scmpcr Aiig{ustn.'}), pontif{ex) maximus, \ Germanic[ns) max[imus), Aiamann{icus) max{inius), Franc{icus) max{imns), Gothic(v.s) max{imm), tribunicia pot[estate) Vll.hnpicrator) VI, cons{iil) II, p{roconsul), p{ater) p[atriœ), et | Fl{avius) Valens Pitis Félix max[imus), victor ne triumf{ator), semper Aiig{îistus), pontif{ex) maximits \ Germanic{us) max{imus) , A lamann{icus) max{imii.s) , Franc[icus) max[imus), Gothic[m) inax[imus)^ tnb[iinicia) pot{e State) VII, imperator VI, cons[ul) II, p[ro- consul), p{ater) p[atria>), et Fl{aviiis) Gratiamis Pins Félix max{imiis), victor ac triumf[ator), semper Atig{i(stns), pon- tif{ex) inaximiis, \ Germanic{its) 7nax{imus), Alamann[icus) niax[imiis),Franc[iciis)max{imus), Gothic{iis) 7nax[imus), tri- b[unicia) pot{estate) III\i?iip{erator) II, cons{i(l) primum,p[ro- consid),p[ater) p[atriœ), \ pontern felicis nominis Gratianiin îtsiim senatus ac populi rom[anï) constitui dedicarique jusse- runt.
« Nos seigneurs les empereurs Césars Flavius Valentinien, pieux, heureux, très grand, vainqueur et triomphateur, toujours auguste, pontife souverain, Germanique très grand, Alamannique très grand. Francique très grand, Gothique très grand, revêtu de la puissance tribunicienne pour la septième fois, imperator pour la sixième fois, consul pour la seconde fois, proconsul, père de la patrie; et Flavius Valens, pieux, heureux, très grand, vainqueur et triomphateur, toujours auguste, pontife souverain, Germanique très grand, Ala- mannique très grand, Francique très grand. Gothique très grand, revêtu de la puissance tribunicienne pour la septième fois, imperator pour la sixième fois, consul pour la seconde fois, proconsul, père de la patrie; et Flavius Gratien, pieux, heureux, très grand, vainqueur et triomphateur, toujours auguste, pontife souverain. Germanique très grand, Alamannique très grand, Francique très grand, Gothique très grand , revêtu de la puissance tribunicienne pour la troisième fois, imperator pour la seconde fois, consul pour la première fois, proconsul, père de la patrie, ont ordonné d'établir et de dédier
1. Au C. I. L., VI, 1175, on lit par erreur : Irib. pot. II. — Jordan, op. cil., t. F, 1, p, 420, note, a relevé cette faute, corrigée dans YEphemeris Ep'ujra- phica, loc. cit.
LE PONT CESTIUS Hl
le pont (lu nom heureux de Gratien pour l'usage du sénat et du peuple romain. »
La seconde inscription a disparu tout entière du côté de l'aval'; il n'en reste de l'autre côté que des fragments; elle était gravée sous le parapet, vers l'extérieur, et disposée pro- bablement sur une seule ligne, en grands caractères. Lors de la dernière réfection du pont les débris subsistants de ce texte ont été encastrés dans la maçonnerie nouvelle au-dessus de l'arche centrale, à la place qu'ils occupaient autrefois. L'inscription entière est connue par une copie de Mazocchi, où il ne manque que quelques lettres, au début et à la fin; c'est d'après cette copie que Gruter l'a publiée ensuite-, en la rapportant par erreur au ponte Sisto^.
[Gt'a]tiam triionfalis principis pontem œternitati augiisti nominis consecratum in usum senahis poptdiqne romani d[omini) n[ostrï) Valentinianus Valens et Gratianus vie- tores maximi ac perennes aiigiisti incohari perfici dediea- riq\iie jtisserunt].
<( Nos seigneurs Valentinien, Valens et Gratien, vainqueurs très grands, éternellement augustes, ont ordonné que le pont du triomphateur Gratien destiné à éterniser ce nom auguste et à servir au sénat et au peuple romains, fût commencé, achevé et dédié. »
Par ces inscriptions on sait à la fois le nom du pont res- tauré, le nom des empereurs qui firent exécuter les travaux et la date de la dédicace. Si Ton en croit la teneur même des documents, il n'y eut pas simplement à cette époque une répa- ration, après quelque inondation du Tibre, mais bien une reconstruction complète. Le pont a été livré par les trois em- pereurs Valens, Valentinien, frère de Valens, et Gratien, fils de Valentinien, à l'usage du peuple romain, in usiim senatKs ac populi romani constitui, il a été commencé, achevé, dédié par eux, incohari perfici dedicariq[iie jiisserunt] ^. C'est un monument tout nouveau qui remplace le
1. Dès l'année 1880, Dessau n'en retrouvait plus que deux fragments, l'un illisible, l'autre portant les mots VMFALIS PRINCIPIS PONTEM AI [Epheme- ris Epigraphica, loc. cit.).
2. Gruter, Inscriptiones antiquœ, p. "70, n" 6.
3. C. I. L., VI, 1176 et 31.251. — Ephem. Epigr., t. IV, n<" 802.
4. Jordan (op. cit., p. 420, note), s'étonne que la formule finale ne soit pas la même sur l'une et l'autre inscriptions, qui rappellent toutes deux le même acte officiel.
112 LES PONTS DE LILE TIBÉRINE
vieux pont do Cestius dësormais oublié ; on Jiii donne pour nom le nom môme de l'empereur le plus jeune : ce sera le pont de Gratien, pontem felicis no/ninis Gratiani; la même ex})ros- sion reparait, bien des siècles plus tard, dans la Graphia aureœ Urhis : Felicis Gratiani pons. L'indication des puissances tribuniciennes nous donne un moyen sûr de calculer, à quelques mois près, la date de l'inauguration ^ D'après la première ins- cription, Gratien, au moment de la dédicace, est revêtu de la puissance tribunicienne pour la troisième fois ; il a été associé à l'empire le 24 août 307; l'inauguration est donc antérieure du
24 août 370. Mais elle est postérieure au 1" mars de la même année : Valens est revêtu de la puissance tribunicienne pour la septième fois; or cette puissance lui a été conférée pour la première fois le 1" mars 36* par son frère Valentinien, empereur lui-même depuis le 25 février de la même année. C'est entre le 1" mars et le 24 août 370 que le pont de Gra- tien fut solennellement ouvert à la circulation. Il resterait à résoudre une dernière difficulté : en 370 Valentinien et Valens étaient consuls pour la troisième fois, et non pour la seconde, comme le dit l'inscription. L'auteur du texte ou l'artisan qui l'a gravé se sera trompé d'un chiffre % Quand le pont fut inauguré il devait être achevé depuis un an. L'orateur Q. Aurelius Sym- machus dans son Panégyrique de Gratien, prononcé le
25 février 369, parle de deux ponts que Gratien a élevés, l'un sur le Rhin, l'autre sur le Tibre ; ce dernier ne peut être que celui de l'ile tibérine^.
La construction des ponts de Rome, sous l'Empire, était confiée aux préfets de la ville, héritiers sur ce point des cura- tores viaritm de la République''. Quel est le préfet que les Empe- reurs chargèrent de rebâtir le pont Cestius? Nibby et Reber ont
1. Voir sur ces questions de chronologie : Goyau, Chronol. de VEmp. rom., p. 506-534; — 0. Seeck, Chronologia Symmachiana en tête de l'édition de Sj'mmaque, dans les Monum. Germ., Auct. antiq., t. VI ; — Vigneaux, op. cit., p. 329.
2. JonoAN, op. cit., p. 420, note.
3. Symmach., Panegyr. in Oralian., p. 332 de l'éd. Seeck, loc. cit. : Ecce jam Rhenus non despicit imperia sed inlersecat castella romana a noslris Al- pibus in nostrum exit Oceanum. Ille libéra liucusque cenice repagulis pon- tium captivus urgelur. En noster bicornis, cave apqualem te arbitrere Tiherino, quod amho principum monumenta geslelis; ille redimitus est, tu subaclus. Non uno inento pons uterque censetur ; viclus accepit necessarium, Victor seternum ; preliosior konori dalus est, vilior servit uti.
4. Cf. Vigneaux, op. cit., p. 320.
LE PONT CES nus 113
cru que c'était Aurelius Avianus Symmachus Phospliorius, père de l'orateur, préfet en 864-365'. Ammien Marcellin parle en effet d'un pont sur le Tibre construit ou réparé par Symmaque le père- ; mais il s'agit dans ce texte, d'ailleurs interpolé, du ])ons Valentiniani, l'ancien pons Aurelius restauré, maintenant \e po?ile Sisto, dont on a. retrouvé l'inscription dédicatoire -^ ; le texte est de l'année 365 ; Gratien n'y est pas nommé ^. Le poi.t de Gratien, achevé en 369, inauguré en 370, fut l'œuvre d'un successeur de Symmaque le père, très probablement de Vettius Agorius Praetextatus, préfet en 367 et 368^.
L'histoire des origines du pont de Gratien est aussi claire et certaine que celle de la fondation du pont Cestius est obscure et douteuse.
Travaux depuis l'antiquité : le pont San Bartolomeo. — Depuis le iv" siècle, il a fallu souvent réparer le second pont de l'île tibérine, plus exposé que le premier aux assauts du fleuve^. Une inscription du xif siècle, gravée sur un des piédestaux du parapet, nous apprend qu'un certain Benedictus, sénateur de Rome, l'a restauré ''^. On sait par Flavio Biondo que le parapet et la chaussée furent refaits par Eugène IV en même temps que ceux du pont Fabricius ^. Après les inondations de 1598 et de 1679, il fallut encore consolider les piles et en 1834 reconstruire une des petites arches. Delannoy écrivait en 1832 :
1. NiBBY, op. cit.., p. 170; — Rebek, op. cit., p. 320.
2. Amm. Marc, XXVI I, 3 : Multo tempore ante quam hoc conlingeret, Sym- machus Apronianosuccessit, inter praecipua nominandus exempta doctrinarum atque modestise, quo instante Urbs sacratissima otio copiisque abondantius solito fruébatur <Cet ambitioso ponte exultât atque fwmissimo quem con^di- dit ipse et magna civium lœtitia dedicavit. Les mots entre crochets ne sont pas dans les meilleurs manuscrits ; c'est une glose tardive intercalée dans le texte.
3. Ephemeris Epigraphica, t. lY, n° 800.
4. R. L\ya.Kyi {Bulle t. Comun., 1878, p. 245) croit que le passage du Pané- gijrique de Gratien cité plus haut s'applique à la fois au pont de Valentinien et au pont de Gratien : pons uterque; mais la pensée de Symmaque est très nette; les mots pons uterque désignent d'une part un pont sur le Tibre (celui de Gratien, et non celui dé^ Valentinien), d'autre part un pont sur le Rhin.
5. Vigneaux, op. cit., p. 329.
6. Par suite du tracé sinueux du Tibre dans Rome, le courant a toujours été plus impétueux dans le bras droit ; le bras gauche est situé en retrait et protégé par la convexité de la rive en amont.
7. 'Voici cette inscription : Benedictus alm{a)e \ urbis summ[usqué) sénat | or restauravit liun \ c pontem fere diru \ tum.
8. Flavio Bio.ndo, Roma instaurala, liv. II. chap. lxxx.
114
LES PONTS DE l'iLE TIIJÉKINE
« La balustrade en marbre et les deux inscriptions qui sont sur le pont ont dû être reculées pour lui donner plus de largeur, lors de quelque restauration, peut-être celle qu'indique l'ins- cription de Benedictus. C'est ce que me paraît prouver la saillie en porte à faux du piédestal que l'on a dû tailler pour en faci- liter encore la reculée*. »
FiG. 10. — LK PONT DE GRATIliN
Vue prise avant les récents travaux du Tibre (cliché d'Alessandri).
Les travaux de sijstématisation entrepris il y a quinze ans par le Génie civil ont nécessité une transformation plus radicale. Le bras droit du fleuve approfondi, entre l'Ile et le Transtévëre, a été considérablement élargi et porté de 48 mètres à 76. Le pont de Gratien devenait insuffisant; on l'a démoli, de 1888 à 1892, pour en bâtir un nouveau à sa pla^e. L'histoire de cette reconstruction est l'un des épisodes les plus curieux des batailles que se livrent de nos jours sur le sol romain les ingé-
1. Delannoy, Mémoire expUcalif inédit (Bibliothèque de l'Ecole des Beaux- Arts), p. 7.
LE PONT CESTIUS
115
nicurs et les archéologues ^ Les ingénieurs voulaient démolir entièrement l'ancien monument et le remplacer par un pont plus large, construit avec des matériaux neufs et sur des fon-
■r, s
dations plus résistantes. Les archéologues protestèrent, par l'organe de la Commission archéologique communale ; ils
1. Elle a été résumée en français, d'après les Altl et la Relazione délia com- missione di Vi^ilanza, par Roxna, le Tibre et les travaux du Tibre, loc. cit., p. 127-129 du tirage à part. — Voir aussi Battandier, la Démolition du pont
H6 LES PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
demandaient qu'on respectât le vieux pont, auquel se ratta- cliaieut tant de souvenirs. Après de longs débats, on s'arrêta à une solution moyenne qui ne pouvait satisfaire personne. La Commission archéologique consentit à ce qu'on démolît le pont de Gratien;mais elle exigea que l'arche centrale de celui qui le remplacerait reproduisît exactement l'ancienne : on devait la reconstruire toute pareille, de la même forme, dans les mêmes proportions et mesures, avec les mêmes pierres soigneusement recueillies, étiquetées et remises en place. On s'aperçut malheureusement, au cours des travaux, qu'un tiers à peine des matériaux antiques pouvait encore servir; un grand nombre do blocs de travertin et de pépérin, rongés par les eaux ou les intempéries, furent brisés pendant la démoli- tion, et sur les 563 qu'on détacha sans accident 347 seulement purent être utihsés. D'autre part, les efforts de la Commission archéologique, (jui n'ont pas sauvé le vieux pont, ont nui à l'établissement du nouveau : « Pour avoir tenu à le rétablir en partie selon les dimensions anciennes on a fini par baisser son niveau au-dessous de celui du quai, ce qui oblige de la rive droite à descendre sur la plate-forme^. » Le pont San Barfo- lomeo a maintenant une longueur de 80"", 40 et trois grandes arches, l'une de 23", 70 d'ouverture, les deux autres de 21 '",40. Il ne ressemble en rieu au pont de Gratien, que rappellent seulement les inscriptions, les dimensions de l'arche et quelques blocs de pierre.
Description du pont de Gratien. — Pour connaître le pont de Gratien, il faut se reporter aux descriptions qu'en donnent les ouvrages de topographie romaine antérieurs à 1888 2 et aux planches de Piranesi et de Canina-^ Sa longueur était de 48 mètres, sa largeur de 8°',20. Il se composait d'une grande
Ceslius à Rome, dans le Cosmos du 9 novembre 1889, p. 'SOo; — Honato, Annali délia Sociela def/li imjegneri e degli archilelli ifaliani, t. IV, 1889, p. 139-i:j2,pl.VI-Vm. — Deux dessins de Bonato ont été reproduits par Huelsex, Mitlh. des deutsch. arcliuol. Inslit., Rœm. Ablh., 1889, p. 283-284.
1. Ro.NXA. loc. cil., p. 129.
2. Entre autres : Nibbv, op. cil., p. 167 ; — Reber, op. cit., p. 319 ; — Joiidax, op. cil., p. 419. — Parmi les ouvrages postérieurs à 1888 : Miodletox, l/ieRe- 7nains of ancienl Rome, 1. 11, p. 368; - R. Lanciaxi, the Ruins and Excavations, p. 18.
3. PiKANESi, Anlichilà romane, t. IV, pi. XXI (vue du pont), XXII (inscription). XXIII (élévation), XXIV (coupe). — Caxi.na, rjli Edifizi di Roma anlica, t. IV, pi. CCXLll (plan, restauration en hauteur).
LE PONT CESTILS il7
arche centrale, d'une ouverture de 23'°,65, et de deux petites arches complémentaires sur les côtés, d'une ouverture de 5",80i.
Comme pour le pont Fabricius, les parties intérieures étaient en tuf et en pépérin, les revêtements extérieurs en travertin. Les piédestaux du parapet devaient supporter des statues à l'origine, sans doute celles des empereurs. Il restait peu de chose de la construction de Cestius dans le monument de Gratien. Les ingénieurs et les archéologues qui ont étudié l'architecture du pont avant les récents travaux l'ont déclarée grossière et de basse époque ; les voûtes étaient bâties en blocs irréguliers, mal reliés ectre eux, les revêtements iné- gaux et faits sans soin. A la base de l'arche centrale on voyait des pierres dépasser la ligne de la maçonnerie, avec des trous pour placer des charpentes, comme si l'édifice n'avait pas été achevé, ou comme si l'on avait songé à rendre plus facile les réparations ultérieures-. Nibby compare son style à celui des portes du temps d'Honorius ; d'après Delannoy tout y annonçait un âge de décadence.
Détails révélés par les derniers travaux. — Les travaux exécutés par le Génie civil, s'ils ont fait disparaître presque entièrement le pont antique, ont permis du moins de constater, au sujet de sa structure intime, quelques faits intéressants 3. Ils ont confirmé tout d'abord ce qu'on savait du caractère hâtif et imparfait de la restauration de Gratien. Le pont a été rebâti au iv° siècle avec des matériaux de toute espèce et de toute provenance ; les constructeurs ont pris, sans ordre et sans choix, toutes les pierres qui leur tombaient sous la main. Dans les rampes d'accès et les épaulements, qu'il a fallu abattre de nos jours, on a retrouvé pêle-mêle des inscriptions, des frag- ments d'architecture, des blocs de nature géologique très diverse. Quelques-uns des cubes de travertin utilisés dans les rampes proviennent, d'après M. Lanciani, du théâtre de Mar- cellus, voisin de Tile tibérine*. Les pierres mêmes des voûtes
1. RoxxA, loc. cit., p. 43, remarque que « Touverture de 3o"',2o pour le bras droit du Tibre, ajoutée à celle de 48"',75 du pont Fabricius, assurait une lar- geur totale de 84 mètres, ce qui permit aux deux ouvrages, moins attaqués par les crues, de se conserver jusque de nos jours ».
2. Delannoy, loc. cit.
3. Cf. BosATO, HuELSEN, locis citatis.
4. Notiz. d. Scavi, 1886, p. lo9; 1889, p. 70. — Bullell. Comiin., 1886, p. 171 ,
118
LES PONTS DR L ILE TIBÉRLNE
étaient gauchement jointes et en très mauvais état. Des cram- pons de fer les unissaient ; les trous où s'enfonçaient le métal avaient favorisé l'action destructive des agents atmosphériques et le poids des attaches nuisait à la solidité de Tensemble *. D'autre part, en établissant les fondations du pont actuel on a retrouvé celles qui servaient au pont de Gratien, et peut- être mémo au pont de Cestius. Les renseignements re- cueillis par les ingénieurs modernes ont montré, comme à vrai dire on le soupçonnait déjà, que la description de Pira- nesi était iouie fantaisiste. D'après cet auteur les piles au- raient reposé sur une assise de blocs colossaux en travertin, et ceux-ci sur un lit très profond de pilotis. En réalité, les
FiG. 18. — RESTAfRATION DU PONT CESTIUS.
D'après Canina, gli Edlfizi di Roma antica, t. IV, pi. CCXLIL
constructions de travertin étaient supportées immédiatement par un ouvrage de métal, entourés d'une double ligne de pieux enfonçés^.La profondeur du fleuve paraît avoir peu changé en ce point depuis l'époque romaine : le lit s'est seulement exhaussé légèrement.
Aspect du pont Cestius dans l'antiquité. — On voit combien
et 1892, p. 172. — La présence de fragments enlevés au théâtre de Marcellus prouve que dès le iv* siècle on n'hésitait pas à piller les édifices des âges antérieurs pour les employer dans des constructions nouvelles. Cf. R. Lan- cuxi, the Uestruclion of ancient Rome, Londres, 1899, p. 34. — Parmi les textes épigraphiques recueillis au même endroit, on cite surtout un fragment relatif aux institutions alimentaires de Trajan, et une inscription mentionnant les noms de plusieurs curalores riparum et alvei Tiberis ainsi que les tra- vaux de réparation des rives du fleuve exécutés par eux ex senalus consullo.
1. IluEt.sBN, d'après fioxATo, loc. cit. Ces deux auteurs donnent un dessin représentant la disposition des pierres et des crampons.
2. Ces constatations justifient les réserves qui ont été formulées plus haut sur les conjectures de Piranesi au sujet des fondations du pont Fabricius.
LE PONT CESTIUS i 19
il est difficile de se représenter le pont Cestius en son état pri- mitif. Son histoire contraste singulièrement avec celle du pont ■ Fabricius. Des deux bras du Tibre le gauche a toujours été le moins important, le moins troublé par les crues et les inonda- tions; aussi le pont Fabricius s'est-il conservé à peu près intact. Le bras droit au contraire n'a pas cessé, depuis l'antiquité, d'être le chenal principal, par où la masse des eaux se préci- pite avec le plus de violence, et la systématisation récente du fleuve, bien loin de lui enlever ce caractère, n'a fait que l'accentuer encore : le pont Cestius a beaucoup souffert du temps et du courant ; il a fallu très souvent le réparer, et deux fois le reconstruire. Du premier pont de pierre établi entre l'île tibérine et le Transtévère il ne subsiste plus rien, sauf peut- être une partie des blocs de tuf, de pépérin et de travertin avec lesquels on a refait l'arche centrale du pont San Barto- lomco. Depuis le iv° siècle même il n'en restait que les fonda- tions et quelques matériaux. Tout ce qu'on peut vraisemblable- ment supposer, c'est que, contemporain du pont Fabricius, il le rappelait et lui ressemblait, par son style, le bel appareil de ses pierres diverses, la sobriété de sa décoration. On a le droit de croire, en outre, que sa forme générale devait être celle que le pont de Gratien avait gardée : celui-ci aura été bâti très pro- bablement, par économie, dans les mêmes proportions que le pont Cestius, comme sur les mêmes fondations ; la disposition des trois arches inégales peut être attribuée au ciirator viarum Ces- tius. Il n'est pas permis d'en dire davantage sur le monument disparu de l'époque républicaine.
CHAPITRE m
REMARQUES SUR LA TOPOGRAPHIE DE L'ILE TIBÉRINE ENTRE LES DEUX PONTS
Rôle et importance des deux ponts. — Après avoir décrit le pont Fabricius et le pont Cestius et raconté leur histoire, il n'est pas inutile de rechercher quelle influence les conditions nécessaires de leur établissement, par exemple la place et la forme qui leur ont été assignées, ou la hauteur de leurs parapets au-des- sus des eaux, ont exercée dans l'antiquité sur la topographie de l'ile. Les ponts sont encore à l'heure présente et ont tou- jours été pour l'ile tibérine un élément essentiel de vie et de prospérité; c'est d'eux, c'est des facilités d'accès ou de pas- sage qu'ils procurent qu'elle tient de nos jours comme autrefois toute son activité; le cosmographe ^Ethicus l'appelle simple- ment insiila iiitei' duos pontes^ et cela suffit à la caractériser : les deux ponts qui la rattachent aux rives du Tibre sont comme le symbole de ses relations constantes avec tout le reste de Rome et du rapport étroit de ses destinées avec les destins de la ville même.
La construction des ponts et les règles que se sont prescrites les architectes romains chargés de les bâtir ont eu d'impor- tantes conséquences : la disposition des édifices qu'on éleva par la suite et l'aspect que présenta dès lors toute la partie centrale de l'ile en dépendirent.
La rue inter duos pontes. — Une première remarque s'im- pose : l'ile tibérine est un lieu de passage ; elle est située à égale distance des vieux quartiers de Rome et du Transtévère; ses ponts la relient pareillement à ceux-là et à celui-ci ; pour
REMARQUES SUR LA TOPOGRAPHIE DE l'iLE TIBÉRINE 121
aller du Capitule ou du Forum à la rive droite du fleuve, aucune voie n'est plus directe, aucun trajet plus rapide. La commodité des communications exigeait qu'entre la tête du pont Fabricius et la tête du pont Cestius le terrain fût laissé libre et dégagé ; aucun monument ne devait s'interposer, barrant le chemin. Sur la droite et sur la gauche s'alignaient les temples, les portiques, les maisons particulières, mais entre les deux ponts, il n'y avait, il ne pouvait y avoir qu'une rue ou une place par oti l'on se rendait de l'un à l'autre aisément et sans détour.
Les travaux de ces dernières années ont confirmé ces suppo- sitions logiques et permis même de fixer le tracé de la rue qui traversait l'île de part en part. Il faut observer que le pont Cestius-Sa^ Bartolomeo et le pont YdJoviciwâ-Qiiattro Capi ne sont pas dans le prolongement l'un de l'autre; un regard jeté sur le plan de l'île montre que leurs directions se coupent obli- quement. En effet, lorsqu'on les a construits, on a voulu avant tout les établir très solidement, les mettre en état de résister aussi bien que possible à la poussée des eaux; chacun d'eux, dans le bras du fleuve qu'il franchit, a été placé perpendicu- lairement au courant. Ils étaient reliés cependant par une voie toute droite. En démolissant la tête du pont San Bartolomeo, on a constaté qu'elle débouchait dans l'île par une rampe en pente formant coude et s'abaissant dans la direction du pont Quattro CapiK La rue entre les deux ponts commençait à cette rampe oblique et gagnait directement le bord opposé dé l'île. Ne serait-ce pas à elle que s'appliqueraient particulièrement les mots iîiter duos j)ontes du plan de Septime Sévère ? Sur les fragments de la Forma Urbis Rojnœ heureusement rapprochés et complétés par Jordan ces trois mots sont inscrits dans un espace vide bordé de constructions ~ : c'est ainsi que l'auteur du plan représente ordinairement les rues et les places. Il se pourrait que nous ayons là, sous les yeux, avec une partie de la via inter duos pontes, l'indication de son nom officiel, bien justifié par sa situation et son parcours.
Au centre de l'île tibérine, devant l'église Saint-Barthélémy, existe maintenant une petite place. Rien n'empêche de croire
1. Renseignement communiqué par M. Lanciani, qui a vu cette rampe et qui en a relevé les dimensions et la direction.
2. Voir ci-dessus, p. 60.
422 LES PONTS DE LILE TIBÉRINE
qu'il on était de même dans Tantiquité devant le temple d'Es- culape. La petite place centrale entourée de portiques — c'est peut-être l'un d'eux que l'on voit figuré au bas des fragments déjà cités de la Forma Urhis Romœ — communiquait par la via in ter duos pontes à l'est avec le pont Fabricius, à l'ouest avec le pont Cestius.
Différences de niveau. — La rue entre les deux ponts devait être construite en partie sur remblais. Il y a encore de nos jours une différence de niveau assez considérable, d'environ 2 mètres, entre les points où se terminent les deux ponts et le centre de l'île; elle était certainement plus forte dans l'anti- quité : le sol n'a pu, comme on l'a constaté maintes fois à Rome en d'autres endroits, que s'exhausser à travers les siècles, à mesure que les civilisations se succédaient et que s'accumu- laient les décombres. Les récents travaux ont permis de véri- fier qu'en effet la chaussée de la via inter duos pontes était surélevée aux abords des ponts. En démolissant les maisons du bord occidental de l'île, vers l'amont, on a reconnu que la voie qui se dirigeait de l'extrémité du pont de Gratien vers le centre de l'île descendait en pente rapide sur une longueur d'environ 20 mètres ; elle était supportée par de petits arcs de soutènement et des murs de travertin très solides'; l'appareil de la construction indiquait une restauration du v* siècle de notre ère. Ainsi, depuis la tête du pont Fabricius jusqu'aux approches de la place centrale, la rue entre les deux ponts allait en s'abaissant et dominait les terrains voisins.
Ces considérations purement topographiques, qui se dégagent de l'étude môme des ponts, ont leur intérêt; elles permettent de mieux comprendre la répartition et l'agencement des rues, des places et des édifices dans l'île tibérine.
1. Noliz. d. Scavi, 1883, p. 188. — Cf. R. Lanciani, Ihe Ruins and Excavations, p. 18 (à propos du pont Fabricius) : « 11 faut se rappeler que les voies de l'an- cienne Rome étaient de 2 à 5 mètres au-dessous des voies actuelles, tandis que les ponts sont demeurés les mêmes ; les rampes qui donnaient accès à ceux-ci étaient donc beaucoup plus longues et escarpées que maintenant et laissaient la place de plusieurs arcades qui ont été comblées peu à peu. Ces pentes s'appelaient pedes ponlis ou coscise au moyen âge. »
CHAPITRE IV
LES PLUS ANCIENS PONTS DE L'ILE TIBÉRINE
Les ponts de bois. — La fondation des ponts Fabricius et Cestius remonte au f siècle avant Jésus-Christ. Mais il n'est guère à présumer que Tile tibérine soit restée jusqu'à cette époque sans communications régulières avec les deux rives du fleuve. Avant qu'on eût construit les deux ponts de pierre, des- ponts de bois devaient exister aux mêmes places, unissant déjà l'île à la ville et au Transtévère. Le temple d'Esculape. fut fondé au début du m* siècle avant l'ère chrétienne ; d'autres temples s'élevèrent ensuite dans son voisinage ; les fêtes reli- gieuses amenaient aux sanctuaires un grand nombre de prêtres,, de dévots, de malades; pour venir soit du Palatin ou du Champ de Mars, soit du Transtévère même où de nouveaux quartiers se développaient au pied et sur tes pentes du Jani- cule, des ponts étaient nécessaires. Si les Romains ne com- mencèrent qu'en 575/179 à bâtir de pareils édifices en pierre — le pont ^milius remonte à cette époque — ils savaient depuis, longtemps les construire en bois. Le po?is Subliciiis serait^ d'après la tradition, une création des rois. On a tout lieu de- croire que d'autres ponts de bois avaient été jetés de bonne heure entre la rive gauche du Tibre et l'ile, entre l'île et la rive droite ^ .
1. Voici comment 0. Richter, Topoçjv., d. St. Rom, 2° éd., 1901, p. 51, résu- mant les théories actuellement en faveur, expose la chronologie des ponts de- l'ile tibérine : dès 462/292, au moment de la construction du temple d'Escu- lape, un pont de bois est établi entre l'ile et la rive gauche; vers 604/150, on met une garnison au Janicule : second pont de bois, entre l'ile et le Transté- vère (Cf. 0. RiCHTER, die Befestigung des Janiculum, Berlin, 1882); en 692/62^
124 LES PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
Examen des textes. — A vrai dire, si aucun texte ne s'y oppose', aucun texte non plus ne le prouve explicitement. Deux passages de Tite-Live ont été quelquefois invoqués en ce sens, mais sans raisons suffisantes.
Quand les trois cents Fabii, en 275/479, quittèrent Rome pour marcher contre les Véiens, ils sortirent par la porte Car- mentale, franchirent le Tibre, et campèrent sur les bords du Crémère^. On s'est demandé s'ils n'avaient pas traversé le (louve cà la hauteur de rHe tibérine, située tout auprès de la porte Cai*montale, et en se servant de ses ponts •'. Mais Tite- Live ne dit pas que les Fabii passèrent sur la rive droite aussitôt après être sortis des murs de Rome ; ils ont pu remonter quelque temps le long du Tibre, en suivant la rive gauche, avant d'entrer en Etrurie. D'ailleurs, à supposer que les ponts de l'ile existassent à cette époque, on avait dû les rompre au début des hostilités ; le caractère précaire et pro- visoire des constructions de bois était justement un de leurs grands avantages; en temps de guerre on les coupait pour empêcher l'ennemi d'avancer'*; c'est ainsi qu'îîoratius Codes fit couper le pont Sublicius derrière lui, pour sauver la ville'*. Est-il vraisemblable enfin que dès l'année 275/479, deux cents ans avant l'introduction du culte d'Esculape, l'ile fût reliée à la terre ferme et mêlée à la vie de Rome? entre la chute des Tarquins en 245/509 et la peste de 461/293 il n'est jamais question d'elle.
En 562/192 une crue du Tibre détruisit deux ponts aux
est bâti le pont Fabricius, en pierre ; un peu plus tard, le. pont Cestius, en pierre également.
1. Le passage de Cass. Dio, XXXVII, 45, cité plus haut à propos du pont Fabricius, a paru cependant prêter à cette interprétation. L'ancienne leçon TÔ vr,iTt5'.ov TÔTî èv Tfrt TtôÉptSi ov laisserait entendre qu'avant la construction du pont Fabricius l'Ile tibérine était vraiment une île ; rattachée à la terre, elle ne méritait plus ce nom ; donc il n'y aurait pas eu de pont dans l'ile avant le pont Fabricius (Nibby, Roma anlica, t. I, p. 114). Cette explication un peu tourmentée est superflue : la correction de Leunclavius, que nous adoptons à la suite des éditeurs modernes, lève toutes les difficultés.
2. Liv., H, 49 : Infelici via dexlro Jano porlae Cavmenlali profecti ad Cre- meram fluvium perveniunt.
3. Voir, entre autres, la Bf.schh. d. St. Rom, t. III, 3, p. 361.
4. Pendant la seconde guerre punique, après la bataille du lac de Trasi- mène, les Romains rompirent tous les ponts devant Hannibal : ponlesque res- cindèrent fluminum, Liv., XXII, 8. Cf. Zonaras, VIII, 25 : Ta; te Ysç^f^*; toû TiêépiSo; 7iXy)v (itx; xaOetXov. A cette époque les ponts étaient encore construits en bois.
5. Liv., II, 10; — PoLYB., VI, 53.
LES PLUS ANCIENS PONTS DE L ILE TIBÉRINE 125
abords de la porte Flumentane'. On s'est imaginé que c'étaient précisément ceux de l'ile-, parce que celle-ci est appelée quel- quefois dans les documents anciens inter duos pontes'K C'est beaucoup s'aventurer. Tite-Live raconte que deux ponts, sans les désigner plus clairement, furent emportés par l'inondation. D'une rencontre accidentelle d'expressions on ne peut tirer tant de conséquences. Mais tout au moines le fait que Rome en 562/192 possédait déjà plusieurs ponts sur le Tibre est attesté par ce texte même.
Les ponts de bois de l'île tibérine ne sont nulle part men- tionnés. L'hypothèse que l'Ile était reliée anciennement aux deux rives du fleuve n'a rien néanmoins que de très plausible et de très vraisemblable.
Théorie de M. Mommsen et de Jordan. — M. • Mommsen et Jordan sont allés plus loin. Ils attribuent aux temps les plus lointains de l'époque légendaire l'établissement de ces ponts primitifs, dont ils refont à leur façon toute l'histoire*.
L'île aurait existé dès l'origine de la cité romaine et la fable qui la fait naître accidentellement des moissons du Champ de Mars jetées dans le fleuve après l'exil des Tarquins ne repose- rait sur aucun fondement. Depuis le règne du quatrième des rois de Rome un double pont unissait l'île aux deux bords du Tibre; il n'était autre que cette construction sur pilotis, appe- lée pons Siiblicius^ dont l'imagination populaire attribuait au roi Ancus Martius la première fondation''. A l'appui de son opinion M. Mommsen fait valoir un premier argument, tiré de la considération des lieux mêmes et des facilités exception- nelles que présentait l'existence d'une île pour la création d'un pont sur le Tibre. En cet endroit, les eaux se divisant, le courant se brise, on a moins d'effort à faire pour le sur-
1. Liv., XXXV, 21 : Tiheris, infesHore quam priore impetu Hiatus Urbi, duo pontes, œdiftcia multa, maxime circa portam Flumentanam everlit.
2. Jordan, Topogr. d. St. Rom, t. I, p. 404; — 0. Gilbert, Gesch. und Topogr. d. St. Ro77i, t. III, p. 257.
3. Voir les textes d'JÎTHiccs, de la Forma Urbis Romae, de Plut., Popl., de Jlstix. Martyr, Apol. Pr., du Chronogr. Axx. 3o4, cités p. 3, ainsi que les textes de Macrob. et d'IIoRAx., Sat., cités p. 60.
4. Mommsen, Epigraphische Analekten, dans les Bev. d. sûchs. Gês. d. Wiss., Leipzig, 1850, p. 320; — Johdax, op. cit., t. I, p. 399-403.
5. Sur le pont Sublicius, voir les textes cités par Kiepert-Huelsen, Nomencl. topogr., p. 52, et par Homo, Lex. de topogr. rom., p. 412.
126 LES PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
monter, l'espace à francliir en deux reprises est à chaque fois peu considérable. L'ile tibérine formait comme une pile de pont gigantesque que la nature avait placée au milieu du fleuve pour servir d'étai et de support aux charpentes'. Les auteurs du pont Sublicius n'ont pu négliger le secours qui leur était ainsi offert. S'ils avaient préféré, comme on le croit générale- ment, mettre cet édiÇce plus bas en aval, après que les deux bras du Tibre se sont réunis, ils auraient été d'eux-mêmes et gratuitement au-devant des obstacles. Pourquoi se seraient- ils imposé la tfiche de lutter contre un courant impétueux et de traverser d'un seul trait le fleuve entier?
Le culte de Vejovis fournit à Jordan un second argument. On sait par le calendrier de Préneste qu'on adorait Vejovis dans l'ile tibérine 2. Ce dieu très ancien et mal connu avait à Rome, d'après Jordan, deux sanctuaires l'un au Ca- pitole, l'autre dans l'ile ; celui du Capitole datait des premiers temps de la cité^; le second devait être à peu près con- temporain. Vejovis en effet fut très vite négligé et oublié, on n'eût pas songé sous la République à lui consacrer un nou- veau temple. Les Romains regardaient Vejovis comme un dieu funeste, dieu de la mort et de la guerre. Son culte était célé- bré particulièrement dans la citadelle, centre militaire de Rome. La présence d'un sanctuaire du même dieu m imula s'explique par l'importance militaire de l'ile elle-même et par le rôle qu'elle jouait, dès l'époque des rois, dans la défense <le la ville : elle était reliée par le pont Sublicius d'une part à la Rome primitive toute située sur la rive gauche, d'autre part aux territoires extérieurs et souvent hostiles de la rive droite; elle formait vraiment un poste avancé, plus exposé qu'aucun autre point aux attaques de l'étranger, tout désigné pour être confié à la protection du dieu guerrier funeste aux ennemis.
Après avoir identifié le pont Sublicius au double pont primitif de l'ile tibérine, M. Mommsen s'est demandé quand et com- ment des ponts de pierre se substituèrent à ce fragile édifice de bois. Le premier pont de pierre de Rome, \q j^ons lapideus
i. MoMMSEîf, op. cit., p. 323 : NatUrlich Hess man sich den nalûrlichen Bi'Uckenpfeilen den die Tiherinsel darbot nicht entgehen.
2. Voir ci-dessous, p. 251.
3. KupERT-HuELSE.N, Op. cit., p. 88; — Homo, op. cit., p. 623.
LES PLUS ANCIENS PONTS DE l'iLE TIBÉRINE d27
par excellence, comme l'appelle le scholiaste Acron', serait le pont Fabriciiis bâti en 692/62 par le cnrator viarum de ce nom, tout auprès du bras gauche du pont Sublicius. On laissa cependant ce dernier subsister, par scrupule religieux, à côté du monument nouveau; il y eut pendant quelques années, entre l'île et la rive gauche, deux ponts, l'un en bois, l'autre en pierre, et un seul, en bois, entre l'île et la rive droite. En 731/23 une inondation détruisit les deux parties du pont Subli- cius et abîma le pont Fabricius ~ ; on entreprit à cette occasion d'importants travaux, dont les consuls M. Lollius et Q. Lepi- dus firent la dédicace deux ans plus tard, comme l'apprend l'inscription conservée du pont Fabricius. Celui-ci avait été remis en état; mais, au lieu de relever le pont Subhcius du côté du Transtévère, ou avait bâti un second pont de pierre : Ce fut le pont .^îmilius-^ ou Lepidi'', ainsi appelé du nom du consul Q. yEmilius Lepidus ; il devint plus tard le pont de Gratien.
Critique. — Telle est la théorie ingénieuse de M. Momm- sen. Il était nécessaire de l'exposer avec quelque détail. M. Mommsen paraît y tenir tout spécialement. A plusieurs reprises, dans des ouvrages ultérieurs, il est revenu sur la question des ponts primitifs de Tîle tibérine, et il n'a rien re- tranché de ses hypothèses hardies^. Elles ont rencontré cependant une très vive opposition''^ et soulèvent, à notre avis, des objections insurmontables.
1. Texte cité plus haut, p. tOO.
2. Texte de Cass. Dio, cité plus haut, p. lOi.
3. On sait par Plut. {Numa, 9). que le pont Sublicius en bois fut remplacé longtemps après par un pont de pierre, œuvre d'un magistrat nommé ^milius (Voir ci-dessous, p. 127).
4. jÏIthicus, dans l'éd. de Pomponius Mêla par Gronovius (1722), p. 716.
5. Cf. G. I. L., 1, 1" éd., 600; — Mommsen, Hisl. rom., trad franc., Paris, 1863- 1872, t. 1, p. 51 et 140 ; — G. I. L., I, 2° éd. (1893), p. 323 : Pontem ^milium... equidem adhuc judico eum esse qui insulam tiberinam urbi adjungil {ponte qualtro capi), adhuc inscriplum noynine Q. Lepidi (G. I. L., VI, 1305), /«x/a antiquissimum Sublicium.
6. Voir surtout : Urlichs, die Brucken des Allen Roms, dans les Sllznnffsber. d. Ak. d. Wiss., Munich, 1870, p. 4.59; — Wecklei^, zur Rœ}nischen Topographie, dans VHennès, t. Yl, 1872, p. 178; — Mayerhofer, die Brucken im Allen Rom, p. 23; — 0. Gilbert, Gesch. und Topogr. d. Si. Rom, t. H, p. 171, et le résumé de KuMMER, de hrbis Romœ pontibiis antiquis, p. 26, où les diverses opinions sur la position du pont Sublicius sont rapportées et discutées. — Jordax, op. cil., t. II, p. 199, avait adopté l'opinion de M. Mommsen, mais avec cette différence qu'il donnait le nom de pons JEmilius au pont Sublicius et non au pont
128 LES PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
Le véritable pont Jîmilius. — Le pont entre File tibérine et le Transtévëre s'est api)elé jusqu'à la fin du iv* siècle /)on5 Ces- tiua^ et non pas/)on.s .l^miliun. Le Ciiriosum Urhis et la/>e,s- criptio regionum citent ces deux noms comme s'appliquant à deux monuments distincts, et le second est indiqué aussitôt après le nom du premier pont de Tile, le pont Fabricius^ Le pons jEmilius était situé plus en aval, à la place du ponte rotto actuel; on s'accorde maintenant à le reconnaître*. Aussi bien ne voit-on pas pourquoi, dans le système de M. Mommsen, le pont entre l'île et le Transtévëre se serait appelé ^milius; deux consuls ont présidé aux travaux que l'inondation de 731/23 avait rendus nécessaires ; comment expliquer qu'un seul d'entre eux ait donné son nom à l'un des ponts, l'autre con- servant son appellation antérieure? Rien ne nous montre que Q. ^^milius Lepidus ait eu plus de part aux travaux que son collègue; d'ailleurs sur l'inscription du pont Fabricius, qui les nomme tous les deux, le gentilice ^milius ne figure pas; on lit seulement : Q. Lepidus. Il est vrai que M. Mommsen in- voque un texte de Plutarque, qu'il rapproche de cette inscrip- tion même et d'après lequel il la complète. Mais il ne peut le faire servir à sa thèse qu'à la condition de le corriger, et peu heureusement. Plutarque raconte que le pont de pierre qu'on éleva longtemps après la construction du pons Suhlicius était l'œuvre d'un questeur nommé ^milius '^. D'après Tite-Live c'est aux censeurs M. ^milius Lepidus et M. Fui vins Nobilior qu'on devrait les premières fondations du pont achevé plus tard par les censeurs P. Scipio Africanus et L. Mummius^. Becker, s'appuyant sur ce texte, proposait de lire dans Plutarque
Cestius: dans le t. I, 1, p. 399 et suiv., paru plusieurs années après le t. II, il examine de nouveau le système de M. Mommsen et insiste également sur les faits qui semblent, d'après lui, le confirmer et sur ceux qui le contredisent, sans prendre nettement parti lui-même.
1. Voir ces textes dans Ublichs, Cod. topogr., p. 22 et p. 44; — et dans JoKhAN, op. cit., t. II, p. 541 et suiv.
2. Voir Kt'M.MER, op. cit., p. 17-26; — Kiepert-Huelsen, op. cit., p. 51 ; — Homo. op. cit., p. 406; — P. Lanciam, del Ponte senatorio ora ponte rotto, Rome, 1826.
3. Plut., Numa, 9 : OO fàp ôéiittov i\K' èîriparov TiYeïffOat 'Pwnatou; Tr,v
x«Tdt).y<Ttv TT,; $y),{vr); ye^Opa; r, It Xiôc'vr) TtoXXoî; •jorspov âSï'pYidôr, ypdvot;
vit'Aî(ii),io'j TajAte-jovroî.
4. Liv., XL, 51, énumérant les travaux exécutés sous la censure de M. ^milius Lepidus et de M. Fulvius Nobilior : Portum et pilas pontis in Tiheri, quibus pilis fornices posl aliquot annos P. Scipio Africanus et L. Mum- mius censores locaverunt imponemios.
LES PLUS ANCIENS PONTS DE L ILE TIBÉRINE 129
-tlJ/q-z-jo^Koçy ceîisoris, au lieu de -qc^avjo^^xcç, ÇKâsstoris ^ . M. Mommsen, s'écartant davantage encore de la leçon des manuscrits, veut remplacer -cocij.ieùov-oç par ûraTsJovTsc, consu- lis. On ne peut adopter cette lecture nouvelle. Paléographi- quement la correction qu'imagine M. Mommsen est aussi invraisemblable que celle de Becker, au contraire, parait naturelle. M. ^milius Lepidus, censeur en 575/129, premier fondateur du pont iEmilius, n'est pas le même personnage que Q. Lepidus, consul en 733/21, auteur de la restauration du pont Fabricius.
Pons Lepidi et pons lapideus. — Si le pont entre File et le Transtévère ne se confond pas avec le pons /Etiiilius, il faut ajouter, contrairement à l'opinion de M, Mommsen, qu'il ne s'est jamais appelé pons Lepidi ni le pont V ixhricius pons lapi- Jeus. Le cosmographe ^thicus parle bien d'un pons Lepidi surnommé à tort pons lapideus, pontem Lepidi qui nunc abusive a plehe dicitiir lapidens. Mais il le place au-dessous do l'ile, à l'endroit où les deux bras du Tibre se réunissent, iihi iinus effectus. Ces indications concordent avec tout ce que l'on sait par ailleurs : ce jjons Lepidi, c'est le pont vEmi- lius, fondé par le censeur Q. vEmilius Lepidus. Le surnom de pons lapideus qu'on lui donnait en jouant sur les mots n'était pas tout à fait dépourvu de sens : il avait été en effet le pre- mier pont de pierre élevé à Rome ; il restait aux yeux des Ro- mains le pont de pierre par excellence ; de même que pour eux, au témoignage de Vitruve, le théâtre de Pompée, premier théâtre construit en pierre, restait entre tous le theatrum lapi- demn~. On opposait ce pons lapideus au pons Sublicius, qui était le premier pont de bois, le pont de bois par excellence ; Servius et Festus nous apprennent que le mot Sublicius, dérivé de suhlicœ, poutres, synonj'me de trahes, signifie proprement : construit en bois'\ Aucun écrivain ancien, sauf le scholiaste Acron, n'attribue au pont Fabricius, au lieu du pont ^milius, l'épithète de lapideus. Mais Acron vivait à une époque relative- ment récente, à la fin du ii" siècle de notre ère, et ses scholies
1. Becker, Topogr. d. St. Rom, p. 695.
2. ViTKuv., III, 3 : Quemadmodum est Fortunœ equestris ad theatrum lapideum.
3. Sekvius, ad Aî.n.. VIII, 646 : Per subUcium pontem, hoc est liffnettm. — ■ Voir aussi un passage très mutilé de Festus, p. 293.
!»
430 LE8 PONTS DE l'iLE TIBÉRINE
ne sont connues môme que i)ar un remaniement Un vu* siècle. Il est souvent mal informé, il mérite peu de créance; son unique témoignage ne saurait prévaloir (•onirc l'accord des autres sources. Dans le même passage où il (pialifie indûment le pont Fabricius de pons lapideiia il commet une seconde erreur plus grossière encore et plus évidente : il donne à Fabricius le titre de consul, alors que les mots curât or viarum se lisent dans l'inscription conservée. Les appellations de pons Lepidi et de pons lapidens ne conviennent qu'au seul pont ^milius.
Le pont Sublicius et l'île tibérine. — Ce qu'il y a de plus origi- nal assurément et de plus attrayant dans la théorie de M.Momm- sen, c'est l'hypothèse que le pont Sublicius reliait la rive gauche du Tibre à la rive droite en enjambant, pour ainsi dire, l'île tibé- rine. Mais c'est aussi ce qu'il y a dans le système de plus con- testable. Depuis que M. Mommsen a exposé ses vues hardies, les érudits contemporains qui s'occupent de topographie romaine ont pesé les arguments qui militent en sa faveur et ne se sont point laissé convaincre. M. Mommsen affirme que le pont Sublicius passait par l'Ile, mais il ne peut en donner aucune preuve directe. Il insiste sur des motifs généraux de conve- nance, d'opportunité ; aucun point n'était aussi favorable à l'établissement d'un premier pont ; le culte de Vejovis in insiila^ ajoute Jordan , doit remonter à l'époque royale et ne s'explique que par l'importance de l'île au point de vue de la défense militaire de la cité primitive, à laquelle elle servait de poste avancé... Ce sont de trop vagues présomp- tions, et très contestables. Les fondateurs du pont Subli- cius auraient-ils eu réellement avantage, comme le suppose M. Mommsen, à se servir de l'île pour diviser et faciliter leur tâche? ce pont était construit à la hauteur de la ville, en face d'elle, r.fz tî); Tzzkttà^, nous dit Polybe ^ ; il devait déboucher, par conséquent, à l'intérieur même du mur d'enceinte; or on sait que le mur de Servius aboutissait au fleuve sur la rive gauche, au-dessous de la pointe méridionale de l'île tibérine; celle-ci, au temps des rois, était située en dehors et à quelque distance de la cité : le pont Sublicius ne la traversait donc pas. Il est vrai que M. Mommsen, pour sauver son système, pro- pose de déplacer et de reculer les limites de la Rome primitive ;
K Poi.YB., VI, 5o.
LES PLUS ANCIENS PONTS DE L ILE TIBÉRINE 131
l'enceinte de Servius, d'après lui, aurait rejoint le Tibre plus haut qu'on ne le croit d'habitude, en araont de l'île. C'est une affirmation que rien n'autorise, et que tous les faits et textes connus démentent formellement*. Mais si File était à l'origine en dehors et à quelque distance de la ville — et le fait est prouvé, — le second argument, allégué par Jordan, s'écroule comme le premier. Elle ne faisait point partie du système de défense de Rome ; il n'y avait donc pas lieu d'y établir, dès l'époque royale et pour des raisons d'ordre militaire, un sanctuaire de Vejovis; rien ne prouve d'ailleurs que la fondation de ce sanctuaire remontât à des temps si reculés, ni même qu'il y ait eu à cet endroit un édifice dédié particulière- ment à ce dieu. Le temple de Jupiter in insula, oti l'on sacri- fiait à Vejovis, ne fut élevé que cent ans après celui du dieu grec Asklépios, et le culte qu'on y rendait à Vejovis et à Jupiter n'implique nullement que le pont Sublicius passât par l'île tibérine.
En réalité, il faut s'en tenir à l'opinion traditionnelle : le pont Sublicius était situé en aval, à la hauteur du Fomm Boa- riiim, non loin du pont yEmilius-. Supposer qu'il se confondait avec le double pont de bois de l'île tibérine, c'est rendre inin- telligible et l'histoire de l'île et celle du pont Sublicius lui- même. Peu importe que la légende des moissons du Champ de Mars ait ou non un fond de vérité ; il est sûr en tout cas qu'elle n'eût pas même pu trouver crédit auprès des Anciens si Vinsida dès le temps des rois avait été rattachée à la terre ferme. D'autre part, d'après M. Mommsen, le pont Sublicius aurait été double ; or les auteurs latins ou grecs qui le citent en parlent toujours comme d'un pont unique. Enfin, si le pont Sublicius traversait l'île, le dévouement d'Horatius Codés ne se comprend pas. Le héros défendit le pont Sublicius contre l'ennemi; on le rompit derrière lui tandis qu'il tenait ses adversaires en respect, et il regagna la rive romaine à la nage 3. Si l'on admet avec M. Mommsen que le pont Sublicius enjambait l'île tibérine, il faut ou bien reculer comme lui la limite de la cité de Servius — et l'on n'en a pas le droit, — ou bien avouer que le sacrifice d'Horatius Coclès était superflu :
1. Cf. ci-dessus, p. 29, note 2.
2. Cf. HuELSEN, il Foro Boario e le sue adlaeenze nelVantichità, dans les Dissert. delVAccad. Ponlif., série 11, t. VI, 1896, p. 229.
3. Liv., 11, 10; — PoLYB., VI, 55.
132 LES PONTS DE l'iLE TIBÉIUNE
les Etrusques, débouchant par le pont Suhlicins en dehors do la ville , eussent été arrêtés k coup sûr par le mur d'enceinte. On comprend que sur un médaillon d'Antonin le Pieux repré- sentant Horatius Codes à la nage devant le pont rompu l'ile ne soit pas figurée^; elle n'est point mêlée k cette aventure.
Conclusion. — 11 nous est impossible de nous rallier k la théorie de M. Mommsen et d'admettre les hasardeuses attribu- tions de noms qu'il propose. Ses conjectures sont séduisantes sans doute, mais trop aventureuses et contraires k la vraisem- blance'^. Le premier pont de l'île fut bâti du côté de la rive gauche vers le temps oti se fonda le temple d'Esculape, au III' siècle avant l'ère chrétienne ; celui de la rive droite fut bâti un peu plus tard. Les seuls noms qu'aient portés les ponts de pierre qui succédèrent k ces ponts de bois furent ceux de pont Cestius et de pont Fabricius, tirés du nom même des ma- gistrats chargés de les construire.
1. Cohen, Monnaies de VEmplre romain, 2* éd., Paris, 1880-1886, t. II, p. 283; — Frôiineh, les Médaillons de l'Empire romain, Paris, 1878, p. 60-61. — Cf. JoRDAX, op. cit., t. I, 1, p. 406, en note.
2. Mayeuiiofer, die Briicken im Allen Rom, Erlangen, 1884, p. 23-47, a repris à son compte la théorie de M. Mommsen, en la modifiant; mais les correc- tions qu'il y introduit ne la rendent pas plus acceptable. II essaie d'établir que le pont Sublicius était situé un peu plus en aval que ne le crctyait M. Mommsen, à l'extrémité méridionale de l'île. Sur le médaillon d'Antonin où l'on voit représentée l'arrivée du serpent d'Esculape à Rome (Fhoiixek, op. cit., p. 51-53; cf. ci-dessous, p. 176), la galère du dieu passe entre les arcades d'un pont; ce pont serait le pont Sublicius; le pont ^Emilius était trop loin de l'île pour qu'on l'eût figuré si prés d'elle, et en 161/293, il n'existait pas encore. Mais on peut objecter que l'artiste qui a gravé le médaillon n'était pas tenu à une exactitude rigoureuse ; il a pu se permettre de reproduire sur son œuvre le pont /Emilius qui n'était pas construit lors de l'arrivée du serpent sacré, et de le mettre plus près de l'île qu'il n'était en réalité. — A propos du pont ^Emilius, et pour concilier l'opinion la plus répandue et les exigences des textes avec les assertions de .M. Mommsen, M. Mayertiofer {op. cit., p. 47-76), distingue un pont .lîmilius proprement dit {ponte vitlto actuel) et un pont Fabricius-if]milius. (Test coujpliqiier inutile- ment la question. Il n'y eut qu'un seul pont .l^uiilius et l'on a ^ai^;on d'en chercher la place à la place même du ponte rolto.
LIVRE III
LE SANCTUAIRE D'ESGULAPE
LIVRE III
LE SANCTUAIRE D'ESCULAPE
Le temple d'Esculape dans l'île tibérine était à la fois le plus ancien, le plus important des édifices qu'elle renfermât, et le principal lieu de culte que possédât à Rome le dieu grec de la médecine. L'île doit son nom moderne à l'église Saint- Barthélémy, le plus remarquable de ses monuments. De même dans l'antiquité elle était appelée assez souvent l'île d'Esculape ou du serpent d'Epidaure*. Esculape y avait été installé cent ans avant Jupiter et Faunus ; pendant un siècle elle apparut aux Romains comme sa propriété exclusive. Quand d'autres divinités eurent pris place auprès du dieu médecin, celui-ci resta cependant en possession de la majeure partie du sol et il eut toujours le pas sur ses voisins 2. Son sanctuaire, avec toutes ses dépendances, occupait un plus vaste espace que leurs temples. Ses fêtes attiraient un plus grand concours de fidèles. Il rendait de plus signalés services à la foule superstitieuse qui venait l'invoquer, et qui attendait de lui la révélation de remèdes salutaires et la guérison miraculeuse de ses maux. Aussi n'est-il pas surprenant que nous soyons mieux rensei- gnés sur le culte d'Esculape que sur les cultes secondaires qui lui étaient associés en cet endroit. C'est à lui surtout que les Romains se sont intéressés. C'est à lui que se rapportent la
1. Voir les textes de Sueton. {Claud., 25) et de Sidon. Apoll. {Epist., 1, 7, 12), cités plus haut, p. 3.
2. DiONYS., V, 13 : Nvicro; eyiievéôr,; 'AoxXifiTitoy îepa.
136 LE SANCTIJAIRK 1) ESC.LLAPE
l)luj)art des dociunents qui nous ont été conservés, textes littéraires, inscriptions, monuments figurés. Ils nous font con- naître les circonstances légomlaires de l'arrivée d'Esculapo, l'histoire de son sanctuaire, les cérémonies qu'on y célébrait. Ils ne nous éclairent pas seulement sur l'un des points essen- tiels de la topographie antique de l'ile ; les indications qu'ils nous donnent ont une portée plus générale et une valeur unique ; elles nous permettent d'étudier sur ce point du territoire de Rome, avec plus de détails et de précision que nulle part ailleurs, la religion d'Asklépios latinisé et l'exercice de la médecine sacerdotale chez les Romains.
Le culte d'Esculape était à Rome une importation étran- gère :
Hic tamen accessit delubris advena nostris'.
Les Romains l'avaient emprunté tardivement et de toutes pièces aux Grecs. Dans le sanctuaire de l'Ile tibérine tout rap- pelait la Grèce. On l'avait fondé pour abriter le serpent sacré ramené d'Epidaure. Par son aspect, par la disposition des portiques encadrant le temple, il ressemblait trait pour trait aux Asklepieia grecs. C'est à la mode grecque que l'on im- plorait le dieu et qu'il rendait ses oracles. Il semblait qu'on eût transporté entre les doux bras du Tibre un coin de terre hellénique. Singulier et frappant exemple de la tolérance accueil- lante du peuple romain.
1. OviD., Melatn., XV, "45.
CHAPITRE I LES ORIGINES DU CULTE* D'ESGULAPE
Esculape et Asklépios. — Esculape est un dieu grec, et le nom qu'il porte en latin, JEuciilapiu^^ n'est que la transcrip- tion du nom grec ' K<s'/Xr{z\zz. On ne doit point s'étonner que les Romains aient adopté purement et simplement son culte et son nom même. Il n'y avait dans leur religion primi- tive aucune divinité qui lui correspondît et à laquelle il pût être assimilé. Lorsque Rome entra en contact avec le monde hellénique et qu'elle subit l'influence de sa civilisation supé- rieure, elle se plut à mettre en parallèle les croyances natio- nales des populations de l'Italie et la mythologie des Grecs ; on proclama que Jupiter n'était que le Zeus des Latins, Junon leur Héra, Minerve leur Athéna, Mercure leur Hermès. Mais de pareils rapprochements n'étaient pas toujours pos- sibles. Si les deux religions présentaient de nombreux points de ressemblance, qui tenaient à la communauté d'origine des deux races, de profondes différences cependant les séparaient. Certains dieux italiques n'avaient pas d'équivalent en Grèce ; inversement certains dieux du Panthéon hellénique n'avaient pas d'équivalent en Italie. Le prestige de la Grèce l'empor- tant, les premiers furent peu à peu négligés et tombèrent dans l'oubli; les seconds, transportés finalement chez les Romains, y conservèrent les caractères originaux qu'ils avaient chez les Grecs, et jusqu'à leurs appellations anciennes. C'est à cette dernière catégorie qu'appartient Esculape.
La médecine et le culte d' Asklépios en Grèce. — Les Grecs adoraient Asklépios comme le dieu de la médecine, l'inventeur et le protecteur de l'art de guérir'. La médecine paraît avoir
\. Sur le culte d' Asklépios en Grèce, consulter : Preller, Gviecli. Mythol.,
138 LE SANCTDAIRE D E8CDLAPE
été connue et pratiquée avec succès en Grèce de très bonne heure. Quand vint Hippocrate, elle avait déjà des siècles d'existence. Depuis longtemps l'esprit ingénieux et avisé des Grecs s'était appliqué à l'observation des maladies et à la recherche des remèdes ^ Le culte d'Asklépios est né de l'exercice même de la médecine. La religion grecque reposait sur l'adoration des puissances de la nature divinisées et per- sonnifiées. Chaque dieu était un symbole : il représentait un aspect ou un élément des choses. Chaque dieu était conçu à l'image des hommes : on lui attribuait une physionomie propre, des traits individuels fortement marqués; on lui prêtait des passions et des aventures ; de poétiques légendes racontaient ses exploits. Asklépios est la force mystérieuse qui entretient et renouvelle la vie, qui combat et guérit les maladies. Il est en même temps le fils d'Apollon, dieu de la lumière, et de la nymphe Coronis ; il a vécu sur la terre et fut héros avant d'être dieu ; initié à la médecine par le cen- taure Chiron, il a prodigué ses soins et ses bienfaits aux hommes et leur a communiqué à son tour le secret de son art salutaire. La reconnaissance et l'intérêt ont poussé les fidèles à lui élever des temples, à lui adresser des prières. Les malades passaient la nuit dans ses sanctuaires, auprès de ses autels. Le dieu leur apparaissait en songe et leur faisait connaître les remèdes qui devait les rappeler à la santé. Le récit des guérisons était déposé dans les archives des Asklé- pieia, pieusement gravé sur le bronze ou la pierre des ex-voto. Il est certain que les prêtres intervenaient activement dans les consultations d'Asklépios. Ils expliquaient aux malades le sens de leurs rêves, qu'ils contribuaient peut-être à leur sug-
4* éd. revue par Robf.rt, 1. 1, 2, fierlin, 1894, p. 514 ; — article Asklépios dans le Lexicon de Roschrr, par Thr^:mek, et dans la Real Encyclopédie de Paui.y- WissowA, par le même; — article Msculapius par Robiou dans le Dict. des Anliq. de Darembeho et Sagi-io. — La mono<îraphie de Paxofka, Asklépios und die Asklepiaden, dans les Abh. d. Berlin. Akad., 1845, p. 271, bien qu'ancienne, rend encore des services. Celle de Miss Alice Walton, Ihe Cuit of Asklépios, dans les Cornell Sludies in classical philology (University of Ithaca, New- York, 1894, 80 pages), contient, outre quelques chapitres de considérations générales, de copieux tableaux de références ; les inexactitudes y sont mal- heureusement assez fréquentes.
1. Sur les origines de la médecine en Grèce, consulter : Spresgel, Hist. de la médecine, trad. franc., Paris, 1815, t. 1, p. 85; — DAUEMBEHr., la Médecine dans Homère, Hev. archéoL, \H95, t. II, p. 95, 249, 331; — Dahembeko, Hist. des sciences médicales, Paris, 1870, t. I, p. 80 ; — Hasek, Geschic/ile der Me- dicin, 3* éd., léna, 1875, t. I, p. 68.
LES ORIGINES DU CULTE D ESCLLAPE 139
gérer. C'est eux qui rédigeaient les prescriptions du dieu. Ils devaient avoir acquis à la longue certaines connaissances mé- dicales, qu'ils se transmettaient de génération en génération. On savait par les inscriptions votives que telle recette avait eu raison souvent de telle affection ; quand le même cas se repré- sentait, on faisait en sorte de lui appliquer le même traite- ment ' .
La médecine grecque fut donc à ses origines religieuse et sacerdotale 2. Sans doute, une autre médecine ne tarda pas à se développer à côté de celle des temples ; le même nom d'Asklépiades servit à désigner à la fois les prêtres du dieu guérisseur, interprètes de ses pensées, ministres de ses cures miraculeuses, et les médecins laïques qui s'efforçaient de remé- dier aux maladies humaines par des moyens naturels, en s'ai- dant simplement de l'étude et du raisonnement'^; des écoles scientifiques se fondèrent, une tradition s'établit, dont Hippo- crate devait être, auv" siècle, l'héritier illustre''. Mais la faveur et la prospérité du culte d'Esculape n'en furent pas diminués. Les dévots continuèrent à fréquenter ses sanctuaires d'Epi- daure, de Tricca, de Cos, d'Athènes. On recourait plus volon- tiers aux révélations merveilleuses du dieu qu'à l'expérience et aux conseils des hommes qui prétendaient l'imiter. La répu- tation d'Asklépios avait dépassé les limites de la Grèce. L'appel que les Romains lui adressèrent en 463/291 montre de quel
1. D'après la tradition, Hippocrate lui-même aurait commencé l'étude de la médecine dans le temple d'Asklépios à Cos et il devrait beaucoup aux ré- cits des guérisons inscrites sur les ex-voto : Strabo, XIV, p. 637 : $a<il ô"lTr7:opâTr|V [jià/'.ffTa ex twv èvraCÔa àvaxstjiÉvtov ôspaTVïiwv YU|j.vâ(Ta(T6at rà TTEpi ■zoLz Stat'taç; — Plix., Hist. 7ial., XXIX, 1 (2) : Is cum fuisset mos liberatos morbis scribere in templo ejus dei quid auxiliatum esset, ut postea siinililvdo proficeret, exscripsisse ea tradilur alqiie {ut Varvo apud nos crédit), templo C7'e7nato, instituisse medicinam hanc quœ clinice oocatur.
2. AuG. Gauthier, Recherches historiques sur l'exercice de la médecine dans les temples chez les peuples de l'antiquité', Paris, 1844 ; — D'' Vercoutre, la Médecine sacerdotale dans l'antiquité grecque, Rev. archéol., 1885, t. II, p. 273; 1868, t. I, p. 22 ; — D' Courtois-Suffit, les Temples d'Esculape, la méde- cine religieuse dans la Grèce ancienne. Archives générales de médecine, 1891, p. S76.
3. Les Asklépiades laïques formaient une corporation fermée, une véri- table caste, et prétendaient descendre des deux fils d'Asklépios, Machaon et Podalire.
4. Boudard, Histoire de la médecine grecque depuis Esculape jusqu'à Hip- pocrate exclusivement, Paris, 1856; — Daremberg, de l'État de la médecine entre Homère et Hippocrate, Rev. archéol., 1868, t. II, p. 345; 1869, t. I, p. 63, Î19, 239.
140 LE SANCTUAIRE D E8CULAPE
crédit il jouissait encore à cette époque et quelle confiance il inspirait.
La médecine à Rome. — L'art médical n'avait })as eu à Rome la même fortune qu'en Grèce ; aucun de leurs dieux ne rendait aux Romains les services que prodiguait Asklépios à ses fidèles.
Pline l'Ancien prétend que ses concitoyens vécurent pendant six siècles sinon sans médecine, du moins sans médecins*. Ils auraient reçu de la Grèce leurs médecins, comme le culte même d' Asklépios, et plus tard encore. Le premier qui se soit établi dans leur ville serait le péloponésien Archagatos, fils de Lysanias, en 535/219, soixante-douze ans après la construction du temple de l'île tibérine^. Il n'y eut d'école médicale scientifique à Rome qu'au temps de Sylla, avec Asklépiade de Bithynie-^ Au siècle précédent Caton interdisait encore à son fils de se servir des médecins : interdixi de ?nedicis'*; il tenait ces hommes pour des charlatans dangereux, et leur art pour un tissu d'impostures. Il ne semble pas cependant qu'on puisse admettre avec Pline que pendant six cents ans les Ro- mains se soient passés de leurs services. Pline reconnaît lui- mème^ qu'un certain art médical existait anciennement à Rome. C'était inévitable. Il y a chez tous les peuples une médecine populaire, qui naît spontanément, dès l'origine, du spectacle de la vie et de l'expérience quotidienne. Mais chez tous les peuples aussi, et de toute antiquité, le soin de recueillir, de conserver, de mettre en pratique ces notions primitives est confié à quelques hommes choisis, dont c'est désormais la
1. Plin., Ilist. naf., XXIX, 1 (5) : Ceii vero non millia yentium sine medicis def/anl, nec tatnen sine medicina : sicut populus romanus ultra sexcenlesimum annum, nec ipse in accipiendis arlibus lenlus, médecins; vero elium avidits, donec eupertam damnavil. — Sur les origines de la médecine à Home, con- sulter les histoires générales de la médecine citées plus haut : celle de Si'hex- OEL, t. I, p. 176; — celle de Dakembeku, t. I, p. 114; — celle de Hâser, t. I, p. 234.
2. Plix., op. cit., XXIX, 1(6).
3. Cf. Saalfeld, der Hellenismus in Lalium, Wolfenbûttel, 1883, p. 228. — M. Albeht, les .Médecins grecs à Rome, Paris, 189'».
4. Cato Maj., cité par Plix., op. cit., XXIX, 1 (7) : Quandoque isia gens (scilicel Grseci) suas litteras dabit omnin conrumpet , tum etiam magis si medicos SU08 hoc millet. Jurnrunt inter se barharos necare omnei, medicina, sed hoc ipsum inerce.de faciunt, ut fides iis sit et facile disperdani . Sos quoque dicti- lant barbaros et spurcius nos quam alios '(jTiixtov appellalione fœdanl. Inter- dixi tibi de medicis.
LES ORIGINES DU CULTE D ESCULAPE 141
tâche exclusive. La médecine ne serait pas possible sans mé- decins. Rome dut en posséder bien avant l'arrivée d'Archaga- tos. Les mots niedeoi% medicii^, medicina^ ne sont pas tirés du grec. Si l'art de guérir n'était à Rome, comme le culte d'Asklépios, qu'une importation hellénique, les termes qui le concernent ne seraient eux aussi que des mots grecs latinisés. De même qu'Asklépios s'est appelé Msculapius^ la médecine se nommerait iatrica. Il n'en est rien, Les Romains ont en cette matière un vocabulaire qui leur est propre et qui dérive de racines purement italiques* : preuve certaine qu'ils possé- dèrent très tôt une médecine nationale et des médecins de leur race. Mais ils n'avaient guère de dispositions naturelles pour les études scientifiques. Les recettes que Pline nous a trans- mises- et celles que nous cite Caton dans son de fie ritstica^ nous montrent que la vieille médecine romaine était singuliè- rement inférieure à celle des Grecs. Pur assemblage de su- perstitions grossières, de formules étranges ou saugrenues, elle n'était fondée ni sur l'observation exacte et patiente des ma- ladies ni sur la recherche raisonnée de remèdes efficaces. Elle recommandait le chou, par exemple, comme une panacée uni- verselle^, et attribuait à certains chiffres, à certains enchan- tements une valeur magique \ 11 est impossible enfin de la comparer à la science sérieuse des Asklépiades laïques, ni même à l'art empirique dont les prêtres d'Asklépios conser- vaient le dépôt. On com])rend que son insuffisance ait très vite décidé les Romains à se mettre à l'école de la Grèce.
Les divinités médicales des Romains. — Meditrina. — Parmi les très nombreuses divinités qu'on honorait à Rome avant la
1. D' BiuAu, Infroduclioii de la médecine dans le Latium et à Borne, Rev. arche'oL, 1883, t. I, p. 38o; t. II, p. 192. — M. Briau rapproche le mot medicus de la locution osque meddix tuticus, qu'il traduit par curator publicus. Les Romains auraient été initiés très anciennement à la médecine, probablement par les Etrusques, qui jouissaient d'une civilisation plus avancée. A Rome, comme en Grèce, les premiers médecins durent être des prêtres ; les harus- pices, dont le collège était lui-même d'origine étrusque, furent amenés, par la nature de leurs fonctions, à s'occuper d'anatomie, de chirurgie; on leur doit les dénominations anatomiques {fémur, tibia, duodénum, renés, etc.) et patho- logiques [tussis, fractura, fistula, etc.) du vocabulaire médical des Latins; tous ces mots ont été créés en Italie et ne viennent pas du grec.
2. Plin., op. cit., particulièrement aux livres XXII à XXIX.
3. Cato Maj., de Re rustica, passim.
4. Cato Maj., op. cit., 15« ; — Plix., op. cit., XX, 9 (33-38).
5. Cato Ma.i., op. cit., 70 et 160.
14-2 LE SANCTUAIRE D ESCLLAPE
péïK'ii-iiLion (le rhollénisme, aucune no ressemblait à Asklôpios. Les Romains n'avaient pas le môme tour d'esprit et d'imagina- tion que les Grecs. Leur religion reposait, tout aussi bien que le polythéisme hellénique, sur le culte des forces de la natnr(> ; mais elle n'était nullement anthropomorphique. Leurs ditiix n'avaient ni personnalité distincte, ni légende; ils ne vivaient pas de la vie des hommes, ne partageaient pas leurs passions, ne se mêlaient pas activement de leurs affaires et de leurs inté- rêts. C'étaient des êtres vagues et indéterminés, des génies occultes; ils étaient innombrables et se ressemblaient tous, créés tous par le même procédé élémentaire qui consiste à supposer derrière chaque phénomène naturel une puissance mystérieuse et redoutable qui le produit, et à donner à cette puissance un nom. Auprès de la riante mythologie des Grecs ces tristes fantômes de divinités devaient paraître bien pâles et ternes. Cependant, quand on voulut rapprocher et fondre ensemble les deux religions grecque et romaine, il fut en somme facile d'assimiler aux grands dieux de la Grèce les dieux latins les plus importants. Les uns et les autres repré- sentaient également, quoique sous des couleurs très différentes, les mêmes forces principales de la nature. Zeus fut donc accueilh à Rome sous le nom de Jupiter, Mais à qui pouvait-on comparer Asklépios? La conception môme d'un dieu médecin et guérisseur, qui intervient directement dans le traitement des maladies humaines, était tout à fait étrangère à l'esprit des Romains. A la place de ce dieu unique et actif ils avaient multiplié les divinités secondaires. Ils personnifiaient la fièvre, Febris. Ils rendaient un culte à Ossipago, qui consolide les os, à Carna, qui fortifie les chairs. Une foule de génies, ayant chacun un nom distinct et des attributions spéciales, présidaient aux destinées de la vie humaine, au développement du corps, au jeu des organes i. Les ladigitamenta, antiques recueils de formules religieuses et de prières, les énuméraient^.
Toutes les branches de l'activité humaine avaient leurs dieux, ou, pour parler plus exactement, elles étaient elles- mêmes divinisées. Les Romains connaissaient la médecine ;
1. Voir la liste des divinités primitives du cycle roraano-sabin, d'après les indications données par saint Augustin, Tertullien, Arnobe, dans Makquardt- MoMMSF.N, A/fln. des Antlq. rom., trad. franc., t. XFI, le Cttlle, I, p. 14.
2. Sur les Indifii lamenta, consulter l'article de Petkii, dans le Lexicon de RoscuEM, t. Il, 1, p. 129.
LES ORIGINES DU CULTE D ESCDLAPE 143
elle eut donc à Rome une divinité spéciale. Il semblerait au premier abord que ce dût être la déesse Sahis, honorée chez les Sabins et de bonne heure adoptée dans le Latium. Sains en effet fut identifiée plus tard à 'Y-^kix, Rygie, qui était en Grèce la protectrice de la santé, et qu'à ce titre on associait à Asklépios. Mais Salus n'était d'abord à Rome que la protec- trice du salut de l'Etat ; les augures et les consuls lui adres- saient chaque année des prières pour la prospérité du peuple romain* ; elle n'avait primitivement aucun caractère médical. Les anciens calendriers et quelques mots de Varron et de Festus nous ont conservé le véritable nom de la première divinité de la médecine qu'aient adorée les Romains. Elle s'appelait Meditrina; ce vocable se rattache évidemment à la même racine que les mots medeor^ medicus, medicina-. La fête des Meditrinalia avait lieu le 11 octobre^. Ce jour-là on faisait une libation, et l'on goûtait le vin nouveau de la ven- dange qui s'achevait et le vin ancien de l'année précédente^. Cette cérémonie avait pour but d'apprécier la valeur du breu- vage comme remède, medicainenti causa^ nous dit Varron. On prononçait, en l'accomplissant, une formule consacrée, un carmen antique : vetiis novwn viniim bibo, veteri novo moi'bo medeor'^. Meditrina était donc la déesse de la guérison; c'était la guérison personnifiée, pure abstraction elle aussi, comme Febris et Ossipago *>. Quels rapports établir entre cette froide entité et le bienfaisant Asklépios ?
1. Preller-Jordan, Rœm. Mythol., Berlin, 1881-1883, t. II, p. 235 ; Marqlardt- MoMMSEN, op. cit., t. XIII, le Culte, II, p. 77.
2. Article Meditrina dans le Lexicon de Roscheh, par Peter, t. II, 1, p. 00.
3. G. I. L., t. I, 2» éd., p. 220, 226, 245, 252 ; — Cf., ibid, p. 331.
4. Varro, de Liiuj. lat., VI, 21 : Octobri mense Meditrinalia dies diclus a me- dendo, qtiod Flaccus flamen Marlialis dicebat fioc die solitum vinum novum et velus libari et degustari medicamenli causa; qiiod facere soient etiamnunc inulti, cum divunt : novum velus vinum bibo, novo veteri vino morbo medeor. — Festl's, p. 123 : Meditrinalia dicta de hac causa : mos erat Latinis populis, quo die quis primum guslaret muslum dicere ominis gratia : velus novum vinum bibo, veteri novo morbo medeor. A quibus verbis etiam Medilrinae deae nomen conceptum ejusque sacra Meditrinalia dicta sunt.
5. La formule n'est pas donnée tout à fait dans les mêmes termes par Varron et par Festus. Dans le second membre de phrase Varron ou un copiste a introduit à tort le mot vino, qu'il faut effacer (Peter, loc. cit.).
6. Preller-Jordax [Rœm. M;/tfiol., t. I, p 197), et Fowler {tfie Roman fes- tivals, Londres, 1900, p. 237) voient dans les Meditrinalia une fête des vendanges et se refusent à considérer Meditrina comme une divinité médicale. Peter {loc. cit.) au contraire croit que le vin n'intervient dans les Meditrinalia qu'en raison de son caractère bienfaisant et à litre de remède ; Meditrina serait essentiellement la déesse de la guérison. Cette dernière interprétation est pré-
144 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
Attributions médicales des grands dieux. — Les Romains éprouvèrent le l)esoin do se créer d'autres divinités médicales, plus accessibles, plus efficaces. Ils attribuèrent à la plupart de leurs jjrands dieux le pouvoir d'écarter les maladies. Ils hono- rèrent en Jupiter, en Junon, en Minerve, en Mars, en Bona Dea les gardiens de la vie et de la santé Immaines ; ils leur dé- cernèrent même en cette qualité des épithètes déterminées qui précisaient leur rôle : Jimo lAicina, Mine?'va MedicaK Un certain nombre de ces génies secondaires que la religion ro- maine primitive multipliait à l'excès ne furent plus considérés désormais que comme des aspects particuliers des grands dieux; ainsi, par exemple, les noms de ceux qui présidaient à la grossesse et à l'accouchement devinrent autant de surnoms de Junon [Postversn, Prorsa, Fluonia, Februa, Statina, Lc- vana, etc.)'-'. Ces transformations, qui paraissent de date relativement récente, sont dues très probablement à Tinfluence et à l'imitation de la Grèce, où les dieux étaient à la fois moins nombreux, mieux définis, plus rapprochés des hommes.
Apollon. — C'est de Grèce aussi que vint l'usage de s'adresser en temps d'épidémie à un dieu guérisseur dont l'in- tercession mettra fin au fléau. La religion grecque fut intro- duite à Rome par l'intermédiaire des Livres Sibyllins, ces recueils d'oracles mystérieux, d'origine certainement hellé- nique, apportés de Cumes, d'après la légende, dès l'époque royale"'. Ils étaient confiés à la garde de dimniviri remplacés en 387/307 i)ar le collège des decemviri^ sacrh faciundis''^ . Le collège des Pontifes avait la direction et la surveillance de la
férable. Il faut remarquer que plus tard encore, au témoignage (I'Arnob. (Vil, 32), Esculape était mêlé aux fêtes des vendanges : jEsculapii geritur celebrnlurqiie vlndemia. En Grèce une cérémonie analogue à celle que signalent Varron et Fcstns avait lieu le premier jour des Antesthéries; c'était la fête du jour Pithu'gia, ou de iouverture des tonneaux; ceux qui goûtaient le vin nouveau faisaient <les prières et des vœux i)our que son usage fût inoffensif et salutaire (Pi,i;t., Sytnpos. quipsl., III, 1).
1. Sur Juno Lucina, consulter l'article Juno dans le Ltxicon de Rosciieh, t. II, 1, p. 579; — sur Minerva Medica, l'article Minerva du même recueil, t. II, 2, p. 2989 et p. 2991.
2. Cf. Pheli.er-Jordax, Rœm. Mythol., t. I, p. 275.
3. Gell., I, 19.
4. Devenus eux-mêmes plus tard les quindecemviri sacris faciundis. Cf. Bou- ché-Leclebcq, Ilisl. de la divinnlinn, Paris, 1879-1882, t. 111, p. 28G-317 ; — Marqoahdt-.Mcmjisex, op. cit., t. XIII, le Culte, II, p. 43.
LES ORIGIISES DU CULTE D ESCCLAPE 145
vieille religion nationale tout entière. Les cultes étrangers adoptés par les Romains, sacra peregrina, relevaient des decemviri sacris facundis^. L'attachement traditionnel des Romains à leurs dieux propres ne les empêchait pas de faire bon accueil à ceux qui venaient du dehors, pourvu toutefois qu'ils fussent reconnus officiellement par l'Etat-. Les décem- virs proposaient au peuple d'admettre de nouvelles divinités en s'inspirant des indications prophétiques que leur donnaient les Livres Sibyllins. On consultait les Livres dans les circons- tances graves et menaçantes ; on leur demandait de faire savoir à quels dieux étrangers il fallait recourir pour délivrer la cité des périls que les dieux nationaux étaient incapables de conjurer-'. La religion hellénique s'ajoutait à la rehgion romaine comme un complément salutaire. En 258/496, pendant une famine, les Livres Sibyllins conseillèrent d'élever un temple à Cérès, c'est-à-dire à Déméter, la déesse grecque de l'agriculture et de l'abondance^; le temple fut construit près du cirque Maxime, en dehors àxi j)omerii(m-\ Si l'on invoquait l'intervention des dieux grecs pour mettre un terme aux fa- mines, il était naturel qu'on l'invoquât aussi pour mettre un terme aux épidémies. Lors de la peste de 318/436 les Romains firent une obsecratio solennelle afin d'obtenir la cessation du mal. Tite-Live, qui nous rapporte ce fait, ne nous dit pas les noms des dieux qu'on implora; ils devaient être, en tout cas, pérégrins : la cérémonie était prescrite et présidée par des duumviri sacris faciundis^. En 321/433 la peste désola de
1. On opposait les dieux nouveaux importés du dehors, dii noveiisides, aux dieux indigènes, dii indigetes. — Cf. Wissowa, de Dis Romanorum indigeti- bus et novensidibus dispulatio, Marburg, 1893.
2. Cic, de Leg., II, 8 : Separatim nemo habessit deos : neve novos sive advenus nisi publiée adscitos privatim colunto. — Cf. E. Ant. Lewald, de Religionibus peregrinis apud veteres Romanos paulatim introduclis, Heidelberg, 1844.
3. DiONYS., IV, 62 : "O-Kep où Tcpoç ôXt'Yov xatpbv, àXX'stç âTravxa tov ^t'ov TvoXXâxt;, a-jTYiv eTWffEv ex [AsyâXwv xaxœv... 5(pà)vxat ô'a-jTot;, ôxav r\ jSouXti i|'^i?'<riTrat (rrataew; xaTaXaêoùa-^; tt|V ttoXiv ï) ôyoruj^ta; zivhz [AEYàXïjç (jyfJiTveao-Jffr,; xarà ■7roXe[j.ov, 7^ xepaTwv xal cpavxaTfjLâtwv [xsYaXwv xal SuueupÉTWv a-jxotç çavévxwv, ot'a TToXXâxi; (TuvÉgy]. — De tout temps les Romains avaient pensé que le meilleur moyen de combattre les fléaux était de s'en remettre aux dieux ; cf. Liv., H, 31 : Utiam opem œgris corporibus relictam si pax veniaque ab diis impetrata essel.
4. DiONYS., VI, 17; — Tac, Ann., II, 49.
J). KiEPERT-HuELSEN, Nomeiicl. lopogr.^ p. 76; — Homo, Lex. de topogr. rom., p. 5S3. 6. Liv., IV, 21 : Obsecratio itaque a populo, duumviris praeeuntibus, est fada.
10
i46 LE SANCTUAIRE d'eSCLLAPE
nouveau la ville. On demanda cette fois à Apollon, spéciale- ment désigné, et sous le nom même qu'il portait en Grèce, de rendre la santé au peuple. Un temple lui fut promis jyro va- letudine pojmli ' ; deux ans plus tard, on le consacra au culte 2; il était situé au Champ de Mars, hors du pomeriimP. Les Grecs regardaient Apollon comme le dieu de la lumière et du soleil, mais ils lui reconnaissaient aussi certaines attribu- tions médicales ^; ils l'appelaient àXsçiV.axsç, àz5-:ps::a'.c;, îraiâv, aw.Tfp, celui qui détourne les maux, qui guérit, qui sauve; il est à la fois médecin et divin, îa-rps; wv xat {xâvTiç'', •.a':pi;j.avTt;^. Le soleil n'est-il pas un principe de vie? sa chaleur purifiante ne détruit-elle pas les miasmes pernicieux? La légende qui faisait d'Asklépios lui-même son fils exprimait s^^mboliquemeut l'étroit rapport qui existe entre la chaleur du soleil et la santé des hommes. Les vertus médicales et guérisseuses d'Apollon furent donc le premier caractère que les Romains apprécièrent en lui; ils l'accueillirent d'abord comme un dieu médecin'. Dans les cérémonies sacrées les Vestales l'appel- laient : Apollo mediciis^ Apollo Pœan'^.
Apollon et Asklépios. — L'introduction de son culte à Rome annonçait et préparait l'introduction du culte d'Asklépios^. Il était inévitable qu'on fit venir de Grèce, après le dieu du soleil et de la lumière, le dieu particulier des guérisons et de la santé. Quand les Romains eurent commencé à imiter les Grecs et à leur emprunter leurs divinités, ils ne purent s'em- pêcher ensuite de persévérer dans cette voie et de la suivre jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à l'adoption de toute la mytho- logie hellénique et à la fusion complète des deux religions. Apol- lon n'était pas exclusivement un dieu médecin. S'il proté-
1. Liv., IV, 25 : Pestilenlia eo anno aliarum rerum olittm prsebuit ; aedes ApoUini pro valetudine populi vota est : multa duumviri ex libris, placandae deum irse, avertendœque a populo pestis causa fecere.
2. Liv., IV, 29.
3. Kikpeht-IIlf.i.sex, op. cit., p. 74; — Homo, op. cit., p. 345.
4. Cf. nitLciiMAXx, (le Apolline et graeca Minerva deis medicis, Breslau, 1885.
5. AiusToi'H., l'iutus, 11. ♦>. -^!;scHYL., Eumen., 62.
7. Bolché-Leclehcq, op. cit., t. III, p. 296. — Voir aussi les textes réunis par Saalfeld, der Ilellenismus in Lulium, p. 11.
8. Mackob., I, 17 : Eadein opinio sospitalis et medici dei in nostris quoque sacris favetur. Sumque virgines Vestales ita indigitant : Apollo medice, Apollo Paean.
9. 0. Gilbert, Gesch. und Topogr. d. St. fiowj., t. III, p. 71.
LES ORIGINES DU CULTE D ESCULAPE 147
geait la vie humaine et détournait les épidémies, ce n'était pas sa seule ni même sa principale fonction. Il avait à remplir bien d'autres tâches; dieu du jour, des arts, de la poésie, de la divination, les Grecs lui prêtaient des attributions multiples et très diverses. Ne devait-on pas penser qu'il serait plus simple et plus sûr de confier le soin de la santé des Romains au dieu médecin par excellence, au père et au patron de l'art médical? Ni l'abstraite Meditrina, ni les grandes divinités latines, ni le grec Apollon lui-même ne rendaient Asklépios inutile. Ils le faisaient désirer. Cent cinquante ans après la construction du premier temple d'Apollon dans le Champ de Mars, Asklépios a son tour eut un temple aux portes de Rome, dans l'île tibé- rine. Pendant ce siècle et demi la peste reparut plusieurs fois; à chaque épidémie on offrit aux dieux un repas sacré, un lectisternium'^ . Le lectisterne était une cérémonie imitée des Grecs, un rite hellénique-; les decemviri sacris fachindis l'or- ganisaient. Apollon y avait une place d'honneur. Tite-Live le nomme le premier parmi les dieux étrangers qui figuraient en 355/399 au premier lectisterne''. Cependant, la peste ne cessait point d'exercer périodiquement ses ravages. On jugea néces- saire d'implorer une intercession nouvelle, qui serait peut-être plus puissante. En 461/293 les Livres SibylHns ordonnèrent de faire appel à Asklépios, de même qu'ils avaient ordonné jadis de faire appel à Apollon. Les Romains le reçurent donc au nombre de leurs dieux, comme ils avaient reçu son père. Les événements des années 461/293 et 463/291 ne furent que l'exacte répétition de ceux de .321/433. Les faits analogues qui les ont précédés nous aident à les mieux comprendre.
Résumé. — L'établissement du culte d'Asklépios à Rome
1. 0. GiLBEKT, op. cit.., t. III, p. 71-72, note; d'après Tite-Live, la peste éclata huit fois à Rome entre les années 318/436 et 4G1/293. En 318/436, les duumviri sacris faciundis firent une obsecratio (Liv., IV, 21); en 321/433, on bâtit un temple à Apollon (IV, 25); en 342/412, Tite-Live ne parle point, par exception, de cérémonies religieuses : ce doit être un pur oubli de sa part (IV, 32) ; en 336/399, en 388, 366, en 411/343, en 426/328, il y eut des lectisternes (V, 13; VII, 1 et 2; VII, 37; VIII, 22); en 461/293, on fit appel à Esculape (X, 47).
2. Cf. article Lectisternium, par Bouché-Leclehcq, dans le Diclionn. des An- tiq.., de Daremberg et Saglio.
3. Liv., V, 13 : Duumviri sacris faciundis lectisternio tune primnm in urbe romana facto per dies octo Apollinem Latonamque et Dianam, Herculem, Mer- curium alque Neptunum tribus quam amplissime lum apparari poterat stratis lectis placavere.
148 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
marque rachèvemcnt naturel d'une longue évolution. L'idée que les Romains se faisaient des relations qu'entretenaient les dieux avec les hommes s'est lentement transformée sous l'influence de la Grèce. Ils ne croyaient pas tout d'abord à leur intervention dans la vie humaine; Meditrina n'était qu'une vague personnification de la guérison. Il leur parut i)lus tard que leurs dieux devaient, comme ceux des Grecs, s'intéresser et se mêler aux affaires terrestres; ils donnèrent aux princi- l)aux d'entre eux certains surnoms qui nous prouvent qu'on les regardait effectivement comme les protecteurs de la santé. Le retour trop fréquent de graves et désastreuses épidé- mies leur fit prendre le parti de demander l'assistance même des divinités guérisseuses qu'adoraient les Grecs ; Apollon fut le premier qu'ils invoquèrent. Mais un dieu spécial avait pour mission chez les Grecs de détourner et do vaincre les maladies. Il fallait s'adresser à lui. Les Romains firent venir enfin Asklépios.
Le temple de l'île tibérine ne serait pas le premier temple d'Esculape à Rome. — On a cru quelquefois que le temple de l'île tibérine n'était pas le premier que les Romains eussent dédie à Esculape. A l'appui de cette opinion, Jordan et M. 0. Gilbert allèguent trois arguments d'inégale valeur.
Us invoquent d'abord un texte de Pline l'Ancien ' . Les Romains, nous dit Pline, condamnaient l'art médical ; aussi, lorsqu'ils admirent Esculape au nombre de leurs dieux, ils tinrent cependant à élever son temple hors de la ville et ensuite dans l'île-. Ainsi donc, avant la construction du sanctuaire de l'île tibérine, il y aurait eu ailleiu-s, tout auprès de Rome, un premier temple du dieu médecin des Grecs. 11 était situé, d'après Jordan, au Champ de Mars, dans V Apollinar ; le quar- tier où fut bâti en 321/433 le temple d'Apollon 3, portait ce nom, s'il faut en croire Tite-Live, dès le milieu du v' siècle
1. Jordan, de jEsculapii, Fauni, Vejovis Jovisque sacris nrbanis, dans les Commentaliones in honore)». Motnmseni, Berlin, 1877, p. 337; — Pkeller-Jor- l)AN, Rœm. Mylhol., t. 11, p. 241, n. 1; — 0. Gilbert, op. cit., t. 111, p. 72, n. 1.
2. Plix., Hist. nat., XXIX, 1 (8) : Non rem anliqui damnabant, sed arlem, maxime vero quaeslum esse munipretio vilœ recusabanl. Ideo templum Aiscu- lapii, eliam cum reciperetur is deus, extra urbem fecisse iterumque in insula tradunlur.
3. KlEPKHT-UuELSEN, op. cit., p. 2; — Ho.MO, op. cil., p. 19.
LES ORIGINES DU CULTE D ESCULAPE 149
avant l'ère chrétienne ^ et le devait sans doute à un autel élevé très anciennement en cet endroit. UApoilinar fut le premier asile ouvert parles Romains, en dehors du pomeriuni, aux dieux helléniques. Aucun d'eux ne méritait mieux qu'As- klépios d'y être accueilli à côté d'Apollon ; n'étaient-ils pas l'un et l'autre des dieux guérisseurs ? Asklépios ne passait-il pas pour le fils d'Apollon?
Tite-Live rapporte, d'autre part, qu'en l'année 461/293, lorsque les Livres Sibyllins conseillèrent aux Romains d'ap- peler à leur secours Asklépios, les préoccupations de la guerre samnite empêchèrent d'envoyer aussitôt une ambassade en Grèce ; on dut se contenter de faire une supplicatio d'un jour au dieu de la médecine^. Lsi supplicatio avait lieu d'ordinaire (levant l'autel et dans le temple de la divinité qu'on implorait ; les suppliants venaient embrasser sa statue. La célébration d'une supplicatio en l'honneur d'Esculape est une nouvelle preuve de l'existence de ce vieux temple auquel Pline faisait allusion"^.
Il n'est pas surprenant, d'ailleurs, que la religion d'Asklé- pios ait pénétré très tôt à Rome ; elle paraît s'être répandue de bonne heure en Italie, et particulièrement en Etrurie ^, Sur un vase recueilli dans une tombe étrusque des environs de Chiusi, on lit en lettres archaïques les mots : Aisclapi pococo- lom, tracés d'un pinceau tremblant^. Ils ont été écrits par un artisan italien : le nom du dieu est mis le premier, contraire- ment à l'usage grec. La forme Aisclapi prouve l'antiquité du texte : sur les plus anciennes inscriptions d'Epidaure le dieu
1. Liv., m, 63 (à la date de 305/449) : Prata Flaminia ubi nunc aedes Apol- linis est, jam tum Apollinare appellabant.
2. Liv., X, 47 : Multis rébus lœtus annus vix ad solatium unius mali, pesli- lentiae urentis simul urbem alque agros, suffecit ; portentoque jam similis clades erat, et libri aditi, quinayn finis aut quod remedium ejus mali ab diis daretiir. Inventum in libris, Msculapium ab Epidauro Roinam arcessendum ; neque eo atino, quia bello occupati consules erant, quicquam de ea re actum, pvxterquam quod unum diem JEsculapio supplicatio est hainta.
3. 0. Gilbert, op. cit., t. III, p. 72, note 1.
4. Jordan, de Aisculapii, Fauni, Vejovis Jooisque sacris urbanis, loc. cit., p. 358; — Preller-Jordax, Bœm. Mythol., t. II, p. 241, note 1.
3. Brunn, Bullett. delVlnstit. archeoL, 1864, p. 24; — Ritschl, Priscœ lati- nitatis monumenta, Supplem., Bonn, 1862-1863, V, p. IX, pi. V, A; — Ephe- meris Epigraphica, t. I, n" 5 ; — Jordan, il Vaso di Esculapio, dans les Ann. delVlnstit. archeoL, 1884, p. 357 et planche R (reproduction du vase, qui est maintenant au musée de Berlin).
150 LE SANCTIAIBE H ESCLLAPE
(le la médocino est appelé WcvXxr.ib;, Alary.AaTrisj; '. Le mot Aisc/apifis, .Ksc/apius', est devenu .^sco/apms, jEscu/apiiis, comme Hcrcles a donné Hercles, Hercules, par l'intercalation d'une voyelle. Kitsclil estime que l'inscription du vase étrusque date de la fin du v" siècle de Rome ou du début du vi'. Elle serait donc postérieure d'une cinquantaine d'années à la fonda- tion du temple de l'ile tibérino ; mais la présence d'objets dédiés à Esculape on Etrurie dès cette époque est l'indice d'une très ancienne expansion de son culte et nous explique qu'un monu- ment ait pu lui être consacré à Rome avant même qu'on eût fait venir d'Epidaure le serpent sacré.
Critique de cette théorie. — La conclusion que Jordan et M. 0. Gilbert tirent de ces diverses considérations est cer- tainement excessive. L'inscription du vase de Chiusi nous montre qu'au temps des guerres puniques Esculape avait des fidèles en Italie, hors de Rome ; elle ne témoigne nullement qu'avant la troisième guerre samnite il ait possédé à Rome un temple. L'existence de celui-ci n'était pas nécessaire pour qu'on procédât en 463/291 à la supplicatio. Il est vraisemblable en effet que cette cérémonie eut lieu à VApollinar, comme toutes celles qui intéressaient les dieux helléniques. Mais il aura suffi, pour la célébrer, d'élever au moment même un autel à Asklépios, auprès du temple et des autels d'Apollon, et d'y exposer aux regards et aux prières quelque image ou quelque emblème du dieu médecin. En somme, l'hypothèse émise par Jordan et reprise après lui par M. 0. Gilbert ne repose que sur le texte unique de Pline l'Ancien. Mais ce texte n'est pas sûr; la construction de la i)hrase est loin d'être satisfaisante. Un éditeur de Pline a proposé une correction qui paraît tout à fait nécessaire. Elle change entièrement le sens, et enlève à Jor- dan et à M. 0. Gilbert leur meilleur ou, pour mieux dire, leur seul argument.
Il importe d'examiner mot par mot le passage de Pline : lemplum .^sculapn... extra urbem fecisse iterumque in in- sula tradunlur. Pline ne semble parler que d'un seul temple,
1. Cavvadias, les Fouilles d'Epidaure, 1, n"" 8, cité dans la Real EncyclopUdie de Paii.y-VVissovsa, article Asklépios.
2. D'après Piiiscian., Inslilul. grammalic, I, 51, Vas d"yEscu/a/3?MS représente l'a long d"'A'Tx>.r|ïtiô;, transformé en ai par les Eoliens : ^E pro e lonr/u, ut scsena pro ijxr,vT,, et pro a, ut Aisculapius pro 'AiTx),r,7tt(>i;, in quo jEoUs sequi- mur ; illi enim vj(j.çaiî /3/'o vCfi^a; et çaïdiv pro çaatv dicnnl.
LES ORIGINES DU CULTE D ESCULAPE 151
temphtm JEsculapii; mais, si celui-ci avait été construit d'abord en dehors de la ville et ensuite in insida, en réalité il y en aurait eu deux, et dans la première partie de la phrase c'est le pluriel templa qu'il faudrait. L'opposition qu'établit la seconde partie entre l'extérieur de la ville et l'île n'est pas fondée ; l'île était elle-même extra urbem, en dehors du mur de Servius, en dehors au pomerium. On ne désignait pas d'or- dinaire l'île tibérine par le simple mot insida, qui pouvait prêter à l'équivoque : dans la nomenclature topographique de Rome le terme insida avait plusieurs sens ; quand il s'agit de l'île tibérine, elle est appelée dans les textes insida tiberina, insida inter duos pontes. Enfin l'emploi de l'adverbe iterum, de nouveau, avec le sens d'ensuite, est insolite, — Sillig, dans son édition de Pline l'Ancien, a recours à un heureux expédient qui supprime toutes ces difficultés : il remplace le mot iterumque , que donnent cependant les manuscrits, par le mot Tiberinaqiie^. Paléographiquement la confusion qu'ont faite les scribes s'explique sans peine ; les deux mots se res- semblent ; le T mis à part — on aura pu le sauter par négli- gence,— le nombre des jambages dans l'un et dans l'autre est le même. Au point de vue du sens il n'y a plus rien d'embar- rassant : l'île reprend son nom: ordinaire, tiberina in&ula; elle n'est plus opposée, contre toute raison, à l'extérieur de la ville; le singulier templum est bien à sa place. Pline n'a voulu parler que d'un seul temple, le premier que les Romains aient bâti en l'honneur d'Esculape, celui de l'île tibérine.
La correction de Sillig mérite qu'on l'adopte. Il faut rejeter l'hypothèse injustifiée de Jordan et de M. 0. Gilbert. L'histoire du culte d'Esculape à Rome ne commence qu'avec l'épidémie de 461/293 et l'arrivée du serpent d'Epidaure.
1. Sillig, éd. de Plin., Hist. naL, Gotha, 1855, t. IV, p. 338-339.
CHAPITRE II L'ARRIVÉE DU SERPENT D'ÉPIDAURE
L'introduction du culte d'Asklépios à Rome, —r- La fondation du temple d'Esculape dans Tîle tibérine est l'un des événe- ments les plus célèbres de l'histoire religieuse de Rome à l'époque républicaine*. Avec elle se termine l'invasion, depuis longtemps commencée, de la vieille religion romaine par les cultes helléniques 2, Les Dioscures, Déméter, Hermès, Zeus, Héra, Athéna, Apollon, Aphrodite, et bien d'autres encore, avaient été successivement accueillis à Rome, la plupart sous des noms latins, en se confondant avec d'anciennes divinités nationales 'K Asklépios devait avoir son tour. Bientôt les cultes orientaux eux-mêmes pénétreront en Italie et s'y feront officiellement reconnaître : l'arrivée de la Mère des dieux de Pessinonte, Magna Mater Idœa, invoquée dans les désastres de la seconde guerre punique, n'est que de quatre-vingt-sept ans postérieure à l'inauguration du temple d'Esculape''.
Si le dieu de la médecine est le dernier venu parmi tous les dieux grecs adoptés par les Romains, il est le seul aussi qu'ils soient allés chercher jusque dans la Grèce propre^. C'est par
1. Cf. ScHLUETER, (Ic Msculapîo a Romanis adscito, Arnsberg, 1833.
2. B<»uciié-Leci.khcq, Man. des Instil. rom., Paris, 188(1, p. 492; — Audol- LF.NT, Bullet. archéol. de la relig. rom. dans la liev. de Vliisl. des relia., 1891, t. XXIV, p. 65.
3. E. Ant. Lewald, de Religionibus peregrinis apud ve/eres Romanos paulatim introductis, Heidelberg, 1844; — Môhsbaciieh, Ueber Aufnahme griechisclien Goltheilen in den romiscken Kultus, Jûlich, 1882; — Saalfeld, der Hellenismus in Latiwn, Wolfenbûttel, 1883, p. 12; — Aust, de JEdibus sacris poptili ro- mani, Marburg, 1889.
4. GoEHLER, de Matris Magnse apud Romanos cultu, Leipzig, 1886.
5. MûRSBACUEH, loc. cil., p. 8.
l'arrivée du serpent d'épidaure 153
l'Etrurie et les villes grecques de l'Italie méridionale que les autres cultes helléniques ont été introduits à Rome. Celui d'Asklépios au contraire fut apporté directement du Pélopo- nèse. L'assimilation do Zeus au Jupiter des Latins et la dédi- cace d'un temple à Apollon dans le Champ de Mars avaient eu lieu sans qu'intervinssent Olympie ni Delphes. Mais on ne construisit le sanctuaire d'Esculape dans l'île tibérine qu'au retour de l'ambassade envoyée à Epidaure sur l'ordre des Livres Sibyllins. Au commencement du m" siècle avant l'ère chrétienne Rome n'était pas encore entrée en relations poli- tiques avec les cités de la Grèce ; elle n'avait pas encore con- clu de traités d'alliance avec elles i. Déjà cependant elle les connaissait de réputation ; par l'entremise des colonies grecques de Campanie, de Grande Grèce, de Sicile, leur civilisation len- tement propagée agissait sur elle peu à peu et transformait ses mœurs et ses croyances. L'envoi d'une ambassade à Epi- daure pour y implorer Asklépios, qui n'était pourtant qu'une divinité secondaire, témoigne des progrès qu'avaient faits dès cette époque l'influence hellénique. Epidaure était alors le principal centre du culte d'Asklépios ; les temples de Tricca en Thessalie et de l'île de Cos, qui remontaient à une plus haute antiquité 2, n'avaient ni le même renom ni la même force d'expansion. Pausanias nous assure que les Asklépieia les plus florissants procédaient tous de celui-ci 3; il cite comme exemples les Asklépieia d'Athènes, de Pergame, de Smyrne, de Balagrai en Cyrénaïque, de Lébéna en Crète, et l'on pour- rait ajouter bien des noms à cette liste ^. Le sanctuaire de l'île tibérine doit être considéré lui aussi comme un rejeton de l'Asklépieion d'Epidaure-^.
1. Liv., XXIX, 11 (à propos de l'envoi d'une ambassade à Pessinonte pour en ramener la Mère des dieux) : Nullasdam in Asia civilates socias habebat populus romanus; /.amen memores JEsculapiam quoque ex Grsecia quondam, haudduyn ullo fœdere sociata, valetudinis populi causa arcessitum.
•2. D'après Heroxdas, II, 97, le culte d'Asklépios serait venu directement et très anciennement de Tricca à Cos :
XtoffxÀriiTtoç Kw; r,X6£v £v6à8'è-/t TptV.xrj;.
3. Palsax., II, 26, 8-9 : MapTyps? Ss (xot xal t65£ âv 'EmSa-jpM tÔv Osov y£v£(T8at 'fà yàp 'Aa~/.).r|7T['£ta E-jpiV/.o) zh. ÈTttyavéataTa à? 'ETTiSaûpo-j.
4. Voir Thr.kmer, dans la Real Encyclopàdie de Pauly-Wissowa, article Asklépios, t. II, 2, p. 1650-1651; il complète les indications de Pausanias à l'aide de celles qui sont données surtout par Julian., Adv. christ.
5. JcLiAx., Adv. christ, (éd. Neumann), p. 198 : 'H)>8cv Et; nÉpyaiiov, el; 'Iwvc'av, £Î; TipavTa, [lî-rà ■ïa-jT''j(7T£pov f,X9£v Et; ttjv 'Pwjxriv.
^S4 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
Tite-Live. — Le livre où Tite-Live racontait le voyage et le retour des ambassadeurs romains est malheureusement perdu. On sait par les dernières lignes du livre X qu'en 461/293, pen- dant une nouvelle épidémie de peste, les oracles Sibyllins invi- tèrent les Romains à faire venir d'Epidaure le dieu grec Escu- lape pour qu'il leur rendit la santé. On était alors au plus fort de la ti-oisième guerre samnite. On célébra simplement une supplicatio d'un jour, et l'envoi d'une mission en Grèce pour consulter le dieu dans son temple le plus fameux fut remis à plus tard*. — Nous ne connaissons le livre XI que par un bref Epi tome ; l'ambassade y est très sommairement rappelée. La peste n'ayant pas cessé, des ambassadeurs se rendirent à Epidaure pour en ramener l'emblème d'EscuJape, sig?wm jEaciilapii ; le serpent, dans lequel résidait la divinité, monta de lui-même sur leur vaisseau ; arrivé devant Rome, il se ren- dit dans l'île tibérine, où l'on éleva ensmte un temple -.
Valère Maxime. — A'alère Maxime entre dans plus de détails que l'auteur anonyme de XEpitome^. Il s'est inspiré certaine-
1. Liv., X, 47, cité plus haut, p. 149.
2. Liv., XI, Epit. : Cum peslilentia civilas laboraret, missi legati ut Msculapii signum Romam ab Epidauro Iransferrenl anguem, qui se in navem eorutn conluleral, in quo ipsum numen esse constatât, deportaverutit; eoque in insulam Tiberis egresso, eodem loco aedes JEsculapio constiluta est.
3. Val. Max., I, 8, 2 : Sed ut cetevorum quoque deorum propensum huic urbi numen exsequamuv, triennio continua vexata peslilentia civilas nostra, cum finem tanti et tam diutini malt neque divina misericordia neque humano auxilio imponi viderai, cura sacerdotum inspeclis Sibyllinis libi'is animadver- tit non aliter pristinam recuperari salubritatem passe quam si ab Epidauro jEsculapius esset arcessitus. Itaque eo legatis niissis unicam fatalis remedii opem auctoritate sua, quœ jam in terris erat amplissima, impetraturam se credidit. Seque eam apinio decepit. Pari namque studio petitum ac promis- sum est prsesidium, e vestigioque Epidauri Romanarum legalas in templum Aisculapii, quod ab earum urhe V passuum distal, perduclos ut quidquid inde salubre palriae laluros se existimassenl pro sua jure sumerenl benignissime invilaverunl. Quorum tam promptam indulgenliam numen ipsius dei subsecu- tum verba morlalium cxlesli obsequio comprobavit : si quidem is anguis, quem Epidauri raro sed nunquam sine inagno ipsorum bono visum in modum Aiscu- lapii venerati fuerunt, per urbis celeberrimas partes milibus oculis et leni traclu labi cœpil, triduoque interreligiosam omnium admiralionem conspectus haud dubiam prae se adpelitae clarioris sedis alacritatem ferens, ad triremem romanam perrexit, paventibusque inusitato speclaculo naulis eo conscendil,ubi Q. Ogulni legati tabernaculum erat, inque mulliplicem orbem per summam quietem est convolutus. Tum legati perinde algue exoplalae rei compotes expleta gratiarum aclione culluque anguis a perilis exceplo, Iseli inde solve- runl, ac prosperam emensi navigatiunem postquam Antium appulerunt, anguis, qui ubique in navigio remanserat, prolapsus in veslibulo sais Aiscu-
l'arrivée du serpent d'épidaerr 155
ment du livre perdu de Ïite-Live ou des sources utilisées par celui-ci pour le rédiger. I^a peste, dit-il, durait déjà depuis trois ans lorsqu'on eut recours aux Livres Sibyllins. Il ne parle pas de Toracle rendu par les Livres dès le début de l'épi- démie ni de la supplicatio adressée alors à Esculape. Mais cette omission s'explique sans peine et ne permet nullement de contester les assertions de Tite-Live. L'ouvrage de Valère Maxime n'est pas une histoire suivie, renfermant un exposé complet par ordre chronologique ; c'est un recueil d'anecdotes groupées d'après leur nature sous certaines rubriques géné- rales : de religione, de patientia, etc. Yalère Maxime s'est proposé ici, il le déclare lui-même, de faire connaître à ses lecteurs les témoignages de particulière bienveillance prodi- gués par les dieux aux Romains ; la venue miraculeuse du ser- pent d'Esculape l'intéresse seule ; il avait le droit de ne pas tenir compte des dernières lignes du livre X de Tite-Live, En revanche, il ajoute au sommaire du livre XI quelques indica- tions précieuses. Il insiste sur l'accueil favorable que les habi- tants d'Epidaure firent aux envoyés romains. Ils les condui- sirent sans délai au temple d'Esculape, situé à cinq milles de leur ville ' , et les invitèrent à prendre dans le sanctuaire tout ce qui pourrait servir au salut de Rome. Le dieu ne se montra pas moins bien disposé que les hommes. Le serpent sacré, en qui les Epidauriens adoraient Esculape lui-même et qui leur apparaissait à de rares intervalles comme un signe d'heu- reux présage, sortit du temple et parcourut la ville pendant trois jours. Le troisième jour, il s'embarqua sur le vais- seau des ambassadeurs et pénétra jusqu'à la chambre de l'un d'entre eux, Q. Ogulnius, où il se roula paisiblement dans un coin. Les Romains le reçurent avec joie et s'informèrent auprès des prêtres du culte qu'il fallait lui rendre. Ils mirent en- suite à la voile. La traversée se poursuivit sans incident jusqu'à Antium. Il y avait dans cette ville un temple d'Escu- lape; le serpent y descendit et resta trois jours à la cime
lapii murlo frequentibus ramis di/fusse superimminentem excelsœ altitudinis palmam circumdedit, perque très dies, posilis quitus vesci solebai, non sine magno metu legatorum ne inde in triremem reverti nollet, Antiensis templi hospitio usus, urbi se nostrae advehendum restiluit, atque, in ripam Tiberis egi'essis legatis, in insulam, ubi templum dicatus est, tranavit, adventuque suo iempestatem, oui remedio quassitus eral, dispulit.
1. Détail donné aussi par Pausan., II, 27 et par Liv., XLV, 28. Les fouilles récentes d'Epidaure l'ont confirmé.
156 LE SANCTDAIRE D ESCULAPE
(l'un palmier, auprès d'un myrte touffu. Il reprit ensuite sa place sur le navire. A peine les ambassadeurs eurent-ils dé- barqué à Rome qu'il traversa le Tibre pour gagner l'île. Son airivée mit fin au fléau.
Aurelius Victor, Orose, etc. — Les quelques lignes qu'Aure- lius Victor a consacrées à la fondation du temple d'Esculapo nous apprennent que les ambassadeurs romains étaient au nombre de dix, détail que Valère Maxime, avait omis de nous transmettre'. De même que Valère Maxime, Aurelius Victor, nomme l'un de ces ambassadeurs, Ogulnius, qui serait d'après lui le chef de la mission-; il rappelle aussi le séjour qu'aurait fait le serpent sacré dans le temple d'Esculape à Antium.
D'après Orose, les ambassadeurs ramenèrent à Rome avec le serpent une pierre, emblème du dieu"'. Il est seul à parler de ce lapis .^sculapi. On sait que les Romains adoraient au Palatin, dans le sanctuaire de Cybèle, la pierre noire de Pessi- nonte. Nulle part il n'est question d'une pierre d'Epidaure conservée dans l'île tibérine. Il n'est pas vraisemblable qu'il faille voir en ces mots d'Orose une allusion à Vomphaloa, attribut d'Esculape aussi bien que d'Apollon'*. Preller estime que le texte est corrompu, .^sculapi lapide serait une dittographie ; il faudrait effacer lapide; il y aurait eu primi-
1. AuREL. VicT., de Vir. illuslv., 22 : Romani ob pestilentiam, responso mo- nente, ad Aisculapium Epidauro avcessendum decem legnfos, principe Q. Ogul- nio, 7niserunl. Qui cum eu veniasent, et simulacrum ingens mirarenlur, anguis e sedibus ejus elnpmis. venerabilis non horribilis, per mediam urùem cum admi- rai ione omnium ad navem romanam perrejit, et se in Ogulnii labevnaculo cons- piraoit. Legnti detim veUenles Antium pervecli sunt. Ubi per malaciam maris anguis proximum Aisculapii fanum pet Ht et per paucos dies ad navem rediil : et cum adverso Tiberi subre/ierelur in proximam insnlatn desiluil : ubi lem- plum ei constilutum et pestilentia mira celeritate sedata est
2. SciiLUETEH {op. cit., p. 6) sc demande pourquoi les modernes considèrent Ogulnius comme le chef de la mission. Ils y sont autorisés' par le texte for- mel «lu de Viris illtistribus.
3. Ohos ., III, 22 : Sam tanta ac lam intolerabilis pestilentia lune corripuil civilalemul propter eam qiiacumque ratione sedandam libros Sibgllinos consu- lendos pularint horrendumque illum colubrum cum ipso Msculapi lapide advexerint : quasi vero pestilentia aut ante sedata non sil aul post orla non fueril.
4. L'omphalos est figuré à côté d'Esculape sur la statue du musée de Naples, trouvée dans l'île tibérine; voir plus loin, p. t93. Peut-être est-il représenté aussi sur certaines monnaies des génies Rubria et Eppia ; voir plus loin, p. 163.
l'arrivée du serpent d'épidaure 157
tivement : coliibrvm cmn ij)so J^sculapio advexerint*. Une autre correction, qui ne supprime aucun mot, pourrait être aussi proposée. On lit dans VEpitome du livre XI de Tite- Live : angiiem... in quo Ipsum numen esse constabat. Orose n'aurait-il pas écrit : colubrum ciim ipso /Esculapi numine? La substitution de lapide à numine^ s'explique par le voisinage des dernières syllabes à\^scuiapi. En tout cas, le texte des manuscrits ne saurait être maintenu; le lapis A^scidapi n'a pas existé.
Strabon nomme Asklépios parmi les dieux étrangers accueillis et adoptés par les Romains : ils ont été chercher à Pessinonte la Mère des dieux, de même qu'ils avaient été chercher à Epi- daure Asklépios-. Pline l'Ancien rappelle d'un mot l'arrivée à Rome du serpent épidaurien-^ Glaudien^, saint Augustin'*, Lactance*^, Arnobe'^, font allusion à l'événement. D'aucun de ces textes il n'y a rien à tirer pour compléter Valère Maxime et suppléer aux lacunes de Tite-Live.
Ovide. — Ovide, au contraire, a longuement raconté la mé- tamorphose d'Esculape en serpent et sa venue par mer d'Epi-
1. Pkeller, der Stein des jEsculap, dans VArchaolog. Zeit. de 1858, réim- primé dans ses Ausgewàhlte Aufsàtze, Berlin, 1864, p. 308.
2. Strabo, XII, p. 567 ; les Romains ont fait venir d'Asie l'emblème de la Magna Mater, sur l'ordre donné par les Livres Sibyllins, comme ils avaient fait venir d'Epidaure l'emblème d'Esculape : 'Açi'6py|j,a evÔEvos t?,; Ôeo-j [j.£Tair£|x- 4'<i(A£voi y-a-rà to-j; xf,; Stêû/Xr); xpr|iT[xo'j; xaOâuep xal toû 'A(TxXr|7:io-j to-j sv 'ETTtôa-jpw.
3. Plin., liist. nat., XXIX, 4, (22) : Anguis JEsculapius Epidauro Romam adveclus est.
4. Claudian., in Stilichon., 111, 170 :
Hue depulsurus Korbos Epidaiirius hospes Reptavit placido tractu vectumquu per undas Insuia pseonium lexit Tiberina draconem.
5. AuGUST., de Civ. Del, III, 12 : JEsculapiiLS autem ab Epidauro ambivit ad Romam, ut perifissimus medicus in urbe nobilissima artem gloriosus exerceret; 111, 17 : Vel quando item alia intolerabili pestilentia JEsculàpium ab Epidauro quasi mediciim deum Roma advocare atque alque adfiibere compulsa est, etc. ; X, 16 ; Epidaurius serpens Msculapio naviganti Romam cames ad/iœsit.
6. Lactaxt., Divin. Inslit., II, 8 : Illud œque mirum quod lue saevienle ^scu- lapius Epidauro accitus urbem Romain diulurna pestilentia libérasse per- hibetur.
7. Arnob., VII, 41-45 : Longue argumentation pour démontrer que le ser- pent d'Esculape ramené d'Epidaure ne peut être divin : Msculapius, inquilis, Epidauro bonis deus valeludinibus prassidens et tiberina in insuia constitu- tus, etc.
158 LE SANCTUAIRE D ESCLLAPK
daure à Rome'. Il nous donne la version poétique de Tépisode dont nous avons par Tite-Live et Valère Maxime l'attestation historique. Il décrit d'abord répidémio de peste et les maux qu'elle a déchainés sur Rome. Il ne dit pas qu'on ait consulté les Livres Sibyllins. Une ambassade serait allée à Delphes même interroger Apollon'. Le dieu déclara que ce n'était pas à lui mais k son fils Esculape de faire cesser le lléau^. Dès que cette réponse est apportée au sénat, il s'enquiert du lieu qu'habite le fils d'Apollon, et de nouveaux ambassadeurs font voile vers Epidaure. Les Romains aussitôt débarqués demandent aux Grecs qu'on leur permette d'emmener le dieu qui doit sauver leur patrie; quelques Epidauriens y consentent, d'autres s'y refusent. Dans la nuit Esculape apparaît en songe aux envoyés, « tel qu'on le voit dans son temple, tenant de sa main gauche un bâton noueux et de la droite caressant sa longue barbe'' ». Il leur annonce qu'il les accompagnera jusqu'à Rome sous la forme d'un serpent. Le lendemain, en effet, le serpent sacré sort du sanctuaire ; il se dirige vers la côte, détournant la tète pour voir une dernière fois son habituelle demeure ; il traverse la ville et monte sur le navire romain^. Le poète
1. OviD., Melam., XV, 622-743.
2. OviD., loc. cit., 630 :
Auxilium cœlestc petunt mediaraque tcnenlcs Orbis humum Oclphos adeuut, oracula Phœbi.
3. OviD., loc. cit., 637 :
Quod pctis hinc, propiore loco, Romane, pelisses ; Et pete nunc propiore loco : nec Appoline vobis, Qui micuat luctus, opus est, sed Appolline nato. Ile bonis avibuE prolemque accersite noslram.
Le sens des mots propiore loco a embarrassé les commentateurs d'Ovide. Veulent-ils dire qu'il faut s'adresser aux dieux en un endroit plus proche? Mais Epidaure est plus loin de Rome que Delphes. Ovide aurait-il confondu Epidaure d'Illyrie avec Epidaure du Péloponèse? Ou bien ce propior lociift ne serait-il pas Rome même, où sont déposés les oracles Sibyllins ? Withof pro- posait (le corriger le texte et de lire : properans alto (Ed. Bach., Hanovre, 1836). Le plus simple serait de traduire propiore loco par les mots : en un endroit plus convenable, et non plus proche. Propior a quehfuefois ce sens : Cic, ad. Atlic, XIV, 19 : alium porlum propiorem Unie œlali videhamics.
4. Ovi»., loc, cit., 653.
Cum di'us in somnis opifer consistere visus Anle luum. Romane, torum, sed qiialis in a;de Esse solel ; baculumqiie lenens agreste sinistra Ccsariem ioDgx dextra dcducere barbe.
ij. OviD., loc. cit., 685.
Tum gradibus nilidis deliibilur, oraqiio relro Flectil el anliquas abiturus respicil aras, Assuelasquc domos babilalaquc templa salutat.
L ARRIVÉE DU SERPENT D ÉPIDAURE 15Ô
s'attarde au récit de la traversée; il décrit tous les points de la côte italienne devant lesquels passent l'ambassade et le dieu qu'elle ramène : « Un vent léger enfle la voile. Le dieu se redresse, et, la tête posée sur la poupe, il contemple les flots azurés. Le vaisseau traverse heureusement la mer ionienne ; au lever de la sixième aurore il découvre l'Italie. Il dépasse le promontoire où s'élève le temple de Junon Lacinienne, les rivages de Scy lacée et ceux d'Apulie. A force de rames il évite à gauche les rochers d'Amphise, à droite les bords escarpés de Céraunie. Il côtoie Romethium, Caulon et Narjcie, franchit le détroit et double le cap de Pélore. Il laisse derrière lui les îles d'Eole, les mines de Témèse, Leucosie, Pœstum au doux climat. De là il gagne Caprée, le promontoire de Mi- nerve, les collines de Sorrente fertiles en vin généreux, la ville d'Hercule, Stables, l'oisive et indolente Parthénope et le temple de la Sibylle de Cumes. Il aperçoit tour à tour Baies aux sources d'eau thermale, Literne et ses champs couverts de lentisques, le Vulturne et ses eaux chargées de sable, Sinuessa où l'on voit tant de blanches colombes, les bords funestes de Minturne, Careta, où Enée ensevelit sa nourrice, Formium, la ville d'Antiphate, le marais d'Anxur, la terre de Circé, et le solide rivage d'Antium^ » La mer devenant mena- çante, les Romains s'arrêtent à Antium; le serpent descend sur le rivage; il se réfugie dans le temple d'Apollon jusqu'à ce que les flots se soient apaisés, puis il se rembarque ^ A l'embouchure du Tibre les prêtres et les fidèles sont accourus en foule au-devant du dieu ; le navire remonte rapidement le fleuve, u Enfin l'on est arrivé à la capitale du monde; le ser- pent s'élève à la pointe du mât, il agite sa tête et regarde autour de lui quel lieu il doit choisir pour sa résidence. Le Tibre dans son cours se partage en deux bras de largeur égale, qui environnent de leurs eaux une île à laquelle le fleuve a
1. OviD., loc. cit., 697-718.
2. OviD., loc. cit., 719 :
Hue ubi veliferam nautae advertere carinara — Aspcr enim jam ponlus crat — deus explicat orbes, Perque sinus crebros et magna volumina labens Tcmpla parenlis iuil flavum tangentia litus iEquore pacato patrias Epidaurius aras Linguit, et, hospitio juncti sibi numinis usus, Litorcam tractu squamae crt-pilantis harenam Suleat.,.
160 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
donné son nom. C'est là qu'en sortant du vaisseau le serpent se retire*. » La peste aussitôt disparaît*.
Ovide comparé aux textes historiques. — Ce passage des Métamorphoses^ malgré ral)ondaiice des développements, a moins d'intérêt pour l'historien que la seule page de Valère Maxime ou les quelques lignes de Tite-Live. Les vers d'Ovide sont agréables et amusants. Sa narration est toujours animée, vivante, pittoresque. Bien des détails arrêtent l'attention du lecteur et lui plaisent. Le dieu de la médecine apparaît en songe aux ambassadeurs romains ; le poète nous fait son por- trait et caractérise en deux mots l'un des types classiques d'Esculape dans la sculpture gréco-romaine 3. Le navire qui porte le serpent divin longe le littoral de l'Italie ; Ovide aussitôt nomme les caps, les golfes, les villes, les temples qu'il découvre tour à tour, dépeint sommairement leur situa- tion ou leur aspect, évoque les souvenirs mythologiques qui s'y rattachent. Esculape et les arabassadem's arrivent à Rome, en face de l'île tibérine ; celle-ci à son tour nous est présentée ; le serpent dresse la tête, il cherche un endroit favorable où se
1. OviD., loc. cit., 736 :
Jamquu caput rerum Komanam inlravorat urbcm : Erigitur serpens, summoque cacumine malo Colla movfl, eedcsque sibi circumspicit aptas. Scinditur in g-eminas partes circumnuus amnis, Insula nomcn habet, iateruinque c parte duorum Porrigit «equalcs mc-dia li-llurc laocrtos. Hue se de Lalia pinu Phœbeius anguis i^ontulit et fliiem specie cirleste resumpta Luctibus imposuil venitque salutifer Urbis.
2. Ovide a raconté ailleurs (Ovid., Fast., IV, 24:)-348j l'arrivée de la Magna Mater à Uome. Cet épisode des Fastes doit être rapproché de celui des Méta- morphoses que l'on vient de citer. Les points de ressemblance sont nombreux. La marche des deux récits est la môme, et le même esprit les inspire. Comme pour Esculape, ce sont les Livres Sibyllins qui conseillent d'aller chercher la Magna Mater; l'oracle est obscur; il faut le faire expliquer par Pœan. Attale, roi de Phrygie, refuse de laisser partir la déesse; elle manifeste elle-même sa volonté ; elle doit aller à Rome :
Digna Roma locus qtio deus omnis eat.
Ainsi Esculape s'était embarqué spontanément sur la trirème d'Ogulnius. Ovide décrit les pays que longe le navire ; il insiste sur les régions du bassin oriental de la .Méditerranée ; viennent ensuite la Sardaigne, l'Ausonie, le Tibre : le voyage de la Magna Mater fait pendant au voyage d'Esculape. Enfin l'arri- vée delà déesse à Rome, est marquée, elle aussi, par un prodige : le vaisseau s'arrête; on essaie en vain de lui faire remonter le Tibre; il faut une main pure pour l'attirer vers la cité ; la vestale Quinta Claudia, que l'on soupçonnait injustement, opère ce miracle, qui fait éclater son innocence.
3. Voir plus loin, p. 195.
l'arrivée du serpent d'épidaure 161
fixer, il aperçoit enfin cet abri au milieu des eaux. On admire la souplesse ingénieuse du talent d'Ovide. Il se joue des légendes; comme la plupart des esprits cultivés de Rome au temps d'Auguste, il se plaît à les répéter, sans y croire lui- même; il prend prétexte des vieilles traditions religieuses pour donner libre carrière à sa verve facile. Mais qu'on n'attende pas de lui des renseignements très précis sur les faits histo- riques qu'il interprète ! 11 ne se pique pas de rester scrupuleu- sement fidèle à ses sources. Il transforme les données tradition- nelles au gré de son imagination. Ses brillantes amplifications n'ajoutent nullement à nos connaissances.
C'est grâce à Valère Maxime et à AureHus Victor que le nom d'un des ambassadeurs nous est parvenu. Ovide ne le cite pas. Valère Maxime assure que les habitants d'Epidaure firent bon accueil aux envoyés romains et s'empressèrent d'accéder à leurs demandes ; l'attitude qu'il leur prête est naturelle et plausible ; les Grecs ne devaient-ils pas être flattés de voir les étrangers recourir à leurs divinités nationales? Ovide, au contraire, les montre hésitants, divisés, n'osant rejeter la prière des ambassadeurs, se refusant néanmoins à laisser partir le dieu protecteur de la cité : pur artifice du poète afin d'avi- ver l'intérêt et de donner au dieu l'occasion de se prononcer lui-même avec éclat pour les Romains. Ovide et Valère Maxime rapportent également que le navire, au retour, s'arrêta devant Antium et que le serpent sacré descendit quelque temps sur le rivage ; le temple où il passa plusieurs jours serait d'après le premier celui d'Apollon, d'après le second celui d'Esculape. Aurelius Victor partage ce dernier avis. Le témoignage de ce tardif compilateur n'est pas sans valeur; il tient de Tite-Live, et non de Valère Maxime, l'indication du nombre des ambas- sadeurs romains, que ne donne pas celui-ci. L'accord de Valère Maxime et d' Aurelius Victor nous est une preuve que, d'après la tradition primitive, c'est bien dans un temple d'Esculape à Antium qu'aurait séjourné le serpent. Ovide a substitué le nom d'Apollon à celui d'Esculape. On devine la raison de ce chan- gement. Ovide est un raisonneur; il ne lui semble pas que le culte d'Esculape ait pu s'établir à Antium avant d'être apporté à Rome; d'ailleurs, si le dieu de la médecine avait eu déjà un temple à Antium, les Romains seraient-ils allés jusqu'à Epidaure implorer son intercession? Pour rendre son récit moins invraisemblable, le poète n'a pas hésité à rempla-
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I6â LE SANCTUAIRE D ESCLLAPK
cer Esculape par un dieu qui avait avec lui d'étroits rapports, mais qui s'était introduit plus anciennement en Italie, Apollon. Ce n'est pas seulement à ce propos qu'Ovide s'écarte des textes historiques. Il leur fait une autre infidélité, et plus grave. Il ne parle pas des Livres Sibyllins. Tite-Live, Valère Maxime, Orose' soutiennent que les Romains allèrent consulter Asklé- pios à Epidaure pour se conformer aux injonctions do cet antique oracle. Ovide, sans rien dire des Livres, prétend qu'ils envoyèrent à Delphes interroger Apollon et que le dieu leur conseilla lui-même de recourir àAsklépios. Ce sont les histo- riens qu'il faut croire de préférence. Il n'est pas admissible que les Romains, pendant cette épidémie de peste, aient négligé d'ouvrir les Livres Sibyllins auxquels ils ne manquaient jamais de s'adresser en pareil cas-, ni qu'ils aient envoyé successive- ment pour le même objet deux ambassades en Grèce. Ovide aura fait quelque confusion. Il s'est inspiré des annalistes de l'époque antérieure et leur doit la substance des faits qu'il expose; dans l'ouvrage dont il s'est servi, il était dit sans doute, sous une forme concise et ambiguë, que les Romains, obéissant aux ordres d'Apollon, se rendirent à Epidaure pour implorer Asklcpios ; l'auteur entendait faire allusion par là aux Livres Sibyllins ; les Sibylles passaient pour les prêtresses d'Apollon et leurs livres pour un présent du dieu^. Ovide comprit, au contraire, qu'on avait été chercher jusqu'à Delphes l'avis d'Apollon. Il convient d'ajouter que le souvenir des événements de 550/204 a pu contribuer encore à le tromper ; l'ambassade qui fut envoyée à Pessinonte pour en ramener la Mère des dieux fit halte d'abord à Delphes ^ Mais la situation était toute autre alors qu'elle aurait été d'après Ovide en 463/291 : on avait eu recours aux Livres Sibyllins ; on savait par eux que la Grande Déesse de Pessinonte apporterait à Rome le salut : les mêmes ambassadeurs allèrent de Rome à Delphes et de Delphes à Pessi-
1. AuKEL. VicT. {loc. cil.) dit simplement qu'on envoya des ambassadeuis à Epidaure, responso monenle ; ces mots pourraient s'appliquer aussi bien à un oracle delphique qu'aux Livres Sibyllins. Mais l'accord des autres témoignages historiques surfit à prouver que la seconde interprétation est seule légitime.
2. Cf. plus haut, p. 145.
3. Vekoii.., JEn., VI, 33 : Phœbi Triviœque sacerdos ; — Sekvius, ad JEn., III, 332 : Sibylla Apollinis votes.
4. Liv., XXIX, 11 : Legali Asiam pelenles prolinus Delphos cum escendissent oraculum. adieruni, consiileiiles, ad quod negotium domo înissi e.isenf, perfi- ciendi ejus, quam sihi spem populoqne romano porlenderel.
l'arrivée du serpent d'épidalre 163
nonte ; dès le début, Pessinonte était le but final de leur voyage et si, au passage, ils s'arrêtèrent à Delphes ce fut simplement pour demander à Apollon quel accueil leur réservait la Magna Mate)', et s'ils avaient quelque chance de réussir dans leur mission près d'elle. Ovide s'est donc mépris. Les cent vingt vers qu'il a consacrés à la métamorphose d'Esculape en ser- pent ne nous apportent aucun renseignement nouveau et sûr. Quand le témoignage du poète s'accorde avec celui des histo- riens, ceux-ci ont encore l'avantage, par l'exactitude plus grande de leurs informations; quand il le contredit, il ne mérite plus aucune créance.
Appréciation de la légende. — Si l'on s'en tient aux faits que relatent Tite-Live et Valère Maxime, Aurelius Victor et Orose, en négligeant les inventions et les fictions d'Ovide, il faut recon- naître que le récit traditionnel de l'arrivée d'Esculape à Rome présente tous les caractères de l'authenticité. Seuls quelques détails d'importance secondaire semblent contestables. L'événe- ment s'est passé à une époque récente, en pleine lumière; la plupart des circonstances qui l'accompagnent sont tout à fait vraisemblables. Niebuhr a raison de dire que cette légende, malgré son apparence merveilleuse, ne doit pas être confondue avec les fables des premiers siècles de l'histoire romaine ^
La consultation des Livres Sibyllins. — La consultation des Livres Sibyllins pendant l'épidémie de 461 /293 ne nous sur- prend point : chaque fois que la peste éclatait à Rome les duumviri ou decemviri sacris facmndis. intervenaient et demandaient aux Livres de leur faire connaître un moyen d'écarter le fléau. 11 n'est pas étonnant que l'oracle ait prescrit en 461/293 de s'adresser à Asklépios. Les Livres SibylHns, grecs eux-mêmes d'origine, conseillaient toujours de recourir aux dieux grecs. En des occasions analogues ils avaient ordonné de dédier un temple à Apollon et d'offrir des lectisternes auxquels prenaient part les grandes divinités helléniques. 11 ne restait plus qu'une ressource pour conjurer la peste ; c'était de faire appel au dieu de la médecine et de la guérison. Les Romains étaient prépa- rés à recevoir son culte et devaient l'accepter aisément.
L'ambassade à Epidaure. — Faut-il révoquer en doute l'envoi-
1. NiEBuiiH, Hist. rom., trad. franc., Paris, 1830-1840, t. VI, p. 123.
164 LE SANCTUAIRK D ESCL'LAPE
crime ambassade au sanctuaire d'Epidaure? M. Pais, qui n'est pas suspect d'attacher trop de prix aux traditions légendaires, s'y refuse ^ Il rappelle que dès le temps de Cyrus, d'après Hérodote, la ville d'Agylla, Caire en Etrurie, avait fait consulter l'oracle de Delphes'. Tite-Live raconte qu'à l'époque royale les fils de Tarquin le Superbe interrogèrent la Pythie^, et qu'aux débuts de la République Camille fit déposer dans le temple d'Apollon delphique la dime du butin conquis à Veies*. Des relations avaient dû s'établir de bonne heure entre Rome et les grands sanctuaires de la Grèce, partout connus et vantés. L'ambas- sade envoyée à Epidaure n'était pas la première légation romaine qui se rendit hors de l'Italie implorer. les dieux étran- gers. Elle ne devait pas être la dernière. Après la bataille de Cannes en 538/216, Fabius Victor fut chargé de s'informer à Delphes des prières et des sacrifices qui pourraient apaiser les dieux et sauver Rome^. Après les premières victoires sur Asdrubal M. Pomponius Matho et Q. Catius portèrent à Delphes une partie des dépouilles prises aux Carthaginois". Quand s'introduisit en Italie le culte de la Mère des dieux, M. Vale- rius Laevinus, M. Caecilius Metellus, Ser. Sulpicius Galba, Cn. Tremellius Flaccus, M. Yalerius Falto allèrent jusqu'en Asie, à Pessinonte, chercher la pierre noire de Cybèle'.
Q. Ogulnius. — Cinq ambassadeurs firent en 350/204 le voyage de Pessinonte. On sait par Aurelius Victor que la mis- sion qui ramena d'Epidaure le serpent sacré se composait de dix membres; elle était dirigée par Q. Ogulnius. Valère Maxime nomme aussi ce personnage, sans dire qu'il fût le chef de la légation ; ce fait parait ressortir cependant de son récit même. C'est dans la chambre d'Ogulnius que le serpent s'était retiré à bord du navire romain. Le nom d'Ogulnius est peut- être d'origine étrusque^. Plusieurs membres de la gens plé- béienne Ogulnia sont mentionnés dans les textes littéraires et
1. Pais, Sloria di Homa, t. I, 2, p. 29o : d'après M. Pais, la mention d'une ambassade envoyée en Grèce à cette époque n'a rien d'étrange.
2. Heuod., I, 167 : Oî 6a 'Ay-jUatot 1; AeXço-j; e7:£(i7tov.
3. Liv., I, 56. — Cf. Cic, de Rep., II, 24, 44; — Plin., llist. nal., XV, 30(40).
4. Liv., V, 15 et 16; 21.
5. Liv., XXII, 57; XXIII, 11.
6. Liv., XXVIII, 4o ; XXIX, 10.
7. Liv., XXIX, 11.
8. M. Pais, op. cit., p. 294, note 5, renvoie à Pal'Li, Corp. Inscripl. Elnisc, n* 2075, inscription de ausium (Chiusi) : L. Varius \ Oglinia f. (C. I. L., XI, 2479).
l'arrivée du serpent d'épidaure 165
épigraphiques et sur les monnaies ^ Un Q. Ogulnius fut tribun de la plèbe on 454/300 et édile curule en 458/296, les deux fois avec son frère Cnaeus pour collègue ~. Pendant leur tribu- nat les Ogulnii firent passer la loi célèbre qui porte leur nom, par laquelle les plébéiens étaient admis au sacerdoce comme les patriciens et pouvaient être, comme eux, pontifes et au- gures ; la loi Ogulnia est la dernière victoire remportée par la plèbe et consacre l'égalité absolue des deux ordres. Pendant leur édilité les deux frères, avec le produit des amendes impo- sées aux usuriers, consacrèrent à Jupiter, entre autres of- frandes, une statue et un quadrige au Capitole, et placèrent au Forum, près du figuier Ruminai, l'image en bronze de Romulus et de Rémus, allaités par la louve. Le chef de l'ambassade en- voyée à Epidaure était l'ancien tribun de 454/300, l'ancien édile de 458/296 : le caractère même de la loi qu'il avait pré- sentée le désignait tout naturellement pour cette mission reli- gieuse. De l'année 454/300 à l'année 464/290, les Ogulnii, sans avoir été eux-mêmes pontifes ni augures-^, se trouvent mêlés à tous les événements importants qui intéressent à cette époque la religion romaine. En 481/273 Q. Ogulnius fit partie d'une autre mission, toute politique cette fois : il se rendit avec Q. Fabius Gurges et Nuraerius Fabius Pictor auprès de Ptolémée Pliiladeiphe *.
Eppius et Rubrius. — Les noms des neuf Romains qui accom- pagnèrent Q. Ogulnius à Epidam*e ne sont cités par aucun texte littéraire ; peut-être les monnaies nous permettent-elles d'en retrouver deux. Sur des as de M. Eppius, partisan de Pompée, légat de Q. Metellus Scipio en Afrique après Phar- sale et ensuite de Sextus Pompée en Espagne, on voit au revers une proue de navire, à l'avers une double tête de Janus; entre les deux têtes est un autel conique autour duquel s'en-
1. Les textes littéraires sont indiqués dans la Real Encyclopudie de Pauly, l" éd., t. V, p. 887, article Ogulnius. Cf. Pais, op. cit., t. I, 2, p. 593 ; — Klebs- Rohdex-Dessau, Prosopographia imperii romani, t. II, p. 432. — Inscriptions de Rome : C. I. L.,VI, 12.564; 23.403 ; 23.431. — Monnaies : Babelox, les Monnaies de la République romaine, t. II, p. 203.
2. Li\., X, 6; X, 23.
3. Pais {op. cit., p. 577, note à la p. 575) se demande cependant si les deux frères n'ont pas exercé l'un des grands sacerdoces, bien qu'aucun texte ne le rapporte.
4. Val. Max., IV, 3, 9; — Dionys., XX, fragm. 14.
166 I.K SANCTLAIKE D ESCLLAPE
roiilo un sorpont et qui supporte un objet affectant la forme d'un ilonii-(jeuf' ; le niênio type reparait au revers d'une mon- naie de Sextus Pompée, frappée par les soins de son lieute- nant *. Sur des monnaies plus anciennes du triumvir monétaire L. Rubrius Dossenus (vers 680/70) une proue de navire est re- présentée ; un temple à deux colonnes et à fronton triangulaire la dissimule en partie; dans le temple on distingue un autel rond et un serpent enroulé; de l'autre côté on a gravé une tête de Neptune •'. Il se pourrait que ces motifs monétaires fissent allu- sion à l'arrivée d'Esculape : le serpent est le symbole du dieu, l'objet semi-ovoïdal sur l'autel serait Tomplialos, le temple di- style son temple de l'île ti])érine, la proue de navire l'avant de la trirème d'Ogulnius ; l'effigie de Neptune rappellerait le voyage fait par mer d'Epidaure à Rome. Un Eppius et un Rubrius avaient pris pai't à l'ambassade d'Ogulnius '* ; leurs des- cendants rappelèrent sur leurs monnaies cet événement qui les honorait^.
Date de l'ambassade. — En quelle année l'ambassade romaine alla-t-elle à Epidaure? Valère Maxime prétend qu'au moment de son départ la peste sévissait à Rome depuis trois ans ; l'épi- démie avait commencé, d'après le X* livre de Tite-Live, en 461/293; le voyage de Q. Ogulnius et de ses compagnons au- rait donc eu lieu en 463/291^. Cette date a été contestée. Schlueter et M. Pais, s'appuj'ant sur YEpitome du livre XI de Tite-Live et sur le texte d'Orose, proposent, le premier, la date de 462/192, le second, celle de 461/293^. M. Pais se demande même si les historiens n'ont pas avancé indûment d'une vingtaine d'années tous les événements dans lesquels interviennent les Ogulnii ; l'expédition d'une ambassade à Epi- daure serait plus vraisemblable, dit-il, aux environs de 482/272, après la reddition de Tarente et la mort de Pyrrhus, qu'aux
1. Babelon, op. cit., t. I, p. 477.
2. Babelon, op. cit., t. II, p. 331.
3. Babelon, op. cit., t. Il, p. 407.
4. Un Rubrius est nommé par Pli.\., Ilist. nal., XXIX, 1 (5), parmi les méde- cins célèbres de Rome ; la yens Rubria serait restée fidèle au culte d'Esculape et à la pratique de l'art médical.
o. Cavedoxi, Uullelt. dell'Instil. archeol., 18o8, p. 174 ; — Babelox, op. cit., t. II, p. 405. — Cf. les monnaies de la gens Volteia rappelant l'institution des jeux mégaiésiens en l'honneur de Cybèle (Babelon, op. cit., t. Il, p. 563).
6. Fischer, liœmische Zeiltafeln, Altona, 18i6, p. 65.
7. SciiLiETEK, op. cit., p. 5 ; — P.us, op. cit., t. I, 2, p. 594.
L ARRIVÉ!-: DU SERPENT D ÉPIDAURE 167
environs de 462/292, Mais il n'est pas nécessaire de boulever- ser à ce point la chronologie traditionnelle : Rome n'avait pas attendu la guerre contre Pyrrhus pour entrer en relations avec les Etats helléniques.
Le livre XI de Tite-Live contenait le récit des faits surve- nus de 462/292 à 464/290; l'ambassade est mentionnée au milieu du sommaire, après la victoire remportée sur le général samnite C. Pontius par Q. Fabius Gurges, consul en 462/292, et avant le procès du consulaire L. Postumius ; il est question ensuite des victoires de M. Curius Dentatus, consul en 464/290. D'autre part, Orose parle de l'épidémie et de l'arrivée du ser- pent à Rome à propos du consulat de L. Papirius Cursor, en 461/293. Le X" livre de Tite-Live nous empêche de rapporter l'ambassade à 461/293. L'historien dit bien que la peste éclata cette année, mais il ajoute que, malgré l'avis donné par les Livres Sibyllins, on différa l'envoi d'une ambassade en Grèce ; elle ne partit que plus tard, pendant l'une des trois années dont les événements sont racontés au livre XI. Orose, en réahté, n'y contredit pas ; comme Tite-Live, il s'occupe de la peste en 461/293, pendant le consulat de L. Papirius Cur- sor. Mais sa brève et sèche compilation n'a pas les vastes pro- portions de l'histoire de Tite-Live ; il condense en une seule phrase, pour n'avoir plus à y revenir, tout ce qu'il sait de l'épidémie et de ses conséquences ultérieures : le fléau décida les Romains à faire cherchera Epidaurele serpent d'Esculape, dont l'arrivée leur rendit la santé; il ne s'ensuit pas que ce dernier événement se soit produit aussitôt ; les termes dont se sert Orose n'autorisent pas une pareille conclusion; im intervalle d'un ou deux ans a pu s'écouler entre le début et la fin de l'épidémie. La date de 461/293 est donc inadmissible. Celle de 462/292 doit être aussi rejetée. La rédaction de V Epi- tome n'est pas très claire, et si l'on n'était renseigné que par ce document, on pourrait attribuer la légation indifféremment au consulat de Q. Fabius Gurges ou à l'année suivante. Dans cette incertitude il est légitime de recourir à Valère Maxime, qui nous tire d'embarras et nous permet de nous prononcer pour la seconde hypothèse : la peste, assure-t-il, dura trois ans, et les Romains ne s'adressèrent à Epidaure que la troisième année. Valère Maxime disposait d'éléments d'information qui nous manquent ; peut-être avait-il entre les mains le texte intégral du livre XI de Tite-Live. Son témoignage est rece-
168 LE SANCTDAIRE D ESCCLAPE
vable et valable. Il faut s'en tenir à l'opinion généralement admise : c'est en l'année 463/291 que le culte nouveau fu' apporté à Rome.
Le serpent sacré. — Dans tous les textes relatifs à la venue d'Esculape le serpent tient une grande place; on adore en lui la divinité même, que les ambassadeurs emmènent dans leur patrie sous cette forme. Bien loin que l'importance attachée à cet animal sacré soit un motif de suspecter la tradition, elle témoigne au contraire en sa faveur. Il était l'un des attributs constants d'Esculape et jouait un rôle dans les cérémonies de son culte ^ Les sculpteurs représentaient le plus souvent le dieu de la médecine appuyé sur un bâton auquel s'enroule un ser- pent-. Tandis que les peuples orientaux étaient frappés surtout du caractère venimeux et dangereux des reptiles, en qui se personnifiaient pour eux les puissances hostiles de la nature, le principe mauvais, les Grecs les regardaient comme inoffensifs et bienfaisants. Ils symbolisaient à leurs yeux la divination et la science médicale. Rampant à la surface du sol, recherchant la solitude, vivant dans le creux des rochers, ils passaient pour connaître les secrets de la terre, les vertus mystérieuses des plantes ^. Les Romains ont adopté ensuite ces croyances et ce culte, que leur transmirent les prêtres d'Epidaure^; ils furent d'autant plus facilement conduits à les accueillir que dans leur propre religion naticmale le serpent était déjà considéré comme un être divin, emblème du genius domestique'.
Pausanias et Elien nous apprennent qu'il y avait à Epidaure une espèce particulière de BpaxsvTs; consacrés à Asklépios ; leur morsure n'était pas venimeuse ; on les avait apprivoisés ; ils vivaient familièrement avec les hommes^. Le serpent qu'on embarqua sur le navire des ambassadeurs romains était cer- tainement l'un de ces reptiles pacifiques. Les Epidauriens, en
1. Article Draco, par Pottikii, dans le Diclionn. des Antiq. de Darembero et Saolio. Sur le rôle des serpents dans les temples d'Esculape, voir ci-dessous, p. 227.
2. S. Rei.nach, Répertoire de la statuaire antique, Paris, 1897-1898, voir à V In- dex des t. I et 11, s. v Asklépios.
3. Voir notamment Macrob., 1, 20.
4. Val. Max., loc. cit. : Cultuque anguis a perilis excepta.
.5. Article Genius, par Hii.n, dans le Dictionn. des Antiq., de Darembero et Saolio, et par Biht dans le Lexicon de Rosciier. 6.iPAU8A.v, II, 28; — jElian., de Nat. animal., VIII, 12.
l'arrivée du serpent d'épidaure 169
le donnant à Q. Ogulnius et à ses compagnons, ne faisaient que se conformer à un antique usage. C'est de leur ville que paraît s'être répandue par toute la Grèce, avec le culte du dieu médecin, la coutume de vénérer le serpent comme sa vivante incarnation. Souvent quand on fondait un temple on tenait à y amener l'un des opa/.cv-:sc sacrés ; le dieu venait prendre ainsi possession de son nouveau domicile. On racon- tait qu'il avait été conduit à Sicyone en grande pompe, méta- morphosé en serpenta Limera en Péloponèse, colonie d'Epi- daure , devait sa fondation à un spâxo^v d'Asklépios qui s'échappa d'un navire envoyé par les Epidauriens à Cos et des- cendit sur le rivage de Laconie; l'endroit où il s'était réfugié n'avait-il pas été choisi ainsi par le dieu pour devenir l'empla- cement d'une ville et d'un autel qui lui seraient dédiés ~? L'aven- ture de ce serpent de Limera ressemble tout à fait à l'histoire de celui que Q. Ogulnius conduisit à Rome; de part et d'autre le reptile abandonne spontanément le navire qui le porte, descend à terre, fixe lui-même le lieu où l'on viendra désormais adorer Asklépios. Les faits que rapporte Valère Maxime, s'ils sur- prennent les modernes, n'avaient pour les anciens rien d'ex- traordinaire ni d'insolite.
L'épisode d'Antium. — A deux reprises le serpent sacré aurait quitté le vaisseau d'Ogulnius. Avant de débarquer dans l'île tibérine, il serait demeuré trois jours à Antium dans le temple d'Esculape. Valère Maxime et Aurelius Victor l'af- firment ; ils reproduisent certainement la tradition primitive, dont s'est écarté Ovide, qui remplace à tort le nom du dieu médecin par celui d'Apollon. Au ii" siècle avant l'ère chrétienne, d'après Tite-Live, il y avait à Antium un temple d'Esculape^. Aurait-il existé dès l'année 463/291? Les Antiates étaient primitive- ment de hardis navigateurs ; de bonne heure leurs vaisseaux avaient sillonné la Méditerranée avec ceux des Etrusques. Dans
1. Pal-san., II, 10, 3.
2. Pausan., III, 23, 6.
3. Liv., XLIII, 4 : le préteur Lucretius en 584/170 orna sa ville d'Antium avec le butin qu'il avait rapporté de Grèce et lit décorer de tableaux le temple d'Esculape. Cf. ci-dessous, p. 190. — Une inscription funéraire d'Antium portant les noms d'/Emilia Asclepias et de son fils Asclepias (G. I. L., X, 6.700) provien- drait, d'après Vulpius, Fe/MS Lalium profanum, Rome, 1704-1745, t. 111, p. 70, e ruderibiis templi ASsculapii ; on aurait retrouvé et fouillé près du port les cellae de cet édifice; Nibby (Analisi délia caria dei dinlorni di Roma, t. 1, p. 189) conteste cette identification.
170 l'E SANCTLAIUE I) ESCL'LAPE
lo traité conclu on 254/500 ontre Rome et Cartliago Antiuui est nommée parmi les ports du littoral latin ' . Au temps de Coriolan les Antiates interceptent les approvisionnements de blé qui sont expédiés de Sicile à Rome*. Au début du m" siècle avant Jésus-Christ, Démétrius Poliorcète se plaint de leurs pirateries-'. Ils étaient donc en rapport avec la Grèce; ils ont dû subir son influence, adopter sa religion. Peut-être le culte d'Asklépios, entre autres, fut-il importé chez eux à l'époque oii il s'introduisait à Rome, ou plus tôt même. Tel serait le sens de cet épisode, purement imaginaire, des récits de Yalère Maxime et d'Aurelius Victor ^ Qui sait s'il n'a pas été inventé, pour flatter le patriotisme local de ses concitoyens, par un historien originaire d'Antium, Valerius Antias? Tite- Live s'est beaucoup servi de cet écrivain ; par son intermé- diaire Valère Maxime et Aurelius Victor ont eu connaissance de ces dires et les ont répétés. Le prétendu séjour du serpent dans le temple d'Antium n'est sans doute qu'une allusion sym- bolique et flatteuse à la très ancienne pénétration du culte d'Esculape dans cette ville.
Le culte d'Esculape et l'île tibérine. — A Rome, terme de son voyage, le serpent se serait arrêté de lui-même dans l'île tibérine. Sur l'emplacement qu'il avait indiqué on bâtit un temple au dieu d'Epidaure. Les Romains ont voulu expliquer par le choix d'Esculape la position du sanctuaire qu'ils lui avaient élevé. Ils n'est pas impossible, d'ailleurs, que la scène décrite par les historiens ait eu lieu réellement ; les ambas- sadeurs qui ramenaient le serpent ont pu faire en sorte, par quelque stratagème, qu'il parût se rendre spontanément de leur navire dans l'île''. Mais pourquoi ont-ils voulu qu'il se fixât à cet endroit et que le temple d'Esculape y fût construit ? pourquoi l'île tibérine est-elle devenue et restée le centre du culte rendu à Rome au dieu de la médecine?
Opinion des Anciens. — Plusieurs auteurs anciens se sont posé cette question et ont essayé de la résoudre. Les réponses
1. POLYB., III, 22.
2. DioNYS., VII, 37.
3. Strabo, V, p. 232.
4. Pais, op. cit., t. I, 2, p. 298 (note à la page 296).
5. SCULUETER, op. cit., p. 18.
l'arrivée du serpent d'épidaure 171
qu'ils donnent ne sont guère satisfaisantes. D'après Pline les Romains avaient l'art médical en profonde aversion : c'est pour cela qu'en accueillant Esculape ils ont tenu du moins à ce que son temple fût situé hors de la ville, dans l'ile tibérine K Pline ne fait probablement que reproduire ici une phrase méprisante de Caton, cet irréconciliable ennemi des médecins grecs; il n'y a pas lieu de s'arrêter à cette boutade. Festus est d'avis qu'on a mis le temple d'Esculape dans une île parce que l'eau est nécessaire aux médecins pour leurs cures-; par le mot medici ce sont les prêtres médecins qu'il entend. Il est certain qu'en Grèce la plupart des temples d'Asklépios étaient placés à dessein près des fleuves ou des sources ^. Mais il ne manquait pas à Rome, sur les bords du Tibre ou dans les vallons qui séparaient les sept collines, d'endroits frais et bien arrosés, abondamment pourvus d'eau; pourquoi leur avoir pré- féré l'ile tibérine, en dehors de la ville? Plutarque, dans une de ses Questions romaines^ examine successivement plusieurs hypothèses, sans oser prendre parti. Les Grecs, dit-il, mettaient les temples d'Asklépios en des endroits très sains ; or les îles sont en général salubres. D'autre part, à Epidaure le temple n'était pas dans la ville, mais à quelque distance; peut-être les Romains ont-ils voulu suivre l'exemple que leur donnaient les Epidauriens, et éloigner comme eux le temple de la cité. Enfin le dieu a manifesté sa volonté : le serpent sacré s'est rendu de lui-même dans l'île ; n'est-ce pas ce qui a décidé les Romains*? Mais cette prétendue explication, à laquelle Plu- tarque se rallierait volontiers, n'explique rien et laisse la question entière.
La religion romaine et les cultes étrangers. — Les véritables motifs n'ont point échappé aux modernes. Si le temple est relégué hors de la ville, dans l'île tibérine, ce n'est pas parce
1. Plix., Hist. nat., XXIX, 1(8) : Non rem antîqui damnabant, sed arletn, maxime vero qusestum esse manipretio vit se recusabant. Ideo templum ALscu- lapii etiam cum reciperelur is deus extra urbem fecisse iterumque in insula (lire : liberinaque in insula) traduntur. Cf. ci-dessus, p. 148.
2. Festus, p. 110 : In insula yEsculapio facta œdes fuit quod eegroti a medi- cis aqua maxime sustententur.
3. Voir les exemples réunis par Schlueteh, loc. cit., p. 18, d'après Pausan., III, 19 (temple dédié à Asklépios par Hercule, près de l'Eurotas); III, 23 (à Limera) ; VI, 21 (temple prés de l'Alphée) : VII, 27 (à Pellène), etc.
4. Plut., Quaest. l'om., XCIV : Aià xt xoô 'Aax>.r|7ttov lo tepov ïlm if^z itôXecÎ);
172 LE SANCTUAIRE D ESCLLAPE
quEscuIapo est le dieu de la médecine, comme le croyait Pline, c'est parce qu'il est un dieu d'origine hellénique.
La religion romaine n'était pas exclusive. De même qu'un étranger pouvait recevoir à Rome par décret le droit de cité, do même un dieu nouveau pouvait être accueilli et adopté par l'Etat rom.ain ; il prenait place à côté des anciens dieux na- tionaux; on lui rendait désormais, au même titre qu'à eux, un culte officiel et public. Pendant les deux siècles qui sui- virent l'expulsion des rois un très grand nombre de divinités venues du Latium, de l'Etrurie, de la Grande Grèce, de la Sicile, se sont ajoutées à celles qu'on adorait primitivement à Rome; on les désignait sous le nom de dii novensides ou dii peregrini, par opposition slux dii indigetesK
Ambrosch, le premier, a fait remarquer que ces dieux péré- grins n'étaient pas traités cependant tout à fait comme les autres^. H crut ])Ouvoir poser en principe, que l'on construisait toujours leurs temples au-delà de la ligne du pomerium, qui marquait la limite religieuse de la cité et séparait du sol étranger l'espace réservé aux divinités indigènes 3; les cultes apportés du dehors ne pénétraient pas dans l'enceinte consa- crée et privilégiée de la cité; on les maintenait scrupuleuse- ment dans les faubourgs ; cette prescription aurait été respectée pendant toute l'époque républicaine.
L'opinion d' Ambrosch fut acceptée sans réserves par Jor- dan, par Marquardt, par M. 0. Gilbert^ Elle n'est pas entière- rement exacte; M. Aust, M. Mommsen, M. Wissowa l'ont reprise en la modifiante Sur deux points il faut y apporter de notables corrections.
Ce ne sont pas tous les cultes pérégrins qui sont exclus du
i<m; riÔTEpov OTt -rà; sÇw Starptoà; ÛYisivorépa; iw6^\X,ow elvat twv èv a<rret; Kal •)ràp "E),).r,vEî i't TÔTTot; xal xaOapoî;xal 'J'I/riXot; iSp-jjxÉvaTà 'AirxXïiiristak'yo-jTtv."!! OTt TÔv Otôv i\ 'ETctôa-jpoy (jtETâTreîiTrTov fiXEtv voiisi^ouTiv ; 'KTiiSa'jpt'ot; 8'o-j xarà Tc4).tv, àXXà it<ippo) TÔ 'AiTy).Ti7ti'£t'ov è<rrtv.'"H ott toO SpixovTOcix Tf,îTpir,poyî xarà Tr,v v-fiTOv àTtoêivTo; xai àsavtTÔsvTo; aJTÔv wovto tt,v tSp-jatv uçr|Y£Î<T6at tÔv 6ebv ;
1. Wissowa. de Dis Romanorum indigetihus et novensidibiis, Marburg, 1893.
2. Ambrosch, Sludien und Andeutungen im Gebiet des altromischen Bodens und Cultus, Breslau. 1839, p. 190.
3. Sur le pomerium, v(»ir ci-dessus, p. 51.
4. Jordan, das Templum dex S;/Hae in Rom. dans I7/er»iè.«, t.VI,1872, 316;— Marqcardt-Mommsex, Man. des Antig. rom., trad. franc., t. XII. le Culte, I, p. 44; — O. Gilbert, Gescfi. und Topogr. d. St. Rom, t. Hl, p. 66.
Tt. Ai;sT, de .-Edibus sacris popiili romani, Marburg, 1889, p. 47; — Mommsex, der Beligionsfrevel nacli rômisc/ien Recht, dans Vllislor. Zeistch., Neue Folge, t. XXVIII, 1890, p. 405 ; — Wissowa, op. cit.
l'arrivée du serpent d'épidaure 173
pomerimn, mais seulement ceux qui sont empruntés à des pays de langue étrangère, à la Grèce. Festus distingue parmi eux deux groupes. Les uns ont été introduits à Rome en temps de guerre, à la suite d'une evocatio; les Romains avaient coutume de promettre des temples aux dieux protecteurs des cités qu'ils combattaient; ils les attiraient à eux, ils les fai- saient passer pour ainsi dire dans leur propre camp ; Macrobe nous a conservé la formule par laquelle on les évoquait'. Les autres ont été introduits en temps de paix par scrupule reli- gieux; Festus cite précisément comme exemple Esculape-. Cette distinction est fondée, mais Festus n'en a pas découvert la juste raison. Elle ne repose pas sur la différence des cir- constances dans lesquelles on a fait appel à ces divinités, mais sur la différence des pays d'où elles sont originaires. Au premier groupe appartiennent tous les dieux des peuplades italiques, de même race que les Romains et parlant la même langue ; ils ne sont pas entrés à Rome seulement par le moyen de V evocatio et en temps de guerre, ainsi que la Juno Regina de Veies, mais encore en temps de paix, à la faveur des rela- tions commerciales, ainsi que la Diane d'Ariccia ou la Fortune de Préneste. Au second groupe appartiennent les dieux hellé- niques, qu'on a fait venir par dévotion, ob quasdam religiones, sur le conseil des Livres Sibyllins; ils ressemblent beaucoup moins que les précédents aux divinités romaines primitives. Aussi les uns et les autres n'ont-ils pas été admis à Rome sur le même pied. Les temples dédiés aux divinités italiques pou- vaient s'élever indifféremment à l'intérieur du pomermm, comme celui de la Minerva Capta de Faleries au Cœlius, ou à l'extérieur, comme celui de la Juno Regina de Veies sur l'Aventin. Les temples dédiés aux dieux grecs, Cérès-Déméter,
1. Macrob., III, 9, 7-8 (à propos de l'évocation de la Juno carthaginoise par Scipion Emilien) : Si deus si dea est cui populus civitasgue Carthaqiniensis est in tutela, teque maxime ille qui urbis hujus populique tutelam recepisti,precor venerovque., veniamque a vobis peto ut vos populum civilalemque Carthagi- niensein deseratis; loca, templa sacra, urbemque eorum relinquatis absque his abeatis eique populo civitalique metum, fovmidinem, oblivionem injiciatis, prodilique Romam ad me meosque veniatis nostraque vobis loca, templa sacra, urbs acceptior probatiorque sit, mihique populoque romano militibusque meis prsepositi silis : ut sciamus intelligamusque si ita fecerilis, voveo vobis templa ludosque facturum.
2. Festus, p. 237 : Peregrina sacra appellantur quœ aut evocatis dis in oppugnantibus urbibus Romam sunt conata aut quœ ob quasdam religiones per pacem suni petita, ut ex Phrijgia Matris Magnae, ex Grœcia Cereris, Epidauro .'Esculapi.
ili LE SANCTLAIRE D ESCCLAPE
Apollon, Esciilape, s'élevèrent hors du pomerivm, les premiers au Champ do Mars, le dernier dans l'ile tibérino. Cette règle ne souffre pas d'exception ; si le temple voué à Castor et Pol- lux, après la bataille du lac Régille, était situé au cœur de la ville, dans le Forum, c'est que les Romains ne devaient pas le culte de ces doux divinités à la Grèce même, mais à la ville latine de ïusculum, où les Dic)scures étaient particulière- ment honorés ; Castor et Pollux furent accuoilUs d'abord à Rome en qualité de dieux italiques ^
Ramenée à ces termes, la théorie d'Ambrosch reste vraie, au moins pour les premiers siècles. La seconde restriction (pi'on doive faire concerne la durée du temps pendant lequel la règle de l'exclusion du pomerium fut observée. Les cultes apportés des pays de langue étrangère ne sont pas toujours demeurés jusqu'à la fin do la République hors do la cité. Dès la seconde guerre punique des monuments consacrés à des divi- nités grecques ou même orientales sont édifiés à l'intérieur du pomerium. En l'année 537/217 on voue sur le Capitole un temple à la Vénus gréco-sicilienne du Mont Erjx'-; en 503/191 est inauguré sur le Palatin même, dans le quartier le plus ancien et le plus vénérable de la ville, le sanctuaire de l'asia- tique Magna Mater de Pessinonte"^. Les barrières opposées à l'envahissement des cultes pérégrins sont tombées bien plus tôt qu'Ambrosch et Jordan ne le pensaient. La loi religieuse qui défendait jadis d'admettre les dieux helléniques ou orien- taux en deçà du pomerium fut très vite oubliée^. Le souvenir s'en était tout à fait perdu sous l'Empire ; les érudits eux- mêmes l'ignoraient : aussi Pline, Festus, Plutarque n'ont-ils pu s'expliquer qu'on ait mis le temple d'Esculape dans l'île tibérine.
Pourquoi le temple d'Esculape fut construit dans l'île. — Le culte du (heu do la médecine est essentiellement hellénique;
1. Cf. M. Albebt, le Culte de Castor et de Pollux en Italie, Paris, 188:5.
2. Alst, op. cit., p. 19, n" 43 et 44. et p. 49 ; — Wissowa. lac. cit.. p. XII. En même temps que le temple de Vénus Erycine et auprès de lui fut élevé un temple à la déesse Mens, qui ne serait, d'après Pbellek-Johdan, Rœm. Mylh., t. II, p. 26.;, qu'un aspect particulier de Vénus, Venus Mimnernia.
3. AusT, op. cit., p. 22, n» li3.
4. On sait cependant parCAss. Dio, LU, 30, et LIV, 6, qu'Auguste prit encore des mesures pour maintenir au moins les temples des divinités égyptiennes au-delà du pomerium. Ses efforts devaient être vains.
l'arrivée DC serpent D'ÉPIDAURË l'H
il fut apporté à Rome longtemps avant la seconde guerre punique, alors que les vieilles interdictions étaient encore en vigueur : le temple devait être, par conséquent, en dehors du pomerium, L'Ile tibérine satisfaisait à cette première et né- cessaire condition. Elle présentait, en outre, de nombreux avantages qui la firent préférer à tout autre point des abords de Rome. Peut-être sa forme même et sa vague ressemblance avec un navire à l'ancre au milieu du fleuve n'ont-elles pas laissé les Romains indifférents : le serpent sacré était venu d'Epidaure par mer; File rappelait le navire qui l'avait amené. En tout cas le voisinage du Champ de Mars, où était localisé le culte des dieux grecs précédemment reçus à Rome, contribua très certainement à les décider. Elle apparaissait comme le prolongement et la continuation du Champ de Mars; il semblait naturel que les dieux pérégrins annexassent ce nouveau domaine, tout proche de celui qui leur était d'abord assigné, et que le sanctuaire d'Esculape se dressât en face du temple d'Apollon. Enfin il est probable qu'une préoccupation d'hygiène, ainsi que Plutarque l'a soupçonné, s'est jointe à ces diverses considérations. Les Asklépieia servaient aussi d'hôpitaux ; les malades y accouraient de toutes parts ; on devait, dans l'intérêt de la santé publique, les éloigner des quartiers habités; l'isolement était une sage précaution •. A Epidaure une distance de cinq milles séparait le temple de la ville. A Rome, entre l'un et l'autre, s'interposa le Tibre. On comprend que les Romains, obligés de construire le sanctuaire hors de la cité, aient fixé leur choix sur l'île tibérine, que tant de raisons leur recommandaient. Ils ont attribué ensuite au dieu lui-même les intentions qu'ils avaient eues et les calculs qu'ils avaient faits. La légende qui représente le serpent quittant le navire d'Ogulnius et descendant de son plein gré sur la rive n'a pas d'autre sens.
Le médaillon d'Antonin le Pieux. — Cette légende était très populaire dans l'antiquité. Non seulement des historiens comme Tite-Live et Valère Maxime l'avaient rapportée et des poètes comme Ovide l'avaient célébrée, mais encore elle ins- pira des artistes, graveurs et sculpteurs, qui la représentèrent siu" leurs œuvres.
1. Besciui. I). St. Rom, t; III, 3, p. 377 ; pendant la peste de i636, les mo-s
176
LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
Le Cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale possède deux exemplaires très bien conservés d'un beau médaillon d'Antonin le Pieux où l'on s'accorde à voir figurée l'arrivée même du serpent d'Esculape à Rome. Ces monuments ont été souvent décrits et publiés'. Ils ne diffèrent l'un de l'autre que par d'insignifiants détails. A gauche, sous la première arcade d'une grande construction en forme de portique, s'avance une trirème; un serpent se dresse à la proue, derrière lui un petit personnage, debout, lève le bras. A droite, au premier plan, un
vieillard est a demi couché ; la par- tie, inférieure de son corps baigne dans l'eau; son dos s'appuie à des rochers ; il tient dans la main gauche un roseau et tend le bras droit vers un serpent ; au second plan on distingue très nettement, ramassés en un seul groupe et do- minant tout le reste, un arbre cou- vert de feuilles, une sorte do tour, et deux édifices : l'un à fronton trian- gulaire, l'autre terminé par un toit plat. En exergue est écrit le mot jEsculapius. Comme le fait juste- ment remarquer M. Frôhner, « le tableau est pittoresquement composé, on dirait une fresque de Pompei^ ».
La scène est bien claire : le navire d'Ogulnius amène à Rome le serpent sacré, emblème d'Esculape. Le personnage debout à l'arrière est ou bien un marin maniant le gouvernail, ou bien, comme le croit M. von Duhn, qui voit dans le geste de son bras levé une attitude habituelle aux suppliants ■*, un fidèle
FiG. 19.
MÉDAILLON D'aNTO.MN LE PIKUX.
D'après un exemplaire du Cabinet des Médailles.
dernes ont tiré parti de la position de l'ile tibérine, comme avaient fait les Anciens; les pestiférés furent évacués sur lile, transformée en tiôpital.
1. Ils appartiennent à l'importante série de médaillons frappés par les soins d'Antonin le Pieux, sur lesquels sont représentées les scènes principales de l'histoire romaine. — Cohe.x, Monnaies de l'Einpire ro>nain, 2" éd., t. H, p. 271-272 ; — Fkôhxeh, les Médaillons de l'Empire romain, p. 53 ; - Vox Duiix, dans les Millheil. des archuol. Inslil., Rœm. Ablh., 1886, p. 170 ; — Duessel, der Avenlin auf einem Médaillon des Pius, dans la Zeihch. f. Numism., 1899, p. 32, PI. II. n" 10 et 11.
2. FitôiiXER, loc. cil.
3. Vo.N DcHN, Bullell. delVInslit. archeol., 1879, p. 7 et 8 ; en arrivant au terme d'un voyage par mer, on offrait un sacrifice aux dieux.
l'arrivée du serpent d'épidalre 177
invoquant le dieu médecin. Il faut reconnaître dans le vieillard Tiberinus, la divinité protectrice du fleuve qui traverse Rome et qui entoure l'île où s'élèvera le temple d'Esculape. Il était de tradition, dans l'art gréco-romain, qu'on représentât les fleuves sous les traits de vieillards couchés, un roseau à la main. Sur un autre médaillon d'Antonin le Pieux, Tiberinus est assis dans la même posture, le bras gauche s'appuyant à une urne renver- sée, la main droite posée sur une barque à laquelle il s'adosse*.
Interprétation ancienne. — L'identification de l'édifice enferme de portique à gauche et celle des édifices au sec£)nd plan à droite ont été très discutées. On croj'ait en général, jusqu'à ces dernières années, que l'artiste avait voulu mettre sous nos yeux à droite l'île tibérine, à gauche l'un des ponts voisins de l'île. Le serpent semble prendre son élan pour abandonner le navire d'Ogulnius et aborder au rivage ; la terre vers la- quelle il se dirige est celle où désormais il résidera. L'arbre indique que l'île était boisée, et les constructions qui l'entourent rappellent qu'elle était habitée et occupée par divers temples. Ces constructions sont au nombre de trois ; Canina voyait en elles les trois temples d'Esculape, de Jupiter et de Faunus- ; c'était prêter gratuitement à l'auteur du médaillon un souci de scrupuleuse exactitude que sans doute il n'a pas eu. Il est per- mis de supposer du moins qu'elles font allusion particulière- ment au sanctuaire d'Esculape, dont le bois sacré est symbolisé, selon l'usage, par un arbre isolé. Sur la gauche les arcades juxtaposées sont les arches d'un pont sous lequel passe la trirème revenue d'Epidaure; c'est donc ou le pont ^milius, le dernier que rencontraient les navires remontant le Tibre, avant d'arriver à l'île, ou le pont Fabricius, qui la reliait à la rive gauche du fleuve.
Interprétation nouvelle. — M. Mayerhofer a proposé en 1884 une exphcation nouvelle : le pont serait, d'après lui, l'antique pons Suhlicius en bois. Il apparaît sur le médaillon comme situé au sud de l'île tibérine, en aval, tandis que le pont Fabricius aboutissait dans l'île même, en amont du sanctuaire d'Esculape. D'autre part, dans le système de M. Mayerhofer, le pont Subli- cius s'élevait entre le pont ^mihus et Vinstda tiberina, tout
1. Frôhxer, op. cit., p. o2.
2. Caxixa, Bulletl. delV Instil. archeoi., 1834, p. xxxviii.
1-2
178 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
auprès de celle-ci; le pont .Emilius était trop éloigné pour (|u'on efit pu le représenter de cette façon, touchant presque la pointe méridionale de l'ile. Enfin, quand l'ambassade d'Ogul- nius fut envoyée à Epidaure, les ponts Fabricius et ^Emilius n'existaient pas encore; Rome ne possédait que des ponts de bois ; le poiis Suhlic'ms était le plus ancien, le plus célcbro, le plus proche de l'ile tibérine au sud'.
M. Huelsen s'est avancé davantage : il conteste que l'édifice sous lequel on aperçoit la trirème soit un pont ; certaines particulari- tés de construction rendraient cette hypothèse invraisemblable. Les soi-disant arches, au lieu de s'abaisser en dos d'âne vers les deux rivages qu'elles devraient relier, se dressent très hautes et très étroites, coupées net des deux côtés. Ce ne sont pas les arches d'un pont, mais les arcades d'un portique ; elles appartiennent aux Navalia, aux hangars sous lesquels s'abri- taient les navires le long des berges du Tibre. Sur des mon- naies d'Hadrien sont figurés les Navalia ou vcoWcxsi du port d'Ostie, avec une entrée à arcades qui ressemble à un long pont. A Rome le Navale inferius était situé — M. Huelsen croit pouvoir l'affirmer — sur la rive gauche, en aval de l'ile, à la hauteur du Forum boainnm; il semblerait, d'après le mé- daillon d'Antonin, qu'il se trouvât sur la rive droite ; ptire licence qu'a prise l'artiste ; le médaillon nous donne, comme un miroir, une image renversée de la réalité 2.
M. Dressel s'étonne à bon droit des conclusions auxquelles aboutissent les ingénieux raisonnements de M. Huelsen ; on aurait sur le côté droit du médaillon une représentation directe et fidèle de l'île tibérine, sur le côté gauche une repnscniation fausse et renversée du Nacale inferius. M. Drcsscl a voulu remédier à cette inconséquence. Il s'est montré plus hardi que ses devanciers. Non seulement aucun pont n'est ici figuré, mais encore les édifices du second plan à droite ne sont pas ceux de l'île tibérine. La scène se passe tout entière sur la rive gauche du Tibre, vue de la rive droite. Comme M. Huel- sen, M. Dressel reconnaît dans les arcades le portique du Na- vale inferius, mais il n'est pas besoin d'imaginer qu'on a ren- versé l'image; elle est bien en })lace. La trirème d'Ogulnius vient de s'amarrer à la berge ; le serpent s'élance hors du
1. Mayeiuiofrr, die Brilcken im allen Rom, p. 41-46.
2. HtELSE.N, il Foro Bofirio e le sue adiacenze nelianlichità, dans les Disserl. délia Ponlif. Accad. di archeoL, série H, t. VF, 1896, p. 253.
l'arrivée du serpent d'épidaure 179
navire pour prendre possession de l'île au milieu du Tibre. Celle-ci n'est pas comprise dans le champ du tableau. Tiberi- nus, au premier plan, s'appuie à des rochers ; il n'y avait pas de rochers dans l'île. Derrière lui l'arbre, la tour et les deux édifices contigus forment un groupe à part, qui s'élève assez haut et domine les environs ; l'île était, au contraire, basse et plate. L'artiste a voulu nous montrer, à côté du Navale^ une colline rocheuse et escarpée surplombant le Tibre : c'est l'Aven- tin, qui était situé effectivement en aval du Forum boarkim^ et que le spectateur placé sur la rive opposée ^apercevait à droite du Navale inferms. L'arbre signifie que l'Aventin était boisé, la tour, qu'il était fortifié, les deux autres édifices, qu'il était habité. Si l'on en croit M. Dressel, il ne reste donc rien de l'interprétation traditionnelle du médaillon d'Antonin^.
Critique. — M. Petersen a entrepris récemment de dé- fendre la tradition si vivement attaquée. La tâche n'était pas aussi ingrate qu'on pouvait le croire. Les opinions les plus neuves ne sont pas toujours les mieux fondées. M. Huelsen et M. Dressel, en voulant trop bien expliquer le médaillon, le rendent inintelligible. M. Dressel persiste à croire que le gra- veur a voulu retracer l'épisode de l'arrivée d'Esculape : la légende inscrite en exergue l'y oblige. Mais que viendrait faire alors l'Aventin àl'arrière-plan? Il n'a aucun rapport avec le culte du dieu médecin et son introduction à Rome ; on ne voit pas pourquoi il serait représenté ici, tandis que la présence de l'île tibérine au fond du tableau est toute naturelle et même nécessaire. Le serpent, prêt à quitter le navire d'Ogulnius, se dirige évidemment vers l'arbre et les trois édifices groupés ; ceux-ci ne peuvent donc appartenir qu'à l'île, puisque c'est là, et non au pied de l'Aventin, que débarquera Esculape et qu'il fixera sa résidence. Comme l'Aventin, l'île tibérine renfermait des arbres — le bois sacré de l'Asklépieion — et des édifices, temples et maisons particulières. La hauteur de l'arbre et des édifices au-dessus de la trirème et des arcades du portique est trop faible pour convenir à une colline. On comprend très bien, enfin, que Tibérinus s'adosse à des rochers, quoique l'île ne soit pas rocheuse : sur les monnaies et les bas-reliefs les divinités fluviales sont figurées le plus souvent assises dans une grotte.
1. Dressel, loc. cit.
180 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
Après avoir réfuté riij'pothèse de M. Dressel, M. Petersen s'en prend à celle de M. Huelsen. La construction à arcades du premier plan à gauche n'est pas un portique des Navalia ; c'est un pont, vu en raccourci. M. Huelsen suppose un ren- versement d'images analogue à celui que produit un miroir : le Navale inferiits, situé sur la rive gauche du Tibre, apparaîtrait comme placé sur la rive droite. Un pareil renversement serait admissible s'il s'appliquait au médaillon tout entier; limité à une moitié seulement, il est invraisemblable et contraire aux règles les plus élémentaires.
D'ailleurs, si Ton examine de près le médaillon, le soi-disant Navale n'est pas plus situé sur la rive droite que sur la gauche ; bien loin qu'il soit parallèle à l'ilo et au cours du Tibre, il est dirigé obliquement et traverse le fleuve. Cette disposition ne convient qu'à un pont. Et de même un pont seul peut avoir à sa partie supérieure un parapet, tel que celui qu'on distingue fort bien ici. Sans doute, il s'arrête brusquement et s'inter- rompt à pic, sans s'incliner en pente douce vers les rives : l'espace était mesuré au graveur, il fallait qu'il se contentât d'un tracé schématique et simplifié; les singularités d'aspect dont s'étonne M. Huelsen étaient imposées par l'étroitesse môme du champ. La trirème, sous la première arche, tourne sa proue en avant : c'est ainsi que se présentent les navires remontant un fleuve; dans les Navalia^ au contraire, ils étaient à l'attache, la proue vers la rive. Le serpent n'a-t-il pas dû sortir de la trirème dès qu'elle fut arrivée en vue de File, après avoir passé sous le dernier pont, et sans attendre qu'on l'eût amarrée à la berge ^?
M. Petersen n'hésite pas à reconnaître ici, malgré les objec- tions de M. Mayerhofer, le pons jEmilius. Ce ne peut être le pont Fabricius, qui se termine au milieu de l'île, alors que celui du médaillon est en aval. Ce ne peut être non plus le pont Subliciiis, dont l'emplacement véritable doit être cherché au-dessous du pont ^milius, et non pas, comme le croyait M. Mayerhofer, entre ce dernier et l'île. Sans doute, au moment de l'arrivée du serpent d'Esculape, le pons Mmilim n'était
1. Vai,. Max. (I, 8, 2) dit, il est vrai, que le serpent quitta le navire quand les ambassadeurs eurent débarqué : In rlpam Tiberis earessis legafis. M. Petersen observe justement que ce détail, tout à fait invraisemblable, a été inventé sans doute par Valére Maxime, pour faire mieux ressortir les bonnes dispositions d'Esculape et montrer qu'il a agi spontanément, sans obéir aux suggestions des ambassadeurs.
l'arrivée du serpent d'épidaure 181
pas encore construit : mais le graveur ne s'est point astreint à respecter si rigoureusement la vérité et la chronologie ; il s'est inspiré de ce qu'il avait lui-même sous les yeux et l'a représenté fidèlement.
L'argumentation de M. Petersen est convaincante : il faut s'en tenir ou en revenir à l'interprétation ancienne et traditionnelle ^
Le bas-relief Rondinini. — Un bas-relief de Rome, qui décore depuis la fin du xviif siècle la cour intérieure du palais Ron- dinini sur le Corso, doit être rapproché du médaillon d'Anto- nin : il date de la même époque et se rapporte comme lui à l'arrivée d'Esculape à Rome. Sa hauteur est de 1"',59, sa lar- geur de l™,!!. On ne sait rien du lieu ni de l'époque de sa découverte. Un second bas-relief, de dimensions pareilles, lui fait pendant. Ils appartenaient l'un et l'autre, dans l'antiquité, à une suite de panneaux sculptés qui ornaient les murailles d'un édifice important''. On a jugé nécessaire, dans les temps modernes, à la Renaissance très probablement, de les restau- rer. Les transformations qu'on a fait subir au second sont trop considérables pour qu'on puisse deviner ce qu'il représentait primitivement. On y voit une femme couronnée de feuillage, assise dans une barque et ramant ; des roseaux llottent sur l'eau. Seule la partie centrale de la pierre est antique. Le premier bas-relief a moins souffert et se laisse mieux inter- préter. Un vieillard barbu, de profil à gauche, émerge des eaux. Il lève la tête vers une urne renversée, située en face et au-dessus de lui. Il recueille dans une patère qu'il tient de la main droite l'eau qui s'écoule de l'urne. Un serpent s'avance en rampant vers la patère. A l'arrière-plan se dressent diverses constructions, malheureusement trop retouchées par une main moderne. M. von Duhn a fort ingénieusement expliqué la scène. Le personnage principal, au centre du panneau, est le serpent, symbole d'Esculape. Les constructions à l'arrière-plan sont celles de l'île tibérine, baignée par le tleuve. L'urne renversée signifie, dans le langage conventionnel de l'art antique, que
1. Petersen, Briicke oder Navale, dans les Miltheil. des archiiol. Instit., Rœm. Abth., 1900, p. 352. — Voir aussi les objections de 0. Righter, Topogr. d. St. Ro7n, 2' éd., 1901, p. 203, note 4.
2. Von Duhn, Bullett. delVInstit. archeol., 1879, p. 7 ; — Matz-Von Duhn. Antike Bildwerke in Rom, Leipzig, 1881-1882, t. III, p. 40; — Von Duhn, Due bassovilievi del palazzo Rondinini, dans les Miltheil. des archûol. Instit., Rœm. Abtfi., 1886, p. 167
i82
LE SANCTUAIRE D E8CDLAPE
l'ilc renfermait une source. Le dieu du Tibre, figuré, comme toujours, par un vieillard à demi couché dans le fleuve qu'il incarne, offre à Esrulapo l'eau de la source. Le bas-relief Rondinini fait suite, en quelque sorte, au médaillon d'Antonin.
FiG. 20. — BAS-BELIEK DU PAI.AIS BONDINTN'I
(Mittheil. des archàol. Jnstit., liœm. Abth., 188G, pi. IX).
Celui-ci nous montrait le serpent quittant le navire des ambas- sadeurs romains i)Our se rendre dans l'île, où l'accueille Tibe- rinus, et choisir remplacement de sa nouvelle demeure. Et maintenant, le serpent, établi dans son temple, vient s'abreuver à la source sacrée dont Tiberinus lui fait les honneurs. M. von Duhn attribue les bas-reliefs Rondinini à l'époque des Anto- nins, et plus particulièrement au règne même d'Antonin le Pieux. Ils faisaient partie d'un ensemble de panneaux décoratifs
l'arrivée du serpent d'épidacre
183
reproduisant les principaux épisodes de riiistoire d'Esculape et de son arrivée légendaire à Rome. A quel édifice pouvaient- ils mieux convenir qu'au temple principal du dieu de la méde- cine? C'est dans l'île, selon toute vraisemblance, qu'Antoninle
FiG. 21. — BAS-RELIEF DU PALAIS RONDIXINI.
{Mittheil. des' arehàol. Instit., Rœm. Abth., 1886, pi. X).
Pieux les aura fait placer pour lui rendre hommage et embellir son sanctuaire ; c'est là qu'on les aura retrouvés à la Renaissance. Médaillon et bas-relief illustrent, pour ainsi dire, les textes de Valère Maxime et d'Ovide. Les œuvres littéraires et les monuments figurés s'éclairent mutuellement. Ils nous racontent les uns et les autres, à leur façon, la venue merveilleuse du serpent d'Epidaure, que n'oublièrent jamais les imaginations romaines, et la fondation du premier temple d'Esculape au milieu du Tibre.
CHAPITRE HT
LE TEMPLE D'ESGULAPE
ET SES DÉPENDANCES
Fondation et fête annuelle. — Le serpent sacré fut ramené d'Epidauro à Rome en 463/291. La construction du temple d'Esculape dans l'île tibérine dut être aussitôt commencée ^ Nous ne savons pas en quelle année se fît la dédicace; ce fut sans doute deux ans plus tard, en 465/289. Elle eut lieu aux kalendes de janvier : la fête anniversaire de la fondation était célébrée ce jour-là. Ovide, au premier livre des Fastefi, assure que les deux temples d'Esculape et de Jupiter dans l'ile ont été consacrés le l*"" janvier ^ :
« Voici maintenant ce qu'il m'a été permis de lire dans les Fastes mêmes. En ce jour nos pères consacrèrent deux temples. L'ile, que le Tibre entoure de ses deux bras, reçut Esculape, né de Phœbus et de la nymphe Coronis. Jupiter lui est associé. Un même lieu les réunit et le temple du petit-fils est joint à celui de son illustre aïeul. »
1. Les textes relatifs au temple d'Esculape dans l'île sont indiqués dans AusT, (le JLdibus sacris popuii romani, p. 13, n° 24; — Kiei'ekt-Hlelsen, lYo- mencl. lopogr., p. 74; — et dans Homo, Lex. de lopogr. rom., p. 542. — Cf. Jok- DAN, de ÂHsculapii, Fauni, Vejovis Jovisque sacris urbanis, dans les Commen- lationes in honurem Mommseni, Berlin, 1877, p. 359.
2. OviD., FasL, I, 289 :
Quod tamen ex ipsis licuit mihi discerc fastis,
Sacràvere patres hac duo templa die. Acceptt Phœbo nymphaquc Curonide oatum
Insula, dividua qiiam premit amnis aqua; Jupiter in parte est. Cepit locus unus utrumque
Junctaque sunt magna tempia nepotis avo.
LE TEMPLE d'eSCULAPE ET SES DÉPENDANCES 185
Le témoignage d'Ovide est confirmé par le calendrier de Preneste, rédigé au début du f siècle de l'ère chrétienne. On y lit, à la date du 1"'' janvier :
[jEscii\lapio Vedioviin insida ^
fête d'Esculape et de Vejovis dans Tîle *.
Un calendrier plus récent, composé au milieu du iv" siècle après Jésus-Christ et connu sous le nom de Fastes de Philo- calus, fait mention d'une seconde fête annuelle d'Esculape à Rome, le 11 septembre, ïi{atalis) Asclepi'-. 11 n'est pas probable que cette seconde fête concernât le sanctuaire de l'île tibé- rine ; elle se rapportait plutôt à un autre édifice romain cons- truit en l'honneur d'Esculape ; la forme Asclepi, exactement calquée sur le mot grec 'Aay.A'^-tôç, indique une époque assez basse; le dieu de la médecine possédait certainement sous l'Empire plusieurs temples à Rome, outre celui de l'île; l'un d'entre eux était situé, semble-t-il, dans les thermes de Trajan'^
Position et vestiges. — On admet en général que l'Asklépieion occupait la partie méridionale de l'île tibérine, où s'élève maintenant l'église Saint-Barthélémy'*. Deux inscriptions con- cernant le culte d'Esculape ont été trouvées l'une devant l'église^, l'autre dans le jardin du couvent de franciscains qui la borde '^. L'éghse elle-même renferme de nombreux frag- ments antiques : colonnes du portique et de la nef principale, architrave gisant à terre sous le péristyle, cuve de porphyre sous le maître-autel, débris de marbre utilisés dans le campa- nile et dans les pavements en mosaïque. Les quatorze colonnes de la nef principale ont belle apparence; onze sont en granit, les autres en marbre grec et en marbre africain. Elles n'ont pas toutes la même hauteur; on les a prises à des édifices'
1. C. I. L., I, 20 6(1., p. 231.
2. c. I. L., I, 2" éd., p. 212.
3. Une inscription en grec dédiée à Esculape a été trouvée auprès des thermes de Trajan (C. 1. Gk., 5974); elle est antérieure à Dioclétien. Dans la Passion des Quatre saints couronnés il est question d'un temple romain d'Es- culape au temps de Dioclétien ; Benhdorf croit que cet édifice était situé auprès du Colisée (Benndorf, dans les Unters. zur rôm. Kaisergesch. de BOdin- GER, Leipzig, 1368-1870, t. 111, p. 354).
4. Voir notamment la Beschk. d. St. Rom, t. 111, 3, p. 363 ; — Becker, Topogr. d. St. Rom, p. 561, etc.
5. G. I. L., VI, 7.
6. G. I. L., VI, 12.
186 LE SANCTUAIRE d'eSCULAPE
différents, sans doute un temple d'Esculape lui-môme et aux portiques qui l'entouraient. Deux d'entre elles, l'une à droite dans la nef, l'autre à gauche, sont supportées par des bases assez bien conservées, toutes pareilles, d'ordre corinthien, hautes chacyne de 0°,28, que décorent des palmettes, des fleurons, des perles ; la base do droite a gardé en partie son
Fio. 22. — BASE d'une colonne antique dans l'égltse saint-barthélemy. D'après une photographie prise en 1899.
chapelet de perles; sur celle de gauche il a disparu. La première repose sur un soubassement rectangulaire qui mesure 0'",86 de longueur sur 0™, 11 de hauteur; la seconde s'appuie directement sur le sol de l'église. Il paraît bien certain que la plupart de ces fragments antiques proviennent du temple et de ses annexes. L'église chrétienne a succédé au sanctuaire païen .
Discussion d'une hypothèse de Canina. — Malgré toutes les raisons qui militent on faveur de cette opinion, Canina l'a con- testée. Il a émis l'hypothèse que le temple d'Esculape était placé non pas à la pointe sud de l'Ile, mais dans la partie cen- trale, entre l'église actuelle de Saint-Jean-Caljbite et le pont Cestius'. Il s'appuie sur le texte d'Ovide cité plus haut et sur
1. Cani.\a, Sul lempio di Giove tipIV isola tiberina, dans le Bullett. deW Inslit. archeoL, 1854, p. xxxviii. — Sur l'un des deux plans restaurés de l'île tibé-
LE TEMPLE D ESCULAPE ET SES DÉPENDANCES 187
quelques mots d'un érudit de la Renaissance, Mazocchi. D'après Ovide, le temple d'Esculape ^t celui de Jupiter se trouvaient à côté l'un de l'autre, ils étaient reliés l'un à l'autre, cepit locua
nmts îitrumqtie juncta templa. Or une inscription sur
mosaïque dédiée à Jupiter Jurarius, qu'on a découverte en 1854 dans les fondations des dépendances de Saint-Jean-Calybite, un peu à l'ouest de l'église, nous renseigne sur la véritable position de l'un de ces deux édifices^; elle nous fait connaître par cela même la position du second, qui, on le sait, lui était contigu. C'est au centre de l'île, sur la même ligne, au nord de la via inter duos pontes, qu'Esculape et Jupiter avaient dans l'anti- quité leurs demeures ; celui-ci était plus rapproché du pont Fabricius, celui-là du pont Cestius. La plupart des compilations épigraphiques des xv" et xvi^ siècles affirment qu'une inscrip- tion relative au culte du dieu de la médecine a été trouvée devant l'église Saint-Barthélémy. Mais Mazocchi, le plus an- cien des auteurs qui la rapportent, déclare simplement, sans parler de l'église, qu'il a vu l'inscription in domo D. Marci de insula-. Ces mots ne signifient pas : dans l'église de Saint-Marc de insîfla; il n'y a jamais eu d'église de ce nom. Il faut tra- duire : dans la maison d'un certain Marc deWisola. Mazocchi parle de ce texte en terminant sa description de l'île tibérine, immédiatement avant de s'occuper du Transtévère. Marc deir isola habitait donc à l'ouest de l'île, auprès du pont Ces- tius, par lequel on passait sur la rive droite du Tibre. La place de l'inscription indique celle du temple auquel elle appar- tenait primitivement.
Aux deux arguments qu'avait fait valoir Canina, Preller, qui adopte son hypothèse, en ajoute un troisième''. On a recueilli, en 1854, auprès de Saint-Jean-Calybite et de la mosaïque de Jupiter Jurarius, des ex-voto en terre cuite représentant diverses
rine qu'a donnés Canixa, Architettura antica, t. III, pi. CVIII (Voir plus loin, p. 323), le temple d'Esculape occupe exactement le centre de l'île, et le temple de Jupiter, la pointe d'aval : hypothèses que contredisent tous les textes littéraires et épigraphiques. Sur l'autre plan restauré, gli Edifizi di Roma antica, t. IV, pi. CGXLI (Voir plus loin, p. 325), Canina a tenu compte des découvertes de 1834 : il place encore le temple d'Esculape au centre de l'ile, mais ceux, plus petits, de Jupiter et de Faunus lui sont contigus, le premier du côté de la rive gauche du Tibre, le second du côté de la rive droite; tous les trois ont la même orientation.
1. G. I. L., I, 1" éd., 1105, et VI, 379. — Cf. plus loin, p. 236.
2. Mazocchi, cité au C. I. L., VI, 7.
3. Preller-Jordan, Rœm. MythoL, t. II, p. 242, note.
i88 LE SANCTUAIRE D ESCDLAPE
parties du corps humain ; les anciens avaient l'habitude d'offrir ces objets à Esculape en reconnaissance des guérisons qu'il leur avait procurées ; le sanctuaire du dieu de la médecine doit être cherché, par conséquent, aux environs de Saint-Jean-Ca- lybite.
"Mais on peut objecter à Preller que les favissse des temples, où l'on déposait les ex-voto hors d'usage, en étaient quelque- fois assez éloignées. L'édifice principal pouvait fort bien se trouver au sud de l'ile et un dépôt d'ex-voto au centre. Qui nous dit, d'ailleurs, que les petits objets de Saint-Jean-Caly- bite n'ont pas été consacrés à Jupiter lui-même, qui avait un monument à cet endroit'? Les raisonnements de Canina ne sont pas non plus convaincants. On ne sait rien de cette domus D. Marci que nomme Mazocchi, sinon qu'elle était située dans l'île. En admettant même qu'elle fût voisine du pont Cestius, ce qui n'est pas \ rouvé, l'inscription qu'on y conservait a pu être découverte à quelque distance et portée ensuite dans la maison. On n'a pas le droit de construire toute une théorie sur une base si fragile. D'autre part, Canina interprète trop étroite- ment les vers d'Ovide; il ne faut pas en conclure que les temples d'Esculape et de Jupiter se touchaient ; les mots locus unus ne désignent que l'île tibérine elle-même, dont le terri- toire renfermait à la fois les demeures de Jupiter et d'Esculape ; les mots jiincta templa font allusion, semble-t-il, aux por- tiques qui encadraient les sanctuaires et les reliaient en effet l'un à l'autre. L'hypothèse aventureuse de Canina n'est pas admissible. Il n'y avait point place entre les deux ponts pour deux grands édifices juxtaposés. L'opinion traditionnelle est seule vraisemblable. Si le temple de Jupiter, comme l'ont montré les fouilles de 1854, était au centre de l'île, près de Saint-Jean-Calybite, celui d'Esculape, ainsi qu'en témoignent les inscriptions trouvées aux abords de Saint-Barthélomy et les débris antiques conservés dans l'église, s'élevait plus au sud, vers la pointe d'aval.
Orientation. — Le temple d'Esculape devait avoir dans l'an- tiquité la même orientation que l'église moderne qui l'a rem- placé. La façade était donc tournée vers le nord, comme l'est maintenant le portique de Saint-Barthélémy. La disposition
1. Cf. plus loin, p. 261."
LE TEMPLE D ESCULAPE ET SES DÉPENDANCES 189
générale du terrain ne permettait aucune autre orientation. Il n'était pas possible que le temple eût sa façade du côté opposé, c'est-à-dire au sud. Les fidèles venus de la ville par le pont Fabricius et du Transtévère par le pont Cestius n'au- raient aperçu devant eux, à leur arrivée, que le mur de fond de la cella. Il n'était pas possible non plus que le sanc- tuaire fût orienté de Test à l'ouest ou de l'ouest à l'est. L'île tibérine n'avait pas assez de largeur dans ce sens pour que le temple et toutes les constructions secondaires qui l'entouraient pussent s'y développer. Les Romains la compa- raient à un navire qui remontait le fleuve. Nulle place ne convenait mieux à Esculape que celle du pilote, à l'arrière, regardant l'amont ^
Le temple sous la République. — On connaît mal l'histoire du temple et de ses transformations successives. Une inscription mutilée, découverte à la Renaissance devant l'église Saint- Barthélemy, est ainsi conçue- :
...A.L...S L[uciï) f{iliu!i) Flaccus \ aid{ilei>) d[e) stipe .4^scii- lapi I facmnduni locavere \ eidem pr{œtores) probavere .
D'après l'apparence des lettres et les formes orthographiques ce texte remonte aux derniers temps de la République. Il se rapporte, selon toute vraisemblance, à une réfection partielle du monument. Les édiles, parmi lesquels était un personnage portant le cognomen deFlaccus^, ont fait entreprendre le tra- vail, que plus tard en qualité de préteurs, ils ont reçu et approuvé. Il arrivait souvent qu'un préteur eût à recevoir un travail dont il avait lui-même, auparavant, pendant son édilité, prescrit l'exécution. C'est ainsi qu'en 560/194, Cn. Domitius Ahenobarbus, préteur, dédia dans l'île tibérine un temple de Faunus, commencé en 558/196, ce môme Cn. Domitius Aheno- barbus étant édile ^. La réfection eut lieu de stipe JEscidapii; le mot stips a dans le langage religieux un sens très précis ; il désigne l'argent offert aux dieux par une collecte des fidèles,
1. NissEN, Veher Tempel-Orientirung , dans le Rheinisches Muséum, t. XXVIII, 1873, p. o47, et t. XXIX, 1874, p. 392. '
2. G. I. L., VI, 7.
3. On a proposé de restituer au début de la première ligne le nomen [V]al[eriu]s. Mais il y a dans le texte, entre TA et l'L, un point très visible et un espace vide (G. 1. L., VI, 7J.
4. Cf. ci-dessous, p. 189.
190 LE SANCTUAIRE D ESCCLAPE
le produit <lc leurs cotisations volontaires'. Le pavement en mosaïque consacré à Jupiter Jurarius avait été placé, lui aussi, aux frais de la caisse du sanctuaire de cette divinité, de
Des peintures décoraient, dès l'époque républicaine, les luurailles des temples romains. Les unes étaient des aMiM( s grecques, enlevées aux monuments des villes conquises cl apportées à Rome comme butin ; elles représentaient des scènes légendaires de la mythologie hellénique. Les autres avaient pour auteurs des artistes travaillant à Rome même et pour les Romains ; on y voyait retracés des épisodes de l'his- toire nationale, des batailles, des sièges de villes*^. Tite-Live raconte qu'en 584/170 le préteur Lucretius orna de tableaux, ramenés de Grèce, le temple d'Esculape''. On a cru quelquefois qu'il voulait parler de celui de l'île tibérine''. Il n'en est rien. Le contexte prouve qu'il est question en ce passage du temple d'Esculape à Antium, Nous avons tout lieu de supposer qu'à maintes reprises des œuvres d'art, prises aux cités vaincues de Grèce ou d'Asie, ont été déposées comme offrandes par les généraux romains dans le sanctuaire de lile, mais les documents littéraires et épigraphiques qui sont parvenus jusqu'à nous n'en disent rien. Varron déclare, en revanche, au VIP livre du de Lingiia latina^ qu'il y avait de son vivant, dans le vieux temple d'Esculape, une peinture sur laquelle étaient figurés des ferentarii^K Cet œdes vêtus .^scidapi ne peut être que le temple de ïinsida tihcrina. Les Romains appelaient ferenhirii des cavaliers armés de traits qu'ils brandissaient comme des
1. DiGEST., L. 16, 27 : Stipendium a slipe appellatum esl, quod per stipes id est modica sera colligatur.
2. Cf. ci-dessous, p. 2i)6.
3. E. CocHBAUD, le lias-relief romain à représentations historiques, Paris, 1899, p. 195.
4. Liv., XLllI, 4 : Crudelius avariusque in Grsecia bellatum et a consule Licinio et a Lucrelio praetore erat. Lucrelium lril)uni plebis altsentem concio- nibus assiduis laceralutnt, cum reipublicœ causa abesse excusaretur : sed tum adeo vicina etiain incrplorata erant. tit is eo lempore in agro suu Antiali esset, aquainque ex manubiis Antium ex flumine Loracinœ duceret. ht opus cenlum triffinla millibus œris locasse dicitur; tubulis quoque pictis ex prœda funum Aisculapii exornavit.
5. Voir, par exemple, Nibiiy, Ro7na anlica, t. Il, p. 664.
6. Vahuo, de Ling. /o/., VII. '.il (à propos d'un vers du Trinummus de Plaute, où se rencontre le mot ferentorius) : Ferentarium a ferendo, id [qund non} est inane ac sine frnctu, aut quod ferenlarii équités Id ilicti qui ea modi habeimnt arma quse ferrenlur ut jaculum. Ihiiuscemodi équités pictos vidi in JEsculapii sede vetere et ferenlarios adscriptos.
LE TEMPLE d'eSCULAPE ET SES DÉPENDANCES 191
javelots. On s étonne de rencontrer cette image guerrière dans un édifice appartenant au dieu pacifique de la médecine. Peut- être avait-elle été placée en ex-voto sur le mur du sanctuaire par un ferenlarina qui devait à Esculape la guérison de ses blessures. D'après Jordan, une peinture sépulcrale, trouvée à Rome en 1877, pourrait nous donner une idée de cette fresque ; elle semble contemporaine de la guerre sociale ; on y distingue une citadelle, des tours, des soldats combattante
Varron a écrit le de Lingua latina avant l'année 711/43; la peinture des ferentarii est donc antérieure à cette date. L'inscription des édiles a été composée pareillement à la fin de la République. Jordan rapproche ces deux faits et remarque que la construction du pont Fabricius fut entreprise vers le même temps, en 692/62^. L'établissement du premier pont de pierre entre l'île et la ville aura coïncidé avec une res- tauration du temple. On a noté précédemment que les sculp- tures du revêtement en pierre de l'île tibérine paraissent devoir être attribuées aussi à cette époque -^
Pendant les guerres civiles du dernier siècle de la Répu- blique il n'est fait dans les textes qu'une seule allusion au temple d'Esculape. En 711/43, après l'entrée des triumvirs dans Rome, des prodiges menaçants se manifestèrent : les enseignes des troupes qui gardaient la ville se couvrirent de toiles d'araignées, on vit des armes s'élever de la terre au ciel et on les entendit retentir bruyamment; pendant les fêtes appelées esculapiennes, des abeilles se réunirent en grand nombre au sommet du temple du dieu médecin; des troupes épaisses de vautours se posèrent sur celui du Génie du peuple et sur celui de la Concorde ^. Les principales fêtes d'Esculape à Rome étaient célébrées dans l'île ; c'est donc en cet endroit que se réunirent les abeilles.
Le temple sous l'Empire. — Une nouvelle restauration eut
1. Joudax, de A^sculapil, Faunl, Vejovis Jovisqiie sncris urbanis, dans les Comment, in hon. Mommseni, p. 3o9. — Cette peinture est reproduite et étudiée pur E. CouuBAUD, op. cit., p. 204. — Cf. \V. IIelbio, Fuhver durcit die Summl. klass. Alt/tert/ium. im Rom, 2" éd., Leipzig, 1899, t. I, p. 420.
2. JoKOAN, loc. cit.
3. Cf. ci-dessus, p. 42.
4. Gass. Dio., XLVI1,2 : Kal èv toïç 'AtrxXriTrtetot; [/.éXio-o-ai è; tyjv axpav 7io),Xal (j-jv£(j-rpâçr|(Tav, vCtté; te èrzi ■zt to"j vew to-j revt'ou toO 6r,[A0"j x al £7:1 tov tt,; '0(Aovoiaî na[X7t)>r,6cï; tSp-j8r,iTav.
102 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
lieu SOUS l'Einpiro, au temps des Antonins. Il y eut alors à Rome et dans tout le monde romain une véritable renaissance du paganisme. Les Antonins s'efforcèrent de ranimer le senti- ment religieux, de remettre en honneur les anciens cultes, de réagir contre l'indifférence et la désaffection qui allaient croissant depuis des siècles'. Leur tentative profita tout parti- culièrement à Esculape. Ils avaient pour lui une vive dévotion. Us comblèrent de présents les villes de Grèce et d'Asie, où étaient situés ses plus célèbres sanctuaires. Ils firent frapper, à Epidaure et à Pergame, des monnaies nouvelles, sur lesquelles il était figuré avec ses attributs traditionnels 2. Des médaillons romains d'Hadrien et de Marc-Aurèle le représentent debout, le bâton à la main, ou bien avec Hygie, le serpent sacré à leurs côtés ^. Marc-Aurèle prétendait avoir vu en songe le dieu de la médecine et tenir de lui des remèdes merveilleux''. L'exemple donné par les empereurs fut partout suivi. Jamais le culte d'Esculape n'avait été aussi florissant. Le rhéteur ^lius Aristide entreprend de longs voyages pour obtenir d'Esculape sa guérison ; il se rend en pèlerinage à ses temples réputés, qu'il visite tous l'un après l'autre''. Le devin Alexandre d'Abonotichos proclame que le dieu de la médecine s'est montré à lui sous la forme d'un dragon à tête humaine, qu'il appelle Glykon et qu'il propose à la vénération publique ^'. A la même époque, un collège funéraire de Rome se place sous l'invocation d'Esculape et d'Hygie'^. Aucun empereur du H* siècle ne s'est intéressé autant qu'Antonin le Pieux à ce culte. Dès avant son avènement il avait fait élever à Epidaure des monuments nouveaux et magnifiques^. Plus tard, il parait s'être occupé spécialement du sanctuaire de l'ile tibérine. Les inscriptions les plus intéressantes que l'on ait découvertes à cet endroit ont été rédigées peut-être pendant son règne ^.
1. Cf. BoissiER, la Religion romaine d'Auguste aux Antonins, Paris, 1814, t. H. •2. Article jEsculapius, par Robioc, dans le Dictionn. des Antiq. de Dakem- BEHO et Saolio, t. I. p. i2a.
3. Fkoiinek les Médaillons romains, p. 33, p. 86.
4. Makc. Auhel., Kt; éauT(5v, 1, 17.
5. 11 a raconté ses voyages dans ses Discours sacrés, 'lepol loyoî, et dans son écrit intitulé El; 'A<Tx/,r,7rtov.
6. Babklo.n, le Faux Prophète Alexandre d'Abonotichos, dans la Revue numis- matique. 1900, p. 1. — Article D/j/.wv dans le Lexicon de Roscher. — Voir le petit traité de Luciax., intitulé Alexander seu pseudomantis.
1. C. 1. L., VI, 10.234 : Lex collegii Aisculapii et Hygise.
8. Pausan., h, 27, 6.
9. Cf. ci-dessous, p. 214.
LE TEMPLE D ESCULAPE ET SES DÉPENDANCES 193
C'est alors aussi que l'on grava et que l'on sculpta les médail- lons et les bas-reliefs commémoratifs de l'arrivée d'Esculapc à ;Rome^ Les bas-reliefs du palais Rondinini faisaient partie d'une suite de grands panneaux décoratifs ; l'édifice dont ils or- naient primitivement les murs, d'après une mode très répandue au 11^ siècle, n'était autre, sans doute, que le temple même de l'île, reconstruit ou réparé par Antonin-.
La statue d'Escu- lape. — Une statue en marbre grec, plus grande que nature, a été trouvée à la Renaissance dans l'Ile tibérine ; on l'a trans- portée dans les jar- dins Farnèse au Pa- latin, et ensuite au musée de Naples, où elle est encore^. C'est une médiocre copie, faite à l'époque im- périale, d'une œuvre grecque. Esculapeest représenté debout , barbu, âgé. Il tient
(le la main droite le fig. 23. — statue d'esculape du musée de naples bâton sacré , sur le- (ciiché Aiinari).
quel s'enroule le ser- pent ; à sa gauche, l'omplialos de Delphes fait allusion à sa
1. Cf. ci-dessus, p. 173.
2. Von Duhn, Bullelt. deU'Instit. aj'cheoL, 1879, p. 7 ; — Mitlheil. des archûol. InstiL, Rœm. Ablh., 1886, p. 167.
3. Real Moseo Bokbo.mco, Naples, 1824-1837, t. IX, pi. XLVII. — Ficoroxi {Ves~
13
194 LE SANCTUAIRE D ESCLLAPE
parenté mythique avec Apollon et aux oracles qu'il rend comme lui. Le visage rappelle le type classique de Jupiter, dont il dérive, mais les cheveux bouclés, au lieu de flotter sur les épaules, sont relevés en partie sur la tête et ceints d'un ban- deau. La barbe est épaisse, la moustache tombante, l'expression de la physionomie majestueuse et froide. Un manteau long, qui forme de larges plis, laisse à nu la poitrine et le bras droit; le bras gauche est caché sous la draperie ; les pieds sont chaus- sés de brodequins. Un grand nombre de statues d'Esculapo debout nous ont été conservées; la plupart d'entre elles res- semblent à celle du musée de Naples et n'en diffèrent que par de légers détails'. Quelquefois le bâton est à la gauche du dieu, et non à sa droite ; quelquefois, il tient dans l'autre main, laissée libre, et non plus dissimulée sous les plis du vêtement, une patère qu'il tend en avant ; l'omphalos ne figure pas tou- jours à côté de lui, mais toujours reparaissent la môme expres- sion, les cheveux bouclés, la barbe épaisse, le bâton, le ser- pent. Toutes ces œuvres ne sont évidemment que les répliques plus ou moins modifiées d'un même original. La plus célèbre statue d'Esculape, assis et trônant, était celle qu'avait faite Thrasj^mède, en or et en ivoire, pour le temple d'Epidaure-; nous ne la connaissons que par les monnaies. Il semble que les statues debout soient inspirées d'une œuvre en marbre, do Phyromakos, qui ornait le temple de Pergame-^ Si le modèle qu'a imité l'auteur de la copie conservée au musée de Naples est ancien, la reproduction, à en juger par son style empâté, la lourdeur des lignes, l'aspect de la barbe et des cheveux, ne date au plus tôt que du ii" siècle de l'ère chrétienne. Elle est contemporaine des médaillons et des bas-reliefs, et témoigne
tigia e rarità di Roma, p. 32) prétend que celte statue avait pour piédestal la base qui porte Tinscription du minisler d'Esculape Probus (C. I. L., VI, 12) (cf. ci- dessous, p. 210); cette base, en effet, a été trouvée, elle aussi, sous la place San Bartolomeo. L'opinion de Ficoroni a été reprise par Casimiho, Memorie isloriche, p. 330, en note; — par Ve.nlti, Descriz. topogr. di Roma, t. 11, p. m, etc. Rien cependant ne nous autorise à l'adopter. L'inscription de Probus et la statue n'ont pas été découvertes en même temps. Le piédestal de la statue devait être de très grandes dimensions.
1. A. LoEWE, de Jlisculapii figura, Strasbourg, 1887; — article Asklepios, par TnB.«MER, dans la Real Encyclopûdie de Pauly-VV'issowa, t. H, 2, p. 1690; — S. Reinach, Répertoire de la statuaire antique, t. I et 11, Index, s. v Asklepios.
2. Pausan., II, 27, 2.
3. Pakofka, Asklepios und die Asklepiaden, dans les Abh. der Berlin. Akad., 1845, p. .■^21.
LE TEMPLE D ESCULAPE ET SES DÉPENDANCES 195
comme eux de la popularité dont jouissait Esculape auj^rès des hommes de cette époque. Il est très probable qu'elle fut exé- cutée sur Tordre d'Antonin le Pieux, pour orner la cella res- taurée par ses soins.
Aspect et décoration du temple. — C'est donc au règne d'Antonin le Pieux qu'il faut se reporter par la pensée pour se représenter dans tout son éclat le sanctuaire de File tibérine. Construit en souvenir et à l'imitation des sanctuaires grecs d'Asklépios, il devait leur ressembler ; il présentait le même aspect, il avait reçu une décoration analogue. Il était, comme eux, de petites dimensions. On a dit justement des Asklépieia que « d'impérieuses nécessités s'y imposaient à l'architecte ; il fallait y ménager de grands espaces vides pour construire les portiques destinés à loger les malades, des cours et des déga- gements pour permettre à la foule des pèlerins de circuler et de se mouvoir à l'aise. Aussi le temple y était-il peu de chose, une simple chapelle contenant la statue du dieu et les offrandes de prix, ou celles dont les dimensions exiguës ne permettaient pas de les exposer en plein air dans le téménos* ». Au pied des marches qui conduisaient à la colonnade du vestibule, s'élevait l'autel oîi l'on sacrifiait solennellement les victimes consacrées. Au fond de la cella se dressait l'image colossale que nous pou- vons voir maintenant au musée de Naples. Les jours de fête, par les portes entr'ouvertes, -on l'apercevait (de loin dans la pénombre, présidant aux cérémonies du culte ; vers elle mon- taient les hymnes des prêtres, les prières des fidèles, l'encens des sacrifices.
Ovide, racontant l'arrivée du serpent d'Epidaure à Rome, nous dit qu'Esculape s'est montré en Grèce aux ambassadeurs romains « tel qu'on le voit d'ordinaire dans son temple, tenant de sa main gauche un bâton noueux et de la droite caressant sa longue barbe- ».
Peut-être le poète fait-il allusion à une statue qu'il a vue dans le temple de l'île tibérine, et qu'aura remplacée au siècle des Antonins celle du musée de Naples. Les mots mêmes qu'il
1. P. Girard, V Asklépieion d'Athènes, Paris, 1881, p. 15.
2. OviD., Metam., XV, 6o4 :
... Qualis in xde Esse solet ; baculumque tenons agreste sinislra Caesariem longae dexlra deducere barbœ.
196 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
emploie paraissent indiquer que ce type iconograpliiquo était assez répandu dans l'antiquité : in œde esse solet. Il est re- marquable que, [tarnii les très nombreuses statues ou statuettes d'Esculape qui nous sont parvenues, aucune ne réponde à la des- cription d'Ovide'. Deux monuments figurés doivent être cités cependant'. Le premier est une peinture de Ponipei. Voici ce qu'en écrivait Millin : « Le centaure Chiron vêtu d'une chlamjde et appuyé sur un bâton donne à Achille, en présence de Pelée, sa leçon de botanique. Pelée est assis et tient un bâton, Achille a des plantes médicinales dans sa main gauche et s'appuie sur la lyre ''. » En réalité, le prétendu Achille n'est autre qu'Apollon, couronné de laurier, vêtu d'une chlamyde, la cithare à la main et l'omphalos près de lui ; le personnage assis estEsculape, chaussé de sandales, la main droite au men- ton, le bâton dans la main gauche'*. Cette fresque représente donc trois divinités médicales : le dieu de la médecine avait pour père Apollon, bienfaisant et guérisseur comme lui-même, et tenait du centaure Chiron les secrets de son art. Le second monument est une monnaie de Pergame, à l'efngie de Faus- tine la Jeune ; on reconnaît au revers « Esculape assis sur un siège à gauche, portant la main droite à sa bouche et tenant de la gaucho son bâton autour duquel est un serpent^». On peut supposer qu'il y avait dans l'Asklépieion de Pergame une statue célèbre qui correspondait exactement à la description d'Ovide ; plusieurs copies de cette œuvre connue auront été portées en Italie ; l'une d'elles décorait, au siècle d'Auguste, le sanctuaire de l'ile tibérine.
Suétone raconte qu'Auguste, pour récompenser de ses soins le médecin Antonius Musa qui l'avait guéri d'une maladie dan- gereuse, lui fit élever par souscription une statue auprès de celle d'Esculape''. Peut-être veut-il dire que l'image du méde- cin d'Auguste avait été placée, elle aussi, in insula. Un marbre du musée du Vatican, trouvé dans un jardin sur le Quirinal,
1. Voir A. LoEWE, Thr.kmek, S. Rei.xacii. opp. citt.
2. lis sont indiqués par Panofka, op. cit., p. 325; — et par Loewe, op. cit., p. 67 et p. 132.
3. MiLLix, Galerie Mythologique, Paris, 1811. t. II, p. 70; pi. CLIll.
4. \V. IlBLBtG, Wandgemulde der vom \esuv verschiltteten Stûdle Campa- iiiens, Leipzig, 1869, p. 54, n* 202.
5. Miox.net, Descr. des médailles antiques grecq. et vom., Supplém., Paris, 1819-1837,1. V, p. 443, n« 1018.
6. Sl'Eto.n., Aug., 59 : Medico Antonio Musas cujus opéra er ancipiti morbo convaluerat, slaluam aère collato juxta signum JEsculapii slatuerunl.
LE TEMPLE D ESCULAPE ET SES DÉPENDANCES 197
passe pour le portrait d'Antonius Musa; il représente un personnage debout auprès de l'omphalos, drapé dans un long manteau et appuyé sur un bâton où s'enroule un serpent; la figure est jeune et imberbe; l'expression très personnelle du visage paraît indiquer qu'il a été sculpté d'après naturel Si l'attribution qu'on a faite de ce monument était exacte, le texte de Suétone ne pourrait intéresser l'île tibérino : c'est sur le Quirinal qu'auraient été situées les statues voisines d'Esculape et d'Antonius Musa. Mais cette attribution même n'est qu'une hypothèse gratuite ; il n'est pas sûr que le marbre du musée du Vatican soit un portrait du médecin d'Auguste ; peut-être n'y faut-il A^oir qu'un Esculape jeune; on sait par Pausanias que Calamis à Corinthe et Scopas à Gortyne avaient donné au dieu de la médecine les traits d'un jeune homme imberbe- ; quelques sculpteurs de l'époque gréco-romaine ne seraient-ils pas restés fidèles à cette tradition? Il est bien vraisemblable qu'Auguste, pour mieux témoigner sa gratitude et son estime à Antonius Musa, aura tenu à placer son image dans cette île tibérine consacrée à l'art médical et où s'opé- raient tant de guérisons merveilleuses.
D'autres statues décoraient le temple. Auprès d'Esculape devaient être figurées, selon l'usage, les divinités qu'on lui associait constamment : son fils Télesphore, sa fille Hygie, rTvisia des Grecs, confondue avec l'antique Salus des Sabins et des Latins -^ Il faut citer aussi les statuettes, en marbre ou en terre cuite, off'ertes par les fidèles. En 1891 on a trouvé dans les débris extraits du Tibre à la drague, près du pont Cestius, une figurine acéphale d'Esculape, en marbre, haute de 0™,17, reposant sur un petit pilastre ovale ; le dieu est debout, enve- loppé de son manteau, la poitrine et le bras droit nus; il tient de la main droite une patère vers laquelle un serpent en- roulé sur son bâton dresse la tête; à côté de son pied gauche se voit l'omphalos^. On a recueilli aussi aux abords de l'île tibérine un grand nombre d'ex-voto en terre cuite ; nous aurons plus loin à y revenir"'. Dans l'antiquité la cella devait
1. W. IIelbig, Fuhrer durch die Samml. klass. Allerlh. im Rom, 2" éd., t. I,p. 7.
2. Pausan., II, 10. 3 ; VIII, 28, 1.
3. Sur les divinités associées à Esculape, voir Preller-Jordan, Roem. Mythol., t. II, p. 234, die Heilsgiitler.
4. Baknabei, Notiz. d. Scayi, 1891, p. 287.
5. Cf. ci-dessous, p. 232.
198 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
être remplie de petits objets semblables'. Peut-être gardait-on, gravé sur la pierre, le texte de recettes efficaces qu'avait révélées le dieu : c'est ainsi qu'on lisait au seuil du temple d'Asklépios à Cos la formule d'un contre-poison fameux ''. Sur les murs étaient apposées des tablettes de bronze portant des inscriptions votives, — la copie de l'une d'entre elles nous a été conservée^, — des peintures comme l'antique fresque dos ferentarii., des bas-reliefs comme ceux dont proviennent los fragments sculptés du palais Rondinini. De quelque côté enfin qu'on portât ses regards, on ne voyait partout que les témoi- gnages accumulés de l'action bienfaisante du dieu médecin et de la piété reconnaissante des Romains.
Les dépendances du temple. — En Grèce les Asklépieia occupaient un vaste espace ; ils comprenaient diverses parties : « un temple abritait la statue du dieu ; dans le voisinage, des portiques, sortes de galeries couvertes largement aérées, don- naient asile aux hôtes passagers du sanctuaire ; enfin une source fournissait l'eau nécessaire aux traitements élémentaires que le dieu prescrivait à ses malades, aux purifications et aux ablutions des suppliants^». Il faut ajouter que les Asklépieia renfermaient en outre, le plus souvent, un bois où le dieu rendait ses oracles et faisait entendre, la nuit, sa voix prophé- tique. L'Asklépieion le plus célèbre était celui d'Epidaure ; Pausanias en a laissé une description détaillée^, dont les fouilles récentes ont permis de vérifier l'exactitude f*. Tous les éléments
1. Il en était de moine dans les temples d'Asklépios en Grèce : voir les descriptions de Pausanias. — Voici ce que Liv., XLV, 28, disait d'Epidaure, à propos du voyage de Paul Emile en Grèce : Inde haud parem opibus Ëpidau- rumsed inclyfam Aisculapii nobili teinplo, quod quinque niillihus pasmum ab urbe disions nunc vestif/iis revulsorum donorum, tum donis dites erat, quœ remediorum salutarium œffH mercedem sacravernnt deo.
2. Plin., lïist. nat., XX, 24 (99) : Et discessuri ab hortensiis unam composi- tionein ex his clarissimam suhteximus, adversus venenala animalia incisam lapide versibus Coi in aede jEsculapii... Hac theriaca magnus Anliochus rex adversum omnia venena usus tradituv.
3. Cf. ci-dessous, p. 214.
4. P. GiHAïUi, V Asklépieion d'Athènes, p. 5. — Cf. l'article Asklépieion par RoBiou, dans le Dictionn. des Antiq. de Daremberu et Saglio.
5. Pausan., h, 27.
6. Cf. Frazer, trad. anglaise et commentaire de Pausanias, Londres, 1898, t. 111, p. 234; — Cavvadias, les Fouilles d'Epidaure, Xthènes, 1893; — Defrassk et Leciiat, Epidaure, restauration et description, Paris, 1895 ; — le résumé de DiBUL, Excursions archéologiques en Grèce, Paris, 1890, chap. ix, p. 311-333;
LE TEMPLE D ESCULAPE ET SES DÉPENDANCES
199
qui viennent d'être énumérés, temple, portiques, sources, bois, se rencontraient à Epidaure. On les retrouvait à Athènes ^, à Trikka, à Cos, à Sicjone, à Pergame. L'Esculape latin n'était
l''n<. 'J'i. — ini'kkiki;r dI'; i. i.i.i.isk .sai.n i-i; \i; i iii-:i.i-:M v :
MARGELLE DE PUITS ENCASTRÉE DANS LES MARCHES
(D'après une photographie).
qu'une copie de l'Asklépios grec; en passant d'un pays à l'autre le dieu avait gardé tous ses caractères primitifs ; son
— Cavvadias, Tb tÉpov Toy 'A<r/.).r,7no-j èv 'EuiSa-jpw xal -î] 6£pa7C£ta xwv ào-Ôevwv, Athènes, 1900. 1. Cf. P. Girard, op. cil.
200 LE SANCTUAinE D ESCULAPE
sanctuaire non plus n'avait pas un aspect différent à Rome et dans les cités helléniques. L'ile tibérine possédait un véritable Asklépieion imité de la Grèce, et tout particulièrement d'Epi- daure.
Peut-être y avait-il dans l'ile, a cùté du temple d'Esculape, un bois sacré'. Sur le médaillon déjà cité d'Antonin le Pieux, un arbre apparaît à l'arrière-plan, au milieu de plusieurs édifices. Dans le style sj'mbolique et convenu des graveurs anciens, un seul arbre suffit à indiquer la présence d'un bois-.
L'existence des portiques sous lesquels les malades venaient passer la nuit, attendant les révélations mystiques^, est mieux attestée. Tite-Live et Plutarque les mentionnent dans les mêmes termes à peu près '' : le sol de l'ile, formé d'abord par les moissons de Tarquins jetées dans le Tibre, devint par la suite assez ferme, grâce au travail des hommes, pour qu'il pût soutenir dos temples et dos portiques. La place que ces derniers occupaient dans l'antiquité ij'est pas douteuse, la dis- position même du terrain la fait connaître : ils s'étendaient à droite et à gauche et ils allaient en divergeant vers le nord, suivant la ligne des berges.
Il ne reste plus rien ni du bois sacré ni des portiques. Il se pourrait, au contraire, que la source antique fdt' encore en place. D'après Vitruve, il était nécessaire d'élever les temples, et tout spécialement ceux des divinités guérisseuses comme Esculape et Salus, en des lieux salubres et près des sources^. Les Asklépieia répondaient toujours à ces conditions '*. Le bas- relief du palais Rondinini nous montre que le sanctuaire de l'ile tibérine ne faisait pas exception à la règle et qu'il conte- nait une source : elle est figurée, d'après un procédé symho-
i. 0. Gilbert, Gesc/i. tnid Topoqr. d. St.liom, t. III, p. 71.
2. Von Dl'hn, Dhessel, opp. citl. supra p. 1"6, note 1.
3. Em.ml's, Achilles, vers 119 (éd. Millier) :
Namque yEsculapii liberorum saueii opplcnt porticus.
4. Liv., II, 5 : Poslea credo addilas moles manuque adjutum, ut lam emi- nens area firmaque lemplis quoque ac porlibus^uslinendis esset. — Plut., Popl., 8 : ToÔTO vCv vf|«TÔ; èortv ÎEpà xatà Tr,v TtÔAiv ïyzi ôk vaoù; ôewv xal Tztpiizixo'j^.
5. ViTRuv., I, 2 : Naluralis aulem décor sic erit si primum omnibus tempUs saluberrimœ ref/iones aquarumque fontes in his locis idonei eligentur in quibus fana constiluantur, deinde maxime /Esculapio Saluli quorum et eoriim deorum plurimi medicinis segri curari videntur. Cum enim ex pestilenti in salubrem locum corpora aeqra translata fuerint et e fonlibus salubribus aquarum usus subministrabuntur, celerius convalescent.
6. Voir notamment Palsan., 1, 21 et 31 ; II, 26 ; V, 11.
LE TEMPLE d'eSCULAPE ET SES DÉPENDANCES 201
lique bien connu, par une urne renversée, d'où l'eau s'échappe ■et où vient s'abreuver le serpent d'Esculape. Or, dans l'église actuelle de Saint-Barthélémy, devant le maitre-autel, encas- trée dans les marches qui conduisent de la nef principale au chœur surélevé, on voit l'ouverture circulaire d'un puits, maintenant tari. Des sculptures et des inscriptions médiévales décorent la margelle : elles datent du xif siècle, du règne d'Otton III, qui mit sous l'invocation de saint Barthélémy l'édifice d'abord consacré à saint Adalbert. Les sculptures sont réparties en quatre panneaux et représentent quatre person- nages debout : sur le panneau qui regarde vers la nef, le Christ tenant dans la main un livre ouvert ; en arrière, saint Adalbert, revêtu des ornements épiscopaux, saint Barthélémy, ayant à la main un couteau, qui rappelle son martyre, enfin Otton 111, avec le sceptre impérial'. Une inscription gravée au-dessus des tètes des personnages fait tout le tour de la margelle :
■\- Os putei s{an)c[t)i circii[m)dant orbe rotanti. « Les saints entourent en cercle l'orifice du puits, w
Sur le rebord plat de la margelle on distingue quelques lettres d'une autre inscription très effacée, usée, semble-t-il, par le frottement des cordes. M. von Duhn croit qu'on y lisait primi- tivement :
Qui sitit ad fontem veniat potumque sahibrem [h]aitriat ex
vena~...
« Que celui qui a soif vienne à la source puiser une boisson
bienfaisante. »
S'autorisant de la présence d'une urne renversée sur le bas- relief du palais Rondinini, M. von Duhn a émis l'hypothèse ingé- nieuse et très plausible que le puits de l'église chrétienne est l'ancienne source sacrée du temple païen^. Il est bien singulière-
1. Un dessin de ces sculptures a été publié par Casimiro, dans ses Memorie istoi'iche, p. 276. Elles sont décrites, d'après Casimiro, dans la Beschr. d. St. Rom, t. III, p. 570.
2. 11 y a à Rome, à Venise, et dans la plupart des villes d'Italie des bouches de puits du moyen âge ornées de reliefs et d'inscriptions. Les formules qu'on y gravait ressemblent souvent à celle-ci; c'est quelquefois ce verset d'Isaïe : Omnes silienles venite ad aquas ; quelquefois ce texte de saint Jérôme : Quisque sitit veniat cupiens /laurire fluenta, ou d'autres phrases analogues.
3. Von Duhn, Due bassorilievi del palazzo Rondinini, dans les Mittheil. des ai-chàol. Inslit., Rœm. Abt/i., 1886, p. 172.
202 LE SANCTUAIRE D ESCCLAPË
ment placé, an milieu môme des marches, et doit être antérieur à la construction de l'église. 11 était situé dans le temple d'Es- culape ou tout à côté. Lorsque l'on bâtit Saint-Barthélemv, au xii' siècle, on respecta son emplacement. Peut-être de pieuses légendes à son sujet avaient-elles pris naissance dès les pre- miers siècles du christianisme. Peut-être gardait-on la mémoire de martyrs mis à mort, au temps des persécutions, près de la source, ou de reliques qu'on y avait cachées. Ces souvenirs auront assuré sa conservation. Elle fut regardée, au moyen ûge, comme sacrée ; on vint y chercher de nouveau un breu- vage salutaire, jmtinn salubrem. Les chrétiens qui succé- daient aux fidèles du dieu do la médecine avaient hérité de leur respect religieux pour le vieux puits de l'île tibérine et de leur confiance en ses vertus.
CHAPITRE IV
LE CULTE D'ESGULAPE DANS L'ILE TIBÉRINE
Caractères de ce culte. — Le culte que l'on rendait à Escu- lape dans l'île tibérine avait un double caractère : il était grec par ses formes aussi bien que par son origine ; il était inté- ressé et servait à obtenir la guérison des malades.
« De tous les dieux grecs, Asklépios est le seul qui ait eu à Rome un oracle en activité, pourvu de rites grecs, qui étaient comme un fragment de la patrie hellénique incrusté au centre du Latium*. » Il est naturel que parmi tant de divinités importées à Rome, Esculape, introduit tardivement, et qui n'avait pas d'analogue dans la primitive religion italique, ait subi plus qu'aucun autre les influences étrangères. On s'est demandé si les premiers prêtres du temple de l'île tibérine n'étaient pas venus d'outre-mer avec le serpent sacré 2. En tout cas, c'est à la mode hellénique que les Romains adorèrent Esculape. Festus le range an nombre des dieux pérégrins qu'on honorait à Rome selon les rites propres aux peuples de qui on les tenait '^ D'après Valère Maxime, les ambassadeurs qui ramenèrent d'Epidaure le serpent svmbohque s'étaient infor- més auprès des habitants de la façon dont il fallait l'invoquer^. Le grec paraît avoir été officiellement employé dans le sanc-
1. Bouché-Leclercq, Hist. de la divination, t. III, p. 174.
2. AuG. Gauthier, Recherches historiques sur l'exercice de la médecine dans les temples, p. 116.
3. Festus, p. 237 : Quœ ob quasdam religiones per pacem siint petita, ut ex Phrygia Matris Magnœ, ex Grsecia Cereris, Epidauro Aî,sculapi; quse coluntur eorum more a quibus sunt excepta. — Pour les fermes étrangères du culte rendu à la Magna Mater, voir Dionts., II, 19, et Servius, ad Georg., II, 394.
4. Val. Max., I, 8, 2 : Legati cultii anguis a peritis accepto lœti inde solve- runt.
20* LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
tuaire de File'. C'est souvent en cette langue' que sont rédi- gées, à l'époque impériale, les inscriptions de Rome dédiées à Esculape. Dans quelques inscriptions latines mômes, il est désigné sous son nom grec, qu'on ne prend pas la peine de déguiser^'.
En Grèce le culte d'Asklépios était inséparablement lié à l'exercice de la médecine sacerdotale. Les dévots qui fréquen- taient ses temples étaient des malades implorant son interces- sion. Les prêtres s'appliquaient à soulager leurs maux. Inter- prètes des volontés d'Esculape et dépositaires de sa science, ils s'efforçaient de provoquer des cures heureuses. Le dieu passait pour l'auteur des guérisons ; son sanctuaire en recueil- lait tout l'honneur et le profit. Les Asklépieia servaient donc d'hôpitaux en môme temps que de temples : « Avec ses vastes portiques mis à la disposition des malades, avec son prêtre et tout son personnel sacré chargé de recevoir les suppliants et de veiller à leur bien-être, l'Asklépieion nous apparaît comme «n établissement de bienfaisance, fonctionnant sous le regard de la divinité et avec le concours et les encouragements de l'Etat-^. » Il en fut de même à Rome. L'Asklépieion de l'ile tibé- rine était lui aussi une sorte d'hôpital ouvert aux malades, où les prêtres, au nom d'Esculape, pratiquaient la médecine^.
La médecine sacerdotale à Rome. — Il faut avouer que la médecine sacerdotale ne paraît pas avoir été très florissante à Rome. Elle n'y rencontra pas la même faveur qu'en Grèce. Elle avait à lutter contre la concurrence à la fois de cette médecine empirique et grossière dont les Romains se conten- taient avant l'arrivée du serpent d'Epidaure et de la médecine laïque et scientifique que les praticiens grecs apportèrent en Italie dès la fin du m* siècle avant l'ère chrétienne. Le temple modeste de l'île tibérine ne fut jamais aussi célèbre, aussi fré- quenté que les sanctuaires d'Epidaure et de Pergame. Le silence des écrivains latins, qui ne disent rien des guérisons miraculeuses opérées dans l'île, a fait justement supposer que
1. Bouché-Leclercq, 0/). cit., t. III, p. 297.
2. C. I. L., VI, 8 : Asclepio; 13 : deo Sancto Asclep'Jo); 20 : Asclepio et Salitli.
3. I». GiHAiiD, l'Asklépieion d' Athènes, p. 126.
4. Cf. C.-A. B<>:TTifiEK, dei' Aisculapiusdienst auf dev Tiberinsel, dans Sprexgel, Beilruge zur Gesch. der Medicin, Halle, 1794, t. Il, p. 177, — reproduit dans les Kleine Schriften de Boettigbr, Dresde, 1837-1838, t. 1, p. 112.
LE CULTE d'eSCULAPE DANS l'iLE TIBÉRINE 20^
les Romains eurent peu de confiance tout d'abord dans le dieu grec de la médecine ^. L'origine hellénique du culte d'Esculape lui nuisait malgré tout auprès de ce peuple traditionnaliste et routinier, obstinément attaché à ses vieux usages. Au début, sans doute, « l'oracle fut surtout fréquenté par les esclaves et les étrangers, car il est plus facile de décréter l'érection d'un temple que de changer en un instant les habitudes populaires ^ ». Plus tard, lorsqu'on se lassa enfin des recettes anciennes, manifestement insuffisantes et démodées, les médecins grecs offrirent leurs services-'. A cette époque, les hautes classes de la société romaine n'avaient plus une foi assez vive pour être capables de préférer à des méthodes raisonnées les interven- tions surnaturelles d'un dieu; les progrès croissants du scepti- cisme et de l'incrédulité les détournaient de s'adresser à Escu- lape. Dans les premiers temps on se méfiait des médecins grecs; on les blâmait de gagner leur vie en traitant les malades et de faire argent de la santé d'autrui'*. Peu à peu cependant on s'habitua à leurs soins ; ils se rendirent indis- pensables ; les gens riches et instruits n'avaient recours qu'à leur art; les petites gens continuèrent à former seuls la clientèle d'Esculape.
L3 Curculio. — On ne peut citer à l'époque républicaine qu'un texte littéraire oii il soit fait allusion au culte rendu par les Romains à Esculape dans l'ile tibérine. C'est une comé- die de Plaute, le Curculio. La pièce est imitée du grec, mais toute remplie de détails empruntés à la vie journalière des Romains. La scène se passe à Epidaure, devant le temple- d'Asklépios^, En réalité Plaute ne pense qu'à Rome; il oublie sans cesse le cadre fictif de sa comédie; ce sont les mœurs romaines qu'il dépeint, ce sont les goûts et les défauts de ses contemporains qu'il critique. Dans l'une des principales scènes il décrit le Forum romain, qu'il appelle par son nom ; sans- songer à l'invraisemblance de cette digression, il s'attarde à nous énumérer les divers groupes de marchands, de curieux
1. Haser, Gesch. der Medicin, 3° éd., t. I, p. 256.
2. Bouchk-Leclercq, op. cit., t. III, p. 296.
3. Cf. M. Albekt, les Médecins grecs à Rome, chap. i.
4. Plix., Ilist. liât., XXIX, 1,8).
5. Plaxjt., Curculio, 14 :
Hoc ^sculapi fanum'st..
206 LE SÂN'CTUAIRE D ESCDLAPE
et d'oisifs qui encombrent les abords de la place publique, et caractérise en quelques mots les occupations plus ou moins licites de cette foule bigarrée*. De même que cette place pu- blique est le Forum romain, et non pas une agora de la Grèce, de môme aussi le temple d*Esculape dont il est question dans la pièce est un temple de Rome, et non pas celui d'Epidaure. Or le seul sanctuaire romain où dès le temps de Plante on invoquât Esculape était situé dans l'île tibérine. Le Ctirculio nous permet d'affirmer que ce culte, une centaine d'années environ après l'arrivée du serpent sacré, était organisé et célé- bré régulièrement dans l'île. Les Romains le connaissaient bien. Ils n'auraient pas compris la comédie de Plante s'ils n'avaient été au courant des rites et des cérémonies familiers aux prêtres médecins, des nuits passées dans le temple et sous les por- tiques, des remèdes prescrits par le dieu en songe.
L'un des personnages est un leno qui souffre d'une fièvre violente et d'un gonflement du bas-ventre ; il se rend le soir au sanctuaire ; il n'en sortira que le matin, quand les gardiens rouvriront les portes-. Le dieu se refuse à lui rendre la santé. Le leno de gémir : « Il faut partir, puisque tel est l'avis d'Es- culape ; il méprise mes prières et ne veut pas me guérir ; mes forces diminuent, mes douleurs augmentent. Quand je marche je suis oppressé comme si j'avais une corde autour du corps. On dirait que j'ai deux jumeaux dans le ventre 3. » Le dieu lui est apparu en rêve^, mais sans vouloir s'approcher de lui, sans même prendre garde à son encombrante personne ^. De
1. Plaut., op. cit., 470.
2. Plaut., op. cit., 61 :
Id eo fit, quia lono spgrotus incubât In ^sculapi fano.
3. Plalt., op. cit., 216 :
Migrare certiimst nunc jam ex fano foras Quando j£8culapi ita sentio sententiam, Ut qui me nihili faciat nec salvum vclit. Valeludo deTescit, adcrcscit labor. Nam jam quasi zona bene cinctus ambulo : Geminos in ventre habere videor fibos.
4. Plaut., op. cit., 246 :
Potin conjecturam facero, si narrera tibi Hac nocte quod ego somniavi dormiens.
5. Plaut.. op. fi7.,260 :
Hac nocte in somnis vigus sum tuericr Procul sedere longe a me .Esculapiom Nequc eum ad me adirc neque me roagni pondère Visumst.
LE CULTE D ESCCLAPE DANS L ILE TIBÉRINE 207
ces différents passages du Curculio peut-être a-t-on le droit de conclure d'abord que Plante et les Romains en général n'avaient pas grande confiance dans les cures d'Esculape, et ensuite que le temple du dieu guérisseur avait surtout pour habitués des hommes de peu, comme ce leno^ de race étrangère et de con- dition misérable.
L'exposition des esclaves malades dans l'île tibérine. — Il en était de même encore sous l'Empire. On sait par Suétone que beaucoup de riches Romains exposaient leurs esclaves malades dans l'île tibérine ; ils les confiaient aux bons offices du dieu de la médecine pour se dispenser de les soigner eux-mêmes. Claude décida que ces malheureux seraient libres ; s'ils gué- rissaient, ils ne retomberaient plus sous l'autorité de leurs anciens maîtres ; si les maîtres aimaient mieux les tuer que les exposer, on leur intenterait une accusation pour meurtre'. Dion Cassius confirme cette indication donnée par Suétone. Sans parler de l'île tibérine ni du temple d'Esculape, il dit simplement que Claude, en l'an 800 de Rome, 46 après l'ère chrétienne, décréta que les esclaves malades, abandonnés par leurs maîtres, seraient libres; ce passage de Dion a l'avantage au moins de nous faire connaître la date de l'édit^. Les textes juridiques du Bas-Empire rappellent et confirment les prescrip- tions de Claude. Le titre VIII du livre XI du Digeste énumère les diverses catégories de personnes qui parviennent à la li- berté en dehors de l'aff'ranchissement ; il cite entre autres, d'après Modestinus, qui s'appuyait sur l'édit claudien, l'esclave exposé par son maître pour cause de maladie grave 3. Le titre VI du livre VII du Code de Justinien ne renferme qu'une seule loi, promulguée par Justinien lui-même, sur la perte de la liberté latine et certains moyens de la transformer en droit de cité
1. SuETOx., Claud., 23 : Cum quidam œgra et affecta mancipia in insulam Msculapii tœdio medendi exportèrent, omnes qui exponerentur liberos esse sanxit nec redire in ditionem domini si convaluissent ; quod si quis necare quem mallet quam exponere, csedis crimine teneri.
2. Cass. Dio, LX, 29 : 'EtteiS-^ te ttoàXoI 8o-jXoy; àppworoûvTa; oCiSefJnâ; ôspaTteta; Tiltouv, à),Xà xal éy. tmv olxtôiv èléêa/Aov, £vo[xo8£Ty]<T£ Ttàvraç xoy; iv. Toy xoto'jToy 7t£piY£vo!i£voy; £).£-j6£poy; £lvat.
3. DiGEST., XI, 8 {Qui sine manuinissione ad libertatem perveniunl), loi deuxième (d'après Modestinus, Lib. VI Regularum) : Set^vo quem pro derelicto dorninus ob gravem infirmitalem habuit, ex ediclo divi Claudii compelit libertas.
208 LE SANCTLAIUE D ESCLLAPE
romaine; l'édit daudion y est encore mentionné'. Au titre IV du même livre Justinien avait ordonné une fois de plus que l'esclave malade, exposé par son maître, deviendrait libre et que le maître coupable n'exercerait même plus sur lui le droit de patronat '--
Ces malades abandonnés sont les seuls clients du sanctuaire d'Esculape dans l'île tibérino que nous fassent connaître les textes littéraires de l'époque impériale. L'aristocratie ignorait ou méprisait le temple romain du dieu de la médecine. Au siècle des Antonins, le rhéteur ^lius Aristide, qui parcourut tout le monde gréco-romain pour visiter les sanctuaires célèbres des divinités guérisseuses, et qui s'arrêta à Rome, ne le cite même pas dans ses Discours'K
Les inscriptions. — Les inscriptions suppléent heureusement au silence des écrivains et nous mettent en mesure, à leur défaut, de suivre l'histoire et le développement du culte d'Es- culape à Rome. On a trouvé dans l'île tibérine ou dans le Tibre auprès d'elle un certain nombre de documents épigraphiques, en latin et en grec, de longueur et d'importance variables. Les plus anciens appartiennent au ii* siècle avant l'ère chrétienne, peut-être môme au iii% les plus récents au temps des Antonins. Bien qu'ils ne nous aient transmis les noms d'aucun personnage important, ils sont très intéressants et très i)récieux.
Inscriptions latines archaïques. — Trois inscriptions latines archaïques dédiées à Esculape ont été découvertes, ces der- nières années, dans les débris extraits du Tibre, au cours des travaux de systématisation. Ce sont de petites bases votives, qu'il faut rapporter, d'après l'aspect de lettres, au m* ou au II* siècle avant Jésus-Christ. La première est en pierre
\. CoD. JusTix., VII, 6, loi unique : De lalina liberlate tollenda et per cerlos modos in civitatem romnnam transfusa ; parag. 3 : Sed scimus hoc eliam esse in antiqua lalinale ex edicto divi Clnudii inlvoductum, quod si quis servttm suum œgritudine periclilantem \a] sua dumo publiée ejeceril neque ipse eum procu- rans neque alii eum commendans cum erat ei libéra facultas si non ipse ad ejus curam sufficeret in Xenonem vel quo paierai modo eum adjuvare liujus- modi servus in liberlate lalina antea morabalur : et quem ille morienlem anlea dereliquil, ejus bona ilerum cum morerelur accipiebat. Talis ilaque servus, liberlate necessaria domino eliam nolente re ipsa donatus, fiai illico civis romanus nec addilus iii jura pnlronalus quondam domino reservelur.
2. Cou. Jlstix., VI, 4, 4, paraq. ;j : Servus ser/rolus, nisi ejus curam dominus gérai, fil liber et dominus amillil in eo jus patronalus.
3. Sur les voyages d'Aristide, cf. Bouché-Leclercq, op. cit., t. III, p. 299-307
LE CULTE D ESCULAPE DANS L ILE TIBÉRINE 209
calcaire; elle mesure 0",13 de hauteur sur 0'°,25 de largeur et O",!^ d'épaisseur; elle est percée de trous encore remplis de plomb. On y lit* :
Aiscolapio dono[m) \ L[iiciiis) Albanius K[œsonis) f[iliiis) dédit.
La seconde est en travertin ; sa hauteur est de 0'",26, sa largeur est do O^jl^, son épaisseur de 0°',09~ :
J^scolapio I donom dat \ liibens merito \ M[arco)PopidiciQ M[arcï) f[ilio).
La troisième, en travertin également, a une hauteur de O'^jlô et une largeur de 0",103 :
...ius Vel... I donum dat \ Aiscolapio merito \ liibens.
Ces inscriptions étaient placées à l'origine dans le sanc- tuaire de l'île tibérine. En même temps qu'elles on a retrouvé dans les débris retirés du Tibre d'autres inscriptions archaïques consacrées à diverses divinités dont les temples étaient voi- sins aussi du fleuve ; la plus importante et la plus ancienne est une dédicace à Hercule'' :
M. C. Pomplio No. f. \ dedron \ Hercole^ pour :
M[arcits et)C[aius)Pomp[i)liiisNo[vii) f[ilii) j ded{e)run{t) Hercidi.
Elle remonte au vi* ou au iif siècle avant l'ère chrétienne et provient sans doute du Faniim Hercidis, situé au Formn boa- rium, en face de Fîle tibérine. Sur les bases offertes à Escu- lape reposaient primitivement des statuettes, que les trous remplis de plomb, visibles à la partie supérieure de l'une d'entre elles, servaient à sceller ; c'étaient des ex-voto donnés au dieu de la médecine par des fidèles reconnaissants. Deux fois, le nom d'Esculape est écrit Aiscolapio. On n'avait encore jamais rencontré cette orthographe. Elle atteste, ainsi que la forme des lettres, des L surtout, et certaines désinences des nominatifs et des accusatifs l'antiquité de ces petits monuments.
1. Vaglieri, Notiz. d. Scavi, 1890, p. 33; — Bullelt. Comun., 1892, p. 75 ; — — AuDOLLEXT, Bullet. archéol. de la relig. rom., dans la Rev. de Vhist. des relig., 1891,t. XXIV, p. 6a.
2. Notiz. d. Scavi, 1892, p. 267 ; — Huelsen, Jahresberieht, dans les Mittheil des archdol. Instit., Rœm. Abth., 1893, p. 319.
:?. Notiz d. Savi, 1892, p. 410; — Huelsen, loc. cit. — Audollent, op. cit., 1893, t. XXVllI, p. 148.
4. Notiz d. Scavi, 1890, p. 33; — Bullett. Comun., 1892, p. 73; — Audollent, op. cit., 1891, t. XXIV, p. 63.
14
210 Li: SANCTUAIRE D ESCULAPE
Inscriptions latines postérieures. — On a cité plus haut uuc inscription, rédigée à l'époque républicaine, qui mentionne une restauration ou réparation du temple d'Esculape exécutée ilr stipe .Esculapi, avec l'argent des collectes faites parmi les croyants*. C'est le seul document conservé qui intéresse le trésor du temple.
Dans un texte trouvé pendant les fouilles de l'année 1670 sur la place Saint-Barthélemv, devant l'église, un minuter d'Esculape est nommé. Les miiiistri appartenaient à la classe servile ; ils assistaient les prêtres ; ils veillaient aux détails des cérémonies du culte et à l'entretien des temples. Celui-ci s'appelait Probus ; il était l'esclave d'un certain M. Fictorius Faustus. Au moment où il offrit à Esculape l'ex-voto qu'ac- compagnait l'inscription, il était âgé de trente et un ans et exerçait les fonctions de minister pour la seconde fois- :
Aisciilapio \ Augusto sacrum \ Probus M{arci) Fictori Fausti [servus) minister iterum anni XXXI.
Deux inscriptions funéraires de Rome concernent des prêtres d'Esculape, sacerdotes ^^sculapi ; peut-être le temple qu'ils desservaient était-il celui de l'île tibérine. On ignore la provenance du premier de ces textes ; il n'est connu que par une copie de la Renaissance ^ :
L[ucio) Plœtorio L[ucii) f{ilio) Claudia [tribu) Sahino | saccrd{oti) .^sculapi vix{it) ann[is) LXXV | M(arcus) Plœto- rius Numisianus Sabinus \ f[€cit) c[îtravit).
Le second, très mutilé, a été découvert en 1853, dans le cimetière des Saints-Nérée-et-Achillée, sur la voie Ardéatine, où il n'avait été transporté, très probablement, qu'à une époque tardive, pour être utilisé dans quelque construction '* :
D{is) m[anibus) \ ... nus qui etmuner... \ \sacerd\os Ascu- lapi se vi[vo fecit sibi et] | [libert]is libertabusq[ue posterisque eorum] .
Il convient enfin de transcrire ici une inscription de l'époque impériale qui paraît se rapporter au culte d'Esculape. C'est encore la dédicace d'un ex-voto ; elle est faite par un affran- chi, dont le nom, Séleucus, indique probablement une origine gréco-orientale. La divinité à laquelle s'adressait l'offrande
1. C. I. L., VI, 7 ; — cf. ci-dessus, p. 189.
2. C. I. L., VI, 12.
3. C. I. L., VI, 2230.
4. C. I. L., VI, 2231.
LE CULTli d'eSCLLAPE DANS l'iLE TIBÉRINE 21 1
n'est pas nommée. Mazocchi a copié ce document dans l'ile tibérine ; il était conservé de son temps au monastère de Saint- Jean-Calybite. Cette circonstance, la qualité et peut-être aussi la nationalité du dédicant nous donnent tout lieu de croire que Séleucus était le client et l'obligé d'Esculape ^ :
L[ucius) Licinius C{aiœ) l[ibertus) | Séleucus \ vot[um) \ sol{vit) l[ibens) mlerito).
Le tome VI du Corpus Inscriptionum Latinarum renferme une vingtaine d'inscriptions de Rome relatives au culte du dieu de la médecine-. Trois d'entre elles seulement sont données comme trouvées dans Tile tibérine 3, Mais il est très probable que quelques-unes de celles dont l'origine est inconnue apparte- naient aussi dans l'antiquité au sanctuaire de l'île. Un autel de marbre de la galerie des Candélabres, au musée du Vatican, sur lequel sont représentés quatre serpents symboliques, a été consacré par T. Flavius Antyllus, pour obéir à un songe ^ :
T{itus) Flavius Antyllus \ ex visa Ascl \ epio aram \ conse- cravit.
Sur un cippe de marbre de la galerie lapidaire au Vatican il est dit que P. ^lius Pliiletus s'est acquitté d'un vœu fait à Esculape et à Hygie^ :
.^sculapio I et Hygiœ \ dominis \ P[ublius) Mlius \ Phile- tus I v[otum) s[olvit) laetus) l[ibens) m{erito).
Une autre inscription, très mutilée, de la même galerie a été dédiée par un esclave de la maison impériale^ :
[J^sc]ulap[io] j ... astroi... | ... ius divin... \ [Au\g [usti) n[ostri) ver[na) d[e] \ [su^o feci....
Ce sont toujours des esclaves, comme celui-ci, ou des af- franchis comme T. Flavius Antyllus et P. ^lius Philetus, trahis par leurs noms mêmes, qui invoquent le dieu.
Au centre d'une lamelle de bronze octogonale du musée Kir- cher sont écrits les mots :
JEsculap I io I sac{rum) entourés de signes astronomiques, le soleil, le scorpion, le cancer, le poisson'^ ; cette lamelle est un ex-voto, un dona-
1. |
C. I. L., |
, VI, 841. |
2. |
C. I. L., |
VI, 1-20, 841 (?), 2230,2231. |
•i. |
C. I. L., |
VI, 7, 12, 841. |
4. |
C. I. L. |
, VI, 8. |
5. |
C. I. L. |
, VI, 17. |
6. |
C. I. L., |
VI, 15 |
7. |
C. I. L., |
, VI, 1. |
2i2 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
rimn; peut-être provient-elle, de même que la plupart des donaria romains d'Esculape, de Tlle tibérine ou du lit du Tibre.
Inscriptions grecques. — On n'aurait de ce culte à Rome et particulièrement dans l'île tibérine qu'une connaissance incom- plète et très insuffisante si l'on ne tenait pas compte des ins- criptions grecquesen même temps que des inscriptions latines. Les textes les plus importants que nous ayons à citer, les seuls qui nous renseignent sur les méthodes et les procédés de la médecine sacerdotale, sont rédigés en langue hellénique. Ils datent de l'époque impériale. Rome sous l'Empire grécisait. Habitée par une population cosmopolite, où les Romains de vieille souche et les Italiens eux-mêmes n'étaient plus qu'une infime minorité, et oii dominaient les descendants des races vaincues de la Grèce et de l'Orient hellénisé, la civilisation, les mœurs, la langue de ces étrangers l'avaient envahie. Esculape était originaire de Grèce : il paraissait tout naturel qu'on eût recours à la langue de ce pays pour implorer son assistance. Il avait un temple aux environs de Rome, à Tihur ; on a retrouvé plusieurs inscriptions grecques qui proviennent de cet édifice. La principale est due à L. Minucius Natahs, comsul, proconsul de Lybie, augure, légat propréteur d'Auguste en Mœsie inférieure, qui éleva au dieu de la médecine le temple et l'autel Je Tibur, en témoignage de reconnaissance'. L. Minucius Natalis est un personnage connu; il vivait au début du If siècle de l'ère chrétienne; il descendait d'une ancienne famille de l'aristocratie ; d'autres textes épigrajjhiques concernant son père ou lui-même ont été retrouves en divers points du monde romain 2. A Rome, Esculape n'eut jamais de clients aussi illustres. Sur une base découverte auprès des thermes de Trajan est gravée une longue inscription en vers, un pœan en l'honneur d'Esculape ; il y est dit que le médecin Nicomède, natif de Smyrne, a off'ert au dieu et placé dans le temple qu'il possédait à cet endroit une statue faite par Boé- thos^. Ce texte est du if ou du m* siècle de l'ère chrétienne;
1. C. I. Gr., r)977; — Kaibbl, Inscr. grecœ Ilallœ, 1125.
2. Klebs-Roiiden-Dessal, Proso/3o.7/Y/;)/urt imperii romani, t. II, p. 379., — Cf. BouGHESi, Œuvres, t. YIII, p. 46 ; — Hkn/e.\, dans les Annal, deirinstit. urcheol. 184'J, p. 22.3;— IIublse.n, Iscrizione di L. Minucio Salale, dans les Mittheil. des archaol. Inst., Rœm. Abth., 1888, p. 84.
3. C. I. Gk., 5974; — Kaibel, op. cit., 967.
LE CULTE d'eSCLLAPE DANS l'iLE TIBÉRINE 213
il témoigne que la médecine laïque et la médecine sacerdotale vivaient alors en bon accord et que les successeurs des Asklépiades reconnaissaient toujours Esculape comme leur pa- tron et leur protecteur. Nicomède était un étranger. M. Ulpius Eriphus, qui offrit au dieu un ex-voto dont la dédicace est parvenue jusqu'à nous, était un affranchi impérial ^ ; le nomen Ulpius nous reporte à l'époque des Antonins ; on ne sait d'où vient cette inscription ; peut-être avait-elle été déposée primi- tivement dans l'île tibérine.
M. Lanciani a donné au musée municipal du Cœlius, en 1896, une petite base de marbre, de 0™,23 sur 0'°,'I3, qui porte à sa face antérieure une inscription grecque ; quelques lettres sont effacées, mais il est aisé de les restituer^ :
'A](jy,A-/;7:iû ^^[w] | ^.t^(ic-iù [(7]a)T7î[pi] | £j[£Jpy£Ty; * ov/.o[v] | (77:)vY)vbç <7a)0£'ç I «7:0 aûv y^tpwv, j ou -rôoe 3[îY][ji,a àp | [yjûpeov, £j)rapi7-[r, I p]tcv 0£à) N[£ox]a[pY;(; | 2]£6aa-o[î; à'7:£X£'J | 0]£pcç 'IouXtav[ôç].
« A Asklépios, dieu très grand, sauveur, bienfaiteur ; sauvé par tes mains d'une tumeur de la rate, dont voici le modèle en argent, en signe de remerciement au dieu ; Néo- charès Julianus, affranchi impérial (sous-entendu : àv£6rjy.£, a offert). »
La provenance de ce marbre est inconnue, mais il est très vraisemblable qu'il a été retiré du lit du Tibre et qu'il était placé primitivement dans le sanctuaire d'Esculape m insula. Comme les petites pierres sur lesquelles sont gravées les ins- criptions latines archaïques rapportées plus haut, c'est la base d'un ex-voto; on voit à la partie supérieure une cavité rectan- gulaire, dans laquelle s'encadrait sans doute un support en métal. L'inscription nous fait savoir que l'objet supporté par cette base était une image de l'organe que le dieu avait guéri. Le dédicant est un Grec, un affranchi de la maison impériale. Le nom de Julianus et la formule des lettres permettent d'at- tribuer ce texte aux premiers temps de l'Empire, au règne d'Auguste probablement.
Dans aucune inscription latine, ni de Rome, ni d'ailleurs, les cures merveilleuses qu'opérait Esculape ne sont racontées. L'épigraphie grecque au contraire nous en a conservé plusieurs
1. C. I. Gr., 5978. — Il convient d'ajouter que, d'après Kaibel, op. cit., 90*, cette inscription serait fausse et imaginée par Ligorio.
2. Publiée avec commentaire par Gigli, Bullelt. Comun., 1896, p. 174.
214 LE SANCTL'AIRE D ESCULAPE
descriptions minutieuses; la plus anciennement connue pro- vient précisément de Rome, et du sanctuaire de Tile tibérine. Une plaque de marbre de grandes dimensions, découverte à la Renaissance et maintenant perdue, contenait la relation très détaillée do quatre guérisons obtenues par rintorvention du dieu médecin. On la connaît par des copies. Le texte, tel qu'il nous a été transmis, n'est pus complet. La plaque était brisée en haut et à droite; sur la droite on lisait, à la hauteur de la onzième ligne les lettres ANN, à la hauteur de la treizième, les lettres EN : c'était le conimencemont du récit d'autres guérisons analogues. D'après Métellus cette plaque de marbre se trouvait autrefois dans le temple d'Esculape de l'ile tibérine^ 11 n'y a pas lieu de contester cette assertion. Nul endroit ne convenait mieux dans l'antiquité à l'exposition d'un pareil document que le plus célèbre des sanctuaires romains du dieu médecin. D'autre part, on sait que l'inscrip- tion fut déposée à un moment donné dans le palais des Faruèse ; or les princes de cette famille avaient fait exécuter des travaux importants dans l'île, qui était leur propriété ; on doit à leurs fouilles la grande statue d'Esculape du musée de Naples ; il est probable que l'inscription a la même origine. Les érudits qui l'ont vue assurent que les lettres étaient inégales et mal faites, la paléographie très médiocre 2. Un empereur, Antonin, peut-être Antonin le Pieux, peut-être et plus probablement Caracalla, ainsi désigné le pins souvent dans les documents officiels, est nommé à la sixième ligne ^ :
te I pbv H^p.a y.ai zpcr/.'jvficai. £l[-]a àrch tcj cecisj èXOeiv kr.\ -zl àpioTspbv I xai ôetvai toùç irévre SaxxuXouç èi:dcv(i> Tcy ^T^i^aTsç xal apai tt;v ytl \ px xal èziOsïvai £::• tcj; '.S'Icuç èç0aA[ji.sjç, xal cpObv àviêXî'ic T3J I 2r,p.s'j TzapîjTWTC? xal Guvyxipo[>.ivo'j, 'z~i çwaai àpîTal SYévovTs £t:i | toO SsêaaToO t;[xwv 'Avc'lwJvsivcu.
Asuxtw TzXsupstTtxw xal à9Y;AT:tŒp.^v(p Oxb xavToç àvOpw7:cj kyipT,^- {AaTi I ff£v 5 Oeoç èaOeîv xai èx -où ':pi6w|j.ou apai Tcçpav xal \).z-' cïvcu àva I çupaaai xal iziGîîvaiè-iTb TTÀEupbv, xal Èaciôt] xal ST^SAcaia T/j-/ap((7xr<Œ£v I Toi 6£à) xal s sfJixoç a'j^zyipr, aÙTw.
1. Metellis, Codex Valicanus 6039, f* 295; 6040, {' 30 (cité par Ditten- berger).
2. Meteluus, ibid., cité par Kaibcl : Litleris ineptis et inœqualibus niultoque quam nos ejpressimus mconditioribus.
3. C. 1. Gr., 5980 ; — Raibbl, op. cit., 966 ; — Dittenbbhger, Sylloge inscrip- lionum grsecarum, 2* éd., Leipzig, 1898, t. II, n" 807.
LE CULTE d'eSCULAPE DANS l'iLE TIBÉRINE 215
AT|JLa àvaçspcvTi 'louXtavo) oc<fr,X'r:ia\).iviù û-b TzavToç àvôptoTccu £^pY;a[j.â I Tiasv 5 Gîbç èXôîtv xal £/, tcQ Tpi6w[ji.oy «pat y.ixxouç cTpc- 60.01) y.al | çaysiv [ji.£-:à piÀixoç à-î -psîç Yjjxépx;;, xal èA6ô)v SY][ji.offta I r;j)rap{!jTY;acV è'fx-poaOâv tcj or^iJ-cu.
OjaAspttp "ATcpw axpaTKJTY; tuçXo) £;(pY5[J.à-i(7SV ô 6ebç eXôîïv y.al Xa6£tv aTixa | kç, xkev.-pjovoq À£'jy.0J {ji.£Tà [liXixoç xaî y.c).À'Jpicv cuvTpï'i/ai y.al £t:' | Tp£i^ ir;[J.£'paç £7:r/p£taai èz: tcÙç cç8aX{ji.cyç y.al àv£6X£'i£v y.al èXr/AuOcV | y.al rjj^apiaTYj^îv $Y;|j,ojia tw Ôîw.
« En ces jours, le dieu a rendu un oracle à un aveugle nommé Caius : qu'il se rende à l'autel sacré, qu'il se prosterne devant lui, qu'il aille ensuite de droite à gauche et pose les cinq doigts sur l'autel ; puis qu'il enlève sa main et la mette sur ses yeux. Et il a vu, en présence de la foule qui le félici- tait. Ces grands prodiges ont eu lieu sous notre empereur Antonin.
« Lucius était affecté d'une douleur au côté ; tout le monde en désespérait; le dieu lui rendit un oracle : qu'il vienne, qu'il prenne sur l'autel de la cendre, qu'il la mêle avec du vin et l'applique sur son côté. Et il guérit, et il rendit publiquement grâces au dieu, et la foule le félicita.
« Julianus perdait du sang ; tout le monde en désespérait ; le dieu lui rendit un oracle : qu'il vienne, qu'il prenne sur l'autel des pommes de pin, qu'il les mange pendant trois jours, mêlées avec du miel. Et il guérit, et il rendit publiquement grâces au dieu devant la foule.
« Yalerius Aper, soldat, était aveugle; le dieu lui rendit un oracle : qu'il vienne, qu'il prenne le sang d'un coq blanc et le mêle à du miel ; qu'il en fasse un collyre et le mette pen- dant trois jours sur ses yeux. Et il a vu, et il est venu rendre publiquement grâces au dieu. »
Cette curieuse inscription a été souvent étudiée et commen- tée, depuis Hundertmark, dans son grand ouvrage sur l'expo- sition des malades dans les temples antiques ', jusqu'à M. Deubner, dans son récent mémoire sur l'incubation-.
Les quatre petits récits qu'elle renferme sont faits tous sur le même plan et d'après le même modèle. Ils comprennent chacun trois parties, qui se succèdent dans un ordre invariable et où reparaissent sans cesse les mêmes mots. En tête sont
1. ]ivst>t:nTîi\KK,deIncremenlisarlismedicœpei'œgrotoriun apud veteres in vins publicas et templa exposilionem, Leipzig, 1739.
2. Deubner, de Incubatione, Leipzig, 1900.
216 LE SANCTUAIRE D ESCCLAPE
mentionnés le nom du suppliant et la nature de sa maladie, puis l'oracle rendu par Esculape et les remèdes qu'il a pres- crits, enfin la guérison et les remerciements adressés au dieu devant la foule des fidèles. 11 faut remarquer l'insistance que mettent les auteurs du texte à rappeler que les miraculés ont manifesté publiquement, ir,^o<:ioc, £[x~psuO=v tcu 5r,jj.5u, tsD cT((;,cj zap£(rrà)T5;, leur reconnaissance à Esculape : ces prodiges ont eu lieu devant témoins ; ils ne peuvent être contestés. La réi)é- tition constante des mêmes expressions dans le même ordre nous montre que les prêtres avaient adopté pour la rédaction de ces documents une formule convenue et consacrée ; on était obligé d'en reproduire la teneur générale, en modifiant seule- ment à chaque fois l'indication des circonstances particulières de la cure.
Les quatre personnages dont l'inscription nous fait con- naître les noms, les maladies et la guérison étaient, comme l'affranchi impérial Néocharès Julianus, des gens d'humble condition. Les deux premiers, Caius et Lucius, ne sont dési- gnés que par un prénom. Le nom du troisième, Julianus, est un cognomen très fréquent parmi les esclaves ou les affranchis de la maison impériale ; il atteste que cet homme a appartenu à un propriétaire appelé Julius, qui l'a ensuite vendu, donné ou transmis par héritage. Le quatrième, Valerius Aper, est qua- lifié de (jTpaTuoTY;;. Un certain nombre d'inscriptions latines de Rome ont été dédiées à Esculape par des soldats*. 11 ne faut pas s'étonner de la popularité dont il jouissait à l'armée 2. On est plus exposé dans ce métier que dans aucun autre k avoir besoin de ses soins. D'autre part, beaucoup de soldats, même dans les cohortes prétoriennes à partir du règne de Septime Sévère, venaient de pavs étrangers, de Grèce ou d'Orient, où la religion du dieu médecin était très répandue. Le texte le plus caractéristique à cet égard a été découvert dans le quar- tier de Macao, sur l'emplacement des Castra prsetoria ; c'est une dédicace offerte sous le règne de Gordien, « à la divinité du saint dieu Esculape Sindrina, de la région de Philippopolis, par Aurelius Mucianus, son prêtre, soldat de la deuxième
1. C. I. L., VI, 2, 9, 13, 14, 16, 19, 20;— Bullell. Comun., 1886, p. 139.
2. Sur le culte d'Esculape à l'armée, cf. vox Domaszewski, die Religion des rômischen Heeres, dans la Westdeutsche Zeilschrift, t. XIV, et à part, Trêves, 1893.
LE CULTE D ESCULAPE DANS L ILE TIBÉRINE 217
cohorte prétorienne*». Le sanctuaire de l'île tibérine, où Caius, Lucius, Julianus et Valerius Aper étaient venus chercher la santé, n'attirait donc, sous l'Empire même et à l'époque de sa plus grande prospérité, que des hommes des basses classes de la société romaine. Les riches pouvaient se payer le luxe de faire appel aux lumières des médecins grecs, que souvent ils avaient à leur service dans leurs propres maisons, comme esclaves ou comme affranchis. Les pauvres, au contraire, n'avaient d'autre ressource que de recourir aux Asklépieia. Ils croyaient encore à la vertu magique des traitements qu'on y ordonnait. La superstition, jointe à cet invincible besoin d'espérance et de confiance qui abandonne si rarement les malades, assurait auprès d'eux le succès du culte d'Esculape.
Les tablettes votives dans les Asklépieia. — L'usage de consi- gner par écrit le récit des guérisons obtenues et de faire hom- mage de ces documents au dieu dans son sanctuaire parait avoir été généralement connu et pratiqué dans l'antiquité. La légende des Quatre saints couronnés rapporte que Dioclétien fit élever à Rome un temple et une statue d'Esculape et qu'il ordonna ensuite de graver sur des lamelles de bronze la rela- tion de toutes les cures qui s'effectueraient à cet endroit'-. Ce texte hagiographique est très suspect; on ne sait rien de l'édifice dont il parle ; il prouve du moins que les Romains étaient habitués à voir et à lire de pareilles tablettes votives et que la grande inscription de l'île tibérine, consacrée au dieu guérisseur par ses chents reconnaissants, n'était pas à Rome unique en son genre.
C'est aux Grecs que les Romains avaient emprunté la cou- tume de rédiger ces attestations détaillées des cures miracu- leuses et de les exposer aux regards de la foule fidèle. On sait par les écrivains anciens que de pareils récits étaient conser- vés soigneusement dans tous les Asklépieia helléniques. Les prêtres aimaient à les montrer, comme d'authentiques témoi- gnages de la puissance surnaturelle du dieu qu'ils servaient.
1. C. I. L., VI, 16, et Notiz. d. Scavi, 1888, p. 140.
2. Passio quatluor coronatonim (rééditée dans les Sitzungsber, d. Berlin. Akad., t. XLVll, p. 1292) : Quod cum factura f'uisset prœcepit omnes curas in eodem lemplo in prœconius seneas cum caracteribus infigi. — Cf. Le Blant, les Acte'' des Martyrs, dans les Mém. de l'Acad. des Inscr., t. XXX, 1881, p. 261; — A. DuFOLRCQ, Elude sur les Gesta inartyrum romains, p. 36 et p. 143.
218 LE SANCTUAIRE D ESCLLAPE
Les malades les contemplaient avec une pieuse admiration et puisaient dans ce spectacle de solides raisons d'espérer. Stra- bon nous parle des tablettes votives d'Epidaure, de Cos, de Trikka*; Pausanias insiste particulièrement sur les premières^; Pline prétend qu'Hippocrate s'est initié à l'art médical en les lisant, et même en les copiant-*. On peut maintenant les juger à leur vraie valeur. Parmi les inscriptions découvertes au cours des fouilles exécutées depuis vingt ans sur l'emplace- ment de l'antique sanctuaire d'Epidaure se trouvent deux stèles qui portent gravée la relation d'une cinquantaine de guérisons merveilleuses''. Ces textes rappellent, par leur com- position et leur libellé, la grande inscription de l'île tibérine ; il est intéressant de les comparer avec elle. Bien que dune autre époque et d'un autre pays, ils rentrent dans la même catégorie de documents et sont inspirés par le môme esprit :
« Euphranes, enfant d'Epidaure. Cet enfant, qui avait la pierre, s'endormit. Il lui sembla que le dieu, debout devant lui, lui disait : « Que me donneras-tu si je te guéris?» Et il répondit : « Dix osselets. » Et le dieu lui dit, en riant, qu'il mettrait fin à son mal. Le jour venu, il sortit guéri''.
« Alkétasd'Haliké. Cet homme, étant aveugle, eut un songe. Il lui semblait que le dieu, s'approchant de lui, lui ouvrait les yeux avec les doigts, et il voyait pour la première fois les arbres du Hiéron. Le jour venu, il sortit guéri ^'.
« Cleinatas de Thèbes et ses poux. Cet homme, qui avait une quantité énorme de poux sur le corps, vint au Hiéron; il s'endormit et eut une vision ; il lui semblait que le dieu, l'ayant dévêtu et mis tout nu et debout devant lui, prenait un balai
1. Strabo, VIII, p. 374, à Epidaure : Tb îepbv 7r),Tip£; é'xovto; iû -.wv t£ xajivôvTwv xal twv àvaxetjjiivwv Trtvâxwv èv ot; àvaysYpaiAlAÉvat Tuyj^âvo'jaiv at ÔepaTtefat, xaÔiTcep èv K<ô te xal TptxxYi-
2. Pausax., II, 27, 3 : STf,Xat 5k eiorriXEffav èvTÔç toO TtepiêdXoy, tô i«v àpxotîov xal it/iovE;, èTt'âjxoC 6è i$ loiizai. Taû-rai; èYY£Ypa[A[jisva xal àvSpwv xal •(•jwAi/.M^ êoTtv ovéjAata àxeirÔÉvTwv Ottô to-j 'A<Tx),r,7no-j, TtpoTÉTi xal v(5<jr,ji.a o xi exaffTo; èvéTTiTE xal "oirw; ci6r,"YéYpa7rTai 8k çwvf, Tf, AwpîSt.
3. Plix.. Hist. nul., XXIX, 1 (2), cité ci-dessus, p. 139.
4. Elles ont été publiées par Cavvadias, les Fouilles d'Epidaure, p. 24 et suiv., traduites par S. Reixacii, Rev. archéoL, 1884, t. II, p. 77; 1885, t. I, p. 262, et par Defkasse et Lechat, Epidaure, p. 142 et suiv. — Voir aussi : Cavvadias, Tô lÉpov ToO *A<Tx),T,iiio-j èv 'E7ti5a-jp(i) xal r, ÔEpaTreta twv à(r6£và)v ; — Festa, le Guariffioni miracolose nel tempio di Asclepio in Epidauro, dans Atene eRoma, 1900, p. 7.
5. Dbfbasse et Lechat, loc. cit., 1" stèle, guérison n« 8.
6. Obérasse et Lechat, loc. cil., 1" stèle, guérison n» 18.
LE CULTE D ESCDLAPE DANS L ILE TIBÉRINE 219
et lui nettoA-ait le corps de ses poux. Le jour venu, il sortit guéri ^ »
A Epidaure, comme à Rome, les comptes rendus des guéri- sons reproduisent tous la même disposition. Les trois parties que nous avons distinguées dans le récit des cures de Caius et de ses compagnons — nom du malade et de la maladie, pres- criptions d'Esculape, guérison — se rencontrent également ici. Comme à Rome, le dieu soigne les maladies les plus diverses, et toujours avec un plein succès. Mais il faut signaler deux différences importantes entre l'inscription de Vile tibérine et les autres ; elles tiennent à la différence même des lieux et des temps. Les Grecs se sont dispensés d'indiquer à la fin de chaque récit que le miracle a eu lieu publiquement, devant la foule; les Romains, au contraire, n'ont pas manqué de le pro- clamer. C'est que les stèles d'Epidaure remontent au plus beau moment du paganisme hellénique, au iv" siècle avant l'ère chrétienne ; l'inscription de Rome ne date que du milieu du II* siècle après Jésus-Christ ; les contemporains des Antonins étaient moins naïvement croyants que les hommes des siècles antérieurs; ils avaient besoin qu'on leur attestât plus ferme- ment la réalité des prodiges survenus dans les temples ; ils n'y ajoutaient foi que s'ils s'étaient produits devant témoins. D'autre part, en Grèce les manifestations surnaturelles jouent un plus grand rôle dans les guérisons ; sans cesse le dieu de la méde- cine apparaît aux malades ; il converse ou plaisante même avec eux ; il raccommode lui-même les membres démis, il opère les organes malades, il enlève les abcès. A Rome, sur quatre cures mentionnées, une seule à ATai dire peut être qua- lifiée strictement de miraculeuse : au contact de l'autel, l'aveugle Caius a recouvré la vue. Dans les autres cas le dieu s'est borné à rendre un oracle et à prescrire des traitements médicaux, externes ou internes : à Lucius un emplâtre, à Julianus un régime spécial, à Valerius Aper, dont la foi était moins robuste que celle de Caius, ou la cécité plus rebelle, un collyre. L'usage des remèdes préparait et facilitait l'interven- tion d'Esculape et la réussite de la cure. Les Grecs du iv' siècle avant l'ère chrétienne étaient habitués au merveilleux et l'ac- ceptaient sans peine; ils expliquaient par l'action toute-puis- sante des dieux les événements de la vie humaine comme les
1. Defkasse et Leciiat, loc. cit., 2° stèle, guérison n° 28.
220 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
phénomènes delà nature; les apparitions répétées d'Asklépios ne les surprenaient pas. Les Romains avaient moins d'imagina- tion; ils étaient avant tout pratiques et positifs; ils voulaient que leurs prières eussent un effet immédiat et palpable ; peu leur importait qu'on y aidât et qu'un médicament administré à propos secondât l'influence secrète de la divinité.
Les prescriptions d'Esculape. — De tout temps d'ailleurs on avait joint dans les Asklépieia l'exercice de l'art médical à la célébra- tion du culte. Comme on l'a dit avec raison, « l'origine de la méde- cine chez les Grecs était religieuse ; les temples d'Esculape furent les premiers hôpitaux et ses prêtres les premiers médecins* ». D'après le D" Vercoutre, on observait dans les sanctuaires les règles d'une thérapeuthique rationnelle qï scienti/îf/ue •. Il y a là sans doute quelque exagération; il faut se garder d'employer ces mots trop modernes et trop précis pour qualifier Tancienne médecine sacerdotale, où l'empirisme devait tenir assurément plus de place que la science. Mais, au fond, le D"" Ver- coutre n'a pas tout à fait tort. Des faits nombreux et prouvés permettent d'affirmer que les prêtres d'Asklépios n'étaient pas, comme on l'a supposé trop souvent à la légère, de simples charlatans, tout occupés de prestigieuses fantasmagories et de jongleries sans valeur. Ils avaient réellement quelques con- naissances et leur rôle fut, en somme, bienfaisant. Asklépios était le médecin des pauvres ; il ne paraît pas les avoir si mal soignés. Les Asklépieia se trouvaient toujours situés en des lieux salubres et isolés. On y prenait toutes les précautions hygiéniques nécessaires. Non seulement les cadavres ne devaient pas y séjourner, mais encore il était défendu d'y laisser mourir les malades; quand on voyait leur fin approcher, on les transportait au dehors. Avant de pénétrer dans ie temple il fallait se purifier par d'abondantes ablutions. Une diète sévère préludait à toute médication. Les remèdes mêmes ou les traitements que le dieu ordonnait n'étaient pas en général aussi ridicules qu'on pourrait croire. Les prêtres, instruits par l'observation des clients d'Asklépios, savaient diagnostiquer la nature des maladies et conseiller de bons moyens d'en venir
1. AVescheh, Rapport sur des recherches epigraphiques en Grèce, dans les Arch. lies missions scienf., 2* série, t. I. lS6i, p. 479.
2. D' Vekcoitre, la Médecine sacerdotale dans l'antiquité' grecque, dans la Rev. archéoL, 1885, t. II, p. 213; 1886, t. I, p. 22.
LE CULTE D ESCULAPE DANS L ILE TIBÉRINE 221
à bout. Ils possédaient de véritables formulaires, des recueils de recettes éprouvées, peu à peu constitués, sans cesse com- plétés et tenus à jour. On connaissait dans les Asklépieia les propriétés curatives des plantes, les qualités toniques du vin, l'usage de l'huile comme reconstituant et du miel comme lénitif, le rôle des purgatifs et des saignées, l'art de composer des emplâtres et des collyres, l'opportunité de régimes divers appropriés aux diverses affections. Aux anémiques on recom- mandait le sang de taureau, aux gastralgiques une nourriture facile à digérer, aux obèses les jeux violents, aux nerveux l'influence apaisante de la musique, à tous les malades les bains, l'exercice, les distractions; à côté du sanctuaire d'Asklépios il y avait toujours des thermes, un théâtre, un gymnase^.
Tous les traits de la peinture que le D"" Vercoutre a faite de )a médecine sacerdotale dans l'antiquité sont tirés des textes littéraires et épigraphiques de la Grèce. Mais l'Asklépieion de l'iie tibérine était une imitation des Asklépieia helléniques : ce que l'on sait de ceux-ci doit être vrai aussi de celui-là. La grande inscription votive de Caius et de ses compagnons nous en donne une preuve très certaine. Les moyens par lesquels l'aveugle Caius a obtenu sa guérison miraculeuse étaient usités dans tous les sanctuaires d'Asklépios : se prosterner, se tourner de droite à gauche-, poser la main sur l'autel et la mettre ensuite sur les yeux malades que cette seule imposition rend à la lumière, il n'y arien là d'insolite ni de surprenant ; c'étaient des cérémonies rituelles qui se répétaient constamment dans les temples antiques. Les médicaments qu'employèrent Lucius, Juhanus et Valerius Aper sont tout à fait analogues à ceux que prescrivait Asklépios en Grèce. M. Deubner a examiné successivement les oracles rendus par le dieu à ces trois malades, et rapproché les passages de l'inscription qui les concernent des textes nombreux où reparaissent les mêmes ordonnances''. Lucius, pour combattre une pleurésie, applique sur son côté un emplâtre de cendre et de vin. Il a pris de la cendre sur l'autel d'Esculape ; son origine sacrée lui donne une
1. D"' Vercoutre, loc. cil.
2. Cf. Plin., Hisl. nat., XXVIII, 2 (5) : In adorendo dexlram ad osculum referimus totumque corpus circumaffimus, quod in Isevutn fecisse GaUiœ reli- giosius credunt.
3. Dkuhner, op. cit., p. 44-48.
è22 l£ SANCTl AIKE d'kSCULAPE
valeur curative'. Le vin est aussi un puissant agent de guéri- son ; il est mentionné dans la plupart des formules magiques que les papyrus nous ont transmises. Julianus, qui perd son sang, se nourrit pendant trois jours de pommes de pin mêlées avec du miel. Le chiffre trois a une signification mystique. Le miel, aussi bien que le vin, tient une grande place dans les consultations d'Asklépios et dans les formules magiques. Les pommes «le pin, comme la cendre, ont été prises sur rautel; elles sont un symbole de fécondité, un attribut des divinités qui produisent ou entretiennent la vie dans la nature, Déniéter- Cybèle, Pan-Faunus, Asklépios. Le dieu de la médecine avait été représenté à Sicyone par le sculpteur Calamis avec une pomme de pin dans chaque main-. La cécité de Valerius Aper ne résiste pas k un collyre de sang et de miel dont il fait usage trois jours de suite. De pareils onguents produisaient de mer- veilleux effets, surtout contre les affections de la vue. Le sang qui entrait dans la composition de celui-ci était le sang d'un coq blanc; le coq passait pour l'un des animaux favoris d'Esculape et lui était spécialement consacré. On se servait de victimes blanches pour les sacrifices expiatoires. Il était dé- fendu aux Pythagoriciens de manger du coq blanc''. Pyrrhus, roi d'Epire, qui tenait des dieux le pouvoir de guérir les mala- dies de la rate, comme les rois de France les écrouelles, avait coutume, avant d'opérer ses cures, d'immoler un de ces animaux ^
On s'explique aisément qu'Esculapeaitindiqué ces médicaments aux fidèles qui le consultaient. La cendre, le miel, le vin, le sang sont les premiers ingrédients auxquels on a dû penser pour composer des onguents et des potions. Nos médecins, aux siècles derniers, les recommandaient encore en maintes circonstances, ou ne leur préféraient que des remèdes moins naturels et moins inoiïensifs. Le succès de ces traitements élémentaires est seul étonnant, et l'importance des résultats semble hors de proportion avec la médiocrité des procédés. Mais il faut faire leur part à l'imagination des malades et à la superstition du temps. Les croyants venaient au sanctuaire avec
1. Cf. Inscription de Lébéna {Philogus, 188!», t. XLVIU, p. 402 : fragment d'un récit de guérison) : Kî-:a xovtofv inh xf,; Upà; (nrôSoC.
2. Pausan., Il, 10, 3.
3. Dioo. Lakht., VIII, 134,
4. Plut., Pyrrh., 3.
LE CULTE d'eSCULAPE DANS l'iLE TIBÉRINE "223
la ferme conviction qu'ils en sortiraient guéris ; n'était-ce pas le meilleur moyen de guérir vraiment? Les médecins comptent souvent sur TefFet moral de leurs ordonnances bien plus que sur leur action matérielle. Esculape ressemblait sur ce point à ses modernes héritiers.
L'incubation, — C'est par des oracles que le dieu a manifesté ses volontés à Caius, à Lucius, à Julianus, à Valerius Aper. Les mêmes mots sont répétés quatre fois dans l'inscription de l'ile tibérine : 5 ôsbç iyç>r^]jÀ',iQV) . Nous savons comment les choses se passaient. On avait recours à la méthode oniroman- tique, à l'incubation*. Servius nous dit en propres termes que l'incubation consistait k dormir dans les temples pour y rece- voir en songe les avis du ciel^. Les anciens distinguaient cinq espèces de songes : èvû'::vtov, çâvTajiJ.a, ovsipoç, cpatj.a. yç>rt\}.y.-.i<j^.zz. Par l'incubation on se procurait des rêves de la cinquième caté- gorie, les plus précieux ; un dieu apparaissait au dormeur pour l'instruire et le conseiller. Tous les dieux pouvaient être ainsi évo- qués, mais l'incubation servait surtout k interroger les divinités guérisseuses. Esculape donnait toujours aux fidèles ses consul- tations médicales pendant la nuit, au moyen des songes ou des visions qu'il leur envoyait. Dans la plupart des Asklépieia un espace plus ou moins vaste et des édifices spéciaux étaient réservés exclusivement k la pratique de l'incubation. Le temple lui-même n'avait pas en général des dimensions assez consi- dérables pour qu'il pût abriter la foule des malades ; les prêtres seuls y pénétraient. Mais près de là s'élevaient des portiques aménagés pour recevoir les suppliants qui venaient y dormir 3. Pendant leur sommeil, Esculape se manifestait k
1. Sur lincubation, consulter : Bouché-Leclekcq, Hist. de la divination, t. III. p. 271 et suiv., avec une bibliographie de la question à la page 271. — Le principal travail ancien sur l'incubation est celui de H. Meibomius, de Incu- hulione in fayiis deorum medicinœ causa olim facta, Ilelmstadt, 1639. — Il faut citer le livre de vox Riïtekshain, der Medicinische Wunderglaube und die Incubation im Alterthume, Berlin, 1879. — Parmi les études parues depuis la publication de l'ouvrage de M. Bouché-Leclercq, citons : G'""" Caetam Lo- VATELLi, / sogni e l'ipnotismo nel mondo antico, dans la Nuova Antologia, i" décembre 1889, réimprime dans ses Miscellanea archeologica, Rome, 1891, p. 108; — Deubxeii, op. cit.; — Lechat, article Incubatio, dans le Dictionn. des Antiq. de Dahemberg et Saglio.
2. Servius, ad Ain., VII, 87 : Incubare dicuntur proprie hi qui dormiunt ad accipienda responsa, unde est : ille incubât Jovi, id est dormit in Capitolio ut responsa possit accipere. — Le mot incubatio est la traduction du mot grec i^yi.oi\i.r^'ri(;.
3. Pausan., II, 27.
224 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
eux « comme un sauveur et un médecin » ; il leur faisait con- naître ses prescriptions, souvent il soignait lui-môme les parties du corps dont ils souffraient'.
Deux contemporains des Antonins, .^lius Aristide, « le client modèle d'Asklépios »^, dans ses Discours sacrés, et Artémidore d'Ephèse, dans les cinq livres de ses Oneiro- crifica ou traité de l'interprétation des songes, nous ont laissé d'intéressants détails sur l'incubation. L'auteur qui nous la fait connaître le mieux est Aristophane. La comédie du Pht- Itts, composée aux premières années du iv" siècle avant l'ère chrétienne, renferme une amusante description des scènes qui se passaient la nuit dans l'Asklépieion d'Athènes. L'esclave Carion raconte k une femme comment, grûce à Asklépios, Plutus a recouvré la vue. Plutus se lave d'abord dans la mer, pour se purifier. Arrivé au sanctuaire, il dépose des parfums, comme offrande, sur les autels, se prosterne on signe d'adoration et se couche sur les tapis qui recouvrent les dalles du temple. Le prêtre d'Asklépios fait éteindre les lu- mières et recommande le silence. Bientôt paraît le dieu, accom- pagné de Jaso et de Panacéa ses filles. Il visite les malades et les examine tous ; il prépare les remèdes qui les guériront ; il broie dans un mortier diverses herbes dont il fait un collyre et l'applique aussitôt sur les yeux de l'aveugle Néoclidès. S'ap- prochant de Plutus, il essuie ses paupières avec un linge fin; Panacéa enveloppe la tête de l'aveugle dans un voile de pourpre ; Asklépios siffle, deux serpents sacrés accourent, se glissent sous le voile, lèchent les paupières ; Plutus voit 3. Les cures miraculeuses que rappellent les stèles d'Epidaure ne dif- fèrent en rien de celles qu'opérait Asklépios à Athènes et qu'Aristophane a transportées au théâtre. C'étaient partout les mêmes hallucinations que le dieu de la médecine suggérait et les mêmes moyens qu'il mettait en œuvre.
Le Curculio de Plaute nous montre que les Romains à l'époque républicaine connaissaient parfaitement l'iacubation. On aie droit de supposer qu'elle fut pratiquée dès l'origine
1. EusEB., Vita Constanlini, 111, 56 (à propos de la destruction d'un temple d'Asklépios en Cilicie, sur l'ordre de Constantin) : M-jpcwv l7rTor,|i£v«ov èit' a-jto) w; av kn\ (Twxfipt xal îaTpw, ttotè |ièv è7ttçatvo(A£Vf;) toÏç àYxaOe'ûSo'j'Tt, Ttoie 6k twv Ta (rcijxaTa xaiivdvTtov twjxévo) Ta; vécoyç.
2. Bouciié-Lecleucq, op. cit., t. III, p. 299.
3. Abistoph., Plutus, 650-741.
LE CULTE d'eSCLLAPE DANS l'iLE TIBÉHINE 225
dans le sanctuaire de l'ile tibérine, et de la même façon qu'en Grèce. Cicéron l'attaque très vivement et s'en moque, au livre second de son traité de Divinatione : « Comment admettre que les malades aillent demander des remèdes à l'interprète des songes plutôt qu'au médecin? Ainsi Esculape et Sérapis pourraient nous prescrire la guérison de nos maux par les rêves, et Neptune serait incapable de diriger les pilotes par le même secours ? Minerve fera des cures sans qu'interviennent les médecins, et les Muses ne communiqueront pas à ceux qui révent la connaissance de l'écriture, de la lecture et des autres sciences? Cependant, si la guérison d'une maladie s'obte- nait par le sommeil, nous pourrions acquérir pareillement toutes les connaissances que je viens d'énumérer; comme il n'en est rien, j'en conclus que la médecine ne nous est pas plus donnée que le reste* ». Mais ces critiques mêmes prouvent simplement qu'au temps de Cicéron l'incubation devait avoir à Rome de nombreux partisans. La passion folle pour le surnaturel qui régna sur le monde romain pendant l'Empire ne fit sans doute qu'augmenter son succès'-. La grande table votive de l'île, en langue grecque, atteste qu'Esculape manifestait ses volontés par les songes appelés ypr,\).o(.-i<j\j.oi. Sur deux inscriptions latines de Rome il est question d'offrandes faites au dieu de la médecine sur son ordre, pour obéir à une vision : ex jiisso numinis dei^, ex viso ^.
Il serait intéressant de savoir comment se préparaient les apparitions, et dans quelle mesure la supercherie des ministres du culte secondait la naïveté des croyants. Nous en sommes réduits malheureusement aux conjectures^. Il est probable
1. Cic, de Divin., II, 39, 123 : Qui iqitur convenit aegros a conjecture som- niornm potiiis qiiam ainedico pelere juedicinam ? An Aisculapius, an Serapis potest 7iohis prsescribere per somniinn curationon valeludinis, Nepfuniis qubernanlibus non potest? et si sine medico medicinam dabit Minerva, Musae scribendi legendi ceterarum artium scientiam somniantibus non dabunt? At si curatio darelur valetudinis lisec quoque quae dixi darenlur ; quae qiioniam non dantur, medicina nondatur; quasublala tollitur omnis auctoritas somniorum.
2. Lafaye, tiullet. archéol. de la relig. rom., dans la Rev. de Vhist. des Relig., t. XVIII, 1888, p. 77.
3. G. I. L., VI, 14 (inscription de la villa Albani).
4. G. I. L., VI, 8 (inscription du musée du Vatican, galerie des Candélabres).
5. L'un des textes les plus intéressants sur ce sujet est un passage de Strabo, XIV, p. 6i9, à propos du Plutonium d'Acharaia, entre Tralles et Nysa : les prêtres indiquent aux dévots qui viennent passer la nuit dans le sanctuaire ce qu'ils doivent faire ; ils interprètent et commentent leurs visions : au besoin même ils couchent dans le temple à leur place et pour leur compte.
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226 LE SANCTLAIRE D ESCL'LAPE
qu'au début on se contentait d'abandonner les malades à leur propre imagination surexcitée. On leur avait tant parlé d'Es- culape et de ses cures qu'ils ne pouvaient faire autrement dans le silence et l'obscurité de la nuit, que de s'imaginer, par auto- suggestion, le voir et l'entendre. Les prêtres se bornaient à provoquer les songes par leurs réflexions savamment ména- gées, et à les interpréter : « C'est sur les conseils d'Asklépios qu'ils composent les remèdes, et disent quelles herbes il faut appliquer aux plaies humides ou sèches, comment faire les po- tions qui guériront les hjdropisies, arrêteront les hémorragies, mettront un terme aux phtisies i». Plus tard, il fallut trouver mieux. On a supposé que l'incubation était devenue une véri- table comédie jouée par les prêtres : ils se déguisaient eux- mêmes en Esculape; prenant ses traits et ses attributs, ils profitaient de l'émoi des malades pour parcourir les portiques à la faveur de l'ombre, palper et ausculter les suppliants et don- ner des avis qu'on tenait pour divins et proférés par le dieu lui-même-. Cette hypothèse nous aiderait à comprendre la scène du Plulus et les stèles d'Epidaure ; tous les clients d'Asklé- pios affirment qu'ils l'ont vu et entendu. Elle nous expliquerait aussi la valeur médicale de quelques-uns des traitements pres- crits. Le déguisement que prenaient les prêtres leur permet- tait de faire profiter les malades de leur expérience et de leur savoir. Il est fâcheux que les noms des habiles gens qui opéraient au nom d'Esculape dans l'île tibérine soient oubliés et qiie nous ne connaissions pas l'organisation de leur collège. Tout rapprochement avec Epidaure serait vain. Mieux vaut avouer notre ignorance, faute de documents.
Les animaux sacrés. — L'Asklépieion romain renfermait, comme les Asklepiéia de Grèce, un certain nombre d'animaux consacrés, qui servaient aux cérémonies religieuses. On peut le conclure d'un passage de Festus où cet auteur, après avoir rappelé la fondation du temple de l'île, recherche le sens de quelques attributs ordinaires d'Esculape. Le dieu tient à la main un bâton noueux, emblème des difficultés de l'art médi- cal. Il porte une couronne de laurier, parce que de cet arbre on tirait des remèdes. On voyait dans son sanctuaire, au rap-
1. PHiLOSTn., Vila Apoll. Tyan., 111, 44, 1.
2. D' Vercoutre,- op. cit., llev. archéol., 1885, t. H, p. 282.
LE CULTE d'eSCULAPE DANS l'lLE TIBÉRINE 227
port de Festus, des serpents, des chiens, des coqs^ Il faut ajouter à cette liste des chèvres. Les Anciens disaient qu'Asklépios enfant, abandonné par la nymphe Coronis, sa mère, dans les montagnes du Péloponèse, auprès d'Epidaure, avait été allaité par une chèvre et gardé par un chien ~. D'après Servius la chèvre lui aurait été vouée per co?it?'arieta- tem, comme à Cérès le porc, qui mange les récoltes, et à Bac- chus le bouc, qui ravage les vignes : Esculape est le dieu de la santé, et la chèvre passait pour avoir toujours la fièvre '^ On avait coutume à Rome, aussi bien qu'en Grèce, de sacrifier des coqs au dieu guérisseur'*. Le coq dont le chant matinal célèbre la fuite de la nuit, dissipe les ténèbres, conjure les influences mauvaises de l'ombre, était l'oiseau d'Apollon, dieu de la lu- mière; il devint aussi, pour les mêmes raisons, l'oiseau d'As- klépios, fils d'Apollon; la médecine antique n'avait-elle pas dans les temples le caractère d'une conjuration superstitieuse et magique''?
Le serpent était placé par les sculpteurs à côté d'Escu- lape, enroulé sur son bâton noueux. On vantait son regard perçant''; Festus a tort de croire que c'est pour ce motif qu'il était consacré au vigilant gardien de la santé '^. Pline l'Ancien n'est pas mieux fondé à dire qu'on l'avait choisi
i. Festus, p. MO : In insula JEsculapio fada sedes fuit, quocl segroli a medi- cis aqua maxime sustentenlur. Ejiisdem esse tutelœ draconem, quod vigilanlis- sitniim sit animal, quse res ad tuendam valetudinem œgrofi maxime apta est. Canes adhibentur ejus templo, quod is iiheribus canis sit nutritus. Bacillum hahet nodosum, quod difficultatetn sigiiificat artis. Laurea coronatus, quod ea arbor plurimorum fit remediorum. Huic gallinae immolabantiir. — Peut-être la présence d'animaux sacrés dans les temples témoigne-t-elle de la survi- vance à l'époque historique de certaines conceptions totémiques primitives; l'animal que l'on offre comme victime était à l'origine le dieu lui-même.
2. Pausax., II, 26, 4.
3. Servius, ad Geoi'g.,U, 380 : Viclimae numinibus aut per similitudinem aut per confrarietatem immolantur : per similitudinem, ut nigrum pecus Plutoni; per conlrarietatem ut porca, quae obest frugibus, Cereri, ut caper, qui obest vitibus, Libero, item caprae jEsculapio, qui est deus salutis, cum capra nun- quam sine febre sit.
4. Sur le coq dans le culte d'Esculape. cf. Delbner. de Incubatione, p. 46, avec la bibliographie. Voir notamment B.kthgex, de Vi ac signipcutione galli inreligionibus et arlibus Graecorum et Romanoruin, Gœttingen, 1887.
5. Heuzey, C. h. de l'Acad. des Inscr., 1890, p. 120.
6. HoKAT., Epist., 1,3.
Cur in amicorum vitiis tam cernis acutum Quam aquila aut serpcns Epidaurius?
7. Festus, loc. cit., et en outre : p. 67, s. v Dracones : Dracones dicti àirb toO liçty.z<7%on, quod est videre; clarissimam enim dicuntur hubere oculorum aciem... ideoquo jEsculapio atlribuuntur.
228 LE SANCTUAIRE D ESCDLAPE
parce que son venin servait parfois de remède ^ On a vu plus haut que le culte véritable rendu par les Grecs et les Romains aux serpents s'explique par les allures mystérieuses de ces reptiles'-'. Il y en avait à Rome un grand nombre, qui vivaient familièrement dans les maisons"^ Nulle part, sans doute, ils n'étaient plus dociles ni mieux dressés que dans le sanctuaire de l'île tibérine. En Grèce, non seulement ils apparaissaient avec Asklépios aux fidèles qui venaient se soumettre à l'incubation, mais encore ils intervenaient, eux aussi, dans les cures et collaboraient à la guérison des malades. On lit sur l'une des stèles d'Epidaure qu'un homme atteint d'un ulcère au pied fut guéri pendant son sommeil par un serpent qui vint passer sa langue sur la plaie ^. Aristophane n'est pas moins précis : (( Asklépios siffla; à ce signal deux serpents d'une grandeur extraordinaire se sont glissés tout doucement sous le voile de pourpre; je crois qu'ils ont léché les yeux de Plutus'' ». Alexandre d'Abonotichos déclarait qu'Asklépios avait pris la forme d'un serpent à tête d'homme pour lui rendre la santé. Les chiens servaient aussi d'auxiliaires au dieu et soignaient les plaies comme les serpents''. Les stèles d'Epidaure en témoignent : deux enfants, l'un aveugle'^, l'autre souffrant d'un ulcère au cou^, furent guéris par la langue d'un chien sacré. Le sculpteur Thrasymède de Paros avait représenté un de ces animaux couché aux pieds de la célèbre statue chryséléphantine d'Asklépios à Epidaure'^ : c'était peut-être en souvenir de la chienne qui, d'après une tradition dont Festus et Lactance se sont fait l'écho'", aurait nourri Asklépios enfant, au lieu de la
i. Plin., Hist. nat.,XXl\, 4 (22) : Qtiin et inesse et remédia multa crcdunlur, ut digeremus, et ideo JEsculapio dicatur.
2. Cf. ci-dessus, p. 1G8.
3. Plin., loc. cit. : Anguis JEsculapius Epidauro Romain adoeclus est, vul- goque pascitur et indomibus.
4. Defhasse et Lechat, Epidaure, p. 145; 1" stèle, guérison n° 17 : 'lio-aTo T»i yXiôaTa.
'5. Akistopii., Plutits, 732.
6. Sur les chiens d'Esculape, cf. Delbner, op. cit., p. 39, avec la bibliogra- phie ; — S. Uei.nach, les Chiens dans le culte d'Esculape, Rev. archéoL, 1884, t. II, p. 129; — Gaidoz, A propos des chiens d'Epidaure, Hev. archéoL, 1884, t. Il, p. 302 ; — Cleumont-Ga.n.neau, Revue critique, 1884, t. II, p. 502.
7. Defrasse et Lechat, Epidaure, 1" stèle, guérison, n" 20.
8. Defhasse et Lechat, Epidaure, 2" stèle, guérison, n° 26.
9. Pacsan., II, 27, 2.
10. Festus, p. 110. — Lactant., Divin. Inslit., I, 10 : Tarquitius ait... JEscu- lapium expositum a venatoribus canino lacté nutrilum.
LE CULTE D ESCCLAPE DANS L ILE TIBÉRINE 229
chèvre que rappelle Pausanias. Peut-être aussi étaient-ils associés au culte d'Esculape à cause de la sûreté de leur ins- tinct; Elien raconte qu'ils ont, ainsi que les bœufs, les porcs, les chèvres et les serpents, le pressentiment des épidémies i. Il est bien probable que les serpents et les chiens de Tîle tibé- rine étaient utiHsés par les prêtres comme ceux de la Grèce et prenaient part aux cures.
Les ex-voto. — Les textes littéraires et les inscriptions la- tines ou grecques ne sont pas les seuls documents concernant le sanctuaire de l'île qui soient parvenus jusqu'à nous. Il nous reste à examiner un certain nombre de petits monuments figurés qui en proviennent et qui sont conservés maintenant dans les musées de Rome et dans quelques collections parti- culières : c'étaient des ex-voto offerts à Esculape en témoi- gnage de reconnaissance par les malades qu'il avait guéris.
Usage et rôle des donaria. — L'usage qu'avaient adopté les Romains de déposer des offrandes dans les sanctuaires d'Escu- lape et des autres divinités guérisseuses venait de la Grèce ~. On faisait aux dieux des promesses et des vœux pour obtenir d'eux laguérison^. Les fidèles ne se contentaient pas de leur élever des statues auprès de leurs autels ou de rédiger en leur hon- neur des inscriptions louangeuses. Ils apportaient dévotement au temple des objets de marbre ou d'argent ou de terre cuite, qui représentaient les dieux eux-mêmes ou les malades ou seu- lement les parties du corps rappelées à la santé ^. Ceux qui n'avaient pas les moyens de manifester autrement leur grati- tude et qui ne pouvaient faire les frais d'une inscription ou d'un présent en matière précieuse tenaient à donner tout au moins à leurs divins bienfaiteurs une modeste et grossière
1. iELIAN., VI, 19.
2. Cf. article Donaria, par Homolle, dans le Diclionn. des Antiq., de D.\rem- RERG et Saglio.
3. Les formules volum solvif, ex voto suscepto sont fréquentes dans les ins- criptions latines dédiées à Esculape. Voir notamment : C. I. L., VI, 6, 841.
4. On sait par Tibcll., Eleçj., I, 3, 38, que les malades faisaient aussi pla- cer sur les parois des temples des divinités médicales de petites tablettes peintes, en guise d"e.x-voto. Le poète s'adresse à Isis, invoquée dans les guéri- sons :
ISunc, dea, nunc succurre mihi, nam posse mederi Picta docet templis multa tabella tuis. Sur ces tableaux de piété devaient être figurées des scènes de guérison, des apparitions miraculeuses.
230 LE SANCTUAIRE d'eSCULAPE
imago de terre cuite. Ces ^/o/zam encombraient les sanctuaires. On avait dû bâtir, pour les recevoir, des locaux spéciaux auprès des temples. On les fixait aux murs par des clous, on les rangeait sur des tablettes do pierre ou de bois, on les amas- sait en tas dans les coins ^ Quand enfin l'espace manquait et (ju'on ne savait plus ou mettre les ox-voto que la piété des malades ne cessait d'accumuler, il fallait se résoudre à faire disparaître les plus anciens, qui cédaient la place aux nou- veaux. On les enlevait des chambres qui leur étaient réservées, mais on n'osait ni les jeter ni les vendre ; leur caractère reli- gieux les préservait de la destruction. Ils étaient enfouis dans des fosses-. Les Romains appelaient f amasse ces cachettes souterraines"^. Les fouilles des trente dernières années en Grèce et en Italie ont amené la découverte de plusieurs dépôts de ce genre, où l'on a fait une ample moisson de donaria an- tiques. En Grèce, on connaît surtout les ex-voto de l'Asklé- pieion d'Athènes^. A Rome et aux environs les trouvailles ont été nombreuses. On a fouillé en 187G les favissœ du temple d'Hercule au Cmnpo Verano^ hors de la porte Saint-Laurent ; en 1885 celles du temple de Diane à Némi ; en 1887 celles du temple de Minerva Medica à Rome, dans le quartier des Sette Salle^' ; en 1889, celles du temple de Junon à Voies''. Les divi- nités auxquelles appartenaient ces sanctuaires avaient toutes des attributions médicales. On a recueilli dans les favissm des figurines sculptées qui attestent la reconnaissance et la piété des malades.
Les donaria de l'île tibérine. — Le sanctuaire de l'île tibé- rine devait renfermer une grande quantité de donaria. Les trois inscriptions latines archaïques dédiées à Aiscolapkis ac- compagnaient des petites statuettes offertes au dieu. L'aff'ranchi
1. Sur un vase peint de Grèce publié dans T'EçYiiiEpl; àpxa'oÀoy"^^!' l'^^i'O, pi. VII, p. 131, reproduit par S. Reinacii, Répertoire des vasespeints, Paris, 189!)- 1900, t. I, p. 515, on voit représenté l'inlérieur d'un temple d'Asklépios; au mur sont suspendus des ex-voto : couronnes, jambes, mains.
2. Cf. R. Lanciani, Pnf/on and chrislian Rome, p. 58.
3. Festl's. p. 8S : Favisse locum sic appellabant, in quo erat aqua inclûsn circa ternpla. Sunt autem qui pulantf avisas esse in Capitolio cellis cislernisque similes, rtbi reponi erant solila ea qtiœ in teniplo velustale eranl fada inulilia.
4. P. Gn(ARD, op. cit., p. 97 et suiv.
5. Sur Minerva Medica, en particulier, voir Lafaye, Bullef. archéol. de la relig. roui., dans la Rev. de l'hisl. des relig., 188S, t. XVIII, p. 75.
6. R. Lanciani, loc, cil.
LE CULTE D ESCULAPE DANS L ILE TIBÉRINE 231
Néocharès avait joint à son inscription le modèle en argent d'une rate humaine i. Deux marbres du musée du Vatican représentent l'un la cage tlioracique d'un adulte, l'autre la poitrine ouverte d'un enfant ; on y constate des fautes grossières : le thorax de l'adulte a treize côtes de chaque côté, et les viscères de l'enfant sont étrangement placés et mal proportionnés '. Ficoroni a publié deux curieuses figurines de terre cuite : la première est une femme qui porte de la main droite un pigeon par les ailes et qui soutient du bras gauche un enfant nu et grêle dont la main tendue en avant tient une bourse pleine ; l'enfant malade invoque un dieu guérisseur, auquel on sacrifiera le pigeon et l'on donnera la bourse ; la seconde statuette est celle d'un homme nu et assis, qui appuie ses mains sur ses genoux; il a les jambes hautes et maigres et toute l'apparence d'un infirme 3. La provenance des marbres du Vatican et des figurines de Ficoroni est inconnue. Il paraît bien certain que les uns et les autres ont été consacrés en ex- voto à une divinité médicale. S'ils n'ont pas été découverts dans l'île tibérine ils nous permettent en tout cas de nous faire déjà quelque idée des donaria du sanctuaire d'Esculape. Le musée national des Thermes possède une main votive en bronze trouvée dans les travaux du Tibre, près de la Marmorata. Elle est figurée en relief et mesure O^iSS ; la base plate et rectan- gulaire sur laquelle elle repose a O^iôO de longueur ; quatre trous sont percés sur les côtés pour fixer l'objet à un mur ou à une planchette ; le poids total, considérable, est de 35 kilo- grammes. La main, ronde et fine, aux doigts délicats, semble appartenir à une femme. Un serpent s'enroule sur le poignet comme un bracelet. Le lieu de la trouvaille et la présence du serpent nous autorisent à supposer que ce donarium est un ex-voto au dieu médecin et qu'il avait été déposé primitivement dans le sanctuaire de l'île tibérine ^.
1. Une des inscriptions trouvées sur l'emplacement d'un temple de Minerva Medica à Cabardiacum, entre Veleia et Plaisance, a été rédigée par un habi- tant de Brixella, L. Gallidius Primus, qui avait offert à la déesse deux oreilles en argent pour la remercier d'avoir guéri les siennes (G. I. L., XI, 1303).
2. Musée du Vatican, galerie des bustes, n°' 382 et 384. Publiés par Braun, Studi anatomici degll anfichi, dans le BulletL. delVInstit. archeol., 1844, p. 16. — Cf. Bullett. deirinstit. archeol., 1885, p. 147. — W. Helbig, Fithrev durch die Samml. kLass. Allerlldlm. im Rom, 2" éd., t. I, p. 141 : « Us ne donnent pas liné" idée favorable des connaissances anatomiques de ceu.x qui les ont fabriqués.»
3. FicoROxi, Vestigia e rarità di Roina, t. I, p. 144.
4. G'°"° Caetani Lovatelli, Di un mano votivo in bronzo, dans les Monumenti
232 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
Les statuettes archaïques et la rate d'argent de Néocliarès ont disparu; il n'est pas sCir que les marbres du A^atican, les figurines du Ficoroni ou même la main de bronze du musée des Tiiermes, viennent du temple d'Esculape. Mais heureuse- ment les fouilles de ces dernières années ont ramené à la lumière un nombre considérable d'ex-voto dont l'origine est certaine. Déjà en 1854 on avait recueilli dans les dépendances de l'église Saint-Jean Calybite, au-dessous du pavage en mo- saïque dédié à Jupiter Jurarius, plusieurs objets de terre cuite, têtes et bustes, jambes et bras, dispersés depuis' : d'après Visconti, on était tombé sur l'une des favissœ de l'Asklépieion, située à quelque distance du temple. De 1885 à 1887, pendant la construction du nouveau quai du Tibre à l'extré- mité du pont Fabricius, on a mis la main sur une véritable mine d'ex-voto. Les Notizie decjli Scavi di Antichità pour l'année 1885, annoncent qu'on a trouvé dans les fouilles une tête haute de 0'",22 et une main-. Bientôt ces rencontres se multiplient, et l'on renonce à en tenir un compte exact. Les Notizie et le Bullett'mo Comimale signalent simplement la découverte de plusieurs grands dépôts d'objets votifs, auprès du pont Fabricius 3. Où ces dépôts étaient-ils situés exactement? comment les a-t-on explorés? que renfermaient- ils? Les publications officielles n'en disent rien, ou presque rien. Le service du Génie civil, qui était chargé de la systé- matisation du Tibre, se souciait peu d'archéologie et ne com- muniquait que de rares et brèves informations. Cinq ou six cents ex-voto de terre cuite sont maintenant relégués dans les greniers du musée des Thermes ; ils proviennent, pour la plupart, des trouvailles faites aux abords de l'ile tibérine de 1885 à 1887''. D'après M. Lanciani ce n'est qu'une faible partie des donaria découverts''. Les petites dimensions de ces
antichi dei Lincei, 1. 1, 1889, p. 170, reproduit dans ses Miscellanea archeolo- gica, Rome, 1891, p. 137. — Cf. W. Helbio, op. cit., t. Il, p. 234. D'autres mains votives sont conservées au musée Kircher, W. IIelbig, op. cit., t. H, p. 42o.
1. Giornale di Roina, année 1854, n° 82. — Cf. ci-dessous p. 253.
2. Notiz. d. Scavi, 1885, p. 71.
3. Par exemple dans le Bullell. Comun., 1887, p. 97.
4. Les ex-voto recueillis dans les fouilles du temple de Minerva Medica sont déposés au magasin archéologique de X'Ovlo Bolanico. Le musée de la Villa du Pape Jules renferme des objets analogues trouvés en Etrurie, à Civita La- vinia, à Civita Castellana, à Veies.
5. Renseignement communiqué par M. R. Lanciani.
LE CULTE d'eSCLLAPE DANS l'iLE TIBÉRIN'E 233
objets ont permis aux ouvriers des travaux du Tibre, que les ingénieurs surveillaient mal, d'en dérober un grand nombre ; les magasins des antiquaires romains en furent longtemps encombrés. Plusieurs collectionneurs ont ainsi acquis des lots importants de terre cuites votives : on peut citer M. Charles, à Rome, M. Oppeheim et le D'" Luigi Sambon, en Angleterre ^ Dans les séries que les conservateurs du musée des Thermes ont réunies et classées tous les types intéressants d'ex-voto sont représentés ; elles nous donnent une image fidèle des antiques favissœ du sanctuaire d'Esculape.
Caractères généraux. — Les donaria de l'île tibérine res- semblent à tous ceux qu'on avait trouvés auparavant aux environs de Rome et n'ont pas plus de valeur artistique. Ce sont des objets de fabrication grossière et peu soignée; ils ne présentent d'intérêt qu'à titre de témoignages de la dévo- tion populaire. Quelques-uns cependant méritent d'attirer l'at- tention des historiens de la médecine : on en peut tirer d'utiles renseignements sur l'état des connaissances anatomiques dans l'antiquité. Ils ont été étudiés récemment à ce point de vue par le D"" L. Sambon- et par le professeur L. Stiéda-^.
Il est difficile de leur assigner une date précise. M. Stiéda les attribue en bloc aux derniers siècles avant l'ère chré- tienne ; le D"" Sambon croit, avec raison, qu'ils s'échelonnent entre la fondation du temple d'Esculape et le siècle des Anto- nins. Les ex/-voto qui ont la forme de cages thoraciques entr 'ou- vertes, laissant apercevoir les viscères à l'intérieur du corps, n'ont pu être modelés qu'à une époque assez avancée, où la science anatomique était en progrès. On a fait d'abord les têtes détachées lourdes et pleines; les têtes creuses et légères n'ont été fabriquées que plus tard.
Il est probable que primitivement les donaria de terre cuite étaient coloriés '*. Les ateliers où on les sculptait devaient être
1. Mentionnés dans l'article du D' Sambon indiqué ci-dessous.
2. D' L. Sambon, Donaria of médical interest in the Oppeheimer collection of etruscan and roman antiquities, dans le Brilish médical Journal, 1895, t. II, p. 146 et p. 216.
3. L. Stiéda, Ueber alt-ilalische Weigesc/ienke, dans les Mittheil. des archàol. Instif., Roem. Abfh., 1899, p. 230. M. Stiéda ne paraît pas avoir eu con- naissance de l'article du D' Sambon. Il annonce la publication prochaine d'un travail plus développé et plus technique sur le même sujet, avec gravures, dans une revue d'anatomie. Ce travail n'a pas encore paru.
4. R. Laxciaxi, Ancient Rome, Londres, 1888, p. 70 : parmi les ex-voto de terre
234 LE SANCTUAIKE d'eSCULAPE
situés tous à Rome ou aux environs : les objets retrouvés dans Tile tibérine avaient trop peu de prix pour qu'on les suppose d'importation étrangère.
Description. — On peut classer les donaria d'après la matière dont ils sont faits ou d'après les sujets qu'ils représentent. Tous ceux que l'on conserve dans les greniers du musée des Thermes sont en terre cuite ; mais dans l'antiquité le sanctuaire de l'île tibérine renfermait certainement des ex-voto en pierre, en marbre, comme les troncs humains du Vatican, en bronze, comme la main du musée des Thermes, en argent, comme la rate de Néocharès, en or même. La richesse des offrandes variait avec la condition sociale des suppliants. Esculape à Rome avait surtout des pauvres dans sa clientèle : les objets de terre cuite devaient être en majorité ; aussi en a-t-on découvert un grand nombre.
La plupart de ces ex-voto sont dos images de membres ou d'organes du corps humain.
Dans les favissœ de quelques sanctuaires, dans celles par exemple du temple de Minerva Medica, on a rocuoilli dos sta- tuettes de divinités en terre cuite ; il ne semble pas qu'on ait trouvé de semblables figurines aux abords de l'île. D'autres statuettes reproduisent avec plus ou moins d'exactitude les traits des personnes qui les ont dédiées : ce sont les portraits supposés des malades. Le musée des Thermes possède plusieurs objets de ce genre. Une femme drapée, presque de grandeur naturelle, est couchée sur un lit, la tête entourée de bande- lettes, des rameaux à la main. De petits personnages sont assis deux par deux, homme et femme : c'est un ménage romain ren- dant grâce au dieu qui lui a permis d'avoir des enfants ; quelque- fois la femme présente des signes de grossesse; quelquefois elle Ibve la main, en marque d'adoration, ou fait éclater une grenade, emblème de fécondité ; dans certains cas les enfants eux-mêmes paraissent à côté de leurs parents. Auprès de ces bonhommes on voit aussi des animaux : une grande tête de veau, des bœufs, des moutons ; s'ils ont été réellement trouvés en même temps et aux mêmes endroits, on pourrait croire qu'Esculape pra- tiquait, avec la médecine, l'art vétérinaire.
Mais les ex-voto les plus nombreux et les plus curieux ont
cuite trouvés en 188.") au débouché du pont Fabricius plusieurs portaient encore, au moment de la découverte, des traces de peinture.
LE CULTE d'eSCULAPE DANS l'iLE TIBÉRINE
235
l'apparence de véritables pièces anatomiques : ce sont les parties du corps qui étaient malades et que le dieu a guéries. Parmi les donaria du temple de Minerva Medica, dans le magasin archéo- logique de YOrto botanico, on remarque une tête de femme avec deux grosseurs de chaque côté entre les mâchoires et le
Fie. 25. — EX-VOTO DE TERRE CUITE
Provenant de l'ile tibérine (Musée national des Thermes).
1. Demi-tête, vue de profil. — 2. Tète, vue de face. — 3. Main. — 4 et 5. Intestins enroulés et tronc entr'ouvert. — 0. Pied. — 7. Deux petits personnages assis. — 8 et 9. Ani- maux.
con, figurant des glandes, nne seconde tête de femme avec quelques mèches clairsemées mais sur laquelle des stries sil- lonnant les places dénudées simulent des cheveux qui commencent à repousser, un autre objet où l'on reconnaît distinctement une hernie, etc. ^ . Une main gauche, provenant de Voies, présente une
1. Exemples cités par L.af.we, loc. cil.
236 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
forte enflure de la paume '. Deux fragments de troncs d'homme en terre cuite, au musée de la Villa du Pape Jules, sont ouverts pour laisser voir l'intérieur du corps, comme l'un des marbres du Vatican; ils ont été recueillis à Civita Lavinia^. Aucune collection n'est aussi riche en pareils donaria que celle du sanctuaire d'Esculape au musée des Thermes. Des mains, des pieds, des seins de femme sont figurés isolément. En général les mains votives étaient faites pour reposer k plat sur une tablette ; un seul côté, la partie supérieure le plus souvent, est modelé avec soin etl'on en distingue nettement les articulations ; l'artisan n'a fait qu'indiquer sommairement le contour et les grandes lignes de l'autre. Les pieds sont nus; quelques-uns s'appuient sur une sorte de sandale ou de semelle; les doigts sont bien détachés, les os saillants. Les seins de femme ont la forme de demi-sphères coupées par une surface plane ; ils mesurent de 4 à 8 centimètres de haut sur 6 à 12 d'épaisseur. Dans les tètes séparées la partie antérieure est modelée avec soin, les traits du visage ont une expression assez personnelle, mais la partie postérieure est plate ou grossièrement arrondie. On devait les fixer le long des murs ; la plupart sont creuses et percées en arrière d'un trou par où passait un anneau de sus- pension. Outre les têtes entières il y a des demi-tètes : la partie droite ou la partie gauche figure seule, terminée brus- quement par une surface plane ; les fidèles qui les ont offertes ne souffraient que d'un côté. Il faut citer aussi des masques creux — masques entiers ou demi-masques, les premiers représentant toute la figure, les seconds le haut du visage seulement — des yeux détachés, des oreilles, des bouches même. Les organes génitaux masculins sont reproduits avec une exactitude réaliste ; M. Stiéda range dans la même catégorie de petits corps coniques pyramidaux, de 6 à 8 centimètres de hauteur, recueillis en assez grand nombre. Des objets plats et elliptiques, de grosseur variable, renflés au centreet terminés à la partie supérieure par une série de bourrelets circulaires superposés de plus en plus petits ont été quaUfiés d'utérus; les anatomistes se refusent à admettre cette dénomination, sans pouvoir cependant en proposer une meilleure et plus sCire>^.
1. Exemple cité par L. Stiéda, loc. cil.
2. Exemple cité par L. Stiéda, loc. cil. — Cf. Rossbacii, Oull. dell Instil. ■archeoL, 1885, p. 144.
3. L. Stiéda, loc. c«7.,p. 242.
LE CULTE D ESCLLAPE DANS L ILE TIBÉRLNE 237
Plusieurs ex-voto enfin nous donnent une vue de l'intérieur du corps tel que le connaissaient et le représentaient les anciens ; l'un d'entre eux est un tronc analogue à ceux de la A^illa du Pape Jules et du Vatican; un autre représente des intestins enroulés.
La nature et l'aspect de ces offrandes nous renseignent sur leur destination. Les malades apportaient au dieu le modèle en terre cuite de la partie du corps dont ils avaient soufFert. Quelquefois ils tenaient à ce que la déformation produite dans leurs membres ou leurs organes par la maladie fût exactement figurée. Le plus souvent ils se contentaient de^ consacrer à Esculape un membre ou un organe normal et sain.
Les favisssB du temple d'Esculape et les boutiques d'objets de piété. — On aimerait à connaître la vraie provenance des ex- voto de l'ile tibérine. Les renseignements publiés dans les Notizie degli Scavi et le Bullettiao Commiale sont malheureu- sement très insuffisants. M. Lanciani a pu obtenir par ailleurs des informations plus précises. Pendant ces dernières an- nées, de 1885 à 1887, on n'a rien trouvé à l'intérieur même d& l'île. Les offrandes du musée des Thermes ont été ramassées dans les débris retirés du fond du Tibre à la drague et dans les fondations des nouveaux quais de la rive gauche, au débouché du pont Fabricius'. La présence de ces objets votifs au fond du fleuve s'explique ; on jetait au Tibre tous ceux qui ne servaient plus et qu'on ne savait où mettre : c'était un moyen facile et expéditif de s'en débarrasser, sans que les prêtres eussent à craindre de les voir profaner par quelque- usage sacrilège ou mercantile ; les eaux servaient en quelque sorte de favissx. 11 est plus surprenant qu'on ait rencontré sur la rive gauche, en amont et en aval du pont Fabricius, de grands amas d'ex-voto disposés en rangées régulières le long^ de la berge. Les favissse du sanctuaire ne pouvaient avoir été placées aussi loin. M. Lanciani suppose, avec beaucoup de- vraisemblance, que les rues qui conduisaient du Champ de Mars au temple d'Esculape en passant par le pont étaient bordées de- boutiques où l'on vendait aux fidèles des objets de terre cuite-
1. R. Lanciaxi, Pagan and chrislian Rome, p. 62 ; — du même auteur Ancient Rome, p. 70.
238 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
préparés à ravance. De tout temps on a élevé aux abords des lieux de pèlerinages des baraques pour les marchands d'objets de piété. Le malade qui venait invoquer dans l'île tibérine l'assistance du dieu médecin passait devant les échoppes où s'offraient à ses regards des représentations figurées de toutes les parties du corps ; il n'avait qu'à choisir, d'après la nature de son mal et les ressources de sa bourse ; il se présentait au sanctuaire les mains pleines.
L'examen des ex-voto ne nous conduit pas à d'autres con- clusions que l'étude des textes littéraires et épigraphiques. Les Romains rendaient à Esculape les mêmes honneurs que les Grecs à Asklépios. Les fidèles allaient chercher dans son temple la guérison miraculeuse de leurs maladies. Ceux que nomment les auteurs ou les inscriptions et ceux qui off'raient au dieu leurs humbles donaria de terre cuite étaient des esclaves, des aff'ranchis, des étrangers, des gens d'humble condition.
CHAPITRE V LA FIN DU CULTE D'ESCULAPE A ROME
Les religions orientales et le christianisme. — Si le ii* siècle de l'ère chrétienne marque Tapogée du culte d'Esculapeà Rome, bientôt cependant commença la décadence. Les efforts des empereurs pour réveiller le sentiment religieux au sein du paganisme demeurèrent vains. La foi aux anciens dieux se perdait. On se lassa de consulter le fils d'Apollon et de Coro- nis. « Le prestige des divinités médicales s'use vite, parce qu'elles sont de celles qu'on obsède sans cesse et que les nouvelles venues apportent avec elles des espérances nou- velles*. » Les cultes égyptiens et orientaux, dont les rites mystérieux et les cérémonies étranges frappaient les esprits, s'étaient répandus à leur tour dans le monde occidental et faisaient tort à l'antique polythéisme gréco-romain. Les ma- lades recouraient volontiers aux bons offices d'Isis et d'Osiris. Ils avaient confiance surtout en Sérapis^. Dès le temps de Varron et de Cicéron, Sérapis intervenait dans les guérisons^. Sous l'Empire on l'assimila à Esculape, on le confondit avec lui; ils étaient adorés tous deux dans les mêmes formes et invoqués par les mêmes procédés^. — Les progrès du christia- nisme portèrent à l'antique dieu de la médecine les derniers
1. Bolché-Leclercq, Ilist. de la divinalion, t. III, p. 298.
2. Cf. Prellkh-Jordan, Rœm. MythoL, t. II, p. 379.
3. Vauuo, £Mme/t., fragm. 128 (cité par Nonius Marcellls, VIII, 104).
Ego medicina Serapi utor. Cic, de Divin., III, 59, 123 : An JEsculapius, an Serapis posset nobis praescri- bere per somniurn curationem valetudinis ?
4. TiiORLACiL's, dans son opuscule de Somniis Serapicis praecîpue ex Arislidis orationibus sacris delineatis, Copenhague, 1813, réédité dans ses Opuscula, Copenliague, 1806-1822, t. III, p. 123, prétend que Sérapis était confondu avec Esculape et que les pèlerinages d'Aristide s'adressaient indifféremment au dieu grec de la médecine et au dieu guérisseur des Egyptiens dont on ne le distin- guait pas.
240 LE SANCTUAIRE D ESCULAPE
coups. Les chrétiens l'avaient en horreur et le haïssaient; ils voyaient en lui une création monstrueuse de la superstition païenne, une pure invention du diable. L'appareil fantastique des guérisons miraculeuses, les nuits passées dans les sanc- tuaires, les visions surnaturelles, les cortèges d'animaux sacrés excitaient leur indignation et leur colère. Esculape est l'un des dieux que les Pères de l'Eglise ont attaqués avec le plus de constance et de véhémence '.
La légende de saint Emigdius. — Aucun document authen- tique ne nous apprenti ii quelle époque et dans quelles circons- tances le temple de l'Ile tibérino fut fermé par les chrétiens. Si la légende de saint Emigdius fait allusion à sa destruction-, elle ne mérite guère crédit. Saint Emigdius, premier évoque d'Asculum dans le Picenum (Ascoli Piceno), mourut, d'après la tradition, au début du iv" siècle. Avant d'être évêque, il vint à Rome, pendant le règne de Dioclétien, pour visiter les tombes des martyrs. Il prêcha aux païens la doctrine chré- tienne et fît devant eux des miracles. Ils s'imaginèrent qu'il n'était autre que le dieu de la médecine, revenu sur la terre pour leur salut. Ils lui offrirent de l'encens et des victimes, et le conduisirent au sanctuaire où les malades attendaient vainement une intervention surnaturelle. Emigdius leur adressa un discours^. Il leur déclara qu'il n'était pas Esculape. Il s'efforça de les détourner du culte des idoles. Pour mieux les convaincre, il guérit sous leurs yeux, au nom du Christ, de nombreux infirmes que les faux dieux n'avaient pu délivrer de leur maux ''. Les païens demandèrent aussitôt le baptême ;
1. Voir par exemple, pour les Pères de l'Eglise latine, les difTérents pas- sages dArnobe, de Lactance, de Tertullien, de saint Isidore, de saint Augus- tin, de saint Cyprien, auxquels renvoie l'Index delaFa^/o/o.7/e latine de Mig.ne, t. CCXIX, p. 363, s. v° /Ksculapius. Quelques textes dArnobe, de Lactance, de saint Augustin ont été cités plus haut, p. lo7.
2. (if. Casimiho, Memorie istoricUe, p. 267.
3. AcTA Sanctorlm, août, t. II, p. 31 : Genliles vero sanctum Migdiinn opinantes ipsum adfore A.sclepiuin, detim medicinse, aut aliquem tnagnoruin deorum siib humana effigie latilare, et causa salutis romani populi de cœlis ad terras venisse, thus et victiinas off'ere volentes, certatiin iUum in templuni Asclepii duciint. At uln multitudine vallatus populi, ante slaluam Asclepii sanctus Mir/dius sietit, etc.
4. AcTA Sa.nctokum, loc. cit. : Mullitudinem hanc infirmorum diverso mor- borum génère oppressant, quatn nec Asclepius nec ullus deorum vestronini sanare potuit, vobis prœsenlibus procul omni ambiguilate in nomine l'alris el Filii et Spiritus Sancti saluti pristinse restaurabo.
LA FIN DU CULTE D ESCULAPE A ROME 241
enflammés de zèle, ils abattirent l'autel d'Esculape, et le saint jeta lui-même sa statue dans le Tibre ^ Le temple, situé tout auprès du fleuve et fréquenté par les malades, dont parle l'auteur du récit, paraît bien être celui de l'Ile. Mais le texte de cette vie de saint est d'une époque trop basse et d'une rédaction trop grossière pour qu'on y ajoute foi-'. On ne peut faire le départ entre les faits réels et les enjolivements posté- rieurs qui les défigurent. Il faut retenir seulement de cette légende suspecte une preuve nouvelle de l'hostilité qu'éprou- vaient les chrétiens des premiers siècles à l'égard du culte célébré dans les Asklépieia.
Persistance du culte d'Esculape. — Esculape cependant résista longtemps, et non sans succès, à ces ennemis acharnés. Il fut peut-être <( le plus vivace de tous les dieux païens, et le plus tenace adversaire du christianisme ^ ». Si Constantin ordonne de détruire le temple qu'il possédait à JEgSQ en Cilicie ^, Julien l'Apostat proclame ses vertus curatives et sa toute-puissance et tâche de ramener aux sanctuaires la clientèle qui les dé- serte^. Libanius fait l'éloge d'un discours que le rhéteur Aca- cius a prononcé dans un temple d'Asklépios pillé par les chré- tiens et rouvert ensuite au culte ; Acacius prouvait l'efficacité des oracles par les inscriptions que les convalescents avaient rédigées*'. Saint Jérôme nous assure que l'incubation était encore pratiquée de son temps"^. « Le nom d'Esculape resta même associé dans l'imagination populaire au nom de Rome, de sorte que, quelques siècles plus tard, une légende faite de réminiscences travesties attribue la fondation de Rome à une certaine Roma, fille d'Esculape 8. »
1. AcTA S\NcroRUM, loc. cit. : Baptizatis autem his qui miraculum viderant et diruta Asclepii ara sanctus vir propriis manibus ejus idolum rapuit et prsecipitavit illud in fluvium Tiberim.
2. Voir les réserves formulées expressément par les éditeurs des Acta Sa.n'c- TouuM, loc. cit., p. 18-20. — Renseignement confirmé par M»' Duchesne.
3. M. Albert, les Médecins grecs à Rome, p. 30.
4. EusEB., Vila Constantini, III, 56.
5. Cyrili.., In Julianum, VII, 23o.
6. LiBAMUs, Epist., 607.
7. HiEROS., In Isaiain, XVIII, 65, 4 : Nihil fuit sacrilegii quod Israël populus prœtermitteret, non solum in hortis immolans et super lateres thura succendens, sed sedens quoque, vel habitans in sepulcris et in delubris idolorum dortniens, ubi stratis pellibus hostiarum incubare soliti erant, ut som}iiis futura cognos- cerent. Quod in fa7ï0jEsculapii usqiie liodie error célébrât ethnico'um multo- rumque aliorum, quœ non sunt aliud, nisi lumuli mortuorum.
8. Bouché-Leclercq, op. cit., t. III, p. 299. — Cf. Schol. Bern. ad Verg. Bucol.
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242 LE SANCTDAIRE D ESCLLAPE
Rien ne prouve mieux limportancc et la faveur de ce culte chez les Anciens que les traces qu'il a laissées dans le christia- nisme même. Quelques-uns des rites usités par les fidèles qui fréquentaient les Asklépieia survécurent à la ruine du paga- nisme. Les saints intercesseurs ont succédé aux divinités mé- dicales. Il arrivait assez souvent au moyen âge que les malades vinssent passer la nuit dans les églises pour obtenir leur guérison*, et cette vieille coutume s'est conservée jusqu'à nos jours en quelques coins reculés de la Grèce et de l'Italie. L'usage a persisté aussi, en certaines régions, de déposer devant les autels l'image des membres ou des organes du corps humain auxquels les saints bienfaisants ont rendu la santé. Il n'est pas rare de rencontrer dans les sanctuaires modernes oîi les pèlerins accourent en foule des modèles de bras ou de jambes qui ressemblent tout à fait aux ex-voto du musée des Thermes.
La fête des saints Exupérantius et Sabinus. — L'ile tibérine nous donne un exemple frappant de la persistance inconsciente des traditions païennes. La fête annuelle du temple avait lieu le 1" janvier. De nos jours, chaque année, la fête des saints Exupérantius et Sabinus, martyrs d'Ombrie mis à mort sous Dio- clétien, est célébrée le 30 décembre dans l'église Saint-Barthé- lémy, oti l'on conserve leurs reliques -. Malgré tant de siècles écoulés et la substitution du christianisme au paganisme, l'ile est toujours le théâtre d'une cérémonie religieuse solennelle à la même époque qu'autrefois et presque à la même date. Il ne paraît pas vraisemblable que cette rencontre étrange soit tout à fait fortuite. L'édifice actuel de Saint-Barthélémy est relativement récent. Il ne fut bâti qu'au début du xi* siècle. Avant qu'il ait été placé sous l'invocation de saint Barthélémy, Otton III, son fondateur, lui avait donné vers l'an 1000 le le nom du martyr de Prague, saint Adalbert. M. von Duhn
atque Geortf., éd. Elapen, Leipzig, 1867, p. 1000 [Epimetrum, Ecloga,\, 20) : Roma ante RomuUnn fuit et ab ea sibinomen tlomulus adqtiisivit, sed /lava et candida Roma .^scolapi filia novum nomen Latio facit ; latnen conditoris tel condilricis nomine omnes Romani vocanl.
1. Cf. Maiugxa.\, la Médecine dans l'Eglise au vf siècle, Paris, 1887 ; du même auteur. Etudes sur la civilisation française, t. II, le Culte des Saints sous les Mérovingiens, Paris, 1899, p. 183.
2. DiARio iiOMANo, à la date du 30 décembre : Sabino vescovo ed S. Esuperanzio diacono martiri, in S. Bartolomeo allHsola riposano i corpi.
LA FIN DU CULTE d'eSCULAPE A ROME 2i3
s'est demandé si une église des saints Exuperantius et Sabinus ne s'élevait pas précédemment à cet endroit ' . Les chrétiens l'auraient construite au moment de la disparition du paga- nisme, sur l'emplacement du temple antique d'Esculape et avec des matériaux empruntés aux ruines. On aurait fixé à dessein la fête du monument au 30 décembre : depuis longtemps les Romains avaient l'habitude de se rendre dans l'île tibérine à ce moment de l'année pour assister à une cérémonie religieuse ; on voulut que le sanctuaire chrétien héritât de la popularité du sanctuaire païen et attirât la même affluence. Plus tard, Otton III le reconstruisit de fond en comble ; saint Adalbert en devint le patron, puis saint Barthélémy; les reliques des saints Exuperantius et Sabinus furent reléguées dans une chapelle latérale ; elles y sont encore. La fête du 30 décembre a perdu sa primitive importance, mais elle n'a pas cessé d'être observée ; si les hypothèses de M. von Duhn sont fondées, c'est un legs du paganisme au christianisme, une survivance inattendue et déguisée du culte d'Esculape.
Hôpital et hospice dans l'île tibérine. — Il ne faut pas cepen- dant abuser des rapprochements et des coïncidences. On au- rait tort de croire que le grand hôpital qui occupe maintenant tout un quartier de 'l'île ait été fondé en mémoire du temple d'Esculape. Sans doute les Asklépieia méritaient le nom d'hô- pitaux ; les portiques sacrés servaient de dortoirs aux malades qui attendaient les révélations du dieu, et les prêtres étaient aussi des médecins. Mais les fondateurs de l'hôpital actuel n'ont point songé à perpétuer une tradition païenne. Les Frères de Saint-Jean-de-Dieu ne s'y établirent qu'en 1572, sous le pontificat de saint Pie V; le couvent qui leur fut concédé et qu'ils transformèrent en établissement de bienfaisance et d'assistance avait été occupé jusqu'alors par des rehgieuses bénédictines 2. Quand l'île tibérine fut rendue à son antique destination et abrita de nouveau des malades, le souvenir du culte d'Esculape était depuis longtemps aboli.
Ce qui est vrai, c'est que par sa position, elle semblait prè-
le NissEX, Ueber Tempel-Orientiriing, dans le Rheinisches Muséum, 1874, t. XXIX, p. 392; — Von Dlhn, dans le Bullelt. delVInslit. archeol., 1879, p. 7 ; — du même auteur, dans les Mitlheil. des archàol. Instit., Rœm. Abtheil., 1886, p. 172.
2. Gasimiro, Memorie istoriche, p. 269.
244 LE SANCTUAIRE D ESCL'LAPE
tlostinéo à cet usage. Les mêmes raisons ont doridé les an- ciens et les modernes à la vouer à la médecine. C'est un lieu tout désigné de refuge et d'isolements Au ix" siècle les évéques de Porto, de qui elle dépendait, vinrent y résider, chassés de leur ville épiscopale par les invasions sarrasines. Peut-être dès cette époque y élevèrent-ils sinon un hôpital, du moins un hospice : un fragment d'inscription métrique copié à la Renaissance dans le couvent de Saint-Jean-Cahbite et com- plété par do Rossi, paraît l'indiquer-. L'île tibérino est restée d'âge en ûge fidèle à ses destinées antiques.
1. On a déjà rappelé plus haut, p. l"o, que pendant la peste de IG.iS l'Ile entière fut transformée en hôpital et qu'on y évacua tous les malades de Rome.
2. Texte édité par Fabretti et publié de nouveau, avec les corrections et com- pléments de DE Rossi, par Gaxtakelli, Di un frainniento epùjiafico crisllano ilell isola porluense, dans le Bullefl. Comun., 18%, p. 75, note :
Pauperibus vict['u]m midis tcgmina confort.
Hune habuit patrem orfanus cl vidua. Hanc aulam propr^^^iis opijhus construxit ab imo,
In qua sanctoram [plujrima membra mancnt, Urbis Porlensis senfii est qjua- pressa ruina.
11 serait question dans ces vers, d'après M. Cantarelli, de la construction d'un hospice et de la reconstruction d'une église entreprises à l'endroit môme où l'inscription commémorative était placée, c'est-à-dire dans lile tihérine. Cette église serait donc, ou bien la vieille église de Saint-Jean-Baptiste in insula, qu'a remplacée Saint-Jean-Galybite. ou bien l'église des Saints-Exupe- ranlius-et-Sabinus que suppose M. von Duhn.
LIVRE IV
LES CULTES SECONDAIRES
LIVRE IV
LES CULTES SECONDAIRES
Esculape n'était pas la seule divinité qu'on adorât dans l'île tibérine. Auprès de son sanctuaire se dressaient deux temples de Jupiter et de Faunus, une statue de Semo Sancus, une cha- pelle de Tiberinus, Les anciens calendriers gravés sur la pierre et le poème des Fastes d'Ovide attestent l'existence des temples ; la fête du premier d'entre eux est appelée par Ovide fête de Jupiter et par un calendrier fête de Vejovis ; une inscription a fait connaître en 1854 le véritable nom que por- tait l'édifice : il était dédié à Jupiter Jurarius. On a retrouvé la base même de la statue de Semo Sancus. Un calendrier nous apprend que chaque année un sacrifice était offert dans File à Tiberinus, Aucun de ces cultes secondaires célébrés in insula n'avait l'importance ni l'éclat de celui d'Esculape. On ne sait guère des monuments élevés à Jupiter et à Faunus que la date et les circonstances de leur fondation ; un texte se rapporte au Vejovis de l'île, deux à la statue de Semo San- cus, un seul à Tiberinus. La position de Y insula tiberina au milieu du fleuve, en dehors de l'enceinte religieuse de la cité primitive, que marquait la ligne du pomeriiim^ nous explique que l'on ait honoré ces divinités sur son territoire. Comme Esculape, Jupiter Jurarius, le Zsù; opxtc; des Grecs, était d'ori- gine hellénique; à cause précisément de ce caractère pérégrin, Esculape n'avait pu être admis à l'intérieur du pomerium ; le
248 LES CULTES SECONDAIRES
Jupiter grec adopté par les Romains un siècle plus tard vint le rejoindre; l'aïeul, comme le dit Ovide, prit place à côté du petit- fils. Vejovis, le dieu des expiations, vengeur des manquements à la parole jurée, et Semo Sancus Dius Fidius, le demi-dieu de le bonne foi, le génie qui sanctionnait les promesses, furent associés à Jupiter Jurarius, protecteur et garant des serments; c'est dans le temple de celui-ci que l'on sacrifiait à Vejovis; et c'est tout auprès qu'était située la statue de Semo Sancus. L'unique sanctuaire romain de Faunus fut relégué inter duos pontes, hors du pomerium, en raison de la nature même de ce dieu, tout agreste et rural. Il était naturel enfin que Tibe- rinus, le fleuve du Tibre divinisé, possédât une chapelle, un sacellum, dans l'ile qu'il entourait de ses eaux et à laquelle il donnait son nom. Des divinités très différentes, italiques comme Faunus et Tiberinus, Vejovis et Semo Sancus, ou étran- gères comme Esculape et Jupiter Jurarius, se trouvaient ainsi réunies au même endroit, sans que ce fût cependant le hasard qui les eût rapprochées.
CHAPITRE 1 JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS
Examen d'un passage de Vitruve. — Il y avait dans l'ile tibérine, au siècle d'Auguste, un temple de Jupiter'. Vitruve le mentionne expressément. Au livre III du traité de Archi- tectura, le temple de Jupiter et de Faunus dans l'île tibérine est cité comme exemple de monument prostyle^. Ce texte est embarrassant et prête à la discussion. S'il n'y avait eu entre les deux ponts, outre le sanctuaire d'Esculape, qu'un seul temple, consacré à la fois à Jupiter et à Faunus, le témoignage de Vitruve serait très précieux ; on pourrait l'accepter de con- fiance. Mais il est certain, d'après les auteurs et les inscrip- tions, qu'il faut distinguer deux édifices, dédiés, l'un à Jupiter, l'autre à Faunus. Vitruve est le seul qui associe ces divinités si étroitement et ne leur attribue qu'une demeure en commun. Se serait-il trompé? n'aurait-il pas pris pour un temple unique deux temples séparés? En général, cependant, il est exact et bien informé ; il vivait à Rome ; il a vu lui-même tout ce qu'il décrit; on ne peut guère le supposer capable d'une erreur si grossière.
Jordan, prenant sa défense, s'est demandé si en effet, malgré le silence des autres sources, Jupiter et Faunus n'étaient pas adorés ensemble et dans le même temple -^ La fête de Faunus
1. AusT, de Jidihus sacvis populi romani, p. 20 n° 47, {œdes Vediovis) — KiEFEUT-HcELSEN, Nomencl. topog., p. 89 [templum Vejovis); — Homo, Lex. de topogr. rom., p. 623 {templum Vejovis). — Cf. Jordan, de JEscidapii Faiml Vejovis Jovisque sacris urbanis, dans les Commentationes in honorem Momm- seni, p. 339.
2. ViTRUv., m, 2 : Prostijlos omnia habet quemadmodum in antis, columnas aulem contra antas angulaires dnas, supraque epistylia quemadmodum et in antis, et dextra ac sinistra in versuris singula. IIujus exemplar est in insula tlberina in sede Jovis et Fauni.
3. Jordan, loc. cit., p. 363.
250 LES CULTES SECONDAIRES
in insula avait lieu aux ides de février^. Or les ides de chaque mois, jour de la pleine lune, étaient vouées à Jupiter, dieu de la lumière 2. On célébrait donc simultanément le 13 février deux cérémonies : la fête annuelle de Faunus, la fête mensuelle de Jupiter. Il n'est pas surprenant qu'on les ait rattachées l'une à l'autre et confondues. Peut-être même Auguste, en restau- rant l'édifice élevé à Faunus pendant l'époque républicaine, l'aura-t-il placé sous la double invocation de Faunus et de Jupiter. Le texte de Vitruve ne concernerait donc pas le temple de Jupiter, mais celui de Faunus, ou mieux de Fau- nus et de Jupiter.
C'est en vain que Jordan, à force de déductions et de con- jectures, essaie de disculper Vitruve. Il faut avouer que ce dernier s'est mépris, ou, tout au moins, qu'il s'est mal exprimé. Il était très rare — Jordan le reconnaît lui-même — qu'un seul sanctuaire fût consacré à deux divinités à la fois, et surtout qu'il portât officiellement un double nom. Si l'on adop- tait l'hypothèse de Jordan, on devrait admettre l'existence dans l'île tibérine d'un temple de Jupiter, bien connu par d'autres documents, et d'un temple de Faunus et de Jupiter, connu simplement par Vitruve et attribué partout ailleurs au seul Faunus ; est-il invraisemblable que l'on ait dédié à Jupiter deux édifices aussi voisins?
En réalité, s'il n'est question dans la phrase que d'un monu- nument, in œde Jovis et Fauni, si Vitruve ne donne qu'un exemple, hujus exemplar, il savait très bien que les sanc- tuaires de Jupiter et de Faunus étaient distincts, et n'a pas entendu soutenir le contraire. Il songeait à proposer un modèle de construction prostyle. Le temple de Jupiter in insula s'est présenté à sa pensée. Mais l'île tibérine renfermait, en outre, celui de Faunus, bâti et inauguré en même temps, construit par conséquent, selon toute apparence, dans le même style, sinon par les mêmes architectes. Au lieu de citer un type d'édifice prostyle, Vitruve s'est trouvé tout naturellement amené à en citer deux et à ajouter les mots et Faiini après in œde Jovis. Il ne s'est pas donné la peine de mettre œde et exeniplar au pluriel. Il n'était pas écrivain de métier. L'incorrection d'une
1. Cf. ci-dessous, p. 290.
2. Macrob., I, 15, 4 : Omnes idus Jovis ferias ohservandas sanxil anliquilas. — Lydls, de Mens., III, 7 : (01 ^yatxoi)... ta; Eî5o-j; (Tovrém xfjv (Ae<Totxr,vtav) Atl r,YO"jv 'HX{ù> ivëyepov.
JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS 25i
forte ellipse ne le choquait nullement. Ni pour lui ni pour ses- contemporains l'hésitation ou l'équivoque n'était possible. Le sens de la phrase ne faisait pas de difficulté. On doit conclure de ce texte, sans s'arrêter à une négligence de lan- gage, que les deux temples de Jupiter et de Faunus étaient prostyles.
La fête de Jupiter et de Vejovis dans l'île. — C'est d'Escu- lape, et non pas de Faunus, que les anciens calendriers et le poème des Fastes d'Ovide rapprochent le Jupiter de l'île. Les Romains célébraient au même jour, le l*"" janvier, la fête annuelle du sanctuaire d'Esculape et celle de Jupiter in insula. Ovide raconte qu'aux kalendes de janvier deux temples ont été consacrés : « Jupiter participe aux honneurs que l'on rend à Esculape. Un môme lieu les a reçus l'un et l'autre, et le temple du petit-fils est joint à celui de son illustre aïeuU. » Sur un calendrier découvert à Préneste (Palestrina), à la pre- mière ligne de la colonne réservée au mois de janvier, une fête d'Esculape et de Vejovis dans l'île est indiquée'^ :
\jEscii\lapio Vediovi in insula.
La divinité associée à Esculape se trouve désignée dans ces deux textes sous des noms différents ; Ovide l'appelle Jupiter et le calendrier Vejovis. D'oii vient ce désaccord et comment l'expliquer? Il est impossible qu'il y ait eu à cette place deux temples, dédiés l'un à Jupiter, l'autre à Vejovis, et deux fêtes de Jupiter et de Vejovis le 1" janvier, en même temps que celle d'Esculape. Il est impossible aussi qu'un seul temple et une seule fête aient été attribués tantôt à Jupiter et tantôt à Vejovis; Jupiter et Vejovis n'étaient pas deux vocables d'un, même dieu, mais deux dieux séparés ; si voisins qu'ils soient l'un de l'autre, ainsi que le montre l'aspect des deux mots dérivés d'une commune racine, les Romains ne les confondaient pas; chacun d'entre eux avait à Rome ses temples et ses fêtes. Auquel appartenait, en réalité, le sanctuaire de l'île?
Une inscription officielle, telle que le calendrier de Pré-
1. OviD., Fasl., I, 293 (Cf. ci-dessus, p. 184).
Jupiter in parte est. Cepit locus unus utrumque Junctaque sunl magno lempla nepotis avo.
2. C. î. L., I, 2' éd., p. 231.
252 LES CULTES SECONDAIRES
neste, mérite a priori plus de confiance que le poème des Fastes ; si elle ne fut écrite qu'entre les années 756/2 après l'ère chrétienne et 763/9, à la même époque par conséquent que les Fastes^, ceux qui l'ont composée se sont servi certai- nement de documents plus anciens; les Fastes^ au contraire, ont une valeur très inégale et souvent contestable^. On hésite cependant à croire qu'Ovide ici se soit trompé ; il connaissait bien les édifices de Rome; il ne pouvait confondre Vejoviset Jupiter. Jordan est d'avis qu'il existait tout d'abord dans l'ile tibérine un sanctuaire de Vejovis; on l'aura transformé sous le règne d'Auguste en un temple de Jupiter, tout en con- tinuant à fêter Yejovis le 1" janvier avec le dieu qui le remplaçait ; le calendrier, qui s'inspire des vieux formulaires donne encore à la cérémonie le nom qu'elle portait primitive- ment, tandis qu'Ovide, contemporain d'Auguste, poète de coiu', interprète docile des usages de son siècle, préfère employer le nom nouveau"^. On peut objecter à Jordan qu'il complique inu- tilement l'histoire du temple de Jupiter m insiila; sa théorie ne s'appuie sur aucun fait prouvé. Nous ne savons rien de cette prétendue substitution, k un moment donné, de Jupiter à Vejo- vis dans l'ile tibérine ; elle n'est guère probable ; Vejovis pos- sédait à Rome, sur le Capitole,un autre sanctuaire^; il ne cessa pas d'y être adoré sous l'Empire ; Jupiter ne vint jamais l'en déloger. Une seule hypothèse permet de résoudre le problème et de concilier Ovide et les calendriers. Ceux-ci nous ren- seignent moins sur le nom môme des édifices que sur la nature des fêtes. Le temple de l'ile avait dû être dédié, comme dit le poète, à Jupiter et inauguré un 1" janvier. Le calendrier de Pré- neste nous apprend en outre que le jour où l'on célébrait la fête commémorative de sa dédicace on y offrait un sacrifice à Vejovis.
Jupiter et Vejovis. — Il n'est pas invraisemblable ni surpre-
1. C. I. L., I, 2» éd., p. 206.
2. Voir les observations que fait Fonyleu, the Roman festivals, Introduc- tion, p. 13.
3. JoHDAX, op. cit., p. 366.
4. Inter duos lucos : AiST, op. cit., p. 33, n" 110; Kif.i'ERT-Hlelsejj, op. cit., p. 88; Homo, op. cit., p. 62;i, — d'après le calendrier de Préneste, C. 1. L., I, 2* éd., p. 233. — AusT {op. cit., p. '21, n" 'j2), Kiepeht-Hlelsen et Homo {locis citatis) croient qu'il existait sur le Gapitole, in arce, un second temple de Vejovis, que mentionnerait Tite-Live (XXXV, 41). Voir ci-dessous, p. 264.
JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS 253
nant que les Romains aient ainsi rapproché ces deux dieux et sacrifié à celui-ci en fêtant celui-là. Ils ne croyaient point qu'ils fussent étrangers l'un à l'autre et sans rapports entre eux ; bien au contraire. Vejovis était considéré comme une manifestation particulière de Jupiter, adorée séparément ^ Il n'avait de sanc- tuaire à Rome, en dehors de l'île tibérine, que sur le Capitole. Les auteurs anciens ne sont pas d'accord sur le sens et l'éty- mologie de son nom ; tous, néanmoins, le rattachent à celui de Jupiter.
D'après Ovide, Vejovis est un Jupiter jeune; son nom vient de Jovis et de la particule ve, qui a une valeur dimiuutive; de même que vegrandis signifie petit, de même on appelle Vejovis un petit Jupiter''; il était représenté par les sculpteurs jeune et imberbe, sans foudres dans la main, à la différence de Jupi- ter adulte^. — D'après Aulu-Gelle, ve a une valeur privative; Vejovis est le contraire de Dijovis et de Jupiter [Jovis au gé- nitif) ; le verbe jiœare nous fait comprendre la vraie nature de ces derniers ; ce sont des divinités secourables et bienveil- lantes ; inversement Vejovis a le pouvoir non pas d'aider, mais de nuire, et on l'invoque pour le conjurer; s'il n'est pas armé de la foudre, il brandit des flèches prêtes à frapper, comme Apollon^. — Un passage de Festus permet peut-être de ramener
1. Sur le culte de Vejovis à Rome, consulter : Preller, Vejovis und Diiovis, dans les Cer. d. siichs. Ges. d. Wiss., Leipzig, 1835, et dans ses AusgewUhlle Aufsutze, Berlin, 1864, p. 266 ; — Preller-Jordax, Rœin. Mylhol., t. I, p. 262 ; — FowLER, op. cit., p. 121 ; — 0. Gilbert, Gesch. und Topocjr. d. St. Rom, t. II, p. 99; t. III, p. 83.
2. Jupiter enfant était adoré à Terracine, sous le nom de Jupiter Anxur : Servius, ad JEn., VU, 799 : Circa hune tvactum Campaniœ colebatur puer Jupiter qui Anxurus dicebatur quasi avîu Eypxç, i[d e)st sine novacula, quia barbam nunqicani rasisset; et Juno virgo, quae Feronia dicebatur; est autem fons in Campania juxla Terracinam, quae aliquando Anxur est dicta.
3. OviD., Fast., 111,437.
Jupiter est juvenis, juvéniles adispice vultus ;
Adspice deinde manum ; fulmiDa nulla tenet. Fulmina post ausos cœlum affectare gigantes
Sumpta Jovi : primo tempore inermis erat... Nunc vocor ad nomen : vegrandia farra coloni
Quœ maie creverunt vescaque parvapulant. Vis ea si verbi est, cur non ego Vejovis œdem
-Edem non magni suspicer esse Jovis.
Cf. Festus, p. 378 : Vediovem parvum Jovem et vegrandem fabam minutam dicebant.
4. Gell., V, 12 : Est autem etiam œdes Vejovis Romse inter arcem et Capi-
tolium Jovem Latini veteres a juvando appellavere Cum Jovem igitur et
Dijovem a juvando nominassent, eum quoque contra deum qui non juvandi potestatem, sed vim nocendi liaberet {nam deos quosdam ut prodessent celé-
254 LES CULTES SECONDAIRES
l'une à l'autre ces deux étymologios et de les corriger'. En soi la particule ve n'exprime pas l'idée de petitesse ; elle est péjorative bien plutôt que diminutive. Yegrande veut dire pro- prement nulle grande. Ovide le reconnaît :
Vegrandia farra col on i Quao maie creverunt vescaque parva putant.
« Dans le langage des paysans les épis mal venus sont nom- més vegrandia ferra. » Festus remarque pareillement que vecors veut dire mali cordis et vesanits maie sanus. On est passé sans peine do ce premier sens à celui qu'Ovide indique ; des récoltes qui ont mal poussé sont misérables et médiocres, une plante qui n'a pu se développer est petite. On vit donc en Vejovis un petit Jupiter; mais à l'origine il n'était qu'un Jupi- ter mauvais, mal disposé, défavorable.
Si Aulu-Gelle a tort de faire intervenir le verbe jtivare^ l'interprétation qu'il donne du nom de Vejovis n'a rien, par ail- leurs, que de très plausible. Les Romains, comme il le remarque justement, élevaient des autels à certains dieux pour se les rendre propices, à certains autres pour empêcher qu'ils leur fissent du mal, quosdani ne obessent placabant. Ils rendirent un culte à Yejovis, comme à Pavor par exemple ou à Fehris; ils avaient intérêt à prévenir ses colères et à détourner ses coups. Les
hrabant, quosdam ne obessent placabant) Vejovem appellaverunt, dempta alque delracta juvandi facullate. Ve enim particula quae in aliis atque aliis voca- èulis varia, tum per has duas lilleras, tum a lilteva média immissa dicitur, duplicem significatum eumdemque inler sese diversum capit. Nam et aupendse rei et minuendae valet, sicut aliae parliculœ plurimae ; pvopter quod accidit ut quaedam vocabula quibus particula isla praeponitur, ambiç/ua sint et utro- queversum dicantur : vescum, vehemens et vegrande; de quibus alio in loco uberiore traclu facto admonuimus ; vesani autem et vecordes ex una tantuin parte, quse privativa est, quam Graeci <rT£pr,Ttxbv pioptov dicunt. Simidacrum igilur dei Vejovis, quod est in sede de qua supra dixi, sagiltas tenet quse sunt videlicet paratae ad nocendum : quapropter eum deum plerique Apollinem esse dixerunt. — Sur une monnaie de \&gens Gaesia on voit un personnage décochant un triple trait, et dans le champ le monogramme X, que Mosimsen {liisl. de la Monnaie romaine, trad. franc., t. 11. p. 370) traduit par Apollon Vejovis (Babelon, les Monnaies de la République romaine, t. 1, p. 280). Surune monnaiede la gens Fonteia au-dessus de la tête d'Apollon est figurée la foudre de Jupiter : Vejovis réunissait les attributs de ces deux dieux (Babelox, op. cit., t. I, p. 304).
1. Festcs, p. Î<'Î2 : Vegrande significare alii aiunt maie grande, ut vecors, vesanus, mali cordis maleque sanus; alii parvum, minutum, ut cum dicimus vegrande frumentum, et Plautus in Cislellaria : qui 7iisi itures nimium is vegrandi gradu. Vecors est turbati et mali cordis. Pacuvius in Iliona : Paelici -superstitiosœ cum vecordi conjuge. El Novius in Hercule coaclore : Tristimo- niam ex animo deturbat et vecordiam.
JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS 255
calendriers signalent trois sacrifices annuels en l'honneur de Yejovis à Rome : aux nones de mars, septième jour du mois, sur le Capitule, inter duos lucos^ :
Vediovis inter duos \ hicos; le 21 mai, sans indication de lieu- :
A7/ kal. iun. N \ agonia \ Vejovi; enfin le l*"" janvier dans l'ile tibérine. Les Fastes d'Ovide viennent heureusement compléter cette dernière indication : le sacrifice des kalendes de janvier était fait dans le temple de Jupiter in insula.
L'inscription dédiée à Jupiter Jurarius. — Une inscription qui provient de ce sanctuaire a été découverte au xix" siècle. Elle confirme le témoignage d'Ovide : elle n'est pas dédiée à Vejovis, mais à Jupiter. Une épithète jusqu'alors inconnue s'y trouve accolée au nom du dieu : Jupiter Jurarius 3.
Au mois de mars de l'année 1854 des ouvriers qui travail- laient dans les sous-sols de l'église Saint-Jean-Calybite et des édifices attenant rencontrèrent, à plusieurs mètres de profon- deur, un fragment de pavage en mosaïque, de couleur rouge sombre ; des petits cubes blancs de i^alomhino encastrés dans le ciment coloré du fond, dessinaient une inscription. Ce pa- vage recouvrait lui-même un puits profondément creusé, qui renfermait un grand nombre de terres cuites, off'ertes sans doute comme ex-voto : mains, pieds, visages vus de profil; on devait recueillir, cinquante ans plus tard, une quantité consi- dérable d'objets analogues aux abords de l'île et dans le lit du Tibre ; c'était la première fois en 1854 qu'on faisait une pa- reille trouvaille à Rome même ; les terres cuites furent dis- persées et l'on ne sait ce qu'elles sont devenues. Le Giornale di Roma signala aussitôt la découverte^. P. E. Yisconti en rendit
1. Calendrier de Préneste : C. I. L., I, 2" éd., p. 233. -Cf. Ovid., Fas/. 111,429.
2. Calendrier de Venouse : G. I. L., I, 2' éd., p. 221. — Aust {op. cit.,]). 41), s'inspirant de Jordan {loc. cit., p. 361) rapporte la fête du 21 mai à un second temple de Vejovis sur le Capitole,m arce.
3. M. Besxier, Jupiter Jurarius, dans les Mélanges (Vai^chéol. et d'hist. de VEcole de Rome, 1898, p. 231 (depuis la publication de cet article il nous a paru nécessaire de modifier nos premières conclusions).
4. Giornale di Roma, année 1854, n° 80 : découverte du pavage en mosaïque; n* 82 : découverte d'un puits contenant des ex-voto, sous la mosaïque; tous ces objets, sauf un seul, étaient en terre cuite (le dernier sans doute en pierre). — Ces articles ne sont pas signes, mais ils ont été écrits ou, tout au moins, inspirés par Yisconti.
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LES CULTES SECONDAIRES
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compte à l'Académie pontificale romaine «rarchëologie ; son rapport manuscrit, très détaillé, daté du 30 mars 1854, est maintenant en la possession de M. Lanciani^. Canina publia Tinscrip- iion, avec un commentaire, dans l'année même ^ ; elle fut reproduite par Ritschl d'après le fac-similé lithographie qu'avait soumis Visconti à l'Académie pontifi- cale-^ 11 résulte des renseignements donnés par ces divers auteurs que la mosaïque était située à plus de 25 palmes sous le niveau actuel de l'île, soit envi- ron 5", 60 ; elle était recouverte presque tout entière par la salle capitulaii'e du couvent des Frères de Saint-Jean-de- Dieu qui touche à l'église Saint-Jean- Calybite, et en petite partie seulement par l'église même. On ne peut plus voir maintenant l'inscription ; le terrain a été remblayé, et l'on a construit un mur nouveau au-dessus du pavage an- tique. Les mots suivants avaient été déchiffrés en mars 1854^ :
C. Volcaci C. f. har. de stipe Jovi J. nrario onimentom.
Un point était marqué entre l'I et VY de IVRARIO. Avant ONIMENTOM manquaient huit ou neuf lettres. A^'is- conti proposait de restituer au début la formule ex sententia et de lire ;
[Ex sententia] C[aii) Volcaci {Caii) f{ili) har [iispicis] de stipe Jovi Jura- rio [factum m]onimentom.
\. M. Lanciani a bien voulu nous en donner communication.
2. Canina, Sul tempto di Giove nell'isola tibe- rina, dans le Bullett. delVInslit. archeol., 1854,
p. XXX VII.
3. Ritschl, Priscae lalinitatis monumenta. Pi. LIX, A, et p. 52.
4. C. I, L., 1. l"éd., 1105; VI, 379.
JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS 257
« Monument élevé à Jupiter Jurarius, avec l'argent des coti- sations ', sur l'avis de Caius Volcacius, fils de Caius, haruspice. »
M. Mommsen ne croit pas que la formule ex sententia ait jamais figuré au début du texte ni qu'il soit nécessaire de la sous-entendre-. Les mots C. Volcaci seraient simplement des nominatifs. On devrait lire :
C{aius) Volcaci[ns) C[an) f[iliiis) har[iispex), etc.
D'autre part, à la fin du texte, M. Mommsen n'admet pas le complément [factum in\onimentom. La forme monimentom pour moaunientum est archaïque ; la désinence oni ne se ren- contre plus après le début du vf siècle de Rome (milieu du ii'' siècle avant l'ère chrétienne); or l'inscription n'est certainement pas antérieure à la fin de ce siècle ; aucun signe n'y décèle l'archaïsme ; l'L du mot Volcaci, avec ses deux barres se coupant à angle droit, ne peut appartenir qu'aune époque rela- tivement récente. Il faut rétabhr plutôt [ara^n cmn nï\onimento i)i[erito\, ou substituer même [p\avwiento à [rnlonijuento"^ .
Sur la première de ces deux questions, rien n'empêche qu'on se rallie à l'opinion de M. Mommsen; il est très possible que les mots C. Volcaci soient des formes nominatives abrégées. Sur la seconde, au contraire, la restitution de Visconti est préfé- rable ; la courbe de l'O et de l'N au commencement du dernier mot est trop bien marquée pour qu'on remplace [m\onimento par \p]avimento ; l'M final ne commence pas un mot nouveau : il n'y a pas d'intervalle entre lui et l'O qui le précède, tandis que l'espace qui le suit est vide. S'il est vrai que la terminai- son om soit d'une époque plus ancienne que l'L régulière de Volcaci, cette anomalie tient peut-être à l'usage qu'on avait à Rome de rédiger les inscriptions religieuses d'après de vieilles formules consacrées, dont on respectait scrupuleusement les moindres particularités^. C'est bien un «monument » que l'ha- ruspice C. Volcacius a été chargé de faire construire ou réparer. — On sait qu'un autre texte épigraphique de l'île tibérine — l'épitaphe d'une femme portant le cognomen de Psamathe — concerne la gens Volcacia^.
1. Sur l'expression de slipe, avec le produit des collectes faites parmi les fidèles, voir plus haut, p. 189 (à propos d'une inscription du sanctuaire d'Escu- lape dans l'ile, C. I. L., VI, 7).
2. Mommsen, au G. I. L., loc. cit.
3. Mommsen, loc. cit.
4. RiTSCHL, loc. cit.
3. Cf. ci-dessus, p. 70 (C. I. L., VI, 29.434 et 29.457).
17
2S8 LES CULTES SECONDAIRES
La découverte de l'année 1854 a fait connaître l'emplace- ment occupé par le temple de Jupiter et le nom spécial sous lequel on y invoquait le dieu.
Emplacement du temple. — Ovide ne dit pas en quelle partie de Tile se trouvait le temple. 11 se borne à déclarer qu'il était au même endroit que le sanctuaire d'Esculape, et relié à celui- ci. L'expression est vague et équivoque. Aussi les érudits, avant les fouilles de 1854, avaient-ils émis sur la question des avis discordants. D'après Venuti, par exemple, les murs en grand appareil qu'on voyait encore au xviir siècle à la pointe nord de Tile tibériue vers l'amont, marquaient la place de l'an- cien temple de Jupiter*. Il aurait suffi cependant de se reporter à un autre passage des Fastes d'Ovide — sur lequel nous re- viendrons plus loin — pour se convaincre que l'édifice situé dans l'île « à l'endroit oii se partagent les eaux du Tibre » était dédié à Faunus-. Canina a commis une autre erreur : sur l'un des plans restaurés qu'il a publiés, le temple de Jupiter figure à la pointe sud, vers l'aval, tandis qu'il réserve au sanctuaire d'Esculape et à ses dépendances toute la partie centrale, au nord des deux ponts ^. Mais nous avons démontré précédem- ment, à l'aide des inscriptions et de quelques vestiges subsis- tants, que le sanctuaire d'Esculape s'élevait à la pointe sud; il fallait chercher ailleurs la demeure de Jupiter. Désormais le doute n'est plus possible : on l'avait construite dans la partie centrale de l'île, au nord de la rue qui reliait les deux ponts Fabricius et Cestius, à peu près au lieu même que Canina assi- gnait d'abord cà Esculape. Il n'est pas inutile de rappeler que l'archéologue Ficoroni avait acquis au xvui" siècle une tête de Jupiter, découverte dans cette région « sur le site de l'hôpital des Frères de Saint-Jean-de-Dieu '• » ; elle appartenait sans doute à une statue qui décorait l'édifice antique.
La majeure partie du pavage en mosaïque se trouve sous l'une des salles du couvent des Frères; l'église Saint-Jean-
1. R. Vesuti, Descriz. topogr., parte II, capit. IV. — Il donne au Jupiter de l'Ile, comme Casimiro, Ficoroni, Guattani, etc., l'épithète de Lycaonius, que rien ne justifie (Cf. plus haut, p. 81).
•2. OviD., Fast., 11, 193. — Cf. ci-dessous, p. 290.
3. Canina, Archittetura aniica, t. 111, PI. CVlll.
4. Casimiko, Memorie isloriche, p. 2ti?j : La cui testa, trovala nel silo ov'è lo spetldle dei religiosi di S. Giovanni di Dio, fu comperala dal sign. Franc. Ficoroni, rinomalo antiquario di nostri tempi.
JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS 2:>9
Calybite ne recouvre qu'une de ses extrémités ' ; la position de ce monument moderne ne correspond donc pas exactement à la position du temple ; celui-ci débordait vers l'ouest, dans la direction du pont Cestius; il est certain toutefois qu'il était beaucoup plus rapproché du pont Fabricius que de l'autre et qu'il n'occupait pas le milieu même de l'île. Il faisait face au sanctuaire d'Escalape. Les expressions dont se sert Ovide, cepit lociis 7mî(s iitntmque, jimcta templa^ ne veulent pas dire que les deux constructions étaient contiguës. Les mots lociis imiis désignent simplement Vinsit/a tiberina, sur le sol de laquelle ils étaient bâtis l'un et l'autre ; les mots juncta templa, on l'a déjà remarqué, font peut-être allusion aux por- tiques de l'Asklépieion, qui s'étendaient entre la pointe sud et le centre de l'île et les reliaient, en effet -. Il a fallu creuser à une très grande profondeur pour parvenir jusqu'au pavage du temple de Jupiter Jurarius : le sol s'est considérablement tassé et exhaussé depuis l'antiquité. On doit à cette heureuse cir- constance la conservation d'un document authentique et capital.
Jupiter Jurarius ou Lurarius. — En 1854, le mot Jurarius était nouveau; jamais encore on ne l'avait rencontré. Visconti et Canina le rattachent à la même racine que les mots jus, jurare^jiisjiirandum. J?/rarzMS viendrait de yz<.s, comme vulne- rariiis de vulniis, iniinerarûis de miinus, tiirarius de tus. Jupiter Jurarius, c'est Jupiter invoqué en tant que protecteur des serments et gardien de la foi jurée. Il y avait de même chez les Grecs un Zsùç ôpy.ioç, dont le nom dérivait de l^y.ozi ser- ment^; ils le prenaient à témoin de leurs engagements ^ ; Zeus passait pour avoir institué le serment parmi les dieux et parmi les hommes 5; il châtiait les parjures. Pausanias a vu à Olym- pie, dans la salle de réunion de la ^zuXr,, une statue de Zzbq zpY.ioq brandissant de chaque main la foudre ''. Jupiter Jurarius était chez les Latins l'équivalent du Zebq opxicç hellénique '^.
1. Giornale di Roma, année 1854, n° 80 : Sottosta essa in parte alla chiesa di S. Giovanni Calihila.
2. Cf. ci-dessus, p. 188.
3. Sur Zeù; opxto?, consulter Preller-Robert, Griech. Mythol., t. I, p. toi; — Bhuchman.x, Epitheta deorum, Leipzig, 1893, p. 136.
4. SoPH., Phil., 1324 : — Eurip.. Hippol., 1023.
.5. SoPH., Œd. Col., 1~67 : 'O Travr 'aîwv Aiôç opxo;.
6. Pausan, V, 24, 2 : 'O ôè âv Tfji ^o-jlvjzripUù Ttàvrwv Ô7r(}(7iit àyà^fiaTa Atôç [xâ/iora i; £XTC)>r(Eiv àSîxwv àvSowv 7r£7toir|Tai, ÈTn'xXrjTt; jxkv "Opxiôî èortv a*jTw, ïys.1, Se £v àxaTÉpa xîpauvôv X^'P'*
7. Dans la dissertation de Garter, de Deorum romanorum coqnominihus
260 LES CLLTES SECONU AIRES
Orioli a conteste la lecture Jovi Jurario^. Sur le fac-similé, entre l'I et l'V de Jurario un petit trait vertical apparaît net- tement. Dans un texte d'une aussi belle graphie, où les lettres, très grandes, ne sont pas dessinées ni gravées, mais construites minutieusement point par point, ce trait devait avoir un sens. La première lettre du mot serait un L, gauche- ment tracé, il est vrai, dont la ligne inférieure ferait avec la haste droite un angle très aigu. L'inscription était dédiée Jovi Lurario^ à Jupiter Lurarius, le dieu qui soignait les mala- dies de la hira, c'est-à-dire les maux d'estomac. Il n'est pas étonnant que cette divinité guérisseuse ait eu dans l'Ile tibérine un temple auprès du sanctuaire du dieu médecin Esculape. Les fidèles rappelés par elle à la santé lui avaient offert, selon l'usage, des ex-voto en terre cuite; la présence de ces objets sous le pavage en mosaïque, inexplicable dans l'hypothèse qu'adopte Visconti, se trouve ainsi parfaitement justifiée.
L'argumentation d'Orioli ne saurait être acceptée. Le mot Lurarius est aussi nouveau et inconnu que le mot Jurariiis; il n'a pas d'analogue en Grèce. La première lettre qu'Orioli prend pour un L ne ressemble en rien à l'L incontestable du mot Volcaci ; celui-ci est régulier, à angle droit, selon la mode observée à partir de la fin du vi" siècle de Rome ; l'autre, au contraire, serait étroit et aigu, ainsi que les L des temps plus anciens. Le trait qu'on distingue devant FV n'a même pas l'aspect des petits cubes qui entrent dans la composition des lettres ; il est allongé et recourbé comme une virgule ; il ne peut former la branche inférieure de l'L; on aurait tort d'attacher tant d'importance à ce point mal fait, inséré à cette place par négligence. On doit s'en tenir à la première lecture : Jurario. Ce mot se retrouve écrit en abrégé, sur une inscription de Brescia, publiée en 1888 ; il n'est plus permis de le tenir pour un a^a^ Asysf-^vov etde suspecter sa latinité 2 : J{ovi) 0{ptimo) M{aximo) \ Jur[ario) \ d[c) c{onscriptorum)
s{ententia). « A Jupiter très bon, très grand, Jurarius, sur l'avis
des conscripti (c'est-à-dire des sénateurs du municipe). »
(fuaestiones selectee, Leipzig, 1898, p. 8 et 62, l'épilhète Jurarius est rangée parmi les cognomina purement et simplement traduits du grec en latin.
1. Orioli, Lettera al prof. Ilenzen sull'iscrizio7ie scoperla alVisola tiherina, àa.ns le Bullett. delVInslit. archeuL, d8.J3, p. v.
2. Pais, C. L L. Supplementa italica, l. Additamenta al G. \. L. V, dans les Alti dei Lincei, Memorie, t. V, 1888, n' 1272.
JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS 261
Les lettres IVR sont certainement une abréviation de Jiirarius. MM. Mommsen et Pais, qui ont relevé l'inscription, leur donnent avec raison ce sens, en se référant à la mosaïque de l'île tibérine. Les deux documents s'éclairent réciproque- ment : sans la découverte de 1854, on n'aurait pu comprendre un mot important du texte publié en 1888, et celui-ci, à son tour, atteste que les premiers éditeurs de la mosaïque l'avaient exactement déchiffrée ^ .
La présence d'offrandes médicales sous le pavage du temple de Jupiter s'explique fort bien, quoi qu'en pense Orioli, sans qu'il soit nécessaire d'imaginer un dieu de la lura. Remarquons d'ailleurs que, parmi les objets recueillis à cet endroit, se trouvaient des mains, des pieds, des tètes, mais pas d'esto- macs. Visconti croyait que ces ex-voto avaient été consacrés à Esculape ; le puits qui les renfermait était, d'après lui, l'une des favissœ de l'Asklépieion voisin 2. Il serait bien étrange cepen- dant qu'on eût placé ces favissas sous le temple d'un autre dieu. Mieux vaut supposer que les ex-voto étaient offerts à Jupiter même. Il était, disait-on, l'aïeul d'Esculape; cette parenté mythique et la proximité du principal sanctuaire élevé par les Romains à son petit-fils ont peut-être influé sur le culte qu'on lui rendait. On l'adorait, sous le nom spécial de Jurarius, comme le dieu des serments et de la bonne foi. Mais il avait bien d'autres attributions, et très diverses ; maître tout-puissant de l'air et du ciel, principe de toute force, il était imploré souvent à ce titre comme bienfaisant et guéris- seur. Les malades qui venaient chercher dans l'île le soulage- ment de leurs souffrances prirent l'habitude de s'adresser à lui, aussi bien qu'à Esculape, et pour lui manifester leur gra- titude ils lui firent hommage également d'ex-voto de terre cuite ^. Qui sait même s'il n'y avait pas entre Jupiter Jurarius et Esculape une relation plus étroite encore et plus directe? N'était-ce pas au premier de surveiller et de garantir l'exécu- tion des promesses faites au second ? Ne semblait-il pas naturel
1. AusT, dans l'article Jupiter du Lexicon de Roscher (t. II, 1, p. 150-754), donne la liste des épithètes décernées par les Romains à Jupiter ; au mot Jura- rius les seuls exemples cités sont les deux textes de l'île tibérine et de Brescia.
2. Giornale di Roma, année 1854, n° 82. Ganina en tirait argument pour sou- tenir que le temple d'Esculape était situé au centre de l'Ile. Cf. ci-dessus, p. 186.
3. Camna, Bullet. delVInstit. archeol., 1854, p. xxxviii; — Preller-Jordan, Rœm. MythoL, t. I, p. 267.
2C2 LES CULTES SECONDAIRES
qu'on témoignât souvent sa dévotion à l'un et à l'autre en m6me temps?
Date de la construction du temple. — L'histoire du monument n'est pas connue. On suit seulement par Tite-Live à quelles dates il fut promis au dieu, construit, inauguré. Dans son récit, aussi bien dans le de Architectitra de Vitruve que dans les Fastes d'Ovide et sur l'inscription du pavage en mosaïque, il est appelé temple de Jupiter. Le texte de l'historien, à vrai dire, a paru fautif et l'on a voulu y rétablir, par voie de con- jecture, le nom de Vejovis. Mais cette correction ne s'impose nullement et fait naître plus de difficultés qu'elle n'en résout.
Tite-Live rapporte au livre XXXI que le préteur L. Furius Purpureo, livrant bataille, en l'année 554/200 avant l'ère chré- tienne, aux Gaulois cisalpins révoltés, s'engagea, s'il était vainqueur, à élever un temple au dieu Jupiter, œdemque deo Jovi vocit si eo die hostes /'itdisseiK II dit au livre XXXIV que Purpureo fit bâtir lui-même ce monument dans l'île tibé- rine pendant son consulat, en 558/196, et que le duumvir C. Servilius le dédia deux ans plus tard, tandis que le préteur Cn. Domitius dédiait un temple à Faunus au même endroit : et in insula Jovis aedem C. Servilius duumvir dedicavit. Vota erat sex annis ante gallico bello a L. Furio Purpureone prœtore, ab eodem consule locata-. On voit au livre XXXV qu'en 562/192 le duumvir Q. Marcius Ralla inaugura sur le Capitole deux temples de Jupiter qu'avait voués à ce dieu L. Furius Purpureo, l'un pendant la guerre contre les Gaulois, l'autre pendant son consulat : œdes diiœ Jnri en anno iii Capi- tolio dedicatae sunt. Voverat L. Furius Purpureo prxtor gallico bello unani, alteram consul^ dedicavit Q. Marcius Ralla duumvir^. L'expression deo Jovi, qu'aurait employée Tite-Live au premier passage, est tout à fait inusitée. On s'est étonné, d'autre part, que le même personnage ait présidé à la construction de trois édifices en l'honneur de Jupiter, deux au Capitole et le troisième dans l'île, et que celui-ci et l'un des deux autres aient été offerts au même dieu en mémoire du même événement, la victoire de Crémone. Le texte ne serait-
1. Liv.. XXXI. 21.
2. Liv.. XXXIV. .i:î. :{. Liv.. XXX V. tl.
JUPITER JURARIIS ET VEJOVIS 263
il pas altéré et ne faudrait-il pas recourir à quelque correc- tion?
Jordan, dans son article des Commentationes in honorem Mommseni, s'est posé la question et la résout par l'affirma- tive^. Il remplace partout le nom de Jupiter par celui de Vejovis. Un copiste aura lu abusivement , au livre XXXI, AEDEMQVE DEO lOVI au lieu de AEDEMQVE VEDIOVI ; paléograpliiquement, la confusion se comprend sans peine. Au livre XXXIV il faut écrire de même Vediovis sedem^ à la place de Joms œdem~. Au livre XXXV ne devrait-on pas lire œdesquc diiœ Vediovi eo anno dedicatœ? Tite-Live a commis une erreur, ou plutôt il n'a pas su faire un choix raisonné parmi les documents qu'il avait à sa disposition; il a recueilli et transcrit deux versions différentes d'un seul fait. D'après la première, L. Furius Purpureo aurait promis à Vejovis un temple, qu'on plaça dans l'île tibérine; d'après la seconde, deux temples, que l'on mit au Capitole. La seconde version parait préférable : Pline l'Ancien déclare, en effet, que l'on conservait sur le mont Capitolin la statue de Vejovis 3 ; c'est donc là que ce dieu avait son temple ou ses temples, et les passages discutés de Tite-Live n'inté- ressent en rien l'île ni le sanctuaire de Jupiter in insida cité par Ovide.
Mais Jordan, après mûre réflexion, ne s'en est pas tenu à ce premier changement qu'il apportait au texte controversé du livre XXXV ; il y introduit une modification beaucoup plus grave. Les calendriers attestent que Vejovis était adoré à la fois dans l'île tibérine et sur le Capitole et qu'il possédait des sanctuaires en ces deux quartiers^. Nous n'avons donc aucune raison de révoquer en doute l'assertion de Tite-Live : le temple
1. JoHDAN, de Aisculapii, Fauni, Vejovis Jooisque sacris wbanis, op. cit., p. 361 et suiv.
2. Peut-être, d'après Jordan {op. cit., p. 366), Tite-Live avait-il écrit Vediovi au livre XXXI et Jovis au livre XXXIV ; distinguant mal Vejovis de Jupiter, il aura gardé au premier passage le nom ancien cité dans les Annales, et employé dans le second le nom sous lequel de son temps le temple de l'île était connu (Jordan croit en effet comme on l'a vu plus haut, qu'au siècle d'Auguste, Jupi- ter avait pris dans l'ile la place de Vejovis oublié).
3. Plin., Hist. nat., XVI, 40 (79) : Non et simulacrum Vejovis in arce in arce e cupresso durât.
4. Voir les deux passages des calendriers cités ci-dessus, p. 251 [Vediovi in insida, à la date du premier janvier), et p. 253 {Vediovis inler duos lucos, à la date du 1 mars).
264 LES CDLTES SECONDAIRES
de Vejovis m insula dut ôtre voué et dédié dans les circons- tances qu'il relate et aux dates qu'il indique. Il est nécessaire de substituer au livre XXXV œdes Vediovi à ^ede^i du.v Jori ou diwe Vediovi ^^ et de remanier toute la phrase. Peu im- porte que la responsabilité de la faute incombe à Tite-Livo ou au copiste. Soit dans le manuscrit original de l'historien, soit dans les Annales dont il s'inspirait, il n'était question que d'un seul monument de Vejovis au Capitole, dédié en 562/192 par le duumvir Q. Marcius Ralla, sans qu'il fût dit en quelles années ni par quel personnage il avait été promis et construit : ceda^ Vediovi in Capitolio dedicata; dedicavil Q. Marcius Ralla. Le nom de Vejovis fit songer à L. Furius Pur- pureo et à l'édifice voué solennellement le jour do la bataille de Crémone ; on oublia que celui-ci était situé dans l'île et mentionné déjà deux fois antérieurement; on crut qu'il n'était autre que le sanctuaire même du Capitole : voverat L. Furius Pitrpureo prœtor gallico hello; première intercalation illégi- time de mots nouveaux, première méprise. Puis les mots AEDES VEDIOVI devinrent AEDES DVE lOVI; seconde mé- prise. Enfin la promesse de l'un de ces deux monuments du Capitole étant attribuée à L. Furius Purpureo pendant sa préture, quatre ans avant la dédicace, on lui attribua éga- lement pendant son consulat, deux ans plus tard, la promesse de l'autre : voverat... jwœtor... imam,., alteram co;i.s7//. Ainsi le texte primitif se trouva amplifié et transformé entièrement.
En somme, le premier et le second passages de Tite-Livo s'appliquent à un temple de Vejovis dans l'île tibérine, bâti par les soins de L. Furius Purpureo, le troisième, débarrassé de toute addition parasite et mensongère, à un temple de Vejovis au Capitole, dont nous connaissons seulement la date d'inaugu- ration, en 562/192.
On peut se demander si Jordan ne s'est pas donné beau- coup de mal inutilement. M. Mommsen avoue qu'il emploie, pour améliorer le texte, des « remèdes trop violents- » : au livre XXXI, œdes Vediovi pour œdes deo Jovi ; au livre XXXIV, Vediovis œdem pour Jovis œdem; au livre XXXV œdes Vediovi pour œdes duœ Jovi., dedicata est pour dedicatœ
1. Jordan lui-même proposait œrfes Vejovi. Aust {de JEdibus sacrh populi romani, p. 42) croit avec raison que la confusion faite par le copiste ou par Tite-Live, s'expliquerait mieux s'il y avait eu dans le texte sedes Vediovi.
2. MoMMSBN, dans le C. I. L., 2* éd., p. 305.
JUPITER JURARICS ET VEJOVIS 265
smit, et tout un membre de phrase supprimé ; c'est abuser vraiment des conjectures et des hypothèses. Et pourquoi tant d'efforts? la théorie ne pèche-t-elle pas par la base? Jordan s'ingénie à rétablir partout le nom de Vejovis. Mais c'est à Jupiter que le temple de l'île était consacré; le de Architec- tura de Vitruve, les Fastes d'Ovide et l'inscription du pavage en mosaïque le prouvent ; le calendrier de Préneste parle, il est vrai, d'un sacrifice fait in insu la; mais cela n'implique aucunement, on l'a vu, l'existence d'un temple deYejovis en ce lieu. Les corrections proposées ne sont pas fondées. On aurait le droit, à la rigueur, de maintenir au livre XXXI la leçon œdemqite deo Joui '; si insolite qu'elle soit, elle n'a rien, après tout, d'incorrect ni de barbare. En tout cas, mieux vaut lire avec Sigonius sedesque duas Jovi^ que sedemque Vediovi avec Jordan. On concilierait ainsi les passages des livres XXXI et XXXIV avec celui du livre XXXV : L. P'urius Purpureo promit, à la bataille de Crémone, d'élever à Jupiter deux temples: celui de l'île tibérine, dédié en 560/194, et l'un de ceux du Capitole, dédié en 562/192. Aux livres XXXIV et XXXV il faut conserver âsdes Jouis, œdes duse Jovi. Point n'est besoin de supprimer un seul mot. Les deux sanctuaires de Jupiter au Capitole furent voués par Purpureo, l'un pendant sa préture, à la bataille de Crémone, en même temps que celui de l'île tibérine, l'autre, pendant son consulat. Tite-Live en effet, nous apprend ailleurs que Purpureo, étant consul, eut à combattre lesBoïens et remporta sur eux des victoires^; il aura fait au cours de cette compagne son second vœu à la divinité qui l'avait déjà favorisé^.
Le culte de Jupiter Jurarius dans l'île. — Un seul point reste obscur. Comment expliquer que L. Furius Purpureo, pour tenir l'engagement pris à Crémone, ait construit simultané- ment deux temples de Jupiter et qu'il ait mis l'un d'entre eux dans l'île, tandis qu'il plaçait l'autre sur le Capitole?
On pourrait essayer de résoudre cette difficulté en rappro-
1. M. MuELLER, dans son édition de Tite-Live, Leipzig, 1897, écrit : sedemque Diiovi, reprenant une conjecture peu heureuse de Valesius, à laquelle Jordan n'avait pas cru pouvoir s'arrêter (Cf. Jordan, loc. cit., p. 266; — Preller-Jou- nAN, Rœm. Myth., t. L P- 262, en note.
2. Sigonius, éd. de Tite-Live, Venise, 15oo, ad loc. cit.
3. Liv., XXXIII, ,37.
4. Hypothèse indiquée par Mommsen, loc. cit.
^66 LES CLLTKS SKCONDAIRKS
chant de rinscription que porte le pavement en mosaïque, décou- vert en 1854, colle de Brescia — l'antique Hrixia dans la Gaule Cisalpine ' — publiée en 1888 '-. En 554/200, après la deuxième guerre punique, les Gaulois Cisalpins, Insubres, Céno- mans, Boïens, se soulevèrent en masse contre Rome-'; ils prirent et saccagèrent la colonie do Placentia (Plaisance) ; ils mirent le siège devant celle de Cremona (Crémone). Le pré- teur L. Furius Purpureo, qui commandait la province, réunit une armée à Arretium (Arezzo) et marcha par Ariminiwn (Rimini) contre les Gaulois. La bataille eut lieu sous les murs de Crémone. Le préteur, afin que Jupiter intervînt en sa faveur, fit vœu de lui consacrer un temple. Les Cénomans étaient les plus redoutables de ses adversaires; ils avaient pour capitale Brixia, voisine de Crémone. L'inscription de 1888 nous montre qu'ils honoraient encore, sous la domination romaine, Jupiter Jurarius. Mais ces deux mots obscurs ne seraient-ils pas la traduction latine des noms d'une vieille divinité gauloise plus ou moins analogue au Zsù; 'spxicc des Grecs? Au temps de l'indépendance, ce Jupiter gaulois passait pour le patron et le protecteur des Cénomans. Le préteur Purpureo, conformément aux idées antiques, s'adressa à lui dans la bataille pour le gagner à son parti et le rendre propice aux armes romaines. 11 r « évoqua^ ». Jupiter Jurarius était donc rangé par les Ro- mains au nombre des dieux étrangers. La règle religieuse qui défendait d'accueillir les dii peregrini à l'intérieur du pomc- riiim avait été plusieurs fois transgressée pendant les guerres puniques ; la Vénus grecque du mont Eryx et l'asiatique Magiia Mater du mont Ida s'étaient établies sur le Capitole et sur le Palatin^''. Il n'est pas prouvé, toutefois, qu'au début du II" siècle avant l'ère chrétienne aucune divinité barbare •' ait été admise encore dans l'enceinte sacrée de la cité. On ne fit pas fléchir pour le Jupiter Jurarius cénoman l'antique prohibition '.
1. Sur Brixia consulter C. I. L., V, p. 439 ; — et Holdrr, All-cellischer Sprach- schatz, Leipzig, depuis 1891, t. I. p. 613, s. V Brixia.
2. Voir notre article dans les Mélanges de VEcole de Rome, cité plus haut.
3. Liv., XXXI, chap. x et suivants; même livre, chap. ixi.
4. Voir ci-dessus, p. 173.
5. Voir ci-dessus, p. 114.
6. La Ma<^na Mater n'était pas considérée comme une divinité barbare, mais comme la mère commune et lointaine de toutes les divinités déjà reconnues et vénérées par les Romains.
7. 0. Gilbert, Gesch. und Topogr. d. Si. Rom, t. III, p. 83, range parmi les cultes pérégrins celui du Jupiter de l'ile (qu'il appelle à tort Vejovis).
JDPlTEli JLRARIUS ET VEJOVIS 267
Son sanctuaire fut placé au-delà diijjomerium, dans l'île tibé- rine, qui abritait depuis cent ans déjà un autre culte pérégrin, celui du dieu grec de la médecine, Asklépios ou yEscuIapius. L. Furius Purpureo n'oubliait pas cependant qu'on adorait sur le mont Capitolin, à l'intérieur àupomerium, un Jupiter national défenseur tutélaire de la cité romaine. Le vœu qu'il avait fait à la bataille de Créuione l'obligeait à lui témoigner sa reconnais- sance en même temps qu'au Jupiter étranger ; tous deux avaient favorisé ses armes ; il ne pouvait se dispenser d'élever, outre le sanctuaire de File, un temple au Capitole.
Nous ne croyons pas qu'il soit permis de s'en tenir à ces hypothèses aventureuses que le simple rapprochement de deux textes épigraphiques très différents nous avait suggérées. L'inscription sur mosaïque date de l'époque républicaine ; elle présente des particularités de graphie tout à fait caractéris- tiques. Celle de Brescia est certainement très postérieure; elle est rédigée avec le consentement des sénateurs du municipe, organisé à l'époque impériale sur le modèle de Rome ; elle ne remonte pas au-delà des premiers siècles de l'Empire. On n'en peut rien conclure au sujet des cultes professés par les Gaulois Cénomans dès le temps de l'indépendance. D'autre part, Jupiter Jurarius paraît bien plutôt être un dieu grec qu'un dieu bar- bare ; il n'y a pas dans le confus Panthéon gaulois de divinité dont ces deux mots traduisent l'appellation et définissent la nature ; il semble évident, au contraire, qu'ils sont calqués sur les noms de Zeù; opy,io:. Le Jupiter Jurarius de l'île tibérine était bien un dieu pérégrin, mais d'origine hellénique et non gauloise.
Cette origine et ce caractère nous permettent de donner les raisons qui ont fait choisir l'île pour y construire son temple.
Le monument élevé par L. Furius Purpureo lui était certai- nement consacré. 11 est vrai que Tite-Live n'ajoute aucune épithète au nom de Jupiter, mais l'inscription du pavement en mosaïque, sur laquelle se lit le mot Jurarius et qui rappelle sans doute quelque réparation ou quelque embellissement apporté à l'édifice, n'est postérieure que d'une trentaine d'années à la première dédicace ^ ; dans un si court espace de temps le nom officiel du sanctuaire n'a pu être modifié.
1. Le temple fut dédié en 560/194. D'après Ritschl {loc.cit.), l'inscription de la mosaïque daterait de la fin du vi" siècle de Rome, c'est-à-dire environ de 150 avant Jésus-Christ.
268 LES CILTES SECONDAIRES
Pourquoi Purpureo, pendant la bataille de Crémone, s'est-il adressé à Jupiter Jurarius, à Zey; épy.is;? A ce moment les cultes grecs avaient achevé de conquérir droit de cité dans Rome; depuis la seconde guerre punique les religions italique et hellénique s'étaient définitivement confondues et fusionnées*. Les Romains adoptaient sous des noms latins les dieux des Grecs. Le Zsùç dpxio; de Delphes ne leur était pas in- connu'; on comprend qu'un général ait songé, dans un péril pressant, à implorer son appui. Il n'est pas nécessaire de faire intervenir les rites de Yevocatio. Maintes fois on avait vu dans les batailles les chefs des armées romaines promettre des temples aux principaux dieux, et notamment au premier d'entre eux, à Jupiter. Pendant la guerre samnite. Q. Fabius avait fait un vœu au Jupiter qui donne la victoire, Jupiter Victor'^, et M. Atilius Regulus à celui qui arrête et réforme les troupes en déroute, Jupiter Stator'*. L. Furius Purpureo, pour se lier par un engagement plus solennel et plus redoutable, invoque le Jupiter protecteur des serments et vengeur des parjures, Jupiter Jurarius, qui n'avait pas encore de monument de Rome, mais que les Grecs depuis longtemps connaissaient et honoraient.
Le temple de ce dieu nouveau fut bâti dans l'ile tibérine. Il est possible qu'en raison de son origine hellénique on ait tenu à l'écarter du pomerium : la règle ancienne qui interdisait l'entrée de la cité aux dieux étrangers, n'avait été violée jusqu'alors que très rarement et en des circonstances excep- tionnelles. En tout cas, Y insiila iiherinaéiaMn'àiwveWemewi dési- gnée pour le recevoir. Cent ans auparavant, elle avait accueilli un autre dieu venu de Grèce. Les Romains établirent à dessein Jupiter Jurarius en face d'Esculape ; à dessein ils inaugurèrent cet édifice au jour de la fête annuelle du dieu médecin. Au II' siècle avant l'ère chrétienne les légendes et les généalogies fantaisistes qu'avaient imaginées les poètes grecs sont adop- tées sans conteste enltahe; Esculape-Asklépios est désormais regardé à Rome, aussi bien qu'en Grèce, comme le petit-fils
1. Cf. JoLLiAN, la Religion romaine deux siècles avant notre ère, dans les Mé- lanf/es G.-B. rfe Bossé, publiés par l'Ecole française de Rome, ParisetRome, 1892, p. 311.
2. En l'année 554/200 l'attention des Romains était particulièrement portée vers la Grèce. C'est alors qu'éclate la guerre contre Philippe V de Macédoine et que va commencer la conquête des Etats grecs.
3. En 459-295 ; — Liv. X, 29.
4. En 460-294; — Liv., X, 36.
JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS 269
de Jupiter-Zeus. Le rapprochement des deux cultes dans l'île devait paraître très justifié et presque nécessaire; la célébra- tion des deux fêtes le même jour le consacra.
Quant au temple de Jupiter, élevé sur le Capitole par les soins de L. Furius Purpureo, il faut remarquer qu'on l'inaugura huit ans seulement après la bataille de Crémone. Purpureo le fit construire pour épuiser, en quelque sorte, les effets de sa promesse exaucée et manifester sa gratitude envers le Jupiter Capitolin des Romains en même temps qu'à l'égard du Jupiter Jurarius au Z$jç opxioç des Grecs. Sur ce point particulier l'explication à laquelle nous avions songé tout d'abord reste vraie, à condition seulement de restituer au dieu des serments sa véritable nationalité et de le rattacher non pas à la Gaule mais à la Grèce.
Le culte de Vejovis dans l'île. — C'est donc à Jupiter Jura- rius que le temple de l'île tibérine était dédié. Il faudrait savoir cependant pourquoi l'on y offrait un sacrifice à Vejovis le l" janvier, jour de la fête de Jupiter. D'où vient que ces deux divinités aient été ainsi honorées à la même date et au même lieu?
Klausen croyait que le culte de Vejovis était célébré dans l'île depuis une très haute antiquité et longtemps même avant la fondation du sanctuaire d'Esculape'. Vejovis paraît être d'origine purement latine. On lui offrait des sacrifices sanglants, en souvenir des usages cruels de l'époque primitive ; des chèvres lui étaient immolées ritu humano-. Un petit autel trouvé à Bo villa dans le Latium^ porte à sa face antérieure les mots :
Vediovei patrei \ gentiles Jiiliei à la face opposée :
Leege A Ibana dicata sur le côté droit :
Vedi... ara
« A Vejovis pater, les membres de la gens Julia ; dédicace faite en vertu de la loi albaine. »
1. Klausen, Mneasund die Pe?ia/e/i, Hambourg, 1840, t. II, p. 1091-1098. Klau- sen suppose que le temple de File était dédié à Vejovis, et non à Jupiter; il raconte à sa manière toute l'histoire de ce sanctuaire et celle du temple de Fau- nus in insula. Ses déductions sont trop fantaisistes pour qu'on s'attarde à les réfuter. Merkel, dans les Prolegom. de son édition d'Ovide, Berlin, 1841, p. ccxiv, les apprécie sévèrement : Tâlia non semper œquo animo legi possiint.
2. Gell., V, 12 : hnmolaturque illi ritu humano capra.
3. G. I, L., I, 1" éd., 807; XIV, 2387.
270 LES CL'LTFS SI j (i\ n \ 1 1; i:s
Bovilla avait été coloniséo par Albe la Longue ; ses habitants s'appelaient Albani Longani Boviilensef. La gens Julia pré- tenclait qu'elle était venue d'Albe à Rome sous le règne de Servius Tullius' ; on éleva une statue à Auguste après sa mort aux environs de Bovilla, comme au berceau de sa race^. li'ins- cription dédiée sous la République par les gentiles Jidiei nous montre que l'on invoquait très anciennement Vejovis dans le Latium. A Rome on l'adorait au Capitole et dans l'île; l'un était la citadelle de la ville, l'autre un poste avancé faisant face à la rive étrusque du Tibre; ces deux points du sol romain jouaient un grand rôle dans le système de défense de la cité; on y avait localisé le culte de Vejovis parce qu'il était lui-même un dieu guerrier : n'est-il pas le Jupiter mauvais et terrible, celui par conséquent dont on veut attirer les coups sur l'ennemi? Du jour où les Romains occupèrent l'ile tibérine et songèrent à la fortifier pour repousser les incursions dçs Etrusques, c'est-à-dire dès le début de l'époque républicaine on y fit des sacrifices à Vejovis...
Jordan s'est rallié à cette théorie '^. On ne peut cependant l'adopter. Le dieu n'a jamais eu le caractère guerrier que lui attribue gratuitement Klausen. C'est de Jupiter, et non de Mars, qu'il faut le rapprocher. Les Romains firent des sacri- fices dans l'île en son honneur et lui élevèrent un temple au Capitole, parce qu'ils adoraient en ces deux endroits Jupiter lui-même. On comprend que Vejovis prit place au Capitole. auprès de Jupiter très bon et très grand, optimus maximus, considéré dans l'universalité de ses manifestations et la plé- nitude de ses attributions. Pour qu'on l'ait associé aussi au Jupiter Jurarius de l'île tibérine, de préférence à tout autre, il faut qu'il ait eu avec lui particulièrement quelque rapport ou quelque ressemblance.
On sait seulement de ce Jupiter Jurarius ce que nous apprennent l'étymologie de son nom et l'exemple du Zsjc ipy.icç des Grecs; les Anciens voyaient en lui le dieu des serments et des promesses ; on devait dire à Rome ce que disait Pau- sanias du Zsj; sp/.io; dOlympie : « il inspire l'effroi aux
1. Liv., I, 30 ; — DioxYS.. III, 29 ; — Tac, Ann.. XI, 21.
2. Tac, Atin., II, 41 : Sacrdrium r/eiiti Juliae effiffiesque divo Auqnsto apud Bovillas dicantur.
.3. JoHDAN, op. cil., p. ,366; — du même auteur, Topoffr. d. St. Rom, t. I, 1, p. 402.
JUPITER JURARIUS ET VEJOVIS 271
hommes injustes^ ». Il appartenait aussi à Vejovis, le dieu des expiations-, de faire observer les serments et les pro- messes; il était craint surtout des criminels, des parjures, de tous ceux qui provoquaient la colère du ciel par leurs méfaits et leurs manques de foi. Les Romains attachaient un grand prix aux paroles jurées; ils invoquaient les dieux les plus puissants et les plus terribles pour en assurer le respect et en châtier l'oubli. Cette tâche convenait également à Vejovis et à Jupiter Jurarius. L'analogie de certaines de leurs fonctions nous explique leur étroite association dans l'île tibérine,
Il n'est guère vraisemblable que le culte de Vejovis in insula remonte à une époque reculée. Les conjectures de Klausen et de Jordan ne paraissent point fondées. Ovide déclare, dans les Fastes^ que Jupiter participe aux honneurs rendus à son petit- fils : il avoue donc que son introduction dans l'île est posté- rieure, ainsi qu'en témoignent d'ailleurs d'autres sources, à celle d'Esculape. De même, sur le calendrier de Préneste, à la date du 1*"' janvier, Esculape est nommé avant Vejovis; la fête de ce jour n'avait lieu tout d'abord qu'en l'honneur du dieu de la médecine. Vejovis ne s'est établi dans l'île que longtemps après l'arrivée du serpent d'Epidaure. Il y a plus : bien loin que Jupiter soit substitué à lui, comme le supposait Jordan, on a le droit de croire que les événements ont suivi une marche toute contraire. Un temple avait été consacré à Jupiter Jurarios Zîù; op/,tsç en l'année 560/194. Les Romains décidèrent, par la suite, d'invoquer l'antique A^ejovis dans le temple de Jupiter et au jour de sa fête. Cette transformation est peut-être l'œuvre d'Auguste. Le seul document qui parle de ce dieu à propos de l'île tibérine, le calendrier de Pré- neste, fut rédigé précisément sous son principat. La gens Julia, à laquelle il appartenait, avait pour Vejovis une dévotion toute spéciale, qu'atteste la dédicace de l'autel de Bovilla. La mesure que nous lui prêtons ne serait qu'une application de ses vues
1. Pausan., V, 24, 2.
2. Pheller {loc. cit }, rappelle que le temple de Vejovis sur le Capitole était voisin de l'asile fondé d'après la tradition par Romulus et où venaient se réfugier les coupables pour obtenir leur pardon. Sehvius [ad Ain., H, 761) rapporte que l'asile du Capitole était sous la protection du dieu Lucaris, quem locum deus Lycoris, sicut Piso ait. curare dicitur. Or il n'y avait pas de dieu Lucaris, ni à Rome ni en Grèce. Mais les Grecs adoraient Apollon AuxtôpT)? ou Auxwpeyi;, Apollon puriûcateur. C'est à lui sans doute que songeait Servius, — et l'on sait que Vejovis était confondu assez souvent avec Apollon (Cf. Gell., loc. cit.).
272 LES CULTES SECONDAIRES
générales en matière religieuse. Ne s'était-il pas proposé de restaurer les cultes nationaux trop délaissés, de rappeler les Romains à la foi des ancêtres? N'avait-il pas relevé les temples, fait revivre les collèges sacerdotaux, multiplié les sacrifices, invité les poètes, devenus ses auxiliaires et ses col- laborateurs, à chanter la religion italique ' ? Jupiter Jurarius était demeuré pour les Romains un étranger ; il n'était pas populaire parmi eux : son nom n'apparait jamais dans les auteurs et ne se rencontre qu'une ou deux fois sur les inscrip- tions. En instituant dans son temple la fête nouvelle, Auguste se conformait aux traditions pieuses de sa famille et il confon- dait le culte peu répandu d'une divinité exotique avec celui d'un dieu respecté du Latium.
Dans l'Ile tibérine, à l'époque impériale, s'élevait une statue de Jules César*. Elle devait être située dans le voisinage du temple de Jupiter 3. Auguste lui-même, selon toute appa- rence, avait érigé à cette place l'image du représentant le plus illustre de la gens Julia, en même temps qu'il fondait tout auprès un sacrifice annuel en l'honneur du Vejovis protecteur des Juin.
{. Cf. BoissiER, la Religion romaine ir Auguste aux Anlonins, t. 1, p. 73; Gakdthausen, Augustus rind seine Zeit, t. I, p. 863 ; t. II, p. 507.
2. Cf. ci-dessus, p. 58.
3. Hypothèse émise par Klausen, op. cit., t. II, p. 1097.
CHAPITRE II LA STATUE DE SEMO SANGUS
La dédicace de Sextus Pompeius Mussianus. — On a trouvé dans l'île tibérine, en l'année 1574, rinscription suivante, gra- vée sur une base de marbre qui devait servir de piédestal à une statue ' :
Semoni \ Sanco \ Deo Fidio \ sacfmn \ Sex[tus) Pompeius Sp{uni) fiilius) \ Col[lina tribu) Mussianus \ qiiinquennalis j decuriise) \ bidentalis \ donuiii dédit.
(i A Semo Sancus Deus Fidius, Sextus Pompeius Mussianus, tîls de Spurius, de la tribu Collina, magistrat quinquennal de la décurie bidentale^, a offert et consacré ce don. »
La magistrature religieuse qu'exerçait l'auteur de cette dédicace est rappelée sur l'épitaphe de son fils, découverte aux environs de Rome, à Gallicano"' :
[Sex[to?) P]ompeio [Sex{ti) f{ilio) \ P]ai{atina tribu) Bœ- b[iano \ scrib]œ qu3s[storio \ scrib]œ œdil[cio \ Sex[tus)P]om- j)[eius Sp[urii) f[ilius) | Col[lina tribu)] Mussianus \ [quin- que]nnalis decuriœ \ [sacerdo]tium videntalium \ [et Bœbi]a [b]lora mater \ [filio] piissitno.
« A leur fils très pieux Sextus Pompeius Bsebianus, fils de Sextus, de la tribu Palatina, scribe du questeur, scribe de l'édile, Sextus Pompeius Mussianus, fils de Spurius, de la tribu Collina, magistrat quinquennal de la décurie des sacer dotes videntales'', et Baebia Flora, sa mère.»
L'inscription de l'île tibérine atteste que Semo Sancus Dius
1. C. I. L., VI, r>67 (cette inscription est conservée au musée du Vatican).
2. Remarquer la forme decuriœ bidentalis pour decuriœ sacerdotum biden-^ tait uni.
3. C. I. L., XIV, 2839.
4. La forme videntalium pour bidentalium se retrouve sur les inscriptions que portent les tuyaux de plomb découverts au Quirinal (Cf. ci-dessous, p. 281).
18
•274 LES CULTi:S SECONDAIRES
Fidins était l'objet à cet endroit d'un culte particulier, confié aux soins du collège des hiclentales. Aucun document épigra- phique ou littéraire ne fait mention d'un temple ou d'une cha- pelle de ce dieu m insu/aK II est certain, du moins, qu'il avait une statue dans l'ile à l'époque impériale.
La légende de Simon le Magicien. — Un passage très discuté de la Première Apologie à Antonin le Pieux nous donne de ce fait une confirmation indirecte. Saint Justin, s'adressant aux Romains, leur dit : « Simon de Samarie, né dans le bourg de Gitton, est venu, sous le règne de l'empereur Claude, dans votre ville royale, et par des artifices magiques et démo- niaques il s'est fait passer pour un dieu ; vous lui avez rendu des honneurs divins et dressé une statue, qui fut placée au milieu du Tibre, entre les deux ponts; elle portait cette ins- cription en latin : Simoni Deo sancto, à Simon, dieu saint. Et presque tous les Samaritains, et quelques hommes d'autres races, le tenant pour le premier des dieux, l'adorèrent^. » Saint Irénée, TertuUien, saint Cyrille de Jérusalem, Eusèbe, Théodoret, saint Augustin parlent également de cette statue romaine de Simon le Magicien-'. Tous ces écrivains sont posté- rieurs à saint Justin et paraissent ne s'être inspirés que de lui
1. Cf. AusT, de Aidibus sacris popicli romani, p. 31, n" !'4: — Kiki'kiit-(Iiei,skx. Nomencl. fopogr., p. 87 ; — Homo, Lex. de topogr. rom., p. 620. Tous ces auteurs parlent d'un lemplum ou aedes Semonis Sanci ou DU Fidii in insula. Dans les textes auxquels ils renvoient, il n'est question que d'une statue, et nullement d'un temple.
2. Justin. Martyii, Apol. ]'r., 2fi : i^i[j.(ova [lÉv Ttva SajxapÉa, tov àirb xw(xr,; XeyoïxÉvifjî Ft—wv, o; èitl KXayStov Katirapo; oià tt,; twv àvspyo-jvTwv Sai(iôvwv xé^vir,; S'jvaiici; notr,<Ta; iiayiy.à; âv tt) TtôXsi -JtJiôiv jSacrO.t'Si 'P(î)|i.r, Ocô; èvojitfTÔT) xai àvSptâvTt îTap' ôiiwv «ô; Oeô; TîTipLTjTat. o; àvSptà; àvevriYEp-at iv tm Tt'êspi 7iOTa|i»i) jjieTaÇy -roiv 8-jo y^tP^Pw^, ëywv è7ttYpayT,v pw|xa'tV.r,vTa-jTr,v " SlMON'l DEO S.VNCTO. Kal ajrEÔbv uiv-sc [aÈv Sapiapst;, oXt'yot 6è xal èv a).Xot; sôveo-tv, w; tôv TrpoJTov 6ebv èstEÏvov ôiioXoyo-jvTSc» èxsïvov xaî irpoo-xyvoOin. — Plus loin, saint Justin re- vient encore, plus brièvement, sur le même fait, sans parler de l'ile tibérine, Apol. Pr., 66 : Kal yàp Ttap' ûiaïv, w; 7tpo£çr,[A£v, iv tf) ^aai/.î8i 'Pw(i.r, im KXa-jSt'ou Kat<rapo; yevôjjiîvo; ô Sl[xwv xal ttiV îîpàv (T-jYx).r,Tov xal xbv ôf,îx,ov 'PwpLatMv e!; to<jo-jto xarsTtATjSaTo, w; Oeôv vo|xiaÔf,vat xal àvôptivTt, «o; toÙ; ôtXXoy; irap '•j\tXv •ri(ia)[i£voy; ÔôO'jî, TtiiriOfiVai.
3. Ikex., Coulra hseres., I, 23 : Quippe ctnn essel sub Claudio Cœsare. a f/uo eliain statua honoralus esse dicilur propler ma(/icam. — Tertlll., Apologel. adv. génies, 13, s'adressant aux Romains : Siinonem magum statua et inscriplione sancli dei inauguralis. — Cykill. IIiekosol., Cnlechenis, VI, 14 : Kal ÈTiXàvriiÉ ts o'JTw Tr,v 'Pw|Aat'(i>v TtôXiv, <ô<tt£ KXaOôtov àvSpiâvra a-jto-j (r:f|<xat, viTtoypi'J/avTa Tïj 'Pcojiaîwv yXwTTTji-IMûNI AEO XAPKTû -oTtep £p|xr,v£-j6|jLevov SrjXoî, iIi|Afjivi ôeû iyitù. — Euseb., Ilisl. eccles., 11, 14 (sous Claude) : 'ETtiêà; ôe tt,; 'Pwjjuxîwv tî^Xew; (TUvaipo|jivTi; ajtw xà ixeyiXa xf,; èçeSpevoyffr,; êvxavOa Suvâ^sco; èv ôXiyw
LA STATUE DE SEMO SANCUS 27:i
seul; ils répètent son récit, sans y rien ajouter. Ils sont, d'ail- leurs, moins explicites que l'auteur de V Apologie à Antonin; ils ne donnent pas tous le texte de la dédicace, aucun ne nomme l'île tibérine ni ne dit où était située, à Rome, l'image de l'imposteur. On peut donc s'en tenir, en définitive, au seul témoignage do saint Justin, dont dérivent tous les autres. Mais il suffit de se reporter au document découvert en 1574 pour qu'on se demande aussitôt si l'apologiste n'a pas com- mis une grossière méprise et confondu Simon le Magicien avec Semo Sancus ; en ce qui concerne l'histoire du faux pro- phète samai'itain, son assertion n'aurait pas de valeur; au point de vue du culte de Semo Sancus in insida, elle serait, au contraire, très importante et mériterait qu'on la prît en consi- dération; l'inscription de 1574 permettrait de lui rendre son véritable sens et nous garantirait son exactitude.
Quelques autours modernes persistent à croire que saint Jus- tin ne s'est pas trompé et que les Romains érigèrent réelle- ment dans l'île une statue en l'honneur de Simonie Magicien ^ Il est vrai, disent-ils que l'apologiste était un Grec, mais il connaissait parfaitement la langue et les usages des Romains, il écrivait pour les convertir, il avait lui-même vécu à Rome; pourquoi lui imputer une erre^ir si forte, qui aurait frappé tous les yeux ? comment admettre que cette erreur ait été repro- duite ensuite sans hésitation par tant d'écrivains, dont plusieurs comme Tertullien par exemple, étaient parfaitement au courant des croyances et des superstitions romaines, et en état de con- trôler et de corriger tout ce qu'avançait leur prédécesseur?
TOTo-jTOv Ta TT,; èirtyîtprjTewç TiVutto w; xai àvôptavTOC àvaôÉaît upô; twv zffit oîa ÔEÔv Tt(xr,6f,va'.. — Theodoret., Hserelicx fabulse, I, 1 : Eîç tyjv 'Pwixr|V àçt'xETo, KXa-jSiou Kat'irapo; pacriXs-jovTo;. ToitoOtov 5e 'P(>)|J.atou; -rat? yoriTStatç y.aT£7cXr,?£v w; xal <7Tr,).r, Tt[j.r|6f|Vai ya/.xr,. — Augustin., de Haeresibiis, l : Jovem se credi volehat, Minervam vero meretricein quamdaiti Selenei» quam sibi sociam scele- ru)7i feceraf, hnaginesque et suam et ejusdem discipulis suispraebebat adorandas. — Un manuscrit des Actes apocryphes des saints Pierre et Paul, d'origine ma- nichéenne, traduits du grec en latin, parle d'une statue élevée à Simon dans Rome par son disciple le sénateur Marcellus et donne un autre texte de la dédicace que celui rapporté par saint Justin : SIMONI IVVENI DEO, en grec SIIMONI NEQ (Lipsas, Acta Pétri, Leipzig, 1891, p. 57).
1. Voir notamment : Baronius, Annales, ad annum 4'», Rome, 1588-1607, t. I, p. 305-308 ; — W. Esser, des lleiligeh Petrus Arifentlialt, Episkopat und Tod zu Rom, Breslau, 1889, p. 69. — Entre la publication des Annales de Baronius et celle du mémoire de Esser, cette question a été souvent examinée et dé- battue. Les principaux ouvrages d'histoire ecclésiastique où elle se trouve résolue, soit dans un sens, soit dans l'autre, sont cités par Esser, toc. cit., et par Otto, dans son édition de saint Justin, léna, 1876, t. I, p. 78.
2" 6 LES CULTES SECONDAIRES
Saint Justin ne cite qu'une seule image de Simon divinisé ; il a pu voir dans Rome plusieurs statues de Semo Sancus ; nous savons qu'il en existait une sur le Quirinal, qu'on a retrouvée, avec l'inscription qui l'accompagnait'; s'il avait confondu, comme on le suppose, le dieu et le Magicien, il n'aurait pas manqué de rappeler, au lieu de l'unique monument figuré de l'ile tibérine, tous ceux de la ville qui intéressaient Semo San- cus. Pourquoi s'étonner enfin que Simon ait été regardé par les Romains comme un dieu? Une vieille et célèbre légende affirme qu'il a séjourné à Rome. En Orient, ses sectateurs l'adoraient et lui dressaient des autels, ainsi qu'à sa maîtresse Hélène, qu'ils appelaient la Raison première- ; ils représen- taient Simon sous les traits de Jupiter, et Hélène sous les traits de Minerve ^. Le culte de Magicien a dû se répandre également eu Occident et se faire accepter à Rome, oii les nouveautés venues d'Orient exerçaient un singulier attrait sur la foule crédule. Dion Cassius ne dit-il pas, à propos précisément du règne de Claude, que toutes les religions avaient envahi la ville, que tous les temples et tous les édifices publics étaient remplis de statues et d'offrandes aux dieux ^?
Cette argumentation spécieuse est loin cependant d'être convaincante. H semble que tous les efforts tentés jusqu'ici pour défendre une interprétation strictement littérale du pas- sage de V Apologie soient demeurés vains. Les partisans de saint Justin confondent plusieurs questions qu'on doit distinguer avec soin. Il s'agit de savoir simplement s'il n'a pas mal lu l'inscription de l'ile tibérine, abusé par la ressemblance des
1. Voir ci-dessous, p. 280.
2. Jdstin. Martyk, Apol. Pr., 26 : Kal *EA£vr,v Ttvà, ttjv <rj(X7r£pivo<jTr|<jaiTav a-jTw xat' èxeïvo'j tov xaipo-j, Ttpé-epov èttI ni^^o-jc^ (rraôetcrav, Trjv iii' a.'j-.Q~j evvotav TîpwTTiV Yevo[x£v)r)v XÉyo'jTt.
3. Voir, outre le texte de saint Augustin cité plus haut, Pseido-Ci-emens. Recognit., II, 9 : Adorabor ut deus,j)uhlicis divinis dunabor honovibus, itu ut simuLacrum mihi statuenles tanquam deutn colent et adorent. — Iren., Contra hœres., 1,23, in fine: Imaginem qiioqiie liahent f'actaui ad fie/urani Jovis et Selenae {aliter tielenae) in figura Minervœ, et lias adorant. Saint Irénée dis- tingue cette statue de Simon sous les traits de Jupiter de celle que lui éleva Claude et qu'il cite au même paragraphe quelques lignes plus haut. — Epipiian., Adv. liserés., 21,3: 'AXXà xal sï-jcôva tivà irapîSéôwxE toïc a-jT(î), w; 5f,6£v aÙToC O'JTav. Kal Trpooxyvo-Jdtv a-jTY)v èv eïSsi Aiô; 'x/.ArjV 6È wffauToi; 'EXivr,; Etxôva TcapéSwxev avTot; £v )rpr||xaTt 'A6r|Vâ;, xal Trpo(TX'jvoC<Ti Ta'jxa; oi Trpb; aùroO ■Jinarriiiivot.
4. Cass. Dio, LX, 23 : 'II TioÀt; TtoXXwv eïxovujv èT:Xr,po-jTO (i5f,v yàp àvior,v :oï; PoyXojilvot; èv YP*?^i ''•*' '^'' '/.'"■'■'^'ï^ ^•'^'■" "^ or,[t.o<ni\)£.adoii}.
LA STATUE DE SEMO SANCUS 277
noms, et cru que la statue de Semo Sancus était celle de Simon le Magicien. On peut admettre que l'imposteur est venu à Rome, qu'il a réussi à s'y faire passer pour un dieu, que les Romains lui ont dédié des statues, sans cesser de sou- tenir que le fait particulier relaté par l'auteur de V Apologie à Anionin est inexacte
Remarquons tout d'abord qu'aucun autre écrivain n'affirme que l'image de Simon était située « au milieu du Tibre, entre les deux ponts ». Ceux qui parlent plus tard des honneurs divins rendus au Magicien par les Romains ne disent pas où se trouvait sa statue ; cette omission ne serait-elle point volontaire? L'erreur commise n'aurait-elle pas été aperçue et signalée? Le silence des contemporains est encore plus probant. Saint Jus- tin a pu se tromper lui-même ou se laisser abuser par quelque chrétien de Rome, d'origine étrangère. Les Romains de nais- sance qui ont écrit à la même époque ou au siècle suivant des libelles apologétiques ou de polémique, tels que saint Hippo- h'te par exemple, ne mentionnent même pas le monument élevé à Rome au Magicien.
La légende romaine de Simon comme on l'appelle généra- lement, est plus récente que la tradition rapportée par saint Justin, et toute différente; elle la contredit même sur quelques points. C'est un décalque de la légeiide syrienne du même per- sonnage, tardivement localisée à Rome : en présence de l'em- pereur Néron, les apôtres saint Pierre et saint Paul s'unissent pour combattre l'imposteur samaritain ; Simon veut s'envoler dans les airs, afin de montrer sa toute-puissance magique; les prières de saint Pierre conjurent ses sortilèges ; il tombe sur le pavé du Forum et se brise les os 2. D'après cette version, le séjour du Magicien à Rome aurait eu lieu sous le règne de
1. M«' DuCHKSNE, les Oriqines chrétiennes (cours autographié, Paris, s. d.), p. 92. — Cf. du même auteur, dans le Bullelt. diarcheol. crisl., 1882, p. 106. — M"'' Duchesne conteste l'affirmation de saint Justin et veut montrer que Simon n'a pas eu de statue dans l'île tibérine; Parmi les arguments qu'il fait valoir, il en est un qu'on ne saurait adopter : les disciples de Simon n'auraient pu lui consacrer une statue dans l'île où se trouvaient les sanctuaires de plusieurs anciennes divinités romaines ; le culte nouveau d'un magicien oriental n'aurait pu s'établir si près des cultes de Jupiter, de Faunus, d'Esculape. En réalité, tous ces sanctuaires prétendus anciens sont de fondation relativement récente et l'île recevait justement sur son territoire les cultes que. pour une raison ou pour une autre, on ne voulait pas admettre dans la cité même, à côté des vieux cultes urbains.
2. Le plus ancien texte qui fasse allusion à la légende romaine de Simon le Magicien est l'ouvrage anonyme des Philosophirmena, écrit vers l'année 22o :
278 LES CDLTES SECONDAIRES
Néron; saint Justin la place sous le règne do Claude, une quin- zaine d'années })lus tôt. Elle assure que les Ai)ô<res emj)êclièrent Simon de se faire reconnaître comme un ilieu par les Romains; saint Justin laisse clairement entendre que rapothéose ne souffrit aucune difficulté. La légende romaine n'a rien de com- mun avec notre récit et ne peut être invoquée pour le justifier. L'apologiste déclare qu'il y avait de son temps dans l'ile tibé- rine une statue de Simon le Magicien avec une inscriiidon qui lui était dédiée : Simoni Deo Sancto. Nous savons (lu'il exis- tait à cette i)lace une statue et une inscription de Scmo Saii- cus, Semoni Sanco Deo. Le seul rapprochement de ces deux textes fait ressortir l'erreur de saint Justin et l'explique. C'est bien rinscri])tion retrouvée en 1574 qu'il a vue dans l'ile ou qu'a relevée le chrétien qui l'a renseigné. Il a rédigé son ou- vrage aux environs de l'année 140'. L'inscription, (f.iprrs las- pect des lettres, leur ferme tracé, leur belle gravure, ne peut être postérieure au if siècle de l'ère chrétienne^. Il est natu- rel que saint Justin ait cru qu'elle remontait au règne de Claude, à l'époque môme oii vivait le Magicien. Comment s'étonner de la faute de lecture qu'il a faite ? Il a pris les mots Semoni Sanco pour Simoni Sancto; l'E en latin était quel- quefois indûment employé à la place de l'I; Suétone attribue les premiers désordres provoqués dans Rome par la présence des disciples du Christ aux excitations d'un certain Chrestus"^; un étranger, un grec chrétien, qui connaissait l'histoire de Simon le Magicien et qui avait le droit assurément d'ignorer le culte de Semo Sancus, a pu croire qu'une inscription consa- crée à ce dieu s'adressait à l'imposteur. Si bien informé que soit en général saint Justin, on a relevé dans son œuvre des négligences plus graves et moins excusables : il cite avec con-
Simon se fait enterrer vivant, disant qu'il ressuscitera quand il le voudra ; les prières de saint Pierre empêchent qu'il tienne sa gageure, et il meurt. C'est seulement au cours du m* siècle et au début du i\" que la légende prend sa forme définitive. Elle est exposée dans les Actes apocryphes des apôtres saint Pierre et saint Paul, les Actes des saints Nérce et Achillée, les Actes des saints Processus et Martinien. Cf. Ms' Duchesne, les Origines chréfiennes. p. 95; — et A. Dufolrcq, Etude sur les Gesta marlyrum romains, p. H'2.
1. On lit en eil'et au chapitre 46 : llpb èT(ôv éxa-rov itEVTT|Xovta ysyEvvfi'TOai
tôv XpiOTÔV.
2. C. L. Viscosii, Di un siinulacro del dio Semo Sancus, dans les Sltuli di sloria e diritto, 1881, p. 12o.
3. SuETON., Claud.y 23 (Claudius) Judaeos, impulsore Chreslo assidue iumul- tuanles, Roma expulit.
LA STATUE DT; SEMO SANCLS 279
fiance les apocryphes, il fait d'Hérode un contemporain de Ptolémée Philadelphe ' . Peu importe qu'il ait passé sous si- lence les autres statues de Semo Sancus à Rome pour ne citer que celle de l'île tibérine. Peut-être ne connaissait-il que cette dernière : un grand nombre de chrétiens habitaient les quar- tiers pauvres du Transtévère^; ils ne pouvaient manquer d'apercevoir, en traversant l'ile, la statue de Semo; le Quirinal était plus éloigné de leurs demeures habituelles, et ils auraient dû, pour y déchiffrer les dédicaces consacrées au dieu, péné- trer à l'intérieur même de son sanctuaire. Peut-être aussi les inscriptions du Quirinal prêtaient-elles moins à l'équivoque; deux d'entre elles, qui nous ont été conservées, commencent par les mots Sanco Sancto Seîno?i[i) et Semoni Sanco Sancto Deo ; on comprend qu'elle n'aient pas aussi bien rappelé aux chrétiens le souvenir de l'imposteur Simon.
L'erreur de saint Justin paraît bien évidente et indéniable. De ce passage de V Apologie à Antonin il n'y a qu'une chose à retenir : c'est qu'au ii" siècle de l'ère chrétienne la sta- tue de Semo Sancus dans l'île, dont l'inscription de 1574 nous prouve d'autre part l'existence, passait auprès de quelques chrétiens de Rome d'origine étrangère. Grecs ou Orientaux, pour l'image de Simon le Magicien.
Le culte de Semo Sancus à Eome. — Nous connaissons par d'autres documents que l'inscription de 1574 et le texte de saint Justin le culte que les Romains rendaient à Semo Sancus ; il est nécessaire d'y recourir pour savoir ce qu'était en réalité ce dieu et pourquoi un petit monwment en son honneur s'élevait auprès des temples d'Esculape, de Jupiter et de Faunus ^.
D'après la tradition, Semo Sancus Deus Fidius, ou mieux Semo Sancus Dius Fidius^, serait un roi sabin divinisé^. Son culte aurait été introduit dans la cité romaine par les Sabins
1. Me' DUCHESNE, op. cit., p. 93.
2. Rexax, Saint Paul, Paris, 1883, p. 101.
3. Sur le culte de Semo Sancus, consulter : Preller-Jordan, Rœm. Mythol., t. II, p. 274 ; — 0. Gilbert, Gesch. und Topogr. d. St. Rom. t. I, p. 21o ; t. III, p. 371 ; — E. Janxetaz, Etude sur Semo Sancus Fidius, Paris, 188a ; — art. Dius Fidius dans le Dictionn. des Antiq. de Dabemberg et Sagmo, par Jlllian, et dans le Lexicon de Roscher, par Wissowa ; — Fowler, the Roman festi- vals, ç. 133; — Ai'ST, die Religion der Rœmer, Munster, 1899, p. 136.
4. La forme Dius Fidius paraît la plus ancienne et la plus exacte ; c'est celle que donne le calendrier de Venouse (C. 1. L., I, 2' éd., p. 221).
5. Ovin., Fast., VI, 213; — Propert., IY, 9, 74; — Sil. Itau., VIII, 422; — AnGDSTiN., de Civ. Dei, XVIII, 19 ; — Lactant., Divin, instit., I, 15, 8.
2S0 LES CCLTES SECONDAIRES
de Cures, venus avec leur roi Titus Tatius s'établir sur la col- line appelée depuis Quirinal*. Aussi est-ce au Quirinal que se trouvait son principal sanctuaire, non loin de la porta Sanr/na- lis, qui tirait son nom de ce voisinage même'-'. Il est souvent question de ce temple dans les auteurs anciens "^ Il aurait été bâti par Tarquin, mais consacré seulement en 288/4()B, par le consul Spurius Postumius''. La fôte anniversaire de sa dédi- cace était célébrée le 5 juin '. On y gardait la statue, la que- nouille et le fuseau de Tanaquil ou Gaia Cfecilia, proposée comme modèle aux matrones romaines". Nous savons dans quelle région du Quirinal il était situé : le couvent de Saint- Silvestre a Monte Cavallo et ses dépendances recouvrent l'emplacement qu'il occupait dans l'antiquité^. Une inscription consacrée à Semo Sancus a été trouvée en 1590 dans les jar- dins de ce monastère*^;
Sanco Sancto Semon{i) \ Deo Fidio sacrum \ decitria sa- cerdotum \ bidentalimn reciperatis | vectigalibus.
« A Semo Sancus Deus Fidius,dieu saint, offrande consacrée par la décurie des saceî'dotes bidentales^ avec l'argent des re- venus qu'elle a recouvrés^. »
Cette inscription ressemble à celle qu'on avait découverte dans l'île tibérine seize ans auparavant. Dans l'une et l'autre le dieu est désigné sous ses quatre noms; elles sont offertes toutes les deux par des prêtres bidentales. Le mot vectigalia signifie proprement : impôt de douanes. Jordan en conclut que le collège des bidentale>> avait obtenu d'un empereur du ii" ou du III* siècle la concession du produit de certains impôts doua- niers pour subvenir aux dépenses du culte '*^. Il est plus pro- bable qu'il ne convient pas d'attribuer ici à ce mot un sens si étroit, et qu'il vaut mieux le regarder comme un simple syno- nyme de reditus, revenus.
1. Tertull., ad Nationes, II, 9.
2. Festus, p. 345 : Sanqiialis porta appellaluv proxima sedi Sanci.
3. Alst, de Mdibus sacris populi romani, p. 6, n°7; — Kiepert-Hurlskx, Nomencl. toponr., p. 81 ; — Homo, Lex. de topogr. rom., p. 429.
4. DioxYS., IX, GO.
5. DioxYS., loc. cit.; — Ovid., Fast., VI, 213; — C. I. L., I, 2* f^d., p. 220. sur le calendrier de Venouse, aux nones de juin, cinquième jour du mois : Dio Fidio in Colle.
6. Plin., Hi.-il. 7iat., VIH, 48(7i); — Pllt., Quœst. rom., 30; — Festus, p. 2il.
7. Cf. HuELSEX dans le Hheinisches Musenm, 1894, p. 409.
8. C. I. L., VI, .'ÎGS (maintenant au musée de Naples).
9. Reciperatis pour recuperatis.
10. Jordan, Ann. delVInstit. archeol., 1885, p. 108.
LA STATUE DE SEMO SANCUS 281
On a recueilli eu 1887 sur le Quirinal, aux abords du mo- nastère de Saint-Silvestre a Monte Cavallo un certain nombre de tuyaux de plomb qui servaient à la conduite des eaux; ils portent inscrits, comme c'était l'habitude à Rome, le nom des personnages ou des associations auxquels appartenaient les terrains qu'ils traversaient. Trois d'entre eux se rapportent à cette decuria uicerdotum hidentalium que les textes épigra- phiques nous montrent si étroitement associée au culte de Semo Sancus* :
Dec[uria) sacerdotinm videntalium XXllI Dec[uria) sacerdotium videntalium XXIIl Dec{uria) sacerdotium videntalium, IIIVXXX
La décurie devait être propriétaire, sur la colline, du temple de Semo et de ses environs.
On conserve au musée du Vatican une statue virile en marbre, un peu plus petite que nature, trouvée en 1880 sur le Quirinal'. Elle représente un homme debout, nu. jeune et imberbe, qui rappelle par son attitude et sa facture un peu dure le type bien connu de l'Apollon archaïque ; c'est la copie d'un original de bronze 3. La statue repose sur une bat-o de marbre, haute d'un mètre, découverte en même temps qu'elle'*. L'inscription du piédestal est conçue à peu près dans les mêmes termes que les deux dédicaces à Semo Sancus pré- cédemment citées"^ :
Semoni Sanco | Sancto Deo Fidio \ sacrum \ decuria sa- cerdot[iim) \ hidentalium.
« A Semo Sancus Deus Fidius, dieu saint, offrande consa- crée par la décurie des sacer dotes hidentales. >•>
i. Gatti, Bullelt. Comiin., 1881, p. 8 ; — R. Laxciani, Fistole aquarie, Nuova Sylloge, Rome, 1887, p. 15.
2. C. L. ViscoNTi, communication à la séance du 20 janvier 1881 de la Pontificia Accademia romana d>. archeologia, dans les Dissert. delV Accad., série II, t. II. p. 21 ; — R. Lanciani, Bullelt. Comun., 1881, p. 4; — G. L. Visc.onti, Di un simit- lacro del dio Semo Sancus dans les Sludi di storia e diritlo, 1881, p. 105 (avec planche) ; — Jordan, Statua vaticana di Semone Sanco, dans les Ann. deir Instit. archeol., 1883, p. 103 (avec planche).
3. Les avant-bras manquaient et ont été restaurés: l'arc que tient la main droite et l'oiseau symbolique, avis sanqualis, qui repose sur la main gauche, sont dus à l'imagination du restaïu-ateur moderne.
4. On a découvert d'abord la statue, moins les mains et les pieds, puis les pieds et la base. Les auteurs de la trouvaille n'ont pas voulu indiquer exacte- ment l'endroit où ils l'avaient faite. On sait seulement que c'est « entre la Pinzza del Popolo et la Piazza Barberini ».
5. Publiée en même temps que la statue, locis cilatis.
282 LES CULTES SECONDAIRES
Ce mommicnt tij^uiv provient sans aucun doute du tenii)le in colle. Il est possible que la statue de l'ile tibérine ressem- blât à celle-ci et reproduisît le môme modèle, qu'on était convenu de regarder comme l'image officielle de Semo Sancus.
Une petite tablette de bronze, haute de 0'°,045, longue de 0",017, concerne encore le culte romain de ce dieu. Elle a été mise en vente à Rome, il y a dix ans, par un marchand d'antiquités, sans indication d'origine ; quelques mots y sont gravés* :
Sanco Deo \ Fidio \ d{oniim) d(edit).
Le texte est évidemment incomplet; une autre tablette, maintenant perdue, contenait les noms du dédicant et le pre- mier nom du dieu, Semoni, a qui ce donarium avait été offert en reconnaissance d'une faveur obtenue par son entre- mise. M. Gatti suppose qu'on l'a ramassé dans les débris extraits du Tibre au cours des travaux de systématisation; il proviendrait de l'île tibérine, comme les tablettes votives et les donaria d'Esculape. Mais il n'est pas prouvé que Semo Sancus ait eu entre les deux ponts un temple, comme Escu- lape, ni même une simple chapelle. Peut-être les fidèles venaient-ils apporter leurs ex-voto au pied de sa statue. Peut-être aussi cette lamelle de bronze a-t-elle été découverte, non pas dans le Tibre, mais sur la colline Quirinale, où ont eu lieu également, pendant ces dernières années, de grands travaux d'édilité.
Caractère et nature de Semo Sancus. — Que représentait Semo Sancus Dius Fidius? C'est une très vieille divinité ita- lique, dont le culte n'avait plus à l'époque historique qu'une importance secondaire, mais qui paraît avoir joué un grand rôle dans la primitive religion nationale, avant l'invasion des influences grecques. Sur les Tables Eugubines, le dieu Fisiis ou Fisovins Sancitis est invoqué aussitôt après Jupiter et l'épi- thète de Sancius est appliquée à Jupiter lui-même ou Jovius; une colline des environs d'Iguvium s'appelait Ocris Fisiiis; Fisus est l'équivalent ombrien du latin Fidius., comme Claiisus de Claudiiis^. L'origine sabine du culte romain de Semo Sancus
1. Le Blant, C. R. de VAcad. des Insci\, 1892, p. 45 ; — Gatti, Bullell. Comun., 1892, p. 184.
2. Cf. Bréal, les Tables Eugubines, Paris, 1815, p. "71.
LA STATUE DE SEMO SANCLS 283
n'est sans doute qu'une Table ; les Sabins regardaient Sancus comme l'ancêtre mythique de leur race ^; mais, puisqu'on le rencontre très anciennement en Ombrie et à Rome aussi bien qu'en Sabine, il est probable que de bonne heure et simulta- nément toutes les populations de l'Italie centrale l'avaient connu et honoré sous des vocables différents-.
Les quatre noms qu'il porte en latin se groupent invariable- ment deux par deux : Semo Sancus et Dius Fidius. Y avait-il tout d'abord un Semo Sancus et un Dius Fidius distincts, qu'on aura ensuite rapprochés et assimilés l'im à l'autre? Ou bien la forme Dius Fidius fut-elle imaginée pour traduire la forme Semo Sancus? Quoi qu'il en soit, le Semo Sancus Dius Fidius que les ^extes nous font connaître n'est qu'un seul dieu et le double nom qu'on lui donnait n'a qu'un seul sens-'. Le mot Sancus appartient à la môme famille que sandre, d'où viennent aussi sancfus, sacer, etc., et qui veut dire confirmer, consacrer, donner à quelque chose une valeur religieuse et sainte^. Fidius a la même racine que /ides, fidus, fœdus: à tous ces termes est attachée l'idée de pacte, de bonne foi; on jurait à Rome par Dius Fidius comme par Hercule, on disait médius fidius comme mehercle'\ Sancus ou Fidius était invo- qué comme témoin et garant de la véracité des paroles pro- noncées et des promesses faites ; c'était la divinité de la
1. SiL. Ital., VIII, 420 :
Ibant et lœti pars Sancum voce canebant, Auctorem genlis ; pars laudes ore ferebant, Sabe, tuas, qui de proprio cognomine primas Dixisti populos magna ditione Sabinos.
Augustin., de Civ. Dei, XVIII, 19 : Sabini regem suum primum. Sangum sive {ut aliqui appellant) Sanclum reliderunt in deos. — Cf. Lactant., Divin, ins- titut., I, 15, 8, et, pour Dius Fidius, Dioxys., II, 49.
2. FowLER, op. cit., p. 13T.
3. OviD., Fast.^ VI, 213 : sous les noms de Sancus, Fidius, Semo, c'est tou- jours le même dieu qu'on invoque :
Quœrebam nonas Sanco Fidione referrem,
An tibi, Semo pater; tum mihi Sancus ait: Cuicumque ex istis dederis, ego munus habebo.
Nomina terna fero. Sic voluere Cures.
4. Jordan, Ann. delV Instit. archeol., 1885, p. 113 : Sancus vient de san- dre comme genius de gignere. — Servius, ad Ain., XII, 200 : Sanclum aliquid id est consecratum f'acere, fuso sanguine fiostise. — Propert., IV, 9, 73 :
Nunc quoniam raanibus purgatum sanxerat orbem, Sic Sancum Tatii composuere Cures.
5. Cic, ad Famil., V, 21; — Plin., Epist., IV, 15; — Festus, p. 147, s. V Médius Fidius, etc. — Dionys., IV, 58, traduit Dius Fidius par Zevç irtTTio;.
28V LES CILTES SECONDAIRES
fidélité conjugale! ' et du droit des gens-. D'autre part, les Anciens croyaient que Dius était un doublet de dimts^ et Senio une contraction de sfniihomo'\ Un personnage appelé Dius ou Senio ne serait pas un dieu, m;iis un demi-dieu, un génie, intermédiaire entre les dieux et les hommes, inférieur aux premiers, supérieur aux simples mortels. L'exis- tence de plusieurs Semones dans la vieille religion romaine est certaine; Martianus Capella traduit ce mot par ^[^.{Osci''; Fulgence, (pii tient ses renseignements de Varron, cite parmi eux Priapus, Epona, Verfit/nnus^'. Les Latins adoraient ou Semo Sancus le Setno par excellence, le Genius suprême, le premier des Semojies, comme en Jupiter le j)remier des dieux. D'étroits rapports unissaient Semo Sancus Dius Fidius et Ju- piter. Une poésie de Properce est adressée à Hercule Sancus "'. D'après yElius Stilo, les mots Dius Fidius sig;iifieraieiit Diovis films ou Dioscure, fils de Jupiter, et le dieu ou génie de ce nom serait identique au Sancus de Sabins et à THercule des Grecs '^. L'étvmologie que propose /Elius Stilo est fantaisiste et inadmissible, mais il a raison, comme Properce, de rapprocher Semo Sancus et Hercule. Seulement, c'est de l'Hercule italique qu'il aurait dfi parler, bien plutôt que de THéraklès grec. De même que l'Hercule italique, en
1. C'est pour cela que l'on avait plaré dans le temple de Semo Sancus au Quirinal la (pienouillc et la fuseau de Tanaquil ou Gaia CiKcilia, emblèmes de la vie de famille et du travail domestique.
2. DiONYS., 1\', 58 : dans ce mi'-me temple on conservait un bouclier de bois recouvert de <-uir, c|ui portait écrit le texte du traité conclu entre Tarquin et les habitants de Gabies.
3. Vahkon, de IJng. lat.. V, TG : A quo Dei dicli qui inde, et [Dius el Divum], unde sub Dio, Dius Fidius.
4. Semo serait mis pour semihemo, et semi/iemo pour semihomo. Exnius. cité par PiusciAN., VI, 683, donne hemouem à la place de hominem; — Fkstls, p. 100, s. V" Hemona : Hemona humcma et liemonem liomineni diceijanl. — Cette étymologiî est contestée par les modernes, qui font venir plutôt semu de serere. semen, et voient dans les Semones les fiénies fécondants, les principes actifs des choses (Joudax. Kritisclie lieilvûge zur Gesch. der latein. Sprache., Berlin. 187!», p. 204, et Ann. dell'Instit. archeol., 1885, p. 116: — Bkkal, Her- cule et Cacus. Paris. 1863, p. 57)
ri. Mahtiams Cai'Kli.a, II, lof) ; Sed superior pnrtio eos sic ut conspicis claudit qtius -^iiJL'Oco'j; dicunt qwisque latine Semones aut ftemideos concenit nominare.
6. Fi ix.KNT, de At)str. serm., p. 561 : Semones dici voluerunt deos quos nec cœlo dirinos udscrifjerent ob ineriti paupertalem, sicut Priapus, Eponn, Vev- tumniis, nec terrenos eos deputare vellent pro gratiai venerotione, sicut V^arro in Mfislaqoqo ait.
1. I'hopekt., IV, 9 : Hercule-Sancus châtie Cacus au pied du Palatin.
8. iEuus Stii.o, cité par Vabro, de Linç/. lut.. V, 66 : AUlius Diiim Fidium
LA STATUE DE SEMO SAiNCLS 285
effet, Semo Sancus était un génie de Jupiter, geidus Jovis, une émanation subalterne du dieu souverain '. Jupiter est à la fois le dieu de Tair et du ciel et le dieu des serments et de la foi jurée. Les noms mêmes de Sancus Fidius nous montrent qu'il passait pour un génie protecteur des serments. Certaines particularités de son culte attestent qu'on voyait aussi en lui un génie céleste, un numen de la lumière. Pour jurer par lui, comme pour jurer par Hercule, il fallait être en plein air, k ciel ouvert'. Un oiseau de la famille des aigles, sanqualis avis, lui était consacré'^. Après la prise de Privernum en 425/329 les Romains déposèrent dans son temple du Quirinal des globes de bronze, sjmboles du soleil^. Enfin il avait pour prêtres les sacerdotes bidentales.
La décurie des sacerdotes bidentales. — Les trois grandes ins- criptions de Rome qui concernent Semo Sancus Dius Fidius lai ont été offertes par la décurie des sacerdotes bidentales ou par le magistrat quinquennal de ce collège. En dehors de ces trois textes, les seuls sur lesquels on rencontre le nom des bidentales sont les marques des tuyaux de plomb du Quirinal, l'épitaplie du fils du quinquennalis Sextus Pompeius Mus- sianus à Gallicano, l'épitaphe d'un sacerdos bidentalis, à Ostie-^. On a donc tout lieu de croire qu'ils étaient spécia-
dicehat Diovis filhnii, ut Grseci Atôaxopov Caslovern, et ■putuhat hune esse Sancum ab Sabina linr/uaet Hei'culem a yrasca. — Cf. Festis, p. 229 : Propter viam fil sacrifictuni, quod est proficiscendi grutia Herculi aut Sanco, gui scili- cet idem est deiis.
1. Reiffekscheid, de Hercule et Junone, dans les Ann. delVInslit. archeol., 1867, p. 359. La théorie de Reiflerscheid a été reprise par Peter, article Hercules, et par Wissovva, article Dius Fidius, dans le Lexicon de RoscHEu. Hercule ou Dius Fidius serait le (/enius, et Junon l'équivalent fémi- nin du genius; les hommes juraient par leur genius, par Hercule ou par Dius Fidius, les femmes par Junon. Peut-être Gaia Gtecilia, dont le culte était asso- cié à celui de Semo Sancus dans son temple du Quirinal, doit-elle être consi- dérée comme une forme féminine de Semo lui-même, correspondant à Juno.
2. Varko, loc.cit.: Quidam negant sub tecto per hune dejeraie oportere; — Pllt., Quiest. rom., XXVlll : Atà -zi toÙ; TtaïSaç otav ôjxvjwti tôv 'IlpaxAJa, y.wX-jo-jcriv -jub oTsyr, toûto Trotetv -/.al x£),e-jouo-tv s'iç •jTtatôpov upotévat ;
3. Plin., Hist. nat., X, (7) 8 : Sanqualem avevi atque immusulum augures romani in magna quaestione habent ; — Liv., XLI, 13 : Prodigia eu anno nun- tiata : in Crustumino avem sanqualem [quam vacant) sacrum lapidem roslro cecidisse.
4. Liv., Ylll, 20 : (Vitruvii) bona Semoni Satico censuerunt consecranda : quodque seris ex eis redactum est, ex eo aenei orbes facti, positi in sacello Sanci versus aedem Quirini.
.5. G. I. L., XIV, 188 (inscription mutilée^ les différentes fonctions remplies par le personnage sont énumérées intégralement, k nom manque).
286 LKS ( I I.IKS SKCONDAIRES
lenient préposés an culic dr Sonio Sancus. Mais ils devaient être chargés aussi, comme Icm- nom rindiiiur, d(^ la garde et (lu soin des bif/cnfallaK On appelait bidcntal d'abord le sacrifice d'une brebis de deux ans, qui se faisait, eu signe d'expiation, à l'endroit où la foudre était tombée, puis, par extension, l'édifice élevé à cette place pour perpétuer le sou- venir de la cérémonie expiatoire-. Sacrifier une brebis, élever un bidental, c'était enterrer la foudre, ////////r condere. Le lieu qu'avait frappé le feu du ciel et où on rensevelissait était désormais sacré et inviolable, lociis religiosité. Il devait être caché aux regards, inaccessible, soustrait à toute souillure. On donnait au bidental une forme ronde, un mur l'entou- rait, il n'avait pas de toit; les auteurs anciens le com- parent à un puits, puteal; le piiteal Lihonis sur le Forum i-omain n'était autre que l'un de ces antiques bidentalia. Varron et Festus nous apprennent que les temples de Semo Sancus Dius Fidius ressemblaient tout à fait à ces monu- ments; eux aussi, ils étaient ronds et ouverts par le haut, pour laisser voir le ciel-^ Ce n'est pas le hasard qui a fait des conservateurs du bidental les prêtres de Semo Sancus et qui a donné à ses sanctuaires et aux bidentalia la même forme. Ces rencontres ne s'expliquent que si Semo était vrai- ment un génie du ciel et de la foudre, un (jrnius Jovis.
Le culte de Semo Sancus dans l'île tibérine. — Si telle était la nature de Semo Sancus, il ne faut pas s'étonner qu'on l'ait adoré particuhèrement dans l'île tibérine, dont l'un des édifices était dédié à Jupiter ; u'était-il pas naturel qu'on y fit une place aussi à ce genius Jovis? Le Jupiter qu'on invoquait dans l'Ile recevait le surnom de Jurariùs, protecteur et gardien de parole jurée; le Semo Sancus Dius Fidius, génie des serments et de la bonne foi, ne devait-il pas figurer à ses côtés? Jupiter Jurariùs
1. Sur les bidenlules et les hidenlalia, voir à ces mots les articles du Dictionn. des Aniiq. de Darembehg et Saglio, par Saglio, et de la Real Encyclo- pCidie de Pally-\Vissowa, par Wissowa, ainsi que 0. Gilbert, Gescli. und Topoyr. der St. Rom, t. I. p. 275.
2. Festus, p. 33 : Bidental dicebiutl qui/ddain teniplum quod in eo bidenll/jiis hosliis sacvijicaretur ; — Schoi,. Peks., U, 27 : Bidental dicilur locus sacro percussus fulmine, qui bidente ab aruspicihus cnnsecralur, quem calcnre nefas est.
3. Varro, de Lin;/, lut., Y, 66 : Ilaque inde ejus perforatum lectum, ut ea vidcatur divum, id est cœlum.
LA STATUE DE SEMO SANCUS 287
c'est le Zsj? op"/.'.2; des Grecs. Denys d'Halicarnaçse traduit par Zsj; ziatioç le nom de Dius Fidius ^ . Le rapprochement des deux cultes s'imposait-.
L'inscription qui accompagnait la statue élevée dans l'ile à Semo Sancus fut trouvée tout à côté de l'emplacement qu'oc- cupait anciennement le temple de Jupiter. Les témoignages contemporains l'affirment : on l'a découverte en 1574, « aux abords de Saint-Barthélémy, dans le voisinage de l'hôpital qui est en face de la porte du couvent, en faisant les fondations de la construction nouvelle, et non loin de là il y a un frag- ment de pyramide avec des hiéroglyphes égyptiens ^. » L'hô- pital situé en face du couvent de Saint-Barthélémy est celui des Frères de Saint-Jean-de-Dieu, qui vinrent s'y établir en l'an- née 1572; ils ajoutèrent aussitôt à l'ancien couvent des Bénédic- tines, situé auparavant à cette place, les constructions nouvelles que mentionnent notre texte. D'autre part, le pavement en opus signinum du sanctuaire de Jupiter Jurarius a été vu en 1854 « sous les constructions attenantes à l'église de Saint-Jean- Calybite ^ » c'est-à-dire sous l'hôpital des Frères de Saint-Jean- de-Dieu. C'est donc dans la même région de l'île exactement que l'on honorait à la fois Jupiter Jutarius et Semo Sancus.
Il est très problable que l'image de Sancus se dressait dans le temple même de Jupiter ou tout auprès. L'existence d'un édifice qui lui aurait été spécialement consacré parait bien invraisemblable ; aucun document antique n'en dit rien. Saint Justin nous parle uniquement d'une statue de Simon le Ma- gicien. Les auteurs et les inscriptions ne nomment qu'un seul sanctuaire de Semo Sancus à Rome, sur le Quirinal. Nulle fête de ce dieu in insiila n'est indiquée sur les vieux calen- driers. Ce n'est pas dans l'île qu'était établie la décurie des sacerdotes bidentales^ mais au Quirinal, à côté du temple qu'elle desservait et dont le terrain lui appartenait. Enfin s'il convenait d'associer Semo Sancus Dius Fidius à Jupiter Jura-
1. DiONYS., II, 49 : To-j-ov Sltbv Sdti-y.ov itizô xtvwv Iltortov xaXsïffÔat Ata.
2. Preller-Jordan, op. cit.., t. II, p. 274 ; — R. Lancia.m, Parjan and Christian Rome, p. lOo.
3. Codex Bai-l)erini, XXX, 92 m, cité au C. I. L., VI, 567 : Fu trovato l'anno passato a Sa7i Bartolnmeo delV Isola, vicino allaclinicu ch^è avant i alla porta del convento nel far le fojidamenta delta fabbrica nuova, ed ivi vicino vi è un pezzo di piramide con cjeroylifici ec/izi.
4. Canixa, Bullett. dellinstit. archeol., 1854, p. xxxvii : \ei sotterranei délia fabbrica annessa alla chiesa di San Giovanni di Dio Calibita nelV isola Tibe- rina.
288 LES CULTES SECONDAIKES
rius, on n'aurait pas cependant traité en égaux le dieu et le génie ; ce dernier n'avait pas la même importance ; une statue lui suffisait. Sou culto n'était ici (juo secondaire et subordonné, simple dcpoudauco de celui qu'on rendait à Jupiter Jurarius.
L'introduction de Semo Sancus dans l'île tibérine, par con- séquent, no (lovait pas remonter, comme on aurait pu le croire au premier abord, aune époque très ancienne. Elle est pos- térieure en tout cas à la fondation du sanctuaire de Jupiter. Peut-être même n'out-elle lieu que sous l'Empire. Sans doute Semo Sancus Dius Fidius était une vieille divinité nationale, et son temple du Quirinal datait des rois ou des premières années de la République. Mais il semble qu'on l'ait ensuite laissé de côté. L'Héraklès grec fit oublier l'Hercule italique. Son nom est très rarement cité dans les textes littéraires. De toutes les inscriptions qui l'intéressent, aucune ne fut gravée sous la République '. Les empereurs paraissent avoir fait effort, au con- traire, pour ranimer l'antique divinité méconnue. C'est alors que la décurie des sacerdotes bidentales manifeste son existence, multiplie les dédicaces, érige la statue du Quirinal, retrouvée en 1880, et celle de l'île tibérine, dont la base seule nous est parvenue. Semo Sancus profita du mouvement de renaissance religieuse qui conmiença pendant les règnes d'Auguste et de Claude et se continua pendant ceux des Antonins. Les empereurs essayèrent de faire refleurir les cultes nationaux. Les dieux italiques, trop longtemps éclipsés par les dieux plus personnels, plus vivants, plus séduisants de la Grèce et de l'Orient, jouirent alors d'un retour de fortune inespéré. En même temps, et pour assurer, autant que possible, là durée .de leur œuvre, les princes relevèrent les antiques corporations sacer- dotales, depuis des siècles abolies ou négligées. La décurie des sacerdotes bidentales fut du nombre de ces collèges rap- pelés à la vie et veilla de nouveau sur le culte de Semo San- cus lui aussi ressuscité.
A quel empereur convient-il d'attribuer la restauration du
\. Les inscriptions du C. I. L., VI, 567 et 'ies, la dédicace de la statue décou- verte» en 1><80, la tablette de bronze signalée en J8!)2, sont de l'époque impé- riale, comme le prouvent leur paléographie et la forme orthographique l>eo Fidio. Le plus ancien document épigraphi(iue se rapportant à Semo Sancus est le calendrier de Venouse (G. I. L., I, ï° éd.. p. 2-21) : il a été gravé, d'après M. Mommsen, entre les années 738/16 avant Jésus-dlirisl et 7.)7/;i après Jésus- Christ : mais il faut ajouter (jue c'est probablouicnl la copie d'un texte plus ancien; on y lit Uiu Fidio, et non Deo Fidio.
LA SÏATLE DE SEMO SANCUS 289
culte de Semo Sancus au Quirinal et son extension à File? Sur ce point les renseignements font défaut, et l'on ne peut qu'émettre des hypothèses. Deux noms surtout, parmi ceux des princes que préoccupait le souci de la religion italique, se présentent à l'esprit : les noms de Claude et d'Antonin^. Claude était sabin d'origine ; à ce titre, l'ancêtre légendaire de la race Sabine, devait, tout spécialement, attirer son attention; c'est pendant son règne, d'après saint Justin, qu'une statue aurait été dédiée entre les deux ponts à Simon le Magicien, c'est-à- dire à Semo Sancus. On sait aussi qu'Antonin le Pieux, cent ans plus tard, au temps même oii vivait l'Apologiste, prit à tâche le rétablissement de l'ancienne religion 2; il mérita qu'on lui consacrât une inscription honorifique pour le récompenser du soin qu'il prenait des cérémonies publiques, oh insignem erga cerimonias publicaa curain ac religionem'^] les cérémonies du culte de Semo Sancus Dius Fidius furent peut-être de celles qui lui durent un renouveau d'éclat et de faveur, et peut-être est-ce seulement sous son règne que fut offerte à ce dieu la statue de l'île tibérine.
1. Sur la renaissance des vieux cultes italiques au temps de Claude et sous les Antonins, voir Boissieii, la Religion romaine d'Auguste aux Antonins.
2. C. L. ViscoNïi, Studi di storiû e dirilto, 1881, p. 124. Les monnaies frappées pendant le règne d'Antonin le Pieux montrent lïmportance qu'il attachait aux questions religieuses ; la plupart des sujets représentés sur les revers sont empruntés aux vieilles légendes romaines. Cf. Frôhnek, les Médaillons de V Empire romain^ p. 46 à 74.
3. C. I. L., VI, 1001.
iS»
CHAPITRE III
LE TEMPLE DE FAUNUS
La fête de Faunus dans l'île. — Sur un fragment mutilé, mais de restitution certaine, d'un ancien calendrier romain décou- vert dans les fouilles de l'Esquilin en 1874, on lit* :
[Deid{iis) N feriae] Fauiio \ [i]n insnl[a\
« Au jour des ides, treizième jour du mois, fête de Faunus dans l'île-. »
Ce fragment appartenait à la colonne du mois de février, ainsi que le montrent les noms mêmes des différentes cérémo- nies qui s'y trouvent énumérées avant ou après celle-ci, et que l'on connaît par d'autres témoignages. C'est donc le 13 février, l'avant-veille des Lupercales, que les Romains invoquaient Faunus dans l'île tibérine. Un passage des Fastes d'Ovide l'indique également : « Aux ides de février, les autels du dieu agreste Faunus fument, à l'endroit où l'île divise en deux bras les eaux du Tibre 3. »
Horace et Calpurnius font allusion à cette fête printanière, mais sans en préciser la date et sans dire à quel endroit de Rome on la célébrait^. Une autre solennité en l'honneur de Faunus avait lieu pendant l'hiver, le 5 décembre ; une ode
1. C. 1. L., 1, 2' éd., p. 210.
2. D lettre nondinale, N nefastus dies.
3. OviD., FusL, 11, li):i :
Idibua agrestis fumant altaria Fauni,
Hic iibi discretas insula nimpit aquas.
4. HoiiAT., Cann., I, 4, 11 :
Nunc et in umbrosis Fauno docct immolare lucis, Seu poscat agnam, sive malit bxdum.
Calpukniis, Eclog., V, 24 :
Sed non antu gregcs io pascua mlttito clauses Quam fuerit placata Pales ; tum cespite vivo Pone focum, Oeniumque loci, Faunumque Laremque Saiso farre voca.
LE TEMPLE DE FAUNUS 2Ô1
d'Horace la rappelle ^ Ni les vers du poète, ni les commentaires de ses scholiastes- ne permettent d'affirmer qu'elle concernât Rome. Les calendriers officiels la passent sous silence. Preller et M. Wissowa sont d'avis qu'Horace a voulu parler simple- ment d'une réunion toute rurale et locale, particulière au can- ton des environs de Rome où était située sa villa ^ : on sait par Probus qu'il y avait dans les campagnes de l'Italie des sacri- fices à Faunus annuels ou mensuels^. M. 0. Gilbert paraît disposé à croire cependant que la fête du 5 décembre était célébrée à Rome, soit sur l'Aventin, où avait lieu le 3 du même mois celle de Bona Dea ou Fauna, la sœur ou l'époase légendaire de Faunus, déesse de l'agriculture et de la fécon- dité', soit dans l'île tibérine, où Faunus avait un temple et où l'on sacrifiait cinq jours après à la divinité protectrice du fleuve, Tiberinus'"'. Ces hypothèses et ces rapprochements sont bien hasardeux. M. 0. Gilbert abuse d'une coïncidence de dates peut-être fortuite. Le mutisme des documents épigra- phiques est significatif. La seule fête de Faunus dans l'île tibé- rine dont on ait le droit d'affirmer l'existence était fixée au 13 février.
Position du temple. — Les termes dont se sert Ovide nous apprennent où se trouvait le temple de Faunus'''. Il s'élevait à l'endroit où les eaux du fleuve se partagent, c'est-à-dire à la pointe qui regarde vers l'amont. Les archéologues romains du xvi' siècle assurent qu'il y avait à cette place plusieurs murs an- tiques de belle apparence; ils s'autorisaient du texte d'Ovide
1. HoRAT., Cann., III, 18 {ad Faunum)^ 9 :
Ludit herboso pecus omne campo Cum tibi nonx redeunt décembres.
2. PoRPHYRio,atZ i/or., loc. cit. : Nonis decembrihus Faunalia sunt, h{oc) e(st) dles festus Fauni, in cujus honorem pecudes lasciviunt. — Cf. AcRO, ad eumd. loc. : Nonis eni/n decembrihus Faunalia i{d) €{81} Faunorum cullus célébrant ui:
3. Preller-Jordan, Rœm. Mythol., t. I, p. o80, n. 1 ; — Wissowa, article Faunus, dans le Lexicon de Roscher. C'est aussi Topinion de Fowler, the Roman festivals, p. 2oo.
4. Probus, ad Georg., I, 10 : In Italia quidam annuum sacrum, quidam menslntum célébrant.
5. 0. Gilbert, Gesch. und Tffpor/r. der St. Rom, t. I, p. lîîO.
6. 0. Gilbert, op. cit., t. III, p. 82.
7. Sur le temple de Faunus dans l'île tibérine, voir : Kxepert-Huelskx, Nomencl. topogr., p. 78; — Homo, Lex. de topogr. rom., p. 562; — C. I. L., I, 2" éd.; — Jordan, de .'Esculapii, Fauni, Vejovis Jovisque sacris url)anis, dans les CotiDnenlationes in honorem Mommseni, p. 3o9.
292 LES CULTES SECONDAIRES
pour y reconnaitre les vestiges du sanctuaire de Faunus'. Ficoroni, qui a pu voir encore ces ruines au xviii" siècle, est du même avis 2. Il ne reste plus actuellement aucune trace de l'édifice.
Style de l'édifice. — Du texte de Vitruve examiné précédem- ment il résulte que le temple de Faunus dans Tile, comme celui de Jupiter, était prostyle**.
Date de la construction. — C'est un 13 février qu'il avait été dédié : la fête annuelle rappelait la cérémonie de l'inaugura- tion et se célébrait au même jour. Nous savons par Tite-Live en quelle année on le consacra au culte. Cn. Domitius Aheno- barbus et C. Scribonius Curio, édiles plébéiens, citèrent devant le peuple en 558/196 plusieurs fermiers des pâturages deVager publiais, pecKarii, qu'ils accusaient de concussion ou de retard dans le paiement des fermages. Trois de ces pectiarii furent condamnés. Avec l'argent des amendes les édiles firent bâtir un temple au dieu Faunus in insiila'* Deux ans plus tard, Cn. Domitius Ahenobarbus, l'ancien édile de 558/196, devenu préteur, procéda lui-même à la dédicace ^.
Multaticium argentum. — Très souvent à Rome le produit des amendes servait à construire ou à décorer des sanctuaires ; les édiles curules ou plébéiens, qui étaient chargés d'intenter les poursuites dans l'intérêt de l'Etat et de faire prononcer les condamnations, présidaient à ces travaux. Le temple de la
i. Voir notamment : Bahth. Mahliani, Urbis Romae lopoor., 2° éd., Rome, 1344, V, 16 : (Teinplum Fauni) cujus vesligia quaedam adhuc cernunlur; — Lie. F'auso, de Anliquit. roman., V, 4, dans le Novits Thesaw. Antiquit. roman., de Sal- LENGRE, t. I, p. 298 : In insulœ prora Faunus hahuit templum, cujus modica sunt vesl'ujia; id flumine corrodente paulatim inleriit.
2. Ficoroni, Vesliqia e rarità di lioma, t. 1, p. 42 : (on voit à la pointe nord de l'île) rovine di fabhrica anlica composta di gran pezzi di pietra dove secondo Livio era il tempio di Giove Licaonio e di Fauno. — 11 est nécessaire d'ajouter que peut-être les murs signalés par les érudits du xvi" siècle et par Ficoroni étaient-ils simplement des débris du revêtement en pierre de l'île tibérine. Voir plus haut, p. 34.
3. ViTRuv., m, 2. Cf. ci-dessus, p. 249.
4. Liv., XXXIIl, 42 : édiles pleins, C. Domitius Ahenobarbus el C. Scribonius, Curio, 7nullos pecuarios ad populi judicium adduxerunt. Très ex his condem- nati sunt; ex eorum inultaticia pecunia aedem in insala Fauni fecerunt.
5. Liv., XXXIV, 53 : Aïldes eo anno (560/194) aliquot factœsunt : una Junonis... altéra Fauni; aediles eam biennio anle ex multaticio aryento faciendani loca- rant, C. Scribonius et Cn. Dotnitius, qui prsetur urbanus eam dedicavil.
LE TEMPLE DE FAUNDS 293
Victoire sur le Palatin, commencé par L. Postumius édile curule, inauguré par ce même personnage pendant son consu- lat, en 460/294', — celui de Jupiter et de Libertas sur l'Aven- tin, qu'on devait à Ti. Sempronius Gracchus pendant son édilit^, avant l'année 516/238-, — celui de Flora auprès du cirque Maxime, œuvre des édiles plébéiens L. et M. Publicius, en 510/238 >^, furent élevés eux aussi ex nndtaticia pecunia^ ex sere multaticio. Les procès intentés aux usuriers permirent en 458/296, aux édiles curules Q. et Cn. Ogulnius de faire hommage d'un quadrige à Jupiter Capitolin et de placer auprès du figuier Ruminai une statue de bronze de la louve allaitant Romulus et Rémus'% — en 562/192 aux édiles curules M. Tuc- cius et P. Junius Brutus de placer un quadrige doré sur le faîte de la cella du temple de Jupiter au Capitole et de con- sacrer au dieu douze boucliers^.
Ce n'est pas le hasard qui réglait l'emploi de ces ressources et les faisait affecter au sanctuaire de telle ou telle divinité particulière. Chaque fois que les textes sont assez explicites, chaque fois qu'ils indiquent la qualité et le crime des cou- pables frappés de condamnations pécuniaires, on devine les raisons qui ont guidé les édiles dans leur choix. Les sommes versées par les prêteurs de mauvaise foi servent à embellir la demeure de Jupiter, le protecteur souverain des transactions humaines, le dieu de la probité, le vengeur de l'honnêteté outragée. Le temple qui fut bâti en 459/295, auprès du cirque Maxime, par Q. Fabius Gurges, édile curule, avec l'argent exigé des matrones convaincues d'adultère, était consacré à Vénus ^^ Il est naturel que les amendes imposées aux fer- miers des pâturages aient été appliquées à la construction ou à la décoration de sanctuaires des divinités agricoles. En 458/296, pendant que les Ogulnii, édiles curules, poursuivaient les usuriers et faisaient des offrandes à Jupiter, les édiles plé- béiens leurs collègues, L. J^lius Petus et C. Fulvius Cun^us, obtenaient la condamnation de peciiarii prévaricateurs, et ornaient de coupes d'or le temple de Cérès'', On adorait en
1. Liv., X, 33.
2. Liv., XXIV, 16.
3. Tac, Ann., Il, 49.
4. Liv., X, 23.
5. Liv., XXXV, 41.
6. Liv., X, 31. 1. Liv., X, 23.
294 LES CULTES SECONDAIRES
Cérès la déesse de la culture et de l'abondance. Faunus, lui aussi, était essentiellement rustique et champêtre ; les fautes commises par les fermiers des pâturages l'offensaient et pro- voquaient sa colère. Les édiles de l'année 558/196 ont cru qu'il leur appartenait de l'apaiser en lui dédiant un monument expiatoire, aux frais des pecuarii.
Le culte de Taunus et l'île tibérine. — Si l'on comprend sans peine que cet édifice ait été construit, ainsi que le dit Tite- Live, avec les sommes versées par les fermiers des pâturages, on peut s'étonner que les Romains l'aient placé dans l'Ile tibé- rine. Celle-ci était située en dehors de l'enceinte consacrée du jwmerumi. Pourquoi les édiles ont-ils relégué sur son terri- toire le sanctuaire qu'ils élevaient à Faunus, comme s'il leur eût été interdit de le bâtir à l'intérieur même de la cité? Quelle était la cause de cette exclusion? Pourquoi ce dieu a-t-il partagé le sort d'Esculape et de Jupiter Jurarius?
On serait tenté tout d'abord de l'expliquer par les circons- tances mêmes qui accompagnèrent la fondation du temple. Il avait une origine impure ; il rappelait à la fois les malversa- tions des pecuarii et la punition qui leur était infligée ; pou- vait-il figurer dans la cité, à côté des constructions vouées spontanément par la vertueuse piété des magistrats et du peuple romain 1? — Cette explication n'est pas valable. En réalité, rien n'empêchait d'accueillir à l'intérieur du potnerimn les monuments édifiés ex multaticia pecunia. Quelques-uns d'entre eux ont été rappelés plus haut ; ils étaient tantôt hors de l'enceinte consacrée, comme le temple de Jupiter et de Libertas sur l'Aventin, et ceux de Flora et de Vénus, près du cirque Maxime, tantôt dans l'enceinte, comme celui de la Vic- toire au Palatin. Il n'y avait donc pas de règle fixe à cet égard. L'usage religieux qu'on faisait de cet argent effaçait la tare de son origine. D'autres considérations ont poussé les Romains à placer leurs temples, selon les cas, à l'intérieur ou à l'extérieur du po?Jîerium.
Nous savons sur quel principe reposait, à l'origine, la dis- tinction des cultes accueillis dans la cité et des cultes mainte- nus en dehors de ses limites antiques. Les premiers étaient
1. C'est l'hypothèse que nous avions cru pouvoir avancer nous-mi^me : M. Besniek. Jupiter Jurarius, dans les Mélanges cCarchéol. et dChist. de l'Ecole de Rome, 1898, p. 288.
LE TEMPLE DE FAUNLS 29S
nationaux, latins ou italiques ; les seconds étaient étrangers, d'origine lointaine, et plus particulièrement grecque ou orien- tale, récemment introduits à Rome^ M. 0. Gilbert range Faunus parmi les dieux pérégrins^. Il n'a d'autre preuve à alléguer que l'existence même de son temple dans l'île tibé- rine, dont il faudrait précisément rendre compte. D'ailleurs, à l'époque où il fut construit, la loi qui imposait un traitement différent aux cultes nationaux ou étrangers n'était plus aussi strictement observée qu'autrefois : pendant la seconde guerre punique, on avait admis des divinités grecques et orientales sur le Capitole et sur le Palatin, au cœur de la cité-^. La prin- cipale objection qu'on doive faire à M. 0. Gilbert, c'est que Faunus, bien loin d'être d'origine pérégrine et d'importation récente, passait au contraire, et à juste titre, pour l'un des dieux les plus anciens du Latium. La religion romaine s'est lentement transformée et enrichie à travers les siècles; elle a subi tour à tour des influences étrusques, helléniques, asiatiques ; il est possible de discerner ce qu'elle doit à chacune de ces sources tardives et d'isoler le fonds primitif et original que les apports ultérieurs sont venus ensuite altérer. Les Latins étaient un peuple de pasteurs et de laboureurs. Ils adorèrent d'abord les génies des bois et des champs. Leur première reli- gion fut toute rustique. Les fêtes qu'énumère le vieux calen- drier romain embrassent le cycle annuel des occupations agri- coles^. Faunus, comme Silvamis et Picus, Ops et Liber, est une de ces vieilles divinités rurales que d'autres firent plus tard négliger et qui laissèrent peu de traces à l'époque histo- rique dans le culte public, mais qui, au début, attiraient seules l'attention des populations de l'Italie et recevaient seules leurs prières et leurs offrandes.
Caractère véritable du dieu Faunus. — Le choix qu'on a fait de l'île tibérine pour abriter Faunus ne peut s'expliquer ni par les circonstances de la fondation du temple, ni par l'origine du culte. C'est la nature même du dieu, c'est son caractère exclu-
1. Voir plus haut, p. 171.
2. 0. Gilbert, Gesch. und Topogr. der St. Rom, t. III, p. 82.
3. Voir plus haut, p. 174.
4. Consulter sur ce point, outre le commentaire des Fastes, par Mommsen, dans le G. I. L., I, 2° éd., p. 283, l'intéressante Conclusion du livre de Fowler, the Roman festivals.
296 LES CULTES SECONDAIRES
sivement agreste qui ont empêché de l'introduire dans la cité. Nous ne possédons sur lui que fort peu de renseignements authentiques et anciens ^ On n'a retrouvé à Rome ou aux environs aucune inscription qui lui soit dédiée '. Les textes littéraires qui le concernent sont relativement récents et sou- vent suspects. Quand les érudits et les lettrés grecs ou dis- ciples des Grecs entreprirent de mettre en harmonie la reli- gion romaine et la religion hellénique et de les confondre l'une avec l'autre, ils assimilèrent Faunus à Pan ■' et les faunes aux satyres '» ; il ne faut pas être dupe de ces rapprochements tardifs ; ils ont toujours quelque chose d'artificiel et de forcé ; le Faunus italique ressemblait sans doute par certains côtés au dieu Pan, mais il devait aussi s'en distinguer })ar quelques traits, que, malheureusement, les écrivains postérieurs lais- sèrent dans l'ombre. D'autre part, les annalistes, qui interpré- taient à leur façon les vieilles traditions, racontèrent qu'il était un roi des Aborigènes divinisé'*, le troisième sur la liste légendaire des rois du Latium^, et qu'il représentait une
1. Voir sur Faunus : Preli.er-Jordan, Rœm. Mylhol., t. I, p. 379; — Hitn, article Faunus dans le Diclionn. des Anliq. de Dakembeho et Saolio ; — WissowA, article Faunus dans le Lexicon de Uosciier ; — Fowler, op. cit., p. 256 et p. 312 ; — AusT, die Religion der Rfimer, p. 138.
2. On a découvert, au contraire, dans la campa<,me et dans Rome même un très grand nombre d'inscriptions consacrées à une autre divinité rurale et ancienne, analogue à Faunus, Silvanus. Le culte de Faunus semble avoir été assez vite oublié ; le culte de Silvanus a survécu en se transformant : le dieu rustique des bois fut honoré comme le gardien des jardins et des propriétés, custos hortuli, tutor finium (Fowler, op. cit., p. 2.18).
3. Probus, ad Georg., I, 10 : Eundem Pana, eundem Inuum, eundem Fau- num quidam interprefanlur.
i. Les Fauni ressemblaient au dieu Faunus, dont ils étaient comme autant de répliques inférieures et atténuées; ils possédaient les mêmes attri- butions que lui; c'étaient des génies lubriques, errant dans les campagnes; ils apparaissaient aux paysans ; ils exerçaient sur les récoltes et les troupeaux une influence tantôt salutaire, tantôt néfaste. — Wissowa [loc. cit.) pense qu'il n'y avait à l'origine qu'un seul Faunus ; par imitation de la mythologie grecque on imagina ensuite des Fauni secondaires correspondant aux Satyres, comme Faunus correspondait à Pan. — D'ajjrès Fowlek (op. cit., p. 260), la croyance aux Fauni serait antérieure au culte d'un Faunus unique; on se figurait d'abord qu'un nombre infini de divinités toutes pareilles protégeaient les campagnes et les pâturages; la conception d'un seul Faunus est le produit d'un travail ultérieur d'abstraction et de simplification. Les textes qu'allègue M. Fowler (Varro, de Ling. lut., VII, 36; Servils, ad Georg., I. 10) prouvent tout au moins que les Fauni étaient connus et adorés en Italie, comme Faunus lui-même, avant toute pénétration hellénique et en dehors de toute assimilation aux divinités de la Grèce.
5. DiONYS., I, 31; — SuET., Vitell.
6. Vbrg., JEn., VII, 45 : Salurnus, Ficus, Faunus, Latinus.
LE TEMPLE DE FAUNUS 297
phase du développement de la race latine, une période de son histoire. Mais une pareille conception, imitée des systèmes mythologiques qui avaient cours en Grèce, était étrangère évi- demment à l'esprit des Romains, Pour bien connaître les cultes primitifs, il convient de les examiner en eux-mêmes, abstrac- tion faite de toute influence hellénique et de toute intrusion de légendes généalogiques.
Faunus était le dieu de la campagne et des pâturages ^ Son nom dérivait, disait-on, de favere ou de fari; il signifiait ou bien celui qui favorise et qui protège-, ou bien celui qui parle et qui prédit'^, — étymologies fantaisistes, mais qui nous montrent quelle idée se faisaient de lui les Romains. Il favori- sait l'agriculture, il protégeait les troupeaux^. 11 rendait ses oracles dans les bois; ceux qui venaient le consulter devaient se couronner de feuillage de hêtre, lui sacrifier des brebis, s'étendre sur une toison en attendant ses révélations -\ Sous l'Empire, il n'était plus, comme Pan lui-même, qu'une divinité secondaire et subalterne; éliminé presque complètement de la religion officielle, il se survivait à peine dans la piété supers- titieuse des paysans et dans les fictions des poètes". Il avait eu cependant, à l'origine, une importance considérable. Le dieu des champs et des prés ne pouvait manquer d'être honoré tout particulièrement par les Latins, qui vivaient de la culture de la terre et de l'élevage du bétail. Virgile et Ovide en té- moignent. Ils se piquaient d'être exactement informés du passé de Rome et de ses vieilles traditions religieuses. Ils ont fait
1. Servius, ad Ain., VIII, 343 : Deus pastoralis est.
2. Servius, ad Georg., I, 10 : Quidam Faunos pulant dictas ab eo quod fini- f/ibtis faveant. — Schwegler, Rœm. Gesch., T-ubingen, 1861-1872, t. I, p. 351, en conclut que le nom dEvandre est la traduction du mot Faunus et veut dire comme lui le favorable, le bienveillant (Servius, ad .€n., VIII, 514 : Quidam Faunum appellatum volunt eum quem nos propibium dicimus) ; de là viendrait la légende d'après laquelle Faunus aurait reçu au pied du Palatin, sur l'empla- cement de la future Rome, l'arcadien Evandre et ses compagnons.
3. Varro, de Ling. lat., VII, 36 (sur les Faunes) : Hos versibus quos vocant saturnios in silvestribus locis traditum est solitos fari, a quo fando Faunos dictos ; — Servius, ad .-En., VII, 81 : Faunus àitô rf,; çtrivr,; dictus quod voce non signis ostendit futura.
4. HoRAT., Carmin., I, 17, 2 :
Défendit igneatn seslatem capellis Usque meis, pluviosque ventes.
"). Sur les oracles de Faunus, voir les textes réunis par Deubxer, de Incu- latione, p. 8, note 1, p. 10, 16, 17, 18, 19, 23, 26, 27, 41, 6. Cf. HiLD, op. cit., p. 1021-1023,
298 LES CULTES SECONDAIHES
une place dans leurs poèmes à Fauuus, qu'ils représentent comme un génie tutélaire et prophétique de la race latine. Au livre VII de.VEnéide, c'est lui qui annonce au roi Latinus les illustres destinées futures de son pays^ Au livre III des Fastes, c'est lui encore que Numa va consulter, en même temps que Picus, sur le conseil d'Egérie : ils sont l'un et l'autre les dieux du sol romain, romani numen uterque soli-.
L'Aventin, les Lupercales, le Septimontium. — Faunus ce- pendant, si important (ju'ait été son culte, ne possédait aucun temple à Rome avant l'année 560/1 94 -^
Proller a cru qu'un sanctuaire lui était consacré très ancien- nement sur l'Aventin, en dehors du po}7ierium '*. 0\ide raconte en effet da.ns les Fastes que Numa vint à cet endi'oit s'emparer par surprise de Faunus et de Picus pour les obliger à lui révéler l'avenir^. Mais les conséquences que Preller tire de ce texte sont à coup -sûr excessives; il n'implique nullement l'existence sur la colline aventine d'un édifice totalement inconnu par ailleurs. On sait qu'au pied de l'Aventin s'élevait un temple de Bona Dca ou Fauna^*; la colline était située dans la cam- pagne, tout auprès de la Rome primitive où régnait Numa ; ces raisons suffisent à nous faire comprendre qu'Ovide ait assigné ce lieu de rencontre au dieu et au roi.
Si les Lupercales étaient vraiment, comme le disent les écrivains de l'époque impériale, une fête de Faunus, et la grotte du Lupercale au Palatin un de ses sanctuaires, il fau- drait avouer que dès les temps les plus reculés de l'histoire
1. Verg., yEn., VII, 81.
2. Oviu., Fast., m, 291.
3. II faut ajouter qu'à notre connaissance, après la construction du temple de Faunus dans l'Ile tibérine, les Romains ne lui en élevèrent aucun autre :1e temple de l'île lui-même n'est mentionné que par le calendrier de l'Esquilin, Ovide, Tite-Live et Vitruve; nous ne savons rien de son histoire. Le culte de Faunus ne fut donc jamais florissant à Rome. Il ne bénéficia, au début du second siècle avant l'ère chrétienne, que d'un retour de faveur tout momen- tané. Peut-être profitait-il alors du mouvement de renaissance religieuse pro- voqué par les désordres de la seconde guerre punique, qui avaient ranimé les sentiments de piété des Romains et rappelé leur attention vers les vieilles divinités nationales.
4. Preller-Jobdan, Rœm. Mijlhol., t. I, p. 391 ; — 0. Gilbert {Gesc/i. und Topor/r. der SI. Rom, t. II, p. 150, note) est du même avis.
o. OviD., fas/., III, 291.
6. OviD., Fast., V, 148; — Cic, de Do»i., 130; — Lydus, d« Mens., IV, 52; — Macrob., Satum., 1, 12, 18 et 21.
LE TEMPLE DE FAUNL'S 299
de Rome il aurait été honoré à l'intérieur de la cité; son culte serait l'un des plus vieux du peuple romain. Il n'en est rien. Les Lupercales ont été l'objet récemment de plusieurs études qui tendent à prouver qu'à l'origine, en dépit de l'opinion généralement admise] usqu'ici, elles n'intéressaient pas Faunus'. Le dieu qui y présidait, c'était Lupercus, invoqué peut-être aussi, comme le croient M. Unger et M. Pascal, d'après Tite- Live-, sous le nom de Inuus. Les Anciens assimilaient sans hésitation Lupercus à Faunus-^. Inuus n'était plus, sous l'Em- pire, qu'un vocable particulier du dieu des champs^. On faisait venir Lupercus de lupiim arcere et Inuus de inenn(Io-\ Celui qui écarte les loups et celui qui féconde les troupeaux se confondirent désormais avec la divinité protectrice des pâtu- rages. Mais nous connaissons assez l'ancienne religion italique, qui multipliait les êtres surnaturels, pour affirmer que primitivement des personnages différents répondirent à ces noms divers. L'identification de Faunus et de Lupercus, de Faunus et d'Inuus, est tardive, et due sans doute à l'inlluence des Grecs, qui s'eff'orçaient de simplifier le Panthéon des Romains et d'y mettre un peu d'ordre et de symétrie. M. Unger la conteste, et prétend que l'étymologie courante do Lupercus et d'Inuus ne fut imaginée qu'après coup, pour la justifier; il rapproche le premier du verbe luere, purifier; il voit dans Inuus un dieu étrusque*^, plus ou moins analogue au Mars des Latins. Pour M. Pascal, les cérémonies expiatoires des Lupercales et les fonctions religieuses des prêtres appelés Luperques se rapportent au culte de la louve qui allaita Romulus et Rémus, et celle-ci est elle-même une divi- nité du monde infernal, la Terre, nourrice des héros éponymes
1. Mannhardt, die Lupercalien, dans ses Mythologische Forschungen, Stras- bourg, 1884, p. 72; — Pascal, le Divinità infère ei Lupercali, dans les R. C. dei Lincei, 1895, p. 138; — Fonvleh, op. cit., p. 310.
2. Liv., I, 0 : Ibi Evandruin, qui ex eo génère Arcadum multis ante tempes- tatibus tenuerat loca, sollenne adlalum ex Arcadia instituisse ut nudi juve- 7ies, Lyceum Pana vénérantes, per lusum alque lasciviam currerenl ; quem Romani deinde vocarunt Inuuin.
3. Justin., XLIII, 1, 7 : /n hujus radicibus templum Lycaeo, quem Grseci Pana, Ro7nani Lupercum appellant, constituit.
4. Cf. Probus, toc. cit.
5. Festus, p. lo : Arcere prohibere est. — r Servius, ad Mn., VI, 776 : Di- citur autem Inuus ab eundo passim cum omnibus animalibus, unde et Incubo dicilur.
6. Sou principal argument est l'existence en Etrurie du nom de lieu Cas- trum Inui, cité par Verg., ^n., VII, 775.
300 LES CULTES SECONDAIRES
tle Rome ; Lupcrcus-Iiiuus est un dieu pastoral étrusque appelé plus tard Faunus par les Latins, qui donnaient à toutes les divinités pastorales ce nom générique, comme les Grecs celui de Pan. M. Fowler, sans adopter entièrement les conclusions de M. Unger, qu'il estime trop aventureuses, fait remarquer que le dieu des Lupercales, quels que soient son nom vé- ritable et son origine, ressemble beaucoup à Mars : c'est une divinité locale du Palatin, où Romulus, fils de Mars, fonda la Roma Qiiadrata ; les mots mêmes de Lupercales et de Luper- cus rappellent la louve, consacrée au dieu de la guerre.
Ces travaux et ces hypothèses n'ont pas encore tout à fait éclairci la question. Il semble bien établi du moins que la fête du 15 février n'était pas d'abord célébrée en l'honneur de Fau- nus. On peut môme se demander, avec M. Fowler, si l'idée que Faunus était le dieu des Lupercales ne remonte pas i)ré- cisément à l'époque de la construction de son temple dans l'ile tibérine'. Le texte le plus ancien qui le fasse intervenir dans la légende du Palatin est un fragment de l'historien Cincius Alimontus'*, qui vivait au début du ii" siècle avant l'ère chré- tienne. Et ce n'est certes pas par hasard et sans intention qu'on dédia le temple de l'île et qu'on fêta ensuite chaque année Faunus le 15 février. La date adoptée pour la cérémonie ne prouve pas que Faunus et Lupercus fussent originairement identiques, mais bien qu'à partir d'un certain moment on a voulu de parti pris les mettre en rapport l'un avec l'autre et effacer entre eux toute différence.
Sur le calendrier d'Amiternum, au jour fixé pour la fête du Septimontium, le 11 décembre, on lit •' : AG"IN. D'après M. Mommson ces lettres signifient : Ag[onia) In{ui)'*. Faunus, sous le nom particulier d'inuus, serait le protecteur du Septi- montiinn, de la Rome contemporaine des derniers rois, embrassant les sept collines de la rive gauche du Tibre. Une autre divinité champêtre, Paies, dont la fête — les Palilia — avait lieu le 21 avril, anniversaire de la fondation de la cité . par Romulus, n'était-elle pas la patronne de la première Rome, de la Borna Quadrala du Palatin? Quand bien même Faunus
1. Fowler, op. cit., p. 2.j7.
2. Cité par Servius, ad Georg., I, 10 : Cincius et Caius aiunt ah Evandro Faunum deum appellatum.
3. C. I. L., I, 2-= éd., p. 245.
4. C. I. L., I, 2* éd., p. 336. — Cf. 0. Gilbert, Gescli. und Topogr. der St. Rom, t. Il, p. 192: t. l, p. 224, note.
LE TEMPLE DE FAUNUS 301
ne devrait pas être considéré comme le dieu des Lupercales, il serait encore mêlé aux légendes des origines, et le culte qu'on lui rendait dans Rome remonterait, sinon k la fondation de la ville, du moins à ses plus anciens accroissements. L'in- terprétation de M. Mommsen n'est pas acceptable. M. Wissowa explique plus simplement le texte du calendrier par une faute de graviu-e; il propose de rétablir : AGON, agon[ia)K Le nom d'Inuus ne se rencontre sur aucun document épigraphique et n'est connu que par Tite-Live. S'il était écrit réellement sur le calendrier d' Amiternum il n'occuperait pas la ,place que lui attribue M. Mommsen, entre le nom de la fête, Ag[onia)^ et la lettre NP, qui qualifie ce jour; le nom du dieu est tou- jours indiqué après les lettres F, N, NP, jamais avant elles. Rien ne nous autorise à considérer Faunus comme le dieu du Septimontium.
La fondation du temple de l'île tibérine. — On ne relève donc aucune trace du culte de Faunus à Rome antérieurement à la construction du temple de l'île tibérine. Le dieu de la campagne et des pâturages n'était pas adoré dans les villes. Les paysans lui dressaient des autels; les citadins le négli- geaient, n'ayant pas besoin de son assistance. Comme l'ob- serve très justement M. Fowler, les édiles qui lui élevèrent son premier temple transformèrent un culte pureuient rustique en un culte urbain -. Et encore le mot urbain n'est-il pas tout à fait exact ; suburbain serait plus vrai, puisque cet édifice se trouvait et devait être nécessairement en dehors de l'en- ceinte du pomerium.
Pour favoriser Faunus, si tardivement introduit dans le calendrier officiel de la cité, on assigna à la fête de son sanc- tuaire un jour déjà férié. Les ides de chaque mois étaient con- sacrées à Jupiter; celles de février devinrent la fête com- mune de Jupiter, ancienne divinité urbaine, et de Faunus, divinité rurale tout récemment admise aux abords de la ville ; le partage servait les intérêts du dernier venu et contribuait à le faire plus facilement accepter'^. Le temple de l'île fut dédié
1. Wissowa, de Ferlis annl Rotnanorum veliistissimi observationes selectae, Marburg, 1891, p. Xll.
2. Fowler, op. cit.. p. 236.
3. Cf. JiiLLiAN, article Feriœ, dans le Dictionn. des Antiq. de Darembeug et Saglio, t. II, 2, p. 1054.
30â LES CtLTES SECONDAIRES
en février, parce que c'était le mois des Lupercales dont Fau- nus devait être regardé à l'avenir comme l'inspirateur, et le jour des ides, parce que depuis longtemps on avait l'habitude de célébrer à cette date une cérémonie religieuse.
Il resterait à savoir quels motifs ont pu inciter les édiles à faire bâtir le temple de Faunus dans l'île tibérine plutôt qu'au Champ de Mars, ou sur l'Avontin, ou en tout autre quartier extra-pomérial de Rome.
Peut-être ont-ils voulu le rapprocher d'Esculape; malgré la différence de leurs origines et de leurs attributions, le dieu grec de la médecine et le dieu latin des pâturages se ressem- blaient par le caractère bienfaisant et le pouvoir prophétique qu'on leur prétait également ; Esculape aurait mérité, lui aussi, qu'on le surnommât celui qui protège, celui qui rend des oracles.
Peut-être la construction projetée d'un temple de Jupiter dans l'île, voué à la bataille de Crémone en 554/200, bien qu'achevé et dédié seulement en 560/194, la même année que celui de Faunus, a-t-elle contribué à décider les édiles. On a d'autres exemples d'édifices contemporains élevés, comme ceux-ci, tout auprès l'un de l'autre : les temples de la déesse Mens et de Vénus Erycine au Capitole, promis en 537/217 sur l'avis des Livres Sibyllins, le premier par le préteur T. Otaci- lius, le second par le dictateur Q. Fabius Maximus, et inau- gurés par les mêmes personnages, duumvirs en 539/215* — les temples de Jtino Regina et de Diane auprès du cirque Flaminius, promis par M. ^inilius Lepidus, C(msul. pendant la guerre de Ligurie, en 567/187, et inaugurés par lui pendant sa censure en 575/179^. Il y avait certainement avantage à placer le sanctuaire de Faunus dans le voisinage de celui qu'on allait consacrer à Jupiter in insiila; le crédit dont jouissait Jupiter auprès du peuple romain rejaillissait sur le dieu agreste qui réclamait en même temps que lui les hommages des fidèles. Faunus est doublement son obligé : non seulement il lui a emprunté pour sa fête le jour des ides de février, qui jusqu'alors lui était réservé, mais encore il s'est insinué à Rome à sa suite et pour ainsi dire sous son patronage.
On ne doit pas oublier enfin que l'île tibérine paraissait aux Romains tout naturellenvent désignée pour recevoir sur son
1, Liv., XXII, 9 et 10; XXIII, 30, .11 et 32.
2. Liv., XXXIX, 2; XL, :>2.
LE TEMPLE DE FAUNUS 303
territoire le dieu des champs cultivés et des pâturages ; les légendes qu'on racontait sur sa formation la prédisposaient à ce rôle. Elle était elle-même, en un sens, une œuvre et une création de Faunus : elle était née des moissons des rois jetées au fleuve. Les édiles de l'année 558/196 s'inspirèrent cer- tainement du souvenir toujours vivant de ces fabuleuses ori- gines.
CHAPITRE IV LE SAGELLUM DE TIBERINUS
Le culte des eaux. — Les Romains adoraient, sous le nom de Tiberinus, le fleuve qui traversait leur ville ^
En Italie comme en Grèce le culte des eaux tenait une grande place dans la religion primitive 2, Les forces mysté- rieuses qui font jaillir les sources et couler les rivières inspi- raient le respect et la crainte. L'eau est un élément à la fois bienfaisant et redoutable. Elle féconde le sol, entretient et renouvelle la vie. Elle provoque aussi d'irrémédiables catas- trophes ; l'homme est incapable de lutter contre elle; il assiste, impuissant et désarmé, aux crues, aux inondations qui désolent les campagnes et mettent en péril la sécurité même des villes. Les Anciens, qui divinisaient la nature entière et qui hono- raient ses puissances secrètes dans leurs manifestations visibles, attribuaient à des esprits sacrés, à des génies, cette action salutaire ou néfaste. Chaque source, chaque rivière avait son génie, qui en était la personnification symbolique et le poé- tique symbole. Le dieu habitait la source ou la rivière, portait son nom, se confondait avec elle. Pour s'attirer ses bonnes grâces et détourner ses colères, on lui adressait des prières et des sacrifices, on lui élevait des autels et des temples. Les cités et les particuliers étaient intéressés à se le rendre propice. Les auteurs et les inscriptions nous ont conservé les noms d'un grand nombre de ces divinités protectrices des fon- taines, comme la fons Juturnœ sur le Forum romain, des
1. Seryius, ad ^n., YIII, 31 : In sdcris Tiherinus, in cœnolexia Tibeins, in poemate Tibris vocatur ; — ibid., '.VM : A pnnlificibus indigitari solet.
2. Pkellek-Jorkax, Rœm. Mythol., t. H, p. 120; — articles Flumina et Fons, par HiLi), dans le Dictionn. des Antiq. de Daurmbkro et Saglki; — articles FlîtssgÔtter, par Leiineudt, et Fons, par Sthcdini;, dans le Lexicon de Rosciiek.
LE SACELLUM DE TIBERINLS 305
petits ruisseaux, comme le Spino, l'Almo et le Nodinus, mi- nuscules affluents du Tibre, ou des fleuves, comme le Numi- cius dans le Latium, le Clituranus en Ombrie, le Yolturnus en Campanie.
Le culte de Tiberinus à, Rome. — Aucun fleuve d'Italie ne recevait autant de marques de vénération ni d'hommages que le Tibre •. Aux raisons générales qu'avaient les Romains d'hono- rer les dieux des eaux s'ajoutaient pour celui-ci quelques motifs particuliers de reconnaissance. Il contribuait grandement à la fortune et à la prospérité de Rome. L'importance de la ville, le rôle qu'elle joua dans le Latium d'abord, en Italie ensuite et dans tout le bassin de la Méditerranée, étaient dus en partie à son heureuse situation sur les bords du Tibre, non loin de la mer avec laquelle il la mettait en relations constantes et faciles. Les Anciens en avaient conscience : géographes, historiens, ora- teurs, poètes, ont célébré à l'envi les avantages de cette position privilégiée et les services que rendait le fleuve à la cité ~. C'est lui qui la faisait communiquer avec les régions voi- sines et les pajs lointains. C'est lui qui permettait à Rome de développer son commerce au dehors, de recevoir régulière- ment et sûrement les immenses approvisionnements de blé nécessaires à sa subsistance. Mais, s'il était très calme et très utile en temps ordinaire, il se montrait violent et redoutable au moment des crues. Chaque hiver, chaque printemps, à l'époque des grands pluies, il roulait depuis les pentes de la chaîne Apennine un volume d'eau énorme ; il se précipitait comme un torrent, débordait hors de son lit habituel et se
1. Preller-Jorda\, op. cit., t. II, p. 130; — article Tiberinus, dans la Real Encyclopffdie de Pally, par Scheiffel.
2. Strabo, V, p. 234 : 'Ev Se -rf, [Asuoyata TvpwTYj (ikv -jTtep -rwv 'Qort'wv âoriv tj 'Pw jiï) xai [xôvr, ys lut tw Ttêépst xeïtat 'Trepi y]?, ott upôç àvâyxrjV o-j Tcpoç aipSTiv EXTiorai, £'tpr,Tat ; — ibicL, p. 233 : IIpoç TaC-' ouv xé -s tûv [X£Tâ)Awv TzXrfioç xal r^ "jXïj xai oî xataxotixt^ovre; uoTa[xol 6au[j.ao-rr|V ■Ko.péy^o-jai ttjv itizoyopr^fia.v... àXX' ojjlwç ini'kzi,- 7i£v av f, ÈTravôpôwm?, £t [xf, -rà (j.£Ta),),a xal t) -SIt] xal to -rf,ç 7rop6[i£Îa; z-j\t.s.za.yj.i- pt(7Tov iv-dyt. — Liv., V, 54 : Flumen opportunum, quo ex mediterraneis locis fruges devehanlur, quo mariiimi commealus accipiantur. — Cic, de Rep., II, 5 : Romulus uvbem perennis amnis et œquabilis, et in mare late inftuentis posuit in ripa, quo posset urbs et accipere ex mari quo egeret, et reddere quo redun- daret ; eodemque ut flumine res ad victum cultumque maxime necessarias non solum mari absorberet, sed etiam invectas acciperet ex terra. — Verg., ^n., VIII, 62.
Ego sum pleoo quem flumine cernis Stringenlem ripas, et pinguia culta secantem, Cœruleus Tiiybris, cœlo gratissimug amnis, •
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306 LES CULTES SECONDAIRES
répandait dans les bas (quartiers do la ville, jusqu'au Forum mémo, entraînant parfois les ponts et baij^nant le pied des maisons et des temples'. Les Romains s'effrayaient des dan- gers que leur faisait courir Tiberinus. Ils lui rendaient un culte à la fois pour le remercier de ses bons offices et pour prévenir ses violences.
Antiquité de ce culte. — L'institution de ce culte remontait aux origines <le la cité. Une vieille tradition, que rapporte saint Augustin d'après Varron, prétendait que Romulus avait rangé Tiberinus au nombre des premiers dieux de Rome, en même temps que Janus, Jupiter, Mars, Picus, Faunus et Her- cule 2. Les annalistes grecs, selon leur coutume, imaginèrent des fables généalogiques pour expliquer le nom du fleuve. Le Tibre s'appelait d'abord Albiila^ Rumon, Serra, Tercnlus^ Coluber : tous ces qualificatifs étaient tirés de sa nature phy- sique et de son aspect -^ Il eut ensuite pour héros éponyme et génie protecteur un personnage légendaire et mythique, Tiberinus ou Thybris, dont on fait tantôt un fils de Janus et de de Camasène, tantôt un chef étrusque, ou encore un roi d'Albe englouti dans les flots de VAlhula''.
Le rôle que jouaient les pontifes dans la construction des ponts prouve l'antiquité et l'importance du culte de Tiberinus-'. Ils formaient le premier en dignité de tous les collèges sacerdo- taux de Rome. Ils avaient la surveillance et la haute direc- tion de la religion nationale, la présidence des cérémonies
1. Publlek, Rom und Uer Tiber, dans les lier. d. sScIis. Ges. d. Wiss., Leipzif,', |t. 134.
2. Augustin., de Civ. Dei, IV, 23 : Quid ergo consIHuit Romanis deos Junii/ti, Jovem, Martem, Picum, Faunutn, Tiberinum, Hercv/em etsiquosalios? — Ibid., VI, 10 : Cloacinam Talius dedicavit deajn, Picum Tiberinumque Bomuhis.
3. Vehg., Ain., VIII, 332 : Amisil verum velus Alhula nomen; — Sehvius, ad eumd. loc. : Antiquum hoc nomen a colore liabuit. — Sehvius, ad yEn., ^■1II, 03 : Hoc est Tiberini fluminis proprium adeo ut ab antiquis Ihimon dic- tas sit quasi ripas ruminans et exedens. In sacris eliam Serra dicebatur. Unde ait nunc : et pinguia culta secantem ; in cliqua etiam urbis parte Tarenlum (autre leçon : Terentum) dicitur eo quod ripas terat {serra veut dire la scie). — Les livres des augures donnaient aussi au Tibre le nom de Coluber, à cause des sinuosités de son tracé : Sehvius, ad Ain.. VIll, 95 : Tibeiim libri aur/u- i'um colubrum loquuntur, tanquam flexuosum.
4. Ces différentes légendes sont rapportées par Sehvius, ad Ain., VIII, 330; — OviD., Melam., XIV, 613, et Fast., IV, 47; — Varho. de Limj. lat.,\, 30; — Oic, de Nul. deor., 11, 20; — Liv., I, 3; — Uioxvs., I, 71.
'6. Bouché-Leclercq, les Pontifes de l'ancienne Home, Paris, 1871, p. 16.
LE SACELLUM DE TIBERINUS 307
sacrées. Pour jeter un pont par-dessus le Tibre et relier arti- ficiellement les doux rives que la nature et les dieux avaient à dessein séparées, on jugeait nécessaire de les faire intervenir. Ceux-là seuls qui avaient le privilège exclusif de parlementer avec les dieux, de les apaiser, d'attirer leur protection sur les entreprises des hommes pouvaient empêcher que rétablisse- ment d'un pont fût un attentat sacrilège et criminel contre la divinité du fleuve ^.
L'antique sacrifice des Argées paraît avoir quelque rapport avec le culte de Tiberinus. Tous les ans, le jour des ides de mai, on précipitait du haut du pont Sublicius, en présence des pontifes et des vestales, vingt-quatre mannequins d'osier de forme humaine-. Il faut voir dans cette étrange cérémonie l'image et le simulacre d'anciens sacrifices humains abolis 3. D'après Ovide et Denys d'Halicarnasse, les Argées étaient offerts à Saturne^; d'après Festus, à Dis Pater -^ Il est bien probable que Tiberinus prenait aussi sa part de l'expiation fic- tive : n'était-ce pas avec l'intention et dans l'espoir de l'apaiser et de se concilier sa faveur qu'on jetait dans les eaux des victimes vivantes ou des mannequins symboliques*^?
Ses manifestations. — Le culte de Tiberinus, fondé dès l'époque royale, se perpétua sous la République et jusque sous l'Empire. Les pontifes et les augures prononçaient solen- nellement le nom du dieu dans les prières publiques". Le 7 juin de chaque année, les pécheurs célébraient des jeux en son hon- neur au Transtévère*^. On lui prodiguait les épithètes louan- geuses : diviis, sanctus, pater'^. Une inscription de Rome, au
1. Sous le règne de Tibère, le Sénat refusait encore, par scrupule religieux, de laisser endiguer ou détourner les affluents du Tibre : Tac, Aiin., I, "9.
2. Voir les articles Argei, par Saglio, dans le Dictionn. des Antiq. de Dahe.m- BERG et Saglio, par Steloing, dans le Lexicon de Roschek, par Wissowa, dans la Real Encyclopàdie de Pally-Wissowa.
3. UiLD, les Argées, dans le Bullet. de la Fac. des Lettres de Poitiers, 1889, p. 36 et p. 113; — du même auteur, article Flumina, dans le Victionn. des Aniiq. de Daremberg et Saglio, t. Il, 2, p. 1191.
4. Ovin., Fast., V, 627 ; — Dionys., I, 38.
5. Festus, p. 334 (passage très corrompu).
6. Bouché-Leclercq, op. cit., p. 278.
7. Serviis, ad A\n., Vlll, 330 : A pontificibus indigitari solet; — Cic, de Nat. deor., 111, 20, 32 : In augitrum precatione Tiberinum, Spinonem, Almoneni^ fsodinum, alia propinquoruyn fluminum nomina videnius.
8. OviD., Fast., VI, 238; — Festus, p. 238. — Cf. ci-dessus, p. 82.
9. Vero., Georg., IV, 369 : Pater Tiberinus.
308 LES CULTES SECONDAIRES
temps de Dioclétien, l'appelle le père de toutes les eaux, Tiber'uio patri aquarum omniiun^. Les poètes, Ennius, Vir- gile, et Claudieu encore au v' siècle so sont plu à l'invoquer ou à le mettre en scène '^. Des statues lui furent élevées, à l'imitation de celles du Nil k Alexandrie •'. Son image se retrouve sur des médaillons, sur des monnaies ^ On le repré- sentait sous les traits d'un vieillard couché, présidant majes- tueusement au cours des eaux et aux destinées de la ville puissante assise sur ses bords.
La fête de Tiberinus dans l'île. — Une fête de Tiberinus avait lieu annuellement dans l'île tibérine le 8 décembre. On lit en effet sur le calendrier d'Amiternum, à la huitième ligne de la colonne consacrée au mois de décembre ^ :
F VI C Tiberino in insula « Le sixième jour avant les ides, fête de Tiberinus dans l'île <» ».
Il n'est pas surprenant que les anciens calendriers fassent mention d'une cérémonie solennelle dédiée au dieu du Tibre. Les Romains lui témoignaient trop de vénération, et depuis trop longtemps, pour omettre de lui réserver un de leurs jours de fête. Oh pouvait-on mieux se réunir à cette occasion que dans l'île même formée par le fleuve, entourée de ses eaux?
Le sacellum. — Selon toute vraisemblance, Tiberinus avait entre les deux ponts, sinon un temple, dont le souvenir n'aurait pu entièrement se perdre, du moins un petit sanctuaire, une chapelle, sacellwn Tiherini^ où l'on venait sacrifier ''^. Nous ne savons pas quand ce sanctuaire fut fondé. L'antiquité du culte de Tiberinus à Rome et le fait même que la cérémonie du
1. c. I.L., VI, 173.
2. ExNius, Ann. {éd. L. MûUer), vers SI :
Teque, patcr Tibérine, tuo cum lluiDind sancto.
Veiig., Mn., VIII, 31 : Tiberinus apparaît en songe à Enée et lui prédit l'avenir de sa race. — ('laidia.n., Paneg. dict. Probino et Objbrio coss., 226 : Tiberinus s'arrête dans l'île tibérine pour conteuipicr de loin le cortéf,'e des deux consuls (Cf. ci-dessus, p. 65).
3. Par e.Kemple la statue couchée du musée du Vatican.
4. Fkoiiseh, les Médaillons de l'Empire romain, p. î)l-52. fi. C. I. L., 2» éd., p. 243.
6. F lettre nondinale, G dies comilialis.
1. KiKPEKT-HuELSE.v, Nomencl, topogr., p. 66 ; — Homo, Lex. de topoyr. rom., p. 502.
LE SACELLUM DE TIBERINUS 309
8 décembre figure sur un calendrier officiel du temps de la République nous autorisent à croire qu'il remonte à une époque assez reculée. Peut-être avait-il été élevé au moment d'une inondation, pour calmer le Tibre irrité. L'emplacement du sacelliim n'est pas mieux connu que la date de sa construc- tion. Tout ce que l'on peut dire, c'est que, si les Romains ont eu l'intention, comme il est vraisemblable, de rapprocher autant que possible l'autel du dieu et les eaux du fleuve qui était son domaine, ils auront dû le placer sur la berge, à l'une des extrémités de l'île. Le temple de Faunus occupait la pointe nord, vers l'amont. A la pointe sud, en aval, derrière le temple d'Esculape et ses dépendances, il y avait place pour un petit sanctuaire, d'où le dieu du Tibre contemplait les vieux quartiers de Rome et la courbe du fleuve entraînant ses flots, par-delà les collines à l'horizon, vers la mer.
Tiberinalia et Portunalia. — M. Mommsen n'admet pas cette hypothèse. Selon lui, c'est auprès du pont Fabricius, dans la partie centrale de l'île, qu'avait lieu la fête de Tiberinus et qu'était située sa chapelle ^. Le calendrier d'Amiternum, qui mentionne la solennité du mois de décembre, indique pour le 17 août une fête du dieu Portunusprès du pont iEmilius- :
E XVI Portiimo) NP fer{ise) Portiino \ Portuno ad pon- tem ^miliiim.
« Le seizième jour avant les kalendes de septembre, fête de Portunus près du pont ^milius'^. »
Les autres calendriers conservés ne disent rien de la pre- mière cérémonie et citent tous la seconde : Portunalia, feriœ Portuno, Portuno ad jjontem Mmilhmi'^. Mais sur l'un d'entre eux, celui de Philocalus, on lit pour ce même jour, au lieu de Portunalia, Tiberinalia'' . M. Mommsen attache une grande importance à ce dernier texte. Il conclut de la confu- sion faite par l'auteur du calendrier entre les Portunalia et les Tiberinalia qu'ils étaient identiques. Portunus ne serait
1. G. I. L., I, 2' éd., p. 323.
2. G. I. L., I, 2'= éd., p. 244.
3. E lettre nondinale; le sens des lettres NP est obscur [nefastus, nefastus puvus, nefastus feriatus?); cf. G. I. L., I, 2" éd., p. 289.
4. G. I. L., 1, 2° éd., p. 217, p. 225, p. 240, p. 248, p. 232.
5. G. I. L., 1, 2' éd., p. 210.
310 LES CULTES SECONDAIRES
qu'un nom ancien de Tibcrinus. On sait par Festiis que l'im des doQze flamines mineurs s'appelait flamen Portunnlis^ : c'est une preuve certaine que le culte de Portunus-Tihorinus appartenait à la religion italique primitive. Varron nous apprend que Portunus avait un temple dans le port du Tibre'-; le mot portus ne peut s'appliquer qu'à un port de mer ; un port fluvial s'appelait nnporium; le sanctuaire de Portunus in porhi était donc à l'embouchure du Tibre, à Ostie. On cé- lébrait la fôte du 17 août à Rome et à Ostie à la fois. Les fidèles se rendaient en procession d'une ville à l'autre. Ovide, racontant l'arrivée à Rome du navire qui ramenait de Pessi- nonte la pierre noire de Cybèle, nous dit qu'on remontant le Tibre on rencontrait à un détour du fleuve les atrin tiharina-^; pour M. Mommsen, ces atria étaient un petit édifice sur la rive, consacré à Tiberinus-Portunus, et où faisait halte la pro- cession des Portimalia. A Rome les Tiherinalia du mois de décembre avaient lieu dans l'ilo : le calendrier d'Amiternum l'affirme ; les Portiinalia ou Tiherinalia du mois d'août avaient lieu près du pont ^milius : tous les calendriers l'assurent. Or, d'après M. Mommsen, le pont ^milius n'est autre que l'un des ponts de ïinsu/a tiberina^ celui que l'on appelle géné- ralement le pont Fabricius. Les deux indications topogra- phiques coïncident par conséquent. Le sanctuaire unique de Tiberinus-Portunus se trouvait dans l'île, au débouché du pont ^milius-Fabricius .
La théorie de M. Mommsen repose tout entière sur l'iden- tification du. pont .^milius et du pont Fabricius. S'il est prouvé que ces deux monuments sont distincts elle est impossible à dé- fendre. On a examiné précédemment le système de M. Momm- sen sur l'histoire et les noms des ponts ; on a vu combien il était aventureux et téméraire ; il multiplie les invraisem- blances et les assertions gratuites ; il substitue de pures hypo- thèses à des faits certains'. En réalité le pont ^Êmilius était
1. Festus, p. 217, s. v° Persillum. — Ce flamine aurait eu pour fonction d'oindre les armes de Quirinus avec une huile appelée persillum : attribution d'autant plus singulière que Quirinus avait lui-môme un flamine spécial.
2. Vakko, de Linr/. lai., VI, 19 : l'ovtunalla dicta a Porluno oui eo die aedes in porlu Tiberino fada et feriiB institulœ.
3. OviD., Fasl., IV, 339 :
Fluminis ad flexiim venianl — Tiberina priores Atria dixenint — unde sinifiler abit.
4. Cf. plus haut, p. 12".
LE SACELLUM DE TIBERINUS 3 H
situé au-dessous de l'île, à quelque distance en aval, assez loin du pont Fabricius. Il faut chercher sur l'une des rives du fleuve remplacement du sanctuaire de Portunus oii l'on fêtait les Porhmalia du mois d'août. D'après M. Huelsen, ce Portu- niiim — c'est le nom que lui donnent Fronton ' et peut-être aussi la Notitia rcgionwii'- — existerait encore : ce serait le petit temple rond et périptère qui se dresse sur la rive gauche, à l'extrémité du Vélabre et du Forum boarium^ en face de l'église (le Sainte-Marie in Cosmedin^ .
La cérémonie du 17 août n'intéressait en rien Tiberinus. M. Mommsen exagère la valeur des Fastes de Philocalus ; ils ont été rédigés beaucoup plus tard que les autres calendriers qui nous sont parvenus ; ceux-ci datent de la fin de l'époque républicaine ou du début de l'époque impériale ; la compilation de Philocalus est du milieu du iv'' siècle après l'ère chrétienne. L'accord de tous les anciens témoignages suffît à prouver que le véritable nom de la fête du 17 août était celui de Portunalia. La substitution du mot Tiberinalia au mot Portunalia est une erreur évidente. Peut-être l'auteur des Fastes ou lelapicidea-t-il écrit par négligence un nom pour un autre. Peut-être au iv* siècle le culte de Portunus était-il tombé en désuétude, mal connu et mal compris, abusivement rapproché du culte de Tiberinus.
Portunus et Tiberinus sont deux dieux très différents ; ce que l'on sait de chacun d'eux empêche d'accorder à M. Momm- sen qu'ils ne faisaient qu'un seul et même personnage, désigné successivement ou simultanément sous ces deux vocables. L'étymologie nous renseigne. Tiberinus, c'est le génie protec- teur du fleuve qui traverse Rome. Portunus, s'il faut on croire Varron, c'est le dieu des ports, /9or^?/.s, et des portes, yjo/'- tas'^, — deux aspects en somme assez voisins : un port n'est
1. FnoxTO, Epist., I, 7, p. 19 (éd. Naber, Leipzig, 1867) : Idein evenit flori- bus et covonis : nlia dignilale sunt in Portunio ciun a coronariis veniunL, alla cum a sacerdotibus in templo porriguntur. Il y avait donc auprès du Portunium un marché de fleurs et de couronnes.
2. La Notitia mentionne dans la XI" région, n" 12, un édifice appelé Fortu- nium. M Huelsen propose de corriger le texte et de remplacer ce terme inconnu et barbare parle nom de Portiaiiurn.
3. Huelsen, il Foro boario e le sue adiacenze neWantichità, dans les Dissert, délia pontif. Accad. di archeol.. série II, t. YI, 1896, p. 262.
4. Schol. Veron. ad JEn., V, 241 : Portunus, ut Varro ait, deus portuum portarmnque prœses. Quare hujus dies festus Portunalia, qua apud veteres cla- ves in focum add... mare institutmn. La seconde phrase, qui pourrait nous ren- seigner sur les rites et cérémonies des Portunalia, est malheureusement trop
312 LES CULTES SECONDAIRES
autre chose qu'une porte ouverte «le la côte sur la mer. Por- tuiuis serait donc un Janus particulier'. Los Romains l'ado- raient comme le protecteur du commerce de la ville et de la navifçation fluviale. M. Mommsen a raison de soutenir que les ports fluviaux s'appelaient emporta; le nom de portas ne pouvait convenir strictement qu'à ceux des bords de la mer ; les Anciens l'appliquaient cependant par extension et improprement à Vemporitnn de Rome'-.
Il n'est pas impossible qu'une procession en l'honneur de Portunus allât, le 17 août, comme le suppose M. Mommsen, do Rome à Ostie, mais aucun texte ne l'indique. Quant aux mots atria Tiberina dans les Fastes d'Ovide, ils ne désignent nullement un sanctuaire de Portunus sur les bords du Tibre, ni môme un sanctuaire de Tiberinus. On doit les traduire sim- plement par les mots « entrée du Tibre ». Vatinmn était la première pièce de la maison romaine. De même et par analo- gie on appelait atria Tiberina l'endroit où le navigateur, remontant le courant, perdait de vue la mer, que lui cachaient les détours de la vallée, et entrait définitivement dans les eaux fluviales. 11 ne faut donc pas confondre, ainsi que le faisait M. Mommsen, le pont ^milius et le pont Fabricius, les Tibe- rinalia et les Portunalia^ Tiberinus et Portunus. Rien n'oblige à situer le sacellum Tiberini au centre de l'île, près du pont Fabricius. A défaut de textes et de monuments, la simple convenance des lieux invite à croire bien plutôt qu'il s'élevait à la pointe méridionale.
Tiberinalia et Volturnalia. — Si les Portimalia ne concer- naient ni Tiberinus, ni l'ilo tibérine, il n'en était peut-être pas de même d'une autre solennité rehgieuse de Rome. Les calen-
mutilée. — Cf. Festus, p. 56 : (Portunus) clavhn manu tenere fingebalur et deus putabntur esse portarum. — (lonsulter sur Portunus et son culte : Pkellek- JoKDAX, Bœm. Mythol., t. I, p. 323, et t. II, p. 133; — article Portnmnvs par Pfau dans la Real Encyclopàdie de Pauly.
1. Fowi.En, tfie Roman festivals, p. 202, serait disposé à croire que Por- tunus était primitivement le dieu des entrepôts, des magasins où l'on ramas- sait les blés. D'après Festus, p. 233, dans la loi des XII tables, le mot porlus se trouvait employé avec le sens de dormis, maison ; on entendait peut-être à l'ori- gine par pnrtus un lieu de sûreté, de quelque nature qu'il fût. Portunus devint ensuite et tout naturellement le dieu des portes et des ports.
2. Voir les observations de Jokdan, zur Rœmischen Topograpfiie, dans VUer- mes, 1870, t. IV, p. 237, et les exemples qu'il cite.
LE SACELLUM DE TIBERINUS 313
driers nous apprennent qu'il y avait, le 27 août, sixième jour avant les kalendes de septembre, une fête des Voltiirnalia ou un sacrifice au fleuve Volturnus^ :
[G VI] Volt{îtrno) NP Volturno flximini sacrificium
Varron et Festus y font allusion, et l'on sait par eux qu'un flamine mineur portait le nom de flamen Voltunialis-. L'en- droit où se célébrait la cérémonie est inconnu.
Un fleuve de Campanie s'api)elait Yolturnus ; les habitants de Capoue et des environs lui rendaient un culte, comme les Romains à Tiberinus. Serait-ce donc lui qu'on adorait aussi à Rome? Preller le croyait. Son culte n'aurait été adopté par les Romains qu'après la prise de Capoue en 543/211^. M. Mommsen a contesté très justement cette opinion*. Vol- turnus n'était pas un dieu étranger, tardivement introduit dans le Latium, mais au contraire une ancienne divinité natio- nale, de tout temps connue et fêtée à Rome; l'existence d'un flamen particulier attaché à son service en témoigne. D'autre part, il avait sa place dans les vieilles légendes mytho- logiques et généalogiques. Arnobe raconte qu'on faisait de Janus le père de Fons, le gendre de Volturnus, le mari de Juturna^. Ce Volturnus romain ne peut être qu'un autre nom de Tiberinus. Le Tibre est le seul fleuve auquel les Romains aient eu besoin d'adresser leurs prières. Le mot Volturnus, qui se rattache à la même racine que volvere, rouler, est une épithète qu'on lui décernait ou l'un de ses vocables primitifs, dérivé de sa nature physique, aussi bien que ceux à'Alhnla ou de Serra. Les augures dans leurs invocations l'appelaient Co- luher, à cause du tracé capricieux de son cours, qui ressem- blait aux sinuosités d'un serpent. On le surnommait Voltur- nus à cause de son débit irrégulier et des masses d'eau qu'il
1. C. 1. L., I, 2' éd., p. 240 [Fasli Vallenses). — Cf. aussi p. 214, p. 217, p. 225.
2. Varho, de Ling. lat., VI, 21 : Vortunalia a deo Vorluno, cujus feriae tiim. — Cf. du même auteur, op. cit., VII, 45 : Sunt in quitus flaminum cogjiomi- nibus latent origines, ut in his qui sunt versibus plurique :
Volturnalem, Palatualem, etc. Festus, p. 379 : Volturnalia Volturno suo deo sacra faciebant, cujus sacerdo- tem Volturnalem vocant.
3. Preller-Jordan, op. cit., t. II, p. 143.
4. Mommsen, dans le C. I. L., I, 2° éd., p. 327.
5. Arnob., Advers. gentes, III, 29 : Janum quem feimnt Cœlo atque Hécate procreatum in Ilalia régnasse primum, Janiculi oppidi conditorem patrem Fonti, Vulturni generum, Juturnse marilum.
314. LES CULTES SECONDAIRES
roulait au moment des crues. Le flamen Volliimnlis ôtait \o flamine de Volturnus-Tiberinus'.
Jordan, sans reprendre à son compte l'hyjjotlièso insouto- nahle de Preller, a voulu expliquer autrement que M. Momin- sen le nom du dieu et la cérémonie du 27 août 2. Volturnus et Tiborinus seraient, d'après lui; deux personnaffes différents. Dans la légende de Tiberinus celui-ci est donné comme un fils de Janus et de Camasène ; Volturnus, au témoignage d'Ar- nobe, passait pour être le beau-père de Janus. Un vent d'est portait le môme nom que le fleuve campanien-'. La fête du 27 aofit n'aurait-elle pas été célébrée à l'origine en l'honneur d'une divinité de l'air? Plus tard, comme le vent de tempête soulève les eaux, on joignit à sa fête un sacrifice au dieu du fleuve, Tiberinus.
La théorie de Jordan est trop subtile ; sans doute, d'après l'étymologie, le nom de Volturnus convenait aussi bien à un vent violent qu'à une rivière débordée et furieuse, et des textes nombreux prouvent qu'on en avait fait cet usage. Mais il n'est dit nulle part qu'on ait publiquement sacrifié à Rome au vent d'est divinisé. Mieux vaut donc s'en tenir à l'hypothèse plus simple de M. Monimsen : le Volturnus que citent les vieux calendriers était, comme ils le disent expressément, une divinité fluviale, un génie des eaux. On adorait en lui un as- pect particulier de Tiberinus. Il n'est pas impossible que sa fête fût célébrée, elle aussi, le 27 août dans l'île, au sacellmn de Tiberinus.
1. Si l'on admet cette interprétation, on est d'autant mieux fondé à rejeter l'identification que propose M. Mommsen entre Tiberinus etPortuniis. Il y avait à Rome un flatnen Vollurnnlis et un flamrn l'orliauilis. M. Mommsen fait de celui-ci un second flamine de Tiberinus. Mais deux flamines dilférents ne pou- vaient être affectés au service d'une seule divinité. Portunus est tout à fait distinct de Volturnus-Tiberinus et n'a rien de commun avec lui.
2. Pkelleh-Johuax, op. cit., t. II, p. 143, note 1. • 3. LiciiET., V, 742 :
Inde alix tetnpestalcs ventique seqiiuntur, .Mtilonans Volturnus et Auster fulmine pollens,
Gei.l., Il, 22: Hi sunt igilur 1res ventes orientales, Aquilo. Volturnus. Eunis. — Cf. Liv., XXII, 46; — Plin., Hist. nat., 11, 47, etc.
CONCLUSION
TOPOGRAPHIE DE L'ILE TIBÉRINE
DANS L'ANTIQUITÉ
CONCLUSION
TOPOGRAPHIE DE L'ILE TIBÉRINE DANS L'ANTIQUITÉ
L'île tibérine au siècle des Antonins. — L'île tibérine avait dans l'antiquité un tout autre aspect que de nos jours. Plus grande qu'elle n'est maintenant et toute baignée par les eaux du Tibre, elle ressemblait à un navire voguant sur le fleuve ; des revêtements de pierre, sculptés à l'imitation d'une proue et d'une poupe de bois, décoraient ses deux extrémités; un petit obélisque se dressait au milieu comme un mât. Elle était, aux yeux des Romains pieux, le vaisseau d'Esculape, l'image agrandie de la trirème qui avait ramené d'Epidaure le serpent sacré. On y venait en pèlerinage consulter ou re- mercier l'oracle du dieu médecin. On y invoquait aussi les autres divinités qui possédaient sur son territoire des temples, des autels ou des statues, Jupiter Jurarius, Vejovis et Semo Sancus, Faunus et Tiberinus. Le siècle des Antonins marque, semble-t-il, le moment de sa plus grande prospérité. Ces empe- reurs remirent en honneur les vieux cultes dont elle était le centre unique ou principal, et tout particulièrement celui d'Es- culape ; ils firent restaurer ou reconstruire ses édifices et ils ajoutèrent de nouvelles œuvres d'art à celles qui les ornaient déjà. Les fidèles, imitant l'exemple que donnaient les princes, se pressèrent en foule aux portes des sanctuaires ; les ex-voto s'accumulèrent devant les autels et dans les favissœ. Jamais encore l'île n'avait été si fréquentée ni enrichie de si nom- breuses offrandes. Si l'on veut se la représenter telle qu'elle était au moment le plus brillant de son histoire, c'est à cette époque qu'il faut se reporter en imagination.
318 CONÇU SION
Les ruines. — Pour lui icudii' son antique physioiinniic. un ;i peu de secours à attendre des rares vestiges qui subsistent de ses monuments d'autrefois. Sans doute le pont Fabricius la rattaclie encore à la rive gauche du Tibre, sous le nom de ponte Quattro Capi, qu'il doit aux Hermès qvmlrifrontes en- castrés dans son parapet ; il est resté à peu près intact depuis sa première fondation. Mais le pont Cestius, ou plutôt le pont de Gratien qui l'avait remplacé au iv" siècle, a éié démoli récem- ment. Dans l'île môme les ruines sont peu nombreuses et peu remarquables'. La forme extérieure qu'elle affectait jadis, ses dimensions et sa superficie out été modifiées à travers les âges par l'action destructive des eaux et par la main des hommes. Dès le xvi" siècle tous les édifices antiques, sauf les ponts, avaient disparu; un mur en grand appareil, dernière trace du temi)le de Faunus à la pointe nord, vers l'amont, ne fut détruit par les crues du Tibre qu'à la fin du xvin^ siècle, mais depuis longtemps le petit coin de terre qui le supportait avait été détaché du reste de l'île tibérine et constituait un îlot séparé, Yisoletta. Les seuls objets antiques conservés en place qui méritent d'être cités sont le fragment du revête- ment en travertin de la pointe méridionale, les colonnes et les bases utilisées dans la construction de l'église actuelle de Saint-Bartliélemv, le puits situé devant le maître-autel de cette même église, qui était peut-être la source sacrée du sanctuaire d'Esculape. Les fouilles qu'on a pratiquées dans l'île ne paraissent pas avoir été conduites avec beaucouj) de méthode'-. Elles furent entreprises sans suite, le plus souvent par des architectes et des ingénieurs peu soucieux d'archéolo- gie, quand on a bâti ou réparé les églises et les couvents mo- dernes ou quand on a procédé à des travaux nécessaires d'édi- lité, tels que la réfection du pont de Gratien et des berges. Elles ont ramené à la lumière un certain nombre d'inscriptions ; elles ont peu ajouté à ce que l'on savait par ailleurs de la to- pographie de ce petit quartier. On a recueilli dans le lit du Tibre une très grande quantité d'ex-voto en terre cuite, que le zèle des fidèles et des malades avait consacrés à Esculape ; on ne s'est pas préoccupé de retrouver sur le terrain la place
1. Voir, en appendice, la Liste des ruines et objets anti(jin'.s citcnrc en j>lace dans Vile.
2. Voir, en appendice, la Liste des principales fouilles e/fediiérs dmis Vile.
TOPOGRAPHIE DE l'iLE TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ 319
exacte et les fondations des diverses parties de l'Asklépieion. Une chance heureuse a fait découvrir en 1854 le pavement en mosaïque du temple de Jupiter Jurarius ; il ne reste rien des autres sanctuaires, sauf quelques colonnes, et ce pavement lui-même, à peine retrouvé, a été aussitôt caché de nouveau à tous les regards.
Les textes et les monuments figurés. — Les textes littéraires, les documents épigraphiques, les monuments figurés nous donnent, d'autre part, des indications et des renseignements qui suppléent en partie à l'insuffisance des ruines. Les écrivains grecs et latins ont eu l'occasion assez souvent de s'occuper de l'île tibérine ; ils ont mentionné les épisodes les plus notables de son histoire ^ . Tite-Live et Denys d'Halicarnasse nous disent comment, d'après la tradition, elle aurait pris naissance. Ovide et Valëre Maxime racontent l'arrivée du serpent d'Epidaure. Tite-Live encore rapporte à quelle date et dans quelles cir- constances furent construits les temples de Jupiter et de Fau- nus. On relève dans les ouvrages de Varron et de Vitruve, de PHne l'Ancien et des lexicographes, d'intéressants détails sur les cultes célébrés in insula. Les fêtes qui avaient lieu chaque année en ce lieu sont citées par Ovide dans ses Fastes et par les vieux calendriers. Au tome VI du Corpus Inscriptiomtm Latindrmn, consacré à la ville de Rome, une soixantaine d'ins- criptions sont indiquées comme provenant de l'île ; les unes, apposées sur les ponts, rappellent les noms des grands per- sonnages qui les ont bâtis ; les autres ont été écrites sur des baises de marbre ou de pierre ; d'autres encore sont des épitaphes; il faut y ajouter la grande inscription grecque qui relate les quatre cures miraculeuses opérées par le dieu guérisseur, et les tablettes votives retirées pendant ces dernières années du fond du Tibre-. Une statue d'Esculape, trouvée dans l'île, est déposée au musée de Naples ; selon toute apparence, les bas-reliefs du palais Rondinini, sur le Corso de Rome, ont la même origine. Le musée de Naples et le musée de Munich se sont partagé les débris du petit obéhsque. Un médaillon d'Antonin le Pieux représente le serpent d'Epidaure débarquant de la trirème d'Ogulnius et se dirigeant vers l'endroit où s'élèvera son temple.
1. Voir la Table des principal! r Ic.rtcs lil tendres cités.
2. Voir la Table des inscriptions.
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TOPOGRAPHIE DE l'iLE TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ 321
Les emblèmes qu'on voit au revers des monnaies de plusieurs gentes romaines font allusion à divers événements dont l'île
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fut le théâtre. Les ex-voto de marbre du musée du Vatican, la main de bronze et les objets de terre cuite du musée national des Thermes avaient été offerts au dieu de la médecine dans son sanctuaire entre les deux ponts *. A l'aide de tous ces
1. Voir, en appendice, la. Liste des montunenls figurés provenant de Vile ou la concernant.
21
322 CONCLUSION
éléments (rinformation, on peut suivre jusqu'au début du moyen âge les destinées de Tile tibérine et de ses édifices, et essayer sans trop d'audace de reconstituer les traits essentiels de sa topographie.
Plans, dessins et restaurations'. — Dès l'antiquité, un grand plan de Rome avait été dressé sur l'ordre des empereurs. En rapprochant l'un de l'autre deux des morceaux retrouvés de la Forma Urbis Ronur, Jordan a pu y déchiffrer les mots i?iter duos pontes; ces fragments sont malheureusement trop muti- lés pour que nous en tirions grand parti. Sur les plans de Rome qui furent faits au moyen âge, Vinsuia tiberina est très grossièrement retracée et sans exactitude. Bufalini est le pre- mier qui se soit efforcé, en 1551, de donner une image fidèle de la ville de Rome; son plan a fait époque; tous les travaux ultérieurs ont eu celui-ci pour base. Depuis trois siècles les plans de Rome moderne se sont multipliés ; au point de vue même de la tppographie antique il est nécessaire de les con- sulter. Pendant ces trois cent cinquante ans, la configuration de l'ile et le contour de ses rives ont beaucoup changé ; le courant du Tibre l'a à peu près rongée; elle avait une super- ficie plus grande au xvf siècle qu'au xix" ; elle était plus vaste au temps des Antonins qu'au xvi" siècle. Le plus récent et le plus important de ces plans est celui de M. R. Lanciani, à l'échelle de 1/1000, sur lequel sont indiqués, outre les cons- tructions modernes, les ruines antiques et l'emplacement pro- bable des monuments disparus.
On ne doit pas négliger non plus de passer en revue les dessins manuscrits et les gravures des archéologues de la Renaissance. Quelques-uns d'entre eux ont une valeur docu- mentaire très réelle ; ils reproduisent l'ile tibérine telle qu'elle existait à cette époque ; sur la gravure de du Pérac, le revête- ment en travertin de la pointe d'aval apparaît nettement, mieux dégagé que de nos jours. En revanche, le dessin du recueil Orsini à la Bibliothèque Vaticane, les gravures de Ligo- rio, de Gamucci, de Dosio, maintes fois rééditées dans les ouvrages d'archéologie romaine, sont purement fantaisistes et ne font honneur qu'à l'imagination de leurs auteurs.
1. Pour les pleuis, dessins et restaurations de l'ile, voir V Appendice II, Iconographie.
TOPOGRAPHIE DE L ILE TIBERINE DANS L ANTIQUITÉ
323
Il est inévitable que toute rcfitanratioti implique une part assez grande d'hypothèse. Encore faut-il qu'elle s'appuie sur des faits constatés et des données certaines, qu'elle ne con-
tredise aucun texte, qu'elle ne propose d'ajouter aux maté- riaux sûrs dont on dispose que des compléments simples et vraisemblables. Tel n'était pas le cas assurément pour les prétendues vues de l'île dans l'antiquité qu'esquissait le
324 CONCLUSION
crayon d'un Ligorio. Depuis lors, des tentatives plus sérieuses ont été faites. Piranesi, dans la seconde moitié du xviii' siècle, et Canina, au milieu du xix", ont donné des plans restaurés de la Rome ancienne tout entière. A deux reprises, des archi- tectes pensionnaires de l'Académie de France à Rome, Delan- noy en 1832, M. René Patouillard en 1900, ont choisi Tile tibérine comme sujet du travail de restauration auquel ils devaient consacrer la dernière année de leur séjour à la villa Médicis. Les grandes planches qu'ils ont dessinées, avec kîs Mémoires explicatifs qui les accompagnent, sont encore iné- dites. M. René Patouillard a profité des découvertes de ces dernières années; son interprétation des ruines et des textes antiques est moins aventureuse que celle de son devancier. Il a bien fallu, malgré tout, pour donner à ses reconstructions l'ampleur, la précision et l'unité nécessaires qu'il ajoutât à ce que nous ont révélé les vestiges encore existants, les fouilles et les auteurs. Les conclusions des archéologues servent seu- lement de point de départ aux conceptions des architectes, qui ne s'en inspirent que pour les dépasser.
Les édifices de l'île tibérine dans l'antiquité. — L'étude que nous avons entreprise nous permet, du moins, de dégager ces conclusions mêmes. Nous savons quels édifices l'île renfer- mait dans l'antiquité et comment ils étaient répartis sur son sol. Deux ponts, construits pendant les derniers temps de la République, l'unissaient aux deux rives du Tibre; une rue, via inter duos pontes, les reliait l'un à l'autre ; elle descendait en pente douce des deux côtés, supportée par des arcades basses, depuis les têtes des ponts jusqu'au milieu de l'ile. La pointe nord et la pointe sud, proue et poupe du navire d'Escu- lape, étaient recouvertes extérieurement, au-dessus d'un sou- bassement massif en blocs de tuf, d'un parement de blocs de travertin, sur lequel on avait sculpté le protome d'Esculape, le bâton symbolique du dieu médecin avec le serpent, et des bucranes. Entre la pointe méridionale et la rue qui faisait com- muniquer les deux ponts s'élevait le temple d'Esculape, orienté vers le nord; on pouvait voir, tout auprès, la source et le bois sacrés, les portiques où les malades passaient la nuit, les salles où les prêtres déposaient les ex-voto. Derrière le sanctuaire, sur la berge, était \e sacellion de Tiberinus. Du côté opposé, sur une place, à moitié chemin du trajet parcouru
TOPOGRAPHIE DE l'iLE TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ 323
parlsiviainter dî/os pontes, avait été érigé un obélisque. Au nord de la rue, le temple prostyle de Jupiter faisait face à la demeure d'Esculape. Celui de Faunus, également prostyle,
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occupait la pointe septentrionale. Sur les terrains que ces constructions laissaient vides, on avait bâti plus tard d'autres monuments et des maisons privées. Le service de l'annone avait dans l'île un débarcadère et un entrepôt. Une prison y existait au v^ siècle, et sans doute depuis assez longtemps.
326
CONCLUSION
Des autels et des statues ornaient l'intérieur et les abords des temples, les places, les rues : autel aux dieux lares, statues de Semo Sancus, de Jules César, et bien d'autres encore. Partout
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des inscriptions votives ou honorifiques célébraient les louanges des dieux, des empereurs, des magistrats.
Nous n'avons point de peine à nous représenter les senti- ments et les pensées que devait inspirer aux contemporains
TOPOGRAPHIE DE l'iLE TIBÉRINE DANS l'aNTIQUITÉ 327
des Antoniiis la vue de l'île tibérine. Les Romains contem- plaient avec fierté ces monuments qui témoignaient de leur attachement à la religion officielle et aux institutions publiques. Les étrangers s'étonnaient que tant d'édifices, dédiés à des divinités si différentes, fussent rassemblés sur un si étroit espace ; ils voulaient en savoir la raison ; ils se faisaient racon- ter l'histoire des sanctuaires. Les uns et les autres visitaient pieusement l'Asklépieion ; ils n'hésitaient pas à interroger Escu- lape, à lui exposer les maux dont ils souff'raient; pour le remercier de ses conseils, ils lui offraient quelque objet de terre cuite ou de marbre, parfois même une inscription. L'île tibérine était avant tout un lieu de pèlerinage. Les dieux y avaient élu domicile. Son caractère essentiellement religieux avait frappé les Anciens, qui la surnommaient l'île sacrée. C'est ce caractère aussi que les modernes ne peuvent man- quer de mettre en relief, et qui fait tout l'intérêt des recherches auxquelles donnent matière l'histoire et la topographie de ce petit coin du sol romain dans l'antiquité.
APPENDICES
APPENDICE I
BIBLIOGRAPHIE
I. — OUVRAGES GÉNÉRAUX DE TOPOGRAPHIE ROMAINB
Si Ton veillait dresser ici la liste complète des livres dans lesquels l'île tibérine est décrite ou mentionnée, il serait nécessaire d'énumérer tous les ouvrages de topographie romaine qui ont paru en Italie, en France, en Allemagne et en Angleterre depuis la Renaissance. Il nous suffira de signaler ceux qui nous ont été particulièrement utiles et que nous avons eu l'occasion de citer au cours de cet ouvrage, renvoyant pour tout le reste à VIndicazione topografica di Roma antica de Camxa, 4^ édition, Rome, 1850, p. 4 à 25 — à la Bibliografia topografica di Roma, publiée par Narducci dans la Monografia délia città dt/ioma, Rome, 1878, p. 81 à H9 — au Katalog der Bibliothek des deutschen archàologischen Instituts in Rom, par A. Mau, 1. 1, Rome, 1900, p. 251 à 316.
1. Flavio Biondo, Roma instaurata, Venise, 1510.
2. Barth. Marliani, Urbis Romx topographia, cité d'après l'éd.de 1544, Rome.
3. Luc. Fauno, de Antiqintatibus Urbis Romœ, Venise, 1549, cité d'après le Novus Thésaurus Antiquitatum romanaru7n, de Sallengre, Amsterdam, 1716-1719, t. I.
4. B. CiAMUGCi, le Antichità délia città di Roma, Venise, 1565, cité d'après la 2" éd., Venise, 1580.
5. J.-B. Dosio, Urbis Romœ reliquias, Rome, 1569.
6. St. du Pérac, Vestigii di Roma, Rome, 1575.
7. F. Nardini, Roma antica, Rome, 1666, traduit en latin et réédité sous le titre de Roma vêtus, dans le Thésaurus Antiquitatum romanarum de Gr-ïvius, Iltrecht, 1694-1699, t. IV.
8. J.-J. BoissARD, Topographia urbis Romœ, Francfort, 1681.
9. G. MixuTOLi, de Uî'bis Romœ topographia, Rome, 1689, cité d'après le Novus Thésaurus Antiquitatum romanarum, de Sallengre, t. I.
10. Fr. de' FicoRONi, Memorie piu singolari di Roma e sue vicinanze, Rome, 1730.
11. Fr. de'Ficoroni, Vestigia e rarità di Roma antica, Rome, 1744.
12. G.-B. PiRANESi, le Antichità romane, Rome, 1756.
13. A. Venuti, Accurrata e succinta descrizione topografica délie anti- chità di Roma, Rome, 1767, cité d'après la 3^ éd., Rome, 1824.
14. G. -A. GuATiANi, Roma antica, Bologne, 1795, cité d'après la 2** éd., Rome, 1805.
15. E. Platner — G. Bunsen — E. Gerhard — W. Rôstell — L. Ur- LicHs, Beschreibung der Stadt Rom, Stuttgart et Tùbingen, 1830-1842.
332 APPENDICES
16. L, Camna, Architettura antica, Rome, 1830-1844; 2« éd., 1839-18i6 (Troisième partie : Architettura romana).
17. A. NiuBY, Roma nelV anno 1838, Home, 1838-1841 (Première partie : Roma antica).
18. W.-A. IIeckkr, Topoijraphic dcr Stadt Rom (l. I du Handbuch der rômischcn Altcrthiimer de MAngiAUDT), Leipzig, 1842.
19. L. Camna, y// Edifizi di Roma antica, Rome, 1 848-1 8')6.
20. C.-L. LIuliciis, Coder Urbis Romx topograpfiicus,\\url7.bo\irg, iHli.
21. Fn. Reber, die Ruine n Roms, Leipzig, 1863; 2" éd., 1879.
22. H. Jordan, Topographie dcr Stadt Rom im Alterthum, Berlin, 1871-1883.
23. H. Jordan, Forma Urbis Romw, Berlin, 1874.
24. 0. (îiLBKKT, Gcschichte und Topographie der Stadt Rom im Alter- thum, Leipzig, 1883-1800.
25. R. Lanciam, Ancient Rome in the light of récent discoveries, Londres, 1888.
26. 0. RiciiïKn, Topographie der Stadt Rom (dans le Handbuch der klan- sischen Alterthumsuissenchaftcn d'IwAN Mi ller, t. IH), Nordlingen, 1889, 2«= éd. à part, Munich, 1901.
27. J.-H. MinDLETON, The rcmains of ancient Rome, Londres, 1892.
28. R. LA.NCiA.Nr, Pag an and chrintian Rome, Londies, 1892.
29. KiEPERT-HuELSEN, Formœ Urbis Romx antiqux, accedit Nomenclator topographicus, Berlin, 1896.
30. L. BoRSARi, Topourafia di Roma antica, Milan, 1897.
31. R. Lanciani, the Ruins and excavations of ancient Rome, Londres, 1897.
32. L. Homo, Lexique de topographie romaine, Paris, 1900.
II. — LIVRES, MEMOIRES, ARTICLES DE REVUES INTEBESSANT PARTICULIEREMENT
l'île TIBÉRINE
1. J.-P. Bellori, Selecti nummi duo Antoniniatii, Rome, 1676.
2. Casimiro, Memorie istoriche délie chicse c dei convcnti dei frati minori délia provincia romana, Rome, 1744.
3. C.-A. Bœttiger, der Msculapiusdienst auf der Tiberinse l, puhVié dans le lieitràge zur Geschichlc dcr Medicin de Spre.nt.el, Halle, 1797, t. II, p. 77, et réédité dans les Klcine Schriften, de Bœttiger, Leipzig, 1850, t. I, p. 112.
4. Delannoy, Mémoire explicatif manuscrit, annexé à sa Restauration de Vile tibcrinc conservée à Paris, dans la Bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts (inédit), 1832.
5. Sciiluetkr, de jEsculapio a Romanis adscito, Arnsberg, 1833.
6. Bbal-.n, Studi anatomici degli antichi, dans le Bullettino delV Instituto di Corrispondenza archcologico, Rome, 1844, p. lt'>.
7. L. Preller, Rom und der Tiber, dans les Derichte der sâchsischen Gcscllschaft (1er Wissenschaftcn, Leipzig, 1848, p. 138.
8. Th. MoMMsEN, Epigrnphische Analektcn, dans les lier. d. sdchs. Ges. d. Wiss., 1850, p. 320.
APPENDICES 333
9. Giornalc di Roma, Rome, 1854, n"^ 80 et 82.
10. L. Canina, Sut tempio di Giove nelV isola tibcrina, dans le Bullett. dell' Instit. archeoL, 1854, p. XXX VII.
11. Orioli, Lettera al professore Henzen, dans le Bullett. delV Instit. archeoL, 1855, p. V.
12. L. Preller, der Stein des Msculap, dans V Archiiologische Zeitung de 1858, réédité dans ses Ausgeivàhlte Aiifsàtze, Berlin, 1864, p. 308.
13. Cavedo.m, dans le Bullett. dell' Institut. archeoL, 1858, p. 174.
14. H. Jordan, Sugli avanzi delV antica decorazione delVisola tiberina, dans les Annali delV Instit. archeoL, Rome, 1867, p. 389.
15. NissEN, Ueber Tempel-Orientirung , dans le Rheinisches Muséum, Francfort, t. XXVIII, 1873, p. 547 et t. XXIX, 1874, p. 392.
16. JoRDA.x, de uEsculapii, Fauni, Vejovis Jovisque sacris urbanis, dans les Commentationes in honorcm Mommseni, Berlin, 1877, p. 359.
17. Frôiiner, les Médaillons de l'Empilée romain, Paris, 1878, p. 53.
18. Von Duhn, dans le Bullett. dell Instit. archeoL, 1879, p. 7.
19. Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans V antiquité, Viiv'x?,, 1879-1882, t. III.
20. C.-L. VisGONTi, dans le Bullettino Comunale, Rome, 1880, p. 176.
21. Uenzes, dans le Bullett. Comiin., Rome, 1881, p. 142.
22. C.-L. ViscoNTi, dans les Dissertazioni délia Pontificia Accademia di archeologia, Rome, 2" série, t. II, 1881, p. 21.
23. C.-L. ViscoNTi, Di un simulacro di Semo Sanco, dans les Studi di storia e diritto, Rome, 1881, p. 105.
24. L. DucHESNE, dans le Bullettino di archeologia cristiana, Rome 1882, p. 106.
25. G.-R. DE Rossi, dans le Bullett. di archeoL crist., 1882, p. 107.
26. Mayerhofer, die Briicken im alten Rom, Erlangen, 1884.
27. H. Jordan, Statua vaticana di Semo Sanco, dans les Ann. deWInstit. archeoL, 1885, p. 105.
28. L. V. Urlicus, Archiiologische Analekten, Wurtzbourg, 1885, VIII, p. 22: Insula Lycaonia.
29. Notizie degli Scavi, Rome, 1885, p. 71 et p. 188.
30. VoN Duhn, Due bassorilievi del palazzo Rondinini, dans les Mit- theilungen des deutschen archdologischen Instituts, Rœmische Abtheilung, Rome, 1886, p. 167.
31. Gatti, Bullett. Comun., 1886, p. 171.
32. Bullett. Comun., 1887, p. 97 et 1889, p. 70.
33. KuMMER, de Urbis Romœ pontibus antiquis, Shalke, 1889.
34. RoNATO, dans les Annali délia Société degli ingegneri e degli archi- tetti italiani, Rome, 1889, p. 139.
35. Ch. Huelsen, dans les Mittheil. des archàol. Instit., Rœm. Abth., 1889, p. 283.
36. Batïandier, la Démolition du pont Cestius à Rome, dans le Cosmos, Paris, novembre 1889, p. 395.
37. C'^^»® Caeïani Lovatell(, Di un mano votivo in bronzo, dans les Monumenti antichi dei Lincei, Rome, 1889, p. 170.
38. Notiz. d. Scavi, 1890, p. 33.
39. Huelsen, dans les Mittheil. des archdol. Instit., Rœm. Abth., 1891, p. 135.
334 APPENDICHS
40. Barnabei, dans les Notiz. d. Scavi, 1891, 287.
41. liullett. Comun., 1892, p. 75 et 184.
42. Notiz d. Scavi, 1892, p. 207 et p. 410.
43. Le IIlant, dans les Comptes rendus de rAcadcmic des Inscriptions, Paris, 18it2, p. 45.
44. HiELSEN, dans les Mitthcil. des archaol. Inslitxits, 1893, p. 319.
45. D"" L. Samhon, Donaria of médical interest, dans le Itvitish Médical Journal, 1895, t. 11, p. 14G et p. 216.
46. L. Cantareixi, Di un frammento cpir/rafico cristiano dell'isola por- tuense, dans le BuUctt. Comun., 1896, p. 67.
47. GiGLi, Due iscrizione votive, dans le Bullett. Comun., 1890, p. 174.
48. HuELSEN, il Fora Boario e le sue adiacenze neW antichità, dans les Dissert, délia pontif. Accad. di archeoL, st'rie II, t. VI, 1896, p. 229.
49. HoNNA, le Tibre et les travaux du Tibre, dans le Bulletin de la So- ciété d'encouragement pour l'industrie nationale, Paris, 1898, numéros de septembre et de novembre.
50. M. IlESNiEii, Jupiter Jurarius, dans les Mélanges d'archéologie et d'histoire publiés par l'Ecole française de Rome, Rome, 1898, p. 281.
51. R. Patoiillard, Mémoire explicatif manuscrit, annexé à sa Res- tauration de l'île tibérine conservée à Paris, dans la Bibliothèque de TEcole des Beaux-Arts (inédit), 1899.
52. L. Stikda, Ueber alt-italische Weigeschenke, dans les Mittheil. des archaol. Instit., Rœm. Abth., 1899, p. 230.
53. Dressel, der Aventin auf einem Médaillon des Plus, dans la Zeit- schrift fiir Numismatik, Berlin, 1899, p. 32.
54: Petersen, Briicke oder Navale, dans les Mittheil. des archaol. Instit., Hœm. Abth., 1900, p. 352.
APPENDICE II
ICONOGRAPHIE
I. — PLANS
Sur les plans généraux de Rome, consulter : H, Jordan, Topogr. der Stadt Rom, t. I, 1, p. 105-114; — A, Mac, Katalorj der Bibtiothek des archàol. Inst., p. 253-255; — 0. Richter, Topogr. der Stadt Rom, 2« éd., 1901, p. 23-24.
Il convient de citer notamment :
1. La Forma Urbis Romœ, plan de Rome au m* siècle, dressé sur l'ordre de Septime Sévère (Edition Jordan, Berlin, 1874; les fragments intéressant l'île sont publiés à la feuille IX, n° 42).
2. La série de plans et vues de Rome antérieurs au xvi« siècle, publiée par G.-B. de Rosst, Plante iconografiche e prospettlche di Roma anteriori al secolo xvi, Rome, 1879, et complétée par Hlelsen, dans le Bullett. Comun., 1892, p. 32.
3. L, BuKALiNi, Urbis icnographia, Rome, 1551, rééditée à Rome en 1879.
4. A. Lafreri, Urbis Romœ descriptio, Rome, 1555.
5. La série des plans publiés par G. -G. de Rossi, à Rome, de 1650 à 1756.
6. G.-B. NoLLi, Nuova planta di Roma, Rome, 1748 (en 12 feuillets).
7. Losi, Pianta di Roma, Rome, 1774 (en 48 feuillets ; dimensions : 4'», 30 sur 2™,28).
8. L. Canina, Pianta topografica di Roma antica, 1830,
9. Pianta topografica di Roma piibblicata dalla Dlrezione générale del Censo, 3' éd., Rome, 1866 (échelle : 1/4.000).
10. R. LANcr.vNi, Forma Urbis Romœ, Milan, 1893-1901, à l'échelle de 1/1.000, d'après le plan de la ville (inédit) levé en 1878 par l'Office municipal des Travaux publics (l'île tibérine y figure à la feuille 28).
11. Kiepert-Huelsen, Formx Urbis Romae antiquae, Berlin, 1896 (échelle 1/10.000).
Des plans restaurés de l'île tibérine ont été dressés par :
G.-B. PiRANESi, le Antichità romane, t. IV, pi. XIV, Rome, 1756 ;
Delannoy, Restauration de Vile tibérine, à la Bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts, à Paris, 1832 (inédite) ;
L, Canina, Architettura antica, Rome, 1830-1844 ; 2« éd.. 1839-1844, Troisième partie : Architettura romana, pi. CVIII ;
L. Camna, gli Edifizi dl Roma antica, Rome, 1848-1856, t. IV, pi. CCXLI ;
336 APPENDICES
H. P.vTOUiLLARD, Restauratioti de Vile tibcrine, à la Bibliothèque de l'Ecole des Beaux-Arts, à Paris, 1899 (inédite).
Les restaurations de Delannoy et de M. Hené Patouillard sontaccom- pagiiées de relevés et plans d'élat actuel.
P. Lanciani a publié en 182(>, à Home, à la suite de sa brochure intitu- lée (ici Ponte scnatorio ora ponte rotto, un grand plan de la pointe méridionale de l'île tibérlne, sur lequel sont indiqués avec soin tous les vestiges de murs antiques alors visibles.
II. — DESSINS ET (;KAVUKES
Depuis l'époque de la Renaissance, un très grand nombre de vues de l'ile tibérine ont été dessinées et reproduites par la giavure. Klles représentent l'île telle qu'elle était au moment où vivaient leurs auteurs. Il ne serait pas facile d'en faire l'inventaire. La plupart des grandes Bibliothèques d'Europe en possèdent au moins quehjues-unes. Les plus riches collections de dessins et de gravures intéressant la ville de Rome sont celles que possèdent à Rome même la Bibliothèque Victor-Emmanuel, la Galerie nationale des Estampes à la Bibliothèque Corsini, et M. Rodolphe Lanciani. Parmi les dessins de San Gallo que renferme le volume XLIX, 33, de la Bibliothèque Barberini (commencé en 1465) est une vue remarquable du bras gauche du Tibre et de l'île, mesurant 0™,30 sur O^jlS. A l'arrière-plan du tableau de Raphaël qui a pour sujet VEnlèvemcnt des Sabincs, on aperçoit le pont Fabricius et une partie de l'île. Un élégant pastel de Vanvitelli, de la fin du xvni* siècle, exposé à la Pinacothèque du musée des Consenateurs à Rome, nous donne une image de l'île tibérine et de ses deux ponts.
Une série plus importante, au point de vue archéologique et topogra- phique, est celle des dessins et gravures où sont figurés, avec plus ou moins d'exactitude, soit les ruines en place dans l'île, soit son aspect antique hypothétiquement restauré. Citons:
1. Le dessin manuscrit du recueil Orsini à la Bibliothèque valicane {Cod. lat. 3439, f° 42).
2. Dosio, Vrbis Romœ reliquis-, Rome, 1569, pi. 18.
3. Du PÉRAC, Vestitjii di Roma, 1575, pi. 39.
4. Gamucci, le Antichità délia città di Roma, Venise, éd. de 1580: p. 173, restauration ; p. 175, état actuel.
b. J.-J. BoissARD, Topographia Urbis Romiv, Francfort, 1681, t. II, p. 13: restauration qui ressemble beaucoup au dessin du recueil Orsini.
6. G. Lauro, Antiquœ Urbis ftplendor, Rome, 1612, pi. 31.
7. G. Macgi, jEdificiorum et ruinanim Romœ liber, Rome, 1618, pi. 25.
8. Les gravures insérées dans le Thesaur. Anliquit. roman, de Gr^:vius, Utrecht, 1694-1699, notamment au t. III, p. 561 et au t. IV, pi. VIII.
9. G.-B. PniANEsi, le Antichità romane, Rome, 1756, t. IV, pi. XIV-XXIV, et il Campo Marzio, Rome, 1762, pi. XI-XIII.
APPENDICES 337
. 10. L. Cx^îiA, Architettura antica, Rome, 1830-1844; 2« éd., 1839-1846, Troisième partie, Architettura romana, pi. CVIII, CLXXIX et CLXXX; — gli Edifizi di Roma antica, Rome, 1848-1856, t. IV, pi. CCXLI, CCXLII, CCXLIII.
11. H. Jordan, dans les Ann. delVlnstit. archeol., 1867, pi. K. I, dessin représentant le fragment conservé de la décoration sculptée de l'île tibé- rine.
•2i
APPENDICE III
LISTE DES RUINES ET OBJETS ANTIQUES ENCORE EN PLACE DANS L'ILE TIBÉRINE
1. Le pont Fabricius {ponte Quattro Capi) est presque entièrement antique ; on voit des deux côtés, en amont et en aval, l'inscription de la dédicace ; deux Hermès à quatre faces sont insérés dans le parapet moderne.
2. Le pont Cestius [ponte San Bartolomeo) a été reconstruit de fond en comble de 1886 à 1889 ; il ne renferme plus que quelques blocs antiques de travertin; sur le parapet, à l'intérieur du pont, existe encore l'une des inscriptions de la dédicace ; extérieurement on dis- tingue les vestiges d'une grande inscription sur une ligne, qui ont été remis en place dans la construction nouvelle.
3. Fragment de la décoration de l'île en guise de navire ; il est situé à la pointe méridionale, du côté qui fait face à la rive gauche du Tibre ; il comprend un soubassement en tuf et plusieurs assises de travertin ornées de sculptures (buste d'Esculape mutilé, serpent enroulé sur le bdton symbolique, tôte de bœuf).
4. Eglise Saint-Bartbélemy : porte de l'époque de la Renaissance faite de débris antiques; quatre colonnes antiques à la façade; sous le porche, par terre, un fragment d'architrave; à l'intérieur, quatoi'ze colonnes de granit ou de marbre et deux bases d'ordre corinthien ; devant le maître-autel, un puits probablement antique, entouré d'une margelle du moyen âge ; sous le maître-autel une cuve de porphyre ; nombreux fragments de marbres de couleur utilisés dans les pave- ments en mosaïque ; dans la crypte, sous l'église, six colonnes basses, peut-être d'origine antique.
5. Dans le petit jardin qui borde l'église Saint-Barthélémy du côté de la rive gauche du Tibre: un chapiteau retaillé, un fragment de colonne.
6. Dans les fondations des constructions attenant à l'église Saint- Jean-Calybite doit se trouver encore le fragment du pavage en mosaïque (avec inscription dédiée à Jupiter Jurarius) qu'on a découvert en 1854 et par-dessus lequel des murs nouveaux ont été élevés.
7. A la partie septentrionale de l'île : colonnes et fragments de marbre utilisés dans les maisons modernes. Au coin de la rue qui débouche sur la place Saint-Barthélémy, en face de l'église, un chapi- teau sert de borne. Sur la dernière esplanade, vers la pointe d'amoni, un fragment de colonne bouche un regard d'égout.
APPENDICE IV
LISTE DES PRINCIPALES FOUILLES EFFECTUÉES DANS L'ILE TIBÉRINE DEPUIS L'ÉPOQUE DE LA RENAISSANCE
i. En 1574, sur la place Saint-Barthélemy : C. I. L., VI, 567 (base de la statue dédiée à Semo Sancus).
2. En 1676, sur la place Saint-Barthélemy : C. I. L., VI, 12 (dédicace à Esculape), 821 (inscription du vicus Censori), 10.317 (liste de mayis- trl d'un collège), ainsi que 446 et 447 (dédicacés aux dieux Lares) et peut-être aussi 451 (dédicace aux dieux Lares, « trouvée récemment dans l'île », écrivait Fabretti en 1683).
3. En 1684, sur la place Saint-Barthélemy (R. LA^CIA^'I, Forma Urbis Romœ, feuille 28<).
4. Avant 1744, aux environs de l'église Saint-Jean-Calybite. Tête de Jupiter acquise par Ficoroni (Casimiro, Memorie istoriche, p. 265).
5. En 1765, sur la place Saint-Barthélemy. Fouilles Jenkins (R. Lan- ciAN[, loc. cit.).
6. En 1775, dans la partie septentrionale de l'île. Fouilles Oddi (R. Lanciam, loc. cit.).
7. Au mois de mars 1854, sous les dépendances de l'église Saint-Jean- Calybite : C. I. L., VI, 379 (inscription sur mosaïque, dédiée à Jupiter Jurarius.) Cf. Canina, Bullett. delCInstit. archeol., 1854, p. xxxvii.
8. De 1885 à 1889, reconstruction du pont San Bartolomeo (ancien pont Ccstius et ensuite pont de Gratien); réfection des murs de quai sur la berge occidentale de l'île tibérine ; établissement d'un mur de quai sur la rive gauche du Tibre, nécessitant le dégagement du pont Fabricius; fouilles à la drague dans le lit du fleuve. Voir les Notiz. d. Scavi et le Bidlett. Comun. de ces années.
9. Au mois d'avril 1899, travaux de dégagement exécutés à la pointe d'aval de l'île par les soins de M. René Patouillard, pour déblayer les abords du fragment conservé de la décoration antique.
1. M. R. Lanciani prépare une Stona degli Scavi di Roma, en plusieurs volumes ; il a pu recueillir dans les archives publiques et privées d'Italie des renseignements encore inédits sur les fouilles faites à Rome depuis la Renais- sance.
APPENDICE V
LISTE DES MONUMENTS FIGURÉS PROVENANT DE L'ILE TIBÉRINE OU LA CONCERNANT
1. Statue colossale d'Esculape au musée de Naples. Provenance certaine. Publiée dans le Real Mlseo Borbomco, t. IX, pi. XLVII.
2. Fragments du petit obélisque antique de la place Saint-Barthé- lémy : deux fragments au musée de Naples ; un fragment au mus(''e de Munich (publié par Piranesi, Antichità romane, t. IV, pi. XIV, n" 15). Provenance certaine.
3. Deux bas-reliefs du palais Rondinini, sur le Corso à Rome. Pro- venance très probable. Publiés par von Dlhn, dans les Mittheil. des archâol Instit., Hœm. Abth., 1886, pi. IX et X).
4. Deux médaillons de bronze d'Antonin le Pieux représentant l'arrivée du serpent d'Esculape à Rome. Signification certaine. Publiés en dernier lieu par Dressel, dans la Zeitsch. f. Numism., 1899, pi. II, n»* 10 et H.
3. Monnaies des gentes Eppia, Pompeia, Rubria, représentant le ser- pent d'Esculape enroulé autour d'un autel. Signification probable. Cf. Babelon, les Monnaies dç la République romaine, t. I, p. 477 ; t. II, p. 351 et p. 405.
6. Monnaie de Cyrénaïque frappée par un membre de la gens Fabri- cia ; elle ferait allusion à la construction du pont Fabricius près du temple d'Esculape. Signification très contestable. Publiée en dernier lieu par Falbe-Lindberg-Mi ller, Numismatique de l'ancienne Afrique, t. I, les Monnaies de la Cyrénaïque, p. 165.
7. Deux torses humains entrouverts, en marbre, au musée du Va- tican. Ex-voto à Esculape. Provenance inconnue. Publiés par Bracn dans le Bullett. deU'Instit. archeoL, 1844, p. 16,
8. Deux statuettes votives en terre cuite. Ex-voto à Esculape. Prove- nance inconnue. Publiées par Ficoroni, Vestigia e rarità di Roma, t. I, p. 144.
9. Une main en bronze, au musée national des Thermes. Ex-voto. Provenance : le Tibre. Publiée par la G'""" Caetani Lovatklli dans les Monumenti antichi dei Lincei, t. I, 1889, p. 170.
10. Lamelle de bronze avec inscription votive à Esculape, au musée Kirclier. Provenance inconnue. Cf. C. I. L., VI, 1.
11. Plusieurs centaines d'objets divers en terre cuite, dans les maga- sins du musée national des Thermes. Ex-voto à Esculape. Provenance : le Tibre. Cf. L. Sambo.n, Donaria of médical interest, dans le British médical Journal, 1895, t. II, p. 146 et p. 516.
12. Objets trouvés dans les décombres auprès du pont Fabricius en
APPENDICES 341
même temps que l'inscription C. I. L., VI, 21.438 {Notiz. cl. Scavi, 1878, p. 236) :
1» Fragment de pierre sépulcrale avec moulures;
2° Fragment d'un bas-relief en marbre représentant un combat de cavaliers ;
3° Fragment de plafond avec méandres.
13. Statuette acéphale d'Esculape, extraite du Tihre [Notiz. d. Scavi, 1891, p. 287).
14. Objets extraits du Tibre auprès du pont Cestius en même temps que l'une des inscriptions votives archaïques dédiées à Esculape (Notiz. d. Scavi, 1892, p. 267) :
1° Fragment d'une statue de cheval en bronze autrefois doré; 2° Statuette de femme sans tête ni bras.
N.-B. — Un groupe célèbre du musée du Capitole, qui représente un homme et une femme debout, sous les traits de Mars et de Vénus, aurait été trouvé d'après Figoroni, Memorie piu singolare diRoma e sue vicinanze, Rome, 1730, p. 97, « dans l'île du Tibi^e » en 1749. Ficoroni ne dit pas s'il entend par ces mots l'île tibérine romaine ou l'île que forme le Tibre devant Ostie .
APPENDICE VI
TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS INTÉRESSANT L'HISTOIRE DE L'ILE TIBÉRINE DANS L'ANTIQUITÉ
245/509 avant l'ère chrétienne : expulsion des rois, formation arti- ficielle de l'île libérine d'après la légende (Liv., H, 5 ; Dio.nys., VI, 13; Plut., Popl., 8).
46i/293 : arrivée du serpent d'Epidaure et fondation du temple d'Esculape (Liv., X, Epit.; Val. Max., I, 8, 2; Aurel. Vict., de Vir. illustr., 22 ; Arnob., VII, 41 ; Ovid., Metam., XV, 622).
Vers 461/293 : construction d'un premier pont de bois entre l'île et la rive gauche du Tibre; un peu plus tard, construction d'un second pont de bois entre l'ile et la rive droite.
554/200 : le préteur L. Furius Purpureo, livrant bataille devant Cré- mone aux Gaulois Cisalpins révoltés, fait vœu d'élever un temple à Jupiter (Liv., XXXI, 21).
558/196: L. Furius Purpureo, consul, fait construire un temple à Jupiter dans l'île tibérine (Liv., XXXIV, 53j ; les édiles plébéiens Cn. Domitius Ahenobarbus et C. Scribonius Curio, avec l'argent des amendes imposées à trois pecuarii, font construire un temple de Fau- nus dans l'île (Liv., XXXIII, 42).
560/194: le duumvir C. Servilius dédie le temple de Jupiter et le préteur Cn. Domitius le temple de Faunus (Liv., XXXIV, 53).
Vers 600/154: l'haruspice C. Volcacius répare le temple de Jupiter dans l'île tibérine et fait mettre dans le pavage en mosaïque une ins- cription commémorative, dédiée à Jupiter Jurarius (C. I. L., VI, 379).
691/63 : le curator viarum L. Fabricius fait construire un pont en pierre entre l'île et la rive gauche (C. I. L., VI, 1305; Cass. Dio, XXXVII, 45).
710/44 : à la mort de César, le magister equitum Lepide occupe l'île tibérine avec un corps de troupes (Appian., de Bell, civil., II, 118).
Vers les derniers temps de la République : restauration du temple d'Esculape (C. I. L., VI, 7). A la même époque ou au début de l'Em- pire : construction du revêtement en pierre des deux extrémités de l'ile. La fondation du sacellum Tiberini remonte sans doute à l'époque républicaine; date inconnue (C. I. L., I, 2" éd., p. 245).
733/21 : les consuls M. LoUius et Q. Lepidus réparent le pont Fabri- cius (C. I. L., VI, 1305).
Vers 740/14 : construction du pont Cestius entre l'île et la rive droite.
L'institution d'un sacrifice en l'honneur de Vejovis (C. I. L., 2* éd., p. 231) et l'érectiond'unestatuede Jules César dans l'île tibérine (Si et., Vesp., 5; Tac, Hist., I, 86; Plut., Otho, 4) sont dues peut-être à Auguste.
APPENDICES 343
747/7 : organisation des régions urbaines par Auguste ; l'ile tibérine appartient à la XIV» région ; elle forme le vicus Censori (yËTnicus, dans l'édition de Pomponius Mêla par Gronovius, p. 716; C. I. L., VI, 451,821).
54 après Jésus-Christ: loi de l'empereur Claude décidant que les esclaves malades abandonnés par leurs maîtres dans l'île tibérine se- ront affranchis (Suet., ClaucL, 25 ; Cass. Dio, LX, 29; Digest.,XL, 8,2; CoD. Justin., VII, 6, loi unique).
Pendant le règne de Claude (?) statue élevée à Semo Sancus dans l'île (C. I. L., VI, 567; Justin. Martyr, Apol. Pr., 26).
68 : la statue de Jules César dans Tîle se tourne spontanément vers l'Orient (Suet., Vesp., 5 ; Tac, Hist., I, 86 ; Plut., Otho, 4).
74 : extension du pomcrium par Vespasien ; désormais l'île est com- prise à l'intérieur de cette ligne {Notiz. d. Scavi. 1900, p. 15).
Sous le règne d'Antonin le Pieux : restauration du temple d'Esculape (Cf. statue du musée deNaples, bas-reliefs du palais Rondinini), frappe de médaillons rappelant l'arrivée du serpent d'Epidaure ; c'est de ce règne ou de celui de Caracalla, que date la grande inscription votive en langue grecque dédiée à Esculape (C. I. Gr. 5980).
Entre 178 et 180 : statue élevée à Marc-Aurèle dans l'île (C. I. L., VI, 1015).
Début du III*' siècle : plan de Rome dressé sur l'ordre de Septime Sévère {Forma UrbisRomœ); deux des fragments retrouvés se rapportent à l'île.
367-368 : le pont Cestius restauré prend le nom de pont de Gratien (C. I. L., VI, 1175, 1176: Symmach., Panegyr. in Gratian., p. 332 de l'éd. Seeck dans les Monum. Germ., Auct. antiq., t. VI).
389 : statue élevée dans l'île à Ragonius Vincentius, ancien préfet de l'annone (C. I. L., VI, 1759).
469 : procès d'Arvandus, préfet des Gaules, enfermé trente jours dans la prison de l'île tibérine, entre sa condamnation à mort et son exécution (Sidon. Apdll., Epist., 1,7, 12).
Fin du v« siècle : rédaction des Gesta martyrum dans lesquels l'île tibérine est appelée insula Lycaonia (Actes de sainte Eugénie, de saint Calliste, des martyrs grecs, des saints Maris et Marthe).
TABLES
TABLE DES PRINCIPAUX TEXTES LITTÉRAIRES CITÉS
I. — Auteurs grecs
Pages.
Appianus, II, 118 46
Cassius Dio, XXXVII, 45 100
Id., XLVII, 2 191
Id., LX, 29 207
DiONYSius Haucarnassensis, V, 13 17
Plutarghus, Otho, 4 58
Id., Poplicola, 8 18
Id., Qusestiones romanœ, XCIV 171
II. — Auteurs latins
AcRO, ad Horat., Sat., II, 3, 35 100
^THiGus (dans Gronovius, édition de Pomponius Mêla, Leyde, 1722,
p. 716) 3 et 54
Ammianus Margelllnus, XXVII, 3 113
Aurehus Victor, de Vins illustribus, 22 156
Chronographus anni 354 (dans les Monumenta Germanie, éd. in-4'',
Auctores antiquissimi, t. IX, 1, p. 145) 19
Claudianus, Panegyricus dictus Probino et Olybrio consulibus, 226. . . 65
Id. , in Stilichonem, III, 170 1 57
Festus, p. ho.... 171 et 227
Id., p. 237 173
HoRATius, Satirœ, 11,2,31 60
Id., Satirse, II, 3, 35 100
Kalendarium (en tête des manuscrits des Fastes d'Ovide) 82
Livius, II, 5, 16
Irf. , X, 47 149 et 154
Id., XI, Epitome 1 54
Id., XXXI, 21 262
Id., XXXIII, 42 292
Id., XXXIV, 53 262 et 292
Id. , XXXV, 41 262
Id., XLIII, 4 190
Macrobius, Saturnalia, II, 12 60
Orosius, III, 22 156
OviDiDs, Fasti, I, 289 184
Id., Fasti, I, 291 .... ;.;.;......;.;;.; ; . . 251
348 TABLES
Id., Fasti, II, 193 290
Id., Metamorphoseis, XV, 622-745 158 à 160
Id., Metamorphoseis, XV, 654 195
Plautus, CurcuUo, 14 205
Id., CurcuUo, 61, 216, 246, 260 206
Plimus, Hùttoria Naturalis, IX, 54 (79) 60
Id., Historia Naturalis, XXIX, 1 (8) 148 et 171
PoRPHYRio, ad lloral., Sat., II, 3, 35 100
SiDOMUS Ai'OLLi.NAuis, Efistulx, I, 7, 12 68
SUKTO.NIL'S, Autjusttis, 59 196
Id., Claudius, 25 207
Syjimaciius, Paneyyricus in Gratianum (dans les Monumenta Germa-
iM.ï, éd. iii-4°, Auctores antiquissimi, t. VI, p. 332) 112
Tacitl's, Historia;, I, 80 58
Valerius Maximus, I, 8, 2 154
Varro, de Lingua latina. Vil, 57 190
ViTRUvius, III, 2 249 et 292
III. — Auteurs chrétiens
AcTA Sanctorum, janvier, t. II, p. 580 80
Id., août, t. II, p. 31 240
Id., octobre, t. VI, p. 441 80
Actes des martyrs (jrecs publiés par de Rossi, Roma sotterranea.
t. III, p. 207 80
Arnobius, VII, 41-45 157
JusTiNus Martyr, Apologia Prima, 26 274 et 276
Vita Sanctœ Eugetiiœ, dans la Patrologie latine de Migne, t. XXI,
p. 1121 79
Plusieurs textes du moyen dge concernant Vinsula Lycaonia sont cités aux pages 77 et suivantes.
TABLE DES INSCRIPTIONS CITÉES
Pages.
Corpus Inscriptionum Gr^carum, 5974 212
Id., 5977 21 2
M, 5978 213
Id., 5980 214
Corpus Inscriptionum Latinarum, t. 1, i" éd., p. 210 290
Jrf., p. 221 255
Id., p. 231 185 et 231
Id., p. 233 255
Id., p. 244 309
Id., p. 245 308
Irf., p. 270 309
Id., p. 272 185
Corpus Inscriptionum Latinarum, t. VI, 1 211
Id., 7 189 et 210
Id., 8 211 et 225
M, 12 210
Jrf., 13 204
Irf., 14 225
Irf., 15 211
M., 17 211
Id., 20 204
M, 43 61
Id., 296 61
Irf. , 379 256
Id., 446 et 447 57
Jrf., 451 55
Jrf., 567 273
Jrf,. 568 280
Jrf., 773 308
Jrf., 821 54
Jrf., 841 21 1
Jrf., 1001 289
Jrf., 1015 58
Jrf., 1 175 109
Jrf., 1176 111
Jrf., 1303 101
Jrf., 1374 et 1373 108
Jrf., 1759 61
Jrf., 1760 63
Jrf., 2330 et 2331 210
Jrf., 3865 61
Jrf., 8548 73
Jrf., 8842 73
Jrf., 9418 73
Jrf., 9824 74
350 TABLES
Fageii.
IiL, 10.133 : 73
M, 10.317 • 47
Id., 10.465 73
Id., 11.882 73
irf., 12.024 74
Id., 12.202 74
Id., 12.434 74
Id., 12.650 74
Id., 13.050 73
Id., 13.500 74
/rf. , 15.369 74
là., 16.G45 74
Id., 17.574 74
Id., 18.878 71
Id., 19.721 74
Jrf., 20.363 74
Id., 21 .438 74
Id., 21.544 74
Id., 22.202 74
Id., 22.684 74
Id., 22.849 74
Id., 25.369 49
Id., 26.527 74
Id., 27.750 74
Id., 29.080 74
Id., 29.454 71
Jrf., 29,457 70
Id., 29.722 72
Id., 29.764 64
Id., 31.251 111
Corpus i.nscriptio.num latinarum, t. X, 6700 169
Irf., t. XI, 1305 231
Id., t. Xf , 2479 164
/(/., t. XIV, 2387 269
Irf., t. XIV, 28.39 273
Pais, Supplementa italica au t. V du C. I. L., 1272 260
Ephemeris Epic/raphica, t. I, 5 149
Irf., t. IV, 801 ! 109
Irf., t. IV, 802 m
Notizie degli Scavi, 1890, p. 33 209
Irf., 1892, p. 267 et 410 209
Irf., 1899, p. 15 52
liullcttino Comiinale, 1881, p. 4 281
Irf., 1887, p. 8 281
Jrf., 1892, p. 184 282
Irf., 1896, p. 68 66
Id., 1896, p. 174 213
Les inscriptions votives d'Epidaure sont citées p. 218 d'après la tra- duction de Defrassk et Lechat, Epidaurc, p. 142.
TABLE DES ILLUSTRATIONS
PLANCHE HORS TEXTE
Vue de l'île tibérine, d'après une photographie prise en 1899. Frontispice
FIGURES INSEREES DANS LE TEXTE
Pages.
FiG. 1. — Plan de l'ile tibérine, d'après les relevés de M. René Patouillard (1899) S
FiG. 2. — Vue de l'île tibérine au xviii" siècle, d'après un pastel de Vanvitelli (Home, palais des Conservateurs; 7
FiG, 3. — L'île tibérine et Visolctta au xviu" siècle, d'après le plan de Rome dressé par Nolli ( 1 748) 9
Fk;. 4. — L'île tibérine au xviii» siècle, d'après Piranesi (propriété de la Reçjia Calcografia de Rome) 34
FiG. 5. — Fragment de la décoration sculptée de l'île tibérine {Annali. deWînstituto archeolofjico, 1867, pi. K, 1) 35
FiG. 6. — Fragment de la décoration sculptée de Tîle tibérine, d'après une photographie prise par M. René Patouillard en 1899. 33
FiG. 7. — L'île tibérine d'après un dessin du recueil Orsini (Bibliothèque vaticane, Cod. lut. 3439, f° 42) 39
FiG. 8. — L'île tibérine au xvi« siècle, d'après du Pérac (Ia75). ... 39
Fi G. 9. — Fragment de l'obélisque de l'île tibérine (Piranesi, Anti- chità romane, t. IV, pi, XIV, n» 15) 43
FiG. 10. — Fragments de la Forma Urbis Romœ concernant l'île tibérine, d'après l'édition de Jordan, Berlin, Weidmann, 1874, pi. IX, 42 60
FiG. 11. — Le pont Fabricius, v^ue prise avant les récents travaux du Tibre (cliché d'Alessandri) 95
FiG. 12. — Le pont Fabricius, vue prise en 1899 (cliché de M. René Patouillard) 97
FiG. 13. — Les Hermès du pont Fabricius, d'après une photogra- phie prise en 1899 99
FiG. 14. — Restauration du pont Fabricius, d'après Canina, gli Edifizi di Roma antica, t. IV, pi. CCXLII 101
FiG. 15. — Monnaie de la gens Fabricia, d'après l'exemplaire du Cabinet des Médailles 104
FiG. 16. — Le pont de Gratien, vue prise avant les récents tra- vaux du Tibre (cliché d'Alessandri) 114
FiG. 17. — Le pont San Bartolomeo, vue prise en 1899 (cliché de M. René Patouillard) 115
352 TABLES
Pages.
Fn;. 18. — Restauration du pont Gestius, d'après Canina, gli Edifizi di lioma antica, t. IV, pi. CCXLII 118
FiG. 19. — Médaillon d'Antonin le Pieux, d'après un exemplaire du Cabinet des Médailles 176
Fk;. 20. — Bas-relief du palais Rondinini [Mittheil. des archàol. Instit., Rœm. Abtlt., iSSd, p]. IX) 182
Fus. 21. — Bas-relief du palais Rondinini {Mittheil. des archàol. Instit., Rœm. Abth., 1886, pi. X) 183
Fio. 22. — Base d'une colonne antique dans l'église Saint-Barthé- lémy, d'après une photographie prise en 1899 186
Fk;. 23. — Statue d'Esculape du musée de Naples (cliché Ali- nari) 193
Fit;. 24. — Intérieur de l'église Saint-Barthélémy; margelle de puits encastrée dans les marches (d'après une photographie). . . 199
Fii;. 25. — Ex-voto de terre cuite provenantde l'iletibérine (musée national des Thermes) 235
FiG. 26. — Inscription sur mosaïque dédiée à Jupyiter Jurarius, d'après le fac-similé de Hitschl, Priscse latinitatis monumenta, Berlin, Reimer, 1862, pi. LIX, A 256
Fk;. 27. — Plan restauré de l'île tibérine, d'après Piranesi, Anti- chità romane, t. IV, pi. XIV 320
FiG. 28. — Plan restauré de l'iletibérine, d'après Delannoy (Biblio- thèque de l'Ecole des Beaux-Arts), 1832 321
Fk;. 29. — Plan restauré de l'île tibérine, d'après Canina, ylrc/«7ef- tura antica, t. III, pi. CVIII 323
FiG. 30. — Plan restauré de l'île tibérine, d'après Canina, g-Zt Edi- fizi di Roma antica, t. IV, pl. CCXLI 325
Fk;. 31. — Vue restaurée de l'île tibérine, d'après Canina, g^/iErfi- fizi di Roma antica, t. IV, pl. CCXLIII 326
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Préface i_iv
LxTRODUGTioN. — L'îlc tlbérine dans les temps modernes et dans l'antiquité 1
Les noms, 3. — Aspect actuel, 4. — Forme et étendue de l'île dans l'antiquité, 10. — Histoire et topographie, 10. — L'île tibérine et la religion romaine, H.
LIVRE I HISTOIRE DE L'ILE TIBÉRINE DANS L'ANTIQUITÉ
Chapitre L — La légende des origines 15
Les textes, 1"». — Tite-Live, 15. — Denys d'Halicarnasse, 17. — Plutarque, 18. — Deux variantes de la tradition, 19. — La mort de Tarquin le Superbe, 20. — La vestale Tarquinia, 20. — Les moissons du Champ de Mars, 22. — Objections d'Ampère, 22. — Interprétation géologique, 23. — Appréciation, 24. — Interprétation mythologique, 26. — Appréciation, 28. — Signi- fication historique, 29. — Conclusion, 31.
Chapitre II. — Le vaisseau d'Esculape 32
L'arrivée du serpent d'Esculape, 32. — La décoration de l'île, 33.
— Le fragment conservé, 36-. — Etat des ruines au xvi^ siècle, 37. — Caractère de la décoration antique, 38. — Date de son exécution, 41. — L'obélisque, 42.
Chapitre III. — L'île tibérine à l'époque républicaine 4o
Les temples, 45, — Les soldats de Lépide, 45. — Les inscrip- tions, 46. — Liste de magistri d'un collège, 46. — Inscription funéraire, 49.
Chapitre IV. — L'île tibérine à l'époque impériale. 51
L'extension du. pomerium, 51. — La xiv^ région d'Auguste et le vicus Cemori, 53. — Autel des dieux Lares, 55. — Statues de Jules César et de Marc-Aurèle, 58. — La Forma Urbis Romie, 59. — Inscription en l'honneur d'un préfet de l'annone, 61.
— La domus Aniciorum, 64. — L'île tibérine et l'invasion van-
23
354 TABLES
Pages.
dale, 66. — Le procès du préfet des Gaules Arvandus, 67. — Inscriptions funéraires, 09. — Epitaphe d'une Volcasia, 70. — L'épitaphe de Galionia Maritima, 71. — L'épitaphe de G. Sen- tius Regulianus, 72. — Epitaphes diverses, 73. — Popa de insula, 74.
Chapitre V. — L'insula Lycaonia 76
L'ile tibérine au moyen âge, 76. — L'expressioij insuta Lycaonia dans les textes datés, 77. — Les légendes hagiographiques, 79. — Jupiter Lycaonius, 81. — Les Lycaonida, jeux du Tibre, 81. — L'église Saint-Nicolas, 83. — Saint Barthélémy et la Lycaonie, 84. — La Lycaonie province romaine, 86.
LIVRE II LES PONTS DE L'ILE TIBÉRINE
Préliminaires 91
Chapitre I. — Le pont Fabricias 93
Son importance, 93. — Structure, 94. — Les deux grandes arches, 94. — La pile centrale, 9S. — Les petites arches latérales, 96.
— Les Hermès, 98. — Aspect du pont Fabricius dans l'anti- quité, 98. — Les textes anciens, 99. — L'inscription du pont, 101. — Monnaie Fabricia, 104.
Chapitre IL — Le pont Gestius 106
Les noms, 106. — Première construction : le pontCestius, 107.
— Reconstruction au iv" siècle : le pont Gratien, 109. — Tra- vaux depuis l'antiquité : le pont San Bartolomeo, 113. — Des- cription du pont de Gratien, 116. — Détails révélés par les derniers travaux, 117. — Aspect du pont Cestius dans l'anti- quité, 118.
Chapitre HI. — Remarques sur la topographie de l'île tibérine entre les deux ponts 120
Rôle et importance des deux ponts, 120. — La rue inter duos pontes, 120. — Différences de niveau, 122.
Chapitre IV. — Les plus anciens ponts de l'île tibérine 123
Les ponts de bois, 123. — Examen des textes, 124. — Théorie de M. Mommsen et de Jordan, i2'6. — Critique, 127. — Le véritable pont /Emilius, 128. — Pons Lepidi el pons lapidens, 129.
— Le pont Sublicius et l'île tibérine, 130. — Conclusion, 132.
TABLES 355
LIVRE III LE SANCTUAIRE D'ESCULAPE
Pages.
Préliminaires 135
Chapitre I. — Les origines du culte d'Esculape 137
Esculape et Asklépios, 137. — La médecine et le culte d'Asklé- pios en Grèce, 137. — La médecine à Rome, 140. — Les divi- nités médicales des Romains : Meditrina, 141. — Attributions médicales des grands dieux, 144. — Apollon, 144. — Apollon et Asklépios, 146. — Résumé, 147. — Le temple de l'île tibérine ne serait pas le premier temple d'Esculape à Rome, 148. — Critique de cette théorie, 150.
Chapitre II. — L'arrivée du serpent d'Epidaure 152
L'introduction du culte d'Asklépios à Rome, lo2. — Tite-Live, 154. — Valère Maxime, 154. — Aurelius Victor, Orose, etc., 156. — Ovide, 157. — Ovide comparé aux textes historiques, 160.
— Appréciation de la légende, 163. — La consultation des Livres Sibyllins, 163. — L'ambassade à Epidaure, 163. — Q. Ogulnius, 164. — EppiusetRubrius,165. — Date de l'ambas- sade, 166. — Le serpent sacré, 168. — L'épisode d'Antium, 169.
— Le culte d'Esculape et l'île tibérine, 170. — Opinion des Anciens, 170. — La religion romaine et les cultes étrangers, 171. — Pourquoi le temple d'Esculape fut consti^uit dans l'île, 174. — Le médaillon d'Antonin le Pieux, 175. — Interpré- tation ancienne, 177. — Interprétation nouvelle, 177. — Cri- tique, 179. — Le bas-relief Rondinini, 181.
Chapitre III. — Le temple d'Esculape et ses dépendances 184
Fondation et fête annuelle, 184. — Position et vestiges, 185. — Discussion d'une hypothèse de Canina, 186. — Orientation, 188.
— Le temple sous la République, 189. — Le temple sous l'Empire, 191. — La statue d'Esculape, 193. — Aspect et déco- ration du temple, 195. — Les dépendances du temple, 198.
Chapitre IV. — Le culte d'Esculape dans l'île tibérine 203
Caractères de ce culte, 203. — La médecine sacerdotale à Rome, 204. — Le Curculio, 205. — L'exposition des esclaves malades dans l'île tibérine, 207. — Les inscriptions, 208. — Inscriptions latines archaïques, 208. — Inscriptions latines postérieures, 210. — Inscriptions grecques, 212. — Les tablettes votives dans les Asklépieia, 217. — Les prescriptions d'Esculape, 220.
— L'incubation, 223. — Les animaux sacrés, 226. — Les ex-
3(S# TABLAS
Pages.
voto, 229. — Usage et rôle des donaria, 229. — Les donaria de l'île tibéiine, 230. — Caractères généraux, 233. — Descrip- tion, 234. — Les favissx du temple d'Esculape et les boutiques d'objets de piété, 237.
Chapitre V. — La fin du culte d'Esculape à Rome 239
Les religions orientales et le christianisme, 239. — La légende de saint Emigdius, 240. — Persistance du culte d'Esculape, 241. — La fête des saints Exuperantius et Sabinus, 242. — Hôpital et hospice dans l'île tibérine, 243,
LIVRE IV LES CULTES SECONDAIRES
Préliminaires 247
Chapitre I. — Jupiter Jurarius et Vejovis , 249
Examen d'un passage de Vilruve, 249. — La fête de Jupiter et de Vejovis dans l'île, 251. — Jupiter et Vejovis, 252. — L'ins- cription dédiée à Jupiter Jurarius, 255. — Emplacement du temple, 258. — Jupiter Jurarius ou Lurarius, 259. — Date de la construction du temple, 262. — Le culte de Jupiter Jura- rius dans l'île, 265. — Le culte de Vejovis dans l'île, 269.
Chapitre IL — La statue de Semo Sancus 273
La dédicace de Sextus Pompeius Mussianus, 273. — La légende de Simon le Magicien, 274, -— Le culte de Semo Sancus à Rome, 279. — Caractère et nature de Semo Sancus, 282. — La décurie des sacerdotes bidentales, 28o. — Le culte de Semo Sancus dans l'île tibérine, 286.
Chapitre III. — Le temple de Faunus 290
La fête de Faunus dans l'île, 290. — Position du temple, 291. — Style de l'édifice, 292. — Date de la construction, 292. — MuUaticiiim argentiim, 292. — Le culte de Faunus et l'île tibérine, 294. — Cai^actère véritable du dieu Faunus, 295. — L'Aventin, les Lupercales, le Septimontimn, 298. — La fonda- tion du temple de l'île tibérine, 301.
Chapitre IV. — Le sacellum de Tiberinus 304
Le culte des eaux, 304. — Le culte de Tiberinus à Rome, 305. — Antiquité de ce culte, 300. — Ses manifestations, 307.— La fête de Tiberinus dans l'île, 308. — Le sacellum, 308. — Tiberinalia et Portunalia, 309. — Tibcrinalia et Volturnalia, 312.
TABLES 357
Pages.
Conclusion. — Topographie de l'île tibérine dans l'antiquité 317
L'île tibérine au siècle des Antonins, 317. — Les ruines, 318. — Les textes et les monuments figurés, 319. — Plans, des- sins et restaurations, 322. — Les édifices de l'île tibérine dans l'antiquité, 324.
Appendices 329
I. Bibliographie, 331. — IL Iconographie, 335. — III. Liste des ruines et objets antiques encore en place dans l'île tibérine, 338. — IV. Liste des principales fouilles effectuées dans l'île tibérine depuis l'époque de la Renaissance, 339. — V. Liste des monuments figurés provenant de l'île tibérine ou la con- cernant, 340. — VI. Tableau chronologique des événements intéressant l'histoire de l'île tibérine dans l'antiquité, 342.
Tables 345
Table des principaux textes littéraires cités, 347. — Table des inscriptions citées, 349. — Table des illustrations, 351. — Table des matières, 353.
Tours, imprimerie Deslis Fkkhes, 6, rue Gambetta.
ERRATA
Page H, ligne 27, supprimer le second « et ».
— 17, note 2, ligne 1, lire : ^v, au lieu de : ?|V ; ligne 5, lire : in\ taï? xaXci[j.at;.
— 18, note 1, ligne 6, lire : tô, au lieu de : xô.
— 46, note 1, ligne 2, lire : rjv, au lieu de : ^v.
— 59, ligne 23, lire : « palais Farnèse; on ne prit soin etc. »
— 63, ligne 24, lire : « l'un », au lieu de : « l'une ».
— 79, note 2, ligne 3, supprimer les guillemets.
— 87, note 1, ligne 4, lire : « p. 580 », au lieu de : « p. 5803 ».
— 96, ligne 36, supprimer les deux virgules.
— 100, note 6, ligne 4, lire : « in ponte Judœorum».
— 104, ligne 24, lire : « L. FABRIC », au lieu de : « L. FABRIGI »; ligne 28,
lire : « Fabric{ius) *, au lieu de : « Fabri{cius) » ; ligne 29, lire : « gens », au lieu de : « gens ».
— 108, note 12, ligne 1, lire : « Prœfectura », au lieu de : « Prœfaclura ».
— lil, ligne 13, lire : « ponte Sisto », au lieu de : « ponte Sisto ».
— 136, ligne 8, lire : « en ce coin », au lieu de : « sur ce point ».
— 138, ligne 24, lire : « devaient », au lieu de : « devait ».
- 144, ligne 26, supprimer la virgule et lire : «decemviri sacris faciundis».
— 145, ligne 3, lire : « faciundis », au lieu de : « facundis ».
— 150, ligne 3, supprimer le second « Hercles ».
— 157, note 5, ligne 4, supprimer le second « atque ».
— 158, note 3, lignes 3 et 4, lire les deux fois : « Apolline », au lieu de :
« Appoline ».
— 176, ligne 15, lire : «vers le serpent; », au lieu de : « vers un serpent; ».
— 190, ligne 25, lire : « Cette œdes », au lieu de « Cet aedes ».
— 199, ligne 3, lire : « Tricca », au lieu de : « Trikka ».
— 207, lignes 18 et 19, lire : « en l'an 801 de Rome, 47 après l'ère chrétienne ».
— 208, ligne 2, lire : « du livre VI », au lieu de : « du même livre ». — Il
convient d'ajouter que le texte de loi cité ici n'émane pas de Justinien lui-même et n'est qu'une restitution conjecturale des commentateurs.
— 209, note 3, ligne 1, lire : « Scavi », au lieu de : « Savi ».
— 211, ligne 23, lire : « l{œtus) », au lieu de : « laetus)».
— 213, ligne 29, lire : « s'encastrait », au lieu de : « s'encadrait ».
— 218, ligne 4, lire : « Tricca », au lieu de : « Trikka ».
— 225, note 5, lire : « Plutonion d'Acharaca», au lieu de : « Plutonium d'Acha-
raia ».
— 233, ligne 6 et note 2, ligne 1, lire les deux fois : « Oppenheimer », au
lieu de : « Oppeheim » et « Oppeheimer ».
— 236, ligne 5, lire : « donaria », au lieu de : « donaria ».
— 256, ligne 33, lire : « ff^ilii) », au lieu de : « f{ili) ».
Page 262, ligne 6, lire : « aussi bien que dans le de Archtteclura de Vitruve et dans les etc. ».
— 265, ligne 27, lire : « campagne », au lieu de : « compagne ».
— 266, ligne 2, lire : « Drixia », au lieu de : « Brixia ».
— 26T, ligne 29, lire : « deviner », au lieu de : <■ donner ».
— 269, ligne 26; p. 270, lignes 1 et 5; p. 271, ligne 32, lire partout : « Bo-
villae », au lieu de : « Bovilla ».
— 271, ligne 22, lire : « que Jupiter se soit substitué ».
— 271, note 2, lignes 4 et 6, lire les deux fois : « Lycoris », au lieu de :
« Lucaris ».
— 273, ligne 15, lire : « aedil[icio », au lieu de : « xdil[cio ».
— 273, lignes 20 et 21, lire : « scribe des questeurs, scribe des édiles ».
— 278, ligne 24, lire : « Grec », au lieu de : « grec ».
— 284, note 6, ligne 1, lire « Fuloent., ».
— 285, note 3, ligne 1, lire : « X, 7 (8) ».
— 290, ligne 4, lire : « [D eid{us) », au lieu de : « [Deid{us) ».
— 292, notes 4, lignes 1 et 2, supprimer la virgule entre « Scrlbonius » et
« Curio ».
— 296, note 5, lire : « VilelL, i. ».
— 297, note 5, lignes 1 et 2, lire : « Deubner, de Incubatione ».
— 299, ajouter au début de la note 1 : « Ungbk, die Lupercalien, dans le
Rheinisches Muséum, 1881, p. oO. — ».
— 343, ligne 5, lire : « 47 après Jésus-Christ », au lieu de : « 54 après Jésus-
Christ ».
BIBLIOTHÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
PUBLIER
SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
FASCICULE QUATRE-VINGT-SEPT
LTLE TIBÉRINE
DANS L'ANTIQUITÉ
Vf- ■
PAR
Maurice BESNIER X/ ^ :'^ V
'^ ■"■ -t't J
ANCIEK MEMBRE DE L ÉCOLB FRANÇAISE DE ROME,
CHARGÉ d'us cocas COMPLÉMENTAIRE A LA FACULTÉ DES LETTRES
DE l'université DE CAES.
Ouvrage contenant trente-deux gravures dont une hors texte en phototypie
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE THORIN ET FILS
ALBERT FONTEMOING, ÉDITEUR
Libraire des Écoles Françaises d'Athènes et de Rome, du Collège de France
et de l'École Normale Sapérieure
4, RUE LE GOFF, 4
1902
BlBLl()THf.OIlE"nF.S tm.¥S FFiANÇAlSKS D'A Tflf.NKS F.T DK ROÎirE
VOLUME D'INTRODUCTION : MhuontR si « v.nr. Mission ai M., m Aiihi.- Suivi .l'un uioiiioirf sur un atnbun conservé h Saloiiii|iic. lu repp-sentaliou dos Ma^»^s en Orient et en Orciiienf dnrfliit 1''^ proiniers siècles, par MM. l'abbé iJc- (.iiESNK. (le rinstilii ' i i-i» de Floine, et Ch. IUykt, aiiciiii nioiiibrf li < et de Kruue, recteur de
lArailtiuiede l.ilK . . .. .;, ,, ,.■.- ,. ., jil. en photo^Taphic 8 fr.
FASCICULE L l. KiroK .si;« lkLikkk Puni iku.a ms, par M. Ijii)hé Dlt.iiksnk. 2. Hh^ihekchks sl'u les MANitscnrrs AiiciiKoi.odiQtK.'* uK. Jacquks Ghimai.di, par M. E. jMu.ntz. 3. Etude suh leuvstkkr i»k .-«ainte .\oNks. par M. CLÉhAT. 10 fr.
II. Essai rjir les mond.'uents okecs et iujmai.ns helatifs au mvtiib de Psyché, par M. M--^ '■ S-fr. :iO
ni. (l\TAi.' ' i>i; Misée dr i.a Société akchéoi.ouique d'Atiiknes, par M. M avec sept plancbes gravées) "..... iO fr.
IV. Le.S AHÏS a I.A COtJH â>hS l'AMKS PENDANT Ï.E XV* ET LE XVI* SIKOI.R, pdf M. E.
Mi.NTZ, membre rie l'Instiliit. i"f \t\riF.. {Ouv. couronné par rinstitut). » >
^'. /(.— C.^ <■ ' "■ : le XXVIIli, conl«MDt les i' et a« p«rlios do travail
de routeur. L. iB francs pri? ensemble. ,
V. I.NsciuPTioss i.sEs, recueillies par M. E. Fkrmque, ancien nieoil r iie Home 1 fr. r)0
VI. Notice si;n i.a bihliotiikqur Vaticane. Richahdle Poi- tevin, par M. ; -. ,,avec une planche en héliogravure). 5 fr.
VII. Du iioi.E lUsTOiaotE DE BKitTHAisD pï lionN, par M. Léon Gi.édat 4 fr.
VIII. Heciiehciies AhCHKOLOdiQUEs si'K LES ILES loMENMiS. 1 . CORFOU, par M. Olhon RiKMANN (av. deux pi. hors texte, et trois bois intercalés dans le texte). 3 fr.
IX. Les auts a la couk des i'apes- pendant le xv° et le xvi* siècle, par M. En- j,'éne MiîNTz. Hi ''■■•■ -MtTiE. 1 vol.avecdeuxplanchesenhéliogravure. !2 fr.
.V. /'. - ('' vKSd qu'avec le.VXVllIc, coatenanl la J* parité du trarail du l'auteur (Voir
(•L-alfiiicnt ci-û' \ OH 1'» parlie de cet ouvrafe).
X. HlAlIFIKIIKS l-fii n> riutH A l'hISTOIIIE DE LA l'RINTCliE ET DELA SCULPTL'RE ClinÉ- TIENNES en OitlE.NT AVANT LA QUEHELLE DES ICONOCI.ASIES, par M . Ch. BaYET.4 f. 50
XI. EiUDE sur la LANGUE ET LA GRAMMAGE DE TlTE-LlVE, pat M. 0. RiEMANN. 9 fr.
XII. Reciierches akchéologiques sur les ILES loNiE.NNE». M. CEPHALONIE, par M. Otbon RiEMANîi (avff une carf,e). Voir fasc. VIII et XVI 11 3 fr,
XIII. I)f ConiHici's M<^- Pu li, IN BiBLioTUECA Alexaudrino- Vaticana sche- das exciissit L. IM ilicie in Urbe scholîK olini socius 1 fr. 50
XIV. Notice sir les . .is des poésies de saint Paulin de Nole, suivie
d'observations sur le texte, par M. E, Châtelain -4 fr.
XV. Inscriptions noLiAniEs i.atlnes. Marques de briques relatives à «ne partie lie \;i gens Down^ia, recueillies et classées par M. Ch. DESCEMET(au. fi</.) 12fr.50
XVI. Catalogue des figurines es terbe clitk du musée de la Société abciiéolo- oiQUE d'Athènes, par M. J. Martha (avec 8 belles planches en héliogravure hors texte, et un l)ois intercalé dans le texte) 12 fr. 50
XVn. Etude sur P;»éneste, ville du La tium, par M. Emmanuel Fermque, avec une grande carte et trois planches en héliofçravHre 1 fr. ÔO
XVIII. Reciierches archéologiques sur les îles Ioniennes. 111. ZANTE. IV. CERIGO.V. APPENDICE, par M. Otbon Riemann (av. 2 cartes hors texte). 3 fr.50
XIX. Chartes de terre sainte provenant de l'Aubayb de N.-D. de Josaphat. par ll.-François Dki.abordf., avec deux planches en hélioeravure 5 fr.
XX. La Trière athénienne. Etude d'archéologie navale, par M, A. Cartault (avec 99 bois intercalés dans le texte et 5 planches hors texte) 12 fr.
Ouvrage ciuionué par l'.Associatiou , Liment des éludes ffrecques en France.
XXI. Etudks iiÉi'iuRAiMiiE .lURiiiK Iques inscriptions rcbUives à l'admi- nistration fie Dioclétien. 1 1. • >r per Ilaiiam. 11. I.e Mayisler sacra- )u»i cognilionum, pdt M. Edouard (.VQ 5 fr.
XXn. Etude sur la chronique bn prose de Guillaume le Breton, par H.-François Delarohde 2 fr.
XXIII. L'AscLÉPiEioN d'Athènes d'apkè^s de récentes découvertes, parM.P.GiHAHD 'avec ujie grande carie el 3 planches en héliof/ravure).. 5 fr. 50
XXIV. Le Manuscrit dIsocrate Urbixas cxi de la Vaticané. Description et HISTOIRE. Récession du pa.néoyrique, par M. Albert Martin 1 fr. 50
XXV. Nouvelles recherches sur l'Entrée de Spagne, chanson de oestk franco- italienne, par M. Antoine Thomas. 2 fr.
XXVI. Les sacerdoces athéniens, par M. Jules Mautha. . ., 5 fr.
XXVn. Les Scolies du manuscrit d Ari.stophane a Ravenne. Exode et coli iTion,
par M. Albert Martin , 10 fr
XXVHÏ. Première section. Les arts a i.a cour des papes pendant le w" et i.e XVI' siècle, par M. Eugène Muntz, uiembre de l'Institut. Troisiène partie. Preiiiiéri '' deux planches^. Voir fasc. IV et IX 12 fr.
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XXIX. Li - sAT romain. Recherches .sur la formation et la disso- lution du Sénat patricien, par M. G. Bi.och 9 fr.
XXX. F.TI de sur les LÉCYTHES blancs ATTIQUES a REPHKSBNTATIOnS FUNÉRAIRES.
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XXXI. Le culte de CASToii et Pol;,ux zn Italie, par M. Mau.ice .\lbert (avec trois planches'! 5 fr. 50
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XXXII. l.is AitcmvEs df. i.v lîiBi.ntriiKuCK i;r i.e Tiiksou dk i.'OnrutK ok Saint-Jean OK JÉiuiS.vLEM A Maute, par M. Delà VILLE le Houlx 8 fr.
XXXIII. Histoire nu cllte oes Divinités r'Alexaniirie, par M. Georges Lafaye (avec ii planches) ....-.....,; . 10 fr.
XXXIV. Teuracine. Essai d'histoire locale» par M. R. de La Blancuébe 'avec deux eaux-fortes et cinq planches dessinées par l'nuteurj \ . 10 fr.
XXXV. Vhancesco da Barherino et la LirTÊRATURB provençale en Italie au MOYEN AGE, par M. Antoine Thomas *. 5 fr.
XXXVI. Etude DU DIALECTE chypriote moderne et médiéval, p. M. llEAUDOuiîf. 5 fr.
XXXVII. Les transformations politiques de l'Italie sous les empereurs romains (43 av. J.-C.-330 apr. J.-C), par M. G. Jullian ; 4 fr. iiO
XXXVIII. La vie municipale en Attique, pap M. B. Hai'Ssoullier 5 fr.
XXXIX. Les figures criophores dans l'art grec, l'art gréco-romain et l'art chrétien, par M. A. Vyries 2 fr. 25
XL. Les LIGUES ÉTOLiENNE et achéenne, f>ar AI. Marcel Dubois (av. 2 pi.)... 1 fr.
XLI. Les stratèges athéniens, par Am. IIauvette-Besnault 5 fr.
XLII. Etude sur l'histoire des sarcophages chrétiens, p. M. R. Gbousset. 3 fr. 50
XLIU. La librairie des papes d'Avignon. Sa formation, sa composition, ses cata- logues (1316-1420), d'après les registres de comptes et d'inventaires des archives vaticanes, par M. Maurice Faucon. Voir fasc. L. Tome I.. 8 fr. 50
XLIV-XLV. I. La France en Orient au quatorzième siècle. Expédition du maré- chal Boucicault, par M. Delaville le Roulx. 2 beaux volumes 25 fr.
XL VI. Les Archives angevines de Naples. Etudes sur les registres du roi Charles I" (1265-1285), par M. Paul Dubrieu. Voir fasc. Ll. Tome I. 8 fr. 50
XL VII. Les cavaliers athéniens, par M. Albert Martin. 1 très fort volume. 18 fr.
XLVIII. La bibliothèque DU Vatican au quinzième siècle. Contributions pour servir à l'histoire de l'humanisme, par MM. Eugène Muntz et Paul Fabre. 12 fr. 50
XLIX. Les Archives de l'intendance sacrée a Délos (315-166 avant J.-C.), par M. T. IloMOLLE, membre de l'Institut {avec un plan en héliof/rav.). 5 fr. 50
L. La Librairie des papes d'Avignon. Sa formation, sa composition, ses cata- logues (1316-1420), par M. Maurice Faucon. Voir fasc. XLIIl. Tome H.. 1 fr.
LI. Les Archives angevines dk Naples. Etude sur les registres du roi Charles I" (1263-1286), par M. P. Durrieu. T. II et dernier (au. 5 pi. en héliograv.) 14 fr.
LII. Le Sénat romain, depuis Dioclétien, a Rome et a ConstÀntinople, par M. Ch. Lécrivain 6 fr.
LUI. Etudes SUR l'ad.ministrat. byzantine dans l'exarchat de R.\^venne (568-751), parCh.DiEHL, anc. m. des Ecoles de Rome et d'Athènes (épM?sé). Net. 15 fr.
LIV. Lettres inédites de Michel Apostolis, publiées par M. Noiret, ancien membre de l'Ecole de Rome {avee une gr. planche en héliograv.). ... 1 fr.
LV. Etudes d'archéologie byzantine. L'Eglise et les mosaïques du couvent de St-Luc, en Phocioe, par Ch. Diehl, anc. memb. des Ecoles françaises de Rome et d'Athènes [av. sept bois interc. dans le texte et une pi. hors texte). 3 fr. 50
LVI. Les Manuscrits de Dante et de ses commentateurs, traducteurs, bio- graphes, etc., conservés dans les bibliothèques de France. Essai d'un cata- logue raisonné, par L. Auvray {avec deux planches en héliogravure). . & fr.
LVn. L'orateur Lycurgue. Etude historique et littéraire, par M. Durrbach, ancien membre de l'Ecole française d'Athènes 4 fr.
L'TUI. Origines et sources du roman de la Ro^, par M. E. Langlois, ancien membre de l'Ecole française de Rome 5 fr.
LIX, Essai sur l'administrât, du royaume de Siciles. Charles I" et Charles II d'Anjou, par L. Cadier, anc. membre de l'Ecole française de Rome.. 8 fr.
LX. Elatée. — La ville. Le temple d'Athéna Cranaia, par Pierre Paris, ancien membre de 'Ecole franc. d'Athènes {avec nombreuses figures dans le texte et 15 planches hors texte) 14 fr.
LXI. Documents inédits pour servir a l'histoire de la domination vénitienne en Crète de 1380 a 1499, tirés des archives de Venise, publiés et analysés par H. Noiret. ancien membre de l'Ecole de Rome {avec une carte en couletir de Vile de Crète) 15 fr.
LXII. Etude sur le Liber Gensuum de l'Eglise romaine, par M. Paul Fabre, ancien membre de l'Ecole française de Rome T fr.
LXin. La Lydie et le monde grec au temps des Mermnades (687-546), par M. Geoges RadetI ancien membre de l'Ecole française d'Athènes {avec une grande carte en couleurs hors texte) 12 fr.
LXIV. Les Métèques athéniens. Etude sur la condition légale et la situation morale, le rôle social et économique des étrangers domiciliés à Athènes, par M. Michel Clerc, ancien membre de l'Ecole française d'.\thènes.. . 14 fr.
LaV. Essai sur le règne de l'empereur Domitien, par M. Stéphane Gsell, ancien membre de l'Ecole française de Rome 12 fr.
LXVI. Origines françaises de l'architecture gothique en Italie, par M. C. En- LART, ancien membre de l'Ecole française de Rome {avec 131 figures dans le texte et 34 planches hors texte). .....'. 20 fr.
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LXVn. Origine des cultes arcadiens, par M. Bérard, euicien membre de lEcoIe française d'Athènes (avec 17 figwes) 12 fr. 30
Ourrsçe couronné par l'Iustitut (prix S.\INTOUR).
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M. ^ (le rKcole française d" Athènes {avec b pi" _ 'w) ! 8 fr.
LZX. Histoire dk Uuanche: oe Cahtilue, par M. Elle Bi(RoeR, ancien membre de l'Ecole fruiKviise de Home J2 fr.
Oarrage cuyruuu« par TAcadéuiie de la»eripUi>iisot [!• " ' T ""•""'. . 1895.
LXXL Lct) Ohioi.nf.s du thkatke lyuiûce mom hopb
ava.it Liji.i.y kt Si:ahlattj, par .M. Hou.,;.;. J... . . i ■ de
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LXXIY. Catalogue des bronzes trocvé» sur l'Achopole d'Athèjibs, par M. A. de HiooER, ancien membre de l'Ecole fr.mçaise d'Athènes, niaJtre de confé- rences à la Faculté d'Aix (nvei- 340 fit/ures intercalées dans le texte et huit héliogravures hors texte). Un beau volume sur papier de luxe 25 fr.
LXXV (;t LXXVI. Louis XII kt Ludovic Sfobza. par M. L. Pklissier, ancien membre de l'Ecole française de Home, professeur à la Faculté des lettres de Montpellier. Deux beaux volumes 30 fr.
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LXXVn. Les Mines ou Laurion i>ans i-'àntiquité, par M. E. Ahdaiixon, ancien membre de l'Ecole française d'Athènes, chargé du cours de géographie à l'Université de Lille (ouv. contenant 26 gravures dans le texte, une planche en phololypie hors texte et une carte du Laurion en 6 couleurs) 12 fr. 50
LXVIII. Mantinke et l'Arcawe Orientale, par Gustave Fougères, ancien membre de l'Ecole française d'Athènes, chargé du cours d'Archéologie et dilistoire de l'art à l'Université de Lille. Un fort volume [contenant qualre- viiir/ts fii/itres dans le texte, six héliograoures, une photolf/pie et un plan de Manlinée hors texte, plus deux grandes cartes en six couleurs] 20 fr.
Ourrcg-e eouroané par i'inilitut (prit HORUINj.
LXIX. Etude sur Thkociute, par Ph.-E. Leorand, ancien membre de l'Ecole française d'Athènes, maître de conférences à la Faculté des lettres de TUni- versité de Lyon. Un fort volume in-S" cavalier 12 fr. 50
Ouvrage eouroané par l'Iastitat (prix SAINTUUR).
LXXX. Les Archives i>b la Chambre apostolique au xiv» siècle, par Joseph de LoYE, ancien membre de l'Ecole française de Rome, archiviste du départe- ment des Basses-PjTénées. — 1" partie : Inventaire 8 fr.
LXXXI. Le Bas-Relief Romain a représentations historiques. — Etude archéo- loi,M(jue, historique et littéraire, par M. Edmond Courbauo, ancien membre de l'Ecole franc i H .me. Un volume in-8* {contenant 18 gravures, dont 5 hors texte e/- ' Bert/iaiidi.. 12 fr, 50
Ouvrage tourou^ i (prix UEE.ALANDE-GUÉRINEAU).
LXXXII. Essai sur Suétone, par Alcide Mack, ancien élève de l'Ecole normale sui)érieure, anc. membre de l'Ecole française de Home. Maître de conférences à l'Université de Rennes. Un vol. in-8 .'. 12 fr. 50
Ourran^e oonroooi par l'Iaatitut (prix SAINTOUR).
LXXXni. Etude sur les Gesta Martvrum romains, par .\lbert Dufourcq, anc. élève de l'Ecole nonn. supérieure et de l'Ecole française de Home, membre de rinslltut Thiers, agrégé d'histoire et de gcograpfiie. Un vol. iu-8 {conte- nant six gravures hors texte en phololypie 12 fr. 50
Ourra^ courosoè par l'Académie des Inscriplioos et Belles-Lellres (prix BORUINJ.
LXXXIV. Carthaoe Ro.yiainr(146 av. J.-G. — 698 après J.-C), par Aug. Audoli.ent, ancien membre de l'Ecole française de Home, maître de conférences à la Faculté des lettres de l'Université de Clermont-Ferrand {contenant trois caries en noir et en couleurs, dont deux hors texte). Un volume... 25 fr.
LXXXV. Catalogue des Vases peints nu musée national d'Athènes, par Maxime CoLUGNON, membre de l'Institut, professeur à la Faculté des Lettres de l'Université de Paris, et Louis Couve, ancien membre de l'Ecole française d'Athènes, maître de conférences ù la Faculté de l'Université de Nancy. Un fort Viilume 25 fr.
APPENDICE L Carte archéologique de l'île dï Uélos H893-1894), par .MM. E. Ar- DAiLLON, ancien membre de l'Ecole française d'Atnènes, professeur de géo- graphie k l'Université de Lille ; H . Conveht, conducteur des Ponts et Chaussées, an-,ien chef des travaux techniques aux fouilles de Delphes. Notice et trois feuilles grand aigle (0,80 x 0,95) à l'échelle de 1/2 000* en quatre couleurs. , Prix: 25 Tr. — Collée sur toile et pliée au format de la notice in-4* raisin: 38 fr. — Prix de la carte collée sur toue et montée sur gorges et rouleaux : 40 fr.
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B]BL(OTIIÈQUE DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
DEUXIÈME SERIE (format grand in-4 raisin, sar deux colonnes), publiée ou analysée d'après les manuscrits orig-inaux du Vatican et de la Bibliothèque nationale. — Le prix de souscription est établi à raison de 60 centimes par cliaaue feuille de texte et 1 fr. par planche de fac-Flmilé — Aucun fascicule n'est vendu séparément.
ÉTAT DE LA l'UUIACATlO.X AU 1, FtS'UlEli \%n
OUVRAGES EN COURS DE PUBLICATION
française de Rome. — L'Académie des Insciipiions et Belles-Lettres a décerné ;i l'auteur, pour cet ouvrage, le Premier Prix Gohcrt (séance du 1"' juin 18>S8). — N. B. Ce grand ouvrage parait par fascicules de 20 à ?5 feuillçs. Il se coui|)Oi'era de "270 à 800 feuilles environ, formant 4 beaux volumes. — Les tables, formant un volume à part, sont en cours de publication. Prix dés trois premiers volume : 115 fr. 50.
r LES wwmn m \mm xi (i;m-i;]0O, ancien m^mbSTrEcoiè
française de Rome. — Cet ouvrage formera un beau volume. 11 est publié par fascicules de l,i à 'JO feuilles environ. — L ouvrage complet se composera de SO à 100 feuilles. — Les quatres premiers fascicules sont en vente. Prix : 43 fr. ^0. Le cinquième et dernier fascicule est sous presse.
r LES REGISTRES DE ROMFACE YllI (122^I30;0, ^Sn^^SS
¥\ucos et Antoine Tuo.m.\s, anciens élèves de l'Ecole des Charte.*, membres de l'Ecole française de Rome. — Cet ouvrage formera troii volumes, et sera publié en "200 fealllesde texte environ. — Les trois premiers fuscicnles, le cinqinènie elle sixième sont en vente. Le quatrième est sous presse. Prix des cinq fascicules: .^4 fr.
r LES REGISTRES DE î^ltOLiS IV (1288- 1292), ^'l^Ls'ancÏÏm'emÊre de l'Ecole française de Rome. — A'. B. Cet ouvi'age formera environ 120 feuilles, divi- sées en deux volumes. — Les neuf premiers fascicules sont en vente. Prix : H* fr. 80. — Le dixième et dernier fascicule, devant contenir l'introduction, l'errata et le titre, est sous jn-esse.
r LE LIRER CENSILM DE L'EGLISE ROMAI\R, S^lk^S^S^^Sî
membre de l'Ecole française de Rome. — ^y. H. Cet ouvrage formera environ îao à 150 feuilles, divisées en deux volumes. — Les deux premiers fascicules ont pafu. Prix : 33 fr. 10. - Le troisième fascicule est en préj)ai'ation.
r LES REGISTRE,S DE GRÉGOIRE IX (1227-I2il), '%<^:^^,
ancien membre de 1 Ecole française de Rome. — Cet ouvrage formera trois volumes et sera publié par livraisons, de 15 à 20 feuilles environ. — l>'ouvpage complet, formera environ 150 à UiO feuilles. — Les sept premiers fascicules, dont cinq forment le tome I complet (58 fr. 00), sont en vente. Prix : 70 fr.'50. — Le huitième fascicule est sous presse.
W LES REGISTRES DE CLÉMENT ïï (1265-1268), r/anl.s.^tdS
membre de 1 Ecole française de Rome. — Cet ouvrage formera un volume, et sera pu- blié par fascicules de 15 à 2U feuilles environ. — L'ouvrage complet formera 70 feuilles environ. — Les trois premiers fascicules ont paru. Prix : 25 fr. 80. — Le quatrième fas- cicule est sons presse.
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par MM. J. Glir.xud et L. G.adier, anciens membres de l'Ecole française de Rome. — Les Reyisires de Grtgoi e X et de Jean XXI (réunis en une seule publication) formeront un beau volume. — Ils seront publiés par fascicules de 15 à 2U feuilles environ. — . L'ouvrage entier se composera de BO feuilles environ. — Les_ trois premiers fascicules ont paru. Prix : 2t) fr. 10. — Le quatrième fascicule est sous presse.
ir LES REGISTRES D'LRRAIX IV (126l-126i), !;.^;'L?nb?e"rrÈ^,?ê
française de Rome. — Cet Ouvrage formera trois volumes dont un est occupé par le Kegistre dit Caméral. — L'ouvrage complet formera IfiO à 180 feuiles environ. — Le Reijistre dit Caméral (tome I complet') a paru. Prix : 15 fr — Les quatre premiers fas- cicules du Jieif,istre ordinaire (tome II complet) et le cinquième fascicule commençant le tome III ont paru. Prix : 4Ç fr. 80. Prix total : 61. fr. 80. — .Sous presse le sixième fasci- cule du Registre ordinaire. T<jme 111.
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1 Ecole française de Rome. —Cet ouvrage formera un volume et paraîtra en quatre fasci- cules. — Il formera environ GO feuilles comprenant, avec les bulle», une introduction, un appendice et les tables. — Le premier fascicule a paru. Prix : 8 fr. 40. — Le deuxième fascicule est sous presse. ;
Ifl" ICV nVûli!TUC(! nMIK'VI\ini)Ii' IV par ALM. Bovrfl de l.*. Roncière, de ID LEi> nl!inliSinrii> U .^liKAAlMlIlL IV, Loye et Coulon. anciens membres de l'Ecole française de Home. — Les Registres d'Alexandre IV formeront deux volumes. — Ils seront publiés par fascicules de 15 à 20 feuilles environ. — L'ouvrage entier se com- posera de 20» feuilles environ. — Les quatres premiers fascicules ont paru. Prix : 36 fr. 75. — Le cinquième fascicule est sous presse.
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Rome. — Les Registres de Martin 7 V formeront un iolume et paraîtront en quatre fas- cicules. — L'ouvrage formera environ 80 feuilles. — Le premier fascicule a paru. Prix : 8 fr. 40. — Le deuxième fascicule est sous presse.
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' 4*-INNO0ENT \ Js M. Doprez, membre de l'Ecole française de Rome, (t'n prép.)
5"''UfcB'AIN V ■;; M. Lecacheux,anc. membre de l'Ecole française de Rome. —
0* GREGOIRE XI ( l:i7u 1:J78), M. Mirol, anc. membre de l'Ecole française de Rome. {S. presse) .. f I ^1, . ■
"^^yV^^-i^f de paraître ;
KVIGE DES MONUMENTS HISTORIQUES DE L'ALGÉRIE
-^EgS^MONUMENTS ANTIQUES DE L'ALGÉRIE
««.
Par Stéphane QSELL
^_ (t^* ' , F'rofesse'ur à l'Ecole supérieure des Lettres et directeur du Musée d'.Mger
fjTjVHAGE PUliUÈ SOUS LES AUSPICES DU GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE
'J forts volumes ersind in.;:§, contenant IWi planches hors texte en pholotypie et de très
noinbrpusos illustrations dans le texte. Prix '. 40 »
Chaque voliirae e»l vendu séparément 20 »
Sous presse ;
ÉCOLE DE ROME
L'ART DANS L'ITALIE MÉRIDIONALE
Par Emile BERTAUX Ancien membre de l'Ecole française de Rome Tome premier De la fin de l'Empire Romain à la conquâte de Charles d'AnJoa (1270)
î'n beau volume in-4 raisin, orné de 30 planches hors texte, dont une sur grand-aifilc et de très nombreuses figures d'après les photographies et dessins de l'auteur
Sous presse :
HADRIEN ET LÀ VILLA IMPÉRIALE DE TIBUR
'texte et uxuKTRATioNs par Pierre OUSMAN Chargé d'une mistion spéciale en Itulie par M. le Ministre de l'Instruction Publique et des Ueaux-Arts
p&Aface ob Gaston BGISSIEB
Secrétaire perpétuel de l'Académie française, membre de l'Académie dei Inscriptions et Belles-Lettres
Un fort volume ln-4 raisin, orné de 350 illustrations dans le texte et 10 gravures hors texte en couleurs
Tours, imprimerie Deslis Frères, rue Gambetta, 6.
GETTY CENTER LIBRARY
3 3125 00132 4124
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