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L'Introduction de la Scolastique

DANS RENSEIGNEMENT SECONDAIRE

MILES CHRISTI

L'Introduction

de la Scolastique

DANS

L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

UNE EXPÉRIENCE ET QUELQUES RÉFLEXIONS

BLOUD & GAY

ÉDITEURS PARIS ^^ BARCELONE

3, Rue Garancière 35, Calle del Bruch

1918

Tous droits réservés

MAY 221936

9733

N1H1L OBSTAT E. Peillaube

1MPR1MAIUR

Parisiis, die 29* Novcmbris 1917

A. Baudrillart V. g. cens.

O THOMA,

LAUS ET GLORIA

PR.EDICATORUM ORDINIS,

NOS TRANSFER AD CŒLESTIA,

PROFESSOR

SACRI NUMINIS

DILECTISSIMIS DISCIPULIS

ex irno corde

ut sint et Ipsi unamecurn in prœlio

Veritatis

MILITES CHRISTI

APPROBATION DE S. E. LE CARDINAL DUBOIS

ARCHEVÊQUE DE ROUEN

Rouen, le 19 avril 1917.

Monsieur le Professeur,

Vous me demandez une approbation pour la petite brochure que vous vous proposez d'édi- ter sous ce titre : V introduction de la Scolasti- que dans l'enseignement secondaire. Une expé- rience et quelques réflexions.

Je veux faire plus que vous approuver. Je souhaite vivement que votre expérience soit imitée et vos réflexions pratiquement compri- ses par tous vos collègues de l'enseignement philosophique.

Votre brochure est un plaidoyer clair, ar- dent ; je dirais volontiers un manifeste. Et pourquoi pas ? S'il y faut de l'esprit d'initia- tive, une conviction profonde, la consécration

O L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

du succès des élèves aux examens officiels, vous avez tout cela.

Au surplus, la cause que vous défendez est excellente. Et vous la défendez bien, en bon soldat du Christ : Miles Christi. C'est le titre dont vous avez signé les articles parus dans la Croix et reproduits dans votre brochure.

Plaider pour la Philosophie scolastique, c'est plaider en même temps pour la raison, qu'elle respecte toujours et pour les croyances chré- tiennes, dont elle est le soutien rationnel. En France, c'est faire œuvre patriotique autant que religieuse.

L'esprit humain ne néglige pas impunément les données premières qui sont comme les fruits naturels de son exercice spontané ; la foi est mise en danger par les théories et les sys- tèmes qui ébranlent ou qui nient les vérités fondamentales, appelées par Leibniz philoso- phia perennis.

Je le sais bien. On se réclame de la liberté de la pensée ; mais cette liberté a des limites : celles mêmes du bon sens et de la vérité. L'éti- quette philosophique dont on les pare, ne con- fère aucune autorité aux spéculations fantaisis- tes. Il ne faut pas craindre de renverser ces idoles ; en tout cas, on ne leur doit aucun culte.

Nous nous sommes montrés, en général, hop respectueux, trop timides à leur égard ; et, pourquoi ne pas le dire ? L'enseignement phi-

DAIMS L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 9

losophique de nos maisons d'éducation catho- lique ne s'est pas rendu assez indépendant de (tilaines nouveautés considérées comme un progrès.

Il n'y a de progrès que se garde le res- pect de la tradition ; car « la vraie philosophie

le mot est de Mgr d'Hulst est faite de tradition et de progrès ».

Nous devons revenir à la philosophie scolas- tique philosophie traditionnelle de l'Eglise

assez vivante, quoi qu'on dise, pour s'har- moniser avec les sciences modernes et apporter à leurs recherches, force, lumière et progrès.

Léon XIII et Pie X l'ont réclamé avec insis- tance dans les documents les plus solennels. Tout récemment encore, dans une lettre à Mgr Baudrillart que vous avez opportunément rappelée, Benoît XV demandait -que « l'on prît les principes, la doctrine et la méthode de saint Thomas comme base et règle de l'enseigne- ment philosophique et théologique ».

Au début de mon épiscopat, j'ai moi-même eu l'honneur de recevoir de Léon XIII une let- tre où l'obligation de cette réforme est expri- mée en termes très caractéristiques. « Que ceux donc y disait-il qui s'appliquent à l'enseignement et à l'étude de la théologie et de la philosophie considèrent comme leur de- voir capital, après avoir laissé de côté les inven- tions d'une vaine philosophie, de suivre saint

io l'introduction de la scolastique

Thomas d'Aquin et de le cultiver comme leur maître et leur chef ». Pie X donna la même direction. Benoît XV a parlé dans le même sens. J'ai toujours eu à cœur d'imprimer autour de moi cette direction. Aussi ai-je tout particuliè- rement applaudi à la fondation d'un Séminaire de philosophie, sous l'égide de l'Institut Catho- lique de Paris, les futurs professeurs se for- meraient et s'initieraient à l'enseignement de la Scolastique.

C'était d'ailleurs une question d'obéissance.

Et cette question se pose, en ce qui regarde la philosophie non seulement pour les Petits et les Grands Séminaires, mais aussi pour les autres établissements d'enseignement catholi- que.

Dans leur dernière Assemblée générale tenue à Paris, les membres de l'Alliance des Maisons d'Education chrétienne ont envisagé cette réforme comme un moyen de libérer l'esprit français des infiltrations allemandes. Ils avaient raison. La philosophie d'Outre-Rhin le Kan- tisme en particulier a fait trop de mal aux idées catholiques pour qu'enfin, on ne réagisse pas vigoureusement contre une doctrine qui a donné naissance au Modernisme, « synthèse de toutes les hérésies ».

Mais toute réaction mise à part, la philoso- phie scolastique s'impose parce qu'elle est la seule qui nous offre, avec une excellente mé-

DANS L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE I I

tliode de discipline intellectuelle, un système doctrinal vrai, logique et parfaitement cohé- rent.

La raison et la foi y sont à l'aise ; l'une y trouve des points d'appui solides pour poursui- vre la solution des problèmes que soulève le progrès des sciences ; l'autre est assurée de n'y rien rencontrer qui soit en contradiction avec les données de la Révélation.

Bientôt, espérons-le, aucun autre enseigne- ment philosophique ne sera donné dans nos Séminaires et Collèges. Un Manuel est en pré- paration qui, vu la haute compétence de l'au- teur, aidera efficacement à cette réforme néces- saire. Le commerce assidu avec les Maîtres de la pensée chrétienne donnera à nos jeunes gens des convictions rationnelles précises et inébran- lables. Et la foi surtout y trouvera son compte. - Je vous prie d'agréer, Monsieur le Profes- seur, avec mes félicitations et mes vœux, l'as- surance de mes sentiments tout dévoués.

Louis, Card. Dubois, Arch. de Rouen.

APPROBATION DE S. G. MONSEIGNEUR DE LA PORTE

ÉVÉQUE DU MANS

Le Mans, le 10 avril 191 7.

Cher Monsieur,

Votre essai sur l'Introduction de la Scolas- tique dans l'enseignement secondaire intéres- sera tous ceux qui se préoccupent de donner à nos élèves, dans les collèges catholiques, un enseignement philosophique solide, et qui con- naissent aussi les difficultés de la question. Il nous a semblé que, appuyé sur votre expé- rience, laquelle, d'ailleurs, peut être corroborée par quelques autres tentatives du même genre, vous montrez bien comment la méthode philo- sophique de saint Thomas et des scolastiques peut contribuer à la formation intellectuelle des jeunes gens, sans compromettre le succès à l'examen officiel.

Votre étude contribuera aussi, je n'en dont3

i4 l'introduction de la scolastique

pas, à dissiper des préjugés encore régnants dans beaucoup d'esprits, malgré les directions réitérées des Papes Léon XIII, Pie X, Benoît XV, contre la scolastique en général et contre son introduction dans l'enseignement. On peut dire, en ce qui regarde les élèves ecclésiasti- ques, que ceux d'entre eux dont la pensée phi- losophique ne serait pas formée suivant saint Thomas, seraient par même rendus inaptes à de véritables études théologiques.

Le Pape Benoît XV nous a rappelé que nous devons veiller à ce que soient enseignées dans nos séminaires les thèses principales de la phi- losophie scolastique. (Voir les Acta Sanctœ Sedis, 5 mai 1916, p. t56.) L'expérience mon- tre à quelles aberrations intellectuelles sont sujets ceux qui, dans les années de leur forma- tion philosophique et théologique, se sont soustraits à la discipline du docteur Angélique.

Quant aux jeunes gens de nos collèges, le péril de la philosophie dite Universitaire n'est pas moindre pour eux. S'ils trouveront sans doute, en psychologie, des examens de phéno- mènes capables de les intéresser dans les au- teurs modernes, ils ne pourront pas, eux non plus, établir leur esprit sur des principes sta- bles de métaphysique et de morale. Ils seront donc livrés d'avance à toutes les aventures intellectuelles qui compromettent la foi elle- même et par suite relâchent les ressorts de la

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE l5

volonté. Pour eux aussi nous devons donc dési- rer la philosophie chrétienne comme couron- nement des études secondaires.

Je vous félicite -donc, cher Monsieur, des pages que vous m'avez envoyées. Si vous les publiez, elles provoqueront sans doute quelques contradictions, mais elles feront réfléchir sur l'une des questions les plus importantes de l'enseignement secondaire, et c'est ce que vous désirez.

Veuillez croire à mes sentiments tout dévoués en Notre-Seigneur.

Raymond,

Evêque du Mans.

PRÉFACE

L'urgente nécessité d'introduire la philosophie de saint Thomas dans nos collèges et petits séminai- res domine les antres idées présentées au cours de ce travail. Les idées secondaires pourront être dis- cutées. L'idée principale eût été vivement contre- dite, il y a quelques années seulement ; aujourd'hui qu'un renouvellement profond est en train de s'opérer dans les esprits, elle ne rencontrera pas la même opposition.

L'Alliance des Maisons d'Education Chrétienne, qui distingue, avec une vive sensibilité, les pulsa- tions les plus vitales des divers organes de l'ensei- gnement secondaire et qui sait, au besoin, se cons- tituer en un organe central de propulsion, s'est pré- occupée, à plusieurs reprises, et tout récemment encore, d'améliorer l'enseignement philosophique et de le rendre plus traditionnel et, par conséquent, plus conforme à la doctrine de l'Ange de l'Ecole. Les supérieurs, les professeurs et les parents com- prennent mieux l'importance suprême de la philo- sophie chrétienne, pour la formation intellectuelle et morale des jeunes gens, but principal de nos

15 I. INTRODUCTION DK I.A SCOI.AS I lOUE

maisons d'éducation. Un enseignement philosophi- que qui, sur un point seulement, n'engrènerait pas avec le Dogme, pourrait porter des atteintes graves à la foi de l'élève, moins peut-être au moment même il le reçoit que plus tard, quand il sera amené, par des études supérieures ou d'inévitables conflits d'idées, à plus de maturité et de réflexion. Qui n'a eu, en ces dernières années, la sensation du danger philosophique ? L'anarchie intellectuelle, importée d'Allemagne, n'avait peut-être jamais menacé à ce point la foi et la raison.

C'est un fait, chaque jour plus évident, qu'en dehors de la doctrine thomiste, aucun antre système philosophique ne respecte les données de la foi, niais, au contraire, les déforme plus ou moins. Le devoir des maîtres apparaît donc tout tracé, comme celui des parents catholiques.

On a craint longtemps qu'une formation scolas- tique ne compromît le succès des examens. Or, depuis quelques années, des expériences en nom- bre suffisant ont été instituées, soit pour le bacca- lauréat, soit pour la licence ; il en est résulté que les élèves qui reçoivent cette formation réussissent tout aussi bien que les autres. Les professeurs de Sorbonne, en effet, et les examinateurs en général, ne demandent pas aux candidats d'établir des thèses: ils exigent seulement des connaissances. Ils se con- tentent de les interroger sur l'histoire des systè- mes et de juger s'ils savent écrire et lier les idées ; et, lorsque ces derniers peuvent, par surcroît, exposer une doctrine personnelle, avec la dis- crétion qui convient à des jeunes gens en présence

D\NS l. EN8EIGNEM] HT SBI ONDAIB] H)

d'un maître, ils f< »nl toujours bonne impression. Les élèves disent volontiers que cel enseignement, loin (!«• nuire à leurs succès, leur est, au contraire, très utile, rien ne donnant de I;» consistance à la pensée comme une doctrine ferme ; et ils reconnais- sent, d<- plus, - nos licenciés surtout qu'ils ont l'incomparable avantage <!<■ posséder une formation philosophique *'n parfail accord avec la foi.

Voilà pourquoi, semble-t-il, le projet d'introduire la philosophie de saint Thomas dans nos Maisons d'Education Chrétienne, Collèges et petits Sémi- naires, sera aujourd'hui mieux accueilli et, malgré ses difficultés, plus facile à réaliser.

D'ailleurs, cette idée se présente sous le très haut patronage de Son Eminence le Cardinal Archevêque de Rouen, dont on connaît depuis longtemps la clairvoyance, le zèle et la fermeté, quand il s'agit de doctrine, et particulièrement de philosophie. Elle se recommande aussi de Mgr de la Porte, évê- que du Mans, ancien professeur de philosophie, qui a préparé, avec succès, au baccalauréat, de nom- breuses générations d'élèves. Cette double recom- mandation, indépendamment de celle qui provient du mérite et de l'expérience même de l'auteur, fera prendre cet écrit et ce projet en sérieuse considéra- tion par les chefs d'Institutions et par les parents catholiques. En cédant à l'aimable invitation qui m'a été adressée d'écrire quelques mots de préface, j'ai simplement voulu exprimer ma sympathie pour l'auteur et pour l'idée qu'il préconise : cette idée paraît assez mûre pour qu'on se prépare con- sciencieusement à la réaliser.'

20 r/lNTRODUCTION DE l \ BCOLA8TIQUB

Pour comprendre l'origine de renseignement phi- losophique dualiste, organisé dans nos maisons d'éducation chrétienne, philosophie scolastique dans les unes et philosophie « .-jiiii tuaii <tti » d les autres, il faut se rappeler que l'esprit français, depuis le xvne siècle, est imprégné à fond de carté- sianisme : il est cartésien jusqu'aux moelles.

Cette philosophie nous est inoculée par la littéra- ture et par les sciences. Bossuet, Fénelon, Male- branche nous font aimer Descartes ; l'école de Cousin, qui a produit tout un ensemble d philosophiques, littéraires el oratoires, dont plu- sieurs sont classiques, a fait entrer dans son éclec- tisme des parties entières de la philosophie de i cartes. Quant aux sciences physiques et naturelles, dont le développement a exercé sur la pensée une si profonde influence, elles se sont toujours ratta- chées au cartésianisme, même quand elles lui four- ni le dos : le mécanisme est enraciné dans l'es- prit de presque tous les hommes de science. A ces éléments traditionnels sont venus s'ajouter des éléments étrangers, qui ont altéré notre langue elle- même. Le Kantisme et l'Immanentisme consti tuaient, hier encore, avec le Cartésianisme, notre atmosphère intellectuelle.

Le Clergé et les Catholiques de France ont vécu trop longtemps dans cette atmosphère et s'y sont trouvés sans grande résistance, ayant abandonné la seule philosophie qui « immunise contre l'erreur. La « Philosophie de Lyon », sorte d'amalgame de cartésianisme et de scolastique. fut, à une certaine époque, 1out<> la philosophie des Grands Séminaî-

H \\- i 1 SSEIGNEM1 ni i ' umi \ll;i '-' i

r<-v. L'Ontologisme régna en maître dans la pluparl de ces maisons de formation clérical iSn'i"

•-:> : la philosophie scolastique, au contraire, % fut, à peu près universellement, méprisée : témoin ces manuels composés « à l'usage des élèves des

linaires », tels que ['Histoire abrégée de la Phi- losophie, 2 vol. in-8°, Paris e1 I- Mans, i84i), sui- vie d'une [nalyse de la Philosophie Catholique, qui jetaienl le plus complet discrédil sur la méthode, le la -t la doctrine de la philosophie du

moyen âge. Ceci ne se passail pas seulement en France. Les

rines cartésiennes et ontologistes ont sévi long- temps dans les » Athénées » de Rome, auxquels Pie IX, malgré ses efforts, ne put imposer la philo- sophie de saint Thomas. Les Tongiorgi, les Pal- mieri et les Garetti s'appliquaient à trouver des con- tradictions dans le système thomiste ; le P. Caretti « ne quittait pas Descartes d'un pas, ou, s'il s'en écartait, connue, par exemple, dans la théorie de l'âme des bêtes, c'était pour adopter la métempsy- chose ». Mgr Sauvé m'a raconté qu'étant en visite

i s un couvent de Dominicains d'Italie, il s'informa du manuel de philosophie, mis entre les mains des novices. « Comment, s'écria le vénéré Prélat, vous avez saint Thomas dans votre Ordre et vous enseignez ce méchant petit manuel de philosophie cai tésienne ! » « Que voulez-vous, Monseigneur, c'est la philosophie à la mode. » (i) L'Encyclique

(i) Ce manuel avait pour auteur un certain Storche- nau.

22 l IM HODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

/Eterni Patris ne tarda pas à venir. Mais elle n'au- rail à peu près rien changé, sans la fermeté de volonté de Léon XIII, qui destitua certains profes- seurs et les remplaça par des hommes dont il étail sur au point de vue de la doctrine 11 nomma Cor- noldi au Collège romain, Zigliara à la Minerve, Lorenzelli et Satolli à la Propagande, Talamo à l'Apollinaire (2).

La défaveur en laquelle fut tenue, au xixe siècle, la philosophie scolastique, explique pourquoi, en France, quand fut organisé l'enseignement secon- daire libre, conformément à la loi de i85o, et, plu- tard, l'enseignemnt supérieur libre, autorisé par- la loi de 1876, il parut naturel de préparer aux exa- mens de l'Etat, au moyen d'un enseignement phi- losophique analogue à celui de l'Etat, qui, d'ail- leurs, à cette époque, était « spiritualiste ».

Cetle défaveur explique aussi la surprise générale provoquée par l'apparition de l'Encyclique .V.levni Patris. Les esprits étaient si loin de l'horizon de l'Ecole !

On fit alors une sorte de compromis : on institua dans les Grands Séminaires, en vue de la théologie, et, dans les Facultés canoniques des Universités Catholiques, en vue <\o< grades canoniques, l'ensei- gnement de la philosophie scolastique, tout en .maintenant, dans les Collèges et petits Séminaire-, en vue du baccalauréat de l'Etat, et, dans les Facul- tés des Lettres des Instituts Catholiques, en vue de

(2) Deux centres du mouvement thomiste, /?"//)<> ri Louvain, par ( '.. Besse, 1902.

bABB i ! \-i h. M \li\ r SE( > N 1 1 \ [ l ; i 33

la licence <1<- l'Etat, la philosophie dite universitaire. i»!i regardait d'ailleurs comme impossible étant donné que la liberté d'enseignement ne comportai! pas !<• droit de détermine! les programmes, ni <!<• oonférer les grades de préparer les élèves aux grades de l'Etat avec l'enseignement de la philoso- phie scolastique. Grave erreur, aujourd'hui évi dente, dont les conséquences furent si rnalheureu-

\u--i le mouvement philosophique, suscité par ^Encyclique /Eterni Pûtris, fut-il incapable de résis- fcer à la poussée générale et de prendre, même dans le Clergé, la direction des esprits. Ce Mouvement fut même arrêté : la crainte d'une nouvelle législa- tion scolaire, qui imposerait la licence à tout profes- seur, iit préparer à peu près uniquement la licence d'Etat. Aussi l'Encyclique Pascendi Dominici Gre- gis surprit-elle, encore plus, que l'Encyclique /Eterni Patris : on avait dépassé le cartésianisme et l'ontologisme ; on en était à Kant et aux philosophes de l'Action et de l'Immanence. La philosophie de l'Immanence avait poussé des racines profondes dans tous les terrains, en apologétique, théologie, histoire, critique biblique et sociologie. Il fallut bien cependant se remettre à l'étude de la philoso- phie scolastique. On s'y remit dans tous les grands Séminaires, trop souvent sans conviction, ordinairement sans avoir reçu une préparation spé- ciale, quelquefois même après avoir reçu une for- mation hostile. Mais le Clergé continua d'enseigner, . à peu près comme par le passé, deux philosophies antagonistes.

2/i L'INTRODUCTION DE LA SCOLA6TIQ

Or, cet enseignement de deux philosophies est un « scandale ». Le mot est de Pie X, prononcé dans une audience privée, que Sa Sainteté avait daigné m'accorder. Je revois le Souverain Pontife frappant la table avec bod coupe-papier et s'écriant : « E un .scandai" ! L'Eglise prescrit, en effet, d en- seigner la philosophie scolastique, qu'elle tient pour la philosophie \ r.iic : comment pourri' nous en enseigner une autre ? N'est-ce pas ainsi qu'on s'habitue à faire peu de cas dfs directions du Saint-Siège, même en matière doctrinale ? De plus, en mettant sur le même pied deux philosophies opposées, on arrive très vite au scepticisme philoso- phique et, de ce dernier, au scepticisme théologique. ibre de jeunes gens catholiques, au lieu d'aller à l'Immanentisme, auraient apporté leur concours à la philosophie de l'Eglise, s'ils avaienl vu qu'en fait, comme en droit, il y a une philosophie de l'Eglise. Parmi les les grandes , fran-

çaises, on a constaté, quelques années avant la guerre, un remarquable renouveau de foi catholi- que. Mais de quelles doctrines philosophiques jeunes gens dont beaucoup étaient spé dises dans les études scientifiques , nourrissaient-ils leur espril ? Des doctrines de l'Immanentisme. Avec une réelle bonne < lonté, ils cherchaient représentants de l'intellectualité catholique, ils cher- chaient la pensée d<- l'Eglise, et voilà ce qu'ils trou- vaient trop souvent devant eux. Le plus grand nombre se contentait avec ces théories et se gâtait 1 intelligence. Un petit nombre demeurait insatis- fait. Et quand, après bien des efforts et des tàton-

h \\S L ENSEIGNEMEM SECONDAIRE

a5

nemenls, quelqu'un de cem faisais la découverte de la philosophie thomiste, il s'en émerveillait. Mais comment, ayanl reçu une formation intellec- tuelle toute contraire, aurait-il pu l'approfondir et la comprendre vrraimeni ? Il risquai de l'admire] seulement de loin. Cachées dans quelques grands Séminaires ou Instituts Catholiques, les lumières capables de guider ses pas u'étaienl ni hion accessi blés, ni même nombreuses.

De plus, l'ens ml de deux philosophies

antagonistes crée un obstacle au développement- de la philosophie sco las tique. De deux enseignements opposés, celui qui triomphera sera toujours celui qui sera pratiquement le plus utile, qui préparera à des diplômes jugés nécessaires, comme le baccalau- réat et la licence de l'Etat. L'autre enseignement, celui dont les diplômes ne serviront, hélas ! prati- quement à rien, sera condamné à végéter. Si l'on veut que la philosophie de l'Eglise prenne racine en France, il est de toute première nécessité qu'elle <n\\ enseignée dans toutes nos maisons, en vue de la conquête des diplômes enviés.

Enfin, renseignement d'une philosophie autre que la philosophie de l'Eglise implique nécessairement un certain nombre d idées fausses ou incomplètes. Or, non seulement les jeunes gens sortent de cet enseignemnt avec des idées fausses ou incomplètes, mais encore ils en gardent le goût et la soif du mo- derne et du nouveau, ainsi que le mépris de la phi- losophie scolastique. Sans armature intellectuelle, défiants à l'égard des principes, amis du vague et de l'à-peu-près, comment résisteraient-ils, aux innom-

26 l'ïN'i nom ction de la scoi. astique

brables sophismes, qui circulent partout autour d'eux ? Si leur cœur est généreux, ils sont prêts à céder à toutes les illusions et à toutes les utop si leur cœur est froid, ils sont prêts à décliner vers l'indifférence doctrinale et vers le scepticisme. De toute manière, ils perdent l'amour de la vérité. Et en ce qui concerne le Clergé, ces fâcheuses disposi- tions ne peuvent qu'être aggravées par l'opposition brutale que les jeunes gens constatent entre la phi- losophie du collège ou du petit Séminaire et la phi- losophie du grand Séminaire.

Du danger de cet enseignement, il suffit d'np[>< n ter deux preuves : l'une tirée d'un document et l'au- tre, de l'examen des manuels.

Au Congrès de l'Alliance des Grands Séminaires, tenu à Paris, au mois de juillet 1910, un Supérieur de grand Séminaire distinguait deux catégories d'élèves, ceux qui arrivent directement de rhétori- que et ceux qui ont fait leur philosophie universi- taire en vue du baccalauréat : 1rs premiers « sont dociles et, s'intéressent volontiers à la scolastiqn< les seconds « s'ouvrent difficilement à la s col a s ti- que et arrivent imprégnés d'un esprit réfraclaire à notre philosophie ». D'après un Directeur, le dégoût éprouvé par les Séminaristes bacheliers vient de la comparaison qu'ils font entre l'enseignement du Collège, ils ont étudié « les questions modernes sous un aspect qui les a vivement intéressés », et ce- lui du Séminaire qui les met en face de a ques- tions vieillies, envisagées à des points de vue qui n'ont rien de commun avec la pensée con- temporaine ». Un autre pense que la Traie

I>\\s L ENBEIGNEMBN1 SECONDAIRE ^7

cause provient de « L'antagonisme apparent ou réel i|iii existe entre La philosophie universitaire et

l,i philosophie scolastique ; les jeunes bacheliers arrivent imbus de préjugés très difficiles à déraci- ner ;i L'égard de la scolastique, surtout si leur pro fesseur du baccalauréal ;i été intéressant ». Un au- tre déclare que la principale difficulté, que rencon- tre la philosophie scolastique, pour prendre posses- sion de l'intelligence des élèves, tient à ce que la place est déjà prise ■> <•! à ce que Le préparateur au baccalauréat a reçu, en général, une formation su- périeure, tandis que celui qui doit Les initier à la Scolastique manque ordinairement de celle forma- tion.

Les manuels de MM. Rahier, Boirac, Malapert, Roustan, Rey ont trop d'autorité dans nos Coll et petits Séminaires. Un prêtre disait, un jour, à un pn fesseur catholique de l'Université, qu'il suivait le manuel de M. Habier. « Vous le corrigez », lui dit- "ii. « Mais c'esl un manuel très bien fait ! » « Cependant, vous Le corrigez au moins pour le prin- cipe de causalité. » « Préciséenml , je le trouve admirable sur ce point. » « Mais, d'après M. Ra- bier, on peut douter, absolument parlant, du prin- cipe de causalité et, par conséquent, de l'existence de Dieu. » - « Ah ! je n'avais pas lié ces deux idées ! » Les manuels cités plus haut sont abso- lument sceptiques en métaphysique. A la faveur des analyses psychologiques, M. Roustan glisse à chaque chapitre des interprétations qui ruinent toute méta- physique. Quant aux manuels rédigés par des ecclé- siastiques, ils s'inspirent beaucoup trop des manuels

L INTRODUCTION DE LA SCOLASA1QUE

ersitaires et contiennent la plupart de graves irs ; c'est ainsi que presque tous définissent l'abstraction, qui est l'opération fondamentale de l'intelligence humaine, comme les sensualistes. Abstraire, pour l'empirisme, c'est dissocier, l'abs- trait est un extrait ; et, comme l'abstrait est de même nature que le tout, d'où il est isolé, le tout étant primitivement un complcxus de sensations et d'images, il s'ensuit que l'abstrait est au fond quel- que chose de concret. Comment s'élever à l'imma- tériel et à l'intelligible, comment établir les pren\ sa de la spiritualité de l'âme, de la liberté et de l'im- mortalité, quand on a traité en sensualiste h faculté d'abstraire ?

Il y à donc un réel danger pour la foi à enseign r une autre philosophie que celle de l'Eglise et à s'as- servir, de plein gré, aux programmes et aux de l'Etat ?

I ne très heureuse réaction se produit dans un grand nombre de nos maisons d éducation, et beau- coup <1" supérieurs et de professeurs appellent de leurs vœux, comme 1rs parents eux-mêmes, un ensei inl philosophique entièrement conforme

a inl Thomas.

Les conditions qui nous paraissent nécessaires, pour introduire la philosophie scolastique dans renseignement secondaire, sont au nombre de deux: le Manuel et le Professeur.

Le Manuel n'existe pas pour le moment. Il devra comprendre et dépasser le programme du bacca- lauréat, en étudier toutes les questions, exposer et

i>\\^ L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE :>r>':-

critiquer les diverses théories, e1 apporter, quand il > aura lieu, la solution thomiste. Il fera une part importante aux questions métaphysiques les plus essentielles sur La matière, la vie, l'âme el Dieu. La psychologie el la morale reoevroni leur eomplé- menl métaphysique nécessaire; la cosmologie et la théodicée, cette dernière surtout, seront étudiées dans leurs données principales.

Ce manuel est d'une exécution délicate et ardue ; il -appose, chez son auteur, beaucoup d'originalité et d'effort personnel, une connaissance approfondie de la philosophie thomiste- et de la philosophie moderne, et une pratique de l'enseignement scolas- tique couronnée de succès au baccalauréat : autant de qualités .qu'on ne trouve pas toujours réunies dans le même homme, mais qui peuvent s'y ren- contrer.

L'autre condition, plus importante encore que le manuel, c'est le professeur. Le professeur devra avoir reçu une préparation spéciale, sinon il ne saura même pas utiliser le manuel : il s'en servira mala- droitement et conduira ses élèves à un échec. Seul le bon professeur, celui qui, indépendamment du don, qu'on développe, mais qui ne suffit pas , possède à fond ce qu'il est chargé d'enseigner, qui domine sa matière, qui peut varier indéfiniment ses mots et ses formules, parce qu'il a pénétré tout le sens de la doctrine, se servira avantageusement du manuel: il pourrait à la rigueur s'en passer. En tout cas, il ne se contentera pas de le faire réciter et de l'expliquer, comme un simple répétiteur ; appuy ; sur lui, il donnera un enseignement pensé, person-

3o L'INTRODUCTION Dl. LA SCOLASTIQUE

nel et vivant. D'où la nécessité de préparer des pro- fesseurs de philosophie. Ce serait une illusion de croire que le manuel peut remplacer le professeur ; la formation de ce dernier est ce qu'il y a de plus urgenl ei de plus capital pour le but à atteindre. C'est aussi ce qu'il y a de plus facile. Xos Institut- Catholiques peuvent être regardés comme des Eco- les Normales supérieures pour la formation des professeurs. A Paris, la Faculté de Philosophie, avec -(Mi <'ii>t'iLrnement scolastique, prépare en même temps à la licence en philosophie scolastique et à la licence ès-lettres. Formé dans ces conditions, le jeune licencié, une fois professeur, n'aura pas de difficulté, en initiant ses élèves aux méthodes rigou- reuses et à la forte doctrine de l'Ecole, à les prépa- rer avec succès au baccalauréat.

On verra se réaliser, alors, les espérances de Son Eminence le Cardinal Bisleti. Dans une lettre toute récente adressée à Mgr Baudrillart, le Préfet de la Congrégation des Séminaires ei Universités s'ex- primait ainsi :

(i Si les esprits des jeunes gens se remplissent et se nourrissent en quelque sorte de la sagesse de saint Thomas, la très fidèle Eglise de France pourra; de ce fait, se promettre la plus pure gloire et le plus grand secours. » (i)

Faut-il rappeler pourquoi l'Eglise a adopté offi- ciellement la philosophie scolastique et ordonné

(i) Bulletin île l'Institut catholique de Paris,

l5 .i\ lit O) i 7.

DWS l'enseignement] SBI ond \n;l 3 l

qu'elle fui enseignée à La Jeunesse catholique? En quel sens la philosophie de s:iinl Thomas est-elle la philosophie de 1,'Eglise ?

Le dogme, comme vérité révélée, esl absolument autonome el ne relève que de Dieu. L'Eglise, qui en a reçu le dépôl el qui veille sur son intégrité, ne l'enchaînera jamais à un système philosophique. Cela ne veut pas dire qu'elle regarde, indifférente, les philosophies : tout au contraire. Elle les juge, par rapport au dogme, et les approuve ou les con- damne. (Test ainsi qu'elle a rejeté tous les autres systèmes «pie le système scolastique ; mais, loin de s'inféoder à ce dernier, elle se l'assimile et le fait sien, dans la stricte mesure des connexions logiques qu'il soutient avec le dogme.

L'Eglise honore la Raison de sa confiance ; elle défend ses droits et sa validité. Le Concile du Vati- e.ui, dans sa Constitution Dei Filius, a fait le plus bel éloge qui puisse exister de la raison humaine. C'est un point de doctrine que la saine raison dé- montre, avec certitude, les fondements de la foi : « R;itioni< usus fîdem praecedit, et ad eam, ope Ré- vélation is et gratise, conducit » ; qu'elle est capa- ble d'organiser le dogme en science, et de le défen- dre contre les erreurs.

Ce que l'Eglise demande d'abord à la raison, c'est d'ouvrir aux intelligences une grande avenue de lumière vers le dogme, en exposant les motifs de croire. Elle attend de la raison qu'elle prouve l'existence de Dieu, d'un Dieu transcendant et per- sonnel, infini en perfection, en sagesse et en justice, Créateur, Providence, capable de « révéler » aux

32 l'introduction de la scolastique

hommes, et incapable de se tromper ou de nous tromper nous-mêmes; qu'elle démontre la vérité de l'Evangile, la possibilité et la valeur des miracles évangéliques, l'institution chrétienne de l'Eglise avec sa vie, sa propagation, sa sainteté, son unité, sa stabilité, l'existence de l'âme humaine, son ori- gine divine, son immortalité, la personne humaine, l'union de l'âme et du corps, le libre-arbitre, l'obli- gation morale et les principales vérités de l'Ethi- que ; qu'elle mette en lumière les vérités premiè- res et les principes premiers de l'ordre spéculatif et de l'ordre pratique ; idées d'être et de non-être, de vrai et do faux, de bien et de mal ; principes de contradiction, de raison suffisante, de finalité et de substance.

Or, quelle est la philosophie capable de rendre à l'Eglise ce premier service ? La philosophie scolas- tique et elle seule. Voilà pourquoi elle est la phi- losophie de l'Eglise.

L'Eglise demande, en outre, à la raison de rendre le dogme aussi intelligible que possible, en « décla- rant », par des analogies, empruntées à l'ordre des connaissances naturelles et philosophiques, les mys- tères de la foi, et en établissant une systématisa- tion liée et cohérente d'abord entre toutes les \ «ri- tes révélées, puis entre ces vérités et les vérités d'ordre purement rationnel. Elle attend, en somme, de la raison l'élaboration de la science du dogme, la constitution de la Théologie comme sciem

Or, toutes les philosophies qui ont essayé cette systématisation ont complètement échoué, à l'excep- tion de la philosophie scolastique.

It\\^ i i \-l m. si Ml NT BEI 0ISDA1RE

Gomment, en effet, des systèmes qui reposent sur une fausse théorie de la raison pourraienl ils B'ap pliquer au dogme, sans le déformer P Leurs con- cepts seronl nécessairement impropres ;'i définir les vérités révélées. Quand on aura défini la niison

m rganisation utilitaire de la pensée en vue-de

la pratique », on définira la vérité dogmatique une ii attitude - ou une conduite » exigée par elle de m mi-.

Comment définir les dogmes de la Trinité, de l'In- carnation cl de l'Eucharistie, dans une philosophie à qui manquent les concepts de substance, de na- ture, d'existence, de personne et même de Dieu ?

11 n'est donc pas étonnant que l'Eglise, ayant à choisir entre (tes systèmes de concepts rationnels, ait fixé son choix sur la seule philosophie qui, non seulement ne déforme pas le dogme, mais lillustre, l'exprime correctement et en montre l'intelligibilité. Théologie rationnelle est devenu synonyme de Théologie scolastique. Voilà encore pourquoi la philosophie scolastique est la philosophie de l'Eglise.

Enfin, l'Eglise demande à la raison de défendre le dogme contre les erreurs, d'être son rempart, son mur d'enceinte contre tous ses ennemis. Il résulte, de ce qui précède, que la philosophie scolastique sera la seule à même de défendre le dogme. Aussi l'Eglise l'a-t-elle toujours regardée comme le bou- clier de la foi. L'hérésie a dit : « Toile Thomam, et dissipabo Ecclesiam « Vain espoir, dit Léon XIII, mais non point vain témoignage. » C'est pourquoi, au Modernisme, « rendez-vous de toutes

3

;i '| i, in l R0D1 ' i lo\ DE I. \ SCOLAS'J IQ1 i.

les hérésies », Pie \ .1 opposé la philosophie de saint Thomas.

Il reste un ppinf à préciser, e1 de la plus haute importance, surtout pour le théologien. Il faut distinguer comme deux parties dans la philosophie de saint Thomas: l'une, qui esl à peu près commune à ton-* les grands scolastiques, embi la théorie i\o> vérités premières et des principes premiers, des vérités et dr> raisonnements de sens commun, l'objectivité de la connaissance et la va- leur de la raison humaine : elle comprend aussi concepts élaborés sous l'influence directe du dogme. Cette partie constitue 1h philosophia perennis et la philosophie chrétienne : l'Eglise se l'assimile, non à titre de vérité de foi, mais de vérité certaine. La >nde partie représente un système scolastique entre les autres systèmes scolastiques : l'Eglise ne s'incorpore pas plus ce système que les nul; - niais elle le préfère aux autres, parce qu'il est en plus parfaite continuité dialectique et doctrinale avec la philosophia perennis <•! la philosophie chré- tienne (1).

11 serait piquant de montrer que la philosophie d'Aristote et de saint Thomas tout en étant la philosophie de l'Eglise , constitue l'atmosphère métaphysique naturelle des sciences de la nature et des sciences (\r l'esprit. Mais ce serait dépasser le luit de cette préface. Bornons-nous à quelques té- moignage

(1) Cf. Le sens commun, la philosophie de l'être ri 1rs formules dogmatiques, par Garrigou-Lagrange,

H \\> i EN8EIGNEMEN1 SECONDAIRE 35

En lerminanl le a3' chapitre de seti Principes di Psychologie physiologique, Wundt, le fondateur de la Psychologie expérimentale, déclai'e que les résul I travaux ne cadrenl ni a> ec I li\ pothèse

matérialiste, ni avec le dualisme platonicien <ui cartésien cl que seul l'animisme aristotélicien, qui rattache la Psychologie à la Biologie, se dégage, comme conclusion métaphysique plausible, de la l'-\ h h nentale (i).

Alexandre Bain, le psychologue de l'Ecole an- glaise, a publié, en appendice, dans son livre Les sens <•! Vintelligt nce, un résumé de la psycholo- :ii<\ cette psychologie possédant, d'après lui, de- cadres métaphysiques et des méthodes qui s'adapl ml mieux que les autres à la psychologie.

Ces témoignages s 'expliquent facilement. La psy- chologie expérimentale, qui ne date guère que d'une Boixantaine dannées, n'est point née de la philoso- phie moderne; pour retrouver la tradition, elle doit remonter jusqu'aux merveilleux opuscules de psy- chologie p! ' que sont les Parva natura- lin d'Aristote. Un jour que j'avais conduit mes élèves au laboratoire de psychologie expérimen- tale d'Alfred Binet, pour mesurer les temps de réaction avec le chronoseope de d'Arsonval, le di- recteur s'étonnait du goût de ces jeunes gens pour l'expérimentation, et il les comparait, non sans quelque amertume, à d'autres, très férus cependant de philosophie moderne, oui traitaient études avec le dédain le plus transcendant. Celte

i Grundziige der phys. psych. II, édition.

36 l'introduction de la bcolastiqub

différence d'attitude provenait d'une différence d'éducation métaphysique. On puise à l'école d'Aristotc le sens du réel, du donné, l'amour de la recherche basée sur L'expérience, et le culte des faits allié à celui du raisonnement le plus hardi.

Voici encore deux témoignages. Le premier est de M. Emile Boutroux : « L'œuvre la plus considérable d Aristote est, sans contredit, l'organisation de cette philosophie chrétienne, si complète, si précise, si logique, si fortement établie dans ses moindres dé- tails, qu'elle semblait constituée pour 1 éternité. » (i) Le second est de M. Henri Bergson : « Si l'on fait abstraction des matériaux friables, qui entrent dans la construction de cet immense édiiice, une char- pente solide demeure, et cette charpente dessine les grandes lignes d'une métaphysique qui est, croyons- nous, la métaphysique naturelle de l'intelligence humaine ». (2)

Quand on a l'incomparable avantage de posséder une pareille philosophie, une philosophie chré- tienne : issue de ce qu'il y eut de plus élevé et de plus parfait dans la pensée grecque et latine ; com- plétée et profondément renouvelée, au cours des siècles, par la pensée des Pères et des Docteurs ; en harmonie parfaite avec le dogme, dont elle montre, autant que possible, l'intelligibilité ; en merveil- leuse continuité avec le sens commun et avec les sciences, on a peine à comprendre qu'on se soit

(1) Etudes d'histoire de la philosophie, p. 200.

(2) Evolution créatrice, ch. IV, p. 352.

n\\v l'enseignbmeni secondaire .''';

laissé égarer longtemps par des doctrines qui n'ont de la vraie philosophie que le nom. Et l'on s'ex- plique l'émotion •!«• Léon Mil. dans son Encyclique « Depuis !<■ jour », écrite, en français, à l'Episcopat français : <• Ce nous es1 une profonde douleur d'ap- prendre que, depuis quelques années, des catholi- ques onl cru pouvoir se mettre à la remorque d'une philosophie qui, sous le spécieux prétexte d'affran- chir la raison humaine de toute idée préconçue et de toute illusion, lui dénie le droit de rien affirmer au del à de ses propres opérations, sacrifiant ainsi à un subjectivisme radical toutes les certitudes, que la métaphysique traditionnelle, consacrée par l'au- torité des i > 1 1 1 -i rigoureux esprits, donnait, comme nécessaires et inébranlables fondements, à la dé- monstration de l'existence de Dieu, de la spiritua- lité et de l'immortalité de l'âme, et de la réalité objective du monde extérieur. 11 est profondément regrettable que ce scepticisme doctrinal, d'importa- tion étrangère et d'origine protestante, ait pu être accueilli avec tant de faveur dans un pays justement célèbre par son amour pour la clarté des idées et pour celle du langage. » (i)

Ecoutons la voix des Souverains Pontifes. Met- tons-nous, tous, à enseigner à nos élèves la philo- sophie de saint Thomas. Nous ferons d'abord le plus grand bien à la jeunesse ; puis, comme résultat de L'unité de notre enseignement, nous verrons se mul- tiplier les ouvriers sur le chantier philosophique,

(i) Epistola encyclica « Depuis le jour », 8 septem- bre 1899.

38 i 'itn rodi < noîs de : \ sc< >i vs i n

chacun apportant sa pierre el venanl faire sa jour- née. Il y a dans les Collèges H Les petits el grands Séminaires, des professeurs de philosophie forl dis- tingués, pensant et excitant à penser, capables de << travailler de première main à façonner les maté- riaux de l'édifice scientifique el de contribuer ainsi à son élévation progressive; ruais i!- sont trop peu nombreux el trop isolés. Ce qui nous manque le pluSj c'est, avec le nombre, la formation commune. Loin de nous la pensée d'incriminer qui que ce soit. Noua nous sommes trouvés les uns et les autres en face de situations que non- n'avions pas créées nous- mêmes el dont l'origine es1 assez lointaine. Le plus grand obstacle à la constitution si nécessaire d'un corps d'élite de penseurs catholiques se trouve pré- cisément dans la dualité et l'antagonisme de nos en- mements philosophiques. De notre unification. au contraire, on doit attendre un iment philo-

sophique avec lequel il faudra compter. La philoso- phie péripatéticienne et thomist p ssède seule la stabilité, qui permet l'accroissemenl : le travail de la pensée y est continu et au heu de recommencer sans cesse avec chaque cerveau, il ^:' poursuit con- tinuellement. Grâce à cette continuité du travail phi- losophique, la philosophie chréti >nne ne peut man- quer de rayonner, el il 1*' faut. Il faut qu'elle soil dans le inonde au rang qui lui revient, à la tète du mouvement des intelligences : il faut qu'elle se montre féconde, vigoureuse, conquérante : il faut qu'elle donne naissance à une littérature phi! phique originale, et qu'elle ait, à son service, des publications très fortes et des ouvrages cômpi

H \\> l 'enseigne Ml \ I BEC) IND vire 3g

de première main : excellent, el peut-être unique moyen de nous rendre moins tributaires dés livres el des revues des professeurs de l'Etat, el de faire cesser, peu à peu, celle vénération académique, donl nous entourons, même quand nous les com- battons, la science officielle el l;i philosophie de nos adversaires.

Rudolf Eucken a montré qu'il existe une antino- inie foncière entre Thomas d'Aquin el Kariî : c'esl la lulle de deux mondes, du Catholicisme el du Pro- testantisme. I.e philosophe d'Iéna .conclut pour Kant. Concluons pour sainl Thomas d'Aquin i i.

E. Peillaube,

Doyen de lu Faculté <!<■ Philosophie de l'Institut Catholique de Paris.

(i) Thomas non iquino ;//»</ Kant, ein Kampf zweier Welten. Kantstudien, Band f, i (1901).

L'EXPERIENCE

\n mois d'octobre de l'année 191a, l'auteur du présent opuscule se vit confier, dans l'une de uns plus importantes écoles secondaires catholiques de Paris, l'enseignement de la phi- losophie.

Dans celte école connue cela se pratique d'ailleurs, le plus naturellement du monde, dans presque tous nos établissements chrétiens, y compris les collèges ecclésiastiques et les pe- tit-; séminaires on avait enseigné jusqu'alors, ce qu'on est convenu d'appeler la philosophie universitaire. Les élèves avaient entre les mains le manuel de M. Pierre Janet, que l'on songeait à remplacer par celui de M. Malapert. Ne faut-il pas marcher avec son temps et suivre les pro- grammes ?

Or, voici le point critique de la situation, le tempérament, l'éducation, et quelque dix

',-.

I. IN l'liniM UTION DE LA SCOl \> IK'l E

ou douze années du lenl travail l'expérience, de l'étude et de la réflexion personnelles se trou- vaient avoir fait du nouveau professeur un sco- lastique irréduètible.

Ce scolastique, tombé dan- mie école d'en- seignemenl secondaire, au milieu d«' jeunes gens se préparant à l'examen officiel du bacca- lauréat, allait-il forcer son esprit, habitué au solide, commerce de la réalité objective, dans le concret, comme dans l'abstrait, à prendre au sérieux un idéalisme Imaginatif, sentimental et sceptique, une « pensée fuyante >> qui papil- lonne, avec la désinvolture la plus déconcer- tante, à travers toutes les fleurs vénéneuses semées par Descartes sur les ruines de la philo- sophie traditionnelle, depuis le plus grossier positivisme jusqu'au transcendantalisme le plus fou ?

\llait-il abandonner une méthode rigoureu- sement logique el précise, basée sur l'expé- rience et le bon sens, rien n'est laissé à l'im- prévu et à la fantaisie, pour adopter ces bavar- dages Quageux, plus ou moins littéraires, cou- sus vaille que vaille par les rapsodes officiels sur un plan capricieux ?

Ulait-il, comme beaucoup de ses malheu-

l>\\» i.'kn-i ii.mmi \i SECONDAIRE |3

reux confrères < t ( i « > 1 i < j 1 1 « ^ , se livrer à cette dangereuse el scandaleuse acrobatie qui con- siste à établir un équilibre apparent et combien instable, entre des principes qu'ils ne peuvenl sacrifier sans forfaiture, e1 cette prétendue plii- losophic, Ifi'l es! si merveilleusemenl com- biné pour aboutir à une logique sans raison, à une physique sans matière ou sans force; à une psychologie sans âme, à une métaphysique sans être el sans Dieu, à une morale sans obli- gation ni sanction ?

En entranl en charge, l'un des supérieurs de l'école, ■■:■) excellenl religieux sécularisé, ancien missionnaire en Turquie, connaissant les anté- cédents du nouveau professeur, lui avait fait cette recommandation, au moins étrange, dans une telle bouche el dans un tel établissement : « Surtout, pas de philosophie scolastique ! »

Il semble, par conséquent, qu'il ne lui restait plus que celte alternative : ou consentir ces sacrifices; en sauvant tant bien que mal ce qui touche le plus directement à l'orthodoxie chré- tienne : l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme, la réalité de la liberté, la nécessité d'une sanction morale, ou pratiquer cette opération si courante à notre époque, quand on se trouve

hk l'introduction de la scolastique

pris entre sa conscience et l'opportunité : le dédoublement de sa personnalité. Universitaire pins ou moins atténué en classe, scolastique dans le secret du cabinet de travail.

Il n'aurait eu, pour se tranquilliser, qu'à ré- péter comme un de ses confrères, prêtre et reli- gieux, on tête de son cours de philosophie : « Cet ouvrait' n'est pas un traité, de philosophie scolastique, mais un cours de philosophie élé- mentaire (i) destiné aux candidats au bacca- lauréat et rédigé conformément aux derniers programmes officiels. Ce nest donc ]>as à nous quil faut sen prendre du choix des questions, ni de l'importance peut-être exagérée accordée à quelques-unes ; notre tâche était de les trai- ter toutes de manière à mettre l'élève en état de subir avec succès son examen... nous avons cru bon de nous conformer à l'ordre du pro- gramme, non pas que nous l'estimions le meil- leur... Inutile de dire que nous n'avons pas pré- tendu faire oeuvre personnelle... » (2)

(1) L'auteur en question a sans doute hésité et nous comprenons sans peine une telle hésitation devant le mot universitaire ; c'est probablement pourquoi il l'a remplacé par la rime très riche : élémentaire.

(2) Laiib. Cours de philosophie T. I. Préface.

D\\> l'enseignembni SECONDAIRE 1(0

Il aurait pu, même, ajouter, Lorsque la suite du cours l' au rail amené en présence de ces questions fondamentales toute conciliation est impossible, connue, par exemple, dans la définition <lrs facultés, l'on voil les univer- ires confondre pêle-mêle, sous le nom d'in- telligence, la connaissance sensible et la con- naissance intellectuelle, ce qui conduit à accor- der l'intelligence aux bêtes ou à en faire des machines : « Quelles que soient nos préféren- ces personnelles, le but que nous nous propo- sons en ce Coins nous décide à suivre la clas- sification moderne. Aussi bien, nous semble- t-il, ces questions de méthode et de terminolo- gie peuvent, sans doute, être plus ou moins logiques, elles n'ont en soi rien d'absolu. L'es- sentiel est de s'entendre, et de ne pas prendre, comme dit Leibnitz, la paille des mots pour le grain des choses. » (i)

Comme si, dans de pareilles questions, il ne s'agissait que de mots, et comme si saint Paul, une autorité quelque peu supérieure à Leibnitz, pour des catholiques, ne nous prémunissait pas tous contre la séduction des mots mal em-

(i) Id., ibid., I. p. 4o.

46 I l\ I Ifoiu < l'h>\ [)K LA SCOLÀSTIQU*

ployés (i) et ne prescrivait pas à tous ceux qui enseignent, dans la personne de Timothée, la formam sanorum verborum (2).

Malheureusement, 1*' nouveau professeur était aussi incapable de consentir ces sacrifices que d'opérer ce dédoublement. 11 lui manquait, pour cela, la souplesse nécessairej cette aimable souplesse qu'acquièrent presque fatalement qos licenciés ès-lettres, même ecclésiastiques, dès qu'ils ont fréquenté, pendant un certain temps, les Facultés de l'Etat, et qui se plie, comme un ressort flexible, sous la main <i<js pontifes carté- siens et modernistes de l'Université, mais se détend, comme une arbalète meurtrière, quand il s'agit de tirer dans le dos de ceux de leurs frères qui montent, autour des principes, une garde estimée trop intransigeante.

El puis, le nouveau professeur, douloureuse- ment instruit par d'anciennes luttes, de l'éten- due et de la profondeur des ravages du moder- nisme dans les intelligences ; ayant constat-''. comme l'a proclamé Pie \. que ce résumé de toutes les hérésies prend sa source, pour une large part, dans l'abandon, par ignorance <>u

(1) Xrnm rn* seducai inQîlibtiS verbis. I l'ii. V, 6.

(2) II, 'fini. I, i3.

H \\> i BNSE1GNEMEN1 SECONDAtRE \ ~

par mépris, de La philosophie chrétienne, le nouveau professeur, disons-nous, se trouvait préparé, par l;i force des choses, ;"i comprendre son rôle comme devant avoir, au delà de la préparation immédiate à un examen officiel, La portée d'une œuvre de prophylaxie intellec- tuelle pour l'existence tout entière de ses

Si bien que, sans être prêtre, sans avoir à

enseigner dans un séminaire, il crut que sa

conscience se trouvait engagée par l'esprit,

sinon encore par la lettre, des prescriptions

réitérées i\<^ Souverains Pontifes relatives à

L'enseignemeni de l;t philosophie de saint Tho-

« mas.

Mors, ce <{:ii devait arriver, arriva : en dépit de i.i consigne donnée, mais non acceptée ; en dépit de la possibilité toujours menaçante d'hostilités qui ne se produisirent pas alors, mais qui ont surgi depuis, et du côté l'on aurait du le moins les attendre ; en dépit des frayeurs qu'une telle audace (!) auraient exci- tées -'il l'avait affichée, le nouveau professeur prit le parti d'enseigner, sans même en pronon- cer le n<»m au début, dans l'ordre de ses divi- sions, selon la rigueur de sa méthode, dan-

18 l'introduction de la scolastique

l'intégrité de sa doctrine, la pure et simple phi- losophie scolastique.

Il fit rentrer, dans L'enseignement de la jeu- nesse qui lui était confiée, le critère souverain do l'évidence objective ; les définitions rigou- reusement formulées ; la division et surtout la distinction si dédaignées ; le syllogisme, si sot- tement décrié par ceux qu'il confond ou qui ne savent pas s'en servir ; l'argumentation en forme. 11 y fit même rentrer le circulas, car il ne recula pas à instituer périodiquement quel- ques-unes de ces « disputes » orales un élève est chargé d'exposer et de défendre une thèse, qu'un autre ou plusieurs autres sont chargés d'attaquer. Il fît rentrer enfin, dans sa classe, à la place de MM. Janet, Malapert, Dugas, Séail- les^ Roustan, Rey et autres illustrations univer- sitaires, l'angélique docteur saint Thomas d'Aquin, proclamé par Léon XIII, patron de toutes les écoles catholiques (i), et qui devrait, à plus juste titre que ces messieurs, s'y trouver comme chez lui.

Voilà, dans sa simplicité, l'expérience qui se (i) Bref Cum hoc sit, 4 août 1S80.

DANS i ENSEIGNEMEN1 BECl >ND VIRE 1(1

poursuit depuis trois ans. Si L'on veut en savoir les résultats, les \ »ici :

i Pour l'année scolaire 191/4-1910, sur dix- neuf élèves perse 11 1rs, seize ont été reçus, et an admissible : :> " pour l'année scolaire 1915-1916, sur quinze élèves présentés, onze ont été reçus dont trois ou quatre, avec la mention assez bien : pour L'année scolaire 1916-1917 sur seize élèves présentés, dix ont été reçus, dont sept avec la mention assez bien.

Ces résultats appellent quelques observa- tions.

Pour ceux de la deuxième année, si l'on veut tenir compte que sur les quatre élèves qui ont échoué, deux ont manqué près de trois mois au cours ; que d'autre part, les exa- minateurs ont été, à cette session, d'une sévé- rité qui a soulevé les protestations de la presse, on conviendra que le résultat de 1915-1916 était encore plus concluant que celui de 1914-1915. D'ailleurs, pour être complet, il faut ajouter que sur les quatre élèves qui avaient échoué en juillet, trois se sont représentés en octobre et ont été reçus.

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Quant aux résultats de 1916-1917, nous avouons franchement ne pas en être satisfait. À notre compte, tous nos élèves, cette année, devaient être reçus. Chargé, en rgi4 de l'inté- rim de la seconde, en i(;i") de l'intérim de La première, nous les avions couvés depuis trois ;:iis avec toute l'affection de notre cœur ci n sommes persuadé que le moins forl d'entre eux ani'nit encore tenu un rang très honorable dans n'importe quel lycée ou collège. Mais comme le monde es! ainsi fait qu'il préférera toujours un diplôme, même sans valeur, à une valeur sans diplôme, nous regrettons avec amertume, de n'avoir poinl à présenter un résultat aussi complet que nous lavions espéré.

Ce moindre succès peut être attribut' à di- verses causes.

La première et, -ans doute la plus impor- tante, c'est que le professeur épuisé par trois années consécutives d'un labeur plus que dou- blé, sans repos el sans vacances la solitude familiale il les prenait, avant la guerre, est à une vingtaine de kilomètres de Saint-Mihiel n'a peut-être pas fourni, dans les derniers mois de l'année scolaire surtout, tout l'effort néces- saire. El ce moindre succès lui est d'autant plus

H \\- l l \-l H.MMI \ l -l i i i\|) VIRE n I

pénible qu'il sent y avoir une part de respon- sabilité.

La seconde, c'eal que, si, dan- tout examen, il y a une pari considérable de chance qui di- minue singulièremenl et le mérite du succès el la déception de l'échec, et la valeur des diplô- mes qui sont, en général, bien plutôt l'enjeu d'une loterie que la consécration adéquate du travail et de la science il nous semble qu'à (elle session, en particulier, la fantaisie qui préside, ni souvent, à l'appréciation des copies, s'esl exercée dan- une mesure vraiment un peu trop lai-o-e.

Il nous a été communiqué une quinzaine de dissertations de candidats reçus et refusés autres, pour la plupart, que nos élèves et, sans parti-pris, nous avons pu constater que certaines copies, moins que médiocres pour le fond comme pour la forme ont été gratifiées d'e\cellentes notes, tandis que d'autres copies, très acceptables et même bonnes, avaient été écrasées de notes misérables. Et cela, quelque- fois, par le même examinateur.

Nous avons même songé un moment, à en publier quelques-unes, avec leur note et le nom du correcteur, afin de mettre le public lettré

52 l'introduction de la scolastique

en mesure de juger par lui-même et d'établir ainsi une contre-épreuve, qu'il serait facile de renouveler et qui ne serait peut-être pas sans efficacité pour prévenir certaines... négligen- ces qui ressemblent parfois à des dénis de jus- tice.

Nous réaliserons peut-être un jour cette pen-

sée.

En attendant, nous avons mieux à faire ; d'autres résultats, obtenus dans des conditions beaucoup plus difficiles, à enregistrer.

Voici de quoi il s'agit.

Concurremment avec le cours de philosophie que nous donnions dans l'établissement chré- tien dont il a été uniquement question jusqu'à présent, nous avons été chargé, au début de l'année scolaire 1916-1917 de donner un autre cours, dans un autre établissement, complète- ment neutre, celui-là ; l'un des plus sérieux, sans doute, le plus sérieux, peut-être, dans son genre, mais enfin, l'un de ces établissements que l'on désigne élégamment sous le nom de « boîtes à bachot ».

Pour les non-initiés, disons que dans ces ins-

D INS i l M81 n. M Ml \ i SECONDAIRE 53

titutions, on se donne pour mission de recueil- Kir les déchets de toutes les maisons régulières de Paris et de Province, les minus hab entes, les »< recalés », les attardés de toute espèce, pour les amener, par un travail intensif et une discipline sévère à conquérir leur parchemin de bachelier.

Dans ces sortes de maisons, les paresseux, les imbéciles, et les vicieux composent la majorité. \u point do vue confessionnel, il y a des juifs, des protestants, des musulmans, des païens, des fils de libres-penseurs déclarés et de francs-maçons militants. Beaucoup ont déjà subi la déformation d'une ou de plusieurs an- aées antérieures de philosophie... et quelle phi- losophie !

On voit que nous n'exagérons nullement en parlant de conditions beaucoup plus difficiles.

Eli bien, dans cet établissement comme dans l'autre, nous avons fait exactement le même (unis, selon la même méthode, y compris le « circulus » dénommé pour la circonstance « conférence contradictoire ». Nous nous som- mes borné à supprimer les compléments pro- prement théologiques que nous donnons dans la maison chrétienne, et certains développe-

:, I i.'iMBOlM I nOH bE LA BCOLASTIQ1 E

ments moins immédiatement utiles. El de cette deuxième expérience, voici maintenant les ré- sultats :

Nous avons présenté au baccalauréat dix-neuf élèves, sur ces dix-neuf, treize on! été re< - dont trois avec La mention assez bien.

Tous ces résultats ne sont pas, évidemment, de ceux qu'on peut qualifier de brillants, mais tels qu'ils sont, ne prouvent-ils pas suffisam- ment deux choses : que les craintes d'insuc- cès au baccalauréat que pourraient éprouver certains esprits pusillanimes, à l'idée d'intro- duire la scolastique dans l'enseignement secondaire sont chimériques : 2e que la jeu- nesse de nos école- est parfaitement apte à -

[1er les éléments de cette grande philoso- phie ?

Enfin, ne pourrait-on pas conclure qu'après un trop long exil, rien ne s'oppose objective- ment, à h) restauration dan- l'enseignement de la jeunesse, de la philosophie traditionnelle et officielle de l'Eglise, éprouvée par s - clea de résistance victorieuse à l'assaul de tous les sophismes, et pensée par les plus puissants génies qu'ail connus l'humanité ?

It \\- i ENSEIGNEMEN1 -I COND \\\\ DO

Malheureusement, s il n'\ a pas d'obstacles objectifs à cette restauration, les obstacles sul>- jectifs ne manquenl pas. Ceux qui devraienl le mieux connaître I;1 scolastique, l'aimer, la pro- mouvoir, s,,iii trop souvent ceux qui l'igno- rent, la méprisent el la combattent le plus. Et si, « il n'esl pas d'indice plus sûr que le goût des doctrines modernistes commence à poin- dre dans nu esprit que <l'\ voir naître le (ié,ir<»ùt de «elle méthode » (i), il faut avouer que le modernisme, malgré sa condamnation, est loin d'être mort.

Néanmoins, cette mauvaise volonté sans excuse n'est pas pour constituer une muraille infranchissable. Pie \, pour sa pari. \ a déjà pourvu eu déclaranl inaptes fi l'enseignement catholique, le< esprits qui en sont affectés : «< Quiconque, «l'une manière ou d'une autre, se montre imbu de modernisme, sera exclu sans merci de la charge de directeur ou de profes- seur ; et s'il l'occupe déjà, il en sera relire ; de même en sera-t-il pour quiconque, en secret ou bien ouvertement, favorise le modernisme,

(i) ...nullumque est indicium mdnifestiui quod qui* modernismi docirinis favere incipiat, quafn quum tnci- pit scholasticam horrere metliodum. Encl. Paseendi.

^>0 L INTRODUCTION UK LA SGOLASTIQUE

soit en vantant les modernistes et en excusant leur faute, soit en critiquant la scolastique, les Pères, le Magistère de l'Eglise ». (i)

Voilà la solution de Pie X, qui sait ce que pourront y ajouter ses Successeurs.

Quoi qu'il doive arriver, il est, à l'heure pré- sente, assez de maîtres à l'esprit foncièrement catholique pour travailler à cette restauration.

La publication, par le journal La Croix (2) de l'expérience relatée ici, en a fourni des preu- ves. Des lettres émanant de confrères inconnus, et venant des régions les plus diverses de la France, ne tardèrent pas à arriver à l'auteur, attestant que bien d'autres que lui, étaient pré- occupés de la même pensée, et désiraient sérieusement, soit la mettre en exécution, soit en perfectionner l'entreprise déjà commencée. Quelques semaines plus tard, le Congrès de

(1) « Quic unique modo quopiam modernismo imbuti fuerint, ii, nullo habito rei cujusvis respectu, tum a regendi, tum a docendi numere arceatur ; eo si jam funguntur, removeaniur ; item, qui modernismo, clam aperteve favent, aut modernistas laudaudo eorumqur culpam excusando, aut Scholasticam et Patres et Magiste-

rium ecclesiasticum capendo. E.ncycl. Pascendi.

(2) Numéro du 21 août 191 6.

[) v\> i i \-i K3N1 Mi M 8E< ONDAIRE "»7

l'Alliance des Maisons d'Education Chrétienne, It'iii; au Collège Stanislas, mentionnait le récit de La Croix, pour affirmer l'opportunité de la réforme el constater l;i réalisation qui en avait été faite, avec succès, en plusieurs endroits.

Cel ensemble de témoignages prouve doue à n'en pas douter, que l'idée d'où procède notre expérience est « une idée en marche ». El cette marche, il y a des raisons solides de le croire, scia, malgré les dernières résistances, la mar- che victorieuse' d'une régénération intellec- tuelle ouvrant la voie à toutes les autres.

\nssi fût-ce avec nue certitude plus ferme de pouvoir être utile, en contribuant à ses pro- grès, que l'auteur entreprit, dans une série d'articles, également publiés par La Croix (i) de donner à son premier récit les compléments nécessaires, en répondant aux principales ques- tions qui lui avaient été posées par ses corres- pondants.

De ce récit et de ses compléments, qui attirè- rent à leur tour une intéressante correspon- dance, aussi bien que des sollicitations et des

(i) Numéros des 10, 12, i3, i/i, i5, 17 et 20 décem- bre 19 16.

58 l'introduction de la scolastique

avis de voix autorisées, la présente brochure est née.

Les questions posées portaient et sur l'oppor- tunité et sur la, méthode de l'entreprise, l»jm solution fera la matière des pages qui vont suivre.

It

LA QUESTION PRÉALABLE : L'opportunité de la scolastique.

L'idée d'une restauration de la philosophie scolastique dans l'enseignement de la jeunesse, devait, tout naturellement, soulever ce qu'on peut appeler la question préalable.

« Les sciences », qui sont, nul ne l'ignore, le grand fétiche de l'éducation moderne, ont fait, nous dit-on, depuis saint Thomas, d'innombra- bles progrès. Par conséquent, la philosophie médiévale est-elle bien en harmonie avec les exigences des cerveaux contemporains ? N'est- ce pas plutôt quelques-unes de ses méthodes et quelques-uns des points de sa doctrine, faciles à adapter aux besoins du jour, une néo-scolas- tique, si l'on veut, qu'il s'agit d'instaurer, plu- tôt que la scolastique du Moyen- Age ?

A cette première question, nous répondrons

6o L'iNTRODUCTIOK de la scolastique

tout d'abord que la scolastique dont il s'unit, celle que nous avons enseignée depuis l'origine de notre expérience, n'est nullement une petite construction plus ou moins éclectique, mais la doctrine philosophique officielle de V Eglise, dans tous les sens du mot (i), et par consé- quent la scolastique du Moyen-Age quœ a Sancto Thoma est tradita (•>)•

Au surplus, <•<> ternie de « scolastique du Moyen- Age », employé par certains de \u* cor- respondants, nous donne l'impression d'une tautologie. Il tend à laisser croire qu'il existe plusieurs espèces de scolastiques. Or, s'il existe bien, en effet, une scolastique arabe, une sco- lastique juive, une scolastique chrétienne, il ne s'agit évidemment, ici, que de celle der- nière, et cette dernière nous paraît bien n'avoir jamais constitué qu'une seule et unique espèce.

Le nom de scolastique, en effet, désigne l'en- semble de deux choses : une méthode d'inven- tion et d'exposition, qui esl le régime par excel- lence de tout hygiène intellectuel, el un sys- tème doctrinal, le plus parfaitement collèrent

(i) P. Richard 0. P. Introd. à lu scolastique, p. 233. (2) Encyclique Pascendi.

dans l'en-i K.MMIM ' >i condaire 6i

de tous ceux qu'ait produits l'effort philosophi- que des hommes. Ce prodigieux ensemble, finit de la sagesse antique, corrigée et fécondée par le génie chrétien, ;i été l'œuvre propre des

siècles les plus glorieux de l'Eglise, et en par- ticulier du xme, c'est-à-dire du Moyen-Age, il n\ a donc pas lieu de faire violence aux mots par des redoublements inutiles.

En tant que méthode, la scolastique présente des caractères assez nets, les innombrables railleries dont ils ont été l'objet le prouvent, pour qu'il ne vienne, à l'esprit de personne, le moindre doute sur son unicité.

Nous n'ignorons pas, disons-le en passant, que ce mot de scolastique, employé par nous, avec une telle insistance, fera probablement l'effet, à beaucoup d'esprits, même parmi les meilleurs, d'une sorte de provocation inoppor- tunément jetée aux gens de notre époque. On préférerait peut-être nous voir lui substituer l'expression moins rébarbative de « philoso- phie de saint Thomas ».

Nos raisons d'y tenir sont précisément que la scolastique n'est pas seulement un système

02 L'ïKTRODUCTION DE LA SGOLASTTQ1 K

doctrinal, mais encore une discipline intellec- tuelle et une méthode. Et, pour notre part, nous tenons autant à la discipline qu'à la doctrine. L'une est la Sauvegarde de l'autre. L'expérience a montré qu'on n'abandonne jamais la pre- mière sans de grands dommages pour l'inté- grité de la seconde.

El puis, celte discipline n'est pas seulement applicable à la philosophie. Toutes les autres matières de l'enseignement l'adopteraienl avec profit ; nous» en avons fait l'expérience pour quelques-unes : le latin, le grec, la littéra- ture française et l'histoire. Et nous avons cons- taté que les élèves s'en trouvaient si bien, qu'ils ne pouvaient plus; ensuite, se servir sans répu- gnance des manuels actuellement en usage. Ces manuels la multiplicité des choses inu- tiles, l'ordre capricieux et les longs délayages, font un contraste si frappant avec la sobriété, l'enchaînement, la brièveté de la méthode sco- 1 astique.

Nous comprenons sans peine que l'époque présente se raidisse et s'énerve contre ceux qui lui parlent de scolastique : c'est le frémisse- ment du malade impatient sous le révulsif qui seul peut le sauver. Mais nous estimons juste-

l>\\s i i \-i [GNBM1 ni SEI OND 11BE 63

ment que l'emploi de ce révulsif, loin d'être diminué devrait être généralisé. Et rien ne nous semblerait plus désirable que la création (l'une bibliothèque scolastique l'on trouve- rait, écrites selon la méthode du Moyen \ge, de -"lides petites « sommes » sur toutes les matières <le l'enseignement secondaire. L'idée, d'ailleurs, n'est pas une chimère, et nous croyons savoir qu'une « somme de littérature française » et qu'une « somme de mathémati- ques » sont en préparation.

En tant que système doctrinal, les auteurs de l'Ecole ont bien pu, et peuvent bien encore exposer dans leurs livres des opinions person- nelles diverses et même contraires, sur certains points controversés, mais les principes fonda- mentaux et les lignes essentielles n'en subsis- tent pas moins sous ces divergences accidentel- le-.. Ces divergences, d'ailleurs, n'ont guère, en pratique, l'occasion de nous embarrasser, car, pendant \me année, sept ou huit mois, plus exactement, que dure l'enseignement philoso- phique dans les collèges, on a tout juste le temps de mettre en place dans l'esprit des élè-

6/j l'introduction de la scolastiqle

ves, les grandes thèses principales. Celles, par exemple, de la certitude, de l'acte et de la puis- sance, de la matière et de la forme, de la vie, de la connaissance, du composé humain, de l'existence et des attributs de Dieu, du fonde- ment du bien et du mal, de la liberté et du devoir, de la nature de la société, etc..

.Néanmoins, nous avouons que certaines de ces grandes thèses ont pu se trouver déviées par certains écrivains. Il s'en est trouvé, par exemple, qui dans leur empressement à dissi- per, avant même qu'elle ait le temps de se bien définir, toute cause de conflit entre la vieille philosophie chrétienne et la science moderne (une dame d'humeur bien changeante) nous semblent avoir modifié dans un sens fâcheuse- ment favorable aux subjectivistes, la théorie scolastique de la connaissance sensible pour la mettre d'accord avec l'hypothèse de l'unité des forces physiques. Ce qui les a conduits à défi- nir la vérité comme l'accord du jugement i]e l'esprit, non plus avec la chose jugée, mais avec le substitut mental de la chose jugée. Et c'est une concession grave faite au cartésia- nisme.

Mais encore une fois, un*1 application même

DAN8 l 'ENSEIGNEMJ m 9E< ONDAIBE 65

incomplète, même faussée des principes, ne

les modifie pas en eux-mêmes. Malgré des mutilations de détail plus on moins graves, malgré des végétations adventices plus ou moins malheureuses, le vieux chêne scolasti- que reste debout, ferme sur ses racines, avec son énorme tronc plein de sève et ses branches puissantes, défiant à la fois, et l'ouragan des siècles qui passent en emportant une frondai- son qui renaîtra au prochain printemps, et la cognée mal habile ou ennemie qui fait tomber ses plus faibles rameaux ou égratigne son écorce, et le ver qui s'use à ronger ses radicelles et le gui ou la mousse parasites qui se consu- ment à l'épuiser.

Ces avatars indiquent tout simplement, à ceux qui veulent bien connaître la vraie sco- lastique, la nécessité de ne pas s'en tenir à une vue superficielle, qui risque de leur faire pren- dre les fongositçs pour l'arbre, mais de cher- cher à s'en bien préciser la structure véritable, à en pénétrer l'économie réelle et la vie intime. Pour enseigner cette philosophie, selon toute la pureté de ses lignes catholiques, il faut com- mencer par la bien connaître.

Et pour cela, fidèles aux prescriptions sans

66 l'introduction de la scolastique

cesse répétées de l'Eglise, la voie la plus sûre, c'eçt de suivre, pas à pas, renseignement de saint Thomas, et de ses interprètes les plus autorisés. « Pour éviter qu'on ne boive un liquide supposé pour l'eau véritable, ni une eau corrompue pour de l'eau pure, veillez, dit Léon XIII, à ce que la philosophie de saint Thomas soit épuisée aux sources mêmes (des textes du saint Docteur), ou du moins, à ces ruisseaux qui, sortis de la source même, cou- lent encore, purs et limpides, au témoignage unanime et assuré des doctes. Au contraire, détournez avec soin l'esprit des jeunes gens de ces autres ruisseaux qu'on prétend avoir la même origine, mais qui, en réalité, sont gon- llés d'eaux étrangères et insalubres. » (i) Donc (( quand Nous prescrivons la philosophie sco- lastique, ajoute Pie \, ce que nous entendons surtout par ceci est capital c'est la phi- losophie que nous a léguée le docteur Angéli- que. » (2) Et tout récemment encore. S. S. Be- noît XV, confirmant les désirs et les ordres de ses prédécesseurs, faisait affirmer sa volonté

(1) Encycl. Aeterni Pairie.

(3) Encycl. Pasccndi.

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 67

« de voir la doctrine du Docteur Angélique enseignée d'une manière exacte et profonde... c'est-à-dire, en prenant les principes, la doc- trine et la méthode de saint Thomas comme base et règle de l'enseignement philosophique et théologique. » (i)

Et maintenant, que la philosophie aristotéli- cienne et thomiste puisse s'harmoniser avec 1rs conquêtes modernes de la science, c'est une chose qui n'est point douteuse. Que l'on nous permette, à ce propos, de citer une page ma- gistrale et certainement prophétique de Léon XIII.

« Toutes les sciences humaines ont droit à espérer un réel progrès et doivent se promettre un secours efficace de la restauration, que Nous venons de proposer, des sciences philoso- phiques. En effet, les beaux-arts demandent à la philosophie, comme à la science modéra- trice, leurs règles et leur méthode, et puisent chez elle, comme à une source commune de vie, l'esprit qui les anime. Les faits et l'expé-

(1) Lettre du Gard. Bisleti à Mjrr. Baudrillart, 26 sep- tembre 191 6.

68 l'introduction de la scolastique

rience constante nous le font voir : les arts libéraux ont été surtout florissants lorsque la philosophie conservait sa gloire et sa sagesse ; au contraire, ils ont langui, négligés et pres- que oubliés, quand la philosophie a baissé et s'est embarrassée d'erreurs et d'inepties. Aussi les sciences physiques elles-mêmes, si appré- ciées à cette heure, et qui, illustrées de tant de découvertes, provoquent de toute part une admiration sans bornes, ces sciences, loin d'y perdre, gagneraient singulièrement à une res- tauration de l'ancienne philosophie. Ce n'est point assez, pour féconder leur étude et assu- rer leur avancement, que de se borner à l'ob- servation des faits et à la contemplation de la nature ; mais une fois les faits constatés, il faut s'élever plus haut, et s'appliquer avec soin à reconnaître la nature des choses corporelles et à rechercher les lois auxquelles elles obéissent, ainsi que les principes d'où découlent et l'ordre qu'elles ont entre elles, et leur unité dans la variété, et leur mutuelle affinité dans la diver- sité. On ne peut s'imaginer combien la philo- sophie scolastique, sagement enseignée, appor- terait à ces recherches de force, de lumière et de secours.

dans l'enseignement sbcondaire 6g

A ce propos, il importe de prémunir les esprits contre la souveraine injustice que l'on fait à cette philosophie, en l'accusant de met- tre obstacle au progrès et au développement des sciences naturelles. Comme les scolastiques, suivant en cela les sentiments des saints Pères, enseignent à chaque pas, dans l'anthropologie, que l'intelligence ne peut s'élever que par les choses sensibles à la connaissance des êtres incorporels et immatériels, ils ont compris d'eux-mêmes l'utilité, pour le philosophe, de sonder attentivement les secrets de la nature, et d'employer un long temps à l'étude assidue des choses physiques. C'est, en effet, ce qu'ils firent. Saint Thomas, le bienheureux Albert-le- Grand, et d'autres princes de la scolastique, ne s'absorbèrent pas tellement dans la contempla- tion de la philosophie qu'ils n'aient aussi apporté un grand soin à la connaissance des choses naturelles : bien plus, dans cet ordre de connaissances, il est plus d'une de leurs affir- mations, plus d'un de leurs principes, que les maîtres actuels approuvent et dont ils recon- naissent la justesse. En outre, à notre époque même, plusieurs illustres maîtres des sciences physiques attestent publiquement et ouverte-

70 L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

ment que, entre les conclusions admises et cer- taines de la physique moderne et les principes philosophiques de VEcole, il n existe en réalité aucune contradiction. » (i)

D'ailleurs, hâtons-nous de le dire, la crainte do voir la philosophie catholique s'exposer, en se produisant, à des rencontres malheureuses pour elle, avec la science moderne, peut partir d'un hon naturel, mais elle témoigne d'une connaissance par trop rudimentaire de ce que c'est que la science et de ce que c'est que la philosophie. Pour quiconque connaît exacte- ment la nature de l'une et de l'autre, la ques- tion ne se pose même pas. Les sciences au- raient-elles fait cent fois plus de progrès, ces progrès n'auront jamais rien qui puisse frap- per de caducité la philosophie scolastique. D'abord, par ce que des vérités certaines ne sauraient être en aucun cas contradictoires. Ensuite, parce que tout le progrès des sciences consiste ou à perfectionner nos moyens d'otf- servation et à rendre celle-ci plus minutieuse, ou à observer de nouveaux faits, ou à percevoir -entre ces faits de nouveaux rapports, ou à dé-

(i) Encycl. Aeterni Patris.

DAN8 i i \--i ii.mmi NT SE< ONB uni 7 1

couvrir de nouveaux principes, ou à tirer des principe» de nouvelles applications. Or, la phi- losophie c^t la science des causes premières, c'est-à-dire de principes absolus, immuables, nécessaires ; comment toutes ces choses, qui n'en sont, en définitive, que les effets, pour- raient-elles bien la contredire ?

\u surplus, ces fameux progrès de la science, si réels qu'ils puissent être, sont vus, par beau- coup de gens, à notre époque, avec une loupe exagérément grossissante. Nous ne les nions pas, certes, et nous professons qu'un philoso- phe ne saurait être trop savant ; mais nous pro- fessons aussi qu'un savant ne saurait être trop philosophe, et nous nous défions assez de ces théories tapageuses qu'on abrite si souvent der- rière le nom de la Science, alors qu'il n'y a der- rière elles que l'opinion d'un Monsieur.

Et quand ce Monsieur, fut-il aussi chargé de parchemins officiels qu'on peut l'être, laissât-il tomber ses oracles du haut des chaires les plus élevées, s'appelât-il des noms les plus retentis- sants, affirme lui-même que l'intelligence est une maîtresse d'erreur, que nous ne pouvons

72 L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

rien savoir avec certitude, que la perception extérieure n'est pas une intuition des choses, mais une construction de notre esprit, que le monde des corps ne peut nous être connu que par hypothèse, que le grand progrès de la science consiste à ne plus s'efforcer d'étudier le pourquoi, mais seulement le comment des cho- ses, que les contradictoires s'identifient d iih les profondeurs supra-logiques, que le néant est une catégorie plus riche que l'être, et que pour comprendre toutes ces belles choses, i! faut que notre esprit opère une torsion sur lui-même, impossible à soutenir au-delà de quelques ins- tants ; quand ce Monsieur est d'ailleurs incapa- ble d'accorder ses dires avec ceux de ses voi- sins, ou simplement de rester d'accord avec lui- même pendant l'espace de quelques centaines de pages, nous osons trouver qu'il ne constitue pas une autorité suffisante pour contrebalancer dans un esprit sérieux, celle de l'imposant cor- tège que forment, au long de plus de sept siè- cles, nos docteurs scolastiques anciens et mo- dernes, pour ne rien dire de leurs prédéces- seurs ; nous osons trouver que ses sourires de commisération pour « notre pensée fossile » ou 3es froncements de sourcils, à l'égard de notre

dans l'enseignement secondaire 73

Irrévérence pour ses sublimes doctrines ne sont pas un motif suffisant pour nous faire hésiter dans l'exécution des ordres réitérés de nos Sou- verains Pontifes, nous enjoignant d'en revenir, dans les Grands Séminaires, dans les Instituts Catholiques, en attendant, peut-être que nous puissions ajouter dans les écoles catholiques de tous degrés et de toutes directions, à l'enseigne- ment traditionnel de la philosophia perennis du bon sens et de la raison.

Et puis, dans les sciences, pour employer un pluriel moins emphatique que le singulier (i), y a lieu de distinguer deux parts d'inégale valeur, avant de s'incliner devant elles aussi profondément que croient devoir le faire beau- coup de nos apologistes. L'une est celle des acquisitions définitives, des vérités certaines, l'autre est celle des hypothèses. Or, si dans les

(i) Le terme exact serait celui de disciplines. Elles ne sont, en effet, qu'une multitude de chemins divers convergeant des frontières de l'intelligibilité vers la science, c'est-à-dire vers l'assimilation de l'intelligence à ['être réel in se. Elle? ne sont, par conséquent, science qu'en participation.

-}k ,'lNTJKODUCTJON DE LA SCOLASTIQUE

traités scientifiques que l'on nous jette à la tête pour écraser notre ignorance, on élimine la deuxième, le nombre des pages qui restent pour la première, forme un volume déjà beau- coup moins imposant. Et ce n'est pas tout encore, si dans ce petit nombre de pages, on s'avise, en outre, d'opérer le départ entre ce qui n'est qu'observation de faits particuliers, procès-verbal de rapports contingents, et ce qu'on y pourrait espérer de vérités universelles et par conséquent de véritable explication scien- tifique, pour n'en retenir que cette substan- tielle quintessence, seul aliment adapté aux exigences profondes de l'esprit, on est effaré de voir fondre comme neige, ces gros blocs de papier pourtant si doctement noircis. Et l'on demeure pantois de constater, en somme, qu'après tant et de si tapageuses promesses, l'esprit y trouve peut-être beaucoup moins son compte que dans certains traités scientifiques du Moyen-Age.

Car, enfin, malgré qu'on en ait, la minutie de l'observation n'est pas la mesure de l'intelli- gence. Il est aisé de rire, en comparant les cons- tats sommaires que les scolastiques dressaient des faits et des choses de l'ordre physique, avec

Itws r/ENSEIGNEMENT SECONDAIRE '■>

les Inventaires méticuleux qu'eu dressent les savants modernes : niais tout de même, avanl de rire, il faudrait être sur de ne pas prêter soi- même au ridicule, en se peignant l'intelligence sous une image burlesque de vieux commissaire priseur à lunettes. Car ce rire, à son tour, ferait penser à un masque commode aux imbéciles p.nir se déguiser en gens d'esprit. Si l'on veut s*amuser, après Molière, de la « vertu dormi- tive » de l'opium, nous y consentons volon- tiers, mais à la condition qu'on nous donne une explication meilleure. Or, pour ne prendre que cet exemple, qu'a-t-on trouvé de mieux ? On a « décomposé » l'opium, et l'on en a tiré des (( alcaloïdes », on a poussé plus loin l'anatomie humaine, et l'on a trouvé et analysé la cellule nerveuse, puis l'on a déclaré triomphalement que si l'opium fait dormir, c'est parce que ceux-ci ont un pouvoir anesthésique à l'égard de celle-là. Nous avouons humblement ne pas voir en quoi ce « pouvoir anesthésique r diffère de l'ancienne « vertu dormitive ». L'analyse des termes a reculé le problème, elle l'a transporté d'un plateau sur une pointe d'aiguille, mais la solution, sous des mots différents est restée identique. Y avait-il vraiment lieu de rire ?

76 l'introduction df. la scolastique

Que nous sert, après tout, cette prodigieuse moisson d'observations et d'expériences, si notre esprit n'en pénètre pas mieux la nature des choses, ne s'explique pas avec plus d'évi- dence le pourquoi des faits ? Car, avant tout, c'est ce qui lui importe. L'un des ancêtres les plus révérés de la science moderne ne l'a-t-il pas proclamé lui-même, après Aristote, après saint Thomas, et avec tout homme qui regarde vivre son intelligence : vere scire, per causas scire, savoir vraiment, c'est savoir par les cau- ses (1). On a beau vouloir juguler l'esprit, lui déclarer tout net qu'il n'a pas à se réoccuper du pourquoi, mais seulement du comment des choses ; que, même cette substitution d'inter- rogation est le grand progrès des sciences mo- dernes ; que chercher les pourquoi c'est s'éga- rer dans le royaume des chimères ; il n'en reste pas moins que tout homme, en dépit de tous les efforts contraires, veut et voudra toujours savoir le pourquoi de ce qu'il constate. Sa vo- lonté même n'arrivera jamais à imposer à son intelligence une impossible résignation de droits à la vérité, à la cause et à la cause der-

(1) F. Baco>, \ovum Orgnnutn, L II. ail.

l>\\> L I-..N-I h.M- Ml M Bl -.i.(»M)\I1U: 77

nière. Pourquoi !... ce cri-là, aucune clameur ne l'étouffera jamais.

Alors, il faut Iticu essayer une réponse. Mais en revenir à « l'ancienne métaphysique », allons donc ! Ou préfère entasser les hypothèses les plus invraisemblables et les plus contradic- toires. Et c'est alors que les scientifiques moder- nes offrent gratuitement aux « attardés » de la scolastique, le réjouissant spectacle de savants Gribouilles qui, par peur du ridicule, s'y préci- pitent à corps perdu.

Est-il quelque chose de plus comique que la gravité avec laquelle, en chimie par exemple, on nous explique l'isomerie et l'allotropie, en faisant jouer aux quatre coins, dans un petit polygone qui figure une hypothétique molé- cule, d'hypothétiques atomes munis ou non de tentacules crochus (i); en biologie, on nous dé- finit la vie par l'ensemble des fonctions qui ré- sistent à la mort, et la mort, par la cession des fonctions de la vie ? Il n'est pas jusqu'aux ma-

(i) Si les « formules développées » auxquelles nous fai- sons allusion n'étaient que de simples symboles, desti- nés à aider la mémoire et à faciliter les calculs, elles n'auraient rien que de très légitime. Ce que nous cri- tiquons, c'est la valeur explicative qu'on leur donne.

78 l'introduction de la scolastique

thématiques l'on n'ait introduit les plus extravagantes théories, comme ces droites iso- thropes qui sont perpendiculaires à elles-mê- mes ; ces points cycliques du plan par lesquels passent, bon gré mal gré, tous les cercles que l'on peut tracer dans ce plan, même s'ils sont éloignés par des kilomètres ; cette sécante com- mune à deux cercles qui n'ont aucun point de commun ; ce foyer des coniques qui serait un cercle de rayon nul bitangent à ladite coni- que ! (1) etc....

Il est tout de même difficile de prendre au sérieux de pareilles... affirmations. Et pour- tant, si nous parcourions toutes les sciences, telles qu'on les enseigne aujourd'hui dans les

(1) Nous n'ignorons pas que les « imaginaires » aux- quelles nous, faisons encore allusion, ne sont en fait ni des lignes, ni des plans, ni des volumes, mais seule- ment des relations algébriques purement idéales, de sim- ples êtres de raison, qu'il peut être for! utile de savoir calculer. Il n'en reste pas moins qu'il est bien drôle d'entendre appeler « imaginaires » des choses dont le propre est précisément de ne pouvoir être imaginés, mais seulement conçues. Et de voir perpétuellement confondre de purs concepts numériques, sans' aucun fondement dans la réalité, avec des concepts géométri- ques qui en sont directement abstraits, et cela, à la faveur d'une simple analogie de structure dans les équa- tions fournies par l'un et l'autre ordre d'idées.

i>\\> i i:>sl:[gnement secondaire 79

plus illustres facultés, on en recueillerait assez pour emplir quelques gros volumes. On avouera que ce serait d'une lecture éminemment drola- tique.

Sans doute, on ne manquera pas de dire que noire irrévérence à l'égard de toutes ces mer- \ cilles, proyienl d'une incompréhension pro- fonde des doctes élucubrations sur lesquelles on les établit. Si doctes pourtant qu'elles puis- sent être, du moment qu'elles aboutissent à des absurdités qui aveuglent le bon sens, il doit y falloir tellement de « torsions de l'esprit » sur lui-même, que la droiture naturelle de l'esprit, à moins d'avoir été faussée par une orthopédie spéciale, ne s'y soumettra jamais sans protes- ter.

Somme toute, à bien considérer les choses, les savants et les philosophes modernes ressem- blent à ces avares qui finissent par mourir de faim devant leurs coffres chargés d'or. Par un merveilleux labeur, dont nous ne contestons ni l'intensité, ni les résultats, ils ont accumulé des trésors d'observations nouvelles et précieuses ; mais quand il s'agit d'en tirer le moindre grain de mil pour la nourriture de l'esprit, ils s'en

8o l'introduction de la scolastiqle

attestent radicalement incapables. Nous serions curieux de les voir, par exemple, non? expli- quer rationnellement, sans recourir à la théorie de la matière et de la forme, la différence qu'il y a entre un « mélange » et une « combinai- son » ou les phénomènes de dilatation et de compression réelles sans recourir à la théorie de la quantité et du lieu. Tant et si bien, qu'il faudra tôt ou tard que ce soit les scolastiques qui viennent leur tendre une main secourable et les tirer d'affaire.

Pour en arriver là, convenait-il vraiment de tant rire, et les scolastiques ne pourraient-ils pas, sans la moindre vanité, reprendre à leur compte, pour le lancer à leurs adversaires, le mot de Tertullien : « En fait de science, comme en fait de méthode, quoi que vous en pensiez, vous n'êtes pas nos pairs ».

Car les scolastiques, avec leur métaphysique, que nous recommande surtout l'Eglise, dans la philosophie de saint Thomas, possèdent la clef de l'intelligibilité des choses.

Nous ne prétendons certes pas qu'ils ont ouvert toutes les serrures, mais nous soutenons qu'ils en ont ouvert beaucoup qu'on a laissé se refermer depuis, et qu'ils peuvent en ouvrir

DANS I I.N-I K. \IMI\r SECONDAIRE 8l

beaucoup encore, même parmi celles qui pa- raissent le plus hermétiquement fermées.

Henri Poincaré n'a-t-il pu- dit un jour : « Si le- véritables loi- qui régissent l'univers nous étaient montrées, nous ne les comprendrions probablement fias, tant elles doivent être sim- ples ».

C'esl (pie les sciences eonstatent, sans doute, et avec une minutie qui n'est pas sans un grand mérite, les modes les plus généraux suivant les- quels naissent les agents naturels qu'elles étu- dient, mais elles ne sauraient aller au delà. Ces modes généraux, elles les appellent des lois. Mais ce terme est impropre, car la loi est for- mellement, un ordre raisonnable.

Or l'ordre de fait que présentent les choses à l'observation empirique, laquelle d'ailleurs, n'en saisit jamais que des aspects fragmentai- res et épais, est inintelligible pour quiconque ne trouve pas le lien qui le rattache à un ordre universel et simple, un ordre de droit qui l'ex- plique.

L'ordre constaté et plus ou moins contingent dans l'opération, qui est l'acte second des agents réels, est fondé sur l'ordre nécessaire et transcendant de leur nature intime, de leur

6

82 l'jNTBODUCTIOM DE LA 8COLASTIQUB

forme, qui est leur acte premier, et cet acte premier lui-même ne peut s'expliquer qu'en raison de l'Etre.

Notre philosophie est « la philosophie de l'être » et voilà pourquoi il lui est possible de donner le dernier mot du phénomène et du devenir, le propter quid, qui, seul, explique le (juia.

Mais ce serait dépasser la portée de ce travail que d'établir, ici, les titres de la philosophie scolastique au rôle qui devrait être le sien dans la formation de la jeunesse. Il existe, sur sa nature, sa discipline, sa doctrine, son opportu- nité, un ouvrage magistral qui devrait être le bréviaire de tous les professeurs de philosophie, c'est Y Introduction ù l'étude et à l'enseigne- ment de la scolastique (i) par le P. Richard O.P. Si l'on veut sincèrement savoir ce que c'est que la scolastique, soit avant de l'enseigner, soit même avant de la combattre, c'est dans cet ou- vrage qu'il faut aller s'en renseigner.

(i) Paris, Bonne l'resse, 1913.

III

LES OBSTACLES :

Sectarisme et confusion des idées et des langues.

La question préalable une fois résolue, il faut en aborder une autre. Et celle-là se fonde sur une crainte en grande partie chimérique : la réponse scolastique aux questions posées à l'examen ne risque-t-elle pas de se heurter à une fin de non-recevoir de la part d'un grand nombre d'examinateurs ?

Nous pourrions alléguer notre propre expé- rience et nous contenter de répondre : voyez les résultats.

Mais on nous objecte aussitôt que, si ces résul- tats sont probants pour Paris, ils ne résolvent pas la question en ce qui concerne les autres facultés.

Voyons ce cru'il en est.

84 l'introduction de la scolastioue

Pour cela, nous examinerons : les raisons pour lesquelles un examinateur pourrait « reca- ler » un candidat scolastique ; par quels moyens appropriés on peut vaincre ou tourner la difficulté.

Les raisons nous n'entendons pas seule- menl les raisons raisonnables, mais encore les autres qui pourraient pousser un examina- teur, uous semblenl pouvoir se réduire à trois : le sectarisme : •.>" la discordance d<- la termi- nologie ; l'opposition des idées.

Le sectarisme est, de tous les écueils, le moins sérieux, même en province. À la Sorbonne, nous avons l'avantage de posséder autant de francs-maçons, de juifs, de protestant-, de libres-penseurs que dans aucune autre Acadé- mie. Cependant, la vérité nous l'ait un devoir de réconnaître qu'il est très peu de ces mes- sieurs qui en soient restés à cette mentalité grossière de « bouffeurs de curés » qu'on leur prête injustement à tous. Certains mêmes, on l'a pu constater en plusieurs circonstances, tout

DANS i i SSEIGN1 mi ni 3E( 0NDAIB1 80

adversaires qu'ils soient de nos croyances, met- tent une sorte de coquetterie à se montrer bien- veillants pour les catholiques. Enfin, ces mes- sieurs sonl en général plus éclectiques H scep- tiques que dogmatistes, et ce qu'ils demandent à l'élève, c'esl plutôt de faire montre de con- aaissances, dans un style agréable, que d'affir- mer des opinions.

Restent donc les exceptions. Il y en a quel- ques-unes, nous le reconnaissons aussi. Pour s'en rendre compte, il suffit d'assister à certai- nes interrogations orales. Mais pourquoi le publie lettré n'use-t-il pas plus largement du droit qu'il a de les écouter ? Ces interrogations sont publiques, et si l'on y craint quelques mani- festations de sectarisme, le meilleur moyen de les prévenir ou de contribuer à les réprimer, ne serait-il pas, pour les pères et mères de famille chrétiens, pour les représentants de leurs associations, pour les journalistes catho- liques, d'y venir exercer personnellement une surveillance et un contrôle aisés.

Certains examinateurs, sujets à caution, pourraient avoir besoin de sentir peser sur eux la menace de voir relever, en public, dans les colonnes d'un journal, par exemple, ou en par-

86 l'introduction ue la scolastkjlk

ticulier, par la visite d'une délégation énergi- que, les interrogations qu'il peut leur échapper de poser. Tel, par exemple, celui qui demanda en juillet 19 16, à un jeune candidat ce qu'il pensait de la vertu de Jeanne d'Arc, el formula pour sa part, un avis négatif. Tel, encore, cet autre individu qui, à la même ses- sion, se permit d'interpeller un élève en ces termes galants : « Ah ! vous sortez d'une boîte à curés ! Eli bien, parlez-moi de Pie IX. » Mais nous le répétons, ces manifestations de mau- \ais goût sont plutôt exceptionnelles. Il en est de même pour les sujets de dissertations écri- tes. Quand ils ont un caractère tendancieux, ils n'arrivent pas toujours s'ils s'en donnent la peine à le déguiser tellement qu'il ne soit aisé de le reconnaître... et de le signaler, avec les commentaires utiles à l'attention pu- blique, ou parlementaire ou ministérielle.

Et maintenant, d;ms l'hypothèse d'une mani- festation d'esprit sectaire, bien caractérisée, comme c'est au catholicisme lui-même, bien plus qu'à la scolastique que le sectarisme s'en prend, il est évident (pic certaines questions sont, de leur nature, dangereuses. Mai» qu'\ faire ? On ne peut tout de même pus acheter un

DAN8 i i \-i i«.m Ml N I SECONDAIRE s7

diplôme par tirs capitulations de conscience, el dans ces conditions, un catholique, qu'il soit scolastique ou non, est obligé de répondre non, l'examinateur veut un oui, et de répondre oui il n cul un non .

D'ailleurs, les questions les plus dangereuses ne soûl pas en philosophie, elles sont en liis- toire. El là. elles fourmillent, et avec la com- plication redoutable de leurs conséquences poli- tiques actuelles et des passions qu'elles re- muent. Pourtant', dans nos établissements chré- tiens, on n'a jamais paru s'en beaucoup émou- voir. On nous semblerait donc mal venus à s'ef- frayer pour la philosophie d'un péril moins grave et moins fréquent que celui que l'on court ailleurs sans même y prendre garde et depuis si longtemps.

Mais enfin, mettons les choses au pire, et sup- posons que, la foi n'étant pas directement en- gagée, l'examinateur soit sectaire et le candidat scolastique. N'y a-t-il aucun moyen de franchir l'obstacle ? Si. \ côté même de l'écueil, il est des circonstances favorables dont il faut savoir profiter et grâce auxquelles il est aisé de

ôb L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

le tourner, toutes les fois qu'on ne se trouve point acculé h la nécessité de conscience de le choquer de front. La principale de toutes c'est l'ignorance profonde sont la plupart des uni- versitaires, sectaires ou non, de tout ce qui tou- che à la philosophie scolastique. Il suffit d'ou- vrir leurs livres pour s'en convaincre.

Si l'on parcourt, par exemple, le cours de psychologie de M. Roustan, on \ trouve bien, siu' les diverses questions du programme, tout un exposé de solutions apportées par divers phi- losophes, même les moins accessibles à des jeu- nes gens de 17 et 18 ans. Mais on remarque bientôt que presque tous les auteurs cités sont compris dans une série qui va de Descartes à MM. Bergson et W. .lames. De l'Antiquité pres- que rien ; du Moyen- ^ge rien du tout, même sur les questions que le Moyen- \ge a le plus étudiées. M. Roustan n'estime ou ne connaît que la philosophie moderne.

Voici tout ce qu'il trouve à dire du Moyen- Age dans un petit coin du chapitre intitulé : Histoire du problème de l'origine des princi- pes et qui traite, en somme, de la connaissance intellectuelle si abondamment étudiée par saint Thomas :

DANS i i NSEIGNEM] \ i BEI ÔND uni

« On sait <]ii<' la philosophie du moyen-âge, tout en se réclamanl d'Aristote, en méconnut souvent la pensée véritable (1) qu'elle s'exagéra la vertu propre du raisonnemenl syllogistique, dédaigna l'expérience et aboutit à la creuse science des scolastiques dont on a pu dire qu'ils prenaient la paille des termes pour le grain des choses. Considérer le syllogisme comme un moyen de découverte qui se suffit à lui-même, c'était croire que l'esprit peut tirer La science de son propre fond. »

C'est tout ! et dans ces quelques lignes

(i) On se demande si M. Roustan, lui-même, a mieux compris Aïistote et même s'il l'a jamais lu. Voici, en effet, le résumé fantaisiste qu'il fait un peu plus haut d'une partie, non la moins importante, de la doctrine du Philosophe : « AristOte a distingué... une faculté pro- pre à l'homme, le Nous qui e.si la connaissance des pre- miers principes. Le Nous n'a pas de naissance, il est éternel. Il se mélange pour ainsi dire à l'âme humaine. En lui-même, il n'a rien d'individuel. C'est une sorte de raison impersonnelle qui s'implante momentanément en l'homme et qui s'en sépare quand le corps se dis- sout ». Et M. Roustan ajoute en note : « La doctrine du Nous et en particulier la théorie du Nous iroôïjTtxoç est l'une des parties les plus ohscures de la philosophie d'Aristote. » Au surplus, il s'en console aisément : « La psychologie contemporaine n'a d'ailleurs peut- être pas un très grand intérêt à éclaircir ces difficultés historiques.»

go L INTRODUCTION DE LA SOOLASTIQt E

M. Roustan trouve le moyen d'attribuer au Moyen- Age en bloc, en le lui reprochant, son propre subjectivisme !

Voici, encore, ce qu'en dit M. le Dr Pierre Janet, professeur de psychologie au Collège de France dans son Manuel du Baccalauréat, p. 4i6 :

« La Scolastiqae. C'est le nom par lequel on désigne la philosophie qui a été enseignée pendant le moyen-âge et qui a commencé dans les écoles, scholae fondées par Charlemagne autour de son palais. Elle a deux caractères gé- néraux : c'est une philosophie religieuse qui expose et discute toujours les dogmes du chris- tianisme ; c'est une philosophie complète- ment dépourvue d'originalité qui se borne à des commentaires (\<^ doctrines antiques, en parti- culier à un commentaire de l'organon, c'est-à- dire des ouvrages logiques d' Vristote.

La scolastique se divise en trois périodes, caractérisées par l'indépendance plus ou moins grande de la philosophie vis-à-vis de la théolo- gie ». (0

Voici encore ce qu'en dit M. {>- Séailles,

(i) Toutes le? italiques sonl de M. P. Janet.

Ii\\> i. BNS1 IGN1 Ml NT SE< ONDAIRE <jl

Becondé pourtanl de Paul Janet, en son His- toire de lu Philosophie, p. gg8 :

« Ce qui d'abord caractérise la philosophie du moyen-âge, c'est l'abus de l'autorité. On croil que la vérité est trouvée, qu'elle est dans les Livres Saints et dans les œuvres des anciens philosophes, qu'il n'y a plus qu'à l'en dégager... On peut donc dire que, pour ce qui est de la philosophie, le moyen-âge n'est que le prolongement de l'antiquité... Le second carac- tère du moyen-àge est le foi nudisme, l'abus du procédé syllogistique. On se préoccupe moins d'établir des principes vrais que de déduire avec rigueur les conséquences de principes admis sans examen. »

Nous pourrions ajouter à ces échantillons de la connaissance qu'ont les universitaires de la philosophie scolastique, beaucoup d'autres ju- gements tout aussi sommaires et toul aussi jus- !•••>. Mais à quoi bon ? (i)

(i) Ce que nous ne pouvons pas ne pas ajouter, c'est l'expression de notre stupeur, quand nous entendons un prêtre et un religieux borner l'aperçu qu'il prétend donner de la scolastique à ses élèves, à une répétition presque littérale de ce qu'en disent les universitaires. Voici, en effet, ce qu'on lit dans le Cours de plrilosophic du P. Lahr, T. II, p. 471 '■ « Les caractères de la sco-

92 L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQLi:

Tout ce que ces messieurs savent de la sco- lastique quand ils en savent quelque chose, ce qui n'est pas fréquent se ramène à quel- ques formules récoltées an hasard de lectures superficielles el dédaigneuses, faites dans quel- que ouvrage de seconde ou de troisième main, formules généralement mal comprises et mal interprétées (i) ; à quelques termes qu'ils citent, aAec un souverain mépris, sans en comprendre le sens, comme un exemple ridicule de la bar- barie médiévale.

lastique sont : a) un attachement inviolable au dogme catholique et d'où elle s'applique à déduire les consé- quences philosophiques, d'après ce principe que la rai- son et la foi ne sauraient se contredire, b) (n respect parfois exagéré pour l'autorité des anciens et en parti- culier d'Aristote, prcecursor Christi irt rébus naturalibus comme elle se plaît parfois à le nommer, c) Enfin, l'usage presque exclusif de la déduction et de la méthode syllo- gistique elle excelle, mais elle puise le goût des distinctions subtiles qui dégénérera plus tard en vain formalisme et en discussions oiseuses. » Et «'est tout ! Après une telle présentation, qu'on nous dise quelle estime pourront bien avoir les élè\cs de rr prêtre pour la philosophie officielle de l'Eglise.

(i) En voici encore un exemple cueilli dans le Résumé aide-mémoire de L. Dugas, à l'art. Toucher, p. i5 : « On admet parfois un sens cénesthésique, qui n'est pas sans analogie avec l'ancien sens commun <srn- sorium commune). Ce sens centraliserait les sensations

Ii\s- i 'EN81 [GN1 Ml NT 8E< 0NDAIR1 j)3

Pour éviter de mettre en émoi les mauvaises dispositions quelquefois réelles, plus générale- ment supposées, des examinateurs, il n'y a qu'à

éviter de leur donner l'éveil, en dressant les élèves à proscrire avec soin de leurs disserta- tions et de leurs réponses toute locution scolas- tique, tout en leur recommandant, cependant, pour l'hygiène de leur pensée, de ne point per- dre ces locutions de vue, dans leur for-inté- rieur.

Le second obstacle serait plus sérieux que le premier. Il ne vient plus de la mauvaise volonté de l'examinateur, mais des conditions se trouvent à la fois l'examinateur et le candidat.

Toutes les sciences ont leur terminologie propre, grâce à laquelle ceux qui les cultivent

venues des différentes partie* du corps, particulière- ment les sensations internes, digestives ou autres... » Assimiler le toucher cénesthésique au sens commun, c'est montrer clairement qu'on ignore tout à fait ce que c'est que le serisorinm commune des scolastiques ; M. Dugas s'abuse sur deux applications différentes du ternie « commun » (xotvo;).

i|j L'INTRODUCTION DE LA BCOLA8TIQUE

peuvent s'entendre entre eux. La philosophie, elle, jouit en France, du singulier privilège de n'avoir pas de vocabulaire.

C'est, sans doute, très commode pour dissi- muler, sous le vague des mots, le vide de la pen- sée ; c'est on ne peut plus pratique pour jeter la confusion dans les esprits, quand on a des raisons pour les empêcher de voir clair ; e'esl éminemment favorable pour permettre au pre- mier écrivassier venu avantage très démo- cratique — de pouvoir décorer du nom de phi- losophie ses plus lamentables divagations ; mais c'est fort gênant pour se faire entendre de ceux à qui l'on peut avoir à répondre.

On voudra bien, toutefois, noter que cel em- barras n'est nullement une circonstance dépen- dante du système de philosophie soutenu par le candidat. A moins, en effet, d'avoir appris la philosophie dans un manuel composé par l'exa- minateur, ce qui est bien chanceux, ou d'être interrogé par son propre professeur, ce qui esl illicite, n'importe quel candidat, soutenant n'importe quelle opinion devant n'importe quel examinateur a toutes les chances possibles de ne pas parvenir à s'entendre avec celui-ci.

Le sens des mots varie d'un auteur à l'autre

1>\\> i i NSI IGN1 mi M BEI OND URE <)■'

et d'une page à l'autre dans un même auteur. L'un appelle analyse ce que l'autre appelle syn- thèse ; celui-ci prend successivement le mol inclination dans le sens d'appétit naturel, d'ha- bitude, d'appétit sensitif, de passion, (Y instinct, celui-là confond la passion avec le vice ; l'autre joue aux quatre coins avec les mots de sensa- tion, de perception, d'aperception, d'excitation, d'impression ; ici la liberté morale est prise dans le sens de liberté physique interne, -pen- dant que toute la liberté physique se réduit à la liberté extérieure, etc..., etc.. Nous n'en sor- tirions pas s'il fallait tout énuniérer.

Les mots les plus clairs par eux-mêmes se voient outrageusement dépouillés de leur sens propre et rendus ambigus : la loi morale de- vient un conseil pressant, le devoir de- vient un sentiment, Dieu devient « l'ensemble des causes premières » (i), l'âme " devient « équivoque : ce mot désigne ou bien une entité métaphysique, une substance distincte du corps et qui survit au corps, ou bien la série des faits de conscience ». (2)

(1) Pierre Janet, Manuel du Baccalauréat, p. 6. (a) L. Dugas, Résumé aide-mémoire, p. 3.

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L INTRODUC ON DE LA SCOLASTIQUE

C'est la tour de abel !... Vraiment, ils nous semblent bien av s, ces Messieurs, de repro- cher à la scolastiqi , ou son « jargon barbare », ou son « formai is e », ou son « abus du syl- logisme »' on son fétichisme de l'autorité ». Il y a une autorité ont ils peuvent se vanter de n'être pas fétichi s : c'est l'autorité du bon sens.

Cet état de chosi dans lequel les scolastiques ont une part de 1 ponsabilité, il faut le dire, et nous l'explique >ns plus loin, constitue un très réel danger nr les candidats au bacca- lauréat. Et ce da er y est peut-être la plus grande cause d'éc c. En tout cas, il nous pa- raît être la cause le la faiblesse remarquable de la moyenne g 'raie des notes de philoso- phie, comparée à lie des autres matières clans l'ensemble des rés tats de l'examen.

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DANS L ENSEICNEM1 ONDAIRE

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ficulté, c'est de s'en rendre m compte exact. Nous soutenons que les canedats nourris dans la discipline scolastique y sol plus aptes qu'au- cuns autres. En effet, connu nous l'avons déjà dit, l'un des caractères d< i goure use dis-

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que les candidats farcis des lanuels en vogue, habitués au vague, à l'impr< ion de la pensée et du langage, ne voient guee autre chose, en général, dans une que philosophique,

qu'un chaos d'idées confuses impossible à ma- nifester autrement que par ue littérature nébu- leuse. L'obstacle leur échapj quand, par une

96 L'INTRODUCTION DE LA SCOLASTTQ1 I

C'est la toar de Babel !... Vraiment, il? nous semblent bien avisés, ces Messieurs, de repro- cher à la scolastique, ou son « jargon barbare », ou son « formalisme », ou son « abus du syl- logisme » ou son « fétichisme de l'autorité ». 11 y a une autorité dont ils peuvent se vanter de n'être pas fétichistes : c'est l'autorité du bon sens.

Cet état de choses, dans lequel les scolastiques ont une part de responsabilité, il faut le dire, et nous l'expliquerons plus loin, constitue un très réel danger pour les candidats au bacca- lauréat. Et ce danger y est peut-être la plus grande cause d'échec. En tout cas, il nous pa- raît êlre la cause de la faiblesse remarquable de la moyenne générale des notes de philoso- phie, comparée à celle des autres matières dans l'ensemble des résultats de l'examen.

Mais si ce danger constitue une menace pour tous les candidats, ceux qu'il menace le moins, parce qu'ils sont mieux outillés pour y parer, ce sont les candidats solidement nourris de scolas- tique.

La première condition, pour vaincre une dif-

DANS i i \-i.n.\l.Mi n i BB< ONDAJRE 97

fi culte, c'est de s'en rendre un compte exact. Nous soutenons que le> candidats nourris dans la discipline scolastique y sunt plus aptes qu'au- cuns autres. En effet, comme nous l'avons déjà dit, l'un îles caractères de celte vigoureuse dis- cipline, c'est d'être éminemment logique, d'avoir une langue précise tous les termes employés répondent à une idée claire et possè- dent une signification rigoureusement déter- minée. Ceux qui ont été habitués à un tel régime ne peuvent pas ne pas être frappés de l'incohérence du langage philosophique em- ployé ii l'Université, et se trouver, par le fait même, mis instinctivement en garde contre les multiples dangers de confusion qu'il présente. Tout naturellement, la question étant posée, ils rechercheront deux choses : ce que l'exami- nateur a voulu dire exactement ; le moyen de lui bien faire entendre leur réponse. Tandis que les candidats farcis des manuels en vogue, habitués au vague, à l'imprécision de la pensée et du langage, ne voient guère autre chose, en général, dans une question philosophique, qu'un chaos d'idées confuses ; impossible à ma- nifester autrement que par une littérature nébu- leuse. L'obstacle leur échappe, quand, par une

98 L'INTRODUCTION DE LA BCÔJ iSTlQI i

aberration fréquente, ils n'en arrivent pas à y voir un moyen ou une condition de succès.

La deuxième condition, pour vaincre une dif- ficulté, c'est de trouver et de savoir mettre en œuvre le moyen convenable Ce moyen, dans le cas présent, quel peut-il bien être ?

C'est tout simplement d'habituer l'élève à considérer toujours l'examinateur comme un étranger et à procéder avec lui comme avec un homme dont on ignore la langue.

Si les circonstances vous forcent à vivre avec lui Chinois ou un Lapon, il faut bien arriver à vous en faire entendre. Pour cela, comment vous y prendrez-vous ? Vous le conduirez au- près des objets dont vous voulez lui parler, vous les lui montrerez du doigt, vous les lui ferez palper, sentir, etc., en un mot, vous lui met- trez l'article en main, puis alors seulement, vous prononcerez clairement le mol qui le dési- gne. Ainsi, peu à peu, vous établirez un voca- bulaire commun qui vous permettra de conver- ser.

C'est ainsi qu'il faut procéder : habituez l'élève, pendant tout le cours de -es éludes, à

L>\\> I i:\Mh.MMl\l SKCO.NDAIRE 99

faire voir, à faire toucher du doigt, pour ainsi dire, à *<>u examinateur, la chose, le fait, le phénomène, la notion dont il veut lui parler et à ne les nommer qu' ensuite, d'un mot pris dans la langue commune et ramené, autant que possible, à son sens étymologique.

Si c'est l'examinateur qui parle, même pro- cédé : toucher soi-même du doigt les diffé- rentes choses que le mot qu'il prononce est susceptible de désigner, c'est-à-dire énumérer tous les sens possibles de ce mot, el répondre successivement à chacun de ces sens pour être sur de ne point omettre précisément celui que peut avoir en vue l'examinateur.

Le procédé est plus compliqué à décrire qu'à mettre en exécution. En définitive, c'est tout simplement le procédé scolastique lui-même, appliqué à l'examen, après l'avoir été à l'étude: définir, diviser, démontrer. L'examen n'est plus que le circulus final du cours de philoso- phie.

On nous objectera peut-être que le point dif- ficile est, précisément, qu'on ne trouve guère chez des élèves de 17 et 1 8 ans, la puissance de

IOO L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

réflexion et d'analyse que ce procédé suppose ; que c'est Lien difficile de leur apprendre en quelques mois le maniement de cette vigou- reuse dialectique.

A cette double objection, nous répondrons ceci :

Ce procédé suppose une force de réflexion peu commune chez les jeunes gens et même chez les hommes faits, à notre époque surtout tout, c'est indubitable. Mais sa vertu est pré- cisément de ne pas se borner à supposer, il est créateur de ce qu'il suppose. En d'autres ter- mes, il est, par lui-même le meilleur de tous les moyens pour développer chez les élèves l'esprit de réflexion.

Ce procédé, c'est toute la logique mineure de nos pères, que l'on escamote, maintenant, en quelques heures, dans les classes, et à laquelle, cependant, le Moyen-Age doit cette puissance et cette clarté de raisonnement qui n'ont jamais été dépassées, à laquelle le génie français est redevable de sa lucidité et notre littérature de ses chefs-d'œuvre ; car enfin, les qualités qui ont imposé ceux-ci à l'admiration et à l'imita- tion universelles : « la vigueur de la pensée, la pénétration d£.-FTUiul\>c, .^rdre de l'exposi-

I>AN> i KNSKICM'MKNT SECONDAIRE IOI

lion .. sont, avant tout, des qualités logiques. El c'est faille de culture logique que nos con- temporains manifestent cette incapacité de B'élever au-dessus des données des sens, et s'at- têstenl aussi impuissants à marcher avec assu- rance \ers la vérité qu'à se défendre avec suc- era contre l'erreur. Ils sont devenus, faute de culture logique, comme des girouettes « tour- nant à tout vent de doctrine ».

A la deuxième objection nous ferons deux réponses :

La première, c'est qu'en sept ou huit mois de classe, si l'on n'a pas le temps de rompre les élèves à la discipline scolastique, on a néan- moins le temps de leur en laisser une empreinte suffisante pour parer aux exigences de l'exa- men, et influer, en outre, d'une façon heureuse, sur leur vie intellectuelle future. Mais il faut évidemment que le professeur ne ménage pas sa peine. Il faut qu'il cause, qu'il discute avec ses élèves, qu'il les exerce à discuter entre eux, qu'il corrige rigoureusement leurs devoirs ; qu'il tourne et retourne, en tous sens, avec eux, et la valeur des mots et le contenu des idées. Il ne suffit pas de dicter un cours, de commenter un manuel, de barbouiller, vaille

102 i IVIUODUCI lo\ DE LA SCOI.VSTIQUE

que vaille, des copies d'encre rouge : c'est avec toute son âme qu'il faut enseigner, comme c'est avec toute son âme, au témoignage de Platon, qu'il faut aller vers la vérité. Malheur au maître à qui Dieu met entre les mains la cire plastique d'un jeune esprit pour y pétrir Son Image et Sa Ressemblance et qui la laisse durcir en un bloc informe, ou n'y ébauche, par négligence, qu'une caricature grimaçante de l'Image Divine.

La deuxième réponse, c'est que si lui il mois ne suffisent pas pour former l'esprit des enfants à toute la rigueur d'une discipline logique, pas plus, d'ailleurs, qu'a leur donner une con- naissance suffisante de la philosophie, nous ne voyons pas pourquoi l'on s'obstine à atten- dre la dernière année de leurs études pour les y soumettre.

Ici, nous touchons au vice capital de rensei- gnement secondaire tel qu'il esl conçu et pra- tiqué de nos jours. Au vice qui en fait un véritable défi au bon sens.

La science n'est pas, de sa nature, le fait de la masse, elle suppose un ensemble de condi-

DANS l'ëNSBIGNEMBNT SECONDAIRE [©3

tions qui ne sont pas réunies par n'importe qui. Or. le démocratisme régnant) dans sa haine sinpiilc de toute aristocratie a voulu tenter cette ridicule gageure <!<■ mettre la science à la por- tée du premier venu. La première condition d'une telle entreprise était de la dépouiller de ce qui en f';iit la principale difficulté : l'effort Intellectuel. On s'est efforcé, dans toute la me- sure du possible, de la réaliser, el il faut avouer qu'on n'\ a pas trop mal réussi. La science offerte à tout le monde, comme Une de ces occu- pations « sans aptitudes spéciales », le niveau des études s'est automatiquement abaissé et le gavage mécanique de la mémoire a supplanté la culture du jugement. Les programmes se sont étendus en surface en proportion de ce qu'ils perdaient en profondeur. Si bien qu'arrivés à la fin de leurs études, nos jeunes bacheliers, qui ne voient d'ailleurs, dans leur parchemin, qu'un utile passe-partout, ont une teinture su- perficielle d'une vingtaine de matières, mais ne savent rien à fond, et, chose plus grave, sont, pour le plus grand nombre, incapables de réflé- chir, de s'élever au-dessus de l'image, de per- cevoir le lien des idées et des choses, quand ils n'ont pas, ce qui arrive trop souvent, le juge-

IO/j L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

bloment irrémédiablement déformé. Qu'on s'étonne après cela, si jusque parmi ceux qui donnaient les meilleures espérances, on en trouve qui sortent du collège dégoûtés pour jamais de l'étude.

Il ne serait que temps de remédier à un pa- reil état de choses, dont la persistance serait la ruine de l'intelligence française. Et nos écoles catholiques auraient en la circonstance un rôle magnifique à se tailler.

Est-ce que, dès les classes de grammaire, on ne devrait pas commencer l'enseignement de la dialectique ? Est-ce que, dès le début des études littéraires, on ne devrait pas donner aux élèves et y revenir jusqu'à ce qu'ils se les soient bien assimilés, ces éléments de psycholo- gie, d'esthétique, de critériologie, d'éthique, indispensables à l'intelligence de toute littéra- ture ? Si les études littéraires ne sont pas, au sens propre du mot, les humanités, à quoi peu- vent-elles bien servir ? Et comment peuvent- elles prétendre au titre d'humanités, sans être un véritable coins élémentaire et pratique de philosophie ? Est-ce que l'enseignement tout entier ne devrait pas avoir pour base les prin- cipes de la méthodologie ? Est-ce que les ma-

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE Io5

miels de toutes les sciences, à commencer par ceux do la littérature devraient être autre chose que de* recueils de principes brefs, clairs et logiquement enchaînés ? Est-ce que tout ce fatras de bavardages, d'érudition, d'impres- sions personnelles, la vanité de l'auteur trouve beaucoup mieux son compte que l'intel- ligence de l'élève ne devrait pas être balayé sans pitié de l'enseignement ?

Certes, oui, quel magistral balayage, il y aurait à faire ! mais qui le fera, et qui nous rendra, dans toutes les matières de l'enseigne- ment, ces « Sommes » du moyen-âge, si lu- cides, et dans lesquelles le inoi de l'auteur ce moi si encombrant chez les modernes tenait si peu de place !

La troisième raison pour laquelle un exami- nateur pourrait « recaler » un candidat scolas- tique, c'est, avons-nous dit, l'opposition de leurs idées. Cette raison nous paraît la moins grave de toutes. La difficulté est affaire de méthode d'exposition. Et comme la méthode à employer

io(i l'introduction DE LA SCOLASTUm i

par l'élève devant l'examinateur nous semble devoir être exactement la même que celle à employer par le professeur devant son élève, noire réponse à cette troisième raison se con- fondra avec ce que nous avons maintenant à dire de la méthode pratique à suivre ponr en- seigner la scolastique dans les collèges.

IV

LA QUESTION PRATIQUE : Méthode et Manuel.

En traitant, maintenant, de la méthode pra- tique à employer pour enseigner aux élèves de nos écoles, la philosophie scolastique, nous n'avons certes pas la prétention d'usurper une chaire de pédagogie. Ce n'est pas à nous de donner des leçons à nos confrères, car, beau- coup, certainement, pourraient être nos maî- tres. Ce n'est donc point qu'il faut faire, que nous avons l'intention d'exposer, mais tout sim- plement, ce que nous avons fait, et cela, sim- plement pour répondre aux questions qui nous ont été posées.

Disons, tout d'abord, que notre méthode s'est trouvée déterminée par la force des choses, ou

ro8 l'introduction de la scolastique

mieux, par. les devoirs auxquels nous avions à faire face.

Le premier de ces devoirs était, nous semble- t-il, de former, de meubler, et de défendre l'in- telligence de nos élèves. La former à la ré- flexion, au jugement, à l'analyse, à la syn- thèse, à la distinction, à la définition. La meu- bler au moins sommairement d'une doctrine solide et sûre, qui pût servir de base stable à leur vie intellectuelle, morale et religieuse. La défendre enfin, par les retranchements inex- pugnables de principes certains, par l'observa- tion aérienne d'un jugement lucide auquel rien n'échappe des mouvements de surprise de l'er- reur; par l'artillerie vigoureuse d'un raisonne- ment qu'aucun sophisme d'ordre scientifique, artistique, moral, religieux, social, se trouve à court d'arguments, contre la ruée des opi- nions fausses.

Notre deuxième devoir était de les mettre en état de subir avec succès leur examen de bacca- lauréat ; et par conséquent, hélas ! de les met- tre à même de se retrouver dans ce fatras d'idées quelques pauvres lueurs tremblantes de vérité, vacillent sur un abîme vertigineux de sentiments pervers, d'opinions fausses, de théo-

DANS L'ENSEIGNEMENT BECONDAIBE IOQ

lies éphémères, le désordre souffle en. tem- pête. Il fallait ne leur rien laisser ignorer des sentiers obscurs qui descendent dans ce gouf- fre et les mettre en mesure de s'y mouvoir avec une aisance qui satisfasse leurs examinateurs.

Notre troisième obligation, enfin, était de mettre en œuvre une diplomatie suffisamment habile pour ne pas éveiller et pour dépister les injustes méfiances ou les appréhensions mal fondées que le seul mot de scolastique, impru- demment lancé, n'aurait pas manqué d'exciter au début, chez nos premiers élèves et chez leurs supérieurs, diminuant ainsi, dès l'abord, les chances de réussite de notre expérience.

On avouera que ce triple devoir constituait un ensemble de conditions bien peu favorables à l'entreprise. Voici, maintenant, comment nous nous y sommes pris pour satisfaire à tant d'exigences si opposées en apparence.

Tout d'abord, pendant un certain temps; nous nous sommes interdit de prononcer les noms d'Aristote et de Saint Thomas. Nous nous sommes ingénié et ce ne fut pas une petite besogne à traduire dans le français commun

110 L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

le plus clair et le plus adéquat, les termes et locutions scolastiques. Les « espèces impresse et expresse » par exemple devinrent la simili- tude imprimée et exprimée, ou l'impression et l'expression. .L m intellect agent » devint la force abstractive, et V « intellect patient » la force expressive, etc., etc..

Puis, usant de la faculté laissée expressément au professeur, par le programme lui-même, nous en avons modifié l'ordre, tout en laissant subsister le maximum possible de concordance entre ses divisions et les nôtres.

Par exemple, nous commençons invariable- ment par la logique, que nous divisons en trois traités : dialectique, critériologie et méthodolo- gie qui correspondent à peu près à la logique formelle, à la « valeur et limites de la connais- sance » et à la logique appliquée du pro- gramme.

Il nous paraît indispensable, en effet, de commencer l'étude de la philosophie par la logique, et non par la psychologie, comme le font tous les manuels ad mentem universitatis.

Nous n'ignorons aucune des objections que l'on formule.

On prétend, par exemple, que c'est risquer

t>ANS i ENSEIGNEMENT 8EC0NDAIHE 111

de dégoûter* à tout jamais les élèves de la phi- losophie que «le les y faire débuter par l'étude « fastidieuse » de la logique

11 n'en es! rieu. L'étude de la logique n'est fastidieuse que si le professeur la rend telle. Et l'expérience nous a montré qu'il est parfaite- ment possible de rendre cette étude aussi inté- ressante que n'importe quelle autre.

Pour cela, il ne faut évidemment pas s'en te- nir à la sèche énoncée des définitions, des clas- sifications et des règles. Il faut les expliquer clairement, et, surtout, multiplier les exem- ples. Non pas ces exemples moisis qui traînent depuis des siècles dans tous les manuels de logique, mais des exemples pris dans l'actua- lité scolaire, littéraire, politique, qui donnent à cet enseignement une allure de chose \ i\ anle : la lecture du journal de la veille peut en fournir en abondance. Il ne faut pas reculer, même, quand l'occasion s'en présente, à choi- sir un exemple un peu drolatique qui mette de la gaîté dans la classe.

Il faut encore ajouter à la théorie de nom- breux exercices pratiques. Rien n'amuse les •'lèves, lorsque l'on sait s'y prendre, comme la

ii2 l'introduction de la scolastique

composition d'un « arbre de Porphyre » sur une notion donnée qu'il s'agit de ramener à son genre suprême ; ou bien encore, la conver- sion des propositions ; ou bien encore, la ré- duction en syllogisme du dernier discours de tel personnage officiel, ou de la dernière décla- ration ministérielle.

Donc, la logique n'est ennuyeuse que par l'ennuyeuse façon dont on l'enseigne trop sou- vent.

Mais on nous oppose encore une autre objec- tion : la logique est l'étude des lois de la pen- sée, or la pensée est un phénomène psycholo- gique, donc pour bien étudier la logique, il faut, d'abord, avoir étudié la psychologie.

L'objection n'est pas plus sérieuse. L'argu- ment revient à prétendre qu'on ne saurait être un bon artilleur sans avoir fondu, soi-même, le canon, et sans avoir, soi-même, tourné le projectile.

Pour bien apprendre la psychologie, comme la philosophie toute entière, comme toute science, il faut tout d'abord, et de toute néces- sité savoir bien raisonner. Il importe bien moins, au seuil de la philosophie, de savoir

n\\s [/ENSEIGNEMENT SECONDAIRE Il3

comment se forme la pensée, que de savoir la diriger.

La logique est même plus particulièrement indispensable aux élèves qui viennent des classes littéraires. Car, si l'enseignement de la littérature, tel qu'il est, constitue la prépa- ration obvie à l'étude de la philosophie, telle quelle est, on nous permettra bien de dire qu'il est une préparation déplorable à l'étude de la philosophie, telle qu'elle devrait être. Pour la plupart des élèves qui l'ont subie, le bavardage métaphorique, la substitution de l'image à l'idée, l'emploi des termes vagues, les caprices du sentiment, le mirage des mots el des formules sonores et vides, sont la règle. Ceux qui savent donner, ou simplement appré- cier, une définition précise, saisir le lien qui unit deux idées, raisonner correctement, sont de rares exceptions.

Cela prouve la nécessité, non seulement de commencer la philosophie par la logique, mais encore d'étendre l'étude de celle-ci aux classes élémentaires, et de réformer l'enseignement de la littérature. Et cela nous éclaire, de plus, sur l'une des causes, et non la moindre, de la déca- dence de la philosophie, comme science : son

Il | L INTRODUCTION DE LA SCOLASTIQUE

malheur, c'est d'être tombée au pouvoir exclu- sif des « littéraires » qui la traitent comme un roman.

Quant aux élèves des classes scientifiques, mieux préparés, peut-être, que leurs cama- rades, à la rigueur dans la méthode et le rai- sonnement, la logique leur servira de transi- tion toute naturelle entre les mathématiques et la philosophie scolastique. Tout d'abord, parce que la logique, c'est la mathématique de l'esprit. Ensuite, et surtout, parce que si l'exer- cice des mathématiques a l'avantage de com- penser, en partie, dans les classes élémentaires, l'absence de la dialectique, il présente aussi ses périls. Celui, par exemple d'amener, très sou- vent, dans les classes supérieures, à ne plus pouvoir penser qu'en formules et en figures. Le rôle de la logique sera d'opérer, à temps, la dissociation nécessaire, avant d'entrer dans les régions philosophiques, il faut savoir s'éle- ver jusqu'au concept pur.

Voilà pourquoi nous avons toujours com- mencé par la logique.

En psychologie, les psychologies expéri-

H \\> l ENSEIGNEMENT SEG< >ND v 1 1 ; r i i .">

mentale et rationnelle du programme, rappro- chas l'une de l'autre, devinrent respective- ment (l'une pari l'étude des phénomènes et des facultés, d'autre part, l'étude de la nature du composé humain et de l'âme. Somme toute, à peu près, la Dynamilogie et l'Anthropologie de Sanseverino. Dans la première partie, le chapitre officiel sur « la vie intellectuelle » de- \int le traité de la connaissance, et ceux de « la vie affective et active » devinrent le traité de l'appetition, suivi de celui de la locomotion.

Nous avons ajouté à notre cours beaucoup de questions que le programme ne mentionne pas, mais qui sont indispensables au bon enchaîne- ment de l'élude de la philosophie, et à l'intelli- gence des questions indiquées.

Et parmi ces additions, nous avons réservé une place de toute première ligne à l'ontologie, Nous ne voyons pas, en effet, comment on peut faire de la philosophie sans logique d'un côté, et sans métaphysique générale de l'autre.

Sans ontologie, point de psychologie ; à moins de réduire celle-ci à n'être, comme la définit M. Pierre Janet, qu'une « science de faits, de phénomènes, analogue sur ce point

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n6 l'introduction de la scolastique

aux sciences physiques » (i) ; ce qui est contra- dictoire, car il n'y a pas de science de faits, il n'y a de science que de l'universel. Couper la psychologie en deux : psychologie expérimen- tale d'une part et psychologie rationnelle de l'autre ; consacrer des volumes et des mois à la première, quelques lignes et quelques minu- tes à la seconde ; s'en tenir même exclusive- ment — cela se voit à la première, nous paraît un non-sens très voisin de l'absurde.

D'abord, il n'y a pas de science exclusive- ment expérimentale, pas plus qu'il n'y a de science exclusivement rationnelle; et cela, pour la raison très simple : qu'il n'y a rien dans l'intelligence qui n'y ait pénétré par la porte du sens ; que la raison formelle de la science, c'est la connaissance par les causes, que seule peut atteindre l'intelligence. Exclure de la psychologie toute considération des causes, c'est du même coup lui retirer sou caractère de science.

Oui ou non, la psychologie est-elle une science?

Et puis, quand bien même, non contente de

(i) Manuel du baccalauréat, p. 8.

Il \ NS I I.N>I K.M.MI.M >I'.CUM)AIHK I I 7

se borner à « constater les faits, à les décrire, à les classer, à déterminer leurs relations, c'est-à- dire leurs lois » (i), elle se hausserait jusqu'aux causes prochaines, comme sont les dispositions organiques ou même les facultés, que les uni- versitaires refusent d'admettre, serait-elle pour autant une science philosophique !

La philosophie est la science des causes pre- mières, toute science qui prétend se désinté- resser de ces causes, ne dépasse pas l'ordre des sciences naturelles et ne saurait à aucun titre, être tenue pour philosophique.

(i) Ibid. Pourra-t-elle même déterminer des lois ? Les sciences physiques possèdent pour le faire, la condition sine qua non de pouvoir conclure du même au même. Mais le même n'existe pas dans les faits psychologiques. Tous les psycho- logues modernes le proclament à l'envi, avec M. W. James, et comparent sans cesse « la vie men- tale » à un courant, à une rivière, à la « fuite des nua- ges chassés par le vent » (Roustan). Les lois des sciences physiques s'appuient, en définitive, sur ce principe, qui fait toute leur valeur : « la nature de chaque agent a une détermination invariable » ; mais puisque les psy- chologues modernes suppriment l'agent substantiel et ses virtualités réelles, seuls éléments stables de ce qui est humain, quelle sera la valeur de leurs lois ? Aussi voit- on ces « lois » varier avec les auteurs et se multiplier à l'infini, il y en aura bientôt presque autant que de faits.

Il8 I.'l.NTRODLCTION DE LA SCOLAST1QUE

La psychologie, telle qu'on la comprend de nos jours, a cessé, en fait, d'appartenir à la phi- losophie, beaucoup d'universitaires eu font l'aveu (3), et pour une fois, nous sommes plei- nement de leur avis. Elle n'est plus qu'un immense recueil passablement fastidieux, d'ob- servations cliniques, fort apparentées à la phy- siologie nerveuse.

On ne peut lui rendre sa dignité et son rang, elle ne redevient intelligible, que lorsque Ton y restitue l'explication des principes premiers: de matière et de forme, d'acte et de puissance, de substance et d'accident, de nature et de per- sonne qui sont du domaine de la métaphysi- que.

Sans ontologie, pas davantage de morale. Qu'on le veuille ou non, jamais une morale n'aura d'efficacité sans que ses précepte- aienl pour base des raisons d'être qui s'imposent à l'esprit. Ordre, loi, devoir, conscience, bien, mal, toutes ces notions fondamentales de l'éthi- que ne signifient plus rien, si elles ne s'ap- puient solidement sur les principes c[ les

(3) Cf. Dugas, Mémento, p. 2 : « La philosophie, au sens larcro et abusif, comprend, on outre. 1;\ Psycholo- gie... »

\ n- i i \-i h. m \u.\ i BECONDAIRB I ig

notions de la finalité, de la «.-;tii^;ilît«'*, de La rela- tion, de l'essence, du « Lieu des essences », de l'Etre ; toutes notions qui sont encore du do- maine de la métaphysique.

On ne saurait rire bon psychologue au sens propre «lu mot, ni sûr moraliste, sans être d'abord solide métaphysicien.

.Mais le point le plus important de notre façon de procéder, c'est, à notre avis, la ma- nière môme dont nous avons traité chaque question et surtout ces questions-mères qui sont le point de départ ou l'aboutissement d'une multitude d'autres. En voici l'exposé :

En premier lieu, énoncé de la question, tou- jours sous la forme interrogative et condensé dans une formule brève et précise.

En second lieu, exposé non moins bref de toutes les réponses, ou du moins de tous les types de réponses, bonnes ou mauvaises, faites ou faisables, qu'on trouve explicitement ou implicitement dans les principaux philosophes et dans les manuels les plus en vogue. Pour ne citer qu'un exemple, à cette simple question : « Qu'est-ce que la philosophie ? » Nous avons

120 L INTRODUCTION DE LA BCOLA8TIQ1 I

trouvé quatorze types de réponses (!) réducti- bles à six formes et celles-ci à deux catégories. La miséricorde divine et probablement aussi nos confrères estimeront que cette sorte de tra- vail peut bien constituer un fameux à-compte sur notre purgatoire. Car, pour ce qui est de nos universitaires surtout, ce n'est pas chose aisée que d'extraire de la masse de leurs ma- nuels, une réponse précise à une question pré- cise. Ces gens-là raisonnent presque toujours sur des notions archi-complexes comme sur des notions simples. Les « phénomènes », comme ils disent, sont toujours plus ou moins compliqués. Pour les bien classer et pour les comprendre, il est donc nécessaire de les résou- dre en leurs éléments et de ramener chaque élément à son principe. C'est l'analyse scienti- fique. Or, c'est précisément ce que ne veulent pas faire les philosophes de l'Université, parce que ce serait, parait-il, briser l'unité de ces phénomènes, abuser de l'abstraction, soulever des questions inutiles et insolubles. Force leur est donc de s'en tenir à une classification gros- sière fondée sur des analogies souvent plus apparentes que réelles, à des explications super- ficielles où la confusion des idées et des termes

DAN8 i i N81 l'.M.Mi M 8E( ONDAIRE i ' i

éclate à cliaque pas. On croirait, en les lisant, entendre le vieux Pline ressuscité, nous expli- quer gravement certaines propriétés du chou par la prédominance de l'air sur les trois autres « éléments » : le feu, l'eau et la terre, dans sa composition. Leur philosophie est à la scolasti- que ce que la chimie des anciens est à la chimie moderne.

En troisième lieu, nous exposons à nos élèves les autorités et les motifs qui appuient ces réponses. Les autorités ne manquent ja- mais, l'Université en fourmille, mais les motifs !... s'il en est de captieux, il faut, parfois une dose remarquable de bonne volonté pour en trouver. Et encore, bien souvent, est-on obligé de se contenter d'une affirmation sans preuve, ou d'une raison qui excite l'hilarité de la classe, telle cette marguerite recueillie dans le florilège de M. Pierre Janet, p. 129, 273, in fine : « Il a pu luire des traits de génie dans bien des cervelles de chien ou d'éléphant, mais faute de langage, ces idées géniales sont mortes avec leur auteur, à bien peu d'exceptions près. » (1)

(1) Nous serions enchanté que M. Pierre Janet voulût bien révéler au monde savant quelqu'une de ces excep-

132 I IMRODl CTIOH DE LA SCOLASTIQUE

En quatrième lieu, nous exposons notre ré- ponse, c'est-à-dire la réponse de la philosophie scolastique. Nous avons dit notre réponse, tant que les raisons diplomatiques exposées plus haut nous y ont obligé. Maintenant, nous disons tranquillement: la réponse d'Aristote, ou la réponse de Saint Thomas, et nous la don- nons ,en général dans les termes même de ces maîtres et en la démontrant, quand la matière le comporte, avec la plus grande rigueur.

Ici remarquons toutefois, que l'ordre suivi, peut, en certains cas, présenter des inconvé- nients. Exposer d'abord les réponses non sco- lastiques, c'est risquer, surtout en matière sim- plement probable, de créer dans des intelligen- ces novices, une première impression fort dif- ficile à effacer ensuite. Nous avons vu des élè- ves, séduits par la spécieuse apparence de telle de ces réponses, se cabrer ensuite devant la so- lution scolastique, qu'ils auraient certainement admise sans difficulté, si nous la leur avions présentée la première. Il nous semble donc

lions et nous dire comment, faute </«' langage, il en a eu connaissance. L'éléphant du Jardin des Plantes se serait-il prêté en sa faveur à quelqu'expérience de trans- mission de pensée ?

h\\- [/ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 123

qu'il \ ii, dans l'application pratique de la mé- thode indiquée, une question de doigté à résou- dre et qui uc peul se résoudre qu'en tenant compte des circonstances qui accompagnent chaque eus particulier : psychologie de l'élève, nature de la question, caractère des réponses, etc., etc.. (Test dire que l'ordre que nous expo-* -mus, encore qu'objectivement conforme à la marche ordinaire de l'esprit humain, peut et doit, en certaines circonstances, à raison de nécessités subjectives, subir des modifications.

Ceci dit, venons à l'exposé de la réponse sco- lastique.

Cette réponse comprend presque toujours, on l'a vu, deux éléments : la formule qui la ré- sume et l'argumentation qui l'établit. Elle com- porte donc également deux formes que nous employons selon l'opportunité. Ou bien nous donnons d'abord la formule que nous faisons suivre de sa démonstration ; ou bien, partant de principes rationnels, de principes de faits, d'évidences banales, nous avançons de proche en proche jusqu'à la formule que nous ne don- nons qu'en dernier lieu.

On devine la grande raison de cette dernière façon de procéder : elle a pour but d'habituer

i^4 l'introduction de la scolastique

les élèves à vaincre la troisème difficulté qu 'ils peuvent rencontrer au baccalauréat chez leur examinateur : l'opposition de leur idée à la sienne.

De même que nous accoutumons les élèves à toujours considérer l'examinateur comme un étranger, nous les habituons à le regarder tou- jours comme un adversaire, et un adversaire qu'on ne peut attaquer de front. Rien de tel, pour n'en être pas mis à mal que cette marche prudente, qui, partant d'une évidence qu'il ne peut récuser sans folie, progresse, avec une logique qu'il ne peut pas ne pas apprécier, et l'amène doucement à une réponse, au bon sens de laquelle il ne peut rien trouver à reprendre.

Et comme ce processus comporte deux mar- ches inverses : la marche a priori, et la mar- che a posteriori, l'une partant de données ra- tionnelles, l'autre de données expérientales ; comme, à l'heure présente, toutes les données rationnelles, même les premiers principes, sont remis en question, c'est toujours, quand nous avons le choix, de l'évidence expérimentale que nous habituons nos élèves à partir.

En cinquième et dernier lieu, nous termi- nons l'étude de la question par la solution des

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 125

objections susceptibles de nous être opposées et l'indication des conséquences les plus immé- diates de notre réponse.

Voilà la marche que nous suivons uniformé- ment d'un bout à l'autre de l'année, voilà le plan général des dissertations de nos élèves.

Il semble, après un tel luxe de précautions qu'il serait difficile aux examinateurs les plus revêches de taxer leur réponse ou d'insuffisance ou d'apriorisme. Car enfin, que peut-on raison- nablement exiger, et qu'exige-t-on, en fait, dé- jeunes gens de cel Tige P Sinon qu'ils témoi- gnent d'une connaissance suffisante de « ce qui se dit », et 20 qu'ils sachent raisonner par eux- mêmes. Or, avec la méthode indiquée, ils se trouvent avoir tout ce qu'il faut pour satisfaire à cette double exigence, puisque d'une part, ils connaissent les principales réponses fournies à une question donnée, et que, d'autre part, ils ne posent la leur que par la voie inductive si chère à l'Université.

En matière de méthode nous avons livré tout

I2Ô L'INTRODUCTION Dli l.\ BCOLASTIQUE

notre secret. La question serait maintenant de savoir si ce secret était bien nôtre, et si, même dans toute cette méthode, il y a l'apparence d'un secret.

Aucun de. nos lecteurs ne s'y sera trompé, aussi, ne voudrions-nous pas plus nous faire passer pour un inventeur que pour un docteur en pédagogie. Qu'on ouvre la Somme théolorji- que ou les Questions disputées de Saint Tho- Thomas, et l'on constatera de visu que nous n'avons pas fait autre chose que de suivre, pas à pas, le plan uniforme de tous les articles du saint Docteur.

Les réponses diverses que nous donnons d'abord, ce sont les videtur quod et les sed contra; notre réponse, c'est le respondeo di- c endurai (parfois à la lettre) : la solution des objections et les corollaires, ce sont les ad mm, ad -i um etc...

Ainsi donc, au bout du compte, non seule- ment nous avons enseigné la doctrine de Saint Thomas, mais encore, nous l'avons enseignée selon sa propre méthode, et c'est également selon cette méthode que nous avons dressé nos élèves à faire leur dissertation.

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El maintenant, quel manuel de philosophie

sculaslique mettre entre les mains de nos élèves de renseignement secondaire?

Nous répondrons, sans détour, que nous n'en connaissons pas qui soit réellement adapté à leurs besoins.

D'abord, pour le plus grand nombre, les manuels de philosophie scolastique sont écrits en latin ; et de plus, en latin, comme en fran- çais, ils s'adressent tous aux élèves ecclésiasti- ques des Grands Séminaires ou des Facultés canoniques.

Soit dit en passant, il serait vraiment à dési- rer que l'on trouve, enfin, le moyen de faire parler la scolastique en français.

Ici, qu'on veuille bien nous entendre.

Nous ne demandons pas qu'elle perde l'habi- tude de s'exprimer en latin. Le latin est la lan- gue officielle de l'Eglise, et rien qu'à ce titre, nous sommes des plus ardents à en réclamer le respect et à en recommander l'usage. Et même pour tout dire, nous trouvons étrange que des catholiques puissent se résigner si naturelle- ment à ignorer toute leur vie, la langue natio- nale de cette patrie, au sens propre du mot,

128 l'introduction de la scolastique

qu'est pour eux l'Eglise. Il y a un phéno- mène d'inconscience réellement scandaleux, quand, surtout, par ailleurs, on dépense tant d'argent, de peine et de temps, à apprendre les langues étrangères ou des arts d'agrément si souvent sans utilité dans la suite. L'ignorance du latin est à un catholique intelligent, ce que l'ignorance de la langue française serait à un français : une honte.

De plus, en ce qui concerne la scolastique. l'usage du latin est une nécessité vitale. Il est la condition de sa lucidité, la garantie de son uni- cité, la sauvegarde de sa catholicité. Le négli- ger, comme on l'a fait fut un malheur, l'aban- donner serait un désastre.

Ce que nous demandons, c'est que les sellas- tiques se décident à penser, enfin, au grand public, à commencer par celui, si intéressant de notre enseignement secondaire, et qu'ils lui parlent leur grande philosophie dans un fran- çais authentique, précis, agréable, accessible à tous. Nous disons qu'ils parlent, et non qu'ils bégayent, car n'est-ce pas bégayer que se bor- ner à franciser les mots latins pour en faire des barbarismes inintelligibles à ceux qui n'ont jamais entendu les originaux. Est-ee vraiment

l)\\- l BNSEIGNEMENJ -mondmre 129

parler français que se borner à traduire spe- cies par espèce ; quidditas par quiddité ; élici- tus par élicite, etc...

On nous objectera peut-être, et non sans de sérieuses raisons fournies par l'expérience, que parler la scolastique dans le français de tout le monde, c'est inévitablement risquer d'y intro- duire cette confusion de mots que nous avons reprochée à la philosophie universitaire.

A cette objection, nous ferons deux répon- ses : rien n'empêche que les auteurs scolas- tiques, écrivant en français, indiquent entre parenthèses le ternie latin qu'ils ont en vue, quand ils emploient un mot qui peut prêter à confusion ; ce serait même une méthode à em- ployer rétrospectivement, dans la réédition de certains ouvrages de notre connaissance ; rien n'empêche non plus qu'ils finissent, par une entente expresse ou tacite, à se tailler dans la langue française un vocabulaire commun, en employant tous et toujours les mêmes ter- mes pour désigner les mêmes choses, au be- soin, même, en rédigeant un dictionnaire pré- cis et clair, qui donnerait en regard le terme latin.

Si la philosophie scolastique a perdu dans les

i3o l'introduction de la scolastique

intelligences tout le terrain que l'on a tant de mal à lui faire reconquérir, n'est-ce pas, en grande partie, parce que ses adeptes n'ont pas, quand il l'aurait fallu, su voir ou voulu voir au-delà des murailles des Séminaires, des Novi- ciats et des Facultés canoniques.

« Si une philosophie ne règne sur un pays que dans la mesure elle s'empare de sa lan- gue, qui pourra s'étonner de l'oubli dans lequel est tombé si longtemps la philosophie scolasti- que? En s'obstinant à ne la présenter qu'en latin, on lui a fait prendre le caractère d'un enseignement ésotérique : on l'a rayée du nom- bre des choses vivantes. C'est surtout à partir du xvie siècle que les écrivains de l'Ecole au- raient dû avoir recours au français pour faire pénétrer leur philosophie dans la littérature générale. Mais, le sentiment de la réalité leur a totalement fait défaut sur ce point. L'urgente nécessité d'exposer et de défendre la doctrine philosophique traditionnelle eu français n'était pas comprise. On la comprend davantage de nos jours, bien qu'il reste de grands progrès à faire dans cette voie. L'exposition en français de la philosophie scolastique, à l'usage des esprits cultivés et non initiés, demeure une des

dans l'enseignement SECONDAIRE I 3 I

œuvres les plus nécessaires de l'heure présente. Tout oe qu'on e ni reprendra dans ce sens sera infiniment profitable... » (i)

Et ce qu'il \ a de pins urgent à entreprendre, c'est à notre avis, un Manuel de philosophie scol asti que à V usage de renseignement secon- daire. On aura beau faire des ouvrages de vul- garisation à l'usage des esprits adultes, ils ne sortiront pas du cercle des initiés, si l'on ne commence la vulgarisation par l'école, en met- tant entre les mains des enfants qui s'y prépa- rent au baccalauréat, un exposé impersonnel, bref, précis, lucide, homogène de la doctrine scolastique, mise en regard des théories en faveur à l'université. La composition d'un pa- reil ouvrage est, nous ne le méconnaissons pas, une œuvre délicate et difficile. Il faut, pour qu'il s'impose, qu'il tranche nettement sur la lavasse des manuels en usage dans toutes les matières. Il faut surtout que l'auteur sache s'effacer, ne dire que l'essentiel, ne pas essayer de se substituer au professeur. Mais l'œuvre est digne, à tous égards, de tenter la plume d'un maître, puisque, saint Thomas lui-même, dans

(i) P. Richard. Introduction à la scolastique, p. 5o.

i32 l'introduction de LA SCOLÀSTIQl l

toute la maturité de son génie, n'a rien trouvé de mieux à laisser à la postérité qu'un manuel.

Et maintenant, si l'on tient absolument à ce que, à défaut de manuel approprié, nous indiquions, à titre provisoire, quelques ouvra- ges très abrégés, pour donner, à la hâte, aux personnes qui ne savent pas le latin, une sorte de vue à vol d'oiseau de la scolastique, nous nommerons les Cours de Mgr. Elie Blanc, de Mgr Farges, de Sanséverino, dont une traduc- tion existe chez Lethielleux, et enfin, un tout petit ouvrage, qui a pour titre: Cours élémen- taire de philosophie chrétienne, d'après les meilleurs auteurs scolastique's, et pour auteur un Frère des Ecoles Chrétiennes: le Frère Louis de Poissy, ancien directeur du pensionnat de Béziers. Il date, croyons-nous de 1875, et s'ou- vre par un bref fort élogieux de Pie IX. C'est un petit volume in- 12 de kk'] pages, édité chez Poussielgue. On y trouve : un premier ré- sumé en 37/i pages très clair et très succinct de toute la philosophie scolastique, mais mal- heureusement, se sont glissées quelques erreurs regrettables qu'il y a lieu de rectifier ; un

dans L'enseignement secondaire i33

deuxième résumé en 4o pages des principales thèses ; une minuscule histoire de la philo- sophie en 20 pages. L'édition que nous avons entre les mains date de t88/j, mais nous igno- rons si cet ouvrage est toujours en librairie.

Ces ouvrages sont évidemment insuffisants pour donner une connaissance approfondie de la scolastique, aussi, n'est-ce point pour acqué- rir une telle connaissance que nous les indi- quons. De plus, ils ne font qu'une part très minime aux autres systèmes. A cela, il y a deux remèdes.

L'un, qui est bien scabreux consiste à donner aux élèves un second ouvrage de philosophie, universitaire, celui-là. Mais c'est un moyen bien insuffisant, car les universitaires ayant chacun leur opinion personnelle, c'est toute une bibliothèque qu'il faudrait imposer aux élè- ves, à moins qu'on ne trouve une sorte de con- sommé des opinions les plus disparates, et, dans ce cas, on ne saurait mieux s'adresser qu'au manuel de M. Pierre Janet. Et puis, fau- drait-il être sûr, pour opérer ainsi, d'être en règle avec l'Index.

L'autre moyen, qui est plus sûr, consiste à

t.'i'l l'imrodlcJ'ION DE LA BCOLASTIQUE

exposer de vive voix, aussi largement qu'il peut être nécessaire, soit en leçon, soit en lectures les opinions dont il faut que les futurs bache- liers soient au fait pour la réussite de leurs examens.

Pour notre compte personnel, nous préfé- rons dicter notre cours. Et nous ne croyons pas que ce soit une perte de temps. D'abord parce que le temps et 1 '-effort dépensés par l'élève à écrire sont un précieux adjuvant pour fixer son attention et lui faciliter l'exercice de la mé- moire et de l'intelligence. On ne retient bien que ce qu'on écrit. Le P. Lacordaire donnait à ses disciples cet excellent conseil de se « cruci- fier à sa plume ». Ensuite, parce qu'il n'est pas nécessaire de tout dicter. Pour notre part, nous ne dictons guère qu'une espèce de petit caté- chisme philosophique ne comprenant que le texte de la question et la formule de notre réponse, en somme, quelque chose dans le genre de la Summa summae d'Alagoha.

Sur la page en face de celle se trouve ce texte dicté, et que nous recommandons de lais- ser blanche, les élèves notent les réponses pro- posées, leurs motifs, nos arguments, enfin, tous ifeg compléments qu'ils peuvent saisir au vol et

DANS i i TOI [GNBM1 N i B] C0NDAIR1 [35

dont nous leur signalons au passage le degré d'importance. Ils ont donc, ainsi, et un mé- mento fort utile pour une repasse, et les déve- loppements disposés par eux-mêmes, et par conséquent, plus faciles à retrouver que dans un livro. Développements qu'il leur est tou- jours loisible d'accroître d'extraits d'auteurs recueillis soi! dans les lectures que nous leur faisons en classe, soit dans les ouvrages «à con- sulter que nous leur signalons.

Encore que plus ou moins avantageux, nous ne dissimulons pas que ce sont des moyens de fortune, et nous nous bornons à les indiquer comme un expédient provisoire. L'Eglise, en effet, dans sa prévoyante sagesse a toujours voulu que le « lecteur » Use à ses élèves un ouvrage approuvé par elle, c'est une précaution qui n'est point inutile à l'orthodoxie de la doc- trine. Bien que ces prescriptions ne visent expressément que ses établissements canoni- ques, nous croyons que l'enseignement des col- lèges ne saurait impunément, s'en tenir pour exempt. Aussi, ce nous est un motif de plus pour réclamer avec plus d'insistance qu'on nous donne, enfin, le manuel dont nous avons parlé plus haut. La restauration, dans l'esprit public,

i36 l'introduction de la scolastique

de la philosophie de l'Ecole se fera par les éco- les, ou elle ne se fera pas.

Ajoutons, ici, d'importantes remarques.

Si parfait que soit un manuel, il ne saurait cependant suppléer la préparation ni le travail personnels du professeur.

Cette préparation, absolument indispen- sable, que rien ne saurait remplacer et qui ne s'improvise pas, suppose essentiellement deux choses : une connaissance approfondie de la philosophie scolastique, d'une part^ et des phi- losophies du jour d'autre part. Nous disons ap- profondie et non tout simplement, étendue. Ne pas confondre, comme on le fait couram- ment la science avec l'érudition, ni la profon- deur avec l'obscurité. Une tournure d'es- prit spéciale, que nous appellerions volontiers la mentalité scolastique, et qui ne s'acquiert, généralement, qu'après un temps plus ou moins long de formation spéciale, d'études pratiques et de méditations constantes. La du- rée de cette acquisition varie selon la psycho- logie de chaque individu, selon l'âge il a commencé l'étude de la scolastique, selon les

1>\\- I I \M ICNEMENT SECONDAIRE l.V

circonstances il s'est trouvé placé, selon la nature et la force des dispositions et des habi- tudes qu'il y a apportées. Ce deuxième élément de la préparation, n'est évidemment pas une condition « suffisante », mais elle nous paraît « nécessaire ». Il nous semble, que pour ensei- gner la scolastique avec tout le fruit qu'on en doit attendre, il ne suffit pas d'en connaître la doctrine, mais qu'il faut, en outre, être impré- gné de son esprit". À plus forte raison, ne sau- rait-il suffire, comme on paraît souvent le croire, d'y apporter une tête bourrée de con- naissances diverses, et des liasses de parche- mins universitaires.

Le travail personnel du professeur consiste dans l'élaboration patiente nous disons éla- boration et non compilation d'un cours substantiel, logiquement ordonné, clair, pré- cis et vivant. Et pour être vivant, il ne faut pas que ce cours soit la simple lecture ou la dictée d'un immuable manuscrit, qu'on déroule tous les ans sans y changer une virgule ; il faut qu'il soit chaque fois « repensé » , et parlé d'abondance, avec la chaleur de la conviction, la sûreté de la doctrine et la variété de l'élocu- tion.

i38 l'introduction de la scolastique

Que nous avions besoin d'un manuel, c'est

4

un fait, et ce besoin, nous l'espérons, sera très prochainement satisfait. Mais ce dont nous avons un besoin plus pressant encore, c'est de maîtres adéquatement préparés. Et pas seule- ment de maîtres ecclésiastiques, car il serait mauvais pour le succès de la philosophie sco- lastique quelle pût être considérée comme la propriété exclusive du clergé.

De ces maîtres, qui pourraient à leur tour en former d'autres, nous croyons qu'il y en a, en acte et en puissance, bien que, sans doute, le nombre en soit restreint. A ceux qui ont la lourde responsabilité de l'enseignement chré- tien, à tous ses degrés de savoir ou de vouloir les trouver.

V

CONCLUSIONS

Et. maintenant, parvenu au terme de la tîiche que nous nous étions imposée, qu'on veuille bien nous accorder un moment encore (Je patience et nous permettre de déposer nos conclusions, comme on dit au Palais.

La toute première, sera pour supplier les maîtres de vouloir bien prendre au sérieux l'en- seignement de la philosophie et d'en inculquer, dès les classes moyennes, à la jeunesse qu'ils ont entre les mains, le respect et l'amour.

Cette prière n'est pas inutile. Il n'est pas rare, en effet, de rencontrer chez les élèves qui arrivent en philosophie, une sorte de scepti- cisme goguenard qui affecte ^de considérer cette science comme un ensemble inconsistant de spéculations nuageuses ou comme une

I |0 T. INTRODUCTION DE LA SCOTASTIQUE

affaire de sentiment, sans aucune portée prati- que. Cela tient, pour la plupart du temps, aux railleries plus ou moins spirituelles dont elle a été l'objet devant eux, au cours de leurs études antérieures. « Plaisanteries innocentes, pense- t-on et que seul un censeur austère pourrait trouver mauvaises. 11 n'en est rien : Dans l'occurrence, ce n'est pas toujours pure plaisan- terie; 2° même la plaisanterie, quand elle est trop fréquente et qu'elle court le risque d'ail- leurs d'être prise au sérieux par plusieurs, finit par jeter le discrédit sur les choses les plus res- pectables et les plus graves de leur nature. » (i)

Si nous voulions rechercher les « causes effi- cientes » de ce genre de plaisanteries, les rieurs ne seraient peut-être pas du coté des plaisants ; on y trouverait, sans doute, assez d'ignorance et d'infatuation, peut-être même de jalousie se- crète, pour étouffer leur rire sous le rouge de la confusion.

Quoi qu'il en soit, nous nous bornerons à répéter, après tous les vrais penseurs de l'Anti- quité, du Moyen-Age et des Temps Modernes.

(i) Paul Gontier. De la Méthode des sciences philn»o- phiques dans le « Recrutement sacerdotal ». Mars et juin 190.5.

H 1N8 l'eNSEIGNBMEN i 81 I <>M> uni i ï i

que « si l'on l'ait abstraction de l'ordre surna- turel, la philosophie se trouve être la chose du inonde la plus haute, la plus excellente et la plus divine. Si, en effet, il n'y a point eu de révélation, la philosophie qui n'est que le per- fectionnement scientifique de la raison appli- quée à la recherche des causes suprêmes, de- vient et reste la grande, unique et essentielle lumière...

« Sortant des formules abstraites de la théo- rie, et sans l'ombre d'hyperbole, je dis que, du haut de son humble chaire de professeur, le maître ès-science philosophiques dépasse et domine, par sa mission même, ce qu'il y a de plus élevé et de plus auguste au monde, et exerce, de ce sommet idéal la plus éminente et la plus essentielle magistrature. Artistes et sa- vants, juristes et potentats, tous relèvent de lui, je veux dire, de ce qu'il enseigne. Tous doivent se conformer, sous peine d'être radicalement dans le faux et le mal, et le vide et le néant, aux oracles qu'il rend, touchant le secret de l'origine des choses, de leur nature, de leurs lois et de leurs destinées.

« La révélation même, puisque de fait il y a eu une révélation... n'est rien sans la philoso-

\k'2 L'INTRODUCTION Dt LA SCOLAST1QUE

phie, car c'est à elle qu'elle doit demander ses lettres de créance. Si l'on juge que la raison philosophique n'a pas qualité pour cela, sous prétexte qu'elle n'est pas sûre d'elle-même et de ses propres conceptions, nous voilà replongés clans un scepticisme irrémédiable; car, selon l'expression de M. de Maistre, « la révélation ne pouvant plus être prouvée ne prouve plus rien. » Dès lors, la vie n'a plus de sons ni de but, ou du moins il est impossible de les con- naître; Dieu n'est plus qu'une hypothèse plus ou moins probable ; la morale n'a plus de fon- dement ; la vertu est un mot sans valeur objec- tive certaine... » (i)

Or, infailliblement, chez tout jeune homme, arrive tôt ou tard, la crise de la vertu, et celle de la foi. Et quand elle arrive, amenée par des causes diverses, une question redoutable se pose devant ce jeune cœur et cette jeune intel- ligence : « Qu'est-ce donc que lu crois ? Et pourquoi le crois-tu? » Ce « pourquoi » est de ceux que, seule, la philosophie peut résoudre. Au lieu donc de plaisanter de la philosophie devant \<>s élèves, maîtres vraiment chrétiens,

(j~) Paul (ioNiiFR. Ibîà.

I>\n- i i n-i IGNBMENT SECONDAIRE l \'À

apprenez-leur, avec Léon Mil, qu'elle est le boulevard de Leur foi, et apprenez-la leur en vue de cel inventaire de conscience qu'ils de- vront faire un jour cl d'où dépend le sort de leur vie morale et chrétienne. C'est un point de vue que ne saurait l'aire perdre la préparation d'un baccalauréat.

Luc deuxième conclusion sera pour faire observer que la scolastique enseignée comme nous l'avons exposée, c'est-à-dire selon sa pro- pre discipline, peut parfaitement convenir à la préparation de n'importe quel examen officiel, aussi bien licence ou doctorat que baccalauréat. La preuve en est d'ailleurs, q\ik l'Institut Ca- tholique de Paris, nous ignorons ce qui se fait dans les autres Instituts Catholiques de France ce sont les mêmes cours qui prépa- rent à la fois aux grades canoniques et aux di- plômes de l'Etat. Et la preuve aussi est faite que les élèves de l'Institut Catholique sont généra- lement les plus appréciés de leurs examina- teurs officiels et enlèvent leur diplôme le plus brillamment. Entre parenthèses, nous ne voyons pas pour quelle raison valable, des

i44 l'introduction de la scolastique

familles qui se prétendent chrétiennes aban- donnent leurs étudiants au hasard du Quartier Latin et de la Sorbonne, au lieu de les confier à l'Institut Catholique et à sa Maison de Famille. Il y a là, pour elles, une grave question de cons- cience qu'il est étonnant de voir résoudre aussi légèrement pour beaucoup.

La troisième conclusion s'adresse aux profes- seurs catholiques de philosophie des établisse- ments de l'Etat, pour leur demander ce qui pourrait bien les empêcher d'étudier et d'ensei- gner la philosophie scolastique. Car enfin, que pourrait bien y trouver à redire un proviseur grincheux ou même un ministre anticlérical? Un professeur, après avoir exposé, sur les di- verses questions, les diverses réponses, a bien le droit, sinon d'imposer, du moins d'exposer et de motiver la sienne, par ce temps de libre pen- sée ; même si la sienne coïncide exactement avec celle de Saint Thomas. Un professeur n'est pas un phonographe, que nous sachions.

Et quel bel acte de vaillante indépendance, en même temps que d'habile apostolat il y au- rait à faire en tentant une telle entreprise.

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 1^5

La quatrième conclusion sera pour demander si, vraiment, il ne serait pas possible de com- mencer la logique dès la troisième, et même de l'enseigner dans nos écoles primaires. S'il ne serait pas possible d'en imprégner l'enseigne- ment de toutes les matières et de rompre les élèves à ses exercices. Il nous semble que l'in- *elligence des générations futures y gagnerait singulièrement en vigueur et en souplesse, et se verrait prémunie dès le plus jeune âge con- tre une multitude de sophismes, acceptés au- jourd'hui sans contrôle sur la foi d'un journal ou d'une conférence quelconque. S'il ne serait pas possible, enfin, d'enseigner dans les clas- ses de seconde et de première les éléments de la psychologie, sans laquelle toute littérature est inintelligible ; et même les premières no- tions de métaphysique générale, qui, non seu- lement, aideraient les élèves à mieux compren- dre et goûter le beau, le vrai et le bien, mais les prépareraient, encore, utilement, pour l'année suivante, à leur cours de philosophie.

Car, on n'improvise pas l'étude de la philo- sophie ; et ce n'est pas la moindre des multi- ples... naïvetés des programmes officiels que

de précipiter, tout d'un coup, la dernière année

10

i^6 l'introduction de la sgolastique

de leurs études, dans un fatras de questions philosophiques, d'ailleurs mal choisies et mal ordonnancées, de pauvres enfants qui, faute de préparation, y barbottent et s'y noient, comme surpris et emportés par une inondation soudaine.

On nous objectera peut-être que « la liberté d'enseignement ne comporte pas le droit de déterminer les programmes » et que les pro- grammes officiels prévoient minutieusement les matières qui doivent être enseignées dans chaque classe, et en mesurent le temps avec un soin... qui serait peut-être plus utilement em- ployé ailleurs.

Nous répondrons tout simplement que cette objection n'est qu'une mauvaise défaite et re- pose sur un sophisme.

Ce mot de « programmes » est, en effet, un terme équivoque, dont il importe de distinguer les deux sens.

11 y a un programme de V examen du bacca- lauréat et il y a un progamine des classes, dont le nom véritable et officiel s'énonce ainsi : plans d'études et programmes d'enseignement dans les lycées et collèges de garçons ».

Que nous soyions obligés de nous soumettre

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 1^7

au programme de l'examen, d'accord, puisque l'Etat, contre toute justice, contre tout bon sens et contre l'intérêt intellectuel du pays s'est indûment arrogé le monopole des diplômes.

Mais encore, de ce que nous sommes obligés, si nous voulons que nos élèves conquièrent ces diplômes, de leur enseigner les matières et les questions indiquées, il ne s'en suit nullement que nous soyions obligés de nous en tenir là.

Il ne s'agit pas seulement, pour nous, de faire, vaille que vaille, de pâles bacheliers, mais encore de former des hommes. Enseignons- leur donc ce qui est inscrit au programme de l'examen, mais selon notre esprit, notre mé- thode, et s'il convient d'y ajouter, ajoutons-y.

Quant aux programmes d'études, ils sont faits pour les « lycées et collèges », et donc, pour les établissements de l'Etat. Ils n'existent pas, en droit, ni ne devraient exister, en fait, pour les nôtres.

D'ailleurs, même dans les établissements de l'Etat, si rigides que ces « directoires » puissent être, il n'en reste pas moins qu'un professeur qui n'est pas un simple fonctionnaire adminis- tratif, aura ou pourra toujours prendre le droit

i£8 l'introduction de la scolastique

de traiter les questions marquées comme il lui convient, et au besoin d'en annexer d'autres.

Dans les établissements privés, ces program- mes d'études ne se sont imposés, de fait, que parce qu'on a bien voulu s'y soumettre, en criant, d'ailleurs à la tyrannie. Ils constituent, dit-on, un défi au bon sens ; tout le monde en convient; mais... chacun s'y soumet avec un empressement qu'on ferait mieux de mettre à déférer aux directions pontificales et aux vœux de l'Alliance des Maisons d'Education Chré- tienne. Une école secondaire libre a le droit d'ordonner ses programmes d'études comme elle l'entend.

Pourquoi ne le fait-on pas, ou si peu ? Pour obéir aux vœux des familles ? Ce n'est qu'un prétexte. Le vœu des familles, c'est que leurs enfants réussissent à leurs exa- mens. Elles verraient certainement, sans dé- plaisir, qu'on obtienne ce résultat avec moins d'efforts, de fatigue, de temps, et en faisant de leurs fils des hommes de tête et non des outres mal gonflées de connaissances hétéroclites et superficielles.

La véritable raison de ce déplorable état de choses, c'est, disons le mot, la contagion de ce

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE I /|Q

servilisme à l'égard de l'Etat, qui, de l'Univer- sité, s'est malheureusement étendu à l'ensei- gnement libre, à quelques rares exceptions près.

Le servilisme intellectuel n'est pas un des phénomènes les moins étranges de nos temps, si fertiles, pourtant, en déconcertants para- doxes.

A-t-on assez clamé la liberté ! et parmi tou- tes les libertés dont on a étourdi nos oreilles, en est-il une que l'on ait clamée plus fort que la liberté de penser ?

Eh bien, pour savoir exactement elle en est, il n'y a qu'à jeter un coup d'œil sur le spectacle étrange que présente l'enseignement.

Autrefois, aux temps « la liberté de pen- sée n'existait pas », « les intelligences étaient asservies au dogme », les Universités, autonomes et indépendantes, organisaient elles- mêmes leurs études et leurs examens. Elles conféraient librement leurs diplômes, qui n'a- vaient pas moins de valeur que ceux actuelle- ment délivrés par le ministre de l'Instruction Publique. Et cette indépendance, cette autono- mie, avaient pour résultat la diversité et l'ému- lation. Chaque Université avait sa spécialité,

i5o l'introduction de la scolastique

elle excellait ; les diplômes de certaines fai- saient prime sur le marché aux valeurs intel- lectuelles ; toutes s'efforçaient de se surpasser les unes les autres, par la qualité de leur ensei- gnement et la valeur de leurs maîtres.

Aujourd'hui, que « nous avons conquis la liberté de penser », et que « nous sommes défi- nitivement libérés de l'esclavage des dogmes », « on a changé tout cela ».

Sur l'initiative et sous la présidence d'un mi- nistre-pontife, les pères de l'église unversitaire se réunissent en concile, chacun préoccupé de faire entrer dans les saints canons le dogme hors duquel il lui semble qu'il n'y ait point de salut pour l'intelligence de ses contemporains. D'autres résistent parfois, alors, on transige :

« Vous aurez votre alcade.

Et vous, votre aiguazil »

Puis, les canons mathématiques, physiques, chimiques, anatomiques, physiologiques, his- toriques, littéraires, philosophiques, etc., etc., dûment homologués par la double con- grégation des députés et des sénateurs, le tout est proclamé urbi et orbi par une encyclique ministérielle ou présidentielle.

DANS L ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 101

Et tout aussitôt, d'un bout à l'autre du pays, tous les détracteurs des « âges de ténèbres », tous les pourfendeurs de dogmes, tous les « hommes libres » se prosternent dans la pous- sière d'une obéissance perinde ac cadaver, et s'écrient d'une seule voix : « Credo ! », sans même manquer d'ajouter : anathema sit qui contradixerit.

Tout aussitôt, les écrivains se mettent à écrire, les imprimeurs à imprimer, les éditeurs à éditer... Et il sort, de ce grand mouvement, des multitudes de manuels, coulés identique- ment dans le même moule, formés identique- ment de la même matière, et ne différant guère entre eux que par le nombre et le nom de leurs auteurs.

C'était bien la peine de prétendre émanciper la pensée, en supprimant les dogmes religieux, pour en venir à l'humilier devant une multi- tude de dogmes officiels dans la science, dans l'art, dans l'histoire et dans la philosophie!

Ce serait vraiment réjouissant s'il n'y avait en jeu que l'Université. Mais ce qu'il y a de profondément triste, c'est que l'enseignement libre croit de son devoir d'emboîter le pas : ses classes se calquent sur les classes des lycées, ses

l52 l'introduction de la scolastiqle

professeurs sur leurs maîtres, ses auteurs sur les auteurs universitaires.

Nous ne savons rien de plus navrant que cette impuissance des catholiques à être, enfin, eux-mêmes. C'est elle qui a conduit les « ca- tholiques-libéraux » à emprunter au protestan- tisme sa fausse bonhomie libérale, dans l'es- poir de conquérir les esprits ; c'est elle qui a conduit les « catholiques-sociaux » à emprun- ter au socialisme ses méthodes et parfois ses doctrines dans l'espoir de lui disputer ses con- quêtes... On sait les résultats de cette politique.

Or, c'est un principe métaphysique qu'un être n'a de place dans l'échelle des êtres, que dans la mesure il a d'être. On ne s'impose que dans la mesure on se réalise : actus est perfectio potentiae.

Notre enseignement ne prendra la place à laquelle il a droit ; la place qu'il a le devoir de prendre car enfin, il s'agit de sauver l'intel- ligence française, et cela vaut bien la peine qu'on risque quelque chose que le jour où, cessant de se traîner à la remorque des plans officiels, il se décidera à avoir ses méthodes, ses programmes d'études... à être lui-même, en un mot.

DAMS L 'ENSEIGNEMENT secondai m-; i53

Nous voudrions certes pouvoir hâter ce jour de nos vœux, et ces vœux, nous les transmet- tons très respectueusement au Congrès de l'Al- liance des Maisons d'Education Chrétienne, qui pourrait, lui, et avec quelle autorité, rédi- ger, non peut-être des plans, mais des modèles de plans pour faciliter la besogne aux établis- sements libres, qui ont, évidemment, contre eux, la vitesse acquise de la routine, pour re- monter le courant.

La cinquième conclusion sera pour deman- der aux chefs d'établissements secondaires ca- tholiques s'il serait tellement difficile d'éta- blir parmi leurs élèves l'usage de couronner l'année de philosophie par le baccalauréat de philosophie scolastique passé concurremment avec celui de l'Université. Pour notre part, nous venons d'avoir la joie de voir un de nos élèves ce n'est qu'un début passer avec succès cet examen, et nous comptons bien pou- voir en présenter d'autres plus nombreux, dans la suite.

Ici, pourtant, il y a des difficultés qu'il im- porte de signaler. Les chefs d'établissement les mieux intentionnés, se heurteront à un obsta-

i5A l'introduction de la scolastique

cle difficile à franchir. Les élèves leur deman- deront infailliblement à quoi ce diplôme leur sera pratiquement utile.

Pour tourner cet obstacle, il n'y a qu'un moyen: donner à ce diplôme la valeur pratique qui lui manque, et cela, c'est l'affaire des catho- liques conscients de l'avenir de la philosophie chrétienne et de l'intelligence française, à com- mencer par les directeurs de nos collègues catholiques eux-mêmes.

Au lieu du fétichisme qu'ils affichent, dans le recrutement de leur personnel pour les gra- des officiels de l'Etat, ne pourraient-ils pas atta- cher une importance plus grande aux diplômes délivrés par nos Instituts Catholiques ? Entre un docteur en philosophie scolastique et un simple licencié ès-lettres, il est rare qu'ils hési- tent et leur faveur n'est généralement pas pour le premier. C'est un de ces « renversements des valeurs » dont on n'a pas tout dit et sur lesquels il y aurait à revenir.

Enfin, les organisations catholiques, de toute espèce, qui emploient un personnel lettré, ne pourraient-elles pas réserver leurs préférences aux candidats, qui, sans préjudice des diplô- mes appropriés: droit, médecine, lettres, etc.,.,

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE l55

seraient en mesure de justifier d'un titre cano- nique? Ce serait, il nous semble, une présomp- tion appréciable et de formation logique et de rectitude d'esprit, et peut-être d'orthodoxie.

Si nos journalistes et nos conférenciers ca- tholiques pouvaient justifier d'une formation scolastique, peut-être aurait-on moins à déplo- rer les pas de clerc d'un zèle plus souvent géné- reux qu'éclairé et sûr de sa marche.

La sixième et dernière conclusion, enfin, sera pour supplier les professeurs catholiques de philosophie, à quelque enseignement qu'ils appartiennent, et qui n'ont pas cru devoir exa- miner encore la question de l'enseignement de la scolastique dans leurs classes, de se deman- der sérieusement si les prescriptions réitérées des Souverains Pontifes à l'égard des Séminai- res et des Instituts Catholiques n'intéressent pas quelque peu, par l'esprit, sinon par la lettre, la délicatesse de leur conscience de catholiques, ou, du moins, leur fidélité aux directions pon- tificales.

Qu'ils songent à réversion des intelligences à laquelle consciemment chez ses pro- moteurs secrets, inconsciemment, peut-être,

i56 l'introduction de la scolastique

chez ses porte-parole scolaires s'est vouée la philosophie universitaire. C'est une dangereuse erreur de dire, comme certains, qu'il n'existe pas de doctrine universitaire. Il en existe une, hélas ! et peut-être quelque jour en ferons-nous la preuve, doctrine négative, sans doute, mais qui se dégage quand même de la lecture pa- tiente et navrante de tous ses manuels. Une doctrine qui a pour but de fausser, dès l'ori- gine, la ligne droite que tend naturellement à suivre la raison humaine dans son essor vers le vrai, pour l'empêcher de rencontrer ce point critique la foi se présente à elle comme le seul prolongement possible de son axe ascen- sionnel.

Qu'ils songent à ce pays, si généreux, si héroïque, autrefois si grand, et maintenant si malheureux, parce qu'on a « éteint des lumiè- res » qu'il faut rallumer au plus vite, si l'on ne veut pas qu'il s'endorme dans la nuit défi- nitive d'une décadence sans autre issue que la tombe, la tombe sont couchées maintenant l'Egypte de Ramsès, la Grèce d'^texandre et la Rome d'Auguste.

Qu'ils songent, enfin, à ce qu'attendent d'eux les jeunes esprits qu'ils ont entre les mains On

DANS L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ibj

a voulu leur donner une culture exclusivement mathématique et scientifique pour leur faire perdre le goût des vérités premières, on a hypertrophié, chez eux, les facultés expérimen- tales pour les dégoûter de la spéculation pure qu'on rendait, par ailleurs, aussi brumeuse que possible. Et voici, maintenant, que cette formation se retourne contre ses fauteurs. Ces jeunes gens de nos écoles ont senti s'ajouter à la soif de certitude, naturelle à leur âge, la faim du positif, du clair, du précis, du rigoureux, ils sont, par conséquent, une terre magnifique- ment préparée pour recevoir la semence scolas- tique et donner demain... demain !... pour la gloire de notre Pays délivré, de l'Eglise exaltée et de la Chrétienté restaurée, une splendide moisson de grands hommes dans la science et dans l'art et de Saints dans la Foi.

TABLE

Pages

I. L'expérience 4i

II. La question préalable : l'opportunité de la

scolastique 5o,

III. Les obstacles : sectarisme et conlusion des

idées et des langues 83

IV. La question pratique : méthode et manuel. . 107 V. Conclusions 1 38

543 Imp. Armi -Lux". 131. boul Si-Mieh«l Paris

Miles Chris ti (pseud.) 3

339 L! introduction de la .458 s cho las tique dans l'enseignement secondaire